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N° 800

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er février 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes
et covictimes de violences intrafamiliales

 

PAR Mme Isabelle SANTIAGO

Députée

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Voir le numéro : 658 2e rect.

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction........................................................ 5

I. L’autorité parentale et son exercice ne sont retirés que dans des cas limités

A. Le principe de coparentalité dans l’exercice de l’autorité parentale

1. La distinction entre l’autorité parentale et l’exercice de l’autorité parentale

2. L’autorité parentale est, en principe, exercée conjointement par les deux parents

3. L’importance du maintien du lien entre l’enfant et ses parents dans le droit français et la jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle

B. les possibilités de retrait de l’autorité parentale et de son exercice

1. Les cas de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice par le juge aux affaires familiales

2. Les cas de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice par le juge pénal

3. Le cas particulier de la suspension provisoire de plein droit en cas de poursuite

C. les limites à l’application du droit existant

II. L’objectif de la PROPOSITION DE LOI : mieux protéger les enfants

A. L’impact terrible des violences subies dans l’enfance

B. L’impérieuse nécessité de protéger les enfants victimes dans le cadre des poursuites pénales

1. La suspension de plein droit au stade des poursuites pour les agressions sexuelles incestueuses et les crimes commis contre l’enfant ou pour les crimes commis contre l’autre parent

2. La suspension provisoire de plein droit après la condamnation pour violences conjugales

C. la nécessité d’inverser la logique préexistante à la décision du retrait de l’autorité parentale ou de son exercice dans les cas les plus graves

Examen de la proposition de loi

Article 1er  (art. 378-2 du code civil) Suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement en cas de poursuites pour violences conjugales ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours, pour viol incestueux ou pour agression sexuelle incestueuse

Article 2 (art. 378 du code civil) Retrait automatique de l’autorité parentale en cas de condamnation pour viol incestueux ou agression sexuelle incestueuse ou pour crime ou violence conjugale ayant résulté en une ITT supérieure à 8 jours

Article 3 (nouveau) Coordinations dans le code pénal (art. 221-5-5, 222-31-2 [abrogé], 222-48-2 du code pénal)

Examen en commission

Personnes entendues

 


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Mesdames, Messieurs,

Les chiffres en matière de violences commises contre les enfants au sein de la famille, qu’ils en soient les victimes directes ou les co-victimes, sont vertigineux. On estime aujourd’hui à 400 000 le nombre d’enfants qui vivent dans un foyer dans lequel s’exercent des violences conjugales ([1]) et à 160 000 le nombre d’enfant qui subissent, chaque année, des violences sexuelles en France ([2]). Nous savons que les filles et les enfants en situation de handicap sont davantage exposés aux violences sexuelles ([3]). Nous savons également que dans 90 % des cas, l’agresseur est un homme et que dans la moitié des cas, il est un membre de la famille ([4]).

Ces chiffres nous rappellent à notre responsabilité collective de protéger les enfants, des individus vulnérables dont la voix est bien souvent inaudible et dont la capacité d’action est particulièrement limitée.

Les travaux de la psychiatre Muriel Salmona ([5]) ont montré l’impact terrible de l’exposition des enfants à ces violences en termes de psycho trauma et ses conséquences durables sur la vie de l’enfant. La mise en sécurité rapide de l’enfant et un accompagnement médico-social adapté apparaissent alors primordial pour limiter les effets négatifs de ces expériences traumatiques. C’est pourquoi la proposition de loi s’attache à agir vite, lorsque l’enfant est en danger, pour limiter les relations voire, dans les cas les plus graves, rompre le lien entre l’enfant et le parent violent ou agresseur.

La présente proposition de loi sera examinée en première lecture en séance publique à l’Assemblée nationale le 9 février prochain, dans le cadre prévu par l’article 48, alinéa 5 de la Constitution, qui consacre un jour de séance par mois réservé à un ordre du jour arrêté par un groupe d’opposition. Le temps réservé au groupe Socialistes et apparentés pour la discussion des propositions de loi inscrites à cet ordre du jour étant limité, la présente proposition de loi se concentre sur les modifications à apporter au traitement judiciaire des cas dans lesquels l’enfant est victime de violences au sein de sa famille. Plus particulièrement, elle s’attache à mettre en place des mécanismes automatiques de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice, ou encore de suspension de l’exercice de l’autorité parentale dans les cas où le parent est poursuivi, mis en examen ou condamné pour les infractions les plus graves commises sur son enfant ou sur l’autre parent. Pour autant, une réflexion beaucoup plus globale, tenant notamment à la prise en charge médicale des enfants victimes, est également urgente.

Les préoccupations du législateur concernant l’autorité parentale et ses mécanismes de retrait ou de suspension ne sont pas nouvelles. Les pouvoirs du juge pour retirer l’autorité parentale ou son exercice au parent agresseur et pour protéger l’enfant et le parent victime ont d’ailleurs été renforcés ces dernières années, dans la suite du Grenelle des violences conjugales. La loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a notamment créé un mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pour crime contre l’autre parent. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a, par exemple, élargi les cas dans lesquels les parents peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale ou son exercice, par une décision expresse du jugement pénal, aux cas dans lesquels des parents ont été condamnés pour des délits sur l’autre parent.

La prise de conscience progressive de l’ampleur des violences sexuelles sur les enfants a été rendue possible grâce aux travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) ([6]) et à ceux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), créée en mars 2021. La rapporteure tient ici à rendre hommage à ce travail salutaire et souligne que la présente proposition de loi reprend les recommandations de la CIIVISE relatives au retrait et à la suspension de l’autorité parentale et de son exercice dans son rapport d’étape de mars 2022 ([7]).

La rapporteure se félicite de l’esprit d’ouverture dont a fait preuve le Gouvernement sur ces questions, le Garde des Sceaux ayant annoncé dès le mois de septembre 2022 sa volonté de soutenir un texte prévoyant des mesures relatives au retrait de l’autorité parentale et de son exercice. Le Gouvernement et la majorité ont finalement choisi de travailler conjointement avec la rapporteure, après le dépôt de la présente proposition de loi et son inscription à l’ordre du jour, afin de présenter un texte transpartisan sur le sujet. Dans ce contexte et pour tenir compte de ses nombreux échanges avec les magistrats, des experts et des associations dans le cadre des travaux préparatoires à l’examen de la présente proposition de loi, la rapporteure vous proposera des modifications substantielles du texte. Celles-ci permettront de garantir l’effectivité des mesures qu’elle souhaite soutenir, en ayant toujours à l’esprit un seul objectif et une seule boussole : mieux protéger les enfants.

I.   L’autorité parentale et son exercice ne sont retirés que dans des cas limités

Si notre droit français, tel qu’il existe actuellement, donne au juge la possibilité de prendre toutes les mesures pour protéger les enfants victimes de violences au sein de son foyer familial et limiter le lien entre l’enfant et le parent violent, les pratiques montrent des difficultés dans l’application de ces mesures. La lenteur du temps judiciaire et la saisine ineffective du juge civil expliquent en partie ces difficultés. La certitude selon laquelle le lien entre l’enfant et son parent doit être maintenu à tout prix irrigue encore trop souvent les pratiques des magistrats et des services de la protection de l’enfance, malgré une évolution positives des pratiques observée ces dernières années.

A.   Le principe de coparentalité dans l’exercice de l’autorité parentale

Le principe de coparentalité est aujourd’hui au cœur de la titularité et de l’exercice de l’autorité parentale. Ce principe explique en partie les obstacles observés dans la limitation des droits des parents à exercer ou détenir cette autorité parentale.

1.   La distinction entre l’autorité parentale et l’exercice de l’autorité parentale

● Aux termes de l’article 371-1 du code civil, l’autorité parentale est définie comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »

La circulaire du 19 avril 2017 relative à la protection judiciaire de l’enfant dresse la liste des droits rattachés à la titularité de l’autorité parentale :

– le droit de consentir au mariage, à l’adoption ou à l’émancipation de l’enfant ;

– le droit d’être informé des choix importants relatifs à la vie de l’enfant et de surveiller son éducation, sans que ce contrôle puisse porter sur les détails de sa vie quotidienne.

La titularité de l’autorité parentale recouvre donc l’ensemble des droits et des obligations des parents envers leurs enfants. Les droits rattachés à l’autorité parentale permettent au parent qui n’exerce pas l’autorité parentale de s’assurer que l’autre parent accomplit sa mission dans l’intérêt de l’enfant.

Certaines obligations subsistent même lorsque l’enfant est majeur ou que l’autorité parentale – ou son exercice – a été retiré : c’est le cas du devoir de contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources (article 371-2 du code civil).

● L’autorité parentale doit être distinguée de l’exercice de l’autorité parentale, qui confère le pouvoir d’exercer l’ensemble des droits attachés à la titularité de l’autorité parentale. L’exercice de l’autorité parentale est donc le pouvoir de décision du parent concernant la vie de son enfant.

● On relève donc d’emblée une distinction majeure entre le fait d’être titulaire de l’exercice de l’autorité parentale ou seulement de l’autorité parentale, et, en miroir, entre le retrait de l’exercice de l’autorité parentale et le retrait de l’autorité parentale.

Ainsi, un parent qui ne dispose pas de l’exercice de l’autorité parentale mais reste titulaire de l’autorité parentale conserve le droit et le devoir de surveiller l’entretien et l’éducation de son enfant et doit, à ce titre, être informé des choix importants relatifs à la vie de son enfant ([8]).

En revanche, le parent qui n’est pas titulaire de l’autorité parentale ne conserve aucun attribut, tant personnel que patrimonial, rattaché à l’autorité parentale ([9]), c’est-à-dire qu’il n’a plus le droit de garder l’enfant, de surveiller son entretien et son éducation, ou de consentir à son émancipation, son adoption ou son mariage, ni de gérer son patrimoine. Si l’obligation du parent de contribuer à l’entretien et l’éducation subsiste, l’enfant est dispensé de son obligation alimentaire envers son parent.

2.   L’autorité parentale est, en principe, exercée conjointement par les deux parents

L’article 372 du code civil prévoit que l’autorité parentale est exercée en commun par les père et mère, titulaires de l’autorité parentale, s’ils sont mariés au moment de la naissance de l’enfant et lorsqu’ils ne sont pas mariés, si le père reconnaît son enfant avant l’âge d’un an. Si le père a reconnu l’enfant plus d’un an après sa naissance, l’autorité parentale peut toutefois être exercée en commun en cas de déclaration conjointe des père et mère adressée au directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire ou sur décision du juge aux affaires familiales. L’autorité parentale est également exercée conjointement par les couples de femmes ayant eu recours à la procréation médicalement assistée avec l’intervention d’un tiers donneur et qui ont fait une reconnaissance conjointe anticipée dans les conditions définies à l’article 342-11 du code civil.

Cela signifie que les deux parents qui exercent conjointement l’autorité parentale doivent prendre ensemble les décisions relatives à l’enfant et qu’un parent ne peut accomplir, sans l’accord de l’autre parent, que les actes usuels, c’est-à-dire ceux de la vie quotidienne, qui n’engagent pas l’avenir de l’enfant ([10]). En l’absence de définition légale, c’est la jurisprudence qui opère la distinction entre les actes usuels ou non usuels. Par exemple, ne sont pas considérés comme des actes usuels : le changement d’établissement scolaire, la participation à une colonie de vacances, la mise en place d’un traitement médical ou un choix religieux.

La séparation des parents n’a pas d’incidence, en principe, sur les règles de l’exercice de l’autorité parentale ([11]). L’article 373-2 du code civil précise que, dans ce cadre, « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ».

3.   L’importance du maintien du lien entre l’enfant et ses parents dans le droit français et la jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle

De façon générale, le droit actuel français garantit le maintien du lien entre l’enfant et son parent. C’est pourquoi, l’article 371-4 du code civil prévoit que « l’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit. ».

Ainsi, le retrait de l’exercice de l’autorité parentale ou de l’autorité parentale ne peut être prononcé que par un juge, dans des cas précis et dans l’intérêt de l’enfant (voir infra). Cela explique également que seuls des motifs graves peuvent justifier le retrait du droit de visite du parent qui n’est plus titulaire de l’exercice de l’autorité parentale ([12]).

Le juge peut décider que la sauvegarde des intérêts de l’enfant passe par le maintien du lien avec chacun de ses parents et prendre, en conséquence, toutes les mesures permettant de garantir la continuité et l’effectivité de ces liens ([13]). Il peut notamment ordonner l’interdiction de sortie du territoire de l’enfant sans l’autorisation des deux parents ([14]).

Sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui consacre le droit au respect de la vie familiale, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considère que l’intérêt supérieur de l’enfant implique notamment « de maintenir ses liens avec sa famille, sauf dans les cas où celle-ci s’est montrée particulièrement indigne, car briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines » ([15]). C’est pourquoi les atteintes portées à la relation qui existe entre un parent et son enfant doivent être strictement justifiées et proportionnées. Ainsi, la CEDH vérifie que cette atteinte est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique.

Le maintien de ce lien ne peut être conservé que lorsqu’il est compatible avec la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dite « Convention d’Istanbul » de 2011 qui prévoit que la déchéance des droits parentaux peut être adoptée si l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être garanti d’aucune autre façon.

B.   les possibilités de retrait de l’autorité parentale et de son exercice

Le droit actuel prévoit un panel complet de cas dans lesquels l’autorité parentale ou son exercice peuvent être retirés aux parents violents ou défaillants. La particularité du droit relatif à l’autorité parentale réside dans ce qu’il mêle l’office du juge civil, qui est le juge compétent de droit commun, et le juge pénal dans le cadre de certaines procédures pénales.

1.   Les cas de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice par le juge aux affaires familiales

Le juge aux affaires familiales, magistrat du tribunal de grande instance, est le juge de droit commun des contentieux liés à l’autorité parentale et à son exercice. Il statue également sur la résidence de l’enfant et sur les modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement.

Le juge aux affaires familiales peut prononcer le retrait de l’autorité parentale, de l’exercice de l’autorité parentale ou de l’exercice des droits de visite et d’hébergement dans plusieurs cas strictement définis par le code civil.

● L’article 373 du code civil prévoit que l’exercice de l’autorité parentale est retiré au parent qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause.

● Dans le cadre de la séparation des parents, l’article 373-2-1 du code civil prévoit que le juge aux affaires familiales peut confier l’exercice de l’autorité parentale à l’un des deux parents dans l’intérêt de l’enfant. Le juge peut refuser l’exercice du droit de visite et d’hébergement du parent qui n’est pas titulaire de l’exercice de l’autorité parentale uniquement pour des motifs graves. Le juge peut aussi organiser le droit de visite dans un espace de rencontre, le cas échéant en présence d’un tiers.

Le juge peut aussi être saisi par l’un des parents ou le ministère public pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ([16]). Ainsi, le procureur de la République a le pouvoir de saisir, à n’importe quel moment, le juge aux affaires familiales.

Il est important de souligner que le juge aux affaires familiales doit notamment, lorsqu’il se prononce sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale,  prendre en compte les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologiques, exercées par l’un des parents sur l’autre ([17]).

● Les modalités de l’exercice de l’autorité parentale et les modalités du droit de visite et d’hébergement peuvent faire l’objet d’une décision du juge aux affaires familiales dans le cadre de la délivrance d’une ordonnance de protection ([18]). Cette ordonnance de protection est délivrée lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint mettent en danger la personne qui en est victime, dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience. Lorsqu’il délivre l’ordonnance de protection, le juge peut prendre plusieurs mesures, dont celle de retirer au parent violent l’exercice de l’autorité parentale ou ses droits de visite et d’hébergement, ou encore de suspendre cet exercice ou ces droits.

Lorsque le juge aux affaires familiales interdit à l’auteur des violences de rencontrer la victime, le droit de visite du parent violent doit être exercé dans un espace de rencontre ou en présence d’un tiers de confiance, sauf décision contraire spécialement motivée.

En outre, lorsque le juge délivre une ordonnance de protection, il doit en informer sans délai le procureur de la République, auquel il signale également les violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants.

Les chiffres transmis par le ministère, qui datent de mars 2022, montrent l’efficacité de ce dispositif dans la protection des enfants :

– les ordonnances de protection sont plus souvent accordées lorsque le demandeur a des enfants, qu’ils soient issus ou non du couple (71 % des ordonnances de protection sont acceptées en présence d’enfant, contre environ 66 % en l’absence d’enfants) ;

– les demandes d’exercice exclusif de l’autorité parentale sont acceptées huit fois sur dix ;

– la demande de fixation de la résidence des enfants chez la partie protégée est acceptée dans 90 % des cas ;

– la demande d’interdiction d’entrer en contact avec les enfants mineurs est accordée dans 79,1% des cas ;

– la demande de droit de visite « médiatisé » (en espace rencontre) sans interdiction de contact est accordée dans 82 % des cas.

● Enfin, le juge aux affaires familiales peut retirer totalement l’autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, aux parents qui mettent en danger la sécurité, la santé ou la moralité de leur enfant en raison de :

– soit de mauvais traitements,

– soit d’une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou d’un usage de stupéfiants,

– soit d’une inconduite notoire ou de comportements délictueux, notamment lorsque l’enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exercées sur l’autre parent,

– soit d’un défaut de soins ou d’un manque de direction.

L’autorité parentale peut aussi être totalement retirée quand le parent d’un enfant qui fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative s’est volontairement abstenu d’exercer ses droits et de remplir ses devoirs pendant plus de deux ans.

Cette décision est réversible : le parent privé de l’autorité parentale peut à nouveau saisir le juge d’une demande de restitution, en justifiant de circonstances nouvelles et au moins un an après que le jugement prononçant le retrait est devenu irrévocable ([19]). Cette demande n’est pas recevable si l’enfant a été placé en vue de l’adoption.

2.   Les cas de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice par le juge pénal

De façon plus rare, le parent peut être privé de l’autorité parentale ou de son exercice par le juge pénal.

● L’article 378 du code pénal prévoit que le juge pénal peut décider de retirer totalement l’autorité parentale ou l’exercice de l’autorité parentale au parent condamné comme auteur, coauteur ou complice d’un crime ou d’un délit commis soit sur la personne de leur enfant, soit par leur enfant, soit sur la personne de l’autre parent.

Cet article du code civil a fait l’objet de deux modifications substantielles ces dernières années. D’une part, l’article 8 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a ouvert la possibilité au juge pénal de retirer l’exercice de l’autorité parentale et non seulement l’autorité parentale. D’autre part, l’article 4 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a élargi les cas dans lesquels les parents peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale ou son exercice par une décision expresse du jugement pénal : peuvent désormais faire l’objet de cette décision les parents condamnés pour des délits sur l’autre parent. Jusque-là, le retrait devait être justifié par un crime commis sur la personne de l’autre parent, tandis que le juge pénal pouvait retirer l’autorité parentale ou son exercice au parent condamné pour des crimes et délits commis sur son enfant ou par son enfant.

L’article 379 du code civil prévoit que le retrait total de l’autorité parentale, prononcé en application de l’article 378 du code civil, s’étend à tous les enfants mineurs déjà nés au moment du jugement, sauf si le juge en spécifie autrement.

Le juge peut aussi décider de prononcer un retrait partiel de l’autorité parentale, limité aux attributs qu’il spécifie (article 379 du code civil).

Par ailleurs, dans les cas où, à la suite de la décision de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice, aucun parent n’est plus titulaire de l’autorité parentale ou de son exercice, le juge doit soit désigner un tiers auquel l’enfant sera confié provisoirement, soit confier l’enfant au service départemental de l’aide sociale à l’enfance ([20]).

La décision de retrait de l’autorité parentale est réversible : le parent privé de l’autorité parentale ou de son exercice peut à nouveau saisir le juge aux affaires familiales d’une demande de restitution, en justifiant de circonstances nouvelles et au moins un an après que le jugement prononçant le retrait est devenu irrévocable ([21]). Cette demande n’est pas recevable si l’enfant a été placé en vue de l’adoption.

Plusieurs articles du code pénal prévoient, de façon similaire, que la juridiction de jugement se prononce sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou sur le retrait de son exercice :

– en cas condamnation pour crime ou délit relatif à des atteintes volontaires à la vie de l’enfant ou de l’autre parent (article 221-5-5 du code pénal) ;

– en cas de condamnation pour avoir fait participer son enfant à un groupe formé en vue de la préparation d’un acte de terrorisme (article 421-2-4-1 du code pénal) ;

– en cas de condamnation pour des pratiques, comportements ou propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de son enfant (article 225-4-13 du code pénal) ;

– en cas de condamnation pour viol incestueux, agression sexuelle incestueuse ou atteinte sexuelle incestueuse commise contre un mineur par une personne titulaire de l’autorité parentale sur celui-ci (articles 222-31-2 et 227-27-3 du code pénal) ;

– l’article 222-48-2 du code pénal prévoit cette peine complémentaire en cas de condamnation pour atteintes volontaires à l’intégrité de l’enfant ou de l’autre parent, viol, inceste ou autres agressions sexuelles commis sur l’enfant ou l’autre parent ou harcèlement moral commis sur l’a personne de son enfant ou de l’autre parent.

La juridiction peut alors également statuer concernant les frères et sœurs mineurs de la victime.

● Depuis la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, le juge d’instruction ou le juge des libertés se prononce, par une décision motivée, sur la suspension du droit de visite et d’hébergement du parent mis en examen et faisant l’objet d’un contrôle judiciaire pour une infraction commise contre son conjoint, son concubin, son partenaire de PACS, ses enfants ou les enfants de son conjoint. Il se prononce également sur cette suspension lorsque le parent mis en examen doit s’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes, ou lorsqu’il lui est interdit de se rapprocher d’une victime de violences commises au sein d’un couple et contrôlée par un dispositif électronique mobile anti-rapprochement ([22]).

Pour mémoire, le contrôle judiciaire est ordonné lorsque la personne mise en examen encourt une peine d’emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave.

3.   Le cas particulier de la suspension provisoire de plein droit en cas de poursuite

L’article 8 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a institué au nouvel article 378-2 du code civil une suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et de tout droit de visite et d’hébergement en cas de poursuite ou de condamnation – même non définitive – pour un crime commis par un parent sur l’autre.

Cette mesure s’applique jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales et pour une durée maximale de six mois, à charge pour le procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales dans un délai de huit jours.

Si la lecture de cet article n’est pas aisée, il semblerait que ce soit la saisine, par le procureur de la République, du juge aux affaires familiales, qui déclenche la suspension provisoire de plein droit.

Ainsi, cette disposition permet, en théorie, dès l’engagement des poursuites, la prise de décisions dans l’intérêt de l’enfant, sans l’accord du parent criminel.

Actes de poursuites pénales au sens de l’article 378-2 du code civil

La notion de poursuites pénales s’entend de la mise en mouvement de l’action publique pour l’application de la peine, c’est-à-dire dès que le procureur a requis l’ouverture d’une information judiciaire ou convoqué en comparution immédiate le défendeur ou quand la victime a déposé une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction. Elle couvre également la mise en examen ou le placement sous contrôle judiciaire. En revanche, ne sont pas considérés comme des poursuites pénales le classement sans suite de l’affaire par le procureur, le dépôt de plainte non assortie de constitution de partie civile, ou encore l’enquête préliminaire.

La circulaire CRIM/2020-3/H2-23.01.2020 du 28 janvier 2020 précise qu’au sens de l’article 378-2 du code civil, doivent être considérés comme des actes de poursuites entraînant la suspension de plein droit de l’autorité parentale :

– le réquisitoire introductif contre personne dénommée (au stade de l’ouverture d’une information judiciaire) ;

– la mise en examen du suspect par le juge d’instruction lorsque l’information a été ouverte contre X ;

–  la délivrance, par le juge d’instruction, d’un mandat suivi d’un procès-verbal de perquisition et de recherches infructueuses.

En revanche, les actes suivants ne sont pas considérés comme des actes de poursuites :

– le réquisitoire introductif contre personne dénommée suivant plainte avec constitution de partie civile (dans ce cas, seule la mise en examen par le magistrat instructeur vaut acte de poursuites) ;

– le placement sous statut de témoin assisté par le juge d’instruction.

La saisine du juge aux affaires familiales par le procureur de la République constitue un soutien pour le parent victime, qui hésite souvent à saisir le juge aux affaires familiales.

La suspension de plein droit n’a d’effet que jusqu’à la décision rendue sur le fond soit par le juge aux affaires familiales, soit par la juridiction pénale lors du jugement. Il est important de souligner que la suspension provisoire de plein droit peut également s’appliquer lorsque le parent est condamné, dans les cas où le juge au fond n’a pas rendu de décision sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice, malgré l’obligation qui lui est faite par l’article 378 du code civil.

L’exercice de l’autorité parentale peut être suspendu de plein droit en cas de condamnation, même si le juge aux affaires familiales s’est prononcé, au stade des poursuites, en faveur de son maintien.

Il est important de souligner que le parent poursuivi ou condamné et ainsi privé de l’exercice de l’autorité parentale peut, à tout moment, saisir le juge aux affaires familiales pour obtenir une décision au fond concernant l’exercice de l’autorité parentale et son droit de visite et d’hébergement.

Toutefois, cette disposition ne semble pas avoir été jusqu’ici appliquée en pratique.


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Les cas prévus de suspension ou de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice

 

 

 

Suspension de l’exercice de l’autorité parentale

Suspension ou retrait de l’exercice du droit de visite et d’hébergement

Retrait de l’exercice de l’autorité parentale

Retrait de l’autorité parentale

Juge civil

Article 373 du code civil

 

 

Retrait par le juge aux affaires familiales pour le parent hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause.

 

Article 373-2-1 du code civil

+ article 373-2-8 du code civil

 

Dans le cadre de la séparation des parents, retrait par le juge aux affaires familiales uniquement pour des motifs graves.

Dans le cadre de la séparation des parents, retrait par le juge aux affaires familiales « si l’intérêt de l’enfant le commande ».

Saisine du juge possible par les parents ou le ministère public pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

 

Article 378-1 du code civil

 

 

 

Retrait possible par le juge aux affaires familiales en dehors de toute condamnation pénale du parent qui, soit par de mauvais traitements, soit par une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou un usage de stupéfiants, soit par une inconduite notoire ou des comportements délictueux, notamment lorsque l’enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre, soit par un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l’enfant.

Retrait possible par le juge si, alors qu’une mesure d’assistance éducative a été prise, les parents se sont volontairement abstenus d’exercer leurs droits et devoirs.

Article 515-11 du code civil

Suspension ou retrait possible par le juge aux affaires familiales dans le cadre de l’ordonnance de protection.

Suspension ou retrait possible par le juge aux affaires familiales dans le cadre de l’ordonnance de protection.

 

 

Juge pénal

Article 378 du code civil

 

 

Retrait possible par décision expresse du jugement pénal du parent condamné soit comme auteur, coauteur ou complice d’un crime ou délit commis sur son enfant, par son enfant ou sur l’autre parent.

Retrait possible par décision expresse du jugement pénal du parent condamné soit comme auteur, coauteur ou complice d’un crime ou délit commis sur son enfant, par son enfant ou sur l’autre parent.

Article 221-5-5 du code pénal

 

 

Retrait possible par le juge pénal pour le parent condamné pour crime ou délit relatifs à des atteintes volontaires à la vie.

Retrait possible par le juge pénal pour le parent condamné pour crime ou délit relatifs à des atteintes volontaires à la vie.

Articles  222-31-2 et 227-27-3 du code pénal

 

 

Retrait possible par le juge pénal pour le parent condamné pour viol incestueux, agression sexuelle incestueuse ou atteinte sexuelle incestueuse sur son enfant mineur.

Retrait possible par le juge pénal pour le parent condamné pour viol incestueux, agression sexuelle incestueuse ou atteinte sexuelle incestueuse sur son enfant mineur.

Article 225-4-13 du code pénal

 

 

Retrait possible par le juge pénal pour en cas de condamnation pour pratiques, comportements ou propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de son enfant.

Retrait possible par le juge pénal en cas de condamnation pour pratiques, comportements ou propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de son enfant.

Article 421-2-4-1 du code pénal

 

 

Retrait possible par le juge pénal en cas de condamnation du parent pour avoir fait participer son enfant à un groupe formé en vue de la préparation d’un acte de terrorisme.

Retrait possible par le juge pénal en cas de condamnation du parent pour avoir fait participer son enfant à un groupe formé en vue de la préparation d’un acte de terrorisme.

Article 222-48-2 du code pénal

 

 

Retrait possible par le juge pénal en cas de condamnation du parent pour atteintes volontaires à l’intégrité de l’enfant ou de l’autre parent, viol, inceste ou autre agressions sexuelles sur l’enfant ou l’autre parent ou harcèlement moral sur l’enfant ou l’autre parent.

Retrait possible par le juge pénal en cas de condamnation du parent pour atteintes volontaires à l’intégrité de l’enfant ou de l’autre parent, viol, inceste ou autre agressions sexuelles sur l’enfant ou l’autre parent ou harcèlement moral sur l’enfant ou l’autre parent.

 

Article 138 du code de procédure pénale

 

Suspension possible par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention pour le parent placé sous contrôle judiciaire, en cas d’infraction commise contre son conjoint, ses enfants ou les enfants de son conjoint, ou lorsqu’il lui est interdit de rencontrer certaines personnes.

 

 

Juge civil ou juge pénal

Article 378-2 du code civil

Suspension provisoire de plein droit pour le parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pour un crime commis sur l’autre parent, jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales et pour une durée maximale de six mois.

Suspension provisoire de plein droit pour le parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pour un crime commis sur l’autre parent, jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales et pour une durée maximale de six mois.

 

 

 


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C.   les limites à l’application du droit existant

Si tous les outils existent dans le code civil et le code pénal pour protéger les enfants victimes de violence et retirer l’autorité parentale ou son exercice aux parents violents et maltraitants, force est de constater que, dans la pratique, de nombreux enfants victimes sont maintenus dans des situations de violence extrême.

À titre préliminaire, la rapporteure regrette de ne pas avoir eu de données statistiques sur le nombre de mesures de retrait de l’autorité parentale et de retrait de l’exercice de l’autorité parentale prononcées, malgré ses demandes au ministère. Ainsi, le constat de l’insuffisance du nombre de ces mesures de retrait repose nécessairement sur des données empiriques remontées par les acteurs de terrain rencontrés et observées par la rapporteure dans sa pratique professionnelle.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer le faible nombre de mesures prononcées.

Le premier constat à faire est celui de la réticence des magistrats, des travailleurs sociaux ou des parents victimes à rompre le lien entre l’enfant et son parent, malgré les violences subies. Ainsi, la suspension des droits de visite et d’hébergement, le retrait de l’exercice de l’autorité parentale et le retrait de l’autorité parentale sont perçues comme des mesures extrêmement fortes, à n’utiliser que pour les cas les plus graves de violences ou de mise en danger de l’enfant. S’il est en effet bien souvent dans l’intérêt de l’enfant de maintenir des liens avec ses parents, il est aujourd’hui indispensable de prendre en compte l’impact traumatique pour l’enfant du maintien de ce lien dans les situations de violences intrafamiliales et de remettre en cause cette « idéologie du lien » mise en évidence par le pédopsychiatre Maurice Berger ([23]). Les travaux de la psychiatre Muriel Salmona ont notamment montré comment l’intérêt de l’enfant victime passe par la coupure nette des liens avec le parent violent ([24]).

En dehors de cette considération d’ordre général, plusieurs points ont été portés à l’attention de la rapporteure par les différentes personnes auditionnées.

En premier lieu, la saisine du juge aux affaires familiales n’est pas toujours effective, d’une part en raison des difficultés pour le parent victime à se libérer de l’emprise exercée par son conjoint violent et à demander au juge civil de statuer sur une demande de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice et, d’autre part, parce que le procureur de la République n’utilise pas toujours sa capacité de saisine du juge (notamment en raison du nombre de dossiers dont il a la charge).

En deuxième lieu, les délais actuels pour obtenir une date d’audience du juge aux affaires familiales sont extrêmement longs, de l’ordre de six mois ou plus, ce qui rend ineffectives les procédures de jugement en urgence inscrites dans notre droit ([25]). L’état de notre système judiciaire est aujourd’hui surchargé à cause d’un manque de moyens chronique : malgré les moyens supplémentaires alloués à la justice, il est indispensable de renforcer, en urgence, le nombre de magistrats au civil pour améliorer la protection des enfants.

Enfin, malgré les dispositions prévues par le code civil et le code pénal, le juge pénal, notamment le tribunal correctionnel, prononce rarement les mesures de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice, considérant que les éléments d’appréciation de la situation familiale présents dans le dossier sont insuffisants et préférant généralement que le juge aux affaires familiales, qui a la compétence au fond, se prononce sur le dossier. Cette spécificité de la compétence partagée entre le civil et le pénal sur l’autorité parentale montre ainsi ses limites : l’office du juge pénal se concentre sur la personne condamnée et sur sa peine, pas sur la protection de l’enfant, ce qui explique sa difficulté à prononcer des peines relatives au retrait de l’autorité parentale ou de son exercice.

C’est pourquoi la mesure proposée par l’article 2 de la présente proposition de loi a pour objectif d’inverser la logique actuelle, en rendant le prononcé de la peine obligatoire sauf à ce que le juge motive sa décision contraire.

II.   L’objectif de la PROPOSITION DE LOI : mieux protéger les enfants

A.   L’impact terrible des violences subies dans l’enfance

Plusieurs études ont montré les conséquences des violences subies sur l’enfant et son développement : choc traumatique, phénomène de dissociation, troubles de la mémoire, conduites à risque.

Ainsi, la psychiatre Muriel Salmona montre, à partir d’une étude de l’Organisation des Nations-Unies, qu’une femme qui a subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance a dix-neuf fois plus de risque de subir des violences conjugales et sexuelles à l’âge adulte qu’une femme qui n’a pas connu ce traumatisme. Un homme qui a connu ce même type de violences a quatorze fois plus de risque de commettre à son tour ces violences qu’un homme qui n’a pas subi ces violences ([26]).

En outre, il a été montré que l’exposition à plusieurs expériences négatives dans l’enfance (ou « Adverse Childhood experience ») peut faire perdre jusqu’à vingt ans d’espérance de vie ([27]). Plus précisément, cette exposition précoce constitue le premier facteur de risque de suicide, de conduites addictives ou à risque, de dépression, de précarité, de subir de nouvelles violences ou d’en commettre à son tour. Des liens entre violences subies dans l’enfance et les principales maladies mentales et physiques à l’âge adulte ont aussi été trouvés.

Muriel Salmona montre que les troubles psychotraumatiques concernent tous les enfants victimes de violences sexuelles et qu’ils ont des conséquences neurobiologiques graves, mais réversibles si une protection et un traitement psychothérapique spécialisés sont mis en place ([28]), ce qui plaide aussi pour une mise à l’abri rapide des enfants victimes et une prise en charge la plus précoce possible pour limiter les conséquences sur la santé des victimes.

Le retard dans cette mise en sécurité et cette prise en charge équivaut à une perte de chance pour chaque enfant concerné.

L’absence de prise en charge a aussi des conséquences financières. Ainsi, une étude américaine a estimé le coût pour les systèmes de santé imputé à l’impact des expériences défavorables dans l’enfance à 581 milliards de dollars par an en Europe et à 748 milliards de dollars par an aux Etats-Unis. L’enquête montre qu’une réduction de 10 % de ces expériences négatives dans l’enfance pourrait permettre d’économiser 105 milliards d’euros par an ([29]).

B.   L’impérieuse nécessité de protéger les enfants victimes dans le cadre des poursuites pénales

Se pose aujourd’hui la question de la bonne temporalité pour agir et protéger l’enfant en coupant le lien avec le parent violent, de façon temporaire ou définitive. Si le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice qui emporte des conséquences quasi définitives ([30]) ne peut se faire qu’après une condamnation pénale et par la décision d’un juge, la rapporteure a souhaité trouver une mesure de protection adaptée pour l’enfant victime pendant le temps de la procédure pénale.

La rapporteure considère que l’article 378-2 du code civil proposait un cadre adapté à cette protection, en prévoyant la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pour un crime sur l’autre parent.

Elle propose donc d’élargir les cas dans lesquels cette suspension provisoire de plein droit s’applique. L’article premier de la proposition de loi, telle qu’elle a été déposée, proposait ainsi d’inclure les cas de poursuite ou de condamnation, même non définitive, pour viol ou agression sexuelle sur l’enfant ou pour des violences sur l’autre parent provoquant une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours.

Lors de ses travaux, la rapporteure a cependant fait le constat de l’inapplication de cette procédure entrée en vigueur à partir du 1er août 2020 en raison de son manque de lisibilité. En effet, elle implique que le procureur saisisse le juge aux affaires familiales pour déclencher la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité familiale, ce qu’il ne semble pas faire, préférant généralement d’autres mesures plus globales (contrôle judiciaire, incarcération). En outre, elle suppose que si le juge aux affaires familiales ou le juge pénal ne s’est pas prononcé dans un délai de six mois, le parent poursuivi voit ses droits lui être rendus automatiquement.

Ainsi, il lui a semblé pertinent de modifier plus profondément le dispositif prévu à l’article 378-2 du code civil.

1.   La suspension de plein droit au stade des poursuites pour les agressions sexuelles incestueuses et les crimes commis contre l’enfant ou pour les crimes commis contre l’autre parent

La rapporteure a donc proposé, dans un amendement adopté par la commission, de mettre en place une suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, dès lors qu’un parent est poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d’instruction pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, ou pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur la personne de son enfant. La suspension provisoire de l’autorité parentale lui est donc notifiée lorsque le procureur décide l’engagement des poursuites ou au moment de sa mise en examen par le juge d’instruction.

La précision relative aux poursuites engagées par le ministère public et à la mise en examen par le juge d’instruction exclut les cas dans lesquels les poursuites pénales sont déclenchées par la victime, par la citation directe ou la plainte avec constitution de partie civile.

Cette suspension s’applique jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales lorsqu’il est saisi par le parent poursuivi ou jusqu’à la décision du juge pénal saisi au fond. Cette nouvelle disposition permet donc de garantir l’absence de relation entre l’enfant et le parent poursuivi pour des faits graves, pendant la procédure judiciaire et jusqu’à la décision d’un juge. Une possibilité de recours est conservée pour le parent poursuivi ou mis en examen. Ces différents garde fous apparaissent comme une garantie nécessaire à la constitutionnalité et à la conventionalité de la mesure.

 Cette mesure de suspension provisoire de plein droit s’appliquerait donc au parent poursuivi pour tout crime commis contre l’enfant, et non seulement pour viol tel que le prévoyait la version initiale, pour agression sexuelle incestueuse et pour tout crime commis contre l’autre parent.

En revanche, à la suite de ses échanges avec les magistrats, la rapporteure a considéré qu’il n’était pas opportun d’élargir cette suspension provisoire de plein droit aux cas où le parent est poursuivi ou mis en examen pour des faits de violences conjugales ayant entraîné une ITT de plus de huit jours. Cette mesure pourrait en effet avoir des conséquences dommageables avec le placement automatique de l’enfant lorsque les parents sont poursuivis pour violences conjugales mutuelles. Elle pourrait aussi, paradoxalement, provoquer un recul des poursuites engagées par le procureur contre un conjoint violent en raison de la conséquence immédiate qu’elle entraînerait sur l’exercice de l’autorité parentale.

Cette mesure s’appliquera aussi dans les très rares cas où le parent est condamné, même non définitivement, pour ces mêmes motifs et que la juridiction de jugement a omis de se prononcer sur le retrait de l’exercice de l’autorité parentale.

Dans la suite des travaux de la commission, la rapporteure a identifié un cas non prévu par sa nouvelle rédaction de l’article 378-2 du code civil : celui dans lequel le parent poursuivi ou mis en examen bénéficie finalement d’une décision de non-lieu. Ainsi, elle proposera, par amendement en séance, de préciser que la suspension provisoire de plein droit s’arrête lorsqu’une telle décision est prise par le juge d’instruction.

La rapporteure rappelle à titre informatif qu’environ 70 % des plaintes pour viol incestueux et agression sexuelle incestueuse sont aujourd’hui classées sans suite. Ce chiffre démontre la nécessité d’améliorer le recueil de la parole de l’enfant, qui doit être recueillie par des professionnels formés dans un lieu sécurisant, protecteur et aménagé à cet effet. Les « Unités d’Accueil Pédiatrique Enfants en Danger » (UAPED) sont particulièrement utiles à ce titre et la rapporteure insiste sur l’importance d’en développer le maillage, dans tous les départements du territoire.

2.   La suspension provisoire de plein droit après la condamnation pour violences conjugales

Si la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement au stade des poursuites ou de la mise en examen pour violences conjugales soulève plusieurs problèmes précédemment évoqués, la rapporteure a toutefois souhaité mettre en place un mécanisme similaire après la condamnation pour ce type d’infraction.

Ainsi, elle a proposé, dans le même amendement à l’article 2 de la présente proposition de loi qui procède à la réécriture complète de l’article 378-2 du code civil adopté par la commission, de mettre en place la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent condamné, même non définitivement, pour des faits de violences sur l’autre parent ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits.

La suspension s’applique jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales, qui doit être saisi par l’un des parents dans un délai de 6 mois à compter de la décision pénale. À défaut de saisine dans ce délai, les droits du parent condamné sont rétablis.

Cette mesure répond notamment aux exigences de la Convention d’Istanbul qui prévoit l’obligation de mettre en place des mesures de protection spécifiques pour les enfants victimes et témoins de violences à l’égard des femmes ([31]).

C.   la nécessité d’inverser la logique préexistante à la décision du retrait de l’autorité parentale ou de son exercice dans les cas les plus graves

Lorsqu’un parent est condamné pour des faits extrêmement graves ayant trait à un crime commis sur l’autre parent ou sur l’enfant ou à une agression sexuelle incestueuse, il est regrettable que le juge pénal ne prononce pas de mesure de retrait de l’autorité parentale ou de son exercice. Or, nous l’avons vu, le juge pénal, auquel l’article 378 du code civil donne la possibilité de se prononcer sur ce retrait, en cas de condamnation pour crime ou délit commis sur la personne de l’autre parent ou de son enfant, ou commis par son enfant, a des réticences à prononcer ce type de décision, n’étant pas le juge de droit commun concernant les décisions relatives à l’autorité parentale.

L’article 2 de la présente proposition de loi modifiait donc l’article 378 du code civil pour donner un caractère automatique au retrait de l’autorité parentale ou de son exercice lorsque le parent est condamné pour crime contre l’autre parent, ou agression sexuelle incestueuse ou viol incestueux sur son enfant. Dans sa version déposée, il prévoyait aussi que ce retrait est automatique en cas de condamnation pour violences conjugales ayant entraîné une ITT de plus de huit jours.

À la lumière de ses travaux, la rapporteure vous a proposé dans un amendement adopté par la commission, d’une part, de circonscrire cette peine obligatoire aux seules condamnations pour crime contre l’autre parent, crime contre l’enfant et agression sexuelle incestueuse. Elle a donc élargi la proposition initiale à l’ensemble des crimes commis contre l’enfant mais supprime toute mention des violences conjugales. En prévoyant une suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement en cas de condamnation, l’article 378-2 du code civil, dans sa version modifiée par l’article premier de la présente PPL adopté en commission, lui semble en effet répondre à l’objectif initial.

D’autre part, pour des raisons de constitutionnalité, elle a proposé d’ajouter la précision selon laquelle le juge peut se prononcer autrement par une décision spécialement motivée. Cette dernière précision garantit que le juge garde son pouvoir d’appréciation au regard de l’intérêt de l’enfant, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation ([32]) et assure, ainsi, le respect du principe de proportionnalité des peines garanti par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’Homme.

La rapporteure souhaite cependant rappeler que son objectif premier est d’encourager le retrait de l’autorité parentale par le juge lorsque les infractions les plus graves sont commises, et non le retrait de son simple exercice. Pour les raisons de constitutionnalité évoquées, il est nécessaire de prévoir que le juge peut en décider autrement et que lorsqu’il décide de ne pas retirer l’autorité parentale, il puisse retirer l’exercice de l’autorité parentale. Afin de clarifier cet objectif et d’instaurer une gradation entre le retrait de l’autorité parentale et le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, la rapporteure a déposé un amendement en séance qui précise le juge pénal prononce le retrait de l’autorité parentale ou, à défaut, de l’exercice de l’autorité parentale dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article 2, sauf décision contraire spécialement motivée.

 

 

 


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   Examen de la proposition de loi

Article 1er
(art. 378-2 du code civil)
Suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement en cas de poursuites pour violences conjugales ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours, pour viol incestueux ou pour agression sexuelle incestueuse

Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et de tout droit de visite et d’hébergement, en cas de poursuite ou de condamnation, même non définitive, pour des violences commises par un parent sur l’autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours, pour agression sexuelle incestueuse ou pour viol incestueux commis par un parent sur son enfant.

La suspension de plein droit ne vaut que pour un maximum de six mois et jusqu’à la décision d’un juge. Le procureur de la République a la charge de saisir le juge aux affaires familiales, dans un délai de huit jours.

       Dernières modifications intervenues

L’article 8 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a institué au nouvel article 378-2 du code civil une suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et de tout droit de visite et d’hébergement en cas de poursuite ou de condamnation – même non définitive – pour un crime commis par un parent sur l’autre.

L’article 4 de la loi précitée a prévu que, lorsque dans le cadre d’une ordonnance de protection, le juge aux affaires familiales interdit à l’auteur des violences de rencontrer la victime, le droit de visite du parent violent doit être exercé dans un espace de rencontre ou en présence d’un tiers de confiance, sauf décision contraire spécialement motivée.

L’article 4 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a donné la possibilité au juge d’instruction ou au juge des libertés et de la détention de suspendre le droit de visite et d’hébergement d’un enfant mineur pour un parent placé sous contrôle judiciaire, en cas d’infraction commise contre son conjoint, son concubin, son partenaire de pacte civil de solidarité (PACS), ses enfants ou les enfants de son conjoint, ou lorsqu’il lui est interdit de rencontrer certaines personnes ou de se rapprocher d’une victime de violences commises au sein d’un couple et contrôlée par un dispositif électronique mobile anti-rapprochement.

       Modifications apportées par la commission

La commission a adopté un amendement réécrivant entièrement l’article premier pour distinguer deux cas dans lesquels s’applique la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale ou des droits de visite et d’hébergement. Ainsi, il prévoit, d’une part, que cette suspension s’applique au stade des poursuites pour les agressions sexuelles incestueuses et les crimes commis contre l’enfant ou pour les crimes commis contre l’autre parent. D’autre part, ce dispositif de suspension s’applique également pour les cas de violences conjugales, après la condamnation du parent pour des faits de violences sur l’autre parent ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits.

I.   L’Etat du droit

L’article 8 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a institué, au nouvel article 378-2 du code civil, une suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et de tout droit de visite et d’hébergement en cas de poursuite ou de condamnation – même non définitive – pour un crime commis par un parent sur l’autre.

Cette mesure s’applique jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales et pour une durée maximale de six mois, à charge pour le procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales dans un délai de huit jours.

Cette disposition permet, en théorie, dès l’engagement des poursuites pour des faits de crime contre l’autre parent, de suspendre l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement d’un parent. Si ce parent garde le droit d’être informé des décisions importantes de la vie de l’enfant, il n’est plus autorisé à prendre des décisions non usuelles, ni à héberger ou voir son enfant. Dans les faits, cette disposition n’a jamais été appliquée.

II.   Le dispositif proposÉ

L’article premier propose d’élargir le dispositif de suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et de tout droit de visite et d’hébergement au parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pour des violences commises sur l’autre parent ayant résulté en une ITT supérieure à huit jours ou pour agression sexuelle incestueuse ou viol incestueux commis sur son enfant.

III.   La position de la commission

La commission a adopté trois amendements identiques de rédaction globale de l’article premier, déposés par la rapporteure et les membres du groupe Socialistes et apparentés, par M. Poulliat et les membres du groupe Renaissance ainsi que par Mme Poussier-Winsback (Horizons) et plusieurs de ses collègues, qui réécrivent entièrement l’article 378-1 du code civil.

Ces amendements prévoient :

– d’une part, la mise en place d’une suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, dès lors qu’un parent est poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d’instruction pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, ou pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur la personne de son enfant. Cette suspension s’applique jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales lorsqu’il est saisi par le parent poursuivi ou jusqu’à la décision du juge pénal saisi au fond. Cette suspension s’applique aussi dans les très rares cas où le parent est condamné, même non définitivement, pour ces mêmes motifs et que la juridiction de jugement a omis de se prononcer sur le retrait de l’exercice de l’autorité parentale ;

– d’autre part, la mise en place d’une suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent condamné, même non définitivement, pour des faits de violences sur l’autre parent ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits. La suspension s’applique jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales, qui doit être saisi par l’un des parents dans un délai de six mois à compter de la décision pénale. À défaut de saisine dans ce délai, les droits du parent condamné sont rétablis.

La commission a adopté l’article premier ainsi modifié.

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*     *

Article 2
(art. 378 du code civil)
Retrait automatique de l’autorité parentale en cas de condamnation pour viol incestueux ou agression sexuelle incestueuse ou pour crime ou violence conjugale ayant résulté en une ITT supérieure à 8 jours

 

Adopté par la commission avec modifications

 

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit, à l’article 378 du code civil, le retrait automatique de l’autorité parentale ou de l’exercice de de l’autorité parentale du parent condamné pour agression sexuelle incestueuse ou viol incestueux commis sur son enfant ou pour crime ou violences ayant résulté en une incapacité totale de travail supérieure à huit jours commises sur l’autre parent.

       Dernières modifications intervenues

L’article 8 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a modifié les articles 378, 379-1 et 380 du code civil pour permettre au juge pénal de retirer l’exercice de l’autorité parentale du parent condamné pour crime ou délit commis sur son enfant ou sur l’autre parent.

Jusqu’alors, la juridiction de jugement était tenue de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale à la suite de certaines infractions.

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a élargi les cas dans lesquels les parents peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale ou son exercice par une décision expresse du jugement pénal aux cas dans lesquels les parents ont été condamnés pour des délits sur l’autre parent. Le droit antérieurement en vigueur prévoyait la possibilité de retirer l’autorité parentale ou son exercice après une condamnation pour crime ou délit commis sur l’enfant ou par l’enfant, ainsi que pour les crimes commis sur l’autre parent (et non pour les délits commis sur l’autre parent).

       Modifications apportées par la commission

La commission a adopté un amendement de réécriture de l’article 2 qui prévoit de donner un caractère obligatoire au retrait de l’autorité parentale ou de son exercice lorsque le parent est condamné pour crime contre l’autre parent, agression sexuelle incestueuse ou crime contre son enfant, sauf décision contraire spécialement motivée du juge.

I.   L’État du droit

L’article 378 du code pénal prévoit que le juge pénal peut décider de retirer totalement l’autorité parentale ou l’exercice de l’autorité parentale au parent condamné comme auteur, coauteur ou complice d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de leur enfant, par leur enfant, ou sur la personne de l’autre parent.

L’article 379 du code civil prévoit que le retrait total de l’autorité parentale, prononcé en application de l’article 378 du code civil, s’étend à tous les enfants mineurs déjà nés au moment du jugement, sauf si le juge en spécifie autrement.

Le juge peut aussi décider de prononcer un retrait partiel de l’autorité parentale, limité aux attributs qu’il spécifie (article 379 du code civil).

La décision de retrait de l’autorité parentale est réversible : le parent privé de l’autorité parentale ou de son exercice peut à nouveau saisir le juge aux affaires familiales d’une demande de restitution, en justifiant de circonstances nouvelles et au moins un an après que le jugement prononçant le retrait est devenu irrévocable ([33]). Cette demande n’est pas recevable si l’enfant a été placé en vue de l’adoption.

Plusieurs articles du code pénal prévoient, de façon similaire, que la juridiction de jugement se prononce sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou sur le retrait de son exercice (voir supra).

II.   Le dispositif proposÉ

L’article 2 prévoit que le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice est automatique lorsque le parent est condamné pour viol ou agression sexuelle incestueuse sur son enfant, ou pour un crime ou des violences ayant entraîné une ITT de plus de huit jours commis sur l’autre parent.

III.   La position de la commission

La commission a adopté quatre amendements identiques de rédaction globale de l’article 2, déposés par la rapporteure et les membres du groupe Socialistes et apparentés, par M. Pradié (Les Républicains) et plusieurs de ses collègues, par Mme Dubré-Chirat et les membres du groupe Renaissance ainsi que par Mme Poussier-Winsback (Horizons) et plusieurs de ses collègues.

Ces amendements modifient l’article 378 du code civil en insérant un premier alinéa qui prévoit que les parents condamnés pour crime contre l’autre parent, agression sexuelle incestueuse ou crime contre l’enfant, se voient retirer l’autorité parentale ou son exercice par une décision expresse du juge pénal, sauf décision contraire spécialement motivée du juge.

Le juge pénal a la possibilité de prononcer ce retrait en cas de condamnation pour un délit commis sur la personne de son enfant, pour un crime ou délit commis par son enfant, ou pour un délit commis sur la personne de l’autre parent (alinéa 2).

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*     *

Article 3 (nouveau)
Coordinations dans le code pénal
(art. 221-5-5, 222-31-2 [abrogé], 222-48-2 du code pénal)

 

Introduit par la commission

Cet article, introduit par un amendement de votre rapporteure, prévoit des mesures de coordination dans le code pénal rendues nécessaires par la modification de l’article 378 du code civil prévue par l’article 2 de la présente proposition de loi. 

En premier lieu, l’article 221-5-5 du code pénal est modifié pour prévoir que la juridiction de jugement, si elle ne décide pas le retrait total ou partiel de l’autorité parentale, ordonne le retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, en cas de condamnation d’un parent pour un crime relatif à des atteintes à la vie de son enfant ou de l’autre parent, sauf décision spécialement motivée. Cette décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire, c’est-à-dire qu’elle est appliquée même si le parent condamné engage des recours.

Dans ce cadre, le juge pénal peut statuer sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice sur les frères et sœurs mineurs de la victime.

En second lieu, l’article 222-48-2 du code pénal est modifié pour prévoir que la juridiction de jugement, si elle ne décide pas le retrait total ou partiel de l’autorité parentale, ordonne le retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, en cas de condamnation d’un parent pour une agression sexuelle incestueuse commise sur son enfant ou pour un crime relatif à des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de son enfant ou de l'autre parent, sauf décision spécialement motivée. Cette décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire.

Dans ce cadre, le juge pénal peut statuer sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice sur les frères et sœurs mineurs de la victime.

Si les poursuites ont lieu devant la cour d’assises, celle-ci statue sur cette question sans l’assistance des jurés.

Enfin, le présent article abroge l’article 222-31-2 du code pénal qui prévoit que la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou de son exercice lorsqu’un viol incestueux ou une agression sexuelle incestueuse est commis contre un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l’autorité parentale, cette disposition étant désormais prévue à l’article 222-48-2 du code pénal.

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   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 1er février 2023, la Commission examine la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co‑victimes de violences intrafamiliales (n° 658 2e rect.) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/lkng0v

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cette PPL visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales me tient particulièrement à cœur. Au cours des douze années pendant lesquelles j’ai occupé les fonctions de vice-présidente d’un exécutif en charge de la prévention et de la protection de l’enfance, j’ai été confrontée à l’indicible. En tant que députés, nous avons le devoir impérieux de mieux protéger les enfants.

Les chiffres sont vertigineux. On estime aujourd’hui à 400 000 le nombre d’enfants qui vivent dans un foyer où s’exercent des violences conjugales et à 160 000 celui des enfants qui, chaque année, en France, subissent des violences sexuelles. Les filles et les enfants en situation de handicap sont plus exposés aux violences sexuelles. Dans 90 % des cas l’agresseur est un homme et, dans 50 % d’entre eux, il est un membre de la famille.

Ces enfants, dont la voix est souvent inaudible et les moyens d’action limités, nous avons la responsabilité collective de les protéger, pour préserver les adultes en devenir qu’ils sont. Les travaux de la psychiatre Muriel Salmona ont montré les conséquences psychotraumatiques durables de l’exposition à ces violences au cours de la construction psychique et physique de l’enfant. Il faut donc intervenir le plus tôt possible par la mise en sécurité de l’enfant et un accompagnement médico-social adapté. L’objet de la PPL est donc d’agir lorsque l’enfant est en danger, pour limiter, voire, dans les cas les plus graves, rompre les relations entre l’enfant et le parent violent ou agresseur.

Je l’ai souvent dit ici, un parent violent ne peut pas être un bon parent. En raison du temps limité imparti à l’examen des PPL dans le cadre des niches parlementaires, celle-ci se concentre sur les modifications à apporter au traitement judiciaire de la question centrale qu’est l’exercice de l’autorité parentale, du droit de visite et d’hébergement. Elle s’attache plus particulièrement à mettre en place des mécanismes automatiques de retrait ou de suspension de l’autorité parentale, ou de son exercice, lorsque le parent est poursuivi, mis en examen ou condamné pour les infractions les plus graves commises sur son enfant ou sur l’autre parent.

Dans le cadre d’une réflexion plus globale, il y aura également urgence à inclure la prise en charge médicale des enfants victimes, le remboursement des soins pédopsychiatriques et l’accompagnement spécialisé en psychotraumatologie. J’espère que nous pourrons l’intégrer au prochain PLFSS, pour améliorer la prise en charge de ces enfants.

Il n’est pas nouveau que le législateur se préoccupe de l’autorité parentale et de ses mécanismes. Les pouvoirs du juge pour retirer l’autorité parentale ou son exercice ont d’ailleurs été renforcés ces dernières années, à la suite du Grenelle des violences conjugales. La présente PPL s’inscrit dans la lignée de la loi du 28 décembre 2019, dite loi Pradié, et de celle du 30 juillet 2020.

La prise de conscience de l’ampleur des violences sexuelles sur les enfants a progressé grâce aux travaux de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ainsi qu’à des mouvements comme #MeeTooIncest, à l’action d’associations et d’activistes, et à des textes comme celui que j’ai défendu à l’Assemblée nationale, adopté en première lecture en février 2021. Je tiens à leur rendre un hommage particulier et à préciser que le travail et les recommandations de la Ciivise ont largement inspiré le texte que je vous présente aujourd’hui. Ils ont également conduit le garde des sceaux et la secrétaire d’État chargée de l’enfance à annoncer leur volonté d’avancer sur les mesures relatives au retrait de l’autorité parentale et de son exercice. Celle-ci s’est manifestée dans leur choix de travailler avec moi afin d’aboutir à un texte transpartisan, et je m’en réjouis.

Dans le cadre des travaux préparatoires de la présente proposition de loi, de nombreux échanges avec des magistrats, des experts et des associations ont révélé la nécessité de réécrire certains articles. Les modifications substantielles que je proposerai d’apporter au texte ont pour but de garantir l’effectivité des mesures envisagées, cela dans le seul intérêt supérieur de l’enfant. Elles auront pour conséquence de faire tomber vos propres amendements aux articles 1er et 2 ; je vous prie, dès à présent, de bien vouloir m’en excuser.

La nouvelle rédaction que je propose pour l’article 1er prévoit la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, dès lors qu’un parent est poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d’instruction pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, ou pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur la personne de son enfant. Cette suspension s’appliquerait jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales lorsqu’il est saisi par le parent poursuivi, ou jusqu’à la décision du juge pénal saisi au fond. Le but est ici de protéger l’enfant pendant la procédure pénale.

Pour les cas de violences conjugales, la suspension ne s’appliquerait qu’en cas de condamnation pour violences sur l’autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits. Pour citer Karen Sadlier, membre de la CIIVISE : « Il faut bien comprendre qu’un enfant témoin de violences conjugales est obligé de vivre avec un psychopathe ou un sociopathe. » 

La réécriture que je proposerai conserve le caractère automatique du retrait de l’autorité parentale ou de son exercice en ajoutant la précision que le juge peut se prononcer autrement par une décision spécialement motivée. La logique actuelle selon laquelle le juge pénal peut retirer l’autorité parentale ou son exercice, mais de façon exceptionnelle, est ainsi inversée. Un autre amendement assurera la coordination entre le code civil et le code pénal.

D’autres pays avancent également en matière d’intérêt de l’enfant, à l’image de l’Australie, qui vient de décider la refonte de son système de droit de la famille. Dans ce pays, les agresseurs se verront ainsi interdire la possibilité de multiplier les procédures judiciaires contre les victimes. Peut-être y viendrons-nous aussi en France.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Éric Poulliat (RE). Aux termes de l’article 371-1 du code civil, la vocation naturelle et première des parents à assurer la protection et l’éducation de leurs enfants est une responsabilité, un devoir. Quand ils manquent à cette responsabilité en commettant des violences, l’intérêt supérieur de l’enfant peut justifier des restrictions de leurs droits.

La violence est un phénomène hélas bien trop répandu. Elle constitue le mode de vie habituel de 20 % des familles, qu’elle soit commise contre les enfants, les femmes ou les personnes âgées. Dans notre pays, 12,4 % des hommes et des femmes ont été victimes des violences de leurs parents dans leur enfance. Les conséquences peuvent en être destructrices : problèmes de santé, addictions, comportements à risques, troubles psychiques et sociaux graves. Ainsi, 60 % des enfants qui vivent des situations de violences intrafamiliales souffrent d’un trouble de stress post-traumatique complexe. Ils connaissent dix à dix-sept fois plus de troubles comportementaux et anxiodépressifs que les autres enfants, qui se traduisent par une perte d’espérance de vie de dix à vingt ans.

Lorsque la protection de l’enfant n’est plus correctement assurée dans le cadre familial, c’est à la société de le faire. Aujourd’hui, le retrait de l’autorité parentale, même en cas de violences intrafamiliales, est très rare. Il nous faut faire mieux, aller plus loin que les textes déjà adoptés lors de la précédente législature, notamment les lois du 28 décembre 2019 et celle du 30 juillet 2020. À cet égard, le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti et la secrétaire d’État chargée de l’enfance Charlotte Caubel ont annoncé différentes mesures. La présente PPL s’inscrit dans leur continuité et dans celle des travaux effectués par notre ancienne collègue Marie Tamarelle-Verhaeghe, sans oublier les conclusions de la Ciivise. Elle prévoit ainsi une extension de la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale au stade des poursuites, ainsi que le retrait automatique de cette autorité en cas de condamnation pour violences d’une certaine gravité, lorsque celles-ci s’exercent au sein du foyer.

Le groupe Renaissance salue cette proposition de loi. Avec la rapporteure de la délégation aux droits des enfants, notre majorité contribuera à l’enrichir en proposant plusieurs amendements visant à affermir son assise juridique, notamment au regard de la fragilité constitutionnelle des peines automatiques, et à s’assurer de la pertinence de sa portée sur le terrain.

Mme Marie-France Lorho (RN). Depuis les années 1970, l’autorité parentale est progressivement devenue conjointe, ce qui peut s’avérer complexe lorsqu’il existe des violences au sein du couple ou à l’égard des enfants. En cas de crime au sein du couple, la coparentalité est remise en cause par l’article 378-2 du code civil par la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale pour le parent poursuivi. L’article 378 du code civil permet au juge pénal de prononcer le retrait partiel ou total de l’autorité parentale, pour sanctionner les crimes ou les délits commis par l’un des parents sur l’enfant ou sur l’autre parent. La PPL vise à étendre le champ d’application de ces deux articles à d’autres situations.

À l’article 1er, les cas d’inceste sur l’enfant par agression sexuelle ou viol sont d’une gravité telle que la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale nous paraît souhaitable. En revanche, les faits de violence entraînant une incapacité totale de travail de plus de huit jours sur la personne de l’autre parent ne peuvent pas être placés sur un même plan. Le principe d’automaticité en matière familiale nous semble d’application délicate. Nous préférons, face à un acte de violence isolé sur la personne de l’autre conjoint, laisser à l’appréciation souveraine du juge la mesure de suspension. Elle ne peut, dès lors, pas être de plein droit.

Il n’en demeure pas moins que les violences habituellement commises sur l’autre conjoint créent de facto un climat dangereux. Le maintien de l’exercice de l’autorité parentale du parent régulièrement violent s’oppose à l’intérêt supérieur de l’enfant. Sa suspension de plein droit au stade des poursuites et jusqu’au prononcé de la décision du juge aux affaires familiales nous paraît justifiée.

Concernant l’article 2, les faits d’inceste par viol ou agression sexuelle sur l’enfant sont d’une gravité telle qu’ils justifient à nouveau le retrait automatique de l’autorité parentale du parent condamné, et de son exercice. Les crimes et les actes de violence habituels contre l’autre parent appellent la même mesure – celui qui les commet n’a pas la capacité d’être un parent sain et sécurisant pour son enfant.

Toutefois, les faits de violence isolés sur l’autre conjoint doivent être laissés à l’appréciation du juge pénal. Comme pour la suspension de l’exercice de l’autorité parentale de plein droit, la notion d’automaticité en matière familiale doit être maniée avec prudence. Si nous admettons son principe, nous souhaitons, pour des raisons de constitutionnalité, qu’elle soit accompagnée d’une faculté de dérogation pour le juge. Cette dérogation devra être motivée à l’aune de la personnalité du parent auteur de violences et de la gravité des faits qui lui sont reprochés.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Les violences exercées contre les enfants sont un problème dont notre société a du mal à reconnaître le caractère massif et systémique. Même si la violence est reconnue, même si l’auteur est condamné, ces faits feront l’objet d’une forme d’euphémisation, qu’illustre parfaitement la non-remise en cause de l’autorité parentale d’un parent condamné pour une violence sexuelle exercée contre son enfant pointée dans la PPL. Pour cette raison, le groupe LFI-NUPES considère que cette proposition de loi est utile. L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur le droit des parents de disposer de leur enfant. Les réécritures que vous proposez à travers vos amendements sont de nature à assurer la compatibilité des mesures introduites avec la souveraineté du juge, avec les principes du droit. Nous souhaitons donc soutenir cette proposition de loi.

Néanmoins, ces mesures, pour utiles qu’elles soient, vont se heurter à la limite des moyens budgétaires. Mon propos n’est pas de dire qu’avec l’argent on peut régler tous les problèmes. Par moyens budgétaires, j’entends le temps humain qui doit être consacré à éduquer, à former, à prévenir, à enquêter, à sanctionner, mais aussi à réhabiliter quand c’est nécessaire. La société doit consacrer plus de temps à tout cela.

S’attaquer aux violences faites aux enfants, vouloir y mettre un terme, c’est entreprendre une révolution anthropologique. Ces violences plongent leurs racines dans un millénaire d’histoire patriarcale, et pour remettre en cause cet état de fait, il faut s’en donner les moyens. On ne peut pas le faire avec des services de police qui manquent de temps et de moyens pour enquêter ou avec une aide sociale à l’enfance à terre. C’est impossible lorsque les moyens des services publics ne sont pas à la hauteur.

M. Aurélien Pradié (LR). Saluant le travail constant de notre collègue Isabelle Santiago dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, le groupe Les Républicains soutient totalement cette proposition de loi, qui accomplit une avancée nécessaire.

La réalité est celle-ci que 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences conjugales et que 160 000 subissent chaque année des violences sexuelles avérées. Les filles et les enfants en situation de handicap sont plus exposés aux violences sexuelles, infligées, dans 90 % des cas, par des hommes qui sont membres de la famille dans la moitié des cas.

Face à ce véritable fléau, le premier des dangers serait de s’habituer, de se chercher collectivement des excuses en considérant que l’on ne peut pas faire plus, parce qu’il y aurait des éléments profonds que nous ne pourrions pas combattre ni dépasser. Notre responsabilité est de faire en sorte que ces chiffres soient le plus bas possible et cette proposition de loi va en ce sens, en dotant la justice d’outils nouveaux.

Déjà, la loi défendue par Les Républicains, permettant notamment de confier au juge aux affaires familiales la possibilité de suspendre, dès l’ordonnance de protection, l’exercice de l’autorité parentale lors d’une phase préventive constituait une avancée. Il est en effet plus facile, juridiquement et politiquement, de suspendre ou de retirer l’exercice ou l’autorité parentale à l’auteur de violences conjugales lorsqu’il est définitivement jugé que lorsqu’il ne l’a pas été. Or c’est là que les choses se jouent probablement de manière déterminante. C’est la raison pour laquelle il ne faut avoir aucune pudeur, aucune réserve à faire en sorte que, dès la phase qui n’est pas encore celle de la décision définitive de la justice, les enfants soient protégés. L’erreur serait de ne pas le faire et de prendre un risque, ce qui s’apparenterait à une faveur accordée à l’auteur présumé de violences.

J’aimerais que notre travail collectif permette de préciser ce qui relève véritablement de la suspension et du retrait de l’exercice de l’autorité parentale, et ce qui relève de l’autorité parentale elle-même. Nous sommes favorables à la mobilisation du maximum d’outils, car il existe des situations dans lesquelles le seul fait de conserver l’autorité parentale sans en avoir l’exercice peut poser des problèmes et peser sur la vie des enfants.

Il est également un point simple sur lequel nous devons nous entendre : l’auteur de violences conjugales n’est jamais un bon père. Il n’existe aucune circonstance dans laquelle un homme qui aurait violenté son épouse, qui l’aurait tuée, pourrait être un bon père. C’est le principe auquel nous ne devons jamais déroger.

La noblesse de cette proposition de loi est de donner à la représentation nationale l’occasion de protéger ce que nous avons de plus précieux, c’est-à-dire nos enfants, et, à travers eux, l’avenir de notre pays.

M. Erwan Balanant (Dem). Parce que les enfants sont l’avenir de notre pays, parce qu’ils sont parmi les plus vulnérables de notre société et qu’ils dépendent de nous, adultes, il est de notre devoir d’élus de doter notre arsenal législatif de toutes les mesures propres à leur assurer une protection maximale contre toutes les formes de violence, et plus encore celles qui s’exercent dans le cadre familial.

De trop nombreux enfants sont les victimes directes ou indirectes des agissements d’un parent violent. En 2019, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes recensait 400 000 enfants vivant dans un climat de violences intrafamiliales. En 2021, plus de 50 000 enfants et adolescents ont été victimes de maltraitance et 14 mineurs sont décédés, tués par un de leurs parents dans un contexte de violence au sein du couple. D’après le rapport de l’Unicef de novembre 2022, un enfant est tué tous les cinq jours en moyenne, en France.

Face à l’augmentation croissante des violences intrafamiliales, il est indispensable de renforcer la protection des enfants au regard de l’autorité parentale et, surtout, de l’exercice de cette autorité. Il peut s’avérer nécessaire de couper, en partie ou totalement, les liens avec le – ou les – parent auteur de violences. Le groupe Démocrates salue donc à ce titre votre volonté, madame la rapporteure, de donner un nouveau cadre à l’autorité parentale et à son exercice.

Pour reprendre les mots de la Déclaration des droits de l’enfant de 1959, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être notre guide. Il doit déterminer en permanence nos réflexions et nos choix. Néanmoins, les législateurs que nous sommes ne peuvent faire l’économie des principes fondamentaux de notre droit. C’est pourquoi le groupe Démocrate était réservé quant au caractère automatique du retrait de l’autorité parentale, sans autre forme de procès.

Aujourd’hui, seul le juge aux affaires familiales peut statuer sur l’autorité parentale ; la version initiale du texte posait donc un problème au regard de l’individualisation des peines, protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH). C’est pourquoi nous avions proposé qu’en lieu et place de ce retrait automatique de l’autorité parentale, la condamnation d’un parent pour crime ou délit à l’encontre de l’autre parent ou de son enfant entraîne l’obligation pour le juge de statuer sur le retrait de l’exercice de l’autorité parentale. Celui-ci aurait ainsi pu statuer in concreto et aurait dû motiver sa décision de maintenir un lien entre le parent condamné et l’enfant, dans l’intérêt supérieur de ce dernier. Vos amendements vont en ce sens et je me félicite du travail collectif qui a ainsi été accompli pour trouver le juste équilibre entre protection de l’enfant et préservation des relations familiales et respect des liens d’attachement.

Vous connaissez mon implication sur ces sujets et le groupe Démocrate mesure les attentes auxquelles ce texte souhaite répondre. Nous avons à cœur de travailler avec vous afin d’aboutir à la rédaction la plus efficace qui soit, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous voterons donc le texte qui nous est proposé.

M. Hervé Saulignac (SOC). Notre groupe soutient avec une certaine fierté cette proposition de loi présentée par notre collègue Isabelle Santiago. Le premier de ses deux articles étend la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale, des droits de visite et d’hébergement aux cas de poursuites pour viol ou agression sexuelle contre son enfant, et de condamnation pour violences ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours contre l’autre parent. Le deuxième article prévoit le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice en cas de viol ou d’agression sexuelle contre son enfant.

Chaque année, près de 25 000 plaintes sont déposées pour des violences sexuelles sur mineur, dont près d’un tiers ont pour cadre le cercle familial. Si l’on ne connaît pas le nombre exact d’infanticides dans notre pays, il est, de toute façon, abominablement élevé.

Il est évident pour toutes et tous qu’un parent qui frappe ou agresse sexuellement son enfant ne peut plus décemment avoir de contact avec sa victime, cela dans l’intérêt supérieur de l’enfant. La première des précautions réside dans la suspension de son autorité parentale, dès lors que des poursuites judiciaires sont engagées.

Concernant les violences perpétrées contre le conjoint, lors de la discussion de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, présentée par Bérangère Couillard, je m’étais étonné de ce que le retrait de l’exercice de l’autorité parentale n’était prévu qu’en cas de meurtre du conjoint, et non en cas de violences. La violence conjugale est aussi un manquement grave aux obligations à l’égard des enfants, qui en sont non seulement les témoins, mais aussi les victimes collatérales. Les conséquences traumatiques qu’ils subissent sont d’ailleurs souvent sous-estimées.

On l’a dit, un parent violent n’est pas un bon parent. Nous ne pouvons accepter que le protecteur devenu bourreau puisse bénéficier d’un droit à contact, que sa victime soit son enfant ou son conjoint. Nous considérons donc qu’en cas de condamnation d’un parent pour certains crimes et délits à l’encontre de l’enfant ou de l’autre parent, l’autorité parentale n’a plus lieu d’être, les violences conjugales et intrafamiliales étant contraires aux intérêts de l’enfant.

Je suis convaincu que nos collègues de la majorité accueilleront favorablement cette proposition de loi et finiront par la soutenir avec autant de force que nous. L’ancien Premier ministre Édouard Philippe avait indiqué, dans son discours de lancement du Grenelle des violences conjugales, qu’il fallait en finir avec cette acception selon laquelle « un conjoint violent n’est pas forcément un mauvais père ». Il avait ajouté : « Tant que les hommes se convaincront qu’ils peuvent frapper la mère de leurs enfants sans être de mauvais pères, on peut hélas redouter qu’ils continueront à le faire. Tant que les femmes se convaincront que leur conjoint peut les frapper sans être de mauvais pères, on peut hélas redouter qu’elles resteront avec eux ».

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Les chiffres qui ont été cités sont effrayants, glaçants. Nous n’avons pas de mot pour les qualifier. Ce fléau que sont les violences intrafamiliales est resté longtemps tabou dans notre société. Il est présent dans tous les territoires, dans les villes comme dans les campagnes, et dans tous les milieux.

Notre rôle de législateur est aussi de protéger les enfants, de favoriser la libération de leur parole et de participer à une prise de conscience collective. Des aménagements de la loi ont déjà permis d’avancer sur ce sujet, mais la vigilance reste de mise et d’autres évolutions sont nécessaires.

Depuis la première étape de cette prise de conscience, en 2005, de nombreuses lois ont été votées, mettant de nouveaux outils juridiques et pratiques à la disposition des associations et du personnel judiciaire pour protéger les enfants et les femmes victimes. En l’état du droit, l’exercice de l’autorité parentale est suspendu de plein droit lorsque l’un des parents est poursuivi pour un crime commis sur l’autre parent. En outre, le juge pénal peut prononcer le retrait partiel ou total de l’autorité parentale ou de son exercice, en cas de condamnation pénale pour un crime ou un délit commis sur l’enfant ou sur l’autre parent. En cas d’inceste ou d’atteinte volontaire à la vie de l’autre parent, le juge est obligé de se prononcer sur cette question.

Nous partageons l’avis que ces dispositifs demeurent insuffisants pour protéger efficacement les enfants. En cas de viol ou d’agression sexuelle à l’encontre de l’enfant, la suspension de l’exercice de l’autorité parentale doit être de plein droit, et la loi doit en prévoir le retrait dès lors qu’un parent est condamné pour viol ou agression sexuelle contre son enfant.

Nous approuvons pour partie les mesures contenues dans cette proposition de loi. Mais l’article 2 nous semble présenter un risque fort d’inconstitutionnalité. Grâce au travail engagé avec vous, madame la rapporteure, et avec les autres groupes, nous présenterons tout à l’heure un amendement qui permettra, nous l’espérons, de l’éviter.

La rédaction de l’article 1er nous semble également comporter un risque de dévoiement en cas de conflit entre les deux parents. La suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de poursuites pour violences avec ITT de plus de huit jours commises sur l’autre parent pourrait conduire à une double suspension de l’autorité parentale, préjudiciable pour l’enfant. En outre, l’évocation générale de poursuites pourrait inciter l’un des parents à instrumentaliser cette procédure en usant de celle de la citation directe, qui entraînerait la suspension de plein droit de l’autorité parentale de l’autre parent. Là aussi, l’amendement déposé conjointement permet d’éviter cet écueil.

Cependant, ce dispositif, après sa réécriture, pourrait constituer une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, qui découle de nos engagements conventionnels, selon l’article 8 de la CEDH. Nous sommes donc favorables à une réécriture plus équilibrée de ce texte afin qu’il puisse trouver une application pertinente et vraiment protectrice pour les enfants.

Sous réserve de l’adoption de ses amendements, le groupe Horizons et apparentés votera cette proposition de loi.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Il y a urgence à protéger les enfants. Magistrats et avocats demandent depuis longtemps des outils supplémentaires pour accélérer les procédures de protection et en assurer l’effectivité. Cette proposition de loi va dans ce sens. Le groupe Écologiste-NUPES la soutient ; elle est la petite pierre nécessaire qui va fournir ces outils supplémentaires à la justice pour protéger des centaines de milliers de victimes, pour sauver leur vie.

Il y a quelques jours encore, le Conseil national des barreaux parlait de la violence de la justice par absence de moyens. Si l’on veut vraiment avancer, il faudra en effet des moyens supplémentaires importants, pour les tribunaux mais aussi pour innover. En Belgique, par exemple, le tribunal de la famille accueille les familles, assure un suivi médical et juridique et obtient un taux de résolution des affaires supérieur à ceux que l’on trouve en France. Et c’est bien le principal que d’arriver à punir pour que justice soit faite.

Mme Karine Lebon (GDR-NUPES). Selon les mots de Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies, rien n’est plus important que de bâtir un monde dans lequel tous nos enfants auront la possibilité de réaliser pleinement leur potentiel et de grandir en bonne santé, dans la paix et dans la dignité.

À La Réunion, chaque jour, sept enfants sont identifiés comme étant en danger par la cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip). Depuis 2019, les signalements directs ont augmenté de 60 % et il y a eu quatre fois plus de saisines du parquet par la Crip. Encore n’est-ce là que la partie émergée de l’iceberg.

À La Réunion comme en métropole, les angles morts et la lenteur de la justice peuvent tuer et ont déjà tué. En 2019, après des violences et de nombreuses menaces proférées par son mari devant leurs enfants, une jeune femme quitte le foyer familial pour s’installer avec ces derniers dans un centre d’hébergement. Deux mois plus tard, à leur demande, elle leur accorde quelques jours en compagnie de leur père. Alors qu’elle s’apprête à les récupérer, l’homme tue leurs trois fils, âgés de 2, 3 et 5 ans. Dans les trois mois qui ont précédé ce crime, deux mains courantes et une plainte avaient été déposées. Cette affaire, qui n’est ni anodine ni isolée, est la preuve qu’en cas de violences intrafamiliales, le temps est assassin et peut emporter avec lui la vie de nos enfants.

La proposition de loi d’Isabelle Santiago est nécessaire : elle corrige un impensé. Nous la soutiendrons.

En son article 1er, elle étend les conditions de suspension de l’autorité parentale, du droit de visite et d’hébergement au parent poursuivi ou condamné pour violences responsables d’une ITT de plus de huit jours. Elle ouvre également la possibilité de suspendre l’autorité parentale en cas de violences ou de crime sur l’enfant. En l’état, la loi laisse de trop nombreux parents face à un cas de conscience permanent : soit respecter le droit de visite et d’hébergement, et remettre l’enfant au parent accusé de violences ; soit être condamné pour non-présentation d’enfant. C’est alors le parent non violent qui risque de perdre la garde de l’enfant.

Comme suite logique, l’article 2 rend automatique le retrait en cas de condamnation pour inceste – une disposition appelée à évoluer par voie d’amendement. Il existe encore un monde, et le pays des droits de l’homme en fait partie, où l’inceste n’entraîne pas la suspension de l’autorité parentale et de la garde. Ce monde, nous avons pour mission de le rendre meilleur pour que les enfants puissent grandir en bonne santé et dans la dignité. Nous ne sommes déjà pas sûrs de leur léguer un climat vivable, alors assurons-nous, au moins, de les faire vivre dans un monde où leurs droits seront assurés, protégés.

Nos enfants ne sont pas que des dommages collatéraux des violences intrafamiliales. Ils sont les victimes à part entière de ce fléau. On les dit éponges – à émotions, à connaissances, à normes, à valeurs. Ne les laissons pas éponger les coups et les violences, physiques comme morales, de leurs parents.

Notre République porte la responsabilité du sort de tous ses enfants. Elle est leur héritage, comme elle a été le nôtre avant eux. Les grandes réparations peuvent sortir du droit, disait Léon Gambetta. Nous ou nos enfants pouvons les espérer, car l’avenir n’est interdit à personne.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). La suspension ou le retrait de l’autorité parentale est une mesure grave, tant pour l’un et l’autre parent que pour l’enfant. C’est un outil juridique qui est loin d’être anodin ; il est aussi difficile à utiliser qu’à demander. De nombreuses victimes qui le voudraient éprouvent des difficultés à engager les démarches et doivent être accompagnées.

Parce que le point est sensible, il nous faut agir avec beaucoup de prudence, en ayant toujours en tête notre objectif : la protection des victimes et la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant. En raison des enjeux, il me semble essentiel que les modifications législatives que nous allons apporter recueillent l’unanimité. J’espère que le front commun dont notre assemblée a fait montre en adoptant à l’unanimité la proposition de loi sénatoriale instaurant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, que j’ai corapportée, se reproduira aujourd’hui. C’est un signe fort pour les victimes.

Je remercie Mme la rapporteure pour son travail de réécriture. Ses amendements répondent aux réserves juridiques que pouvait susciter la version initiale du texte.

400 000 enfants, chaque année, sont exposés à des violences intrafamiliales, ce nombre effrayant en dit long sur le chemin qu’il nous reste à parcourir. En 2019 et en 2020, deux lois avaient déjà permis d’accroître l’arsenal législatif en matière de suspension de l’autorité parentale. La lenteur de notre système judiciaire ne doit pas pénaliser les victimes, ce qui rend nécessaire de pouvoir soustraire les enfants à l’emprise d’un parent violent.

En l’état, cette suspension n’est possible que pour le seul cas de crime au sein du couple. Notre groupe comprend la nécessité de limiter ce type de mesure aux cas les plus graves, mais estime indispensable d’en élargir le champ. Un amendement doit justement permettre de l’étendre aux cas d’agressions sexuelles incestueuses contre l’enfant, dès le stade des poursuites.

Nous avons une interrogation sur votre proposition de suspendre l’autorité parentale en cas de condamnation, même non définitive, pour les violences ayant entraîné plus de huit jours d’ITT. C’est une rédaction équilibrée, mais pourquoi avoir ajouté comme condition supplémentaire que l’enfant ait assisté aux faits ? Il me semble que s’il voyait sa mère porter des marques de violence, il serait tout aussi choqué que s’il avait assisté à la scène.

Concernant le retrait de l’autorité parentale, notre groupe avait de fortes réserves quant à la rédaction initiale. Ce retrait automatique, sans décision expresse du juge pénal, nous paraissait peu réalisable. Nous saluons donc la nouvelle mouture du texte, qui laisse le juge pénal dans la boucle, en inversant la logique actuelle.

Dans une instruction à destination des procureurs, en date du 28 janvier 2020 et faisant suite à la loi de 2019 sur les violences intrafamiliales, le garde des sceaux précisait qu’il existait encore des hypothèses de crimes commis contre l’autre parent – la séquestration criminelle, par exemple –, où le juge pénal n’avait pas l’obligation de se prononcer sur le retrait. La nouvelle rédaction que vous proposez permettra-t-elle de réparer cet oubli surprenant ?

En dehors de ces quelques interrogations, nous sommes favorables à votre texte.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions individuelles des autres députés.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Merci de m’accueillir au sein de votre commission, pour vous faire part des réflexions du rapport pour information de la délégation aux droits des enfants sur cette proposition de loi.

Le droit a évolué ces dernières années dans le sens d’une protection plus effective des enfants. Toutefois, il demeure lacunaire, tandis que « notre société est malade des violences intrafamiliales », selon le pédopsychiatre Luis Alvarez. Il est urgent de réagir. Ce texte d’Isabelle Santiago est donc important et justifié.

L’extension des cas de suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale proposée par l’article 1er me paraît cohérente. Il n’est pas justifié que cette suspension ne concerne actuellement que les crimes commis par un parent contre l’autre. Je suis pleinement convaincue par une telle mesure conservatoire durant l’instruction, dans les cas prévus par cet article.

Dans sa version initiale, la proposition de loi comporte toutefois quelques imperfections. Elle mérite d’être enrichie et précisée, car elle ne définit pas clairement son objet, à savoir les violences intrafamiliales. Elle alterne les notions de violences conjugales et d’inceste sans poser de lien entre elles et se focalise sur le viol, excluant de son dispositif les agressions sexuelles et les actes d’une exceptionnelle gravité, tels que les actes de torture et de barbarie.

L’automaticité du retrait de l’autorité parentale présente, par ailleurs, des risques tant juridiques que pratiques. Concernant les premiers, il n’est pas certain qu’un tel mécanisme soit conforme aux principes constitutionnels d’indépendance des fonctions juridictionnelles et d’individualisation des peines ainsi qu’au contrôle de proportionnalité exercé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). S’agissant des seconds, elle est susceptible de produire des conséquences non voulues par son auteur : instrumentalisation des procédures ; privation de tout lien familial ; risque de relaxe pour excessive sévérité de la sanction.

Je propose donc de nuancer le dispositif prévu. Le retrait automatique est, à mon sens, justifié uniquement dans le cas de crimes et d’agressions sexuelles commis sur l’enfant, sous réserve de préciser dans le texte que ce principe vaut à défaut de motivation contraire expresse du juge. Dans les autres cas de figure, il faudrait plutôt privilégier un dispositif de saisine obligatoire du juge et favoriser les ordonnances de protection.

Ce texte gagnerait également à être complété, notamment par l’insertion d’un article additionnel ajoutant un nouveau cas de délégation forcée de l’autorité parentale.

Par ailleurs, dans la continuité des travaux que nous avons conduits avec mes collègues sur la proposition de loi Tamarelle-Verhaeghe, il me semble nécessaire de réfléchir au statut de l’enfant exposé aux violences conjugales ainsi qu’au suivi psychologique dont il pourrait bénéficier.

Sous ces quelques réserves, je salue le travail de la rapporteure sur ce texte, qui va dans le bon sens. J’espère que, tous ensemble, nous parviendrons à insuffler une dynamique de cohérence et de renforcement du droit relatif à la protection des enfants.

Mme Caroline Yadan (RE). Mes chers collègues, nous devons faire montre de prudence, d’extrême prudence même.

On construit une loi, non pas avec de bons sentiments, mais en accord avec des principes de droits fondamentaux. Parmi ceux-là, la présomption d’innocence.

La suspension de plein droit de l’autorité parentale dès l’engagement des poursuites – et quelles sont ces poursuites, d’ailleurs ? –, permet à l’un des parents de se servir, le cas échéant, de son enfant comme d’une arme de destruction massive ; de l’utiliser comme élément de chantage vis-à-vis de l’autre parent et ce, d’abord et avant tout, au préjudice de l’enfant.

Protéger l’enfant, c’est aussi tenir compte de situations particulières, dans lesquelles de fausses accusations sont proférées uniquement pour écarter l’autre parent. Et ce n’est souvent qu’après plusieurs années de procédure que la vérité peut être rétablie.

Les garde-fous sont absolument nécessaires. Nous devons laisser à la libre appréciation du juge, qui en détient la faculté dans le cadre des ordonnances de protection, la suspension de l’exercice de l’autorité parentale. Il peut la prononcer lorsqu’il l’estime juste, et envisager un droit de visite et d’hébergement dans un lieu neutre.

Enfin, cette proposition de loi ne permettra pas de recourir à la médiation restaurative.

M. Didier Paris (RE). Je salue le travail de coconstruction auquel a donné lieu cette PPL : cette pratique originale, pas si fréquente, a permis de limiter les dangers potentiels que pouvait receler le texte initial. Je pense en particulier à la limitation, autant que faire se peut, de l’automaticité des décisions judiciaires. En droit français, dans notre conception même du droit, on laisse en effet le plus possible l’appréciation au juge. C’est un système complexe qui nous vaut d’en être à la troisième loi en quatre ans sur le même sujet. Il est complexe également parce qu’il combine les prérogatives du juge civil et celles du juge pénal, et que l’on confond souvent l’autorité parentale et l’exercice de cette autorité.

Je souhaiterais obtenir deux précisions. Premièrement, qu’entend-on par poursuites ? Une simple plainte auprès du procureur de la République constitue-t-elle une poursuite de nature à déclencher certaines des mesures prévues dans le cadre de cette PPL ? Deuxièmement, sauf erreur de ma part, c’est au juge civil de caractériser le fait que l’enfant a assisté aux violences. Pour ce faire, il va devoir aller rechercher la procédure pénale, ce qui ne manquera pas de ralentir significativement la procédure, sans parler des difficultés qu’il aura à établir les faits.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Merci pour vos propos. Il est essentiel que nous essayions, ensemble, de contribuer à une meilleure protection de nos enfants. Je reste à la disposition de tous les groupes pour préparer la séance et discuter des points qui seront évoqués aujourd’hui.

La dernière mouture du texte que nous avons envoyée au cabinet du garde des sceaux prenait en compte les diverses remarques émises à l’occasion des auditions, notamment s’agissant du risque d’inconstitutionnalité.

Madame Descamps, la séquestration me semble couverte par le texte, mais je le vérifierai.

J’aurais, moi aussi, préféré que la suspension de plein droit puisse s’appliquer plus largement qu’aux seuls enfants ayant assisté aux faits. J’avoue que c’est un point d’équilibre que nous avons trouvé lors du processus de coconstruction du texte. La mesure concernera malgré tout de nombreux enfants.

J’ai bien entendu ce matin que, pour toutes et tous ici, l’urgente nécessité est de mieux protéger nos enfants. Pourtant, madame Yadan, votre remarque sur la médiation restaurative m’a fait bondir. C’est précisément parce qu’elle ne réussit pas à protéger les enfants dans les cas les plus graves que nous présentons ce texte. Toutes les remontées de terrain le montrent, partout, que ce soit dans les villes ou dans les villages, les situations sont très complexes pour les enfants et pour les femmes victimes de violence. Et lorsqu’il s’agit d’agressions sexuelles et de crimes, non, il n’y a pas de médiation possible. Stop ! Pas de visite médiatisée, pas de médiation ; on coupe le lien, on protège les enfants. Je vous le dis, ce discours n’est plus audible. Les statistiques sont ce qu’elles sont parce que, au nom de la sacro-sainte famille, les enfants doivent rester avec leur agresseur. Ce mot de médiation est exactement celui que je ne veux plus entendre. Nous devons protéger au maximum nos enfants, bien entendu dans le respect du droit et du libre arbitre du juge.

Article 1er : (art. 378-2 du code civil) Suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement en cas de poursuites pour violences conjugales ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours, pour viol incestueux ou pour agression sexuelle incestueuse

Amendements identiques CL29 de Mme Isabelle Santiago, CL26 de M. Éric Poulliat et CL27 de Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cet amendement a pour objet de réécrire l’article 1er. Il prévoit la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, dès lors qu’un parent est poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d’instruction pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, ou pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur la personne de son enfant. Cette suspension s’appliquerait jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales, lorsqu’il est saisi par le parent poursuivi, ou jusqu’à la décision du juge pénal saisi au fond. Nous souhaitons ainsi protéger l’enfant pendant la procédure pénale.

En cas de violences conjugales, la suspension ne s’appliquerait qu’en cas de condamnation pour violences sur l’autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits.

M. Éric Poulliat (RE). Nous avons travaillé avec Mme la rapporteure pour parvenir à une rédaction satisfaisante, en recherchant l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces dispositions renforcent la protection des enfants en étendant la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, non seulement aux cas d’agressions sexuelles incestueuses mais aussi aux crimes commis sur la personne de l’enfant. De la même façon, la suspension s’applique en cas de violences conjugales.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Guidés par l’intérêt supérieur de l’enfant, nous partageons la volonté d’élargir les motifs de suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de poursuites. La réécriture de l’article permet d’éviter des effets de bord identifiés dans la rédaction initiale.

M. Erwan Balanant (Dem). Nous approuvons cette rédaction. Puisque l’adoption de ces amendements fera tomber les nôtres, je souhaite évoquer quelques éléments supplémentaires qu’ils apportent : le CL17 vise à préciser que les violences conjugales doivent présenter un caractère volontaire ; le CL18, que l’ITT de plus de huit jours est constatée par un médecin légiste. Nous redéposerons nos amendements en séance, tout en saluant le travail qui a été fait.

M. Aurélien Pradié (LR). Nous sommes favorables à ces amendements, qui réussissent à instaurer un dispositif juridiquement solide et permettent d’être opérationnel, n’en déplaise à ceux de nos collègues qui persistent à penser que l’existence de violences au sein de la famille ne justifie pas la suspension mécanique de l’autorité parentale, et qu’une médiation restaurative serait de nature à réparer les violences commises sur la mère. Cette vision corporatiste ou irresponsable nous empêche d’avancer depuis des années.

Il me semble que la réflexion sur la question de la détention de l’autorité parentale doit encore être poussée d’ici à l’examen en séance publique. Si l’on conçoit que l’exercice de l’autorité parentale puisse n’être que suspendu tant que l’auteur présumé n’a pas été condamné, lui en conserver la détention entraîne une contrainte pour la mère, qui doit, au minimum, l’informer si elle veut changer son enfant d’école ou si celui-ci doit subir une intervention chirurgicale. Cela laisse au père, s’il estime que la décision de la mère n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant, la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales pour l’empêcher. Il faut donc bien encadrer la détention de l’autorité parentale.

La commission adopte les amendements et l’article 1er est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Article 2 : (art. 378 du code civil) Retrait automatique de l’autorité parentale en cas de condamnation pour viol incestueux ou agression sexuelle incestueuse ou pour crime ou violence conjugale ayant résulté en une ITT supérieure à 8 jours

Amendements identiques CL31 de Mme Isabelle Santiago, CL25 de M. Aurélien Pradié, CL28 de Mme Nicole Dubré-Chirat et CL30 de Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cet amendement a pour objet de rendre obligatoire, par une réécriture de l’article 2, le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice lorsque le parent est condamné pour crime contre l’autre parent, crime contre l’enfant ou agression sexuelle incestueuse. Pour des raisons de constitutionnalité, je vous propose d’ajouter que le juge peut se prononcer autrement, par une décision spécialement motivée. Cela revient à inverser la logique actuelle, comme nous l’avions fait pour la fixation du consentement sexuel à 15 ans. Il s’agit là d’une très belle avancée qui apporte à la fois l’automaticité et le respect du droit.

M. Aurélien Pradié (LR). Cette rédaction sécurise le dispositif, puisque le magistrat conserve sa liberté d’appréciation.

L’article 378 du code civil, dans sa nouvelle version, commencerait par les mots suivants : « Se voit retirer totalement l’autorité parentale ou l’exercice de l’autorité parentale… ». Je serais favorable à ce que l’on remplace « ou » par « et ». En effet, si un homme condamné et incarcéré était privé de l’exercice de l’autorité parentale, mais en conservait la détention, la mère devrait toujours l’informer des actes fondamentaux de la vie de son enfant, tel que le changement d’école ou la pratique d’actes médicaux. Ces situations mettent parfois en danger la vie de la mère, qui ne peut pas sortir des radars de l’auteur des violences.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). L’amendement de réécriture de l’article prend en considération l’inconstitutionnalité des peines automatiques. Dans sa nouvelle rédaction, l’article 378 du code civil prévoit les cas dans lesquels le retrait de l’autorité ou de son exercice – qui est possible dans le droit actuel en cas de condamnation pénale – devient obligatoire, à moins d’une décision contraire, spécialement motivée, du juge. Cette peine sera prononcée à l’encontre du parent condamné. Conformément au principe d’individualisation des peines, le juge garde son pouvoir d’appréciation et peut ne pas retirer l’autorité ou son exercice, à condition de rendre une décision spécialement motivée. Il s’agit d’inverser la logique actuelle pour les infractions les plus graves.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Nous nous réjouissons du dialogue constant qu’ont entretenu les groupes sur ce texte. L’amendement de réécriture, que nous avons déposé conjointement, vise à s’assurer de la constitutionnalité du dispositif, sans s’éloigner de l’esprit de l’article initial. La disposition est ainsi rendue compatible avec le principe d’individualisation des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui implique qu’une sanction pénale ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

M. Erwan Balanant (Dem). Nous sommes favorables à cette rédaction, qui trouve un point d’équilibre.

Monsieur Pradié, le parent qui est en prison peut s’y trouver pour des faits autres qu’un crime. La faute qu’il a commise ne doit pas l’empêcher d’être informé que son enfant est malade ou va être opéré. Sans qu’il soit question de faire abstraction de l’emprise qu’il a pu exercer sur la mère ou l’enfant, elle n’en fait pas définitivement un monstre. Chacun a droit à la rédemption après avoir purgé sa peine. Tout en recherchant l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut rester prudent : n’essayons pas d’aller au-delà du dispositif que nous avons trouvé. Tel est le sens des amendements que j’ai déposés.

La commission adopte les amendements et l’article 2 est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Après l’article 2

Amendement CL32 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cet amendement vise à coordonner les dispositions du code pénal avec celles que nous avons introduites dans le code civil.

La commission adopte l’amendement. L’article 3 est ainsi rédigé.

Amendement CL2 de M. Christophe Naegelen.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Cet amendement est issu du témoignage de mères de famille. Il vise à suspendre les poursuites pénales pour non-représentation d’un enfant, en cas de garde alternée, lorsque le père ou la mère qui le réclame est poursuivi ou a été condamné du chef de violences sexuelles incestueuses. Tout en respectant le principe de la présomption d’innocence, il faut rechercher l’intérêt supérieur de l’enfant. Lorsqu’une enquête est en cours, qu’il existe un doute sérieux, conforté le cas échéant par le témoignage de psychologues constatant des agressions physiques, il est incompréhensible que la mère ou le père soit dans l’obligation de remettre son enfant à l’autre parent. Imaginez la détresse du parent qui sait ce qu’il pourrait se passer. Nous proposons donc de suspendre les poursuites pénales le temps de l’enquête.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cette situation fait partie de celles qui nous ont amenés à travailler sur ce texte. Nous avons cherché un équilibre entre le droit et l’intérêt supérieur de l’enfant. S’agissant du problème soulevé, les textes réglementaires ont été récemment modifiés. Par décret du 23 novembre 2021, lorsqu’une personne mise en cause pour délit de non-représentation d’enfant soutient que les faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des violences, notamment sexuelles, sur le mineur, le procureur de la République veille à ce qu’il soit procédé à la vérification de ces allégations avant de décider de déclencher ou non des poursuites. Autrement dit, la non-représentation de l’enfant déclenche une enquête.

Dans ce cadre, l’article 1er que nous venons d’adopter s’applique également. En tout état de cause, dès le début de l’enquête, il faut se saisir très rapidement des possibilités qu’offre le droit pour protéger l’enfant. En vertu de celui-ci, les dispositions que nous avons votées s’appliquent à compter des poursuites, et non du dépôt de la plainte, mais d’autres dispositions peuvent être mobilisées. Le parent peut aussi saisir le juge aux affaires familiales pour qu’il statue sur l’exercice de l’autorité parentale et des droits d’hébergement et de visite à tout moment, qu’une enquête soit en cours ou pas.

Dans le cadre de notre réflexion, nous avons aussi envisagé puis écarté la création d’une ordonnance de protection pour les enfants, qui serait prise dans les six jours. L’ordonnance de protection existe pour les femmes et peut aussi couvrir les enfants, mais, selon des statistiques de 2019, les mesures les concernant étaient peu appliquées jusqu’à récemment. Depuis le Grenelle des violences conjugales, et grâce à la mobilisation de la société sur ces sujets et à l’adoption de plusieurs textes, la protection des enfants est montée en flèche puisque la mise en place de l’autorité parentale exclusive dans le cadre d’une ordonnance de protection est passée de 26 % des cas en 2019 à 80 % des cas en 2022.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de retirer votre amendement.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Je salue votre travail mais je ne retirerai pas l’amendement. Soit les dispositions ne sont pas appliquées, soit les délais procéduraux sont insupportablement longs – ils peuvent dépasser un mois. Chaque semaine, l’enfant doit être remis à l’autre parent sans qu’une décision de justice soit prise. Si l’accusation se révèle infondée, la personne sera innocentée, mais mieux vaut protéger l’enfant en ne le présentant pas pendant trois semaines ou un mois, jusqu’à l’aboutissement de l’enquête.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je soutiens l’argumentation de la rapporteure. Le problème sera réglé par le retrait automatique de l’autorité parentale ou de son exercice, sauf décision contraire et motivée du magistrat.

Toutefois, M. Naegelen a raison, les délais d’enquête sont trop longs. Les enquêteurs que Marie Guévenoux et moi-même avons auditionnés, dans le cadre de la mission d’information sur la réforme de la police judiciaire, nous ont confié être en grande difficulté du fait de la multiplication des affaires de violences intrafamiliales. Si l’on estime que le traitement de ces violences est prioritaire, il faut organiser en ce sens les services de police judiciaire et y mettre les moyens. D’autres contentieux devraient alors, nécessairement, passer au second plan. C’est le cœur du sujet. Grâce au Grenelle des violences conjugales la parole s’est libérée, mais il s’en est suivi un engorgement de la machine policière et judiciaire, un allongement scandaleux du délai de traitement des plaintes et des classements sans suite à la chaîne. Ce n’est pas par la loi que l’on réglera ce problème, mais par l’organisation des services.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co‑victimes de violences intrafamiliales dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.


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   Personnes entendues

Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) : M. Edouard Durand, co-président ; M. Benoît Legrand, secrétaire général

Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) : Mme Anne Devreese, vice-présidente

Mme Fatima Le Griguer, psychologue clinicienne

Mme Laura Rapp, victime

Mme Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie

Syndicat de la magistrature : Mme Kim Reuflet, présidente ; Mme Sarah Pibarot, secrétaire nationale

Union syndicale des magistrats : Mme Cécile Mamelin, vice-présidente et Mme Stéphanie Caprin, secrétaire nationale

France Victimes : M. Jérôme Bertin, directeur général, Mme Isabelle Sadowsli, directrice générale adjointe

 

CONTRIBUTIONS ECRITES

M. Claude Roméo, ancien directeur de l’enfance et de la famille de Seine-Saint-Denis

Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny

Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) et Patricia Adam, vice-présidente du CNAPE

Conférence nationale des procureurs de la République

Conférence des présidents de tribunaux judiciaires

Conseil national des barreaux


([1]) Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, tableau de bord d’indicateurs sur les violences conjugales en 2019, 9 juin 2021.

([2]) Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), rapport final, octobre 2021 à partir de l’enquête de l’Inserm réalisée pour le compte de la CIASE qui montre que 14,5 % des femmes et 6,4 % des hommes de 18 ans et plus ont été sexuellement agressés pendant leur minorité, ce qui signifie que environ 5,5 millions d’adultes ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance.

([3]) Enquête Ipsos « Violence sexuelles dans l’enfance » pour l’association Mémoire traumatique et victimologie, 2019 : 83% des victimes de violences sexuelles sont des filles.

É.Baradji et O. Filatriau, « Les personnes handicapées sont plus souvent victimes de violences physiques, sexuelles et verbales. Études et résultats », 1156, 2020 ; J. Dammeyer, J. et M. Chapman, A national survey on violence and discrimination among people with disabilities. BMC Public Health, 2018 : Les enfants en situation de handicap ont quatre fois plus de risques d’être victimes de violences sexuelles.

([4]) Idem.

([5]) Muriel Salmona, « Les enfants victimes de violences conjugales, conséquences psychotraumatiques vignettes cliniques et témoignages », 2020 ; Muriel Salmona, « Dissociation traumatique et troubles de la personnalité posttraumatiques » dans R. Coutanceau, J. Smith Les troubles de la personnalité en criminologie et en victimologie, 2013 ; Muriel Salmona, Le livre noir des violences sexuelles, Paris, 2018..

([6]) Rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, « Les violences sexuelles dans l’Eglise catholique (1950-2020) », octobre 2021.

([7]) CIIVISE, « Violences sexuelles : protéger les enfants, conclusions intermédiaires », 31 mars 2022.

([8]) Article 373-2-1 du code civil.

([9]) Article 379 du code civil.

([10]) Article 372-2 du code civil.

([11]) Article 373-2 du code civil : « La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ».

([12]) Article 373-2-1 du code civil (voir infra).

([13]) Article 373-2-6 du code civil.

([14]) idem.

([15])  CEDH, 6 décembre 2007, Maumousseau et Washington c. France, affaire numéro 39388/05.

([16])  Article 373-2-8 du code civil.

([17])  Article 373-2-11 du code civil.

([18])  Article 515-11 du code civil.

([19]) Article 381 du code civil.

([20]) Article 380 du code civil.

([21]) Article 381 du code civil.

([22]) Article 138 du code de procédure pénale.

([23]) Maurice Berger, L’échec de la protection de l’enfance, 2003..

([24]) Par exemple, Muriel Salmona, « Les enfants victimes de violences conjugales, conséquences psychotraumatiques, vignettes cliniques et témoignages », 2020..

([25]) L’article 1137 du code de procédure pénale prévoit qu’en cas d’urgence dûment justifiée, le juge aux affaires familiales, saisi par requête, peut permettre d’assigner à une date d’audience fixée à bref délai.

([26]) Muriel Salmona, « Les enfants victimes de violences conjugales, conséquences psychotraumatiques, vignettes cliniques et témoignages », 2020 d’après E. Fulu et al., Patways between trauma, intimate partner violence, and harsh parenting. Findings from UN multi-country study on men and violence in Asia and the Pacific. Lancet Global Health, 5(5), 512-522, 2017.

([27]) Vincent J. Felitti, Robert F. Anda, Dale Nordenberg et David F. Williamson, « Adverse Childhood Experiences », American Journal of Preventive Medicine, vol. 14, no 4,‎ 1998, p. 245–258 et R. F. Anda, V. J. Felitti, J. D. Bremner et J. D. Walker, « The enduring effects of abuse and related adverse experiences in childhood: A convergence of evidence from neurobiology and epidemiology », European Archives of Psychiatry and Clinical Neuroscience, vol. 256, no 3,‎ avril 2006, p. 174–186.

([28]) Muriel Salmona, « Les enfants victimes de violences conjugales, conséquences psychotraumatiques, vignettes cliniques et témoignages », 2020.

([29]) Mark Bellis, Karen Hughes, Kat Ford, Gabriela Ramos Rodriguez, Dineshi Sethi, Jonathon Passmore, « Life course health consequences and associated annual costs of adverse childhood experiences across Europe and North America: a systematic review and meta-analysis » The Lancet, 3 septembre 2019.

([30]) L’article 381 du code civil prévoit la possibilité d’obtenir une restitution de l’autorité parentale ou de son exercice (voir supra).

([31])  Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, 12 avril 2011, article 56.

([32]) Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 9 novembre 1994, 94-80.691.

([33]) Article 381 du code civil.