N° 1326

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 juin 2023.

 

 

 

 

 

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI,
adoptée par le Sénat, visant à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal
de la communauté de communes du Bas-Chablais (n° 811)

PAR

Mme Anne-CÉcile Violland

Députée

——

 

 

 

 

Voir les numéros :

Sénat  :  28, 270, 271 et T.A. 45 (2022‑2023).

Assemblée nationale :  811.


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

I. une infrastructure indispensable et urgente pour dÉsenclaver un territoire dynamique et sous-ÉquipÉ

A. le bas-chablais, un territoire dont le dynamisme est freinÉ par une desserte insuffisante

1. Un territoire dynamique mais dont l’enclavement géographique peut inhiber sa croissance

2. Un sous-équipement reconnu de longue date, qui occasionne des nuisances largement relayées

B. Un « Équipement de rattrapage », qui s’insÈre dans un projet d’aménagement multimodal plus large

1. Un projet qui répond à une attente locale très forte

2. Le projet actuel de concession, fruit d’une évolution de plusieurs décennies, met en œuvre des mesures de réduction et d’évitement de ses incidences

3. Une composante essentielle du projet d’aménagement plus large du Chablais et de la Haute-Savoie

II. une validation lÉgislative, qui remÉdie À un blocage juridique

A. une anomalie juridique qui aboutit À une impossibilitÉ concrÈte de poursuivre le projet

1. Une situation inextricable issue de l’enchevêtrement de procédures complexes et concomitantes

2. Le paradoxe : en l’état et en dépit de la déclaration d’utilité publique, toute poursuite du projet serait entachée d’illégalité

B. pour remÉdier À cette impasse, une forme de validation lÉgislative

1. Les solutions réglementaires envisagées ne donnent pas satisfaction

2. Le passage par une validation législative accélère et sécurise les procédures sans se substituer aux obligations généralement applicables, qui ont été remplies

COMMENTAIRE de l’article

Article unique Mise en compatibilité du plan local d’urbanisme intercommunal du BasChablais avec une déclaration d’utilité publique antérieure

examen en commission

liste des personnes auditionnÉES

 

   INTRODUCTION

La proposition de loi présentée à la commission des affaires économiques s’apparente à une validation législative d’un acte réglementaire. Elle vient remédier à une situation juridique complexe occasionnée par une omission juridique :

– à la suite d’une évaluation environnementale comprenant une enquête publique et l’avis des collectivités concernées, le projet de créer une liaison 2 x 2 voies de 16,5 kilomètres reliant Machilly et Thonon-les-Bains (Haute‑Savoie), projet soutenu de longue date par l’ensemble des collectivités impliquées, a été déclaré d’utilité publique par décret en Conseil d’État du 24 décembre 2019, en vue de commencer le processus d’expropriation et de désigner le concessionnaire : l’article 6 de ce décret emporte la mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme (PLU) des dix communes situées sur le tracé du projet de liaison : les PLU de Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains sont donc rendus compatibles ;

– quelques mois plus tard, en mars 2020, le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté de communes du Bas-Chablais, élaboré par la communauté d’agglomération Thonon Agglomération et qui concerne six des communes précitées, devient exécutoire et remplace leurs PLU. Ce PLUi, bien qu’il évoque largement le projet dans le rapport de présentation et dans le projet d’aménagement et de développement durable (PADD), ne le prévoit pas dans son règlement graphique, et n’est donc pas compatible avec la réalisation du projet.

Le projet autoroutier, bien que validé dans le cadre du processus d’utilité publique, ne peut donc avancer car le règlement graphique du PLUi ne le prévoit pas, et car la déclaration d’utilité publique ne mentionne pas explicitement la mise en compatibilité du PLUi, qui lui est postérieur.

I.   une infrastructure indispensable et urgente pour dÉsenclaver un territoire dynamique et sous-ÉquipÉ

Le projet d’aménagement autoroutier visant à désenclaver le Bas-Chablais (Haute-Savoie) par la création d’un 2 x 2 voies en concession autoroutière, sur une liaison de 16,5 kilomètres entre les agglomérations d’Annemasse (ville de Machilly) et de Thonon (ville de Thonon-les-Bains), dite parfois « A 412 » ou « autoroute du Chablais », constitue, en dépit de sa longueur réduite, un projet structurant pour le département de la Haute-Savoie.

A.   le bas-chablais, un territoire dont le dynamisme est freinÉ par une desserte insuffisante

1.   Un territoire dynamique mais dont l’enclavement géographique peut inhiber sa croissance

Le Bas-Chablais connaît depuis plusieurs décennies une croissance économique et démographique robuste, tout comme le département dans lequel il se situe ; la Haute-Savoie gagnant en moyenne 15 000 nouveaux habitants par an. Les personnes auditionnées par votre rapporteure ont été nombreuses à souligner la performance du territoire, et à l’opposer à la stagnation de sa desserte automobile. Comme le souligne M. Christophe Mutillod, vice-président du Syndicat intercommunal d’aménagement du Chablais (SIAC) chargé du développement multimodal, « en quarante ans la population du Chablais a doublé, enregistrant une des plus fortes progressions du pays, dynamique renforcée par l’entrée de la Suisse dans l’espace Schengen. Pendant cette période, la desserte automobile n’a quasiment pas évolué ».

Le rapport de Mme Isabelle Barthe, garante de la concertation publique sur le projet de liaison autoroutière, organisée sous l’égide de la Commission nationale du débat public, auditionnée par votre rapporteure, ne le dit pas autrement : « Dans un contexte de forte croissance démographique, avec un rythme de croissance deux fois supérieur à la moyenne régionale sur la période 1960-2000, de dynamisme économique et d’importants trafics pendulaires avec le bassin d’emploi de l’agglomération genevoise, le territoire du Chablais, qui compte 140 000 habitants, souffre d’une situation de desserte contrainte. D’où la congestion régulière du trafic routier une dégradation de la qualité de vie dans les centre-bourg » ([1]) . Le schéma de cohérence territoriale (SCoT) du Chablais précise à cet effet que « le Chablais connaît depuis plusieurs années des niveaux de croissance démographique parmi les plus élevés de l’hexagone, avec une population qui a doublé en 40 ans pour atteindre près de 134 000 habitants en 2013, représentant 18 % de la population pour 20 % du territoire haut-savoyard » ([2]).

Il en résulte une difficulté d’accès et des problèmes de mobilité caractérisés, qui sont unanimement admis. Les acteurs entendus par votre rapporteure ont systématiquement mis l’accent sur les difficultés d’accès considérables qui caractérisent le territoire. M. Jean Denais, ancien maire de Thonon au moment du lancement du projet en 2015, a souligné que : « en voiture, le trajet Thonon-Annemasse [34 kilomètres] prend plus longtemps que Annemasse-Lyon [152 kilomètres]. Les livreurs ne viennent plus, les artisans doivent chercher leurs matériaux à Annemasse, ce qui empire l’état du trafic ». Au cours de la même audition, M. Jean Neury, ancien président de la communauté de communes du Bas‑Chablais, abonde : « pour cette réunion, j’ai mis deux heures pour venir à Thonon en partant d’Annemasse » Ces paroles sont confirmées par les responsables du Syndicat intercommunal d’aménagement du Chablais (SIAC) : « les retards sont constants : le Chablais étant un territoire au plein-emploi, les déplacements sont professionnels et ces retards ont un coût économique élevé ».

La difficulté d’accès tient en premier lieu à une situation géographique particulière, « entre lac et montagne ». Au nord et à l’ouest, le lac de Genève constitue une barrière naturelle. À l’est et au sud, les passages sont restreints par le massif du Chablais, dont l’accessibilité par le sud est contrainte (Haut-Chablais, massif du Giffre). En outre, le territoire est cerné au nord, à l’ouest et à l’est par la frontière entre la France et la Suisse. Pour cette raison, il est habituel de parler l’« enclavement » du Chablais, bien que France Nature Environnement, par exemple, estime qu’il s’agit d’un territoire qui est « plus congestionné qu’enclavé », admettant par là qu’il fait l’objet de difficultés de transport considérables.

À cet enclavement géologique correspond une variété de sujétions réglementaires particulières qui y sont liées et qui peuvent inhiber la bonne conduite des projets. Ainsi, trois communes de l’intercommunalité sont concernées par l’application de la loi « Montagne » (Bons-en-Chablais, Brenthonne et Fessy) et huit communes sont concernées par l’application de la loi « Littoral » (Anthy‑sur-Léman, Chens-sur-Léman, Excenevex, Margencel, Messery, Nernier, Sciez et Yvoire), ces régimes s’appliquant par un rapport de conformité aux documents d’urbanisme. Le territoire est également couvert par la directive territoriale d’aménagement (DTA) des Alpes du Nord, qui précise l’application de ces régimes nationaux.

2.   Un sous-équipement reconnu de longue date, qui occasionne des nuisances largement relayées

Toutefois, s’ajoute à ces facteurs naturels un sous-équipement prononcé, en particulier en ce qui concerne l’accès à l’agglomération de Thonon et d’Évian par le sud-ouest, d’autant plus sensible qu’une partie importante des trajets des résidents sont transfrontaliers, et que la pression touristique sur les infrastructures existantes s’accroît, en direction notamment d’Évian-les-Bains.

Les infrastructures existantes sont en effet notoirement insuffisantes, ayant très peu évolué pour accompagner le changement du territoire : à ce jour, le territoire est principalement desservi, en matière routière, par la RD 1005 au nord, qui constituait avant 2006 un tronçon de la nationale RN 5, et par la RD 903, qui passe par une succession de centres-bourgs de petites villes, au sud. Située sur la RD 903, la ville de Bons-en-Chablais, qui compte 5 800 habitants, voit ainsi passer près de 16 800 véhicules par jour avec des pics enregistrés à 22 300 véhicules. La plupart des villes – Perrignier, Brenthonne, Fessy – situées sur cette route enregistrent des flux journaliers d’entre 15 000 et 20 000 véhicules, alors même que la voie est tellement exiguë qu’une personne auditionnée rapporte que « les camions ferment les volets en passant ». Il est à remarquer qu’entre 7 et 10 % du trafic routier concerne des poids lourds de fret, notamment 6 millions de bouteilles d’eau d’Évian par jour.

L’ensemble des études réalisées à ce jour confirment que les infrastructures ferroviaires actuelles ne pourront absorber l’accroissement du trafic, d’autant que les infrastructures ferroviaires sont déjà saturées (c’est notamment le cas du Léman Express).

Résultent de cette carence, depuis de longues années, des gênes et nuisances qui ont été largement relayées par l’ensemble des personnes entendues par votre rapporteure. La saturation des deux routes départementales principales suscite une dégradation nette de la qualité de l’air dans les villes traversées, une hausse de l’accidentologie en ville, une nuisance sonore constante et une détérioration nette du cadre de vie en général. Le cœur des bourgs et leur développement sont fortement contraints par le passage de poids lourds et la circulation incessante, ce qui soulève également des enjeux de sécurité, par exemple dans les centres-villes ou aux passages à niveau, comme en attestent les accidents mortels trop fréquents dans les bourgs.

Les bouchons sont le fait notamment de l’intensification du trafic pendulaire des frontaliers, mais aussi et surtout, selon M. Denais, de l’activité économique du territoire. M. Patrick Condevaux, maire de la commune de Fessy, 1 000 habitants, traversée par la RD 903, précise : « Nous avons droit à tout ce qui vient depuis Allinges par le haut, et ce qui descend de la vallée d’Abondance. Comme le contournement ne mène sur rien, pour éviter de se taper le feu de Perrignier et celui de Bons, 4 000 véhicules par jour passent au milieu de Fessy, qui a une voirie inadaptée, car les voitures ne peuvent pas se croiser dans le village ». M. François Deville, maire d’Allinges, confirme : « Les usagers pendulaires, lorsqu’ils terminent leur journée à 19 heures et voient les bouchons, essaient des voies alternatives. Nous avons beau mettre des budgets conséquents dans des chicanes et des dos d’âne, ce sont des palliatifs qui n’empêchent toutefois pas de rouler comme des malades ». M. Michel Burgnard, maire de Brenthonne, rapporte qu’entre la 205 et la 903, ce sont 15 000 véhicules par jour dont 10 % de poids lourds. En résulte que « les deux routes communales sont très affectées, servant de déviation, alors qu’elles passent dans des hameaux très étroits, au milieu des maisons ».

M. Deville poursuit : « Les élus sont obligés d’avoir une vision globale du territoire. Bons, Brenthonne et Perrignier subissent de véritables nuisances, qui sont plus que des désagréments ». Les conséquences de cette situation se font sentir dans tous les domaines, et notamment dans la construction, certains élus ne pouvant plus permettre la construction de logements en bordure de voirie du fait de la baisse de la qualité de l’air.

 

Historique détaillé du projet

Les premières propositions concernant la création d’une voie rapide permettant un meilleur accès au Chablais, en particulier sur la liaison entre Annemasse et Thonon, datent des années 1930. Le projet émerge dans une forme proche de l’actuel dans les années 1980, la plupart des collectivités de Haute-Savoie soutenant depuis cette date le projet d’une liaison 2 x 2 voies dans le territoire.

Les travaux de construction de l’autoroute A 400 entre l’A 40 à Annemasse et Thonon‑les‑Bains sont, pour la première fois, déclarés d’utilité publique par décret le 6 mai 1995.

Deux ans plus tard, par une décision du 28 mars 1997, le Conseil d’État annule ce décret au motif que « l’opération ne présente qu’un intérêt limité dès lors, d’une part, que le prolongement de l’autoroute au-delà de Thonon-les-Bains jusqu’à la frontière suisse n’est plus envisagé et, d’autre part, que les villes d’Annemasse et de Thonon-les-Bains sont reliées par des routes nationales et départementales selon deux trajets dont la longueur est égale ou inférieure à celle de l’autoroute projetée et qui comportent déjà des tronçons à deux fois deux voies ». La juridiction note également que le coût financier de l’opération « doit être regardé à lui seul comme excédant l’intérêt de l’opération et lui retirant ainsi son caractère d’utilité publique ».

Quelques années plus tard, le 7 juillet 1999, le désenclavement du Chablais fait l’objet d’une réflexion globale qui aboutit à l’émergence d’un schéma de transport multimodal, dimensionné pour le long terme et approuvé par le ministre de l’équipement.

Les travaux de liaison, par une route expresse 2 x 2 voies, entre le carrefour des Chasseurs à Machilly et le contournement de Thonon-les-Bains par le sud, sont déclarés d’utilité publique par décret du 17 juillet 2006. En 2008, ce contournement a ainsi été finalisé (sur la RD 1005), permettant une amélioration de la desserte de cet espace.

En 2013, la commission « Mobilité 21 », instituée par le ministre des transports, chargée de formuler des recommandations en vue de créer les conditions d’une mobilité durable et de hiérarchiser les projets d’infrastructures, classe le projet de désenclavement dans la catégorie des projets plus lointains.

En 2014, la liaison entre le carrefour des Chasseurs et le centre de Machilly est réalisée et mise en service. En revanche, les travaux du tronçon Machilly-Thonon-les-Bains n’ont pu être engagés en raison des contraintes budgétaires. Pour le relancer, l’Etat, en lien avec le conseil départemental de Haute-Savoie, a fait le choix d’une réalisation sous concession avec mise à péage.

Enfin, en 2015, une dernière liaison 2 x 2 voies, reliant Machilly au contournement de Thonon-les-Bains récemment réalisé, a été mise à l’étude, afin de compléter ce projet global de désenclavement du Bas-Chablais. À la suite d’une enquête publique et de l’avis des collectivités territoriales concernées, ce nouveau projet a été déclaré d’utilité publique par le biais d’un décret du 24 décembre 2019 dans l’objectif de pouvoir lancer l’appel d’offres destiné à désigner le concessionnaire.

La désignation du concessionnaire a commencé, sous maîtrise d’ouvrage de la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), en 2021, pour une fin de processus prévue en 2023, si toutefois la présente proposition de loi est adoptée.

Ainsi M. Cyril Démolis, maire de la commune de Sciez, traversée par la RD 1005, rapporte-t-il que « Bien que nous ayons de forts besoins en matière de logement, nous devons attendre le report modal résultant de la construction de la liaison autoroutière avant de pouvoir envisager la densification le long des voiries, car les conditions de vie ne sont pas assez bonnes ». La réalisation de l’autoroute est donc regardée par les collectivités comme incontournable pour soulager le réseau départemental et détourner le trafic qui ne fait que traverser ces bourgs.

L’accès aux soins de la population est également compliqué, comme l’explique M. Jacques Faudot, président de l’association « Oui au désenclavement du Chablais » : « Médicalement, il faut prendre la route pour aller en soins à Annecy ou Annemasse : pour 30 kilomètres, 50 minutes de trajet routier ».

B.   Un « Équipement de rattrapage », qui s’insÈre dans un projet d’aménagement multimodal plus large

L’état de sous-équipement du Bas-Chablais en matière de desserte fait du projet, comme le note M. Jean Denais, un « équipement de rattrapage », afin de mettre l’offre de desserte en adéquation avec les besoins du territoire.

1.   Un projet qui répond à une attente locale très forte

L’attente du territoire a été fortement relayée à votre rapporteure tout au long de ses travaux. Déjà en 2016, la garante de la concertation publique estimait – sans en tirer de conclusion sur son opportunité ou non – que le projet répondait manifestement à « une attente de personnes qui souffrent au quotidien d’une difficulté de mobilité sur leur territoire » ([3]).

La commission d’enquête chargée de l’enquête publique unique préalable sur la déclaration d’utilité publique et la mise en compatibilité des documents d’urbanisme avait également noté à plusieurs reprises l’attente forte de la part des usagers du territoire. Le rapport évoque le « succès » des réunions publiques organisées lors de la concertation et note que « il ressort de cette concertation que le projet de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains est globalement très attendu », ce mot étant sans doute celui que votre rapporteure a le plus entendu au cours de ses travaux.

Le rapport de la commission d’enquête reproduisait l’estimation du maître d’ouvrage selon laquelle 69 % des avis seraient favorables au projet, 10 % favorables sous condition, et 10 % franchement défavorables, notant que ces pourcentages sont particulièrement élevés pour un projet de cette nature.

Aujourd’hui, l’association « Oui au désenclavement du Chablais » estime que quelque 90 % des habitants du Chablais sont favorables à l’autoroute. Du côté des élus, M. Nicolas Rubin, vice-président du conseil départemental et président de l’association des maires de Haute-Savoie (ADM 74) note que les maires du Chablais sont quasi-unanimes pour cet aménagement qu’ils considèrent comme un outil d’accessibilité du territoire. M. Cyril Démolis met en avant que « 98 % des habitants de ma commune de Sciez attendent le projet avec impatience ».

Des retombées positives sont attendues en termes de temps de déplacement, de qualité de l’air et de baisse des nuisances sonores, et d’améliorations en termes de sécurité routière. M. Joseph Déage, maire de Lyaud, ancien vice-président de la communauté de communes du Bas-Chablais chargé des transports, résume l’attente : « En fluidifiant et en déportant le trafic, la liaison autoroutière permettra à Bons, Perrignier, Sciez, de voir renaître leur cœur de ville ». M. François Deville, maire d’Allinges, le dit autrement : « Actuellement, les Genevois voient le territoire comme une réserve d’Indiens. Si on veut un tissu économique et artisanal dynamique et pas uniquement subir le frontalier qui vient dormir, il faut améliorer les outils de transport ».

M. Michel Burgnard, maire de Brenthonne, affirme qu’« Il n’y a pas d’opposition dans la commune : nous attendons les bienfaits qu’apportera la liaison. Si les estimations à - 50 % de trafic sont suivies d’effet, ce sera le paradis ».

2.   Le projet actuel de concession, fruit d’une évolution de plusieurs décennies, met en œuvre des mesures de réduction et d’évitement de ses incidences

Le projet amené à la considération du législateur par le biais de la présente proposition de loi s’inscrit historiquement dans la continuité de la section centrale du projet « A 400 ». Celui-ci devait relier l’A 40 ([4]) au niveau d’Annemasse à la ville de Thonon, sur un tracé de 35 kilomètres, soit plus du double du tracé de la liaison actuellement en projet. Ce projet, déclaré d’utilité publique par décret en 1995 après un avis défavorable de la commission d’enquête en 1994, a été annulé par le Conseil d’État en 1997, qui a notamment considéré que le coût du projet pour l’État était disproportionné, raisonnement qui ne peut être appliqué au projet actuel au financement duquel l’État ne participe pas.

Dans les années 2000, un nouveau projet d’amélioration de la desserte est entamé, avec une réalisation prévue pour se dérouler en quatre étapes, dont les trois premières ont été menées à bien : le « carrefour des Chasseurs », au sud de Machilly, réalisé et financé par le département ; le contournement de Thonon, livré en 2008, cofinancé par le département, le SIAC, et la région ; la mise à 2 x 2 voies de la liaison RD 1206 (ex-RN 206) entre le carrefour des Chasseurs et Machilly, financée par l’État, dont les travaux ont été réalisés entre 2011 et 2014.

OpÉrations de mise À niveau de la liaison entre thonon et annemasse

Demeurent donc aujourd’hui à réaliser la liaison entre Thonon et Machilly, et la liaison entre le carrefour des Chasseurs et Annemasse. Cette dernière est en projet, sous maîtrise d’ouvrage du département. Elle verra le doublement de la voie existante, option privilégiée par l’État et le conseil départemental afin de ne pas consommer davantage de terres agricoles. Selon le président du conseil départemental, le département assumera la maîtrise d’ouvrage et le financement, et estime que les travaux pourraient être menés de façon concomitante avec ceux de l’autoroute du Chablais, pour un début en 2026.

La liaison Thonon-Machilly s’étendra sur un linéaire d’environ 16,5 km. Le tracé du projet, qui se situe majoritairement sur des parcelles agricoles et forestières, se raccorde au sud sur un diffuseur à ouvrir sur la RD 1026 au nord-ouest de Machilly. Au nord, il rejoindra la voie de contournement de Thonon–les-Bains, par un diffuseur à réaliser dit « d’Anthy », dont une partie a vocation à rejoindre ensuite la voirie départementale – le reste demeurant propriété de l’État. La bande d’étude est en moyenne de 300 mètres de large, avec un élargissement au niveau de la barrière de péage de Perrignier et un rétrécissement à la hauteur de Margencel, ce qui permet d’éviter le site des Grands Marais.

l’emplacement prÉvu pour la liaison au sein du bas-chablais

Source : Michelin, 2023. La courbe noire pointillée désigne l’emplacement approximatif de la liaison envisagée entre Machilly‑Chasseurs et le diffuseur d’Anthy sur la voie de contournement de Thonon. Le liseré jaune indique la frontière entre la France et la Suisse, qui passe au sud de Genève et à l’est d’Annemasse et de Machilly. La future liaison entre Machilly‑Chasseurs et Annemasse, sous maîtrise d’ouvrage du département, passera à l’est de la frontière.

Dans sa forme actuelle, pour ce qui concerne la liaison autoroutière Thonon‑Machilly, la participation financière de l’État, qui reste maître d’ouvrage, s’est progressivement effacée, au profit d’un projet de concession, avec une subvention d’équilibre apportée par le département ([5]). En effet, le département a mis en place autour de 2012 un fonds structurant d’une centaine de millions d’euros, réservés à cet usage. Le reste du projet, d’un coût global projeté d’environ 250 millions d’euros (M€), sera couvert par la mise en concession.

Le contrat envisagé est un contrat de concession de travaux soumis pour sa passation à la troisième partie du code de la commande publique. La section concédée sera conçue, financée en tout ou partie, construite, exploitée, entretenue et maintenue par le concessionnaire, maître d’ouvrage, à ses risques et périls. En contrepartie, le concessionnaire sera autorisé à percevoir un péage auprès des usagers de l’autoroute, qui devrait être de l’ordre de 1,60 euro à 2 euros pour les voitures individuelles et de l’ordre de 7 euros pour les poids lourds.

L’infrastructure comprendra notamment un péage au niveau de la commune de Perrignier, trois diffuseurs, des voies d’entrecroisement à ses extrémités et un ouvrage d’art non courant, le viaduc de franchissement du Pamphiot sur la RD 1005, d’une longueur d’environ 170 mètres. En outre, la nouvelle infrastructure franchira la voie ferrée Annemasse – Thonon-les-Bains au niveau de la commune d’Allinges.

M. Olivier Jacquier, maire de Bons-en-Chablais, a souligné que le passage par la concession devrait permettre de réaliser un ouvrage d’art pour mieux en tirer profit, et que la suite du projet justifiera une vigilance particulière sur ce sujet vis-à-vis du concessionnaire sélectionné.

Le projet a fait l’objet de plusieurs études de ses incidences écologiques :

– dans le cadre de la déclaration d’utilité publique, une évaluation environnementale avec la réalisation d’une étude d’impact détaillée par le ministère de la transition écologique et SNCF Réseau ([6]), maître d’ouvrage, dont la commission d’enquête a estimé qu’elle était de très bonne qualité. Cette étude d’impact examine notamment la compatibilité avec les PLU de Machilly, Loisin, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel, Anthy, Thonon ;

– dans le cadre du schéma de cohérence territoriale du Chablais, une évaluation environnementale, qui comprend l’incidence du projet autoroutier (voir le 3 sur l’insertion du projet dans l’orientation d’aménagement du territoire).

Une partie importante du tracé indicatif de la voie, entre Bons-en-Chablais et la traversée du ruisseau du Redon, est implantée dans une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristiques (Znieff) de type I, qui est classé au titre des espaces « homogènes écologiquement, définis par la présence d’espèces, d’associations d’espèces ou d’habitats rares, remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel régional ». En outre, le ruisseau du Redon, qui est traversé par le tracé, est classé au titre de la convention internationale de Ramsar, qui concerne les « zones humides d’importance internationale » ([7]).

Les études successives soulignent l’importance des mesures prises pour éviter les atteintes à l’environnement, notamment par le rétrécissement du fuseau au niveau du site des Grands marais, et pour les compenser par la mise en œuvre d’un fonds de compensation foncière,. En outre, la mise en œuvre d’un fonds de compensation agricole dès 2016 a permis de constituer une réserve de 40 hectares, selon le témoignage de M. Jean Neury, ancien président de la communauté de communes du Bas-Chablais.

Le Conseil d’État a eu l’occasion de résumer ainsi les incidences de ces mesures : « Il ressort des pièces du dossier, d’une part, s’agissant des sites Natura 2000 et notamment celui des zones humides du Bas-Chablais, que l’emprise des travaux du projet litigieux se situe en dehors du périmètre de la zone Natura 2000, ce qui constitue une mesure d’évitement, que des mesures visant à ne pas perturber les écoulements hydrauliques sont prévues concernant les trois habitats d’intérêt communautaire (marais de Chez Viret et de Brécorens, et Grands Marais de Margencel) situés à proximité du projet et qu’en ce qui concerne les espèces d’intérêt communautaire que sont le Liparis de Loesel et le Sonneur à ventre jaune, le projet intègre le rétablissement des écoulements hydrauliques et des continuités écologiques au droit de ces marais par la mise en place d’ouvrages adaptés et l’écrevisse à pieds blancs n’est pas présente dans les zones humides du site Natura 2000. Le projet n’aura donc pas d’effet négatif résiduel notable, après mesures d’évitement et de réduction, sur les habitats naturels et les espèces d’intérêt communautaire du site Natura 2000 des " Zones humides du Bas Chablais ". D’autre part, s’agissant des réserves en eau et des périmètres de protection de la commune d’Anthy-Sur-Léman, le projet sera réalisé de manière à éviter de potentielles incidences sur la zone de captage d’Anthy-sur-Léman grâce à des réseaux de collecte étanches et un drainage de plateforme jusqu’à l’arase. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnait le principe d’action préventive et de correction faute de comporter des mesures d’évitement et de réduction ne peut donc qu’être écarté. » ([8])

3.   Une composante essentielle du projet d’aménagement plus large du Chablais et de la Haute-Savoie

Dans le cadre du schéma de cohérence territoriale du Chablais, approuvé en 2019, l’examen de l’enclavement territorial aboutit à conclure au « sous-équipement, en termes de desserte, pour tous les modes de transport », selon Mme Géraldine Pflieger, maire de Saint-Gingolph et présidente du Syndicat intercommunal de l’aménagement du Chablais.

De ce point de vue, le projet de liaison autoroutière constitue un maillon essentiel d’une stratégie multimodale de désenclavement pour l’accès touristique et l’activité économique, ce « désenclavement multimodal » constituant le premier objectif du schéma ([9]) qui comprend également :

– l’amélioration de la desserte ferroviaire par la prolongation du Léman Express à Thonon-les-Bains (2019) et à l’avenir jusqu’à Saint-Gingolph pour désenclaver l’est du territoire (Léman Express et RER Sud-Léman) ;

– l’achèvement de la desserte autoroutière, par la réalisation des liaisons Machilly – Thonon et Chasseurs – Annemasse, qui doivent permettre, par le contournement des villes traversées par les voies départementales et le train, le déport du fret et des automobilistes se rendant directement d’Annemasse à Thonon, notamment les frontaliers ;

– la libération conséquente des voiries secondaires, et notamment de la RD 903, afin d’y permettre le déploiement d’un bus à haut niveau de service (BHNS), prévu de longue date mais qui ne peut être mis en place qu’à la condition préalable d’un désengorgement ;

C’est la raison pour laquelle la liaison autoroutière envisagée constitue un élément important du projet global d’organisation des mobilités dans le territoire, en complément des autres projets. Comme le résume le Conseil d’État, « Il ressort des pièces du dossier que le projet d’autoroute a pour objet d’améliorer la desserte du Chablais ainsi que la qualité de vie des usagers et des riverains des principaux axes de circulation actuels qui sont saturés dans une zone qui connait une croissance démographique particulièrement dynamique, dont une proportion importante de la population qui travaille en dehors de la commune où elle réside et dans laquelle le développement de l’offre de transport collectif, avec le " Léman Express ", les navettes lacustres, les projets de transport collectif à haut niveau de service " 1005 ", entre Thonon-les-Bains et Genève, la liaison ferroviaire transfrontalière ‘CEVA’ et le bus à haut niveau de service " Tango ", ne permet pas d’absorber l’augmentation de la demande de déplacement.

« Le trafic moyen journalier annuel de 19 500 véhicules par jour sur la section Machilly  Perrignier et de 12 500 véhicules par jour sur la section Perrignier  Thonon-les-Bains, doit permettre d’importants effets de reports, notamment depuis la route départementale 903 entre Machilly et Thonon-les-Bains et un gain de temps pour les usagers évalué à 15 minutes à l’heure de pointe sur les liaisons Genève – Évian et Évian – Annemasse. La substitution d’itinéraires en deux fois deux voies aux itinéraires bidirectionnels existants améliorera également la sécurité routière, tout comme le réaménagement des voies traversant les agglomérations, qui sera réalisé parallèlement. Le cadre de vie des riverains des structures existantes s’en trouvera notablement amélioré, en particulier en centrebourg, avec une diminution des nuisances sonores et de la pollution atmosphérique qui sont reportées vers des zones à très faible niveau de population. » ([10])

C’est une situation que M. Joseph Déage, maire du Lyaud, ancien vice‑président de la communauté de communes du Bas-Chablais chargé des transports, résume ainsi : « Le multimodal dépend du 2 x 2 voies, car le BHNS en est l’élément essentiel et exige sa réalisation ». M. Cyril Démolis, maire de Sciez et vice-président de Thonon Agglomération chargé des mobilités, abonde : « Si l’un des éléments de notre stratégie multimodale ne voit pas le jour, c’est tout l’équilibre de notre mobilité future qui est remis en question. Le BHNS a été travaillé en fonction du report modal provoqué par l’arrivée du 2 x 2 voies. Si le trafic ne baisse pas sensiblement sur les départementales existantes du fait de cette nouvelle voie, le BHNS sera difficile à mettre en place, ce que confirme l’étude réalisée sur le sujet par le Cerema, l’État et le canton de Genève. En 2020, alors que toutes les communes ont changé de municipalité, il n’y a eu aucune remise en cause de cette stratégie ».

Le SCoT du Chablais prévoit donc, et c’est même un des motifs de sa révision engagée à compter de 2015, la réalisation d’une voie express entre Machilly et Thonon-les-Bains, liaison qui fait partie d’un plus grand ensemble ayant pour objectif le désenclavement du Chablais, via la création d’un axe Annemasse-Thonon. Ce projet global, tel qu’inscrit dans le schéma, a pour objectif :

– d’assurer une liaison rapide et confortable pour desservir l’agglomération ;

– de soulager le réseau existant et limiter les traversées dangereuses des communes ;

– de sécuriser les déplacements en organisant la circulation de transit et notamment des poids lourds sur des axes de circulation dimensionnés qui contourne le centre urbain de Thonon-les-Bains ;

– d’améliorer le cadre de vie en limitant les nuisances sonores et olfactives au centre de Thonon-les-Bains et d’assurer un équilibre entre la préservation du milieu naturel remarquable que constitue le massif de la forêt de Planbois et la protection des zones urbanisées qui se sont développées à proximité ;

– de faciliter les échanges avec la Suisse en améliorant notamment l’ensemble des liaisons Ouest-Est et proposer des temps d’accès et des conditions de circulation plus favorables pour relier le Valais ;

– de favoriser l’implantation d’entreprises.

Le projet de liaison autoroutière concédée reprend, selon l’étude d’impact réalisée dans le cadre de l’évaluation environnementale de la déclaration d’utilité publique, les principes et les caractéristiques du projet de voie express mentionné dans le SCoT et correspond donc à la même infrastructure.

II.   une validation lÉgislative, qui remÉdie À un blocage juridique

A.   une anomalie juridique qui aboutit À une impossibilitÉ concrÈte de poursuivre le projet

Le projet de liaison autoroutière est actuellement bloqué par une situation juridique inhabituelle suscitée par une inadéquation entre la déclaration d’utilité publique autorisant le projet et le document d’urbanisme applicable.

– à la suite d’une évaluation environnementale comprenant une enquête publique et l’avis des collectivités concernées, le projet de création de la liaison a été déclaré d’utilité publique par décret en Conseil d’État du 24 décembre 2019, en vue de commencer le processus d’expropriation et de désignation du concessionnaire : l’article 6 de ce décret emporte la mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme des dix communes situées sur le tracé du projet de liaison. De ce fait, les PLU de Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains sont rendus compatibles avec le projet autoroutier ;

– quelques mois plus tard, en mars 2020, six de ces PLU sont remplacés par le nouveau PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais, élaboré par la communauté d’agglomération Thonon Agglomération. Ce PLUi, bien qu’il évoque largement le projet dans le rapport de présentation et dans le projet d’aménagement et de développement durables (PADD), ne le prévoit pas dans son règlement graphique, et n’est donc pas compatible, en l’état, avec la réalisation du projet.

Le projet autoroutier, bien que validé dans le cadre du processus d’utilité publique, ne peut donc pas avancer car le règlement graphique du PLUi ne le prévoit pas et que la déclaration d’utilité publique ne mentionne pas explicitement la mise en compatibilité du PLUi, qui lui est postérieur de quelques mois.

1.   Une situation inextricable issue de l’enchevêtrement de procédures complexes et concomitantes

L’ensemble des acteurs auditionnés par votre rapporteure reconnaissent que la concomitance dans le temps de plusieurs procédures d’urbanisme et de restructuration locale a occasionné des complexités qui ont favorisé une situation très atypique.

De ce point de vue, votre rapporteur considère que la proposition de loi est un exemple de l’excessive complexité des procédures d’urbanisme réglementaire – les procédures liées à l’élaboration et à l’évolution dans le temps des documents d’urbanisme – et de leurs articulations avec les procédures d’urbanisme opérationnel – qui sont liées à la conduite de projets spécifiques.

En outre, selon M. Martial Saddier, président du conseil départemental de la Haute-Savoie, le contexte particulier lié aux transformations dans la gouvernance locale provoquées par les lois du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (« loi Maptam ») et du 7 août 2015 portant nouvelle organisation de la République (« loi NOTRe ») doit également être pris en compte. Ces transformations ont été particulièrement dures à mener dans des territoires a priori inadaptés aux nouvelles échelles imposées par le législateur : « Les départements de montagne en général, et la Haute-Savoie et Thonon-les-Bains en particulier, étaient les derniers non couverts par des EPCI à fiscalité propre. Le dernier de France, c’est la ville de Thonon. Ces couvertures intégrales en com-com dans des zones financièrement aisées et avec des identités géographiques fortes, ça s’est fait dans la douleur et la violence. Plus tard, avec le renouvellement municipal, les élus ont dû mettre en œuvre ce qui était imposé par la loi : lorsque les PLU ont été agglomérés pour faire le PLUi, c’était tellement à marche forcée qu’il y a eu oubli ».

C’est ce que reconnaissent les auteurs du projet d’aménagement et de développement durables du SCoT du Chablais : « Prescrite par délibération du SIAC en novembre 2015, la révision du SCoT du Chablais intervient dans un contexte exceptionnel, tant du point de vue réglementaire, institutionnel, que du calendrier (projet autoroutier entre Machilly et Thonon-les-Bains), et de la reconfiguration territoriale (passage à 3 EPCI à fiscalité propre au 1er janvier 2017). Les dispositions réglementaires issues du Grenelle de l’Environnement et de la loi Alur ont introduit de nouvelles thématiques (climat, air, énergie, communications électroniques, continuités écologiques, …), et renforcé la prise en compte des déplacements, de l’aménagement commercial et de la limitation de la consommation d’espaces agricoles et naturels au sein des documents d’urbanisme ».

En particulier, on peut noter la concomitance de quatre processus (voir chronologie, ci-après), qui mènent certains acteurs, comme M. Jean Denais, ancien maire de Thonon, à déplorer « un amoncellement administratif où même les services n’y comprennent plus rien » :

– la révision du schéma de cohérence territoriale, prescrite en 2015, le document étant devenu exécutoire en 2019 ;

– l’élaboration du plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas-Chablais, prescrite en 2015, le document étant devenu exécutoire en 2020 ;

– l’intégration de la communauté de communes du Bas-Chablais au sein de la communauté d’agglomération Thonon Agglomération, entrée en vigueur en janvier 2017 ;

– la procédure d’autorisation du projet autoroutier, notifié au public en 2015 et déclaré d’utilité publique en 2019.

L’élaboration du PLUi du Bas-Chablais a donc été marquée par la disparition de l’EPCI qui l’avait prescrite. M. Lionel Boulens, directeur général des services de la communauté d’agglomération Thonon Agglomération et ancien directeur général des services de la communauté de communes du Bas-Chablais, a rappelé que « la décision a été prise de mener à bien le PLUi à l’échelle de la communauté de communes à 17, où il existait déjà un projet politique, en se laissant le temps de gagner en maturité avant d’aborder la question du PLUi à l’échelle de la communauté d’agglomération à 25 ».

Cette situation ajoute encore à une complexité déjà prononcée, du fait de l’hétérogénéité des régimes d’urbanisme qui s’appliquent aux territoires : « en parallèle, il fallait grenelliser trois PLU sur les huit autres communes. Les opérations sur les PLU existants sont complexifiées par l’application des lois " Montagne " et " Littoral " et par une situation déficitaire au regard de la loi SRU. À une certaine période, nous avions dix-sept procédures d’urbanisme concomitantes ».

L’élaboration des documents d’urbanisme a évolué à un rythme tout à fait représentatif de ce type de procédure. En décembre 2015, avec le transfert de la compétence en matière de plan local d’urbanisme à l’échelle intercommunale, la communauté de communes du Bas-Chablais a prescrit l’élaboration du PLUi du Bas-Chablais, l’État accomplissant les étapes du « porter à connaissance » en août 2016. Les travaux d’élaboration du plan, d’évaluation des incidences environnementales et de concertation ont alors commencé, se terminant en juillet 2019. Après la phase d’enquête publique, le PLUi a été approuvé par le conseil communautaire de la communauté d’agglomération Thonon Agglomération le 25 février 2020, devenant exécutoire le 1er mars 2020.

Le calendrier des différentes procédures s’est accéléré en fin de période, comme il est habituel, afin de mener à bien le processus avant le renouvellement des conseils municipaux en 2020 : comme le rappelle M. Jean Neury, ancien président de la communauté de communes du Bas-Chablais, « Il fallait à tout prix terminer le PLUi avant les élections de mars 2020 ».

Le PLUi contient de multiples références, dans son rapport de présentation, dans son projet d’aménagement et de développement durables, et dans le règlement écrit, au projet de liaison autoroutière. La préférence est à ne pas inclure d’emblée le tracé dans le règlement graphique, car « cela aurait été une autorisation implicite, alors que nous n’avions pas encore déclaration d’utilité publique et que Thonon Agglomération n’est pas maître d’ouvrage », selon M. Christophe Arminjon, maire de Thonon-les-Bains et président de Thonon Agglomération.

D’autre part, pour ce qui concerne les procédures d’autorisation pour le projet autoroutier, elles sont marquées par les complexités inhérentes à l’autorisation de tout projet qui emporte des conséquences importantes sur son environnement. Afin de pouvoir procéder aux expropriations nécessaires, une déclaration d’utilité publique s’est imposée. À cette fin, un avis d’information du public a été publié dès le mois d’avril 2015, et la concertation publique prescrite par la Commission nationale du débat public s’est étendue de juin 2015 à juillet 2016. Après cette phase, le processus d’évaluation environnementale s’est enclenché, aboutissant à l’avis de l’autorité environnementale en janvier 2018 et à l’enquête publique en juillet 2018, avant la publication du décret portant déclaration d’utilité publique emportant mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme concernés en décembre 2019.

Pour rappel, afin de permettre la réalisation de toute projet d’aménagement de grande envergure, les documents d’urbanisme doivent préalablement prévoir les caractéristiques et les incidences de ce projet. Deux moyens existent pour une telle disposition :

– faire évoluer le plan ou le schéma afin d’y intégrer le nouvel équipement ou aménagement par révision ou modification ;

– avoir recours à une procédure de mise en compatibilité d’un plan ou d’un schéma avec un projet. C’est cette dernière option qui a été privilégiée en l’occurrence, avec le choix de mettre à profit la déclaration d’utilité publique précitée pour emporter la mise en compatibilité du document.

Chronologie parallÈle des procÉdures du projet et du plan

La déclaration d’utilité publique

La déclaration d’utilité publique (DUP) dite « travaux » ([11]) permet d’acquérir les immeubles ou les droits réels immobiliers nécessaires à la réalisation d’une opération d’intérêt général déterminée. Elle suppose de connaître la nature et la localisation des principaux travaux et ouvrages prévus, puisque ces éléments sont présentés dans le dossier. Lancée par un expropriant qui peut être une collectivité territoriale ou l’État, ces actes essentiels sont néanmoins systématiquement pris par l’État, qu’il soit ou non l’initiateur de la procédure.

La DUP est précédée d’une enquête d’utilité publique (EUP), qui permet de constater « préalablement et formellement » l’utilité publique de l’expropriation envisagée (art. L. 1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique), laquelle emporte une atteinte à la protection constitutionnelle de la propriété privée qui rend nécessaire une telle justification. Cette enquête, qui est fondée sur l’examen, par le commissaire-enquêteur, d’un dossier d’enquête élaboré par le pétitionnaire, dure au moins quinze jours. Toutefois, dans le cas où le projet est soumis à évaluation environnementale car il concerne des travaux, aménagements, constructions ou ouvrages qui y sont soumis – ce qui est le cas en l’espèce – l’enquête publique nécessaire à la DUP est régie par le code de l’environnement (art. L. 1 précité) et dure au moins trente jours.

2.   Le paradoxe : en l’état et en dépit de la déclaration d’utilité publique, toute poursuite du projet serait entachée d’illégalité

Ce cheminement parallèle a abouti, au moment du renouvellement des municipalités en 2020, à la situation suivante :

– d’une part, les documents d’urbanisme sur lesquels portaient le processus de DUP, et qui avaient donc été mis en compatibilité avec le projet autoroutier, ont été remplacés au 1er mars 2020 par le PLUi du Bas-Chablais ;

– d’autre part, le PLUi du Bas-Chablais, qui n’avait pas prévu la réalisation du projet autoroutier, n’a pas été mis en compatibilité par la DUP.

Les dispositions des article L. 153-54 et suivants du code de l’urbanisme précisent expressément qu’une déclaration d’utilité publique ne peut être adoptée que si elle emporte également mise en compatibilité du PLU, ce qui laisse penser que la DUP avait vocation à s’appliquer au PLU exécutoire quel qu’il fût. En l’occurrence, la régularité d’un acte s’appréciant au jour de son édiction, l’adoption postérieure d’un nouveau document d’urbanisme ne contrevient pas à cette règle et n’entache pas la DUP d’illégalité, comme le Conseil d’État l’a déjà précisé. Toutefois, sur le fond, une partie des documents d’urbanisme mis en compatibilité avec la DUP ayant cessé d’être en vigueur, cette déclaration a désormais perdu une partie de son objet.

En outre, du point de vue du droit de l’urbanisme, la carence en matière de prévision explicite du projet dans le règlement graphique empêche toute poursuite du projet. En effet, pour la construction d’une route, bien qu’aucune autorisation d’urbanisme ne soit nécessaire, toutefois, les travaux doivent être compatibles avec les dispositions du règlement graphique du PLUi. En l’occurrence, le Conseil d’État a eu l’occasion d’estimer que la mise en compatibilité d’un PLU avec une déclaration d’utilité publique s’impose lorsque « la réalisation matérielle des travaux s’ils sont dispensés de formalité, méconnaîtrait nécessairement le règlement et ses documents graphiques » ([12]).

La loi exige en effet que les travaux doivent être conformes à la fois au règlement et aux documents graphiques (article L. 152-1 du code de l’urbanisme), et pas seulement aux orientations générales du PADD, qui, en l’occurrence, prévoyaient la réalisation du 2 x 2 voies.

Dans la même décision, le Conseil d’État indique que l’opération qui fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique ne peut être regardée comme compatible avec un plan local d’urbanisme qu’à la double condition :

– qu’elle ne soit pas de nature à compromettre le parti d’aménagement retenu par la commune dans ce plan, condition satisfaite par le fait que le projet est mentionné à de multiples reprises dans le PADD et qu’un plan indicatif y figure ;

– et qu’elle ne méconnaisse pas les dispositions du règlement de la zone du plan dans laquelle sa réalisation est prévue ; cette condition n’est pas satisfaite car le fuseau routier traverse :

Le document actuellement applicable ne permet donc pas, en l’état, la réalisation du projet autoroutier : selon la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer et la direction des affaires juridiques du ministère de la transition écologique, « Le PLUi approuvé ne mentionne pas dans son document graphique le tracé de l’autoroute et ne permet donc pas la réalisation du projet, compte tenu de l’absence d’emplacement réservé, du classement en zone agricole et naturelle des parcelles d’emprise du projet, et au surplus, de la traversée de corridors écologiques et d’espaces de bon fonctionnement des cours d’eau ».

B.   pour remÉdier À cette impasse, une forme de validation lÉgislative

1.   Les solutions réglementaires envisagées ne donnent pas satisfaction

Comme sa collègue rapporteure du Sénat, votre rapporteure a passé en revue les différentes actions qui pourraient être prises pour surmonter la difficulté identifiée et mettre le plan local d’urbanisme intercommunal en compatibilité avec le projet. À partir du moment où l’incompatibilité a été identifiée et confirmée, trois possibilités se présentent comme vraisemblables pour surmonter les difficultés.

a/ Modifier le PLUi du Bas-Chablais pour prévoir le projet. C’est l’option d’abord retenue par Thonon Agglomération, qui a souhaité, en concertation avec les services de l’État, procéder à une modification simplifiée, pour correction d’une erreur matérielle, afin d’intégrer le projet autoroutier au PLUi récemment approuvé. Il serait en effet possible d’estimer, selon la direction des affaires juridiques du ministère de la transition écologique, que la non-inscription du projet dans le règlement graphique, alors même qu’il est prévu par le rapport de présentation et le PADD, et que les projections du PLUi le prennent en compte, est constitutif d’une erreur matérielle.

Toutefois, la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) d’Auvergne-Rhône-Alpes, saisie à cet effet en application des règles sur la saisine au cas par cas sur les projets de plan et de programme, a signalé que, dans son interprétation, l’intégration du projet devait faire l’objet d’une évaluation environnementale spécifique différente des évaluations environnementales précédemment conduites et que, par conséquent, une telle modification simplifiée n’est pas possible ([13]). Cet avis a été ultérieurement confirmé par une deuxième décision rejetant le recours gracieux formulé par Thonon Agglomération ([14]). La direction des affaires juridiques du ministère de la transition écologique estime également, après étude, que la modification simplifiée est « insuffisamment stable juridiquement » pour intégrer les dispositions de la déclaration d’utilité publique.

Cette décision se fonde, en premier lieu, sur le fait que l’évaluation environnementale produite en 2019 dans le cadre de l’élaboration du PLUi n’a pas porté sur l’inscription du fuseau autoroutier dans le règlement graphique du PLUi, ne mentionnait ni les mises en compatibilité, ni leurs évaluations environnementales, fournies à l’occasion de la demande de DUP, et n’en restituait a priori pas le contenu, bien que celui-ci ait été validé par ailleurs, et que le PLUi soit le successeur de plans eux-mêmes mis en compatibilité.

La procédure de révision est similaire à la procédure d’élaboration, et on peut estimer dans ce cas qu’elle n’aboutirait pas avant trois ans. Selon les indications du ministère de la transition écologique, l’intégration de la DUP au sein du PLUi par évolution impliquerait notamment de produire une nouvelle évaluation environnementale comprenant un nouvel état initial de l’environnement (EIE) sur quatre saisons. Dans l’estimation de l’État, « l’empilement des différents délais de procédure permettrait au mieux d’aboutir à l’été 2025 ».

En outre, une telle procédure nuirait considérablement à l’intelligibilité, pour la population, pour les élus et pour les services eux-mêmes, des orientations de l’intercommunalité en matière de planification, étant donné qu’elle est déjà engagée dans la réalisation du nouveau PLUi à l’échelle de Thonon Agglomération. Il lui faudrait en effet poursuivre en parallèle une révision du PLUi de 17 communes, sur une durée de plus ou moins trois ans, et l’élaboration d’un PLUi de 25 communes au nombre desquelles figurent les 17 en question, sur une durée plus ou moins similaire, alors que beaucoup questionnent d’ores et déjà la proche succession dans le temps du PLUi de Thonon Agglomération par rapport au PLUi du Bas-Chablais.

b/ Redéfinir la portée de la déclaration d’utilité publique, en prenant un décret rectificatif pour inclure dans son champ, non seulement les PLU aujourd’hui éteints des communes concernées, mais aussi, de manière explicite, le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais approuvé par la communauté d’agglomération Thonon Agglomération.

Toutefois, la direction des affaires juridiques du ministère de la transition écologique a indiqué à votre rapporteure avoir déjà examiné cette éventualité dès l’alerte reçue sur l’incompatibilité. Dans tel cas, le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de considérer que la prise d’un décret rectificatif en l’absence d’une évolution matérielle du projet est constitutive d’un détournement de procédure.

c/ Intégrer le projet au PLUi-HM de Thonon Agglomération et attendre son approbation pour avancer. L’agglomération a en effet prescrit en 2021 l’élaboration d’un nouveau document d’urbanisme à l’échelle des 25 communes membres. Mais cette solution impliquerait, selon toute vraisemblance, d’attendre l’année 2026 pour reprendre le chantier. Outre le retard de nombreuses années alors même que la temporalité du projet pose déjà question, un tel retard emporte le risque significatif d’arriver au terme de la validité de la déclaration d’utilité publique, qui interviendra en 2029.

L’évaluation environnementale du projet de mise en compatibilité

La mise en compatibilité des documents d’urbanisme avec un projet d’intérêt général est susceptible d’engendrer des effets sur l’environnement, qui justifient la mise en œuvre d’une évaluation environnementale. Appliqué aux plans et programmes, le processus d’évaluation environnementale comprend trois phases ([15]) :

– l’établissement d’un « rapport sur les incidences environnementales » qui identifie, décrit et apprécie les « incidences notables directes et indirectes » du plan sur la population et la santé humaine, la biodiversité, les terres, le sol, l’eau, l’air, le climat, les biens matériels, le paysage, ainsi que les interactions de l’ensemble de ces facteurs, et évalue les mesures d’évitement, de réduction et de compensation ;

– la réalisation de consultations prévues avec les personnes concernées, ce qui comprend a minima un avis de l’autorité environnementale ([16]), qui porte à la fois sur la qualité du rapport et sur la prise en compte de l’environnement par le plan, et une enquête publique ;

– la prise en compte du rapport et des consultations lors de la prise de décision de l’autorité qui adopte ou approuve le plan et la publication d’informations sur la décision.

En règle générale, l’élaboration d’un schéma de cohérence territoriale (SCoT), d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’une carte communale susceptible d’avoir des incidences sur l’environnement est systématiquement soumise à une évaluation environnementale ([17]). Ces mêmes documents peuvent faire l’objet d’une nouvelle évaluation environnementale à l’occasion de leur mise en compatibilité, dans plusieurs cas de figure selon notamment que l’évolution envisagée ([18]) :

– doit permettre la réalisation de travaux, aménagements, ouvrages ou installations susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000 ;

– modifie les orientations définies dans le plan d’aménagement et de développement durables (PADD) ([19]) ;

– réduit un espace boisé classé (EBC), une zone agricole ou une zone naturelle ou forestière ;

réduit une protection édictée en raison des risques de nuisance, de la qualité des sites, des paysages ou des milieux naturels, ou d’une évolution de nature à induire de graves risques de nuisance.

 

2.   Le passage par une validation législative accélère et sécurise les procédures sans se substituer aux obligations généralement applicables, qui ont été remplies

La loi se présente donc commune solution là où les issues réglementaires ne conviennent pas. Elle n’a pas pour finalité de se substituer aux procédures légales du droit commun : ces procédures ont été intégralement suivies. En effet :

– la concertation du public a eu lieu en premier lieu par la concertation publique organisée sous l’égide de la CNDP en 2016, et ensuite dans les diverses enquêtes publiques menées au titre des évaluations environnementales qui ont été réalisées en intégrant les incidences du projet autoroutier (déclaration d’utilité publique, PLUi, schéma de cohérence territoriale). Comme le rappelle M. Christophe Dutillod, vice-président du SIAC chargé du développement multimodal, « La démocratie locale et la concertation ont joué à plein sur ce projet » ;

– plusieurs évaluations environnementales, dont une, réalisée dans le cadre de la déclaration d’utilité publique, comprenait, outre une enquête publique, la réalisation d’une étude des incidences environnementales (EIE) sur quatre saisons. Le Conseil d’État a eu l’occasion de décider que l’information fournie dans ce cadre était suffisante : « Il ressort des pièces du dossier que l’étude d’impact présente une analyse de l’état initial de l’environnement et de son évolution qui expose la méthodologie des expertises menées au travers de 29 passages sur le terrain effectués par des experts naturalistes, dont des passages en période hivernale les 20 et 21 janvier 2016 pour les oiseaux, ainsi que les 16 et 17  mars 2016 pour les oiseaux, les amphibiens et les reptiles. Elle présente également une analyse des effets potentiels du projet et les mesures destinées à éviter, réduire ou compenser ces effets. L’évolution prévisible de l’environnement en l’absence du projet y est également décrite, ainsi que la méthodologie qui a comporté une analyse bibliographique et des consultations préalablement aux inventaires de terrain. Il s’ensuit que le moyen tiré du caractère insuffisant des mesures de prospection dont il n’est pas justifié qu’elles auraient pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou qu’elles auraient été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative, doit être écarté. » ([20]) ;

– la réflexion sur la compatibilité de la planification locale a été largement menée, à la fois au niveau communal et au niveau intercommunal :

– les étapes futures du projet ne sont pas éludées ou contournées, notamment l’autorisation environnementale et son évaluation environnementale ;

– les délais contentieux sont respectés, puisque l’intégralité des recours contentieux sur le décret de DUP ont été purgés et que les recours exercés ont été rejetés. C’est notamment le cas du rejet des requêtes des villes de Genève et de Carouge et de Europe Écologie Les Verts – région Savoie ([21]).

Le passage par la loi ne constitue donc pas dans le présent cas une régularisation susceptible de mettre à mal des procédures en cours ou de contrevenir aux procédures indiquées par le droit commun.

Exemples récents de l’utilisation du levier législatif pour la réalisation
d’opérations de transport terrestre et d’autres opérations

Au-delà des cas spécifiques de la loi pour la réalisation du Grand Paris Express ou encore des textes relatifs aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, qui constituent des exemples récents de l’usage de la législation pour traiter d’équipements spécifiques d’intérêt national, le passage par la loi a pu être sollicité pour la réalisation d’aménagements d’intérêt plus local :

– article 8 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure permettant la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, et ordonnance n° 2016-157 du 18 février 2016, notamment son article 2 sur le régime dérogatoire d’expropriation pour cause d’utilité publique ;

– article 10 de la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, validant, à la date de leur délivrance, les permis de construire accordés à Paris en tant que leur légalité aurait pu être contestée pour un motif tiré du non-respect des articles ND 6 et ND 7 du règlement du plan d’occupation des sols (fondation Louis Vuitton) ;

– article unique de la loi n° 2006-241 du 1er mars 2006 relative à la réalisation de la section entre Balbigny et La Tour-de-Salvagny de l’autoroute A 89, approuvant un avenant à la concession entre l’État et la société des autoroutes du sud de la France ;

– article 67 de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, validant le décret n° 98-942 du 21 octobre 1998, autorisant l’institution, pour une durée de vingt-cinq ans, de la redevance pour l’usage de l’ouvrage d’art dit « boulevard périphérique Nord de Lyon », et validation des délibérations du conseil de la communauté urbaine de Lyon du 16 février 1998 et du 16 mars 1998 décidant de l’institution de cette redevance ;

– article 57 de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier : validation de l’ordonnance du tribunal administratif de Limoges désignant les membres de la commission d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique de la section Arveyres – Saint-Julien-Puy-Lavèze de l’autoroute A 89.


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   COMMENTAIRE de l’article

Article unique
Mise en compatibilité du plan local d’urbanisme intercommunal du BasChablais avec une déclaration d’utilité publique antérieure

L’article unique prévoit que, parmi les dispositions du décret de déclaration d’utilité publique du projet autoroutier de Machilly à Thonon, l’article portant mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme des communes concernées prévaut sur les dispositions ultérieures non conformes du plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas-Chablais.

I.   le dispositif proposÉ

A.   le texte initial

Le dispositif de la proposition de loi n° 28 (2022-2023) de M. Cyril Pellevat et de Mme Sylviane Noël, déposé au Sénat le 5 octobre 2022, est composé d’un article ainsi rédigé :

Article unique. Les dispositions de l’article 6 du « décret du 24 décembre 2019 déclarant d’utilité publique les travaux de création d’une liaison à 2 × 2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, dans le département de la Haute-Savoie, conférant le statut autoroutier à la liaison nouvellement créée et portant mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes de Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains » prévalent sur les dispositions contraires du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas-Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon agglomération le 25 février 2020.

Cet article unique procède donc à un réordonnancement juridique en soumettant le PLUi du Bas-Chablais aux dispositions du décret du 24 décembre 2019 portant déclaration d’utilité publique du projet autoroutier, dont la publication avait emporté la mise en compatibilité avec ce projet des documents d’urbanisme qui préexistaient à ce PLUi.

Article 6 du décret du 24 décembre 2019. Le présent décret emporte mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme des communes de Machilly, Bons‑en‑Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains, conformément aux plans et aux documents figurant à l’annexe 4 du présent décret ([22]).

Le maire de Machilly et le président de la communauté d’agglomération Thonon agglomération procéderont aux mesures de publicité prévues à l’article R. 153-21 du code de l’urbanisme.

B.   les modifications adoptÉES par le SÉNAT

La commission des affaires économiques du Sénat a examiné le texte le 25 janvier 2023. Sur le rapport de Mme Martine Berthet (LR), elle a adopté le texte sans modification. Lors de son examen en séance publique, le 31 janvier, le texte a également été adopté sans modification.

II.   les dispositions adoptÉES par la commission

La commission des affaires économiques de l’Assemblée n’a pas modifié l’article unique de la proposition de loi.

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   examen en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 7 juin 2023, la commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas-Chablais (n° 811) (Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure).

M. le président Guillaume Kasbarian. Mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un beau dossier de droit administratif. La proposition de loi visant à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté de communes du Bas-Chablais, adoptée par le Sénat le 31 janvier, illustre parfaitement la complexité du droit de l’urbanisme, et plus particulièrement l’empilement et l’enchevêtrement des procédures imposées aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

Je souhaite la bienvenue à notre rapporteure Anne-Cécile Violland, qui a rejoint notre commission pour l’occasion.

La proposition de loi sera examinée en séance le 14 juin dans le cadre de la semaine de l’Assemblée, au titre des textes « transpartisans ». Lors de la réunion du bureau de la commission des affaires économiques du 5 avril, l’ensemble des membres du bureau, sauf M. Charles Fournier du groupe Écologistes-NUPES, qui s’est abstenu, ont donné leur accord. Elle devait faire l’objet d’une procédure d’examen simplifiée, mais la conférence des présidents a été informée hier que la présidente de ce même groupe s’y était opposée. Le texte sera donc examiné en séance publique selon la procédure normale.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Cette proposition de loi vise à régulariser les documents d’urbanisme de la communauté de communes du Bas-Chablais, située dans mon territoire haut-savoyard, afin de permettre la réalisation d’un projet autoroutier unanimement souhaité par la population et les élus locaux, dont il avait été question pour la première fois en 1932.

Le Chablais, qui se situe entre le Lac Léman et les montagnes, est un territoire extrêmement attractif et dynamique en matière économique, touristique et démographique – on compte entre 10 000 et 12 000 habitants supplémentaires par an en Haute-Savoie. Cette attractivité n’est pas seulement liée à la proximité de la Suisse, qui est un atout pour les travailleurs, mais aussi au tourisme et au propre développement économique du territoire. Ce dernier est néanmoins freiné par un enclavement qui n’a que trop duré.

En effet, le manque de mobilité est évident. Ce territoire de plus de 140 000 habitants n’est actuellement desservi que par des routes départementales. Les infrastructures ferroviaires se sont développées, notamment avec un nouveau réseau express régional (RER) transfrontalier, inauguré en 2019, mais celui-ci est largement saturé : alors qu’on envisageait 40 000 ou 50 000 usagers, on en est déjà à 70 000. Comme il n’existe aucune possibilité d’élargissement de la voie, à court ou moyen terme, c’est une commande de rames à double niveau qui a été retenue pour accueillir les passagers.

Il est indispensable de favoriser le développement d’infrastructures multimodales, et c’est la stratégie défendue par tous les élus, mais la voiture reste malheureusement le moyen de transport le plus adapté à nos territoires de montagne, et privilégié par la population.

Il est important d’avoir en tête que les principaux axes de la traversée du Chablais sont totalement saturés. Des ralentissements encombrent chaque jour les cœurs de village, ce qui, outre les conséquences en matière de sécurité – on déplore des accidents mortels – conduit à diverses nuisances. Les embouteillages permanents posent aussi des questions de santé publique : les habitants de certains villages se retrouvent à plus de deux heures de route des hôpitaux les plus proches, qui ne sont pourtant distants que de quelques dizaines de kilomètres. S’y ajoutent de véritables problèmes de santé environnementale – je le dis aussi en tant que présidente du groupe santé environnement, instance de suivi du plan national santé environnement – liés aux émissions de gaz à effet de serre, qui sont deux fois plus importantes lorsque les véhicules se trouvent dans un bouchon qu’en cas de circulation fluide. La consommation d’essence double aussi, puisqu’on s’arrête et redémarre sans cesse.

Autre dommage collatéral pour les petites communes, les automobilistes à la recherche de solutions alternatives s’engagent sur de petites routes, ce qui engorge des accès critiques.

Voilà donc un territoire où la spécificité géographique se conjugue à un manque cruel d’infrastructures de mobilité. Cette situation conduit à des difficultés sanitaires, sécuritaires et économiques très préoccupantes.

Même si les premières traces remontent à 1932, cela fait quarante ans que les élus travaillent activement à un projet d’autoroute. C’est une attente et même une urgence pour tous les habitants. À quelques exceptions près, ce projet fédère tout le territoire.

Pourquoi le législateur doit-il intervenir au sujet des documents urbanistiques, alors que ces derniers relèvent plutôt du pouvoir réglementaire ? Cette proposition de loi est atypique, mais pas unique. Plusieurs cas liés à des situations similaires ont été relevés dans la législation. Le seul objectif du législateur, dans cette affaire, est de rétablir sans délai les effets utiles de la déclaration d’utilité publique en ce qui concerne la mise en compatibilité des documents d’urbanisme dans le périmètre du PLUi du Bas-Chablais.

L’incompatibilité entre le PLUi et le projet d’autoroute résulte d’une erreur de d’intégration au sein du document d’un projet anticipé et soutenu de longue date par le territoire, et absolument pas d’une sédition des collectivités. Tous les autres documents d’urbanisme et de planification – le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d’urbanisme (PLU) des communes – ainsi que d’autres composantes du PLUi prennent déjà en compte le projet.

Cette proposition de loi ne vise pas à contourner le droit ni à déroger au code de l’urbanisme, mais à réparer une erreur matérielle et à apporter une solution à une situation inextricable. De prime abord assez technique, ce texte révèle, s’il le fallait, la complexité des cadres administratifs, réglementaires et juridiques dans lesquels s’inscrit au quotidien l’action des élus, qui parfois manquent de ressources pour apporter des réponses adéquates.

Les documents d’urbanisme locaux se sont multipliés et les procédures formelles qui encadrent leur élaboration se sont rigidifiées et allongées. Il en découle une insécurité juridique. Il faut désormais entre quatre et six ans pour élaborer un PLU et peu de maires ou de présidents d’intercommunalité sont en mesure de mener à bien la révision de ces documents sans avoir recours à des cabinets spécialisés et à des conseils juridiques.

Le fait intercommunal, s’il a accentué le dialogue territorial et les solidarités, s’est révélé une source de complexité au fur et à mesure des créations d’EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), des fusions et des transferts de compétences. L’écriture d’un PLU couvrant une commune, comme c’était auparavant le cas, est sans comparaison avec l’établissement d’un PLUi concernant vingt, cinquante, voire cent communes.

Ce rappel du contexte était indispensable à la compréhension de ce dossier. L’ensemble des collectivités territoriales du Bas-Chablais travaillent depuis plusieurs décennies à la réalisation d’une liaison à deux fois deux voies entre Machilly et Thonon-les-Bains qui permettrait de désenclaver le bassin et d’assurer non seulement son développement mais aussi la sécurité des riverains.

Avec l’accompagnement de l’État, les collectivités concernées ont donné en 2017 une nouvelle impulsion à ce projet de liaison, dans le cadre d’une concertation publique, d’une évaluation environnementale et, en 2019, d’une déclaration d’utilité publique (DUP).

Afin de prendre en compte le projet dans sa globalité et de faciliter sa réalisation, la DUP a prévu, comme le permet le droit, la mise en compatibilité simultanée des plans locaux d’urbanisme des dix communes concernées. La DUP a ainsi ouvert la voie à la réalisation du projet, très attendu par les parties prenantes.

Ici intervient un contexte particulier : la communauté de communes du
Bas-Chablais avait précédemment engagé, en 2015, avant la relance du projet de liaison à deux fois deux voies, l’élaboration d’un PLUi. Entre-temps devenue communauté d’agglomération, elle a finalisé le PLUi début 2020. Si la DUP du projet routier avait prévu la modification des anciens plans locaux d’urbanisme, elle n’avait pas anticipé le fait que l’adoption du nouveau PLUi viendrait peu après « écraser » ces modifications.

Comble de la difficulté, une fois ces problèmes identifiés, il s’est révélé impossible pour l’agglomération de modifier son PLUi avant son approbation, puisqu’il avait déjà été soumis à concertation et enquête publique, et impossible pour l’État de prendre une DUP modificative, puisque la jurisprudence du Conseil d’État ne permet pas de le faire à projet constant. Qui plus est, toute modification du PLUi, à peine adopté, devrait passer par la procédure la plus contraignante, qui ferait recommencer, une par une, toutes les étapes de l’évaluation, de la concertation et de l’enquête publique.

Bien qu’atypique, cette proposition de loi a donc un objet très simple : le texte vise à étendre les effets de la mise en compatibilité prévue par la déclaration d’utilité publique au nouveau plan local d’urbanisme intercommunal, afin de permettre au projet de se poursuivre sans délai injustifié.

Souhaitons-nous qu’un projet d’infrastructure d’intérêt général, déjà passé par l’ensemble des étapes administratives nécessaires à sa réalisation, soit mis en échec du simple fait de l’enchevêtrement de procédures d’urbanisme parallèles les unes aux autres ? Telle est la question que je vous pose ce matin.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Antoine Armand (RE). Je salue le travail de notre rapporteure, qui s’est inscrite dans les pas de nos collègues du Sénat au sujet de ce cas singulier du point de vue juridique mais aussi urbanistique. Je salue également en notre rapporteure une élue dont tous les acteurs locaux reconnaissent l’engagement et l’attention particulière à la concertation, à laquelle elle a participé ces dernières années, ainsi qu’aux questions environnementales afférentes à ce dossier.

Je souligne, notamment en tant que député haut-savoyard qui fréquente ces routes, que si le droit compte, c’est également le cas de la pratique, ce qui explique que ce dossier fasse l’objet d’une quasi-unanimité dans le territoire. Les enjeux de sécurité, les enjeux en matière de desserte, pour les services de secours, les enjeux économiques et sociaux : tout cela explique que l’enquête publique se soit déroulée dans d’excellentes conditions. La quasi-totalité des élus et l’ensemble des collectivités ont délibéré en faveur de ce projet, qui a un intérêt vital pour un territoire de 150 000 habitants rempli de « zones 30 », de dos-d'âne et de ralentisseurs, ce qui est totalement normal mais emporte des conséquences en matière de pollution, de praticabilité et de dangerosité qui inquiètent les citoyens, quels que soient leur sensibilité politique et leur avis sur leur municipalité.

Contrairement à ce qui est indiqué dans les amendements de suppression, qui peuvent s’apparenter à une caricature, ce projet s’inscrit bien dans une vision globale de mobilité et de désenclavement du territoire du Chablais. Les transports en commun ont déjà été développés et continueront à l’être – mais nous connaissons tous la temporalité des infrastructures ferroviaires. Les mobilités douces aussi doivent l’être, notamment grâce à des pistes cyclables – mais cela aussi prend du temps et, pardon de le rappeler, ne se fait pas exactement de la même façon dans les territoires de montagne que dans certaines métropoles. C’est cette vision globale de la mobilité qu’il faut soutenir.

Ce n’est pas parce qu’on prononce le mot « route » que certains groupes politiques doivent sortir automatiquement leur revolver. Nous avons un projet plus global d’électrification des véhicules, de décarbonation. L’idée n’est évidemment pas de carboner les usages, mais de mener une transition et de réduire la pollution due aux bouchons. Par ailleurs, ce projet est pris en compte dans le cadre de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN). Les élus locaux ont pris leurs responsabilités environnementales.

Le groupe Renaissance, lui aussi dans un esprit de responsabilité et parce qu’il est à l’écoute de nos concitoyens, soutiendra ce texte.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Cet aménagement s’inscrit dans une stratégie de désenclavement multimodale. Chez nous, les modes de mobilité comptent notamment la route : c’est un territoire de montagne ! Je ne sais pas si on arrivera à supprimer les voitures, mais je ne crois pas que ce soit le but. Il s’agit plutôt de développer des véhicules vertueux. Je travaille par ailleurs avec mes collègues, notamment Cyril Pellevat, qui a présenté le texte au Sénat avec Sylviane Noël, à la réhabilitation d’un RER dans la prolongation de celui qui existe actuellement, c’est-à-dire au développement du ferroviaire. Comme nous avons la chance d’avoir un lac, extraordinaire, nous comptons aussi sur le développement du transport lacustre. À cela s’ajoute le BHNS – bus à haut niveau de service – sur lequel je reviendrai.

M. Alexis Jolly (RN). Il est vrai que, depuis la fin des années 1980, le projet de liaison autoroutière entre les villes d’Annemasse et de Thonon-les-Bains s’invite fréquemment dans le débat public en Haute-Savoie. La principale difficulté de ce texte, et son originalité, est qu’il est toujours délicat d’avoir recours à la loi pour régler une situation strictement locale et contourner un texte réglementaire. Il s’agit d’une ingérence du Parlement dans des projets territoriaux spécifiques. On passerait outre aux prérogatives et aux compétences des collectivités territoriales en faisant primer la volonté du législateur sur un plan local d’urbanisme, et cela n’enverrait pas, à l’évidence, un très bon signal aux élus locaux, qui sont engagés sur place au quotidien et qui débattent de cette question depuis de nombreuses années – au moins quarante ans, vous l’avez dit. Ce genre d’initiatives doit rester exceptionnel, puisqu’elles portent atteinte au principe de subsidiarité et ne respectent pas l’organisation administrative de notre pays.

Sur le fond, cependant, la création d’un tronçon d’autoroute est une nécessité pour assurer le désenclavement du Chablais et optimiser un nœud de trafic important, au cœur de la Haute-Savoie. Par ailleurs, ce projet d’autoroute prend en compte les questions environnementales. Il a été pensé de manière à éviter les zones les plus fragiles et tend à limiter les incidences négatives sur les milieux naturels. Il n’existe pas de projet alternatif viable. Le Léman Express – le réseau ferré qui a été évoqué – ne permet pas d’absorber convenablement le trafic local. Enfin, cette portion d’autoroute éliminera des déplacements qui se font sur des routes départementales adjacentes : il s’agit davantage de centraliser la circulation sur un seul axe que d’accroître le volume des passages dans ce territoire.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera ce texte.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Merci, cher collègue, pour votre lecture de ce dossier. Une telle proposition de loi doit évidemment rester exceptionnelle. Le signal envoyé, comme vous dites, n’est pas que l’on irait à l’encontre des élus locaux, puisque, dans leur immense majorité, ils sont favorables à ce texte, mais que l’on répond à une demande.

Il y a eu d’autres cas. La loi du 1er mars 2006 relative à la réalisation de la section entre Balbigny et La Tour-de-Salvagny de l’autoroute A 89 a ainsi permis la validation d’un avenant au contrat de concession avec la société des Autoroutes du sud de la France.

En ce qui concerne la procédure, nous ne sommes en train ni de contourner la loi, ni de déroger au code de l’urbanisme. Il s’agit simplement de s’appuyer sur le législateur pour réparer une erreur reconnue par tous.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Cette proposition de loi vise à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du
Bas-Chablais, qui est frontalière avec la Suisse. Deux sénateurs de la Haute-Savoie veulent faire prévaloir une déclaration d’utilité publique de 2019 sur le PLUi de 2020 du Bas-Chablais, afin de garantir la création d’une autoroute à deux fois deux voies payante, de seize kilomètres, entre Machilly et Thonon-les-Bains.

Le Bas-Chablais est une région dont les écosystèmes sont fragiles, qui borde la rive sud du Lac Léman, au niveau du massif préalpin, et qui est labellisée géoparc depuis 2012. De nombreux agriculteurs y vivent et y travaillent.

Ce projet autoroutier privé date d’un autre âge, celui des années 1980, où l’on ignorait le réchauffement climatique. Il est temps de le réévaluer en prenant en compte les enjeux actuels du dérèglement climatique, de la pollution de l’air et de l’effondrement de la biodiversité, ainsi que le besoin de conserver les terres pour relocaliser la production d’une alimentation durable et de proximité.

Entre-temps, une ligne ferroviaire, le Léman Express, a également été réalisée. Elle transporte, à ce jour, plus de 70 000 passagers par an, et pourrait en transporter encore bien plus moyennant un investissement de taille modeste.

Que l’on soit pour ou contre ce projet, il importe de souligner que le but de la proposition de loi est de permettre la construction d’une autoroute sans réaliser une évaluation environnementale complémentaire en vue de la modification du PLUi, c’est-à-dire sans étudier l’impact qu’aura le projet sur l’équilibre général du PLUi et sans permettre aux citoyens de s’exprimer par une enquête publique au sujet du nouvel équilibre. Un projet de cette ampleur aura pourtant forcément des impacts sur l’ensemble de la circulation et, plus généralement, sur la mobilité dans la région – effets de déport, modification et rallongement de certains trajets, ce qui, en soi, aura notamment des effets sur la qualité de l’air. Il est légitime que les citoyens puissent s’exprimer sur ces conséquences globales.

Il serait paradoxal que des élus de la nation privent les citoyens de la possibilité de donner leur avis. Imposer le projet par une loi écraserait le processus démocratique local et mettrait fin à la concertation sans que soit présentée l’évaluation complémentaire demandée, dans un avis, par la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE).

La DUP de 2019 aurait dû entraîner une mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme des dix communes situées sur le trajet de l’autoroute. Or le PLUi approuvé le 25 février 2020, postérieurement à la DUP, omet le projet autoroutier et annule donc la mise en conformité des différents PLU.

Cette proposition de loi prévoit une disposition dérogatoire aux procédures régies par le code de l’urbanisme, à savoir une rectification d’un PLUi nominatif. Cela met en péril le principe constitutionnel d’égalité devant la loi et la répartition des compétences, et fait courir le risque d’un précédent législatif. C’est pourquoi nous invitons la commission à rejeter le texte.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Nous ne serons évidemment pas d’accord. Vos arguments sont très approximatifs, et certains sont même totalement inexacts. Les enquêtes environnementales ont été faites, à trois reprises, et il y en aura bientôt une quatrième. Le rapport de présentation, le SCoT et le Padd (projet d’aménagement et de développement durables) mentionnent ce qui est nécessaire. Tout est déjà défini. Il est impossible de dire que l’on essaie de s’exempter de la procédure prévue : il s’agit tout simplement d’une mise en compatibilité. La concertation a été optimale, et l’enquête environnementale a montré que le taux d’approbation des habitants était de 80 %.

Mme Virginie Duby-Muller (LR). Le projet d’autoroute à péage entre les communes de Machilly et de Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie, dont le tracé passe dans ma circonscription et dans celle de Mme la rapporteure, a connu un très long processus administratif et juridique.

Ce projet avait été déclaré d’utilité publique, par décret, le 24 décembre 2019, en vue d’un lancement rapide de sa réalisation et de sa concession, mais un PLUi avait été adopté en février 2020 sans le prendre en compte. Certaines mesures de ce document obligatoire se révèlent même incompatibles avec la liaison autoroutière. Relevant la non-conformité du PLUi au projet autoroutier, la MRAE Auvergne-Rhônes-Alpes a demandé à l’intercommunalité de procéder à une révision, ce qui aurait pour conséquence d’allonger les délais et de retarder le projet de plusieurs années. Or le désenclavement du Chablais est un projet structurant qui est attendu depuis plus de trente ans par l’ensemble de la population. Après le contournement de Thonon-les-Bains, la création de la deux fois deux voies entre le carrefour des Chasseurs et Machilly et celle entre l’A 40 et ce carrefour, il ne manque plus qu’une portion. Les sénateurs Cyril Pellevat et Sylviane Noël ont donc déposé une proposition de loi pour régulariser la situation et corriger l’absence du tracé autoroutier entre Machilly et Thonon-les-Bains dans le PLUi du Bas-Chablais. Le Sénat a adopté ce texte fin janvier.

Nous savons l’importance de cette autoroute pour le Chablais et pour le reste de la Haute-Savoie, qui connaît depuis plus de cinquante ans une croissance démographique et économique importante. Plus de 20 000 véhicules circulent chaque jour sur la RD 903 entre Bons-en-Chablais et Thonon-les-Bains et sur la RD 1005 entre Douvaine et Thonon-les-Bains. Nous savons aussi que beaucoup a été fait en matière d’intermodalité, comme les bus mis en place par le département et le Léman Express, RER transfrontalier qui est très utilisé par la population. Il y aura aussi des voies vertes, et vous avez évoqué, parmi d’autres projets importants et attendus, la ligne du Tonkin.

La création d’une nouvelle liaison autoroutière permettra de désengorger les routes, de garantir aux petites communes une meilleure qualité de vie, de renforcer l’attractivité et le dynamisme du Chablais, d’irriguer et de connecter l’ensemble du territoire et de compléter le développement des offres de transport collectif.

Aussi le groupe LR soutient-il la logique du texte, qui vise à résoudre une difficulté procédurale résultant de la complexité du droit de l’urbanisme. Le recours à ce type de mesure dérogatoire pour régir des situations individuelles doit, bien sûr, rester exceptionnel. Mais il faut souligner que la proposition de loi ne contourne nullement les décisions déjà prises ou des compétences légitimes, mais apporte une solution. Elle vise un intérêt général avéré et n’a pas pour objet de faire obstacle à des démarches administratives ou contentieuses en cours. Il faut ajouter à cela qu’il n’existe pas, actuellement, de solution alternative viable à une régularisation législative.

Pour notre groupe, cette proposition de loi se justifie donc. Il ne faudrait pas retarder la révision du PLUi, dans la perspective du contrat de concession.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. J’ajoute, s’agissant du développement multimodal, qu’un BHNS est soutenu par la volonté politique mais ne peut être mis en place, notamment en raison des ralentissements dus aux bouchons. Le projet dont nous débattons est vraiment le chaînon manquant d’une stratégie multimodale.

M. Romain Daubié (Dem). Avec cette proposition de loi atypique, le législateur vient en quelque sorte au secours d’une communauté d’agglomération. Nous devons nécessairement avoir pour objectif, en tant que législateur, une simplification administrative et juridique pour les citoyens et les élus. Même si ces derniers sont accompagnés par divers bureaux et ont des moyens, la loi est si complexe qu’on en arrive à des situations telles que celle que nous examinons ce matin, dans laquelle un projet d’utilité générale pourrait rester bloqué pendant des années.

Sur le fond, je redis notre attachement à la liberté d’aller et venir et à celle de choisir la manière dont on bouge, y compris en voiture et y compris en multimobilité – on peut, par exemple, prendre sa voiture pour rejoindre une gare du Léman Express.

Ce texte est important. Élu de l’Ain, dont la population est semblable à celle du Bas-Chablais, je sais que les territoires ruraux et périurbains ont besoin de mobilité, de développement économique, d’un secours aux personnes aux délais d’intervention raisonnables, et d’infrastructures pour tout le monde – les jeunes, les étudiants, les travailleurs ou les personnes à la retraite.

J’ajoute qu’il est très désagréable de subir des leçons de morale, à chaque fois qu’on parle de mobilité et de voiture, de la part de personnes élues dans des territoires souvent pourvus de métros ou de RER. Le mépris à l’encontre des zones rurales et périurbaines est assez pénible.

Le groupe Démocrate est, évidemment, favorable à cette proposition de loi.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Il importe en effet de souligner à quel point il est difficile de développer des mobilités alternatives dans certains territoires de montagne. Des efforts sont faits : il existe une vraie politique visant à assurer un désenclavement multimodal, en incluant des mobilités douces – mais la réalité est qu’on ne peut pas faire sans voiture à l’heure actuelle. Cette liaison deux fois deux voies est donc essentielle.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Notre commission est réunie pour examiner une proposition de loi particulière, qui vise à régulariser le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais pour permettre la construction d’un axe
Machilly-Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie, que vous considérez comme stratégique pour le développement économique de cette zone transfrontalière.

Le groupe Socialiste s’étonne, comme tous les autres groupes, que nous soyons appelés à régulariser des documents d’urbanisme qui devraient faire l’objet de délibérations par des conseils élus au niveau local. Il y a là une atteinte manifeste, quand bien même elle serait consentie, au principe de libre administration des collectivités territoriales.

S’agissant de l’opportunité du projet, nous n’avons pas de légitimité pour nous exprimer, mais nous avons reçu nombre de courriers soulignant des enjeux environnementaux, dans le cadre du principe de zéro artificialisation nette des sols, et le fait que la régularité et l’existence même des procédures d’évaluation environnementale ont été remises en question au niveau local, notamment par la MRAE. Nous sommes, par ailleurs, opposés au modèle d’exploitation retenu, celui de la concession autoroutière.

Le groupe Socialiste appelle à ne pas recommencer à traiter de ce type de régularisation, qui relève avant tout de décisions locales. Cette méthode verticale, reposant sur la loi, nous cause de l’inconfort. Nous ne pourrons pas soutenir ce texte.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Je ne sais pas si ne pas soutenir ce texte signifie s’abstenir ou voter contre, mais je tiens à souligner, comme vous l’avez fait, le consentement total des élus locaux, qui ne se sentent pas du tout spoliés. Les élus socialistes du territoire, notamment, sont favorables au projet.

S’agissant du ZAN, le principe de compensation des terres agricoles a été mis en œuvre dès 2016, 40 hectares étant concernés. Il y a eu une véritable volonté, lors de l’élaboration du projet, de développer des stratégies et des infrastructures vertueuses – je pense à la compensation et aux parkings relais – et de favoriser des véhicules électriques. Tout a été fait pour améliorer cette deux fois deux voies.

M. Luc Lamirault (HOR). Notre rapporteure nous a demandés s’il fallait arrêter un projet d’utilité publique en raison de l’enchevêtrement des procédures. Nous répondons naturellement « non ». Il faut intervenir par la loi.

Même si cette intervention doit rester inhabituelle, il est très important de répondre à la volonté des élus locaux. Il y a eu une véritable concertation locale et une volonté de mener un projet s’intéressant à toutes les mobilités et s’intégrant dans l’environnement. Tout cela est fait correctement par nos collègues locaux. Il faut les respecter et tenter de les aider.

Mais cette affaire doit être un enseignement pour nous : il faudrait peut-être faire évoluer les procédures pour permettre une simplification administrative et juridique et éviter que ce genre de problème se reproduise.

Le groupe Horizons est favorable au texte qui nous est soumis.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Nous avons véritablement cherché à comprendre comment on en était arrivé à cette situation, et je confirme ce que vous avez dit : nous sommes en proie à une complexité juridique – réglementaire, législative, administrative – qui place parfois les élus locaux face à des difficultés inextricables, ce qui met le législateur face à certaines responsabilités. Or le territoire adhère au projet : il n’y a pas de problème de ce point de vue.

Nous devons effectivement tirer les leçons de cette situation. Même s’il y a eu d’autres cas auparavant, il faut éviter d’avoir à demander au législateur d’agir en matière réglementaire.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). Le groupe Écologiste-NUPES s’opposera fermement à cette proposition de loi anticonstitutionnelle. En effet, si certains peuvent, en 2023, qualifier de projet d’intérêt général un projet autoroutier qui détruit la biodiversité des terres agricoles, c’est que nous ne vivons absolument pas dans le même monde.

À l’heure de l’urgence écologique, et alors que nous devons à tout prix réussir à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, l’Assemblée nationale est donc amenée à se prononcer sur un projet de construction d’autoroute… Quelle bonne idée, alors que les transports représentent un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre et que le transport routier est responsable de la majorité de ces émissions ! Cette proposition de loi est en contradiction avec les propos que tenait récemment le ministre chargé des transports, M. Clément Beaune, qui déclarait qu’il fallait investir dans les transports ferrés et régionaux.

Alors qu’en milieu rural, 20 % des femmes n’ont pas le permis de conduire et qu’avec un carburant à 2 euros le litre, l’aller-retour sur cette autoroute coûtera 6 euros, l’argument de la mobilité pour tous et toutes, que vous invoquez, ne me convainc pas.

Une alternative ferroviaire existe, mais vous n’avez pas pris en compte, dans l’étude d’impact, la période où elle fonctionnait. Or elle rencontre aujourd’hui un véritable succès. Seulement, il n’y a pas eu d’investissements, du côté français, pour ménager autour des gares du Léman Express les stationnements et les infrastructures nécessaires pour que les gens viennent prendre le train.

Ce projet est d’un autre temps. Alors que nous parlons de « zéro artificialisation nette », il artificialisera des sols et sacrifiera la biodiversité des zones humides. Face à la sécheresse qui a marqué l’été dernier et est à craindre pour l’été prochain, pouvons-nous nous passer de ces prairies, de ces roselières, de ces mares et de ces zones humides qui ont des fonctions écologiques essentielles ? Dix-sept des dix-huit fermes laitières concernées seront directement affectées et tous les agriculteurs sont opposés à cette autoroute. De nombreuses espèces protégées au niveau français et européen, notamment le sonneur à ventre jaune, seront directement touchées.

Ce projet autoroutier ne coche aucune case, pas même celle du soutien des élus locaux, à en juger par la manifestation en sa faveur qui, samedi dernier, n’a réuni que 100 personnes. Aviez-vous honte, Madame la rapporteure, de vous exprimer sur les médias régionaux au vu du peu de soutien recueilli par votre proposition de loi ? Celle-ci contourne les droits et les devoirs des collectivités territoriales et contrevient à tous nos objectifs. Aucun député qui veut sérieusement tenir compte du réchauffement climatique ne peut l’approuver.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Je tiens à rétablir certaines vérités. Tout d’abord, je ne suis pas schizophrène. Membre habituel de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, je suis tout à fait à l’aise pour défendre cette proposition de loi, qui n’est nullement anticonstitutionnelle. C’est le jeu des oppositions systématiques que de tenter de caricaturer ce projet, qui reçoit l’adhésion de tout le territoire. Il n’est pas vrai que tous les agriculteurs y sont opposés, même si certains, comme on peut le comprendre, sont embêtés par les compensations. La dernière pétition contre le projet a réuni 600 signatures… sur 140 000 habitants du Chablais. La mobilisation des oppositions n’a pas du tout la force que vous dites.

M. Paul Molac (LIOT). Le premier responsable de la situation est Thonon Agglomération, qui n’a pas pris en compte le projet autoroutier dans ses documents d’urbanisme, alors que les services de la préfecture le lui avaient bien indiqué dès 2019. En 2021, l’agglomération a renoncé à la modification du PLUi visant à intégrer le projet d’A 412 afin d’engager une procédure d’évaluation environnementale, ce qui aurait permis au PLUi de voir le jour au plus tard en 2024. Ce refus de se conformer aux procédures régulières a fait perdre un temps précieux et conduit à une impasse. En effet, aujourd’hui, l’agglomération n’a plus le temps, ou presque, de réviser son PLUi.

À vous en croire, tout le monde est d’accord, mais je crois savoir – et sans doute le confirmerez-vous – que la mairie de Bons-en-Chablais, ville principale le long du tracé, a voté contre ce projet.

Dans le principe, il est choquant de voir la loi nationale venir dire d’en haut aux élus locaux que ce ne sont pas eux qui décident. Ce n’est pas du tout ma conception. Pour l’autonomiste que je suis, les élus locaux ont des responsabilités et des compétences, qu’ils appliquent et dont ils doivent répondre devant leurs électeurs. Cette procédure vient
court-circuiter tout ce cheminement en décidant à la place des parties prenantes.

Peut-être le projet est-il très bon – je me suis même laissé dire qu’il est un peu stupide d’avoir deux tronçons d’autoroute qui ne sont pas reliés – mais les élus locaux doivent faire leur boulot ! C’est leur responsabilité.

Nous avons eu le même débat à propos d’un amendement au projet de loi de finances qui visait à faire prendre en charge par la solidarité nationale les écoles de Marseille, qui n’étaient pas bien entretenues parce que la ville n’avait pas les dotations nécessaires. On croit rêver ! Il en va de même ici : l’État ne donne pas le pouvoir aux élus locaux, tout en leur disant ce qu’ils doivent faire, et passe par-dessus leur tête. Ce n’est pas, je le répète, ma conception des choses. Les procédures, même complexes, doivent être respectées. On nous fait légiférer sur un point qui, si important soit-il pour le Chablais, reste anecdotique. Une telle question relève-t-elle vraiment de la loi et doit-elle être examinée dans cet hémicycle ? Il y a là quelque chose qui ne va pas.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Il y en effet quelque chose qui ne va pas, mais nous sommes très loin de l’anecdotique.

Tout d’abord, je ne me permettrai pas de m’ériger en juge ni de désigner des coupables ou des responsables. On pourrait d’ailleurs y passer du temps sans trouver de réponse.

Je salue le professionnalisme des services de Thonon Agglomération, des communes associées à ce PLUi et des services de l’État, car ce dossier n’était pas facile. En effet, la communauté de communes qui avait été la première à élaborer un PLUi a ensuite fusionné avec Thonon Agglomération, ce qui a rebattu toutes les cartes dans un contexte politique, administratif et réglementaire complexe.

Enfin, je rappelle que nous parlons là d’un chaînon manquant de 16 kilomètres entre deux bouts d’autoroute.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous allons maintenant entendre les autres orateurs.

M. Hervé de Lépinau (RN). Vous nous confirmerez, Madame la rapporteure, que la question que vous nous posez aujourd’hui a bien été évoquée dans le cadre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. En effet, je m’étonne que notre commission des affaires économiques soit saisie de ce sujet.

M. le président Guillaume Kasbarian. Mme la rapporteure a rappelé qu’elle était habituellement membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Elle est aujourd’hui membre de la commission des affaires économiques pour rapporter ce texte. Le PLUi est une question d’urbanisme et notre règlement définit bien les questions de logement et d’urbanisme comme relevant de la compétence de la commission des affaires économiques, ce qui explique que ce texte nous ait été renvoyé : il ne s’agit pas d’une passion personnelle pour le PLUi du Bas-Chablais.

M. Hervé de Lépinau (RN). Ma question aura donc éclairé la lanterne de nombreuses personnes ici présentes. Il n’était vraiment pas naturel que notre commission se penche sur une autoroute.

J’en viens à ma question : cette démarche pourrait-elle être transposée dans la zone d’Orange, où un échangeur entre l’A 9 et l’A 7, qui serait très utile du point de vue de l’urbanisme, n’est toujours pas sorti des cartons ? (Sourires.)

M. René Pilato (LFI-NUPES). Nous venons d’avoir une illustration de ce qui risque de se produire si nous acceptons d’examiner ce texte : nous allons créer un précédent – ma circonscription de Charente, par exemple, a besoin d’un échangeur près de l’hôpital ! Nous risquons de mettre le doigt dans un mécanisme dangereux.

L’étude ayant été omise lors de la rédaction du PLUi, en 2020, on nous demande de combler la lacune. Je ne veux taxer personne d’incompétence, mais nous ne sommes pas là pour rattraper les bêtises, les fautes et les oublis de nos collègues et des élus locaux. L’exemple de l’échangeur d’Orange montre que nous serions entraînés vers une jurisprudence qui n’a pas sa place à l’Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Vigier (LR). Cette proposition de loi répond aux besoins d’un territoire enclavé et oublié du réseau routier national. Nous avons le devoir de désenclaver les territoires ruraux et les territoires de montagne pour renforcer leur attractivité. Comme vous l’avez dit, ce projet structurant bénéficie d’un soutien massif de la population, notamment des élus locaux, en raison de ses effets économiques et environnementaux. Nous devons être solidaires avec ce territoire et soutenir ce texte. En tant qu’élu et habitant de la montagne, je sais ce que signifie l’enclavement et connais ses conséquences en termes de mobilité.

Néanmoins, nous devons espérer que de tels textes, de portée locale, demeureront aussi rares que possible. Si nous devons traiter à l’Assemblée de tous les PLUi de France, nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! Nous devons être d’autant plus prudents que l’élaboration de documents d’urbanisme est très difficile, notamment dans le contexte du ZAN.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Élue, moi aussi, d’un territoire enclavé – la troisième circonscription de la Drôme, où se trouvent le Vercors et les Baronnies, avec 240 communes – je connais les difficultés des transports du quotidien. Julie Laernoes a rappelé à juste titre le renoncement aux mobilités provoqué par le tout-routier qui guide la politique des transports. Dans la Drôme, certains renoncent à des déplacements ! Les carburants sont trop chers, il faut payer la voiture, les services publics s’éloignent et tout le monde n’a pas le permis de conduire – qui est d’ailleurs, comme cela a été rappelé, un facteur d’inégalité de genre.

Cette proposition de loi ouvre une boîte de Pandore. Que ferons-nous lorsque chaque collectivité locale viendra nous interroger sur des projets d’urbanisme et de construction de nouveaux échangeurs routiers ?

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Monsieur de Lépinau, vous avez bien compris les singularités administratives et réglementaires de la situation : je ne pense pas que la proposition de loi puisse être transposée à Orange. Plus encore, elle doit rester tout à fait exceptionnelle. Il existe, je le répète, des précédents d'actes législatifs individuels validant des projets d'équipement – au moins quatre, dont le dernier remonte à 2006 : avons-nous eu, depuis, des demandes régulières de régularisation par la loi de documents d’urbanisme ? Non !

Faisons confiance au législateur que nous sommes quant à l’usage qu’il peut faire de sa faculté d’inscrire ou non de telles propositions de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée. Nous sommes assez éclairés pour le faire d’une manière adéquate. Il s’agit, et je le répète pour vous aussi, Monsieur Vigier, d’une situation exceptionnelle.

Madame Pochon, nous ne défendons pas le tout-routier. Peut-être est-ce le cas dans la Drôme, mais pas en Haute-Savoie ni à l’échelle du pays, où nous défendons aussi des mobilités alternatives et plus vertueuses. Nous voulons développer l’électrique. Nous voulons favoriser les parkings relais, pour éviter l’autosolisme.

La voiture ne doit pas être bannie absolument, car nous en avons besoin. Il faut en revanche savoir comment l’adapter pour qu’elle réponde aux besoins environnementaux.

Quant à ce que nous ferons, c’est simple : nous resterons vigilants et nous ne multiplierons pas à l’infini de telles situations.

 

 

Article unique : Mise en compatibilité du plan local d’urbanisme intercommunal du BasChablais avec une déclaration d’utilité publique antérieure

 

Amendements de suppression CE1 de Jean-François Coulomme et CE2 de Mme Julie Laernoes.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Pollution de l’air, artificialisation des sols, mise en péril d’espèces d’oiseaux protégés, ruban de bitume de 100 mètres de large sur 16 kilomètres, détournement de terres agricoles, perturbation du cycle de l’air, report modal du rail sur la route et affaiblissement de l’offre ferroviaire : un arc allant de l’extrême droite à la droite extrême s’apprête à voter une loi écocidaire. Vous ne pouvez pas vous plaindre des conséquences dont vous chérissez les causes ! Alors que nous connaissons parfaitement tous les enjeux environnementaux et climatiques actuels, nous allons voter une loi qui promeut l’exact contraire.

Ces dernières semaines, avec la loi sur les retraites et d’autres, les députés ont été de façon révoltante relégués à un rôle de consignateurs de la volonté macroniste, s’agissant de textes qui concernent tout le monde. Vous êtes dépossédés de votre droit de vote et convertis en supplétifs d’intérêts clientélistes locaux pour une loi ad hoc, improvisée, visant à soumettre notre Parlement à quelque chose de particulièrement trivial. Si nous avons un peu de dignité, nous devons nous opposer à un tel projet.

Vous voulez contourner la procédure et nous nous y opposons, car il existe des solutions alternatives. Le Léman Express, qui transporte aujourd’hui 70 000 passagers, peut encore monter en puissance, à condition de modifier, comme on sait le faire, la structure de ses voitures. L’agglomération genevoise elle-même voit d’un très mauvais œil cette loi et cette autoroute. Entendez-le et prenez vos responsabilités ! Soyez écologistes ou ne le soyez pas. Ici, les choses apparaissent au grand jour.

M. le président Guillaume Kasbarian. Sans parler du fond, car il est normal en démocratie que des positions divergentes s’expriment, je suis surpris du reproche de détournement de procédure. Je rappelle que cette proposition de loi sénatoriale a été présentée au bureau de notre commission et que tous les groupes, à l’exception du groupe Écologistes-NUPES, ont très clairement accepté de l’inscrire dans le temps transpartisan de l’Assemblée nationale. La procédure a bien été respectée. Évitons donc de parler de détournement de procédure.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). Cette proposition de loi est-elle classique ou singulière ? Vos propos prêtent en effet à une certaine confusion. Mon amendement CE2 vise à en supprimer l’article unique, qui n’a pas sa place dans nos débats. Nous ne devons pas contourner les procédures – car c’est bien de cela qu’il s’agit. De fait, l’élaboration d’un nouveau PLUi intégrant le projet autoroutier nécessiterait de nouvelles études d’impact environnemental, demandées par la MRAE. C’est précisément pour contourner cette obligation que vous recourez à la loi. C’est un moyen très dangereux, qui peut créer un précédent et qui est, du reste, anticonstitutionnel. Si vous pouvez, en 2023, alors qu’il existe des alternatives ferroviaires, juger qu’un projet autoroutier est d’intérêt général alors qu’il artificialise les sols et détruit tant la biodiversité que l’agriculture, c’est que nous ne vivons résolument pas à la même époque.

Cette proposition de loi nous fait outrepasser notre rôle de législateur. Au-delà de ses effets très importants sur la biodiversité, la destruction des zones humides est un véritable danger. Face à la menace de sécheresse, nous avons besoin du stockage des eaux, de l’épuration et de toutes les fonctionnalités écologiques que nous procure ce territoire, primordial en termes de résilience.

Nous n’avons pas besoin de construire une nouvelle autoroute, mais de préserver l’existant. C’est tout le sens du zéro artificialisation nette, et toutes celles et tous ceux qui sont attachés au vivant doivent en prendre conscience. Mais c’est normal : ce projet remonte à quarante ans, à une époque où la situation et la prise de conscience des enjeux environnementaux étaient différentes.

Ce texte exprime une vision dépassée de la mobilité. Ce n’est pas avec une nouvelle autoroute qu’on désenclavera un territoire. Plus de routes, c’est plus de voitures, c’est toujours démontré. Comment atteindre les objectifs de réduction des émissions d’une loi de programmation énergie-climat si vous soutenez de tels projets ?

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Je serai évidemment défavorable à ces deux amendements. Chers collègues, vous refaites l’histoire. Je doute que vous ayez lu le rapport dans son intégralité, car vos interventions dénotent une méconnaissance du dossier, notamment pour ce qui concerne les études environnementales. En effet, le rapport d’étude d’impact de 600 pages produit par le ministère de la transition écologique est tout à fait formel : les études ont été faites. Il ne s’agit donc nullement de contourner la réglementation et les exigences de la MRAE, mais de répondre de la manière la plus simple et la plus pertinente possible au problème qui se pose. Il n’y a pas d’alternative.

Vous dénoncez une suppression des enquêtes environnementales, mais une concertation publique a été tenue sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) en 2016, suivie d’une évaluation environnementale menée dans le cadre de la déclaration d’utilité publique) en 2019, et d’une autre, réalisée dans le cadre de la révision du SCoT en 2018. Une troisième évaluation a encore eu lieu en 2019 dans le cadre du PLUi. En outre, vous savez très bien qu’une nouvelle étude environnementale sera réalisée lorsque le projet sera attribué au concessionnaire. Il est donc tout à fait fallacieux de nous accuser d’éviter ces études. Ce sont là des arguments que je ne peux pas laisser passer.

Par ailleurs, il ne s’agit par de refaire toute l’histoire et d’instruire le procès d’un point de vue écologiste, mais, je le répète, d’aborder cette question en termes réglementaires, et non pas sur le fond. Vous dites que cette autoroute n’a pas de raison d’exister : venez dans ma circonscription, et vous constaterez qu’il n’est pas possible de faire autrement.

Enfin, le texte relatif au ZAN sera à l’étude la semaine prochaine et vous savez très bien que je suis, moi aussi, sensible à cette question. Il n’y a pour moi aucune contradiction dès lors qu’il s’agit ici de rectifier une erreur matérielle.

M. Antoine Armand (RE). En ce 7 juin, j’observe la vigilance toute nouvelle dont font preuve certains groupes en matière de respect des articles de la Constitution, et j’espère qu’elle durera jusqu’à demain.

Je ferai deux remarques. La première est que, comme vous, chers collègues, nous sommes des élus, et que l’insulte n’a aucune place dans cette commission. Vous nous traitez de « supplétifs clientélistes » ! Mesurez-vous le sens de ces propos et combien ils desserviront votre propre cause le jour où vous défendrez un amendement concernant votre territoire – et qui ne sera pas, je l’espère, pour vous opposer une nouvelle fois à la liaison Lyon-Turin ! L’insulte ne profitera à la qualité ni de nos débats, ni de leurs fruits.

Seconde remarque : vous êtes également opposés à la liaison Lyon-Turin, projet ferroviaire qui touche le même territoire. Je salue l’annonce faite hier par le ministre des transports, qui veut moderniser la ligne existante et réfléchir à de nouveaux accès pour décarboner et passer de la route au rail. Mais si on n’utilise ni la route, ni le rail, il faudra avoir de bons mollets !

M. Hervé de Lépinau (RN). Je suis opposé à ces amendements de suppression. Il est cocasse de voir les écologistes venir soudainement soutenir les éleveurs bovins, producteurs de lait pour le reblochon, alors qu’ils veulent supprimer le cheptel bovin au motif que les pets des vaches seraient particulièrement nuisibles à la biodiversité et à la couche d’ozone. Les contradictions ne vous étouffent pas, nous en prenons acte une fois de plus.

Une observation : bien que nous soyons majoritairement favorables à ce que cette infrastructure sorte enfin des cartons, il sera intéressant de procéder à un audit administratif et juridique global du dossier afin d’identifier l’erreur qui a conduit à ce que notre assemblée soit saisie de cette question.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Le terme de supplétifs d’intérêts partisans ou particuliers est un qualificatif politique. Ne le prenez donc pas si mal, ce n’est pas une injure.

Quant au Lyon-Turin, nous sommes favorables au report modal immédiat sur cette ligne, et non pas à l’horizon de trente ans fixé par le projet actuel. Nous sommes donc beaucoup plus vigilants et cohérents que vous pour l’avenir du fret ferroviaire.

Du reste, le Conseil d’orientation des infrastructures a lui-même souligné que ce projet ne se justifiait pas car nous disposons déjà de transports collectifs capables de subvenir aux besoins de mobilité dans le secteur du Bas-Chablais.

Enfin, je trouve étonnant que toute la droite se réjouisse de contourner la consultation locale.

Mme Virginie Duby-Muller (LR). Nous ne souscrivons évidemment pas à ces amendements de suppression. Les propos démagogiques de M. Coulomme à propos de la route illustrent notre désaccord profond sur ce point. Les habitants de la Haute-Savoie ont toujours besoin de leur voiture car ce département compte encore des territoires à désenclaver, et le maillon que nous examinons aujourd’hui est essentiel.

L’hostilité de Genève au projet est un fait. Toutefois, le recours déposé par les villes de Genève et Carouge, épaulées par vos collègues d’Europe Écologie Les Verts, a été perdu, car le Conseil d’État a reconnu que cette infrastructure était d’intérêt public.

Enfin, le tracé a été décidé, à la suite de nombreuses études d’impact, en vue d’avoir le moins d’impact possible sur l’environnement. Le meilleur compromis a été trouvé avec un tracé qui s’écarte des zones habitées, reste en lisière du massif des Planbois pour épargner la forêt, évite au maximum les emprises sur les domaines agricoles, très présents sur ce territoire, et sur les zones naturelles humides et ruisseaux sensibles, et évite enfin les grands marais de Margencel, qui relèvent du réseau Natura 2000.

M. Romain Daubié (Dem). Je remercie M. Coulomme pour la caricature qu’il vient de présenter et qui nous a fait passer un bon moment. Nous avons cependant des questions sérieuses à traiter et devons soutenir un territoire qui en a besoin pour son développement. Je regrette que les électeurs de la quatrième circonscription de Savoie n’aient pas découvert les talents et les compétences dont notre collègue vient de faire la démonstration avant le deuxième tour des élections législatives de l’an dernier.

M. Thierry Benoit (HOR). Comme l’a indiqué M. Luc Lamirault, le groupe Horizons soutiendra cette proposition de loi. Je suis naturellement sensible aux arguments du groupe Écologistes-NUPES relatifs à l’artificialisation, à la préservation des zones humides et de la ressource en eau et aux transports alternatifs pour les habitants comme pour les marchandises. Mais le débat est le même partout en France : lorsqu’on parle d’infrastructures routières en 2023, on est à contretemps.

Reconnaissons toutefois que certains territoires, métropolitains ou ultramarins, souvent des villes moyennes ou des territoires ruraux, n’ont pas totalement achevé leur désenclavement, tandis que les métropoles se sont bien servies en foncier, tant pour les infrastructures que pour l’urbanisme commercial ou pour l’habitat. Il est bon que le législateur joue un rôle de recours pour appuyer les élus territoriaux.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). Mme la rapporteure a tenu des propos erronés en matière de droit environnemental. En effet, dans le cadre de l’enquête publique sur le projet de PLUi, la MRAE a alerté la collectivité dès 2019, l’invitant à prendre en compte l’importante consommation d’espace par les projets structurants de mobilité à venir, ce qu’elle n’a pas fait. Pour corriger le tir, l’agglomération a adressé en 2021 une demande de modification du PLUi à l’autorité environnementale. Le couperet est alors tombé : la MRAE a jugé que l’inscription du faisceau autoroutier était susceptible d’impacts notables négatifs sur les continuités écologiques, les milieux naturels, la biodiversité, le paysage, l’air et le taux d’imperméabilisation des sols, sans démontrer une réduction suffisante des incidences sur l’environnement et la santé. Elle imposait donc la réalisation d’une évaluation environnementale à l’échelle du PLUi et réitérait cette demande quelque mois plus tard.

Pour la collectivité, cette nouvelle évaluation aurait une double conséquence : la mise en œuvre des travaux prendrait du retard et les conclusions de l’évaluation pourraient remettre en cause l’équilibre même de ce projet d’un autre temps. Le coût de ce dernier, estimé à 200 millions d’euros selon la CNDP, pourrait être beaucoup plus élevé en prenant réellement en compte les impacts environnementaux, ce qui invite à le remettre en cause.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Si l’on devait aujourd’hui ouvrir un dossier d’autoroute, nous n’y serions pas favorables. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit : la question que nous traitons est réglementaire. Vous évoquez un projet d’un autre temps, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit de répondre à une nécessité de désenclavement.

Monsieur de Lépinau, nous n’irons pas chercher à qui revient la responsabilité de ce recours à la loi. Les auditions auxquelles nous avons procédé ont montré que nous sommes face à une situation très complexe sur le plan réglementaire, juridique et législatif. J’ai salué le travail des services impliqués, car chacun est de bonne foi et a cru bien faire. Il n’y a jamais eu d’intention manifeste de détourner la procédure en évitant des enquêtes environnementales, car ces enquêtes figurent déjà dans le rapport de présentation et le Padd. Il est peu probable que les résultats changeraient aujourd’hui. En tout état de cause, une enquête environnementale sera menée dès lors que le concessionnaire sera désigné. Par ailleurs, les recours ont été totalement purgés.

Enfin, ce n’est pas du tout parce que j’avais honte de soutenir cette proposition que je n’ai pas pris la parole lors de la manifestation. Je défends des arguments écologiques et environnementaux, mais je défends aussi un territoire qui a besoin de cette infrastructure et qui en retirera des bénéfices en termes de santé-environnement. Vous ne m’avez pas entendue à cet égard : consultez les études consacrées aux bouchons.

Pour conclure, je remercie ceux qui ont compris l’essence même de cette proposition de loi et je salue le travail effectué par tous les élus sur le territoire pour parvenir à ce texte.

La commission rejette les amendements.

 

Elle adopte l’article unique non modifié.

 

 

Titre

 

Amendement CE3 de Mme Julie Laernoes.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). Il faut nommer les choses pour ce qu’elles sont : il ne s’agit pas ici de régulariser le PLUi de la communauté de communes du
Bas-Chablais, mais de contourner le droit de l’urbanisme pour procéder à cette régularisation.

Cette proposition de loi est honteuse. Le vote qui vient d’avoir lieu démontre que, sans écologistes, il n’y a pas d’écologie. Ce projet nocif pour notre avenir ne désenclavera pas le territoire et contribuera à accroître les émissions de gaz à effet de serre, à dégrader la qualité de l’air pour tous nos concitoyens sur ce territoire, à artificialiser les sols, et à faire disparaître des agriculteurs et des exploitations.

Je rappelle à ce propos, à l’intention du Rassemblement national, qui ne comprend décidément rien à l’écologie, que les écologistes ont toujours été de fervents défenseurs d’une agriculture extensive, essentielle pour le maintien en bon état écologique des bocages humides. Ce n’est donc pas un hasard si nous sommes opposés à un projet qui touche des milieux naturels et humides essentiels, où l’élevage extensif est particulièrement important. Ce projet détruira aussi des exploitations laitières alors que l’agriculture, comme la biodiversité, a besoin de soutien.

Mme Anne-Cécile Violland, rapporteure. Avis défavorable. Nous avons déjà largement démontré qu’il s’agit d’une régularisation.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). En plus de tout le reste, l’intérêt général local invoqué pour défendre ce projet d’autoroute – bien que la commune d’Allinges ait demandé la réouverture de sa gare, pour accéder au transport ferroviaire – sera confié à un concessionnaire privé. Ce sont donc des actionnaires qui s’enrichiront du fait des problèmes de transport. Par ailleurs, je vous invite tous à aller sur place vous faire une idée du gâchis que provoquera ce projet : face à un ruban en bitume, lequel est un produit pétrolier, de 100 mètres de large et 16 kilomètres de long, vos arguments écologistes ne tiennent pas.

M. Antoine Armand (RE). Les études environnementales sont assez riches pour ne pas souffrir de ces caricatures. La notion de zéro artificialisation s’entend comme « nette », et lorsque les collectivités choisissent d’inclure un tel projet dans ce cadre, c’est en conscience et en responsabilité. Vous devriez chers collègues, vous interroger d’un point de vue social : ce projet est porté par l’ensemble des collectivités élues au suffrage universel direct.

La commission rejette l’amendement.

 

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adoptée.

 

 

 

 


—  1  —

   liste des personnes auditionnÉES

(par ordre chronologique)

Table ronde des élus en place à l’époque de la prescription du PLUi :

M. Jean Denais, ancien maire de Thonon-les-Bains

M. Joseph Déage, maire du Lyaud

M. Jean Neury, ancien président de la communauté de communes du Bas‑Chablais

Syndicat intercommunal d’aménagement du Chablais

Mme Géraldine Plfieger, présidente, maire de Saint-Gingolph

M. Christophe Mutillod, vice-président du développement multimodal

Conseil départemental de la Haute-Savoie

M. Nicolas Rubin, premier vice-président, président de l’association des maires de la Haute Savoie (ADM 74)

Services centraux et déconcentrés du ministère de la transition écologique

Direction des affaires juridiques

M. Olivier Fuchs, directeur

Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités

M. Fabien Balderelli, sous-directeur des financements innovants et du contrôle des concessions autoroutières

Préfecture de Haute-Savoie

M. Emmanuel Coquand, sous-préfet de Thonon-les-Bains

M. Julien Langlet, directeur départemental des territoires

Conseil départemental de la Haute-Savoie

M. Martial Saddier, président

Thonon Agglomération

M. Christophe Arminjon, maire de Thonon-les-Bains, président

M. Christophe Songeon, maire de Ballaison, premier vice-président

M. Cyril Demolis, maire de Sciez, vice-président

M. Lionel Boulens, directeur général des services

M. Thomas Laroche, responsable du service de l’urbanisme

 

Collectif « Oui au désenclavement du Chablais »

M. Jacques Faudot, président

M. Noël Cottet-Dumoulin, trésorier, ancien président

Mouvement des entreprises de France Auvergne-Rhône-Alpes *

M. Jean-Luc Raunicher, président du Medef Haute-Savoie, président du Medef Auvergne‑Rhône-Alpes

M. Christophe Coriou, délégué général du Medef Haute-Savoie

Table ronde des élus des communes concernées :

M. Michel Burgnard, maire de Brenthonne

M. Patrick Condevaux, maire de Fessy

M. François Deville, maire d’Allinges

M. Olivier Jacquier, maire de Bons-en-Chablais

Commission nationale du débat public

Mme Isabelle Barthe, garante de la concertation publique de la liaison Thonon‑Machilly

France Nature Environnement *

Mme Anne Lassman-Trappier, présidente de France Nature Environnement Haute‑Savoie et membre du réseau « Transports et mobilité durables » de FNE

Mme Geneviève Laferrère, pilote du réseau national « Territoires et mobilités durables » de FNE, membre du conseil d’orientation des infrastructures

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.


([1]) Commission nationale du débat public, rapport de la garante, Isabelle Barthe, « Projet de liaison autoroutière concédée entre Machilly et Thonon-les-Bains », 2016, page 6.

([2]) SCoT du Chablais, projet d’aménagement et de développement durables, page 1.

([3]) Commission nationale du débat public, rapport de la garante, Isabelle Barthe, « Projet de liaison autoroutière concédée entre Machilly et Thonon-les-Bains », 2016, page 14.  

([4]) L’A40 relie les villes de Mâcon (Saône-et-Loire) et Saint-Gervais (Haute-Savoie), en passant par Genève‑Annemasse. Elle fait partie du réseau dit Route Centre-Europe Atlantique (RCEA), devenant après Saint-Gervais la N 205, qui permet de relier l’Italie par le tunnel du Mont-Blanc.

([5]) Comme le constate le rapport du COI en janvier 2023, « L’État a décidé depuis 2010 qu’il ne subventionnerait pas le projet, qui repose sur une concession. Il est estimé à 213 M€, dont 115 M€ de subvention d’équilibre publique, qui serait apportée en totalité par le département de Haute-Savoie. »

([6]) Ministère de la transition écologique et SNCF Réseau, étude d’impact, partie A, « Description du projet et état initial de l’environnement », 311 pages ; partie B, « Impacts et mesures », 299 pages.

([7]) Plus largement, au-delà du tracé de l’autoroute, le territoire du PLUi  est concerné par quatre arrêtés préfectoraux de protection de biotope (APB), quatre sites Natura 2000, dix-neuf Znieff de type I et cinq Znieff de type II . Le territoire compte également de très nombreuses tourbières et zones humides, dont la zone humide d’importance internationale découlant de la convention de Ramsar « Rives du Lac Léman ». Le géoparc Chablais Unesco comprend le territoire du PLUi du Bas-Chablais, sur lequel le géosite du marais de Chilly est recensé.

([8]) Conseil d’État, 10ème et 9ème chambres réunies, 30 décembre 2021, n° 438686.

([9]) SCoT du Chablais, projet d’aménagement et de développement durables, page 5.

([10]) Conseil d’État, 10ème et 9ème chambres réunies, 30 décembre 2021, n° 438686.

([11]) Par opposition à la DUP « réserve foncière », utilisée lorsqu’une expropriation est requise pour acquérir des immeubles nécessaires à la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’urbanisme importante et alors même que le projet de cette opération n’a pas encore été défini (article L. 221-1 du code de l’urbanisme).

([12]) Conseil d’État, 27 juillet 2015, n° 370454.

([13]) Par une demande du 6 août 2021, enregistrée sous le n° 2021-AR-2357, Thonon Agglomération a demandé si le projet de modification simplifiée n° 1 du PLUi est soumis à évaluation environnementale ; par une décision n° 2021/2021-ARA-KKU-2357 du 5 octobre 2021, la MRAE ARA, après examen au cas par cas en application de l’article R. 104-28 du code de l’urbanisme, a répondu par l’affirmative (article 1er).

([14]) Par un courrier électronique du 5 novembre 2021, enregistré sous le n° 2021-ARA-2489, Thonon Agglomération a formé un recours contre la décision ; par une décision n° 2021/2021-ARA-KKU-2489 du 21 décembre 2021 sur le recours ainsi présenté, la MRAE ARA a décidé de maintenir sa première décision (article 1er). Thonon Agglomération a choisi de ne pas exercer son droit de recours contentieux dans le délai de deux mois suivant la notification de la décision du 21 décembre 2021.

([15]) Article L. 122-4 du code de l’environnement.

([16]) Au niveau territorial, la fonction d’autorité environnementale est exercée par la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD). Au niveau national, elle est exercée par la formation d’autorité environnementale de l’IGEDD.

([17]) Articles L. 122-4 du code de l’environnement et L. 104-1 du code de l’urbanisme.

([18]) Articles R. 104-9 et R. 104-13 du code de l’urbanisme.

([19]) Ce cas de figure et le suivant sont définis par rapport à la révision qui emporterait de tels effets, comme le prévoit l’article L. 153-31 du code de l’urbanisme.

([20])  Conseil d’État, 10ème et 9ème chambres réunies, 30 décembre 2021, n° 438686.

([21])  Conseil d’État, 10ème et 9ème chambres réunies, 30 décembre 2021, n° 438686.

([22]) Les « documents figurant à l’annexe 4 » comportent les indications écrites et graphiques précises indiquant les modifications apportées pour la mise en compatibilité de chaque document d’urbanisme : ils sont disponibles sur la page consacrée à la DUP.