—  1  —

N° 1086

______

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 avril 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à promouvoir l’emploi et le retour des fonctionnaires d’État ultramarins dans les territoires d’Outre-mer

 

PAR Mme Emeline K/BIDI

Députée

——

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Voir le numéro : 980.

 


—  1  —

 

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION.................................................... 5

I. L’emploi des fonctionnaires d’État ultramarins dans leur territoire d’origine, un enjeu pour les outre-mer

A. « hexagonaux » et ultramarins dans la Fonction publique d’État

B. Les enjeux de l’emploi ultramarin dans la fonction publique d’État outre-mer

II. UNE PROPOSITION DE LOI POUR REMETTRE LES ULTRAMARINS AU cœur de la FONCTION PUBLIQUE d’état EN OUTRE-MER

A. la nécessité de légiférer : une situation actuelle source d’insécurité juridique et d’inégalités

B. le contenu de la proposition de loi

III. La position de la Commission

EXAMEN DES ARTICLES

Article liminaire Objet et caractère expérimental de la proposition de loi

Article 1er  Création d’une autorité administrative indépendante dénommée « Observatoire des emplois locaux en outre-mer »

Article 2 (article L. 512-18 du code général de la fonction publique) Garantie de l’emploi et du retour

Article 3 (articles L. 512-19 et L. 512-19-1 [nouveau] du code général de la fonction publique) Critères déterminant le centre des intérêts matériels et moraux

Article 4 (article L. 327-1 du code général de la fonction publique) Lieu du stage

Article 5 Gage

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Personnes entendues

 


—  1  —

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

En 2012, dans son rapport consacré à la place des ultramarins dans la fonction publique d’État, le préfet Jean-Marc Bédier faisait le constat que « Dans un contexte de chômage élevé et de jeunes chômeurs diplômés en grand nombre, la frustration est souvent grande de voir arriver de l’extérieur des fonctionnaires pour occuper des postes pouvant être pourvus localement. Dans le même temps, ces mêmes jeunes doivent partir loin de leur famille pour une migration de travail vécue pendant longtemps comme un déracinement et donnant lieu encore aujourd’hui à une demande de retour abondante ».

Dix ans plus tard, la problématique demeure inchangée, en dépit d’avancées juridiques louables visant à développer la prise en compte de la situation spécifique des fonctionnaires ultramarins concernant leurs demandes de mutation.

Cette question du retour se pose également dans différentes régions de France hexagonale. Mais il est indéniable que les outre-mer sont, à cet égard, dans une situation particulière. Cela tient, d’une part, à leur éloignement par rapport à la France hexagonale, qui se compte parfois en dizaines de milliers de kilomètres, et d’autre part à la sociologie de ces territoires dans lesquels les fonctionnaires d’État ultramarins sont sous-représentés aux postes d’encadrement par rapport aux hexagonaux.

Aujourd’hui, la prise en compte de la situation spécifique des ultramarins passe principalement par la notion de centre des intérêts matériels et moraux (CIMM), construction jurisprudentielle et administrative reposant sur un ensemble de critères permettant d’établir les liens spécifiques entre un fonctionnaire et un territoire ultramarin. Depuis la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, le centre des intérêts matériels et moraux est reconnu comme conférant une priorité légale en matière de mutation.

Néanmoins, aucun texte de portée obligatoire ne fixe les critères permettant d’établir le CIMM d’un fonctionnaire et ils sont par ailleurs appréciés, d’un ministère à l’autre, selon des modalités différentes. Cette souplesse confine parfois à l’arbitraire. Par ailleurs, selon les chiffres communiqués par le ministère des outre-mer, en 2019, seules 28 % des demandes de mutation formulées au titre du CIMM ont été satisfaites. Il est vrai que ce chiffre est deux fois supérieur au taux de succès des demandes formulées hors CIMM (15 %). Mais cela signifie également que 72 % des demandes formulées dans le cadre du CIMM n’ont pas pu aboutir.

Il ne s’agit pas uniquement de situations individuelles, même si les députés ultramarins sont régulièrement sollicités par des fonctionnaires faisant face à des situations personnelles ou familiales difficiles et douloureuses en raison de l’éloignement. Les enjeux du retour des fonctionnaires ultramarins qui le souhaitent vers leur territoire d’origine sont aussi sociaux, économiques et politiques.

L’égalité d’accès au service public, pour tous et dans chaque territoire, ne peut que profiter de la présence de fonctionnaires qui connaissent bien sa culture, voire sa langue. Il s’agit aussi de favoriser le dynamisme économique de ces territoires. Trop souvent, le marché de l’emploi y est défaillant et peine à offrir des opportunités aux jeunes, si talentueux soient-ils. Le départ vers la France hexagonale apparaît alors comme la seule solution, vidant le territoire de ses forces vives et de sa jeunesse. Enfin, la sous-représentation des fonctionnaires ultramarins aux postes à responsabilité dans leur propre territoire participe à la persistance de représentations mentales issues du colonialisme.

La présente proposition de loi propose donc des solutions pour favoriser l’emploi et le retour des fonctionnaires d’État ultramarins dans leur territoire d’outre-mer. Elle donne une assise légale aux critères utilisés pour la détermination du CIMM et pose les jalons de leur rationalisation via une pondération harmonisée, définie par décret. Elle garantit le droit des personnes recrutées dans l’une des collectivités relevant des articles 73 ou 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie à effectuer leur stage préalable à la titularisation dans le territoire où elles ont été reçues au concours.

Elle crée, enfin, un Observatoire des emplois locaux en outre-mer, doté d’un pouvoir de sanction et chargé de veiller à la bonne application de ces dispositions.

 

 

 

 


I.   L’emploi des fonctionnaires d’État ultramarins dans leur territoire d’origine, un enjeu pour les outre-mer

La situation des personnes originaires des outre-mer au sein de la fonction publique d’État n’est pas sans conséquences pour l’accès au service public et le développement économique de ces territoires.

A.   « hexagonaux » et ultramarins dans la Fonction publique d’État

En 2012, le rapport du préfet Bédier ([1])  soulignait que les ultramarins ([2])  représentaient seulement 54 % des effectifs de la fonction publique de l’État dans les départements d’outre-mer. Plus de dix ans après, la situation n’a quasiment pas évolué.

Des données plus récentes ([3]) mettent par ailleurs en évidence une surreprésentation des personnes originaires de France hexagonale aux postes d’encadrement de la fonction publique dans les outre-mer. Ainsi, parmi les personnes nées dans l’Hexagone et occupant un emploi public en Martinique, 40 % avaient un poste d’encadrement ; 34 % en Guadeloupe, 25 % en Guyane et près de 50 % à La Réunion. À l’inverse, parmi les personnes nées dans les départements d’outre-mer et occupant un emploi public, ces chiffres varient de 6 % (en Guyane) à 11 % (à La Réunion). La différence est moins marquée, mais demeure en ce qui concerne les postes intermédiaires. En revanche, pour les postes « subalternes », la proportion d’ultramarins est plus importante et on constate une inversion de la tendance entre ultramarins et Hexagonaux, comme l’illustre le schéma en page suivante.

 Le niveau de diplôme ne saurait expliquer à lui seul ces écarts, en particulier pour les postes de niveau intermédiaire ; ainsi, avec un diplôme de niveau bac + 3 ou bac + 4, les personnes nées dans l’Hexagone ont plus de chances d’avoir un poste d’encadrement que les personnes nées en outre-mer ([4]) . Les personnes nées dans un département d’outre-mer et occupant un emploi public outre-mer sont également en moyenne moins susceptibles d’être titulaires que les personnes originaires de l’Hexagone en emploi dans ces mêmes territoires.


—  1  —

 

 

Répartition des types d’emplois occupés par les personnes travaillant dans le secteur public

selon le DOM et le lieu de naissance

 

 

 

https://images.theconversation.com/files/508394/original/file-20230206-31-y8wva7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip

 

 

Source : Enquête emploi Insee, M. Haddad/Ined.

 


—  1  —

 

Par ailleurs, la question du retour dans leur territoire d’origine peut constituer un réel problème pour les ultramarins de la fonction publique d’État dans l’Hexagone. Parfois souhaitée et résultant d’un choix, l’affectation en France hexagonale est parfois aussi subie et peut donner lieu, pour les personnes concernées, à des situations personnelles ou familiales très difficiles.

B.   Les enjeux de l’emploi ultramarin dans la fonction publique d’État outre-mer

Au-delà des difficultés individuelles pouvant naître de l’éloignement géographique des fonctionnaires ultramarins affectés en France hexagonale sur de longues périodes, le souci de favoriser l’emploi de « locaux » dans la fonction publique d’État en outre-mer est justifié aussi par plusieurs considérations d’ordre général.

Les tendances observées renforcent la persistance de schémas de pensée coloniaux qui confinent les ultramarins à des postes d’exécution et peuvent nourrir un sentiment d’injustice et de frustration, déjà souligné par le rapport Bédier.

Il en va aussi de l’égalité d’accès et de la qualité du service public. Les fonctionnaires ultramarins affectés sur leur propre territoire sont plus susceptibles d’avoir une bonne connaissance de ses spécificités sociales et culturelles. Par ailleurs, la présence de fonctionnaires parlant la langue locale, le cas échéant, est aussi de nature à favoriser le bon accueil des administrés. Dans un rapport récent sur les langues des outre-mer, le Conseil économique, social et environnemental notait ainsi que « Dans les rapports des usagers avec l’administration publique, les correspondances écrites doivent s’échanger en français, car c’est la langue officielle. Dans la pratique, les langues régionales peuvent être utilisées lors des communications orales » ([5]) .

Les enjeux sont aussi d’ordre socio-économique, dans un contexte où l’insertion professionnelle des jeunes ultramarins passe encore trop souvent par un départ vers la France hexagonale. Au cours de son audition par votre Rapporteure, la sociologue Marine Haddad expliquait les différents canaux par lesquels le développement de l’emploi des ultramarins dans le secteur public sur le territoire, a fortiori à des postes d’encadrement, pouvait exercer un effet positif sur les problèmes socio-économiques et démographiques des outre-mer. D’une part, la perspective crédible d’une insertion locale dans un emploi qualifié peut encourager les jeunes à poursuivre des études supérieures. D’autre part, l’incertitude sur la localisation de la future affectation peut dissuader de passer un concours national, et donc d’accéder à un emploi de titulaire stable. Plus généralement, l’accès à la fonction publique est source de stabilité dans des territoires où l’offre d’emploi est souvent limitée.

De façon plus accessoire, l’emploi de fonctionnaires locaux en plus grand nombre serait également source d’économies en ce qui concerne les dépenses liées à la prime spécifique d’installation ou aux congés bonifiés. 

II.   UNE PROPOSITION DE LOI POUR REMETTRE LES ULTRAMARINS AU cœur de la FONCTION PUBLIQUE d’état EN OUTRE-MER

Face aux limites de la prise en compte actuelle de la situation des ultramarins souhaitant revenir dans leur territoire d’origine, l’intervention du législateur apparaît nécessaire, en particulier pour garantir l’appréciation objective et l’application égale de la notion de centre des intérêts matériels et moraux (CIMM).

A.   la nécessité de légiférer : une situation actuelle source d’insécurité juridique et d’inégalités

La notion de centre des intérêts moraux et matériels (CIMM) est l’outil le plus direct de promotion du retour des fonctionnaires ultramarins dans leur territoire d’origine ([6]) . En effet, depuis la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (dite « loi EROM »), les fonctionnaires justifiant de leur CIMM dans un territoire ultramarin bénéficient d’une priorité légale en matière de mutation.

Néanmoins, aucun texte de portée obligatoire ne fixe les critères permettant d’établir le CIMM d’un fonctionnaire : il s’agit d’une construction administrative et jurisprudentielle. Non exhaustifs et non cumulatifs, les critères du CIMM sont parfois distingués selon leur caractère matériel (par exemple, la détention de biens fonciers ou de comptes bancaires sur le territoire considéré) ou moral (par exemple, le lieu de domiciliation ou de sépulture des parents). Ils ont été régulièrement rappelés par voie de circulaires, dont la plus complète est la circulaire FP n° 2129 du 3 janvier 2007 relative aux conditions d’attribution des congés bonifiés aux agents des trois fonctions publiques ([7]) .

Auditionnés par votre Rapporteure, le cabinet du ministre délégué en charge des outre-mer et celui du ministre de la fonction publique ont souligné l’intérêt qui s’attacherait à conserver une certaine « souplesse » dans l’appréciation et l’application de la notion de CIMM. De fait, les règles existantes comme les travaux envisagés prennent la forme de « droit souple » (lignes directrices, circulaire), à l’élaboration duquel la représentation nationale n’est pas associée.

Pour autant, entre souplesse et arbitraire, la ligne de crête est étroite. L’application différenciée des critères du CIMM pose en effet des problèmes d’objectivité et est de nature à susciter l’incompréhension, voire la méfiance des fonctionnaires concernés. Ainsi, si les critères utilisés pour l’appréciation du CIMM sont les mêmes dans tous les ministères, leurs modalités d’instruction et d’application sont variables ([8]) .

Par ailleurs, la consécration du CIMM comme priorité législative n’a pas permis de faire progresser de façon suffisante la prise en compte de ces situations. Le cabinet du ministre délégué en charge des outre-mer se félicite ainsi qu’en 2019, 28 % des mutations formulées au titre du CIMM aient obtenu une réponse positive, contre 15 % des demandes formulées en dehors du CIMM à destination des mêmes territoires, sans toutefois que le cabinet du ministre concerné puisse nous donner la proportion d’ultramarins parmi les personnes ayant obtenu une mutation en dehors du CIMM. Nous n’avons pas pu disposer non plus des statistiques complètes en la matière. Les nombreux témoignages reçus par votre Rapporteure et le contentieux administratif témoignent du caractère insuffisant de ces progrès.

Dans ce contexte, le recours au vecteur législatif permet de gagner en objectivité, en transparence et en efficience ce qu’il perd en souplesse. Il assure ainsi une véritable égalité devant la loi et permet aussi à la représentation nationale de s’emparer du sujet. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

B.   le contenu de la proposition de loi

La proposition de loi compte six articles, dont un article liminaire qui rappelle son objet et son caractère expérimental, pour une durée de 15 ans. Elle vise à permettre à ce dispositif de se déployer pleinement.

L’article 1er crée un Observatoire des emplois locaux en outre-mer, sous la forme d’une autorité administrative indépendante. La création de cet observatoire indépendant est justifiée par les limites actuelles de la mise en œuvre du CIMM par les administrations, sans autre contrôle que celui du juge administratif. L’Observatoire veillerait au respect des dispositions sur l’emploi des fonctionnaires d’État dans les territoires ultramarins avec lesquels ils justifient de liens suffisants et serait doté d’un pouvoir de sanction pécuniaire à l’encontre des administrations. Un décret déterminerait sa composition et son fonctionnement.

Les articles 2 et 3 assurent l’effectivité de ces objectifs dans le cadre des demandes de mutation effectuées par les agents publics déjà en poste.

L’article 2 insère dans le code général de la fonction publique (CGFP) le principe selon lequel est garanti à la fois l’emploi des fonctionnaires d’État justifiant de liens suffisants avec un territoire ultramarin relevant des articles 73 ou 74 de la Constitution et le retour de ces mêmes fonctionnaires dans ce territoire.

L’article 3 donne une assise législative aux critères pouvant permettre à l’administration d’établir qu’un fonctionnaire a le centre de ses intérêts moraux et matériels (CIMM) en outre-mer. Il apporte ainsi une assise législative à des critères issus de la pratique administrative et de la jurisprudence. Il modifie aussi la terminologie d’usage des CIMM afin de marquer la nécessité d’inverser la priorité des critères pris en compte.

Afin de mettre fin à l’hétérogénéité de la façon dont ces critères sont appréciés et pris en compte par les différentes administrations, il prévoit l’intervention d’un décret pour définir l’ordre de priorité et la pondération de ces différents critères.

Enfin, l’article 4 porte sur les fonctionnaires nouvellement recrutés. Il garantit le droit des personnes recrutées dans l’une des collectivités relevant des articles 73 ou 74 de la Constitution à effectuer leur stage préalable à la titularisation dans le territoire où elles ont été reçues au concours.

III.   La position de la Commission

La commission des Lois a adopté trois amendements proposés par la Rapporteure, portant sur l’article 1er, l’article 2 et l’article 4, ainsi qu’un amendement portant article additionnel après l’article 2 qui prévoit la remise annuelle au Parlement d’un rapport présentant les principales données relatives aux mutations et affectations opérées depuis et vers les outre-mer.

Néanmoins, la Commission a ensuite rejeté tous les articles de la proposition de loi, puis le texte dans son ensemble.

Comme prévu par l’article 90 du règlement de l’Assemblée nationale, la discussion en séance portera donc sur le texte déposé sur le bureau de l’Assemblée.


   EXAMEN DES ARTICLES

Article liminaire
Objet et caractère expérimental de la proposition de loi

Rejeté par la Commission

Cet article rappelle l’objet de la proposition de loi et précise qu’elle présente un caractère expérimental, pour une durée de quinze ans. 

Cette durée, qui peut paraître assez longue par comparaison avec les durées moyennes observées des expérimentations, est justifiée par la nécessité de permettre au dispositif de se déployer pleinement et aux acteurs concernés de se l’approprier.

Cet article a été rejeté à la suite de son examen par la Commission des Lois.

*

*     *

Article 1er
Création d’une autorité administrative indépendante dénommée « Observatoire des emplois locaux en outre-mer »

 

Rejeté par la Commission

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article crée une autorité administrative indépendante dénommée Observatoire des emplois locaux en Outre-mer. Elle est dotée d’un pouvoir de sanction pécuniaire et veille au respect des dispositions concernant l’emploi des fonctionnaires d’État justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins. 

Dernières modifications législatives intervenues

Ces dispositions sont nouvelles et ne modifient aucune disposition législative antérieure.

Modifications apportées par la Commission

La Commission des Lois a rejeté cet article.

1.   La création d’une autorité administrative indépendante

Le présent article institue une autorité administrative indépendante (AAI), dénommée « Observatoire des emplois locaux en Outre-mer », chargée de veiller au respect des dispositions concernant l’emploi des fonctionnaires d’État justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins.

À cet effet, elle dispose d’un pouvoir de sanction pécuniaire lorsqu’elle constate une méconnaissance de ces dispositions par l’administration. Elle prend en compte, pour se prononcer, les critères déterminants pour les centres des intérêts moraux et matériels (CIMM), tels qu’introduits dans le code général de la fonction publique par la présente proposition de loi.

Cette AAI est aussi chargée de veiller à la diffusion prioritaire des informations concernant les emplois de la fonction publique d’État dans les territoires ultramarins auprès des personnes justifiant d’un lien avec ces territoires et ayant candidaté à un poste équivalent dans les cinq années précédant l’édiction de l’offre d’emploi.

Les autorités administratives indépendantes

Les autorités administratives indépendantes (AAI) sont des institutions publiques qui ne peuvent être instituées que par la loi et qui sont dépourvues de la personnalité morale. Elles sont régies par la loi organique n° 2017-54 et la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 leur portant statut et visant à garantir leur autonomie statutaire et fonctionnelle vis-à-vis du Gouvernement. Elles sont chargées de l’une des missions suivantes : assurer la protection des droits et libertés des citoyens, veiller au bon fonctionnement de l’administration dans ses relations avec ses administrés ou participer à la régulation de certains secteurs.

À ces fins et selon les dispositions législatives précitées, elles peuvent être dotées de pouvoirs quasi-juridictionnels (investigation, sanction, saisine du juge, injonction, règlement des différends) et de diverses attributions administratives (pouvoirs de recommandation et d’édiction de décision individuelle et, éventuellement, réglementaire), exercés sous contrôle juridictionnel.

L’exercice par une AAI d’un pouvoir de sanction pécuniaire, exclusive de toute privation de liberté, est conforme à la Constitution dès lors qu’il est assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis.

La création de cette AAI répond au constat de l’absence de visibilité et de contrôle (autre que celui du juge) sur les décisions de l’administration relatives au CIMM.

En effet, pour un fonctionnaire qui entend contester le refus de sa demande de mutation, le recours au juge ne peut pas être considéré comme pleinement satisfaisant, eu égard au coût financier qu’il représente et aux craintes légitimes de représailles. Le souci de la mise en œuvre du CIMM ne peut reposer que sur lui et doit donc s’affranchir de l’approche a posteriori au profit d’un contrôle par la transparence.

C’est dans cet esprit que s’inscrit la création de l’Observatoire des emplois locaux en Outre-mer. Il convient de rappeler qu’il n’a pas vocation à être saisi à la place du juge pour contester le rejet d’une demande de mutation. Il ne peut pas non plus formuler des injonctions à l’administration ou lui faire des recommandations concernant une situation particulière.

2.   La position de la Commission

La Commission a rejeté un amendement de suppression de l’article porté par le groupe Rassemblement national, et adopté un amendement rédactionnel de la Rapporteure. Pourtant, elle a ensuite rejeté l’article 1er dans son ensemble.

*

*     *

Article 2
(article L. 512-18 du code général de la fonction publique)
Garantie de l’emploi et du retour

 

Rejeté par la Commission

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article insère dans le code général de la fonction publique un principe de garantie de l’emploi et du retour des fonctionnaires justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins.

Dernières modifications législatives intervenues

La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires permettait à l’administration de prendre en compte à titre subsidiaire le critère du CIMM. Ce critère a ensuite été consacré comme une priorité légale de mutation par la loi « EROM » du 28 février 2017.

Modifications apportées par la Commission

La Commission des Lois a rejeté cet article.

1.   Le droit existant

Les évolutions législatives récentes ont permis la prise en compte explicite dans les demandes de mutation, via le critère du CIMM, des liens entre un fonctionnaire et un territoire ultramarin. Il ne s’agit toutefois que d’une priorité, qui doit être conciliée avec d’autres priorités légales et avec les besoins du service.

L’article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État a été modifié à deux reprises afin de prendre en compte la situation des fonctionnaires ultramarins désireux d’être affectés dans leur collectivité d’origine :

– La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires complète l’article 60 de la loi du 11 janvier 1984 pour permettre aux autorités compétentes d’édicter des lignes directrices définissant des critères supplémentaires établis à titre subsidiaire, notamment pour les fonctionnaires qui justifient du CIMM dans l’une des collectivités régies par les articles 73 ou 74 de la Constitution ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie.

Ce critère n’est pris en compte qu’à titre subsidiaire – cette précision a son importance, dans la mesure où un fonctionnaire remplissant un ou plusieurs critères de priorité subsidiaires ne peut précéder dans le classement un fonctionnaire remplissant un ou plusieurs des critères de priorité établis par la loi ou le décret. Il ne s’agit en outre que d’une faculté laissée à l’administration.

L’article 28 de la loi impose aussi au pouvoir réglementaire d’ajouter aux priorités de mutation prévues par la loi d’autres priorités, dont l’une au titre du CIMM en outre-mer, pour le corps enseignant et d’autres corps relevant de statuts spéciaux.

En fonction de leur corps de rattachement, les fonctionnaires étaient ainsi susceptibles de voir leur situation particulière plus ou moins prise en compte par l’administration.

– La loi « EROM » du 28 février 2017 ([9]) est allée plus loin, en consacrant à l’article L. 512-19 du CGFP une priorité légale de mutation pour les fonctionnaires ayant leur CIMM dans un territoire ultramarin.

L’article L. 512-19 du CGFP donne désormais priorité, dans leurs demandes de mutation, aux fonctionnaires qui :

– sont séparés de leur conjoint, ou du partenaire avec lequel ils sont liés par un pacte civil de solidarité, pour des raisons professionnelles ;

– sont en situation de handicap relevant de l’une des catégories mentionnées à l’article L. 131-8 du même code ([10])  ;

– exercent leurs fonctions dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles ;

– justifient du centre de leurs intérêts matériels et moraux (CIMM) dans l’une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie ;

– sont affectés sur un emploi qui est supprimé, y compris si cet emploi relève d’une autre administration, sans pouvoir être réaffecté sur un emploi correspondant à son grade dans son service.

Le CIMM n’est donc qu’un critère parmi d’autres, d’ordre familial, de santé, ou tenant à la nature du poste occupé. En d’autres termes, il ne s’agit ni d’un « droit à la mutation ni même d’une priorité absolue » ([11]) . Peuvent en effet y faire obstacle :

– l’absence de postes vacants en nombre suffisant, par rapport aux candidats bénéficiaires d’une priorité au retour au titre du CIMM : il ne peut y avoir de nomination en surnombre ;

– les autres priorités légales de mutation prévues à l’article L. 512-19 du CGFP ;

– l’absence d’adéquation entre le profil et les compétences du candidat, d’une part, et les prérequis des postes vacants, d’autre part ;

– les « besoins du service » mentionnés à l’article L. 512-18 du CGFP.

2.   Les modifications proposées

Le présent article complète l’article L. 512-18 du CGFP, pour préciser que « l’emploi et le retour des fonctionnaires justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins sont garantis ».

Il réaffirme ainsi un principe, sans remettre en cause le cadre fixé par le premier alinéa de l’article L. 512-18, aux termes duquel « L’autorité compétente procède aux mutations des fonctionnaires de l’État en tenant compte des besoins du service. »

3.   La position de la Commission

Après avoir rejeté un amendement de suppression de l’article porté par le groupe Rassemblement national, la Commission des Lois a adopté un amendement de la Rapporteure visant à préciser que les dispositions de l’article 2 ne s’entendent que sous réserve de l’intérêt du service.

Néanmoins, l’article 2, ainsi modifié, a été rejeté par la Commission.

*

*     *

Article 3
(articles L. 512-19 et L. 512-19-1 [nouveau] du code général de la fonction publique)
Critères déterminant le centre des intérêts matériels et moraux

 

Rejeté par la Commission

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article entend harmoniser les conditions de prise en compte du CIMM entre les différentes administrations. Il crée ainsi un nouvel article dans le code général de la fonction publique, au sein duquel sont énumérés les critères déterminant le CIMM. Il prévoit aussi l’intervention d’un décret pour préciser la pondération de ces différents critères.

Dernières modifications législatives intervenues

La loi « EROM » du 28 février 2017 a érigé le CIMM en priorité légale de mutation, mais la notion en elle-même ne fait pas l’objet, pour l’instant, d’une définition législative.

Modifications apportées par la Commission

La Commission des Lois a rejeté cet article.

1.   Le droit existant

La notion de CIMM ne fait l’objet d’aucune définition par un texte de portée obligatoire. Son appréciation se fonde sur la méthode du « faisceau d’indices », et son contenu a été précisé par des circulaires administratives ainsi que par la jurisprudence administrative.

La circulaire du 3 janvier 2007 relative aux conditions d’attribution des congés bonifiés aux agents des trois fonctions publiques, précédemment évoquée, a permis de récapituler ces différents critères. Elle recense 15 indices, en distinguant ceux qui sont énumérés dans les circulaires d’application existantes, ceux qui résultent de l’avis du Conseil d’État du 7 avril 1981, et ceux qui ont été dégagés par « la jurisprudence administrative récente ». Elle précise que ces critères « n’ont pas de caractère exhaustif ni nécessairement cumulatif » et que « le principe est d’apprécier la vocation de l’agent demandeur à bénéficier du droit à congé bonifié sur la base d’un tel faisceau d’indices et non de le refuser en raison de l’absence de tel ou tel critère ».

Finalement, il ressort de la pratique que l’indice concret de lien avec un territoire prévaut sur l’origine du fonctionnaire : ainsi, un fonctionnaire né en France hexagonale et y ayant toujours vécu ne peut se voir reconnaître un CIMM aux Antilles simplement parce que son père et ses grands-parents y vivent ([12]) .

En pratique, la marge de manœuvre de l’administration quant à l’appréciation du CIMM est encadrée par le contrôle du juge. Il n’en reste pas moins que, si la liste de ces critères est commune aux différentes administrations, leur appréciation est, quant à elle, hétérogène. Il s’agit d’un constat partagé par l’ensemble des personnes auditionnées par votre Rapporteure et qu’illustre le rapport de la DGAFP évoqué précédemment ([13]) .

2.   Les modifications proposées 

L’article 3 de la proposition de loi inscrit dans le CGFP les critères permettant d’établir le CIMM et prévoit l’intervention d’un décret pour fixer leur pondération et harmoniser des pratiques actuellement diverses.

L’article 3 insère dans le code général de la fonction publique un nouvel article L. 512-19-1, qui reprend l’essentiel des critères recensés dans la circulaire du 3 janvier 2007, à quelques différences près :

– deux critères de la circulaire ne sont pas repris par l’article 3 : le « lieu où le fonctionnaire est titulaire de comptes bancaires, d’épargne ou postaux » et la « commune où le fonctionnaire paye certains impôts, en particulier l’impôt sur le revenu » ;

– le critère relatif aux biens fonciers est apprécié de façon plus restrictive dans l’article 3 que dans la circulaire. Seraient désormais seuls pris en compte les biens dont l’agent est propriétaire, à l’exclusion de ceux dont il pouvait être locataire, alors que ce dernier critère figure dans la circulaire ;

– enfin, deux critères prévus par la proposition de loi ne se rattachent à aucun critère précédemment dégagé par le juge ou l’administration : la « maîtrise ou la compréhension suffisante de la langue régionale nécessaire à l’interaction avec les administrés locaux » et « la connaissance historique, économique et sociologique du territoire ». Ces deux critères présentent un caractère plus subjectif que la plupart des autres, qui se rattachent à une situation administrative (lieu de résidence de la famille, inscription sur les listes électorales…) ou pratique (bénéfice d’un congé, fréquence des voyages…). 

L’ordre dans lequel ces critères sont présentés n’est pas anodin : il reflète le souhait de faire prévaloir, dans leur pondération, les critères moraux sur les critères matériels qui peuvent plus facilement être construits de toute pièce. La référence à des critères « moraux et matériels » (dans cet ordre) répond au même objectif. Cette approche justifie enfin la suppression du critère relatif au compte bancaire, une procédure désormais assez simple qui ne dit pas grand-chose du lien effectif entre un individu et un territoire.

La référence à « tous autres éléments d’appréciation pouvant en tout état de cause être utiles traduit au niveau législatif le caractère non exhaustif, ni nécessairement cumulatif des critères du CIMM, rappelé dans la circulaire de 2007.

Le II de l’article 3 prévoit l’intervention d’un décret pour fixer la priorité des critères, ainsi que leur pondération.

Le tableau ci-après présente les critères du CIMM dont la proposition de loi dresse la liste, en précisant l’ordre dans lequel ils sont énumérés et en les faisant correspondre, le cas échéant, avec les critères existants.

Tableau comparatif des critères du CIMM

Origine du critère

Circulaire du 3 janvier 2007

Article 3 de la proposition de loi

Circulaires d’application existantes

Domicile des père et mère ou, à défaut, des parents les plus proches

Lieu de résidence des père et mère, des enfants, du conjoint ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou, à défaut, des parents les plus proches de l’agent (1°)

Biens fonciers situés sur le lieu de la résidence habituelle déclarée dont l’agent est propriétaire ou locataire

Biens fonciers situés dans le territoire où l’agent justifie des liens suffisants et dont il était propriétaire avant son départ du territoire, ou bien dont il est devenu propriétaire par donation ou succession (14°)

Domicile avant l’entrée dans l’administration

Lieu et durée de résidence de l’agent avant l’entrée dans l’administration (2°)

Lieu de naissance de l’agent

Lieu de naissance de l’agent (3°)

Bénéfice antérieur d’un congé bonifié

Bénéfice antérieur d’un congé bonifié (9°)

Tous autres éléments d’appréciation pouvant en tout état de cause être utiles aux gestionnaires

Tous autres éléments d’appréciation pouvant en tout état de cause être utiles aux gestionnaires (16°)

Avis du Conseil d’État du 7 avril 1981

Lieu de résidence des membres de la famille de l’agent, degré de parenté avec lui, leur âge, activités et, le cas échéant, leur état de santé

Lieu de résidence des père et mère, des enfants, du conjoint ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou, à défaut, des parents les plus proches de l’agent (1°) ; état de santé et âge des ascendants et descendants directs de l’agent et de son conjoint ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité (5°)

Lieu où le fonctionnaire est titulaire de comptes bancaires, d’épargne ou postaux

-

Commune où le fonctionnaire paye certains impôts, en particulier l’impôt sur le revenu

-

Affectations professionnelles ou administratives qui ont précédé l’affectation actuelle

Affectations professionnelles ou administratives qui ont précédé l’affectation actuelle (13°)

Lieu d’inscription de l’agent sur les listes électorales

Lieu d’inscription de l’agent sur les listes électorales (15°)

Jurisprudence administrative

Lieu de naissance des enfants

 

Lieu de naissance des enfants (4°)

 

Études effectuées par l’agent et/ou ses enfants

Études effectuées par l’agent et/ou ses enfants (6°)

Fréquence des demandes de mutation vers le territoire considéré

Fréquence des demandes de mutation vers le territoire considéré (10°)

Fréquences et durée des voyages effectués vers le territoire considéré

Fréquences et durée des voyages effectués vers le territoire considéré (11° et 12°)

Proposition de loi

-

Maîtrise ou compréhension suffisante de la langue régionale nécessaire à l’interaction avec les administrés locaux (7°)

-

Connaissance historique, économique et sociologique du territoire (8°).

3.   La position de la Commission

La Commission des Lois a rejeté cet article.

*

*     *

Article 4
(article L. 327-1 du code général de la fonction publique)
Lieu du stage

Rejeté par la Commission

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit de reconnaître aux personnes recrutées dans une collectivité régie par l’article 73 ou l’article 74 de la Constitution un droit garanti à effectuer leur stage dans le territoire où elles ont été reçues au concours.

Dernières modifications législatives intervenues

Sans objet.

Modifications apportées par la Commission

La Commission des Lois a rejeté cet article.

1.   Le droit existant

L’article L. 327-1 du CGFP dispose que « Les personnes recrutées au sein de la fonction publique à la suite de l’une des procédures de recrutement par concours, de recrutement sans concours ou de changement de corps ou de cadres d’emplois accomplissent une période probatoire dénommée stage comprenant, le cas échéant, une période de formation lorsque le statut particulier du corps ou du cadre d’emplois le prévoit ».

Le lieu et les modalités d’affectation pour la réalisation de ce stage varient selon le corps considéré. À titre d’exemple, s’agissant des lauréats des concours de recrutement des personnels enseignants et d’éducation de l’enseignement public, une circulaire du ministère de l’Éducation nationale ([14]) prévoit qu’« une affectation géographiquement favorable par rapport aux lieux de formation (proximité ou facilité de l’accès aux moyens de transport et/ou aux grands axes routiers) est à privilégier, dans toute la mesure du possible ». Si l’intention est louable, il ne s’agit nullement d’une garantie.

L’incertitude quant à leur lieu futur d’affectation peut s’avérer dissuasive pour des professeurs déjà contractuels qui envisageraient de passer le concours pour devenir titulaires. Plus généralement, en dehors du cas spécifique des concours nationaux à recrutement local, l’accès à la fonction publique d’État par concours s’accompagne souvent, pour le lauréat, d’une incertitude quant au lieu où il sera affecté afin d’effectuer son stage.

2.   Les modifications proposées

L’article prévoit, pour les personnes recrutées au sein de la fonction publique d’État dans l’une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, un « droit garanti » à effectuer leur stage dans le territoire où elles ont été reçues au concours.

Cette disposition apporterait aux candidats plus de visibilité sur les mois qui suivent leur recrutement et leur permettrait, le cas échéant, de préparer plus sereinement une éventuelle affectation hors de leur territoire.

3.   La position de la Commission

À l’initiative de la Rapporteure, la Commission des Lois a adopté un amendement étendant le bénéfice de l’article 4 aux personnes justifiant d’un CIMM en Nouvelle-Calédonie ([15]) .

L’article 4 ainsi modifié a toutefois été rejeté par la Commission.

*

*     *

Article 5
Gage

Rejeté par la Commission

Afin de compenser les charges créées par la présente proposition de loi, le présent article prévoit la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs (pour l’État), la majoration de la dotation globale de fonctionnement (pour les collectivités territoriales) et la majoration de l’accise sur les tabacs (pour les organismes de sécurité sociale).

Cet article ayant seulement vocation à assurer la recevabilité formelle de la proposition de loi, votre Rapporteure appelle naturellement le Gouvernement à le supprimer lors de l’examen du texte en séance.

Cet article a été rejeté à la suite de son examen par la Commission des Lois.


—  1  —

 

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 12 avril 2023, la Commission examine la proposition de loi visant à promouvoir l’emploi et le retour des fonctionnaires d’État ultramarins dans les territoires d’Outre-mer (n° 980) (Mme Emeline K/Bidi, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/fElHWc

M. le président Sacha Houlié. Nous examinons ce matin deux propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES ; la première d’entre elles, relative à l’emploi des fonctionnaires ultramarins, a été inscrite en cinquième position de cette journée.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Cette proposition de loi vise à résoudre un problème ancien, mais auquel aucune solution satisfaisante n’a été apportée : le retour des fonctionnaires d’État ultramarins dans leur territoire d’origine. C’est une question, j’en suis bien consciente, qui se pose dans différentes régions françaises ; mais j’appelle votre attention sur la particularité des territoires ultramarins, dont les problèmes sont si spécifiques et si urgents que notre droit doit s’adapter. Un récent rapport sénatorial évoque des « discontinuités territoriales entre les outre-mer et l’Hexagone ». On ne peut pas envisager l’éloignement entre un territoire ultramarin et le territoire hexagonal comme on le ferait de deux régions de la France continentale.

Les spécificités des territoires d’outre-mer ne se limitent pas à la géographie. Lorsque l’on regarde la composition de la fonction publique ultramarine, les données sociologiques actualisées nous montrent, en 2022, une nette sous-représentation des fonctionnaires ultramarins aux postes d’encadrement. À La Réunion, seuls 11 % des fonctionnaires réunionnais occupent des postes d’encadrement ; en comparaison, les fonctionnaires nés dans l’Hexagone en poste à La Réunion sont 45 % à occuper un poste d’encadrement. Les fonctionnaires ultramarins ont le sentiment d’être cantonnés à des postes subalternes sur leur propre territoire, et d’être forcés à l’exil s’ils veulent réussir.

Pour apporter des réponses à ce problème sociologique, il est urgent de promouvoir l’emploi et le retour des fonctionnaires ultramarins dans leurs territoires. En 2012, dans son rapport consacré à la place des ultramarins dans la fonction publique d’État, le préfet Jean-Marc Bédier dressait le constat suivant : « Dans un contexte de chômage élevé et de jeunes chômeurs diplômés en grand nombre, la frustration est souvent grande de voir arriver de l’extérieur des fonctionnaires pour occuper des postes pouvant être pourvus localement. Dans le même temps, ces mêmes jeunes doivent partir loin de leur famille pour une migration de travail vécue pendant longtemps comme un déracinement et donnant lieu encore aujourd’hui à une demande de retour abondante. » Ce rapport a plus de dix ans ; les questions qu’il pose demeurent d’actualité.

Depuis, le cadre légal a évolué. Pour bien l’appréhender, il faut d’abord comprendre la notion de centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) – je préfère parler d’intérêts « moraux et matériels » – qui est au cœur de l’appréciation par l’administration du lien entre un fonctionnaire et un territoire ultramarin. Elle ne fait pas l’objet d’une définition légale mais repose sur des critères constituant un faisceau d’indices, dégagés par la pratique administrative ou la jurisprudence et synthétisés dans une circulaire en 2007. À titre d’exemple, parmi ces critères, figurent le lieu de naissance de l’agent, le domicile de ses parents et de ses proches, le lieu où il a effectué ses études, la fréquence de ses demandes de mutation, les congés bonifiés dont il a bénéficié…

Depuis la loi de programmation du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (Erom), les fonctionnaires justifiant de leur CIMM dans un territoire ultramarin bénéficient d’une priorité légale en matière de mutation.

Plusieurs problèmes continuent de se poser et justifient à mes yeux l’intervention du législateur.

En premier lieu, aucun texte de portée obligatoire ne fixe les critères permettant d’établir le CIMM. D’un fonctionnaire à un autre, d’une administration à une autre, les critères se combinent de façon différente, au détriment de l’égalité et de la transparence. Cela peut susciter des sentiments légitimes d’incompréhension, voire d’injustice chez les fonctionnaires à qui est refusée la reconnaissance de leur CIMM.

Lors de nos auditions, nous avons pu échanger avec la direction générale des outre-mer (DGOM), qui a étudié les pratiques de sept ministères différents. Les fonctionnaires dépendant du ministère de l’économie et des finances doivent remplir au moins deux critères sur cinq définis par le ministère comme prioritaires ; au ministère de la transition écologique, il faut trois critères sur l’ensemble de ceux dégagés par la jurisprudence ; les ministères sociaux demandent que soient réunis cinq critères sur huit, prédéfinis. Les pratiques varient donc du tout au tout, ce qui place les fonctionnaires dans une situation d’inégalité : selon le ministère dont ils dépendent, deux fonctionnaires dont la situation est identique se verront traiter différemment. La proposition de loi que je vous présente vise à mettre un terme à ces inégalités et à cette insécurité juridique.

La loi Erom n’a eu qu’un impact limité. En 2019, seules 28 % des demandes de mutation formulées au titre du CIMM ont été satisfaites. Autrement dit, 72 % des demandes formulées dans le cadre du CIMM n’ont pas pu aboutir.

J’ai pu entendre, au cours des auditions, que la faiblesse du contentieux administratif en matière de CIMM montrait que le dispositif actuel était satisfaisant. J’estime au contraire qu’il ne reflète pas l’ampleur des difficultés. La moitié des demandes que je reçois en tant que députée d’un territoire d’outre-mer émanent de fonctionnaires qui voudraient revenir exercer leur métier sur leur territoire, mais qui n’y arrivent pas : malgré le manque de transparence, et bien que les refus qui leur sont opposés soient parfois contestables, le coût financier d’une action en justice et la crainte de représailles de la part de l’administration les dissuadent d’engager une action en justice.

Il ne s’agit pas là seulement de situations individuelles, même si elles confinent parfois au drame familial ou professionnel. Les enjeux sont bien plus larges, à la fois sociaux, économiques et politiques.

Il y va en effet de l’égalité d’accès au service public et de la qualité du service public. Dans ces territoires ultramarins où le taux d’illettrisme est encore trop important, où le créole est parfois la seule langue comprise et parlée par les habitants, surtout parmi la population âgée en rupture numérique, avoir accès à un fonctionnaire qui connaît bien la culture, la langue, l’histoire et la sociologie du territoire est essentiel. Le lien entre l’accès aux services publics et la maîtrise de la langue régionale par le fonctionnaire est connu : en Bretagne, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) propose des cours de breton aux fonctionnaires en relation directe avec les administrés.

Il s’agit aussi d’un enjeu économique. Pour les jeunes ultramarins, l’insertion économique passe encore trop souvent par un départ vers la France hexagonale. La perspective crédible d’une insertion locale dans un emploi qualifié pourrait encourager davantage de jeunes à poursuivre des études supérieures, quand, au contraire, l’incertitude sur la localisation de la future affectation peut les dissuader de passer un concours national, et donc les empêcher d’accéder à un emploi de titulaire stable.

Enfin, et cela n’a rien d’anecdotique, la répartition des postes entre Hexagonaux et ultramarins tend à encourager la persistance de schémas de pensée et de hiérarchies sociales issues de la colonisation : les postes subalternes pour les ultramarins, les postes d’encadrement pour les hexagonaux. Nous devons aider les pensées à évoluer.

Le problème, vous le voyez, dépasse largement les situations individuelles de fonctionnaires concernés. Aussi le présent texte propose-t-il des solutions pour promouvoir l’emploi et le retour des fonctionnaires d’État ultramarins dans leur territoire d’outre-mer.

Son article 2 pose le principe d’un droit au retour pour les fonctionnaires justifiant de liens particuliers avec un territoire ultramarin.

Son article 3 donne une assise légale aux critères utilisés pour la détermination du CIMM, en consacrant les critères issus de la jurisprudence mais en privilégiant les critères moraux par rapport aux critères matériels. Il prévoit aussi une pondération. Les administrations apprécieraient ainsi ces critères selon une même grille de lecture. La souplesse ne doit plus confiner à l’arbitraire. Certains verront là un carcan ; je considère pour ma part que ces dispositions permettront de gagner en objectivité, en transparence et en efficience.

L’article 4 garantit le droit des personnes recrutées dans l’une des collectivités relevant des articles 73 ou 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie à effectuer leur stage préalable à la titularisation dans le territoire où elles ont été reçues au concours. C’est un problème spécifique : lorsqu’un ultramarin réussit un concours, ce que l’on ne peut pas complètement prévoir, il doit en quelques semaines trouver de l’argent pour financer un billet d’avion – aux périodes d’affluence, cela coûte souvent un Smic –, éventuellement déscolariser et rescolariser ses enfants, loger sa famille, trouver une solution pour la carrière du conjoint… Beaucoup renoncent au concours, ou alors demandent un report de l’année de stage parce qu’ils ne peuvent pas faire face.

L’article 1er, enfin, crée un observatoire des emplois locaux en outre-mer, doté d’un pouvoir de sanction et chargé de veiller à la bonne application de ces dispositions. Les dispositifs mis en place jusqu’à présent n’ont pas porté leurs fruits ; nous voulons une loi efficace.

Nous proposons d’adopter ces dispositions à titre expérimental, pour une durée de quinze ans que je vous proposerai de ramener à dix ans par amendement. Cela me semble raisonnable pour que les acteurs s’approprient le dispositif et que les personnes concernées en bénéficient.

Je souhaite enfin remercier l’ensemble des personnes auditionnées dans le cadre de mes travaux, juristes, sociologues, personnels ministériels, ainsi que mon collègue M. Frédéric Maillot et les députés qui ont participé aux auditions.

Je vous invite, chers collègues, à adopter cette proposition qui profitera à nos compatriotes ultramarins qui œuvrent au service de l’État, mais aussi aux territoires d’outre-mer et à leurs habitants.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Le groupe Renaissance ne soutiendra pas la proposition de loi, et s’opposera donc à ses articles ainsi qu’aux amendements.

Le texte aborde des sujets de fond, sur lesquels nos désaccords sont réels. Je ne doute pas un instant que le groupe GDR soit attaché aux services publics de la République, et je vous avoue avoir été un peu surpris par la lecture de ce texte, dont je ne suis pas certain qu’il aille dans ce sens.

Nous ne soutenons pas la notion de localisation des emplois publics d’État, alors que votre texte peut laisser penser que c’est de cela qu’il s’agit. Je note d’ailleurs que notre collègue Paul Molac ne s’y est pas trompé en déposant un amendement qui, en quelque sorte, généralise le mécanisme proposé. Ce n’est pas notre définition de la fonction publique : même dans les États fédéralistes, l’égalité d’accès à la fonction publique est en général garantie pour les nationaux de la fédération.

Vous avez déposé des amendements pour revenir sur cet aspect mais, dans sa rédaction actuelle, votre texte inverse les principes. L’affectation d’un agent public à un poste doit être conduite dans l’intérêt général et de la qualité du service au public, et non dans l’intérêt de l’agent lui-même – même si les considérations relatives à sa situation matérielle et morale ne doivent pas être oubliées.

Comme la plupart de nos collègues ultramarins et même beaucoup de nos collègues hexagonaux – j’en fais partie –, vous avez rencontré ces situations de frustration et de souffrance où l’éloignement est souvent synonyme d’isolement affectif et matériel, voire sanitaire.

Le système actuel est organisé autour de la notion de CIMM, qui donne une priorité légale d’affectation. Un rapport du ministère de la fonction publique en a dressé un bilan en juillet 2021. Il serait injuste d’y lire que ce système est totalement défaillant. Les demandes de mutation vers les outre-mer sont justifiées, pour 13 % d’entre elles, par le CIMM ; 23 % des affectations sont fondées sur lui. Il faut néanmoins remarquer que ces statistiques sont déformées par la situation de trois administrations : l’éducation nationale, les forces de sécurité intérieure et la pénitentiaire.

En revanche, et c’est un débat que nous avions déjà ouvert lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Nicole Sanquer au cours de la législature précédente, la question de l’harmonisation de l’appréciation du CIMM entre les différentes administrations est toujours d’actualité. La ministre de la fonction publique de l’époque, Mme Amélie de Montchalin, avait alors souligné l’intérêt d’une actualisation de la circulaire ad hoc. Votre proposition aura, je l’espère, la vertu de provoquer enfin cette mise à jour, et si possible d’ici à la séance du 4 mai.

Je crois aussi que l’idée d’une commission du CIMM telle que la propose un amendement de notre collègue Philippe Naillet mérite toute notre attention, même si je ne suis pas certain qu’une loi soit nécessaire.

Vous faites référence, à raison, à ces sondages qui semblent indiquer une volonté de départ chez de nombreux jeunes ultramarins. Vous y voyez la marque d’une trop faible attractivité des territoires ultramarins : là encore, vous avez raison. Nous ne savons pas comment maintenir les compétences sur ces territoires. Mais répondre par la seule gestion des affectations des fonctionnaires d’État me paraît bien limité ; je crois davantage à la dynamique des acteurs entrepreneuriaux, associatifs et locaux. Le nouveau directeur de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (Ladom), M. Saïd Ahamada, que nous avons interrogé dans le cadre de la commission d’enquête sur le coût de la vie outre-mer que j’ai l’honneur de présider, me semble vouloir inscrire son action dans cette philosophie du soutien au retour et aux projets des ultramarins venus se former sur le territoire hexagonal. C’est dans ce sens que nous devons aller, je crois. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de la réforme de Ladom et lors de l’examen du prochain budget.

M. Stéphane Rambaud (RN). La proposition de loi qui nous est présentée part, il faut bien le dire, d’un bon sentiment, même si, à y regarder de près, elle est critiquable. Ce texte vise à soutenir le retour des fonctionnaires dans leur territoire de naissance pour y exercer leurs fonctions au service des habitants. Il part d’un constat que la réalité et les statistiques ne permettent pas de nier : les ultramarins sont minoritaires dans les postes d’encadrement de la fonction publique d’État dans les territoires d’outre-mer. On peut faire dire ce que l’on veut aux statistiques ; encore faudrait-il s’assurer que cette tendance ne se maintient pas sur le long terme.

Si vos intentions sont louables, cette proposition de loi vient plutôt compliquer la situation. En effet, des dispositifs existent déjà. L’article L. 512-19 du code général de la fonction publique, issu de la codification de l’article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, prévoit déjà une priorité d’affectation au profit des fonctionnaires qui justifient que le centre de leurs intérêts matériels et moraux se trouve dans les départements d’outre-mer (Drom), les collectivités d’outre-mer (COM) et en Nouvelle-Calédonie. Une telle priorité doit toutefois s’apprécier conformément à l’article L. 512-18 du même code, qui dispose que les mutations se font « en tenant compte des besoins du service ».

En l’état de sa rédaction, la proposition de loi s’appliquerait en outre à des fonctions inséparables de la souveraineté nationale, comme le corps préfectoral ou la magistrature, ce qui la rendrait à coup sûr inconstitutionnelle.

La création d’un observatoire des emplois locaux outre-mer nous paraît une solution coûteuse, qui ne se justifie pas. Les fonctionnaires qui estiment que les dispositions offrant une priorité d’affectation dans les Drom et les COM n’auraient pas été respectées peuvent saisir le juge administratif. Le pouvoir de sanction que vous proposez d’attribuer à cet observatoire serait donc inutile. De plus, les centres de gestion des départements sont à même d’exercer une veille sur l’application des dispositions offrant une priorité d’affectation aux fonctionnaires ultramarins. La diffusion prioritaire des informations concernant des emplois dans la fonction publique aux agents justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins et ayant candidaté à un poste équivalent dans les cinq années précédentes paraît enfin peu opportune, car cela engendrerait une différence de traitement avec les autres fonctionnaires. Le principe d’égalité, garanti par la Constitution, serait rompu. Cela est difficilement envisageable et sans doute inconstitutionnel.

La garantie d’un emploi et d’un retour dans les Drom et COM des fonctionnaires justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins paraît excessive, à tout le moins pour les agents de catégorie A, dès lors qu’elle ne tient pas compte des besoins et des contraintes du service. Seuls un objectif ou une priorité peuvent être fixés en la matière.

Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement national votera en fonction du soutien apporté à nos amendements.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Je tiens d’abord à vous présenter les excuses de notre collègue Jean-Hugues Ratenon, normalement notre chef de file sur ce texte, qui est retenu en Martinique pour une mission sur les énergies renouvelables.

Merci à nos collègues ultramarins pour cette proposition de loi. J’invite nos collègues à regarder la liste des signataires de ce texte : elle regroupe des députés de l’ensemble des territoires ultramarins et de plusieurs groupes de notre assemblée.

Cette proposition de loi part d’un constat : 42 % des jeunes diplômés ultramarins migrent vers l’Hexagone, comme 27 % des jeunes ultramarins de 18 à 24 ans ; et souvent, ceux qui migrent restent. Elle relève aussi l’existence d’un « paradoxe domien » : les jeunes diplômes locaux peinent à accéder aux emplois qualifiés offerts localement. Elle fait enfin le constat d’une discrimination dans la fonction publique d’État. Ainsi, à La Réunion, seuls 11 % des Réunionnais qui sont dans la fonction publique occupent un poste d’encadrement, contre 45 % pour les personnes nées dans l’Hexagone. À la Martinique, c’est 10 % contre 40 % ; en Guadeloupe, 10 % contre 34 % ; en Guyane, 6 % contre 25 %.

Vous faites, pour y remédier, plusieurs propositions. La première est la mise en place d’un observatoire des emplois locaux en outre-mer, nouvelle autorité administrative indépendante. Nous avons déposé un amendement visant à élargir son périmètre. Vous proposez surtout une modification du code général de la fonction publique afin de privilégier l’emploi des personnes ayant un lien fort avec les outre-mer par l’inscription dans la loi d’une définition du CIMM. Cela paraît en effet nécessaire pour rétablir un peu d’égalité. Nous avions déposé un amendement visant à créer des instituts régionaux d’administration (IRA) dans les outre-mer, afin de former davantage d’ultramarins mais aussi de nourrir dans l’administration une culture des outre-mer.

Je vous invite, chers collègues, à regarder cette proposition de loi avec attention. À chaque fois que l’on traite différemment les outre-mer et l’Hexagone, on abîme la République ; quand nos compatriotes, sur l’île de Mayotte, en Guadeloupe ou à La Réunion ont un accès très limité à l’eau potable, quand le taux de pauvreté est très élevé, quand l’éducation n’atteint pas le niveau qu’ils sont en droit d’attendre, on abîme la République. La République, c’est une promesse, celle de l’égalité et de la fraternité qui figurent dans notre devise : si ce sont là des paroles creuses, on abîme la République et ce qui, dans le fond, fait la France.

M. Philippe Gosselin (LR). Je ne vous cache pas un certain embarras du groupe Les Républicains.

Oui, les difficultés sont réelles dans les territoires ultramarins pour des familles, des jeunes ou des moins jeunes. Ce n’est pas seulement lié à la fonction publique, mais aussi à certains aspects du quotidien. La République doit, dare-dare et de façon continue, travailler à établir l’égalité entre les territoires et entre les citoyens.

Je le reconnais bien volontiers, il est difficile de travailler et de vivre dans les territoires d’outre-mer, mais je fais remarquer, gentiment et sincèrement, que ce phénomène existe dans l’Hexagone rural. Je vois dans la Manche des jeunes qui s’interdisent d’aller faire des études parce que c’est compliqué, parce que cela coûte cher. Et pourtant, il y a bien la continuité territoriale !

Oui, des chiffres montrent notamment des taux de présence aux postes d’encadrement qui ne sont pas ceux que l’on pourrait attendre.

Toutes ces considérations devraient nous amener à vous suivre. Mais vos propositions me semblent faire naître d’autres difficultés juridiques, légales et même constitutionnelles. Ce que vous envisagez, c’est de ne plus prendre en compte l’intérêt du service public mais celui de l’agent. C’est louable, évidemment, et l’intérêt de l’agent doit compter – c’est pourquoi le CIMM est reconnu depuis de longues années. Les critères doivent sans doute être améliorés. Les chiffres sont tronqués, cela a été dit, par le poids de trois administrations – éducation nationale, forces de l’ordre, pénitentiaire : sans elles, on verrait peut-être que la situation est moins mauvaise qu’il n’y paraît.

Le principe d’égalité est aussi essentiel. Or favoriser certains fonctionnaires se fait nécessairement au détriment d’autres : s’il faut une égalité d’accès à la fonction publique, il faut également une égalité dans le déroulement des carrières, à part certains motifs impérieux. Je ne suis pas sûr que tout ce que vous évoquez relève de ces derniers.

Nous verrons comment se dérouleront les débats. Je voulais jusqu’ici vous exposer mon embarras. Oui, il faut apporter des réponses, mais celles que vous proposez ne sont sans doute pas les bonnes.

M. Philippe Naillet (SOC). Chacun a bien compris que ce sujet ne doit pas être abordé sous l’angle technique ou juridique ; c’est un sujet éminemment politique, et éminemment humain.

Vous connaissez la réalité de nos territoires ultramarins. À La Réunion, 37 % de la population vit sous le seuil de pauvreté ; les services publics sont affaiblis, et ne peuvent pas toujours assurer leurs missions malgré la bonne volonté et l’engagement des agents. Ce que nous demandons, c’est le renforcement des services publics. Nous ne voulons pas faire primer l’intérêt de l’agent, mais l’intérêt des services publics.

Nous ne demandons pas toutes les places. Si je puis comparer un service public à un avion, nous demandons à être un peu moins nombreux en classe économique et un peu plus nombreux dans la cabine de pilotage.

Nous sommes républicains et Français mais nous sommes ultramarins. Aujourd’hui, il y a un mal-développement dans nos territoires ; j’ai cité le taux de pauvreté, j’aurais pu parler de l’illettrisme ou de l’échec scolaire qui est 2,5 fois supérieur à ce qu’il est dans l’Hexagone. Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable : nous ne réglerons pas ces défis d’aujourd’hui par les raisonnements d’hier.

Il faut donc soutenir le retour des fonctionnaires ultramarins, et singulièrement leur arrivée dans l’encadrement des différentes fonctions publiques.

Il y a eu des avancées, notamment avec la loi Erom. Mais, la rapporteure l’a dit, en matière de reconnaissance du CIMM et d’affectation, les pratiques sont très hétérogènes, ce que les propositions de loi de Manuéla Kéclard-Mondésir et Nicole Sanquer cherchaient à corriger. Les seules justifications possibles sont le nombre de postes disponibles et l’adéquation des profils et des grades. Le ministère de l’intérieur a d’ailleurs été condamné par le Conseil d’État parce qu’il n’avait pas respecté les règles pour l’affectation d’un policier réunionnais. Non, les dispositifs actuels ne fonctionnent pas bien. La transparence est presque inexistante. Je veux néanmoins citer les échanges récents avec M. le ministre de l’éducation, Pap Ndiaye, qui vont dans le bon sens.

Il faut travailler cette proposition de loi, bien sûr. Nous sommes réunis ce matin pour cela. Mais c’est une nouvelle alerte. Les règles doivent être appliquées de façon plus homogène et l’État employeur doit se montrer plus humain.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Nous partageons l’objectif de promotion du retour des fonctionnaires ultramarins et du maintien des compétences sur les territoires. Nous saluons les efforts qui facilitent ce retour des personnes qui justifient d’un CIMM dans une de ces collectivités aux réalités parfois différentes de la métropole.

C’est l’objet de l’article 85 de la loi Erom du 28 février 2017. D’autres dispositifs existent, notamment les congés bonifiés qui visent à maintenir la continuité territoriale, et qui permettent aux fonctionnaires originaires d’outre-mer affectés en métropole de bénéficier, tous les deux ans, de la prise en charge de leurs frais de transport vers leur territoire d’origine.

La fonction publique doit être représentative de l’ensemble des territoires afin de répondre aux besoins des habitants, de créer les conditions de la confiance avec les usagers des services publics. Je l’observe dans la mission qui m’a été confiée sur les maisons France Services, avec le sénateur Bernard Delcros.

Si nous partageons ces constats, nous sommes réservés vis-à-vis des dispositifs présentés ici. Inscrire une forme de préférence locale comme vous le proposez ne nous semble pas compatible avec le principe constitutionnel d’égalité de traitement ; une telle règle entraînerait en effet une rupture de l’égalité entre les candidats et pourrait imposer à l’affectation sur la base de l’origine et non des compétences professionnelles. On ne peut que s’interroger.

De la même manière, la création d’un droit à effectuer son stage sur le territoire où l’on a réussi un concours semble peu applicable en l’état. Tous les territoires ne permettent pas de réaliser un stage pour chaque concours.

La richesse de notre administration réside dans l’égalité de traitement et dans le fait que ses agents sont représentatifs de l’ensemble des territoires métropolitains et ultramarins. Cela n’empêche pas d’être lucides et de favoriser le retour sur leur territoire pour ceux qui le souhaitent et qui y justifient d’intérêts matériels et moraux.

Sur l’inscription dans la loi des critères relatifs au CIMM, cela nous semble ajouter de la complexité à la complexité et serait contraire à la volonté de conserver de la souplesse dans l’appréciation des situations individuelles par les administrations. Le ministre de la fonction publique pilote un projet d’harmonisation de l’appréciation de ces critères afin de s’assurer de leur application uniforme, mais toujours individualisée, par les différentes administrations.

À l’instar de Philippe Gosselin et du groupe LR, nous sommes ennuyés, mais nous voterons contre cette proposition de loi.

M. Frédéric Maillot (GDR-NUPES). Mes collègues ultramarins et moi-même sommes chaque jour confrontés à de nombreuses demandes de retour ou de maintien de fonctionnaires ultramarins dans leur territoire pourtant demandeur d’agents sensibilisés à leur réalité. Avec Mme K/Bidi, nous avons cherché à comprendre cette incohérence, ce qui nous a conduits à déposer la présente proposition de loi.

La réalité du terrain, ce sont des personnes vieillissantes, à la santé fragile, dont les enfants ne peuvent être présents pour les soutenir, parfois avant qu’elles rendent leur dernier souffle. Ce sont des ultramarins qui quittent leurs proches sans savoir quand ils pourront les revoir. Ce sont des hommes et des femmes qui doivent se résoudre à vivre loin de leur conjoint et de leurs enfants, dont ils sont séparés par des dizaines de milliers de kilomètres à cause de leur travail. Cette réalité lourde de conséquences conduit parfois au burn-out, voire à des drames plus graves.

En 2019, selon les chiffres communiqués par le Gouvernement, 28 % des agents ultramarins de la fonction publique d’État ont accédé à un poste dans les outre-mer. Cela rejoint le constat déjà établi en 2012 par M. le préfet Jean-Marc Bédier, alors chargé de la promotion des originaires d’outre-mer dans les postes à responsabilité de la fonction publique, ainsi que celui dressé plus récemment par notre collègue Olivier Serva. Force est de constater que rien ne change ! Toujours en 2019, une étude du Défenseur de droits a montré que les citoyens vivant dans les territoires ultramarins étaient confrontés à de nombreux problèmes au sein des services publics d’État, poussant jusqu’à 60 % d’entre eux à renoncer à entreprendre des démarches faute de prise en charge adaptée. Par ailleurs, certains corps de la fonction publique ont recours à des contractuels alors même que les lauréats des concours sont obligés de se rendre dans l’Hexagone pour effectuer leur stage et accéder à leur premier poste, en espérant – souvent en vain – un retour dans leur territoire où des postes sont pourtant à pourvoir. En outre-mer, les administrés ont de plus en plus besoin d’être au contact de fonctionnaires comprenant leurs réalités socio-économiques et culturelles ; or les fonctionnaires qui souhaitent y être mutés nous font part des difficultés liées à l’actuel système d’attribution des postes, partiellement inopérant.

Notre proposition de loi a vocation à garantir une plus grande efficacité du service public en outre-mer, par la promotion de l’emploi des ultramarins compétents dans leur territoire. Cela permettra au service public d’être durablement plus proche des administrés. Nous créerons un service public exemplaire en matière d’égalité, à l’image de nos sociétés, conformément à la circulaire d’application de la loi Erom qui prévoit notamment la prise en compte des CIMM. N’y voyez ni régionalisme ni chauvinisme. Nous voulons servir l’intérêt public, le service public, en permettant à des fonctionnaires d’État d’exercer leur métier au plus proche de leur territoire. Ceux qui demandent leur mutation depuis dix, quinze ou vingt ans estiment que la loi doit leur permettre de travailler chez eux. Il faut envoyer un message aux ultramarins, leur dire qu’ils ne sont pas une sous-France, afin d’éviter tout drame susceptible d’être causé par la souffrance.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Nous partons d’un constat, celui d’une gestion injuste et irresponsable des emplois publics d’encadrement dans les outre-mer.

Injuste, d’abord, parce que l’État mène de fait une politique d’inégal accès aux emplois publics les plus qualifiés en recrutant prioritairement des métropolitains et en rejetant largement les demandes de retour des fonctionnaires ultramarins dans leur territoire d’origine. Les études montrent qu’à niveau de diplôme équivalent, à savoir la licence, les métropolitains occupent deux fois plus que les ultramarins des postes à responsabilité. À l’inverse, les ultramarins sont surreprésentés dans les emplois publics subalternes. C’est, au bout du compte, la jeunesse diplômée des outre-mer que l’on met de côté et que l’on incite à lever les voiles vers l’Hexagone, faute de débouchés. Cette migration est souvent vécue comme un déracinement.

Irresponsable, ensuite, parce que cette gestion des ressources humaines aggrave la situation économique des territoires d’outre-mer à deux égards. D’une part, elle amplifie la fuite des cerveaux et accentue par là même la crise sociale dans les outre-mer. D’autre part, la perspective de l’exil dissuade souvent la jeunesse diplômée de passer un concours national et donc d’accéder à un emploi public stable, ce qui paraît d’autant plus problématique que le recrutement public constitue l’un des remèdes les plus robustes aux tensions que connaît le marché du travail ultramarin.

Des choses ont été faites depuis la loi Erom du 28 février 2017. Une priorité légale d’affectation ultramarine est accordée aux fonctionnaires d’État justifiant de centres des intérêts matériels et moraux dans les territoires d’outre-mer – il me semble que cette disposition légale permet de lever les objections constitutionnelles exprimées par M. Gosselin. Toujours est-il que cette évolution n’a pas eu l’effet escompté : comme l’a expliqué Mme la rapporteure, la plupart des administrations continuent de privilégier l’affectation des fonctionnaires expatriés au détriment des ultramarins, en raison d’une application pour le moins aléatoire du dispositif dans les administrations centrales. Dans son rapport de juillet 2021 sur le bilan de l’application du dispositif, la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) faisait état de pratiques très différentes d’un ministère à l’autre : certains utilisent cinq critères, d’autres trois sans pondération, d’autres encore exigent le cumul de critères comme le lieu de naissance et la détention de biens fonciers.

Des correctifs doivent donc être apportés à cette législation afin d’en garantir la pleine effectivité. Le texte que nous examinons répond parfaitement au problème soulevé, en introduisant notamment deux innovations juridiques : d’une part, le contrôle de l’administration par une autorité indépendante, l’Observatoire des emplois locaux en outre-mer ; d’autre part, la clarification de la notion de CIMM en outre-mer par la détermination d’une liste de critères légaux. Le groupe Écologiste-NUPES est convaincu que ces ajustements permettront d’améliorer le sort des fonctionnaires d’État ultramarins. Nous voterons donc en faveur de ce texte.

M. Stéphane Lenormand (LIOT). Lorsqu’on évoque le difficile sujet des mutations et des affectations auprès des fonctionnaires ultramarins, ce sont toujours les mêmes constats qui reviennent : des difficultés procédurales, une certaine incompréhension, et surtout un sentiment d’injustice. Les travaux engagés lors de la précédente législature ont suscité beaucoup de discours et de déclarations d’intention, mais peu de résultats pour les agents publics concernés.

Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires soutiendra naturellement cette proposition de loi qui entend avancer concrètement et rapidement en matière de retour des fonctionnaires ultramarins dans leur territoire.

L’une des principales avancées sera la redéfinition dans la loi des centres des intérêts matériels et moraux – cette notion, qui ouvre droit à plusieurs avantages, est actuellement source d’incompréhension pour les fonctionnaires des outre-mer. Plusieurs députés de notre groupe avaient d’ailleurs soutenu, en 2021, une proposition de loi de Nicole Sanquer visant à rénover cette notion, mais le texte avait été rejeté. En dépit de ses discours rassurants, le Gouvernement n’a toujours pas œuvré pour améliorer ce cadre légal. Dans un discours prononcé à Papeete en juillet 2021, le Président de la République s’était pourtant engagé à réviser les critères des CIMM.

Notre groupe déplore surtout les conditions opaques dans lesquelles sont examinés les dossiers des fonctionnaires. Il se rallie au constat de la délégation aux outre-mer qui avait, par le passé, dénoncé des « examens d’ultramarinité » et mis en évidence des incohérences parfois choquantes dans le traitement des dossiers. Actuellement, la notion de CIMM reste imprécise, ce qui laisse à l’administration une trop grande marge d’interprétation. Faute de calibrage strict, l’application homogène de la loi dans nos territoires n’est plus garantie, ce qui conduit à des différences de traitement injustifiées. Notre groupe soutient donc la liste des critères objectifs proposés. Nous appelons cependant votre attention sur leur classement : l’ordre des critères a une importance en raison des barèmes de points associés. Notre collègue Max Mathiasin a, du reste, déposé des amendements afin d’engager un débat sur le sujet.

Au-delà de ces dispositions, notre groupe déplore l’absence d’un véritable projet d’ampleur pour les outre-mer. Le Gouvernement n’entend pas les alertes lancées par les élus locaux et les parlementaires, qui connaissent leur territoire et demandent la définition d’une vision politique globale à destination des territoires et des citoyens ultramarins. À ce jour, aucun texte dédié aux outre-mer n’a été inscrit à l’ordre du jour, notamment en matière d’emploi. En ce sens, notre groupe soutiendra la création d’un observatoire des emplois locaux en outre-mer afin de concrétiser les politiques liées à l’emploi public dans les territoires ultramarins. Les agents ultramarins du secteur public ne disposent pas d’un interlocuteur identifié dans le paysage administratif. Il serait pourtant pertinent, dans une logique de guichet unique, de prévoir un service à destination de ces fonctionnaires afin de les alerter en priorité sur les emplois vacants et les dispositifs d’aide susceptibles d’être mobilisés pour faciliter leur retour dans leur territoire d’origine.

Je voudrais enfin insister sur un dernier point qui me tient à cœur : une politique d’insertion des jeunes s’avère nécessaire, tant pour leur offrir des perspectives d’avenir que pour dynamiser nos territoires. Nous avons déposé un amendement visant à étendre dans ce domaine les compétences de l’Observatoire ; j’espère qu’il recevra un avis favorable. Il faut montrer aux jeunes ultramarins qui partent étudier dans l’Hexagone qu’il existe des possibilités de carrière et des opportunités professionnelles dans leurs territoires respectifs.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Je comprends parfaitement le sens et l’objectif de cette proposition de loi, à laquelle je souscris. La création, à l’article 1er, d’un Observatoire des emplois locaux en outre-mer sous la forme d’une autorité administrative indépendante se justifie bien sûr par la prise en compte limitée des CIMM par les administrations, qui ne sont soumises à aucun autre contrôle que celui du juge administratif. Or il existe diverses autorités administratives indépendantes, dont la nature légale est variable ; par ailleurs, certaines agences dont la place et le rôle sont pourtant fondamentaux n’ont pas cette qualité. Ne vaudrait-il pas mieux créer, à côté d’un observatoire chargé de la collecte des données, un médiateur indépendant susceptible de proposer des solutions conformes à la loi ?

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Je remercie les groupes qui ont exprimé leur soutien à cette proposition de loi.

Le groupe Renaissance s’inquiète de la prise en compte de l’intérêt du service public. Nous avons effectivement compris, lors des auditions, qu’il s’agissait là d’une réelle préoccupation pour les ministères ; c’est la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements visant à préciser que le droit à l’emploi et au retour dans leur territoire d’origine était toujours garanti aux fonctionnaires sous réserve de l’intérêt du service. Cela me semblait aller de soi, puisque nous entendons compléter l’article L. 512-18 du code général de la fonction publique, qui dispose déjà que « l’autorité compétente procède aux mutations des fonctionnaires de l’État en tenant compte des besoins du service », en ajoutant simplement l’alinéa suivant : « Dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, l’emploi et le retour des fonctionnaires justifiant de liens suffisants avec les territoires ultramarins sont garantis. » Devant les inquiétudes persistantes, il m’a cependant semblé utile d’apporter une nouvelle fois cette précision, quitte à ce que la loi soit redondante.

Il ne s’agit absolument pas de faire en sorte que des fonctionnaires n’ayant pas les compétences ni le grade nécessaires puissent, uniquement parce qu’ils sont ultramarins, occuper des postes en contradiction avec l’intérêt du service et leur propre carrière. Nous souhaitons simplement préciser les CIMM existants et renforcer la priorité prévue par la loi Erom, qui n’est pas opérante. Soyez rassurés, l’intérêt du service est préservé. Je suis bien consciente que la somme des intérêts individuels ne correspond pas à l’intérêt général mais, au-delà des enjeux humains sur lesquels certains collègues ont insisté, nous devons légiférer pour répondre à la nécessité juridique d’harmonisation de la définition des CIMM.

Nos collègues du groupe Rassemblement national craignent que ce dispositif vienne complexifier la situation. Vous verrez dans le rapport le tableau que nous a fourni la DGOM, qui présente les différents critères et leurs modalités de prise en compte en fonction des ministères : on ne peut pas faire plus compliqué que l’existant ! Notre proposition de loi vient au contraire clarifier la situation en prévoyant un dispositif unique, applicable à l’ensemble des fonctionnaires d’État dans tous les ministères, avec des critères bien définis, hiérarchisés et pondérés. Nos objectifs sont la transparence et la simplification.

Vous vous inquiétez également d’une possible rupture d’égalité. Nous rétablissons au contraire l’égalité des fonctionnaires face à un dispositif qui, aujourd’hui, les place dans une situation d’inégalité. S’agissant de l’inégalité entre les territoires, je peux vous dire que nous la vivons au quotidien. Ma collègue Karine Lebon a décrit, lors du débat sur le budget des outre-mer, la rupture d’égalité que subissent nos territoires dans le contexte économique et social actuel et qui les gangrène même depuis des décennies. Le rétablissement de l’égalité passe parfois par l’instauration de quelques dispositifs légaux un peu différents de ceux qui sont en vigueur dans le territoire hexagonal. Si vous avez le souci de l’égalité, vous pouvez donc voter cette proposition de loi.

Nos collègues du groupe Les Républicains s’inquiètent des problèmes juridiques et constitutionnels que pourrait poser ce droit. Mon amendement visant à préciser qu’il est garanti « sous réserve de l’intérêt du service » vient évidemment lever ces doutes juridiques. Du reste, nous avons auditionné des juristes, spécialistes du droit constitutionnel, qui nous ont confirmé la constitutionnalité de ce dispositif.

Je renvoie nos collègues du groupe Horizons à un amendement similaire de nature à lever leurs doutes quant à la constitutionnalité de la mesure relative au stage : je propose que la possibilité d’effectuer ce dernier dans son territoire d’origine soit également soumise à l’intérêt du service.

Encore une fois, je réponds à vos réserves tenant à la complexité de la proposition de loi en vous invitant à la comparer au dispositif actuel, que nous souhaitons justement simplifier, améliorer et objectiver.

J’ai entendu que le ministère chargé de la fonction publique travaillait sur cette question. Je l’ai indiqué lors des auditions et je le redis ici : nous sommes tout à fait disposés à mener ce travail en concertation avec les ministères – on ne peut que regretter qu’il soit réalisé sans que nous y soyons associés. Il a d’ailleurs fallu que je dépose cette proposition de loi pour découvrir qu’un travail d’harmonisation était en cours dans les ministères. Quelle que soit l’issue du texte, j’espère que notre message aura été entendu et que nous serons désormais associés à ces travaux.

 

Article liminaire : Objet et caractère expérimental de la proposition de loi

Amendement CL27 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Nous avions initialement prévu une expérimentation de quinze ans. Au terme des auditions, il nous a semblé plus judicieux de ramener cette durée à dix ans. Cela nous paraît suffisant pour déployer le dispositif dans les différents territoires d’outre-mer tout en disposant d’un peu de recul sur cette expérimentation.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article liminaire.

 

Article 1er : Création d’une autorité administrative indépendante dénommée « Observatoire des emplois locaux en outre-mer »

Amendement de suppression CL21 de M. Stéphane Rambaud.

M. Stéphane Rambaud (RN). La DGAFP a la capacité de mener des études spécifiques sur l’emploi des fonctionnaires d’État en outre-mer. Il en est de même pour les centres de gestion s’agissant des fonctionnaires territoriaux. Si la réalisation de telles études semble justifiée et peut donc être soutenue, il paraît inopportun et coûteux de complexifier encore le paysage administratif en créant un nouvel organisme, qu’il s’agisse d’une agence, d’une commission ou d’un observatoire.

S’agissant des mesures de coercition prévues à l’article 1er, il convient de rappeler l’existence d’une justice administrative susceptible d’être saisie par des fonctionnaires estimant que des dispositions leur offrant une priorité d’affectation n’auraient pas été respectées.

 

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Votre amendement vise à supprimer l’article 1er : je ne peux donc pas y être favorable. Si nous avons choisi de créer une autorité administrative indépendante, c’est en raison des pouvoirs dont dispose ce type d’instance. Il est nécessaire qu’elle puisse prendre des sanctions au regard des difficultés rencontrées et de l’inefficacité des dispositions actuelles.

Mme Karine Lebon (GDR-NUPES). Nous faisons face à une certaine opacité des procédures et nous avons toutes les peines du monde à obtenir des chiffres concernant les mutations des fonctionnaires ultramarins. Nous devons donc créer cette autorité administrative, dont l’indépendance permettra d’accroître la transparence. Notre groupe est défavorable à cet amendement de suppression.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nous sommes également très défavorables à cet amendement, qui consiste à dire qu’il existe déjà des moyens de contestation : « circulez, il n’y a rien à voir ! » Or la rapporteure a justement rappelé que l’accès à la justice, y compris à la justice administrative, n’était pas une évidence. Tous ceux qui ont travaillé de près ou de loin avec les administrations publiques savent que de nombreux agents refusent d’engager une démarche contentieuse pour faire valoir leurs droits car ils craignent des représailles. Leur autorité hiérarchique sera évidemment prévenue, et l’administration – en fait, les collègues du service contentieux ou des ressources humaines – va devoir produire un mémoire en défense. Les agents publics n’ont pas envie d’en arriver là, ils veulent juste faire tranquillement valoir leurs droits ! Avant de saisir la juridiction, il existe d’ailleurs un recours hiérarchique préalable : si l’on arrive au tribunal administratif, c’est donc qu’il y a eu une défaillance dans l’application même du droit. On ne peut tirer du faible nombre de recours la conclusion que le système fonctionne. Si l’on suivait ce raisonnement, on pourrait déduire du grand nombre de classements sans suite après les interpellations dans le cadre des manifestations que l’action policière est inefficace – ce qui est pourtant vrai. Le même raisonnement dans le domaine du contentieux des étrangers nous a amenés à déplacer les curseurs sans changer la situation de fond, et en restreignant l’accès au droit pour les citoyens. La défaillance du système actuel plaide donc pour la création d’un organisme indépendant doté d’un pouvoir de sanction.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL23 de M. Stéphane Rambaud et CL8 de M. Jean-Hugues Ratenon (discussion commune).

M. Stéphane Rambaud (RN). La création d’une garantie d’emploi et de retour des fonctionnaires d’État dans les conditions prévues à l’article 2 constitue une violation du principe constitutionnel d’égalité d’accès aux emplois publics protégé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous proposons de supprimer le mot « pécuniaire », à l’alinéa 2, car les sanctions pouvant être prononcées par les autorités administratives indépendantes vont au-delà des amendes. D’autres possibilités existent, comme celle de donner des conseils. Il s’agit donc d’élargir les compétences de l’autorité administrative que vous proposez de créer – tant qu’à faire, autant qu’elles soient maximales !

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Si j’ai bien compris, l’amendement CL23 est un amendement de repli par lequel les membres du groupe Rassemblement national proposent de supprimer le pouvoir de sanction de l’autorité administrative indépendante. Pour les mêmes raisons que précédemment, je lui donne un avis défavorable.

Je donne en revanche un avis favorable à l’amendement CL8, après avoir relu son dispositif et entendu les arguments de M. Léaument.

Mme Karine Lebon (GDR-NUPES). Nous voyons bien que le Rassemblement national veut vider le texte de sa substance. Je rappelle que la loi Erom n’est pas inconstitutionnelle et que les mesures de discrimination positive ne le sont pas davantage. Or nous sommes ici confrontés à un problème d’égalité réelle : les fonctionnaires ultramarins ont plus de mal que les autres à retourner dans leur région d’origine à y exercer un emploi compatible avec leur niveau d’études. Il s’agit donc pour nous de réparer une inégalité. C’est tout l’inverse de ce que vous dénoncez !

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL9 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous proposons de supprimer la condition d’avoir « candidaté à un poste équivalent dans les cinq années précédant l’édition de l’offre d’emploi » pour bénéficier de la priorité de diffusion. Cette disposition nous semble trop restrictive, alors que la présente proposition de loi vise à améliorer l’emploi des personnes ayant un lien fort avec l’outre-mer.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Nous avons souhaité garantir que les fonctionnaires qui présentent des demandes de mutation depuis un certain temps ne se voient pas damer le pion par ceux qui n’effectuent cette démarche que depuis un an ou deux. L’information relative aux postes à pourvoir serait accessible par l’ensemble des fonctionnaires ultramarins, mais l’information particulière fournie par l’Observatoire ne concernerait que ceux qui auraient déposé une demande de mutation au cours des cinq années précédentes : elle serait ainsi diffusée en priorité aux agents travaillant loin de leur territoire depuis plus longtemps. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

Amendement CL2 de M. Stéphane Lenormand.

M. Stéphane Lenormand (LIOT). Cet amendement vise à élargir les compétences de l’Observatoire des emplois locaux en outre-mer en lui confiant une nouvelle mission : la diffusion d’informations sur les opportunités de carrière et les emplois vacants dans les territoires d’outre-mer auprès des étudiants ultramarins réalisant leur cursus universitaire dans l’Hexagone.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Nous avons effectivement bien du mal à donner aux jeunes ultramarins des perspectives d’emploi et de réussite. Il me semble en revanche difficile de diffuser ces informations auprès des étudiants ultramarins, du fait notamment de la diversité de leurs statuts et profils. Tous les étudiants présents sur le territoire hexagonal ne souhaitent pas rentrer ; plus généralement, ils n’ont pas tous les mêmes perspectives à court ou à long terme. Si je partage entièrement votre objectif, je suis donc plutôt réservée quant à la facilité de mise en œuvre de la solution proposée. Nous avons souhaité, dans cette proposition de loi, cibler d’abord les fonctionnaires en activité. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, je lui donnerai un avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement CL11 de M. Jean-Hugues Ratenon et sous-amendement rédactionnel CL35 de Mme Emeline K/Bidi.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous proposons d’allonger le délai avant l’organisation d’un débat sur l’Observatoire en séance publique. Vous souhaitez qu’il y ait un débat tous les ans ; nous préférerions qu’il y en ait un tous les trois ans, ce qui nous donnerait davantage de temps pour évaluer les effets de la mise en place de cette institution. L’organisation d’un débat annuel affaiblirait l’Observatoire ; un allongement du délai le renforcerait dans la mise en œuvre de ses missions.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Je souscris à vos arguments et donne donc un avis favorable à votre amendement CL11, sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement CL35.

La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL33 de Mme Emeline K/Bidi, rapporteure.

En conséquence, l’amendement CL10 de M. Jean-Hugues Ratenon tombe.

La commission rejette l’article 1er.

 

Article 2 (article L. 512-18 du code général de la fonction publique) : Garantie de l’emploi et du retour

Amendement de suppression CL22 de M. Stéphane Rambaud.

M. Stéphane Rambaud (RN). La création d’une garantie d’emploi et de retour des fonctionnaires d’État dans les conditions prévues à l’article 2 constitue une violation du principe constitutionnel d’égalité d’accès aux emplois publics, protégé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Avis défavorable.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Nous sommes évidemment opposés à la suppression de l’article 2 car elle serait une négation des visées mêmes du texte.

Cela étant, nous sommes un peu surpris de constater que celui-ci ne suscite pas une adhésion plus franche. Certains arguments contre sont même assez étonnants. M. Gosselin disait tout à l’heure que si la proposition de loi était adoptée, elle devrait s’appliquer aussi à la Manche. Il y a quand même une différence de distance : la Manche est à moins d’une heure de TGV de Paris alors que les territoires d’outre-mer sont à plusieurs heures d’avion de la métropole – et je ne parle pas de la différence de coût des transports concernés ! De même, le fait que 37 % de la population ultramarine vive en dessous du seuil de pauvreté devrait quand même vous interpeller ! Il est donc nécessaire que le législateur mette son nez là-dedans et fasse en sorte que les lois applicables dans les outre-mer soient adaptées aux particularités de ces territoires. S’il avait été question de la Corse, je ne doute pas que le groupe Rassemblement national aurait trouvé tout à fait opportun d’aider ce territoire, où les conditions de vie sont pourtant un petit peu moins difficiles que dans les outre-mer. Il est bien dommage que vous souhaitiez supprimer cette proposition de loi plutôt que d’en faire un texte transpartisan.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL15 de M. Philippe Naillet.

M. Philippe Naillet (SOC). Cet amendement vise à créer, au sein du ministère de la transformation et de la fonction publiques, une commission chargée d’apprécier de manière uniforme la justification des CIMM des agents publics et des militaires. Les principaux reproches adressés à la procédure actuelle tiennent en effet au caractère aléatoire de la décision, dès lors que chaque administration est laissée libre de pondérer les différents critères selon ses vœux, et au manque d’humanité inhérent à une pratique exclusivement écrite. Or, avec la solution que nous proposons, les demandes seraient centralisées et feraient ainsi l’objet d’une analyse harmonisée.

Pour des raisons de recevabilité financière, l’amendement précise que les membres de la commission ne seraient pas rémunérés.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Les missions de la commission que vous voulez créer rejoignent celles de l’observatoire prévu à l’article 1er. Cet article ayant malheureusement été rejeté, je suis favorable à la création d’une telle commission.

J’émets toutefois une réserve portant sur le 2° de votre amendement. Vous prévoyez un avis conforme de la commission CIMM sur toutes les mutations mentionnées à l’article L. 512-18 du code général de la fonction publique. Or cet article traite des mutations dans leur globalité, y compris vers d’autres territoires que les collectivités d’outre-mer. En raison de cette petite difficulté rédactionnelle, je vous propose de retravailler ensemble votre amendement en vue de le redéposer en séance.

L’amendement est retiré.

Amendement CL12 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous proposons de remplacer les mots « le retour » par les mots « les mutations ». Le terme « retour » nous semble en effet trop restrictif, dans le sens où il implique que l’agent demandeur a nécessairement déjà vécu dans le territoire en question. Or les mutations doivent pouvoir être priorisées pour d’autres raisons qu’un strict retour, par exemple lorsque l’agent veut se rapprocher du lieu de résidence de ses parents ou de ses enfants.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Je partage votre préoccupation. C’est la raison pour laquelle l’article 2 mentionnait « l’emploi et le retour », expression qui permet de couvrir l’ensemble des situations. Le terme de « retour » est plus fort que celui de « mutations » pour les fonctionnaires concernés aux yeux desquels il signifie « rentrer à la maison ». Avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement CL24 de M. Stéphane Rambaud.

M. Stéphane Rambaud (RN). Il s’agit d’un amendement de repli. La création d’une garantie d’emploi et de retour pour les fonctionnaires ultramarins constitue une violation de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En revanche, il est possible de leur conférer une priorité dans les conditions prévues par l’article 3.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. La loi Erom a reconnu la priorité que vous évoquez mais le dispositif n’est pas satisfaisant.

Pour vous rassurer sur la constitutionnalité, l’amendement CL28 vise à préciser que le droit garanti ne s’applique que sous réserve de l’intérêt du service. Je vous invite donc à retirer votre amendement ; à défaut mon avis sera défavorable.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Vous excipez la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen mais on pourrait aussi invoquer l’article 1er de notre Constitution selon lequel « la France est une République indivisible ». La rupture d’égalité territoriale dont souffre l’outre-mer, qui confine au séparatisme, devrait davantage vous indigner.

Autre anomalie, les fonctionnaires originaires de l’Hexagone venant accomplir des missions dans les territoires d’outre-mer coûtent plus cher à l’État, notamment à cause des billets d’avion, primes, que ceux issus du territoire concerné.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL28 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Afin de ne pas créer un droit au retour absolu pour les fonctionnaires ultramarins, l’amendement vise à indiquer que celui-ci s’exerce « sous réserve de l’intérêt du service ». Cela me semblait aller de soi mais j’ai préféré le préciser pour écarter tout risque d’inconstitutionnalité. L’amendement devrait donc recueillir l’approbation de ceux qui mettaient en avant cet argument.

La commission adopte l’amendement.

Elle rejette l’article 2.

 

Après l’article 2

Amendement CL16 de M. Philippe Naillet.

M. Philippe Naillet (SOC). L’amendement vise à évaluer chaque année l’application de la priorité légale d’affectation dont bénéficient, depuis la loi Erom, les agents justifiant d’un CIMM.

Dans une circulaire conjointe datée du 9 mars 2017, la ministre de la fonction publique et la ministre des outre-mer demandent aux administrations une application rapide et transparente des nouvelles dispositions.

Les parlementaires sont régulièrement interpellés par des agents dans des situations sociales difficiles, qui attendent parfois depuis plusieurs années des mutations vers leur territoire d’origine.

Le rapport vise donc à faire le point sur l’application de la mesure et à proposer, le cas échéant, des aménagements législatifs ou réglementaires afin de rendre la gestion des ressources humaines plus soucieuse des personnes. Le rapport devrait notamment mentionner le nombre de demandes de mutations par fonction publique et le nombre de lauréats.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. L’observatoire que nous voulions créer à l’article 1er avait pour mission d’établir un rapport dont l’objet était néanmoins moins large que le vôtre. Avis favorable.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Nous ne voterons pas plus cet amendement que les articles. En revanche, il me semble nécessaire d’interpeller le Gouvernement sur le sujet en séance.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous voterons l’amendement, et je profite de cette intervention pour mettre en garde nos collègues.

Regardez la liste des signataires de la proposition de loi : à l’exception de la Nouvelle-Calédonie, soumise à des dispositions spécifiques, huit des neuf départements et territoires d’outre-mer sont représentés ; 88 % des élus sont signataires. Avez-vous bien conscience de balayer un texte qui est demandé par la quasi-totalité des députés ultramarins ? Êtes-vous capables de faire preuve de sensibilité à l’égard des outre-mer et d’écouter les élus ultramarins ? Vous pourriez au moins vous abstenir si vraiment l’approbation du texte vous est insupportable.

Je vous alerte, la situation dans les outre-mer ne doit pas être prise à la légère. Pensez à l’image que nous donnons de l’Assemblée nationale.

M. Nicolas Metzdorf (RE). La Nouvelle-Calédonie connaît bien la problématique de l’emploi local qui fait l’objet de dispositions particulières. Mais avons-nous besoin de la loi pour favoriser le recrutement des fonctionnaires ultramarins dans leur propre territoire ? Ne serait-il pas préférable de s’intéresser à la formation ou à l’ambition ? La délégation aux outre-mer, présidée par le groupe GDR, aurait pu se saisir du sujet.

Il est quelque peu humiliant pour les ultramarins de devoir passer par la loi pour obtenir des emplois. Nous n’en avons pas besoin.

En Nouvelle-Calédonie, le dispositif en faveur de l’emploi local a eu pour effet pervers de développer l’emploi « localisé » : dans certaines communes, on recrute d’abord les gens qui y vivent ; puis dans certaines provinces, idem. L’identité devient ainsi une compétence. Ce n’est pas acceptable.

Autre inconvénient, cela nous coupe encore plus de la métropole. Nous qui revendiquons d’être considérés comme des Français à part entière, nous nous démarquons des hexagonaux. Est-ce leur faute si nous ne parvenons pas à accéder aux postes à responsabilité ? Nous devons remettre en question notre politique de formation et notre ambition à développer des compétences.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Article 3 (articles L. 512-19 et L. 512-19-1 [nouveau] du code général de la fonction publique) : Critères déterminant le centre des intérêts matériels et moraux

Amendement CL3 de M. Paul Molac.

M. Stéphane Lenormand (LIOT). L’amendement vise à instaurer un nouveau motif de priorité au bénéfice des personnels capables d’enseigner une langue régionale dans les territoires où celle-ci est pratiquée.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Nous partageons votre souci de voir la maîtrise et la compréhension d’une langue régionale mieux prise en compte. Mais, pour des raisons juridiques, nous sommes contraints de la retirer des critères permettant de déterminer un CIMM.

Toutefois les arguments constitutionnels qui nous ont été opposés ne me semblent pas s’appliquer à votre amendement dont la portée est bien plus limitée. J’émets donc un avis favorable.

Les administrés qui ne maîtrisent pas parfaitement le français doivent pouvoir accéder aux services publics, ce qui suppose que les fonctionnaires en face d’eux soient capables de les comprendre. À cet égard, la langue régionale n’est en aucun cas un obstacle, elle est une richesse.

J’ai trouvé les propos de M. Metzdorf particulièrement blessants. Ce que je trouve humiliant, c’est le recours systématique aux ordonnances pour légiférer sur l’outre-mer. La loi est réservée à l’Hexagone.

J’ai pu m’entretenir avec plusieurs syndicats néocalédoniens qui soutiennent la proposition de loi. J’avais d’ailleurs déposé un amendement pour étendre son application à la Nouvelle-Calédonie qui a malheureusement été déclaré irrecevable. Les fonctionnaires auraient sans doute aimé que le dispositif puisse leur être appliqué.

Enfin, est-ce la faute des collègues hexagonaux si les ultramarins ne peuvent pas occuper des postes à responsabilité ? Je ne sais pas à qui la faute, mais sûrement pas aux ultramarins qui souffrent d’un manque chronique d’investissements dans leurs territoires. C’est peut-être la faute du système qui depuis des années ne consent pas les efforts financiers nécessaires.

Ce n’est pas non plus la faute des ultramarins s’ils sont moins diplômés ou accèdent moins aux postes d’encadrement. Songez que l’université de La Réunion a été créée en 1982 ; en métropole, il existe des universités depuis le XIIIe siècle.

Des mesures de rééquilibrage et de justice sociale s’imposent. La proposition de loi en est une. L’inaction face à l’inégalité criante entre l’outre-mer et l’Hexagone que chacun reconnaît n’est pas une solution.

Mme Karine Lebon (GDR-NUPES). En tant que coprésidente du groupe d’études relatif aux langues et aux cultures régionales j’adhère évidemment à l’objectif recherché, mais la rapporteure a bien souligné les obstacles juridiques.

 

Monsieur Metzdorf, on ne vous a pas souvent vu aux réunions de la délégation aux outre-mer dont vous êtes pourtant membre. Vous nous reprochez de faire une loi, mais excusez-nous de faire ce pour quoi nous avons été élus. Nous faisons aussi avec les outils à notre disposition.

Oui, les réalités des outre-mer sont différentes de celles de l’Hexagone, qu’il s’agisse du climat, de la langue, etc. Ce n’est pas refuser d’être Français à part entière que de le reconnaître. Au contraire, c’est en prenant en considération ces réalités que nous le serons encore plus.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Les propos sont généreux et il ne faut jamais s’abstenir de l’être. Pour autant, nous avons le droit d’être opposés au texte pour des raisons pratiques.

Monsieur Léaument, je vous rappelle que la France compte onze territoires ultramarins et pas neuf. Peut-être que, à vos yeux, les îles Wallis et Futuna ne font pas partie de la République ?

Les ordonnances ne sont pas le seul moyen de légiférer sur l’outre-mer. En revanche, il est vrai que l’outre-mer ne fait plus l’objet de textes spécifiques. Le choix a été fait de l’évoquer dans chacun des projets de lois et il se défend.

Ce n’est pas parce qu’ils ont été désignés par les citoyens que des députés ont raison lorsqu’ils proposent un texte qui concerne leur région d’élection. Le principe démocratique doit prévaloir. Si jamais une région entière était aux mains de députés du Rassemblement national, je doute que La France insoumise leur reconnaîtrait une légitimité intrinsèque à décider de l’avenir de cette région.

Je peux comprendre que l’on regrette l’insuffisante présence de M. Metzdorf, mais encore faudrait-il que la délégation aux outre-mer se réunisse régulièrement, ce qui est loin d’être le cas.

L’amendement est dans le droit fil du texte en faisant de l’identité régionale un critère de légitimité pour occuper un emploi de fonctionnaire d’État. Nous récusons cette philosophie.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Monsieur Vuilletet, je faisais référence aux élus.

Alors que je venais de vous mettre en garde, M. Metzdorf a fait l’inverse de ce que je préconisais en tenant des propos insultants.

Vous parlez d’un manque d’ambition. C’est hors sujet. Nous mettons en exergue une inégalité de fait dans l’accès aux postes d’encadrement dans les départements et territoires d’outre-mer – 45 % des fonctionnaires hexagonaux en poste à La Réunion détiennent un de ces postes, contre 11 % seulement des fonctionnaires réunionnais. Voilà le problème que la loi peut résoudre. On le fait même assez fréquemment ! Si on vous avait tous laissé faire, là, les garçons, aurait-on progressé dans la représentation genrée au sein de notre assemblée ? Admettez-le, il n’est pas inhabituel que le législateur intervienne pour corriger des inégalités structurelles. Que faisons-nous d’autre, ici, que d’essayer de faire vivre la devise républicaine, en particulier le principe d’égalité ? Sans la loi, l’Assemblée nationale ne serait-elle pas encore composée de 70 à 80 % d’hommes ?

M. le président Sacha Houlié. C’est une assemblée très masculine qui a instauré la parité politique à la fin des années 1990. (Exclamations.)

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL19 de M. Stéphane Rambaud et CL13 de M. Jean-Hugues Ratenon (discussion commune).

M. Stéphane Rambaud (RN). Parmi les critères permettant d’apprécier l’existence d’un CIMM, l’article 3 mentionne « l’état de santé et l’âge des ascendants et descendants directs de l’agent et de son conjoint ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité ».

Toutefois, ces considérations ne sont pas susceptibles de renseigner, en elles-mêmes, sur l’existence d’un lien particulier du fonctionnaire avec les territoires ultramarins. Elles doivent donc être conjuguées au critère du lieu de résidence du demandeur. C’est la raison pour laquelle l’amendement CL19 vise à réunir les deux types de critère.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). L’amendement CL13 est rédactionnel. Il s’agit d’ajouter la conjointe et l’épouse.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Le texte ne précise pas que les critères de l’état de santé et de l’âge des ascendants et descendants directs de l’agent et de son conjoint valent seulement pour les proches vivant sur le territoire sur le territoire duquel la mutation est demandée. Mon amendement CL34 tend à y remédier.

Je ne suis en revanche pas favorable à ce que les critères soient fusionnés. Le texte hiérarchise les critères car tous ne peuvent pas être mis sur le même plan.

Alors que la santé ou l’âge des ascendants, descendants et conjoints sont souvent à l’origine de situations humaines difficiles auxquelles nous sommes confrontées, ils ne font pas partie des critères actuels.

Mon avis est défavorable sur l’amendement CL19. Quant au CL13, la proposition de loi reprend la formulation du code général de la fonction publique. Il me semble préférable de s’y tenir même si elle n’est pas très inclusive. Malgré mes convictions féministes, votre rédaction me semble un peu lourde. J’émets donc un avis de sagesse.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Nous sommes opposés à la hiérarchisation des critères. En revanche, nous serions très favorables à ce que la circulaire soit réactualisée d’ici à l’examen en séance.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL18 de M. Stéphane Rambaud.

M. Stéphane Rambaud (RN). L’amendement vise à ajouter aux critères pris en considération le lieu de naissance du conjoint. S’il se situe dans les territoires ultramarins, le foyer envisagera naturellement de s’y installer et d’y élever, le cas échéant, ses enfants.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Certains dispositifs tels que le rapprochement de conjoint prennent en considération ce critère – ce n’est pas le cas pour déterminer le CIMM. Je suis réservée à l’idée de mettre sur un pied d’égalité le lieu de naissance de l’agent et celui de son conjoint mais je suis favorable à votre suggestion de prendre en compte ce dernier.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL5 de M. Max Mathiasin.

M. Stéphane Lenormand (LIOT). L’amendement a pour objet d’encourager une réflexion sur l’ordre des critères proposés par la proposition de loi afin de déterminer le CIMM.

Cet ordre traduit l’importance des critères, laquelle est matérialisée par un système de points.

Nous souhaitons déplacer le critère du lieu de naissance des enfants de l’agent de la quatrième à la sixième place. Les fonctionnaires ultramarins qui commencent leur carrière en métropole ont souvent leurs premiers enfants sur le territoire hexagonal sans que cela ne soit le signe de leur volonté de s’y installer durablement.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. L’ordre des critères est un sujet très délicat. Il a fallu faire un choix : ainsi, il a été décidé de placer en haut de la liste les critères les plus faciles à remplir et plus bas, ceux qui sont plus spécifiques. Je comprends votre argument mais je ne souhaite pas modifier l’ordre retenu, lequel a au moins l’avantage, par rapport aux règles actuelles, de faire prévaloir les critères moraux sur les critères matériels.

S’agissant de l’isolement, cette notion me semble difficile à apprécier de manière objective. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

Amendement CL4 de M. Max Mathiasin.

M. Stéphane Lenormand (LIOT). Je le retire puisqu’il s’inscrit dans la continuité du précédent en modifiant l’ordre des critères.

L’amendement est retiré.

Amendement CL34 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Il s’agit de préciser que les critères de l’âge et de l’état de santé ne s’appliquent qu’aux ascendants, descendants ou conjoints vivant dans le territoire susceptible d’être le CIMM. Ces critères permettent à des fonctionnaires de revenir auprès de leurs parents en fin de vie ou dépendants.

M. Frédéric Maillot (GDR-NUPES). Il m’était difficile de ne pas vous répondre, monsieur Metzdorf. Pour bien comprendre l’avenir, il faut parfois regarder loin dans le passé.

Dois-je rappeler ici que pendant longtemps, dans les outre-mer, nous avons été considérés comme des biens meubles ? On a tenté de nous priver de notre religion, de notre langue et même de notre patronyme.

Ne voyez pas un manque d’ambition. Plus fort que l’ambition, nous avons des rêves, nous, les enfants d’outre-mer, nous, les enfants de la « sous-France ».

J’ai vu clairement dans vos propos un manque d’égalité et de fraternité. Nous refusons de résoudre les problèmes au cas par cas ; nous voulons le faire par la loi car c’est bien la loi qui fait les hommes et non les hommes qui font la loi.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Le débat précédent montre bien que la hiérarchisation des critères aboutit à des situations dignes des Shadoks et des discussions sans fin. Le dispositif ne peut pas fonctionner s’il est trop rigide.

M. Nicolas Metzdorf (RE). Nous faisons le même constat mais nous ne proposons pas les mêmes solutions.

On peut toujours comparer les souffrances. Les Calédoniens d’origine européenne sont des descendants de bagnards. Pour nous, la victimisation n’est pas la solution. Nous devons surmonter nos difficultés, qui sont certes plus exacerbées que dans l’Hexagone, grâce à notre travail, notre ambition et notre envie – c’est le discours que nous devons tenir à nos compatriotes. Nous n’avons pas besoin de la loi pour obtenir des postes à responsabilité – c’est humiliant. Si un député de l’Hexagone avait fait une telle proposition, on l’aurait taxé de paternaliste.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL26 de Mme Emeline K/Bidi et CL6 de M. Max Mathiasin (discussion commune).

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. L’amendement CL26 vise à supprimer les critères mentionnés aux 7° et 8° – « la maîtrise ou la compréhension suffisante de la langue régionale nécessaire à l’interaction avec les administrés locaux » ; « la connaissance historique, économique et sociologique du territoire » – non pas parce que nous doutons de leur utilité mais pour des raisons purement juridiques.

Les auditions d’éminents constitutionnalistes ont mis en lumière les difficultés que ces critères posaient. Nous avons donc décidé à contrecœur de les retirer.

Je n’ai toutefois pas renoncé à traduire l’idée selon laquelle il est préférable pour un administré qui ne maîtrise pas la langue française d’avoir en face de lui un fonctionnaire qui puisse le comprendre et se faire comprendre.

M. Stéphane Lenormand (LIOT). L’amendement CL6 vise à déplacer de la huitième à la quinzième place le critère lié à la connaissance historique, économique et sociologique du territoire.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Avis défavorable à l’amendement CL6.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). J’ai vraiment du mal avec les propos de M. Metzdorf. Parler de victimisation, de manque d’ambition et de manque de travail, c’est odieux.

Pour les habitants des outre-mer, l’État ne tient pas les promesses de la République. J’ai peut-être une sensibilité particulière à ce sujet du fait de plusieurs déplacements avec Jean-Luc Mélenchon en outre-mer. (Exclamations.)

M. le président Sacha Houlié. Monsieur Léaument, puisque votre intervention ne concerne pas l’amendement, je vous retire la parole. (Mêmes mouvements.)

La commission rejette successivement les amendements.

Elle rejette l’article 3.

 

Article 4 (article L. 327-1 du code général de la fonction publique) : Lieu du stage

Amendement CL31 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Cet amendement vise à étendre le champ d’application de l’article 4 à la Nouvelle-Calédonie.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL25 de M. Stéphane Rambaud.

M. Stéphane Rambaud (RN). La création d’un droit pour les fonctionnaires d’Etat recrutés par concours à effectuer des stages dans le territoire où ils ont été reçus apparaît d’une rigidité excessive. Par ailleurs il est souhaitable, pour la qualité de leur formation, que les élèves découvrent des territoires qu’ils ne connaissent pas nécessairement.

L’amendement tend donc à prévoir, en la matière, une priorité plutôt qu’un droit.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Je ne suis pas favorable à ce qu’on substitue à un droit garanti une priorité qui a démontré son inefficacité. Avis défavorable.

Mme Karine Lebon (GDR-NUPES). L’intervention de M. Rambaud illustre sa méconnaissance des réalités de l’outre-mer. Jusqu’à présent, les élèves effectuaient leur année de stage dans le territoire ultramarin d’où ils étaient issus. Depuis l’année dernière, ils peuvent être contraints de partir à 10 000 kilomètres et de changer de vie en deux mois.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL29 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Il s’agit de préciser que le droit garanti s’exerce « sous réserve de l’intérêt du service ». Cela semble aller de soi mais la précision est nécessaire compte tenu des remarques qui ont été formulées.

Vous avez beaucoup insisté sur le risque d’inconstitutionnalité pour justifier votre vote contre la proposition de loi. Cet amendement réfute l’argument. Je vous invite donc à voter l’amendement et le texte.

M. Antoine Léaument (LFI- NUPES). Nous voterons cet amendement, qui parle de la République. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les citoyens sont égaux devant l’accès aux postes, en fonction de leurs compétences. C’est bien là le sujet : à compétences équivalentes entre un Réunionnais et un Hexagonal, pourquoi ce dernier obtient-il presque toujours le poste ? À la fin, c’est agaçant !

Comment faire évoluer la République par la loi, par ce qui définit l’égalité entre les citoyens ? Les citoyens sont égaux dans leur capacité à faire la loi, en élisant des représentants, mais ils sont aussi égaux devant elle. C’est la loi qui définit notre égalité de citoyens ; c’est elle qui fait tout le sens de la République.

Dire que ce n’est pas en passant par la loi que l’on va corriger des inégalités, qu’il ne s’agit que d’ambitions différentes, c’est odieux. Cela me met hors de moi, particulièrement lorsque le président de la commission décide de couper le micro.

En ce moment, dans les outre-mer, il y a le sentiment que l’État n’est pas à la hauteur des promesses de la République. À Mayotte, des gens vont peut-être mourir de soif cet été ! C’est cela qui est en train de se passer dans les outre-mer !

Quand on parle de la République et de l’égalité, il faudrait avoir la dignité de regarder avec attention ce que nos collègues ultramarins proposent, plutôt que de le balayer d’un revers de main.

M. Guillaume Vuilletet (RE). L’amendement de la rapporteure dénature le contenu même de sa proposition. Si l’on sert l’intérêt du service avant tout, on en revient à la priorité légale et aux centres d’intérêt matériels et moraux. C’est pour cela qu’il faut sans doute améliorer le dispositif. Il faut demander au Gouvernement de publier la circulaire qui viendra actualiser et harmoniser les comportements de l’administration en la matière. Si l’amendement était adopté, le reste de la proposition n’aurait plus aucun sens.

Nous voterons donc contre l’amendement et, bien entendu, contre la proposition de loi.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Je suis surpris des propos que tiennent certains militants d’un parti si attaché au caractère un et indivisible de la République. En tant qu’Alsacien, je sais que nous ne serons pas d’accord sur quelques subtilités de ce sujet. Cela montre combien vous êtes cynique, détaché de votre corpus idéologique – tout le monde peut se contredire – et dans une logique électoraliste.

La proposition de loi pointe pourtant de vrais sujets, tels que l’accès à la fonction publique de nos concitoyens ultramarins ou la façon dont ils peuvent exercer leurs responsabilités de fonctionnaires d’État dans les territoires dont ils sont issus. Plus largement, elle pose la question de la fonction publique d’État, à laquelle nous devrons réfléchir dans les années à venir. Vos revendications pour les fonctionnaires ultramarins peuvent être étendues à tout fonctionnaire désireux d’exercer près de chez lui, dans son territoire d’origine, et d’éviter les territoires de la République dans lesquels personne ne souhaite être muté et où, pourtant, nous avons besoin de l’engagement de nos concitoyens, pour que tous aient accès au droit.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 4 modifié.

 

Article 5 : Gage

La commission rejette l’article 5.

Elle rejette l’ensemble de la proposition de loi.

Mme Emeline K/Bidi, rapporteure. Peu importe, en fin de compte, l’issue du vote en commission. J’aurais évidemment préféré qu’il soit favorable, mais il a eu l’avantage de mettre les outre-mer au centre des discussions. La proposition de loi a suscité beaucoup de passion chez vous : je préfère cela à l’indifférence avec laquelle on regarde l’outre-mer depuis trop d’années.

Nous avons tous fait les mêmes constats et pointé du doigt les mêmes problèmes sans nous accorder sur les solutions. Certains n’en proposent aucune ; j’ai au moins le mérite d’en avoir proposé une. Je ne suis pas seule : sur tous les bancs où siègent des ultramarins, la proposition de loi a reçu un soutien, et je remercie ceux qui ont exprimé leur intérêt pour le texte.

Je regrette l’ambiance dans laquelle nos débats se sont déroulés. Rappelons qu’il s’agit d’un texte de niche. J’appelle de mes vœux des débats non moins intéressants et vifs, mais plus sereins en séance, afin que le texte puisse avancer et, je l’espère, recueillir un vote favorable. Je travaillerai avec tous ceux qui le souhaitent pour l’améliorer d’ici à l’examen en séance.

M. le président Sacha Houlié. Je vous remercie pour ces propos républicains.

*

*      *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à promouvoir l’emploi et le retour des fonctionnaires d’État ultramarins dans les territoires d’Outre-mer (n° 980).

 


—  1  —

 

   Personnes entendues

     M. Jean-Pierre Balcou, sous-directeur des affaires juridiques et institutionnelles

     M. Arnaud Lauzier, adjoint au sous-directeur des affaires juridiques et institutionnelles

     Mme Lou Le Nabasque, conseillère parlementaire

     M. Guillaume Vaille, conseiller budget et finances locales

     Mme Lucy Kerckaert, conseillère parlementaire et discours

     M David Bonnoit, conseiller budget, politiques salariales et sociales

*

*     *

Une contribution écrite a également été transmise par l’association CODIUM (Collectif pour la défense des intérêts des ultramarins)

 


([1]) Jean-Marc Bédier, « La place des Ultramarins dans la fonction publique de l’État outre-mer », avril 2012.

([2]) Le critère utilisé est celui du lieu de naissance.

([3]) Marine Haddad, « Antillais et Réunionnais dans l’emploi public : idéal d’égalité ou maintien de spécificités ? », Sociologie 2022/3 (Vol. 13), pp. 279 à 295 (lien). Il s’agit des données toutes fonctions publiques confondues.

([4]) Marine Haddad,  « Emploi public en outre-mer : une préférence pour les métropolitains ? », publié dans The Conversation, 8 février 2023.

([5]) CESE, « Valorisons les langues des Outre-mer pour une meilleure cohésion sociale », Juin 2019 (lien). Cet enjeu linguistique de l’accès aux services publics est déjà pris en compte dans certains territoires : le CNFPT propose ainsi des formations en breton, car « chez les séniors atteints de maladies dites « neurodégénératives » la mémoire s’efface peu à peu entraînant bien souvent la perte de la langue apprise (le français). Il ne reste alors plus que le breton comme communication possible avec les personnels soignants et les agents des services d’aide à la personne ».

([6]) Elle est aussi utilisée dans d’autres domaines du droit de la fonction publique, en particulier pour l’octroi des congés bonifiés.

([7]) https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/Autres%20pages/Textes%20de%20r%C3%A9f%C3%A9rence/2007/C_20070103_FP2129.pdf  

([8])  Le rapport de la DGAFP, « Bilan de l’application de la priorité légale d’affectation prévue pour les fonctionnaires qui justifient du centre de leurs intérêts matériels et moraux dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie » (Juillet 2021, annexe 3, p. 21) fait ainsi état des différentes pratiques en vigueur dans les ministères. Le ministère de l’Économie et le ministère des Armées identifient ainsi cinq critères prioritaires, dont certains leur sont communs, mais pas tous. Le ministère de la Transition écologique requiert au moins trois critères, sans que ces derniers soient formellement hiérarchisés ou distingués entre « moraux » et « matériels ». Les ministères sociaux exigent la présence d’au moins deux critères de base (lieu de naissance et lieu de la scolarité), auxquels s’ajoutent deux critères « moraux » sur trois et un critère matériel sur deux.

([9]) Article 85 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer.  

([10]) Cet article fait référence aux « personnes relevant de l’une des catégories mentionnées aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l’article L. 5212-13 du code du travail », qui désigne globalement les travailleurs reconnus handicapés par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ayant entraîné une incapacité permanente au moins égale à 10 %, les titulaires d’une pension d'invalidité, les titulaires de la carte “ mobilité inclusion ” portant la mention “ invalidité , les titulaires de l’allocation aux adultes handicapés, les invalides titulaires d'une pension militaire d’invalidité, les victimes civiles de guerre et les victimes d’un acte de terrorisme.

([11]) Mathieu Maisonneuve, « La priorité au retour des fonctionnaires « ultramarins », AJDA 2018, p. 564.

([12]) Tribunal administratif de Montreuil, 26 novembre 2009, n° 0900751.

([13]) Voir le A du II.

([14])  Circulaire du 13 juillet 2022 fixant les modalités d’organisation de l’année de stage des lauréats des concours de recrutement des personnels enseignants et d’éducation de l’enseignement public à compter de l’année scolaire 2022-2023 : https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=45354 .

([15])  Un amendement ayant le même objet, mais portant sur l’article 2 a quant à lui été déclaré irrecevable financièrement.