N° 494
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2022.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à instaurer une allocation pour les jeunes en formation,
Par M. Louis BOYARD,
Député.
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Voir le numéro : 323 rect.
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SOMMAIRE
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Pages
I. LES JEUNES FACE À LA « MARÉE MONTANTE DE LA PRÉCARITÉ »
A. La situation économique et sociale des jeunes est alarmante...
1. Parfois difficile à mesurer, la précarité des jeunes est pourtant bien réelle
2. Les jeunes, des pauvres qui s’ignorent
3. Des jeunes toujours sous perfusion de leurs parents
B. ... ET S’AGGRAVE DANGEREUSEMENT DEPUIS LA CRISE SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE
1. Un basculement dans la précarité révélé par le recours à l’aide alimentaire
II. UN SYSTÈME D’AIDES SOCIALES À BOUT DE SOUFFLE
A. UN « MILLEFEUILLE DE DISPOSITIFS » ILLISIBLE ET INACCESSIBLE
1. Un panorama des diverses aides existantes
B. Un système de bourses injuste
1. Des critères d’attribution inadaptés
2. Des effets de seuil qui écartent un nombre trop élevé d’étudiants
Article 1er Mettre en œuvre une garantie d’autonomie jeunes
Article 2 Gage sur les superprofits
ANNEXE : Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur
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« Il convient de révolutionner notre façon de considérer la jeunesse. Je défends l’idée selon laquelle cet âge de la vie constitue une période de fragilité qui, à l’instar du grand âge, nécessite une intervention forte de l’État. » Le rapporteur fait pleinement sienne cette ambition du récent plaidoyer « Pour une politique de la jeunesse » du sociologue Camille Peugny ([1]).
La jeunesse doit être vue comme une période d’expérimentation. Or aujourd’hui, être jeune, c’est surtout faire l’expérience précoce de la précarité. Plus vraiment des enfants, pas encore tout à fait des adultes, les jeunes sont dans l’angle mort des politiques publiques. Le système d’aides sociales censé les accompagner face aux difficultés économiques et sociales qu’ils rencontrent est loin d’être à la hauteur.
Ce constat est largement documenté et partagé. Un récent rapport sénatorial pointe trois écueils majeurs du système actuel que le rapporteur reprend à son compte ([2]) :
– le système d’aides publiques souffre d’une grande complexité et d’un manque de lisibilité ;
– une segmentation et une insuffisante accessibilité de l’information aggravent le non-recours à certaines aides ;
– des lacunes en termes de prise en charge : malgré la diversité des aides, certains profils d’étudiants échappent à leur bénéfice.
Découle presque naturellement de ce désengagement de la puissance publique une solidarité qui repose aujourd’hui beaucoup trop sur les familles. Alors que, d’après le dernier baromètre du Secours populaire ([3]), près d’un Européen sur deux déclare avoir peur de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ses enfants, nous ne pouvons qu’être alarmés de la défaillance de notre solidarité nationale ([4]).
Le rapporteur tient à saluer les initiatives en faveur des jeunes qui ont déjà été portées dans cette Assemblée, notamment par M. François Ruffin, qui avait brillamment plaidé pour l’extension du revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans lors d’une précédente journée réservée du groupe La France insoumise en avril 2021 ([5]). Aujourd’hui, nous pensons qu’il faut aller bien plus loin en garantissant à chaque jeune en formation les moyens de son autonomie.
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I. LES JEUNES FACE À LA « MARÉE MONTANTE DE LA PRÉCARITÉ »
Cette expression empruntée au sociologue Camille Peugny ([6]) nous semble parfaitement décrire la situation de submersion que vivent les jeunes en formation et qu’ils ont largement relayée lors des auditions. Déjà aggravée avec la pandémie, la précarisation des jeunes ne va aller qu’en s’empirant au vu des tensions inflationnistes que nous connaissons.
A. La situation économique et sociale des jeunes est alarmante...
1. Parfois difficile à mesurer, la précarité des jeunes est pourtant bien réelle
● Le constat est bien connu mais il mérite d’être martelé : les jeunes subissent la pauvreté de plein fouet. Selon l’Observatoire de la vie étudiante, en 2020 avant la crise sanitaire, un quart des étudiants déclaraient connaître des difficultés financières ([7]). Cette tendance à la dégradation des conditions de vie des étudiants s’inscrit malheureusement dans la durée. Déjà en 2018, les jeunes âgés de 18 à 29 ans présentaient un taux de pauvreté monétaire quatre fois supérieur à celui des personnes âgées de plus 65 ans : 12,5 % pour les jeunes contre 3 % pour les plus âgés et 8,3 % pour l’ensemble de la population ([8]). Or, cet écart est quasiment stable depuis 1998, témoignant d’une tendance profonde à la paupérisation des jeunes.
L’Observatoire des inégalités rappelle que c’est chez les jeunes adultes âgés de 18 à 29 ans que la progression de la pauvreté a été la plus forte ces quinze dernières années puisque leur taux de pauvreté a augmenté de 50 % entre 2002 et 2017 ([9]).
● Les ressources réelles des jeunes restent difficiles à identifier statistiquement, surtout lorsqu’ils dépendent encore du foyer de leurs parents. Mais de l’avis unanime des chercheurs auditionnés, un fait est largement établi : les jeunes qui ne vivent plus sous le toit de leurs parents sont dans une situation plus précaire que les autres.
Il faut se prémunir toutefois « d’effets d’optique » statistiques qui peinent à traduire la situation réellement vécue par les étudiants. Lors de son audition, l’Observatoire de la vie étudiante a, par exemple, montré qu’une analyse purement monétaire des revenus accumulés faisait des étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) le segment le plus défavorisé parmi les jeunes en formation. D’un point de vue purement statistique, les raisons sont aisément identifiables : d’une part, ces étudiants sont plus souvent en situation de décohabitation car les formations sélectives qu’ils suivent les obligent plus fréquemment à vivre dans une autre ville que leurs parents ; d’autre part, la « vie ascétique » de ces étudiants pleinement consacrés à leurs études ne leur permet pas d’occuper un « job étudiant » en parallèle. Pour autant, ces étudiants majoritairement issus de classes aisées ([10]) reçoivent une importante aide familiale de leurs parents, bien souvent en nature, comme la mise à disposition d’un logement familial.
Ainsi, si visuellement ces étudiants semblent plus pauvres, dans les faits, leur situation est très largement privilégiée par rapport à celle d’un étudiant boursier qui, certes perçoit des ressources monétaires supérieures, mais doit payer son propre logement.
● Pour rendre compte de la pauvreté des jeunes, la seule prise en compte des revenus n’est pas suffisante : il faut aussi mobiliser ce que le chercheur spécialiste des politiques de jeunesse, Tom Chevalier, a qualifié lors de son audition « d’indicateurs subjectifs ». Au-delà des chiffres, il faut tenir compte de la manière dont les jeunes se projettent dans le cycle de vie. Il est évident qu’un jeune en difficultés financières sur le point de valider son master aura plus tendance à vivre cette situation de précarité comme passagère qu’un jeune titulaire du seul baccalauréat.
2. Les jeunes, des pauvres qui s’ignorent
De l’avis des universitaires et organisations de solidarité auditionnés par le rapporteur, l’appréciation de la situation économique et sociale des jeunes est d’autant plus difficile à cerner que les jeunes eux-mêmes peinent à se percevoir comme pauvres.
D’une part et comme nous l’avons dit plus haut, la projection dans le cycle de vie est déterminante. Parce qu’ils estiment que leur situation est temporaire, beaucoup de jeunes ne se considèrent pas comme pauvres. Pourtant, comme l’a, par exemple, souligné la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) lors de son audition, une très grande partie des étudiants bénéficient des aides au logement alors que cette aide est réservée dans le reste de la population aux personnes les plus précaires ([11]). Le simple fait de percevoir cette aide devrait interroger les étudiants sur leur propre situation.
D’autre part, comme l’a très justement souligné la sociologue Nadia Veyrié lors de son audition, les jeunes ressentent une honte sociale à se reconnaître comme pauvres. Cette honte n’est évidemment pas réservée aux jeunes mais comme l’a indiqué le démographe Philippe Cordazzo lors de cette même table ronde, les jeunes ont davantage tendance à mettre eux-mêmes en place des stratégies pour contrer la précarité ressentie : sauter un repas, rentrer moins fréquemment chez leurs parents, cumuler les heures de travail pendant leurs congés, sous-louer temporairement les logements de leurs amis, etc.
Mettre en place de telles stratégies représente une charge mentale phénoménale et inacceptable pour les jeunes.
Rendre visibles les invisibles : la situation des lycéens professionnels
La présente proposition de loi vise à ouvrir le bénéfice de la garantie d’autonomie jeunes aux élèves inscrits dans une formation professionnelle du second degré parce que ces lycéens vivent une situation extrêmement dégradée.
Selon les chiffres rappelés par l’organisation La Voix lycéenne, un lycéen sur trois travaille en dehors des cours et 10 % des lycéens déclarent avoir besoin de travailler pour vivre. Ce phénomène est d’autant plus massif pour les lycéens professionnels, dont 72 % des élèves sont issus de milieux très modestes d’après les données rappelées par l’organisation Une voie pour tous.
Déjà défavorisés, ces lycéens doivent de surcroît affronter des coûts supplémentaires pour financer leur scolarité : coût de l’internat, coût des transports entre le lycée professionnel et le domicile familial, coût des fournitures parfois très élevé dans certaines filières. Malgré les aides des régions et les revenus de l’alternance qu’ils perçoivent, ces lycéens sont en grande précarité.
Face au désengagement de l’État, ces lycéens sont victimes d’un phénomène de prédation de la part des entreprises – phénomène qui s’est accentué avec les tensions de recrutement dans des secteurs comme l’hôtellerie-restauration. Les syndicats professionnels de l’éducation ont tous fait part de leur crainte de voir de nombreux jeunes interrompre leur cursus, faute de moyens, pour privilégier l’embauche en CDD voire en CDI qui leur est proposée par les employeurs à l’issue de leur alternance.
3. Des jeunes toujours sous perfusion de leurs parents
● Pour couvrir les dépenses de la vie quotidienne, les étudiants bénéficient en premier lieu d’aides familiales à hauteur de 41,9 % de leur budget puis de revenus d’activité (25,3 %), d’aides publiques (23 %) et d’autres ressources (9,8 %) comme l’emprunt bancaire.
Dans le détail : les plus jeunes bénéficient plus largement des aides familiales puisque 74,1 % du budget des moins de 18 ans provient d’aides familiales tandis que cette part s’élève à 30,3 % pour les 24‑26 ans.
Parallèlement et de manière logique, les revenus d’activité occupent une part de plus en plus importante du budget des jeunes à mesure qu’ils vieillissent. En effet, si les revenus d’activité occupent 9,1 % du budget mensuel des 18‑20 ans, ils contribuent à hauteur de 37,6 % du budget mensuel des 24‑26 ans.
STRUCTURE DU BUDGET MENSUEL D’un Étudiant
Source : Enquête Conditions de vie des étudiants 2020 – Observatoire de la vie étudiante.
Champ : Ensemble des 60 014 répondants à l’enquête.
● L’enquête très fouillée de la Drees de 2014 sur les ressources des jeunes ([12]) rappelle le rôle essentiel de l’aide financière parentale puisque 90 % des jeunes reçoivent une aide financière régulière de leurs parents.
effort global des parents et aide moyenne selon le niveau de vie des parents
Source : Drees-Insee, Enquête nationale sur les ressources des jeunes, 2014.
Champ : Ménage d’un ou deux parents de jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans aidant leur jeune adulte pour au moins un des postes.
● Deux observations principales découlent de ce graphique :
– les jeunes adultes dont les parents appartiennent aux catégories les plus aisées (à partir du septième décile) sont environ deux fois plus aidés que ceux venant des catégories plus modestes (entre les deuxième et cinquième déciles). L’écart se creuse nettement entre les jeunes du premier décile et ceux du dernier décile avec un rapport de 1 à 7 entre les ressources qu’ils perçoivent ;
– les classes les plus modestes consentent à un effort deux fois plus élevé pour subvenir aux besoins des jeunes que les autres classes. Dès le quatrième décile, cet effort est à peu près constant autour de 8 %. Il est primordial de souligner que les ménages les plus modestes investissent tout ce qu’ils peuvent dans la réussite de leurs enfants mais qu’évidemment leur effort ne peut être à la hauteur des besoins financiers d’un jeune en formation.
Se faisant la porte-parole des nombreux témoignages qu’elle a reçus après la diffusion virale de la vidéo qu’elle a publiée sur les réseaux sociaux pour raconter son quotidien, l’étudiante Maëlle a fait part, lors de son audition, de la détresse psychologique ressentie par de nombreux parents qui ne parviennent pas à aider leurs enfants autant qu’ils le voudraient. Une situation dramatique qui ne fait que s’accentuer depuis la crise de 2020.
B. ... ET S’AGGRAVE DANGEREUSEMENT DEPUIS LA CRISE SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE
1. Un basculement dans la précarité révélé par le recours à l’aide alimentaire
● Les images des files d’attente interminables d’étudiants dans les distributions alimentaires en 2020 ont connu – à juste titre – un vrai retentissement dans la population. Le rapporteur a tenu à entendre les organisations de solidarité qui se sont créées pour aider les étudiants, à l’image de Cop1 – Solidarités Étudiantes. Le constat fait par cette organisation est clair : depuis sa création il y a deux ans, tous les créneaux de distribution alimentaire sont complets.
Cette remontée de terrain est corroborée par les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), pour le moins édifiants : 83 % des étudiants recourant à l’aide alimentaire fin 2021 déclarent ne s’être tournés vers l’aide alimentaire qu’après mars 2020. Un cinquième des étudiants recourants ont basculé dans l’aide du fait de la crise sanitaire, soit deux fois plus que dans l’ensemble de la population bénéficiaire de l’aide alimentaire. Parmi les étudiants bénéficiant de l’aide alimentaire déclarant une baisse de revenus depuis mars 2020, plus de 85 % l’imputent à la crise sanitaire, contre la moitié sur l’ensemble de la population recourante ([13]).
Il faut insister sur la dimension protéiforme de cette précarité qui ne se cantonne pas à la seule précarité alimentaire. Face aux besoins vitaux exprimés par les étudiants lors des enquêtes qu’elle a menées, l’association Cop1 – Solidarités Étudiantes a, par exemple, élargi ces distributions aux produits de première nécessité (vêtements, fournitures scolaires, protections périodiques).
BESOINS EXPRIMÉS PAR LES ÉTUDIANTS RECOURANT À l’AIDE ALIMENTAIRE
Source : Enquête annuelle de Cop1 – Solidarités étudiantes sur les étudiantes et étudiants en situation de précarité, 2022.
● À rebours du constat précédemment établi d’une perception biaisée de leur situation par les étudiants, la crise sanitaire a agi comme un détonateur. D’après les données de la Drees, dans le contexte de la crise sanitaire, la part des personnes qui jugent leur situation globalement mauvaise s’accroît nettement chez les jeunes ([14]). Le sentiment de pauvreté est désormais plus répandu chez les jeunes que dans le reste de la population. Cette dégradation s’accompagne de surcroît, d’un sentiment de déclassement en forte augmentation, passant de 22 % en 2019 à 36 % en 2020. Les jeunes qui pensent que leur situation est pire que celle de leurs parents au même âge deviennent plus nombreux que ceux qui jugent que leur situation est meilleure que celle de la génération précédente.
● Les raisons de cette précarisation sont bien identifiées : la crise sanitaire a eu un fort impact sur les revenus du travail des étudiants avec la perte de « jobs étudiants », notamment dans l’hôtellerie-restauration, ou l’impossibilité de donner des cours à domicile du fait des restrictions sanitaires. De la même manière, l’impossibilité de rentrer chez ses parents a considérablement fait baisser les aides informelles perçues par les étudiants.
Au total, le rapporteur souscrit aux propos de la sociologue Christine Musselin lors de son audition : il n’y a peut-être pas tant une accentuation de la précarité des étudiants qu’une prise de conscience violente de leur situation économique et sociale particulièrement dégradée.
2. Les effets de la crise économique et inflationniste sont catastrophiques sur le quotidien des étudiants
● De l’avis unanime des organisations de solidarité auditionnées, les jeunes ne se sont toujours pas relevés de la crise sanitaire – loin de là – puisqu’ils peinent non seulement à retrouver des « jobs étudiants » mais doivent en plus faire face à l’inflation qui grève le budget qu’ils consacrent à l’alimentation et au logement.
En effet, en sus de la précarité alimentaire, les étudiants connaissent de grandes difficultés pour se loger. Des témoignages extrêmement alarmants ont été relayés par les élus étudiants aux Crous ainsi que par Mme Christine Rivalan Guégo, présidente de l’Université Rennes 2, entendus lors des travaux préparatoires :
– à Grenoble, certains personnels du Crous hébergent chez eux des étudiants sans solution de logement ;
– à la rentrée 2022, l’université d’Évry a mis à disposition des logements de fonction inutilisés pour loger des étudiants en colocation ;
– l’Université Rennes 2 accompagne, depuis la rentrée, des étudiants dans leurs recherches de chambres d’hôtel pour éviter qu’ils ne se trouvent à la rue.
Nul doute que nous pourrions, hélas, multiplier les témoignages de ce genre.
● Au-delà de la survie même au quotidien, la crise a contraint les étudiants à renoncer à des projets de long terme. Comme l’a pointé le démographe Philippe Cordazzo, beaucoup d’étudiants ont renoncé à la mobilité internationale, d’autres ont fait le choix de se réorienter vers des formations plus courtes et plus professionnalisantes dans l’espoir de percevoir un revenu plus rapidement, au détriment de la poursuite d’études, pourtant plus protectrice à long terme contre le chômage.
● Enfin, le rapporteur tient à insister sur la situation particulièrement dramatique des étudiants étrangers, surreprésentés parmi les bénéficiaires des aides alimentaires. Moins bénéficiaires des aides sociales en raison des restrictions d’accès, ces étudiants cumulent les difficultés puisqu’ils bénéficient aussi, beaucoup moins – du fait de l’éloignement géographique – des solidarités intrafamiliales. La barrière de la langue peut compliquer l’accès à un « job étudiant », d’autant plus dans un contexte de fortes tensions sur le marché du travail.
La situation critique des Crous
La mission « flash » sur le financement des Crous dans le contexte de la crise sanitaire conduite par les députées Fabienne Colboc et Muriel Ressiguier en juillet 2020 a mis en évidence la diminution chronique des moyens humains mis au service des étudiants (1).
Pour rappel, les centres régionaux des œuvres scolaires et universitaires (Crous) ont un fonctionnement assez singulier parmi les établissements publics puisqu’ils s’autofinancent pour la plus grande partie de leur budget : selon les établissements, les recettes des Crous couvrent de 70 à 75 % de leurs dépenses.
La mission de restauration est structurellement déficitaire en raison du tarif social qui permet de facturer un repas en restaurant universitaire à 3,30 euros à l’étudiant quelle que soit sa situation financière, alors qu’il coûte environ le double à produire.
Ce déficit est compensé par l’activité de logement étudiant qui, elle, est bénéficiaire.
Or, de l’avis des représentants d’universités auditionnés, faute d’investissement et face aux tensions inflationnistes, les Crous ne parviennent plus à remplir ces missions de restauration et d’hébergement.
Les mesures nécessaires déployées pour faire face à la crise comme le gel des loyers dans les résidences gérées par les Crous, la stabilité des tarifs dans les restaurants universitaires et la mise en place du repas à 1 euro pour les étudiants boursiers ont engendré des coûts supplémentaires qui n’ont pas été entièrement compensés. De la même manière, l’augmentation du coût des denréees alimentaires et de l’énergie affecte considérablement les restaurants et les résidences universitaires depuis le début de l’année 2022, ce qui a pour effet de baisser la qualité des repas servis. Or, aucune compensation intégrale de ces dépenses supplémentaires n’a été annoncée à ce stade par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2023 (2).
La crise a aussi révélé le manque d’assistantes sociales dans les Crous. Comme le rappelle la mission « flash », à titre de comparaison, on compte un accompagnant pour 12 000 étudiants en France, contre un pour 5 000 en Allemagne. Cette absence de moyens a des effets très concrets sur le quotidien des étudiants, ainsi qu’en a témoigné Maëlle, confrontée à des dizaines de reprises au standard téléphonique robotisé du Crous.
Ce manque de moyens humains a aussi de lourdes conséquences sur les personnels des Crous, qui ne parviennent plus à assurer leur mission et se trouvent plongés dans une certaine détresse professionnelle. Conséquence en cascade, la présidente de l’Université Rennes 2 a souligné combien la mission sociale de l’université devenait très sollicitée, pour compenser les défaillances des Crous, alors que les missions principales des universités restent et doivent rester la formation et la recherche.
(1) Mission « flash » sur le financement des Crous dans le contexte de la crise sanitaire, communication de Mme Fabienne Colboc et Mme Muriel Ressiguier, mercredi 22 juillet 2020.
(2) Voir l’avis présenté par M. Hendrik Davi, député, au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi de finances pour 2023 (tome VI, Recherche et enseignement supérieur).
II. UN SYSTÈME D’AIDES SOCIALES À BOUT DE SOUFFLE
A. UN « MILLEFEUILLE DE DISPOSITIFS » ILLISIBLE ET INACCESSIBLE
Reprenant lui-même ce terme ([15]), le sociologue Camille Peugny résume assez bien la situation : « l’accumulation de dispositifs successifs, dans différents domaines, s’adressant à des catégories particulières de jeunes, effaçant ou complétant les précédents, voire entrant en contradiction [crée] un "millefeuille de dispositifs" [qui] devient progressivement illisible, pour les jeunes comme pour les professionnels du secteur. La crise sanitaire que nous traversons en a donné une illustration saisissante : à chaque annonce d’urgence du Gouvernement, il fallait plusieurs jours aux différents observateurs pour comprendre comment ces nouvelles dispositions s’articulaient aux dispositifs existants et quelles sous‑catégories de jeunes pouvaient y prétendre. ([16]) »
1. Un panorama des diverses aides existantes
● L’empilement d’aides publiques à destination des jeunes est tel que le ministère de l’enseignement supérieur lui-même a dû mandater l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) en octobre 2019 pour élaborer une cartographie des dispositifs de bourses publiques à l’attention des étudiants ([17]).
Ressortent de ce recensement plusieurs conclusions :
– certaines aides sont spécifiquement destinées aux étudiants (bourses sur critères sociaux) et cumulables avec d’autres aides comme les aides au logement assez largement ouvertes aux jeunes ;
– certains dispositifs sont liés à des cursus particuliers (Grande école du numérique, allocation pour la diversité dans la fonction publique, mobilités internationales) ;
– certaines aides ont une durée relativement courte (aide spécifique ponctuelle pour étudiant en difficultés) ;
– d’autres ont vocation à s’adresser à des publics spécifiques comme les alternants.
RECENSEMENT DES BOURSES PUBLIQUES POUR ÉTUDES SUPÉRIEURES
ALLOUÉES PAR L’ÉTAT EN 2019
Source : Mission cartographie de l’IGESR.
● Il ne s’agit pas ici de brosser un panorama exhaustif de ces aides et de leur bien-fondé mais bien de remarquer que ce système est complexe et manque de cohérence. De l’avis des organisations auditionnées, confirmé par une étude récente ([18]), cet enchevêtrement entraîne un taux de non-recours aux aides étudiantes de l’ordre de 20 à 30 % – un taux similaire à celui constaté pour d’autres prestations sociales comme le revenu de solidarité active (RSA).
● Face à un système national défaillant, le rôle des collectivités territoriales est déterminant pour soutenir les jeunes en difficultés. D’après l’enquête de l’UNEF sur le coût de la vie étudiante ([19]), le seul poste de dépenses en baisse est celui des transports car les collectivités territoriales qui ont la compétence en la matière se sont mobilisées pour proposer des tarifs différenciés aux jeunes. De la même manière, bien que le logement représente plus de la moitié du budget d’un étudiant, ce poste augmente peu dans les villes qui ont mis en place un système d’encadrement des loyers. Lors des auditions, des initiatives locales ont été saluées, par exemple en Seine-Saint-Denis par le réseau RED-jeunes ou encore le complément de revenu versé aux étudiants boursiers par la mairie du Pont-de-Claix dans l’agglomération grenobloise.
Hélas, le revers de ces initiatives est le creusement des inégalités entre territoires et donc entre jeunes.
2. Déployées tardivement, les aides d’urgence n’ont pas permis d’endiguer la précarisation des étudiants
● Suffisamment rare pour être relevé, le rapporteur souscrit pleinement au constat dressé par la Cour des comptes quant aux dispositifs de soutien d’urgence à destination des étudiants qui « ont été nombreux mais dont la montée en puissance a été tardive et ont atteint les étudiants de manière inégale ([20]) ».
Si les aides d’urgence sont évidemment bienvenues, de l’avis de la Cour des comptes comme des personnes auditionnées sur ce sujet, elles sont restées trop longtemps circonscrites, « tant en ce qui concerne le public ciblé que la nature des vulnérabilités considérées et les montants financiers mobilisés ([21]) ».
● Le cas du repas à 1 euro est emblématique. D’abord réservé aux seuls étudiants boursiers à partir du 31 août 2020, le dispositif a été élargi à l’ensemble des étudiants entre fin janvier et juin 2021 puis a été de nouveau restreint aux seuls boursiers et étudiants en situation de précarité depuis septembre 2021. Ce sont au total 14,4 millions de repas à 1 euro qui ont été servis en 2020 et 2021 dans les restaurants directement gérés par les Crous ([22]). Cette mesure – prolongée jusqu’à Noël 2022 d’après les dernières annonces du Gouvernement – est évidemment bienvenue mais elle laisse sur le bord de la route un nombre considérable d’étudiants qui en auraient besoin. Comme l’ont rappelé nombre d’organisations étudiantes, la reconnaissance de la « situation de précarité » doit être établie par une assistante sociale. Or, au vu de l’engorgement des services sociaux du Crous, nombre d’étudiants ont préféré faire le choix du renoncement.
PRINCIPALES MESURES DE SOUTIEN À LA VIE ÉTUDIANTE
DÉPLOYÉES PENDANT LA CRISE