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N° 510

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 novembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers

constituant une menace grave pour l’ordre public

 

PAR M. Mansour KAMARDINE

Député

——

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Voir le numéro : 354.


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SOMMAIRE

___

Pages

introduction................................................ 5

article unique de la proposition de loi

Article unique (art. L. 631-2 et art. L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Élargissement des catégories d’étrangers pouvant faire l’objet d’une expulsion pour menace grave pour l’ordre public

I. L’état du droit

A. Droit des étrangers et menace pour l’ordre public

1. Historique du droit des étrangers en matière d’expulsion sur le fondement de l’ordre public

2. Le régime contemporain de l’expulsion pour menace grave à l’ordre public

3. Un dispositif peu utilisé par l’autorité administrative

B. Les trois régimes d’expulsion des articles L. 631-1 et suivants du CESEDA

1. Le régime de l’expulsion « simple » prévu par l’article L. 631-1 du CESEDA

2. Le régime de protection relative prévu par l’article L. 631-2 du CESEDA

3. Le régime de protection quasi-absolue prévu par l’article L. 631-3 du CESEDA

4. Cas particuliers

C. La procédure administrative

D. Le contrôle juridictionnel

II. Le dispositif proposé

A. Étrangers et insécurité : ne céder ni à la xénophobie, ni à l’angélisme

B. La nécessité d’élargir le champ des catégories d’étrangers pouvant faire l’objet d’une expulsion pour menace grave pour l’ordre public

C. La compatibilité des dispositions avec les normes supra-législatives

1. Le préambule de la Constitution de 1946

2. La Convention européenne des droits de l’homme

3. Le droit de l’Union européenne

Examen En commission

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

L’expulsion est une décision administrative pouvant être prise par le préfet ou le ministre de l’Intérieur à l’encontre d’un étranger, en situation régulière ou irrégulière, qui représente une menace grave pour l’ordre public.

Par dérogation, lorsque l’étranger dispose d’attaches particulièrement fortes avec la France, en raison de sa situation familiale notamment, notre droit prévoit un régime de protection en application duquel l’expulsion ne peut être prononcée qu’en raison de considérations supérieures d’ordre public : par exemple une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique, des comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste.

Les articles L. 631-1, L. 631-2 et L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) instaurent ainsi plusieurs régimes d’expulsion. Ils correspondent à trois seuils de niveau de menace requis pour prononcer une expulsion, en fonction de la situation de l’étranger concerné.

La mesure d’expulsion est entourée d’un certain nombre d’obligations procédurales, qui reconnaissent à l’étranger des garanties substantielles en matière de transmission d’informations et de respect du contradictoire avec l’autorité administrative. La mesure d’expulsion peut également, et naturellement, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ou d’un référé.

Déposée par notre collègue Olivier Marleix et soixante et un cosignataires, la présente proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Les Républicains en application de l’avantdernier alinéa de l’article 48 de la Constitution.

Ce texte vise à redessiner les frontières entre les trois régimes, afin d’assouplir les conditions d’expulsion des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public, en augmentant le champ des catégories d’étrangers concernés.

Relèveraient dès lors, par exemple, de ce premier régime d’expulsion : l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans, celui qui y réside régulièrement depuis plus de dix ans et est marié depuis au moins quatre ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage, ou encore celui qui est titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %. Actuellement, ces étrangers font partie des catégories protégées en application des articles L. 6312 et L. 631-3 du CESEDA.

Certaines catégories d’étrangers conserveraient toutefois leur régime de protection actuel – parmi lesquelles l’étranger père ou mère d’un enfant français mineur résident en France, sous certaines conditions, et l’étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et s’il ne pourrait bénéficier d’un traitement approprié dans son pays de renvoi.

En tout état de cause, si les dispositions du présent texte étaient adoptées, il reviendrait à l’autorité et au juge administratifs en cas de contentieux de déterminer, au cas par cas, si l’étranger pourrait faire l’objet d’une mesure d’expulsion, en fonction du risque qu’il représente, de sa situation et de l’intensité de ses liens avec la France.

L’évolution juridique proposée dans le cadre de la présente proposition de loi permettrait de rééquilibrer notre arsenal juridique. La nouvelle ligne qu’elle trace entre notre tradition d’accueil des étrangers, qu’il faut conserver et cultiver, d’une part, et l’objectif de garantir la sécurité de nos concitoyens et l’ordre public, d’autre part, répond à une impérieuse nécessité. Même lorsqu’il dispose de fortes attaches avec la France et qu’il y séjourne depuis un nombre significatif d’années, le ressortissant étranger devrait demeurer respectueux de l’ordre public s’il souhaite pouvoir se maintenir sur notre territoire. Il existe en effet, pour reprendre les termes de Denis Piveteau, conseiller d’État, « quelques bornes qu’il faut en principe ne pas dépasser », même s’agissant d’un étranger entretenant des liens personnels très forts avec la France ([1]). Cette profonde conviction irrigue la présente proposition de loi. 

Votre rapporteur se réjouit que le Gouvernement partage son ambition. Le ministre de l’Intérieur indiquait en effet à la commission des Lois, le 18 octobre dernier : « nous proposerons la suppression de l’interdiction de la double peine et de tous les empêchements d’expulsion. Nous estimons le nombre des personnes que nous pourrions expulser à 4 000 personnes par an, si nous n’avions pas dans notre droit ces règles visant l’arrivée avant 13 ans sur le territoire national ou concernant les personnes mariées à un Français ».

Sur ces 4 000 personnes qui auraient pu être expulsées sans ces restrictions juridiques, ce sont seulement 246 d’entre elles qui ont fait l’objet d’une telle décision en 2020. In fine, 124 décisions ont été effectivement exécutées. La modestie de ces chiffres doit collectivement nous préoccuper, et nous inviter à faire évoluer le dispositif.

Pleinement conscient des tensions et des clivages qui traversent le thème de ce texte, votre rapporteur formule le vœu que la représentation nationale se montrera réceptive aux dispositions mesurées et circonscrites qu’il contient.

*

*     *

 


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   article unique de la proposition de loi

Article unique
(art. L. 631-2 et art. L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Élargissement des catégories d’étrangers pouvant faire l’objet d’une expulsion pour menace grave pour l’ordre public

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article élargit le champ des catégories d’étrangers pouvant faire l’objet d’une expulsion pour menace grave pour l’ordre public en application de l’article L. 631‑1 du CESEDA. Il réduit, pour ce faire, celui des catégories d’étrangers bénéficiant d’une protection en application des articles L. 631-2 et L. 631-3 du même code.

       Dernières modifications intervenues

L’article L. 631-2 a été modifié par l’article 25 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui dispose que l’étranger dans l’une des situations mentionnées dans l’article peut, par dérogation, faire l’objet d’une décision d’expulsion s’il vit en France en état de polygamie.

L’article L. 631-3 a été modifié par l’article 25 de la même loi, aux mêmes fins.

I.   L’état du droit

A.   Droit des étrangers et menace pour l’ordre public

1.   Historique du droit des étrangers en matière d’expulsion sur le fondement de l’ordre public

L’expulsion des étrangers représentant une menace pour l’ordre public est un dispositif ancien. Une loi de 1849 donne pour la première fois au ministre de l’Intérieur le pouvoir d’expulser des étrangers. L’expulsion se pratique alors par arrêté non motivé, et non susceptible de recours ([2]).

En 1938, un décret-loi est pris sur la police des étrangers. Il s’agit du premier texte ayant pour objet d’instaurer des règles cohérentes sur le séjour, le travail et l’éloignement des étrangers présents sur notre sol. L’objectif est précisé dans son exposé des motifs, qui révèle un souci « de la sécurité nationale, de l’économie générale du pays et de la protection de l’ordre public ».

Par la suite, l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France opère un rééquilibrage entre les considérations d’ordre public et une logique tendant à la « création d’un corpus de règles propres, caractérisés par des critères qui, s’ils sont satisfaits, conduisent à l’obtention de droits » ([3]). Cette ordonnance instaure ainsi une première typologie de titres de séjour et crée l’Office national d’immigration.

Progressivement, la question du séjour devient quantitativement plus importante dans notre droit, à la défaveur des considérations d’ordre public – qu’il s’agisse du volume des textes ou du contentieux ([4]).

En 1981 ([5]), la loi confie au juge judiciaire et non plus à l’autorité administrative la compétence de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière : d’après la doctrine, il s’agissait d’une « manière on ne peut plus claire de signifier que l’on sort ici la question de l’ordre public pour entrer dans le domaine de protection de la liberté individuelle » ([6]).

En 1986 ([7]), le législateur confie de nouveau à l’autorité administrative compétence pour l’ensemble des mesures d’éloignement, en créant une distinction entre l’expulsion pour menace grave pour l’ordre public, au cœur de la présente proposition de loi, et la reconduite à la frontière, prononcée à l’encontre des étrangers en situation irrégulière et représentant une menace « simple » pour l’ordre public. 

Enfin, en 2003 ([8]), la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité est venue modifier les articles 25 et 26 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, pour renforcer la liste des catégories d’étrangers ne pouvant pas faire l’objet d’un arrêté d’expulsion pour une seule « menace grave à l’ordre public », mais pour lesquels un niveau supérieur de menace doit être caractérisé (cf. infra).

C’est essentiellement sur cette dernière évolution juridique que votre rapporteur propose de revenir.

 

2.   Le régime contemporain de l’expulsion pour menace grave à l’ordre public

Les différentes mesures de départ forcé

L’expulsion pour motif d’ordre public est une mesure parmi d’autres de départ forcé. Le droit des étrangers français offre, en effet, un spectre large de mesures de départ forcé, que le présent encadré ne prétend pas énumérer de manière exhaustive (refus d’entrée, reconduite à la frontière, etc.). Ces mesures ont toute en commun de rétablir une situation de légalité ou de prévenir une menace caractérisée à l’ordre public.

L’obligation de quitter le territoire français (OQTF) pour menace à l’ordre public (article L. 611-1 du CESEDA) : au sein du dispositif de l’OQTF existe un motif permettant d’autoriser l’éloignement de l’étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois et dont le comportement représente une « menace pour l’ordre public ». L’autorité administrative peut alors obliger l’étranger à quitter le territoire français.

L’interdiction judiciaire du territoire français (titre IV du livre VI du CESEDA et articles L. 131-30 et suivants du code pénal) : elle est prononcée par principe à titre complémentaire à une sanction pénale. Environ 200 infractions peuvent entrainer une telle interdiction, qui permet de bannir l’étranger du territoire français pour prévenir la réitration d’un comportement. À la différence de l’expulsion, cette interdiction peut être prononcée pour une durée limitée. L’interdiction judiciaire du territoire entraîne de plein droit l’éloignement du condamné, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement ou de réclusion.

L’expulsion (articles L. 631-1 et suivants du CESEDA) : il s’agit de la mesure qui fait l’objet de la présente proposition de loi, et qui est détaillée infra.

L’expulsion est une mesure administrative qui vise à éloigner un ressortissant étranger du territoire. La décision est prise par le préfet du lieu de résidence de l’étranger : il s’agit alors d’un arrêté préfectoral d’expulsion (APE). En cas d’urgence absolue, ou si l’étranger est protégé ([9]), la décision est prise par le ministère de l’Intérieur et il s’agit d’un arrêté ministériel d’expulsion (AME). À Mayotte, toutefois, en application de l’article R. 651-10 du CESEDA et en raison de la situation migratoire propre au département, les mesures d’expulsion à l’encontre des bénéficiaires d’un régime protection sont prononcées par le représentant de l’État ([10]).

Si une décision d’expulsion est prise, l’étranger est renvoyé, si nécessaire par la contrainte, hors de France. Il peut être, à cette occasion, placé en rétention administrative ou assigné à résidence dans l’attente de la mise à exécution de l’arrêté.  

Lorsque la mesure d’expulsion est exécutée, l’étranger est renvoyé dans le pays dont il a la nationalité, dans le pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ou dans tout autre pays dans lequel il peut légalement séjourner, avec l’accord de cet État. Le préfet de département et, à Paris, le préfet de police sont compétents pour fixer le pays de renvoi d’un étranger ([11]). Lorsqu’il est à l’origine de la décision d’expulsion, le ministre de l’intérieur est compétent ([12]).

L’expulsion est un acte à effet continu. Il en résulte que l’étranger qui en est frappé a interdiction de revenir sur le territoire national, sous peine de sanctions pénales. La seule possibilité pour mettre fin à ces effets consiste à obtenir une décision d’abrogation de ladite décision, qui peut survenir à tout moment ([13]).

Il est à noter qu’un mineur étranger ne peut faire l’objet d’aucune mesure d’expulsion.

3.   Un dispositif peu utilisé par l’autorité administrative

nombre d’arrêtés d’expulsion pour motif d’ordre public pris entre 1995 et 2021

 

1995

1996

 

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Nombre d’arrêtés  préfectoraux d’expulsion pris sur le fondement de l’article L. 631-1

/

/

160

225

243

247

204

292

Nombre d’arrêtés  ministériels d’expulsion pris sur le fondement de l’article L. 631-1, en urgence absolue

/

/

14

14

4

12

14

19

Sous-total article L. 631-1

/

/

174

239

247

259

218

311

Nombre d’arrêtés  ministériels d’expulsion pris sur le fondement de l’article L. 631-2

/

/

7

2

8

5

10

11

Nombre d’arrêtés  ministériels d’expulsion pris sur le fondement de l’article L. 631-3

/

/

19

17

9

16

18

22

Total

1 026

1 166

200

258

264

280

246

344

Source : Rapport n° 949 fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration et au séjour des étrangers en France, M. Thierry Mariani, Assemblée nationale, XIIème législature, 24 juin 2003 et chiffres transmis par le ministère de l’Intérieur.

 

 

Les chiffres ci-après illustrent la situation particulière de l’Île-de-France :

nombre d’arrêtés préfectoraux d’expulsion pour motif d’ordre public pris en île-de-France entre 2019 et aujourd’hui

 

2019

2020

2021

2022 (jusqu’au 13 novembre)

Arrêtés préfectoraux d’expulsion

31

24

50

40

         Source : chiffres transmis par la préfecture de police de Paris.

La modestie de ces chiffres illustre à elle seule toute la nécessité d’un assouplissement du dispositif de l’expulsion pour menace grave à l’ordre public.

Le nombre d’arrêtés d’expulsion effectivement exécutés est plus préoccupant encore :

exécution des arrêtés d’expulsion en France entre 2016 et 2020

 

2016

2017

2018

2019

2020

Nombre d’expulsions exécutées

139 sur 200

210 sur 258

207 sur 264

234 sur 280

124 sur 246

           Source : chiffres transmis par le ministère de l’Intérieur.

Le ministère de l’Intérieur attire l’attention de votre rapporteur sur le fait que les mesures exécutées durant une année ne correspondent pas nécessairement aux mesures prononcées au cours de la même année – par exemple, certaines personnes incarcérées ne peuvent être effectivement expulsées qu’à l’issue de leur peine d’emprisonnement.

Le tableau ci-après présente la situation singulière de l’Île-de-France :

exécution des arrêtés d’expulsion en île-de-France 

 

2019

2020

2021

2022

(jusqu’au 13 novembre)

Arrêtés préfectoraux d’expulsion exécutés

12 sur 31

9 sur 24

6 sur 50

16 sur 40

            Source : chiffres transmis par la préfecture de police de Paris.

 

B.   Les trois régimes d’expulsion des articles L. 631-1 et suivants du CESEDA

Le régime de l’expulsion « simple », prévu à l’article L. 631-1 du CESEDA, permet d’expulser un étranger dès lors qu’il représente une « menace grave pour l’ordre public ». Les articles L. 631-2 et L. 631-3 établissent une liste d’étrangers protégés de ce régime « simple », pour lesquels l’expulsion ne peut être prononcée que pour respectivement une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou pour la sécurité publique » et des « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

1.   Le régime de l’expulsion « simple » prévu par l’article L. 631-1 du CESEDA

En application de l’article L. 631-1 du CESEDA, l’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnées aux articles L. 631-2 et L. 631-3 (cf. infra).

L’article L. 631-1 constitue le premier niveau d’expulsion, usuellement qualifiée d’expulsion « simple ».

Cette dernière requiert que l’étranger concerné constitue une menace « grave » pour l’ordre public.

La notion de menace grave pour l’ordre public

La notion n’est pas définie par un texte qui égrènerait les différents actes ou agissements susceptibles de la caractériser. « Apprécié de manère empirique, ce seuil dépend de variables de temps et de lieu qui compromettent tout effort de systématisation » ([14]).

La menace grave pour l’ordre public peut valablement être fondée sur des actes portant atteinte à l’intégrité physique des personnes, révélant ainsi la dangerosité de l’individu.  Elle présuppose ainsi un certain seuil de gravité. Le trafic de stupéfiants peut, par exemple, être considéré comme constituant une menace grave pour l’ordre public. En revanche, les infractions de moindre gravité (racolage, non‑représentation d’enfants, infraction à la législation sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers, succession de condamnation pour des peines de prison inférieures à une année) ne révèlent aucune menace grave contre l’ordre public ([15]).

Pour fonder son appréciation, l’administration appréhende l’ensemble du comportement de l’intéressé. Une gravité croissante des actes commis ou de la récidive constituent ainsi des éléments déterminants d’appréciation.

La notion est appréciée indépendamment de l’existence de condamnations pénales, bien que ces dernières constituent fréquemment la justification essentielle de la mesure. Cette déconnexion des deux notions s’explique par le caractère préventif de la mesure d’expulsion : les infractions pénales commises par l’étranger concerné ne peuvent, dès lors, être considérées comme nécessaires ou suffisantes. Dans la même logique, le fait qu’un étranger ait purgé une peine pour laquelle il a été condamné ne s’oppose pas au prononcé d’une mesure d’expulsion.

Si l’administration bénéficie d’une certaine latitude pour apprécier des faits qui ne relèvent pas d’une condamantion pénale, elle doit toutefois « rapporter des éléments de preuve et ne peut pas simplement invoquer un risque imprécis » ([16]).

Exemples jurisprudentiels de caractérisation de la menace grave pour l’ordre public :

- un étranger condamné à 30 ans de réclusion criminelle pour assassinat de son épouse, en libération conditionnelle (tribunal administratif de Marseille, 26 juin 2012,  10MA02653) ;

- un étranger ayant commis des viols avec violence (Conseil d’État, 12 sept. 1994) ;

-  un étranger ayant fait l’objet d’une peine d’emprisonnement de huit ans pour viol sur une personne vulnérable et présentant un risque sérieux de récidive (tribunal administratif de Bordeaux, 30 juil. 2009,  08BX03293) ;

- un étranger ayant commis des actes de terrorisme hors du territoire national contre des ressortissants français (tribunal administratif de  Lille, 10 nov. 1994).

2.   Le régime de protection relative prévu par l’article L. 631-2 du CESEDA

Certaines catégories d’étrangers sont aujourd’hui protégées de l’expulsion prévue à l’article L. 631-1 du CESEDA. L’existence de régimes distincts repose sur l’idée que le seuil de gravité tolérable doit varier en fonction du degré d’intégration de l’étranger : ses liens personnels et familiaux en France, ceux avec son pays d’origine, etc. Plus l’étranger dispose de liens forts avec la France, plus la menace qu’il représente permettant de justifier son expulsion doit être importante.

L’article L. 631-2 du CESEDA protège en conséquence les catégories d’étrangers mentionnés de l’expulsion de l’article L. 631-1 du même code. Il dispose que les étrangers ne peuvent faire l’objet d’une décision d’expulsion que si celle-ci constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique, et sous réserve que l’article L. 631-3 n’y fasse obstacle, et s’ils se trouvent dans l’une des quatre situations suivantes :

l’étranger qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition d’établir que l’étranger contribue effectivement à l’entretien ou à l’éducation de l’enfant ([17]) ;  

l’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;

l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention « étudiant » ;

l’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.

La notion de nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique

La notion de nécessité impérieuse constitue un niveau de gravité supérieur à celui de la menace grave pour l’ordre public. Elle ne fait l’objet d’aucune définition légale et apparaît pour la première fois dans la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Elle vise alors essentiellement les terroristes, espions et trafiquants de drogue. Son champ s’est ensuite élargi à l’ensemble des actes portant atteinte à l’intégrité et à la sécurité des personnes, bien qu’aucune liste des infractions ou comportements susceptibles d’être qualifiés comme tels n’existe. La notion se déduit, dans la pratique, de la gravité des faits.

De la même manière que pour la menace grave pour l’ordre public (cf. supra), les infractions pénales ne sont une condition ni nécessaire, ni suffisante pour permettre ce type d’expulsion.

Voici une liste d’exemples issus de la jurisprudence administrative :

- un étranger ayant apporté, par le prêt d’un local, un soutien logistique à un groupe prônant l’action armée (tribunal administratif de  Lille, 25 oct. 1994) ;

- un étranger ayant participé activement à un trafic de stupéfiants (Conseil d’État, 24 mai 1985, Min. Intérieur c/ Allaf) ;

- un étranger ayant participé à des activités terroristes (Conseil d’État, 13 nov. 1985, Min. Intérieur c/ Barrutiabengoa Zabarte) ;

- un étranger ayant commis un viol en réunion sur une mineure de 15 ans (Conseil d’État, 22 sept. 1997, Min. Intérieur c/ Ahmed X) ;

- faits de séquestration et de détention accompagnés d'actes de barbarie commis par un étranger vivant en France depuis plus de 15 ans, marié avec une Française et disant ne plus avoir d'attaches dans son pays d'origine (Conseil d’État, 3 mai 2004, Min. Intérieur c/ Djilali X),

- un étranger s’étant rendu coupable d’espionnage (Conseil d’État, 6 mai 1988, Abdul).

Par dérogation, l’étranger dans l’une de ces situations peut faire l’objet d’une décision d’expulsion en application de l’article L. 631-1 s’il a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans.

L’étranger dans l’une de ces situations peut également faire l’objet d’une décision d’expulsion s’il vit en France en état de polygamie.

3.   Le régime de protection quasi-absolue prévu par l’article L. 631-3 du CESEDA

En application de l’article L. 631-3 du CESEDA, l’étranger relevant de l’une des catégories ci-après ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ([18]) :

étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;

étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié, depuis au moins quatre ans, soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant de la première situation, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage ;

étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui‑ci ou depuis au moins un an ;

étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.

Dans cette dernière hypothèse et depuis le décret n° 2016-1457 du 28 octobre 2016, l’appréciation de l’état de santé est confiée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

Il s’agit du troisième niveau d’expulsion, qui concerne les étrangers les mieux intégrés dans la société française et pour lesquels le niveau de menace doit être le plus élevé pour prendre un arrêté d’expulsion. Il s’agit d’une protection quasi‑absolue qui est conférée à ces publics, tant la caractérisation de cette menace est malaisée.

La notion de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État

Cette notion n’est pas davantage que les deux précédentes définies par les textes.

Elle peut néanmoins être rapprochée des articles 410-1 et suivants du code pénal, aux termes desquels les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent « de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel » ([19]).

Exemples jurisprudentiels :

- imam auteur de prêches antisémites et d’appels à la violence dans plusieurs mosquées de la région parisienne (CE, 1er avril 2015, n° 398181) ;

- responsable religieux en France d’un mouvement islamique extrémiste prônant le recours à la violence et à l'action terroriste, qui tient régulièrement des propos attentatoires aux principes fondamentaux de la République qui incitent à la discrimination ou à la haine contre les populations non musulmanes (TA Paris, 26 juin 2009).

Par dérogation, l’étranger dans l’une ou l’autre des situations mentionnées dans cet article peut faire l’objet d’une décision d’expulsion s’il vit en France en état de polygamie.

L’étranger mentionné à la troisième et quatrième situation (situation maritale ou de paternité d’enfant mineur) peut faire l’objet d’une décision d’expulsion lorsque les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale.

De même, la circonstance que l’étranger concerné ait été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans ne fait pas obstacle à ce qu’il bénéficie des dispositions de cet article.

D’après les services du ministère de l’Intérieur entendus par votre rapporteur, et en particulier la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, le régime de protection issu du présent article constitue le principal obstacle aux expulsions. Par exemple, un ressortissant étranger violeur récidiviste avec circonstances aggravantes n’a pas pu être expulsé parce qu’il ne représentait pas une menace terroriste et qu’il était arrivé sur le territoire et y résidait habituellement depuis l’âge de treize ans.

4.   Cas particuliers

Les étrangers citoyens de l’Union européenne et les membres de leur famille peuvent également faire l’objet d’une décision d’expulsion, sous réserve que leur comportement personnel représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. L’article L. 252-1 du CESEDA précise que pour prendre une telle décision, l’autorité administrative « tient compte de l’ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée de son séjour sur le territoire national, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle dans la société française ainsi que l’intensité de ses liens avec son pays d’origine ». Toutefois, sous réserve que l’article L. 631-3 du même code n’y fasse pas obstacle, le citoyen de l’Union européenne qui séjourne régulièrement en France depuis dix ans ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion, en application de l’article L. 631-2, que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique ([20]).

Les demandeurs d’asile ne peuvent pas se prévaloir d’une protection particulière. Ils peuvent ainsi être expulsés en application des dispositions de l’article L. 631-1 du CESEDA. Il en va de même pour les réfugiés statutaires et les bénéficiaires de la protection subsidiaire. L’article 32 de la Convention de Genève de 1951 prévoit d’ailleurs que les États « n’expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public ».

En matière procédurale, le droit commun de l’expulsion s’applique sous une réserve propre aux réfugiés statutaires : la Cour nationale du droit d’asile doit être saisie pour avis si l’expulsion est prononcée pour des raisons de sécurité nationale, d’ordre public ou de menace pour la communauté du pays. Le recours est alors suspensif d’exécution et doit être exercé dans le délai d’une semaine. L’avis motivé de la Cour sur le maintien ou l’annulation du projet d’expulsion est transmis aux ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, mais il est non contraignant.

Il est naturellement prohibé de prononcer tout éloignement forcé à destination d’un pays dans lequel la vie ou la liberté de la personne y seront menacées ou qu’elle risquerait d’être exposées à des traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

Article 3 de la CEDH

Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants.

C.   La procédure administrative

Le CESEDA fixe plusieurs conditions à l’édiction d’une décision d’expulsion. L’étranger :

reçoit un bulletin de notification, qui l’avise qu’une procédure d’expulsion est engagée à son encontre, en précise les raisons et contient la date, l’heure et le lieu de la réunion de la commission qui doit l’entendre, ainsi que les garanties dont il bénéficie devant cette instance consultative. Ce bulletin doit être remis quinze jours au moins avant la date de la réunion ;

est entendu par une commission départementale avant toute décision du préfet. Cette commission est composée du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département, d’un magistrat désigné par même tribunal et d’un conseiller de tribunal administratif.  Les débats sont publics. L’étranger doit, à cette occasion, faire valoir toutes les raisons qui militent contre son expulsion ([21]). La commission ne produit in fine qu’un avis non contraignant et celui-ci doit obligatoirement être motivé.

En cas d’urgence absolue, ces conditions ne s’appliquent pas. Le recours à cette procédure est le plus souvent lié à un risque terroriste ou à un prosélytisme religieux particulièrement actif.

L’administration est tenue de réexaminer systématiquement tous les cinq ans l’arrêté d’expulsion ([22]). Ce nouvel examen tient compte de l’évolution de la menace pour l’ordre public que l’étranger représente, des changements intervenus dans sa situation personnelle et de ses garanties de réinsertion professionnelle ou sociale. En l’absence de réception par l’étranger d’une décision d’abrogation, la mesure d’expulsion est maintenue. Le refus peut également être explicite. Un recours en annulation est possible contre un refus d’abrogation, qu’il soit explicite ou implicite.

D.   Le contrôle juridictionnel

La décision d’expulsion constitue une mesure de police administrative. Elle relève donc de la compétence du juge administratif de droit commun. Les raisons expliquant l’absence de règles dérogatoires en matière d’expulsion sont à la fois de l’ordre de l’opportunité (le nombre d’arrêtés pris est sans commune mesure avec le nombre d’OQTF par exemple) et juridiques (l’urgence entourant l’expulsion commande de ne pas accorder un effet suspensif automatique au recours).

L’arrêté d’expulsion peut faire l’objet d’un recours en annulation pour excès de pouvoir.

En raison de l’absence d’effet suspensif du recours au fond, ce contentieux laisse également une place importante aux procédures d’urgence. Le juge considère que l’urgence est présumée, sauf circonstances contraires. L’étranger peut, dès lors, valablement introduire une requête en référé-suspension contre un arrêté d’expulsion, puisqu’il n’existe aucune procédure contentieuse particulière pour contester ces arrêtés, ni aucun recours suspensif de plein droit. Le juge a également accueilli des conclusions aux fins de référé‑liberté ([23]).

Pour plus de détails sur le contentieux relatif aux décisions d’expulsion, votre rapporteur invite à la lecture du rapport de son collègue, M. Éric Ciotti, rapporteur de la proposition de loi n° 352 portant création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers délinquants, examinée par l’Assemblée nationale selon le même calendrier.

II.   Le dispositif proposé

A.   Étrangers et insécurité : ne céder ni à la xénophobie, ni à l’angélisme

Pour rappel, en 2021, les étrangers représentent environ 7,7 % de la population totale vivant en France.

D’après les chiffres transmis par le ministère de la Justice à votre rapporteur, en 2021 :

27 % des mis en cause en matière d’atteinte à la personne humaine et aux biens étaient étrangers ;

16 % des mis en cause en matière de circulation et de transport étaient étrangers ;

17 % des mis en cause en matière d’atteinte à l’autorité de l’État étaient étrangers.

D’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, plus de la moitié (56 %) des mis en cause impliqués dans des vols ou violences dans les transports en commun en 2021 sont des étrangers ([24]). En Île-de-France, 70 % des mis en cause impliqués dans les faits liés aux transports en commun sont étrangers ([25]).

La part des personnes étrangères parmi les mis en cause a fortement progressé entre 2010 et 2019 : + 18 points pour les vols de véhicules, + 14 points pour les vols violents sans arme, + 14 points pour les vols sans violence contre des personnes et + 12 points pour les cambriolages ([26]).

Ces proportions varient fortement sur le territoire. D’après les chiffres transmis par la direction générale de la police nationale du ministère de l’Intérieur à l’occasion des auditions conduites par votre rapporteur, il ressort qu’à Marseille, les étrangers représentent 11 % de la population totale et 30 % des mis en cause; à Lyon, ces proportions s’élèvent à respectivement 10 % et 44 %.

En 2021, parmi les 463 403 condamnés, 71 819 étaient de nationalité étrangère, soit 16 %. Cette proportion était de 15 % en 2018 et de 14 % en 2015 ([27]).

Au 30 septembre 2022, et d’après les chiffres transmis par le ministère de la Justice, 25 % du total des détenus étaient de nationalité étrangère. La proportion s’établit à 37 % en Île‑de‑France, à 48 % en Guyane et à 52 % à Mayotte.

Ces chiffres témoignent d’un lien statistique entre la présence d’étrangers sur le territoire et l’insécurité. Ce lien statistique ne doit être ni surestimé, ni nié. En tout état de cause, ils démontrent que le dispositif d’expulsion pour menace grave à l’ordre public est largement sous-utilisé par l’autorité administrative au regard de son vivier potentiel.

B.   La nécessité d’élargir le champ des catégories d’étrangers pouvant faire l’objet d’une expulsion pour menace grave pour l’ordre public

L’article unique de la proposition de loi tend à modifier les articles L. 631‑2 et L. 631-3 du CESEDA, pour restreindre les catégories d’étrangers protégées du régime d’expulsion « simple » pour menace grave à l’ordre public.

Il apparaît en effet que ces protections amputent excessivement la capacité de l’autorité administrative à expulser des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public.

état du droit (articles L. 631-1 et suivants du CESEDA)

Niveau de menace nécessaire pour prononcer une expulsion

Étrangers concernés

Menace grave pour l’ordre public

 

(régime de l’article L. 631-1 du CESEDA)

L’étranger à l’exception des catégories mentionnées aux articles L. 631-2 et L. 631-3 du CESEDA.

 

L’étranger dans les situations énumérées à l’article L. 631-2, s’il a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans, ou s’il vit en France en état de polygamie.

 

L’étranger dans les situations énumérées à l’article L. 631-3 s’il vit en France en état de polygamie.

 

L’étranger dans les situations 3° et 4° de l’article L. 631-3, lorsque les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants, ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale.

 

Nécessité impérieuse pour l’État ou la sécurité publique

 

(régime de l’article L. 6312 du CESEDA)

1° L’étranger qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an.

 

2° L’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française.

 

3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention « étudiant ».

 

4° L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.

 

L’étranger dans les situations 3° et 4° de cet article, lorsque les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants, ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale.

Comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personne

 

(régime de l’article L. 631-3 du CESEDA)

1° L’étranger qui justifie, par tous moyens, résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l'âge de treize ans.

 

2° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans.

 

3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage.

 

4° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an.

 

5° L'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.

Source : articles L. 631-1 et suivants du CESEDA.

dispositif de la proposition de loi

En gras : les ajouts ;

Barré : les suppressions.

 

Niveau de menace nécessaire pour prononcer une expulsion

Étrangers concernés

Menace grave pour l’ordre public

 

(régime de l’article L. 631-1 du CESEDA)

Mêmes catégories que celles présentées supra.

 

L’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française.

 

L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention « étudiant ».

 

L’étranger titulaire d’une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.

 

L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans.

 

L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1° ([28]), à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage.

 

L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an.

Nécessité impérieuse pour l’État ou la sécurité publique

 

(régime de l’article L. 6312 du CESEDA)

1° L’étranger qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an.

 

2° L’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française.

 

3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été pendant toute cette période titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention « étudiant ».

 

4° L’étranger titulaire d’une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.

 

Comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personne

 

(régime de l’article L. 631-3 du CESEDA)

1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans.

 

2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans.

 

3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage.

 

4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an.

 

5° L’étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.

 

Les auditions des préfets conduites par votre rapporteur ont mis en exergue ces difficultés :

en Guyane, par exemple, aucune expulsion n’a pas pu être décidée en application de l’article L. 631-1 du CESEDA. En effet, dans ce département d’outre-mer, « la délivrance des titres de séjour se fait essentiellement sur la vie privée et familiale » ([29]) ;par conséquent, ces publics y relèvent des régimes de protection prévus par les articles L. 631-2 et L. 631‑3 ;

à Mayotte, le préfet a également indiqué à votre rapporteur que le régime de protection prévu par le CESEDA constituait un obstacle majeur à l’usage de l’outil de l’expulsion pour menace grave à l’ordre public, s’agissant en particulier des parents et conjoints de personnes ayant la nationalité française ([30]). Dans ce département d’outre-mer, seulement 4 arrêtés d’expulsion ont ainsi été pris depuis le début de l’année en cours ;

en Île-de-France, alors que le territoire enregistre 40 % des premières demandes de titre de séjour, et malgré le contexte précédemment indiqué, le nombre d’arrêtés pris chaque année est très faible (50 en 2021).

Ces obstacles ont été également été soulignés par les différents services du ministère de l’Intérieur.

Votre rapporteur est pleinement conscient que cette seule évolution législative ne lèvera pas tous les freins à l’expulsion pour menace grave à l’ordre public. En effet, l’évolution souhaitée nécessite, au-delà d’une modification de la loi, que d’autres conditions soient réunies :

une coordination étroite entre de nombreux acteurs : forces de sécurité, autorité judiciaire, administration pénitentiaire, réseau diplomatique, États membres de l’Union européenne. Votre rapporteur a d’ailleurs jugé utile d’inscrire sa réflexion dans un cadre extra et supranational, en auditionnant la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne et l’ambassadeur de France aux Comores ;

une augmentation du taux d’exécution des expulsions, qui atteint seulement 20 % en Île-de-France par exemple. Pour cela, il convient de résoudre les désormais bien documentées difficultés d’obtention des laissez-passer consulaires, les refus d’embarquement et autres obstacles logistiques en lien avec la crise sanitaire, et d’accroître la capacité des centres de rétention administrative (CRA).

Le dispositif du présent texte permettra, toutefois, d’assouplir de manière significative le dispositif de l’expulsion pour menace grave à l’ordre public, en donnant davantage de marges de manœuvre à l’autorité administrative.

C.   La compatibilité des dispositions avec les normes supra-législatives

1.   Le préambule de la Constitution de 1946

S’agissant du dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que la « Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », le Conseil constitutionnel a considéré, dans une décision du 3 septembre 1986 (n° 86-216), qu’il « appart[enait] au législateur d’apprécier les conditions dans lesquelles les droits de la famille peuvent être conciliés avec les impératifs d’intérêt public » et que, s’il pouvait permettre à l’autorité chargée de se prononcer sur l’expulsion d’un étranger de tenir compte de tous éléments d’appréciation, y compris, si besoin est, de sa situation familiale, il ne transgressait aucune disposition constitutionnelle en faisant prévaloir les nécessités de l’ordre public.

2.   La Convention européenne des droits de l’homme

D’aucuns ne manqueront pas d’objecter qu’une telle évolution du droit serait de nature à porter atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui consacre le droit au respect de la vie privée et familiale. Or, aucune disposition de la Convention ne vise expressément la protection des individus faisant l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire ; seule une protection indirecte existe, à travers le mécanisme prétorien de la protection « par ricochet ». L’arrêt Üner c/ PaysBas de 2006 systématise les critères d’appréciation des procédures d’éloignement en posant huit critères, parmi lesquels la nature et la gravité de l’infraction, la durée du séjour dans le pays d’accueil, ou encore la situation familiale du requérant. Comme l’a souligné Madame Béatrice Pastre‑Belda dans Les cahiers du Conseil constitutionnel d’avril 2021 (n° 6), la nouvelle politique jurisprudentielle de la Cour européenne depuis environ dix ans consiste néanmoins essentiellement à déléguer aux autorités internes le soin de procéder à l’équilibre des intérêts en présence. Depuis l’arrêt Ndidi c/ Royaume-Uni de 2017, la Cour considère que, dès lors que les autorités nationales ont réalisé une mise en balance équilibrée des différents intérêts, il ne lui revient pas d’y substituer sa propre appréciation, sauf si elle a de fortes raisons de le faire.

De surcroît, rappelons que la Convention ne confère pas à une quelconque catégorie d’étrangers un droit absolu à la non-expulsion.

3.   Le droit de l’Union européenne

Le dispositif de la présente proposition de loi peut être analysé au regard de l’article 12 de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée ([31]), qui dispose : « les États membres ne peuvent prendre  une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée que lorsqu’il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique » et qu’avant de prendre une décision d’éloignement, les États membres prennent en compte plusieurs critères, parmi lesquels la durée de résidence sur le territoire, l’âge de la personne concernée, ou encore les conséquences pour elle et pour les membres de sa famille.

Il résulte de cette disposition qu’une mesure d’expulsion ne peut pas être ordonnée automatiquement à la suite d’une condamnation pénale par exemple, mais qu’elle requiert une appréciation au cas par cas en fonction de la situation de l’étranger. La présente proposition de loi y est conforme, puisqu’elle ne propose nullement de revenir sur ce point. 

Dans une note transmise par la direction générale des étrangers en France (DGEF) aux préfets, celle-ci indique d’ailleurs, sur ce point, que « les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et du Conseil d’État jugent rarement disproportionnée la prise de ces mesures à l’encontre d’étrangers qui, par leurs agissements, constituent une menace pour l’ordre public ».

Cet article a été rejeté à la suite de son examen par la Commission.

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   Examen En commission

Lors de sa première réunion du mercredi 23 novembre 2022, la Commission examine la proposition de loi visant à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public (n° 354) (M. Mansour Kamardine, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/zS9qSB

M. Mansour Kamardine, rapporteur. La proposition de loi a été déposée par notre collègue Olivier Marleix et plus de soixante cosignataires. Elle vise à élargir les catégories d’étrangers pouvant faire l’objet d’une expulsion pour menace grave à l’ordre public.

En amont de ma prise de parole, je tiens à remercier les services du ministère de l’intérieur, les préfets, l’ambassadeur de France aux Comores, la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne et l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour leur participation précieuse à mes travaux, malgré un calendrier très contraint. Il m’a également semblé utile d’entendre des associations. Je regrette qu’elles n’aient pas souhaité donner suite à mon invitation.

Quelques mots, en premier lieu, sur le lien statistique entre la présence d’étrangers sur notre sol et l’insécurité. Je sais le caractère éruptif de ce sujet, mais je suis convaincu qu’il nous appartient d’en prendre la juste mesure pour légiférer efficacement. Pour rappel, la population étrangère représente environ 7,7 % de la population totale vivant en France, mais 27 % des mis en cause en matière d’atteinte à la personne et aux biens, 56 % des mis en cause impliqués dans les vols ou violences dans les transports en commun en 2021 – 70 % en Île-de-France –, 16 % des personnes condamnées, 25 % des personnes détenues sur l’ensemble du territoire – 37 % en Île-de-France et 52 % à Mayotte, l’actualité récente nous le rappelle.

La proportion des étrangers parmi les mis en cause et les détenus a augmenté au cours des dernières années. À gauche, ce lien statistique est nié ou atténué ; à droite, il est fantasmé, amplifié. Notre proposition de loi vise à apporter une première réponse à cet état de fait. Sans rien céder de la tradition d’accueil qui honore notre pays, elle vise à renforcer le dispositif d’expulsion pour menace grave à l’ordre public, en donnant davantage de marges de manœuvre à l’autorité administrative.

L’expulsion est une décision administrative qui peut être prise par le représentant de l’État ou par le ministre de l’intérieur à l’encontre d’un étranger qui représente une menace grave pour l’ordre public. Les étrangers en situation irrégulière comme régulière peuvent faire l’objet d’une telle décision. Si une décision d’expulsion est prise, l’étranger est renvoyé, si nécessaire par la contrainte, hors de France.

Les mesures d’expulsion sont entourées de certaines obligations procédurales qui reconnaissent à l’étranger des garanties substantielles en matière de transmission d’informations et de respect du contradictoire avec l’autorité administrative.

Les articles L. 631-2 et L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), que la proposition de loi suggère de faire évoluer, mettent en place un système de protection pour certains étrangers, en fonction de leur situation familiale, de la durée de leur séjour ou de leur état de santé. Seul le ministre de l’intérieur, et non les préfets, peut décider d’une expulsion entrant dans ce cadre. Pour ces étrangers protégés, le niveau de menace permettant de décider de leur expulsion doit être supérieur à celui de la « menace grave pour l’ordre public ». Pour les catégories d’étrangers mentionnés à l’article L. 631-2, la décision d’expulsion doit constituer une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique ». Pour les catégories d’étrangers mentionnés à l’article L. 631-3, la décision ne peut être prise qu’en cas de « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

La proposition de loi met fin à l’ensemble de ces protections, à l’exception de trois d’entre elles : pour l’étranger père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, sous certaines conditions, en application de l’article L. 631-2 ; pour l’étranger qui justifie résider habituellement en France depuis qu’il a atteint l’âge de 13 ans au plus ; pour celui résidant habituellement en France si son état de santé le justifie, en application de l’article L. 631-3.

Pour les autres catégories, la conviction sous‑jacente est la suivante : même lorsqu’un étranger dispose de fortes attaches avec la France et qu’il y séjourne depuis un nombre significatif d’années, il doit rester respectueux de l’ordre public s’il souhaite se maintenir sur notre territoire. Les étrangers protégés ont ainsi vocation à basculer dans le régime de droit commun de l’expulsion, celui pour lequel la caractérisation d’une menace grave pour l’ordre public est suffisante.

Je vous donne deux exemples de cas jurisprudentiels de menace grave pour l’ordre public : un étranger ayant fait l’objet d’une peine d’emprisonnement de huit ans pour viol sur une personne vulnérable et présentant un risque sérieux de récidive ; un étranger condamné à trente ans de réclusion criminelle pour l’assassinat de son épouse. La menace grave pour l’ordre public, qui n’est définie par aucun texte et est appréciée indépendamment de l’existence d’une condamnation pénale, ne repose ainsi pas sur des comportements illégaux mineurs, mais suppose un certain seuil de gravité.

Les régimes de protection mis en place par les articles L. 631‑2 et L. 631-3 du Ceseda amputent de façon excessive les marges de manœuvre de l’autorité administrative. Cette analyse m’a été confirmée par les préfets et les services du ministère de l’intérieur à l’occasion des auditions. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2016 et 2021, entre 200 et 344 décisions d’expulsion ont été prises chaque année en application des articles L. 631-1 et suivants du Ceseda. En 1996, ce chiffre s’élevait à 1 166.

Parmi ces décisions, en 2021, seulement 33 ont été prises sur le fondement des régimes dérogatoires des articles L. 631-2 et L. 631‑3. Le niveau de menace à l’ordre public à caractériser est tellement élevé et spécifique qu’il rend dans la pratique quasiment impossible toute expulsion pour ces catégories d’étrangers protégés.

J’ai conscience que ce seul dispositif ne permettra pas de régler la totalité des difficultés. Perdureront de nombreux obstacles à l’exécution des décisions d’expulsion. Cependant, j’ai acquis la conviction que notre proposition de loi fait un pas en avant significatif en déverrouillant le dispositif de l’expulsion pour menace grave à l’ordre public. Je proposerai par ailleurs plusieurs amendements pour assouplir plus encore ce régime.

Je sais les tensions et clivages que suscite le thème de cette proposition de loi et je formule le vœu que nous parviendrons à un débat raisonné et constructif.

M. Guillaume Gouffier-Cha (RE). En l’état de notre droit, la mesure d’expulsion permet, par opposition à l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public, même lorsqu’il se trouve en situation régulière. Le retrait préalable du titre de séjour n’est donc pas nécessaire.

Toutefois, des réserves de niveau légal, qui ne découlent ni d’obligations constitutionnelles ni d’exigences conventionnelles, bénéficient notamment à l’étranger entré en France avant l’âge de 13 ans, à l’étranger résidant en France depuis plus de dix ans ou encore à l’étranger marié à un conjoint français depuis plus de trois ans.

En l’espèce, il s’agit de supprimer la plupart de ces protections contre les décisions d’expulsion, notamment pour les étrangers mariés avec un conjoint français depuis plus de trois ans, les étrangers qui résident régulièrement en France depuis plus de dix ans, ou encore les titulaires d’une rente d’accident du travail ou d’invalidité de plus de 20 %. Cette proposition ne remet toutefois pas en cause la protection des mineurs de moins de 18 ans, ni celle des étrangers arrivés en France avant l’âge de 13 ans.

Nous vous rejoignons sur le fait que les dispositions en vigueur ne sont pas toujours opérantes. Un trou dans la raquette organise ainsi le phénomène des « ni-ni », ces étrangers qui ne sont ni expulsables, ni régularisables. Ils ne sont pas expulsables car ils sont entrés en France avant l’âge de 13 ans, y résident depuis plus de dix ans ou sont mariés à un conjoint français depuis plus de trois ans. Des verrous législatifs, qu’on désigne par le terme de réserves, font obstacle à leur expulsion. Ils ne sont pourtant pas non plus régularisables car ils poussent l’incivilité jusqu’à la délinquance, ce qui interdit la délivrance d’un titre de séjour.

Mais il ne nous apparaît pas de bonne méthode de supprimer sèchement les réserves d’ordre public les unes après les autres. Nous n’apporterons donc pas notre soutien à ce texte, et rejetterons les amendements qui s’y greffent opportunément.

Toutefois, compte tenu des futurs travaux de notre assemblée sur la question et de l’état perfectible de notre droit, nous étudierons avec vous, si vous en êtes d’accord, l’opportunité d’une réécriture du texte en vue de la séance, dans le sens d’un assouplissement plus proportionné de ces réserves législatives d’ordre public, qui pourraient être subordonnées à des quanta de peine sous le contrôle du juge et sans remise en cause du droit à la vie privée et familiale. Nous poursuivons notre réflexion, notamment dans le cadre d’un groupe de travail interne. Nous vous demandons par ailleurs, au vu de l’importance du sujet, si vous pourriez demander son avis sur cette proposition de loi au Conseil d’État afin d’éclairer nos échanges et nos travaux. En tout état de cause, la protection des mineurs contre l’éloignement ne doit pas être remise en cause.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il s’agit d’un sujet épineux qu’il faut dépassionner, mais analyser concrètement car, oui, il y a un lien entre immigration et insécurité. Alors qu’ils représentent 7,4 % de la population en France, les étrangers sont à l’origine de 19 % des actes de délinquance. À Paris, ce chiffre monte à 48 %, et jusqu’à 70 % pour les vols avec violences. Dans les prisons françaises, un détenu sur quatre est un étranger. Après des années de déni, le ministre de l’intérieur lui-même affirme qu’il y a un problème de délinquance étrangère en France, paradoxalement relayé par le Président de la République, recordman de l’immigration légale et illégale.

L’expulsion des délinquants et criminels étrangers, de tous ceux qui représentent une menace est une urgence.

Je ne vais pas multiplier les exemples – on peut les lire régulièrement dans la presse quotidienne régionale – mais nombreux sont les étrangers qui ont violé, qui agressent ou menacent et qui, pourtant, vivent toujours sur notre territoire. Le droit protège bien plus les étrangers qui ont commis des crimes et délits que les victimes.

Pire encore, lorsque l’expulsion est prononcée, après d’innombrables recours, l’OQTF n’est que rarement appliquée. Pendant ce temps, les faits divers sordides et insupportables se multiplient et les citoyens français sont contraints de les subir, tout comme les étrangers vivant régulièrement en France dans le respect de nos lois.

Ce n’est pourtant pas compliqué à comprendre : un étranger en France est par définition un invité. S’il se comporte mal, il doit partir ! Or force est de constater que le droit rend ce principe simple – de bon sens – difficile voire impossible à appliquer. Tout le monde l’a bien compris, même les délinquants et criminels étrangers.

Il faut que cela change ! Il faut fermer le robinet migratoire et expulser systématiquement tout étranger qui contrevient aux lois françaises. Marine Le Pen a notamment proposé de faire inscrire dans la Constitution par voie référendaire le principe selon lequel nul étranger n’a le droit de se maintenir en France ou d’y revenir s’il a commis des actes illégaux ou contraires aux intérêts nationaux. Au regard des mesures nécessaires, le texte qui nous est proposé est insuffisant. Mais c’est un petit pas, dans la bonne direction, celle du retour à l’ordre républicain et d’une nécessaire fermeté de l’État.

À défaut de revoir notre politique migratoire de fond en comble – il faudra le faire tôt ou tard –, nous vous proposons de voter les amendements que nous allons vous soumettre, qui corrigent et complètent la proposition de loi. Limiter drastiquement l’immigration, mettre fin à la logique de l’excuse, cesser la repentance stérilisatrice : voilà la seule piste possible. En attendant de l’emprunter, ce texte va dans la bonne direction. Nous y sommes favorables.

Mme Mathilde Desjonquères (Dem). Votre proposition de loi traite d’un sujet primordial. Un débat, attendu, aura lieu à l’Assemblée nationale le 6 décembre prochain : la politique d’asile et d’immigration de la France est un sujet beaucoup trop important pour être abordé sans recul ou en réaction à des événements d’actualité.

En outre, notamment grâce au travail mené par Marielle de Sarnez, alors présidente de la commission des affaires étrangères, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a permis des avancées considérables : accélération du traitement des demandes d’asile, rééquilibrage de la prise en charge des demandeurs d’asile sur le territoire, nouveaux instruments administratifs pour une meilleure exécution des mesures d’éloignement prononcées par les préfets.

Quatre ans après l’adoption de cette loi, il est nécessaire de lancer un acte II de la politique d’immigration de la France. C’est tout le sens de la réflexion amorcée par le ministre de l’intérieur et des outre-mer, conjointement avec le ministre du travail, du plein-emploi et de l’insertion.

Votre proposition de loi participe à cette réflexion, mais elle est trop précoce pour être adoptée en l’état. Elle réécrit deux articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de supprimer les protections contre les décisions d’expulsion pour les étrangers mariés avec un conjoint français depuis plus de trois ans, les étrangers qui résident régulièrement en France depuis plus de dix ans et les titulaires d’une rente d’accident du travail ou d’invalidité de plus de 20 %. Mais la proposition de loi ne remet pas en cause la protection des mineurs de moins de 18 ans, ni celle des étrangers arrivés en France avant l’âge de 13 ans.

La majorité souhaite, elle aussi, améliorer l’efficacité de la chaîne de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière qui causent des troubles à l’ordre public. Mais le groupe Démocrate émet des réserves sur certaines dispositions de votre proposition de loi : la suppression de la protection de certaines catégories de personnes présente des risques juridiques vu l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit d’expulser un étranger quand cette mesure a pour effet de porter une atteinte excessive au respect de la vie privée et familiale.

En outre, votre proposition de loi risque d’engendrer des difficultés procédurales : les personnes seront difficilement expulsables, mais ne pourront pas non plus bénéficier d’un titre de séjour, compte tenu de leurs actes de délinquance.

Enfin, vous entendez supprimer la protection concernant les étrangers titulaires d’une rente d’accident du travail. Cette disposition va à l’encontre de l’esprit du projet de loi que nous examinerons prochainement, qui prévoit la création d’un titre de séjour pour les métiers en tension. Dans ces métiers, des accidents du travail peuvent survenir, et la mesure que vous proposez constituerait une double peine pour les titulaires de tels titres.

Le sujet mérite une réflexion globale et un travail législatif de fond, loin de la précipitation et des polémiques. Cette semaine, le ministère de l’intérieur et des outre-mer a entamé des consultations en vue de l’examen d’un projet de loi. Nous débattrons donc de ces sujets très bientôt au Parlement. C’est pourquoi les députés du groupe Démocrate voteront contre votre texte.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Le 9 juillet dernier, Gérald Darmanin annonçait vouloir rendre possible l’expulsion de « tout étranger ayant commis des actes graves ». Mécontent de voir le ministre traître le doubler par sa droite, le député Ciotti en profite pour déposer le 20 septembre une proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des étrangers causant des troubles à l’ordre public. Ce texte ressemble à s’y méprendre à celui que nous examinons aujourd’hui. Notre droite républicaine suit le mouvement de l’exécutif en se mettant à la remorque de l’extrême droite. À la fin, nous savons tous qui sortira renforcé de ces opérations de communication politique.

Contrairement à ce que semble croire le rapporteur, faciliter l’expulsion des étrangers n’aura aucun effet sur le taux d’exécution des OQTF, taux sur lequel une bonne partie de l’hémicycle fantasme. Celui-ci est bas car la France émet un nombre déraisonnable de mesures d’éloignement par rapport à ses voisins européens : leur nombre est passé de 60 000 en 2011 à près de 122 000 en 2021.

Et, pourtant, notre pays n’a pas été submergé par une vague migratoire. Les régions d’Europe qui ont connu les plus fortes hausses relatives de populations immigrées depuis l’an 2000 sont l’Europe du Sud – + 181 % –, les pays nordiques – + 121 % –, le Royaume-Uni et l’Irlande – + 100 % –, l’Allemagne et l’Autriche – + 75 %. Dans ce tableau européen, la France occupe une position très inférieure à la moyenne – + 36 % d’immigrés en l’espace de vingt ans.

Le rapporteur s’étonne qu’un quart des personnes détenues en France soient étrangères. Je l’invite à lire un peu de sociologie de la délinquance afin qu’il comprenne les causes de cette surreprésentation : la déviance est traditionnellement le fait d’hommes jeunes et célibataires, profil majoritaire au sein de la population immigrée ; la sélectivité pénale que l’on observe dans les statistiques cible les plus pauvres en les définissant comme population punissable, les populations immigrées étant les plus précarisées.

Sans grande surprise, je n’ai rien lu dans le texte sur les individus soupçonnés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI), ni sur les dirigeants d’entreprises étrangères coupables de fraude fiscale contre notre pays ou les titulaires de visas dorés. En revanche, le texte propose sans complexe d’expulser un travailleur immigré devenu invalide à la suite d’un accident du travail sur notre sol.

L’enceinte du Palais-Bourbon a été souillée par le racisme il y a deux semaines déjà. Excepté le Rassemblement national, tous les groupes politiques ont fait front à cette occasion, même celui des Républicains. Et voilà que l’on propose un texte qui, dans son exposé des motifs, prête aux personnes étrangères issues de l’immigration africaine le gène de la délinquance.

Une odeur nauséabonde se dégage de ce texte. Mais laquelle ? Celle du congrès des Républicains ! Nous devenons les instruments de politiciens peu scrupuleux qui profitent du règlement de l’Assemblée nationale à une seule fin : résoudre une lutte des places pour la présidence d’un parti, un parti incapable de se situer dans l’opposition parlementaire quand la responsabilité du Gouvernement est mise en cause, soit dit en passant. Qui saura le mieux surenchérir sur le dos des étrangers ? Qui, de M. Ciotti ou M. Retailleau, sortira vainqueur de cette mascarade ? Permettez-moi de dire que la représentation nationale s’en contrefiche. S’il vous fallait une seule raison pour voter contre ce texte, je viens de vous la donner.

M. Éric Pauget (LR). Il ne s’agit pas de remettre en cause les fondements de notre pays, terre d’accueil historique, mais bien de rappeler que, si la France est une chance, elle doit se mériter. Non, ce n’est pas un réquisitoire à charge contre les étrangers, mais un mémoire en défense pour protéger les Français, car nous leur devons la sécurité.

Nous devons oser dire qu’un étranger ne peut demeurer sur notre territoire s’il agresse, s’il tue et fait l’objet d’une décision d’éloignement. Cette règle simple doit redevenir un principe cardinal. Il y va de la réussite de notre politique migratoire et sécuritaire, mais surtout de la sécurité et de la crédibilité de la France. Notre pays rajoute des barrières aux expulsions des étrangers ; pire, il ne respecte même plus son propre droit quand il ne fait pas appliquer la loi, malgré des décisions de justice.

D’après les derniers chiffres du ministère de l’intérieur, la France prononce plus de 100 000 OQTF par an, mais seulement 5 % de ces décisions sont exécutées. Les chiffres sont implacables, autant que dangereux… Hier encore, dans mon département, les Alpes-Maritimes, un étranger connu des services de police a tailladé le visage d’un étudiant de 18 ans pour lui arracher son collier, alors qu’il faisait l’objet d’une OQTF depuis le mois d’août. S’il avait été expulsé, cela ne serait jamais arrivé. Faut-il rappeler Lola, Laura et Mauranne à Marseille, le père Olivier Maire en Vendée ? Tous seraient encore là si les expulsions avaient été exécutées.

Mes chers collègues, la non-exécution des OQTF est un scandale qui tue. Combien de Français doivent encore perdre la vie pour que nous réagissions ? Ce sont 40 % des personnes inscrites au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait) qui sont de nationalité étrangère et pas moins de 779 000 personnes faisant l’objet d’une OQTF seraient toujours présentes en France. Pourtant, on continue de multiplier les protections pour éviter l’éloignement des étrangers « protégés ». Il faut mettre fin à cette folie, car c’est une véritable bombe à retardement. C’est pourquoi je vous invite à voter ce texte courageux, défendu par les Républicains et notre président de groupe, Olivier Marleix, qui vous propose d’assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour notre pays et nos concitoyens.

M. Hervé Saulignac (SOC). Votre proposition de loi, chacun en conviendra, est l’illustration d’une dérive. Ainsi, vous reprenez une marotte servie bien souvent par l’extrême droite, certains étrangers n’étant pas aussi facilement expulsables que vous le souhaiteriez. Et au passage, vous n’oubliez pas de confondre dans l’exposé des motifs mesures d’expulsion, qui concernent les étrangers en situation régulière, et mesures d’éloignement, qui permettent la reconduite à la frontière des étrangers irréguliers.

Même si c’est peine perdue, je voudrais vous rappeler que notre législation s’inscrit dans un cadre : je pense notamment à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, à la Constitution, bien sûr, et aux conventions internationales qui ne semblent guère vous embarrasser, puisque vous n’en faites même pas mention. L’article 8 de la Convention européenne garantit « à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale », qu’elle soit française ou étrangère. Le respect de la vie privée et familiale ne fait pas obstacle à la justice et à la sanction. La France a été condamnée plusieurs fois sur le fondement de l’article 8 dans le cadre de mesures d’expulsion prises à l’encontre d’étrangers condamnés, la Cour relevant des atteintes disproportionnées par rapport au but légitime poursuivi. Aussi, loin de se montrer laxiste en la matière, notre pays sait-il parfois faire preuve d’un zèle incontestable.

Je pourrais également arguer qu’en l’état du droit, la loi rend possible des expulsions si un juge constate la « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique ». Ces expulsions sont également possibles pour ceux qui ont été condamnés définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. Votre exposé des motifs est d’ailleurs assez contradictoire, puisque, d’un côté, vous reconnaissez que le juge peut expulser, et quelques alinéas plus loin, vous indiquez que les étrangers « ne peuvent pas être expulsés même s’ils présentent une menace pour la sécurité publique ».

Je pourrais développer plus avant la liste des arguments, mais je doute que ce soit utile, tant votre proposition de loi s’appuie sur des émotions, des faits divers et des flambées médiatiques, qui ne sont jamais bonnes conseillères lorsqu’il s’agit de légiférer sur un sujet sensible, à moins d’assumer pleinement une inspiration populiste.

Enfin, même si vous vous en défendez, votre texte alimente la défiance, pour ne pas dire la méfiance, de l’étranger, et ne pourra pas être lu autrement par celui qui verse déjà dans cette conviction. Personne n’est dupe du lien que vous cherchez à établir entre les étrangers et la criminalité, et le moins que l’on puisse dire, c’est que vous n’avez pas lésiné sur les sous-entendus dans l’exposé des motifs. Vous avez notamment largement instrumentalisé des chiffres du ministère de l’intérieur auxquels on peut faire dire beaucoup de choses, car ils sont très pratiques pour construire des raisonnements politiques parfaitement fallacieux. Par exemple, saviez-vous que 52 % des condamnés détenus ont entre 20 et 35 ans ? De quoi déposer des propositions de loi sur la jeunesse délinquante. Saviez-vous que 97 % des condamnés détenus sont des hommes ? De quoi inspirer des propositions de loi qui instaureraient des peines plus fortes pour les hommes que pour les femmes puisqu’à l’évidence, les hommes sont génétiquement délinquants ou criminels.

À la lecture de votre proposition de loi, j’ai tout simplement le sentiment que vous avez égaré votre boussole. À telle enseigne que vous en venez à remettre en question un aménagement réalisé par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur. Et, si Nicolas Sarkozy s’est illustré dans bien des domaines, je ne crois pas qu’il l’ait fait par son laxisme à l’égard des étrangers. Évidemment, nous voterons contre ce texte.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). La proposition de loi que nous étudions vise à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public. Les décisions qui en découleront doivent être décisives pour l’avenir de notre pays, pour l’évolution du droit, pour la perception de l’état de droit dans l’opinion publique, pour nos concitoyens.

Au nom du groupe Horizons et apparentés, je défendrai la fermeté. La France ne peut continuer de protéger les étrangers qui contreviennent à nos valeurs en perturbant l’ordre public et en menaçant la sécurité. Compte tenu des bouleversements géopolitiques, climatiques et sociétaux, en matière d’immigration, le plus dur est probablement à venir.

Nous serons au rendez-vous des travaux préparatoires à l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, qui cherche un point d’équilibre entre humanité et fermeté.

La fermeté ne peut être dissociée de la précision juridique et du respect de nos engagements constitutionnels et européens. La législation relative à l’expulsion des étrangers trouve son point d’équilibre entre l’absolue nécessité de maintenir l’ordre public sur le territoire et le droit à la vie privée et familiale. C’est le fondement même des protections que vous souhaitez supprimer, alors qu’elles sont indispensables et ne s’appliquent pas dès lors que l’expulsion de l’étranger constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique ou en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes.

Bien sûr, la loi doit être précisée, et adaptée aux enjeux actuels et à venir, afin de s’assurer que toute personne qui enfreint les règles élémentaires de notre contrat social peut être expulsée. S’il est urgent d’agir, il est aussi nécessaire de construire un projet cohérent qui respecte nos valeurs et nos engagements. Nous sommes prêts à participer à une réécriture du texte car, en l’état, votre proposition supprime la majeure partie des protections accordées aux étrangers. Nous voterons donc contre.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Monsieur le rapporteur, de quoi parlez-vous en réalité ? Existe-t-il un vide juridique interdisant les expulsions ? Non. Les chiffres dont vous faites état ne veulent rien dire – comme souvent d’ailleurs – s’ils ne sont pas comparés à d’autres, relatifs par exemple à la ségrégation urbaine, à la concentration de difficultés dans certains territoires, au taux de pauvreté, etc. Le Parlement mérite mieux que des approximations et des slogans un peu creux. Y a-t-il une explosion de la délinquance dans notre pays ? Non. Toutes les statistiques officielles – pas celles de la NUPES – soulignent que la délinquance est globalement stable depuis quinze ans.

La « submersion migratoire » dont font état une célèbre collègue du Rassemblement national, la droite et parfois même la majorité est-elle une réalité ? Non. La proportion d’étrangers vivant dans notre pays a-t-elle augmenté ? Non, on est toujours sous les 10 % depuis les années soixante.

À quoi sert un texte de loi qui ne vient répondre à rien ? Nous ne sommes pas dans l’un des congrès de nos partis politiques. J’ai de l’affection pour les congrès – j’ai milité quelques années au parti socialiste. Mais nous ne sommes pas là pour faire des effets de tribune et nous engager dans une course à la surenchère. Nous sommes au Parlement ; nous devons réagir aux urgences du quotidien et relever les grands défis de l’avenir de notre pays.

Vous me direz, c’est M. Darmanin qui a commencé. Certes, je ne veux pas vous jeter la pierre, mais regardez les amendements du Rassemblement national : une brèche s’ouvre et ils s’engouffrent dedans ! Alors que le réchauffement climatique est là, que les inégalités explosent, que les gens crèvent de faim, ce débat sur l’immigration, lancé par M. Darmanin, va remettre pendant deux à six mois au cœur du débat public les thèmes, et les termes, de l’extrême droite.

Ce n’est pas pour cela que des millions de gens ont fait barrage à Jean-Marie Le Pen en 2002 en votant pour Jacques Chirac. Ce n’est pas non plus pour cela qu’ils ont fait barrage à Marine Le Pen à deux reprises, ce qui a permis à Emmanuel Macron d’être élu et réélu. Pour le bien de notre démocratie, je nous invite à la prudence. En s’engageant dans une course de vitesse, on risque d’aller toujours plus loin dans l’absurde et l’ignoble.

Je finirai par une citation du pape – bien loin de mes références habituelles – qui expliquait que la réponse au défi des migrations contemporaines peut se résumer en quatre verbes : accueillir, protéger, promouvoir, intégrer. Ces verbes sont beaucoup plus utiles que ceux de votre exposé des motifs, proprement scandaleux.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La proposition de loi du groupe LR n’a qu’une boussole : il ne s’agit pas de tenter de mieux protéger les habitants de ce pays, de mieux assurer leur sûreté en société et leur tranquillité publique, mais bien de créer un trait d’union entre délinquance et immigration. Les récentes récupérations politiciennes de drames humains ont d’ailleurs engendré colère et nausées chez les familles des victimes, mais aussi chez nos concitoyens.

Cette proposition s’inscrit dans la mouvance qui fait feu de tout bois pour s’aligner sur les propos les plus haineux et les plus simplistes, sur les plateaux de télévision et, désormais, ici. C’est vrai que les membres du Gouvernement – M. Darmanin en tête – ont ouvert la voie puisque ce dernier disait vouloir être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants. On peut difficilement faire plus simpliste… Pourtant, le lien entre immigration et délinquance n’a absolument aucune réalité statistique.

Le groupe LR joue à un jeu dangereux. Pendant que M. Darmanin prépare son projet de loi, le groupe prépare son congrès… Le premier se dit favorable à une forme de double peine, propose la suppression de la catégorie protégée des étrangers arrivés sur le sol national avant 13 ans. Le second, logiquement, instrumentalise les chiffres du ministère de la justice et cible précisément dans son exposé des motifs les étrangers venus d’Afrique, prétextant que les détenus et délinquants seraient en majorité issus de ce continent. Quelle sera la prochaine étape ? Des lois différentes pour ceux venus d’Afrique ? Ces chiffres, répétés à l’envi par les droites les plus à droite – on ne sait plus comment il faut les appeler –, sont issus du tableau 4 de la statistique trimestrielle des personnes écrouées en France publiée par le ministère de la justice. Ils ne précisent ni le statut administratif des étrangers, ni s’ils sont en détention provisoire, c’est-à-dire présumés innocents. Ces chiffres doivent en outre être analysés au regard des difficultés sociales importantes de certains territoires, ainsi que de la présence policière, qui y est variable – nous en avons débattu la semaine dernière dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi).

Votre proposition de loi est clairement d’affichage et la rigueur n’est pas au rendez-vous, car notre arsenal législatif permet déjà beaucoup : les articles L. 631-1 et suivants du Ceseda autorisent déjà l’autorité administrative à expulser les délinquants étrangers. En outre, la proposition de loi est inutile, car faire partie d’une catégorie dite protégée ne protège pas totalement d’une expulsion qui, assez logiquement, reste possible si elle est proportionnée à la menace que la personne étrangère représente.

Votre seul objectif est bien de créer une suspicion généralisée à l’égard des étrangers. Si elle n’est pas jugulée, une telle escalade risque de générer un climat extrêmement grave de propagation de la haine et de la division. Il faut y mettre un terme. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte.

M. Paul Molac (LIOT). Nous avons entendu la thèse selon laquelle immigration et insécurité se recouperaient, puis l’antithèse. J’aimerais insister sur l’aspect historique. La France est, depuis le XIXe siècle, un pays d’immigration. Que serait-elle si un grand nombre de personnes qui n’y sont pas nées n’y permettaient pas à la société de fonctionner ? Nous devons être ouverts, car nous avons besoin de ces personnes. Ne leur faisons pas de mauvais procès et ne nous limitons pas aux aspects négatifs, car les aspects éminemment avantageux – pour tout le monde – sont nombreux.

Il ne faut pas non plus confondre OQTF et délinquance : il y a énormément d’OQTF, mais très peu de délinquants parmi ceux qui en font l’objet. Évitons les amalgames, cher collègue du groupe LR.

La proposition de loi remet en cause certaines protections accordées aux étrangers en fonction de la durée de leur séjour ou de leur statut matrimonial ou familial – par exemple le fait d’être parent d’enfant français –, alors que le droit actuel est proportionné. La double peine a été supprimée en 2003 par un ministre de l’intérieur qui s’appelait Nicolas Sarkozy : votre proposition de la rétablir est incongrue. En outre, les immunités ne sont pas illimitées : on y fait exception en cas de terrorisme. Ainsi, on retrouve ici une dérive de notre droit que je dénonce régulièrement depuis qu’elle est apparue en 2016, et qui consiste à transcrire les lois antiterroristes dans les lois courantes.

Enfin, le texte risque de contredire des conventions bilatérales ou européennes.

Pour toutes ces raisons, une telle loi ne me paraît ni nécessaire ni souhaitable.

Article unique : (art. L. 631-2 et art. L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Élargissement des catégories d’étrangers pouvant faire l’objet d’une expulsion pour menace grave pour l’ordre public

Amendements de suppression CL1 de Mme Andrée Taurinya et CL2 de M. Benjamin Lucas.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). D’abord, les protections que le texte remet en cause sont déjà très souvent contournées. Ensuite, si les OQTF ne sont pas appliquées, c’est parce que leur nombre a quasiment doublé en dix ans. Enfin, le texte créerait une grave rupture d’égalité devant la loi entre Français et étrangers, ce qui serait dramatique pour notre tissu social. Veut-on consolider les liens sociaux ou nourrir la haine, la division permanente, voire la guerre civile ?

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Ce texte, qui ne répond à aucun besoin de la société ni à aucune urgence, est fondé sur le présupposé d’un lien entre immigration et délinquance que nous contestons. En outre, il est dangereux en raison des effets qu’il produirait dans le débat public, à cause des tensions et des stigmatisations qu’il susciterait. Comme toujours, sous prétexte de lutter contre la délinquance et la criminalité, on suggère qu’il y aurait dans notre pays trop d’exilés et d’étrangers, et on se lance dans une course à l’échalote avec l’extrême droite. Revenons à un débat public apaisé et utile aux Françaises et aux Français.

M. Mansour Kamardine, rapporteur. Avis défavorable.

Ce qui est dit ne correspond pas du tout à la réalité. J’ai souhaité que nous parvenions à un débat raisonné et constructif ; j’ai été bien servi, notamment à gauche ! Vous ne détenez pas le monopole des statistiques, mes chers collègues ; j’ai celles du ministère de l’intérieur et de différentes préfectures, dont les représentants nous ont fait part de leurs difficultés.

Le texte n’a qu’une ambition : protéger les Français – et par là j’entends, en réalité, tous ceux qui vivent sur notre territoire, y compris en situation irrégulière. Je vais vous faire une petite confidence personnelle. J’ai une fille qui avait prévu d’assister au match le soir de l’attentat au Stade de France, mais qui y a renoncé au dernier moment, pour des raisons que la nature supérieure a souhaitées – dirai-je, moi qui crois en Dieu –, entraînant avec elle tous ses camarades. Les drames qui frappent nos compatriotes peuvent toucher n’importe lequel d’entre nous, ils n’arrivent pas qu’aux autres.

Ce que nous cherchons, au-delà des postures et des impostures, c’est, je le répète, à assurer une protection maximale à tous ceux qui habitent notre territoire. Pour cela, ceux qui commettent des faits graves doivent être reconduits aux frontières.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL7 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Pour rendre le texte plus efficace, nous proposons de supprimer le mot « grave » pour qualifier la menace justifiant l’expulsion d’un étranger. En effet, cette notion est trop limitative. Violer les lois de la République française, qui vous accueille, est en soi de très mauvais augure pour l’intégration éventuelle.

De même, nous souhaitons limiter les très nombreuses restrictions de la possibilité d’expulsion pour ne conserver que le cas où l’expulsion serait empêchée par l’état de santé de la personne ou mettrait sa vie en danger.

Au camp du bien qui nous donne des leçons, j’aimerais dire que, si nous avons chacun notre opinion, nous nous devons de défendre nos concitoyens. Or les députés qui ont présenté les amendements précédents ont manifesté pour qu’un étranger qui a plus de vingt mentions à son casier judiciaire, qui est radicalisé et a été accusé de préparation de crime ne soit pas expulsé ! De quel humanisme parlez-vous donc ? Face à un tel danger, il est temps de réagir.

M. Mansour Kamardine, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement aurait pour conséquence de permettre l’expulsion de tout étranger, même en cas d’infraction mineure. L’excès ne constitue jamais une bonne politique publique. Restons modestes et acceptons de ne reconduire à la frontière que ceux qui commettent des infractions graves.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). CQFD : on ouvre la discussion, l’extrême droite s’y engouffre, la surenchère permanente est annoncée. Dans ce contexte, je ne comprends pas que nos collègues du groupe Renaissance votent contre nos amendements de suppression ! Il est où, le barrage républicain ? Elle est où, la digue ?

M. le président Sacha Houlié. Je précise aux groupes de gauche qui ont voté pour les amendements de suppression qu’ils n’étaient pas assez nombreux contre les seules voix des groupes Rassemblement national et Les Républicains.

M. Hervé Saulignac (SOC). Si vous tenez une comptabilité précise, nous n’allons pas la remettre en cause.

Quand on en vient à retirer le mot « grave » comme le propose l’amendement, c’est que l’on considère qu’un étranger est une menace par essence. Or cette idée n’est plus une opinion : le fait de l’exprimer publiquement constitue un délit – et celui qui commet un délit est un délinquant. Vous prétendez chercher la sécurité de nos concitoyens et la paix sociale, mais un tel amendement produira l’effet exactement inverse.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL4 et CL5 de Mme Julie Lechanteux.

Mme Julie Lechanteux (RN). Il s’agit de faciliter l’expulsion du territoire des étrangers représentant une menace grave pour notre pays – puisqu’il faut apparemment le préciser, c’est bien d’eux qu’il s’agit, et non des étrangers tout court ; merci de ne pas déformer notre propos.

Il est impossible d’expulser un étranger dangereux s’il justifie participer à l’éducation de son enfant français depuis un an. L’amendement CL4 vise à porter cette durée à trois ans : trop d’étrangers dangereux qui connaissent la loi et savent en jouer font des enfants sans jamais les éduquer ; ces étrangers menaçant l’intégrité de nos concitoyens doivent satisfaire aux conditions les plus dures.

Par ailleurs, il est possible de faire fi des protections contre l’expulsion bénéficiant à l’étranger dangereux s’il est condamné à une peine de prison de cinq ans au minimum. L’amendement CL5 tend à ramener cette durée à trois ans.

En effet, chaque étranger accueilli sur notre sol se doit de respecter les règles de la République ; s’il ne le fait pas et représente un grave danger pour nos concitoyens, l’État doit l’expulser. Il y a encore du travail – moins de 10 % des OQTF sont exécutées. Hier encore, un étudiant a été agressé au rasoir à Nice par un individu sous le coup d’une mesure d’expulsion. Ce ne sont pas des fables, c’est la réalité !

M. Mansour Kamardine, rapporteur. Sagesse. Ces propositions me paraissent tout à fait convenables lorsqu’il s’agit de protéger tous les citoyens vivant sur le territoire. Les délinquants qui ne comprennent pas qu’ils ont une chance extraordinaire de vivre parmi nous doivent partir.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Je suis immigrée : je suis arrivée en France à l’âge de 14 ans. J’aurais envie de me mettre en colère, de m’indigner contre les propos très blessants prononcés à l’endroit et à l’intention des immigrés ce matin, mais je n’en ai plus la force : je suis fatiguée que ces derniers soient toujours vos boucs émissaires.

Vos propositions de loi et vos amendements sont dérisoires au regard de ce que vivent les Français et l’ensemble de l’humanité. La crise climatique va jeter des millions de personnes sur les routes, des gens d’Asie, du Sahel, qui ne pourront plus vivre dans leur pays. Mais vous ne faites rien pour changer les modes de production. Quant à la vie des Français, quand nous proposons d’augmenter le Smic, vous votez contre ! En revanche, vous trouvez toujours le moyen de nous stigmatiser, par cette phrase qui m’a beaucoup peinée : « Vous êtes invités. » Jacobelli, c’est vous qui êtes invité ici, à la commission des lois ! C’est moi qui vous invite !

Plusieurs députés du groupe RN. « Monsieur » Jacobelli !

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Vous ne savez pas ce qui nous a mis sur les routes, les uns et les autres. Vous blessez les Français en parlant ainsi aux immigrés, car c’est la même chose, comme l’a bien dit Paul Molac – je l’en remercie ; dans le bateau de Magellan, en 1519, il y avait des Bretons ! Heureusement qu’en France, il y a une tradition d’accueil et d’humanité ! Vous, vous ne faites qu’abolir l’empathie, y compris vis-à-vis des Français, ce qui fait de vous tout sauf des patriotes.

M. le président Sacha Houlié. Loin de moi l’idée de me faire l’avocat de M. Jacobelli, mais tout le monde est invité à la commission des lois et personne ne lance d’invitation formelle puisque tous les députés peuvent s’y rendre.

M. Erwan Balanant (Dem). Contrairement à Mme Garrido, je ne suis pas fatigué et je ne me lasserai jamais de combattre les idées nauséabondes qui veulent nous faire croire que l’autre est le problème.

Monsieur Lucas, nous sommes la digue républicaine. Ni le MODEM ni le groupe Renaissance n’ont de leçons à recevoir de vous.

Madame Lechanteux, ce n’est pas la première fois que vous défendez un amendement incompréhensible compte tenu de ce que nous sommes et d’un sentiment que vous ne connaissez manifestement pas, l’humanité. Au bout d’un an ou de trois ans, vous voulez expulser un homme ou une femme et laisser son enfant seul avec l’autre parent ? Pour fabriquer des gens qui cultiveront la haine de la France, il n’y a pas mieux ! Notre pays a depuis longtemps une tradition d’accueil et d’intégration ; nous devons continuer à la faire vivre. Le projet français, c’est l’accueil de l’autre dans nos valeurs, celles de la République. En mettant de l’huile sur le feu, vous faites perdurer la haine. Nous voterons contre votre amendement.

Mme Julie Lechanteux (RN). L’humanité, pour moi, c’est défendre les Français, tous les Français – « France », « Français », ce ne sont pas des gros mots ! –, comme ce jeune agressé au rasoir par un individu sous le coup d’une mesure d’expulsion du territoire ou la petite Mauranne tuée à la gare de Marseille. Protéger les gens qui leur ont fait ça, c’est de l’humanité ? Non, l’humanité, c’est expulser les délinquants dangereux pour les Français.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL15 et CL12 de M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine, rapporteur. Il semble cohérent et souhaitable qu’un étranger ne puisse bénéficier d’une protection en raison de sa situation familiale dès lors qu’il a commis des faits répréhensibles à l’encontre de sa famille. Tel est le sens de l’amendement CL15.

Quant à l’amendement CL12, il tend à lever la protection quasi absolue contre l’expulsion que le Ceseda octroie à l’étranger justifiant par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de 13 ans. Lors des auditions, les directions du ministère de l’intérieur et les préfets nous ont dit leur grande difficulté à reconduire à la frontière les bénéficiaires de cette protection, qui représentent 70 % des personnes susceptibles d’être reconduites. Il faut donner des moyens à l’administration, que je ne soupçonne pas d’être acquise à des thèses extrémistes mais qui souhaite faire ce pour quoi elle est payée : protéger les Français.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, vous avez dit vouloir un débat raisonné. C’est toujours un peu agaçant de voir certains s’arroger la raison. Nous vous avons présenté des arguments, des raisonnements et des chiffres issus de recherches scientifiques, non le fait divers du coin. Pourquoi les balayez-vous d’un revers de main ?

Je suis très étonnée que le groupe Rassemblement national s’intéresse à ce texte : ses membres nous ont dit clairement à propos d’un autre texte qu’ils ne faisaient la loi que pour les Français. Alors laissez les étrangers tranquilles, on s’en occupe !

Nous voterons évidemment contre ces amendements.

M. Laurent Jacobelli (RN). « Laissez les étrangers tranquilles »… quoi qu’ils fassent : c’est la théorie de la NUPES. Mais, ici, l’idée est de protéger tout le monde.

Madame la députée Rachel Garrido…

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Je m’appelle Raquel ! C’est si compliqué, les noms étrangers ?

M. Laurent Jacobelli (RN). Je vous prie de m’excuser. Ce n’est pas grave ! Je vous ai au moins donné un prénom ; vous n’avez pas eu la même politesse à mon égard.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Vos excuses, ce n’est pas la peine !

M. Laurent Jacobelli (RN). Vous êtes française, madame, pas étrangère. Ici, on ne parle pas des Français d’origine étrangère, mais des étrangers.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). On peut être français et immigré !

M. Laurent Jacobelli (RN). On ne va pas se donner des leçons d’immigration : j’en ai pas mal, moi aussi, dans mon arbre généalogique. Il s’agit ici des étrangers. Ne confondez pas tout, relisez vos textes et protégeons notre population.

Nous sommes pour les amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle rejette l’article unique.

Après l’article unique

Amendement CL9 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Lorsqu’un étranger est reconnu comme représentant une menace grave et expulsé, il bénéficie d’un droit au retour, d’une sorte de seconde chance au bout de cinq ans, grâce à un réexamen de sa situation. Nous partons du principe que quelqu’un qui a fait l’apologie du terrorisme ou participé à des actes graves contre la nation et nos concitoyens ne doit pas revenir sur le territoire national, qu’il n’a pas le droit de retenter le coup. « Chat échaudé craint l’eau froide », dit le bon sens populaire.

L’amendement vise à supprimer ces contraintes administratives pour qu’une décision courageuse, malheureusement trop rare, à l’encontre d’un étranger dangereux ne puisse pas être ainsi remise en cause.

M. Mansour Kamardine, rapporteur. Je fais miennes les déclarations de M. Balanant. Il n’y a pas à s’exciter : nous sommes en démocratie, chacun s’exprime calmement et prend position, comme cela s’est passé lors du vote précédent.

Sur le présent amendement, j’émettrai un avis de sagesse, fondé notamment sur les auditions que nous avons conduites avec les autorités de la République – que nous ne soupçonnons pas, je le répète, d’extrémisme.

M. Erwan Balanant (Dem). Monsieur Jacobelli, vous avez dit que vous parliez non des Français, mais des étrangers, et que Mme Raquel Garrido était française et non plus étrangère. Pourtant, votre famille, avant d’être française, a été étrangère : il faut toujours un temps d’intégration. C’est cela, la République française.

Dans ce pays, 99 % des étrangers respectent nos lois, de même que 99 % des Français. Il y a toujours des gens qui ne respectent pas les lois, non en raison de leur nationalité, mais parce que l’humanité est ainsi. Arrêtez avec cette obsession de l’étranger. Le projet de la France, c’est sa capacité, depuis les siècles des siècles, de s’enrichir de la culture de l’autre.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Puisque l’on fait de moi un cas d’espèce, sachez que j’ai eu beaucoup de peine à devenir française. Mon dossier était toujours refusé : il manquait tantôt le relevé de compte de mai 1989, tantôt le certificat de scolarité du deuxième trimestre de troisième… Au bout du compte, je n’ai pas pu être naturalisée en réponse à ma demande, en raison de ma vie ici, ce qui a été décevant et frustrant, mais seulement par mariage – certes, ce n’était pas un mariage blanc, plutôt un mariage rouge !

Vous dites qu’il y a trop de naturalisations, trop d’immigrés. Mais nous, avant d’être français, nous sommes immigrés : c’est un continuum. De plus, immigré, étranger ou Français, nous sommes tous soumis à la même justice. J’ai confiance en elle ; j’ai demandé lors de la discussion budgétaire qu’elle ait plus de moyens pour lutter contre la délinquance et la criminalité. Vous nous triez, vous nous rendez coupables de quelque chose – de notre lieu de naissance – auquel ni vous ni moi ne pouvons rien ; c’est inutile et inefficace pour mener ce combat. Si vous voulez savoir comment vous battre efficacement contre la délinquance et la criminalité, lisez le volet sur la justice du programme « L’avenir en commun » : cela vous éclairera.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’amendement CL14 de M. Mansour Kamardine.

Amendement CL11 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il vise à étendre l’application de la présente proposition de loi, par souci de clarté, aux collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna et aux Terres australes.

M. Mansour Kamardine, rapporteur. Défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Cet amendement, comme l’amendement CL14 du rapporteur, nous fait toucher du doigt la motivation réelle du texte. En réalité, celui-ci se rapporte à la situation à Mayotte, qui est en effet problématique et exceptionnelle, du fait du désinvestissement de l’État et du manque de moyens des juridictions mahoraises. Mais le groupe LR ne pouvait pas déposer une proposition de loi limitée à Mayotte.

Beaucoup d’émotions se sont exprimées ce matin, y compris dans nos rangs. Étant franco-belge, je n’ai pas eu de problèmes de naturalisation, mais j’ai connu l’exclusion dans le pays flamand du seul fait de la langue, et c’était très violent. Nos débats auraient dû être un peu plus apaisés, comme le disait le rapporteur, et éviter de prêter le flanc à l’extrême droite.

Nous voterons contre l’amendement.

M. Mansour Kamardine, rapporteur. Si je suis défavorable à l’amendement, c’est parce que la situation de spécialité législative impose de consulter en amont les assemblées locales, ce qui n’a pas été fait. Ce serait une faute majeure de donner un avis favorable en commission des lois alors que ce préalable n’a pas été respecté.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je suis sensible à ces arguments : nous retirons notre amendement.

L’amendement est retiré.

M. le président Sacha Houlié. La proposition de loi n’ayant plus d’article, il n’y a pas lieu d’examiner les amendements portant sur le titre.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public (n° 354).


— 1 —

 

Personnes entendues

   M. Éric Jalon, directeur

   Mme Pascale Léglise, directrice

   M. Cédric Gambaro, adjoint à la sous-direction de l'immigration et de l'éloignement à la direction centrale de la police aux frontières

   M. John Benmussa, conseiller pour l'administration territoriale auprès du directeur

   M. Alex Gadré, conseiller juridique du directeur

   MM. Stéphane Aurousseau et Vincent Bedouet, membres du bureau de la sécurité des mobilités de la sous-direction de l’emploi des forces

   M. Pierre Regnault de la Mothe, préfet et chef du service justice et affaires intérieures

   M. Laurent Nuñez, préfet

   M. Gauthier Béranger, préfet délégué à l’immigration

   M. Thierry Suquet, préfet

   M. Thierry Queffélec, préfet

   M. Julien Boucher, directeur général

M. Sylvain Riquier, ambassadeur


([1]) Cité par Vincent Tchen dans Droit des étrangers, 2ème édition, LexisNexis¸ 2022 ; Dr. Adm, 1997, comm. 19.

([2]) L’expulsion de l’étranger et le droit à mener une vie familiale et normale, Gwenaëlle Durand et Delphine Delebois, Revue juridique de l’Ouest, 1999.

([3]) L’ordre public et les migrations, Archives de philosophique du droit 2015/1, Tome 58, Luc Derepas, 2015.

([4]) Ibid.

([5]) Loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

([6]) L’ordre public et les migrations, Archives de philosophique du droit 2015/1, Tome 58, Luc Derepas, 2015.  

([7]) Loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

([8]) Loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

([9]) C’est-à-dire en application des articles L. 631-2 et L. 631-3 du CESEDA.

([10]) Cette dérogation vaut également pour les autres collectivités ultramarines.

([11]) Article R. 721-2 du CESEDA.

([12]) Article R. 721-3 du CESEDA.

([13]) Article L. 632-3 du CESEDA.

([14]) Droit des étrangers, 2ème édition, LexisNexis¸ Vincent Tchen, 2022.

([15]) Commentaires Dalloz de l’article L. 631-1 du CESEDA.

([16]) Droit des étrangers, 2ème édition, LexisNexis¸ Vincent Tchen, 2022.

([17]) Dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis de la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an.

([18]) Avant 2006, la loi mentionnait de manière plus restrictive uniquement les comportements « constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison de l’origine ou de la religion des personnes ».

([19]) Article 410-1 du code pénal.

([20]) Par dérogation au dernier alinéa de l’article L. 631-2, la circonstance qu’il a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans n’a pas pour effet de le priver du bénéfice des dispositions du présent article.  

([21]) Il peut solliciter l’aide juridictionnelle.  

([22]) Article L. 632-6 du CESEDA.

([23]) Commentaires Dalloz de l’article L. 631-1.

([24]) Les vols et violences enregistrés dans les réseaux de transports en commun en 2021, Interstats, n° 48, septembre 2022.

([25]) Ibid.

([26]) Sécurité et société, INSEE références, édition 2021.  

([27]) Contribution écrite du ministère de la Justice.

([28]) L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans.

([29]) Contribution écrite.

([30]) Les deux autres obstacles mis en avant sont les suivants : la délicate définition de la menace grave pour l’ordre public qui n’est pas toujours adaptée à la situation à Mayotte, et les obstacles rencontrés dans les cas de retrait de titres de séjour pour retrouver les personnes concernées.

([31]) Au sens de cette directive, est un résident de longue durée un étranger résidant de manière légale et ininterrompue sur le territoire pendant les cinq années qui précèdent l’introduction de la demande en cause.