N° 814

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er février 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023

 

PAR Mme Stéphanie RIST

Rapporteure générale, Députée

 

 

 

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TOME II

COMPTES RENDUS

 

Voir les numéros : 760, 771 et 819.

 


 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Compte rendu de l’audition de MM. Pierre-Louis Bras, prÉsident du Conseil d’orientation des retraites (COR), et Emmanuel Bretin, secrÉtaire général du COR, sur les perspectives d’Évolution du systÈme de retraite

Réunion du jeudi 19 janvier à 13 heures 30

compte rendu de l’audition de M. Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion et de la discussion gÉnÉrale du projet de loi

Réunion du lundi 23 janvier à 16 heures 30

Comptes rendus DE L’EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI

Réunion du lundi 30 janvier 2023 à 9 heures 30 (avant l’article liminaire à article 1er)

Réunion du lundi 30 janvier 2023 à 15 heures (article 1er [suite] à article 2)

Réunion du lundi 30 janvier 2023 à 21 heures (article 2 [suite])

Article 2 (suite) Mise en place d’un indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés

Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 10 heures 30 (article 2 [suite])

Article 2 (suite) Mise en place d’un indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés

Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 17 heures 30 (article 2 [suite])

Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 21 heures 15 (article 2 [suite])

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 9 heures 30 (après l’article 2)

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 15 heures (après l’article 2 [suite])

 


  1 

   Compte rendu de l’audition de MM. Pierre-Louis Bras, prÉsident du Conseil d’orientation des retraites (COR), et Emmanuel Bretin, secrÉtaire général du COR, sur les perspectives d’Évolution du systÈme de retraite

Réunion du jeudi 19 janvier à 13 heures 30

La commission entend, conjointement avec la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, MM. Pierre-Louis Bras, président du Conseil d’orientation des retraites (COR), et Emmanuel Bretin, secrétaire général du COR, sur les perspectives d’évolution du système de retraite ([1]).

M. Éric Coquerel, président de la commission des finances. La commission des finances et la commission des affaires sociales reçoivent M. Pierre‑Louis Bras, président du Conseil d’orientation des retraites (COR), accompagné de M. Emmanuel Bretin, secrétaire général. Je me réjouis de cette occasion de tenir une réunion commune avec la commission des affaires sociales et que nous puissions entendre le COR avant d’entamer l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale portant réforme des retraites, qui devrait être présenté en Conseil des ministres lundi prochain, afin d’évoquer ainsi les perspectives financières du système de retraite français.

Sur ce projet de loi, qui sera examiné par la commission des affaires sociales, la commission des finances se saisira pour avis, comme elle a coutume de le faire sur tous les projets de loi de financement de la sécurité sociale, aussi bien initiaux que rectificatifs. Le ministre sera auditionné en commission des affaires sociales dès lundi 23 janvier. La commission des finances auditionnera mercredi 25 janvier à quinze heures M. Pierre Moscovici, qui nous présentera, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), l’avis rendu par le Haut Conseil à l’occasion de la présentation du projet de loi. Le vendredi 27 janvier, la commission des finances examinera le projet de loi pour avis.

L’intérêt de la présente audition est d’entendre le Conseil d’orientation des retraites lui-même, alors que nous entendons beaucoup parler des projections de cet organisme de façon indirecte.

Mme Fadila Khattabi, présidente de la commission des affaires sociales. Je remercie le président de la commission des finances, puisque c’est à son initiative que cette audition a été organisée. Cette initiative rejoint le souhait exprimé au sein de notre commission des affaires sociales de se saisir du thème des retraites et d’entendre le COR. Je le remercie également de la souplesse dont il a fait preuve en permettant que cette réunion ait lieu entre deux examens de textes en séance publique. Je regrette que notre calendrier de la semaine prochaine ne nous permette pas de procéder de la même manière pour l’audition du président du HCFP. Je me réjouis que nous puissions aujourd’hui commencer nos travaux sur les retraites avant même l’audition du ministre, M. Olivier Dussopt, lundi prochain à seize heures trente.

Le COR, compte tenu de sa composition pluraliste, de ses missions telles qu’elles sont définies par la loi, de sa méthode consistant à élaborer les éléments d’un diagnostic partagé et de la place qu’il a acquise dans le débat public depuis maintenant vingt ans, s’imposait pour introduire nos très prochaines discussions sur la réforme des retraites. Parlementaires comme citoyens, nous avons tous besoin de disposer d’éléments tangibles pour alimenter nos réflexions et fonder nos choix de manière éclairée. Des éléments factuels et partagés devraient contribuer à dépassionner et à objectiver les débats en commission puis dans l’hémicycle. C’est en tout cas le souhait que j’émets.

Je vous remercie, monsieur le président et monsieur le secrétaire général, de vous être rendus disponibles pour nos commissions.

M. Pierre-Louis Bras, président du Conseil d’orientation des retraites (COR). Je vais essayer de me faire le porte-voix du COR. Je préside cette institution, qui compte quarante‑deux membres, dont plusieurs parlementaires, quatre députés et quatre sénateurs – je salue d’ailleurs M. Marc Ferracci, qui nous a récemment rejoints ; l’ensemble des partenaires sociaux   – organisations d’employeurs et de salariés, ainsi qu’un représentant des professions libérales, un représentant de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), un représentant de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) ; toutes les administrations intéressées par la question des retraites – direction du budget, direction du Trésor, direction de la sécurité sociale, etc. ; ainsi que cinq ou six personnalités qualifiées. Toutes ces organisations, vous vous en doutez, n’ont pas la même vision et la même orientation quant à ce qu’il faut faire en matière de retraite.

Jusqu’à présent, nous parvenons à dresser des bilans, à travers un rapport annuel, qui est d’ailleurs prévu par la loi. J’insiste sur le fait que ce rapport, avant d’être publié, doit faire consensus : je ne le publie qu’après avoir demandé à l’ensemble des membres du Conseil s’il y a des oppositions à ce qu’il soit publié en tant que rapport du COR. Quand je ferai référence directement au rapport, il s’agit a priori d’éléments qui font consensus. Celui-ci n’est possible que parce que nous travaillons sur des données et des constats. Si nous tentions au sein du COR de converger sur des propositions, vous vous doutez que j’aurais quelque mal à y parvenir. Je n’ai sûrement pas le talent pour arriver à pacifier cette question.

Je voulais débuter, puisqu’il me semble qu’il s’agit de l’indicateur le plus synthétique, par vous présenter le poids des dépenses de retraite dans le PIB. Comment les retraites fonctionnent-elles ? L’on prélève sur la richesse produite par les actifs pour permettre le financement des retraites de ceux qui ne travaillent plus. En 2021, les dépenses de retraites représentaient 13,8 % du PIB. Il faudrait donc prélever 13,8 % de la richesse produite par les actifs au cours de l’année si l’on voulait que le système soit à l’équilibre, ce qui était justement le cas en 2021.

Les projections d’évolution des dépenses de retraite que nous avons établies se fondent, jusqu’en 2030, sur les hypothèses économiques du Gouvernement. Après 2030, il n’existe pas d’hypothèses économiques du Gouvernement ; nous sommes donc obligés de choisir des hypothèses de base. Nous avons besoin de deux hypothèses économiques fondamentales : le taux de chômage et la croissance de la productivité du travail, sachant que dans notre modèle, qui est très simple, les salaires augmentent comme la productivité horaire du travail.

Pour le chômage, nous retenions traditionnellement une hypothèse de 7 %, et nous avions une variante à 4,5 % que nous n’utilisions quasiment plus, car lorsque nous l’évoquions, nous croulions sous les sarcasmes de tous les journalistes, qui nous trouvaient trop optimistes. Cette année, un bouleversement majeur s’est produit : le Gouvernement a prévu pour 2027 le retour à un taux de chômage à 5 %. Par rapport à notre hypothèse à 7 %, cela faisait une dépréciation très forte. Nous avons donc refait nos calculs avec une hypothèse de chômage à 4,5 %, qui est le prolongement du taux de 5 % auquel le Gouvernement envisage d’aboutir en 2027.

Quatre hypothèses sur la productivité horaire du travail sont retenues. L’hypothèse la moins favorable prévoit une augmentation de 0,7 % de la productivité horaire du travail par an, et l’hypothèse la plus favorable prévoit une augmentation de 1,6 % par an. Les résultats sont extrêmement différents selon l’hypothèse choisie, ce qui s’explique principalement de la manière suivante : les pensions étant indexées sur l’inflation, en cas de forte croissance des salaires, le poids des retraites dans la richesse est moins important que lorsque la croissance des salaires est moins forte.

Le COR dit toujours qu’il ne privilégie aucune de ces quatre hypothèses. Néanmoins, et c’est logique, le Gouvernement ne peut présenter un projet de loi en s’encombrant de quatre hypothèses. Il fait donc un choix. Dans le cadre de cette réforme, il a décidé de reprendre l’hypothèse faisant état d’une croissance de la productivité du travail à 1 %. Lors des débats sur la précédente réforme, dite du régime universel, le Gouvernement avait fait le choix de l’hypothèse à 1,3 %.

Les résultats sont extrêmement différents. En résumant, les dépenses de retraite sont globalement stabilisées ; à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre. Dans l’hypothèse la plus défavorable (productivité à 0,7 %), elles augmentent, sans que cette augmentation soit très importante, puisqu’elles passent de 13,8 % à 14,4 % du PIB.

Les dépenses de retraite ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées ; dans la plupart des hypothèses, elles diminuent à terme. Dans l’hypothèse retenue par le Gouvernement, elles diminuent un peu. En règle générale, ce propos suscite un certain étonnement : « La France vieillit, et le COR ne le sait pas ». Si la France vieillit, les retraites doivent exploser. Bien évidemment, nous savons que la France vieillit : aujourd’hui, il y a 1,7 cotisant par retraité ; en 2070, il n’y en aura plus que 1,2. C’est l’effet du vieillissement de la population : il y aura moins de personnes en âge de travailler relativement aux personnes ayant vocation à être à la retraite. N’y aurait-il que ce phénomène, les dépenses de retraites déraperaient par rapport au PIB et exploseraient.

Si l’on analyse le montant des pensions des retraités rapporté au montant des rémunérations des actifs, on constate une diminution de ce rapport, laquelle est liée à l’indexation des pensions sur l’inflation et non sur les salaires, comme c’était le cas avant les années 1990. Il y aura moins de cotisants par rapport au nombre de retraités, mais ce que l’on donnera à chacun des retraités par rapport à ce que gagne chacun des cotisants sera moindre. Nous sommes devant un problème de physique élémentaire : il y a deux forces, dont la résultante est une stabilisation, dans la plupart des hypothèses, des dépenses de retraites par rapport au PIB. Cela permet au COR d’affirmer que les dépenses de retraites ne dérapent pas dans le cadre des hypothèses convenues, malgré le vieillissement de la population.

Il existe bien sûr un revers au fait que les dépenses ne dérapent pas : le montant des pensions par rapport aux rémunérations diminue. Aujourd’hui, grâce au montant de ces pensions, les retraités ont un niveau de vie légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population. Du fait de l’évolution que je viens d’évoquer, le niveau de vie relatif des retraités sera demain inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. Je parle bien du niveau de vie relatif des retraités : par rapport aux actifs de demain, ils auront moins, mais par rapport aux retraités d’aujourd’hui, les retraités de demain auront des niveaux de pensions et des niveaux de vie supérieurs. N’enlevez pas le mot « relatif ». Certains journalistes le font parfois, et passent de « le niveau de vie relatif des retraités va diminuer » à « le niveau de vie des retraités va diminuer », ce qui est complètement différent. La seconde affirmation est angoissante. La première est une question, un problème, mais elle est moins angoissante.

J’en viens au solde de l’ensemble du système des retraites – régimes de base et régimes complémentaires. Ce solde n’est pas celui que vous examinez en loi de financement de la sécurité sociale, dans lequel ne figurent que les régimes de base ; or, il se trouve que ce sont les régimes complémentaires qui sont excédentaires. Lorsque l’on considère l’ensemble du système, nous constatons un très léger excédent de 900 millions d’euros en 2021.

Vous entendrez souvent dire que le COR dissimulerait 30 milliards d’euros de déficit. Cette thèse est maintenant reprise par la plupart des journalistes. Je ne vais pas l’examiner en profondeur, même si je suis prêt à avoir un jour ce débat avec vous, mais je reviens sur l’affirmation selon laquelle le COR « cache » 30 milliards de déficit. Le COR reprend les données pour les régimes de base qui sont fournies par le Gouvernement dans les lois de financement de la sécurité sociale, et sur la base desquelles vous discutez. Je tiens à dire que le COR ne cache pas 30 milliards. Si 30 milliards sont cachés, c’est par le Gouvernement, avec la complicité du Parlement, tous groupes politiques confondus – car je n’ai jamais vu de débat au Parlement sur les données de base du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Ce débat de fond peut avoir lieu. Si le Parlement change la façon de comptabiliser le déficit en LFSS, il est clair que les membres du COR changeront la manière dont ils calculent le déficit.

Les dépenses de retraite n’ont pas la même part dans le PIB selon les hypothèses. De même, le solde n’est pas le même selon les hypothèses. En 2022, nous serons en excédent, mais ensuite le solde va se creuser. Dans une seule hypothèse, celle d’une productivité du travail à 1,6 %, nous revenons à l’équilibre en 2045. Dans l’hypothèse qui sert de référence dans le cadre de la réforme, le déficit perdure jusqu’en 2070.

Il s’agit d’un second sujet d’étonnement. Alors que les dépenses ne dérapent pas et que la situation est à l’équilibre, comment le solde peut-il se creuser ? Quand nous projetons les ressources, nous le faisons à taux de cotisations constant. Comme la base des cotisations augmente comme le PIB, si les dépenses ne dérapent pas, il ne devrait pas y avoir de solde négatif. C’est là que se produisent des évolutions qui ne sont pas du tout intuitives. Le solde va se creuser en raison d’évolutions négatives des ressources, qui ne tiennent pas au fait que l’on aurait projeté une baisse de telle ou telle cotisation.

Trois phénomènes assez particuliers vont expliquer cette baisse de ressources pour les retraites.

Premièrement, les ressources qui vont au régime des fonctionnaires de l’État ne sont pas déterminées par un taux de cotisation, mais par une convention, selon laquelle le régime des retraites de l’État est toujours à l’équilibre. Comme les dépenses de retraite de l’État pour ses fonctionnaires vont diminuer, les ressources vont également diminuer.

Deuxièmement, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) est un régime où le taux de cotisation, qui s’élève à 41 %, est bien supérieur au taux de cotisation appliqué aux salariés du privé, à savoir 28 %. Or, la part des rémunérations relevant de la CNRACL dans l’ensemble des rémunérations va diminuer. Ceux qui paient le plus vont peser moins. Les hypothèses sur l’évolution des rémunérations et des effectifs dans ce régime (hôpitaux et collectivités territoriales) sont particulières ; l’évolution sera moindre que dans l’ensemble de l’économie, et notamment dans le privé. Par un effet de structure, cela fera baisser la part des ressources des retraites dans le PIB.

Troisièmement, certaines ressources des retraites viennent de la branche famille ou du régime d’assurance chômage. Comme nous prévoyons qu’il y aura moins d’enfants et moins de chômeurs demain, les ressources venant de ces régimes seront moindres.

L’évolution du solde peut être décomposée entre un effet « dépenses » et un effet « ressources ». Dans l’hypothèse d’une croissance de la productivité du travail à 1 %, avec un chômage à 4,5 %, qui est l’hypothèse de référence du Gouvernement pour la réforme, en 2027, le solde du régime des retraites s’établira à – 0,4 % du PIB, parce que nous aurons eu – 0,1 % de PIB sur les dépenses, et – 0,3 % de PIB sur les ressources. En 2046, le solde sera à – 0,7, mais l’effet « dépenses » sera à 0. Le solde négatif sera alors lié à un effet « ressources », tenant aux trois phénomènes que j’ai évoqués plus tôt et qui ne sont pas complètement intuitifs.

Le message du COR n’est pas aussi contradictoire qu’on le dit. Il est possible de dire à la fois que les dépenses ne vont pas déraper et qu’il y aura des déficits. La clé de cette contradiction apparente réside dans le fait que les déficits s’expliqueront en très large partie par un effet « ressources ».

Une telle évolution n’est pas compatible avec les objectifs de finances publiques actuels du Gouvernement. Les dépenses ne dérapent pas, mais elles vont augmenter en réel de 1,8 % dans les cinq ans qui viennent. Or, le Gouvernement poursuit un objectif en matière de dépenses publiques dans leur globalité, et les dépenses des retraites représentent 25 % de ces dépenses publiques. Cet objectif est de réduire le déficit public à 2,9 % en 2027, de maîtriser voire réduire un peu les prélèvements obligatoires. Il s’en déduit un objectif sur les dépenses : les dépenses publiques ne doivent pas augmenter en réel de plus de 0,6 % par an. Or, dès lors que 25 % des dépenses publiques augmentent de 1,8 %, il est quasiment impossible de limiter l’augmentation de l’ensemble à 0,6 %, car cela imposerait de limiter très fortement la croissance des 75 % restants, qui sont consacrés à l’économie, à la défense, à l’éducation, à la police, à la justice, à la santé. Les dépenses de retraites ne dérapent pas, mais elles ne sont pas compatibles avec les objectifs de politique économique et de finances publiques du Gouvernement.

Cette analyse est évidemment inscrite dans le rapport du COR, mais certains membres ont indiqué qu’ils ne se sentaient pas engagés par les objectifs de politique économique du Gouvernement. Nous avons pris soin de noter cette contradiction dans notre rapport.

Chaque année, nous essayons de présenter la situation patrimoniale nette du système de retraite. Ce dernier compte des réserves et des dettes. Les dettes sont essentiellement portées à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), ainsi qu’au Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Fin 2021, la situation patrimoniale nette du système de retraite s’établissait à 163 milliards d’euros, soit 6,5 % du PIB. C’est une partie du patrimoine net des administrations publiques. L’Insee évaluait fin 2021 ce patrimoine à 15 % du PIB. Le problème est que ces réserves n’appartiennent pas à tout le monde ; ce n’est pas un bien collectif. Elles font partie de régimes complémentaires, qui sont d’ailleurs les régimes excédentaires. Pour l’essentiel, il s’agit de réserves de l’Agirc-Arrco.

M. le président Éric Coquerel. Ma première question découle de ce que vous venez de dire, c’est-à-dire de la confirmation que les dépenses de retraites ne dérapent pas, que le déficit augmente et que la clé de cette augmentation réside dans l’évolution des ressources. Dans au moins trois des quatre scénarios, le pourcentage des dépenses de retraite dans le PIB redevient stable entre 2035 et 2047, après quoi il baisse. Je suppose que c’est ce qui vous fait dire que les dépenses ne dérapent pas.

À partir du moment où la clé est le problème des ressources, l’on peut supposer que la solution consisterait à aller chercher d’autres ressources, soit par de moindres exonérations, soit par une taxation de certains revenus. Ce sont des choix politiques. Soit l’on modifie les clés qui permettent le départ à la retraite, telles que les années de cotisation ; soit nous allons chercher d’autres ressources, puisque le poids des retraites dans le PIB n’augmente pas.

Le Gouvernement s’appuie sur le scénario prévoyant que le déficit sera de 0,7 % du PIB en 2050. Comme le PIB aura plus que doublé d’ici 2050, 0,7 % du PIB correspondra alors à 44 milliards d’euros. Pour comparer une valeur dans le temps, il faut un référentiel commun. C’est pour cela que j’ai noté que le COR s’exprimait toujours en pourcentage de PIB, et non en valeur en euros, puisque le PIB va augmenter. N’est-il pas trompeur de présenter l’évolution du déficit de retraite dans le temps en euros, comme le fait le Gouvernement, contre l’usage scientifique qui préfère le pourcentage de PIB, comme le fait le COR ?

Le scénario du Gouvernement repose sur la convention dite « équilibre permanent des régimes » (EPR), qui suppose une diminution progressive de l’effort de l’État dans le financement du système de retraite, lequel est aujourd’hui de 2 %, et qui découle de la baisse du poids de l’emploi public dans l’emploi total. L’on peut se demander pourquoi cela devrait être le cas. Selon une autre convention, qui est celle de l’effort de l’État constant (EEC), et selon laquelle l’État maintient à tout moment son niveau de contribution, le système ne serait plus déficitaire en 2050. La convention EPR, qui parie sur une baisse de l’effort de l’État dans le financement du système de retraite, n’apparaît pas située politiquement. Ne pensez-vous pas que la convention EEC, telle qu’elle est définie aujourd’hui, devrait être considérée comme centrale ?

Le Gouvernement conserve les âges de départ actuels pour les personnes invalides ou en situation de handicap, ce qui diminue de 20 % les économies attendues. À cela s’ajoutent des dépenses sociales engendrées par la réforme, estimées à 3,5 millions d’euros. Le fait de compter 277 000 chômeurs supplémentaires à horizon de dix ans, si l’on tient compte non pas des prévisions du Gouvernement d’un taux de chômage à 4,5 % (vous observerez que la courbe du chômage ne suit pas vraiment cette évolution) mais de celles de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), représentera 2,8 milliards de dépenses supplémentaires d’assurance chômage.

Quel regard portez-vous sur la faiblesse de l’impact budgétaire de la réforme dans son ensemble et sur les évaluations de l’OFCE ?

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Je vous remercie de cette présentation complète et salue l’organisation de cette audition, qui constitue un premier jalon dans le débat parlementaire que nous devons avoir sur la réforme des retraites, d’une manière que je souhaite aussi éloignée que possible des idées préconçues sur un sujet particulièrement complexe. Les rapports rendus chaque année par votre Conseil attestent cette complexité. Le dernier d’entre eux a été abondamment commenté. Il est important de rappeler, comme vous l’avez fait, quelques éléments qui y sont inscrits.

Concernant l’existence d’un déficit, qui a été largement contestée, le rapport de septembre dernier pouvait difficilement être plus clair : à l’horizon 2032, quelle que soit la convention retenue ou l’hypothèse sous-jacente de productivité du travail, le système de retraite est en déficit, à un niveau qui varie entre 0,5 % et 1 % du PIB. À droits inchangés, dans un scénario central où notre pays atteindrait le plein emploi en 2027, ce déficit serait de 14 milliards d’euros en 2032.

S’agissant des seules dépenses, la révision des scénarios démographiques comme économiques vous conduit à estimer qu’elles seraient supérieures de près de 1 % du PIB par rapport à vos prévisions de juin 2021, à horizon 2032. Le Comité de suivi des retraites, qui est l’outil de pilotage de notre système de retraite, ne s’y est d’ailleurs pas trompé : dans son avis rendu sur la base de vos hypothèses en septembre dernier, sans se prononcer sur le contenu d’une réforme, ce comité souligne que « notre décision se fera dans un contexte désormais bien moins permissif pour l’endettement public ».

En commission des affaires sociales, nous aurons naturellement des débats quant aux meilleures manières de réduire ce déficit. Je voudrais m’attarder sur ce que notre majorité souhaite faire avec la réforme : permettre au plus grand nombre de nos concitoyens de travailler, à commencer par les seniors. Selon les analyses du COR, quel est l’impact d’un recul de l’âge de départ à la retraite sur l’emploi des seniors ?

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général de la commission des finances. Comme vous le soulignez, dans l’état actuel de la loi, et sans réforme supplémentaire, l’âge effectif de départ à la retraite atteindra d’ici une dizaine d’années 64 ans, compte tenu notamment de l’allongement de la durée de cotisation prévue par la loi de 2014, adoptée à l’initiative de la gauche. 64 ans est l’âge de départ qui équilibre le système dans l’un des scénarios centraux que vous reprenez, à horizon 2030. Notre proposition de fixer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans tire en partie les conséquences de ce qui va être observé dans les prochaines années, et répond à notre souci d’équilibrer notre système de retraites par répartition.

Le niveau de vie des retraités, en valeur relative, va repasser sous le niveau de vie des actifs d’ici cinq ans. À terme, sans réforme, il y aurait un recul de l’ordre de 20 points entre le niveau de vie des retraités et celui des actifs. Ne rien faire revient à acter un déclassement de l’ensemble de nos retraités. Nous souhaitons lutter contre cette érosion mécanique du niveau de vie relatif des retraités par rapport à l’ensemble de la population, avec la fixation du minimum des pensions à 85 % du Smic et l’augmentation du montant des pensions liée au report de l’âge légal de départ à la retraite.

Vos projections annuelles sont marquées par une dégradation des perspectives pour notre système de retraite. C’est vrai pour la démographie : le rapport entre actifs et retraités va se dégrader plus vite qu’attendu, et nous allons bientôt être dans un rapport plus proche de 1 que de 2. Le bilan démographique de 2022, que l’Insee vient de publier, nous rappelle douloureusement que la situation risque encore de se détériorer. S’agissant de la productivité du travail, votre scénario le plus défavorable est celui d’une évolution annuelle de 0,7 %. Or, 0,7 % est le taux constaté entre 2010 et 2019. Ce scénario n’est donc pas très éloigné de ce que nous avons vécu durant la période récente. Les scénarios que vous proposez à 1,6 %, en revanche, me paraissent éloignés de ce que nous pouvons projeter.

Vous affirmez dans votre synthèse que sur les vingt-cinq prochaines années, le système de retraite serait en moyenne déficitaire, quels que soient la convention et le scénario retenus. En partant de vos prévisions fondées sur la convention dite EPR, j’observe qu’en dessous d’un taux annuel de l’ordre de 1,5 % pour la croissance annuelle de la productivité du travail, notre système de retraite n’est jamais à l’équilibre jusqu’en 2070, avec une hypothèse de chômage à 4,5 %, synonyme de retour au plein emploi, ce à quoi nous travaillons. Son déficit annuel atteint même 90 milliards d’euros environ à cette date, dans le pire des cas, et environ 40 milliards dans le scénario central retenu par le Gouvernement. Le système par répartition qui doit financer les pensions d’aujourd’hui par les cotisations vieillesse d’aujourd’hui n’est plus en mesure d’assurer le financement de la totalité du système. C’est déjà un peu le cas s’agissant de certains régimes spéciaux, pour lesquels l’État rééquilibre chaque année des déséquilibres majeurs.

Le projet de réforme dont le Gouvernement va prochainement nous saisir ne prend personne par surprise. La réforme est inscrite dans nos perspectives de finances publiques. Nous sommes donc au rendez-vous des engagements pris. Pour ces raisons, il m’apparaît impératif de réformer notre système de retraite, d’autant plus qu’il nous faut porter une attention particulière à la maîtrise des dépenses publiques, au risque d’un effondrement global de notre système. Puisque ce n’est jamais le bon moment, faisons-le maintenant, dans la clarté et le respect de nos institutions.

100 % des gains financiers de la réforme des retraites iront au financement du système des retraites : il faut le répéter.

Quel regard portez-vous sur la pertinence des travaux récents de la direction générale du Trésor, qui a modélisé il y a un an l’ensemble des impacts financiers et économiques d’un report de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite, lequel se traduit, selon ces travaux, par une amélioration substantielle de l’emploi, de l’activité et des finances publiques ?

Les parties 4 et 5 de votre dernier rapport annuel portent sur l’équité entre les assurés, sur la solidarité avec les plus modestes (les femmes notamment) et sur les changements de niveau de vie lors du passage à la retraite. Sur ces sujets, quel commentaire pouvez-vous faire s’agissant de l’impact des dispositions de justice sociale comprises dans la réforme : l’amélioration du dispositif « carrières longues », l’anticipation du départ à la retraite pour les invalides en cas d’inaptitude ou dans le cadre du suivi médical, le relèvement de la pension minimale, la validation de trimestres pour les aidants, pour les femmes ayant bénéficié de congés parentaux, pour les personnes ayant effectué des travaux d’utilité collective ou de l’apprentissage ?

M. le président du COR. Mon propos est de vous éclairer sur le système de retraite à partir des travaux du COR, pas de faire des propositions ni de choisir des orientations. Je vous ai dit quelles étaient les origines du déficit, j’ai essayé de vous expliquer la part des dépenses et des ressources : je n’en tire aucune conclusion sur ce qu’il faut faire.

La présentation du Gouvernement est-elle trompeuse ? Je ne dirai jamais que le Gouvernement est trompeur. Pour des raisons de clarté, nous préférons parler en pourcentage du PIB. Il y a des hypothèses d’inflation, qui peuvent changer avec le temps. Par ailleurs, payer 100 n’a pas la même portée si vous gagnez 1 000 ou si vous gagnez 5 000. Or, le PIB va augmenter. C’est pour cela que nous préférons parler en pourcentage du PIB, ce qui se pratique aussi dans la plupart des textes ainsi qu’en commission des finances.

Je vous ai présenté la convention EPR car c’est la référence choisie par le Gouvernement. Dans les rapports du COR, nous utilisions la convention EEC à titre pédagogique. Parmi les trois éléments qui expliquent la diminution des ressources, la convention EEC consiste à neutraliser le premier élément, qui porte sur les fonctionnaires de l’État. Cette convention a pour nous une vocation pédagogique, permettant de montrer qu’une partie de l’évolution du solde tient à l’évolution particulière d’un régime dont les ressources sont alignées sur les dépenses. Cette convention suscite des débats, même au sein du COR. Je préfère aller au bout de la pédagogie en faisant cette présentation, ce qui me permet aussi de prendre en compte les trois éléments dans l’analyse. Vous avez les résultats dans le rapport et sur le site du COR. Vous pouvez vous y référer.

Lorsque l’on repousse l’âge de la retraite, on fait des économies sur les retraites, mais cela provoque des dépenses ailleurs. Nos derniers calculs montraient que si l’on économise 1, il y a 0,33 qui partent en dépense ailleurs. Pour beaucoup, il s’agissait de dépenses d’invalidité. La différence entre la réforme d’aujourd’hui et celle de 2010 est que l’âge d’ouverture des droits pour les invalides et les inaptes ne sera pas repoussé. Le 0,33 que nous avions calculé ne sera plus valide. Nous aurons moins d’économies sur les retraités, puisque les invalides et les inaptes ne seront pas concernés, mais en contrepartie, nous aurons moins de dépenses, pour les mêmes raisons. La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) peuvent vous fournir ces données, qui figureront certainement dans l’étude d’impact.

En termes financiers, une réforme des retraites n’impacte pas seulement le système des retraites. Quand vous repoussez l’âge de départ à la retraite, vous espérez que les gens travailleront plus longtemps et qu’il y aura plus de cotisations retraite. Je pense que ce surplus de cotisations a été intégré. Les personnes qui travaillent ne paient pas seulement des cotisations retraite, mais aussi des cotisations maladie, des impôts sur le revenu, de la TVA. Il faut clairement réaliser un bilan élargi.

Entre deux projections, beaucoup de choses changent, et les prévisions du Gouvernement évoluent. Pendant l’épidémie de covid, le COR a rédigé des rapports à un moment où le Gouvernement était très prudent et pensait qu’en 2020, le PIB diminuerait de 10 %. Or, il n’a baissé que de 8 %. En 2021, le Gouvernement anticipait une reprise de 5 % du PIB, alors que celui-ci a progressé de 8 %. Des mesures ont été prises sur les retraites ; il y a eu des sous-indexations par rapport aux prix. Nous ne pouvions pas le prendre en compte avant que cela ait été décidé. D’autre part, tous les cinq ans, l’Insee revoit ses prévisions démographiques, ce qui est normal. Pour le COR, la référence est le scénario central de l’Insee. Il est évident que les prévisions doivent bouger et il serait inquiétant que ce ne soit pas le cas. Dans une annexe du rapport du COR, nous expliquons les écarts depuis 2016. Tout peut bouger : les prévisions du Gouvernement, les hypothèses du COR, celles de l’Insee sur la démographie.

Un report de l’âge de départ à la retraite déplace le problème de l’emploi des seniors mais ne l’aggrave pas : l’analyse de ce qui s’est passé depuis 2010 le démontre. L’âge légal de départ à la retraite s’est progressivement décalé de 60 à 62 ans, et la durée de cotisation s’est allongée. L’âge de sortie de l’activité et l’âge de sortie de l’emploi se sont décalés de manière quasiment parallèle. Repousser l’âge tire donc à la fois la sortie de l’emploi et la sortie de l’activité. Ceci est un résultat fondamental. Toutefois, ce n’est pas parce que cela s’est produit dans le passé que cela va se reproduire : passer de 60 à 62 ans n’est pas identique à passer de 62 à 64 ans. Certains travaux de Michaël Zemmour sont en accord avec cette tendance fondamentale, mais font état de différenciations dans cette évolution moyenne selon les catégories, les évolutions étant plus défavorables aux ouvriers et aux employés qu’aux cadres. Le message à retenir est que le report de l’âge de la retraite aboutit au maintien dans l’emploi des seniors.

La question qui se pose est celle de l’effet de la réforme sur les personnes qui ne sont pas des seniors. Les économistes font consensus : à long terme, quand l’économie est à l’équilibre, le travail des seniors n’est pas l’ennemi de l’emploi des jeunes ; le travail n’est pas un gâteau que l’on se partage. Ce n’est pas parce que les seniors travaillent que les jeunes ne travaillent pas, au contraire. C’est dans les pays où les seniors travaillent le plus que les jeunes travaillent le plus également.

La question s’est posée au début de l’année 2022, lors d’une séance du COR. Lorsqu’une réforme des retraites est mise en œuvre, l’on amène des seniors à rester dans le marché de l’emploi. C’est un choc positif en matière d’offre sur le marché du travail. En cas de choc positif dans un marché, les prix baissent – en l’occurrence, ici, il s’agit des salaires. Dans un premier temps, l’on augmente le chômage, puis cela pèse sur les salaires, avant un retour à l’équilibre et à la situation dans laquelle l’emploi des seniors n’est pas l’ennemi du travail des jeunes.

Jusqu’à cette séance de début 2022, les deux modèles que nous utilisions – le modèle Mésange du Trésor et le modèle OFCE – aboutissaient à peu près au même résultat. Cela me paraissait être une donnée acquise de la science, et faisant l’objet d’un consensus. En janvier 2022, ce consensus a été brisé, et il s’agit maintenant d’une question controversée. Le Trésor a indiqué que pour projeter une réforme des retraites, il n’utilisait plus le modèle Mésange, car ce modèle n’était plus adapté. Depuis, le Trésor et l’OFCE ne délivrent plus le même message.

Entre la méthode Mésange et la nouvelle approche du Trésor, baptisée « approche comptable », l’écart est significatif, surtout à court terme. Avec l’approche keynésienne de Mésange ou avec l’approche actuelle de l’OFCE, nous avons au bout de cinq ans un surcroît de PIB de zéro et une amélioration globale des finances publiques de 0,1 point de PIB. Avec l’approche comptable, nous avons au bout de cinq ans un surcroît de 0,9 point de PIB et une amélioration des finances publiques de 0,6 point de PIB. Je ne vais pas trancher cette controverse. Nous avons assisté à ce débat, nous en avons rendu compte dans le rapport du COR en septembre 2022.

Le dossier de presse relatif à la réforme des retraites ne comporte pas d’éléments sur les conséquences macroéconomiques de cette réforme. La référence du Gouvernement est « l’approche comptable ».

Cela me permet de répondre à d’autres questions sur la direction générale du Trésor : je n’en pense pas grand-chose, puisqu’il existe une controverse et que je m’en remets sur ces questions à plus sachant que moi ainsi qu’à vos travaux.

Le scénario le plus défavorable est le scénario d’une croissance de la productivité du travail à 0,7 %. Il correspond effectivement à l’évolution de la productivité que nous avons connue sur les dix dernières années.

Pour notre part, nous nous projetons à cinquante ans. Si je suis pessimiste, constatant que la situation n’a pas été favorable au cours des dix dernières années et craignant qu’elle le reste durant cinquante ans, ce n’est pas le cas de mes homologues américains. Ces derniers constituent un Board of Trustees qui réunit des économistes, et non des partenaires sociaux. Aux États-Unis, il existe également un système de retraite et de sécurité sociale, et des projections sont donc effectuées. Dans ce cadre, il apparaît que le scénario central de nos amis américains retient une hypothèse de croissance de la productivité de 1,6 %, ce qui correspond à notre scénario le plus favorable. Les Américains sont certainement d’incorrigibles optimistes, des naïfs qui croient au progrès technologique, à l’innovation… Pour notre part, nous sommes beaucoup plus pessimistes.

Le COR propose quatre hypothèses et n’en privilégie aucune. Le Gouvernement avait choisi la référence de 1,3 % il y a cinq ans et il a choisi une référence de 1 % pour cette réforme. Il s’agit de l’un des éléments centraux du débat mais il vous revient de déterminer à quel niveau vous vous placez. Personnellement, je ne sais pas ce que seront les innovations. Je vous présente donc quatre hypothèses sans en privilégier aucune. En revanche, lorsque l’on conduit une réforme, il convient de choisir une référence. En 2021, nous avons organisé un colloque du COR sur ce sujet et vous pouvez prendre connaissance des positions des uns et des autres. Je vous invite également à lire ce que font nos voisins américains et européens. En effet, l’Union européenne établit également des projections des dépenses liées au vieillissement – vieillesse, famille, maladie, etc. Son scénario de référence à long terme est plutôt celui d’une croissance de la productivité du travail de 1,4 % ou 1,5 %.

Mme Prisca Thevenot (RE). Je vous remercie pour les éléments que vous avez décrits, rapportés et expliqués. Si les conclusions du COR sont publiques et libres d’accès, force est de constater que le rapport a été sujet à de très nombreuses contre-vérités ces derniers temps, ce qui impose une clarification dans le cadre de cette audition que je salue. En effet, nombre de mes collègues de La France insoumise disent à loisir, ou peut-être par paresse, que la réforme, telle que proposée par le Gouvernement, n’est pas utile, puisque, selon leur interprétation de vos conclusions, il suffirait de réduire le chômage pour financer notre système de retraite par répartition. Or, comme votre rapport le souligne, sans réforme de notre part, 500 milliards d’euros de dette s’accumuleront en vingt‑cinq ans. Ce montant important est aussi, malheureusement, le plus optimiste car il s’inscrit dans le cadre de l’atteinte du plein emploi.

Je tiens ici à rappeler qu’avant 2017, le chômage atteignait 10 % et que depuis, grâce à l’action de la majorité présidentielle, l’objectif du plein emploi est en passe d’être atteint, et figure d’ailleurs dans vos conclusions. Loin de moi l’idée de ne parler que de la majorité. Je peux aussi rappeler que le programme de La France insoumise, qui veut punir toutes les structures créant de la valeur, ou celui du Rassemblement national, qui d’ailleurs change de position au gré des vents d’opinion, conduiraient à détruire des emplois, et donc à l’effondrement de nos finances. À cela, on peut ajouter que l’enjeu, alors que les Français ne sauraient pas comment sécuriser leurs retraites, deviendrait de trouver un emploi.

Afin d’avoir une vision globale de l’ensemble des scénarios possibles, j’aimerais donc poser la question suivante : comment la dette réagit-elle à l’hypothèse du taux de chômage ?

Mme Véronique Louwagie (LR). Je vous remercie pour votre présentation. Ma première question porte sur l’effet de l’évolution de la natalité. Alors que nous connaissons depuis quelques jours le taux de natalité publié par l’Insee – 1,8 enfant par femme –, quel serait l’impact d’un niveau de natalité de 2 enfants par femme ? Ma deuxième question porte sur la Cades, qui a pris en charge la dette Covid. La situation aurait-elle été différente si elle ne l’avait pas fait, sachant que la Cades est toujours alimentée par la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ? Ma troisième question porte sur l’effet de l’indexation des pensions sur l’inflation. Quel serait l’impact d’une telle indexation des pensions ? Ma quatrième question est la suivante : disposez-vous d’éléments relatifs à la répartition des montants de pension par retraité, distinguant les hommes et les femmes ? Quelle est l’évolution de cette répartition dans le temps ?

M. Thomas Ménagé (RN). Je vous remercie d’avoir apporté des éclaircissements bienvenus sur vos travaux. Votre dernier rapport fait l’objet de toute notre attention, dans la mesure où c’est quasi exclusivement sur cette base que le Gouvernement entend défendre sa réforme des retraites qu’une très large majorité des Français juge injuste et injustifiée, comme le prouvent les manifestations en cours. Lors de la présentation de la réforme, Elisabeth Borne a déclaré : « Les chiffres sont là, ils sont implacables, on ne peut plus laisser filer la dette ». Pourtant, en page 9 de votre rapport, vous indiquez – et vous venez de le redire – que vos travaux « ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite », contredisant ainsi totalement les propos alarmistes de la Première ministre. Que pensez-vous de ce détournement de vos travaux à des fins purement politiciennes ?

À la page 133 de votre rapport, vous alertez sur les précautions méthodologiques à prendre pour l’interprétation de vos projections. En effet, vous précisez que ces dernières ne rendent pas compte de l’effet global sur les finances publiques. Vous indiquez qu’un « relèvement des droits aurait un impact à la hausse sur les dépenses sociales hors retraite, chômage, minimas sociaux, invalidité, chiffré d’ores et déjà à 4 milliards pour un passage de 62 à 64 ans ». Cette observation n’est pas nouvelle puisqu’elle apparaît dans le rapport de la Cour des comptes de 2021, à propos de la réforme Woerth, qui relevait une explosion de 3 milliards des dépenses sociales en 2017. Pourtant, je ne trouve aucune trace de ces données dans la présentation de la réforme. Je m’étonne que ces informations très intéressantes soient totalement mises sous le tapis par le Gouvernement, qui semble faire ses courses avec les données de votre rapport, pour ne retenir, au terme d’une lecture particulièrement fallacieuse, que les éléments propres à justifier la légitimité de sa réforme injuste.

J’insiste : regrettez-vous cette approche gouvernementale malhonnête, qui élude la vision macroéconomique, avec des implications sur l’ensemble de nos finances publiques et non sur le seul équilibre du système de retraite ?

 

M. Pascal Lecamp (Dem). Je vous remercie pour votre introduction et vos premières réponses très éclairantes. Vos travaux doivent nous permettre d’avancer collectivement dans un débat éclairé. C’est ce que nous faisons aujourd’hui et je crois que c’est ce que les Français attendent de nous.

En premier lieu, nous sommes favorables à des mesures permettant une retraite progressive, qui éviteraient l’écartement, parfois abrupt, des seniors du marché du travail. Je souhaiterais donc savoir comment vous estimez l’impact d’une hausse du taux d’emploi des seniors d’un point sur les recettes sociales, et donc sur l’équilibre du système. Dans ce cas, vous semblerait-il utile d’inclure une clause de revoyure dans le texte de la réforme des retraites que nous nous apprêtons à examiner ?

En second lieu, vous retenez deux conventions pour l’évaluation des perspectives de solde du système de retraite, avec d’une part, celle de l’équilibre permanent des régimes publics, dite EPR, qui prévoit que l’État cotise simplement pour équilibrer ces régimes, ce qui est logique, et d’autre part, la convention effort de l’État constant, dite EEC, qui prévoit que l’État continue de surcotiser, alors même que ces régimes seraient excédentaires. Or la masse salariale des régimes publics devrait baisser dans les prochaines années, vous nous l’avez rappelé. Ainsi, l’application de la convention dite EPR devrait logiquement conduire à une baisse de la contribution du budget de l’État à l’équilibre du système. Il me semble ainsi que l’équilibre du système, à partir de 2043, permis par la convention EEC, n’est que cosmétique et qu’un déficit aggravé de l’État viendrait combler le déficit du système de retraite. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

M. Elie Califer (SOC). Je remercie M. le président du COR pour ses explications, ses points de vue, et ses appuis qui vont nous aider à débattre. Au-delà de la polémique, une autre proposition pourrait-elle être présentée aux Français, une proposition moins brutale ? Cette possibilité pourrait nous aider puisque vous êtes des spécialistes. En tant qu’élus, nous abordons la question en ayant en tête la souffrance des personnes, la souffrance de la population. Il est envisagé de faire travailler jusqu’à 65 ans. En effet, la limite de 64 ans a simplement été fixée pour faire passer la réforme. Ne pourrions-nous pas envisager un système qui permettrait aux aînés de rester en activité, sachant que nous sommes dans une cyberéconomie, tout en invitant l’État à fournir un effort ? Nous savons que les économies qui seront réalisées visent à mener d’autres politiques publiques.

M. Paul Christophe (HOR). Je souhaite vous interroger sur les effets du relèvement de l’âge du départ à la retraite sur le chômage des jeunes. Vous avez brièvement abordé ce point précédemment mais je pense que des éclaircissements doivent être apportés. L’allongement de la durée d’activité des générations plus âgées aurait-il pour conséquence de retarder l’accès au marché du travail des jeunes ? En 2016, vous jugiez peu probable la causalité entre le chômage des jeunes et l’emploi des seniors. À cette même époque, en vous basant sur les travaux du Trésor, vous affirmiez que des hausses à 63, 64 ou 65 ans auraient des effets positifs sur l’activité économique.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Le groupe écologiste et moi‑même vous remercions pour votre éclairage précieux dans le cadre de l’étude de cette réforme des retraites qui, une fois de plus, se cantonne à brandir l’épouvantail de l’équilibre budgétaire pour demander injustement des efforts aux plus vulnérables.

Tout d’abord, les projections du COR sont notamment basées sur les prévisions du Gouvernement pour les cinq prochaines années, qui prévoient de façon très optimiste un taux de chômage à 5 % en 2027, soit deux points de mieux que la cible retenue par le COR en 2032, ce qui fausse les prévisions pour la période 2027 à 2037. L’argument principal de cette réforme, celui du retour à l’équilibre budgétaire, semble donc basé sur un scénario erroné. Comptez-vous entamer de nouvelles réflexions face à ce constat ?

De plus, en ayant recours à votre simulateur d’impact, avec un scénario de chômage à 4,5 %, le déficit du régime ne serait que de 0,4 % du PIB en 2030, soit 10 milliards d’euros, alors que le Gouvernement annonce quant à lui un déficit de 13,5 milliards d’euros d’ici 2030. Pouvez-vous nous éclairer sur le montant exact du déficit prévu pour 2030 ?

Votre rapport prévoit également une diminution relative du niveau de vie des retraités par rapport au reste de la population, en raison de la stabilisation voire de la diminution de la part des dépenses de retraite dans le PIB. Le COR évalue le niveau de vie en prenant en compte le patrimoine financier, le patrimoine immobilier et l’endettement. Notre groupe souhaiterait aussi savoir quelles sont vos prévisions concernant la baisse spécifique des pensions d’ici 2070, indépendamment des autres revenus.

Concernant les autres mesures annoncées, le Gouvernement prévoit notamment une revalorisation de la pension minimale à 85 % du Smic pour les assurés ayant effectué une carrière complète et n’ayant jamais dépassé le Smic. Toutefois, un rapport de 2018 sur la trajectoire professionnelle de 2,5 millions de personnes pendant 21 ans a évalué que seulement 48 personnes n’avaient pas dépassé le Smic pendant cette période. Pouvons-nous évaluer combien de personnes seraient réellement touchées par cette mesure ?

Enfin, l’index seniors prévu dans le projet de loi aura-t-il un impact concret sur l’amélioration de l’activité des seniors ?

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je n’ai pas pu entendre le début de votre intervention puisque j’assistais à une grande manifestation à Marseille, dont les participants ne protestaient pas contre votre rapport, rassurez-vous, mais plutôt contre la réforme.

J’ai bien noté les précautions que vous prenez de manière à ce que votre rapport ne soit pas instrumentalisé de quelque manière que ce soit. Vous expliquez que s’il est légitime de défendre les niveaux actuels et futurs des dépenses de retraite, l’âge de départ à la retraite ou encore le niveau de vie des retraités – qui seraient trop ou pas assez élevés selon les préférences politiques –, le rapport annuel du COR n’a pas pour mission de refléter ces débats. J’ai noté votre formule de la page 9 : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ». Je pense que nous avons tout intérêt à ce que vous puissiez exposer, ici et ailleurs, les données, afin que nous puissions discuter sur des bases saines, qui soient les mêmes pour toutes et tous.

Ma question portera sur les évaluations que vous avez faites concernant la période 2028-2032. Vous évoquez les changements que vous avez été amenés à faire dans vos schémas initiaux sur ce sujet-là. Vous employez le mot « artefacts », en indiquant que les calculs que vous avez effectués se fonderaient sur des artefacts. J’aimerais en savoir un petit peu plus sur la façon dont vous avez procédé pour produire ces analyses concernant notamment cette période. Je vous remercie.

M. Charles de Courson (LIOT). Monsieur le président, dans le rapport du COR, vous montrez que le taux de la surcote et de la décote, fixé à 5 % par an, est inférieur au taux de la neutralité actuarielle. Pourriez‑vous nous indiquer quel est le niveau du taux assurant la neutralité actuarielle, qui est semble-t-il autour de 7 % ? Avez-vous pu étudier les incidences de la décote et de la surcote sur le comportement de nos concitoyens ?

Le COR s’est-il intéressé à la très forte inégalité de traitement induite par le calcul des pensions de réversion et, dans le calcul des pensions de droit direct, à la prise en compte du nombre d’enfants ?

Vous avez parlé brièvement du problème des 165 milliards d’euros de réserves, en indiquant que cette somme appartenait aux administrations publiques. Êtes‑vous certain de cette analyse ? Il me semble que la moitié relève de réserves Agirc-Arrco et que 40 milliards sont issus des régimes des libéraux, et sont donc propriété des assurés. Avez‑vous réalisé une analyse juridique pour déterminer qui est propriétaire de ces réserves ?

M. Thibault Bazin (LR). L’inflation était très faible en 2021, elle est beaucoup plus forte en 2022, et elle sera potentiellement encore importante en 2023. L’évolution relative du niveau de vie des pensionnés, pour les actifs dont les salaires peuvent ne pas suivre parfaitement l’inflation, ne modifie-t-elle pas un peu vos prévisions, telles que présentées ?

Ma collègue Véronique Louwagie a évoqué le déclin de la natalité. Pour vous, ce déclin est-il une fatalité inéluctable et une hypothèse fixe ? Au contraire, une politique publique pourrait-elle impacter l’hypothèse retenue, donc vos hypothèses d’équilibre à moyen terme ?

M. Mathieu Lefèvre (RE). Je retiens de votre intervention que nous sommes face à un problème de physique élémentaire, qui devrait, je crois, appeler à la raison tous ceux qui considèrent un tant soit peu la science dans notre pays. De ce point de vue, je crois qu’il faut appeler un chat un chat : un déficit qui augmente n’est ni plus ni moins qu’un dérapage. Vous réalisez vos prévisions à partir de quatre scénarios qui reposent à la fois sur la productivité du travail et l’évolution du taux moyen de chômage. Quelles seraient les perspectives d’équilibre avec le taux de chômage actuel de 7,3 % et la productivité du travail actuelle, qui est légèrement supérieure à 1 % ?

M. Benoit Mournet (RE). Pourriez-vous nous confirmer que la convention EPR sera retenue ? Je rappelle qu’il s’agit de celle selon laquelle l’État compense les régimes spéciaux et son propre régime public. Je pense qu’il serait utile de rappeler à tout le monde que cette convention prévoit un déficit projeté aux horizons 2027 et 2030.

Présenter les chiffres en pourcentage du PIB est très intéressant. En 2001, le COR prévoyait que les retraites représentent moins de 14 % du PIB. Toutefois, entre-temps sont intervenues les réformes de 2003, 2008, 2010 et 2014. Les prévisions du COR ne sont-elles pas toujours un peu optimistes ?

Mme Félicie Gérard (HOR). Je vous remercie pour votre présence aujourd’hui. En décalant à 64 ans l’âge légal de départ en retraite et en amenant la durée de cotisation à quarante‑trois annuités, selon vos prévisions, l’équilibre financier du système est-il rétabli ? Si oui, à quel horizon ? Ces mesures seront-elles suffisantes pour garantir l’équilibre financier à long terme ou faudra-t-il, dans les décennies à venir, décaler à nouveau l’âge de départ à la retraite ?

Par ailleurs, dans le cadre de la réforme des retraites, augmenter le pourcentage d’actifs chez les plus de 55 ans est un enjeu majeur. Quelle est votre analyse de l’impact de cette réforme sur l’emploi des seniors dans notre pays ? Pensez-vous que les paramètres que propose aujourd’hui la réforme soumise à débat permettront d’accompagner au mieux les seniors ?

Enfin, je relaie la question de Paul Christophe sur les effets du relèvement de l’âge de départ à la retraite sur le chômage des jeunes. L’allongement de la durée d’activité des générations plus âgées aurait-il pour conséquence de retarder l’accès au marché du travail des jeunes ? En 2016, le COR jugeait peu probable la causalité entre chômage des jeunes et emploi des seniors. Six ans plus tard, le COR reste-t-il sur cette lecture ?

M. Éric Alauzet (RE). Monsieur le président du COR, dans vos projections, vous avez intégré, et c’est bien normal, les effets de la réforme Touraine votée fin 2013, réforme que j’ai votée avec la majorité Verts-PS de l’époque. Autrement dit, avec le temps, il faudra cotiser cinq trimestres supplémentaires par rapport aux conditions de départ des retraités qui partent aujourd’hui. La situation de référence à partir de laquelle vous avez effectué vos projections est donc différente de la situation actuelle.

Cette réforme a une conséquence sensible sur l’âge effectif de départ à la retraite, qui atteint déjà près de 63 ans actuellement. En prenant en compte les effets de la totalité de la réforme Touraine et des cinq trimestres d’activité qui s’ajouteront progressivement dans les années à venir, l’âge de départ moyen s’approchera tendanciellement des 64 ans. Cette évolution se produit donc hors nouvelle réforme et conduit à regarder un peu différemment le report officiel de l’âge à 64 ans. Pouvez-vous me confirmer que les projections réalisées prennent déjà en compte un âge moyen de départ à 64 ans, avec les conséquences financières liées en recettes et en dépenses ? Le COR est-il en capacité de pouvoir apprécier cette situation et de l’intégrer dans ses analyses ?

Mme Annie Vidal (RE). Monsieur le président du COR, dans votre rapport annuel, vous soulignez que le vieillissement de la population entraînera, et c’est bien logique, une diminution du nombre de cotisants par rapport au nombre de retraites à verser. C’est logique puisque le nombre de personnes de 75 à 84 ans enregistrera une croissance inédite de près de 50 % entre 2020 et 2030. Vous précisez aussi que la situation financière du système de retraite se détériore, avec un déficit de 12 à 20 milliards selon la convention et les scénarios projetés, et cela sur les vingt‑cinq prochaines années.

Dans ce contexte de transition démographique importante, auquel s’adjoint un climat économique fluctuant, marqué par l’inflation, quelle est la trajectoire dont l’impact sur l’équilibre de notre système de retraite par répartition sera le plus efficace, en maintenant, bien évidemment, les objectifs cibles de croissance des dépenses publiques ?

Mme Fanta Berete (RE). Monsieur le président, dans votre rapport, je me suis intéressée aux hypothèses démographiques, notamment les hypothèses de fécondité et de solde migratoire. Vos quatre scénarios ont été bâtis en fonction d’hypothèses qui correspondent au débat économique actuel. Je pense qu’il convient aussi de prendre en compte les débats autour de la politique de natalité et de la politique migratoire.

D’un côté, votre rapport reprend les données de l’Insee sur une fécondité en baisse, ce qui pourra augmenter la part des dépenses des retraites dans le PIB. Aujourd’hui, certains plaident pour une politique de natalité, à l’image du haut-commissaire au plan. Néanmoins, nous n’en constaterions les effets que dans une vingtaine d’années. D’un autre côté, l’Insee voit le solde migratoire en baisse, à 20 000 personnes par an, ce qui augmenterait aussi la part des dépenses de retraite dans le PIB pour les scénarios à 0,7 % ou à 1 %. Or une politique migratoire très soutenue, comme en Allemagne, permettrait d’embaucher des travailleurs qui seraient immédiatement des contributeurs nets au régime des retraites. Certes, il s’agit d’un choix politique qui pourrait en déranger certains mais qui répondrait à un double besoin pour notre pays, si l’on tient compte du manque de ressources actuelles.

Dans vos prochaines projections, pour raffiner vos scénarios, pourriez-vous envisager d’intégrer à vos hypothèses la dimension des politiques migratoire et de natalité ?

M. Serge Muller (RN). Afin d’équilibrer le système de retraite, l’État verse des sommes permettant de faire face au déficit structurel. Le montant de ces subventions d’équilibre diminue année après année car ces dernières assurent l’équilibre des régimes en voie de disparition ou de réduction des effectifs, comme ceux de la SNCF, de la RATP, des marins, des mineurs ou encore des cigarettiers. Il est donc nécessaire de décider du niveau d’intervention de l’État. Avec un niveau de productivité du travail à 1,6 %, me confirmez-vous que réinvestir cet argent public dans le système de retraite permettrait à notre système de retraite actuel d’être à l’équilibre sans réforme supplémentaire jusqu’en 2045 ? Quelles sont les conditions pour atteindre ce niveau de productivité du travail ?

M. le président Éric Coquerel. Je voudrais vous poser la question inverse de celle de mon excellent collègue Benoit Mournet. En 2019, dans vos prévisions, vous annonciez pour cette année un déficit de 0,5 % du PIB. Or l’excédent est de 3,2 milliards d’euros. J’aimerais donc savoir à quoi vous attribuez cette situation et ce qu’elle induit. Enfin, le COR a-t-il chiffré l’incidence d’un rétablissement d’un âge légal de 60 ans, soutenu par 68 % des Français, notamment en termes d’économies pour l’assurance chômage, la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles ? Ces scénarios ont-ils été étudiés par le COR ?

M. le président du COR. Vous avez indiqué que les résultats du COR en 2001, 2019, et 2018 n’étaient pas les mêmes qu’en 2020. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, c’est normal car le monde évolue et parce que nous prenons en compte, en règle générale, la totalité du passé, et que même les hypothèses sur le futur peuvent changer, notamment les hypothèses à court terme du Gouvernement. D’ailleurs, nous ne nous distinguons pas des hypothèses du Gouvernement pour les premières années. Pour leur part, nos hypothèses à long terme peuvent évoluer au fil du temps. Ainsi, nous avons décalé les scénarios de productivité par rapport à nos travaux précédents. Les travaux qui expliquent pourquoi les conclusions ne sont pas les mêmes en 2016 qu’en 2022 sont en annexe. Si vous souhaitez réaliser un travail notarial sur le sujet, ce qui n’est pas passionnant, vous en avez la possibilité. Nous sommes remontés jusqu’en 2016 mais pour 2001, franchement, je ne sais pas ce qu’il en est. Sur ce point, il faudrait mener un travail notarial et de bénédictin, que je n’imposerai pas à la petite équipe du COR, qui a des choses plus intéressantes à faire.

Nous n’avons pas réalisé de simulation sur un âge légal de départ à 60 ans. Pour autant, je rappelle que je ne suis pas le COR à moi tout seul. Si, demain, les membres du COR m’indiquent qu’ils souhaitent disposer de cette simulation, nous contacterons les régimes de retraite, les administrations… A priori, le COR n’est pas opposé à conduire telle ou telle analyse. Nous disposons d’un programme de travail et nous sommes prêts à y intégrer ce que les membres du COR – je les ai cités au début – nous demanderont.

Vous avez posé des questions sur la démographie, la natalité, le solde migratoire. Avec nos quarante‑deux membres, nous ne pourrons pas construire des hypothèses démographiques issues d’un débat entre la CGT, la CFDT, le Medef, un député Renaissance, un député Les Républicains… Nous utilisons les hypothèses de l’Insee, qui d’ailleurs, servent de base à tous les travaux en termes de projections économiques. Ces hypothèses ne doivent donc pas être discutées avec moi. Dans ce cadre, l’Insee ne connaît pas l’avenir et elle établit donc des variantes démographiques : par exemple, quel est l’impact d’une hypothèse de natalité sur les retraites ? Nous pourrions même utiliser des variantes qui ne seraient pas celles de l’Insee si les membres le souhaitaient. Pour autant, l’objectif du COR n’est pas de déterminer ce que sera le futur mais de fournir des éléments raisonnables, et plus ou moins raisonnés, sur le futur, à ceux qui doivent prendre les décisions. Je ne serai plus là en 2070 mais si l’on m’annonçait alors que nos prévisions de 2022 ne se sont pas concrétisées, je ne serais pas étonné. Nous devons décider et, pour ce faire, nous devons nous projeter dans le futur : faisons-le de manière raisonnable et raisonnée, sur la base d’hypothèses qui sont partagées, en recherchant l’accord de tous les membres du COR sur les hypothèses du Gouvernement, sur celles de l’Insee en matière de démographie, sur les variantes… Nous n’avons pas d’ambition ou de prétention supplémentaires, nous ne connaissons pas le futur.

Pour ce qui est du solde migratoire, l’hypothèse centrale de l’Insee n’est pas de 20 000 – il s’agit de la variante basse – mais de 70 000. Évidemment, il s’agit du domaine dans lequel les prévisions sont les plus aventureuses car cet aspect dépend de la situation internationale et des politiques nationales, qui font l’objet de débats soutenus. Pour la natalité, l’hypothèse centrale de l’Insee est de 1,8 enfant par femme. Il se trouve qu’il s’agit du résultat de 2022. Si vous souhaitez discuter de ces questions, même si j’ai mon avis, comme tout le monde, car ces sujets m’intéressent, ne le faites pas avec moi. Discutez avec les membres du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, notamment ceux qui s’occupent des politiques de l’enfance. Avec moi, vous pouvez discuter des retraites.

Une question a été posée sur l’inflation. Dans notre modèle de projection, les salaires augmentent en valeur réelle, comme augmente la productivité. Les salaires progressent donc plus vite que les pensions, comme nous avons pu le constater dans les années passées. Dans la période de très forte inflation de 2022 et 2023, il est évident que les tendances pourraient s’inverser. Si l’inflation prend du temps à se répercuter dans les salaires et si l’inflation est répercutée très vite dans les pensions – cette année, le Gouvernement a anticipé la revalorisation des pensions dès le 1er janvier 2023 –, il se peut que, sur cette période de forte inflation, les pensions progressent plus vite que les salaires. Dans ces conditions, la diminution projetée à long terme du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs et à l’ensemble de la population pourrait être contredite à court terme.

Une question a porté sur la baisse du niveau de vie relatif des retraités. Lorsque nous projetons cette baisse du niveau de vie relatif, nous ne faisons pas d’hypothèse sur d’autres éléments du niveau de vie des retraités, tels que les revenus du capital. La baisse du niveau de vie relatif des retraités que nous évoquons est donc liée au fait que les pensions diminuent par rapport aux rémunérations. Toutefois, le rapport comprend des précautions méthodologiques sur l’interprétation de cette évolution, dont nous indiquons qu’elle est mécanique, et n’intègre pas d’éventuels changements de comportements liés à la baisse même du niveau de vie relatif des retraités. Cette baisse du niveau de vie des retraités, selon un raisonnement économique, introduit une modification du comportement des agents. Comment ces agents pourraient-ils réagir face à une évolution qui les mécontenterait ? La première solution serait d’épargner davantage durant sa vie active, afin d’accroître ses revenus du patrimoine, lorsque c’est possible, bien sûr. La seconde solution serait de repousser son âge de départ à la retraite, afin de bénéficier de la surcote, lorsque c’est possible également. Il s’agit d’une projection mécanique. Même si l’âge de départ à la retraite n’est pas repoussé par la loi, la baisse du niveau de vie relatif pourrait donc se traduire par des modifications de comportement des assurés qui le peuvent. Je précise en effet que d’autres ne pourraient pas modifier leurs comportements, notamment ceux qui sont au chômage, en invalidité, en inaptitude…

Une question a été posée sur le taux de surcote. Dans certaines analyses du COR, nous avons montré que le taux de surcote n’était pas actuariel. Sans dégrader la situation du système de retraite sur le long terme, nous pourrions appliquer une surcote supérieure à 5 %. Je ne connais pas le niveau auquel il conviendrait de porter cette surcote pour qu’elle devienne actuarielle. L’opération est complexe car le taux de surcote ne doit pas être de 5 % tous les ans mais doit être plus élevé si l’on a 70 ans que si l’on a 65 ans.

Par ailleurs, nous avons travaillé sur les écarts et la disparité des systèmes de réversion. Je vous renvoie à la séance du COR consacrée à ce sujet, séance très édifiante, qui a montré que le système était plein de contradictions. À titre d’exemple, la réversion que touche un des conjoints lorsque le mariage a été suivi d’une séparation dépend du comportement de son ex‑mari ou ex‑femme. En effet, si votre ex-conjoint se remarie, la perte est majeure. Le fait que, dans notre système de retraite, le niveau de vie, les revenus de quelqu’un puissent dépendre de la décision que prend un tiers, duquel il est séparé, constitue le summum des aberrations. En règle générale, je ne porte pas de jugement, j’essaie de m’en tenir à des constats. En l’occurrence, je me suis permis de sortir de la réserve qui s’impose.

Je mentionne d’ailleurs à nouveau cette réserve pour vous indiquer que je ne peux pas répondre à de nombreuses questions. Vous m’avez demandé quelle serait ma proposition pour améliorer le système. Bien évidemment, je ne vais pas répondre à cette question ni à celle sur le détournement de nos travaux. Je n’ai pas d’appréciation à porter sur ces sujets.

Une question a été posée par M. Pierre Dharréville sur l’artefact 2028-2032. C’est un problème pour nous. Habituellement, le COR travaillait sur une hypothèse centrale de chômage à 7 %. Cette hypothèse était satisfaisante car celle du Gouvernement, en fin de période, se situait à 8 %. Précisément, en 2021, l’hypothèse du Gouvernement était celle d’un taux de chômage à 8,4 % en 2027. En juillet 2022, la prévision du Gouvernement est passée à 5 %. Pour notre part, nous avons toujours assuré un lissage sur cinq ans entre la prévision du COR et celle du Gouvernement. En l’occurrence, nous devions passer de 7 % à 5 % sur la période, ce qui entraînait une période totalement sinistrée entre 2028 et 2032. Nous avons établi le rapport sur cette base en indiquant que, pour cette période, l’évolution était un artefact. Ensuite, nous avons refait tous les calculs avec une variante à 4,5 %. Pourquoi ne l’avons-nous pas fait dès le début ? La raison en est simple : depuis dix ans, je subis les sarcasmes de tous les éditorialistes dès que je leur parle d’un taux de chômage de 4,5 %, ces derniers m’assurant que les membres du COR sont fous. Nous avions donc abandonné cette hypothèse, jusqu’à ce que le Gouvernement présente son hypothèse de 5 %. Depuis, je ne fais plus l’objet de sarcasmes sur mon optimisme invétéré.

M. le président Éric Coquerel. Pour le moins, la cible des sarcasmes n’est plus la même.

M. le président du COR. Par ailleurs, je vous ai rappelé le statut des conventions EPR et EEC. En 2019, lors d’une conférence de financement, le Gouvernement avait considéré que les deux conventions étaient utiles. En effet, afin de fixer un objectif à cette conférence, il avait pris la moitié de la convention EEC et la moitié de la convention EPR pour définir le niveau de déficit. Cette convention EEC n’est donc pas complètement inutile puisqu’elle a servi de référence au Gouvernement en 2019. Pour l’ensemble des membres du COR, cette convention EEC a un but pédagogique, permettant de montrer qu’une partie du déficit est liée au régime des fonctionnaires.

Aujourd’hui, j’ai préféré vous présenter le tableau en précisant qu’une partie du déficit était liée aux dépenses et une autre partie aux ressources. Pour ces dernières, il convient de distinguer l’effet des fonctionnaires, l’effet CNRACL et l’effet Unedic et branche famille. Toutefois, la convention EEC permet de gommer l’effectif des fonctionnaires et il est ainsi possible de la mettre en exergue. J’ai constaté qu’au Parlement, un amendement avait été déposé sur cette question. J’ouvrirai donc le débat avec les membres du COR. Si ces derniers m’indiquent que notre objectif pédagogique est mieux atteint avec le tableau que je vous ai présenté aujourd’hui, et que nous n’avons plus besoin de la convention EEC, je me rallierai à leur position. S’ils m’indiquent qu’ils souhaitent le maintien de la convention EEC, qui fait partie de notre patrimoine, je la maintiendrai.

M. de Courson a évoqué les réserves, dont je n’ai pas indiqué qu’elles constituaient un bien public. Au contraire, j’ai souligné que nous pourrions penser qu’il s’agit d’un bien public mais que ce dernier appartenait à certaines institutions ou à certains régimes. Je n’ai pas réalisé d’analyse juridique pour vérifier si les réserves appartenaient plutôt à certains assurés. À ce stade, ces réserves ne sont pas disponibles pour régler le problème des retraites. Dans ce cadre, j’attire votre attention sur le point suivant. Lorsque l’on repousse l’âge de départ à la retraite, on améliore la situation de l’ensemble des systèmes de retraite, notamment celle de l’Agirc-Arrco, régime qui est d’ores et déjà excédentaire, et qui dispose de réserves importantes. Dans le bilan de la réforme, il faudrait donc intégrer la réaction plausible de l’Agirc-Arrco. Ces composantes sont très liées à la complexité de notre système de retraite, avec sa multitude de régimes.

Je n’ai pas répondu à toutes les questions et je vous présente mes excuses sur ce point. Pour ce faire, il aurait fallu que nous disposions de beaucoup plus de temps.

Plus largement, sur les questions techniques, et non d’appréciation, le COR se tient bien évidemment à la disposition de la représentation nationale, c’est évident, mais aussi de chaque député, individuellement, qui aurait une question précise sur tel ou tel sujet. La taille de l’équipe du COR est limitée mais nous pouvons vous aider et vous éviter d’effectuer des recherches compliquées. Nous sommes à votre service.

M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie tous les deux d’être venus. Je remercie la commission des affaires sociales et sa présidente d’avoir accepté que nous co‑organisions cette séance. Ce choix était pertinent au vu du nombre de questions. Je pense que sur la base de toutes les informations transmises, nombre de questions trouveront leurs réponses, réponses que chacun pourra interpréter comme il le souhaite dans le cadre du débat.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je remercie M. le président du COR, à la fois pour la qualité de ses travaux et pour la qualité de ses interventions et réponses, malgré la complexité du sujet et surtout la pluralité des perspectives, notamment sur le plan économique, ce qui ne rend pas votre tâche facile. Je remercie bien sûr tous les collègues présents à cette audition et je vous donne rendez-vous très vite sur le sujet des retraites puisque lundi, nous avons l’honneur et le plaisir d’auditionner M. Olivier Dussopt, ministre du travail.

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Document présenté par M. Pierre-Louis Bras, président du Conseil d’orientation des retraites, lors de son audition

 

 

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   compte rendu de l’audition de M. Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion et de la discussion gÉnÉrale du projet de loi

Réunion du lundi 23 janvier à 16 heures 30

La commission entend M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion sur projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 ([2]).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, le Conseil des ministres a adopté ce matin un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023. Comme il est d’usage, le texte nous est immédiatement présenté par M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, que je remercie d’avoir répondu à notre invitation. Cette présentation sera suivie d’un échange, qui constituera la discussion générale du texte en commission. Nous prendrons tout le temps nécessaire pour cela. Lundi prochain, nous commencerons directement l’examen des articles et des amendements.

Dans ces conditions, conformément à ce qu’a décidé le bureau de notre commission au début de la législature, il m’a semblé indispensable d’augmenter significativement le temps d’intervention des orateurs des groupes, qui sera de cinq minutes chacun. Les autres députés pourront poser des questions pour une durée de deux minutes. Je ne doute pas que cela assurera des débats riches et marqués, comme toujours dans notre commission, par un juste équilibre entre libre expression des opinions et respect des convictions de chacun.

Nous examinerons le texte en commission lundi, mardi et mercredi prochains. Ce calendrier ménage un temps satisfaisant pour la rédaction des amendements, dont le délai de dépôt expire jeudi à 17 heures, et pour leur traitement par les services. Nous consacrerons trois journées à l’examen des articles à compter de lundi matin. Nous conclurons nos travaux mercredi 1er février afin de laisser le temps nécessaire à la préparation des amendements pour la séance publique, dont le délai de dépôt expire jeudi 2 février à 17 heures. La discussion dans l’hémicycle s’étendra du lundi 6 au vendredi 17 février.

Cette réforme des retraites ne vient pas de nulle part. Sans remonter à nos travaux de 2020, je rappelle que le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 fait l’objet, depuis le mois de septembre, d’une concertation avec les organisations syndicales et patronales ainsi que d’échanges avec les représentants des groupes politiques des deux assemblées. Chacun a pu exprimer directement ses positions à la Première ministre et aux ministres, qui en ont tenu compte avant même le début des travaux parlementaires. Ceux-ci seront certainement l’occasion d’évolutions, d’amendements et d’améliorations.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. J’ai plaisir à vous retrouver pour la première étape de la discussion parlementaire de la réforme des retraites, à l’issue de plusieurs mois de concertation avec les partenaires sociaux et les forces politiques, précédés de plusieurs années de débat public, parfois enflammé.

Avec cette réforme, nous avons un objectif : garantir la promesse républicaine de préservation d’un système de retraite par répartition pérenne et solidaire. Nous sommes convaincus, et vous êtes sans doute nombreux à l’être aussi, que la retraite demeure une part majeure du patrimoine de ceux qui n’en ont pas, une forme de legs collectif participant de notre pacte social. Ce legs nous a été transmis ; par cette réforme, nous nous donnons les moyens de le transmettre à notre tour aux générations futures et de rendre cet héritage encore plus juste.

Avant d’en venir aux caractéristiques de la réforme, je veux dire un mot de la méthode. Elle est fondée sur la concertation : c’est un principe que j’ai suivi chaque fois que j’ai eu l’honneur de mener une réforme depuis 2017, animé d’une volonté d’écoute et de recherche de l’équilibre, sans méconnaître les désaccords, qui sont autant d’évidences pour assurer l’efficacité et la vertu du débat. Au fond, tout est affaire de méthode. Nous pouvons prendre acte de certaines différences et de certaines convergences, voire de consensus sur certains sujets, sans qu’il en résulte une adhésion globale à un texte donné, un soutien ni un refus.

Voici quatre ans, depuis l’examen du dernier projet de réforme, que le système de retraite est au cœur du débat. Nous avons organisé, depuis le mois d’octobre, plusieurs dizaines de réunions avec les partenaires sociaux et les forces politiques, pour passer en revue les sujets. Aujourd’hui encore, malgré les oppositions affirmées des organisations syndicales, nous maintenons un contact pour essayer d’avancer. À ce titre, je tiens à remercier les organisations syndicales, les organisations d’employeurs ainsi que les groupes parlementaires, qui ont pris part à la tradition du dialogue social et républicain. Tous ont contribué à cet échange parfois épineux, ce qui a été constructif et utile. Cette méthode de dialogue et de concertation se traduit directement dans le texte qui vous est présenté.

Ainsi certaines propositions sont-elles directement issues de travaux parlementaires.

Je pense à l’extension, adoptée lors du précédent quinquennat, de la revalorisation des pensions de retraite agricoles, à hauteur de 85 % du Smic, aux exploitants non-salariés dont la carrière est incomplète en raison d’une déclaration d’incapacité ou d’inaptitude. Je pense à l’attribution de nouveaux droits aux aidants, particulièrement chère à votre commission depuis cinq ans ; le présent texte permettra de donner suite à vos attentes, en leur offrant la possibilité de valider des trimestres de retraite.

Je pense aussi à la réparation d’erreurs du passé, souvent rassemblées sous l’appellation « contrats TUC ». Les contrats de travaux d’utilité collective (TUC) ont fait l’objet d’une mission flash menée par les députés Paul Christophe et Arthur Delaporte. Nous allons corriger l’injustice dont sont victimes certains de leurs signataires, qui fait que ces périodes d’activité ne sont pas prises en compte dans le calcul de leurs droits à la retraite. Je pense enfin à l’extension de la revalorisation du minimum contributif (MiCo) aux retraités actuels. Nous avons intégré dans le texte cette demande forte des groupes de la majorité et du groupe Les Républicains, à l’occasion de son examen par le Conseil d’État.

J’en viens aux principales caractéristiques du texte. Il vise plusieurs objectifs.

Premièrement, la réforme vise à permettre au système de retraite de revenir à l’équilibre. Je ne détaillerai pas les déficits que le président du Conseil d’orientation des retraites (COR) n’a pas manqué de vous rappeler lorsque vous l’avez auditionné. Une chose est certaine : quelles que soient les hypothèses, quelles que soient les conventions comptables, existantes ou inexistantes, quels que soient les scénarios retenus, notre système de retraite est déficitaire pour les vingt-cinq prochaines années au moins. C’est écrit en toutes lettres en page 11 du rapport du COR publié en septembre 2022.

D’après l’hypothèse centrale de ce même rapport, sur laquelle ont été fondées toutes les réformes et toutes les études, le déficit est d’ores et déjà prévu à 1,8 milliard d’euros en 2023, puis il se creusera rapidement pour atteindre 12,4 milliards d’euros en 2027, 13,5 milliards d’euros en 2030 et 25 milliards d’euros en 2040. Dire le contraire, s’enfermer dans le déni, c’est sacrifier le système de retraite par répartition, qui protège les plus fragiles et garantit la solidarité entre les générations. Dire le contraire en ne tenant compte que du poids des dépenses par rapport au produit intérieur brut et en ignorant l’évolution des recettes, donc la dégradation du solde, c’est prendre le risque de condamner notre système de retraite par répartition, transmettre aux prochaines générations le poids d’une dette dont nous avons la responsabilité, faire peu de cas du devoir qui est le nôtre de faire durer et vivre notre système de retraite.

Face à cette situation de déficit structurel, les options ne sont pas innombrables. Nous pouvons soit créer de nouveaux impôts, soit baisser les pensions et le pouvoir d’achat, soit travailler un peu plus longtemps – ce pour quoi nous avons opté. Chaque option peut être débattue. Mais le Président de la République et sa majorité ont toujours été clairs. Créer de nouveaux impôts, c’est revenir sur cinq années de baisse des prélèvements obligatoires qui ont redonné du souffle à notre compétitivité, donc à notre économie, au marché du travail et au pouvoir d’achat des Français. Baisser les pensions, c’est réduire le pouvoir d’achat des retraités, dont certains ont un niveau de vie précaire. Nous voulons faire le contraire en finançant, par la réforme, des revalorisations de pensions. Par ailleurs, laisser le déficit augmenter de plusieurs dizaines de milliards d’euros en une dizaine d’années n’est pas envisageable dans un pays endetté à hauteur de 110 % de son produit intérieur brut, de surcroît en pleine remontée des taux obligataires.

Aussi souhaitons-nous, pour assurer l’avenir du système par répartition, que ceux qui le peuvent travaillent plus longtemps. L’âge légal de départ sera progressivement relevé, de trois mois par an à compter du 1er septembre prochain, ce qui le portera à 63 ans et trois mois à la fin du quinquennat et à 64 ans en 2030.

Nous l’assumons et le revendiquons : c’est en travaillant un peu plus longtemps, à l’échelle d’une vie, que nous garantirons notre système par répartition en tenant compte de l’allongement de l’espérance de vie. Ce choix a été fait auparavant par tous nos partenaires européens et par tous les gouvernements français, quelle que soit leur couleur politique, sans qu’aucun ne revienne jamais sur les réformes de ses prédécesseurs.

Par ailleurs, ce choix symbolise l’utilité de la concertation. Comptant initialement reculer l’âge de départ en retraite à 65 ans, nous avons été convaincus de la possibilité de le reculer de deux ans seulement en accélérant la mise en œuvre de la loi dite Touraine : nous conservons le minimum de quarante-trois ans de cotisation qu’elle prévoit, mais nous en accélérons la mise en œuvre, à raison d’un trimestre par an, pour atteindre cette durée de cotisation à la fin de ce quinquennat.

Quant à l’âge d’annulation de la décote, il demeure fixé à 67 ans, quelle que soit la durée de cotisation. Chacun pourra donc bénéficier d’une retraite à taux plein trois ans après avoir atteint l’âge légal de départ, au lieu de cinq aujourd’hui. Cette diminution de la période d’application et de mise en œuvre de la décote s’appliquera à tous les modes de départ. Dans la fonction publique, l’âge de suppression de la décote sera fixé à trois ans après l’âge de départ anticipé prévu pour les catégories actives et super-actives.

Cet effort sera demandé à tous : salariés du privé, indépendants, fonctionnaires, bénéficiaires de régimes spéciaux. Il permettra de financer des mesures de justice et de progrès, de dégager des marges de manœuvre pour le retour à l’équilibre en 2030, de financer de nouveaux droits. J’ai eu l’occasion de le dire : pas un euro de cotisation vieillesse ne financera autre chose que les retraites. Des 18 milliards d’euros ainsi dégagés, les deux tiers permettront le retour à l’équilibre et un tiers financera de nouvelles mesures.

Deuxièmement, cette réforme est juste. Il s’agit de travailler plus longtemps, mais pas pour tout le monde et pas de la même manière.

Tout d’abord, nous améliorons le dispositif des carrières longues en le rendant plus juste et plus lisible. Si l’âge légal de départ en retraite sera de 64 ans en 2030, il restera à 58 ans pour ceux qui ont commencé à travailler très tôt, avant 16 ans, et les conditions à réunir pour en bénéficier seront réduites. Ceux qui ont commencé à travailler entre 16 et 18 ans pourront partir en retraite à 60 ans. Il s’agit d’un nouveau palier : auparavant, ils étaient traités exactement de la même manière que ceux ayant commencé à travailler entre 18 et 20 ans ; ils pourront, quant à eux, partir en retraite à 62 ans, soit deux ans avant l’âge légal.

Ce dispositif permettra de mieux tenir compte de la situation des femmes en incluant les périodes de congé parental dans celles retenues pour bénéficier d’un départ anticipé au titre des carrières longues et satisfaire aux conditions d’éligibilité en matière de durée de cotisation. Il ne s’agit pas de mesures anecdotiques ou marginales, mais d’améliorations substantielles du système de retraite, souvent annoncées et rarement concrétisées.

Plusieurs paramètres relatifs aux carrières longues ne figurent pas dans le texte présenté ce jour, pour une seule raison : ils relèvent du champ réglementaire. Toutefois, leur coût figure dans le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, au tableau d’équilibre, à hauteur d’environ 600 millions d’euros.

Ensuite, nous ferons en sorte que notre système de retraite prenne mieux en considération les travailleurs les plus fragiles ainsi que les victimes d’accidents et de maladies professionnelles. Les personnes invalides en situation d’inaptitude ou d’incapacité permanente bénéficieront toujours d’une retraite à taux plein dès 62 ans. Cela n’a rien de marginal : 100 000 personnes sont concernées chaque année. Les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles pourront également partir plus tôt, de manière automatique en cas de taux d’incapacité supérieur à 20 %.

Par ailleurs, nous maintenons le départ en retraite à 55 ans pour les travailleurs en situation de handicap et à 50 ans pour ceux exposés à l’amiante.

Nous demandons à ceux qui le peuvent de travailler plus, non seulement parce que nous visons le plein emploi, mais aussi parce que nous pensons que le travail est le ferment du lien social et parce que nous voulons financer une retraite précoce et améliorée pour ceux qui ne peuvent pas continuer. Si l’on rapporte les dispositions que je vous présente aux prévisions d’âge de départ effectif, lequel est assez largement supérieur à 62 ans et tend à progresser, le décalage est plus proche de six mois que de deux ans.

Par ailleurs, les mécanismes que nous mettons en place réduiront le décalage de l’âge de départ du cinquième des retraités aux pensions les plus basses. Par construction, les bénéficiaires des départs anticipés au titre des carrières longues, de l’incapacité ou de l’inaptitude sont souvent les moins bien rémunérés. Pour eux, le décalage effectif sera de l’ordre du trimestre, et non de deux.

Cette réforme ne serait pas juste si elle ne s’intéressait pas au travail des séniors. Toutes les mesures ne peuvent pas être concentrées dans un seul texte. Nous aurons l’occasion, au printemps, de présenter un projet de loi relatif au travail et à l’emploi, qui sera complémentaire. Accompagner l’emploi des séniors est une condition de la réussite de la réforme et de notre stratégie pour le plein emploi. Nous voulons faciliter les transitions entre l’activité et la retraite en généralisant l’accès à la retraite progressive, qui sera ouverte à la fonction publique, et en facilitant le cumul emploi-retraite tout en veillant à son caractère contributif, pour que les personnes concernées bénéficient d’une revalorisation de leur pension de retraite, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Dans le même temps, nous continuons à travailler – là réside l’utilité du texte que je viens d’évoquer – sur le compte épargne temps universel ainsi que sur la formation et l’accès à la formation des séniors. La formation continue des salariés de plus de 50 ans est à peu près moitié moindre que celui des plus jeunes.

Par ailleurs, les entreprises ont un rôle à jouer dans l’emploi des séniors et dans le changement de regard nécessaire. Nous nous donnerons les moyens de mesurer leur implication. Le texte crée un index des séniors pour que les entreprises prennent leur part dans le maintien dans l’emploi des salariés les plus âgés. Les entreprises qui refuseront de se conformer à l’obligation de publicité de cet index s’exposeront à une sanction financière.

Les indicateurs et les critères de cet index feront l’objet d’un décret soumis à concertation avec les partenaires sociaux. Une fois construit en tenant compte des caractéristiques des branches, nous pourrons mesurer l’évolution de la situation dans chaque entreprise de plus de 300 salariés ; nous aurons connaissance des progrès et de la dégradation de l’emploi des séniors en son sein. Une négociation obligatoire sur la gestion des emplois et des parcours professionnels des séniors, fondée sur cet index, est prévue. Les dispositions sur la sanction financière pour refus de publicité de l’index et sur l’obligation de négociation, qui visent à améliorer l’implication des entreprises sur l’emploi des séniors et leur positionnement sur l’index, répondent à des demandes exprimées durant la concertation.

Troisièmement, cette réforme permet plusieurs progrès.

Nous entendons d’abord améliorer la prise en compte de la pénibilité, notamment de l’usure liée aux conditions d’exercice de certains métiers. Pour ce faire, nous renforçons le compte professionnel de la prévention (C2P) en rendant plus facile d’y accéder et d’acquérir des droits. Par exemple, nous ramenons de 120 à 100 le nombre de nuits travaillées par an permettant d’obtenir des points. Nous améliorons la protection des travailleurs polyexposés.

Par ailleurs, nous déplafonnons le C2P pour permettre aux salariés d’acquérir autant de points que possible compte tenu de leurs conditions de travail. Nous créons une quatrième façon d’utiliser les points obtenus : un congé de reconversion qui permettra d’arrêter de travailler pour se former tout en étant rémunéré en vue d’une seconde carrière moins pénible.

Notre deuxième réponse en matière de prise en compte de la pénibilité et de prévention de l’usure consiste à s’intéresser aux critères ergonomiques, dont nous savons que la mesure individuelle est difficile. Je pense au port de charges lourdes, aux postures pénibles ou aux vibrations mécaniques. Cette difficulté de mesure nous avait amenés, il y a quelques années, à exclure ces critères du C2P. Nous voulons y remédier.

Dans la continuité de la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, dont votre commission a été à l’initiative, et après la conclusion d’un accord entre organisations syndicales et patronales, nous renforçons le suivi médical des travailleurs exposés à des facteurs de pénibilité. Nous prévoyons une première visite médicale obligatoire à 45 ans, un suivi médical renforcé par la suite et une seconde visite médicale obligatoire à 61 ans. Il est juste qu’un salarié, s’il est victime d’usure professionnelle qui justifie un départ anticipé, par exemple de troubles musculo-squelettiques, puisse profiter de sa retraite suffisamment tôt. S’il consulte un médecin du travail à 63 ans pour apprendre qu’il aurait pu partir deux ans auparavant, il est trop tard… Le suivi médical est la meilleure des préventions.

Par ailleurs, nous demanderons aux branches professionnelles des accords de prévention de la pénibilité et de l’usure, applicables aux métiers particulièrement exposés au risque de pénibilité. Le fonds d’investissement de la prévention de l’usure professionnelle sera doté de 1 milliard d’euros à l’échelle du quinquennat, soit une somme considérable à l’aune des efforts consentis par la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT‑MP). Il financera les accords de prévention précités, qui seront applicables aux métiers identifiés par la sécurité sociale en fonction de notre outil statistique, s’agissant notamment de l’accidentologie et de la prévalence des maladies professionnelles.

Le deuxième progrès majeur que permet ce texte est la revalorisation des futures petites pensions, qui atteindront 85 % du Smic pour une carrière complète. Ce droit à une retraite minimale garantit à tous qu’une vie de travail est l’assurance d’une retraite digne. Nous revaloriserons le minimum de pension de 100 euros par mois à partir du 1er septembre pour atteindre une pension totale de près de 1 200 euros par mois à la fin de cette année pour une carrière complète au Smic.

Par ailleurs, l’indexation du minimum de pension sur le Smic transformera en acte un principe vieux de vingt ans. J’entends souvent dire que le principe d’une pension à 85 % du Smic avait été prévu lors de la réforme de 2003. Mais il n’y a jamais eu de mécanisme de mise en œuvre et de suivi. L’indexation du MiCo sur le Smic permettra aux bénéficiaires de cette garantie de pension de percevoir 85 % du Smic à son montant du mois de la liquidation.

Cette mesure de garantie, compte tenu du prorata appliqué selon l’état des carrières, bénéficiera à 200 000 nouveaux retraités par an, soit un départ en retraite sur quatre. La revalorisation pourra atteindre 100 euros. Trois bénéficiaires sur cinq sont des femmes qui, aujourd’hui encore, sont les premières victimes des carrières hachées ainsi que des inégalités salariales à poste identique – le chemin vers l’égalité professionnelle est encore long. Les salariés des deux premiers déciles, dont les niveaux de revenu et donc les pensions sont les plus bas, seront les principaux bénéficiaires de cette revalorisation, qui s’appliquera aussi aux retraités actuels. Ainsi, les pensions de 1,8 million de retraités, sur les 17 millions connus, seront revues à la hausse.

Enfin, cette réforme est une réforme d’équité qui exige d’améliorer la solidarité entre générations et de tenir la promesse, inhérente à notre système, d’égalité des conditions d’accès à la retraite. À cet égard, nous considérons que la plupart des régimes spéciaux sont archaïques. Au fur et à mesure que la réalité des métiers a évolué, ils sont devenus progressivement injustes. Nous fermerons les régimes spéciaux de la régie autonome des transports parisiens (RATP), des industries électriques et gazières, des clercs et employés de notaires, de la Banque de France et du Conseil économique, social et environnemental. Nous le ferons sans revenir sur le pacte social : seuls les nouveaux embauchés, à compter du 1er septembre 2023, sont concernés.

L’équité consiste à demander le même effort à tous, quel que soit leur statut. Les assurés de la fonction publique et les bénéficiaires des régimes spéciaux seront concernés par l’allongement de la durée d’activité. S’agissant des seconds, un calendrier sera défini en concertation avec les entreprises et les branches. Nous prévoyons, comme la réforme de 2010, des périodes de convergence.

L’équité consiste aussi à permettre aux indépendants de jouir des mêmes droits que les salariés pour un même montant de prélèvement. Nous engageons, en même temps que l’examen du présent texte, dans la perspective de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, la réforme de l’assiette sociale des indépendants, en veillant à ce que ceux qui réalisent une carrière complète bénéficient de la garantie de retraite minimale.

Dans un tout autre registre, nous mettons à profit cette réforme – c’est le fruit de la concertation – pour solder quelques irritants. Nous vous proposons de mettre un terme au processus d’unification du recouvrement entre l’Urssaf, l’Agirc‑Arrco et la Caisse des dépôts, conformément à une demande des partenaires sociaux et de plusieurs groupes politiques.

En conclusion, je tiens à rappeler deux choses. D’abord, la Première ministre et moi sommes convaincus que les mesures que nous prenons permettent de préserver dans le temps le système de retraite par répartition auquel nous sommes attachés. Ensuite, dans toutes les discussions menées avec les organisations syndicales et patronales ainsi qu’avec les forces politiques, comme au cours des longues séances de travail de nos services respectifs, la situation des plus fragiles a été notre préoccupation. Les mesures d’accompagnement prises pour que cette réforme s’applique dans les meilleures conditions sont au bénéfice de ceux qui souffrent de la longueur de leur carrière, du caractère exigeant de leurs conditions de travail ou de leur exposition à des carrières hachées, que ce soit dû aux inégalités salariales ou professionnelles qui subsistent, particulièrement entre femmes et hommes, ou à des difficultés de la vie – je pense notamment aux aidants, que nous pourrons mieux accompagner.

Fort de ces convictions, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Après un débat national dans le cadre des élections présidentielle et législatives de 2022, et plusieurs mois de concertation avec les organisations syndicales et patronales sur tous les paramètres de notre système de retraite, nous ouvrons, par la présente audition, la première étape de la réforme au Parlement. Les négociations ne s’arrêtent pas à l’orée du processus législatif : elles se poursuivront, comme le Gouvernement s’y est engagé, au sein des branches et dans le cadre de l’élaboration des décrets, que nous souhaitons au plus près des réalités de chaque travailleur.

Ce texte procède d’un profond changement de philosophie dans notre façon d’appréhender la carrière professionnelle et la vie des retraités. La bonne santé tout au long de la vie professionnelle a inspiré des propositions pour préserver notre système de retraite par répartition. De nombreux débats ont eu lieu hors de notre enceinte ; je ne doute pas qu’ils se poursuivront.

En tant que rapporteure générale de la commission des affaires sociales, je souhaite que l’examen du texte à l’Assemblée nationale soit aussi approfondi et éloigné des propos d’estrade que possible. Notre débat sera passionné, certainement, mais il me semble indispensable à nos concitoyens. Il doit reposer sur le regard porté sur notre système par répartition, auquel nous sommes attachés sur tous les bancs. D’après les données fournies par le Conseil d’orientation des retraites, huit Français sur dix se disent préoccupés par l’avenir de ce système, et une majorité d’entre eux anticipe une baisse du niveau de vie à la retraite. Monsieur le ministre, quels sont les aspects de la réforme de nature à rassurer les Français sur la préservation du mécanisme par répartition et sur le montant des pensions qu’ils peuvent espérer après avoir travaillé toute une vie ?

Par ailleurs, le projet de loi combine les deux principes fondamentaux de notre sécurité sociale : le financement par le travail et la redistribution aux plus fragiles.

S’agissant du premier, il faut être clair : la réforme vise à éviter l’accumulation de déficits massifs dans les prochaines années, inévitable si nous ne faisons rien. L’augmentation de la durée des carrières, notamment de l’emploi des séniors, a un effet vertueux sur les finances publiques, contrairement aux deux autres possibilités de réduction du déficit que sont l’augmentation des prélèvements obligatoires et la baisse des pensions. Avez-vous pu estimer les effets de la réforme sur la croissance potentielle et les ressources supplémentaires qu’elle apportera à notre protection sociale ?

L’emploi des séniors constitue un axe majeur de la réforme. En la matière, notre pays présente un retard sur ses partenaires européens. L’index des séniors et la négociation dans les entreprises constituent des éléments cruciaux, comme le rétablissement de la possibilité, pour les personnes cumulant emploi et retraite, d’améliorer leurs droits. Disposez-vous d’une estimation de la majoration moyenne des pensions dont les assurés concernés pourraient bénéficier ? À combien de nos concitoyens cette mesure pourrait-elle profiter à terme ?

S’agissant du second principe, celui de la redistribution, la réforme permet, pour la première fois, aux 40 % de nos concitoyens dont la situation est la plus fragile de partir à la retraite de manière anticipée. Pouvez-vous préciser qui ils sont ?

La protection de nos concitoyens les plus fragiles suppose un renforcement de la prise en compte de la pénibilité. Outre la simplification du dispositif de départ en retraite anticipée pour les personnes usées par le travail et l’amélioration des droits des personnes bénéficiant d’un C2P, le projet de loi prévoit la création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, consacré au financement d’actions de sensibilisation, de prévention, de formation et de reconversion, au bénéfice des salariés exposés aux facteurs de pénibilité ergonomique. Ce fonds sera doté d’un milliard d’euros pour la durée de la législature. Pouvez-vous préciser les modalités de financement de cet effort sans précédent ?

M. Sylvain Maillard (RE). Je m’associe aux propos de la rapporteure générale et je salue, au nom du groupe Renaissance, le travail effectué par les commissions de l’Assemblée nationale. Les auditions menées ont été indispensables pour anticiper et comprendre les enjeux de la réforme des retraites. Entendu jeudi dernier, le président du COR est revenu sur les scénarios développés par le rapport de septembre 2022, qui démontre que la situation financière du système de retraite devrait se dégrader, en dépit de dépenses sous contrôle. Il a rappelé que, dans trois hypothèses sur quatre, le déficit pourrait perdurer jusqu’en 2070. Non, chers collègues du Rassemblement national, la majorité et le Gouvernement ne font pas leurs courses avec le rapport du COR, comme vous l’avez affirmé lors de cette audition !

Pour garantir dans le temps le financement des pensions, soit il faut augmenter les impôts et taxes, ce à quoi nous nous refusons d’autant plus que les Français expriment largement leur ras-le-bol fiscal, soit il faut baisser les pensions, ce à quoi nous nous refusons également – nous voulons augmenter le niveau des petites retraites – soit il faut travailler collectivement un peu plus, ce qui est notre choix assumé. Il s’agit d’une réforme d’effort, mais aussi de protection de nos retraites. En responsabilité, nous agissons pour garantir une retraite décente aux personnes modestes, favoriser l’employabilité des séniors, faciliter les reconversions et les départs anticipés, corriger les effets des carrières hachées, principalement des femmes et des aidants, et garantir aux actifs et à nos enfants une pension.

À l’Assemblée nationale, le groupe Renaissance est force de proposition. Dès le mois de novembre, nous avons multiplié les auditions, notamment des syndicats de salariés et des organisations patronales. Nous avons tenu à défendre des mesures de progrès et de justice sociale, telles que la revalorisation des petites retraites à 85 % du Smic pour ceux qui ont travaillé tout au long de leur vie et la création, demandée par la Confédération française démocratique du travail (CFDT), d’un index de l’emploi des séniors dans les entreprises de plus de 300 salariés, assorti de l’obligation d’ouvrir une négociation en cas de mauvais résultats. Nos propositions ont été prises en compte dans le texte.

Nous avons également souhaité que les aidants familiaux jouent un rôle social majeur. Merci, monsieur le ministre, d’avoir annoncé ce matin la création d’une assurance vieillesse améliorant leurs droits. Merci également d’avoir intégré, à la demande de notre groupe, davantage de mesures de justice sociale en matière de gestion progressive et de fin de carrière. La prise en compte de la pénibilité, notamment en favorisant les reconversions professionnelles et les départs anticipés, est essentielle pour garantir l’équité de notre système. À l’heure actuelle, les salariés effectuant des tâches pénibles ne sont pas forcément ceux qui bénéficient d’un régime spécial garantissant un départ en retraite avant l’âge légal.

Si nous ne prenons pas des mesures, le déficit cumulé du système de retraite pourrait atteindre 500 milliards d’euros en 2047. Cinq cents milliards d’euros pour les Français ! Au demeurant, la comparaison avec nos voisins européens s’agissant de l’âge de départ en retraite démontre que votre réforme est un bon compromis. En Allemagne, l’âge légal est de 65 ans et huit mois ; il sera de 67 ans en 2031. Aux Pays-Bas, il est de 66 ans et sept mois. En Espagne, il est de 65 ans. Au Danemark, patrie de la social-démocratie, il est de 67 ans. Chacun en tirera les conclusions qui s’imposent.

Monsieur le ministre, vous avez fait plusieurs annonces ce matin à l’issue du Conseil des ministres. Après des négociations renforcées, quelles conséquences envisagez-vous pour les entreprises ayant de mauvais résultats à l’index sur l’emploi des séniors ? S’agissant de la pénibilité du travail, quels sont les nouveaux critères que le Gouvernement envisage de prendre en compte ? S’agissant de l’idée de rendre plus souple le rachat de trimestres de cotisation, à laquelle nous sommes attachés, quelle est votre position sur les mesures défendues par le groupe Renaissance ?

M. Thomas Ménagé (RN). « Cette volonté de reculer l’âge de la retraite est doublement injuste car elle fera porter l’effort par des générations déjà touchées par la précarité et un chômage historique. » Cela vous surprendra peut-être, monsieur le ministre, mais nous sommes d’accord – car vous êtes l’auteur de ces propos, dans le cadre du combat résolu que vous avez mené contre la réforme Woerth en 2010. Pourtant, treize ans après, vous devenez l’artisan d’une réforme encore plus injuste, qui sera à l’origine de souffrances pour nos concitoyens, particulièrement ceux qui travaillent dur et commencent tôt.

Dans la lignée de la période précédente, les années Macron ont été celles de l’abandon des Français. Le Mozart de la finance promettait une symphonie de réussite économique ; il se révèle le chef d’orchestre du déclin. Ubérisation de notre économie qui se traduit par des gains de productivité nuls, politique familiale et nataliste inexistante, absence de vision en matière d’industrialisation et de souveraineté... La pire balance commerciale de notre histoire, c’est vous. La pénurie de médicaments, c’est vous aussi. La mort de notre industrie nucléaire, la fermeture de Fessenheim, c’est vous. La soumission au marché européen de l’électricité, c’est encore vous. En somme, comme dirait une de vos ralliées, vous avez « cramé la caisse » et vous demandez aujourd’hui aux Français de payer avec cette réforme qui ne vise finalement qu’à générer des recettes supplémentaires pour combler les 600 milliards de dettes du Président de la République.

Alors que le président du Conseil d’orientation des retraites a admis ici, la semaine dernière, que les dépenses de retraite sont relativement maîtrisées, vous jouez sur les peurs pour tenter de justifier une telle réforme. Mais, comme d’habitude, vos comptes ne sont pas bons. Demander aux Français de travailler plus longtemps, c’est provoquer mécaniquement des transferts de charges du système de retraite vers l’assurance ou l’assistance – chômage, maladie, invalidité ou encore revenu de solidarité active (RSA). Vous les passez sous silence dans vos présentations. S’agit-il d’un mensonge ou d’un oubli ? Ce sont pourtant des données documentées. Le rapport de la Cour des comptes de 2021 chiffre les dépenses sociales supplémentaires engendrées par la réforme Woerth à 3 milliards d’euros. S’agissant de votre réforme, le COR lui-même, page 132 de son rapport, les estime à 4 milliards d’euros, tandis que d’autres économistes, comme Henri Sterdyniak, prévoient une explosion à 11 milliards d’euros. Votre projet va créer beaucoup de souffrance pour un gain marginal. Pouvez-vous nous présenter un bilan macroéconomique sincère de la réforme ?

Mais au-delà des considérations budgétaires, votre réforme est surtout celle de l’injustice sociale. Injustice d’abord envers les séniors, qui ont, en France, l’un des plus faibles taux d’activité de l’Union européenne. Beaucoup n’arriveront pas à travailler jusqu’à 64 ans et n’auront pas de carrière pleine, ni de pension à 1 200 euros contrairement à ce que vous laissez croire. La création d’un index montre votre méconnaissance des enjeux : il ne réglera rien.

Injustice ensuite entre les plus riches et les plus pauvres. Votre réforme sacrifie certains, comme l’a reconnu un député de votre majorité : elle frappera majoritairement les plus modestes, ceux qui ont commencé à travailler tôt, qui devront rester en activité plus longtemps. Vous répétez à qui veut l’entendre que l’espérance de vie augmente. Mais l’Insee relève une différence d’espérance de vie de treize ans entre les plus aisés et les plus modestes qui devront travailler plus longtemps.

Les retraités ne peuvent être réduits aux lignes d’un tableur Excel. L’âge de la retraite relève d’un choix de société. Les retraités contribuent à la vie nationale par leurs activités. Dans nos communes, en particulier rurales, ils participent à la vie associative et municipale – 55 % des maires ont plus de 60 ans. Combien de crèches et d’assistantes maternelles supplémentaires faudra-t-il si nos retraités gardent deux ans de moins, dans le meilleur des cas, leurs petits-enfants ? Combien de cantines supplémentaires si nos retraités ne les accueillent plus pour le déjeuner ?

S’il fallait une réforme, elle ne saurait être élaborée en moins de deux mois alors qu’un pays comme la Suède a mis près de dix ans – et regrette aujourd’hui ses choix. Le pays du Front populaire mérite mieux que cette réforme décidée unilatéralement et inscrite dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale avec, en ligne de mire, les articles 47-1 et 49, alinéa 3, de la Constitution. La question du référendum, balayée d’un revers de main, doit être examinée. Vous faites preuve de beaucoup de mépris et d’arrogance pour imposer une réforme qui agace jusque dans vos rangs. Vous n’avez rien retenu du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Face à vous, face aux Républicains qui se sont pour partie vendus, face à la gauche qui a voté l’acte premier de cette réforme en adoptant la loi Touraine, les Français peuvent compter sur les élus du Rassemblement national pour combattre ce projet de casse sociale.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Vous avez déjà perdu dans les têtes. En effet, 80 % du pays, au minimum, est opposé à votre réforme – un petit peu comme vous, monsieur le ministre, avant que vous n’ayez retourné votre veste.

Aujourd’hui, vous êtes minoritaire car tout le monde a compris qu’à 64 ans, il est dangereux de poncer du métal à bout de bras ou de porter des cartons en entrepôt.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris qu’une infirmière ou un chauffeur de bus qui continuent à travailler à 65 ans se mettent en danger, ainsi que les usagers.

Vous êtes minoritaire, car tout le monde a compris que vous allez transformer des retraités en chômeurs ou en allocataires – ils seraient 230 000 d’après les estimations de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, autrement dit de vos propres services ministériels, qui ont simulé les effets de la réforme.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris que vous allez taper dans la caisse. Votre nouvelle lubie consiste à prélever les fonds dédiés aux accidents du travail alors que ceux-ci vont se multiplier du fait de votre réforme.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris que vous avez volontairement dilapidé l’argent des cotisations par les primes et les exonérations multipliées depuis cinq ans.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris que les comptes de la sécurité sociale, et de la branche retraite en particulier, ne sont pas menacés.

Vous êtes minoritaire car tout le monde peut prendre connaissance du rapport du COR et constater que la situation catastrophique que vous dépeignez ne correspond pas à la réalité.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris que, dans un pays immensément riche, il n’est pas normal d’en être réduit à survivre sous le seuil de pauvreté après une vie de travail.

Vous êtes minoritaire car plus personne ne vous croit. L’exemple des 1 200 euros est flagrant : vous annoncez une retraite minimum à 1 200 euros, puis à 1 200 euros bruts, puis plus pour tout le monde… À ce rythme, ce sera le RSA au mois de décembre !

Et c’est parce que vous êtes minoritaires que la mobilisation est immense : 2 millions de personnes se sont rassemblées jeudi à l’appel des syndicats, et 150 000 samedi à l’appel des organisations de jeunesse, qui défendent toutes la retraite avant l’arthrite. Une question revient souvent dans les manifestations et les réunions publiques : pourquoi font-ils cela ? Eh bien, tout simplement parce que vous n’aimez pas le travail des retraités. Vous n’aimez pas le travail lorsqu’il est libre. Vous préférez des séniors au chômage ou au RSA plutôt que des retraités qui s’engagent auprès des associations, de voisins ou de proches. Car, oui, c’est cela, un retraité aujourd’hui : quelqu’un qui pratique des activités de manière libre et qui exerce un peu de droit au bonheur, au quotidien, pour ses proches.

Il n’est pas une cérémonie de nouvelle année dans ma circonscription sans que l’on vienne nous voir, inquiet, pour rappeler que les anciens font tourner nos communes. À Beauzelle, Isabelle, ambassadrice culturelle de la ville, anime les cours de théâtre depuis 1989 grâce à son droit à la retraite. Jean-Pierre, membre du Souvenir français, à Toulouse, organise des interventions en milieu scolaire ou des cérémonies mémorielles. Les bénévoles du Téléthon, dans de nombreux départements, ne récolteraient rien sans les retraités qui s’engagent. Les pratiquants sportifs, les joueurs de pétanque seraient saignés si le retraité ne pouvait pas gérer la caisse de l’association sportive. Je pense aux retraités d’EDF qui viennent donner un coup de main en cas de problème électrique à la maison. La moitié des associations de ce pays sont présidées par des retraités. Repousser l’âge de départ, c’est combattre tout ce que font les retraités, ces personnes qui tiennent des cafés et des bibliothèques, donnent des concerts et des cours de bricolage, font du soutien scolaire, entretiennent des espaces verts, apportent une aide alimentaire, accompagnent les jeunes pour le permis…

Mais tout cela ne vous intéresse pas beaucoup : si cela a de la valeur, cela ne procure pas de profits privés. Monsieur le ministre, pour reprendre les propos que vous auriez pu tenir vous-même avant votre nomination, la retraite à 60 ans, on s’est battu pour la gagner et on se battra pour la garder !

M. Thibault Bazin (LR). Nous avons reçu à midi quarante votre projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, qui se décline en 84 pages. Un tel texte est toujours l’occasion d’examiner les moyens alloués à notre système de protection sociale. Or, ce dernier est en danger ; sa pérennité est menacée à plusieurs titres.

Notre système de santé est en tension. L’assurance maladie peine, dans le cadre des négociations conventionnelles, à valoriser le travail de nos soignants. La natalité a atteint son niveau le plus bas depuis la fin de la seconde guerre mondiale après plusieurs coups de rabot financier pratiqués au cours des dix dernières années. Ce déclin démographique est alarmant. Les déficits budgétaires s’accumulent et les prévisions sont inquiétantes pour les retraites, avec un déficit qui devrait atteindre 14 milliards d’euros en 2030. La nouvelle génération perd confiance en l’avenir de notre système et peut-être même en la nation. Les jeunes doutent de la transmission, ce qui constitue un défi majeur. L’inflation menace le pouvoir d’achat, préoccupation principale de nos concitoyens. Et nos compatriotes attendent davantage de justice sociale – que le travail soit plus valorisé que les allocations sociales, que les fraudes soient combattues.

Vous proposez de rectifier le budget de la sécurité sociale pour 2023 en le résumant à la seule branche vieillesse, ce qui est regrettable. Bien sûr, la population vieillit et le rapport entre le nombre de retraités et de cotisants évolue défavorablement. Il nous faut préserver le pouvoir d’achat des actifs et des retraités. C’est pourquoi il faut adopter les mesures les plus justes possibles pour éviter la baisse du niveau de vie des retraités d’aujourd’hui comme de demain sans altérer celui des actifs. Il faut veiller à ce que les cotisations n’augmentent pas et à ce que les pensions ne diminuent pas.

Mais notre système de répartition dépend avant tout du renouvellement des générations. Or rien, ou presque, hormis la prise en compte des congés parentaux pour les carrières longues, n’est prévu pour une politique familiale ambitieuse. L’équilibre durable passe pourtant par un réinvestissement dans la branche famille. Dans quelle mesure êtes-vous prêt à rétablir un véritable soutien aux familles des classes moyennes qui travaillent ? Vous semblez renvoyer à plus tard la mise en œuvre de l’universalité des droits familiaux et conjugaux alors qu’on ne dénombre pas moins de onze systèmes différents en matière de pensions de réversion et que les fonctionnaires n’ont pas les mêmes droits familiaux que les salariés du privé. Pour que la réforme soit équilibrée, il faut les mesures nécessaires sans attendre. Ces reports n’augurent rien de bon alors que cela fait des années que vous repoussez la présentation d’une loi sur le grand âge. L’attribution, à l’article 12, de nouveaux droits aux aidants constitue toutefois un pas dans la bonne direction.

Il faut veiller à l’acceptabilité sociale de la réforme. Or, votre projet affecte ceux qui devaient partir dès le 1er septembre prochain. Il serait judicieux que la réforme ne s’applique qu’à compter du 1er janvier 2024, ce qui offrirait de la lisibilité. Les systèmes d’information doivent être prêts afin de garantir la fiabilité du calcul des pensions, alors que l’on relève déjà un nombre important d’erreurs dans la liquidation, souvent au détriment de l’assuré. Il faut également être justes envers ceux qui ont commencé à travailler jeunes et leur permettre de partir tôt s’ils le souhaitent. Or, avec votre réforme, ceux qui ont commencé à travailler à 20 ans après 1971 et ont exercé leur activité sans interruption vont devoir cotiser quarante‑quatre années, contre quarante-trois pour ceux qui ont commencé à 21 ans. Nous défendrons des amendements pour corriger cette injustice.

Nous vous avons demandé de relever les petites pensions perçues par les retraités qui ont travaillé toute leur vie et qui ont une carrière complète. En réponse, vous avez annoncé, à l’article 10, une revalorisation à hauteur de 85 % du Smic net. Toutefois, vous précisez, page 43, que, pour en bénéficier, il faudrait avoir cotisé à un revenu équivalent au Smic. Or, bon nombre de ces retraités n’ont pas toujours eu de tels revenus alors qu’ils n’ont souvent pas compté leurs heures – je pense notamment aux indépendants. Le compte n’y est donc pas. Il faut corriger cela sous peine de décevoir un grand nombre de gens.

Il faut valoriser le travail d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en recherchant l’équilibre budgétaire et en veillant à ce que les efforts soient justes et pour tous. Nous souhaitons un renforcement de la lutte contre les fraudes, en particulier concernant les pensions versées à l’étranger : le texte ne comporte rien à ce sujet. Il faudra aussi s’assurer que les cotisations versées pour les retraités leur soient bien destinées. C’est pourquoi nous avons exigé l’annulation du transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco, que la majorité avait refusée à l’automne dernier. C’est à l’article 3 que s’opère cette marche arrière. Nous nous félicitons également de la prise en compte des travaux d’utilité collective à l’article 11.

Nous croyons en la liberté, celle de pouvoir continuer à travailler et d’organiser sa fin de carrière de manière plus souple. Les mesures que vous prévoyez nous paraissent insuffisantes. Nous présenterons des amendements pour améliorer la retraite progressive et le cumul emploi retraite.

Je forme le vœu que nos travaux permettent de corriger et de compléter le texte afin d’assurer l’avenir de notre système de protection sociale, de le rendre plus juste, par la valorisation du travail, de garantir son équilibre et, surtout, de restaurer la confiance des nouvelles générations à son égard. Il y va de la cohésion nationale et intergénérationnelle.

M. Philippe Vigier (Dem). Monsieur le ministre, nous partageons avec vous la conviction qu’il faut conforter le socle républicain, dont les retraites sont une composante. Qui peut dire que nous n’allons pas être confrontés à un risque démographique – hormis, peut-être, ceux qui nous expliquent, avec un brin d’arrogance, que le système de retraite ne souffre d’aucune fragilité ? Qui peut dire, ici, qu’il n’a jamais renié ses engagements alors que la loi Touraine a mis à sac la retraite à 60 ans ?

Nous sommes donc convaincus et nous vous remercions du temps que vous nous avez laissé pour travailler. Les Français attendent de nous un débat de fond, projet contre projet, empreint de sérénité en dépit de convictions différentes. Les jeunes se demandent s’ils auront une retraite. Il faut rétablir la confiance et faire preuve de pédagogie. On ne peut pas dire que tout va bien et qu’il ne faut rien faire : tout le monde sait que, si l’on n’agit pas, il y aura une érosion des petites retraites. D’ailleurs, j’observe que l’évocation de ces petites retraites fait couler des larmes de crocodile aujourd’hui à ceux qui n’ont jamais trouvé à redire à ce que certains perçoivent, dans le système actuel, 850 ou 900 euros de pension…

Notre groupe souhaite que quelques points soient précisés et fera des propositions pour enrichir le texte.

Une étude du Cercle des économistes montre que, si 100 000 séniors de plus travaillaient chaque année, l’État percevrait 1 milliard d’euros de recettes supplémentaires, notamment en faveur des retraites. Quels sont votre feuille de route et votre objectif à cinq ans en matière d’emploi des séniors ? Allez-vous appliquer aux entreprises des pénalités financières ? Que ferez-vous pour les plus petites d’entre elles qui, dans la rédaction actuelle, ne seront pas tenues de publier un index ?

L’attribution de nouveaux droits aux aidants constitue une avancée mais qu’en est-il de ceux qui, confrontés à la maladie au cours de leur vie professionnelle, ou subissant des ruptures d’activité, voient leur carrière perturbée ? Pourra-t-on faire en sorte que les personnes concernées n’aient pas à attendre 67 ans pour percevoir la retraite à taux plein ?

Concernant la pénibilité, je salue l’amélioration du compte personnel de prévention. Le déplafonnement de points permettra-t-il – à l’issue, peut-être, d’un dialogue avec les partenaires sociaux – de faire bénéficier les salariés de trimestres complémentaires ?

Je reviens sur l’augmentation sans précédent des petites retraites, à hauteur de 85 % du Smic, sur lequel elles seront indexées. Pouvez-vous indiquer la part que représentent les retraités à taux plein parmi les bénéficiaires ? Quelle proportionnalité allez-vous introduire ?

Quels nouveaux dispositifs allez-vous instituer en matière de cumul emploi-retraite, lequel relève, à nos yeux, du temps choisi ? Il faut laisser ceux qui le souhaitent travailler plus longtemps et lever les freins qui existent.

Enfin, les actifs pourront-ils racheter des trimestres dans des conditions plus sécurisées qu’elles ne le sont actuellement ?

M. Arthur Delaporte (SOC). « La concertation que vous avez promise apparaît pour ce qu’elle est : un simulacre destiné à faire croire que vous avez d’autres priorités que celles que vous souffle le Medef et un mépris pour les propositions faites par les autres partenaires sociaux, que vous recevez finalement sans les écouter ni les entendre. Par ailleurs, cette volonté de reculer l’âge de la retraite est doublement injuste. » Ces mots, vous les connaissez, monsieur le ministre. Ils sont ceux d’un homme de gauche, d’un élu qui ne négociait pas avec la droite dure, d’un socialiste qui s’identifiait aux principes et aux valeurs de la justice sociale.

« Injuste » aviez-vous dit il y a treize ans : comment ne pas faire le parallèle avec la situation actuelle ? Votre réforme est injuste pour les carrières longues, pour les femmes, pour les séniors, pour les métiers pénibles, pour les carrières hachées, pour les jeunes, pour les plus précaires, pour les accidentés de la vie, pour tous ceux, surtout des femmes encore, qui sont les moins diplômés, qui ont les plus bas salaires, qui devront travailler plus longtemps pour vous permettre d’appliquer votre politique libérale. Votre projet est injuste pour ces Français, ces essentiels, ceux que nous applaudissions tous il y a peu, dont les corps sont abîmés et que vous allez user davantage. Il est injuste pour le secteur de la dépendance que vous allez saturer un peu plus, et pour les caisses d’allocations familiales que vous allez inonder de nouveaux dossiers de RSA après avoir réduit les droits à l’assurance chômage.

« Quand aujourd’hui on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, quand on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans. » Si vous n’écoutez pas l’homme que vous étiez il y a treize ans, monsieur le ministre, écoutez au moins le Président de la République qui, il y a trois ans, prononçait ces mots, et renoncez à votre réforme ! Vous n’avez de cesse de répéter que votre projet rétablit un maximum d’égalité alors qu’en réalité il est destructeur et vide de tout élément de justice. J’observe, en passant, qu’aucun orateur du groupe Horizons – l’une des composantes de votre majorité – ne s’exprimera cet après-midi pour soutenir le texte.

Nous démontrerons ce déni de justice. Vous affirmez avoir constamment à l’esprit le sort des plus fragiles mais vos mots creux n’occulteront pas la réalité que subissent les Français dans leur chair. La tentative d’hypnose à laquelle nous avons assisté tout à l’heure n’a pas fonctionné.

Je regrette l’instrumentalisation de certains sujets comme celui des TUC. Le report de l’âge de départ à la retraite pèsera sur la génération des TUC. Ces jeunes travailleurs des années 1980, aujourd’hui aux portes de la retraite, vont certes se voir reconnaître quelques trimestres qui leur sont dus, mais ils devront, en contrepartie, les passer à travailler. J’aurais aimé une réforme spécifique aux TUC ; cela n’aurait été que justice.

Votre réforme est l’aboutissement d’un projet d’affaiblissement de la protection sociale au profit d’une dérégulation sans limite et d’une négation du réel. Vous niez que repousser l’âge de départ en retraite pour les métiers difficiles, c’est alourdir la dette de la dépendance et faire payer aux Français vos réformes inutiles. Vous niez la réalité budgétaire. Vous évoquez le COR à longueur de discours ; pourtant, son président affirmait, jeudi dernier, que les dépenses de retraite ne dérapent pas, qu’elles sont relativement maîtrisées dans la plupart des hypothèses et devraient plutôt diminuer à terme. Mais vous préférez, dans votre négation, faire payer aux salariés votre politique injuste.

Comme vous le disiez en 2010, votre réforme « écarte d’emblée la recherche d’autres recettes, notamment la mise à contribution de l’ensemble des revenus et en particulier de ceux issus du capital. Entre les niches fiscales et le bouclier du même nom, beaucoup pourrait être fait pour que l’effort ne porte pas une fois de plus sur les seuls salariés. » De fait, votre réforme porte uniquement sur les salariés.

Je terminerai avec une de ces vies que vous allez briser. Nadine, née en avril 1963, a cotisé pendant 168 trimestres. Elle est assistante de direction et souhaite quitter la région parisienne, notamment pour s’occuper de sa mère handicapée. Elle devait partir en retraite le 1er octobre prochain mais, en raison de votre réforme, elle devra travailler deux ans de plus. Elles sont des millions dans son cas. Des millions de Français sont dans la rue. Ils nous regardent ; ils vous regardent. Soyez responsable, raisonnable : renoncez à ce projet.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Cette réforme n’a pas de sens. Pas de sens économique : le système de retraite est globalement résilient à l’absorption des baby-boomers, a dit l’Observatoire français des conjonctures économiques. Il n’y a pas d’envolée des dépenses, dit le COR, tout au plus un ajustement à réaliser sur les recettes du système de retraite, ce qui n’a rien de surprenant après les années que nous venons de passer, où les aides aux entreprises – 157 milliards hors covid‑19 – ont représenté un tiers du budget de l’État.

La réforme n’a pas non plus de sens social : deux ans de plus pour tout le monde, punition collective ! Que vous ayez travaillé longtemps, de manière pénible ou hachée, ou au contraire que vous fassiez partie des mieux lotis du système de l’emploi, pas de détail ! On voit bien vos éléments de langage comme votre cynisme : vous ne parlez plus de pénibilité mais d’usure professionnelle ; le problème, ce ne sont pas les métiers ni les conditions d’emploi, mais les corps... Vous allez nous rebattre les oreilles avec la retraite minimale à 1 200 euros, présentée comme l’avancée sociale de cette réforme. Sauf qu’il s’agit, comme l’a précisé Olivier Véran, de 1 200 euros bruts et que finalement, cette mesure ne concernera que quarante-huit personnes ! Quarante-huit !

La réforme n’a pas plus de sens écologique. Produisez ! Tel est le seul objet de ce projet – et si produire nous envoie dans le mur climatique, pas de problème ! Dans Effondrement, Jared Diamond se demande quelles étaient les pensées de celui qui a coupé le dernier arbre de l’île de Pâques. Et vous, monsieur Dussopt, quelles sont vos pensées au moment de défendre cette réforme ? D’où vient votre empressement à servir un système mortifère de croissance et de productivisme à l’heure où nos conditions de vie sont en danger ? Vous nous avez vendu les cols roulés ; c’est maintenant qu’il faut être écologiste !

La retraite est une récompense, un dû légitime et juste pour ceux qui ont cotisé. C’est un droit, un revenu différé, quelque chose mis sagement de côté pour pouvoir un jour en jouir. C’est de cela qu’il s’agit : empêcher les gens de jouir, de profiter de ce qui leur appartient – un droit au repos, à la sérénité, à la paresse, durement acquis. Pourquoi donc faites-vous cette réforme non nécessaire ? Si vous avez besoin de marges budgétaires supplémentaires, pourquoi vous obstinez-vous à réduire les dépenses sur le dos des travailleurs et des retraités, plutôt que d’aller chercher des recettes supplémentaires ?

Par ailleurs, quand un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale visant à augmenter corrélativement le budget de la sécurité sociale sera-t-il présenté ? Rappelons que lorsqu’on augmente d’un an l’âge de la retraite, les dépenses de santé augmentent à hauteur d’un tiers des économies réalisées sur le système de retraite. Un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale est donc nécessaire pour payer les invalidités, les maladies professionnelles et autres.

Prévoyez-vous une augmentation corrélative de la durée d’indemnisation de l’assurance chômage pour les personnes proches de la retraite, sans emploi, qui voient leur temps de précarité augmenter de deux ans ?

Quelles seront les conséquences écologiques de la réforme ? Comment pouvez-vous nous dire que le productivisme n’aura aucun effet sur nos émissions de carbone, le climat et l’environnement ?

À combien estimez-vous l’écart de niveau de vie des retraités avant et après la réforme ?

Allez-vous établir de nouveaux critères de pénibilité ? les femmes de ménage, exposées aux produits chimiques et cancérigènes, ou les ouvriers soumis à des vibrations, par exemple de marteaux-piqueurs, ne bénéficient pas des dispositions existant en la matière !

Enfin, pouvez-vous nous dire concrètement en quoi la situation des femmes et des personnes ayant eu une carrière hachée sera améliorée par votre réforme ? Car oui, les premières victimes de votre projet seront les personnes discriminées sur le marché du travail.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Monsieur le ministre, je ne comprends pas ce que vous faites là. Voilà des mois que vous préparez le terrain, que vous polissez vos éléments de langage. Mais, jeudi dernier, vous avez rempli les rues de toutes les villes du pays de manifestants. L’ensemble des organisations syndicales est contre vous. Votre projet recueille 15 à 30 % d’opinions favorables. Vous n’avez pas de majorité dans le pays. Vous avez échoué. À présent, vous essayez piteusement de décourager les gens en leur disant que vous êtes déterminé – à quoi, pourquoi ? À sauver le système de retraite par un projet de justice sociale, répétez-vous. Vous n’assumez même pas. Il n’y aura pourtant que des perdants dans votre réforme. Le COR lui-même ne parle pas de danger. Vous qui avez passé votre temps, depuis votre élection, à rogner les financements de la sécurité sociale, ne venez pas faire la leçon ! Il y a bien des pistes de financement pour répondre aux besoins de notre système de retraite et de sécurité sociale.

Personne ne vous prendra pour des sauveurs ou des partisans de la justice sociale : ce n’est pas crédible. Vous êtes des innocents aux mains pleines. Votre projet consiste à nous voler nos meilleures années de retraite et à raboter les pensions des récalcitrants. Salariés et retraités coûtent trop cher à vos yeux et à ceux de Bruxelles, qui vous encourage. Votre projet consiste à dégrader le droit à la retraite, à le faire payer plus cher, à dépenser moins pour lui. Depuis leur apparition, les retraites sont perçues trop coûteuses par certaines personnes.

Dans votre système, tout le monde passerait à la caisse mais certains, compte tenu de leur parcours professionnel, paieraient deux fois plus cher – toujours les mêmes. Le seul crédit que je peux vous accorder, c’est d’être habile dans la fiction. Fiction de la concertation d’abord, comme les organisations syndicales l’ont montré. Fiction du débat parlementaire, encadré et cadenassé par la procédure budgétaire. Fiction autour du travail des séniors, une réalité que vous refusez de regarder en face. Vous promettez un index mais les mesures prises sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron vous disqualifient pour parler de pénibilité. Vous n’êtes pas davantage fondé à discuter du niveau des pensions.

Cette réforme entraînerait des dégâts considérables pour l’ensemble de la société, y compris les plus jeunes. Piocher dans la caisse des accidents du travail et maladies professionnelles est une indignité. Pour quelques petites avancées, vous nous imposez un recul considérable qui affectera chacun de nous. Rien ne saurait rendre acceptable ce projet, en dépit de tout ce que vous rajouterez pour faire passer la pilule.

Nous voulons le droit à une « nouvelle étape de la vie » comme disait Ambroise Croizat. Nous souhaitons préserver ce droit essentiel, qui est un grand geste de civilisation. Être libéré du travail prescrit, avoir, au bout de sa vie professionnelle, un espace de liberté constitue un droit précieux pour chacun comme pour l’ensemble de la société. Ce projet de société entre en contradiction avec la vision de l’humain productif et compétitif. Nous lui préférons celle de l’humain épanoui dans son travail et dans sa vie. La question que vous devriez vous poser est comment préserver ce droit !

Le pays ne veut pas de cette réforme brutale, injuste, injustifiée. Lorsqu’on touche au droit à la retraite, il n’est pas question d’émotivité ni de sensiblerie mais de réalités sociales : cela affecte nos vies. Votre entêtement finit par vous rendre illégitime. Ne racontez pas de sornettes en brandissant le programme présidentiel : l’esprit de responsabilité, le respect de la volonté populaire, voilà ce qui devrait vous guider, à la place où vous êtes. Notre République fragilisée ne peut se permettre le passage en force et le pourrissement – et évitez de nous expliquer paternellement que c’est pour notre bien ! Vous n’avez pas de majorité populaire. Il va falloir vous mettre dans la tête que ça ne passe pas. Il va falloir que l’hypothèse d’un abandon du projet fasse son chemin. Vous êtes en fâcheuse posture. Je ne comprends pas ce que vous faites encore là, monsieur le ministre : il faut rentrer, maintenant, avec votre réforme sous le bras. Retirez votre projet !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Le ministre a répondu à notre invitation, monsieur le député. S’il l’avait déclinée, vous auriez dit qu’il manquait de courage. Je vous prie de faire preuve d’un peu de respect à l’égard des invités que nous recevons.

M. Charles de Courson (LIOT). Monsieur le ministre, votre projet n’a pas de légitimité démocratique. Contrairement à ce que dit le Président de la République, les Français ne l’ont pas élu pour réformer les retraites en portant de 62 à 65 ans l’âge légal de départ. De fait, la moitié des électeurs qui ont voté pour lui au deuxième tour – et moi le premier – n’approuvaient pas cette mesure de son programme. D’ailleurs, un mois plus tard, la majorité sortante a obtenu 25 % des voix au premier tour des élections législatives et une minorité de sièges dans notre assemblée. Les sondages confirment ce rejet : 76 % des actifs sont contre, dont 79 % des ouvriers et des employés ; 46 % des retraités, qui ne sont pourtant pas concernés, y sont même opposés.

Vous présentez votre réforme juste socialement et permettant de redresser les comptes. Or, elle n’est pas juste et il y avait d’autres manières d’assurer l’équilibre des comptes des quarante-deux régimes de retraite existants.

La réforme est injuste parce que ceux qui vont la subir ont commencé à travailler tôt, et exercent parfois des métiers pénibles. Notre groupe est hostile au recul de l’âge légal du régime général, qui va s’abattre comme un couperet. Dans une tribune publiée en 2021, nous posions une question simple : à la fin de l’open bar budgétaire, qui paie l’addition ? Vous apportez, avec ce texte, une réponse : ce sont les Français qui commencent à travailler tôt. Pourquoi n’agissez-vous pas en majorant la surcote, qui est une véritable incitation à rester au travail ? Concentrer le débat sur l’âge de 64 ans est exactement ce qu’il ne faut pas faire. Les mobilisations massives de jeudi le prouvent. Quant aux mesures concernant la pénibilité, malgré quelques progrès, elles sont également insuffisantes et difficiles à mettre en œuvre, parce que vous ne vous appuyez pas assez sur des négociations par branches entre les partenaires sociaux.

Votre réforme est injuste parce qu’elle comporte peu de mesures à destination des familles et des femmes – à l’exception de la prise en compte des congés parentaux d’éducation – alors que leurs pensions de droit direct sont inférieures de 40 % à celle des hommes. Nous proposons, quant à nous, de généraliser à 57 ans l’âge légal pour bénéficier de la pension de réversion et de remonter les plafonds de cumul. Nous proposons aussi d’uniformiser et d’améliorer les règles de majoration de pension et de durée d’assurance pour enfants. Il faut régler le problème des conjoints divorcés. Vous avez du reste demandé au COR une étude sur les droits familiaux, que vous jugez vous-même être, dans une interview publiée dimanche dernier par le Journal du dimanche, « de véritables nids à inégalités, tant ils sont divers selon les régimes ». Êtes-vous donc ouvert à des amendements en ce sens ?

Votre réforme est d’autant plus injuste que vous ne traitez pas vraiment de ce sujet essentiel pour l’avenir du système qu’est l’emploi des séniors. Nous avons besoin d’un vrai plan visant à augmenter les taux d’activité de ces derniers. La création d’un index des séniors ne résoudra pas le problème : il faut un plus gros effort de la part des entreprises, notamment en termes de formation et de reclassement. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas réfléchir à une dégressivité des cotisations sociales au-delà de 55 ans ? Il faut aussi prévoir des aménagements de fin de carrière pour rendre celle-ci plus attractive. Vous faites un pas en faveur du cumul emploi‑retraite et de la retraite progressive. Il faudrait aller plus loin pour que la liberté des assurés soit la règle.

Enfin, votre réforme est injuste parce que vous mettez en extinctions cinq régimes spéciaux, non les autres. Durant le précédent mandat, vous avez échoué à faire une réforme systémique en voulant créer un quarante-troisième régime de retraite. Aujourd’hui, vous faites une réforme essentiellement paramétrique et très subsidiairement systémique, sans aucune cohérence. Pourquoi, par exemple, écartez-vous les régimes spéciaux de l’Assemblée nationale et du Sénat alors que vous mettez en extinction celui des membres du Conseil économique, social et environnemental ? Pourquoi maintenez-vous les régimes spéciaux de l’Opéra de Paris, de la Comédie‑Française et de l’Établissement national des invalides de la marine (Énim) ?

Notre groupe défend une réforme des retraites qui soit de justice et de liberté. Or, sur les 17 milliards d’euros d’économies brutes attendues – compte non tenu des surcoûts du régime d’assurance chômage et du RSA, que certains estiment à un tiers de ce montant – seul un tiers servira à financer des dispositifs de solidarité. Il ne s’agit donc pas d’une loi de justice sociale.

Nous attendons par ailleurs que vous précisiez ce que vous proposez en matière de carrières longues et de retraite minimale. Quelles seront les conditions exactes d’accès et combien d’assurés seront réellement concernés par ces mesures attendues ? Votre texte renvoie de nombreux éléments à des décrets.

En l’état, votre projet de réforme des retraites n’est pas vraiment une réforme. Tout est d’ailleurs prévu dès la présentation du programme de stabilité, où vous écrivez noir sur blanc que « la maîtrise des dépenses publiques repose principalement sur des réformes structurelles, la réforme des retraites notamment ». Il faut s’attaquer aux déficits, mais affirmer qu’ils mettent en péril notre système de répartition est inexact et exagéré. Nous avons le temps de trouver d’autres solutions qui ne pénalisent pas les salariés modestes et les classes moyennes. Notre groupe est prêt à soutenir une réforme des retraites de liberté et de justice sociale, mais ce n’est pas ce que vous nous proposez.

M. le ministre. La réforme que nous proposons permettra de dégager des marges de manœuvre qui s’élèveront, pour le seul système de retraites, à 18 milliards d’euros. Avec le recul de l’âge de départ et les mesures d’accompagnement que nous proposons, elle doit également avoir un impact sur l’emploi. Nous estimons ainsi qu’elle permettra de maintenir dans l’emploi d’environ 300 000 personnes en 2030, 350 000 ensuite, et de faire monter de 6 points le taux d’emploi des séniors, ce qui aura un effet bénéfique sur la croissance. En supposant un lien direct à moyen terme entre l’emploi supplémentaire et le produit intérieur brut, le surcroît de croissance sera de l’ordre de 1 point de produit intérieur brut, ce qui sera bénéfique pour les finances publiques et permettra de garantir que pas un seul euro de cotisations vieillesse ne finance autre chose que les retraites. En revanche, une augmentation du produit intérieur brut entraînera une augmentation de la richesse produite et d’autres contributions fiscales ou sociales.

Madame la rapporteure générale, la réforme permettra, par ses seuls effets et indépendamment de toute autre considération, d’augmenter la pension à la liquidation de 1 à 2 %. Mais ces gains seront concentrés au profit des 30 % de pensions les plus petites, globalement inférieures à 1 000 euros, qui augmenteront plutôt de 5 %, indépendamment du mécanisme de la retraite garantie, et des femmes, pour qui ils seront globalement deux fois plus importants que pour les hommes en raison de mécanismes sur lesquels je reviendrai. Cela s’explique à la fois par l’augmentation de la durée d’activité, par la hausse des minima de pension, par les droits générés, notamment durant les périodes de cumul emploi-retraite, et par l’intégration, pour l’éligibilité au minimum de pension, de trimestres cotisés au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF).

Pour ce qui est des effets redistributifs, le fait que 40 % de nos concitoyens qui se trouvent dans les situations les plus fragiles partent à la retraite de manière anticipée recouvre des situations variables selon les générations. Pour les personnes nées en 1961 et 1962, ces départs anticipés tiennent pour 15 points à des situations d’invalidité ou d’incapacité sur avis médical, pour 20 à 22 points à des carrières longues et pour 5 points à d’autres dispositifs, qui peuvent être liés à la mobilisation des points de C2P, à des incapacités permanentes dans la fonction publique, à des retraites progressives, à l’exposition à l’amiante, à des handicaps ou aux mesures visant les catégories actives. Chaque année, 40 % des assurés partent à retraite sans avoir atteint l’âge légal. À l’opposé du spectre, 15 % partent non pas à 62 ans, ni à 63, qui est l’âge de départ effectif moyen, mais à 67 ans. Il peut s’agir, même si c’est minoritaire, d’hommes et de femmes qui exercent des métiers passionnants relevant de l’enseignement, de l’encadrement supérieur de la fonction publique, ou encore de la médecine, mais ce sont pour l’essentiel des personnes désireuses de diminuer l’impact de la décote subie entre 62 et 67 ans – souvent des femmes qui ont connu des interruptions de carrière et qui exercent des métiers difficiles comme ceux de l’aide à domicile, de la garde d’enfants, du soin et du médico-social.

Enfin, le milliard d’euros qui sera mobilisé, sur l’ensemble de la législature, pour le financement du fonds de prévention de l’usure professionnelle et de la pénibilité sera géré par la branche AT-MP, qui le financera à hauteur de 200 millions d’euros par an en régime de croisière. Il s’agit d’un véritable changement d’échelle, à comparer aux 40 millions d’euros par an que la branche y consacre actuellement. Nous souhaitons que ces financements accompagnent la mise en œuvre de plans de prévention, métier par métier et branche par branche, afin de réduire le nombre de départs pour incapacité ou inaptitude, actuellement au nombre de 100 000. En effet, le départ anticipé de deux, trois ou quatre ans d’un salarié abîmé par son travail n’est pas une réponse à la pénibilité. Je préfère mille fois qu’un salarié parte à l’âge légal, en bonne santé et en forme, pour profiter de sa retraite plutôt que deux ou trois ans plus tôt parce qu’il a le dos brisé.

Je précise à cette occasion que la branche AT-MP devrait connaître un excédent de 3,3 milliards d’euros en 2026, en tenant compte du virement classiquement adopté par le Parlement à l’occasion des lois de financement de la sécurité sociale pour compenser les sous-déclarations auprès de la Caisse nationale de l’assurance maladie. Bref ce seront 3,3 milliards d’euros d’excédent net. Avec la hausse du taux de cotisation à la Caisse nationale d’assurance vieillesse et la baisse de celui de la cotisation AT-MP que nous proposons pour assurer le financement du système de retraite, cet excédent sera encore supérieur à 2 milliards d’euros, ce qui permet de consacrer 200 millions d’euros par an, et peut-être même un peu plus, à la prévention de la pénibilité. Il n’y a donc pas de risque à mobiliser ce financement. J’ajoute que cet excédent de 3,3 milliards d’euros représente 20 % du total des recettes de la branche AT-MP, ce qui justifie aussi que nous puissions mobiliser une plus grande part de ces moyens pour la prévention de l’usure et de la pénibilité.

J’en viens aux points soulevés par les autres orateurs.

Nous voulons mieux protéger ceux qui commencent à travailler tôt. J’entends l’argument selon lequel certains assurés devraient travailler quarante‑quatre années pour une retraite à taux plein. Comme nous l’avons dit, nous n’allons pas plus loin que la réforme Touraine de 2014, qui impose un minimum de quarante-trois années de cotisation pour le taux plein. Mais le fait est que, sur un peu moins de 800 000 assurés qui partent à la retraite, 180 000 ont cotisé plus que le nombre de trimestres requis. On parle beaucoup des personnes qui ont commencé à travailler à 20 ans. Mais qu’aurait-on dû dire alors, au cours des dix dernières années, de ceux qui ont commencé un peu après 19 ans, qui ne bénéficient pas du système de carrière longue et qui travaillent donc quarante-trois ans pour atteindre l’âge légal de 62 ans alors que le système n’impose que quarante-deux annuités ? Les réformes successives ont corrigé cette situation. Et qu’aurions-nous dû dire de ceux qui, avant 2010 et l’instauration du système des carrières longues, commençaient à 14 ou 15 ans et devaient travailler jusqu’à l’âge de 60 ans, en cotisant quarante-cinq ou quarante-six années ? Je ne m’en félicite pas ; je constate que notre système comporte des paramètres – d’âge, de date de naissance, de durée de cotisation – qui génèrent toujours des effets de bord que nous visons à réduire.

En améliorant l’accès au départ anticipé à 58 ans pour ceux qui ont commencé à travailler tôt et en créant une borne pour ceux qui ont commencé entre 16 et 18 ans, nous nous employons, même si certains peuvent trouver cela insatisfaisant et imparfaitement réussi, à réduire le plus possible l’écart de durée de cotisation selon qu’on a commencé plus tôt ou plus tard et, globalement, l’écart de durée de cotisation entre les différents assurés, qui n’aura jamais été aussi faible. Et c’est tant mieux ! Quant à savoir si c’est perfectible, je ne suis pas certain que la perfection soit de ce monde. Du moins faut-il souligner ce progrès !

Monsieur Maillard, vous avez évoqué la pénibilité comme d’autres après vous. Nous avons fait le choix d’améliorer le C2P en abaissant les seuils, en prenant en charge la polyexposition et en créant une nouvelle utilisation de ce dispositif. Ces mesures vont dans le bon sens et sont, du reste, plutôt saluées par nos interlocuteurs, même s’ils ne souscrivent pas au relèvement de l’âge de départ.

Quatre critères ont été exclus du C2P – qui succède depuis 2017 au C3P, ou compte personnel de prévention de la pénibilité. Le premier, que Mme Rousseau vient d’évoquer, est l’exposition à un risque chimique. Aucun des partenaires sociaux ne nous a demandé sa réintégration dans le C2P. Nous partageons l’idée que, pour ceux qui y ont déjà été exposés, les risques chimiques peuvent conduire à une forme de prévalence des maladies professionnelles, qu’il faut mieux suivre, mieux prévenir et malheureusement réparer s’il y a lieu. En revanche, pour ceux qui travaillent aujourd’hui ou travailleront demain, le risque d’exposition aux agents chimiques ne relève pas d’une pénibilité à accepter, mais d’une interdiction : cette exposition ne doit pas être. En cela, notre approche diffère de la vôtre.

Les trois autres critères que sont les vibrations, le port de charges lourdes et les postures pénibles sont ergonomiques. Si nous ne les réintégrons pas dans le C2P, c’est néanmoins autour de ces critères que seront déterminés par la branche AT-MP les métiers les plus exposés à la pénibilité, sur la base de l’accidentologie et de la prévalence des maladies professionnelles, ainsi que sur la base d’une enquête Sumer – Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels – qui examine la qualité des conditions de travail. Ces métiers font obligatoirement l’objet de discussions des branches et d’accords de prévention – accords, qui, comme je viens de l’indiquer, seront financés. C’est pour ces métiers que nous créons un suivi médical renforcé afin de garantir l’effectivité des départs anticipés après avis médical. C’est d’ailleurs un point de divergence avec certaines organisations syndicales qui souhaiteraient faire de ce départ un droit automatique alors que nous voulons tenir compte de l’effectivité de l’exposition. Ce n’est pas la même chose d’être menuisier sur un chantier en extérieur ou dans un atelier où l’on actionne une machine à commande numérique. Or, d’un point de vue administratif, ces deux situations relèvent d’un même code dans la nomenclature métiers. Il faut prendre en compte des conditions de travail effectives.

Nier le risque des effets de bord pour d’autres branches de la sécurité sociale, évoqués par les orateurs des groupes Rassemblement National et La France insoumise, ainsi que par Mme Rousseau et M. Dharréville, serait l’expression d’une forme d’illusion, en tout cas d’un idéal difficile à atteindre. Nous avons pris des mesures minimisant ce risque. Il y a le maintien de la possibilité d’un départ anticipé à 55 ans pour les travailleurs handicapés et à 62 ans pour les victimes d’une incapacité ou d’une inaptitude. Il y a le fait de rendre automatique, sans avis médical, le droit au départ anticipé pour les personnes qui ont un taux d’incapacité supérieur à 20 % à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle. Ce sont des garanties du maintien comptable dans l’enveloppe des retraites de la charge des pensions de ceux qui, si nous n’avions pas pris ces mesures, basculeraient vers d’autres branches la sécurité sociale et d’autres régimes de protection. Nous ne partageons donc pas vos inquiétudes.

Pour ce qui est de l’attention à porter aux plus fragiles, ce sont les retraités des trois premiers déciles qui bénéficieront des plus fortes hausses de pension.

M. Thomas Ménagé a dit que les retraités n’étaient pas des lignes d’un tableau Excel de Bercy. Ça tombe bien : j’ai quitté Bercy. Mais les retraités ne doivent pas être non plus être l’enjeu de slogans trompeurs ou de tracts mensongers. Nous travaillons pour les plus fragiles, pour que les mesures paramétriques soient les plus adaptées et adaptables possibles à leur situation effective. C’est un point d’attention majeur. Nous aurons l’occasion, durant le débat, d’examiner un par un les éléments que la Première ministre et moi avons pris en considération pour protéger les plus fragiles.

Il a beaucoup été question de la garantie d’une retraite minimum correspondant à 85 % du Smic net – soit, selon nos prévisions, près de 1 200 euros à la fin de l’année 2023. Ce montant sera soumis à un seul prélèvement, la contribution sociale généralisée (CSG). Le système de la CSG étant familialisé, le taux appliqué à ces pensions minimales garanties ne dépendra pas du niveau de pension de l’assuré, mais des revenus de son foyer fiscal. Il variera de 0 % à 3,8 %, un taux majoré étant également possible. Toutefois, sauf extraordinaire, les bénéficiaires de cette pension minimum garantie appartiennent rarement à des foyers fiscaux dont le revenu relève d’un taux majoré.

Monsieur Bazin, s’agissant des droits familiaux également évoqués par M. de Courson, vous relevez qu’il existe onze systèmes de pension différents – je pensais même qu’il y en avait treize. Il y a un manque d’harmonisation, par exemple en matière de majoration de la durée de cotisation : avoir un enfant se traduit par l’équivalent de huit trimestres dans le secteur privé et quatre trimestres dans le secteur public, différence qui s’explique par l’histoire plus que par la réalité, les agents du public ayant été considérés comme jouissant d’une perspective de carrière plus stable que les salariés du privé. Nous avons demandé au Conseil d’orientation des retraites de travailler sur cette question ; nous avons la conviction que les parlementaires s’en saisiront, comme ils l’ont fait à de nombreuses reprises. Nous avançons quelques propositions sur l’intégration de trimestres cotisés au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer, pour l’éligibilité tant au minimum de pension, notamment au MiCo majoré, qu’à un départ anticipé pour carrière longue. Il faut avancer sur ce sujet, mais il est si complexe qu’il faut du temps. Nous devons pouvoir nous appuyer sur les travaux évoqués. Nous croiserons cette mesure avec celle qui concerne les aidants.

Pour ce qui est de la date d’entrée en vigueur du dispositif, une modification serait envisageable si la date du 1er septembre ne concernait que le premier palier, avec un relèvement de trois mois de l’âge d’ouverture des droits. Mais la réforme est un tout : au 1er septembre interviendront aussi la majoration de 100 euros pour les retraités qui prendront leur retraite avec une carrière complète au niveau du Smic, la prise en compte des TUC, les dispositions sur le cumul emploi-retraite créateur de droits, et le début de la revalorisation de la situation des retraités actuels. Toutes ces mesures positives prendront effet au 1er septembre, justifiant notre attachement à cette unité de date.

La fiabilité des simulateurs, en termes tant conjoncturels, pour répondre aux questions que se posent les assurés en période de réforme, que structurels, pour que les assurés aient, dans la durée, des réponses rapides et fiables, est au cœur des discussions, dans le cadre de la convention d’objectifs et de moyens, avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Différents simulateurs seront rapidement proposés.

S’agissant des revenus équivalant au Smic, les indépendants peuvent effectivement, en raison de l’assiette de leurs cotisations et de la nature plus volatile de leurs revenus, être pénalisés dans l’accès à la garantie de retraite. Une première réponse consiste à ouvrir, en vue d’une application en 2024 dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, la réforme de l’assiette de cotisation des indépendants. Il faut qu’il y ait désormais, à niveau de cotisation égal, un droit égal. Par ailleurs, nous travaillons, avec le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants et notamment avec la Confédération des petites et moyennes entreprises, qui est l’organisation d’employeurs la plus représentée en son sein, pour garantir de manière active l’accès à la retraite minimum à 85 % du Smic pour une carrière complète, y compris en mobilisant les réserves de cette caisse. Une telle mesure n’est pas d’ordre législatif et ne relève pas du projet de loi de financement de la sécurité sociale : il s’agit plutôt d’autoriser le Conseil à engager des dépenses inhabituelles, comme nous l’avions fait durant la crise du covid-19, pour qu’il propose des aides sociales supplémentaires ou qu’il pallie les difficultés d’accès de certains indépendants aux aides que nous avons instaurées.

Vous avez évoqué la question de l’Agirc-Arrco ; je n’y reviendrai pas.

Monsieur Vigier, je ne reviendrai pas non plus sur l’emploi des séniors. Pour ce qui est de la pénibilité, nous allons déplafonner la possibilité d’obtenir des points au titre du C2P, qui permet d’obtenir des trimestres de départ anticipé : le déplafonnement permettra d’en obtenir davantage, à due proportion de cette acquisition.

Nous allons faire en sorte que le cumul emploi-retraite soit contributif et nous devrons, dans le cadre d’un futur projet de loi, articuler ce dispositif avec le compte épargne-temps universel.

Pour ce qui est du minimum contributif, nous savons que 200 000 retraités par an, soit un quart des 800 000 départs, bénéficieront d’une revalorisation de leur pension grâce à cette garantie. Cette revalorisation sera de l’ordre de 100 euros pour une carrière complète au niveau du Smic, et proratisée pour une carrière incomplète. Nous procéderons, pour les nouveaux retraités, à une augmentation de 25 euros du minimum contributif de base et de 75 euros du minimum contributif majoré pour obtenir le schéma le plus protecteur possible.

Monsieur Delaporte, vous avez articulé votre propos autour de trois mots : injustice, vide et défaite. La vraie injustice, c’est lorsque le responsable de votre parti défend la retraite à 60 ans avec quarante-trois années de cotisations – une machine à décote et à petites pensions. Le vrai vide, c’est votre proposition. Plus fondamentalement, la vraie défaite, c’est de dire son attachement à un système de gestion paritaire et par répartition tout en proposant de mettre ce système sous perfusion des revenus du capital – c’est l’abandon même des fondamentaux du système de retraite par répartition. Quant aux effets de bord et aux écarts de revenus, j’ai déjà répondu sur ces points.

Madame Rousseau, le rapport du COR s’appuie sur différentes hypothèses macro-économiques. Nous avons retenu l’hypothèse centrale – celle qui est toujours retenue. Plus précisément, le rapport s’appuie sur quatre hypothèses de croissance et deux conventions comptables, qu’on peut qualifier d’hypothèses comptables, supposant l’une l’équilibre par régime et l’autre l’équilibre à effort d’État constant – lequel n’existe pas. De fait, cette dernière convention, qui n’a jamais été mise en œuvre, consiste à imaginer que la part des recettes versées par l’État au système de retraites par la surcotisation de l’employeur État et par le subventionnement des régimes spéciaux représente quelques points de produit intérieur brut et resterait constante quel que soit le nombre d’agents publics et de pensionnés de l’État.

Nous travaillons, pour notre part, dans le cadre de ce qui existe : l’équilibre par régime, où les déficits sont chroniques. L’hypothèse centrale, fondée sur des hypothèses macro-économiques que tout le monde a toujours validées, aboutit à une dégradation du déficit. Je le répète : ne considérer que le poids des dépenses de retraites dans le produit intérieur brut – au-delà même du fait que la France et l’Italie sont les pays européens où ce poids est le plus lourd, avec une moyenne de 14 % contre 11 % pour les autres – sans tenir compte des recettes, et donc de la dégradation du solde, n’est pas responsable.

Pour ce qui est du minimum de pension et des critères de pénibilité, je crois avoir répondu, comme j’ai répondu à M. Dharréville à propos de la mobilisation des fonds de la branche AT-MP.

Monsieur de Courson, je suis ouvert à ce que nous discutions de la surcote et de sa mise en œuvre.

Pour ce qui est de la légitimité démocratique, je rappelle que, durant leurs campagnes électorales, le Président de la République et les députés de la majorité ont annoncé une réforme comportant un relèvement à 65 ans de l’âge de départ à la retraite. Certains électeurs ont pu voter pour eux, ou contre eux, à cause de cela ; certains ont voté pour le Président de la Réplique malgré cette réforme et sans la soutenir. Toujours est-il que le Président de la République a été élu et que personne n’est surpris que nous menions cette réforme annoncée. Cette transparence est aussi une forme de légitimité.

Pour ce qui est des droits familiaux, je ne reviendrai pas sur ma réponse à M. Bazin. Vous avez évoqué un écart moyen de 40 % entre les pensions des femmes et des hommes. Pour la génération de 1961, qui prend sa retraite cette année, cet écart sera de l’ordre de 30 % ; pour la génération de 1971, sous l’effet conjugué des évolutions sociologiques et des mesures prises, il devrait être de 20 %. Cela reste considérable mais l’évolution est notable. Le taux d’emploi des femmes et la part de leur vie consacrée à l’activité tendent à augmenter du fait de l’égalité professionnelle, ce qui est une bonne nouvelle en termes de répartition, d’émancipation et de capacité de notre société à agir. J’ajoute que, bien que la tentation soit souvent grande de faire du système des retraites une machine à réparer, compenser ou niveler les inégalités accumulées au long de la vie, et si bon soit-il de pouvoir le faire, cette vision me paraît un peu illusoire, ou du moins ambitieuse.

Enfin, nous maintenons les régimes propres à l’Opéra de Paris et à la Comédie française en raison de la difficulté de pratiquer ces métiers, par exemple la danse, au-delà d’un certain âge. Nous maintenons le régime de l’Énim parce que la profession de marin-pêcheur est l’une des plus difficiles et, malheureusement, des plus exposées au risque de décès en activité. Quant au régime des fonctions publiques du Sénat et de l’Assemblée nationale, la décision relève de leur bureau.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux questions des députés.

M. Didier Le Gac (RE). Le ministre a déjà répondu à une de mes interrogations en disant clairement que le dispositif de retraite « amiante » était maintenu dans ce projet de loi. En tant que président du groupe d’étude sur l’amiante de l’Assemblée nationale, je m’en félicite. La reconduction jusqu’en 2027 de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante était déjà une bonne nouvelle. Le fait que les personnes atteintes de maladies liées à l’amiante ne soient pas touchées par la réforme des retraites en est une autre.

Par ailleurs, en tant qu’élu d’une circonscription maritime, dans le Finistère, je suis attaché au régime de l’Énim. Je remercie le ministre d’avoir exclu de la réforme ce régime propre aux marins, qui exercent le métier le plus dangereux au monde.

M. Victor Catteau (RN). Monsieur le ministre, le 5 mai 2010, un député socialiste interpellait par ces mots le ministre du travail de l’époque au sujet de la réforme repoussant l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans : « Cette volonté de reculer l’âge de la retraite est doublement injuste. D’une part, elle écarte d’emblée la recherche d’autres recettes [...]. D’autre part, elle fera porter l’effort sur les générations nées après 1970, aujourd’hui plus préoccupées par leur situation actuelle, par leur entrée sur le marché du travail que par la question de leur retraite. » Ce député, monsieur le ministre, c’est vous ! Ou plutôt, c’est ce que vous étiez car, aujourd’hui, vous annoncez avec le plus grand calme reculer l’âge légal de départ à 64 ans. Mais où est passé votre bon sens ? Où est passée votre humanité ? Depuis quand êtes-vous aussi déconnecté de la réalité ? Comment pouvez-vous croire qu’à 64 ans, après une longue carrière de dur labeur, on n’est pas usé par la vie ? Un quart des Français les plus pauvres décèdent avant même l’âge de 62 ans ! Et nos aînés ne seront pas les seuls affectés. Si vous avez soudainement changé d’idée, alléché par l’odeur de la soupe, votre description reste juste : reculer l’âge départ à la retraite, c’est faire porter l’effort sur les jeunes générations.

Plus que doublement injuste, cette réforme est surtout injustifiée. Le COR, par la voix de son président auditionné jeudi dernier, l’affirme : les dépenses des retraites ne dérapent pas et sont relativement maîtrisées. Contrairement à ce que vous tentez tant bien que mal de faire croire aux Français, notre système actuel de retraites n’est pas en danger. Monsieur le ministre du travail, du plein emploi, de l’insertion et de la casse sociale, quand entendrez-vous enfin le message des Français et quand cesserez-vous de les escroquer ?

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Le 10 janvier dernier, Mme Borne a déclaré : « Nous demanderons aux employeurs une contribution supplémentaire pour le financement de la retraite. Mais nous refusons qu’elle augmente le coût du travail. C’est pourquoi nous baisserons, symétriquement, la cotisation des employeurs au régime des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui est très excédentaire. »

Alors que la France est championne d’Europe des accidents du travail, et même des accidents mortels du travail, la Première ministre va chercher dans la branche AT-MP l’argent de sa réforme. Quelle honte ! Vous voulez faire travailler les gens au moins deux ans de plus pour prétendument sauver un système des retraites qui n’est pas en danger. Pire : pour financer cette attaque, vous vous servez dans la caisse des travailleurs essentiels et des victimes de la pénibilité et des accidents du travail, dont le nombre est sous-évalué.

Pour vous, il est plus facile d’obliger des millions de gens à travailler plus, en prenant deux ans de leur vie, que de taxer les employeurs ou de trouver d’autres ressources pour mettre en place une réforme des retraites vraiment juste. La déclaration de Mme Borne dit beaucoup du mépris profond que vous avez pour les travailleurs et les pauvres. Pourtant, sans leur travail, le pays ne tournerait pas.

M. Joël Aviragnet (SOC). Jeudi dernier, à l’appel des syndicats unis, plus d’un million de citoyens ont manifesté pour défendre leur retraite. Certains, notamment des travailleurs aux carrières longues ou souffrant de la pénibilité du travail, le faisaient pour conserver le droit de partir à la retraite en bonne santé. La réforme que vous proposez est un recul social comme nous en avons peu connu ces dernières décennies. Alors que l’argent magique coulait à flots pendant la pandémie, nous nous demandions tous qui allait payer le « quoi qu’il en coûte ». Désormais, il n’y a plus de place au doute. Plutôt que de mettre à contribution les super-riches ou les multinationales, vous demandez aux Français de travailler deux ans de plus. L’étude d’impact montre que les inégalités existent à tous les niveaux. Une femme née dans les années 1980 devra travailler huit mois de plus à cause de votre réforme. Pour un homme de la même génération, ce seront quatre mois supplémentaires. Vous renforcez non seulement les inégalités sociales, mais aussi une inégalité de sexe déjà criante.

Le vernis social que vous essayez d’appliquer sur votre réforme n’y changera rien. Il est destiné à faire passer la pilule. Mais il ne témoigne pas d’une vraie volonté d’améliorer notre système de retraite. Comme neuf actifs sur dix, comme la majorité des Français, je suis farouchement opposé à cette réforme des retraites. Ce gouvernement est toujours plus créatif pour vider les poches des classes moyennes que pour rétablir un peu de justice sociale. Pourquoi s’obstiner à reculer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans alors que les Français y sont opposés ? Pourquoi ne pas envisager d’autres solutions, comme une augmentation des cotisations sociales ou une imposition des plus favorisés ?

Mme Fanta Berete (RE). S’agissant de l’index des séniors, la présentation du ministre m’a rassurée. Un autre objectif du Gouvernement est de protéger les femmes qui ont des carrières hachées ou qui touchent de faibles pensions. Elles sont les premières bénéficiaires des mesures comme le maintien de l’âge de la décote à 67 ans, le relèvement des petites pensions, la prise en compte des congés parentaux ou des trimestres en tant qu’aidant… Tout cela est essentiel.

Mais l’écart entre les pensions des femmes et des hommes était de 40,5 % en 2019. En ce jour symbolique de remise du rapport 2023 sur l’état du sexisme en France par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, avez-vous envisagé d’autres pistes pour combler cet écart ? Seriez-vous prêt à envisager des mesures susceptibles de réduire cette injustice sociale dès le moment où elle naît, c’est-à-dire lors du premier recrutement ? Je ne souhaite pas que ma fille, étudiante de 19 ans, subisse ce que nos aînées ont subi ou ce que certaines d’entre nous vont subir.

M. Thierry Frappé (RN). Nous sommes nombreux dans cette commission à nous interroger sur l’utilité de cette réforme et à dénoncer son caractère socialement injuste. Vous proposez un recul de deux ans de l’âge légal du départ à la retraite, porté à 64 ans. La durée de cotisation augmentera de deux ans alors que le pouvoir d’achat des retraités stagne depuis 2012. La situation de nos compatriotes qui exercent des métiers difficiles et celle des séniors ne sont pas bien prises en considération.

Ne pensez-vous pas que cette réforme va augmenter la précarité de l’emploi et le nombre d’arrêts maladie chez les séniors ? La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a publié un rapport qui indique que le taux d’emploi des séniors est de 56 %, soit 75,1 % chez les 55-59 ans, ce qui est un bon chiffre, mais seulement 35,5 % chez les 60-64 ans. La précarité est considérablement plus importante dans cette tranche d’âge. Pire encore : les données montrent que le taux de chômage augmente avec l’âge. Comment permettre aux séniors de continuer à travailler jusqu’à 64 ans sans difficulté ?

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Monsieur le ministre, vous refusez de débattre avec Philippe Martinez, avec Laurent Berger, avec l’économiste Thomas Porcher et avec moi... Je suis donc heureux de vous voir ici enfin !

Jeudi dernier, je me trouvais avec deux millions de ces « amis imaginaires » que vous me prêtez par voie de presse. J’ai vu une aide-soignante de l’hôpital d’Amiens, qui souffre de polyarthrite ; son mari travaille de nuit chez Valeo depuis 39 ans. J’ai vu un jardinier dans les cimetières militaires, qui travaille dans le froid et l’humidité. J’ai vu un maçon carreleur de 50 ans qui a déjà mal au dos. Tous vont en prendre pour deux ans de plus. Pour eux, cette réforme n’est pas un truc technocratique ou budgétaire : ils vont la subir dans leur chair et dans leur tête.

Vous allez faire plein de broderies autour du compte pénibilité, de l’index séniors… Du baratin et du bidouillage ! Mais quand vous dites que le report de l’âge de la retraite à 64 ans est nécessaire au retour à l’équilibre du système, de quel système parlez-vous ? Le jour même de la présentation de la réforme, on annonce des dividendes records pour le CAC40. Mais rien n’est prévu dans votre projet de loi pour aller chercher des recettes du côté de vos amis milliardaires – eux ne sont pas imaginaires ! Oui, ceux qu’Emmanuel Macron recevait à l’Élysée vendredi dernier en leur assurant que rien ne serait fait au sujet des superprofits... Voilà pour l’équilibre et la justice !

Mais il y a pire du côté démocratique. Sept Français sur dix, huit salariés sur dix vous disent non, les deux tiers des Français voudraient aller chercher les ressources dans les grandes fortunes et les grandes firmes. Mais vous ne cherchez pas à convaincre : seulement à vaincre – par la lassitude, la résignation et le dégoût. Mesurez-vous le mal que vous faites à la République ?

Mme Christine Le Nabour (RE). J’ai été interpellée par un agriculteur de ma circonscription, à la retraite depuis plusieurs années. Il a commencé à travailler à 17 ans. Il a aussi été adjoint au maire de sa commune pendant dix-neuf ans. Il ne bénéficie pas d’une pension équivalente à 85 % du Smic alors que cette mesure a été votée en 2020 en faveur des chefs d’exploitation agricole ayant une carrière complète. En effet, les anciens élus voient leur retraite au titre de l’Ircantec, régime obligatoire des élus, prise en compte dans le calcul du plafond de pensions.

Cette injustice a été partiellement réparée par la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, qui a permis de ne plus tenir compte des droits en cours de constitution au titre de l’Ircantec. Toutefois cette disposition ne règle pas la situation des agriculteurs qui ont pris leur retraite avant 2020 et 2022. Ils ont cumulé pendant plusieurs années activité professionnelle et engagement pour la collectivité. Leur investissement au service des citoyens les pénalise aujourd’hui. Que faire pour eux ?

Mme Monique Iborra (RE). Un point soulève questions et polémiques : le report de l’âge légal serait plus défavorable aux femmes qu’aux hommes. Pouvez‑vous apporter des précisions sur ce point ?

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Vous faites le pari d’améliorer l’emploi des séniors grâce au seul outil de l’index séniors. Mais l’index de l’égalité professionnelle hommes-femmes a brillé par son inefficacité. L’index séniors est une régression supplémentaire car il semble suffire à l’entreprise de le publier pour échapper aux sanctions, qu’importent les résultats. En outre, aucun barème n’est prévu à ce stade et la définition des indicateurs est floue. Vous n’avez pas repris l’intégralité du modèle de l’index de l’égalité professionnelle, qui a au moins le mérite de prévoir un score minimum à atteindre. Confirmez-vous que la sanction ne s’appliquerait qu’en cas de non-publication, ou bien est-il prévu de sanctionner les entreprises qui présentent des résultats insuffisants ?

Même de votre point de vue comptable, l’égalité salariale ajouterait à elle seule 12 % de cotisations par an ! Comment comptez-vous en pratique intégrer l’impact délétère de votre réforme sur la vie des Françaises ? Enfin, envisagez-vous d’augmenter la pénalité, actuellement fixée à 1 % de la masse salariale, pour la rendre réellement dissuasive et adaptée à la taille des entreprises ?

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). La retraite s’inscrit dans le prolongement de la vie professionnelle, laquelle dépend du parcours de chacun. Elle mêle phases d’apprentissage, de formation et d’activité, dans les secteurs public et privé. Les pensions reflètent la diversité de ces parcours individuels. Or, toute réforme du système doit être envisagée de manière globale. En ce qui concerne l’aspect financier, le président du COR a souligné que l’évolution des dépenses de pensions reste constante mais que nous devons affronter une diminution des recettes – liée à la démographie, aux modalités des parcours de fin de carrière et aux évolutions conjoncturelles des taux d’emploi et de chômage.

Cette réforme paramétrique et financière, présentée sous la forme d’une loi de financement de la sécurité sociale rectificative, se comprend. Cependant, est-il possible d’envisager l’hypothèse d’un départ à 63 ans pour les femmes qui ont eu des bas revenus et des carrières hachées – ce qui existe dans d’autres pays européens ? Qu’en est-il d’une éventuelle modulation du taux de la CSG, qui augmenterait pour les pensions les plus élevées – même si je sais qu’il n’est pas prévu d’augmenter les impôts ? Quelles sont les modalités de rachat de trimestres pour les jeunes ? Enfin, il faut réviser les droits familiaux afin d’arriver à une équité entre public et privé s’agissant des trimestres validés par enfant, d’une part, et des pensions de réversion, d’autre part – comme c’était envisagé dans le précédent projet de réforme des retraites.

M. Jérôme Guedj (SOC). Le hasard fait que c’est mon anniversaire. Vous m’offrez en cadeau un trimestre de cotisation et deux années de travail supplémentaires. Personnellement, j’ai envie de travailler le plus longtemps possible parce que j’ai la chance d’exercer des activités dans lesquelles je peux m’épanouir. Mais j’appartiens à la génération de 1972, la plus nombreuse depuis 1945, avec 877 000 naissances. Elle comprend des gens qui seront eux aussi contents de travailler davantage, mais également 42 % d’employés et d’ouvriers dont beaucoup ne trouveront aucune source d’émancipation dans ce trimestre et ces deux années supplémentaires, mais plutôt des risques d’épuisement aggravés.

Il faut que vous mesuriez les conséquences de votre réforme. Elle est essentiellement motivée par l’équilibre des finances publiques. L’avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) joint au projet de loi indique que « compte tenu du caractère incomplet des informations qui lui ont été transmises par le Gouvernement, le Haut Conseil n’est pas en mesure d’évaluer l’incidence de moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques ». Comment pouvez-vous dire que cette réforme permettra de rééquilibrer les finances publiques alors que le HCFP s’estime incapable d’en apprécier les conséquences ?

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Nous divergeons sur un point de fond. Vous considérez que le problème des retraites est lié aux dépenses. Vous expliquez que votre réforme rendra le système plus juste en dépensant moins – ce qui reste une énigme pour moi. Nous pensons qu’il faut chercher de nouvelles recettes pour une retraite plus juste.

J’aimerais connaître la nature des documents que nous avons reçus en début d’après-midi. J’ai été surpris par l’apparence du premier d’entre eux, qui ressemble davantage à un tract – certes de 112 pages – qu’aux documents habituels. Quand disposerons-nous d’une étude d’impact ?

Lorsque vous dites que personne n’est surpris par cette réforme, je crois comprendre que vous reconnaissez à demi-mot qu’il n’est pas honnête de considérer l’élection présidentielle et les élections législatives comme un référendum pour les retraites. En effet, le deuxième tour de l’élection présidentielle et d’un certain nombre d’élections législatives ne se sont s’est pas joués sur ce sujet – en tout cas ceux qui le prétendent ne font pas preuve d’honnêteté. Mais pourquoi n’organisez‑vous pas un référendum sur une question aussi importante ?

Enfin, selon un article de presse paru aujourd’hui, il y aurait des problèmes techniques pour identifier les bénéficiaires de la pension minimum de 1 200 euros. Pourriez-vous en dire plus ?

M. le ministre. Je voudrais tout d’abord revenir sur la question des rachats de trimestres, posée par plusieurs intervenants, dont Sylvain Maillard.

Le premier chantier concerne l’amélioration de l’information, qu’il est difficile d’avoir au bon moment. Par exemple, le rachat de trimestres de stage effectués pendant des études n’est possible que pendant les deux ans qui suivent le stage. Personne ne le sait. Pourtant, les conditions de rachat sont très avantageuses – de l’ordre de quelques centaines d’euros par trimestre. Nous sommes favorables à un travail d’amélioration de l’information avec le groupement d’intérêt public concerné, mais aussi à des avancées sur les modalités de rachat de ces trimestres. Les délais pourraient être étendus aux cinq ans qui suivent le stage ou courir jusqu’à l’âge de 30 ans. De la même manière, les paramètres du rachat de trimestres d’études pourraient être adaptés afin de s’assurer que ceux qui le souhaitent puissent le faire à un moment où cela reste relativement avantageux – plus le temps passe, plus c’est coûteux. Je souhaite que nos débats permettent d’avancer sur ces sujets.

M. Catteau a dit que 25 % des personnes qui appartiennent aux classes populaires décèdent avant 62 ans. C’est une fausse information qui tourne en boucle – elle a même été reprise par la maire de Paris sur un réseau social. Cette question est sans rapport avec le travail et la retraite. Le taux mortalité de 25 % avant 60 ans concerne les 5 % de la population les plus modestes, dont les revenus mensuels ont été inférieurs à 540 euros au cours de leur vie. C’est le signe d’une très grande précarité, pas d’une mortalité liée au travail. C’est tout aussi inadmissible mais le lien fait par certains avec la situation des classes populaires ne tient pas. Concentrons-nous sur la lutte contre la grande précarité, mais ne faisons pas de la mortalité des 5 % des Français les plus modestes un argument dans le débat sur les retraites !

J’ai répondu à Mme Keke, ainsi qu’à M. Aviragnet, au sujet du financement de la branche AT-MP.

Mme Berete a évoqué la question de l’égalité professionnelle. C’est un sujet sur lequel nous devons avancer, indépendamment de la réforme des retraites. L’index d’égalité professionnelle est plus efficace qu’on le dit. Année après année, la note moyenne des entreprises assujetties progresse, ce qui signifie qu’elles font des efforts pour réduire les inégalités entre femmes et hommes. C’est cette réduction des inégalités qui permettra de limiter celles des pensions, qui tiennent principalement aux différences de revenu pendant la vie et au fait que les femmes restent plus exposées aux carrières hachées. Un chantier structurel permettra de progresser vers l’égalité professionnelle. Nous prenons des mesures qui y contribuent.

Je ne suis pas d’accord avec M. Frappé, qui considère que cet index d’égalité ne sert à rien. En revanche, c’est vrai, le seul index des séniors serait insuffisant pour améliorer l’emploi de cette catégorie de la population. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu d’autres dispositions concernant le cumul emploi-retraite, l’accès à la retraite progressive et son ouverture aux assurés de la fonction publique. Je pense aussi à des mesures hors de ce texte, en ce qui concerne la formation et l’articulation des règles qui encadrent l’indemnisation au titre de l’assurance chômage et l’accès à une retraite à taux plein.

M. Ruffin a évoqué un certain nombre de cas-types. Le report du départ à la retraite varie en fonction de l’âge des personnes et peut être inférieur à deux ans. Les quatre exemples donnés concernent des métiers qui ont vocation à ouvrir le bénéfice des dispositifs relatifs aux carrières longues ou à la pénibilité.

Ceci m’amène à la situation des aides-soignants et des infirmiers. J’ai dit tout à l’heure notre intention de créer un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, à hauteur de 1 milliard d’euros pour le régime général. Mon collègue Stanislas Guerini et moi avons annoncé ce matin un fonds de prévention pour la fonction publique hospitalière. Des discussions ont été ouvertes entre le Gouvernement et les employeurs territoriaux pour créer un fond analogue pour la fonction publique territoriale, dans le respect du principe de libre administration. Quand on parle d’infirmiers et d’aides-soignants, cela recouvre trois catégories de personnels dans la fonction publique hospitalière. Pour ce qui est des infirmiers, ils ont pu choisir en 2010 entre rester en catégorie B et continuer à bénéficier du statut de catégorie active avec un départ à la retraite anticipé de cinq ans, ou devenir catégorie A et perdre le bénéfice de ce départ anticipé. Tous les infirmiers recrutés après 2010 appartiennent à la catégorie A. Quant aux aides‑soignants, ils bénéficient du départ anticipé de cinq ans. Dans le secteur privé, les aides-soignants et les infirmiers sont éligibles au compte professionnel de prévention. Nous prévoyons d’abaisser le seuil de définition du travail pénible de 120 à 100 nuits par an, ce qui leur octroiera davantage de points de C2P. Ces personnels seront aussi concernés par les mesures relatives aux postures pénibles et au port de charges – car les hôpitaux et les Ehpad ne sont pas tous équipés de lève-personnes sur rail. Enfin, dans la fonction publique territoriale, on trouve des infirmiers qui ont toujours été de catégorie A, puisqu’il n’y a pas de catégorie active, et des aides-soignants qui ne sont pas considérés comme catégorie active car ils relèvent de cette fonction publique. Tout cela justifie un fonds de prévention spécifique pour les métiers du soin. D’une part, il s’agit de métiers pénibles. D’autre part, la disparité des situations en fonction des cadres d’emploi et des statuts est tellement énorme qu’il faut mettre un terme à ces injustices.

Je sais que vous ne serez pas d’accord avec l’ensemble de la réforme, monsieur Ruffin. Nous pourrons en débattre dans l’enceinte parlementaire, que je préfère aux autres. Mais je suis certain que nous trouverons des points de convergence pour aider les personnels soignants.

Madame Le Nabour, vous avez évoqué la question des élus locaux qui ont cumulé leur mandat avec une profession d’agriculteur indépendant. Comme vous l’avez relevé, nous avons traité le flux. Pour ce qui est du stock, les mêmes règles doivent s’appliquer grâce à une lettre ministérielle du 25 mars 2022. J’en vérifierai la bonne application.

Mme Iborra a posé la question des femmes. Leur âge moyen effectif de départ à la retraite est actuellement plus bas que celui des hommes, du fait du bénéfice des majorations de durée d’affiliation – notamment les huit trimestres accordés au titre de la maternité et de l’éducation des enfants. Relever légèrement l’âge légal de départ diminue l’effet de cette majoration. Les études dont nous disposons montrent qu’à l’horizon 2030, l’âge effectif de départ à la retraite des femmes se sera rapproché de celui des hommes, en restant toutefois inférieur de deux mois.

Nous proposons d’autres dispositions pour atténuer cet effet. Il sera tenu compte de trimestres cotisés au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer pour reconstituer une carrière complète et bénéficier du minimum de pension. Cette assurance est accessible aux parents qui arrêtent de travailler ou qui travaillent à temps partiel, dès lors qu’ils bénéficient d’une prestation ou d’un minimum social relatif à la garde d’enfant. C’est une façon de protéger les femmes. Des trimestres acquis au titre de l’AVPF seront également pris en compte pour la retraite anticipée pour carrière longue ; c’est aussi une amélioration. Certaines femmes ont commencé à travailler avant 18 ans et demandent un départ anticipé lorsqu’elles arrivent à 60 ans, considérant qu’elles ont acquis les quarante-deux annuités nécessaires. Mais les trimestres cotisés au titre de l’AVPF ne sont pas pris en compte dans ce cadre-là. Parce qu’elles se sont arrêtées de travailler pour une raison évidente – s’occuper d’un nouveau-né – elles perdent le bénéfice du départ anticipé. Enfin, un certain nombre de mesures proposées ont des effets redistributifs plus favorables aux femmes qu’aux hommes, notamment en ce qui concerne le niveau de pension. Comme je l’ai dit précédemment à M. de Courson, l’écart moyen des pensions de retraite entre femmes et hommes tend à baisser. C’est tant mieux et tout ce qui accélère cette évolution, notamment grâce aux progrès de l’égalité professionnelle, est une bonne chose.

S’agissant des questions de M. Peytavie, je ne reviens pas sur les mesures en faveur de l’emploi des séniors. Je confirme que l’obligation de publicité de l’index séniors concernera les entreprises de plus de 300 salariés. Si elle n’est pas respectée, elle sera sanctionnée par une majoration des cotisations de l’entreprise pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale. Les échanges avec ceux des partenaires sociaux qui ont trouvé le principe de l’index intéressant ont permis de constater que l’on considérait – aussi bien du côté des organisations d’employeurs que syndicales – que l’obligation de négociation sur l’emploi des séniors paraissait être un levier d’action suffisant. Le temps montrera-t-il que tel est bien le cas ? Attendons avant d’envisager des mesures coercitives. Quoi qu’il en soit, cela ne marchera que si nous adoptons les mesures en faveur de l’emploi des séniors déjà évoquées. Je répète que les résultats en matière d’égalité professionnelle sont plutôt encourageants.

J’ai répondu à l’instant aux questions de Mme Dubré-Chirat sur le rachat de trimestres et la révision des droits familiaux. Certains proposent parfois d’augmenter le taux de CSG pour les retraités ou de mettre à contribution les retraités actuels. Ce n’est pas la volonté du Gouvernement dans cette période où il s’attache à protéger le pouvoir d’achat.

La question de M. Guedj sur la génération de 1972 dépasse le sujet des retraites et renvoie au rapport au travail. Le Gouvernement a organisé les assises du travail auxquelles ont participé bon nombre de partenaires sociaux, d’intellectuels et de personnalités qualifiées. Je souhaite que nous puissions repenser le rapport au travail et je distingue volontiers, dans mes propos comme dans ma manière de travailler, la question de l’emploi de celle du travail. Je connais nombre de gens attachés à leur emploi – qui garantit un moyen de subsistance – mais qui n’aiment pas leur travail. Cette différence est peut-être l’une des explications des inquiétudes que suscite la perspective de travailler un peu plus longtemps.

Les documents transmis à l’issue du Conseil des ministres montrent que le projet est bien documenté, notamment en ce qui concerne les trajectoires financières et le retour à l’équilibre à l’horizon de 2030. Je sais qu’ils ont été communiqués au HCFP après le Conseil des ministres et nous pourrons y revenir quand tout le monde en aura pris connaissance.

J’en termine par les questions de M. Monnet. D’abord, nous n’allons pas dépenser moins, mais plutôt dépenser plus. Nous financerons des mesures nouvelles parce que nous aurons des recettes supplémentaires. C’est pourquoi nous portons un tel intérêt au solde.

L’application du minimum de pension aux futurs retraités ne pose aucune difficulté. C’est une affaire de systèmes d’information, pour intégrer une augmentation de 100 euros du minimum contributif – 75 en majoré, 25 en base. En revanche, il peut y avoir des difficultés techniques pour les dossiers des retraités actuels. Dans certaines caisses, les dossiers déposés avant 2010 n’ont pas été numérisés. Il s’agit aussi de régimes très particuliers qui, jusqu’à une date récente, pouvaient parfois s’appuyer sur d’autres éléments que le revenu comme base de cotisation. Nous avons eu ce débat à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur les retraites agricoles, dont le rapporteur était M. Julien Dive. Afin de résoudre ces difficultés techniques, nous travaillons avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse pour que les versements puissent intervenir dès 2023 – quitte à régulariser de manière rétroactive.

Quant aux documents que nous vous avons transmis, nous présentons un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale parce que les mesures proposées ont, pour l’immense majorité d’entre elles, un effet dès 2023 – soit sur les recettes, soit sur les dépenses de la sécurité sociale. Comme pour tous les projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, la procédure ne prévoit pas d’étude d’impact. Nous avons cependant rédigé un rapport sur les effets des mesures proposées. C’est ce document de 114 pages que vous avez reçu. Vous y trouverez une mine d’informations objectives et documentées. L’avis du HCFP vous sera aussi transmis par le secrétariat général du Gouvernement, ainsi que des fiches explicatives sur chaque article et chaque mesure. Cela permettra la discussion la plus éclairée possible. Même s’il ne s’agit pas d’une étude d’impact au sens strict, le rapport a été réalisé avec la même méthode. Il fournit le maximum de données chiffrées et il nourrira les débats.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie pour la clarté et la précision des échanges. La commission des affaires sociales examinera les articles du projet de loi à compter de lundi matin.

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   Comptes rendus DE L’EXAMEN DES ARTICLES
DU PROJET DE LOI

Au cours de ses réunions du lundi 30 janvier 2023, la commission examine le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 760) (Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale).

Réunion du lundi 30 janvier 2023 à 9 heures 30 (avant l’article liminaire à article 1er)

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12805600_63d77e0f8863a.commission-des-affaires-sociales--projet-de-loi-de-financement-rectificative-de-la-securite-sociale-30-janvier-2023

Mme la présidente Fadila Khattabi. Chers collègues, nous entamons l’examen des articles du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023. Lundi dernier, jour de la présentation du texte en conseil des ministres, nous avons auditionné M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion pendant deux heures trente, une réunion valant discussion générale.

Nos travaux sont soumis aux délais que l’article 47-1 de la Constitution assigne au Parlement pour l’examen d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Les vingt jours dont dispose l’Assemblée nationale en première lecture sont décomptés depuis avant‑hier, date à laquelle la Première ministre Élisabeth Borne a formellement indiqué à la Présidente Yaël Braun‑Pivet que l’ensemble des annexes au projet de loi avait été déposé.

Certains auraient voulu que la commission commence ses travaux beaucoup plus tôt, ce qui aurait considérablement raccourci le délai laissé à chacun pour déposer des amendements. En accord avec la Présidente de l’Assemblée nationale, j’ai écarté cette option. Par ailleurs, à compter de lundi prochain, deux semaines entières seront consacrées à l’examen du texte en séance publique et, s’agissant d’un PLFSS, la discussion portera sur le texte initial du Gouvernement. Il n’était donc pas nécessaire de précipiter les choses en commission. Vous avez ainsi disposé de plus de trois jours pour préparer vos propositions et, au vu du nombre d’amendements déposés, il sera difficile de prétendre que le temps a manqué. En tenant compte de la durée de traitement de ce volume considérable d’amendements, comprenant notamment la consultation du président de la commission des finances sur leur recevabilité, nous ne pouvions commencer que ce matin.

La date limite de dépôt d’amendement en séance publique ayant été fixée au jeudi 2 février à dix-sept heures, la commission travaillera jusqu’à la veille au soir. Elle disposera donc de vingt-huit heures de réunion. Je souligne que c’est davantage que les vingt-deux heures quinze consacrées à l’examen et à l’adoption, en première lecture, des cinquante-trois articles du PLFSS 2023. Il appartiendra aux groupes politiques de décider de la meilleure manière d’employer ce temps considérable de vingt-huit heures.

Nos règles de fonctionnement demeurent constantes : je donnerai la parole pour deux minutes à l’auteur de l’amendement, puis la rapporteure générale donnera son avis et enfin pourront s’exprimer un orateur favorable à l’amendement et un orateur d’avis opposé. Naturellement, pour les sujets les plus importants, je ferai preuve d’une grande bienveillance pour que chaque groupe qui le souhaite puisse s’exprimer.

En réponse au courrier que m’ont adressé certains d’entre vous sur la possibilité d’une priorité d’examen de l’article 7, les dispositions organiques relatives aux PLFSS imposent que la première partie soit examinée avant toute disposition de la seconde. Or, l’article 7 se situe en début de seconde partie. Par conséquent, il n’est pas possible d’accéder à cette demande de priorité.

L’avenir des retraites préoccupe nos compatriotes, qui écouteront et regarderont attentivement nos travaux. Dès lors, je veillerai particulièrement à la bonne tenue de nos débats. Chacun pourra s’exprimer, dans le respect des opinions et, plus encore, des personnes. Je sais que les sujets abordés intéressent bien au-delà de la commission des affaires sociales et que, par conséquent, des députés qui n’en sont pas membres viendront prendre part à la discussion. Ils sont évidemment les bienvenus ; ils pourront prendre la parole et défendre leurs amendements. Je rappelle simplement que seuls les membres de la commission des affaires sociales disposeront du droit de vote.

Enfin, il m’appartient de vous informer de la méthode suivant laquelle j’ai apprécié la recevabilité des 7 267 amendements déposés. Tout d’abord, 244 amendements ont été retirés par leurs auteurs et 154 autres ont été déposés en doublon par les mêmes signataires. De plus, ont été déclarés irrecevables les amendements relatifs au régime de retraite des parlementaires car il est régi par des dispositions organiques qu’une loi ordinaire ne peut modifier. De même, en application de l’article 20 de la Constitution, les quelques amendements faisant injonction au pouvoir exécutif ne seront pas mis en discussion.

J’en viens à l’application de l’article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Vu le nombre d’amendements dont nous sommes saisis, je n’ai pas sollicité le président de la commission des finances à propos d’un certain nombre d’initiatives manifestement irrecevables. Je l’ai cependant consulté dès qu’un doute se présentait et j’ai fait miens l’intégralité de ses avis. En toute rigueur, il m’aurait fallu déclarer irrecevables de très nombreux autres amendements si j’avais suivi à la lettre la pratique consignée dans les rapports des présidents successifs de la commission des finances. C’est en particulier le cas des amendements à l’article 1er qui visent à supprimer l’affiliation à certains régimes spéciaux : ils auraient pour conséquence d’affilier les salariés concernés au régime général, ce qui créerait une charge pour celui-ci. Quant à ceux qui visent à repousser la fin de l’affiliation à un régime spécial, ils ne créent certes aucune nouvelle charge puisqu’ils maintiennent inchangé le droit en vigueur, mais ils n’ont pas d’effet sur l’exercice 2023 : or, le PLFRSS peut exclusivement contenir des dispositions affectant les recettes et les dépenses de l’année 2023.

Une situation comparable s’est présentée pour des amendements qui, à l’article 7, proposent un âge légal de départ compris entre 62 et 64 ans pour tous les salariés ou pour certaines catégories d’entre eux. En effet, l’article 7 abaisse l’âge d’annulation de la décote à trois ans après l’âge légal contre cinq ans dans le droit existant. La pratique est dépourvue d’ambiguïté pour considérer de tels amendements irrecevables. Cela étant, qu’il s’agisse de l’article 1er ou de l’article 7, il m’a semblé nécessaire de faire prévaloir l’initiative parlementaire, les amendements en question portant sur le cœur même du texte.

En conséquence, alors que le taux d’irrecevabilité s’est généralement établi aux alentours de 50 % pour les précédents PLFSS, il est pour ce texte inférieur à 20 %.

Il était important de vous communiquer ces informations.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je remercie la présidente de la commission pour ses explications. Il était effectivement important de savoir sur quelles bases vous avez pris vos décisions. Je voudrais simplement appeler votre attention sur trois points.

Premièrement, certains amendements ont été jugés irrecevables parce qu’ils repoussaient l’entrée en vigueur de mesures présentes dans le projet de loi. Cela nous éclaire sur les conséquences du choix de ce véhicule budgétaire, qui contraint notre discussion. Ce n’est pas le moindre des problèmes s’agissant d’une réforme des retraites.

Deuxièmement, donner la parole à un orateur pour l’amendement en discussion et un orateur contre entraîne un débat mécanique, qui ne permet pas d’échanger des arguments. Or, sur un sujet aussi important, nous avons besoin non seulement de défendre nos amendements mais aussi d’approfondir la discussion. Ce n’est pas la bonne manière de fonctionner.

Enfin, vous avez indiqué que deux semaines entières seraient consacrées à l’examen du texte en séance publique. En réalité, les débats seront interrompus par la journée réservée à l’ordre du jour arrêté à l’initiative du groupe Socialistes et apparentés, et trois demi-journées par semaine ne seront pas utilisées. Cela fera donc, au mieux, six ou sept jours.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous n’allons pas entamer une seconde discussion générale. Le choix du véhicule législatif a été fait par le Gouvernement. Rien ne sert d’y revenir désormais en commission. Il est important de débuter l’examen du texte.

Avant l’article liminaire

Amendement AS758 de Mme Justine Gruet.

M. Stéphane Viry (LR). Il eût été opportun de nous interroger sur la place de la valeur travail dans notre pays. Notre régime de retraite par répartition en dépend pour son financement. Or, le périmètre du projet de loi est étriqué : au lieu que de débattre de dispositions techniques, il aurait été préférable de poser la question de l’assiette du financement de la protection sociale, notamment de la branche retraite.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Je considère qu’il s’agit d’un amendement d’appel car l’article liminaire présente les données macroéconomiques sur lesquelles se fonde le PLFRSS. L’objectif de la réforme est le maintien de l’équilibre de notre système de retraite. Depuis six ans, nous agissons en faveur du travail – formation tout au long de la vie, augmentation du nombre d’apprentis, réforme de l’assurance chômage, baisse du chômage. Nous allons poursuivre avec ce texte, qui prévoit des mesures de transition entre le travail et la retraite – cumul emploi-retraite, retraite progressive, prise en compte de l’usure professionnelle.

Je suggère le retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Vous avez déclaré irrecevables les amendements sans effet sur les finances publiques en 2023. Pourtant, l’essentiel des dispositions du projet de loi s’appliqueront au-delà de cet exercice. Il y a une disproportion manifeste entre ce que peut faire le Gouvernement et ce qu’il nous est loisible de proposer.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je n’ai fait que suivre l’avis du président de la commission des finances.

M. Arthur Delaporte (SOC). Le travail doit être respecté : il ne se fait pas à n’importe quel prix ni à n’importe quelles conditions. Notre rôle est de lui rendre sa dignité, ce qui passe par une retraite digne. Cette réforme va malheureusement à l’encontre de ce principe, raison pour laquelle nous voterons contre cet amendement.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nous aurions préféré que cet amendement parle de la juste place du travail dans notre pays. Renvoyer à la valeur travail, c’est suggérer une forme d’ingratitude chez les personnes souhaitant un droit au temps libre et au repos après le travail. En l’occurrence, il ne s’agit pas d’ingratitude mais d’une demande légitime. Commencer l’examen du texte ainsi en dit long sur votre vision de la société.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Plus on célèbre la valeur travail dans les mots, plus on l’écrase dans les faits. En quarante ans, la part du travail dans la valeur ajoutée n’a cessé de décroître : elle a baissé de dix points. Le temps partiel a plus que doublé, souvent de manière contrainte ; la part des contrats à durée déterminée et des intérimaires a triplé.

Certes, les Français s’émancipent par le travail mais dans quelles conditions ? Le développement de la robotique, de l’informatique et du numérique n’a pas allégé leur tâche. Les salariés sont aujourd’hui 34 % à subir une triple contrainte physique – porter des charges lourdes, se baisser régulièrement... Ils étaient 12 % en 1984. On ne peut comprendre le puissant combat qui s’engage en faveur de la retraite sans percevoir cette réalité. Avant de vouloir travailler plus longtemps, il faudrait se demander comment travailler mieux. Cette question n’est jamais posée par la majorité macroniste qui, au contraire, fait peser de plus en plus de charges sur les salariés, sans la moindre rétribution. C’est regrettable car le meilleur moyen de financer les retraites, c’est simplement de payer correctement les salariés.

M. Éric Alauzet (RE). La question est fondamentale car elle concerne l’évolution de notre société. Historiquement, le travail n’est pas une valeur de droite. Elle a été largement défendue par la gauche et elle l’est encore. Je ne trouve pas inutile d’aborder ce sujet en ouverture de nos débats, même s’il n’est pas forcément nécessaire de voter cet amendement.

M. Thibault Bazin (LR). Notre système de retraite par répartition est menacé non seulement par le déficit et la dette, mais surtout par une crise de confiance de la nouvelle génération, qui doute de la transmission de ce patrimoine qu’est la sécurité sociale.

Sans travail, il n’y a pas de protection sociale. Si l’on veut recréer la confiance, il faut rétablir la justice sociale afin que ceux qui travaillent toute leur vie ne touchent pas de toutes petites retraites, comparables aux pensions servies à ceux qui n’ont jamais travaillé. Il faut également lutter contre les fraudes afin d’éviter que certains ne perçoivent indûment des pensions à l’étranger. Nous devons asseoir notre protection sociale sur le travail et sur une natalité qui assure le renouvellement des générations.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Parler de valeur travail introduit une dimension morale qui me semble hors de propos : le sujet n’est pas là. Le travail devrait contribuer à l’émancipation, à l’épanouissement, à la création de droits collectifs. Or, la majorité, après avoir abîmé le monde du travail et la protection des travailleurs sous la précédente législature avec les ordonnances portées par Muriel Pénicaud, présente aujourd’hui un projet de loi qui dégradera le droit à la retraite. Si l’on veut soigner le monde du travail, il faut arrêter la casse sociale.

M. Philippe Vigier (Dem). J’ai peur que, dans ce débat fondamental, on parle de valeur travail seulement dans l’article liminaire. Ce n’est pas lui réserver la place qu’elle mérite. J’ai cru comprendre que le ministre du travail allait ouvrir six ou sept chantiers liés à l’organisation du travail et au plein emploi. Nous pourrons alors, projet contre projet, parler du temps libre, du droit à la paresse, de ceux qui veulent s’épanouir dans le travail, des parcours professionnels. Chacun trouvera matière à intervenir.

M. François Gernigon (HOR). J’aurais aimé que l’on ait une vision claire de la question du travail des seniors avant la réforme des retraites. J’espère que le futur projet de loi sur le travail permettra de valoriser le rôle des seniors dans la transmission des savoirs car ce serait de nature à inspirer confiance dans les mesures d’allongement de durée de cotisation et de report de l’âge légal.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Delaporte, vous avez dit que le projet de loi n’avait pas d’incidence sur les finances publiques en 2023. Il y en aura bien un, évalué à 400 millions d’euros.

Monsieur Ruffin, vous avez dit que la part du travail dans la valeur ajoutée avait diminué de dix points. C’est faux. La productivité, certes, a baissé, mais le Conseil d’orientation des retraites (COR) estime la part des salaires dans la valeur ajoutée stable à 60 % depuis trente ans.

La commission rejette l’amendement.

Article liminaire

Amendements de suppression AS729 de M. Jérôme Guedj, AS2794 de M. Sébastien Peytavie, AS2861 de Mme Sandrine Rousseau, AS4773 de Mme Mathilde Panot, AS4774 de M. François Ruffin, AS5061 de Mme Marie-Charlotte Garin, AS6941 de M. Pierre Dharréville et AS7070 de Mme Joëlle Mélin.

M. Jérôme Guedj (SOC). L’objet de cet amendement de suppression est de dire notre opposition à la réforme des retraites mais également au choix d’un PLFRSS pour la faire adopter. Vos explications, madame la présidente, étaient un vibrant plaidoyer contre cette monstruosité juridique : vous soulevez l’irrecevabilité d’amendements au motif qu’ils n’ont pas d’effet en 2023 alors que le Gouvernement réforme notre système de retraite pour les cinquante ou soixante prochaines années. Nous aurions aimé que cela ne se passe pas dans la résignation.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’article liminaire publie les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques, en cohérence avec les prévisions du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. L’augmentation du produit intérieur brut provoquera mécaniquement une augmentation en volume des dépenses de santé, qui ne correspondra toutefois pas à des investissements supplémentaires. Le groupe Écologiste étant favorable à une dynamique d’investissement dans le système de protection sociale et opposé à une logique d’austérité, le présent amendement vise à supprimer cet article.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le partage entre travail et non-travail est un projet de société, un choix de vie. Il n’est pas honteux de profiter d’un temps libre et libéré : c’est le progrès social. Entamer les débats sur ce projet de loi par la question financière dit bien à quel point on met en danger la vie et la santé des gens uniquement pour des considérations de finances publiques. Nous souhaitons la suppression de cet article.

Mme Mathilde Panot (LFI - NUPES). Après deux semaines de pédagogie de la part du Gouvernement, le nombre de Français opposés à cette réforme a augmenté de treize points. Plus vous parlez, plus les Français comprennent que les femmes seront pénalisées – c’est le ministre Franck Riester qui l’affirme – et que vous êtes déconnectés, comme le démontrent vos déclarations sur les exosquelettes et les genouillères qui supprimeraient la pénibilité, ou encore sur les accompagnantes d’élèves en situation de handicap, payées 760 euros par mois en moyenne, qui choisiraient ce métier pour ne pas travailler le mercredi et pendant les vacances scolaires. Vous avez atteint le summum du mépris !

Par ailleurs, les Français ne croient pas à la nécessité économique de cette réforme. Selon le président du COR, les dépenses de retraite ne dérapent pas ; elles sont relativement maîtrisées et, dans la plupart des hypothèses, elles diminuent à terme. Les 12 milliards d’euros de déficit avancés par le Gouvernement pour justifier sa réforme ne représentent rien par rapport aux 346 milliards d’euros des retraites. S’il y a un trou, c’est parce que vous l’avez créé ! J’ai d’ailleurs demandé plusieurs fois combien avaient coûté les primes Macron aux caisses d’assurance vieillesse.

Enfin, j’aimerais savoir, madame la rapporteure générale, si ce que dit le collectif Nos services publics est vrai : selon lui, le Gouvernement table sur un gel des effectifs et une baisse réelle des rémunérations de 11 % d’ici 2027. Si c’est vrai, cela signifierait une casse sans précédent de nos services publics.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Selon la Banque de France, la part de la valeur ajoutée revenant aux salariés a baissé significativement lors des vingt dernières années, de 59 % à 54 %, pendant que celle des actionnaires a triplé, de 5 % à 15 %. Or, votre projet ne contient aucune mesure destinée à modifier ce partage. Vous êtes au service des fonds de pension anglo-saxons plutôt que des salariés français, comme le démontre votre décision de supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Elle coûtera 8 milliards d’euros à l’État. Mais ça ne vous pose aucun problème !

Sous des apparences techniques et budgétaires, cette réforme est purement politicienne. Vous en faites un enjeu de pouvoir en cherchant à imposer une réforme rejetée par tous les syndicats de France, par sept Français sur dix, par huit salariés sur dix et même par des patrons. Vous vous radicalisez et votre extrémisme brutalise un corps social qui ne veut pas de cette régression. La France a besoin de douceur et de tendresse après la pandémie, la guerre en Ukraine et la reprise de l’inflation.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’article liminaire illustre la politique d’austérité à laquelle vous aspirez. Vous cherchez à faire peur aux Français alors que le COR affirme que le système de retraite n’est pas en faillite. Puis vous parlez de justice sociale alors que cette réforme affectera durablement les femmes. Cela nous montre que vous êtes incapables de penser une politique publique en pensant d’abord aux plus vulnérables. Ces arguments d’austérité ne peuvent justifier un passage en force, surtout quand la majorité des Français s’oppose à cette réforme.

Il est temps de réévaluer la place du travail dans notre société et d’engager une réforme d’ampleur qui soit juste, pour la jeunesse comme pour les retraités, et qui tienne compte des conditions de travail de plus en plus difficiles du fait du changement climatique. Or, votre réforme ignore tous ces points.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Le début de l’examen du projet de loi en commission ne signifie pas que nous avons renoncé à obtenir son retrait. Vous aviez tout loisir d’introduire ce que vous vouliez dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) qui, voilà quelques semaines seulement, a été adoptée à grands coups d’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Nous nous étonnons que vous présentiez un tel texte, que nous jugeons irrecevable.

L’article liminaire exprime votre logique de limitation de l’augmentation des dépenses publiques à 0,6 %, conformément aux engagements du Gouvernement auprès de Bruxelles au titre du pacte de stabilité et de croissance, mais qui n’ont pas été adoptés par le Parlement puisque la loi de programmation des finances publiques a été rejetée. Cela posera, au bout du compte, un problème de constitutionnalité. La question de la recevabilité se pose donc davantage pour le projet de loi que pour nos amendements.

Nous étions, du reste, opposés au PLFSS, qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Il contribue à affaiblir la réponse aux besoins sociaux et la sécurité sociale. Des dégâts sont à prévoir dans le domaine sanitaire et, avec la réforme que vous nous proposez, pour le droit à la retraite.

Mme Laure Lavalette (RN). Je regrette que notre requête d’examen prioritaire de l’article 7 n’ait pu être retenue : entre le cadre contraint auquel nous soumet le Gouvernement et l’embolisation législative recherchée par La France insoumise, je crains que les Français ne soient les grands oubliés de ces débats.

L’amendement AS7070 vise à supprimer l’article liminaire, qui donne des gages aux marchés financiers, car cette dérive est préjudiciable aux assurés sociaux. Nous refusons que figurent en tête de ce texte des indices financiers qui décident de la répartition de l’effort de solidarité. L’article liminaire expose les perspectives de recettes et de dépenses des administrations de sécurité sociale, qui reposent sur des prévisions économiques. Il suit les dispositions de l’article 1er de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Cette mention est destinée à rassurer les établissements bancaires qui financent notre dette depuis 1996 et d’éventuels investisseurs privés intéressés par les services et les actifs de la sécurité sociale. Sa présence reflète la dérive des comptes de l’État, et singulièrement de ses comptes sociaux, vers une financiarisation inquiétante. Ce choix se fait aux dépens du principe de solidarité, qui fonde la sécurité sociale depuis 1945. Ce sont les impératifs de la gestion financière qui président au fonctionnement de nos Ehpad – dont votre lâcheté nous a empêchés d’aller vérifier les dysfonctionnements qu’a montrés le scandale Orpea. Ce sont ces mêmes impératifs qui présideront demain à la gestion de la téléconsultation. Il en ira de même dans bien des domaines médicaux et sociaux. C’est pourquoi nous voulons supprimer cet article.

Quant à la productivité, elle est la grande absence de cette réforme : il aurait suffi de créer des emplois à haute productivité pour que la question ne se pose plus et que les recettes augmentent significativement.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Monsieur Guedj, si le Gouvernement avait pris certaines dispositions dans la LFSS 2023, elles auraient été considérées comme brutales. Il a donc fait le choix de passer par un PLFRSS, ce qui permet au Parlement de débattre pendant cinquante jours. Ce n’est donc pas un passage en force.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

L’article liminaire, qui est une obligation organique, indique les prévisions macroéconomiques dans le cadre desquelles s’inscrit le texte. Il éclaire nos débats. Il est quasiment identique à celui de la LFSS 2023 et il doit continuer à nous alerter quant au déficit de l’ensemble de nos finances publiques, stabilisé à 5 % du produit intérieur brut. En fait, cet article fait apparaître pour l’année 2023 un seul changement, d’un montant de 400 millions d’euros : les mesures d’augmentation du minimum contributif, celles en faveur de la prévention et de l’usure professionnelle, ainsi que le début des retraites progressives.

Monsieur Guedj, vous avez parlé de monstruosité juridique, mais il a déjà été recouru à cette procédure pour le pacte de responsabilité en 2014. Vous siégiez alors dans la majorité.

Madame Panot, le COR dit bien qu’il n’y a pas de dérapage incontrôlé. Mais il dit aussi qu’à l’horizon de vingt-cinq ans, dans l’hypothèse d’une croissance de la productivité de 1 % – elle était de 0,7 % ces dix dernières années –, dans une situation de plein emploi et avec un taux de chômage de 4,5 %, le déficit serait de 11 milliards d’euros en 2026, de 13,5 milliards d’euros en 2030 et de 17 milliards d’euros en 2032. Le COR prend en compte les évolutions récentes de la démographie et de la croissance économique, qui déterminent à moyen et long terme la situation financière du système de retraites. Pour ce qui est de la démographie, les perspectives de natalité ont été révisées à la baisse par l’Insee, dans un contexte d’après-covid-19.

Par ailleurs, les hypothèses relatives à l’évolution de la fonction publique sont les mêmes que celles débattues dans le projet de loi de programmation des finances publiques en termes de stabilité globale des effectifs. Je rappelle que nous avons su dégager des priorités à cet égard, avec le financement de 15 000 soignants supplémentaires dans le cadre du Ségur.

Mme Raquel Garrido (LFI - NUPES). L’article 47-1 de la Constitution impose au Parlement un temps contraint pour discuter de textes budgétaires en vertu du principe de continuité financière de l’État. Pour effectuer une dépense au 1er janvier, il faut en effet l’avoir votée avant le 31 décembre ; pour mettre en œuvre une mesure budgétaire durant l’exercice en cours, il faut en rectifier le montant lorsque cela n’est pas prévu à l’avance. Or, cette réforme, qui remet en cause des équilibres à terme, voire à très long terme, ne relève pas de cela. Vous avez reconnu vous-même, madame la rapporteure générale, que les mesures réellement rectificatives ne portent que sur 400 millions d’euros sur un total de 18 milliards.

Plutôt que de parler de monstruosité juridique, je dirais que le texte est inconstitutionnel. Il s’agit d’une fraude et, comme le dit la locution latine, fraus omnia corrumpit – la fraude corrompt tout : en empruntant cette voie abusive, vous fragilisez juridiquement et démocratiquement ce texte. Tout au long de la discussion budgétaire, les Français vous ont vu recourir dix fois au troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, que vous dégainez comme un revolver. Vous continuez, avec l’article 47‑1, le braquage et l’escroquerie. Nous, députés, devrions être au premier rang pour faire respecter la Constitution, que j’ai coutume de critiquer mais, dans le cas présent, je voudrais qu’elle s’applique. C’est l’intérêt des Français.

M. Stéphane Viry (LR). L’article liminaire relève certes d’une obligation organique, et vous ne pouviez pas faire autrement. Mais il est maladroit d’ouvrir ce projet de loi par des données comptables et financières. Il eût été possible de rappeler la force et l’esprit du système de retraites par répartition, qui est avant toute une question sociale, une question d’humanisme qui concerne des hommes et des femmes. Cet article saugrenu est une erreur de style, peut-être même un message exprimant un oubli de la finalité de ce projet de loi, qui devrait être de trouver les meilleures solutions pour un système plus juste et plus efficace. La force du régime par répartition aurait mérité quelques lignes pour affirmer l’utilité de notre cohésion sociale. La qualité d’une réforme, c’est aussi son acceptation sociale.

M. Nicolas Turquois (Dem). Il est dommage de commencer ce débat par des excès. Revenons à la raison ! Membre depuis trois ans de la commission des affaires sociales, j’ai coutume de regarder ce qui se fait ailleurs. La comparaison avec des pays proches, y compris scandinaves, montre qu’aucun système de protection sociale n’est aussi généreux que le nôtre. Aucun système de retraites par répartition n’est à ce niveau alors que nous travaillons moins que nos voisins, dans la semaine comme sur la durée d’une carrière.

Par ailleurs, je regrette la présentation que fait le COR des éléments de son rapport. Celui‑ci indique certes que la part des dépenses publiques par rapport au produit intérieur brut est similaire, mais il n’évoque pas les recettes, qui sont, dans un système par répartition, le fruit des cotisations du travail. Or, en tenant compte des recettes, le déficit va croissant, à moins de l’équilibrer massivement par de l’argent public comme c’est déjà le cas à hauteur de 30 milliards d’euros. Si nous ne prenons pas de mesures appropriées, nous remettrons en cause la notion même de répartition. Nous devons faire cet effort pour préserver un système exceptionnel, unique.

M. Charles de Courson (LIOT). N’assistons-nous pas à un véritable détournement du concept même de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) ? Il n’était pas du tout dans l’esprit de la loi organique, dont j’ai d’ailleurs été rapporteur, de procéder à une réforme des retraites par cet instrument, de surcroît trois semaines à peine après l’entrée en vigueur de la loi de financement précédente.

Au reste, et ce sera l’objet d’un amendement que je présenterai dans quelques instants, le tableau de l’article liminaire se réfère à un projet de loi de programmation des finances publiques repoussé par l’Assemblée nationale. Comment faire une comparaison avec quelque chose qui n’existe pas ? Le recours à une LFRSS ne se justifie que par le souhait d’utiliser des expédients de procédure. Nous sommes tenus à respecter un délai de vingt jours. Notre commission doit examiner en trois jours plus de 6 000 amendements, ce qui est impossible. On sait bien ce qui se passera, en commission comme en séance publique ! Il s’agit d’un détournement de procédure.

Madame la rapporteure générale, pouvez-vous justifier, au regard de la loi organique, le recours à une LFRSS pour cette réforme ? Il n’y a que deux cas de recours à de telles lois, et jamais début janvier – puisque le texte a été transmis au Conseil d’État voilà quinze jours.

M. Arthur Delaporte (SOC). Les propos de Charles de Courson montrent la voie de la sagesse, que la majorité n’a pas su trouver. Quand j’entends que nous devrions être satisfaits d’examiner un PLFRSS en janvier plutôt qu’un amendement au PLFSS en novembre, je crois rêver ! C’est justifier, non pas un braquage, mais une arnaque : je travaille, avec un député de la majorité, sur les arnaques des influenceurs, mais il s’agit ici d’une arnaque du Gouvernement sur la vie des Français.

Vous avez dit, madame la rapporteure générale, qu’il n’y avait pas de véritable impact budgétaire. Mais il s’agit bien de 400 millions d’euros de dépenses supplémentaires.

Nous voterons la suppression de l’article liminaire car nous nous situons à l’opposé de votre philosophie de braquage de la procédure législative et de votre mépris des règles minimales du débat parlementaire. Je ne crois pas que le Parlement soit respecté et je ne vois pas comment vous pouvez le justifier. Les Français ne peuvent pas comprendre les mots que vous employez alors que nous avons trois jours pour parler de leur vie.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Cinquante jours !

M. Arthur Delaporte (SOC). Cessez de dire cinquante jours ! Il y en aura, en fait, une trentaine, et en réalité bien peu de temps même en travaillant de neuf heures du matin à minuit. C’est un braquage !

M. Sylvain Maillard (RE). Monsieur Rufin, je n’accepte pas les propos tenus. Notre réforme vise à garantir un équilibre financier pour nos retraites. Les cotisations paient les pensions ; préférez-vous le déficit ou l’emprunt ? 60 % des emprunts destinés à couvrir les déficits français sont payés par des acteurs étrangers, fonds ou banques. Voulez-vous continuer ainsi et que toutes nos retraites soient financées par des étrangers ?

M. Nicolas Sansu (GDR - NUPES). Nous ne pouvons examiner, dans le cadre de ce PLFRSS, que les recettes correspondant à 2023. Alors que, dans le pays, neuf organisations syndicales s’opposent à ce texte, que des millions de Français sont sortis dans les rues, que des grèves ont lieu partout et qu’il y aura peut-être demain encore plus de monde dans les manifestations, vous vous permettez de recourir à un véhicule législatif incongru. La question aurait mérité un grand débat national, c’est-à-dire une loi organique qu’il aurait fallu prendre le temps de préparer. Le procédé choisi par le Gouvernement n’est pas acceptable !

De plus, l’article liminaire, qui limite la croissance de la dépense publique à 0,6 %, réintroduit le projet de loi d’orientation des finances publiques au moyen d’un véhicule qui permettra d’échapper au vote au moyen de l’article 47‑1 ou du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution.

Enfin, nos collègues Turquois et Maillard nous expliquent qu’on ne peut pas faire autrement et qu’aucun système n’est meilleur que le nôtre. De fait, aucun système ne donne 259 milliards d’euros aux entreprises ; aucun système ne les exonère de cotisations sociales pour 78 milliards d’euros ! D’autres sources de financement sont possibles pour assurer à tout le monde une retraite juste et digne.

M. Paul Christophe (HOR). Siégeant au COR, j’apporterai une précision sur les éléments de déficit, sous le contrôle de Marc Ferracci qui y siège également. En ne changeant aucun des paramètres évoqués tout à l’heure par la rapporteure générale, soit 1,6 % de croissance et 4,5 % de chômage, nous retrouverions l’équilibre en 2070 après avoir accumulé 1 000 milliards d’euros de déficit sur l’ensemble de la période. Certains nous disent que tout va bien. Je ne pense pas que ce soit le cas.

Je ne me livrerai pas au concours de bons mots en parlant de braquage, car nous avons des experts dans la salle et nous avons bien compris, cher collègue Delaporte, qu’il fallait que les médias s’emparent de vos propos. Je vous les laisse. Nous avons travaillé sereinement sur des éléments qui figurent dans ce texte. J’espère que nous parviendrons à réparer les injustices qui touchent aujourd’hui les travaux d’utilité collective (TUC), les stages d’initiation à la vie professionnelle (SIVP) et autres contrats similaires.

Peut-être, enfin, avons-nous trop peu de temps pour débattre. Mais j’observe qu’il faudra cent trente-neuf amendements d’un même groupe pour savoir quel nombre de salariés retenir pour un dispositif donné, entre 11 et 149. Il est dommage, chers collègues, que vous n’ayez pu vous mettre d’accord en réunion interne : cela nous aurait fait gagner du temps ! De même, il faudra vingt-trois amendements pour savoir si la réforme s’appliquera à la RATP en 2050 ou en 2028 : là encore, il aurait fallu nous éclairer avec une position commune fondée sur débats internes.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Sylvain Maillard a dit qu’il fallait équilibrer le budget. C’est bien l’objectif cette majorité. Or, Bruno Le Maire n’a-t-il pas annoncé un projet de loi visant à cibler les aides aux entreprises ? Sur les 160 milliards d’euros donnés chaque année aux entreprises sans contrepartie, nous en trouverons bien 10 à 20 pour sauver les retraites, c’est-à-dire la protection sociale pour tous. Je propose que vous retiriez ce projet de loi, après quoi nous nous mettrons tous au travail sur les aides aux entreprises. Je suis certaine que nous trouverons des solutions pour financer tout cela.

Mme la rapporteure générale. Je ne comprends pas pourquoi parler de braquage, d’arnaque ou d’incongruité à propos de ce texte. Pourquoi ne pourrait-on pas traiter des retraites dans la loi qui porte sur le budget de l’assurance vieillesse ? Ces dernières années, nous avons fait adopter dans ce cadre des avancées majeures pour nos concitoyens comme la lutte contre les impayés de pensions alimentaires, les 20 milliards d’euros du Ségur, le doublement du congé de paternité ou la gratuité de la contraception – j’en oublie. Vos remarques ne sont pas cohérentes.

 

La commission rejette les amendements de suppression.

 

Amendement AS5542 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson (LIOT). Il est étrange que le tableau de l’article liminaire compare les évaluations révisées de 2023 – du reste, pratiquement les mêmes que celles de la LFSS adoptée en fin d’année – au projet de loi de programmation des finances publiques que nous avons rejeté, et qui n’existe donc plus. Comment comparer quelque chose qui n’existe pas à un ajustement de 400 millions d’euros – qui du reste ne représente presque rien au regard de 700 milliards de dépenses des organismes de protection sociale ?

L’amendement tend donc à la suppression de la deuxième colonne du tableau. Ce serait cohérent avec les votes exprimés par l’Assemblée nationale en première lecture – puisque le Gouvernement n’a pas voulu aller au-delà.

Mme la rapporteure générale. Je regrette que nous ne soyons pas parvenus à adopter la loi de programmation des finances publiques, qui donnait une importante boussole pluriannuelle. La crainte que vous exprimez sur le plan juridique a été levée par la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2023. Le fait que le projet de loi de programmation n’ait pas été adopté n’emportait aucune méconnaissance de l’article 1er H de la loi organique du 1er août 2001, ni du principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

Je propose donc le retrait de l’amendement. À défaut, avis défavorable.

M. Thibault Bazin (LR). Je ne comprends pas. L’article liminaire, prévu par la loi organique, est certes obligatoire dans une LFSS. Mais vous vous référez à un texte – le projet de loi de programmation des finances publiques – qui n’a pas été voté et auquel l’Assemblée nationale s’est même opposée. La colonne correspondante doit être supprimée et je soutiendrai donc l’amendement.

Pour ce qui est du véhicule législatif, PLFRSS permet de toucher à la branche vieillesse, mais aussi aux autres branches sur lesquelles nous faisons ici l’impasse. Nous ne les avons pas même examinées en séance publique l’automne dernier puisque nous n’avons pas vu le moindre amendement au moindre article de la troisième partie, consacrée aux recettes. L’irrecevabilité de certains amendements est compréhensible dès lors que seul le Gouvernement peut créer des charges. Toutefois, on ne peut envisager la branche vieillesse sans réforme des branches famille ou accidents du travail et maladies professionnelles. Du reste, les fonds de ces branches ont été ponctionnés.

Pour la branche maladie, les négociations avec les professionnels de santé – médecins, kinésithérapeutes et sages-femmes – sont au point mort. Nous avons besoin de modifier les lignes ; or, ce tableau présente un scénario identique alors que la situation a changé depuis quelques mois, du fait notamment d’une inflation plus rude que nous ne l’imaginions. Il faut donc revisiter la LFSS 2023 pour l’ensemble des branches.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). L’amendement en discussion a l’avantage de rappeler à la majorité l’existence du Parlement, qui a en effet repoussé le projet de loi de programmation auquel le PLFRSS fait référence. Retirer cette référence respecterait le vote souverain de l’Assemblée nationale. Cet amendement démontre que, dans à peu près tous les domaines, vous piétinez le Parlement et la démocratie, comme vous le faites en recourant à un PLFRSS, comme vous le faites en prévoyant de recourir à l’article 47‑1 de la Constitution, comme vous l’avez fait dix fois en recourant au troisième alinéa de l’article 49 l’hiver dernier. Vous avez dit la vérité devant la Commission européenne en déclarant que vous souhaitiez, avec ce projet de loi, continuer vos cadeaux aux entreprises, notamment avec la suppression de la CVAE, qui coûte 8 milliards d’euros par an. Et vous voulez maintenant nous faire faire des économies !

Je rappelle qu’aux termes de l’article VI de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, la loi est l’expression de la volonté générale. La volonté générale, c’est l’opposition à ce projet de loi, exprimée par 72 % des Français et 90 % des actifs, avec deux millions de personnes dans la rue le 19 janvier – et j’espère qu’il y en aura encore plus le 31 janvier. Si vous voulez faire de la loi l’expression de la volonté générale, il faut retirer ce projet.

Enfin, vous nous avez dit qu’il nous restait 5 683 amendements à traiter, soit 218 par heure ou 3,5 par minute, ou un amendement toutes les 16 secondes. Là aussi, vous piétinez le Parlement en refusant de nous laisser débattre sereinement.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je me répète : cette méthode traduit un manque de respect du Parlement que, quelles que soient nos sensibilités politiques, nous ne devrions pas accepter. Cela empêche la discussion nécessaire sur cette réforme. Le PLFRSS est, en principe, destiné à opérer des ajustements, ce qui n’est évidemment pas le cas avec ce qui nous est proposé. Il y a là un détournement de procédure.

Il est saugrenu de se référer à une loi qui n’a pas été adoptée. Vous dites que ce n’est pas grave. Mais nous ne pouvons pas fonctionner ainsi. Cet amendement n’est pas autre chose qu’un amendement de coordination. Je ne vois donc pas ce qui s’opposerait à son adoption.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Je salue le talent et l’expérience de notre collègue de Courson. L’amendement fait bel et bien référence à une loi qui n’a pas été votée par le Parlement. Le maintien de la colonne laisserait penser qu’il y a eu accord à son propos, ce qui n’est évidemment pas le cas. Le groupe Écologiste soutiendra cet amendement.

M. Jérôme Guedj (SOC). Vous demandez de faire figurer dans la loi une référence à un projet de loi. Et pourquoi pas à une proposition de loi ? On ne peut renvoyer à un texte qui n’a pas été adopté. La loi de programmation des finances publiques a été rejetée pour des motifs différents à droite et à gauche de l’hémicycle. La droite trouvait que le texte n’était pas assez dur pour les économies à réaliser. La gauche jugeait que la trajectoire pour 2023‑2027 intégrait les hypothèses que nous contestons aujourd’hui à propos des retraites, notamment le gel du point d’indice et la maîtrise des dépenses liées aux fonctionnaires, qui, comme le dit bien le COR, alimentent le déficit contre lequel vous prétendez lutter en repoussant l’âge légal de départ. Le serpent se mord la queue. Nous soutiendrons l’amendement.

M. Jean-Carles Grelier (RE). En entendant invoquer l’article VI de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, je me suis demandé qui, finalement, manquait de respect au Parlement. La volonté générale s’exprimerait-elle à coup de sondages ou de manifestants ? Dans la Ve République, la loi, expression de la volonté générale, est votée par le Parlement. Ceux qui respectent la loi, ce sont ceux qui sont dans cette salle et qui vont voter cette réforme. Je vous renvoie donc, cher collègue, à vos études de droit de constitutionnel.

Mme la rapporteure générale. Rassurez-vous, chers collègues : la loi de finances pour 2023 a été adoptée avec le même tableau que celui du projet de loi de programmation – lequel n’a certes pas été voté à l’Assemblée nationale, mais l’a été au Sénat.

 

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AS6942 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). La survenue du covid‑19 a révélé à quel point l’hôpital était malade. À présent, les Français souffrent de l’inflation tandis que la crise de l’énergie bouscule l’économie réelle. Qu’ont fait les Français pour que vous leur tapiez à nouveau sur la figure avec ce mauvais projet de loi ? Ce gouvernement de banquiers mène à présent une politique d’apothicaires, de comptables. Vous avez choisi de faire payer les pauvres parce qu’ils sont plus nombreux. Vous avez décidé de câliner la finance et de vous en prendre à la France des usines, à la France qui travaille et qui a fait tourner le pays pendant la crise. Par cet amendement, nous vous proposons d’assumer votre allégeance à Bruxelles et d’inscrire l’austérité parmi les principaux objectifs de votre loi.

Mme la rapporteure générale. Vous entendez détourner l’objet de l’article liminaire. Je rappelle que les mesures d’accompagnement contenues dans le texte favorisent les 30 % de la population les plus pauvres. Par ailleurs, on peut saluer le fait que l’emploi industriel augmente à nouveau dans notre pays.

Défavorable.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Nous souhaitons vous aider à préciser les objectifs que vous n’affichez pas dans le texte, pas plus que vous ne communiquez un certain nombre de chiffres.

M. Louis Boyard (LFI - NUPES). Il est important de préciser les objectifs. En 1993, le Premier ministre Balladur a dit, en arrivant : les caisses sont vides, il faut faire passer l’âge de la retraite de 60 à 65 ans. En 2003, le ministre Fillon a affirmé à son tour qu’il n’y avait plus d’argent et qu’il fallait tout revoir. Le ministre Woerth nous a dit ensuite qu’il fallait encore décaler l’âge de départ, et la ministre Touraine nous a tenu le même discours en 2014. Du haut de mes 22 ans, je me demande à quel âge je pourrai partir à la retraite. Connaîtra-t-on un nouveau décalage après cette réforme, comme on en subit tous les cinq ou dix ans ?

Mme la rapporteure générale. La réforme a pour objet de revenir à l’équilibre d’ici à 2030 et, par là même, d’éviter une hausse de l’endettement.

La commission rejette l’amendement.

 

Puis elle adopte l’article liminaire modifié.

 

La réunion est suspendue de onze heures cinq à onze heures vingt.

 

PREMIèRE PARTIE : DISPOSITIONS RELATIVES AUX RECETTES ET A L’ÉQUILIBRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR L’EXERCICE 2023

Avant l’article 1er

Amendement AS1949 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon (GDR - NUPES). Par l’amendement AS1949, nous proposons de supprimer la division et l’intitulé de la première partie du projet, puisque le recul de l’âge de départ à la retraite n’a nullement pour objet d’équilibrer les comptes de la sécurité sociale et des retraites. En réalité, vous entendez satisfaire la Commission européenne. Vous ne souhaitez pas sauver le système de retraite par répartition, que vous avez voulu détruire en 2019. Le système que vous voulez sauver est celui du tout-profit, qui dévalorise toujours plus la valeur du travail, c’est-à-dire la richesse produite par les travailleurs. En outre, les modalités que vous proposez ne sont pas de nature à renforcer l’égalité entre hommes et femmes. Vous voulez continuer de réduire les impôts sur les grandes entreprises privées et de leur accorder des milliards d’euros d’aides publiques. Tandis qu’un ministre explique que les Français devront faire des efforts, un autre dit que les mesures proposées sont guidées par la justice sociale. Personne n’est dupe parmi la population. Nous serons nombreux demain, dans la rue, pour vous faire renoncer.

Mme la rapporteure générale. Nous demandons à chacun des efforts du fait du recul de l’âge légal de départ à la retraite, mais en même temps nous renforçons la justice sociale. Il n’y a pas de raison de supprimer le titre de cette partie puisque nous nous dirigeons vers un rééquilibrage des comptes de la sécurité sociale.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Il est dommage que nous concentrions nos propos sur le véhicule législatif plutôt que sur le fond. Le texte vise à équilibrer les comptes de la sécurité sociale, que nous souhaitons préserver. Le projet de loi est fondé sur deux principes : le travail du plus grand nombre et la répartition des cotisations employeurs et employés. Le système actuel étant déficitaire de 30 milliards d’euros chaque année, on a commencé à sortir de la répartition ; si on ne fait rien, on en sortira complètement. Le COR indique que le déficit cumulé atteindra 500 milliards d’euros en 2050. Nous partageons une même volonté : préserver le trésor qu’est la sécurité sociale et la répartition. Ne rien faire serait remettre en cause la sécurité sociale, la retraite des générations à venir et, comme l’a indiqué le premier président de la Cour des comptes, le niveau des pensions.

Mme Prisca Thevenot (RE). Les entreprises participent déjà au financement des retraites. Elles s’acquittent du forfait social, à hauteur de 6 milliards d’euros, qui s’applique notamment aux rentes des retraites chapeaux, aux jetons d’administrateur et aux contributions sur la prévoyance complémentaire. Elles versent une contribution d’un montant total de 800 millions d’euros sur l’attribution d’actions gratuites. Elles s’acquittent, pour 5 milliards d’euros, de la contribution sociale de solidarité des sociétés. Elles sont assujetties à la taxe sur les salaires. Vous dites qu’il faut continuer à imposer toujours plus, mais je vous rappelle que 99 % de nos entreprises sont de très petites entreprises ou des petites et moyennes entreprises, qui ont du mal à boucler leurs fins de mois et à embaucher. Si l’on accroît l’imposition, il ne s’agira plus, à l’avenir, d’augmenter les salaires, mais de trouver des salaires.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Ce que vous présentez comme des mesures de justice sont, tout au plus, des dispositions visant à atténuer les effets de votre réforme. Elles paraissent très insuffisantes au regard des conséquences de la loi. La Première ministre a affirmé que la réforme ne pénaliserait pas les plus modestes, car c’est à eux que l’on demandera « le moins de travailler plus longtemps ». Il n’en reste pas moins qu’ils travailleront plus ! Ce n’est pas un projet de loi social car sa seule finalité est d’équilibrer des comptes que vous grevez par votre politique injuste. Vous avantagez outrageusement les multinationales qui, elles, pourraient contribuer davantage. Les petites entreprises paient, proportionnellement, beaucoup plus. Vous n’avez pas commencé à corriger les injustices fiscales entre les entreprises. Retirez ce projet de loi et travaillons sur la participation des entreprises au financement de notre pacte social : nous y gagnerons la justice fiscale entre les sociétés et les moyens de protéger notre système social.

M. Arthur Delaporte (SOC). Vous dites vouloir équilibrer les comptes de la sécurité sociale mais, pour ce faire, vous allez déséquilibrer la vie des Français. Depuis cinq ans, vous n’avez cessé de procurer des économies aux entreprises. Ainsi le taux global des cotisations sociales dues par les employeurs est-il passé de 15 à 7 % entre 2017 et 2022. À présent, vous voulez faire assumer le coût de ces cadeaux aux travailleurs qui ont eu des carrières pénibles ou hachées. Nous souhaitons rééquilibrer la réforme en supprimant cet article.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Vous dites que chacun devra accomplir des efforts. Mais tel n’est pas le cas des rentiers qui ont perçu 80 milliards d’euros de dividendes en 2022. Vous affirmez que votre réforme a pour objet d’éviter des déficits à venir. Si on ne fait rien, il y aura certainement un déficit, mais je vous rappelle que vous avez rejeté toutes nos propositions d’augmentation salariale qui auraient permis de faire entrer de l’argent dans les caisses. En réalité, vous vous moquez éperdument des comptes de la sécurité sociale. Votre majorité a rejeté un amendement qui annulait le déficit de la sécurité sociale par le transfert de la dette du covid‑19 vers le budget de l’État. La grande différence entre nous est que vous plaidez pour une baisse des dépenses publiques alors que nous souhaitons une augmentation des recettes publiques.

Mme Clémentine Autain (LFI - NUPES). En 2019, vous souhaitiez imposer un système de retraite à points qui s’apparentait à une usine à gaz. Nous avons réussi à faire en sorte que la loi ne soit pas adoptée grâce à la mobilisation et à la bataille d’amendements. Quatre ans après, vous souhaitez encore abîmer notre système par répartition et réduire les droits. Vous ne voulez pas sauver le régime par répartition, comme vous le prétendez, mais l’utiliser pour satisfaire une obsession : réduire la dépense publique. C’est écrit noir sur blanc dans le budget 2023 et le programme de stabilité envoyé à la Commission européenne. Comme vous ne voulez pas maintenir la CVAE, qui rapporte 8 milliards d’euros, et que vous refusez de revenir sur les mesures en faveur des plus riches, comme l’impôt de solidarité sur la fortune, le prélèvement forfaitaire unique ou les milliards d’euros sans contrepartie aux entreprises, vous devez taper sur le régime de retraite pour compenser ces largesses : tel est le cœur de la réforme. Ce qui est en jeu, c’est le corps des plus modestes, à qui votre choix indigne et indécent va coûter cher. Vous allez leur voler leurs meilleures années de retraite.

Mme Laure Lavalette (RN). On ne peut se contenter de regarder le rapport entre dépenses et recettes : il faut se pencher sur les trois leviers fondamentaux que sont la natalité, le plein-emploi et la productivité. Aucune politique nataliste d’envergure n’est menée. Les emplois qui progressent sous l’ère Macron ont une très faible valeur ajoutée. Il n’y a pas de politique ambitieuse de réindustrialisation : depuis 2017, seuls 45 000 emplois ont été créés dans l’industrie manufacturière. S’agissant de la productivité, vous semblez vous satisfaire du chiffre de 1 %, mais je vous rappelle que le taux moyen est de 5,7 % dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Votre projet consiste à faire payer aux Français vos mauvais choix politiques, qui ont appauvri la France.

M. Philippe Juvin (LR). On lit dans le rapport du COR : « Après avoir enregistré des excédents en 2021 et 2022, le système de retraite serait déficitaire en moyenne sur les vingt-cinq prochaines années. » Un agent de catégorie C de la fonction publique territoriale né après 1980 percevrait, dans le système actuel, une pension de retraite qui le placerait sous le seuil de pauvreté. Il faut baisser la dépense publique parce que l’argent public n’existe pas en tant que tel : il provient de la poche des Français. Sans réforme, les jeunes n’auront pas de retraite.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Delaporte, les cotisations brutes destinées à la sécurité sociale sont passées de 257 à 292 milliards d’euros entre 2019 et 2023.

Madame Taillé-Polian, le texte comporte un certain nombre de mesures de justice sociale. Toutefois, la principale mesure, en ce domaine, n’est-elle pas le fait de conserver un système de retraite par répartition ?

Madame Lavalette, les emplois créés grâce aux exonérations concernent les salariés les plus modestes, ce qui constitue, à mon sens, une valeur ajoutée.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 1er : Fermeture des principaux régimes spéciaux de retraite

 

Amendements de suppression AS935 de M. Jérôme Guedj, AS1344 de M. Elie Califer, AS1345 de M. Arthur Delaporte, AS2810 de M. Sébastien Peytavie, AS2892 de Mme Sandrine Rousseau, AS3789 de M. Pierre Dharréville, AS4775 de Mme Rachel Keke, AS4776 de M. Hadrien Clouet, AS4777 de Mme Mathilde Panot et AS4979 de Mme MarieCharlotte Garin.

M. Jérôme Guedj (SOC). Vous êtes obsédés par la suppression des régimes spéciaux. Ils avaient été, pour un certain nombre d’entre eux, maintenus par les réformes précédentes compte tenu de la spécificité des missions en cause. Nous proposons de supprimer cet article qui prévoit l’extinction des principaux régimes spéciaux de retraite, notamment ceux des industries électriques et gazières, de la Banque de France et de la RATP.

M. Elie Califer (SOC). Nous souhaitons le maintien du modèle social actuel. Le monde du travail a besoin de sérénité après trois années de covid‑19, qui plus est dans un contexte d’inflation. Les syndicats sont opposés à la suppression des régimes spéciaux. Six Français sur dix expriment leur mécontentement. L’amendement vise à supprimer cet article.

M. Arthur Delaporte (SOC). Vous allez plus loin et vous proposez des mesures plus dures que ne l’avait fait Nicolas Sarkozy en son temps. Les régimes spéciaux accordent des compensations à des travailleurs exerçant des métiers pénibles, qui exigent des astreintes fréquentes et entraînent une usure physique. Nous nous opposons à leur suppression injuste. Il faudrait que vous nous expliquiez pour quelles raisons ces métiers ne nécessitent pas de mesures spécifiques d’aménagement des carrières.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Notre groupe souhaite supprimer cet article qui ferme des régimes spéciaux – nul ne sait pourquoi ceux-là plutôt que d’autres. Ces régimes sont fondés sur la reconnaissance de la pénibilité du travail. Or, le texte n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Plutôt que de réformer les retraites par le haut, en remettant le travail à sa juste place, on nivelle par le bas. La boussole du groupe Écologiste est le droit à la vie digne, à un travail digne et à pouvoir se reposer dignement, c’est-à-dire pas abîmé.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nos débats sont marqués par un renversement sémantique. On transforme des dispositions qui protègent les précaires et les personnes exerçant les métiers les plus pénibles en une forme de privilège que nous devrions abolir. Vous parlez d’usure professionnelle au lieu de pénibilité, ce qui renvoie à la responsabilité du travailleur plutôt qu’à celle de l’employeur et à la dureté des métiers. Nous devrions au contraire augmenter le nombre de régimes spéciaux. Il faudrait en créer, par exemple, pour les aides à domicile, les aides-soignantes, les personnels d’entretien, qui exercent des métiers dont la pénibilité est mal reconnue car ils ont livré moins de combats sociaux que l’industrie. Vous êtes à contre-courant de la réalité du travail. Nous nous honorerions à supprimer cet article.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Je défends l’amendement AS3789. En bons libéraux que vous êtes, vous faites une fixation sur les régimes spéciaux, en épargnant toutefois ceux des bourgeois et en déclarant la guerre aux cheminots, aux électriciens gaziers, aux agents de la RATP. Comme si les privilèges étaient de ce côté-là ! Plusieurs réformes ont déjà accompli leur mauvaise œuvre : la loi Fillon de 2003, les décrets du 30 juin 2008 relatifs aux régimes spéciaux, la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, le décret de 2012. Chacun sait que ces salariés subissent des sujétions de service, des horaires atypiques, une pénibilité particulière. Cela devrait conduire, à rebours de votre texte, à la prise en compte de l’usure des corps dans le régime général. Par ce projet de loi, vous entendez niveler par le bas. Avec les millions de Français dans la rue demain, nous serons toujours du côté de la France qui travaille, de ceux qui ont fait tourner le pays pendant l’épidémie, de ceux dont on a besoin au quotidien pour maintenir les liens, créer des solidarités, réaffirmer la présence du service public partout et pour tous.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). En supprimant les régimes spéciaux, vous voulez opposer les Français, comme toujours. En cherchant à qualifier certains salariés et métiers de privilégiés, peut-être essayez-vous de protéger les vrais privilégiés ? Derrière la suppression des régimes spéciaux, il y a une attaque contre tous les travailleurs. Les Français disent non à votre réforme ! Nous vous le dirons aussi, demain, dans la rue.

M. Jérôme Legavre (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS4776. Les Français ont compris le contenu de votre réforme. Ils la rejettent à une très large majorité. Vous prévoyez que les salariés des régimes spéciaux conserveront leurs régimes d’assurance maladie et d’accidents du travail, ce qui montre que vous ne poursuivez qu’un objectif : réduire le montant des pensions de retraite. Les régimes spéciaux sont des régimes pionniers. Avant 1945 coexistaient les régimes des mineurs, des cheminots, des agents de la RATP... En 1946 est créé le régime d’EDF. Ce sont ces régimes qui ont établi les prestations définies, le salaire de remplacement, les catégories actives, et qui ont donné naissance à tous les droits en matière de retraite. S’ils ont été maintenus en 1946, c’était dans l’objectif que le régime général garantisse à son tour les droits acquis dans le cadre de ces régimes pionniers. Il faut les maintenir et les défendre. Nul doute que les salariés concernés le feront demain en se mettant massivement en grève. Nous les soutenons totalement.

Mme Nathalie Oziol (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS4777. Les régimes spéciaux ne sont pas des privilèges – Ambroise Croizat parlait d’ailleurs de conquis sociaux. Ils prévoient la possibilité d’anticiper les départs en retraite et ils prennent mieux en compte la pénibilité car, dans ces secteurs, les travailleurs ont une espérance de vie souvent inférieure à la moyenne des salariés. La justice sociale et l’équité commanderaient d’appliquer ces compensations à l’ensemble des travailleurs qui accomplissent des travaux pénibles, donc à les étendre aux branches et aux régimes qui n’en disposent pas.

En 2019, le Gouvernement avait qualifié les régimes spéciaux de privilèges pour diviser les Français et faire passer la retraite à points. C’est un comble de vous entendre aujourd’hui vanter le régime par répartition alors que vous vouliez l’abattre il y a à peine quatre ans. Mais il est vrai que plus personne ne vous écoute. Vous entendez mettre fin aux régimes spéciaux sous prétexte de renforcer la justice sociale entre les futurs retraités. Chez vous, la justice sociale est une façon de ne pas dire que tout le monde devra partir deux ans plus tard. Nous soutiendrons tous ceux qui manifesteront demain.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Vous proposez de supprimer certains régimes spéciaux. On ne sait pas trop pourquoi. La ficelle est grosse. Avec la clause du grand-père, les salariés déjà affiliés à un régime spécial pourront en conserver le bénéfice. Vous espérez peut-être limiter ainsi la participation à la manifestation de demain. Mais cela ne marchera pas : la manifestation du 19 janvier a montré combien la solidarité était forte.

Les régimes spéciaux ont été créés en raison de contraintes particulières, comme le travail de nuit et les astreintes. Ces régimes sont nécessaires pour rendre attractifs des secteurs où il est difficile d’embaucher de nouveaux salariés. C’est par exemple le cas des transports. À Lyon, on a du mal à recruter des chauffeurs de bus alors que la crise écologique rend nécessaire le renforcement de l’offre de transports en commun.

Les régimes spéciaux ont leur utilité. S’il faut aligner les régimes, il convient de le faire par le haut, dans le cadre d’une concertation avec l’ensemble des salariés concernés.

Mme la rapporteure générale. Trois raisons justifient la suppression des régimes spéciaux. C’est d’abord une question de justice. Ces régimes tirent leur raison d’être soit de conditions historiques, soit de conditions de pénibilité. Pour certains d’entre eux, ces dernières ne sont plus réunies alors que des travailleurs qui exercent d’autres métiers pénibles sont affiliés au régime général.

Il s’agit ensuite d’une question de simplification et de lisibilité. Ces régimes spéciaux contribuent à la complexité du paysage des retraites, avec 58 % de polypensionnés parmi les personnes qui y sont affiliées.

Enfin, c’est une mesure d’équité entre les régimes. Celui de la RATP n’est financé qu’à hauteur de 40 % par les cotisations. Une dotation de l’État finance les 60 % qui restent.

Je rappelle que la fameuse clause du grand-père maintient l’affiliation à l’assurance vieillesse de ces régimes pour les personnes déjà affiliées.

Avis défavorable.

M. Philippe Juvin (LR). L’une des justifications avancées par la rapporteure générale réside dans le fait qu’un certain nombre de régimes spéciaux sont déficitaires. Mais pourquoi supprimer le régime spécial de la Banque de France ? Ce régime par capitalisation est en excédent, ce qui permet des versements au budget de l’État. Pour une fois que quelque chose fonctionne, on décide de le supprimer. C’est incompréhensible. À moins qu’il s’agisse simplement pour l’État de chaparder de l’argent là où il y en a ?

M. Charles de Courson (LIOT). Le programme du Conseil national de la Résistance de 1944 prévoyait d’unifier les régimes spéciaux. On y a renoncé en 1947 à la suite de débats passionnants.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Les communistes l’ont emporté !

M. Charles de Courson (LIOT). C’est plus compliqué que cela. Ces régimes ont été maintenus grâce au Mouvement républicain populaire et à la droite.

Pourquoi mettez-vous en extinction cinq régimes sur les quatorze qui existent ? Pourquoi mettez-vous en extinction celui des membres du Conseil économique, social et environnemental, mais pas ceux des élus de l’Assemblée nationale et du Sénat ? L’argument selon lequel cela ne relèverait pas de la loi ne tient pas. Ces deux régimes ont été créés respectivement par des résolutions de la Chambre des députés en 1902 et du Sénat en 1904. Nous pouvons parfaitement légiférer sur ce sujet.

Qu’en est-il du financement des régimes en extinction ? L’exposé des motifs renvoie cette question à plus tard. Il indique : « Cette mesure nécessitera à terme de revoir le circuit financier de financement de ces régimes. Des travaux seront conduits en ce sens en 2023 dans la perspective du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. » Pourriez‑vous nous éclairer sur ce point ?

Pour ma part, j’ai toujours défendu la mise en extinction de tous les régimes spéciaux.

Mme Laure Lavalette (RN). Cet article propose de fermer plusieurs régimes spéciaux. Nous avons peu de marges de manœuvre, si ce n’est les préserver. Ces régimes occupent une place considérable dans le débat public. Mais ils ne représentent que 2 % des dépenses de retraites. Ils sont loin de constituer le cœur du sujet. Nous nous accorderons peut‑être pour dire que nombre de régimes spéciaux sont obsolètes et qu’il convient de les fermer. Mettre fin au régime spécial de la Banque de France n’est pas dénué de sens. Il en va de même pour le Conseil économique, social et environnemental – ce comité Théodule qui sert davantage à placer des copains du pouvoir en place qu’à œuvrer aux intérêts du pays.

J’attire cependant l’attention de la commission sur les discours culpabilisants et parfois outranciers sur les régimes spéciaux. Nos objectifs de justice sociale ne passent pas par l’abaissement de tous les avantages. On entend trop souvent une musique injuste destinée à pointer du doigt certains Français et certaines professions. Il faut maintenir des éléments d’attractivité si l’on veut continuer à recruter pour certaines missions. Nous assumons que des métiers d’utilité publique, dont l’exercice est difficile, bénéficient d’avantages de retraite. Personne ne ferait monter ses enfants dans un bus conduit par un chauffeur de 66 ans. Je note que la disparition du régime spécial des marins et des marins-pêcheurs – envisagée par le Gouvernement en 2020 – n’est plus d’actualité ; nous nous en réjouissons. C’est peut-être le signe d’un retour à la raison et de bon augure pour d’autres régimes, dont le maintien serait également pertinent.

Dans le contexte social actuel, nous avons choisi de défendre les régimes spéciaux de la RATP, des clercs et employés de notaire ainsi que des industries électriques et gazières.

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Je suis choquée par les propos qui viennent être tenus sur le Conseil économique, social et environnemental.

Certains collègues nous reprochent de reprendre les arguments de syndicats. Avant d’être députés, nous sommes des citoyens – parfois des citoyens syndiqués. Nous sommes en droit de parler de la mobilisation prévue le 31 janvier, que cela plaise ou non.

S’intéresser aux régimes spéciaux implique de se pencher sur la pénibilité du travail. C’est difficile pour vous car le Président de la République ne veut pas en entendre parler – vous avez d’ailleurs supprimé quatre critères permettant d’évaluer la pénibilité d’un travail. Le travail peut être pénible ; c’est pour cela qu’existent des régimes spéciaux. Allez donc conduire un métro ou faire le travail d’un agent d’EDF, et vous nous direz au bout de quinze jours si un régime spécial est justifié. En réalité, parfois le corps ne suit plus. C’est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de ces amendements.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). L’article 1er de ce PLFRSS n’a aucun effet sur l’équilibre financier puisque sa mise en œuvre est reportée. Pourquoi figure-t-il donc au début de ce texte alors qu’il n’est pas au cœur de votre préoccupation financière ? Peut-être parce que vous essayez de monter les salariés les uns contre les autres. Pour vous, la justice sociale c’est prendre aux modestes pour ne rien donner aux encore plus modestes.

On peut supprimer cet article parce que votre tentative d’opposer les gens n’a pas marché. Le 31 janvier, ceux qui sont affiliés à des régimes spéciaux et ceux qui le sont au régime général seront côte à côte dans la rue pour manifester.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Je condamne les propos scandaleux de Laure Lavalette sur le Conseil économique, social et environnemental. Ils manifestent un irrespect total pour les institutions républicaines, en particulier pour une assemblée consultative qui représente la société civile et qui joue un rôle démocratique fondamental.

Les régimes spéciaux ne se justifient plus totalement. Les chauffeurs de bus parisiens peuvent partir à la retraite à 56 ans alors que ceux qui travaillent ailleurs le font à 62 ans. Comment justifier des différences aussi importantes ? Comment justifier également le maintien d’un régime spécial de la Banque de France, où le travail n’est pas d’une pénibilité particulière ?

Comme l’a indiqué la rapporteure générale, il faut un effort de lisibilité. C’est aussi vrai pour les finances publiques car ces régimes sont pour la plupart coûteux. Il est justifié de les réintégrer dans le régime général pour lequel le projet de loi prévoit des dispositions destinées à mieux prendre en compte la pénibilité.

Nous ne supprimons pas tous les régimes spéciaux, puisque celui des marins et des marins-pêcheurs est maintenu – la pénibilité de leur métier étant prouvée.

Si nous demandons un effort, il faut aussi rappeler que notre majorité a supprimé le régime spécial de retraite des députés dès 2017. Nous nous appliquons les mêmes règles que celles que nous proposons aux Français.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Il faut en finir avec un certain nombre de fantasmes entretenus depuis des années sur les régimes spéciaux. Ce sont des régimes pionniers, qui ont inventé un certain nombre de droits qui devraient aussi bénéficier aux salariés affiliés au régime général.

Les régimes spéciaux représentent 1,4 % de la population active et 4 % des retraités. Ils ne sont pas responsables des difficultés financières qui pourraient voir le jour dans le régime général. Et ce d’autant moins que deux des régimes spéciaux dont vous proposez la suppression contribuent par solidarité au régime général – celui de la Banque de France et celui des industries électriques et gazières. Il s’agit d’une mesure essentiellement symbolique, qui n’aura pas d’effet en 2023. Cet article est donc un cavalier social.

Cette mesure va entraîner une dégradation brutale des droits des nouveaux entrants. Alors que vous vantez le dialogue social au sein des branches, vous vous asseyez sur les discussions qui ont permis d’acquérir des droits et vous supprimez d’un trait de plume des régimes dont l’une des principales vertus est de prendre en compte la pénibilité du travail. Nous sommes opposés à cette démarche qui vise en permanence à tout tirer vers le bas et qui nous entraîne dans une spirale sociale à la baisse. Nous devrions au contraire essayer d’améliorer la situation de ceux dont les droits ne sont pas suffisants.

M. Nicolas Turquois (Dem). La notion de régime spécial s’oppose profondément à celle de répartition, c’est-à-dire où les actifs paient pour les pensionnés. Les métiers et la démographie évoluent. Certains régimes spéciaux sont certes en excédent, mais d’autres sont déficitaires et ils sont équilibrés par la puissance publique. Soumettre l’ensemble des salariés aux mêmes règles relève du bon sens. Il faut étendre les règles de pénibilité à tous ceux pour lesquels elles méritent de s’appliquer.

Force est de constater que la multiplicité des régimes pose des problèmes à ceux qui changent de métier – que ce soit de manière choisie ou subie – car les règles sont absconses et incohérentes. Nous avons compris que ceux qui sont affiliés aux régimes spéciaux ne souhaitent pas en perdre le bénéfice. Mettons donc en extinction ces régimes spéciaux en n’y admettant pas de nouveaux entrants. C’est la manière la plus souple et la plus légitime de mettre fin à l’iniquité du système.

Mme la rapporteure générale. Madame Lavalette, les régimes spéciaux représentent 2 % des retraités, mais 6 milliards d’euros de dépenses pour l’État. Il est important de prendre ce point en considération. Il est difficile d’expliquer pourquoi un chauffeur de bus qui travaille à Paris peut partir plus tôt qu’un autre en milieu rural.

Monsieur de Courson, les régimes de retraite des parlementaires relèvent d’une loi organique. C’est la raison pour laquelle les amendements sur ce sujet sont irrecevables.

Madame Taillé-Polian, l’article 1er fait bien partie du domaine d’une LFRSS puisque les nouveaux salariés ne pourront plus bénéficier de ces régimes spéciaux à partir du 1er septembre.

Monsieur Dharréville, des discussions sur les modalités d’application du report à 64 ans de l’âge de la retraite sont en cours au sein des entreprises concernées par la suppression de régimes spéciaux.

La commission rejette les amendements.

 

Amendements identiques AS881 de M. Jérôme Guedj, AS3788 de M. Yannick Monnet, AS4780 de M. Hadrien Clouet, AS4782 de M. François Ruffin, AS4783 de Mme Rachel Keke, AS6558 de Mme Laure Lavalette et AS6926 de Mme Sabrina Sebaihi.

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous allons désormais évoquer la situation spécifique de certains régimes spéciaux. En l’occurrence, cet amendement porte sur celui de la RATP.

Ces régimes spéciaux sont liés à la pénibilité du travail et ils prévoient des départs anticipés pour en tenir compte. Madame la rapporteure générale, pourriez-vous m’expliquer pourquoi les conducteurs et les personnels roulants de la RATP ne sont pas concernés par la pénibilité du travail ? Vous allez les faire entrer dans le droit commun avec votre logique de report de l’âge légal de départ à la retraite et de prise en compte notoirement insuffisante de la pénibilité. Je ne vois pas comment l’application du compte professionnel de prévention (C2P) sera un progrès pour eux.

S’il faut aligner les régimes, prenons pour exemple ceux qui tiennent vraiment compte de la pénibilité et ne nivelons pas par le bas comme vous le faites !

Mme Elsa Faucillon (GDR - NUPES). Je défends l’amendement AS3788. Vous utilisez le mot d’iniquité pour masquer les attaques répétées de ce gouvernement et des précédents contre le régime général. Cette recherche permanente du moins-disant social et du nivellement a créé un écart entre les régimes spéciaux et le régime général. Tel est le résultat de vos politiques de casse sociale, qui ont conduit à revenir sur des acquis sociaux qui existaient dans le régime général.

Nous proposons le mieux-disant social, c’est-à-dire de compenser la pénibilité mais de ne pas se contenter de cela. Il faut travailler sur la pénibilité car on ne peut pas accepter que des millions de personnes travaillent dans des conditions inacceptables. C’est la raison pour laquelle il faut enrichir les critères – notamment en s’intéressant aux questions psychologiques dont le stress. Ne faisons pas comme le gouvernement précédent qui a supprimé quatre de ces critères. Vous avez aussi supprimé les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Vous vous fichez de la question de la santé au travail, et vous ne voulez surtout pas l’aborder.

Avez-vous écouté les agents de la RATP pour savoir ce que c’est d’avoir, pendant trente ans, des horaires décalés et d’assurer des services mixtes où vous travaillez lors des heures de pointe du matin et du soir ? Alors que les transports font face à un problème de recrutement, sont source de stress et d’agressivité et doivent relever le défi climatique, attaquer le statut des personnels parisiens est irresponsable.

Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS4780. La volonté de supprimer les régimes spéciaux, et notamment celui de la RATP, constitue d’abord une stratégie de diversion pour masquer le cœur de votre réforme, qui consiste à voler deux ans de vie et de bonheur après le labeur. Mais c’est aussi une stratégie de division. Vous prenez prétexte de la situation du chauffeur de bus en zone rurale pour supprimer le régime spécial du chauffeur parisien. Votre conception de l’égalité est cynique : il s’agit toujours de niveler par le bas. Pourquoi ne pas proposer le bénéfice de ce régime spécial à l’ensemble des chauffeurs de bus ? Vous méprisez complètement la pénibilité et vous allez ajouter une pénibilité administrative à celle du travail.

Venez-donc demain rencontrer Nathalie au piquet de grève du dépôt de bus de Lagny, dans le 20e arrondissement. Elle fait grève alors qu’elle partira à la retraite dans quelques mois, précisément parce qu’elle a subi les horaires décalés et qu’elle est épuisée par une vie entière de travail où l’on commence à quatre heures et demie du matin, l’on enchaîne parfois le soir avec des services mixtes et l’on travaille aussi en fin de semaine.

Il faudrait, non pas supprimer des régimes spéciaux, mais en créer de nouveaux, par exemple pour prendre en compte la pénibilité du travail des caissières. J’ai rencontré certaines d’entre elles qui feront grève contre la réforme des retraites parce que les actes répétitifs qui créent des troubles musculo‑squelettiques et des souffrances psychologiques ne sont pas reconnus pénibles.

M. Christophe Bex (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS4782. Les régimes pionniers sont le fruit de notre histoire sociale. Comme c’est votre habitude depuis des années, vous cherchez à la saborder comme l’ont fait vos prédécesseurs, qui ont entonné le même refrain sur le coût supposé des régimes spéciaux et sur ses conséquences pour l’équilibre financier du système. En réalité, ces régimes ne représentent que 3,5 % de l’ensemble des cotisants en France.

Avec cette contre-réforme, vous souhaitez supprimer le régime des agents de la RATP – comme tant d’autres. Vous répétez que ce régime n’apparaît plus justifié au regard des principes d’équité et d’universalité. Mais en quoi est-il juste et équitable de faire travailler plus longtemps des salariés dont l’espérance de vie est inférieure à la moyenne de celle des Français ? Qu’y a-t-il de juste et d’équitable à faire travailler plus longtemps ceux dont les conditions de travail sont les plus difficiles ? Pourquoi niveler vers le bas les modalités de calcul des pensions de retraite ? Afin de les diminuer ? Est-il juste de supprimer les dispositifs qui permettent un départ anticipé, instaurés initialement pour compenser la pénibilité ? La notion d’équité vous est visiblement étrangère. Une réforme équitable des retraites nécessiterait d’appliquer ces mesures compensatrices à l’ensemble des branches et des régimes au sein desquels les salariés souffrent de conditions de travail dégradées.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Nous souhaitons maintenir le régime spécial de la RATP. C’est un acteur vital dans toute la région d’Île-de-France, dont elle assure les transports en commun sans interruption, vingt-quatre heures sur vingt-quatre tous les jours de l’année. Savez-vous combien d’employés sont mobilisés chaque jour pour transporter les travailleurs ? Combien sont mobilisés pour que nous puissions nous rendre à l’Assemblée nationale ? Des centaines !

Combien de ceux d’entre vous qui veulent supprimer ce régime spécial se sont-ils intéressés à la pénibilité liée au travail de nuit, notamment pour assurer la maintenance du réseau ? Nous pouvons empêcher la suppression de ce régime. Beaucoup de régimes spéciaux ne sont pas touchés par la réforme. Faisons de même pour celui-ci !

M. Victor Catteau (RN). L’amendement AS6558 vise à supprimer les dispositions proposant une clause du grand-père en vue de la fermeture du régime spécial de la RATP. Près de 70 000 salariés concernés et onze millions d’habitants de la région parisienne connaissent une situation inédite, le mauvais fonctionnement des transports rendant la vie infernale à ceux qui y travaillent et aux usagers. À l’heure des grands discours sur les métiers en tension, il faut souligner que ces problèmes résultent notamment de difficultés de recrutement. Comme l’hôtellerie et la restauration, le transport de personnes connaît un besoin sans précédent de nouvelles recrues au profil particulièrement varié, allant du non diplômé au bac + 5.

Dans ce contexte, abaisser les droits et avantages sociaux des salariés est une erreur, non seulement pour cette entreprise, mais aussi et surtout pour les usagers qui auront à subir des désagréments et pour l’activité économique de la première région française. C’est pourquoi nous demandons le maintien de ce régime. Nous appelons nos collègues du groupe Les Républicains, proches de la majorité régionale, à faire de même.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Je défends l’amendement AS6926. Tous ceux qui prennent les transports en commun dans la métropole du Grand Paris savent à quel point la situation est dégradée. Il y a un problème de recrutement, notamment de conducteurs de bus. Il est complètement irresponsable de s’en prendre au statut social des salariés dans ce contexte. Cela rendra les embauches encore plus difficiles et le niveau du service rendu aux usagers en sera affecté.

L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles a publié une étude intitulée : « Le risque de troubles musculo-squelettiques [TMS] chez les chauffeurs de bus : une réalité. » On y lit : « Cette monographie étudie le risque de TMS chez les chauffeurs de bus. Elle concerne principalement les chauffeurs de bus intraurbains. [...] Les TMS du rachis chez les chauffeurs de bus résultent d’une combinaison de facteurs de risque biomécaniques chroniques [...] et aigus [...] auxquels s’ajoutent des facteurs psychosociaux et la conception de leurs postes de conduite. » Il y a bien pénibilité et le régime spécial doit être maintenu.

Mme la rapporteure générale. Mettre en extinction des régimes spéciaux ne veut pas dire que nous ne nous préoccupons pas de la pénibilité. Ce que vous dites sur les troubles musculo-squelettiques de chauffeurs de bus intra-urbains est vrai à Paris comme dans d’autres villes. La pénibilité doit également y être reconnue. C’est la raison pour laquelle ce texte propose des mesures pour sa prise en compte, par exemple en augmentant le nombre de points au titre du C2P pour les chauffeurs de bus et ceux qui travaillent la nuit. J’espère que nous aurons l’occasion d’en débattre à l’article 9. Mais il ne faut pas confondre le sujet des régimes spéciaux et celui de la pénibilité.

En outre, la rédaction de ces amendements fait que vous affiliez au régime général tous ceux qui bénéficient des régimes spéciaux. Je me doute bien que c’est involontaire mais il serait de votre propre intérêt de les retirer.

Dans tous les cas, avis défavorable.

M. Philippe Vigier (Dem). L’histoire des régimes spéciaux remonte à l’Ancien Régime. J’entends la supplique de ceux qui nous disent qu’il faut absolument préserver celui de la RATP. Tout d’abord, grâce à la clause du grand‑père, l’extinction de ce régime n’est pas imposée brutalement. La brutalité consisterait à supprimer du jour au lendemain. La clause du grand-père permet d’honorer les termes du contrat signé initialement. Les intéressés bénéficieront jusqu’à la fin de leur carrière des avantages prévus.

Ensuite, je ne nie pas la difficulté des conditions de travail des chauffeurs de bus de Paris. Mais on retrouve celles-ci dans d’autres agglomérations, comme à Vierzon par exemple. Est-il normal que les chauffeurs de bus y travaillent jusqu’à 62 ans ou 64 ans ? Je n’ai pas vu les municipalités de gauche prendre des initiatives fortes pour que leurs conducteurs de bus ou de métro partent à la retraite à 56 ans, comme à Paris. C’est bien de s’ériger en donneurs de leçons mais il faut accorder ses actes avec ce que l’on propose.

Enfin, nous nous retrouverons peut-être sur le sujet de la pénibilité. La liste des critères de pénibilité n’épuise pas cette question. Retirer certains d’entre eux n’a peut-être pas été la meilleure des décisions. Reconnaître vraiment la pénibilité suppose de laisser ceux qui y ont été exposés partir à la retraite plus tôt et de déterminer les conditions de ce départ anticipé. J’imagine que les auteurs de ces amendements voteront en faveur des amendements que nous avons déposés un peu plus loin pour parler d’évolution professionnelle, notamment grâce à des bilans de carrière dès l’âge de 45 ans.

M. Charles de Courson (LIOT). Ces amendements soulèvent le problème de l’égalité des Français face à la retraite. La réforme du statut de la SNCF s’est accompagnée de l’extinction de son régime de retraite. En région parisienne, des personnes qui accomplissent les mêmes tâches sont donc traitées différemment selon qu’elles appartiennent à la RATP ou au réseau banlieue de la SNCF. La fermeture du régime spécial de retraite prévue à l’article 1er me semble cohérente. En outre, pourquoi traiter différemment les agents selon qu’ils travaillent à Paris ou en province ?

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Parler des retraites futures, c’est parler du travail aujourd’hui, notamment des conditions de travail. La France détient le record d’Europe des accidents mortels au travail faute d’avoir su correctement appréhender ce problème. Nous pensons toujours que les accidents du travail surviennent exclusivement dans les grandes usines. Or, ils se produisent aussi dans les services et ils touchent des caristes, des chauffeurs, des aides-soignantes, des caissières. Il y a encore beaucoup à faire.

S’agissant des conducteurs de la RATP, je rappelle que la clause du grand‑père s’appliquera pour une transition souple. De plus, ce texte comporte de véritables avancées dans la prise en compte de la pénibilité. Jusqu’ici, la collectivité nationale investissait 40 millions d’euros chaque année dans la prévention et la santé au travail ; ce sera désormais 200 millions d’euros. Par ailleurs, dans les métiers présumés pénibles, dont ceux que nous évoquons, une visite médicale sera proposée aux salariés âgés de 45 ans, à quoi devrait s’ajouter un rendez-vous professionnel plus large pour évaluer les compétences et les orientations possibles. Enfin, le C2P évolue, en particulier à travers la multi-exposition, ce qui permet de corriger certaines inégalités.

M. Arthur Delaporte (SOC). Cet article est représentatif de la philosophie de votre réforme. Vous préférez que ceux qui disposent de quelques droits supplémentaires en aient moins pour, à la rigueur, octroyer à une poignée d’autres quelques avantages tout en repoussant l’âge de départ légal à la retraite. Or, selon nous, le problème consiste à prendre en compte la spécificité d’un métier. Savez-vous qu’un agent de la RATP sur cinq finit par recevoir un avis d’inaptitude du médecin du travail ? Si vous avez pris le métro, ce matin, vous avez vu les quais bondés. Rendez-vous compte du stress d’un agent, de la crainte de voir chuter un passager ! Levé à trois ou quatre heures du matin pour prendre son service, il est soumis à des sujétions particulières. De surcroît, les recrutements étant de plus en plus difficiles, irez-vous dire aux candidats qu’ils n’auront plus de droits spécifiques ?

Contre les calembredaines qui circulent, je rappelle que seule la moitié des agents de la RATP bénéficie d’un régime spécial et que la décote en vigueur ampute leur niveau de retraite. Cessez donc de les considérer comme des privilégiés ! Enfin, j’appellerais plutôt la clause du grand-père la « clause du bébé » car ce sont eux qui, lorsqu’ils auront grandi, ne pourront pas devenir agents de la RATP.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nous évoquons le régime spécial dont bénéficient des salariés qui exercent des métiers qui, chacun le reconnaît, sont difficiles. Un tel régime devrait être étendu à tous ceux qui les exercent, quelle que soit l’entreprise. Les troubles musculo-squelettiques sont reconnus ; il devrait en être de même de l’exposition aux pollutions. Nous pourrions également nous pencher sur la situation des taxis et des véhicules de transport avec chauffeur dont certains sont des micro-entrepreneurs éloignés de toute protection sociale.

Votre réflexion est purement idéologique : vous voyez des privilèges là où la vie et la santé sont en jeu.

M. Thomas Portes (LFI - NUPES). « Justice et équité » : depuis que le Gouvernement a dévoilé sa feuille de route sur la réforme des retraites, vous n’avez que ces mots à la bouche. On mesure l’écart entre les paroles et les actes. Où est la justice lorsque vous supprimez le régime spécial de la RATP et que vous préservez celui d’autres catégories ? En fait, vous vous payez des régimes spéciaux comme vous vous êtes payé celui de la SNCF. Pourquoi un tel acharnement, sinon parce qu’ils représentent tout ce que vous détestez : le service public, l’intérêt général et la solidarité.

Où est la justice au nom de laquelle vous attaquez un régime permettant à des agents de partir plus tôt à la retraite compte tenu de la pénibilité de leur métier, dont vous ne dites d’ailleurs rien, préférant multiplier les courbes et les tableurs Excel ? Le seul qui, chez vous, ait parlé de la vie des gens, c’est Gérald Darmanin pour insulter les salariés qui se mobilisent. Travailler en horaires décalés, de jour comme de nuit, les dimanches et les jours fériés, le stress de la circulation, la gestion des usagers, tout cela mérite largement un système de retraite compensateur !

Cette réforme est injuste. Un salarié sur cinq de la RATP finit inapte. Beaucoup souffrent de pathologies liées à leur profession. Là encore, silence de la majorité dont nous comprenons la gêne : comment parler de pénibilité alors que vous avez vidé le compte pénibilité de son contenu ? Rien ne justifie la suppression de ce régime spécial, sinon votre mépris de classe.

Mme Elsa Faucillon (GDR - NUPES). Notre collègue Vigier vient de nous dire en substance que, si le voisin n’a pas de pain, vous n’en aurez pas non plus. Il est à deux doigts de suggérer de manger de la brioche... Avec cette logique, vers quelle société se dirige-t-on ?

Ce projet est un glissement supplémentaire vers la négation des droits. Vous ne voulez surtout pas qu’il soit question de pénibilité parce qu’elle implique des compensations, donc la solidarité. Tout le monde sait que le C2P ne fonctionne pas et qu’il ne compensera rien. Ces agents ne pourront pas partir en retraite anticipée puisque vous avez supprimé cette possibilité. Vous les faites passer pour des privilégiés et même pour des profiteurs alors qu’ils sur-cotisent. Ce sont les droits acquis par ces sur-cotisations que vous voulez supprimer !

Aux profiteurs de crise, en revanche, vous adressez de gentils discours pour expliquer qu’ils doivent donner un peu plus ! Nous avons proposé la taxation des superprofits et nous continuerons de le faire.

Mme Laure Lavalette (RN). Selon la rapporteure générale, la pénibilité, dans les grandes villes, serait la même qu’à Paris. Beaucoup d’entre elles n’ont pas de métro et, donc, de salariés travaillant en milieu souterrain.

La ligne 13 du métro parisien, monsieur Vigier, ne va pas jusqu’à Vierzon. Prenons‑la ensemble et vous verrez ce qu’il en est ! Si, pour les usagers, elle est la « ligne de l’enfer », elle l’est aussi pour les salariés. À Vierzon, il n’y a pas non plus de ligne 1, comme à Toulon, où les jeunes des cités s’accrochent aux bus. Imaginez le stress des conducteurs !

Nous ne faisons pas confiance à cette majorité qui, en 2017, a supprimé quatre des dix critères du compte de pénibilité. Nous maintenons les amendements visant à contraindre le Gouvernement à maintenir ce régime spécial, au moins à moyen terme.

La commission rejette les amendements.

 

Amendements AS802, AS801, AS800, AS799, AS798, AS797, AS796, AS795, AS794, AS793, AS792, AS791, AS790, AS896, AS895, AS894, AS893, AS892, AS891, AS890, AS889, AS888, AS887 de M. Jérôme Guedj et AS4696 de M. Thibault Bazin (discussion commune).

M. Jérôme Guedj (SOC). Je vais présenter en bloc l’ensemble de mes amendements. Vous voulez la fin des régimes spéciaux au 1er septembre 2023. Nous proposons un étalement pour absorber les difficultés qui se poseront.

Vos arguments sont filandreux s’agissant, notamment, de la pénibilité. Vous ne la contestez pas pour les conducteurs de bus, de tram ou de métro de la RATP. Mais vous vous réjouissez qu’ils intègrent le droit commun du C2P, dont nous ignorons de surcroît comment il la compensera.

Vous avez eu la délicatesse de nous transmettre, non une étude d’impact, mais un rapport d’analyse des conséquences de la réforme. En le lisant, on comprend en partie vos arrière-pensées : « Le financement des régimes spéciaux de retraite implique par ailleurs un effort de la solidarité nationale au bénéfice de certains secteurs ou de certaines entreprises », effort qui doit être interrogé dans le contexte de rationalisation de la dépense publique et « d’ouverture à la concurrence ». Comme bien des élus franciliens, je vous alerte depuis longtemps sur les difficultés que celle-ci entraînera à Paris – elle sera effective en 2025 pour les bus, en 2029 pour les trams et en 2039 pour le RER. Tout le monde sait que l’application bête et méchante de l’ouverture à la concurrence, résultant d’une réglementation européenne également bête et méchante, n’est pas adaptée à la situation des transports en Île-de-France.

Les difficultés de recrutement sont immenses. Nous manquons de plus de sept cents chauffeurs de bus. Vous prétendez vouloir améliorer l’offre de transports et, en même temps, vous imposez aux opérateurs une réduction de leurs moyens, ce qui explique que la « révolution des transports » de Valérie Pécresse ait largement échoué. Vous vous apprêtez à fragiliser un réseau qui est déjà à l’os.

De plus, les difficultés que rencontre ce secteur, en Île-de-France, rejaillissent sur tous les autres salariés. Les habitants de l’Essonne passent en moyenne une heure quarante‑trois par jour dans les transports, parfois bien plus pour ceux qui se rendent à Paris depuis Brétigny ou à Roissy depuis Évry. La sanctuarisation de l’attractivité de ces métiers assurerait la qualité du service public mais, aussi, la qualité de vie de millions de travailleurs. Vous allez péniblement leur octroyer le C2P alors que celui-ci ne prend pas en compte la pénibilité liée aux transports !

Même Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports, s’interroge sur la pertinence de l’ouverture à la concurrence. Certes, il s’inquiète de la situation à l’approche des Jeux olympiques. Au-delà de la conjoncture, l’ouverture à la concurrence n’en demeure pas moins une bêtise absolue.

M. Thibault Bazin (LR). Je m’interroge quant à la date d’application de la réforme alors que nous sommes confrontés à un enjeu d’acceptabilité sociale. Il ne me paraît pas judicieux que des personnes qui doivent partir cette année à la retraite soient concernées. Les salariés ont besoin de visibilité – une retraite, cela se prépare ! – et de fiabilité. Le directeur général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), lors de son audition, a expliqué qu’à partir du 1er mars, il ne répondrait plus aux demandes, en attendant une stabilisation du droit.

Enfin, dernier enjeu, celui de la viabilité financière : une application de la mesure au 1er septembre génèrera un déficit supplémentaire des comptes de la sécurité sociale de 400 millions d’euros. Un report au 1er janvier 2024 semble de meilleure politique.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Guedj, un report de l’entrée en vigueur de la disposition rendrait incertaine la date d’application, ce qui perturberait les modalités de recrutement de la RATP.

Monsieur Bazin, j’ai auditionné l’ensemble des représentants des caisses des régimes spéciaux. Certains, en particulier les représentants de la Caisse nationale des industries électriques et gazières, m’ont fait part d’un nécessaire accompagnement du pouvoir réglementaire pour préparer les fermetures. Mais aucun n’a fait état de la nécessité d’un décalage d’application.

M. Philippe Vigier (Dem). M. Guedj souhaite décaler l’application de cette réforme, en particulier dans le domaine des transports, à 2050.

À Chartres, 30 000 personnes prennent le train chaque jour pour se rendre à Paris. Dans mon département, le temps passé dans les transports s’élève plutôt, en moyenne, à trois heures par jour. Je suis conscient de ces difficultés mais ce n’est pas une réforme des retraites qui changera la donne. Je rappelle, de plus, que la directive européenne ouvrant la concurrence dans le domaine des transports a été validée par le Premier ministre Lionel Jospin.

Les problèmes de recrutement, quant à eux, s’expliquent aussi par les rémunérations offertes – ce n’est pas une loi sur les retraites qui permettra de les résoudre – et des carrières hachées. J’ajoute que les autres régies de transport ne comprendraient pas que l’on maintienne le système parisien actuel. Enfin, je rappelle que 1,5 milliard d’euros du budget de l’État sont affectés chaque année à la RATP pour équilibrer ses comptes.

M. Alexis Corbière (LFI - NUPES). La Première ministre, selon vous, souhaiterait tenir compte de la pénibilité. Mais ce n’est pas du tout ce que vous faites, au contraire : les régimes spéciaux de retraite s’expliquent précisément parce que les métiers en question sont pénibles. Les conducteurs de la RATP commencent à travailler tôt le matin et sont exposés à des difficultés particulières qui expliquent des taux d’inadaptabilité élevés. La seule solution que vous proposez en matière de pénibilité consiste à supprimer les maigres conquêtes sociales dont ces salariés bénéficient !

La clause du grand-père, en fait, est une « clause de grande perte ». Vous pariez sur l’égoïsme des salariés. Détrompez-vous, ils sont solidaires et ils n’acceptent pas que les conditions de travail de leurs enfants se dégradent !

Nous sommes en effet confrontés à un problème de recrutement, les salaires n’étant pas très élevés. C’est précisément pourquoi les salariés sont aussi attentifs à leur statut. J’ai entendu parler de « gauchisme paresse et bobo ». Vous, à l’égard du patronat, vous êtes « la droite caresse et cadeaux » !

M. Arthur Delaporte (SOC). La majorité use d’arguments abstraits pour justifier sa réforme. Nous parlons de pénibilité et vous répondez compte de pénibilité. Or, moins de 2 millions de salariés en disposent et seuls 9 600 personnes l’ont utilisé ces dernières années pour partir à la retraite de manière anticipée, soit 0,53 %.

Vous convenez vous-mêmes que la pénibilité, à la RATP, est réelle. Les conducteurs de bus à Vierzon, à Châteauroux ou à Bourges – quoique la situation ne soit pas tout à fait comparable avec celle des agents de région parisienne – doivent justement, eux aussi, bénéficier de droits supplémentaires ! « Clause de grande perte » ou « clause du bébé » : vous ne parvenez pas à prendre en compte efficacement la pénibilité.

La rapporteure générale a fait valoir que le report que nous proposons entraînerait des incertitudes. Or, il n’en est rien. L’adoption de l’un de ces amendements différerait l’entrée en vigueur en fixant une date précise.

M. Pierre Cazeneuve. Les salariés de la RATP, en effet, sur-cotisent. Mais c’est à partir d’une assiette plus réduite que dans le régime général et, in fine, l’effort contributif est le même. Le déficit, en revanche, demeure bien de 1,5 milliard d’euros. La philosophie des amendements de Jérôme Guedj revient à remettre à demain ce qu’il est possible de faire aujourd’hui et à laisser à ma génération le soin de faire des efforts. Or, c’est aujourd’hui que nous devons nous préoccuper des déficits !

Mon grand-père disait : « Quand on se fait pipi dessus, on n’a jamais chaud longtemps ». Arrêtons de nous faire pipi dessus et commençons à agir !

M. Thibault Bazin (LR). La rapporteure générale n’a pas répondu à la question de l’acceptabilité sociale. Certains, parmi ceux qui doivent partir dans les prochains mois à la retraite, ont un projet de vie. Une retraite se prépare. L’application de la loi à partir du 1er septembre est problématique. De plus, nous devons rétablir la confiance, en particulier celle des jeunes gens, qui ne croient plus aux retraites, ce qui passe par la fiabilité et la visibilité de notre système.

Les représentants des caisses, en effet, n’ont pas demandé un décalage de la réforme mais davantage de temps pour l’appliquer.

J’ajoute que seule la branche retraite des régimes spéciaux est supprimée et qu’il conviendra d’alimenter des droits dans les autres branches, ce qui n’est pas anodin. L’expérience nous a montré que les systèmes d’information ont parfois contrarié certaines réformes. Selon la Cnav, une année ne sera pas de trop s’agissant du traitement de la deuxième liquidation. Le système d’information, en effet, ne sera pas prêt pour les personnes qui seraient en cumul emploi-retraite et qui arrêteraient de travailler entre novembre 2023 et février 2024, même si une rétroactivité s’appliquera. Une adaptation du calendrier serait de bonne politique.

Mme Laure Lavalette (RN). Nous sommes opposés à la concertation dont font état de nombreux amendements de Jérôme Guedj. Mais nous sommes favorables à la négociation. Il est trop facile, pour le Gouvernement, de s’asseoir sur ceux qui travaillent et de décider à la place des salariés et des employeurs. Le propre de la concertation, c’est d’entendre son interlocuteur sans l’écouter.

Le compte pénibilité est inefficace et peu utilisé puisque seules 11 000 utilisations de points du C2P ont servi à des départs anticipés à la retraite, comme l’a dit le ministre du travail au sénateur Sueur le 14 juillet 2022. Une telle usine à gaz ne peut pas être à la hauteur des enjeux. Pour des solutions concrètes, je vous renvoie au projet de Marine Le Pen : les métiers pénibles sont ceux que l’on commence à exercer tôt.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Avant d’être fusillé par les Allemands, Pierre Semard défendait l’idée d’un régime spécial pour les cheminots car, disait-il, ils ne font pas un métier comme les autres. Après le sang et les larmes de la déportation de Buchenwald, Marcel Paul a élaboré le statut des électriciens-gaziers en considérant que, eu égard à la souveraineté énergétique de la France, ils ne font pas un métier comme les autres.

La loi prévoit l’autonomie financière et l’équilibre des régimes spéciaux. Celui des électriciens-gaziers, en 2022, dégageait un excédent de 120 millions d’euros en financement du régime général, à quoi s’ajoute la cotisation de taxe spéciale qui alimente le budget général de l’État.

Ces métiers sont confrontés à des problèmes d’attractivité. Vous n’y répondrez pas en abattant leurs régimes spéciaux. Enfin, en quoi le flingage du statut de la RATP améliorera-t-il le sort de Jérôme qui, chez moi, est chauffeur de bus ?

Vous voulez niveler par le bas pour, en haut, préserver les profits.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Les régimes spéciaux sont financés par des sur-cotisations. Si les salariés nouvellement recrutés n’en bénéficient plus, vous vous priverez d’une partie des recettes. De plus, la réforme n’aura aucun effet jusqu’à 2030 en raison de la clause du grand-père alors que vous vous prévalez de graves difficultés d’ici 2030 pour justifier votre texte.

Enfin, votre étude d’impact précise que la réforme est sans objet pour les personnes en situation de handicap et sans effet sur l’environnement. Mais la suppression du régime spécial de la RATP aura un double effet, et sur la hausse des incapacités et sur l’écologie puisque vous créez une pénurie de main d’œuvre dans des métiers essentiels. Gardons ce régime spécial !

Mme la rapporteure générale. L’État assure plus de la moitié du financement de ce régime malgré les sur-cotisations, l’assiette étant plus réduite.

Le compte pénibilité de Jérôme, monsieur Jumel, sera simplifié s’il commence à travailler après le 1er septembre à la RATP...

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Il travaille chez moi à Dieppe, vous dis-je !

Mme la rapporteure générale. Cent nuits, au lieu de cent vingt auparavant, permettront d’accumuler des points. À Dieppe ou à Paris, Jérôme pourra toujours partir en retraite plus tôt parce qu’il exerce un métier pénible. Il pourra aussi financer des congés de reconversion.

S’agissant des amendements de Jérôme Guedj, les incertitudes demeurent puisque l’amendement AS802, par exemple, fait mention d’une date déterminée par décret pris en Conseil d’État après concertation des organisations syndicales et patronales qui ne peut être ultérieure au 1er janvier 2050.

La commission rejette successivement les amendements.

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Réunion du lundi 30 janvier 2023 à 15 heures (article 1er [suite] à article 2)

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12807523_63d7cb54a1c69.commission-des-affaires-sociales--examen-du-projet-de-loi-de-financement-rectificative-de-la-securi-30-janvier-2023

Mme la présidente Fadila Khattabi. Chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023. Ce matin, nous avons examiné 58 amendements ; il n’en reste plus que 5 503 en discussion !

Article 1er (suite) : Fermeture des principaux régimes spéciaux de retraite

Amendements identiques AS1328 de M. Philippe Juvin, AS3787 de M. Pierre Dharréville, AS4786 de M. François Ruffin et AS6927 de Mme Sabrina Sebaihi.

M. Stéphane Viry (LR). Parmi les raisons pour lesquelles les régimes spéciaux de retraite font débat figurent le besoin éventuel d’assurer leur équilibre avec des financements publics, donc avec l’argent du contribuable, et les modalités de liquidation des droits à la retraite exorbitantes du droit commun.

Par son amendement AS1328, Philippe Juvin souhaite que le régime spécial de la Banque de France ne soit pas clôturé. Comme il l’a indiqué ce matin, son financement, certes singulier, est assurément suffisant. Il a des provisions qui permettent de verser les pensions sans recourir à l’argent du contribuable. Ce régime s’autofinance grâce aux gains issus de placements. Véritablement spécifique, il doit faire l’objet d’une analyse distincte de celle qui prévaut pour les autres régimes spéciaux, à la clôture desquels nous sommes favorables.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Nul n’ignore que nous demandons le retrait de tout le texte, dont l’article 1er relatif aux régimes spéciaux. Nous sommes aussi opposés à la méthode utilisée pour modifier notre régime de retraite. Nous ne nions pas les réformes à faire, mais celle que vous proposez et la façon employée semblent tout à fait inacceptables. En fin de semaine dernière, la Première ministre a déclaré devant des journalistes que le report de l’âge légal à 64 ans n’était plus négociable. Je me suis demandé à quel moment il l’avait été... Jamais, je pense, car c’est la véritable raison d’être de ce projet de loi. Nous demandons la suppression de l’article 1er et le retrait du texte.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Le régime de la Banque de France ne tombe pas du ciel. Il a plus de deux cents ans. Il a été créé par le citoyen Benjamin Delessert, dont une erreur dans le calcul des taux de cotisation a permis à cette caisse d’accumuler beaucoup d’argent – comme quoi, pour équilibrer les comptes, mieux vaut les erreurs d’un révolutionnaire que les bons calculs d’un macroniste !

Ce régime spécial a fait l’objet d’attaques virulentes, ayant notamment eu pour effet de supprimer la majoration de pension appelée « bénévolence ». Pourtant, les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) sont sans appel : ce régime va de mieux en mieux. Depuis 2012, chaque projection montre que les ressources propres ne font qu’augmenter. Il s’agit donc d’un régime qui se finance seul sur trente ans.

Si ce régime est rentable, c’est aussi grâce à l’auto-administration des assurés, qui pilotent la collecte des fonds, ainsi qu’à l’évolution parallèle des salaires et des pensions, ce qui maintient le bon fonctionnement du système. Mieux vaut des assurés qui gèrent leurs comptes que des experts-comptables du Gouvernement qui les plument ! L’équilibre d’un budget est une question de démocratie. Aucune caisse n’a de meilleure sécurité que la surveillance des fonds par les assurés eux-mêmes.

Ce régime ne reçoit pas d’argent de l’État pour sa bonne marche. Même lorsqu’il prétend récupérer de l’argent, le Gouvernement parvient à en perdre, c’est incroyable ! Enfin, cette caisse est profitable et elle verse ses excédents au budget général. Nous avons donc intérêt à son existence. Pour nos finances publiques comme pour les droits des salariés, ici ceux de la Banque de France avec lesquels nous marcherons demain, nous proposons par l’amendement AS4786 la suppression des alinéas 3 et 4.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS6927 a été défendu à merveille par mes collègues.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Sur la forme – approche jamais très convaincante mais non sans importance dès lors que nous écrivons la loi – l’adoption des amendements aurait pour effet d’affilier tous les salariés actuels de la Banque de France au régime général.

Sur le fond, j’observe, chers collègues, que vous défendez un système par capitalisation. Le régime de retraite de la Banque de France se rapproche de celui de la fonction publique sur certains points, mais il n’en reste pas moins spécifique. Par exemple, les cotisations sont prélevées non seulement sur le traitement nominal, mais aussi sur certaines primes. La prise en compte des bonifications dans le calcul du montant de la pension diverge de celle de la fonction publique. De ce point de vue, la fermeture de ce régime est cohérente avec notre objectif de lisibilité, justice et équité du système de retraite.

M. Charles de Courson (LIOT). Je crois être le seul magistrat de la Cour des comptes de cette assemblée à avoir contrôlé, à ce titre, le régime de retraite de la Banque de France, il y a un tiers de siècle.

Il ne s’agit pas tout à fait d’un régime par capitalisation, mais en semi-capitalisation. Le capital constitué par les cotisations des salariés dégage des revenus qui, s’ils ne couvrent pas le montant des prestations, sont complétés par une subvention d’équilibre de la Banque de France. Dans le régime créé par Napoléon Ier, les pensions de retraite étaient des indemnités de bénévolence... On n’en parle plus depuis la réforme du régime, il y a une quinzaine d’années, inspirée par le rapport de la Cour des comptes qui en démontrait l’archaïsme.

De quoi vit la Banque de France ? Du monopole de l’émission, qui lui assure des bénéfices considérables, qu’elle reverse partiellement au budget de l’État. Il est savoureux de voir des groupes politiques ayant toujours combattu la capitalisation défendre un régime fondé sur ce principe !

Il demeure un problème de fond, qui n’est pas traité par le texte. Fin décembre 2021, les réserves du régime s’élevaient à 15,4 milliards, d’après le rapport du COR. Qui en est propriétaire ? La réponse est simple : à partir du moment où il s’agit du produit de la capitalisation des cotisations des salariés, ils sont les propriétaires. Dès lors, la mise en extinction du régime n’impose-t-elle pas de reverser au personnel une partie du fonds de capitalisation ? Je rappelle que ce sont des fonds privés et non publics.

La précédente tentative de réforme envisageait de disposer de ces fonds. Le Conseil constitutionnel aurait certainement annulé cette disposition, s’agissant de fonds privés. Il faut indemniser : la Constitution y oblige. Madame la rapporteure générale, pouvez-vous nous éclairer sur cette délicate question ?

M. Paul Christophe (HOR). Nous avons eu ce débat, comme d’autres, lors de l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Il était déjà surprenant de voir défendre un régime par semi-capitalisation pour préserver la retraite par répartition... La CGT, associée à la gestion de ce régime très particulier, faisait état d’une cotisation de 7,85 % des rémunérations alimentant un capital placé en Bourse pour générer des excédents. Mais ceux‑ci sont insuffisants. Avec 17 000 bénéficiaires de la retraite pour 10 000 cotisants, le déséquilibre démographique est patent. D’après un rapport du Sénat publié en 2018, le déficit du régime s’élève à 428 millions d’euros pour l’année 2019. Le contribuable vient donc bel et bien à la rescousse du système.

M. Marc Ferracci (RE). J’ai entendu certains arguments dont le sens et la cohérence m’échappent. D’abord, il ne s’agit pas de ponctionner les réserves du régime de retraite de la Banque de France, qui en conservera l’intégralité. Il s’agit de faire converger la protection sociale : telle est la finalité politique de la suppression des régimes spéciaux prévue par le projet de loi, dans une logique d’égalisation des conditions. Le régime de retraite de la Banque de France est fondé sur un modèle économique qui lui permet de générer des réserves. Chacun peut se demander si ces réserves, et donc les différences de traitement entre les salariés du régime et les autres, doivent perdurer.

Ensuite, l’argument selon lequel il faudrait préserver ce régime parce qu’il est excédentaire est surprenant. Si tel est le cas, chers collègues de la NUPES, il faut revoir votre argumentaire sur les régimes spéciaux en déficit ! L’État contribue à hauteur de 6 milliards d’euros au financement des régimes spéciaux. C’est une des raisons pour lesquelles nous souhaitons les placer en extinction.

Enfin, l’argument selon lequel les régimes spéciaux sont justifiés par la pénibilité des métiers doit être nuancé. Sans vouloir en aucune manière jeter l’opprobre sur les salariés de la Banque de France, il me semble que la pénibilité de leur métier n’est pas comparable avec d’autres, notamment ceux qui feront l’objet, dans le cadre du projet de loi, de mesures d’accompagnement ambitieuses.

M. Thibault Bazin (LR). Comme Charles de Courson, j’aimerais savoir comment sera mise en œuvre l’extinction du régime de retraite de la Banque de France. N’y a-t-il pas lieu de prévoir une période transitoire avant sa suppression, pour permettre le traitement de ces réserves, qui appartiennent aux salariés ? D’autres situations ont démontré qu’un délai de six mois peut s’avérer insuffisant pour les instances de concertation chargées de ces questions.

M. Jérôme Guedj (SOC). Depuis le début, on nous dit que la réforme est le fruit d’une grande concertation à laquelle tous les acteurs sont associés. Mais d’après le conseiller général de la Banque de France – c’est le nom du représentant du personnel –, la direction de la Banque de France, les organisations syndicales et les agents ont appris la suppression de leur régime de retraite par voie de presse ! Le 9 décembre 2022, les organisations syndicales ont demandé au ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion de les recevoir. À la date du 25 janvier 2023, ils n’avaient pas reçu la moindre réponse. Que le ministre laisse lettre morte une demande d’entretien des organisations syndicales alors que la suppression d’un régime spécial est envisagée illustre, à mes yeux, la pseudo-concertation qui a présidé à cette réforme.

Le seul rendez-vous entre la direction de la Banque de France et le cabinet d’Olivier Dussopt a eu lieu début décembre. Singulièrement, les organisations syndicales n’y étaient pas associées. Il s’agit d’un argument supplémentaire pour ne pas souscrire à la suppression de ce régime spécial.

Mme la rapporteure générale. Messieurs de Courson et Bazin, il ne s’agit pas, comme l’a rappelé Marc Ferracci, de modifier la propriété des réserves du régime de retraite de la Banque de France. Leur traitement est décorrélé des règles applicables aux nouveaux contrats au 1er septembre.

Monsieur Guedj, je vous propose d’adresser vos observations au ministre. Nous, députés, avons auditionné les représentants de la Banque de France. Peu de collègues étaient présents.

Enfin, comme l’indique le rapport joint au projet de loi, la durée de vie en retraite des femmes relevant du régime de la Banque de France est de trente-cinq ans, contre vingt-quatre ans pour les affiliées au régime général. La suppression est une mesure de justice.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Madame la rapporteure générale, cela m’inspire plutôt l’envie que toutes les femmes passent trente-cinq ans à la retraite au lieu de vingt‑quatre ! Et, monsieur Ferracci, un manutentionnaire reste un manutentionnaire, son métier n’est pas moins pénible sous des dorures que dans un hangar. La question générale soulevée par la discussion sur les régimes spéciaux de retraite est la diversion : quand 80 % de la population est opposée à un projet de loi, le plus simple est de trouver des boucs émissaires et de monter pensionnés et cotisants les uns contre les autres. En parlant de quarante-deux régimes de retraite, vous incluez tous les régimes – spéciaux, complémentaires et de base, soit 100 % des salariés. Cela ne veut pas dire grand-chose !

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques AS882 de M. Jérôme Guedj, AS3790 de M. Yannick Monnet, AS4785 de Mme Mathilde Panot et AS6564 de Mme Laure Lavalette.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je suppose que le Gouvernement n’a pas davantage consulté les syndicats de clercs de notaires et le syndicat national des notaires au sujet de la suppression du régime spécial des clercs et employés de notaires. Nous nous opposons à cette méthode, à ce principe, à l’absence de concertation ainsi qu’à la brutalité avec laquelle le Gouvernement agit. Avant toute réforme des régimes de retraite, il faut concerter pour agir avec l’accord des organisations. Par l’amendement AS882, nous demandons la suppression des alinéas 5 à 8.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Nous sommes opposés à la suppression des régimes spéciaux. Ce qu’a dit Marc Ferracci est parfaitement juste : les pénibilités ne se comparent pas. Or, les régimes spéciaux correspondent à des types de métiers. Ils ont été créés par les salariés qui les exercent, qui ont conquis des droits attachés aux particularités de leurs activités.

Supprimer les régimes spéciaux, c’est refuser de tenir compte de la spécificité de chaque métier en matière de pénibilité. Il est vrai que la pénibilité n’est pas trop votre affaire : en 2017, la majorité a supprimé quatre critères de pénibilité, dont la manutention !

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). L’amendement AS4785 vise à empêcher la suppression du régime associé à la caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires. Sa spécificité est d’assurer simultanément contre les risques vieillesse et maladie, ce qui permet d’équilibrer les comptes puisque l’excédent d’une branche couvre les besoins de financement de l’autre. Nous souhaitons son maintien pour plusieurs raisons.

D’abord, cette caisse est intégralement autofinancée grâce notamment au paritarisme. Si les assurés gèrent eux-mêmes le niveau des cotisations et les modes de mutualisation pour couvrir leurs risques une fois la vieillesse venue, les besoins de financement sont couverts car ils affectent les recettes là où il faut des dépenses.

Ensuite, la caisse a pris certaines initiatives qui méritent d’être appliquées à l’ensemble de la sécurité sociale, non d’être liquidées en raison de leur originalité. Elle fonctionne sur la base de comités de retraités : depuis quarante ans, des dizaines de bénévoles, dans tout le pays, accompagnent les pensionnés dans l’exercice de leurs droits. Ils sont formés pour ce faire par les équipes de la caisse. Par ailleurs, l’assuré, le cotisant, le retraité et le malade sont une seule et même personne, ce qui favorise des parcours d’accès aux droits plus favorables et qui ne laisse tomber personne dans l’exercice des droits et la liquidation des pensions.

Enfin, ce régime a obtenu des avancées importantes en matière de pension de réversion, notamment un droit d’option qui mériterait lui aussi d’être regardé de près puisqu’il élève le niveau d’indemnisation des personnes dans une situation où la paupérisation menace.

M. Matthieu Marchio (RN). Il faut préserver le régime spécial des clercs et employés de notaires. Nous parlons ici de 76 000 personnes qui cotisent à une caisse excédentaire, dans une activité soutenue et organisée. Notre commission a auditionné leurs représentants, qui ont clairement indiqué n’avoir jamais demandé de participation à la collectivité et avoir toujours puisé dans leurs réserves propres en cas de déficit. La suppression de ce régime poserait des problèmes de recrutement à la profession. Chers collègues, par l’amendement AS6564, je vous appelle à empêcher le Gouvernement de fermer ce régime spécial.

Mme la rapporteure générale. Il s’agit d’améliorer la lisibilité du système de retraite. Nous avons auditionné la Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires (CRPCEN). Je suis d’accord avec vous sur un point, chers collègues : ce régime est sans doute le plus proche du régime général, celui dont le financement est le plus autonome et donc celui qui demande le moins de subventions complémentaires. Mais c’est aussi l’un des régimes où la proportion de retraités polypensionnés est la plus élevée : sa suppression simplifiera donc le système global.

M. Charles de Courson (LIOT). Madame la rapporteure générale, vous avez dit vous‑même que ce régime ne pose aucun problème d’équilibre. Vous ne pouvez pas justifier sa suppression par un déficit structurel. Vous avez dit qu’il était fort peu aidé par l’État ; en réalité, il ne l’est pas du tout ! Le budget de l’État ne lui verse pas un sou.

Par ailleurs, vous n’avez pas répondu à ma question sur la propriété des réserves. La suppression des régimes spéciaux se justifie seulement si l’on considère que la justice entre les Français exige que tous soient affiliés au régime général – telle est ma position, inchangée depuis un tiers de siècle Pouvez-vous rappeler le montant des réserves de la CRPCEN et dire ce qu’il est prévu d’en faire ?

M. Marc Ferracci (RE). Un régime en équilibre ou en excédent n’aurait pas, pour ce motif, à converger avec le reste de notre protection sociale ? Cet argument semble difficile à entendre de la part de ceux qui ont demandé le maintien de régimes en déficit. Il faut un minimum de cohérence !

Monsieur Monnet, Hadrien Clouet vous a démenti. Certes, les pénibilités ne se comparent pas. Mais, au sein d’un même régime spécial, des métiers à la pénibilité distincte peuvent coexister. Hadrien Clouet a donné l’exemple du manutentionnaire de la Banque de France, dont le métier est à l’évidence plus pénible que celui d’un banquier ou d’un analyste économique de la même Banque de France. C’est à ces différences que veut répondre la réforme en individualisant le diagnostic grâce à des visites médicales à 45 et à 61 ans, ce qui permettra de partir tôt et de bénéficier de fonds de reconversion ainsi que d’un investissement inédit dans la prévention, pour lequel seront dépensés 1 milliard d’euros sur cinq ans.

M. Thibault Bazin (LR). L’exposé sommaire de l’amendement AS882 mentionne « le régime spécial de retraite des notaires et clercs de notaires ». Or, les premiers sont assurés à la Caisse de prévoyance et de retraite des notaires, à ne pas confondre avec la CRPCEN. De surcroît, les assurés d’Alsace et de Moselle ne relèvent pas de ces régimes. Il importe, pour la clarté de nos débats, de conserver un bon degré de précision.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Marc Ferracci a rappelé la volonté, dans ce projet de loi, d’aller vers davantage d’individualisation. C’est d’ailleurs l’un des reproches que nous lui adressons. Il procède de la volonté de briser les garanties collectives pour aller vers une responsabilisation individuelle, conformément à la logique poursuivie par plusieurs projets de loi du Gouvernement. Vous attaquez une fois de plus les mécanismes collectifs.

Dans le régime des clercs de notaire, la part des cotisations des bénéficiaires est plus élevée que dans le régime général. Le financement par les cotisants est plus important qu’ailleurs, comme c’est le cas à la RATP, où les droits supplémentaires sont financés par une surcotisation, également versée par l’employeur. Par ailleurs, ce régime spécial finance la retraite, mais aussi la maladie, la maternité, le décès et l’invalidité, auxquels le texte ne touche pas. La cohérence m’échappe. Ce que je comprends, c’est que deux régimes, ceux de la RATP et des industries électriques et gazières, sont dans le viseur du Gouvernement. Il en a ajouté d’autres pour faire en sorte que cela ne se voie pas trop.

M. Nicolas Turquois (Dem). Comme l’a dit Thibault Bazin, la CRPCEN ne concerne pas les notaires. Par ailleurs, les amendements semblent dater de l’époque où l’on avait un métier pour la vie – on devenait clerc de notaire à la sortie de ses études et on le restait jusqu’au bout. Aujourd’hui, on vit plus longtemps et on change de métier. S’engager pour toute une carrière peut même faire peur à certains jeunes gens.

Par conséquent, le nombre de polypensionnés augmente. Or, les règles, notamment en matière de droits familiaux, s’agissant des pensions de réversion et de la prise en compte des enfants, ne sont pas cohérentes d’un régime à l’autre. Faire en sorte que tous les salariés – dans un premier temps – relèvent du même régime est une bonne démarche.

M. Arthur Delaporte (SOC). Pierre Dharréville a dit l’essentiel : le Gouvernement réforme des régimes spéciaux excédentaires en présentant leurs bénéficiaires comme des privilégiés. Or, les clercs de notaire partent à un âge moyen de 62 ans et ils n’ont pas plus de droits que la moyenne des retraités. Leur régime est excédentaire, ce qui permet de financer aussi des prestations sociales. S’agit-il de faire des économies de bout de chandelle tout en appauvrissant les caisses sociales concernées ? Comment sera compensé l’éventuel déficit du système de prestations maladie ? Par ailleurs, si l’excédent des caisses de retraite concernées est versé au régime général, un alignement du taux des cotisations patronales aura lieu. Faut-il comprendre que les cotisations patronales diminueront pour les clercs de notaire ? J’aimerais obtenir des précisions.

La réforme de ce régime spécial sert d’habillage à celle d’autres régimes, considérés privilégiés. Est-elle nécessaire ? Quel est son coût pour les finances publiques ? Quelles seront ses conséquences pour les employeurs de clercs de notaire ? Ne revient-elle pas à faire un cadeau aux notaires ?

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Quand on a supprimé la première classe dans les transports express régionaux, j’ai trouvé ça dommage : j’aurais préféré supprimer la seconde classe et que tout le monde monte en première ! Vous faites la même chose avec les régimes de retraite : à ceux qui avaient davantage de conquis sociaux, qui pouvaient partir un peu plus tôt, vous dites que c’est terminé. Cela améliorera-t-il le sort des autres ? Pas du tout.

Nos amendements, dans cette partie du texte, demandaient que tous les travailleurs de la deuxième ligne, les auxiliaires de vie, les assistantes maternelles, les caristes, les manutentionnaires, les ouvriers du bâtiment et de la grande distribution, les chefs de rayon et autres aient des avantages, qu’ils puissent partir à la retraite plus tôt grâce à une reconnaissance de la pénibilité de leur travail. Hélas, ils ont été déclarés irrecevables.

Depuis que le Président de la République a déclaré à la télévision qu’il faudrait « nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies rémunèrent si mal », qu’avez-vous fait pour ces métiers ? Rien. Alors que les salaires ne sont pas indexés sur l’inflation, qui voit son petit pouvoir d’achat le plus érodé ? Ce sont eux. C’est la peine qu’ils reçoivent à la place d’une récompense. Et la double peine, c’est sur eux qu’elle pèsera le plus avec des trimestres et des années supplémentaires pour les travailleurs du bâtiment et les auxiliaires de vie sociale. Le minimum aurait été de nous permettre de discuter de la nécessité des régimes particuliers pour ceux qui, dans leur corps ou dans leur cœur, souffrent particulièrement au travail.

Mme la rapporteure générale. Monsieur de Courson, comme je l’avais dit, les réserves de la caisse s’élevaient à 800 millions d’euros en 2019. L’idée n’est pas de modifier le régime de propriété de ces réserves. Les relations financières avec le régime général resteront les mêmes. J’ajoute que, comme Nicolas Turquois l’a dit, ce régime compte beaucoup de polypensionnés. La durée moyenne de cotisation y est de dix ans, d’après les responsables de la caisse que nous avons auditionnés. Ce qui est prévu est aussi une mesure de simplification.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques AS883 de M. Jérôme Guedj, AS3792 de M. Pierre Dharréville, AS4781 de Mme Mathilde Panot, AS4818 de M. François Ruffin, AS4822 de Mme Rachel Keke, AS4829 de M. Hadrien Clouet, AS6560 de Mme Laure Lavalette et AS6929 de Mme Sabrina Sebaihi.

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous en arrivons au régime qui, avec celui de la RATP, motive réellement votre réforme : celui des industries électriques et gazières, dont ni l’histoire ni la situation ne justifient l’abolition. Les autres caisses supprimées ne le sont que pour le décor.

Il ne coûte rien à l’État : il ne bénéficie pas d’un euro de subventions. Le surcoût lié à la situation démographique est directement compensé, depuis l’adossement au régime général, par les employeurs. Par ailleurs, ce régime spécial tient compte des situations de pénibilité. En la matière, nous souhaitons qu’on aille plutôt vers un alignement par le haut.

Quand ce régime spécial a été créé, en 1945, c’était d’une certaine manière dans l’attente, légitime, que le régime général, alors en cours de création, améliorerait encore ses prestations. Cela n’a pas été le cas. Vous nous proposez de nouveau de niveler vers le bas un régime qui n’a pas de problème financier mais qui est marqué par des enjeux de pénibilité qui justifient son maintien en l’état.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Le régime des électriciens et gaziers est profondément lié à l’importance que notre pays accordait, durant la reconstruction, à la question énergétique et à la volonté de bâtir des entreprises publiques puissantes capables de relever les défis. Ce régime s’est consolidé au fil du temps pour garantir aux électriciens et aux gaziers un haut niveau de droits, correspondant à ce qu’ils donnent dans leur travail au cours de leur carrière.

Cette caisse est excédentaire. Elle a largement contribué à alimenter les comptes du régime général ces dernières années. On ne peut pas faire à ce régime le procès d’être tourné vers lui-même et de refuser la solidarité : c’est l’inverse qui est vrai, même si on ne lui a pas toujours demandé son avis. Les électriciens et les gaziers cotisent à un niveau supérieur et se constituent mutuellement des droits à la retraite correspondant à leur situation. C’est un modèle vers lequel il faudrait se tourner. Il ne s’agit pas, à nos yeux, de régimes spéciaux mais pionniers. Nous sommes attachés à la défense de ces conquis sociaux, comme disait Ambroise Croizat. C’est pourquoi nous demandons la suppression des alinéas 9 à 11.

M. Jérôme Legavre (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS4781. Par le système du service actif, le régime des industries électriques et gazières prend en compte les métiers dont la pénibilité est importante. Beaucoup a déjà été dit à ce sujet, mais nous n’arrivons décidément pas à voir en quoi la suppression de ce régime spécial répondrait à un objectif de justice et d’équité. La justice consisterait, au contraire, à permettre aux salariés qui en sont privés de bénéficier des droits en vigueur en son sein.

Il y a par ailleurs une aberration, déjà évoquée : le régime des industries électriques et gazières est largement excédentaire. Il a notamment servi à financer le régime des agriculteurs et des artisans. Contrairement à ce que disait tout à l’heure Marc Ferracci, c’est un argument, surtout quand on passe son temps à dire, pour se justifier, que l’argent manque.

Enfin, en fermant le régime spécial des industries électriques et gazières pour les nouveaux entrants tout en maintenant, et c’est heureux, le même niveau de dépenses pour les personnels déjà affiliés, vous lui ferez perdre 100 millions d’euros. Bref, vous le sabotez pour mieux justifier ce qui est votre but réel : baisser les pensions. C’est une réforme pour payer moins.

Il serait bon d’entendre les personnels de ces secteurs, notamment les salariés d’EDF, qui étaient très massivement en grève le 19 janvier dernier. Ils le referont demain, j’en suis sûr, et probablement encore les jours suivants.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). « J’ai été appelé chez moi à une heure du matin, dans mon lit, et je ne suis rentré qu’à neuf heures. Chez moi, ça inquiète la famille, ça inquiète tout le monde, et c’est nous qui sommes sur le terrain. » C’est un gazier, Farid, qui m’expliquait cela. Il m’a parlé de son logement d’astreinte, de ses permanences et de son augmentation salariale de 0,3 % cette année.

Quel mal faites-vous, en permanence, au service public ! Regardez l’état de notre pays. À l’hôpital, on peut attendre quarante‑quatre heures dans un couloir. On recrute des enseignants dans des rendez-vous de l’emploi. Les trains ne circulent plus. Vous avez éliminé le régime spécial du rail alors qu’il manque des milliers de conducteurs. Dans ma région, des trains ne circulent pas faute de conducteur. Voulez-vous que ce soit la même chose pour le gaz et l’électricité ? En arrêtant de peser sur le travail, de faire en sorte qu’il ne soit pas rémunéré comme il faut, en indexant les salaires non sur l’inflation mais sur les dividendes, par exemple, on aurait sans difficulté du monde dans tous ces secteurs.

Vous êtes en train d’éroder, un par un, les piliers de notre pays – celui de la République, l’école ; celui de l’État social, l’hôpital. On voit leur état après cinq ans de vos bons et déloyaux services à leur égard. La même chose risque de se produire dans le domaine de l’électricité : vous nous direz dans quelques années qu’on n’arrive pas à recruter ! Ce sera normal : les astreintes, les salaires faibles, cela se compense.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Nous souhaitons, par nos amendements, que le régime spécial des industries électriques et gazières soit maintenu. Les régimes spéciaux ne sont pas des privilèges, mais le résultat de luttes livrées pour faire reconnaître la pénibilité de métiers essentiels pour la société. Le Gouvernement parle de privilèges, mais de quoi s’agit‑il ? D’avoir des horaires de travail décalés, de jour comme de nuit, de travailler les jours fériés ou les fins de semaine !

Le Gouvernement cherche à niveler par le bas, à prendre à ceux qui galèrent le peu qu’ils ont conquis par leurs luttes. Ce qu’il veut généraliser, c’est la pénibilité, qu’il ne reconnaît pas. Les principaux syndicats représentatifs des branches concernées sont contre la suppression des régimes spéciaux. Mais le Gouvernement refuse de les écouter, par mépris, comme d’habitude. Il est bien sûr possible de maintenir ces régimes : c’est une question de choix politique, de choix de société. Les régimes des véritables privilégiés n’ont pas été touchés. Faisons le choix du bon sens en supprimant les alinéas 9 à 11 !

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Mon amendement vise aussi à préserver les caisses de retraite mises sur la sellette. Elles élargissent l’horizon du monde du travail : le principe des caisses de retraite spécifiques, des régimes pionniers, c’est d’inventer des manières de se protéger, de mutualiser l’argent, de tester des choses qui peuvent ensuite inspirer le régime général.

En l’occurrence, il n’est question que de quelques milliers d’agents d’exploitation, de personnes qui ont des horaires décalés, qui travaillent la nuit et le dimanche, qui sont d’astreinte, qui subissent une usure physique, qui sont responsables de la sécurité des autres et qui, une fois à la retraite, continuent souvent de travailler – un électricien va généralement s’occuper des pannes dans le voisinage, exercer ainsi son activité avec pour seul salaire sa pension de retraite.

Vous oubliez que la possibilité du départ anticipé va souvent de pair avec une pension incomplète. Il y a non seulement des corps usés et abîmés, mais aussi un manque d’années de service actif et donc une pension réduite. À ce sujet, on ne sait pas la part réelle des départs à 57 ans. Tout le monde en parle mais il n’existe pas de chiffres. On ne sait pas non plus combien ces régimes ont reversé à la caisse du régime général puisque, depuis 1974, la compensation vieillesse généralisée fait que ces régimes spéciaux contribuent au régime général. Combien ont-ils apporté ou, en d’autres termes, combien leur doit-on ?

Vous vous en prenez à ces régimes spéciaux dans la continuité de votre offensive contre la pénibilité au travail. Vous avez supprimé quatre facteurs de pénibilité : les charges lourdes, les agents chimiques dangereux, les vibrations mécaniques et les postures pénibles. Apparemment, pour la majorité, le marteau-piqueur est bon pour la santé... Au lieu de supprimer des régimes de compensation de la pénibilité, il faut plus que jamais les étendre à l’ensemble des agents d’exploitation des industries lourdes, des industries électriques et gazières, ainsi que des transports en commun, de Paris à Vierzon en passant par Toulouse. Pour notre part, nous n’oublions pas que nous devons nous inspirer des régimes pionniers.

Mme Laure Lavalette (RN). Parmi les trois régimes spéciaux que nous souhaitons conserver, celui de la branche professionnelle des industries électriques et gazières revêt une signification particulière. Les entreprises qui exercent en France des activités de production, de transport, de distribution, de commercialisation et de fourniture d’électricité et de gaz font face à de fortes disparités en matière de salaires comme de prix. Le régime spécial permet de gommer les inégalités induites par les différences de rémunération, mais aussi de prendre en compte la pénibilité du travail de ceux qui occupent les postes en service insalubre.

La conjoncture nous appelle également à faire preuve de retenue quant au statut des près de 136 000 futurs actifs rattachés à la branche. N’ajoutons pas à la crise matérielle de l’énergie, grande oubliée d’Emmanuel Macron ces six ou sept dernières années, une crise des ressources humaines.

Si le Gouvernement compte sur la suppression de ce régime pour faire baisser la contribution tarifaire d’acheminement, nous avons une idée pour vous : nous suggérons plutôt d’agir sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques et la taxe sur la valeur ajoutée, comme nous le demandons depuis de nombreuses années.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Je défends l’amendement AS6929. Les infrastructures, particulièrement de gaz et d’électricité, vieillissent. Les métiers se transforment, notamment avec le développement du travail en grande hauteur. Vous voulez à tout prix développer le nucléaire, ce à quoi nous nous opposons. C’est le moment que vous choisissez pour changer les conditions du métier et de l’accès à la retraite, tout en aggravant les conditions de travail.

Ce régime est un conquis social essentiel, qui récompense l’exercice d’une mission de service public. Ces agents sont disponibles en tout lieu et en toute heure, comme on l’a vu pendant l’épidémie. Ils étaient en première ligne quand il a fallu, lors des confinements, tenir les infrastructures. Il n’y a aucune espèce de raison, conjoncturelle ou structurelle, de changer ce régime de retraite. Nous nous honorerions en le gardant.

Mme la rapporteure générale. L’âge moyen de départ des agents des industries électriques et gazières est de 60 ans, deux ans de moins que dans le régime général. Toutefois, rien n’indique que l’âge effectif sera de 62 ans en 2024 : ce sera seulement le moment de l’application aux salariés des industries électriques et gazières de la montée en charge de l’augmentation de l’âge légal.

S’agissant de la situation financière, l’équilibre de ce régime repose sur un mécanisme d’adossement qui conduit à distinguer deux catégories de droits : les droits équivalents au droit commun des salariés, qui font l’objet de l’adossement au régime général, et les droits dits spécifiques, propres au régime spécial. Ces derniers sont financés, notamment pour ce qui concerne les activités d’acheminement d’énergie, par une contribution tarifaire spécifique payée par les clients pour financer les droits acquis avant 2005, et par une cotisation des entreprises pour ceux acquis après l’adossement au régime général. Ce n’est que grâce à ce mécanisme, qui repose sur une taxe affectée, que le régime est équilibré.

Vous êtes revenus sur la pénibilité. Nous en avons déjà débattu ce matin et nous le ferons de nouveau lors de l’examen de l’article 9. Nous renforcerons grâce à ce texte les mesures qui la prennent en compte.

Monsieur Ruffin, vous attribuez toute la misère de notre société à la fin de ce régime spécial. Il est difficile de vous suivre sur ce terrain. Personne ne nie qu’il y a une question d’attractivité à la RATP, mais elle existe alors que le régime spécial s’applique.

M. Charles de Courson (LIOT). Lors de la réforme de 2004, on a découpé le régime de retraite des électriciens et gaziers en trois, et non en deux : le régime de base, c’est-à-dire le régime général, le régime complémentaire, et enfin le régime chapeau financé par un impôt, un élément de la contribution au service public de l’électricité, que chacun retrouve sur ses factures.

Quelle est donc la portée de ces alinéas ? Est-ce le régime chapeau qui disparaît pour les nouvelles recrues des industries électriques et gazières, l’adossement au régime général et les complémentaires étant maintenus ?

M. Philippe Vigier (Dem). Selon les derniers chiffres dont on dispose, ceux de l’année 2021, 6 milliards d’euros de pensions sont versés chaque année. Personne n’en parle, mais il a fallu mettre en place en 2005 la contribution tarifaire d’acheminement, qui représente 2 milliards d’euros à l’heure actuelle. Par qui cette contribution est-elle payée ? Par tous les foyers utilisant l’électricité. Ce régime n’est équilibré qu’ainsi : les contributions des salariés ne couvrent que 68 % des pensions versées. Par ailleurs, ces salariés bénéficient d’avantages tarifaires substantiels, accordés jadis. La contribution tarifaire d’acheminement sera-t-elle supprimée lorsque le régime spécial n’existera plus ? Sinon, l’ensemble des usagers continuera à être pénalisé.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). François Ruffin a raison : vous n’aimez pas l’école et vous y avez inoculé le virus de la rage. Vous n’aimez pas l’hôpital et vous avez inoculé les règles comptables qui l’ont abîmé. Vous n’aimez pas les agents du service public et vous vous apprêtez à leur inoculer, à eux aussi et à coups de grosses seringues, le virus de la rage. Vous oubliez une chose : contrairement à ce qu’a dit Philippe Vigier, le régime des industries électriques et gazières est excédentaire. La contribution tarifaire d’acheminement se traduit par 800 millions d’euros, cumulés sur le dos des usagers et ponctionnés par l’État.

Trois paires de réacteurs de type EPR seront construites, une fois le débat public terminé. Nous avons besoin de robinetiers, de chaudronniers soudeurs, d’agents de conduite, d’agents de maintenance ! Pour la corrosion sous contrainte dans nos centrales, on doit faire appel à des soudeurs des États-Unis ! Nous avons un problème de recrutement, donc d’attractivité. Pour notre part, nous proposons d’élargir aux nomades du nucléaire le statut des électriciens gaziers. Vous, vous choisissez ce moment-là pour répandre la rage en mettant ce statut en cause. Si on vous coupe le courant deux ou trois heures dans vos permanences, je ne veux pas vous entendre pleurer ! (Exclamations.)

M. Nicolas Turquois (Dem). C’est lamentable !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Si on toque à votre porte pour vous expliquer en quoi cette réforme est mauvaise, ne venez pas pleurer non plus ! J’invite l’ensemble des salariés qui en sont les victimes à discuter avec les parlementaires, dans les permanences, pour expliquer ce qui se passe, dans une forme de démocratie sociale dynamique, interactive, les yeux dans les yeux. Ne pas avoir de courant deux heures par jour, quand on le coupe aux précaires de l’énergie, ce n’est pas la mer à boire !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Pas de provocation ! Je suis obligée de vous rappeler à un minimum de discipline. C’est insupportable, vraiment ! Vous faites la leçon, vous nous dites que nous n’aimons pas le service public, vous faites questions et les réponses. Arrêtez cela !

Mme Fanta Berete (RE). Il faut faire confiance à l’avenir. Nous ne sommes pas là pour parler des salaires ou de l’attractivité de certains métiers par rapport à d’autres, mais des régimes spéciaux. À leur création, ils permettaient de reconnaître la pénibilité de certains métiers, mais on ne peut pas dire que ce soit toujours le cas. Des évolutions, des améliorations ont eu lieu, que vous le reconnaissiez ou non.

Comme François Ruffin, j’ai déposé des amendements déclarés irrecevables. J’admets que le PLFRSS n’était pas forcément le bon véhicule législatif. Nous proposons un traitement individuel des situations, au moyen de visites médicales à 45 et 61 ans, étant entendu que quatre Français sur dix partiront de toute manière à 62 ans. Avec ce système, ma mère, couturière presque toute sa carrière avant de terminer femme de ménage, serait partie à la retraite à 61 ans plutôt qu’à 64 ans, ce qu’elle a dû faire pour avoir une retraite à taux plein.

En ce qui concerne le régime des électriciens et gaziers, dès lors que 1,6 milliard d’euros lui sont affectés chaque année, vous ne pouvez pas soutenir qu’il est excédentaire.

Mme Mathilde Panot (LFI - NUPES). Il faut parler des salaires car ce sont eux qui permettent de financer le système de retraite. Quand on n’augmente pas les salaires, on n’augmente pas les cotisations.

J’apporte tout mon soutien aux électriciens et aux gaziers qui, pour combattre votre réforme des retraites, sont en train de rétablir le courant aux familles à qui on l’a coupé – 300 000 personnes dans notre pays. Ils basculent en heures creuses, notamment à Marseille, les boulangers étranglés par la hausse du prix de l’énergie.

Mes collègues ont expliqué les effets sur le service public de la suppression du régime pionnier des industries électriques et gazières. On sait bien ce qui va se passer puisque les travailleurs des sous-traitants du nucléaire ne bénéficient pas de ce statut. Pourtant, ils accomplissent 80 % de la maintenance nucléaire et ils reçoivent 80 % de la dose radioactive. Je rappelle, à ce sujet, que les rayonnements ionisants ne font pas partie des critères de pénibilité... Un employé, Patrice Girardier, a dit en 2016 : « nous, les sous-traitants [...], étions de la chair à canon ». Il a lui-même développé un cancer de la thyroïde, non reconnu en tant que maladie professionnelle, et il a été licencié parce qu’Orano a considéré impossible de le recaser.

On sait donc ce qui se passe pour les personnes qui ne bénéficient pas du statut des industries électriques et gazières, outre les questions de sûreté et de sécurité nucléaires que cela soulève. Comme le disent les sous-traitants du nucléaire de Romans-sur-Isère, où l’on assemble le combustible, ils ne font pourtant pas de la raviole ! Cela donne des gens qui devront travailler longtemps, avec de mauvaises conditions et de mauvaises paies. L’un d’eux, après trente‑neuf ans dans le nucléaire, m’a indiqué être payé 1 300 euros par mois, avec quelques primes. Au lieu de supprimer le régime des industries électriques et gazières, il faut au contraire l’élargir.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je voudrais confronter aux faits les propos tenus à l’instant. Vous dites, madame Berete, que nous ne sommes pas là pour parler des salaires. Or, si vous menez une réforme des retraites, c’est parce que vous avez prévu de geler les salaires des fonctionnaires, donc leurs cotisations, ce qui mettra en péril le financement du système.

Vous nous dites aussi qu’un régime spécial n’est pas nécessaire pour les travailleurs des industries électriques et gazières parce que la manière de travailler a changé. Quand vous aurez grimpé sur des poteaux dans la nuit en pleine tempête, vous nous expliquerez en quoi consiste le changement par rapport à dix ans auparavant. Quand vous vous serez occupée d’un réseau d’électricité en montagne, quand vous serez allée dans des conduites réparer des fuites, vous pourrez en parler. Pardon, madame Berete : la pénibilité est réelle dans ces métiers. Vous ne pouvez pas vous contenter d’un « circulez, il n’y a rien à voir ». Si, il faut aller voir ce qui se passe sur le terrain, y compris dans les industries nucléaires. Ces travailleurs, qui sont littéralement sous pression, ont besoin de nous.

M. Thomas Ménagé (RN). Monsieur Jumel, tout ce qui est excessif est insignifiant. J’étais d’accord avec vous jusqu’à ce que vous prêchiez les coupures d’électricité. Il est incroyable d’appeler, en tant que législateur, à bafouer la loi.

La majorité, qui souhaite relancer le nucléaire, doit appeler à la rescousse, face aux difficultés actuelles, des soudeurs canadiens et américains pour sauver ce secteur. Je tiens à lui dire qu’elle ne peut pas, en même temps, refuser qu’il y ait quelque chose qui attire les soudeurs. Ils ne s’enrôleront pas uniquement pour faire plaisir à Emmanuel Macron, mais parce qu’ils y trouveront un intérêt, un système qui les protège.

Le Rassemblement national soutient ce régime spécial. Pour autant, il n’appelle pas à faire du chantage, à exercer une pression sur les élus. C’est antidémocratique et cela donne une image déplorable aux électeurs qui nous ont fait confiance et aux jeunes gens. Je vous invite, monsieur Jumel, à retirer vos propos sur ce point.

Mme Cyrielle Chatelain (Ecolo - NUPES). Je soutiens les propos de Mathilde Panot et de Sébastien Jumel. Les salariés du nucléaire sont un bon exemple, qui illustre bien ce qui nous oppose. Vous parlez de mesures individuelles, de visites médicales, certes importantes ; nous parlons de protections collectives. On connaît la dureté de ces métiers, on sait que les conditions auxquelles les gens sont soumis vont les amener à subir, soit pendant soit après leur carrière, des problèmes de santé. C’est de l’avenir de ces personnes et de leur capacité à profiter de leur retraite que nous sommes en train de parler.

Notre désaccord vient du fait que nous n’avons, pour notre part, pas besoin qu’un médecin examine une personne à 55 ans ou même à 45 ans, pour savoir que porter des charges lourdes toute sa vie procure des problèmes de dos à la retraite, et qu’être exposé à des produits toxiques génère des problèmes de santé. Nous avons besoin de protections collectives. C’est pour cette raison que nous défendons les régimes spéciaux et un système de retraite juste.

Ce n’est pas la première réforme des retraites, même si vos prédécesseurs n’avaient pas eu besoin de stratagèmes tels qu’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. L’âge de départ à la retraite a augmenté de plus d’un an et neuf mois depuis 2010. Plus d’un quart de cette hausse s’explique par la diminution des départs à la retraite avant 60 ans : ce sont donc principalement les gens qui ont commencé le travail très tôt qui travaillent plus longtemps. C’est la logique que vous voulez poursuivre avec votre réforme, que ce soit par l’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite ou par la fin des régimes spéciaux. Nous soutenons, pour notre part, les amendements préservant l’ensemble de ces régimes.

M. Thibault Bazin (LR). La suppression de ce régime spécial pose des problèmes techniques. La Caisse nationale des industries électriques et gazières gère le risque vieillesse mais aussi les risques accidents du travail, maladies professionnelles, invalidité et décès, qui font eux aussi appel à des notions de pénibilité et de prévention. Comment circulera l’information, sachant qu’il faudra continuer à ouvrir des droits dans ces branches et qu’il faut aussi tenir compte de l’existence, à proximité immédiate, de la Caisse d’assurance maladie des industries électriques et gazières (CAMIEG) ?

D’ailleurs, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 avait transféré une partie des excédents de la section des actifs de la caisse d’assurance maladie des industries électriques et gazières vers la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, déficitaire. La CAMIEG devait s’équilibrer avec une augmentation du niveau des prestations versées et une baisse des cotisations des actifs. Que deviendra cette mesure ? Le système d’information de la Caisse nationale d’assurance vieillesse ouvrira-t-il encore des droits sur l’assurance maladie de la CAMIEG ? Comment les caisses fonctionneront-elles ensemble ? Enfin, votre mesure, censée ne concerner que les nouveaux entrants, s’appliquera-t-elle aux apprentis ?

Mme la rapporteure générale. Monsieur Bazin, le système reste le même pour les autres branches de cette caisse. Les relations qu’elle entretient déjà avec le régime général ne changent pas.

Monsieur de Courson, le stock reste en droit commun et en droit spécifique. Les nouveaux entrants relèveront du régime général.

Monsieur Vigier, la contribution tarifaire d’acheminement s’éteindra progressivement à mesure que disparaîtront les droits ouverts avant 2004.

Madame Panot, monsieur Delaporte, parlons des salaires, en effet ! Nous avons commencé ce matin en abordant la situation des fonctionnaires. Le sujet est important dans une réforme des retraites. Nous avons tout intérêt à ce que les salaires augmentent puisque la masse salariale représente 75 % des ressources du système des retraites. En 2018, la masse salariale augmentait de 3,5 % tandis que l’inflation se montait à 1,6 %. En 2022, elle augmentait de 8,6 % alors que l’inflation atteignait 5,4 %.

Madame Chatelain, ce texte ne prévoit pas seulement des mesures individuelles. Au‑delà des visites de suivi, essentielles pour contrôler l’évolution des troubles musculo-squelettiques (TMS) et préconiser des mesures préventives afin d’atténuer les conséquences de l’exercice de métiers dont la pénibilité est reconnue, des mesures collectives figurent dans le projet de loi. Je pense au rôle dévolu aux branches pour identifier les métiers exposés aux risques. Elles pourront s’appuyer sur le futur fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, que le Gouvernement entend doter de 1 milliard d’euros.

La commission rejette les amendements.

Amendements AS829, AS828, AS827, AS826, AS825, AS824, AS823, AS822, AS821, AS820, AS819, AS818, AS817, AS816, AS815, AS814, AS813, AS812, AS811, AS810, AS809, AS806 et AS805 de M. Jérôme Guedj (discussion commune).

M. Jérôme Guedj (SOC). Je défends les amendements AS829 à AS817. Puisque vous ne voulez pas maintenir le régime spécial de retraite des industries électriques et gazières, nous proposons de repousser l’échéance de cette mort annoncée.

J’en profite pour rappeler que la contribution tarifaire d’acheminement du gaz n’est pas une subvention. Elle ne vient pas en sus des financements par les entreprises : elle en remplace une partie. Les entreprises ayant moins de charges, leurs tarifs baissent. Le montant total de la facture ne change pas pour les usagers mais la part des taxes et contributions sera plus importante tandis que le tarif aura baissé. Je ne veux pas qu’on laisse croire, quand je dis que ce régime est à l’équilibre sans subvention, que la contribution tarifaire d’acheminement serait une subvention déguisée. Au contraire, j’insiste sur la pertinence de ce régime spécial, qui a déjà connu bon nombre de réformes : celle des régimes spéciaux en 2008, la réforme Woerth en 2010 ou encore la réforme Touraine en 2014. Le régime s’est suffisamment rapproché du régime général pour qu’il ne soit pas nécessaire d’aller plus loin.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je défends les amendements AS816 à AS805. Vous ne pouvez pas dire, madame la rapporteure générale, que le problème des salaires serait compensé par une évolution de la masse salariale. La hausse de la masse salariale résulte de la démographie, notamment de celle de l’emploi. Ce n’est pas parce que le taux de l’inflation est de 3 % et que la masse salariale augmente de 8 % que les salaires progressent. Les salaires ne suivent pas l’inflation. Le niveau des salaires et l’évolution des cotisations de chaque salarié ne permettent pas un système de retraite décent. En gelant l’évolution des salaires, vous avez altéré le financement du système jusqu’à en menacer l’équilibre, puisque vous avez réduit les cotisations patronales. Je me suis permis de corriger votre propos car nous devons raisonner avec rigueur pour préserver les droits des salariés.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Guedj, avis défavorable à une date d’extinction des régimes spéciaux incertaine.

Monsieur Delaporte a raison : il faut être précis. Le rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale, duquel proviennent les chiffres que j’ai cités, montre que les salaires tirent la masse salariale vers le haut. Les salaires ont ainsi augmenté de 1,9 % en 2018 et de 5,3 % en 2022.

M. Jean-François Coulomme (LFI - NUPES). En 1946, alors que l’ensemble des industries électriques et gazières avaient largement collaboré, Marcel Paul a nationalisé, après les avoir regroupés, les producteurs d’électricité et de gaz. L’ensemble des salariés ont ensuite participé à la construction des infrastructures de transport de l’énergie, payant un lourd tribut en vies humaines à cause des nombreux accidents du travail qui furent à déplorer. Votre contre-réforme abolit l’héritage du monde du travail alors que vous sacralisez l’héritage des rentiers avec complaisance. Nous aimerions tant que vous dénonciez l’absence de pénibilité pour les héritiers de la finance, enrichis par leur monopole et la spéculation de crise ! Ne vous en prenez pas aux conquêtes sociales, rétablissez un peu de justice sociale en mettant à contribution la boursouflure financière de notre pays ! Stoppez votre fanatisme à déshériter les travailleurs et les classes populaires ! Nous invitons tous les électriciens et les gaziers à défendre leur héritage légitime. Notre groupe sera à leurs côtés pour protéger ce secteur à qui nous devons tant.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je voudrais revenir sur les propos de Sébastien Jumel tout à l’heure, que je prends comme une forme de menace contre nos permanences et nos collaborateurs. (Exclamations.) Nous nous engageons, forts de nos convictions. Elles ont beau être très différentes, la menace physique, quelle qu’elle soit, reste condamnable. Ces méthodes sont inacceptables.

S’agissant de l’amendement, le régime spécial de retraite des industries électriques et gazières est excédentaire. Les régimes excédentaires sont plutôt ceux dont les professions connaissent une croissance démographique car ils comptent davantage d’actifs que de retraités, contrairement aux régimes déficitaires. Ainsi, si le régime de retraite des agriculteurs était excédentaire dans les années 1960 parce que la France comptait de nombreux agriculteurs, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les industries électriques et gazières se trouvent dans une situation contraire, ce qui permet de comprendre l’intérêt à ne plus disposer que d’un seul régime de retraite pour les salariés : les démographies des métiers évoluent et on ne peut pas affirmer ce que seront les métiers de demain.

M. Thibault Bazin (LR). Je me faisais la réflexion, en lisant les dates d’extinction du régime spécial prévues par les amendements, que même si ce régime est fermé aux nouveaux entrants, il perdurera bien au-delà du 1er janvier 2050. Vous m’aviez confié ainsi qu’à une collègue, madame la présidente, une mission « flash » sur le régime de régime de sécurité sociale des mines, fermé aux nouveaux entrants depuis 2011 : il y aura sans doute des ayants droit jusqu’en 2100 !

Cela pose la question de la transition. Celle qui suivra la suppression des régimes spéciaux sera longue et délicate, d’autant qu’ils ne gèrent pas seulement le risque vieillesse mais également les accidents du travail et les maladies professionnelles. En les fermant, on prend le risque, comme cela s’est déjà produit, de négliger les spécificités de ces régimes et des emplois qui y sont liés tandis que les salariés perdront le bénéfice d’un guichet unique, ce qui dégradera la qualité de leur suivi. Ne pourriez-vous vous engager à tirer les leçons des erreurs du passé, notamment lors de la période de transition, pour garantir un bon suivi et assurer une meilleure prévention ?

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). J’ai senti que mon propos de tout à l’heure avait perturbé la commission, aussi vais-je préciser ma pensée. Certaines choses m’empêchent de dormir, d’autres moins. Lorsqu’on coupe le courant chez des gens qui n’ont plus les moyens de faire face aux dépenses d’énergie, cela m’empêche de dormir. Lorsque les boulangers, chez moi, font face à une explosion du coût de l’énergie, cela m’empêche de dormir. Lorsque des industries, chez moi, sont fragilisées parce que vous êtes incapables de prendre soin de l’économie réelle en régulant les tarifs de l’énergie, cela m’empêche de dormir. Je vous confirme que je suis moins empêché de dormir à l’idée de savoir que ceux qui portent des manteaux de fourrure pourraient être privés de deux ou trois heures de courant dans la journée. (Vives exclamations).

Enfin, soyons objectifs : s’il y a grève, la production baissera et il faudra choisir entre chauffer l’hôpital, les Ehpad ou nos permanences. Je préfère qu’on redonne de la lumière aux hôpitaux et aux Ehpad plutôt qu’à nos permanences. J’assume mes propos.

Mme Laure Lavalette (RN). Ces débats auront au moins eu le mérite de révéler vos incohérences, au premier rang desquelles celles de Sébastien Jumel. Cela ne vous a pas empêché de dormir de ne pas voter notre proposition de loi visant à inciter les entreprises à augmenter les salaires nets de 10 %, de ne pas voter nos amendements de taxation des superprofits et de faire élire Laure Miller qui votera des deux mains cette réforme à laquelle vous faites mine de vous opposer en déposant une myriade d’amendements ! (Exclamations)

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Les propos de Sébastien Jumel sont inutilement provocateurs et scandaleux. La NUPES s’offusque des propos de Gérald Darmanin mais on voit là ce qu’elle est capable de faire : chauffer à blanc l’opinion publique, appeler à couper l’électricité dans les permanences. Ce sont nos salariés, nos collaborateurs qui travaillent dans les permanences ! Est-ce cela que vous voulez ? Pouvons-nous admettre que vous transformiez l’Assemblée nationale en « zone à défendre » (ZAD) ? C’est inadmissible !

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS3793 de M. Yannick Monnet.

Mme Karine Lebon (GDR - NUPES). Nous sommes opposés à la suppression des régimes spéciaux. La Première ministre en a fait un principe d’équité. C’est confondre équité et égalité. L’égalité, c’est donner la même chose à tout le monde. L’équité, c’est donner à chacun en fonction de ses spécificités. L’équité est un principe de justice distributive alors que l’égalité est un principe de justice commutative, enseigne Aristote. Certains métiers, plus pénibles que d’autres, ont des caractéristiques qui justifient des régimes spéciaux, qui étaient précurseurs d’une juste appréhension du travail et de ses effets sur les travailleurs. Ce que vous présentez comme une avancée n’est qu’un recul des droits sociaux. Seuls les régimes spéciaux permettent de compenser la pénibilité en proposant l’unique solution qui vaille : un départ anticipé. La comparaison avec le régime général, dont les droits collectifs à la reconnaissance et à la compensation de la pénibilité ont été réduits jusqu’à l’insignifiance, n’est pas sérieuse. Au contraire, ces régimes spéciaux devraient nous inspirer. Leur histoire est celle d’une conquête sociale, liée au besoin de développement du pays, à la nécessité de fidéliser et de qualifier ses salariés. On ne dit pas autre chose aujourd’hui quand on parle de redonner du sens au travail, de rémunérer correctement les emplois, de reconnaître les qualifications. Non à la suppression des régimes spéciaux, car elle représente un nivellement par le bas des droits de tous !

Mme la rapporteure générale. Les alinéas que vous proposez de supprimer sont rédactionnels. Il s’agit d’éliminer la référence à des articles qui n’existent plus.

Avis défavorable.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Madame la rapporteure générale, vous disiez tout à l’heure que je parlais des misères de notre société. En fait, je parlais de ceux qui ont tenu le pays debout pendant la crise sanitaire, et qui continuent. Qu’attendait-on après pareille crise ? Une loi de valorisation du travail, de reconnaissance du travail, de rémunération du travail, où l’on parle salaire mais pas seulement. À la place, il y a une loi de punition, composée de trimestres, d’années supplémentaires qu’il faudra supporter pour aller jusqu’au bout alors que bien souvent l’inaptitude précède l’âge de la retraite.

Ce faisant, vous instillez dans la société le dégoût du travail quand il n’est ni reconnu ni rémunéré – ce qui explique d’ailleurs les difficultés à recruter dans de nombreux secteurs – et vous instillez le dégoût de la démocratie. Quand sept Français sur dix disent non, huit salariés sur dix disent non, des millions de Français descendent dans la rue pour dire non, tous les syndicats unis disent non, vous faites comme si de rien n’était et vous continuez votre petit bonhomme de chemin. En cela, vous introduisez de la tension dans la société. Le problème se délitera en ressentiment. Vous en êtes la cause par votre surdité. Le Président de la République a évoqué à six reprises l’unité de la nation dans ses vœux. Mais c’est lui, avec vous, qui a brisé l’unité de la nation en proposant une loi de cette nature à ce moment de notre histoire, où l’on aurait au contraire eu besoin d’une grande loi de réconciliation avec le travail.

M. Benoit Mournet (RE). Depuis ce matin, une petite musique me gêne : il y aurait dans la salle les députés du peuple et ceux du grand capital. Nous sommes tous les députés de la nation et j’aimerais que les débats portent sur le fond. Hier soir, à l’occasion d’une rencontre citoyenne, j’ai discuté de la réforme des retraites avec des militants de la NUPES et des membres issus du mouvement des gilets jaunes. Je vous assure que les débats étaient beaucoup plus précis et constructifs.

Nous réformons les régimes spéciaux par équité. Nous sommes tous attachés à ce que les retraites financent les retraites et la solidarité nationale, la solidarité nationale. Or aujourd’hui, 11 milliards d’euros des impôts des Français compensent des régimes spéciaux, en plus des 30 milliards d’euros de compensation des régimes publics. Enfin, avec la clause du grand-père, personne ne sera pris en traître ; le contrat des salariés embauchés restera bel et bien respecté.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Je propose un régime spécial pour les commerçants et les artisans, dont la NUPES ne parle jamais. Ces gens ont commencé tôt ; ils travaillent dur, sept jours sur sept ; ils ont cotisé pour tout le monde et notamment pour les fonctionnaires.

Il n’y a plus de raison de maintenir les régimes spéciaux, c’est une question d’équité. Les Français ne supportent plus que les salariés soumis aux mêmes types d’activité et subissant la même pénibilité ne bénéficient pas des mêmes conditions de départ à la retraite. Ou bien, il faut créer un régime spécial pour chaque métier.

Monsieur Ruffin, je suis d’accord : la nation doit être unie et réconciliée autour du travail. Mais je voudrais dénoncer la lourde responsabilité de la gauche dans la dévalorisation et le dévoiement du rapport des Français au travail. En imposant les trente‑cinq heures, vous avez abîmé le lien des Français avec le travail au point qu’ils ne le perçoivent plus comme source d’épanouissement et qu’ils oublient qu’il a fait la grandeur de notre pays. Vos propos m’inquiètent car vous persistez à tenir ce discours qui affaiblit le pays en faisant croire aux Français qu’ils pourraient profiter de la même solidarité nationale et obtenir les mêmes droits, qu’ils travaillent ou non.

M. Arthur Delaporte (SOC). Seconde confrontation aux faits de propos tenus à l’instant : Émilie Bonnivard a réussi à accumuler en deux minutes de nombreux poncifs, qui ne font que détourner notre attention du fond. C’est vrai, il n’y a pas d’un côté les députés du peuple et de l’autre ceux du grand capital ; sortons de ces accusations caricaturales. En revanche, les défenseurs des travailleurs ne peuvent que s’opposer à cette réforme pour que les salariés puissent continuer à exercer leur métier longtemps, en bonne santé, avant de profiter des fruits de leur travail. Les trente‑cinq heures, loin de détruire la valeur du travail, en ont fait un vecteur d’émancipation, pour que les travailleurs restent des êtres libres et puissent profiter de loisirs. Quand on gagne de l’argent et qu’on se tient à un nombre maximal d’heures, on gagne aussi le temps de se reposer. La retraite est un droit ouvert par le travail, qui lui donne de la valeur. Je ne comprends pas cette philosophie selon laquelle le travail serait un absolu dans la vie. Ce raisonnement conduit aux pires horreurs et à l’exploitation.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Ça y est ! Nous voilà esclavagistes maintenant !

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Le travail, c’est vrai, peut être émancipateur, mais à plusieurs conditions. Tout d’abord, il faut respecter les salariés, en particulier leurs conditions de travail et leur santé, grâce à des politiques de prévention. Or, vous avez nui à la santé des travailleurs en supprimant les comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Le travail est émancipateur s’il a un sens et que le salarié sait pourquoi il se lève le matin. En mettant à mal les services publics, en leur assénant qu’ils pouvaient faire mieux avec moins, vous avez abîmé le sens du travail pour bon nombre de fonctionnaires. Le travail est émancipateur quand on a les moyens de faire de la belle ouvrage. Or, l’intensification du travail et l’absence d’autonomie des salariés ont amoindri cette capacité d’émancipation.

Alors que le travail est de moins en moins émancipateur, vous mettez la santé des salariés en danger. C’est pourquoi nous nous opposerons fermement à votre volonté de prolonger la durée du travail, contraire à nos convictions. Nous défendons le partage du temps de travail pour qu’il soit émancipateur, qu’il permette à tous d’avoir une vie familiale et personnelle, et de prendre le temps de se cultiver, de se divertir, d’échanger, de militer, et demain de manifester !

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3802 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Les crises successives que nous traversons auraient milité pour une République apaisée, réconciliée avec elle-même, afin de se donner le temps de réarmer l’hôpital, de réparer l’ascenseur social de l’école, de réaffirmer la présence de la République partout et pour tous. Au lieu de cela, le chef de l’État, qui a l’itinéraire d’un enfant gâté, a choisi de cliver, de bousculer, de violenter le pays.

Face à cela, j’entends que nous sommes tous des députés... Certes, mais nous ne représentons pas les mêmes ! Ne croyez pas que nous laisserons les Français en prendre plein la figure en ronronnant comme des chats dans les grands fauteuils rouges de l’Hémicycle ! Non. Nous allons faire entrer la colère, d’abord en commission, puis en séance publique, et nous espérons bien qu’elle enflera dans la rue, les usines, les services publics, pour renverser cette mauvaise réforme. Nous avons envie de vous bousculer jusqu’au point de retrait de ce projet de loi. Faites-vous à l’idée ! Puisque vous avez choisi de ne pas apaiser les tensions, de ne pas réconcilier la France avec elle-même, admettez qu’il y ait des actes de résistance. J’ai compris que cela n’enthousiasmait pas tout le monde. Mais nous assumons d’être entrés en résistance à des projets de ce type.

Mme la rapporteure générale. Ces amendements sont un prétexte pour prendre la parole puisqu’ils visent des alinéas rédactionnels. Avis défavorable.

Mme Monique Iborra (RE). Après les considérations philosophiques et quelquefois délirantes entendues, je voudrais que l’on revienne au concret. Éloignons-nous du rapport du COR, qui satisfait beaucoup de monde puisque chacun y trouve manifestement ce qu’il cherche. Regardons plutôt autour de nous. Les centenaires sont de plus en plus nombreux. On peut s’en réjouir... (Exclamations.)

Mme la présidente Fadila Khattabi. Du calme s’il vous plaît ! Dès qu’on n’est pas d’accord avec vous, c’est le brouhaha !

Mme Monique Iborra (RE). Certains passent autant de temps à la retraite qu’au travail, et demain sûrement plus. Je sais bien que vous en rêvez et que vous réclamez le droit à la paresse. Mais pouvez-vous, sans rire, convaincre nos concitoyens que nous pourrions conserver notre régime de solidarité, malgré le grave problème démographique qui se pose, sans réforme ? Ils ne vous croient pas. Alors seriez-vous, par hasard, favorables à un régime par capitalisation ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Chers collègues de la NUPES, vous êtes en nombre, mais vous parlez entre vous. Dès que quelqu’un n’est pas d’accord avec vous, c’est le brouhaha. Madame Panot, je vous entends d’ici !

M. Alexis Corbière (LFI - NUPES). De nombreux collègues prétendent que ma famille politique aurait insufflé une sorte de culture de la paresse. Ils devraient garder en mémoire certains faits. Lorsque le Front populaire a créé un sous-secrétariat d’État à l’organisation des loisirs, confié à Léo Lagrange, l’extrême droite en général et l’Action française en particulier ont mené une campagne de calomnies, sur fond de « ministre de la paresse ». En 1940, quand le maréchal Pétain a reçu les pleins pouvoirs, il a désigné responsables de la défaite la gauche et le gouvernement de Front populaire, qui avaient insufflé dans le pays un « esprit de jouissance ». J’aimerais que l’on arrête d’utiliser un tel vocabulaire, qui non seulement a servi aux pires moments de notre histoire, mais en plus n’est qu’un tissu de stupidités.

Enfin, en 1883, lorsque Paul Lafargue a publié Le Droit à la paresse, les ouvriers – y compris des enfants – travaillaient douze heures par jour et il n’y avait pas de droit à la retraite. Avec ce livre, pour la première fois, un penseur socialiste a commencé à concevoir une société où le travailleur n’existait pas seulement pour travailler. Je ne partage pas totalement la pensée de Paul Lafargue. Mais ce n’était pas n’importe qui : toutes les grandes figures de la gauche, à commencer par Jean Jaurès, étaient à son enterrement. Son livre n’était pas une ode à ne rien faire. Il s’agissait d’affirmer la dignité de l’être humain en considérant que celui-ci n’était pas sur terre pour souffrir. Arrêtons les sottises et discutons sérieusement ! (Applaudissements.)

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le fait que nous ayons le droit à la paresse perturbe, voire traumatise certains d’entre vous. Le temps libre fait partie du progrès social ; c’est même une conquête essentielle. Ce n’est pas uniquement la reconstitution de la force de travail : c’est du loisir, du temps pour nous – que l’on appelle cela congés payés ou diminution du temps de travail. On travaille aujourd’hui 1 400 heures par an en moyenne, contre 1 900 heures en 1950. C’est le sens du progrès. Par ailleurs, plus on produit dans une économie carbonée, plus on va dans le mur, compte tenu du changement climatique. Il faut ouvrir les yeux sur notre système économique et social. Oui à la paresse et à la réduction du temps de travail !

M. Thibault Bazin (LR). Nous devrions nous en tenir au texte. Une discussion générale s’est engagée. Elle n’est pas inintéressante en dépit de quelques excès. Il faut savoir respecter l’histoire, or certains veulent réécrire l’histoire.

M. Alexis Corbière (LFI - NUPES). L’écrire correctement, déjà, ce serait bien !

M. Thibault Bazin (LR). La question de la paresse n’est pas venue de nos bancs : elle a surgi ce matin lorsque nous avons voulu rappeler certains principes devant être au fondement de la réforme, notamment la valorisation du travail, et fixer une ambition de renouvellement des générations pour assurer l’équilibre du système. À ce moment-là, on nous a répondu : « Surtout pas la valorisation du travail, il y a un droit à la paresse ! » À cet égard, Sandrine Rousseau a l’honnêteté d’exposer son point de vue.

Il ne faut pas confondre paresse et repos. Le repos suit le travail alors que la paresse est un goût pour l’oisiveté. Si l’on veut fournir une protection sociale, il faut s’en donner les moyens et cela passe par le travail : tous ceux en capacité et en âge de travailler doivent le faire ; ensuite, ils ont le droit de se reposer. Il est essentiel de réinstaurer de la confiance dans notre système, notamment de la part de la nouvelle génération qui doute de la transmission du patrimoine que constitue la sécurité sociale. Cela suppose de revaloriser le travail. Alors que l’on constate certaines injustices envers des personnes qui ont beaucoup travaillé sans compter leurs heures, il n’est pas possible d’envoyer en plus le message selon lequel le fait de ne pas travailler donnerait des droits.

M. Alexis Corbière (LFI - NUPES). On n’a jamais autant bossé ! Les gens travaillent dur ! Vous les méprisez !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Personne ne méprise personne dans cette commission. Pas de provocation, s’il vous plaît !

M. Nicolas Sansu (GDR - NUPES). La retraite, c’est le droit au repos des vieux travailleurs, selon le programme du Conseil national de la Résistance. Quant à la paresse, elle peut être un moment du temps de repos, au moins ! En tout cas, si l’on critique la paresse, peut-être peut-on critiquer aussi ceux qui s’enrichissent en dormant. On nous explique qu’il n’y a pas d’argent dans ce pays. Mais jamais le produit intérieur brut par habitant n’a été aussi élevé ! Parlons de tout si c’est ce que vous voulez, mais alors parlons aussi de ceux à cause de qui le système est grippé. J’espère que les Français réussiront à le dégripper demain !

Mme la rapporteure générale. Nos concitoyens attendent de nous que nous trouvions un équilibre entre temps de repos et temps de travail, mais aussi et surtout un équilibre des comptes sociaux. Or, à mon avis, l’un ne va pas sans l’autre.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3803 de M. Yannick Monnet.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Cet amendement est l’expression de notre volonté de ne pas supprimer les régimes spéciaux. Toutefois, je vais vous faire une confidence. J’aurais été prêt à discuter de cette suppression des régimes spéciaux si nous avions conservé l’esprit d’Ambroise Croizat, qui voulait faire de la retraite « non plus l’antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie ». L’idée de la retraite est de construire des choses positives, de protéger les gens. En quoi améliorez-vous la vie des retraités en supprimant les régimes spéciaux ? C’est un recul de la protection. J’ai même le sentiment que, dès que l’on défend un peu de bonheur pour les retraités, cela vous horripile.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Vous allez baisser leurs pensions !

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Vous dites n’importe quoi. Ramener la question des retraites à une logique comptable, c’est nier l’importance d’une vraie protection. Si l’on trouve de nouvelles recettes, on peut avoir un système de retraites qui protège correctement tout le monde. Par exemple, en augmentant les salaires, comme nous vous l’avons proposé, on fait entrer des cotisations supplémentaires. En supprimant la différence salariale entre hommes et femmes, on obtient 6 milliards d’euros supplémentaires, et encore 8 milliards d’euros de plus en faisant cotiser les rentiers. Ce n’est pas un problème d’argent, c’est un choix de société. Nous ne faisons pas le même.

Mme la rapporteure générale. Votre raisonnement pourrait se tenir s’il n’y avait pas de problème démographique. Or, nous savons tous qu’il n’y a plus assez de cotisants par rapport au nombre de retraités.

M. Marc Ferracci (RE). Nous devrions pouvoir nous rassembler autour du principe de solidarité nationale, dont le système par répartition est l’un des éléments fondamentaux. Nous sommes tous attachés à l’idée selon laquelle les cotisations équilibrent les pensions. Ce principe était au frontispice de la réforme de 1945. Or, dès que l’on commence à financer le système en faisant appel au budget de l’État, comme c’est le cas avec les régimes spéciaux, on n’est plus dans une logique de répartition.

Je citerai à mon tour Ambroise Croizat : « Faire appel au budget des contribuables [...] serait subordonner l’efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières. Ce que nous refusons. » Nous aussi, nous refusons de mettre en péril l’intégrité de notre système par répartition, parce que c’est un fondement de la solidarité nationale. Nous ne souhaitons pas renoncer à ce projet. Par souci de cohérence politique et historique – car Ambroise Croizat était communiste et je lui rends hommage à ce titre-là aussi – vous devriez reconsidérer vos positions.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Si vous êtes si déterminés à ne pas faire appel aux contribuables pour financer la protection sociale, il faut arrêter la foire aux exonérations. Elles coûtent chaque année 75 milliards d’euros et elles sont compensées par l’impôt. Nous devrions pouvoir nous rejoindre sur ce point.

Par ailleurs, certaines contributions de l’État résultent de choix qu’il a faits lui-même. S’il faut équilibrer le régime de la SNCF, c’est que l’on a empêché les cheminots de continuer à y adhérer. Quand c’est nécessaire, l’État doit intervenir pour concrétiser la solidarité nationale.

Mme Laure Lavalette (RN). Madame la rapporteure générale, vous ne pouvez vous abriter derrière la démographie car c’est l’un des grands absents de la réforme. Le COR prévoit un retour à l’équilibre d’ici à 2070 au regard des évolutions démographiques. Or, cette année, notre pays a enregistré son taux de fécondité le plus bas depuis l’entre-deux-guerres. Tant que vous n’aurez pas une politique nataliste, vous n’aurez pas le droit d’invoquer la démographie. Nous avions, quant à nous, déposé un amendement, symbolique, pour octroyer une part pleine dès le deuxième enfant car ce sont les bébés de 2023 qui paieront les retraites de 2043. Et vous, que faites-vous pour les naissances ?

M. Arthur Delaporte (SOC). Je remercie Marc Ferracci d’avoir rendu hommage au fondateur de notre système social. Malheureusement, vous détricotez patiemment ce système depuis 2017. Rendre hommage à l’édifice des droits sociaux, ce devrait être aussi le respecter au lieu de revenir sur des droits acquis.

Nous aussi, nous souhaitons un financement pérenne. Le problème est que le débat se déroule dans le vide car les projections sur la base desquelles vous calculez le déficit ne sont pas fondées. En tout cas, nous les contestons – comme le COR d’ailleurs !

Du reste, les 17,7 milliards d’euros que vous entendez économiser pour équilibrer le système pèsent à 100 % sur les salariés, lesquels vont devoir différer leur départ. Ces économies sont prélevées sur la vie des salariés, ce qui n’était pas le cas lors des précédentes réformes : l’effort portait en partie sur les cotisations salariales, sur les cotisations patronales et sur les retraités actuels. Nous contestons ce choix. Il y avait d’autres manières de financer un déficit ponctuel.

Mme Mathilde Panot (LFI - NUPES). Nous avons entendu plusieurs fois l’argument de la démographie, lié à celui de la natalité que met en avant le Rassemblement national. Vous avez expliqué vingt-cinq fois qu’il n’y avait plus que 1,7 actif pour un retraité, contre 3 actifs pour un retraité auparavant. Or, le point de référence se situe dans les années 1970. Un actif d’aujourd’hui est trois fois plus productif qu’un actif de cette époque ! Au début du XXe siècle, un salarié travaillait en moyenne 3 000 heures par an. C’est 1 500 heures désormais. Dans le même temps, la productivité a été multipliée par quarante. La question est de savoir si l’on tire profit de cette augmentation pour gaver les actionnaires ou bien si l’on en fait bénéficier le plus grand nombre en libérant du temps – dans la semaine, l’année ou la vie.

Quant à la natalité, j’ai entendu le Rassemblement national prendre pour exemple la Hongrie, où l’avortement est quasiment interdit et où les femmes doivent écouter le cœur du fœtus avant de pouvoir avorter – c’est-à-dire de disposer de leur corps. Le Rassemblement national aurait pu parler aussi de la Pologne, où Izabela et Agnieszka sont mortes car, là-bas aussi, l’avortement est pour ainsi dire interdit.

Savez-vous quel département, outre-mer exclu, reçoit le moins de prestations sociales ? C’est la Seine-Saint-Denis. Je ne crois pas avoir jamais entendu Jean-Marie Le Pen se plaindre que sa retraite soit payée par des jeunes des quartiers populaires.

M. Philippe Vigier (Dem). Notre collègue Arthur Delaporte disait que les précédentes réformes avaient joué sur les cotisations salariales et patronales. Dont acte. Vous serez toutefois d’accord pour considérer que, si l’on joue sur les cotisations salariales, la retraite diminue. Si l’on augmente les cotisations patronales, ce sont les entreprises qui sont mises à contribution. Tel n’est pas le choix qui a été fait.

Par ailleurs, la loi Touraine du 20 janvier 2014 a prévu, pour tout le monde, quarante‑trois années de cotisation en 2035. La gauche a demandé, lorsqu’elle était aux responsabilités, de faire l’effort de travailler plus longtemps. On était loin de la retraite à taux plein à 60 ans voulue par François Mitterrand ! À aucun moment, d’ailleurs, le Parti socialiste n’a demandé, à travers des propositions de loi ou de résolution, le retour à la retraite à 60 ans.

Il est exact que l’on consent 75 milliards d’euros d’exonérations salariales. Mais souvenez-vous du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ! Qu’avons-nous entendu en commission de finances alors, Charles de Courson et moi ! Ce devait être l’alpha et l’oméga du plein emploi et de la compétitivité. Tous les jours, on nous annonçait l’inversion de la courbe du chômage. Nous savons tous comment cela s’est terminé. Un peu de modestie, de part et d’autre, ne serait pas superflu.

Yannick Monnet a déclaré que la question des retraites échappait à toute logique comptable. Cette phrase m’a troublé car elle est inexacte. Malheureusement, sur les 346 milliards d’euros versés, seuls 79 % sont couverts par les cotisations sociales. Où trouve-t-on le reste ? Là est le vrai problème. Chacun peut avoir des avis différents et des propositions différentes sur la question, c’est normal. Mais ne disons pas que tout est compensé à l’euro près !

Je termine en précisant mon propos de tout à l’heure : c’est bien 1,7 milliard d’euros que l’on va chercher dans les poches de tous les Français à travers la contribution tarifaire d’acheminement, soit 13 euros par famille pour une facture annuelle de 800 euros. Tout le monde participe au paiement de ces retraites. Se contenter d’une rustine n’est pas la meilleure idée.

M. Thibault Bazin (LR). Certaines choses ont changé depuis les années 1970. Je ne suis pas sûr que la productivité ait augmenté autant que l’a dit Mathilde Panot. Entre-temps, la couverture sociale, qui est l’honneur de notre pays, s’est améliorée, notamment en ce qui concerne le handicap. L’espérance de vie a augmenté. Nous devons faire face au défi du vieillissement, avec les enjeux que cela suppose pour la branche autonomie. Il n’est possible de couvrir ces risques que si un nombre suffisant de personnes travaillent, donc cotisent.

Le système par répartition suppose un renouvellement des générations. La question démographique n’est pas négligeable. Selon l’Union nationale des associations familiales, qui a tenu un colloque à l’Assemblée nationale il y a près d’un an, le désir de maternité est de 2,3 enfants par femme. Or, le taux de natalité est seulement de 1,8. On ne soutient pas assez les femmes qui souhaitent avoir des enfants. Pour aider les mères qui travaillent à concilier vies professionnelle et familiale, il faut revenir sur les coups de rabot successifs qui ont diminué leur pouvoir d’achat – abaissement du quotient familial, mise sous condition des allocations familiales qui contrevient au principe d’universalité de cette prestation, indemnités journalières en cas de maladie pour les mères de trois enfants et plus. En tant que rapporteure générale, Stéphanie Rist sait que la branche famille, excédentaire, a été ponctionnée de 2 milliards d’euros. Peut-être faudrait-il utiliser l’excédent pour accompagner ces femmes !

M. Paul Christophe (HOR). Cher Thibault Bazin, vous qui êtes rapporteur pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles, la branche famille n’a pas été ponctionnée : il s’agissait d’un transfert de dépenses relevant de l’assurance maladie.

Arthur Delaporte a parlé d’un déficit ponctuel prévu par le COR. C’est du ponctuel qui devrait durer jusqu’en 2070... C’est en fait un déficit générationnel, confirmé par les derniers rapports. D’habitude, cher collègue, vous prenez en exemple les socialistes espagnols. L’âge légal de départ à la retraite est de 66 ans en Espagne, porté à 67 ans en 2027.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3805 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). À Dieppe, nous avons un bel hôpital auquel nous sommes attachés. Quand nous avons décidé de donner le nom d’Ambroise Croizat à l’esplanade qui le borde, comme symbole de notre attachement à ceux qui avaient labouré le terrain des utopies et en avaient fait des réalités concrètes, nous avons fait venir son petit-fils. Eh bien, celui-ci ne supporte pas que les libéraux citent son grand-père pour détourner ses propos. Il a d’ailleurs écrit une lettre ouverte pour rappeler qu’Ambroise Croizat s’était battu pour l’universalité, c’est-à-dire la couverture de l’ensemble de la population du pays. Il était pour une gestion démocratique par des administrateurs élus au suffrage direct, pour les trois quarts par les assurés sociaux et pour un quart par le patronat. Ceux qui ont étatisé la gestion de l’assurance maladie et de l’ensemble de la protection sociale sont mal inspirés de le citer. Un autre des principes promus par Croizat est la solidarité par des mécanismes de redistribution au profit des plus faibles. Enfin, Croizat défendait l’unité, par le regroupement de l’ensemble des risques sociaux au sein d’un même régime. Ce dernier aspect permet aux libéraux de prétendre qu’Ambroise Croizat souhaitait la disparition des régimes spéciaux. Mais selon lui, l’idéal était d’intégrer les bénéfices des régimes spéciaux pour tirer vers le haut le régime général et non, comme vous le proposez, pour tirer vers le bas tous les retraités. Ne vous référez donc pas à Croizat !

M. Philippe Vigier (Dem). Vous n’en avez pas le monopole !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). S’il appartient à la France, il appartient surtout aux personnes assises du côté gauche de cette salle. Je rappelle qu’Olivier Véran voulait supprimer la référence à la sécurité sociale dans la Constitution.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS4784 de M. Hadrien Clouet.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Nous demandons de ne pas toucher au régime de retraite du Conseil économique, social et environnemental. Sur cent soixante‑quinze membres, le Conseil compte cinquante‑deux syndicalistes et dix‑sept représentants d’entreprises. C’est sans doute pour cela que vous le visez.

Nous avons proposé, en revanche, de supprimer un autre régime spécial : celui du Président de la République. Lui peut toucher une retraite de 5 500 euros brut par mois tout en siégeant au Conseil constitutionnel pour 13 700 euros brut mensuels. En plus, il a sept collaborateurs et deux agents de police à sa disposition pendant cinq ans, puis trois collaborateurs et un agent. Mais l’amendement a été déclaré irrecevable...

Madame Bonnivard, vous avez parlé de l’épanouissement au travail. Nous vous invitons à aller porter des charges lourdes : vous verrez s’il est épanouissant de se casser le dos pour un salaire de misère. Moi, je l’ai fait. (Exclamations.) Je peux vous dire que les gens que j’ai côtoyés à l’usine ne sont pas d’accord avec la réforme.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Pourriez-vous défendre votre amendement au lieu de vous en servir comme d’un simple support pour prendre la parole ? La remarque vaut pour tous, chers collègues.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). C’est ce que je fais, mais certains propos sont insupportables ! Puisqu’il a été question des paresseux, je vais citer quelques mots d’une chanson que vous n’aimez pas beaucoup, L’Internationale : « Ouvriers, paysans, nous sommes / Le grand parti des travailleurs. / La terre n’appartient qu’aux hommes. / L’oisif ira loger ailleurs. » L’oisif, c’est le capitaliste, celui qui ne fiche rien et qui gagne beaucoup d’argent sur notre dos.

Madame Lavalette, si nous n’avons pas voté votre proposition de loi visant à augmenter les salaires, c’est parce qu’elle comportait une exonération de cotisations. Il aurait plutôt fallu que le Rassemblement national prône l’augmentation du Smic, qui permet de faire entrer davantage de cotisations et donc de mieux financer les retraites.

Mme la rapporteure générale. Défavorable.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Je suis navrée de subir ce mépris de classe. Monsieur Léaument n’a pas de leçon à me donner. Vous ne connaissez pas mes origines. Il se trouve que je suis issue d’une famille d’agriculteurs montagnards qui n’avaient quasiment rien pour vivre. Mes parents étaient artisans et commerçants. Mon père a commencé à travailler à 15 ans.

Dans les propos auxquels vous faisiez référence, à aucun moment je n’ai parlé de pénibilité. J’ai dit que faire croire aux Français qu’ils pouvaient avoir le même niveau de solidarité en travaillant toujours moins, comme vous le prétendez, était un mensonge, et que vous abîmiez notre pays. Oui, le travail est épanouissant. Notre rôle est de permettre à nos concitoyens d’évoluer, d’avoir plusieurs carrières. Tel était le sens des amendements que je défendais. Tous les métiers sont nécessaires. Il convient de reconnaître la difficulté de certains d’entre eux et de donner la possibilité d’en changer.

Monsieur Corbière, je suis rapporteure spéciale pour les crédits du tourisme et très attachée au tourisme social. Je crois au repos comme je crois à la retraite et au droit de bénéficier du fruit de son travail. Mais pour avoir tout cela, le préalable, c’est le travail.

M. Christophe Bentz (RN). Le Rassemblement national s’oppose à cette réforme des retraites. Nous combattons la suppression des régimes spéciaux de la RATP et des industries électriques et gazières, que nous considérons justifiés et mérités. Les salariés concernés s’acquittent de missions d’intérêt général.

Tel n’est pas le cas du Conseil économique, social et environnemental. D’abord, c’est une institution coûteuse : près de 50 millions d’euros par an. Ensuite, nous n’avons pas besoin de trois chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat suffisent. Enfin, le mode de désignation des membres du Conseil économique, social et environnemental pose problème car ils sont nommés, pour ne pas dire cooptés. C’est un peu la République des copains. Cette institution n’est ni démocratique ni représentative. Nous sommes pour la suppression de ce régime spécial.

M. Philippe Vigier (Dem). Pour avoir eu l’honneur de contrôler pendant cinq ans, au titre de la commission des finances, le Conseil économique, social et environnemental, je crois avoir approché son mode de fonctionnement, qu’il s’agisse des membres désignés ou de l’ensemble du personnel administratif. Cette institution est utile et importante. On ne peut pas, d’un côté, déclarer que la parole doit être donnée aux citoyens et, de l’autre, prétendre inutiles les personnes qui les représentent au sein du Conseil économique, social et environnemental. C’est parce que le paritarisme est sous-dimensionné en France, parce que les citoyens n’ont pas assez la parole, que l’on observe de fortes crispations sur certains sujets.

En revanche, que l’on veuille maintenir le régime spécial de ses membres me surprend. Quand on connaît le fonctionnement de l’institution, cela ne paraît pas nécessaire. Les personnes concernées, qui ont de grandes qualités, exercent d’autres fonctions dans des syndicats ou des entreprises. Nous soutiendrons la suppression de ce régime spécial.

M. Arthur Delaporte (SOC). J’ai entendu des collègues du Rassemblement national parler de comité Théodule à propos du Conseil économique, social et environnemental. Cette vision est complémentaire de l’anticorporatisme caractéristique du Rassemblement national. C’est l’occasion de rappeler que le Conseil économique, social et environnemental joue un rôle important. L’inclure dans cette réforme, c’est donner l’impression qu’il ne sert à rien, que ses membres sont des paresseux. Pour notre part, nous croyons sincèrement à sa nécessité pour appuyer les décisions que nous prenons au Parlement et pour faire vivre la démocratie.

M. Charles de Courson (LIOT). Je suis favorable à la suppression de ce régime spécial, d’autant plus qu’il est minuscule. Mais cela pose la question des régimes du Sénat et de l’Assemblée nationale. La rapporteure générale dit qu’ils relèvent de la loi organique. Je suis en train de le vérifier car je n’en suis pas sûr. Quoi qu’il en soit, nous pourrions parfaitement demander au bureau – puisque ce sont les bureaux des assemblées qui gèrent ces régimes – d’adopter un texte de principe demandant qu’à compter de la prochaine législature, ce soient les règles du régime général qui s’appliquent. On ne peut demander des efforts aux autres sans donner l’exemple soi-même.

M. Pierre Cazeneuve. Le régime des députés a déjà été calé sur le régime général.

M. Charles de Courson (LIOT). Ce n’est pas exact. Par exemple, un nouveau député cotise double pendant son premier mandat.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Madame Bonnivard, vous dites que les Français ne peuvent avoir le même niveau de vie en travaillant moins. Les faits démentent vos propos car, depuis vingt ans, le nombre d’heures travaillées annuellement a augmenté, certes modestement de 1 605 heures à 1 609 – cette croissance s’explique en partie par le fait que la retraite est moins longue qu’il y a vingt ans. Cette hausse est à rebours de la tendance longue. En effet, l’histoire du mouvement ouvrier repose sur deux piliers : la dignité, l’émancipation et la réalisation par le travail, à savoir la fierté de gagner sa vie en travaillant ; l’augmentation du temps libéré par rapport au temps travaillé grâce à la fin du travail des enfants, le dimanche chômé, le samedi à l’anglaise, les congés payés et la retraite à 60 ans. Ce sens de l’histoire s’est inversé par imitation des États-Unis où le temps de travail croît. Deuxième élément erroné, l’espérance de vie en bonne santé n’augmente plus depuis vingt ans. Enfin, la dureté du travail ne diminue pas, elle augmente : la part des salariés subissant trois contraintes physiques et trois contraintes de temps de pénibilité mentale est passée respectivement de 12 % à 34 % et de 6 % à 35 %.

Quand on met tout cela bout à bout, le projet est bien une contre-réforme, qui va à l’encontre de ce qu’il faudrait faire pour améliorer la santé des Français.

Mme la présidente Fadila Khattabi. C’est dommage, nous ne parlons pas du tout de l’amendement.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). C’est la deuxième fois aujourd’hui que le Rassemblement national porte un coup aux instances républicaines et démocratiques. Il accuse les membres du Conseil économique, social et environnemental d’incarner la République des copains. Ces propos populistes sont graves. De nombreux membres du Conseil appartiennent à des organisations syndicales ou à des associations : à n’en pas douter, ils apprécieront vos accusations.

Mme la rapporteure générale. Nous n’avons décidément pas les mêmes chiffres, monsieur Ruffin. Selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques d’octobre 2021, l’espérance de vie sans incapacité sévère s’élevait à 83 ans pour les femmes et à 80 ans pour les hommes ; l’espérance de vie sans aucune incapacité était de 77 ans pour les premières et de 75 ans pour les seconds. Depuis 2008, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans a augmenté de 2 ans et 1 mois pour les femmes et de 1 an et 11 mois pour les hommes.

Une loi organique est nécessaire pour fondre le régime de retraite des parlementaires dans le régime général. En 2017, le bureau de l’Assemblée nationale a modifié les paramètres et les règles en les alignant sur le régime des fonctionnaires ; une affiliation au régime général nécessiterait une loi organique, que prévoyait la réforme de 2020, qui n’a pas abouti.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS3811 de M. Yannick Monnet, AS3816 et AS3821 de M. Pierre Dharréville, AS3824 et AS3827 de M. Yannick Monnet.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Vous avez compris notre opposition à ce texte dont j’aimerais que vous saisissiez la portée. L’affaire n’est pas entendue. Vous devez vous faire à l’idée de renoncer à ce projet de loi, qui n’a pas de majorité dans le pays. Vous commettriez une violence insupportable contre le peuple si vous choisissiez de passer en force. J’insiste sur ce point car le début de l’examen au Parlement pourrait faire croire que le processus législatif ira tranquillement à son terme. Cela ne va pas se passer ainsi. Réfléchissez à cette idée qui va s’imposer à vous. Si j’en crois le journal Le Monde de ce jour, certains d’entre vous commencent à y penser : je les y encourage car c’est un mouvement positif. Le texte supprime, de façon incohérente, certains régimes spéciaux et pas d’autres. Vous connaissez notre attachement à plusieurs d’entre eux pour des raisons déjà exposées. Ces régimes sont des dispositifs de résistance à l’ordre libéral, le libéralisme ayant beaucoup abîmé le travail et nos vies depuis trente à quarante ans.

Les attaques portées à plusieurs reprises par le Rassemblement national contre le Conseil économique, social et environnemental ne nous surprennent pas. Mais nous refusons de nous y habituer. Le Conseil regroupe des forces sociales et associatives qui jouent un rôle considérable dans notre société. Il porte un regard utile sur de nombreuses questions et il nourrit nos travaux. Nous sommes très attachés à cette institution démocratique.

Mme la rapporteure générale. Je vous rejoins sur l’importance du Conseil économique, social et environnemental, qui accomplit notamment un bon travail sur les questions de santé. J’ai pu m’en rendre compte lorsque le Conseil m’a auditionnée.

En revanche, je suis totalement défavorable à vos amendements. Nous commençons un débat que nous allons poursuivre plusieurs semaines. À l’issue de ces discussions, nous verrons bien quel sera le vote de notre assemblée. C’est cela, la démocratie.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Nous pouvons saluer la mobilisation qui a eu lieu il y a une dizaine de jours et celle qui aura lieu demain car elles se font dans une démarche de responsabilité. Nous devons entendre ce mouvement qui relève de la démocratie sociale. Mais il y a aussi la démocratie politique. Celle-ci se joue maintenant et ici, dans une configuration tout à fait inédite dans la Ve République que vous ne manquez pas de souligner depuis juin dernier. Si des améliorations sont à apporter au texte – sur les femmes, les carrières longues, l’index des seniors, la pénibilité –, c’est ici qu’elles doivent être discutées et, vote par vote, décidées. Il faut cesser toute forme de chantage.

M. Arthur Delaporte (SOC). Troisième confrontation aux faits de propos tenus à l’instant : le système espagnol, que Paul Christophe a mentionné, connaît une durée de cotisation très inférieure à celle appliquée en France : 37,5 annuités là-bas contre 43 annuités chez nous. Le taux de remplacement net s’élève à 80 % de l’autre côté des Pyrénées, 74 % en France. Les pensions ont progressé de 8,5 % sous le gouvernement de Pedro Sánchez, qui a plafonné les retraites les plus élevées à 3 058 euros par mois et proposé une élévation graduelle des cotisations de 30 % entre 2025 et 2050. Si vous voulez vous inspirer des Espagnols, regardez bien ce qu’ils font avant de dire des bêtises.

M. Thomas Ménagé (RN). Madame Panot, la question de la natalité est totalement évacuée du débat alors que les bébés qui naissent aujourd’hui seront les cotisants de demain. Nous n’avons d’autre inspiration que la campagne présidentielle de Marine Le Pen, qui proposait l’octroi d’une part fiscale pleine dès le deuxième enfant et un prêt pour soutenir les familles. Deux visions s’opposent : vous soutenez l’immigration massive ; nous soutenons les familles françaises. Nous ne voulons pas importer de main-d’œuvre étrangère contrairement à vous, qui montrez là votre conception capitaliste. Vous voulez que des étrangers viennent faire le travail des Français. Défenseurs d’une politique plus humaine, nous refusons la baisse des salaires et nous soutenons leur hausse dans les métiers qui en ont besoin, ce que vous avez rejeté. Le Rassemblement national veut soutenir les familles, encourager la natalité et aider les femmes qui travaillent à avoir des enfants ; vous défendez l’immigration incontrôlée et le remplacement des bébés par des immigrés.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Ce n’est pas parce que nous avons examiné deux ou trois amendements que les choses sont jouées. Nous sommes favorables à des allers‑retours permanents entre les gens, la rue et l’Assemblée nationale. Vous avez pris les propos de Pierre Dharréville comme une menace alors qu’ils sont une promesse. Demain, il y aura du monde dans la rue, des électriciens-gaziers, des cheminots... La France sera rassemblée pour s’opposer à votre mauvais projet. Les salariés du public et du privé, les retraités, les jeunes, vous êtes seuls contre tous ! Il faut que vous arrêtiez de penser que vous pouvez faire ce que vous voulez parce que vous avez été élus.

Nous défendons l’idée de soumettre votre projet à référendum. Nous ferons tout ce qui est possible pour empêcher son adoption. Demain, quand vous verrez la rue, vous tremblerez. Ce sera autre chose qu’une lumière allumée ! La rue va s’exprimer et vous retirerez ce projet.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Pas de menace, monsieur Jumel ! Quand vous dites que nous allons trembler, vous proférez une menace.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). La liberté de manifester est une liberté constitutionnelle. La promesse d’exercer une liberté garantie par la Constitution ne représente pas une menace.

M. Thibault Bazin (LR). Nous sommes souvent interpellés sur le régime de retraite des parlementaires. Le texte traite de celui de la troisième chambre, le Conseil économique, social et environnemental, ce qui pourrait instiller l’idée que nous préserverions les privilèges des parlementaires. J’ai compris que ce sujet relevait d’une loi organique et non d’une loi simple. Mais la plupart des concitoyens que je rencontre sont persuadés que nous conservons l’ancien régime. Or, le régime de retraite des députés a été aligné sur celui des fonctionnaires en 2018. Les 172 trimestres et l’âge légal commun de départ s’appliquent.

Afin de réinstaurer un climat de confiance, pourriez-vous, madame la rapporteure générale, prendre l’engagement d’appliquer la réforme aux parlementaires ? Ce serait un engagement vis-à-vis de nous-mêmes puisque nous votons la loi organique. Il importe de ne pas laisser prospérer l’idée que nous bénéficierions d’avantages spécifiques et de montrer que nous fournissons les mêmes efforts que le reste de la population.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Les propos de Sébastien Jumel ont été pris comme des menaces, ce qu’ils n’étaient pas. La menace qui plane sur les gens est constituée par les deux années de retraite que vous vous apprêtez à leur voler. La menace, c’est votre volonté de passer en force et d’imposer cette réforme injuste que les Français rejettent massivement.

Madame Berete, vous regrettez de ne pas avoir pu déposer des amendements. Mais nous aussi, nous le regrettons ! Pourquoi cela n’a-t-il pas été possible ? Parce que le véhicule législatif choisi par la majorité relative à laquelle vous appartenez interdit les propositions. Vous avez muselé le débat ! Les Français perçoivent nettement la menace qui pèse sur eux parce qu’elle fait écho à leur vie au travail, loin de s’apparenter à une promenade de santé. De nombreux Français éprouvent la pénibilité, l’usure, les TMS et les risques psycho-sociaux. La menace, c’est vous qui la représentez pour les citoyens. Quand on entend dire qu’il ne faut pas bordéliser, on sait qui bordélise : le Gouvernement, qui maintient sa réforme.

M. Philippe Vigier (Dem). Les premiers députés qui ont fait en sorte que le régime de retraite de leurs collègues soit aligné sur le régime général sont Charles de Courson, Thierry Benoit et votre serviteur. Cette évolution avait suscité quelque émotion sur tous les bancs. Comment imaginer que l’on puisse protéger les parlementaires ? C’est impossible, même si la dilution totale du régime des parlementaires dans le régime général ne relève pas de ce texte. Quoi qu’il arrive, nous souhaitons préserver ce que nous avons obtenu après de longues années de combat au Parlement, où le conservatisme était tout à fait transpartisan. Certains dénonçaient même les régimes spéciaux à l’exception du leur, qu’ils auraient aimé conserver. Les parlementaires ne doivent pas échapper à la règle.

M. Charles de Courson (LIOT). Tous ceux qui ont voté la précédente tentative de réforme – si l’on peut s’exprimer ainsi puisque le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution avait finalement été invoqué – doivent se souvenir qu’une loi simple et une loi organique étaient prévues pour instaurer le régime universel. L’ancienne majorité présidentielle défendait l’idée d’une dilution du régime des parlementaires dans le régime universel, le régime spécial étant appelé à s’éteindre. Je me permets de rappeler ce fait aux membres actuels de l’actuelle minorité présidentielle.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Nous ne sommes pas minoritaires.

M. Charles de Courson (LIOT). Si, vous êtes 250 élus pour 577 sièges !

Il y a un problème de cohérence intellectuelle. Philippe Vigier l’a rappelé : nous, nous n’avons pas changé. Nous continuons de souhaiter que tout le monde soit logé à la même enseigne. Si nous votons des réformes qui affectent les gens sans nous appliquer les mêmes règles, faites attention à la montée du populisme. Le Gouvernement avait déposé une loi simple et une loi organique en 2020, il ne présente qu’une loi simple aujourd’hui. On m’a dit qu’il fallait une loi organique pour aligner le régime des parlementaires sur le régime général, si bien que mes amendements ont été déclarés irrecevables.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Je tiens à vous alerter sur votre attitude, qui relève de l’extrémisme. Un sondage de l’Ifop montre que 79 % des Français pensent qu’une explosion sociale va se produire et que 52 % d’entre eux la souhaitent. Nous, nous sommes les modérés ici. (Rires parmi les députés des groupes RE, LR, Dem et HOR.) Nous sommes les modérés parce que nous faisons de notre mieux pour que le pays soit conduit dans l’apaisement. Nous ne voulons pas qu’un sentiment d’injustice ronge le cœur des gens, sentiment que vous ne cessez d’attiser.

Quand tous les syndicats sont unis contre la réforme, vous devriez les écouter. Quand la CFTC affirme que la ligne rouge est franchie avec les quarante-quatre ans de cotisation, vous devriez l’écouter. Quand la CFDT dit que les perdants de la mondialisation paient la plus grande partie de la facture des retraites, vous devriez l’écouter. Quand la CGT vous demande jusqu’où vous seriez prêts à aller pour gagner 0,1 % de produit intérieur brut, vous devriez l’écouter. Quand deux millions de Français descendent dans la rue il y a dix jours, vous devriez les écouter. Quand des millions de Français sortiront à nouveau dans la rue demain, vous devriez les écouter. Quand sept Français sur dix sont opposés à cette réforme, vous devriez les écouter. Quand huit salariés sur dix le sont aussi, vous devriez les écouter. Si vous n’écoutez pas tous ces gens, si vous refusez le dialogue, comment les choses vont-elles tourner ? Vous êtes sourds à ce que dit le pays. Si celui-ci déborde, ce sera votre faute !

Mme la rapporteure générale. Monsieur Ruffin, c’est la première fois que l’on me traite d’extrémiste. Est-ce extrémiste de travailler sur un texte dont l’objectif est de préserver notre système par répartition ? Le principe de ce projet de loi figurait sur nos tracts de campagne des législatives : est-ce extrémiste ? Sommes-nous extrémistes de tenter d’avoir un débat sur le fond alors que certains amendements ne sont que des prétextes à appeler à la manifestation ? Il me semble que non.

Le régime de retraite des députés est aligné sur celui des fonctionnaires en 2018. Mais il s’agit toujours d’un régime spécial. Une proposition de loi organique est nécessaire pour intégrer ce régime dans le régime général. Monsieur de Courson, plusieurs membres de la majorité ont défendu cette orientation. Rien ne vous empêche de déposer une proposition de loi organique. La question pourrait également être posée aux sénateurs, dont certains sont actuellement en campagne, car eux n’ont pas aligné leur régime sur celui des fonctionnaires.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS7206 de M. Nicolas Turquois.

M. Nicolas Turquois (Dem). J’ai élaboré cet amendement avec l’Agirc-Arrco. La rédaction de l’article 1er peut laisser penser que les personnes relevant des articles L. 311-2 et L. 311-3 du code de la sécurité sociale seront affiliées aux institutions de retraite complémentaire. Or, certaines de ces populations étant éloignées du salariat – loueurs de meublés, vendeurs de biens sur des plateformes en ligne –, l’évaluation de leurs droits serait difficile. L’amendement vise à lever le doute.

Mme la rapporteure générale. Je me suis également interrogée sur les effets de ces évolutions dans mes échanges avec le Gouvernement. Rassurez-vous, ces dispositions ne modifient pas la liste des personnes affiliées à l’Agirc-Arrco et l’interprétation des conditions d’affiliation restera identique. Celles mentionnées à l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale ne sont pas les mêmes que celles de l’article L. 311-3 du même code.

En revanche, l’alinéa 32 est nécessaire pour assurer l’affiliation des nouveaux salariés recrutés au statut de l’Agirc-Arrco, en plus de celle au régime général.

Je propose donc de retirer l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Madame la rapporteure générale, je vais vous dire en quoi vous appartenez à un parti d’extrémistes. Les dividendes distribués ont atteint un niveau inédit, d’après le journal Les Échos de mon ami Bernard Arnault. Total a fait des profits et distribué des dividendes d’un niveau sans précédent. Les dirigeants du CAC40 ont augmenté leur salaire de 52 %. Pendant ce temps, vous ne bougez pas le petit doigt. Lors de la première phase de l’épidémie, les secteurs de l’assurance, de la grande distribution et du numérique se sont gavés sans que vous n’ayez réagi. Les secteurs de l’énergie, de l’industrie agroalimentaire et du transport de conteneurs se gavent avec la guerre en Ukraine, et vous ne réagissez pas. La seule chose que vous faites, c’est supprimer quelques avantages tirés du travail. Alors, oui, vous êtes des extrémistes et vous mettez le feu au pays.

Des gens continuent de faire tourner les hôpitaux, les écoles, les transports et la grande distribution. On leur a promis une récompense et une reconnaissance salariale. Or, il n’y a rien, pas même l’indexation des salaires sur l’inflation. Leur pouvoir d’achat, déjà modeste, est rogné tous les jours. Le Président de la République disait en 2019 que, pour les salariés peu qualifiés et ceux à la carrière fracturée, « bon courage déjà pour arriver à 62 ans ». Depuis que l’âge légal de départ est passé de 60 à 62 ans, le nombre de seniors percevant le revenu de solidarité active (RSA) a été multiplié par quatre. Et maintenant, vous souhaitez accentuer cette tendance. Voilà pourquoi vous êtes des extrémistes. Si cela déborde dans la rue, cela viendra du fait que vous ajoutez en permanence de la colère à la colère.

M. Charles de Courson (LIOT). Nicolas Turquois a raison de poser la question du périmètre de l’affiliation au régime Agirc-Arrco. Madame la rapporteure générale, vous n’avez cité que l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale. Mais celui-ci renvoie à l’article L. 311-3 du même code. Dans la trentaine de catégories concernées, vous trouvez les présidents de société coopérative de banque, les salariés au titre des sommes ou avantages mentionnés au premier alinéa de l’article L. 242-1-4, les entrepreneurs salariés et les entrepreneurs associés, les administrateurs des groupements mutualistes, les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et des sociétés d’exercice libéral par actions simplifiées...

Notre collègue fait bien de demander si toutes ces professions devront adhérer à l’Agirc-Arrco, régime paritaire qui exclut de son champ certaines catégories professionnelles. Pourriez-vous nous éclairer ?

M. Nicolas Sansu (GDR - NUPES). Lors de son audition devant les commissions des finances et des affaires sociales, le 19 janvier, le président du COR a rappelé que le régime Agirc-Arrco était très excédentaire. Madame la rapporteure générale, serait-il possible d’insérer, avec les syndicats qui en feraient la demande, un dispositif visant à distribuer sous forme de pensions les réserves financières considérables du régime, qui s’élèvent à environ 86 milliards d’euros ?

M. Ruffin a raison de s’interroger sur la réaction du pays face à un projet de loi dont les soutiens sont extrêmement minoritaires. Souvenez-vous du Président de la République affirmant, le 24 avril dernier, au soir de sa réélection : « Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. » Ne l’oubliez jamais !

M. Nicolas Turquois (Dem). Les oppositions, notamment François Ruffin, tentent de convaincre par l’outrance. J’ai demandé ce matin que l’on me cite un pays dans lequel le système de retraite par répartition était aussi large et où l’âge légal de départ à la retraite était de 62 ans. Je n’ai toujours pas de réponse. Si on me montre qu’un tel pays existe, je reverrais peut-être mon opinion. Nous sommes convaincus que, si nous ne faisons rien, le système par répartition, qui représente une chance pour le pays et pour les salariés, s’écroulera ou distribuera des pensions beaucoup plus faibles aux retraités, dont les revenus décrocheront de ceux des actifs. Apportez des démonstrations au lieu de crier sans argumenter !

J’entends vos arguments, madame la rapporteure générale, sur le périmètre de l’Agirc‑Arrco. Je conserve néanmoins quelques doutes et je partage l’analyse de Charles de Courson. Je retire l’amendement mais je vais m’assurer de l’absence d’erreurs dans les affiliations d’ici à la séance publique.

M. Christophe Bentz (RN). Monsieur Bazin, vous mettiez dans le même sac Assemblée nationale, Sénat et Conseil économique, social et environnemental. Mais les deux premières assemblées sont élues démocratiquement, contrairement à la troisième.

La NUPES s’offusquait quant à elle de ma proposition de suppression du régime spécial du Conseil économique, social et environnemental. Mais nous sommes favorables à la suppression de l’institution elle-même, comme – nous avons vérifié – Jean-Luc Mélenchon. Il est d’accord avec nous !

Mme Caroline Yadan (RE). On tient des propos outranciers, on appelle à la « résistance », on traite la rapporteure générale d’extrémiste. Cela me heurte profondément. La violence de ce vocabulaire contribue à libérer les instincts les plus primaires, à contester la démocratie en refusant leur légitimité aux urnes. Est-il besoin de rappeler que la démocratie, ce n’est pas invectiver sans fin vos collègues mais vous exprimer dans le cadre républicain de l’Assemblée nationale pour défendre vos positions de manière sereine ?

En réalité, vous rêvez de scènes insurrectionnelles, de chaos ; vous rêvez de faire de l’Assemblée nationale une ZAD. C’est inacceptable. Vous appelez à la domination de la voie de fait sur l’état de droit et vous voudriez bafouer les principes de la République. (Exclamations.) Il est temps de cesser d’inoculer le virus de la méfiance, de surfer sur le malaise social, d’amplifier les peurs et de dramatiser les imaginaires. Parlons retraites, travaillons dans l’apaisement pour faire évoluer la réforme nécessaire que nous proposons.

M. Thibault Bazin (LR). Je m’interroge sur les alinéas 33, 34 et 35 et sur la question de l’assiette de cotisation. Les métiers visés à l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale ont souvent une assiette de cotisation étroite – et par conséquent des pensions de retraite faibles. Or, dans l’exposé des motifs de cet article 1er, on lit : « Cette mesure nécessitera à terme de revoir le circuit financier de financement de ces régimes. Des travaux seront conduits en ce sens en 2023 dans la perspective du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. » Nous n’en sommes qu’à l’article 1er de ce PLFRSS 2023 ; vous renvoyez déjà au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 !

Il y a un écueil dans ce projet de loi : rien n’a été codifié en ce qui concerne l’assiette de cotisation, notamment des indépendants. Madame la rapporteure générale, pourrons-nous avoir des détails sur ce point d’ici à la séance publique ? Certaines professions ne seraient pas concernées par le transfert alors que, dans beaucoup d’entre elles, on ne compte pas ses heures et l’on a pourtant de petites retraites. Pourrons-nous accomplir cette ambition que tous les retraités atteignent au moins 85 % du Smic net ? Pour valoriser le travail, il faut valoriser ceux qui ont travaillé toute leur vie.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Monsieur Turquois, il y a un pays où l’on peut s’arrêter de travailler à 62 ans : la France ! Notre système de retraite est viable ; nous avons seulement un problème de recettes qui pourrait se régler en augmentant de 1 % les cotisations patronales ou en prélevant 10 % des aides aux entreprises, dont les économistes s’accordent à penser qu’une bonne moitié est absolument inutile alors qu’elles s’élèvent à 157 milliards par an, soit un tiers du budget de l’État. Il s’agit de préserver nos acquis. La retraite à 62 ans existe et elle est viable : soyons-en fiers !

L’amendement AS7206 est retiré.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure générale, la commission rejette successivement les amendements AS3828 de M. Yannick Monnet et AS3829 de M. Pierre Dharréville.

Amendement AS886 de M. Jérôme Guedj.

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous avons essayé de vous convaincre que la fermeture des régimes spéciaux était inopportune. Avec cet amendement de repli, nous proposons que la date de leur fermeture ne soit pas fixée arbitrairement mais à l’issue d’une concertation avec les organisations syndicales et patronales.

Nous voulons faire vivre ce que vous piétinez : la démocratie sociale. Mme Panosyan-Bouvet disait tantôt que la démocratie politique devait primer, tout en saluant l’ampleur du mouvement social du 19 janvier, mouvement dont j’espère qu’il sera plus important encore demain. Dans l’histoire de notre pays, la démocratie et la légitimité des parlementaires vont de pair avec la force du mouvement social, des syndicats. Vous martelez que vous êtes légitimes parce que le Président de la République aurait été élu avec cette réforme des retraites dans son programme. Vous savez que ce n’est pas vrai.

Vous voulez ignorer l’importance du lien entre démocratie sociale et démocratie politique. Voilà ce qu’écrivait Léon Blum dans À l’échelle humaine : « La démocratie politique ne sera pas viable si elle ne s’épanouit pas en démocratie sociale ; la démocratie sociale ne serait ni réelle ni stable si elle ne se fondait pas sur une démocratie politique. » Corrigeons votre projet au moins sur ce point ! Oubliez votre rouleau compresseur et associons la démocratie sociale !

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable comme pour tous les amendements qui reculent l’entrée en vigueur de la réforme. En tant que parlementaires, nous avons une légitimité démocratique.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Vous avez souri lorsque François Ruffin s’est présenté comme modéré face à l’extrême violence de cette réforme. J’insiste : je suis inquiet. Vous disposez des outils juridiques pour passer en force, seuls contre le peuple français. Mais si vous le faites, vous allez nourrir une colère noire, une colère sombre, une humiliation. Elles vous reviendront à la figure comme un boomerang.

Nous vous proposons un autre chemin : non seulement écouter, mais entendre. Vous me trouvez parfois trop raide, trop rude, trop direct. Je vous promets qu’à côté de la colère des Français, ce n’est rien du tout. Qu’ont fait les gens ? Ils sont allés sur le simulateur de votre réforme – l’aide à domicile, la décortiqueuse de coquilles, la trieuse de verre, le verrier au bouchot, le cariste – pour savoir à quelle sauce ils allaient être mangés. Je vous assure que la violence de leur colère n’est rien à côté de celle de mes mots policés. Rien !

Notre responsabilité est de faire entendre cette colère. Il est légitime et juste que les organisations syndicales la traduisent dans la rue. Si vous n’entendez ni la nôtre ni la leur, vous serez responsables de l’avènement d’une République émiettée, éclatée, qui perd son sens en cessant d’incarner un État qui prend soin, qui protège et qui rassemble.

M. Arthur Delaporte (SOC). Cet amendement a le mérite de porter le fer contre « l’intolérance avec ce qui ne cadre pas avec le juste milieu arbitrairement proclamé », ce que Pierre Serna appelle « l’extrême centre », pour lequel il y aurait de bonnes réformes dans l’absolu. Nous défendons, nous, la démocratie sociale, qui fonde le paritarisme. Cet amendement ne vise pas à reporter l’entrée en vigueur de la réforme. Il demande seulement l’organisation d’une concertation avec les organisations syndicales et patronales. Si même la concertation et le paritarisme vous font peur, alors c’est la démocratie qui vous effraie. La voix du peuple peut s’exprimer de différentes manières : dans l’entreprise, dans la rue ou à l’Assemblée nationale. Chaque fois, elle est légitime. Je vous demande de l’entendre.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Madame Yadan, François Ruffin a dit tout à l’heure que 52 % des Français souhaitaient une explosion sociale. Il faut envisager ce chiffre avec calme et regarder ce qui se passe dans le pays. On voit beaucoup de colère en raison de la réforme des retraites, mais plus largement parce que la situation sociale est compliquée, parce que les factures de gaz et d’électricité augmentent et que les gens ne peuvent les payer car les salaires, eux, n’augmentent pas. Une large partie du peuple partage l’idée selon laquelle, pour les riches, il y a toujours de l’argent. Vous leur avez encore fait 8 milliards d’euros de cadeaux fiscaux en engageant la responsabilité du Gouvernement sur le budget. Nous ne faisons que vous alerter. Le risque d’une explosion sociale est réel. Ne méprisez pas la volonté populaire !

J’ajoute que, si nous siégeons ici, c’est à la suite d’insurrections. Trois de nos républiques sont nées d’insurrection : la Première, la Deuxième et d’une certaine manière la Quatrième car la libération de Paris était le fait d’une insurrection. Quand vous refusez de voir que la colère populaire peut s’exprimer d’une manière qui sort des cadres institutionnels, vous êtes à côté de la plaque. N’oubliez jamais l’article 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » (Interruptions.) Notre peuple a la mémoire longue. Nous vous disons de faire attention car il y a de la tension dans le peuple français.

M. Thomas Ménagé (RN). Depuis des semaines, on entend répéter – pour convaincre les Français de soutenir cette réforme – que, si on ne fait rien, les pensions vont baisser. Vous aimez les modèles étrangers et vous donnez souvent la Suède en exemple. Or, dans ce pays, 92 % des femmes et 72 % des hommes ont vu leur pension baisser avec le report de l’âge légal. Répéter le même mensonge quarante fois n’en fera pas une vérité. Arrêtez !

N’importe quel enfant peut comprendre ce qui se passe. Presque un Français sur deux ne travaille pas jusqu’à l’âge de la retraite. Demain, beaucoup n’auront pas une retraite à taux plein, subiront une décote ou n’obtiendront plus la surcote. Votre rhétorique ne prend plus. Un sondage Harris Interactive montre aujourd’hui une hausse de l’opposition à cette réforme. Cessez de prendre les Français pour les idiots en mentant continuellement ! Ils ont fait leurs calculs et ils se sont rendu compte. Non seulement leurs pensions ne seront pas préservées, mais elles baisseraient de façon significative. Pour moi-même, je m’en fiche : j’ai fait des études, je suis arrivé tard sur le marché du travail, cette réforme ne changera rien pour moi. Mais il faut être hors sol pour imaginer que des maçons, des carreleurs, des couvreurs pourront aller jusqu’à 64 ans. Mon père est couvreur. Il est déjà usé à 59 ans. Ses genoux doublent de volume le soir. Stop !

M. Éric Alauzet (RE). Il est logique que nos concitoyens ne se réjouissent pas à l’idée d’un effort supplémentaire et de travailler quelques mois supplémentaires, un an ou peut-être deux ans supplémentaires pour certains. Cependant, 40 % des Français continueront à partir à 62 ans grâce aux critères de pénibilité.

Les Français disent à 75 % qu’ils ne veulent pas de cette réforme. Mais au fond, la moitié d’entre eux sait qu’il faut une réforme. Au fond de vous-mêmes, vous savez très bien qu’il faut cette réforme. Quand les mirages que vous présentez se seront dissipés et que vous ouvrirez les yeux en retombant sur la terre ferme, vous devrez reconnaître qu’aucun pays en Europe n’a pu échapper au recul de l’âge de la retraite ou à l’augmentation du nombre de trimestres nécessaires. Les prévisions du COR ont intégré le recul de l’âge légal de départ à 64 ans prévu par la réforme Touraine. J’espère que les socialistes assument cette réforme. Mais elle ne suffit pas.

Il faut relire Michel Rocard qui, en 1999, dix-huit ans après la réforme de 1981, disait : « Je vais vous confier un petit secret : j’ai été l’un des rares à déclarer en Conseil des ministres que c’était une folie. [...] Je savais que ce serait une conquête temporaire et dangereuse. » Vous le savez tous au fond de vous ! Et beaucoup de Français – qui ne sont pas contents, je le constate comme vous – le savent très bien aussi.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Le modèle suédois repose à la fois sur la capitalisation et sur la répartition. C’est la raison de son échec. Nous proposons au contraire de sauver le système par répartition. Mais celui-ci est déficitaire de 30 milliards d’euros tous les ans, financés par la dette. Vous voulez en ajouter 15 autres. Ce n’est pas supportable. Monsieur Ruffin, je ne vous comprends pas : comment pouvez-vous jouer sur les peurs de cette façon ? Ne voulez-vous pas, vous aussi, la survie de notre système ?

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Si les gens ne sont pas d’accord, ce n’est pas parce qu’ils sont égoïstes et qu’ils ne pensent qu’à leur propre vie – cela pourrait suffire, d’ailleurs. Mais ils en ont ras-le-bol qu’on leur dise que c’est à eux de payer votre politique, qu’il est impossible de taxer les superprofits. Pour régler le déficit conjoncturel du régime des retraites, il suffirait de prélever 2 % de la fortune des quarante personnes les plus riches. Ras-le-bol de vous voir refuser de partager les richesses ! (Exclamations.)

Vous dites vouloir sauver la répartition. C’est faux ! Ce que vous voulez sauver, c’est la fortune des plus riches. Et pourquoi ? Parce que vous croyez que la fortune des riches ruisselle. C’est faux ! Tous les économistes le savent, les Français aussi. S’ils ne sont pas d’accord, encore une fois, ce n’est pas par égoïsme. Ce serait bien assez, lorsqu’ils voient leurs parents brisés par le travail et les chômeurs de longue durée qui, à 55 ans, se retrouvent au RSA. Le sentiment d’injustice est immense. Vous le savez, vous l’entendez. Revenez à la raison !

Mme la rapporteure générale. Monsieur Ménagé, le rapport du COR dit qu’il y aura, à terme, diminution des pensions alors qu’elles vont augmenter avec cette réforme, notamment pour les femmes : + 2,2 % pour la génération 1972.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er non modifié.

Article 2 : Mise en place d’un indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés

Amendements de suppression AS3161 de M. Pierre Dharréville, AS3742 de M. Sébastien Peytavie, AS3909 de Mme Sandrine Rousseau, AS4788 de M. Hadrien Clouet et AS4989 de Mme Marie-Charlotte Garin.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Pourquoi cet index des seniors est-il présent dans ce projet de loi, et pourquoi proposons-nous de le supprimer ? Lors de la législature précédente, la Macronie avait déjà tenté d’abîmer notre droit à la retraite. L’un des arguments qui avait fait capoter votre projet, c’est qu’un peu moins d’une personne sur deux, lorsqu’elle liquide sa pension, n’occupe déjà plus d’emploi. Allonger la durée de travail ne ferait que grossir ce nombre. C’est un écueil considérable pour votre projet.

Depuis quelques mois, le Gouvernement prétend donc faire de l’emploi des seniors une priorité après avoir, par ordonnances, détricoté le droit du travail, accru la précarité et fragilisé les travailleurs. L’indicateur qui nous est proposé est une mesure d’affichage, qui n’aura aucun effet sur les conditions d’emploi des salariés seniors. Aucune obligation n’est imposée aux entreprises, hors celle de rendre l’index public. C’est beaucoup de bruit pour rien. Il faudrait pourtant regarder de près cette réalité sociale. Il n’est pas normal que des salariés en fin de carrière soient mis dehors alors qu’ils pourraient continuer à travailler, comme il n’est pas normal que les salariés qui ne le peuvent pas se retrouvent dans un entre-deux mal pris en compte, ni emploi ni chômage. Votre réforme va aggraver la situation car davantage de gens seront concernés.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Ce projet de loi prétend miser sur l’emploi des seniors par un unique outil : l’index des seniors. Mais si les entreprises veulent échapper à l’amende, elles n’ont qu’une seule chose à faire : publier leur index. Elles n’ont même pas besoin de résultats. Vous imitez, au rabais, l’index de l’égalité professionnelle qui a pourtant prouvé son inefficacité dans la lutte contre les discriminations au sein des entreprises.

Ce qu’ont en commun ces deux indicateurs, c’est le flou. L’imprécision des critères de l’index de l’égalité professionnelle a permis à des entreprises d’obtenir des notes élevées alors que la réalité était peu reluisante. Mais des sanctions étaient au moins prévues en cas de résultats insuffisants. Ici, il suffira aux entreprises de publier l’index des seniors pour échapper à toute sanction, même avec une note de 2 sur 20 ! Il ne servira que de faire-valoir pour des entreprises peu scrupuleuses qui considèrent les seniors comme des salariés jetables. Le grand plan du Gouvernement se résume à une coquille vide. Pourtant, l’urgence est là, les discriminations fondées sur l’âge criantes : 63 % des salariés entre 44 ans et 55 ans en recherche d’emploi n’ont pas été sollicités par des recruteurs au cours des six derniers mois.

Le groupe Écologiste - NUPES appelle à la suppression de cet article et de l’indicateur qu’il crée. Car celui-ci sera – comme son prédécesseur l’index de l’égalité professionnelle – détourné par des entreprises qui ne subiront aucune sanction financière. Nous voulons, nous, une politique ambitieuse pour un travail digne et pour un repos digne.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’un des défauts majeurs de cette réforme est que toutes les contraintes sont supportées par les salariés. L’index des seniors est la seule et unique mesure qui s’adresse aux entreprises et il est uniquement incitatif. Aucune sanction n’est prévue.

Au restaurant, parfois, une feuille de salade est posée sur votre assiette, pour faire joli : l’index des seniors, c’est la feuille de salade de la réforme des retraites. Il n’a aucune utilité, aucune espèce de conséquence pour les entreprises. Si l’on voulait s’attaquer au problème de l’emploi des seniors, on ferait quelque chose de différent ; on s’intéresserait au déroulé des carrières, aux horaires de travail, à la pénibilité. La France se distingue en Europe par l’importance des TMS et par la difficulté des conditions de travail, par conséquent par des taux d’incapacité et d’invalidité supérieurs à la moyenne.

Une feuille de salade sur une assiette de restaurant, ça ne sert pas à grand-chose. C’est de la décoration. Nous proposons de l’enlever et de travailler véritablement le sujet.

Mme Nathalie Oziol (LFI - NUPES). Cet article 2 est un bel exemple d’application de la feuille de route du Medef, qui impose aux personnes de plus de 60 ans la triple peine.

Première peine : le Gouvernement s’apprête à leur imposer de travailler jusqu’à 63, 64, 67 ans. Cette idée n’est jamais remise en question. On parle du travail des seniors comme s’il s’agissait d’un fait naturel, qui va de soi. Rappelons que l’on parle d’aides-soignantes, d’éboueurs, de caristes, de profs qui vont devoir peiner jusqu’à 64 ans !

Deuxième peine : il sera impossible de toucher quoi que ce soit si l’on souhaite partir avant. Ceux qui partent aujourd’hui à 62 ans devront cotiser deux années supplémentaires sous peine de tomber dans le sas de précarité. Il concernait en 2021 la moitié des personnes de 61 ans, c’est-à-dire que la moitié des gens qui ont dépassé 60 ans ne sont plus ni en emploi, ni en retraite. Ils sont au RSA, en invalidité, au chômage...

Troisième peine : le Gouvernement a reculé en supprimant de son texte les pénalités contre une entreprise qui ne recrute aucune personne dite « senior ». En n’imposant pas la moindre sanction, Emmanuel Macron entend faire peser le poids de leur non-emploi sur les seniors eux-mêmes. On sait ce que valent les demandes du Gouvernement aux entreprises. On a vu Bruno Le Maire demander poliment aux fournisseurs d’énergie de faire un effort, tout cela autour d’une galette des rois. Tremblez ! Ici, c’est pareil : la seule obligation, c’est la publication de l’indicateur. Ce qu’il doit être précisément, on ne le sait même pas.

Ce que vous proposez, c’est une désorganisation généralisée qui n’aura d’autre effet que l’usure des corps et des esprits, sans aucun contrôle. Nous ne partageons pas votre vision d’une société où le travail est le seul horizon. En attendant l’abandon de ce projet, nous proposons par l’amendement AS4788 de supprimer cet article.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Vous proposez la mise en place d’un indicateur relatif au taux d’emploi des salariés de plus de 55 ans. Je rappelle que le taux d’emploi des 55-64 ans est en deçà de la moyenne européenne. Rien ne laisse penser que cet indicateur permettrait de l’améliorer ne serait-ce qu’un peu. Parmi les retraités nés en 1950, un tiers n’était plus en emploi l’année précédant sa retraite. Plus précisément, c’est le cas de 37 % des femmes et de 28 % des hommes. Le recul de l’âge de départ à la retraite ne fera qu’accroître le nombre de gens pris dans ce sas de précarité, ni en emploi ni à la retraite.

C’est le Président de la République qui, en 2019, avait dit : « Tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. » Dans cet article 2, tout est de l’affichage. Il n’y a aucune contrainte alors que l’index de l’égalité professionnelle a déjà eu très peu d’effet ; les seules améliorations sont structurelles, à long terme. Nous ne voyons aucune raison de soutenir cet index et nous en demandons la suppression.

Mme la rapporteure générale. L’article 2 n’est ni une feuille de salade, ni la feuille de route du Medef qui, je le rappelle, y est opposé. Il crée un outil utile pour les employeurs comme les salariés. Un changement culturel est nécessaire car notre taux d’emploi des seniors est bas ; nous avons besoin de savoir comment, dans chaque entreprise, améliorer les choses, aller plus loin en matière d’intégration des salariés âgés. En supprimant l’article, ces amendements suppriment aussi les négociations obligatoires sur l’emploi des seniors.

Avis défavorable.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Le travail des seniors devrait être au cœur de ce projet de loi. Le groupe Les Républicains avait déposé des amendements sur l’aménagement du travail à temps partiel de manière choisie, sur la baisse des cotisations patronales à partir de 60 ans, sur le déplafonnement du compte personnel de formation à partir de 50 ans ou encore sur la valorisation du mentorat et du tutorat en entreprise, pour que ceux qui travailleront jusqu’à 64 ans trouvent un sens à leur activité et puissent le faire de la meilleure manière possible. Je regrette que ces amendements aient été déclarés irrecevables. C’est une conséquence du choix d’un PLFRSS. Cela nous prive d’un débat sur les contreparties acceptables à l’effort demandé aux Français.

Je rappelle que le Medef n’est pas satisfait de cet index, puisque l’on comparera des entreprises très différentes. J’espère que nous pourrons avoir dans l’hémicycle un vrai débat, car c’est une lacune du projet de loi qu’il faudra combler si nous voulons avancer.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Les programmes de préretraite datent d’il y a cinquante ans. Autrement dit, depuis cinquante ans, gauche et droite se sont accommodées de l’idée qu’il faut montrer la sortie aux salariés de 50 ou 55 ans. C’est une spécificité qui distingue notre pays de ses voisins, en particulier scandinaves, et c’est une source d’anxiété pour nos concitoyens, en particulier le tiers des non-retraités de 62 ans au chômage ou inactifs sans pouvoir faire valoir leurs droits à la retraite. Comment continuer ainsi deux ans de plus, voire davantage, pour bénéficier du taux plein ?

Le décalage de l’âge pivot, qui figure aussi dans notre projet, fera augmenter le taux d’emploi en fin de carrière. Toutefois, ce n’est pas suffisant. Comme l’a dit la Première ministre, l’index des seniors est une première réponse. Mais elle n’est pas suffisante non plus. Il permet aux entreprises, aux branches et à nous tous de prendre conscience de ces pratiques ancrées depuis cinquante ans chez les chefs d’entreprise comme chez les salariés.

La situation actuelle n’est pas une fatalité. En Finlande, où le taux d’activité des seniors était plus bas qu’en France au début des années 2000, il atteint des niveaux record, autour de 70 % pour les personnes de 61 à 64 ans. Une telle évolution suppose des éléments qu’il faudra traiter dans les textes à venir sur le travail, dont la retraite progressive et la formation professionnelle – qui paradoxalement concerne davantage les cadres que les ouvriers, les employés et les travailleurs de plus de 50 ans. Ce sont de grandes avancées. Saluons l’index des seniors pour ce qu’il est : nécessaire, mais pas suffisant.

M. Charles de Courson (LIOT). Cet article 2 est un cavalier social. Je parie qu’il sera censuré par le Conseil constitutionnel si le texte va à son terme.

L’enjeu crucial pour l’avenir de nos retraites est notre capacité à faire augmenter de manière volontaire le taux d’emploi des travailleurs âgés – les 55-65 ans. Or, le projet de loi ne contient presque rien à ce sujet. Il y a seulement une petite mesure bienvenue selon laquelle le cumul emploi-retraite ouvrirait désormais des droits à pension.

Pour combler cette lacune, nous avions suggéré plusieurs pistes à la Première ministre. Pourquoi ne pas moduler les cotisations patronales selon l’âge, comme pour les jeunes ? C’est une proposition de la Confédération des petites et moyennes entreprises, entre autres. Deuxième piste : obliger les entreprises à négocier sur la qualité du taux d’emploi des seniors et les moyens de combattre l’effet d’éviction de ces derniers. Troisièmement, améliorer le recours à la retraite progressive qui, certes, est étendu à la fonction publique, mais le vrai problème reste le secteur privé. Enfin, abonder le compte personnel de formation ou instaurer un cliquet pour éviter un désinvestissement dans la formation des 55-65 ans.

Voilà qui concourrait à une vraie politique d’emploi des seniors. Elle est absente du texte et l’index des seniors n’apportera aucune amélioration. Je suis favorable aux amendements de suppression dans l’espoir d’éviter une censure du Conseil constitutionnel qui serait désagréable au Gouvernement.

M. Jérôme Guedj (SOC). Avec l’article 2, nous sommes censés aborder les mesures positives de la réforme, mais l’index des seniors est une fumisterie majeure. Vous mettez l’accent sur un problème dont tout le monde convient qu’il est central : on pourrait rétablir l’équilibre du système des retraites en améliorant le taux d’emploi des seniors. Mais, alors que les efforts devraient se concentrer sur cette priorité, vous agitez un hochet, vous donnez un os à ronger, un prétendu moyen d’agir pour l’emploi des seniors qui est, en réalité, complètement dévitalisé.

À peine un quart des salariés seront concernés. Les sanctions encourues sont virtuelles. Elles ne pénalisent que l’absence de publication et non l’échec à atteindre un objectif quantifié. Vous prétendez remédier au caractère déséquilibré de la réforme par cette mesure. Ce que disait le Président de la République il y a trois ans et demi reste d’actualité : on ne peut pas repousser l’âge de la retraite tant que l’on n’a pas significativement augmenté le taux d’emploi des seniors. Cette augmentation significative n’a pas eu lieu depuis. Mais vous décidez de repousser l’âge légal. Pourtant, s’il y avait un point susceptible de faire consensus, ce serait bien une loi dédiée à l’emploi des seniors, puis un bilan au bout de quelques années.

Mme Farida Amrani (LFI - NUPES). Je ne demande qu’à être convaincue par cet article. Si j’ai bien compris, demander aux entreprises de produire un index résoudra le problème de l’emploi des seniors. Mais, en l’absence de sanctions financières, comment le Gouvernement et la majorité vont-ils obliger les entreprises à embaucher ou à préserver les seniors ?

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Cet article met en pratique l’hypocrisie qu’évoquait Emmanuel Macron en 2019. Sa portée est ridicule au regard des enjeux. Il ne concerne que les entreprises de plus de trois‑cents personnes alors que près de la moitié des salariés travaille dans une entreprise d’un effectif inférieur. La moitié des salariés ne sont donc pas concernés par l’index, qui n’est par ailleurs qu’une photographie. Et on demandera aux inspecteurs du travail, peu nombreux et qui ont déjà d’autres chats à fouetter comme la prévention des risques professionnels et des accidents du travail, de vérifier l’existence de cet index qui ne change rien à rien ? Vous qui donnez sans arrêt des leçons d’efficience de l’emploi des deniers publics, vous êtes champions toutes catégories !

Vous savez que cet article n’aura aucun effet. Il est là pour faire semblant. Nous n’avons aucune envie de cautionner cette démarche. Ce qu’il faudrait, c’est un vrai travail sur l’emploi des seniors, que nous réclamons de longue date et qui nécessiterait du sérieux et du temps. Nous serions prêts à l’entreprendre.

M. Nicolas Sansu (GDR - NUPES). L’article impose aux entreprises de produire et de publier un index, mais pas d’améliorer l’emploi des seniors. C’est étrange. Il y a une dizaine d’années, le contrat de génération, négocié avec les organisations syndicales, permettait d’encadrer les entrées et sorties progressives au sein de l’entreprise.

L’index n’empêchera nullement la catastrophe qui vient. Les seniors licenciés à 57 ou 59 ans ne retrouvent pas d’emploi parce que leur niveau de salaire correspond à une expérience de plusieurs décennies et que leur mobilité est plus contrainte qu’à 20 ans. Tout ce qu’on leur propose est très en dessous de ce à quoi ils peuvent prétendre. Ni en emploi, ni à la retraite, ils sont au chômage ou en invalidité, voire au RSA.

À la page 23 de l’étude d’impact, à propos des impacts sociaux de la mesure, on lit : « Impact sur les jeunes : sans objet. » En d’autres termes, le report de l’âge de la retraite n’aura aucun impact sur les jeunes. Je rappelle que le président du COR a eu un sourire, pour ne pas dire plus, quand on lui a expliqué qu’il fallait passer du modèle économétrique de simulation et d’analyse générale de l’économie, dit Mésange, à l’approche comptable dont le modèle, comme par hasard, fait apparaître deux créations d’emploi chez les jeunes pour une seule chez les seniors.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). L’employabilité des seniors nous préoccupe tous. L’article a pour intérêt d’améliorer la transparence. Pour modifier les comportements et négocier entre partenaires sociaux, il faut des indicateurs. De ce point de vue, l’index peut avoir un effet puissant. Il ne résoudra pas le problème de l’employabilité mais il permettra au moins de savoir ce qu’il en est. Il pourrait aussi être un critère d’exemplarité des entreprises.

M. Thomas Ménagé (RN). On savait l’intérêt commercial à prétendre faussement une production écologique ou locale. On découvre grâce au Gouvernement, peut-être sur le conseil de McKinsey, la mesure purement cosmétique visant à se prétendre inclusif envers les seniors. Certes, elle ne coûte pas grand-chose. Mais elle ne résoudra pas le problème. L’index est une façon de répondre à l’argument avancé par le Président de la République quand il jugeait « hypocrite » de repousser l’âge de départ sans régler l’employabilité des seniors. D’autres mesures auraient été possibles pour s’y efforcer, qu’il ne nous est pas autorisé de proposer dans le cadre du présent véhicule législatif. Je pense notamment à la formation, puisque seul un travailleur de plus de 55 ans sur dix utilise son compte personnel de formation. On pourrait aussi accompagner les entreprises afin qu’elles gardent les seniors en leur sein.

Je ne me vois pas dire aux femmes de 55 ans qui me rencontrent dans ma permanence, et qui ont perdu confiance parce que le système que vous défendez leur donne un sentiment de péremption, qu’on a réglé leur problème de chômage par un index.

Mme la rapporteure générale. La Cour des comptes a montré l’inefficacité des contrats de génération, qui ont donc été supprimés en 2017. Ce n’est pas un quart des salariés qui sera concerné par l’index, mais 55 % selon l’Insee.

M. Jérôme Guedj (SOC). Cela ne tient pas compte de la fonction publique !

Mme la rapporteure générale. Cela fera encore plus alors.

Le texte améliore l’information et la transparence. Il impose une négociation obligatoire sur l’emploi des seniors – une mesure forte peu abordée ici.

Nous en viendrons à l’article 13 aux transitions entre emploi et retraite.

Enfin, comme Mme Panosyan-Bouvet l’a dit, l’indicateur est nécessaire, non suffisant. Il faut ajouter les mesures que nous avons commencé à énumérer ce matin, notamment celles du texte à venir sur le plein emploi, qui concerneront aussi l’emploi des seniors.

La commission rejette les amendements.

Amendement AS7243 de M. Thibault Bazin

M. Thibault Bazin (LR). L’exposé des motifs de l’article parle de « faire de l’emploi des seniors une priorité des entreprises ». Mais c’est du pays tout entier qu’il doit être une priorité. L’index ne sera pas l’unique moyen de favoriser l’emploi des seniors. Dans sa rédaction actuelle, l’article pose d’ailleurs plus de problèmes qu’il n’en résout. Ainsi l’index n’est-il pas du tout adapté au sport professionnel.

Il faudrait étendre la réflexion à un véritable plan de formation qui définisse un parcours permettant des reconversions. Avec l’âge, certains métiers deviennent difficiles. En matière de prévention, nous n’avons pas été au rendez-vous. Il faudrait également un choc fiscal d’incitation à l’embauche.

Il convient ensuite de réfléchir, en lien avec la branche accidents du travail et maladies professionnelles, au rapport entre maladies professionnelles et cotisations des entreprises. Celles-ci ne doivent pas être pénalisées si un de leurs salariés déclare une maladie imputable à ses précédents employeurs.

En matière de retraite progressive, le projet de loi ne va pas assez loin. Il faudrait construire les fins de carrière de manière plus souple, les adapter, notamment concernant les rythmes. De ce point de vue, le dispositif des deux ans ne convient pas. Les comptes épargne-temps pourraient aussi être mobilisés.

Il y va surtout de notre rapport à nos seniors. La formulation « salariés âgés » est parlante ; elle peut d’ailleurs poser un problème d’intelligibilité. En tout cas, on pourrait valoriser ceux qui sont expérimentés comme on le fait dans d’autres pays. Ils pourraient former la nouvelle génération, lui transmettre leur savoir.

Mme la rapporteure générale. Demande de retrait au profit d’un amendement ultérieur qui tend à remplacer l’expression « salariés âgés » par « seniors ».

L’amendement est retiré.

Amendements AS2350 de M. Stéphane Viry, AS7205 de M. Bruno Fuchs, AS2351 de M. Stéphane Viry, AS7204 de M. Bruno Fuchs, AS2352 et AS2353 de M. Stéphane Viry (discussion commune).

M. Thibault Bazin (LR). Par l’amendement AS2350, je propose de remplacer « salariés âgés » par un terme juridiquement plus clair et moins péjoratif. L’amendement AS2351 remplace « âgés » par « expérimentés ». C’est plus valorisant. Le tutorat ou le mentorat représentent un véritable apport dans les entreprises. L’amendement AS2352 remplace le même mot par l’expression « de plus de 55 ans », et l’amendement AS2353 par « de plus de 57 ans ».

Quand on dit « âgés », à quel âge exactement pense-t-on ? Les dispositifs de retraite progressive s’appliquent aux deux dernières années d’activité. Cela veut-il dire que, si l’âge de départ est à 64 ans, on n’est âgé qu’à 62 ans ? On pourrait plutôt profiter des rendez-vous de prévention à mi-carrière pour proposer des reconversions professionnelles vers des métiers plus adaptés, où il serait possible de transmettre son expérience.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). L’amendement AS7205 est défendu.

M. Nicolas Turquois (Dem). L’amendement AS7204 est défendu.

Mme la rapporteure générale. Avis favorable à l’amendement AS2350, que je préfère aux autres. Nous allons débattre de l’âge qu’implique le mot « senior ».

M. Jean-François Coulomme (LFI - NUPES). C’est un amendement cosmétique qu’on dirait rédigé par une main de catégorie socio-professionnelle supérieure du Medef. Il faut conserver les mots dans leur crudité : pas la peine de les envelopper de « seniors » et autres enjolivements. Pour beaucoup de salariés d’autres catégories professionnelles, dire « âgés » est un minimum : arrivés à 60 ans, ils sont cassés, brisés, usés. Si nous avions déposé un amendement de réécriture de ce genre, c’est plutôt en ce sens que nous l’aurions rédigé.

M. Thibault Bazin (LR). Que faire pour améliorer le taux d’emploi des seniors ? Ce que je comprends, c’est que vous combattez l’emploi des seniors, préférant l’oisiveté ou la paresse. Pour ma part, je rencontre des seniors qui aimeraient que l’on construise des parcours leur permettant de continuer à travailler, même si ce n’est peut-être pas autant qu’avant ou pas dans le même métier. Certains veulent aller au-delà de l’âge de départ grâce au cumul emploi-retraite ; ils ont souvent de petites pensions après une carrière hachée et ils n’ont le droit de travailler que pour 300 euros par mois au maximum. Bien sûr, il y a des personnes qui ont été brisées et il faut y être sensible. Nous avons à faire en matière de prévention. Mais il y a d’autres parcours, qui ne sont pas réservés aux catégories supérieures. Il faut pouvoir accompagner les salariés exerçant tous les métiers, chacun selon son parcours.

Je ne suis pas sûr que l’index des seniors soit l’alpha et l’oméga d’une politique d’emploi des seniors. Il y manque beaucoup éléments. Mais un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale n’est pas le lieu pour les aborder. Il est dommage que nous n’ayons pu débattre d’une politique cohérente, faute d’avoir été saisis de l’ensemble des textes y concourant. À l’arrivée, la réforme des retraites est une double peine : on dit aux seniors de travailler plus longtemps alors qu’ils ne sont plus dans l’emploi et que l’on n’a pas créé les conditions – fiscales et de formation – leur permettant d’y demeurer.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Il faut mettre les bons mots sur les choses. Le terme « âgés » prend en compte l’usure des corps et les maladies professionnelles. Celui de « seniors » minore ces difficultés. Oui, ce sont des salariés âgés et c’est pour cette raison qu’ils ont besoin d’aménagements du travail, de pouvoir s’interroger sur leur carrière ou de formations.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). En effet, l’index des seniors n’est pas l’alpha et l’oméga. Nous ne le présentons pas ainsi. Ce n’est pas la seule réponse au chômage des seniors. La première est de faire reculer le chômage dans sa globalité car c’est ce qui changera le regard des employeurs. Les propos de la NUPES sur ces derniers, qui seraient tous cassés ou brisés, n’aident pas non plus à valoriser leur emploi.

En outre, il ne faut pas laisser dire que notre réforme ne prendrait pas en considération les personnes usées par le travail. Elle prévoit des dispositions permettant un départ anticipé, mais aussi évitant cette usure grâce à la prévention.

La commission adopte l’amendement AS2350.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Amendement AS3797 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Il s’agit, dans cet amendement et dans ceux qui suivront, de moduler les sanctions selon les effectifs de l’entreprise. Certains crieront à l’obstruction. Je demande un débat sur le sujet.

Le taux d’emploi des 60-64 ans n’est que de 33 %. Face à ce chiffre alarmant, Olivier Dussopt a dit qu’il fallait gagner la bataille de l’emploi des seniors. Mais le compte n’y est pas. En l’état, l’index des seniors ressemble à une coquille vide destinée à ne pas froisser le patronat, non à un plan de bataille. Nous proposons d’en faire un outil ambitieux de lutte contre l’âgisme qui gangrène le monde du travail. À cette fin, les sanctions seraient encourues en cas non seulement de défaut de publication de l’index, mais également de résultats insuffisants. Pour un vrai impact sur les pratiques des entreprises, il faut une définition claire et précise des indicateurs. Nous proposons une sanction financière suffisamment lourde et adaptée à la taille des entreprises, soit 3 % de la masse salariale pour les PME, 7 % pour les entreprises de taille intermédiaire et 10 % pour les grandes entreprises. C’est le strict minimum pour espérer un changement.

Il est également crucial d’appliquer le dispositif rapidement. Dans le contexte de menace sur nos retraites, il faut aux seniors une fin de carrière digne. Nous le devons aux milliers d’entre eux victimes de discriminations à l’embauche et de l’acharnement d’un Gouvernement qui les discrimine au quotidien depuis qu’il a durci les conditions d’accès à l’assurance chômage. C’est de la vie des gens que l’on discute ici ! Combien de temps pour instaurer un index des seniors ? Combien pour engager les négociations ensuite ?

Mme la rapporteure générale. Nous faisons confiance aux branches pour négocier les indicateurs. Par ailleurs, une date de mise en œuvre existe : automne 2023 pour les entreprises de plus de 1 000 salariés et mars 2024 pour celles de plus de 300.

M. Marc Ferracci (RE). En 2010, avant le report de l’âge légal de 60 à 62 ans, le taux d’emploi des 60-64 ans était de 19 %. Il a également chuté entre 1980 et 1986 après l’abaissement de l’âge légal de 65 à 60 ans. Cela montre que cet âge légal est un levier efficace pour accroître ce taux et maintenir les seniors dans l’emploi. La réforme va donc augmenter le nombre de seniors qui travaillent car, quand l’employeur et le salarié décident du moment où celui-ci va quitter l’entreprise, dans le cadre d’un plan de départ volontaire ou d’une rupture conventionnelle, ils prennent en considération la borne qu’est l’âge légal.

Ce levier puissant n’est pas le seul sur lequel agir. Le cumul emploi-retraite, qui ouvrira des droits à pension si la réforme est adoptée, en est un autre. La modification des règles de l’assurance chômage au profit des personnes qui travaillent ou souhaitent travailler l’est également : la prime associée à la reprise d’emploi sera plus élevée pour les seniors.

L’index ne sert pas seulement à responsabiliser les entreprises. Je vous invite à discuter avec des gens de 55 ans qui cherchent un emploi. Ils envoient des CV, par milliers parfois, à des entreprises qui n’ont pas prévu d’embaucher des seniors, mais ne le disent pas. L’index permettra de savoir quelles entreprises jouent le jeu de l’emploi des seniors, de cibler les recherches et d’éviter le découragement. Discutez avec les conseillers de Pôle emploi ; vous comprendrez qu’améliorer la recherche d’emploi est une des fonctions de l’index.

M. Philippe Vigier (Dem). Contrairement aux idées préconçues, une étude montre qu’un départ précoce à la retraite ne règle pas le problème du taux d’emploi des seniors. Au contraire, ce dernier s’améliore quand on décale l’âge de départ. Ensuite, 100 000 seniors en plus qui travaillent, c’est 1 milliard d’euros de recettes supplémentaires.

En ce qui concerne l’index, pourquoi ne pas l’imposer aux entreprises de moins de trois‑cents salariés, jusqu’au seuil de cinquante salariés ? Le porte-parole du Gouvernement a dit envisager des sanctions financières. Où en est la réflexion sur ce point ?

Mme Cyrielle Chatelain (Ecolo - NUPES). L’index des seniors illustre un invariant de votre politique : être durs avec les salariés. Il y a quelques mois, la réforme de l’assurance chômage a réduit de manière drastique la durée d’indemnisation des seniors. Mais vous êtes faibles avec les grandes entreprises qui, elles, n’encourent aucune sanction. Conjuguée à la casse du système social, l’absence d’une véritable politique de l’emploi provoquera inéluctablement une hausse du nombre de seniors qui ne sont ni en emploi ni à la retraite. Aujourd’hui, 26 % de ces personnes sont au chômage tandis que 23 % n’ont pas de revenus, autrement dit elles dépendent soit des allocations et des prestations sociales, soit de leur famille ou de leur conjoint – imaginez ce que peut ressentir une personne qui a travaillé toute sa vie pour finir aux crochets de quelqu’un ! Vous créez une trappe à pauvreté pour des gens qui ont travaillé toute leur vie. Avec l’expérimentation en cours sur le RSA, dont les bénéficiaires devront travailler pour continuer à percevoir l’allocation sans se constituer des droits à la retraite, vous promettez un monde de précarité à tout âge.

M. Louis Boyard (LFI - NUPES). Vous reconnaissez le problème que pose l’emploi des seniors. M. Ferracci a précisé les mesures que le Gouvernement entend prendre pour y remédier. Convenez qu’elles ne sont pas à la hauteur. Vous prétendez que l’index des seniors résoudra le problème en contribuant à changer les mentalités. Admettez qu’il n’est pas une solution miracle !

Farida Amrani vous a interrogés sur les moyens envisagés pour éviter qu’un nombre accru de seniors se trouvent sans emploi du fait du décalage de l’âge de départ. Je crains que vous ne reproduisiez le mauvais tour joué avec Parcoursup. Votre discours était alors : « Nous instaurons une sélection mais, rassurez-vous, nous améliorerons l’orientation en doublant le nombre de professeurs principaux et en organisant des visites dans les universités. » Finalement, la sélection est bien là, pas les contreparties qui devaient faire avaler la pilule. Je réitère donc la question : comment pallier les immenses difficultés que posera le décalage de l’âge de départ à la retraite ?

Mme Laure Lavalette (RN). Il faut n’avoir jamais croisé un directeur des ressources humaines pour imaginer qu’un index changera quoi que ce soit. Le report de l’âge légal n’aura aucun impact sur l’emploi des seniors. Quant à l’efficacité d’éventuelles sanctions, vous n’ignorez pas que certaines entreprises préfèrent payer les amendes plutôt qu’embaucher des personnes en situation de handicap. Il en ira de même pour l’emploi de seniors. Faute d’idées, vous en êtes réduits à proposer un indicateur ou un numéro vert.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS858 de M. Joël Aviragnet.

M. Elie Califer (SOC). L’index aura aussi peu d’effet que les mesures d’amélioration de la qualité de vie au travail ou d’insertion des personnes en situation de handicap.

L’amendement assigne à l’employeur l’objectif d’améliorer l’embauche des seniors et de les maintenir en activité comme il le fait pour les travailleurs moins âgés. La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail prévoit une visite médicale obligatoire à 45 ans. Nous devons faire preuve de cohérence dans les mesures que nous adoptons. Sinon, les entreprises peinent à les appliquer.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

Le président du COR a rappelé qu’il ne fallait pas opposer l’embauche d’un jeune et celle d’un senior. Les États dont le taux d’emploi des seniors est le plus fort sont aussi ceux dans lesquels le taux d’emploi des jeunes est le plus élevé.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Il s’agit d’un amendement de bon sens pour trois raisons. D’abord, il substitue à un objectif une prescription. Ensuite, il précise l’âge à partir duquel une personne est qualifiée de senior. Enfin, il est opérationnel puisqu’il impose à l’employeur d’agir sans discrimination. Or, on sait que les seniors en sont particulièrement victimes, qu’il s’agisse de formation, de salaire ou de placardisation.

Selon une étude de Simon Rabaté et Julie Rochut sur l’impact de la réforme des retraites de 2010 sur l’activité des seniors en France, 33 % des personnes dont l’âge de départ a été décalé de deux ans sont au chômage, 17 % en arrêt maladie ou en invalidité et 10 % inactifs. Autrement dit, 60 % des personnes concernées ne sont pas en emploi. Le report de la retraite ne permet pas de maintenir les gens sur le marché du travail. Cela ne fonctionne pas. Je réitère à mon tour la question : puisque vous escomptez un effet limité de l’index sur l’emploi des seniors, quelles autres solutions proposez-vous ?

M. Fabien Di Filippo (LR). Je m’étonne que certains amendements examinés par la commission des finances aient subi ici les fourches caudines de l’irrecevabilité, en particulier sur le cumul emploi-retraite.

Il faut manier les comparaisons avec précaution. Ainsi, le taux de chômage des 50 ans et plus est-il l’un des plus bas avec 5,5 %.

Il paraît dangereux d’imposer aux entreprises des contraintes législatives. Si nous voulons obtenir des résultats, ce sont les branches professionnelles qui doivent s’emparer du sujet.

M. Marc Ferracci (RE). Monsieur Clouet, il existe d’autres études qui établissent un lien de causalité entre report de l’âge légal et emploi des seniors. Il est vrai que le taux d’inactivité augmente. Mais l’impact sur le taux d’emploi est réel.

La réforme propose de nombreuses mesures destinées à protéger les personnes hors d’état d’exercer un emploi – incapacité ou inaptitude – ainsi que celles qui ont subi des métiers pénibles. Une fois que les branches professionnelles auront pris en considération les trois critères – port de charges lourdes, postures pénibles et vibrations mécaniques –, les salariés pourront soit partir plus tôt, après la visite médicale à 61 ans, soit obtenir un congé de reconversion, soit bénéficier d’un accompagnement en matière de prévention. Il faut considérer les bénéfices du report de l’âge légal pour le taux d’emploi des seniors et les finances publiques comme la cohérence globale de la réforme.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Clouet, les mêmes auteurs estiment que « cette combinaison de réformes a eu un impact indéniable : au cours des vingt dernières années, l’emploi des travailleurs âgés a augmenté régulièrement et significativement avec une forte accélération au cours des dernières années ». Les sujets de discorde ne manquent pas mais les économistes s’accordent sur les effets positifs sur l’emploi des seniors des réformes ayant repoussé l’âge de départ à la retraite.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3139 de M. Yannick Monnet.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Pourquoi ne pas ouvrir un numéro vert pendant que vous y êtes ? Vous nous avez habitués à plus de créativité. Il n’est pas besoin de démontrer le caractère inopérant de l’index. Le taux d’emploi des seniors s’est détérioré, notamment sous l’effet des précédentes remises en cause de l’âge de départ à la retraite. Rien ne permet de penser que votre réforme sera bénéfique à cet égard. En revanche, tout indique qu’elle transférera des charges à l’assurance chômage et aux départements, puisque le nombre de seniors éligibles au RSA sera multiplié par quatre.

Ensuite, 495 000 seniors sont contraints de cumuler une retraite de misère et un emploi de misère alors que leur corps souffre. Votre réforme ne leur apporte aucune aide.

Enfin, quels sont les freins à l’emploi des seniors ? La nature précaire des contrats ; le nouveau salaire, nettement inférieur à l’ancien dans l’entreprise qui les a virés sans ménagement ; l’absence de formation pour s’adapter au nouvel emploi ; les obstacles à la mobilité, en particulier dans les territoires ruraux. Autant de sujets sur lesquels votre réforme est muette !

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Dans les territoires ultramarins, où le chômage des jeunes bat des records, que ferez-vous pour l’emploi des seniors ?

M. Ferracci rêve une cohérence avec la réforme de l’assurance chômage qui oblige à retrouver du travail. Je lui en donne crédit : avec ce PLFRSS, vous contraignez les seniors à retrouver du travail coûte que coûte.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Pour que l’index améliore les conditions d’emploi des salariés âgés, il faudrait que l’employeur ne se contente pas de viser un objectif mais qu’il l’atteigne. Je reviens sur la question de mes collègues : que comptez-vous faire pour améliorer l’emploi des seniors ?

M. Marc Ferracci (RE). Je vous saurais gré de ne pas détourner mes propos, monsieur Jumel. J’ai évoqué un complément de salaire destiné à aider les seniors à retrouver un emploi. J’accepte volontiers le débat dès lors qu’il évite les arguments mensongers.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). J’entends ce que vous dites, je n’avais pas saisi l’intégralité de vos propos. Néanmoins, je maintiens que la réforme de l’assurance chômage pénalisera les seniors qui font souvent partie des charrettes de licenciement car ils coûtent cher et leur productivité est mise en doute. Je vous reconnais une cohérence : d’un côté, vous tapez sur les chômeurs ; de l’autre, vous aggravez le chômage des seniors en repoussant l’âge de départ.

Mme la rapporteure générale. Madame Keke, le projet de loi comporte deux volets sur l’emploi des seniors : l’index et la recherche de la transparence ; l’obligation de négocier dans les branches. Ils seront complétés lors de l’examen du projet de loi sur le plein-emploi. S’agissant des contraintes, je doute de leur efficacité en raison de la diversité des situations dans les entreprises. Il est préférable de laisser les branches choisir les solutions les plus adaptées.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS2354, AS2355, AS2357 et AS2356 de M. Stéphane Viry, amendements AS3777 de M. Max Mathiasin et AS837 de M. Jérôme Guedj (discussion commune).

M. Thibault Bazin (LR). Les quatre amendements de Stéphane Viry ont pour objet de substituer à la notion de « salariés âgés » celle de « seniors » – amendement AS2354 –, celle de « salariés expérimentés » – amendement AS2355 – ou encore de préciser l’âge des personnes concernées – plus de 55 ans pour l’amendement AS2356 ou plus de 57 ans pour l’amendement AS2357.

Compte tenu de votre préférence pour le mot « seniors », madame la rapporteure générale, je retire trois amendements pour ne conserver que l’amendement AS2354.

Les amendements AS2355, AS2357 et AS2356 sont retirés.

M. Charles de Courson (LIOT). L’article ne nous dit pas ce qu’est un senior. C’est bizarre. Afin de contribuer à une meilleure législation, l’amendement AS3777 vise à définir les seniors comme les personnes de 50 ans et plus.

M. Jérôme Guedj (SOC). Charles de Courson, une nouvelle fois, appuie où ça fait mal. Vous créez un index des seniors mais nous ne savons ni ce qu’est l’index – la définition des critères sur la base desquels l’emploi sera pris en compte est renvoyée à plus tard –, ni ce qu’est un senior. L’amendement tend donc à préciser qu’un salarié est considéré senior dès lors qu’il est âgé d’au moins 50 ans, ce qui n’exonère pas l’employeur d’efforts en amont en matière de formation pour préparer la poursuite de sa carrière.

Il est étrange de faire de l’index l’alpha et l’oméga de vos mesures pour développer l’emploi des seniors. J’ai noté que vous êtes toutefois plusieurs à en souligner l’insuffisance. Nous n’avons cessé de le répéter : nous aurions dû consacrer notre énergie à travailler ensemble pour accroître le taux d’emploi des seniors. C’eût été la véritable réforme des retraites, une réforme qui aurait répondu aux besoins des salariés tout en assurant l’équilibre financier du système. Faute de progression rapide de l’emploi des seniors, vous êtes condamnés à courir après ce qui constitue le cœur des inégalités de notre système.

Précisons au moins l’âge à partir duquel le timoré index des seniors s’applique. Nous sommes également favorables à la proposition de Philippe Vigier d’abaisser le seuil de trois‑cents à cinquante salariés.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous sommes tous sensibles au problème de l’emploi des seniors. Sous la précédente législature, une mission d’information sur l’emploi des travailleurs expérimentés avait été menée par Didier Martin et Stéphane Viry. D’autres propositions viendront dans les futurs textes compléter les mesures soumises aujourd’hui.

Mme la rapporteure générale. Avis favorable à l’amendement AS2354, défavorable aux autres.

Il est indispensable de conserver une flexibilité. Les études de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques montrent que les discriminations fondées sur l’âge commencent à partir de 40 ou 45 ans. La politique en matière d’emploi des seniors varie selon que l’activité relève du tertiaire, de la sylviculture, de l’industrie de la construction, etc. Il n’est donc pas souhaitable d’inscrire dans la loi un âge qui pourrait s’avérer inapproprié.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Marc Ferracci s’est félicité que le projet de réforme lève une contrainte. Mais l’âge légal n’est pas une contrainte. Personne n’est obligé de partir à cet âge-là – la date butoir est à 67 ans dans la fonction publique et à 70 ans dans le secteur privé. Votre projet a au contraire pour effet de rogner une liberté. Vous usez d’une tautologie en affirmant que, si l’on oblige les seniors à travailler plus, certains travaillent plus. Heureusement que le taux d’emploi augmente lorsque les gens sont forcés de travailler !

Le taux d’emploi doit être analysé de manière fine, par catégorie socioprofessionnelle. Chez les cadres, la réforme de 2010 a entraîné une légère hausse – il est question ici de maintien dans l’emploi et non d’accès – tandis que les ouvriers et les employés ont connu une hausse du chômage trois fois plus forte que celle de l’emploi. On peut parler d’une machine à précariser. Une question morale nous est posée : un emploi vaut-il un chômeur ? Je pense que non, contrairement à vous.

M. Charles de Courson (LIOT). Madame la rapporteure générale, l’amendement auquel vous êtes favorable ne résout pas le problème. Je ne suis pas insensible à votre argument selon lequel il faut laisser les branches définir ce que recouvre la notion de senior en leur sein. Mais il faut malgré tout fixer un âge. Le fait de remplacer « personnes âgées » par « seniors », même si l’intention est louable, ne suffit pas.

M. Elie Califer (SOC). Nous nous payons de mots. Après avoir substitué « seniors » à « personnes âgées », nous ne savons toujours pas à quel âge correspond cette notion. Parlons-nous du senior dans l’aviation, du maçon ou de celui qui travaille dans une petite entreprise ? Et pourquoi limiter l’index aux entreprises de plus de trois‑cents salariés ? Si vous refusez de définir un seuil d’âge pour les seniors, notre débat aura été vain.

Il faut un travail en amont pour assurer aux seniors des conditions d’emploi acceptables, sans quoi ils préfèrent quitter leur poste ou être placés en congé maladie. Ces départs pèsent sur l’entreprise. Si nous voulons développer l’emploi des aînés, nous devons réfléchir sans dogmatisme. Madame la rapporteure générale, vous êtes réticente à imposer des contraintes aux patrons. Mais il faut bien que la loi fixe le cadre dans lequel l’humain s’épanouit.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Mme la rapporteure générale l’a rappelé : l’index des seniors n’est qu’une mesure parmi d’autres. L’obligation de négociation dans les branches incitera les employeurs à embaucher des seniors ; la retraite progressive dont nous avons peu parlé jusqu’ici est un bon outil de maintien dans l’emploi ; nos actions contre le chômage seront poursuivies ; le prochain projet de loi sur l’emploi renforcera la formation et l’accompagnement des seniors.

Que proposent la NUPES et le RN ? La NUPES se contente de prôner une hausse des cotisations et des taxes. Pensez-vous vraiment que cela soit de nature à améliorer l’emploi des seniors ? N’y a-t-il pas, au contraire, un risque de casse de l’emploi ? Quant au RN, il se borne à préconiser un renforcement de la politique nataliste. Que fait-on en attendant pendant vingt ans ?

Il faut être réaliste et tenir un discours de vérité. La situation n’est pas facile mais nous nous employons à trouver des solutions.

M. Thibault Bazin (LR). L’article 2 n’est pas abouti. Pour en dissiper le flou, il faudra le mettre en cohérence avec l’ensemble des politiques publiques en faveur de l’emploi des seniors et ajuster l’âge à partir duquel l’index s’appliquera.

La commission adopte l’amendement AS2354.

Puis elle rejette successivement les amendements AS3777 et AS837.

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Réunion du lundi 30 janvier 2023 à 21 heures (article 2 [suite])

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12811116_63d820a8a30f4.commission-des-affaires-sociales--projet-de-loi-de-financement-rectificative-de-la-securite-sociale-30-janvier-2023

Mme la présidente Fadila Khattabi. Chers collègues, nous avons examiné 143 amendements ; il nous en reste 5 423...

Article 2 (suite)
Mise en place d’un indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés

Amendement AS3140 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Le contrat de génération, institué en 2013 mais abrogé depuis, comportait des obligations très strictes pour les entreprises de plus de cinquante salariés. Nous proposons donc de préciser les dispositions du présent projet de loi afin que l’objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des salariés âgés soit atteint. Il s’agirait d’indiquer que cet objectif prend en considération le recrutement des salariés âgés dans l’entreprise, l’anticipation de l’évolution des carrières professionnelles, l’amélioration des conditions de travail et la prévention des situations de pénibilité, le développement des compétences et des qualifications et l’accès à la formation, l’aménagement des fins de carrière et de la transition entre activité et retraite, ainsi que la transmission des savoirs et des compétences et le développement du tutorat. Nous estimons que ces questions mériteraient des échanges réguliers au sein de l’entreprise.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Avis défavorable.

Il y aura des critères nationaux pour l’index, qui seront définis par décret après consultation des syndicats. Les branches et les entreprises pourront ensuite les adapter à la réalité du terrain. Ne rigidifions pas les choses.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). La mesure que nous proposons est au contraire très souple. Ce que nous voulons, c’est inscrire dans le droit des dispositions un peu contraignantes. Lorsque cela concerne les salariés, la contrainte est au rendez-vous, mais lorsqu’il s’agit des entreprises, il n’y a plus rien.

M. Charles de Courson (LIOT). Pour le bon déroulement de nos débats, pourriez‑vous nous indiquer, madame la présidente, le nombre d’heures qu’il nous reste pour examiner le texte ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous avons jusqu’à mercredi, 20 heures – étant entendu que s’il ne nous restait que quelques amendements à examiner, nous pourrions aller un peu au-delà.

M. Charles de Courson (LIOT). Il ne nous reste donc plus que dix-huit heures environ...

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous disposions de vingt-huit heures au total pour examiner l’ensemble du texte.

M. Charles de Courson (LIOT). Pour arriver au bout du texte, il faudrait que nous avancions au rythme de 250 amendements à l’heure. Tout est fait pour que nous n’abordions pas l’article 7 !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Cela ne tient qu’à vous, chers collègues !

M. Charles de Courson (LIOT). Peut-être serait-il bon que les groupes qui ont déposé beaucoup d’amendements répétitifs les retirent pour que nous puissions l’examiner ?

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). J’invite donc nos collègues du groupe Renaissance à retirer leurs amendements répétitifs...

Il convient d’aborder tous les sujets importants, et l’emploi des seniors en est un. La disposition que propose notre collègue Dharréville n’est absolument pas rigide. Au contraire, tous ceux qui ont déjà participé à des négociations syndicales savent que le fait d’imposer un thème de négociation – les salaires, l’égalité entre les femmes et les hommes, etc. – permet de fixer un cadre à la discussion. Une négociation sans objectif ni thématique ne débouche en général sur rien. Il s’agit donc d’une suggestion de bon sens, qui permettra de rendre le texte opérant. Si j’étais macroniste, je voterai avec enthousiasme pour cet amendement !

M. Thibault Bazin (LR). Ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) comporte plusieurs dispositions qui sont renvoyées soit à des décrets soit à une négociation avec les partenaires sociaux. Pour ce qui concerne la pénibilité, par exemple, un accord entre les employeurs et les organisations syndicales pourrait déboucher sur une codification. Vous renvoyez aussi à un accord la définition des indicateurs de l’objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des salariés âgés. L’amendement de Pierre Dharréville, loin de rigidifier les choses, ne ferait que les préciser. Je pense que nous pourrions nous retrouver autour des différents thèmes répertoriés. Si les négociations conduites en parallèle aboutissaient d’ici à la fin de la navette parlementaire, il serait toujours temps d’en codifier les résultats, mais, en attendant, adoptons cet amendement !

M. Nicolas Turquois (Dem). Je suis macroniste et je trouve l’amendement intéressant. Je souhaiterais que le départ à la retraite ne soit plus vécu comme une rupture, comme c’est encore trop souvent le cas. Les principes énoncés ici me semblent pertinents. En l’état, l’index seniors est trop léger. Il serait bon d’inscrire dans la loi un certain nombre de critères.

M. Marc Ferracci (RE). L’amendement me semble déjà satisfait par le code du travail, dans les articles traitant de la gestion des emplois et des parcours professionnels, puisque le projet de loi prévoit la négociation d’un tel accord concernant l’emploi des seniors. On s’attachera, dans ce cadre-là, à la formation professionnelle, à la mobilité professionnelle ou géographique, etc.

M. Jérôme Guedj (SOC). Tout le monde s’accorde à dire que l’index seniors, c’est mieux que rien. Tâchons donc de le concevoir au mieux. Nous ne connaissons pas les indicateurs qui seront retenus – on nous a expliqué qu’il fallait, d’une certaine façon, les « décentraliser » et que chaque branche les définisse. On aurait pourtant pu déterminer un socle commun, ce qui aurait permis des comparaisons. À cet égard, l’amendement de Pierre Dharréville a la vertu de circonscrire le périmètre d’application de l’index. On ne peut pas à la fois renvoyer à un décret la liste des indicateurs et leurs méthodes de calcul et refuser d’inscrire dans la loi ce que recouvre concrètement l’objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des salariés âgés. L’adoption de cet amendement serait l’expression d’une coproduction vertueuse et permettrait d’envoyer un signal fort avant le débat en séance.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Si c’est déjà écrit dans le code du travail et que cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant : adoptons cet amendement !

Mme la rapporteure générale. Je le répète, une telle disposition rigidifierait les choses. Si des branches ou des entreprises veulent ajouter des critères qui ne figurent pas dans la liste, elles ne le pourront pas.

Mme Laure Lavalette (RN). Madame Parmentier-Lecocq, pour rebondir sur notre débat de la fin d’après-midi – que nous n’avons pu mener à son terme –, je vous ai apporté la proposition de réforme des retraites de Marine Le Pen. Je vous l’offre. Pour l’heure, le véhicule législatif ne nous permet pas de la décliner, mais si vous êtes réélue en 2027, vous aurez certainement l’occasion de la voter.

L’amendement de M. Dharréville vise à contenter les salariés sans être trop rigide avec les entreprises. C’est un jeu d’équilibriste : il faut faire les choses « en même temps » – mais vous avez une certaine pratique en la matière, chers collègues de la majorité.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS3141 de M. Yannick Monnet.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Par l’amendement AS3141, il s’agit, là encore, de préciser le dispositif, afin qu’il repose sur des objectifs chiffrés et des indicateurs concrets et réalistes, et que l’on puisse ainsi évaluer les effets des actions entreprises.

Mme la rapporteure générale. Fixer des objectifs chiffrés n’aurait aucun sens : les entreprises et les secteurs sont très divers et l’on ne peut imposer par la loi, uniformément et sans concertation, un pourcentage de recrutements au-dessus d’un certain âge.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). L’amendement ne fixe aucun objectif. Il reviendrait au Gouvernement de les définir, à la suite de négociations avec les branches.

Je voudrais à ce propos appeler votre attention sur le fait que notre amendement visant à substituer au décret la négociation avec les organisations syndicales a été déclaré irrecevable au motif qu’il comportait une injonction au Gouvernement. Cela me semble très discutable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS3782, AS3795, AS3776, AS3785, AS3796 et AS3786 de M. Sébastien Peytavie, AS4834 de M. Pierre Dharréville, AS1278 de M. Lionel Causse, AS6333, AS3755, AS6374, AS6411 et AS6429 de M. Sébastien Peytavie, AS3142 de M. Pierre Dharréville, amendements identiques AS2167 de M. Arthur Delaporte, AS3751 de M. Sébastien Peytavie, AS4654 de M. Paul-André Colombani et AS7149 de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, amendements AS6233, AS6242, AS6252 et AS6198 de M. Sébastien Peytavie, amendements identiques AS860 de M. Joël Aviragnet et AS5915 de M. Sébastien Peytavie, amendements AS5947 et AS5971 de M. Sébastien Peytavie, AS861 de M. Joël Aviragnet, AS5992 et AS6021 de M. Sébastien Peytavie, AS862, AS863 et AS864 de M. Joël Aviragnet, amendements identiques AS865 de M. Joël Aviragnet et AS5652 de M. Francis Dubois (discussion commune).

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Nous présentons une série d’amendements visant à faire de l’index seniors un outil de contrôle ambitieux, assorti de sanctions dissuasives, afin que les entreprises ne dérogent pas à leurs obligations en matière d’emploi des seniors.

Ceux-ci sont massivement victimes de discrimination à l’embauche et au maintien à l’emploi. Beaucoup d’entreprises les considèrent comme des salariés jetables et ne veulent pas prendre d’engagement par peur de prétentions salariales pourtant légitimes après quarante années de travail et d’expérience. Or force est de constater que l’index proposé par le Gouvernement manque d’ambition. Il n’est pas contraignant et ne changera certainement rien.

Nous avons découvert avec surprise qu’il s’agissait d’une copie au rabais de l’index de l’égalité professionnelle, lequel est inefficace du fait qu’il ne comporte pas d’indicateurs clairs, que ses méthodes de calcul manquent de transparence et qu’il est assorti de sanctions insuffisamment dissuasives. Alors qu’il existe encore un écart de 22 % des salaires entre hommes et femmes et qu’on observe une surconcentration d’emplois précaires et de temps partiel chez les femmes, 92 % des entreprises obtiennent comme par magie un score supérieur à 75 sur 100. Des directeurs des ressources humaines ont même admis qu’il était très simple de manipuler les données pour obtenir quelques points supplémentaires. On trouve sur internet des conseils pour obtenir la note la plus favorable et grappiller des points en jouant sur les indicateurs. Les contrôles sont rares faute de budget. L’index de l’égalité professionnelle sert donc essentiellement de faire-valoir aux entreprises.

Avec l’index seniors proposé par le Gouvernement, nous risquons de nous trouver dans la même situation. Pire, il n’impose même pas aux entreprises d’obtenir un score minimum : l’obligation ne concerne que la publication. Il est évident qu’en l’état, son effet sera nul. Cela révèle l’absence totale de volonté de la part du Gouvernement de rendre de la dignité aux seniors.

Nous demandons donc que les entreprises soient obligées non seulement de publier l’index mais également d’obtenir une note suffisamment élevée, comme c’est le cas pour l’index de l’égalité professionnelle, qui requiert un score de 75 sur 100. Nous ne pouvons voter en faveur d’un index seniors qui n’exige même pas des entreprises des résultats corrects. Le Gouvernement s’étant déclaré ouvert à toute amélioration potentielle de cet outil, nous en proposons plusieurs, en espérant que les plus ambitieuses seront adoptées.

Nous souhaitons étendre le dispositif aux entreprises de plus de onze salariés ou, à défaut, de cinquante : il ne faudrait pas qu’il ne concerne qu’une minorité de salariés. Les entreprises de plus de trois cents salariés ne représentent en effet que 39 % du total des entreprises et la moitié des salariés français travaillent dans de petites et moyennes entreprises. Ce sont 7 millions de personnes qui seraient ainsi privées des mesures d’accompagnement en faveur des seniors.

Pour ce qui est des sanctions, nous proposons d’opérer une distinction entre les entreprises en fonction de leur taille : une PME ne dispose pas des mêmes ressources qu’une multinationale. En outre, leur montant maximum, fixé à 1 % des rémunérations et gains, est dérisoire. Les entreprises qui licencient massivement les salariés seniors le font par intérêt financier, parce qu’elles considèrent qu’un salarié senior ne leur rapporte rien et qu’il est bon à jeter. Un index ambitieux doit être assorti de sanctions dissuasives et punitives, sans quoi le dispositif restera une coquille vide. Nous sommes donc favorables à des sanctions allant de 3 % à 35 % des rémunérations et gains, en fonction de la taille de l’entreprise.

Le sort réservé à ces amendements en dira long sur la volonté de la majorité de donner à ce nouvel outil les moyens d’avoir un effet réel sur l’emploi des seniors et de rendre leur dignité aux travailleurs et travailleuses les plus âgés.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). L’index est censé procurer des informations sur l’emploi des seniors dans les entreprises et aussi être un outil incitatif. Or le seuil de trois cents salariés ne correspond pas au tissu économique de certains territoires, notamment ruraux. Sachant que la problématique de la mobilité est l’un des principaux enjeux en matière d’emploi des seniors, abaisser le seuil à onze salariés comme le propose l’amendement AS4834 permettrait d’avoir connaissance de la situation dans des territoires où le tissu économique est majoritairement constitué de petites entreprises embauchant un petit nombre de salariés. Cela permettrait de mener une politique beaucoup plus efficace en matière de retour à l’emploi des seniors.

M. Éric Alauzet (RE). L’amendement AS1278 est défendu.

M. Nicolas Sansu (GDR - NUPES). On veut nous faire croire que cet index va régler la question de l’emploi des seniors et, ce faisant, celle des retraites, mais ce n’est qu’une friandise destinée à faire passer la pilule ! De surcroît, le dispositif sera sans doute censuré par le Conseil constitutionnel. Bref, quand le sage désigne la lune, certains regardent l’index...

Le seuil de cinquante salariés, que nous proposons par l’amendement AS3142, ne sort pas de nulle part : c’est celui qui est appliqué pour l’index de l’égalité professionnelle. Cela étant, les organisations syndicales vous diront que ce dernier n’a rien changé.

M. Arthur Delaporte (SOC). Les différents groupes membres de la NUPES ont déjà eu l’occasion d’exprimer leur scepticisme concernant cette mesure. Il ne s’agit que d’un paravent qui masquera mal la dégradation de l’emploi des seniors que provoquera la réforme. En outre, nous doutons, tout comme M. de Courson, de la recevabilité constitutionnelle de cette disposition – qui en devient presque fictive.

Cela étant, en l’état, le dispositif ne s’appliquerait qu’aux entreprises de plus de trois cents salariés. Seuls 39 % – au maximum – des salariés seraient ainsi concernés par cet index. C’est pourquoi nous proposons d’élargir son champ d’application aux entreprises de plus de cinquante salariés. Quitte à inventer une usine à gaz, autant qu’elle touche le plus grand nombre !

M. Paul-André Colombani (LIOT). L’index seniors ne réglera en rien le problème de l’emploi des seniors. En l’état, cet index et l’obligation de négocier un accord de gestion des emplois et des parcours professionnels ne concerneraient que les entreprises de plus de trois cents salariés, qui n’emploient que 39 % des salariés du secteur privé. Le groupe LIOT propose donc d’abaisser le seuil aux entreprises d’au moins cinquante salariés. Si elle était appliquée en l’état dans des territoires fragiles comme la Corse, les territoires d’outre-mer ou les zones de montagne, cette disposition ne servirait à rien.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). L’index de l’égalité professionnelle s’appliquait initialement aux entreprises de plus de deux cent cinquante salariés, puis, au bout d’un an, à celles de plus de cinquante salariés. Mon amendement vise à introduire une cohérence entre les deux index. En effet, la place des seniors en entreprise constitue un défi national tout aussi important que l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les travailleurs d’aujourd’hui étant les retraités de demain. En outre, fixer le même seuil et le même délai de mise en application pour les deux index serait plus simple et plus lisible pour les entreprises. Enfin, alors que l’index de l’égalité professionnelle se fonde sur des historiques de rémunération, il est probable que l’index seniors repose sur des critères démographiques – nombre de salariés, mobilité interne, recrutements – plus facilement mobilisables et exploitables par les entreprises, quelle que soit leur taille.

M. Elie Califer (SOC). Je défends l’amendement AS860. Il serait bon, en effet, de faire preuve d’un peu de cohérence. En outre, un seuil trop élevé ne serait pas adapté à certains territoires. C’est pourquoi nous préférerions qu’il soit fixé à cinquante salariés.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je défends les amendements AS861 et AS862. Toutefois, si certains collègues estiment, comme on me le souffle, qu’un seuil aussi bas risquerait d’inclure les start-up, qui embauchent peu de seniors, on peut aussi le fixer à 125 salariés, comme dans l’amendement AS861. Au-dessus de 100 salariés, on est sûr de trouver des seniors.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je défends les amendements AS863, AS864 et AS865. Nous multiplions les propositions en vue d’améliorer ce mauvais index, avec des amendements visant à abaisser le seuil à 50, 100, 150, 175, 200 ou 250 salariés. Toutefois, il me semble qu’un consensus pourrait se dégager autour du seuil de 50 salariés, certains membres du groupe Renaissance défendant cette option. Nous pourrions ainsi passer à autre chose.

M. Fabien Di Filippo (LR). L’amendement AS5652 est défendu.

Mme la rapporteure générale. M. Peytavie mérite une petite médaille pour ses cent quarante‑deux amendements, déclinant de plus de dix à plus de deux cent cinquante le nombre de salariés rendant les entreprises éligibles au dispositif.

Tout en étant nécessaire, l’index seniors implique une charge administrative non négligeable pour l’entreprise. Ses résultats sont particulièrement utiles lors des négociations sur la gestion de l’emploi au sein de l’entreprise, qui s’imposent aux entreprises de plus de trois cents salariés. Il est logique que sa publication soit obligatoire pour les entreprises de cette taille.

Avis défavorable à l’ensemble des amendements.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Que va changer votre index seniors pour le gros paquet de seniors que La Voix du Nord a décidé de licencier, pour Marc, serveur dans un restaurant, licencié parce qu’il ne galopait pas assez vite dans les escaliers, pour la série d’auxiliaires de vie, d’agents d’entretien, de manutentionnaires de chez Dunlop qui partent pour inaptitude, sans la moindre proposition de reclassement ? Rien !

En allongeant l’âge de la retraite de 60 à 62 ans, on a multiplié par quatre en dix ans le nombre de seniors au revenu de solidarité active. On a remplacé une retraite méritée par de l’allocation pauvreté : des gens qui gagnaient 1 200 ou 1 300 euros se sont retrouvés à toucher 500 euros. Votre projet de loi ne changera rien pour tous ceux-là. Au contraire, vous allez reproduire la même chose par l’allongement de 62 à 64 ans.

Vous n’agissez pas pour que les seniors ne se fassent pas jeter de l’entreprise, pour qu’ils n’en sortent pas usés, épuisés, ce qui fait que l’on a un taux d’emploi des seniors particulièrement bas – en dessous de 60 %.

Les syndicats vous l’ont dit la semaine dernière, l’index ne sert à rien d’autre qu’à faire de l’habillage, à divertir le regard de l’essentiel. Les Français l’ont très bien compris, malgré toute votre pédagogie et vos index – il ne manque que des numéros verts –, le cœur de votre réforme, c’est deux ans ferme !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Votre index, c’est de l’enfumage ! Sous la législature précédente, vous avez commencé à instaurer un permis de licencier en paix, notamment en barémisant les indemnités prud’homales, ce qui permettait aux tauliers de calculer combien leur coûterait le licenciement avant même d’y procéder. Vous avez institutionnalisé, pour ainsi dire, les licenciements de compétitivité, ou boursiers, qui permettent de se débarrasser de ceux que vous appelez les seniors, qui sont, pour nous, des travailleurs expérimentés, qui ont un savoir-faire, une expertise. D’un coup de crayon, vous décidez de les jeter, comme des kleenex.

Chez moi, c’est un paquet de seniors de la fonderie Sival qui va se retrouver « sur le sable » – au chômage. Pour eux, c’est la double peine : non seulement ils seront immédiatement percutés par votre réforme de l’assurance chômage, censée stimuler les demandeurs d’emploi dans leur recherche d’emploi, mais votre index va révéler son inefficacité absolue à leur permettre de retrouver du boulot. Pour ceux-là, qui ont la valeur travail chevillée au corps et une expertise, il faudrait d’abord que leurs corps suivent – ce n’est pas évident et c’est la raison pour laquelle nous resterons fondamentalement opposés au report de l’âge de la retraite. Ils auraient aussi besoin de formations, de contrats stables, de propositions de boulots en proximité, ce que votre index inefficace, inutile et d’enfumage est loin de résoudre.

Je le dis pour que vous ne puissiez pas vous prévaloir d’avoir trouvé un consensus en sortant de cette commission.

M. Thomas Ménagé (RN). Un consensus se dégage tout de même : cet index ne sert à rien, c’est de l’enfumage.

Monsieur Peytavie, les entreprises de 300 salariés ont les services RH et les moyens de se payer des cabinets. Pour elles, cet index ne servira peut-être à rien, mais il sera une charge administrative incroyable pour une entreprise de onze salariés – d’ailleurs, comment le calculer sur un si petit nombre d’employés ?

Le proposer, c’est vraiment ne pas connaître nos artisans, commerçants, très petites entreprises, qui ont quelques ouvriers, qui gèrent leur entreprise, souvent avec leur femme, qui font vivre des millions de Français et que le Rassemblement national essaie de défendre. Ils subissent déjà la hausse des matières premières, de l’énergie et un gouvernement qui ne les soutient pas. Et vous profitez de cette réforme des retraites pour taper sur les patrons, pour distiller votre haine du petit patron. Ce n’est pas l’objectif.

Nous devrions au moins nous entendre sur le fait de passer à autre chose. Là, vous servez le Gouvernement. Cet index ne sert à rien, retirez vos amendements ! Avançons vers le cœur de la réforme – le report de l’âge légal, la pénibilité, le cumul emploi-retraite. Voilà ce que les Français attendent de nous !

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Après avoir dit pis que pendre de l’index seniors, la NUPES veut l’appliquer à un plus grand nombre d’entreprises. Un peu de cohérence !

Il faut savoir distinguer les outils en fonction de la taille des entreprises. Une entreprise de plus de trois cents salariés a une direction des ressources humaines, une stratégie de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, des objectifs. On peut lui imposer cet index seniors, qui la forcera à étudier sa politique d’emploi pour les seniors et à être proactive sur le sujet. Les entreprises plus petites, il faut plutôt les accompagner avec des outils beaucoup plus près du terrain – aide au recrutement, à la formation –, pour identifier les publics et ses besoins.

Je propose donc de conserver le seuil initial : il est bien ciblé et ménage nos PME.

Mme Cyrielle Chatelain (Ecolo - NUPES). Le Rassemblement national, qui n’a pas voté les amendements de suppression, se découvre contre la mesure et met beaucoup plus de temps et d’énergie à taper sur la NUPES qu’à critiquer le projet du Gouvernement.

Vous avez, au Rassemblement national, une vision étonnante des femmes au travail : les chefs d’entreprise, dites-vous, « gèrent leur entreprise avec leur femme ». Une femme ne pourrait donc pas être cheffe d’entreprise ; les femmes aident, elles n’ont pas de compétences ni droit à un salaire. Aujourd’hui, les femmes ont le droit d’être reconnues et d’avoir un travail. C’est parce que ces femmes-là – votre mère, peut-être – ont aidé leur mari sans être rémunérées qu’elles auront une moindre retraite.

Effectivement, nous essayons d’être constructifs et d’étendre ce pis-aller d’index seniors. Reconnaissons-le, il sert à bien peu de chose et ouvre des trappes à pauvreté, notamment pour les femmes, qui travaillent davantage à temps partiel et ont le taux d’activité le plus bas.

M. Fabien Di Filippo (LR). On peut penser ce que l’on veut de l’effectivité réelle de cet index seniors, mais dire que travailler équivaut à de la prison ferme n’est pas un bon message à envoyer à notre jeunesse. Le travail peut être épanouissant. Dans la vie, on ne construit rien sans travail.

Si l’on commence à tenir un tel discours sur le travail, c’est le début de la fin – pas pour la réforme des retraites, mais pour notre pays. Il faut garder le sens des réalités. S’imaginer que la richesse tombe du ciel, qu’on peut partager des choses qui n’ont pas été produites, c’est vivre dans un monde parallèle, qui est loin de la réalité d’aujourd’hui et encore plus loin de celle de demain.

M. Nicolas Turquois (Dem). M. Jumel a raison de parler des seniors comme de travailleurs expérimentés. C’est un gâchis qu’autant de plus de 55 ans se retrouvent au chômage ou en inactivité. Nous devons diffuser un message reconnaissant la richesse de ces personnes pour l’emploi, notamment par l’expérience qu’ils ont accumulée.

Je trouve l’index seniors insuffisant, mais il contribuera à faire entrer le sujet dans le discours public. S’il ne s’applique qu’aux entreprises de plus de trois cents salariés, des territoires entiers ne se sentiront pas concernés – ma circonscription n’en compte que trois ou quatre, mais d’autres, aucune. Les employeurs, dont je suis, n’ont pas tant de difficultés à remplir des obligations. C’est pourquoi le seuil de cinquante salariés ne me semble pas aberrant.

M. Arthur Delaporte (SOC). On nous reproche de n’être pas cohérents parce que nous déposons des amendements pour rendre le texte plus ambitieux. Après tout, c’est notre rôle de parlementaires. L’index seniors est sans doute peu utile, mais nous tentons de le rendre un peu plus utile.

Je salue l’honnêteté de mes collègues de la majorité qui, notamment par l’amendement de Mme Panosyan-Bouvet, demandent à toucher le plus d’entreprises possible. Cela va dans le bon sens.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Je retire mon amendement et le présenterai à nouveau en séance publique.

L’amendement AS7149 est retiré.

La commission rejette successivement les autres amendements.

Amendement AS866 de M. Joël Aviragnet.

M. Elie Califer (SOC). L’amendement AS866 vise à préciser à l’alinéa 5 que les indicateurs sur les travailleurs seniors devront être envoyés par l’entreprise au ministère du travail ainsi qu’à Pôle emploi. Il s’agit de donner, non pas une contrainte, mais une orientation forte.

Mme la rapporteure générale. D’une part, il est explicitement prévu que les données sont rendues publiques. D’autre part, tel qu’il est rédigé, l’amendement n’est pas efficient. Je vous suggère de le redéposer en séance.

Demande de retrait. À défaut, avis défavorable.

M. Elie Califer (SOC). La publication dans un journal local ou sur internet n’est pas la même chose qu’une communication au ministère du travail ou à Pôle emploi. Il s’agit bien d’avoir un suivi de l’emploi des seniors, n’est-ce pas ?

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3143 de M. Yannick Monnet.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). L’amendement AS3143 tend à substituer au mot « publie » les mots « rend publics » pour s’assurer que l’index seniors, avec l’efficacité redoutable que nous lui prêtons, sera largement accessible en dehors de l’entreprise.

Marc Ferracci, lui, présentait l’index comme pouvant servir aux demandeurs d’emploi à s’orienter vers telle ou telle entreprise. Certes, il ne faut pas renoncer à considérer chacun comme capable d’entrer dans l’emploi, les travailleurs expérimentés comme les plus jeunes, d’ailleurs, auxquels on demande d’avoir de l’expérience avant de les embaucher. Le problème de l’emploi est plus complexe qu’il n’y paraît. À trop le saucissonner, on risque de se perdre.

Mme la rapporteure générale. L’amendement est satisfait. Retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS2358 de M. Stéphane Viry, AS3144 de M. Pierre Dharréville et AS777 de M. Dino Cinieri (discussion commune).

M. Stéphane Viry (LR). Mon amendement a pour objet de valoriser les travailleurs expérimentés.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Il s’agit de souligner l’imprécision du projet de loi : un salarié « âgé » ne répond pas à une définition particulière, ce qui rend l’index d’autant plus inopérant.

M. Dino Cinieri (LR). L’expression « de plus de 50 ans » est plus claire et moins péjorative à l’égard des personnes visées par la disposition que le mot « âgé ».

Mme la rapporteure générale. Avis favorable à l’amendement de M. Viry, défavorable aux deux autres.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Les entreprises de plus de trois cents salariés sont tenues d’élaborer et de présenter un bilan social en entreprise, qui contient des informations obligatoires. Dans ceux que j’ai pu voir, il y avait toujours une pyramide des âges, avec le nombre et les âges des salariés. Quelle obligation nouvelle apporte votre index sur l’employabilité des seniors ?

La commission adopte l’amendement AS2358.

Puis elle rejette successivement les amendements AS3144 et AS777.

Amendement AS1303 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Stella Dupont (RE). L’amendement AS1303 vise à intégrer à l’index une précision concernant le sexe des seniors, de façon à suivre plus particulièrement l’évolution du maintien en emploi des hommes et des femmes.

Mme la rapporteure générale. Avis favorable. Bien plus qu’une précision de critères, c’est un principe qui est ici posé.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). M. Jumel n’a pas reçu de réponse : qu’est-ce que l’index apporterait de plus que le bilan social des entreprises ?

M. Thibault Bazin (LR). La question des seniors n’est pas seulement une affaire de genre. Il faut examiner les conséquences de l’allongement de l’âge de départ à la retraite sur les mères de famille, qui sont les grandes oubliées de la réforme. Il y a un besoin d’harmonisation par le haut des droits familiaux et des pensions de réversion. Le compte n’y est pas. Présenter un tel amendement comme le moyen de traiter la situation des femmes est un leurre.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Ce n’est évidemment pas avec un tel amendement que l’on s’occupe de la situation des femmes et des inégalités, notamment au regard de la retraite et des salaires. En revanche, les données dites différenciées sont très utilisées, notamment dans le développement, pour mesurer l’impact des projets.

Ces données plus fines permettraient de donner plus de visibilité sur les femmes, plus nombreuses parmi les personnes n’ayant ni emploi ni retraite, subissant des situations de dépendance ou ayant moins accès à l’emploi – le taux d’emploi est déjà catastrophique pour les jeunes femmes, plaçant la France au dix-neuvième rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Jumel, les entreprises de plus de trois cents salariés établissent leur bilan social à partir de critères très généralistes – l’emploi, les rémunérations, les conditions d’hygiène, les autres conditions de travail. L’emploi des seniors n’y est pas précisé. Au contraire, un index entraînera une obligation de négociation avec les branches et sera public.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Tous les bilans sociaux contiennent une pyramide des âges – consultez les sites de Verescence, de Danone, de Pochet du Courval, de Renault. Le bilan social, transmis à la direction du travail et consultable par tous les salariés, est communiqué aux délégués syndicaux du comité social et économique, qui peuvent le rendre public et se l’approprier. Il établit certaines informations, notamment la pyramide des âges dans l’entreprise.

Soit l’index n’apporte rien de nouveau, ce qui fait s’effondrer un petit argument de votre mauvaise réforme ; soit il y a une différence, mais vous devez le démontrer.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Le bilan social contient en effet une pyramide des âges, mais l’index vise à rendre publiques des données démographiques sur le recrutement, la formation, le turnover et la mobilité pour une tranche d’âge.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS4203 de Mme Véronique Riotton.

Mme Christine Decodts (RE). L’amendement AS4203 vise à favoriser l’accès des seniors à la formation professionnelle et à mesurer celui-ci.

Mme la rapporteure générale. L’amendement est satisfait. Demande de retrait. À défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement AS3145 de M. Yannick Monnet.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). L’amendement vise à publier les indicateurs en comparaison d’objectifs chiffrés d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des personnes de plus de 50 ans.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable. Nous avons déjà eu ce débat.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). En un clic, j’ai pu vérifier un bilan social de Renault France. Les chiffres figurent par catégorie professionnelle, au masculin et au féminin. Et les données sont publiques !

Vous êtes en train d’inventer un machin qui existe déjà ! Vous faites un maximum de mousse autour de ça, pour cacher l’essentiel : plus deux ans. Et l’index n’est assorti ni de sanctions ni d’objectifs, comme nos collègues communistes le proposent. C’est bidon, dix mille fois bidon !

M. Arthur Delaporte (SOC). Pour ma part, je souhaite vous lire le début de l’article R. 2312-8 du code du travail : « En l’absence d’accord prévu à l’article L. 2312-21, dans les entreprises de moins de trois cents salariés, la base de données prévue à l’article L. 2312-18 comporte les informations suivantes : [...] Évolution des effectifs par type de contrat, par âge, par ancienneté ; évolution des effectifs retracée mois par mois ; nombre de salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée ; nombre de salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée [...] ». Je m’arrête là, mais la liste est encore longue.

Vous le voyez, on dispose déjà d’un grand nombre de données beaucoup plus précises que celles que vous voulez faire figurer dans votre index seniors, et elles s’appliquent même dans les entreprises de moins de trois cents salariés. S’il s’agit de faire un peu de transparence, pourquoi pas ? Mais introduisons un minimum de contraintes et, surtout, n’inventons pas une usine à gaz en parallèle de ce qui existe déjà.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). On confine à l’absurde ! Pour donner l’illusion que vous demandez quelque chose aux entreprises, alors que toute la contrainte pèse en réalité sur les salariés, vous leur demandez quelque chose qui existe déjà et qui s’appelle le bilan social. On pourrait imaginer de préciser les données qui figurent dans le bilan social : ce serait une manière de normaliser ces données, ce qui serait aussi une bonne chose pour les chercheurs et les chercheuses. Mais l’index que vous proposez n’a aucun sens. Chacun sait que l’index sur l’égalité entre les femmes et les hommes n’apporte rien de plus que les données genrées qui figurent déjà dans le bilan social.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Comme François Ruffin a parlé du bilan social de Renault, je suis allé voir celui de Total. L’indicateur 116 présente la répartition des employés par classe d’âge, en distinguant, pour chacune, la proportion d’hommes et de femmes. Votre index, c’est vraiment du bidon, de la poudre de perlimpinpin, comme dirait l’autre ! Vous ne nous enfumerez pas avec ça !

M. Marc Ferracci (RE). Le bilan social doit être soumis aux représentants du personnel. Dans les sociétés par actions, il doit être soumis aux actionnaires, mais ceux-ci ne sont pas tenus de le publier. Il arrive que les entreprises de grande taille le publient, mais ce n’est pas une obligation.

Tout à l’heure, Pierre Dharréville a présenté un amendement, à l’esprit duquel je souscrivais plutôt. Il proposait de rendre publiques les indications de l’index, en particulier à travers le service public de l’emploi, afin que les demandeurs d’emploi sachent quelles entreprises jouent le jeu de l’emploi des seniors. Si l’on considérait que les bilans sociaux font office d’index, cette information ne serait pas accessible à tout le monde, en particulier à ceux qui cherchent un emploi.

M. Paul Christophe (HOR). On est entré dans une bataille de chiffres. Or, à l’alinéa 5, il n’est pas seulement question d’indicateurs chiffrés, mais aussi des « actions mises en œuvre » pour favoriser l’emploi des salariés âgés. Un contrat d’objectifs va être défini, qui ira au-delà des données que vous pouvez trouver sur internet.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS867 de M. Joël Aviragnet.

M. Arthur Delaporte (SOC). Nous proposons que soient également publiées les données ayant permis la construction des indicateurs, car nous sommes partisans d’une transparence intégrale.

Mme la rapporteure générale. Les données de l’index seront rendues publiques dans des conditions définies par décret. Il importe de respecter la législation relative à la communication des données.

Avis défavorable.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Cet amendement a plusieurs vertus ; il nous rappelle notamment à quel point ces indicateurs sont politiques. On veut faire un index sur l’emploi des seniors, mais on ne sait toujours pas ce qu’est un travailleur senior, ni ce qu’on entend par « emploi » des seniors. Est-ce le nombre de contrats signés, le différentiel entre les entrées et les sorties, la masse salariale, l’effectif à un moment dans l’année – mais dans ce cas, à quel moment de l’année ? –, le nombre de salaires versés, le nombre d’heures de travail déclarées ?

L’autre intérêt de cet amendement, c’est qu’il prévoit que les données ayant permis de construire les indicateurs sur les travailleurs seniors seront envoyées par l’entreprise au ministère du travail ainsi qu’à Pôle emploi. Cela favorisera la diffusion des bonnes pratiques alors que l’index, en l’état, n’implique aucune intervention politique sur les pratiques patronales.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Monsieur Ruffin, le bilan social de Renault, que vous avez consulté, comporte effectivement une pyramide des âges : on sait donc combien d’hommes et de femmes âgés de 51 à 59 ans et de plus de 60 ans sont employés par l’entreprise. En revanche, on ne sait pas combien d’entre eux viennent d’être recrutés, ni combien ont bénéficié d’une formation ou d’une mobilité professionnelle.

Il faut disposer de données claires, afin que les entreprises prennent conscience de leurs pratiques et que les salariés puissent questionner leur entreprise sur ces pratiques.

M. Thibault Bazin (LR). On voit bien que cet index ne va pas améliorer le taux d’emploi des seniors. Il est dommage que le Gouvernement ne soit pas présent pour exposer les mesures relatives au travail des seniors qu’il compte prendre pour compléter ce PLFRSS. Il faut créer, pour les seniors, un choc d’attractivité et de formation. Il faut aussi revoir les modalités de la retraite progressive – deux ans, ce n’est pas suffisant – et prévenir la pénibilité beaucoup plus tôt. On nous annonce un projet de loi sur le travail pour le printemps, mais on aurait besoin de connaître dès maintenant la stratégie globale du Gouvernement, parce que là, on parle dans le vide. Il est peut-être encore temps de rectifier le tir.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). On pourrait très bien détailler davantage, dans le bilan social, les rubriques relatives aux travailleurs de plus de 50 ans. L’index, en lui-même, n’apportera rien. Ce qu’il faut, c’est une vraie politique d’amélioration des conditions de travail des seniors, de diminution des risques socioprofessionnels, de reconnaissance de la pénibilité, de formation, d’aménagement des temps de travail et de revalorisation des carrières professionnelles. Sur cette base, on pourra produire un index. Mais, en l’état, le vôtre n’a aucun sens.

Mme Laure Lavalette (RN). Cela fait trois heures que nous parlons de cet index, dont tout le monde s’accorde à dire qu’il ne sert à rien. On ne peut pas débattre des mesures d’amélioration de l’emploi des seniors, puisque cela n’entre pas dans le cadre de ce PLFRSS et que le Gouvernement ne propose rien. Chers collègues de la NUPES, je vous invite à retirer vos amendements relatifs à cet index, afin que nous puissions avancer. Les Français méritent que nous ayons un débat un peu plus éclairé et que nous arrivions à l’article 7. Vous aurez tout fait pour que nous n’y arrivions pas et c’est dommage.

M. Arthur Delaporte (SOC). On a bien compris que le Rassemblement national n’a pas très envie de discuter de la réforme des retraites, vu le nombre d’amendements qu’il a déposés et son attitude depuis le début de nos débats.

Cet amendement est important : les indicateurs n’auront d’intérêt que si l’on connaît les données sur lesquelles ils sont fondés ; sinon, ce ne sera que de la poudre aux yeux. Le meilleur critère de la transparence, c’est l’open source. Ce serait une bonne chose pour les chercheurs, notamment pour les sociologues, qui ont besoin de données fiables ; et cela contribuerait au name and shame. Mon collègue Hadrien Clouet a dit que cet amendement était vertueux. L’Index librorum prohibitorum visait, lui aussi, à la vertu. J’espère que, par cette publicité renforcée, nous renforcerons aussi la vertu des entreprises.

M. Philippe Vigier (Dem). Tout ce qui peut permettre d’éclairer à la fois la représentation nationale, les partenaires sociaux et les entreprises sur la construction des indicateurs va dans le bon sens. C’est aussi le rôle du Parlement que de garantir l’accès à ce type de données : cela relève de son rôle de contrôle de l’action gouvernementale.

La commission rejette l’amendement.

Suspendue à vingt-deux heures trente, la réunion reprend à vingt-deux heures quarante.

Amendements AS3772 de M. Sébastien Peytavie, AS5970 de M. Paul-André Colombani et AS6128 de M. Sébastien Peytavie (discussion commune).

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS3772 tend à rendre l’index contraignant et à introduire des sanctions financières pour les entreprises qui n’obtiendraient aucun résultat. Dans un monde merveilleux où les entreprises n’ont aucune contrainte, elles n’ont aucune obligation et donc aucun résultat.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Mon amendement vise à dépasser le caractère seulement incitatif de la publication de l’index seniors, en prévoyant un objectif de résultat d’emploi senior adapté à chaque secteur d’activité et fixé grâce au dialogue de branche.

En cas de résultat inférieur à cet objectif, l’entreprise devra entamer une négociation afin d’améliorer les conditions d’emploi des seniors, et en vue d’améliorer ses résultats. Ce n’est qu’au terme de cette négociation, et en l’absence de résultat, qu’une pénalité financière pourra lui être appliquée. Elle tiendra compte des efforts déployés par l’entreprise et restera proportionnée.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’amendement AS6128, proposé par l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa), reprend une proposition que nous avons déjà faite. Il s’agit d’étendre le dispositif aux entreprises de plus de onze salariés et de fixer un score minimum, sous peine de sanctions.

Les organisations syndicales – celles qui défendent les intérêts des salariés, et non ceux du CAC40 – sont de notre côté. Elles font le même constat que nous à propos de cet index seniors : si l’on s’en tient à la seule publication de l’index, il n’y aura aucun impact sur les pratiques des entreprises, qui ne seront nullement obligées de mieux traiter les seniors. En l’état, même avec un score de 2 sur 20, une entreprise n’aura aucun problème : pourvu qu’elle publie l’index, elle sera en règle.

S’il n’est pas assorti de sanctions financières, cet index sera un gâchis de temps et d’argent. Il servira seulement au Gouvernement à se donner bonne conscience sur le dos des travailleurs et des travailleuses seniors.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

Mme Mathilde Panot (LFI - NUPES). On invoque souvent, en Macronie, l’index relatif à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Or c’est une vaste fumisterie : ce n’est pas moi qui le dis, mais la dirigeante confédérale de la CGT chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Mme Sophie Binet. Elle explique qu’il y a toujours un écart salarial de 22 % entre les femmes et les hommes et que l’indicateur a été monté sur mesure pour que les entreprises échappent en quasi-totalité aux sanctions, puisque 92 % d’entre elles affichent plus de 75 points sur 100. Or, pour l’index seniors, vous ne prévoyez même pas de sanctions !

On sait déjà ce que cette réforme va provoquer, puisqu’on a vu ce qui s’est passé au moment du décalage de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Le nombre de personnes de 60 et 61 ans n’étant ni en emploi ni à la retraite a augmenté de 16 points. L’effet a été particulièrement marqué pour les femmes, notamment les ouvrières, qui bénéficient moins des dispositifs de départ anticipé pour carrière longue du fait de leurs carrières plus hachées. Le taux des ouvrières qui ne sont ni en emploi ni à la retraite culmine à 33 %, alors qu’il est de 23 % pour les ouvriers. Pour les cadres, la réforme s’est avant tout traduite par l’allongement de la durée en emploi. Ce nouveau recul de l’âge légal de départ à 64 ans va amplifier ces phénomènes. À 62 ans, près de 17 % des personnes ne sont ni en emploi ni à la retraite. Autrement dit, 40 % des personnes qui ne sont pas à la retraite à 62 ans ne travaillent déjà pas et verront leur période de précarité se prolonger.

Je vous redonne les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques : plus 110 000 personnes aux minima sociaux, plus 400 000 arrêts maladie, accidents du travail et maladies professionnelles indemnisés, plus 270 000 personnes au chômage. Avec votre réforme et cet index qui ne sert à rien, vous allez créer une machine à fabriquer du chômage et de la précarité pour la fin de carrière de centaines de milliers de personnes dans ce pays.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements AS4276 de M. Arthur Delaporte, AS4760 de M. Thibault Bazin et AS6081 de M. Sébastien Peytavie (discussion commune).

M. Arthur Delaporte (SOC). Mon amendement, qui a été travaillé avec l’Unsa, vise à mieux définir les indicateurs de l’index seniors, afin de s’assurer de son efficacité.

Il s’agit de garantir la prise en compte des politiques d’emploi et des conditions de travail et de rémunération des salariés proches de la retraite, afin que l’index soit un véritable outil de mesure au service de la négociation en branche et en entreprise.

Par ailleurs, l’inégalité entre les femmes et les hommes quant au niveau des pensions de retraite et à l’âge effectif de départ à la retraite nécessite une déclinaison de ces indicateurs dans le champ de l’égalité professionnelle.

M. Thibault Bazin (LR). Comme je souhaite que nous avancions, afin de pouvoir évoquer les autres incomplétudes et incohérences de ce texte, je ne m’étendrai pas sur mon amendement.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Si les indicateurs ne sont pas assez précis, les entreprises risquent de contourner certaines obligations. Nous proposons donc d’inscrire dans la loi que ces indicateurs prendront comme critères les politiques d’emploi, les conditions de travail, la formation, la qualité de vie au travail et la sortie progressive de l’emploi vers la retraite.

Nous proposons également de prendre en compte ces indicateurs dans le champ de l’égalité professionnelle. En effet, pour les femmes seniors, c’est la double peine sur le marché du travail : en 2019, parmi les personnes âgées de 54 à 64 ans, 57 % des hommes avaient un emploi, et seulement 53 % des femmes. Les femmes partent à la retraite un an plus tard que les hommes, en moyenne, avec une pension inférieure de 42 %.

Ces chiffres sont aussi le résultat de longues années de pratiques discriminatoires, qui cantonnent les femmes aux emplois les moins payés et les plus pénibles. Nous avons donc la responsabilité de construire un index seniors suffisamment précis pour que ni les femmes seniors, ni les seniors en emploi précaire, ni les seniors menacés de rupture de contrat précoce ne soient oubliés.

Mme la rapporteure générale. L’amendement AS3140 de M. Pierre Dharréville, que nous avons adopté, prévoit déjà une liste de critères.

Avis défavorable.

Mme Mathilde Hignet (LFI - NUPES). Des collègues nous ont dit cet après-midi qu’il fallait arrêter de surfer sur le malaise social. Je leur réponds d’arrêter de planer et d’atterrir, parce que l’index seniors, c’est de la poudre aux yeux, comme l’ensemble de cette réforme.

La réalité, c’est que Jocelyne, Monique ou Madeleine, que j’ai rencontrées samedi et qui sont en invalidité, ne peuvent plus travailler parce qu’elles sont cassées par le travail. Elles vivent dans des logements sociaux insalubres. Elles font partie de celles et ceux qui ne sont plus en emploi mais ne peuvent pas prendre leur retraite, et pour qui le recul de l’âge ne fera qu’allonger la durée de cette période de précarité.

On le sait, les ouvriers sont abîmés plus vite par le travail ; les agriculteurs et les ouvriers sont plus de 20 % à être en incapacité dès leur première année de retraite – laquelle dure moins de dix ans ; en moyenne, chaque année, 9 000 personnes supplémentaires mourront avant d’atteindre la retraite ; un quart des hommes les plus pauvres meurent avant 62 ans. Votre index n’y changera rien ! C’est un dispositif complètement déconnecté de la réalité, qui n’aura aucune conséquence sur le taux d’emploi des seniors et dont je peine à trouver le sens.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS3592 de M. Arthur Delaporte.

M. Arthur Delaporte (SOC). Mon amendement vise à préciser que les indicateurs de l’index seniors seront chiffrés.

Mme la rapporteure générale. Il me semble que le nombre de seniors en emploi, le nombre de licenciements et les autres indicateurs prévus sont bien des données chiffrées.

Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Il semble indispensable de disposer d’indicateurs chiffrés, c’est-à-dire de données quantitatives, si l’on veut évaluer correctement la politique des entreprises.

Je répète qu’il n’y a pas grand sens à créer cet index, s’il n’est pas assorti de pénalités en cas de mauvais résultats. Il n’aura aucun effet sur l’emploi des seniors. Le bilan social donne déjà des informations très précises concernant la pyramide des âges, le genre des personnes employées et leur statut. Le bilan social de BNP Paribas, par exemple, est extrêmement précis. L’index que vous proposez le sera sans doute moins.

M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement est intéressant. Je pense, comme M. Delaporte, que l’on a besoin d’indicateurs chiffrés, notamment dans l’hypothèse où l’on introduirait par la suite une incitation financière, en fonction d’un seuil à atteindre. Pour qu’il y ait un seuil, il faut des chiffres.

Cela étant, l’adoption de l’amendement AS3140 de notre collègue Pierre Dharréville complique ce travail de chiffrage, puisqu’il a introduit les thèmes suivants : l’anticipation de l’évolution des carrières professionnelles, l’amélioration des conditions de travail, la transmission des savoirs et des compétences. Je ne sais pas bien comment on peut chiffrer tout cela et j’y vois une forme d’incohérence.

M. Matthieu Marchio (RN). Pour prendre un exemple qui parle à la Macronie, dans les cabinets de conseil, qui recrutent essentiellement des jeunes corvéables à merci, il existe deux types de seniors : ceux, peu nombreux, qui occupent des postes de dirigeants et les autres, qui sont incités à partir. Ceux-là peinent souvent à retrouver un emploi et, s’ils en retrouvent un, ils sont souvent moins rémunérés – et encore s’agit-il de cadres. Pour les ouvriers et les employés, il est très difficile, voire impossible de retrouver un emploi.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3783 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). La multiplication des index
– sur les femmes, les personnes handicapées, les seniors... – donne une idée de ceux que l’on juge productifs et non productifs dans une société. Cela reflète un choix de société. Comment peut‑on en arriver à créer un tel index, qui ne débouchera sur des solutions que dans quelques années ? Que fait-on, pendant ce temps, pour toutes les personnes concernées, celles qui envoient des CV sans recevoir de réponse, celles qui ne peuvent plus travailler parce qu’elles ont été abîmées par la pénibilité de leur travail ? Ce n’est pas sérieux.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Si l’on veut que cet index ait, en dépit de ses défauts, un minimum de portée politique, il faut que l’évaluation à laquelle il permet de procéder puisse se rapporter à un barème ou une note minimale. C’est important pour que la collectivité comprenne ce que révèle cet index, pour que les salariés puissent comparer leur situation à d’autres et pour que les employeurs puissent se situer vis-à-vis de leurs homologues.

La question sous-jacente est de savoir qui traitera les quelque 65 000 index qui seront régulièrement publiés. L’opération s’annonçant complexe, il convient de simplifier cet outil et d’en faciliter l’utilisation, notamment par l’inspection du travail, car l’employeur n’est pas forcément le mieux placé pour expliquer pourquoi il s’est planté.

Adopter cet amendement permettrait de donner du sens à un dispositif qui n’en avait pas et de le simplifier.

Mme Cyrielle Chatelain (Ecolo - NUPES). Après plusieurs heures de débat sur cet index, une question demeure : à quoi sert-il ? À montrer que l’emploi des seniors aura augmenté, donc que votre réforme fonctionne, parce que les gens travailleront deux ans de plus ? Mais ce taux n’augmentera pas parce qu’ils auront retrouvé du travail ; c’est simplement que les seniors déjà en emploi conserveront leur poste deux ans de plus. Quant aux seniors ni en emploi ni en retraite – donc au chômage, au revenu de solidarité active ou sans revenu –, ils y resteront plus longtemps. Ce ne sont pas des emplois que vous allez créer mais d’énormes poches de pauvreté.

M. Thibault Bazin (LR). Nous convenons tous que cet index n’est pas la solution pour améliorer le taux d’emploi des seniors. Cette question, qui inquiète beaucoup, ne peut se résumer à un index. Il serait temps de passer aux autres points qui font encore débat, car nous sommes encore loin de l’article 7.

M. Sébastien Chenu (RN). L’index aidera au mieux à une prise de conscience mais n’aura aucun résultat, si ce n’est suradministrer un peu plus. Les 60 000 index ne seront jamais lus. Depuis des heures, nous étudions un dispositif qui n’aura strictement aucune utilité : ce n’est pas ainsi que l’on fera une politique en faveur de l’emploi des seniors. Nous ne suivrons pas ces amendements cosmétiques.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3148 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). L’index doit s’accompagner d’objectifs à atteindre, qui peuvent être chiffrés. Un indicateur est un outil d’évaluation à partir d’éléments mesurables – nombre et types de contrats, âges de départ, typologie des motifs de départ, etc. Cela ne changera pas fondamentalement la politique qui sera menée en faveur des travailleurs expérimentés et ne rendra pas ce projet de loi acceptable – c’est là toute la différence entre nous et Thibault Bazin. Mais nous sommes là pour en discuter et nous le faisons.

Mme la rapporteure générale. Votre amendement confie à l’accord national interprofessionnel (ANI) le soin de construire les indicateurs. Cela alourdirait la procédure.

Avis défavorable.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Cet index n’est que de la poudre aux yeux. Son unique objectif est de vous donner bonne conscience, car il ne changera rien aux souffrances et aux discriminations que vivent les seniors et les femmes au travail. Ils sont poussés vers la sortie, mis au placard et ne bénéficient pas de formations. Il est urgent de prendre des mesures pour les protéger. Or nous sommes très loin du compte. En rejetant systématiquement toutes les propositions que nous faisons, c’est votre mépris que vous leur renvoyez.

M. Thibault Bazin (LR). Nous pensons qu’avec cet article, le compte n’y sera pas. Il reste de nombreux points à revoir, notamment la prise en compte des mères de famille et des petites pensions de ceux qui ont travaillé toute leur vie. Je ne sais pas si nous aurons fini l’examen de l’article 2 ce soir. Il me semble important d’en venir aux autres articles.

M. Sébastien Chenu (RN). Cette idée d’index est héritée d’une proposition de loi débattue ici même, en novembre 2021 ; elle a terminé au fond d’un tiroir parce qu’elle n’avait pas été jugée pertinente. Mais elle figurait également dans le programme présidentiel, non pas d’Emmanuel Macron, mais d’Éric Zemmour. Vous comprenez pourquoi nous sommes dubitatifs !

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Je soutiens l’amendement de M. Dharréville. Cet index n’est évidemment pas satisfaisant mais si l’on veut sortir des incantations et des vœux pieux, il faut bien se donner une boussole et se fixer des objectifs.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS850 de M. Joël Aviragnet.

M. Jérôme Guedj (SOC). Dans ce texte de loi, il y a deux types de dispositions : celles qui ont un impact sur la vie de nos concitoyens, qui sont d’application immédiate – la fermeture des régimes spéciaux, le report de l’âge légal, l’accélération du calendrier de durée de cotisation...

M. Pierre Cazeneuve (RE). Vous avez du mal à dire « de la loi Touraine » !

M. Jérôme Guedj (SOC). J’en ai d’autant moins que je ne l’ai pas votée.

Il y a aussi les dispositions réputées positives, qui restent dans l’imprécision et sont renvoyées aux calendes grecques.

Comme on nous a beaucoup répété que le dialogue social était précieux, nous vous proposons par l’amendement AS850 de renvoyer la définition des indicateurs, non pas à un décret, mais aux partenaires sociaux, dans le cadre d’un ANI. Même si nous savons tous que cette mesure n’est qu’un écran de fumée, nous ferions ainsi la jonction entre la démocratie sociale et la démocratie politique.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous débattons depuis une heure et demie d’un écran de fumée...

Mme la rapporteure générale. Nous entamons une longue série d’amendements qui ne visent qu’à ralentir les débats. Avis défavorable.

M. Jérôme Legavre (LFI - NUPES). Nous vous proposons d’imposer aux employeurs un certain nombre de règles et de contraintes, qui devront être fixées au plan interprofessionnel. Vous vous y refusez, en cohérence avec la politique du Gouvernement car, pour vous, la place des organisations syndicales est exclusivement dans les entreprises. Vous vous targuez d’avoir organisé de grandes concertations sur ce projet de réforme. Or nous savons comment elles ont été conduites : c’était à prendre ou à laisser ! Voilà votre conception du dialogue social ! Tout cela ne sert qu’à masquer le fait que votre réforme condamnera des milliers de salariés à la pauvreté.

M. Philippe Vigier (Dem). Inscrire la création d’un index dans la loi accrédite l’idée que l’on va faire mieux : ce n’est pas l’outil le plus pertinent mais cela constitue déjà une piste intéressante, en ce qu’elle met les responsables professionnels, syndicalistes en particulier, au pied du mur. Redonner la parole aux partenaires sociaux donnerait du corps à l’idée que l’index est un moyen d’améliorer l’emploi des seniors – vous devriez y réfléchir, madame la rapporteure générale.

M. Arthur Delaporte (SOC). Cet amendement de mon collègue Aviragnet est important, car il vous met au défi de faire du dialogue social et de la concertation. L’index seniors, bien que mineur, nous est présenté comme l’une des mesures majeures de la loi. Faites en sorte de le définir en concertation avec les organisations professionnelles !

M. Sébastien Chenu (RN). Cela fait des heures que nous tentons d’améliorer un index bidon, pour rendre l’expression de Mme Abomangoli. Quand j’entends notre collègue qui essaye d’améliorer un dispositif bidon, je me dis qu’il aurait pu le faire avec le Parti socialiste le week‑end dernier : il y avait de la matière ! Je ne peux m’empêcher de penser à Cyrano : « c’est encore plus beau lorsque c’est inutile » !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Soyons clairs, nous ne voulons pas de cette réforme strictement comptable ; nous voulons qu’elle soit retirée, car nous avons compris que protéger les Français n’était pas votre préoccupation. Nous utilisons tous les outils parlementaires à notre disposition. L’amendement de nos collègues socialistes est pertinent, car il reprend ce que le législateur prévoit pour le bilan social, mais son adoption ne changerait rien au caractère injuste, non nécessaire et infondé de cette réforme. Nous ne cesserons de vous le répéter, même si cela ne vous plaît pas.

M. Thibault Bazin (LR). L’expérience récente nous a montré que le respect du paritarisme n’était pas toujours au rendez-vous, comme l’ont démontré la ponction sur Action Logement et le transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco. Depuis le début de l’examen de cet article, madame la rapporteure, vous nous dites que les précisions seront apportées par les partenaires sociaux. Le présent amendement, qui vise à passer par un accord national interprofessionnel, répond donc à votre engagement.

Cela soulève toutefois un problème de méthode : le dialogue social se poursuit sur certains sujets – emploi des seniors, pénibilité – alors que nous sommes en première lecture du PLFRSS. Le Gouvernement serait prêt à codifier le contenu d’un éventuel accord entre les partenaires sociaux sur la pénibilité. On nous invite à légiférer sur un projet incomplet et il en ira de même pour certains sujets liés à la famille, renvoyés à un chantier du Conseil d’orientation des retraites (COR) sur l’harmonisation des droits familiaux.

M. Marc Ferracci (RE). Cet amendement est en totale contradiction avec l’amendement de M. Dharréville adopté tout à l’heure, qui fixe de manière rigide l’ensemble des sujets ayant vocation à entrer dans l’index, ne laissant plus aucune marge de manœuvre aux partenaires sociaux.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS849 de M. Joël Aviragnet.

M. Arthur Delaporte (SOC). Il s’agit de renvoyer à un décret en Conseil d’État, et non à un décret simple, le soin de définir la liste des indicateurs, car il s’agit d’un des éléments majeurs de ce projet de loi.

Mme la rapporteure générale. Je donnerai un avis défavorable à la série d’amendements de M. Aviragnet.

Mme Mathilde Panot (LFI - NUPES). La question de l’emploi des seniors est directement liée à celle de la pénibilité, en particulier celle subie par les travailleuses, qui n’est jamais reconnue. Comment comptez-vous, avec l’index seniors, maintenir en emploi des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, qui doivent sans cesse porter des enfants, ou encore des aides à domicile ? Mme Béatrice Boulanger, par exemple, a dû arrêter de travailler à 52 ans parce qu’à force de soulever des charges, son corps était devenu, selon son chirurgien, celui d’une vieillarde.

Je vous livre quelques chiffres de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) : entre 2001 et 2015, les accidents du travail avec arrêt ont baissé globalement de 15,3 % et de 28,6 % pour les hommes, mais ils ont progressé de 28 % pour les femmes. Il est complètement illusoire de penser qu’un index seniors dépourvu de sanction permettra d’améliorer les conditions de travail des femmes.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Avec la méthode choisie par le Gouvernement, on s’est déjà affranchi de beaucoup de précautions, dont l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi. Il me paraît, de ce fait, nécessaire de renvoyer à un décret en Conseil d’État.

Pour répondre à Marc Ferracci concernant la négociation avec les organisations syndicales, je ferai juste observer que la lettre de cadrage pour les discussions avec l’Unedic était autrement plus contraignante que l’amendement que nous avons adopté.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Il faut vraiment que nos collègues de la NUPES arrêtent de dire qu’on ne leur laisse pas assez de temps pour débattre. Cela fait des heures que nous discutons d’un index seniors dont ils nous ont dit dès le départ qu’ils le trouvaient inutile. Or ils ont déposé une kyrielle d’amendements pour le transformer en usine à gaz et Mme Panot refait ce soir tout le débat que nous avons eu cet après-midi.

Mme Cyrielle Chatelain (Ecolo - NUPES). Cet index est inutile mais le sujet dont nous traitons, l’emploi des seniors, est très important. Le Gouvernement n’a pas réussi à développer une politique en faveur de l’emploi des seniors digne de ce nom : c’est cela que nous dénonçons. Nous proposons donc des pénalités, un droit à la formation, une meilleure reconnaissance de la difficulté des métiers. M. Peytavie vous a proposé une réécriture de l’ensemble de l’article, qui n’a pas été adoptée.

Le Gouvernement n’aime parler qu’à lui-même. Il refuse de parler avec les syndicalistes et il recourt à des astuces pour ne pas parler à l’Assemblée. Cet amendement le ferait sortir de ce dialogue avec lui-même en faisant en sorte qu’au moins le Conseil d’État puisse donner son avis sur le décret, puisque la disposition en question n’a pas été discutée avec les syndicats. De surcroît, le Gouvernement veut limiter le temps de débat à l’Assemblée et pourrait recourir à une ordonnance.

Nous proposons le retrait du projet de loi et un véritable dialogue social, conformément à la volonté de la majorité des Français.

M. Nicolas Turquois (Dem). Dans mon territoire, le taux de chômage avoisine 5 %, ce qui est en partie le fruit du travail engagé en faveur de l’emploi des seniors. Une partie des entreprises a compris que les seniors pouvaient être un atout pour elles, compte tenu de la difficulté à trouver des salariés. L’index ne va pas révolutionner les choses mais il place le sujet au cœur du débat public et contribue à redonner aux seniors de la visibilité. Il faudra l’amplifier, à mon sens, par des mesures plus directives, voire coercitives.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS936 à AS947 et AS949 à AS952 de M. Joël Aviragnet.

M. Jérôme Guedj (SOC). Vous avez refusé d’associer les organisations syndicales à la définition des indicateurs. Afin d’améliorer le dispositif, nous vous proposons, par ces amendements, de consulter d’autres corps intermédiaires : le Conseil économique, social et environnemental, l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’Association pour l’emploi des cadres, l’Anact, Cap emploi, le Centre d’animation de ressources d’information sur la formation, les chambres de commerce et d’industrie, les chambres d’agriculture, les chambres de métiers et de l’artisanat, l’Établissement pour l’insertion dans l’emploi, le Conseil national des missions locales, Pôle emploi, les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, France Stratégie et le COR.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable, car vous alourdissez le mécanisme. Depuis le début de l’après-midi, j’insiste pour que l’on n’apporte pas trop de précisions au sujet des indicateurs car, contrairement à ce que vous affirmez, nous faisons confiance aux branches.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Nous soutenons ces amendements, qui visent à améliorer ce dispositif fumeux.

M. Chenu nous a expliqué que l’index, comme le report de l’âge de départ à 64 ans, étaient inscrits au programme de M. Zemmour, ce qui n’est pas sans créer quelques tensions, tant chez les macronistes, qui prennent conscience de ce qu’ils font, qu’au sein du Rassemblement national, qui se fait doubler sur sa droite par des personnes censées être positionnées au centre. J’espère que le fait de nommer ces tensions permettra un retour au calme.

M. Sébastien Chenu (RN). On a bien compris qu’il faudra attendre l’article 7 pour véritablement parler de l’emploi des seniors et du projet de société que nous voulons. L’index, pour sa part, est totalement inutile – une majorité se dessine pour le reconnaître.

Pour en revenir aux amendements, je retrouve chez notre collègue socialiste le goût de la complexification dans tous les domaines, que l’on a connue lorsque la gauche était au pouvoir. À vous écouter, on consulterait la Terre entière – il ne manque que Greta Thunberg et Nicolas Mayer-Rossignol dans cet inventaire à la Prévert... On a bien compris la technique de nos collègues bolcheviks : essayant de faire oublier qu’ils ont fait élire Emmanuel Macron, ils se donnent bonne conscience en faisant durer les débats, pour montrer au peuple qu’ils essaient de les défendre. Tout cela est un jeu de rôles bien hypocrite !

M. Arthur Delaporte (SOC). M. Chenu nous gratifie, depuis une demi-heure, d’insultes et d’interventions hors de propos, visant en particulier les députés socialistes. Pour notre part, nous effectuons un travail de fond. Nous aimerions pouvoir en dire autant du Rassemblement national, qui n’a su proposer que des amendements relatifs à l’exclusion des chibanis et des étrangers. Mais nous y sommes habitués.

Les amendements en discussion visent à améliorer les indicateurs par le dialogue et la concertation.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). En matière d’emploi des seniors, notamment pour les femmes, il faut porter une attention particulière à certains indicateurs : le nombre de jours de congé maladie, le nombre de maladies, en particulier professionnelles, et le degré d’émiettement de l’emploi, c’est-à-dire les intervalles entre les temps de travail au cours d’une même journée. En effet, les femmes seniors, en particulier précaires, se distinguent des autres salariés par des temps de travail de forte amplitude : leur activité est à ce point hachée qu’elles ne peuvent valider une journée complète de travail. On doit aussi s’intéresser au temps partiel, qu’il soit subi – par exemple pour un motif thérapeutique – ou choisi. Ces indicateurs sont communs à toutes les branches mais leur confier le soin de les préciser fait courir le risque qu’elles évaluent différemment une même maladie. Des études ont montré que des personnes travaillant dans des crèches ne déclarent pas un port de charge équivalent à celles qui gardent des enfants à domicile, ce qui témoigne d’une différence de perception de la pénibilité. Non seulement l’index est inutile, mais les effets de branche seront source d’inégalité.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements AS831 à AS836 de M. Jérôme Guedj.

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous ne souhaitons pas instituer un cadre contraignant qui limiterait les prérogatives des syndicats dans les branches et les entreprises, mais définir des objectifs identiques, des socles à discuter.

Cette série d’amendements vise à garantir que les indicateurs prennent en considération les catégories socioprofessionnelles (CSP). Le premier d’entre eux demande qu’il y ait au moins des indicateurs spécifiques aux travailleurs seniors occupant un emploi d’ouvrier. Ce faisant, nous n’imposons rien aux partenaires sociaux : nous les laissons choisir les indicateurs pertinents pour leur branche. Par les amendements suivants, nous voulons nous assurer qu’il y aura des indicateurs spécifiques aux employés, aux professions intermédiaires, aux cadres et professions intellectuelles supérieures, aux artisans, commerçants et chefs d’entreprise et aux agriculteurs exploitants. On s’assurera ainsi que l’on ne passe pas à côté d’éléments essentiels pour apprécier les conditions de l’emploi des seniors dans chaque branche.

Mme la rapporteure générale. Une entreprise n’employant pas de salariés appartenant à l’une des CSP que vous citez se trouverait un peu coincée par ces dispositions.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). L’existence d’indicateurs n’implique pas qu’ils soient remplis ; même en l’absence de choses à indiquer, ils ont un sens. Il me paraît essentiel de faire apparaître les CSP, car elles reflètent de nombreux facteurs, tels que le revenu, le diplôme, le lieu de vie, et permettent ainsi d’affiner la politique publique.

M. Sébastien Chenu (RN). Monsieur Guedj, vous en demandez toujours plus aux autres lorsque vous êtes dans l’opposition mais, pour la loi El Khomri, je n’ai pas souvenir que vous ayez beaucoup consulté les CSP. Vous avez d’ailleurs fait adopter le texte grâce à l’article 49, alinéa 3.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements AS838 à AS846 de M. Joël Aviragnet.

M. Jérôme Guedj (SOC). Notre rôle de parlementaires est de nous assurer que l’index des seniors – dont vous avez fait une mesure emblématique, bien qu’il soit extrêmement creux – atteigne l’objet qui lui est assigné. Nous voulons établir des garde-fous pour éviter que cela finisse en eau de boudin, comme cela a été le cas pour l’index de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Ces amendements prévoient la prise en compte d’un certain nombre de publics : les femmes âgées d’au moins 50 ans, qui sont victimes de la double peine – l’âge et le sexe –, les femmes ayant une carrière hachée, les femmes âgées ayant eu des enfants, les travailleurs exerçant un métier pénible, ceux qui ont commencé leur carrière avant l’âge de 20 ans, 19 ans, 18 ans, et ainsi de suite jusqu’à 14 ans. Si vous ne définissez pas précisément le cadre de l’index, celui-ci fera pschitt.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

On constate des progrès dans la publication de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, puisque cette obligation est respectée par 90 % des grandes entreprises. Les notes sont également en augmentation. Même s’il ne peut, à lui seul, conduire à la suppression de toutes les inégalités salariales entre les femmes et les hommes, on ne peut pas dire que cela a fini en « eau de boudin ».

M. Victor Catteau (RN). Voilà quatre heures que l’on discute d’un outil inutile parce que la gauche a déposé des centaines d’amendements sur un article qu’elle ne veut pas voter. On sait que ce type de dispositif ne fonctionne pas. Depuis 2018, le pourcentage d’entreprises respectant la parité salariale est passé de 25 % à 27 %, signe que l’index de l’égalité salariale entre femmes et hommes ne produit pas les effets escomptés. Par ailleurs, seules 29 % des entreprises respectent l’obligation de recruter des travailleurs handicapés dans une proportion de 6 % de leur effectif ; 31 % des sociétés n’en accueillent aucun. Même les sanctions pécuniaires ne produisent pas d’effet. Je vous invite à retirer ces amendements inutiles pour que l’on discute des vrais sujets qui touchent les Français.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Lorsqu’on traite de retraite, il faut avoir une vision précise des trajectoires professionnelles des salariés en prenant en compte leur âge, leur sexe et le caractère plus ou moins continu de leur carrière. L’âge conduit à s’intéresser, en particulier, aux perspectives d’évolution de carrière et aux objectifs éventuels de formation. Le sexe éclaire sur les inégalités salariales, qui coûtent très cher, notamment à la Caisse nationale d’assurance vieillesse – on pourrait récupérer 5 milliards d’euros en renforçant l’égalité en matière de salaires. La discontinuité de la carrière, quant à elle, ampute grandement les pensions, notamment des femmes, par le mécanisme de la décote. Sans ces informations, on peut difficilement satisfaire les exigences de financement de l’assurance vieillesse.

Monsieur Catteau, je trouve surprenant que vous incriminiez la gauche, alors que nous nous battons contre ce texte, que nous essayons de démanteler petit bout par petit bout, tandis que vous présentez un amendement toutes les quarante-huit heures.

M. Arthur Delaporte (SOC). Nous avons essayé de donner un peu de contenu à votre index. Plus généralement, nous nous efforçons de limiter les effets néfastes de votre politique, et nous avançons petit à petit sur ce chemin. C’est pourquoi, madame la présidente, je vous prie à nouveau d’accepter de prolonger l’examen en commission d’un ou deux jours pour nous permettre de continuer de discuter des amendements. Cet index est un cavalier mais vous l’avez quand même mis dans la loi. Nous ne pouvons pas ne pas faire notre travail de députés. Nous continuerons demain en proposant la création de sanctions pour rendre le dispositif opérationnel.

M. Yannick Neuder (LR). Certains seniors souhaitent prolonger leur activité professionnelle, tandis que d’autres aspirent à la retraite. Dans le cadre de la discussion entre le salarié et l’employeur, se pose nécessairement la question de l’aptitude. Or celle-ci est appréciée par la médecine du travail, dont les effectifs, en diminution, sont déjà insuffisants. Ne créons pas des critères qui ne pourront être appréciés, faute de praticiens. Il est dommage de répondre à cette question en recourant à une pirouette : les infirmiers en pratique avancée qui ont été évoqués sont un autre sujet. Il faut faire preuve d’un peu de sérieux. Je ne suis pas certain que nos débats donnent une bonne image du Parlement.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nous vous avions proposé de supprimer l’index, ce qui vous aurait évité ces amendements. Puisque vous l’avez refusé, nous sommes entrés dans votre jeu et avons essayé de donner à ce dispositif de la substance – un contenu chiffré, un caractère contraignant, une portée universelle. Mais, quand bien même vous auriez adopté tous nos amendements, un problème majeur aurait subsisté : votre index laisse de côté la poche de pauvreté. La meilleure chose que nous pourrions faire, à présent, serait de voter contre l’ensemble de la loi, ce qui arrangerait le peuple entier.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). À minuit, on constate, en effet, que les députés de la NUPES ont joué. Or, madame Rousseau, le travail parlementaire n’est pas un jeu. Nous faisons cette loi pour des raisons sérieuses.

 

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*     *

 

 


  1 

Au cours de ses réunions du mardi 31 janvier 2023, la commission poursuit l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 760) (Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale).

Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 10 heures 30 (article 2 [suite])

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12812419_63d8dd8e81976.commission-des-affaires-sociales--examen-du-projet-de-loi-de-financement-rectificative-de-la-securi-31-janvier-2023

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, nous avons examiné hier 237 amendements. Il ne reste donc plus que 5 315 amendements en discussion...

Article 2 (suite)
Mise en place d’un indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés

Amendements AS847 de M. Joël Aviragnet et AS1562 de M. Charles de Courson (discussion commune).

M. Joël Aviragnet (SOC). Mon amendement vise à introduire dans l’index seniors un indicateur concernant la formation professionnelle.

M. Charles de Courson (LIOT). La formation est une des questions à traiter si on veut augmenter le taux d’activité des seniors. Beaucoup d’entreprises n’investissent plus dans leur formation. Je propose donc la création d’un indicateur relatif au taux d’investissement dans la formation des salariés seniors.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Nous pouvons nous accorder sur le fond, mais il me semble que les critères doivent être définis avec les entreprises et les organisations syndicales. Le mieux serait de procéder par décret, après concertation.

Par conséquent, avis défavorable.

M. Sylvain Maillard (RE). S’agissant de l’organisation de nos travaux, nous consacrons du temps au débat et c’est tant mieux, mais il serait bien d’en arriver au moins à l’article 7. Pour y parvenir, nous pourrions accélérer le rythme, en entendant un orateur pour et un orateur contre, sauf lorsque vous voyez, madame la présidente, que nous avons besoin d’un peu plus de discussion, auquel cas tous les groupes pourraient s’exprimer. Nous avons passé hier quatre ou cinq heures sur l’index seniors. C’est un point important, mais il en est d’autres sur lesquels nous devons aussi pouvoir discuter. Évitons ces tunnels qui nous empêchent d’avancer.

Mme la présidente Fadila Khattabi. À titre personnel, je souhaite également que nous avancions. Nous avons abordé jusqu’à présent deux thématiques qui comptent, mais d’autres sujets importent aussi. Je ne suis pas contre l’idée d’entendre un orateur pour et un orateur contre – je l’avais déjà proposé hier. Beaucoup d’amendements ayant été déposés, les groupes peuvent s’exprimer, mais nos débats comportent beaucoup de redites. Je crois que tout le monde a compris qu’il y avait un désaccord.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). M. Maillard a tout à fait raison, mais c’est également lié à la structure du texte, que nous n’avons pas choisie. Je peux avouer que si nous avions écrit ce texte, il n’aurait pas le même contenu ni la même structure. Il nous intéresse néanmoins beaucoup, comme tout le pays, et c’est la raison pour laquelle nous avons envie de débattre de chacun de ses articles et de chacune de ses lignes. Ce projet de loi permet en effet de poser des questions fondamentales pour l’avenir. Je trouve dommage que seule l’opposition prenne au sérieux un texte aussi important. Il faut prendre le temps de l’examiner. Il est dommage que ce temps soit limité, mais nous n’y pouvons rien.

Je soutiens les amendements AS847 et AS1562. La formation est essentielle, mais c’est un des angles morts du texte. Son accès est inégalitaire : plus la taille de l’entreprise est importante et plus les salariés ont déjà des diplômes, plus il est fréquent. C’est un enjeu de qualifications, de connaissances, de salaires et de conventions collectives. La reconnaissance des qualifications me paraît une meilleure garantie pour les salariés qu’un index dont nous ne comprenons toujours pas très bien qui il concerne et quelles seront les conséquences effectives dans le monde du travail.

M. Jérôme Guedj (SOC). S’agissant de nos débats, nous essayons sincèrement, depuis hier, de nourrir des dispositions un peu creuses, mais sans avoir beaucoup de répondant en face. Or nous apprenons ce matin dans la presse qu’il a longuement été question hier, au bureau exécutif de Renaissance, de l’index seniors et des pistes pour l’enrichir, du moins si j’en crois la note de Sacha Houlié et de Pascal Canfin. Où les décisions sont-elles donc prises ? On nous dit, à la commission des affaires sociales, qu’il faut travailler sur les textes, qu’il faut faire de la coproduction, mais nous découvrons – vous nous direz si c’est vrai – que vous envisagez de faire en séance publique des propositions auxquelles vous vous êtes opposés en commission. Rendre l’index seniors plus coercitif et abaisser le seuil d’application à cinquante salariés, c’est ce que nous avons proposé par amendement.

Vous nous direz peut-être que c’est le fruit d’un dialogue fécond : comme nous sommes plusieurs à intervenir, nos idées finissent par infuser et par être reprises. Elles sont allées jusqu’au bureau exécutif de Renaissance ! Cela plaide plutôt pour que les uns et les autres puissent continuer à s’exprimer. Nous ne désespérons pas que la convergence entre ce que nous vous disons ici et ce que les Français vont vous dire dans la rue tout à l’heure vous permette de faire évoluer ce texte, et même d’y renoncer.

M. Thibault Bazin (LR). Il y a beaucoup de sujets à évoquer, et il faut prendre le temps de le faire. Concentrons-nous là-dessus, au lieu de parler de la méthode de discussion.

Pour ce qui est de ces amendements, relatifs au taux d’investissement des entreprises dans la formation de leurs salariés de 55 ans, je pense que la question se pose plus tôt : si l’on veut réussir les reconversions dans d’autres métiers, il faut les anticiper et les préparer. Par ailleurs, les pyramides des âges sont très variables en fonction des entreprises. Dans celles qui sont récentes, le public des plus de 55 ans est parfois limité, alors que d’autres entreprises ont surtout des personnes assez âgées. Ces amendements n’apporteraient donc pas forcément une réponse efficace à la question du taux d’emploi des seniors. Il vaut mieux encourager et prévenir, dans le cadre de parcours de formation.

Il y a aussi la question de la pénibilité, c’est vrai, et celle de l’acquisition de nouvelles connaissances. En tout cas, je ne suis pas sûr que le taux d’investissement dans la formation des salariés de 55 ans et plus soit le critère le plus pertinent. Il me semblerait plus intéressant de réfléchir à des parcours individualisés, beaucoup plus tôt dans les carrières.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Ce dont il est question, c’est un projet de société, et non pas simplement une réforme budgétaire, contrairement à la présentation qui nous est faite. Il est assez normal de prendre le temps de discuter des articles, dont vous avez choisi l’ordre. C’est vous qui avez mis l’index seniors avant, par exemple, l’article relatif à la pénibilité.

D’après ce que nous comprenons des prises de parole à l’extérieur de notre enceinte, rien n’est négociable hormis, peut-être, un peu, cet index. Nous souhaitons amender l’article 2 pour rendre l’index contraignant et pour qu’il ait un peu de substance, au lieu de servir de décoration. Nous continuerons à développer nos arguments pour utiliser la marge de manœuvre qui nous est très généreusement laissée afin d’imprimer notre marque.

Il est très important de mettre en évidence les efforts de formation qui sont faits par les entreprises, notamment pour les publics seniors, parce qu’on sait qu’il existe des espèces de trappes à pauvreté, notamment pour les plus précaires et les moins qualifiés, y compris à l’intérieur des entreprises. Une fois qu’on est tombé dans une trappe à pauvreté, particulièrement quand on est une femme ou un senior, ou quand on a un emploi pénible, on n’a plus la capacité, parce qu’on n’a pas accès à la formation, d’aller vers d’autres emplois moins pénibles pour le corps. Si la formation n’est pas intégrée dans l’index, celui-ci ne peut avoir de substance.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je suis favorable, je l’ai dit, à ce qu’un orateur pour et un orateur contre s’expriment, mais nous avons fixé, jusqu’à présent, le principe d’une intervention par groupe.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je pense que c’est la bonne formule. Si l’on remettait en cause cette règle, cela pourrait créer une jurisprudence très problématique au sein de notre commission. Chaque parlementaire a la liberté de contribuer à l’élaboration de la loi, y compris au stade de l’examen en commission.

M. Maillard nous a dit qu’il avait renoncé à l’objectif d’examiner tout le texte : il souhaite discuter au moins de ce qui en est le cœur – nous sommes d’accord sur ce point –, à savoir le recul de l’âge légal, à l’article 7, qui, c’est d’ailleurs là un aveu de votre part, pourrait vous suffire. C’est l’essentiel pour vous, donc, mais ce n’est pas notre projet de société. Alors que les manifestants se sont déjà rassemblés dans les rues de Marseille – je les salue au passage –, où en êtes-vous par rapport au retrait du texte ? Je comprends bien que nous ne me répondiez pas aujourd’hui – ce serait une grande fête dans les rues de Paris cet après‑midi, plutôt qu’une manifestation –, mais je crois que vous devriez vous poser la question, car vous n’y échapperez pas.

M. Thomas Ménagé (RN). Nous n’avons pas quatre groupes – même si nous nous demandons si nous n’allons pas créer un RN 1, un RN 2, un RN 3 et un RN 4 pour monopoliser la parole, comme le fait la NUPES depuis hier –, mais je souhaite ajouter un élément au sujet de l’organisation de nos débats.

J’ai fait le calcul : avec encore 5 300 amendements à examiner, il nous reste plus de quatorze heures de débat, si on consacre dix secondes à chaque amendement. Nous y passons actuellement cinq minutes, ce qui représenterait environ quarante jours de débat.

Vous êtes les idiots utiles du Gouvernement. (Exclamations.) Vous allez nous empêcher de parler du report de l’âge légal. Vous en faites des caisses pour faire oublier que vous avez voté pour M. Macron et que vous êtes responsables de la réforme Touraine, qui a allongé la durée de cotisation à quarante‑trois annuités.

Mme la présidente propose de laisser s’exprimer, sur chaque amendement, un orateur pour et un orateur contre ; pour ma part je vous propose de faire preuve d’intelligence en retirant vos amendements. Objectivement, à part à bordéliser cette commission, vous ne servez à rien. (Exclamations.) Vous faites un cadeau incroyable au Gouvernement. La majorité est très contente de ne pas parler du report de l’âge légal !

Soyez un peu sérieux, les Français nous écoutent. Ils attendent qu’on les protège, qu’on parle du fond, et non que vous fassiez votre petit cirque. Soyez là non pas pour défendre votre chapelle, mais pour défendre les Français. Vous les oubliez dans cette histoire.

Mme la rapporteure générale. Madame Rousseau, nous n’avons pas choisi l’ordre de présentation des articles : c’est la loi organique qui exige de faire précéder la partie dépenses par la partie recettes.

Vous avez dit, monsieur Dharréville, que l’article 7 nous suffirait. Je ne suis pas d’accord : cet article, qui recule l’âge de départ à la retraite, permet de réaliser 18 milliards d’euros d’économies, mais il y a aussi des mesures d’accompagnement, pour 6 milliards, selon l’étude d’impact – les départs avant l’âge légal, aux articles 8 et 9, les petites pensions, les carrières longues, le cumul emploi-retraite ou encore les retraites progressives, objet de l’article 13. J’ai tout à fait envie que nos travaux se poursuivent jusqu’à ces articles.

Monsieur Guedj, nous continuons les échanges avec nos concitoyens et avec les organisations syndicales. Tant mieux si le texte évolue tout au long de son parcours, c’est le principe du débat parlementaire.

S’agissant des amendements AS847 et AS1562, les organisations syndicales, que nous avons auditionnées, ne nous ont pas demandé de préciser ces indicateurs.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS848 de M. Joël Aviragnet.

M. Joël Aviragnet (SOC). Nous proposons de créer un indicateur concernant spécifiquement la mobilité professionnelle, qui semble un point incontournable.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS7116 de M. Yannick Monnet.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Si votre ambition est de faire reculer l’âge de départ à la retraite tout en agissant sur les conditions d’emploi des seniors, il faut intégrer dans les indicateurs les licenciements et les reclassements pour inaptitude. Tel est l’objet de l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS5938 de Mme Sandra Regol.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Par l’amendement AS5938, il s’agit de supprimer, s’agissant de l’emploi des seniors, la possibilité donnée aux branches de conclure un accord qui déroge aux indicateurs et aux méthodes de calcul déterminés par décret : cela reviendrait à vider cette disposition de sa déjà bien maigre substance.

Nous en avons parlé hier : laisser le champ libre aux branches, c’est aussi risquer que certaines d’entre elles ne reconnaissent pas la pénibilité autant que d’autres. Or il est extrêmement important d’avoir des indicateurs qui transcendent les branches, en particulier pour le port de charges lourdes, mais aussi pour les postures pénibles et pour l’exposition aux produits chimiques. Les aides à domicile font partie des personnes qui y sont le plus exposées parce qu’elles font le ménage avec des produits non standardisés et dans des conditions de sécurité qui ne sont pas toujours assurées.

On ne peut pas laisser aux branches, en particulier celles où il y a très peu de syndicalisation et donc de défense des intérêts des salariés, la possibilité de choisir leurs propres critères pour cet index.

Mme la rapporteure générale. Nous faisons confiance aux branches pour travailler au plus près des réalités des entreprises. Avis défavorable.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Cet amendement pose une question qui anime depuis longtemps notre commission, par-delà les alternances, à savoir le rapport entre la règle à l’échelon national et la règle à l’échelon des branches. La base de notre démocratie sociale est le principe de faveur : les branches peuvent améliorer des dispositions législatives, mais pas y déroger en étant moins-disantes. Un des risques de l’index seniors, c’est qu’il pourrait être vidé de son sens par des négociations de branche qui tireraient tout vers le bas. Il s’agit, en fait, de savoir si cet index ne servira simplement à rien ou s’il aura un effet néfaste. Je préfère la première hypothèse.

M. Xavier Breton (LR). Cet amendement révèle les divergences que nous pouvons avoir sur le dialogue social. Nous pouvons faire confiance au dialogue dans chaque branche, selon le principe de subsidiarité, qui consiste à travailler au plus près du terrain. Tout centraliser ne va pas dans le bon sens. Au-delà de ce qu’on peut penser de l’index seniors, les branches restent le bon niveau.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le taux de syndicalisation, donc la force des syndicats pour négocier la reconnaissance des carrières difficiles, hachées, et de la pénibilité ne sont pas les mêmes dans toutes les branches. C’est particulièrement vrai dans celles qui sont très féminisées, où le travail en miettes et plus généralement les conditions de travail ne favorisent pas une syndicalisation très forte, ce qui fait que la pénibilité subie par les femmes, notamment les plus précaires, y est à la fois la pire et la moins reconnue. Il faut arrêter l’hypocrisie qui consiste à prétendre que toutes les branches sont égales pour la définition des critères de pénibilité ou en matière de formation. L’État a un rôle à jouer en faveur de l’égalité et de l’équité. Soyez responsables.

M. Didier Martin (RE). On comprend très bien, en vous écoutant, que les oppositions politiques sont au service des syndicats, ou plutôt à leur remorque. Elles essaient de trouver leur place dans le mouvement syndical auquel nous allons assister aujourd’hui.

Le dialogue social et les avancées sociales dans notre pays reposent sur la négociation au niveau des branches. Les risques d’exposition sont sensiblement différents selon les métiers.

L’évolution prévue concerne 5 millions de personnes. Le ministre du travail propose, dans ce texte, des avancées importantes au sujet du compte professionnel de prévention, en particulier le déplafonnement du nombre de points, l’organisation des départs anticipés et les possibilités de changement de métier. Il faut s’en tenir au texte.

La NUPES montre la grande variété des positions qui la caractérise, puisque les uns sont pour l’index et les autres contre. Après avoir expliqué qu’il ne servirait strictement à rien, nos collègues veulent maintenant l’enrichir par de multiples amendements. On a du mal à suivre le raisonnement.

Mme la rapporteure générale. Madame Rousseau, nous avons adopté hier un amendement de Mme Rixain qui pose le principe selon lequel l’index devra comprendre des indicateurs genrés.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS5717 de Mme Fanta Berete.

Mme Fanta Berete (RE). On peut se demander comment des comparaisons entre les branches seront possibles si chacune d’elles ne définit pas ses propres critères. Je vous soumets donc un amendement qui rendra obligatoires des négociations de branche sur les indicateurs et les méthodes de calcul de l’index seniors, en remplaçant « peut » par « doit » à l’alinéa 7. En effet, l’index ne pourra être pertinent que si les critères sont discutés paritairement et s’ils reflètent les typologies des métiers, la pyramide des âges, la réalité du terrain et surtout les risques dans les différents secteurs.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable. Nous devons aussi prévoir le cas où il ne serait pas possible d’aboutir à un accord.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Cet amendement est intéressant à deux titres. D’abord, il durcit l’index, ce qui va dans le sens de ce que nous demandons. Je me réjouis que nous soyons d’accord là-dessus, nos idées se diffusent. Ensuite, la distinction entre « pouvoir » et « devoir » est intéressante. Vous pouvez, par exemple, retirer le texte, mais au vu des manifestations d’aujourd’hui, vous devez le faire.

L’amendement est retiré.

Amendement AS4540 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie (LR). Je crois que nous pouvons nous retrouver sur un point : l’emploi des seniors est un problème en France. Nous sommes plutôt de mauvais élèves en la matière, et nous avons tous envie de voir la situation s’améliorer. L’article 2 prévoit une procédure pour accompagner le relèvement de l’âge légal du départ à la retraite, mais toute la difficulté résidera dans sa mise en œuvre. Il faut encourager et prévenir, en laissant beaucoup de latitude au dialogue et à la concertation. Nous devons aussi éviter que les indicateurs puissent se comparer. Ainsi, dans la branche Syntec, qui regroupe les entreprises du numérique, la moyenne d’âge des salariés est souvent basse. Elle est plus élevée, en revanche, dans les entreprises de formation. Il faut qu’on puisse tenir compte des spécificités des métiers et de leur évolution. Je vous propose donc que les conditions ne soient pas définies par la voie réglementaire, étant entendu que la liste des indicateurs et les méthodes de calcul resteront fixées par décret, ce qui me paraît suffisant.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

Votre amendement est presque satisfait : la voie réglementaire servira seulement à définir dans quel cadre les négociations auront lieu, pour les favoriser.

M. Stéphane Viry (LR). Cela fait déjà six ou sept heures que nous discutons d’un index qui ne bouleversera pas la question de l’emploi des seniors. C’est peut-être beaucoup, même s’il s’agit d’un vrai problème de société. Ce projet de loi est d’ailleurs bien insuffisant. Au-delà d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, il faudra à terme un paquet législatif majeur sur ce sujet ou des états généraux afin de réunir les partenaires sociaux.

Cet amendement permettra de montrer que nous faisons confiance au dialogue social pour actionner les bons ressorts. J’ai bien senti, madame la rapporteure générale, que vous hésitiez, puisque vous avez dit que l’amendement était satisfait tout en émettant un avis défavorable. La proposition faite par notre collègue Véronique Louwagie n’aura pas d’autre conséquence que de laisser de la liberté sur le terrain, pour se donner une chance d’augmenter le taux d’emploi des seniors.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS859 de M. Joël Aviragnet et AS3760 de M. Sébastien Peytavie (discussion commune).

M. Joël Aviragnet (SOC). Mon amendement vise à ne pas laisser aux branches la possibilité d’établir, sur l’emploi des seniors, des indicateurs qui seraient moins-disants que les dispositions prévues par décret.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Quand on regarde les détails de ce dispositif, qui pourrait permettre aux entreprises de s’acheter une bonne conscience à bas coût, on se rend compte que la publication de l’index ne sera pas obligatoire et qu’une adaptation au niveau des branches sera en outre possible. Cela peut, certes, favoriser une meilleure prise en compte des milieux professionnels, mais les indicateurs risquent d’être revus à la baisse si les rapports de force sont défavorables aux salariés seniors, ce qui pourrait alors conduire à une dégradation de leurs conditions d’emploi. Nous demandons donc que toute modification des indicateurs par accord de branche ou par convention n’entraîne pas une dégradation par rapport à ce qui sera prévu par décret.

Mme la rapporteure générale. Il n’y a pas de notion de moins-disant ou de mieux‑disant en la matière : il s’agit d’indicateurs. Ce que vous proposez ne serait pas opérant. Par conséquent, avis défavorable.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Vous pointez du doigt la raison pour laquelle il faut voter ces amendements. Rien n’est obligatoire dans cet index, et il n’y aura aucune mesure commune aux différentes branches. Le dispositif est si transparent qu’il en perd tout sens. Ce que nos collègues proposent permettra de donner un peu de consistance à l’index.

M. Thibault Bazin (LR). La question est d’importance : fait-on confiance au paritarisme et aux accords de branche ? Je crois que des avancées issues du dialogue social sont possibles. Ce dernier peut même être en pointe par rapport à ce qu’on imagine au Parlement.

Il existe une procédure d’agrément des accords de branche qui permet à l’État de vérifier dans un second temps ce qu’ils prévoient. Au lieu de tout régler a priori, il faut laisser un peu de flexibilité pour permettre un travail sur les spécificités qui peuvent exister dans les branches, par exemple en matière de pénibilité. Je ne suis donc pas favorable à ces amendements.

Mme Laure Lavalette (RN). Après toutes ces heures de débat sur l’index, il serait temps de passer à autre chose. La NUPES est excitée, ce matin, comme une mariée qui va à l’autel ! (Exclamations). Gardez plutôt un peu d’énergie pour votre motion référendaire, et cessez votre incontinence législative, qui parasite le débat. Retirez, s’il vous plaît, vos amendements pour nous permettre d’en arriver au cœur du sujet, c’est-à-dire à l’article 7.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Je le dis à nos collègues du Rassemblement national : s’ils voulaient que nous avancions plus vite, que n’ont-ils adopté l’amendement de suppression de l’article 2 que nous avons présenté ! De deux choses l’une, soit ils sont à la ramasse, incapables de suivre les débats – hypothèse la plus probable –, soit ils cherchent à se prévaloir de leurs propres turpitudes. C’est fatigant.

Si vous n’avez pas envie de travailler, allez vous promener. L’index seniors, en dépit de son inutilité, mérite un débat approfondi.

Lorsque vous levez un instant les yeux de la feuille sur laquelle sont inscrites les consignes de vote, vous semblez complètement perdus. Ce manque d’autonomie est étonnant de la part d’un député. De grâce, arrêtez vos leçons à deux balles et essayez de vous concentrer sur le texte. La discussion sera longue mais soyez là lors de l’examen des amendements de suppression de l’article 7. Il serait dommage que vous ne les votiez pas !

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS6604 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’index seniors n’est pas suffisamment ambitieux pour pousser les entreprises qui font preuve d’un âgisme systémique à changer de comportement. Elles sont gentiment priées de ne pas oublier de transmettre leurs résultats, aussi misérables soient-ils. Cela en dit long sur le désintérêt du Gouvernement pour nos aînés.

Conçu pour ne pas froisser le CAC40, l’index permet aux entreprises de se laver les mains sans bouger le petit doigt – décidément, c’est une histoire de doigt – pour améliorer l’emploi des seniors. Il n’apportera rien aux 60,2 % de personnes de 55 ans et plus au chômage de longue durée, ni aux seniors qui envoient pendant des années des centaines de CV et finissent par attendre désespérés l’âge légal de départ à la retraite.

La sanction prévue par le projet de loi n’étant guère dissuasive, l’amendement vise à rendre la discrimination massive à l’égard des seniors insupportable financièrement pour les entreprises. Il est ainsi prévu de conditionner les exonérations de cotisations sociales au respect d’indicateurs définis dans un accord de branche.

Il s’agit d’imposer enfin aux entreprises des conditions environnementales et sociales pour bénéficier des 160 milliards d’euros de cadeaux fiscaux de l’État.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

Je conteste votre appréciation selon laquelle une sanction pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale n’est pas dissuasive. Nous aurons l’occasion, avec les amendements à venir, d’évoquer les exonérations de cotisations.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Je suis choquée par la vision moderne de la place des femmes que défend le RN : après la politique nataliste, nous avons droit à la mariée à l’autel. Votre incontinence est non pas législative, mais conservatrice et rétrograde.

Le taux d’emploi des personnes de 55 ans et plus était de 56 % en 2021. Le taux de précarité est l’un des plus faibles en Europe et il doit le rester. L’index seniors est une coquille vide. Vous refusez de lui assigner les objectifs que nous vous avons proposés tout en reconnaissant la nécessité de ces derniers.

D’un côté, vous nous accusez d’être à la botte des syndicats et, de l’autre, vous renvoyez tout au paritarisme dont vous avez choisi de priver l’assurance chômage en prenant des mesures par décret. Tous les syndicats sont opposés à la réforme et il n’y a personne à droite pour les entendre. Alors qu’ils ont été par le passé les artisans du progrès social, ils se heurtent aujourd’hui à un mépris choquant et à un refus du dialogue social qui l’est tout autant. Nous gagnerions à écouter les représentants des travailleurs qui ont réussi à s’unir pour la première fois depuis longtemps. Votre entêtement face au rejet unanime de votre réforme est un problème.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6815 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Cette réforme nauséabonde ne se résume pas, nous répète-t-on, à l’index seniors : elle comprend aussi une obligation de négociation au sein des entreprises sur l’emploi des seniors.

Ce sujet est déjà à l’ordre du jour des négociations sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, et cela n’empêche pas les entreprises de continuer à pratiquer la discrimination à l’égard des plus âgés. Comment expliquer, sinon, que 89 % des seniors ressentent l’âge comme un facteur discriminant ?

Depuis le début de notre discussion, peu d’efforts ont été faits pour se mettre à la place des seniors. Savez-vous ce que c’est d’avoir passé quarante ans à construire sa carrière, à avoir acquis des compétences, à maîtriser son outil de travail, pour finalement avoir le sentiment d’être un salarié jetable, inutile pour l’entreprise à laquelle vous avez consacré une grande partie de votre temps ? Savez‑vous ce que c’est d’avoir subi une tendinite, une maladie respiratoire ou un burn-out et de devoir revenir à la case départ jusqu’à la retraite ?

Écrire une ligne supplémentaire dans le code du travail et demander poliment aux entreprises de publier un questionnaire, c’est manquer cruellement d’ambition pour obtenir que les seniors soient enfin respectés. C’est parce que les entreprises n’ont aucun intérêt financier à garder les seniors que nous devons passer à la vitesse supérieure en conditionnant les milliards d’euros d’exonérations de cotisations à la conclusion d’un accord sur l’emploi des seniors. L’État doit cesser de signer des chèques en blanc.

Mme la rapporteure générale. Pour les mêmes raisons que précédemment, avis défavorable.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). La signature d’accords de branche relatifs à la formation et au maintien dans l’emploi des seniors serait la première pierre d’un plan d’action visant à améliorer leur taux d’emploi, qui est l’un des plus faibles d’Europe.

Outre l’absence d’obligations et de sanctions, l’index souffre de ne pas être accompagné d’une politique résolue en faveur de l’emploi des seniors. Nous vous proposons une solution concrète pour en faire un outil efficace au plus près du terrain.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Je soutiens l’amendement, d’abord parce qu’il tend à donner un peu de substance à un index fantomatique, ensuite parce qu’il prévoit de revenir partiellement sur les exonérations de cotisations en les conditionnant. Cette politique menée depuis plus de trente ans n’a pas fait ses preuves, sauf pour ruiner les comptes publics. Les exonérations coûtent cher à la sécurité sociale. Nos collègues vous proposent 66 milliards d’euros pour combler le déficit de l’assurance vieillesse, quand vous mettez en avant le chiffre de 12 milliards pour justifier la réforme.

Le montant des exonérations sociales que l’État accorde aux entreprises est supérieur à celui de l’impôt sur les sociétés qu’elles paient. C’est paradoxal.

Je connais votre attachement aux exonérations. Il est vous est proposé, non de les supprimer, mais d’en priver les entreprises qui maltraitent les travailleurs expérimentés. Cela me semble une voie raisonnable pour donner corps à la coconstruction que nous appelons tous de nos vœux.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS868 de M. Joël Aviragnet.

M. Elie Califer (SOC). Il s’agit toujours de donner un peu de consistance à l’index. L’amendement AS868 vise à donner la possibilité à l’inspection du travail de contrôler les entreprises n’ayant pas publié celui-ci.

Mme la rapporteure générale. L’amendement est satisfait car, les données relatives aux indicateurs étant publiques, elles seront à la disposition de l’inspection du travail.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Que l’inspection du travail soit informée, c’est bien le moins.

Vous confondez le fait de rendre public l’index avec la possibilité donnée à l’inspection du travail de contrôler les conditions de son élaboration. Vous êtes aveuglés par votre obsession de l’absence de contraintes.

Le rôle de l’inspection du travail est particulièrement difficile pour les métiers, souvent précaires, qui s’exercent à domicile puisqu’elle n’a pas le droit de procéder à des contrôles dans un lieu privé. L’accès à l’index est donc une exigence minimale. Le fait de le rendre public n’est absolument pas suffisant, il faut prévoir des contrôles.

M. Sylvain Maillard (RE). Je ne sais pas si vous avez déjà assisté à un contrôle de l’inspection du travail. Les inspecteurs ont évidemment accès à toutes les données sociales de l’entreprise qu’ils contrôlent. Je ne comprends pas ce que vous cherchez, si ce n’est de faire un mauvais procès au texte.

M. Elie Califer (SOC). Pourquoi refusez-vous obstinément de donner de la consistance à l’index ? Si nous voulons favoriser l’embauche et le maintien dans l’emploi des seniors, quoi de plus naturel que de permettre aux inspecteurs du travail d’obtenir les informations sans avoir à les chercher dans un journal ou sur les réseaux sociaux ?

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Il s’agit d’un amendement de bon sens. La communication des informations aux inspecteurs intervient en amont d’un contrôle. Elle permet non seulement d’améliorer l’efficacité dudit contrôle mais aussi de gagner du temps puisque les inspecteurs savent où porter leur regard prioritairement.

Mme la rapporteure générale. L’amendement, tel qu’il est rédigé, ne correspond pas à la présentation que vous en faites.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS1340 de M. Raphaël Gérard.

Mme Servane Hugues (RE). L’amendement AS1340 a pour objet d’adosser à l’index seniors des indicateurs relatifs à la diversité.

La treizième édition du baromètre de la perception des discriminations publiée conjointement par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail en décembre 2020 documente les conséquences délétères et durables des comportements discriminatoires répétés sur les individus et leurs parcours de vie.

Ces discriminations constituent un frein à l’embauche ainsi qu’à la promotion professionnelle, ce qui alimente les inégalités salariales et pèse sur le niveau des pensions.

Diverses dispositions du code du travail permettent de prévenir ou de corriger les effets des discriminations, notamment lorsqu’elles sont fondées sur le sexe ou la situation de handicap du salarié. Les entreprises et les organisations publiques savent mesurer la diversité et le niveau d’inclusion lié au handicap, à l’âge et au genre.

Néanmoins, il conviendrait de prendre davantage en considération la multiplicité des comportements hostiles au travail, leur dimension systémique et les situations particulières de certains groupes qui y sont surexposés.

Le Gouvernement a lancé, à titre expérimental, un index diversité et inclusion dans le but de favoriser l’égalité d’accès aux opportunités dans l’emploi, ainsi que la reconnaissance et la valorisation des compétences de tous les salariés.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable, une fois encore pour éviter d’introduire de la rigidité dans le choix des indicateurs.

M. Jean-François Coulomme (LFI - NUPES). Nous sommes plutôt favorables à l’amendement : si l’on crée un index, autant qu’il serve aussi à appréhender les discriminations, par exemple et notamment celles fondées sur le handicap.

Pourquoi êtes-vous capables d’imposer, de manière radicale et fanatisée, des mesures de coercition aux Français pour leur retraite et, dans le même temps, de faire preuve d’une si grande tolérance à l’égard des entreprises en matière d’emploi ? Pourquoi tant de confiance dans la vertu des secondes et tant de sévérité à l’endroit des premiers ? Pourquoi tant de mansuétude vis-à-vis des entreprises dont vous préjugez qu’elles seront bienveillantes à l’égard de leurs salariés ?

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Le groupe Écologiste - NUPES soutient également l’amendement. Je suis désolée que les bonnes idées dans vos rangs ne trouvent pas d’écho favorable.

Le monde du travail est l’un des premiers lieux des discriminations. Il y a urgence à lutter en particulier contre les inégalités de genre pour l’accès à l’emploi.

L’un des angles morts de la réforme est le sort réservé aux femmes qui interrompent leur carrière, notamment pour des raisons liées à la parentalité. La France est vraiment un mauvais élève en matière d’emploi des personnes en situation de handicap. L’âge est un autre facteur de discrimination aussi bien pour les personnes âgées que pour les jeunes.

Je suis agréablement surprise de voir un amendement évoquer la dimension systémique des discriminations au travail – ce n’est pas dans les habitudes de la majorité de défendre une approche globale.

L’amendement doit nous inciter à aller plus loin et à nous tourner vers les associations qui sont au contact des premières personnes concernées dont la parole est si précieuse.

Je rappelle l’importance, dans la conduite des projets, des indicateurs pour mesurer les progrès accomplis par rapport aux objectifs qui ont été définis, sinon ces derniers restent des vœux pieux.

Mme la rapporteure générale. Lorsque j’émets un avis défavorable sur un amendement proposant un indicateur – je l’ai fait à de nombreuses reprises depuis hier et serai amenée à le faire encore –, cela ne signifie pas que celui-ci est mauvais. Nous avons pris le parti de renvoyer à des négociations de branche, au plus près des entreprises, le choix des indicateurs. Il faut donc éviter d’introduire dans le texte de la rigidité, quand bien même les critères suggérés sembleraient pertinents.

Mme Laure Lavalette (RN). Seulement 30 % des entreprises remplissent l’obligation de compter dans leurs effectifs 6 % de travailleurs handicapés, et 31 % des entreprises n’emploient aucun travailleur handicapé, en dépit des sanctions qu’elles encourent.

Quant à la parité, la proportion d’entreprises qui la respectent pour leurs dix plus hautes rémunérations est passée de 25 % à 27 % seulement depuis la création de l’index de l’égalité professionnelle.

La solution ne réside pas dans un index mais dans un changement des mentalités, qu’il s’agisse des seniors, des femmes ou des personnes en situation de handicap.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS869 de M. Joël Aviragnet.

M. Joël Aviragnet (SOC). Il s’agit d’étendre l’index aux administrations publiques.

Mme la rapporteure générale. L’amendement est satisfait car la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a instauré l’obligation, pour l’administration, d’élaborer chaque année un rapport social.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Vous faites tout à l’envers. Nous parlons des retraites avant de nous intéresser à l’emploi – ce sera au printemps. Le nombre de médecins du travail et d’inspecteurs du travail est insuffisant. Vous refusez de créer un index exigeant. Qu’il s’agisse des femmes, des seniors ou des personnes en situation de handicap, vous manquez d’ambition.

M. Nicolas Turquois (Dem). À force de vouloir tout encadrer, le taux de chômage a atteint des sommets. Depuis trente ans, certains publics ont été maintenus dans un chômage de longue durée. Nous nous sommes attaqués au problème et nous avons obtenu des résultats. Je ne nie pas des imperfections – il faut toujours remettre l’ouvrage sur le métier.

Arrêtez de vouloir tout rigidifier ! Il faut mettre la question de l’emploi des seniors dans le débat public, mais laissez les branches s’en saisir.

La priorité doit être de donner du travail, ce qui n’a pas été fait depuis au moins trente ans. Nous pouvons nous targuer de nos résultats dans ce domaine. Ils sont la preuve qu’il est parfois nécessaire de relâcher le cadre pour progresser.

M. Jérôme Legavre (LFI - NUPES). Monsieur Turquois, vous venez de confirmer que les chiffres en matière de chômage sont très mauvais.

Je sais que, dans la majorité, le déni tient lieu de vérité. Toutefois, je vous rappelle que la France compte, toutes catégories confondues, plus de 6,5 millions de chômeurs. Le mois dernier, Pôle emploi a procédé à un nombre exceptionnel de radiations. Le nombre d’emplois précaires a explosé sous le précédent quinquennat.

Depuis la première élection d’Emmanuel Macron, les gouvernements successifs ont entrepris de dynamiter toutes les règles – la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, dite « loi Pénicaud », a ainsi inversé la hiérarchie des normes en droit social. Il n’y a plus de cadres – vous les avez fait imploser –, donc il n’y a rien à rigidifier.

M. Stéphane Viry (LR). Il est regrettable que le Gouvernement ait choisi de ne pas inscrire la réforme des retraites dans une réflexion globale sur le travail. Tant que nous n’augmenterons pas notre volume de travail, avec plus de cotisations à la clé, le seul levier disponible sera le report de l’âge légal qui conduit au blocage que nous connaissons.

Le Gouvernement aurait dû lancer, comme il a su le faire sur d’autres sujets par le passé, un grand débat sur le rapport des Français au travail ainsi que sur la place et la valeur de ce dernier. Nous aurions pu trouver des alternatives à la solution imparfaite, insatisfaisante et incompréhensible qui a été choisie pour financer notre système de retraite, une solution qui ne peut emporter l’adhésion d’une majorité de Français à une réforme pourtant indispensable.

Mme Monique Iborra (RE). La gauche a toujours préféré les chômeurs bien indemnisés aux personnes en emploi. Nous en avons eu la démonstration pendant des années.

Je ne suis pas sûre, bien qu’étant députée, que la loi seule puisse changer les mentalités. Il faut combiner le contrat et la loi. Vous avez tort de vouloir imposer vos choix idéologiques aux entreprises.

Il est probable que les seniors aient peu d’appétence pour la formation. Laissons les entreprises et les branches négocier en prenant en considération ce que veulent les seniors ; assurons-nous que ces négociations se déroulent de manière satisfaisante, et nous aurons des résultats que la loi ne nous permettrait sans doute pas d’obtenir.

Mme la présidente Fadila Khattabi. On ne peut pas dire que la situation économique actuelle est catastrophique. S’agissant de la lutte contre le chômage, les résultats sont là. Quand les statistiques ne vous arrangent pas, vous les balayez d’un revers de la main. En Côte-d’Or, le taux de chômage est inférieur à 6 % et les entreprises rencontrent d’énormes difficultés de recrutement. Vous ne pouvez pas nier la réalité et dire n’importe quoi.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3814 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Compte tenu du manque de précision sur les indicateurs, les risques de contournement du dispositif par les entreprises sont réels. On l’a observé dans le cas de l’index d’égalité professionnelle, les entreprises peuvent minimiser les inégalités pour grappiller quelques points, et ce dans une quasi-impunité puisque l’index n’est pas contraignant et n’a fait l’objet que de très rares contrôles depuis sa création.

En l’absence de contrôles, la portée de l’index seniors, lui aussi institué au nom de la transparence, risque d’être affaiblie par des entreprises peu scrupuleuses, qui tenteront d’exploiter à leur avantage les méthodes de calcul pour en faire le moins possible.

Pour éviter que l’index n’ait aucun impact sur l’emploi des seniors, il est indispensable de prévoir un mécanisme de suivi des indicateurs et des mesures prises.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Nous ne préférons pas avoir des chômeurs bien indemnisés plutôt que des gens qui travaillent, madame Iborra : nous voulons des travailleurs correctement payés. Des salaires dignes, ce sont des cotisations sociales en plus pour financer le système de retraite.

En cas de perte d’emploi – par exemple, en raison des délocalisations, contre lesquelles vous ne faites à peu près rien – nous voulons en effet que les chômeurs soient bien indemnisés afin qu’ils puissent instaurer, avec le patronat, un rapport de force favorable, qui leur permette de choisir leur nouvel emploi et d’avoir des exigences en matière de rémunération. Vous, au contraire, vous voulez constituer une « armée de réserve » sous‑indemnisée afin que le patronat puisse proposer des salaires très bas dans des métiers très pénibles.

Le lien est direct entre votre réforme des retraites et celle de l’assurance chômage : vous ne cherchez pas à favoriser l’emploi des seniors mais vous voulez mettre au chômage des personnes assez âgées et sous‑rémunérées afin qu’elles soient contraintes d’accepter des emplois inférieurs à ceux auxquels elles pourraient prétendre.

Voilà pourquoi vous nous trouvez sur votre chemin et pourquoi de nombreuses personnes, aujourd’hui, sont en grève !

M. Nicolas Turquois (Dem). Quelle vision hallucinante et étriquée du travail !

Dans ma circonscription, qui est industrielle, le taux de chômage se situe à 5 % environ. Les entrepreneurs, qui sont à la recherche de compétences, proposent des rémunérations plus élevées et gardent leurs seniors.

M. Paul Christophe (HOR). Puisque vous évoquez les délocalisations, monsieur Léaument, croyez-vous que, s’ils vous écoutent, les investisseurs auront envie de s’installer en France ? Chaque fois que l’on taxe et que l’on surtaxe, ils fuient ! Votre politique reviendrait à détruire massivement l’emploi et je ne suis pas sûr qu’elle contribuerait à maintenir les seniors au travail.

Je comprends que la situation de l’emploi vous irrite mais nombre de secteurs sont confrontés à des pénuries de main‑d’œuvre. Croyez-vous que le maintien des seniors dans l’emploi et que la capitalisation sur leur expérience et leur compétence ne s’imposent pas ?

Révisez donc un peu votre doctrine, qui est en profond décalage avec la société !

M. Éric Alauzet (RE). Quand on voit le peu de considération dont certains font preuve à l’endroit de leurs collègues, au motif que ces derniers font partie de la majorité et qu’ils seraient du côté du « Président des riches » et autres billevesées, les bras me tombent !

Savez-vous que le taux d’emplois en CDI augmente en permanence et qu’il est passé de 48 % à 52 % ? Plus les gens travailleront, plus une pression à la hausse s’exercera sur les salaires. Plus ils seront au chômage, plus les salaires baisseront.

Tous, ici, nous voulons le bien de nos concitoyens, alors, soyez un peu plus respectueux à notre endroit !

Mme Sabrina Sebaihi (Ecolo - NUPES). Vous parlez du travail et du chômage, mais parlons des salaires : certes, vous faites travailler les gens, mais pour des salaires de misère !

Pourquoi ne dites-vous rien des chômeurs qui ont été radiés et jetés dans la pauvreté suite à vos différentes réformes ?

En dix ans, après le passage de l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans, le nombre de seniors allocataires du revenu de solidarité active (RSA) a bondi de 157 %. Ce pourcentage doublera en reportant l’âge de départ de 62 à 64 ans. Voilà la réalité des chiffres ! Arrêtez de nous faire la leçon ! Beaucoup, ici, sont en effet sincères mais ce que vous proposez ne va pas dans le bon sens.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Selon M. François Sauvadet, président de l’Assemblée des départements de France, le nombre de bénéficiaires du RSA a diminué. Il pourra vous le confirmer !

M. Philippe Vigier (Dem). Je transmettrai à nos collègues de la NUPES le document communiqué par le ministre délégué Gabriel Attal lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2023. Il montre que le nombre de bénéficiaires du RSA a diminué partout, sauf dans deux départements. Ne répandons pas de fake news !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je suis tout à fait d’accord pour que ce document soit en effet distribué à l’ensemble des députés.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6061 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR). L’amendement dispose que, « dans le cas des structures sportives professionnelles, le présent article n’est applicable qu’à la population dite administrative ».

Il convient en effet de prendre en compte les particularités du sport professionnel : les contrats de travail sont à durée déterminée spécifique ; les carrières sportives professionnelles sont particulièrement courtes au regard de l’âge légal de départ à la retraite : en moyenne, elles sont inférieures à sept ans et elles peuvent être stoppées brutalement à la suite d’une blessure ; enfin, les sportifs, joueurs et entraîneurs ne peuvent pas tous être reclassés sur des postes administratifs internes.

Mme la rapporteure générale. Sur le fond, je suis d’accord avec vous, mais c’est aux branches de décider.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Je suis entièrement d’accord avec certains propos qui viennent d’être tenus : plus les gens travailleront, plus une pression à la hausse s’exercera sur les salaires, mais il en est de même lorsque les chômeurs sont mieux indemnisés.

Vous arguez d’un taux d’emploi en CDI de 52 %, mais enfin nous sommes législateurs et nous pouvons imposer un certain nombre de choses aux entreprises ! Dans son programme présidentiel, Jean-Luc Mélenchon proposait de faire en sorte qu’il n’y ait pas plus de 5 % de CDD dans les grandes entreprises et 10 % dans les petites.

De plus, à vous entendre, il n’y aurait que de l’emploi privé dans ce pays ! Et les fonctionnaires, alors ? L’État et les collectivités territoriales ne seraient donc pas des employeurs ? Selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), votre réforme s’explique en partie par la diminution du nombre de fonctionnaires et la stagnation de leurs salaires. Nous lisons les différents rapports aussi bien que vous mais nous n’en tirons pas les mêmes conclusions ! Nous voulons, nous, que force reste à la loi et pas aux entreprises !

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le Monde daté du 26 janvier s’interrogeait : « L’augmentation des radiations de Pôle emploi pourrait-elle expliquer la forte baisse du nombre de demandeurs d’emploi enregistrée au quatrième trimestre 2022 ? » Il est en effet toujours possible de faire baisser les chiffres du chômage en augmentant le nombre des radiations, tout comme le non-recours au RSA peut expliquer la diminution du nombre d’allocataires. Le taux de non-recours, par trimestre, s’élève à 34 %, ce qui est honteux. La baisse que vous invoquez ne dit strictement rien de l’ampleur de la précarité dans notre pays.

S’agissant de la carrière des sportifs, je m’interroge : que va faire Mbappé après 50 ans ? Au-delà de la plaisanterie, le devenir des sportifs est une vraie question et, contrairement à ce que propose M. Bazin, je pense qu’ils doivent être intégrés dans l’index.

M. Marc Ferracci (RE). Les deux définitions du chômage dont nous disposons permettent de ne pas avoir à commenter les effets des inscriptions administratives des demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM). Selon la définition du Bureau international du travail, qui ne tient absolument pas compte des radiations, le taux de chômage diminue dans notre pays puisque, depuis le début du quinquennat, il est passé de 9,5 % à 7,3 %.

En 2022, nous avons battu le record du nombre d’embauches en CDI – 5,1 millions –, preuve qu’il est possible d’augmenter le nombre d’emplois sans sacrifier leur qualité.

S’agissant des DEFM, vous évoquez 6 millions de chômeurs mais vous négligez le fait qu’une grande partie travaillent, dans les catégories B et C.

Enfin, le nombre de sportifs professionnels s’élève seulement à 7 000 personnes et les effectifs des clubs sportifs, très largement, sont composés des personnels administratifs. Je ne suis donc pas certain que l’index joue un grand rôle ou les pénalise très fortement.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je suis d’accord sur ce dernier point. Par ailleurs, il importe de penser à la reconversion des sportifs professionnels.

Plusieurs raisons expliquent la baisse du nombre d’allocataires du RSA. Après la crise du covid et l’appauvrissement considérable de la population, les sorties du RSA à la suite des radiations administratives et pour défaut d’actualisation n’ont jamais été aussi élevées qu’en 2022. En revanche, les sorties pour reprise d’emploi, elles, n’ont jamais été aussi faibles.

Selon le rapport du Secours catholique sur l’état de la pauvreté en France, la part des personnes qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni au chômage a constamment augmenté, au point de représenter, en 2021, 60 % des personnes rencontrées. C’est sur elles que devrait porter l’essentiel de notre effort. Voilà une tentative de décryptage de vos fake news !

Mme Laure Lavalette (RN). J’ai l’impression que M. Ferracci n’a pas pris la mesure du manque de productivité des emplois créés, alors que nous avons besoin d’emplois à haute valeur ajoutée. Les emplois de l’ère Macron sont ubérisés : 62 % des entreprises créées sont des très petites entreprises, ce qui correspond tout à fait à l’ubérisation de la société. Nous pédalerons dans le vide tant que nous n’évoquerons ni la productivité, ni la natalité.

M. Paul Christophe (HOR). Un exemple concret : dans le département du Nord, où je siège avec Charlotte Parmentier‑Lecocq et Christine Decodts, nous sommes passés en moins de six ans de 115 000 allocataires au RSA à 93 000, non parce que nous aurions encouragé le non-recours, comme il vient d’être scandaleusement dit, mais parce que nous avons instauré des mesures de proximité avec les allocataires afin de les accompagner vers le retour à l’emploi. Les travailleurs sociaux qui se sont mobilisés ont dû être blessés d’entendre pareils propos.

M. Thibault Bazin (LR). Nous nous sommes un peu éloignés de mon amendement !

J’entends la remarque de la rapporteure générale à propos des branches. À ma connaissance, le sport professionnel est régi par cinq conventions spécifiques. Il est vrai que seules 7 000 personnes sont concernées mais l’essor de la professionnalisation est tangible, en particulier s’agissant des équipes féminines. Les enjeux sont donc réels, étant entendu de surcroît que la carrière d’un sportif professionnel est brève.

Les propos de Mme Rousseau sont choquants : en ce qui me concerne, j’ai du respect pour le talent de Kylian Mbappé. Il n’en demeure pas moins que, parmi les sportifs qui l’entourent, tous n’accéderont pas au plus haut niveau. Compte tenu du nombre de joueurs dans un club professionnel et, parfois, des personnes sous contrat dans les centres de formation, l’index pourrait être biaisé.

Je retire cependant mon amendement mais je vérifierai, d’ici à l’examen en séance, si un accord de branche est susceptible de prendre en compte ces spécificités afin que les structures sportives professionnelles ne soient pas pénalisées, notamment celles qui cherchent à professionnaliser les équipes féminines.

L’amendement est retiré.

M. Philippe Vigier (Dem). L’un de nos collègues insoumis a prétendu que nous avions réalisé une casse sociale en diminuant le nombre de fonctionnaires. Je l’invite à se pencher sur les statistiques. Par rapport à 1997, la population a augmenté de 13 % et le nombre de fonctionnaires de 22 % : 36 % dans la fonction publique hospitalière, 34 % dans la fonction publique territoriale et 13 % dans la fonction publique d’État. Le seul quinquennat où l’augmentation a été limitée à 14 000 postes, c’est celui de Nicolas Sarkozy.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Léaument, vous verrez à la page 48 du rapport du COR que l’augmentation du point d’indice dans la fonction publique a été prise en compte.

Amendements AS7189 de M. Philippe Vigier et AS7190 de M. Laurent Croizier (discussion commune).

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous souhaitons tous conforter l’emploi des seniors. Si les revenus issus du travail permettent évidemment de ne pas dépendre d’une allocation chômage, le maintien d’une activité professionnelle permet aussi de conserver un rôle social.

Par l’amendement AS7189, nous proposons, sur le fondement du dialogue social, d’associer à l’index seniors un système de bonus-malus pour les cotisations sociales des employeurs.

M. Laurent Croizier (Dem). Seulement 33 % des personnes âgées de 60 à 63 ans, en France, ont un emploi contre 45 % dans l’ensemble de l’Union européenne et 70 % en Suède. Il n’est pas possible de se satisfaire d’un tel chiffre. Nous nous privons d’une richesse exceptionnelle et de la transmission des compétences.

Un dispositif d’incitation à l’embauche et au maintien des seniors en entreprise s’impose donc. C’est pourquoi nous proposons de compléter l’index seniors par un système de bonus-malus sur les cotisations des entreprises en valorisant celles qui, parmi elles, sont vertueuses et en incitant les autres à s’engager dans une démarche positive. Nous faisons confiance au dialogue social. Aussi, il conviendra de donner aux partenaires sociaux toute latitude pour définir les modalités d’application de la mesure, au plus près du terrain, dans le cadre d’un accord national interprofessionnel d’ici au 1er janvier 2024.

Mme la rapporteure générale. La notion de performance, à ce stade, n’est pas définie pour l’index seniors.

En outre, les cotisations accidents du travail et maladies professionnelles (AT‑MP) sont d’ores et déjà modulées en fonction du taux de sinistralité dans l’entreprise. Une nouvelle modulation serait donc totalement incompréhensible.

Avis défavorable.

M. Jérôme Guedj (SOC). Ces amendements ont le mérite de densifier un index qui, jusqu’ici, n’a de valeur qu’informative. Un système de bonus-malus aurait la vertu d’être opératif. Je souscris donc à cette logique.

J’ai cru comprendre que depuis sa réunion d’hier, le bureau exécutif de Renaissance caresse l’idée d’une démarche un peu plus coercitive en envisageant une modulation des cotisations en fonction de l’index. Je crois que François Asselin, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises, a également formulé une telle proposition. Nous pourrions même aller plus loin en associant la modulation AT-MP avec une modulation sur les cotisations assurance vieillesse.

M. Thibault Bazin (LR). Le dispositif est intéressant mais, au-delà de l’index, nous avons besoin d’un choc d’attractivité fiscale. Des questions se posent donc.

Le bonus-malus s’appliquera-t-il d’une année sur l’autre alors qu’en matière de cotisations, l’assiette ne dépend pas tant d’un index que du nombre de salariés ?

De plus, il ne faudrait pas que la modulation sur la sinistralité tue la modulation sur l’embauche des seniors de la même façon que, avec le coefficient correcteur – le « coco » des collectivités locales –, la péréquation de la péréquation annule la péréquation initiale. Ne devrait-on pas plutôt travailler à une baisse des charges sur l’emploi des seniors ?

Mme Nathalie Oziol (LFI - NUPES). L’usure physique des personnes que l’on oblige à travailler plus longtemps se paie : couvreur qui chute et qui garde des séquelles, aide à domicile qui doit soulever des personnes à bout de bras, employé qui doit mettre des produits en rayon à dix centimètres du sol et qui a le dos ou les poignets brisés, etc.

Selon un rapport de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, les travailleurs plus âgés ont certes moins d’accidents que les jeunes mais ils sont plus gravement atteints. De plus, 14 % des accidents chez les 50-59 ans entraînent une incapacité permanente contre 2 % pour les moins de 20 ans.

Il convient donc de tenir compte d’une telle situation. Pourquoi envisager, cependant, une minoration des cotisations sociales – leur majoration étant en revanche légitime puisque les séquelles, pour les seniors, sont plus importantes ? En outre, vous ne cessez de déplorer qu’il manque 12 milliards ! Ne commencez pas par chercher à réaliser des économies, en l’occurrence et littéralement, sur le dos des travailleurs !

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Un certain nombre de dispositifs d’aide à l’emploi des seniors existent déjà – aides d’État, CDD seniors, CDI inclusion, parcours emploi compétences, etc. – mais aucun n’a eu les résultats escomptés parce qu’il n’est toujours pas tenu compte des conditions de travail et d’un exercice professionnel de plus en plus intense. Depuis vingt ans, le stress, la pression, les contraintes, les risques psycho-sociaux ou de troubles musculo-squelettiques se sont accrus dans notre pays bien plus qu’ailleurs en Europe.

Le problème n’est pas tant une énième exonération de cotisation sociale que celui de l’accompagnement des personnes afin qu’elles restent en bonne santé et heureuses de travailler. Vous raisonnez toujours en termes de contrainte, comme nous l’avons vu également lors de la discussion de votre projet de réforme de l’assurance chômage.

Enfin, à partir de quel âge est-on considéré comme senior ? D’après les dispositifs en vigueur, à partir de 45 ans.

Oui, donc, à l’augmentation des cotisations des entreprises qui ne respecteraient pas leur obligation d’employer des seniors, mais non à leur diminution !

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Outre que nous manquons de données sur les effets de bord qu’une telle mesure pourrait avoir, d’autres publics doivent également être soutenus dans l’accès à l’emploi.

La modulation des cotisations AT-MP relève quant à elle de l’usine à gaz puisqu’un bonus-malus s’applique déjà en fonction de la sinistralité. Le dispositif doit rester lisible pour encourager les employeurs à renforcer la prévention, qui profite à tous.

M. Serge Muller (RN). Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), 33 % des 60 à 63 ans sont en emploi. De fait, on part à la retraite bien plus tôt en France que dans les autres pays d’Europe – sur lesquels, du reste, il est souvent mauvais de prendre exemple, comme c’est en particulier le cas pour la Suède.

Pour une entreprise, les seniors sont une richesse. Ils sont la mémoire de l’entreprise et possèdent un savoir-faire qu’ils peuvent transmettre. Il devrait être impossible de mettre à la porte nos seniors en emploi lorsqu’ils exercent un métier en tension et si l’on ne leur trouve pas de remplaçant.

Je souligne également l’importance de la formation et de la reconversion des seniors, qui doivent être affectées à des postes doux au moment où, avançant dans l’âge, ils sont un peu moins efficients.

Il conviendrait, enfin, de redéfinir ce qu’est un senior. Je commence en effet à être inquiet : dois-je, à 47 ans, aller demander à la SNCF ma carte senior ?

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je souscris aux objections que vient d’exprimer Mme Parmentier-Leccoq. La cotisation AT-MP est modulée selon des critères liés à la sinistralité, aux maladies professionnelles et aux accidents du travail qui surviennent dans une entreprise. Elle a donc aussi une vertu incitative ou préventive, qui mériterait du reste d’être renforcée car, selon la Cour des comptes, qui le dit chaque année, la modulation est trop faible. Cette question a fait l’objet d’un rapport de ma part sous la précédente législature, la Cour des comptes a émis un avis en ce sens et certains collègues ont émis l’idée que nous pourrions peut-être évoluer sur ce point.

Nous devons encore ouvrir la réflexion à propos de la cotisation AT-MP et des outils supplémentaires dont nous devrions nous doter en matière de santé au travail, ainsi qu’à propos du rôle que pourraient jouer en la matière les caisses d’assurance retraite et de santé au travail. Il y a là des chantiers importants, mais le lien que vous établissez dans l’amendement me semble douteux. Aussi je crains que votre dispositif n’ait pas nécessairement les effets positifs que vous en attendez, d’autant que la sous-déclaration des maladies professionnelles est particulièrement forte, ce qui conduit la branche à AT-MP à financer la branche maladie, qui doit supporter cette sous-déclaration, elle-même sous-évaluée.

Cet amendement soulève donc certaines questions, qu’il n’a d’ailleurs pas pour objet de traiter. Il faut veiller à ce que la branche AT-MP puisse assumer ses missions correctement.

M. François Gernigon (HOR). Comme l’a souligné notamment Mme Parmentier-Lecocq, il faut absolument transmettre l’expertise et la compétence des seniors et il conviendrait, à cette fin, de créer un statut du salarié senior. On a cité à cet égard quelques exemples, comme celui des personnes qui interviennent à domicile chez une personne âgée. Il est en effet difficile de porter ou de déplacer une personne âgée, mais les personnes qui ont depuis des années l’expérience de ces gestes pourraient être présentes à côté des plus jeunes pour leur donner des conseils et leur transmettre leur savoir-faire. Dans le même esprit, mon frère, qui a choisi le métier de routier après avoir commencé à travailler à 15 ans dans la mécanique, et qui a notamment travaillé à l’international, a arrêté à l’âge de 59 ans et transmet désormais son savoir-faire en matière de conduite et d’économies d’énergie. Il y a, dans tous les métiers, des choses à penser.

J’espère que, dans la future loi sur le plein emploi, nous aborderons la question du travail des seniors et offrirons peut-être un statut, par branche ou par activité, à ces personnes qui méritent de travailler encore et qui en ont envie.

M. Philippe Vigier (Dem). Ces deux amendements tendent à apporter des réponses en matière d’emploi des seniors et je vous invite, à ce sujet, à lire le rapport très éclairant de Jean-Hervé Lorenzi, du Cercle des économistes.

Le premier amendement tend à réduire le taux de cotisation des entreprises pour les accidents du travail et maladies professionnelles. Les auditions des partenaires sociaux nous ont montré que ce taux représentait un frein. Nous ne nous sommes pas contentés, madame Parmentier-Lecocq, d’ébaucher cette proposition sans étudier précisément la question, et nous sommes allés au fond des choses.

Je rappelle à cet égard que, pour les CDD, le système de bonus-malus a été très efficace, alors que personne, à l’origine, ne croyait à cette mesure. M. Marc Ferracci pourra confirmer que, voilà peu de temps encore, ce dispositif a permis de montrer toute sa pertinence on a vu ainsi le lien direct entre le nombre de CDD et l’ampleur de la pénalisation. Nous nous efforçons, modestement, de trouver un chemin, que nous avons construit progressivement.

Je vous invite donc tous à réfléchir à ces deux pistes qui, avec beaucoup d’humilité, devraient nous aider à ne pas rester les bras ballants en constatant que 33 % des seniors travaillent et que 45 milliards d’euros de cotisations n’entrent pas dans les caisses. C’est donc là aussi un facteur d’équilibre des finances publiques.

Mme la rapporteure générale. L’application d’une modulation aux cotisations de la branche AT-MP aura pour effet que certaines entreprises qui connaissent de nombreux accidents de travail et emploient de nombreux seniors verront diminuer leur cotisation pour cette branche, ce qui me semble être un effet de bord de votre amendement.

Pour ce qui est, d’autre part, des CDD, les modulations de cotisations pour l’assurance chômage relèvent d’un décret de 2019. Le recours à ce mécanisme pour la branche AT-MP ne semble pas être l’écriture la plus adaptée.

M. Laurent Croizier (Dem). Ces deux amendements ne sont pas identiques : si le premier porte bien sur la branche AT-MP, le second propose une modulation des cotisations salariales, laquelle devra être définie par les partenaires sociaux.

Soyons sérieux et cohérents : ces modulations s’appliquent déjà, d’une certaine façon, pour les CDD et les CDI. Les risques ne sont pas financiers et il s’agit d’un jeu à somme nulle, car le bonus sera financé par le malus. Quant au risque pour l’emploi des seniors, c’est seulement celui d’avoir de l’ambition et de voir notre société s’engager vers un pacte social pour les seniors.

Mme la rapporteure générale. J’avais bien vu qu’il ne s’agissait pas d’amendements identiques, mais l’amendement AS7190, évoque des minorations de cotisations sociales des employeurs, et non pas de cotisations salariales. Il s’agit donc bien aussi des cotisations AT‑MP.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS5512 de Mme Josiane Corneloup.

Mme Josiane Corneloup (LR). L’amendement vise à supprimer les alinéas 9 à 11, qui ont pour but de sanctionner les entreprises méconnaissant l’obligation de publication prévue à l’article L. 5121‑7 du code du travail. Dans le contexte actuel, en effet, les entreprises n’ont pas besoin qu’on leur ajoute une difficulté supplémentaire. Le recours à la méthode punitive, bien que la sanction soit limitée à 1 % de la masse salariale, n’est pas propice au contexte et au développement de nos entreprises.

Nous devons être en mesure d’accompagner nos entreprises et de trouver des moyens innovants, autres que la sanction, pour améliorer le taux d’emploi des 55‑64 ans. Les seniors sont, comme cela a déjà été dit, une richesse pour les entreprises. Ils ont une expérience, un savoir-faire et un savoir-être précieux. Il faut que ces personnes qui ont envie de travailler puissent le faire et mettre les entreprises dans des conditions favorables pour les embaucher.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

Mme Monique Iborra (RE). Selon la Dares et l’Insee, 2,1 % des seniors sont au chômage, 50 % sont retraités, 28 % en emploi, 4,5 % en emploi-retraite et 15 % inactifs. Je soumets ces chiffres à votre réflexion.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). J’ai entendu, de la part des macronistes et de la droite, des propos très graves. Qui méprise qui ? C’est vous qui méprisez le peuple, avec des mesures vides. C’est vous qui méprisez les soignants, les femmes et les handicapés. Nous ne demandons que des choses fondées sur la réalité du terrain, que nous connaissons et dont je suis la preuve vivante. Vous n’avez jamais fait le ménage, jamais fait quarante lits ni poussé un chariot ! Vous n’avez jamais travaillé dans un hôtel, jamais mis une tenue de travail ni été agent de sécurité ! C’est pour cela que vous méprisez les gens.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Madame Keke, personne ne méprise personne !

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Si ! Nous demandons la protection des salariés, surtout des seniors et des femmes, mais vous refusez tout, pour protéger les patrons, les plus riches. C’est cela, votre politique, mais le peuple n’en veut pas. (Exclamations.)

Mme la présidente Fadila Khattabi. Madame Keke, personne ne méprise personne. Le peuple, la République, c’est nous toutes et tous !

M. Nicolas Turquois (Dem). Madame Keke, vous nous avez déjà interpellés sur ces questions. Je ne conteste pas que vous ayez eu un rapport compliqué au travail, et vous avez déjà exposé le combat que vous avez mené, mais ce n’est pas un argument. Je suis, pour ma part, agriculteur, et je pense que vous l’ayez jamais été.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Si, justement !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Chacun sait d’où il vient !

M. Nicolas Turquois (Dem). Nous avons tout un vécu personnel. Quand on vit, par exemple, dans un territoire très rural, on a, selon les questions, une sensibilité différente... (Exclamations.)

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vais suspendre la réunion pour quelques minutes.

 

La réunion est suspendue de midi trente à midi quarante.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS5514 de Mme Josiane Corneloup.

Mme Josiane Corneloup (LR). L’amendement vise à remplacer les alinéas 9 à 11, qui sanctionnent les entreprises, pour les remplacer par un dispositif destiné à inciter à l’embauche des seniors par des allégements de charges patronales liées aux salariés de la tranche des 55‑64 ans. Les entreprises pourraient ainsi profiter de l’expérience des seniors sans subir de charges trop importantes. Cette mesure permettrait d’augmenter le taux d’emploi des seniors sans avoir recours à des mesures coercitives, inadaptées à la conjoncture actuelle et contre-productives.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable. Il importe de définir d’abord l’index, les indicateurs et les critères, puis de mener des négociations conventionnelles.

M. Thibault Bazin (LR). Pour améliorer le taux d’emploi des seniors, je crois davantage au choc fiscal, qui s’adresse à tout le monde, y compris aux entreprises de moins de trois cents salariés, qu’à l’index. De nombreux chiffres ont circulé ce matin, notamment à propos du faible taux d’emploi des seniors. La vraie question est de savoir comment maintenir dans l’emploi, et dans les meilleures conditions possibles, les seniors qui s’y trouvent, de manière à permettre plus facilement des retraites progressives. Cependant, la borne de l’âge légal moins deux ans se situerait alors à 62 ans, alors que la retraite progressive est aujourd’hui possible à 60 ans. Il faut donc trouver des pistes.

Quant au dispositif d’accompagnement – formation, reconversion, tutorat ou mentorat –, il devra permettre d’aller vers d’autres métiers.

Pour les seniors qui ne sont pas dans l’emploi, il faudra savoir comment remettre dans l’emploi ceux qui sont très éloignés de l’âge légal et comment inciter les employeurs à les employer. La question porte à la fois sur l’employabilité et sur l’attractivité. Se posera aussi la question des maladies professionnelles, qui peuvent avoir pour cause un emploi ou un métier précédent. Il ne s’agit donc pas seulement d’une question fiscale ou d’index, mais il faut prendre en compte tout un ensemble.

Quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ? De fait, l’index ne suffira pas à améliorer le taux d’emploi des seniors et il faut pouvoir disposer de l’ensemble des outils envisagés.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Cet amendement est étonnant. Au-delà des questions rédactionnelles – il ne faut pas parler de « charges », mais de « cotisations patronales » –, il est paradoxal, s’il manque des milliards d’euros, d’en retirer encore d’autres, au nom de l’emploi des seniors, à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) par le biais de diminutions de cotisations. Nous ne croyons pas à cette solution, a fortiori appliquée aux salariés de 55 ans ou plus, dont les salaires sont en moyenne plus élevés de 50 % que ceux des jeunes, et sont donc de plus gros contributeurs à la Cnav. Il s’agirait d’une double privation de ressources pour cette dernière, hors les salaires supérieurs à 3 666 euros, et je ne doute pas que vous nous soutiendrez lorsque nous nous emploierons à élargir la cotisation déplafonnée à ce niveau.

Si donc les seniors ont un prix, qui est celui de la valeur, il s’agit plutôt, pour améliorer l’accès à l’emploi pour ceux qui le souhaitent d’empêcher les licenciements. Mieux vaut dissuader les entreprises de se séparer des salariés d’un certain âge à l’aide de surcotisations, et accompagner les sites vers l’augmentation de la productivité, qui passe essentiellement par la sécurisation des parcours des personnes et par la sécurisation dans l’emploi, afin d’éviter les accidents du travail qui, à cet âge, occasionnent davantage d’incapacités que chez les salariés jeunes.

M. Jérôme Guedj (SOC). La bataille des mots a son importance. Le terme de « charges », que nos collègues du groupe Les Républicains veulent glisser dans le texte à la faveur d’un amendement, ne figure pas dans le code de la sécurité sociale, mais son emploi pour désigner les cotisations patronales, qui contribuent au salaire différé, fait partie de leur ADN. Ils révèlent ainsi leur obsession de la baisse du coût du travail, alors que nous insistons depuis hier sur des mesures d’incitation et, éventuellement de pénalisation – nous revendiquons le terme de « coercition » que vous employez –, dans une logique de malus, avec une surcotisation applicable si l’effort de maintien des seniors dans l’emploi est insuffisant. Nous ne pouvons donc souscrire ni à la philosophie ni aux modalités de cet amendement.

M. Christophe Bentz (RN). Chers collègues du groupe Les Républicains, nous avions déjà proposé, à l’occasion de notre niche parlementaire, un tel dispositif fondé sur l’allégement des cotisations patronales pour inciter à l’emploi. Notre proposition ne comportait pas de discrimination sur critère d’âge, mais il me semble que vous vous étiez abstenus en commission et aviez voté contre dans l’hémicycle, ce qui est paradoxal au vu de ce que vous proposez ici.

Mme Josiane Corneloup (LR). Permettre à un plus grand nombre de seniors de travailler augmentera l’assiette des cotisations. Cette démarche d’incitation vise à permettre à ceux qui sont en emploi d’y rester et à ceux qui sont au chômage de retrouver un emploi. Nous devons, plus que jamais, accompagner les entreprises et leur faire confiance.

Mme la rapporteure générale. Je comprends le sens de l’amendement, mais vous proposez de baisser les cotisations sur une assiette très large et sans étude préalable de ciblage de ces exonérations. L’efficacité de la mesure n’a rien de certain, et mon avis reste défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS3815, AS3794 et AS3791 de M. Sébastien Peytavie, amendement AS3153 de M. Yannick Monnet (discussion commune).

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Que le Gouvernement mise sur l’emploi des seniors est une bonne chose, mais arrêtons de miser sur la bonne volonté des entreprises. Une politique des seniors ne se résume pas à un questionnaire pour lequel il ne serait qu’optionnel d’obtenir un score suffisant. L’amendement AS3815 tend à nous permettre d’utiliser le levier financier des exonérations accordées aux entreprises pour faire de cet index un réel outil d’amélioration de l’emploi des seniors.

Cet index est une pâle copie, une copie au rabais de l’index de l’égalité professionnelle, lequel prévoyait l’obligation d’atteindre au moins le seuil de résultat. En maintenant un relatif consensus sur la nécessité de cet index, celui-ci ne doit pas se réduire à la simple obligation de publication d’un questionnaire. Il ne sera en effet qu’une formalité s’il n’y a aucune obligation d’obtenir des résultats satisfaisants.

Nous espérons qu’au-delà du montant des sanctions – actuellement ridicule –, nous pourrons nous accorder sur le fait que les entreprises doivent atteindre un score minimum. C’est l’objet de mon amendement AS3815.

Quant à l’amendement AS3791, il vise à renforcer les sanctions à l’encontre des entreprises présentant un score insuffisant. Je rappelle à cette occasion aux députés du groupe Rassemblement National, qui s’autoproclamaient hier grands défenseurs des petits patrons – mais apparemment pas des femmes –, que c’est précisément parce que toutes les entreprises n’ont pas la même capacité à répondre à l’index que nous proposons des sanctions différenciées et pondérées selon leur taille.

Sur ce texte, le groupe Rassemblement National s’est contenté d’une cinquantaine d’amendements de surface. Vous ne proposez aucune alternative crédible et confirmez ainsi à la majorité que vous êtes bel et bien sa roue de secours.

Pour sa part, le groupe Écologiste - NUPES est force de proposition et nous nous battons pour que les seniors, tant les femmes que les hommes, soient reconnus à leur juste valeur dans les entreprises. C’est la raison pour laquelle nous donnons à ces dernières, pour répondre à l’index, un délai qui peut aller d’un an pour celles qui comptent moins de 250 personnes à huit mois pour les entreprises de taille intermédiaire. Contrairement au Rassemblement national, en effet, nous considérons que les multinationales sont redevables et doivent être responsabilisées et sanctionnées lourdement en cas de licenciement massif de seniors.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). L’amendement AS3153 vise, lui aussi, à sanctionner les entreprises qui manqueraient à publier les indicateurs de l’index seniors ou dont les indicateurs démontreraient que l’objectif d’amélioration d’emploi et d’embauche des salariés âgés de 50 ans et plus ne serait pas atteint. Il s’agit ainsi de rendre le dispositif effectif, car celui qui nous est proposé n’a aucun effet.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable sur tous ces amendements.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Ces amendements font écho à de nombreux autres, que nous avions déposés durant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dans un souci de ne pas faire de cadeaux gratuits aux entreprises et de conditionner les exonérations. Lors d’une table ronde à laquelle j’ai participé avec le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et à laquelle participait également notre collègue Marie-Pierre Rixain, des chefs et cadres d’entreprise, notamment l’un d’entre eux, cadre chez L’Oréal, déclaraient que des progrès avaient été faits grâce à l’existence de contraintes et qu’après des débuts où les mesures prises avaient un caractère quelque peu cosmétique, de vraies dynamiques s’étaient engagées et que les entreprises étaient aujourd’hui fières du chemin parcouru, même s’il reste encore beaucoup à faire.

À terme, donc, et même donc si les entreprises commencent par traîner les pieds, la contrainte nous sert collectivement.

M. Jean-François Coulomme (LFI - NUPES). Il y a de l’hypocrisie à vouloir établir des index censés protéger certaines catégories, comme les seniors, les femmes, les handicapés, les travailleurs précaires, les travailleurs rendus malades par une activité accidentogène ou psychologiquement déstructurante, ou les carrières longues, notamment celles des apprentis. Tout se passe comme si vous vouliez, avec des index montrant que vous prenez soin de ces catégories, atténuer les souffrances provoquées par la violence de votre loi. En réalité, cet index sert de bonne conscience à l’esprit délétère de cette contre-réforme et ce sont précisément les catégories qu’il vise qui feront les frais de cette contre-réforme des retraites.

Il ne s’agira pas, en revanche, des auteurs de ce texte, qui ont commencé à travailler tard parce qu’ils ont fait des études longues. Leurs métiers ne les mettent pas dans des situations de souffrance au travail, et certains exercent même des métiers de passion – avocat, chirurgien, directeur commercial ou médecin... et même député !

M. Benoit Mournet (RE). En 1991, le Conseil d’État constatait déjà que « quand la loi est bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». Or je crains que nous bavardions à propos de tous ces amendements. Ce qui est proposé avec cet amendement relève-t-il vraiment du domaine de la loi ? Un taux d’emploi des seniors de 56 % pour les 55‑63 ans, et même de 33 % entre 60 et 63 ans, est très insatisfaisant au regard de la moyenne européenne et des meilleurs élèves européens, comme la Suède.

L’index proposé et l’obligation de publication auront un rôle d’incitation, mais le résultat dépendra des entreprises. Faisons confiance au dialogue social et au dialogue de branche puis, le moment venu, évaluons le dispositif. Introduire des contraintes aussi fines dans le texte de la loi risquerait en effet d’être contreproductif. Nous sommes bien loin de Portalis et de Cambacérès !

M. Arthur Delaporte (SOC). Ces amendements vont, somme toute, dans le sens de la volonté ministérielle. En effet, comme en témoigne le compte rendu du Conseil des ministres du 23 janvier, le Gouvernement voulait donner, par des sanctions, un caractère coercitif à ce dispositif qui, à défaut, n’aurait aucun effet.

Nous proposons tout simplement de donner de l’effectivité à une mesure qui ne serait, sinon, qu’un écran de fumée, un élément de langage d’une majorité désireuse de faire semblant d’avoir accompagné l’amélioration de l’emploi des seniors. Sans sanction, pas d’effectivité. C’est notre pratique de législateur et, en l’espèce, les ministres eux-mêmes le reconnaissent. Aidez-nous donc à appuyer le Gouvernement en ce sens.

La commission rejette successivement les amendements.

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Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 17 heures 30 (article 2 [suite])

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12815857_63d93b714788e.commission-des-affaires-sociales--examen-du-projet-de-loi-de-financement-rectificative-de-la-securi-31-janvier-2023

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous poursuivons l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. À ce stade, nous avons examiné 264 amendements ; il en reste 5 287 en discussion...

Article 2 (suite) : Mise en place d’un indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés

Amendement AS857 de M. Joël Aviragnet.

M. Joël Aviragnet (SOC). L’amendement vise à appliquer une amende en cas de non-respect d’indicateurs sur la qualité de l’emploi des seniors. Il semble justifié d’aller au‑delà du simple constat et de sanctionner si nécessaire.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Nous avons examiné 120 amendements à l’article 2 ; il en reste 97. Je n’entrerai pas dans les détails lorsque les amendements portent sur des sujets dont nous avons déjà débattu, sauf si vous le souhaitez.

Avis défavorable.

Mme Bénédicte Auzanot (RN). Certains d’entre vous espèrent que les légitimes manifestations d’opposition à la réforme se transforment en révolte de rue. Si nous soutenons les manifestations, nous pensons toutefois que notre travail est avant tout parlementaire. La gauche, en dressant des barricades d’amendements dans le but de retarder les débats, nous interdit d’en venir rapidement au cœur nucléaire du bélier social qu’est ce projet de loi, à savoir son article 7. Cela ne gêne nullement la majorité, tant l’image que vous donnez sert son discours libéral. Aussi, au nom du groupe Rassemblement National, je vous demande de cesser ce jeu d’obstruction.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je crois que nos collègues du Rassemblement national n’ont pas compris l’enjeu du débat. Le Gouvernement n’a cessé de nous expliquer que l’index seniors constituait une mesure de justice sociale. Nos débats, tout comme la très forte mobilisation dans la rue, permettent de faire bouger les lignes. Si j’en crois la presse, la réunion du bureau exécutif de Renaissance a d’ailleurs donné lieu à des échanges nourris sur ce sujet.

Nos amendements proposent de muscler l’index seniors, en sanctionnant l’absence d’effort réel en faveur de l’insertion professionnelle et de la formation des travailleurs âgés. N’attendez pas le débat en séance : reconnaissez dès maintenant que l’index seniors doit être renforcé.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Les groupes parlementaires tentent de trouver une solution. Nous avons proposé un système de bonus-malus pour inciter les entreprises à garder leurs seniors. Malheureusement, à part vous, monsieur Guedj, les députés des autres groupes ne nous ont pas suivis. J’espère que nous parviendrons à trouver un accord pour la séance.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Nous avons pu constater, dans les rues de Paris, le résultat éclatant de votre entreprise de pédagogie : plus vous expliquez votre réforme aux Français, plus ils la comprennent et plus ils la rejettent. Nous ne pouvons pas reprendre nos travaux comme si de rien n’était : il s’est passé dans le pays un événement majeur, une mobilisation populaire très déterminée contre le passage de la retraite à 64 ans. Pour beaucoup d’entre nous, c’est une démonstration de force démocratique.

Loin d’être fracturé, le pays est uni contre votre réforme : plus de sept Français sur dix, plus de neuf actifs sur dix – ceux qui vont la vivre dans leur chair – y sont opposés. J’incite donc les députés de la majorité à conseiller au Gouvernement d’apaiser le pays et d’éviter des semaines de tension et de crise en retirant sa réforme des retraites.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Depuis hier, la NUPES multiplie les provocations, comme M. Guedj vient de le faire à l’instant en évoquant les décisions prises en bureau exécutif. Ce matin, Mme Keke nous a invectivés et M. Clouet a raconté sur Twitter que les interruptions se multipliaient à notre initiative, alors qu’elles résultent du fonctionnement normal de la commission ou sont provoquées par le comportement des députés de la NUPES. Je dénonce le mode opératoire consistant à semer la zizanie et à déposer des amendements qui ne riment à rien pour ensuite nous accuser de bloquer le débat.

M. Thibault Bazin (LR). Pour ma part, je m’en tiens au débat de fond. L’amendement a pour objet de sanctionner également les entreprises qui méconnaissent l’insertion professionnelle et la formation tout au long de la vie des travailleurs. Cette rédaction pose un problème car les entreprises ne peuvent pas être tenues responsables des parcours de leurs salariés avant qu’ils ne soient recrutés. Même si l’intention de Jérôme Guedj est louable, une telle disposition ne serait pas opérante.

Notre défi est d’assurer l’équilibre durable du système de retraite par répartition. Cela passera par le travail et par le renouvellement des générations, et je doute que l’index permettra d’atteindre ces objectifs. J’espère que nous parviendrons à examiner les articles suivants parce qu’il y a besoin d’apporter de vraies solutions à ce problème.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Personne ne provoque personne : nous sommes ici pour débattre. Le peuple français ne veut pas de la retraite à 64 ans et pourtant vous insistez : c’est vous qui provoquez ! La moindre des choses, c’est de respecter les personnes dont on vous parle. Cessez de les mépriser et de faire comme si vous ne voyiez pas le peuple qui défile dans la rue. Parler des choses qui me tiennent à cœur, ce n’est pas une provocation.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6931 de Mme Sabrina Sebaihi.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement est défendu.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Cet excellent amendement du groupe Écologiste vise à rendre effective la sanction administrative pour non-respect des objectifs en matière d’emploi des seniors. À quoi servirait un index si celui-ci ne peut pas être appliqué ? Cet amendement démontre notre intention de travailler sur le fond, contrairement à ce que prétendait Mme Parmentier-Lecocq. Les Françaises et les Français que j’ai rencontrés dans la manifestation tout à l’heure nous ont d’ailleurs remerciés pour la qualité de nos débats, qui les encourage à manifester contre le projet du Gouvernement.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Hier, on allait voir ce qu’on allait voir avec la grève et les manifestations ; aujourd’hui, on a les commentaires sur la grève : quand avancerons-nous sur le texte ?

Mme Joëlle Mélin (RN). Il est très difficile de trouver des chiffres exacts concernant la tranche d’âge des 62-64 ans mais l’on peut évaluer entre 500 000 et 800 000 le nombre de personnes qui supporteront la charge de la réforme, alors que les actifs sont plus de 30 millions et ne travaillent que 1 600 heures par an : c’est disproportionné.

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) avait prévenu, dès 2010, qu’il faudrait allonger la durée des cotisations. Alors que l’exécutif a eu onze ans pour y travailler, la seule solution qu’il nous propose est de créer un index – c’est un peu court. Si vous ne souhaitez pas retirer ce projet, décidez au moins un moratoire pour nous présenter des solutions en faveur des 62-64 ans.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS3857, AS3856, AS3855, AS3854, AS3845, AS3853, AS3852, AS3851, AS3850, AS3849 de Mme Sandrine Rousseau, amendements identiques AS3848 de Mme Sandrine Rousseau et AS4789 de Mme Mathilde Panot, amendements AS3847, AS3846, AS3843, AS3844, AS3858, AS3839, AS3842, AS3841 et AS3840 de Mme Sandrine Rousseau, AS3150 de M. Pierre Dharréville, amendements identiques AS856 de M. Joël Aviragnet, AS3013 de M. Sébastien Peytavie, AS3240 de Mme Sandrine Rousseau et AS6355 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements identiques AS2862 de M. Sébastien Peytavie, AS3224 de Mme Sandrine Rousseau et AS5014 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements identiques AS2873 de M. Sébastien Peytavie, AS3215 de Mme Sandrine Rousseau et AS5015 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements identiques AS2885 de M. Sébastien Peytavie, AS3206 de Mme Sandrine Rousseau et AS5016 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements identiques AS2890 de M. Sébastien Peytavie, AS3116 de Mme Sandrine Rousseau et AS5017 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendement AS3151 de M. Yannick Monnet, amendements identiques AS855 de M. Joël Aviragnet, AS3076 de M. Sébastien Peytavie, AS3091 de Mme Sandrine Rousseau et AS5018 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements identiques AS854 de M. Joël Aviragnet, AS3080 de M. Sébastien Peytavie, AS3323 de Mme Sandrine Rousseau et AS5019 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements identiques AS852 de M. Joël Aviragnet, AS3084 de M. Sébastien Peytavie, AS3473 de Mme Sandrine Rousseau et AS5020 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements identiques AS851 de M. Joël Aviragnet, AS3477 de Mme Sandrine Rousseau et AS5021 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendement AS3152 de M. Pierre Dharréville (discussion commune).

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Cette série d’amendements vise à rendre l’index coercitif en prévoyant des sanctions véritablement incitatives. Le premier a pour objet le relèvement du plafond de l’amende à 30 % des rémunérations, contre 1 % dans le projet de loi. Parce que nous nous doutions bien qu’un taux de 30 % susciterait des réactions de votre part, compte tenu de votre réticence à encadrer l’activité des entreprises, les amendements suivants constituent des replis successifs de 29 % à 11 %, étant entendu que nous n’imaginons pas un instant que vous puissiez descendre en dessous de 15 % – ce serait indécent – et qu’à partir de 14 %, ce serait faire une insulte aux seniors. Votre sincérité dans votre combat en faveur de l’emploi des seniors se mesurera à l’aune du pourcentage que vous accepterez.

Mme Nathalie Oziol (LFI - NUPES). L’amendement AS4789 vise à fixer le taux de l’amende à 20 % de la masse salariale. Tous les syndicats s’accordent pour dire que cet index sera inefficace. Il faut des mesures contraignantes, comme une surcotisation pour les entreprises se séparant des travailleurs les plus âgés ou encore la soumission de l’octroi des aides publiques – 157 milliards par an – au maintien des seniors dans l’emploi. Au-delà de cette mesure technique, il faut traiter la question de l’emploi des seniors et du sens du travail : cela ne passe pas par une réforme régressive sur les retraites.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). L’amendement AS3150 a pour objet de fixer le taux à 10 %.

M. Arthur Delaporte (SOC). Il faut en effet relever le plafond de l’amende. L’amendement AS856 propose un taux de 10 %, ce qui nous paraît être un bon compromis.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Selon vous, imposer des contraintes aux entreprises aurait des conséquences négatives sur l’emploi. Vous irez expliquer à tous les seniors qui ne sont ni en emploi ni à la retraite comment vous parviendrez à améliorer leur situation sans contrainte. L’amendement AS3013 propose un taux de 10 % : ce n’est pas énorme mais cela aurait un effet fortement incitatif sur les entreprises.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nous avons bien entendu votre réticence à sanctionner les entreprises qui ne respecteraient pas leur plan d’action en faveur de l’emploi des seniors. Nous pensons toutefois que le taux de 10 % proposé dans l’amendement AS3240 est acceptable par vous.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Nous souhaitons introduire une notion de contrainte afin que cette mesure ne soit pas que de l’affichage. Il faut aller au-delà d’une simple impulsion visant à changer la culture dans les entreprises, car nous n’avons pas le temps d’attendre. Un plafond de 10 % nous paraît faible mais nous espérons tout de même que vous voterez pour l’amendement AS6355.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Vous devez entendre tous ces seniors qui ont défilé dans la rue aujourd’hui – je salue les 1 800 d’entre eux qui étaient à Sarlat‑la‑Canéda. Si vous ne voulez pas d’un taux à 10 %, alors votez pour l’amendement AS2862, qui vise à fixer ce taux à 9 %.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Un taux de 9 %, c’est moins que 10 %, mais plus que 8 %... Peut-être allez-vous nous suivre avec l’amendement AS3224 ?

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). On comprend que cette dégringolade vous agace, mais ce débat est un peu à l’image du dialogue social en France. Nous avons l’impression de pas être entendus et c’est la raison pour laquelle nous poursuivons, cette fois-ci avec l’amendement identique AS5014, qui propose un taux à 9 %.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Nous passons maintenant, avec l’amendement AS2873, à un taux de 8 %. Nous aimerions que vous parveniez à comprendre l’importance de l’enjeu et que vous nous donniez une réponse avant la séance, pour que l’on puisse en discuter sérieusement.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le taux de 8 % correspond à peu près au taux de soutien à votre réforme dans l’opinion publique : c’est un plancher en dessous duquel vous ne pouvez pas aller.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). La présentation de l’amendement AS5015 me donne l’occasion de saluer les 45 000 manifestants présents à Lyon aujourd’hui.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Il faut entendre tous ces Français qui ont défilé aujourd’hui. Peut-être accepterez-vous le taux de 7 % proposé dans l’amendement AS2885 ?

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le taux de 7 %, c’est celui du chômage sur lequel le COR a fondé ses hypothèses, considérant que les 5,5 % retenus par le Gouvernement étaient peu crédibles – 7 %, c’est donc raisonnable. Par ailleurs, les Françaises et les Français comprennent très bien pourquoi nous faisons obstruction (Exclamations et applaudissements) à un projet de loi qui déclenche des manifestations dans la rue.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Les Français nous regardent et constatent votre brutalité. Vous ne pouvez pas nous reprocher de faire notre travail de parlementaires ni de nous faire l’écho de ceux qui se sont mobilisés dans la rue. Nous utilisons tous les outils à notre disposition et si cela ne vous plaît pas, c’est votre problème. Vous pouvez ne pas être d’accord sur la méthode mais vous n’avez pas le droit de mépriser les gens que nous représentons.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Presque tous les cadres ont entendu parler d’au moins un dispositif de formation des seniors, mais seulement six ouvriers et ouvrières sur dix, d’où le taux de 6 % proposé à l’amendement AS2890.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Les manifestants avec lesquels je discutais tout à l’heure place d’Italie estiment nécessaire de faire en sorte que cette réforme ne passe pas, sinon grâce à l’autoritarisme du Gouvernement. Une pénalité égale à 6 % de la masse salariale mettrait bien celui-ci en lumière.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Compte tenu de notre débat, faire en sorte que la pénalité soit au moins égale à 5 % est une position de compromis proposée à l’amendement AS3151. J’entends nos collègues du groupe Renaissance dire qu’il n’y a pas de débat ; ce qui est sûr, c’est qu’ils doivent cesser de faire preuve de condescendance à notre égard lorsque nous nous exprimons, et nous laisser parler dans de bonnes conditions.

Avec votre réforme, chers collègues de la majorité, vous êtes perçus, que vous le vouliez ou non, comme capables d’infliger des choses difficiles au monde du travail. Voilà pourquoi il y a des gens dans la rue qui contestent cette réforme ! Dès qu’on demande de contraindre un peu les entreprises, c’est systématiquement refusé, ce qui s’inscrit dans la logique de votre réforme : vous mettez toujours les mêmes à contribution !

M. Joël Aviragnet (SOC). Par l’amendement AS885, je défends également le taux de 5 %. J’ai une pensée pour les gens qui manifestent à Saint-Gaudens : 2 000 personnes, dans une ville de 10 000 habitants, ce n’est pas rien.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Un taux de 5 %, comme les 5 milliards d’euros de cadeaux offerts aux riches par la suppression de l’ISF ! Cela pourrait être un beau symbole !

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Ou 5 %, comme les 5 milliards d’euros de dépenses supplémentaires induites, d’après le COR, par l’incapacité, l’invalidité, le revenu de solidarité active (RSA) et les dépenses sociales, pour un déficit maximal de 12 milliards ! Cinq milliards de dépenses de santé supplémentaires valent bien 5 % de contraintes sur les entreprises !

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Et 5 %, c’est deux fois moins que notre proposition initiale. J’entends dire, dans les rangs du groupe Renaissance, que défendre ses amendements brièvement est un aveu de faiblesse. Vous devriez sortir un peu de vos représentations du pouvoir et de la politique selon lesquelles tout n’est que rapport de force, chers collègues ! Nous sommes ici pour représenter les gens ! Tout le monde ne conçoit pas le rapport politique comme une épreuve de force. Il est bien triste que cette vision passéiste ait cours dans vos rangs !

M. Joël Aviragnet (SOC). L’amendement AS884 est défendu.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Avec l’amendement AS3080, 4 %, c’est le minimum syndical sachant que les entreprises ont reçu 160 milliards d’euros d’aides publiques en 2019 !

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Alors même que ma première proposition était à 30 % et que vous n’êtes toujours pas convaincus, 4 % c’est un plancher !

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Ce n’est pas grand-chose quand un senior sur deux n’est plus en emploi à la liquidation de ses droits.

M. Joël Aviragnet (SOC). L’amendement AS852 est défendu.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS3473 réduit encore le taux à 3 % : c’est le plafond de déficit public imposé par l’Europe, au nom duquel cette réforme des retraites est faite ! Nous voyons à présent les vrais visages ! La véritable motivation de cette réforme est de régler, non pas le problème de l’emploi des seniors, mais un problème de déficit public.

Quant aux 2 % proposés à l’amendement AS3477, c’est le taux d’imposition des ultra-riches en France. Ce n’est pas grand-chose, si on le rapporte au taux d’imposition des plus pauvres : 2 % d’imposition des 0,01 % les plus riches, c’est la honte du gouvernement d’Emmanuel Macron !

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). L’amendement AS3152 vise à garantir que la pénalité est au moins égale à 1 %. Tel qu’il est rédigé, l’alinéa 9 ouvre la possibilité qu’elle soit inférieure à 1 %.

Mme la rapporteure générale. Le texte plafonne la pénalité applicable en cas d’absence de publication de l’index seniors à 1 % de la masse salariale, ce qui est déjà élevé. Nous avons longuement débattu de ce taux. En réalité, l’objectif est qu’aucune pénalité ne s’applique, car cela signifierait que l’index est publié – déjà, plus de 90 % des grandes entreprises publient un index de l’égalité professionnelle. Par ailleurs, le directeur général de la caisse nationale d’assurance vieillesse a rappelé en audition que cette pénalité est suffisamment forte pour inciter à la publication de l’index seniors.

Avis défavorable.

Mme Sandrine Dogor-Such (RN). La réalité est que le report de l’âge légal maintient les personnes âgées dans le chômage. Vous aimez les comparaisons, chers collègues du groupe Renaissance : notre pays a le taux de chômage des seniors le plus élevé d’Europe – 30 % seulement des 60-64 ans ont un emploi. À ce problème, vous répondez par un index. Ce n’est pas sérieux !

Votre réforme aura pour effet de prolonger le chômage des 62-64 ans, alourdissant les dépenses de l’assurance maladie et de l’assurance chômage. Pourquoi ne pas envisager que la faute originelle vienne du report de l’âge légal au lieu de créer des mesures coercitives dirigées contre les entreprises, qui ne seront ni appliquées ni respectées ?

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). La raison d’être de nos amendements est de poser une question qui taraude les Françaises et les Français, dont les impôts stagnent ou augmentent, par le biais de la TVA sur l’inflation. Les Français paient plus de TVA, ce qui permet à l’État de fournir son budget.

Quant aux entreprises, on ne leur demande rien d’autre que publier des indicateurs. Elles ne cotisent à rien, ne participent à rien, ne sont responsables de rien, alors même que la sécurité sociale est basée sur un accord de toute la société pour une protection sociale qui fonde la République. Entreprises et salariés sont appelés à en gérer ensemble les fonds.

Or, dans le projet de loi, on ne demande rien aux entreprises, qui regardent passer les trains, comme si rien de tout cela ne les concernait. Cela les concerne ! Nous devons rouvrir le débat, dans notre société, sur la place des entreprises dans le financement de notre système de protection sociale.

Il nous a donc semblé important, s’agissant de cette mesure hypocrite qui n’en est même pas une, de rappeler la nécessité d’obliger les entreprises, de manière symboliquement forte, à publier l’index seniors. Si elles peuvent impunément s’en abstenir, votre politique, chers collègues du groupe Renaissance, n’aurait d’autre résultat que le néant.

M. Jean-François Coulomme (LFI - NUPES). Pendant que le Rassemblement national et Renaissance défilaient ensemble à la buvette, 500 000 manifestants défilaient dans les rues de Paris, et 12 000 à Chambéry, pour dénoncer le fanatisme libéral de votre loi de riches pour les riches, dont l’horizon est le démantèlement du système de santé et de protection sociale à la française !

Nos amendements soulèvent la question du droit et du devoir. Le projet de loi impose à des gens usés, parfois brisés, cassés, d’aller travailler. Il leur fait un devoir de trouver du travail, mais il n’en fait aucun aux entreprises de les embaucher. La plupart les abandonneront donc en fin de carrière, comme c’est déjà le cas. Au-delà de 55 ans, il sera compliqué, pour les seniors, de se faire embaucher. On impose aux gens le devoir de travailler jusqu’à 64 ans, sans mettre en face aucune coercition obligeant les entreprises à leur réserver des emplois. Cette première incohérence, qui est complètement aberrante, justifie à elle seule le retrait du projet de loi.

L’autre incohérence consiste à s’en remettre au jeu de l’offre et de la demande. Pensez-vous sérieusement qu’en imposant du travail à des personnes d’un âge avancé vous les obligerez à travailler, donc à produire ? Pour qui ? Pourquoi ? Vous pensez qu’augmenter l’offre créera la demande. Il n’en sera rien : vous avez refusé l’augmentation du Smic ! La demande globale des consommateurs français est au même niveau aujourd’hui qu’il y a un an, les salaires n’ayant pratiquement pas augmenté, parfois depuis plusieurs années !

Le projet de loi est complètement incohérent. Il faut absolument contraindre les entreprises à embaucher des seniors. Un taux de pénalité de 30 % de la masse salariale est tout à fait justifié.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je suis consterné. Nous avons eu des prises de parole en nombre excessif, des provocations, et à présent de l’obstruction, qui peut masquer une absence d’argumentaire. Le texte a des enjeux. Vous auriez pu, chers collègues de la NUPES, en choisir un, tel que le taux de la pénalité, et avancer des arguments.

Chacun a-t-il bien pris la mesure que l’enjeu est la pérennité de notre système de retraites ? Si nous ne faisons rien, nous n’aurons plus de système par répartition. Nous pouvons faire collectivement ce choix, mais alors – c’est écrit noir sur blanc dans le dernier rapport du COR – les pensions baisseront. Vous vous engagez clairement en faveur d’une baisse des pensions de 25 % par rapport aux salaires à l’horizon d’une vingtaine d’années.

Nous aurions pu parler de la place des femmes dans le système de retraite et de l’incohérence des règles régissant les divers régimes de retraite. Nous aurions pu parler de sujets sérieux, posément, et admettre que reculer l’âge de départ de 62 à 64 ans est un effort. Nous pourrions aussi nous demander pourquoi aucun pays d’Europe n’a un âge de départ en retraite aussi bas qu’en France. Nous pourrions nous poser des questions ; vous préférez l’excès.

Nous pourrions aussi nous demander pourquoi le taux d’emploi des seniors est si bas. Plusieurs gouvernements, au cours des vingt dernières années, ont adopté des programmes de préretraite, faisant des seniors une variable d’ajustement. Nous voulons introduire ce sujet dans le débat, pour que les seniors soient considérés comme une richesse et non comme une variable d’ajustement.

Nous aurions pu aborder ces sujets avec une certaine envie de valoriser les choses, au lieu de nous cantonner au débat stérile dans lequel vous nous enfermez.

Mme Christine Le Nabour (RE). J’ai cru, pendant dix minutes, me trouver dans une salle des ventes aux enchères. Il ne vous manquait que le marteau, madame la présidente !

À la NUPES, vous n’avez de cesse de taper sur les entreprises et de les soumettre à toujours plus de contraintes. La plus grande contrainte qui pèse sur elles, ce sont les tensions de recrutement. Je suis élue d’un territoire où le taux de chômage est de 3,5 %. Nous sommes nombreux à être élus dans des territoires qui avoisinent le plein emploi.

Cela signifie que les entreprises ont augmenté les salaires. Elles s’interrogent sur leurs modes de recrutement et s’orientent vers des profils tels que les seniors, les personnes en situation de handicap et les jeunes. Elles améliorent les conditions de travail et le dialogue social. Toutes n’en sont certes pas au même point ; c’est pourquoi nous leur demandons de publier un index seniors, dont il faudra suivre les effets. Nous leur demandons aussi d’agir en matière de prévention et de formation. Bien entendu, le plus beau levier pour augmenter le taux d’emploi des seniors est de travailler pour le plein emploi. Par ailleurs, à chaque fois qu’une réforme des retraites a décalé l’âge de départ en retraite, le taux d’emploi des seniors a augmenté.

M. Thibault Bazin (LR). L’index seniors peut apparaître comme une fausse bonne idée. Il faut se garder des discours caricaturaux. Je connais des entreprises de ma circonscription qui n’ont pas attendu un index pour recruter des seniors, grâce à des dispositions très attendues.

L’enjeu est le suivant : veut-on inciter les personnes à partir plus tôt ou adapter les choses pour leur permettre de continuer, dans les meilleures conditions, à travailler et à transmettre leur expérience ? Nous avons un problème d’adéquation entre les offres d’emploi et les demandes. Lorsqu’une entreprise propose un emploi, ce ne sont pas toujours des personnes âgées qui postulent, ce à quoi nul ne peut rien.

Par ailleurs, la mise en œuvre opérationnelle de l’index seniors devra être adaptée à la réalité des secteurs d’activité, en fonction des postes, des entreprises, des branches et des âges concernés. Il y a donc un enjeu d’anticipation. Il faut traiter en amont la question de l’emploi des seniors. Si seulement 35,5 % des 60-64 ans sont employés, c’est que le mal survient plus tôt. Il faut imaginer des reconversions et des processus d’acquisition de nouveaux métiers, à des moments plus adaptés à mesure que l’on avance en âge.

Je doute qu’un index seniors puisse être l’alpha et l’oméga d’une telle politique, et que la sanction de son absence de publication soit une solution efficace pour améliorer réellement le taux d’emploi des seniors. Nous devons nous concentrer sur la recherche de solutions au problème de l’emploi des seniors, en créant les conditions pour qu’il soit possible et facile.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Il ne s’agit pas de dire que les entreprises ne sont pas vertueuses, mais, puisqu’il s’agit de faire en sorte que tout le monde contribue, d’imposer des contraintes à tout le monde. Le salarié à des contraintes ; s’il ne remplit pas certaines obligations, il est sanctionné. Il doit en aller de même pour les entreprises.

Mme la rapporteure générale. Madame Taillé-Polian, le produit des cotisations des entreprises, en 2019, s’est élevé à 257 milliards d’euros. Il est attendu à 292 milliards d’euros en 2023, soit une augmentation de 35 milliards, dont 6 milliards pour la branche maladie et 20 milliards pour la branche vieillesse.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS4835 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR). Tel qu’il est rédigé, cet alinéa est flou. Il n’existe aucune définition juridique des seniors. Selon les secteurs d’activité, la situation des entreprises varie : envisage-t-on sérieusement d’exiger d’une start-up de codage informatique le même taux de seniors et la même politique de formation à leur égard qu’une grande entreprise de services d’un secteur plus traditionnel de l’économie ?

La rédaction de l’alinéa 10 n’est pas adaptée à la réalité des entreprises et des secteurs d’activité, ni à l’enjeu majeur de l’emploi des seniors. Il faut une disposition plus adaptée, qu’il s’agisse de la formation, des parcours d’emploi et de reconversion ou de l’incitation à l’embauche. C’est le sens de la rédaction que je propose.

Mme la rapporteure générale. Je salue cette approche concrète de la question. Supprimer la mention des efforts de l’entreprise exposerait celles qui en ont fait à une augmentation du montant de leur pénalité. Il importe de conserver les deux critères de sa modulation, l’existence d’une raison valable de ne pas publier l’index seniors, telle qu’un plan social en cours, et les efforts consentis en matière d’emploi des seniors.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin (LR). Ce qui m’intrigue, c’est que le montant de la pénalité est soumis à une appréciation qualitative de l’administration. S’agissant de l’index de l’égalité professionnelle, il prévoit une obligation légale en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, dont le respect est d’ordre quantitatif, donc objectivable.

Tel quel, l’index seniors est flou. Laisser à l’administration le soin de trancher est inquiétant. Certes, il sera codifié à l’issue d’une concertation avec les organisations syndicales mais, en l’état, il ne me convient pas. Il faut équilibrer les choses et ajuster la rédaction de l’alinéa 10.

Mme la rapporteure générale. La liste des indicateurs composant l’index seniors sera fixée par décret en Conseil d’État, ce qui lui assurera un socle juridique solide.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Madame la rapporteure, madame la présidente, je vous félicite d’avoir atteint, dans vos circonscriptions respectives, 15 000 manifestants !

L’amendement de M. Bazin soulève la question importante de l’objectif assigné à cet outil. Il vise à supprimer la mention des efforts de l’entreprise dans l’évaluation du montant de la pénalité, déjà très faible, au motif que leur évaluation est d’ordre qualitatif. Or supprimer la mention des « efforts constatés dans l’entreprise en matière d’emploi des seniors » implique qu’il suffira de publier un index, que personne ou presque ne lira faute d’énergie, de temps et de structures adaptées pour procéder à son évaluation, et dont les indicateurs sont abandonnés à la discrétion sans faille des administrations et des entreprises, pour continuer son petit bonhomme de chemin, en toute indifférence à la politique d’emploi des seniors.

Monsieur Bazin, vous vous étonnez que le montant de la pénalité soit soumis à une appréciation qualitative de l’administration. Cet étonnement m’étonne : le droit, en tant que tel, est toujours un processus qualitatif. Il faut toujours évaluer des dispositions, telles que l’index seniors. Il y a une nuance qualitative entre ce qui serait un index et ce qui n’en serait pas, entre le fait de le diffuser ou non. Si un employeur crée un index mais le garde pour lui, faut-il le considérer comme inexistant ? Tout index comporte une dimension qualitative. Tel est le cas de l’index de l’égalité professionnelle. Il y a toujours un objectif couplé à l’évaluation d’une intention du côté de l’employeur, pour évaluer les pratiques.

S’agissant de l’absence de définition juridique des seniors, nous sommes des victimes comme vous, nos amendements visant à mieux qualifier ce qu’est un travailleur ou une travailleuse senior ayant été rejetés. Il me semble que l’objectif que nous devons viser, toutes et tous ensemble, est de préciser ce qu’est un senior, pour rendre applicable le peu qu’il y a d’intéressant dans cet index, au lieu d’y renoncer et de détricoter l’outil lui-même.

Vous avez également raison sur les effets sectoriels. Il est clair que la question des vœux d’emploi des seniors se pose. Nous ne sommes pas obligés d’égaliser de bien des manières.

L’amendement est très intéressant, mais nous voterons contre.

La commission rejette l’amendement.

La réunion est suspendue de dix-huit heures quarante à dix-neuf heures dix.

Amendement AS3156 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). J’ai pris un bain d’énergie considérable, aujourd’hui à Dieppe, dans une belle manif, qui a rassemblé 8 000 personnes. On en sort ressourcé, davantage conscient du sens de ce que nous faisons ici.

Dans cette manif, j’ai rencontré un gars qui s’appelle Sylvain Volta. Il a cotisé quarante-deux ans. Il a été dans les cours de marée – pour les Parigots, c’est là où se négocie et se traite le poisson –, avant d’être agent de proximité chez un bailleur social et de prendre soin des habitants du logement social. Après 168 trimestres de cotisations, il aura une retraite de 1 030,53 euros. C’est pour des gens comme lui que nous sommes ici ; c’est avec cette force que nous irons dans l’hémicycle.

L’amendement AS3156 vise à remettre un peu de paritarisme dans la gestion des retraites. À vous qui avez étatisé la gestion de l’assurance maladie et rêvez, ce qui est un paradoxe pour des libéraux, de tout étatiser, nous proposons de soumettre l’attribution d’une pénalité à l’accord des organisations syndicales et patronales.

Mme la rapporteure générale. Les organisations syndicales seront fortement associées à la définition de l’index senior, notamment à celle de ses critères. Avis défavorable.

Mme Nathalie Oziol (LFI - NUPES). On nous dit que le plein emploi serait atteint dans certains départements. D’anciens députés macronistes reconnaissent pourtant, de leur côté, que les demandes d’emploi excèdent de beaucoup les offres. En réalité, plus personne ne vous croit. Vous avez saccagé le code du travail, vous avez continué en démolissant le système d’attribution des indemnités chômage et vous vous attaquez maintenant aux retraites. J’en profite pour saluer les mobilisations du jour : plus de 500 000 personnes à Paris, plus de 30 000 personnes chez moi, à Montpellier, et 2,8 millions de manifestants dans le pays. Pour en revenir à l’amendement, la consultation des organisations syndicales et patronales permettra une plus grande justice.

M. Christophe Bentz (RN). On tourne en rond depuis plus de cinq heures sur le même sujet : ce n’est pas sérieux. J’invite la NUPES à cesser ce que Mme Rousseau a avoué elle-même être de l’obstruction, ce qui risque de nous empêcher d’arriver à l’article 7. (Exclamations.)

Mme la présidente Fadila Khattabi. J’ai entendu quelqu’un de la NUPES dire « Retourne à la buvette ! » C’est scandaleux ! Une honte ! Quelle image de la représentation nationale donnez-vous aux Français ? On s’écoute, même si on ne partage pas les mêmes idées : c’est une question de respect et d’éducation. (Applaudissements.)

M. Christophe Bentz (RN). Je vous remercie, madame la présidente, pour cette mise au point.

Arrêtons la récupération politique des manifestations, dont, d’ailleurs, vous n’avez pas le monopole, chers collègues de la NUPES. Ici aussi, nous nous opposons à la réforme. Comme le Rassemblement national, 70 % des Français sont contre. Que je sache, Jean-Luc Mélenchon n’a pas obtenu 70 % des voix à l’élection présidentielle ; il n’était pas même au second tour. Je vous propose d’arrêter l’obstruction afin que l’on arrive au plus vite au cœur du texte, c’est-à-dire à l’article 7.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). J’ai lancé un appel à témoignages pour savoir ce que les gens voudraient faire à 60 ans. Valérie, 42 ans, m’a répondu qu’elle souhaiterait se former à de nouveaux sujets, s’engager, voyager, faire du sport, ajoutant que, dans sa ville d’Annonay, dont M. Dussopt a été le maire pendant une décennie, 8 700 personnes avaient défilé, soit le double du 19 janvier.

M. Thibault Bazin (LR). Nous devons retrouver les conditions permettant de débattre du fond, et abandonner les petites phrases et les provocations. Soyons à la hauteur de l’enjeu.

Mme Annie Vidal (RE). Comme nous le disions et comme l’a reconnu notre collègue de la NUPES, vous vous employez à faire de l’obstruction. Nous savons que vous êtes opposés à cette réforme. Autrement dit, vous ne voulez pas préserver le système de retraite par répartition, auquel nos compatriotes sont très attachés. Vous ne voulez pas garantir la retraite des Français. Vous ne voulez pas augmenter la retraite minimale de 100 euros. Vous ne voulez pas accroître le nombre de trimestres de cotisation attribués au titre des congés de maternité. Vous ne voulez pas valoriser les trimestres pour les proches aidants. De fait, vous cautionnez les déficits, vous acceptez d’abandonner 150 milliards d’euros de dette aux générations futures, au nom de votre idéologie. Vous faites le choix d’organiser un non-débat. Vous ne voulez que le chaos, alors que les Français attendent de nous un débat digne, riche et constructif. Nous offrons le spectacle d’une cour de récréation, de la guerre des boutons, de la bataille des billes... Les Français méritent beaucoup mieux que cela !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Vous ne voulez pas entendre que la majorité des Français est opposée à votre mauvaise réforme, que celle-ci va détériorer les droits des femmes dans leur accès à la retraite. Vous ne voulez pas reconnaître que votre index est de la poudre de perlimpinpin, et qu’il ne répond aucunement au chômage des seniors, à leur inemployabilité et à leurs difficultés d’accès à l’emploi dans les zones les plus tendues. Vous ne voulez pas accorder la moindre attention à nos amendements, qui ne sont absolument pas motivés par une volonté d’obstruction : je vous mets au défi d’en trouver un seul du groupe Gauche démocrate et républicaine ayant cette finalité. Celui qui est en discussion vise à faire en sorte que l’on recueille l’accord des organisations syndicales et patronales sur les modalités de la sanction pour non-publication. En réalité, vous êtes dans la brillante solitude du pouvoir. Pour notre part, nous saisirons toutes les occasions qui se présenteront pour demander le retrait de la réforme.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous venons d’examiner des dizaines d’amendements de la NUPES sur la pénalité prévue en cas de non-publication de l’index. Hier, les députés de la même NUPES nous ont expliqué que cet index ne servirait à rien, qu’il n’était qu’un rideau de fumée, une fumisterie hypocrite, voire une salade décorative, et que ces données étaient déjà publiques, en citant des exemples d’entreprises à l’appui. Aujourd’hui, une des auteures de ces amendements vient de nous indiquer que les voter constituerait une insulte et une indécence. Mesdames et messieurs les députés de la NUPES, je vous demande de respecter nos débats, de ne pas tourner le travail de l’Assemblée en ridicule et de faire preuve d’un minimum de responsabilité.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6662 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’alinéa 10 de l’article 2 prévoit que le montant de la pénalité financière « tient compte des efforts constatés dans l’entreprise en matière d’emploi des seniors ainsi que des motifs de méconnaissance de l’obligation de publication ». Déjà nullement confiants en la capacité de cet index, toute dernière baguette magique du Gouvernement, de répondre à des enjeux sociaux qui concernent des millions de nos compatriotes, nous sommes d’autant plus méfiants envers cette disposition, qui ouvre la voie à l’arbitraire et offre des excuses aux sociétés qui ne respecteraient pas leur obligation envers les seniors. Nous demandons sa suppression, considérant qu’avec 160 milliards d’euros d’exonérations, les entreprises ont bénéficié de suffisamment de largesses.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

À titre d’exemple, une entreprise faisant l’objet d’un plan de sauvegarde de l’emploi n’est évidemment pas en mesure de publier son index.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Chaque fois que nous proposons de limiter les largesses accordées aux entreprises, nous recevons un avis défavorable, et encore pour ce petit amendement, alors même que, chacun en convient, l’index seniors ne sert à peu près à rien – d’autant que ce n’est pas l’embauche insuffisante de seniors qui serait sanctionnée, mais la non-publicité des chiffres relatifs à l’emploi de cette catégorie.

Si nous passons autant de temps dessus, c’est parce que le Rassemblement national, qui était un peu perdu, comme d’habitude, n’a pas voté nos amendements de suppression de l’article 2, qui nous auraient permis d’avancer dans le débat. À présent, le RN nous presse, à l’instar des macronistes, d’arriver à l’article 7, peut-être dans l’espoir de faire passer la retraite à 64 ans – après tout, c’était dans le programme de Zemmour.

Mme la rapporteure générale. Nous voulons avancer mais, surtout, travailler sur le texte et l’améliorer, parce que nous sommes à l’écoute des personnes qui sont descendues dans la rue. Les amendements d’obstruction ne nous y aideront pas.

Mme Monique Iborra (RE). Si nous sommes enfermés dans notre pouvoir, comme vous le d tes, de votre côté, vous êtes enfermés dans votre idéologie. Vous êtes de surcroît et comme d’habitude, très agités, provocateurs et agressifs. C’est à se demander si vous n’êtes pas déçus par le nombre de manifestants.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Vous affirmiez vouloir coconstruire ; pourtant, vous n’avez accepté aucun de nos amendements, alors que certains ne faisaient peser qu’une légère contrainte sur les entreprises. En décrétant que rien n’est négociable – 64 ans ou rien, aucun amendement ne passe –, vous jouez à un jeu délétère. Nous vous renvoyons à votre brutalité, en essayant par tous les moyens de faire voter ne serait-ce qu’un amendement.

M. Arthur Delaporte (SOC). Vous nous appelez au calme alors que, depuis le début de nos travaux, notre comportement se caractérise par sa mesure. Vous prétendez que nous campons sur notre idéologie alors que nous faisons des propositions très concrètes pour renforcer l’index seniors. Nous allons dans le sens de ce que propose Gouvernement, dont nous critiquons par ailleurs l’aveuglement et l’idéologie, puisque cette réforme n’a aucun fondement. Nous sommes extrêmement heureux du soutien des manifestants, mais nous déplorons aussi que ce texte n’assume pas les rares petites ambitions qu’il contient. Nous nous battons pour obtenir des avancées dans le projet de loi, parallèlement à celles qui seront conquises dans la rue, et nous espérons que vous daignerez, à un moment donné, écouter les oppositions.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3154 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Il s’agit d’assortir le dispositif d’un objectif d’amélioration chiffré, à l’aune duquel les résultats obtenus seront évalués, et qui justifiera, le cas échéant, une sanction. Nous entendons ainsi rendre le mécanisme opérant, de sorte qu’il ne reste pas à l’état d’affichage. Mme la Première ministre a certes dit que l’article 7 n’était pas négociable, ce qui pose un problème majeur puisque c’est la disposition centrale du texte, mais cela nous laisse la possibilité de discuter du reste, même si cela ne nous suffira pas.

Mme la rapporteure générale. Dans la mesure où nous n’avons pas retenu de critères chiffrés, nous ne pouvons pas avoir d’objectifs chiffrés. Avis défavorable.

M. Jérôme Legavre (LFI - NUPES). C’est bien là le problème. Tous, nous convenons – à part vous, peut-être – que l’emploi des seniors est une difficulté majeure, avec plus de la moitié des plus de 61 ans sans emploi. Vous nous accusez de faire de l’obstruction. En l’occurrence, nous vous proposons une mesure pour améliorer l’embauche des salariés de 50 ans et plus. Une fois de plus, et comme sur chacun de nos amendements, vous nous opposez une fin de non-recevoir.

Vous avez réussi un exploit : depuis 2017, le Président de la République s’évertue à faire des organisations syndicales de simples accompagnantes des mesures qu’il décide, et elles sont aujourd’hui toutes unies contre votre projet de réforme. Près de 3 millions de personnes sont descendues dans la rue : il serait temps d’entendre ! À force de gouverner contre le pays, le pouvoir risque d’avoir de graves difficultés.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Une nouvelle fois, nous vous soumettons un amendement solide, longuement travaillé, qui propose une mesure concrète : il s’agit, en l’occurrence, de renforcer l’efficacité de l’index en prévoyant des sanctions si les objectifs ne sont pas atteints. Hier, notre débat a utilement montré que l’index n’apportait rien de nouveau, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, par rapport au bilan social qui indique déjà le nombre de seniors employés, les formations assurées et la manière dont ces sujets sont traités au cours du temps. Votre dispositif pourrait présenter un intérêt s’il était assorti de sanctions, et c’est l’objet de cet amendement. Vous ne pouvez plus parler d’obstruction ; vous êtes contraints de reconnaître que nous avons lu le texte : il est pourri et nous essayons d’y remédier à la marge.

M. Marc Ferracci (RE). Je voudrais tordre le cou à l’idée selon laquelle 50 % des personnes seraient au chômage ou en inactivité au moment où elles prennent leur retraite. Le COR indique, sur la base des enquêtes emploi de l’Insee, qu’à 61 ans, 27 % des personnes ne sont ni en emploi ni à la retraite ou en préretraite, 25 % d’entre elles sont à la retraite ou en préretraite, et 48 % occupent un emploi. À 62 ans, seuls 16 % des gens – et non pas 50 % – ne sont ni en emploi ni à la retraite. C’est à ces 16 % que nous devons nous intéresser. Je précise que les personnes arrêtées pour incapacité sont comptabilisées parmi les inactifs. Il faut arrêter de diffuser de fausses informations.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’Insee nous indique que 56,1 % des personnes âgées de 55 à 64 ans sont en emploi. Les autres sont au chômage, le plus souvent de longue durée, en incapacité ou en invalidité. Compte tenu de cette situation, on ne peut pas prétendre mener une politique juste en se contentant d’un index incitatif.

M. Philippe Vigier (Dem). Nous déplorons tous que le taux d’emploi des seniors soit trop faible, ce qui constitue un gâchis humain. Je voudrais dire à nos collègues de la NUPES combien j’ai été surpris qu’ils n’aient pas voté le système du bonus-malus dans les entreprises que nous avons proposé tout à l’heure. Seuls vos amis socialistes se sont prononcés en sa faveur. Lorsqu’il faut prendre ses responsabilités, vous ne le faites pas ; c’est bien que vous êtes uniquement dans le blocage.

M. Thomas Ménagé (RN). On est en train de s’embourber sur cette question de l’index, alors même que cette disposition risque d’être invalidée par le Conseil constitutionnel. Au sein de notre groupe, avec Marine Le Pen, nous souhaitons rassembler face à un gouvernement qui cherche à diviser. Lundi prochain, nous vous présenterons une motion référendaire, qui vous donnera l’occasion de soumettre le projet au vote des Français. M. Bayrou affirmait, le 25 janvier, que « devant les extrêmes difficultés d’une réforme des retraites, les trancher par un référendum des Français [est] la meilleure méthode pour éviter les blocages ». Cela permettrait à la majorité de sortir par le haut et d’écouter le peuple, après cinq ans d’absence d’empathie, cinq ans de mépris. Nous croyons à l’intelligence des Français. Mesdames et messieurs de la NUPES et du MoDem, nous verrons, à l’occasion de ce vote, si vous êtes en cohérence avec vos idées et si vous croyez à la souveraineté populaire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6896 de M. Thomas Ménagé

Mme Katiana Levavasseur (RN). L’amendement tend à rendre plus objectifs les éléments retenus dans le cadre des sanctions prévues par l’article 2. La formulation de celui-ci ne permet pas à la norme d’être prévisible et de garantir le principe de sécurité juridique. Les termes sont imprécis et leurs contours sont flous. Loin de définir clairement les critères à respecter sous peine de se voir infliger une sanction administrative, le texte se borne à prévoir que le montant de la pénalité tiendra compte des efforts constatés dans l’entreprise pour préserver l’emploi des seniors. La loi doit avertir avant de frapper. En l’espèce, le projet se contente de tout renvoyer au Conseil d’État ou aux accords collectifs. Dans un contexte économique insoutenable pour nos entreprises, la sanction prévue en cas de non-publication de l’index seniors paraît inopportune dans la mesure où la détermination du montant n’est pas fondée sur des éléments objectifs qui permettraient aux entreprises de se prémunir contre une amende excessive.

Rappelons, au passage, que les gens n’ont pas manifesté pour la NUPES aujourd’hui mais pour leur retraite.

Mme la rapporteure générale. Par définition, le montant de la sanction se fondera sur des éléments objectifs pris en compte par l’autorité administrative et précisés par décret pris en Conseil d’État.

Avis défavorable.

Mme Mathilde Panot (LFI - NUPES). Il vient d’être donné un cours d’éducation et de politesse à ma collègue Farida Amrani. Pour ma part, je trouve extrêmement choquant, alors que nous parlons des 2,8 millions de personnes qui ont défilé dans la rue aujourd’hui pour sauver leur système de retraite, que la majorité se permette de rire et de moquer les chiffres : « Pourquoi pas 4 millions, pourquoi pas 5 ? » Disant cela, ils sont tout à fait en accord avec le Gouvernement, qui n’a que faire du nombre de personnes dans la rue, qu’elles soient 700 000 ou 2 millions. Quel mépris pour ces gens qui ont perdu une journée de salaire pour aller manifester, pour ceux qui se demandent comment ils vont tenir physiquement jusqu’à 64 ans et qui ne savent pas s’ils auront une retraite décente et digne alors qu’ils sont de plus en plus nombreux à devoir aider leurs enfants, voire leurs petits-enfants, tant la pauvreté explose dans notre pays !

Si nous prenons le temps de débattre de cet index, c’est parce que cette mesure recouvre une réalité douloureuse. C’est une grande souffrance que de finir sa carrière professionnelle au RSA, au chômage, à l’allocation de solidarité spécifique, sans parler de la baisse des pensions. Arrêtez de mépriser le peuple ! Méfiez-vous car, vous le constatez vous‑mêmes, beaucoup de gens descendent dans la rue.

J’en profite pour féliciter la commission de la défense, saisie pour avis, d’avoir rejeté l’article 7.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je félicite la commission de la défense mais pas le Rassemblement national, qui ne dépose que des amendements vides de sens comme s’il n’était capable d’aborder le fond d’un sujet qu’au travers de la xénophobie.

Si vous tenez tant à ce que la sanction se fonde sur des éléments objectifs, pourquoi n’avez-vous pas voté les amendements que nous avons déposés et qui apportaient de réelles précisions objectives ? Vous n’apportez rien au débat et ne faites que l’obstruer. Des amendements de cet acabit, je peux vous en écrire à la pelle ! En voici un, par exemple : « Le montant de la sanction se fonde sur des éléments réels et importants. » Ce n’est pas sérieux et d’autant plus déplorable que vous passez votre temps à donner des leçons aux députés de la NUPES qui travaillent sérieusement.

Arrêtons ces débats stériles et ces accusations sans fondement. C’est vrai, madame, les gens n’ont pas manifesté pour la NUPES aujourd’hui, mais la NUPES était là, pour eux et avec eux, dans la rue, tout comme nous.

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). Par principe, les amendements sont de qualité et ont tous la même valeur puisqu’ils sont déposés par des députés élus par le peuple. Le principe aristocratique, que vous placez au centre du jeu, monsieur Delaporte, et qui vise à faire croire que certains élus seraient mieux que d’autres parce qu’ils seraient élus pour de meilleures raisons, à attaquer ad hominem le groupe Rassemblement National, est insupportable. Nous accuser de paresse parlementaire alors que nous prenons nos responsabilités en voulant débattre, est insupportable. Ce comportement est puéril, insultant et indécent. Vous ne servez pas la cause des personnes que vous dites défendre et que nous souhaitons d’ailleurs tous défendre, a priori. Je vous invite à être plus sérieux et respectueux et à ne plus faire preuve d’un tel mépris à l’égard de nous tous.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Non seulement cet amendement n’a pas de sens mais vous n’avez pas été capables d’en produire plus de soixante-quinze – et encore sont-ils tous d’aussi piètre qualité. Vous bâclez votre travail et c’est à se demander si vous avez réellement la volonté de vous opposer à la réforme.

Notre groupe a déposé de nombreux amendements, car ce projet de loi doit être traité avec sérieux. L’index seniors témoigne de la réalité de la situation professionnelle de nos concitoyens. On peut toujours se renvoyer les chiffres au visage et, monsieur Ferracci, il semble que nous n’en ayons pas la même lecture, mais personne ne contestera que notre pays a besoin d’une grande politique pour permettre aux personnes expérimentées de conserver leur emploi. Or, tout en le reconnaissant vous-mêmes, vous proposez cet index qui ne sert à rien, sans parler de la suppression des contrats de génération en 2017. Depuis que vous êtes aux responsabilités, il ne se passe plus rien.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3155 de M. Yannick Monnet

Mme Karine Lebon (GDR - NUPES). L’amendement tend à mieux définir les salariés concernés en remplaçant le terme « seniors » par « salariés âgés de 50 ans et plus ».

Chers collègues, vous nous assurez depuis hier que décaler l’âge de départ à la retraite et favoriser l’emploi des seniors n’aggravera pas le chômage des jeunes. Je vous donnerai un seul exemple pour tenter de vous convaincre du contraire. Dans mon département de La Réunion, le taux de chômage est si élevé que la réforme de l’assurance chômage ne s’y est pas appliquée. Selon les chiffres de l’Insee, les seniors, c’est-à-dire les personnes âgées de 50 à 64 ans bénéficient d’un taux d’emploi qui a progressé depuis les dix dernières années, alors que le taux de chômage des jeunes s’est aggravé. Plus d’un jeune sur deux est au chômage dans mon département. Que ferez-vous de cette réforme ? Déciderez-vous de ne pas l’appliquer en outre-mer ? Le nombre de manifestants à La Réunion a été quatre fois supérieur aujourd’hui à celui du 19 janvier (Applaudissements). Cette réforme est impopulaire dans l’Hexagone mais elle sera mortifère dans les outre-mer. On y vit moins longtemps et en moins bonne santé. Votre texte représente une attaque de plus contre ces populations, qui ne s’y trompent pas.

Mme la rapporteure générale. Nous avons sciemment choisi de remplacer le terme « salarié âgé » par « senior ». Avis défavorable.

M. Marc Ferracci (RE). La question des conséquences de l’emploi des seniors sur celui des jeunes mérite d’être posée mais la réponse que vous y avez apportée, chère collègue, témoigne d’une fausse représentation du marché du travail, celle d’un gâteau que l’on se partagerait. Cette vision est réfutée depuis des années par un bon nombre d’études. Elle sous‑tend l’idée que la réduction du temps de travail pourrait créer des emplois – on sait à présent que la création d’emplois tient davantage à la réduction des charges qui a accompagné la réduction du temps de travail qu’à la réduction du temps de travail en elle-même. Elle fonde également le discours de l’extrême droite, qui reproche aux immigrés de prendre le travail des autochtones. En réalité, on constate, graphiques à l’appui, que l’amélioration du taux d’emploi des seniors s’accompagne souvent d’une baisse du taux de chômage des jeunes.

Mme Mathilde Hignet (LFI - NUPES). Certains d’entre vous sont agriculteurs, enfants d’agriculteur, d’autres ont des enfants qui sont aides-soignants, infirmiers ou ouvriers dans le bâtiment. Pour ma part, je viens du monde paysan et en tant qu’ouvrière agricole, je parlerai au nom de la classe ouvrière.

Les ouvriers qui se sont mobilisés avec tant d’autres dans la rue, aujourd’hui, ne veulent pas de cette réforme. Vous le savez très bien. Admettre que vous avez tort serait politiquement courageux (Applaudissements). Ce serait aussi courageux d’accepter que nos amendements tendent à approfondir le débat mais vous refusez de voir la réalité en face.

Le travail brise les corps, parfois les esprits, et nous devons permettre à nos aînés de vivre leur retraite en bonne santé. J’ai entendu, ce matin, une députée du groupe Renaissance déclarer, sur une chaîne d’information, que la rue ne dicterait pas ce qu’il doit se passer à l’Assemblée nationale. Pourtant si, car nous avons été élus par ces gens qui sont descendus dans la rue (Applaudissements). Vous nous demandez de retirer nos amendements ? Ils vous demandent de retirer votre réforme ! (Applaudissements.)

Mme la présidente Fadila Khattabi. Évitez de vous applaudir toutes les minutes !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Notre collègue Marc Ferracci tient à nous présenter moult graphiques, ses références semblent étayées et il disposerait de nombreuses expertises. Permettez-moi de vous présenter les nôtres. Selon les chiffres du ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion, une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques d’avril 2022 et une enquête de l’Insee sur l’emploi, le chômage et l’inactivité en date de 2016, le taux d’emploi descend à 35,5 % pour les 60-64 ans et chute à 8,6 % entre 65 et 69 ans. En reculant l’âge de départ à la retraite, vous accentuerez ce phénomène.

La majorité des seniors occupent des CDI – 90 % des personnes de plus de 50 ans. Néanmoins, 6,1 % des 55-64 ans sont en situation de sous-emploi, c’est‑à‑dire en temps partiel ou au chômage technique ; 6,7 % de ceux qui sont salariés ont un contrat temporaire – intérim, CDD, emploi saisonnier ou aidé. Enfin, 22,9 % des 55-64 ans occupent un emploi à temps partiel contre 18,7 % de l’ensemble des catégories.

Le Président Macron l’avait lui-même reconnu : nous sommes le dernier élève de l’Europe pour ce qui est de l’emploi des seniors. En quoi votre texte à la noix de coco répond‑il à cette question ?

M. Thibault Bazin (LR). Nous ne pouvons pas, en effet, négliger les spécificités de l’outre-mer – je pense en particulier aux travailleurs agricoles en Guadeloupe et à La Réunion ainsi qu’au régime obligatoire de retraite de Mayotte. On ne peut séparer le sujet des retraites de celui du travail. Or ce projet de loi ne comporte aucun titre relatif à l’adaptation des mesures à l’outre-mer et ne prévoit pas davantage de mesures concernant le travail. La situation de Mayotte est singulière, car le régime obligatoire de retraite ne datant que de 1987, les retraités actuels ne disposent en général que de neuf années cotisées.

La semaine dernière, en réponse à une question au Gouvernement s’agissant de la réforme des retraites en outre-mer, le ministre Olivier Dussopt a indiqué qu’un chantier était en cours. D’ici à l’examen en séance, le Gouvernement aura-t-il inscrit des articles additionnels ou compte-t-il déposer des amendements en séance ? Il faut apporter des réponses concrètes à ces travailleurs.

M. Paul Christophe (HOR). Le COR juge peu probable le lien de causalité entre le chômage des jeunes et l’emploi des seniors. Ses experts mettent en avant la différence des postes occupés par les jeunes et les seniors. Ils considèrent, au contraire, que l’emploi des seniors pourrait avoir des effets bénéfiques, car les économies résultant de la poursuite de l’activité par les plus âgés limiteraient la hausse des cotisations à la charge des générations suivantes, ce qui favoriserait l’emploi des plus jeunes en limitant le coût des charges et le besoin d’épargne.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je partage certains constats mais pas les réponses. M. Jumel a raison, le taux d’emploi des seniors est faible, car notre société a fait de ses salariés les plus âgés une variable d’ajustement, en leur proposant des programmes de préretraite, des départs volontaires. Nous devons modifier la culture en entreprise pour mieux valoriser le travail des seniors et ne pas se priver de leurs compétences.

Par ailleurs, le travail peut permettre à l’individu de se réaliser et de s’épanouir mais il est tout aussi vrai que certains métiers sont pénibles et peuvent user ceux qui l’exercent. Comment pourrions-nous modifier le rapport au travail pour proposer une réorientation aux salariés dès leurs 40 ans ?

Quant à l’outre-mer, le taux de chômage des jeunes y est très élevé et nous devons y mener une politique spécifique. Nous devons réfléchir ensemble pour trouver le moyen de préserver ce système menacé de disparition.

M. Elie Califer (SOC). L’outre-mer est la grande oubliée et lorsque ses députés s’expriment, personne ne semble intéressé. Ainsi, lorsque nous votons le budget de l’outre‑mer, nous sommes presque seuls dans l’hémicycle. Quand, d’aventure, nous exposons nos problématiques, il faut voir les hochements de tête, parfois les mimiques !

Nous avons tous les soucis du monde mais nous sommes dans la République, une République qui a abandonné ces territoires, et qui n’a fait qu’empiler les mesures pour en complexifier le développement, les laissant aux mains de monopoles qui ont leurs entrées à l’Élysée depuis des lustres. Des molécules ont été interdites partout, sauf dans nos territoires. Quand on le dit, c’est encore des sourires et des mimiques – ce n’est pas important.

Comment voulez-vous que l’on embauche dans nos territoires qui ne se développent pas ? Vous pourrez prendre toutes les dispositions que vous voudrez, rien ne changera si vous n’accélérez pas leur développement.

Au lieu de prendre des mesures de solidarité, vous discutez froidement de graphiques, de tableaux, et vous oubliez la détresse des hommes et des femmes.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Les territoires d’outre-mer, on les aime, sachez‑le bien.

La commission rejette l’amendement.

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Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 21 heures 15 (article 2 [suite])

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12822618_63d975a7802e8.commission-des-affaires-sociales--projet-de-loi-de-financement-rectificative-de-la-securite-sociale-31-janvier-2023

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous poursuivons l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023. Nous avons examiné 328 amendements, il en reste 5 176...

Article 2 (suite) : Mise en place d’un indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés

Amendement AS3806 de M. Sébastien Peytavie.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Nous proposons d’affecter le produit de la sanction du défaut de publication de l’index à la caisse des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP).

Le Gouvernement demande aux employeurs une contribution supplémentaire pour le financement de la retraite tout en abaissant symétriquement leur cotisation au régime des AT‑MP. Avec cette exonération, les entreprises n’auront aucun nouvel effort à fournir pour financer le système des retraites, contrairement à ce qui est exigé des Français. Eux devront injustement travailler deux ans de plus pour atteindre l’âge légal de départ. À cela s’ajoutent les 160 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises : ils n’ont jamais démontré leur efficacité et le Gouvernement refuse de revenir dessus.

En outre, réduire les recettes de la branche AT‑MP relève d’un non-sens absolu alors que le recul de l’âge de départ à la retraite provoquera une augmentation des arrêts maladie de longue durée, des maladies professionnelles et des douleurs chroniques au travail.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Tout l’intérêt de cet index réside précisément dans l’absence de sanctions. Il doit être publié. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans plus de 90 % des grandes entreprises avec l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Nous avons choisi de diriger le produit d’éventuelles sanctions vers la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) car il est ici question de l’emploi des seniors et non des accidents du travail ou des maladies professionnelles.

Avis défavorable.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Chaque fois que nous évoquons le laxisme fiscal, vous refusez de remettre en cause le dogme selon lequel il faut multiplier les exonérations de cotisations patronales et les cadeaux fiscaux aux plus riches. Or, c’est précisément ce laxisme fiscal qui vous amène à des choix funestes pour les Français, par exemple pour « équilibrer » le système de retraites.

M. Thibault Bazin (LR). Notre pays n’est pas particulièrement connu pour sa légèreté fiscale, mais plutôt pour le laxisme pénal qui a fait suite à l’adoption des lois préparées par l’ancienne garde des sceaux Christiane Taubira.

Il faut prendre garde au lien systématique établi entre emploi des seniors et accidents du travail et maladies professionnelles. Certains accidents du travail touchent beaucoup moins les salariés expérimentés que les intérimaires ou les salariés plus jeunes. De plus, le but de l’index est de favoriser le taux d’emploi des seniors, dont la faiblesse résulte du chômage plus que des maladies professionnelles ou des accidents du travail. L’amélioration du taux d’emploi des seniors passe par l’investissement dans la formation, la prévention, les parcours professionnels. Je trouverais dommage une optique curative et non préventive.

Rapporteur de la branche AT-MP de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, je rappelle qu’elle sera excédentaire à hauteur de 3 milliards d’euros à l’horizon 2027. Je ne suis pas sûr qu’elle ait besoin de recettes supplémentaires à la différence des autres branches.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Réfléchir sur un mode d’incitation ou de sanction relève de cadres de pensée différents.

Monsieur Bazin, les accidents du travail touchent largement les travailleurs de plus de 50 ans, de même que les arrêts maladie les plus longs qui ont fortement augmenté. J’espère que le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 sera l’occasion d’une vraie avancée à ce propos.

Par ailleurs, si la branche AT-MP est excédentaire, c’est aussi en raison de la sous-déclaration des accidents du travail.

M. Arthur Delaporte (SOC). La branche AT-MP doit être mieux financée et son enveloppe budgétaire mieux consommée pour répondre aux enjeux de la prévention des risques en entreprise.

Madame la rapporteure générale, vous considérez que tout l’intérêt de cet index est l’absence de sanction ? Merci de l’avouer. Nous défendons précisément l’inverse.

Mme Joëlle Mélin (RN). Il serait très imprudent de toucher à la branche AT-MP. Les accidents du travail sont plus fréquents chez les personnes en fin de carrière et les maladies professionnelles vont exploser avec la reconnaissance des cancers plurifactoriels. Il faut conserver les réserves de la branche pour faire face à l’avenir.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Le fonds d’investissement consacré à la prévention de l’usure professionnelle sera doté de 1 milliard d’euros au terme du quinquennat, au rythme de 200 millions annuels. Il devrait être géré par la branche AT-MP. Comment sera-t-il abondé ? À travers les pénalités ou par d’autres moyens ?

M. Maxime Laisney (LFI - NUPES). Si cet index est aussi inefficace que celui de l’égalité professionnelle et s’il ne comporte pas de sanction, on ne voit pas bien ce qui conduira à l’amélioration du taux d’emploi des seniors. Nous ne pouvons nous en réjouir.

Mme la rapporteure générale. Arthur Delaporte a peut-être pour objectif de sanctionner les entreprises, mais le nôtre est d’augmenter le taux d’emploi des seniors. Il y aura sanction si l’index n’est pas publié. C’est la publication qui est l’objectif.

En 2023, l’excédent de la branche AT-MP s’élève à 2,2 milliards d’euros. S’agissant du financement du fonds d’investissement pour la prévention, je vous renvoie à notre débat à venir sur l’article 7. Il sera abondé par des cotisations employeurs à la branche assurance vieillesse transférées à la branche AT-MP.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS4792 de M. Hadrien Clouet, AS4791 de Mme Rachel Keke et AS4790 de M. François Ruffin (discussion commune).

Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). Votre index des seniors n’a aucun objectif précis. Il ne comporte aucune contrainte. C’est du Medef sur mesure. Vous allez imposer deux ans fermes aux Français sans une seule action de lutte contre une terrible réalité : la moitié des travailleurs de 61 ans est sans emploi ! Les seniors sont victimes de licenciements. Trop vieux ? Dehors ! Trop abîmé ? Dehors ! Vous allez augmenter le nombre de personnes qui ne sont ni en emploi, ni en retraite – et donc les coûts, certes ceux du chômage et du revenu de solidarité active, mais surtout les terribles coûts humains. Se faire licencier juste avant la retraite, c’est l’ultime humiliation et c’est cela que vous préparez !

Le recul de l’âge de départ, dites-vous, améliore le taux d’emploi des seniors. C’est peut-être vrai pour les cadres. Mais pour les autres, ouvriers, catégories intermédiaires ? Ils seront condamnés à la misère. Selon la Fédération nationale de la mutualité française, le précédent report de l’âge de départ a provoqué une augmentation du nombre d’arrêts de travail longue durée et des risques de décès. Écoutez ce que tout le monde vous dit ! La baisse du temps de travail va dans le sens de l’histoire, y compris sur l’ensemble de la vie. Les seniors ont des rôles essentiels à jouer au sein de leur famille, avec leurs petits-enfants, dans les associations, dans la vie politique avec leur engagement dans nombre de communes.

Par l’amendement AS4792, nous proposons d’instaurer des pénalités financières à hauteur de 10 % de la masse salariale pour les entreprises qui useraient de mauvaises pratiques d’emploi des seniors.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Reculer l’âge légal de départ à la retraite aggravera la situation des seniors alors qu’environ 40 % des personnes qui ne sont pas à la retraite à 62 ans ne travaillent déjà pas. Rien pour la protection des seniors, pour la formation, pour l’évolution des carrières ! Aucune politique de maintien dans l’emploi ! Après tant de cadeaux fiscaux aux patrons sans contrepartie et sans création d’emplois, il est temps d’en venir aux contraintes financières pour mettre les employeurs à contribution.

Par cet amendement de repli, nous souhaitons que des pénalités financières d’un montant de 7,5 % de la masse salariale soient payées par les entreprises qui usent de mauvaises pratiques.

Mme Nathalie Oziol (LFI - NUPES). Si les pénalités des deux derniers amendements, à hauteur de 10 % et de 7,5 % de la masse salariale, ne vous conviennent pas, nous proposons par l’amendement AS4790 de les abaisser encore à 5 %. C’est peu. Mais si aucune contrainte ne pèse sur les entreprises, le taux de chômage ou d’inactivité des seniors augmentera, et avec lui la précarisation des personnes de plus de 60 ans. La réforme des retraites prolongera les périodes de galère des plus précaires. Le taux de pauvreté des seniors ni en emploi ni en retraite s’élève à 32 %, contre 7 % pour les autres.

Oui, le Gouvernement a cédé aux demandes du Medef en refusant d’associer l’index des seniors à des sanctions. Ce dispositif restera donc lettre morte. Il laissera aux entreprises une impunité.

Selon l’Insee, la moitié des personnes qui ne sont pas à la retraite à 62 ans ne travaillent pas. Le passage de l’âge légal à 62 ans a augmenté de seize points le taux de personnes de 60 et 61 ans ni en emploi, ni en retraite. Les entreprises usant de mauvaises pratiques doivent donc être sanctionnées financièrement.

Mme la rapporteure générale. Nous avons déjà eu le débat concernant les chiffres de l’emploi des seniors et de l’augmentation de l’âge de départ. Vous contestez les nôtres. Je vous en donne de nouveaux : selon une étude de 2020 de l’Agirc-Arrco, 63 % des seniors ont un emploi et seulement 11 % sont au chômage, la situation de 20 % d’entre eux n’étant pas connue. Nous sommes loin des données que vous avancez. Nous nous accordons cependant pour vouloir améliorer le taux d’emploi des seniors. Cet index est une brique de l’édifice. Avis défavorable.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Sans contrainte, cet index ne changera pas grand-chose à la situation des travailleurs âgés. Ils risquent de rester enfermés dans la précarité, la maladie ou l’invalidité. Vous reconnaissez qu’ils les subissent. Pour crédibiliser vos intuitions, nous vous offrons un outil. Quel serait le sens d’un indicateur dont on ne tirerait aucune conséquence ? Nous pouvons anticiper que nombre d’entreprises ne compenseront ni les effets désastreux de votre réforme, ni le passage vers le chômage ou la maladie. La pénalité que nous proposons se fonde sur la masse salariale. Elle est fonction du degré de responsabilité de l’employeur et vise uniquement les entreprises dont l’index indiquera un taux de séparation des seniors trop élevé.

En outre, on sait que la prise en compte de la pénibilité est très faible, y compris pour les salariés exposés aux risques les plus importants. Selon vous, il faudrait trouver 12 milliards d’euros pour les caisses de l’assurance vieillesse si nous ne voulons succomber à je ne sais quel cataclysme. Comprenez notre surprise de vous voir refuser de nouvelles ressources qui pourraient abonder la Cnav ! Acceptez de voter en faveur de l’un des taux que nous proposons. Même si vous proposez un taux plus bas, ce sera toujours ça. Nous serons preneurs.

M. Éric Alauzet (RE). Nous avons eu tout une séquence d’amendements allant de 30 % à 1 %. Nous avions effectivement oublié l’option de 7,5 %. J’attends maintenant 8,5 %, 9,5 %... Que de temps perdu !

Il est évident que les entreprises publieront l’index. Vous avez expliqué hier pendant deux heures qu’il était déjà disponible à travers les bilans sociaux des entreprises. Nous essayons de vous démontrer que, jusqu’ici, il n’était pas public et qu’il le sera désormais. Si les entreprises s’avisaient de ne pas le publier, le comptable qui subirait 1 % de pénalité sur la masse salariale se ferait vite remonter les bretelles !

Enfin, les sommes récoltées seront très faibles et il est donc inutile de se poser la question de leur affectation. Oui, que de temps perdu...

Mme Laure Lavalette (RN). Cela fait sept heures que nous parlons index des seniors... Je remercie nos collègues de la NUPES de cette analyse sociologique. Il est temps d’en sortir. Sandrine Rousseau a avoué qu’elle jouait l’obstruction. (Interruptions.)

Mme la présidente Fadila Khattabi. S’il vous plaît, les Français nous regardent !

Mme Laure Lavalette (RN). Vous ne voulez pas que nous votions alors que nous sommes contraints par le temps. Vous semblez souhaiter que, le 17 février à vingt-trois heures cinquante-neuf, le texte soit directement transmis au Sénat. Or, une majorité de rejet est possible. Nous devrions nous inspirer de ce que vient de faire la commission de la défense nationale et des forces armées en rejetant intelligemment l’article 7.

J’invite mes collègues de la NUPES à changer de braquet s’ils ne veulent pas porter la responsabilité de l’adoption de cette réforme. Sept heures, cela suffit : il est temps de passer aux articles suivants. Les Français méritent un débat éclairé et pas une obstruction. Nous ne sommes pas dans une assemblée générale à Tolbiac !

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nous ne jouons pas l’obstruction : nous faisons de l’obstruction pour faire rejeter les articles les plus libéraux. Il sera retenu de nos heures de discussion que vous aurez lutté pied à pied pour éviter toute sanction aux entreprises sur la base d’une obligation de résultats, contre toute conditionnalité des aides aux entreprises, contre toute sanction ou tout encadrement de la possession et de l’usage des jets privés, contre le rétablissement d’un impôt de solidarité sur la fortune ou contre la taxe sur les superprofits. Vous mettez l’État social au service du privé et des grandes entreprises. Vous ne tenez en rien à protéger les salariés.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Effectivement, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher de faire passer ce texte. Nous avons proposé un amendement de suppression de l’article 2 afin de pouvoir poursuivre la discussion, puisque l’index des seniors ne sert à rien. Il a été rejeté en partie parce que nos collègues du Rassemblement national ne l’ont pas voté. Vous ne pouvez pas nous reprocher alors de vouloir améliorer le dispositif !

Que les collègues de la majorité se préparent ! Il en sera ainsi pendant trois semaines : nous ferons tout pour nous associer aux mobilisations sociales et faire en sorte que vous retiriez ce texte. Si vous voulez gagner du temps, retirez-le. Sinon, comptez sur nous pour vous faire perdre beaucoup de temps !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Parlez de l’amendement, s’il vous plaît !

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Éric Alauzet vient de dire que nous avions perdu deux heures : de la part de gens qui veulent faire perdre deux ans aux salariés, c’est un peu gros.

M. Thibault Bazin (LR). Une pénalité à hauteur de 5 % de la masse salariale améliorera-t-elle le taux d’emploi des seniors ? Outre qu’un tel taux paraît disproportionné, ces investissements seraient plus utiles pour l’employabilité ou l’adaptation des postes. On a l’impression qu’il n’y a que des mauvaises pratiques. Je connais pourtant des entreprises qui embauchent des seniors. Ce n’est pas en envoyant des signaux négatifs que l’on augmentera leur taux d’emploi.

Il ne faut pas croire non plus que tout dépend des entreprises. La société valorise‑t‑elle les seniors, leur travail, leur expérience ? Certaines cultures le font plus et mieux que nous. Les aînés ont toute leur place. Celle-ci doit être adaptée, préparée, anticipée, valorisée, ce qui suppose que chacun retrouve du sens dans l’entreprise, dans le travail et dans la société.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous sommes nombreux présents, en particulier les collègues de la NUPES. Le brouhaha est permanent. Ce n’est pas l’hémicycle, ici ! Que ceux qui ne tiennent pas à écouter leurs collègues et à suivre les débats sortent ! Si vous voulez que l’on vous écoute, la réciproque doit s’appliquer.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS6119 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Madame la rapporteure générale, vous avez dit tout à l’heure vouloir améliorer l’emploi des seniors, non sanctionner les entreprises. Vous auriez été inspirée d’adopter la même logique au moment du débat sur l’assurance chômage au lieu d’expliquer que, pour améliorer l’emploi, il fallait sanctionner les chômeurs.

Cet amendement s’inspire d’un slogan assez bête employé durant les débats sur les minima sociaux et l’assurance chômage. Vous le répétez à l’envi : « à des droits doivent correspondre des devoirs ! » Nous l’appliquons en disant qu’à des exonérations doivent correspondre des obligations. C’est simple et, pour reprendre une expression macroniste, c’est du bon sens. Nous appliquons votre logique avec un objectif de justice. L’un de nos collègues a qualifié d’obsessionnelle notre volonté de conditionner les aides données aux entreprises. J’assume volontiers d’être obsédé par la justice, la dignité, l’égalité et le désir de préserver les Français de cette réforme injuste et brutale. Il faudra vous y habituer. Nous défendrons ces amendements que nous considérons justes. Je comprends votre fébrilité croissante à mesure des mobilisations – j’ai même cru entendre que la réunion de l’intergroupe majoritaire de ce jour ne s’était pas bien passée. La majorité relative est en train de devenir minorité absolue.

Mme la rapporteure générale. Sans fébrilité, je vous redis calmement que notre objectif est d’améliorer l’emploi des seniors, non de sanctionner pour sanctionner. Du reste, nous avons déjà eu ce débat. Avis défavorable.

Mme Aurélie Trouvé (LFI - NUPES). Conditionner l’index des seniors aux exonérations de cotisations est une excellente idée. Ces exonérations, qui ont augmenté trois fois plus vite que les aides sociales ces dix dernières années, représentent un énorme manque pour la caisse des retraites. Bien sûr, une fois vidée du fait de ces cadeaux, vous concluez qu’il faut une réforme et repousser de deux ans l’âge de départ...

Le coût de l’ensemble des niches sociales pour l’État et les caisses de retraite et d’assurance maladie est de 90 milliards d’euros, qui s’ajoutent aux 160 milliards d’euros d’aides aux entreprises. En d’autres termes, l’État et les caisses sont les vaches à lait des grandes entreprises. Cet amendement est donc tout à fait indispensable.

Par ailleurs, dans votre logique ultralibérale, vous dites qu’il suffit de donner un indicateur – on ne sait, du reste, pas vraiment lequel. Vous ne voulez jamais réguler ni contraindre, jamais rien faire pour changer quoi que ce soit au comportement des entreprises. Vous avez agi de la même manière avec les salaires. Bruno Le Maire a dit mollement qu’il faudrait peut-être songer à les augmenter un peu... Moyennant quoi ils ont diminué de 3 % l’année dernière. La main invisible du marché ne marche pas. Votre logique ultralibérale mène à une impasse. Les Français sont en train de vous dire avec 2,8 millions de personnes dans la rue aujourd’hui. Il faudrait peut-être vous en rendre compte !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Madame la présidente, il faudrait songer à changer de salle. L’affluence aux travaux de la commission est telle que nous connaissons un inconfort semblable à celui que vous réservez aux salariés de la France entière. Il n’est pas acceptable de travailler dans ces conditions.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Si c’est ce que vous appelez la pénibilité, les Français ont quelque inquiétude à avoir. (Exclamations.)

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). La pénibilité, c’est le sort que vous réservez aux aides à domicile, qui seront les premières victimes de votre mauvaise réforme. C’est ce que vous réservez aux salariés qui ont travaillé avant l’âge de 21 ans et auxquels vous allez imposer quarante-quatre annuités de cotisations sans prendre en compte l’usure des corps.

La pénibilité, nous allons vous en parler tout au long de ce débat. Mais l’inconfort que vous imposez aux députés est à l’image du sort imposé au Parlement. Vous vous servez de l’Assemblée nationale comme d’un paillasson, d’une variable d’ajustement. Vous nous faites tenir un débat dont vous espérez qu’il se conclura mercredi soir sans que nous ayons pu examiner la totalité du texte, pourtant au cœur des préoccupations des Français, fortement mobilisés aujourd’hui.

Lorsque vous méprisez les députés, vous méprisez les personnes qu’ils représentent. C’est la raison pour laquelle je m’indigne des conditions que vous nous réservez. Notre confort est, évidemment, sans commune mesure avec celui des salariés que nous représentons.

Mme Laure Lavalette (RN). Monsieur Léaument, vous semblez mal connaître la Constitution : si ce projet de loi n’est pas voté, avec l’article 47-1, il continuera son cheminement. Je ne comprends pas cette obstruction. Une majorité de rejet est possible et la majorité relative peut devenir une minorité absolue. Soyez cohérent ! Stoppez cette obstruction !

M. Nicolas Turquois (Dem). Une fois encore, au lieu d’argumenter et d’expliquer, l’opposition reste stérile. Il faut dire, par exemple, que les exonérations et réductions de charges opérées sur les salaires sont compensées par l’État, qui verse 135 milliards d’euros aux régimes de retraite, dont 25 milliards d’euros au titre des retraites des fonctionnaires, 80 milliards d’euros au titre des politiques de réduction de charges ou des compensations liées notamment aux politiques familiales comme la maternité, et 30 milliards d’euros pour équilibrer le système de répartition, qui n’est justement plus un système de répartition en raison du déséquilibre démographique. Il faut revenir aux fondamentaux.

Vous pouvez pousser des cris d’orfraie. Mais si vous ne faites pas le constat que notre système de répartition est largement menacé, vous acterez sa disparition.

M. Thibault Bazin (LR). Sur les exonérations de cotisations, nous entendons bien des inexactitudes. C’est là, du reste, un débat que nous avons déjà eu au sein de la commission des affaires sociales. Un de nos principes fondamentaux, notamment pour ce qui concerne les lois de financement de la sécurité sociale, est que l’État compense les exonérations. Nous avons fait vérifier que ces compensations étaient bien inscrites au budget de l’État, auquel contribuent les impositions des entreprises. Ces dernières financent donc aussi, d’une certaine manière, ces exonérations.

On ne peut pas dire non plus que les exonérations de cotisations sont dépourvues de conditions. Il y a des obligations, parfois des plafonds voire des déductions, des assiettes et des taux différents, ainsi que des précisions sur les montants forfaitaires. Des contrôles sont effectués par les organismes de sécurité sociale pour vérifier le respect des conditions. Parfois, ces exonérations sont accordées dans un but qui devrait vous satisfaire, par exemple accompagner des recrutements dans un but de réinsertion professionnelle. Songez au problème des saisonniers : le coût de leur travail en France ne correspondait pas à celui en vigueur dans d’autres pays. Nous avons dû corriger des biais liés à la superposition de différents dispositifs, ce qui a permis à la France de devenir compétitive et, surtout, de faire bénéficier ses propres ressortissants de ce dispositif plutôt que de faire venir de l’étranger une main-d’œuvre moins chère.

M. Sébastien Chenu (RN). Je salue les députés présents. Je suis venu hier soir. Vingt-quatre heures plus tard, le débat en est toujours au même point. Cet index, c’est L’Histoire sans fin ! L’obsession de l’obstruction dont font preuve nos collègues de l’extrême gauche bolchevique a pour résultat d’alourdir un dispositif dont ils ont dit, voilà vingt-quatre heures, qu’il était bidon ! Gardez votre énergie pour la motion référendaire qui vous permettra de faire reculer la réforme des retraites grâce aux Français. On compte sur vous, camarades !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Monsieur Chenu, il était convenu de limiter le nombre d’interventions à une par groupe. Je n’aurais donc pas dû vous donner la parole. Je l’ai fait exceptionnellement parce que vous venez d’arriver.

M. Jérôme Guedj (SOC). Madame la présidente, vous auriez d’autant moins dû donner la parole à Sébastien Chenu qu’il vient seulement, à vingt-et-une heures quarante-cinq, faire son petit tour de piste en commission des affaires sociales. (Exclamations.) Son numéro de claquettes vient perturber le travail méthodique, rigoureux et sérieux que les commissaires mènent, n’en déplaise à l’agitateur de première classe qu’il est. Tout ce qu’il sait faire, c’est jeter de l’huile sur le feu, perturber le travail parlementaire, tirer la couverture à lui au lieu de les laisser faire le travail pour lequel ils ont été élus et qui consiste à amender le texte. Mais si vous pensez que ce projet de loi n’a pas besoin d’être amendé à propos de l’index des seniors, c’est votre droit.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). On nous reproche de faire traîner les débats et, toutes les cinq minutes, le groupe Rassemblement National prend la parole pour attaquer la NUPES. Je ne comprends pas si vous êtes ici pour travailler ou pour vous opposer à la NUPES. J’en déduis que votre obsession n’est pas tant la réforme des retraites, qui ne vous intéresse pas et qui, en réalité, ne vous convient pas si mal, que la NUPES. Quant à l’énergie, monsieur Chenu, nous en avons à revendre, ici et dans la rue !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vais finir par couper les micros aux intervenants qui ne parlent pas du texte. Nous ne sommes pas dans l’hémicycle !

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6219 de Mme Stella Dupont.

Mme Stella Dupont (RE). Je m’en tiendrai donc à mon amendement, qui vise à faire de l’index un outil contraignant. Voilà vingt ans, en effet, qu’il est question du maintien en emploi des seniors. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : un tiers seulement des Français de 60 à 64 ans sont en emploi.

Demander aux Français de travailler plus longtemps induit obligatoirement un effort de la part des entreprises. La révolution culturelle du monde des entreprises, en particulier pour les grands groupes, ne se fera pas à la vitesse accélérée dont nous aurions pourtant besoin. Il faut donc une mesure contraignante. La proposition est simple : faire de cet indicateur un outil de suivi et d’incitation. Les entreprises qui se situeront en dessous de la moyenne de leur branche professionnelle se verront supprimer la réduction de cotisations patronales sur les allocations familiales pour les salaires supérieurs à 2,5 Smic. Le Conseil d’analyse économique a produit différentes analyses sur ces exonérations, concluant qu’elles n’ont d’effet ni sur les exportations ni sur la compétitivité. Nous pouvons nous rassembler autour de cet outil dont nous avons besoin pour atteindre l’objectif de cette réforme.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable. Nous avons déjà eu ce débat.

Mme Stella Dupont (RE). J’espère que nous continuerons à avancer sur ce point car il faut répondre à tous les enjeux de cette réforme exigeante, car elle demande des efforts aux Français. Mais elle doit aussi être responsable, car il faut financer durablement notre régime de retraite. Il faut, pour ce faire, des outils permettant le maintien dans l’emploi des seniors.

M. Paul Vannier (LFI - NUPES). Je salue la lucidité de cet amendement. Il est dû peut-être aux 15 000 manifestants qui défilaient aujourd’hui dans les rues d’Angers, que je salue et que j’invite à rééditer cette mobilisation le 7 février prochain.

Lucide, cet amendement l’est pour trois raisons. Tout d’abord, pour la première fois dans les rangs de la majorité, il reconnaît que le recul de l’âge légal de la retraite à 64 ans aggravera le chômage des seniors. Ensuite, il montre le fond du problème : les exonérations de cotisations sociales, qui expliquent le déficit conjoncturel de nos régimes de retraite et auxquelles il faut mettre fin pour rétablir l’équilibre. Enfin, il dit que l’index des seniors, tel qu’il est proposé, est un écran de fumée, un gadget sans utilité s’il n’est assorti de sanctions.

Depuis le pin’s « 1 million d’emplois » de Pierre Gattaz, plus personne ne croit aux promesses du Medef, sinon quelques députés macronistes. Il est temps d’instaurer des sanctions pour obliger les entreprises à embaucher des seniors, dont plus de 40 % ne passent pas directement de l’emploi à la retraite : ils sont au chômage, en maladie ou dans un sas de précarité. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, votre réforme mettra 400 000 personnes de plus en maladie, 200 000 aux minima sociaux et 300 000 au chômage. La situation sera encore plus difficile depuis votre réforme de l’assurance chômage, qui prive les chômeurs de leurs droits. Il faut en finir avec ce sas à précarité, cette réforme qui aggravera la pauvreté des seniors. Cet amendement est modeste, prudent, mais il va dans le bon sens. Nous l’appuyons.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je tiens moi aussi à saluer et soutenir cet amendement, qui donne une occasion de faire en sorte que cet index influence certains gestes publics. Cela ne doit pas nous dissuader pour autant de contester la logique et l’efficacité des exonérations sociales massives, qui nuisent au mode de financement de notre protection sociale et de notre système de retraites. Que l’index soit pris en compte au moment de les accorder serait la moindre des choses.

Comme vous l’indiquez, toutefois, dans l’exposé des motifs, certaines enquêtes estiment discutables les effets de ces mesures abondamment vantées.

M. Jérôme Guedj (SOC). C’est la deuxième fois, en commission des affaires sociales, à l’occasion d’un PLFSS, qu’un amendement venu des bancs du groupe Renaissance appuie notre position d’observateurs de l’ampleur des exonérations de cotisations sociales et de leurs conséquences sur notre protection sociale ainsi que sur le financement de l’économie. Cet amendement met en lumière l’aberration qu’elles constituent pour les salaires situés entre 2,5 et 3,5 Smic.

La précédente occasion, dont je suis l’exégète ravi, était l’amendement au PLFSS de nos collègues Sacha Houlié et Marc Ferracci, proposant de remettre en cause ces exonérations de cotisations sociales. Bien que partageant l’analyse de Pierre Dharréville, qui trouve la mesure timide – on ne revient sur l’exonération que lorsque l’effort pour l’emploi des seniors est inférieur à la moyenne constatée dans la branche – je soutiens cet amendement.

Nous examinerons, après l’article 2, les amendements relatifs à la recherche de financements alternatifs pour équilibrer le régime de retraite sans allonger de deux ans la durée de travail de nos concitoyens. Mais je me félicite déjà que vous ayez, directement ou indirectement, identifié d’énormes manques dans le financement de la branche vieillesse. Ce sont 18 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales pour cette seule branche. Il faudrait examiner une par une ces niches sans exclure, du reste, que certaines puissent avoir leur pertinence. Toujours est-il que nous soutiendrons avec enthousiasme cet amendement.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Le groupe Écologiste - NUPES ne peut que se féliciter qu’au bout de tant d’heures de débat, un amendement du groupe Renaissance propose de rendre l’index des seniors contraignant pour les entreprises. Je note, comme Jérôme Guedj, que cet amendement admet que les exonérations de charges représentent un coût pour la sécurité sociale, sans guère de gain économique.

Certains, notamment sur les bancs de la majorité, objectent que ces dépenses sont compensées. Mais elles le sont par le budget de l’État. Or n’est-ce pas, précisément, au nom de la lutte contre les déficits du budget dans sa globalité que vous voulez faire passer au forceps cette réforme des retraites ? Il faut en finir avec ces exonérations, compensées ou non  là n’est pas le sujet car elles représentent une baisse globale du financement de notre protection sociale ou de nos services publics.

Toutefois, plutôt que de fonder la sanction sur la moyenne de la branche en termes d’emploi des seniors, il conviendrait de proposer un dispositif améliorant la situation branche par branche. En effet, la condition est difficile dans certaines d’entre elles et il ne faudrait pas se contenter d’une moyenne de branche très faible en termes d’emploi et de conditions de travail des seniors.

M. Marc Ferracci (RE). Je remercie Jérôme Guedj d’avoir fait référence à l’amendement que Sacha Houlié et moi avions déposé au PLFSS. Toutefois, celui que nous sommes en train d’examiner est différent. Il pose le constat, que j’assume, que les allégements de charges sur les hauts salaires ont peu d’efficacité en termes de créations d’emplois. Mais il mélange cette question avec celle du maintien dans l’emploi et de l’amélioration des conditions d’emploi des seniors, qui n’a que peu à voir. Le résultat, en plus de compliquer les choses, risque d’être contreproductif.

Les allégements de charges pour les hauts salaires sont critiqués au motif qu’à ces niveaux de rémunération, la productivité des salariés est suffisante et qu’ils sont en mesure de capter ces exonérations sous forme de hausse de salaire. En mélangeant à cela la question de l’index des seniors, on se prive d’une réflexion collective sur la suppression de l’ensemble de ces exonérations, à laquelle je suis favorable. En d’autres termes, on limite les exonérations en fonction d’un critère qui n’est pas économiquement efficace et on génère une grande complexité car, en conséquence du vote de l’amendement de Pierre Dharréville, il sera impossible de quantifier l’indicateur.

Je suis donc favorable à la poursuite de la discussion sur les allégements de charges sur les hauts salaires et, comme nous le faisons depuis hier, sur les bonnes façons d’inciter les entreprises à agir. Mais il n’est pas bon de mêler les deux questions.

M. Thibault Bazin (LR). L’amendement se réfère notamment à l’article L. 241-6-1 du code de la sécurité sociale, qui renvoie à un article L. 241-13 lui-même modifié par une loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Les exonérations de cotisations ont souvent des buts louables – pouvoir d’achat, attractivité et compétitivité, voire incitations à l’embauche. L’amendement vise les personnes qui gagnent entre 2,5 et 3,5 Smic. C’est le niveau auquel, de toute façon, est plafonnée l’exonération. Le message est curieux car la mesure pourrait précisément freiner l’embauche de ceux qui, comme les seniors, peuvent aspirer à de meilleurs revenus en fin de carrière en raison des compétences et de l’expérience acquises. Il faut donc rester prudent pour éviter des effets induits allant à l’encontre de mesures qui ont pu réunir parfois autour de causes communes des forces politiques opposées au sein de l’hémicycle.

Mme Joëlle Mélin (RN). Cet amendement soulève un problème qui touche à la fois à l’esprit des exonérations – il y a de bonnes et de mauvaises niches – et à leur calcul. La Cour des comptes identifie 66 milliards d’euros de niches sociales alors qu’en réalité, avec plus de rigueur dans les comptes et surtout en examinant l’affectation de certaines dépenses à des niches au gré des projets de loi de financement de la sécurité sociale, le total atteindrait 90 milliards d’euros, voire 100 milliards d’euros.

Lorsqu’on explique aux gens qu’ils devront travailler entre 62 et 64 ans faute de financement alors que les calculs font apparaître des deltas de 30 ou 40 milliards d’euros, on peut se poser des questions. Il faut vraiment faire les comptes. Nous en reparlerons à propos de l’article 4. Il ne faut pas que ce soient les personnes de 62 à 64 ans qui paient la mauvaise gestion des caisses de sécurité sociale. Chaque année, les rapports de la Cour des comptes révèlent des approximations, voire des erreurs, qui se chiffrent en dizaines de milliards d’euros.

Mme Stella Dupont (RE). J’entends volontiers que le dispositif mérite d’être encore travaillé. Nous avons du temps pour ce faire. Jean-Hervé Lorenzi rappelait cependant que la création de l’Observatoire des délais de paiement n’a longtemps eu aucun effet sur leur réduction et que les efforts se sont accélérés dès que des sanctions ont été instaurées. Il en est de même pour le bonus-malus appliqué aux contrats courts. L’Assemblée nationale doit marquer son intention de disposer d’un outil contraignant permettant d’accélérer le mouvement à la hauteur de la nécessité et de l’enjeu.

La commission rejette l’amendement.

M. Arthur Delaporte (SOC). Madame la présidente, le décompte des voix est très serré. Nous demandons, en application de l’article 44, alinéas 1 et 2, du Règlement de l’Assemblée nationale, un scrutin sur cet amendement. Ce scrutin est de droit lorsqu’il est demandé par 10 % au moins des membres d’une commission.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je confirme que l’amendement n’a pas été adopté. Le scrutin est effectivement de droit à la condition d’être demandé avant le vote, non après. (Exclamations.)

Amendement AS6565 de M. Philippe Brun.

M. Philippe Brun (SOC). Chers collègues, vous pourrez vous rattraper avec cet amendement qui est dans la même ligne. Le chômage des seniors continue de progresser alors que le chômage général recule. On compte deux points de plus de chômage des seniors en 2020 qu’en 2003. La situation est en outre très inégalitaire : 17 % des ouvriers non qualifiés sont au chômage à 60 ans, et 12 % des ouvriers en général, contre 3 % des cadres. Lutter contre le chômage des seniors n’est donc pas seulement lutter contre une discrimination qui touche des gens plus âgés sur le marché du travail, mais aussi contre une discrimination sociale.

L’amendement étend aux seniors les obligations d’emploi efficaces appliquées dans les entreprises pour les salariés porteurs de handicaps. Du fait des sanctions dont ces obligations sont assorties, la France est aujourd’hui, à l’échelle européenne, un pays au fort niveau d’inclusion professionnelle des personnes porteuses de handicap. L’amendement reprend la lettre de la loi et en étend les obligations aux seniors, avec un objectif de 15 % de salariés de plus de 55 ans dans l’entreprise, des exceptions étant possibles au moyen d’accords de branche. Il s’agit d’une législation qui a fait ses preuves, acceptée et même promue par les entreprises. Nous ouvrons ainsi la voie, dans l’esprit de l’amendement de Stella Dupont, à une législation contraignante sur l’emploi des seniors. Elle apporte une réponse efficace à cette question sociale qui rassemble, je le crois, sur tous les bancs.

Mme la rapporteure générale. Vous demandez que les seniors représentent 15 % de l’effectif de chaque entreprise. Cela ne sera pas possible dans des entreprises dont les thématiques concernent les jeunes, par exemple dans les secteurs du sport ou de l’aéronautique.

Avis défavorable.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Madame la présidente, l’alinéa 2 de l’article 44 du Règlement dispose qu’un vote par scrutin est de droit lorsqu’il est demandé par un dixième au moins des membres d’une commission. Je ne vois pas comment ce scrutin serait refusé. Nous ne mettons pas en doute votre parole sur les résultats du vote. Notre demande a pour objet de mesurer le rapport de force. Les nombreuses personnes qui s’intéressent aux exonérations de cotisations sociales doivent pouvoir savoir où en est le débat parlementaire et comment il a évolué, le cas échéant.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je me répète : il faut demander le scrutin avant que l’amendement ne soit mis aux voix.

M. Jérôme Guedj (SOC). Attention : nous risquons de faire la demande pour tous les autres amendements !

Mme la présidente Fadila Khattabi. C’est votre liberté ! Le débat est déjà tellement ralenti... Sur cet index que vous dites « nul », vous avez déposé un amoncellement d’amendements. J’entends que vous ne remettez pas en cause l’issue du vote. Pour les amendements suivants, vous pouvez demander des scrutins, mais à temps. Dont acte. Franchement, avec ce que je vois ce soir, je finirai par être une députée dépitée ! (Rires.)

M. Marc Ferracci (RE). Le parallèle avec l’obligation d’emploi des personnes en situation de handicap est étonnant. Nous sommes tous convaincus que les entreprises doivent faire des efforts. Un certain nombre de mesures ont été prises lors du précédent quinquennat pour aménager les postes de travail, offrir des éléments d’accompagnement, parfois coûteux, et favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap. Il n’y a toutefois aucune preuve que les seniors aient une productivité inférieure à celle des personnes de 25 ans. Il faut manier cet argument avec précaution, notamment eu égard au signal que l’on envoie.

L’amendement fait référence aux branches alors qu’il y a une grande diversité des entreprises, des métiers et des modèles en leur sein – une diversité accrue par le fait, que nous assumons, de réduire le nombre de branches en les fusionnant. On ne va pas dans le sens de ce qui serait efficace.

S’agissant de l’emploi des seniors, l’enjeu est la formation. Le plan d’investissement dans les compétences des seniors peu qualifiés a eu des effets durant le précédent quinquennat. Quant au compte personnel de formation, il a contrarié cette tendance naturelle à former les salariés les plus qualifiés, puisqu’il concerne à 80 % les ouvriers et les employés.

M. Thomas Ménagé (RN). Madame la présidente, nous sommes trop nombreux dans cette salle. Contrairement à Sébastien Jumel, nous ne pensons pas à nos conditions de travail car la pénibilité qui nous intéresse est celle des travailleurs du bâtiment, des ouvriers, de ceux qui ont des métiers difficiles. Mais plusieurs députés du groupe Rassemblement National qui souhaiteraient s’exprimer n’ont pas accès à un microphone.

Philippe Brun est venu, lui aussi, faire son tour de piste en tant que socialiste pour faire oublier des décennies d’échecs. L’obligation d’emploi pour les travailleurs handicapés ? Parmi les entreprises, 29 % ne la remplissent pas et 31 % n’en accueillent aucun ! Le taux de chômage des personnes en situation de handicap est de 14 % ! Les socialistes ont l’habitude de reprendre ce qui ne fonctionne pas et de continuer vers la faillite. Il faut d’autres solutions. Ce soir, vous venez tourner votre vidéo pour les réseaux sociaux, pour faire oublier que vous avez voté les quarante-trois annuités et que vous êtes responsable de la réforme Touraine. Creusez-vous la tête pour trouver d’autres solutions que des choses qui ne marchent pas !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Monsieur Ménagé, notre commission accueille tout le monde, mais vous ne vous exprimez pas tous en même temps. Comme il y a un intervenant par groupe, vous pouvez vous succéder devant les micros. Les chaises musicales sont autorisées ! Naturellement, vous aurez tout le loisir de prendre la parole dans l’hémicycle à compter du 6 février.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Je remercie la commission de m’accueillir mais c’est bien le moins ! Nombre de citoyens attendent que nous participions aux travaux sur ce texte, avant son examen en séance publique. Il est nécessaire que nous débattions dans de bonnes conditions. Engager ceux qui parlent à rester et ceux qui ne parlent pas à sortir provoquera un grand brouhaha qui fera perdre du temps. Il faudrait une salle plus grande.

Les esprits s’échauffent et c’est normal. Il y a de la colère dans le pays : il y avait 8 700 personnes à Annonay, la ville du ministre du travail, du plein emploi et du retournement de veste, Olivier Dussopt. C’est deux fois plus que le 19 janvier !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Revenez à l’amendement s’il vous plaît ! Nous ne sommes pas dans l’hémicycle.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Ce n’est pas votre présidence que nous remettons en cause. Mais quand plusieurs points se suivent, ils forment une ligne. Refuser de décaler la niche socialiste pour gagner une journée de travail sur ce texte !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous ne sommes pas en Conférence des présidents. Cela a été acté.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Faire une entourloupe sur la motion référendaire pour favoriser le Rassemblement national ! (Vives exclamations.) Tout cela ne vise qu’à nous empêcher de faire notre travail sur ce texte ! Nous réclamons simplement, par égard pour les Français qui nous regardent...

Mme la présidente Fadila Khattabi. Vraiment, c’est honteux, monsieur le député ! Honteux ! Nous faisons une pause pour que les esprits se calment.

La réunion est suspendue entre vingt-deux heures trente-cinq et vingt-deux heures cinquante.

La commission rejette l’amendement AS6565.

Amendements AS3773 de M. Sébastien Peytavie et AS3157 de M. Yannick Monnet (discussion commune).

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Hyperactif pour couvrir de cadeaux les ultra-riches, les privilégiés, les rentiers, le Gouvernement fait valoir son droit à la paresse quand il faut en venir à la protection des plus vulnérables. L’alinéa 14 inclut l’emploi des salariés âgés dans les négociations en entreprise, mais il n’apporte aucun détail supplémentaire. Nous ne savons pas de quels emplois on parle, ni si ces négociations incluront la pénibilité, la formation, la qualité de vie au travail. En fait, nous ne savons rien. Nous avons des négociations floues, elles-mêmes fondées sur des indicateurs flous. Non seulement cet indicateur ne fait rien pour les seniors mais, en l’état actuel, il les met en danger parce qu’il laisse une liberté totale aux entreprises de s’en servir comme faire-valoir, sans aucune amélioration sur le terrain de l’emploi des seniors.

Par l’amendement AS3773, nous proposons de sécuriser le cadre de négociation par une description précise de leur contenu, incluant l’évolution professionnelle, la formation et la qualité de vie au travail.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Notre amendement AS3157 s’inscrit dans la foulée de ceux défendus pour essayer de donner de la consistance à ce dispositif, avec des objectifs chiffrés d’amélioration des conditions d’emploi et d’embauche des salariés de plus de 50 ans. Il est regrettable que l’amendement, somme toute modeste, qui a été adopté plus tôt ait été autant critiqué, notamment par Marc Ferracci. Certes, il présentait un intérêt pour préciser l’index. Mais en faire un argument pour rejeter les autres amendements est abusif. Continuons à conforter le dispositif !

Mme la rapporteure générale. Vous voulez ajouter un critère dans les négociations. Avis défavorable.

Mme Aurélie Trouvé (LFI - NUPES). Tous ces amendements vont dans le bon sens. C’est la partie intégrante d’une politique réelle de lutte contre le chômage des seniors.

Certains nous accusent d’obstruction. En réalité, nos amendements ont pour but non seulement de contrer ce qui nous semble le plus ignoble mais aussi de dessiner un contre-projet. L’emploi des seniors est décisif. Je ne cite pas que des ultragauchistes puisque mon collègue économiste Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, indique que ramener dans l’emploi 825 000 seniors suffirait à sauver le système en apportant 13 milliards d’euros. Selon lui, ce qui importe avant toute réforme des retraites, c’est une politique de plein emploi des seniors. Or, votre réforme aggravera le chômage des seniors : vous ne parviendrez pas à employer les 600 000 personnes devant travailler deux ans de plus. Aujourd’hui, une personne sur trois n’est pas en emploi à son départ en retraite, mais en invalidité, au chômage ou en inactivité. Votre réforme fera empirer cette situation.

M. Arthur Delaporte (SOC). Avec ces amendements, nous cherchons un moyen concret d’améliorer l’emploi des seniors. Monsieur Ferracci, certains seniors choisissent le chômage plutôt que l’emploi parce que les métiers sont durs, que l’entreprise n’est pas accueillante. En réalité, ils n’ont pas le choix : c’est la dureté du travail qui fait qu’ils ne peuvent plus le subir, surtout lorsque les corps sont usés. Nous voulons donc réintroduire dans l’index des seniors des critères comme les perspectives d’évolution professionnelle, les opportunités de formation, la qualité de vie au travail, les conditions de travail, l’emploi et le maintien en emploi des seniors. Bref, on rend le travail vivable pour rendre la vie durable. J’espère que vous soutiendrez ces amendements qui vont dans le bon sens : ils aideront à l’insertion et à l’emploi des seniors, des objectifs que nous partageons.

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). Que ne suivez-vous nos collègues de la commission de la défense, qui sont allés directement à l’article 7 pour le supprimer ! Cela ne signifie pas que l’on ne parlera pas de la pénibilité, des retraités, des gens qui sont allés dans la rue hier, et ce soir, et qui y retourneront. Prenez vos responsabilités en tant que législateurs ! Ce soir, vous donnez quitus à la Macronie !

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements AS1401 de M. Stéphane Viry et AS783 de M. Dino Cinieri.

M. Stéphane Viry (LR). Mon amendement, qui a déjà fait l’objet d’un consensus et qui a ramené un peu de sérénité dans nos débats, vise à changer la terminologie du projet de loi pour respecter les travailleurs expérimentés. Il s’agit de substituer aux mots « salariés âgés » le terme moins péjoratif de « seniors ».

M. Dino Cinieri (LR). L’expression « salariés âgés » est trop imprécise. Il convient de parler plutôt de « salariés âgés de plus de 50 ans ».

Mme la rapporteure générale. Je suis favorable au premier amendement, défavorable au second.

M. Arthur Delaporte (SOC). Le sujet a déjà été abordé vingt-cinq fois. C’est un gag ! Je comprends que nos collègues de droite ne souhaitent pas parler du fond. Nous sommes dans une autre logique : nous parlons toujours du fond et de la manière d’améliorer les articles. J’aimerais que cela soit reconnu et noté dans le compte rendu.

M. Sébastien Chenu (RN). Je salue l’apport considérable au débat du groupe Les Républicains. Nous avions déjà eu l’exemple du remplacement de « socialistes » par « macronistes ». Quand on change les termes, on ne change pas toujours le fond !

L’âge est la première cause de discrimination à l’emploi. La réponse se trouve dans la formation, en particulier dans les bilans d’employabilité des seniors, dont il faut repenser le financement. Certaines contraintes sont contreproductives. Ces amendements, qui ont un intérêt tout relatif dans le débat, ne répondront pas à la problématique de l’employabilité. Nous ne les voterons pas.

M. Stéphane Viry (LR). Les Républicains cherchent à être force de proposition sur un projet de loi insuffisant et perfectible, qui n’est pas le nôtre. Nous nous efforçons en commission de faire valoir des idées. Nous déplorons, comme vous, que la quasi-totalité de nos amendements aient été considérés irrecevables.

L’amendement AS1401 n’est que la reprise, par cohérence, d’autres amendements. Nous ne cherchons ni à faire du bruit ni à mettre du désordre dans la commission, mais à faire valoir des propositions. Ce qui nous préoccupe, c’est le système des retraites et les retraités, non la polémique.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). L’amendement de Dino Cinieri a l’avantage d’être plus précis puisqu’il propose un âge précis. Nous voterons toutefois les deux amendements, qui peuvent obtenir une majorité.

L’index ne définit ni ce qu’est un salarié âgé, ni un senior. Tout reste beaucoup trop flou. Même si on n’embauche pas assez de seniors, il n’y a pas de pénalité : c’est la violation de l’obligation de publication qui est le seul motif de pénalité.

La commission adopte l’amendement AS1401.

Puis elle rejette l’amendement AS783.

Amendement AS4836 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR). Amendement de précision pour ajouter « les actions de formation qui leur sont destinées, l’organisation de la suite de leur carrière, la transmission de leurs compétences ».

Mme la rapporteure générale. L’amendement modifie le contenu de la négociation. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS7157 de Mme Astrid Panosyan-Bouvet.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Il s’agit de faire de l’emploi des seniors et de l’amélioration de leurs conditions de travail un sujet de dialogue social dans les négociations annuelles obligatoires (NAO) que mènent toutes les entreprises ayant au moins un représentant syndical, soit en général les entreprises de plus de cinquante salariés, comme pour l’égalité professionnelle. Le dialogue social sur le travail des seniors dans l’entreprise ne saurait se limiter aux entreprises de plus de trois cents salariés.

Mme la présidente Fadila Khattabi. J’ai reçu d’un dixième des membres de la commission une demande de scrutin sur cet amendement.

M. Arthur Delaporte (SOC). Dans un souci d’apaisement et pour le bon déroulement de nos travaux, nous retirons la demande.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous en remercie.

Mme la rapporteure générale. Vos propos et votre exposé des motifs ne correspondent pas au dispositif de l’amendement, qui ajoute une obligation après les négociations. Je vous suggère de le retravailler pour la séance publique.

M. Thibault Bazin (LR). En outre, le plan d’action dont il est question devrait découler des résultats du dialogue social. L’amendement le décrit de manière trop précise. Le dispositif d’ensemble n’est pas clair. Vous l’imposez aux entreprises de plus de mille salariés à une date précise, puis aux entreprises de plus de trois cents salariés. Il n’est pas opportun de l’élargir encore aux entreprises de plus de cinquante salariés, dans lesquelles la part de seniors est plus limitée. Il serait effectivement préférable de retirer l’amendement.

Mme Cyrielle Chatelain (Ecolo - NUPES). L’amendement va dans la logique de l’index des seniors, présenté comme un pas contre les discriminations à l’encontre des salariés âgés qui prévalent dans de nombreuses entreprises. Il a été question d’un changement de culture pour respecter les compétences des plus anciens et les reconnaître, dans leurs objectifs de formation comme dans leur niveau de rémunération.

Si l’objectif de l’index est vraiment de lutter contre les discriminations liées à l’âge, intégrer cette question dans les négociations est une bonne chose. La rapporteure générale devrait donner un avis favorable. Il est dommage que vous rejetiez tout ce qui peut renforcer l’index et obtenir des résultats concrets.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Dans un souci d’apaisement et d’accélération de nos débats, nous voterons cet amendement. D’abord, parce que la négociation se diffuse dans les branches et les secteurs : l’organiser de manière plus large, c’est étendre les bonnes pratiques ou les expériences de négociation d’une entreprise à l’autre. Ensuite, parce que l’emploi des seniors est concentré dans les grandes entreprises : des plans élargis à un nombre accru d’entre elles sont une condition essentielle pour améliorer leur accès à l’emploi.

M. Arthur Delaporte (SOC). L’amendement d’Astrid Panosyan-Bouvet est cosigné par plusieurs collègues de la majorité – Prisca Thevenot, Monique Iborra, Éric Alauzet... J’espère que l’ensemble de la majorité sera sensible aux arguments avancés. Il s’agit d’étendre le champ des NAO, qui concernent les entreprises de plus de trois cents salariés, et de faire en sorte que toutes les entreprises, pas seulement les plus grosses, portent une attention particulière à l’emploi des seniors.

Chère collègue, je vous remercie d’apporter de l’eau à notre moulin, que nous faisons tourner depuis le début et qui va dans le sens d’une extension du périmètre de cet article.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). L’amendement d’Astrid Panosyan-Bouvet rejoint un des nôtres qui a été rejeté. J’espère qu’il connaîtra un meilleur sort. Il s’agit d’élargir le nombre de ceux qui pourraient être concernés par les discussions entre les parties prenantes, dont les organisations syndicales, pour faire en sorte qu’un regard particulier soit porté sur cet enjeu, y compris dans les entreprises de moins de trois cents salariés. Nous espérons que l’adoption de cet amendement ne déplaira pas trop à notre collègue Marc Ferracci, contrairement à celui que je portais dernièrement.

M. Philippe Vigier (Dem). Le groupe Démocrate soutient cet amendement qui correspond à notre position exprimée à plusieurs reprises. D’une part, on ne peut exiger des entreprises de plus de trois cents salariés un effort en faveur de l’emploi des seniors et en exempter les autres. D’autre part, on ne peut pas se contenter d’un index. L’amendement impose à juste titre à l’employeur d’établir un plan d’action annuel destiné à favoriser l’emploi des salariés âgés. Il convient en outre d’évaluer les résultats obtenus, ce à quoi pourvoient les amendements adoptés en commission des finances visant à instituer un bilan annuel.

M. Marc Ferracci (RE). À l’instar de la rapporteure générale, il me semble nécessaire de retravailler l’amendement pour des raisons rédactionnelles. D’une part, alors qu’il concerne les négociations annuelles obligatoires, l’amendement modifie l’article L. 2242-1 du code du travail consacré aux négociations quadriennales. D’autre part, le thème de l’emploi des salariés âgés est inséré dans le dernier alinéa du même article relatif à la négociation sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes. Cela dit, nous sommes tous convaincus du rôle de la négociation collective pour améliorer l’emploi des seniors. C’est d’ailleurs la philosophie du projet de loi.

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). Le groupe Rassemblement National votera en faveur de l’amendement, qui donne les moyens de jauger les efforts déployés par les entreprises en faveur de l’emploi des seniors. Enfin, nous entrons dans le concret.

Mme la rapporteure générale. Pour que vous soyez parfaitement éclairés avant de voter, sachez que le dispositif de l’amendement instaure l’obligation, lorsqu’il n’y a pas d’accord relatif à l’emploi des seniors, d’établir un plan d’action. Ce n’est pas exactement ce qui a été expliqué ni ce qu’indique l’exposé sommaire.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Mon objectif est d’assurer une cohérence entre les seuils retenus pour les index – égalité professionnelle et seniors – et pour le dialogue social – le seuil est de cinquante salariés pour l’égalité professionnelle et de trois cents pour les seniors. Ce sont des sujets dont on doit parler chaque année au sein de l’entreprise, dans l’optique d’établir un plan d’action. Chaque entreprise est comptable des progrès accomplis et plus à même de prendre les mesures correctives qui s’imposent.

Jean-Hervé Lorenzi, encore lui, a souligné l’impact considérable de l’emploi des seniors sur l’équilibre des régimes sociaux. Au-delà des considérations économiques et sociales, l’emploi des seniors est aussi un projet de société qui doit permettre à chacun de trouver sa place à chaque étape de sa vie. Les négociations annuelles obligatoires sont le bon outil pour atteindre cet objectif. Je maintiens l’amendement et je discuterai avec mes collègues d’éventuelles modifications.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS3160 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon (GDR - NUPES). Dans un souci de coconstruction et de clarification, l’amendement soumet à la négociation, et non à la concertation, avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs le décret de mise en œuvre de l’index.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous sommes un peu frustrés par la réponse lapidaire de la rapporteure générale. Le débat a déjà eu lieu lors de l’examen des amendements sur le contenu de l’index. La rapporteure générale nous avait opposé que les indicateurs devaient faire l’objet d’un accord de branche.

Nous considérons que le décret prévu pour l’application de l’index devrait donner lieu à une négociation interprofessionnelle au terme de laquelle serait posé un cadre pour les indicateurs, lesquels seraient ensuite déclinés dans les accords de branche. Ceux qui sont attachés au paritarisme seront sensibles à cet amendement qui permet de concilier démocratie sociale et démocratie politique.

Mme Cyrielle Chatelain (Ecolo - NUPES). Nous ne devrions pas avoir à l’inscrire dans la loi, tant l’association des organisations syndicales à tout projet touchant aux retraites est une évidence. Malheureusement, si des discussions ont bien eu lieu, le Gouvernement, en dépit de ses efforts pour y mettre les formes, n’en a tenu aucun compte. Les organisations syndicales sont aujourd’hui unies pour vous demander de les écouter.

Certes, l’index des seniors n’apportera pas grand-chose. Mais s’il faut à chaque article rappeler que le paritarisme est au cœur de notre système de protection sociale et que les syndicats doivent être partie prenante à chacune des mesures envisagées, nous le ferons. C’est la raison pour laquelle nous soutenons l’amendement.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Il s’agit d’un amendement de bon sens pour trois raisons. D’abord, il permet d’améliorer les indicateurs en s’inspirant du terrain. Ensuite, il garantit le paritarisme, en butte à de vives attaques. Enfin, les syndicats sont capables en deux journées d’action de faire descendre dans la rue plus de personnes qu’il n’y a d’électeurs de Renaissance aux élections législatives, ce qui témoigne de leur place et de leur influence parmi les forces vives de la nation.

M. Philippe Vigier (Dem). J’ai déjà souligné le rôle majeur des partenaires sociaux pour améliorer l’emploi des seniors. L’élaboration de l’index ne peut en aucun cas reposer uniquement sur le Gouvernement et le Parlement. Elle doit associer les partenaires sociaux. Le groupe Démocrate a pour principe de leur faire confiance. Si au terme d’un délai qui reste à fixer, leur mission s’avérait impossible, l’État pourrait reprendre la main comme il l’a fait pour l’assurance chômage.

Ce serait une erreur d’écarter les partenaires sociaux de l’élaboration de l’index. Je suis attaché, comme la rapporteure générale, au paritarisme. Il ne faut pas avoir peur du débat.

Mme la rapporteure générale. Depuis vingt-quatre heures, je répète à ceux qui veulent inscrire dans le texte les indicateurs que nous faisons justement confiance aux branches pour les définir. L’alinéa 16 dispose : « Le Gouvernement engage, dès la publication de la présente loi, une concertation avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’adoption du décret mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 5121‑7 du code du travail ».

La seule chose que l’amendement ajoute à l’objet de la concertation, c’est la définition d’objectifs chiffrés. Nous en avons longuement parlé hier et c’est pourquoi je n’ai pas argumenté tout à l’heure : nous y sommes défavorables, justement parce que nous voulons préserver la liberté du dialogue social.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Nous tenons à adjoindre des chiffres aux objectifs pour éviter les déclarations de principes vagues. Mais il y a une autre différence dans cet amendement : nous remplaçons la concertation par la négociation. Vous vouez un véritable culte à la première, qui tend à faire disparaître la seconde. Pourtant elle n’est qu’un faux-semblant dont on ne peut pas se satisfaire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS7247 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR). L’amendement vise à élargir aux organisations multi‑professionnelles la concertation prévue sur le décret. Ces dernières ont un rôle à jouer. Elles peuvent porter la voix des entreprises qui ne sont pas représentées par les organisations syndicales aux niveaux national et interprofessionnel, qui sont les seuls mentionnés.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS3159 de M. Yannick Monnet.

M. Jean-Victor Castor (GDR - NUPES). Il s’agit d’un amendement rédactionnel tendant à étendre la concertation à tous les décrets prévus pour l’application de l’article 2.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Amendements identiques AS870 de M. Joël Aviragnet et AS6204 de M. Sébastien Peytavie, amendement AS7267 de M. Sébastien Peytavie (discussion commune).

M. Arthur Delaporte (SOC). L’amendement AS870 a pour objet d’accélérer l’entrée en vigueur de l’index des seniors. Le 1er juillet 2024, c’est loin, d’autant que les effets de la réforme des retraites se feront sentir bien plus tôt.

Vous prétendez que l’objectif de la réforme est de favoriser l’emploi des seniors. Si vous considérez que l’index des seniors en est le principal outil, ce que nous contestons, soyez cohérents et anticipez son entrée en vigueur. Sinon, votre réforme pèsera lourdement sur les seniors sans les contreparties annoncées.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’amendement AS6204 avance au 1er novembre 2023 la publication de l’index pour les mêmes raisons.

L’amendement AS7267 est défendu.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable. Il faut laisser le temps aux entreprises de s’adapter.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Lorsque nous les avons reçus, les syndicats ont expliqué qu’avant de dire de travailler plus longtemps, la loi devrait aider à travailler mieux. Ce qu’un autre syndicaliste a résumé dans une formule plus brutale : « ce sont ceux qui nous virent à 60 ans qui veulent qu’on travaille jusqu’à 64 ans ».

Quatre salariés sur dix passent par un sas de précarité ou une période d’inaptitude entre l’emploi et la retraite. Vous qui aimez les comparaisons internationales, 43 % des salariés en France ont un emploi qui implique le déplacement de charges lourdes contre moins de 30 % aux Pays-Bas et 35 % en moyenne en Europe. S’agissant des positions douloureuses ou fatigantes, la proportion est de 57 %, contre 43 % en Allemagne et 50 % en moyenne en Europe. Voilà ce qui devrait nous occuper : comment diminuer le nombre de salariés qui subissent trois facteurs de pénibilité ? Leur part est passée de 12 % au milieu des années 1980 à 34 % ! Mais il n’y a rien dans le projet de loi, si ce n’est un petit index renseignant sur le nombre de seniors. C’est se moquer du monde !

Pour que le travail soit valorisé, ce que je souhaite, il ne doit pas être une souffrance que les salariés sont pressés de voir cesser ! Par ailleurs, les salaires doivent être augmentés : 45 % des Français considèrent qu’ils sont bien payés contre 68 % des Allemands et 58 % des Européens.

Voilà les questions ardentes que nous devrions poser si nous voulons que les Français soient satisfaits de leur travail. Vous refusez de les mettre sur la table. Après deux jours de débat, ni la pénibilité, ni les salaires, ni les horaires n’ont été abordés.

M. Arthur Delaporte (SOC). Comment une réforme des retraites qui aura des conséquences sur la vie de millions de Français peut-elle entrer en vigueur dans six mois tandis que l’index des seniors ne le pourrait pas ? Je suis abasourdi. C’est pourtant la seule mesure utile d’une réforme dont nous contestons tous les autres volets.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). On voit bien que vous faites deux poids, deux mesures. La réforme doit s’appliquer dès le 1er juillet – vous auriez même voulu que ce soit avant si cela avait été possible. Mais vous renvoyez la création de l’index à l’année prochaine. En dépit de nos critiques concernant cet index et du peu de foi que nous lui accordons, le symbole est éloquent. Cette réforme pèsera exclusivement sur les salariés.

Adopter l’un de ces amendements ne coûterait pourtant pas grand-chose. Cela ne changerait pas grand-chose non plus au fond du projet, mais c’est une autre histoire.

M. Thibault Bazin (LR). L’alinéa 17 précise le calendrier d’application de l’article. Les questions posées par François Ruffin sont intéressantes. Mais elles seront traitées dans d’autres articles.

Sont prévus un temps de « concertation avec les organisations syndicales », la conclusion éventuelle de conventions ou d’accords de branche et la rédaction de plusieurs décrets. Nous sommes dans le cadre d’une procédure accélérée : le PLFRSS doit être adopté dans les cinquante jours suivant la date de son dépôt. Ceci nous amène, dans le meilleur des mondes, à la mi-mars. Même en l’absence de concertation, le droit ne serait pas stabilisé avant le mois de mai, le temps que les décrets soient rédigés. Si nous demandions aux entreprises de produire un document sans que les règles aient été définies au préalable, le résultat ne serait pas crédible. Il est vrai que ce ne serait pas la première fois... Quoi qu’il en soit, les acteurs ont besoin de visibilité. Nous devons aussi laisser le temps au dialogue social de se dérouler – en sachant que les deux mois d’été ne sont pas propices à ces échanges – et tenir compte des délais nécessaires à la mise en œuvre du texte. Pour ces raisons, la publication de l’index doit être décalée. À cela s’ajoute l’acceptabilité sociale de la réforme. Celle-ci est censée s’appliquer dès le 1er septembre. Or, il ne faut pas brutaliser les personnes ayant déjà programmé leur départ à la retraite dans le courant du dernier trimestre.

Qui plus est, il y a un manque de cohérence dans les dates d’entrée en vigueur des dispositifs : pour certains c’est le 1er janvier 2024, pour d’autres le 1er juillet 2024 ou encore le 1er septembre 2023. Nous souhaitions décaler certaines mesures au 1er janvier 2024… Les amendements ont été déclarés irrecevables.

Mme Cyrielle Chatelain (Ecolo - NUPES). Il est possible de publier l’index des seniors dès le 1er novembre. Hier, il a fallu moins d’une minute à mes collègues pour trouver en ligne le bilan social de grandes entreprises. Ces données sont déjà disponibles. Un an et demi pour réussir à les publier, c’est long.

Par ailleurs, vous faites tout à l’envers. À la rigueur, nous aurions compris que vous proposiez en début de quinquennat un grand texte consacré à l’emploi, notamment celui des seniors, comprenant des mesures fortes d’attractivité, et que vous vous attaquiez dans un second temps à l’assurance chômage et aux retraites. Nous nous y serions tout autant opposés mais cela aurait eu du sens. En réalité, le fait que vous fassiez les choses dans cet ordre montre que votre seul objectif est de détruire notre modèle social, et non de le sauver.

M. Sylvain Maillard (RE). Notre objectif n’est pas de détruire le modèle social. Il est de créer massivement de l’emploi. Les résultats des dernières années prouvent que la politique que nous suivons est efficace.

Si le Parlement adopte le texte, la loi sera promulguée cet été. Ensuite, il faut laisser aux partenaires sociaux le temps du dialogue social. L’objectif est de faire en sorte que l’index soit publié dans toutes les entreprises concernées au bout d’un an. Cela semble raisonnable et même volontariste. Une publication dès le 1er novembre serait impossible.

M. Paul Christophe (HOR). Je suis surpris que certains en soient encore à considérer, après deux jours de débats, que cet indicateur serait une simple donnée statistique disponible sur internet... Je pensais que tout le monde avait compris qu’il s’agissait aussi de récapituler les actions en faveur de l’emploi des seniors au sein de l’entreprise – ce qui est clairement inscrit dans l’article.

En ce qui concerne le calendrier, vous demandiez hier que nous consultions quarante-neuf instances : on imagine le temps que cela aurait pris... Vous le saviez d’ailleurs, même si aujourd’hui, vous demandez au contraire une accélération de la publication.

Créer l’index prendra du temps car les indicateurs doivent être construits à travers le dialogue social. Compte tenu des derniers échanges, je ne suis pas sûr que les délais puissent être raccourcis. Pour ces raisons, il semble raisonnable de conserver le texte en l’état.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS4725 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR). Cet amendement s’inscrit dans une série de propositions visant à rendre la réforme plus acceptable, étant entendu que nous ne pouvons repousser son application au-delà du 1er janvier 2024 car nous devons rester dans le cadre de l’exercice en cours. Il faut toutefois faire en sorte que la réforme affecte le moins possible les personnes qui avaient prévu de partir en retraite cette année, et qu’elle ne bouleverse pas le programme annuel de réunions avec les partenaires sociaux que les entreprises ont établi. Compte tenu des délais, des décrets prévus et de la concertation qui doit être menée, il me semble nécessaire de reporter, ne serait-ce que d’un mois, la date d’entrée en vigueur de la disposition pour les entreprises de plus de mille salariés.

Mme la rapporteure générale. Une entrée en vigueur le 1er novembre me paraît possible pour les entreprises de plus de mille salariés. Avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Ecolo - NUPES). Les propos de Sylvain Maillard sont révélateurs. Demander aux entreprises de publier un index en moins d’un an et demi, c’est les brutaliser. Demander à des personnes qui avaient prévu de partir en retraite en septembre de décaler leur départ, c’est de la justice sociale. Nous n’avons clairement pas les mêmes conceptions.

Dans sa sagesse, la commission de la défense, à qui était soumis pour avis l’article 7 qui reporte l’âge légal de départ de deux ans, a émis un avis défavorable. Cela montre que vous n’avez la majorité ni dans le pays, ni dans cette commission pour faire avancer ces propositions néfastes pour nos concitoyens.

M. Arthur Delaporte (SOC). Thibault Bazin a le mérite de la cohérence : il disait qu’une entrée en vigueur de l’index pour tout le monde dès le mois de novembre lui semblait prématurée. Son amendement a pour objet de reporter l’obligation au 1er décembre pour les entreprises de plus de mille salariés. Nous défendons la logique inverse : l’entrée en vigueur de cette disposition susceptible de profiter aux salariés ne doit pas être remise à plus tard, encore moins pour les plus grosses entreprises.

La réforme vise avant tout les salariés. Ce double standard est insupportable. Je comprends qu’il y ait eu mille personnes dans la rue aujourd’hui à Vire, ce qui est tout à fait inédit. Les gens ne comprennent pas que l’on demande toujours plus à ceux qui ont moins.

Mme Laure Lavalette (RN). Je retiens la lucidité, en l’espèce, de ma collègue de la NUPES, qui a observé que la commission de la défense avait rejeté l’article 7. Toutefois, si le Parlement ne s’est pas prononcé avant la fin des cinquante jours sur l’ensemble du texte, la réforme passera. Le 1er septembre, vous devrez expliquer aux Français que l’âge légal de départ à la retraite est désormais de 64 ans. Chers collègues de la NUPES, cette réforme sera votre tombeau politique. Vous l’aurez voulu d’abord en votant Macron, ensuite en faisant de l’obstruction. L’histoire retiendra cette réforme sous le nom de « loi Macron-Mélenchon ». Les Français vous diront ce qu’ils en pensent en 2027, et peut-être même avant.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Il faut avoir conscience de ce que la réforme implique. Il y a des salariés qui ont déjà organisé leur pot de départ. D’autres, prévoyant d’aller vivre à la campagne, ont déjà vendu leur logement. Toutes ces personnes vont devoir travailler plusieurs mois de plus.

Madame Lavalette, nous nous battons contre ce projet de réforme des retraites. Pour cela, nous utilisons tous les moyens à notre disposition.

Mme Laure Lavalette (RN). L’obstruction n’est pas un moyen !

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Nous essayons de repousser le plus possible l’examen du projet de loi. Par ailleurs, vous devez comprendre que notre pays s’est construit ainsi...

Mme Laure Lavalette (RN). En 1789 ?

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). En 1789, en 1848, mais aussi en 1944, quand nous avons chassé les nazis du pouvoir par une insurrection. Notre pays s’est construit à travers les mobilisations sociales. Lorsque le contrat première embauche a été adopté, la mobilisation a été si forte qu’il a finalement été retiré. Il est possible de mettre suffisamment de pression sur Emmanuel Macron pour qu’il retire le texte.

M. Thibault Bazin (LR). Il y a méprise sur le sens de mon amendement : comme depuis le début, j’essaie de faire en sorte que le texte n’affecte pas les personnes nées en 1961. Hélas, les amendements visant à reporter la disposition à l’année 2024 ne sont pas recevables. C’est la raison pour laquelle celui-ci a pour objet de reporter la publication de l’index à la fin de l’année 2023. En outre, il faudra un certain temps pour organiser le dialogue social et rédiger les décrets précisant les modalités d’application.

Quoi qu’il en soit, j’ai entendu les remarques qui m’ont été adressées. Je retire mon amendement. Cela permettra d’accélérer les débats.

L’amendement est retiré.

Amendements AS7245 de Mme Astrid Panosyan-Bouvet et AS6002 de M. Sébastien Peytavie (discussion commune).

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Je retire mon amendement.

L’amendement AS7245 est retiré.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’amendement AS6002 est défendu.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement AS6002.

Amendement AS6041 de M. Sébastien Peytavie.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’amendement est défendu.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS3808 de M. Sébastien Peytavie.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’amendement est défendu.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS3807 de M. Sébastien Peytavie.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’amendement est défendu.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS3809 de M. Sébastien Peytavie.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’amendement est défendu.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS3810 de M. Sébastien Peytavie.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’amendement est défendu.

Suivant l’avis de la rapporteure générale, la commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

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Au cours de ses réunions du mercredi 1er février 2023, la commission poursuit l’examen le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 760) (Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale).

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 9 heures 30 (après l’article 2)

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12825343_63da2111edd43.commission-des-affaires-sociales--projet-de-loi-de-financement-rectificative-de-la-securite-sociale-1-fevrier-2023

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. Nous avons examiné 360 amendements ; 5 143 amendements restent en discussion... Les débats en commission s’achevant ce soir, il est évident que nous ne les examinerons pas tous.

Après l’article 2 (suite)

Amendements identiques AS3358 de Mme Rachel Keke, AS3359 de Mme Mathilde Panot et AS3360 de M. François Ruffin.

M. Jean-François Coulomme (LFI - NUPES). Hier, nous avons passé en revue les moyens de promouvoir le travail des seniors. Il demeure difficilement concevable qu’obliger les gens à travailler crée de la richesse. Il y a quelque chose de complètement aberrant à penser que, en matière de travail, l’offre crée la demande. Si nous n’augmentons pas les salaires et le Smic, la demande ne sera pas là pour justifier les emplois que vous voulez créer à toute force.

J’en viens à notre amendement AS3358. Nous voulons faire contribuer les plus riches à l’effort permettant d’équilibrer nos régimes de retraite. L’abandon de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ne profite qu’à une poignée de nos compatriotes, alors même que des besoins énormes se font sentir pour financer les retraites. Nous proposons de le rétablir. Il s’agit d’une mesure de salubrité publique, qui n’a toujours pas été prise en dépit de nos demandes formulées lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023.

Le rétablissement de l’ISF permettrait largement de compenser les déficits que vous anticipez dans quelques années, chers collègues de la majorité. Comme vous pouvez le constater, nous aussi nous anticipons !

Nos amendements visent à rétablir un impôt juste. La vocation de l’impôt est de procéder à une répartition plus juste des richesses. Si l’on suit votre logique, autant supprimer tous les impôts ! Nous voulons que chacun contribue à la hauteur de ses moyens pour que tout le monde en profite selon ses besoins.

Mme Mathilde Hignet (LFI - NUPES). 500 milliards. Vous savez ce que c’est ? C’est ce que pèsent les dix plus grosses fortunes de France. Cela donne le vertige ! Cette somme est si énorme qu’on a du mal à se la représenter. Les actionnaires ont également de quoi se réjouir : en 2021, le montant des dividendes s’élevait à 259 milliards d’euros ! Les riches continuent à s’enrichir, et cette richesse est bien loin de ruisseler jusqu’aux travailleurs et aux travailleuses.

D’autres chiffres font moins rêver : 885 euros, soit le revenu avec lequel la moitié des pauvres vivent, ou plutôt survivent ; 11 millions, soit le nombre de personnes pauvres en France, dont plus de la moitié sont des femmes. Deux poids deux mesures ! À qui le Gouvernement demande-t-il de faire des efforts en travaillant plus longtemps ? Aux travailleurs et aux travailleuses, alors même que les plus riches paient deux à trois fois moins d’impôts que les 10 % les plus pauvres ! Notre amendement AS3359 vise donc à rétablir l’ISF.

Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI - NUPES). D’après le dernier rapport d’Oxfam, en dix ans, les milliardaires ont multiplié leur fortune par deux. Il suffirait de taxer la fortune des milliardaires français à hauteur de 2 % pour financer les 12 milliards de déficit hypothétique sur lequel le Gouvernement voudrait nous faire pleurer, et surtout pour lequel nous devrions sacrifier collectivement deux ans de nos vies. Par l’amendement AS3360, nous proposons une mesure alternative de justice sociale, totalement indolore pour l’immense majorité de la population : le rétablissement de l’ISF, dont le retrait nous coûte au bas mot 4 milliards d’euros par an, sans aucune contrepartie positive pour les gens en matière d’emploi et d’investissement.

Souvenez-vous : en mars 2022, Oxfam et Greenpeace ont publié un rapport démontrant que le patrimoine financier des soixante-trois milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre (GES) que celui de 50 % de la population française. Les dispositions que nous proposons prévoient donc une majoration pour les contribuables dont le patrimoine est le plus polluant.

Chacun l’a compris : derrière le projet de loi, il y a l’incitation à la retraite par capitalisation. Or les fonds de pension investissent massivement leurs actifs dans les industries les plus polluantes, notamment la pétrochimie. À l’heure où chaque rapport scientifique est plus alarmant que le précédent s’agissant du dérèglement climatique et de ses effets, ce projet de loi, qui consiste à nous faire travailler plus pour produire plus, toujours plus longtemps, s’inscrit dans une logique productiviste et extractiviste, à rebours des enjeux d’aujourd’hui.

C’est bien nous qui allons dans le sens de l’histoire, en réclamant la diminution du temps de travail et le retour à la retraite à 60 ans avec quarante annuités de cotisation. Cela va non seulement dans le sens du progrès social, mais entraîne aussi mécaniquement, la preuve en est scientifiquement établie, une réduction des émissions de GES et de notre empreinte carbone.

Le projet de loi est rétrograde et dangereux. Les 2,8 millions de personnes qui ont envahi les rues hier l’ont bien compris. Nous proposons de rendre l’ISF aux Français, dans un dispositif renforcé tenant compte de l’impact écologique des patrimoines.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Nous avons débattu du rétablissement de l’ISF lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023. Je rappelle que nous ne l’avons pas supprimé, mais transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI), en 2018.

Chers collègues du groupe La France insoumise, vous voulez une nouvelle fois créer une nouvelle fiscalité sur le capital. Je vous invite à lire le troisième rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, piloté par France Stratégie, selon lequel la France est l’un des pays où la fiscalité du capital est la plus forte. Je rappelle aussi que nous observons, depuis la réforme de l’ISF, une diminution du nombre d’expatriations et une hausse du nombre de retours en France, ce qui accroît les recettes fiscales.

Avis défavorable.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). La France est peut-être l’un des pays où la taxation du capital est la plus lourde, mais elle aussi l’un des pays où les inégalités de patrimoines financiers et non financiers explosent, notamment depuis qu’Emmanuel Macron a été élu. D’après un calcul réalisé notamment par Oxfam, le taux d’imposition des 0,01 % les plus riches est de 2 %. Dans quel pays se revendiquant des droits humains et de l’égalité, gravée au fronton de ses bâtiments publics, accepte-t-on un taux d’imposition des 0,01 % des plus riches à 2 % ? Aucun !

Ce que vous faites, chers collègues de la majorité, consiste à faire exploser les inégalités pour que notre pays ressemble aux États-Unis. Or nous avons un modèle social qui est très différent de celui des États-Unis et nous en sommes fiers. Nous essayons de le sauver.

Je rappelle qu vous avez réduit de cinq euros le montant de l’aide personnalisée au logement des plus fragiles, diminué leurs allocations chômage et fait travailler les personnes au revenu de solidarité active. Cette espèce de guerre larvée contre les pauvres finira par se retourner contre vous, par exemple, je l’espère, à l’occasion de la présente réforme des retraites.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Hier, nous avons débattu de l’index seniors, qui sert exclusivement à décorer le texte. Malheureusement, vous n’avez pas souhaité qu’on l’enrichisse pour donner malgré vous un sens et une portée à ce que vous avez inventé, chers collègues de la majorité.

Aujourd’hui, nous en venons au cœur du sujet : l’argent. C’est, dites-vous, la raison d’être de la réforme : il faut trouver 12 milliards d’euros pour les caisses de retraite. Ce chiffre est extrait du pire scénario retenu par le Conseil d’orientation des retraites (COR), mais peu importe. Nous sommes de bonne composition, car nous nous inscrivons dans une logique de coconstruction.

Vous voulez trouver 12 milliards d’euros. Ne tortillons pas : seules deux solutions s’offrent à vous.

La première, c’est l’impôt sur la vie. Reculer l’âge de départ, c’est faire en sorte que des milliers de gens décèdent avant de pouvoir liquider leur pension, ou arrivent à la retraite en invalidité et ne parviennent plus à faire les petits gestes du quotidien tels que faire la cuisine, laver le domicile ou s’amuser avec les petits enfants. Moins de retraités en vie, c’est de l’argent économisé.

La seconde consiste à trouver les 12 milliards ailleurs, là où ils sont. Tel est le sens des amendements que nous défendrons toute la journée : vous offrir des sorties de secours pour les trouver, par exemple parmi les hauts revenus ou les grandes fortunes, ou dans les cotisations déplafonnées, soit autant de moyens pérennes et durables d’alimenter le système de retraite.

Adopter un ou deux de nos amendements permettra de répondre à cette préoccupation, voire de retirer le texte de loi. Ainsi, nous en resterons là et nous séparerons bons amis, après avoir trouvé de l’argent, en évitant de facturer votre réforme aux travailleurs de ce pays. Nous aurons même mis un peu d’argent de côté dans les caisses de retraite. Ce qui est formidable, c’est qu’en adoptant trois ou quatre de nos amendements, nous pourrons même rétablir la retraite à 60 ans, ce qui offre une marge de progression tout à fait considérable.

Nous vous prenons au mot. Vous voulez 12 milliards : vous avez le choix entre le peuple et vos amis.

M. Didier Martin (RE). Nous en venons au sujet de fond de l’équilibre du système de retraite. Monsieur Clouet, vous avez mis l’enjeu en évidence : il manque 12 à 13 milliards d’euros. Nos solutions ne sont pas celles que vous proposez. Nous sommes fidèles au principe de la répartition. Nous souhaitons que le prélèvement sur l’activité serve à financer et à servir les retraites bien méritées de ceux qui ont travaillé et cotisé en leur temps pour ceux qui étaient alors en retraite. Ce principe est tout à fait affirmé et nous le défendons. Si nous l’abandonnons, nous irons vers un système par capitalisation, mais vous ne le souhaitez pas plus que nous, me semble-t-il.

Vos solutions sont très innovantes, nous les entendons depuis des années : plus d’impôts, plus de prélèvements obligatoires ! Tel n’est pas notre choix. Les mesures que nous avons prises pour les ménages et les entreprises ne consistent pas à augmenter les prélèvements obligatoires. Avec les 4 milliards que nous coûte, d’après vous, l’ISF, nous sommes loin du compte, sachant qu’il en manque 12 ou 13 pour rétablir l’équilibre.

La mesure d’âge prévue à l’article 7 rapportera environ 18 milliards d’euros, ce qui offre un supplément de 4 à 5 milliards pour financer des mesures de justice sociale permettant de lutter contre la pauvreté. Je rappelle que nous appliquons depuis plusieurs années la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté. Les situations dans lesquelles se trouvent les femmes seules et les personnes qui, en raison d’une carrière hachée, n’ont pas assez de trimestres pour une retraite à taux plein à 67 ans, nous voulons les résorber grâce à un prélèvement supplémentaire, pas en augmentant les impôts ou en alourdissant les charges des entreprises.

M. Jérôme Guedj (SOC). Mes chers collègues, je nous invite collectivement à prendre la mesure de l’importance de la journée qui s’ouvre devant nous. Après avoir examiné l’article 2, nous allons examiner plusieurs propositions alternatives pour assurer l’équilibre du régime de retraites. Nos débats seront à la frontière de la politique et de la technique, mais ils seront éminemment politiques, car, comme Didier Martin vient de le rappeler avec sincérité, deux visions du partage des richesses s’opposent au sein du débat sur le régime de retraites.

Celui-ci présente un déficit dont nous ne contestons pas la réalité. Nous pouvons discuter de son ampleur et de sa durée, pas du fait que le régime de retraites présente un déficit conjoncturel, ni même qu’il pourrait persister vingt-cinq ans, voire sur plusieurs générations.

Chers collègues de la majorité, nous allons essayer de vous convaincre, et les Français par votre truchement, mais j’ai le sentiment qu’ils ont déjà reçu le message, que, entre le choix de l’impôt sur la vie – vous dites que vous ne voulez pas augmenter les impôts, mais vous en décidez un qui consiste à faire travailler deux ans de plus tous nos concitoyens – et la palette de solutions que nous proposons, il y a un choix politique.

Je souhaite que nous allions le plus loin possible dans l’examen de ces propositions. La première d’entre elles est le rétablissement de l’ISF. Si la question de son insertion dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale se pose, dire qu’on peut aller chercher 4 milliards d’euros pour financer les dépenses publiques et, ce faisant, dégager une marge de manœuvre pour les retraites, est une proposition pertinente.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Vous dites souvent que vous voulez sauver le système par répartition. J’estime que vous allez l’asphyxier. Gérer un système par répartition, c’est gérer des déséquilibres, qui provoquent des déficits ou des excédents. Le système présente l’intérêt d’être alimenté en permanence.

Il y a deux approches de la gestion de ces déséquilibres. La vôtre consiste à contraindre les dépenses sans toucher aux recettes, en réduisant le temps passé en retraite. Notre démarche est inverse – là réside notre divergence de fond : nous voulons stimuler les recettes pour financer les dépenses correspondant aux besoins de la population. Votre approche asphyxie le système par répartition, la nôtre le revivifie. Nous n’avons pas tout à fait le même projet de société.

M. François Gernigon (HOR). J’aimerais revenir sur la taxation des ultrariches, dont Mme Rousseau dit qu’elle est de 2 %. Ce calcul pose problème, car il néglige certains paramètres. Les ultra-riches paient, comme tout le monde, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu, bien au-delà de 2 %. Ce taux est celui de l’impôt pesant sur leur patrimoine. Soit un ménage modeste, dont la maison vaut 300 000 euros et qui paie 2 000 euros d’impôts. Selon le monde de calcul de Mme Rousseau, il ne paie que 0,66 % d’impôt. Il ne faut pas raconter n’importe quoi.

M. Thibault Bazin (LR). Les amendements m’offrent l’occasion de soulever la question du patrimoine des retraités et des futurs retraités. L’évolution de la fiscalité, au cours des dernières années, a pénalisé les propriétaires, imposés à l’IFI et victimes de l’augmentation de la taxe foncière. Or le patrimoine des retraités, notamment ceux de la classe moyenne, a des conséquences sur leur pouvoir d’achat.

Parmi les plus de 60 ans, 90 % vivent chez eux et 74,9 % des retraités sont propriétaires, ce qui est bien supérieur à la moyenne de toute la population, qui est de 58 %. Parmi les futurs retraités, seuls 50 % sont propriétaires de leur logement. Or, une fois en retraite, l’un des paravents contre la précarité et la pauvreté, notamment pour la classe moyenne, est d’être propriétaire de son logement, ce qui évite de supporter un loyer. On ne peut donc pas séparer la question des retraites de celle de l’accession à la propriété, si nous voulons assurer un pouvoir d’achat aux futurs retraités, d’autant que les retraités d’aujourd’hui ont souvent pu accéder à la propriété quand ils travaillaient, contrairement aux actifs actuels, pour lesquels l’accession à la propriété est plus difficile.

Par ailleurs, le projet de loi modifie l’allocation de solidarité aux personnes âgées sur un point : le seuil de recouvrement à partir duquel les héritiers de l’allocataire décédé doivent rembourser à l’État les prestations perçues par le défunt de son vivant est porté à 100 000 euros. Ce paravent est une bonne chose pour les retraités actuels, mais il ne protégera pas suffisamment les retraités de demain et d’après-demain, qui seront moins nombreux à être propriétaires. Il faut donc favoriser l’accession à la propriété.

M. Philippe Vigier (Dem). Comme Jérôme Guedj, qui le rappelait non sans malice, je suis un peu surpris que nous débattions du rétablissement de l’ISF en commission des affaires sociales, dans le cadre de l’examen d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Puisque le débat est ouvert et que les amendements n’ont pas été déclarés irrecevables, discutons !

La bonne approche n’est pas technique, mais politique. Elle est fondée sur le fait incontestable que la France présente un niveau de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés, sinon le plus élevé, des pays développés, en dépit des efforts déployés pour qu’il n’en soit pas ainsi. Il y a quelques années, lorsque nous avions un Président de la République socialiste, on nous disait qu’il fallait limiter la hausse des prélèvements obligatoires car cela provoque une séquestration de l’investissement, privé et public, et limite nos capacités d’action. La France a connu une forte vague de désindustrialisation ; nous commençons à amorcer quelque chose de positif. Cette amorce est le fruit d’une évolution de la fiscalité.

Les orateurs de la NUPES nous accusent de promouvoir un système par capitalisation. Pas du tout. Nous voulons sauver le système par répartition. Y a-t-il dans le texte la moindre référence à la capitalisation ? En aucun cas.

Certains prétendent que la réforme est injuste. Elle a pourtant le mérite de traiter deux sujets importants, particulièrement chers à nos yeux. Elle comporte des dispositions relatives aux carrières hachées, qui bénéficieront notamment aux aidants. Elle permet aux femmes ayant bénéficié d’un congé parental d’intégrer au plus quatre trimestres dans le calcul de leur retraite. Contrairement à la réforme entrée en vigueur en 2015, elle ne se désintéresse pas de celles et ceux qui doivent attendre 67 ans pour percevoir une retraite à taux plein, et qui sont souvent des femmes. La présente réforme aborde ces sujets, pour améliorer les retraites qui seront servies.

Par conséquent, chers collègues de la NUPES, n’entonnez pas l’air du rétablissement de l’ISF. Ce n’est pas le lieu pour avoir ce débat. Il aura peut-être lieu à la faveur d’une alternance politique. Rien ne sert de ressortir cette vieille antienne.

M. Thomas Ménagé (RN). Ce débat est intéressant, même si l’on peut se poser la question de son intérêt dans le cadre de la réforme des retraites.

Avec Marine Le Pen, nous avons une position alternative. Nous n’avons pas applaudi des deux mains ce cadeau fait à une partie des plus riches qu’était la suppression de l’ISF, mais nous proposons un impôt sur la fortune financière. Nous refusons de pénaliser les classes moyennes, notamment les ménages qui héritent d’un bien familial ou possèdent des maisons dont la valorisation est élevée. Nous proposons un impôt sur la fortune financière et la spéculation. Nous souhaitons exonérer la résidence principale, les propriétaires de monuments historiques et certains biens agricoles.

Contrairement à vous, chers collègues de la NUPES, nous n’avons pas la haine du milliardaire, auquel vous voulez même couper le courant, ni des plus riches. Nous ne voulons pas moins de riches mais moins de pauvres. Nous voulons que l’argent des plus riches serve au pays et soit réinvesti dans l’économie réelle.

Si l’objectif est de trouver de l’argent pour équilibrer le système par répartition, je vais vous faire une proposition dont je suis certain qu’elle vous plaira. Je vous propose de supprimer le minimum vieillesse pour les étrangers. Il existe en France une injustice incroyable : un Français qui a travaillé mais n’a pas assez cotisé, en raison d’une carrière hachée, perçoit le même minimum vieillesse qu’un étranger titulaire d’un titre de séjour de dix ans et n’ayant jamais cotisé.

Si vous voulez récupérer de l’argent dans le cadre d’une réforme juste, supprimez le minimum vieillesse pour les étrangers ! Pensez aux Français en priorité, car ce sont eux qui nous regardent et attendent de nous que nous défendions leurs retraites !

M. Paul-André Colombani (LIOT). Il est exact que la part du financement du système de retraite par les actifs diminue. Il faut donc le réformer. Mais pourquoi ne jamais suivre une autre piste que celle du recul de l’âge de départ ?

Notre groupe a déposé des amendements, dont il est peu probable que nous les examinerons, prévoyant un financement par augmentation de la CSG sur les produits de placement et le patrimoine ou de la fiscalité sur les profits records et le capital. Nous regrettons les conditions d’examen du texte.

Mme la rapporteure générale. Je constate que les orateurs de la NUPES reconnaissent qu’il y aura bien un déficit de notre système de retraite dans les vingt-cinq ans à venir. Le rétablissement de la retraite à 60 ans coûterait à peu près 100 milliards par an. La taxation des grandes fortunes, dont le patrimoine pèse environ 500 milliards, permet de financer une telle réforme pendant cinq ans, à l’issue desquels il faudrait nécessairement diminuer les pensions, ce qui encouragera la capitalisation et pénalisera les plus fragiles.

La commission rejette les amendements.

Amendement AS7086 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Nous ouvrons une séquence assez décisive de notre débat, relative au financement de notre système de retraite. Chers collègues de la majorité, vous dites qu’il a de lourds problèmes de financement. Nous pensons que les ressources existent. Le choix que vous avez fait consiste à écarter toute possibilité distincte du recul de l’âge de départ. Nous contestons cette mesure, qui est au cœur du projet de loi. Nous formulerons plusieurs propositions orientées dans une autre direction.

Je souscris à l’argumentaire développé par notre collègue Yannick Monnet. En affaiblissant et en dégradant les droits garantis par notre système par répartition, vous cherchez à favoriser l’émergence d’un système par capitalisation. Au demeurant, vous l’avez fait dans le cadre de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », en défiscalisant et en désocialisant certaines prestations.

Mon amendement vise à rétablir le taux de forfait social normal à 20 %, réduit à 16 % par la loi « Pacte », pour les versements réalisés sur des plans d’épargne retraite. Ainsi, les systèmes par capitalisation, que vous encouragez, contribueront plus largement au système par répartition et alimenteront la solidarité.

Par ailleurs, vous avez affirmé, madame la rapporteure générale, que la taxation du capital est lourde. Depuis cinq ans, son taux diminue. Je ne fais pas partie de ceux qui plaignent la finance. Nous devons garantir certains droits et ne pas céder au chantage de celles et ceux qui disent « Si c’est comme ça, on s’en va pour garder notre argent ». Y céder, c’est renoncer à la vie sociale et à la solidarité, à laquelle nous sommes très attachés.

Deux choix de société s’affrontent. Nous avons des propositions de financement. Vous avez définancé la sécurité sociale et créé la confusion en remplaçant la cotisation par l’impôt. Nous proposons d’instaurer, en matière de retraites, un système vertueux.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Dharréville, j’estime, contrairement à vous, qu’il est indispensable de continuer à favoriser les plans d’épargne retraite des entreprises, qui offrent un véritable gain de pouvoir d’achat aux salariés concernés. Au demeurant, la plupart des versements effectués à ce titre sont soumis à un taux de forfait social de 20 %, à quelques exceptions près destinées à favoriser l’investissement dans les PME.

Avis défavorable.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Après avoir discuté du problème de l’emploi des seniors, nous en venons, au troisième jour de nos débats, au problème des ressources permettant de financer notre système de retraite par répartition.

Comme le démontre l’excellent rapport du haut-commissaire au plan, le système de retraite représente 345 milliards d’euros de dépenses par an. Il ne s’agit plus tout à fait d’un système par répartition, dans la mesure où l’État cotise à hauteur de 143 milliards, dont 25 milliards versés en tant qu’employeur, 90 milliards versés au titre des compensations adoptées pour alléger les charges des entreprises et un peu moins de 30 milliards pour combler les déficits. Pour nous, là réside le problème : dès lors que l’État, chaque année, finance le système à hauteur de 30 milliards, nous ne sommes plus dans un système par répartition.

Il s’agit d’éviter que cette contribution de l’État n’augmente. Tel est l’objet de la réforme : éviter qu’à ces 30 milliards de déficit compensé par l’État s’ajoutent 15 milliards. Les amendements de la NUPES que nous allons examiner nous font sortir d’un système par répartition en faisant reposer davantage encore le financement du système de retraite sur les recettes de l’État. Or, sauf erreur de ma part, chacun ici est attaché au système par répartition construit en 1945.

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Chaque année, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, notre groupe propose des solutions pour remplir les caisses. Systématiquement, nos idées ne récoltent que moquerie, voire mépris. Tel a été le cas de la proposition de taxer à 100 % les dividendes des Ehpad privés lucratifs. Moqueries, fous rires, lubie de gauchiste ! Lorsque, quelques semaines plus tard, le livre Les Fossoyeurs a été publié, c’était « On ne pouvait deviner ! Mais que se passe-t-il ? ».

À un moment donné, vous devrez écouter avec attention les propositions de bon sens pour ne pas finir le bec dans l’eau et dire « Ils avaient raison ! On ne pouvait pas deviner ! ». L’amendement de Pierre Dharréville est bien construit. Nous le voterons. Chers collègues de la majorité, vous n’arrêtez pas de dire qu’il faut trouver des solutions pour financer les retraites. Les solutions existent. Elles vous sont proposées dans nos amendements, que nous vous invitons à voter si vraiment le financement du système de retraite est ce qui vous inquiète le plus.

M. Charles de Courson (LIOT). Le VII de l’article additionnel prévu par les amendements identiques précédemment rejetés affecte le produit de la recette au régime obligatoire de base d’assurance vieillesse. Or nous n’avons pas le droit d’affecter une recette fiscale à un régime de retraite. Nous ne pouvons qu’augmenter les cotisations existantes. Mme la rapporteure générale peut-elle indiquer comment ces amendements ont pu être déclarés recevables ?

Chers collègues de la NUPES, vous croyez que de tels amendements vous permettront de faire payer les grandes fortunes. Je vous rassure : elles ne paieront rien, en raison du plafonnement du taux d’imposition global, composé de l’addition des taux d’ISF, d’IR et de taxe foncière, à environ 75 %.

Aucune des cinquante premières fortunes de France n’est imposée à l’ISF, et les autres paient moins de 10 % du barème. Il leur suffit de créer une holding, d’y loger leurs participations et de ne se verser aucun dividende. En l’absence de revenus et compte tenu du plafonnement précité, ils ne versent ni ISF ni IR. Il leur suffit, pour vivre, d’obtenir de leur banquier des prêts à la consommation qu’ils remboursent en réalisant de temps en temps quelques actifs.

Quant au système par répartition auquel nous sommes tous attachés, le financement des retraites par l’impôt, qu’il s’agisse de la TVA, de l’ISF, de l’impôt sur le revenu ou de tout autre impôt, aboutit à sa destruction.

M. Thibault Bazin (LR). Notre système de retraite par répartition repose sur une équation assez simple : à un nombre de cotisants et à un niveau de cotisation correspondent un nombre de retraités et un niveau de pension. Nous ne voulons diminuer ni le pouvoir d’achat des retraités ni celui des actifs qui cotisent. Par conséquent, deux vecteurs présentent une efficacité pour assurer l’équilibre durable du système : le taux d’emploi et le taux de natalité. Il faut des cotisants et des nouveaux cotisants, donc du travail, qui finance cette protection sociale.

Les solutions proposées par la NUPES n’amélioreront pas le système. L’enjeu est d’améliorer le taux d’emploi des jeunes, des seniors et des mères de famille. Le haut‑commissaire au plan a utilement rappelé que les années de maternité ne doivent pas être un handicap pour la retraite. Les mères qui travaillent sont un atout pour le système de retraite. Si les jeunes ne croient plus en l’avenir de notre système de retraite, doutent de l’avenir et ont peur de la transmission, ils n’accueilleront pas la vie et ne travailleront pas. Nous devons valoriser notre modèle pour résorber cet écueil.

Si nous amendons et complétons le projet de loi, nous traiterons à la fois la question du taux de natalité et celle du taux d’emploi, tout en améliorant les droits familiaux. Madame la rapporteure générale, je vous invite à traiter la question des mères de famille qui travaillent, pour qu’accueillir la vie n’induise pas une diminution du pouvoir d’achat et soit valorisé.

Les taxes proposées par amendement ne sont pas une solution, d’autant que le financement des retraites repose sur les cotisations sur le travail et non sur le patrimoine, qui relève du budget de l’État. Il faut apporter des réponses structurelles. Le compte n’y est pas.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Cet amendement mérite d’être soutenu sur le fond. L’épargne salariale est l’un des leviers permettant de financer une partie du déficit des retraites.

J’aimerais rappeler des chiffres qui devraient nous alerter. Nous faisons de la politique au nom d’un bien commun. Au nom de quel bien commun les décisions que je vais énumérer ont-elles été prises ? Telle est la question qui se pose. Les exemples qui suivent montrent que nous avons un problème au regard de ce au nom de quoi nous faisons de la politique.

La participation des entreprises au financement de la sécurité sociale a diminué de près de 20 points depuis 1995. Au nom de quoi ? L’économie se porte‑t‑elle bien mieux aujourd’hui qu’en 1995 ? Non. En réalité, il y a eu un enrichissement des plus riches.

Les aides aux entreprises ont progressé de 1 470 % en quarante ans. De quel autre secteur accepterions-nous une telle augmentation ? Les entreprises sont sous perfusion d’argent public ! Vous pensez que c’est la raison pour laquelle l’économie va bien ? Mais non ! La réalité, c’est que les entreprises devraient pouvoir s’en sortir sans les 157 milliards d’euros d’aides qui leur sont versés !

Les 1 % les plus riches ont capté 63 % de la richesse créée à l’échelle nationale depuis la crise du covid. Au nom de quel bien commun faisons-nous de la politique ? Telle est la question qui se pose.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). En parlant de taxer le capital – une idée que nous assumons –, Mme la rapporteure générale a mis en lumière le choix très simple qui s’offre à nous : s’occuper soit du capital, soit du travail. Vous avez choisi de faire casquer les salariés, et très fort. Aux uns, comme vient de le rappeler Sandrine Rousseau, on distribue les milliards ; aux autres, on vole des années de retraite.

La cotisation est pour nous le socle du financement de la protection sociale. Thibault Bazin a mis en avant la cotisation sur le travail ; dont acte ; mais alors il faut arrêter la foire aux exonérations de cotisations à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et le contournement du salaire par le biais de primes, comme la prime Macron, qui ne financent pas nos retraites ni notre système de protection sociale. Vous avez tout fait pour ne pas les financer, et maintenant vous expliquez qu’il y a un trou dans la caisse ? Ce sont les Dalton qui crient au voleur ! Il y en a marre de cette politique.

Quand M. Isaac-Sibille affirme que, contrairement à nous, il défend le système par répartition, cela me donnerait envie de rigoler si ce n’était pas si triste. Nous défendons évidemment le système par répartition, alors que vous avez accrédité en parallèle le système par capitalisation : en abaissant les droits, vous incitez certaines personnes à mettre de côté pour avoir une bonne retraite.

Vous nous expliquez qu’il y a un gros problème de financement de notre système par répartition. Si c’est cela la priorité, votons l’amendement !

M. Arthur Delaporte (SOC). Les 150 milliards d’euros annuels d’aide aux entreprises évoqués par Mme Rousseau ont l’air de ne choquer personne, à la différence des 30 milliards de déficit compensés chaque année par l’État selon M. Isaac-Sibille. Et ce ne sont même pas 30 milliards, car ce chiffre prend en compte – c’est une vieille lubie de la droite – les cotisations versées par l’État employeur. Selon le rapport du COR, même quand « les régimes sont placés sur un pied d’égalité (même assiette de cotisation, même ratio démographique notamment), les taux pratiqués dans le public et le privé sont équivalents ». Le rapport ajoute que « réduire [...] les dépenses de retraite de l’État n’est ni possible, ni souhaitable (les niveaux de taux de remplacement ou d’âge de la retraite des fonctionnaires de l’État seraient alors en décalage important avec celui du reste de la population). ». Une telle approche « n’est ni appropriée (elle stigmatise indûment la générosité du régime de la fonction publique) » – dont M. Vigier a convenu qu’il n’était pas si généreux que cela –, ni opératoire (elle ne peut servir de guide à une politique publique) ».

Nous ne vous demandons pas de revenir sur les 150 milliards d’exonérations, mais, au moins, arrêtez de répéter ce chiffre de 30 milliards, qui est faux. Il faut remettre la mairie au centre du village !

Mme Prisca Thevenot (RE). Depuis deux jours que nous sommes réunis, pour chaque problème, nos collègues de gauche proposent un nouvel impôt – ou une hausse de cotisations, ou de taper celles et ceux qui réussissent. Plantez des députés NUPES à l’Assemblée nationale, il poussera des impôts pour les Français !

Le motif ? Il n’existerait pas de politique de redistribution en France. Notre pays bénéficie pourtant d’une politique de redistribution socio-fiscale qui réduit les inégalités. Selon l’Insee, elle ramène de 1 à 13 à 1 à 3 le ratio d’écart de revenu entre les fameux 10 % les plus riches et les plus modestes. Autrement dit, elle divise les inégalités par quatre.

Si vous voulez taxer plus, ce n’est donc pas pour mieux redistribuer, mais pour mieux taper. Vous hurlez en permanence contre le Rassemblement national, mais vous employez les mêmes méthodes : le mépris pour seule boussole. Vous vous inspirez de Walt Disney et de Robin des bois pour vos actions : ça fait sourire nos enfants, mais c’est très dangereux pour nos aînés.

Mme la rapporteure générale. Monsieur de Courson, tous les ans, dans le cadre du PLFSS, des amendements affectent des ressources aux branches. Dans le PLFSS 2023, il y en a eu beaucoup concernant la branche autonomie. Je vous renvoie à l’article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale, qui définit la partie recettes des lois de financement et dispose que les recettes peuvent être affectées aux branches.

Madame Rousseau, vous dites que nous faisons des cadeaux aux entreprises, mais le bilan des rentrées fiscales 2022, que présente aujourd’hui Gabriel Attal, montre que le rendement de l’impôt sur les sociétés s’est amélioré de 3 milliards d’euros. Son montant actuel est le plus élevé de l’histoire alors que le taux d’imposition n’a jamais été aussi bas. Il y a les mots et il y a les faits.

Monsieur Dharréville, vous parlez de foire aux exonérations, mais celles dont vous parlez bénéficient d’abord aux plus petits salaires.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS7221 de Mme Cyrielle Chatelain.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Il faut définitivement renoncer à l’adage « La nuit porte conseil ». J’espérais que quelques heures de sommeil vous auraient permis de mesurer l’ampleur historique de ce qui s’est passé hier : 2,8 millions de personnes dans la rue, dont 8 700 à Annonay, dans la ville du ministre Dussopt – ce qui montre que plus vous faites de la pédagogie, plus les gens comprennent et plus ils rejettent votre réforme.

L’amendement AS7221 vise à remettre à niveau la CSG sur les paris et jeux de hasard en augmentant les taux et en assurant, au besoin, l’affectation des sommes supplémentaires dégagées au risque vieillesse et à ses institutions.

De cadeaux fiscaux en exonérations sans contreparties, votre laxisme fiscal a altéré nos finances publiques ; nous voulons le corriger. Nous nous opposons à votre politique de rabot et d’allongement de la durée du travail, prétendu mode de financement de notre système de retraite que vous voulez imposer – et non proposer – à un pays qui y est unanimement hostile, comme on l’a vu hier et comme toutes les enquêtes d’opinion le montrent.

Mme la rapporteure générale. La CSG sur les jeux rapporte déjà près de 500 millions d’euros par an, contre 390 millions en 2020 ; il ne faut pas entraver cette dynamique.

Avis défavorable.

M. Éric Alauzet (RE). Chers collègues de la NUPES, vous nous promettez d’égrener toutes vos pistes de financement – ce qui ne fera aucunement avancer le débat sur l’équilibre du système de retraite, mais après tout, tant mieux : c’est l’heure de vérité ; vous allez nous permettre de montrer l’inefficacité de vos propositions. Au passage, vous mélangez le budget de l’État et celui des retraites et prestations sociales, ce qui est aberrant, mais admettons.

D’abord, vous reconnaissez qu’il y a un déficit. J’espère que vous le dites dorénavant dans les manifestations ! Ce serait bien le moins, vu les milliards qu’y ajoutent vos amendements. Donc la NUPES reconnaît officiellement ce jour, en commission des affaires sociales, l’existence d’un déficit du système de retraite. Merci pour cet aveu : enfin un peu de sérieux ! Ces 13,5 milliards d’euros de déficit sont l’enjeu de notre projet, et nous y ajoutons 6 milliards pour un peu plus de justice et de progrès ; je ne reviens pas sur les 30 milliards.

La réforme est donc bel et bien utile et urgente. Certes, nous n’aurons pas besoin de dizaines de milliards demain ; c’est bien pourquoi nous commençons progressivement. Sinon, l’accumulation des déficits sera telle que, dans cinq ans, on se retournera vers le législateur en lui disant : « On en est déjà à 50 milliards ! Mais qu’est-ce que vous avez foutu ? »

Au fond, vos propositions sapent le régime par répartition, les principes du Conseil national de la Résistance et tout ce que les communistes historiques et le général de Gaulle, unis en une grande communauté de destin, avaient voulu pour faire progresser notre pays.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Laissez Jaurès, Blum et Jean Moulin tranquilles !

Madame la rapporteure générale, j’aimerais rapporter vos chiffres concernant le rendement de l’impôt sur les sociétés au manque à gagner de 8 milliards d’euros résultant de la baisse de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui a été non pas votée, mais décidée par le Gouvernement par l’intermédiaire de l’article 49, alinéa 3. Pour le dire autrement, alors que les aides aux entreprises ont augmenté de 1 470 % depuis quarante ans, vous continuez à réduire les impôts dont les entreprises sont redevables.

Par ailleurs, en parlant de baisser le taux d’imposition pour accroître les recettes, vous faites référence à la courbe de Laffer, qui repose sur le principe selon lequel trop d’impôt tue l’impôt. Elle a été balayée par toutes les analyses économiques depuis Ronald Reagan. Si c’est pour revenir au reaganisme, cela ne vaut vraiment pas le coup !

M. Fabien Di Filippo (LR). L’hypocrisie est commune à la gauche macroniste et à la gauche NUPES. Au cours des débats budgétaires, nous avions dénoncé, comme la NUPES, celle qui consiste à créer un loto pour chaque problème. Mais c’est la même idée que l’on retrouve ici avec la hausse des taxes sur les jeux de hasard. Quant à la majorité, elle n’est pas en reste puisqu’elle a revalorisé le taux de CSG dans des proportions jamais vues.

Le loto du patrimoine n’a pas résolu le problème posé par l’entretien de notre patrimoine. De même, ce n’est pas en augmentant les taxes sur les jeux ou en créant un loto des retraites ou des Ehpad que l’on résoudra le problème des retraites. Nous n’approuvons donc pas du tout la démarche.

M. Nicolas Turquois (Dem). Madame Rousseau, j’ai une pensée pour les centaines de milliers d’entrepreneurs qui vous écoutent. Il faudrait que vous créiez une entreprise ou que vous essayiez de reprendre une PME : vous mesureriez l’écart entre vos propos et la réalité vécue. Les entrepreneurs créent de la richesse et si nous avons un système éducatif et de protection sociale de qualité, c’est aussi grâce à eux. Vos propos sont particulièrement blessants à leur égard.

Le système de retraite – je ne parle pas de la sécurité sociale – est un système par répartition. Les communistes nous l’ont souvent rappelé en citant Ambroise Croizat. Les salariés d’aujourd’hui, en cotisant, assurent la pension des retraités d’aujourd’hui. En fiscalisant les recettes, on romprait avec ce système ; ce serait un changement fondamental, notamment du point de vue de la solidarité entre générations.

Puisque vous faites de l’obstruction, nous allons vous répondre point par point, jusqu’à mettre en évidence la vanité de vos propositions.

Toutes les réductions de charges sont compensées. La prime Macron, souvent citée, est une prime de pouvoir d’achat : elle ne génère pas de cotisations, mais elle ne donne pas non plus de droits. Faites donc des évaluations avant de sortir des contre-vérités.

Puisque ce sont les cotisations d’aujourd’hui qui alimentent le système par répartition, c’est en améliorant le taux d’emploi qu’on confortera celui-ci, ainsi que l’a dit notre collègue Bazin. Cette amélioration peut entraîner un excédent, comme l’année dernière ; voilà pourquoi nous proposons une clause de revoyure en 2027.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Si nous devons discuter de ces sujets, c’est aussi parce que le PLFSS n’a été adopté que par défaut par notre assemblée, du fait du recours à l’article 49, alinéa 3, et n’a pas été discuté comme il aurait dû l’être.

Je regrette que certains entretiennent une confusion contre-productive. Je suis le premier défenseur de la distinction entre la cotisation sociale et l’impôt, mais l’étatisation de la protection sociale a été menée à marche forcée depuis la fin des années 1990 ; en outre, vous mélangez tout en fonction de ce qui vous arrange, puisque vous nous parlez de prélèvements obligatoires et de charges à propos des cotisations sociales des employeurs.

C’est aussi la confusion politique que vous nourrissez en vous revendiquant de Croizat ou de Jaurès. Je suis très heureux que l’on parle d’Ambroise Croizat, longtemps laissé de côté, mais je ne veux pas qu’on l’insulte. Certains avaient déjà tenté l’opération il y a deux ans, ne parvenant qu’à montrer que le projet d’alors ne tenait pas – et il a été abandonné. Je leur avais déjà dit qu’en se revendiquant du Conseil national de la Résistance d’Ambroise Croizat tout en cassant son héritage, ils en étaient non pas les exécuteurs testamentaires, mais les exécuteurs tout court.

Mme Laure Lavalette (RN). Nous ne voterons pas cet amendement qui propose une taxe supplémentaire, ce qui ne m’étonne guère de la part de la NUPES. Je rappelle que la CSG finance l’assurance maladie, les retraites et les prestations sociales ; chers collègues de la NUPES, si nous réservions ces dernières aux Français et aux étrangers pouvant justifier avoir travaillé cinq ans sur notre sol, toutes les économies ainsi réalisées pourraient être fléchées vers les retraites. Je le dis aussi à la majorité : des recettes, on peut en trouver ; mais votre programme est petit bras, c’est le programme de la lose ; il part du principe que jamais on ne réindustrialisera le pays, qu’il n’y a pas de possibilités d’économies. Du coup, ce sont encore les Français qui, injustement, vont payer vos mauvais choix politiques.

M. Paul Christophe (HOR). Je veux rassurer Pierre Dharréville : il ne s’agit pas de mettre en défaut Ambroise Croizat. Au passage, il convient de rendre aussi hommage à l’administration qui l’a soutenu, en particulier à Pierre Laroque. Quoi qu’il en soit, à l’époque où le dispositif par répartition a été imaginé, il était équilibré – jamais il ne serait venu à l’esprit des membres du Conseil national de la Résistance de proposer un déficit comme celui que nous connaissons –, fondé sur les cotisations salariales et patronales.

Mme la rapporteure générale. Madame Rousseau, je répète que les recettes de l’impôt sur les sociétés atteignent un niveau record de 62 milliards d’euros en 2022, ce qui prouve que, quand on baisse cet impôt, on récolte plus d’impôt. Quant à l’exonération de CVAE, elle permettra de faire augmenter l’emploi, notamment – cela va plaire à Mme Lavalette – dans l’industrie, ce qui amènera d’autres recettes, dont des recettes sociales.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques AS3338 de M. François Ruffin et AS3339 de M. Hadrien Clouet.

Mme Karen Erodi (LFI - NUPES). En défendant l’amendement AS3738, je vais tenter une périlleuse manœuvre : je vais essayer de me mettre à votre place.

Vous voulez combler un pseudo-déficit ; ce n’est ni nécessaire ni juste, mais admettons. Vous cherchez donc 12 milliards d’euros. Par cette réforme, vous voulez faire payer aux Français vos cadeaux aux très grandes entreprises, qui n’ont eu aucun impact sur l’emploi. Revenir sur la suppression de la CVAE ferait gagner 8 milliards et rétablir l’ISF, 3 milliards : cela fait déjà 11 milliards. Vous ne voulez pas entendre raison ; admettons. Les niches fiscales les plus injustes, comme les niches sociales et fiscales bénéficiant à la capitalisation, dont la suppression rapporterait 2 milliards en impôt sur le revenu et 3,4 milliards au système de retraite à court terme, il ne faut pas y toucher ; admettons. Vous refusez par ailleurs de faire contribuer les plus riches, les ultrariches ; ce serait un moyen de dégager des marges mais, pour vous, c’est tabou ; admettons.

Bref, écartons toutes ces possibilités par paresse intellectuelle et aveuglement idéologique. Que nous reste-t-il ? Le versement du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), que l’on pourrait réaffecter au financement du système de retraite. La dette sociale, l’État peut la reprendre et la faire rouler en ne payant que les intérêts, ce qui rapporterait 19 milliards. Si l’on se contente de ralentir son remboursement en y affectant seulement la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), nous aurons 10 milliards pour financer nos retraites à court terme. Au rythme de remboursement actuel, la Cades n’aura plus de dette à rembourser en 2033 ; il serait complètement ridicule et démagogique de ne pas mobiliser ses ressources.

Collègues marcheurs, RN et alliés, sortez de votre aveuglement, sinon ce sont les citoyens et les citoyennes qui paieront les pots cassés ! Et je demande un peu de respect aux députés du RN : merci de ne pas vous montrer méprisants pendant que nous prenons la parole.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). C’est qu’ils voudraient exempter Montretout d’ISF...

Rappelons que le Conseil national de la Résistance prévoyait en 1943 un financement des caisses d’assurance vieillesse par l’État. C’est seulement en 1945 que l’on instaure le système des cotisations, en portant la part patronale de 4 % à 10 % des salaires et la contribution des salariés de 4 % à 6 %. Si vous voulez vous inspirer du Conseil national de la Résistance, c’est simple : il faut augmenter de 50 % le taux de cotisation, avec les salaires qui suivent. Chiche !

Avant la création, en 1996, de la Cades, cette grande tirelire censée récupérer une partie des titres de dette de la sécurité sociale, les comptes de la sécurité sociale étaient soit excédentaires, soit à l’équilibre ; en cas de déséquilibre, l’État compensait par voie de dotation. La Cades correspond à la fin de ces compensations. Cela nous pose évidemment un problème.

La Cades est une filiale de l’État dont on nous a promis la disparition pour 2009, puis 2014, puis 2021, et maintenant pour 2025 ; je crains que nos successeurs en discutent encore en 2050. Bref, on n’arrive pas à s’en débarrasser, ce qui est problématique aussi compte tenu des pratiques que cela fait perdurer : la Cades est habilitée à spéculer sur des monnaies étrangères et des marchés à terme pour absorber la prétendue dette sociale – prétendue, car il n’y a pas de dette due par les salariés, mais un manque de financement qui est orchestré afin d’extorquer, par des réformes successives depuis quarante ans, le fruit de notre travail au profit du patronat. Mais l’avantage de la Cades est de montrer que l’on peut absorber 270 milliards sans vous tirer des larmes de sang au sujet des insupportables déficits.

Voilà pourquoi mon amendement AS3339 propose de ralentir le remboursement de la dette sociale afin de libérer 10 milliards d’euros.

Mme la rapporteure générale. En fait, vous n’êtes jamais contents. Quand l’État compense, cela ne vous va pas parce que cela crée un déficit au détriment des services publics ; quand on crée un système de remboursement de la dette sociale, cela ne vous convient pas non plus.

Nous avons demandé à la Cades de réaliser de nouvelles reprises de dette depuis 2011, en raison d’un fort endettement du système de protection sociale. Pour que cette reprise de dette soit soutenable, nous avons également décidé de lui affecter des ressources nouvelles depuis la loi organique de 2010. Il s’agissait notamment d’un versement du FRR de 2,1 milliards par an sur la période 2011‑2024, autant dire assez peu.

Vous proposez de réaffecter ce versement à la branche vieillesse. Outre que cela déstabiliserait le financement de la Cades, dont nous avons besoin, cela ne suffirait évidemment pas à résorber les déficits de notre système de retraite. Nous serions donc perdants sur tous les plans.

Avis défavorable.

M. Stéphane Viry (LR). On parle beaucoup du Conseil national de la Résistance et de 1945. Je suis un gaulliste social, mais j’estime qu’il faut s’adapter : nous sommes en 2023 et la question est de savoir comment financer notre protection sociale, dont les retraites, dès lors que l’on admet que ce financement est adossé au travail. Comment notre société peut-elle, à partir du travail, générer les cotisations dont nous avons besoin ? Or le travail, c’est nécessairement l’entreprise : c’est elle qui fait l’économie, c’est l’entrepreneur qui crée de la valeur, c’est l’entreprise aussi qui fait le social. Il faut des choix politiques pour créer des emplois et être compétitifs, ou l’on éludera le débat en s’accrochant à de vieilles lunes.

Il aurait fallu que la France s’interroge sur son modèle économique et social et sur la valeur du travail avant de faire des retraites un sujet d’actualité politique. On nous a mis dans une impasse. Maintenant que nous y sommes, peut-être faudrait-il admettre que la France doit travailler plus – en donnant plus de travail à certains, c’est-à-dire en faisant augmenter le taux d’emploi, mais peut-être aussi en travaillant mieux. Ne faudrait-il pas envisager de revenir sur les 35 heures ? Peut‑être les Français accepteraient-ils de travailler deux heures de plus par semaine pour éviter de travailler deux ans de plus à la fin de leur carrière.

De tels débats sont empêchés par l’irrecevabilité de certains amendements. Mais, de grâce, prenons la France telle qu’elle est en 2023 au lieu – et c’est un gaulliste qui vous le dit – d’en rester à ce qu’elle était en 1945.

Mme Charlotte Leduc (LFI - NUPES). Vous prétendez chercher des moyens d’équilibrer le système de retraite, mais aucun de ceux que nous proposons ne trouve grâce à vos yeux : ce niveau d’hypocrisie laisse sans voix.

Par ces amendements, nous cherchons à mettre fin à une absurdité néolibérale sortie du fin fond des années 1990. La Cades est l’instrument de la soumission de notre système de protection sociale à une logique marchande et financiarisée. À partir de sa création, en 1996, les gouvernements successifs ont imposé à la sécurité sociale de passer par les marchés financiers pour refinancer sa dette. Deux autres solutions existaient, qui avaient fait leurs preuves depuis 1946 : la hausse des taux de cotisation et l’emprunt auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Le pouvoir actuel a continué sur cette voie absurde en faisant reprendre par la Cades 92 milliards d’euros de dette covid entre 2020 et 2023.

Or la Cades a toujours emprunté à des taux d’intérêt supérieurs à ceux de l’État. De plus, une dette prise en charge par la Cades suppose le remboursement des intérêts et du principal, alors que l’État peut faire rouler sa dette et ne rembourse jamais le principal. En passant par la Cades, on gaspille ainsi sur les marchés financiers des milliards d’euros d’argent public issus des cotisations des travailleuses et des travailleurs. Et le Gouvernement et sa minorité parlementaire viennent nous donner des leçons de responsabilité budgétaire ? Les montages fumeux du type de celui que je viens de décrire montrent bien que les irresponsables, c’est vous !

L’économiste Ana Carolina Cordilha a estimé à plus de 60 milliards entre 1997 et 2018 – donc avant même la pandémie – le coût de la financiarisation de la dette de la sécurité sociale par l’intermédiaire de la Cades. Avec la Cades, les cotisations des travailleuses et des travailleurs servent à engraisser des rentiers. Le Gouvernement peut alors se lamenter sur le déficit du régime de retraite, qu’il a lui‑même créé. Si l’État reprenait la dette à son compte et que les cotisations sociales des travailleurs cessaient d’alimenter la Cades, cela représenterait des milliards d’économies sans poser de problème d’équilibre budgétaire : puisque la dette sociale est prise en compte dans la dette publique au niveau européen, l’opération serait neutre pour les finances publiques. En revanche, elle apporterait une énorme bouffée d’oxygène aux régimes de retraite, que vos gadgets comptables condamnent à l’asphyxie. Les cotisations retraite doivent servir à financer les retraites, non à arroser d’argent public les marchés financiers.

Voilà pourquoi le FRR doit cesser de contribuer à la Cades et être réorienté vers son objectif premier.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). On nous accuse de vouloir substituer la capitalisation au système par répartition : c’est complètement farfelu. Quand nous proposons la fiscalisation de certaines recettes, ce n’est pas pour remplacer les cotisations, qui doivent payer les pensions de retraite, mais pour que la solidarité nationale remédie par l’impôt à de profondes inégalités qui ne sont pas uniquement liées au travail, notamment l’inégalité entre les femmes et les hommes.

Lorsque vous aviez voulu faire supporter la dette covid à la Cades, nous avions dénoncé ce projet inique qui consistait à inoculer un virus à la sécurité sociale, à faire peser sur elle des dépenses qui n’avaient rien à voir avec elle, pour pouvoir justifier ensuite des baisses de droits. Les amendements en discussion visent à permettre à l’État de reprendre la dette covid et de la faire rouler, ce qui nous coûtera beaucoup moins cher et garantira que les cotisations servant actuellement à la Cades retrouvent leur fonction : le financement de notre système de retraite.

Mme Annie Vidal (RE). Si nous avons une dette sociale, c’est bien parce que la sécurité sociale a joué pleinement son rôle pendant la crise sanitaire. Cette dette résulte des dépenses sanitaires liées à la gestion de la crise, mais aussi des moindres recettes fiscales et sociales. La France a soutenu ses salariés comme aucun autre pays d’Europe ne l’a fait. Avant la crise sanitaire, la dette sociale – principalement issue de la crise de 2008, qui avait provoqué un déficit inédit de la sécurité sociale – était en voie d’extinction.

La Cades n’est pas une filiale de l’État. Ce n’est pas elle, mais l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale qui gère les flux financiers, c’est-à-dire qui procède à des levées de fonds sur les marchés boursiers nationaux, pour pouvoir servir chaque mois les prestations sociales à tous les Français puisque la temporalité des recettes sociales et fiscales n’est pas celle du versement des prestations. Et c’est bien parce que la signature de la France est solide qu’elle peut emprunter sur ces marchés, ce qui est essentiel pour verser en temps réel les prestations aux assurés.

M. Jérôme Guedj (SOC). Pourquoi est-il légitime de mobiliser la Cades ? Ici, nous faisons purement et simplement de la politique, de même que l’affectation à la Cades de la totalité de la dette covid, dans la loi du 2 août 2020, était un choix uniquement politique. Un autre choix était possible, qui aurait permis de dégager des marges de manœuvre. Faire de la politique, c’est arbitrer – entre ajouter deux ans au temps de travail de l’ensemble de nos concitoyens et tenter d’optimiser un montage que l’on peut contester, mais qui existe. Il a été décidé de prolonger la durée de vie de la Cades de neuf ans pour absorber la totalité de la dette covid. Il vous est ici proposé de distraire une part des ressources de la Cades pour financer la branche vieillesse ; il s’agit de 10 milliards d’euros, sur une vingtaine par an, ce qui signifie que la Cades conserverait 10 milliards de ressources. Une partie de la dette covid qui a été affectée à la Cades pourrait être cantonnée dans un autre outil financier ou intégrée à la dette de l’État. Voilà une ressource obtenue sans hausse des prélèvements obligatoires et qui absorberait la moitié du déficit à combler, dont nous ne contestons pas la réalité.

Pour vous, « there is no alternative » : vous êtes les Thatcher du régime de retraite. Pourtant, il existe une palette d’outils qui, habilement utilisés, peuvent être mobilisés au lieu du report de l’âge légal. Il ne s’agit pas de tout passer par-dessus bord, mais de gérer le temps.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). L’enjeu est de veiller à l’équilibre jusqu’en 2070, date à laquelle le COR nous dit que le système sera équilibré. Il faut déjà y parvenir jusqu’en 2050. La proposition de recours à la Cades serait audible s’il ne s’agissait que de franchir une mauvaise passe limitée à un ou deux ans, comme on l’a fait lors de la crise du covid. Mais de là à faire reposer le financement des retraites jusqu’en 2050 sur de petits ajustements qu’il faudra renouveler chaque année ! La réforme, elle, permet de sauver le système par répartition en le pérennisant au moins jusqu’en 2050.

M. Paul Christophe (HOR). Il n’y a pas si longtemps, M. Guedj proposait d’utiliser la Cades pour financer la branche autonomie. C’est la caisse magique, en somme ! C’est oublier que son budget est contraint : en fait, c’est toujours la même somme que l’on prétend utiliser à plusieurs reprises.

Faire rouler la dette est un autre tour de magie qui permettrait de ne jamais rembourser le capital. Je ne vous apprendrai pas que les taux d’intérêt sont en hausse, ce qui alourdit la dette de l’État, qu’il faudra bien rembourser un jour. On peut laisser ce problème aux jeunes, mais ce ne serait pas très responsable.

M. Thomas Ménagé (RN). Il ne nous reste plus que sept heures pour examiner plus de 5 000 amendements, ce qui nous laisse cinq secondes par amendement...

Nous avions proposé que l’article 7, qui concerne le report de l’âge légal, soit examiné en priorité, mais la présidente nous a expliqué que c’était impossible, car il faut voter d’abord la première partie. Je suggère donc que nous retirions tous nos amendements pour arriver à cet article, car les Français attendent que nous en parlions.

Je voudrais aussi remettre sur la table la limitation des interventions à une pour l’amendement et une contre. Tous les groupes en sont d’accord, sauf la NUPES : l’extrême gauche bloque les débats. Nous, députés du Rassemblement national, souhaitons parler du cœur du sujet : le report de l’âge légal, mais aussi la pénibilité ou les carrières longues. Nous ne sommes pas là pour mettre le bazar dans la commission. Ce n’est pas à la NUPES de dicter la conduite des débats. Madame la présidente, je sollicite de votre part l’instauration de la règle « un pour, un contre » pour la discussion des prochains amendements.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en sommes au troisième jour de débats : nous avons fait un mini-marathon, avant le vrai marathon des deux prochaines semaines. Il me semble compliqué de changer les règles quelques heures avant la fin de la discussion. J’ai proposé à deux reprises le « un pour, un contre », et il a été refusé.

Si certains, comme hier en commission de la défense, décident de retirer leurs amendements pour que le débat avance, je veux bien, mais à chacun de prendre ses responsabilités. Ceux qui, par leurs redites, gênent l’avancement de nos travaux se reconnaîtront. Une collègue a même revendiqué de bloquer le texte !

Mme la rapporteure générale. Monsieur Guedj, ce que vous proposez conduirait à prolonger au-delà de 2033 la durée de vie de la CRDS, dont le taux est le même pour tous, y compris les plus fragiles : ces derniers ne seraient pas épargnés par la baisse de pouvoir d’achat qui en découlerait.

La commission rejette les amendements.

La réunion est suspendue de onze heures cinq à onze heures vingt.

Amendement AS6922 de Mme Estelle Youssouffa.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Cet amendement tend à créer un abattement fiscal au profit des retraités agricoles qui louent une partie ou l’intégralité de leurs exploitations, ce que l’on appelle le fermage.

Les pensions de retraite des agriculteurs sont souvent faibles, et même souvent en deçà du seuil de pauvreté. La situation est encore pire dans les outre‑mer : à Mayotte, la retraite est en moyenne de 280 euros et la plus basse est de 9 euros.

Le fermage est donc une option intéressante pour eux, mais le niveau d’imposition est important. Je propose donc un abattement de CSG de 25 %, plafonné à 20 000 euros. Pour nous qui reposons considérablement sur le secteur agricole, ce serait une mesure importante.

Mme la rapporteure générale. La CSG apporte à notre système de retraite environ 8,3 milliards par an, ce qui est considérable. Je rappelle aussi que la CSG appliquée aux pensions est modulée en fonction du niveau de la retraite : il existe quatre taux, depuis l’exonération jusqu’à un taux maximal de 8,3 %. C’est un système qui m’apparaît déjà très progressif. Une nouvelle exonération pourrait déstabiliser le financement de notre système.

Avis défavorable.

Mme Mathilde Hignet (LFI - NUPES). Nous sommes mitigés. C’est vrai, les retraites agricoles sont faibles, en particulier à Mayotte. Mais les paysans ne devraient pas avoir à courir après des compléments ! En outre, il faudrait être sûrs que le fermage permet de libérer du foncier pour de nouveaux exploitants et ne favorise pas l’investissement spéculatif sur le foncier : un paysan sur deux partira à la retraite au cours des dix prochaines années, et les nouvelles installations doivent être facilitées.

Or allonger la durée de cotisation et reporter l’âge légal de départ ne favorisera pas la transmission des fermes actuelles. Cette réforme ne soutiendra en rien l’installation de nouveaux agriculteurs, pourtant nécessaire pour répondre à nos problèmes sociaux et environnementaux.

Les paysans et paysannes ont déjà connu des effets d’annonce sur l’augmentation des niveaux de pension, alors que bien des pensions sont encore inférieures à 1 000 euros, car les critères de la loi « Chassaigne 1 » sont trop restrictifs. Une preuve de plus que cette réforme des retraites que vous essayez d’imposer au peuple ne répond pas aux réalités de terrain : 18 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté, et la solution n’est pas de les faire travailler plus longtemps.

M. Thibault Bazin (LR). Cet amendement nous rappelle les dispositions qui, au cours du précédent quinquennat, ont entamé le pouvoir d’achat des retraités – et qui, ajoutées à la limitation de vitesse à 80 kilomètres à l’heure et aux nouvelles taxes sur l’essence, ont été à l’origine du mouvement des « gilets jaunes ». Le Gouvernement avait reculé sur la hausse de la CSG pour les retraités, mais seulement partiellement ; dans les classes moyennes, certains ont tout de même vu leur contribution augmenter. En effet, c’est le foyer qui est pris en compte : si une femme perçoit moins de 1 000 euros, mais qu’elle est en couple avec quelqu’un qui perçoit davantage, ils sont pénalisés. J’ai eu de nombreux témoignages en ce sens dans ma circonscription.

Le pouvoir d’achat de nombreux retraités a donc diminué. Le groupe Les Républicains a une ligne rouge : nous ne voulons voir baisser ni le pouvoir d’achat des retraités, ni le salaire net des salariés. Il faut vraiment améliorer le taux d’emploi des jeunes, des seniors, des mères de famille... C’est là à mon sens que résident les solutions. Le rapport du COR le montre lorsqu’il établit ses hypothèses avec un taux d’emploi haut et un renouvellement des générations. Or, sur aucun de ces deux sujets, nous n’avons créé un climat de confiance qui permettrait aux nouvelles générations de croire en l’avenir, d’accueillir la vie, des enfants, donc de futurs cotisants.

M. Nicolas Turquois (Dem). Le niveau des pensions agricoles est inadéquat, c’est vrai, mais vous raisonnez toujours à taille de gâteau constante : pour vous, il faudrait réduire telle ou telle fiscalité pour l’affecter ici ou là à telle ou telle catégorie. La disposition que vous proposerez rendrait plus complexe encore le droit rural, qui l’est déjà extrêmement.

Faisons en sorte que les agriculteurs gagnent mieux leur vie, à Mayotte et dans les outre-mer en particulier. Cela aura des conséquences sur les retraites : si l’on a de bons revenus au cours de sa carrière, on a une retraite plus confortable. Réfléchissons plutôt à réduire la complexité sans nom, que nous avons déjà évoquée, du régime de retraite agricole. Il n’incite pas à cotiser davantage, car la solidarité entre agriculteurs pauvres et agriculteurs très pauvres est très forte.

Vous avez aussi évoqué la loi Chassaigne. Elle n’a pas tout réglé, c’est vrai, notamment pour ceux qui ont cotisé à des régimes différents. Il faut encore simplifier notre système et unifier les règles d’un régime à l’autre.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques AS744 de M. Jérôme Guedj, AS6118 de Mme Eva Sas et AS7104 de M. Pierre Dharréville.

M. Jérôme Guedj (SOC). Dans la palette des outils que nous cherchons à mobiliser pour alimenter les recettes de la branche vieillesse sans avoir à recourir à cet impôt sur la vie que constituent deux années de travail supplémentaire, il y a la CSG sur les revenus du capital, qui représente 10 % environ de l’ensemble des recettes de cette contribution : nous vous proposons de porter son taux de 9,2 % à 10,6 %.

Cette augmentation ne dégagerait pas une somme gigantesque, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières. Il est possible de diversifier les ressources de la branche vieillesse : mettre à contribution les revenus du capital permettrait aussi de rééquilibrer la fiscalité du capital, très allégée depuis le début du premier mandat d’Emmanuel Macron avec la suppression de l’ISF et la création de la flat tax.

Voilà une proposition mesurée qui ne devrait pas appeler de réactions passionnées.

Mme Eva Sas (Ecolo - NUPES). On ne le répétera jamais assez, même si les Français l’ont bien compris : le déficit prévisionnel des régimes de retraite en 2030 se situera entre 0,4 % et 0,8 % du PIB, c’est-à-dire qu’il sera très limité. Il pourrait être facilement comblé.

L’augmentation de la CSG sur les revenus du capital, que nous vous proposons ici, est une piste de financement parmi d’autres. Rappelons que les revenus du capital ne sont soumis depuis 2018 qu’au prélèvement forfaitaire unique, dont le taux est de 30 %, dont 9,2 % de CSG. De ce fait, les revenus du capital sont largement moins imposés que ceux du travail. Cette augmentation de la CSG sur les revenus du capital serait donc plus que légitime pour éviter le report de l’âge légal de départ à la retraite, mesure injuste dont les Français ne veulent pas.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Monsieur Turquois, vous disiez à propos des agriculteurs que « si on a de bons revenus au cours de sa carrière, on a une retraite plus confortable » : cela devrait, je crois, s’appliquer à l’ensemble des salariés. Vous disiez aussi qu’il ne fallait pas raisonner à taille de gâteau constante : je partage cette opinion, même si nous ne sommes sans doute pas d’accord sur grand-chose par ailleurs. Cet amendement vise donc à apporter de nouvelles ressources.

La CSG sur les revenus d’activité et de remplacement – salaires et pensions de retraite – a été augmentée de 1,7 point en 2018 pour financer la baisse des cotisations sociales, chômage et maladie, quand la CSG sur les revenus du capital a été augmentée de seulement 1 point. Cette mesure avait provoqué une vive colère, une vive passion, pour reprendre le terme de Jérôme Guedj, et les retraités s’étaient fortement mobilisés – c’est l’une des origines du mouvement des « gilets jaunes ». Cette augmentation conduisait les retraités à financer eux-mêmes leur retraite en cotisant : c’était quand même croquignolet...

L’augmentation que nous proposons rapporterait plusieurs milliards d’euros aux caisses de sécurité sociale.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

Cette augmentation s’imposerait par exemple aux 14 millions de Français qui détiennent un plan d’épargne logement (PEL). Cette taxe, déjà de 9,2 %, rapporte 16 milliards d’euros à notre système de protection sociale, et son rendement est dynamique : après une forte hausse de 12,9 % en 2021, la CSG prélevée sur les revenus du capital devrait encore augmenter en 2022 de 9,2 %.

M. Jérôme Legavre (LFI - NUPES). Je soutiens ces amendements : dès lors qu’on le veut, il n’y a pas de problème de financement des retraites.

Nous avons beaucoup entendu les promoteurs des exonérations de cotisations sociales et des aides publiques aux entreprises, présentés comme des solutions infaillibles pour lutter contre le chômage. Je rappelle un fait – c’est la meilleure manière de trancher ce genre de débat : Sanofi a empoché en 2022 1,8 milliard d’euros d’aides publiques ; cela ne l’a pas empêché de délocaliser, la même année, une partie de son secteur recherche aux États-Unis et une partie de sa production, celle qui employait les travailleurs les moins qualifiés, en Inde. Mais rassurez-vous, ils ont gardé les 1,8 milliard !

Cette politique assèche toujours plus les caisses de la sécurité sociale, tout en conduisant à un désastre social. Notre pays compte 10 millions de travailleurs pauvres. Il y avait hier près de 3 millions de personnes dans les rues. (Exclamations.) Il ne faut pas s’étonner que la contestation sociale contre votre projet soit aussi importante ; nul doute qu’elle ne va pas refluer, et comptez sur nous pour qu’elle s’amplifie et pour que vous soyez contraints de retirer votre réforme !

M. Fabien Di Filippo (LR). La gauche est toujours dans une logique de socialisation des revenus, de transfert et de redistribution. (Applaudissements parmi les députés des groupes LFI - NUPES et Écolo - NUPES.) Mais ayez bien conscience que beaucoup de gens qui travaillent et qui appartiennent aux classes moyennes savent que notre système ne garantit nullement des pensions confortables, que l’avenir sera de plus en plus difficile et qu’ils doivent épargner et capitaliser pour espérer avoir, une fois à la retraite, un niveau de vie acceptable et même des projets. C’est aussi ces personnes que vous attaquez avec l’augmentation de taxe que vous proposez. On n’est pas riche par le simple fait de gagner plus que 1 500 ou 2 000 euros !

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Madame Thevenot, vous avez parlé de « ceux qui réussissent ». Voilà votre projet : aider ceux qui réussissent. C’est ce qui nous oppose. Ce sont des mots terribles, et vous ne prenez pas la mesure de la violence de vos paroles. Ma collègue Rachel Keke parlait hier de mépris : c’est bien de cela qu’il s’agit.

D’où vient la réussite ? Faut-il hériter, être bien né ? Et que deviendront les autres, ceux que nous essayons de défendre depuis deux jours ? Décaler l’âge de départ à la retraite de deux ans ne changera rien pour ceux qui ont fait des études ; ceux qui le paieront cher, ce sont ceux qui, pour reprendre vos catégories, n’ont pas réussi. Ce sont leurs corps qui paieront, par l’invalidité, par l’usure, par la fatigue.

Trouvons un système plus juste. Voilà pourquoi nous proposons cet amendement.

Mme Prisca Thevenot (RE). Il n’y a aucun mépris dans mes paroles, mais une simple réalité. Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on part. J’aimerais rappeler ce que vous nous dites depuis quelques jours – car nous écoutons : vous répétez que le système actuel ne permet pas aux personnes que vous évoquez, à très juste titre, d’avoir une retraite assurée une fois qu’ils l’auront méritée. Oui, le travail dur doit permettre de percevoir une retraite saine.

Voilà pourquoi je vous invite à travailler avec nous sur ce texte pour répondre avec nous aux problèmes des pénibilités, des carrières longues, ou encore de la situation des femmes au moment de la retraite. Vous nous demandez de rejeter le texte en bloc : servez‑vous‑en, au contraire, pour améliorer la condition des femmes et des hommes avec qui vous avez défilé hier !

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Je ne comprends pas votre réponse, madame la rapporteure générale : ces amendements identiques devraient faire consensus, puisque nous proposons des cotisations supplémentaires pour répondre au déficit à venir.

Madame Thevenot, pourriez-vous nous dire qui sont ceux qui, selon vous, ne réussissent pas ? Je pense, moi, que vous pensez à ceux qui ont manifesté hier, mais je peux me tromper... À qui pensez-vous ?

M. Paul-André Colombani (LIOT). Nous avions déposé un amendement quasiment identique et nous serons favorables à celui-ci, qui propose une mesure de justice sociale, dans la mesure où la CSG sur les revenus du capital n’a pas augmenté au même rythme que celle sur les revenus du travail.

M. François Gernigon (HOR). Je réagis aux propos selon lesquels pour réussir, il faudrait être bien né. On ne peut pas dire des choses pareilles. Réussir, c’est simplement avoir le sens du travail et le goût de l’effort. C’est une question d’éducation et non pas d’argent ! (Exclamations.)

Mme la rapporteure générale. Monsieur Monnet, cet amendement augmente la CSG, qui est une taxe et non une cotisation. Je répète que vous voulez taxer, entre autres, 14 millions de Français qui détiennent un PEL.

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous assumons en effet l’idée de taxer davantage les revenus du capital, dont il faut rappeler la réalité. Madame la rapporteure générale, vous pouvez exciper de ces 14 millions de Français, mais le PEL est rémunéré à 1 %... L’essentiel des revenus du capital, ce sont les dividendes d’actions, l’épargne salariale et les plus-values mobilières. Ainsi, ces dernières s’élèvent à 15 milliards d’euros et sont concentrées à 71 % sur 3 900 foyers. Bien sûr, les classes moyennes tirent quelques revenus de leur capital, mais c’est dérisoire au regard de l’extrême concentration du capital en France, mobilier et immobilier. Taxer un peu plus les revenus du capital, c’est précisément mettre davantage à contribution ceux qui en tirent des revenus très importants, qui sont aussi ceux que vous avez soutenus en mettant en place la flat tax !

On comprend bien votre élément de langage : 14 millions de Français ont un PEL, nous attaquerions le capital des classes moyennes et même des classes populaires. Mais ce sont évidemment les plus aisés que nous voulons mettre à contribution.

La commission rejette les amendements.

Amendement AS7118 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Les amendements précédents visaient à taxer au même niveau les revenus du capital et ceux du travail : c’était là une mesure de justice. Je regrette que vous écartiez une à une toutes les pistes de financement possibles, avant de nous expliquer que seule celle que vous proposez pourra fonctionner. Notre désaccord est évident.

Cet amendement vise à revenir sur l’allégement massif de la fiscalité sur les actions gratuites, adopté très soudainement, par un amendement de dernière minute. Vous vouliez encourager la distribution d’actions gratuites, ce qui pose un problème économique : ce dispositif, qui concerne essentiellement des salariés de grands groupes très bien rémunérés et des cadres dirigeants, est un outil de contournement du salaire dont le coût pour les finances sociales n’est nullement négligeable.

Nous proposons donc de porter la contribution patronale à 30 %. Cela ramènerait aussi des rémunérations vers le salaire, et augmenterait par là même les cotisations versées à la sécurité sociale.

Mme la rapporteure générale. Vous n’avez pas défendu le bon amendement : l’amendement AS7118 vise à abaisser le taux normal de CSG sur les pensions de retraite de 8,3 % à 6,6 %. Je rappelle qu’il existe quatre taux différents, dont l’un nul, en fonction du niveau des pensions. C’est un système juste et progressif que je crois indispensable de maintenir.

Avis défavorable.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Nous avons entendu des propos un peu étonnants : tout le monde peut réussir, quand on veut, on peut ! Les pauvres n’ont toujours pas compris qu’ils pouvaient devenir milliardaires : c’est incompréhensible.

Moi qui vous accorde, vous le savez bien, une confiance aveugle, je suis allé regarder la liste des grandes fortunes françaises pour savoir qui sont ceux qui se sont extraits par leur travail d’une condition initiale défavorable pour devenir, à la force du poignet, des capitaines d’industrie et de grands financiers.

J’ai regardé le parcours de M. Arnault, de M. Saadé, de M. Pinault, de M. Wertheimer ou de M. Besnier ; eh bien je n’ai trouvé nulle part les années au Smic, les jobs étudiants, les heures supplémentaires. J’ai trouvé, ça oui, des écoles privées – dont les prix sont en général hors de portée de n’importe qui vivrait de son travail –, des actions données par la famille, des entreprises héritées. Mais je cherche encore quel est le travail qui leur a permis de partir de rien pour s’élever. Il me semble que la réalité montre plutôt que ceux qui naissent avec tout finissent aussi avec tout – et c’est bien pour cela qu’il faut le leur reprendre.

M. Thibault Bazin (LR). À entendre certains de nos collègues, il n’y aurait personne entre les plus précaires et les plus grandes fortunes. Vous oubliez la plupart de nos concitoyens ! Je suis heurté d’entendre dire que tout est déterminisme social, héritage. Être bien né, je ne sais pas ce que cela veut dire ! Je crois, moi, au mérite républicain et au travail. Je suis convaincu que ce n’est ni la fortune, ni l’oisiveté qui assureront l’équilibre durable de notre système de retraite. On croit rêver quand on entend Olivier Faure attaquer la « tyrannie du mérite » !

On peut réussir aujourd’hui en France, et notre pacte social tiendra si ceux qui le peuvent produisent de la richesse par leur travail et, par là, financent notre système de protection sociale. C’est un ensemble de droits et de devoirs. Ce sont bien le travail, les efforts, qui fondent un parcours méritocratique et c’est cela qui doit donner confiance dans notre système.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Vous avez raison, madame la rapporteure générale, je n’ai pas réussi à tromper votre vigilance : ce n’était pas le bon amendement.

Mais vous avez très bien présenté cet amendement-ci : il vise en effet à revenir sur la tant critiquée augmentation de la CSG qui a provoqué une grande colère parmi les retraités parce que, en s’ajoutant à une stagnation des pensions qui durait depuis plusieurs années, elle avait singulièrement dégradé leur pouvoir d’achat, leur pouvoir de vivre.

Vous avez refusé d’augmenter la CSG sur les revenus du capital. Vous pourriez au moins consentir à revenir sur une mesure dont le Premier ministre de l’époque avait lui-même reconnu – tardivement – que c’était une erreur. Vous devriez reconnaître que ce n’était pas une très bonne idée et adopter cet amendement.

On pourrait discuter longuement de la place accordée, dans le projet de société de la droite, au mérite et à ceux que certains appellent la méritocratie. Je suis moi aussi monté à la tribune de l’Assemblée nationale pour critiquer cette conception inégalitaire de la société selon laquelle certains méritent et d’autres non. Nous sommes différents, nous n’avons pas les mêmes parcours de vie ; mais chacun doit avoir des droits. C’est ce que je défends.

M. Philippe Vigier (Dem). La méritocratie, ce n’est pas un gros mot ! Que des hommes et des femmes démarrent tout en bas de l’échelle pour grandir et s’épanouir, ce n’est pas scandaleux ! On peut reprocher beaucoup de choses à Bernard Arnault, mais il aura quand même créé 15 000 emplois cette année en France et 40 000 dans le monde entier : ce n’est pas si mal.

Je pense aussi à de nombreux petits artisans, à des commerçants, à des gens qui ont su se développer. Regardez un groupe comme Andros. Ils ont commencé à dix dans les années 1950 à la limite du Lot et de la Corrèze : ils sont aujourd’hui 50 000 dans le monde ! Interrogez leurs salariés, ils vous diront qu’ils ne sont pas maltraités.

C’est un message dévastateur que vous envoyez ! Nous devons, ensemble, garantir les meilleures conditions de vie et de retraite à nos compatriotes. Ne stigmatisez pas, n’opposez pas les uns aux autres. Arrêtez avec ces fractures permanentes !

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Il ne peut pas exister de méritocratie individuelle ; aucun individu ne peut être « méritant » sans accès à des services publics, à l’école publique, à des hôpitaux publics, sans des investissements qui permettent de donner des droits à chacun. C’est indispensable pour assurer une égalité de réussite. L’autre branche de l’alternative, c’est de se reposer sur un capital social acquis de nos parents et des générations précédentes.

Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici : vous favorisez ceux qui ont des métiers plus faciles, des métiers que l’on peut exercer jusqu’à 64 ans, au détriment de ceux qui n’ont pas bénéficié d’un ascenseur social que vous vous employez à détruire progressivement, en diminuant les investissements dans les services publics.

Au fond, vous voulez reléguer ceux qui n’ont pas les moyens matériels, physiques et moraux de tenir jusqu’à 64 ans. La socialisation du revenu, et plus généralement du risque, dans notre société, sert précisément à assurer à chacun les mêmes droits, quelle que soit sa situation. C’est cela, la méritocratie : avoir les mêmes droits, quelle que soit notre situation.

M. Paul Christophe (HOR). On entend quand même ici des choses hallucinantes ! Si j’ai bien compris, pour vous, réussir sa vie, c’est être riche. Ce n’est pas mon sentiment ! Sinon, c’est inquiétant – et d’autant plus que vous croyez à la fois qu’il faut être riche pour réussir sa vie et qu’il faut couper la tête des riches !

J’espère bien qu’il ne faut pas forcément sortir d’une école privée pour réussir sa vie : nous en avons tous des exemples autour de nous. Et j’ai vu que certains, parmi les membres de la NUPES, sont aussi sortis d’écoles privées : il n’y a rien là d’infamant !

Je suis heureux que Philippe Vigier ait cité l’entreprise Andros, exemple de réussite familiale. Ils sont exemplaires aussi sur la question de l’inclusion et du handicap. C’est encore un autre modèle de réussite.

Mme Monique Iborra (RE). Je voudrais rappeler ce qu’a fait le gouvernement de gauche, en 2013, pour réformer les retraites : il a allongé la durée de cotisation, ce qui revient qu’on le veuille ou nous à dire que l’on devra travailler plus longtemps ; il a aussi augmenté les impôts et baissé les pensions. On entend aujourd’hui une grande centrale syndicale reprendre la vieille lune selon laquelle il faudrait aller chercher l’argent là où il est. Vous le répétez sans cesse. Les Français, à plusieurs reprises, ont expliqué qu’ils n’étaient pas d’accord ; s’ils l’avaient été, Mélenchon serait Premier ministre.

Changez de discours, s’il vous plaît ! Cela nous fatigue et les problèmes ne sont pas résolus.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS6920 de Mme Estelle Youssouffa.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Cet amendement vise à revenir sur la hausse injuste de CSG votée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Le Gouvernement avait alors augmenté de 1,7 point la CSG, provoquant une perte de pouvoir d’achat importante chez les retraités et les fonctionnaires. Après la crise sociale de l’année 2019, le Gouvernement a fixé un seuil à 2 000 euros mensuels au-dessous duquel les retraités ne sont pas assujettis au taux de CSG revalorisé. Cet amendement tend à porter ce seuil à 3 000 euros mensuels afin de redonner du pouvoir d’achat aux retraités.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Monsieur Vigier, vous parlez de Bernard Arnault comme d’un type formidable : allez donc voir les ouvrières de Poix-du-Nord, ces 142 femmes dont il a délocalisé l’entreprise parce que, en Pologne, la fabrication d’un costume Kenzo coûte 30 euros, contre 100 en France. Pour son profit personnel, M. Bernard Arnault a détruit la vie de 142 familles. Vous n’avez que le mot de travail à la bouche. Mais le travail de qui ? Des gens détruisent le travail des autres pour leur profit personnel !

Revenons au rapport du COR. Il évoque à plusieurs reprises le partage des gains de productivité entre capital et travail, et il estime que ce partage est plutôt stable. Si vous refusez de taxer le capital comme nous vous le proposons, vous privez de recettes supplémentaires notre système de retraite. En taxant les dividendes comme le travail, on récupérerait 48 milliards d’euros, soit quatre fois ce qu’est censée rapporter votre réforme des retraites !

En refusant de taxer le capital, vous marquez précisément que vous n’aimez pas la valeur travail.

M. Éric Alauzet (RE). L’amendement qui a été adopté fixe à nouveau le taux le plus élevé de CSG à 6,6 %. Cette réforme a beaucoup fait parler à l’époque, mais elle avait été corrigée puisque le seuil avait été porté de 1 200 à 2 000 euros pour une personne seule – ce qui n’est pas énorme, bien sûr, mais mieux que ce que perçoivent beaucoup de gens. Nous venons donc de baisser la CSG pour les plus aisés – y compris la mienne, puisque je suis à la retraite... C’est absolument incroyable ! Ce sont simplement quelques milliards rendus aux plus riches !

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS7085 de M. Yannick Monnet.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Cet amendement prévoit de renforcer la taxation des retraites chapeaux, qui bénéficient aux dirigeants des grandes entreprises, en les taxant à 21 % au-delà de 10 000 euros par mois au lieu de 24 000 euros par mois. Ce serait une juste contribution à la solidarité nationale.

Il a beaucoup été question de la valeur travail. La valeur travail, c’est d’abord vivre dignement de son travail : c’est ce que nous proposons par nos demandes répétées d’augmentation des salaires, qui ont toujours été rejetées. Respecter la valeur travail, c’est aussi faire en sorte que quelqu’un qui travaille ait ensuite une bonne retraite : avec cette réforme, vous faites le contraire.

Enfin, il est souvent commode de définir les mots et les choses en fonction de leur inverse. On a parlé des gens qui méritent. Qui sont pour vous ceux qui ne sont pas méritants ? Qui sont ceux qui ne réussissent pas ?

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

Les régimes de retraites chapeaux sont des régimes de retraite supplémentaire à prestations définies et financés par l’employeur. Je rappelle que, sur ces montants, l’employeur est redevable d’une contribution soit sur les rentes servies, avec un taux à 32 %, soit sur les cotisations patronales, avec un taux soit de 24 %, soit de 48 %.

Je rappelle également que deux tiers des bénéficiaires reçoivent une rente annuelle inférieure à 2 000 euros ; la moitié des entreprises ayant souscrit un contrat de retraite chapeau verse en moyenne, pour chacun des salariés concernés, un montant inférieur à 2 200 euros par an.

Il serait donc totalement inefficace d’augmenter la fiscalité sur ce dispositif.

M. Thomas Ménagé (RN). Dans un esprit non sectaire, contrairement à la NUPES, nous voterons cet amendement. Ces retraites chapeaux représentent des dizaines de milliards d’euros par an. Rien ne justifie un tel dispositif. Nous demandons au contraire de la justice sociale. L’ancien PDG de L’Oréal a une retraite de 3 millions d’euros par an, l’ancien patron d’Airbus reçoit 1,3 million par an. Le Rassemblement national défend le peuple, ceux qui travaillent le plus et qui méritent une retraite digne.

Nous ne sommes pas contre les milliardaires, nous ne sommes pas contre les riches, mais nous considérons qu’il faut faire cesser ces abus. Ce sont les plus pauvres, les plus modestes, ceux qui travaillent le plus et qui ont les métiers les plus usants qui doivent voir leur retraite augmenter, et pas ceux qui vivent déjà dans des conditions très confortables.

M. Benoit Mournet (RE). Comment affronter le déficit à venir ? Il n’y a pas de réponse unique : ce sont des débats politiques.

Je m’inquiète pour ma part de la fiscalisation croissante de la branche vieillesse de la sécurité sociale, dont on parle trop peu. Si les cotisations restent heureusement majoritaires, leur part diminue. Il ne faut pas non plus oublier les 30 milliards compensés par l’État, rappelés tout à l’heure par M. Isaac-Sibille, qui ne se voient pas dans les données relatives à l’équilibre des régimes.

À mon sens, les retraites n’ont pas grand-chose à faire dans une loi de financement de la sécurité sociale. J’avais d’ailleurs déposé un amendement qui prévoyait que le Parlement examinerait une loi spécifique tous les cinq ans. Malheureusement, en l’état de la loi organique, il n’était pas recevable.

Nos débats sont intéressants. Nous souhaitons préserver notre système par répartition, c’est-à-dire un système de revenus différés, de salaires différés. Sans s’interdire de discuter des impôts, c’est donc bien de cela qu’il faut parler – ou alors nous risquons de glisser peu à peu vers une capitalisation déguisée. Nous proposons, nous, de travailler progressivement un petit peu plus longtemps pour répartir équitablement le temps d’espérance de vie que nous avons gagné entre la vie au travail et la retraite. Mais, depuis ce matin, tous nos débats nous font sortir un peu plus du système par répartition pour mettre les retraites en concurrence avec d’autres services publics. Ce n’est pas ce que nous défendons.

Mme Farida Amrani (LFI - NUPES). Nous soutiendrons cet excellent amendement. Les retraites chapeaux bénéficient très largement aux dirigeants des grandes entreprises. J’irai même plus loin : nous sommes bien pour la suppression d’un régime spécial, un seul, celui des retraites chapeaux. Elles nous coûtent 43 milliards par an ! Rien ne justifie ces montants – j’en rappelle quelques-uns : 1,7 million pour l’ancien PDG de Danone, 3 millions pour l’ancien PDG de L’Oréal...

Au lieu de supprimer les régimes spéciaux qui se justifient par la pénibilité des métiers exercés, supprimons les parachutes dorés des plus fortunés et évitons la mort avant la retraite des travailleurs essentiels !

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je me félicite que nous ayons précédemment adopté un amendement, mais je regrette que cela provoque le « seum » de la majorité. Il ne faut pas le prendre comme ça, monsieur Alauzet, nous sommes ici pour discuter un texte, pour faire notre travail de parlementaires et voter un certain nombre de dispositions. Nous n’avons pas suffisamment eu la possibilité d’adopter des amendements lors de l’examen du PLFSS initial. Nous venons de voter une mesure de justice, mais rassurez‑vous, si vous souhaitez des recettes supplémentaires, votez l’amendement de mon collègue Monnet et vous les aurez.

Je me lève encore une fois contre l’esprit de confusion que certains essaient de faire régner puisque, évidemment, nous défendons le système par répartition. La répartition, c’est nous, la capitalisation, c’est vous. Nous allons défendre ce système, et nous le voulons avec un haut niveau de protection sociale. Vous seuls êtes à l’origine du mélange des genres entre la cotisation et l’impôt, de l’accélération de l’étatisation de la sécurité sociale – vous avez même voulu aller plus loin que là où nous en sommes aujourd’hui. Peut-être le regrettez-vous, auquel cas nous pourrons débattre sereinement, mais je pense qu’il faut aussi laisser les choses à leur place sans essayer de semer la confusion dans les esprits.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Je souscris pleinement aux propos de mon collègue Dharréville : il faut arrêter d’essayer d’embrouiller les gens, bien qu’il ne vous reste plus que cela, tellement votre réforme est impossible à expliquer aux Françaises et aux Français. Vous avez essayé de dire que vous étiez justes et équitables mais, évidemment, cela ne fonctionne pas car votre réforme est injuste. Vous essayez donc de dire que nous sommes pour la capitalisation et que vous êtes les grands sauveurs, les grands Zorro du système par répartition, ce qui est complètement ridicule, voire pathétique.

Il faut arrêter avec ce discours, d’autant plus que vous, qui affaiblissez sans arrêt ce système par répartition, êtes les seuls à souhaiter que les Françaises et les Français cherchent des systèmes compensatoires en se tournant vers le privé – comme vous le faites d’ailleurs pour tout ce qui concerne les services publics. Quand vous mettez en place Parcoursup, en réalité vous retirez l’accès des jeunes à l’université publique, les incitant à aller dans le privé. Quand vous affaiblissez l’hôpital public et ses financements, en appliquant la tarification à l’activité, vous renforcez l’offre de soins et les cliniques privées. Lorsque les gens constatent l’affaiblissement du service public, ils se tournent en toute logique vers le privé. Quand vous avez réformé la formation professionnelle, vous avez affaibli le service public de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes et libéralisé le secteur de la formation avec de superbes applications – car nous savons que c’est là votre spécialité –, ce qui a provoqué une explosion de l’offre privée, désormais composée de tout et de n’importe quoi, y compris d’arnaques. Renforcer le privé, c’est votre ligne politique. Cessez donc de semer la confusion, car vous n’avez plus d’autre ligne de défense. Retirez cette réforme et construisons l’avenir de la France.

Mme la rapporteure générale. À en croire M. Dharréville, l’adoption de son amendement nous rendrait fébriles. Nous sommes plutôt dans l’incompréhension, car l’amendement adopté à l’initiative de la NUPES baisse le taux de CSG pour les 25 % les plus riches, ce qui la rend moins progressive et moins juste.

Mme la présidente Fadila Khattabi. La formation professionnelle, qu’a évoquée Mme Taillé-Polian, a fait l’objet d’un financement massif, de 15 milliards d’euros, à travers le plan d’investissement dans les compétences. Cela a permis à plusieurs milliers de demandeurs d’emplois, à des personnes en situation de vulnérabilité, de se former et de faciliter leur insertion professionnelle. La réforme a également permis d’augmenter le nombre d’apprentis en France, qui est passé de 260 000 en 2017 à 720 000 aujourd’hui.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques AS743 de M. Jérôme Guedj et AS5507 de Mme Sandrine Rousseau.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je propose d’accroître significativement la taxation des retraites chapeaux, en conservant le seuil de 24 000 euros de rente mensuelle, mais en portant le taux de 21 % à 30 %.

Rappelons-nous que Thomas Enders, l’ancien directeur général d’Airbus, avait relancé en 2019 le débat et déclenché l’annonce d’un projet d’encadrement des retraites chapeaux par le ministre de l’économie de l’époque, Bruno Le Maire, parce qu’il devait toucher une enveloppe globale pouvant atteindre 36,8 millions d’euros à compter de son départ à la retraite en avril 2019.

Le problème des retraites chapeaux est que la contribution patronale est exonérée de cotisations de sécurité sociale ainsi que de CSG et de CRDS, mécanisme surcomplémentaire un peu hallucinant qui ne finance donc pas la branche vieillesse, et qu’un responsable de la CFE-CGC n’hésitait pas à rapprocher d’un abus de bien social, les sommes versées par l’entreprise ayant pour objet d’atténuer l’impact fiscal de la mesure pour son bénéficiaire, un cadre de très haut niveau ou un dirigeant.

Vous rappeliez, madame la rapporteure générale, l’échelonnement des quatre taux de CSG appliqués aux pensions de retraite – de 0 à 8,3 % –, insistant sur une progressivité qui ne me paraît pas si évidente dès lors qu’ils constituent des seuils et non des tranches, comme pour l’impôt sur le revenu ; quoi qu’il en soit, nous vous proposons d’adopter la présente disposition compensatoire préalablement à une réflexion plus globale sur la progressivité de la CSG applicable aux pensions les plus élevées, avec des taux qui pourraient aller jusqu’à 15 %, mesure que nous ne pouvons proposer ici car elle serait irrecevable dans le cadre d’un PLFSS.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Je défends l’amendement AS5507.

Nous parlons beaucoup de celles et ceux qui ont plus que les autres, et avons évoqué la question de la méritocratie. Qui touche les retraites chapeaux ? Des cadres supérieurs ; et pour le devenir, il faut un père qui l’est lui‑même ou qui exerce une profession libérale, comme le confirme un document du Gouvernement que je viens de consulter : les enfants dont le père exerce une profession libérale ont une chance sur deux d’intégrer les 20 % les plus aisés – puis viennent les enfants de cadres et de chefs d’entreprise. En revanche, quand vous êtes fils d’ouvrier ou d’ouvrier qualifié, vous n’avez qu’une chance sur dix.

Par conséquent il y a bien là une inégalité de condition – thème cher au président Macron. Plutôt que de vous accrocher à une méritocratie qui n’en a que le nom, il faudrait donc rebattre les cartes, d’abord en taxant les retraites chapeaux à 30 %, ce qui n’est au demeurant qu’un minuscule premier pas.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

Nous avons déjà débattu des retraites chapeaux, dont deux tiers des bénéficiaires ne percevaient en moyenne que 165 euros de rente mensuelle ; aussi ces deux amendements seraient-ils complètement inefficaces.

Par ailleurs, monsieur Guedj, il existe bien, sur ces retraites, une contribution spécifique des employeurs qui bénéficie à la sécurité sociale.

Mme Charlotte Leduc (LFI - NUPES). Pour résumer votre position, vous refusez de faire contribuer les revenus du capital, les plus riches, les hauts salaires, de réorienter les fonds alloués à la Cades vers le financement des retraites, et de mettre à contribution les retraites chapeaux des PDG des multinationales. Avec vous, c’est toujours non pour trouver des modes de financement alternatifs afin de financer notre régime de retraite ; mais voler deux ans de vie aux Françaises et aux Français, là, c’est un grand oui. Est-ce là votre conception d’une réforme juste ? Vous avez choisi ici entre ceux qui réussissent et « ceux qui ne sont rien », pour citer les mots du Président de la République en 2017.

Comme le rappelaient mes collègues, le taux de cotisation appliqué aux retraites chapeaux les plus importantes est aujourd’hui de 21 %, ce qui est inférieur au taux de cotisation appliqué aux salaires. Alors, pourquoi refuser que ces cadeaux financés par les entreprises au détriment des salaires, de l’emploi et de l’investissement contribuent davantage au financement de la solidarité intergénérationnelle ?

La vraie question posée par ce texte, c’est la répartition de la richesse créée : la production par tête a été multipliée par neuf depuis les années 1970, mais reste à savoir quoi faire de ce formidable enrichissement du pays. Nous pouvons laisser la richesse s’accumuler entre quelques mains en laissant les entreprises distribuer de généreuses retraites chapeaux à leurs dirigeants, pendant que 99 % de la population continuent de se tuer à la tâche. Néanmoins, une autre voie est possible en finançant, grâce au formidable accroissement de la valeur produite durant ces quarante dernières années, une réduction du temps de travail à l’échelle quotidienne, hebdomadaire, annuelle et de la vie tout entière. Mais, pour vous, il est hors de question de répartir les richesses, les plus modestes n’ont qu’à bosser deux ans de plus. Comment pouvez-vous justifier un tel dogmatisme ? Allez-vous réellement expliquer aux accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), aux caissières et aux aides-soignantes qu’ils travailleront deux ans de plus pour que Bernard Arnault ou Xavier Niel puissent toucher leur retraite chapeau ?

Comment vous étonner ensuite du rejet votre réforme – un rejet qui a progressé de 13 points depuis la présentation de celle-ci – et de la mobilisation d’hier, qui a rassemblé 3 millions de personnes dans la rue ?

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Revenons à l’objet de nos débats, qui est le rééquilibrage de notre système de retraite. Par convention, le COR admet que le régime est déficitaire de 30 milliards d’euros, auxquels s’ajouteront 15 milliards dans les prochaines années. Il y a donc 45 milliards de déficit à financer. Nos collègues de la NUPES émettent des propositions pour une meilleure justice fiscale : pourquoi pas ? Mais est-ce vraiment en ciblant une ou deux personnes, ou en ciblant les présidents des sociétés du CAC40 que nous atteindrons notre objectif ? Peut-être récupèrerons-nous quelques millions, mais ne faites pas croire aux Français que cela suffira pour rééquilibrer notre système de retraite ! Votre démarche me fait même un peu peur : le fait de personnaliser le débat et de montrer du doigt certaines personnes me rappelle de tristes souvenirs.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). On parle de méritocratie, mais les 5 % les plus riches ont une espérance de vie de treize ans supérieure aux 5 % les plus pauvres : quand on décale l’âge de départ à la retraite, on réduit donc mécaniquement l’espérance de vie en retraite des plus pauvres. Si l’on considère maintenant les 40 % d’hommes les plus pauvres, un report à 64 ans de l’âge de départ ferait augmenter de 2 % le nombre d’hommes n’atteignant pas l’âge de la retraite, de 4 % celui des hommes ayant une retraite inférieure à cinq ans et de 10 % celui des hommes ayant une retraite inférieure à dix ans.

Les retraites chapeaux ne concernent certes pas grand monde, mais elles bénéficient aux hommes du haut du panier qui s’affranchissent du bien commun. Les politiques publiques leur accordent, tout au long de leur vie, les plus grandes largesses et leur permettent de voir leurs retraites chapeaux échapper à la taxation. Au-delà des questions de financement, nos amendements visent à restaurer la justice et à imposer une norme qui s’applique à tous de façon égalitaire. C’est une condition de la cohésion sociale. Il y a là une question philosophique : quel degré d’inégalité sommes-nous prêts à accepter dans notre société ? L’acceptation des inégalités est bien moindre de notre côté que du vôtre.

Mme Annie Vidal (RE). L’une de nos collègues a présenté tout à l’heure le déterminisme familial comme absolument incontournable. Je ne nie pas l’existence de ce phénomène, mais vous oubliez un point essentiel : la formation tout au long de la vie permet à tous les Français, quel que soit leur emploi, de progresser dans leur carrière. Nous avons beaucoup travaillé pour que ce mécanisme fonctionne ; il donnera à celles et ceux qui exercent des métiers difficiles la possibilité d’accéder à des formations leur permettant de s’orienter, en fin de carrière, vers d’autres professions.

M. Jérôme Guedj (SOC). J’ai beaucoup de respect pour Mme la rapporteure générale et pour M. Isaac-Sibille, mais je suis très déçu de les voir s’ériger en défenseurs zélés d’un système dont ils connaissent l’injustice. Certes, nos propositions ne permettront pas à elles seules d’équilibrer le système de retraite, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières. Vous prenez une seule mesure, l’impôt sur la vie de tous les travailleurs, pour combler un déficit que nous ne contestons pas ; pour notre part, nous proposons une palette de mesures inspirées par notre idéal de justice sociale.

Vous nous expliquez que les retraites chapeaux, ce n’est pas grave. Je n’ai pas de problème avec les millionnaires, ni avec les milliardaires : plus ils seront nombreux dans notre pays, plus cela voudra dire que nous créons de la richesse. En revanche, je refuse qu’ils ne contribuent pas, à la hauteur de leurs moyens, au partage et à la redistribution. Votre refus de faire participer les retraites chapeaux aux efforts demandés à l’ensemble de nos concitoyens est incompréhensible. En un an, les patrons du CAC40, contre lesquels je n’ai rien, ont doublé leur salaire annuel moyen, passé de 4,5 millions d’euros en 2020 à 8,7 millions en 2021. En les protégeant, vous envoyez un signal désastreux : vous faites comprendre aux Français que vous exonérez une poignée de personnes de l’effort que vous demandez au plus grand nombre.

M. Thomas Ménagé (RN). J’en ai ras-le-bol que nous ne discutions pas du fond de cette réforme. J’ai vraiment l’impression que cela arrange la majorité d’avoir les députés de la NUPES comme idiots utiles. (Protestations.) Mais oui ! Vous avez fait le choix de cette réforme : assumez-le, à l’instar de Mme Guichard qui méprise les AESH. (Mêmes mouvements.) Assumez d’avoir choisi de reporter de deux ans l’âge légal de départ à la retraite ! Pourquoi ne voulez-vous pas en parler ? Pourquoi refusez-vous de retirer vos amendements ? Pourquoi refusez-vous de limiter nos échanges à un pour et un contre par amendement, ou d’examiner par priorité les articles centraux de ce texte ? Dans quelques heures, lorsque notre commission achèvera ses travaux, nous n’aurons traité de rien de ce qui intéresse les Français. C’est incroyable ! Vous demandez à nos concitoyens – notamment aux AESH – d’assumer, mais vous, vous n’assumez rien !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous demande de revenir à l’objet des amendements.

M. Thomas Ménagé (RN). Cela fait des heures que vous utilisez les députés de la NUPES, ces idiots utiles qui bloquent le débat, pour éviter de parler du fond. (Protestations.)

Mme la présidente Fadila Khattabi. Non, monsieur le député ! Vous ne pouvez pas dire cela !

M. Thomas Ménagé (RN). Vous méprisez les Français, qui attendent que nous parlions du report de l’âge légal pour savoir comment ils réussiront à assumer ces deux années de travail en plus. Vous avez, pour la plupart d’entre vous, des métiers assez agréables : vous êtes députés, assis au chaud dans cette salle, quand certains Français travaillent dehors. Je pense aux employés du bâtiment, aux carreleurs, aux maçons, aux couvreurs qui sont en train de se cailler les miches et qui attendent de savoir comment ils pourront travailler jusqu’à 64 ans ! Pourriez-vous parler de cette question, qui les intéresse, au lieu de vous amuser avec les députés de la NUPES, qui sont bien contents que vous les utilisiez parce qu’ils veulent donner l’impression d’être utiles ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Ne dites pas cela, s’il vous plaît ! Ne faites pas les questions et les réponses à la place de la majorité !

M. Thibault Bazin (LR). La question des retraites est très complexe. Prenons garde de ne pas généraliser les situations, qui varient en fonction des métiers et des secteurs d’activité. Nous devons effectivement nous soucier de la pénibilité : c’est pourquoi un certain nombre de métiers pénibles, notamment dans les catégories actives et superactives, ne sont pas concernés par l’allongement de la durée de cotisation.

Une autre question est celle du rapport au travail, qui ne se pose d’ailleurs pas qu’entre 62 et 64 ans. Je ne suis pas médecin, mais je ne suis pas sûr que le travail accélère nécessairement la mort. Il conviendrait davantage de s’interroger sur la santé au travail ; or l’activité professionnelle permet aussi de s’épanouir et de rester en bonne santé. Heureusement, tous les métiers ne sont pas pénibles. Ceux qui le sont, en vertu de certains critères tels que le travail de nuit, par exemple, doivent faire l’objet d’adaptations : il faut prendre des mesures de prévention, mettre en place un accompagnement, anticiper les choses et prévoir, en fin de carrière, la possibilité d’une reconversion ou d’une retraite progressive. À vous entendre, j’ai l’impression que, passé un certain âge, tout travail nuirait à la santé de celui qui l’exerce. Ce n’est pas vrai pour tout le monde.

Mme la rapporteure générale. J’ai très envie que nous abordions l’article 9, qui traite des questions de pénibilité et amorce une véritable révolution de la prévention. Les Français qui le peuvent partiront à la retraite plus tard, certes, mais en meilleure forme.

Nous essayons d’avancer ; d’ailleurs, la majorité n’a pas déposé énormément d’amendements. Cependant, lorsque je réponds que le débat a déjà eu lieu – nous avons très longuement discuté de l’article 2 –, on me reproche de vouloir l’abréger. Il est donc de ma responsabilité de réagir à chacun des amendements défendus.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques AS742 de M. Jérôme Guedj, AS6275 de Mme Sandrine Rousseau et AS7105 de M. Pierre Dharréville.

M. Jérôme Guedj (SOC). Le mécanisme d’attribution gratuite d’actions, créé par l’article 34 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », a ramené le taux d’imposition des actions gratuites de 30 % à 20 %. Il s’agissait alors d’inciter les entreprises à recourir à ce dispositif – l’allégement de la fiscalité était, rappelez-vous, la mesure phare de la start-up nation qui permettrait aux jeunes pousses de voir le jour. Or cette mesure représente, pour la sécurité sociale et singulièrement pour la branche vieillesse, un manque à gagner de 125 millions d’euros. Encore une fois, les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Personne ne peut établir une corrélation entre la baisse de la fiscalité sur ces actions gratuites et une quelconque dynamique de création d’entreprises. Pire, cette mesure a entraîné de graves dérives. Rappelez-vous Yves Le Masne, le patron du groupe Orpea qui a été limogé lorsque le scandale a éclaté : non seulement il touchait un salaire fixe annuel de 712 000 euros et un salaire variable de 464 000 euros, mais il bénéficiait également du versement, conditionné à l’atteinte de certains objectifs – je n’ai pas besoin de vous préciser lesquels –, d’actions gratuites dont la valeur a été estimée à 760 000 euros. La mesure n’a donc pas profité à la start-up nation, mais à des secteurs ayant atteint un tel niveau de financiarisation que le versement d’actions gratuites est devenu partie prenante de la rémunération, y compris lorsque cette dernière relève de la cupidité.

Si l’attribution d’actions gratuites pour favoriser l’émergence d’entreprises nouvelles ne nous pose pas de problème, nous souhaitons revenir au niveau de taxation applicable avant l’entrée en vigueur de la loi Macron afin d’abonder de 125 millions d’euros les caisses de la branche vieillesse.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Tout le monde ne bénéficie pas d’actions gratuites – on peut même dire que ce mécanisme ne concerne qu’une petite partie de la population. Pierre Dharréville a d’ailleurs rappelé tout à l’heure que ce dispositif a été voté in extremis. Nous souhaitons une nouvelle fois rétablir un tout petit peu de justice en rehaussant la fiscalité sur les actions gratuites. Ce n’est pas énorme, pas révolutionnaire, mais ce petit ruisseau pourrait contribuer à la formation de grandes rivières.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). L’amendement AS7105 est défendu.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Nous sommes encore une fois interloqués de constater que vous refusez de l’argent. La pénibilité du métier de député est tout de même assez faible : vous pouvez, juste en levant la main, verser 125 millions d’euros supplémentaires dans les caisses de l’assurance vieillesse. Par la même occasion, vous reviendriez sur les erreurs commises lors du vote de la loi Macron en 2015. Nous vous proposons en effet de corriger vos propres erreurs : c’est dire à quel point nous ne sommes pas rancuniers et nous nous inscrivons dans une logique de coconstruction.

Ce mécanisme consiste à rémunérer les salariés – le monde du travail, donc – par autre chose que du salaire ; or les titres versés occasionnent des rendements soumis à une fiscalité plus faible que celle qui pèse sur les revenus du travail. Nous voulons rééquilibrer les choses, dans une logique de justice sociale, en faisant en sorte que les salaires et les actions gratuites rapportent de la même façon aux caisses d’assurance vieillesse. Si l’action a une certaine valeur, c’est grâce au travail des salariés de l’entreprise : le travail étant la source de toute valeur, il est normal que toute forme de rendement directement ou indirectement basé sur le travail contribue au financement de l’assurance vieillesse. En portant le taux du forfait social de 20 % à 30 %, nous récupérerions 125 millions d’euros.

Cette mesure est d’autant plus juste que, dans de nombreuses entreprises, les plans d’actions gratuites bénéficient de moins en moins aux salariés et de plus en plus aux personnels de direction. On a encore pu le voir récemment chez Sopra Steria, où des actions gratuites mieux rémunérées que l’inflation ont été allouées aux personnels de direction alors que les salariés voyaient, eux, leur pouvoir d’achat rogné.

Pour résumer, ces amendements visent donc trois objectifs : le financement des caisses d’assurance vieillesse, la justice sociale et la justice salariale.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Je souhaite réagir aux propos tenus il y a quelques instants par M. Bazin. Qu’est-ce qui accélère la mort ? C’est la pénibilité du travail, la maladie au travail compte tenu de l’absence de prévention, ainsi que la précarité. L’espérance de vie des travailleurs les plus pauvres est inférieure à celle des travailleurs les plus aisés ; or ce sont souvent les plus pauvres qui exercent les métiers les plus pénibles.

J’ai également entendu une députée de la majorité affirmer qu’il n’était pas si grave d’avoir un métier pénible, compte tenu des possibilités de formation et de reconversion. C’est oublier le fait que beaucoup de gens exercent ce type de métier par vocation ou par passion. Vous qui défendez sans cesse le travail, vous ne me contredirez pas si j’affirme qu’on a le droit d’aimer son travail et d’y passer sa vie si on s’y sent bien ! J’ai l’impression que vous considérez les salariés comme des corps jetables : on les épuise et on les jette, ou on les met de côté. C’est profondément choquant. Il conviendrait plutôt de prendre en compte la pénibilité de ces métiers et de les revaloriser – je pense notamment aux métiers du soin, qui sont à 80 % exercés par des femmes. Vous êtes à côté de la plaque avec ce projet de loi.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je n’ai jamais entendu personne dans cette commission affirmer qu’il n’était pas si grave d’exercer un métier pénible.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Nous avons bien avancé ce matin, puisque la NUPES convient désormais de l’existence d’un déficit et d’un problème de financement de notre système de retraite. Que nous propose-t-elle pour régler ce problème ? Comme d’habitude, plus de taxes, plus d’impôts, plus de cotisations. J’aimerais que la NUPES nous cite un jour un pays où les prélèvements sont plus élevés qu’en France et où l’on finance un départ à la retraite à 60 ans tout en prônant le droit à la paresse tout au long de la vie. À mon avis, un tel pays n’existe pas. Les propositions de nos collègues sont totalement chimériques et inefficaces.

Quant au Rassemblement national, il n’a encore formulé à ce stade aucune proposition, si l’on met de côté les habituelles rengaines xénophobes typiques de l’extrême droite. Est-ce que ce sont vraiment les étrangers qui coûtent 30 milliards d’euros par an à notre système de retraite ? Il faut arrêter de raconter n’importe quoi !

Aucun contre-projet réaliste ne nous a donc été présenté, les deux contre-projets que je viens d’évoquer étant tout aussi inefficaces que populistes.

M. Thibault Bazin (LR). Madame Garin, je n’ai jamais parlé de « corps jetables » – je suis trop attaché à la dignité de la personne.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Ce n’est pas vous que je visais !

M. Thibault Bazin (LR). Je voulais simplement dire qu’il existe des métiers pénibles et d’autres qui le sont moins. Les métiers pénibles appartiennent souvent aux catégories actives et superactives, pour lesquelles ni l’âge légal ni la durée de cotisation n’augmentent, ce qui est une bonne chose. Pour ceux qui n’entrent pas dans ce champ – je pense notamment aux quelque 100 000 aides‑soignantes contractuelles de la fonction publique, qui ne sont pas éligibles au compte professionnel de prévention –, il convient de prévoir des dispositions visant à améliorer la prise en compte de la pénibilité.

Encore une fois, méfions-nous des généralisations : nous pourrions nous tromper de cibles. Nous devons nous adapter aux réalités des métiers, prévenir et anticiper les problèmes. Nous sommes confrontés à un vrai défi en matière de santé au travail, puisque nous manquons de médecins du travail. S’agissant de la prévention, il convient de mobiliser des fonds dans le cadre de la branche accidents du travail et maladies professionnelles ; la création d’un fonds spécifique a été promise aux soignants, mais il faut que nous nous penchions aussi sur les autres métiers, notamment sur ceux des catégories actives de la fonction publique qui ne bénéficient pas encore d’un fonds dédié. Nous devons réfléchir à la construction et au financement d’un tel système. J’admets qu’il existe un certain nombre de trous dans la raquette et qu’il nous faut améliorer la situation ; cependant, je le répète, tout métier n’est pas pénible.

M. Philippe Vigier (Dem). Je pense comme Mme Parmentier-Lecocq que nous pouvons tirer de cette matinée quelques enseignements. Jérôme Guedj, dont la voix a une certaine autorité au sein de la NUPES, a lui-même enfin reconnu que notre système de retraite n’était pas équilibré : la réforme est donc nécessaire, nous ne la menons pas uniquement pour nous faire plaisir. Cette avancée me semble importante, en termes de pédagogie pour nos concitoyens – je dis cela avec toute la douceur à laquelle M. Ruffin nous a invités hier.

M. Bazin vient d’évoquer la pénibilité. Nous ne pouvons pas entendre que vous seriez les gentils, qui prendriez en compte ce critère, et que nous serions les méchants, qui ne nous en soucierions pas. Ce discours n’est pas acceptable : vous n’avez pas le monopole de la prise en compte de la pénibilité.

Vous nous accusez, monsieur Ménagé, d’être les alliés objectifs de la NUPES. Pardonnez-moi, mais ce n’est pas nous qui avons décidé de déposer 7 000 amendements ! Je vois déjà se profiler le débat de lundi, où vous aurez du mal à associer vos voix à celles de la NUPES, si vous êtes cohérents avec vous-mêmes.

En parlant d’Orpea, monsieur Guedj, vous avez pointé du doigt un problème réel : nous avons d’ailleurs été unanimes à dénoncer les agissements de ce groupe. Mais le mécanisme des actions gratuites relève de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise : il s’agit là encore, me semble-t-il, d’un héritage de 1945, et d’une belle avancée sur laquelle nous pouvons tous nous retrouver.

M. Thierry Frappé (RN). Au-delà de la participation aux résultats de l’entreprise, l’attribution d’actions gratuites vise aussi à fidéliser les salariés et à leur accorder des revenus complémentaires. Une augmentation de la fiscalité sur ces actions me semble donc néfaste.

M. Jérôme Guedj (SOC). Parce que nous sommes des lecteurs attentifs des documents du COR, nous n’avons jamais contesté l’existence d’un déficit conjoncturel. Le COR évoque un déficit de 12 milliards d’euros à partir de 2027, puis un accroissement de celui-ci pour atteindre 22 à 25 milliards au plus fort de la période. Ce que nous contestons, c’est votre réponse simpliste et, pardonnez-moi de le dire, un peu paresseuse qui consiste à faire travailler tout le monde deux années supplémentaires en levant un impôt sur la vie plutôt que de chercher d’autres solutions. Depuis ce matin, nous formulons des propositions qui s’inscrivent dans une logique de justice sociale, à savoir la mise à contribution des retraites chapeaux ou des actions gratuites, et nous proposerons après l’examen de l’article 3 de soumettre aux cotisations d’assurance vieillesse des pans entiers de rémunération qui y ont échappé au fil du temps. Il suffirait d’intégrer ces éléments de rémunération et de revenu dans l’assiette des cotisations pour que le déficit de notre système de retraite soit considérablement atténué. Vous aurez donc de plus en plus de mal à dire qu’il n’existe pas d’autre solution que celle que vous proposez. Depuis ce matin, ce sont déjà 500 millions d’euros de recettes complémentaires que vous avez refusés – ce n’est certes pas suffisant pour combler un déficit de 12 milliards, mais c’est déjà mieux que rien.

La commission rejette les amendements.

Amendements AS6019 et AS6010 de Mme Eva Sas (discussion commune).

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Nous avons dans notre boîte à idées une autre proposition de financement, qui consiste à créer une contribution additionnelle à la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) dont le produit serait affecté à la Caisse nationale d’assurance vieillesse. La contribution additionnelle prévue par notre amendement AS6019 dégagerait des recettes deux fois supérieures au produit de l’actuelle C3S, soit 9,2 milliards d’euros ; l’amendement AS6010 est un amendement de repli. Cette proposition est d’autant plus réalisable que les entreprises ont bénéficié de 14 milliards d’euros de baisses d’impôts de production, sans contrepartie.

D’aucuns essaient de tirer des enseignements de nos débats. Le premier, fantaisiste, serait que la gauche et les écologistes seraient favorables à la capitalisation ; le second, tout aussi fantaisiste, serait que nous aurions nié le problème de financement auquel notre système de retraite sera confronté lors des prochaines années. À problème conjoncturel, réponse conjoncturelle, et à problème structurel, réponse structurelle ! En l’occurrence, nous nous trouvons face à un problème conjoncturel, temporaire, et très relatif puisque le déficit en question ne représente pas grand-chose par rapport au PIB. Or vous sortez les grands moyens, comme si vous cassiez la maison pour en réparer le toit. Pour notre part, nous avons toutes les solutions nécessaires à la résolution de ce problème conjoncturel tout en préservant notre système de retraite, et même en l’améliorant. Alors que votre réforme va alourdir les inégalités, notamment celles que subissent les femmes, l’amélioration de notre système s’avère en effet urgente et nécessaire.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

Le produit de la C3S a fortement augmenté en 2022, pour atteindre 4,3 milliards d’euros, en raison d’une politique favorable aux investissements et à l’emploi.

Mme Laure Lavalette (RN). Madame Parmentier-Lecocq, nous n’avons aucune leçon à recevoir de ceux qui ont ruiné la France. Vous avez laissé 600 milliards d’euros de dettes et vous venez de voter un budget prévoyant 150 milliards de déficit. Vous avez désindustrialisé le pays et vendu Alstom aux Américains, Alcatel aux Suédois et Lafarge aux Suisses – ce sont les emplois qui nous manquent pour créer de la richesse. Sans vous, nous n’en serions pas là !

Par ailleurs, le contre-projet de Marine Le Pen est disponible partout – il faudrait travailler un peu ! – et, contrairement à votre texte, il est juste. Si vous n’aviez pas eu la lâcheté de choisir ce véhicule législatif, vous nous auriez peut-être laissé le temps de le décliner.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Revenez aux amendements en discussion, madame la députée !

Mme Laure Lavalette (RN). Réveillez-vous ! La majorité des Français ne veulent pas de votre réforme, et figurez-vous que la majorité des députés non plus ! Nous comprenons bien que vous vouliez faire traîner les débats, avec la complicité de la NUPES, mais les Français nous regardent. Votre comportement ne vous honore pas.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Je vous présente mes excuses : j’ai dû m’absenter tout à l’heure pour accueillir notre camarade René Pilato, élu pour bloquer la retraite à 64 ans à place de Thomas Mesnier qui, lui, y était favorable. C’est donc une bonne nouvelle. (Applaudissements des députés des groupes LFI - NUPES, SOC et Ecolo - NUPES. Protestations parmi les députés des groupes RE, Dem et HOR.) Laissez-nous exprimer notre joie ! Nous sommes un peu piquants, voilà tout...

L’amendement AS6010 vise donc à créer une contribution additionnelle à la C3S. Accrochez-vous car le taux de cette contribution doit faire peur à tous les grands capitalistes : il sera de 0,032 %. Quelle catastrophe ! Voilà encore une imposition scandaleuse qui va sans doute ruiner nos entreprises ! Son produit sera de 4,6 milliards d’euros. En réalité, nos collègues du groupe Écologiste sont plutôt gentils, car ils auraient pu proposer un taux de 0,064 %, ce qui aurait rapporté les 12 milliards d’euros que vous allez gratter en prenant deux années de vie aux Français et en envoyant 4 000 personnes de la génération née en 1968 au cimetière avant d’avoir atteint l’âge de la retraite. Voilà la violence de ce que vous êtes en train de faire ! Quand 2,8 millions de personnes descendent dans la rue pour vous le dire, vous leur répondez : « Désolé, vous n’avez pas compris. Il va falloir faire de la pédagogie. » Enfin, un peu de décence ! Un peu d’humanité !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Évitez les propos outranciers, s’il vous plaît !

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Je vous invite à adopter cet amendement, et même à augmenter en séance le taux de la contribution ainsi créée. Vous permettrez aux Français de gagner de la vie plutôt que d’en perdre.

M. Pierre Cazeneuve (RE). Selon vous, le déficit serait conjoncturel. Or l’hypothèse la plus optimiste du COR, fondée sur une situation de plein emploi et des perspectives de productivité proches de l’imaginaire, est de 20 milliards d’euros de déficit annuel pendant au moins vingt-cinq ans, soit un minimum de 500 milliards de déficit cumulé. Nous sommes un peu au-delà du conjoncturel ; il s’agit bien, en réalité, d’un problème structurel.

Les écologistes sont d’une mauvaise foi absolue au sujet de la retraite par répartition, dont le principe est pourtant très simple : ce sont les personnes qui travaillent aujourd’hui qui cotisent pour les retraités d’aujourd’hui. Si vous financez ce régime autrement – par de l’impôt ou de l’emprunt, par exemple –, vous sortez du système par répartition.

Enfin, madame Lavalette, vous marchez sur la tête. Vous n’avez aucun projet. Vous osez nous parler de déficit alors qu’il y a encore quelques semaines, vous étiez favorables à la retraite à 60 ans, pour un coût de 85 milliards d’euros. Vous soutenez maintenant la retraite à 62 ans, on ne sait trop pourquoi ni comment – c’est le flou absolu. Il y a quand même 17 milliards à trouver d’ici à dix ans ! S’agissant enfin de la réindustrialisation du pays, nous n’avons aucune leçon à recevoir de votre groupe. C’est grâce à la majorité que, pour la première fois depuis trente ans, des emplois industriels et des usines sont créés en France. Un peu d’humilité, s’il vous plaît !

M. Philippe Vigier (Dem). Le taux de couverture du financement de notre système de retraite par les cotisations sociales est actuellement de 79 %. Cela signifie que 20 % des recettes du régime par répartition, soit 70 milliards d’euros, proviennent déjà d’autres mécanismes de financement, à savoir de la CSG et de fractions de TVA affectées. Si vous voulez restaurer un taux de couverture de 100 %, vous devrez annoncer ici même, ce matin, une augmentation de 20 % des cotisations patronales et salariales. La presse appréciera.

Mme la rapporteure générale. Je souhaite adresser mes félicitations républicaines à M. Pilato, mais aussi regretter la défaite de M. Mesnier, qui m’a précédée au poste de rapporteur général et qui a honoré cette fonction en travaillant beaucoup et en formulant des propositions concrètes pour nos concitoyens. (Vifs applaudissements des députés des groupes RE, Dem et HOR. Protestations parmi les députés des groupes LFI - NUPES, SOC et Ecolo - NUPES.)

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Je pensais qu’il ne fallait pas applaudir ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je partage les propos de Mme la rapporteure générale concernant M. Mesnier, pour qui nous avons une pensée émue.

La commission rejette successivement les amendements.

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Réunion du mercredi 1er février 2023 à 15 heures (après l’article 2 [suite])

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12834144_63da6d189c9f6.commission-des-affaires-sociales--projet-de-loi-de-financement-rectificative-de-la-securite-sociale-1-fevrier-2023

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous poursuivons l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023. Nous avons procédé à l’examen de 384 amendements depuis lundi ; il en reste 5 051 à examiner d’ici à vingt heures. Nous allons donc pouvoir accélérer.

Après l’article 2 (suite)

Amendement AS5968 de Mme Eva Sas.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Nous avons commencé à dresser ce matin la longue liste des pistes de financement alternatives proposées par la NUPES, qui permettraient d’équilibrer le solde des régimes de retraite. Le déficit de ce dernier, contrairement à ce qui est dit, est limité et surmontable : entre 0,4 et 0,8 point de PIB en 2030, avec un retour à l’équilibre en 2070. Il nous faut donc trouver des solutions conjoncturelles.

En voici une nouvelle : il s’agit de restaurer la contribution additionnelle de solidarité à la taxe sur les salaires pour les hautes rémunérations, en l’affectant à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). Nous proposons de taxer à 20 % la tranche supérieure des rémunérations, au-delà de 160 000 euros. C’est une proposition de justice pour résoudre ce problème temporaire de financement de nos retraites.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. La taxe s’applique aussi à l’hôpital public ainsi qu’à des organismes coopératifs, mutualistes et professionnels agricoles. La mesure diminuerait leur budget.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques AS3410 de M. Sébastien Peytavie, AS3891 de Mme Sandrine Rousseau et AS5022 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements identiques AS3421 de M. Sébastien Peytavie et AS3895 de Mme Sandrine Rousseau, amendement AS3498 de M. Sébastien Peytavie et amendements identiques AS3471 de M. Sébastien Peytavie et AS3888 de Mme Sandrine Rousseau (discussion commune).

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’amendement AS3410 vise à corriger les inégalités grimpantes que l’arrivée de la retraite sanctuarise, en proposant une contribution exceptionnelle sur les fonds de pension, dont le produit serait affecté à la Cnav. Il y a d’un côté ceux qui peuvent mettre de côté, pour s’assurer une retraite correcte ; et de l’autre, ceux – et surtout celles – qui ont subi toute leur vie professionnelle et qui, loin d’avoir un repos bien mérité, devront à nouveau subir à la retraite. Cette proposition exceptionnelle sur les fonds de pension permettra de remettre un peu de justice sociale dans le projet de loi, qui fait payer le prix fort aux plus vulnérables. Sans remettre en cause le principe contributif, socle de notre système de retraite, nous disons que ce n’est pas aux plus précaires de payer la facture.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS3891 vise à créer une contribution exceptionnelle sur les fonds de pension qui investissent la capitalisation – 16 milliards de cotisations par an – dans des entreprises très polluantes. Par leurs placements de masse sur les marchés financiers, ces fonds imposent des taux de rendement élevés, qui obligent les entreprises à délocaliser une partie de leurs activités. Depuis les années 1970, ils jouent un rôle majeur dans la financiarisation de notre économie et le soutien aux activités polluantes.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). La capitalisation fait un retour en force. Sur Instagram, le fonds de pension à la française Papisy promet qu’en plaçant 96 000 euros, le futur retraité pourra toucher 288 637 euros. Le site Capital.fr, estimant que la réforme pourrait faire évoluer le montant de la pension « pas toujours favorablement », engage les salariés « à anticiper et à épargner dans cette optique » et livre à ses lecteurs son analyse des meilleurs placements du moment. Sur France Info, le conseiller d’un gestionnaire de patrimoine fait état d’une augmentation de 80 % en un an des demandes d’information sur l’ouverture d’un plan épargne retraite.

Certes, le millésime 2023 de la réforme des retraites apparaît moins destructeur que celui de 2019 et 2020 – le système par points rendait le montant des futures pensions inconnu et volatil, invitant les plus hauts revenus à recourir à des plans d’épargne privés pour les compléter. Depuis quelques années, Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs cherchent à rendre plus attractifs ces produits de capitalisation et à développer le marché. En 2019, la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », a créé les fonds de pension à la française, organismes de retraite professionnels supplémentaires et assoupli la réglementation.

Personne n’est dupe : vous souhaitez développer toujours plus le système de capitalisation et la marchandisation des pensions. Nous nous y opposons. Tel est le sens de ces amendements.

Mme la rapporteure générale. Je ne partage pas l’idée de créer sans cesse de nouveaux impôts. La protection sociale a des recettes très dynamiques depuis la sortie de la crise sanitaire parce que nous avons soutenu les entreprises et que la masse salariale ne cesse d’augmenter depuis 2021.

Avis défavorable.

Mme Karen Erodi (LFI - NUPES). Les fonds de pension, dont BlackRock, seront les principaux gagnants de la réforme. Ils sont vos amis et vous leur déroulez le tapis rouge depuis plusieurs années. Pour vous, les dépenses et les recettes socialisées du système de retraite sont de l’argent qui échappe aux marchés financiers. C’est pourquoi, contrairement à ce que vous affirmez, vous souhaitez encourager le développement d’un système par capitalisation. En 2019, déjà, la loi « Pacte » crée des plans d’épargne retraite et des conditions fiscales très avantageuses. En cinq ans, les cotisations annuelles d’épargne privée ont augmenté de 27 % pour atteindre 16,4 milliards d’euros en 2020. Dans l’ensemble des régimes, la part de retraite par capitalisation a augmenté de 30 % en deux ans seulement. C’est un manque à gagner non négligeable pour notre système de retraite.

En augmentant la durée d’assurance requise et en diminuant la retraite des Français, la réforme encouragera les plus aisés à se préparer un complément de retraite par capitalisation. À la NUPES, nous pensons que la tendance actuelle à la capitalisation doit cesser et que BlackRock et compagnie doivent passer à la caisse. Quand on sait que cette société a touché plus de 2 milliards du CAC40 au titre de l’exercice 2021, il serait temps de lui faire les poches ou a minima de reprendre une partie de ce que vous lui avez donné.

Mme Prisca Thevenot (RE). On commence enfin à parler du fond : deux modèles s’opposent, l’un par répartition, l’autre par capitalisation. Il est rassurant que mes collègues de gauche veulent rester dans un système par répartition. Ce système par capitalisation, qui opère dans l’ombre, existe déjà et continuera à exister si nous ne menons pas cette réforme. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoit une baisse très significative des pensions moyennes par rapport au salaire moyen si nous ne résolvons pas le problème budgétaire dont nous parlons depuis trois jours.

Je suis d’accord avec vous pour préserver notre système par répartition et faire en sorte que les Français n’aient pas l’obligation de croire à ces fantasmes de capitalisation, qui ne sont pas sains dans le système de solidarité que nous voulons. Je suis d’accord avec vous pour travailler ensemble à pérenniser notre système par répartition.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Il faut s’attaquer aux fonds de pension car les fonds de pension nous attaquent. On ne dira jamais assez leur toxicité sur notre économie, nos entreprises et leurs salariés. Ils se comportent comme des prédateurs : avec leurs rachats d’entreprise à court terme, ils viennent se payer sur la bête, puis repartent. Voilà le système de spéculation maximum qu’ils induisent ! Nous devons contribuer à rendre le système plus vertueux, pour autant que cela soit possible, en essayant de faire contribuer ces fonds à notre système par répartition.

La réforme proposée à travers ce texte budgétaire qui n’en est pas un ne répond pas à la question du décrochage des pensions par rapport aux salaires. Il ne faut pas enfumer les gens sur ce point. Nous proposons, quant à nous, d’indexer les pensions sur les salaires. Pendant des années, la compression des pensions a joué contre les retraités. Il y a fort à faire pour restaurer un droit à la retraite, qui a été beaucoup abîmé. Il est regrettable que cette réforme contribue à l’abîmer davantage.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). La capitalisation représente déjà 16 milliards d’euros de cotisations par an, dont les dividendes proviennent largement de capitaux issus de plans épargne retraite. Ces fonds sont par ailleurs des acteurs de la délocalisation, du chômage, de l’optimisation fiscale, donc de la baisse de recettes pour l’État.

Un texte, discrètement arrivé sur le bureau de l’Assemblée nationale, vise à adapter au droit de l’Union européenne diverses dispositions dans les domaines de l’économie, de la santé et du travail. Un article prévoit notamment d’accompagner l’essor de la retraite par capitalisation à l’échelle européenne. Son but est que l’on puisse transporter l’épargne retraite d’un pays de l’Union à l’autre, pour créer une nouvelle étape dans l’intégration des marchés de capitaux. En France, on détricote et on privatise, petit bout par petit bout, le système de retraite. En Europe, on prépare l’émergence des fonds de pension européens. Tout cela justifie notre amendement AS3421.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS3895 a pour objet d’instaurer une contribution exceptionnelle sur les fonds de pension de 5 %, contre 10 % pour le précédent. Ces fonds se nourrissent de la disparition de l’État social, pour enrichir les plus riches. Une contribution de 5 % est le minimum pour garantir une absence de financiarisation de notre retraite et de sa part par capitalisation.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Une des certitudes de la réforme est qu’elle creusera les inégalités entre les retraités – entre les femmes et les hommes retraités ; entre les retraités pauvres et ceux qui pourront se permettre d’épargner. Le projet d’Emmanuel Macron c’est un système à l’américaine, une grande ligne droite jusqu’à la privatisation de notre système de protection sociale : c’est l’ombre de BlackRock qui plane sur l’un des derniers piliers de la protection sociale à la française. Un gestionnaire d’actifs a ainsi déclaré sur France Info qu’entre décembre 2022 et janvier 2023, le nombre de demandes relatives aux plans épargne retraite a augmenté de 80 %. C’est l’agenda du Gouvernement derrière la réforme des retraites : ces efforts qu’il demande aux plus vulnérables viendront gonfler les caisses des banques, des compagnies d’assurances et des fonds de pension. La réforme du Gouvernement est du pain bénit pour les banques et les marchés financiers.

De plus, si le Gouvernement avait inclus dans sa réforme une étude d’impact sur ses mesures antisociales, il aurait vu qu’elle est une catastrophe pour le climat car les fonds de pension investissent massivement dans les énergies fossiles. L’ONG Reclaim Finance s’est penchée sur les mesures écologiques mises en place par les dix plus gros acteurs français du secteur : aucun n’a adopté d’engagement pour mettre fin au développement des projets de production et de transport du pétrole et du gaz. Cette réforme est aussi une aubaine pour BNP Paribas qui, en septembre 2022, détenait 2,7 milliards de participation dans les énergies fossiles.

La proposition de contribution exceptionnelle sur les fonds de pension de l’amendement AS3471 vise à remettre de la justice dans notre système, pour que les plus vulnérables ne soient pas les plus touchés par la réforme.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). André Gorz disait que la force du capitalisme est d’étendre la sphère marchande. Quant à Karl Polanyi, il estimait que le problème du libéralisme est d’avoir transformé le travail en une quasi-marchandise. Ces fonds de pension, qui font commerce de l’épargne liée à notre travail et de la diminution de la solidarité entre ceux qui travaillent et ceux qui ont arrêté de travailler participent de cette folle accumulation capitaliste, qui n’en finit plus de détruire la planète et les humains.

L’amendement AS3888 vise à les taxer de 1 %.

M. Philippe Juvin (LR). La capitalisation fonctionne. Le régime additionnel de la fonction publique, par exemple, est un régime par capitalisation, qui permet aux fonctionnaires de bénéficier d’un complément de leur retraite par répartition. L’intelligence serait non de taxer mais de compléter le système par répartition, par de la capitalisation. Le vrai progrès serait de créer un fonds de pension souverain obligatoire, garanti par l’État, pour assurer une retraite par répartition.

Les fonds de pension, dans les pays où ils existent, permettent de réunir des fonds dont les actifs dégagent de l’argent de manière considérable, pour investir dans l’économie réelle – 46 % du PIB, en moyenne, dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) où ils existent. Les fonds de pension sont aussi une manière de faire vivre l’économie et l’emploi.

Mme Sandra Regol (Ecolo - NUPES). Je salue les nécessaires amendements de mes collègues. La position de M. Juvin, spécialiste des questions de santé, m’étonne. Les fonds de pension financent avant tout les énergies fortement carbonées, celles qui altèrent la santé de chacun et creusent le déficit de la sécurité sociale. Selon le Sénat, quelque 100 milliards d’euros s’envolent chaque année en fumée du fait de la seule pollution de l’air.

Mme Thevenot fait front commun avec nous contre les fonds de pension, et pour notre système, dont le fonctionnement suppose avant tout de la solidarité. Mais il est étonnant qu’elle s’appuie sur les explications du COR, après le camouflet infligé au groupe RE par M. Pierre-Louis Bras lors de son audition par la commission des finances, concernant son interprétation toute personnelle des analyses du Conseil. Allons-nous en faire la même utilisation ou aborder enfin le fond du débat ?

M. Nicolas Turquois (Dem). Selon le COR, si l’on ne fait rien, les pensions servies aux retraités dans vingt ou vingt-cinq ans seront inférieures de 25 % aux revenus des actifs. Il est donc nécessaire d’agir.

Certains demandent pourquoi la réforme ne porte pas uniquement sur la durée des cotisations, pour laisser une liberté de choix. Lorsque cette liberté existe, ceux qui ont pu épargner choisissent de partir plus tôt car ils ont leurs trimestres. Le recul de l’âge légal de départ en retraite contraint chacun à faire l’effort. Allier les deux va donc dans le bon sens.

Il est surprenant en effet qu’il existe un régime par capitalisation pour la fonction publique. J’entends les reproches faits aux fonds de pension. Mais il ne faut pas voir dans ces fonds une entité abstraite inconnue : loin des fonds étrangers qui cherchent des taux de rendement élevés, on pourrait imaginer un fonds souverain, français, qui contribue, par des obligations légales, à financer l’économie française.

En conséquence, nous ne soutiendrons pas les amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques AS3480 de M. Sébastien Peytavie et sous-amendements AS7271 et AS7272 de M. Jérôme Guedj, AS3899 de Mme Sandrine Rousseau et AS5165 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements identiques AS3495 de M. Sébastien Peytavie, AS3904 de Mme Sandrine Rousseau et AS5182 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendement AS3468 de M. Sébastien Peytavie, amendements identiques AS3504 de M. Sébastien Peytavie, AS3908 de Mme Sandrine Rousseau et AS5189 de Mme Marie-Charlotte Garin (discussion commune).

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Avec 44 milliards de dividendes versés l’an dernier, la France a encore battu son record – elle est même championne d’Europe toutes catégories. Parmi les entreprises qui ont gavé leurs actionnaires, on retrouve BNP Paribas, Sanofi, AXA. Et le fantasme du petit actionnaire, avec ses quelques dizaines d’euros d’actions, est contredit par les chiffres : en 2019, 62 % des dividendes ont été reçus par les 0,1 % des foyers les plus aisés, dont 31 % par les 0,01 % les plus riches.

Quant à la théorie du ruissellement, elle ne vaut pas : toutes les mesures de ces dernières années, qui ont bénéficié aux ultrariches, n’ont eu aucun effet sur la population. Selon les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, le coût budgétaire de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) s’élèverait entre 2,9 et 3,5 milliards par an. Pendant que les richesses des entreprises échappent de plus en plus à leur obligation de contribuer à l’État social, il est demandé aux Français les plus précaires de faire des efforts.

Par l’amendement AS3480, visant à créer une contribution exceptionnelle sur les dividendes, nous disons oui à l’effort, celui que doivent produire les grands patrons, qui décident de priver les travailleurs et travailleuses d’une majorité de la richesse créée.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS3899 tend à créer une contribution exceptionnelle sur les dividendes. Les inégalités liées au stock et aux revenus de patrimoine plutôt qu’aux différences de salaires explosent. En 2022, Total a distribué 13 milliards d’euros de dividendes, quand le déficit annuel maximal du régime d’assurance retraite est de 12 milliards. C’est une manne qu’il est facile et moral de chercher, puisque c’est de l’enrichissement sans rien faire d’autre qu’investir dans des actions d’entreprises qui polluent, qui causent des écocides et détruisent les droits humains partout dans le monde. Je suis certaine que vous allez nous suivre.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). En 2022, un nouveau record de versement de dividendes est atteint dans l’Union européenne, avec 382 milliards d’euros. Joseph Stiglitz, prix Nobel, prône un taux d’imposition mondial de 70 % pour les plus riches. Oxfam, dans un rapport récent, appelle à taxer les dividendes. Enfin, la Banque des règlements internationaux, qui réunit chaque mois à Bâle, en Suisse, les banquiers centraux afin de coordonner les politiques monétaires, estime que « la part des profits est inhabituellement élevée à présent (et la part des salaires, inhabituellement basse). En fait, l’amplitude de cette évolution et l’éventail des pays concernés n’ont pas de précédent dans les quarante-cinq dernières années. »

Nous proposons de rééquilibrer le partage de la valeur, du capital vers le travail. Tel est l’objet de l’amendement AS5165.

M. Jérôme Guedj (SOC). Les sous-amendements AS7271 et AS7272 sont de repli. Ils prévoient que la contribution exceptionnelle sur les dividendes ne soit pas de 10 % mais de 5 % pour le premier et de 1 % pour le second.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Le RN l’a dit, il n’a rien contre les milliardaires. Comme le Gouvernement, il n’a aucun problème avec les inégalités de richesse, ni avec ceux qui creusent les inégalités, qui paient des salaires de misère aux travailleurs et travailleuses, qui maltraitent les seniors. Il ne compte pas revenir sur les 5 milliards d’euros d’ISF perdus chaque année, qui pourraient financer notre système de retraite, ni remettre en cause ce système où 1 % des riches ont capté 63 % des richesses produites. La seule solution qu’il propose aux retraités, c’est le racisme à grande échelle, le repli sur soi et sur la haine, au lieu de faire contribuer ceux qui captent injustement la majorité des richesses produites.

Pour le groupe Écologiste, être milliardaire n’est ni juste ni normal dans un pays avec 10 millions de pauvres. La France, paradis des exonérations fiscales aux entreprises, est responsable du creusement de ses inégalités. L’amendement AS3495 est une mesure d’équilibre pour que les plus vulnérables ne paient pas la facture quand d’autres triplent leur fortune chaque année.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS3904 vise à créer une contribution exceptionnelle de 5 % sur les dividendes. Joseph Stiglitz disait qu’il fallait augmenter la taxation sur les plus riches à 70 %, pour les remettre dans le bien commun. On ne peut pas se satisfaire d’un niveau d’inégalité qui progresse à une vitesse défiant l’entendement, notamment eu égard au patrimoine et aux revenus du patrimoine.

Mme Sandra Regol (Ecolo - NUPES). Je défends l’amendement AS5182. Les chiffres sont parfois contestés par ceux qui, comme la coalition présidentielle, devraient le mieux les connaître. D’après le Fonds monétaire international, dans les pays membres du G7, la part des salaires dans le PIB a baissé de 5,8 % entre 1983 et 2006. Pour la Commission européenne, au sein de l’Europe, cette diminution est de 8,6 % et de 9,3 % en France. Ces milliards d’euros devraient être au cœur de nos réflexions sur les « nécessaires réformes en cours », concernant notamment les régimes spéciaux.

Évaluons le transfert de richesses : le PIB de la France s’élève à près de 1 800 milliards d’euros. Ce sont « 120 à 170 milliards d’euros qui ont ripé du travail vers le capital », selon l’Institut de recherches économiques et sociales. Même avec des estimations basses, c’est plus d’une dizaine de fois le déficit de la sécurité sociale et une vingtaine de fois celui des retraites. Ces derniers trous sont bien souvent médiatisés mais on évoque moins celui, bien plus profond, creusé par les actionnaires dans la poche des salariés – un trou que l’on voudrait creuser encore plus, une fois venu l’âge de la retraite. Il n’y a aucune raison, économique ou financière, de vouloir creuser à ce point le niveau de vie des Français pour l’abaisser autant que vous semblez le souhaiter au travers de cette réforme.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Le Gouvernement ment quand il dit demander aux Français de faire des efforts car ce ne seront pas tous les Français qui devront en faire. Ceux qui appartiennent au 1 % des plus riches continueront en effet à profiter de leur jet privé, de leur retraite dorée, et de leurs exonérations fiscales. Or les 80 milliards d’euros de dividendes reversés par les entreprises du CAC40 aux actionnaires auraient pu contribuer au financement de notre système de retraite. Ils auraient pu servir à augmenter les salaires, donc les contributions sociales. Mais l’argent s’est évaporé dans les poches des actionnaires. L’ONG Oxfam a ainsi constaté que les écarts de rémunération entre dirigeants et salariés se sont creusés entre 2009 et 2018. Les versements aux actionnaires ont augmenté de 70 % sur la même période, tandis que le salaire moyen au sein de l’entreprise augmentait de 20 %. Refuser d’augmenter les salaires est un choix assumé des patrons.

J’entends la majorité dire que nous ne comprenons rien au système des retraites. Nous sommes en tout cas pour que l’augmentation des richesses soit affectée à sa juste place, dans les salaires des travailleurs et travailleuses, donc dans notre système de protection sociale. Oui, nous pouvons taxer les dividendes versés aux actionnaires à hauteur de 2 %. Le groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) l’avait d’ailleurs déjà proposé en 2021. La proposition est crédible et réalisable. Nous la soutenons en déposant l’amendement AS3468.

La contribution sur les dividendes est légitime et juste car les entreprises ont placé les moyens qu’elles auraient pu mettre dans la formation des seniors dans les poches des actionnaires. Ils ne se sont jamais autant gavés qu’en 2022, avec 80 milliards d’euros de dividendes empochés – contre 28 milliards en 2020 et 45 milliards en 2021. Seul un salarié sur dix a suivi une formation professionnelle entre 45 et 62 ans.

Ces différences sont d’autant plus marquées entre les catégories socio-professionnelles. Presque tous les cadres ont entendu parler d’au moins un dispositif de formation professionnelle. Ce n’est le cas que de six ouvriers et ouvrières sur dix. Les seniors et les ouvriers et ouvrières sont les plus délaissés par les formations – les employeurs ne leur accordent aucune valeur. Aucune des propositions du projet de loi n’agit pour améliorer la formation des seniors. Vous espérez que l’index seniors fera le travail. Il est un peu la lampe magique, qui exaucerait tous vos souhaits – formation, emploi, pénibilité –, sans engagement.

La contribution de 1 % est la même que celle que vous demandez aux entreprises qui enfreignent l’obligation de publier l’index seniors. La majorité a le sens du symbole : l’amendement AS3504 tend à envoyer le symbole que ceux qui s’enrichissent sur le dos des travailleurs et travailleuses doivent aussi contribuer au maintien de notre système de retraite.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nous discutons depuis longtemps du droit au travail, à un travail juste et de qualité, du droit au repos, à la paresse. Les dividendes sont une forme d’enrichissement indu et paresseux : ceux qui les touchent s’enrichissent sans rien faire qu’acheter des actions et en retirer le bénéfice une fois par an. La contribution exceptionnelle de 1 % que nous proposons par l’amendement AS3908 alimentera la Cnav. Elle résoudra des problèmes non seulement économiques et d’équilibre des retraites mais aussi philosophiques et éthiques.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’amendement AS5189 est notre dernier rempart. Un taux de 1 % n’est vraiment pas grand-chose, mais ce montant symbolique serait déjà un signal très fort de la majorité, manifestant notre volonté de ne pas laisser une forme d’oisiveté grever nos caisses de sécurité sociale.

Mme la rapporteure générale. Il ne faut pas croire qu’il n’y a pas d’impôt sur les dividendes : le taux de prélèvement forfaitaire unique est de 30 %, incluant 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux. De plus, toutes les ressources obtenues de cette fiscalité sont aléatoires et volatiles, et il me semble important que notre régime de retraites puisse disposer de recettes plus structurelles.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Il est quinze heures quarante. À vingt heures, vous allez plier les gaules et faire comme si rien ne s’était passé dans la rue ni dans notre commission. Permettez-moi donc de résumer votre pensée.

En Macronie, mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et malade. C’est le premier principe de base.

Deuxième principe : en Macronie, on fait le choix de faire payer les pauvres parce qu’ils sont les plus nombreux et d’épargner les riches parce que ce sont des amis – et, accessoirement, parce qu’ils concourent à notre élection.

Troisième principe : en Macronie, on assèche tous les outils de la République qui prend soin, pour nourrir ensuite ceux qui s’apprêtent à combler les lacunes de cette dernière : on abîme l’école publique pour enrichir l’école privée, on abîme l’hôpital pour mettre en place un système de santé à plusieurs vitesses et nourrir ainsi ceux qui font de l’argent sur la santé de nos concitoyens. Il en va de même pour la protection sociale : vous asséchez le financement des retraites par des mesures d’exonération à répétition et vous refusez toutes nos propositions visant à consolider financièrement le régime de retraites par répartition, comme nous vous le demandons avec des amendements qui sont loin d’être révolutionnaires – il s’agit seulement de prendre un petit peu de pognon là où il est pour le mettre là où il y en a besoin.

Voilà, en résumé, votre vision étroite de la République qui prend soin et de la République tout court.

Mme Charlotte Leduc (LFI - NUPES). Ces amendements évoquent quelque chose qui devrait plaire à ceux qui défendent cette réforme des retraites : la valeur travail, que vous nous avez rabâchée ce matin. Vous nous avez aussi laissé entendre, en commission des finances, qu’à la NUPES, nous n’aimions pas le travail. Or c’est précisément du travail qu’il est question avec ces amendements, et votre refus systématique de les voter montre bien que votre mission première est de défendre plutôt les intérêts du capital que ceux du travail.

Les dividendes versés cette année par les entreprises du CAC 40 représentent plus de 80 milliards d’euros, ce qui est un nouveau record. L’ensemble des dividendes versés en France aux actionnaires dépasse 250 milliards d’euros. En soumettant à cotisations ces revenus du capital, nous pourrions récupérer 48 milliards d’euros – de quoi combler le léger déficit dont il est question ici et qui vous sert d’épouvantail permanent. Il y aurait aussi de quoi financer la retraite à 60 ans pour toutes et tous avec quarante annuités de cotisation.

Faire contribuer les revenus du capital ne seraient que justice. Cela ne répond pas seulement à des questions morales, même s’il est en effet immoral de voir s’accumuler des fortunes de plusieurs milliards pendant que les plus modestes peinent à finir le mois. Il est indécent d’être milliardaire, et nous pourrions nous donner pour objectif la disparition des milliardaires, comme nous y invite le dernier rapport d’Oxfam. N’en déplaise au Président de la République, un milliardaire ne sert à rien !

Au-delà de toutes ces raisons, les dividendes et les revenus du capital viennent, je le répète une fois encore puisque vous refusez de l’entendre, du travail des Françaises et des Français. Sans travail, pas de revenus du capital ! Eh oui ! la force du travail est exploitée pour dégager des profits. Or notre système de retraites est financé par des cotisations sur la richesse créée dans le pays. Pourquoi donc la part de la richesse qui revient aux travailleurs et aux travailleuses est-elle seule soumise à cotisation ?

M. Thibault Bazin (LR). Peut-être y a-t-il des excès d’un côté et de l’autre, mais il ne faut pas opposer le capital et le travail. Le capital n’est pas une fin en soi et je m’étonne de vous entendre dire que le capital n’est pas dû au travail, car je connais des salariés, des employés, techniciens et agents de maîtrise, qui sont très heureux d’avoir une participation ou un intéressement versés sur un plan d’épargne retraite collectif. Il peut donc exister des revenus du capital issus du travail.

Il existe aussi une finance durable, avec des fonds labellisés comme investissements socialement responsables et des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, comme ceux que propose par exemple la Macif. L’important est qu’il existe des fonds éthiques et des fonds souverains qui financent pour notre pays des investissements cohérents avec nos valeurs. Nos retraités, parfois de classes moyennes, ont besoin d’épargne salariale, d’un capital permettant de financer des projets et aider la génération qui suit. Cela ne concerne pas que les très grandes fortunes – il ne faut pas caricaturer.

Ces fonds d’épargne salariale ne sont pas alimentés par les seuls salariés, mais aussi par les entreprises, dont les abondements comprennent un forfait social, certes réduit, mais qui existe. Il importe donc de rappeler que toute finance, tout capital n’est pas forcément mauvais, et qu’il peut s’agir d’un capital issu du travail et au service des travailleurs. Je connais des personnes qui ont bénéficié de leur épargne salariale pour financer leurs projets. C’est le fruit de leur travail et c’est aussi cela, la méritocratie, madame Rousseau.

Après la paresse lundi et Mbappé mardi, c’est aujourd’hui le tour du capital ! Il y a certes des excès du capital, et nous pourrons nous rejoindre sur certains points, mais une épargne salariale qui donne à des retraités des classes moyennes, au moment de partir à la retraite, la liberté de choisir entre une rente ou un capital est un vrai plus pour ceux qui ont travaillé.

M. Jérôme Guedj (SOC). Chers collègues du MoDem, cette série d’amendements s’inscrit dans la ligne des propositions formulées par votre président de groupe, M. Jean-Paul Mattei, à propos des superdividendes. Dans le même esprit, en effet, nous nous accordons à reconnaître qu’il y a un dérapage dans le versement des dividendes : les mettre à contribution pour équilibrer le régime des retraites procède de la même philosophie que celle qui animait M. Mattei lorsqu’il souhaitait les voir financer le budget de l’État. J’espère donc que, par cohérence, vous soutiendrez cette disposition.

Il ne s’agit certes pas ici de superdividendes, mais les montants en jeu sont eux aussi différents. En effet, alors que M. Mattei proposait une augmentation de 5 % du prélèvement forfaitaire unique, portant cette flat tax à 35 %, notre proposition se limite à des taux de 10 %, 5 % ou 1 %. Si donc vous admettez que certains dividendes peuvent être taxés à 35 % lorsqu’ils sont anormalement élevés – si tant est que l’on puisse définir cette notion –, vous admettrez aussi que l’on puisse taxer les dividendes en général à ces taux plus modestes.

M. Thomas Ménagé (RN). Comme le fait depuis des semaines toute la Macronie, Mme Thevenot jure, la main sur le cœur, que cette loi est destinée à préserver les pensions de retraite des Français. Vous n’êtes pas crédibles, d’abord, parce que l’une des premières mesures prises par Emmanuel Macron a été la hausse de la CSG, qui a fait baisser les retraites. Ensuite, vous refusez une réelle indexation des retraites sur l’inflation, que Marine Le Pen a toujours demandée. D’ailleurs, où se trouve l’article de votre projet de loi qui préserve le montant des pensions ? Nous avons totalement désossé votre texte, mais il ne contient rien à ce propos. On y trouve, en revanche, des exemples étrangers.

La pure logique indique que, si l’on doit travailler deux ans de plus, un grand nombre de Français ne seront physiquement pas en mesure de le faire, ce qui se traduira par des recettes décotées et par l’impossibilité, pour de nombreux Français, d’obtenir les mêmes surcotes que celles qu’ils obtiennent aujourd’hui en travaillant un peu plus.

Vous ne comprenez pas que les pensions des Français baisseront tout naturellement, notamment pour ceux qui ont les métiers les plus difficiles, ceux qui seront usés et qui ne pourront pas travailler jusqu’à 64 ans.

Apportez-nous des réponses, car les Français, et surtout les retraités, ne croient plus à votre volonté de préserver leur pouvoir d’achat, puisque vous n’agissez absolument pas dans ce sens depuis votre arrivée au pouvoir.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Quelques rectifications s’imposent à propos du rapport entre le capital et le travail. En effet, le capital est lié au travail, et même à la plus-value et à la différence entre le prix auquel on paie les salariés, c’est-à-dire la force de reproduction, et la valeur créée par ceux-ci. C’est du reste l’une des questions de ce débat car, pour vous, le repos ne consiste qu’à reconstituer la force de travail, tandis que nous défendons, pour notre part, un droit à l’émancipation, qui s’appelle la retraite – et la retraite à 62 ans, telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Le niveau moyen des 10 % de patrimoines les plus faibles est de 3 800 euros, alors que, pour les 10 % les plus élevés, il est de 607 700 euros soit 159 fois plus. Pour les 1 % les plus riches, la différence est de 1 à 503. Les dividendes font partie des choses que nous devons taxer pour encadrer le système et réinstaller un État social en diminuant le niveau d’inégalités. Nous comptons donc avec beaucoup d’espoir que vous voterez cet amendement.

Mme Prisca Thevenot (RE). Je sais que nos collègues du groupe Rassemblement National sont un peu jaloux parce que nous débattons beaucoup avec nos collègues de gauche, mais force est de constater que ces derniers ont des propositions à défendre. Nous ne sommes certes pas d’accord et nous soulignons certaines incohérences. Nous ne défendons pas le même projet de société et nous voulons conserver le système par répartition, mais je reconnais, chers collègues de gauche, que vous avez un projet à défendre.

Vous, en revanche, chers collègues du Rassemblement national, êtes dans un tunnel depuis deux jours. On ne vous entend pas, on ne vous voit pas, sauf peut-être en fin de journée, parce que vous n’avez strictement rien à proposer. Face à la constance avec laquelle nous débattons depuis deux jours, votre incontinence est fabuleuse, savoureuse ! Vous changez d’avis au gré des sondages, lisant le lendemain les fiches des uns et des autres, quitte à tourner en rond et à tomber par terre. Ne venez donc pas nous donner de leçons ! Pour formuler des demandes en matière de sécurité, de forces de l’ordre et de justice, vous ne cessez d’aller brailler sur tous les plateaux, mais quand il s’agit de prendre vos responsabilités dans l’hémicycle, vous avez toujours piscine.

M. Philippe Vigier (Dem). Monsieur Guedj, dans le mot superdividende, il y a « super ». Notre position à cet égard est très claire et nous l’avons défendue. Je crois du reste avoir lu dans la presse que cette idée cheminait, et je ne doute pas qu’elle aboutira.

En revanche, nous sommes tout à fait opposés à votre intention de taxer l’ensemble des dividendes, pour des raisons qui ont été exposées et que chacun peut comprendre. Notre logique diverge, en cela, avec la vôtre et celle de la NUPES.

Monsieur Ménagé, puisque vous ne parlez que de l’article 7, revenez donc lorsque nous l’examinerons. Un peu de patience : nous y arriverons. Et si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera la semaine prochaine, en séance publique.

La commission rejette successivement les deux sous-amendements et les amendements.

Amendements AS7013 de M. Benjamin Lucas, AS5502 de Mme Sandrine Rousseau et AS745 de M. Jérôme Guedj (discussion commune).

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Notre pays est plus riche que jamais. Lorsque François Mitterrand fait passer l’âge de la retraite à 60 ans, en 1982, le PIB français était de 588 milliards d’euros. En 2021, il est de 2 500 milliards, soit plus de quatre fois plus. On peut donc se demander assez légitimement où est passé cet argent. Il est dans certaines poches et engendre des inégalités qui se perpétuent notamment par l’héritage. De fait, la part des 1 % les plus riches dans le patrimoine total est ainsi passée de 15 % à 25 % entre 1988 et 2015, tandis que la fortune héritée en représente désormais 60 %, contre 35 % au début des années 1970. En d’autres termes, il y a bien de la richesse pour financer nos retraites : il faut simplement la répartir plus équitablement, notamment aller la chercher chez les inactifs familiers du droit à la paresse, afin de permettre aux plus pauvres d’accéder au temps libéré, si nécessaire, à la dignité et à l’épanouissement de l’être humain.

L’amendement AS7013 vise donc à financer la Cnav au moyen d’une cotisation qui s’apparente à une simple piqûre de moustique : 5 % pour les héritages de plus de 4,2 millions d’euros et 10 % pour les héritages de plus de 13 millions, sachant que cela concerne à peine une personne sur cent en France. En prenant un peu aux plus aisés, cet amendement donne beaucoup à la Cnav, et donc aux pauvres.

Je suis donc certaine que les défenseurs de la justice que vous êtes ne manqueront pas de le voter.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Je défends l’amendement AS5502. Nous citons souvent Oxfam, et cela ne vous plaît pas beaucoup, mais à propos de l’héritage, je citerai le Conseil d’analyse économique, placé auprès du Premier ministre, qui déclarait, dans une note publiée voilà un peu plus d’un an, que nous sommes en train de revenir à une société d’héritiers, comme celle de la Belle Époque, au début du XXe siècle, et que ce phénomène est très concentré : « Pourquoi se préoccuper du retour de l’héritage ? Car il porte en lui le risque d’un dérèglement profond de l’égalité des chances, valeur cardinale des sociétés démocratiques et conditions de leur possibilité d’existence à long terme. Le patrimoine hérité est en effet plus inégalement réparti que les autres formes de transmission et joue un rôle fondamental dans la constitution de profondes inégalités ‘dynastiques’ de patrimoine. »

Nous en revenons à une question que nous avons abordée voilà quelques heures au sein de cette commission : dans notre société, ce ne sont pas ceux qui le méritent qui se trouvent aux places dirigeantes, aux plus belles places. Il nous semble donc juste qu’une petite ponction sur l’héritage, très concentrée et touchant 10 % à 20 % des plus riches, aiderait à financer ce système très important pour notre société qu’est la retraite.

M. Jérôme Guedj (SOC). Depuis ce matin, nous nous efforçons d’avoir plusieurs cordes à notre arc. Après avoir essayé de taxer les retraites chapeaux, les actions gratuites et les dividendes, nous vous proposons maintenant de mobiliser le patrimoine transmis au moment des successions et donations pour financer la branche vieillesse, en prenant les précautions nécessaires pour ne pas taxer l’essentiel de ces mutations. On connaît l’inégalité de la répartition des patrimoines : les 10 % des ménages les mieux pourvus disposent au moins de 600 000 euros de patrimoine brut et détiennent près de la moitié de la masse totale. La mesure proposée par l’amendement ne pénalisera donc pas les classes moyennes.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable, car il s’agit d’une nouvelle création d’impôt.

M. Laurent Jacobelli (RN). Notre groupe ne votera pas ces amendements, que je suis un peu surpris de voir arriver maintenant. Leur seul intérêt est de faire gagner du temps, car telle semble être la stratégie de la NUPES. Il n’y a rien d’étonnant à ce que Mme Thevenot, de l’extrême centre, soit applaudie par l’extrême gauche : vous êtes les deux revers de la même médaille et êtes tous là pour que nous ne puissions pas débattre de cette réforme des retraites et qu’elle soit finalement adoptée.

Nous venons de découvrir qu’après la Macronie de droite et la Macronie de gauche, la Macronie avait désormais un courant stalinien, qui s’appelle la NUPES, qui fait tout pour vous faciliter la vie.

Allons-nous enfin parler des vrais sujets et aborder l’article 7 ? Allons-nous enfin défendre les Français contre cette réforme, qui est une atrocité sociale ? La NUPES, après avoir appelé à voter pour Emmanuel Macron, va-t-elle arrêter de faire le lit de cette réforme ? Vous êtes, comme le dirait un de mes collègues, les ennemis des travailleurs, les ennemis sociaux. Vous allez faire passer cette réforme pour flatter votre orgueil et faire des clips sur Twitter. Vous êtes irresponsables.

Mme Farida Amrani (LFI - NUPES). Revenons à des choses sérieuses. À la différence de certains autres, qui n’ont rien fait depuis le début des travaux de cette commission, nous avons travaillé.

La proposition de M. Guedj tendant à instaurer une contribution sur les successions et les donations pour financer la branche vieillesse de la sécurité sociale est excellente. De fait, pour combler ce déficit potentiel qui préoccupe tant le Gouvernement, la création d’une nouvelle tranche marginale d’imposition sur les successions serait pertinente. Cette nouvelle tranche, dont le taux pourrait être de 100 % au-delà de 12 millions d’euros de patrimoine net taxable, permettrait de récupérer près de 9 milliards d’euros par an.

Enfin, une telle mesure, qui n’aurait un impact que sur 0,01 % de la population, permettrait de financer la retraite des aides-soignantes, des éboueurs, des fonctionnaires et pratiquement de tous les Français qui étaient hier dans la rue et qui ont cherché et attendu en vain des élus du Rassemblement national.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Pour contribuer à l’apaisement de ce débat, je vais m’efforcer, à la différence de notre collègue du Rassemblement national, de ne pas brasser du vent. Notre pays est plus riche que jamais. Lorsque François Mitterrand a fait passer l’âge de la retraite à 60 ans, en 1982, le PIB français était de 588 milliards d’euros. En 2021, il est de 2 500 milliards, soit plus de quatre fois plus. On peut donc se demander assez légitimement où est passé cet argent. Il est dans les poches des plus riches et engendre des inégalités qui se perpétuent notamment par l’héritage. En effet, que vous le vouliez ou non, l’accumulation des richesses par quelques-uns, malgré votre théorie du ruissellement, est la source des inégalités et de l’extrême pauvreté. De fait, la part des 1 % les plus riches dans le patrimoine total est ainsi passée de 15 % à 25 % entre 1988 et 2015, tandis que la fortune héritée en représente désormais 60 %, contre 35 % au début des années 1970. En dépit de votre discours sur le mérite et la méritocratie, ceux qui auraient selon vous, accumulé à la sueur de leur front et en auraient quelque mérite ont sué, en réalité, pour aller chercher leur héritage, pas en travaillant.

Il y a donc de la richesse pour financer nos retraites, et il suffit d’aller la chercher là où elle est, au lieu d’imposer aux Français le sacrifice de deux années supplémentaires de travail. Nous croyons en effet qu’il faut valoriser le travail, l’effort et le mérite, et permettre à ceux qui ont travaillé toute leur vie de bénéficier d’un temps libéré, du temps légitime du repos à la retraite.

Notre amendement AS7013 vise donc à financer la Cnav au moyen d’une cotisation qui s’apparente, je le répète, à une simple piqûre de moustique : 5 % pour les héritages de plus de 4,2 millions d’euros et 10 % pour les héritages de plus de 13 millions, sachant que cela concerne à peine une personne sur cent en France. C’est une mesure très raisonnable et, si j’ose dire, très modérée.

M. Thibault Bazin (LR). L’amendement de M. Lucas a le mérite d’être plus ciblé que ceux de M. Guedj et de Mme Rousseau.

La mesure proposée percute les principes fondamentaux du système de retraite par répartition, qui sont la solidarité intergénérationnelle et la contributivité, avec des cotisations assises sur le travail. Lorsqu’un travailleur qui, à la fin de sa vie, est devenu propriétaire possède un seul bien, une reprise sur l’héritage est déjà prévue pour financer, le cas échéant, une dette liée à la dépendance, à un séjour en Ehpad ou dans un établissement pour personnes handicapées. Cette reprise est parfois même injuste par rapport à la situation de personnes qui ont gagné beaucoup d’argent mais ne sont pas devenus propriétaires. De fait, certaines personnes pouvant gagner 2 millions d’euros qui ne paient plus de taxe d’habitation et ne paient pas non plus de taxe foncière parce qu’elles sont pas propriétaires, et qui ne contribuent donc pas au fonctionnement au niveau local, ne donnent lieu, à la fin de leur vie, à aucune récupération sur leur héritage, puisqu’ils ont profité de la vie.

Il serait injuste de récupérer sur l’héritage des salariés de classes moyennes qui, au prix d’une vie de travail, sont devenus propriétaires pour financer les retraites. Il y a là une question de justice sociale, pour la pérennité de notre système. Paradoxalement, vous ouvrez une porte sur le capital alors que vous voulez éviter un système par capitalisation. Si vous tenez à préserver le système par répartition, il ne faut pas vous engager dans cette voie.

M. Nicolas Turquois (Dem). Une fois de plus, certains prétendent vouloir préserver le système par répartition, mais leurs amendements tendent à en modifier profondément la nature. Si l’on fiscalise une partie des ressources, il ne s’agira plus d’un système par répartition et, dès qu’un effort sera nécessaire, on cherchera la solution du côté de la fiscalité plutôt que de celui de la solidarité entre générations.

Une telle contribution peut avoir du sens dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, où l’on peut s’interroger sur l’accumulation des patrimoines et sur l’héritage, mais elle n’a pas sa place dans le cadre d’une réflexion sur le maintien et la pérennité d’un système par répartition.

Je m’associe par ailleurs aux propos de Mme Thevenot : si l’on entend nettement à quoi s’opposent les membres du groupe Rassemblement National, on ne sait pas à quoi ils sont favorables et il serait bien qu’ils expliquent leur position.

M. Charles de Courson (LIOT). Cet amendement est intéressant, mais il n’a pas sa place dans ce texte. Il pourrait la trouver au titre du financement de la branche autonomie, et pourrait donner lieu à un débat intéressant, mais certainement pas au titre de la branche vieillesse. Je le répète une fois encore : si cet amendement était adopté et que l’on alimentait le régime vieillesse de cette façon, le système de retraite ne serait plus un système par répartition – à moins que vous n’affectiez ces montants à des prestations non contributives, comme cela s’est, du reste, déjà fait, raison pour laquelle l’Agirc-Arrco et la Cnav financent les avantages vieillesse. Il faut réserver ce débat à la loi sur la dépendance, que nous attendons depuis maintenant une dizaine d’années.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Je m’interroge sur le jeu de rôles auquel se livrent le Rassemblement national et les macronistes. Ce ping-pong est incompréhensible. Vous avez, chers collègues du RN, conclu un deal avec les macronistes pour obtenir la motion référendaire, et vous tentez donc toutes les demi-heures, de nous mordre les mollets comme des bergers allemands – sans jamais nous faire mal, du reste, car nous avons bien compris que vous étiez les idiots utiles de la Macronie, sur ce texte comme sur tous les autres.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS747 de M. Jérôme Guedj.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement vise à créer une taxe sur les superprofits des grandes entreprises afin de financer les cinq branches de la sécurité sociale. Sans idée de dénigrer, l’ambition de cet amendement est de faire contribuer ces profits, dans un contexte où 174 milliards d’euros de bénéfices ont été réalisés par les entreprises du CAC 40 en 2020-2021 – record absolu. La France est championne d’Europe des dividendes : les actionnaires français sont parmi les mieux rémunérés. Or le patron de l’ONU, Antonio Guterres, lanceur d’alerte en la matière, a invité les gouvernements à taxer davantage leurs grandes entreprises, particulièrement celles qui collectent, par effet de bord, les fruits amers de la crise économique et géopolitique.

Pendant ce temps, on demande aux Français de se serrer la ceinture et on les abandonne à l’idée inflexible de devoir travailler plus longtemps. Nous avons pourtant, dès l’été dernier, posé sur la table des outils pour débattre avec les Français d’un référendum d’initiative partagée sur les superprofits, qui peut ouvrir une réflexion nationale essentielle. Si ce débat ne prend pas corps par le biais des institutions, des millions de Français, dans la rue, nous rappellent leur légitimité de citoyens lorsqu’ils veulent s’inviter dans la réflexion sur l’avenir de leurs retraites et, par là-même, dans ce débat incontournable sur une meilleure répartition de la richesse dans notre pays. Ils ont bien compris que c’est à eux qu’est demandé l’effort de travailler plus longtemps. L’immobilisme face aux grandes entreprises agace en une période où l’effort national est permanent pour les catégories moyennes et populaires.

Alors, quid des grandes entreprises ? Quelle est leur responsabilité ? Alors que le Président de la République a sonné la fin de l’abondance, la responsabilité nationale mérite d’être mieux partagée – c’est une revendication qui se fait de plus en plus entendre dans nos circonscriptions. Nous refusons un impôt sur la vie qui se substituerait à la contribution des entreprises les plus riches.

Mme la rapporteure générale. Nous avons déjà eu ce débat à de multiples reprises ces dernières semaines, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), du projet de loi de finances et du projet de loi de finances rectificative, et d’une mission « flash » de notre assemblée.

Je rappelle qu’il existe une contribution sociale additionnelle à l’impôt sur les sociétés, qui représente 3,3 % de cet impôt, pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 7,63 millions d’euros et dont l’impôt dépasse 763 000 euros. Je rappelle également que l’Union européenne a légiféré en 2022 sur ce sujet et peut désormais prélever 33 % des bénéfices imposables de certaines multinationales en 2022. Avec cette contribution temporaire, l’Union européenne compte récupérer 25 milliards d’euros, qui seront redistribués aux ménages et aux entreprises des États membres.

Avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo (LR). À force de débattre des heures durant du même sujet et de manier les concepts, on oublie que le financement des retraites repose sur le travail. Avec un seuil de 750 millions d’euros de chiffres d’affaires, ce qui est relativement bas, cette petite taxe, qui semble inoffensive de prime abord, représente au moins un doublement de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises concernées. Vous voulez prélever je ne sais combien de milliards d’euros sur les entreprises mais il faut considérer aussi les effets en termes d’emplois et d’investissements détruits sur le territoire national, et donc de pertes pour toutes les branches de notre système de sécurité sociale. Or, dans votre philosophie, vous ne le mesurez pas.

L’histoire nous enseigne pourtant que pays qui ont mis en place de tels systèmes se sont paupérisés. Il faut revenir à un peu plus de rationalité. Le travail n’est pas forcément le bagne et on ne construit rien dans un pays sans travail.

M. Pierre Cazeneuve (RE). Comme vient de le montrer M. Di Filippo, il ne s’agit nullement, avec cet amendement, de la préservation ni de la pérennité du système de retraites par répartition.

Avec tout le respect que j’ai pour le président Mattei, sa proposition relative aux superdividendes induisait quelques effets de bord. D’abord, elle touchait les entreprises d’une manière parfaitement aveugle. Ce dispositif, conçu dans le contexte de la lutte contre les profiteurs de crise et de la guerre en Ukraine, et dont l’amendement reprend sans doute les modèles de simulation, touchait Michelin, mais pas Total, qui était pourtant souvent cité.

Le deuxième effet de bord du dispositif proposé est qu’il ne touche que les porteurs d’actions français. Ainsi, un fonds de pension américain qui détient des actions Michelin sera épargné, tandis qu’un petit porteur français qui détient les mêmes actions sera concerné. C’est le contraire d’une préférence nationale !

Le troisième effet de bord tient à ce que le dispositif ne toucherait que des entreprises françaises. La situation est donc encore plus savoureuse : le détenteur d’une action Airbus paiera, mais pas un détenteur d’actions Boeing.

Enfin, on touche ici à la question essentielle de la répartition de la valeur ajoutée, du partage de la valeur – ce qui n’a rien à voir avec ce dont débat aujourd’hui notre commission. Dans ma circonscription, une petite PME dénommée Dassault Aviation applique, depuis sa naissance, le modèle des « trois tiers » : un tiers pour les salariés, un tiers pour l’entreprise et un tiers pour les actionnaires. C’est vers un tel modèle que nous devons nous orienter et cela donnera lieu, je l’espère, à d’autres débats dans notre assemblée, mais cela n’a rien à voir avec le sujet qui nous occupe aujourd’hui.

M. Charles de Courson (LIOT). Cet amendement propose d’instaurer une contribution exceptionnelle sur les superprofits pour une durée de trois ans. En quoi cela permet-il de financer de manière pérenne le système de retraite ? L’Union européenne préconise certes une telle taxation, mais pas pour financer les retraites.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). On nous accuse de vouloir toujours taxer les entreprises et un collègue du groupe Les Républicains objectait que le système que nous proposons n’a jamais marché. Mais votre merveilleux système ultralibéral a produit inégalités, pauvreté et catastrophes climatiques ! Il mériterait d’être réformé de fond en comble, notamment par une meilleure répartition des richesses entre capital et travail. Si l’on rémunérait mieux les salariés et qu’on améliorait leurs conditions de travail, il y aurait davantage de cotisations et pas de problèmes de financement des retraites.

M. Jérôme Guedj (SOC). Le caractère exceptionnel des superprofits est admis. Notre objectif est de trouver une ressource pour alimenter la branche vieillesse. Pour obtenir l’imprimatur si précieux de M. de Courson, je suis prêt à déposer un sous-amendement en séance pour que la taxe sur les superprofits soit affectée non plus aux branches, mais au Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Ce fonds peut être utilisé de manière conjoncturelle, comme cela a été le cas à partir de 2008.

M. Charles de Courson (LIOT). Cela s’appelle la capitalisation.

M. Jérôme Guedj (SOC). Lionel Jospin ne s’inscrivait pas vraiment dans une logique de capitalisation lorsqu’il a créé le FRR, en 2001 ! Il s’agissait de pouvoir y puiser ponctuellement pour équilibrer le système de retraite, notamment en cas de creux démographique.

Nous pourrions nous mettre d’accord sur des mesures temporaires pour abonder le FRR, qui a été siphonné après la crise de 2008 : il ne lui reste que 26 milliards d’euros.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS5991 de Mme Eva Sas.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Cet amendement propose de créer une taxe sur les milliardaires, comme Oxfam l’a proposé. Je sais que cela ne vous plaît pas et que vous trouvez incroyable la prétention de la NUPES de préserver la retraite par répartition et à ne proposer que des mesures fiscales. Nous serions en fait des méchants qui veulent la retraite par capitalisation, comme nous en accuse régulièrement M. Turquois, prétendant démasquer notre double langage. C’est bien évidemment faux et nous sommes partisans du modèle de la retraite par répartition.

Que la majorité propose une augmentation des cotisations patronales, et nous retirerons l’ensemble de nos amendements qui portent sur la fiscalité ! C’est comme cela que nous préférerions financer le système de retraite. Une petite augmentation des cotisations sociales ne suffirait même pas à compenser les aides et les baisses d’impôts dont les entreprises ont bénéficié ces dernières années.

Mme la rapporteure générale. Avis très défavorable.

Nous sommes vraiment en désaccord. Grâce à la politique menée depuis 2017, nous avons réussi à inverser les flux en matière d’expatriation fiscale. Votre amendement est une véritable machine à expatriation.

M. Jean-François Coulomme (LFI - NUPES). Vous n’arrivez pas à comprendre la nécessité d’une meilleure répartition des richesses. Comme vous adorez faire œuvre de pédagogie – qui est l’art d’enseigner aux enfants – laissez-moi, considérant que vous êtes malgré tout de bonne foi, me livrer à un petit exercice de mathématiques. Si les enfants nous écoutent, qu’ils soient attentifs.

Nous sommes 60 millions de Français à être affectés par votre réforme des retraites et à qui vous allez carotter deux années de retraite. Vous retirez ainsi 120 millions d’années au peuple de France, ce qui nous ramène à peu près au crétacé – les enfants, c’est l’époque des dinosaures. Si l’on rapporte la fortune de 200 milliards d’euros de Bernard Arnault à ces 120 millions d’années, c’est comme s’il avait touché 1 666 euros par an depuis cette époque. Et si l’on compare sa fortune à son âge de 73 ans, cela représente un revenu de 7,6 millions d’euros par jour. C’est bien mieux que le gros lot de la Loterie nationale – à laquelle vous invitez les Français à jouer pour rééquilibrer l’inégalité des chances à la naissance !

Si vous trouvez que c’est juste, les enfants, continuez à voter pour Bernard Arnault !

Mme la présidente Fadila Khattabi. L’enfant que je suis n’a pas bien compris. Déjà, il n’y a pas 60 millions d’actifs. Il faudra peut-être revoir l’énoncé de votre problème...

M. Ian Boucard (LR). Je remercie l’orateur précédent pour son effort de pédagogie : je me sens beaucoup moins bête. Les débats en cours sur les mérites respectifs du capitalisme et du communisme sont aussi passionnants. Mais je crains que les Français soient déçus, car ils attendent qu’on parle du système de retraite.

Nous n’avons pas encore abordé ce sujet, après trois jours de débats. Pourtant, les Français veulent savoir ce qui va être décidé par les représentants de la nation sur l’article 7, sur le report de l’âge légal de départ à la retraite, sur l’augmentation de la durée de cotisation ! C’est la seule véritable question. Les longs débats d’hier sur la place des virgules dans l’article portant sur l’index seniors étaient fascinants. Mais ils vont aboutir à ceci : les discussions vont s’arrêter ce soir à vingt heures alors que l’on n’aura pas abordé le cœur de ce projet de loi. C’est particulièrement dommage.

Les Français nous regardent. Nous ne sommes pas dans une manifestation. L’objectif ne doit pas être de bloquer le débat, mais de se prononcer pour ou contre cette réforme – j’y suis pour ma part opposé. Un blocage de notre assemblée serait la pire des choses aux yeux des Français.

M. Charles de Courson (LIOT). Des collègues veulent la mort des milliardaires. Je vous rassure : il suffit qu’ils filent en Suisse, au Luxembourg ou en Belgique, et l’affaire sera réglée, il n’y aura plus de milliardaires en France.

Par ailleurs, je vous rappelle tout de même que le Conseil constitutionnel a fixé un seuil au-delà duquel le taux marginal d’imposition des revenus risque d’être censuré comme étant confiscatoire !

Je vous ai déjà expliqué que les grandes fortunes françaises ne payaient pas l’ISF, grâce notamment au système de la holding de tête. C’était le cas pour Liliane Bettencourt – paix à son âme. Ces grandes fortunes ne paieront pas davantage avec votre amendement. Vous pensez qu’il pourrait rapporter 12 milliards d’euros, puisque la fortune des milliardaires français doit tourner autour de 600 milliards, mais vous n’aurez rien du tout ! C’est un coup d’épée dans l’eau.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). C’est vrai, nous n’aimons pas le fait qu’il y ait des milliardaires. Il n’est pas moral qu’un individu accumule autant de richesses, et donc de ressources naturelles.

Vous avez le droit d’aimer les milliardaires, et nous avons renoncé à vous convaincre. Mais écoutez l’appel lancé par 121 millionnaires et milliardaires le 22 janvier 2020 ! Ils ne demandent pas à faire l’aumône, mais bien à payer plus d’impôts. Il y avait alors 2 153 milliardaires dans le monde et les auteurs de cet appel invitaient à agir avant qu’il ne soit trop tard. Ils disaient eux-mêmes qu’il y a « ceux qui préfèrent les taxes et ceux qui préfèrent les fourches ». Ils demandaient que les pouvoirs publics exigent d’eux « des impôts plus élevés et plus équitables ». Nous sommes extrêmement soucieux de coconstruction, en essayant de transcrire dans la loi la volonté de ces milliardaires !

M. Christophe Bentz (RN). M. Jumel a parlé tout à l’heure, à propos des députés du groupe Rassemblement National, de « jeu de rôle » et d’« idiots utiles » de la Macronie.

Il ne s’agit pas d’un jeu. Cette réforme des retraites est grave et injuste. Elle va toucher les Français dans leur chair.

Quant à vous, utiles, vous l’êtes à la Macronie. Vous l’avez prouvé dimanche dernier en appelant à voter pour une candidate favorable à la réforme des retraites, à l’occasion de l’élection législative partielle qui s’est tenue dans la deuxième circonscription de la Marne. Ce sera une voix de plus pour cette réforme.

Mme la rapporteure générale. M. Coulomme dit vouloir répartir les richesses. Mais si vous chassez les riches, il n’y aura plus aucune richesse dans ce pays.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Ma circonscription comprend la Glass Vallée. Cette filière verrière compte 78 entreprises et 13 000 emplois. C’est là que sont réalisés les flacons des parfums de luxe pour le monde entier. C’est dans cette source que Bernard Arnault puise sa fortune.

Le travail des trieuses, des mouleurs et des décorateurs de verre est rémunéré à hauteur de 40 centimes pour un flacon – fleuron du luxe français – mis en vente sur les Champs-Élysées et qui rapporte 100 euros à Bernard Arnault. Voilà ce qui nous dérange. Je vous assure que le corps de ces travailleurs s’use davantage que celui de Bernard Arnault, dont la fortune augmente chaque jour.

Nous sommes au cœur du projet de réforme du système de retraite lorsque nous disons qu’il faut prendre l’argent là où il est pour financer la protection sociale. Nous sommes ici pour défendre la France qui travaille.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS6867 et AS6868 de Mme Sophie Taillé-Polian (discussion commune).

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Les députés du Rassemblement national ont beau s’exprimer toutes les demi-heures exactement, ils n’ont jamais rien à proposer.

Ces deux amendements proposent de créer une contribution pour les entreprises qui enregistrent un taux de licenciement pour inaptitude anormalement élevé.

Cela permettrait tout d’abord de mesurer le nombre de ces licenciements, ce dont nous sommes incapables à ce stade.

Beaucoup de salariés ne peuvent plus exercer leur métier au bout d’un certain temps de labeur, notamment en raison de troubles musculo-squelettiques (TMS). Dans le secteur public, on ne peut pas les licencier – et c’est tant mieux. On leur propose d’autres postes. Dans le secteur privé, on casse les travailleurs et on les refile ensuite à la sécurité sociale ! On s’en tape tellement qu’on ne sait même pas compter le nombre de personnes concernées.

Il serait temps de responsabiliser toutes les entreprises. D’une part, elles doivent vraiment s’efforcer de trouver un autre poste à leurs salariés devenus inaptes. D’autre part, elles doivent verser une contribution si elles licencient trop de salariés pour inaptitude – car cela montre que leur politique de prévention n’est pas à la hauteur et qu’elles ne prennent pas soin de leurs travailleurs.

C’est cela qu’il faut faire si l’on veut permettre aux gens d’accéder à la retraite en bonne santé.

Mme la rapporteure générale. La rédaction des amendements les prive de tout effet : le niveau anormal de licenciements pour inaptitude n’est pas défini. D’autre part, il s’agit encore une fois d’une imposition supplémentaire.

Avis défavorable.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Avec cette réforme des retraites, vous avez choisi de prendre deux ans de vie supplémentaires aux gens qui souffrent déjà au travail, et pour qui partir à la retraite, c’est vivre enfin.

Je soutiens ces amendements qui me tiennent beaucoup à cœur.

De nombreux métiers sont très pénibles et les salariés souffrent aussi bien moralement que physiquement. Contrairement à ce que vous pensez, beaucoup de salariés quittent leur travail parce que leur corps ne suit plus. Ils ne partent pas avec joie, mais parce que le médecin du travail les a déclarés inaptes. Cette inaptitude résulte des cadences parfois infernales et des gestes répétitifs. Je vous ai parlé hier des quarante chambres à nettoyer par jour. On peut aussi évoquer les tonnes soulevées chaque jour par les caissières ou les cadences que subissent les aides à domicile, les infirmières, les accompagnants d’élèves en situation de handicap et les salariés du bâtiment.

Il est normal que les entreprises qui licencient beaucoup pour inaptitude soient plus taxées que les autres, car cela veut dire que les conditions de travail y sont difficiles, voire horribles. Il n’est pas normal que ces entreprises créent une pénibilité au travail et qu’elles abîment le corps des gens. Il faut les pousser à améliorer les conditions de travail des salariés.

M. Charles de Courson (LIOT). Cet amendement est intéressant, mais il se heurte à la difficulté de définir ce qu’est un taux de licenciement pour inaptitude anormalement élevé. Tant que cela n’aura pas été fait, il restera inopérant. Je ne vois pas comment on pourrait l’adopter en l’état.

M. Fabien Di Filippo (LR). Je suis entièrement d’accord. Ne perdez pas de vue que l’objectif est de prévoir des évolutions professionnelles pour aider les gens à conserver leur emploi le plus longtemps possible en fin de carrière. Ce n’est certainement pas de sanctionner les entreprises sur la base de critères que nous n’aurons même pas votés, puisqu’ils finiront par être fixés par décret.

Il faut faire confiance aux branches professionnelles, en leur assignant une mission et des objectifs. Elles sont les mieux placées pour savoir comment éviter les situations qui conduisent à l’inaptitude au travail.

M. Thierry Frappé (RN). Cet amendement traite en outre toutes les entreprises de manière uniforme, en fonction du critère unique du taux de licenciement pour inaptitude. Mais cela peut être très variable en fonction des postes occupés. C’est ce qu’il faudrait préciser davantage pour mieux connaître le classement des entreprises.

Mme la rapporteure générale. L’article 9, que nous n’arriverons peut-être pas à examiner, prévoit de nombreuses mesures en ce qui concerne la pénibilité, madame Keke. Il s’agit notamment de la suppression du plafond de points et de la simplification du compte professionnel de prévention (C2P), d’un suivi médical plus régulier et de la création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle doté de 1 milliard d’euros – qui permettra de financer des congés de reconversion. Tout cela fait partie d’une politique de prévention destinée à permettre aux gens d’arriver dans un meilleur état de santé à la retraite ou à leur permettre de partir un peu plus tôt.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS7012 de M. Benjamin Lucas.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Vous éprouvez des sentiments profonds pour les milliardaires, les millionnaires, les héritiers et les rentiers. Alors j’ai bien cherché et je vous propose de faire cotiser les robots, qui, eux, ne font pas partie de votre électorat.

Le principe de cet amendement est très simple : il crée une contribution sur la richesse produite par les caisses automatiques, qui remplacent des salariés – et donc des cotisants – dans les magasins alimentaires afin d’augmenter leur rentabilité.

L’amendement n’empêche pas d’investir, mais il permet de partager.

Les robots ne vous en voudront pas d’être taxés pour protéger l’ensemble des humains, qui veulent passer deux années dans la sérénité et le repos plutôt que de travailler jusqu’à ce que l’inaptitude ou la mort s’ensuive.

Mme la rapporteure générale. Vous remettez à l’ordre du jour la fameuse taxe sur les robots. C’est une création d’impôt. Je m’étonne aussi du choix de la base fiscale : ne va‑t‑il pas pénaliser les salariés qui travaillent dans les magasins alimentaires ?

Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Nous avons depuis plusieurs jours un débat intéressant sur le capital et le travail. Une machine produit. En même temps, elle détruit un certain nombre d’emplois, mais on ne peut pas s’opposer à l’utilisation des machines lorsqu’elle permet d’éviter les travaux pénibles.

Un long débat a eu lieu à gauche depuis le XIXe siècle au sujet de ce monde idéal dans lequel les machines remplaceraient peut-être les humains pour travailler, ce qui permettrait à ces derniers de se reposer. Nous ne pouvons pas être contre ces machines mais puisqu’elles détruisent du travail, nous pouvons les taxer.

Au XIXe siècle, les ouvriers s’en sont souvent pris aux machines parce qu’ils avaient l’impression de se faire voler leur travail. Ce fut le cas avec les révoltes des luddites et des canuts. Je vous lis le Chant des canuts, que je trouve magnifique et qui vous fera peut-être réfléchir : « Pour gouverner il faut avoir / Manteaux et rubans en sautoir [...] / Nous en tissons pour vous, grands de la terre, / Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre. / C’est nous les canuts, / Nous allons tout nus. / Mais notre règne arrivera / Quand votre règne finira [...] / Nous tisserons le linceul du vieux monde / Car on entend déjà la tempête qui gronde ».

Entendez la révolte qui gronde : 2,8 millions de personnes étaient hier dans la rue pour vous dire de retirer ce projet de réforme des retraites !

Mme Émilie Bonnivard (LR). Si nos concitoyens regardent ces débats, ils doivent être affligés. Déposer des amendements aussi stupides juste pour étaler sa culture, vraiment... Cela empêche d’aborder les points essentiels de ce projet de loi qui doivent être corrigés – les questions relatives à l’âge de départ, aux carrières des femmes, aux carrières hachées, aux carrières longues, à la pénibilité !

Vous vous faites plaisir, mais vous êtes ridicules. Vous ne servez pas les intérêts des Français et vous nous empêchez de parler des sujets importants. Arrêtez ! Nous devons aborder les sujets de fond. Nous sommes réunis pour parler de la vie des gens et de la sauvegarde du système par répartition. Vous n’avez aucune considération pour la valeur travail et j’en suis atterrée.

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Je suis étonnée par le contenu des débats. Je pensais qu’on allait s’occuper de sauver le système de retraite par répartition.

On a affaire à une série d’amendements qui visent à créer des taxes et à augmenter les prélèvements. Qui va les payer ? Le premier réflexe d’un magasin de produits alimentaires va être de répercuter ces taxes sur les prix. En gros, vous proposez de financer les retraites par la baisse du pouvoir d’achat !

Il me semble plus intelligent de travailler un peu plus, mais en préservant le pouvoir d’achat des retraités comme des salariés.

Mme Laure Lavalette (RN). La NUPES nous a fait part de ses obsessions sur les millionnaires et sur l’imposition des sociétés et des fortunes. Mais aucune ambition sociale n’est possible sans la natalité – sujet qui a été à peine effleuré et dont nous n’aurons évidemment pas le temps de parler dans les trois heures qui nous restent. On a vu les réactions pavloviennes de la NUPES et de la majorité sur cette question. Seul M. Bazin a pu en parler normalement. On ne sait pas très bien ce que les familles vous ont fait pour que vous les détestiez tellement. Pourtant, sans les enfants des Trente Glorieuses, il n’y aurait pas eu de programme commun et d’alternance en 1981, ni aucune des avancées sociales de la fin du XXe siècle.

Comment se fait-il que nous ayons complètement éludé le sujet de la natalité ? Les derniers gouvernements, de droite comme de gauche, ont porté des coups majeurs aux politiques familiales dans notre pays, qu’il s’agisse du financement des modes de garde, des allocations familiales ou du quotient familial. Vous prenez souvent comme exemple l’Allemagne et l’Italie, où les gouvernements, dirigés par les socialistes locaux, ont mené des politiques macroniennes avant nous avec pour résultat de plonger leur pays dans un déclin démographique terrible.

Un système de retraite repose sur l’équilibre entre les recettes et les dépenses. S’agissant des recettes, on ne peut pas faire d’impasse sur la natalité – de même qu’on ne peut pas en faire sur le plein emploi ou la productivité.

Je vous rappelle que Marine Le Pen avait proposé que les familles qui ont un deuxième enfant bénéficient d’une part fiscale supplémentaire, et non plus d’une demi-part. Cet amendement n’a pas été adopté, ce que je regrette.

Il est dommage que la démographie ne bénéficie pas de plus d’attention dans cette commission. Être contre la natalité, c’est être antisocial.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). En tant que député de la métropole de Lyon, je me dois de réagir au sujet des canuts.

En 1831, les canuts étaient payés à la pièce et n’avaient aucune retraite. On embauchait les enfants, car ils étaient les seuls à pouvoir passer leurs petites mains dans les métiers à tisser. Heureusement, les conditions de travail ont évolué. Ne mélangez pas tout. Nous débattons des retraites et du système social que nous souhaitons préserver, et qui fonctionne par répartition.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Avec des gens comme vous, les enfants travailleraient encore ! (Exclamations.)

M. Thibault Bazin (LR). On ne peut pas laisser dire cela, madame la présidente ! C’est scandaleux !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Certains tiennent des propos outranciers. Mais les Français sont intelligents et ils n’y croient pas.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Je suis atterré par le niveau des arguments utilisés contre cette cotisation sur les robots par des gens qui méconnaissent les travaux économiques et scientifiques menés sur cette question depuis des années.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Cessez de nous faire cours !

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). En l’occurrence, c’est Bill Gates qui le fait. Cela devrait vous plaire car il est milliardaire.

Dans une interview publiée dans un magazine américain, il propose de taxer les robots au même niveau que les salariés afin de financer l’adaptation de la société à la transformation du travail. Cela compenserait les pertes de recettes fiscales dues aux destructions d’emplois, d’une part, et aiderait à financer les politiques sociales de réinsertion professionnelle d’autre part.

Je veux bien que vous fassiez tout pour éviter un débat sérieux sur la manière de financer les retraites autrement qu’en privant les Français – et notamment les plus modestes – de deux années de retraite en bonne santé. Mais essayez au moins d’avoir des arguments un peu rationnels et intelligents.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Et qui ne soient pas outranciers.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Une nouvelle fois, les mélenchonistes invectivent, insultent et racontent n’importe quoi – allant jusqu’à dire que nos collègues sont pour l’esclavage ou le travail des enfants ! – le tout pour provoquer des réactions qu’ils exploitent ensuite dans leurs belles petites vidéos. C’est leur mode opératoire. Ils l’utilisent aussi parfois sur les marchés, pendant les campagnes électorales. C’est inadmissible, et antidémocratique, comme leurs mensonges – hier, ils ont dit que nous étions à la buvette pendant qu’ils manifestaient, alors que nous recevions le président de la Rada d’Ukraine ! C’est mensonge sur mensonge ! Arrêtez !

M. Charles de Courson (LIOT). Au fond, on pourrait dire que c’est un amendement canut – c’est-à-dire qu’il est inspiré par ceux qui croient qu’on fera progresser l’humanité en freinant l’automatisation.

C’est bien entendu l’inverse qui est vrai. Lorsqu’on est caissier pendant trente ans, on souffre de TMS. L’automatisation des caisses est donc un progrès social. Toutes les taxes ralentissant ou empêchant d’amoindrir la dureté du travail des humains sont contraires à l’intérêt des travailleurs – et en l’espèce surtout des travailleuses. Il faut rejeter cet amendement.

M. Frédéric Valletoux (HOR). Nos débats, finalement assez vains, s’arrêteront dans trois heures. Nous avons face à nous des députés LFI, et par contamination NUPES, qui méprisent la démocratie parlementaire, qui vivent dans le mythe de la révolution, du peuple qui se lance à l’assaut des institutions, des sondages qui doivent gouverner. Durant trois jours, nous avons eu des propositions vides, idiotes, ineptes, des amendements inutiles enchaînés dans une logorrhée sans fin. Nous avons vu leur détestation profonde de la construction parlementaire, et nous n’avons hélas pas pu débattre sereinement des vrais sujets. C’est dommage. En attendant, puisque l’auteur veut une réponse au fond, je pense que c’est un amendement idiot qui ne sert qu’à nous faire perdre du temps.

La commission rejette l’amendement.

La réunion est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures vingt.

Amendement AS7035 de M. Yannick Monnet.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Contrairement à ce que certains pensent et malgré quelques excès de langage, nous sommes bien au cœur du débat : le financement du système des retraites. Les esprits se sont un peu échauffés parce que, précisément, nos divergences sont cruciales : vous privilégiez la contrainte sur les dépenses, nous, la recherche de nouvelles recettes.

Mon amendement vise donc à mettre à contribution non les entreprises mais le capital, à travers une contribution de 2 % assise sur les dividendes.

Mme la rapporteure générale. Nous en avons déjà débattu. C’est une imposition supplémentaire. Avis défavorable.

Mme Charlotte Leduc (LFI - NUPES). C’est bien plutôt la majorité qui se montre caricaturale. Non, nous ne souhaitons pas la mort des milliardaires, et nous ne mangeons pas les enfants non plus ! Si mort il y a, ce sera celle de nos concitoyens qui seront physiquement abîmés par votre réforme et dont l’espérance de vie heureuse à la retraite sera rognée.

Dorénavant, chaque fois que nous évoquerons les milliardaires, entendez le mot « partage » ! Un impôt juste, c’est aussi un partage des richesses. Le 18 janvier, deux cents millionnaires, dont deux Français, ont signé une tribune réclamant une plus grande taxation afin d’aider à mieux combattre les inégalités : « La solution est évidente pour tous. Vous, nos représentants mondiaux, devez nous taxer, nous les ultrariches, et vous devez commencer maintenant ».

La contribution que nous réclamons par cet amendement est plus que raisonnable. Je rappelle que les dividendes versés par le CAC40 en 2022 dépassent les 80 milliards d’euros, et que l’ensemble des dividendes versés, en France dépasse les 250 milliards.

Le partage et la justice, c’est ce que demande la grande majorité de la population.

M. Thibault Bazin (LR). Nous avons à relever le défi du vieillissement de la population et des déficits à venir. Nous devons trouver les solutions pour assurer un certain niveau de pension aux retraités.

Avant de partager les richesses, il faut les créer. Cela se fait en travaillant, ce qui permet ensuite de soutenir notre système de protection sociale. Si nous ne travaillons plus, ce ne sera plus possible. Un dividende, c’est un résultat obtenu suite à un travail. Plus ce dernier sera valorisé, plus nous nous inscrirons dans une logique gagnant-gagnant, tant pour ceux qui travaillent que pour les retraités.

Cette belle valeur qu’est la solidarité intergénérationnelle est menacée par la dette programmée du système par répartition. De nombreuses inquiétudes se sont fait jour sur la pénibilité, le cumul emploi-retraite, la retraite progressive. Nous devons collectivement y répondre en nous exprimant sur chaque amendement afin d’éclairer le débat à venir en séance publique.

Je crains qu’à l’allure où nous allons, nous ne parvenions pas à rassurer les Français sur l’avenir de notre système par répartition et sur la transmission aux plus jeunes d’entre eux de ce beau patrimoine qu’est la sécurité sociale.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Après des heures enfermés dans cette salle, je ne sais toujours pas ce que vous êtes prêts à accepter. Nous avons présenté nos propositions parfois de manière frontale, parfois de manière subtile, caricaturale ou humoristique, mais rien n’y fait : pas un seul de nos amendements n’a été adopté. À quoi servons-nous donc ? Si le groupe Renaissance attend simplement l’article 49, alinéa 3, qu’il le dise ! Qu’il assume de dire aux Français qu’il ne souhaite pas de débat parlementaire ! Pas un seul amendement !

Je vous appelle à faire preuve de responsabilité. Prenez conscience que le pouvoir exécutif n’est pas le seul et que le pouvoir législatif nous appartient !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Plusieurs amendements ont été adoptés, madame Rousseau.

M. Philippe Vigier (Dem). En effet, des amendements de l’opposition ont été adoptés. C’est la stratégie que vous avez adoptée qui aboutit à une impasse, madame Rousseau. Vous en avez d’ailleurs changé en cours de route, puisque vous deviez déposer soixante-quinze mille amendements, avant de vous décider pour quatre ou cinq mille. Vous étiez parfaitement libres de le faire. J’observe simplement que nous aurons passé tellement de temps sur l’article 2 que nous ne pourrons pas étudier le reste.

Je le regrette. Notre groupe, lui, a déposé une trentaine d’amendements. Nous avons des divergences et nous les assumons : c’est la démocratie. Mais ne dites pas que c’est nous qui empêchons le débat ! Vous avez créé vous-mêmes les conditions d’un impeachment, ne rejetez pas sur les autres votre propre responsabilité. Nous saurons demain à 17 heures ce qu’il en sera de votre stratégie pour le débat en séance publique.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Dix-sept heures trente : je commence à percevoir la petite musique du RN, du MoDem et des Playmobil : c’est de notre faute si l’examen du texte n’a pas pu être achevé.

Le choix de ce véhicule législatif qu’est un PLFRSS implique que le texte discuté en séance soit celui du Gouvernement, que des amendements aient été adoptés ou non en commission – un texte que vous aurez décidé tout seuls dans le secret de l’Élysée. De surcroît, vous utilisez une disposition législative contraignant son délai d’examen. Avons-nous jamais consacré trois journées seulement à l’étude, en commission, d’un projet de réforme des retraites ? Bien sûr que non ! Opter pour un tel délai revenait à interdire un examen complet.

Enfin, nous considérons que ce texte ne mérite pas tant d’être amendé que rejeté. Il n’y a rien à garder : ni les mesures d’âge, ni l’accélération de la réforme Touraine, ni les mesures cosmétiques pour cacher qu’on fait payer toujours les pauvres et jamais les riches. Nous avons certes joué le jeu parlementaire des amendements, mais sans illusion ni naïveté.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS5997 de Mme Eva Sas et AS7075 de M. Pierre Dharréville (discussion commune).

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Dix-sept heures trente-sept : il est temps de vous présenter le nouvel outil que nous proposons pour financer le système des retraites. L’amendement AS5997 vise à assujettir les revenus financiers des sociétés financières et non financières à une contribution pour l’assurance vieillesse au même taux que les cotisations patronales et salariales du secteur privé.

Je retiens deux choses de toutes ces heures passées en commission.

Tout d’abord, nous avons démontré l’inutilité et l’indigence absolues du dispositif de l’index seniors. Nous avons cherché à l’améliorer mais aucune avancée n’a été possible.

Ensuite, nous avons mis en évidence votre obsession à vouloir faire payer le plus grand nombre. Vous n’avez retenu aucune de nos nombreuses propositions, malgré la créativité dont nous avons fait preuve. Oui, il faut trouver des recettes supplémentaires afin, notamment, d’améliorer un système inégalitaire pour les femmes et les salariés dont les carrières sont hachées !

Même lorsque vous trouvez que l’un de nos amendements est intéressant, comme celui sur la pénibilité que je viens de présenter, vous dites qu’il est mal rédigé et pas opérationnel pour pouvoir le rejeter !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Dix-sept heures trente-neuf : j’ai une proposition sérieuse à vous faire. Si vous adoptez cet amendement AS7075, qui apportera un surcroît de recettes de 30 milliards en mettant à contribution le capital, je m’engage à retirer tous nos amendements jusqu’à l’article 7, puis je propose que l’on rejette cet article. Nous aurons ainsi réglé la question du financement des retraites et rentrerons chez nous heureux d’avoir écouté le peuple qui lutte, qui résiste et qui travaille, celui qui a fait tourner le pays durant la dure crise covid que nous avons traversée.

Mme la rapporteure générale. Nous avons déjà discuté de cette question : avis défavorable.

La réforme des retraites de 2014, qui a fait l’objet de 811 amendements, a été discutée deux jours en commission ; celle de 2010, avec 616 amendements, l’avait été durant trois jours. Il est donc possible d’examiner en trois jours un texte difficile, à condition de ne pas déposer des milliers d’amendements.

Mme Sandra Regol (Ecolo - NUPES). Et d’avoir la majorité absolue !

Mme la rapporteure générale. Nous disons depuis le début que nous voulons avancer, dans l’intérêt de tous les Français.

M. Fabien Di Filippo (LR). Je suis d’accord avec M. Jumel s’agissant des contraintes qui pèsent sur nos débats en raison du choix d’un PLFRSS.

Il faut mesurer la tension qui règne dans notre pays. Nous devons débattre des points cruciaux. Vous avez eu une journée entière, chers collègues de la NUPES, pour présenter tous les dispositifs possibles et imaginables de taxation du « grand capital », des entreprises, des rentiers et autres, mais aucun d’entre eux n’aurait pu être adopté en commission. Je le dis en toute objectivité, puisque je n’ai pas le droit de vote dans votre commission : en tout état de cause, personne ne pourrait accepter une taxation supplémentaire de 30 milliards d’euros, laquelle dépasserait d’ailleurs de loin la simple question des retraites.

Si vous voulez une satisfaction politique et symbolique, retirez vos amendements jusqu’aux articles qui sont importants aux yeux de l’opinion publique – l’âge légal, la durée de cotisation. Ils seront votés... ou non, comme l’article 7 en commission de la défense, et cela pourra vous être précieux pour la suite.

C’est vous qui avez les clefs du débat, puisque tous les amendements qui viennent sont de la NUPES. Vous pouvez le faire avancer ou continuer à le pourrir. Prenez vos responsabilités.

M. Nicolas Turquois (Dem). La réforme de 2019 était animée par un esprit d’universalisme : les mêmes règles pour tous ! Les échanges étaient plus longs parce que la fusion des quarante-deux régimes spéciaux en un système unique nécessitait plus de temps. En l’occurrence, l’ambition est bien moindre puisqu’il s’agit d’abord de rétablir des équilibres financiers et de corriger un certain nombre d’iniquités. J’observe d’ailleurs que vous défendez des propositions contre lesquelles vous vous êtes battus en 2019.

Vos amendements sont tous centrés sur les mêmes éléments. Vous auriez pu vous interroger sur les ressources possibles dans le cadre d’un régime par répartition, par le biais par exemple de l’augmentation du taux d’emploi des actifs – en particulier des seniors. Vous auriez pu creuser dans la direction du rapport à l’emploi, dont pourtant Mme Keke a bien parlé, ou de la manière dont il pourrait être possible, à mi-carrière, de proposer des réorientations aux salariés. Vous auriez pu évoquer une clause de revoyure, car elle est essentielle pour nous permettre dans quelques années de réaliser un bilan et d’envisager une adaptation, une amplification ou un arrêt de la réforme. Nous ne pourrons hélas pas en discuter puisque vous avez décidé de bloquer les débats.

Mme Sandra Regol (Ecolo - NUPES). Ces amendements visent précisément à trouver des financements. Or lorsque nous proposons des solutions, on nous accuse d’être contre le travail, d’être fainéants et de refuser d’améliorer un texte. J’espère que vous mesurez à quel point c’est absurde. Il est normal de s’opposer, puisque nous sommes en désaccord sur le fond, mais recevoir des leçons de stratégie politique ou des conseils sur notre manière de défendre plus encore les droits des Français, nous ne l’acceptons pas. Nous expliquer la façon de faire notre travail de parlementaires, encore moins !

Quel avenir proposons-nous à nos concitoyens ? Comment financer les retraites ? Comment bien vivre au travail et en retraite ? Ce sont autant de questions essentielles, mais vous refusez tout travail parlementaire. Attaquez-nous sur le fond, sur nos propositions, mais de grâce, cessez de laminer la démocratie parlementaire ! Nous n’avons pas été élus pour attendre que les choses se passent mais pour faire des propositions ! (Exclamations.)

Enfin, Mme la rapporteure générale déplore un trop grand nombre d’amendements mais comment pourrait-il en être autrement avec un texte aussi long ? La meilleure inflation, c’est celle du nombre de personnes dans les rues ! Elles n’ont jamais été aussi nombreuses pour protester contre une mauvaise réforme !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Personne ici ne s’assoit sur la démocratie parlementaire, vous ne pouvez pas dire une pareille chose ! Tout le monde a pu s’exprimer, longuement, à chaque amendement. C’est votre groupe qui a pris le plus de temps. Les Français ne vous croient pas ! Personne ici ne s’assoit sur le travail parlementaire, ne dites pas cela, madame Regol, alors que vous venez à peine d’arriver !

Mme Clémentine Autain (LFI - NUPES). En réalité, ceux qui soutiennent ce projet du Gouvernement sont à la peine depuis le début des travaux en commission. Ils incriminent donc le nombre d’amendements, mais nous en avons déposé bien moins qu’en 2019. En fait, vous ne défendez pas votre projet mais vous critiquez nos partis pris.

Si je résume, tout le monde doit faire des efforts, sauf les grands groupes et les milliardaires. Nous, nous dénonçons l’indécence des fortunes amassées. Lorsque M. Lucas a évoqué un problème moral, nous avons entendu des cris d’orfraie. Ne parlons pas de morale alors, mais de principes : nous défendons celui du partage des richesses.

Que nous dit alors M. de Courson ? Que nous voulons la mort des milliardaires, pas moins ! Si nous leur prenons une partie de leur argent, ils ne mourront pas, mais si vous faites travailler deux ans de plus les plus modestes, ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui exercent les métiers les plus pénibles, alors oui, il s’agit de vie ou de mort !

J’entends dire, aussi, que nous voudrions chasser les riches alors qu’ils seraient créateurs de richesses. Mais ce sont les travailleurs qui créent les richesses ! C’est nous qui défendons la valeur du travail : vous, vous défendez celle du capital ! Notre débat porte sur le partage de la valeur ajoutée. Vous ne supportez pas que nous puissions proposer d’autres solutions que les vôtres, alors qu’il y en a des caisses et des wagons !

M. Jérôme Guedj (SOC). Depuis lundi matin, nous faisons vivre sans discontinuer un travail parlementaire qui illustre tout ce qui nous oppose. En discutant des financements alternatifs, nous sommes au cœur du problème, là où se trouve la véritable divergence : vous avez décidé de créer un impôt sur la vie, nous vous proposons d’autres formes de financements.

Par principe, vous refusez toute nouvelle contribution supplémentaire. Mais faire travailler les gens deux ans de plus, c’en est une !

La question du partage de la richesse, oui, est bien au cœur du débat sur les retraites.

Dans son rappel, Mme la rapporteure générale a significativement oublié la réforme de 2020 : le travail en commission avait alors duré trois semaines, pour 21 600 amendements. Alors, oui, nous aurions aimé disposer du temps nécessaire pour examiner le présent texte dans son intégralité.

Mme Prisca Thevenot (RE). Deux visions s’opposent, en effet. Nous ne partageons pas la logique selon laquelle il conviendrait de taxer plus pour mieux protéger, surtout dans un système où les actifs financent les pensions des retraités.

Madame Regol, il est un peu désobligeant pour notre commission de vous entendre donner des leçons alors que vous venez à peine d’arriver pour discuter de ce texte. Depuis lundi matin, l’ensemble des commissaires ici présents, qui ont de grandes divergences, se sont attachés à débattre, en suivant les règles mais avec un temps de parole très large. Venir nous expliquer que nous ne travaillons pas, ce n’est pas faire honneur à la rapporteure générale et à la présidente, laquelle, depuis le début de cette législature, mène les débats avec brio.

M. Charles de Courson (LIOT). Le taux de la taxe proposée par cet amendement correspond à la somme des taux de cotisations des salariés et des employeurs pour le régime vieillesse : grosso modo, il s’élève à un peu plus de 20 %. S’il était appliqué aux dividendes, soumis ou non à un prélèvement forfaitaire, la taxation se situerait au-delà du plafond applicable selon le Conseil constitutionnel.

Un tel amendement peut susciter la réflexion, mais ne tient pas la route. Tant mieux, parce qu’il détruirait le régime par répartition, où ce sont les cotisations qui rendent possible l’ouverture de droits. De plus, il n’est pas tout à fait exact de dire que le financement actuel est mixte car les financements de l’État, voire de la Cnav ou des Assedic compensent des mesures spécifiques.

Ce peut être un choix : les Anglais ont cassé leur système par répartition. Mais ils n’ont pas la même tradition que nous, à laquelle nos collègues de gauche, à ma connaissance, sont attachés. Si vous assurez le financement d’un système à coups d’impôts, l’étatisation sera complète et la répartition en lambeaux.

M. Matthieu Marchio (RN). Cela fait trois jours que la NUPES nous fait son numéro d’obstruction pour nous empêcher d’étudier l’article 7 disposant de l’ignoble report de l’âge légal de la retraite. Leurs amendements nous font penser à un débat sur l’émission « La Valise RTL » ! Maintenant, ils proposent taxes sur taxes, comme si c’était une solution miracle. Si l’on donnait le Sahara à la NUPES, dans cinq ans, il faudrait racheter du sable !

Je regrette que nous n’ayons pas pu aborder le fond de cette réforme. Dans les bassins miniers, les salariés sont usés par le travail. Avec les couvreurs, les carreleurs, les serveurs, les soignants, les caissières, les personnes handicapées, les mères seules, dont les carrières sont hachées, ils se moquent éperdument de ces débats. Ils veulent être protégés, que l’on protège notre modèle de République sociale. Nous sommes encore nombreux à avoir une vision humaniste des choses où, après une vie de dur labeur, il est possible de profiter d’une retraite en bonne santé et de ses proches.

Retirez donc vos amendements afin que nous puissions parler du report de l’âge légal de départ en retraite à 64 ans !

M. Paul Christophe (HOR). Il est dix-sept heures cinquante-neuf, l’heure où arrive ce à quoi nous nous attendions : nous savions bien que vous finiriez par nous reprocher le manque de temps pour étudier la multitude des amendements que vous avez déposés. Mais vous ne pouvez pas à la fois revendiquer une stratégie d’obstruction, comme vous l’avez fait hier, et nous reprocher de manquer de temps ! Il faut choisir !

Il n’est pas dans nos habitudes, dans cette commission, de juger de la qualité du travail parlementaire des uns ou des autres. Des sujets importants ont été introduits dans un débat qui a été assez riche, peut-être parfois un peu vif, mais qui a eu le mérite d’exister. Comme l’a dit la présidente, chacun a pu s’exprimer, avec un orateur par groupe.

J’apprécie la volonté de M. Guedj d’engager le débat sur le partage de la richesse mais il importerait également de traiter de la valeur et de la place du travail dans notre société. Nous aurons sans doute l’occasion d’en parler en séance publique.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS6004 de Mme Eva Sas.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Cet amendement vise à fixer à 2 % le taux des cotisations patronales déplafonnées affectées à l’assurance vieillesse, ce qui correspond à une hausse de 0,1 point. C’est une réponse à l’invitation de M. de Courson à trouver des recettes non fiscales pour financer le système de retraite.

Notre choix de mobiliser des recettes fiscales ne remet absolument pas en cause notre attachement à la redistribution et à la retraite par répartition. Ce n’est pas contradictoire. Nous considérons simplement que la réduction de certaines inégalités qui ne sont pas liées au travail – l’égalité entre les hommes et les femmes par exemple – justifie de recourir au budget de la nation.

Mme la rapporteure générale. La hausse des cotisations d’assurance vieillesse ne résoudra rien. Selon les travaux du COR, le financement des déficits cumulés, dans l’hypothèse d’un chômage à 7 %, exigerait d’augmenter de 1,7 point le taux de prélèvement global. En 2030, une hausse de 442 euros par an des cotisations serait nécessaire pour équilibrer le système. Une telle option n’est pas souhaitable.

Avis très défavorable.

M. Thibault Bazin (LR). Aujourd’hui, les cotisations des travailleurs financent les pensions des retraités. Alors que le nombre de retraités augmente, si nous refusons de voir le niveau des pensions et le pouvoir d’achat des salariés baisser, il faut trouver d’autres solutions de financement. Vos amendements ne me semblent pas apporter des ressources financières durables, capables d’assurer la pérennité de notre système.

Avant de partager les richesses, il faut les créer et pour ce faire, il faut travailler. Jusqu’à présent, notre système repose sur la contributivité et la solidarité entre générations. Les cotisations liées au travail en sont le cœur.

Le choix d’un PLFRSS nous interdit d’évoquer certains sujets relatifs au travail, sur lequel on nous promet un texte prochainement. Et plusieurs autres sujets restent à débattre, dont les droits familiaux – je regrette que la réflexion sur les corrections à apporter soit confiée au COR – ou l’assiette de cotisation des indépendants – la discussion est renvoyée au PLFSS 2024.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). Les solutions de financement que nous proposons doivent permettre d’éviter de pourrir la vie de millions de gens en augmentant l’âge de départ à la retraite.

Je vais vous faire une confidence, après avoir lu un article qui me renvoie à mon passé militant. Il y est rapporté que Nicolas Sarkozy encourage la droite à soutenir la réforme des retraites et à tenir compte des combats qui ont été les siens.

Mon propre engagement politique est lié à la réforme des retraites menée par Nicolas Sarkozy. Je viens de la droite, précisément du MoDem. C’est Nicolas Sarkozy qui m’a convaincu de rejoindre Jean-Luc Mélenchon, qui venait d’écrire Qu’ils s’en aillent tous. En effet, lors de la crise des subprimes, l’État a sauvé des banques qui avaient fait n’importe quoi, et c’est ensuite la spéculation des banques contre la dette des États qui a contraint à faire une réforme des retraites en 2010. Or, déjà à l’époque, on aurait pu faire autrement.

Vous finirez par retirer la réforme des retraites, c’est une certitude. Vous allez perdre. Mais avant cela, vous aurez convaincu, comme je l’ai été, des milliers de gens de l’inefficacité du système économique que vous défendez et de son inhumanité. Nous pourrions presque vous remercier.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Les Français sont ravis d’entendre les membres de la NUPES raconter leur vie mais nous attendons toujours un contre-projet viable. Existe-t-il un pays où on paierait plus d’impôts qu’en France et où la retraite serait à 60 ans ? Comment faire pour retenir dans ce pays toutes les personnes et les entreprises que vous voulez taxer davantage ?

Nous arrivons bientôt au terme des débats en commission et nous ne savons toujours pas non plus ce que propose le fameux projet de Marine Le Pen. À qui le Rassemblement national compte-t-il demander des efforts pour combler le déficit du système de retraite ?

M. Christophe Bentz (RN). Les amendements ne sont pas tous inintéressants mais je propose à ceux qui ont hâte de connaître le projet de Marine Le Pen et aux autres d’examiner en priorité l’article 7. Il est dix-huit heures, il ne nous reste que deux heures pour parler du cœur de la réforme et confronter nos points de vue.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). M. Bazin a donné un argument qui est non seulement le plus ringard qui soit mais aussi au cœur du débat qui nous oppose depuis plusieurs heures.

Selon lui, pour partager les richesses, il faut d’abord les créer. S’il est aussi gourmand que moi, il aurait pu dire « avant de couper les parts du gâteau, il faut d’abord le préparer ». Monsieur Bazin, regardons ensemble la vitrine de la pâtisserie : elle déborde de crème ; les ultrariches se sont plus enrichis en quelques mois de pandémie qu’en une décennie ! Le patrimoine moyen des 10 % des Français les plus pauvres est de 3 800 euros quand il est pour les 1 % des Français les plus riches de presque 2 millions d’euros. Les richesses sont là, elles n’ont tout simplement jamais été aussi mal partagées. Votre argument ne tient pas la route.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6008 de Mme Eva Sas.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). À celles et ceux qui voudraient parler de l’article 7, je rappelle que le choix du Gouvernement d’un PLFRSS nous oblige à adopter d’abord les recettes.

Pour résoudre le problème de financement conjoncturel auquel nous sommes confrontés, l’amendement vise à augmenter les cotisations sociales patronales déplafonnées.

Si nos propositions en matière de financement sont aussi nombreuses, c’est parce que les richesses dans notre pays le sont aussi. Il n’est nul besoin d’en créer davantage, notamment au détriment de notre environnement. La société doit cesser sa course folle à la production d’un nombre toujours plus important de biens, pas toujours utiles, et ralentir, notamment en partageant le travail. C’est ainsi que nous vivrons heureux sur une planète dont les limites sont désormais connues.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Les propos de M. Bazin ne sont pas ringards, ils sont très répandus sur les plateaux de télévision.

Tous les jours, les agents d’entretien, les caristes, les manutentionnaires, les chefs de rayon dans la grande distribution, les agents des hôpitaux, les enseignants créent de la richesse. Jamais la France n’a été aussi riche.

Lorsque le même jour, dans Les Échos, vous lisez en Une « Retraites : les derniers arbitrages du Gouvernement » et en page 27 « Dividendes record pour les géants du CAC40 en 2022 », la question de la répartition de ce gâteau qui ne cesse de grossir se pose. Elle se pose d’un point de vue économique et social, mais aussi moral.

L’unité de la nation était au cœur des vœux du Président de la République, unité face aux crises que nous avons traversées – covid, guerre en Ukraine – mais aussi face à la crise écologique que nous subirons durablement. Comment garantir l’unité de la nation quand les Français ont le sentiment d’une sécession des riches – qui trouve un prolongement dans la sécession d’Emmanuel Macron ? Dans L’Opinion, on lit aujourd’hui un article titré « Macron seul contre tous », dans lequel même François Bayrou admet qu’une « partie importante de l’opinion ne se reconnaît pas dans cette réforme », et un parlementaire de la majorité s’interroge : « et encore je ne sais pas si son gouvernement soutient vraiment la réforme » ! Qu’un homme seul décide d’imposer sa réforme contre les trois quarts des Français, contre neuf salariés sur dix, contre les millions de personnes rassemblées dans la rue, c’est préoccupant. La sécession des élites est un souci pour la démocratie.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS731 et AS730 de M. Jérôme Guedj (discussion commune).

M. Jérôme Guedj (SOC). Dans votre argumentation, vous présentez les trois options pour résorber le déficit programmé : allonger la durée du travail – ce que vous préconisez –, baisser les pensions – personne ne le veut –, augmenter les cotisations – vous êtes hostiles à tout prélèvement supplémentaire.

À travers ces amendements, nous assumons le choix d’une hausse des cotisations vieillesse, qu’elles soient salariales ou patronales. Selon le COR, il faut 12 milliards d’euros pour équilibrer le système en 2027. Pour y parvenir, nous vous proposons une augmentation de 0,8 point des cotisations, selon une répartition entre cotisations patronales et salariales à déterminer par décret, qui représenterait une hausse de 14 euros par mois pour le Smic et de 28 euros pour le salaire médian.

Ce débat est crucial. Vous avez refusé toutes les solutions de financement alternatives. Pourquoi ne pas demander à nos concitoyens et aux entreprises s’ils préfèrent deux ans de travail supplémentaires – avec les problèmes liés à l’emploi des seniors, que vous ne résoudrez pas de sitôt – ou une augmentation des cotisations assortie d’une clause revoyure permettant d’ajuster chaque année le montant nécessaire ? La seconde possibilité n’est-elle pas bien plus consensuelle ?

Vous me rétorquerez que vous ne souhaitez pas alourdir les cotisations, quelles qu’elles soient. Dans les amendements après l’article 3, nous vous démontrerons que les exonérations de cotisations – 80 milliards d’euros au total, dont 18 milliards pour la seule branche vieillesse –, dont l’inefficacité économique est avérée pour la plupart, peuvent être une source de financement.

De nombreux commentateurs l’ont dit, c’est la première fois que les entreprises ne sont pas mises à contribution : seuls les travailleurs paient. Vous voulez de l’équilibre ? Acceptez une hausse des cotisations pour éviter l’impôt sur la vie que sont les deux années de travail supplémentaires.

Mme la rapporteure générale. Son président nous l’a bien précisé, le COR ne fait pas des propositions mais des prévisions, contrairement à ce qu’indique l’exposé sommaire.

La hausse des cotisations a été expérimentée lors de la réforme Touraine – elle était de 1,15 point – et elle s’est traduite par une augmentation du coût du travail et une baisse du salaire net. Nous préférons développer l’emploi – 1,5 million d’emplois créés – pour ne pas avoir à alourdir les cotisations.

M. Jean-François Coulomme (LFI - NUPES). Certains se sont plaints tout à l’heure du risque d’une imposition confiscatoire : l’argent pris à ceux qui détiennent des capitaux phénoménaux serait comparable au sang de ceux qui devront travailler plus longtemps...

Je vous lis un article du Nouvel Observateur datant de 2012 : « aux États-Unis dans les années trente, la crise économique amène le président Roosevelt à modifier l’équilibre existant entre le marché et l’État, redistribuant ainsi les profits économiques. Le New Deal destiné à relancer l’économie américaine fut accompagné d’une nouvelle donne fiscale. “Après tout, les impôts sont les cotisations que nous payons pour jouir des privilèges de la participation à une société organisée” disait Roosevelt. Les années vingt ont vu une explosion des très hautes rémunérations. Quand le président démocrate arrive au pouvoir, en 1932, le taux marginal de l’impôt sur les revenus les plus élevés est de 25 %. En trois étapes, il fera passer progressivement ce taux à 91 %. En 1935, le Revenue Act, familièrement appelé Soak the rich tax, remet à plat les règles d’imposition pour les hauts revenus. Les personnes gagnant plus de 200 000 dollars par an, soit un million de dollars aujourd’hui, sont taxées plus fortement à hauteur de 63 %. La loi fut révisée en 1936, augmentant le taux à 79 % pour atteindre 91 % en 1941. Pendant près de cinquante ans, les États-Unis vivront avec un taux marginal d’imposition sur les très hauts revenus proche de 80 %. »

Il y a de la marge avant que vous soyez accusés d’être des bourreaux de riches ! Je passe sur le fait que certains groupes politiques, qui se réclament d’une Europe chrétienne, pourraient faire appel à la charité chrétienne.

M. Didier Martin (RE). Nous venons d’entendre de la bouche de Jérôme Guedj le nouveau slogan de la NUPES : « l’impôt sur la vie » que seraient deux ans volés aux retraités.

L’âge réel de départ à la retraite est en moyenne de 63 ans et un mois pour les femmes et de 63 ans et six mois pour les hommes. Il est donc abusif de parler d’années de vie volées.

Nous sommes opposés à la hausse des cotisations vieillesse pour les salariés et pour les entreprises car nous refusons d’amputer le pouvoir d’achat des premiers et nous voulons le plein emploi. C’est lui qui permet de financer la protection sociale de notre pays.

La réforme améliore la redistribution entre les hommes et les femmes au moment de la retraite en réduisant les écarts, à l’instar de ce que nous faisons pour les rémunérations.

M. Philippe Vigier (Dem). Dans sa démonstration, M. Guedj a passé sous silence les 30 milliards d’euros de déficit structurel. Le rapport du COR et le premier président de la Cour des comptes le disent, si nous ne faisons rien, le système n’est pas soutenable.

Parmi les trois options que M. Guedj a rappelées, je le rejoins sur l’impossibilité de baisser les pensions. En revanche, je suis en désaccord total sur la hausse des cotisations salariales. Alors que vous avez été les premiers à critiquer, à juste titre – c’était une faute, je le reconnais – la baisse de 5 euros de l’aide personnalisée au logement (APL), comment comptez‑vous expliquer aux Français qu’il faut leur enlever 14 euros ?

Il existe pour nous une troisième voie, qui suppose sans doute une réorganisation du travail ou une évolution du temps de travail, sur laquelle nous pourrions nous retrouver.

La clef de l’équation est le taux d’emploi des seniors. Selon Jean-Hervé Lorenzi, le retour à l’emploi de 825 000 seniors rapporterait 48 milliards d’euros. Battons-nous pour y arriver mais, de grâce, ne touchons pas aux cotisations.

Enfin, Jérôme Guedj, la hausse de la CSG en 2018 a été unanimement jugée injuste – nous souhaitons revenir dessus. Ne faites pas ce que vous avez critiqué de notre part ! Faites preuve de cohérence : 14 euros, c’est près de trois fois les 5 euros de baisse de l’APL.

M. Thibault Bazin (LR). Après la confusion entre paresse et repos de Sandrine Rousseau, je regrette la confusion de certaines références spirituelles. Dans la tradition chrétienne, pour ce que j’en sais, ce qui importe, c’est la dignité du travail, qui permet à celui qui l’effectue d’être considéré comme une personne. Cela n’a rien à voir avec la charité.

Dans le contexte actuel, je ne suis pas certain que l’image de la crème qui déborde dans les pâtisseries soit très heureuse. Nos concitoyens sont préoccupés par l’inflation et nos boulangers-pâtissiers particulièrement par la hausse des coûts de l’énergie.

Nous pourrions redistribuer bien davantage si nous produisions plus de richesses. C’est la raison pour laquelle nous devons améliorer le taux d’emploi des jeunes, des mères de famille et des seniors. L’excellence de notre modèle de protection sociale repose sur deux piliers indissociables, la solidarité et la production de richesses, et la charité n’a rien à y voir !

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS733 de M. Jérôme Guedj, amendements identiques AS732 de M. Jérôme Guedj, AS3352 de M. François Ruffin, AS3353 de M. Hadrien Clouet, AS3354 de Mme Rachel Keke et AS5503 de Mme Sandrine Rousseau (discussion commune).

Mme Mélanie Thomin (SOC). Les amendements AS733 et AS732 visent à créer une surcotisation sur les hauts salaires au bénéfice de l’assurance vieillesse.

Lors de sa campagne, de manière inflexible, le Président de la République avait affirmé l’ambition de nous faire travailler plus longtemps pour préserver obstinément l’équilibre des comptes publics au détriment d’une certaine idée de notre protection sociale. Ce choix a coûté cher à bon nombre de ses lieutenants dans l’hémicycle, Mickaël Bouloux et moi pouvons en témoigner.

La demande adressée aux Français de travailler plus longtemps s’inscrit dans un contexte particulier qui crée un gouffre entre les attentes du terrain et les ambitions présidentielles. Le débat parlementaire doit évidemment s’intéresser au financement du système tout en répondant à l’urgence du moment alors que les inquiétudes suscitées par le projet de loi sont fortes.

Vous demandez un effort supplémentaire aux Français, alors que nous vivons une crise aiguë en matière d’accès aux soins. Dans ma circonscription, les habitants n’ont plus accès ni à la médecine de ville ni à l’hôpital alors qu’ils cotisent pendant toute leur vie professionnelle. La rupture d’égalité est permanente et l’injustice vertigineuse.

Le prix du litre d’essence a de nouveau atteint près de 2 euros ; les étudiants sont de plus en plus nombreux à faire la queue aux banques alimentaires ; et malgré la hausse du coût de la vie, vous demandez aux Français de sacrifier deux années de plus.

Pendant ce temps, les grandes entreprises ont versé 44 milliards d’euros à leurs actionnaires au deuxième trimestre 2022. BNP Paribas, LVMH, Sanofi et AXA ont cumulé 35 milliards d’euros de bénéfices nets en 2021 et ont versé des dividendes en hausse de 32 %.

Il nous semble donc légitime de poser la question de la redistribution des richesses pour préserver l’équilibre financier de nos retraites. Les grandes entreprises ont une responsabilité et les hauts salaires un rôle à jouer. Les deux amendements ne sont pas grand‑chose pour eux mais ils sont un grand pas pour l’égalité et la justice républicaines.

Mme Farida Amrani (LFI - NUPES). L’amendement AS3352 vise à augmenter le taux de cotisations salariales déplafonnées d’assurance vieillesse sur les revenus supérieurs au plafond de la sécurité sociale.

Le système de retraite n’est pas en faillite. Les maigres économies que le Gouvernement escompte en faisant travailler les Français plus longtemps sont équivalentes à la baisse des impôts de production promise.

Le Gouvernement fait fi des surcoûts que sa mesure entraînera en matière de chômage, de santé et de prestations sociales. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un relèvement de l’âge légal à 64 ans générerait des économies infimes, de l’ordre de 2,5 milliards d’euros. Mais selon le rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale, la hausse d’un point des cotisations sociales déplafonnées rapporterait 6 milliards.

Nous défendons une autre vision de la société. Nous militons pour la réduction du temps de travail ainsi que la hausse des salaires et des pensions. Cela a un coût. La surcotisation sur les hauts salaires permettra d’en financer une partie.

Mme Charlotte Leduc (LFI - NUPES). Je dois le reconnaître, vous mettez du cœur à l’ouvrage – quoi que vous sembliez y croire de moins en moins, et pour cause : vous ne parvenez plus à convaincre personne que le régime des retraites est en faillite. Plus vous expliquez, plus les gens comprennent que les dépenses de retraite sont relativement maîtrisées, comme le rappelait le président du COR.

Votre dogmatisme libéral, qui vous conduit à multiplier les cadeaux fiscaux aux plus riches et à baisser à tout prix le coût du travail, a pour conséquence d’assécher les recettes.

Rappelons que le travail ne coûte pas, il produit de la richesse. Ce qui coûte, c’est la ponction qu’opère le capital sur le fruit du travail. À l’aide d’une rhétorique culpabilisatrice serinée à outrance, vous avez fini par convaincre bien des gens du coût excessif du travail et de la nécessité de l’abaisser pour créer des emplois. Quarante années de politique néolibérale nous prouvent le contraire : les exonérations de cotisations sociales se sont multipliées et le chômage n’a cessé d’augmenter.

Vous vous gargariserez certainement des chiffres en matière de chômage. Mais quand on radie les gens en masse, quand on réduit les périodes d’indemnisation et quand on supprime les droits pour des millions de personnes, le nombre d’inscrits à Pôle emploi diminue et l’on peut proclamer haut et fort que le chômage a baissé !

Pourquoi ne pas parler du coût du capital qui augmente chaque jour en raison de votre politique ? Les maigres économies que le Gouvernement souhaite faire en volant deux années de vie aux Françaises et aux Français équivalent à la baisse des impôts de production promise au Medef ; les aides publiques aux entreprises représentent plus de 150 milliards d’euros par an. Voilà ce qui coûte cher !

Deux réalités s’imposeraient à vous si vous étiez de bonne foi : le système de retraite n’est pas en faillite, et le lien entre coût du travail et chômage est inexistant, surtout s’agissant des hauts salaires.

L’amendement AS3353 a pour objet d’imposer une surcotisation pour les salaires supérieurs au plafond de la sécurité sociale afin qu’ils participent davantage à la solidarité nationale. C’est un premier pas dans l’application du principe qui devrait prévaloir selon lequel chacun cotise selon ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins.

Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). Vous avez décidé de condamner le peuple à deux ans ferme pour prétendument sauver le système de retraite.

Il n’est que dix-huit heures trente-six, votre apéro n’aura pas lieu avant vingt heures. Mais vous, à vingt heures, vous pourrez passer à autre chose.

En recourant à un PLFRSS et à l’article 47-1 de la Constitution, vous avez fait le choix de vous débarrasser de tout débat démocratique et d’expédier l’examen des amendements au sein de la commission.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Revenez-en à l’amendement, s’il vous plaît.

Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). Vous prétendez qu’il n’y a pas d’autre choix que les deux ans ferme que vous infligez au peuple. Nous ne cessons de vous démontrer, amendement après amendement, qu’il existe bien d’autres solutions.

Samedi, à l’occasion d’un café populaire dans le quartier Saint-Blaise dans le 20e arrondissement de Paris, une femme secrétaire a eu ces propos très forts : « Dans mon entreprise, mes supérieurs ont plusieurs zéros de plus que moi sur leur feuille de paie. Pourquoi ne leur prend-on pas à eux ? Moi, on va me prendre deux ans de ma vie. Elle est où la justice ? »

Jusqu’à présent, vous avez refusé toutes nos propositions mais cet amendement AS3354 est vraiment très modeste.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Je défends l’amendement AS5503. Mes collègues vous ont démontré que d’autres choix sont possibles pour financer le système de retraite que de priver les Français de deux ans de bonheur, de repos, parfois de réparation après des carrières dures et pénibles ; deux ans d’engagement associatif et pourquoi pas syndical – on a vu hier que le syndicalisme avait de l’avenir dans notre pays.

Une question profondément morale est au cœur de ce débat. À nos yeux, il est profondément immoral de laisser une infirme minorité accumuler les richesses et s’approprier les ressources, créant une sécession dans la société. Il est immoral de voir cette opulence croître à mesure que vos politiques publiques se déploient et dans le même temps de demander aux Français de sacrifier deux années de vie en bonne santé au nom d’impératifs idéologiques.

Les Français sont d’accord avec nous. C’est la raison pour laquelle ils étaient hier 2,8 millions dans la rue dans toute la France, et 8 700 à Annonay, la ville dont a été maire le ministre du travail, du plein emploi et du retournement de veste ! C’est la démonstration évidente d’une soif de justice et de dignité dans notre pays. Il est dix-huit heures quarante et jusqu’à vingt heures, vous l’entendrez.

Mme la rapporteure générale. Madame Simonnet, nous n’expédions pas les amendements : depuis lundi matin, je m’attache à donner un avis sur chacun d’entre eux, même lorsqu’ils sont répétitifs.

Madame Thomin, je suis en complet désaccord avec vous. Augmenter le coût du travail, c’est détruire des emplois, donc de la richesse. Or nous avons besoin de produire plus de richesses pour financer nos hôpitaux publics, mais aussi pour faire face aux conséquences de la guerre en Europe, ainsi qu’aux défis de la souveraineté énergétique et de la transition écologique. Or, pour faire croître nos richesses, il ne faut surtout pas augmenter le coût du travail.

Avis défavorable.

Mme Prisca Thevenot (RE). Il est dix-huit heures quarante et un et la NUPES a fini par être prise à son propre jeu. À force de dire tout et n’importe quoi, vous avez fini par vous contredire vous-mêmes. Vous proposez d’introduire une surcotisation sur les salaires les plus élevés : cela n’est guère surprenant, puisque vous ne pensez qu’à taxer celles et ceux qui sont le plus à l’aise financièrement. Ce matin, pourtant, vous nous avez fait voter un amendement qui favorise, non pas les retraités les plus modestes, mais les plus aisés. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Marianne, qui titre : « La Nupes obtient la baisse de la CSG et fait un cadeau aux retraités aisés ». Où est la cohérence dans tout cela ?

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Ces amendements, contrairement aux précédents, visent au moins à garantir l’équilibre du système par répartition : vous reconnaissez donc enfin qu’il est déséquilibré.

Toutefois, jouer sur les cotisations, comme vous le proposez, c’est rééquilibrer le système à crédit. Vous savez bien, car vous le répétez sans cesse, que les cotisations payées par les employeurs et les employés, ce sont des salaires différés. La proposition de M. Guedj – 28 euros par mois pendant quarante-trois ans – revient à prendre 15 000 euros à chaque Français. Plutôt que de confisquer ces sommes, la majorité préfère demander aux Français de travailler plus, pour garantir la survie de notre régime et augmenter les futures pensions.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques AS7083 de M. Pierre Dharréville et AS7108 de M. Yannick Monnet.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Par ces amendements, nous proposons d’augmenter les cotisations patronales des entreprises qui n’ont pas une attitude vertueuse en matière de politiques salariales, d’emploi et de formation, d’une part, ou qui ne respectent pas les objectifs écologiques et environnementaux, d’autre part.

Mme la rapporteure générale. Ces amendements auraient pour effet d’augmenter le coût du travail. J’y suis donc défavorable.

M. Marc Ferracci (RE). L’esprit de cet amendement, c’est celui du bonus‑malus, sauf qu’il n’introduit que le malus, si bien qu’il se traduira par une hausse systématique du coût du travail. Pour prolonger la discussion que nous avons entamée tout à l’heure avec M. Guedj sur les hausses de cotisations sociales, je veux souligner que leurs effets sur l’emploi sont bien établis et qu’ils sont négatifs.

Une étude de Terra Nova, elle-même fondée sur une étude de l’OFCE – deux noms qui parleront à nos collègues de gauche – montre en effet qu’une hausse de 1 % des cotisations sociales se traduit, après avoir détruit des emplois et dégradé la compétitivité des entreprises, par une augmentation de rendement pour les finances publiques de 0,2 % seulement. Prenons également garde au fait qu’une augmentation des cotisations patronales a toujours une incidence sur les salaires, puisqu’elle se reporte sur les salaires bruts et qu’elle pénalise le pouvoir d’achat des salariés.

M. Philippe Juvin (LR). Des taxes, encore des taxes, toujours des taxes. Cet amendement va détruire des emplois et nous n’y sommes pas favorables.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques AS975 de M. Elie Califer et AS4980 de Mme Marie-Charlotte Garin, amendements AS3826 de M. Sébastien Peytavie, AS6861 et AS6862 de Mme Sophie Taillé-Polian (discussion commune).

M. Elie Califer (SOC). Mon amendement anticipe sur les discussions que nous aurons à propos de l’article 9, qui crée un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, prétendument doté de 1 milliard d’euros, mais sans recettes fléchées.

On estime que le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans coûtera 1,8 milliard de plus par an, soit sept fois plus que les dépenses prévisionnelles de ce fonds. Plutôt que de prendre ce milliard dans les caisses du régime, nous proposons une nouvelle source de financement pour la prévention de la pénibilité, avec la création d’un malus de cotisations sociales au bénéfice de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), payable par les entreprises présentant une sinistralité anormalement élevée. Il s’agit de responsabiliser l’écosystème de l’entreprise.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’amendement AS4980 est défendu.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Il arrive que des travailleurs et des travailleuses soient licenciés pour inaptitude – laquelle est souvent liée à la pénibilité de leur travail. Ce sont ces personnes qui, parce qu’elles ne sont ni en emploi, ni à la retraite, finissent par ne plus avoir de droits. Or, à l’heure actuelle, on n’a aucun moyen de les compter, ni de voir ce qu’elles deviennent. On ne peut pas non plus contrôler la manière dont les entreprises procèdent à ces licenciements. Ont-elles, oui ou non, cherché à reclasser ces personnes ? Ne se débarrassent-elles pas à bon compte de ces travailleurs après les avoir usés jusqu’à l’os ?

Nous proposons d’appliquer un malus aux entreprises qui présentent une tendance élevée à licencier des travailleurs et des travailleuses pour inaptitude.

Mme la rapporteure générale. Le taux de cotisation AT-MP varie déjà en fonction du taux de sinistralité dans l’entreprise. Avis défavorable.

M. Nicolas Turquois (Dem). Mme la rapporteure générale a raison. Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec l’idée selon laquelle les entreprises épuiseraient ou useraient leurs salariés jusqu’à la corde. Je ne dis pas que cela n’existe pas, mais je connais aussi beaucoup d’entreprises où il y a, entre le chef d’entreprise et ses salariés, un respect mutuel et une volonté de préserver au maximum les individus. La situation que vous décrivez, même si je ne nie pas qu’elle puisse exister, n’est quand même pas la règle.

J’aimerais appeler votre attention sur un cas de figure qui pose un problème. Imaginez qu’une entreprise embauche un senior âgé de 56 ans et que, l’année suivante, il déclare une maladie professionnelle. Statistiquement, elle sera liée à ce qu’il aura fait au début de sa carrière ; pourtant, c’est l’entreprise qui aura fait l’effort de l’embaucher qui devra l’assumer. Il faudrait peut-être réfléchir à une mutualisation des taux d’AT-MP à partir d’un certain âge, pour éviter ce genre de situation.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Il paraît normal que les entreprises qui licencient un grand nombre de salariés pour inaptitude aient un malus. Le 19 janvier, le matin de la grève, j’étais sur un rond-point à Amiens et j’ai rencontré les syndicalistes de Goodyear-Dunlop. Ils m’ont dit que tous les mois, dans leur boîte, une ou deux personnes sont renvoyées pour inaptitude. Jusqu’à la loi El Khomri-Macron, il y avait une obligation de reclassement à l’intérieur de l’entreprise et il fallait l’accord des syndicats pour licencier quelqu’un. Désormais, cet accord n’est plus nécessaire, donc les gens se font virer.

Monsieur Turquois, les patrons que vous décrivez existent et ils sont sans doute même majoritaires, mais les grandes entreprises, la grande distribution, le bâtiment, les usines comme Goodyear-Dunlop sont des secteurs où le taux d’inaptitude à partir de 55 ans est très élevé. Leur appliquer une surcotisation permettrait d’éviter que des gens se retrouvent au revenu de solidarité active après avoir traîné la patte pendant un ou deux ans de chômage.

Par ailleurs, il faudrait aussi prendre en compte le risque psychosocial, le burn‑out. Beaucoup de gens craquent psychologiquement en ce moment, mais les risques psychosociaux ne sont toujours pas reconnus dans le tableau des maladies professionnelles.

M. Arthur Delaporte (SOC). Instaurer un malus sur les cotisations des employeurs dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles pour les entreprises n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour éliminer un risque avéré de maladie professionnelle, il me semble que c’est le minimum.

Notre collègue Nicolas Turquois nous dit que dans la plupart des entreprises, tout se passe bien. Mais ce n’est pas le sujet. Ce que nous disons, c’est qu’il faut sanctionner celles où ça ne se passe pas bien. Les salariés y prennent des risques, subissent une usure professionnelle, ne vont pas bien et notre rôle est de faire en sorte que les entreprises mettent tout en œuvre pour que ça aille mieux. C’est d’ailleurs un peu ce que vous proposiez avec l’index seniors : nous ne faisons que le transposer, en y ajoutant cette logique de bonus-malus.

Pour finir, j’aimerais évoquer la situation de certains salariés que je côtoie et qui sont cassés. Je pense à Angelica, qui s’est brisé le dos à force de porter des gens, mais qui n’arrive pas à faire reconnaître cela comme une maladie professionnelle. Vous avez supprimé quatre critères de pénibilité avec votre réforme de 2017 et nous ne pourrons pas aborder cette question, puisque vous ne nous avez laissé que trois jours pour débattre. Je tiens donc à rappeler que, dans ce texte, vous ne rétablissez pas ces critères et que vous nous empêchez de donner à des personnes comme Angelica de nouveaux droits à la retraite. C’est malheureux et nous le dénonçons.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Mes amendements ont un triple objectif. D’abord, il importe de connaître le nombre de personnes qui sont déclarées inaptes et de savoir ce qu’elles deviennent. En effet, ces licenciements pour inaptitude créent beaucoup de misère sociale en fin de carrière. Ensuite, il faut empêcher les comportements irresponsables et scandaleux d’un certain nombre d’employeurs, qui ne font rien pour éviter que leurs salariés soient déclarés inaptes, alors que ces derniers sont victimes de leur travail et de la situation sociale qui leur est faite. Enfin, ce bonus-malus vise à financer de vraies politiques de prévention, notamment de prévention primaire, car ce n’est pas à 55 ans qu’il faut agir, mais bien avant, en améliorant l’organisation du travail et les conditions de travail. De cette manière, les carrières se dérouleront mieux et les licenciements pour inaptitude seront évités.

Le Président de la République refuse de dire que le travail est pénible ; il préfère utiliser le mot « usure ». Oui, des travailleurs sont usés, mais ils le sont parce que le travail est pénible. Faisons en sorte qu’il le soit le moins possible, et la seule solution, c’est la prévention primaire.

M. Éric Alauzet (RE). Sur les dix critères initiaux de pénibilité, six ont été maintenus. Si les trois critères ergonomiques – port de charge, posture, vibrations – ont été abandonnés, c’est parce qu’ils étaient inopérants. On ne peut pas compter combien de fois par jour une personne se baisse à 30, 45 ou 70 degrés, ni si elle a porté des charges de 5, 10 ou 15 kilos.

Ces critères vont être réintroduits, mais autrement. On sait dans quelles branches les personnes sont les plus exposées à ces risques. Dans ces branches, il y aura un travail spécifique pour identifier les personnes à risque, qui bénéficieront d’un suivi médical renforcé. Sur les 18 milliards d’euros que rapportera la réforme, 6 milliards serviront à financer la prévention pour les plus jeunes et le départ anticipé pour les plus âgés. Il est dommage que nous n’ayons pas pu aborder l’article relatif à la pénibilité.

Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Comment faire confiance à une majorité qui a supprimé quatre critères de pénibilité sur dix ? Ont été retirées du C2P les postures, les charges lourdes, les vibrations mécaniques et l’exposition aux agents chimiques. Dans le programme que nous défendons, la pénibilité n’est pas seulement prise en compte à travers des trimestres supplémentaires définis par branches et secteurs d’activité, mais surtout à travers un système d’annuités progressives, qui tient compte de l’âge d’entrée sur le marché du travail.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Delaporte, vous allez pouvoir rassurer Angelica, qui a peut-être manifesté hier, parce qu’elle s’inquiète pour son mal de dos : avec cette réforme, un droit qui n’était que virtuel va devenir effectif pour elle. Les critères qui figuraient dans le compte personnel de prévention de la pénibilité n’étaient pas efficaces, et c’est pour cette raison que nous les avons retirés.

Il est dommage que nous n’ayons pas pu examiner l’article 9, qui contient plusieurs dispositions importantes. Il crée un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, doté de 1 milliard d’euros, qui permettra aux entreprises d’adapter leur environnement de travail, de financer des congés payés pour reconversion et d’introduire un suivi individuel de prévention.

Le mal de dos n’est pas une fatalité. La prévention et une activité physique adaptée permettent d’y remédier. Je comprends qu’Angelica soit inquiète. Toutefois, grâce à ces mesures, elle travaillera certes un peu plus longtemps, mais avec un dos qui lui fera moins mal.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS5805 de Mme Rachel Keke.

Mme Karen Erodi (LFI - NUPES). Nous proposons d’augmenter la pénalité financière qui s’applique aux entreprises qui ne respectent pas les objectifs de réduction des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.

L’égalité salariale entre les femmes et les hommes est un enjeu financier majeur. Dans le secteur privé, les femmes sont payées 28,5 % de moins que les hommes, en moyenne. Elles travaillent plus souvent à temps partiel et dans des métiers moins bien payés. Même en neutralisant l’effet du temps partiel et des heures supplémentaires, le salaire net moyen des femmes, en équivalent temps plein, est toujours inférieur de 16,8 % à celui des hommes. Cet écart s’explique en partie par la discrimination salariale, mais aussi par le fait que les femmes occupent souvent des positions socioprofessionnelles moins favorables. Même à temps de travail et poste équivalents, l’écart de salaire est de 5,3 %.

Les femmes représentent 80 % des travailleurs pauvres et la course à la précarisation les touche de plein fouet. Malgré les lois successives relatives à l’égalité professionnelle, les écarts salariaux ne se réduisent pas. Si le rythme reste le même, les femmes devraient gagner autant que les hommes en 2234, selon l’économiste Rebecca Amsellem.

Hier, vous poussiez tous des cris d’orfraie quand mes collègues Ruffin, Jumel et Léaument vous parlaient de la colère populaire que vous contribuez à créer avec cette réforme inacceptable. Je vous rappelle que les femmes ont toujours joué un rôle de premier plan lors des grandes révoltes populaires, celles-là mêmes qui nous honorent, en tant que représentants du peuple français. Ainsi, ce sont les femmes qui, le 5 octobre 1789, sont allées chercher Louis Capet à Versailles. Parce que ce sont les premières touchées, les femmes sont et seront au premier rang de la mobilisation contre votre réforme, dans la rue et sur ces bancs ! Comme l’écrit Pier Paolo Pasolini : « Tant que l’homme exploitera l’homme, tant que l’humanité sera divisée en maîtres et en esclaves, il n’y aura ni normalité, ni paix. »

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Madame la rapporteure générale, que vous me disiez qu’Angelica pourra travailler un peu plus longtemps en ayant moins mal au dos, parce que vous avez créé, à l’article 9 un fonds d’investissement dans la prévention, me met hors de moi ! Son dos est déjà brisé, la prévention n’y fera rien. Quand elle est allée à la médecine du travail, on lui a dit : « Circulez, y a rien à voir. » Toutes les Angelica qui nous regardent doivent être hors d’elles, comme moi. Vous n’avez pas réintroduit les critères de pénibilité et ce fonds ne répond pas au problème que j’ai exposé. Oui, Angelica était dans la rue et elle y retournera !

Mme Christine Le Nabour (RE). Mme la rapporteure générale a exposé les principales mesures que nous prenons pour prévenir l’usure professionnelle : le suivi médical, la visite médicale à 45 ans, le fonds de 1 milliard d’euros pour la prévention et l’aide à la reconversion.

Monsieur Delaporte, vous pensez à Angelica, et moi, je pense à Marie, Alice, Adeline et Élise, mes anciennes collègues professeures de danse, qui pourront bénéficier de ces dispositifs. Nous consacrons beaucoup d’argent à la prévention de l’usure professionnelle et la NUPES, elle, nous a retiré 3 milliards d’euros pour les donner aux retraités les plus aisés.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Bravo, chers collègues de la NUPES : nous venons de passer sous la barre des 5 000 amendements et il nous reste une heure de travail. Vous avez gagné : nous n’aurons pas pu examiner ce projet de loi, qui comporte pourtant de grandes avancées, comme le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle. Heureusement que Mme la rapporteure générale a pu en dire un mot.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Delaporte, si cette dame a le dos brisé et qu’elle est en incapacité de travailler, elle pourra toujours partir bien avant 64 ans – c’est l’objet de l’article 8 – puisque nous ne modifions pas l’âge de départ des personnes en incapacité.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Soyons sérieux, madame la rapporteure générale ! Nous sommes en train de parler de la vie de dizaines de milliers d’auxiliaires de vie, de chefs de rayons et de travailleurs du bâtiment et vous nous répondez qu’il va y avoir un fonds de prévention machin bidule ! Vous croyez qu’une seule de ces auxiliaires de vie, qu’un seul de ces chefs de rayon ou de ces travailleurs du bâtiment va vous croire ? Vous vous en fichez, vous n’êtes plus là pour convaincre ! Votre collègue Frédéric Descrozaille vient de dire sur un plateau de télévision que cette réforme est injuste, mais qu’il va la voter sans état d’âme !

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). C’est en commission qu’on travaille, pas sur les plateaux de télé !

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Un sondage sort à l’instant. Il indique que 60 % des Français se disent favorables à la proposition suivante : « Je comprendrais que les grévistes bloquent le pays car c’est le seul moyen pour que le Gouvernement retire ou modifie sa réforme des retraites ». Ce chiffre est en hausse de 3 %. Il est très clair que ceux qui bloquent le pays, ceux qui empêchent le pays d’aller là où il a envie d’aller, c’est vous ! Quand trois quarts des Français disent non, c’est non ! Quand 90 % des salariés disent non, c’est non ! Quand des millions de manifestants dans la rue disent non, c’est non ! C’est vous, la minorité qui bloque le pays !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). En réformant le droit du travail, vous avez commencé par supprimer les moyens qui étaient consacrés au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Vous avez ensuite, dans le même état d’esprit, supprimé quatre critères de pénibilité : notre collègue Éric Alauzet a oublié l’exposition aux risques chimiques que, pour ma part, je n’oublie pas, comme élu de Seine-Maritime. François Ruffin a raison de dire que personne ne peut croire à vos hypothétiques mesures préventives.

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que si cette mauvaise réforme est adoptée, Angelica et toutes les autres vont immédiatement prendre deux ans ferme. Notre collègue s’inquiète du fait qu’il reste 5 000 amendements à examiner. Je propose qu’on retire le texte tout de suite : c’est ce que demande la majorité des Français, c’est ce que réclament 94 % des actifs, c’est ce que réclame le front uni syndical. Vous auriez tort de vous entêter dans cette sale besogne de casse du système de retraite par répartition.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Le vrai visage de nos adversaires apparaît, en particulier au sein de la NUPES. C’est bien beau de dire que 75 % des Français ne veulent pas de la réforme, mais il y a aussi 70 % des Français qui voudraient un référendum. Allez-vous voter, lundi, la motion référendaire du groupe Rassemblement National ? Ou bien serez-vous le bourreau qui appliquera ces deux ans fermes ?

Mme la rapporteure générale. Monsieur Ruffin, vous avez dit hier que j’étais extrémiste. C’est peut-être parce que je le suis que j’ai envie de vous répondre au sujet de ces métiers difficiles qui peuvent entraîner des maux de dos.

L’article 9, que nous n’aurons malheureusement pas l’occasion d’examiner, prévoit de créer un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle qui sera doté de 1 milliard d’euros. Vous oubliez de dire que l’article 9 prévoit aussi un suivi médicalisé et que les branches feront une cartographie des métiers à risque. Les personnes qui les exercent pourront partir plus tôt à la retraite, bénéficier d’un suivi, voire d’un congé de reconversion.

La commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, il est dix-neuf heures dix‑neuf et il nous reste 4 997 amendements à examiner, dont environ 4 710 de la NUPES. Nous en avons examiné 433 depuis lundi. Dans ces conditions, vous conviendrez avec moi que nous ne pourrons malheureusement pas aller au bout de l’examen de ce projet de loi. Comme vous le savez, ce texte sera examiné en séance publique à partir de lundi et la date limite de dépôt des amendements a été fixée à dix-sept heures demain. Comme vous le savez, en application de l’article 42, alinéa 1, de la Constitution, la discussion d’un PLFSS porte, en séance, sur le texte du projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Il est inutile de vous dire que c’est à regret que je fais ce constat. Les vingt-huit heures pendant lesquelles nous nous sommes réunis auraient dû nous suffire largement à examiner ce PLFRSS composé de vingt articles puisque nous avions étudié le PLFSS 2022, qui était composé de cinquante-trois articles, en vingt-deux heures. Mais nous n’avons même pas abordé le troisième...

Je regrette donc la manière dont ce temps a été utilisé. Il ne nous est pas permis d’aborder certains thèmes et enjeux de fond dans le cadre de cette réforme. Je me vois contrainte d’en prendre acte.

Je n’ai pas compté dans ces vingt-huit heures de débats la discussion générale, qui s’est tenue dans le cadre de l’audition de M. Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics, non plus que l’audition de M. Pierre-Louis Bras, président du COR.

Chaque commissaire, chaque groupe a pu s’exprimer largement. Je me suis rangée au consensus quant à la possibilité d’accorder à chaque groupe la possibilité d’intervenir sur chaque amendement – à la commission des finances, les interventions se limitent à un pour et un contre. On ne pourra donc pas dire que vous ne vous êtes pas exprimés ou que je vous ai bridés. Bien que nos collègues des différents groupes de la NUPES n’aient pas eu la possibilité de défendre les 6 194 amendements qu’ils avaient déposés, ils ont pu prendre part au débat – ils ont même eu, en moyenne, dix minutes de temps de parole sur chaque amendement.

La commission a donc beaucoup travaillé. Bien sûr, on ne peut que déplorer le fait que nous devions nous arrêter ici. Je veux rendre hommage à notre rapporteure générale Stéphanie Rist, qui a répondu à tous les commissaires, de tous les groupes, de façon argumentée, avec courtoisie et précision. Elle a par ailleurs analysé de façon approfondie les articles du projet de loi dans le rapport de la commission, qui sera publié d’ici à la fin de la semaine. Je remercie aussi l’ensemble des membres de la commission et, au-delà, les très nombreux collègues qui sont venus nous rendre visite, que nous avons accueillis et qui ont également pu s’exprimer longuement.

Certes, nous aurions aimé aller beaucoup plus loin. Malgré la frustration que nous partageons tous et qui s’est exprimée pendant ces trois jours de débats, tout parlementaire, syndicaliste, journaliste ou citoyen pourra, d’ici à la séance publique, se référer à nos travaux. J’espère que nos débats seront utiles aux Français.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Je ne pense pas que l’on puisse se féliciter de trois jours de débats en commission pour deux ans ferme. Ce n’est évidemment pas suffisant ! Tous les textes nous disent qu’un PLFRSS ne peut contenir de mesures d’une telle ampleur, que vous n’avez réussi à faire entrer dans ce cadre qu’au prix d’un bidouillage. Pourquoi ne prolongeons-nous pas nos travaux ce soir ? Pourquoi ne nous réunissons-nous pas jusqu’à l’expiration du délai de dépôt des amendements en séance publique, demain à dix-sept heures, voire pendant le traitement de ces mêmes amendements par les services de l’Assemblée nationale ? Il n’y a pas de raison d’interrompre nos débats ce soir à dix-neuf heures trente. Pour éviter toute frustration des députés comme de nos concitoyens, nous demandons la poursuite des travaux de la commission.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je sais que vous êtes sensible à la qualité du travail de notre assemblée. Puisque vous parliez tout à l’heure de pénibilité, je pense aux administrateurs qui devront maintenant traiter les nombreux amendements qui seront déposés en vue de la séance. Je les remercie pour leur travail, auquel nous ne pouvons être indifférents. Il y a un horaire à respecter. Quoi qu’il en soit, nous ne serions pas allés beaucoup plus loin, puisque l’une de vos collègues a admis hier que vous faisiez de l’obstruction et que vous continueriez à le faire. Ce n’est donc pas parce que les travaux de la commission s’arrêteront ce soir, un peu avant vingt heures, que vous avez été empêchés de travailler et de débattre.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je ne comprends pas bien pourquoi nous interrompons nos travaux une demi-heure avant vingt heures. Peut-être voulez-vous nous permettre de faire de longs remerciements...

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je ne m’attends pas à en recevoir de votre part.

M. Jérôme Guedj (SOC). Vous avez tort : je remercie toujours la présidence. Je veux donc vous remercier parce que vous avez eu à gérer, pendant les vingt-sept heures qu’ont duré nos débats, un collectif humain dont la passion était à la mesure des enjeux. Je salue également notre rapporteure générale.

Vous parlez de frustration, mais cette dernière est due au choix qu’a fait le Gouvernement de recourir à un PLFRSS, qui enferme nos débats dans les délais prévus à l’article 47‑1 de la Constitution. La dernière réforme des retraites, certes avortée, avait été inscrite dans le cadre d’une loi ordinaire, ce qui avait permis à la commission de se réunir pendant trois semaines et d’examiner 21 600 amendements. Eu égard à l’importance de la présente réforme, dont j’espère qu’elle ne sera pas adoptée, nous aurions dû légiférer d’une autre manière qui nous aurait donné la possibilité d’examiner les quelque 5 000 amendements restant en discussion.

Nous allons donc maintenant nous retrouver dans l’hémicycle. J’espère sincèrement que nous pourrons aller au bout de l’examen de ce texte, car celui-ci est atteint du syndrome de Dracula : lorsque nous en expliquons et éclairons les dispositions, elles se transforment en poussière, tel Dracula exposé à la lumière.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Il ne faut pas nous prendre pour des lapins de trois semaines. Je ne conteste pas que vous ayez largement distribué la parole. En revanche, admettez que cette salle n’était vraiment pas adaptée à nos travaux – compte tenu des enjeux, vous saviez très bien que de nombreux parlementaires assisteraient aux réunions de notre commission. Le propos que vous venez de tenir n’est une surprise pour personne ; vous savez pertinemment que vous auriez pu le tenir dès lundi matin, à neuf heures et demie. Il n’est pas non plus très honnête de nous reprocher d’avoir déposé des amendements sur un texte de cette importance. Pour ma part, je trouve que nous avons travaillé avec sérieux. Citez-moi un seul sujet, parmi ceux que nous avons abordés, qui n’ait pas été un sujet de fond.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Vous ne pouvez pas me reprocher de ne pas avoir pu ou su gérer le débat, au vu de la pléthore d’amendements que vous aviez déposés. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Assumez aussi votre part de responsabilité : il vous revenait de gérer votre temps. Dès lundi, des collègues vous ont proposé de retirer certains de vos amendements afin d’avancer dans le débat ; vous ne l’avez pas fait. N’allez pas invoquer maintenant les conditions de travail ou la taille de la salle... Un peu de sérieux !

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Rassurez-vous, madame la présidente, vous avez été extraordinaire. Le Président de la République vous remerciera, car vous avez été bonne élève. Le problème, c’est que les jeux étaient faussés depuis le début. La réforme est injuste et rejetée par la population ; elle utilise un véhicule législatif inconstitutionnel, qui enferme sa discussion dans les délais qui ne permettent pas son examen jusqu’au bout par l’Assemblée nationale. Même avec la meilleure présidente de commission du monde, et malgré le sérieux dont nous avons fait preuve, il n’était pas possible de réaliser un travail satisfaisant.

Nous demandons le retrait de ce texte, quels que soient les amendements adoptés. Nous demandons le retrait des deux mesures qui font mal aux vies et qui font mal aux gens : le report de l’âge légal de départ à la retraite et l’accélération de la mise en œuvre de la réforme Touraine, qui constituent une double peine pour la France qui travaille. Malgré toute votre bonne volonté, même avec des députés dociles et d’autres qui le sont moins, ce texte mérite d’être retiré. Il n’aboutira pas.

M. Thibault Bazin (LR). En trois jours, depuis lundi matin, nous n’avons examiné que deux articles sur les vingt que compte ce projet de loi très important, qui inquiète nos concitoyens et suscite beaucoup d’attentes légitimes. Certains Français ont travaillé toute leur vie et perçoivent pourtant de petites pensions, qu’il faut revaloriser. J’aurais aimé que nous puissions travailler sur le fond et discuter de l’ensemble du texte. C’est vraiment dommage.

Nous devons réformer le système, qui se trouve menacé pour diverses raisons, et garantir le niveau de pension des retraités sans altérer le pouvoir d’achat des travailleurs. C’est une erreur que de résumer cette réforme à une question financière, à une question de durée ou à une question d’âge. Il faut d’abord créer les conditions pour restaurer la confiance dans notre système et assurer sa pérennité. Cela passera par la valorisation du travail et le renouvellement des générations. Or le diable se cache dans les détails et, à cette heure, le compte n’y est pas. J’invite le Gouvernement à prendre en compte un certain nombre d’attentes, partagées au-delà de mon propre groupe, pour améliorer la donne et répondre aux inquiétudes exprimées. Il convient de mieux prendre en compte les carrières longues, la situation des travailleurs indépendants qui touchent de petites pensions malgré une carrière complète, celle des mères de famille qui travaillent... N’attendons pas les travaux du COR pour nous emparer du sujet des droits conjugaux et familiaux ! Il faut aussi créer les conditions pour améliorer le taux d’emploi, non seulement des seniors, mais aussi des jeunes.

Enfin, je le déplore depuis plusieurs semaines, la question de la lutte contre les fraudes est complètement absente de ce texte. Les Français comprennent qu’on leur demande des efforts, mais il faut qu’ils soient justes et que des pensions ne soient pas indûment versées à l’étranger à des personnes qui ont largement plus de 100 ans.

Il me semble important de retravailler sur tous ces sujets afin d’améliorer le texte et de le rendre acceptable, équilibré et juste.

M. Matthieu Marchio (RN). Ce qui intéresse les ouvriers, les salariés, les gens qui peinent, c’est d’abord le report de l’âge de départ à la retraite, et pas des querelles byzantines sur des index dont tout le monde se moque... Enfin, pas tout le monde : visiblement, la NUPES se passionne pour ces sujets, ce qui satisfait peut-être son électorat bobo tandis que les classes populaires et moyennes, que représente le Rassemblement national, sont dépitées. Je tiens d’ailleurs à remercier les administrateurs d’avoir fait face à l’incontinence législative de la NUPES.

Il y a maintenant une solution très facile, celle de rendre la parole au peuple. Cela tombe bien : nous examinerons lundi une motion référendaire.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). C’est le cadeau que vous a fait la Macronie !

M. Matthieu Marchio (RN). Chers collègues de la NUPES, vous qui êtes si forts en thème, pourriez-vous, pour une fois, être efficaces en votant cette motion ? Chacun assumera ses responsabilités, chacun assumera les conséquences de ses actes.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Chers collègues de la majorité relative, nous n’avons pas la même éthique parlementaire. Notre responsabilité à nous, puisque le terme « responsabilité » est beaucoup revenu dans vos interventions, c’était de faire entendre dans cette commission la voix de ces 72 % de Français et de ces neuf actifs sur dix qui perçoivent votre réforme comme injuste et incroyablement brutale – ce qu’elle est. Nous avons voulu faire entendre ici la voix des 2,8 millions de personnes qui se sont mobilisées hier et des 8 700 personnes qui ont manifesté à Annonay, la ville du ministre du travail, du plein emploi et du retournement de veste, Olivier Dussopt. Notre objectif était de faire entendre la voix de celles et ceux qui exigent le retrait de cette réforme, et non d’apporter un témoignage, comme l’a fait le Rassemblement national – Marine Le Pen n’a d’ailleurs rien trouvé de mieux, en plein mouvement social, que d’insulter ce matin à la télévision les organisations syndicales unies et déterminées qui savent, quant à elles, pourquoi elles se battent.

Vous dénoncez le nombre d’amendements que nous avons déposés. Sachez que nous en avons déposé autant que de souffrances suscitées par cette réforme, autant que de situations difficiles, de vies brisées et déchirées par votre texte ainsi que le décrivent les témoignages que nous recevons chaque jour.

Plusieurs points qui se suivent, cela forme une ligne, la ligne du passage en force. Vous sentez bien que vous êtes obligés d’aller vite, parce que votre majorité relative est en train de devenir une minorité absolue. Vous avez donc choisi de nous imposer une salle trop petite, trois jours de suite, alors qu’il aurait été possible de nous offrir des conditions de travail satisfaisantes. (Protestations.) Vous avez choisi de ne pas nous accorder le temps suffisant pour un débat de qualité. Vous avez monté, en conférence des présidents, une entourloupe pour offrir au groupe Rassemblement National la motion référendaire. Votre haine de la NUPES vous conduit à tout brûler sur votre passage !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Non, il n’y a pas de haine.

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Vous êtes face à un pays qui n’est pas fracturé, mais uni contre votre réforme des retraites.

M. Paul Christophe (HOR). Vous auriez besoin, monsieur Lucas, d’une mise au vert d’urgence : manifestement, notre commission ne vous satisfait pas...

Franchement, il n’y a aucune surprise dans ce qui se passe. Vous faites même pitié – excusez-moi du terme... (Protestations.) Vous vous offusquez de ne pas avoir assez de temps pour aller jusqu’au bout du débat. Vous vous foutez du monde ! Regardez le nombre d’amendements que vous avez déposés !

M. Benjamin Lucas (Ecolo - NUPES). Vous remettez en cause le droit d’amendement ! C’est vous qui êtes pathétique !

M. Paul Christophe (HOR). Depuis le début, vous développez une stratégie d’obstruction. Assumez-le ! Il n’y a pas de honte ! Vous avez voulu que nous respections votre travail parlementaire : nous l’avons fait, nous avons écouté tous vos amendements et nous avons essayé de vous apporter la contradiction quand elle pouvait encore s’entendre. S’il vous plaît, ne surjouez pas votre rôle ! Les Français attendent d’un débat parlementaire autre chose que la mesquinerie dont vous faites preuve et les insultes que vous proférez à l’encontre d’un ministre. Dans la perspective des deux semaines de débats en séance publique qui s’ouvriront lundi, je vous appelle à un peu plus de raison.

Vous connaissiez la règle du jeu avant qu’il ne commence : vous saviez très exactement combien de jours nous avions pour examiner le texte en commission. Nous avons toujours su examiner les PLFSS dans les délais impartis, dans le respect des uns et des autres. Vous avez choisi une stratégie : assumez-la plutôt que de nous reprocher d’avoir fait en sorte que le débat ne se passe pas correctement.

Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir conduit nos débats comme vous l’avez fait. Je vous donne rendez-vous lundi pour un débat apaisé. D’ici là, reposez-vous bien !

M. Sylvain Maillard (RE). Si cette réforme des retraites demande des efforts aux Français capables de travailler deux ans de plus, elle garantit aussi à l’ensemble de nos concitoyens, à long terme, le niveau de pension probablement le plus haut de tous les pays occidentaux. Lors de ces vingt-huit heures de débats, de ces vingt-huit heures de blocage, nous n’avons même pas pu évoquer la revalorisation des petites pensions. À la place, nous avons examiné quelques-uns de vos 6 500 amendements les plus farfelus et contradictoires.

M. Jérôme Guedj (SOC). Aucun amendement n’a été adopté !

M. Sylvain Maillard (RE). Si, nous en avons voté un, qui offre un cadeau aux retraités les plus aisés – c’est cet amendement que vous vous gargarisez d’avoir choisi. Quelle incohérence !

Pendant vingt-huit heures, vous avez parlé de taxes et d’impôts supplémentaires, de droit à la paresse et de détestation du travail. (Protestations.) Vous n’aimez ni le travail ni la démocratie. (Mêmes mouvements.) La seule bonne nouvelle, c’est qu’il vous reste quatre jours pour revoir votre copie avant nos débats dans l’hémicycle.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, nous nous retrouvons donc lundi à quinze heures quarante-cinq pour examiner, en application de l’article 88 du règlement, les amendements de séance au PLFRSS.

M. Arthur Delaporte (SOC). Madame la présidente, je vous avais demandé la parole et vous aviez promis de me la donner !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Les deux minutes attribuées à votre groupe ont été utilisées par M. Guedj.

 

 

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([1])  https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12756728_63c935c6a9f3a.commission-des-finances-conjointe-avec-la-commission-des-affaires-sociales--m-pierre-louis-bras-p-19-janvier-2023

([2])  https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12769320_63cea59d0e663.commission-des-affaires-sociales--m-olivier-dussopt-ministre-du-travail-du-plein-emploi-et-de-l--23-janvier-2023