– 1 –

 

N° 517

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 novembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

portant création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion

des étrangers délinquants

 

PAR M. Éric CIOTTI

Député

——

 

 

 

 

 

 


 

Voir le numéro : 352.


– 1 –

 

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION .............................................. 5

Examen DE la proposition de loi

Article 1er (Art. L. 132-1 à L. 132-5 [nouveaux] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit de l’asile)  Création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers

I. L’État du droit

A. La d֤Écision d’expulsion

1. Fondement

a. Une menace grave pour l’ordre public

b. Des protections pour certains étrangers

c. Une procédure administrative encadrée

2. Contentieux de la décision d’expulsion

a. Recours en annulation pour excès de pouvoir

b. Recours en référé

B. Les dÉcisions connexes À la dÉcision d’expulsion

1. La décision fixant le pays de destination

2. La décision de placement en rétention administrative

3. La décision d’assignation à résidence

4. La décision d’abrogation de la décision d’expulsion

II. Le dispositif proposÉ

A. La composition de la Cour de sÛretÉ de la RÉpublique

B. La compÉtence de la cour de sÛretÉ֤֤ de la rÉpublique

C. Les voies de recours contre les dÉcisions de la Cour de sÛretÉ de la RÉpublique

1. Les voies de recours ouvertes

2. Les délais

D. Le renvoi À un dÉcret pour les modalitÉs d’application

III. La position de la commission

Article 2  Création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs

EXAMEN EN COMMISSION


– 1 –

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

La question de l’immigration est centrale dans les préoccupations des Français. Leurs inquiétudes légitimes portent tant sur l’immigration illégale que sur les troubles à l’ordre public que peuvent causer certains étrangers présents sur notre territoire, qu’ils soient en situation régulière ou non.

Certes, le droit en vigueur permet aux préfets et au ministre de l’Intérieur de prendre une décision d’expulsion à l’encontre d’un étranger qui constitue une menace grave à l’ordre public.

Mais cette mesure de police administrative est, en pratique, trop peu mise en œuvre. En 2021, il y a eu seulement 344 décisions d’expulsion pour motif d’ordre public, dont 292 à l'initiative des préfets et 52 à l’initiative du ministre de l’Intérieur. 

Ce faible recours aux décisions d’expulsion s’explique en grande partie par les protections qui ont été accordées à certains étrangers au regard de leurs attaches familiales ou de leur durée de résidence en France.

Mais il s’explique aussi par un cadre procédural inadapté pour traiter des recours contentieux qui sont quasi systématiquement formés à l’encontre des décisions d’expulsion.

Il n'existe, en effet, aucune procédure spécifique pour traiter ces recours. Ce sont les règles du droit commun qui s’appliquent, avec trois échelons de juridiction : tribunal administratif, cour administrative d’appel, Conseil d’État. 

La multiplicité des juridictions compétentes ne favorise pas l’homogénéisation de la jurisprudence, ce qui peut dissuader les préfets d’initier des procédures d’expulsion pour motif d’ordre public.

C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a décidé d’utiliser la journée de séance qui lui a été réservée le jeudi 1er décembre 2022 pour inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée deux propositions de loi visant à accroître la capacité d’action des pouvoirs publics en matière d’expulsion des étrangers pour motif d’ordre public. 

L’une d’elle modifie les règles de fond applicables aux décisions d’expulsion des étrangers (proposition de loi n° 354 visant à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public). Elle réduit les protections accordées à certains étrangers qui ne peuvent en l’état faire l’objet d’une décision d’expulsion que dans des conditions difficiles à réunir (voir le rapport n° 510 de notre collègue Mansour Kamardine).

La présente proposition de loi (n° 352), quant à elle, crée une juridiction spécialisée dédiée au traitement des recours concernant les décisions d’expulsion des étrangers pour un motif d’ordre public.

Cette juridiction spécialisée est rattachée à l’ordre juridictionnel administratif et placée sous le contrôle du Conseil d’État. Les recours à l’encontre des décisions rendues par cette juridiction spécialisée ne pourront être formés que devant le Conseil d’État.

Ainsi, la présente proposition loi supprime un échelon de juridiction.  

Cette simplification du contentieux est de nature à inciter les autorités administratives à recourir davantage au dispositif d’expulsion des étrangers pour un motif d’ordre public.

Elle doit aussi permettre d’accélérer considérablement les délais de jugement. La présente proposition de loi prévoit, à cet égard, des délais réduits pour l’introduction des voies de recours et pour leur examen par le Conseil d’État.

*

*     *

 

En dépit de l’intérêt qu’elle présentait, cette proposition de loi n’a pas été adoptée par la commission des Lois.

Lors de sa réunion du mercredi 23 novembre 2022, l’article 1er de la présente proposition de loi a été supprimé et son article 2 a été rejeté. Ces décisions, qui ont vidé la proposition de loi de son contenu, ont donc abouti, de fait, à un rejet du texte.  

À défaut de texte adopté par la commission, la discussion en séance porte sur le texte initialement déposé (article 90 du RAN).

 

 


– 1 –

 

Examen DE la proposition de loi

Article 1er
(Art. L. 132-1 à L. 132-5 [nouveaux] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit de l’asile)
Création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers

Supprimé par la commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article insère, au sein du livre I du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), un titre III bis intitulé « Cour de sûreté de la République » composé d’un chapitre unique comprenant les nouveaux articles L. 132-1, L. 132-2, L. 132-3, L. 132-4 et L. 132-5 qui le composent.

Il institue une Cour de sûreté de la République.

Cette nouvelle juridiction administrative spécialisée est composée de membres du Conseil d’État, désignés pour des mandats de cinq ans. Elle est compétente pour connaître de l’ensemble des recours au fond (recours en annulation pour excès de pouvoir) et en référé (référé-suspension et référé liberté) dirigés contre les décisions d’expulsion d’un étranger et contre les décisions fixant le pays de renvoi d’un étranger faisant l’objet d’une décision d’expulsion.

Seul le Conseil d’État est compétent pour connaître des recours formés à l’encontre des décisions rendues en premier ressort par la Cour de sûreté de la République. Celui-ci doit alors statuer dans un délai contraint.

Pour les décisions ayant statué sur un recours au fond (recours en annulation pour excès pouvoir), la Cour de sûreté statue en premier et dernier ressort. Un pourvoi en cassation peut être formé dans les quinze jours à compter de la notification de la décision. Le Conseil d’État doit statuer dans les deux mois.

Pour les décisions ayant statué sur un recours en référé-suspension, un pourvoi en cassation peut être formé dans les sept jours à compter de la notification de la décision de la Cour de sûreté de la République. Le Conseil d’État doit statuer dans un délai d’un mois.

Pour les décisions ayant statué sur un recours en référé liberté, les décisions de la Cour de sûreté de la République sont susceptibles de faire l’objet d’un appel devant le Conseil d’État dans un délai de sept jours à compter de leur notification. Le Conseil d’État statue dans un délai de quarante‑huit heures.

            Dernières modifications intervenues

Une nouvelle rédaction et numérotation du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) est entrée en vigueur le 1er mai 2021. Elle résulte, pour la partie législative, de l’ordonnance n° 2020‑1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ont été rassemblées au sein du livre I du CESEDA les dispositions, d’ordre institutionnel relatives aux acteurs administratifs et juridictionnels de la politique migratoire (Office français de l’immigration et de l’intégration, Office français de protection des réfugiés et apatrides, Cour nationale du droit d’asile). Les dispositions relatives aux décisions d’éloignement, dont les décisions d’expulsion, ont été rassemblées au livre VI du CESEDA.

Les articles L. 631-2 et L. 631-3 du CESEDA ont été modifiés par l’article 25 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. La modification opérée a consisté à assouplir les conditions dans lesquelles un étranger vivant en France en état de polygamie pouvait faire l’objet d’une décision d’expulsion.

       Position de la commission

La commission a supprimé cet article.

I.   L’État du droit

Le droit applicable à l’expulsion des étrangers pour un motif d’ordre public se caractérise par sa grande complexité, tant sur le fond que sur la procédure contentieuse d’examen des recours. À cela s’ajoute le fait que plusieurs décisions, connexes à la décision d’expulsion, peuvent également être prises par l’autorité administrative compétente et faire l’objet de recours contentieux distincts.

Sur le plan constitutionnel, ces contentieux relèvent pour l’essentiel de la compétence de la justice administrative selon les principes définis par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 sur la loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence : « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif ».

Par exception, les recours formés à l’encontre des décisions de placement en rétention administrative (qui peuvent être prononcées pour permettre l’exécution d’une décision d’expulsion) relèvent exclusivement de la compétence de l’autorité judiciaire conformément à sa mission constitutionnelle de « gardienne des libertés individuelles » définie par l’article 66 de la Constitution (en ce sens : Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, considérant n° 66).

A.   La d֤Écision d’expulsion 

1.   Fondement

a.   Une menace grave pour l’ordre public

L’expulsion fait partie des diverses mesures d’éloignement dont peut faire l’objet un étranger par application du livre VI du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elle est régie par le titre III du livre VI du CESEDA (articles L. 630-1 à L. 632-7).

L’expulsion vise à prévenir une « menace grave pour l’ordre public » (article L. 631-1 du CESEDA).

L’expulsion doit être bien distinguée des autres mesures d’éloignement que sont :

-         l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), et l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF), toutes deux régies par le titre I du livre VI du CESEDA ;

-         la remise aux autorités d’un autre État membre de l’Union européenne, régie par le titre II du livre VI du CESEDA ;

-         et la peine d’interdiction du territoire français (ITF), régie par le titre IV du livre VI du CESEDA.

L’expulsion est une mesure de police administrative qui permet d’éloigner un étranger du territoire français, même s’il y réside régulièrement, pour des considérations touchant à l’ordre public. Elle se distingue ainsi de l’OQTF et de l’IRTF qui concernent principalement les étrangers séjournant irrégulièrement ou s’étant vu refuser le séjour en France.

L’expulsion peut aussi être prononcée même en l’absence de condamnation pénale. Elle se distingue ainsi de la peine d’interdiction du territoire, qui est une sanction pénale pouvant être prononcée à titre de peine principale ou complémentaire pour certains crimes et délits.

b.   Des protections pour certains étrangers

Il existe trois types de protection qui limitent les possibilités d’expulsion d’étrangers : une protection absolue, une protection quasi absolue et une protection relative.

L’étranger mineur de dix-huit ans bénéficie d’une protection absolue. Il ne peut faire l’objet d’aucune mesure d’expulsion (article L. 631-4 du CESEDA).

L’étranger majeur peut bénéficier d’une protection quasi-absolue ou relative en particulier lorsqu’il est chargé de famille, marié, malade ou qu’il réside en France depuis longtemps (articles L. 631-2 et L. 631-3 du CESEDA).

Ainsi, une protection quasi absolue est définie à l’article L. 631-3 du CESEDA. Pour les étrangers bénéficiant de cette protection, l’expulsion ne peut être décidée que pour des faits d’une très grande gravité, c’est-à-dire « en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes » (article L.  631-3 du CESEDA). Cette protection ne s’applique toutefois pas aux étrangers vivant en état de polygamie.

Sous cette réserve, la protection quasi absolue bénéficie :

- à l’étranger qui réside habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;

- à l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

- à l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans, et à condition que la communauté de vie n’ait pas cessée depuis le mariage ; par exception, l’étranger perd le bénéfice de cette garantie lorsque les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale ;

- à l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; par exception, l’étranger perd le bénéfice de cette garantie lorsque les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants, ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale ;

- et à l’étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.

Il existe enfin une protection dite relative pour les étrangers majeurs qui n’entrent pas dans les critères de la protection quasi absolue. Les critères de l’expulsion sont moins contraignants que ceux exigés en cas de protection quasi absolue. Ils sont néanmoins plus exigeants qu’une simple menace grave à l’ordre public. L’expulsion ne peut, en effet, être décidée, pour les étrangers bénéficiant de la protection relative, que « si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique » (article L. 631-2 du CESEDA).

Cette protection relative ne s’applique toutefois pas pour les étrangers vivant en état de polygamie ou ayant été condamnés définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans.

Sous cette réserve, la protection relative bénéficie :

- à l’étranger qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;

- à l’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;

- à l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été pendant toute cette période titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ;

- et à l’'étranger titulaire d'une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.

c.   Une procédure administrative encadrée 

Le législateur a prévu des garanties qui encadrent la procédure administrative d’expulsion.

Sauf urgence absolue, l’étranger doit être préalablement avisé et convoqué pour être entendu par une commission d’expulsion composée de magistrats (article L. 632-1 du CESEDA). L’avis de la commission est un acte préparatoire non susceptible de recours contentieux.

L’autorité administrative compétente en matière de décision d’expulsion est fixée dans la partie réglementaire du CESEDA.

L’autorité compétente de droit commun est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police (article R. 632-1 du CESEDA). La décision d’expulsion se matérialise par un arrêté préfectoral d’expulsion (APE).

Par exception (prévue à l’article R. 632-2 du CESEDA), l’autorité compétente est le ministre de l’intérieur dans deux cas de figure :

-         en cas d’urgence absolue (pour rappel, l’avis de la commission d’expulsion n’est pas requis dans cette hypothèse) ;

-         et pour les étrangers bénéficiant de la protection quasi absolue ou de la protection relative définies aux article L. 631-2 et L. 631-3 du CESEDA.

La décision d’expulsion se matérialise alors par un arrêté ministériel d’expulsion (AME).

L’APE et l’AME peuvent être exécutés d’office par l’autorité administrative (article L. 722-4 du CESEDA).

2.   Contentieux de la décision d’expulsion

Le contentieux de l’expulsion est un contentieux nourri, le juge administratif pouvant être saisi de moyens très divers, portant notamment sur le respect des conditions de fond en lien avec les protections quasi absolue ou relative dont bénéficient certains étrangers, ou encore sur le respect du critère d’urgence absolue lorsque la commission d’expulsion n’a pas été saisie.

Pourtant, il n’existe aucune procédure contentieuse propre aux mesures d’expulsion définie par le CESEDA. Ce sont donc les règles de droit commun du contentieux administratif qui s’appliquent.

L’arrêté préfectoral d’expulsion (APE) et l’arrêté ministériel d’expulsion (AME) peuvent ainsi faire l’objet d’un recours en annulation pour excès de pouvoir (recours au fond). Ce recours n’est pas suspensif. 

L’APE et l’AME peuvent aussi faire l’objet des recours en référé prévus par le code de justice administrative (CJA), qu’il s’agisse du référé-suspension ou du référé liberté.

a.   Recours en annulation pour excès de pouvoir

Le délai de recours en annulation pour excès de pouvoir contre une décision d’expulsion est le délai de droit commun applicable aux décisions administratives, soit deux mois à compter de la notification de la décision (article R. 421-1 du CJA). Il est porté à quatre mois lorsque l’étranger réside à l’étranger (article R. 421‑7 du CJA).

Le tribunal administratif, en sa qualité de juge de droit commun du contentieux administratif, est compétent pour statuer en premier ressort.

Les règles de compétence territoriale sont fixées dans la partie réglementaire du code de justice administrative (CJA). Elles varient selon qu’il s’agit d’un recours dirigé contre un arrêté préfectoral d’expulsion (APE) ou un arrêté ministériel d’expulsion (AME).

Pour un APE, et lorsque l’étranger réside en France, le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel se situe la résidence de l’étranger (R. 312-8 du CJA). Lorsque l’étranger réside hors de France, s’il réside à l’étranger, le tribunal administratif compétent est celui du siège de l’autorité qui a pris l’arrêté d’expulsion (R. 312-1 du CJA) ([1]).

En revanche, s’agissant d’un AME, seul le tribunal administratif de Paris est compétent (R. 312-8 du CJA).

Conformément aux règles du droit commun du contentieux administratif, la décision du tribunal administratif est susceptible d’appel dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement aux parties. Un pourvoi en cassation peut être formé dans les mêmes conditions (délai de deux mois) contre l’arrêt d’appel.

Le contentieux au fond d’une décision d’expulsion peut ainsi s’étaler sur plusieurs années.

b.   Recours en référé

Eu égard à l’absence d’effet suspensif du recours au fond, l’arrêté d’expulsion est susceptible de faire l’objet d’un recours en référé. Un tel recours permet d’obtenir une décision temporaire de suspension de l’expulsion, assurant une conciliation des impératifs de protection de l’ordre public et du contrôle de la légalité d’une décision ayant des conséquences importantes pour l’étranger visé.

Deux recours sont ouverts dans les conditions du droit commun : le référé-suspension et le référé-liberté.

Dans les deux cas, la juridiction compétente en matière de décision d’expulsion est le tribunal administratif. Les règles de compétence territoriale sont les mêmes que celles relatives à un recours au fond (voir supra).

Le référé-suspension est régi par l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA).

Il permet de demander au juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution d’une décision « lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

Autrement dit, deux critères doivent être réunis pour obtenir la suspension de la décision : l’urgence et un doute sérieux sur la légalité.

Le Conseil d’État considère que l’urgence est présumée en matière de décision d’expulsion ([2]). Mais cette présomption peut être renversée si l’administration fait valoir des circonstances particulières ([3])  ou si elle est dans l’incapacité d’assurer à brève échéance l’exécution de l’arrêté d’expulsion. Tel est le cas par exemple lorsqu’un consulat ne reconnaît pas la nationalité de l’étranger ([4]).

Conformément aux règles du droit commun, la décision du juge du référé-suspension n’est pas susceptible d’appel. Elle peut faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État dans les quinze jours à compter de la notification de la décision (article R. 523-1 du CJA).

L’étranger peut également saisir le juge administratif d’un référé liberté (article L. 521-2 du CJA). Le juge statue alors sous quarante-huit heures. Les conditions du référé liberté sont toutefois plus restrictives que celles du référé suspension. Outre l’urgence qui est là aussi présumée ([5]), l’étranger doit en effet démontrer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

La décision du juge du référé-liberté est susceptible d’appel devant le Conseil d’État dans les quinze jours à compter de sa notification. Le Conseil d’État statue alors dans un délai de quarante-huit heures (article L. 523-1 du CJA).

B.   Les dÉcisions connexes À la dÉcision d’expulsion

Plusieurs types de décisions peuvent présenter un lien de connexité avec une décision d’expulsion : la décision fixant le pays de destination, la décision de placement en rétention administrative, la décision d’assignation à résidence, ou encore la décision sur une demande d’abrogation d’une décision d’expulsion.

Ces décisions peuvent faire l’objet de recours distincts, ce qui accroit la complexité des procédures contentieuses relatives à l’expulsion des étrangers.

1.   La décision fixant le pays de destination

Pour l’exécution d’une décision d’éloignement (dont une décision d’expulsion), l’autorité administrative doit fixer le pays à destination duquel l’étranger peut être renvoyé (article L. 721-3 du CESEDA).

L’étranger peut être renvoyé dans le pays dont il a la nationalité, dans le pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ou dans tout autre pays dans lequel il peut légalement séjourner, avec l’accord de cet État (article L.  721-4 du CESEDA).

La fixation du pays de destination relève de la compétence de la même autorité que celle qui décide de l’expulsion (R. 721-2 et R. 721-3 du CESEDA).

Même si elle est prise en même temps que la décision d’expulsion, une fiction juridique permet de considérer comme distincte la décision fixant le pays de destination.

Elle peut ainsi faire l’objet d’un recours au fond ou en référé, distinct ou joint à celui dirigé contre la décision d’expulsion. La procédure applicable est celle du droit commun du contentieux administratif, comme pour les recours dirigés contre les décisions d’expulsion.

2.   La décision de placement en rétention administrative

Un étranger visé par une décision d’expulsion peut faire l’objet d’une décision de placement en rétention administrative « lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction » et « qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision » (article L. 741-1 du CESEDA).

Il ne peut être « maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ » (article L. 741-3 du CESEDA).

La décision initiale est prise par le préfet. La durée de la rétention ne peut excéder quarante-huit heures. Plusieurs prolongations peuvent être demandées par le préfet en saisissant le juge de la liberté et de la détention (JLD) (article L. 742-1 du CESEDA).

L’ordonnance du JLD de prolongation de la rétention administrative peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la Cour d’appel dans un délai de vingt-quatre heures. Le premier président doit statuer dans un délai de quarante-huit heures. L’appel n’est pas suspensif (articles L. 743-21 et suivants du CESEDA).

Si la décision d’expulsion est annulée par le juge administratif, il est immédiatement mis fin au maintien de l’étranger en rétention (article L. 742-9 du CESEDA).

3.   La décision d’assignation à résidence

La décision d’expulsion peut être exécutée d’office de manière immédiate, ou bien être différée. En cas d’exécution différée, l’étranger peut être assigné à résidence en France par application de l’article L. 731-1 du CESEDA.

 Il doit alors rester dans un lieu désigné par l’administration, qui n’est pas forcément son domicile. La décision d’assignation à résidence astreint l’étranger à se présenter périodiquement aux services de police ou de gendarmerie (article L. 733-1 du CESEDA).

Cette décision d’assignation peut être prise dans plusieurs situations :

- lorsque « l’éloignement demeure une perspective raisonnable » (article L. 731-1 du CESEDA) ; ce cas de figure se rencontre notamment en raison des risques encourus en cas de retour dans le pays d’origine, ou des réticences ou carences des autorités consulaires du pays de destination ; la durée de l’assignation à résidence est limitée à quarante-cinq jours, renouvelable une fois ;

- sur autorisation de l’autorité administrative, lorsque l’étranger « justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire français ou ne pouvoir ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays » (article L. 731-3 du CESEDA) ; la durée de l’assignation à résidence n’est alors pas limitée dans le temps ;

- lorsque l’état de santé de l’étranger « nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié » (article L. 731-4 du CESEDA) ; la durée de l’assignation à résidence n’est, dans ce cas, pas limitée dans le temps ; elle est, en outre, assortie d’une autorisation de travail (article L. 732-9 du CESEDA) ;

- à titre probatoire et exceptionnel, lorsque la décision d’expulsion a été prise sur le fondement de l’article L. 631-2 du CESEDA fixant les critères applicables aux étrangers bénéficiant d’une protection relative (article L. 731-5 du CESEDA) ; la durée de l’assignation à résidence n’est alors pas limitée dans le temps ; elle est, là encore, assortie d’une autorisation de travail (article L. 732-9 du CESEDA).

Dans ce dernier cas, l’assignation à résidence constitue un sursis pour l’étranger bénéficiaire d’une protection, qui lui permet d’échapper à l’expulsion sous réserve de conserver un comportement exemplaire (ce sursis ne peut être accordé, en revanche, à un étranger qui ne bénéficie pas d’une protection prévue par le CESEDA ou lorsque l’étranger protégé a été expulsé sur le fondement de l’article L. 631-3 du CESEDA).

L’article L. 731-5 du CJA prévoit que l’étranger est averti que tout nouveau comportement préjudiciable à l’ordre public conduira à l’abrogation de l’assignation à résidence et à l’exécution de l’arrêté d’expulsion.

Dans tous les cas de figure précédents, pour pouvoir exécuter l’arrêté d’expulsion, l’administration doit procéder à l’abrogation de la décision d’assignation à résidence. En effet, en contraignant l’étranger à résider dans un lieu déterminé sur le territoire français, la décision d’assignation à résidence gèle l’exécution de l’arrêté d’expulsion.

La décision d’abrogation ne peut, en principe, pas faire l’objet d’un recours contentieux, sauf lorsqu’elle suppose que l’autorité administrative se livre à une nouvelle appréciation du comportement de l’intéressé. Ce n’est pas le cas lorsque l’assignation à résidence a été prononcée uniquement dans l’attente du moment où l’exécution deviendra possible. En revanche, lorsque l’assignation à résidence a été prononcée à titre probatoire et est annulée en raison d’un comportement préjudiciable à l’ordre public, elle peut être contestée au fond ou en référé dans les conditions du droit commun (v. supra). 

4.   La décision d’abrogation de la décision d’expulsion

La décision d’expulsion est un acte à effet continu.

Il en résulte que l’étranger qui en est frappé a interdiction de revenir sur le territoire national, sous peine de sanctions pénales (article L. 824-11 du CESEDA). La seule possibilité pour mettre fin à ces effets consiste à obtenir une décision d’abrogation de ladite décision.

Le CESEDA prévoit ainsi que la décision d’expulsion peut à tout moment être abrogée (article L. 632-3 du CESEDA). L’étranger visé par une décision d’expulsion peut présenter à tout moment une demande d’abrogation de celle-ci, étant précisé que le silence gardé par l’administration pendant plus de quatre mois vaut décision de rejet (article R. 632-10 du CESEDA).

Le législateur a posé plusieurs principes relatifs à l’abrogation des décisions d’expulsion.

Il a ainsi prévu qu’il ne peut être fait droit à une demande d’abrogation plus de deux mois après la notification de la décision d’expulsion que si l’étranger réside hors de France. Autrement dit, dès lors que le délai du recours en annulation est expiré (deux mois), l’étranger doit avoir exécuté la décision d’expulsion (c’est-à-dire résider hors de France) pour pouvoir présenter valablement une demande d’abrogation. Cette règle ne s’applique pas lorsque l’étranger est retenu en France soit parce qu’il effectue une peine d’emprisonnement ferme, soit parce qu’il est assigné à résidence (article L. 632-5 du CESEDA).

Lorsque la demande d’abrogation est présentée à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de l’exécution effective de la décision d’expulsion, elle ne peut être rejetée qu’après avis de la commission d’expulsion mentionnée à l’article L. 632-1 du CESEDA (article L. 632-4 du CESEDA).

Enfin, l’administration est tenue de réexaminer tous les cinq ans l’arrêté d’expulsion (article L. 632-6 du CESEDA). Ce nouvel examen tient compte de l’évolution de la menace pour l’ordre public que l’étranger représente, des changements intervenus dans sa situation personnelle et de ses garanties de réinsertion professionnelle ou sociale. En l’absence de réception par l’étranger d’une décision d’abrogation, la mesure d’expulsion est maintenue (refus implicite). Le refus peut également être explicite.

Dans tous les cas de figure, le rejet d’une demande d’abrogation d’une décision d’expulsion (qu’il soit explicite ou implicite) peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif selon la procédure de droit commun du contentieux administratif, comme pour les décisions d’expulsion.

II.   Le dispositif proposÉ

Le présent article insère, au sein du Livre I du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), un titre III bis intitulé « Cour de sûreté de la République » composé d’un chapitre unique, composé de nouveaux articles L. 132-1, L. 132-2, L. 132-3, L. 132-4 et L. 132-5.

Il institue une Cour de sûreté de la République, juridiction unique et spécialisée, pour connaître des recours formés, au fond et en référé, contre les décisions d’expulsion et les décisions fixant le pays de destination des décisions d’expulsion.

Ce faisant, le présent article simplifie :

-         les règles de compétence juridictionnelle, puisqu’en l’état du droit, il faut distinguer trois cas de figure différents pour déterminer le tribunal administratif territorialement compétent ;

-         et la procédure contentieuse devant le juge administratif, en supprimant un échelon de juridiction ; il est prévu que seul le Conseil d’État puisse connaître des appels ou pourvois en  cassation formés contre les décisions de la Cour de sûreté de la République.

La Cour de sûreté de la République relève de l’ordre juridictionnel administratif, ce qui respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel fixant les critères de répartition entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif (décision précitée n° 86-224 DC du 23 janvier 1987).

Outre la simplification qu’elle représente, la réforme proposée est de nature à favoriser l’homogénéisation de la jurisprudence en matière d’expulsion d’étrangers. 

Enfin, le présent article vise également à accélérer la procédure contentieuse en matière d’expulsion des étrangers, en réduisant les délais de recours et les délais d’examen de ces recours par le Conseil d’État.

De la sorte, le présent article rend plus opérationnel la procédure d’expulsion des étrangers pour un motif d’ordre public. La rénovation du cadre procédural proposé doit encourager le recours à la procédure administrative d’expulsion dans un but de protection de la société, laquelle ne peut se résoudre à attendre qu’un crime ou un délit soit effectivement commis, avant de voir des individus dangereux expulsés à l’issue d’une procédure judiciaire. 

Le tableau ci-dessous récapitule l’état du droit et le dispositif proposé par le présent article pour le contentieux administratif des décisions d’expulsion et des décisions fixant le pays de renvoi des décisions d’expulsion.

Régime des recours dirigés contre les décisions d’expulsion et les décisions fixant le pays de renvoi des décisions d’expulsion

 

État du droit

Droit proposé

Compétence juridictionnelle en premier ressort

1° Tribunal du lieu de résidence de l’étranger si celui-ci réside en France ;

 

2° Tribunal du siège de l’autorité préfectorale si l’étranger réside hors de France ;

 

3° Tribunal administratif de Paris dans tous les cas si l’arrêté a été pris par le ministre de l’Intérieur.

Cour de sûreté de la République

Recours contre une décision rendu en premier ressort ayant statué sur un recours en annulation pour excès de pouvoir (recours au fond)

Appel devant la Cour administrative d’appel dans les deux mois.

Pourvoi en cassation devant le Conseil d’État dans les deux mois.

Pourvoi en cassation devant le Conseil d’État dans les quinze jours.

Le Conseil d’État doit statuer dans les deux mois.

Recours contre une décision rendu en premier ressort ayant statué sur un recours en référé suspension

Pourvoi en cassation devant le Conseil d’État dans les quinze jours.

Pourvoi en cassation devant le Conseil d’État dans les sept jours.

Le Conseil d’État doit statuer dans un délai d’un mois.

Recours contre une décision rendu en premier ressort ayant statué sur un recours en référé liberté

Appel devant le Conseil d’État dans les quinze jours.

Appel devant le Conseil d’État dans les sept jours.

Le Conseil d’État doit statuer dans les quarante-huit heures.

A.   La composition de la Cour de sÛretÉ de la RÉpublique  

Le présent article définit la composition de la Cour de sûreté de la République, le mode de désignation de ses membres, la durée et les conditions de renouvellement de leur mandat.

Il insère au sein du CESEDA un article L. 132-1 qui prévoit que cette juridiction administrative est « placée sous l’autorité d’un président, conseiller d’État, désigné par le viceprésident du Conseil d’État ».

Il insère également un article L. 132-3, qui dispose que la Cour de sûreté de la République est composée de membres du Conseil d’État, désignés en son sein « pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois ».

B.   La compÉtence de la cour de sÛretÉ֤֤ de la rÉpublique

Le présent article définit la compétence de la Cour de sûreté de la République.

Il insère au sein du CESEDA un article L. 132-2, qui prévoit que la Cour est compétente pour connaître de l’ensemble des recours au fond et en référé dirigés contre les décisions d’expulsion d’un étranger.

Elle est également compétente pour connaître des recours contre les décisions fixant le pays de renvoi d’un étranger faisant l’objet d’une décision d’expulsion.

En revanche, l’article inséré n’étend pas la compétence de la Cour de sûreté de la République à d’autres types de décisions connexes à la décision d’expulsion telles que :

- les décisions d’assignation à résidence consécutives à une décision d’expulsion qui n’est pas exécutée immédiatement ;

- les décisions d’abrogation de l’assignation à résidence lorsque l’expulsion est mise à exécution (ou lorsque la décision d’expulsion est elle-même abrogée) ;

- les décisions d’abrogation de la décision d’expulsion, et les décisions de rejet des demandes d’abrogation d’une décision d’expulsion. 

Par conséquent, la compétence du Tribunal administratif en premier ressort demeurerait pour ces décisions connexes à la décision d’expulsion, ce qui peut nuire à la cohérence de la jurisprudence. 

Votre rapporteur entend proposer un amendement pour clarifier ce point. Par cohérence, la compétence de la Cour doit pouvoir s’étendre à l’examen de l’ensemble des décisions connexes à la décision d’expulsion.

En revanche, il est acquis que la compétence de la Cour de sûreté de la République ne peut pas s’étendre aux recours formés contre une décision de placement en rétention administrative, celle-ci relevant du juge judiciaire, dont la compétence est constitutionnellement protégée s’agissant d’une décision privative de liberté ([6]).

C.   Les voies de recours contre les dÉcisions de la Cour de sÛretÉ de la RÉpublique

1.   Les voies de recours ouvertes

L’article L. 132-2 (nouveau) du CESEDA prévoit que la compétence de la Cour de sûreté de la République s’exerce, pour les recours au fond, « en premier et dernier ressort ».

Cela signifie que les décisions de la Cour de sûreté de la République, pour les recours au fond, ne sont pas susceptibles d’appel, mais uniquement d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Cela permet de supprimer un échelon de juridiction dans l’examen des recours au fond en matière de décisions d’expulsion.

En référé, l’état du droit prévoit déjà un échelon de juridiction en moins, puisque l’ordonnance du tribunal administratif ne peut être contestée que devant le Conseil d’Etat, soit par la voie d’un appel (pour le référé liberté), soit par la voie d’un pourvoi en cassation (pour le référé suspension).  Le présent article n’apporte donc pas de modification sur ce point.

2.   Les délais

Le présent article insère au sein du CESEDA un article L. 132-4 qui prévoit :

-         des délais réduits pour l’exercice des voies de recours (appel et pourvoi en cassation) formés contre les décisions de la Cour de sûreté de la République, d’une part ;

-         et des délais d’examen contraints pour l’examen de ces recours par le Conseil d’État, d’autre part.

Pour les décisions ayant statué sur un recours au fond (recours en annulation pour excès pouvoir), le pourvoi en cassation devra être formé dans les quinze jours de leur notification. Le Conseil d’État devra ensuite statuer dans les deux mois.

Pour les décisions ayant statué sur un recours en référé-suspension, le pourvoi en cassation devra être formé dans les sept jours de leur notification, et le Conseil d’État devra ensuite statuer dans un délai d’un mois.

Pour les décisions ayant statué sur un recours en référé liberté, les décisions de la Cour de sûreté de la République seront susceptibles de faire l’objet d’un appel devant le Conseil d’État dans un délai de sept jours à compter de leur notification. Le Conseil d’État devra ensuite statuer dans un délai de quarante‑huit heures.

D.   Le renvoi À un dÉcret pour les modalitÉs d’application

Le présent article insère au sein du CESEDA un article L. 132-5 qui renvoie à un décret en Conseil d’État les conditions d’application du chapitre inséré.

III.   La position de la commission

La commission a adopté trois amendements identiques de suppression de l’article 1er présentés respectivement par les groupes Rassemblement national, La France insoumise, et Écologiste.

De ce fait, les autres amendements portant sur l’article 1er, devenus sans objet, sont « tombés », dont l’amendement de votre rapporteur visant à étendre la compétence de la Cour de sûreté de la République.

 

*

*     *


Article 2

Création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs

Rejeté par la commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 2 prévoit un gage financier destiné à garantir la recevabilité de la proposition de loi lors de son dépôt.

       Position de la commission

En cohérence avec le rejet de l’article 1er, la commission a rejeté cet article.

 

*

*     *

 


– 1 –

 

   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa première réunion du mercredi 23 novembre 2022, la Commission examine la proposition de loi portant création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers délinquants (n° 352) (M. Eric Ciotti, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/zS9qSB

M. Éric Ciotti, rapporteur. La question de l’immigration est centrale dans les préoccupations des Français, les enquêtes d’opinion en témoignent. Il est à craindre que l’actualité récente alimente encore cette inquiétude. Je pense au fiasco de l’accueil de l’Ocean Viking à Toulon, ou encore à cette série de faits divers dramatiques qui impliquent des auteurs faisant l’objet d’obligations de quitter le territoire français (OQTF), hélas non exécutées.

Les causes de l’échec des pouvoirs publics en la matière sont connues : une justice trop lente, embolisée par la masse des recours, et des règles de fond et de procédure complexes, voire contradictoires. Progressivement, la France a perdu sa pleine capacité à décider qui elle accueille ou non sur son territoire et qui elle expulse.

Voilà pourquoi le président du groupe Les Républicains, Olivier Marleix, a décidé d’utiliser la niche parlementaire qui lui est réservée pour soumettre à la représentation nationale des propositions de loi opérationnelles, qui visent à accroître la capacité d’action des pouvoirs publics en matière d’immigration.

La proposition de loi porte sur un type spécifique de mesures d’éloignement : la décision d’expulsion pour motif d’ordre public. Elle concerne la sécurité collective que menacent certains étrangers. Le champ d’application est plus restreint que celui des OQTF, mais il est très important et surtout très symbolique, car il touche à notre capacité à faire respecter les principes républicains.

L’islamisme radical arrive en tête des sujets de préoccupation des Français, devant l’immigration clandestine.

Cela montre que leur inquiétude porte non seulement sur l’immigration illégale, c’est-à-dire la situation des étrangers présents sur notre territoire en situation irrégulière, mais aussi sur les troubles à l’ordre public et les atteintes aux principes républicains que peuvent causer certains étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou non. Autrement dit, la fermeté que les Français attendent des pouvoirs publics ne doit pas se limiter aux étrangers en situation irrégulière. Elle doit aussi porter, plus largement, sur les étrangers qui constituent une menace à l’ordre public.

La décision d’expulsion pour motif d’ordre public peut aussi être utilisée à l’issue de l’exécution d’une peine, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Nous assumons la double peine, c’est-à-dire la prison puis l’expulsion, ou l’inverse, dès lors que la peine peut être exécutée dans le pays d’origine – une autre proposition de loi a été déposée sur le sujet.

La décision d’expulsion est une mesure de police administrative prise par le préfet ou le ministre de l’intérieur, dans un but de protection de la société, laquelle ne peut se résoudre à attendre qu’un crime ou un délit soit effectivement commis avant de voir des individus dangereux expulsés à l’issue d’une procédure pénale. Des outils existent dans notre droit, mais ils sont mal et peu utilisés.

En 2021, il y a eu seulement 344 décisions d’expulsion pour motif d’ordre public, dont 292 à l’initiative des préfets et 52 à l’initiative du ministre de l’intérieur. En 2020, sur les 246 décisions d’expulsion, seulement 124 ont été exécutées. En résumé, peu de décisions et une mauvaise exécution.

Ces décisions donnent lieu quasi systématiquement à des recours. Plusieurs années sont souvent nécessaires pour qu’une décision définitive soit rendue.

Il n’existe aucune procédure spécifique. Ce sont les règles du droit commun qui s’appliquent, avec trois échelons de juridiction : tribunal administratif, cour administrative d’appel, Conseil d’État.

La multiplicité des juridictions compétentes ne favorise pas l’homogénéisation indispensable de la jurisprudence. Nous en avons eu un exemple regrettable cet été avec l’affaire de l’imam Hassan Iquioussen. L’arrêté ministériel d’expulsion a été suspendu par le tribunal administratif de Paris dans le cadre d’un référé liberté. Cette décision a été annulée par le Conseil d’État. Il est regrettable que la République n’ait pas eu le dernier mot dans cette affaire.

C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons besoin d’une juridiction spécialisée pour traiter efficacement ces recours.

La proposition de loi que je rapporte aujourd’hui ne porte pas sur le fond du droit – elle ne le modifie pas –, elle est de nature procédurale. Elle concerne uniquement l’organisation juridictionnelle du traitement des recours formés contre les décisions d’expulsion d’étrangers pour motif d’ordre public.

La proposition de loi crée une cour de sûreté de la République, juridiction administrative spécialisée dans le contentieux de l’expulsion pour motif d’ordre public. Elle contribuera à alléger un peu le stock d’affaires des tribunaux administratifs, dont je rappelle qu’il est composé à 40 % par des contentieux relatifs au droit des étrangers.

C’est une simplification importante, car actuellement trois critères différents sont utilisés pour déterminer la compétence territoriale du tribunal administratif. En créant une juridiction spécialisée, nous favorisons l’homogénéisation de la jurisprudence, ainsi qu’un traitement rapide des procédures.

Pour veiller à ce que ces objectifs soient bien atteints, je propose un amendement qui étend la compétence de la juridiction à l’ensemble des décisions connexes à une décision d’expulsion.

La juridiction spécialisée sera composée de membres du Conseil d’État. Elle sera présidée par l’un d’eux, désigné par le vice-président du Conseil d’État. Elle statuera en premier et dernier ressort, avec un pourvoi en cassation possible devant le Conseil d’État. Le délai pour former un pourvoi en cassation sera réduit à quinze jours, au lieu de deux mois actuellement. Le texte abaisse aussi de quinze à sept jours les délais de recours en matière de référé liberté, toujours dans le souci d’accélérer les procédures.

Je voudrais ajouter deux points pour souligner l’intérêt de cette proposition de loi.

D’abord, il n’y a rien d’anormal ou de choquant à créer une juridiction spécialisée pour un contentieux spécifique.

Ensuite, la réforme respecte les libertés individuelles. La juridiction spécialisée est placée sous le contrôle du Conseil d’État et l’accélération des procédures bénéficiera aussi aux étrangers visés par une décision d’expulsion.

J’insiste sur le fait que la proposition de loi ne modifie pas le fond du droit. Elle ne fait que simplifier et améliorer l’organisation juridictionnelle pour mieux traiter un type de contentieux.

Par conséquent, elle devrait recueillir l’assentiment de chacun d’entre nous. Je forme le vœu, sans doute un peu vain, que cette proposition de loi nous rassemble aujourd’hui.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Jean Terlier (RE). La proposition de loi pèche à bien des égards.

Manœuvre d’affichage en période électorale et, plus sûrement, énième tentative de stigmatiser l’institution judiciaire, elle pointe le prétendu laxisme des juges administratifs et caricature leur inefficacité à statuer sur l’expulsion des délinquants étrangers.

N’est-ce pas un tract de campagne faisant de la création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers délinquants le remède miracle dans la lutte contre le terrorisme ? Il s’agit, mes chers collègues, d’un miroir aux alouettes, version Les Républicains ultra-droite.

La cour de sûreté de la République que vous appelez de vos vœux serait constitué de cinq membres du Conseil d’État nommés pour cinq ans. Elle serait seule compétente pour juger de l’ensemble des recours contre les arrêtés ministériels et préfectoraux d’expulsion ainsi que pour statuer en référé. Le Conseil d’État serait saisi directement des recours formés contre les décisions de cette juridiction.

Sous couvert d’une justice plus rapide et plus efficace dans le traitement des expulsions des étrangers délinquants, vous entendez créer un tribunal d’exception, sorte de Guantanamo à la française.

Le dispositif n’apporte aucune plus-value à la procédure administrative d’expulsion actuelle. Il est nul et non avenu, tant sur la forme que sur le fond.

D’abord, le choix de remplacer les juges administratifs appelés à se prononcer sur la légalité des arrêtés d’expulsion par une cour de sûreté de la République est dangereux. Il laisse à penser que les juges du fond ne feraient pas correctement leur travail, qu’ils se laisseraient « distraire de l’essentiel », écrivez-vous. En mettant en cause de manière mensongère l’impartialité et le professionnalisme des juges, vous alimentez encore un peu plus le « justice bashing » qui fait le lit des populismes.

Or, dans notre État de droit, le juge administratif contrôle le respect par l’administration des règles de légalité externe et interne. Ce contrôle exigeant ne mérite pas d’être battu en brèche au détour de votre proposition de loi.

Ensuite, les bénéfices qui pourraient être tirés d’une telle juridiction sont absolument inexistants. La suppression du double degré de juridiction n’est en rien opportune. En effet, il n’est pas utile de rappeler que l’expulsion d’un étranger est ordonnée lorsqu’il constitue une menace grave à l’ordre public, en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique, en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État. La décision d’expulsion est immédiate, même si un recours est déposé dès la sortie de prison ou avec un placement en centre de rétention administrative (CRA) pendant l’organisation du retour ; elle est également différée avec assignation à résidence. Le recours contre la décision d’expulsion n’empêche pas l’expulsion d’être exécutée. La suppression de l’appel ne permet nullement de rendre plus efficace la procédure d’expulsion.

Enfin, permettez-moi de m’offusquer de la référence explicite à la cour de sûreté de l’État, juridiction d’exception qui avait été créée pendant la guerre d’Algérie pour statuer sur les crimes et délits politiques.

Parce qu’elle jette le discrédit sur l’institution judiciaire, en particulier sur les juges administratifs, mais aussi parce qu’elle n’améliore pas l’efficacité de la procédure d’expulsion des délinquants étrangers, le groupe Renaissance votera contre la proposition de loi.

Mme Marie-France Lorho (RN). Le choix de s’intéresser au droit, aussi délaissé que dévoyé, de l’expulsion des étrangers délinquants nous semble pertinent.

L’exposé des motifs le rappelle très bien, la plupart des attentats terroristes en France sont commis par des étrangers, sans même compter les binationaux ; un tiers des personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour prévention de la radicalisation à caractère terroriste sont des étrangers.

Le rapport d’information rédigé par le sénateur François-Noël Buffet dresse le constat d’un droit des étrangers devenu illisible et incompréhensible, sous l’effet de l’empilement de réformes successives, de procédures inefficaces et d’un manque de moyens des services de l’État pour les appliquer.

En 2021, ont été prononcées 143 226 mesures d’éloignement, le taux d’exécution, s’établissant à 9,3 %, retours volontaires et spontanés inclus ; quant aux OQTF, au premier semestre 2021, 62 207 ont été prononcées et 3 501 exécutées, soit un taux d’exécution de 5,6 %. De surcroît, il n’existe que 1 800 places en CRA.

Notre pays souffre d’une législation erratique, de plus en plus laxiste, vidée de sa substance et privée de moyens pour être appliquée. Pour parfaire ce travail de démolition, on peut compter sur une jurisprudence européenne, qui s’impose à nos juges nationaux, complaisante avec l’immigration illégale et surprotectrice avec l’étranger délinquant. Tout le système est organisé de manière à ce que l’éloignement ne fonctionne pas.

Face à ce dysfonctionnement politique et législatif, on voit mal ce qu’une juridiction d’exception telle que la cour de sûreté de la République pourrait apporter. En premier lieu, elle est mal nommée, puisque son intitulé renvoie à la cour de sûreté de l’État, instituée par la loi du 15 janvier 1963, qui était une juridiction pénale. Ici la matière est administrative et la composition de la juridiction également. La dénomination est donc inadéquate.

En deuxième lieu, la cour de sûreté de la République est compétente en matière de droit de l’expulsion des étrangers délinquants. Or cette matière relève des juridictions administratives. Il serait assez indélicat à leur endroit de leur retirer des attributions.

En troisième lieu, la pertinence de la création d’une telle cour, tout en conservant les mêmes personnels qui seraient alors déplacés d’une cour à une autre, n’est pas évidente. L’affectation de dix conseillers d’État à son contentieux priverait les autres contentieux administratifs de leur juge de cassation. Par ailleurs, les membres de la juridiction d’exception ne pourront évidemment pas siéger dans le cas de recours en cassation dirigés contre les décisions auxquelles ils auront pris part.

Si l’idée d’attacher à chaque contentieux son tribunal spécial peut sembler séduisante, son application obligerait à repenser complètement l’ordre juridictionnel français pour éviter sa complète dislocation. Elle accroîtrait en outre l’engorgement dont souffre déjà l’ensemble du système judiciaire en France.

Le contentieux de l’expulsion des étrangers souffre de maux aigus qui portent atteinte à l’ordre public et, partant, fragilisent dangereusement notre pays. Le droit en cette matière est de plus en plus laxiste et permissif, ce qui va à l’encontre des intérêts de l’État. Les moyens de l’appliquer ont été volontairement retirés aux autorités publiques, comme à l’institution judiciaire, par complaisance à l’égard d’une certaine idéologie européenne qui poursuit des objectifs contraires à la souveraineté des États parties.

Le juge administratif ne fait qu’appliquer une réglementation qui a été vidée de toute substance. Face à cet état du droit passablement délabré, la création d’une juridiction ad hoc ne permettra pas de reprendre les rênes du contentieux.

Nous ne pourrons pas voter la proposition de loi si nos amendements ne sont pas adoptés.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Surenchère médiatique, inefficacité manifeste et clientélisme menaçant. Comme le disait l’avocat Éric Dupond-Moretti, pour chaque situation exceptionnelle, une loi, une juridiction d’exception. Voilà votre réponse aux faits divers des dernières semaines !

Vous auriez pu, comme notre collègue Aurélien Pradié, travailler votre sujet, mais le Congrès des Républicains vaut bien la démagogie, même ici dans notre commission.

Vous êtes plus ferme que la majorité et moins que le Front national, alors méfiez-vous, les gens préfèrent l’original à la mauvaise copie.

Vous faites un amalgame abject entre étrangers et délinquance dans votre exposé des motifs. Vous n’hésitez pas à associer, d’une manière simpliste, étrangers et terrorisme, sous prétexte que la plupart des attentats seraient commis par des ressortissants étrangers. Or, non, monsieur le rapporteur et mes collègues du Rassemblement national, les chiffres du ministère de l’intérieur, au 28 avril 2021, indiquent que 61 % des attentats ont été commis par des Français.

Vous êtes prompts à vous insurger contre certaines juridictions d’exception – le Parquet national financier – mais vous vous voulez en créer une nouvelle pour les étrangers.

Vous prenez le cas de l’imam Iquioussen, imam sexiste, homophobe et intolérant comme tous les fanatiques de toutes les religions, poursuivi par le ministre de l’intérieur jusqu’en Belgique, malgré un déjeuner entre eux électoralement gratifiant pour ce dernier. Pourquoi cet imam n’a-t-il jamais été condamné ? Pourquoi ses propos abjects n’ont-ils pas donné lieu à un rappel à la loi ? Je vous soupçonne de vouloir rétablir les lettres de cachet et les condamnations sans juge. Vous détournez l’affaire en évoquant la difficulté d’expulsion, après que le juge administratif a suspendu l’arrêté d’expulsion, décision annulée ensuite par le Conseil d’État. Or, telle est bien la procédure prévue par notre droit. Peut-être souhaitez-vous, cher collègue, nous débarrasser des voies et délais de recours, ainsi que de nos juridictions héritées de la longue marche vers la protection des libertés et la consolidation de l’État de droit ?

Vous faites référence à la cour de sûreté de l’État, instaurée par le général de Gaulle dans le contexte particulier de la guerre d’Algérie pour lutter efficacement contre les militaires putschistes et l’organisation d’armées secrètes. Vous singez le général, mais vous jouez au père Le Pen. Vous proposez la création d’une juridiction d’exception qui entérine une inégalité de droits entre les Français et les étrangers. En quoi un terroriste français fait-il plus ou moins mal qu’un terroriste étranger ? Notre droit prévoit déjà des mesures d’éloignement contre les ressortissants étrangers qui menaceraient l’ordre public. Ce qui vous agace, c’est que les intéressés peuvent déposer des recours et des référés suspension devant le juge administratif, comme tous les Français quand ils font l’objet d’une décision administrative. Vous jugez cela trop complexe et trop lent.

Si vous vouliez de la rapidité, vous auriez dû voter nos amendements visant à doter la justice de moyens humains et matériels supplémentaires, mais vous avez préféré les caricatures et les incantations. C’est pourtant de votre faute si la justice est démunie. Quand vous étiez aux responsabilités entre 2007 à 2012, vous avez clochardisé le service public de la justice – c’est le monde judiciaire qui le dit.

Nous n’avons pas besoin d’une loi créant une juridiction spécialisée pour traquer les étrangers, une loi de la surenchère médiatique destinée à alimenter les débats de comptoirs et peut-être les congrès.

Avec cette proposition de loi, aussi étonnante qu’inutile, vous vous situez, cher collègue de droite, entre la catapulte de Mme Le Pen et le charter de M. Darmanin. Nous voterons donc contre. Nous ne sommes pas ici au Congrès des Républicains.

M. Philippe Latombe (Dem). Les débats sur l’immigration sont récurrents, tant dans la société que dans notre hémicycle. Ils semblent sans fin et surtout loin de s’arrêter : les guerres, les événements climatiques, les inégalités économiques entre les continents vont amplifier les mouvements migratoires ; à nous de nous y préparer.

Depuis trente-cinq ans, de la loi Pasqua de 1986 à la loi Collomb de 2018, vingt et une lois ont été votées au gré des majorités et des événements. Cette inflation législative a-t-elle été efficace ? Oui certainement ; cependant, la législation actuelle est complexe, les textes et les procédures sont devenus illisibles.

La création d’une juridiction spécialisée est présentée par les auteurs de la proposition de loi comme une solution permettant de garantir l’accélération des expulsions d’étrangers ayant pris part à des actions terroristes ou les ayant encouragées en même temps que de protéger les droits de la défense. Si nous pensions que la solution était là, nous voterions le texte bien volontiers. Cependant, il y a dans notre pays quelques principes à respecter : les droits de la défense, la garantie de l’appel et bien d’autres choses encore que vous connaissez bien.

L’exposé des motifs indique qu’en 1977, la France expulsait plus de 5 000 étrangers, alors qu’elle n’en exclut que très peu désormais. Il se trouve qu’entre-temps, elle a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme dont l’article 8 protège la vie privée et familiale de l’étranger. Nous devons le respecter. Notre droit est protecteur et respectueux des femmes et des hommes qui vivent sur notre territoire, nous devons nous en féliciter.

Les auteurs du texte justifient la création d’une nouvelle juridiction par la complexité des procédures d’expulsion. Si notre groupe partage ce constat, faut-il pour autant y répondre de cette manière ? La proposition de loi permet-elle d’améliorer le traitement judiciaire ? Ne conduirait-elle pas au contraire à une justice dégradée ?

La cour de sûreté de la République, composée de cinq membres du Conseil d’État nommés pour cinq ans, serait seule compétente pour juger de l’ensemble des recours contre les arrêtés ministériels et préfectoraux d’expulsion administrative, ainsi que pour statuer en référé. Le Conseil d’État serait saisi directement des recours contre les décisions de cette juridiction. Sur le fond et sur la forme, cette proposition appelle quelques observations.

D’abord, le nom retenu pour la cour interroge, en raison de la référence explicite à la cour de sûreté de l’État, juridiction d’exception chargée de statuer sur les crimes et délits politiques et créée dans le contexte particulier de la guerre d’Algérie. Ce choix relève d’une certaine forme de provocation, disons-le.

Le titre de la proposition de loi pose également question : l’expulsion a pour objet de parer à une menace ; elle a un caractère préventif et non répressif. L’usage du vocable « étranger délinquant » et la dénomination de la cour concourent à transformer la procédure en une sanction.

Ensuite, la suppression du double degré de juridiction pose problème : celui-ci constitue une garantie de bonne justice, en particulier en matière pénale.

Si nous pouvons nous accorder sur les dysfonctionnements et l’encombrement des juridictions administratives, le remède ne peut pas porter atteinte aux garanties procédurales dont tout justiciable peut bénéficier, fût-il délinquant ou menaçant l’ordre public.

Par ailleurs, vous semblez minorer les difficultés que peuvent rencontrer les services de préfecture dans le choix des procédures les plus adéquates. C’est la raison pour laquelle, par une instruction du 29 septembre 2020, le ministre de l’intérieur les a encouragés à envisager la mesure d’expulsion, chaque fois qu’elle pouvait être légalement appliquée.

Pour toutes ces raisons, le groupe Démocrate et apparentés ne soutiendra pas ce texte.

M. Raphaël Schellenberger (LR). En dépit de la vérité alternative que La France insoumise voudrait imposer, les faits sont têtus : la plupart des attentats terroristes en France ont été commis par des étrangers. J’en dresse la liste pour que chacun en ait bien conscience : dans l’attentat au Stade de France, deux terroristes de nationalité irakienne figurent aux côtés de deux tristement célèbres ressortissants belges ; l’attentat dans le Thalys en août 2015 est le fait d’un ressortissant marocain ; l’auteur de l’attentat à Nice le 14 juillet 2016 était un ressortissant tunisien, titulaire d’une carte de résident ; le double assassinat de Marseille en 2017 a été commis par un ressortissant tunisien ; les attaques contre des militaires à Levallois-Perret ont été perpétrées par un ressortissant algérien ; sont impliqués : au carrousel du Louvre, un ressortissant égyptien ; dans l’attaque contre des policiers à Notre-Dame de Paris, un ressortissant algérien ; dans l’attentat terroriste de la rue Victor Hugo à Lyon en mai 2019, un ressortissant algérien, détenteur d’un visa touristique ; dans le double assassinat terroriste de Romans-sur-Isère en avril 2020, un réfugié soudanais, détenteur d’un titre de séjour de dix ans ; dans l’attaque au couteau de Villeurbanne en septembre 2019, un demandeur d’asile afghan ; dans l’attentat contre un professeur à Conflans-Sainte-Honorine, un ressortissant russe d’origine tchétchène.

Toutes ces attaques, même si elles sont le fait d’individus présentés comme isolés, demandent un soutien logistique qu’apportent des individus présents sur le territoire national. Elles sont le fruit d’incitation à la haine, de prosélytisme, d’apologie du terrorisme qui doivent être combattus par tous les moyens, parmi lesquels l’expulsion des complices et de ceux qui incitent à de tels actes.

Sur les 12 000 personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, plus de 4 000 sont des étrangers.

Le droit applicable à l’expulsion des étrangers pour un motif d’ordre public se caractérise par sa grande complexité, tant sur le fond que pour la procédure. En outre, plusieurs décisions connexes prises par l’autorité administrative compétente peuvent faire l’objet de recours contentieux distincts, allongeant d’autant les procédures et mettant en échec l’action publique.

La proposition de loi institue une cour de sûreté de la République, juridiction unique et spécialisée pour connaître des recours formés au fond et en référé contre les décisions d’expulsion et les décisions fixant le pays de destination de décisions d’expulsion. Elle simplifie à la fois les règles de compétence juridictionnelle – en l’état du droit, il faut distinguer trois cas de figure pour déterminer le tribunal administratif territorialement compétent – et la procédure contentieuse devant le juge administratif, en supprimant un échelon de juridiction. Il est ainsi prévu que seul le Conseil d’État puisse connaître les appels ou pourvois en cassation formés contre les décisions de la cour de sûreté de la République.

La proposition de loi favorise aussi l’homogénéisation de la jurisprudence en matière d’expulsion des étrangers. Enfin, elle vise à accélérer la procédure contentieuse en réduisant les délais de recours et d’examen de ces recours par le Conseil d’État.

Le maître mot du texte que vous présente le groupe Les Républicains est l’efficacité.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Je tiens à rappeler deux éléments : le juge judiciaire est le garant de la liberté individuelle et veille au respect de la procédure – arrestation, contrôle d’identité, enquête, garde à vue, détention – tandis que le juge administratif est le gardien de la légalité des décisions de l’administration – refus d’admission sur le territoire, refus de séjour, mesures d’éloignement.

Sous couvert de simplifier le contentieux, votre proposition de loi vise à affaiblir les garanties juridictionnelles dont l’éloignement des étrangers est assorti au nom de la Constitution et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Elle cherche à faciliter les expulsions en s’appuyant sur une interprétation erronée du droit à la sûreté, consacré à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme.

La création d’une juridiction unique risque de fragiliser le droit au recours effectif et de bouleverser le contentieux de l’expulsion. Aujourd’hui, ni la saisine des juges du fond, ni celle du Conseil d’État en cassation ne permet de suspendre l’expulsion ; seule une procédure en urgence le permet, et ce, de manière temporaire et dans des délais très resserrés.

Votre idée pourrait affaiblir les moyens affectés aux autres contentieux, alors que les délais moyens sont aujourd’hui très, voire trop longs pour nos concitoyens. On estime aujourd’hui à 5 000 le nombre de magistrats de l’ordre judiciaire nécessaires. Faisons un effort exceptionnel pour offrir à tous une justice efficace dans le respect de nos principes et de la dualité de nos juridictions.

En poussant jusqu’à l’absurde votre raisonnement, on pourrait créer d’autres juridictions spécialisées selon les délais et les catégories de personnes. À situation exceptionnelle, nous avons défendu des moyens exceptionnels. Le groupe Socialistes et apparentés votera contre la proposition de loi, qui ne répond certainement pas à aux besoins des justiciables, qu’ils soient étrangers ou nationaux.

*

*     *

Lors de sa seconde réunion du mercredi 23 novembre 2022, la Commission poursuit l’examen de la proposition de loi portant création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers délinquants (n° 352) (M. Eric Ciotti, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/OwjFxw

Le président Sacha Houlié. Nous reprenons la discussion générale de la proposition de loi portant création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers délinquants, que nous avons commencée ce matin.

M. Philippe Pradal (HOR). Notre droit concernant l’expulsion des étrangers – ceux qui menacent l’ordre public et qui sont en situation irrégulière – peut sans doute être amélioré, et son efficacité, interrogée. Vous évoquez, dans votre exposé des motifs, les attentats terroristes qui ont touché notre territoire et je ne peux, en tant qu’élu niçois, qu’être touché par cette évocation – même si je rappelle que nombre des terroristes étaient en situation régulière. Le terrorisme a trois objectifs : nous tuer, nous blesser et nous faire douter.

L’expulsion est une décision administrative qui peut être prise soit par le préfet, soit par le ministre de l’intérieur. Vous avez rappelé qu’on en compte moins de 400 chaque année. Afin d’accélérer les expulsions, vous proposez de créer une nouvelle juridiction spécialisée. Actuellement, le contentieux général des étrangers est confié aux tribunaux administratifs. Ce sont des juges de proximité qui y exercent : ils connaissent la réalité du territoire dans lequel évolue la personne faisant l’objet d’une mesure administrative et ils ont une réelle expertise.

Ce qui me semblerait utile, c’est de renforcer les moyens à la disposition des forces de sécurité, notamment en matière de renseignement : c’est ce qu’on a commencé à faire avec le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi). Il importe de prévenir et de déjouer les actes terroristes, non de les constater. Il faut également trouver des solutions administratives et judiciaires pour que les étrangers qui sont sur le territoire français et qui présentent une menace pour l’ordre public en soient effectivement éloignés.

Vous estimez que la complexité des procédures fait perdre du temps, notamment le traitement des décisions en cas de recours. Je ne crois pas que la création d’une juridiction spécialisée soit une solution. Il importe de faire un travail plus global sur la situation des étrangers que l’on souhaite voir quitter le territoire français. En l’état, le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je trouve cette proposition de loi abjecte ; elle m'inspire un profond dégoût. Je veux apporter tout mon soutien aux familles des victimes et dénoncer l’instrumentalisation indigne que vous faites du terrorisme, à l’approche du congrès des Républicains.

Vous revenez sur des droits fondamentaux et sur des équilibres essentiels de notre justice. Dans un autre contexte, vous avez défendu le droit du sang : ce n’est évidemment pas l’idée que je me fais de notre République, ni de l’universalisme français. Vous vous réclamez de la République et de de Gaulle, mais votre vision de la France est étriquée. Le droit du sol et l’état de droit ne sont pas des jouets.

Vous avez choisi une appellation tape-à-l’œil, la Cour de sûreté de la République, en référence à la Cour de sûreté de l’État, une juridiction d’exception créée pendant la guerre d’Algérie. C’est tout à fait déplacé. Votre objectif n’est pas de trouver une solution à un problème identifié, mais de marquer les esprits.

Les étrangers qui constituent une menace pour notre sécurité sont déjà expulsés ou ils le seront après avoir purgé leur peine. L’idée selon laquelle la complexité du contentieux actuel freinerait la mise en œuvre d’une expulsion est fausse. Ni la saisine des juges du fond, ni celle du Conseil d’État, en cassation, n’autorise la suspension de l’exécution d’une expulsion. Seule une procédure d’urgence le permet, de manière temporaire et dans des délais très resserrés – quinze jours pour saisir le juge des référés. L’accélération de la procédure contentieuse que vous nous proposez ne répond donc à aucune nécessité.

Dans notre législation, il y a trois niveaux d’expulsion. La majorité d’entre elles sont prononcées contre des personnes condamnées pour atteinte à l’intégrité physique, pour trafic de stupéfiants ou récidive d’infractions mineures. Alors que les activités terroristes représentent une infime partie des cas justifiant une expulsion, vous brandissez cette menace comme un motif pour réformer l’ensemble du contentieux des expulsions.

Enfin, vous prétendez que les magistrats des tribunaux administratifs font structurellement obstacle à l’efficacité du droit des expulsions. Vous leur reprochez de se laisser distraire par la recherche d’un équilibre entre la sauvegarde de l’ordre public et la protection de la vie privée et familiale, consacrée par notre Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme. Pour le dire autrement, vous voulez en finir avec le contrôle de proportionnalité, qui est pourtant la marque de l’état de droit. Votre amateurisme est indigne. Les écologistes voteront contre ce texte, qu’ils dénoncent de bout en bout

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Le titre même de votre proposition de loi est problématique. Elle porte création d’une « juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers délinquants » mais vous évoquez, dans l’exposé des motifs, « les personnes étrangères ayant pris part à des actions terroristes » ou « les ayant encouragées d’une manière quelconque ». Votre texte concerne-t-il les délinquants ou les terroristes ?

Votre logique n’est pas claire pour moi. Vous dites que la justice est lente et qu’elle manque de moyens. Et, pour régler ce problème, vous proposez de créer une juridiction spécifique, ce qui nécessitera des moyens supplémentaires. Pourquoi ne pas demander clairement des moyens supplémentaires pour la justice ?

Votre proposition de loi est très gênante – et c’est un euphémisme – parce qu’elle n’est pas justifiée. Plusieurs collègues ont rappelé que nous avons déjà un arsenal juridique qui permet les expulsions : votre texte n’apporte donc aucune plus-value. Vous voulez seulement faire croire à la France entière, voire au monde entier, que les problèmes d’insécurité de la France sont dus aux étrangers. Cet argument est dangereux et fallacieux.

Ce texte me rappelle le film Minority Report, dans lequel on pouvait condamner des gens avant même qu’ils aient commis le moindre délit. Il y a des droits et une justice : on ne peut pas faire n’importe quoi, en l’absence de condamnation. Vous ouvrez la boîte de Pandore et rognez les droits de la défense. Nous voterons contre ce texte.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nul ne peut nier le lien entre délinquance et population étrangère. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le ministre de l’intérieur, même s’il lui a fallu du temps pour le reconnaître. Dans son livre, l’ancien préfet de police, Didier Lallement, donne des chiffres, que confirme l’actuel préfet de police, Laurent Nuñez : 80 % des vols commis dans les transports en Île-de-France le seraient par des étrangers. Le ministre de l’intérieur estime, quant à lui, que 50 % des mis en cause impliqués dans des vols ou violences dans les transports des grandes villes françaises sont des étrangers.

Le lien entre délinquance et population étrangère est un fait statistique et objectif. Certains préfèrent mettre des œillères. Pour ma part, je crois, comme Péguy, qu’il faut dire ce que l’on voit, et surtout voir ce que l’on voit. Pour la première fois, certains disent enfin ce qu’ils voient. Une fois ce lien établi, il faut en tirer les conséquences. Un étranger qui commet un délit troublant l’ordre public, qu’il soit en situation irrégulière ou régulière, doit être expulsé. Il n’y a pas d’autre solution. Quand on accueille un étranger en situation régulière, il passe une sorte de contrat de confiance avec la nation. L’État français émet un titre de séjour. Quand ce titre est déchiré par un acte de délinquance, l’État doit se protéger.

Or chacun sait que le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire (OQTF), procédure administrative, et des interdictions du territoire français (ITF), procédure judiciaire, est très faible. Le préfet, lorsqu’il suspecte des personnes de présenter un trouble à l’ordre public, peut prendre un arrêté d’expulsion, même si elles n’ont pas encore été condamnées : c’est ce qui est arrivé à l’imam Iquioussen. Ces arrêtés d’expulsion sont très peu nombreux – 344 en 2021 – et seuls 50 % d’entre eux sont exécutés. Sur les ITF, on est à environ 2 300.

Monsieur Iordanoff, vous parlez de dégoût. Ce qui me dégoûte, moi, c’est que des étrangers s’en prennent à nos concitoyens. Je veux éviter que cela se produise et ce devrait être notre souci commun. Les principaux obstacles à l’expulsion sont l’excès de procédures administratives, la complexité des mesures d’expulsion et le manque de moyens. C’est pour cela que j’ai défendu un amendement à la Lopmi, – qui a été adopté, avec un avis favorable du Gouvernement – qui prévoit de multiplier par 2,5 le nombre de places en centre de rétention. Sans cela, toute mesure d’expulsion, qu’elle soit judiciaire ou administrative, ne pourra pas s’exécuter.

Il importe aussi de simplifier les procédures. Chers collègues de la majorité, c’est ce que vous proposera M. Darmanin au mois de janvier, et vous voterez sa loi avec enthousiasme. Déplorant, lui aussi, la lourdeur des procédures, il souhaite, dans la même logique, réduire le nombre de recours. Nous défendons évidemment l’état de droit – davantage d’ailleurs que certains collègues, qui soutiennent le modèle bolivarien.

Nous sommes attachés à l’état de droit et n’avons aucune leçon à recevoir. Cette proposition de loi est pragmatique. La politique, c’est du bon sens : quand quelque chose ne fonctionne pas, il faut le modifier. En l’occurrence, nous observons des défaillances : le taux d’exécution des décisions administratives et judiciaires est ridiculement bas, ce qui fait courir un risque à la société. Nous en tirons les conséquences en simplifiant les procédures.

Le nom que nous proposons pour cette cour fait débat. Ce n’est pas moi qui l’ai trouvé. L’important, monsieur Terlier, ce n’est pas la sémantique, c’est l’action.

L’objectif est non seulement de simplifier les procédures, mais aussi d’homogénéiser la jurisprudence. En effet, les tribunaux administratifs ont des appréciations extraordinairement différentes – j’en veux pour preuve l’affaire Iquioussen. Nous voulons donc créer une juridiction non pas d’exception, mais spécialisée dans le traitement d’un contentieux très difficile.

Quand un préfet ou un ministre de l’intérieur demande l’expulsion d’une personne pour un motif d’ordre public en s’appuyant sur une note blanche des services de renseignement, certaines juridictions le refusent, car, le fondement juridique de ces documents est, par nature, fragile.

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) émet des avis, notamment sur les écoutes administratives, puis le Premier ministre décide. Une voie de recours devant le Conseil d’État est alors ouverte. Les magistrats qui jugent ce contentieux sont spécialisés. Ils sont également habilités secret-défense ou très secret-défense. Cela montre que, lorsqu’il y va du terrorisme ou de la criminalité organisée, il est nécessaire de faire intervenir des magistrats spécialisés. Avec cette proposition de loi, nous suivons exactement la même logique.

En somme, s’agissant de personnes dont les services de renseignement estiment qu’elles sont extrêmement dangereuses même si elles ne sont pas encore passées à l’acte, vous voulez que l’on intervienne après ; pour notre part, nous entendons faciliter les procédures pour les expulser avant.

Article 1er : (Art. L. 132-1 à L. 132-5 [nouveaux] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit de l’asile) Création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers

Amendements de suppression CL1 de M. Andy Kerbrat, CL15 de Mme Marie-France Lorho et CL18 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). J’ai un peu de mal avec les mouvements politiques donnant des leçons en matière de politique internationale alors qu’ils trouvaient que tout n’était pas à jeter chez Donald Trump et qu’ils jugeaient, il y a un peu plus d’un an, qu’il fallait tendre la main à Monsieur Poutine…

Nous refusons la création d’une nouvelle juridiction administrative d’exception ayant pour mission de juger de l’éloignement des étrangers délinquants. Il existe déjà des procédures d’expulsion, même si elles ne sont ni aussi rapides ni aussi arbitraires que le souhaiterait Monsieur Ciotti car elles sont conformes à l’État de droit.

Par ailleurs, le texte est flou et mal ficelé. Dans le contexte un peu tumultueux que nous connaissons à l’Assemblée, il est important de présenter des textes bien faits et correspondant à des situations réelles.

La proposition de loi ne répond pas non plus à la question centrale, à savoir celle des moyens donnés à la justice et à la police pour agir. En réalité, il y a trop d’OQTF pour que nos services puissent les exécuter. S’ils avaient suffisamment de moyens, ils les exécuteraient tous – même si ce n’est pas du tout ce que je souhaite.

Enfin, je vous invite à lutter contre la xénophobie rampante qui apparaît ici dans l’amalgame qui est fait entre délinquance et étrangers. Même Monsieur Nuñez, dont certains propos nous ont heurtés, a refusé une telle confusion ; le ministre Gérald Darmanin également. Il convient donc de rejeter résolument ce texte.

Mme Marie-France Lorho (RN). Le contentieux de l’expulsion des étrangers souffre de maux aigus qui portent directement atteinte à l’ordre public et, partant, fragilisent dangereusement notre pays. La loi qui gouverne cette matière est de plus en plus laxiste, ce qui va à l’encontre des intérêts de l’État. Les moyens permettant d’appliquer la loi ont été volontairement retirés aux autorités publiques comme à l’institution judiciaire, par complaisance à l’égard d’une certaine idéologie européenne poursuivant des objectifs contraires à la souveraineté des États parties. Ainsi, le juge administratif ne fait qu’appliquer une loi vidée de toute substance. Face à ce délabrement du droit, la création d’une juridiction ad hoc ne permettrait pas de reprendre les rênes du contentieux de l’expulsion. C’est au législateur et non juge qu’il revient d’agir. La proposition de loi ne résout donc pas ce qui constitue le problème essentiel.

Quant au nom proposé – « cour de sûreté de la République » –, il renvoie à une juridiction d’ordre pénal, en l’occurrence la Cour de sûreté de l’État, instituée par le général de Gaulle en 1963. Or, ici, la matière est administrative, de même que la composition de la juridiction. La cour de sûreté de la République est présentée comme un tribunal spécial pour juger de l’expulsion des étrangers délinquants. Or cette matière relève du droit administratif et des attributions de l’ordre juridictionnel administratif. Retirer leurs attributions au tribunal administratif et à la cour administrative d’appel serait assez indélicat.

Le personnel de la cour proviendrait du Conseil d’État. La pertinence de ce choix n’apparaît pas non plus évidente : affecter des conseillers d’État à cette tâche reviendrait à priver les autres contentieux administratifs d’autant de juges chargés de se prononcer en cassation. L’idée de créer pour chaque contentieux un tribunal spécial peut sembler séduisante, mais son application aboutirait à une telle dislocation qu’il faudrait repenser l’ensemble de l’ordre juridictionnel français, qui se définit par son dualisme. Enfin, cela reviendrait à aggraver l’engorgement du système judiciaire.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). On peut chercher l’efficacité sans pour autant instrumentaliser certains problèmes. Voilà pourquoi j’ai employé le mot « dégoût ».

Je vous mets au défi de trouver le moindre soutien de ma part à l’État bolivarien. Votre proposition, quant à elle, entraînerait bel et bien une dégradation de l’état de droit en restreignant l’accès au juge, en supprimant la voie d’appel et en raccourcissant les délais de pourvoi en cassation. L’affaiblissement de la voie de recours peut se justifier à la seule condition qu’un intérêt supérieur le requière. Or vous n’en avez pas fait la démonstration. Vous avez juxtaposé le rappel de faits terroristes et la présentation de votre proposition, sans pour autant établir un lien de causalité entre eux. Rien ne prouve que la nouvelle organisation que vous proposez serait une solution. Vous n’avez pas non plus prouvé que l’organisation actuelle de la justice freinait les expulsions. Vous avez même dit que vous ne changiez pas le fond du droit. Il s’agit donc purement et simplement de faire de l’affichage. Nous pensons qu’une telle mesure n’est ni efficace ni souhaitable et proposons donc de supprimer l’article.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Monsieur Iordanoff, monsieur Kerbrat, je comprends que, de votre point de vue, la suppression du dispositif soit souhaitable. Je salue une forme de cohérence.

Il n’en demeure pas moins que la délinquance des étrangers pose problème. Nous devons également pouvoir choisir qui nous voulons accueillir et surtout qui nous ne voulons plus conserver sur le territoire national – en l’occurrence des personnes violant les lois de la République et menaçant les principes républicains. Vous vous opposez à cette idée ; cela ne m’étonne pas. Malheureusement, la logique que vous défendez est celle qui a conduit à la situation actuelle, que nous déplorons. Vous avez installé une forme de domination intellectuelle qui terrorise la majorité elle-même et l’enferme dans l’impuissance.

Madame Lorho, vous avez déposé d’autres amendements sur le texte : si l’article 1er est supprimé, ils tomberont… Pour ma part, je souhaite que le débat ait lieu. Il est possible d’améliorer la proposition de loi. Le nom proposé pour la juridiction vous perturbe, mais la sémantique n’est pas l’essentiel : ce que nous voulons, c’est être efficaces. Il serait dommage que vous vous associez aux Insoumis pour refuser ce débat sur l’expulsion des étrangers.

M. Jean Terlier (RE). Nous allons vous décevoir, monsieur le rapporteur, car le groupe Renaissance votera l’amendement de M. Iordanoff – pour ma part, je suis d’accord avec l’essentiel de ce qui figure dans son exposé sommaire.

Vous ne nous avez pas convaincus. À vous entendre, nous ne souhaiterions ni régler le problème de la délinquance des étrangers ni améliorer l’exécution des arrêtés d’expulsion. Or, ce que vous n’avez pas dit assez clairement, c’est que cette proposition de loi ne permettrait pas d’y remédier. Au fond, la création de cette cour de sûreté de la République permettrait simplement de remplacer les juges des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, statuant au fond, par des magistrats du Conseil d’État. Cela traduit votre méfiance envers ces juges : ce que vous leur reprochez, en réalité, c’est de ne pas être suffisamment sévères dans l’appréciation des arrêtés d’expulsion. Vous mettez en cause leur impartialité.

En outre, le nom que vous souhaitez donner à cette juridiction d’exception dérange. Soit il a été choisi à dessein, soit c’est une énorme maladresse.

Ces raisons expliquent que nous ne souhaitions pas examiner plus avant le texte.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je ne peux pas vous laisser dire que la proposition de loi met en cause les magistrats ni que nous voulons les remplacer. D’une part, nous proposons que la cour soit composée de conseillers d’État, autrement dit de personnes qui sont au sommet de la hiérarchie de la magistrature administrative. D’autre part, notre objectif est d’harmoniser la jurisprudence. Ce n’est pas un acte de défiance envers les magistrats – au contraire.

Nous voulons également simplifier et accélérer les procédures. Il y aura donc un échelon de recours en moins. Toutefois, les personnes concernées auront la possibilité de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État. Nous restons donc dans le cadre de l’état de droit. Nous le renforçons même en chargeant du contentieux de l’expulsion des magistrats qui en auront une connaissance précise.

Je suis persuadé, mes chers collègues de la majorité, que vous approuverez demain les dispositions que vous refusez aujourd’hui, dès lors que c’est Monsieur Darmanin qui vous les proposera. Peu importe : l’essentiel est que vous finissiez par les adopter.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les autres amendements tombent.

Après l’article 1er

Amendement CL17 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho (RN). Cet amendement est devenu sans objet : il s’agissait de combler une lacune de la proposition de loi. Ses auteurs ont manifestement oublié que le droit de l’entrée et du séjour des étrangers est soumis, dans six de nos collectivités d’outre-mer – Saint-Barthélemy et Saint-Martin, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises – au principe de spécialité législative. Sans mention expresse, la présente loi ne s’appliquerait pas à ces territoires, ce qui aurait pour effet accidentel d’y maintenir la compétence juridictionnelle actuelle.

L’amendement est retiré.

Article 2 : Création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs

La commission rejette l’article 2.

La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi portant création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers délinquants (n° 352).


([1]) voir en ce sens : CE, sect., 30 septembre 2005, n° 280605. 

([2]) CE, 18 février 2008, n° 306238, Ministère de l’Intérieur.

([3]) CE, 1er octobre 2001, n° 234918.

([4]) CE, 18 septembre 2009, n° 331914, Djamel A.

([5]) CE, 18 février 2008, n° 306238.

([6]) Article 66 de la Constitution.