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ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2022 - 2023

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 6 décembre 2022

 

le 6 décembre 2022

 

 

 

RAPPORT

 

au nom de

 

L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

 

sur

 

 

Les sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité

 

 

Compte rendu de l’audition publique du 10 novembre 2022

et de la présentation des conclusions du 1er décembre 2022

 

 

par Mme Florence Lassarade, sénatrice

 

 

 

 

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Président de l’Office

 

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET

Premier vice-président de l’Office

 


 

 

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

 

 

Président

M. Pierre HENRIET, député

 

 

Premier vice-président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

 

Vice-présidents

 

 M. Jean-Luc FUGIT, député  Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, sénatrice              M. Victor HABERT-DASSAULT, député              Mme Angèle PRÉVILLE, sénatrice

 M. Gérard LESEUL député  Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

 

 

 

 

DÉputés

 

 

SÉnateurs

Mme Christine ARRIGHI

M. Philippe BERTA

M. Philippe BOLO

Mme Maud BREGEON

M. Moetai BROTHERSON

M. Hadrien CLOUET

M. Hendrik DAVI

Mme Olga GIVERNET

M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI

M. Yannick NEUDER

M. Jean-François PORTARRIEU

M. Alexandre SABATOU

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Huguette TIEGNA

 

 Mme Laure DARCOS

 Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

 M. André GUIOL

 M. Ludovic HAYE

 M. Olivier HENNO

 Mme Annick JACQUEMET

 M. Bernard JOMIER

 Mme Florence LASSARADE

 M. Ronan Le GLEUT

 M. Pierre MÉDEVIELLE

 Mme Michelle MEUNIER 

 M. Pierre OUZOULIAS

 M. Stéphane PIEDNOIR

 M. Bruno SIDO

  M. Bruno SIDO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

___

Pages

Conclusions de l’audition publique du 10 novembre 2022 sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité

TRAVAUX DE L’OFFICE

I. COMPTE RENDU DE L’AUDITION PUBLIQUE du 10 novembre 2022

II. EXTRAITS DU COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU JEUDI 1er DECembre 2022 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’audition publique

 

 

 


 

   Conclusions de l’audition publique
du 10 novembre 2022 sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité

Au début du mois de décembre 2022 aura lieu la 15e session de la Conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (COP 15). Dans la perspective de cette conférence, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a organisé le 10 novembre 2022 une audition publique consacrée aux conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité. Diffusée en direct, cette audition est disponible en vidéo à la demande sur les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Les effets du réchauffement climatique sur la biodiversité font l’objet d’un consensus scientifique depuis plus d’une vingtaine d’années. L’audition entendait explorer, d’un point de vue scientifique, les effets présents et futurs du réchauffement climatique sur la biodiversité, mais aussi évaluer les actions de conservation mises en œuvre en contexte de changement climatique. Ce faisant, elle s’est penchée sur le cas de quelques milieux et espèces emblématiques. L’audition a fait ressortir l’expertise considérable des laboratoires et des institutions publiques françaises, alors même qu’ils ne sont pas toujours mobilisés de manière cohérente par les pouvoirs publics.

Trois échelles d’étude de la biodiversité

Comme l’a d’abord indiqué Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l’Institut Écologie et Environnement du CNRS, trois échelles d’étude permettent d’approcher le problème de la biodiversité.

La première, la plus évidente, est celle de la diversité des individus appartenant à une même espèce. Elle se constate chez nombre d’espèces d’organismes pluricellulaires, végétaux comme animaux.

La diversité du vivant s’observe également dans la diversité des espèces. En France métropolitaine, il existe environ 40 000 espèces d’insectes, aux caractéristiques extrêmement variées.

Une troisième forme de diversité biologique réside dans les modalités d’organisation des espèces au sein des écosystèmes. Les forêts tropicales, les savanes, les pâtures tempérées, ou encore les pelouses alpines ne disposent pas des mêmes caractéristiques écologiques.

Trois dimensions de la biodiversité moins communément prises en compte

Outre ces trois niveaux d’étude, il faut aussi prendre en compte les trois dimensions de la diversité du vivant. Elles ne sont pas toujours envisagées, parce qu’elles ne sont pas directement perceptibles. Mais elles n’en existent pas moins.

La première de ces dimensions concerne la partie microbienne de la biodiversité. Les avancées de l’hygiène pasteurienne réalisées au début du XXe siècle pouvaient donner le sentiment que les microbes sont globalement nuisibles et qu’il importe de s’en débarrasser. En réalité, nos propres organismes sont incapables de survivre et de se développer sans la présence des bactéries. Un adulte en bonne santé héberge 30 milliards d’éléments bactériens, qui pèsent environ trois kilogrammes. Ces bactéries permettent notamment le bon fonctionnement du système immunitaire et du système neurodigestif. Par exemple, un enfant né par césarienne, qui n’est pas exposé au microbiote vaginal de sa mère, ne profite pas de cette colonisation digestive.

L’évolutivité constitue une deuxième dimension mal perçue de la biodiversité. Il est parfois difficile de se rendre compte que tous les organismes descendent d’un ancêtre commun, alors qu’il existe une diversité prodigieuse d’espèces. Ce foisonnement vient de la concurrence entre les phénomènes de disparition et de spéciation. L’évolutivité agit aussi à « l’intérieur » de chaque espèce, celle-ci restant identifiable par rapport aux autres malgré les modifications de certains traits biologiques qui la caractérisent.

Enfin, une troisième dimension très importante de la biodiversité réside dans les interactions entre espèces. Une de ces interactions, très connue, relie les abeilles et les espèces fleuries. Au plus fort du printemps, une ruche en bonne santé peut compter jusqu’à 50 000 abeilles qui butinent chacune plusieurs heures par jour. Il existe de nombreuses autres interactions, souvent permanentes, au sein des écosystèmes. En France métropolitaine, la pollinisation est d’ailleurs le fait de plus de 5 500 espèces pollinisatrices, relevant essentiellement de la classe des insectes. Ces interactions peuvent être difficiles à appréhender.

La biodiversité est dynamique

L’évolution des espèces donne souvent l’impression d’être inscrite dans le temps long. Au contraire, la biodiversité est extrêmement dynamique. Chaque évènement de reproduction sexuée donne lieu à la fusion de deux génomes, accompagnée d’un certain nombre de mutations. Ainsi, l’espèce humaine transmet à sa descendance entre 100 et 150 mutations à chaque génération. D’autres phénomènes évolutifs se révèlent particulièrement rapides. Par exemple, l’antibiorésistance peut apparaitre en seulement quelques années. Elle cause chaque année plusieurs centaines de milliers de morts dans le monde.

Un déclin avéré de la biodiversité résultant de plusieurs facteurs

Nous nous trouvons aujourd’hui dans la sixième grande crise d’extinction. Les épisodes précédents étaient exceptionnels, mais ils se déroulaient sur des durées de l’ordre de millions d’années. L’espèce humaine n’existait pas encore et n’y jouait donc aucun rôle. Dans la phase actuelle, le taux d’extinction effectif est environ mille fois plus important que le taux résiduel estimé lorsqu’on ne tient pas compte de l’activité humaine.

Créée en 2012, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), conduit, en matière de biodiversité, des travaux similaires à ceux du GIEC sur le climat. Environ 150 pays en sont membres auxquels se joignent de nombreux organismes accrédités, dont le CNRS pour la France. L’IPBES a diagnostiqué cinq grandes causes de déclin de la biodiversité.

Ces causes sont communément connues, mais – c’est un acquis récent – des travaux scientifiques en ont désormais mesuré l’intensité et l’importance. Anne-Christine Monnet, chercheure postdoc au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (CESCO) du Muséum national d’histoire naturelle, l’a aussi souligné.

Le changement climatique est l’une de ces cinq causes, mais il ne vient pas en premier. Il faut citer d’abord la conversion des milieux naturels au profit des activités humaines, qui a notamment déjà entraîné la disparition de près des trois quarts des zones humides de la planète. Viennent ensuite les prélèvements croissants sur la biodiversité, qu’il s’agisse par exemple de la surexploitation des forêts ou de la surpêche. À ceci s’ajoutent les pollutions de toutes sortes : pour ne citer que la masse de plastique présente sur la surface terrestre, elle équivaut désormais à l’ensemble de la biomasse animale. Enfin, les transports d’espèces sont un phénomène ancien mais qui a connu une croissance exponentielle avec l’essor de la mondialisation après la Seconde Guerre mondiale et dont l’impact sur la biodiversité est devenu significatif à l’échelle d’une région, d’un pays, voire d’un continent.

Les effets du changement climatique sur la biodiversité

À l’heure actuelle, le changement climatique n’est pas le facteur le plus important des pertes de biodiversité. Il influe cependant déjà sur celles‑ci de trois manières et cette tendance devrait s’accentuer à l’avenir.

Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), a ainsi brossé une brève prospective des menaces qui pèsent sur la biodiversité du fait du réchauffement climatique. Ce faisant, il a présenté à l’Office certains contenus du sixième rapport du GIEC à paraître cette année.

Ce rapport contient un tableau synthétique qui présente, selon les régions, les impacts du changement climatique sur les structures des écosystèmes, la distribution des espèces et la phénologie annuelle des espèces, c’est-à-dire les phases de leur développement saisonnier. Il fournit des informations prospectives à l’échelle de la planète sur les effets du changement climatique sur la biodiversité.

Il est clair que l’élévation de la température constatée depuis le début de l’ère industrielle aura un impact important sur la biodiversité. Toutefois, les pertes varieront localement, car selon les régions, l’élévation des températures et l’ampleur des variations hygrométriques différeront, et la biodiversité sera plus ou moins fragile.

Dans les différents scénarios du changement climatique, la biomasse des poissons marins devrait être particulièrement touchée. Atteindre les objectifs de l’accord de Paris laisserait espérer un changement relativement modeste de cette biomasse. Cependant, la trajectoire actuelle du réchauffement devrait conduire à des modifications très importantes de cette biomasse, avec de fortes baisses dans certaines régions et une augmentation dans d’autres zones. Qu’elles soient à la hausse ou à la baisse, des variations de l’ordre de 20 % à 30 % de cette biomasse induiront une baisse de la biodiversité en raison des fortes perturbations qui en résulteront sur la structure des écosystèmes marins, et de leurs interactions.

M. Grandcolas a exposé comment le changement climatique peut faire disparaître des écosystèmes entiers. Le cas des récifs coralliens, voués à l’extinction à l’horizon de quelques décennies, est particulièrement bien documenté : le réchauffement de l’eau des océans et son acidification par dissolution du gaz carbonique provoquent un blanchiment des coraux ; ceux-ci expulsent leurs petites algues symbiotiques et ne peuvent survivre. Si les coraux meurent, ces récifs deviendront des éléments inertes qui finiront par être détruits par le ressac.

Benoît Sautour, professeur habilité à diriger des recherches (HDR) de l’université de Bordeaux, a souligné que l’impact du changement climatique ne se limite pas à une redistribution géographique de la biodiversité – par exemple, les poissons les moins thermophiles migrant vers le nord pour demeurer dans leurs niches thermiques, devant le réchauffement des eaux –, ou à l’apparition de quelques décalages dans le cycle annuel de développement d’une espèce. La perturbation des écosystèmes ne concerne pas seulement les milieux emblématiques comme les zones polaires ou tropicales : elle affecte aussi ce que l’on peut appeler la « biodiversité ordinaire ». L’estuaire de la Gironde connaît depuis une vingtaine d’années une augmentation de la température et de la salinité de l’eau – due à une érosion accrue résultant de la fonte des glaces terrestres – qui modifie sa composition physico-chimique. Ceci perturbe l’ensemble des réseaux trophiques qui relient les bactéries, les microalgues, le zooplancton et les organismes benthiques. On constate désormais des conséquences directes sur certaines activités humaines, comme la fermeture de plusieurs pêcheries, et la chute de la capacité trophique de l’estuaire menace la capacité des poissons à grandir et à survivre en mer.

En définitive, comme l’a indiqué Anne-Christine Monnet, les scientifiques estiment que le changement climatique exacerbera de manière croissante l’impact des autres facteurs du déclin de la biodiversité au cours du XXIe siècle, tout en gagnant en puissance en tant que facteur direct de ce déclin.

Les voies étroites de la préservation

L’état des connaissances disponibles montre que les mesures propres à lutter contre le changement climatique peuvent contribuer à lutter contre le déclin de la biodiversité, à condition d’être correctement calibrées.

Cependant, la lutte contre le changement climatique ne permettra pas de résoudre à elle seule la crise de la biodiversité. La synthèse d’études de la plateforme de l’IPBES alerte même sur l’existence d’effets secondaires indésirables, du point de vue de la biodiversité, de certaines actions de lutte contre le réchauffement climatique. (Par exemple, les monocultures ou la production de bioénergie réduisent l’espace disponible pour le déploiement de la biodiversité.)

Quoi qu’il en soit, Wolfgang Cramer a attiré l’attention sur le fait que le bénéfice, au regard de la biodiversité, de la lutte contre le réchauffement dépendra aussi du « chemin suivi » par celle-ci. En effet, quand bien même le réchauffement climatique parviendrait in fine à être contenu au niveau du seuil de 1,5 degré prévu par l’accord de Paris de 2015, il n’est pas indifférent qu’une telle stabilisation intervienne directement ou bien après un dépassement critique de ce seuil suivi d’une atténuation des températures. Dans ce dernier scénario, la biodiversité serait fortement impactée tant dans sa richesse que dans ses aspects fonctionnels, car un très grand nombre d’écosystèmes seraient irrémédiablement touchés par le dépassement critique.

Anne-Christine Monnet a mis en avant le fait qu’indépendamment de ces considérations globales, il faut compter sur l’existence de méthodes efficaces de conservation de la biodiversité à une échelle géographique plus facilement maîtrisable, comme la création de zones protégées, la restauration d’habitats naturels, ou encore les plans d’action, de protection et de réintroduction d’espèces au bord de l’extinction. La mise en œuvre de ces leviers a mené à de nombreux succès. À cet égard, une importante responsabilité revient à la France dans la préservation des écosystèmes insulaires, particulièrement fragiles. Les collectivités françaises d’outre-mer couvrent seulement 0,08 % de la surface terrestre, mais abritent 3 450 espèces de plantes et 380 espèces de vertébrés strictement endémiques, c’est-à-dire totalement restreintes à cette aire spécifique. Le nombre d’espèces endémiques y est ainsi plus important que sur l’ensemble de l’Europe continentale.

Philippe Grandcolas a souligné que la nature est elle-même porteuse de solutions et qu’il est possible de diffuser un message de « solutions heureuses » face aux menaces qui pèsent sur la biodiversité. On peut par exemple planter des arbres, à condition de tenir compte de leur capacité à vivre dans un climat qui poursuivra son évolution. Wolfgang Cramer a évoqué la possibilité de s’appuyer sur les écosystèmes et sur leur capacité à absorber du carbone. Il a souligné que l’adaptation au changement climatique repose pour une grande partie sur cette mise à profit des caractéristiques des écosystèmes actuels. Pour autant, une perte importante de biodiversité, telle qu’elle est projetée par le GIEC et l’IPBES, pourrait compromettre une partie de ces solutions basées sur la nature.

Au cours du débat, Philippe Grandcolas a également rappelé que l’introduction d’espèces modifiées par forçage ou par modification génétique plus classique présente un risque de mal-adaptation. En effet, la plupart du temps, les organismes modifiés en laboratoires ne présentent pas une grande vitalité en milieu naturel et les modifications apportées peuvent être contre‑sélectionnées. En témoigne l’exemple du maïs Bt : il produit une toxine contre des ravageurs, qui y sont très vite devenus résistants, alors que cette espèce de maïs n’est pas elle-même extraordinairement productive.

L’affaiblissement de la biodiversité limite aussi les capacités d’adaptation des espèces. Andreaz Dupoué, chargé de recherches à l’IFREMER, a évoqué l’huitre plate. Sa surexploitation en a fait baisser drastiquement les effectifs, car l’espèce s’est trouvée vulnérable aux zoonoses. En effet, un effectif trop faible réduit la capacité de résilience de l’espèce. La probabilité de trouver des individus résistants à la zoonose s’en trouve diminuée. Mais l’IFREMER soutient aujourd’hui la réintroduction de l’huitre plate en rade de Brest. Les résultats sont encourageants.

Enfin, Cédric Marteau a plaidé pour le maintien de zones protégées propices à la halte des oiseaux migrateurs, telle la réserve naturelle nationale de Moëze-Oléron. Il a montré qu’il n’est pas nécessaire de s’arc-bouter sur l’existant pour répondre à la menace. En effet, il est possible de reculer l’emplacement de la zone en réponse aux progrès de la submersion marine. Il s’agirait en l’espèce de retransformer en marais des terres agricoles gagnées sur des marais dans les années 1970. De cette façon, la zone protégée qui accueille les oiseaux migrateurs pourrait être déplacée de 1,5 kilomètre vers l’intérieur des terres. Ceci permettrait de préserver des noyaux de populations qui représentent plus de 350 espèces d’oiseaux, dont plusieurs centaines d’espèces d’oiseaux migrateurs. Cette opération est un exemple d’action très concrète, réalisable sur le territoire. Elle aurait néanmoins des conséquences non négligeables sur la vie de la population locale, avec la nécessaire reconversion de certaines zones agricoles.

 

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Sur la base de ces considérations, l’Office formule les recommandations suivantes :

  1. À l’intention des institutions publiques françaises
  1. Favoriser la participation des chercheurs aux travaux conjoints du GIEC et de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ;
  2. Inclure, dans les études d’impact législatives et dans les analyses coûts-avantages réalisées en amont des investissements publics, une évaluation chiffrée des services rendus par la biodiversité sur le temps long ;
  1. À l’intention des représentants français auprès de la 15e session de la Conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (COP 15)
  1. Ne pas dissocier lutte contre le changement climatique et préservation de la biodiversité, mais élaborer au contraire dans ces deux domaines des stratégies nationales et internationales qui se répondent et s'appuient l’une sur l’autre, en visant notamment la non‑artificialisation des sols et la diversité des modes de production agricole, et le développement d’innovations telles que l’agri‑photo‑voltaïsme ;
  2. Prendre en compte toutes les échelles et dimensions de la biodiversité, y compris l’échelle microbienne, pour concevoir les stratégies de préservation les mieux adaptées ;
  3. Continuer à promouvoir, dans le cadre international, des plans globaux susceptibles de se décliner dans l’aménagement du territoire et de se prolonger dans une mise en œuvre au niveau local, notamment pour la préservation des ressources naturelles (forêts, stocks de poissons, etc.) ;
  4. Défendre un recours accru aux instruments juridiques qui permettent le maintien de la biodiversité, tels les parcs naturels nationaux et régionaux, les réserves naturelles et autres zones protégées.

 

 


 

   TRAVAUX DE L’OFFICE

I.   COMPTE RENDU DE L’AUDITION PUBLIQUE du 10 novembre 2022

Audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité (Mme Florence Lassarade, sénatrice)

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Chers collègues, chers invités, je tiens à vous saluer toutes et tous en cette matinée consacrée aux conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité. Je salue en particulier la sénatrice Florence Lassarade, notre rapporteure sur ce sujet.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) mène depuis longtemps des travaux sur les questions environnementales et publie régulièrement des notes scientifiques. Certaines sont en cours d’élaboration.

Je suis heureux d’accueillir aujourd’hui des membres de la communauté scientifique. Je laisserai à Florence Lassarade le soin de les présenter.

Je rappelle que les effets du réchauffement climatique sur la biodiversité font l’objet d’un consensus scientifique depuis plus d’une vingtaine d’années. Pourtant, d’après Hervé Le Treut, climatologue qui a participé pour le compte de la France à des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’expertise considérable acquise par les laboratoires et par les institutions publiques françaises peine à être mobilisée de manière cohérente, comme il l’a écrit dans un livre paru cette année, sous le titre Climat et civilisation, un défi incontournable.

L’audition publique d’aujourd’hui doit donc nous aider à mettre en valeur cette expertise. Dans cette perspective, nous envisagerons la construction d’un cap politique pour tenter de relever les défis qui seront soulevés ce matin.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Je tiens à remercier les intervenants d’être parvenus à nous rejoindre au Sénat malgré la grève des transports de ce jeudi.

Nous recevons Philippe Grandcolas, spécialiste de systématique au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Ma génération était habituée à contempler de grands tableaux d’espèces affichés aux murs des salles de classe, mais Philippe Grandcolas nous aidera à nous représenter une biodiversité en perpétuelle évolution. Il s’est déclaré prêt à résoudre le paradoxe apparent qui relie une vision de la biodiversité invariante et sa réalité dynamique.

Nous entendrons également Anne‑Christine Monnet, chercheuse au MNHN, qui nous apportera une note optimiste. Elle s’efforcera d’évaluer des actions de conservation menées dans le contexte du réchauffement climatique, telles que la réintroduction d’espèces menacées, ou encore la constitution de réseaux d’aires protégées.

Wolfgang Cramer, directeur de recherche à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE) d’Aix‑en‑Provence, nous accompagne en visioconférence. Il s’appuiera sur son expérience de membre du GIEC pour décrire sur un mode prospectif les menaces que fait peser le réchauffement climatique sur la biodiversité.

Monsieur Philippe Grandcolas, je vous propose de commencer.

M. Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l’Institut Écologie et environnement (INEE) du CNRS. – Je vous remercie pour votre invitation. Comme vous l’avez dit, je tente de résoudre un paradoxe. Lorsque nous observons la biodiversité, elle semble figée en apparence. Pourtant, comme les aiguilles d’une montre que nous fixerions à quelques minutes d’intervalle sans nous être d’abord aperçus de leur mouvement, la biodiversité s’avère également dynamique.

Nous cherchons à appréhender la vitesse des mouvements qui touchent la biodiversité, mais aussi la manière dont notre environnement et la diversité du vivant peuvent évoluer à l’aune d’un changement plus global, notamment climatique.

Dans les années 1980, nous avons remarqué que nos connaissances sur le vivant se limitaient à des connaissances générales fondées sur des organismes étudiés en laboratoire et sur l’espèce humaine. Or ces connaissances ne permettent pas d’appréhender la diversité du vivant.

Certes, il importait de connaître les points communs de ces organismes, en s’intéressant aux supports de l’hérédité, aux modes de développement, ou encore à la biologie cellulaire. Ces connaissances permettent de tirer des conclusions variées, notamment au bénéfice de la santé humaine.

Mais il faut aussi comprendre que la plupart des organismes possèdent leurs particularités. Lorsque nous sommes victimes de la Covid‑19, nous sommes infectés par un coronavirus. Si nous contractons le paludisme, nous sommes infectés par un parasite du genre Plasmodium, tout à fait différent. Ces différences comptent énormément, alors même que ces organismes disposent d’un support d’hérédité commun basé sur l’ADN ou l’ARN.

Ce constat, qui renvoie presque à une forme de positionnement politique et scientifique, a notamment été initié par des académies des sciences américaines, qui ont contribué à populariser la notion de biodiversité. Le terme de « biodiversité » est une contraction de « diversité biologique », autrement dit de « diversité du vivant ».

Puis, en 1992, le Sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro a permis de concrétiser cette vision scientifique à travers l’élaboration de la Convention sur la diversité biologique. Cette convention internationale contraignante est aujourd’hui signée par 196 pays, dont la France. Elle exprime juridiquement l’importance de la diversité du vivant, caractérisée par la diversité des individus telle qu’elle a été mise en avant par les scientifiques.

La diversité des individus se constate par exemple parmi les aubergines, mais aussi dans bien d’autres espèces, où les individus ne sont pas identiques.

La diversité du vivant s’observe également dans la diversité des espèces. En France métropolitaine, il existe environ 40 000 espèces d’insectes, aux caractéristiques extrêmement variées.

Enfin, nous trouvons une forme de diversité dans les modalités d’organisation des espèces au sein des écosystèmes, ou systèmes d’espèces. Les forêts tropicales, les savanes, les pâtures tempérées, ou encore les pelouses alpines ne disposent pas des mêmes caractéristiques écologiques. Ainsi, nous devons appréhender la diversité du vivant selon ces trois échelles d’étude.

Au‑delà de ces trois échelles, nous relevons aussi trois dimensions de la diversité du vivant, généralement mal perçues du fait de la limitation de nos sens.

La première de ces dimensions concerne la contribution microbienne à la biodiversité. Rappeler son importance peut s’apparenter à un truisme, mais les avancées de l’hygiène pasteurienne réalisées au début du XXe siècle peuvent donner le sentiment que les microbes sont globalement nuisibles et qu’il importe de s’en débarrasser. En réalité, nos organismes sont incapables de survivre et de se développer sans la présence des bactéries. Un adulte en bonne santé héberge 30 milliards d’individus bactériens, dont la masse totale est environ trois kilogrammes.

Ces bactéries permettent notamment le bon fonctionnement de notre système immunitaire et de notre système neurologique. C’est pourquoi un enfant né par césarienne, en asepsie, est maintenant exposé au microbiote vaginal de sa mère. Même s’il existe des microbes non désirés et pathogènes dont nous devons nous débarrasser, nous avons aussi besoin des microorganismes.

D’ailleurs, ce constat s’étend à l’ensemble du vivant. Par exemple, chaque arbre interagit symbiotiquement avec des champignons mycorhiziens. Nous trouvons, associé à un mètre de racine d’arbre, jusqu’à un kilomètre de filaments mycéliens, qui aident l’arbre à se procurer des nutriments. Aussi, un gramme de sol, soit l’équivalent d’un dé à coudre, contient près d’un milliard d’individus bactériens provenant d’environ 5 000 espèces, qui assurent la fixation de l’azote atmosphérique dans le sol, une fonction essentielle. Ce constat pourrait tout à fait s’observer dans les sols des jardinières ou des pelouses situées autour du Sénat.

L’évolutivité constitue une seconde dimension mal perçue de la biodiversité, car elle est souvent réduite à une image d’Épinal. Il est parfois difficile de se rendre compte que tous les organismes descendent d’un ancêtre commun, en raison de la lenteur du mécanisme évolutif, alors qu’il existe une diversité prodigieuse d’espèces. Près de 2 millions d’espèces ont été répertoriées.

Enfin, une troisième dimension très importante de la biodiversité concerne les interactions entre espèces. Une de ces interactions, très perceptible, relie les abeilles et les plantes à fleurs. Au plus fort du printemps, une ruche en bonne santé compte environ 50 000 abeilles qui butinent chacune plusieurs heures par jour. Il existe de nombreuses autres interactions, souvent permanentes, au sein d’écosystèmes. En France métropolitaine, la pollinisation est d’ailleurs le fait de plus de 5 500 espèces pollinisatrices, appartenant essentiellement à la classe des insectes. Nous pouvons aussi reprendre l’exemple des interactions qui relient les arbres et les champignons mycorhiziens, qui concernent tous les arbres. Ces interactions peuvent être difficiles à appréhender.

Ainsi, lorsque nous cherchons à comprendre la manière dont la biodiversité peut changer au cours du temps, nous devons tenir compte de ces trois dimensions.

Lorsque nous considérons l’évolution, nous pouvons avoir le sentiment d’avoir affaire à des phénomènes fort anciens, qui se déroulent très lentement. Or, en dépit des apparences, la biodiversité s’avère extrêmement dynamique.

Chaque évènement de reproduction sexuée donne lieu à la fusion de deux génomes, accompagnée d’un certain nombre de mutations. Nous transmettons ainsi à nos enfants entre 100 et 150 mutations à chaque génération. D’autres phénomènes évolutifs se révèlent particulièrement rapides. Par exemple, l’antibiorésistance peut apparaître en seulement quelques années et elle cause chaque année plusieurs centaines de milliers de morts dans le monde. L’échappement vaccinal, qui est un problème important en ces temps de pandémie, peut aussi survenir rapidement. En effet, l’immunité conférée par un vaccin, particulièrement efficace à un moment donné, peut malheureusement décliner en quelques années devant l’évolution du microorganisme pathogène combattu. Par ailleurs, des bactéries confrontées à un changement d’environnement lié à l’administration d’antibiotiques peuvent évoluer assez vite. Et de la même façon, nous pouvons imaginer que des organismes soumis à d’autres changements environnementaux, notamment d’ordre climatique, peuvent aussi évoluer sensiblement sur le plan génétique.

En fait, la biodiversité est plastique : les êtres vivants se reproduisent et les individus se dispersent. Cette plasticité renvoie à la « capacité à se reproduire » décrite par Charles Darwin, soit la capacité à générer la croissance géométrique d’une population. Si les individus étaient en mesure d’avoir chacun quatre descendants pendant plusieurs générations, la Terre pourrait rapidement être recouverte d’individus de chaque espèce. En réalité, une certaine mortalité et des antagonismes entre espèces interviennent. De cette manière, une forme de contrôle est réalisée naturellement pour la plupart des populations.

Deux exemples très familiers peuvent illustrer le fait que nous peinons à gérer cette plasticité. À la suite des interventions humaines, la régulation de la population des sangliers nécessite un nombre croissant d’abattages. Les tableaux de chasse contrôlés par l’Office français de la biodiversité (OFB) et antérieurement par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) se sont considérablement étoffés. Entre 1970 et aujourd’hui, le nombre de sangliers tués en France métropolitaine chaque année est passé de 30 000 à 800 000.

La dispersion et la reproduction d’un certain nombre d’organismes vecteurs d’agents pathogènes ont également du mal à être contrôlées. En particulier, le moustique tigre, vecteur de différentes maladies, s’est répandu en France métropolitaine, dont il occupe désormais les trois quarts, si bien que la dengue y a fait son apparition à plusieurs reprises. Le cas du moustique tigre montre lui aussi que les dynamiques des populations peuvent être rapides, difficiles à contrôler et nécessiter une attention constante.

Le système du vivant n’est pas perturbé uniquement par le changement climatique, comme le montrent les travaux de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). L’IPBES est une entité équivalente au GIEC qui s’intéresse à la biodiversité. Elle rassemble environ 150 pays et j’y représente le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). En 2019, réunie à Paris, elle a diagnostiqué cinq grandes causes permettant de comprendre le déclin de la biodiversité. Ces causes sont communément connues, mais les travaux scientifiques en ont montré l’intensité et l’importance.

La première cause identifiée par l’IPBES renvoie à la conversion des milieux naturels (déforestation, suppression des zones humides, etc.). Elle fait écho à la manière dont nous altérons les paysages et leurs biodiversités. Cette altération s’avère considérable. Près des trois quarts des zones humides de la planète ont disparu. Chaque année, 10 millions d’hectares de forêts tropicales disparaissent encore.

Deuxièmement, la biodiversité fait face à des prélèvements croissants. Les prélèvements en bois se sont accrus de 40 % en 40 ans. Un tiers des stocks de poissons se trouve en situation de surpêche. Les prélèvements ne font que s’accentuer, en dehors de toute relation arithmétique avec l’évolution de la population humaine.

Troisièmement, les pollutions, dont l’ampleur a significativement augmenté, perturbent aussi la biodiversité. Par exemple, la masse de plastique présente sur la surface terrestre équivaut à l’ensemble de la biomasse animale, et nos systèmes agroindustriels introduisent une quantité faramineuse d’intrants, dont la toxicité peut souvent être des milliers de fois supérieure à celle des intrants naturels. Nous avons changé l’état de la planète à un point difficilement imaginable.

Quatrièmement, le changement climatique perturbe lui aussi la biodiversité. Ce changement se caractérise par un réchauffement global et par des aléas plus fréquents au plan local. Souvent, nous percevons le changement climatique par le biais de ces aléas.

Cinquièmement, les transports d’espèces modifient la biodiversité. Les flux aériens et maritimes ont augmenté de plus de 1000 % durant les dernières décennies. Or il apparaît impossible que ces flux n’occasionnent pas de transports d’espèces à la surface du globe, malgré tous les contrôles sanitaires envisageables. De la sorte, les transports d’espèces se sont accrus de 70 % en cinquante ans. Si l’on fait le bilan, le coût économique des transports d’espèces représente environ chaque année 5 % du PIB mondial. Les moyens déployés dans les tentatives de contrôle et pour résoudre des problèmes d’invasion de cultures ou encore des perturbations de systèmes de santé apparaissent considérables.

Je vais me focaliser plus particulièrement sur le changement climatique et sur ses effets sur la biodiversité, thème de cette audition. Cette cause du déclin de la biodiversité doit toutefois être reliée aux quatre autres causes précitées. Les effets du changement climatique sur la biodiversité peuvent se résumer sommairement en trois catégories.

D’une part, des écosystèmes entiers peuvent disparaître à l’échelle de quelques décennies. La disparition attendue des récifs coralliens est largement médiatisée. Le réchauffement de l’eau et son acidification par dissolution du gaz carbonique provoquent un blanchiment des coraux. Les coraux expulsent leurs petites algues symbiotiques et ne peuvent plus survivre. À l’échéance de quelques décennies, nous devrions perdre l’ensemble des récifs coralliens. Si les coraux meurent, ces récifs deviendraient des éléments inertes qui finiront par être détruits par le ressac. Or il faut rappeler que ces récifs abritent le tiers de la biodiversité marine. De surcroît, ils protègent 100 à 300 millions de personnes contre les tsunamis et les vagues scélérates. Sans récifs, des aléas importants seraient favorisés et porteraient malheureusement un préjudice à ces millions de personnes qui résident dans les zones littorales concernées.

D’autre part, des dysfonctionnements graves peuvent survenir dans les écosystèmes. Des milliers d’exemples pourraient être présentés. En particulier, différents pollinisateurs, comme les bourdons, se trouvent particulièrement sensibles à certaines manifestations du changement climatique, telles que le réchauffement ou la multiplication d’épisodes secs localisés. Le bourdon est le premier pollinisateur des tomates et la chute de sa population pourrait toucher la culture de ce fruit. Or le bourdon est particulièrement affecté par des épisodes significatifs de sécheresse qui surviennent dans l’hémisphère nord. Par conséquent, à l’échelle de quelques décennies, nous pouvons craindre que de nombreuses cultures perdent en productivité. Il faut rappeler que si 80 % des plantes à fleurs dépendent des pollinisateurs, les plantes autofertiles bénéficient d’une meilleure productivité lorsqu’elles sont pollinisées. Par exemple, la culture du colza, plante autofertile, gagne 30 % de productivité en présence de pollinisateurs. L’absence de pollinisateurs peut donc provoquer non seulement la cessation de la culture d’une multitude d’espèces, mais aussi un plafonnement productif pour la culture de bien d’autres espèces.

Enfin, le changement climatique génère des effets directs et dévastateurs liés aux aléas. Nous pouvons songer aux feux de savane qui ont ravagé les forêts de Nouvelle‑Galles du Sud en Australie en 2020. Cet évènement fut particulièrement catastrophique. Nous avons vécu en France métropolitaine le même type de catastrophe cet été. Ce type d’évènements devrait devenir plus fréquent, du fait de l’évolution des systèmes atmosphériques.

La biodiversité, malgré son évolution relativement lente, possède sa propre dynamique. Au cours des ans, cette dynamique se manifeste de plusieurs façons, tout en restant liée à l’évolution des milieux naturels, particulièrement marquée par le changement climatique.

Nous pouvons utiliser à notre bénéfice la puissance des capacités de reproduction, de dispersion et d’évolution de la diversité du vivant. Dans cet ordre d’idées, le concept de « solution fondée sur la nature » a été élaboré par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), organisation dont les recherches sont financées par des instances européennes et par le ministère français de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Les solutions fondées sur la nature offrent un regard différent sur le vivant, en proposant l’emploi de ses dynamiques.

Pour limiter les effets du changement climatique, nous comptons notamment sur les dynamiques des systèmes forestiers. Pour ce faire, nous pouvons planter des arbres, tout en tenant compte de leur capacité à vivre dans un climat qui poursuivra son évolution. La plantation de ces arbres doit aussi être réalisée en cohérence avec la nature des sols. Cette opération offre une série de bénéfices. Les forêts plantées captent du carbone. Elles régulent le climat en agissant sur la circulation de l’eau. Elles constituent encore un réservoir important de biodiversité. Ces effets peuvent être encore plus importants lorsque l’exploitation des arbres plantés prend en considération leurs dynamiques propres. Il importe notamment de réduire la rotation, ou turnover, d’exploitation dans certaines zones pour favoriser la captation du carbone, car les vieux arbres captent davantage de carbone que les jeunes arbres. Aussi, la biodiversité des forêts anciennes est bien plus riche que celle des forêts plus récentes.

Les solutions fondées sur la nature doivent tenir compte des dynamiques de la biodiversité, pour pouvoir être pérennisées. Elles doivent aussi permettre le maintien des activités humaines, inscrites dans des écosystèmes.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Merci pour cette présentation. Vous aurez certainement l’occasion de partager d’autres de vos conclusions lorsque vous répondrez aux questions des participants présents dans la salle ou des internautes.

Anne‑Christine Monnet, vous travaillez sur des actions de conservation de la biodiversité. Vous nous apporterez peut‑être des notes d’optimisme sur la manière dont nous pourrions réintroduire certaines espèces. Ces actions de conservation ne représentent toutefois qu’une goutte d’eau au regard de la tâche à accomplir.

Mme Anne-Christine Monnet, chercheure postdoctorale au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (CESCO) et au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). – Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les parlementaires, je vous remercie pour votre invitation. Je ne m’attarderai pas spécifiquement sur les réintroductions d’espèces, mais je présenterai les actions de conservation en les inscrivant dans le contexte plus large du réchauffement climatique.

Mon diaporama comporte des cartographies intéressantes de la biodiversité. Il est aussi illustré de belles images de nature. Chacun forge ses propres images de nature, associées aux imaginaires individuels. La nature apporte une inspiration spirituelle essentielle à l’humanité. La nature apporte également les éléments essentiels à la vie humaine, mais aussi des biens matériels qui améliorent la qualité de vie.

Les contributions de la nature aux populations sont scientifiquement bien établies. Nous identifions des contributions de régulation agissant sur le climat, sur les évènements extrêmes et sur la qualité de l’air. Des contributions matérielles renvoient à l’énergie, à l’alimentation, ou encore à la médecine, tandis que des contributions immatérielles sont reliées à l’inspiration, au bien‑être et à l’identité.

L’examen de plus de 2 000 études montre un déclin pour quatorze des dix‑huit contributions de la nature aux populations identifiées. Il s’agit pour l’essentiel de fonctions de régulation et de contributions immatérielles. Ce déclin menace actuellement la qualité de vie des populations.

Depuis 1970, la production a augmenté dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, des bioénergies et de l’industrie extractive. Or le déclin des contributions de la nature aux populations suggère que cette hausse de production n’est souvent pas viable sur le long terme.

La majeure partie des conclusions que je vous présente aujourd’hui proviennent du rapport de l’IPBES, publié en 2019, sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques. Ce rapport synthétise plus de 15 000 publications scientifiques et propose un résumé destiné aux décideurs. Mes conclusions proviennent aussi des résultats d’un atelier commun organisé par le GIEC et l’IPBES en 2021. Cet atelier visait à identifier les liens entre la biodiversité et le changement climatique.

Les causes du déclin de la biodiversité sont bien documentées. Les causes de ce déclin se trouvent, en premier lieu, dans le changement d’utilisation des terres et des mers, mais aussi dans l’exploitation directe du vivant réalisée par le biais de la chasse, de la pêche et de l’exploitation forestière. Parmi les facteurs du déclin de la biodiversité, le changement climatique se trouve en troisième position. La pollution et les espèces exotiques envahissantes représentent deux autres causes importantes de ce déclin.

Ces causes directes de déclin de la biodiversité résultent de causes indirectes, soit d’un ensemble de causes sociétales profondes qui peuvent être démographiques, socioculturelles (évolution des modes de consommation, etc.), ou encore économiques et technologiques.

Les scientifiques estiment que le changement climatique exacerbera de manière croissante l’impact des autres facteurs du déclin des contributions de la nature aux populations au cours du XXIe siècle, tout en gagnant en puissance en tant que facteur direct de ce déclin.

Toutes les composantes de la biosphère – biosphère terrestre, d’eau douce et marine – subissent les impacts du changement climatique. Ces impacts ont été documentés à tous les niveaux d’organisation du vivant, comme l’a précisé Philippe Grandcolas dans l’exposé précédent, depuis les gènes jusqu’aux écosystèmes, en passant par les individus. La biodiversité est touchée par des changements dans les interactions entre espèces et par des changements dans la composition de communautés animales, végétales et fongiques. De génération en génération, les espèces doivent s’adapter aux nouvelles conditions pour persister, faute de quoi elles risquent de s’éteindre localement ou globalement. Parmi les nombreuses réponses adaptatives possibles figurent les déplacements vers des zones climatiques optimales.

L’identification de « zones clés pour la biodiversité » permet de construire un indicateur de conservation. Ces zones abritent des sites d’importance fondamentaux pour la persistance mondiale de la biodiversité. Nous constatons que le réchauffement climatique, selon son ampleur, provoque un déplacement plus ou moins rapide et important du climat optimal de ces zones clés. En analysant ce que pourraient être ces déplacements en Afrique australe et en Asie du Sud‑Est, nous relevons que ces zones clés devraient même disparaître de certains littoraux, en particulier dans de nombreuses îles.

Du fait de leur isolement, les écosystèmes insulaires se trouvent particulièrement menacés. Sur le continent, la plupart des zones clés pour la biodiversité devraient subir le déplacement de leurs conditions climatiques dès lors que le réchauffement atteindrait un, deux ou six degrés. Avec un réchauffement de six degrés, 40 % des zones clés pour la biodiversité insulaire perdraient leur climat optimal.

De la sorte, une importante responsabilité revient à la France dans la préservation des écosystèmes insulaires. En effet, les collectivités françaises d’outre‑mer couvrent seulement 0,08 % de la surface terrestre, mais abritent 3 450 espèces de plantes et 380 espèces de vertébrés strictement endémiques, c’est‑à‑dire totalement spécifiques de ces aires. Le nombre d’espèces endémiques y est plus important que sur l’ensemble de l’Europe continentale. Leur disparition causerait la perte d’un patrimoine commun et culturel inestimable. Ces espèces font partie d’écosystèmes exceptionnels au regard de leur richesse et de leur histoire.

Récemment, des chercheurs se sont interrogés sur les risques climatiques qui pèsent sur les arbres et les arbustes présents dans les villes du monde entier. Ces milieux sont bien différents de ceux d’outre‑mer, puisque la majorité des espèces d’arbres et d’arbustes y ont été plantées par l’homme. Les chercheurs ont montré que plus de la moitié de ces espèces sont actuellement confrontées à des conditions de températures excédant celles observées dans leurs aires normales de répartition géographique. Dans le scénario d’une augmentation de la température globale de six degrés d’ici à 2050, un risque climatique pèserait sur 76 % des espèces d’arbres de nos villes. Cette situation pourrait diminuer les contributions de cette nature ordinaire aux populations urbaines. Ces espèces contribuent à la dissipation de la chaleur urbaine par évapotranspiration. Elles contribuent aussi au bien‑être et à la santé mentale.

Globalement, nous pouvons compter sur des méthodes efficaces de conservation de la biodiversité, telles que la création de zones protégées, la restauration d’habitats naturels, ou encore les plans d’action, de protection et de réintroduction d’espèces au bord de l’extinction. L’enclenchement de ces leviers a mené à de nombreux succès. Une part bien plus importante de la biodiversité aurait été perdue sans les efforts déployés jusqu’à présent.

Toutefois, dans ce contexte d’environnement changeant, la conservation de la biodiversité doit se réinventer. Par exemple, les aires protégées sont des zones de nature intacte particulièrement fragmentées, incluses dans une mosaïque de paysages très modifiés. C’est pourquoi il importe d’améliorer la connectivité des corridors de migration pour maintenir l’état des populations qui y résident, des habitats naturels et des fonctions écologiques. Les zones protégées doivent aussi être associées à de meilleurs processus d’inclusion sociale.

Pour autant, les actions de conservation seules ne suffiront pas à enrayer le déclin de la biodiversité et à faire face aux pressions qui pèsent sur les écosystèmes. De la même façon, la résolution de la crise climatique ne pourra pas résoudre à elle seule la crise de la biodiversité.

D’ailleurs, la synthèse de l’IPBES alerte sur les effets néfastes à la biodiversité de certaines actions de lutte contre le réchauffement climatique, telles les monocultures d’arbres ou la production de bioénergie, qui réduisent l’espace disponible pour le déploiement de la biodiversité. Les experts signalent également un besoin urgent de réévaluer les effets sur la biodiversité de certaines mesures technologiques d’atténuation du changement climatique.

En tout état de cause, nous pouvons rester positifs car il existe encore des solutions. Dans l’ensemble, la synthèse de l’IPBES identifie davantage de co‑bénéfices que de compromis antagonistes entre les actions de conservation de la biodiversité et les objectifs d’atténuation du changement climatique.

La première action consiste à lever les pressions qui pèsent sur les écosystèmes et en particulier les pressions non climatiques. Dès que ces pressions sont levées, des améliorations rapides de la biodiversité sont souvent observées. Pour ce faire, nous devons d’abord agir sur les causes directes du déclin de la biodiversité, en nous intéressant au changement d’utilisation des terres et des mers, à l’exploitation directe de la biodiversité, à la pollution et à la diffusion d’espèces exotiques envahissantes. Nous devons aussi nous intéresser aux causes indirectes de ce déclin, à savoir nos valeurs, nos styles de vie et de consommation et l’organisation socioécosystémique de nos sociétés. Jusqu’à présent, les actions entreprises pour réduire les pressions sur les écosystèmes n’ont pas été suffisamment rapides. Par conséquent, des changements majeurs doivent être engagés maintenant. Nous devons mener une réorganisation fondamentale et systémique des facteurs économiques, sociaux et technologiques du déclin de la biodiversité, en modifiant notamment nos paradigmes, nos objectifs et nos valeurs. Par exemple, nous pouvons réduire notre consommation et notre production de déchets, faire évoluer nos régimes alimentaires, ou encore exploiter durablement nos ressources pour la production de biens et de services, notamment dans le secteur de l’alimentation. Ces changements profonds permettraient d’infléchir le déclin de la biodiversité et de créer les voies d’un développement résilient au changement climatique et favorable à la conservation de la biodiversité.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Je vous remercie pour votre exposé, à la fois vertigineux et passionnant, sur lequel nous aurons certainement des questions très concrètes.

Wolfgang Cramer, directeur de recherche à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE) d’Aix‑en‑Provence, va maintenant nous faire part de son expérience de membre du GIEC. Il s’intéressera aux menaces générées par le réchauffement sur la biodiversité.

M. Wolfgang Cramer, directeur de recherche à l’IMBE d’AixenProvence. – Je vous remercie pour votre invitation. Je vous propose de réaliser une brève prospective des menaces qui pèsent sur la biodiversité en raison du réchauffement climatique, en m’appuyant sur le sixième rapport du GIEC publié cette année. La publication de la dernière partie de ce rapport reste en attente. Alors que la crise du climat se trouve sur le devant de la scène depuis des années, le nouveau rapport du GIEC présente des nouveautés. Je vais donc mettre en lumière trois enjeux spécifiques de cette crise avant de les mettre en perspective.

Dans son sixième rapport, le GIEC insiste pour la première fois sur les relations entre la société humaine, les écosystèmes et le changement climatique, trois entités en liaison étroite. Si le climat modifie les écosystèmes et la société, le changement des écosystèmes retentit aussi sur la société et le climat.

Comme vient de l’indiquer Anne‑Christine Monnet, nous devons nous interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour changer de trajectoire devant le déclin de la biodiversité. Il existe en effet une urgence à agir, constatée depuis des années.

Le GIEC fournit dans son nouveau rapport des informations régionalisées bien plus détaillées que dans ses rapports précédents. Il est possible d’y trouver des informations sur les risques encourus par la biodiversité du fait du changement climatique dans des régions telles que la France métropolitaine. Dans les quelques minutes qui me sont imparties, je souhaite souligner la richesse de ces informations nouvelles, qui diffèrent selon les régions en raison de la disparité des données. Un tableau synthétique présente, selon les régions, les informations relatives aux impacts du changement climatique dans les structures des écosystèmes, dans la distribution des espèces, dans la phénologie annuelle des espèces. Ce tableau renvoie pour chaque item à des informations plus spécifiques présentes dans le rapport.

Par ailleurs, le rapport présente des informations prospectives à l’échelle de la planète sur les effets du changement climatique sur la biodiversité. Il est clair que l’élévation de la température engagée depuis le début de l’ère industrielle impactera largement la biodiversité. Toutefois, les pertes varieront localement, car l’élévation des températures et l’ampleur des sécheresses diffèrent selon les régions, tandis que la biodiversité peut y apparaître plus ou moins fragile.

Cette prospective est réalisée tant sur les terres émergées qu’en mer. La biomasse des poissons marins devrait être particulièrement touchée, dans les différents scénarios du changement climatique. Si les objectifs de l’Accord de Paris étaient réalisés, on pourrait espérer un changement relativement modeste de cette biomasse. Cependant, la trajectoire sur laquelle nous nous situons devrait donner lieu à des modifications bien plus importantes. La biomasse de poissons marins devrait connaître de fortes baisses dans certaines régions et augmenter dans d’autres. Des variations de l’ordre de 20 % à 30 % de cette biomasse induisent nécessairement une baisse de la biodiversité, même en cas d’augmentation de volume, dans la mesure où celle‑ci perturbe fortement la structure des écosystèmes marins.

Je souhaite maintenant mettre en évidence trois points spécifiques tirés des conclusions de ce sixième rapport.

Le rapport du GIEC souligne le risque de perte d’écosystèmes et de biomes entiers. Philippe Grandcolas a signalé la probable perte des récifs coralliens dans les tropiques ainsi que ses graves conséquences sur les écosystèmes, la biodiversité et les populations. Ce risque associé au changement climatique est connu depuis longtemps. Pour autant, nous pouvons nous interroger sur l’ampleur de la réaction des pouvoirs publics, qui n’est pas aussi forte qu’elle devrait l’être. Il semble que la perte des coraux soit considérée comme un fait lointain qui ne nous touche absolument pas.

Le recul des banquises peut aussi nous sembler lointain, mais il aurait pourtant des effets particulièrement importants sur l’écosystème planétaire. En effet, un recul des banquises changerait sensiblement la structure des écosystèmes marins, mais aussi celle des écosystèmes côtiers du Grand Nord. Des incidences pourraient aussi s’observer sur les oiseaux. La productivité de la végétation côtière serait également touchée par les modifications du drainage des nutriments marins.

De plus, la fonte des glaces de l’Antarctique se déroule bien plus rapidement que nous ne l’envisagions il y a encore quelques années. Ainsi, la hausse du niveau de la mer se fera ressentir partout dans le monde, d’une manière plus importante que prévu et avec un verrouillage précoce du phénomène. Cette hausse devrait atteindre un ou deux mètres d’ici à la fin du siècle. Nous risquons donc de connaître une perte totale du littoral que nous connaissons dans les décennies qui viennent. Les zones humides côtières devraient être touchées en même temps que des zones agricoles et des zones habitées.

Anne‑Christine Monnet vient de présenter les solutions basées sur la nature ; je serai donc bref sur ce sujet. Le GIEC s’intéresse beaucoup à ces solutions. Parallèlement aux actions visant à atténuer les émissions de gaz à effet de serre, il est possible de s’appuyer sur les écosystèmes et sur leur capacité à absorber du carbone. De la même manière, il est possible de rendre la production agricole plus résiliente.

Notre adaptation au changement climatique repose pour une grande part sur une mise à profit des caractéristiques des écosystèmes actuels. Or une perte importante de la biodiversité, telle qu’elle est projetée par le GIEC et l’IPBES, pourrait compromettre une partie de ces solutions basées sur la nature.

Lors de l’approbation du dernier rapport du GIEC, nous nous sommes beaucoup préoccupés des conséquences d’un scénario de dépassement des seuils critiques de température.

Nous demeurerons certainement durant une longue période sur une trajectoire ascendante des températures. Pour autant, avec un certain optimisme, nous pouvons imaginer que la COP 27 et les conférences suivantes conduisent vers une atténuation du réchauffement climatique, laquelle aboutirait à terme à un équilibre des températures. Cette atténuation nous porterait idéalement sous le seuil de l’augmentation de 1,5 degré visé par l’Accord de Paris.

Pourtant, un réchauffement climatique critique suivi d’une atténuation et d’une stabilisation aurait malgré tout un effet sur la biodiversité. Dans ce scénario, la biodiversité resterait impactée tant dans sa richesse que dans ses aspects fonctionnels. En effet, un très grand nombre d’écosystèmes seraient irrémédiablement touchés dès l’atteinte d’une température critique. La baisse des températures qui ramènerait ensuite au seuil défini par l’Accord de Paris ne permettrait pas de rétablir la richesse de la biodiversité.

De plus, il faudra compter sur les émanations de carbone en provenance d’écosystèmes dégradés, notamment dans le Grand Nord qui sera touché par la fonte du permafrost. De ce fait, il serait beaucoup plus difficile de revenir à un réchauffement de 1,5 degré en cas d’atteinte d’une température critique.

Enfin, le recul de la biodiversité rendra d’autant plus difficile la réalisation des scénarios très optimistes qui circulent actuellement, lesquels laissent penser qu’une fois le dépassement des températures critiques atteint, nous aboutirions à une situation plus stable.

Pour finir, je remercie Anne‑Christine Monnet d’avoir participé à un atelier commun organisé par le GIEC et l’IPBES. Le rapprochement entre l’IPBES et le GIEC était très souhaité pour de multiples raisons. Il ne vise pas à expliquer les principes de la biodiversité aux climatologues, mais permet à l’IPBES d’apporter au GIEC des éléments sur les questions sociales, en soulevant des réflexions sur les liens de dépendance existant entre les sociétés humaines et la biodiversité. Ces questions pourront intéresser les acteurs politiques français.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Je vous remercie pour ces trois exposés passionnants, mais tout de même assez inquiétants. Je souhaite tout d’abord vous poser une question simple. En tant que sénatrice de Gironde, je constate que la végétation reprend ses droits très vite après les incendies dévastateurs que nous avons connus. Nous pouvons donc avoir le sentiment que la nature surmontera ces évènements. En outre, il y a un écart important entre les travaux de l’Office et les messages que reçoivent nos concitoyens, qui sont préoccupés par leur pouvoir d’achat ou la montée du prix de l’énergie. La crise de la biodiversité devrait pourtant tous nous préoccuper. Ainsi, pourriez‑vous nous indiquer comment vulgariser les éléments que vous nous avez présentés ?

Par ailleurs, en tant que pédiatre, j’ai apprécié l’allusion aux enfants nés par césarienne qui ne sont pas exposés au microbiote de leur mère. Nous connaissons l’importance de la transmission de ce microbiote dans la construction de l’immunité. Les accouchements par césarienne nous rappellent que contrarier la nature a toujours une incidence immédiate.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – J’éprouve un immense respect pour celles et ceux qui consacrent leurs vies à la science. Ils entreprennent un effort permanent de recherche qui peut les éloigner du grand public dont les préoccupations peuvent s’avérer plus immédiates, comme Florence Lassarade vient de l’évoquer.

Les présentations de ce matin pourraient alimenter une réflexion philosophique. Sur le plan technique, nous pourrions vous poser des milliers de questions.

Dans le premier exposé, il a été associé à la biodiversité une forme de vitalité. Je souhaiterais savoir si nous connaissons l’historique de cette vitalité. Dans le cadre d’un travail conduit au sein de l’Office, notre collègue Jérôme Bignon s’était intéressé à l’histoire des extinctions. Nous avons bien compris que l’humanité est responsable de la crise actuelle de la biodiversité. Mais la biodiversité obéit‑elle à des lois d’équilibre et de déséquilibre qui lui sont propres ?

Pour réfléchir et décider au sein d’une assemblée politique, nous sommes nécessairement tributaires de l’horizon temporel des électeurs et des élus. Les élus et les électeurs résident dans une forme d’écosystème, où chacun est animé par ses préoccupations propres. C’est pourquoi l’Office offre un cadre de réflexion qui s’inscrit dans une autre temporalité, où il est possible d’interroger et d’appréhender nos potentiels futurs cadres de vie. Les problématiques que vous soulevez renvoient à cette temporalité plus longue, qu’il faut pouvoir relier à la temporalité politique, plus immédiate. Sauriez‑vous nous présenter un historique de la biodiversité ?

Dans mon esprit, des difficultés pourraient notamment se poser autour des libertés individuelles et collectives. En particulier, je comprends bien que l’idée d’une responsabilité humaine renvoie à la nécessité d’une régulation. Or cette régulation apparaît terrifiante, car elle suppose de tout savoir avant d’agir, pour avoir la certitude d’aboutir à un résultat. Il ne s’agit pas d’un exercice aisé.

À cet égard, des questions se posent sur le devenir de la coopération mondiale qui réussit à se mettre en œuvre pour le moment. Des questions se posent sur l’héritage de la société de consommation, mais aussi sur le sujet éminemment politique de la liberté démographique. Le bon sens immédiat de nos compatriotes peut leur laisser entendre que l’évolution de la population mondiale vers quelque dix milliards d’habitants augmentera les difficultés rencontrées actuellement. Les pays qui contribuent le plus à cette augmentation démographique pourraient nous demander de prendre en charge la facture de la détérioration de l’environnement que nous avons amorcée antérieurement. Nous butons donc immédiatement sur un problème de politique internationale. Pour l’instant, il n’est pas formalisé de manière conflictuelle, mais il le sera inévitablement.

Songeons à la science‑fiction, produit de l’intelligence humaine. Soleil vert, film effrayant sorti en 1973, vulgarisait la perspective d’une planète totalement saturée d’humains où la vie naturelle ne pouvait plus exister telle que nous la connaissons et où la nourriture devait être synthétisée…

Dans ce contexte, au regard du mouvement permanent de la biodiversité que vous avez décrit, je souhaite savoir si nous disposons de connaissances sur les mouvements passés de la biodiversité. J’aimerais que vous nous éclairiez sur son historique.

M. Philippe Grandcolas. – Nous disposons d’un historique de la biodiversité, fourni par les sciences de la Terre, et notamment par la paléontologie qui permet d’étudier les systèmes anciens grâce aux traces fossiles et à la géochimie. Cet historique montre que la biodiversité ne s’inscrit pas toujours dans des équilibres stables au cours du temps. Cette stabilité a notamment été perturbée par des évènements cosmiques, comme la chute d’astéroïdes, ou par des évènements volcaniques extraordinairement intenses qui ont répandu des laves sur des surfaces aussi grandes que des pays. Au cours des temps, le vivant a connu des crises d’extinction, épisodes les plus exceptionnels de variation d’équilibre de la biodiversité.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans la sixième grande crise d’extinction. Les épisodes précédents étaient exceptionnels, mais ils se déroulaient sur des durées de plusieurs millions d’années. L’espèce humaine n’y était pas présente. Actuellement, le taux d’extinction effectif est environ mille fois plus important que le taux résiduel qui ne tient pas compte de l’activité humaine. En outre, les extinctions se déroulent plusieurs milliers de fois plus rapidement que lors des crises d’extinction historiques, telles que celles de l’Ordovicien ou de la fin du Crétacé. Les extinctions actuelles surviennent avec une rapidité extrême.

Récemment, j’ai présenté cette situation à 200 collégiens et lycéens de Provins. Hier j’ai rencontré les chefs de rédaction de France télévision, qui suivent actuellement des séances de formation sur la crise de la biodiversité. J’ai constaté que la situation peut apparaître anxiogène. Elle nous invite notamment à interroger la capacité de nos sociétés à exister et à se transformer. Elle renvoie aussi à la complexité de systèmes difficiles à expliquer.

De mon point de vue, il existe un certain nombre d’éléments fondamentaux à présenter pour que chacun puisse s’approprier les constats et les causes de la crise environnementale. Mais il importe aussi de présenter des solutions heureuses. Par exemple, nous pouvons montrer que la reforestation peut constituer un levier de régulation climatique, à condition d’être durable et de s’opérer malgré le réchauffement climatique, tout en permettant la continuation d’un certain nombre d’activités humaines. Ce message de solutions heureuses est parfois difficile à délivrer, car il doit tenir compte de l’analyse historique, de l’évaluation des processus en cours et de leurs causes, tout en mettant en avant la nécessité urgente d’agir.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Nous allons laisser la parole à nos collègues qui nous ont fait l’amitié d’être présents ce matin. Je précise que beaucoup de parlementaires s’excusent de leur absence. Pour des raisons de transport, certains d’entre eux ont dû rentrer précipitamment hier chez eux, tandis que ceux d’Île‑de‑France n’ont pas tous pu nous rejoindre physiquement.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. – Je vous remercie de me permettre de poser une question de néophyte – car je suis un mathématicien très cartésien – au sujet des deux aspects de la biodiversité. Nous avons beaucoup évoqué le vivant et la disparition d’une partie du vivant sous l’effet du réchauffement climatique, mais assez peu la diversité du vivant.

À mesure que les mers se réchauffent, nous observons le remplacement de certaines populations marines par d’autres. Tandis qu’une espèce disparaît, une autre la remplace. Ceci se rencontre aussi chez les insectes, avec le frelon asiatique qui décime les populations d’abeilles européennes. Ce principe ne fonctionne toutefois pas pour la disparition des récifs coralliens, qui ne seront remplacés par rien d’équivalent. Ainsi, je formule une question volontairement provocatrice. Le fait de remplacer une espèce vivante par une autre espèce vivante, dont la présence n’était pas prévue dans un lieu donné, est‑il si grave que cela ? Plus précisément, quels sont les dangers du remplacement d’une espèce par une autre ?

M. Philippe Bolo, député. – Je remercie vivement les intervenants pour leurs présentations très éclairantes, qui mettent en lumière les enjeux de la biodiversité. Vous avez évoqué la disparition des espèces et la réduction de leurs effectifs. Pour autant, n’existe‑t‑il pas également des effectifs qui augmentent ? Je pense notamment aux microorganismes responsables de maladies, dont la présence est contenue à certaines zones géographiques, mais qui peuvent s’étendre vers de nouveaux continents ou de nouvelles régions, en lien avec le déséquilibre qui touche la biodiversité.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Je remercie les intervenants pour leurs exposés très éclairants. J’ai l’impression d’en apprendre toujours plus sur la biodiversité et sur le réchauffement climatique. J’ai été particulièrement intéressée par la mise en lumière de la partie microbienne de la biodiversité. Il est vrai que l’on en parle peu, bien que le microbiote humain ait été mis en valeur ces dernières années. Je pense qu’il faudrait diffuser davantage les informations qui concernent cette part de la biodiversité. En effet, la compréhension des phénomènes complexes qui s’y rapportent se trouve à la portée de toutes et de tous, dès lors qu’ils sont bien expliqués.

Je pose une question qui rejoint celles de mes collègues, mais qui aborde les choses différemment. Au regard de la disparition actuelle d’espèces et notamment de pollinisateurs, pourrons‑nous continuer à nous nourrir de la même façon à l’avenir ?

M. Philippe Grandcolas. – Nous pouvons effectivement nous demander si la biodiversité peut aboutir à un état d’équilibre, par le biais d’une recomposition d’écosystèmes où des espèces se substitueraient à d’autres. Une telle recomposition déboucherait sur des écosystèmes toujours fonctionnels, composés d’espèces parfois non habituelles. Néanmoins, une crise d’extinction se caractérise par le fait que le taux d’extinction dépasse très largement le taux de spéciation, c’est‑à‑dire le taux d’apparition de nouvelles espèces. En outre, une situation d’équilibre de la biodiversité implique une forme de maintien de la richesse des écosystèmes recomposés. Or, aujourd’hui, nous constatons la disparition d’une très grande quantité d’espèces, sans nécessairement observer de substitutions.

Par ailleurs, le déclin de la biodiversité réduit l’étendue des services rendus par la biodiversité aux populations, comme vient notamment de le décrire Anne‑Christine Monnet. Nous sommes habitués à considérer que les services liés à la pollinisation ou encore à la fertilité des sols sont immanents, à l’image des services rendus par la pluie et le soleil. Cependant, nous nous apercevons que ces services peuvent être perdus. En effet, d’ici à 2050, environ un million d’espèces devraient disparaître, soit près de la moitié des espèces répertoriées et environ 10 % des espèces vraisemblablement présentes sur Terre.

Au nombre des services perdus en raison de cette extinction massive, il est possible qu’il faille compter les services rendus par la biodiversité pour la préservation de la santé humaine. Les microorganismes pathogènes sont transmis à l’être humain par des contacts directs avec certains réservoirs, ou par le biais d’organismes vecteurs tels que les moustiques ou les tiques. Malheureusement, la disparition de certaines espèces, dont des prédateurs, peut agrandir certains réservoirs d’agents pathogènes. En parallèle, la proximité entre les humains et ces réservoirs augmente. C’est pourquoi, depuis 1950, nous relevons l’apparition d’environ 300 maladies infectieuses émergentes. Ceci apparaît inquiétant. De surcroît, le dégel des permafrosts peut réveiller certains microorganismes, comme la bactérie responsable de l’anthrax, qui a infecté des humains dans le cercle polaire. De même, la pandémie de la Covid‑19, quelle que soit son origine, provient d’un microorganisme étudié dans des espèces‑réservoirs.

La fourniture de nourriture, autre service rendu par la nature aux populations, pourrait être également affectée. Dans les années 1950, nous avons mécanisé l’agriculture et modifié le patrimoine génétique d’un certain nombre d’espèces consommées, comme le blé chez lequel a été sélectionné un gène de nanisme qui a considérablement augmenté la production alimentaire industrielle. Parallèlement, la population humaine s’est accrue et devrait se stabiliser naturellement autour de 10 milliards de personnes. Actuellement, deux tiers de la population humaine sont tributaires de cette forme industrielle de production alimentaire. Néanmoins, cette production souffre d’une multitude d’externalités négatives qui mettent en danger son devenir, si bien qu’elle commence à plafonner. 40 % des sols arables sont dégradés, tandis que des pollinisateurs commencent à faire défaut dans un certain nombre d’écosystèmes agricoles de Chine, d’Europe ou encore d’Amérique du Nord. Le plafonnement actuel de la production alimentaire s’avère inquiétant, d’autant que près d’un milliard de personnes dépendent encore d’espèces sauvages pour s’alimenter, comme l’a souligné l’IPBES en juillet dernier. En effet, cette partie de l’humanité risque d’augmenter les pressions qui pèsent sur la production agricole industrielle, du fait d’exodes ruraux des pays du Sud ou encore de la destruction de milieux naturels. Finalement, la production alimentaire industrielle plafonne, alors que le nombre d’humains qui en dépendent augmente et que les services rendus par la biodiversité poursuivent leur déclin. Par conséquent, il faut absolument infléchir cette trajectoire de déclin.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Lors d’un déplacement dans le Grand Nord, avec Angèle Préville, j’ai observé la situation d’éleveurs de rennes. Ces éleveurs qui vivaient autrefois en parfaite symbiose avec la nature se trouvent actuellement maintenus dans leur mode de vie de manière artificielle, pour un temps incertain. Nous pouvons donc constater concrètement qu’il existe des peuples privés de leurs ressources pour lesquels il sera difficile de rebondir.

Mme AnneChristine Monnet. – Pour répondre à la question qui porte sur la recomposition et le remplacement d’espèces, il existe effectivement des espèces redondantes, qui assurent des fonctions similaires au sein d’un écosystème donné. Cependant, nous pourrions perdre une part irremplaçable de la biodiversité. Certaines branches du vivant, issues de longues histoires évolutives, pourraient disparaître à jamais. Nous devons considérer qu’il s’agit de pertes d’options pour les écosystèmes et pour nos sociétés. Nous ne connaissons pas les éléments que nous pourrions perdre dans le futur.

Par ailleurs, la recomposition des écosystèmes, les disparitions locales d’espèces et les modifications des interactions entre espèces peuvent favoriser l’émergence de maladies.

Enfin, si certaines espèces profitent de ces recompositions et assurent parfois partiellement certaines fonctions remplies par des espèces disparues, des espèces exotiques envahissantes qui bénéficient de la crise peuvent aussi l’accentuer. Ces dernières constituent une cause majeure du déclin de la biodiversité.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Cédric Marteau, vous êtes directeur au sein de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Vous souhaitez prendre la parole et je vais donc en profiter pour ouvrir la seconde table ronde, qui se penchera sur des milieux et des espèces qui sont plus particulièrement vulnérables au changement climatique.

M. Cédric Marteau, directeur du pôle de la protection de la nature au sein de la LPO. – Je vous remercie, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les parlementaires, pour votre invitation. Avant de m’exprimer dans le cadre de cette seconde table ronde, je souhaite insister sur l’importance de la biodiversité et la relation entre la biodiversité et les zoonoses en évoquant un très beau film, très grand public, non partisan et scientifique, La fabrique des pandémies. Ce film est un très bel outil de communication qui aide à comprendre les relations entre l’effondrement de la biodiversité et l’apparition de maladies.

La France connaît aujourd’hui la plus grave crise jamais connue de grippe aviaire H5N1. Cette crise met à mal toute une économie dans nos territoires, mais aussi toute une partie de la faune sauvage. Ces zoonoses pourraient à terme toucher l’humanité dans ses schémas de construction économique, ou encore dans ses fonctionnements sociétaux. Plus la biodiversité sera importante, plus les écosystèmes pourront prévenir l’apparition des zoonoses. Il faut en tenir compte.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Dans le cadre de cette table ronde, nous entendrons aussi Andréaz Dupoué, chercheur de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), qui s’intéresse aux relations entre l’écophysiologie animale et les changements anthropiques.

Mais, pour commencer, je vous propose d’écouter Benoît Sautour, professeur à l’université de Bordeaux, qui a publié cette année un ouvrage sur l’estuaire de la Gironde.

M. Benoît Sautour, professeur habilité à diriger des recherches (HDR) à l’université de Bordeaux. – Je vous remercie pour votre invitation. Je vous propose d’étudier le cas de l’estuaire de la Gironde à l’aune de la thématique de cette table ronde. Je commencerai par enfoncer des portes ouvertes en mettant en avant des éléments qui peuvent nous interpeller sur la situation des habitants des territoires concernés par l’altération d’écosystèmes.

Comme les autres intervenants l’ont indiqué, le changement climatique donne lieu à différentes modifications environnementales : la température augmente, le cycle de l’eau est modifié, les habitats naturels sont dégradés, en raison de ces changements ainsi que pour d’autres motifs liés à l’activité humaine.

Face à ces changements, le vivant peut adopter des réponses variées. Les organismes qui ne peuvent pas s’adapter meurent. Quelquefois, ces organismes sont fragilisés et disparaissent devant l’accumulation d’autres facteurs, tels que leur confrontation avec des agents pathogènes. Par exemple, une forêt fragilisée par des sécheresses peut subir les assauts de ravageurs qui bénéficient de conditions climatiques favorables.

D’autres organismes migrent pour chercher des conditions plus favorables. Ainsi, la microalgue Ostreopsis, d’origine tropicale, peut être trouvée en Méditerranée depuis assez longtemps. Il y a une quinzaine d’années, l’IFREMER a signalé sa présence sur le littoral atlantique. Nous trouvons à présent cette microalgue, qui émet des aérosols toxiques pouvant causer des problèmes aux voies respiratoires humaines, sur les côtes du Pays basque, dans des zones de plage. Elle remonte vers le nord.

Des organismes s’adaptent aux changements. Ils peuvent s’adapter au développement anticipé de la végétation. Il faut noter que le développement anticipé de la végétation peut la soumettre au gel, même si le nombre de jours de gel diminue. D’autres espèces peuvent s’adapter génétiquement.

Des espèces se déplacent pour demeurer dans leur zone d’optimum thermique. La cartographie prospective de la présence du hêtre sur le territoire métropolitain aujourd’hui et en 2100 montre que cet arbre, associé à des zones humides et fraîches, devrait devenir bien plus rare dans des territoires où il est actuellement fortement représenté, notamment dans le Massif central.

Des essences forestières migrent vers le nord, d’autres disparaissent de certaines zones, beaucoup sont remplacées. Un travail réalisé par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et par Météo‑France anticipe l’évolution des cortèges de végétaux entre l’époque actuelle et 2100. Ce travail montre qu’à l’horizon 2100, nous devrions nous promener dans une végétation de type méditerranéen dans la région de Bordeaux, tandis que la végétation francilienne devrait être similaire à l’actuelle végétation du sud‑ouest de la France.

L’évolution des températures, caractérisée par davantage de températures chaudes plus tôt et plus tard dans l’année, conduit à des développements anticipés pour certains organismes. L’INRAE a montré que le frêne débourre plus tôt, devant les élévations de températures observées au printemps. Des végétaux se développent plus tôt dans l’année. Nous constatons aussi ce phénomène chez des espèces exploitées. Par conséquent, des changements de pratiques agricoles doivent être envisagés. Pour les experts, cette question n’est pas toujours simple à résoudre.

Ces deux exemples de modification de la biodiversité liée aux évolutions du climat pourraient être multipliés. Ils donnent le sentiment que la biodiversité se redistribue, qu’une espèce disparaît d’une zone, tandis qu’une autre y apparaît. En parallèle, quelques décalages s’observent dans les cycles de développement des espèces. Certains débats dans le grand public ou parmi les scientifiques laissent entendre que nous rencontrons seulement une redistribution des espèces. Néanmoins, la situation apparaît plus complexe.

Des organismes qui vivent dans des milieux que nous pourrions qualifier d’extrêmes peuvent vivre difficilement les recompositions d’écosystèmes. Par exemple, la réorganisation de la biodiversité des écosystèmes associés à la banquise provoquera certainement la disparition de nombreuses espèces, à moins qu’elles ne parviennent à s’adapter, ce qui ne sera pas simple pour toutes.

En milieu tropical, les prises de pêche actuelles peuvent être catégorisées en poissons plus ou moins thermophiles. En 2000, l’analyse de ces prises a montré que les poissons les moins thermophiles ont migré vers le nord pour demeurer dans leurs niches thermiques, devant le réchauffement des eaux. Dans le futur, davantage d’espèces devraient migrer, ce qui réduira la variété des espèces dans les milieux tropicaux. Peut‑être que certaines des espèces moins thermophiles parviendront à s’adapter à des milieux plus chauds, mais elles ne pourront pas être remplacées par des espèces plus thermophiles. Ceci soulève des questions quant à la possibilité pour ces poissons d’être valorisés comme ressources nutritives, notamment pour certains pays qui rencontrent par ailleurs des difficultés pour nourrir leur population.

On pourrait penser que la France métropolitaine se situe entre ces deux extrêmes, que nous verrons partir certaines espèces et en arriver d’autres, et que tout ira bien. Néanmoins, nous rencontrons sur nos territoires des espèces très directement menacées, associées à des environnements relativement réduits ou fragmentés. C’est le cas du cuivré de la bistorte, un papillon paléarctique confiné à certaines tourbières fraîches et humides, et d’une sous‑espèce de libellule endémique des tourbières du massif des Monts de la Madeleine. Comme ces tourbières souffrent des conditions climatiques actuelles, ces espèces seront amenées à disparaître assez rapidement si ces conditions continuent à se dégrader.

Lorsque les déplacements d’espèces et les décalages temporels de développement s’opèrent dans des dynamiques différentes, ceci peut créer des asynchronismes entre la présence de proies et celle de prédateurs. Ainsi, des ruptures peuvent affecter les chaînes alimentaires et entraîner la réduction de populations.

Pour illustrer la rupture qui peut s’opérer dans le transfert d’énergie et de matière, je vais prendre l’exemple du débourrement précoce des bourgeons de chêne. Les feuilles de chêne sont consommées par des petites chenilles grâce auxquelles les mésanges charbonnières alimentent leurs poussins. Habituellement, les chenilles se développent lors de ce débourrement, en synchronie avec la ponte des mésanges. Durant les trois semaines d’élevage des oisillons, leurs parents peuvent les alimenter grâce aux chenilles. La fin de cet élevage correspond au début de la transformation des chenilles en phalènes. Or l’asynchronie des deux cycles de développement entraîne en certains lieux une chute des populations de mésanges. Aux Pays‑Bas, notamment, les chenilles se développent plus tôt, du fait du débourrement précoce des chênes, mais aussi plus vite, en raison de la hausse des températures. Les mésanges de ce pays pondent toujours au même moment, ou légèrement plus tôt, sans s’adapter à l’amplitude du décalage de développement des chenilles. Par conséquent, l’élevage des poussins s’opère dans une période où les ressources alimentaires s’avèrent insuffisantes et le nombre de jeunes qui s’envolent se réduit considérablement. Alors que cinq ou six oisillons parvenaient habituellement à s’envoler, seuls deux y arrivent à présent.

Nous évoquons souvent des phénomènes observables emblématiques. Nous attendons une disparition des coraux avec le réchauffement et l’acidification des océans. Nous assistons au recul de la cryosphère, avec la fonte des banquises et des calottes glaciaires continentales. Nous relevons notamment la fonte progressive de la calotte groenlandaise. Or ces phénomènes globaux, connus au moins en partie par le grand public, entraînent des conséquences locales très concrètes, qui s’observent notamment dans l’estuaire de la Gironde.

La fonte des glaces continentales et la dilatation thermique des eaux océaniques entraînent une montée du niveau marin, qui favorise l’érosion des littoraux. Ainsi, l’estuaire de la Gironde connaît actuellement une érosion, due tant aux effets du changement climatique qu’à un déficit en sable naturel, propre au golfe de Gascogne. Dans le même temps, les risques de submersion s’accroissent, à cause de la montée du niveau marin et de la fréquence croissante de certains phénomènes météorologiques extrêmes.

Nous nous attendons, en Gironde comme à une échelle plus large, à une perte importante de la biodiversité des littoraux, provoquée notamment par une augmentation de la salinité des milieux. Nous prévoyons aussi des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, provoquées par des submersions, à l’exemple du drame de Xynthia en 2010. Ce risque renvoie à des problématiques de déplacement de populations humaines, qui commencent à être abordées en France métropolitaine et plus seulement dans les îles du Pacifique. Nous pouvons aussi nous interroger sur l’utilisation du littoral comme zone de production, de transport ou encore de développement urbain.

En plus de ces conséquences locales très concrètes, d’autres sont bien plus discrètes et moins perceptibles. En trente ans, le milieu physicochimique de l’estuaire de la Gironde a évolué sensiblement, du fait d’une augmentation de la salinité de deux unités et d’un accroissement de la température de deux degrés.

Au niveau de Bordeaux, l’estuaire est particulièrement chargé en particules en suspension, qui donnent aux eaux une couleur marron prononcée. L’augmentation de la température y provoque depuis plusieurs années des épisodes de déficit en oxygène, en période estivale.

Parallèlement, la biodiversité de l’estuaire de la Gironde connaît aussi des évolutions plus discrètes, compte tenu de leur caractère non graduel et inconstant. En mettant en relation l’évolution de la température de l’eau et celle des populations de poissons de l’estuaire, nous observons des changements abrupts, avec des phénomènes qui s’accélèrent et ralentissent de manière inconstante.

Néanmoins, au‑delà de ces changements erratiques, nous constatons des modifications notoires. Xavier Chevillot, jeune collègue qui a étudié l’évolution des populations de poissons de l’estuaire, a identifié un premier changement abrupt survenu en 1988. Avant 1988, le milieu abritait essentiellement des poissons amphihalins, qui naissent dans les eaux continentales puis se développent en mer. Xavier Chevillot a constaté qu’entre 1988 et le début des années 2000, les populations de poissons ont connu une période d’instabilité qui ne laissait pas entrevoir de tendance globale. Enfin, à partir du milieu des années 2000, la communauté de poissons amphihalins a fortement diminué, au bénéfice de poissons marins.

Cette modification a des conséquences sur le fonctionnement de l’estuaire. Le réseau trophique simplifié de l’estuaire se fonde sur un réservoir nutritif composé notamment de microalgues et de matériel détritique colonisé par des bactéries. Ce réservoir nutritif est consommé, comme habituellement en milieu littoral, par du zooplancton et par des organismes benthiques, tels que des huîtres, des moules, des vers, ou des crevettes, eux‑mêmes consommés par l’ichtyofaune, la communauté de poissons.

Les effectifs du zooplancton restent stables, mais des espèces invasives, dont de nombreuses espèces de plancton gélatineux, rejoignent l’estuaire. Les méduses font partie de cette forme de plancton. Parmi ces espèces figure en particulier Mnemiopsis leidyi, qui n’est pas une méduse. Ce superprédateur originaire des côtes américaines a été observé pour la première fois dans les années 1980 et 1990 au niveau de la mer Noire et de la mer Caspienne. En fonctionnant comme un véritable aspirateur à zooplancton, il concurrence l’ichtyofaune sur cette ressource. De cette façon, il a contribué à faire disparaître certaines pêcheries dans ces deux mers.

Nous relevons également dans l’estuaire une désynchronisation entre le cycle de développement du zooplancton et celui de ses prédateurs de l’ichtyofaune, à l’image de la désynchronisation constatée entre les mésanges charbonnières et les chenilles.

Nous constatons encore une baisse drastique des effectifs du benthos de l’estuaire, liée probablement à plusieurs facteurs qui ne sont pas tous identifiés faute de séries de données suffisamment longues. En outre, des espèces invasives exotiques rejoignent aussi le benthos.

La diminution des espèces amphihalines est notamment due à leur surexploitation en milieu marin ou bien dans le bassin versant, où l’on constate des destructions de frayères, une fragmentation de l’habitat et une diminution de la qualité de l’eau. La diminution extrêmement marquée dans l’estuaire montre la dégradation de l’environnement du bassin versant et du milieu marin. Il faut aussi noter que le remplacement des espèces amphihalines par des poissons marins est seulement permis par la salinisation de l’estuaire, sans être associé à de bonnes caractéristiques de l’environnement.

Actuellement, la capacité trophique de l’estuaire de la Gironde diminue, comme celle d’autres estuaires. Les estuaires sont habituellement connus pour disposer d’une forte capacité trophique. Ils constituent des réserves de nourriture pour les poissons qui viennent s’y reproduire. Les jeunes poissons s’y développent avant de rejoindre le milieu marin ou le milieu continental. C’est pourquoi la chute de la capacité trophique met en question la capacité des poissons à grandir et à survivre en mer. Cette problématique menace très directement les stocks de poissons du golfe de Gascogne. L’activité de pêche est d’ailleurs aussi confrontée aux migrations de poissons vers le nord, qui soulèvent la question de la redéfinition des limites des zones de pêche.

Ces phénomènes ne sont pas très marqués et apparaissent moins facilement médiatisables que ceux qui touchent les ours blancs. Il semble difficile d’éveiller l’intérêt du grand public quant à l’impact d’une espèce invasive de zooplancton dans un lieu donné. Ces modifications discrètes ont pourtant des conséquences importantes pour les espèces situées en fin de chaîne trophique. Elles touchent également fortement l’exploitation économique des ressources halieutiques.

Pour conclure, le changement climatique et les pressions anthropiques actuelles engendrent des conséquences visibles souvent bien documentées, mais aussi d’autres conséquences plus discrètes, attachées quelquefois à la biodiversité dite ordinaire. L’ensemble de ces conséquences amène un effondrement de la biodiversité, mesuré par l’indice Planète vivante, qui compile des résultats concernant plus de 4 000 espèces et plusieurs dizaines de milliers de populations de ces espèces. L’effondrement actuel de la biodiversité produit des conséquences socio-économiques, qui s’observent notamment dans la pêche. Mes collègues en ont d’ailleurs déjà présenté d’autres exemples.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – J’ai participé à des réunions de crise, tenues à la criée du port d’Arcachon, au sujet de la diminution du stock de soles. Les pêcheurs doivent pourtant déjà respecter des quotas qui leur permettent tout juste de vivre.

Cédric Marteau nous en dira peut‑être davantage sur le sort de la mésange charbonnière.

M. Cédric Marteau. – Nous allons rester en Nouvelle Aquitaine pour nous intéresser à la région des Pertuis charentais. Au préalable, je signale que parmi les oiseaux les plus vulnérables dans le monde, on trouve en premier lieu les perroquets et les perruches, dont la présence en France est limitée.

Ensuite viennent les oiseaux marins, dont de nombreuses populations se trouvent en Europe et en France. Ces oiseaux sont principalement affectés par la pêche et par l’apparition de zoonoses dans leurs colonies. Leurs populations déclinent drastiquement dans le monde, en Europe et en France.

Suivent encore les oiseaux des plaines agricoles, dont la présence est typique en France métropolitaine. En France, ces quinze dernières années, la population des alouettes des champs a diminué de 35 %. En seulement dix ans, les effectifs des chardonnerets élégants ont chuté de 38 %. Les populations d’outardes sont aussi affectées. Ces espèces subissent principalement la pression des produits phytosanitaires. Les effets de ces produits sur ces oiseaux sont mis en évidence par toutes les publications scientifiques qui s’y sont intéressées.

Je me concentrerai sur les liens entre le changement climatique et l’évolution des populations d’oiseaux.

Nous nous trouvons en pleine période de migration d’oiseaux. En ce moment même, des dizaines ou des centaines de milliers d’oiseaux traversent la France en provenance de Scandinavie, d’Europe de l’Est et d’Europe de l’Ouest, où ils se sont reproduits. Pour passer l’hiver, ils descendent vers le Sahel et l’Afrique de l’Ouest. Ils réalisent ce trajet deux fois par an. Ils se rendent maintenant vers leurs quartiers d’hiver. Ils reviendront au printemps. Les hirondelles sont parties entre juillet et septembre. Les martinets de Paris et des grandes villes sont partis dès le mois de juillet.

Pour réaliser ce trajet, les oiseaux doivent effectuer des haltes. De même que nous avons besoin de faire des pauses et des pleins d’essence lors de nos voyages, de même les oiseaux doivent retrouver de l’énergie au cours de leurs migrations.

Pour ce faire, les oiseaux migrateurs s’arrêtent dans des secteurs côtiers, et notamment dans des zones que la France s’évertue à protéger depuis des années par le biais de différents classements. La politique publique de création de réserves naturelles nationales (RNN) fonctionne très bien depuis les années 1970. Les régions créent également de plus en plus de réserves naturelles régionales (RNR), puisqu’elles ont également compétence pour recourir à cet outil de préservation d’écosystèmes. Les oiseaux stationnent en très grand nombre dans ces réserves naturelles et certains y demeurent grâce aux conditions favorables rencontrées.

Parmi ces zones protégées propices à la halte des oiseaux migrateurs, nous trouvons la RNN de Moëze‑Oléron.

La réserve de Moëze‑Oléron se situe dans les Pertuis, au sud de l’île de Ré. Elle jouxte l’île d’Oléron et s’étend jusqu’à la commune de Moëze, sur le continent. Cette réserve s’étend sur une zone relativement réduite de 6 500 hectares. Pour autant, elle accueille 100 000 oiseaux, soit 11 % des hivernants présents le 15 janvier sur l’ensemble des côtes de l’ouest de l’Europe, du sud de la Scandinavie au Maroc.

Comme vient de l’indiquer Benoît Sautour, le littoral atlantique du golfe de Gascogne subit de plein fouet les effets du changement climatique. Les Pertuis font face aux effets de l’élévation du niveau de la mer. Cette montée des eaux est générée par la fonte des calottes glaciaires et par la dilatation thermique des eaux marines. Les Pertuis affrontent aussi un nombre croissant de dépressions et de systèmes de tempêtes.

Ainsi, des observations de marégraphie, effectuées le long du littoral charentais, montrent une élévation progressive du niveau de la mer. La vitesse de cette montée des eaux tend à s’accroître, passant d’environ 0,8 millimètre par an à environ 2,7 millimètres par an, entre le milieu du XIXe siècle et la première partie du XXIe siècle.

Dans le même temps, des dépressions de plus en plus fortes surviennent. Chacun se souvient de la tempête Xynthia, en février 2010, l’une des dernières grandes catastrophes de notre pays, ou encore de la tempête Martin, en décembre 1999. D’autres tempêtes marquantes sont survenues, à savoir Suzanna en 2016 et Alex en 2020. Nous attendons la prochaine tempête. Les climatologues s’accordent pour constater une augmentation de la fréquence des dépressions.

Dans ce contexte, une digue d’argile, située sur la commune de Moëze, a cédé à plusieurs reprises. Cette digue poldérise un marais et protège une partie terrestre de la RNN de Moëze‑Oléron. Elle a été réparée plusieurs fois grâce à des financements de l’État et des collectivités territoriales.

Néanmoins, nous ne sommes plus en mesure de réparer cette digue dont la brèche est désormais trop importante. Il a donc été décidé de la maintenir ouverte. Me trouvant hier sur place, j’ai pu constater que la digue était ouverte sur 320 mètres et que l’argile s’en échappait. Cette digue maintenait la sédimentation et la permanence du marais. Désormais, à chaque marée, une arrivée d’eau de mer pénètre dans ce marais de la RNN et sa salinité augmente.

Un travail intéressant qui modélise l’évolution des littoraux français a été initié par le Conservatoire du littoral et par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Ce travail est financé par l’Union européenne dans le cadre du programme Life Adapto. Ses conclusions seront rendues à Saint‑Malo les 30 novembre et 1er décembre prochains. Les élus locaux ou nationaux sont invités par le Conservatoire du littoral à entendre ces conclusions, qui montrent notamment que la partie continentale de la RNN Moëze‑Oléron est amenée à disparaître. Comme la digue a cédé et que le marais est situé sous le niveau de la mer, la réserve devrait assez rapidement être submergée, avec une élévation du niveau d’eau de l’ordre de 2 mètres d’ici à 2040 ou 2050.

Pour faire face à cette situation, on pourrait reconstruire une digue. Cette possibilité donne lieu à une réflexion dans le cadre d’un programme d’actions de prévention des inondations (PAPI) mené localement.

Cependant, la restauration de la digue de Moëze serait coûteuse et ne protégerait pas d’habitations. À Moëze, il n’y a que des marais, dont une partie a été drainée et transformée en terres agricoles. Les habitations du village sont situées bien loin de la zone qui risque d’être submergée.

La restauration de la digue de Moëze pourra donc susciter des questions. Elle diffère de la restauration de digue, acceptée par tous, réalisée à La‑Tranche‑sur‑Mer, pour protéger des habitations en même temps que la RNN de la Belle Henriette dont la LPO est aussi gestionnaire. Il faut également noter que l’île de Ré, où le coût du foncier est élevé, a reçu 100 millions d’euros, essentiellement en provenance de l’État, pour se protéger de la submersion. La RNN de Lilleau des Niges située dans l’île devait, selon les modélisations, être submergée d’ici à 2040 ou 2050. Des efforts importants ont donc été déployés par les collectivités pour protéger des habitations.

Au regard de la particularité de Moëze, trois choix se présentent donc. Il est possible de construire une digue en béton à la place de la digue d’argile, de réaliser une nouvelle digue en retrait, à l’intérieur des terres, pour protéger les habitations, ou simplement de laisser l’eau gagner du terrain. Il reviendra au PAPI de décider.

Ma présentation est volontairement courte, car je souhaite ouvrir le débat sur le cas de Moëze. Je rappelle que nous avons l’obligation d’accueillir les oiseaux migrateurs dans leurs haltes, pour répondre à nos engagements européens, depuis la promulgation de la directive européenne 79/409/CEE concernant la conservation des oiseaux sauvages. Nous n’avons donc pas d’autre choix que de trouver de nouveaux lieux pour offrir des ressources aux oiseaux migrateurs dans leurs haltes.

Il est estimé que les zones de halte migratoires bénéficient à plusieurs millions d’oiseaux d’intérêt communautaire. De la sorte, la protection des oiseaux migrateurs au sein des milieux qu’ils utilisent pour s’alimenter durant les haltes de migration apparaît prioritaire. Cette problématique européenne concerne aussi bien la France que les Pays‑Bas, la Belgique, le Portugal, ou encore l’Espagne. Dans le cadre européen, nous sommes parvenus à créer une mosaïque de haltes de migration qui permettent de protéger efficacement les oiseaux migrateurs.

À ce sujet, il faut souligner que les actions de protection des oiseaux migrateurs sont efficaces. Ces réussites nous permettent de garder espoir devant les enjeux de conservation des espèces. Monsieur Longuet distinguait une temporalité politique et une temporalité écologique, tout en mettant en évidence la morosité qui peut apparaître devant les constats présentés aujourd’hui. Pour autant, il existe aussi des signes d’espoir. De nombreuses espèces d’oiseaux ont pu être protégées à l’échelle de l’Europe. La cigogne blanche, qui avait quasiment disparu dans les années 1970, est aujourd’hui très abondante en Alsace, en Nouvelle Aquitaine et dans d’autres régions. Même si la biodiversité recule dans sa globalité, il existe tout de même des signaux de reprise qui donnent de l’espoir et qui montrent que des politiques publiques de conservation de la biodiversité peuvent être efficaces.

Il est possible de reculer l’emplacement de la zone de halte de migration située dans la RNN de Moëze‑Oléron, en réponse à la submersion. Il s’agirait de retransformer en marais des terres agricoles gagnées sur des marais dans les années 1970. La zone protégée qui permettrait d’accueillir les oiseaux migrateurs pourrait alors être décalée de 1,5 kilomètre à l’intérieur des terres. Les agriculteurs concernés par cette opération devront bénéficier de compensations. Ils ont été au départ très réticents. Toutefois, lorsqu’ils ont pris conscience de l’augmentation de la salinité de leurs parcelles et de la diminution attendue de leurs rendements, ils sont entrés dans une approche plus constructive. Cette opération présente de forts enjeux et doit être réalisée avant 2040. Elle permettrait de préserver des noyaux de populations qui représentent plus de 350 espèces d’oiseaux, dont plusieurs centaines d’espèces d’oiseaux migrateurs. Cette opération est un exemple d’action très concrète réalisable sur notre territoire.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Je vous remercie. Je donne la parole à Andreaz Dupoué, chargé de recherche à l’IFREMER.

M. Andreaz Dupoué, chargé de recherche à l’IFREMER. – Je vous remercie pour votre invitation. Ma présentation sera brève. Je souhaite vous montrer dans quelle mesure l’écophysiologie animale peut aider à maintenir la biodiversité.

L’écophysiologie est une discipline récente, construite dans le courant des années 2000. Elle vise à caractériser les réponses fonctionnelles des organismes qui nous entourent afin de comprendre la manière dont les êtres vivants parviennent à adapter leur physiologie aux variations de leur environnement, pour assurer leur survie, pour se reproduire, et pour persister dans un habitat donné.

Forts de la compréhension des mécanismes fonctionnels qui lient les organismes à leur environnement, nous pouvons appréhender la manière dont le vivant est parvenu à coloniser des environnements qui nous paraissent hostiles, jusqu’à aboutir à une riche biodiversité. Les régions arctiques ne sont pas hostiles pour les ours polaires, et les déserts apparaissent accueillants pour d’autres espèces.

L’identification des gammes de tolérance des organismes associées à des éventails d’environnements aide à mieux prédire le devenir d’une population ou d’un écosystème, dans un lieu donné. Pour ce faire, nous tenons compte des prévisions formulées par le GIEC et par d’autres acteurs.

Parmi les quatre grandes causes du déclin de la biodiversité, susceptibles d’interagir localement, le réchauffement climatique s’avère le plus ubiquiste, présent partout sur Terre avec des magnitudes variables. Partout, le réchauffement climatique est susceptible d’exacerber le stress d’origine anthropique produit par les pollutions ou par la surexploitation des ressources. L’écophysiologie vise notamment à comprendre la manière dont les organismes fonctionnent pour répondre à ces stress, de façon à en limiter du mieux possible les effets.

Pour illustrer l’ampleur de la sixième crise d’extinction que nous vivons, évoquée par Philippe Grandcolas, je note que 75 % des vertébrés terrestres sont actuellement menacés. Cette crise est majeure.

Les chercheurs en écologie informent au mieux les décideurs politiques sur les espèces et les milieux, pour les aider à opérer des choix. Concrètement, dans mon laboratoire de l’IFREMER, situé à Brest, nous reproduisons des environnements stressants, en faisant varier les conditions thermiques, l’exposition aux pollutions, ou encore la disponibilité alimentaire, pour y exposer des espèces de coquillages (huîtres, moules, etc.). Ces espèces sont associées à des enjeux économiques notoires et il importe d’anticiper leur devenir au sein de leurs environnements. Nous cherchons à comprendre les mécanismes physiologiques qui expliquent les effets de la nouvelle donne environnementale imposée par l’humanité sur la croissance, la survie et la reproduction des espèces.

Les scénarios climatiques actuels permettent d’estimer de manière plus ou moins fiable les futures conditions de températures sur les côtes, pour prédire localement le devenir des espèces. Or les réponses des espèces à ce réchauffement peuvent différer. Il importe donc de comprendre leur fonctionnement.

Par exemple, l’huître creuse bénéficiera du réchauffement sur nos côtes. Son taux de croissance populationnelle devrait augmenter d’ici à 2100. Il faut relever qu’il s’agit d’une espèce exotique invasive introduite en France depuis le Japon au siècle dernier pour répondre à des besoins ostréicoles, après la quasi‑disparition de l’huître plate.

À l’inverse, toujours sur nos côtes, la moule bleue, espèce indigène, devrait voir ses populations fortement décliner à l’horizon 2100 du fait du réchauffement. Le déclin des moules aurait des conséquences importantes pour les mytiliculteurs, mais aussi sur leurs écosystèmes. En effet, les coquillages constituent souvent des espèces‑ingénieurs qui exercent de fortes interactions avec leurs milieux, en étant à la fois des proies et des prédateurs.

Dans le cadre de mes recherches, je tente de comprendre les mécanismes moléculaires qui fondent les réponses populationnelles aux changements d’environnement. L’écophysiologie permet d’analyser des phénomènes sur plusieurs échelles d’intégration. Cette discipline permet de comprendre la manière dont les stress environnementaux peuvent toucher les fonctionnements biologiques à l’échelle moléculaire ou cellulaire.

Nous constatons par exemple une accélération du vieillissement des coquillages, visible au niveau des télomères situés aux extrémités des chromosomes. Comme les huîtres, l’être humain possède des télomères, qui peuvent être affectés par différents stress environnementaux. Alors que nous pouvons vieillir plus vite à cause du tabagisme, les huîtres vieillissent de la même façon lorsqu’elles sont exposées à des milieux plus chauds.

De ce fait, l’intensification du réchauffement climatique est susceptible d’accélérer le vieillissement des huîtres. En outre, les télomères altérés peuvent être transmis aux générations suivantes par la voie des gamètes. Les nouvelles générations vieilliraient plus vite, au fur et à mesure du réchauffement. Le stress climatique devenant chronique, nous pourrions aboutir à un emballement du phénomène. Des jeunes pourraient perdre leur résilience à tout autre stress environnemental. Nous arriverions alors à un point de bascule qui entraînerait le déclin des populations concernées.

Pour autant, ce phénomène n’est pas irréversible. Nous avons donc tout intérêt à mener des recherches sur ces coquillages pour comprendre l’emballement de leurs mécanismes de vieillissement et l’éviter. Il existe en effet différentes enzymes susceptibles de réparer les télomères.

En prenant le temps de comprendre le fonctionnement des espèces, nous pouvons espérer trouver des solutions adéquates aux problèmes qu’elles peuvent rencontrer.

Dans cette optique, l’IFREMER entreprend un projet encourageant autour de l’huître plate, l’espèce d’huître indigène historiquement présente sur nos côtes. Stéphane Pouvreau, biologiste à l’IFREMER, participe à la réintroduction de cette espèce en rade de Brest.

Or cette espèce forme des récifs qui n’ont rien à envier aux récifs coralliens de Nouvelle‑Calédonie. Elle structure une biodiversité absolument remarquable. Ainsi, les premiers travaux de réintroduction ont bénéficié de manière époustouflante à d’autres espèces qui dépendent de cette huître pour vivre et pour se développer.

Ce projet donne donc des signaux relativement encourageants. Dès lors que nous apportons des connaissances scientifiques à des acteurs décisionnaires locaux, des mesures de conservation adéquates peuvent être prises, qui prennent en compte la résilience des écosystèmes, qui peuvent reprendre le dessus face à des difficultés. Je souhaitais conclure sur ce message positif. Pour autant, cette résilience n’est pas infinie et le fait de pousser des écosystèmes jusqu’à des points de bascule peut générer des conséquences irrémédiables.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Je vous remercie pour votre présentation. Je suis assez âgée pour avoir connu l’huître plate du bassin d’Arcachon. Mais j’avais compris que cette espèce avait disparu à cause de zoonoses.

M. Andreaz Dupoué. – Le recul des huîtres plates a été causé par plusieurs facteurs. Le monde du vivant est complexe et interactif. Cette espèce était très consommée et l’on utilisait ses coquilles pour former des talus. Il s’agissait d’une espèce extrêmement abondante qui a subi une surexploitation.

Avec des effectifs réduits, l’espèce s’est trouvée vulnérable à la moindre zoonose. En effet, un nombre moindre d’individus réduit la capacité de résilience de l’espèce, car la probabilité de trouver des individus résistants à la zoonose s’en trouve réduite. Tout comme les humains résistants à la Covid‑19, certaines huîtres auraient pu résister aux zoonoses qui ont touché l’espèce. Mais l’espèce n’a pas pu compter sur un patrimoine génétique suffisant pour lutter efficacement contre ces zoonoses.

C’est pourquoi la biodiversité est attachée tant à l’échelle écosystémique qu’aux échelles individuelle et génétique. C’est la prise en compte de ces trois niveaux qui permet d’aboutir à des systèmes stables et pérennes.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Pour approfondir le sujet des huîtres, connaissant le milieu des ostréiculteurs, je constate que certains investissent dans des exploitations en Normandie pour pérenniser leur activité et s’adapter à l’évolution du climat. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas connaissance du programme de réintroduction de l’huître plate.

M. Andreaz Dupoué. – Les ostréiculteurs cultivent essentiellement des huîtres creuses, bien qu’il existe des cultures d’huîtres plates dans certains environnements.

Les huîtres voyagent beaucoup dans leur vie. La captation des naissains – larves d’huîtres – s’opère principalement dans les Pertuis charentais, ou par le biais des comités régionaux de conchyliculture (CRC). Les naissains achetés par les ostréiculteurs sont déplacés en différents lieux. Les huîtres grandissent notamment sur les côtes normandes. Elles peuvent être affinées sur l’étang de Thau, en Méditerranée, ou encore dans les claires du bassin de Marennes Oléron. Les huîtres ne passent que très peu de temps dans leur zone d’affinage et ont grandi en d’autres lieux. Cette activité génère donc une empreinte écologique assez importante en raison du déplacement des huîtres.

Je ne suis pas un spécialiste du monde de l’ostréiculture. J’ai été recruté il y a un an à l’IFREMER et je travaillais auparavant sur des reptiles. Je m’intéresse à l’écophysiologie de ces coquillages. Je cherche à comprendre les réponses apportées par ces organismes aux changements qui leur sont imposés.

En tout état de cause, ma présentation met en lumière les résultats encourageants rencontrés dans le cadre d’un programme de préservation des récifs d’huîtres plates. Pour y parvenir, nous avons pris le temps de comprendre le fonctionnement de ces organismes, tout en déployant des moyens pour en assurer le maintien et la pérennité. Ainsi, nous constatons des taux de recrutement larvaire proche des taux que nous avons pu connaître dans le passé.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Mes collègues souhaitent poser quelques questions. Je donne la parole à Philippe Bolo.

M. Philippe Bolo, député. – Je souhaite adresser deux questions à Cédric Marteau et à Philippe Grandcolas. Nous avons compris que l’humanité était responsable d’un certain nombre de déséquilibres, qui provoquent une chute de la biodiversité. Néanmoins, la relation entre l’humanité et la nature s’étend sur des temps longs et a traversé des époques où nous ne connaissions pas de réchauffement climatique et où les dynamiques temporelles s’avéraient bien plus lentes. Monsieur Marteau, vous avez montré que l’action de l’homme a permis de créer un écosystème favorable aux oiseaux, grâce à la construction d’une digue qui vient maintenant à rompre.

Lorsque nous devons prendre des décisions touchant à des aménagements ou à d’autres politiques publiques, il faut tenir compte de la lutte engagée contre l’érosion de la biodiversité. Pour ce faire, les études d’impact se concentrent sur les effets négatifs des projets sur l’environnement. Or, puisque vous avez montré que l’humanité pouvait exercer des actions favorables sur la biodiversité, comment les études d’impact peuvent‑elles aussi tenir compte des bénéfices à apporter à la biodiversité sur le temps long ? Dans cette perspective, comment devons‑nous tenir compte des référentiels anciens et présents pour prendre des décisions, alors que nous ne connaissons pas tout à fait le référentiel futur ?

Je pose ma seconde question en tant que corapporteur, avec le député de Tours Charles Fournier, d’une mission d’information sur la grippe aviaire menée au sein de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Dans le cadre de la crise de la grippe aviaire, comment devons‑nous lire la cohabitation des volailles d’élevage, des oiseaux migrateurs et du virus, qui vient créer un déséquilibre ? Comment lire leurs interactions ? Quelles décisions devons‑nous prendre au bénéfice des oiseaux d’élevage et des oiseaux migrateurs ?

M. Philippe Grandcolas. – Pour répondre à votre première question, nous avons effectivement besoin de connaître une tendance sur le temps long. Nous devons pouvoir ensuite réduire notre échelle de réflexion à des temporalités plus courtes, pour être en mesure de réagir, sans négliger les conséquences à long terme. Pour cela, nous devons nous référer au temps des sciences du climat, ou encore au référentiel du temps humain qui est de l’ordre du millier ou du million d’années. Ensuite, en combinant les modèles d’évolution de la biodiversité avec les prévisions des climatologues, nous pouvons nous projeter sur le moyen terme ou sur le long terme.

Nous arrivons à nous projeter sur l’existence d’un système dans sa globalité, en nous interrogeant sur le devenir d’un couvert forestier, d’un marécage, ou encore d’un trait de côte. Nous parvenons à appréhender un certain nombre de services rendus par ces systèmes complexes, notamment lorsqu’ils s’avèrent importants. Ces services peuvent notamment être le support d’une activité économique fondamentale. Ils peuvent aussi être associés à des problématiques de santé importantes.

Néanmoins, d’autres aspects de ces systèmes sont moins visibles et moins étudiés. Les décisions politiques, tout comme les choix d’études scientifiques, tendent à privilégier une vision relativement globale et des prévisions assez claires. Malheureusement, des connaissances sur les services rendus par la biodiversité peuvent nous échapper. Ils ne sont pas toujours étudiés lorsqu’ils ne représentent pas des éléments principaux d’écosystèmes. Certains de ces éléments peuvent fluctuer, à cause de l’instabilité dans laquelle nous nous trouvons.

Je pense qu’il nous faut raison garder et jumeler les prévisions climatiques avec celles qui concernent la biodiversité, puis aller de l’avant, tout en essayant de conserver une vision systémique et globale qui ne se focalise pas sur un seul organisme. Cette démarche peut s’avérer relativement anxiogène, car elle nous donne le sentiment de ne pas posséder les clés du futur et de ne pas être en mesure de préserver une situation qui nous semble stable depuis un certain nombre d’années.

M. Cédric Marteau. – La planification est un enjeu essentiel. L’empilement de politiques publiques sans planification et sans projection vers des horizons relativement longs, tels que 2050 ou 2070, peut effrayer.

Je souligne dans chacune de mes interventions que l’équilibre à trouver entre la transition énergétique et la préservation de la biodiversité est un sujet d’actualité majeur. Le climat ne doit pas prendre le dessus sur le vivant. Nous devons respecter cet équilibre pour réussir à freiner la chute de la biodiversité et assurer la survie de l’humanité, une mission qui nous incombe à tous, dans le cadre de nos fonctions respectives.

Avec la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables récemment votée, nous constatons que les enjeux du climat sont bien appréhendés par chacun. Un effort important des citoyens, des parlementaires et des pouvoirs publics se porte sur cette politique. Néanmoins, la conservation de la biodiversité semble un peu en reste.

Or, même si elle est nécessaire, il ne faudrait pas que la transition énergétique s’opère au détriment de la biodiversité. Pour illustrer ce propos, je me plais à citer une formule souvent utilisée par les militaires : « mission réussie, 100 % d’échec ». Nous pourrions réussir la transition du bouquet énergétique, tout en provoquant une destruction du vivant telle que l’ensemble ne serait pas un progrès… Nous ne pouvons pas envisager une transition énergétique qui s’appuie uniquement sur des « cœurs de nature », tels que les sites qui ont été présentés. Ces sites sont fragilisés, même s’ils constituent les derniers bastions de biodiversité, aident les espèces à essaimer et contribuent à maintenir un certain équilibre.

La chute de la biodiversité représente une menace commune. En particulier, l’OMS elle‑même souligne que le virus de la grippe aviaire H5N1 générera potentiellement la prochaine grande pandémie. C’est pourquoi je pense que chacun de nous doit s’interroger et apprendre à douter. La science présente quelques certitudes, complétées au fur et à mesure des travaux. Quoi qu’il en soit, il est certain aujourd’hui que la profession agricole et les personnes qui s’intéressent à la biodiversité, et notamment à celle de l’avifaune, partagent une mission commune. Cette mission doit être menée de manière collégiale. La crise de H5N1 qui persiste depuis mai 2021 a conduit à l’abattage de 47 millions de volailles, sans qu’il y ait maîtrise de l’épidémie. Contrairement aux prévisions des épidémiologistes, nous n’avons pas connu de rupture dans cette crise, malgré un été particulièrement chaud. Le virus n’a pas du tout été arrêté et il pèse fortement sur l’élevage européen et français. En outre, 68 % des foyers européens de grippe aviaire se situent en France. Nous avons donc une responsabilité importante pour résoudre cette crise. Il importe notamment que la grippe aviaire n’envahisse pas notre environnement en gagnant un pouvoir de transmission par voie d’aérosols. Ceci rendrait l’épidémie incontrôlable et nous contraindrait de vivre avec elle.

La filière de la volaille se trouve en difficulté. Il est annoncé pour les fêtes de Noël de probables pénuries de différentes volailles ou des productions qui s’y rapportent. Ces prédictions se réaliseront certainement, car la crise atteint un tel degré que les éleveurs ne se trouvent plus en mesure de reconstituer leurs élevages, intensifs ou extensifs. Mesdames et messieurs les parlementaires, nous devons absolument éviter d’en arriver là.

Nous pouvons nous appuyer sur de nombreux travaux d’épidémiologistes et sur une documentation abondante qui comprend notamment un beau livre de François Moutou. Dans Des épidémies, des animaux et des hommes, paru en 2020, il s’intéresse très précisément aux zoonoses.

Il faut aussi signaler que les oiseaux stressés s’avèrent davantage sensibles au virus H5N1. Ce stress est alimenté par leur concentration. Dans la faune sauvage, les oiseaux génèrent des hormones de stress puissantes lorsqu’ils doivent nourrir leurs petits. Cet été, dans le Trégor, une colonie de fous de Bassan en période d’élevage a été décimée. Il convient donc de déconcentrer les élevages. Dans cette optique, il faudrait changer de modèle et accompagner cette transition pour aboutir à des élevages plus extensifs. L’élevage en plein air n’est pas un problème. Nous devons y tendre. Il nous faudra probablement revenir à un schéma de production local, territorialisé sur une petite échelle. La crise actuelle de la volaille est forte, parce qu’elle touche la Vendée où se situent tous les éclosoirs qui alimentent les élevages à l’échelle nationale. Les élevages ne peuvent donc plus être alimentés en petits. Certes, nous pourrions recourir à la production de pays étrangers, notamment d’Asie. Je vous laisse apprécier ce choix, qui peut être discutable… Cependant, nous pourrions aussi disperser le système de production dans nos territoires. Des démonstrations sont réalisées autour de cette solution. Cette action très concrète permettrait de répondre à la crise de la volaille. Dans ce cadre, il importe d’accompagner la profession, sans jeter de regard négatif sur certains schémas de production. Il s’agit seulement d’indiquer aux éleveurs des possibilités et des orientations.

Nous avons alerté le ministre de l’agriculture au sujet de la grippe aviaire, après avoir longuement échangé avec lui dans le cadre d’une commission nationale qui s’intéresse aux zoonoses, où je siège. En tout état de cause, nous devons prendre très au sérieux cette crise, qui se trouve toujours devant nous.

M. Philippe Bolo, député. – Je ne souhaitais pas faire dériver le débat sur la grippe aviaire. Toutefois, je vois une forme de contradiction dans votre réponse. Pour remplacer un modèle agricole qui concentre des volailles et qui favorise la transmission d’un virus vers les oiseaux migrateurs, vous proposez d’éclater les zones de production afin de réduire le stress des volailles. Par ailleurs, vous craignez que l’implantation d’outils de production d’énergies renouvelables dans de nouveaux territoires ne vienne nuire à la biodiversité. Ces deux conclusions semblent quelque peu opposées. D’un côté, vous souhaitez étendre les élevages, quitte à occuper des espaces qui auraient pu permettre de renforcer la biodiversité. De l’autre côté, vous ne voulez pas appliquer ce principe pour la production d’énergie.

M. Cédric Marteau. – Je pense que nous devons installer un certain nombre de panneaux photovoltaïques, ainsi que des éoliennes terrestres et marines sur nos territoires, mais sur la base d’une planification. Nous devons définir le nombre d’hectares de surface agricole utile (SAU) à condamner. Nous pouvons espérer que les milieux déjà artificialisés seront exploités en premier, mais nous savons que ces espaces ne suffiront pas.

Dans le cadre de cette planification, il faudrait s’accorder sur l’élaboration de cartes de chaleur. Nous employons très bien ce type de cartes pour renforcer des enjeux de souveraineté, autour de nos bases militaires. En outre, des cartes de chaleur sont déjà utilisées lors de l’implantation d’éoliennes en mer, pour respecter l’avifaune, ou encore pour tenir compte des zones venteuses. L’étude réalisée dans le cadre du débat public sur le projet d’éoliennes en mer au large d’Oléron présente notamment de nombreuses cartes. Il s’agit donc de tenir compte à la fois d’enjeux de souveraineté énergétique, mais aussi d’autres enjeux de plus long terme, tels que la survie de l’humanité.

Ainsi, je pense qu’en réalisant une planification, nous pourrions trouver dans chaque territoire une place suffisante pour accueillir des zones d’élevage extensif. Nous devrions revenir vers un schéma territorialisé de production qui rapprocherait le producteur du consommateur. Nous pouvons accueillir dans chaque région ce type d’élevage, qui ne comprendrait pas seulement des races anciennes. Ce schéma permettrait de nourrir nos concitoyens au plus près de leur lieu de vie.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Je souhaite souligner le fait que la transition énergétique ne doit pas s’opérer au détriment de la biodiversité. J’ai notamment défendu un amendement pour exclure les friches anciennes des zones d’installation de panneaux photovoltaïques. Ces friches constituent en effet des lieux libres d’évolution pour le vivant, formant des refuges et des habitats dont le rôle est méconnu.

Je remercie les intervenants pour leurs présentations. Il est vrai que le recul du trait de côte pose des problèmes colossaux. À ce sujet, je souhaite connaître le laps de temps durant lequel la halte des oiseaux migrateurs de Moëze restera utilisable, car la digue est ouverte et le milieu se salinise. Les oiseaux essaieront‑ils de coloniser d’autres territoires pour remplacer cette halte ?

Par ailleurs, la mésange charbonnière, qui n’est pas parvenue à décaler son cycle de ponte, est‑elle déjà en train de s’adapter ? Cette mésange s’adaptera‑t‑elle plus rapidement que nous ne le pensons ?

Monsieur Marteau, vous avez évoqué la situation des perruches et de perroquets. Je voudrais savoir si les perruches à collier, que l’on trouve en assez grand nombre en Île‑de‑France, sont une espèce invasive.

Enfin, pour revenir sur les incendies survenus en Gironde, je souhaiterais savoir si nous disposons d’un état initial de la biodiversité, ainsi que d’informations sur les pertes subies. Ces pertes sont sans doute liées principalement à la forêt en elle‑même. Un suivi de la reconquête des lieux sinistrés sera‑t‑il réalisé ? Je suppose que d’autres espèces rejoindront ces lieux en l’absence d’arbres.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Les forestiers girondins et le Centre régional de la propriété forestière (CPRF) suivent la biodiversité des forêts de très près. Ils éditent régulièrement des ouvrages. Monsieur Marteau, vous me confirmerez sans doute qu’il existe dans les forêts de production une biodiversité très spécifique. Par exemple, le Fadet des laîches, un papillon rare, y vit sur les coupes rases. La science de la sylviculture suit d’assez près cette biodiversité, du moins du point de vue macroscopique. Nous pouvons constater que les tourbières, impactées par le changement climatique, prennent presque la forme de charbons. En revanche, je ne sais pas si nous pourrons trouver des études précises sur la biodiversité microscopique du milieu en question.

M. Andreaz Dupoué. – L’association de naturalistes Cistude Nature, que je connais, réalise des suivis des forêts girondines. Cette association est basée au Haillan, au sud de Bordeaux. Elle suit principalement des reptiles et des amphibiens, mais aussi des invertébrés comme les papillons. L’association se trouve justement à pied d’œuvre pour suivre le devenir des espèces dans les milieux dévastés par les incendies de cet été.

M. Cédric Marteau. – Nous avons environ quinze ans pour agir sur la halte migratoire de Moëze. Pour le moment, les cortèges d’oiseaux ont délaissé les zones où la mer pénètre et se cantonnent sur la partie la plus terrestre de la RNN. Si une acquisition pouvait être réalisée auprès des agriculteurs, une activité agricole pourrait être maintenue durant huit à dix ans, avant l’amorce d’un projet de renaturation.

Par ailleurs, nous constatons que le changement climatique modifie les migrations. Les oiseaux quittent l’Europe de plus en plus tard et y reviennent de plus en plus tôt. Or, dans ce schéma, les oiseaux rentrent avec moins d’énergie.

Les oiseaux migrateurs insectivores doivent chercher des zones de chaleur pour s’alimenter et suivre les zones d’abondance d’insectes. Les moustiques, par exemple, sont maintenant abondants en France jusqu’en octobre. Ainsi, cette année, les martinets sont restés dans notre pays jusqu’au 23 ou 24 octobre. Il s’agit d’une première, car ces oiseaux auraient dû partir en juillet.

Comme le printemps arrive de plus en plus tôt et que les températures se réchauffent aussi en Afrique, les oiseaux remontent plus tôt. Ils ont alors eu moins de temps pour s’engraisser avant de démarrer la saison de reproduction, particulièrement exigeante après un voyage très fastidieux.

Ces modifications peuvent menacer certaines espèces. D’autres espèces, opportunistes, ne migrent plus. La cigogne, par exemple, franchit maintenant très peu le détroit de Gibraltar et demeure en Espagne ou au Portugal, avant de revenir en France dès le mois de janvier.

Les perruches à collier franciliennes se sont notamment installées dans les jardins du domaine de Sceaux. Ces perruches se trouvent aussi au Royaume‑Uni. Elles ont été initialement relâchées et s’adaptent très bien à leurs nouveaux milieux. Leurs populations sont abondantes en Île‑de‑France et elles n’entrent que marginalement en concurrence avec d’autres espèces. Aucun programme de limitation ne les concerne. L’espèce ne pose pas de problème pour l’instant.

En revanche, l’érismature rousse entre en compétition directe avec l’érismature à tête blanche, une espèce européenne en grand danger d’extinction. Les services de l’État – prioritairement l’OFB – éliminent les populations de ce canard. De même, les écureuils des animaleries qui ont été relâchés dans la nature entrent en concurrence avec les écureuils roux. Le MNHN réalise un suivi de ces interactions. Si elles s’avéraient négatives, des actions d’élimination pourraient être envisagées.

Une très belle forêt ancienne a été touchée dans les incendies de Gironde. Des inventaires existent. Les données des naturalistes sont rassemblées pour apprécier les effets des incendies. Pour autant, la végétation est très vite repartie.

Malheureusement, les incendies se succèdent à l’échelle mondiale. Ces évènements donnent lieu à de nombreuses publications. Des incendies se sont notamment produits aux États‑Unis, ou encore dans le parc national de La Réunion, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. La forêt du massif du Maïdo, situé sur cette île, a brûlé à plusieurs reprises. Nous pouvons observer la manière dont la végétation reprend ses droits dans cette forêt, car nous ne pouvons pas y réaliser de plantation. Le massif des Maures, dans le Var, a également brûlé, impactant fortement les populations de tortues d’Hermann.

La Gironde bénéficie donc de ces expériences pour réagir. Il faudra tenter de prévenir une nouvelle catastrophe, malgré l’augmentation des facteurs de risque. Les dispositifs de défense des forêts contre les incendies (DFCI) pourraient être renforcés. De surcroît, des choix seront certainement à opérer pour les essences à replanter. L’avenir de la forêt risque de générer des débats. Dans cette perspective, des assises de la forêt ont donné lieu à de réels temps d’échanges. Ces assises posent des jalons pour la suite. De nombreuses solutions y ont été proposées.

M. Benoît Sautour. – Le cycle de développement des mésanges charbonnières est perturbé aux Pays‑Bas et je n’ai pas relevé de travaux qui indiquaient que ces oiseaux parvenaient à s’adapter dans ce pays. Pour autant, toutes les populations de cette espèce ne sont pas touchées. En Grande‑Bretagne, une étude similaire à celle réalisée aux Pays‑Bas montre que les mésanges charbonnières locales sont parvenues à s’adapter. En fait, le réchauffement du printemps ne se produit pas de la même façon en Grande‑Bretagne. La hausse de la température, plus rapide au début de printemps, a permis à la mésange de s’adapter. Nous n’y observons donc pas de déclin pour cette espèce. L’hétérogénéité de telles évolutions est à relier à la variété des modifications qui s’opèrent dans l’environnement.

Les forêts girondines ont connu des incendies qui devraient, à mon avis, se reproduire sur d’autres territoires. Ces évènements interrogent la manière dont nous considérons notre environnement dit naturel.

Je ne suis pas spécialiste des forêts ; toutefois, mes collègues qui s’y intéressent me rapportent l’existence de débats autour du choix des essences à replanter en Gironde. On s’interroge pour savoir si du pin sera replanté, ou encore s’il faut laisser la forêt redémarrer d’elle‑même. Il faut préciser que les statuts des forêts incendiées diffèrent. À part la forêt ancienne de la dune du Pilat, les autres forêts étaient exploitées.

Des débats ont donc lieu sur le devenir de ces exploitations. Dans le choix des essences et la manière de planter, nous devrons tenir compte de l’accroissement des risques d’incendie. Des questions peuvent se poser sur l’installation de pare‑feu dans une forêt dite naturelle. D’autres réflexions concernent la proximité immédiate de la forêt avec des habitats isolés, ou des petites agglomérations.

Il faut déplorer les incendies qui se sont produits. Cependant, ces phénomènes nous amènent à réfléchir sur notre place au sein d’un environnement qui change. Cette interrogation nous presse de manière accélérée à la suite des incendies, mais elle pourra se poser en bien d’autres circonstances.

M. Philippe Bolo, député. – Vous avez tous entendu parler du projet de l’entreprise Neuralink, cofondée par Elon Musk, qui se fonde sur le principe que le maintien de la biodiversité peut être assuré grâce à l’ADN d’espèces disparues. Comment considérer l’idée d’utiliser des banques d’ADN pour garder la mémoire de la biodiversité perdue ?

M. Philippe Grandcolas. – Des techniques scientifiques de préservation existent depuis de nombreuses décennies. Les grands musées d’histoire naturelle accomplissaient déjà autrefois cette mission et ils la poursuivent aujourd’hui. Ces techniques sont complétées par d’autres informations, dont des informations génomiques. Elles sont d’abord utilisées pour un but scientifique de recherche générale, mais peuvent aider à comprendre les mécanismes qui gouvernent la génération de la biodiversité, la façon dont les espèces apparaissent et s’adaptent.

Les banques de données génomiques peuvent aussi être utilisées d’autres façons. La convention de l’ONU sur la diversité biologique s’appuie sur trois piliers thématiques, à savoir la conservation, la gestion durable et le partage des avantages. Le partage des avantages renvoie notamment aux « ressources génétiques ». Ainsi, les pays détenteurs d’une biodiversité donnée pourraient demander que les avantages liés aux connaissances acquises grâce à leur biodiversité puissent leur procurer des avantages matériels. Ce principe conduirait par exemple à rétribuer les pays dont la biodiversité permet de séquencer un gène associé à une utilité particulière, qui donne lieu à l’exploitation d’un brevet.

Les études génomiques commencent à être concernées par ce principe. Une négociation est en cours à ce sujet depuis plusieurs années et continuera lors de la COP15 sur la biodiversité organisée à Montréal. Cette COP présente donc des enjeux importants sur le plan juridique. D’une part, cette application du partage des avantages menace la science ouverte. Certaines données pourraient ne plus être disponibles pour tous, y compris pour les scientifiques. D’autre part, ce principe permet de réguler les utilisations sauvages de données scientifiques qui pourraient être réalisées par certains groupes industriels.

Le problème de la biodiversité est complexe. Nous nous trouvons devant des systèmes qui suivent leurs propres dynamiques. À ces dynamiques, nous avons superposé celles de nos activités et des changements globaux humainement induits. Nous peinons déjà à déterminer des trajectoires de la biodiversité à l’échelle de quelques décennies ou d’un siècle en reliant des modèles prévisionnels climatiques et écosystémiques. J’ai donc tendance à penser que l’introduction d’espèces génétiquement modifiées dans les écosystèmes ne présente pas nécessairement d’avantages. Elle présenterait même plusieurs risques.

Sans être exagérément optimiste ou apeuré, il convient de rappeler que l’introduction d’espèces modifiées par forçage ou par modification génétique plus classique présente deux risques. Le premier est un risque de mal adaptation. En effet, la plupart du temps, les organismes modifiés en laboratoire ne présentent pas une grande vitalité en milieu naturel et les modifications apportées sont contre‑sélectionnées au bout de quelque temps. Par exemple, le maïs Bt produit une toxine contre des ravageurs, qui y sont très vite devenus résistants, alors que cette espèce de maïs n’est pas extraordinairement productive. Sur un plan opérationnel, ce genre de modification génétique n’apporte souvent pas grand‑chose en termes de production alimentaire.

L’introduction d’espèces modifiées peut aussi générer des « pollutions génétiques » auprès d’espèces apparentées, dans le milieu naturel : leurs gènes peuvent être transférés à ces espèces apparentées. Par exemple, un gène de résistance à certains herbicides systémiques a été transmis à des adventices qui menacent les cultures.

Dans la situation complexe où nous nous trouvons, alors que nous peinons à mesurer le potentiel d’évolution des espèces pour prendre les bonnes décisions, il convient d’appliquer une forme de principe de précaution en matière de génomique. Il ne faudrait pas introduire des données supplémentaires au problème.

Les données génomiques existantes, produites en grand nombre grâce aux améliorations des méthodes de la biologie moléculaire, restent extrêmement intéressantes. Elles permettent d’étudier les potentiels d’adaptation de certaines espèces à des changements environnementaux. Pour le moment, modifier des génomes d’espèces pour les introduire en milieu naturel ne présente pas de grand intérêt, mais plutôt différents désavantages.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Cette audition était passionnante. Il est difficile de la synthétiser en quelques mots. Le réchauffement climatique ne représente pas le seul risque pour la biodiversité. L’évolution de la population mondiale aboutira nécessairement à des dérives et à des compétitions. Les pollutions, en particulier celles du plastique, que connaissent bien nos collègues Angèle Préville et Philippe Bolo, interviennent également, en même temps que la mondialisation et les transports d’espèces.

Pour autant, l’être humain reste résilient. Il doit tenter de trouver des moyens pour conserver la biodiversité, comme l’a souligné Anne‑Christine Monnet. Le fait d’être en contact avec la nature est indispensable à notre survie. J’en suis persuadé et je m’en rends compte lorsque je quitte Paris pour revenir chez moi en Gironde.

Je lis actuellement un livre sur la nostalgie. Jusqu’au XIXe siècle, la nostalgie était considérée comme une maladie. Elle avait été décrite comme telle à partir des années 1650. Il s’agissait d’une maladie de l’exil. Ainsi, nous pouvons dire que nous risquons de devenir nostalgiques de notre environnement naturel.

Nous avons aussi évoqué nos télomères et ceux des huîtres, qui sont impactés par des stress environnementaux. Cet exemple renvoie finalement au rapport portant sur la médecine environnementale, que j’ai réalisé avec Bernard Jomier et qui met en avant le concept de « One Health ».

Je termine ma synthèse sur une note plus gaie. Hier, le groupe d’étude Vigne et vin, dont je suis membre, a réfléchi à la façon d’adapter la production de vin en réponse au réchauffement climatique. Le vignoble constitue aussi une part de la biodiversité. Nous nous questionnions sur les cépages à privilégier. Plutôt que d’introduire des génomes modifiés, nous envisagions plutôt de réintroduire des espèces anciennes, qui se trouvaient peut‑être déjà sur notre territoire avant l’arrivée du phylloxéra. Si nous souhaitons continuer à boire un vin agréable et pas trop dosé en alcool, nous devons nous poser toutes ces questions. Si je trouve l’occasion de vous faire déguster des vins produits à partir de cépages expérimentaux bordelais adaptés au climat actuel, je le ferai avec plaisir.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Je voudrais remercier l’ensemble des intervenants pour la pertinence de leurs propos, des scientifiques, mais aussi un représentant du monde associatif issu de la LPO. J’en profite pour saluer le travail remarquable réalisé par la LPO sur l’ensemble du territoire.

En tant que président de l’Office, mais aussi en tant que député de la Vendée, j’ai eu un intérêt particulier à vous entendre ce matin. Vous avez notamment soulevé la question de la grippe aviaire, qui touche particulièrement mon département, au regard de la forte concentration de l’élevage. Vous avez mis en lumière les enjeux qui pèsent sur l’estuaire de la Gironde et qui se retrouvent aussi dans un certain nombre de bassins de l’Arc atlantique et d’ailleurs, notamment dans la baie de l’Aiguillon.

Cédric Marteau a évoqué la RNN de la Belle Henriette et les enjeux politiques de préservation qui concernent les espaces protégés. À ce sujet, il convient de mettre en avant l’annonce récente de la secrétaire d’État à la biodiversité relative au onzième parc national labellisé, qui fait beaucoup parler de lui. Nous attendons évidemment l’expertise de la LPO à ce sujet.

Nous avons aussi évoqué les huîtres, qui renvoient aux domaines passionnants de la conchyliculture et de l’ostréiculture, mais aussi à l’impératif de protection de la biodiversité dans les milieux concernés.

Les enjeux de la biodiversité sont colossaux et imprègnent notre quotidien. Toutefois, je pense qu’une vision nostalgique de la biodiversité serait dangereuse. En effet, elle conduirait à faire fi de la réalité de la biodiversité et notamment de sa réalité dynamique décrite par Philippe Grandcolas. En outre, le climat d’anxiété évoqué par Gérard Longuet nous conduirait à ne pas agir à notre niveau, à l’échelle individuelle. Je crois au contraire, comme vous le souligniez dans vos interventions, que nous devons plutôt regarder les défis qui se trouvent devant nous. Nous devons nous engager sur des pistes de réflexion scientifiques et politiques, en vue de mener des actions collectivement.

Nous ne pouvons pas contraindre nos concitoyens à opérer des choix, car le principe de liberté prévaut et parce qu’une politique ne peut pas contraindre absolument les choix individuels. C’est pourquoi je pense qu’il existe un véritable enjeu pédagogique, dont il faut nous saisir. Nous en avons parlé ce matin. Je me tourne donc vers vous, les chercheurs présents ce matin, ainsi que ceux qui nous écouteront, pour contribuer à cet effort pédagogique. Nous comptons énormément sur vous. Vous savez que le Parlement, notamment dans le cadre de la loi de la programmation de la recherche, a fléché des investissements vers la diffusion de la culture et vers la médiation scientifique. Je pense qu’au‑delà d’une prise de conscience politique générale, en cours, il faut réaliser une médiation scientifique auprès de nos concitoyens, pour que notre génération et les suivantes puissent identifier les problématiques et trouver des solutions.

L’Office souhaite contribuer à cet impératif de médiation scientifique. Je sais que cela vous paraît également fondamental. Je sais encore que la rapporteure partagera cette vision dans les conclusions qu’elle va élaborer. Nous tâcherons de diffuser largement nos travaux, mais aussi les vôtres, pour qu’ils puissent être mieux compris de nos concitoyens. De cette manière, nos choix collectifs et les choix individuels de l’ensemble de nos concitoyens pourront converger dans une lutte permanente tendant à la préservation de la biodiversité.

Nous comprenons bien que les conséquences humaines et environnementales de la crise de la biodiversité devraient être très difficiles à gérer. Nous tenons donc à vous remercier pour votre éclairage.

Évidemment, nous aurons à cœur de poursuivre ce cycle de travaux, d’autant que la COP 15 sur la biodiversité se réunira prochainement. Les parlementaires souhaitent se situer aux côtés de la science et, surtout, en être les facilitateurs. Je vous remercie pour votre participation.

II.   EXTRAITS DU COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU JEUDI 1er DECembre 2022 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’audition publique

Examen des conclusions de l’audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité (Mme Florence Lassarade, sénatrice)

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Bonjour à tous. Nous avons appris le décès, le 2 novembre dernier, de Bernard Tissot, ingénieur géologue français et membre de l’Académie des sciences. Il a présidé de 1994 à 2006 la commission nationale d’évaluation relative aux recherches sur la gestion des déchets nucléaires, devenue par la suite la CNE2. Fort de son expérience industrielle à l’Institut français du pétrole et de l’étendue de ses connaissances scientifiques, il a su donner une impulsion décisive aux recherches dans ce domaine. Ses résultats ont servi de socle à la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Je lui rends hommage au nom de l’Office tout entier.

Je souhaite la bienvenue à Philippe Berta, député du Gard, professeur en biologie, génétique, biochimie et biotechnique à l’université de Nîmes. Il remplace Perrine Goulet, qui a pris la présidence de la délégation aux droits des enfants. Je l’invite à se présenter brièvement, comme nous l’avons tous fait lors de la première réunion de l’Office de l’actuelle législature.

M. Philippe Berta, député. – J’ai commencé ma carrière en tant que chercheur au CNRS à Montpellier. J’ai ensuite travaillé deux ans à Londres, où j’ai co‑découvert le gène de la masculinité. J’ai dirigé une équipe de recherche au CNRS en tant que directeur de recherche INSERM, et j’ai créé l’Université autonome de Nîmes. Je suis président fondateur de l’École de l’ADN, et co‑fondateur et vice‑président du pôle de compétitivité santé Eurobiomed. J’ai écrit une centaine de publications, et je dirige un master en biotechnologie avec l’École des Mines et la faculté de médecine de Montpellier.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Ces compétences nous seront précieuses. Je rappelle que l’Office a nommé Philippe Berta pour siéger au sein du Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI).

Je vous propose d’aborder l’ordre du jour de notre réunion en commençant par l’examen des conclusions de l’audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité, présentées par sa rapporteure, Florence Lassarade. Nous avons souhaité mener ce travail dans la perspective de la COP 15 Biodiversité, qui se tiendra du 7 au 19 décembre à Montréal. L’Office se devait d’être force de propositions dans le cadre de cette conférence, qui a d’ailleurs deux ans de retard.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Je suis sénatrice de la Gironde. Ce département a subi cet été les conséquences directes du réchauffement climatique. Des incendies violents ont fortement affecté la biodiversité. Après avoir majoritairement porté des sujets concernant le covid, je suis honorée de pouvoir aborder cet autre sujet pour l’Office.

Au début du mois de décembre 2022 aura lieu la 15e session de la Conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (COP 15). Dans la perspective de cette conférence, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a organisé le 10 novembre 2022 une audition publique consacrée aux conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité. Diffusée en direct, cette audition est disponible en vidéo à la demande sur les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Les effets du réchauffement climatique sur la biodiversité font l’objet d’un consensus scientifique depuis plus d’une vingtaine d’années. L’audition entendait explorer, d’un point de vue scientifique, les effets présents et futurs du réchauffement climatique sur la biodiversité, mais aussi évaluer les actions de conservation mises en œuvre en contexte de changement climatique. Ce faisant, elle s’est penchée sur le cas de quelques milieux et espèces emblématiques. L’audition a fait ressortir l’expertise considérable des laboratoires et des institutions publiques français, alors même qu’ils ne sont pas toujours mobilisés de manière cohérente par les pouvoirs publics.

Comme l’a d’abord indiqué Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l’Institut Écologie et Environnement du CNRS, trois échelles d’étude permettent d’approcher le problème de la biodiversité. La première, la plus évidente, est celle de la diversité des individus appartenant à une même espèce. Elle se constate chez nombre d’espèces d’organismes pluricellulaires, végétaux comme animaux. La diversité du vivant s’observe également dans la diversité des espèces. En France métropolitaine, il existe environ 40 000 espèces d’insectes, aux caractéristiques extrêmement variées. Une troisième forme de diversité biologique réside dans les modalités d’organisation des espèces au sein des écosystèmes. Les forêts tropicales, les savanes, les pâtures tempérées, ou encore les pelouses alpines ne montrent pas les mêmes caractéristiques écologiques.

Outre ces trois niveaux d’étude, il faut aussi prendre en compte les trois dimensions de la diversité du vivant. Elles ne sont pas toujours envisagées, parce qu’elles ne sont pas directement perceptibles, mais elles n’en existent pas moins.

La première de ces dimensions concerne la partie microbienne de la biodiversité. Les avancées de l’hygiène pasteurienne réalisées au début du XXe siècle pouvaient donner le sentiment que les microbes sont globalement nuisibles et qu’il faut s’en débarrasser. En réalité, nos propres organismes sont incapables de survivre et de se développer sans la présence des bactéries. Un adulte en bonne santé héberge 30 milliards d’éléments bactériens, qui pèsent environ trois kilogrammes. Ces bactéries permettent notamment le bon fonctionnement du système immunitaire et du système neurodigestif. Par exemple, un enfant né par césarienne, qui n’est pas exposé au microbiote vaginal de sa mère, ne profite pas de cette colonisation digestive primaire. Le lait maternel, entre autres, lui permet d’acquérir un microbiote.

L’évolutivité constitue une seconde dimension mal perçue de la biodiversité. Il est parfois difficile de se rendre compte que tous les organismes descendent d’un ancêtre commun, alors qu’il existe une diversité prodigieuse d’espèces. Ce foisonnement vient de la concurrence entre les phénomènes de disparition et de spéciation. L’évolutivité agit aussi à « l’intérieur » de chaque espèce, celle‑ci restant identifiable par rapport aux autres, malgré les modifications de certains traits biologiques qui la caractérisent.

Enfin, une troisième dimension très importante de la biodiversité réside dans les interactions entre espèces. L’une d’elles relie les abeilles et les espèces fleuries. Au plus fort du printemps, une ruche en bonne santé peut compter jusqu’à 50 000 abeilles qui butinent chacune plusieurs heures par jour. Il existe de nombreuses autres interactions, souvent permanentes, au sein des écosystèmes. En France métropolitaine, la pollinisation est d’ailleurs le fait de plus de 5 500 espèces pollinisatrices, relevant essentiellement de la classe des insectes. Ces interactions peuvent être difficiles à appréhender.

L’évolution des espèces donne souvent l’impression d’être inscrite dans le temps long. Au contraire, la biodiversité est extrêmement dynamique. Chaque évènement de reproduction sexuée donne lieu à la fusion de deux génomes, accompagnée d’un certain nombre de mutations. Ainsi, l’espèce humaine transmet à sa descendance entre 100 et 150 mutations à chaque génération. D’autres phénomènes évolutifs se révèlent particulièrement rapides. Par exemple, l’antibiorésistance peut apparaître en seulement quelques années. Elle cause chaque année plusieurs centaines de milliers de morts dans le monde.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans la sixième grande crise d’extinction. Les épisodes précédents étaient exceptionnels, mais ils se déroulaient sur des durées de l’ordre de plusieurs millions d’années. L’espèce humaine n’existait pas encore et n’y jouait donc aucun rôle. Dans la phase actuelle, le taux d’extinction effectif est environ mille fois plus important que le taux résiduel estimé lorsqu’on ne tient pas compte de l’activité humaine.

Créée en 2012, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) conduit, en matière de biodiversité, des travaux similaires à ceux du GIEC sur le climat. Environ 150 pays en sont membres auxquels se joignent de nombreux organismes accrédités, dont le CNRS pour la France. L’IPBES a diagnostiqué cinq grandes causes de déclin de la biodiversité. Ces causes sont communément connues, mais des travaux scientifiques en ont désormais mesuré l’intensité et l’importance. Anne‑Christine Monnet, chercheuse au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (CESCO) du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), l’a aussi souligné.

Le changement climatique est l’une de ces cinq causes, mais il ne vient pas en premier. Il faut citer d’abord la conversion des milieux naturels au profit des activités humaines, qui a notamment déjà entraîné la disparition de près des trois quarts des zones humides de la planète. Viennent ensuite les prélèvements croissants sur la biodiversité, qu’il s’agisse par exemple de la surexploitation des forêts ou de la surpêche. À ceci s’ajoutent les pollutions de toutes sortes. Pour n’en citer qu’une, la masse de plastique présente sur la surface terrestre équivaut désormais à l’ensemble de la biomasse animale. Enfin, les transports d’espèces sont un phénomène ancien, mais qui a connu une croissance exponentielle avec l’essor de la mondialisation après la Seconde Guerre mondiale ; son impact sur la biodiversité est devenu significatif à l’échelle d’une région, d’un pays, voire d’un continent.

À l’heure actuelle, le changement climatique n’est pas le facteur le plus important des pertes de biodiversité. Il influe cependant déjà sur celles‑ci de trois manières et cette tendance devrait s’accentuer à l’avenir. Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), a ainsi brossé une brève prospective des menaces qui pèsent sur la biodiversité du fait du réchauffement climatique. Ce faisant, il a présenté à l’Office certains contenus du sixième rapport du GIEC à paraître cette année.

Ce rapport contient un tableau synthétique qui présente, selon les régions, les impacts du changement climatique sur les structures des écosystèmes, la distribution et la phénologie annuelle des espèces, c’est‑à‑dire les phases de leur développement saisonnier. Il fournit des informations prospectives à l’échelle de la planète sur les effets du changement climatique sur la biodiversité.

Il est clair que l’élévation de la température constatée depuis le début de l’ère industrielle aura un impact important sur la biodiversité. Toutefois, les pertes varieront localement, car selon les régions, l’élévation des températures et l’ampleur des variations hygrométriques différeront et la biodiversité sera plus ou moins fragile.

Dans les différents scénarios du changement climatique, la biomasse des poissons marins devrait être particulièrement touchée. Atteindre les objectifs de l’accord de Paris de 2015 peut faire espérer un changement relativement modeste de cette biomasse. Cependant, la trajectoire actuelle du réchauffement devrait conduire à des modifications très importantes, avec de fortes baisses de cette biomasse dans certaines régions et une augmentation dans d’autres zones. Qu’elles soient à la hausse ou à la baisse, des variations de l’ordre de 20 % à 30 % induiront une baisse de la biodiversité en raison des fortes perturbations qui en résulteront sur la structure et les interactions des écosystèmes marins.

Philippe Grandcolas a exposé comment le changement climatique peut faire disparaître des écosystèmes entiers. Le cas des récifs coralliens, voués à l’extinction à l’horizon de quelques décennies, est particulièrement bien documenté. Le réchauffement de l’eau des océans et son acidification par dissolution du gaz carbonique provoquent un blanchiment des coraux. Ceux‑ci expulsent leurs petites algues symbiotiques et ne peuvent survivre. Si les coraux meurent, ces récifs deviendront des éléments inertes qui finiront par être détruits par le ressac.

Benoît Sautour, professeur habilité à diriger des recherches (HDR) de l’université de Bordeaux, a souligné que l’impact du changement climatique ne se limite pas à une redistribution géographique de la biodiversité, ou à l’apparition de quelques décalages dans le cycle annuel de développement d’une espèce. J’ai été sensible à l’exemple de la mésange charbonnière, qui, lorsqu’elle pond ses œufs et doit nourrir ses petits, ne trouve plus les larves de chenille dont elle a besoin.

La perturbation des écosystèmes ne concerne pas seulement les milieux emblématiques comme les zones polaires ou tropicales. Elle affecte aussi ce que l’on peut appeler la biodiversité ordinaire. L’estuaire de la Gironde connaît depuis une vingtaine d’années une augmentation de la température et de la salinité de l’eau – due à une érosion accrue résultant de la fonte des glaces terrestres – qui modifie sa composition physico‑chimique. Ceci perturbe l’ensemble des réseaux trophiques qui relient les bactéries, les microalgues, le zooplancton et les organismes benthiques. On constate désormais des conséquences directes sur certaines activités humaines, comme la fermeture de plusieurs pêcheries, et la chute de la capacité trophique de l’estuaire menace la capacité des poissons à grandir et à survivre en mer.

En définitive, comme l’a indiqué Anne‑Christine Monnet, les scientifiques estiment que le changement climatique exacerbera de manière croissante l’impact des autres facteurs du déclin de la biodiversité au cours du XXIe siècle, tout en gagnant en puissance en tant que facteur direct de ce déclin.

L’état des connaissances disponibles montre que les mesures propres à lutter contre le changement climatique peuvent contribuer à lutter contre le déclin de la biodiversité, à condition d’être correctement calibrées. Cependant, la lutte contre le changement climatique ne permettra pas de résoudre à elle seule la crise de la biodiversité. La synthèse d’études de la plateforme de l’IPBES alerte même sur l’existence d’effets secondaires indésirables, du point de vue de la biodiversité, de certaines actions de lutte contre le réchauffement climatique. Par exemple, les monocultures ou la production de bioénergie réduisent l’espace disponible pour le déploiement de la biodiversité.

Quoi qu’il en soit, Wolfgang Cramer a attiré l’attention sur le fait que le bénéfice, au regard de la biodiversité, de la lutte contre le réchauffement dépendra aussi du chemin suivi par celle‑ci. En effet, quand bien même le réchauffement climatique parviendrait in fine à être contenu au niveau de 1,5 degré prévu par l’accord de Paris de 2015, il n’est pas indifférent qu’une telle stabilisation intervienne directement, ou bien après un dépassement critique de ce seuil suivi d’une atténuation des températures. Dans ce dernier scénario, la biodiversité serait fortement impactée tant dans sa richesse que dans ses aspects fonctionnels, car un très grand nombre d’écosystèmes seraient irrémédiablement touchés par le dépassement critique.

Anne‑Christine Monnet a mis en avant le fait qu’indépendamment de ces considérations globales, il faut compter sur l’existence de méthodes efficaces de conservation de la biodiversité à une échelle géographique plus facilement maîtrisable, comme la création de zones protégées, la restauration d’habitats naturels, ou encore les plans d’action, de protection et de réintroduction d’espèces au bord de l’extinction. La mise en œuvre de ces leviers a mené à de nombreux succès. À cet égard, une importante responsabilité revient à la France dans la préservation des écosystèmes insulaires, particulièrement fragiles. Les collectivités françaises d’outre‑mer couvrent seulement 0,08 % de la surface terrestre, mais abritent 3 450 espèces de plantes et 380 espèces de vertébrés strictement endémiques, c’est‑à‑dire totalement restreintes à cette aire spécifique. Le nombre d’espèces endémiques y est ainsi plus important que sur l’ensemble de l’Europe continentale.

Philippe Grandcolas a souligné que la nature est elle‑même porteuse de solutions et qu’il est possible de diffuser un message de « solutions heureuses » face aux menaces qui pèsent sur la biodiversité. On peut par exemple planter des arbres, à condition de tenir compte de leur capacité à vivre dans un climat qui poursuivra son évolution. Wolfgang Cramer a évoqué la possibilité de s’appuyer sur les écosystèmes et sur leur capacité à absorber du carbone. Il a souligné que l’adaptation au changement climatique repose, pour une grande partie, sur cette mise à profit des caractéristiques des écosystèmes actuels. Pour autant, une perte importante de biodiversité, telle qu’elle est projetée par le GIEC et l’IPBES, pourrait compromettre une partie de ces solutions basées sur la nature.

Au cours du débat, Philippe Grandcolas a également rappelé que l’introduction d’espèces modifiées par forçage ou par modification génétique plus classique présente un risque de mal‑adaptation. En effet, la plupart du temps, les organismes modifiés en laboratoire ne présentent pas une grande vitalité en milieu naturel et les modifications apportées peuvent être rapidement contre‑sélectionnées. En témoigne l’exemple du maïs Bt. Il produit une toxine contre des ravageurs, qui y sont très vite devenus résistants, alors que cette espèce de maïs n’est pas par elle‑même extraordinairement productive.

L’affaiblissement de la biodiversité limite aussi les capacités d’adaptation des espèces. Andreaz Dupoué, chargé de recherches à l’IFREMER, a évoqué l’huître plate, autrefois commune dans le bassin d’Arcachon. Sa surexploitation en a fait baisser drastiquement les effectifs, et l’espèce s’est trouvée vulnérable aux zoonoses. En effet, un effectif trop faible réduit la capacité de résilience de l’espèce, car la probabilité de trouver des individus résistants à la zoonose s’en trouve diminuée. L’IFREMER soutient aujourd’hui la réintroduction de l’huître plate en rade de Brest. Les résultats sont encourageants.

Enfin, Cédric Marteau, directeur du pôle Protection de la nature à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO France), a plaidé pour le maintien de zones protégées propices à la halte des oiseaux migrateurs, telle la réserve naturelle nationale de Moëze‑Oléron. Il a montré qu’il n’est pas nécessaire de s’arc‑bouter sur l’existant pour répondre à la menace. En effet, il est possible de reculer l’emplacement de la zone en réponse aux progrès de la submersion marine. Il s’agirait en l’espèce de retransformer en marais des terres agricoles gagnées sur des marais dans les années 1970. De cette façon, la zone protégée qui accueillerait les oiseaux migrateurs pourrait être déplacée de 1,5 kilomètre vers l’intérieur des terres. Ceci permettrait de préserver des noyaux de populations qui représentent plus de 350 espèces d’oiseaux, dont plusieurs centaines d’espèces d’oiseaux migrateurs. Cette opération est un exemple d’action très concrète, réalisable sur le territoire. Elle aurait néanmoins des conséquences non négligeables sur la vie de la population locale, avec la nécessaire reconversion de certaines zones agricoles.

Sur la base de ces considérations, je soumets à votre examen les recommandations suivantes :

1. Favoriser la participation des chercheurs aux travaux conjoints du GIEC et de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ;

2. Ne pas dissocier lutte contre le changement climatique et préservation de la biodiversité, mais élaborer au contraire dans ces deux domaines des stratégies nationales et internationales qui se répondent et s’appuient l’une sur l’autre ;

3. Prendre en compte toutes les échelles et dimensions de la biodiversité, y compris l’échelle microbienne, pour concevoir les stratégies de préservation les mieux adaptées ;

4. Continuer à promouvoir, dans le cadre international, des plans globaux susceptibles de se prolonger dans une mise en œuvre au niveau local (comme pour les oiseaux sur la côte vendéenne ou l’estuaire de la Gironde) ;

5. Étendre en France le recours aux instruments juridiques qui permettent le maintien de la biodiversité, telles les réserves naturelles qui garantissent les haltes des oiseaux migrateurs ;

6. Inclure, dans les études d’impact législatives et dans les analyses coûts‑avantages réalisées en amont des investissements publics, une évaluation chiffrée des services rendus par la biodiversité sur le temps long.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Je vous propose d’échanger prioritairement sur la formulation des recommandations, que l’Office destine aux participants à la COP 15. La restitution des conclusions a parfaitement traduit les réflexions échangées lors des auditions.

M. Hendrick Davi, député. – J’ai beaucoup apprécié vos propos concernant les trois échelles et les trois dimensions de la biodiversité. Il me paraît essentiel de rappeler que nous vivons une crise majeure de la biodiversité, en même temps qu’un changement climatique. Les actions qu’il faut mener doivent être cohérentes dans ces deux cadres.

Actuellement, le changement climatique intervient pour seulement 6 % des extinctions. L’un des chercheurs auditionnés a toutefois indiqué qu’à horizon 2100, certaines projections montrent que cette proportion pourrait atteindre 80 %. Ainsi, l’interaction entre changement climatique et extinction des espèces est amenée à être de plus en plus forte.

Les deux premières recommandations sont très importantes. Elles imposent de regarder, sur chaque mesure publique, comment à la fois lutter contre le changement climatique et préserver la biodiversité. En général, trois actions peuvent être proposées pour atteindre ce dernier objectif. La première est la non‑artificialisation des terres, puisque l’artificialisation favorise l’érosion – nous savons ce qu’elle occasionne en cas d’inondation. La diversité de l’agriculture est également très importante. Ici, la diversité intra‑spécifique est primordiale. Nous observons une baisse de la diversité agricole, alors qu’une plus grande diversité dans les semences utilisées permettrait de s’adapter au changement climatique.

La recommandation 5 porte sur la gestion des réserves naturelles. Je pense que nous devons aller un peu plus loin, en expliquant comment les développer, au niveau national mais aussi régional. Dans son dernier rapport, le GIEC recommande que 30 à 50 % des espaces naturels soient préservés. La France en est très loin, pour des raisons historiques. Nous devons donc probablement durcir cette recommandation.

Enfin, je ne vois pas s’il est prévu une recommandation concernant la préservation des ressources actuelles. Elle entre peut‑être dans le point 6. Il est par exemple nécessaire de promouvoir une gestion durable de la forêt. Nous pourrions également être plus précis sur la préservation des stocks de poissons, ce qui permettra d’adapter notre alimentation au changement climatique.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, viceprésidente de l’Office. – Ce rapport concerne‑t‑il la France, ou vise‑t‑il plus globalement le niveau mondial ? Ne devrions‑nous pas moduler nos recommandations, pour cibler ce que doit faire notre pays et ce qui doit être fait à l’échelle de la planète ?

Par ailleurs, la raison pour laquelle la biodiversité est nécessaire n’est pas exposée. On peut se demander si l’on a toujours besoin d’autant d’espèces, ou si leur disparition n’est pas simplement liée au cycle de l’évolution. Sur le second point, il est bien indiqué que c’est l’activité humaine qui fait diminuer la biodiversité, mais en quoi cette baisse est‑elle vraiment gênante ?

Le projet de conclusions indique que la nature est elle‑même porteuse de solutions. Ne devons‑nous pas appuyer ce message positif ? En outre, voit‑on apparaître de nouvelles espèces qui pourraient s’adapter au changement climatique ?

L’Office a travaillé sur les huîtres dans le cadre du rapport d’avril 2017 sur les biotechnologies. J’avais compris que la France, à la suite de zoonoses, s’était concentrée sur une seule huître. Ainsi, j’ai le sentiment que la mention d’une résilience de l’espèce n’est qu’une vision partielle. Cette expression me semble un peu réductrice par rapport à ce qui a été dit lors de l’audition.

Enfin, qu’entend‑on par « transport d’espèces » ?

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Je parle notamment des parasites transportés par les palettes, des frelons asiatiques et autres.

Je rappelle que ce document présente les conclusions d’une audition publique, et qu’il ne s’agit pas d’un rapport complet sur le réchauffement climatique. Il est important que les parlementaires se saisissent de sujets qui ne sont pas nécessairement leur spécialité. C’est ainsi que nous pourrons les vulgariser et les diffuser au mieux auprès de nos collègues.

Hendrik Davi préconise une moindre artificialisation des terres, d’autant que celles‑ci seront moins productives en raison de la chute de la biodiversité – c’est déjà un peu le cas. Néanmoins, les chercheurs essaient de trouver des solutions allant au‑delà du principe de « zéro artificialisation nette » (ZAN). Les agriculteurs sont parfois contraints de faire de l’agriculture extensive et ne comprennent pas toujours la nécessité des jachères. Nous connaissons actuellement une pénurie alimentaire partielle qui sera peut‑être transitoire, mais qui interroge beaucoup. Les paysages ont vu une disparition des haies et de toutes les zones favorisant la biodiversité. On entend beaucoup parler d’agroforesterie, mais ces projets sont souvent marginaux. Certes, chacun a compris que le public était maintenant sensible à ces sujets, et ce peut être une façon de faire accepter une agriculture moins intensive. Pour autant, nous devons faire preuve de vigilance. Les produits bio provenant du Brésil n’ont par exemple de bio que le nom. Le poulet bio brésilien fait pousser les seins des petites filles, comme j’ai pu le constater en tant que pédiatre. Nous devons trouver un bon équilibre pour nos agriculteurs. Ils sont tout de même assez avancés en matière de préservation de la biodiversité.

S’agissant de la forêt, on parle beaucoup de monoculture et il va falloir discuter du reboisement de la forêt de Gascogne. Malheureusement, à certains endroits, seul le pin est capable de passer six mois les pieds dans l’eau et six mois dans la sécheresse. Après la tempête de 2009, les essais de reboisement n’ont fonctionné que sur l’eucalyptus, qui flambe plus que le pin. Le chêne n’est pas parvenu à reprendre son essor. Ainsi, nous avons tout intérêt à replanter des espèces variées, mais il faut tenir compte d’un sol très pauvre.

Les parcs doivent‑ils être nationaux ou régionaux ? Je pense que l’échelle des régions est la plus adaptée, dans le cadre d’une législation claire. En baie de Somme, on a permis à la mer de reprendre du terrain à des endroits qui avaient été poldérisés pour faire pousser des fleurs. La diversité des oiseaux qui y passent désormais illustre l’effort humain réalisé en faveur de leur migration.

S’agissant des poissons, j’ai participé il y a quelques mois à une réunion de crise à la criée d’Arcachon. La population de soles avait baissé de 30 %. On demande aux pêcheurs de diminuer drastiquement leurs prélèvements. Est‑ce que cela suffit ? La migration des soles vers des zones plus froides explique‑t‑elle leur disparition dans le golfe de Gascogne ? Je pense que nous assistons à une extinction progressive de la race. Il a été rappelé que la Terre connaît la sixième extinction, qui s’emballe, sans doute en partie par la main de l’Homme. En 2019, Jérôme Bignon avait établi une note scientifique très intéressante sur l’extinction des espèces. Nous devons, à mon avis et sans vouloir être trop pessimiste, être conscients de celle‑ci, qui est extrêmement rapide.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, viceprésidente de l’Office. – Je pense que nous devrions expliquer en quoi la perte de la biodiversité est un problème, ou pas.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Devrions‑nous insister davantage sur des sujets comme la pollinisation ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, viceprésidente de l’Office. – Je ne sais pas. Lorsque l’on parle d’extinction, comment connaît‑on le nombre d’espèces présentes sur Terre avant l’Homme ? Qu’elle était la biodiversité à cette époque ? On ne le sait pas vraiment. Vous dites que nous en sommes à la sixième extinction, mais c’est la seule que nous pouvons réellement mesurer.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – Permettez‑moi de revenir sur le sujet des soles. Les problèmes sont toujours multifactoriels. L’impact de la température de l’eau est net. Il se passe des choses bizarres à la surface de la Terre, mais aussi sous l’eau. On assiste depuis quelques années à une prolifération étonnante du poulpe. Pour la sole, nous sommes confrontés au problème des migrateurs mer‑rivière. La population a atteint un niveau très bas, et elle ne peut pas se reconstituer en cas de surpêche ou de prédation. Si la pêche n’est pas maîtrisée, l’espèce risque de s’éteindre. Je rappelle que la régulation drastique de la pêche du thon a donné des résultats immédiats.

Nous devons amener le débat sur la biodiversité à une discussion sur l’aménagement du territoire. Je prendrai pour exemple le pastoralisme en montagne. Des espèces disparaîtront par effet secondaire. Lors des dernières élections sénatoriales, j’ai réalisé une enquête. Elle a montré que sur les 25 dernières années, le massif pyrénéen a perdu 50 % de ses surfaces d’estive. Elles sont remplacées par des taillis, des ronces, des noisetiers. Nous avons vu ce qu’il en advenait en cas d’incendie. La forêt landaise ne constituant qu’un seul bloc, les feux auraient pu toucher quasiment tout le massif.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Ils l’ont touché, mais les pompiers landais ont été très efficaces.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – Il va falloir aménager le territoire pour éviter les incendies catastrophiques. En raison de l’engrillagement des parcelles, certaines espèces n’ont pas pu fuir le domaine, dont 70 % est privé.

Je conclus en rappelant que l’on parle toujours de ce qui ne va pas, mais on n’évoque pas les progrès réalisés, qui sont énormes. J’ai été co‑rapporteur de la proposition de loi sur l’agrivoltaïsme. Ce procédé montre l’effet bénéfique des ombrières sur la biodiversité. Les installations sont réputées démontables, critère d’acceptabilité publique. Elles ont permis de baisser la température de 1,5 à 2 degrés dans les parcelles concernées du Languedoc Roussillon, empêchant certainement une délocalisation de la production du sucre. On obtient des résultats similaires sur des pelouses et pâturages. Les ombrières réduisent l’évaporation et améliorent le confort des animaux qui peuvent s’abriter à l’ombre. Dans les champs de céréales, elles permettent un gain de production et de biodiversité, et une moindre évaporation de l’eau. Le procédé ne consomme pas de terres agricoles, tout en apportant un revenu supplémentaire aux agriculteurs et en agissant en faveur de la biodiversité.

Je pense que nous inventons ainsi les solutions de demain. Les animaux vont s’adapter. L’Homme aussi, mais il doit faire preuve d’anticipation.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Nous pouvons assurément intégrer un élément plus optimiste dans le rapport, en valorisant la participation des agriculteurs, qui ont la main sur nombre de ces sujets. J’en connais beaucoup qui sont très avancés sur des solutions telles que la méthanisation. Ils s’emparent de nombreux sujets. Parmi les agriculteurs, on trouve d’ailleurs beaucoup d’ingénieurs agronomes. Il reste ensuite une question d’acceptation par le public.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – Dans le Bordelais, d’importants efforts ont été réalisés pour réduire l’usage des produits phytosanitaires.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – La Gironde étant le plus grand territoire viticole, c’est là qu’on employait les plus grandes quantités de ces produits. On ne trouve plus de résidus dans la Garonne aujourd’hui.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Pouvons‑nous reprendre ces différents éléments dans les recommandations ?

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Je propose de consacrer les recommandations 1, 5 et 6 à l’échelle de la France, et les autres au niveau mondial.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Dans la recommandation 5, nous pourrions éventuellement supprimer la mention « en France ».

Mme Catherine Procaccia, sénateur, viceprésidente de l’Office. – Je suis très engagée sur les îles du Pacifique, l’un des plus hauts lieux de la biodiversité marine. Certaines recommandations ne peuvent s’y appliquer. Par exemple, certaines terres n’appartiennent qu’aux tribus et il ne peut y avoir de recours, pour ces terres, aux instruments juridiques usuellement mobilisés ailleurs.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Nous pouvons peut‑être indiquer qu’il faudrait étendre « comme en France » le recours aux instruments juridiques.

M. Hendrick Davi, député. – En termes de parcs naturels, les pays anglo‑saxons sont bien au‑dessus de la France.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Pour éviter cette dichotomie, nous ne sommes pas obligés de faire référence à la France sur cette recommandation relative à l’extension des instruments juridiques.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – D’accord, supprimons cette mention.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Les recommandations 1 et 6 peuvent également être comprises au niveau international.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, viceprésidente de l’Office. – La recommandation 6 ne peut concerner que la France. L’Office ne peut pas demander d’études d’impact au Brésil ou à d’autres pays.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Nous pourrions ajouter l’idée que les agriculteurs doivent être largement associés aux actions à conduire en faveur de la biodiversité.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – Il est effectivement important de les associer.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, viceprésidente de l’Office. – Partout dans le monde, l’agriculture a un rôle essentiel à jouer en la matière.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – Les agriculteurs sont demandeurs de cette implication.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Nous pourrions intégrer cette idée dans la deuxième recommandation.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Le lien entre les stratégies de prévention, de préservation et d’aménagement du territoire devrait davantage être mis en évidence dans le rapport.

M. Hendrick Davi, député. – Ce point pourrait entrer dans la quatrième recommandation. Les stratégies passent par l’aménagement du territoire, en France comme ailleurs. L’agriculture est la première cause de perte de la biodiversité.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – Le pastoralisme correspond bien à l’interdépendance entre l’homme, l’animal et le milieu.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, viceprésidente de l’Office. – Je connais très bien l’Indonésie. On y parle souvent de grandes cultures. Pour autant, la population y a triplé depuis mon arrivée au Sénat, et elle atteint aujourd’hui 250 millions d’habitants. Ainsi, l’agriculture n’est pas le seul facteur impactant la biodiversité et les terres.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – La croissance de la population implique notamment plus d’agriculture.

M. Hendrick Davi, député. – Je ne cherche pas à incriminer l’agriculture. Simplement, à un moment donné, il faut bien constater que les activités humaines prennent des espaces à la nature. Il faut donc trouver d’autres façons de procéder.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. – Je me suis rendue dans le Grand Nord, où j’ai pu prendre connaissance des problématiques auxquelles sont confrontés les éleveurs de rennes. En raison du réchauffement climatique, la neige y est trop molle et les animaux ne parviennent plus à gratter la mousse. C’est tout un système qui s’effondre. L’Homme vivait pourtant en parfaite symbiose avec ces bêtes. Celles‑ci sont aujourd’hui nourries par des aliments pour chevaux. Elles vont être élevées comme des animaux d’élevage.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Nous avons fait le tour de ce projet de conclusions. Nous vous laissons les préciser au vu de nos échanges, afin qu’elles soient rapidement répercutées pour être prises en compte au moment de la COP 15.

L’Office adopte les conclusions de l’audition publique du 10 novembre 2022 et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l’audition et de ces conclusions.