N° 292

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2022.

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273),

 

PAR M. Jean-René CAZENEUVE,

Rapporteur général

Député

 

——

 

ANNEXE N° 43
 

 

Sécurités :

 

Sécurité civile

 

 

 

 

Rapporteur spécial : M. Florian Chauche

 

Député

____

 

 

 



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SOMMAIRE

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Pages

PRINCIPALES OBSERVATIONS Du RAPPORTEUR SPÉCIAl

DONNÉES CLÉS

INTRODUCTION

I. le financement des MOYENS NATIONAUX de la sÉcuritÉ civile, cœur du programme 161, doit s’adapter au nouveau contexte de saison des feux

A. La SAISON DES FEUX 2022 a révélé les limites des moyens nationaux actuels

1. Une saison des feux inédite qui a largement mobilisé les moyens humains et aériens de la sécurité civile

a. La saison des feux 2022 a été exceptionnelle par son intensité et son ampleur

b. Une mobilisation sans précédent impliquant des coûts supplémentaires pour l’État

2. La hausse des moyens nationaux de la sécurité civile ne permet pas de compenser l’insuffisance de la flotte actuelle

a. L’essentiel de l’effort d’investissement consenti pour 2023 se concentre sur le renouvellement de la flotte d’hélicoptères

i. La flotte d’aéronefs de la sécurité civile n’est pas adaptée pour affronter des « saisons feux » comme celle de 2022

ii. Dès lors, si le renouvellement de la flotte d’hélicoptères est bienvenu, le sous-dimensionnement des moyens aériens de la sécurité civile demeure manifeste

b. En conséquence, l’entretien des aéronefs devient un enjeu existentiel pour la sécurité civile

3. À l’appui des moyens nationaux de sécurité civile, les crédits de prévention et de gestion des crises devraient s’afficher en hausse principalement en raison de l’inflation

B. La saison des feux 2022 questionne également la pertinence des objectifs et indicateurs du programme

1. La performance du programme correspond aux cibles établies, mais risque d’être fortement dégradée après la saison des feux 2022

2. Les indicateurs de performance doivent être adaptés aux nouveaux enjeux de la sécurité civile

II. Le soutien aux acteurs de la sécurité civile doit être renouvelé au regard des enjeux actuels de la sécurité civile

A. La contribution du programme au budget des SIS se limite au financement du pacte capacitaire

B. La hausse consentie au budget de la BSPP est bienvenue mais incomplète

C. Le déploiement du projet de systÈme d’information NexSIS 18-112 est menacé par un soutien insuffisant de l’État

1. L’ANSC est principalement en charge du développement du projet NexSIS 18-112

2. La lenteur du déploiement du dispositif NexSIS 18-112 résulte en partie d’une insuffisante allocation de moyens humains et financiers qui menace l’intégrité même du projet

a. Le calendrier de déploiement de NexSIS retenu dans le PAP 2022 ne sera pas tenu

b. Des effectifs trop faibles et des moyens financiers insuffisants expliquent en partie ces retards

D. Le rôle des Associations agréées dans la politique de sécurité civile doit être plus valorisé et mieux financé

1. L’activité des AASC est encadrée mais leurs missions se sont étendues depuis la crise sanitaire

2. La participation financière de l’État en faveur des AASC demeure minimaliste en dépit du rôle essentiel que jouent celles-ci dans la sécurité civile

EXAMEN EN COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES  PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 98 % des réponses relatives à la mission étaient parvenues à la commission des finances. Le rapporteur spécial salue cet important taux de réponse.

 

  
PRINCIPALES OBSERVATIONS Du RAPPORTEUR SPÉCIAl

Le projet de loi de finances pour 2023 propose d’abonder le programme 161 Sécurité civile de 392 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 72,5 millions d’euros en crédits de paiement. Cette hausse n’est en réalité qu’un rattrapage insuffisant, tant au regard des incendies qui ont touché 50 départements français à l’été 2022 que du risque accru d’évènements climatiques extrêmes résultant du changement climatique.

Dès 2010, une mission interministérielle s’intéressant au changement climatique et à l’extension des zones sensibles aux feux de forêts ([1]) alertait sur l’augmentation des coûts qui résulteraient de l’extension des surfaces forestières sensibles à l’aléa feux de forêts. Nombre de missions d’informations menées par le Sénat ([2]) ou par l’Assemblée des départements de France ([3]) enjoignent régulièrement l’État à accroître le budget dédié à la sécurité civile. Enfin, un récent rapport de l’Institut de l'économie pour le climat ([4]), paru en juin 2022, estime qu’une augmentation des moyens dédiés à la sécurité civile de 115 millions d’euros par an est nécessaire.

Or, la hausse du budget prévue dans le projet de loi de finances pour 2023 est largement due au lancement du programme de renouvellement de la flotte d’hélicoptères EC 145 de la sécurité civile. Il s’agit d’un renouvellement louable mais qui arrive tardivement puisque cela fait plusieurs années que la flotte d’hélicoptères est en deçà de son contrat opérationnel fixé à 38 appareils. Cette situation avait déjà provoqué l’émotion des précédents rapporteurs spéciaux qui pointaient alors les conséquences négatives d’un tel sous-dimensionnement :

– La surutilisation des appareils ;

– Le vieillissement précoce de la flotte ;

– L’augmentation des coûts liés à la maintenance des appareils ;

– Et, in fine, le risque opérationnel que cette situation produit.

Par ailleurs, la possible mutualisation de ces nouveaux appareils avec la gendarmerie nationale évoquée à plusieurs reprises, en particulier par le ministre de l’intérieur ([5]), risquerait d’accroître davantage la confusion des rôles entre les différentes flottes d’hélicoptères de service public et de pénaliser la sécurité civile.

De manière générale, ainsi que l’a souligné la Cour des Comptes dans un récent référé ([6]) , il n’y a pas de vision à long terme de la gestion de la flotte de la sécurité civile. Ainsi, la mission interministérielle de 2010 demandait également que l’État anticipe les nouveaux risques, adapte le dimensionnement de sa flotte aérienne en conséquence et procède à un renouvellement rapide des Trackers pour que la « DSC n’aborde pas la fin de la décennie avec du matériel volant obsolète ». Ces recommandations n’ont malheureusement pas été suivies et les Trackers ont été mis hors service en février 2020 seulement, suite à un incident technique. Le dernier des six DASH 8 commandés en remplacement des Trackers ne sera d’ailleurs livré qu’en juin 2023, c’est dire le retard accumulé en la matière.

Le projet de loi de finances pour 2023 et la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), tout comme les récentes annonces faites par le Président de la République, n’offrent pas une feuille de route et un cadre clairs en matière de renouvellement et d’adaptation de la flotte aérienne de la sécurité civile. L’État réagit, pallie certains manques, mais ne planifie pas et ce alors même que les forces de sécurité civile ont frôlé la rupture capacitaire à l’été 2022.

En matière de soutien à l’investissement structurant des SDIS, le PLF pour 2023 prévoit un million d’euros en crédit de paiement et huit millions d’euros en autorisations d’engagement, des montants tout à fait insuffisants. Nombre de SDIS sont en effet peu préparés et sous-équipés pour faire face à des feux de forêt ou de végétation. La fédération nationale des sapeurs-pompiers français (FNSPF) estime ainsi que le nombre de camions-citernes feux de forêts doit être porté de 3 700 aujourd’hui à 10 000 d’ici à dix ans. À cet égard, la déclaration du Président de la République du 28 octobre annonçant la mise en place d’un effort de 150 millions d’euros pour soutenir les SDIS est une bonne nouvelle. Néanmoins, ces crédits supplémentaires ne sauraient compenser la décision prise dans le cadre du PLF pour 2020 du « retrait de l’État en matière de soutien aux dépenses d’investissement des SDIS en dehors du projet NexSIS 18-112 » ainsi que le décrivait le rapporteur spécial de l’époque, Monsieur Bruno Duvergé ([7]).

Il convient également de souligner que l’activité des forces de sécurité civile pâtit de décisions politiques et d’arbitrages financiers de l’État dans d’autres domaines. Ainsi, la suppression entre 2014 et 2022 de 1 074 ETPT au sein de l’Organisme national des forêts est incompréhensible. Les agents de l’ONF jouent un rôle primordial dans l’entretien des forêts et la gestion des essences forestières, la réduction de leurs effectifs nuit à la prévention même des incendies de forêt et rend plus difficile le travail des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels.

De même, la diminution des moyens alloués à l’hôpital public se traduit par :

– Une augmentation des interventions de secours, de soins d’urgences et d’assistance aux personnes ;

– Une augmentation du temps d’attente des acteurs de la sécurité civile aux urgences ;

– Un accroissement des délais d’interventions pour transporter les victimes à l’hôpital du fait des groupements ;

– Une perte de sens et d’attractivité du métier de sapeur-pompier professionnel et de l’activité de sapeur-pompier volontaire.

L’intensification et la multiplication des évènements climatiques extrêmes induites par le changement climatique doivent amener une réflexion profonde sur notre modèle de sécurité civile et sur les moyens qui lui sont consacrés. Il est donc primordial que nous renforcions les moyens alloués à la prévention et à la formation pour être collectivement mieux préparés. Nous devons anticiper les crises à venir et ne pas être seulement dans la réaction et l’urgence. En ce sens nous devons adopter une approche systémique et penser la sécurité civile en lien avec tous les acteurs et toutes les actrices qui sont amenés à jouer un rôle en la matière. Une coopération renforcée entre le Ministère de l’Intérieur, le Ministère de la Santé, le Ministère de la Transition écologique, le Ministère de l’Éducation nationale et le Ministère de l’Agriculture est indispensable.

Enfin, il apparaît nécessaire qu’à l’occasion du débat sur le budget de l’État alloué à la sécurité civile, les économies réalisées par l’intervention des forces de sécurité civile soient prises en compte. En effet, des travaux menés par le SDIS 13 ont estimé la valeur d’un hectare sauvé des flammes à 9 500 euros. De même, une étude du SDIS 34 menée sur huit feux de végétation en 2021 a mesuré que l’intervention du SDIS a permis de réaliser une économie évaluée à 11,33 millions d’euros pour la société. L’action de nos forces de sécurité civile et le budget que l’État leur alloue doivent donc être également appréhendés au regard des vies humaines sauvées, de la protection des biens et de la préservation des écosystèmes qui en découlent.

 

 

 


—  1  —

   DONNÉES CLÉS

Évolution des crÉdits du programme SÉcuritÉ civile

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

LFI 2022

PLF 2023

Évolution 2022-2023

Programme 161

678,0

1 070,0

+ 57,8 %

568,1

640,6

+ 12,8 %

Source : commission des finances d’après le projet de loi de finances pour 2023.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU programme SÉcuritÉ civile

(en millions d’euros)

courbes-ae-cp-secu-civile.png

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

RÉpartition des CP DU programme 161, par fonction

 

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.


—  1  —

   INTRODUCTION

Le programme 161 Sécurité civile est l’un des quatre programmes de la mission Sécurités dont il ne représente qu’une faible part des crédits, soit, dans le projet de loi de finances pour 2023, 4,4 % de ses autorisations d’engagement (1 070 millions d’euros) et 2,8 % de ses crédits de paiement (641 millions d’euros).

Toutefois, le programme 161 n’est pas l’unique support des dépenses en faveur de la sécurité civile, celles-ci figurant également dans d’autres programmes du budget général ([8]). En outre, si l’État est « garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national » et s’il « en définit la doctrine et les moyens » ([9]), il n’est pas le principal financeur de la sécurité civile au quotidien.

En effet, la sécurité civile est d’abord assurée par les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), les moyens nationaux n’intervenant que dans l’hypothèse d’une catastrophe. L’ensemble des financements de la sécurité civile comprend donc, outre le programme 161 exécuté par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’intérieur (DGSCGC) et les autres crédits du budget de l’État s’y rattachant, les budgets des SDIS qui s’élevaient à environ 5,4 milliards d’euros en 2021. Ces budgets reposent notamment sur de la fiscalité transférée aux collectivités territoriales (fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance – TSCA).

Budget total de la sécurité civile

 

 

Montant en 2021

en %

Crédits des SDIS, de la BSPP et de la BMPM

6 003 984 092 

82,2 %

Crédits du budget général de l’État

dont programme 161
(hors subvention BSPP)

568 629 954 

7,8 %

dont autres programmes

728 379 416 

10 %

Sous-total

1 297 009 370 

17,8 %

Total

7 300 993 462 

100 %

Sources : DGSCGC.

S’agissant du programme 161, les crédits demandés pour 2023 s’inscrivent en hausse de 12,8 % en crédits de paiement à 641 millions d’euros. La hausse significative de 57,8 % prévue en autorisations d’engagement, à 1 070 millions d’euros, correspond principalement à la prévision de renouvellement de la flotte d’hélicoptères de la sécurité civile.

Le programme 161 se décompose en 4 actions :

– l’action 11 Prévention et gestion des crises, dotée de 69 millions d’euros en AE et de 48 millions d’euros en CP pour 2023. Cette action comprend la veille, l’alerte et la gestion interministérielle des crises, la solidarité nationale – et à ce titre les colonnes de renfort et les crédits d’extrêmes urgences – ainsi que la prévention opérationnelle et la protection des populations. La hausse importante des crédits ouverts au titre de cette action est notamment due au renouvellement du matériel et des équipements spécialisés dans la lutte contre les menaces NRBC-E (nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosive) et à la poursuite du déploiement du système d’alerte et d’information des populations (SAIP) ;

– l’action 12 Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux porte la majorité des crédits du programme et serait dotée de 815 millions d’euros en AE et 413 millions d’euros en CP. Cette action comprend les moyens aériens nationaux (avions et hélicoptères de la sécurité civile), les moyens terrestres (Formations militaires de la sécurité civile), les moyens nationaux dédiés au déminage et les moyens nationaux de soutien. Les crédits de cette action connaîtraient une nette progression de 66 % en AE, très largement portée par le lancement du programme de renouvellement de la flotte d’hélicoptères EC 145 ;

– l’action 13 Soutien aux acteurs de la sécurité civile, dotée de 171 millions d’euros en AE et de 165 millions d’euros en CP. Par le biais de cette action, l’État apporte son concours aux activités de coordination et de formation des autres acteurs de la sécurité civile. Ces crédits s’inscriraient en hausse significative (respectivement + 30,5 millions d’euros et + 23,5 millions d’euros) du fait notamment d’une subvention à l’opérateur du programme, d’une progression du financement de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et d’une hausse des pensions et indemnités aux victimes d’accidents ;

– l’action 14 Fonctionnement, soutien et logistique, dotée de 14,4 millions d’euros de crédits en AE et en CP, affiche des montants sensiblement équivalents à ceux inscrits dans la loi de finances initiale pour 2022. Cette action regroupe les fonctions de soutien général du programme, à l’instar des dépenses informatiques mutualisées, du carburant des véhicules terrestres ou des services d’état-major.

 

 

 

 

 

Évolution des crédits par action du programme Sécurité civile en plf 2023

(en millions d’euros)

Actions

Autorisation d’engagement

Crédits de paiement

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

11. Prévention et gestion des crises

35,5

69,2

+ 94,9 %

37,7

48,3

+ 28 %

12. Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux

490,4

815,1

+ 66,2 %

377,9

413,1

+ 9,3 %

13. Soutien aux acteurs de la sécurité civile

140,9

171,4

+ 21,7 %

141,3

164,8

+ 16,7 %

14. Fonctionnement, soutien et logistique

11,2

14,4

+ 28,4 %

11,2

14,4

+ 28,4 %

Total programme 161

678

1 070

+ 57,8 %

568

641

+ 12,8 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

Le plafond d’emplois du programme 161 s’élèverait en 2023 à 2 467,28 ETPT contre 2 462,56 ETPT en 2022, soit une augmentation de 4,72 ETPT. Cette évolution à la marge s’explique notamment par :

– Une mesure de transfert (+ 2 ETPT), correspondant à la reprise en direct de la gestion du système d’alerte et d’informations aux populations (SAIP) qui était précédemment à la charge de la direction du Numérique du ministère de l’intérieur ;

– Une mesure de périmètre (+ 1 ETPT) : un emploi de personnel navigant mis à disposition par la BSPP (qui ne compte donc actuellement pas dans le plafond d’emplois) sera occupé en 2023 par un personnel contractuel ;

– L’impact du schéma d’emplois 2022 sur 2023 (+ 13,44 ETPT) et l’impact du schéma d’emplois 2023 sur 2023 (– 11,71 ETPT) soit un solde de + 1,73 ETPT.

Par ailleurs, les dépenses de personnel progresseraient de 11,4 millions d’euros entre 2022 et 2023. Outre l’incidence du schéma d’emplois, plusieurs mesures à financement interministériel sous-tendent cette hausse. Il s’agit notamment de la revalorisation du point d’indice de 3,5 %, de la nouvelle politique de rémunération des militaires qui impacte les Formisc ([10]) et des mesures bas salaires au titre de la revalorisation de l’indice minimum de traitement.


—  1  —

I.   le financement des MOYENS NATIONAUX de la sÉcuritÉ civile, cœur du programme 161, doit s’adapter au nouveau contexte de saison des feux

Le financement des moyens nationaux de la sécurité civile est porté par l’action 12 Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux qui couvre l’acquisition, l’entretien et l’emploi des moyens nationaux de la sécurité civile : avions, hélicoptères et véhicules terrestres spécialisés ainsi que, dans une moindre mesure, les équipements de protection individuelle. Elle représente à elle seule près des deux tiers des crédits de paiement du programme 161.

L’action 12 est subdivisée en cinq sous-actions, qui correspondent aux catégories de moyens nationaux de la sécurité civile :

– Avions (sous-action 1) ;

– Moyens nationaux terrestres (sous-action 2) ;

– Hélicoptères (sous-action 3) ;

– Moyens nationaux de déminage (sous-action 4) ;

– Moyens nationaux de soutien (sous-action 5).

A.   La SAISON DES FEUX 2022 a révélé les limites des moyens nationaux actuels

1.   Une saison des feux inédite qui a largement mobilisé les moyens humains et aériens de la sécurité civile

a.   La saison des feux 2022 a été exceptionnelle par son intensité et son ampleur

La saison des feux 2022 a été considérablement plus intense que les années précédentes. Le nombre de départs d’incendie, stable sur les cinq dernières années, a doublé cet été, avec plus de 8 550 feux de forêt enregistrés. Au 29 octobre 2022, 66 136 hectares de forêt avaient brûlé depuis le début de l’année ([11]), une surface presque six fois supérieure à la moyenne des quinze années précédentes.

Départs de feux et surfaces incendiées lors de la saison des feux 2022

C:\Users\ericardo\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\AR4PGT5T\feux (003).png

C:\Users\ericardo\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\AR4PGT5T\feux2 (002).png

Source : commission des finances, données de la DGSCGC au 12 septembre 2022.

Par ailleurs, plus de 40 % des terres brûlées sont dues à quatre « méga feux » survenus en Gironde, département de loin le plus touché. En outre, des départements jusque-là épargnés par les feux de forêt ont été sinistrés cette année, à l’instar du Finistère et du Maine-et-Loire.

Principaux départements affectés par les feux de forêt en 2022

(en hectares)

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Source : commission des finances, données de la DGSCGC.

Ainsi, la saison des feux 2022 s’est caractérisée par une superficie des incendies bien plus étendue que lors des saisons feux précédentes. Si la moitié sud du pays reste la partie la plus concernée par les feux de forêt, la simultanéité des éclosions sur l’ensemble du territoire métropolitain a été particulièrement inédite. Celle-ci a été favorisée par des conditions météorologiques particulières (plusieurs épisodes caniculaires dès le mois de juin) et une sécheresse chronique qui risquent de se reproduire à l’avenir du fait du changement climatique.

Par ailleurs, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) a partagé au cours de son audition le sentiment selon lequel la notion de « saison des feux » n’est plus adaptée à la situation actuelle. En effet, le changement climatique se traduit notamment par une extension temporelle du risque incendie, la période à risque fort étant trois fois plus longue qu’auparavant et les feux hivernaux devenant de plus en plus fréquents. Parler de saison des feux devient dès lors moins justifié, ce qui se traduit concrètement par un accroissement d’activité très net pour les forces de sécurité civile.

b.   Une mobilisation sans précédent impliquant des coûts supplémentaires pour l’État

● Pendant la saison des feux 2022, entre 40 000 et 50 000 personnels de la sécurité civile ont été mobilisés par jour au plus fort des incendies et parmi eux le nombre de sapeurs-pompiers impliqués a pu s’élever à près de 10 000 par jour. La mobilisation de ces derniers a été facilitée par le principe d’entraide existant entre les services d’incendie et de secours (SIS) qui a permis le recours à des renforts extra-départementaux entre pompiers. Ainsi, près de 4 000 personnes ont été intégrées dans 43 colonnes de renforts et détachements à pied.

Par ailleurs, 80 % des effectifs des formations militaires de la sécurité civile (environ 1 100 militaires) ont été déployés au plus fort de l’activité feux de forêt, seuls restant disponibles les modules spécialisés (notamment dans les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques – NRBC).

● Concernant les moyens aériens, la demande pour la saison des feux 2022 a été particulièrement aiguë. Au cours de l’été, 27 bombardiers d’eau (hélicoptères et avions confondus) ont été engagés, soit 40 % de plus que la flotte nominale. Ce surplus résulte de la location de deux hélicoptères lourds et de la réquisition de huit hélicoptères bombardiers d’eau lourds et légers ([12]) en urgence par la DGSCGC. Par ailleurs, la France a fait appel au Mécanisme de protection civile de l'UE ([13]) et a ainsi pu bénéficier d’une réponse opérationnelle au cours des mois de juillet (aide grecque dans le Sud-Ouest) et d’août (aides italo-grecque dans le Sud-Ouest et suédoise autour de Vannes).

Cette tension sur la demande de moyens aériens a eu des effets notables sur la sollicitation des aéronefs (davantage d’opérations de maintenance à cycle défini à réaliser du fait de l’augmentation des heures de vol) mais également sur celle des équipages par l’atteinte de certaines butées horaires en termes d’heure de vol (quotidienne ou sur du cumul de trente jours).

● L’incidence sur le budget de l’État de cette forte augmentation de l’activité opérationnelle au cours de l’année 2022 est estimée par la DGSCGC à 35 millions d’euros et porte principalement sur cinq postes de dépenses :

– Les dépenses de maintien en conditions opérationnelles (MCO) des avions devraient être significativement alourdies par la hausse des heures de vol ainsi que par l’importance des réparations réalisées en vue d’assurer au mieux la disponibilité des appareils sollicités. Ainsi, le surcoût engendré pour le MCO des avions est évalué à environ 11 millions d’euros ;

– Le renfort du dispositif aérien, en particulier la réquisition de huit hélicoptères bombardiers d’eau lourds et légers, contribuerait à une hausse prévisionnelle des crédits concernés de 7 millions d’euros ;

– Du fait de la hausse du niveau d’engagement opérationnel, le carburant aéronautique et le produit retardant font également l’objet d’un surcoût évalué à 5 millions d’euros pour chaque poste de dépense, soit 10 millions d’euros au total ;

– De même, les dépenses de colonnes de renfort « feu de forêt » devraient être fortement réévaluées, à plus de 8 millions d’euros en 2022, soit un surcoût de 5 millions d’euros ;

– Enfin, la suractivité des véhicules opérationnels, notamment les camions de lutte contre les incendies des Formisc, devrait entraîner une hausse des dépenses de carburant et du MCO afférent pour un total estimé à 2 millions d’euros.

2.   La hausse des moyens nationaux de la sécurité civile ne permet pas de compenser l’insuffisance de la flotte actuelle

Les dépenses de l’action 12 portant les moyens nationaux de l’État sont centrées sur l’acquisition de nouveaux appareils (dépenses d’investissement – titre 5) et sur l’entretien du matériel existant (dépenses de fonctionnement – titre 3). Les dépenses de personnel (titre 2) sont, quant à elles, contenues et stables, comme au sein des autres actions du programme.

Évolution des DÉPENSES DE L’ACTION 12 par nature en 2023

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

Titre 2

Dépenses de personnel

171,3

182

+ 6,2 %

171,3

182

+ 6,2 %

Titre 3

Dépenses de fonctionnement

281,2

111,9

 60,2 %

113,8

125,3

+ 10,1 %

Titre 5

Dépenses d’investissement

37,9

521,2

+ 1275 %

92,9

105,9

+ 14 %

Total

490,4

815,1

+ 66,2 %

377,9

413,1

+ 9,3 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

La hausse de près de 324 millions d’euros (+ 66 %) des autorisations d’engagement de l’action dans le présent projet pour 2023 est le résultat d’une augmentation conséquente des dépenses d’investissement (+ 483 millions d’euros) minorée au niveau de l’action par la baisse des dépenses de fonctionnement (– 169 millions d’euros). Les crédits de paiement augmentent légèrement à 413 millions d’euros (+ 9,3 %).

a.   L’essentiel de l’effort d’investissement consenti pour 2023 se concentre sur le renouvellement de la flotte d’hélicoptères

i.   La flotte d’aéronefs de la sécurité civile n’est pas adaptée pour affronter des « saisons feux » comme celle de 2022

La flotte d’avions de la sécurité civile comporte actuellement :

– douze Canadair CL 415, d’un coût unitaire estimé à 55 millions d’euros. Il s’agit d’avions bombardiers d'eau amphibies spécialisés dans la lutte contre les feux de forêts ;

– sept DASH 8, d’un coût unitaire évalué à 59 millions d’euros. Il s’agit d’avions multirôles (bombardier d’eau et transport) bimoteurs à turbopropulseurs rapides venus remplacer la flotte des Tracker. Dans le cadre du marché d’acquisition de six DASH 8 en 2018 auprès de la société CONAIR, cinq appareils ont été livrés et un sixième devrait l’être en juin 2023, portant à huit le nombre de DASH de la flotte ;

– trois Beechcraft KING 200, avions d’investigation et de coordination qui ont fait l’objet d’une rénovation totale achevée fin 2019.

La flotte d’hélicoptères, ou « Dragons », initialement dotée de 38 appareils, comporte 33 hélicoptères EC 145 depuis septembre 2021 à la suite du dernier accident en date ([14]). Dans le cadre du Plan de relance, 2 hélicoptères de type Airbus H145 ont été achetés et livrés, portant la flotte à un total de 35 appareils. Il convient de noter que ces hélicoptères concourent à l’ensemble des missions de la sécurité civile (secours, reconnaissance aérienne, transport de personnels…) et ne sont donc pas uniquement dédiés à la lutte contre les feux de forêt.

L’ensemble de cette flotte aérienne a ainsi été largement mobilisée pendant la saison des feux 2022 mais a rapidement démontré ses limites. En effet, face à l’ampleur des incendies, la DGSCGC a dû procéder à la location de deux appareils et à la réquisition de huit hélicoptères bombardiers d’eau spécifiquement conçus pour la lutte contre les feux de forêt. C’est pourquoi le rapporteur spécial souhaite alerter sur le sous-dimensionnement de la flotte aérienne de la sécurité civile.

 

Ces hélicoptères lourds sont apparus particulièrement utiles et plébiscités à ce titre par les acteurs de la sécurité civile auditionnés par le rapporteur spécial. D’une taille réduite, ils sont très complémentaires aux Canadair et aux DASH, permettant des interventions initiales rapides et un traitement des points chauds résiduels. Au-delà de l’État, plusieurs SDIS louent également de manière ponctuelle ce type d’appareils. Le rapporteur spécial a ainsi déposé un amendement pour que l’État acquière des hélicoptères lourds bombardiers d’eau, ce qui évitera de procéder de manière récurrente à des réquisitions et à des locations, dont le coût financier est loin d’être négligeable.


Les locations et réquisitions d’appareils pendant la « saison feux » 2022

Au cours de la campagne des feux de cette année, 10 hélicoptères bombardiers d’eau (HBE) lourds et légers sont intervenus aux côtés des avions de la sécurité civile.

Deux appareils ont été loués, les PUMA 20 (déployé en Corse) et PUMA SEC (déployé en « France continentale »), employés au titre d’un marché public pour la troisième saison consécutive.

Le PUMA 20, situé à Corte, a réalisé 59 heures de vol (HdV) et plus de 400 largages depuis le 15 juillet.

Le PUMA SEC a fortement été mobilisé sur l’ensemble du continent avec plus de 220 HdV contre seulement 68 HdV en 2021. À lui seul, il comptabilise plus de 1 700 largages à ce jour.

Huit appareils ont été réquisitionnés auprès des sociétés françaises AIRTELIS et SAF, en application du décret n° 2022-1020 du 20 juillet 2022 autorisant le ministre de l’intérieur à réquisitionner des sociétés de location d’hélicoptères en capacité de participer à la lutte contre les feux de forêts. Il s’agit de cinq hélicoptères lourds Super Puma et trois hélicoptères légers de type Ecureuil engagés pour des périodes allant de 12 à 45 jours.

Les appareils mis à disposition au profit de la zone Sud-Ouest (PUMA SEC BRAVO et PUMA SEC CHARLIE) ont réalisé 170 HdV et plus de 1 150 largages sur les feux de Gironde (33) dont Landiras, Hostens et La-Teste-de-Buch.

Les deux Ecureuils B3 (FOXTROT et GOLF) ont quant à eux accompli 55 HdV dans le Jura (39) et les Vosges (88), principalement sur les feux Vescles, Biffontaine et Le Ménil.

Le coût total de l’emploi des hélicoptères bombardier d’eau dans le cadre du marché de location 2021-2023 et des réquisitions est estimé à 12,3 millions d’euros.

ii.   Dès lors, si le renouvellement de la flotte d’hélicoptères est bienvenu, le sous-dimensionnement des moyens aériens de la sécurité civile demeure manifeste

● La flotte d’hélicoptères devrait bénéficier d’un renforcement en 2023.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit le paiement de deux hélicoptères H145 pour 27,8 millions d’euros en CP, au titre de l’activation en 2021 de la tranche optionnelle du marché conclu dans le cadre du Plan de relance de 2020. Les appareils seront livrés en 2023 et la flotte s’élèvera donc à 37 hélicoptères (4 H145 de nouvelle génération et 33 EC 145 ancienne génération).

Par ailleurs, compte tenu de l’âge des appareils et de leur sollicitation, une campagne de renouvellement de 36 hélicoptères est inscrite dans le présent projet pour un montant de 471,6 millions d’euros en AE. L’objectif cible est de 40 hélicoptères (36 appareils en remplacement des EC 145 s’ajoutant aux 4 H145 nouvellement acquis) afin de pouvoir armer toutes les bases et détachements de la sécurité civile, en hiver comme en été. Toutefois, le marché qui doit être passé par la direction générale de l’armement (DGA) aura lieu en 2023, ce qui ne laisse pas présager une livraison des nouveaux appareils avant une période de 5 à 7 ans.

De plus, le rapporteur spécial sera vigilant quant à l’usage qui sera effectivement fait de ces appareils, puisque le ministre de l’intérieur a déclaré devant les sénateurs lors de son audition du 21 septembre 2022 qu’il envisageait de « de mutualiser ces trente-cinq hélicoptères avec la gendarmerie nationale hors des périodes de risque d'incendie ». Le rapporteur spécial n’est pas hostile à un recours ponctuel aux moyens aériens de la sécurité civile par la gendarmerie nationale, mais il est opposé à une quelconque mutualisation qui lui semble problématique au vu de l’augmentation du nombre d’interventions des forces de sécurité civile dans un contexte de relative stagnation des moyens.

● L’aviation de la sécurité civile ne connaîtra pas d’évolution majeure avant plusieurs années malgré l’initiative RescEU.

Afin de renforcer sa flotte aérienne et d’initier son renouvellement, la France s’est inscrite dans le nouveau mécanisme européen entré en vigueur en mai 2021 qui prévoit de créer une réserve de sécurité civile européenne (RescEU), dotée de moyens subventionnés par l’Union européenne, l’État-membre acquéreur s’engageant en contrepartie à les rendre disponibles en cas d’activation du mécanisme. Sur un total de 22 appareils De Havilland Canada DHC-515 envisagés – des bombardiers d’eau amphibie – la France s’est proposée d’acquérir les deux premiers. Le lancement effectif de la chaîne de production a été officiellement annoncé le 31 mars 2022, sécurisant ainsi le programme. Un minimum de 90 % des coûts d’acquisition de deux DHC-515 par pays sera couvert par l’Union européenne.

Si cette initiative est saluée par le rapporteur spécial, elle apparaît trop tardive. En effet, le premier DHC-515 français serait attendu, dans les prévisions les plus optimistes de la DGSCGC, pour 2026 et le second en 2027. Ces livraisons lointaines sont d’autant plus préoccupantes que la flotte de Canadair CL 415 est vieillissante, impliquant une disponibilité de ces appareils moins grande du fait d’un entretien plus conséquent. Ainsi, le premier CL 415 livré l’a été en 1994 et le vieillissement moyen de la flotte de Canadair était au 1er août 2022 de vingt-cinq ans et un mois.

Dès lors, la sécurité civile va devoir poursuivre sa politique de location d’hélicoptères pour pallier le manque d’avions bombardiers d’eau, ainsi que l’a confirmé le Président de la République lors de sa déclaration du 28 octobre 2022 prévoyant la location de dix hélicoptères lourds pour la « saison feux » 2023. 7 millions d’euros en AE et en CP sont donc demandés pour la location d’aéronefs (1 million d’euros de plus que l’année dernière).

Le rapporteur spécial regrette le manque d’anticipation du Gouvernement concernant les moyens aériens de la sécurité civile, alors que les risques induits par le changement climatique sont largement connus depuis des années et que les conséquences sur notre environnement étaient tout à fait prévisibles. À ce titre, une mission interministérielle de juillet 2010 conseillait déjà à l’État de « veiller à maintenir la capacité de la flotte d’avions bombardiers d’eau de l’État et adapter le dimensionnement de la flotte à une extension du risque sur le territoire national » ([15]).

b.   En conséquence, l’entretien des aéronefs devient un enjeu existentiel pour la sécurité civile

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) de la flotte d’aéronefs constitue la majorité (71 %) des dépenses de fonctionnement de l’action 12 Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux. Les crédits associés pour 2023 seraient en légère hausse en CP (+ 4,8 %) et en diminution très nette en AE (– 179,8 millions d’euros). Cette baisse s’explique par le rythme d’engagement du marché pluriannuel de MCO des avions, 199 millions d’euros en AE ayant été programmés en LFI 2022 pour le réengagement du marché de MCO « avions » sur cinq ans. Ce marché a été passé directement entre la DGSCGC et Sabena Technics FNI. Aux coûts fixes prévus par le contrat s’ajoute chaque année le coût des heures de vol supplémentaires en fonction de l’activité de lutte contre les feux en forêt. L’estimation des coûts pour 2023 s’élève à 55 millions d’euros en CP.

Pour les hélicoptères, le MCO est assuré par les marchés de la direction de la maintenance aéronautique (dépendant du ministère des armées), pour un montant estimé à 35 millions d’euros en CP. Ce marché assuré en régie rencontre toutefois des difficultés majeures d’ordre logistique et financier. Le titulaire de la régie a en effet sous-estimé à la fois le volume des commandes et leur coût. Ainsi, l’approvisionnement des rechanges nécessaires à la régénération du potentiel technique a induit des retards conséquents sur les sorties de visite d’entretien.

Le rapporteur spécial déplore que le non-renouvellement de la flotte d’aéronefs de la sécurité civile – qui a sans doute permis de réaliser des économies à court terme – a finalement entraîné une augmentation significative des coûts liés à la maintenance tout en repoussant les investissements indispensables pour la modernisation de la flotte.

3.   À l’appui des moyens nationaux de sécurité civile, les crédits de prévention et de gestion des crises devraient s’afficher en hausse principalement en raison de l’inflation

L’action 11 Prévention et gestion de crises du programme 161 porte sur la veille, l’alerte et la gestion interministérielle des crises, sur la solidarité nationale en cas de survenance d’une crise, sur la prévention opérationnelle et la protection des populations et, enfin, sur l’activité opérationnelle lors de crises.

Une part significative des crédits de cette action permet donc de soutenir l’activité des moyens aériens. C’est particulièrement le cas de trois dotations :

– L’achat de carburant des avions et des hélicoptères, qui devrait s’élever en 2023 à 12,3 millions d’euros en AE et en CP, en hausse de 7,3 % du fait de l’arrivée d’un nouveau DASH 8 l’année prochaine et d’une augmentation très nette des tarifs des produits pétroliers ;

– L’acquisition de produit retardant, d’un montant estimé à 4,6 millions d’euros en AE et en CP pour 2023. D’usage terrestre ou aérien, il est un élément essentiel de la lutte contre les feux de forêt. Ces crédits s’inscrivent en hausse (de + 14,7 %) du fait d’une inflation qui touche également les produits retardant ;

– Les dépenses liées au déploiement des colonnes de renfort mobilisées par l’État en cas d’engagement opérationnel. Participant à la solidarité nationale, il s’agit de sapeurs-pompiers des SDIS mis à disposition des préfets ou du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises pouvant être mobilisés en cas de catastrophe ou à titre préventif, lorsque les moyens locaux sont fortement sollicités. Ce poste serait en hausse de 1,5 million d’euros en AE comme en CP.

Malgré la hausse annoncée des crédits de cette action, le rapporteur spécial souhaite rappeler le caractère imprévisible de ces dépenses, très liées à l’intensité de la saison des feux 2023. Or, il apparaît que l’augmentation des crédits en question vise davantage à compenser l’inflation qu’à prendre réellement en compte la nouvelle situation des feux de forêt en France depuis la saison 2022.

En dehors des dépenses liées au soutien de l’activité des moyens aériens, l’action 11 contribue également au financement d’actions de recherche et de prévention en matière de feux de forêt et de végétation. Deux sous-actions apparaissent particulièrement importantes :

– Les subventions à des organismes de recherche et à des acteurs de la gestion de crise parmi lesquels figurent Météo France, le centre de documentation, de recherche et d’expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) ou le haut comité français pour la résilience nationale. Ces organismes, qui jouent un rôle essentiel dans la compréhension et l’anticipation des crises, bénéficieraient d’un financement de 790 000 euros en AE et en CP. Ce sous‑financement – compte tenu de l’importance de ces organismes – a amené le rapporteur spécial à proposer un amendement pour renforcer les moyens de ces organismes qui sont voués à être davantage sollicités et mobilisés du fait du changement climatique et des évènements climatiques extrêmes qui en résultent.

– Le financement d’actions de prévention en matière de feux de forêt et de végétation, en particulier au travers du soutien de l’État à l’Entente pour la forêt méditerranéenne. Il s’agit d’un établissement public territorial situé dans la zone de défense et de sécurité Sud. Cet organisme organise des formations à la lutte contre les feux de forêt, contribue à la recherche en la matière et développe des systèmes d’information géographique. Ces activités sont, de l’avis du rapporteur spécial, absolument pertinentes pour la bonne préparation des forces de sécurité civile face aux feux de forêt et de végétation. Aussi le rapporteur spécial a-t-il déposé un amendement pour que chaque zone de défense et de sécurité se dote d’un tel établissement public permettant de mieux anticiper le risque incendie.

B.   La saison des feux 2022 questionne également la pertinence des objectifs et indicateurs du programme

1.   La performance du programme correspond aux cibles établies, mais risque d’être fortement dégradée après la saison des feux 2022

Conformément à l’article 51 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 ([16]), le projet annuel de performances du programme 161 présente, à propos de la politique publique de sécurité civile, les objectifs poursuivis et les résultats obtenus et attendus pour les années à venir au moyen d’indicateurs. Ceux‑ci sont présentés dans le tableau ci-après.

Objectifs et indicateurs de performance du programme 161

Indicateurs

2020

2021

2022 (prévision du PAP 2022)

2023

(prévision)

2024

(cible)

Objectif 1 : Assurer l’efficacité et l’efficience des dispositifs de lutte contre les feux de forêt

Pourcentage des incendies ne dépassant pas 5 ha

93,4 %

93,3 %

96 %

96 %

96 %

Nombre d’hectares brûlés par secteur classé en risque « très sévère »

7,6

36,8

11

10

10

Objectif 2 : Assurer la disponibilité des moyens aériens et leur conformité aux besoins opérationnels

Taux de disponibilité des hélicoptères

92,2 %

91,2 %

93,5 %

95 %

95 %

Taux de disponibilité des avions

94,1 %

94,2 %

98 %

98 %

98 %

Objectif 3 : Faire évoluer la cartographie des centres de déminage et faire face à la menace terroriste

Taux d’évolution des stocks de munitions anciennes

1,94 %

0,27 %

– 10 %

– 1 %

– 2 %

Intervention sur objets suspects dans les délais :

Équipes prépositionnées

(délai inférieur à 15 minutes)

Équipes non prépositionnées (délai inférieur à 2h)

 

 

95,2 %

 

96,9 %

 

 

95,1 %

 

98 %

 

 

98 %

 

97 %

 

 

98 %

 

97 %

 

 

98 %

 

97 %

Objectif 4 : Harmoniser les moyens des SDIS

Taux de déploiement du système NexSIS 18-112

sans objet

sans objet

6,1 %

9 %

21 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

Les indicateurs relatifs à l’efficacité de la lutte contre les feux de forêt (objectif n° 1), de même que ceux mesurant le taux de disponibilité des moyens aériens de la sécurité civile (objectif n° 2), présentent des résultats satisfaisants au regard des cibles établies, tant dans leur réalisation passée que dans la prévision retenue au titre de l’année 2022. Ainsi, le taux élevé d’incendies ne dépassant pas 5 hectares (plus de 93 % depuis 2020) traduit l’efficacité des forces de sécurité civile dans l’appréhension précoce des feux de forêt. De la même manière, le taux de disponibilité des moyens aériens, supérieur à 90 % depuis plusieurs années, démontre une capacité opérationnelle significative de la part de la sécurité civile.

Toutefois, s’agissant de ces indicateurs, les prévisions inscrites dans le PAP 2022 et les cibles afférentes pour les années ultérieures apparaissent obsolètes aux yeux du rapporteur compte tenu de l’ampleur de la « saison feux » 2022. De fait, au 29 octobre 2022, 66 136 hectares de forêt avaient brûlé depuis le début de l’année 2022 ([17]), une surface presque six fois plus importante que la moyenne des quinze années précédentes. Dès lors, une nette dégradation de ces indicateurs est à anticiper. Celle-ci devrait également s’appliquer à l’indicateur mesurant le taux de disponibilité des avions dont les besoins de maintenance croissent à mesure de leur utilisation.

Le taux d’évolution des stocks collectés de munitions anciennes (objectif  3) est demeuré positif en 2020 et 2021 contrairement à ce que prévoyaient les PAP des exercices précédents. L’absence de réduction de ces stocks résulte d’un manque de disponibilité des sites de destruction nécessaires à la neutralisation des munitions. Dès lors, la disponibilité des sites de destruction n’ayant pas significativement évolué entre 2021 et 2022, il apparaît peu probable que la cible retenue pour 2022 (– 10 % des stocks de munitions anciennes) soit réalisée. Les nouvelles cibles établies pour la période 2023-2025 apparaissent au rapporteur plus réalistes.

L’indicateur relatif au taux de déploiement du système NexSIS 18-112 au sein des services d’incendie et de secours (objectif n° 4) correspond peu ou prou au nombre de SIS équipés de ce dispositif (le nombre total de SIS étant de 99). La trajectoire retenue dans ce PAP (6 % en 2022, puis 9 % en 2023 et 21 % en 2024) est moins ambitieuse que celle prévalant avant la crise sanitaire ([18]) du fait non seulement des confinements mais également d’une sous-budgétisation et d’un manque d’effectifs alloués à l’Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC) constatés par le rapporteur spécial au cours de ses auditions. L’ANSC, opérateur du programme principalement chargé de la conception, du déploiement et de la gestion du système NexSIS 18-112, fait l’objet d’un développement dans la partie II.-C du présent rapport.

2.   Les indicateurs de performance doivent être adaptés aux nouveaux enjeux de la sécurité civile

Le caractère inédit de la « saison feux » 2022 et les conséquences pratiques qu’elle a engendrées (utilisation prolongée et location de moyens aériens, mobilisation simultanée d’un nombre plus important de SDIS et de leurs moyens humains et matériels face aux feux de forêt) ont conduit le rapporteur spécial à s’interroger sur la pertinence des indicateurs de performance actuels. Il ressort de cette réflexion plusieurs constats aboutissant au dépôt d’amendements :

– En premier lieu, le rapporteur pointe une inadaptation géographique des indicateurs de performance relatifs aux feux de forêt. En effet, le pourcentage des incendies ne dépassant pas 5 hectares ainsi que le nombre d’hectares brûlés en fonction de l’aléa climatique pendant la « saison feux » (indicateurs 1.1) considèrent uniquement les départements dits « méditerranéens » ([19]). Ce biais méthodologique ne trouve plus sa pertinence alors même que plus de la moitié des feux de forêt de cette année ont eu lieu hors des départements méditerranéens, en particulier dans le Sud-Ouest (plus de 30 000 hectares) et dans l’Ouest (8 000 hectares). Il convient donc, selon le rapporteur, de conserver ces indicateurs en les étendant à l’ensemble des départements métropolitains et ultramarins ;

– L’extension de l’aire géographique des feux de forêt implique par ailleurs une modification de l’activité de certains sapeurs-pompiers professionnels et sapeurs-pompiers volontaires jusque-là peu mobilisés dans la lutte contre les feux de forêt et de végétation, en particulier dans les départements nouvellement touchés. Il convient dès lors, selon le rapporteur spécial, d’obtenir des informations sur le taux de formation des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires à la lutte contre les feux de forêt et de végétation ;

– En outre, l’intensification des « saisons feux » constatée cette année et prévisible pour les années à venir du fait du changement climatique induit une utilisation plus importante et prolongée des moyens aériens de la sécurité civile. Ce surplus d’activité se traduit par un vieillissement accéléré des aéronefs qui ne fait l’objet que d’un suivi limité, par les indicateurs 2.1 et 2.2 relatifs à la disponibilité des moyens aériens. En effet, le taux de disponibilité des avions de la sécurité civile affiché dans le PAP (indicateur 2.2) ne tient compte que du taux d’alertes tenues mais ne permet pas d’identifier l’éventuel accroissement du temps de maintenance consécutif à cette hausse de l’activité. Le rapporteur spécial souhaite ainsi approfondir la connaissance en ce domaine. Par ailleurs, si l’indicateur 2.2 précité n’affiche pas une valeur égale à 100 %, cela implique nécessairement que des alertes n’ont pas pu être tenues par l’aviation de la sécurité civile. Le rapporteur spécial ne saurait, dès lors, se satisfaire du taux de 94,15 % en 2021, qui signifie que 5,85 % des alertes n’ont pas pu être tenues, impliquant potentiellement des feux de forêt non maîtrisés ;

– Enfin, l’intensification des feux de forêt nécessite également une adaptation des moyens terrestres de la sécurité civile. En particulier, le nombre de camions-citernes feux de forêt (CCF) – particulièrement utiles dans la lutte contre les départs de feux – apparaît sous-dimensionné. Ainsi, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France estime que pour faire face aux risques que fait peser le changement climatique, il convient que le nombre de CCF passe de 3 700 environ à 10 000 unités à l'échelle nationale d'ici dix ans. Le rapporteur spécial estime que l’instauration d’un indicateur de performance chiffré est nécessaire pour permettre le suivi de cette politique prioritaire. Il se félicite en cela de l’adoption en commission des finances d’un amendement qu’il avait déposé en ce sens.


—  1  —

II.   Le soutien aux acteurs de la sécurité civile doit être renouvelé au regard des enjeux actuels de la sécurité civile

L’action 13 Soutien aux acteurs de la sécurité civile, dotée dans le présent projet pour 2023 de 171 millions d’euros en AE et de 165 millions d’euros en CP, correspond aux activités de coordination et de formation des services d’incendie et de secours (SIS) et des associations de sécurité civile. Cette action comprend notamment la participation de l’État au budget de la brigade des sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) – qui représente près de 64 % de ses crédits de paiement – et au budget de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (ENSOSP). Elle comprend également la dotation de soutien à l’investissement des SDIS, qui finance le projet de système d’information et de commandement unifié des services d’incendie et de secours et de la sécurité civile (NexSIS 18-112) porté par l’agence du numérique de la sécurité civile (ANSC).

A.   La contribution du programme au budget des SIS se limite au financement du pacte capacitaire

Les services d’incendie et de secours (SIS) sont des établissements publics locaux, lesquels, en vertu du principe de libre administration des collectivités locales et en application des dispositions des articles L. 1424-9 et L. 1424-9-1 du code général des collectivités territoriales, assurent de façon autonome le recrutement et la gestion de leurs agents en fonction de leurs besoins propres.

Toutefois, la loi du 27 décembre 2016 ([20]) a instauré une subvention destinée à appuyer les équipements structurants des SIS, la DSIS², dotée de 10 millions d’euros depuis 2018. Dans le présent projet de loi de finances, cette dotation devrait être abondée de 8 millions d’euros en AE et d’un million d’euros en CP pour le financement de « pactes capacitaires » devant permettre à l’État de combler une faiblesse capacitaire d’un ou de plusieurs SDIS à travers une stratégie de mutualisation des moyens.

Le rapporteur spécial salue cette initiative de « pactes capacitaire » mais estime que les montants qui lui sont alloués s’avèrent trop faibles compte tenu de l’implication des SIS dans la lutte contre les feux de forêt, en particulier en 2022. Il signale en effet que de nombreux services départementaux d’incendie et de secours ne disposent pas en nombre suffisant des moyens matériels pour la prévention et la lutte contre les incendies. Il rappelle en particulier que le nombre de camions-citernes feux de forêt (CCFF) est inférieur aux besoins d’après la Fédération nationale des sapeurs-pompiers qui estime qu’il devrait s’élever à 10 000 d’ici à dix ans, contre 3 700 aujourd’hui.

Dès lors, la DSIS² pourrait être le support d’un investissement bien plus conséquent de l’État en faveur des SDIS qui forment les forces opérationnelles de première ligne de la sécurité civile. Celles-ci sont aujourd’hui au bord de la rupture et vont devoir faire face à des épisodes de feux de forêt toujours plus intenses du fait du changement climatique. D’une manière générale, l’ensemble des évènements climatiques extrêmes sont amenés à devenir plus fréquents et plus intenses. Il convient dès lors d’adapter les moyens des SDIS en conséquence car ceux-ci se positionnent en première ligne dans la réponse à ces catastrophes.

Le rapporteur spécial observe en outre que, suivant les recommandations qu’il avait émises lors de l’examen des crédits de la sécurité civile en commission des finances, le Gouvernement a déposé un amendement en vue de la séance publique pour accroître la DSIS² de 150 millions d’euros en AE et de 37,5 millions d’euros en CP. Le rapporteur spécial ne peut qu’approuver toute hausse du financement en direction des SDIS mais regrette que celle-ci demeure inférieure aux besoins et résulte d’une logique de réaction aux événements climatiques plutôt que d’une politique réfléchie de prévention des risques engagée en amont de la catastrophe de cette année.

B.   La hausse consentie au budget de la BSPP est bienvenue mais incomplète

Le présent projet de loi de finances prévoit pour 2023 une participation de l’État au budget de la ville de Paris pour financer la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) à 96,2 millions d’euros en AE et en CP. Ces crédits s’inscrivent en hausse de 8,7 millions d’euros.

Tout en saluant cette hausse, le rapporteur spécial regrette qu’elle ne soit pas à la hauteur des besoins exprimés par la BSPP lors de son audition. En effet, la Brigade est confrontée à deux facteurs importants de dépense qui lui sont exogènes :

– Les effets de l’inflation. Ainsi, les surcoûts liés à l’inflation sont estimés à 8,2 millions d’euros pour 2023. Les principaux postes de dépense concernés sont les énergies (+ 5,3 millions d’euros soit 100 % d’augmentation par rapport au budget 2022), l’alimentation (+ 1 million d’euros), le carburant (+ 500 000 euros soit 20 % d’augmentation) et plus généralement les matières premières (+ 1,4 million d’euros). Il convient de noter que ces surcoûts estimatifs demeurent susceptibles d’évoluer à la hausse ;

 Les revalorisations salariales décidées par le Gouvernement. Celles‑ci s’élèveraient pour 2023 à 15,6 millions d’euros et se décomposent entre la revalorisation du SMIC pour 3,6 millions d’euros, la revalorisation du point d’indice pour 10,5 millions d’euros et la revalorisation des grilles indiciaires pour 1,5 million d’euros. Par ailleurs, la BSPP connaît d’autres revalorisations salariales qui lui sont propres, à l’instar de la hausse de 3,6 millions d’euros de l’indemnité spéciale BSPP, pour un coût total de 6,8 millions d’euros.

In fine, le contexte économique défavorable couplé à la mise en œuvre d’une politique de revalorisation des salaires par le Gouvernement conduisent à un besoin de crédits supplémentaires pour la BSPP de 41,45 millions d’euros en 2023 soit une part État estimée à 9,4 millions d’euros.

Le rapporteur spécial regrette que l’État n’ait pas prévu de doter en 2023 le budget de la Brigade à hauteur de ses besoins. Il note d’ailleurs que l’estimation des besoins retenue demeure très optimiste dans un contexte inflationniste amené à perdurer et alors que la BSPP sera confrontée dans les années à venir à une forte activité, du fait de l’organisation de la coupe du monde de rugby à XV en 2023 et des Jeux olympiques et paralympiques en 2024.

La brigade de sapeurs-pompiers de Paris

La brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) est une unité du génie de l'Armée de terre française, placée sous l'autorité du préfet de police de Paris. Elle est commandée par le général de brigade Joseph Dupré La Tour depuis le 1er août 2022.

Cette brigade, au statut militaire, intervient sur le territoire de l'agglomération parisienne, dans Paris et ses trois départements limitrophes : Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne. La BSPP comprenait 8 550 sapeurs-pompiers en 2021, dont un peu plus de 300 officiers, environ 1 500 sous-officiers, le reste étant composé de militaires du rang.

Aux termes des articles L. 2512-19 et suivants du code général des collectivités territoriales, les ressources de la BSPP proviennent de la Ville de Paris, de l’État, des trois départements de la petite couronne et des 123 communes qui la composent. Les recettes et les dépenses de la BSPP sont inscrites au budget spécial de la Préfecture de police.

L’État participe aux dépenses de fonctionnement de la BSPP, y compris aux dépenses d’entretien et de réparation. Cette participation, imputée au budget de la DGSCGC, est égale à 25 % des dépenses inscrites au budget spécial hors dépenses d’investissement immobilier. Elles sont constituées à 80 % de dépenses de personnel.

C.   Le déploiement du projet de systÈme d’information NexSIS 18-112 est menacé par un soutien insuffisant de l’État

La modernisation et l’unification des systèmes d’information et de commandement des services d’incendie et de secours (SIS) est un levier essentiel pour gagner en efficacité dans l’emploi des moyens de la sécurité civile. Tel est précisément le but du projet NexSIS 18-112, un nouveau système d’information national qui doit remplacer avantageusement les systèmes d’information existants.

Ce projet est essentiel pour l’ensemble des forces concourant à la sécurité civile, car le changement climatique induit leur mobilisation croissante dans la lutte contre les feux de forêt et les événements climatiques extrêmes pour les années à venir. À cela s’ajoute de manière conjoncturelle l’organisation de grands événements sportifs (Coupe du monde de rugby à XV en 2023, Jeux olympiques et paralympiques 2024) qui pèseront de manière significative sur l’activité des forces de sécurité civile.

1.   L’ANSC est principalement en charge du développement du projet NexSIS 18-112

Unique opérateur rattaché au programme Sécurité civile, l’Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC) est un établissement public administratif à gouvernance partagée entre l’État et les SIS créé en 2018 ([21]). L’ANSC a été créée pour assurer la conduite du projet NexSIS 18-112 et répondre à un besoin d’appui de la sécurité civile et des SIS dans le domaine du numérique. Les missions confiées à l’agence sont les suivantes :

– la conception, le développement, la maintenance et l'exploitation des systèmes et applications nécessaires au traitement des alertes issues des numéros d'appel d'urgence 18 et 112, aux communications entre la population et les services de secours d'urgence ainsi qu'à la gestion opérationnelle et à la gestion de crise assurées par les SIS et par la sécurité civile. À ce titre, l’ANSC a développé le dispositif d’Advance Mobile Location (AML, voir encadré infra) ;

– la participation à la définition des normes relatives au traitement des alertes issues des numéros d'appels d'urgence 18 et 112 ainsi qu'aux systèmes de gestion opérationnelle et de gestion de crise utilisés par les SIS et par la sécurité civile, la contribution à l'évolution de ces normes et à la surveillance de l'interopérabilité des dispositifs techniques correspondants ;

– l'hébergement, la collecte et la distribution des données liées au fonctionnement des systèmes d'information et de commandement des SIS et de la sécurité civile ;

– le déploiement et la mise à disposition des systèmes d'information et de commandement à l'intention des SIS et de la sécurité civile, ainsi que les applications destinées aux communications entre la population et les services de secours d'urgence ;

– la formation, l'assistance, le conseil et le soutien des SIS et de la sécurité civile, notamment dans le cadre de la préfiguration puis de la mise en service des systèmes d'information et de commandement des SIS et de la sécurité civile.


Le dispositif d’Advance Mobile Location (AML)

L’Advanced Mobile Location (AML) est une technologie de géolocalisation automatique des appels d’urgence depuis un smartphone disponible sur les systèmes d’exploitation Android et iOS. Elle permet la transmission de la localisation connue par le smartphone vers les services d’urgence concernés par l’appel. Elle présente trois intérêts majeurs :

– Aucune action n’est nécessaire de la part du requérant ;

– Bien qu’elle soit variable, la précision est bien plus élevée que les solutions actuelles. En effet, dans les pays disposant déjà de cette technologie, il a été mesuré que 85 % des appels sont localisés avec pertinence à moins de 50 mètres ;

– La géolocalisation est disponible très rapidement (entre quelques secondes et une minute pour la très grande majorité des appels).

Suite à la directive européenne n° 2018-1972 établissant le code des communications électroniques européen du 11 décembre 2018, la France était dans l’obligation de mettre à disposition des salles de réception des alertes 112 la géolocalisation des requérants la plus précise possible pour décembre 2020.

La DGSCGC, appuyée par l’ANSC, a ainsi lancé le projet AML en mai 2019 pour une expérimentation qui a débuté en décembre 2019.

Plusieurs acteurs sont parties-prenantes de la solution produite par l’ANSC : les opérateurs de télécommunications, un agrégateur de SMS, les éditeurs de logiciels des SIS et des SAMU, l’hébergement Cloud du ministère de l’intérieur et les fournisseurs des systèmes d’exploitation (Google et Apple).

À l’issue de l’expérimentation, limitée aux téléphones Android et aux numéros d’urgence 18 et 112 dans quatre départements pilotes, l’activation de la technologie a été réalisée sur la France entière de manière progressive et sans action requise de la part des citoyens.

À ce jour, les smartphones permettent d’être géolocalisé pour les appels au 112, au 15, au 18, au 114, au 119, au 191 et au 196.

La totalité des SIS dispose désormais du service AML et son déploiement se poursuit dans les SAMU.

L’ensemble des missions de l’ANSC sont au cœur du projet NexSIS 18112, système d’information et de commandement unifié pour l’ensemble des acteurs de la sécurité civile.

Actuellement, il n’existe aucun système d’information permettant de recevoir les appels d’urgence et de coordonner les opérations sur tout le territoire et pour l’ensemble des forces concourant à la sécurité civile (SIS, SAMU, police, gendarmerie). Chaque SIS dispose en effet de son propre abonnement et de sa propre solution logicielle, qu’il obtient auprès d’un fournisseur tiers. À ce jour, seuls deux des 99 SIS peuvent interagir entre eux, et aucun SIS n’est interfacé avec les systèmes des forces de police ou de gendarmerie. Cette situation pose des difficultés d’efficacité et de sécurité des données.

Dans ce contexte, le projet conduit par l’ANSC constitue une double opportunité de modernisation en offrant d’une part un outil intégré de réception et de traitement des appels d’urgence et en permettant d’autre part une gestion opérationnelle unifiée aux sapeurs-pompiers dont l’interopérabilité avec les services de santé et de sécurité sera renforcée ou créée. Cette interopérabilité permettra des gains d’efficacité importants et constituera une réponse à la sur-sollicitation des forces de sécurité civile.

Le dispositif NexSIS 18-112 repose sur un triple système :

– un système de gestion des alertes (appels et communications d’urgence) ;

– un système d’information géographique avancé ;

– un système de gestion des opérations (envoi des moyens de secours, suivi des opérations).

Par ailleurs, NexSIS 18-112 a été conçu avec le concours direct des sapeurs-pompiers pour répondre à des besoins spécifiques. À l’inverse, les solutions disponibles aujourd’hui pour les SIS ne sont pas spécialisées et, de ce fait, ne couvrent pas de manière adéquate leurs besoins de gestion de crise.

2.   La lenteur du déploiement du dispositif NexSIS 18-112 résulte en partie d’une insuffisante allocation de moyens humains et financiers qui menace l’intégrité même du projet

a.   Le calendrier de déploiement de NexSIS retenu dans le PAP 2022 ne sera pas tenu

L’indicateur 4.1 du PAP 2022 relatif au taux de déploiement du système NexSIS 18-112 au sein des services d’incendie et de secours prévoyait que six SIS seraient équipés du dispositif en 2022, puis dix-sept SIS en 2023, un objectif déjà revu à la baisse par rapport aux prévisions établies avant la crise sanitaire. Pourtant, à ce jour, aucun SIS ne dispose d’un système NexSIS pleinement opérationnel ([22]). La première version de NexSIS 18-112 ne sera déployée au sein d’un premier SIS « préfigurateur », le SDIS de Seine-et-Marne, qu’au début de l’année 2023. D’après l’ANSC, le dispositif devrait ensuite être étendu au cours d’une phase « pilote » durant cette même année à huit autres SIS. Suivraient ensuite des déploiements en mode industriel pour les SIS sollicitant le bénéfice du service ainsi que pour les autres acteurs de la sécurité civile.

Dès lors, la lenteur du déploiement du dispositif NexSIS dans les différents SIS est particulièrement préoccupante pour le rapporteur qui a pu constater au cours de ses auditions l’importance stratégique de ce système au regard de l’imminence des évènements sportifs à venir (Coupe du monde de rugby à XV en 2023, Jeux olympiques et paralympiques 2024) et plus largement des conséquences du réchauffement climatique sur l’activité des forces de sécurité civile. Il ressort des auditions menées par le rapporteur spécial que si le dispositif NexSIS 18-112 n’est pas déployé dans les départements franciliens pour les Jeux olympiques et paralympiques 2024, son existence même est menacée.

b.   Des effectifs trop faibles et des moyens financiers insuffisants expliquent en partie ces retards

Les raisons qui ont mené au ralentissement du déploiement du système NexSIS 18-112 sont multiples. Certaines sont exogènes à l’instar des mesures sanitaires mises en place au moment de la pandémie de Covid-19 qui ont perturbé les travaux de réalisation nécessitant une présence physique des développeurs. De même, l’étroite collaboration avec les SIS voulue dans la réalisation du projet a mené à des exigences plus importantes en matière de performance du système aboutissant à un allongement des travaux de développement préalables.

Toutefois, le sous-dimensionnement des moyens humains et financiers de l’ANSC explique également les retards constatés dans le développement et le déploiement du dispositif NexSIS 18-112. Ainsi, la montée en charge des effectifs de l’opérateur a été plus lente que celle initialement prévue, se traduisant par une absence d’évolution du plafond d’emplois, celui-ci ayant été maintenu à 12 ETPT depuis la création de l’ANSC.

évolution du plafond d’emplois de l’ANSC

(en ETPT)

 

2019

2020

2021

2022

PLF 2023

Plafond d’emplois de l’ANSC

12

12

12

12

14

Source : commission des finances, documents budgétaires.

À ces douze ETPT s’ajoutent huit sapeurs-pompiers mis à disposition de l’opérateur, l’ensemble de cette masse salariale représentant un peu plus de 2 millions d’euros. Dans un rapport relatif aux grands projets numériques de l’État ([23]) communiqué en 2020 au Sénat, la Cour des comptes signalait ainsi un taux d’externalisation du développement du projet très élevé, à 94,2 %, bien au-delà du ratio préconisé. Elle estimait alors le besoin de recrutement de l’agence à dix-huit ETPT. Dans l’annexe n° 40 au PLF pour 2021, le rapporteur spécial Bruno Duvergé faisait déjà remarquer que « le déficit de personnels affectés à l’ANSC [pourrait] menacer l’avenir des projets numériques qu’elle poursuit, alors que ces projets et le mode de gouvernance de l’ANSC sont unanimement salués par les acteurs de la sécurité civile ». Ces besoins sont d’autant plus manifestes qu’une partie des effectifs actuels est détournée de son activité principale de pilotage et de déploiement du projet pour se consacrer à la recherche de subventions d’investissement auprès des SIS ([24]).

La hausse prévue de deux ETPT pour 2023 apparaît ainsi largement insuffisante compte tenu des besoins exprimés par la Cour des comptes et lors des auditions menées par le rapporteur spécial. Ce dernier estime que le schéma d’emploi de l’ANSC présenté pour 2023 dans le présent projet est trop peu ambitieux et doit urgemment être revu à la hausse.

De manière analogue, le financement par l’État de l’ANSC répond insuffisamment aux besoins exprimés par l’agence pour le déploiement de NexSIS et pour le reste de ses missions. Ainsi, outre les subventions des SIS au titre du préfinancement de NexSIS qui s’élèvent au total à 30 millions d’euros depuis le début du projet, l’ANSC perçoit annuellement 7 millions d’euros de subventions de la part de l’État depuis sa création sous forme de dotation en fonds propres destinée exclusivement au projet NexSIS et de subvention pour charges de service public ([25]). Ces subventions de l’État forment une enveloppe pluriannuelle d’un montant total de 37 millions d’euros prévue lors de la création de l’ANSC et du lancement du projet NexSIS 18‑112.

Évolution du financement apporté à l’ANSC par le budget de l’État (AE = CP)

(en milliers d’euros)

 

2019

2020

2021

2022

PLF 2023

Subvention pour charges de service public

3 200

3 150

4 500

5 000

5 280

Dotation en fonds propre

3 800

3 850

2 500

2 000

-

Subvention pour charges d’investissement

-

-

-

-

4 630

TOTAL

7 000

7 000

7 000

7 000

9 910

Source : commission des finances, documents budgétaires.

Le projet de loi de finances pour 2023 propose une augmentation de 2,9 millions d’euros (+ 41,6 %) des subventions allouées à l’ANSC, la dotation en fonds propres devenant une subvention pour charges d’investissement avec la mise en place des premières migrations des SIS vers le système NexSIS 18-112.

Toutefois, de l’aveu même du PAP 2023, cette hausse permet de compenser le manque de subventions d’investissement des SIS (près de la moitié d’entre eux n’ont pas contribué au projet et la dynamique de contribution des SIS investisseurs commence à s’éroder) mais n’empêchera pas une programmation des migrations en 2023 moins ambitieuse qu’initialement. De fait, les besoins en financement de l’ANSC sont supérieurs aux subventions reçues, pour plusieurs raisons :

– Le projet NexSIS 18-112 nécessite la réalisation de développements supplémentaires en vue de satisfaire les attentes des SIS futurs clients du dispositif. Au-delà des travaux parfois initialement sous-estimés, les SIS expriment un niveau d’exigence plus élevé que celui affiché au début du projet, compte tenu notamment des évolutions technologiques dans le domaine. De ce fait, l’ANSC a dû mobiliser des ressources financières et humaines supplémentaires pour réaliser ces améliorations ;

– Par ailleurs, certains coûts n’ont pas été comptabilisés lors du cadrage du projet. Il en va ainsi des activités d’hébergement, de soutien et d’exploitation du système NexSIS qui ont été considérées comme du ressort ministériel lors du cadrage initial et qui sont externalisées par l’ANSC. S’il est probable qu’à terme tout ou partie de ces activités soient internalisées, elles ne peuvent encore l’être à date. Leur externalisation génère, dès lors, des charges supplémentaires ;

– De manière générale, les trop faibles effectifs de l’agence induisent un recours à l’externalisation pour des activités pérennes dont le coût est plus important que celui du recrutement d’agents par l’ANSC pour effectuer ces mêmes activités ;

– Enfin, le coût du réseau SECOURIR – un des éléments clés du projet NexSIS (voir encadré infra) – a été sous-estimé et réévalué à 60 millions d’euros sur dix ans (contre 10 millions d’euros évalués initialement).

Le réseau SECOURIR

Le réseau SECOURIR (Service de communications d’urgence intelligent et résilient) doit permettre d’assurer l’entraide téléphonique entre les centres de traitement des appels d’urgence des services d’incendie et de secours. Il s’agit ainsi d’une « brique de routage intelligent » des communications qui effectue la distribution des alertes en prenant en compte la surcharge de certains centres d’appels. À ce titre, il s’inscrit pleinement dans le projet NexSIS 18-112.

En outre, SECOURIR participe également à la facilitation de l’interopérabilité des systèmes des différents services de sécurité et de secours (SIS, SAMU, police, gendarmerie) en permettant de partager davantage entre ces entités les données issues des communications d’urgence.

En l’absence de ressources propres tant que le projet NexSIS n’a pas été déployé dans un SIS, l’ANSC accuse un déséquilibre financier résultant de charges supérieures aux subventions perçues, ce qui place l’agence dans une situation financière très fragile. Cet état de fait nuit à l’activité de l’ANSC et génère des retards sur le développement de NexSIS. Dès lors, le rapporteur spécial soutient un renforcement des moyens alloués à l’ANSC à l’occasion de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (loi LOPMI). L’ANSC a ainsi sollicité près de 57 millions d’euros de dotations de l’État pour les cinq années à venir en prenant acte de la décision d’une subvention de 9,9 millions d’euros en 2023. Ces dotations devraient se répartir comme suit :

subventions sollicitées par l’ANSC à l’État au titre de la lopmi
pour la période 2023-2027

(en milliers d’euros)

 

PLF 2023

2024

2025

2026

2027

Montants des subventions sollicitées

9 910

16 641

9 494

11 073

9 918

Source : Agence du numérique de la sécurité civile.

Le rapporteur spécial sera particulièrement vigilant quant aux arbitrages qui seront rendus en matière de financement de l’ANSC au cours de la discussion du projet de loi LOPMI. Il tient à souligner par ailleurs que la hausse des moyens au bénéfice de l’ANSC qu’il appelle de ses vœux serait temporaire car l’agence pourra, une fois le dispositif NexSIS 18-112 déployé, percevoir les contributions directes des SDIS au titre de leur utilisation du programme. Ce dernier permettra ainsi d’assurer la viabilité financière de l’ANSC.

D.   Le rôle des Associations agréées dans la politique de sécurité civile doit être plus valorisé et mieux financé

Le modèle français de sécurité civile se caractérise par la place donnée aux associations agréées de sécurité civile (AASC), généralistes (à l’instar de l’Ordre de Malte-France ou de la Croix-Rouge) ou spécialisées (telle la Société nationale de sauvetage en mer). Grâce à la mobilisation de leurs bénévoles, ces associations peuvent agir aux côtés des sapeurs-pompiers et assurer un concours lors d’opérations de sauvetage ou de soutien à la population, monter des dispositifs prévisionnels de secours lors de grands rassemblements ou assurer des formations de secourisme.

1.   L’activité des AASC est encadrée mais leurs missions se sont étendues depuis la crise sanitaire

Les modalités d’intervention des associations de sécurité civile sont définies par le code de la sécurité intérieure ([26]) et par l’arrêté du 27 février 2017 relatif aux différents agréments.

Pour participer à des missions de sécurité civile, ces associations doivent obtenir un agrément délivré par le préfet (agrément départemental) ou par le ministre chargé de la sécurité civile (agrément national ou interdépartemental). En 2022 :

– treize associations bénéficient d’un agrément national de sécurité civile ;

– deux associations bénéficient d’un agrément interdépartemental.

Il existe quatre types d’agréments, qui habilitent les associations à quatre types de missions :

– Participation aux opérations de secours (agrément « A ») ;

– Soutien et accompagnement des populations victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes (agrément « B ») ;

– Encadrement des bénévoles (agrément « C ») ;

– Mise en place de dispositifs prévisionnels de secours lors de rassemblements de personnes (agrément « D »).

À titre d’exemple, la Croix-Rouge bénéficie des quatre types d’agréments et le Secours catholique n’est titulaire que des agréments « B » et « C ».

En application de ces missions, les AASC ont été particulièrement sollicitées pendant la crise sanitaire à travers le transport de malades, l’aide aux centres hospitaliers et aux personnes les plus vulnérables. Elles se sont également vues confier des missions inédites effectuées pour le compte du ministère de la santé :

– L’organisation de tests de dépistage dans les aéroports sur demande du préfet ;

– La participation aux cellules territoriales d’appui à l’isolement ;

– La participation à la campagne de vaccination. Le rôle des associations, un temps limité à l’accueil et au soutien logistique, s’est par la suite élargi à l’acte de vaccination lui-même ([27]).

En 2022, les associations ont continué à être engagées dans des actions de lutte contre l’épidémie. En particulier, la vaccination et les tests de dépistage dans les aéroports menés par les AASC ont eu lieu jusqu’au 10 mai 2022.

Par ailleurs, les associations participent désormais à des actions de soutien et d’accompagnement des populations auprès des réfugiés d’Ukraine dans le cadre de « hubs » au niveau zonal ou régional pour le primo-accueil des réfugiés, ainsi qu’auprès de populations victimes des feux de forêt en Gironde.

Enfin, elles sont associées à la préparation de l’organisation des secours pour les Jeux olympiques et paralympiques 2024, dans le cadre d’un groupe de travail « sécurité civile ». Cette participation découle de leur compétence pour tenir les dispositifs prévisionnels de secours (article L. 725-3 du code de la sécurité intérieure).

2.   La participation financière de l’État en faveur des AASC demeure minimaliste en dépit du rôle essentiel que jouent celles-ci dans la sécurité civile

Pour les missions correspondant aux agréments A, B et C, les associations agréées ne perçoivent aucune rémunération ; elles sont seulement remboursées de leurs frais. Les associations se rémunèrent principalement par la mise en place de dispositifs prévisionnels de secours (agrément D) et par des formations de secourisme.

Par ailleurs, la DGSCGC octroie des subventions aux associations qui sont prises en compte sur l’action 13 Soutien aux acteurs de la sécurité civile du programme 161. Sont ainsi prises en charge des subventions aux AASC mais également à des associations reconnues comme partenaires de la sécurité civile, comme la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF).

Si les frais des AASC dans le cadre de leurs activités de vaccination ont été pris en charge par le ministère de l’intérieur (dans les centres de vaccination dépendant d’un SDIS) ou par les agences régionales de santé, la crise sanitaire a profondément bouleversé l’équilibre financier de nombre d’entre elles.

En effet, l’annulation de grands événements publics en 2020, en 2021 et au début de 2022 a privé ces associations de la possibilité d’exercer des missions rémunérées, tandis que la crise induisait directement des coûts supplémentaires liés à l’intensité de l’activité opérationnelle et à l’achat de consommables onéreux (masques, oxygène…). Plusieurs étaient ainsi menacées de disparaître, faute de pouvoir payer leurs charges fixes.

Dans ces conditions, un crédit exceptionnel de 21,2 millions d’euros avait été ouvert dans la loi de finances rectificative du 30 novembre 2020 au bénéfice des AASC. Les crédits octroyés par la DGSCGC ont été redéployés et ses subventions aux associations ont presque triplé, passant de 259 000 euros en 2019 à 760 000 euros en 2020.

Toutefois, en 2021, les subventions allouées aux associations ont baissé de 40 %, retrouvant un niveau proche, quoiqu’un peu supérieur, à celui de 2019 et s’élevant au total à 344 900 euros.

En 2022, les subventions allouées aux associations poursuivent leur baisse (– 10 %) pour atteindre la somme totale de 310 000 euros. Ce montant est décomposé ainsi :

– 150 000 euros sont alloués aux associations du réseau des sapeurs-pompiers de France (50 000 euros pour la FNSPF et 100 000 euros pour l’Œuvre des pupilles) ;

– 160 000 euros sont perçus en partie par les AASC au plan national, engagées aux côtés des pouvoirs publics en cas de crise, et pour une autre partie par les associations participant à une politique publique portée par la DGSCGC.

subventions accordÉes aux associations concourant
aux missions de sÉcuritÉ civile

(en euros)

2019

2020

2021

2022

259 000

760 000

344 900

310 000

Source : commission des finances, d’après les réponses aux questionnaires budgétaires.

Ainsi, l’évolution baissière des subventions de l’État aux AASC constitue aux yeux du rapporteur spécial un signal extrêmement négatif alors même que les missions de sécurité civile reposent toujours davantage sur les associations dans un triple contexte de crise sanitaire, de conflit en Europe et d’organisation d’événements sportifs d’envergure en France. Dans un contexte inflationniste, il apparaît inquiétant au rapporteur spécial que les AASC voient leurs subventions baisser alors même que l’engagement dont elles font preuve est d’un grand secours pour la politique de sécurité civile en France.

Le tableau ci-après permet d’appréhender dans le détail le montant perçu par chaque association soutenue par la DGSCGC.

Néanmoins, au-delà de la valorisation financière de l’activité des AASC dont les ressources sont majoritairement d’origine privée, le rapporteur spécial a pu constater que ces dernières ont également grandement besoin d’une plus grande reconnaissance de leur rôle au sein des forces de sécurité civile. Il convient ainsi de mieux valoriser l’engagement associatif, de clarifier les missions agréées et de permettre un meilleur contrôle des associations agréées. Une réflexion doit s’engager pour parvenir à ces objectifs, qui devront être mieux pris en compte lors du renouvellement des agréments.

 


—  1  —

SUBVENTIONS ACCORDÉES AUX ASSOCIATIONS DE SÉCURITÉ CIVILE
SOUTENUES PAR LA DGSCGC

(en euros)

 

Type d’agrément

Type de missions

Subvention 2022

Associations agréées de sécurité civile

Association nationale des premiers secours (ANPS)

National

A, B, C, D

1 000

Centre français de secourisme (CFS)

National

A, B, C, D

1 000

Croix-Rouge française

National

A, B, C, D

20 000

Fédération nationale de protection civile

National

A, B, C, D

16 000

Fédération française de sauvetage et de secourisme

National

A, B, C, D

2 000

Fédération des secouristes français Croix Blanche

National

A, B, C, D

7 000

Ordre de Malte-France

National

A, B, C, D

1 000

Société nationale de sauvetage en mer

National

A, B, C, D

5 000

Secours catholique (équipe nationale urgence France)

National

B et C

-

Union nationale des associations des secouristes et sauveteurs de la Poste et Orange (UNASS)

National

A, B, C, D

1 000

Centre de documentation, de recherche et d’expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE)

National

A (actions contre les pollutions aquatiques)

(subventionné dans un autre cadre)

Fédération française de spéléologie (FFS)

Spéléo secours français

National

A

23 000

Fédération nationale des radioamateurs au service de la sécurité civile (FNRASEC)

National

A

41 000

Associations participant à une politique publique portée par la DGSCGC

Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (VISOV)

 

Veille sur les réseaux sociaux et diffusion d’informations sur ceux-ci

10 000

Association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches (ANENA)

National

Formation des maîtres-chiens d’avalanches

12 000

Le Bon Samaritain

 

Outil informatique d’alerte

20 000

Total

 

 

160 000

Source : commission des finances, d’après les réponses aux questionnaires budgétaires.

 


—  1  —

   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa deuxième réunion du 21 octobre 2022, à 15 heures, la commission des finances a examiné les crédits de la mission Sécurités.

L’enregistrement audiovisuel de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.

Le compte rendu sera bientôt consultable en ligne.

Après avoir examiné les amendements de crédits et adopté l’amendement II-CF1329 (amendement II-1494) déposé par le rapporteur spécial, la commission a adopté, malgré l’avis défavorable du rapporteur spécial, les crédits de la mission Sécurités ainsi modifiés.

Puis elle a examiné et adopté l’amendement II-CF1327 (amendement II1495) déposé par le rapporteur spécial et portant modification de l’état G pour la mission Sécurités.

 

 

*

* *

 

 

 


—  1  —

   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC)

– M. Pierre Casciola, directeur ;

– M. Yann Boukouya, secrétaire général.

 

Bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM)

– Contre-amiral Lionel Mathieu, commandant ;

– Lieutenant de vaisseau Simon Le Guern, chef de cabinet de l’amiral.

 

Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP)

– Général Joseph Dupré la Tour, commandant ;

– Commissaire en chef de première classe Franck Mataguez, sous-chef d’état-major, chef de la division administrative et finance.

 

Conférence nationale des services d’incendie et de secours (CNSIS)

– M. Olivier Richefou, président ;

– Mme Miléna Munoz, conseillère spéciale, directrice de la communication.

 

Croix Rouge - Direction de l’urgence et des opérations de secours*

– M. Florent Vallée, directeur délégué urgence opérations secours ;

– M. Clément Morillion, responsable du département affaires publiques.

 

Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC)

 M. le Préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises ;

– M. Pierre-Emmanuel Portheret, sous-directeur des moyens nationaux ;

 M. Stéphane Thébault, sous-directeur des affaires internationales, des ressources et de la stratégie ;

– M. Daniel Partouche, chef du bureau des ressources humaines et financières ;

– M. Romain Royet, adjoint.

 

Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF)*

– Lieutenant-colonel Christophe Marchal, vice-président chargé du volontariat et des affaires européennes et internationales.

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 

 

 

 

*


([1]) Rapport de la mission interministérielle Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêts, juillet 2010.

([2]) Dont la plus récente a donné lieu au rapport d'information n° 856 (2021-2022) de M. Jean BACCI, Mme Anne-Catherine LOISIER, M. Pascal MARTIN et M. Olivier RIETMANN, Feux de forêt et de végétation : prévenir l'embrasement déposé le 3 août 2022.

([3]) Mission « flash » d’octobre 2022 : Feux de forêt 2022 et évolution de la politique de sécurité civile face au changement climatique.

([4]) Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France : de combien parle-t-on ?, juin 2022.

([5]) Voir l’audition de M. Gérald Darmanin devant le Sénat dans le cadre de la présentation du projet de loi LOPMI, le 21 septembre 2022.

([6]) Référé n°S2022-1353 de la Cour des Comptes, La flotte aérienne de la sécurité civile, paru le 3 octobre 2022, en particulier le point 1.3 Une confusion des rôles des diverses flottes d’hélicoptères de service public qui pénalise la sécurité civile.

([7])  Annexe n° 40 au projet de loi de finances pour 2020.

([8]) En particulier les programmes 354, 149, 205, 181, 204, 190 et 159 de la loi de finances.

([9]) Article 1er de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

([10]) Formations militaires de la sécurité civile.

([11]) Chiffres du système européen d’information sur les feux de forêt intégré à Copernicus, programme de l’Union européenne.

([12]) Cinq hélicoptères lourds Super Puma et trois hélicoptères légers de type Écureuil.

([13]) Le mécanisme de protection civile de l’Union européenne (MPCU) permet de fournir aux pays participants les moyens de s’entraider ou de prêter assistance aux pays tiers en matière de sécurité civile.

([14]) Accident survenu le 12 septembre 2021 à Villard-de-Lans (38) causant la mort d’une personne et la destruction d’un hélicoptère EC 145.

([15])  Rapport de la mission interministérielle Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêts, juillet 2010.

([16]) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) modifiée.

([17]) Chiffres du système européen d’information sur les feux de forêt intégré à Copernicus, programme de l’Union européenne.

([18]) Celle-ci visait une première migration de 7 SIS fin 2021 et de 15 en 2022.

([19]) Il s’agit nommément des 15 départements suivants : Bouches-du-Rhône (13), Alpes-Maritimes (06), Hautes-Alpes (05), Alpes-de-Haute-Provence (04), Var (83), Vaucluse (84), Aude (11), Gard (30), Hérault (34), Lozère (48), Pyrénées-Orientales (66), Haute-Corse (2B), Corse-du-Sud (2A), Ardèche (07) et Drôme (26).

([20]) Article 17 de la loi n° 2016-1867 du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires.

([21]) Création par le décret n° 2018-856 du 8 octobre 2018.

([22]) Le système NexSIS 18-112 a été mis à la disposition d’une quinzaine de SIS sur un environnement permettant des opérations d’acculturation et de formation. Il n’est toutefois pas encore opérationnel en l’état.

([23]) Rapport sur la conduite des grands projets numériques de l’État, remis au Sénat le 20 octobre 2020.

([24]) Le financement du projet NexSIS 18-112 se fonde pour partie sur les dotations de l’État figurant au programme 161 mais également sur les subventions des SIS volontaires. À terme, ce sont les redevances versées par les SIS en contrepartie de l’utilisation du dispositif qui doivent rendre viable le modèle économique du projet.

([25])  Outre ces deux principales sources de financement, l’ANSC perçoit d’autres subventions plus ponctuelles, à l’instar de celle de la direction interministérielle de la transformation publique pour le projet SECOURIR de 6 millions d’euros répartis sur 2022 et 2023.

([26]) Articles L. 725-1 à L. 725-9, L. 751-1 à L. L752-1, R. 725-1 à R. 725-13 du code de la sécurité intérieure.

([27]) Le décret n° 2021-575 du 11 mai 2021 habilite les titulaires du brevet « premiers secours en équipe de niveau 2 » à procéder à l’acte de vaccination.