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N° 489

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2022.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance à 1 600 euros net,

 

 

Par M. Alexis CORBIÈRE,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 328.

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

I. Le SMIC : un instrument de justice sociale qui n’assure plus aux salariés les plus modestes la garantie de leur pouvoir d’achat

A. Une conquête sociale majeure censée assurer la rémunération du travail à sa juste valeur

B. La concentration des salariés au SMIC dans des trappes À précarité

1. 2,04 millions de salariés au SMIC

2. La concentration du SMIC dans les petites entreprises au bénéfice des plus grandes

3. Des femmes surreprésentées parmi les salariés au SMIC

4. Une forte proportion de salariés au SMIC dans des secteurs abrités et en manque d’attractivité connaissant des difficultés de recrutement en raison de conditions de travail difficiles

C. Un niveau du SMIC en décrochage, dans le contexte de la forte inflation

1. Le niveau du SMIC stagne depuis plusieurs années, sans faire l’objet de véritable « coup de pouce »

2. La baisse du pouvoir d’achat des salariés au SMIC

3. L’explosion des inégalités de partage de la valeur

II. L’urgence d’une revalorisation du SMIC

1. La France doit redevenir pionnière en matière de protection sociale

a. Une augmentation spectaculaire du salaire minimum dans les autres pays européens

b. Un mouvement général de renforcement du salaire minimal à contretemps de la stagnation française

c. La hausse du SMIC, une urgence résolument féministe

2. Une proposition de loi qui appelle à un débat sur un ensemble de mesures d’accompagnement de la hausse des salaires

3. Une proposition de loi qui vise à donner un « coup de pouce » immédiat et nécessaire au SMIC

Commentaire des articles

Article 1er Fixation du montant mensuel minimal du SMIC à 2 050 euros brut et garantie de la soutenabilité financière pour toutes les entreprises

Article 2 Compensation de la perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale par le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 

 

 


—  1  —

I.   Le SMIC : un instrument de justice sociale qui n’assure plus aux salariés les plus modestes la garantie de leur pouvoir d’achat

A.   Une conquête sociale majeure censée assurer la rémunération du travail à sa juste valeur

En France, la question de la réglementation du salaire minimum remonte à la fin du XIXe siècle avec le « décret Millerand » ([1]) qui impose aux cahiers des charges des travaux effectués pour l’État de pratiquer un salaire « normal » ([2]), c’est‑à‑dire conforme aux salaires usuellement négociés dans ce secteur pour cette catégorie d’ouvriers, afin de limiter la pression à la baisse des salaires.

D’autres initiatives viendront enrichir progressivement un corpus législatif garantissant aux salariés un minimum de rémunération, comme ce fut le cas, à partir de 1915, pour les ouvrières à domicile du textile ([3]).

Le Front populaire vient renforcer la notion de salaire minimum en faisant de celui‑ci un élément essentiel des conventions collectives par la loi du 24 juin 1936 ([4]) qui prévoit une négociation obligatoire de salaires minima par catégorie et par région.

La définition d’un salaire minimum national légal, concernant l’ensemble des branches d’activités, procède de la loi du 11 février 1950 ([5]) qui instaure le salaire minimum national interprofessionnel garanti (SMIG), dont les objectifs sont de stimuler la consommation et lutter contre la pauvreté mais aussi de prévenir toute exploitation là où les tissus syndicaux sont faibles ou inexistants. Fixé initialement par décret en Conseil des ministres, il est indexé sur l’indice mensuel des prix à la consommation familiale à Paris ([6]) à partir de la loi du 18 juillet 1952 ([7]) qui prévoit sa réévaluation automatique lorsque l’inflation dépasse 5 %.

Si son objectif premier est d’endiguer le phénomène des travailleurs pauvres, il peine toutefois à y parvenir : du fait de sa seule indexation sur les prix, l’écart entre le SMIG et le salaire moyen ne cesse de croître, ce dernier bénéficiant de larges augmentations financées par les gains de productivité importants sur cette période. Après douze ans de gel des salaires, le SMIG permet à nouveau la libre négociation des conventions collectives.

https://www.persee.fr/renderIllustration/estat_0336-1454_1979_num_113_1_T1_0018_0000_2.png
Évolution du salaire moyen, du salaire ouvrier, du SMIG/SMIC et des prix de détail de 1950 à 1975

Source : C. Baudelot et A. Lebeaupin, Économie et statistique, « Les salaires de 1950 à 1975 », 1979.

Lors des grèves de 1968, l’une des premières revendications syndicales est la revalorisation du SMIG. Ce dernier enregistre alors un net décalage avec le salaire moyen : sur la période entre 1951 et 1967, son pouvoir d’achat n’a progressé que de 25 %, contre 103 % pour le second, poussé par la croissance et les gains de productivité. Après négociations avec les syndicats et fort d’une puissante mobilisation populaire, les « accords de Grenelle » ([8]) entérinent une série de conquêtes sociales dont la hausse de 35 % du niveau du SMIG.

Pour que les fruits de la croissance soient plus également répartis et bénéficient davantage aux travailleurs les plus modestes, ce salaire minimum est profondément remodelé par la loi du 2 janvier 1970 ([9]). Celle‑ci transforme le SMIG en un nouveau salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) qui sera désormais revalorisé non seulement sur la base de l’évolution des prix mais aussi sur la progression du salaire moyen des ouvriers.

L’intention du législateur est clairement inscrite dans la loi : il s’agit avant tout de permettre « aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles une participation au développement économique de la Nation » ([10]) et donc de bénéficier d’une redistribution des richesses produites par la hausse de leur salaire dans une dynamique proche de celle de l’ensemble de la société. Dans la continuité de la fin de la régionalisation du SMIG, le SMIC s’applique sur l’ensemble du territoire de manière indifférenciée.

B.   La concentration des salariés au SMIC dans des trappes À précarité

1.   2,04 millions de salariés au SMIC

Malgré une progression de son taux corrélativement à la croissance des salaires et à la hausse des prix, le SMIC apparaît aujourd’hui comme une protection largement insuffisante dans un contexte où l’extrême pauvreté ne cesse de progresser.

Le SMIC en chiffres

Au 1er août 2022 ([11]) :

– SMIC horaire : 11,07 euros brut, soit 8,76 euros net ;

– SMIC mensuel : 1 678,95 euros brut, soit 1 329,05 euros net.

En France (hors Mayotte ([12])), dans le secteur privé, 2,04 millions de salariés ont bénéficié de la revalorisation du SMIC au 1er janvier 2021 (hors apprentis, stagiaires et intérimaires). Ils représentent 12 % du total des salariés.

Dans le secteur public, la hausse du SMIC au 1er mai 2022 ([13]) a conduit à la revalorisaiton du traitement de 700 000 agents publics.

Le montant du SMIC se situe, par conséquent, à 200 euros seulement au‑dessus du seuil de pauvreté, estimé par convention en 2019 à 1 102 euros par mois ([14]).

Selon les données d’une enquête réalisée en 2021 ([15]), la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) indique que le revenu jugé minimal pour vivre selon les français est de 1 719 euros, soit 400 euros de plus que le SMIC.

Parmi les personnes interrogés dans le cadre de cette enquête, 90 % estiment nécessaire une revalorisation du SMIC.

Le profil type du salarié au SMIC est une femme, travaillant à temps partiel, dans le secteur des services.

SalariÉs bÉnÉficiant de la revalorisation du Smic au 1er janvier 2021,
par taille d’entreprise

 

Au 1er janvier 2021

 

Ensemble des bénéficiaires

Temps complet

Temps
partiel

 

Effectifs

En % des effectifs totaux

Part de femmes
parmi les
bénéficiaires

En % des effectifs
à temps
complet

En % des effectifs
à temps
partiel

1 à 9 salariés

770 000

24,1

55,4

20,2

34,6

1 salarié

130 000

28,7

63,9

23,5

37,3

2 salariés

130 000

27,8

57,6

22,7

38,5

de 3 à 5 salariés

280 000

24,0

55,3

20,3

34,4

de 6 à 9 salariés

230 000

20,7

49,5

18,0

30,6

10 salariés ou plus

1 270 000

9,1

61,8

6,0

24,3

de 10 à 19 salariés

170 000

10,9

53,5

8,1

23,5

de 20 à 49 salariés

290 000

13,0

60,9

8,0

34,2

de 50 à 99 salariés

210 000

14,3

64,5

8,6

35,4

de 100 à 249 salariés

180 000

9,6

61,6

6,7

25,3

de 250 à 499 salariés

120 000

8,7

64,1

6,2

23,3

500 salariés ou plus

300 000

5,6

64,6

3,6

15,9

Total

2 040 000

12,0

59,3

8,4

27,1

Champ : ensemble des salariés sauf apprentis, stagiaires et intérimaires ; ensemble des secteurs sauf agriculture, administration publique, particulier employeurs et activités extraterritoriales ; France hors Mayotte.

Source : Dares, enquête Acemo trimestrielle et Acemo TPE.

2.   La concentration du SMIC dans les petites entreprises au bénéfice des plus grandes

Les bénéficiaires du SMIC sont particulièrement représentés dans les très petites entreprises (TPE) puisqu’ils sont 24,1 % dans celles comportant un effectif de 1 à 9 salariés contre 9,1 % dans celles comportant 10 salariés ou plus.

À l’inverse, les plus grandes entreprises peuvent sembler, à première analyse, plus vertueuses en la matière puisque moins de 10 % de leurs 250 salariés ou plus sont au SMIC.

Cette réalité est cependant à nuancer pour plusieurs raisons, comme l’a rappelé M. Henri Sterdyniak lors de son audition par le rapporteur :

– les très petites entreprises sont, pour la plupart, des microentreprises qui n’emploient pas de salariés ;

– les petites et moyennes entreprises, dont 10 % à 15 % des salariés sont rémunérés au SMIC, effectuent une partie de leur activité en sous-traitance des plus grandes entreprises, qui se délestent ainsi de leur responsabilité salariale vis‑à‑vis des personnes au bas de l’échelle des salaires, dans le domaine de l’entretien et la maintenance par exemple ;

– les grandes entreprises qui, certes rémunèrent en proportion davantage de salariés au-dessus du SMIC, emploient tout de même 300 000 personnes au SMIC, soit 12,5 % du total, alors qu’elles représentent 0,1 % des entreprises en France ([16]).

3.   Des femmes surreprésentées parmi les salariés au SMIC

Les femmes sont presque systématiquement rémunérées davantage au SMIC que leur représentation dans chaque secteur devait impliquer.


Proportion de femmes parmi les bÉnÉficiaires de la revalorisation du Smic au 1er janvier 2021, par conventions regroupÉes pour l’information statistique (Cris)

 

Note de lecture : les lettres figurant sur ce graphique correspondent aux conventions regroupées pour l’information statistique (Cris) figurant dans le tableau ci-après.

Champ : ensemble des salariés sauf apprentis, stagiaires et intérimaires ; ensemble des secteurs sauf agriculture, administration publique, particuliers employeurs et activités extraterritoriales ; France hors Mayotte. Les apprentis, stagiaires et intérimaires et Mayotte sont pris en compte dans les salariés au 31 décembre 2019 (axe des abscisses).

Sources : Insee, Base Tous Salariés (salariées) et Dares, enquêtes Acemo trimestrielle et Acemo TPE (bénéficiaires).

Ainsi, en 2021, 59,3 % des salariés au SMIC sont des femmes, bien qu’elles ne représentent que 45 % seulement de l’emploi salarié du secteur privé non agricole. Cette surreprésentation se retrouve dans les entreprises de toutes les tailles et dans presque toutes les branches professionnelles. Elle s’explique par la présence plus importante des femmes dans des emplois précaires, à temps partiel et dans des activités à bas salaire concentrées notamment dans les secteurs de l’habillement, du commerce de détail ou des services.

4.   Une forte proportion de salariés au SMIC dans des secteurs abrités et en manque d’attractivité connaissant des difficultés de recrutement en raison de conditions de travail difficiles

Les salariés au SMIC sont concentrés dans certains secteurs de l’économie.

SalariÉs bénéficiant de la revalorisation du Smic au 1er janvier 2020 ou au 1er janvier 2021, par branche professionnelle regroupÉe

Cris

Conventions regroupées pour l’information statistique

Effectifs salariés au

Proportion de salariés bénéficiant de la revalorisation du Smic au 1er janvier 2020 ou au 1er janvier 2021

31 décembre 2019

Ensemble des salariés

Salariés à temps partiel

 

1er janvier 2020

1er janvier 2021

1er janvier 2020

1er janvier 2021

A

Métallurgie et sidérurgie

1 636 800

3

3

5

5

B

Bâtiment et travaux publics

1 481 800

9

9

23

20

C

Chimie et pharmacie

536 000

5

4

15

12

D

Plastiques, caoutchouc et combustibles

220 900

4

5

13

12

E

Verre et matériaux de construction

196 300

4

4

8

10

F

Bois et dérivés

239 300

12

10

29

19

G

Habillement, cuir, textile

486 900

24

24

48

50

H

Culture et communication

577 800

13

11

43

36

I

Agro-alimentaire

934 600

16

12

33

26

J

Commerce de gros et import-export

428 400

5

4

14

11

K

Commerce principalement alimentaire

741 900

30

28

44

36

L

Commerce de détail principalement non alimentaire

432 600

16

16

29

29

M

Services de l’automobile et des matériels roulants

565 600

9

6

23

15

N

Hôtellerie, restauration et tourisme

1 214 800

38

36

63

61

O

Transports (hors statuts)

1 171 000

7

7

10

8

P

Secteur sanitaire et social

2 226 000

19

17

31

27

Q

Banques, établissements financiers et assurances

782 000

2

2

3

3

R

Immobilier et activités tertiaires liées au bâtiment

424 400

11

9

23

21

S

Bureaux d’études et prestations de services aux entreprises

1 294 900

6

5

21

15

T

Professions juridiques et comptables

287 500

4

4

8

8

U

Nettoyage, manutention, récupération et sécurité

864 600

8

6

6

7

V

Branches non agricoles diverses

985 500

20

19

33

26

Champ : ensemble des salariés sauf apprentis, stagiaires et intérimaires ; ensemble des secteurs sauf agriculture, administration publique, particuliers employeurs et activités extraterritoriales ; France hors Mayotte. Les apprentis, stagiaires et intérimaires et Mayotte sont pris en compte dans les salariés au 31 décembre 2019.

Source : Insee, Base Tous Salariés (colonne 3) et Dares, enquête Acemo trimestrielle et Acemo TPE.

Les secteurs en question sont pourtant caractérisés à la fois par leur caractère non délocalisable et par des difficultés de recrutement en raison de conditions de travail difficiles, d’une rémunération peu attractive et de tensions actuelles sur le marché du travail ([17]).

Le secteur de l’hôtellerie, restauration et tourisme est exemplaire de cette situation puisque 36 % des salariés sont rémunérés au niveau du SMIC, dont 61 % à temps partiel. Au sein de ce regroupement, la convention collective de la restauration rapide concentre 59 % de salariés au SMIC alors que les conditions de travail y sont particulièrement difficiles. La situation est identique dans la convention collective des services à la personne.

C.   Un niveau du SMIC en décrochage, dans le contexte de la forte inflation

1.   Le niveau du SMIC stagne depuis plusieurs années, sans faire l’objet de véritable « coup de pouce »

● Le SMIC a fait l’objet d’augmentations régulières, en application des différents mécanismes d’indexation qui seront développés dans le commentaire de l’article 1er, mais limitées dans leur ampleur et suivant le même rythme que l’inflation.

Ces augmentations résultent du principe selon lequel le SMIC serait fixé au bon niveau et que son augmentation au rythme de l’inflation et des salaires suffirait pour assurer à l’ensemble des salariés la garantie de leur pouvoir d’achat. Elles se limitent donc au minimum légal et ne sont que le fruit d’un alignement sur l’augmentation générale du niveau de vie ainsi que de la croissance, conformément aux recommandations du groupe d’experts qui se prononce chaque année sur la revalorisation du SMIC.

Le rapporteur s’attachera, dans le commentaire de l’article 1er, à expliciter le rôle conservateur de cet organe qui, sous couvert d’objectivité scientifique, s’oppose à toute évolution du niveau du SMIC et tend à remettre en cause son indexation sur le niveau de vie de l’ensemble des salariés.

Ainsi, le SMIC n’a pas fait l’objet d’un véritable « coup de pouce » depuis dix ans. Si le gouvernement Mauroy a revalorisé, en 1981, le SMIC de 10 %, une telle augmentation n’a jamais été réitérée dans les mêmes proportions. Les derniers « coups de pouce » furent mis en œuvre par les gouvernements Juppé puis Jospin (2,2 % en 1995 et 2,3 % en 1997) tandis qu’en 2012, à la suite de l’élection du Président François Hollande, le SMIC fut augmenté de 0,6 %.

Récemment, le SMIC a connu des hausses successives importantes mais qui ne résultent que du contexte inflationniste. Ainsi, le SMIC a été revalorisé au 1er janvier 2021 de 0,99 % ([18]), au 1er octobre 2021 de 2,24 % ([19]), au 1er janvier 2022 de 0,86 % ([20]), au 1er avril 2022 de 2,65 % ([21]) et au 1er août 2022 de 2,03 % ([22]).

Revalorisations du Salaire minimum interprofessionnel de croissance depuis 1980

Année

Taux de revalorisation du SMIC

Revalorisation supérieure au minimum légal

Année

Taux de revalorisation du SMIC

Revalorisation supérieure au minimum légal

Année

Taux de revalorisation du SMIC

Revalorisation supérieure au minimum légal

2022

2,03 %

 

2003

5,27 %

 

1986

2,11 %

 

2022

2,65 %

 

2002

2,40 %

 

1985

1,96 %

 

2022

0,86 %

 

2001

4,05 %

 

1985

2,57 %

 

2021

2,24 %

 

2000

3,19 %

 

1985

2,22 %

 

2021

0,99 %

 

1999

1,24 %

 

1984

2,18 %

 

2020

1,20 %

 

1998

2,00 %

Dont 0,5 % de coup de pouce

1984

1,19 %

 

2019

1,52 %

 

1997

4,01 %

Dont 2,26 % de coup de pouce

1984

3,42 %

 

2018

1,23 %

 

1996

0,50 %

Dont 0,16 % de coup de pouce

1984

2,02 %

 

2017

0,93 %

 

1996

2,00 %

 

1983

2,01 %

 

2016

0,62 %

 

1995

3,99 %

Dont 2,2 % de coup de pouce

1983

1,11 %

 

2015

0,84 %

 

1994

2,10 %

 

1983

3,00 %

 

2014

1,06 %

 

1993

2,26 %

 

1983

3,60 %

 

2013

0,32 %

 

1992

2,25 %

 

1982

3,31 %

 

2012

1,95 %

Dont 0,6 % de coup de pouce

1992

1,99 %

 

1982

3,21 %

 

2012

0,33 %

 

1991

2,25 %

 

1982

2,20 %

 

2011

2,11 %

 

1990

2,11 %

 

1982

2,59 %

 

2011

1,58 %

 

1990

2,52 %

 

1982

2,20 %

 

2010

0,45 %

 

1990

2,01 %

 

1981

2,42 %

 

2009

1,26 %

 

1989

1,87 %

 

1981

3,71 %

 

2008

0,93 %

 

1989

2,09 %

 

1981

10,00 %

Coup de pouce de 10 %

2008

2,25 %

 

1988

0,98 %

 

1981

2,77 %

 

2007

2,06 %

 

1988

2,30 %

 

1980

3,50 %

 

2006

2,99 %

Dont 0,3 % de coup de pouce

1987

0,98 %

 

1980

2,07 %

 

2005

5,52 %

 

1987

2,41 %

 

1980

2,49 %

 

2004

5,84 %

 

1986

1,24 %

 

1980

2,17 %

 

Source : Insee.

● Si le rapporteur consacrera des développements ultérieurs à la prime d’activité, il souhaite ici rappeler la logique à l’œuvre dans le discours public consistant à reconnaître en partie la nécessité d’augmenter les revenus des salariés les plus défavorisés tout en refusant les hausses de salaires nécessaires et allant même jusqu’à inciter les entreprises à ne pas procéder à ces hausses pour leur préférer des mécanismes défiscalisés tels que la prime de partage de la valeur.

Ainsi, dans une allocution télévisée du 10 décembre 2021, le Président de la République Emmanuel Macron a déclaré que « le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus à l’employeur ». Il s’agit donc, pour l’État, de prendre en charge, à la place de l’employeur, la hausse du revenu qui ne permettra cependant pas au salarié de bénéficier des avantages qui lui sont associés, notamment en termes de revenus de substitution ou de revenus différés. En outre, cette allocution était particulièrement mensongère en ce que les 100 euros annoncés comprenaient 20 euros liés à la baisse des cotisations salariales opérées en 2018 et 80 euros obtenus par l’accélération de la hausse de la prime d’activité. À la suite de cette annonce, le Gouvernement a finalement reconnu que seuls 55% des salariés au SMIC seraient bénéficiaires de cette mesure ([23]) car ce sont l’ensemble des ressources et la composition du foyer qui déterminent le droit à la prime d’activité et son montant.

Au contraire de cette dynamique, le rapporteur rappelle que l’ambition du groupe La France insoumise est de permettre à chacun de vivre dignement de son travail et non de généraliser un système dans lequel l’État vient se substituer aux entreprises dans les dépenses qui leur incombe normalement. Pour cela, il importe de mettre en place une caisse de péréquation, que propose la présente proposition de loi, afin d’assurer la pleine contribution des grandes entreprises pour assurer la soutenabilité de la hausse du SMIC.

2.   La baisse du pouvoir d’achat des salariés au SMIC

● Sans « coup de pouce » du gouvernement, le SMIC s’éloigne régulièrement de la moyenne des salaires. Selon l’économiste Thomas Piketty « un salaire minimum a bien été créé en 1950, mais il n’est presque jamais revalorisé par la suite, si bien qu’il décroche fortement par comparaison à l’évolution du salaire moyen » ([24]). Il distingue trois périodes d’évolution du SMIC :

– 1950-1968 : les inégalités salariales sont très fortes, le pouvoir d’achat du salaire minimum progresse d’à peine 25 % sur cette période, alors que le salaire moyen a plus que doublé ;

– entre 1970 et 1983 : les inégalités salariales diminuent, le salaire minimum devient indexé sur les salaires et, jusqu’à 1983, les gouvernements successifs accordent presque chaque année de très forts « coup de pouce » en raison de fortes mobilisations populaires et syndicales mais aussi du contexte politique. Ainsi, le pouvoir d’achat du salaire minimum progresse au total de près de 150 % entre 1968 et 1983 ;

– depuis 1983, le rythme de croissance du SMIC se réduit et les inégalités salariales sont de nouveaux prononcées. De 1983 à 1998, le pouvoir d’achat du SMIC a progressé d’à peine 20 %, soit plus de sept fois moins que pendant les quinze années précédentes.

● Dans le contexte plus récent, le « pouvoir d’achat arbitrable » des ménages tend à diminuer au regard du revenu disponible brut.


Évolution du pouvoir d’achat du revenu disponible brut et du revenu arbitrable par unitÉ de consommation

Source : Insee, comptes nationaux, base 2014.

Cette notion vise à rapprocher le pouvoir d’achat nominal de la réalité et du ressenti des salariés. Il s’agit d’un calcul du revenu et du pouvoir d’achat en retranchant du revenu disponible brut la dépense de consommation finale « pré‑engagée ». Ces dépenses sont engagées dans le cadre d’un contrat difficilement négociable à court terme, comme les dépenses de logement par exemple, et dont la part a fortement augmenté ces dernières années ([25]). Il permet d’approcher le revenu disponible ressenti des ménages.

Historiquement, le pouvoir d’achat arbitrable par unité de consommation a progressé au même rythme que le pouvoir d’achat du revenu disponible brut par unité de consommation entre 1960 et 1975, avant d’augmenter plus modérément en termes relatifs par la suite.

Un premier décrochage entre les deux mesures du pouvoir d’achat s’observe dans les années 1980 à 1985, qui s’accentue à compter de 2008. Ce décrochage, accompagné de phases de recul dans la croissance du pouvoir d’achat, a pu entraîner au niveau individuel une perte de pouvoir d’achat ainsi que l’accroissement d’un sentiment de mise à l’écart de la vie économique et social.

3.   L’explosion des inégalités de partage de la valeur

La stagnation du SMIC et la baisse significative et réelle comme relative du pouvoir d’achat des salariés interviennent dans un contexte non seulement de spirale inflationniste mais aussi d’accroissement des inégalités, particulièrement dans le partage de la valeur ajoutée des entreprises.

D’une part, les revenus du travail dans l’ensemble de la valeur ajoutée ont reculé dans l’ensemble depuis les années 1980, passant de 66 % en moyenne dans les pays de l’OCDE à 61 % en 2010 avant de remonter à 64,1 % en 2019 ([26]). Cette répartition de la valeur au détriment du travail et au profit du capital est exacerbée dans les grandes entreprises, dans lesquelles la part salariale est inférieure de 11 points à la moyenne nationale ([27]).

Partage de la valeur ajoutÉe en France (1972-2021)

 

1972 (%)

2018 (%)

2021 (%)

2021 (milliards d’euros)

Valeur ajoutée

100

100

100

1 290

Masse salariale

69,7

66,1

64,8

836

État

2,3

4,8

3,1

40

CCF

11,4

20,2

21,5

277

FNCF

10,2

5,8

5,4

70

Revenus distribués

2,2

3,1

5,1

67

Source : Données fournies par M. Henri Sterdyniak.

D’autre part, les inégalités au sein des entreprises s’accroissent dans le même temps que les salaires stagnent. L’organisation non gouvernementale Oxfam souligne ainsi que la rémunération des dirigeants du CAC 40 a progressé de 45 % entre 2009 et 2016, soit deux fois plus rapidement que la moyenne des salaires de leurs entreprises et quatre fois plus vite que le SMIC ([28]). En outre, d’après les données de l’Insee, les salariés figurant dans les 1 % les mieux rémunérés bénéficient de 8 % de la masse salariale du secteur privé.

II.   L’urgence d’une revalorisation du SMIC

1.   La France doit redevenir pionnière en matière de protection sociale

a.   Une augmentation spectaculaire du salaire minimum dans les autres pays européens

Si la plupart des États européens ont déjà mis en place un équivalent au salaire minimum de croissance français, les conditions varient en fonction des contextes nationaux. Au sein de l’Union européenne (UE), vingt‑et‑un pays sur vingt‑sept disposent d’un salaire minimum légal. Ceux qui n’en ont pas (Danemark, Italie, Chypre, Autriche, Finlande et Suède) disposent d’équivalents assurés par des conventions collectives.

Alors que l’inflation touche l’ensemble des pays du continent, certains ont fait le choix d’une revalorisation massive de leur salaire minimum afin de sauvegarder le pouvoir d’achat des salariés.

En 2022, le salaire minimum horaire allemand est ainsi passé de 9,82 euros brut à 10,45 euros au cours de l’année pour atteindre 12 euros au 1er octobre 2022, soit une augmentation de près d’un quart de son taux, qui se situe désormais au‑dessus du SMIC français. Cette évolution concerne près de 6,2 millions de salariés sur une population active de 45,2 millions de personnes. Elle porte le salaire minimum à près de 60 % du revenu médian, alors qu’il n’en représentait que 50 %.

Au Royaume-Uni, depuis 2015, le salaire minimum a augmenté d’un tiers de sa valeur. Plus récemment, en avril 2022, il a augmenté fortement, de 6,6 %, pour atteindre 11,30 euros de l’heure et dépasser ainsi le SMIC français. De même qu’en Allemagne, cette hausse porte le SMIC à près de 60 % du salaire médian.

En Espagne, le salaire minimum est porté à 1 167 euros brut par mois depuis janvier 2022, soit un niveau proche de 60 % du salaire médian. Cette nette augmentation fait suite à une hausse globale de plus de 30 % depuis 2018, dont un bond spectaculaire de 22,3 % en 2019.

La France présente, certes, l’un des ratios entre le salaire minimum et le salaire médian parmi les plus élevés des pays européens, mais son niveau stagne et conduit à un appauvrissement toujours croissant relatif des salariés dans un contexte de très forte hausse des prix.

b.   Un mouvement général de renforcement du salaire minimal à contretemps de la stagnation française

De manière plus large, la France s’affiche à contretemps de la dynamique européenne puisque l’Union européenne a adopté, le 19 octobre 2022, une directive sur les salaires minimaux ([29]) permettant de garantir à tous un salaire minimum équitable et des conditions de vie et de travail décentes. Les différents États disposent de deux ans pour se mettre en conformité avec la directive en évaluant un niveau de salaire minimum au travers de divers critères dont le pouvoir d’achat et le taux de pauvreté. Ce salaire minimum doit être défini notamment par référence à un panier de biens et services et aux ratios couramment utilisés de 60 % du salaire médian brut et 50 % du salaire moyen brut.

c.   La hausse du SMIC, une urgence résolument féministe

À la suite des constats déjà dressés par le rapporteur dans la première partie de son avant-propos, les femmes représentent actuellement 45 % de l’emploi salarié et 60 % d’entre elles sont bénéficiaires du SMIC. Elles sont les moins bien payées car majoritaires à subir des emplois précaires, à temps partiel subi et dans des contrats courts. La revalorisation du SMIC permettrait non seulement la réduction des inégalités salariales entre les femmes et les hommes mais aussi une meilleure reconnaissance des compétences mobilisées dans les métiers qu’elles occupent et qui constituent la grande partie des secteurs où prédomine la rémunération au SMIC (particulièrement les métiers du soin, de l’aide à la personne et du commerce de détail).

2.   Une proposition de loi qui appelle à un débat sur un ensemble de mesures d’accompagnement de la hausse des salaires

Pour être efficace et permettre la hausse générale des salaires, l’augmentation du SMIC doit se conjuguer avec un panel de mesures. L’indexation des salaires sur l’inflation comme la limitation de l’écart des revenus sur un rapport d’un à vingt constituent, elles aussi, des mesures cohérentes avec l’objectif d’une revalorisation des salaires.

De même, la convocation d’une conférence annuelle sur les salaires, par branche, s’inscrit dans cette trajectoire. Si ces mesures ne peuvent faire l’objet de la présente proposition de loi, elles doivent néanmoins être portées au débat pour assurer la pleine compréhension des enjeux sur les salaires et les bas salaires.

3.   Une proposition de loi qui vise à donner un « coup de pouce » immédiat et nécessaire au SMIC

La proposition de loi présentée par le groupe La France insoumise vise à remédier aux différents constats énoncés et qui impliquent une revalorisation importante et rapide du SMIC.

Face au refus du Gouvernement de procéder à une telle hausse, l’article 1er de la proposition de loi vise à inscrire dans la loi un minimum garantissant une augmentation de 22 % du SMIC en le portant au moins à 2 050 euros brut mensuel. Ce « coup de pouce » législatif constitue une reprise en main ponctuelle par le Parlement des mécanismes de fixation du SMIC, qui ont échoué à garantir véritablement le pouvoir d’achat des salariés les moins bien rémunérés.

Il appartiendra ensuite au Gouvernement de poursuivre cette logique en évaluant la nécessité, dans les mois et les années à venir, en fonction de la hausse des prix et des salaires, de réévaluer à nouveau ce salaire minimum.

Afin d’assurer la soutenabilité financière de cette mesure pour les entreprises les plus touchées par cette revalorisation du SMIC ainsi que les associations employeuses, il est également proposé de mettre en place une caisse de péréquation fondée sur une contribution sur les entreprises les plus profitables dont le chiffre d’affaires excède 750 millions d’euros.

Enfin, le financement de la hausse du SMIC ne reposera pas sur la seule existence de la caisse de péréquation mais sera aussi, partiellement et temporairement, par une par prise en charge par la sécurité sociale. En effet, en tenant compte des dispositifs d’exonérations de cotisations sur les bas salaires, l’augmentation du SMIC représente une perte de recettes la sécurité sociale qui réduit d’autant la part due par les entreprises dans le cadre de la hausse des salaires.


—  1  —

   Commentaire des articles

Article 1er
Fixation du montant mensuel minimal du SMIC à 2 050 euros brut et garantie de la soutenabilité financière pour toutes les entreprises

Rejeté par la commission

L’article 1er vise à introduire, dans le code du travail, un minimum légal de 2 050 euros brut mensuel à partir duquel le salaire minimum interprofessionel de croissance (SMIC) sera revalorisé à compter du 1er janvier 2023.

Afin d’accompagner les entreprises, il est également prévu qu’une caisse de péréquation vienne soutenir, par un prélèvement sur les très grandes entreprises, les petites et moyennes entreprises.

I.   Le droit actuel : l’absence de revalorisation suffisante du SMIC pÈse sur le pouvoir d’achat des salariÉs

A.   Les modalités de fixation du SMIC en dÉcalage avec sa finalitÉ originelle

1.   La garantie du pouvoir d’achat des salariés

a.   Un salaire minimum unique et d’ordre public

● Instauré en 1970 par la loi du 2 janvier 1970 ([30]), le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) a pour objectif, aux termes de l’article L. 3231-2 du code du travail, de garantir aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles leur pouvoir d’achat ainsi que leur « participation au développement économique de la nation ».

Contrairement au SMIG, dont l’évolution était fixée par décision du Gouvernement au regard de l’évolution d’un indice des prix (voir la description du mécanisme supra), le SMIC obéit à des règles d’indexation automatique tout en permettant des « coups de pouce » qui peuvent être décidés par le Gouvernement de manière discrétionnaire.

● Le salaire minimum s’impose sur tout le territoire métropolitain à l’ensemble des employeurs de droit privé ([31]) mais aussi aux salariés des établissements publics à caractère industriel et commercial et au personnel de droit privé des établissements publics administratifs ([32]). Les salariés dont le salaire horaire contractuel est devenu inférieur au montant du SMIC reçoivent un complément de leur employeur visant à porter leur rémunération au-dessus de ce montant ([33]).

Le Conseil d’État considère, en outre, depuis une décision du 23 avril 1982 ([34]), qu’il existe un principe général du droit, dont s’inspire l’article L. 3231-2 précité, selon lequel tout salarié, y compris les agents publics, a droit « à un minimum de rémunération qui, en l’absence de disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à laquelle l’intéressée appartient, ne saurait être inférieur au salaire minimum de croissance ».

b.   La garantie d’une rémunération au moins égale au SMIC

Un employeur qui verserait un salaire inférieur au SMIC se voit infliger une amende correspondant aux contraventions de la cinquième classe ([35]) autant de fois qu’il y a de salariés rémunérés dans des conditions illégales.

Dans ce cadre, le salaire horaire à prendre en compte est celui correspondant à une heure de travail effectif « compte tenu des avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d’un complément de salaire » ([36]) à l’exclusion des remboursements de frais, des majorations légales pour heures supplémentaires et de la prime de transport.

Afin d’éviter que l’employeur puisse contourner cette obligation en incluant dans le salaire des éléments qui lui sont annexes, la jurisprudence a précisé la portée de ces règles :

– la Cour de cassation inclut ainsi la rémunération d’éléments qui sont la contrepartie du travail : notamment les primes de rendement, les primes annuelles et les « compléments métiers » ;

– en revanche, sont exclues les primes d’assiduité, de résultat, d’ancienneté, compensant certaines sujétions, celles rémunérant des temps de pause, les participations aux résultats et, dans certaines conditions, le treizième mois.

2.   Les modalités de fixation du SMIC

a.   Des mécanismes de revalorisation automatiques et la possibilité d’un « coup de pouce »

Le double objectif assigné au SMIC est assuré par trois mécanismes de revalorisation censés permettre au salaire minimum de croître suivant une dynamique indexée tant sur l’évolution des prix que sur celle des salaires.

La section 3 du chapitre Ier du titre III du livre II de la troisième partie de la partie législative du code du travail détermine les modalités de fixation du SMIC selon différents critères :

– afin de garantir la participation des salariés au développement économique de la nation, le SMIC est fixé chaque année, au 1er janvier ([37]), par décret en Conseil d’État pris en Conseil des ministres ([38]), après saisine de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle, qui rend un avis motivé accompagné d’un rapport ([39]). La hausse annuelle du SMIC doit permettre de rapprocher son évolution de celle des conditions économiques générales et des revenus ([40]). Cette augmentation ne peut, en aucun cas, être inférieure à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires horaires moyens ([41]) ;

– afin de garantir le pouvoir d’achat des salariés ([42]), le SMIC est indexé sur l’évolution des prix à la consommation ([43]). Lorsque ceux‑ci progressent d’au moins 2 % par rapport à l’indice constaté lors de l’établissement du salaire minimum de croissance immédiatement antérieur, le SMIC est relevé dans les mêmes proportions à compter du premier jour du mois suivant la publication de l’indice ;

– de façon discrétionnaire, en cours d’année, le Gouvernement peut également décider d’un « coup de pouce » au SMIC pour le porter à un niveau supérieur à ce que son indexation suppose ([44]). Lorsqu’il est fait application de cette faculté, la revalorisation qui en découle est prise en compte dans la fixation du SMIC au 1er janvier suivant ([45]).

b.   Le groupe d’experts sur le SMIC, un organe d’opposition à toute revalorisation d’ampleur

● Introduit par la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail ([46]), le groupe d’experts sur le SMIC rend chaque année, depuis 2009, un avis sur l’évolution du SMIC.

Le groupe d’experts sur le salaire minimum – Comparaisons internationales

Allemagne : Commission sur le salaire minimum

– Création : 2015, année d’introduction du salaire minimum national

– Composition : neuf membres (le président désigné par accord des partenaires sociaux, trois représentants des organisations syndicales, trois représentants des organisations professionnelles d’employeurs, deux universitaires nommés chacun sur proposition respectivement des syndicats et du patronat)

Australie : Groupe d’experts de la commission du travail équitable (Fair Work Commission)

– Création : 2009

– Composition : sept membres, dont le président de la Fair Work Commission qui nomme les autres membres, dont trois parmi les membres de la commission ayant des compétences et une expérience dans les relations professionnelles, l’économie et les politiques sociales, ainsi que des experts extérieurs.

Belgique : « Groupe des 10 » au sein du Conseil national du travail

– Création : informelle

– Composition : constitué à parité par les partenaires sociaux et présidé par le président de la Fédération des entreprises de Belgique

Irlande : Commission sur le salaire minimum (Low Pay Commission)

– Création : 2015

– Composition : un président et huit membres (trois représentants des organisations syndicales, trois représentants des organisations professionnelles d’employeurs, deux universitaires). Nomination après un appel à candidature.

Royaume-Uni : Commission sur le salaire minimum (Low Pay Commission)

– Création : 1997

– Composition : neuf membres (trois représentants des organisations syndicales, trois représentants des organisations professionnelles d’employeurs, trois membres indépendants choisis par une commission composée des partenaires sociaux et d’un groupe d’observateurs indépendants).

Source : Direction générale du Trésor, Étude comparative internationale, « Fonctionnement des commissions sur le salaire minimum », 2018.

Il est composé de cinq personnalités « choisies à raison de leur compétence et de leur expérience dans le domaine économique et social » ([47]) et nommées par arrêté du Premier ministre sur proposition du ministère du travail, pour une durée de quatre ans non révocable ([48]) et dans des conditions d’indépendance garantie par le règlement ([49]).

De l’avis des syndicats comme de l’économiste Henri Sterdyniak, auditionnés par le rapporteur, la composition du groupe d’experts ne reflète pas la diversité des courants de pensées en économie et, plus largement, dans les sciences sociales. Leur rapport conduit chaque année à la conclusion qu’une revalorisation du SMIC ne doit pas être envisagée au-delà des mécanismes prévus par la loi.

En décembre 2021, le groupe d’experts recommande ainsi explicitement de « s’abstenir de tout coup de pouce sur le SMIC au 1er janvier 2022 » ([50]), recommandation suivie par le Gouvernement.

Au-delà des préconisations sur l’évolution annuelle, le groupe d’experts suggère également depuis plusieurs années de « modifier la formule de revalorisation du SMIC, en supprimant tout ou une partie des termes de revalorisation automatique (inflation et moitié du pouvoir d’achat du SHBOE) » ([51]). Cette recommandation est justifiée par la responsabilisation accrue des pouvoirs publics en matière d’évolution du SMIC.

À la suite des personnes auditionnées, le rapporteur s’interroge sur cette recommandation qui, si elle était appliquée, lui semblerait mener à une revalorisation encore plus faible du SMIC chaque année et à une accentuation très rapide du niveau de pauvreté des salariés les moins bien rémunérés.

L’absence d’opinions divergentes ou minoritaires dans le rapport, autrement que sous la forme de contributions annexes des partenaires sociaux, conduit le rapporteur à s’interroger sur la composition de ce groupe d’experts qui s’apparente davantage à un organe de validation des décisions que le Gouvernement souhaite prendre.

À la lumière des auditions, le rapporteur estime souhaitable de mieux garantir l’indépendance et la pluralité des points de vue des membres du groupe.

● Au-delà de cette question, se pose celle de l’articulation de la discussion avec les partenaires sociaux. Les représentants de la Confédération générale du travail (CGT) et de la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) auditionnés par le rapporteur ont fait part de leur sentiment selon lequel ils étaient mis, chaque année, devant le fait accompli lors de la présentation du rapport du SMIC à la Commission nationale de la négociation collective (CNNC). Si le recueil de l’avis de la CNNC est prévu par le code du travail préalablement à toute modification du montant du SMIC ([52]), la mise en place du groupe d’experts semble avoir pris le pas sur le dialogue social.

Le rapporteur serait favorable à une meilleure intégration des partenaires sociaux à la préparation des décisions relatives à la fixation du taux du SMIC.

B.   La prÉfÉrence pour la prime et les exonÉrations plutÔt que la hausse des salaires

1.   Le lien entre SMIC et échelle des salaires mis à mal par la logique de prime

a.   Le refus d’une indexation des salaires sur le coût de la vie

● La nécessité d’une hausse du SMIC ne se limite pas à la garantie du pouvoir d’achat des salariés les plus précaires mais concerne l’intégralité des salaires.

S’il constitue un minimum légal de rémunération, le SMIC est également un aiguillon qui permet de déterminer le salaire minimal dans l’ensemble des branches professionnelles et donc l’évolution des salaires en fonction de l’ancienneté et de la qualification.

La négociation collective, au travers des conventions de branche, détermine les salaires applicables dans le secteur couvert par ces négociations ([53]). Celles-ci ont lieu au moins tous les quatre ans, selon un calendrier fixé par les partenaires sociaux au niveau de la branche ([54]) ou, à défaut d’accord, tous les ans ([55]).

Par ailleurs, un mécanisme est prévu dans le code du travail pour provoquer une négociation dans un délai de quarante‑cinq jours ([56]) à la suite d’une hausse du SMIC, afin de revaloriser les salaires devenus inférieurs à son montant.

● En l’absence d’une telle négociation, les salariés sont tout de même payés au SMIC, puisque celui‑ci s’impose aux stipulations conventionnelles. Cependant, l’absence de mise en conformité des premiers niveaux des échelles de salaire conduit à un tassement des rémunérations préjudiciable en premier lieu aux salariés les moins bien rémunérés mais également à l’ensemble des salariés.

Ce phénomène de « plancher collant » ([57]) conduit à ce que les premiers niveaux d’une grille de salaire, reflétant la progression liée à l’ancienneté ou à la qualification, soient plaqués au niveau du SMIC en l’absence d’un dialogue social assez dynamique.

Cette situation, symptomatique du refus d’une augmentation suffisante des salaires, ne trouve pas de solution pérenne depuis 2021 puisque, comme l’a souligné la CGT dans un courrier à la Première ministre en date du 27 octobre 2022 ([58]), 126 des 166 branches professionnelles de plus de 5 000 salariés, soit 75 % d’entre elles, ont des niveaux de rémunération inférieurs au SMIC. Une situation presque constante depuis la fin de l’année 2021.

● La réponse donnée jusqu’à présent procède de mesures essentiellement techniques ([59]) qui ne sont pas de nature, selon le rapporteur, à permettre des revalorisations durables des salaires.

À l’inverse, le Gouvernement s’est systématiquement opposé à des mesures efficaces prônées par des acteurs venant de tous les bords politiques.

On peut penser, à titre d’exemple, à la mise en place d’une conditionnalité des allégements de cotisations sociales pour les entreprises à la renégociation des salaires (voir infra concernant le détail de ces allègements).

Suivant la même logique, le Gouvernement s’est également opposé à toute possibilité d’indexation des salaires sur l’inflation. Les syndicats auditionnés par le rapporteur ont pourtant indiqué qu’un mécanisme d’échelle mobile des salaires, qui existait jusqu’en 1982 en France, serait de nature à garantir le pouvoir d’achat des salariés. Cette mesure est déjà appliquée en Belgique ([60]), où elle permet aux salariés de faire face efficacement à l’inflation. Toutes les propositions faites en ce sens, notamment par les députés membres de l’intergroupe de la Nouvelle Union Populaire, écologique et sociale (NUPES), ont été rejetées par le Gouvernement.

b.   La substitution des primes au salaire

● Malgré un encadrement strict des éléments du salaire par la loi et la jurisprudence, la prise en compte d’éléments non salariaux dans la rémunération limite le rôle du SMIC dans la dynamique des autres salaires.

Les syndicats auditionnés par le rapporteur s’accordent à dire que la stagnation des salaires s’explique en grande partie par le recours de plus en plus important à des dispositifs exonérés de cotisations et contributions sociales en lieu et place d’augmentations de salaires.

À titre d’exemple, la loi du 16 août 2022 ([61]), annoncée comme apportant des solutions de soutien au pouvoir d’achat, a permis le développement de la prime de partage de la valeur, anciennement prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA). Le versement de ces primes est cependant très en deçà des attentes des salariés et peut se substituer à des hausses de salaires.

● Selon les données fournies par le Gouvernement ([62]) et rappelées par le Medef ([63]), qui préconise une augmentation des primes plutôt qu’une hausse du SMIC, le versement de la prime de pouvoir d’achat a concerné un nombre très restreint de salariés pour des montants qui ne semblent pas à la hauteur des enjeux actuels.

Distribution des primes exceptionnelles de pouvoir d’achat
entre 2019 et 2022

Année

Montant de prime versé
(en milliards d’euros)

Nombre d’établissements ayant versé une PEPA

Nombre de bénéficiaires d’une PEPA

Montant moyen de PEPA par bénéficiaire

(en euros)

2019

2,26

470 158

4 907 813

461

2020

3,21

585 806

5 214 619

616

2021 / 2022*

2,83

577 527

5 184 752

545

2022**

0,52

 

730 000

710

Total

8,82

-

-

550

* Jusqu’à la pérennisation de la prime.

** À compter de la pérennisation de la prime, données arrêtées au 10 novembre 2022.

Source : étude d’impact du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et communiqué du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Ces résultats, dont les organisations professionnelles d’employeurs ainsi que le Gouvernement se félicitent, masquent en réalité le refus d’augmenter de manière durable les salaires, en préférant l’attribution de primes.

Comme l’ont rappelé les syndicats auditionnés par le rapporteur, les bons chiffres affichés démontrent en réalité la limite de ce système. Le doublement du plafond de versement de la prime, qui atteint désormais 6 000 euros, n’a et n’aura, selon eux, pas d’effet sur le montant des primes versées, qui se situent très en deçà de cet objectif.

Avec une moyenne de 550 euros versés à environ 5 millions de personnes chaque année, la prime de pouvoir d’achat représente un gain de 45 euros par mois pour moins d’un tiers des salariés du secteur privé. Au maximum, cette prime constitue donc une augmentation de salaire de moins de 3,4 % pour un salarié au SMIC. Pour un salaire moyen de 2 520 euros ([64]), la prime représente 1,8 %.

● Si la prime versée s’ajoutait à des augmentations de salaires, comme le discours du Gouvernement tend à l’indiquer, il pourrait s’agir d’un dispositif bénéfique aux salariés. Cependant, il bénéficie d’abord aux entreprises qui, malgré l’encadrement du dispositif par la loi, substituent en partie des hausses de salaires à leur versement. Cet effet de substitution est corroboré notamment par une étude de l’Insee qui rappelle que « sur 1,4 point de croissance annuelle des salaires au premier trimestre 2019 directement imputable à la prime Pepa, environ 40 % (soit 0,6 point) relèverait d’effets d’aubaine. L’effet "net" de la prime ne serait que de 0,8 point » ([65]).

Au-delà du bénéfice pour les entreprises de ce dispositif, les syndicats auditionnés rappellent le danger de la substitution des primes au salaire s’agissant du salaire différé et des revenus de substitution, particulièrement au regard du niveau de pension de retraite auquel ils pourront s’attendre.

2.   Les exonérations massives et la prime d’activité en faveur du statu quo

a.   Les allégements généraux de cotisations limitent la dynamique des faibles salaires

● Constat à nouveau partagé par l’ensemble des acteurs auditionnés, la spécificité du modèle français, qui explique en partie les difficultés de revalorisation des salaires, s’analyse comme un double mécanisme d’allégements de cotisations pour les entreprises employant des salariés à un niveau proche du SMIC et de prime d’activité pour compenser le faible niveau de salaire de ces personnes.

S’agissant du rôle des allégements de cotisations, même le groupe d’experts sur le SMIC, dont le rapporteur a pourtant souligné l’absence de diversité dans leur approche économique, s’émeut de caractère incitatif de ces dispositifs « à la nonconformité et à l’affaiblissement du rôle de la négociation » ([66]).

Les syndicats ont confirmé au rapporteur que ces mécanismes conduisaient à la constitution de véritables « trappes » à pauvreté en maintenant des personnes à un niveau de rémunération égal au SMIC. L’économiste Henri Sterdyniak a, pour sa part, rappelé qu’une augmentation de 100 euros d’un salarié payé au SMIC se traduisait par un coût supplémentaire de 238 euros ([67]), ce qui constituait une incitation à la stagnation des salaires.

● Si la suppression des allégements de cotisations et contributions n’est pas l’objet de la présente proposition de loi, le rapporteur tient à en rappeler le coût au regard de l’absence de contreparties exigées des entreprises, notamment en termes de partage de la valeur.

Historique des allÉgements de cotisations

Source : Conseil d’analyse économique, Baisses de charges : stop ou encore ?, janvier 2019. Calculs des auteurs.

Ceux‑ci représentent près de 62 milliards d’euros de pertes de recettes pour les régimes obligatoires de sécurité sociale ([68]) avec pour objectif de réduire le coût du travail. Cette politique d’allégements généraux, débutée dans les années 1990 et unifiée sous le régime du « dispositif Fillon » en 2005, se concentre essentiellement sur les rémunérations allant de 1 à 1,6 SMIC. Cette politique a été considérablement renforcée ces dernières années par l’intégration aux allégements généraux des baisses de cotisation héritières du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et des mesures du Pacte de responsabilité, pour un montant de plus de 30 milliards d’euros.

b.   La prime d’activité, une prise en charge par l’État de l’insuffisance des salaires

● La prime d’activité « a pour objet d’inciter les travailleurs aux ressources modestes, qu’ils soient salariés ou non-salariés, à l’exercice ou à la reprise d’une activité professionnelle et de soutenir leur pouvoir d’achat » ([69]). Elle permet à un salarié au SMIC vivant seul de bénéficier d’un complément de revenu de 237 euros par mois, soit un total de 1 566 euros par mois ([70]).

● Une telle allocation est bienvenue pour permettre aux salariés au SMIC de maintenir un niveau de vie décent, mais elle pose un certain nombre de difficultés et fait peser la responsabilité de la rémunération de ces personnes sur la collectivité publique plutôt que sur les entreprises.

La première difficulté que pose la mise en place d’une prime est la question du recours qui y est fait par les personnes pouvant y prétendre. Celui‑ci est difficile à évaluer avec précision et les données récentes ne permettent pas d’avoir une approche fiable du non‑recours actuel à la prime d’activité ([71]) même si on peut l’estimer à un taux de 27 % ([72]). Contrairement au salaire, pour obtenir la prime d’activité, il importe de suivre une démarche qui requiert une connaissance des procédures administratives et donc une certaine maîtrise des acteurs de la protection sociale.

La deuxième difficulté tient au caractère non contributif de cette ressource, qui n’ouvre droit ni à l’assurance chômage ni à une pension de retraite. S’agissant du chômage, le versement de la prime d’activité accroît la perte de ressources en cas de privation d’emploi puisqu’elle n’est plus versée à la personne privée d’emploi et n’entre pas dans le calcul des allocations auxquelles il peut prétendre. Elle conduit donc à exacerber les difficultés de catégories fragiles de la population.

Variation du revenu d’activitÉ, prime d’activitÉ comprisE, d’un salariÉ au SMIC vivant seul À la suite d’un licenciement

https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/wp-content/uploads/2020/09/IMG1_post24-09.jpg

Source : OFCE le blog, Muriel Pucci, La Prime d’activité n’est pas du salaire : elle amplifie la perte de revenu à la suite d’un licenciement, 24 septembre 2020. Calculs de l’auteure.

La dernière difficulté est celle de la réforme de ce système. Si la hausse de salaire s’accompagne d’une diminution de la prime d’activité, le gain pour les salariés concernés serait moindre. À l’inverse, le maintien d’un niveau élevé pour cette prime n’est pas incitatif pour les entreprises qui doivent augmenter les salaires. Selon l’économiste Henri Sterdyniak, la suppression progressive de la prime d’activité pourrait s’accompagner d’une compensation, pour les ménages qui en ont le plus besoin, par d’autres formes d’allocations, notamment familiales.

II.   Le dispositif proposÉ : Une reprise en main nÉcessaire de la fixation du SMIC par le lÉgislateur et un accompagnement des entreprises dans la hausse gÉnÉrale des salaires

A.   Un « coup de pouce » de 22 % qui n’a que trop attendu

Le I de l’article 1er de la proposition de loi propose de compléter l’article L. 3231‑4 du code du travail, qui définit les modalités selon lesquelles le SMIC garantit le pouvoir d’achat des salariés, en fixant son montant à un minimum de 2 050 euros brut mensuel à temps plein au 1er janvier 2023.

Cette proposition constitue en réalité un coup de pouce obligatoire au SMIC – le Gouvernement restant libre de compléter cette hausse par décret, en application de l’article L. 3231-10 du code du travail – afin de rehausser son montant d’au moins 22 % par rapport au montant actuel.

Cette hausse, qui permet d’atteindre le montant symbolique de 1 600 euros net mensuel, est conforme aux revendications des syndicats entendus, la CGT-FO étant favorable à une fixation du SMIC à 80 % du salaire médian, qui était de 1 975 euros net mensuel en 2020 ([73]), tandis que la CGT est favorable à un montant minimum de 2 000 euros net.

1.   Une augmentation de 30 % des salariés et de 20 % des agents publics

La revalorisation du SMIC concernera un public très large, dans les secteurs public et privé, et permettra une revalorisation de l’ensemble des salaires.

De manière automatique, tous ceux dont le salaire se situe actuellement entre le SMIC et 1 600 euros net verront leur salaire augmenter, soit 30 % des salariés du secteur privé et 20 % des agents publics ([74]).

Cette hausse massive des salaires permettra de garantir véritablement le pouvoir d’achat des salariés et agents les moins bien rémunérés.

2.   Une diffusion large de la hausse du SMIC

La revalorisation du SMIC aura également des effets au-delà des seuls salariés et agents à qui ils s’appliquent puisqu’un certain nombre de rémunérations sont directement liées à son taux :

– les travailleurs en contrat d’apprentissage, dont le salaire minimum est fixé par référence au SMIC et en fonction de leur âge et de l’année de leur apprentissage ([75]) ;

– les salariés de moins de 26 ans titulaires d’un contrat de professionnalisation dont le salaire minimum est fixé par référence au SMIC en fonction de la formation et l’âge ([76]) ;

– la rémunération d’un certain nombre de travailleurs employés par des particuliers, notamment les assistants maternels ([77]) ;

– le montant de la pension des anciens exploitants agricoles dont les minima sont désormais fixés à 85 % du SMIC ([78]).

3.   Une première étape qui n’épuise pas la question de la hausse des salaires

Au cours de ses travaux préparatoires, le rapporteur a été confronté à un certain nombre de difficultés dont lui ont fait part, notamment, les acteurs auditionnés.

Si la proposition de loi constitue une première étape dans la revalorisation des salaires, en prenant une mesure d’urgence de revalorisation du SMIC, elle devra nécessairement être complétée à l’avenir par d’autres mesures visant à résoudre les différents freins mentionnés, en particulier les mécanismes de revalorisation des grilles salariales, les allégements de cotisations et les allocations de solidarité.

B.   Une caisse de péréquation au coût raisonnable pour les entreprises dans un contexte de forte baisse de leur taux d’imposition

1.   La caisse de péréquation comme réponse aux critiques liées à la hausse du SMIC

Alors que les arguments en opposition à la hausse du SMIC sont bien connus et régulièrement rappelés à la fois par le Gouvernement, qui a refusé de s’engager dans cette voie lors de l’examen de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, mais aussi par les organisations professionnelles d’employeurs, le rapporteur a souhaité prévoir, dès le dépôt de sa proposition de loi, un dispositif de compensation de la hausse du SMIC.

Interrogées sur cette question, les organisations professionnelles d’employeurs ayant transmis leurs observations écrites au rapporteur considèrent que cette option n’est pas de nature à compenser la hausse du coût du travail qu’induirait une augmentation du SMIC.

Cependant, l’économiste Henri Sterdyniak nous a indiqué que, s’il n’était pas en mesure de déterminer précisément les conséquences d’une telle hausse du SMIC sur l’économie, des pistes pouvaient être envisagées afin d’anticiper les conséquences pour les entreprises.

Cette hausse des prix pourrait être en partie supportée par les ménages des classes moyennes et supérieures, dont le salaire aura également progressé sur la période, mais également par l’État, par un mécanisme de compensation partielle de nature à assurer la mise en place juste de cette revalorisation du SMIC.

C’est dans cette perspective que la proposition de loi institue une caisse de péréquation inter‑entreprises, financée par une contribution progressive sur le résultat net des entreprises dont le chiffre daffaires constaté au dernier exercice comptable est supérieur à 750 millions deuros. Cette caisse garantit pour chaque entreprise, la soutenabilité financière pour les associations employeuses, les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises de la hausse du salaire minimum de croissance à 2 050 euros brut mensuel.

2.   Un coût pour les entreprises et les finances publiques à relativiser

Par l’inscription du mécanisme de péréquation, le rapporteur n’entend pas nier la difficulté qui pourrait naître dans certains secteurs d’une augmentation rapide du salaire minimum, même si le coût total de cette mesure reste difficile à évaluer.

Sur la base des données de l’Insee de 2019, le rapporteur a estimé le coût immédiat de la mesure pour les entreprises, en termes de rattrapage de salaire entre le niveau actuel et les 1 600 euros net, à environ 12 milliards d’euros.

Ce coût immédiat ne reflète cependant pas l’effet de revalorisation général des salaires mais il permet d’appréhender en termes d’ordre de grandeur l’ampleur de l’effort à financer pour les entreprises et de l’aide à leur apporter.

À titre de comparaison, la suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en 2023 et 2024 va conduire à la diminution d’environ 10 milliards d’euros des recettes du budget de l’État.

Les calculs d’Henri Sterdyniak, qui tiennent compte des coûts plus larges, rejoignent l’estimation du rapporteur. Il estime ainsi une charge de 20 milliards d’euros supplémentaires pour les entreprises qui pourrait être utilement compensée par une réforme de la CVAE plutôt que sa suppression.

En outre, la mise en place d’une caisse de péréquation, dont le financement est essentiellement assis sur des cotisations des très grandes entreprises, apparaît juste au regard de leur responsabilité dans l’absence de revalorisation des salaires ainsi que leur place dans l’économie. Ces entreprises, quoique très peu nombreuses, regroupent en effet, selon l’Insee, 27,6 % des effectifs et totalisent 35 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des 4,1 millions d’entreprises.

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*     *

Article 2
Compensation de la perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale par le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune

Rejeté par la commission

La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale, induite par la hausse du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) à 2 050 euros brut, est compensée à due concurrence par le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune.

L’article 2 constitue une nécessité au regard de l’article 40 de la Constitution, si l’on considère que la hausse du SMIC entraînera une augmentation du nombre de salariés, ouvrant droit, pour les entreprises, à l’allégement général de cotisations sociales. Cette nécessité est à mettre en perspective.

D’une part, si les mécanismes de renégociation des salaires fonctionnent ou si une forme d’indexation des grilles salariales est mise en œuvre, le nombre de salariés pour lesquels des allégements sont ouverts aux entreprises ne devrait pas augmenter et l’accroissement du montant de ces allégements devrait être compensé par l’accroissement par ailleurs des recettes de la sécurité sociale, assises sur la masse salariale.

D’autre part, la question de la perte de recettes pour la sécurité sociale se pose à droit constant et sans mesurer l’effet de relance économique. Or, le rehaussement des salaires permettrait de mettre fin à certains dispositifs d’aide pour les salariés en grande précarité ou d’en diminuer l’ampleur. De même, certaines exonérations à destination des entreprises n’auraient plus lieu d’être puisque des hausses de salaires se seront substituées aux primes. Enfin, la dynamique liée à la hausse des salaires entraînerait nécessairement une hausse de la consommation de nature à compenser en partie les difficultés des entreprises liées au renchérissement de la main‑d’œuvre.

Afin d’assurer, néanmoins, la viabilité économique de la mesure le rapporteur propose, dans l’article 2 de sa proposition de loi, le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui permettra de dégager les marges financières nécessaires à l’État pour accompagner les entreprises.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa première réunion du mercredi 16 novembre 2022, la commission examine la proposition de loi visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance à 1 600 euros net (n° 328) (M. Alexis Corbière, rapporteur) ([79]).

M. Alexis Corbière, rapporteur. La proposition de loi que je vous présente aujourd’hui vise à porter le salaire minimum mensuel à au moins 2 050 euros brut, soit environ 1 600 euros net. Ce montant est notre mot d’ordre, mais il ne faut pas oublier que la rémunération des salariés est constituée du salaire direct et du salaire indirect. Nous prévoyons une entrée en vigueur du texte au 1er janvier 2023.

Cette proposition figurait dans le programme de notre candidat à l’élection présidentielle et dans celui de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES). Plusieurs millions de nos concitoyens se sont donc exprimés en sa faveur. Il est grand temps de la mettre en œuvre.

L’augmentation du Smic n’est pas une nouveauté dans notre histoire sociale. Elle a eu lieu à plusieurs reprises, non sans résultat, quoiqu’en disent ses nombreux détracteurs, dont les arguments n’ont pas toujours évolué en un demi-siècle.

La première définition du salaire minimum national légal applicable à toutes les branches d’activité procède de la loi du 11 février 1950. Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) constituait un garde-fou contre la pauvreté et préservait les salariés de toute exploitation là où le tissu syndical était faible ou inexistant. Les arguments opposés alors au SMIG sont repris aujourd’hui : il allait tuer l’économie et l’emploi, les petites entreprises allaient couler. Rien de tout cela ne s’est produit.

Cette conquête sociale acquise, l’écart entre le salaire moyen et le SMIG s’est creusé, en raison de son indexation sur les seuls prix. En 1968, les mobilisations populaires ont changé la donne. Les célèbres accords de Grenelle ont entériné une conquête sociale significative : la hausse de 35 % du SMIG, quelques mois après le refus du patronat de l’augmenter de 3 %. La loi du 2 janvier 1970 transforme le SMIG en salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), désormais revalorisé sur la base de l’évolution des prix mais aussi de la progression du salaire moyen des ouvriers.

En 1981, sous la présidence de François Mitterrand, le gouvernement Mauroy augmente le Smic de 10 %. Depuis lors, les « coups de pouce », comme il est d’usage de les appeler, n’ont plus été à l’ordre du jour, hormis une légère revalorisation de 2,2 % sous Lionel Jospin et une augmentation très minime, voire symbolique, lors du mandat de François Hollande.

Depuis plus de dix ans, le Smic stagne. Ne pas le revaloriser est une règle pour le Gouvernement comme pour ses prédécesseurs. Pourtant, la situation sociale du pays est assez alarmante : 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté et 8 millions font la file pour l’aide alimentaire. Il y a 400 000 pauvres supplémentaires depuis 2017. Tous les indicateurs sociaux sont inquiétants. Les salaires réels ont baissé de 2 % en un an, et l’inflation a atteint le niveau historique de 6 %.

Plus globalement, le partage de la valeur souffre d’un déséquilibre, au détriment des revenus du travail, dont la part dans la valeur ajoutée a reculé dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle est passée de 66 % en moyenne dans les années 1980, à 61 % en 2010 pour remonter à 64 % en 2019. Cette répartition défavorable au travail et favorable au capital est exacerbée dans les grandes entreprises, où la part du travail est inférieure de 11 points à la moyenne nationale.

Face à l’urgence, le Gouvernement s’est contenté d’appliquer des recettes vues et revues, d’inspiration libérale, dont je considère qu’elles sont insuffisantes. La loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a été votée sans débat sur les salaires et les bas salaires. Sa grande mesure, annoncée en fanfare, est la prime de partage de la valeur, défiscalisée et laissée au bon vouloir des entreprises. Seuls 16 % des salariés en ont bénéficié, pour un montant moyen de 506 euros.

Lors de son examen, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a reconnu à demi-mot la nécessité d’aborder la question des salaires, en déclarant : « Toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires ». Un mois plus tard, il déclarait à propos du Smic : « Donner un coup de pouce, c’est donner un coup de canif au redressement de l’emploi ».

Pourquoi tant de fins de non-recevoir pour ce qui n’est qu’un coup de canif ?

Partons d’un constat : les mécanismes d’indexation du Smic ont atteint leurs limites. Certes, le taux du salaire minimum a progressé au cours des derniers mois, essentiellement sous l’effet de l’inflation. Toutefois, cette progression n’a pas empêché le décrochage du salaire minimum dû au renchérissement de la vie et à l’explosion des inégalités. Or le Gouvernement n’a pas accordé le moindre coup de pouce significatif au Smic, ce à quoi l’autorise pourtant le code du travail, pour assurer une rémunération digne du travail.

Il a été conseillé, dans sa démarche, par le groupe d’experts chargé de se prononcer, chaque année, sur l’évolution du Smic. Depuis sa création, ce groupe, composé d’économistes libéraux, vise un objectif simple : désindexer le Smic. Son dernier rapport recommande clairement de supprimer tout ou partie des mécanismes de revalorisation automatique du Smic. Il s’oppose systématiquement à toute revalorisation supplémentaire de son taux. Je pose la question de la légitimité de ce groupe d’experts, dont le mode de désignation pourrait faire l’objet d’un échange entre nous.

Ma proposition de loi vise l’augmentation du Smic de 22 %, qui aura de nombreux effets positifs, non seulement pour les 2 millions de salariés qui vivent au Smic, mais aussi pour les 30 % de salariés du privé et 20 % d’agents publics dont le salaire net est inférieur à 1 600 euros.

De plus, cette mesure est résolument féministe, car l’augmentation du Smic bénéficiera en premier lieu aux femmes, qui sont les premières à subir le temps partiel et les contrats courts. Elles représentent 60 % des 2 millions de salariés au Smic, mais seulement 45 % de l’emploi dans le secteur privé.

Cette mesure bénéficiera aussi aux salariés des secteurs où les conditions de travail sont difficiles, ce qui permettra d’en attirer, donc de résoudre leurs difficultés de recrutement, notamment dans l’hôtellerie, la restauration et le secteur sanitaire et social. Elle bénéficiera également aux petites entreprises auxquelles les grosses sous-traitent les tâches les moins bien rémunérés.

Cette pratique des grandes entreprises, qui sous-traitent les tâches d’entretien et de maintenance pour ne pas avoir à faire progresser les salaires, nous a été décrite par tous les acteurs que nous avons auditionnés. Elle explique la concentration des salariés au Smic dans les PME. Il est donc normal que ces salariés bénéficient d’augmentations de salaire partiellement prises en charge par les entreprises donneuses d’ordre.

Le Smic ne pénalise pas l’emploi, au contraire. Plus les revenus disponibles sont élevés, plus les carnets de commandes se remplissent pour la consommation populaire. De 1997 à 2022, le Smic a augmenté de 14 % et près de 2 millions d’emplois ont été créés, contre 3 millions au cours des dix années précédentes.

Par ailleurs, la plupart des emplois au Smic sont dans des secteurs dits abrités, c’est‑à‑dire non délocalisables, tels que l’aide à domicile et l’hôtellerie. Nous considérons donc que l’argument de la compétitivité ne tient pas.

Je souhaite que nous ayons un débat exempt des épouvantails habituellement utilisés pour discréditer la proposition que je formule. La hausse que nous proposons n’a rien de spectaculaire, comme le prouve l’exemple de nos voisins européens. En Allemagne, le montant du Smic horaire brut a dépassé celui de la France cette année. Au Royaume-Uni, après cinq ans d’augmentation du Smic, le nombre de créations d’emplois a battu un record. En Espagne, le salaire minimum a augmenté de 36 % depuis 2018, ce qui n’a ni déséquilibré la compétitivité ni pénalisé l’emploi.

Rehausser le niveau du Smic, c’est aussi revoir l’intégralité de la grille des salaires. La négociation salariale est bloquée. Trop souvent, les chefs d’entreprise refusent d’augmenter les salaires. Il est temps de revoir la hiérarchie des salaires, en impulsant une hausse générale par le biais d’une hausse du Smic.

Par ailleurs, plusieurs études ont démontré que la préférence des employeurs pour les primes au détriment des hausses de salaire vise à limiter leur contribution au financement de notre modèle social. Notre mesure doit être conjuguée à d’autres, notamment la limitation des écarts de salaire de un à vingt dans l’entreprise et l’indexation des salaires sur l’inflation.

J’en viens au financement de la proposition de loi. Celle-ci prévoit, pour couper court aux arguments selon lesquels son coût est excessif, des modalités de financement reposant sur la solidarité entre les grands groupes et les petites entreprises, lesquelles pourront absorber la hausse du Smic en limitant celle de leurs coûts de production, donc de leurs prix, grâce à un mécanisme redistributif. Par ailleurs, le coût de la mesure sera partiellement et temporairement pris en charge par l’État, grâce aux exonérations existantes.

Certes, les sommes en jeu sont importantes. La hausse du Smic proposée augmenterait de 10 à 20 milliards d’euros les dépenses des entreprises. J’invite cependant chacun à mettre ces chiffres en perspective, en les comparant aux dépenses consenties en faveur des entreprises. Ainsi, les exonérations de cotisations sociales coûtent 60 milliards par an. La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, soutenue par certains de nos collègues, en coûtera dix. Sans parler de la baisse des impôts de production, depuis 2017, dont le Gouvernement se félicite.

Par ailleurs, des sources de revenus pour l’État ou pour une péréquation entre entreprises existent : les 46 milliards d’euros de dividendes et les 24 milliards de rachats d’actions du CAC40 en 2021, ou encore les profits records de 18,8 milliards pour Total et de 15 milliards pour la CMA CGM au premier semestre de cette année.

Faut-il rappeler que les dirigeants des quarante plus grandes entreprises françaises ont reçu en moyenne 6,5 millions d’euros en 2021, soit 465 fois le Smic ? Chaque année, 157 milliards d’euros d’aides publiques sont versés aux entreprises, sans la moindre contrepartie en matière de salaires ou d’impératifs sociaux et écologiques.

Tout cela soulève la question de la responsabilité des grands groupes dans la constitution de trappes à pauvreté au sein de secteurs entiers de sous-traitance et dans le maintien dans la pauvreté de millions de nos concitoyens. Le coût de cette responsabilité, qui est la leur, est pris en charge par l’État par le biais de mécanismes de solidarité, tels que la prime d’activité.

Celle-ci bénéficie certes à près de 5 millions de Français, qui en retirent en moyenne 180 euros par mois. Toutefois, je m’interroge sur le rôle de chacun : n’incombe-t-il pas aux entreprises de rémunérer convenablement leurs salariés ? Les mécanismes de solidarité nationale doivent-ils servir à compenser un déficit persistant du niveau des salaires, alors même que les entreprises qui en sont responsables contribuent de moins en moins à son financement ?

La prime d’activité offre la démonstration que ni les entreprises ni le salaire minimum n’assurent aux salariés une vie digne, ce qui rend l’aide publique indispensable. Les défenseurs de la prime d’activité sont-ils favorables à une économie administrée ? Voilà qui serait piquant ! Depuis 2017, on nous répète qu’il faut faire confiance au dialogue social. Le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci ne produit rien de significatif.

Certains amendements vont dans le sens du texte, ce dont je me réjouis, mais excluent du bénéfice de l’augmentation du Smic les salariés des branches dont les métiers peuvent être pénibles et qui connaissent des difficultés de recrutement, telles que l’hôtellerie et la restauration. J’avoue ne pas comprendre. Si ces amendements, déposés par des membres du groupe Renaissance, étaient adoptés, environ 13 millions de salariés bénéficieraient d’une augmentation, mais 1,9 million en seraient exclus.

Le groupe Rassemblement National adopte la même méthode. Ses membres refusent de voter la hausse du Smic, comme l’été dernier, lui préférant une nouvelle exonération de cotisations sur les augmentations de salaires. Outre l’appauvrissement de la sécurité sociale qu’elle entraîne, cette méthode ne fonctionne pas plus que les primes pour revaloriser le pouvoir d’achat.

Le salaire est composé d’une part directe et d’une part indirecte. Dire que la réduction des cotisations sociales équivaut à une hausse de salaire, c’est dire aux salariés « Donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure ». Cette méthode appauvrit de nombreux organismes sociaux, qui sont des conquêtes sociales des salariés. J’y suis radicalement opposé.

Nos débats permettront de préciser les démarches à accomplir pour adopter notre mesure. Je ne doute pas que nos échanges seront constructifs. Nous sommes attachés à la première étape de la réponse à la situation d’urgence sociale dans laquelle nous sommes : la revalorisation immédiate et uniforme du Smic dans les meilleurs délais.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Marc Ferracci (RE). Monsieur le rapporteur, notre groupe vous remercie de soulever cette question importante : comment accroître le revenu des Français qui travaillent ? Toutefois, la réponse que vous apportez ne nous semble pas la bonne, pour plusieurs raisons.

Premièrement, l’application de votre proposition de loi détruirait de nombreux emplois. Une augmentation du Smic associée à une hausse indifférenciée des salaires sera absorbée sans problème par les entreprises dont la productivité est bonne, pas par les autres. Les épouvantails que vous évoquez sont les nombreuses études démontrant que les effets sur l’emploi d’une hausse du Smic sont réels.

Il n’est pas souhaitable de traiter différemment les grandes et les petites entreprises, comme vous le proposez, en introduisant un mécanisme de compensation entre elles. Outre sa complexité, ce mécanisme subventionnerait sans raison des petites entreprises productives et détruirait de l’emploi dans des grandes entreprises qui le sont moins.

Les évaluations démontrent que la sensibilité de l’emploi au coût du travail au niveau du Smic est très forte. Une hausse du Smic de 10 % entraîne une contraction de l’emploi d’au moins 10 %, qui peut atteindre 25 %. Nous démontrerons, lors de l’examen de nos amendements, que la disposition proposée peut détruire de l’emploi dans certaines branches.

Deuxièmement, beaucoup a été fait et continuera d’être fait pour soutenir le pouvoir d’achat des personnes qui travaillent au Smic, notamment la prime d’activité.

Troisièmement, nous croyons au dialogue social. C’est en baissant le chômage que nous renforcerons le pouvoir de négociation des salariés, dans les entreprises et dans les branches.

C’est pourquoi nous ne voterons pas votre proposition de loi, qui apporte une mauvaise réponse à une bonne question. Soucieux de faire vivre le débat sur cette question importante au sein de notre commission, nous avons déposé des amendements destinés à nourrir la discussion et non à être adoptés, en espérant que nos échanges éclaireront le débat public.

Mme Laure Lavalette (RN). La proposition de loi visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance à 1 600 euros net nous semble restrictive et pénalisante pour les classes moyennes, celles auxquelles on demande tout et on ne donne jamais rien. Une fois de plus, leur pouvoir d’achat stagnerait.

Contrairement à ce que nos collègues de la NUPES tentent de nous faire croire, l’augmentation du Smic n’est pas une mesure bénéfique pour tous. La brandir comme un totem ne fait pas de vous des justiciers de la cause sociale, chers collègues !

Contrairement à vous, nous nous soucions de tous les salaires, le Smic comme ceux qui sont juste au-dessus, qui sont les grands oubliés de votre programme. Il faut augmenter tous les salaires, sans pénaliser nos entreprises. Le premier frein à l’augmentation des salaires est le coût qu’elle représente pour les nombreuses TPE‑PME, qui offrent l’essentiel des emplois de notre pays et maillent notre tissu économique.

Monsieur Corbière, nous ne confondons pas salaire et prime. Si vous allez voir votre banquier, il ne tiendra pas compte des primes pour calculer votre taux d’endettement.

Nous proposons donc une exonération des cotisations patronales sur une augmentation de 10 % des salaires inférieurs ou égaux à trois fois le Smic. Une telle hausse bénéficierait aux salariés tout en étant supportable pour les entreprises. Ce serait du gagnant-gagnant.

Quant à l’article 2 visant à rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), il est particulièrement injuste, ce qui n’a rien de surprenant venant de vous. Des ménages de la classe moyenne ont en effet été imposés à l’ISF en raison de la valorisation d’un patrimoine immobilier familial, notamment dans les grandes villes et les zones littorales. Nous sommes en revanche favorables à un impôt sur la fortune financière favorisant l’enracinement et évitant la spéculation.

Ce texte profondément défavorable aux classes moyennes et malhonnête n’aura pas un écho favorable dans nos rangs.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Tout a augmenté. Les prix flambent chaque jour à cause de l’inflation : la nourriture, l’essence, les vêtements, les loyers, les soins – la liste est longue.

Tout a augmenté et tout augmente encore chaque jour, sauf les salaires et sauf le Smic. Plus de 10 millions de pauvres vivent avec moins de 1 100 euros par mois ; plus de 1 million vivent avec moins de 920 euros par mois. La France est pourtant la sixième puissance mondiale et les super-profits n’ont jamais autant prospéré. Quelle honte !

Dès le mois de juillet dernier, nous avons proposé d’augmenter le Smic à 1 500 euros par mois et de l’indexer sur l’inflation. Le Gouvernement a dit non. Les macronistes ont voté contre, main dans la main avec Les Républicains et le Rassemblement National, qui joue la comédie du soi-disant ami du peuple à la télé et dans les journaux. Quelle honte !

Pourtant, les grèves se multiplient. Les grévistes réclament une augmentation des salaires. Chez Total, chez Geodis, dans les transports, chez Monoprix, dans le commerce, partout la colère monte ! Les salariés veulent leur part du « quoi qu’il en coûte ». Ils réclament le droit à une vie digne. Ils n’en peuvent plus de votre mépris et de votre blabla continu.

Cessez ce mépris insupportable ! Faire passer le Smic à 1 600 euros net n’est pas du luxe, c’est une urgence ! C’est une question de dignité humaine ! Augmentez le Smic à 1 600 euros ! Pensez aussi aux salariés !

Mme Isabelle Valentin (LR). Monsieur le rapporteur, nous considérons nous aussi que le travail doit payer plus. La lutte contre la précarité, la revalorisation des salaires et l’augmentation du pouvoir d’achat sont des sujets sur lesquels nous sommes tous pleinement actifs et engagés.

La présente proposition de loi prévoit une hausse de presque 300 euros du Smic net et l’instauration d’une caisse de péréquation pour soutenir les PME par un prélèvement sur les grandes entreprises. Une telle hausse du Smic serait inédite dans notre histoire. Elle ne pourrait pas être absorbée par le tissu économique, notamment dans ce contexte de crises qui se succèdent.

En raison du surcoût de l’énergie, nos entreprises sont fragilisées sur les marchés et perdent en compétitivité. Une telle hausse du Smic mettrait en danger le tissu des TPE et des PME, ce qui aurait un effet désastreux sur l’emploi. Il en résulterait inévitablement une hausse du chômage et des faillites d’entreprises. Le modèle social français n’existe que si les entreprises fonctionnent.

La question du salaire est cruciale. Nous sommes tous d’accord sur ce point. Le travail doit payer mieux pour tous les salariés. Nous sommes attachés à la revalorisation des rémunérations et du pouvoir d’achat. Il existe des outils pour ce faire, grâce notamment à la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, sans menacer l’activité des entreprises ni l’emploi et compromettre la réalisation du plein emploi que nous souhaitons tous.

Par ailleurs, l’indexation automatique du Smic sur l’inflation est déjà engagée, grâce à des mesures économiques fondées sur des réalités permettant de réguler ce phénomène, afin que les entreprises continuent de produire et que l’emploi progresse.

La présente proposition de loi est très populiste, et surtout très dangereuse. L’effet produit serait contraire à celui qui est recherché, notamment pour les TPE et les TME, qui représentent 90 % des entreprises. Avec 3 milliards d’euros de dettes, les marges de manœuvre sont minces. Si nous sommes d’accord sur la nécessité de lutter contre la précarité, nous divergeons sur les moyens à employer.

Le groupe Les Républicains votera contre la proposition de loi.

M. Nicolas Turquois (Dem). Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi vise à augmenter le Smic de 22 %, à 1 600 euros nets. C’est une version actualisée du Smic à 1 500 euros de votre candidat malheureux à la présidentielle. Nous partageons vos constats sur la difficulté dans laquelle se trouvent nos concitoyens qui vivent avec le Smic. C’est bien notre seul point d’accord.

Cette augmentation brutale aura un tel impact psychologique sur les employeurs, en dépit des promesses de compensation, qu’elle aura rapidement un effet très fort sur l’emploi. Pour les investisseurs étrangers que nous avons su attirer au cours des dernières années, la sanction sera immédiate et sans retour. Votre proposition de loi sera d’abord la garantie d’une augmentation substantielle du chômage.

Par ailleurs, elle écrasera complètement l’échelle des salaires, ruinant en quelques instants les efforts des salariés pour progresser et ceux des employeurs pour rémunérer la compétence et la prise de responsabilité. Elle aura un effet désincitatif très fort.

Depuis cinq ans, nous menons une lutte de chaque instant contre le chômage, qui rend leur dignité à ceux qui retrouvent un travail et crée les conditions de l’augmentation des salaires, par la mise en compétition des employeurs pour recruter, comme chacun peut le constater dans de nombreux territoires. Il en résulte une augmentation structurelle, et non artificielle, des salaires.

Quant à la forme de votre rapport, elle est scandaleuse. Vous faites croire qu’il existe des augmentations magiques de salaires. Une telle décision doit reposer sur des travaux significatifs, argumentés et étayé. Où sont les estimations précises des prélèvements sur les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros ? Nul n’en sait rien. Comment prévoyez-vous sa mise en œuvre ? Par un décret en Conseil d’État, alors même que vous reprochez au Gouvernement de légiférer par ordonnances ! Concernant les fonctionnaires, où sont les chiffrages ? On ne trouve que de vagues correspondances entre le besoin et le rétablissement de l’ISF.

Ces approximations sont à l’image du travail mené sur cette proposition de loi, c’est‑à‑dire quasi nul. Vous avez procédé à deux auditions en tout et pour tout, ce qui est assez peu, il faut bien en convenir, pour justifier une décision aussi radicale, d’autant qu’elles ne figurent même pas dans votre rapport. J’ai voulu assister à l’une d’entre elles, mais elle n’était pas accessible par visioconférence.

Bref, nous n’approuvons pas le fond de la proposition de loi et nous en déplorons la forme. Tout cela n’est que mirage et illusion.

M. Gérard Leseul (SOC). Visiblement, notre pays, et certains de nos collègues en particulier, ont un problème avec la rémunération du travail. De trop nombreux Françaises et Français se lèvent tôt pour faire des métiers difficiles et pénibles, qui sont essentiels au fonctionnement de la société mais trop peu considérés et mal rémunérés.

Comment peut-on penser qu’un travailleur rémunéré au Smic, soit 1 329 euros nets par mois, dispose d’un pouvoir d’achat suffisant pour vivre décemment de son travail ? Supérieur au seuil de pauvreté d’à peine 200 euros, le salaire minimum n’est guère plus qu’un salaire de subsistance. Dans le contexte d’inflation galopante que nous connaissons, il y a urgence à revaloriser le Smic. La situation est intenable.

Les primes que l’on nous propose sont globalement inefficaces. Elles sont surtout versées aux salariés des grands groupes. Tant mieux pour eux ! Pour les travailleurs payés au Smic, rien n’est fait.

Le partage des richesses est de plus en plus inégalitaire, surtout dans les grandes entreprises. La déformation du partage de la valeur ajoutée a connu une forte inflexion en faveur du capital au cours des dernières années. Si la crise sanitaire a marqué un bref temps d’arrêt dans l’envolée des montants des dividendes distribués, la parenthèse est désormais refermée. 57 milliards d’euros de dividendes ont été versés en 2021, soit une hausse de 22 % par rapport à 2020.

Le montant du salaire minimum est insuffisant pour vivre décemment. Son rythme de croissance réelle a été divisé par dix entre 2000 et 2010. Il ne préserve pas les travailleurs qui le perçoivent de la précarité.

Les recommandations émises par le groupe d’experts chargé de se prononcer sur l’évolution du Smic sont indigentes à mes yeux. Depuis sa création en 2009, ces économistes libéraux remettent chaque année un rapport dont la conclusion est invariablement « Pas d’augmentation », assortie d’une demande d’abolition du mécanisme de revalorisation automatique. Nous proposons de revoir la composition de ce comité.

Nous défendrons de nombreux amendements à cette bonne proposition de loi, que nous voterons des deux mains.

M. François Gernigon (HOR). La proposition de loi visant à augmenter le Smic à 1 600 euros nets soulève la question des travailleurs précaires, et plus largement de la valeur travail. D’août 2021 à août 2022, le Smic a augmenté de 7,76 %. Augmenter le Smic de plus de 20 % n’est pas une bonne solution. Cela placerait les salariés rémunérés 2 050 euros bruts au niveau du Smic.

Il semble plus judicieux, notamment en cette période de pénurie de main-d’œuvre dans tous les métiers, de laisser les organisations professionnelles et les entreprises fixer elles‑mêmes les salaires en fonction de la formation et de l’implication de leurs salariés dans leur travail. À titre personnel, je me permets de formuler une suggestion : ne serait-il pas opportun de donner la possibilité aux salariés, notamment aux plus jeunes, de moduler leur temps de travail hebdomadaire au-delà de 35 heures, en assurant un gain de pouvoir d’achat grâce à l’augmentation du taux horaire de 15 % ?

Le groupe Horizons et apparentés ne soutiendra pas la proposition de loi.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). C’est au nom de Sébastien Peytavie que je présenterai la position de notre groupe.

Souvenez-vous des messes d’applaudissements depuis nos fenêtres, auxquelles nous avons toutes et tous participé au plus fort de la crise du coronavirus, pour faire honneur au personnel soignant : des aides à domicile aux hôtesses de caisse en passant par les assistantes maternelles, la pandémie a mis en lumière le manque de reconnaissance des travailleuses et des travailleurs de première ligne, des essentiels de l’ombre, et leur faible rémunération.

Ces métiers, majoritairement exercés par des femmes, dont certaines issues de l’immigration, sont parmi les plus dévalorisés et les plus précaires dans le monde du travail. Ils sont les premiers à pâtir de la crise du pouvoir d’achat. Si les secteurs du transport ou du service à la personne manquent cruellement de personnel, c’est bel et bien parce qu’ils proposent des salaires de misère pour des conditions de travail déplorables.

Il est grand temps, en pleine crise économique, de passer des symboliques applaudissements aux actes politiques de reconnaissance et de rémunération dignes des personnes qui prennent soin de nos enfants, de nos parents et de la société tout entière. Nos collègues de la droite de l’hémicycle se sont fait les chantres de la valeur travail. Fort bien ! Je les invite donc, notamment celles et ceux dont les groupes ont donné des ministres qui semblent à mille lieues, donc à trois Smic, de la réalité, à soutenir l’augmentation du Smic pour qu’enfin le travail paie dignement.

Cette valeur travail que vous brandissez paie 2,63 euros la course des chauffeurs Uber et 3,11 euros la garde d’enfants par une assistante maternelle, dans un pays dont les cinq citoyens les plus riches possèdent autant que les 40 % de citoyens les plus pauvres.

Chaque jour est une preuve supplémentaire que le capitalisme a fait du travail un instrument d’exploitation des plus vulnérables d’entre nous et de la planète. Selon 93 % des Français, le travail ne paie pas assez. La présente proposition de loi invite plus largement à sortir de la logique aliénante du vivre pour travailler. Nous la voterons.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). D’après une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), plus de 2 millions de Français étaient payés au Smic au 1er janvier 2021, soit 12 % des salariés du privé. En 2022, le cumul des revalorisations du Smic a atteint 5,65 %, ce qui n’en résorbe pas la faiblesse en ces temps d’augmentation des coûts. Il est bien en dessous du niveau permettant d’assurer un minimum décent à ses bénéficiaires. La pauvreté ressentie, ou le seuil de pauvreté subjectif moyen, est d’environ 1 300 euros net.

D’après une enquête réalisée en 2021 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, les Français jugent que le revenu minimal pour vivre devrait être de 1 719 euros net. C’est dire si avec 1 329 euros par mois, soit un Smic net, on ne vit pas bien ; on est de plus en plus souvent dans des situations d’impayés de loyer, en précarité énergétique ; on renonce à des soins, on rogne sur l’éducation des enfants ou les vacances.

Il est urgent que le Smic augmente de façon significative. Le travail doit être respecté et rémunéré. Or le sport favori du Gouvernement et du Medef consiste à prôner la « modération salariale » pour maintenir des dividendes prospères. Aucune prime ne peut répondre aux besoins. Les primes désocialisées contournent les salaires, asphyxient les négociations salariales et désespèrent les salariés de voir leur travail payé à sa juste valeur, protection sociale comprise.

Porter le Smic à 1 600 euros net, c’est répondre aux besoins avérés des salariés au Smic, dont beaucoup sont des femmes, pour vivre mieux et satisfaire leurs besoins fondamentaux – se loger, se soigner, s’alimenter, se cultiver. Cette mesure doit être associée à des mesures ciblées pour les TPE-PME. Elle devra obliger à des négociations dans les entreprises visant à augmenter les salaires de tous les salariés. Nous continuons de demander une grande conférence des salaires, le recours à l’échelle mobile des salaires et l’instauration d’un rapport maximum entre le revenu le plus bas et le revenu le plus haut dans l’entreprise.

Nous voterons la proposition de loi.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Didier Martin (RN). L’augmentation du Smic à 1 400, 1 500 ou 1 600 euros a été repoussée par une majorité de Français. Vous devez en prendre acte, monsieur le rapporteur. Certes, les TPE et les PME concentrent l’essentiel des emplois payés au Smic, mais y travailler avec 200, 300 ou 500 euros en plus par mois, cela compte. C’est aussi, pour le chef d’entreprise, une façon de fidéliser son personnel.

L’adoption de la proposition de loi supprimerait toute possibilité de modulation pour les PME. Or elles connaissent, dans la conjoncture actuelle, une augmentation considérable de leurs charges, notamment des dépenses d’énergie. Pour les boulangers, pour les traiteurs, pour les confiseurs, qui sont fortement sollicités en cette fin d’année, absorber une telle augmentation du Smic est impossible.

Les contours de la péréquation que vous proposez pour financer une forme de solidarité redistributive sont mal définis — entre 10 et 20 milliards d’euros, avez-vous dit. Les PME n’en voudront pas. Elles n’y croiront pas, et elles ne voudront pas augmenter leurs salariés avec de l’argent des grandes entreprises.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Au-delà de l’amélioration de la situation des salariés, la présente proposition de loi a un effet de clarification au sein de cette commission, dont aucun des membres n’imagine vivre avec 1 600 euros par mois. La dignité consiste à ne pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas que les autres nous fassent.

Les membres du groupe Renaissance disent : « Nous croyons au dialogue social ». Au sortir de la crise du covid, pendant laquelle le Président Macron s’était engagé à ne pas oublier « des femmes et des hommes que nos économies rémunèrent si mal », Élisabeth Borne, alors ministre du travail, avait dit : « Nous faisons confiance au dialogue social ». Déjà ! Quel en a été l’effet pour les agents d’entretien, les ouvriers de l’industrie agroalimentaire, les auxiliaires de vie sociale et les autres ? Nul.

Vous nous avez dit cet été : « Il n’y aura pas de hausse de salaire, mais il y aura des primes ». La prime Macron a été versée à 700 000 salariés, sur les dizaines de millions que compte le pays, pour un montant moyen de 710 euros, soit moins de 60 euros par mois. Soit nada.

L’effet de clarification vaut aussi pour le Rassemblement National, qui refuse de relever le Smic et d’indexer les salaires sur l’inflation. Et lorsque nous suggérons de rétablir l’ISF, c’est encore non, au motif qu’il ne faut pas toucher la classe moyenne ! À 1,3 million d’euros de patrimoine, c’est une étrange classe moyenne ! Quel ouvrier, quel employé a 1,3 million d’euros de patrimoine ?

M. Paul Christophe (HOR). Monsieur le rapporteur, j’aimerais vous poser une question permettant de compléter notre lecture de votre proposition de loi. Depuis plusieurs mois, nous travaillons pour endiguer les effets de l’inflation sur les ressources de nos concitoyens. Avez-vous modélisé, à défaut de les chiffrer, les effets qu’aurait la hausse du Smic que vous proposez en matière d’inflation ?

Je prends souvent l’exemple de mon boulanger, avec lequel je discute régulièrement. Ses charges de personnel représentent un peu plus de 50 % de ses coûts de production. Si la minoterie qui l’approvisionne augmente les salaires, il devra en outre la payer davantage. Il est donc probable que le prix de la baguette proposée à la vente augmente.

Mme Claire Guichard (RE). Le chiffre avancé par Mme Rousseau à propos des assistantes maternelles est faux. Elles travaillent en moyenne 195 heures par mois et gagnent 4,27 euros net par heure. En outre, les parents fournissent les repas et les couches. Nous sommes loin des 3,11 euros que vous avez avancés, madame Rousseau.

Je vous suggère de vérifier vos chiffres. Les miens m’ont été fournis par la présidente d’une association rassemblant plus de 500 assistantes maternelles. Ils sont bons.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Face à la pénurie d’emplois et aux démissions récurrentes dans certains secteurs – particulièrement celui du soin – deux stratégies sont possibles.

La première consiste à mettre le couteau sous la gorge des personnes au chômage, pour les obliger à accepter un emploi. C’est la réforme de l’assurance chômage que vous avez conçue. Elle est complétée par des exonérations massives de cotisations sociales qui créent une trappe à bas salaires. L’échelle des salaires est spécifique en France par rapport au reste de l’Europe, précisément parce que les employeurs ont intérêt à continuer à rémunérer les salariés au niveau du Smic.

La seconde stratégie aurait été d’améliorer les conditions de travail, d’augmenter les salaires et de diminuer les temps partiels subis. Cela aurait permis de faire progresser l’ensemble des salaires. Cette proposition de loi va dans ce sens et nous la soutiendrons fortement.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Depuis soixante-dix ans, on explique que les hausses du Smic sont impossibles – jusqu’à ce qu’elles aient lieu sans qu’advienne l’hiver nucléaire annoncé.

Le Smic contribue-t-il à la baisse des inégalités ? La réponse est tout à fait positive. Depuis 1990, le Smic annuel à plein temps a augmenté plus vite que le salaire moyen ou médian – à l’exception d’une très légère baisse intervenue à partir de 2003 et ensuite compensée.

Le Smic protège-t-il de la pauvreté ? Oui également. La mise en place des 35 heures à partir de 1999 a entraîné une hausse fulgurante du Smic et la part des travailleurs pauvres a baissé de 4 points. Le Smic a rempli son rôle de protection des travailleurs et, grâce à lui, la France est l’un des rares pays en Europe qui parvient à maintenir le niveau des salaires par rapport aux gains de productivité. Lors des variations de conjoncture économique, cet amortisseur social permet en effet d’éviter le décrochage des salaires – comme celui qu’on a pu constater en Allemagne. Ce pays nous montre le chemin à suivre : alors qu’il battait des records en matière de bas salaires, le Smic y a été créé il y a moins de dix ans et il a depuis lors connu une hausse de 50 %.

Le Smic est-il défavorable à l’emploi non qualifié ? Non. Sur une période de trente ans, il n’y a aucun lien entre les évolutions du Smic et de l’emploi non qualifié. C’est même lorsque le coût relatif du Smic baisse le moins que l’emploi non qualifié augmente.

Cette proposition de loi est un très bon texte, qu’il faut adopter.

M. Sébastien Delogu (LFI - NUPES). Quand donc un député présent dans cette commission s’est-il cassé le dos la dernière fois après avoir, pendant toute une journée, creusé une route, fait le ménage dans des chambres d’hôtel ou conduit un camion, avant de rentrer chez lui en devant choisir entre le plein d’essence ou acheter à manger pour ses enfants ?

En France, huit millions de personnes sont contraintes de recourir à l’aide alimentaire, douze millions rencontrent des difficultés pour se chauffer et dix millions vivent en dessous du seuil de pauvreté. L’augmentation du Smic n’est pas une aumône, c’est une mesure minimale de décence.

Le Rassemblement National n’est pas favorable à l’augmentation du Smic. Pour notre part, nous la demandons pour tous les travailleurs qui en ont besoin.

M. Arthur Delaporte (SOC). Lors de la marche pour le climat à Caen le week-end dernier, j’ai pu échanger avec des grévistes de Domidom, que je soutiens depuis maintenant quatre semaines. Ces courageuses auxiliaires de vie à domicile étaient en première ligne pendant le covid mais n’ont pas touché la prime Ségur. Elles gagnent 11,07 euros de l’heure et n’arrivent plus à boucler leurs fins de mois, surtout parce que la hausse des prix de l’énergie n’est pas compensée par celle de leurs indemnités kilométriques.

Des millions de Français vivent aussi cette réalité. Cette proposition de loi est juste : le travail doit payer.

Une réforme horrible de l’assurance chômage a été voté hier. Elle consiste à dire que les gens doivent retourner travailler. Mais à quel prix ? Les travailleurs au Smic payent actuellement pour aller travailler. Cette proposition de loi n’est qu’une étape vers la revalorisation des carrières les plus difficiles – particulièrement pour les femmes qui peinent à nourrir leur famille et à se loger. Nous la soutenons évidemment.

Mme Caroline Janvier (RE). Je suis lassée par les arguments que vous ne cessez d’employer, comme si vous étiez les seuls à incarner ceux qui travaillent et ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté. Vous ne connaissez pas nos parcours personnels. J’ai été aide à domicile, j’ai fait des ménages, j’ai connu les difficultés des salariés qui exercent ces métiers. Nous sommes beaucoup dans ce cas. Il faut cesser d’être caricatural.

Nous pensons que cette proposition de loi aboutirait à détruire des emplois. Nous ne souhaitons pas adopter votre démarche, qui relève d’une forme de charité – à la manière de la comtesse de Ségur qui donnerait un peu plus d’argent à des gens dont la situation est difficile.

C’est en défendant leur emploi et la possibilité de gagner dignement et mieux leur vie que nous apporterons des solutions concrètes. Il faut arrêter avec les histoires à la Cosette.

M. Jérôme Guedj (SOC). Lorsque l’un d’entre nous se fait le porte-voix d’une catégorie de la population, avec des exemples précis, on nous reproche de jouer les Cosette. Mais il ne s’agit pas d’avoir un argument d’autorité. Comme vous, nous sommes les dépositaires de la parole de nos concitoyens. François Braun, ministre de la santé et de la prévention, nous explique à longueur d’interventions qu’il connaît l’hôpital. Mais nous le connaissons autant que lui, en tant qu’utilisateurs du service public hospitalier et grâce aux témoignages de nos concitoyens sur les difficultés qu’ils rencontrent. Les relayer n’est pas une attaque personnelle, c’est exercer notre rôle de parlementaires. Si nous ne le faisions pas, notre approche serait déshumanisée et éthéré.

Nous soutenons cette proposition de loi qui, par-delà l’augmentation du Smic, permet d’engager le beau débat sur l’utilité sociale des métiers rémunérés au salaire minimum. Nous aurons reconnu celle-ci et fait œuvre utile si nous revalorisons le Smic.

M. Philippe Vigier (Dem). Vous n’avez pas le monopole du cœur. Nous pouvons aussi avoir eu des parcours difficiles. J’ai travaillé le dimanche pour financer mes études. Ne faites pas constamment des leçons de morale à ceux qui savent ce qu’est l’ascenseur social. Nous sommes au contact de la population comme vous et nous rencontrons aussi des demandeurs d’emploi.

Monsieur Delaporte, vous avez étudié comme moi la question du Smic allemand avec attention, et vous savez très bien qu’il a dépassé le Smic français seulement depuis quelques mois. Dans le secteur agricole, les salaires en Allemagne ont pendant longtemps été inférieurs à 7 euros de l’heure. Reconnaissez que la France n’a pas toujours été le dernier wagon.

Qui n’a pas envie de donner davantage de pouvoir d’achat ? Mais il faut que cela soit possible.

Madame Rousseau, j’ai dit à la tribune de l’Assemblée que la revalorisation des rémunérations des soignants n’était qu’une première étape.

Regardons les chiffres : il y avait 10 % de chômage sous une autre majorité, il y en a 7,3 % aujourd’hui.

M. Thibault Bazin (LR). On voit bien quels sont les effets positifs apparents d’une augmentation du Smic. Mais dispose-t-on d’une évaluation de son impact négatif, notamment pour les entreprises qui n’ont pas beaucoup de marges de manœuvre car elles ne peuvent pas répercuter l’augmentation des coûts salariaux sur leurs prix ? N’y a-t-il pas un risque de suppressions d’emplois dans certains secteurs tendus ? La mesure proposée se retournerait contre les travailleurs.

Augmenter le Smic peut également avoir pour effet d’écraser les grilles salariales, au détriment des personnes méritantes qui sont par exemple devenues agents de maîtrise. Cette forme de nivellement reviendrait sur la promotion sociale au sein de l’entreprise.

M. le rapporteur. Peu habitué à cette commission, je suis tenté de dire : « Affaires sociales, tu perds ton sang-froid. » J’ai adopté un style modéré, mais des collègues me sautent à la gorge en me reprochant d’être populiste. Je l’assume : je préfère être populiste que populophobe.

J’ai bien compris que l’argument sur la méthode de travail était destiné à me flétrir, cher Nicolas Turquois. Si nous disposions du ministère du travail et du ministère des finances, nous pourrions procéder à des évaluations plus précises.

Notre démarche part en effet du présupposé qu’il y a un problème dans notre pays : cinq personnes possèdent autant que les 40 % les plus pauvres, et l’écart s’est creusé davantage depuis dix-neuf mois que durant les dix années qui ont précédé.

Il y a cinq ans, vous avez supprimé l’ISF. Le Président de la République avait alors déclaré qu’il reviendrait sur cette mesure si l’effet de ruissellement ne se produisait pas. Des études ont prouvé qu’il n’avait pas eu lieu. Au fond, et c’est tout à votre honneur, vous étiez aussi parti d’un présupposé idéologique pour déterminer une politique. Permettez que je le fasse également, en m’appuyant sur l’idée qu’il est temps de poser la question salariale. Je ne suis pas favorable à une économie totalement administrée, mais l’augmentation du Smic par la puissance publique va permettre de discuter de l’ensemble des grilles salariales. Vous dites qu’il faut faire confiance au dialogue social, mais quel bilan peut-on en tirer après ces cinq années durant lesquelles vous avez été au pouvoir ? Je n’ai pas le sentiment que le patronat ait ouvert des discussions sur les salaires à votre invitation.

Comment faire pour donner une impulsion à ces discussions ? Pour notre part, nous pensons qu’il faut une intervention politique, en se dotant d’outils de solidarité et de péréquation. Pourquoi les petits salaires sont-ils particulièrement concentrés dans les TPE et les PME ? Les grands groupes leurs délèguent nombre d’activités précisément parce qu’ils ne veulent pas augmenter les salaires. On ne doit pas être indifférent à ce phénomène. D’où l’idée de solidarité.

Nous pourrions aussi discuter de l’opportunité du maintien des exonérations Fillon. Les exonérations de charges salariales n’ont-elles pas créé des trappes à Smic dans beaucoup d’entreprises ?

Marc Ferracci met en avant les primes salariales. Dont acte. L’honneur d’un salarié, c’est que son travail lui assure une vie digne. Avec une prime, vous reconnaissez que le Smic ne permet pas d’avoir une telle vie et qu’il faut que la puissance publique intervienne. Vous dites : « primes ». Nous répondons : « salaires ». Nous avons eu ce débat en juillet dernier ; c’est un désaccord politique.

Mme Valentin a estimé qu’une telle augmentation du Smic ne s’était jamais produite. Ce n’est pas vrai : en 1968, le Smic a été augmenté de 35 % et l’économie française ne s’est pas effondrée. C’est plutôt un moment heureux, qui demeure dans la conscience sociale.

Mme Lavalette, au nom du Rassemblement National, juge qu’il faut baisser les cotisations patronales. Mais à quoi servent-elles? Elles alimentent les organismes de sécurité sociale, dont les caisses de retraite. Avec ces exonérations de cotisations, vous vous en prenez à des acquis sociaux du monde du travail. Le salarié récupèrera peut-être 150 euros à la fin du mois, mais vous affaiblissez tous les organismes qui assurent sa protection sociale. C’est une entourloupe, qui vise à ne pas modifier la rémunération du capital et du travail alors que les inégalités n’ont jamais été aussi fortes. À moins que dans votre esprit ce soit encore une fois à la puissance publique d’intervenir. Vous seriez au fond partisans d’une économie étatisée, comme en Union soviétique. Dès qu’on discute des salaires, vous vous retrouvez avec nombre de collègues de Renaissance et des Républicains – de la même façon que vous nous reprochez de vouloir rétablir l’ISF.

M. Paul Christophe m’a interrogé au sujet de l’inflation. Personne ne sait comment les prix vont évoluer. Pourtant, cela n’a pas empêché le Gouvernement d’agir cet été. On vote souvent des mesures sans savoir parfaitement quels en seront les effets. Vous l’avez fait en supprimant l’ISF ou en mettant en place la prime d’activité. La mesure que nous proposons aura sans doute un effet inflationniste dans certains secteurs. Mais, d’une part, l’augmentation du pouvoir d’achat permettra à certains Français de mieux y faire face et, d’autre part, nous proposons un mécanisme de solidarité pour aider les TPE et PME.

Il est sain d’avoir cette discussion au sein de la commission des affaires sociales, à condition d’éviter les mots blessants lorsque nous avons des désaccords politiques.

Je remercie les collègues de La France insoumise, du Parti communiste français, d’Europe Écologie-Les Verts et du Parti socialiste qui soutiennent cette proposition de loi et qui ont déposé des amendements pour l’enrichir.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Rendons à César ce qui est à César : la prime d’activité a été instaurée durant le quinquennat de François Hollande – ce qui ne veut pas dire qu’il ne fallait pas le faire.

Article 1er : Fixation du montant mensuel minimal du Smic à 2 050 euros brut et garantie de la soutenabilité financière pour toutes les entreprises

Amendement AS19 de Mme Prisca Thevenot.

M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement a pour objet de reporter l’application de la mesure au 1er janvier 2028. Cela peut s’apparenter à un amendement de suppression, en tout cas pendant la durée de cette législature.

Il s’agit d’engager une réflexion sur la pertinence de fixer dans la loi le niveau du salaire minimum, en s’asseyant sur les mécanismes d’indexation et sur le dialogue social. Durant la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon proposait de porter le Smic au minimum à 1 500 euros. On voit qu’en quelques mois ce montant a déjà évolué.

Contrairement à une idée fausse, le dialogue social fonctionne. On le voit avec les négociations qui ont abouti ces derniers mois dans certaines branches professionnelles à des augmentations supérieures à celles que vous proposez. Dans la branche des hôtels-cafés-restaurants, les salaires ont augmenté de 16 % à la fin de 2021 – et même de 30 % pour les métiers dont les niveaux de qualification sont les plus bas.

La dignité du travail a été évoquée. Il faut aussi penser à celle de ceux qui sont privés d’emploi. Le chômage, c’est la perte de l’estime de soi, mais aussi davantage de maladies et de dépressions. Les destructions d’emplois provoquées par votre proposition de loi produiront plus d’effets collatéraux de ce type.

M. le rapporteur. Vous avez-vous-même reconnu qu’il s’agissait en fait d’un amendement de suppression. L’augmentation du Smic serait reportée en 2028, soit après l’échéance de 2027.

On m’a reproché de manquer de précision, mais je ne comprends pas votre argument. Conserver une augmentation du Smic à 1 600 euros en 2028 revient à croire que l’inflation annuelle resterait limitée à 3,5 % d’ici à cette date. Or le rythme d’inflation actuel portera le Smic au-delà du montant de 1 600 euros par le simple fonctionnement du mécanisme d’indexation.

Cet amendement n’est pas pertinent et il repousse à plus tard une mesure qui est urgente.

Avis défavorable.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Ce débat est lié à des choix commis par le Gouvernement en 2019. C’est bel et bien sous le quinquennat d’Emmanuel Macron qu’a été supprimé l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Il calculait tous les ans le budget de référence nécessaire pour mener une vie digne. Dans son dernier rapport, il l’avait estimé à 1 908 euros par mois pour une personne vivant avec deux enfants. Avec cette proposition de loi, nous l’estimons à au moins 2 050 euros bruts par mois.

Vous proposez le report à 2028 de cette mesure. Mais cela signifie-t-il que vous vous engagez à augmenter le Smic de 3,5 % chaque année jusqu’à cette date ? Si tel est votre programme, je m’en félicite – même si c’est largement insuffisant.

M. Gérard Leseul (SOC). Je salue la cohérence de cet amendement dilatoire de la majorité.

Vous envisagez une inflation assez haute, mais elle ne se traduira pas mécaniquement par une augmentation du Smic, car cette dernière relève d’un comité d’experts dont la majorité épouse complètement la position doctrinale. Depuis 2009, il n’a pas varié : pas de coup de pouce pour le Smic. Il s’est même prononcé récemment contre les augmentations automatiques liées à l’inflation. Allez-vous jusque-là, en disant qu’une augmentation du Smic serait souhaitable mais qu’elle n’est pas réalisable ? Cela n’est pas raisonnable.

Le dialogue social au sein de la branche hôtels-cafés-restaurants a permis une augmentation de 16 % des salaires. Cette négociation a d’ailleurs eu lieu à peu près au moment où nous discutions ici même d’une augmentation du Smic à 1 500 euros, que la majorité repoussait avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui. Je souhaiterais qu’un véritable dialogue social soit organisé, y compris au sein du comité d’expert – où devraient siéger des représentants syndicaux.

M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement ne remet en rien en question les mécanismes d’indexation du Smic, à la fois sur les prix et sur les salaires – la France est le seul pays qui indexe son salaire minimum sur ces deux éléments. L’amendement ne revient pas non plus sur la possibilité pour le Gouvernement de donner un coup de pouce au Smic.

Il s’agit simplement de repousser à la prochaine législature l’application de la mesure proposée d’un Smic à 1 600 euros net, afin qu’un débat politique puisse avoir lieu.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS16 de Mme Michèle Peyron.

M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement d’appel est le premier d’une série qui visent à montrer de manière très documentée quels seraient les effets de l’augmentation du Smic sur l’emploi dans certaines branches professionnelles.

On a souvent tendance à écarter la question des effets sur l’emploi et à ne pas savoir les mesurer. Beaucoup d’études ont porté sur la sensibilité de l’emploi au niveau du Smic, et plus généralement du coût du travail.

Pour la branche hôtels-cafés-restaurants, les effets d’un Smic à 1 600 euros net sont plutôt massifs, y compris en retenant des hypothèses prudentes de sensibilité et sans intégrer la répercussion sur l’ensemble de l’échelle des salaires – alors qu’on sait que cet effet intervient sur les salaires allant jusqu’à deux Smic. Pour cette seule branche, 15 000 emplois seraient détruits, ce qui doit faire réfléchir.

M. le rapporteur. Reconnaissez que dans 75 % des branches, il n’y a pas eu de négociations sur les grilles de salaires, et donc pas de dialogue social.

L’exemple de la branche hôtels-cafés-restaurants est piquant, car il s’agit précisément de celle où a eu lieu la plus forte augmentation des salaires – 16 % ! C’est donc possible.

Sur quelles données vous appuyez-vous ? Sur une étude très partielle de l’Institut Montaigne, dont vous avez multiplié par deux les résultats ? L’exposé sommaire de l’amendement évoque plus de 22 000 emplois détruits. Tout cela n’est pas très rigoureux.

Et votre modèle ne prend pas en compte la caisse de péréquation inter-entreprises dont nous proposons la création. Je ne nie pas que l’augmentation du Smic aura un effet. Mais nous prévoyons que les entreprises qui ont particulièrement profité des politiques menées ces dernières années et de la conjoncture aident les petites entreprises – qui sont parfois leurs sous‑traitants – à augmenter les salaires.

J’ai bien compris que cet amendement vise à engager le débat. C’est la raison pour laquelle je n’insiste pas sur son caractère anticonstitutionnel : on ne peut pas exclure du dispositif telle ou telle branche.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Jusqu’en novembre dernier, on nous expliquait qu’il était impossible d’augmenter les salaires dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Or, au terme d’un rapport de forces de quelques mois, les salariés de cette branche ont obtenu une rémunération minimum supérieure de 5 % au Smic et 16 % d’augmentation générale.

Votre amendement s’appuie sur une estimation faite sur un coin de table, qui méconnaît de nombreux paramètres du secteur. L’un deux est sa grande sensibilité au pouvoir d’achat des clients : en augmentant le Smic, on augmente directement la consommation. Par ailleurs, une bonne partie des rémunérations dans cette branche ne sont pas déclarées. L’augmentation du Smic est aussi un moyen de les régulariser.

D’un point de vue moral, pourquoi estimez-vous que les salariés de l’hôtellerie et de la restauration devraient être moins payés que les autres ? En quoi ont-ils démérité ? Ce secteur est l’un des plus accidentogènes. On y souffre beaucoup. Chaque année, 680 000 jours de travail y sont perdus en raison de l’organisation de l’activité productive. En dépit de tout cela, vous voulez que les salariés de ce secteur soient pénalisés. Je ne comprends pas ce que vous leur reprochez.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Environ 110 branches ont des minima conventionnels inférieurs au Smic, soit en effet 75 % des branches.

La loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat autorise le ministre du travail à procéder à la fusion administrative d’une branche qui ne garantirait pas de minima conventionnel à hauteur du Smic pour les salariés sans qualification. Il faut utiliser activement ce nouvel outil pour régler la question des minima conventionnels et, plus généralement, pour inciter les branches à négocier au sujet des grilles des salaires afin d’éviter leur tassement.

M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement a bien entendu pour objectif d’éclairer le sujet de l’emploi.

Je suis tout à fait d’accord avec M. Clouet lorsqu’il estime qu’il faut prendre en considération les spécificités du secteur de l’hôtellerie-restauration. Et en particulier le niveau de productivité et la difficulté pour les entreprises de répercuter les hausses du coût du travail sur leurs prix. C’est la raison pour laquelle nous avons retenu le bas de la fourchette des résultats obtenus sur la base de paramètres généraux.

Ces estimations des effets sur l’emploi n’ont pas été faites sur un coin de table ou par un institut comme l’Institut Montaigne. Il s’agit de travaux menés dans un cadre académique par des chercheurs qui se sont intéressés à la relation de causalité entre le coût du travail et l’emploi. Il faut respecter leur travail et les résultats de la littérature économique sur le sujet.

L’honnêteté me conduit d’ailleurs à dire que quelques études – très rares – concluent à un impact positif du Smic sur l’emploi, dans le cas très particulier où il permet de résoudre un défaut d’offre de travail. Telle n’est absolument pas la situation en France, où le salaire minimum est plus élevé que dans le reste de l’Union européenne et représente 62 % du salaire médian. C’est la raison pour laquelle les estimations présentées à l’occasion de cet amendement et des suivants sont malheureusement prudentes.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS18 de Mme Michèle Peyron.

Mme Michèle Peyron (RE). Cet amendement vise à exempter la branche commerce de gros de la hausse du Smic à 1600 euros net.

Cette hausse se traduirait en effet par une augmentation d’environ 22 % du salaire net au premier échelon de la grille de cette branche. Au regard des effectifs de celle‑ci – 389 100 salariés en 2020 – et sans même tenir compte du rehaussement progressif des échelons suivants de la grille qu’engendrerait la hausse du Smic, cela se traduirait par une baisse de l’emploi comprise entre 8 600 et 12 900 emplois, même sous des hypothèses prudentes concernant le nombre de salariés au premier échelon de la branche et la sensibilité de l’emploi au coût du travail.

M. Gérard Leseul (SOC). Il serait utile de connaître les sources de cette proposition. Qui sont les chercheurs et quelles sont les études qu’ils ont réalisées ? Pourriez‑vous nous présenter celles-ci, afin de mieux comprendre d’où viennent les chiffres de pertes d’emploi que vous avancez.

Tout cela ne me semble pas très recevable.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS20 de M. Marc Ferracci.

M. Marc Ferracci (RE). Il s’agit d’appliquer les mêmes principes à la branche hospitalisation privée. En séance, nous aurons l’occasion d’expliquer ces estimations qui consistent à affecter aux salariés du premier échelon le résultat d’études existantes, selon l’hypothèse la plus prudente, pour en déduire l’incidence que pourrait avoir l’augmentation du salaire minimum.

M. le rapporteur. Il y a eu de nombreux débats sur l’hospitalisation privée, notamment après que des groupes ont été épinglés par des enquêtes journalistiques, et sur le business que cela représente – la mission d’information de ma collègue Caroline Fiat sur les Ehpad l’a montré. Il y a urgence à ce que, au minimum, les salaires de cette branche soient relevés. Nous en parlerons en effet dans l’hémicycle.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Il y a une exigence morale à payer dignement toutes les personnes – aides-soignantes, auxiliaires de vie, etc. –, qui travaillent dans les Ehpad, les cliniques, les maternités : 1 600 euros sont un minimum. Il n’est pas question de demander la charité, d’évoquer Cosette ou la comtesse de Ségur, madame Janvier : il s’agit simplement de pouvoir vivre décemment de son métier.

Au-delà de la question morale, se pose celle de l’organisation de notre société : un travail aussi dévalorisé produit du chaos. Les gens quittent le monde du soin, où les contraintes, très fortes, réclament un engagement permanent. Ils y sont venus par vocation mais celle-ci s’est usée ; ils avaient du goût pour leur métier, mais ils l’ont perdu. Ils n’ont même pas la contrepartie de la fiche de paie.

Monsieur Ferracci, je suis stupéfait de voir que vous accepteriez d’augmenter le Smic à 1 600 euros, mais pas pour les soignants. On connaît le taux de profit des Ehpad, même si à l’heure actuelle Orpea dégringole en bourse. Le minimum est que tous ceux qui y participent, y compris les sous-traitants dans l’entretien et le ménage, bénéficient d’un salaire digne, d’au moins 1 600 euros.

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Il faut démonter l’argument selon lequel la hausse du Smic ferait perdre des emplois. Il y a une pénurie de soignants dans tous les établissements de santé, qui s’explique notamment par la rémunération. Si les salaires augmentent, ce seraient plutôt 5 000 à 7 550 employés qui reviendraient. C’est pourquoi nous voterons contre votre amendement.

M. Marc Ferracci (RE). Je ne doutais pas que l’amendement soulèverait un débat spécifique à cette branche. Nous avons eu ces discussions en commission et dans l’hémicycle : l’idée de revaloriser la rémunération de tous les salariés du secteur médico-social est partagée. Lors de la précédente législature, le Ségur de la santé a d’ailleurs opéré des changements importants.

L’amendement pose la question de l’outil que l’on utilise pour atteindre ce but. Les augmentations indifférenciées, qui ne sont pas négociées à l’intérieur de la branche, font courir le risque d’une destruction d’emplois : c’est alors l’offre de soins qui se dégradera.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS23 de Mme Nicole Dubré-Chirat.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). L’amendement vise à exempter une autre branche, celle de la restauration rapide, de la hausse du Smic à 1 600 euros net. Cette hausse se traduirait en effet par une augmentation d’environ 28 % du salaire net au premier échelon de la grille. Eu égard aux effectifs de la branche – plus de 253 000 salariés en 2020 – et sans tenir compte du rehaussement progressif des échelons suivants de la grille qu’engendrerait la hausse du Smic, entre 7 100 et 10 650 emplois disparaîtraient, selon des hypothèses prudentes concernant le nombre de salariés au premier échelon de la branche, la sensibilité de l’emploi au coût du travail et le renchérissement des coûts de l’énergie.

M. le rapporteur. Même cause, mêmes effets. Je suis en désaccord total avec cette vision, en particulier pour des secteurs non délocalisables. Nous aurons le débat dans l’hémicycle.

Avis défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je suis choqué par cette série d’amendements et je ne comprends pas que vous les ayez déposés.

Imaginez le dégoût envers la représentation nationale qu’éprouveront les salariés des métiers les plus difficiles, les plus précaires – la restauration, les métiers du soin – où l’on peine à trouver des bras, si on décide de les exclure de la revalorisation salariale. Je mets au défi mes collègues d’annoncer à des salariés de la restauration rapide qu’ils ne seront pas concernés par une augmentation du Smic, qui touchera tous les autres salariés. C’est un scandale absolu !

M. Gérard Leseul (SOC). Je dirai comme le rapporteur : même cause, mêmes effets. Ces amendements sont plus que surprenants : c’est de la provocation par l’absurde. Nous voterons contre.

M. Éric Alauzet (RE). M. Delaporte a très bien compris le sens de ces amendements, que Marc Ferracci a expliqué et sur lesquels nous comptons nous abstenir. Le but n’est pas qu’ils soient adoptés : il s’agit de montrer les incidences d’une telle mesure sur l’emploi. Avec les pertes d’emplois, votre proposition conduit à l’effet inverse, de celui recherché. A contrario, dans l’hôtellerie et la restauration, une offre importante et des recrutements avaient entraîné des augmentations de salaire.

Si on augmente le taux de chômage, on modifie le rapport de force entre les salariés et les employeurs. Mécaniquement, on affaiblit les négociations de branche, qui conduisent à l’augmentation des salaires.

M. Sébastien Delogu (LFI - NUPES). Je ne vous attaque pas personnellement : je ne remettrai jamais en cause les parcours de vie de quiconque. Puisque notre collègue revendique son parcours de vie, c’est qu’elle sait mieux que personne qu’il n’est pas souhaitable de vivre dans ces conditions.

Nous ne faisons pas de leçon de morale – ou alors, économique. M. Ferracci parle de mérite et de dignité, mais en réalité il propose soit une misère indigne, celle du chômage, soit la misère digne et méritante d’un Smic insuffisant. Pour aider les petites et les moyennes entreprises, taxez donc les ultrariches. Cela financera la hausse des salaires : par-là, on instaurera un mécanisme et une solidarité interentreprises où les plus grosses entreprises viendront en aide aux TPE et PME.

M. Marc Ferracci (RE). De nombreux jeunes ont besoin de travailler dans la restauration rapide, notamment pour payer leurs études. Limiter l’embauche dans ces secteurs aura des conséquences concrètes sur les jeunes.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS24 de M. Marc Ferracci

M. Marc Ferracci (RE). Dans un souci de compromis, je retire cet amendement, qui se fonde sur la même pédagogie que les précédents.

L’amendement est retiré.

Amendements AS9 et AS10 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul (SOC). Afin d’améliorer le dispositif de caisse de péréquation interentreprises, nous proposons trois seuils distincts de chiffre d’affaires – 500 millions, 750 millions et 1 000 millions d’euros – et de tenir compte du taux d’évolution du résultat imposable moyen de l’entreprise sur les trois derniers exercices comptables.

M. le rapporteur. Ces deux amendements enrichissent le texte. Je suis très favorable au premier, qui élargit le champ des entreprises soumises à cette solidarité et ajoute un barème.

Le second appelle l’attention sur la situation de l’entreprise : il est hors de question que le mécanisme de solidarité mette à bas l’activité d’une entreprise. J’y suis également favorable.

M. Marc Ferracci (RE). Les amendements soulignent la complexité d’un tel dispositif de péréquation. La logique de cette caisse n’est pas bonne : des effets de bord considérables persisteront, même si le premier amendement est adopté.

Surtout, les entreprises doivent être distinguées selon leur productivité, non leur taille. Pour de petites entreprises productives, le mécanisme de péréquation revient à subventionner des structures qui n’en ont pas besoin. Dans le cas de grandes entreprises dont le niveau de productivité et de valeur ajoutée est plus faible, il conduit à détruire d’autant plus d’emplois.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Ces amendements ouvrent un débat majeur pour notre pays et pour la gauche. Traditionnellement, nous pensons la répartition de la valeur ajoutée entre les salariés et le capital, à l’intérieur d’une même entreprise. Or il y a aujourd’hui un système à deux vitesses avec, d’un côté, les grands donneurs d’ordres, qui captent l’essentiel de la valeur ajoutée et vampirisent l’économie, et, de l’autre, les sous-traitants et sous-sous-traitants, qui partagent les miettes restantes avec leurs salariés. L’enjeu majeur est de ne pas faire de salariés à deux vitesses, où certains ont le droit à un treizième mois et, même si ce n’est pas le paradis, se portent mieux que les employés des sous-traitants.

On voit la nécessité de construire une telle caisse de péréquation ou sécurité sociale économique, qui doit réfléchir à la répartition de la valeur ajoutée pour toute la chaîne de production. La sécurité sociale n’a pas été pensée sans erreur du premier coup : des mutuelles, des fédérations, des caisses de solidarité se sont d’abord créées. Il faut ouvrir cette voie d’une sécurité sociale économique, sans croire que l’on en a déjà toutes les clés. Que le critère retenu soit le chiffre d’affaires, la taille, la valeur ajoutée ou le taux de profit de l’entreprise, il est nécessaire de penser un équilibre dans les relations entre les donneurs d’ordres et les sous‑traitants, s’agissant en particulier de la répartition de la valeur ajoutée.

M. Didier Martin (RE). Pensons à tout cela mais aussi aux PME. Avec votre système, un traiteur employant une vingtaine d’employés, dont le chiffre d’affaires atteint 1 million d’euros mais qui voit sa facture d’énergie passer de 50 000 à 150 000 ou 250 000 euros, devrait augmenter ses salariés payés au Smic et contribuer à la caisse de péréquation, pour des entreprises en plus grande difficulté. L’entreprise ne sera plus viable : vous l’assassinez avec une telle mesure ! Cela aura pour conséquence une perte d’emplois directs.

M. le rapporteur. Vous n’avez visiblement pas lu les amendements. Ils visent des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 500 millions.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle rejette l’article 1ernon modifié.

Après l’article 1er

Amendement AS1 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul (SOC). Il s’agit de réduire le montant des allégements de cotisations sociales accordées aux entreprises dont le salaire minimum conventionnel est inférieur au Smic. Un délai de six mois est prévu, afin qu’elles aient le temps de converger vers ce niveau. Cet amendement de bon sens vise à accélérer le dialogue social dans les entreprises.

M. le rapporteur. J’y suis favorable. Mme Panosyan-Bouvet a rappelé les mesures gouvernementales de fusion de branches. Le moins que l’on puisse dire est qu’elles n’ont pas produit d’effets positifs, après cinq ans d’une certaine inactivité.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS26 et AS27 de M. Alexis Corbière et AS4 de M. Gérard Leseul (discussion commune).

M. le rapporteur. Mes deux amendements visent à supprimer les dispositions relatives au groupe d’experts sur le Smic, pour le redéfinir.

Chaque année, ce groupe d’économistes respectables, mais qui font partie d’une certaine école de pensée, produit un rapport disant toujours la même chose, qui vient plomber le débat. Cela conduit à se demander qui sont ces experts et par qui ils ont été nommés, et à interroger leur légitimité.

Il s’agit d’associer au groupe des partenaires sociaux – associer véritablement, pas seulement consulter –, en particulier des représentants des organisations syndicales, dont certaines ne répondent plus aux invitations, tant elles ont l’impression d’être méprisées et peu écoutées. Cela n’éclaire pas de manière objective les politiques publiques qui sont menées. Il faut tourner la page de cette aberration : un groupe d’experts qui n’expertise pas beaucoup mais qui répète.

M. Gérard Leseul (SOC). Mon amendement est issu des discussions avec les organisations syndicales que nous avons eues en décembre 2021, avant l’examen de ma proposition de loi visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance et à ouvrir une conférence nationale sur les salaires. Toutes ces organisations ont reproché au groupe d’experts de fonctionner en vase clos, selon une doctrine libérale, qui ne permettait pas le dialogue social national.

L’amendement vise à redynamiser le groupe, en y intégrant des personnalités extérieures à la communauté scientifique. Un sociologue en fait déjà partie depuis quelques années, mais il faut ouvrir le groupe aux représentants des syndicats, salariés et patronaux, ainsi qu’à la représentation nationale – députés et sénateurs –, ce que nous n’avions pas évoqué lors de l’examen de ma proposition de loi, en janvier 2022. Ainsi, les discussions du groupe seront sérieuses et ouvertes.

M. le rapporteur. Je soutiendrai l’amendement de M. Leseul, si les miens ne sont pas adoptés. Le groupe d’experts sur le Smic, dans sa configuration actuelle, doit cesser car il conduit à l’agacement quasi unanime des organisations syndicales. La première chose à faire pour ceux qui défendent le dialogue social est de ne pas enfermer ces représentants dans ce qui ressemble davantage à une boîte noire qu’à un groupe ouvert d’experts.

M. Nicolas Turquois (Dem). Il aurait été pertinent de rencontrer ces experts dans le cadre de la proposition de loi, afin de voir sur quelles bases ils s’appuient pour ne pas proposer les augmentations que vous appelez de vos vœux. Un travail parlementaire de qualité suppose d’auditionner les représentants des institutions en place depuis de longues années, avec des gouvernements de sensibilités différentes, avant de décréter la suppression de celles-ci. Votre démarche est très surprenante : je m’y oppose.

M. Marc Ferracci (RE). Il faudrait préciser quels membres du groupe d’experts vous étiquetez comme étant d’inspiration libérale car leurs recherches ne s’inscrivent pas nécessairement dans ce que vous avez probablement en tête pour décrire le libéralisme économique.

Un sociologue, M. Julien Damon, apporte en effet un regard différent au groupe, ce qui est une bonne chose.

S’agissant des amendements visant à accroître la participation des partenaires sociaux, le groupe d’experts sur le Smic rend son rapport à la commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP), qui est composée de partenaires sociaux. Ceux-ci sont donc partie prenante de l’analyse, car ils sont chargés de formuler l’avis sur le niveau du Smic et sur l’opportunité du coup de pouce.

Nos amendements d’appel suivants sont plus ambitieux : nous proposons que les partenaires sociaux n’aient plus seulement un rôle consultatif mais qu’ils décident du niveau du salaire minimum.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). La décision concernant le niveau du salaire minimum n’est pas seulement technique : elle est politique. Plutôt que d’abroger le groupe d’experts, j’invite à étudier les mécanismes de décision que les grands pays industrialisés ont instaurés pour la revalorisation du salaire minimum pour en tirer les enseignements.

M. Philippe Vigier (Dem). Alexis Corbière, dont on connaît la rigueur, a certainement dû se renseigner sur les dispositifs des différents pays de l’Union européenne.

Peut-être pourra-t-il aussi indiquer si la constitution du groupe d’experts sur le Smic était radicalement modifiée à chaque alternance politique.

Enfin, il nous dira s’il suggère de faire évoluer la CNNCEFP car le Parlement pourrait apporter sa contribution.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Dans la plupart des pays industrialisés, on consulte plutôt des syndicalistes que des économistes libéraux.

L’intérêt de réviser le périmètre et les compétences du groupe d’experts sur le Smic est d’obtenir des rapports qui ne soient pas des copier-coller d’une année sur l’autre. En particulier, l’expression « s’abstenir de tout "coup de pouce" au 1er janvier » et la phrase « une hausse du Smic au-delà des mécanismes de revalorisation automatique risquerait d’être préjudiciable à l’emploi des personnes les plus vulnérables » reviennent d’un rapport à l’autre, sans qu’aucune étude empirique plus récente que celle de 2013 ne soit citée.

Cela est d’autant plus dommage que des pays comme l’Espagne, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie ou la Nouvelle-Zélande pratiquent des hausses du Smic de plus de 10 % par an, sans que les catastrophes annoncées ne se réalisent.

M. le rapporteur. Il ne s’agit pas de prendre à partie une personne, que l’on considérerait comme indigne.

Les organisations de salariés disent toutes – j’ai une sensibilité particulière à leurs propos – qu’elles ne répondent plus à l’invitation du groupe d’experts sur le Smic. Regardons ce problème en face.

De la même façon, personne ne peut dire dans quelles conditions les membres du groupe sont nommés. Aucun débat public n’a lieu. Une redéfinition est nécessaire.

Dans les autres pays, des syndicalistes sont présents dans les instances comparables. Comme parlementaires, nous devons nous saisir de la question, ce qui pourrait renforcer notre rôle.

Sans être économiste de formation, je rappelle que l’économie est une science humaine, donc qu’il y a des débats. Or les membres du groupe d’experts ne reflètent pas les débats actuels du monde économique. C’est la raison pour laquelle les amendements sont pertinents, quelle que soit l’opinion que l’on a sur la proposition d’augmentation du Smic.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS7 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul (SOC). L’amendement prévoit une indexation trimestrielle du Smic sur l’inflation. Avec davantage de réactivité, on évitera aux salariés au Smic d’assurer la trésorerie en attendant le rattrapage annuel proposé a posteriori par le groupe d’experts, au 1er janvier ou en août.

Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS15 de M. Marc Ferracci.

M. Marc Ferracci (RE). L’amendement vise à donner aux partenaires sociaux représentatifs à l’échelon interprofessionnel la capacité de décider du montant du Smic et de son évolution eu égard aux indicateurs pertinents, notamment le niveau des prix et l’évolution des salaires. Il s’agit non seulement de les consulter en amont mais de leur donner la responsabilité éminente de déterminer le Smic.

Quiconque valorise le dialogue social, comme le fait la quasi-totalité des groupes, doit considérer cette proposition, qui entend engager la discussion sur l’opportunité de substituer au mécanisme d’indexation existant un principe de dialogue social. Le groupe d’experts, qui ne comprend pas de syndicalistes en son sein, a lui-même proposé de donner cette responsabilité aux partenaires sociaux.

M. le rapporteur. Ce modèle social-démocrate signe la fin du Smic tel que nous le concevons. Je suis pour que la puissance publique ait la possibilité de fixer un salaire minimum – de ce point de vue, le modèle français est meilleur.

Votre amendement d’appel vise à engager la discussion, mais il ne traite pas de l’éventualité où les partenaires sociaux ne se mettent pas d’accord ou décident d’un salaire plus bas que le salaire minimum. La discussion théorique peut être intéressante, d’autant que ce modèle a fonctionné à un certain moment du capitalisme, au XXe siècle.

Aujourd’hui, il ne fonctionne plus, notamment en raison du caractère transnational et mondialisé de l’économie. Dans nombre de secteurs, le rapport de force entre le monde du travail et le patronat ne permet pas de créer quelque chose de vertueux.

M. Gérard Leseul (SOC). Je suis en désaccord avec l’amendement, qui substitue la négociation interne, le dialogue social, au mécanisme d’indexation sur l’inflation et à un éventuel coup de pouce qui n’a été donné que deux fois, de manière limitée.

C’est un modèle non pas social-démocrate mais social-libéral, qui est d’ailleurs préconisé par le groupe d’experts. C’est pourquoi il faut faire évoluer le groupe d’experts sur le Smic, sans quoi les conditions d’augmentation du Smic se dégraderont : il y aura de plus en plus de travailleurs pauvres et le travail sera toujours plus précaire. Cela n’est pas acceptable dans notre société démocrate.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS17 de M. Marc Ferracci.

M. Marc Ferracci (RE). Toujours dans un esprit de responsabilisation du dialogue social, cet amendement substitue au mécanisme actuel une négociation entre partenaires sociaux au niveau des branches. Ce modèle, qui fonctionne notamment aux Pays-Bas, prend comme référence pour l’indexation du Smic une moyenne, pondérée par la masse salariale, du salaire négocié au niveau des branches professionnelles.

La proposition de mon précédent amendement est profondément sociale-démocrate. Les pays scandinaves qui ont adopté ce modèle n’ont pas de salaire minimum interprofessionnel : ils font confiance au dialogue social et aux négociations qui se tiennent au niveau des branches. Les partenaires sociaux y sont bien plus responsabilisés.

Au sein de l’OCDE, de nombreux pays ont instauré d’autres systèmes que l’indexation du salaire minimum sur les prix. Mais la France est le seul pays qui ait à la fois une indexation sur les prix et sur les salaires. Le niveau de 62% du salaire médian qui pénalise l’emploi est la conséquence de ces mécanismes d’indexation indifférenciés, qui ne tiennent pas compte de la diversité des entreprises, de leurs difficultés ou de leurs capacités. Mon amendement vise à prolonger la discussion sur le fait de privilégier le dialogue social à l’indexation.

M. le rapporteur. C’est la destruction du Smic tel que nous le connaissons, en le faisant passer dans d’hypothétiques négociations. Le résultat dépend de la vitalité de la branche professionnelle dans laquelle les discussions sont menées. Selon l’idée que nous nous faisons du modèle social, cela nous fait perdre un outil significatif et utile.

Avis défavorable.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Dans la bouche de M. Ferracci, l’expression « social-démocrate » recouvre deux mensonges : ni « social », ni « démocrate », c’est « libéral-libéral » qu’il faut entendre. Votre amendement est une proposition de démanteler le Smic, qui ne sera plus indexé sur l’inflation mais négocié au niveau des branches.

Aujourd’hui, dans 146 branches, soit 70 % des branches, les salaires des premiers niveaux sont inférieurs au Smic : c’est un échec. Et, tel Ponce Pilate, vous vous lavez les mains ! Peu importe l’injustice totale du partage de la valeur entre le capital et le travail.

Dans le cœur de la crise sanitaire, le Président de la République disait pourtant qu’il nous faudrait nous « rappeler que notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Un rapport de la Dares, paru peu après, mettait en évidence que les salaires de près de 5 millions de travailleurs de la deuxième ligne étaient en dessous de la norme, dans dix‑sept professions – ouvriers de l’industrie agroalimentaire, travailleurs du bâtiment, caristes, auxiliaires de vie, agents d’entretien, etc. Pourtant, Mme Borne, ministre du travail de l’époque, déclarait : « Nous faisons le pari avec confiance que le dialogue social aboutira à quelque chose d’intéressant ». Traduisez : on s’en lave les mains. Le dialogue social n’a abouti à rien d’intéressant, ni pour les agents d’entretien, ni pour les ouvriers de l’industrie agroalimentaire. Selon vous, l’État, le politique ne doit pas intervenir pour rétablir de la justice entre le travail et le capital. Mais qu’il intervienne pour donner 160 milliards d’euros tous les ans aux entreprises ou pour dire aux citoyens de rester chez eux lors de la crise du covid ne vous pose pas de problème.

M. Jean-Philippe Nilor (LFI - NUPES). Au nom de la social-démocratie ou du libéralisme, on ne peut pas jeter en pâture des branches entières, notamment dans les outre-mer.

En France, le Smic est indexé sur l’évolution des prix, non sur leur niveau. Si tel était le cas, il y aurait eu dans les outre-mer où la vie chère est avérée, un salaire minimum supérieur à celui de la métropole.

M. Marc Ferracci (RE). Monsieur Ruffin, je vois que vous reprenez le flambeau de la social-démocratie. Vous êtes cependant un social-démocrate assez étrange, pour qui le dialogue social ne fonctionne pas et n’amène rien, et les négociations dans les branches ou au niveau interprofessionnel n’ont aucun intérêt.

De même, je perds mes repères en écoutant mes collègues du groupe Socialistes et apparentés car il me semblait que le dialogue social était au cœur des principes de la social‑démocratie.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS5 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul (SOC). Cet amendement, qui plaira à M. Ferracci, vise à redonner corps au dialogue social en organisant une grande conférence nationale sur les salaires avant l’ouverture de négociations salariales dans chaque branche en vue d’une revalorisation des grilles de salaires conventionnelles.

Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS8 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul (SOC). Cet amendement tend à convoquer une réunion du groupe d’experts sur le Smic pour proposer au Gouvernement de donner un véritable coup de pouce, qui serait le premier depuis 2009.

M. le rapporteur. La modification proposée du groupe d’experts n’ayant pas été adoptée, nous ne gagnerions pas grand-chose à adopter cet amendement, que je soutiendrai toutefois en séance publique si nous pouvons faire adopter préalablement les dispositions nécessaires.

L’amendement est retiré.

Amendement AS6 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul (SOC). Cet amendement important vise à instaurer un crédit d’impôt de 10 % pour permettre aux petites entreprises de financer l’augmentation du Smic. Les TPE et PME sont en effet les entreprises dans lesquelles les salariés rémunérés au Smic sont les plus nombreux, et toute augmentation du Smic a donc sur leur gestion une forte incidence. Le taux de ce crédit d’impôt a été fixé en tenant compte du coût pour les entreprises d’une augmentation de 15 % du Smic, estimé à plus de 4 milliards d’euros.

M. le rapporteur. Je ne cesse de m’opposer aux exonérations diverses et variées. Je propose donc le retrait de cet amendement. À défaut, avis défavorable.

M. Gérard Leseul (SOC). Par souci de cohérence, je retire l’amendement, mais je le déposerai à nouveau pour l’examen du texte en séance publique, car il est important que nous ayons cette discussion.

Je tiens aussi à souligner que le dispositif proposé n’est pas une exonération définitive qui plomberait les finances de l’État, mais une mesure prévue pour trois ans, afin de prendre en compte les difficultés que peuvent rencontrer de petites entreprises pour assumer cette augmentation du Smic. Il s’agit donc aussi d’un dispositif incitatif en vue d’une augmentation rapide du Smic qui profite aux travailleurs des TPE et PME. Nous pourrons y revenir en séance publique.

L’amendement est retiré.

Amendement AS21 de Mme Astrid Panosyan-Bouvet.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport destiné à comparer le salaire minimum dans chaque pays européen selon plusieurs critères pertinents : l’évolution au cours des cinq dernières années, le rapport au salaire médian, et donc au taux de pauvreté, le mécanisme de décision présidant à sa revalorisation et l’instance politique ou technique chargée de ce dossier.

M. le rapporteur. Ce rapport éclairera nos travaux. Avis favorable.

M. Gérard Leseul (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra activement cet amendement.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Je rappelle que la charte sociale européenne énonce l’objectif de fixer le niveau des salaires minimums interprofessionnels de croissance à 68 % des salaires médians, et que la France se situe encore en deçà de cet objectif. J’en conclus que tous ceux, nombreux ici, qui se reconnaissent dans la construction européenne actuelle seront également favorables à cette hausse du Smic, et je m’en félicite.

La commission adopte l’amendement.

Article 2 : Compensation de la perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale par le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune

Amendement AS14 de M. Victor Catteau.

M. Victor Catteau (RN). Les classes moyennes subiraient injustement l’impact du rétablissement de l’ISF, que prévoit l’article 2, du simple fait de la valorisation de leur patrimoine immobilier, qui est souvent familial. Il apparaît donc nécessaire, non pas de rétablir l’ISF, mais d’instaurer plutôt un impôt sur la fortune financière, bien plus raisonnable car plus juste. En seraient exonérées la résidence principale des foyers fiscaux et les œuvres d’art acquises depuis plus de dix ans.

M. le rapporteur. Je vais punaiser au mur cet amendement et j’en ferai publicité ! Il est intéressant que le seul amendement proposé par le groupe Rassemblement National dans un débat sur l’augmentation du Smic ait pour objet de veiller à ce que les personnes qui ont du patrimoine ne soient pas touchées par cette mesure. De fait, les personnes que vise l’amendement ne sont pas les classes moyennes, mais des gens qui possèdent une fortune significative.

On voit que votre priorité n’est pas de rechercher une autre répartition des richesses au profit des gens modestes, qui ont de petits salaires. Il y a là une signature politique et je suis, évidemment, tout à fait défavorable à cet amendement.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Il est en effet marquant que, dans un débat consacré au relèvement du salaire minimum, le seul amendement déposé par les députés du groupe Rassemblement National porte sur le non-rétablissement de l’ISF, au nom des classes moyennes. En retenant le seuil de 1,3 million d’euros de patrimoine, vous étendez assez haut la définition des classes moyennes !

Dans l’hémicycle, un député de ma région, M. Tanguy, du groupe Rassemblement National, s’était opposé pour les mêmes raisons au rétablissement de l’ISF, indiquant qu’il était en contact avec les classes moyennes de sa circonscription et invoquant notamment la situation des pêcheurs du Crotoy. En consultant les annonces immobilières, j’ai constaté qu’en baie de Somme, pour trouver un bien d’une valeur de 1,3 million d’euros, il fallait acheter un château : voilà les classes moyennes que vous défendez ! Je n’ai rien contre les châtelains, et les aristocrates appartiennent à la nation française, mais ce sont tout de même des classes moyennes très particulières.

Certes, il faut réinventer un impôt de solidarité sur la fortune, car celui qui existait précédemment avait le défaut de toucher les millionnaires, mais pas les milliardaires. Il faut aller chercher l’argent là où il est : dans la poche des milliardaires, mais ce n’est pas ce que vous proposez. Vous voulez, au contraire, protéger les plus hauts patrimoines de notre pays et ne déposez dans ce débat aucun amendement visant à permettre aux auxiliaires de vie, aux ouvriers de l’agroalimentaire ou aux travailleurs du bâtiment de vivre dignement de leur métier. Je n’ai pas entendu de votre part un seul mot pour demander que ces travailleurs de la deuxième ligne puissent vivre, se soigner, éduquer leurs enfants ou penser leur avenir. Vous n’intervenez que pour protéger les châtelains.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 2.

Puis elle rejette l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

 

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été supprimés ou rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

 

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.


—  1  —

ANNEXE
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

         Table ronde réunissant les organisations syndicales :

 Confédération générale du travail (CGT)  M. Boris Plazzi, secrétaire confédéral

 Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) Mme Karen Gournay, secrétaire confédérale en charge de la négociation collective et de la représentativité, et M. Sébastien Dupuch, conseiller technique

         M. Henri Sterdyniak, économiste

 

 


([1]) Décret du 10 août 1899 sur les conditions du travail dans les marchés passés au nom de l’État.

([2]) Le 3° de l’article 1er du décret du 10 août 1899 précité dispose les entrepreneurs contractant avec l’État devra « payer aux ouvriers un salaire normal égal, pour chaque profession et dans chaque profession pour chaque catégorie d’ouvriers, au taux couramment appliqué dam la ville ou la région où le travail est exécuté ».

([3]) Loi du 10 juillet 1915 sur le salaire minimum des ouvrières à domicile dans l’industrie du vêtement. Cette loi prévoit qu’un salaire minimum ouvrières textiles travaillant à domicile soit fixé par les comités de salaires de sorte qu’il soit au moins équivalent à celui des ouvrières en atelier exécutant des travaux analogues dans la région.

([4]) Loi du 24 juin 1936 sur les conventions collectives.

([5]) Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail.

([6]) Il s’agit de l’« indice des 213 articles ». À l’origine, le montant du SMIG pouvait différer selon les régions : celui-ci était fixé par référence à la situation économique dans la région parisienne, divers abattements progressifs, allant jusqu’à 20 %, étaient appliqués pour obtenir une différenciation du SMIG dans dix zones. Cette régionalisation du SMIG est abandonnée en 1968 car perçue comme injuste et accusée de maintenir des écarts de rémunérations entre les salariés de province et ceux de la région parisienne.

([7]) Loi n° 52-834 du 18 juillet 1952 relative à la variation du salaire minimum national interprofessionnel garanti, en fonction du coût de la vie.

([8]) Projet de protocole d’accord des réunions tenues les 25, 26 et 27 mai 1968 au ministère des affaires sociales sous la présidence du Premier ministre.

([9]) Loi n° 70-7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti et création d’un salaire minimum de croissance.

([10]) Ce principe figure désormais à l’article L. 3231-2 du code du travail.

([11]) Arrêté du 29 juillet 2022 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance.

([12]) L’article L. 3423-2 du code du travail prévoit que le SMIC est fixé chaque année dans les départements d’outre‑mer compte tenu de la situation économique locale et, en application de l’article L. 3423‑1 du même code, celui‑ci est revalorisé en fonction de l’inflation dans les mêmes proportions qu’en métropole. Seul le département de Mayotte dispose d’un salaire minimum fixé à un taux dérogatoire fixé, au 1er août 2022, à un montant horaire de 8,35 euros brut soit 1 266,42 euros net.

([13]) Arrêté du 19 avril 2022 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance.

([14]) Source : Insee.

([15]) Drees, Minima sociaux et prestations sociales - Ménages aux revenus modestes et redistribution, 2022.

([16]) Source : Insee.

([17]) Dares Résultats n° 45, Les tensions sur le marché du travail en 2021. Au plus haut niveau depuis 2011, 2022.

([18]) Décret n° 2020-1598 du 16 décembre 2020 portant relèvement du salaire minimum de croissance.

([19]) Arrêté du 27 septembre 2021 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance.

([20]) Décret n° 2021-1741 du 22 décembre 2021 portant relèvement du salaire minimum de croissance.

([21]) Arrêté du 19 avril 2022 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance.

([22]) Arrêté du 29 juillet 2022 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance.

([23]https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/la-prime-de-100-euros-reservee-a-un-smicard-sur-deux-239360.

([24]) Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, 2013.

([25]) Agnès Bénassy-Quéré, Pauvreté, pouvoir d’achat, emploi : la statistique à l’épreuve de la vie quotidienne, 2021.

([26]) Direction générale du Trésor, L’évolution de la part du travail dans la valeur ajoutée dans les pays avancés, 2019.

([27]) Jean-Philippe Cotis, Rapport au Président de la République, Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France, 2009.

([28]) https://www.oxfamfrance.org/inegalites-et-justice-fiscale/cac-40-le-grand-ecart-salarial/

([29]) Directive (UE) 2022/2041 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne.

([30]) Loi n° 70-7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti et création d’un salaire minimum de croissance.

([31]) Article L. 3211-1 du code du travail.

([32]) Article L. 3231-1 du code du travail.

([33]) Article D. 3231-5 du code du travail

([34]) Conseil d’État, Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse c/ Aragnou.

([35]) Article R. 3233‑1 du code du travail.

([36]) Article D. 3231-6 du code du travail.

([37]) Article L. 3231-6 du code du travail.

([38]) Articles L. 3231-7 et R. 3231-1 du code du travail.

([39]) Article R. 3231-7 du code du travail.

([40]) Article L. 3231-9 du code du travail.

([41]) Article L. 3231-8 du code du travail. L’article R. 3231-2-1 précise que l’indice à prendre en compte est le rapport de l’indice de référence mesurant l’évolution du salaire horaire de base des ouvriers et employés (SHBOE) à l’indice mensuel des prix à la consommation hors tabac des ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie.

([42]) Article L. 3231-4 du code du travail.

([43]) L’article R. 3231-2 du code du travail précise que cette indexation est assurée au regard de l’évolution de l’indice mensuel des prix à la consommation hors tabac des ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie.

([44]) Article L. 3231-10 du code du travail.

([45]) Article L. 3231-11 du code du travail.

([46]) Article 24 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.

([47]) Article 1er du décret n° 2009-552 du 19 mai 2009 relatif au groupe d’experts sur le salaire minimum de croissance prévu par l’article 24 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.

([48]) Article 2 du décret n° 2009-552 du 19 mai 2009 précité.

([49]) Article 4 du décret n° 2009-552 du 19 mai 2009 précité.

([50]) Rapport du groupe d’experts sur le Salaire minimum interprofessionnel de croissance, 26 novembre 2021, p. 3.

([51]Op. cit., p. 4.

([52]) Article R. 3231-1 du code du travail.

([53]) Article L. 2241-1 du code du travail.

([54]) Article L. 2241-4 du code du travail.

([55]) Article L. 2241-8 du code du travail.

([56]) Article L. 2241-10 du code du travail.

([57]) Alexandre Durain, « Comment en finir avec les ’smicards à vie’ », 2022 la grande conversation, Terra Nova.

([58]https://www.cgt.fr/sites/default/files/2022-11/BORNE%20Elisabeth%20-%20Urgence%20sur%20les%20salaires%20-%2025%2010%202022.pdf

([59]) Notamment l’article 7 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, qui a fait passer de trois mois à quarante‑cinq jours la durée maximale de renégociation des salaires à la suite d’une hausse du SMIC et qui permet de fusionner des branches qui se caractériseraient par une atonie conventionnelle en matière de salaires sur une période prolongée.

([60]) Loi modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité.

([61]) Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

([62]) Étude d’impact du projet de loi n° 19 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

([63]) Réponses au questionnaire du rapporteur.

([64]) Source : Insee.

([65]) Insee, Emploi, chômage, revenus du travail, édition 2020.

([66]) Rapport du groupe d’experts sur le Salaire minimum interprofessionnel de croissance, op. cit., p. 4.

([67]) Source : simulateur de revenus de l’Urssaf.

([68]) Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, Annexe 4, p. 51.

([69]) Article L. 841-1 du code de la sécurité sociale.

([70]) Source : simulateur de la Caisse nationale des allocations familiales.

([71]) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, Les dossiers de la Drees, n° 92, « Mesurer régulièrement le non-recours au RSA et à la prime d’activité : méthode et résultats », février 2022, synthèse, p. 2.

([72]) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, Les dossiers de la Drees, n° 57, « Le non recours aux prestations sociales », juin 2020, p. 23.

([73]) Source : Insee.

([74]) Id.

([75]) Article D. 6222-26 du code du travail.

([76]) Article D. 6325-15 du code du travail.

([77]) Article D. 423-9 du code de l’action sociale et des familles.

([78]) Article L. 732-63 du code rural et de la pêche maritime.

([79])  https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12474281_63749d7168c79.commission-des-affaires-sociales--examen-de-diverses-propositions-de-loi-16-novembre-2022