N° 1440

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 juin 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,

 

d’orientation et de programmation du ministère de la justice 20232027

PAR MM. Jean TERLIER, Erwan BALANANT, Philippe PRADAL

Députés

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AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES

PAR MME Perrine GOULET

Députée

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TOME II

COMPTES RENDUS

 

 Voir les numéros :

 Sénat :  569, 660, 661 et T.A. 129 (20222023).

 Assemblée nationale :  1346.


 


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Pages

TRAVAUX DE LA COMMISSION DES LOIS

I. Audition de M. ÉRIC Dupond-moretti, garde des sceaux, ministre de la JUSTICE, ET discussion générale

Réunion du mercredi 14 juin 2023

II. Examen DES ARTICLES

Première réunion du mercredi 21 juin 2023 à 9 heures

Deuxième réunion du mercredi 21 juin 2023 à 14 heures 30

Troisième réunion du mercredi 21 juin 2023 à 21 heures

Première réunion du jeudi 22 juin 2023 à 9 heures

Deuxième réunion du jeudi 22 juin 2023 à 14 heures 30

travaux de la commission des finances saisie pour avis

Première réunion du mardi 20 juin 2023 à 14 heures

Deuxième réunion du mardi 20 juin 2023 à 17 heures 30

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION DES LOIS

I.   Audition de M. ÉRIC Dupond-moretti, garde des sceaux, ministre de la JUSTICE, ET discussion générale

Réunion du mercredi 14 juin 2023

Lien vidéo : https://assnat.fr/Pkqw6Z

Lors de sa réunion du mercredi 14 juin 2023 à 14 heures 30, la Commission des Lois auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et procède à la discussion générale, sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, d’orientation et de programmation du ministère de la Justice (n° 1346) (M. Jean Terlier, rapporteur général, MM. Erwan Balanant et Philippe Pradal, rapporteurs) et sur le  projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (n° 1345) (M. Didier Paris, rapporteur).

M. le président Sacha Houlié. Nous avons le plaisir d’accueillir M. le ministre de la justice, garde des Sceaux, pour la discussion générale du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire. Ces textes ont été discutés la semaine dernière au Sénat, qui les a solennellement adoptés hier.

Toutefois, nous ne découvrons pas ces projets de loi, lesquels sont la concrétisation des États généraux de la justice, qui se sont tenus entre octobre 2021 et avril 2022, dont les conclusions ont été remises au Président de la République au mois de juillet dernier.

Sur cette base, particulièrement riche, et à l’issue d’une consultation organisée par le ministère de la justice, vous avez annoncé au début de l’année, monsieur le ministre, des orientations ; nous examinons ici celles qui ont un caractère législatif. Vous avez déjà présenté, notamment au rapporteur et à moi-même, des projets de décrets relatifs à la procédure civile, portant sur la césure et sur le règlement amiable des conflits. Peut-être pourrez-vous, à cette occasion, nous dire un mot des mesures ne relevant pas de l’ordre législatif et qui sont déjà mises en œuvre ou prévues pour les semaines et les mois à venir.

Nous avons déjà évoqué ce contexte en débattant de la programmation budgétaire à l’occasion du premier projet de loi de finances de l’année, qui a été discuté tant en commission que dans l’hémicycle et qui a été adopté. Nous avions alors plaisanté – mais c’était plus qu’une plaisanterie – sur le fait que le « plus » est différent du « moins », ce qui dit beaucoup de l’ambition du texte, notamment pour ce qui est de sa programmation budgétaire, qui prévoit un montant de 7,5 milliards d’euros supplémentaires. Les crédits du ministère ont déjà augmenté de 32 % depuis 2017, avec une nouvelle hausse de 21 % entre 2023 et 2027, pour atteindre un budget inégalé de 11 milliards qui prévoyait, avant les modifications apportées par le Sénat, le recrutement d’environ 1 500 magistrats et 1 500 greffiers d’ici à 2027, soit autant de magistrats recrutés en cinq ans que durant les vingt dernières années.

Nos collègues sénateurs ont également avancé sur la refonte du code de procédure pénale à droit constant, l’entourant de quelques garanties que vous pourrez nous présenter. Enfin, le texte visant, outre les magistrats judiciaires, les magistrats administratifs, peut-être pourrez-vous nous parler aussi des quelques mesures qui les concernent. De fait, toute la grande famille du ministère de la justice bénéficiera de ces lois d’orientation.

Je n’entrerai pas plus loin dans le détail, laissant ce soin à nos rapporteurs, M. Jean Terlier, rapporteur général, MM. Erwan Balanant et Philippe Pradal, rapporteurs de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, et M. Didier Paris, rapporteur de la loi organique.

Avant de leur donner la parole, je vous laisse, monsieur le ministre, nous présenter les principales dispositions de ce projet de loi.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. Je suis heureux de revenir devant votre commission, après mon audition du 10 janvier dernier, où je vous avais longuement présenté l’ensemble du plan d’action issu des États généraux de la justice. Je vous avais alors annoncé une loi de programmation et son volet organique. Alors que le Sénat les a adoptés hier après-midi, c’est désormais au tour de votre commission d’examiner ces deux textes, qui traduisent, comme je l’ai déjà dit, l’ambition de tourner la page du délabrement de la justice, comme s’y étaient engagés le Président de la République et la Première ministre.

L’objectif est simple : je veux diviser par deux l’ensemble des délais de justice d’ici à 2027. Notre priorité absolue est de donner à la justice les moyens d’être à la hauteur de sa mission. L’article 1er de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice vous propose ainsi d’entériner une hausse inédite des crédits de la justice, qui atteindront près de 11 milliards d’euros en 2027. En cumul sur le quinquennat, les crédits de justice augmenteront de près de 7,5 milliards. À titre de comparaison, l’augmentation n’a été que de 2 milliards durant le quinquennat du président Sarkozy et de 2,1 milliards durant celui du président Hollande. Ces crédits massifs sont la poursuite des précédents budgets, déjà historiques, et je tiens à saluer à cet égard le travail de vos deux collègues rapporteurs pour avis, Mme Sarah Tanzilli et M. Éric Poulliat.

Concrètement, ces crédits massifs supplémentaires poursuivent quatre objectifs, qui embrassent de manière globale les enjeux d’efficacité du service public de la justice.

Le premier objectif, la première de toutes les batailles, est le recrutement massif et rapide de magistrats, de greffiers, d’attachés de justice, d’agents pénitentiaires et d’agents administratifs – en un mot, de tous ceux qui font vivre le ministère de la justice. Pour graver cela dans le marbre, j’ai voulu inscrire dans une loi le recrutement de 10 000 personnels supplémentaires, en création nette de postes, d’ici à 2027. Ces 1 500 magistrats, c’est, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, autant sur les cinq prochaines années que durant les vingt dernières. S’y ajouteront au moins 1 500 greffiers.

Deuxième objectif : la revalorisation de ceux qui servent notre justice au quotidien. Soyons clairs : on ne peut pas annoncer d’un côté le plus grand plan d’embauche de l’histoire de la justice et, de l’autre, ne rien faire pour attirer nos compatriotes vers ces missions certes passionnantes, mais assez difficiles. La loi de programmation entérine donc d’importantes revalorisations des métiers judiciaires, dont une hausse de 1 000 euros mensuels pour les magistrats, qui sera effective dès cet automne, pour récompenser et encourager leur engagement quotidien. Elle prévoit aussi une revalorisation de la rémunération des greffiers – sans lesquels la justice ne pourrait pas fonctionner – qui sera effectuée suivant un calendrier dédié de négociations d’ici à l’automne. Elle comprendra également le passage historique, réclamé par les syndicats depuis vingt ans, des agents pénitentiaires de la catégorie C vers la catégorie B et, pour les officiers, de la catégorie B vers la catégorie A. Il était grand temps de reconnaître le rôle indispensable des personnels de la troisième force de sécurité intérieure de notre pays. Je suis fier non seulement d’être leur ministre, mais aussi d’avoir amélioré leur place dans la fonction publique.

Troisième objectif de ces nouveaux crédits : mener enfin à bien la transformation numérique du ministère de la justice, qui a longtemps péché en la matière. Les magistrats et les greffiers de terrain nous disent qu’ils sont souvent freinés par une informatique et un réseau qui ne sont pas à la hauteur. Le but est clair : à l’instar de la juridiction administrative, il faut instaurer le zéro papier à l’horizon 2027. Pour cela, nous avons une méthode.

D’abord, nous dotons toutes les juridictions de techniciens informatiques dédiés qui pourront agir au plus près du terrain, avec le savoir-faire requis, en cas de bug informatique. Nous augmentons massivement la capacité des réseaux du ministère, afin de fluidifier les connexions. À terme, l’objectif est aussi que chacun puisse disposer d’un seul compte utilisateur permettant d’accéder à toutes les applications informatiques avec un seul mot de passe. Les greffiers savent de quoi je parle, car ils se plaignent – et bien légitimement – du temps infini qu’ils perdent à répéter sans cesse la saisie des identifiants.

Nous allons accélérer la mise à jour, concertée avec le terrain, des logiciels utilisés en matière civile, comme Portalis, et en matière pénale. Cette loi de programmation accélérera le déploiement déjà en cours de la procédure pénale numérique, en lien bien sûr avec le ministère de l’intérieur et avec un chef de file unique, d’ailleurs issu de la chancellerie.

La transformation numérique de la justice doit également se faire en direction de ceux qu’elle sert : les justiciables. J’ai annoncé en janvier dernier le lancement d’une application pour smartphone regroupant des fonctionnalités importantes. Elle est disponible depuis fin avril, dans une version qui permet déjà, par exemple, de savoir si vous êtes ou non éligible au bénéfice de l’aide juridictionnelle, ou de simuler le montant d’une pension alimentaire. Cette application, dénommée « justice.fr » et destinée à mettre la justice « à portée de doigts », qui a déjà été téléchargée plusieurs dizaines de milliers de fois et que je vous encourage chaleureusement à télécharger vous aussi, offrira de nouvelles fonctionnalités, au gré des mises à jour qui lui sont apportées.

La quatrième et dernière priorité concerne le programme immobilier du ministère de la justice, avec d’abord la construction de tribunaux. En effet, l’arrivée des 1 500 magistrats, des 1 500 greffiers et des nombreux attachés de justice nécessitera une augmentation et une rénovation massives du parc judiciaire. Comme je l’ai dit au Sénat, la question ne sera pas de savoir si la justice recrutera massivement, mais surtout si elle réussira à accueillir ces nouveaux recrutements massifs. Nous avons donc une vision globale, afin d’investir massivement dans les tribunaux de demain, pour actionner tous les leviers qui permettent d’améliorer les conditions de travail de ceux qui servent la justice car, en bout de chaîne, c’est le justiciable qui doit bénéficier pleinement de ces améliorations. Concrètement, ici à d’2027, nous engagerons plus de quarante opérations de restructuration et de rénovation de tribunaux de cours d’appel.

Le programme immobilier pénitentiaire, quant à lui, avance sûrement, malgré de nombreux freins. Je pense, bien sûr, à la crise sanitaire qui, même si elle est derrière nous, a eu un impact durable sur les chantiers, et à la guerre en Ukraine, qui a réduit drastiquement l’accès aux matières premières. Je pense aussi, je dois le dire, aux réticences des riverains et, souvent, de leurs élus, qui sont un important facteur de retard dans la construction du plan 15 000. Comme je l’ai déjà dit devant vous, il arrive souvent que ceux qui réclament plus de fermeté soient les premiers à refuser l’implantation d’une prison près de chez eux, avec toujours de très bons arguments. Il arrive même parfois qu’un élu avec lequel nous nous sommes étroitement concertés nous donne son accord, mais le retire finalement, après son officialisation. Je ne suis pas un délateur et je ne donnerai pas de noms.

Notre engagement est clair et le cap est fixé : nous construirons 15 000 places de prison supplémentaires d’ici à 2027. Il y va tout d’abord de la bonne application de ma politique pénale, qui est sans ambiguïté : fermeté sans démagogie et humanisme sans angélisme. Il y va aussi des conditions de détention, qui sont parfois indignes. Il n’est nul besoin d’un énième rapport pour en prendre conscience et, pour avoir fait le tour des prisons depuis près de quarante ans, d’abord en tant qu’avocat, puis comme ministre, je connais la dégradation de certains établissements. Cependant, je n’ai pas de baguette magique. J’ai seulement une volonté politique. Mais celle-ci est forte, avec des leviers d’action réalistes et des moyens inédits, ce qui vaut parfois mieux que des « y a qu’à » et des « faut qu’on » prononcés avec légèreté.

J’attendrai avec intérêt les conclusions de la mission d’information menée par vos collègues Caroline Abadie et Elsa Faucillon sur cette question, qui mérite un travail d’expertise précis. Les conditions indignes de détention sont en effet une véritable préoccupation, en particulier dans une grande démocratie comme la nôtre, et j’ai d’ailleurs soutenu avec force votre proposition de loi, monsieur le président, qui a permis de créer un recours contre ces conditions.

Cependant, en matière pénitentiaire comme en matière pénale, il faut se méfier des solutions toutes faites, clés en main, magiques. La construction de prisons est la solution la plus lente, mais la plus sûre. J’ai déjà pu en parler avec certains d’entre vous et je suis ouvert à ce que nous travaillions ensemble à des mesures d’accompagnement pour les communes qui acceptent d’accueillir une prison. Parallèlement aux constructions, nous investissons massivement dans les rénovations, avec près de 130 millions d’euros par an, soit près de deux fois plus que durant le quinquennat du président Hollande.

Le président Sauvé a eu raison de dire, lors de la remise de son rapport au Président de la République, que tout ne se résume pas à la question des moyens. Je vous propose donc une série de mesures destinées à réformer en profondeur l’institution, sans pour autant la déstabiliser.

L’une des innovations de ce projet de loi de réforme de la justice est d’associer aux réformes les moyens nécessaires pour les appliquer concrètement. Cette coordination entre moyens nouveaux et réforme nouvelle poursuit l’objectif de diviser par deux, au civil comme au pénal, les délais d’une justice que les Français trouvent trop lente – c’est la première chose qu’ils ont exprimée lorsqu’ils ont eu la parole dans un exercice démocratique inédit, qui a suscité un million de contributions citoyennes. Il faut nous attaquer à cette lenteur.

Le premier axe de réforme est celui de l’amélioration de l’organisation de la justice, selon une approche déconcentrée, innovante et pragmatique. Je souhaite en effet accélérer la déconcentration du ministère de la justice, en laissant davantage d’autonomie aux juridictions dans leur administration. Le ministère de la justice est l’un des rares à n’avoir pas su – voire pas voulu – prendre le virage de la déconcentration. Nous devons aller beaucoup plus loin en faisant confiance aux chefs de cour et chefs de juridiction. Tout ne doit plus remonter à l’administration centrale et il nous faut plus de fluidité. Cette nouvelle étape, qui relève en grande partie du niveau réglementaire, sera mise en œuvre d’ici à l’automne – c’est là, monsieur le président, une réponse à la question que vous me posiez. Monsieur le rapporteur Balanant, j’ai souhaité inscrire cette orientation claire dans le rapport annexé, car une organisation plus efficace de la justice, ce sont aussi des moyens mieux employés, au plus près des professionnels et des justiciables. Monsieur le président, je vous ferai parvenir à l’été, ainsi qu’aux membres de votre commission, un projet de décret en la matière.

L’amélioration de l’organisation des juridictions passe aussi par des expérimentations innovantes pour améliorer concrètement le service rendu aux justiciables. C’est ce que nous proposons avec l’expérimentation d’un véritable tribunal des activités économiques (TAE), car l’organisation actuelle des juridictions commerciales manque, à l’évidence, de lisibilité pour les justiciables et pour les différents acteurs. Cette disposition a été passée au peigne fin par le Conseil d’État et le texte que nous proposions était le fruit d’un savant compromis : d’une part, les baux commerciaux, sauf exception, et les professions du droit restaient dans le giron du tribunal judiciaire ; d’autre part, tous les acteurs économiques – agriculteurs, professions médicales et paramédicales, associations – basculaient vers le TAE expérimental.

Les craintes exprimées, de manière d’ailleurs différenciée, par le monde agricole ont conduit le Sénat à modifier les équilibres envisagés. Ces modifications sont intéressantes, mais elles engendrent des effets de bord qui fragilisent, selon moi, les conditions de notre expérimentation. Il faudra donc que nous puissions travailler ensemble cette disposition, avec le rapporteur Pradal, pour rétablir certains équilibres tout en prenant en compte les inquiétudes qui se sont exprimées.

Je vous propose également d’expérimenter une contribution économique, comme cela se pratique dans divers pays européens, afin notamment de lutter contre les recours abusifs et d’inciter à l’amiable. Cette contribution permettra également de bénéficier d’un effet de marque. Souvent, en effet, dans le monde économique, aussi incompréhensible cela soit-il, ce qui est gratuit est perçu comme étant de moindre qualité. Cette contribution tiendra évidemment compte de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande. À la suite des débats au Sénat et en concertation étroite avec le rapporteur Pradal, je vous proposerai de travailler à exclure encore plus clairement les petites entreprises de cette contribution.

Une amélioration de l’organisation de nos juridictions doit aussi être opérée dans les politiques pénales prioritaires – je pense, bien sûr, à la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF), avec la création des pôles spécialisés VIF, conformément au rapport de très grande qualité rendu par Mme Émilie Chandler, que je tiens à saluer chaleureusement, ainsi que la sénatrice Dominique Vérien, avec qui elle a longuement travaillé. Cette nouvelle organisation est désormais inscrite dans le rapport annexé, et sera traduite dans le code de l’organisation judiciaire par un décret qui vous sera transmis et pris à l’été. Un travail de coconstruction avec les écologistes du Sénat nous a permis d’inscrire dans le texte l’entrée en vigueur de ce dispositif dès janvier 2024.

Le deuxième axe est celui de la modernisation des ressources humaines – magistrats et fonctionnaires de la chancellerie. Comme je l’ai déjà dit, je veux activer tous les leviers à notre disposition pour nous assurer que, non seulement le plan de recrutement sera réalisé, mais surtout qu’il correspondra aux besoins du terrain. Cette modernisation implique d’abord une adaptation de ces ressources à la réalité d’aujourd’hui, notamment à la diversification des fonctions. Je pense par exemple au travail formidable réalisé par les contractuels dans toutes nos juridictions. Je sais, monsieur le rapporteur Terlier, que vous avez suivi depuis 2021 l’impact de ces recrutements de contractuels, dont vous appeliez d’ailleurs de vos vœux la pérennisation, comme du reste les chefs de juridiction et les chefs de cour. De fait, nous étions partis de l’idée simple que ces contractuels pouvaient être une bouffée d’oxygène pour nos magistrats et nos greffiers, mais de très nombreuses critiques se sont exprimées – c’était, au mieux, de la circonspection. Toujours est-il qu’à la fin de cette nécessaire adaptation, les chefs de juridiction m’ont demandé la pérennisation de ces contractuels, dont le recrutement et l’engagement auprès des magistrats et des greffiers ont permis de réduire les stocks de près de 30 % dans les juridictions, pour la première fois dans l’histoire de notre justice. D’une manière très pragmatique, moins de stocks, c’est évidemment moins d’attente pour nos concitoyens, qui trouvent, je l’ai déjà dit, que notre justice est trop lente.

C’est pourquoi, en plus des recrutements massifs de magistrats et de greffiers, la loi de programmation vous propose non seulement de pérenniser ces emplois en les CDIsant, mais également de les institutionnaliser en créant la fonction d’attaché de justice. Ces attachés de justice recevront une formation à l’École nationale de la magistrature (ENM) et prêteront serment. Ils viendront ainsi compléter et constituer, avec les greffiers, une véritable équipe autour du magistrat, ce qui sera une petite révolution au sein de la justice.

C’est cette même impulsion que nous souhaitons donner à l’administration pénitentiaire avec la possibilité de recruter des surveillants adjoints par voie contractuelle. Ce mécanisme a fait ses preuves au ministère de l’intérieur et, en termes d’attractivité, le recrutement de contractuels permet d’embaucher des personnels au plus près géographiquement des établissements pénitentiaires – ce qui, en particulier pour les ultramarins, n’est pas rien.

Le chantier majeur de la modernisation des ressources humaines est, bien sûr, celui du projet de loi organique, c’est-à-dire la réforme du statut de la magistrature. Celle-ci tourne autour de trois axes.

Le premier est l’ouverture du corps judiciaire. Le recrutement de 1 500 magistrats nécessitera d’élargir l’accès à la magistrature. À cette fin, nous proposons la création de magistrats en service extraordinaire, mais également l’ouverture des recrutements en simplifiant les différentes voies d’accès, notamment pour les avocats, et en professionnalisant le recrutement par l’instauration d’un jury professionnel – le maintien du principe du concours républicain nous garantissant l’excellence du niveau de recrutement.

Il s’agit aussi d’ouverture sociale, avec la création d’un concours « talents » pour les candidats issus de milieux défavorisés. La justice étant rendue au nom du peuple français, il est important qu’elle incarne également la promesse républicaine de la méritocratie.

L’objectif est aussi d’assouplir les règles pour les magistrats à titre temporaire, qui réalisent un travail remarquable, dont nous avons impérativement besoin pour la mise en place de la politique de l’amiable et pour les cours criminelles départementales.

Enfin, il s’agit également de simplifier certaines règles de gestion des ressources humaines, avec la pérennisation des brigades de soutien de magistrats et de greffiers qui ont fait récemment leurs preuves à Mayotte et en Guyane, l’instauration de priorités d’affectation pour les magistrats qui ont accepté de partir vers des territoires peu attractifs, ainsi que la création d’un troisième grade pour garder des magistrats d’expérience en première instance et dans les tribunaux judiciaires, afin d’améliorer la qualité de la première instance, conformément au rapport du président Sauvé.

Le deuxième axe de la réforme statutaire repose sur la modernisation, notamment celle du dialogue social ou du mode de scrutin au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Le dernier axe, enfin, repose sur la responsabilité du corps judiciaire, avec notamment l’élargissement tant des conditions de recevabilité des plaintes des justiciables contre les magistrats devant le CSM – qui, aujourd’hui, ne donnent jamais lieu à sanction in fine – que des pouvoirs d’enquête de celui-ci pour instruire ces plaintes, avec la possibilité de saisir l’Inspection générale de la justice. Le Sénat a apporté à ce texte organique certaines modifications, sur lesquelles nous reviendrons lors de nos échanges.

Le troisième chantier de la réforme est celui de la simplification de certaines procédures civiles ou pénales, qui sont certes un facteur de complexité pour nos professionnels, mais aussi d’éloignement entre le citoyen et sa justice. En matière civile, je veux simplifier la procédure d’appel en réformant le décret Magendie, auquel je sais que certains d’entre vous, comme la présidente Naïma Moutchou, sont particulièrement sensibles. En lien avec le groupe communiste du Sénat, j’ai pris l’engagement de vous transmettre les projets de décret réformant l’appel au civil.

Pour ce qui est de la révolution de l’amiable, j’ai transmis à la commission des projets de décrets relatifs à la mise en place de la césure et de l’audience de règlement amiable, afin que nous puissions échanger plus longuement sur ce point dans les prochaines semaines, car ce décret sera pris dans le courant de l’été pour entrer en vigueur le 1er octobre. Ma porte est, je le répète, grande ouverte pour évoquer les questions que vous pourriez vous poser à propos de l’amiable, si cher à Mme la députée Caroline Yadan.

Je souhaite aussi que nous puissions lancer ensemble le chantier titanesque de la simplification de la procédure pénale. Dans un premier temps, il s’agit de restructurer et de clarifier le code de procédure pénale – à droit constant, j’y insiste, comme le précise d’ailleurs l’article 2. C’est un travail herculéen, envisagé à de nombreuses reprises par des majorités successives, comme le savent certains d’entre vous – je pense en particulier à ce fin juriste qu’est votre collègue Philippe Gosselin. L’objectif est de rendre la loi plus lisible pour les professionnels – forces de l’ordre, avocats, magistrats et greffiers. Il s’agit ainsi, par exemple, de réécrire les articles rédigés par renvois successifs à d’autres articles – je pourrais vous en donner des exemples, qui rendent le code totalement illisible. Lorsque j’ai présenté ces travaux à venir, j’avais dans la main droite l’édition 2023 du code de procédure pénale, très épaisse, et dans l’autre main le code d’instruction criminelle de 1958, substantiellement plus fin. Il n’est évidemment pas possible de revenir à cette épaisseur, car certains textes sont évidemment indispensables, mais il faut aller vers plus de simplification. L’objectif est de rendre les choses plus lisibles.

La réorganisation des chapitres est un autre exemple. On ne touchera pas aux équilibres, ni aux règles de droit, mais on réorganisera les dispositions. Si vous cherchez, par exemple, celles qui traitent de la question des victimes dans le code de procédure pénale, vous trouverez je ne sais combien d’articles. Ne serait-il pas opportun de tout regrouper dans un même chapitre, de sorte qu’un professionnel sache immédiatement où chercher ?

Pour vous garantir que la réécriture se fera bien à droit constant, j’ai mis en place un comité scientifique et je vous proposerai par ailleurs, dans la foulée de l’adoption du texte, l’instauration d’un comité de suivi, composé d’un représentant par groupe parlementaire et des présidents des commissions des lois.

Je rappelle aussi qu’une codification à droit constant est soumise à de nombreux et importants contrôles, notamment de la part de la Commission supérieure de codification, du Conseil d’État. Ces institutions imposent au Gouvernement de respecter à la lettre l’habilitation octroyée par le législateur, ainsi que l’esprit de cette habilitation.

Le travail mené avec le groupe LR au Sénat nous a permis d’apporter des garanties supplémentaires en associant encore davantage le Parlement. Je confirme que le nouveau code de procédure pénale n’entrera pas en vigueur avant sa ratification, comme ce fut le cas pour le code de justice pénale des mineurs. J’en profite pour saluer le travail de grande qualité mené à ce sujet par Jean Terlier et Cécile Untermaier et pour souligner que nous sommes parvenus à diviser par plus de deux les délais de jugement en matière pénale pour les mineurs.

Enfin, il vous est proposé une série de mesures concrètes et immédiatement applicables, notamment pour améliorer l’efficacité de l’enquête pénale, mais nous aurons le temps d’y revenir : vos questions me donneront sans doute l’occasion de répondre à un certain nombre d’inquiétudes. Nous apporterons dans le cadre des débats des garanties supplémentaires, notamment en ce qui concerne les journalistes.

Je pense aussi à l’extension des travaux d’intérêt général aux entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire, dans la droite ligne du texte porté par Blandine Brocard et Didier Paris, et à l’extension du champ des infractions recevables en matière d’indemnisation des victimes.

Je ne peux pas entrer davantage dans le détail de toutes les mesures – je suis sans doute déjà beaucoup trop long. Je suis sûr que vos questions permettront d’aller plus avant, et je serai ravi d’y répondre.

M. Jean Terlier, rapporteur général du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027, récemment examiné au Sénat, est un rendez-vous incontournable pour notre commission. Le Président de la République l’a dit lors de son allocution du 17 avril, et les membres de la majorité en sont également absolument convaincus, la justice et l’ordre public, qui sont au service de l’État de droit, constituent des chantiers prioritaires pour la France.

Après l’adoption de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), qui a été l’occasion d’un débat riche et d’engagements forts de la part du Gouvernement, nous attendions avec impatience de débattre de la justice. Nous nous réjouissons donc de pouvoir fixer, comme nous l’avions fait avec votre prédécesseure, Nicole Belloubet, les grandes orientations stratégiques et financières pour le quinquennat qui s’ouvre, d’autant que ces orientations sont particulièrement ambitieuses.

À l’époque, nous avions déjà engagé de grandes transformations qui se sont, depuis, concrétisées avec succès. Je pense à la création du code de la justice pénale des mineurs, sur lequel j’ai eu la chance de travailler longuement avec notre collègue Cécile Untermaier, et qui a permis, comme vous l’avez dit, de diviser par deux les délais de jugement des mineurs tout en renforçant leur prise en charge éducative. Je pourrais également évoquer la création des cours criminelles, expérimentées puis généralisées pour limiter la correctionnalisation des crimes et réduire les délais de jugement devant les cours d’assises.

Tout au long du quinquennat, nous n’avons eu de cesse de réformer notre justice, en travaillant sur la création des tribunaux judiciaires, la responsabilité pénale, les violences intrafamiliales, la lutte contre la haine en ligne, la discipline des professionnels du droit ou encore l’accès au travail des détenus.

Tout cela aurait été inutile sans un accompagnement financier fort. Malgré un contexte de tension pour nos finances publiques, nous avons maintenu une hausse sans précédent du budget de la justice : il a augmenté de 8 % en 2021, en 2022 et en 2023.

Nous ne pouvons nier la persistance de certaines difficultés, qui résultent du sous-investissement chronique dans la justice des gouvernements précédents, de gauche comme de droite. Nous prenons nos responsabilités et nous cherchons à apporter des réponses opérationnelles à ces défis : réduire les délais, au pénal mais aussi en matière civile, commerciale et prud’homale, domaines trop souvent délaissés alors qu’ils touchent au quotidien de nos concitoyens ; simplifier et moderniser les procédures, notamment en s’appuyant sur le numérique et les nouvelles technologies ; revaloriser les métiers de la justice pour recruter des magistrats et ceux sans qui l’œuvre de justice est impossible, les greffiers, les éducateurs ou les surveillants pénitentiaires, ce qui passe par une meilleure gestion des carrières, de la formation et de la mobilité ; répondre au défi de la surpopulation carcérale, qui porte gravement atteinte à la dignité humaine des détenus et aux conditions de travail dans les établissements pénitentiaires – c’est toute la chaîne pénale, de l’engagement des poursuites à la réinsertion, qui est concernée ; poursuivre, enfin, l’effort financier nécessaire pour atteindre ces objectifs et moderniser l’institution judiciaire – ses applications métiers, son immobilier, mais aussi sa communication auprès des citoyens.

Nous avions l’intuition de ces constats et de ces besoins, bien sûr, mais il était important de faire un diagnostic précis et partagé par les professionnels. L’effort de réflexion engagé dans le cadre des États généraux de la justice est, de ce point de vue, historique. Il faut souligner l’innovation que constitue l’association d’un si grand nombre de professionnels pour réfléchir librement, sans influence du politique, sur l’avenir d’une institution. Consultation publique, débats partout en France, concertation au niveau ministériel : c’est une méthode nouvelle qui devra être reconduite.

Le temps est désormais venu de faire des choix. C’est le rôle du Gouvernement et du Parlement, qui n’ont jamais eu autant de cartes entre les mains. S’appuyant sur les constats et les recommandations des états généreux, ou plutôt des États généraux de la justice, les dispositions du projet de loi ordinaire répondent avec réalisme aux attentes des usagers et des professionnels de la justice.

S’agissant des réformes de la procédure civile, nous avons un regret, ou une petite frustration, monsieur le garde des Sceaux. C’est un volet capital des États généraux de la justice, mais il relève pour l’essentiel du domaine réglementaire et nous n’avons donc pas d’accroche, dans les deux projets de loi, pour permettre au Parlement d’en débattre et de se prononcer.

Nous aurions aimé exprimer notre soutien à cette réforme, à la véritable politique de l’amiable que vous comptez instituer, notamment par la création d’une audience dédiée au règlement amiable et par la simplification de la procédure d’appel. Ce soutien, nous l’exprimerons en tout état de cause à travers le vote du rapport annexé, qui décline de nombreuses mesures infralégislatives, dont nous nous réjouissons, en matière de ressources humaines, d’immobilier et de préservation de l’environnement.

Des simplifications bienvenues relèvent en revanche du domaine de la loi. Je pense au transfert des fonctions civiles du juge de la liberté et de la détention (JLD) à un magistrat du siège, mesure soutenue par les présidents de juridiction que nous avons auditionnés. Il en est de même de la réforme des saisies des rémunérations. Cela permettra d’alléger la charge de travail des greffes des tribunaux judiciaires à hauteur de 140 équivalents temps plein (ETP).

Les craintes exprimées sur le dernier point me paraissent injustifiées. D’abord, le Conseil d’État a porté une appréciation positive sur cette réforme. Ensuite, il ne s’agit pas d’une déjudiciarisation, car le juge de l’exécution demeurera compétent – le Sénat a même adopté un amendement pour faciliter encore la saisine de ce juge. C’est un alignement sur le droit commun qui permettra aux commissaires de justice de procéder aux saisies sans autorisation préalable, comme pour les autres saisies mobilières. Enfin, le projet de loi ne remet pas en cause la protection du salaire, et ne touche pas à la définition des quotités saisissables.

Le projet de loi ordinaire permettra aussi à des professions du droit de se rénover, de se moderniser, grâce au développement de la communication électronique dans le cadre des procédures collectives ou encore au rehaussement du niveau de diplôme requis pour accéder à la profession d’avocat, réforme souhaitée par le barreau.

Nous soutiendrons également l’expérimentation d’un tribunal des activités économiques. Le précédent des cours criminelles départementales nous incline à penser que la voie de l’expérimentation est la bonne méthode. Nous souhaiterions, cependant, avoir des précisions sur les tribunaux de commerce qui seront choisis pour mener l’expérimentation.

L’investissement dans la justice est également financier, avec le recrutement inédit de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers. Le défi est réel : il faut recruter massivement, sans pour autant transiger sur la qualité des personnes recrutées. L’École nationale de la magistrature, l’École nationale des greffes, l’ensemble des juridictions et la direction des services judiciaires sont mobilisées pour former les nouveaux professionnels. Les recrutements seront facilités par la réforme des voies d’accès à la magistrature prévue à l’article 1er du projet de loi organique, qui doit fluidifier l’accès des professionnels au corps judiciaire.

L’équipe autour du magistrat sera étoffée grâce aux recrutements d’attachés de justice, qui se substitueront aux juristes assistants, pour faire non seulement de l’aide à la décision, mais également du soutien à l’activité administrative et à la mise en œuvre des politiques publiques.

Vous précisez au travers du rapport annexé votre plan d’action pour la justice, qui se décline en six points. Je souhaite en mettre un en exergue, le plan ambitieux de transformation numérique, qui est indispensable pour fluidifier l’accès des justiciables à la justice et faciliter le travail en juridiction.

Le projet de loi prévoit également trois avancées concernant l’administration pénitentiaire.

Tout d’abord, la création des surveillants pénitentiaires adjoints, qui seront recrutés par voie contractuelle, permettra, je l’espère, de renforcer l’accès à cette administration dont on sait combien les conditions de travail sont spécifiques. Je salue ces agents qui exercent des métiers essentiels à notre société dans des conditions parfois extrêmement difficiles. Je sais que vous conduisez actuellement une revalorisation statutaire et indemnitaire, et je tiens à souligner les efforts qui sont faits en la matière.

Ensuite, nous nous réjouissons des dispositions permettant d’élargir le vivier de la réserve civile pénitentiaire.

Troisièmement, le projet de loi permet de généraliser l’expérimentation du port de caméras individuelles par les agents pénitentiaires. C’est un progrès évident, notamment sur le plan de la lutte contre les violences en détention, au sujet desquelles votre ministère est particulièrement engagé.

J’en viens au titre VI, qui est consacré aux juridictions administratives et financières. Il s’agit principalement de mesures de simplification ou de coordination liées aux transformations récentes qui ont touché ces juridictions – la réforme de la haute fonction publique et l’ordonnance relative à la responsabilité financière des gestionnaires publics. Ces dispositions ne posent pas de difficultés majeures, à l’exception d’un désaccord de principe avec le Sénat concernant certaines évolutions du statut des magistrats financiers.

Avant de laisser la parole à mes collègues rapporteurs au sujet des dispositions dont ils ont plus particulièrement assuré le suivi, je remercie tous ceux qui se sont mobilisés, députés et personnes auditionnées, lors de nos travaux, conduits dans des délais contraints. Depuis le 30 mai, nous avons réalisé plus d’une cinquantaine d’heures d’auditions et nous avons rencontré plus de soixante-dix intervenants, ce qui était primordial pour que nous puissions nous faire notre avis sur ces deux textes.

M. Erwan Balanant, rapporteur du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (titres Ier et II). S’agissant des efforts financiers qui sont prévus, j’ajoute simplement que les crédits alloués à la justice progresseront de 21,3 % entre 2022 et 2027. Nous menons des réformes en donnant à la justice les moyens financiers de les conduire.

Il me revient de vous présenter, à grands traits, les principales mesures prévues en matière de procédure pénale.

L’article 2 du projet de loi ordinaire met en œuvre une préconisation issue des États généraux de la justice, à la suite du constat de l’illisibilité de notre code de procédure pénale. Fréquemment modifié, faisant appel à une articulation peu maniable et peu intelligible, ce code ne paraît pas correspondre aux exigences d’une justice accessible et claire pour nos concitoyens.

Je me réjouis de sa refonte prévue à droit constant, dans le cadre d’une habilitation par voie d’ordonnance. Je me félicite également de la méthode retenue, qui associe un comité scientifique et un comité de liaison composé de parlementaires de tous les groupes. J’espère que ce travail de refonte et de clarification permettra aussi d’identifier des éléments de simplification qui pourront être intégrés dans le projet de loi de ratification qui nous sera soumis.

L’article 3 contient toute une série de mesures en matière de procédure pénale, portant sur des sujets extrêmement variés. Je me concentrerai sur certains d’eux, qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre, parfois en raison d’une lecture superficielle.

Cet article permettra de procéder à des perquisitions de nuit pour les enquêtes de flagrance concernant des crimes contre les personnes, selon un cadre strict et des finalités précises. Il ne s’agit pas d’une nouveauté : c’est déjà possible, souvent de façon plus souple, en matière de criminalité organisée. Or, il ne me paraît pas évident qu’on puisse faire des perquisitions nocturnes en cas de vente de stupéfiants, mais pas pour des féminicides, des viols ou d’autres crimes graves. L’article 3 est à cet égard bienvenu, et bien encadré. L’extension à l’instruction, voulue par le Sénat, est également opportune : l’instruction est en effet obligatoire pour les crimes.

S’agissant des techniques d’enquête, le projet de loi propose une évolution de taille : la possibilité de recourir à l’activation à distance pour mettre en place une géolocalisation, une sonorisation ou une captation d’images. Il me paraît évident que notre justice et nos services d’enquête ne doivent pas se voir refuser l’utilisation de ces évolutions technologiques, auxquelles les criminels, eux, ne se privent pas d’avoir recours. Si le projet de loi me paraissait apporter les garanties nécessaires à ces évolutions, les auditions que nous avons menées me conduisent à penser que nous pouvons encore améliorer l’encadrement proposé.

Le recours à la visioconférence pour l’examen médical en cas de prolongation de la garde à vue me paraît aussi intéressant, et cette mesure est entourée de toutes les garanties nécessaires. Peut-être pourrons-nous, là aussi, apporter des précisions, mais le principe est bienvenu.

Plusieurs dispositions concernent l’assignation à résidence sous surveillance électronique et le contrôle judiciaire. Elles visent soit à simplifier la procédure, par exemple en transférant du tribunal au JLD la modification des obligations imposées dans les deux cadres, soit à amplifier le recours à ces alternatives à la détention provisoire, et je ne peux qu’être extrêmement favorable à ces évolutions.

L’article 3 propose également une extension des droits des témoins assistés, notamment pour les expertises. C’est une bonne nouvelle, et cela renforcera le recours à ce statut. Les travaux sur la refonte du code pourront être l’occasion d’une remise à plat des statuts de mis en examen et de témoin assisté, dans la lignée des États généraux de la justice.

D’autres mesures semblent opportunes, comme la possibilité pour les interprètes d’être anonymisés dans les procédures en matière de terrorisme, l’élargissement du permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat aux associés et collaborateurs de l’avocat, l’unification des délais d’audience et de jugement en matière de comparution immédiate, le rallongement, à titre exceptionnel, des délais de l’enquête préliminaire, ou encore la correction par les sénateurs d’une coquille issue de la loi de décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire au sujet de la valeur de titre de détention des arrêts de cour d’assises.

Ce très long, voire trop long article 3 ne doit pas faire oublier d’autres mesures.

L’article 4 comporte ainsi plusieurs dispositions visant à renforcer le prononcé de la peine de travaux d’intérêt général, dont la pertinence est soulignée par toutes les personnes que nous avons rencontrées.

Enfin, je me réjouis que le projet de loi ordinaire n’oublie pas les victimes : il améliorera leur indemnisation, grâce au dispositif prévu à l’article 5.

M. Philippe Pradal, rapporteur du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (titre III). Rapporteur du titre III de la loi ordinaire, je centrerai mon propos sur l’une de ses innovations majeures, le tribunal des activités économiques (TAE), mais je tiens d’abord à saluer l’effort considérable et sans précédent qui est prévu pour le service public de la justice. Nous connaissons aussi, monsieur le garde des Sceaux, votre engagement en faveur de l’ouverture de la magistrature. À n’en pas douter, ce texte sera l’une des grandes lois du quinquennat et elle vous doit beaucoup.

Je remercie également mes collègues rapporteurs, en particulier le rapporteur général, pour le travail conduit ensemble dans un calendrier contraint. Nous avons auditionné la quasi-totalité des acteurs significatifs et nous avons suivi, jour après jour, presque en direct, les évolutions du texte au Sénat afin d’être prêts aujourd’hui.

Les dispositions dont je suis le rapporteur sont consacrées à la justice commerciale et sociale. C’est pour moi l’occasion de saluer les juges consulaires et les juges prud’homaux, ainsi que de rendre hommage à l’œuvre de justice qu’ils réalisent quotidiennement au plus près des justiciables.

Le projet de loi ordinaire comporte des dispositions bienvenues pour renforcer la responsabilité des juges non professionnels, améliorer les exigences déontologiques, assouplir les conditions de candidature aux fonctions de conseiller prud’homal et améliorer la formation des juges consulaires. Tout cela va dans le bon sens. Le Sénat a, par ailleurs, souhaité introduire une obligation de déclaration d’intérêts pour les conseillers prud’homaux, similaire à celle en vigueur pour les juges consulaires.

Je partage la volonté des sénateurs d’améliorer les exigences déontologiques, mais il faudra que le décret en Conseil d’État auquel la loi fait référence prévoie un dispositif adapté au caractère paritaire de ces juridictions, afin que la mesure n’ait pas qu’un aspect symbolique, mais qu’elle soit au contraire opérationnelle et acceptée. De plus, il faudra veiller à ce que les personnes chargées de mener les entretiens déontologiques y soient correctement formées.

J’en viens au TAE. L’expérimentation prévue en la matière est l’une des traductions des préconisations formulées dans le cadre des États généraux de la justice. Je le dis d’emblée et sans ambiguïté : je pense que l’équilibre initial du texte, dans sa version adoptée en conseil des ministres, était le bon, notamment en ce qui concerne la délicate question de l’introduction de magistrats professionnels.

Certains y ont vu un compromis : le magistrat professionnel de carrière était introduit au sein de la formation de jugement, mais il ne pouvait pas exercer les fonctions de président. L’inconvénient d’un compromis est que, parfois, il peut décevoir les deux parties. J’ai le sentiment, hélas, que c’est ce qui s’est passé.

Les syndicats de magistrats se sont, en effet, émus du rôle d’assesseur qui leur était réservé. D’après eux, cela serait unique en Europe. L’échevinage impliquerait automatiquement un rôle de président ou un rôle départiteur, comme aux prud’hommes, et les magistrats auraient donc souhaité pouvoir présider les formations de jugement du TAE. À l’inverse, les représentants des tribunaux de commerce et des juges consulaires considèrent que la justice commerciale fonctionne très bien et qu’ils n’ont pas besoin de magistrats de carrière.

Pourtant, je le répète, je suis convaincu que l’équilibre initial était le bon. L’extension de compétence à tous les acteurs économiques doit avoir pour contrepartie un échevinage. Je regrette que le Sénat ait séparé ces deux questions qui, pour moi, sont intrinsèquement liées.

J’observe avec intérêt que c’est exactement la position qu’ont exprimée devant nous, lors des auditions, le premier président de la Cour de cassation et son procureur général. Pour eux, et j’approuve ce point de vue, la magistrature judiciaire ne doit pas faire du TAE un enjeu de pouvoir. L’objectif est de renforcer la culture économique des magistrats en début de carrière et de permettre une montée en compétence. Un rôle d’assesseur ne doit donc pas être pris comme une marque de subordination à l’égard des juges consulaires. Je rappelle, à cet égard, que ce sont des magistrats de carrière qui statuent, seuls, en appel et qui peuvent réformer les décisions des tribunaux de commerce.

Monsieur le garde des Sceaux, le texte qui est issu du Sénat ne vous paraît-il pas déséquilibré en ce qu’il supprime la présence de magistrats professionnels tout en étendant le périmètre de compétence du TAE ? Ne faudrait-il pas faire le choix de la cohérence ?

J’ai, pour ma part, quelques réserves sur l’élargissement de la compétence du TAE aux associations qui n’ont pas d’activité économique et à celles qui ne relèvent pas du régime de la loi de 1901 : j’aurais tendance à penser que le tribunal judiciaire doit demeurer compétent à leur égard.

Pour le reste, je soutiens sans réserve cette expérimentation. Il faut, comme on le dit trivialement, « laisser sa chance au produit » et le précédent des cours criminelles nous y incite.

Je soutiens aussi l’institution d’une contribution pour la justice économique. Je m’interroge toutefois sur l’exonération des personnes morales de droit public, que je trouve trop large, et sur le barème de cette contribution, dont les modalités devront être précisées pour maintenir le principe d’un accès facile à la justice et celui d’une légitime contribution à son financement.

M. Didier Paris, rapporteur du projet de loi organique. Le projet de loi organique sera traité en dernier dans le cadre de nos débats en commission et en séance, mais il pourrait mériter de l’être en premier, car c’est le socle fondamental grâce auquel notre justice restera de qualité.

Monsieur le garde des Sceaux, vous avez présenté un plan issu des États généraux de la justice, ainsi qu’un plan d’action, sur tous les fronts, qui est tout récent, puisqu’il date du mois de janvier de cette année. C’est inédit : on n’avait jamais vu l’ensemble des questions de justice ainsi réunies, dans l’objectif de faire évoluer les pratiques de la justice et autour de la justice. Il faut saluer votre conviction et les efforts menés par vous et vos équipes. Nous souhaitons accompagner ces efforts dans la partie législative qui est directement la nôtre.

La loi organique s’intègre dans ce processus. Celui-ci, je l’ai dit, serait sinon incomplet, et nous ne parviendrions pas à atteindre l’objectif que vous avez fixé. C’est une évidence même si, pour beaucoup de magistrats, comme le montrent les quelques auditions que nous avons menées et les contacts que j’ai eus, c’est une sorte de petite révolution, pas tout à fait copernicienne, mais presque. Il faudra s’adapter à la restructuration du corps et à l’accueil de magistrats certes déjà présents, mais pas en aussi grand nombre, ni d’une manière aussi mécanique et poussée.

C’est une opportunité historique. Politiquement, elle concerne un petit nombre d’acteurs, mais il y aura des répercussions majeures sur l’ensemble du système. Comme vous l’avez dit, la qualité de la justice et sa célérité en dépendent.

Il est essentiel que le corps judiciaire comprenne vos objectifs et qu’il y adhère pleinement, sans quoi pourrait se produire une déstabilisation inutile et tout à fait négative dans le contexte actuel. Les magistrats doivent s’engager dans le mouvement politique, législatif, réglementaire et technique que vous avez lancé.

Je n’entrerai pas dans les détails : tous ceux qui ont lu le texte ont parfaitement conscience qu’il est un peu ardu, un peu technique. Cela ne signifie pas qu’il ne traduit pas des options politiques, bien au contraire, mais qu’il faut prendre le temps de le maîtriser. Je ne doute pas une seule seconde que beaucoup, sur tous les bancs, le feront et que le débat sera particulièrement riche.

Il est essentiel de rassurer le corps judiciaire sur un point précis, qui est une sorte de pierre angulaire des valeurs communes au sein de la justice : l’indépendance des magistrats. Plusieurs dispositions de la loi organique, même après les modifications assez sensibles qui ont d’ores et déjà été apportées par le Sénat, peuvent poser des questions à cet égard. J’en donnerai quelques exemples.

L’évaluation à 360 degrés, c’est-à-dire le fait qu’un magistrat ne sera pas évalué uniquement dans un secteur précis de son activité, mais d’une façon beaucoup plus large, est une merveilleuse idée, mais c’est un élément qui pourrait inquiéter le corps judiciaire. Dans ces 360 degrés, un certain nombre de personnes ne dépendent pas directement de la sphère judiciaire. Il faut rassurer les magistrats, ou en tout cas leur expliquer votre volonté, en matière technique et politique.

Je trouve aussi qu’il est excellent d’intégrer de nouveaux magistrats dans le cadre d’un concours professionnel. Ce seront des gens qui auront de l’expérience et une compétence, et dont l’apport au corps judiciaire sera, d’une certaine façon, tout à fait essentiel. Dans beaucoup de pays, le corps judiciaire n’est pas constitué uniquement de gens qui sortent d’une certaine école – je le dis même si l’École nationale de la magistrature (ENM) est reconnue internationalement comme un exemple à suivre. Il existe des gens, des avocats notamment, qui par leur compétence et leur expérience méritent largement de trouver leur place dans le corps judiciaire. C’est donc une disposition fondamentale qui nous est proposée.

Là aussi, comme pour le collège d’évaluation, il faudra rassurer le corps judiciaire sur la composition du jury : il doit être majoritairement composé de magistrats, sans exclure des personnes qualifiées. Nous avons suivi jusque-là un schéma dans lequel les magistrats recrutaient et évaluaient les magistrats. C’est peut-être excessif : sans doute faut-il modifier les équilibres, mais peut-être pas intégralement en rendant les magistrats minoritaires. C’est une question qui se pose pour bon nombre d’entre eux.

La réforme de la commission d’admission des requêtes, issue du CSM, est également importante. C’est le biais par lequel tout citoyen peut s’adresser à la justice pour obtenir des explications, des comptes rendus et éventuellement la réparation d’erreurs de toute nature, mais pas juridictionnelles, qui auraient été commises à son égard. L’interface, le lien un peu distendu, dans les nouveaux textes, entre le garde des Sceaux, le ministère et le CSM interroge. Sans doute faudra-t-il revenir sur cette question de fond, sous l’angle spécifique de l’indépendance du corps judiciaire, les magistrats souhaitant que la magistrature reste la magistrature.

Le Sénat a fait un bon travail, et nous nous appuierons sur lui, mais l’un de ses ajouts me paraît assez sidérant. Un magistrat doit être impartial, il n’y a aucun doute sur ce point, mais nos collègues sénateurs ont considéré que l’exercice de fonctions syndicales par un magistrat devait l’être aussi. Les bras m’en tombent : je ne vois pas vraiment à quoi sert un syndicat s’il doit être limité dans son action par le principe d’impartialité.

Les députés que nous sommes auront à apprécier les différents aspects du projet de loi organique, qui tend à réformer assez sensiblement l’ordonnance statutaire à laquelle les magistrats sont très attachés. Il serait souhaitable que vous nous apportiez des éléments, sinon de réassurance, du moins d’explication pour permettre d’écarter ou de limiter largement certains doutes.

Ces derniers ne concernent pas seulement les magistrats, mais aussi les équipes constituées autour des juges, des personnels qui se sentent un peu considérés comme faisant partie d’une seconde catégorie, comme les greffiers. Je crois qu’il faudra réaffirmer un certain nombre de points, notamment la séparation entre l’aide procédurale et l’aide à la décision. La présence des attachés de justice pourrait, en effet, susciter des craintes.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des représentants des groupes.

Mme Caroline Abadie (RE). Deux textes, quarante articles, 11 milliards d’euros et quatre minutes pour en parler… J’essaierai donc de ne pas répéter ce qui a été dit précédemment, sauf l’expression du rapporteur général, qui a évoqué des États « généreux » de la justice. Les 11 milliards d’euros prévus permettront de porter l’augmentation du budget de la chancellerie à plus de 60 % en deux quinquennats. Nous sommes extrêmement fiers, à la commission des lois et au sein de la majorité, de défendre ces textes de programmation si attendus par les professionnels de vos administrations, monsieur le ministre.

À quoi serviront ces 11 milliards d’euros ? Ils correspondent, déjà, à des moyens humains : 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et au total plus de 10 000 emplois supplémentaires nets.

Nous recruterons aussi des contractuels, qui seront dénommés « surveillants pénitentiaires adjoints ». Il serait utile, monsieur le ministre, que vous nous décriviez les modalités du recours à ces contractuels. Si j’ai bien compris les explications de l’administration pénitentiaire, il ne sera pas systématique. Quelques explications permettront de rassurer ceux que le dispositif inquiète – j’en faisais partie avant de participer aux auditions organisées par les rapporteurs.

Le projet de loi organique nous permettra de rendre plus attractive la magistrature, notamment en simplifiant les voies d’accès.

Vous aurez également d’immenses défis à relever en matière civile et s’agissant de la réécriture du code de procédure pénale.

Le plan de transformation numérique sera un autre Everest à gravir. La Chancellerie partait de loin, et la montagne est encore très haute. Il faudra poursuivre les efforts entrepris pour atteindre l’objectif « zéro papier 2027 ». Il est indiqué, dans le rapport annexé, que la signature électronique pénale doit être déployée au cours du premier semestre 2023. Où en est-on ?

Vous avez ouvert de nombreux chantiers dans le domaine de l’immobilier. Plus de quarante programmes de rénovation de palais de justice accompagneront l’accroissement des effectifs et permettront d’opérer la transition énergétique. Du reste, le rapport annexé ne dresse pas la liste de tous les travaux, puisque les tribunaux de Vienne et de Bourgoin-Jallieu, qui n’y figurent pas, sont en cours de rénovation. L’effort dans ce domaine est colossal.

Il est impossible, à cet égard, de ne pas citer le programme de construction de 15 000 nouvelles places de prison, destiné à réduire la surpopulation carcérale d’ici à 2027.

Les mesures figurant aux articles 3 et 4 permettront, par ailleurs, de développer l’assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse), au détriment de la détention provisoire, et de prononcer plus de condamnations à des peines de travail d’intérêt général (TIG) – nous avons créé des places supplémentaires grâce au travail des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) et de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (Atigip).

Ces dispositions permettront, nous l’espérons, de désengorger les maisons d’arrêt, dont le taux d’occupation atteignait 143 % au 1er mai. L’objectif doit être de revenir à 100 %. Les travaux de la mission d’information sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale, qu’Elsa Faucillon et moi-même conduisons depuis le mois de mars, nous ont convaincues qu’il fallait ajouter un mécanisme, sur le modèle de ce qui existe à Varces, c’est-à-dire respectant la décision du juge, ne ciblant que les maisons d’arrêt et, bien sûr, distinguant plusieurs phases successives. Nous soumettrons notre proposition au vote de la commission la semaine prochaine.

M. Philippe Schreck (RN). Nous consacrons beaucoup de temps, dans les lois de programmation, à voter des dispositifs en définitive peu contraignants, qui seront ou ne seront pas appliqués et tournent parfois à l’exercice d’autosatisfaction et à la proclamation de bilans pas encore réalisés. De surcroît, à l’instar du Haut Conseil des finances publiques dans ses avis, on peut s’interroger sur la cohérence budgétaire de tels dispositifs en l’absence d’une loi de programmation des finances publiques – mais cela permet peut-être aux ministres concernés de donner libre cours à leur optimisme en s’affranchissant des exigences d’une loi proposant un cadrage global des finances.

Cela étant posé, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour la période 2003-2027 se caractérise, à nos yeux, par les tendances suivantes. D’abord, le texte traduit la fin d’une période marquée par une hausse significative des budgets de la justice. Ensuite, le projet de loi est très hétérogène, voire fourre-tout ; certaines mesures vont dans le bon sens, mais aboutissent aussi à complexifier les procédures, contrairement au but poursuivi. Enfin, il contient des mesures inutiles, voire dangereuses, pour certaines, si elles venaient à être généralisées.

Il est parfaitement exact que la période précédente a été caractérisée par une hausse significative des budgets, et il convient de s’en féliciter. Cependant, nul n’ignore que nous partions de loin : la justice se signalait par son dénuement et les recrutements étaient notoirement insuffisants. Malheureusement, la période 2023-2027 plongera de nouveau la justice dans une relative stagnation, ce qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Sur cinq ans, le budget de la justice progressera de 1,16 milliard d’euros, soit 230 millions par an. Durant les années 2025 à 2027, la progression sera atone : le budget n’augmentera quasiment plus. Ainsi, sur les cinq années visées par le projet de loi, trois seront marquées par une stagnation des moyens. En outre, ce 1,16 milliard d’euros supplémentaires doivent être observés à travers le prisme de l’inflation, laquelle est extrêmement forte en 2023 et sera toujours présente pendant le reste de la période. On peut donc craindre qu’elle ne consomme mécaniquement la hausse des crédits, tant il est vrai que le budget de la justice est sensible à l’inflation, notamment celle des prix de la construction immobilière.

Au surplus, le texte est fourre-tout : un peu de pouvoir pour les enquêteurs – ce qui est une bonne chose –, une légère augmentation de la force de frappe pour les enquêtes, une déjudiciarisation alambiquée des saisies sur salaire, le renforcement de certaines garanties procédurales, mais aussi l’alourdissement de certaines procédures.

Le plan de construction de 15 000 places de prison, s’il est toujours autant vendu, ne sera pas réalisé dans les délais et, du reste, sera insuffisant. Si vous voulez créer des places de prison, il semble que vous ne soyez pas animé par un fort désir de les voir occupées.

En matière de justice économique, il est difficile de comprendre quel est le cap fixé par l’expérimentation et à quelles difficultés celle-ci est censée répondre.

Enfin, en marge de l’expérimentation du tribunal des affaires économiques, vous instituez une justice à péage, ce qui constitue pour notre groupe une ligne rouge : on ne saurait régler les problèmes de la justice en levant un impôt sur les justiciables, notamment les artisans, les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), déjà martyrisés par le cumul des prélèvements obligatoires ainsi que par le coût de l’énergie et l’inflation.

En résumé, vous n’avez pas beaucoup de raisons de pavoiser. La position de notre groupe dépendra, entre autres, des évolutions que connaîtra le texte et de l’état d’esprit qui présidera à son examen : il importe de ne pas tromper les Français. Ces derniers ne sont pas dupes quant à l’état de notre justice, qui demeure précaire.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Vous avez obtenu moitié moins que Gérald Darmanin : 7,5 milliards, contre 15 milliards. Le résultat sera-t-il moitié moins pire ? Nous verrons en fonction du contenu du texte.

À ce propos, j’ai à ma gauche Florent Boudié, rapporteur de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), qui a réussi à obtenir un élément intéressant pour nous, parlementaires, à savoir le « détail » de ces 7,5 milliards. C’est un beau tableau, faisant apparaître des chiffres à la hausse, mais, je vous le dis franchement, à votre place, vu le manque de précision des données, j’aurais arrondi à 10 milliards ! Pourriez-vous faire un effort, d’ici à l’examen des articles en commission, ou à tout le moins d’ici à la séance ? Certes, les sénateurs n’ont pas eu besoin de ce genre d’informations pour se prononcer – ce qui est étrange –, mais il serait bien que nous ayons au moins la ventilation par programme budgétaire, afin de savoir combien va à l’administration pénitentiaire ou à la justice judiciaire.

Il est vrai que nous sommes informés chaque année de la répartition des crédits à travers le projet de loi de finances. Cela nous permet d’ailleurs de constater que la construction de places de prison vous occupe beaucoup, monsieur le ministre, de même qu’elle occupe beaucoup de place dans le budget et absorbe une part importante des moyens supplémentaires octroyés à votre ministère. Un mécanisme de régulation carcérale nous permettrait à la fois de faire des économies, de respecter nos engagements en matière de dignité des personnes détenues et de mieux prévenir la récidive. Hélas, cette démarche n’est pas encore au programme, et nous verrons le sort qui sera réservé à l’amendement annoncé par Caroline Abadie. Pour notre part, nous le soutiendrons, dans la mesure de nos petits moyens. Nous nous efforcerons même d’être plus ambitieux : nous avons engagé des discussions avec Elsa Faucillon pour faire des propositions permettant d’aller plus loin.

Cela fait cinq ans que j’explique, avec mon groupe, que si nous voulons atteindre ne serait-ce que la moyenne européenne en ce qui concerne le nombre de magistrats par habitant, il est urgent de planifier les recrutements et, pour savoir où mettre ces personnes, d’ouvrir des antennes de l’ENM un peu partout dans le pays. Il est d’autant plus important d’augmenter les capacités d’accueil de l’école que, lorsque l’on recrute des magistrats supplémentaires, il y a aussi davantage de magistrats en poste qui partent à la retraite, ce qui suppose de les remplacer. De la même façon, il faut prévoir plus de place dans les tribunaux. En l’absence de détails, nous sommes bien en peine de vous faire confiance.

Il en va de même en ce qui concerne l’ordonnance censée réécrire le code de procédure pénale à droit constant. Sous la précédente législature, la réforme de la justice pénale des mineurs devait, elle aussi, être réalisée à droit constant. En définitive, elle s’est accompagnée de nombreuses modifications. Je n’ai donc aucune espèce de confiance envers cette annonce. Du reste, mon groupe et moi-même n’aimons pas beaucoup les ordonnances. Je comprends que nous ne fassions pas partie du comité Théodule travaillant à cette réécriture : nous y serions un peu dérangeants.

Vous avez pioché ce qui vous intéressait dans les conclusions des États généraux de la justice. Par exemple, ne vous en déplaise, la régulation carcérale figurait parmi les préconisations.

Enfin, je rappelle que le budget 2022 du ministère a été sous-exécuté : il manque 1 151 équivalents temps plein travaillés (ETPT). Il serait bien que les recrutements annoncés soient réalisés.

M. Éric Pauget (LR). Deux ans après l’adoption de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, qui nous a permis de supprimer le rappel à la loi, devenu inopérant, les projets de loi qui nous sont soumis pourraient être l’occasion de nous rassembler autour de la notion d’homicide routier.

Depuis près d’un an, je travaille aux côtés des victimes, de leurs familles et de tous les acteurs concernés pour faire évoluer notre législation sur ce point. Forts de ce travail de fond qui a d’ores et déjà débouché sur le dépôt d’une proposition de loi, nous devons nous saisir des rares vecteurs législatifs adaptés pour faire entendre cette revendication. Un certain consensus existe d’ailleurs en faveur de la reconnaissance de l’homicide routier. Celle-ci est soutenue, par exemple, par la Première ministre et par le ministre de l’intérieur.

Il est temps de répondre aux attentes des victimes et de leurs familles. La qualification d’homicide involontaire leur est insupportable. Il faut prendre en compte la consommation volontaire de drogue ou d’alcool par des personnes qui transforment leur véhicule en arme par destination. Ces faits doivent être requalifiés et mieux sanctionnés. Saisissons l’occasion législative qui nous est offerte pour travailler ensemble, de manière transpartisane, pour faire vivre notre droit de manière raisonnée en y introduisant l’homicide routier.

Monsieur le garde des Sceaux, l’article 5 du projet de loi d’orientation et de programmation améliore l’indemnisation des victimes. Seriez-vous favorable à ce que le bénéfice en soit ouvert aux victimes d’homicides routiers, et donc à ce que nous envisagions la création de cette nouvelle catégorie d’homicide lors de la discussion en séance ? La représentation nationale, les victimes et leurs familles attendent que nous agissions.

Mme Blandine Brocard (Dem). Si je devais résumer en deux mots ces projets de loi très denses, j’utiliserais ceux-ci : volonté politique.

Au cours des dernières années, nous avons eu, en effet, la volonté politique de mettre fin à plusieurs décennies d’abandon du système judiciaire, lequel s’est retrouvé dans un état de délabrement inacceptable. Vous avez d’ailleurs indiqué, monsieur le ministre, votre volonté de « tourner […] la page du délabrement » de la justice. Les Français doutent de la justice et les magistrats peinent à exercer correctement leurs missions. Entre 2010 et 2018, le délai moyen de traitement des affaires civiles et commerciales en première instance était passé de 279 jours à 420, alors que la durée médiane dans les pays d’Europe restait stable, aux alentours de 200 jours. Nous nous donnons donc tous les moyens de remédier à cette situation.

Après les trois hausses historiques de 8 % du budget de la justice intervenues en 2021, 2022 et 2023, ces textes confirment notre volonté politique de mettre fin à la dégradation et d’avoir enfin une justice rapide, moderne, compréhensible et efficace.

Pour cela, nous mobilisons des moyens techniques, avec la numérisation, les télécommunications audiovisuelles, ou encore les téléconsultations ; des moyens humains ; des moyens donnés pour la restructuration des bâtiments des tribunaux ; des revalorisations statutaires et salariales pour attirer les talents ; la création de nouveaux postes dans l’administration pénitentiaire.

Nous prenons également des mesures de fond. Je pense, par exemple, à la forte incitation à s’orienter vers la procédure de règlement amiable, à laquelle vous êtes attaché, monsieur le garde des Sceaux, et qui correspond en effet à une attente qu’expriment très fréquemment nos concitoyens. Je pense aussi au recours accru à la peine de travail d’intérêt général, qui donne un véritable sens aux sanctions prononcées, tant pour la société que pour les personnes inculpées. Je me permets d’ailleurs d’appeler votre attention sur l’exécution des TIG. J’organise fréquemment des réunions avec les maires de mon territoire. Or, je constate une méconnaissance de cet outil, alors même que les élus seraient enclins à y avoir recours. Une meilleure information des conseils municipaux et un soutien fort aux collectivités permettraient probablement de faire en sorte qu’un plus grand nombre d’entre elles s’engage dans cette voie.

Vous vous êtes donné pour objectif de diviser par deux l’ensemble des délais de justice. C’est indispensable, en effet. La justice est beaucoup trop lente : c’est l’un des constats majeurs dressés durant les États généraux de la justice – permettez-moi, à cet égard, comme l’a fait notre rapporteur général, Jean Terlier, de saluer l’innovation qu’a constituée cet exercice et la très grande qualité de leurs travaux. Une affaire doit être jugée en première instance moins d’un an après le dépôt de plainte. C’est le minimum que les Français attendent d’une justice efficace – pour les victimes, évidemment, mais aussi parce que la réaction judiciaire doit être immédiate si l’on veut que les lois qui régissent la société soient respectées.

De même, pour que la loi soit lisible, vous nous proposez de nous atteler à la réécriture, à droit constant, du code de procédure pénale. Cette démarche est nécessaire ; elle était attendue. Toutefois, je formulerai le vœu que cette réécriture soit également l’occasion de pointer les éléments de procédure susceptibles d’être simplifiés et harmonisés, afin que vous nous proposiez, une fois l’ordonnance ratifiée, un véritable projet de loi de simplification.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le projet de loi d’orientation et de programmation poursuit les travaux que nous avions engagés en 2016, notamment s’agissant de l’équipe entourant le magistrat, avec la création des postes de juristes assistants, et de l’ouverture du métier de magistrat à d’autres professionnels, tels que les avocats.

Un élément au moins nous sépare, toutefois, et il est très important : le rôle du juge des libertés et de la détention (JLD). Nous avions créé un statut propre garantissant son indépendance. De votre côté, vous lui ôtez ses compétences civiles. Le JLD est un maillon essentiel s’agissant de l’indépendance de la justice. On lui en demande toujours plus. Il faudrait renforcer son équipe. S’il paraît difficile d’envisager des équipes de deux JLD, il faudrait au moins lui adjoindre un attaché de justice, car son travail revêt une importance majeure et sa solitude est régulièrement dénoncée.

On a toujours considéré que le problème de la justice, c’était son budget. À cet égard, les moyens supplémentaires que vous apportez sont très importants, et il est tout à fait légitime de vous en donner crédit. Cela dit, je considère quant à moi que le problème de la justice, c’est aussi, désormais, le numérique. Pour avoir travaillé au plus près des magistrats, avec Jean Terlier, sur le code de la justice pénale des mineurs, j’ai mesuré le défaut d’articulation et de suivi du travail numérique. Il y a des interruptions dans la dématérialisation : certains magistrats sont obligés de demander des documents papiers, alors qu’ils étaient censés exister sous forme numérique. C’est très compliqué pour les greffiers. Il est impératif de progresser dans ce domaine. Vous avez pris des mesures – je pense à ce que vous nous avez dit s’agissant de l’identifiant et du mot de passe –, mais il me semble que personne ne croit vraiment que l’objectif « zéro papier 2027 » puisse être atteint : ce n’est qu’un vœu. En revanche, il faut que les outils numériques que sont Cassiopée, Portalis et Parcours fonctionnent dès 2024 et qu’ils soient corrélés les uns aux autres.

Nous nous interrogeons sur plusieurs points.

La régulation carcérale est une question très complexe, qui n’est pas nouvelle, mais dont vous n’avez pas fait l’un des enjeux majeurs de votre action. C’est un problème qui nous poursuit. Pour le résoudre, il faut adopter une approche globale. Nous devons introduire dans le texte un dispositif pour nous y attaquer. Le devoir du juge est d’appliquer le code pénal ; on ne saurait lui interdire d’emprisonner sous prétexte qu’il n’y a plus de place en prison. Je m’opposerai clairement à une telle approche. Nous devons trouver une solution intelligente, qui passe par les peines alternatives. À ce propos, je pensais à la justice restaurative, à laquelle je vous sais attaché, monsieur le ministre. Il est essentiel que nous travaillions davantage sur cette question. Certains des crédits que vous mobilisez pourraient être affectés à cet objectif. En effet, si la justice restaurative fonctionne si bien au Québec, c’est parce que des crédits d’État la soutiennent.

En ce qui concerne la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF), l’excellent rapport remis par Mme Chandler explique qu’un texte devrait nous être proposé l’année prochaine, mais il serait formidable que nous inscrivions d’ores et déjà certaines dispositions dans ce projet de loi.

Enfin, s’agissant de la justice commerciale, je suis entièrement d’accord avec les propos du rapporteur Philippe Pradal.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Pendant des décennies, la justice n’a été qu’une variable d’ajustement budgétaire et politique, largement reléguée dans les arbitrages comme dans les débats. En ne faisant pas de la justice une priorité, certains de ceux qui nous ont précédés ont nourri la perte de confiance et la remise en cause de ceux qui la rendent, ouvrant d’ailleurs la voie à l’usage de la force et de la violence. Il n’y a rien de pire dans une société que l’injustice ou le sentiment d’injustice.

Le constat dressé par le comité des États généraux de la justice, à savoir celui d’une justice mal en point, n’est donc pas une surprise : nous connaissons la situation ; nous savons que ceux qui rendent la justice et ceux qui la subissent en souffrent. Jean-Jacques Urvoas, déjà, parlait d’une justice « en voie de clochardisation » ; il avait raison. C’est pourquoi nous n’avons pas attendu pour la réparer : beaucoup a été fait depuis plusieurs années. Des efforts budgétaires inédits ont été consentis et les réformes menées ont visé à développer des mécanismes de justice de proximité et à redonner du sens à la peine, ainsi que de l’efficacité à son exécution. Tout cela prend du temps, naturellement : on ne revient pas sur trente ans de sous-investissement et de retard comme par enchantement. Cela dit, la justice est bel et bien en voie de réparation.

Les États généraux de la justice sont une nouvelle chance à saisir pour moderniser la justice. Les moyens sont un préalable indispensable à la réhabilitation de l’institution. Après les efforts inédits des trois derniers exercices – 26 % d’augmentation –, la programmation pour les années 2023 à 2027 reconduit les mêmes ambitions en matière d’investissement, avec un budget final projeté de 11 milliards d’euros. Durant les deux quinquennats, le budget de la justice aura donc augmenté de 60 % ; c’est historique, et nous devons collectivement nous en réjouir – non pas pour nous-mêmes, évidemment, mais pour tous les agents dont le traitement sera revalorisé, pour toutes les équipes de magistrats qui seront étoffées, donc soulagées d’une partie de leur travail, et pour les tribunaux, qui seront réhabilités. Ce budget historique, c’est à vous que nous le devons, monsieur le ministre.

En parallèle des moyens, le projet de loi réforme plusieurs aspects des justices pénale, commerciale et civile.

Il faut impérativement simplifier la procédure pénale, devenue illisible. C’est une demande ancienne et récurrente de ceux qui la pratiquent. Nous non plus, nous n’aimons pas les habilitations à légiférer par voie d’ordonnance, mais puisqu’il y a urgence, que la réécriture se fera à droit constant, qu’elle représente un travail considérable et que les parlementaires y seront associés, alors il faut l’autoriser.

S’agissant de l’article 3, si nous partageons l’objectif consistant à accroître l’efficacité des enquêtes, nous serons vigilants à ce que des techniques particulièrement intrusives comme le déclenchement à distance des appareils électriques et électroniques soient fortement encadrées. Nous soutiendrons les aménagements apportés par le Sénat et proposerons d’aller plus loin en matière de proportionnalité et de protection du secret des avocats, des journalistes et des médecins.

J’ai certaines réticences envers les téléconsultations. Je demanderai que l’on conserve, à tout le moins, la possibilité d’un premier examen physique.

Ces modifications du droit pénal, qui s’ajoutent aux réformes précédentes, m’amènent à m’interroger sur l’opportunité d’engager une réflexion plus globale sur ce que pourrait être une procédure pénale moderne. S’oriente-t-on vers un cadre d’enquête contradictoire, sous le contrôle d’un véritable juge de l’investigation ? Que fait-on du JLD, à qui l’on confie de plus en plus de missions ? Quel avenir pour le juge d’instruction ? Il y aurait bien d’autres questions encore.

En ce qui concerne l’expérimentation d’un tribunal des activités économiques reposant en partie sur l’échevinage, je rejoins la position du rapporteur Philippe Pradal : à ce stade, l’idée est mal reçue ou mal perçue et est source de défiance. Il faudra certainement chercher un autre équilibre.

Enfin, le projet de loi organique nous offre une occasion de nous projeter : au-delà de son caractère technique, le texte pose la question de la fonction de magistrat. C’est donc un choix politique qui va s’opérer en ce qui concerne l’ouverture de la magistrature et l’indépendance du corps judiciaire. Ces choix ne seront pas sans incidences. Nous aurons l’occasion d’en débattre pour faire les bons choix et ne pas nous tromper de combat.

En conclusion, avec mon groupe, nous sommes favorables aux évolutions proposées et soutiendrons les deux textes.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). La justice connaît une crise profonde : les conditions d’exercice sont indigentes et les délais de jugement extravagants. Cela n’est satisfaisant ni pour celles et ceux qui rendent la justice, ni pour les justiciables. C’est la place de l’autorité judiciaire dans notre République et, in fine, la confiance des citoyens en leur justice qui est en question.

Je vous épargnerai les comparaisons internationales, mais il est certain qu’un pays comme la France se doit d’avoir une justice indépendante, équitable, humaine et dotée de moyens financiers importants. Aussi, une réforme, et surtout des moyens, étaient attendus. Ce défi, monsieur le ministre, c’est le vôtre, mais aussi le nôtre, en tant que parlementaires. À cet égard, je regrette que les conditions d’examen qui nous sont imposées nous rendent la tâche encore plus ardue. Pourquoi user de la procédure accélérée pour une réforme de cette importance ? Un travail de qualité prend du temps. Le passage des textes devant les assemblées n’est pas seulement une formalité consistant à les valider : c’est aussi le temps de la délibération, pour affiner et améliorer les dispositions. Quelle est la raison d’une telle précipitation ?

Je salue l’effort budgétaire et les recrutements annoncés. Nous serons vigilants, néanmoins, à la répartition des moyens. Nous attendons d’ailleurs des précisions à ce propos.

Nous sommes ouverts au principe de la diversification des voies de recrutement, parce qu’il faut aller vite, mais nous serons attentifs à ce que la qualité de la justice ne soit pas tirée vers le bas.

Le texte est silencieux sur plusieurs points. On n’y trouve rien concernant l’indépendance du parquet, en dépit de l’extension des prérogatives de ce dernier. Il est temps d’aligner le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, conformément aux standards européens. Qu’est-ce qui vous empêcherait de nous soumettre un projet de loi constitutionnelle portant sur le sujet ?

Silence radio, également, s’agissant de la justice environnementale, alors que le rapport d’un groupe de travail sur la question, présidé par François Molins, a été publié à l’automne dernier. Alors que les atteintes à l’environnement augmentent, et malgré l’existence de pôles spécialisés, on constate une diminution du nombre d’affaires portées devant la justice – ces dossiers représentent 0,5 % des affaires traitées – ainsi qu’une diminution des quanta de peine prononcés.

Le texte ne développe aucune réflexion d’ampleur concernant la surpopulation carcérale, alors que la France vient de battre son record en la matière. Nous avons l’impression que vous misez tout sur la construction de places de prison. Or, vous savez bien que cela ne peut être la seule solution.

Après les silences du texte, j’évoquerai les dérives qu’il traduit. La plus outrancière est celle qui consiste à toucher à la liberté syndicale des magistrats, introduite au Sénat par voie d’amendement. Il conviendra d’y revenir. J’aimerais connaître votre avis sur ce point, monsieur le ministre.

Plus généralement, une question traverse le texte : celle du rôle du garde des Sceaux vis-à-vis des magistrats. Je pense en particulier à l’article 8 du projet de loi organique, qui dispose que les plaintes à l’encontre des magistrats vous seront transmises même lorsqu’elles ont été jugées irrecevables. Le CSM s’inquiète de cette disposition, à juste titre, nous semble-t-il. À quelle nécessité répond cette mesure ?

Une autre dérive concerne l’affaiblissement des droits et libertés, avec des techniques d’enquête spéciales – je pense, notamment, à la géolocalisation et à l’activation à distance du micro ou de la caméra des téléphones portables. Vous me répondrez que le dispositif est bordé ; pour ma part, je m’inquiète de la pente glissante sur laquelle nous sommes engagés et que nous empruntons toujours dans le même sens. Il faudra prévoir des garanties expresses, en particulier pour les journalistes et le secret des sources.

Je pense, enfin, à l’affaiblissement des droits des personnes en garde à vue, avec la généralisation de la télémédecine, même si une première consultation physique est prévue.

Le volet relatif à la justice économique suscite de notre part de vives inquiétudes – nous y reviendrons lors de l’examen du texte.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je rejoins les collègues qui ont demandé à disposer de la ventilation des 11 milliards : nous devons la connaître d’ici à l’examen du texte. C’est d’autant plus indispensable que celui-ci est un patchwork ; il rassemble des éléments qui devaient vous tenir à cœur, monsieur le ministre, mais qui ne répondent pas aux demandes du personnel de justice et des États généraux de la justice. Tous les acteurs appelaient à une réforme globale modifiant structurellement la justice.

Certes, les milliards supplémentaires sont les bienvenus, mais nous ne savons pas exactement où ils iront, ni si le « plan 15 000 » n’en absorbera pas une part trop grande. Surtout, on a l’impression qu’il s’agit d’ancrer dans la loi la gestion de la pénurie qui est pratiquée aujourd’hui, alors qu’il ne faut en aucun cas s’y résoudre. C’est comme si le texte défendait une équation consistant à limiter le nombre d’affaires tout en les jugeant vite, alors que ce qui fait la force de l’État de droit, c’est la capacité à bien juger.

Outre les manques du texte, parmi lesquels il convient de citer la régulation carcérale, celui-ci franchit ce qui constitue pour nous des lignes rouges, en opérant un recul des libertés publiques dans la procédure pénale et une limitation de l’intervention du juge judiciaire. Le principe de l’inviolabilité du domicile est mis à mal par l’extension des perquisitions de nuit. La réécriture du code de procédure pénale devrait, quant à elle, passer par une loi. L’expérimentation du tribunal aux affaires économiques entérine le transfert de compétences du juge judiciaire vers les juges consulaires. Le JLD est dépossédé du contentieux civil. Je souhaiterais également connaître votre avis sur la disposition, introduite par les sénateurs, limitant la liberté syndicale des magistrats – j’espère que le texte sortira de notre assemblée allégé de cette disposition.

Le manque principal, à mon sens, tient au fait que vous ne vous attaquez pas à la surpopulation carcérale. Or, celle-ci nuit beaucoup à l’accomplissement de la mission que la prison doit avoir dans notre société. Les conditions de vie des détenus sont indignes, et le personnel pénitentiaire n’est pas non plus en mesure de bien faire son travail. Pour avoir rencontré ces agents, je sais qu’ils en souffrent beaucoup.

À la différence de Mme Abadie, je ne crois pas que le « plan 15 000 » permette de résoudre le problème. Je suis convaincue que, quand on construit des prisons, on les remplit toujours un peu plus qu’on ne le devrait. Du reste, je ne suis pas sûre que les 15 000 places auront été créées en 2027. Les plans de ce type finissent toujours au-dessous de leur cible : il y en aura peut-être 13 000 à l’arrivée – peut-être même le programme ne sera-t-il pas du tout fini en 2027 ? Quoi qu’il en soit, il faut se doter d’un mécanisme contraignant. Cette idée a fait consensus durant les États généraux de la justice comme lors des auditions que nous avons menées, et de nombreux collègues ont travaillé sur le sujet. Le temps est venu : nous devons aborder la question lors de l’examen du texte.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Madame Faucillon, ce texte vous fait penser à un patchwork. Les États généraux de la justice, concédez-le moi, embrassent beaucoup de sujets, tous plus divers les uns que les autres. Ne vous étonnez donc pas qu’en voulant retenir les nombreuses propositions qui en ont découlé, nous ayons abouti à un tel texte.

Monsieur le rapporteur général, quel merveilleux lapsus vous avez fait en évoquant les états généreux ! Quand résonnent encore à mes oreilles les mots de Jean-Jacques Urvoas sur la clochardisation de la justice, ceux de Jean-Marc Sauvé sur son délabrement, sans parler du constat que j’ai moi-même dressé après trente-cinq ans d’exercice professionnel, merci pour ce geste involontaire mais signifiant. Vous m’avez interrogé au sujet des tribunaux des activités économiques (TAE). Nous recevons de nombreuses candidatures, que plusieurs d’entre vous ont relayées. Nous souhaitons retenir des tribunaux de toutes les tailles, car une expérimentation suppose d’être éclectique ; et nous veillerons à ce que des TAE s’installent dans les zones rurales, parce que je veux que nous soyons utiles aux agriculteurs. Cette juridiction, dans sa nouvelle compétence, sera indubitablement favorable aux agriculteurs, j’en ai la certitude. Nous en reparlerons en séance.

Vous avez émis quelques regrets à propos du volet réglementaire. Les mesures que nous avons prises pour favoriser la médiation et le règlement amiable des conflits ne sont pas issues des États généraux de la justice. Permettez-moi de revenir un instant sur la méthode que nous avons retenue, car elle est sans précédent. Le Président de la République annonce des États généraux de la justice, ils sont installés. Le comité des États généraux de la justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, est transpartisan. Il se compose du président de la commission des lois du Sénat, de la présidente de l’époque de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet, des deux plus hauts magistrats de notre pays, d’universitaires, d’avocats. Je n’en fais pas partie, car je veux que l’on puisse dire que ce que nous recueillerons dans ce cadre ne se résume pas aux idées du garde des Sceaux. Des ateliers de travail sont mis en place, je les surveille comme le lait sur le feu, mais je n’interviens pas, pour mieux prendre en compte ce qui en découle. Par ailleurs, la plateforme numérique permet de lancer une grande consultation citoyenne et, pour ce qui me concerne, je me déplacerai auprès de nos concitoyens pour les écouter et leur expliquer le principe des États généraux de la justice. Une fois le rapport rendu, j’ai lancé deux vagues de concertations au cours desquelles j’ai rencontré tout le monde – avocats, forces de sécurité intérieure, magistrats, syndicats etc. Nous avons ainsi retiré des mesures consensuelles. C’est une nouvelle gouvernance qui se met en place.

Beaucoup de réformes de la justice ont été menées, mais rares sont celles qui ont été corrélées aux moyens nécessaires pour les mener. Le volet réglementaire est inspiré de dispositions étrangères, notamment de celles des Pays-Bas et du Québec où le contentieux civil, pourtant beaucoup plus volumineux que chez nous, y est pourtant traité plus rapidement. La députée Caroline Yadan, qui est aussi une avocate farouche défenseure de la médiation et du règlement amiable des conflits, nous aide à définir des mesures réglementaires pour que la justice soit rendue plus rapidement et au plus près de nos concitoyens. Les textes vous seront communiqués. Si tout le monde s’y met et que nous changeons de culture, nous gagnerons du temps. Par exemple, une mise en état dure deux ans et demi actuellement. C’est insupportable pour nos concitoyens. Pire, dans certains contentieux qui mêlent l’intime, les parties ne voient pas leur juge. Comment aimer sa justice quand elle n’est pas incarnée ? Nous manquons de moyens, mais nous prenons des mesures pour y remédier. La procédure amiable, dans ce cadre, revêt une importance particulière.

Monsieur Balanant, vous m’avez posé peu de questions au sujet de la partie du texte pour laquelle vous êtes rapporteur, mais je connais votre esprit critique et je ne doute pas que vous en ayez bientôt.

Monsieur Pradal, je vous remercie d’avoir reconnu les qualités de ce texte que vous avez qualifié de « grande loi ». J’y suis sensible. Vous avez posé la question de la composition du TAE, qui remplace le tribunal de commerce. Les magistrats n’en veulent pas, non plus que les juges consulaires. Mon idée est d’ouvrir le corps. J’ai souhaité, et obtenu, qu’à l’ENM, la qualité de magistrat ne soit plus obligatoire pour enseigner, mais que des élus, des chefs entreprise, des journalistes, des artisans puissent, eux aussi, transmettre leur savoir. On m’a demandé si quelqu’un d’autre qu’un procureur de la République pourrait apprendre aux auditeurs de justice à rédiger un réquisitoire. Un plombier ne le pourrait pas, bien sûr, mais il pourrait leur expliquer l’artisanat. Je suis si favorable au mélange, d’ailleurs, que j’ai signé des conventions avec l’ENM pour que les auditeurs puissent se rendre dans les point-justice et rencontrer nos compatriotes les plus défavorisés. Nous n’imposerons rien, mais nous ferons des propositions. Par exemple, de jeunes magistrats ne pourraient-ils travailler avec les juges consulaires ? Les magistrats de l’ordre judiciaire seraient ainsi mieux formés au monde économique tandis que les juges consulaires pourraient approfondir leur connaissance du droit. Quoi qu’il en soit, les décisions se prendront dans le consensus.

Monsieur Paris, vous avez raison de vous préoccuper de l’indépendance de la justice, indispensable à la démocratie. C’est aussi mon souci. Vous avez rappelé que personne ne pouvait toucher à la liberté juridictionnelle. En contrepartie, on peut se poser des questions sur le sens d’un jugement qui peut nous choquer par son laxisme ou sa sévérité. En revanche, si l’exécutif s’avisait de mettre la main sur la justice de notre pays, nous ne serions plus en démocratie. L’évaluation professionnelle dite à 360° est une nouveauté. Aucune n’avait été réalisée auparavant et nous l’avons conçue avec le CSM. Le Président de la République avait demandé que soit engagé un travail autour de la responsabilité des magistrats. Le rapport m’a été remis et je souhaite instaurer des liens réguliers avec le CSM. Nous avons évoqué la possibilité d’évaluer les chefs de cour. Ce serait une première, mais il n’y a pas de raison qu’elle n’existe pas. Nous en prévoirons les modalités, sachant que l’évaluation ne portera pas sur l’activité juridictionnelle et que le comité d’évaluation présentera toutes les garanties de nature à rassurer les magistrats.

S’agissant de la commission d’admission des requêtes, vous aurez compris que ses pouvoirs d’enquête sont renforcés, mais le garde des Sceaux a également reçu des prérogatives disciplinaires complémentaires. Nous sommes parvenus à un dispositif équilibré. C’est aussi l’opinion des magistrats qui m’entourent et avec qui je travaille. Ces magistrats, rappelons-le, seront amenés à revenir en juridiction. Ils sont donc particulièrement attentifs à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à l’indépendance de la justice. Soyez assurés que s’il me prenait l’envie soudaine de déraper, ils me rappelleraient âprement à mes devoirs élémentaires !

Quant au jury professionnel, sa composition sera calquée sur celle du jury d’admission initial.

Pour ce qui est de l’impartialité, je ne doute pas que vous ayez entendu la réponse que j’ai apportée au sénateur Philippe Bonnecarrère, mais je la répète bien volontiers : j’ai saisi le CSM, dont j’attends la réponse. On ne peut rêver meilleure garantie !

Le devoir de réserve des magistrats qui s’expriment à titre individuel est réaffirmé dans le recueil des obligations déontologiques des magistrats. Vous avez dit, ce dont je vous laisse amicalement la responsabilité, qu’il était presque normal que l’expression syndicale ne soit pas totalement impartiale. Ce n’est sans doute pas faux. Les syndicats, pour jouer leur rôle d’aiguillon, doivent parfois être excessifs. Loin de moi l’intention de les museler. D’ailleurs, pour tout vous avouer, j’ai pris l’habitude de faire le dos rond lorsque j’entends des propos exagérés. Je laisse passer. Chacun a son espace pour s’exprimer. Je n’entends pas, à mon âge, devenir liberticide.

Les attachés de justice et les greffiers sont des spécialistes de la procédure, de l’accueil du justiciable. Ils authentifient les décisions de justice, aident à la prise de décision en recherchant la jurisprudence, rédigent les projets de jugement. Chacun a un rôle bien distinct, mais tous ont vocation à appartenir à l’équipe qui entoure le magistrat.

Mme Caroline Abadie, vous avez raison, tous les projets immobiliers judiciaires ne sont pas cités dans le rapport annexé. Vous m’avez interrogé au sujet de la doctrine d’emploi des contractuels de la direction de l’administration pénitentiaire. Nous avons pris les mesures catégorielles de revalorisation que les syndicats de la pénitentiaire réclamaient depuis vingt ans. Les missions des surveillants adjoints recrutés par voie contractuelle seront circonscrites à certaines tâches, limitativement énumérées, de premier niveau, qui exigent un moindre niveau de responsabilité ou de qualification. Elles sont en cours de définition, mais devraient consister à surveiller des travaux, réaliser des opérations de fouille, assurer la surveillance vidéo, en complémentarité du travail des surveillants titulaires. Seuls les postes restés vacants à l’issue des mutations des surveillants titulaires et des affectations des surveillants qui sortent de l’école, auraient vocation à être pourvus par les contractuels. Je souhaite que l’on fasse bien la distinction pour lever toute ambiguïté. Quant à l’outil de signature électronique, les promesses seront tenues.

Monsieur Philippe Schreck, je ne m’attendais pas à recevoir de votre part beaucoup de compliments. Pourtant, le budget de la justice a augmenté chaque année, y compris en 2023. Cela ne s’était jamais vu. Les chiffres sont là, vous ne pouvez pas les nier. Ce rythme soutenu se poursuivra jusqu’au milieu du quinquennat, car je veux concrétiser très rapidement les conclusions des États généraux de la justice, en particulier les recrutements dans les juridictions. À compter de 2026, le ministère de la justice aura atteint sa vitesse de croisière budgétaire, et de nombreux chantiers immobiliers auront pris fin en 2025. Le budget annuel de la justice se stabilisera à hauteur de 11 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 40 % durant le premier quinquennat et de 60 % d’ici à la fin de ce quinquennat. Nous aurons embauché en cinq ans davantage qu’en vingt ans. La justice a souffert, durant près de trente ans, d’un abandon politique humain et budgétaire. Je n’ai pas de baguette magique et nous avançons petit à petit. Ce que nous avons fait, personne ne l’avait fait avant nous mais, bien évidemment, je ne doute pas une seconde que vous ferez mieux… Vous pouvez le dire autant que vous voudrez, vous en avez le droit. Alors que vous n’avez pas voté le budget de la justice, la critique est facile. Vous n’étiez pas là, lorsque j’ai demandé à tous de dépasser les querelles partisanes pour m’aider et soutenir le budget que je vous proposais. Mais c’est votre choix, et je le respecte.

Monsieur Éric Pauget, les drames qui se sont récemment produits nous ont tous bouleversés. Les décès causés par des conducteurs sous l’emprise de drogue ou d’alcool relèvent de la qualification d’homicide involontaire. La question de la requalification de ces faits s’est posée, car elle peut choquer les victimes ou leurs familles. Vous connaissez la différence entre l’homicide volontaire et l’homicide involontaire. Dans le premier cas, l’intention de donner la mort est avérée. Nous y réfléchissons et je vous invite à venir me rencontrer à la Chancellerie pour que nous en discutions. Le travail est interministériel, puisque le ministère de l’intérieur est également concerné. Des régimes d’indemnisation sont déjà prévus. Nous avons la volonté d’aller plus loin. La question de la responsabilité endogène ou exogène de l’auteur des faits, c’est-à-dire inhérente à l’état pathologique ou générée par la prise de drogue ou d’alcool, s’était déjà posée plus ou moins dans les mêmes termes après l’affaire Sarah Halimi.

Madame Brocard, nous souhaitons simplifier la procédure pénale à droit constant. Je vous ai donné quelques exemples, comme celui de traiter le cas des victimes dans un même chapitre du code de procédure pénale. Il faut clarifier le code, ne serait-ce que pour éviter des nullités de procédure générées par la difficulté à bien comprendre certains textes. Un comité scientifique sera chargé de ce travail. Le titre peut sembler pompeux, mais ne vous en inquiétez pas, il s’agit simplement de réunir toutes les conditions pour s’acquitter au mieux de cette tâche colossale dans les dix-huit ou vingt-quatre prochains mois. Le Parlement aura un droit de regard. Même si l’idée est de clarifier à droit constant, rien n’empêchera les parlementaires de formuler des propositions. Il est bien évident que l’habilitation que le Gouvernement sollicite du Parlement pour simplifier le code de procédure pénale par voie d’ordonnance s’inscrit dans une procédure contrôlée de près par le Parlement. Le Sénat a d’ailleurs renforcé encore davantage les garanties, pour s’assurer que le Gouvernement revienne devant les parlementaires.

Madame Untermaier, je vous trouve bien pessimiste. Les juridictions administratives ont réussi à éradiquer le papier. Il n’y a donc pas de raison que les juridictions judiciaires n’y parviennent pas. La wifi, la visio, le programme PPN (procédure pénale numérique) sont des outils essentiels. Le système d’informations d’aide juridictionnelle, qui permet de déposer sa demande en ligne, a fait tomber les délais de traitement de quarante-cinq à huit jours dans toutes les juridictions qui disposent de cet outil, en 2022. Des techniciens en informatique ont été recrutés dans les juridictions pour intervenir au plus vite en cas de panne. Le portail Justice.fr délivre des informations, des formulaires, propose des outils utiles aux particuliers et aux professionnels. Je conçois que nous n’ayons pas toujours été les meilleurs élèves en ce domaine, mais nous avons beaucoup progressé.

Vous avez dit que je retirais du contentieux au juge des libertés et de la détention (JLD). Ce n’est pas vrai. J’ai simplement proposé qu’au cas où le (JLD) serait saturé de travail, ce qui est souvent le cas, il puisse, avec son chef de juridiction, envisager de confier une partie de son contentieux à un autre magistrat qui, tout comme le JLD, est garant de la liberté individuelle, ainsi que le prévoit la Constitution. D’ailleurs, dans les petites juridictions, lorsque le JLD s’accorde du repos le week-end, qui traite son contentieux, si ce n’est un autre magistrat, qui n’est pas JLD ? C’est une pratique courante. Permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse. J’ai dit, tout à l’heure, qu’il faudrait déconcentrer davantage. Sachez que toutes les demandes des juridictions, même d’une armoire métallique, remontent chez nous ! Or l’administration centrale a autre chose à faire que de s’occuper d’une armoire métallique ! Et tout le temps passé, à Paris, à traiter la demande, génère de la frustration chez les magistrats de province, qui ne comprennent pas pourquoi on met tant de temps à leur fournir une nouvelle armoire ! Le problème est le même pour la gestion des ressources humaines. Tout remonte à l’administration centrale. Et les fonctionnaires qui y travaillent auront encore plus de travail demain puisqu’ils devront installer 1 500 magistrats, 1 500 greffiers, sans parler des contractuels qui seront cédéisés. Ce n’est pas rien ! En faisant confiance aux acteurs du terrain pour traiter ces dossiers, on décharge l’administration centrale.

Concernant le quota, je suis d’accord. Ce n’est pas parce qu’il manque des places en prison qu’on n’incarcère pas. C’est souvent ce qu’affirment les députés du Rassemblement national, mais c’est faux. Imaginez qu’il y ait moins de détenus dans le ressort d’un tribunal : les magistrats se montreraient-ils, par conséquent, plus sévères ? Les critères d’une condamnation ont été fixés depuis des temps immémoriaux et n’ont rien à voir avec la place qu’il pourrait y avoir ou non en prison. En revanche, je crois en la justice restaurative et nous devrions nous inspirer des exemples étrangers.

Madame Moutchou, nous manquons de médecins, ce qui explique qu’il soit recouru à la visio. Concernant les techniques spéciales d’enquête, je rappelle d’abord qu’elles figurent déjà dans notre législation. Par ailleurs, il ne faut pas confondre la géolocalisation et la captation – son et image.

La géolocalisation, c’est l’ancienne balise. Aujourd’hui, tous les voyous savent ce qu’est une balise. Souvent, ils se mettent à genoux pour retirer la balise et l’installer sur une autre voiture. Ils ont même désormais les moyens technologiques de brouiller la balise : ce n’est même plus la peine de se baisser pour l’enlever ! J’ajoute que la géolocalisation est encadrée et se fait sur autorisation d’un juge : ces garanties me paraissent importantes. Enfin, si le policier ou le gendarme se fait prendre en train de placer une balise, il y a quelques risques pour son intégrité physique ; cela me paraît devoir être pris en compte.

Concernant la captation, l’officier de police judiciaire doit aller placer une caméra dans l’appartement – là aussi, s’il se fait prendre, il court des risques. Les garanties qui entourent la captation de sons et d’images sont importantes. Tout d’abord, cette technique est employée dans des affaires de terrorisme et de grand banditisme. Dans certaines surveillances administratives, elle est utilisée sans aucune autorisation judiciaire. Si un suspect rencontre un journaliste, un avocat ou un médecin, il est interdit de retranscrire leur conversation, tout comme cela n’est pas possible lors d’une écoute téléphonique classique. Nous prendrons d’ailleurs un certain nombre de précautions supplémentaires s’agissant des journalistes, qui sont très soucieux de la protection du secret des sources. Je pense que ce système est efficace et équilibré.

Monsieur Iordanoff, l’indépendance du parquet relève du domaine constitutionnel : il n’est donc pas question d’évoquer ce sujet dans le cadre d’une loi de programmation ou d’une loi organique. Pour ma part, j’ai la certitude que le parquet de notre pays est indépendant. Il ne m’est pas possible de donner quelque directive individuelle que ce soit, et j’ai toujours respecté cette règle. Je peux prendre des circulaires de politique générale, que j’adresse aux procureurs généraux – voilà tout. Cela fait bientôt trois ans que je suis ministre de la justice, et je n’ai jamais décroché mon téléphone pour demander quoi que ce soit à un procureur – d’ailleurs, je vous garantis que, s’il m’en prenait l’envie, je ne serais plus ministre dans les dix minutes qui suivent. En refusant d’y croire, vous ne rendez pas hommage aux magistrats du parquet que vous souhaitez pourtant défendre : c’est paradoxal. Vous n’en trouverez pas un seul à qui j’ai passé un coup de fil. En revanche, vous trouverez des procureurs généraux qui ont lu les circulaires que je leur ai adressées. Voilà la réalité.

Les syndicats s’expriment comme ils l’entendent. J’ai néanmoins posé quelques questions au CSM et j’attends sa réponse avec intérêt, car c’est pour moi une boussole extrêmement importante.

Vous m’interrogez sur la justice environnementale et sur les suites qui ont été données au rapport du groupe de travail présidé par le procureur général François Molins. C’est un sujet sur lequel je me suis penché dès mon arrivée à la chancellerie. Le premier texte que j’ai défendu à l’Assemblée nationale est devenu la loi du 24 décembre 2020, qui portait sur la justice environnementale et créait les pôles régionaux de l’environnement au sein de chaque cour d’appel. Les pôles fonctionnent, comme je l’ai vérifié en me déplaçant à Bayonne, il y a quelques semaines. Ils permettent à des magistrats spécialisés de pleinement appréhender les spécificités et, surtout, la technicité du droit de l’environnement.

La LOPJ vise à doter la France d’une justice plus rapide, plus moderne, plus efficace. Le ministère de la justice doit être pleinement partie prenante du combat pour la protection de l’environnement. À cette fin, plusieurs infractions ont été créées ; des postes de magistrats spécialisés ont été ouverts dans les juridictions accueillant les pôles régionaux de l’environnement (PRE), et les 1 500 recrutements de magistrats prévus dans le cadre de la loi de programmation permettront de les renforcer. Nous avons aussi progressivement doté les pôles en juristes assistants et en assistants spécialisés en matière environnementale. Dix nouveaux postes d’assistants spécialisés seront ainsi créés en 2023, en accord avec le ministère de la transition écologique. Un décret et une instruction interministérielle seront bientôt publiés concernant le fonctionnement des Colden – comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale. Enfin, j’attache une attention toute particulière à l’animation du réseau des référents environnement dans les juridictions ainsi qu’à la formation, l’ENM développant une série de formations spécialisées en matière d’environnement.

Madame Faucillon, j’entends parfois que plus on construit de prisons, plus on les remplit. À supposer que vous ayez raison, voulez-vous me dire comment je peux faire pour améliorer tout à la fois les conditions de détention et les conditions de travail du personnel pénitentiaire ?

Les États généraux de la justice ont proposé un seuil de criticité. Certains prétendent que c’est l’alpha et l’oméga pour permettre une décélération de la surpopulation carcérale : c’est faux. Le seuil de criticité est, en réalité, une réunion de tous les acteurs au niveau régional ou interrégional, dans une cour d’appel. Lorsque le nombre de détenus est extrêmement important, au point que certains dorment sur des matelas par terre, on réunit le premier président, le procureur général, le représentant de l’administration pénitentiaire et quelques autres… puis on décide d’incarcérer ailleurs – on n’a donc pas réglé le problème ! C’est cela, le seuil de criticité.

La solution réside pour partie dans la justice restaurative, dans une meilleure utilisation du travail d’intérêt général (TIG), dont nous venons de fêter les quarante ans. J’ai augmenté le nombre de postes de TIG mais figurez-vous que c’est de moins en moins utilisé ! Cela pose un vrai problème. Si vous lisez attentivement le texte, vous verrez que nous incitons à l’utiliser davantage, tout comme l’assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse). Ces outils sont mal utilisés et dans toutes les circulaires de politique pénale, j’ai demandé que l’on requière davantage la peine de TIG, qui a du sens et qui fonctionne.

Le TIG n’est pas suffisamment plaidé, alors que les avocats ont à leur disposition une plateforme qui est un petit bijou. J’ai connu l’époque où l’on plaidait le TIG sans savoir s’il y en avait un de disponible – et il en allait de même pour le juge qui prononçait cette peine. Désormais, la plateforme permet de connaître cette information ; de plus, il est possible à un condamné ayant déjà un emploi d’accomplir sa peine le week-end, pour éviter sa désocialisation. La plateforme prend en considération les questions de mobilité, afin qu’une personne sans moyen de locomotion et sans accès aux transports en commun ne soit condamnée à effectuer un TIG à vingt-cinq kilomètres de chez elle. Pourtant, en dépit de cet outil, on a du mal à prononcer davantage de TIG. Mais, comme je suis un garde des Sceaux respectueux de l’indépendance de la justice, je ne peux qu’inciter, démontrer et présenter un travail transpartisan pour faire entendre ce que nous souhaitons sur cette question.

Pour le reste, la construction de places reste un des leviers pour régler le problème de la surpopulation. De même, la libération sous contrainte, que j’ai fait voter, a permis un certain nombre de libérations sous le contrôle d’un juge. Cela évite les sorties sèches, dont on sait qu’elles sont génératrices de récidives et donc de détenus.

Monsieur Bernalicis, le budget de la justice aura augmenté de 60 % sur les deux quinquennats, contre 43 % pour celui de l’intérieur : ce que vous avez dit n’est donc pas tout à fait exact. C’est du reste bien normal car on ne comprendrait pas que l’on donne les moyens aux uns sans donner les moyens aux autres. Nous reviendrons sur les autres sujets qui vous préoccupent, comme la régulation carcérale, mais je voudrais que vous soyez assuré de ma volonté d’aller de l’avant sur ces questions, en dépit des difficultés qui se posent à nous.

Je trouve insupportable que l’on puisse exploiter le pseudo-laxisme de la justice. Vous transformez le ministère de la justice en ministère du fait divers : ne vous étonnez pas ensuite des conséquences que cela aura. En répétant que la justice est laxiste, on trompe les gens. En matière correctionnelle et en matière criminelle, les peines n’ont cessé d’augmenter et la surpopulation carcérale est une des preuves que la justice n’est pas laxiste. Cela mérite d’être dit parce que l’on s’autorise en permanence des commentaires sur des décisions qui ont été rendues, notamment par la souveraineté populaire, et je dois vous dire que cela me chagrine toujours un peu.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Les projets de loi que vous nous présentez sont le reflet du projet ambitieux qui est le vôtre pour notre justice, avec des moyens inédits, qui nous permettront de nous doter d’une justice plus moderne et plus efficace, s’adaptant aux enjeux du temps, notamment en matière numérique. Elle sera également plus ouverte sur la cité, participant à apaiser les rapports humains dans notre société.

À l’issue des États généraux de la justice, ce texte propose d’institutionnaliser l’équipe juridictionnelle autour du magistrat, afin que ce dernier puisse se concentrer sur son cœur de métier, avec la création de la fonction d’attaché de justice. Une question se pose toutefois sur la doctrine d’emploi de cette nouvelle équipe juridictionnelle : quelle doit être la juste répartition des missions de chacun, sans pour autant diluer les missions de certains corps essentiels comme celui des greffiers ?

Par ailleurs, la justice civile a vocation à développer la médiation au travers d’une réforme des modes alternatifs de règlement des litiges. Quels détails pouvez-vous nous donner sur ce changement de culture juridique, notamment en matière de formation des personnels de justice ?

Mme Pascale Bordes (RN). Le travail d’intérêt général a été créé en 1983 dans un contexte de surpopulation carcérale, afin de permettre aux juridictions de disposer d’une alternative à l’emprisonnement de courte durée. Quarante ans plus tard, nous continuons à prendre le problème à l’envers. Réduire la surpopulation carcérale n’est pas un but en soi : l’objectif est de procurer à la justice un outil pénitentiaire à la hauteur des nécessités de l’époque et donc de créer enfin, massivement, les places de prison dont notre pays a impérativement besoin. C’est en effet au nombre de places de prison de s’adapter au nombre de décisions d’incarcération, et non l’inverse.

Par ailleurs, eu égard à l’explosion de la délinquance, à l’extrême violence qui gangrène des pans entiers de notre société, le TIG, en tant que sanction pénale, me paraît plus que jamais totalement inadapté. Les difficultés de sa mise en œuvre n’échappent à personne. Il est en effet très difficile de trouver une structure d’accueil qui accepte de s’occuper au quotidien de ces populations en raison du temps qu’il faut leur consacrer, des personnels qu’il faut mobiliser mais également de la réticence parfois de ces personnels à cohabiter sur leur lieu de travail avec des délinquants dont certains peuvent avoir un comportement inapproprié. C’est sans doute la raison pour laquelle vous voulez étendre ce dispositif au monde social et solidaire, peut-être moins regardant sur certains aspects des choses.

Les variations dans le temps de la durée du TIG soulèvent également des questions. La durée minimale de cette peine a été divisée par deux, passant de quarante à vingt heures, peut-être pour rendre attractive une mesure qui ne séduit pas et alors que les peines de TIG sont désormais accessibles à des délinquants au profil beaucoup plus inquiétant.

Pouvez-vous nous communiquer les statistiques récentes sur les TIG, faisant état du nombre et du pourcentage de TIG exécutés en totalité ?

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). La France est la honte de l’Europe en ce qui concerne les conditions d’incarcération. Condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, elle est montrée du doigt par le Conseil de l’Europe qui nous supplie, en décembre dernier, d’adopter « une stratégie globale et cohérente pour réduire, sur le long terme, la surpopulation carcérale ». Dans les prisons françaises, 2 241 détenus dorment sur un matelas au sol : voilà votre triste bilan. La Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté vous implore d’adopter un mécanisme pérenne de régulation carcérale pour résorber ce taux alarmant de suroccupation de cellules, notamment en maison d’arrêt. C’est aussi ce qu’on lit dans le rapport Sauvé à la suite des États généraux de la justice, que vous osez dire vouloir prendre au sérieux. Or que proposez-vous ? La construction de 15 000 places de prison, onéreuses et inutiles.

Décidément, vous n’avez aucune audace, aucun courage. Vous poursuivez la même logique de mesures inefficaces appliquées depuis trente ans. Vous devriez pourtant savoir, même si vous le contestez, que plus on construit, plus on enferme : depuis trente ans, le nombre de places a augmenté de 24 000 alors que le nombre de détenus a progressé de 26 700. Ainsi, plus on construit, plus on enferme.

Les crédits de votre loi de programmation, dont vous vantez la hausse inédite, seront essentiellement captés par l’augmentation du parc immobilier pénitentiaire et seulement 50 millions seront consacrés à la lutte contre la récidive. Vous naviguez à vue, en cédant au populisme pénal du Rassemblement national et des Républicains. Ces nouvelles prisons seront-elles construites pour résorber la surpopulation ou pour enfermer davantage, sans effet sur la récidive ?

M. Ian Boucard (LR). Je voudrais tout d’abord rassurer Mme Taurinya : s’agissant des places de prison, il y a ce que le ministre annonce et ce que le ministre construit réellement. En 2022, seules 2 000 places de prison ont été construites alors que l’objectif était de 15 000 places.

L’article 19 du projet de loi exige un master plutôt qu’une maîtrise pour pouvoir accéder au concours d’avocats. Cette mesure inquiète un certain nombre d’étudiants en droit dans notre pays. Vous exigez une année de plus pour qu’un étudiant puisse passer le barreau, alors que ceux qui, après avoir obtenu le M1, réussissent ce concours particulièrement sélectif sont d’excellents étudiants. Pourquoi vouloir sanctionner les meilleurs élèves de notre pays ? Êtes-vous prêt à revoir votre copie ?

Mme Émilie Chandler (RE). Je vous remercie de prendre le temps de répondre à nos questions sur ce projet de loi qui était attendu tant par les professionnels de justice que par nos concitoyens. En tant que parlementaires, nous étions curieux de voir ce qui allait ressortir des constats et propositions des États généraux de la justice. Je suis particulièrement attentive aux dispositions qui concernent les violences intrafamiliales et je sais que nous partageons le même objectif : endiguer ce fléau pour que le foyer reste le lieu de la sécurité.

Le nombre de mis en cause dans des affaires de violences conjugales est passé de 82 134 en 2017 à 141 695 en 2021, en augmentation de 73 %, soulignant ainsi la place de plus en plus importante de ce contentieux devant les juridictions pénales. Celles-ci ont d’ailleurs fait un immense travail puisque 77 % d’entre elles ont mis en place une filière de l’urgence : 127 des 142 juridictions ont créé un comité de pilotage (Copil) et 119 ont un comité local d’aide aux victimes (Clav) dans leur territoire – autant de signaux qui montrent que notre justice est pleinement mobilisée sur le sujet, une mobilisation que nous devons accompagner.

Le texte que nous examinons apporte plusieurs améliorations, comme la création de pôles spécialisés au sein des tribunaux et cours d’appel. Je note aussi la volonté du ministère de préserver les compétences en matière de lutte contre les violences intrafamiliales avec la proposition d’un CDI aux agents contractuels. Ces deux dispositions sont importantes et marquent un engagement fort pour la lutte contre ce fléau qui brise des familles et des vies. Elle marque une nouvelle étape dans notre action contre ce phénomène.

La mission que j’ai menée à la demande de la Première ministre a rendu cinquante-neuf recommandations, toutes ne relevant pas du domaine de la loi. Je salue la place que vous donnerez aux victimes. Comment la loi de programmation sécurise-t-elle les moyens pour la lutte contre les violences intrafamiliales, notamment en ce qui concerne les nouveaux magistrats ?

M. Romain Baubry (RN). La commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat d’un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles vient de rendre son rapport, dans lequel elle constate des manquements graves à la sécurité des établissements pénitentiaires, du personnel et des détenus.

Nous avions déjà soulevé ce problème lors de précédentes auditions et déposé des amendements, lors de l’examen de la mission Justice du projet de loi de finances, visant à augmenter les crédits consacrés à la vidéoprotection et à la rémunération des agents – propositions que vous avez écartées d’un revers de la main, par dogmatisme. Plus d’un an après la mort d’Yvan Colonna, j’ai pu constater, dans le cadre de visites de prisons, qu’il existe toujours des secteurs de détention qui ne sont couverts ni par des caméras ni par des surveillants.

Pour ce qui est de la rémunération, alors que vous avez fait un pas en promettant la revalorisation des catégories, vous projetez par ailleurs de recruter des sous-surveillants, moins bien payés, précarisés, avec une formation non adaptée. L’enjeu sécuritaire est balayé.

Voilà donc toutes les leçons que vous tirez du travail parlementaire qui a été mené durant six mois. Un seul article du projet de loi concerne directement l’administration pénitentiaire, alors que les personnels exercent dans des conditions difficiles, subissent la violence quotidienne dans des prisons surpeuplées et occupées à 25 % par des étrangers, sans compter les binationaux : ce n’est pas à la hauteur. Pour attirer davantage de candidats, il aurait fallu commencer par améliorer les conditions et le rythme de travail des agents afin de leur permettre d’avoir une vie de famille digne.

Devrai-je de nouveau, dans quelques mois, mettre sur la table les mêmes problématiques déjà soulevées à maintes et maintes reprises ou allez-vous enfin prendre des mesures concrètes ?

M. Gilles Le Gendre (RE). Je joins ma voix à toutes celles, nombreuses, qui se sont exprimées cet après-midi pour louer le caractère profondément transformant des deux textes qui nous sont soumis. Il importe maintenant que nos concitoyens s’en saisissent et mesurent rapidement les progrès concrets que ces textes leur apportent en permettant de restaurer progressivement le rapport aujourd’hui très dégradé qu’ils entretiennent avec l’institution judiciaire.

Ces progrès ne manquent pas. Je mentionnerai ainsi l’article 5 du projet de loi ordinaire, qui élargit le champ des infractions recevables à la commission d’indemnisation des victimes d’infractions. Vous avez choisi de rajouter trois types d’infractions : le chantage, l’abus de faiblesse et l’atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données. En outre, vous réservez l’accès à ladite commission aux personnes qui se trouvent, du fait du préjudice qu’elles ont subi, dans une situation matérielle ou psychologique grave.

Comment avez-vous fait le choix de ces trois nouvelles infractions ? Avez-vous hésité avec d’autres types d’infractions, que vous avez décidé de ne pas retenir ? Il serait intéressant de savoir lesquels et pourquoi. Pouvez-vous nous dire de façon plus concrète ce que recouvrent ces familles d’infractions ? Enfin, pouvez-vous nous dire ce que vous considérez être une situation matérielle ou psychologique grave ouvrant droit à ces indemnisations ?

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous regrettons le recours à la procédure accélérée parce que nous abordons des sujets fondamentaux. Cela aura forcément une influence négative sur la qualité de nos échanges.

Concentrons-nous sur l’un des aspects de l’article 3 du projet de loi ordinaire, à savoir les techniques spéciales d’enquête, en particulier la géolocalisation et la possibilité d’espionner au moyen d’objets connectés. La protection de la vie privée est un droit fondamental. Or, contrairement à ce qui est écrit, les personnes résidant avec la personne mise en cause ne pourront pas être protégées de cette écoute puisqu’un objet connecté n’a pas la capacité de faire le tri.

Enfin, nous dénonçons l’effet de cliquet dans le recours à toutes ces technologies intrusives. Lorsque nous avions signalé ce problème, lors de l’examen de la Lopmi – loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur –, on nous avait répondu que nous nous trompions. Vous venez de nous apporter la preuve du contraire.

Mme Marie-France Lorho (RN). À la lecture de l’article 7 du projet de loi ordinaire, la question de la contribution pour la justice économique versée par la partie demanderesse soulève des interrogations. D’une part, cette contribution financière nous semble contrevenir au bon accès au droit de tous les justiciables puisqu’elle ne permettra qu’aux personnes ayant les moyens de payer de bénéficier d’un accès au juge. En 2018, le Défenseur des droits encourageait déjà, à l’occasion du projet de loi de programmation 2018-2022, à ne pas entraver l’accès au droit des justiciables. Il serait regrettable qu’une telle situation se répète.

D’autre part, nous nous interrogeons sur l’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office en cas de non-versement de cette contribution. Elle entre en contradiction directe avec le droit au recours juridictionnel auquel peut prétendre tout Français, consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme et par la Convention européenne des droits de l’homme. Ce conditionnement nous paraît également anticonstitutionnel puisqu’il pourrait porter une atteinte substantielle au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

La contribution financière exigée à la partie demanderesse constitue-t-elle selon vous un obstacle à l’accès aux droits du justiciable ? De quelle manière pensez-vous prémunir cet article contre le risque d’inconstitutionnalité ?

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Lors de votre arrivée au ministère, on avait ressenti chez certains magistrats une forme de scepticisme, pour ne pas dire de réticence – c’est un euphémisme !

Mais depuis le budget de la justice a augmenté 26 % en trois ans, ce qui se traduit par des investissements et des recrutements jamais vus. Vous avez fait adopter vos premiers textes, organisé les États généraux de la justice et vous présentez maintenant le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Mon collègue Didier Paris et moi-même avons pu constater que les points de vue avaient tendance à évoluer sur le terrain.

D’autant que vous proposez de déconcentrer une partie des décisions relatives à l’affectation de moyens, en les confiant aux chefs de juridiction et aux procureurs généraux. Cette évolution était très attendue. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont se traduira cette déconcentration ? Il s’agit de faire davantage confiance aux acteurs de terrain, pour qu’ils puissent utiliser les moyens en fonction des besoins des juridictions.

M. Stéphane Rambaud (RN). L’article 11 du projet de loi organique prévoit, à titre expérimental, l’ouverture d’un concours spécial de recrutement pour les auditeurs de justice, destiné aux étudiants des classes préparatoires « Talents du service public ».

Ces formations sont ouvertes en priorité aux candidats qui souhaitent passer les concours de la fonction publique et qui sont domiciliés et ont suivi une scolarité ou une formation universitaire dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), les zones de revitalisation rurale (ZRR) ou les collectivités d’outre-mer.

Je vous le dis sans ambages : cette mesure est hautement critiquable. Ce n’est ni plus ni moins que de la discrimination dite positive, qui risque de créer – comme toute discrimination – une rupture d’égalité entre les étudiants qui concourent. La discrimination soi-disant positive, ça n’existe pas et en plus ça ne marche pas.

Mettre en place une double voie d’accès à la magistrature en réservant un quota de 15 % aux candidats issus de la diversité rompt à coup sûr avec la tradition d’accès aux postes de la fonction publique en France.

Il ne faut pas se bercer d’illusions : ce système à double vitesse risque immanquablement de conduire à une baisse de niveau du recrutement du fait de critères trop inégaux. Comment pourrait-il en être autrement ?

Pour toutes ces raisons, mon groupe est fermement opposé à cette initiative.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Il y a une semaine, les sénateurs ont intégré dans le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire un amendement visant à limiter la liberté syndicale des magistrats. Cet article ajoute en effet une condition à l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et le droit syndical serait de ce fait désormais garanti en ces termes : « Le droit syndical et garanti aux magistrats […] dans le respect du principe d’impartialité qui s’impose aux membres du corps judiciaire. »

On reconnaît dans cet amendement la rengaine habituelle de la droite, qui passe plus de temps devant le parquet national financier (PNF) que sur la tombe du général de Gaulle. Il fut un temps où le leader censé sauver la droite demandait : « Qui imagine […] le général de Gaulle mis en examen ? » Désormais, ils le sont tous ; et pour y échapper ils s’attaquent en bande organisée à Anticor, au Syndicat de la magistrature (SM) et à l’Union syndicale des magistrats (USM).

Cet amendement est purement et simplement liberticide. La liberté syndicale des magistrats est essentielle, comme le rappellent plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamnant des États autoritaires – telles la Pologne, la Hongrie ou la Turquie – et comme le soulignent aussi le Conseil consultatif des juges européens et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

L’obligation de réserve ne saurait servir à réduire les magistrats au silence. Elle n’affaiblit en rien leur obligation d’impartialité, à laquelle ils sont tous profondément attachés car elle garantit l’indépendance, la dignité et la loyauté. Cet amendement vise donc, non pas à conforter le principe constitutionnel d’impartialité dont vous êtes le garant, monsieur le ministre, mais à museler les syndicats et associations de magistrats.

Vous avez indiqué avoir sollicité l’avis du CSM pour pouvoir juger d’un amendement adopté par le Sénat – et dont vous aviez demandé le retrait. Je rappelle que, dans sa décision du 15 septembre 2022, le CSM a estimé que « L’obligation de réserve ne saurait servir à réduire un magistrat au silence et au conformisme. » Il a aussi rappelé que la liberté syndicale est reconnue aux magistrats et que les prises de position d’une organisation syndicale ne sauraient servir de fondement à la mise en cause de l’impartialité d’un magistrat au seul motif qu’il serait membre de cette organisation.

Monsieur le ministre, ma question est simple : allez-vous revenir à la raison et respecter l’avis du CSM et l’État de droit ? Ou bien tenterez-vous de museler les magistrats en réprimant leur liberté syndicale ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Mme Tanzilli m’a posé un certain nombre de questions sur l’articulation entre les attachés de justice et les greffiers. J’y avais déjà pour partie répondu en disant mon attachement aux greffiers et à leur rôle, tout en soulignant l’aide que les attachés de justice vont leur apporter.

Le 13 janvier dernier, j’ai lancé la politique de l’amiable. Elle vise à inciter les justiciables, les avocats et les magistrats à résoudre les litiges autrement. Les projets de décrets relatifs à l’audience de règlement amiable (ARA) et à la césure du procès ont été transmis aux rapporteurs et vous aurez évidemment connaissance de tout cela.

Comme je l’ai déjà expliqué, l’amiable suppose évidemment un changement de culture. Il faut que les avocats et les magistrats s’approprient ces procédures nouvelles pour assurer une justice plus proche et plus rapide, dans l’intérêt du justiciable. Les déplacements dans les pays étrangers qui pratiquent largement l’amiable nous ont montré que cela permettait de traiter plus de contentieux en moins de temps. Les magistrats et avocats allemands, néerlandais et québécois ont indiqué que, chez eux, 80 % des litiges étaient réglés à l’amiable, alors que c’est le cas d’à peine plus de 1 % d’entre eux en France. Nous faisons donc tout pour valoriser l’amiable. J’ai d’ailleurs lancé il y a quelques jours le Conseil national de la médiation, créé à l’occasion de la discussion du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Une dynamique s’enclenche en matière d’amiable.

M. Le Gendre m’a interrogé sur les critères qui ont présidé à l’élargissement du champ des infractions pour lesquelles la saisine de la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (Civi) est autorisée. Nous avons examiné quelles étaient les atteintes aux biens qui n’étaient pas comprises dans la liste, alors qu’elles relèvent en quelque sorte de la même famille de délits. C’est ce qui nous a conduits à proposer d’ajouter le chantage et l’abus de faiblesse, car ils sont au fond très proches dans leurs effets des infractions déjà prévues que sont le vol, l’escroquerie et l’abus de confiance. Toutes entraînent des préjudices matériels graves et il était nécessaire par cohérence de prévoir cette évolution pour les victimes. Tels sont les principes qui nous ont guidés. Soyez rassuré : nous n’avons pas choisi au doigt mouillé les infractions que nous proposons d’ajouter à cette liste.

Je me demande si vous connaissez le TIG, madame Bordes. Comme vous parlez d’hébergement, nous ne devons pas parler de la même chose.

Mme Pascale Bordes (RN). C’est un terme générique…

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Il n’y a pas de terme générique. Il n’y a aucune raison que le condamné à un TIG soit hébergé. Vous semblez craindre qu’il contamine la population saine, si j’ose dire. Des condamnés à un TIG travaillent au ministère et cela se passe très bien. On peut considérer qu’un condamné qui purge sa peine a le droit de se réinsérer. Mais c’est sans aucun doute ce qui nous sépare.

Mme Pascale Bordes (RN). C’est une certitude.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Vous pensez qu’un TIG n’est pas une peine adéquate, mais vous oubliez qu’il n’est prononcé que lorsque c’est possible. On ne le fait pas pour un braqueur ou un agresseur. Les TIG sont souvent infligés à des jeunes, qui vont ainsi connaître leur première expérience professionnelle. Cette peine a du sens. Ainsi, un jeune qui aurait tenu des propos antisémites pourrait être condamné pour cela à effectuer un TIG au Mémorial de la Shoah. Comme vous le voyez, c’est éducatif, intéressant et cela a beaucoup de sens. Sans doute préféreriez-vous une peine de prison car votre solution, c’est le tout carcéral.

Mme Pascale Bordes (RN). Votre politique est un échec !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. J’entends parfois des gens parler de justice alors qu’ils n’ont jamais mis les pieds dans un palais de justice. S’il suffisait de sortir la trique pour régler le problème de la délinquance, nous le saurions depuis des siècles. Pensez-vous qu’il y a moins de délinquance dans les pays où la justice cogne fort ? Voulez-vous que je vous parle du système pénal et carcéral aux États-Unis ? Il n’y a pas de place pour le dogmatisme dans ce débat. Dans les pays qui répriment plus, il y a davantage de délinquance qu’ailleurs.

Vous ne connaissez pas les TIG, pour lesquels il n’est pas prévu d’hébergement.

Mme Pascale Bordes (RN). Vous me faites dire ce que je n’ai pas dit. J’ai parlé de structures d’accueil. Je vous ai demandé des statistiques et vous ne me les donnez pas.

M. le président Sacha Houlié. Madame Bordes, laissez le ministre terminer.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Vous faites erreur lorsque vous évoquez une durée de vingt heures. Lisez le code pénal !

J’en viens aux chiffres que vous avez demandés. En 2014, la durée moyenne des peines de TIG était de quatre-vingt-dix heures. Elle a atteint quatre-vingt-dix-neuf heures en 2022.

Je me suis déjà très longuement exprimé sur la surpopulation carcérale, Madame Taurinya. Nous disposons actuellement de 60 000 places pour 73 000 détenus. Je le dis sans aucun cynisme : si vous voulez régler la question de la surpopulation carcérale, il faut libérer 13 000 détenus. Il vous reviendra de le faire si vous accédez un jour au pouvoir, mais pour ma part je ne l’assumerai pas. C’est clair et net. Vous auriez dû mieux écouter ce qu’a dit Mme Untermaier à ce sujet. Mme Faucillon a évoqué pour sa part un mécanisme de quotas pour résoudre le problème. Je n’y suis pas favorable. Ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder.

Vous pouvez estimer que je n’ai aucun courage, madame Taurinya – même si ce n’est pas très aimable. Je pense au contraire avoir pris un certain nombre de mesures depuis que j’exerce mes fonctions, comme la libération sous contrainte, le développement du TIG ou le contrat d’emploi pénitentiaire – qui contribue à éviter la récidive en permettant que les détenus sortent de prison avec une formation et un travail. Je m’intéresse évidemment beaucoup à cette question.

La justice est de plus en plus sévère. C’est une réalité. Il faut que nous réfléchissions tous ensemble, car il n’y a pas de solution magique.

Monsieur Boucard m’a demandé pourquoi le projet de loi prévoyait un master 2 pour accéder à la profession d’avocat. Parce que les avocats le veulent. Ils souhaitent que la profession soit mieux formée. Je ne peux pas être sourd à leur revendication. Qu’il me soit permis de préciser qu’on passe un examen pour devenir avocat, et non un concours.

M. Ian Boucard (LR). Ils veulent moins de concurrence !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Baubry, depuis mon arrivée nous avons revalorisé la profession des personnels pénitentiaires pour un montant de 12 millions. La réforme de leur statut permet une évolution de carrière plus facile et plus rapide, avec une forte hausse des rémunérations en début de carrière –  28 millions. Des revalorisations ponctuelles ont été accordées pour les métiers difficiles – greffe pénitentiaire, formateurs, moniteurs de sport – et une majoration des indemnités de nuit a été prévue, le tout pour 3 millions.

M. Romain Baubry (RN). Je ne vous ai pas parlé de ça. Si vous n’avez que cela à proposer…

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Vous m’interpellez sur ce que nous avons fait en faveur du personnel pénitentiaire. Et vous m’interrompez lorsque je vous donne des chiffres incontestables.

Vous m’avez interrogé au sujet de la surveillance vidéo et je souhaitais vous dire ce que nous mettons en place avec les caméras-piétons. Vous faites référence au travail réalisé dans le cadre d’une commission d’enquête au sujet d’une affaire dans laquelle je ne peux intervenir ni de près, ni de loin – ni même la commenter.

J’entends donc vous répondre en détaillant ce que nous avons fait en pratique pour revaloriser le personnel pénitentiaire. Vous dites en minaudant que nous avons fait un pas, alors que le passage de catégorie C en catégorie B, et de catégorie B en catégorie A, était attendu depuis vingt ans. Vous pourriez au moins dire que cela va dans le bon sens, mais c’est sans doute trop vous demander.

M. Romain Baubry (RN). Vous n’avez donc pas répondu à ma question !

M. le président Sacha Houlié. Puisque vous êtes incapables d’écouter les réponses du ministre, nous n’utiliserons plus cette salle. Nous retournerons dans notre salle de commission, qui n’est pas climatisée et où vous êtes les uns sur les autres.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Mme Chandler m’a interrogé sur les pôles spécialisés pour les violences intrafamiliales.

J’ai déjà dit combien le travail qu’elle a réalisé avec Dominique Vérien est impressionnant. Elles ont entendu des centaines de personnes, se sont rendues à l’étranger et ont analysé largement cette question. Nous envisageons de déposer un projet de loi bien avant le mois de janvier prochain, car il y a urgence.

Beaucoup a été fait pour lutter contre les violences intrafamiliales, et une grande partie de cette action supposait des évolutions législatives indispensables pour lesquelles vous avez été au rendez-vous. Je ne vais pas donner une nouvelle fois les chiffres concernant les bracelets antirapprochement (BAR) et les téléphones grave danger (TGD) ou le nombre de vies qui ont ainsi pu être sauvées – dont évidemment on ne parle jamais. Les ordonnances d’éloignement sont prises dans des délais très courts, et elles le seront en quelques heures en cas d’urgence sur motivation particulière du procureur.

Le budget annuel consacré aux violences intrafamiliales a doublé entre 2020 et 2023, passant de 8 à 16 millions. Les crédits consacrés aux TGD ont augmenté de plus de 50 % et le montant affecté aux BAR atteint 8,6 millions – nous en sommes à 1 000 BAR. Sur ce point très précis, nous faisons mieux que les Espagnols, qui ont été pris comme référence car ils se sont penchés sur le problème des violences intrafamiliales dès 2004 alors que nous avons beaucoup tardé à agir. Mais après le Grenelle des violences conjugales, nous avons énormément œuvré pour protéger les victimes et faciliter les interventions de la police.

Soyez-en convaincus, une place très importante sera accordée aux violences intrafamiliales dans les prochains budgets.

Je me suis déjà expliqué sur l’activation à distance d’un appareil électronique. Cela ne concerne qu’une dizaine d’affaires par an. La captation d’images et du son est déjà autorisée dans le cadre d’enquêtes administratives, notamment en matière de terrorisme, mais il faut aller installer des dispositifs techniques pour cela.

Lors d’une interception classique de communication téléphonique entre un suspect et son avocat, la conversation est écoutée mais elle n’est pas retranscrite. Je rappelle que j’ai souhaité apporter de nouvelles garanties au secret professionnel des avocats à l’occasion de la discussion du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Je suis très sensible à cette question ; je voulais même que l’écoute soit interrompue automatiquement dans le cas d’une conversation entre un avocat et son client. Mais cela n’était techniquement pas possible.

Le projet de loi prévoit un régime identique s’agissant de l’activation à distance : on entend, mais on ne peut ni retranscrire ni utiliser. À la suite des débats au Sénat, nous allons mettre en place des procédures qui permettent de détruire très vite ce qui a été capté et qui concerne un avocat, un journaliste ou un parlementaire. Je m’en félicite.

Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a été reçu par mes services il y a deux jours. Une inquiétude se manifeste et ce n’est pas anormal. Nous devons rassurer les uns et les autres et nous adopterons encore un certain nombre de garde-fous. Il faut arrêter avec les fantasmes permanents selon lesquels un mouvement liberticide serait en marche et que rien ne l’arrêtera. Le but n’est pas d’écouter les journalistes ou les avocats, mais les terroristes et le haut du spectre du banditisme. Il faut donner aux enquêteurs des moyens pour être efficaces. Pour le reste, le dispositif est parfaitement encadré.

Je suis certain que nous aurons des débats riches sur ces questions. Il y a matière à s’entendre sur des sujets aussi importants, sans s’en tenir à des postures.

La contribution pour la justice économique prévue par l’article 7 a été validée par le Conseil d’État, madame Lorho. Je n’imagine pas qu’il nous aurait permis de présenter cette disposition en ayant connaissance de son inconstitutionnalité. Ce serait à désespérer de tout.

Monsieur Rebeyrotte, je souhaite que la déconcentration de certaines décisions concerne d’abord la gestion de l’immobilier. Est-il normal que le chef de juridiction soit contraint de saisir l’administration centrale lorsqu’il faut réparer une gouttière ? Je veux aussi que cette déconcentration porte sur l’équipement numérique.

J’en viens au concours spécial de recrutement d’auditeurs de justice. Tout le monde n’a pas la chance de naître dans un château. Il s’agit d’un concours républicain On exige le même diplôme. Le quota prévu est un maximum. Ce concours est nécessaire pour améliorer la diversité et les épreuves sont les mêmes que pour le premier concours.

M. Stéphane Rambaud (RN). Dans ce cas, ce n’est pas la peine d’organiser un deuxième concours…

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Au fond, c’est cela qui nous oppose. J’aime la méritocratie républicaine.

M. Stéphane Rambaud (RN). Je suis issu d’un quartier défavorisé et j’ai passé un concours normal !

M. le président Sacha Houlié. Vous ne pouvez pas tous interrompre systématiquement le ministre. Ce n’est pas possible. Je vous remercie, Monsieur le ministre, l’audition est terminée.

II.   Examen DES ARTICLES

Lors de ses réunions des mercredi 21 et jeudi 22 juin 2023, la Commission examine les articles du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, d’orientation et de programmation du ministère de la Justice (n° 1346) (M. Jean Terlier, rapporteur général, MM. Erwan Balanant et Philippe Pradal, rapporteurs).

Première réunion du mercredi 21 juin 2023 à 9 heures

Lien vidéo : https://assnat.fr/uj6Ffa

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

M. le président Sacha Houlié. Nous débutons l’examen des articles du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, ainsi que du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire.

Sur ces deux textes, je le rappelle, la discussion générale a déjà eu lieu, le 14 juin dernier, à l’occasion de l’audition de M. le garde des Sceaux. Comme vous le savez, nous avons désigné au total quatre rapporteurs sur ces textes, compte tenu de leur ampleur.

Pour le projet de loi ordinaire, M. Jean Terlier, rapporteur général, est également chargé des titres IV à VII. M. Erwan Balanant, lui est rapporteur des titres Ier et II, relatifs, respectivement, aux objectifs et aux moyens du ministère ainsi qu’à la simplification et à la modernisation de la procédure pénale. M. Philippe Pradal est rapporteur du titre III, relatif à la justice commerciale et aux juges non professionnels. Sur le projet de loi organique, le rapporteur que nous avons désigné est M. Didier Paris.

Comme je vous l’ai indiqué hier et lors de la réunion de notre bureau, afin de nous concentrer en priorité sur les dispositions normatives, nous examinerons tout d’abord les articles 2 à 29 du projet de loi ordinaire, puis son article 1er et le rapport annexé, avant d’en venir au projet de loi organique.

Je précise que 158 amendements ont été déposés sur le projet de loi organique et 787 amendements sur le projet de loi ordinaire. Compte tenu de ce nombre élevé, nous poursuivrons l’examen du texte cet après-midi et ce soir, demain matin, après-midi et soir, et, si nécessaire, lundi après-midi et soir. Suivant les remarques formulées en conférence des présidents nous ne siégerons pas vendredi, afin de vous permettre de retourner dans vos circonscriptions. J’invite en revanche chacun à faire preuve de concision, et, pour le bon déroulement de nos débats, à ne pas interrompre les orateurs.

Titre II
DISPOSITIONS RELATIVES À LA SIMPLIFICATION ET À LA MODERNISATION DE LA PROCÉDURE PÉNALE

Article 2 : Habilitation relative à la réécriture du code de procédure pénale

Amendements de suppression CL322 de Mme Emeline K/Bidi.et CL376 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). L’amendement CL322 vise à supprimer l’article 2. Nous refusons la demande d’habilitation du Gouvernement relative à la réécriture du code de procédure pénale : elle relève du législateur.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’amendement CL376 vise effectivement à supprimer l’article 2. Si je comprends la démarche qui consiste à réformer le code de procédure pénale par la voie ordinaire – un projet de loi –, il n’est pas possible de faire raisonnablement confiance au Gouvernement en la matière, comme l’a montré la réforme du code de la justice pénale des mineurs (CJPM), lors de la précédente législature. Des articles de presse ont évoqué la mise en place d’un comité scientifique où nous serions tous représentés : nous n’y avons pas été conviés, ce qui n’est guère engageant. De plus, des évolutions d’ampleur sont nécessaires pour une meilleure efficacité du code de procédure pénale. Les modifications envisagées sur le fond ne correspondent pas à notre vision des choses, s’agissant notamment du renforcement des pouvoirs du parquet ou de l’augmentation de la possibilité d’usage des techniques spéciales d’enquête : le plus raisonnable est d’attendre.

M. Erwan Balanant, rapporteur pour les titres Ier et II. Je comprends votre réticence, en tant que parlementaires, quant aux ordonnances. Néanmoins, lors de la précédente législature, des recodifications ont gagné à être faites par voie d’ordonnance, comme celle du CJPM. Vous en êtes convenu, il est nécessaire de revoir le code de procédure pénale. Si nous passions par la loi, il nous faudrait un immense temps préparatoire – au moins deux ans, voire davantage –, sans compter la période de travail et de débat sur le texte, qui occuperait la moitié de la législature. Or nous avons également d’autres sujets à traiter.

La voie de l’ordonnance me semble donc être la meilleure, d’autant que nous avons obtenu l’assurance que ce travail sera fait sans précipitation, avec un comité scientifique et un comité de pilotage parlementaire, où chaque groupe sera invité. Le code de procédure pénale a atteint un tel degré de complexité qu’une recodification est indispensable. Avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. Mon avis est également défavorable. Le code de 1958 est bien plus mince que celui de 2023. Il s’agit de restructurer et de toiletter le code sans modifier aucune règle, ni toucher à aucun équilibre, c’est-à-dire à droit constant, ce que le texte indique d’ailleurs de façon expresse. Le rapport annexé distingue désormais sans équivoque, à la suite des travaux du Sénat, la possibilité de clarification, qui résultera de la réécriture à droit constant, et les propositions de simplification, qui ne pourront intervenir que dans le cadre d’un projet de loi de ratification. Par exemple, le mot « victime » figure partout dans le code de procédure pénale : ne serait-il pas utile de regrouper la question des victimes dans un seul et même chapitre ?

Du point de vue du contrôle vous n’avez aucune raison d’être inquiets : la commission supérieure de codification – dans laquelle l’Assemblée nationale est représentée par un de ses membres –, le Conseil d’État et le comité scientifique y veillent ; je souhaite également mettre en place un comité composé de parlementaires, issu des groupes des deux assemblées, pour suivre les travaux. Toutes les garanties sont donc présentes et nous répondons à vos inquiétudes.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Votre argumentaire plaide pour que nous procédions dans le sens que vous avez indiqué, monsieur le rapporteur. Pourquoi ne pas consacrer deux ans et demi à ces travaux ? Nous le savons, nous serons invités à participer au comité de liaison parlementaire une fois tous les deux mois et le texte sera rédigé ailleurs. Puis arrivera l’ordonnance de ratification avec engagement de la procédure accélérée, de sorte que nous n’aurons pas suffisamment de temps pour appréhender le sujet : nous ne voulons pas de ce scénario.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, le dispositif est clair et il est précisé qu’il s’effectue à droit constant. Or il est, certes, indiqué que la nouvelle codification, qui porte sur les dispositions en vigueur et sur celles publiées mais non encore entrées en vigueur, s’effectue à droit constant, mais sous certaines réserves, ce qui n’est pas neutre : des modifications peuvent être apportées, à titre anecdotique mais aussi plus substantiel.

Mme Pascale Bordes (RN). Nous sommes tous d’accord, il est urgent de réécrire le code de procédure pénale, comme le demandent tous les acteurs de la vie judiciaire. Ce qui pose problème, c’est la réécriture à droit constant, qui soulève de nombreuses difficultés. Le constat étant fait, que proposez-vous ? J’entends que vous souhaitez associer les parlementaires, mais qui, parmi nous, va s’atteler, au quotidien, à ce travail de bénédictin ? Il me semble donc approprié de passer par la voie réglementaire, même si elle doit être encadrée.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Si nous avions la même réticence, sur le principe, à être dépossédés de ce type de sujet, la réécriture de la partie législative du code de procédure pénale est une demande très ancienne, à laquelle personne ne s’est attelé. Il s’agit donc d’une opportunité à saisir, dans un souci de clarté et d’intelligibilité, pour les acteurs du monde judiciaire et de la sphère pénale. Les révisions du CJPM et du code pénitentiaire ont donné de bons résultats. De plus, le rapporteur l’a souligné, c’est un travail fastidieux qui ne saurait être effectué dans un délai raisonnable. Surtout, le ministre l’a dit, les parlementaires seront associés à la réécriture. Compte tenu de ces garanties, il me semble qu’il faut soutenir cette habilitation, dans l’intérêt des professionnels.

M. Jean Terlier, rapporteur général, rapporteur pour les titres IV à VII. La législature précédente – avec l’exemple du CJPM – a montré qu’une telle méthode fonctionne bien. N’ayez aucune inquiétude quant au comité de pilotage envisagé par le ministère, car il permet d’associer l’ensemble des groupes parlementaires pour un travail de qualité – dans le cas du CJPM, Cécile Untermaier et Stéphane Peu y avaient participé au nom de leurs groupes respectifs.

Par ailleurs, le débat parlementaire aura lieu au moment de la ratification : si des modifications substantielles doivent intervenir, le Parlement y sera associé, en amont et dans le cadre du vote. La méthode a déjà fait ses preuves.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL843 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL17 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). La réforme du code de procédure pénale est attendue par bon nombre d’acteurs de la procédure. Il faut néanmoins bien encadrer la réécriture à droit constant, certaines difficultés étant susceptibles de se traduire par un glissement vers une modification de pans complets de la procédure pénale. Cet amendement vise donc à supprimer, à la fin du premier alinéa, la référence à « la modification de toute autre disposition de nature législative nécessitée par cette réécriture ».

M. Erwan Balanant, rapporteur. La refonte étant faite à droit constant, il ne peut y avoir de modification de fond : la décision n° 99-421 DC du Conseil constitutionnel va dans ce sens. La mention que vous souhaitez supprimer vise simplement à permettre de procéder à la coordination avec les autres codes. À titre d’exemple, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse renvoie au code de procédure pénale : les ajustements proposés permettront d’actualiser ces renvois. De plus, un projet de loi de ratification de l’ordonnance sera déposé.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Si nous présentions un texte autonome, il comporterait 2 000 articles. Il s’agirait d’un travail titanesque, si bien que, dans vingt ans, nous n’aurions toujours pas touché au code de procédure pénale. J’ajouterai que l’objectif principal de ces textes – notre boussole commune, j’en suis convaincu – est d’améliorer la justice de notre pays et les conditions de son exercice.

Je vous suggère par ailleurs ; madame la députée, de participer au comité parlementaire qui va être créé : il sera transpartisan. Il travaillera en lien avec le comité scientifique. Le Parlement aura, en tout état de cause, le dernier mot : vous jugerez ainsi sur pièces de la qualité du travail effectué, à droit constant. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL382 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il s’agit d’un amendement de repli, visant à sécuriser la nouvelle rédaction du code de procédure pénale, à droit constant. Vous nous dites d’avoir confiance, mais nous ne sommes pas rassurés : depuis un an, nous avons pu constater la façon dont les débats parlementaires se déroulent au sein de notre assemblée. Nous souhaitons donc que soit supprimée la fin de la seconde phrase de l’alinéa 2.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous avons déjà évoqué cette question. Je vous renvoie, encore une fois, à la décision du Conseil constitutionnel sur la codification à droit constant. Vous faites référence au CJPM, mais cette comparaison n’est pas tout à fait opérante, car le texte d’habilitation n’était pas à droit constant : il indiquait que les dispositions relatives à la justice pénale des mineurs seraient modifiées et complétées, dans le respect des principes constitutionnels. Faisons confiance au comité scientifique, qui prendra le temps de travailler. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il est vrai que cela est moins pire que ce que Nicole Belloubet avait fait : elle avait introduit la demande d’habilitation par ordonnance en cours de débat, après avoir largement communiqué et indiqué que la réforme se ferait à droit constant, sans préciser qu’il y aurait des exceptions... Arrêtez de nous prendre pour des idiots ! Si votre démarche – un comité de pilotage parlementaire – était aussi pertinente que ce que vous indiquez, pourquoi ne figure-t-elle ni dans l’annexe, ni dans le dispositif du texte ?

La semaine dernière, vous nous avez dit, monsieur le ministre, que tous les parlementaires avaient été associés, ce contre quoi je me suis inscrit en faux. Vous indiquez désormais que cela va être mis en place et que la ratification aura lieu devant l’Assemblée nationale, mais il s’agit de la procédure normale de ratification ! J’oubliais votre dernière trouvaille : depuis le covid, une ordonnance peut s’appliquer sans avoir été ratifiée, même après expiration du délai, comme le précise la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Votre volonté n’est donc pas de débattre, mais d’avancer. Vous l’avez d’ailleurs indiqué, nous n’allons pas passer mille ans sur le sujet ; pourtant, il le faudrait. Nous devrions y consacrer dix ans, car il s’agit d’une question fondamentale : la procédure est sœur des libertés.

M. le président Sacha Houlié. Le législateur ne peut pas être tenu pour responsable des décisions du Conseil constitutionnel : la justice est indépendante, a fortiori le Conseil. Cette jurisprudence est de son fait : nous sommes innocents en la matière !

Mme Naïma Moutchou (HOR). Nous n’avons pas voix au chapitre sur les décisions du Conseil constitutionnel. La demande d’habilitation est issue des États généraux de la justice et comporte la mention de l’association des parlementaires.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. La confiance n’exclut pas le contrôle ; la défiance non plus. Des précautions sont prises, puisque je n’ai aucun pouvoir, ni sur la commission supérieure de codification, ni sur le Conseil d’État, ni sur votre comité parlementaire de suivi. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL18 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). Cet amendement vise à rassurer M. Bernalicis, puisqu’il propose de supprimer de la seconde phrase de l’alinéa 2 les mots : « harmoniser l’état du droit », trop vagues et susceptibles d’ouvrir la voie à une véritable modification de fond du code de procédure pénale. Cette expression recouvre en effet un champ des possibles trop vaste, nous éloignant de la réforme à droit constant.

M. le président Sacha Houlié. L’alinéa 293 du rapport annexé prévoit d’associer les parlementaires à la réécriture du code de procédure pénale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. S’il est important que les parlementaires soient vigilants, la mention sur l’harmonisation dans les habilitations de codification à droit constant est classique. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL19 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). Visant également à sécuriser la procédure de réécriture à droit constant, cet amendement propose d’intégrer le principe consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 décembre 1999, laquelle recommande de s’en tenir à une conception étroite de la codification à droit constant. Pourquoi insérer une décision existante dans le texte ? Le Conseil constitutionnel peut changer d’avis, ce ne serait pas la première fois.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le Conseil constitutionnel a une jurisprudence constante sur ce sujet. Il se montre extrêmement soucieux de la préservation des prérogatives parlementaires. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL20 de Mme Pascale Bordes, CL477 de M. Emmanuel Mandon et CL630 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune).

Mme Pascale Bordes (RN). Mon amendement vise à insérer la disposition prévue dans le rapport annexé, à l’alinéa 293, instaurant un suivi par une assemblée de parlementaires. Nous savons en effet tous que le rapport annexé n’a aucune valeur juridique.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Une refonte de la législation sur la procédure pénale comporte nécessairement de fortes implications pour les libertés individuelles. Nous considérons qu’il est légitime que le Parlement se préoccupe des conditions d’utilisation par le Gouvernement de l’habilitation qui lui est consentie. Je me réjouis, à cet égard, de la volonté de M. le garde des Sceaux d’associer étroitement la représentation nationale à l’entreprise de codification, quelles que soient les sensibilités. Le groupe Démocrate a proposé d’inscrire dans la loi elle-même l’engagement qui a été pris par le Gouvernement, désormais inclus dans le rapport annexé. Une telle insertion manifeste la reconnaissance juridique et symbolique d’une responsabilité partagée.

Notre amendement vise à faire reposer la nécessaire concertation sur les projets de texte élaborés au fur et à mesure du processus de codification. À nos yeux la concertation ne peut se fonder sur les seuls documents du comité scientifique : elle doit l’être sur les textes qui expriment les intentions du Gouvernement lui-même. Par ailleurs, il n’appartient pas au Parlement de valider les travaux menés par le Gouvernement, comme le souhaitent les auteurs de l’amendement CL20, au risque de porter atteinte aux délibérations du pouvoir exécutif et au plein exercice par le Parlement de ses compétences propres.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’amendement CL630 vise à inscrire le comité de suivi dans la loi, le rapport annexé n’ayant aucune portée juridique. Malgré l’article 38 de la Constitution, le sujet est sensible, alors que le code est très volumineux : il sera difficile de rester à droit constant, d’où la nécessité d’un suivi régulier par les parlementaires, afin d’éclairer le débat au moment de la ratification. Si nous ne nous opposons pas à l’habilitation, nous demandons qu’elle soit bordée. Plutôt que des engagements oraux – par nature incertains –, nous souhaitons qu’une garantie figure dans le texte de la loi.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Madame Bordes, si le rapport annexé a si peu d’importance, je m’interroge sur notre capacité collective à l’amender. J’en veux pour exemple le rapport annexé de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), celui de la loi de programmation militaire (LPM) et celui que nous examinons aujourd’hui. Il est vrai que le ministre – et je l’aime beaucoup – n’est pas éternel.

De plus, la mention de l’association des parlementaires figure expressément dans l’étude d’impact. Elle a également été inscrite dans le rapport annexé, qui fixe le cap et les orientations. Nos préoccupations me semblent donc être satisfaites. Si nous l’ajoutions dans le texte, monsieur Mandon, il en deviendrait bavard. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis : si le ministre peut changer, il ne changera pas d’avis ! Les choses sont inscrites et gravées de façon définitive. Pensez-vous franchement que le ministre, quel qu’il soit, passerait outre le Parlement, sans respecter la parole donnée publiquement ? Rassurez-vous, le comité dira ce qu’il a à dire, puisque nous sommes en démocratie. Ce texte doit faire l’objet d’un consensus, tel est mon objectif.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Vous nous dites, monsieur le ministre, que la parole donnée aux parlementaires doit être respectée : vous n’êtes ni le premier, ni le dernier à le faire. Il n’y a pas si longtemps, sur la réforme des retraites, la Première ministre s’est engagée à ne pas utiliser le 49.3, comme d’autres membres du Gouvernement, y compris devant l’hémicycle. Donc, oui, il est possible que, dans vingt-quatre mois, vous constatiez l’absence de consensus sur cette question et appliquiez un texte non ratifié par les assemblées. Ce ne serait qu’un énième coup de force, après tous ceux que vous avez déjà faits ! Le principe de précaution prévaut donc s’agissant du code de procédure pénale. Je vous pose par ailleurs une question : en l’absence de consensus, êtes-vous prêt à ne pas déposer d’ordonnance dans vingt-quatre mois ?

Mme Pascale Bordes (RN). Le rapport annexé, dites-vous, fixe un cap. Dont acte, mais on n’est pas obligé de le suivre, à la différence de ce qui est inscrit dans un article de loi.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Il ne s’agit pas d’une question de confiance, mais simplement de veiller au respect des droits du Parlement. Nous habilitons le Gouvernement à légiférer par ordonnance car nous aurions du mal à réécrire nous-mêmes le code de procédure pénale. Mais il faut que nous conservions toutes les garanties possibles parce que cette matière relève du domaine législatif.

Le rapporteur s’est inquiété de voir le texte devenir bavard. L’article 3 l’est déjà suffisamment pour qu’on se dispense d’un tel argument. Il s’agit en l’occurrence d’un point fondamental et la demande d’habilitation a fait l’objet de critiques assez fortes. Qu’est-ce qui empêche d’inscrire dans cet article des dispositions qui figurent déjà dans le rapport annexé ? J’ai du mal à comprendre.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL784 du Gouvernement.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Cet amendement a pour objet de rétablir à six mois après la publication de l’ordonnance le délai de dépôt du projet de loi de ratification. Ce délai paraît indispensable car il est probable que ce projet fera l’objet d’un débat parlementaire, comme l’indique d’ailleurs le rapport annexé.

L’ordonnance permettra de clarifier le code de procédure pénale à droit constant. Le délai que nous proposons permettra de présenter au Parlement un projet de loi de ratification aussi complet que possible, ce qui permettra ensuite une discussion parlementaire plus riche et plus constructive.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis favorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je vous pose de nouveau la question, monsieur le ministre : s’il n’y a pas de consensus au terme du délai de réflexion désormais de vingt-quatre mois, êtes-vous prêt à ne pas publier l’ordonnance ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Encore une fois, l’ordonnance a pour objet de clarifier le code, à droit constant. Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait ne pas être consensuel. On ne touche ni au fond des règles, ni aux équilibres fondamentaux.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL103 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Peut-être cet amendement se retrouve-t-il en fin de liste parce qu’il propose la parité dans le groupe destiné à associer les parlementaires à la rédaction de l’ordonnance.

Notre groupe est favorable à la réécriture à droit constant par voie d’ordonnance. Lors d’un précédent quinquennat, il avait été décidé avec succès de recourir à la même démarche pour réformer le difficile droit des contrats – ce qui est tout de même quelque chose.

La difficulté n’est pas dans le principe du recours à l’ordonnance mais dans son encadrement, car la procédure pénale touche aux libertés et aux droits de la défense, sujets sur lesquels, à l’évidence, on ne peut que procéder à une réécriture à droit constant.

Mais comment vérifier qu’il en sera bien ainsi ? C’est pour cette raison que, comme d’autres groupes, nous jugeons important que le groupe de parlementaires figure dans cet article et non dans le rapport annexé. Je suis persuadée que ce groupe sera réuni et fera bien son travail. Mais c’est l’occasion de faire en quelque sorte jurisprudence en inscrivant dans la loi, pour la première fois, les modalités d’association des parlementaires à l’élaboration d’une ordonnance. Je ne propose cela ni par défiance ni par crainte d’un complot, mais dans un esprit constructif.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Faire figurer la composition de ce groupe de parlementaires dans l’article rendrait le texte plus complexe et bavard.

L’article 3 ne l’est pas, monsieur Iordanoff. Il est dense et comprend plusieurs dispositifs de fond, ce qui n’est pas la même chose.

L’amendement est par ailleurs satisfait. Vous souhaitez que chaque groupe parlementaire veille à la parité, ce qui implique de désigner deux de ses membres au sein du groupe chargé du suivi de l’élaboration de l’ordonnance. Cela va faire beaucoup si l’on considère le nombre de groupes à l’Assemblée et au Sénat.

Le ministre s’est engagé à réunir ce groupe de parlementaires ; il est mentionné dans l’étude d’impact ; les sénateurs ont choisi à juste titre de le faire figurer dans le rapport annexé. Nous disposons de toutes les garanties nécessaires.

Avis défavorable.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Mme Untermaier a dit qu’elle n’avait aucune raison de douter de ma volonté de réunir ce groupe de parlementaires, et je l’en remercie.

Nous avons évoqué la méthode de travail. Comme cela figurera au compte rendu, il vous suffira d’y faire référence lors de prochaines demandes d’habilitation pour réclamer qu’elle s’applique de nouveau.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Monsieur le rapporteur, mon amendement prévoit que chaque groupe parlementaire veillera autant que possible au respect de la parité. Il n’est donc pas question de désigner deux membres par groupe. Mais il me semble nécessaire de nous orienter courageusement vers la parité.

Ce n’est pas à vous que je vais apprendre la force de la loi, monsieur le ministre. Vous avez suffisamment le goût de l’innovation et la volonté de changer les choses pour admettre que la rédaction d’une ordonnance peut s’appuyer sur deux jambes, l’une du côté de l’exécutif et l’autre du législatif – qui serait affaibli si le dispositif figurait seulement dans le rapport annexé. Il me semble intéressant d’inscrire la méthode d’association des parlementaires directement dans l’article, quitte à prendre le risque d’une censure par le Conseil constitutionnel. Avec d’autres groupes, nous déposerons peut-être en séance publique un autre amendement susceptible de satisfaire l’ensemble des parlementaires.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Article 2 bis (nouveau) (art. 367 du code de procédure pénale) : Valeur de titre de détention de l’arrêt de cour d’assises condamnant à une peine d’emprisonnement un accusé comparaissant détenu

La commission adopte l’article 2 bis non modifié.

Article 3 A (nouveau) (art. 230‑8 du code de procédure pénale) : Amélioration de la gestion du fichier de traitement d’antécédents judiciaires

Amendement CL546 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Cet amendement prévoit l’effacement complet des données du fichier de traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) en cas de relaxe définitive, de décision d’acquittement définitive, de classement sans suite et de non-lieu.

Cela relève selon nous du bon sens. Ces données ne devraient pas être conservées lorsque la décision est devenue définitive et que la personne a été reconnue innocente. L’effacement de toute responsabilité doit emporter l’effacement des données.

Dans les autres cas, l’amendement préserve l’ajout effectué par cet article qui permet, faute d’effacer les données, d’en interdire l’accès dans le cadre d’une enquête administrative.

M. Erwan Balanant, rapporteur. En cas de relaxe définitive, de décision d’acquittement définitive, de classement sans suite et de non-lieu, les données doivent par principe être effacées. Elles ne peuvent être conservées que si le procureur le juge nécessaire et après information de la personne en cas de relaxe ou d’acquittement.

En tout état de cause, ces données ne sont accessibles que dans le cadre judiciaire. Les « mentions » dont elles font l’objet excluent tout accès pour des enquêtes administratives, comme lors d’une demande de visa. Mais il est des situations où la conservation des données pourrait se révéler utile pour d’autres affaires. Je pense donc qu’il ne faut pas supprimer cette dérogation limitée et encadrée.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Nous souhaitons qu’il soit garanti que ces données ne sont pas conservées. La rédaction que nous proposons permet de s’en assurer, car c’est un point fondamental.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 3A non modifié.

Après l’article 3A

Amendement CL671 de M. Raphaël Gérard. 

Mme Sarah Tanzilli (RE). L’amendement a pour objet d’harmoniser les rédactions du code pénal et du code de procédure pénale en ce qui concerne les infractions commises en raison de l’appartenance réelle ou supposée d’une personne à une prétendue race.

La loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a modifié les dispositions du code pénal afin de substituer à la notion de « race » – qui n’est pas applicable aux êtres humains – celle de « prétendue race ». Pour des raisons de cohérence juridique et des raisons philosophiques, il est proposé de procéder à la même substitution au sein du code de procédure pénale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis favorable. Je pense qu’il faudrait d’ailleurs proposer une modification similaire pour la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

M. le président Sacha Houlié. Comme il ne porte pas sur le code de procédure pénale, cet amendement serait probablement irrecevable, monsieur le rapporteur.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. L’amendement CL671 est particulièrement bienvenu. Il n’est pas question que le code de procédure pénale mentionne l’existence de races et il convient en effet de se référer à la notion de « prétendue race » – qui emporte les mêmes effets juridiques.

La commission adopte l’amendement et l’article 3B est ainsi rédigé.

Amendement CL389 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Avec cet amendement, nous voulons mettre fin aux amendes forfaitaires délictuelles (AFD). Nous en avons longuement parlé à l’occasion de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, mais ce texte est l’occasion de poursuivre notre combat.

L’extension de l’AFD à de nouveaux délits en 2019 – et plus particulièrement à celui d’usage de produits stupéfiants, pour lequel l’AFD manifeste une illusoire fermeté – entraîne des effets pervers. Ceux-ci se sont très rapidement manifestés, avec une explosion du nombre d’amendes prononcées qui n’a pas eu le moindre effet sur le niveau de consommation de stupéfiants en France – ce qui a été dénoncé par de nombreuses organisations.

M. Erwan Balanant, rapporteur. On est en train de refaire le match de la Lopmi. Pourquoi pas ? Mais pour que votre dispositif soit efficace, il aurait fallu que vous demandiez la suppression des articles 495-17 à 495-25.

L’AFD met fin à l’action publique pour certains délits expressément prévus par la loi. Contrairement à ce que vous dites, ce mécanisme ne méconnaît nullement les principes du droit pénal et de la procédure pénale, dont l’individualisation des peines et le droit de recours. Le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de l’indiquer à plusieurs reprises – la dernière fois au début de cette année. Je rappelle que l’AFD est une alternative à la peine d’emprisonnement et elle est donc utile. Enfin, un bilan complet de l’AFD est prévu avant 2026, mais ce système semble bien fonctionner.

Avis défavorable.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Avis défavorable également.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous sommes en effet favorables à une régulation de la population carcérale, mais nous sommes contre le fait de prononcer des sanctions délictuelles sans procès.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Si la personne refuse l’AFD, elle comparait devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel et ses droits sont donc parfaitement garantis.

La commission rejette l’amendement.

Article 3 (art. L. 612‑1 du code pénitentiaire et art. 59‑1 [nouveau], 63‑3, 80‑1‑1, 142‑6, 142‑6‑1 [nouveau], 156, 161‑2, 167, 167‑2, 186, 186‑1, 230‑34‑1 [nouveau], 230‑36, 397‑1, 397‑2, 397‑3, 706‑96‑1, 706‑96‑2 [nouveau], 706‑97, 803‑5 et 803‑7 du code de procédure pénale) : Dispositions relatives à l’enquête, à l’instruction, au jugement et à l’exécution des peines

Amendement CL308 de M. Éric Pauget.

M. Éric Pauget (LR). Plus d’un français sur deux ne fait plus confiance à la justice et sept sur dix estiment qu’elle fonctionne mal. D’après les sondages, ils sont même 80 % à penser que notre justice est inefficace.

« Décivilisation » pour le Président de la République, « ensauvagement » pour le ministre de l’intérieur ou « sentiment d’insécurité » pour le garde des Sceaux ; jamais, malgré la loi sur la confiance dans l’institution judiciaire, la défiance des Français n’a été aussi forte envers cette institution.

Inspiré de la législation pénale canadienne, qui prévoit que le placement en détention provisoire peut être nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice lorsque l’accusation d’une infraction grave paraît fondée, cet amendement vise à transposer dans notre droit la notion d’atteinte à la confiance publique dans la justice. Cela interdira aux magistrats de prononcer de peines pouvant porter atteinte à cette confiance au vu du degré de culpabilité de la personne mise en examen, prévenue ou accusée, de la gravité de l’infraction commise et de ses modalités d’exécution ainsi que de l’importance de la peine d’emprisonnement encourue.

Le garde des Sceaux avait mentionné l’exemple du droit québécois lors de son audition sur ce projet. Je propose pour ma part que nous nous inspirions de l’expérience de nos amis canadiens, qui ont trouvé le moyen de rétablir la confiance dans la justice.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Pauget, on connaît votre attachement aux valeurs de la République et à l’indépendance de la justice. Mais votre amendement me surprend et je le trouve assez particulier.

Je ne crois vraiment pas que ce sont les décisions des juges qui vont nuire à la perception de la justice. Pour l’améliorer, il faut faire en sorte que la justice soit plus rapide et qu’elle ait les moyens de bien accomplir sa tâche – c’est ce à quoi nous travaillons avec ce texte.

La confiance dans la justice peut aussi être minée par la mauvaise connaissance du droit et des principes juridiques par nos concitoyens.

Il faut mieux les sensibiliser aux questions juridiques – et le rapport annexé comprend des éléments en ce sens – et avoir une justice qui fonctionne mieux. C’est cela qui garantira que la justice sera aimée par nos concitoyens.

Avis défavorable.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Qu’est-ce qu’une peine « pouvant porter atteinte à la confiance publique dans la justice » ? Que signifie l’interdiction de la prononcer ? Il faudrait que le juge s’interroge sur la peine qu’il envisage de prononcer et qu’il s’interdise de le faire si cette dernière est susceptible de porter atteinte à la confiance publique. Tout cela relève d’une interprétation subjective.

Je veux rappeler mon attachement viscéral à l’indépendance de la justice. Elle a pour corollaire la liberté juridictionnelle. Parmi les centaines de milliers de décisions rendues, il est des peines qui peuvent parfois choquer – que ce soit par leur lourdeur ou leur clémence. Pour avoir longtemps pratiqué les cours d’assises, je peux témoigner que les citoyens qui composent le jury sont souvent en désaccord sur la peine à infliger. L’indépendance et la liberté entraînent parfois des décisions surprenantes, et le citoyen est en droit d’en penser un certain nombre de choses puisque la justice est rendue au nom du peuple français.

Un autre système est possible, celui dans lequel l’exécutif met la main sur la justice. Ce serait une catastrophe absolue. L’État de droit est l’un des signes forts de la vitalité démocratique : si l’exécutif décide des peines à la place des magistrats, nous en avons fini avec les règles qui sont les nôtres et auxquelles je suis profondément attaché. La justice doit s’exercer à l’abri de toute pression. Lorsque l’on n’est pas satisfait d’une décision, il existe des voies de recours. Et pour la paix sociale, il vient un moment où elles sont épuisées. C’est ce qui permet de retrouver un peu de quiétude, parce que la justice c’est le pacte social.

J’entends ce que vous dites, mais attention à ne pas aller trop loin. Vous avez le droit d’exprimer une forme d’irritation, mais il existe des règles intangibles.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Le pouvoir législatif doit faire très attention à la manière avec laquelle il s’adresse au pouvoir judiciaire et au désir d’influencer les décisions juridictionnelles. Nous votons la loi et il revient aux juges de l’appliquer.

Ce genre d’amendement jette une forme de discrédit sur toute la magistrature et sur l’institution judiciaire. En outre, le terme « confiance » peut être décliné à l’infini – confiance dans les médias, le Gouvernement, les députés ou les élus. On peut aller loin comme cela – et d’ailleurs, pourquoi pas ? Notre rôle en tant que députés consiste à trouver les outils pour répondre à l’absence de confiance.

S’agissant de la confiance envers les élus, la possibilité de les révoquer par référendum constitue un outil efficace. Seriez-vous prêts à l’accepter ? Il faut donc balayer devant sa porte et faire très attention à un discours plutôt démagogique qui vise les magistrats sans pour autant proposer de solution. Que souhaitez-vous vraiment ? Que les peines soient prononcées par référendum ? Notre travail n’est pas de dénigrer et d’affaiblir le pouvoir judiciaire mais de lui donner les moyens de réaliser un travail qui aboutisse au consentement, à l’acceptation et à la paix sociale.

M. Didier Paris (RE). Je confesse avec une certaine stupeur être à peu près d’accord avec ce que vient de dire Mme Garrido. Dont acte.

Le ministre a raison de souligner que la justice est une œuvre humaine, et il convient de laisser au juge le soin d’apprécier la situation singulière des délinquants, dont les parcours, très différents, ne sauraient tenir dans les mêmes cases.

Nous savons tous que le droit pénal est d’interprétation stricte. C’est le fondement des garanties individuelles qui font qu’être devant un juge ne signifie pas entrer dans une zone de vaste incertitude, soumise aux diktats de l’opinion publique : gardons la logique de notre système juridictionnel, qui conditionne la condamnation à la preuve d’une infraction, elle-même définie par des éléments constitutifs précis. Laissons l’opinion publique en dehors de cela. Il ne faut pas laisser prospérer la subjectivité dans notre code pénal. Mme Garrido a raison : la séparation des pouvoirs est l’élément fondamental de notre démocratie. Soyons vigilants.

M. Éric Pauget (LR). Le Canada est une grande démocratie libre, dans laquelle la séparation des pouvoirs est un principe constitutionnel. L’atteinte à la confiance publique dans la justice y est en vigueur depuis de nombreuses années.

Un droit moderne est un droit qui évolue et qui ne reste pas figé sur ce que l’on a connu les cinquante dernières années. J’entends les arguments des uns et des autres et je les partage. Néanmoins, cela ne doit pas nous contraindre à rester dans un schéma du passé, lequel devra de toute manière évoluer à l’avenir. Avec cette proposition de modification du code de procédure pénale inspirée du droit canadien, il ne s’agit pas de remettre en cause les décisions de justice mais de renouer le lien entre le peuple et l’institution judiciaire. Vous verrez que l’on y viendra un jour ou l’autre.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL134 de Mme Cécile Untermaier.

M. Hervé Saulignac (SOC). L’Institut français de la justice restaurative (IFJR) déplore que « l’information aux personnes victimes et auteures sur la justice restaurative [soit] très peu délivrée voire confisquée par les professionnels ».

Pourtant, un certain nombre de personnes qui ne connaissent pas cette justice restaurative pourraient profiter de son efficacité. Une enquête menée par l’IFJR et l’association de médiation et d’aide aux victimes (Amav) a révélé que 53 personnes sur les 100 qui avaient participé à un entretien s’étaient montrées intéressées par la possibilité de participer à une mesure de justice restaurative.

Cet amendement vise à systématiser les informations relatives à la justice restaurative auprès des victimes et des auteurs d’infraction, à tous les stades de la procédure pénale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suis aussi attaché que vous au développement des mesures de justice restaurative. Je tiens à saluer le bon travail réalisé sur ce sujet par Naïma Moutchou et Cécile Untermaier.

Votre amendement me semble inopérant pour deux raisons : d’abord, il systématise une mesure qui doit être envisagée au cas par cas ; ensuite, celle-ci s’appliquerait à tous les stades de la procédure ; autrement dit elle serait proposée plusieurs fois à un justiciable qui l’a déjà refusée. Cela ne marche pas.

Je vous suggère donc le retrait de cet amendement pour le retravailler d’ici à l’examen en séance, étant entendu que la justice restaurative donnera lieu à de nouveaux débats.

M. Hervé Saulignac (SOC). Si je comprends bien, vous êtes d’accord sur le principe. Il suffit de retravailler l’amendement pour que vous y soyez favorable en séance. Je vous en remercie par avance.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Pour ne rien vous cacher, cela fait des années que je regarde la justice restaurative comme le meilleur instrument de résilience pour les victimes. Le sujet me tient à cœur, et je sais que je suis loin d’être le seul : c’est aussi le cas de Naïma Moutchou, de Philippe Pradal, de Blandine Brocard, de Didier Paris, de Cécile Untermaier et de tant d’autres qui me pardonneront de ne pas les citer – et même de M. Bernalicis, vient-il de me dire.

Cela dit, chaque chose en son temps. La systématisation me chagrine car elle contrevient au principe même de la justice restaurative : celle-ci doit être seulement proposée – et je serais même tenté de dire : en susurrant –, car elle concerne des situations douloureuses. Il est compliqué, sur le plan humain, de systématiser l’établissement d’une relation entre une victime et l’artisan de son malheur. Certaines victimes n’en veulent pas, et je les entends.

La question est trop importante pour être tranchée dans l’instant. Mais, sur ce sujet comme sur celui de la surpopulation carcérale, ma porte est toujours ouverte. Tout cela doit faire l’objet d’un travail complet et aussi transpartisan que possible. La modernisation de notre justice appelle à la fois une évolution de certains mécanismes séculaires et la préservation de nos grands principes. En l’occurrence, les Canadiens sont très en avance en matière de justice restaurative, monsieur Pauget. Ce qu’ils ont mis en place est une source d’inspiration. Si vous le voulez bien, rendez-vous dans quelques semaines, donc.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’amendement vise à ce que la victime et l’auteur d’une infraction se voient systématiquement proposer une mesure de justice restaurative ; autrement dit il n’implique aucune obligation. J’avais déposé le même amendement il y a cinq ans, sur le projet de loi de programmation de la justice 2018-2022 : on m’avait répondu que tout le monde louait la justice restaurative et qu’il fallait la développer. Cinq ans plus tard, le blocage persiste, faute de moyens. Cela fonctionne bien au Canada parce que les moyens nécessaires y ont été engagés. Le dispositif ne doit en effet pas être obligatoire sous peine d’un dévoiement, mais ce n’est pas l’objet de l’amendement. Si nous sommes tous d’accord, améliorons la rédaction en vue de la séance.

M. Hervé Saulignac (SOC). Il s’agit en effet d’une simple information. Cela étant, nous retravaillerons la rédaction parce que le caractère systématique peut poser problème. Nous souhaitons promouvoir le principe de la justice restaurative, dont l’application reste conditionnée à l’accord des parties.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis favorable à la justice restaurative. Les dispositifs existants en la matière doivent être améliorés, ce qui exige des moyens. Cela étant, l’amendement met la charrue avant les bœufs, parce que si l’on donne l’information avant d’avoir mis en place une justice restaurative plus performante, on ne remplira pas nos obligations vis-à-vis des justiciables, en particulier des victimes. Je suggère un retrait afin que nous travaillions sur le sujet.

L’amendement est retiré.

Amendement CL45 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). Depuis six ans, on observe une extension de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) et, plus généralement, de la justice transactionnelle en droit pénal des affaires. Il faut en tirer toutes les conséquences et prévoir l’assistance de la personne morale par un avocat au cours de la procédure de la CJIP.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Plusieurs différences entre la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et la CJIP expliquent que ces procédures soient entourées de garanties distinctes. La CRPC implique de reconnaître sa culpabilité, ce qui n’est pas le cas de la CJIP. La CJIP permet d’échapper à toute poursuite en contrepartie du paiement d’une amende et ne constitue donc pas une peine, alors que, dans le cas de la CRPC, une peine – qui peut être de la prison ferme – est susceptible d’être prononcée. La CJIP concerne des personnes morales, donc principalement des entreprises, tandis que la CRPC s’applique aux personnes physiques. Enfin, la CJIP concerne surtout de grandes entreprises qui veulent éviter les poursuites pour des faits de corruption ou de fraude fiscale, et qui sont largement assistées par leurs avocats. Avis défavorable.

M. Philippe Gosselin (LR). Nous souhaitons que les entreprises de plus petite taille bénéficient, elles aussi, de l’assistance d’un avocat. Les personnes morales ont droit, au même titre que les personnes physiques, à une forme de protection.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL844 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement tire les conséquences de la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 février dernier. Il vise à ce que l’avocat soit avisé et puisse assister son client lorsque celui-ci est gardé à vue et fait l’objet, contre son gré, de relevés signalétiques, c’est-à-dire de relevés d’empreintes digitales, palmaires ou de photographies. L’amendement prévoit un délai de carence de deux heures afin d’assurer un équilibre entre les droits de la défense et l’objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions.

La commission adopte l’amendement.

Amendements identiques CL47 de M. Philippe Gosselin et CL73 de Mme Caroline Yadan, amendements identiques CL48 de M. Philippe Gosselin, CL106 de Mme Cécile Untermaier et CL335 de Mme Émeline K/Bidi (discussion commune).

M. Philippe Gosselin (LR). L’amendement CL47 vise à offrir la possibilité à la personne perquisitionnée de prévenir son avocat et d’être assistée par celui-ci, sans que l’absence de ce dernier n’empêche le déroulement de la procédure. Cela n’imposerait aucune formalité supplémentaire aux officiers de police judiciaire (OPJ).

Mme Caroline Yadan (RE). Cet amendement avait été adopté lors de l’examen du projet de loi de programmation de la justice 2018-2022 puis du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, en 2021, avant d’être abandonné. Il vise à renforcer les garanties procédurales en prévoyant la possibilité de la présence de l’avocat lors d’une perquisition, à la demande de la personne perquisitionnée. Cela permettrait de concilier l’efficacité de l’enquête et le renforcement des droits de la personne perquisitionnée.

M. Philippe Gosselin (LR). Il s’agit, par l’amendement CL48, de renforcer la présence de l’avocat lors de la perquisition.

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’amendement CL106 vise à ce que la personne faisant l’objet d’une perquisition puisse appeler son avocat et que celui-ci puisse se rendre sur les lieux, sans que cela n’interrompe les opérations. Cela nous paraît une garantie minimale.

Mme Émeline K/Bidi (GDR-NUPES). L’amendement CL335 a pour objet de renforcer la place de l’avocat dans le cadre de la perquisition, en faisant en sorte qu’il puisse être présent dès le début de la procédure, assister son client et adresser des observations au procureur de la République. Il se verrait ainsi attribuer des prérogatives proches de celles qui lui sont dévolues dans le cadre de la garde à vue. Il ne s’agit nullement d’entraver la perquisition mais de renforcer les droits de la personne perquisitionnée. S’il existe un risque pour sa sécurité, il sera possible de refuser la présence de l’avocat. Cette proposition est issue d’un amendement du groupe majoritaire qui avait été adopté par l’Assemblée dans le cadre du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire de 2021.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le débat, en effet, n’est pas nouveau. Notre assemblée avait adopté cette mesure lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, mais le Sénat s’y était fermement opposé et la disposition ne figurait plus dans le texte final. Le Sénat a à nouveau écarté cette mesure il y a quelques jours.

Je comprends votre objectif, mais ne suis pas certain qu’il faille aller dans ce sens. D’une part, le droit prévoit déjà un grand nombre de garanties en faveur de la personne concernée par la perquisition : sa présence est obligatoire ou, à défaut, celle de son représentant ou de témoins ; les officiers chargés de la perquisition doivent prendre toute mesure pour assurer le respect des droits de la défense ; l’intéressé a le droit de se taire, ce qui répond aux préoccupations relatives à l’auto-incrimination, et le droit d’être assisté par un avocat s’il est auditionné pendant la perquisition. Les comparaisons avec la garde à vue me semblent hasardeuses car ce sont des situations tout à fait différentes.

D’autre part, comme les forces de l’ordre nous l’ont indiqué, la question de la sécurité de l’avocat pendant la perquisition peut se poser.

La mesure proposée risque de complexifier la procédure et de compromettre l’exécution opérationnelle des perquisitions. Par exemple, une perquisition en flagrance pour un crime grave ou pour empêcher une atteinte doit parfois être menée en urgence, ce qui serait impossible si on devait attendre la présence de l’avocat. Faisons confiance au comité scientifique pour avancer sur le sujet à l’occasion des travaux sur la refonte du code.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Gosselin, madame Yadan, il ne me paraît pas cohérent de créer deux régimes distincts de perquisition en fonction du placement ou non en garde à vue de la personne. En outre, vous ne définissez pas les contours de l’assistance dont bénéficierait cette dernière. La présence de l’avocat lors de la perquisition est une question infiniment complexe, qui pourrait être discutée à l’occasion de la refonte du code de procédure pénale. Je vous propose de retirer votre amendement.

Je suis défavorable aux amendements CL48, CL106 et CL335. La commission des lois du Sénat avait supprimé cette disposition de la loi « confiance dans l’institution judiciaire » pour trois raisons. Premièrement, elle estimait que le droit offrait déjà des garanties suffisantes puisqu’en cas d’audition, la personne concernée peut être assistée d’un avocat, à peine de nullité de la procédure. Deuxièmement, elle mettait en avant le fait que la mesure aurait complexifié la procédure pénale, spécialement dans le domaine économique et financier. Troisièmement, elle soulignait que la disposition risquait d’accentuer les inégalités des citoyens dans le cadre de la défense pénale. La commission mixte paritaire (CMP) avait considéré que la suppression de cette disposition était de nature à apaiser le vif débat qu’elle suscitait à l’époque. Lorsque le code de procédure pénale aura été réécrit à droit constant, cette évolution pourra, le cas échéant, être envisagée dans le projet de loi de ratification. J’y suis défavorable pour le moment.

M. Didier Paris (RE). Il serait naïf de penser que la possibilité accordée à une personne perquisitionnée de prévenir son avocat n’aurait aucune incidence sur le déroulement de la procédure. En effet, les policiers et les gendarmes seraient amenés à se demander s’ils doivent ou non attendre l’avocat. Or, en cet instant, il est crucial de laisser les forces de sécurité agir sans qu’elles aient à se poser trop de questions.

J’abonde dans le sens de M. le ministre : si une réflexion de fond doit être menée sur le code de procédure pénale, pourquoi ne pas y intégrer cette question ? La distinction que vous faites selon qu’il y a ou non une garde à vue est totalement inopérante puisque, en cas d’audition, l’avocat sera présent, au même titre que lors d’une garde à vue.

Dans le cadre des travaux préparatoires à la loi de 2019, nous avions noté que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait très clairement indiqué que la législation française n’était en aucune façon incompatible avec la Convention européenne des droits de l’homme, y compris pour ce qui concerne l’absence de l’avocat pendant la perquisition, puisqu’il ne s’agit pas d’une audition.

M. Philippe Gosselin (LR). Personne n’a prétendu que le droit français contrevenait à la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut certes privilégier le travail de l’enquête mais on ne peut pas dire, comme vous le faites, que cette disposition conduirait les forces de l’ordre à se poser un trop grand nombre de questions. Faisons confiance au comité scientifique, en effet. Si la réécriture du code de procédure pénale se fera à droit constant pour l’essentiel, il ne faudrait pas profiter d’un dessaisissement du Parlement pour recaser dans l’ordonnance des dispositions qui nécessiteraient un examen plus approfondi.

Mme Émeline K/Bidi (GDR-NUPES). En relisant l’amendement CL335, je constate que vos doutes n’ont pas lieu d’être. Il est bien écrit que les opérations de perquisition pourront commencer sans attendre la présence de l’avocat. Les forces de l’ordre n’auront donc pas à se poser de questions. Le seul délai qu’elles devront respecter est l’arrivée de l’avocat en cas d’audition de la personne, à l’instar de ce qui est prévu pour la garde à vue. La sécurité de l’avocat ne sera pas non plus menacée puisqu’il intervient chez son client et que sa présence pourra être refusée pour des motifs particuliers. Enfin, rappelons que nous ne sommes pas la chambre d’enregistrement du Sénat.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Gosselin, l’ordonnance sera prise à droit constant. Le comité scientifique est chargé de clarifier et d’identifier des pistes d’amélioration, par exemple sur le sujet dont nous débattons. Des avancées pourront être obtenues lors de l’examen de la loi de ratification. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Gosselin, ce n’est pas à vous que je vais apprendre qu’il faut distinguer la réécriture à droit constant des éventuelles propositions que l’on pourrait faire.

M. Philippe Gosselin (LR). Le rapporteur était ambigu.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je ne crois pas. C’était plutôt votre propos qui l’était.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL326 de Mme Émeline K/Bidi, CL391 de Mme Andrée Taurinya, CL481 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL633 de M. Jérémie Iordanoff.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Les exceptions à l’interdiction des perquisitions nocturnes ont progressivement été étendues. Ce texte poursuit dans cette voie, ce qui crée un déséquilibre et porte atteinte à des principes à valeur constitutionnelle, à commencer par l’inviolabilité et la protection du domicile. Certes, l’autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) est requise mais, compte tenu des moyens qui lui sont accordés, on sait qu’il ne pourra pas pleinement exécuter son office. Nous ne pouvons accepter cette évolution.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous devons trouver une forme d’équilibre et veiller au respect des droits, ce qui nous conduit à nous opposer aux perquisitions de nuit, que nous jugeons très intrusives dans la vie privée de la personne concernée et de son entourage. On note une tendance générale, en Macronie, à banaliser des procédures tout à fait exceptionnelles, comme les perquisitions menées de nuit, en matière de terrorisme, pour faire face à un danger immédiat. Monsieur le garde des Sceaux, j’aurais apprécié que vous m’écoutiez…

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Cet article introduirait des dérogations, à nos yeux excessives, à l’article 59 du code de procédure pénale, qui interdit, sous réserve des exceptions prévues par la loi, les perquisitions de nuit. Les exceptions concernent des infractions d’une particulière gravité, comme le terrorisme, la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants. L’amendement CL481 vise à s’opposer à la généralisation de cette faculté, qui nous paraît disproportionnée.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’extension aux crimes de droit commun des perquisitions nocturnes domiciliaires nous semble également disproportionnée. Il n’y a pas de raison suffisante pour légiférer. En matière de flagrance, les services disposent déjà de moyens d’enquête très étendus de jour comme de nuit. Enfin, le JLD n’ayant pas les moyens de contrôler l’ensemble des actes, l’encadrement de la mesure sera largement insuffisant. Pour l’ensemble de ces raisons, nous souhaitons supprimer les alinéas 2 à 4.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je fais partie de la bande qui défend les libertés, mais il ne faut pas se faire peur pour rien. Les perquisitions de nuit ne seront possibles que dans le cadre d’une enquête de flagrance, ou lors d’une instruction en cas de flagrance, c’est-à-dire dans des cas d’urgence. Elles seront circonscrites aux crimes contre les personnes, infractions d’une extrême gravité. Enfin, la procédure est très encadrée : elle est subordonnée à l’autorisation du JLD, sur requête du procureur, ou à l’autorisation du juge d’instruction au cours d’une information judiciaire. Elle obéit à un formalisme spécifique, en particulier une obligation de motivation renforcée. Il faut notamment préciser pourquoi seules des perquisitions de nuit permettraient d’atteindre les objectifs visés. Enfin, les finalités doivent être précisément et limitativement énumérées.

Ce cadre juridique s’inspire de celui qui est applicable à la criminalité organisée, lequel a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Au demeurant, le cadre proposé est plus strict, puisqu’en matière de flagrance, le droit en vigueur ne conditionne pas les perquisitions de nuit aux trois finalités prévues ici.

À l’heure actuelle, on peut procéder à des perquisitions de nuit dans des affaires de vente de stupéfiants. Ce texte ajoute la possibilité d’y recourir en cas de viol, de meurtre ou de torture. Je vois mal pourquoi on se priverait de cette possibilité dans l’hypothèse d’un féminicide, par exemple. Soyons cohérents.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Madame Martin, je me suis tourné un instant vers mes services car je souhaitais obtenir une information afin de vous répondre plus précisément. Les perquisitions, notamment en matière de terrorisme, ont été rendues possibles non sous la Macronie mais sous la Mitterrandie !

Prenons l’hypothèse d’un féminicide, qui vient d’être commis dans un appartement, en présence d’enfants : ne diriez-vous pas, si vous étiez JLD, qu’il faut entrer pour préserver les enfants, voire l’intégrité physique de l’auteur – car le féminicide est souvent suivi d’un suicide ?

Monsieur Bernalicis, ne vous en déplaise, le texte est clair : la perquisition ou la visite domiciliaire peuvent être autorisées « lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque imminent d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d’être commis ou pour permettre l’interpellation de son auteur ». Préférez-vous que les policiers restent en faction dehors en attendant six heures du matin ? Chacun décidera en conscience. Il n’y a là nulle démagogie, madame Garrido : on sait qu’un grand nombre de féminicides s’étend aux enfants ou à d’autres personnes présentes sur les lieux.

Vous pouvez tout contester, et de mon côté je ne crois pas avoir de leçons de défense des libertés à recevoir, je l’ai dit. Mais il est totalement incohérent de permettre, pour certains délits commis en bande organisée, des perquisitions de nuit et de les interdire pour les crimes les plus graves. C’est du bon sens !

Mme Caroline Abadie (RE). J’appartiens moi aussi à la bande qui défend les libertés ; cela n’a rien de contradictoire avec la volonté de disposer d’outils efficaces.

J’ajoute aux arguments du rapporteur et du ministre que la commission des lois du Sénat a déjà inscrit dans le texte la notion de danger imminent.

Toutes les garanties nécessaires me semblent donc apportées.

M. Philippe Schreck (RN). La distinction entre le crime d’une particulière gravité et le crime de droit commun établi dans ces amendements est inutile : un crime contre les personnes est toujours d’une particulière gravité !

Le texte autorise des perquisitions pour prévenir un viol ou un meurtre. On ne va pas y renoncer sous le prétexte qu’il est une heure quarante-cinq du matin ! Ce sont des évidences qui ne remettent pas en cause les principes de la protection du domicile et de la vie privée. Ce texte prévoit même un contrôle par le juge des libertés et de la détention (JLD). Il est équilibré.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous renvoie au document que vous avez reçu faisant état de l’avancement de nos travaux de rapporteurs. Il révèle les incohérences du droit actuel. Je vous assure qu’il vous convaincra de la nécessité de cette modification.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL640 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement ajoute une condition d’urgence, sur le modèle de ce que prévoit le code de procédure pénale s’agissant des perquisitions nocturnes en matière de criminalité organisée. On ne comprend pas pourquoi cette condition a disparu ici.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement est satisfait : les trois finalités visées sont marquées du sceau de l’urgence. Dans le cas de la criminalité organisée, l’urgence n’est pas prévue pour la flagrance, mais seulement pour l’enquête préliminaire et l’instruction. J’ajoute que l’alinéa 21, qui porte sur l’instruction, fait bel et bien mention de la condition d’urgence.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). En droit, chaque mot est pesé, et chacun déclenche un régime juridique. Depuis tout à l’heure, il me semble qu’une confusion s’installe entre des régimes juridiques distincts, notamment entre ce qui relève de la perquisition et ce qui relève de l’interpellation. Pénétrer dans un lieu pour empêcher un viol ou libérer un enfant qui hurle, ce n’est pas la même chose que perquisitionner. Si un enfant hurle derrière une porte, j’espère bien qu’on rentre et qu’on libère l’enfant ! Je n’accepte pas votre argument, monsieur le ministre.

Il ne faut pas confondre les différents régimes juridiques, sinon nous mettons toutes les parties en danger, même les victimes : les poursuites judiciaires ne seront pas bien menées si nos textes sont mal écrits. Attention !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Ce que vous dites est inexact en droit. Bien sûr, on peut pénétrer dans un appartement si on entend une victime en danger qui hurle, et heureusement ! Mais, s’il y a des petits enfants qui sont dans la chambre alors qu’on vient de tuer leur mère, sans la disposition ici introduite, on ne rentre pas.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL845 de M. Erwan Balanant et CL594 de Mme Julie Lechanteux (discussion commune).

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement CL845 est de précision.

Mme Julie Lechanteux (RN). Les Français sont de moins en moins en sécurité. Les trafics de drogue ont pris une proportion inédite, et toute une économie parallèle se développe autour d’eux. Le Var n’est pas épargné : en 2022, les forces de sécurité intérieure y ont saisi près de 1 400 kilos de cannabis, contre 1 030 en 2021. L’augmentation depuis 2017 est de 626 %. Ces chiffres sont alarmants.

Je salue l’investissement sans faille des forces de l’ordre dans la lutte contre le trafic de drogue, mais il faut leur donner davantage de moyens, ainsi qu’à la justice. C’est pourquoi je propose de permettre au procureur de la République d’autoriser, en cas trafic de stupéfiants, les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction en dehors des heures prévues à l’article 59 du code de procédure pénale, c’est-à-dire après vingt et une heures et avant six heures du matin.

C’est un amendement de bon sens qui devrait faire consensus.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cet amendement est satisfait. Je vous renvoie aux articles 706‑89 à 706‑91 du code de procédure pénale. Le trafic de stupéfiant relève de la criminalité organisée, sur laquelle portent ces articles.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Je trouve ces propositions effrayantes. Gardons à l’esprit que, demain, une loi pourra être détournée et servir à réprimer – nous le verrons peut-être dès aujourd’hui après le Conseil des ministres, puisqu’il est question de dissoudre le collectif Les Soulèvements de la terre. Imaginez les dérives qui pourraient survenir si un parti illibéral prenait le pouvoir !

Mme Julie Lechanteux (RN). Je précise que mon amendement élargit la possibilité d’agir de nuit aux délits relevant du trafic de stupéfiants.

La commission adopte l’amendement CL845.

En conséquence, l’amendement CL594 tombe.

Amendement CL638 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le projet de loi ne reprend pas l’ensemble des exigences inscrites à l’article 706‑92 du code de procédure pénale. La motivation de l’ordonnance ne porte pas sur les motifs légaux d’utilisation de la perquisition mais sur l’heure à laquelle elle s’effectue. C’est une lacune grave. Il ne faut pas banaliser les perquisitions nocturnes.

Pourquoi ne pas reprendre l’ensemble de l’article 706‑92 ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable. Ce ne serait pas utile, et poserait même un problème de cohérence car les finalités spéciales de perquisition applicables, en matière de criminalité organisée, en enquête préliminaire ou en instruction ne sont pas exactement les mêmes que celles du texte.

En outre, formellement, le deuxième alinéa de l’article 706‑92 renvoie, pour la motivation, aux articles qui portent spécifiquement sur la criminalité organisée ; en tout état de cause, il ne serait donc pas applicable.

Je vous rassure, le cadre juridique est très précis, plus strict d’ailleurs que le cadre actuel en matière de flagrance, et la motivation renforcée de l’autorisation est bien prévue.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL104 de Mme Cécile Untermaier.

M. Roger Vicot (SOC). Il s’agit d’un amendement sémantique, mais qui ne nous paraît pas superflu : nous proposons de remplacer les mots « [leur réalisation] est nécessaire » par « s’impose ». C’est une petite garantie supplémentaire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Demande de retrait. Je ne suis pas sûr que votre amendement changerait grand-chose : la nécessité est suffisamment forte et ne souffre guère de nuance. Mme Garrido l’a rappelé, les mots ont leur importance, et le terme « nécessaire » est déjà employé dans le cadre juridique des perquisitions de nuit en matière de criminalité organisée : il est robuste et éprouvé. Il est préférable d’harmoniser les régimes voisins. En outre, il pourrait y avoir des effets de bords si les mêmes termes ne sont pas employés dans les mêmes situations.

M. Roger Vicot (SOC). Le verbe « s’imposer » donnerait plus de force.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nous essayons d’apporter des garanties supplémentaires pour un dispositif paraît un peu disproportionné.

On nous cite le cas de figure d’un féminicide où il y aurait des enfants dans l’appartement… Les pompiers et les policiers ont une mission de secours à la personne : ils peuvent intervenir. Casser une porte parce que quelqu’un se met en danger, cela leur arrive. Je me disais qu’il devait bien y avoir une base légale, bon sang ! Eh bien, j’ai trouvé l’article 122‑7 du code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. » Certes, il n’est pas question ici de préserver des preuves ou de geler la scène du crime. Mais votre argument portait sur la nécessité de porter secours pour mettre un éteignoir sur la discussion politique. Vous tombez mal : la loi le prévoit déjà.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL642 de M. Jérémie Iordanoff et CL846 de M. Erwan Balanant (discussion commune).

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement de repli tend à limiter la liste des motifs légaux pouvant justifier le recours aux perquisitions nocturnes. L’étude d’impact ne cite, pour expliciter la nécessité de légiférer, que la déperdition de preuves. Pourquoi ajouter de nouveaux motifs ? Ainsi, n’est-il pas déjà possible d’appréhender des auteurs de crime ? Il est possible d’intervenir à toute heure dans un domicile pour porter secours – c’est l’article 223‑6 du code pénal – ou en cas de réclamation depuis l’intérieur – c’est l’article 59 du code de procédure pénale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’ajout proposé par les sénateurs peut paraître intéressant, mais je ne suis pas convaincu qu’exiger que le risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique doive être « imminent » pour permettre les perquisitions de nuit soit nécessaire, ni même opportun.

L’ensemble du dispositif, très bien encadré, est déjà caractérisé par l’urgence : nous sommes en situation de flagrance – y compris pour le dispositif applicable à l’instruction – et les finalités prévues sont toutes marquées par l’urgence et la nécessité d’agir rapidement.

En outre, le régime juridique actuel des perquisitions de nuit ne retient pas cette exigence d’imminence. En retenant une rédaction différente, nous pourrions créer un nid à contentieux.

Je vous propose de conserver une rédaction déjà éprouvée et pleinement sécurisée.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis favorable à l’amendement du rapporteur et défavorable à celui de M. Iordanoff.

M. Fabien Di Filippo (LR). Il règne une certaine confusion entre ce qui relève de l’intervention de police et ce qui relève d’une perquisition – même si je suis favorable à l’extension des possibilités de perquisition, notamment dans des affaires de stupéfiants. Les sénateurs ont eu la sagesse d’ajouter la notion d’imminence pour apporter un peu de clarté.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). On mélange les torchons et les serviettes !

Si quelqu’un fait face à un péril grave et imminent, un témoin qui a conscience du danger a le devoir d’intervenir ; sinon, il se rend coupable de non-assistance à personne en danger. Ces notions figurent dans notre droit. En utilisant ces cas pour élargir le champ des perquisitions, vous déstabilisez la notion même de perquisition, et vous refusez d’entrer dans le débat sur les justifications possibles d’une perquisition.

En cas de danger grave, il faut une action résolue pour protéger la personne. Cette action ne peut pas être une perquisition !

Mme Naïma Moutchou (HOR). Le texte inclut les visites domiciliaires. Il traite aussi de l’interpellation d’un auteur, ce qui n’implique pas de danger à l’égard d’un tiers.

Au fond, nos débats ne portent pas tant sur les perquisitions nocturnes que sur les perquisitions en général. Pourtant, personne ne remettrait celles-ci en cause aujourd’hui.

L’extension proposée des perquisitions de nuit est une atteinte aux libertés, mais elle est suffisamment encadrée et proportionnée.

Successivement, la commission rejette l’amendement CL642 et adopte l’amendement CL846.

Amendements CL105 de Mme Cécile Untermaier, CL735 de M. Jérémie Iordanoff, CL145 de Mme Cécile Untermaier, CL847 de M. Erwan Balanant et CL43 de M. Philippe Gosselin (discussion commune).

M. Roger Vicot (SOC). Dans le même ordre d’idée, apporter des garanties sur les modalités d’autorisation des perquisitions de nuit, nous proposons que les raisons qui les justifient, lorsqu’elles sont impératives, soient systématiquement exposées.

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’amendement CL145 est complémentaire du précédent. Il prévoit que les perquisitions peuvent avoir lieu de nuit pour « éviter la fuite » de l’auteur des faits plutôt que pour l’interpeller.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Mon amendement vise à faire mieux respecter la présomption d’innocence. Or ce principe est mis à mal si l’on utilise ici le terme d’« auteur ». L’amendement, qui reprend un terme déjà utilisé dans notre droit, permet aussi d’englober les complices.

Je vous propose donc de retirer l’amendement CL43 pour vous rallier au mien.

M. Thibault Bazin (LR). L’amendement CL43 vise aussi à garantir la présomption d’innocence.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Il faut en effet utiliser les bons mots. Avis favorable à l’amendement du rapporteur, défavorable aux autres.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Cette discussion est intéressante. Ces amendements corrigent le texte et apportent un peu de clarté. Mais le ver est dans le fruit !

Monsieur le ministre nous expliquait hors micro que l’article 122‑7, que je citais, n’autorise pas à pénétrer dans un domicile, mais précise seulement que la personne n’est pas pénalement responsable. Il en va de même pour l’article 223‑6, qui porte sur la non-assistance à personne en danger.

Si cette construction a contrario a été utilisée, c’est pour préserver le principe fondamental d’inviolabilité du domicile. Vous faites le contraire en utilisant un régime d’autorisation : le principe d’inviolabilité n’est plus central mais devient l’une des variables de l’équation, au même niveau que d’autres. Le code de procédure pénale suffit à traiter les cas d’urgence que vous soulevez : l’urgence de porter secours, l’urgence de saisir des pièces pour prouver un crime. Votre texte va beaucoup plus loin et change la place du principe d’inviolabilité du domicile dans notre droit.

M. Thibault Bazin (LR). Je me réjouis des avis favorables du rapporteur et du ministre. Les oppositions discutent toutes de cet article mais elles ne sont pas toutes sur la même ligne ! Pour ma part, je n’ai rien contre les possibilités nouvelles ouvertes par cet article : il faut conserver les libertés individuelles mais aussi faire évoluer nos textes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Bernalicis, nous partageons tous vos préoccupations. Mais les sujets sont multiples : en matière de féminicide ou de torture, par exemple, le dépérissement des preuves peut être un problème. Nous ouvrons de nouvelles possibilités, mais avec le niveau d’encadrement aujourd’hui prévu pour la criminalité organisée et le terrorisme. Ces nouvelles mesures relèvent du bon sens.

La commission rejette successivement les amendements CL105, CL735 et CL145.

Elle adopte l’amendement CL847.

En conséquence, l’amendement CL43 tombe.

Amendements CL334 de Mme Emeline K/Bidi et CL497 de M. Jean-Félix Acquaviva (discussion commune).

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Il s’agit d’imposer que la convocation à une audition libre soit écrite, alors qu’elle peut être orale actuellement. Par définition, cela ne concerne pas les cas les plus graves. Avec une convocation écrite, la personne entendue connaîtra mieux ses droits.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). L’amendement est similaire. Une convocation orale nous paraît insuffisante.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Demande de retrait. J’entends votre préoccupation mais cela alourdirait les procédures sans apporter de garantie supplémentaire aux personnes entendues. Dans certaines situations, produire une convocation écrite peut en outre être difficile. Enfin, la rédaction retenue par l’amendement CL497 pourrait conduire à des difficultés d’interprétation.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL327 de Mme Emeline K/Bidi, CL392 de Mme Andrée Taurinya, CL161 de M. Philippe Gosselin, CL498 de M. Paul Molac, CL643 de M. Jérémie Iordanoff et CL733 de Mme Naïma Moutchou.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Cet amendement vise à supprimer le recours à la télémédecine lors des gardes à vue.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Pourquoi vouloir recourir à la télémédecine, si ce n’est parce que les hôpitaux sont dans un état désastreux, comme le montrait hier encore la mobilisation des personnels de santé ? Nous en arrivons ici à une atteinte grave aux droits des personnes détenues. Celles-ci doivent pouvoir voir un médecin, lui parler en toute confidentialité. Cette disposition est inquiétante et révélatrice de l’état de notre société : non seulement on casse nos services publics, mais on porte atteinte aux droits fondamentaux.

M. Thibault Bazin (LR). Je n’emploierai pas les mêmes arguments que ceux qui viennent d’être avancés : vous proposez que l’examen médical d’un majeur gardé à vue puisse être effectué, sur proposition du procureur de la République, par vidéotransmission ou par tout autre moyen de communication audiovisuelle « si la nature de l’examen le permet, dans des conditions garantissant la qualité, la confidentialité et la sécurité des échanges […] ».

La compatibilité entre la garde à vue et l’état de santé de l’individu peut-elle être garantie par visioconférence ? Ne faut-il pas l’évaluer sur place ? La vidéotransmission peut tronquer la perception : certains éléments peuvent être vérifiés par ce moyen, mais il conviendrait de prévoir un examen complémentaire pour s’assurer de cette compatibilité.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Nous nous opposons au recours à la télémédecine lors des gardes à vue. Les droits des personnes placées en garde à vue doivent être les mêmes dans tous les territoires, en particulier celui de voir physiquement un médecin.

L’étude d’impact justifie le recours à la vidéocommunication médicale par le manque de médecins disponibles dans certains endroits, notamment les zones rurales et les territoires insulaires et ultramarins. Cette mesure ne ferait que justifier ces inégalités : nous souhaitons donc la supprimer.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’encadrement apporté par le Sénat, limiter cette possibilité aux seconds examens, est intéressant mais il ne résout pas la question des échanges en téléconsultation. La personne gardée à vue pourrait être tentée de ne pas livrer l’ensemble des informations à son médecin ; évoquera-t-elle les éventuelles blessures reçues pendant la garde à vue ? Les conditions de la vidéotransmission seront-elles satisfaisantes, notamment pour le médecin, les locaux n’étant parfois pas adaptés ? En tout état de cause, une telle mesure ne peut être justifiée par le manque de médecins : il en faut davantage !

Mme Naïma Moutchou (HOR). Mon souhait de supprimer la téléconsultation médicale est une position personnelle que j’ai exprimée lors de votre audition, monsieur le ministre. De manière générale, je n’aime pas les procédures réalisées à distance dans le domaine de la justice car celle-ci se rend les yeux dans les yeux. Il sera compliqué pour un médecin de constater à distance certaines lésions ou blessures d’une personne gardée à vue.

J’entends l’argument des déserts médicaux – notre assemblée vient d’examiner une proposition de loi sur le sujet et nous connaissons la situation de pénurie de soignants dont souffre notre pays –, mais il ne faut conserver l’examen médical physique du gardé à vue.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vos préoccupations sont légitimes mais le texte offre de solides garanties.

L’examen par vidéotransmission ne peut se dérouler dans les vingt-quatre premières heures de la garde à vue – au cours desquelles il est tout à fait possible qu’aucun examen médical n’ait été réalisé –, mais seulement si celle-ci est reconduite.

La consultation par vidéotransmission est totalement facultative : le procureur peut la demander par souci de l’intégrité physique et de la santé de la personne gardée à vue ; si c’est cette dernière qui réclame un examen médical, elle peut refuser la téléconsultation. Il n’y a donc aucune atteinte à la liberté, aux droits et à la santé de l’individu gardé à vue.

La famille peut également refuser l’examen par vidéotransmission : dans ce cas, un médecin viendra effectuer la consultation. Au cours d’un examen par vidéotransmission, le médecin peut exiger de voir la personne gardée à vue, même si le délai avant son arrivée peut être long, notamment dans les territoires ruraux.

En outre, le texte prévoit des cas dans lesquels l’examen par vidéotransmission est impossible ; je vous proposerai d’en allonger la liste, afin que celle-ci inclue notamment les blessures, les pertes de connaissance et les grossesses.

Il est préférable qu’une personne soit examinée plutôt qu’elle ne le soit pas ; or le médecin peut parfois mettre deux heures avant d’arriver. Cette mesure est une première étape pour garantir l’examen médical, donc la santé de la personne gardée à vue mais également ses droits, compte tenu de l’encadrement du dispositif. Le texte prévoit que le procureur de la République autorise la téléconsultation, mais celui-ci n’est pas médecin et se prononce donc par rapport au contexte de la garde à vue. Les décisions médicales relèveront exclusivement du médecin, qui pourra exiger un examen physique. J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je tiens à rappeler plusieurs éléments : la téléconsultation ne pourra avoir lieu qu’avec l’accord du procureur de la République, que la Constitution consacre comme garant de la liberté individuelle ; ensuite, point très important, le gardé à vue doit donner son accord pour que l’examen se fasse par vidéotransmission ; enfin, la famille peut exercer un contrôle. La téléconsultation médicale est pratiquée par 10 millions de Français : nous n’inventons aucun dispositif spécifique pour les personnes gardées à vue.

Au début de la garde à vue, l’individu peut demander à voir un médecin, mais il peut attendre plusieurs heures là où il est gardé à vue ou à l’hôpital. Il s’agit d’une mesure de bonne administration de la justice. Une oratrice a dénoncé la casse du service public, mais ce texte vous offre l’occasion de donner à la justice les moyens dont elle a besoin : pendant trente ans, on a cassé ce service public que nous essayons de réparer, et il serait bon que vous participiez à cette tâche. L’avis est défavorable.

M. Philippe Gosselin (LR). Je n’ai rien contre le développement de la télémédecine : lorsque le dernier médecin a quitté la commune dont j’ai été le maire pendant vingt-deux ans, nous avons créé une association, que je préside toujours, visant à développer la télémédecine avec un cabinet opérant dans ce domaine. Néanmoins, la télémédecine n’est pas la plus opérationnelle pour certains actes. La sécurité sociale s’en est d’ailleurs rendu compte, puisque les congés maladie ne peuvent plus être délivrés par cette voie, qui ne peut pas être utilisée pour tous les actes médicaux : on ne soigne pas une personne qui fait une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral (AVC) par télémédecine !

Monsieur le rapporteur, vous avez annoncé avoir déposé quelques amendements destinés à encadrer le recours à la télémédecine en garde à vue : avec Naïma Moutchou et d’autres, nous vous alertons car, même si nous devons bien entendu vivre avec notre temps, la présence physique d’un médecin est, dans la mesure du possible, préférable.

M. Philippe Schreck (RN). Nous préférerions tous qu’il y ait suffisamment de médecins pour la population, qu’elle soit gardée à vue ou non. Hélas, nous en manquons partout. Dans ma circonscription, neuf gendarmeries et un commissariat sont répartis dans des villages : si quatre ou cinq gardes à vue doivent être prolongées en même temps et qu’il n’y a qu’un seul médecin, il n’y a pas d’examen médical.

Le texte est équilibré et utile pour les gardes à vue en zone rurale. Il faut faire confiance au médecin, qui peut, dans le cadre de la téléconsultation, déclencher l’examen clinique sous sa responsabilité, à laquelle il prête, à juste titre, une grande attention. On peut ajouter quelques cas dans lesquels il ne serait pas possible de recourir à la téléconsultation pour un gardé à vue, mais le texte est tout à fait équilibré.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). La télémédecine n’est pas adaptée à la garde à vue : tout semble toujours bénin jusqu’à ce qu’un examen médical ne démontre le contraire. La mise en œuvre opérationnelle du dispositif pose problème.

Lorsque c’est le procureur qui demande l’examen par vidéotransmission, pourquoi l’accord de la personne gardée à vue n’est-il pas obligatoire ? Si un médecin ne constate aucun problème par visioconférence alors que son diagnostic aurait été différent après un examen physique, la procédure pourrait en être affectée : la nullité ou le report de la garde à vue pourrait être prononcée et les avocats pourraient contester à l’audience la manière avec laquelle certaines preuves ont été obtenues. La téléconsultation n’offre pas de garantie, surtout dans le contexte de la garde à vue où la personne ne peut se rendre aux urgences.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Schreck, vous avez eu raison de rappeler que la conscience professionnelle du médecin peut inciter celui-ci à demander la réalisation d’un examen plus approfondi.

L’avocat peut être présent en garde à vue et peut contester certains éléments de celle-ci. Médecin, procureur, avocat et famille de la personne gardée à vue encadrent le dispositif, qui n’est prévu, je le rappelle, qu’en cas de prolongation de la garde à vue, l’individu concerné et le procureur pouvant demander d’emblée un examen physique.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques CL52 de Mme Danielle Brulebois et CL785 du Gouvernement.

Mme Danielle Brulebois (RE). L’amendement vise à rendre possible la téléconsultation médicale lors de la prolongation de la garde à vue, indépendamment de la réalisation d’un premier examen physique. En effet, les territoires ruraux comme le Jura sont confrontés au manque de disponibilité des médecins, malgré les efforts que nous avons accomplis en supprimant le numerus clausus.

La télémédecine a fait ses preuves, et cette mesure est dans l’intérêt de la santé et de l’intégrité physique de la personne gardée à vue : il serait donc dommage de se priver de cet outil à l’utilisation bien encadrée. Rappelons que les mineurs et les majeurs sous tutelle sont exclus du dispositif, dont le déclenchement requiert l’approbation de la personne gardée à vue – qui peut être assistée de son avocat –, de sa famille et du procureur de la République.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’amendement a pour objet de supprimer la nécessité d’un premier examen physique pour réaliser une consultation par vidéotransmission lors de la prolongation de la garde à vue.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Amendement CL367 de M. Alexandre Vincendet.

M. Alexandre Vincendet (LR). Cet amendement vise à modifier l’alinéa 6 de l’article 3 : l’examen médical pourrait être effectué par vidéotransmission non plus si sa nature le permettait mais « à la seule condition que le problème de santé de la personne en garde à vue soumise à constatation médicale ne soit pas visible et tangible ». Des magistrats et des avocats souhaitent préciser davantage l’usage de la téléconsultation pour en renforcer la garantie juridique.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous demande de retirer l’amendement car l’une de mes propositions répond pleinement à votre préoccupation.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même position que le rapporteur.

L’amendement est retiré.

Amendements CL393 de Mme Andrée Taurinya et CL499 de M. Paul Molac (discussion commune).

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cet amendement de repli vise à ce que l’accord explicite de la personne gardée à vue soit requis pour tout examen médical par vidéotransmission.

Je vous invite à vous inspirer le plus possible des actions des collectivités territoriales : à Grenoble, l’état de personnes manifestement ivres sur la voie publique exigeait l’intervention de médecins ; dans un premier temps, nous sollicitions les urgences, qui, pour de nombreuses raisons dont certaines sont très mauvaises, sont totalement engorgées ; nous avons ensuite passé un accord avec SOS Médecins, qui nous a fait gagner beaucoup de temps. Peut-être qu’un tel dispositif n’est pas applicable partout, mais il serait opportun d’envisager ce type de solutions plutôt que de dégrader continuellement les droits des personnes.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). L’amendement a pour objet de préciser qu’en cas de prolongation de la garde à vue, le recours à la télémédecine n’est possible que si la personne concernée y consent librement et de manière éclairée. Ce consentement est indispensable car certaines techniques nous interrogent sur le respect du contradictoire dans une garde à vue prolongée.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le texte satisfait votre amendement, puisque la personne gardée à vue ou sa famille pourront s’opposer à une consultation effectuée par vidéotransmission et exiger un examen physique. Le médecin pourra également demander à effectuer l’examen sur place.

Dans le cas où la demande de l’examen provient du procureur, la personne gardée à vue bénéficiera, certes par vidéotransmission, d’un examen médical qu’elle n’avait pas sollicité. Il s’agit donc d’un progrès, d’autant que même dans ce cas, le médecin pourra exiger de voir l’individu physiquement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. M. le rapporteur a tout dit !

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL645 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement de repli vise à renforcer la protection du secret médical et à garantir que les conditions posées par le texte sont bien réunies. Il me semble nécessaire de préciser que le médecin, se prononçant sur la nécessité de procéder à un examen physique de la personne gardée à vue, évalue la réalisation des conditions de qualité, de confidentialité et de sécurité des échanges.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement est totalement satisfait, puisque les conditions que vous énoncez figurent déjà dans le texte. Il n’est pas d’usage qu’un parlementaire s’en remette à la sagesse de la commission, donc j’adopte une position de bienveillance favorable à votre amendement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. La bienveillance du rapporteur me contamine : je donne un avis de sagesse.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CL700 de Mme Naïma Moutchou, CL548, CL544 et CL547 de M. Philippe Schreck, et CL848 de M. Erwan Balanant (discussion commune).

Mme Naïma Moutchou (HOR). Cet amendement de repli vise à exclure des téléconsultations les personnes manifestement vulnérables, y compris les femmes enceintes.

M. Philippe Schreck (RN). Nous sommes d’accord sur l’architecture de l’article, mais nous souhaitons restreindre sa portée en excluant de son champ les personnes les plus vulnérables, à savoir celles âgées de plus de 70 ans et les titulaires d’une carte d’invalidité. Cette population est peu nombreuse parmi les gardés à vue et elle bénéfice normalement, du fait de son état, d’un examen clinique.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous demande de retirer vos amendements au profit du mien, qui va dans le même sens. Il vise à inscrire dans la loi des exemptions à l’examen médical par vidéotransmission qui sont mentionnées dans l’étude d’impact du projet de loi.

Les mineurs et les personnes majeures protégées sont déjà exclus du dispositif, et je vous propose d’ajouter les femmes enceintes, les personnes qui ont perdu connaissance avant ou pendant la garde à vue, les individus vulnérables ou présentant un état de santé incompatible avec la visioconférence, ceux souffrant de blessures apparentes et ceux prétendant avoir été victimes des forces l’ordre – voilà une garantie qui vous rassurera, monsieur Bernalicis.

La liste pourra être complétée par un décret en Conseil d’État si de nouvelles exceptions apparaissaient nécessaires après la promulgation de la loi. L’amendement vise à inscrire des éléments dans le marbre de la loi tout en laissant de la souplesse au Gouvernement pour rajouter des exemptions.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je comprends le sens des amendements. Le texte évoque les mineurs et les personnes majeures protégées, ce qui a le mérite de la simplicité et de la clarté. Pour les autres, si la grossesse et l’âge sont simples à constater, les pathologies incompatibles avec la garde à vue le sont beaucoup moins. Quelles maladies retenir ? Comment les reconnaître dans le contexte complexe de la garde à vue ?

Nous devons continuer à travailler sur le sujet car nous devons élaborer un texte carré et définir précisément les exceptions.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous pouvons adopter mon amendement et le retravailler d’ici à l’examen en séance publique avec Monsieur le ministre.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Mon amendement tente de prendre en compte la complexité pour un enquêteur d’évaluer un état de santé en évoquant une vulnérabilité « manifestement » incompatible avec la garde à vue.

Je veux bien le retirer, mais pas au profit de celui du rapporteur, car je refuse que les personnes disant avoir été victimes de violences policières soient exemptées de la téléconsultation : pourquoi pas d’autres victimes ? Cette disposition me dérange beaucoup.

M. Philippe Schreck (RN). Les exemptions doivent reposer sur des critères objectifs comme la grossesse ou l’âge. Or ce dernier ne figure pas dans votre amendement, monsieur le rapporteur, alors qu’il présente des risques pour la santé d’une personne gardée à vue. Nous pouvons discuter du seuil à partir duquel l’âge doit être pris en compte, mais il faut insérer ce critère dans la loi.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je revois le garde des Sceaux nous présenter tout à l’heure deux versions éloignées dans le temps du code de procédure pénale pour montrer à quel point celui-ci était devenu épais. Or l’amendement vise à insérer de nombreuses exceptions qui alourdiront le texte ; la présence du médecin en garde à vue était un principe simple : je soumets cette remarque à votre sagacité.

L’amendement CL700 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements CL548, CL544 et CL547.

Elle adopte l’amendement CL848.

Amendements identiques CL336 de Mme Emeline K/Bidi et CL500 de M. Paul Molac.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Monsieur le ministre, vous vous êtes félicité du fait que l’avocat puisse demander un examen médical lors de la garde à vue, mais dans le même temps, on nous dit que sa présence complexifie les procédures, notamment les perquisitions. Le rôle de l’avocat n’est pas d’empêcher les procédures, mais d’être le garant des droits et libertés fondamentaux ; ainsi, sa présence assure le respect des règles et des droits de la personne.

Nous souhaitons que la présence d’un avocat soit une obligation lors de la garde à vue et non une simple possibilité offerte à la personne concernée. Chez moi, à La Réunion, de nombreuses personnes sont illettrées et ne peuvent relire le procès-verbal qu’on leur demande de signer : sans la présence d’un avocat, leur déclaration n’est pas relue. Un mythe prétend que les personnes innocentes n’ont pas besoin d’avocat et que la garde à vue se prolonge quand on en demande un : de nombreuses personnes décident donc de ne pas être assistées d’un avocat, ce qui leur porte très souvent préjudice. La présence d’un avocat est une garantie indispensable, que la personne soit innocente ou qu’elle ait commis des infractions graves,

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Nous préconisons également la présence systématique d’un avocat en garde à vue, pour les raisons qui viennent d’être évoquées.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Une personne placée en garde à vue peut être assistée d’un avocat : il lui suffit d’en faire la demande, elle est de droit. Vous souhaitez rendre cette faculté obligatoire, mais certains individus refusent cette présence. Laissons aux gardés à vue le choix d’avoir ou non un avocat à leurs côtés.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Les propos du rapporteur sont parfaitement justes. L’avis est défavorable.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Le code de procédure pénale prévoit de nombreux cas dans lesquels la présence de l’avocat est obligatoire, par exemple en matière criminelle ou dans la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) : dans ces situations, les conséquences de la procédure peuvent être tellement graves pour la personne que la présence d’un avocat est obligatoire, que le prévenu le veuille ou non. La garde à vue entre dans cette catégorie car elle détermine le reste de la procédure, notamment la condamnation ou non de la personne concernée.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). La situation évoquée par notre collègue K/Bidi n’est pas un mythe. Que l’avocat soit présenté comme un frein à la levée de la garde à vue, plusieurs témoignages de manifestants contre la réforme des retraites gardés à vue le confirment. D’après les procès-verbaux, les policiers leur ont dit : « Ne prends pas d’avocat, cela ira plus vite. » S’agissant d’un comportement fréquent et répété, et non d’un témoignage isolé, j’adjure la commission de se pencher sur la question. La présence d’un avocat fait taire les critiques, dont les miennes.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Les droits de la défense sont si souvent malmenés que nous devons affirmer la nécessité de les cristalliser et de les institutionnaliser. Si un médecin préconise une intervention d’urgence sur un patient, nul n’imagine une institution la refuser. Tel est l’état d’esprit dans lequel s’inscrivent ces amendements. Compte tenu des cas avérés de pression et d’exercice incomplet des droits de la défense en garde à vue, laquelle inclut une dimension contradictoire, rappeler le caractère central et permanent des droits de la défense ne peut que renforcer l’État de droit.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je suis totalement défavorable à une telle mesure. Elle n’a pas de sens et elle est inapplicable.

Se doter d’un avocat ou d’un conseil est une liberté dont chacun use ou non. Si le prévenu refuse l’assistance d’un avocat rendue obligatoire, il en résultera de drôles de situations.

Par ailleurs, cette mesure ne tient pas compte de la réalité de l’exercice du métier. Un avocat peut être appelé le week-end ou à minuit ; sa présence peut être requise à deux audiences simultanées. Humainement, matériellement, il ne peut pas toujours être là. Or il s’agit de ne pas bloquer les procédures. Le système actuel présente un équilibre qui convient à toutes les parties, avocats compris. Il faut le conserver.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Bernalicis, les droits de la personne gardée à vue, dont celui d’être assistée par un avocat, lui sont rappelés.

Madame K/Bidi, vous comparez la CRPC et la garde à vue, qui ne sont pas tout à fait identiques. La première est une phase de jugement, pas la seconde. Par ailleurs, on voit mal comment imposer l’assistance d’un avocat à quelqu’un qui, pour des raisons qui lui sont propres, n’en veut pas.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL337 de Mme K/Bidi.

M. Erwan Balanant, rapporteur. En garde à vue, les avocats peuvent poser des questions à l’issue des auditions et des confrontations. L’officier de police judiciaire ou l’agent de police judiciaire (APJ) qui les dirige ne peut s’y opposer que si elles sont de nature à nuire à l’enquête ; le procès-verbal en fait état.

Vous proposez de permettre à l’avocat de poser des questions pendant l’audition et pas uniquement à son issue ; cela pourrait nuire à la qualité de l’enquête. En garde à vue, l’avocat est là pour assurer le plein respect du contradictoire et des droits de la défense, mais il n’a pas vocation à interférer avec les investigations.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL338 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Cet amendement s’inspire d’une préconisation du Conseil national des barreaux (CNB) visant à renforcer les droits de la défense et du contradictoire dans l’enquête préliminaire, en donnant accès au dossier au suspect et à son avocat dès le stade de la garde à vue ou de l’audition libre. Ce débat ancien est rouvert lors de chaque examen d’un projet de loi relatif à la justice. Il n’est pas sans importance. Si nous voulons que l’avocat puisse défendre ses clients et que les droits de la défense soient respectés, il faut ouvrir l’accès au dossier plus tôt dans la procédure.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Dans le cadre de l’enquête préliminaire, qui n’est pas celui de l’instruction, l’ouverture au contradictoire a d’ores et déjà connu de grandes avancées. Monsieur le garde des Sceaux s’est particulièrement engagé à ce sujet. Pour garantir l’équilibre entre l’efficacité des investigations, le secret de l’enquête et les droits de la défense, mieux vaut s’en tenir aux dispositions du I de l’article 77-2 du code de procédure pénale.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL646 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Mon amendement vise à supprimer le prolongement des enquêtes préliminaires. Cette extension considérable des prérogatives du procureur a été introduite par le Gouvernement un peu rapidement, sans que le Parlement ne soit en mesure de juger de la nécessité ni surtout de l’impact de cette mesure privative de liberté. À tout le moins, il aurait fallu anticiper le problème au moment de la préparation du présent projet de loi, par exemple en diligentant une étude d’impact.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Sensible à vos arguments pour avoir voté, comme de nombreux parlementaires, le raccourcissement des délais d’enquête préliminaire, je le suis aussi au principe de réalité, qui impose de tenir compte du fonctionnement de notre police judiciaire. Si une réforme doit être adaptée parce qu’elle est imparfaite, il faut l’admettre. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Le code d’instruction criminelle ne prévoyait aucun délai pour l’enquête préliminaire, que l’on appelait enquête officieuse et qui durait longtemps. Cette pratique, qui me semble malsaine et nuit gravement aux droits de la défense, a perduré jusqu’à ce que nous imposions des délais, dans le cadre de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Lire dans la presse, lorsque l’on est suspecté, des morceaux choisis du dossier d’instruction auquel on n’a pas accès, est à mes yeux insupportable, d’autant que ce feuilletonnage se déploie dans des conditions souvent attentatoires aux droits inhérents à la présomption d’innocence.

Nous avons donc décidé ensemble de fixer des règles et des délais. Nous avons introduit – c’est une première – du contradictoire, notamment lorsque le nom du suspect est livré en pâture dans la presse et son honneur aux chiens, pour reprendre une expression que nous connaissons tous.

Il s’avère qu’un correctif est nécessaire, car les services d’enquête ne parviennent pas à tenir les délais. Deux solutions s’offrent à nous : revenir à l’état antérieur en abolissant tout délai, ce à quoi je ne suis pas favorable et que je considère comme une régression ; modifier quelque peu les règles en allongeant les délais et en prévoyant la possibilité d’un recours au contradictoire intégral s’ils sont dépassés, ce qui permet au suspect et à son avocat d’intervenir dans le cadre de la procédure et de faire valoir les droits qui sont les leurs.

Il ne faut pas perdre de vue le fil rouge de la réforme : donner à la justice davantage de moyens. Vous en avez d’ores et déjà consenti au ministère de l’intérieur. Une fois adoptées toutes les dispositions afférentes, les délais seront réduits de facto et nous pourrons prévoir leur diminution dans la loi. Pour l’heure, il faut être pragmatique et non idéologue. Ceux qui sont suspectés pendant trois, quatre, voire cinq ans bénéficient d’authentiques avancées. Il est indispensable de nous conformer à la réalité. Telle est la raison d’être des modifications introduites par le Gouvernement dans le projet de loi.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL689 de M. Rémi Rebeyrotte.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Le Sénat a adopté en séance publique un amendement visant à compléter les dispositions relatives à la limitation de la durée des enquêtes préliminaires issues de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, en limitant à deux ans l’enquête préliminaire à compter d’un premier acte d’audition libre, de garde à vue ou de perquisition si la personne en fait la demande. Cette condition de formulation d’une demande introduit la possibilité de traitements différenciés.

Le présent amendement vise à supprimer cette exigence d’une demande expresse, en introduisant un délai unique pour toute personne ayant fait l’objet d’un premier acte d’audition libre, de garde à vue ou de perquisition, ce qui rend la disposition globale plus lisible et plus facile à mettre en œuvre.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL849 et CL850 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

La réunion est suspendue de douze heures dix à douze heures vingt.

Amendement CL147 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Notre groupe est favorable à l’encadrement de la durée des enquêtes préliminaires tel qu’il a été adopté au Sénat sur proposition du Gouvernement. Comme bien d’autres, nous avons voté, en 2021, leur limitation à deux ans, car demeurer longtemps privé de contradictoire est insupportable. Tout en étant conscients des difficultés soulevées par cette disposition, nous voulions envoyer un signal.

Nous constatons que les effectifs ne permettent pas de l’appliquer. Les procureurs nous ont alertés à plusieurs reprises, les uns et les autres, à ce sujet. J’ai adressé une question écrite et une lettre à Monsieur le ministre à propos de la crainte des procureurs que leurs enquêtes préliminaires ne soient annulées en raison d’un dépassement des délais.

L’ouverture du contradictoire à l’issue d’un délai de trois ans nous convient. Par ailleurs, nous sommes satisfaits de l’adoption de l’amendement CL689 visant à supprimer les mots « lorsque cette personne en fait la demande », la longueur de l’enquête préliminaire étant indépendante d’une éventuelle demande de la personne concernée.

Le présent amendement vise à faire en sorte que les enquêtes relatives à la fraude fiscale et à la lutte contre la corruption, qui sont des sujets majeurs à nos yeux, bénéficient du même régime dérogatoire que le terrorisme et les crimes et délits commis en bande organisée. Si tel est le cas, je retirerai l’amendement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Dans la mesure où le procureur peut déroger au délai de trois ans et mener ses enquêtes pendant cinq ans, l’amendement, inspiré par une préoccupation légitime, me semble satisfait.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Madame Untermaier, vous avez vous-même répondu à votre question.

L’amendement est retiré.

Amendements CL162 et CL163 de M. Philippe Gosselin (discussion commune).

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suggère le retrait de l’amendement CL162 et émettrais, à défaut, un avis défavorable. Avis défavorable sur l’amendement CL163.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Avis défavorable sur les deux amendements.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Le débat sur la durée des enquêtes préliminaires me fait trépigner. Lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, je me suis opposé à la fixation de délais couperets. Mieux vaut prévoir la possibilité de choisir, chaque année, entre « stop ou encore », en introduisant des garanties et de nouveaux droits à chaque étape. Vous devriez m’écouter davantage, chers collègues, je dis parfois des choses utiles ! Le délai de cinq ans devrait suffire pour aboutir, sauf si le procureur dépend d’éléments de preuve qui sont à l’étranger et de tiers sur lesquels il n’a pas de prise directe, ce qui peut faire durer son enquête quelques mois de plus, comme il arrive souvent en matière économique et financière.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL852 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL464 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Dans le cadre de la procédure pénale, il nous semble important d’introduire une phase contradictoire, lors de la clôture de l’enquête, entre le procureur de la République et les parties. Cela offrirait aux mis en cause une défense de la meilleure qualité possible, avec un contradictoire renforcé et prévu dans la procédure, et aux victimes la possibilité d’exprimer ce qu’elles ont à exprimer. Cette disposition bénéficierait donc aux deux parties.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous devons respecter notre modèle, qui laisse au procureur le soin de déterminer l’opportunité des poursuites. Si, en matière pénale, c’est le procureur et non la victime qui poursuit, c’est pour conserver une forme de neutralité dans l’approche de l’enquête. L’amendement, qui casse ce modèle, ne semble pas opportun.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Peut-être notre rédaction manque-t-elle de clarté, mais il ne s’agit en rien d’imposer une décision sur l’orientation de l’enquête au procureur de la République. Il s’agit d’instituer un moment, lors de la clôture de l’enquête, au cours duquel les deux parties sont entendues. Le procureur de la République conserve la décision de poursuivre ou non.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL164 de M. Philippe Gosselin, CL339 de Mme Emeline K/Bidi et CL701 de Mme Naïma Moutchou.

M. Philippe Gosselin (LR). La mise en examen est une décision grave, sans doute l’une des plus graves qui puisse être prise dans le cadre procédural. Or, elle est la seule qui peut n’être pas motivée par le juge d’instruction. L’amendement CL164 vise à rendre cette motivation systématique.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). La décision de mise en examen emporte des conséquences particulièrement graves. Dans la procédure d’information judiciaire, elle est pourtant la seule dont la motivation n’est pas obligatoire.

Mme Naïma Moutchou (HOR). La motivation de la mise en examen que nous appelons de nos vœux est la motivation détaillée, et non celle qui s’en tient à une formule telle que : « Attendu qu’il ressort des éléments relevant la participation etc. » La motivation de la mise en examen basée sur les faits participe d’une bonne administration de la justice. Elle permet à l’avocat et à son client, au lieu de faire appel de façon préventive et d’encombrer les rôles, de décider une bonne fois pour toutes si un appel est envisageable.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ces amendements sont inspirés par le CNB.

L’article 80-1 du code de procédure pénale subordonne la mise en examen à l’existence d’« indices graves ou concordants ». La motivation de la mise en examen porterait sur le constat de leur existence, lequel ne semble pas utile.

Par ailleurs, toute personne peut contester sa mise en examen en appel devant la chambre de l’instruction et demander sa démise en examen dans un délai de dix jours, aux termes des dispositions du présent projet de loi, au lieu de six mois à l’heure actuelle.

Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Il me vient à l’esprit un souvenir déjà ancien. Les avocats qui contestent une mise en examen disent qu’il n’y a rien dans le dossier. Toutefois, si le juge d’instruction a prononcé une mise en examen, c’est qu’il estime qu’il y a quelque chose, à tout le moins des indices graves ou concordants.

La motivation de la décision peut être une garantie mais n’en est pas toujours une. Tout praticien du droit a eu sous les yeux des décisions correctionnelles motivées par la formule suivante : « Attendu que les faits sont établis,… ». Nous pourrions envisager d’adopter la formule « Attendu qu’il existe des indices graves ou concordants,… ». L’article 3 du projet de loi renforce les garanties offertes aux personnes mises en examen. Surtout, toute personne mise en examen peut contester sa mise en examen devant la chambre de l’instruction.

L’objectif du texte est de renforcer les moyens de la justice mais aussi d’en simplifier l’exercice. Au stade de la mise en examen, l’avocat a consulté le dossier, et parfois lu un rapport de synthèse rédigé par les services de police rassemblant tous les éléments susceptibles d’être considérés par le juge d’instruction comme des indices. La motivation systématique de la mise en examen n’est-elle pas une lourdeur superfétatoire ? Je ne suis pas convaincu de l’utilité de la disposition proposée. Je lui préfère un recours effectif devant la chambre de l’instruction visant à contester la réalité des indices et leur caractère grave ou concordant.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). La motivation de la décision de mise en examen et le recours effectif devant la chambre de l’instruction ne sont pas du tout antinomiques. Est-il nécessaire que la personne mise en examen sache pourquoi elle l’est pour qu’elle puisse se défendre ? Oui, sauf à méconnaître les droits de la défense. Que l’on puisse mettre en examen une personne en se basant sur une formule unique et laconique sans qu’elle sache exactement ce qui lui est reproché me semble choquant.

Si vous vous opposez à l’obligation de motiver la mise en examen, c’est uniquement parce qu’elle prend du temps aux juges, et que nous manquons de juges. Une fois de plus, nous gérons la pénurie au détriment des droits de la défense.

M. Philippe Gosselin (LR). Le projet de loi a pour objet la programmation de la justice en vue de lui attribuer davantage de moyens financiers et humains, j’entends bien. Nul ne le conteste en principe, même si nous en discutons les modalités. Toutefois, rien ne nous interdit d’y introduire des améliorations procédurales.

La mise en examen est la décision la plus grave qui puisse être prise dans le cadre procédural. Existence de recours et obligation de motivation ne sont pas contradictoires. Le droit commun prévoit que le moindre acte administratif de refus, à quelques exceptions près, doit être motivé. Comment une décision aussi importante que la mise en examen pourrait-elle échapper à l’obligation de motivation ? J’avoue avoir un peu de mal à le comprendre. Nous nous situons là en amont des possibilités de recours.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Ces dernières sont, à vrai dire, assez peu utilisées car, si la chambre de l’instruction confirme la mise en examen, les choses sont figées. La plupart des avocats préfèrent laisser évoluer le dossier et se concentrent sur leurs demandes d’actes pour que le juge, dont la loi prévoit qu’il instruit à charge et à décharge, instruise davantage à décharge. Motiver systématiquement la décision de mise en examen fait courir aux personnes concernées le risque que la situation se fige. L’enfer est pavé de bonnes intentions.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). La question se pose de savoir s’il n’est pas plus facile d’introduire un recours devant la chambre d’instruction en ayant en main un document motivé plutôt que rien, ce qui oblige à prouver que l’on n’a rien à se reprocher.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL107 et CL108 de Mme Cécile Untermaier (discussion commune).

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le délai de dix jours prévu pour contester une mise en examen est très court pour l’avocat, qui doit prendre connaissance du dossier pour étayer ses arguments. Nous proposons de le porter à quinze jours.

De nombreux magistrats, je le dis pour éclairer nos débats, considèrent que la nouvelle disposition soulèvera des difficultés. Laisser à la personne mise en examen un délai de quinze jours pour la contester, et à la justice un délai de deux mois pour lui répondre, nous semble offrir la souplesse nécessaire.

M. Erwan Balannant, rapporteur. L’article 3 introduit une belle avancée pour les droits de la défense. Jusqu’à présent, il fallait attendre six mois pour contester une mise en examen et bénéficier du statut de témoin assisté, ce qui était long. Le texte initial prévoyait un délai de six jours, porté à dix jours par le Sénat.

Ce délai est celui prévu, à l’article 80-1-1 du code de procédure pénale, pour demander une démise en examen après la notification d’une expertise ou à la suite des déclarations d’un tiers. Nous souhaitons simplifier et clarifier les dispositions du code de procédure pénale, dont la maîtrise des nombreux délais, parfois distincts pour des sujets pourtant proches, voire identiques, exige au quotidien une agilité incroyable.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’argument de cohérence développé par M. le rapporteur est parfaitement pertinent. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Ces arguments percutants m’incitent à retirer l’amendement CL107. S’agissant de l’amendement CL108, existe-t-il un délai encadrant l’examen de ce recours ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Non. En introduire un ne semble pas offrir une véritable plus-value. Les auditions n’ont fait ressortir aucune difficulté sur ce point. Il n’est pas interdit de penser que, s’agissant d’une décision grave, les décisions sont rendues dans un délai inférieur à deux mois. L’amendement CL108 pourrait donc avoir pour effet non souhaité d’allonger les délais.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je le retravaillerai, mais votre argumentation ne me convainc pas. En l’absence de délai, celui de six mois s’applique. À la possibilité d’une mobilisation rapide et encadrée sous dix jours doit correspondre un délai de réponse, et cette réponse, les magistrats ne pourront pas la formuler en dix jours.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Peut-être pourrions-nous adopter la formule « dans les meilleurs délais » ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. La formule « dans les meilleurs délais » réjouit les optimistes et mécontente les pessimistes. Afin d’éviter une multiplication des demandes et une embolisation des tribunaux contraires aux objectifs que nous visons, nous pourrions envisager, d’ici à l’examen en séance publique, une distinction selon que la personne mise en examen est détenue ou libre.

Les amendements CL107 et CL108 sont retirés.

Amendement CL180 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). Les parties civiles, c’est-à-dire les victimes, sont le parent pauvre. Vous évoquiez tout à l’heure, monsieur le ministre, l’idée qu’une partie du code de procédure pénale soit réservée aux victimes et il me semble en effet important de mettre en avant les parties civiles et de leur donner un peu plus de droits. Il s’agirait notamment, comme le propose cet amendement, de les informer de la demande de démise en examen. Cela ne me semble ni superfétatoire ni propre à alourdir les procédures. Il s’agit, en revanche, de respecter les victimes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’exposé sommaire qui accompagne votre amendement est un peu maladroit, car il laisse penser que vous souhaiteriez que la partie civile se substitue au juge d’instruction. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis. L’action publique est l’apanage du parquet. Toute partie civile n’est pas une victime et toute victime peut se constituer partie civile. Il existe des droits que nul n’envisage de contester, comme la possibilité d’intervenir dans un dossier avec un avocat et d’avoir connaissance des éléments de la procédure. Le parquet doit conserver ses prérogatives d’action publique.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL165 de Monsieur Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). Dans le même esprit que le précédent, cet amendement vise à ce que l’ensemble des autres parties soient informées lorsqu’un juge d’instruction fait droit à une demande. Il s’agit d’assurer plus de transparence et de contradictoire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce serait alourdir inutilement la procédure. Aujourd’hui, toutes les parties, et donc leurs avocats, ont accès au dossier et auront donc pleinement connaissance, en en faisant la demande, des interrogatoires que le juge d’instruction aura menés et des témoignages qu’il aura recueillis. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL179 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). Dans le même esprit que les précédents, qui visent à faciliter la constitution de partie civile, l’amendement tend à la suppression du deuxième alinéa de l’article 85 du code de procédure pénale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cette disposition emboliserait le travail des juridictions. La condition de plainte préalable, qui ne s’applique qu’aux délits – et à l’exception des délits électoraux et de presse –, n’est pas une contrainte excessive et insurmontable. Elle permet de procéder à un premier filtrage pour éviter des constitutions de partie civile abusives. Le filtre lui-même n’est pas insurmontable, car il suffit que le parquet indique qu’il ne fera rien, et même qu’il ne fasse rien pendant trois mois, pour que la constitution de partie civile soit recevable. Avis défavorable.

Présidence de Mme Caroline Abadie, vice-présidente de la commission.

M. Philippe Schreck (RN). M. Gosselin a raison car, dans les faits, le dispositif prévu au deuxième alinéa de l’article 85 ne fonctionne pas très bien et le manque de fluidité retarde le traitement des plaintes. Lorsque le procureur de la République rend une décision de rejet de plainte, il ne s’agit pas tant de la motiver que de cocher une case faisant état, par exemple, d’une infraction insuffisamment constituée ou d’un défaut de preuves, ce qui n’éclaire pas la partie civile.

Par ailleurs le dispositif en vigueur, dans lequel la victime peut se constituer partie civile devant le juge d’instruction au terme d’un délai de trois mois en cas de refus ou de non-réponse du procureur de la République, n’est pas un filtre, mais un retardateur. Nous en comprenons l’esprit, mais il s’agit, dans les faits, d’un échec car il crée de la lourdeur et ajoute une marche au parcours que doivent accomplir les victimes.

M. Philippe Gosselin (LR). Je souscris à ce qui vient d’être dit. Depuis ce matin, le rapporteur oppose à nos propositions un argument-balai en invoquant systématiquement le risque d’« emboliser » le mécanisme. Or je ne souhaite rien de tel. Avec un rien de provocation, je dirais même qu’il ne sert à rien de recruter 1 500 magistrats si c’est pour leur donner des tâches qui alourdiraient le processus.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. En évoquant un « argument-balai », vous cultivez quelque peu l’oxymore : selon vous, le ministère de la justice repousserait chacune de vos propositions au motif qu’elle alourdirait la procédure, et vous déclarez en même temps que, si l’on embauche 1 500 magistrats, ce n’est pas pour alourdir leurs charges. À l’origine, le mécanisme que vous dénoncez a été conçu en vue de limiter les constitutions de partie civile abusives. Lever les freins procéduraux existants provoquerait une embolisation considérable.

En outre, les investigations menées par le procureur de la République le sont par le garant des libertés individuelles, tandis que les investigations initiales sont conduites à charge et à décharge. Veillons à ne pas aboutir, avec de bonnes intentions qui sont de toute évidence les vôtres, monsieur Gosselin, à ce que nous voulons précisément éviter en proposant un texte qui a pour objet – je ne cesserai de le rappeler – l’augmentation du budget et des moyens, et la simplification de la procédure. Avis défavorable, donc, sur cet amendement qui aurait pour effet d’engorger considérablement les cabinets d’instruction.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Gosselin, c’était la première fois que j’évoquais ces arguments. Ne me prêtez donc pas des propos que je n’avais pas tenus jusqu’à présent.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL166 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). Cet amendement vise lui aussi à remettre la partie civile au cœur des dispositifs, en prévoyant que les réquisitions de non informer et de non-lieu soient notifiées à la partie civile et en fixant un délai dans lequel l’ordonnance du juge d’instruction doit être rendue. Il ne s’agit donc pas d’emboliser la procédure, mais de la rendre plus efficace et plus tournée vers la partie civile.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable, car cette disposition alourdirait les procédures et pourrait même conduire, dans certains cas, à travailler trop vite dans des affaires délicates – car il faut aussi, parfois, prendre son temps.

Notifier aux parties les réquisitions du parquet, induit une lourdeur supplémentaire qui n’est pas justifiée, compte tenu notamment de votre crainte relative à l’amende. En effet, le juge ne prononce l’amende qu’après réquisition du parquet en ce sens, qui est déjà notifiée à la partie civile, laquelle peut présenter ses observations. Je vous renvoie à cet égard à l’article 177-2 du code de procédure pénale. Je rappelle en outre que l’amende peut faire l’objet d’un appel.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Hier, les ministres de l’intérieur et des outre-mer et moi-même avons lancé la procédure pénale numérique (PPN), déjà très engagée, comme vous le savez. Un chef de projet commun, issu de la Chancellerie, est chargé du développement de cet outil incroyable qui permet de numériser tous les documents, du début de l’enquête jusqu’à l’exécution de la peine.

Nous voulons moins de papier, avec un objectif zéro papier d’ici 2027 et un grand plan de transformation numérique, et voilà que vous nous rajoutez du papier partout ! Si la PPN fonctionnait partout, on pourrait envisager de communiquer certains documents sous forme papier, mais ce n’est pas le cas.

Sur un registre plus grave, je rappellerai que la partie civile, par le truchement de son avocat, a connaissance des réquisitions et, si ce n’est pas le cas, de la décision de non-lieu, dont elle peut interjeter appel.

Je ne veux plus que les magistrats et les greffiers croulent sous la paperasse. Certains documents sont évidemment indispensables et portent intrinsèquement des garanties fondamentales, mais n’en rajoutons pas ! Je suis donc défavorable à cet amendement, même s’il procède d’excellentes intentions.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Si le « zéro papier » s’applique dans le cadre de l’administration, je peux y souscrire, mais s’il s’applique au justiciable, nous nous y opposerons fermement. En effet, les procédures dématérialisées appliquées dans les préfectures, qui n’ont rien à voir avec la justice, montrent l’ampleur du problème que représente l’éloignement du numérique. Évitons donc le dogmatisme à propos de ce zéro papier, surtout à destination des usagers. Je suis tout à fait favorable à ce que la voie numérique existe, mais je ne peux pas accepter qu’elle ferme les autres voies, y compris la voie papier.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Des dizaines de milliers de procédures ont désormais été transmises aux avocats par un simple clic, alors que j’ai connu l’époque où il fallait huit mois pour obtenir la copie d’un dossier, moyennant trois francs la page ! Le contradictoire réel s’exerçait donc huit mois après une mise en examen – qu’on appelait alors « inculpation ». À quoi sert-il donc de communiquer un réquisitoire dont les parties civiles ont déjà connaissance et alors que les recours sont effectifs, si ce n’est à obliger du personnel judiciaire à communiquer des papiers par voie postale ? Cette complexification n’est pas utile.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le zéro papier en 2027 est un objectif que nous devons évidemment soutenir. Nous défendrons du reste un amendement visant à ce que les avocats ne puissent plus exiger, comme c’est actuellement le cas, de recevoir un document papier en sus de la version dématérialisée. M’étant entendu dire que la date de 2025 que je proposais pour cette disposition réglementaire n’était pas tenable, je proposerai donc qu’elle entre en vigueur en 2027. Le passage à un numérique rationalisé est absolument nécessaire, en particulier lorsqu’une postulation d’avocat suppose le transfert du dossier.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL178 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). Cet amendement vise à ce que la contestation de partie civile soit notifiée à la partie civile.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Dans l’exposé sommaire de votre amendement, vous parlez du droit de la défense, alors que nous parlons du plaignant. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Avis défavorable. En effet, l’accès au dossier donne accès à toutes les informations qui s’y trouvent.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement l’amendement rédactionnel CL853 et l’amendement de coordination CL854 du rapporteur.

Amendement CL177 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). En cas de perquisition au cabinet d’un avocat, le bâtonnier peut aujourd’hui s’opposer, sous certaines conditions, à la saisie de certains documents. Dans le même esprit, l’amendement vise à permettre de contester des transcriptions téléphoniques concernant un avocat, qui pourraient être mal transcrites ou illégales. Cette mesure est nécessaire et répond à une forte demande de la part des avocats.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il s’agit en quelque sorte d’un amendement « préquel », qui anticipe un point que nous examinerons tout à l’heure. Les garanties demandées sont déjà prévues par l’article 100-7 du code de procédure pénale, qui dispose qu’« aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d’instruction ». Il ne me semble cependant pas acceptable que le bâtonnier puisse s’opposer à cette interception. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même position. Le secret professionnel de la défense a été rétabli dans des conditions auxquelles un grand nombre d’entre vous ont adhéré. Ce que vous proposez d’ajouter n’apporte rien au texte, qui est très protecteur de ce secret.

M. Philippe Gosselin (LR). Une information est certes déjà possible, mais ce n’est pas de même nature que la possibilité de contester.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL176 de M. Philippe Gosselin et CL501 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Philippe Gosselin (LR). L’amendement CL176 tend à interdire l’enregistrement des conversations entre un avocat et son client, afin de mieux faire respecter les droits de la défense. L’examen de ce texte est en effet l’occasion de rappeler certains principes.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Nous souscrivons à l’idée qu’il faut interdire l’enregistrement, la captation et l’interception des conversations entre un avocat et son client. L’article 100-5 du code de procédure pénale interdit en principe la transcription des correspondances entre un avocat et son client, mais cette garantie est malheureusement devenue très faillible. On pourrait en citer de très nombreux exemples, y compris dans des affaires très sensibles. Il semble donc opportun d’afficher un principe clair en la matière.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous examinerons tout à l’heure un amendement qui devrait répondre à vos préoccupations. Je rappelle toutefois que l’interdiction de toute interception est un principe déjà posé à l’article 100-7 du code de procédure pénale, que je viens de citer et qui apporte des garanties fortes.

Pour ce qui est de l’interdiction de tout enregistrement, le problème est plus technique que juridique. De fait, une telle interdiction serait peu opérationnelle car, lorsqu’une personne est mise sur écoute, elle peut très bien appeler son avocat ; alors l’enregistrement a lieu. En revanche, l’article 100-5 du code de procédure pénale précise bien qu’un tel enregistrement ne pourra pas être retranscrit. De même, lorsqu’une sonorisation est mise en place chez quelqu’un, les conversations sont enregistrées, y compris celles que la personne concernée peut avoir, en étant chez elle avec son avocat qui lui rendrait visite : là encore, l’enregistrement aura forcément lieu.

Les auditions auxquelles nous avons procédées ont contribué à notre réflexion sur cette question et je proposerai tout à l’heure un amendement tendant à réaffirmer clairement l’interdiction de toute retranscription des échanges avec un avocat et la protection de certains lieux – dont nous compléterons la liste –, ainsi qu’à prévoir la destruction des enregistrements. Nous apporterons ainsi, face à cette question technique, des garanties juridiques qui répondront à votre préoccupation.

Je demande donc le retrait de l’amendement au profit notamment des amendements CL681 et identiques que nous examinerons tout à l’heure.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Gosselin, lorsqu’un suspect fait l’objet d’une surveillance téléphonique, comment peut-on savoir à l’avance qui il appelle ? S’il s’agit d’un avocat, il est évident que la conversation sera entendue. Ce que vous préconisez est donc impossible à appliquer.

Afin de garantir le secret, j’aurais souhaité que nous puissions disposer d’un système, qui fonctionne aux États-Unis, permettant de couper l’enregistrement lorsqu’est activé un numéro, préalablement communiqué à la police, appartenant à un avocat ou à une autre personne à protéger, comme un parlementaire, un journaliste ou un médecin, de telle sorte que la police n’entend pas la conversation et ne peut, a fortiori, la retranscrire. Ce système donne une garantie absolue, mais nous ne disposons malheureusement pas de la technologie nécessaire. Faute de grives, on mange du merle : il n’est pas possible de retranscrire. Toutefois, si je fais demain l’objet d’une surveillance téléphonique et que je vous appelle, notre conversation sera entendue et je ne vois guère comment nous pourrions y échapper.

M. Philippe Gosselin (LR). Ma question a certes un aspect technique, mais elle va bien plus loin, notamment sur le plan procédural. C’est du reste la raison pour laquelle le rapporteur nous propose de faire évoluer dans un sens plus protecteur une autre partie du texte. Il y a donc un vrai problème avec la liberté de conversation et la protection des échanges entre l’avocat et son client, même si nous ne sommes pas nécessairement en désaccord de fond à ce propos.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Pourquoi n’est-il pas techniquement possible que les avocats déclarent un numéro de téléphone qui serait référencé auprès des opérateurs comme ne pouvant être mis sur écoute ? Les Américains ne sont peut-être pas les seuls à pouvoir inventer de nouveaux dispositifs – nous avions d’ailleurs inventé internet avec le Minitel, et ils nous l’ont piqué, et la carte à puce est aussi une invention française. En France, nous savons faire des choses lorsque nous en avons la volonté.

Cette question pose celle des techniques spéciales d’enquête. Pour ce qui est des interceptions téléphoniques, la parade a été trouvée depuis longtemps, car tous les avocats utilisent WhatsApp ou d’autres applications, et non plus des lignes téléphoniques susceptibles d’être écoutées, mais de nouvelles techniques spéciales d’enquête permettront de visualiser l’affichage de l’écran de l’opérateur. Chaque fois que nous mettrons en œuvre de telles techniques, nous devrons en payer le prix au détriment des principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés. C’est la raison pour laquelle vous nous trouverez toujours sur ce chemin.

La commission rejette les amendements.

Deuxième réunion du mercredi 21 juin 2023 à 14 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/zzJ4IH

Présidence de Mme Cécile Untermaier, vice-présidente.

Article 3 (Suite) (art. L. 612‑1 du code pénitentiaire et art. 59‑1 [nouveau], 63‑3, 80‑1‑1, 142‑6, 142‑6‑1 [nouveau], 156, 161‑2, 167, 167‑2, 186, 186‑1, 230‑34‑1 [nouveau], 230‑36, 397‑1, 397‑2, 397‑3, 706‑96‑1, 706‑96‑2 [nouveau], 706‑97, 803‑5 et 803‑7 du code de procédure pénale) : Dispositions relatives à l’enquête, à l’instruction, au jugement et à l’exécution des peines

Amendements identiques CL78 de Mme Caroline Yadan et CL343 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Caroline Yadan (RE). Il s’agit de faire en sorte que le témoin assisté ait accès au dossier avant qu’il soit entendu. Il doit être considéré comme une partie à part entière. Il y va aussi du respect du principe du contradictoire, si cher à notre droit, en particulier dans le code de procédure pénale. L’amendement CL78 s’inscrit ainsi dans la réforme globale du statut du témoin assisté engagée par le projet de loi.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Nous avons débattu tout à l’heure de l’accès au dossier pour les avocats des personnes prévenues ; il s’agit ici des témoins assistés. Ces derniers – ou leur conseil – doivent avoir accès au dossier pénal. Il s’agit de garantir le respect du contradictoire et des droits de la défense.

M. Erwan Balanant, rapporteur sur les titres Ier et II. La première partie de la demande sur l’accès au dossier par le témoin assisté me semble satisfaite par l’article 113-3 du code de procédure pénale. Pour le reste, je vous aurais volontiers invitées à retirer ces amendements, mais je crois que M. le ministre fera preuve de bienveillance… Je lui laisse donc le soin de vous répondre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. La première partie est amplement satisfaite par les dispositions des articles 113-3 et 114 du code de procédure pénale : le témoin assisté a d’ores et déjà accès au dossier de la procédure.

La seconde, quant à elle, vise à faire en sorte que les avocats des parties disposent d’une copie du dossier de la procédure dès la réception de la convocation. Aujourd’hui, la délivrance intervient après l’interrogatoire de première comparution. Toutefois, à ce stade, l’intéressé peut garder le silence et, même si la copie de la procédure n’a pas encore été transmise, l’avocat a accès au dossier. Ma seule réserve envers votre proposition tient au fait que, pour que le dossier puisse être communiqué, il faut qu’il ait été coté et mis en ordre.

Je m’en remets à la sagesse de la commission.

La commission adopte les amendements.

Amendement CL787 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. C’est le juge des libertés et de la détention (JLD), et non plus le tribunal, qui sera compétent pour examiner les demandes de modification du contrôle judiciaire dans le cadre des procédures rapides. Dans le prolongement de ces dispositions, le Sénat a considéré que le JLD devait être également compétent dans ce domaine lorsque la personne renvoyée devant la juridiction de jugement est placée ou maintenue sous contrôle judiciaire.

L’amendement CL787 vise à apporter quelques précisions d’ordre technique. Il s’agit d’indiquer plus clairement que c’est le JLD qui est par principe compétent, même si la juridiction de jugement peut également statuer sur de telles demandes dans le cas où  elles sont formées lors de l’audience. Il convient, par ailleurs, d’indiquer les délais dans lesquels le JLD doit statuer – pour cela, nous proposons de renvoyer à l’article 148-2 du code de procédure pénale. Enfin, l’appel devra être formé dans les vingt-quatre heures, comme c’est déjà le cas en application de l’article 501 du code.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CL855 et CL856 de M. Erwan Balanant tombent.

Amendement CL223 de M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard (LR). L’article 3 vise à renforcer les droits du témoin assisté, notamment en matière d’expertise. C’est une bonne chose, mais la procédure devant le juge d’instruction s’en trouvera considérablement alourdie, en raison d’une très probable recrudescence des recours. Dans ce contexte, je pense que mon amendement est intéressant mais, dans la mesure où nous venons de réécrire les alinéas 27 à 29 avec l’amendement du garde des Sceaux, je retire le mien pour en revoir la rédaction d’ici à la séance.

L’amendement est retiré.

Amendement CL439 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). L’article 3 dispose : « En matière correctionnelle, lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement, s’il n’a pas été procédé à la vérification de la faisabilité technique de la mesure par le service pénitentiaire d’insertion et de probation ou que ces vérifications ne sont pas achevées, le juge des libertés et de la détention peut ordonner le placement conditionnel de la personne mise en examen sous assignation à résidence avec surveillance électronique en décidant de son incarcération provisoire jusqu’à ce que l’assignation puisse être mise en œuvre ou, au plus tard, jusqu’à l’expiration d’une période de quinze jours. » Ce dispositif tend à favoriser à l’excès le recours à l’assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse). Celle-ci est même érigée en principe. Plutôt que de privilégier directement les peines alternatives à la détention, nous préférons conserver les courtes peines de prison. Nous vous demandons donc de supprimer les alinéas 33 à 39.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il y a là beaucoup plus qu’une différence d’appréciation entre le Rassemblement national et la majorité – et, au-delà, une bonne partie de l’Assemblée nationale : c’est pour ainsi dire une différence idéologique. L’Arse est bien encadrée. Surtout, elle est utile, précisément parce qu’elle constitue une solution alternative à la détention provisoire. En ce qui me concerne, je ne comprends pas le sens d’une courte incarcération, qui n’est accompagnée d’aucun travail d’insertion. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Il y a là, effectivement, une différence d’ordre philosophique entre nous. La liberté est la règle, la détention est l’exception. C’est un principe séculaire. Il n’est donc pas anormal que le texte s’inscrive dans cette logique. On peut vouloir inverser les choses ; pour ma part, je n’y suis en aucune façon favorable. Chaque fois que l’on peut éviter la détention, il faut le faire. La décision est laissée à la libre appréciation des magistrats, qui prennent en considération la gravité des faits et la personnalité de l’auteur.

Je considère que les courtes peines sont totalement inefficaces. Plusieurs de nos voisins européens – même les Pays-Bas, contrairement à ce que j’ai entendu – y ont totalement renoncé. Pour certains jeunes, passer quelques jours en prison équivaut à recevoir des galons – c’est « LOL » ! Je ne veux pas de cela. Par ailleurs, dans le cadre d’une courte peine, aucune mesure de réinsertion n’est envisageable.

Nous devrions pouvoir nous entendre sur ces sujets, qui sont absolument fondamentaux. Ce n’est pas en versant dans la radicalité – d’un côté comme de l’autre, d’ailleurs – que nous y parviendrons. L’Arse fonctionne plutôt bien, comme le travail d’intérêt général (TIG), créé il y a tout juste quarante ans.

Mme Caroline Abadie (RE). Le débat peut être placé sur le plan philosophique, mais aussi sur le plan scientifique, car de nombreuses études démontrent que les courtes peines ne sont pas toujours le moyen le plus approprié de lutter contre la récidive. En quelques semaines ou en quelques mois, un détenu peut perdre le lien avec sa famille, son logement ou son emploi. C’est parce que nous entendons favoriser la réinsertion et lutter contre la récidive que nous avons toujours été opposés aux courtes peines. À cet égard, je rappelle que l’Arse n’est pas une peine : elle concerne des personnes présumées innocentes. Le choix, pour elles, est entre la détention provisoire et l’assignation à résidence.

M. Ian Boucard (LR). Ce débat est très intéressant et, une fois n’est pas coutume, monsieur garde des Sceaux, je suis d’accord avec ce que vous venez de dire, notamment à propos des jeunes et des courtes peines. La prison est d’abord une école de la délinquance. Dans les quartiers – et pas seulement, d’ailleurs – le fait d’avoir été condamné à quelques jours de prison est une sorte de trophée. J’approuve également les propos de Mme Abadie.

Toutefois, certains mineurs ou jeunes majeurs condamnés seize ou dix-sept fois ne sont jamais allés en prison et n’ont jamais été sanctionnés d’aucune façon : cela ne fonctionne pas non plus. La clémence et le laxisme ne sont pas une solution. La question que je vous pose, monsieur le garde des Sceaux, est donc quasiment philosophique : que proposez-vous ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Le code de la justice pénale des mineurs, le code de procédure pénale et le code pénal !

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est aussi pour cela, monsieur Boucard, que nous aurons une réflexion sur les TIG, qui, souvent, remplacent avantageusement une peine de détention. Nous sommes d’accord sur ce point, me semble-t-il. Essayons donc d’avancer dans cette direction. La prison n’est pas toujours la meilleure des peines.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL437 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). Il s’agit en quelque sorte d’un amendement de repli. Aux termes de l’alinéa 34, une personne placée en détention provisoire pourrait bénéficier de l’Arse au bout de quinze jours ; maissi l’enquête de faisabilité n’a pas encore abouti, elle serait remise en liberté. Le procédé me paraît étonnant. Il convient de maintenir la personne en détention « jusqu’à ce que l’assignation puisse être mise en œuvre ». Je vous propose donc, après ces mots, de supprimer la fin de l’alinéa.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le délai de quinze jours est un point d’équilibre entre ceux qui ne voudraient fixer aucun terme à l’incarcération et ceux qui voudraient la limiter à cinq jours. Avis défavorable.

Mme Pascale Bordes (RN). Vous avez dit, à propos de l’amendement précédent, que vous étiez hostile aux courtes peines de prison, ce que je peux comprendre. Emprisonner une personne pendant quinze jours avant de la libérer, cela revient à créer une courte peine de prison. J’ai un peu de mal à vous suivre…

M. Erwan Balanant, rapporteur. Attention, madame Bordes, il ne s’agit pas là d’une peine, et cela change tout. Nous parlons de détention provisoire, dans l’attente d’un jugement : la personne est présumée innocente.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Dans la procédure pénale, le juge a le choix entre la libération pure et simple, le contrôle judiciaire, l’Arse et la détention – tout en sachant qu’une enquête de personnalité est nécessaire pour prononcer l’Arse. Le délai de quinze jours que nous proposons a une vocation incitative : il s’agit d’encourager le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) à rendre très rapidement ses conclusions. Ce sera d’autant plus faisable que, une fois que le texte aura été adopté, la justice aura davantage de moyens.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL857 de M. Erwan Balanant et CL647 de M. Jérémie Iordanoff, amendements identiques CL109 de Mme Cécile Untermaier et CL503 de M. Jean-Félix Acquaviva, amendements identiques CL349 de Mme Elsa Faucillon, CL394 de M. Ugo Bernalicis et CL502 de M. Jean-Félix Acquaviva (discussion commune).

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement CL857 est rédactionnel.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’amendement CL647 vise à encadrer le placement sous Arse. Certes, la mesure est très intéressante pour éviter la détention provisoire, mais le délai de quinze jours nous semble problématique, puisque rien n’indique que les conditions du maintien de la personne en détention sont réunies. Or, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, la liberté est la règle, la détention est l’exception.

Nous proposons donc de réduire le délai à dix jours. Si, à l’expiration de ce délai, l’enquête de faisabilité n’est pas terminée, la personne sera soit remise en liberté, soit placée sous contrôle judiciaire. Puisque la justice disposera de davantage de moyens grâce à cette loi, il y aura plus de Spip, et ces derniers pourront mener les enquêtes en dix jours. Quoi qu’il en soit, la durée de la détention provisoire ne saurait être la variable d’ajustement permettant de pallier le manque de moyens de la justice.

M. Roger Vicot (SOC). Je souscris aux propos de M. le garde des Sceaux et de Mme Abadie concernant l’inefficacité des peines courtes. J’ai entendu l’une de nos collègues prétendre que l’on pouvait faire dire ce que l’on voulait aux études. C’est terriblement méprisant pour les centaines de chercheurs, dans le monde entier, qui ont tous abouti aux mêmes conclusions. Je vous renvoie également aux résultats de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, très argumentés et documentés.

Un amendement, déposé au Sénat et qui émanait du Conseil national des barreaux, visait à ramener à cinq jours le délai d’incarcération des personnes mises en cause, de manière à accélérer leur placement sous Arse. Notre amendement CL109 propose un compromis en le limitant plutôt à dix jours.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). L’amendement CL502 a pour objet de limiter le délai de la détention provisoire à cinq jours, conformément à la durée prévue à l’article 7237‑1 du code de procédure pénale pour déterminer la faisabilité et les modalités de la peine de détention à domicile sous surveillance électronique.

L’amendement CL503 est de repli : il fixe le délai à dix jours.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Oui, les courtes peines sont inefficaces. Certaines études montrent même qu’elles sont contre-productives.

J’en viens à l’amendement CL349. Nous proposons quant à nous de retenir la préconisation du Conseil national des barreaux, à savoir un délai de cinq jours. Vous nous répondrez qu’il risque d’être difficile à tenir. D’abord, s’il fallait calquer le champ des libertés sur l’étendue des moyens, nous devrions les limiter encore plus qu’elles ne le sont déjà. Ensuite, il sera sans doute possible, en séance, de faire en sorte que la personne mise en cause obtienne l’Arse à l’expiration de ces cinq jours même si l’étude de faisabilité n’est pas achevée – car nous ne saurions lui faire payer notre incapacité à respecter ce délai.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je partage la position de Mme Faucillon. La détention provisoire concerne des personnes en attente de procès, et non pas des personnes condamnées. Nous soutenons le dispositif proposé, mais le délai doit être réduit. Le Sénat l’a réduit à quinze jours, il faut aller encore plus loin : nous proposons cinq jours.

Incarcérer davantage et plus longtemps n’est pas efficace. C’est même contre-productif : la prison fabrique des délinquants. J’invite les députés du Rassemblement national à lire le célèbre ouvrage de Michel Foucault, Surveiller et punir, pour s’en convaincre.

Par ailleurs, et comme ils aiment à citer des faits divers, je leur en rappellerai un particulièrement terrible : un homme de 74 ans s’est donné la mort au cours de sa détention provisoire à la maison d’arrêt de Nanterre. S’il n’avait pas été placé en détention provisoire, ce qui était tout à fait possible, il serait encore vivant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La durée de quinze jours couvre en réalité deux étapes : la première dure dix jours et sert à évaluer la faisabilité technique, la seconde cinq jours et permet d’organiser le débat contradictoire. Il est ressorti des auditions que les dix jours accordés à l’évaluation constituaient un étiage. Selon les représentants des Spip, ce délai pourrait même se révéler un peu court. Les moyens ne sont pas seuls en cause : il est parfois difficile de se procurer certaines pièces, et les week-ends ou les ponts réduisent la durée effective.

Si nous imposons des délais trop courts, madame Faucillon, le dispositif ne fonctionnera pas, et le juge se protégera en optant directement pour le placement en détention provisoire.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’objectif est de disposer d’un outil supplémentaire, et efficace. Prononcer une Arse après la mise en examen ne fonctionne pas, car alors il n’y a pas d’enquête de faisabilité, laquelle est indispensable.

Le délai de quinze jours recouvre à la fois le temps de l’enquête, menée par le Spip, et, en cas de conclusions défavorables, celui nécessaire pour organiser le débat contradictoire. Ce délai n’a donc rien d’excessif. Nous poursuivons le même objectif, madame Faucillon, mais si on impose un délai trop court, on n’arrivera pas à mener à bien ces deux étapes, et le juge d’instruction aura davantage recours à la détention provisoire.

L’Arse est à la main du juge d’instruction et du JLD. C’est une solution adaptée pour certains faits et certaines personnalités ; pour d’autres, en revanche, on ne peut pas envisager de l’utiliser – d’ailleurs, aucun magistrat ne le fait. Nous mettons en place ce nouvel outil, qui va dans le sens d’une diminution de la détention provisoire. Il constitue une amélioration : n’en faisons pas trop, au risque de rater l’objectif.

M. Philippe Schreck (RN). Il n’est en effet pas pertinent de placer le débat sur le terrain de la peine, car il s’agit ici de détention provisoire. On connaît les conditions pour qu’elle soit prononcée : risques de pressions sur les témoins ou sur les victimes, collusion, troubles à l’ordre public…

Lorsque l’on connaît un peu le fonctionnement des Spip, il semble évident qu’un délai de cinq jours n’est pas suffisant : outre les contingences liées aux ressources humaines, il faut tenir compte des délais de transmission des pièces, et il suffit de tomber sur un week-end ou un jour férié pour que la contrainte devienne impossible à respecter. L’objectif est que les Spip puissent faire leur travail : en leur imposant de s’en tenir à cinq jours, on est à côté de la cible.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Comme l’a souligné Elsa Faucillon, vous partez de contingences matérielles pour en déduire des dispositions législatives. C’est l’inverse qui paraîtrait normal : définir les règles qui semblent les bonnes, puis faire en sorte que l’intendance suive. Il est vrai que les Spip n’ont pas beaucoup de moyens. Tous ces bracelets électroniques – dans le cadre de l’Arse ou de la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) – leur prennent beaucoup de temps.

D’ailleurs, une substitution s’est opérée, avec pour conséquence que l’objectif n’a pas été atteint : il y a plus de DDSE mais moins de TIG ; de même, il y a plus d’Arse mais moins de contrôle judiciaire. On finit par oublier que le contrôle judiciaire sans bracelet existe – et fonctionne, du reste. On oublie aussi que, dans notre raisonnement, c’est la liberté qui doit primer, et non le principe de précaution avec un recours à l’enfermement.

Si l’on suit votre raisonnement, monsieur le ministre, il faut revoir le cadre de la détention provisoire en fixant des conditions beaucoup plus strictes pour que cette mesure soit moins prononcée, et, parallèlement, favoriser le contrôle judiciaire, la surveillance sous bracelet électronique n’intervenant qu’à titre de substitution, si nécessaire.

Le bracelet donne l’impression de la sécurité par rapport au contrôle judiciaire : la technologie rassure… Or, tout prouve que cela ne change pas grand-chose. Au contraire, la surveillance électronique est anxiogène pour la personne qui la subit. Celle-ci est poussée à enfreindre les règles qui lui sont imposées, parce que les horaires sont difficiles à respecter et que la vie impose ses propres contraintes.

Oui, nous continuons à défendre un délai de cinq jours, parce que c’est un objectif qui doit pouvoir être atteint. Avec 7,5 milliards, monsieur le ministre, vous pouvez y arriver, et même plutôt cinq fois qu’une !

La commission adopte l’amendement CL857.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Amendement CL452 de Mme Andrée Taurinya.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Il s’agit d’un amendement de repli visant à créer une procédure d’appel de la décision prise par le JLD. Le fait que le texte ne prévoie pas de possibilité d’appel montre bien que la volonté du Gouvernement est non pas de faire justice, mais de contrôler, quoi qu’il en coûte, les personnes prévenues, au détriment de la présomption d’innocence et des garanties procédurales qu’un État de droit se doit de fournir. Le double degré de juridiction est la règle en droit : il y a la première instance, puis l’appel – à  quoi s’ajoute la cassation.

En outre, nous contestons l’orientation contrainte vers l’Arse. Il faut laisser au juge la possibilité de recourir à l’ensemble des possibilités qui lui sont offertes en matière de solutions alternatives à la détention provisoire, comme le contrôle judiciaire.

L’encombrement que subissent les JLD peut les conduire à prendre de mauvaises décisions. J’en veux pour preuve le nombre de dossiers concernant des étrangers en centre de rétention administrative. L’incorporation de l’état d’urgence dans le droit commun pose lui aussi problème. Il faut une procédure d’appel pour mieux contrôler certaines décisions.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement est satisfait, puisque l’alinéa 39 précise que l’ordonnance prévue au premier alinéa du nouvel article 142-6-1 peut faire l’objet d’un recours. Demande de retrait, ou avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Non seulement l’amendement est satisfait, mais un tel recours est illusoire, car la chambre de l’instruction ne peut pas se réunir dans un délai aussi court. Nous avons fait en sorte de limiter la détention provisoire, en permettant au Spip de réaliser l’enquête et au débat contradictoire de se tenir le cas échéant. Jamais vous n’aurez d’audience dans ce délai ! L’objectif du texte est de simplifier le dispositif.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Je retire cet amendement, qui vise surtout à appeler l’attention sur les conditions de travail des JLD et l’empilement de leurs missions – certaines charges sont d’ailleurs dues non au ministère de la justice, mais à d’autres : je pense notamment à la dernière circulaire Darmanin de décembre 2022.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Tout à l’heure, vous m’aviez naturellement fait la leçon lorsque j’avais constaté que l’enquête préliminaire ne pouvait pas se tenir dans les délais que vous aviez votés. Voilà la réponse du berger à la bergère…

L’amendement est retiré.

Amendement CL858 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il vise à assurer l’efficacité de la procédure en garantissant la saisine immédiate du Spip par le juge des libertés et de la détention. Contrairement aux juges d’application des peines (JAP), les JLD ne sont pas habitués à travailler avec les Spip. Compte tenu du délai de dix jours pour réaliser l’étude de faisabilité, il ne faut pas perdre une minute pour transmettre les pièces.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte les amendements rédactionnels CL859, CL860 et CL861 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL42 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). Il s’agit de rendre le délai de dix jours renouvelable une fois. Les Spip étant très sollicités, ils peuvent rencontrer des difficultés pour réaliser l’étude de faisabilité dans les temps.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le problème est mathématique : si on renouvelle le délai de dix jours, on dépasse les quinze jours d’incarcération prévus et la personne sera remise en liberté. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL862 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL506 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). L’article 3 prévoit une détention provisoire afin d’évaluer la faisabilité d’une assignation à résidence avec surveillance électronique. Lorsque celle-ci ne peut pas être réalisée, un simple débat contradictoire sur la détention provisoire est prévu. Cela n’est pas suffisant.

L’amendement, élaboré avec le Conseil national des barreaux, vise à remplacer le débat par le prononcé d’un contrôle judiciaire. Nous craignons que la mesure ne soit utilisée au détriment du contrôle judiciaire, ce qui irait à l’inverse de l’objectif visant à diminuer le recours à la détention provisoire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous proposez d’une part de supprimer le second débat contradictoire, ce qui a certaines conséquences, et d’autre part de forcer le JLD à prononcer un contrôle judiciaire si l’Arse n’est pas faisable. On risque par-là de décourager les JLD d’utiliser la procédure d’Arse : s’ils ne peuvent plus discuter d’une détention provisoire, ils seront tentés de prononcer celle-ci dès le départ, sans prendre le temps d’examiner si l’Arse est possible. L’amendement semble contre-productif. J’en demande le retrait.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je ne comprends pas bien le sens de l’amendement. Il est possible que le juge ait voulu se tourner vers l’Arse parce que le contrôle judiciaire ne lui paraissait pas une bonne solution. Laissons-lui la liberté de choisir !

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL330 de Mme Emeline K/Bidi et CL504 de M. Jean-Félix Acquaviva, et amendement CL505 de M. Jean-Félix Acquaviva (discussion commune).

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Mon amendement vise à supprimer l’avant-dernière phrase de l’alinéa 36, qui dispose que « Ce débat peut être réalisé en recourant à un moyen de télécommunication conformément à l’article 706-71. »

Depuis le début des débats, on cède assez facilement à la téléconsultation, aux télé-audiences ou aux visioconférences – on dématérialise à outrance. Pourtant, dans cette commission, et dans l’Assemblée en général, nous sommes mal placés pour donner des leçons : nous sommes toujours incapables de dématérialiser ! Députée de La Réunion, je dois parcourir 10 000 kilomètres pour voter ici, sans possibilité de le faire à distance. Nous expliquons cela par des problèmes techniques, mais nous n’hésitons pas à imposer cette procédure aux autres…

Il faut avoir assisté à une audience une fois dans sa vie pour prendre conscience que juger par le biais d’une caméra n’est pas la même chose que d’avoir un être humain en face de soi. On ne perçoit pas les choses pareillement, on ne voit pas de la même façon l’être humain qu’on est en train de juger. Je suis contre la généralisation de la télécommunication, des visioconférences ou de tout autre moyen qui revient en réalité à déshumaniser la justice.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je comprends vos préoccupations, que nous avons tous partagées au cours de la précédente législature, lorsque nous avons instauré la visioconférence : nous étions tous un peu sceptiques. Pourtant, nous l’utilisons de plus en plus, et en somme plutôt satisfaits.

Le vote à distance est un autre sujet – vous avez tenté la comparaison, vous en riez vous-même.

Vous parlez de déshumanisation mais en l’espèce, le juge a déjà vu la personne : ils ont été face à face, à hauteur d’homme, quelques jours auparavant, lors d’un premier débat contradictoire. Le recours à la visioconférence dans un second temps permettra d’accélérer la procédure, donc de respecter les délais impartis. Votre préoccupation me semble donc disproportionnée.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Mon premier amendement tend à supprimer la possibilité d’un débat par simple visioconférence. Le débat contradictoire porte sur la privation de liberté. Il est impératif qu’il ait lieu en présence de la personne intéressée et de son conseil.

L’amendement CL505 est un amendement de repli, qui vise à obtenir le consentement libre et éclairé de la personne en la matière.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis défavorable aux amendements. Le contact humain que Mme K/Bidi appelle de ses vœux a eu lieu, car le JLD a bien rencontré le mis en examen.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte les amendements rédactionnels CL863, CL864 et CL865 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL304 de M. Éric Pauget.

M. Éric Pauget (LR). L’amendement vise à rétablir une version antérieure de l’article 144 du code de procédure pénale, selon laquelle la possibilité de maintenir une personne en détention préventive si la libération peut entraîner un risque de trouble à l’ordre public s’applique aux délits. Aujourd’hui, la procédure est limitée aux crimes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre exposé sommaire fait référence à une tragédie récente, mais gardons-nous de réagir à l’émotion. C’est un sujet de préoccupation, et nous devons prendre notre temps. Il me semble d’ailleurs que la porte de la chancellerie vous est ouverte pour en discuter. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je confirme cette invitation, que je m’apprêtais à lancer !

Toute infraction crée un trouble à l’ordre public. Comment mesurerait-on celui qui serait pris en compte avec votre amendement : à l’aune du retentissement médiatique ? C’est ce genre de questions qui font que ce critère a été supprimé par une loi de mars 2007 pour la matière correctionnelle – il demeure en matière criminelle. Je ne souhaite pas que l’on revienne à l’état antérieur.

M. Éric Pauget (LR). Vous nous avez invités à venir la semaine prochaine discuter de l’homicide routier et je vous en remercie : j’espère que nous parviendrons à le définir tous ensemble. Aujourd’hui, puisqu’il est considéré comme un homicide involontaire, il est un délit. La question de la détention provisoire sera posée s’il est reconnu comme un crime.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). En l’état, l’article 144 précise que « ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire » et vous voulez supprimer cet élément ! Pour le reste, il est déjà prévu que l’on puisse mettre une personne en détention provisoire pour trouble à l’ordre public. Vous franchissez un seuil : votre amendement créerait une distorsion énorme selon que l’affaire est médiatisée ou non.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL451 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La détention provisoire est un moment particulier où, sans que la culpabilité de la personne ait été établie, celle-ci n’a pourtant plus la liberté d’aller et venir. Cette distorsion entre les principes et la réalité de leur application est problématique.

Nous souhaitons donc rehausser le seuil du recours à la détention provisoire. Cela permettra aussi de confronter moins de personnes à l’enfer carcéral – l’expression ne vous conviendra pas, mais c’est ainsi – pour lequel la France a été tant de fois condamnée et continue à l’être. Il faudra enfin regarder dans quelle mesure et dans quelles situations l’incarcération, quel que soit son statut, augmente les risques de récidive.

Telles sont les trois raisons qui nous conduisent à présenter cet amendement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous dites que vous ne touchez pas aux possibilités de prorogation, mais vous limitez la durée de la détention provisoire à celle du mandat de dépôt initial, limitée à quatre mois. Vous supprimez donc, de fait, les possibilités de prolongation.

C’est vrai, on peut débattre du seuil d’infraction pouvant entraîner un placement en détention provisoire. Pour ma part, je suis favorable au seuil de trois ans. S’il fallait réfléchir à limiter le recours à la détention provisoire, on pourrait peut-être plutôt examiner le fait qu’elle est possible pour toute personne prise en flagrant délit pour une infraction punie de six mois d’emprisonnement et envoyée en comparution immédiate.

Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). C’est un autre sujet. Tout à l’heure, une confusion était faite entre « prévenu » et « détenu ». Elle a du sens, du point de vue des conditions d’incarcération, car la plupart des prévenus et des détenus condamnés à des peines d’emprisonnement de moins de deux ans vivent dans les mêmes lieux. La détention provisoire représente une grosse partie des troupes – 40 % au moins des effectifs des maisons d’arrêt. Étant donné que l’on a un problème de surpopulation carcérale, l’on pourrait essayer de réduire la voilure avec ceux qui ne sont pas encore condamnés.

Je comprends qu’on s’émeuve qu’une personne qui n’a pas été mise en détention provisoire puisse peut-être un jour commettre une infraction, mais pourquoi n’a-t-on pas peur qu’une personne qui a subi la surpopulation carcérale et des conditions indignes d’incarcération ne récidive ? Nous vous proposons d’assumer l’idée de réduire la détention provisoire et de renforcer le contrôle judiciaire.

Telles sont les raisons qui nous poussent à défendre l’amendement. Nous ne serions pas cohérents si nous ne proposions qu’un mécanisme de régulation carcérale. C’est pourquoi nous insistons sur la déflation pénale et sur de nouveaux critères, plus stricts, concernant la détention provisoire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL866 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement, qui modifie les articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale, prévoit que, dans le cas des prolongations de la détention provisoire, la personne détenue est avisée au plus tard cinq jours avant de la tenue du débat contradictoire. J’espère que cette proposition recueillera l’unanimité dans notre commission. Elle renforce les droits de la personne placée en détention provisoire qui, en étant clairement avisée de la date du débat, pourra mieux préparer sa défense.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL658 de Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie (RE). Mon amendement a pour objet de faire davantage participer le Spip à la décision de prolonger ou non la détention provisoire. Si ce service ne peut rien apporter d’intéressant au début, tant qu’il ne connaît pas le prévenu, il aura, après quatre mois de travail avec lui, récolté des éléments de connaissance plus fine qui pourront éclairer le JAP, par exemple pour ce qui est du logement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le sujet n’a pas été abordé lors des auditions. Il serait bon d’expertiser l’amendement d’ici à la séance. Je vous suggère de le retirer.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je comprends le sens de l’amendement : la décision de prolongation ne peut être déconnectée de la réalité. La mesure de renouvellement est cependant conditionnée par certains critères, pour lesquels le Spip n’a ni légitimité, ni compétence particulière – risque de s’en prendre à la victime, de porter atteinte à la conservation des preuves, de pression sur les témoins, de concertation frauduleuse avec les co-auteurs, de fuite, de troubles à l’ordre public en matière criminelle.

Cette disposition pourrait, en outre, entraîner une charge de travail très lourde pour les Spip. Lors des états généraux, leur présence à l’audience a été débattue : leurs représentants y étaient défavorables, en raison de la charge de travail et de la difficulté à trouver un lieu où travailler durant les audiences.

Je rappelle aussi que le juge des libertés et de la détention a accès à l’intégralité du dossier d’instruction, donc aux éléments liés à la détention.

Nous devons avancer sur ces questions, qui sont cruciales. Mais en l’occurrence, je ne suis pas certain que les Spip puissent assumer cette charge, ni qu’il entre dans leur domaine de compétences d’envisager les conditions qui permettent la prolongation de la détention.

Avis défavorable.

Mme Caroline Abadie (RE). Nous ne demandons pas que le Spip soit physiquement présent, mais qu’il rende un avis. De même, il ne s’agit pas qu’il se prononce sur les sauvegardes de preuves ou tout autre élément qui ne relève pas de sa compétence, mais qu’il donne un éclairage sur la personnalité du prévenu et les possibilités de relogement, pour lesquelles il est pleinement compétent.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). On ne peut pas dire que les services pénitentiaires d’insertion et de probation n’ont rien à voir avec le présentenciel : les syndicats demandent justement à réinvestir ce domaine.

Il y a eu tout un débat sur les enquêtes sociales rapides du premier acte, qui ont été déléguées à des associations bien qu’elles fassent partie des missions des Spip, parce que ces derniers n’ont pas les moyens de les mener. Certes, la condamnation n’a pas été prononcée, mais ce n’est pas une raison pour ne pas entreprendre un travail sur la reconnaissance des faits ou la culpabilité, et surtout sur ce qu’impliquent un contrôle judiciaire ou une détention provisoire dans la vie des personnes. Cela entre pleinement dans les compétences des Spip.

La mise en œuvre technique, avec la question de leur présence notamment, pourra être précisée par la suite. Mais dans un premier temps, un rapport permettrait d’éclairer la décision du magistrat. C’est bien dans les prérogatives des Spip.

M. le ministre dira sans doute qu’on pourra en rediscuter dans cinq ans, après les 7,5 milliards, quand on connaîtra le nombre des Spip – qui ne figure pas dans l’annexe…

M. Jean Terlier, rapporteur général. Cet amendement est très intéressant. M. le ministre a évoqué le fait que le Spip n’a pas connaissance de tous les éléments que le juge doit prendre en considération dans sa décision. Il pourrait cependant être utile qu’il rende un avis.

Je vous propose donc de retirer l’amendement afin que nous puissions le retravailler d’ici à la séance, et mesurer la charge de travail supplémentaire induite pour les Spip.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL867 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL868 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Dans un souci de cohérence et de meilleure garantie des droits, cet amendement vise à harmoniser le cadre procédural de l’audition de témoins pendant l’instruction, ainsi que pendant les enquêtes de flagrance et les enquêtes préliminaires. Il permet, dans le cadre de l’instruction, de forcer le témoin à comparaître, et fixe une durée maximale à la contrainte durant laquelle le témoin peut être maintenu, fixée à quatre heures, comme cela est prévu dans le cadre des enquêtes de flagrance et préliminaires.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CL869 et CL870 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il s’agit des amendements de cohérence sur les témoins assistés, que j’évoquais précédemment. L’article 3 permet au témoin assisté de demander une expertise. Je propose d’étendre au témoin assisté la possibilité de préciser les questions qu’il voudrait voir poser à l’expert, et de formuler ses observations sur le rapport d’étape de l’expert en vue du rapport définitif, comme peuvent le faire les parties.

La commission adopte successivement les amendements.

Amendement CL342 de Mme Emeline K/Bidi et amendements identiques CL39 de M. Philippe Gosselin et CL76 de Mme Caroline Yadan (discussion commune).

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Il s’agit également des témoins assistés. Mon amendement vise à rendre automatique la notification aux avocats et aux parties de l’intégralité des rapports d’expertise, sans qu’il soit besoin d’en faire la demande aux greffiers. Il s’agit de réduire la charge de travail de ces derniers, qui n’auront plus à traiter ces notifications une par une.

M. Philippe Gosselin (LR). Il est ressorti des états généraux de la justice une volonté forte de réformer le statut de témoin assisté. Certains éléments du texte vont dans ce sens. Il est cohérent que les témoins assistés soient visés au même titre que les parties.

Mme Caroline Yadan (RE). Cet amendement de cohérence vise, en effet, à étendre les mesures relatives au témoin assisté à la section traitant de l’expertise dans le code de procédure pénale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous proposez d’étendre au témoin assisté le droit de demander au juge ayant prescrit l’expertise que l’expert fasse certaines recherches ou auditions. Cela me paraît aller dans le bon sens, et être cohérent avec mon souhait de permettre au témoin assisté de préciser les questions à poser dans sa demande d’expertise.

Je crains en revanche que l’amendement de Mme K/Bidi, présenté étrangement comme allégeant le travail des greffes, ne l’alourdisse. Aujourd’hui, les greffiers ne remettent les pièces que lorsqu’une demande est formulée.

L’avis est donc favorable pour les amendements CL39 et CL76 ; demande de retrait pour l’amendement CL342.

Successivement, la commission rejette l’amendement CL342 et adopte les amendements CL39 et CL76.

Amendement CL873 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le projet de loi permet au témoin assisté de demander une expertise et d’être rendu destinataire du rapport d’étape. Cet amendement de cohérence lui donne la possibilité de saisir la chambre de l’instruction si le juge n’a pas statué sur ses demandes. Là encore, cela paraît aller dans le bon sens.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL871 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL872 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cet amendement d’aménagement légistique tend à harmoniser les conditions dans lesquelles le témoin assisté et les parties peuvent interjeter appel des décisions en matière d’expertise.

La commission adopte l’amendement.

Amendements identiques CL110 de Mme Cécile Untermaier, CL329 de Mme Emeline K/Bidi, CL390 de Mme Andrée Taurinya, CL507 de M. Paul Molac et CL516 de Mme Sandra Regol.

M. Roger Vicot (SOC). L’amendement CL110 vise à supprimer l’activation à distance des appareils électroniques à des fins de géolocalisation.

Contrairement à ce que nous étions nombreux, moi le premier, à avoir compris, l’activation ne concerne pas seulement les téléphones portables, mais tous les appareils connectés – ordinateurs, téléviseurs, radios de voiture, montres connectées, assistants vocaux…

Cela donne l’impression d’une nouvelle version de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dans laquelle, derrière les 15 milliards d’euros posés sur la table, se cachaient nombre de dispositions méritant un examen attentif. Ici aussi, les crédits sont incontestablement importants, et plusieurs mesures posent problème au regard du respect des libertés publiques.

Les forces de l’ordre seront donc autorisées à capter des sons et des images autour de l’appareil activé dans le cadre d’une enquête de police. Mais s’il s’agit d’enquêtes, c’est que la culpabilité de la personne surveillée n’est pas encore établie. Le droit au respect de la vie privée de personnes présumées innocentes implique d’atténuer, autant que possible, le caractère intrusif des procédés utilisés. S’ajoute le fait que l’entourage de la personne visée est aussi susceptible d’être touché par la surveillance.

Enfin, le recours à l’activation sera autorisé sur la base d’une qualification des faits – il doit s’agir d’un crime ou d’un délit puni d’au moins dix ans d’emprisonnement – qui est souvent contestable. Ainsi, la qualification d’écoterrorisme permettra d’user de ces mesures très intrusives.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). La question est intéressante : sommes-nous obligés d’aller aussi loin que ce que les avancées technologiques nous permettent, quitte à prendre des mesures attentatoires aux libertés ?

Il s’agit ici d’activer à distance des appareils électroniques, à l’insu et sans le consentement de leurs possesseurs, qui sont présumés innocents. Ce procédé peut être utilisé dans le cadre non pas seulement de l’instruction, mais aussi de l’enquête, laquelle peut porter sur un crime ou un délit. En outre, le texte est muet sur le cas des personnes dont les activités sont couvertes par le secret professionnel. N’importe quel appareil de n’importe qui pourrait être visé.

Au motif de caractériser d’éventuelles infractions commises par des personnes encore innocentes, cette mesure porte atteinte aux dernières parcelles de liberté et d’intimité qui restent dans nos sociétés. Elle porte atteinte aux droits fondamentaux de notre République, avec lesquels nous ne pouvons pas transiger.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Je l’ai dit ce matin, les techniques spéciales d’enquête doivent être assorties de précautions importantes. C’est vieux comme le monde, les gendarmes et les voleurs ne sont pas dans une position équitable, puisque les seconds peuvent recourir à des moyens que l’État de droit et le respect des libertés publiques interdisent aux premiers d’utiliser.

En ce qui concerne l’efficacité de la mesure, si, par malheur, elle était adoptée, on peut imaginer que les premiers visés –ceux ayant des choses à se reprocher – trouveront aisément la parade pour ne pas se faire piéger par les objets connectés.

Nous parlons d’une intrusion très importante dans la vie privée des personnes visées et celle leur entourage. C’est la raison pour laquelle nombre d’associations et d’organisations, à commencer par le barreau de Paris, s’élèvent contre cette mesure, qui est de surcroît contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme.

Et ne vous abritez pas derrière l’argument du contrôle du juge. Encore heureux qu’un tel contrôle existe !

Enfin, il faut ajouter les journalistes à a liste des personnes exonérées de ces techniques spéciales d’enquête particulièrement intrusives.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Nous partageons nous aussi l’avis du Conseil d’État selon lequel cette mesure porte une atteinte importante « au droit au respect à la vie privée ». Vous faites comme si nous vivions dans le meilleur des mondes, en feignant d’ignorer les dérives dans les enquêtes de police dont les exemples sont légion.

Faute de garanties suffisantes sur l’utilisation du dispositif, il convient de supprimer ce qui constitue une atteinte disproportionnée aux libertés publiques.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je souscris à tous les arguments de mes collègues. J’ajoute qu’il existe déjà un cadre légal et des techniques pour suivre les déplacements. Il n’est donc pas nécessaire d’introduire une disposition encore plus attentatoire à la vie privée.

M. le ministre a mis en avant la protection des forces de l’ordre. Je n’en conteste pas la nécessité, mais j’ai du mal à comprendre en quoi une telle mesure y concourt. Il y a plein d’autres façons de prendre soin des agents, à commencer par mettre fin à la souffrance qu’ils ressentent dans l’exercice de leur métier – mais je m’éloigne du texte.

La suppression de cette disposition est demandée par la moitié des groupes politiques, par certains députés à l’intérieur d'autres groupes, par le Conseil national des barreaux, par le Syndicat des avocats de France, etc. Alors que des personnes en si grand nombre et si différentes expriment les craintes, n’est-ce pas le moment de pratiquer la coconstruction que vous revendiquez dans la presse, monsieur le ministre ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. D’abord, je rappelle que ces amendements portent sur la géolocalisation, qui consiste à repérer, par des moyens techniques, où se trouve une personne. Aujourd’hui, ces moyens peuvent être soit l’installation d’une balise sur une voiture ou n’importe quel moyen de transport, soit le bornage d’un téléphone – la triangulation entre les antennes relais permet de connaître sa position, avec une précision moindre que celle offerte par l’activation du GPS du téléphone, dont nous parlerons plus tard.

Sur le fond, le texte ne change rien, puisque la géolocalisation est déjà possible. Sauf que, madame Regol, un policier qui va placer une balise sur un véhicule dans un garage ou dans un parking souterrain prend des risques. Les bandits peuvent très bien surveiller le véhicule et l’attaquer. En outre, l’enquête risque d’être compromise, puisqu’ils peuvent soit déplacer la balise sur un autre véhicule – vous l’avez tous vu dans des films – soit installer un brouilleur par exemple.

Je vous invite donc à une réflexion spécifique sur la géolocalisation. Il ne s’agit pas de l’activation de l’image et du son dont nous parlerons tout à l’heure, qui est bien différente, à telle enseigne qu’elle porte sur des qualifications pénales bien supérieures. La possibilité de géolocaliser un téléphone ne me semble pas constitutive d’une grande atteinte à la liberté, d’autant qu’il n’est pas question de la déclencher pour des infractions de tous les jours, si vous me permettez cette expression.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Permettez-moi d’abord de rappeler l’état du droit. L’article 230-32 du code pénal permet d’ores et déjà la géolocalisation – nous ne l’inventons pas au nom de je ne sais quelle envie liberticide déraisonnable. Elle existe sous deux formes, la balise et la triangulation de la ligne téléphonique, pour des infractions punies de trois ans d’emprisonnement.

S’agissant de la balise, il faut avoir le courage d’aller la poser, car les risques sont réels. Il n’est donc pas indigne de vouloir protéger nos enquêteurs. Par ailleurs, les délinquants de haut vol savent très bien déplacer les balises ou les brouiller. En d’autres termes, ce moyen de géolocalisation, que personne ne conteste, est totalement obsolète. Quant à la triangulation, expliquez-moi la différence entre le suivi d’un téléphone portable et le suivi des relais activés par ledit téléphone ! Les cris d’orfraie ne me semblent pas justifiés.

Que proposons-nous ? D’abord, que les infractions visées soient celles passibles de cinq ans d’emprisonnement – dix ans dans le texte adopté par le Sénat – au lieu de trois ans actuellement.

Vous ne voulez pas que je me prévale du contrôle du juge. Je note toutefois que ces techniques sont déjà utilisées en matière administrative. Je préfère, et nous devrions tous préférer, la garantie qu’apporte le juge – je ne critique pas pour autant les techniques utilisées par certains services d’enquête.

Nous devons vraiment essayer d’avancer ensemble sur ce sujet. Il doit être clair pour tout le monde que la géolocalisation et la triangulation sont déjà possibles, avec l’autorisation du juge. Je précise aussi que l’activation à distance de l’appareil ne pourra servir qu’à géolocaliser la personne, et non pas à écouter des conversations.

Ce matin, j’ai vu un reportage sur les traqueurs vendus par Apple. On voit bien la différence qui existe entre, d’une part, un tel traqueur, que l’on peut acheter librement et glisser dans le sac d’une dame, et, d’autre part, la géolocalisation que nous proposons, qui est le fait de la police républicaine, sous le contrôle d’un juge, garant de la liberté individuelle.

L’idée de pouvoir suivre des voyous ne me choque pas. Prenons un cas concret : l’enlèvement d’un enfant.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Ben voyons ! Laissez les enfants tranquilles !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. C’est facile d’être dans le concept évanescent : moi, je suis dans le concret. J’ai été avocat pendant trente-cinq ans, monsieur Bernalicis, cela ne me donne pas obligatoirement raison, mais allez demander aux services de police, aux gendarmes, aux magistrats si la géolocalisation ne permet pas d’élucider des affaires ! Je ne fais pas dans le pathos, ce sont des choses qui arrivent : lorsqu’on recherche un gamin, vous refuseriez de géolocaliser le suspect ? Moi, si je suis magistrat, je donne l’autorisation de géolocaliser, comme cela se fait déjà.

Cela m’exaspère d’entendre que nous aurions ourdi je ne sais quel mécanisme infernal liberticide, pour je ne sais quelle raison. Il s’agit d’outils qui existent déjà, mais dont les technologies sont devenues obsolètes. Allons-nous abandonner ces techniques d’enquête qui ont fait leurs preuves depuis des années, ou essayer de trouver un consensus ? On peut quand même y réfléchir deux minutes !

J’ai été avocat pénaliste toute ma vie. Croyez-vous que j’ai attendu d’avoir 62 ans pour démolir les libertés ? Il n’y a pas de complot. Il y a un procédé, la balise, qui ne marche plus. Vous en déduisez qu’il n’y a qu’à l’abandonner ? Vous irez l’expliquer aux forces de sécurité intérieure. Je ne m’en sens pas capable.

M. Philippe Gosselin (LR). Nous partageons tous le souci d’éviter une asymétrie des moyens. On doit pouvoir simplement faire le distinguo entre le bon, la brute et le truand.

La géolocalisation ne me pose pas de problème. Nous sommes quelques-uns à avoir rendu visite récemment aux douaniers : ils doivent, en effet, déployer des trésors d’ingéniosité pour placer des balises.

En revanche, si l’on y ajoute la captation d’images et de sons, que nous évoquerons tout à l’heure, cela crée un ensemble assez lourd sur lequel Les Républicains, qui sont connus pour leurs positions sécuritaires, ne sont pas les plus mal placés pour poser certaines questions.

M. Philippe Schreck (RN). La géolocalisation, comme toutes les techniques modernes d’enquête, restreint, par définition, les libertés individuelles.

En l’état, le texte fait référence à des crimes ou délits passibles de dix ans d’emprisonnement. On parle donc de viols, meurtres, assassinats, enlèvements avec mutilation, blessures en bande organisée avec traitements dégradants. Et pour ce qui est des délits, ils sont le fait d’une délinquance organisée, technologique.

Loin de moi l’idée de minimiser la portée du texte, mais, le ministre l’a dit, il s’agit d’une mise à jour technologique. On ne peut pas voir les voyous accéder aux technologies du XXIe siècle et laisser aux enquêteurs celles du XXe. On ne peut pas demander à un officier de police judiciaire de faire une filature à l’ancienne et de prendre tous les risques que cela comporte pour lui-même et pour le devenir de l’enquête alors que d’autres solutions existent. Nous savons tous que la balise ne marche plus : le premier réflexe du délinquant chevronné, c'est de mettre la balise sur le véhicule d’un innocent pour semer l’enquêteur !

Étant donné les faits dont il s’agit, il n’y a rien de choquant à donner aux enquêteurs les mêmes moyens qu’ont les délinquants.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Le groupe Horizons ne soutiendra pas la suppression de la faculté de géolocalisation, ni de celle de sonorisation.

D’abord, ces techniques existent déjà et nous ne sommes pas indifférents au fait que les enquêteurs, quand ils y ont recours, prennent des risques.

Ensuite, il est vrai qu’elles sont très intrusives et remettent en cause le droit au respect de la vie privée, mais celui-ci n’est pas le seul terme de l’équation. Ce principe essentiel doit être concilié avec un autre objectif à valeur constitutionnelle, celui de l’efficacité de l’enquête. À cet égard, l’étude d'impact montre que les techniques traditionnelles d’enquête sont aujourd'hui dépassées. Les enquêteurs sont confrontés à des délinquants astucieux et inventifs. L’intérêt de la société, c’est quand même que les enquêtes aboutissent et que justice soit faite.

Ce n’est donc pas le dispositif en lui-même qui pose question : c’est sur son encadrement qu’il faut être vigilant – durée, infractions visées, personnes concernées –  afin de parvenir à cet équilibre entre droit au respect de la vie privée et efficacité de l’enquête. Nous proposerons plusieurs amendements dans ce but.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). J’entends vos arguments, monsieur le ministre, mais la commission a déjà adopté plusieurs dispositifs pour faciliter la surveillance – surveillances par drone, surveillances à caractère biométrique, capacités à traquer les personnes sur l’intégralité du territoire. Sans avoir recours à de nouvelles méthodes plus intrusives, vous disposez déjà d’importants moyens pour trouver des personnes. Pourquoi avoir besoin de les enregistrer ?

Il n’y a pas que les traqueurs d’Apple : les écoutes, par le biais de Siri ou des appareils Huawei, ont à juste titre secoué l’opinion publique, puisqu’on touche à notre intimité. Nous sommes opposés à toute intrusion, qu’elle soit le fait de l’État ou d’une structure privée – nous sommes cohérents.

Monsieur le ministre, vous en appelez à la coconstruction, mais celle-ci suppose des compromis auxquels on ne peut pas parvenir s’il n’y a aucune contrepartie ni écoute.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je le répète, nous ne parlons ici que de la géolocalisation.

Madame Regol, je comprends votre préoccupation quant aux libertés publiques. Certains dispositifs existants parfois échappent au contrôle de leurs utilisateurs. Mais ce n’est pas le sujet ici : le Gouvernement demande que les forces de l'ordre aient la possibilité, sous le contrôle d’un juge, d’utiliser des techniques pour suivre des personnes suspectées de crimes et délits graves, punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement – dix dans le texte adopté par le Sénat.

Je comprends votre interrogation sociétale sur la multiplication des outils capables de nous surveiller, mais en l’espèce, on parle de pouvoir recourir aux mêmes techniques que les voyous. Vous voudriez qu’on y renonce pour des raisons philosophiques, mais le dispositif est bien encadré. Je maintiens mon avis défavorable.

Quant au Conseil national des barreaux, ce n’est pas sur ce sujet qu’il nous a alertés, mais sur la sanctuarisation des cabinets d’avocats. C’est une vraie préoccupation, à laquelle nous apporterons des réponses tout à l’heure.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL552 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Il s’agit d’ajouter aux infractions pouvant justifier le recours à la géolocalisation les délits contre les personnes, compte tenu de leur gravité et de leur caractère traumatisant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre amendement va trop loin et rompt l’équilibre qui a été trouvé. Les infractions punies de cinq ans d’emprisonnement me semblent être le bon seuil.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL550 de M. Philippe Schreck et amendements identiques CL436 de Mme Pascale Bordes, CL551 de M. Philippe Schreck et CL778 du Gouvernement (discussion commune).

M. Philippe Schreck (RN). Il s’agit de revenir à la rédaction initiale, qui visait les infractions punies de cinq ans d’emprisonnement, et non dix, comme l’a décidé le Sénat.

Mme Pascale Bordes (RN). La géolocalisation est principalement utilisée pour lutter contre la criminalité organisée.

En ce qui concerne le trafic de stupéfiants en bande organisée, le seuil de dix ans conduit à écarter certains délits. Je pense, en particulier, à la provocation du mineur à faire un usage illicite de stupéfiants, qui est punie de cinq ans d’emprisonnement. Or, nous savons tous qu’elle est très répandue : les trafiquants incitent les mineurs à consommer, puis à dealer, s’assurant ainsi la pérennité de leur trafic.

Pour endiguer cette délinquance qui gangrène désormais toutes les villes, il faut s’attaquer à ce premier maillon de la chaîne. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’abaisser le seuil à cinq ans.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’amendement CL778 vise à rétablir la possibilité de recourir à l’activation à distance d’un appareil électronique aux fins de géolocalisation pour les délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je rappelle que le bornage et le balisage, que nous avons évoqués tout à l’heure, sont des techniques utilisables pour les délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement. Avis favorable à l’amendement du Gouvernement.

M. Roger Vicot (SOC). Cela représente une extrême aggravation du dispositif. Les faits punis de dix ans d’emprisonnement sont très graves. Si nous descendons à cinq ans, nous élargissons considérablement le champ du dispositif.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Il existe des différences entre le balisage et le bornage. La première technique, qui utilise la géolocalisation, est beaucoup plus précise que la seconde, qui a recours à des antennes. De plus, l’activation à distance d’un appareil électronique sera beaucoup plus massivement utilisée que les balises, étant donné que tout le monde possède un téléphone. On ne peut pas nier que, une fois l’outil disponible, sachant qu’il est facile d’utilisation, nous y recourrons bien plus qu’auparavant. Nous ne sommes donc pas dans une logique de droit constant et d’adaptation aux délinquants.

Par ailleurs, ces techniques ont des limites : quand le téléphone est un moyen de preuve, les individus le déposent chez leur grand-mère, le récupèrent une fois leur affaire terminée et se servent finalement de sa position comme alibi – nous le voyons déjà dans les trafics de stupéfiants !

Sur ce point, il faut au moins suivre la sagesse du Sénat. Nous sommes défavorables à l’abaissement du seuil d’activation à distance aux faits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le droit positif, pour les bornages et balisages, prévoit un seuil de trois ans. Nous le relevons à cinq ans pour l’activation à distance d’un appareil électronique aux fins de géolocalisation.

Vous dites que le recours à cette technique sera beaucoup plus massif parce que chacun a un téléphone, mais heureusement pour notre société que tout le monde n’est pas suspecté de délits susceptibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je souhaite revenir sur le relèvement du seuil qu’a opéré le Sénat, car il nous empêchera de recourir à cette technique pour certaines agressions sexuelles sur mineur, passibles d’au moins sept ans d’emprisonnement, ou certaines infractions de proxénétisme.

Et, c’est vrai, tout le monde a un téléphone, mais tout le monde n’est pas suspecté d’une infraction punie d’au moins cinq ans d’emprisonnement !

Nous n’utilisons clairement plus de balises aujourd’hui, c’est fini. La question est donc simple : disons-nous aux forces de sécurité intérieure que c’est comme ça, et tant pis, ou décidons-nous une actualisation technologique ?

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL649 de M. Jérémie Iordanoff

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Pour répondre au ministre, même si tout le monde n’est pas suspecté, vous constaterez quand même une explosion du nombre d’appareils géolocalisés. Par ailleurs, n’étant pas complètement naïfs, nous voulons bien que ce dispositif serve puisqu’il existe déjà ; mais pourquoi ne pas dresser la liste des cas pour lesquels nous pouvons l’utiliser, plutôt que de l’ouvrir à un ensemble de crimes et délits ?

Cet amendement de repli vise à encadrer l’utilisation de ce dispositif, les garanties l’entourant pour le moment étant insuffisantes. Pourquoi exclure l’application des deux derniers alinéas de l’article 230-33 du code de procédure pénale ? Ils prévoient, d’une part, la limitation de la durée totale de la géolocalisation, à un ou deux ans selon la nature de l’infraction ; de l’autre, ils posent l’obligation pour le juge de motiver sa décision écrite par référence aux éléments de droit ou de fait justifiant cette opération.

Puisque ces mesures de précaution existent pour les dispositifs de géolocalisation en vigueur, pourquoi n’y faites-vous pas référence dans le nouveau texte ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’article satisfait selon moi votre amendement, puisqu’il s’inscrit dans le cadre applicable à la technique de géolocalisation : les délais prévus dans l’article du code de procédure pénale s’appliqueront donc. La mention que vous voulez supprimer ne fait que préciser les modalités de décision. Demande de retrait.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je maintiens l’amendement, car je ne vois pas pourquoi cet article ferait référence à ces deux alinéas : nous pouvons les retirer de ce paragraphe et faire une loi plus courte.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement de précision CL874 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

La réunion est suspendue de seize heures trente à dix-huit heures cinquante-cinq.

Amendements CL702 de Mme Naïma Moutchou, CL111 de Mme Cécile Untermaier, amendements identiques CL650 de M. Jérémie Iordanoff et CL875 de M. Erwan Balanant (discussion commune).

Mme Naïma Moutchou (HOR). L’amendement CL702, tout en recherchant l’équilibre que j’ai mentionné précédemment, vise à préserver des techniques spéciales d’enquête les secrets qui participent des fondements de l’État de droit et de la démocratie.

Nous proposons donc d’étendre la protection prévue pour les secrets des avocats, des magistrats, des députés et des sénateurs aux journalistes, aux médecins, aux notaires et aux huissiers. De la même manière que, lorsqu’on protège le secret des avocats, on préserve avant tout celui des justiciables, il s’agit ici, non pas de garantir des secrets corporatistes, mais de défendre le secret médical et le secret des sources, qui est fondamental pour le droit à l’information et la liberté d’expression.

M. Hervé Saulignac (SOC). Je partage en tout point l’exposé des motifs de notre collègue Naïma Moutchou. L’amendement de repli CL111 du groupe Socialistes propose, quant à lui, de soustraire les journalistes de la mesure de surveillance par activation à distance des appareils électroniques, qui porterait gravement atteinte à cette profession.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’amendement CL650 protège le secret des sources. Si le texte protège actuellement les parlementaires, les avocats et les magistrats, il est possible de géolocaliser le téléphone portable d’un journaliste, ce qui pose problème en ce que ce procédé permet d’identifier ses sources. Dans la mesure où pensons que cette mesure entre en contradiction avec la loi relative à la liberté de la presse, nous proposons d’inclure les journalistes dans ce texte.

M. Erwan Balanant, rapporteur. S’agissant d’une technique allant plus loin que la géolocalisation classique, il me semble utile d’apporter des garanties supplémentaires et de protéger les journalistes de cet usage. Cela répond en outre à l’enjeu important de la protection de leurs sources. Si le journaliste peut être géolocalisé, il sera possible en effet de savoir chez qui il était et ainsi d’identifier sa source. Je vous propose de voter les amendements CL875 et CL650 et demande le retrait des autres.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis que le rapporteur.

La géolocalisation n’apporte rien en tant que telle, mais elle permet de savoir qui le journaliste a pu rencontrer. Or, il faut protéger le secret de ses sources, comme il faut défendre celui de l’avocat, qui, comme l’a rappelé Mme Naïma Moutchou, concerne le justiciable.

En revanche, je ne suis pas favorable à une exception au dispositif pour protéger le secret des médecins, des notaires ou des commissaires de justice, d’autant que certaines dérogations sont déjà envisagées pour les avocats, les parlementaires et les magistrats.

La commission adopte l’amendement CL702.

En conséquence, les amendements CL111, CL650 et CL875 tombent.

Amendement CL818 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Quand est décidée une comparution immédiate, le procureur de la République peut saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) pour demander une détention provisoire, si les éléments de l’espèce lui paraissent l’exiger – c’est l’article 396 du code de procédure pénale. Le JLD peut alors soit placer le prévenu en détention provisoire et la comparution doit avoir lieu sous trois jours, soit, estimant qu’elle n’est pas nécessaire, il peut décider d’une assignation à résidence avec surveillance électronique (Arse) ou d’un contrôle judiciaire, et la comparution a alors lieu dans un délai de dix jours à six mois.

Toutefois, si les poursuites concernent plusieurs personnes, dont certaines sont placées en détention, celle placée sous Arse ou sous contrôle judiciaire reste convoquée à l’audience où comparaissent les autres prévenus, détenus, soit sous trois jours.

Cette superposition de délais ne me semblant pas pertinente, je propose donc de les unifier afin de juger plus rapidement, ce qui est l’objet de la comparution immédiate. Cela ne prive cependant pas le prévenu de demander un renvoi pour préparer sa défense.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL350 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Il propose de supprimer l’unification des délais de renvoi en matière de comparution immédiate, dans la mesure où cette disposition se traduira logiquement, pour la majeure partie des personnes concernées, par un allongement des délais de placement en détention provisoire et donc par l’augmentation de la surpopulation carcérale.

Les délais sont notamment prévus dans l’intérêt des droits de la défense, pour permettre aux parties de bénéficier d’une durée raisonnable. Or, au regard de la situation de surcharge des juridictions, il est à craindre que les tribunaux utilisent massivement ce délai, non pas au cas par cas pour favoriser l’exercice des droits de la défense, mais pour des raisons purement pratiques de charge des audiences.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre position est un peu contradictoire : vous dites qu’il faut à la fois laisser du temps à la défense et réduire les délais dont elle bénéficie.

Je comprends votre inquiétude en matière de détention provisoire et nous avons travaillé, au cours des auditions, sur l’impact qu’aurait sur cette dernière une telle évolution. En raccourcissant une partie des délais, nous allons dans la bonne direction. N’oubliez pas que, dans nombre de cas, la détention provisoire sera moins longue, puisque le délai de jugement sera compris entre quatre et dix semaines.

Le temps de la défense est en outre ménagé, raison pour laquelle le délai de huit semaines initialement proposé par le Gouvernement a été porté à dix semaines – durée raisonnable selon le Conseil d’État. En outre, le seuil minimum de quatre semaines peut toujours être raccourci en cas de renonciation expresse du prévenu concerné.

Cette évolution me semble donc emporter plus d’avantages que d’inconvénients, en ce qu’elle unifie les délais et permet de ne pas juger séparément des affaires qui vont ensemble – ce point avait été souligné par de nombreuses personnes auditionnées. Puisque cette évolution préserve le temps de la défense tout en ménageant la réduction de la détention provisoire, je vous propose de retirer votre amendement. À défaut, j’y serai défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Madame la députée, il s’agit d’une mesure de simplification et de clarification, visant à unifier les délais et non à les rallonger. En outre, vous oubliez que la réforme, en supprimant le long délai de quatre mois, raccourcit les délais d’incarcération. Enfin, le Conseil d’État a lui-même suggéré un délai plus long pour respecter les droits de la défense. Je vous propose donc de retirer votre amendement. À défaut, mon avis sera défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES).  Accélérer le plus possible les procédures n’est pas forcément une bonne chose. En l’occurrence, la question est, non pas de prédéterminer les durées, mais de savoir dans quelles conditions et temporalités une bonne justice peut être rendue. À cet égard, le temps nécessaire à la défense et les moyens attribués à sa préparation sont essentiels. C’est la raison pour laquelle nous soutenons cet amendement.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Cette mesure de simplification va dans le bon sens. Il était incongru d’avoir des délais de comparution et de jugement différents pour des prévenus relevant d’une même affaire. Nous parvenons donc à une seconde audition qui se tient dans les mêmes délais que la première, ce qui est important car l’audience doit être renvoyée dans un délai raisonnable. Le Gouvernement ayant en outre tenu compte des observations du Conseil d’État afin que les droits de la défense soient assurés, le dispositif est équilibré.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je maintiens mon amendement, pour le retravailler peut-être en vue de la séance. Comme Élisa Martin, je considère qu’il serait bon que nous discutions au sein de la commission de la comparution immédiate et des délais. La garantie de représentation pour tout et rien a pour conséquence de discriminer dans nos sociétés les plus vulnérables.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL652 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Il a pour objet de limiter l’allongement des délais de placement en détention provisoire, en proposant de réduire à huit semaines au lieu de dix le délai de renvoi avant audience. Il propose aussi de conserver le délai de deux mois, au terme duquel le jugement doit être rendu lorsque le prévenu est en détention provisoire.

L’allongement des durées de détention a des conséquences délétères sur la surpopulation carcérale, contre laquelle nous devons impérativement lutter.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cet amendement illustre bien la difficulté à trouver un équilibre : il faut laisser du temps à la préparation de la défense et ne pas trop allonger la durée de la détention provisoire. Après de nombreuses réflexions et auditions, nous sommes parvenus à un équilibre qui se trouve être le même que celui proposé par le Conseil d’État, à savoir un délai de dix semaines et non de huit, comme cela était initialement envisagé par le Gouvernement. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis que le rapporteur.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Le droit actuel prévoit différentes situations en fonction de la peine encourue par le prévenu. Certes, juger à des moments différents des personnes poursuivies pour les mêmes faits soulève des observations. Cependant, adapter les délais à la peine encourue est tout à fait conforme aux droits de la défense, puisque la comparution immédiate est tout de même très peu compatible avec le respect de ces mêmes droits lorsque l’on risque d’être privé de liberté pendant plusieurs années. On ne devrait pas s’en remettre à une telle justice expéditive dans ce cas.

Il va donc falloir travailler tout cela de nouveau d’ici à la séance, parce qu’on ne peut pas postuler que l’unification des délais est forcément positive. Ce n’est pas vrai. On ne peut pas traiter de la même manière un prévenu selon qu’il encourt sept ans ou un an de prison.

M. Hervé Saulignac (SOC). La recherche d’un équilibre est tout à fait louable, mais l’amendement met en évidence le sujet de la surpopulation carcérale – que la mesure proposée par le projet va aggraver, alors que nous souhaitons tous y remédier. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera pour cet amendement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je ne comprends pas vraiment ces réticences, car le délai proposé est suffisant pour préparer la défense. Si dans certains cas le délai de renvoi en comparution immédiate est réduit, il augmente dans bon nombre d’autres. Il en est de même pour la durée maximale de détention provisoire. Tout cela va plutôt dans le bon sens.

Si je reprends l’exemple pris par Mme Garrido, où deux prévenus dans une même affaire encourent une peine différente, il me semble que les juger en même temps relève d’une bonne justice.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Je n’ai pas dit le contraire. Mais cela ne doit pas se faire au détriment des droits de la défense.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ils sont largement préservés. Lors des auditions, personne n’a soulevé de problème sur ce point.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL905 de M. Erwan Balanant et CL341 de Mme Emeline K/Bidi (discussion commune).

M. Erwan Balanant, rapporteur. Sous des dehors techniques, mon amendement aborde un sujet important.

Lorsque le tribunal renvoie le parquet à mieux se pourvoir, le procureur peut seulement requérir l’ouverture d’une instruction. Le projet prévoit de lui laisser le libre choix des suites à donner.

Cependant, quand le tribunal procède à un tel renvoi, c’est parce qu’il estime que des investigations complémentaires approfondies sont nécessaires. Permettre au parquet de classer sans suite ou de régler l’affaire par une alternative aux poursuites ne me paraît pas cohérent avec cette exigence d’investigation. On ne peut pas comparer avec les autres cas de renvoi au parquet, dans lesquels lui est laissé le libre choix des suites à donner, car ils concernent des situations où le tribunal est incompétent – par exemple, lorsque l’infraction est un crime et non un délit. Dès l’origine, en 1986, l’intention du législateur était bien d’obliger le parquet à requérir une information judiciaire.

Laisser un choix entièrement libre au parquet ne semble donc pas opportun. Cela étant, l’obliger à requérir l’ouverture d’une instruction ne l’est pas davantage. L’affaire ne le nécessite pas forcément et une enquête préliminaire peut suffire.

Mon amendement propose une voie médiane entre l’instruction obligatoire prévue actuellement et la liberté totale retenue dans le projet de loi. Le parquet sera ainsi contraint de réaliser des investigations complémentaires, mais il pourra le faire en demandant l’ouverture d’une instruction ou en poursuivant l’enquête – le cas échéant dans le cadre d’une comparution à délai différé.

L’amendement prévoit aussi que le jugement de renvoi indique les investigations jugées nécessaires, afin d’éviter d’éventuels abus, qui consisteraient à renvoyer systématiquement au parquet du seul fait de l’objet du litige sans que des investigations complémentaires soient réellement utiles.

Cette proposition me semble équilibrée.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES).  Vous proposez qu’en cas de renvoi du parquet à mieux se pourvoir car le dossier est complexe, le procureur décide du type d’investigations à mener. Il peut donc choisir l’enquête préliminaire, alors même que le prévenu a déjà comparu devant le tribunal. Alors que l’on est en phase de jugement, cette enquête est secrète et l’avocat et le prévenu n’ont donc pas accès au dossier. Les droits de la défense ne sont pas respectés, à la différence d’une information judiciaire.

La jurisprudence en ce qui concerne la comparution immédiate impose au procureur de recourir à l’ouverture d’une information judiciaire lorsque le dossier est si complexe qu’il nécessite des investigations complémentaires. Si cette précision ne figure pas dans la loi, on risque de laisser la porte ouverte à l’enquête préliminaire, au détriment de la garantie des droits du prévenu.

Je rappelle tout de même qu’en comparution immédiate, une affaire est jugée en moyenne en vingt-neuf minutes d’audience, et qu’une peine de prison ferme est prononcée dans 70 % des cas. Huit fois plus de peines de prison sont prononcées dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate que dans celui d’une audience classique. Ce n’est pas une procédure anodine.

Vous voulez toujours plus de rapidité et d’efficacité au détriment des droits de la défense. Nous ne pouvons pas l’accepter.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Mon amendement ne permet pas de s’orienter vers une comparution immédiate. Votre argument ne tient pas.

Le dispositif que je propose est plus favorable. Demande de retrait.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Madame K/Bidi, il est inexact de dire que le dossier n’a pas été communiqué à la défense, puisque l’affaire est venue devant le tribunal.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Ma remarque vaut pour la suite de la procédure, dans le cas où le parquet diligenterait une enquête préliminaire.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. J’entends bien, mais l’affaire vient devant le tribunal, qui invite le parquet à mieux se pourvoir. Un examen du dossier par l’avocat est tout à fait possible.

S’agissant de l’amendement du rapporteur, je suis favorable au fait de ne pas permettre un classement sans suite lorsque le tribunal renvoie le dossier au parquet.

En revanche, je suis plus réservé sur le fait que le tribunal précise les actes d’investigation que doit réaliser le parquet.

D’une part, cela peut porter atteinte au principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement, puisque le tribunal se dessaisit du dossier lorsqu’il le renvoie au parquet. Il ne faut pas oublier qu’avant de procéder à un tel renvoi, le tribunal peut lui-même ordonner un supplément d’information s’il a une idée très précise des actes nécessaires.

D’autre part, les nouvelles investigations peuvent faire apparaître des éléments qui vont dans le sens de l’innocence du mis en cause. Il serait alors curieux que le parquet ne puisse pas classer sans suite et doive saisir la juridiction de jugement. Je ne vois pas pourquoi on ferait subir cela à un innocent.

Enfin, un esprit de simplification sous-tend ce texte.

Avis de sagesse.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Je suis d’accord avec les observations de Mme K/Bidi et du garde des Sceaux.

Provoquer une meilleure enquête est un moyen de défense. C’est pourquoi il ne faut pas fermer la porte au classement sans suite, car cela serait contre-productif. Sans cette possibilité, ce moyen de défense ne serait pas soulevé, au vu du risque que le parquet opte pour une enquête préliminaire. Il faut donc maintenir aussi bien la possibilité de classement sans suite que celle d’une instruction.

En ce qui concerne les instructions du tribunal au parquet sur le contenu des investigations, je pense également qu’il ne faut pas faire n’importe quoi, car il s’agit de périmètres de compétence distincts.

On en revient donc à la situation où, lorsque le parquet est invité à mieux se pourvoir, il peut choisir de requérir l’ouverture d’une information judiciaire, ou bien de classer l’affaire.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL788 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l’amendement CL787.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis favorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je n’y suis pas favorable. On réduit encore une fois les délais pour faire appel. Vingt-quatre heures, c’est quand même assez court – dix jours n’étaient déjà pas un délai très long ! Et l’on confie en plus au seul président de la chambre de l’instruction le soin d’examiner cet appel. Vu la manière dont est organisée cette chambre, cela va être expéditif !

Il faut au contraire étendre le principe de collégialité à toutes les missions du juge des libertés et de la détention (JLD), car elles touchent à la privation de liberté. Ce principe devrait être la norme, mais vous prenez une autre direction.

On se demande bien à quoi vont servir les 7,5 milliards s’ils ne permettent pas d’améliorer la collégialité et le fonctionnement de la justice.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL332 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Cet amendement propose de supprimer l’alinéa 84, qui prévoit que le jugement au fond doit être rendu dans un délai de trois mois et non plus de deux mois lorsque le prévenu est en détention provisoire. Il me semblait pourtant que votre objectif était de réduire les délais de jugement.

Cet allongement aura surtout pour conséquence d’augmenter d’un mois la durée de la détention provisoire – et ce alors que les prisons sont déjà surchargées.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous vous êtes précédemment émue d’un raccourcissement de délai qui, selon vous, ne laissait pas assez de temps pour préparer la défense…

Je rappelle que le délai prévu par cet alinéa fixe une durée maximale. Il est celui de la détention provisoire, mais aussi celui de la préparation de la défense – ce qui devrait vous satisfaire. Je le répète, nous sommes à la recherche d’un équilibre.

Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). En vérité, cela revient à dire à ceux qui veulent du temps pour préparer leur défense que les textes leur accordent bien un délai de trois mois, mais que cela suppose d’aller au trou pendant ce temps !

Cela se passe comme ça en comparution immédiate : les gens renoncent au temps de préparation de leur défense pour ne pas finir en prison, et au bout du compte on finit par être mal jugé.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Mais qu’est-ce que vous racontez ?

Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Seuls les plus déterminés prennent la décision difficile d’aller en détention provisoire plusieurs mois afin de préparer leur défense. Nous vous alertons sur cette situation.

En réalité, vous bricolez à la marge et l’on s’étonne qu’en France, 2 400 détenus dorment sur des matelas au sol dans les prisons.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Ne mélangez pas tout !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il s’agit du même sujet, monsieur le ministre. Et si l’on ne le considère pas dans son ensemble, on n’arrivera pas à le régler.

La comparution immédiate reste la principale pourvoyeuse de peines de prison ferme, mais aussi de détention provisoire. Et on ne peut pas subordonner le fait de préparer sa défense à l’enfermement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Mais il ne s’agit pas de cela !

Mme Naïma Moutchou (HOR). Vous ne pouvez laisser entendre que les magistrats placent en détention provisoire pour le plaisir, monsieur Bernalicis. Cette décision répond à des objectifs, comme empêcher une pression sur les témoins ou les victimes, ou bien éviter un risque de trouble à l’ordre public.

Je ne dis pas qu’il n’existe pas de difficultés en cas de comparution rapide, mais on ne peut pas caricaturer ces sujets. C’est très dangereux.

Il est vrai qu’il existe un problème en matière de détention provisoire, mais il est également vrai qu’il faut construire des places de prison.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL496 de M. Davy Rimane.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Cet amendement a pour objet de créer une juridiction spécialisée en Guyane, afin de disposer des moyens techniques nécessaires.

En raison de sa superficie, ce département doit relever de grands défis pour lutter contre la criminalité, tant en matière de trafic de stupéfiants que d’orpaillage ou de pêche illégale. Les drogues dures produites en Amérique du Sud qui arrivent en Europe transitent notamment par la Guyane. Or, celle-ci  relève de la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Fort-de-France, qui se trouve à un peu moins de 2 000 kilomètres.

Je rappelle que la Guyane est un territoire français et européen en Amérique du Sud.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La création d’une Jirs relève du pouvoir réglementaire, puisque les huit Jirs actuelles sont prévues par l’article D. 47-12-7 du code de procédure pénale. Je laisserai donc le ministre vous répondre.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Depuis mon arrivée au ministère, j’ai augmenté le nombre de magistrats, greffiers et contractuels affectés en Guyane. Les moyens de la Jirs de Fort-de-France ont également été renforcés.

Une Jirs a une compétence interrégionale et a vocation à mutualiser les moyens pour améliorer l’efficacité. Prévoir une telle juridiction pour un seul département n’aurait donc pas de sens. C’est la raison pour laquelle je suis défavorable à l’amendement.

Dans le cadre de notre déplacement en Guyane avec le ministre de l’intérieur et des outre-mer et Gabriel Attal, nous avons annoncé que tous les moyens humains seraient renforcés autant que possible. Il en est ainsi par exemple pour les douaniers. Nous évoquerons l’expérimentation des brigades de soutien à Cayenne et à Mayotte lorsque nous discuterons du rapport annexé. Un magistrat du parquet supplémentaire sera prochainement affecté à la Jirs de Fort-de-France. Nous nous attachons évidemment à renforcer la coopération internationale grâce au travail du magistrat de liaison à l’ambassade de France au Brésil, qui est également compétent pour le Suriname et le Guyana.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Je ne suis pas convaincu par vos arguments.

Les Jirs sont destinées à mutualiser les moyens à l’échelle régionale, expliquez-vous. Mais avec près de 90 000 kilomètres carrés, la superficie de la Guyane représente quasiment un cinquième de celle de l’Hexagone. Cet immense territoire est séparé des pays voisins par deux fleuves – le Maroni à l’ouest et l’Oyapock à l’est – qui sont plus des passoires naturelles que des frontières. Il faut vraiment mettre en place les moyens nécessaires pour que la justice lutte contre les trafics. Le Gouvernement a peut-être augmenté les effectifs des douanes, mais cela reste insuffisant par rapport aux besoins réels.

La mise en place d’une juridiction spécialisée en Guyane permettra d’augmenter les moyens, mais aussi de renforcer la coopération judiciaire avec les pays voisins. Comme nous avons pu le voir lors d’un déplacement au Guyana avec mon collègue Jean-Victor Castor, les réseaux de crime organisé prennent leur source par-delà nos frontières.

Je réitère donc ma demande, car ce qui est valable en matière de mutualisation des moyens dans l’Hexagone ne l’est pas en Guyane, laquelle se situe à 2 000 kilomètres du premier autre territoire français.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL779 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Cet amendement a pour objet d’améliorer les modalités d’instruction des pourvois dont est saisie la chambre criminelle de la Cour de cassation lorsqu’ils concernent des affaires d’une particulière complexité.

Selon des modalités similaires à ce qui est prévu devant les chambres civiles de la Cour de cassation, il est ainsi proposé que deux rapporteurs pourront être désignés, qu’une séance d’instruction préalable au dépôt du rapport pourra être organisée et que la chambre criminelle pourra saisir une autre chambre pour avis.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il est très cohérent d’aligner les procédures. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL175 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). Monsieur le ministre, vous dites qu’il faut simplifier : nous y voici ! Il s’agit de donner un peu de cohérence à des délais proches ou identiques. Nous proposons d’élargir le délai du pourvoi en cassation de cinq à dix jours, qui n’est déjà pas très long, ce qui aurait pour effet de l’aligner sur le délai d’appel.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je ne suis pas favorable à cette augmentation. L’unification ne serait qu’imparfaite. Ainsi, le délai de trois jours prévaut en matière de délit de presse. Peut-être pouvons-nous trouver une solution d’ici à l’examen du texte en séance publique.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Avis défavorable. D’abord, l’amendement a peu de rapport avec le texte.

Par ailleurs, la question de savoir si l’alignement proposé est opportun devrait faire l’objet d’une concertation entre les avocats, les parquets généraux et la Cour de cassation, ainsi peut être que d’une étude d’impact préalable. La Cour de cassation ne m’a transmis aucune demande d’allongement de délai, dont on ne trouve du reste nulle trace dans son rapport annuel.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Je constate que l’argument selon lequel une disposition vise à favoriser une bonne défense est très aléatoire. Sans préjudice de la technicité des matières dont nous traitons, dont je reconnais volontiers que je ne la maîtrise pas, il faut peut-être réfléchir de façon approfondie à ce sujet. En l’espèce, un allongement du délai à dix jours ne me semble pas négligeable.

Il faut à tout le moins unifier certaines dispositions. Est-ce à dire, hors de toute logique de soupçon, que les motivations sont différentes de celles ici exposées ?  Politiquement, nous devrons avoir, dans l’hémicycle, le débat sur la place de la gestion de la pénurie dans les décisions que nous prenons.

M. Philippe Gosselin (LR). La comparaison avec le régime du délit de presse, qui ne relève pas intégralement du droit commun, ne tient pas. S’agissant du rapport au texte de l’amendement, il détermine sa recevabilité au titre de l’article 45 de la Constitution, dont l’application nous laisse souvent perplexes. Quoi qu’il en soit, celui-ci a été jugé recevable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL375 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Cet amendement du groupe démocrate dispose : « À peine de nullité d’ordre public, les audiences ne peuvent se poursuivre au-delà de 23 heures ». Il arrive souvent, dans certaines juridictions, que des tribunaux judiciaires achèvent des audiences correctionnelles ayant débuté à 13 h 30 assez tard, après 21 heures, après 23 heures, voire après minuit.

D’aucuns se satisfont peut-être de ce fonctionnement. Nous considérons quant à nous qu’il n’est acceptable ni pour les magistrats, épuisés par de longues heures d’audience ininterrompues, ni pour les prévenus, qui doivent attendre de façon interminable que leur affaire soit appelée, ni pour les avocats et les fonctionnaires judiciaires.

Cette situation est bien connue. Le présent texte de loi nous donne des moyens et fixe des objectifs pour résorber les difficultés. Seules des dispositions législatives précises et contraignantes sont de nature à mettre un terme à une situation qui n’est plus tolérable.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pour militer depuis longtemps, au sein de cette assemblée, pour que nous renoncions aux séances de nuit, je suis particulièrement sensible à votre préoccupation, fort légitime. Toutefois, quiconque a assisté à une comparution immédiate sait qu’elle peut durer longtemps et s’achever à des horaires tardifs.

En outre, la rédaction de l’amendement pose un problème que j’ai évoqué avec Laurence Vichnievsky : l’application d’une peine de nullité en cas de dépassement de l’horaire. Or, un dépassement de quelques minutes ne saurait entraîner la nullité d’une procédure. Les juridictions sont parfois plus pointilleuses que l’Assemblée nationale sur ce point. Elles considèrent qu’une minute, c’est une minute, et font écrire au greffier « vingt-trois heures une » si l’audience s’achève à 23 h 01. Des procédures longues et complexes, des affaires entières pourraient ainsi être jetées à terre pour un dépassement d’horaires, ce qui serait dommage. Par ailleurs, s’il s’avère à 22 h 50 que l’audience peut être achevée en une demi-heure, que dira-t-on au prévenu ? « Revenez la prochaine fois » ? S’agissant d’un individu placé en détention provisoire, cela signifiera y rester potentiellement plusieurs semaines pour quelques minutes d’audience en moins.

La question des horaires concerne tout le monde – les juges, le greffier, l’avocat, le prévenu, sa famille, les forces de l’ordre. Je suggère le retrait de l’amendement pour insérer cette question dans le rapport annexé, afin que le référentiel des métiers et des compétences sur lequel travaille le ministère intègre cette légitime préoccupation d’assurer à tous des horaires de travail décents.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Mettre un terme à la tenue d’audiences nuitamment est une excellente idée, sur laquelle la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a statué. Toutefois, imaginons une cour d’assises qui se retire à 20 heures, tout étant clair et limpide. Chacun pense qu’elle délibérera rapidement. Mais des discussions s’ouvrent, car des désaccords se font jour, et, à 00 h 01, le verdict n’est toujours pas tombé. On annule tout ? Ce n’est ni possible, ni vraisemblable. D’ailleurs, disons-le clairement : on ne connaît jamais à l’avance la durée d’un délibéré, ni en matière criminelle, ni en matière correctionnelle.

S’agissant de la charge de travail des magistrats, nous travaillons sur ce point à la Chancellerie. Nous préparons une convention-cadre sur la qualité de vie au travail. Si les moyens prévus par le texte sont votés et si nous embauchons davantage de magistrats, peut-être les audiences s’achèveront-elles à des heures moins tardives. L’un des objectifs de ces embauches massives est aussi d’améliorer la qualité de vie au travail des magistrats.

Je ne peux évidemment pas accepter le couperet de la nullité d’ordre public, qui engendrerait des cataclysmes judiciaires. Avis défavorable.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Je soutiens cet amendement de bon sens. Pour la qualité du rendu de la justice, plaider et se défendre au milieu de la nuit n’est acceptable pour personne.

Je constate au passage que l’argument du rapporteur sur le maintien en détention provisoire est à géométrie variable. Dans le cadre d’un amendement précédent, le délai était censé être utile au prévenu pour préparer sa défense…

L’audience proprement dite, qui fait intervenir la défense et les témoins dans le cadre de débats contradictoires, est distincte du temps du délibéré, même si celle-ci fait certes partie du temps de travail des magistrats. M. le garde des Sceaux a raison de dire qu’il serait dommage que des procédures entières, où tout le monde a mis du sien, soient annulées. Plus généralement, délibérer sous la pression du fouet du chronomètre mène à la mauvaise justice. Il faut donc exclure le temps du délibéré du délai proposé par notre collègue Vichnievsky, qui répond à une demande des justiciables, des magistrats et des greffiers.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. La meilleure façon de ne pas dépasser 23 heures, c’est de donner à la justice davantage de moyens.

Si l’on suspend les débats à 23 heures en l’absence de délibéré, à quand celui-ci est-il remis ? Sine die ? Au lendemain ? Le délibéré fait partie de l’audience, sur laquelle se fonde la rédaction de l’amendement. Je ne suis pas d’accord avec la rectification proposée par Mme Garrido.

Par exemple, si un réquisitoire est prononcé à 22 h 50, l’avocat devra-t-il attendre le lendemain pour plaider ? C’est loin d’être idéal pour la défense. Certaines cours d’assises procèdent ainsi ; je n’y ai jamais été favorable.

Nous donnerons à la justice des moyens supplémentaires, grâce auxquels nous ferons en sorte que les audiences durent moins longtemps qu’à l’heure actuelle.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Madame Garrido, vous mobilisez beaucoup de mauvaise foi pour me faire passer pour quelqu’un qui n’a pas compris le sujet. S’agissant de la détention provisoire, ma position n’est pas à géométrie variable. Je le prouve continuellement en étant favorable à toute disposition qui tend à en réduire la durée.

Quant à la justice sous le chronomètre, c’est précisément celle à laquelle conduit l’amendement : s’il faut lever l’audience à 23 heures, on dira aux uns et aux autres qu’il faut faire court et le débat risque d’être bâclé. L’idée qui sous-tend l’amendement est bonne, mais sa rédaction pose problème.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Personne ne peut se satisfaire d’une situation dans laquelle certaines audiences s’achèvent très tard. Notre collègue Laurence Vichnievsky a raison de s’emparer du sujet et de le mettre sur la table. Il reste que la justice n’est pas une science exacte et qu’on ne peut pas interrompre une audience au milieu des débats. Par ailleurs, la sanction proposée va très loin et n’est pas sans conséquences.

Si nous en sommes là, c’est parce que, pendant très longtemps, nous avons sous-investi dans la justice, refusant d’en faire une priorité. Depuis quelques années, nous mobilisons les moyens matériels et humains pour faire en sorte que les conditions d’exercice des uns et des autres – magistrats, avocats, greffiers, huissiers d’audience – soient respectueuses du statut de chacun. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter les augmentations de crédits budgétaires prévues par le texte.

La commission rejette l’amendement.

Troisième réunion du mercredi 21 juin 2023 à 21 heures

Lien vidéo : https://assnat.fr/zzJ4IH

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Article 3 (suite) (art. L. 612‑1 du code pénitentiaire et art. 59‑1 [nouveau], 63‑3, 80‑1‑1, 142‑6, 142‑6‑1 [nouveau], 156, 161‑2, 167, 167‑2, 186, 186‑1, 230‑34‑1 [nouveau], 230‑36, 397‑1, 397‑2, 397‑3, 706‑96‑1, 706‑96‑2 [nouveau], 706‑97, 803‑5 et 803‑7 du code de procédure pénale) : Dispositions relatives à l’enquête, à l’instruction, au jugement et à l’exécution des peines

Amendement CL961 de M. Sacha Houlié.

M. le président Sacha Houlié. Le ressort géographique des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) est étendu, ce qui peut compliquer les déplacements. Madame la procureure de la République de Fort‑de‑France m’a ainsi alerté, lors de mon déplacement en Martinique en compagnie de Gérald Darmanin et Gabriel Attal, sur les difficultés à faire venir de Guyane en Martinique des prévenus appréhendés pour des trafics de stupéfiants. Elle a observé qu’il serait plus simple de recourir aux moyens de télécommunication audiovisuelle. Tel est le sens de l’amendement.

Suivant l’avis de M. Erwan Balanant, rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Amendements identiques CL112 de Mme Cécile Untermaier et CL805 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’amendement tend à supprimer les dispositions qui permettent d’activer à distance des appareils électroniques afin de capter des images et des sons. Le Conseil d’État considère que cette mesure porte une atteinte importante au droit au respect de la vie privée dès lors qu’elle permet d’enregistrer, dans tout lieu où l’appareil connecté se trouve, y compris des lieux d’habitation, des paroles et des images qui concernent aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers.

Le caractère intrusif de ce dispositif, qui s’apparente à une perquisition, aurait nécessité de l’entourer de garanties légales. Alors que le recours aux techniques de la géolocalisation ne nous inquiète pas, celui-ci nous effraie d’autant plus que nous avons pris connaissance, grâce à un article récemment publié, des méthodes de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui n'hésitent pas à aggraver la qualification pénale d’un fait pour être autorisées à utiliser cet outil.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous sommes opposés à ces méthodes d’enquête qui portent atteinte au droit à la vie privée.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’activation à distance aux fins de sonorisation ou de captation d’images est une technique d’enquête qui existe. On peut déjà poser des micros ou des caméras pour enquêter, par exemple au domicile d’un suspect ou dans un entrepôt qui abriterait un trafic. Cependant, il devient de plus en plus difficile de recourir à ces techniques car les malfrats installent eux-mêmes des caméras dans les lieux où ils se retrouvent, pour vérifier qu’aucun policier ne viendra installer un dispositif pour les surveiller. Sonoriser un lieu ou y installer une caméra est devenu un véritable travail de titan, extrêmement risqué pour les policiers.

Les techniques spéciales d’enquête sont très encadrées. D’une part, il ne peut y être recouru que pour des infractions d’une gravité particulière : la criminalité, la délinquance organisée et le terrorisme. Moins d’une centaine d’affaires sont concernées chaque année.

Le recours à cette technique doit, d’autre part, être autorisé par un magistrat – le juge des libertés et de la détention (JLD) dans le cadre de l’enquête et le juge d’instruction dans celui de l’information judiciaire.

Enfin, ces techniques d’activation à distance sont limitées dans le temps : quinze jours lorsqu’elles ont été autorisées par un JLD, deux mois par un juge d’instruction.

L’objectif est de faire courir le moins de risques aux agents de police judiciaire car les opérations d’installation de micros et de caméras sont extrêmement lourdes et dangereuses, mais aussi de mieux lutter contre la grande délinquance, la criminalité organisée et le terrorisme.

Vous l’aurez compris : nous voulons permettre aux agents de police judiciaire de déclencher à distance la caméra et le micro des téléphones portables des suspects de ces infractions. Nous n’inventons pas une nouvelle technique d’enquête : nous changeons simplement le procédé technologique nécessaire à son utilisation. Ne cédons pas au fantasme d’une société de Big Brother. Seuls une dizaine de cas seraient répertoriés chaque année.

Cela étant, je vous présenterai bientôt un amendement afin de régler les problèmes soulevés lors des auditions.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. La technique de la captation est déjà prévue à l’article 706-96-1 du code de procédure pénale mais elle suppose de se rendre sur place pour installer une caméra et un micro. Les intéressés, loin d’être sots, sont à la pointe des nouvelles technologies, et il leur arrive de poser des micros pour détecter ceux qui poseront des micros ! Le téléphone portable nous offre de nouvelles opportunités mais il convient de prévoir des garanties. Cette technique sera réservée à la criminalité organisée et au terrorisme. Rappelons à ce propos que les personnes suspectées de terrorisme sont déjà suivies par les services de renseignement qui recourent à ces techniques, sans contrôle judiciaire. Nous avons prévu de limiter les personnes concernées ainsi que la durée du recours à cette technique. Quant aux paroles et images qui pourraient être captées de personnes protégées par le secret professionnel, il sera impossible de les retranscrire à peine de nullité. Nous prévoyons même de détruire ces données – je pense en particulier à la captation d’une conversation entre un suspect et son avocat.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous ne sommes pas les seuls à nous inquiéter de cette mesure puisque plusieurs organisations, jusqu’au barreau de Paris, y sont opposées. Ils considèrent en effet qu’elle est liberticide et attentatoire au respect de la vie privée, d’autant plus que la technique s’étendrait à tout type d’objet connecté, quel que soit son usage ou l’endroit où il se trouve, dans le domicile. La protection de la vie privée est d’ordre constitutionnel. En l’espèce, vous n’avez pas respecté l’équilibre, si cher au Conseil d’État, entre la nécessité de mettre fin à une menace et l’atteinte aux droits fondamentaux. Vous dites que les durées sont courtes mais vous oubliez de préciser qu’elles sont renouvelables et pourraient s’étendre jusqu’à six mois. D’autre part, si les cas dans lesquels cette technique pourrait être utilisée sont, en effet, graves, vous ne tenez pas compte du fait que les débordements sont classiques en la matière. Quant à son efficacité, je reste dubitative.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques CL704 de Mme Naïma Moutchou, CL884 de M. Erwan Balanant et CL681 de Mme Caroline Abadie.

Mme Naïma Moutchou (HOR). L’amendement tend à renforcer les garanties de mise en œuvre du dispositif de captation d’images et de son. Il prévoit qu’à peine de nullité, ne pourront être retranscrites ni les données relatives aux échanges avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense et couvertes par le secret professionnel de la défense et du conseil, ni les données relatives aux échanges avec un journaliste permettant d’identifier une source, ni les données collectées grâce à l’activation à distance d’un appareil qui se trouvait dans un lieu protégé, dans lequel les perquisitions sont strictement encadrées – locaux professionnels ou privés d’un avocat, entreprises de presse ou domicile d’un journaliste, cabinet d’un médecin, d’un notaire ou d’un commissaire de justice, juridiction ou domicile d’un magistrat.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous avons eu à cœur de répondre à la légitime préoccupation des avocats, non pas celle de s’opposer à une technique prétendument liberticide – puisqu’elle existe déjà – mais de sanctuariser leur cabinet. J’ajoute que nous prévoyons également de détruire ces enregistrements.

Mme Caroline Abadie (RE). Notre groupe se soucie, lui aussi, de mieux lutter contre les infractions les plus graves tout en protégeant les droits de la défense et les secrets professionnels. L’amendement que nous vous présentons, qui est le fruit d’un travail collectif, prévoit des garanties qui permettront d’aboutir à un dispositif équilibré. Non seulement il sera interdit de retranscrire certains échanges mais il faudra également détruire les enregistrements.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Merci et bravo pour ce travail très utile.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Le barreau de Paris et la conférence des bâtonniers s’insurgent contre le dispositif d’activation à distance des appareils électroniques car cette technique d’enquête porte atteinte à la vie privée. Leurs raisons de s’opposer à votre mesure dépassent bien largement leur souci de protéger leurs échanges avec les clients.

La commission adopte les amendements.

Amendement CL703 de Mme Naïma Moutchou, sous-amendement CL981 de Mme Cécile Untermaier, amendements identiques CL192 de M. Ian Boucard et CL727 de Mme Naïma Moutchou (discussion commune).

Mme Naïma Moutchou (HOR). L’amendement tend à ce que l’activation à distance d’un appareil électronique, à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire, aux fins de captations d’images et de son, soit toujours justifiée par la nature et la gravité des faits suspectés. Il vise également à préciser que la durée d’autorisation devra être strictement proportionnée à l’objectif recherché.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Les amendements qui viennent d’être adoptés témoignent bien de la dangerosité du dispositif car il ne faut pas moins de quatre paragraphes pour en exclure les données les plus sensibles. Nous avons bien compris que certains échanges ne devraient pas être retranscris mais quelle garantie nous offrez-vous qu’ils ne le soient pas ? Et quand bien même le juge sanctionnerait par la nullité de la procédure des informations illégalement retenues, le mal aura été fait.

Loin de moi l’idée de blâmer les députés de la majorité qui essaient, par leurs amendements, de mieux encadrer le dispositif mais j’ai bien l’impression que ces garanties ne seront pas plus efficaces que le secret de l’instruction : elles sont vouées à l’échec.

Autoriser cette technique dans des lieux protégés me pose problème, mais puisque la mesure risque d’être adoptée, autant essayer de l’entourer des meilleures garanties. Je propose par conséquent que le juge des libertés et de la détention ne puisse autoriser l’activation du dispositif que par une ordonnance spécialement motivée indiquant l’objectif poursuivi, les motifs ainsi que les conditions de réalisation du dispositif de captation.

M. Ian Boucard (LR). L’amendement vise à n’autoriser l’activation à distance d’un appareil électronique qu’aux seuls cas de risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes et aux biens. Nous partageons tous la même inquiétude qu’il soit porté atteinte aux libertés fondamentales mais ce sont des mesures que nous sommes prêts à accepter si elles peuvent permettre d’empêcher la commission d’un attentat ou de faire aboutir une enquête, à condition toutefois de les encadrer mieux qu’elles ne l’étaient après l’examen du texte au Sénat. Je précise que l’amendement a été rédigé avec le barreau de Paris.

Mme Naïma Moutchou (HOR). L’amendement étant en discussion commune avec le CL703, les mesures qu’ils prévoient n’ont pas vocation à se cumuler. Il s’agit, comme M. Boucard vient de l’expliquer, d’ajouter une condition supplémentaire à l'activation à distance d’un appareil électronique.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous avons tous conscience du caractère très particulier de cette technique mais nous avons entendu les craintes des uns et des autres, en particulier celle des avocats, et nous avons entouré le dispositif de garanties de nature à tous vous rassurer. Rappelons qu’aujourd’hui, il n’est pas ordonné de détruire ces données. C’est nous qui venons de le prévoir, par un précédent amendement. Je vous invite à retirer les vôtres.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Vous craignez le dépérissement des preuves mais lorsque des hommes s’apprêtent à commettre un attentat, nous n’en sommes plus à chercher à préserver des preuves ! Il faut les interpeller !

D’autre part, madame Moutchou, vous êtes suffisamment lucide pour deviner notre réponse. En effet, le texte a circonscrit le recours à cette technique aux infractions les plus lourdes et il en a limité la durée. Je suis donc défavorable aux amendements.

J’ai rencontré, moi aussi, les avocats. Beaucoup admettent que leurs clients les enregistrent à leur insu, sans aucun contrôle ! Je leur ai conseillé d’imposer à leurs clients de déposer leurs téléphones dans une petite armoire, à l’entrée de leur cabinet. C’est d’ailleurs ce que l’on fait lorsque l’on entre en conseil des ministres.

Pour le reste, nous avons prévu toutes les garanties nécessaires et les secrets professionnels sont protégés. Je m’étais engagé, devant les sénateurs, à aller de l’avant car il est bien évident que de tels dispositifs doivent être encadrés. M. Schreck a raison : la technologie a évolué et nous ne devons pas rester en arrière. L’un des plus importants trafics de stupéfiants en Europe a été démantelé parce que nous avons su décrypter des téléphones. Seules quelques dizaines d’affaires de terrorisme ou de grand banditismes seront concernées chaque année. De toute manière, il faut bien savoir qu’aujourd’hui, lorsqu’un suspect placé sous surveillance téléphonique appelle son avocat, l’échange est entendu mais il ne peut pas être retranscrit.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Nous devons donner à la police les moyens de travailler efficacement. C’est en empêchant les enquêteurs d’utiliser les moyens techniques susceptibles de leur permettre d’arrêter les personnes les plus dangereuses que nous porterions atteinte aux libertés. La sécurité est la première des libertés.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). De quelles durées courtes parlez-vous ? Le recours à cette technique peut se prolonger jusqu’à six mois ! C’est une blague ! Et quand des amendements tendent à limiter son recours aux cas de risques imminents de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes et aux biens, vous les refusez ! Comment voulez-vous que votre réaction ne suscite pas des craintes ? Elle ne manquera pas, en tout cas, d’alimenter la colère des avocats et je ne doute pas qu’ils se mobilisent largement si votre mesure est adoptée en l’état. Votre refus est d'autant moins compréhensible que, nous le savons tous, il n’est pas rare que des mesures à caractère exceptionnel soient utilisées aussi largement que s’ils étaient des mesures de droit commun ! Les militants ont du souci à se faire, surtout qu’ils sont en général moins malins que les voyous qui, eux, cesseront d’utiliser tout type d’appareil connecté.

Mme Cécile Untermaier (SOC). La naïveté est largement partagée. C’est être naïf, par exemple, que de croire que cette technique ne sera utilisée que dans les affaires les plus sensibles. Si c’était le cas, je n’aurais aucune inquiétude mais, vous l’avez constaté, les services de renseignement eux-mêmes outrepassent leurs droits. Comment garantir qu’il ne sera recouru à un tel dispositif que dans les seuls cas que la loi autorise ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est le juge qui l’autorise.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Mais que demande-t-on, au juge, de garantir ? Le texte prévoit-il les objectifs poursuivis ? Quant à la qualification des faits, elle ne serait, à ce stade, que présumée ! Nous devrions trouver, ensemble, le moyen de garantir que la qualification des faits ne soit pas dévoyée, comme elle a pu l’être par les services de renseignement.

La commission rejette successivement le sous-amendement et les amendements.

Amendement CL553 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). L’article 706-95-16 du code de procédure pénale fixe les durées maximales et les conditions de renouvellement pour l’autorisation des techniques spéciales d’enquête. Or l’activation à distance d’un appareil électronique est une technique spéciale d’enquête. Il est inopportun de créer un nouveau régime juridique au sein des techniques spéciales d’enquête, accompagné de délais spécifiques, car cela alourdirait et complexifierait les procédures. L’amendement tend, par conséquent, à supprimer les deux dernières phrases de l’alinéa 96.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les délais sont différents parce que les dispositifs le sont. Notre position traduit le bon équilibre entre ceux qui ne veulent aucune technique spéciale, au détriment des enquêtes, et ceux qui ne veulent aucun encadrement de ces techniques spéciales, au détriment des droits des personnes.

Madame Martin, si le juge n’accorde pas l’autorisation dans le cadre de l’enquête, la procédure sera frappée de nullité. Vos propos ne sont pas respectueux du travail réalisé par la majorité et d’autres groupes, ni des auditions que nous avons menées.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). C’est pour cela qu’il ne faut pas travestir les propos des gens.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL885 de M. Erwan Balanant, amendements identiques CL193 de M. Ian Boucard et CL714 de Mme Naïma Moutchou, amendement CL44 de M. Philippe Gosselin (discussion commune).

M. Erwan Balanant, rapporteur. La réécriture de l’alinéa 98 que je propose a le mérite de la clarté : elle interdit toute activation à distance des appareils qui appartiennent en propre à un député, à un sénateur, à un magistrat, à un avocat, à un journaliste, à un médecin, à un notaire ou à un huissier. C’est la rédaction la plus protectrice tout en étant opérationnelle.

Les amendements qui tendent à interdire l’activation des appareils se trouvant dans des lieux protégés, comme les cabinets d’avocat, sont problématiques car nous n’avons pas de solution technique qui le permette. On ne peut pas vérifier au moment de l’activation si les appareils se trouvent dans tel ou tel lieu et déclencher l’enregistrement ou non en fonction de cette information. Voilà pourquoi nous avons précédemment demandé et obtenu que, dans ce cas, les échanges ne soient pas retranscrits et que les bandes soient détruites.

Concernant les protections, des pistes de réflexion existent et il faudra sans doute progresser sur cette voie. Le rapport de Dominique Mattei évoque des possibilités techniques, mais qui, d’après les auditions que nous avons menées, ne sont pas encore effectives. Si nous disposons un jour de la solution technique permettant de stopper automatiquement un enregistrement quand le téléphone se trouve dans un endroit donné, il faudra l’utiliser.

M. Ian Boucard (LR). Notre amendement est beaucoup plus précis et protecteur des droits de la défense. Au-delà des personnes énumérées dans l’amendement du rapporteur, il englobe les lieux. Or il est inutile d’empêcher d’écouter le téléphone d’un avocat si on le permet s’agissant de celui de son client assis en face de lui dans le cabinet. Nous avons précédemment autorisé que l’on géolocalise les téléphones ; on peut savoir grâce à la géolocalisation si la personne suspectée est ou non dans le cabinet d’un avocat. Nous géolocalisons tous avec nos téléphones sans moyens d’enquête particuliers, que l’on n’aille pas nous dire que les forces de l’ordre n’en seraient pas capables ! Elles le seront si nous en décidons par la loi.

M. Philippe Gosselin (LR). Dès lors que nous avons accepté la géolocalisation, c’est ceinture, bretelles et parachute : nous avons tous les éléments en main. Notre amendement est beaucoup plus clair et précis que celui du rapporteur.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avant d’avoir interrogé les experts, j’avais exactement la même idée que vous, mais les auditions nous ont montré qu’elle ne pouvait pas marcher. Quand un téléphone est sur écoute et que son utilisateur arrive chez l’avocat, les échanges sont enregistrés. Croyez-vous qu’il y ait toute la journée et toute la nuit un officier de police judiciaire pour vérifier où est le téléphone et déclencher ou non l’enregistrement ? Non : les échanges sont enregistrés et, quand ils se sont déroulés dans un lieu protégé, l’enregistrement n’est pas retranscrit et, dorénavant, les bandes seront systématiquement détruites. En plus, nous interdisons que soit activé à distance le téléphone de certaines personnes.

J’ai eu les mêmes craintes que vous, puis nous avons travaillé, et il est apparu que la solution que je propose était techniquement et juridiquement la plus protectrice. Je vous demande donc de retirer vos amendements au profit du mien.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis favorable à l’amendement du rapporteur et défavorable aux autres. Il y a beaucoup de fantasmes dans cette affaire. Toutes les garanties nécessaires ont été prises. Aucune conversation d’un client, fût-il suspecté de terrorisme, avec son avocat ne sera retranscrite, pas davantage que celles qui auront lieu chez un notaire ou un huissier – désormais appelé commissaire de justice. Je suis très heureux que des garanties supplémentaires aient été ajoutées ici ; le Sénat nous avait alertés à ce sujet.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). La meilleure façon d’employer ces outils conformément aux grands principes démocratiques que nous cherchons à défendre en poursuivant les actes terroristes est de ne pas les utiliser du tout.

Je ne suis pas convaincue par l’argument technique. Je comprends que des services vous disent qu’ils n’ont pas assez de personnel pour vérifier vingt-quatre heures sur vingt-quatre les déplacements de la personne identifiée comme présentant un danger. C’est là un problème, non pas technique, mais de ressources humaines. Or il faut adapter les moyens aux principes : si le danger est tel qu’il faut absolument recourir à ce type de procédure, alors chargez quelqu’un de surveiller la personne en permanence, y compris quand elle se rend dans des lieux où il est interdit de l’écouter.

Ce que vous dites aujourd’hui ne pas vouloir faire, vous y viendrez. Vous affirmez que la conversation entre une personne soupçonnée et son avocat sera détruite, mais un jour, vous nous sortirez l’argument du policier qui a entendu dans la conversation avec l’avocat des éléments annonçant la commission de tel ou tel acte criminel le lendemain. Vous mettez le doigt dans l’engrenage, demain ce sera le coude, ensuite le bras tout entier.

Écoutez votre majorité. Les amendements en discussion viennent d’amis du président Macron, pas de députés insoumis !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Actuellement, on peut parfaitement capter la conversation téléphonique entre un client et son avocat si le client est sous écoute, mais l’enregistrement n’est pas retranscrit à peine de nullité. Et c’est nous qui avons rétabli le secret professionnel, qui était totalement déliquescent. On peut fantasmer à l’envi, mais il s’agit ici du même régime : les captations ne seront pas retranscrites à peine de nullité. C’est aussi simple que cela.

La commission adopte l’amendement CL885.

En conséquence, les autres amendements en discussion commune tombent ainsi que les amendements CL133 de Mme Cécile Untermaier et CL657 de M. Jérémie Iordanoff.

Amendements identiques CL74 de Mme Caroline Yadan et CL136 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Caroline Yadan (RE). Depuis la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, notre droit consacre la possibilité pour le bâtonnier ou ses délégués de visiter les lieux de privation de liberté afin de les contrôler. Je propose de remplacer « ou » par « et ». En effet, des difficultés pratiques se posent, notamment lorsqu’il s’agit de visiter des lieux très étendus. Il semble logique que le bâtonnier puisse être accompagné d’un délégué ou de plusieurs, pour un contrôle plus efficace.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je précise que l’amendement répond à une demande de l’ordre des avocats du barreau de Paris.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Défavorable, même si votre préoccupation n’est pas illégitime et mériterait que l’on poursuive la réflexion.

Dans cette hypothèse, le droit de visite serait considérablement étendu – pourquoi pas – et le bâtonnier pourrait alors organiser des visites en groupe, sur le modèle de ce que peuvent faire les parlementaires, que j’encourage à exercer ce droit. Or, recevoir ces groupes poserait des difficultés de gestion à l’administration pénitentiaire.

L’introduction du droit de visite est récente puisque nous l’avons instauré dans le cadre de la loi « confiance ». Mieux vaudrait attendre que l’administration nous ait fait part de son expérience à ce sujet et d’avoir procédé à une évaluation avant de le faire éventuellement évoluer.

Enfin, par définition, quand le bâtonnier est présent, il n’a pas besoin de déléguer son droit de visite.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. J’ai effectivement introduit cette possibilité dans le cadre de la loi « confiance » ; c’est une avancée importante. Les parlementaires peuvent aussi visiter ces lieux, et rien dans la loi ne dit s’ils sont accompagnés et par qui : ces points sont réglés par voie de circulaire. Il en sera de même des bâtonniers. La circulaire est en cours de finalisation et je serai évidemment très sensible à ce qui vient d’être dit.

Mme Caroline Yadan (RE). Cela signifie-t-il que le bâtonnier pourra se rendre dans des lieux de privation de liberté avec un délégué, ou plusieurs ?

Si le problème pour l’administration est une arrivée en groupe, on peut parfaitement limiter dans la loi à un ou deux maximum le nombre des délégués autorisés à accompagner le bâtonnier.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je comprends l’objectif de nos collègues, mais il ne faut pas compliquer un dispositif très simple. Lorsque nous – la majorité, avec l’exécutif et d’autres groupes – avons défendu cette mesure, l’idée était que le bâtonnier en personne se rende dans les prisons et noue des relations avec l’administration pénitentiaire et son directeur. Le garde des Sceaux l’a rappelé : les députés, sénateurs et députés européens n’ont pas de délégués. C’est la qualité de celui qui se déplace qui importe, eu égard aux relations à entretenir – il ne s’agit pas de visiter pour visiter, mais bien d’établir des contacts.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques CL173 de M. Philippe Gosselin, CL340 de Mme Emeline K/Bidi et CL508 de M. Paul Molac.

M. Philippe Gosselin (LR). C’est bien la qualité de bâtonnier qui importe ; je remercie M. le ministre de prendre en compte dans la nouvelle circulaire ce qui vient d’être dit.

Nous proposons pour notre part d’allonger la liste des établissements pouvant faire l’objet d’une visite. Si les hôpitaux en général ne font pas partie des lieux de privation de liberté, il n’en va pas de même des hôpitaux psychiatriques en raison des hospitalisations sous contrainte, par exemple à la demande d’un tiers, des mesures d’entrave physique qui y ont cours – chambre d’isolement, contention – et de la limitation de la liberté d’aller et venir des patients. Pour ces raisons, il est souhaitable d’ajouter ces établissements à la liste des lieux de visite.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). L’hospitalisation sans consentement est une privation de liberté. En outre, certaines personnes sont internées en hôpital psychiatrique après avoir commis une infraction et avoir été jugées, parce qu’elles ne sont pas en mesure d’être détenues dans un établissement pénitentiaire classique : elles sont retenues contre leur gré. Il existe d’ailleurs trop peu d’établissements qui le permettent, de sorte que l’on incarcère trop souvent des personnes qui relèveraient de l’hôpital psychiatrique ; la France a un gros travail à faire dans ce domaine.

M. Paul Molac (LIOT). Il s’agit de permettre à un parlementaire ou à un avocat de visiter les établissements de soins psychiatriques. Certaines personnes y sont enfermées contre leur volonté, parfois à la demande de personnes extérieures à leur famille : il faut vérifier que l’enfermement est bien nécessaire. Cela permet de mettre en œuvre le droit de ces personnes à faire appel à un avocat.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Si certaines personnes sont en effet hospitalisées d’office sur décision préfectorale – sous le contrôle du juge –, la situation dans les hôpitaux psychiatriques n’est pas la même qu’en prison, où tous les détenus ont un lien avec le monde de la justice, ce qui fonde la légitimité des visites des bâtonniers.

En outre, la mesure proposée n’a pas sa place dans le code de procédure pénale : le droit des parlementaires de visiter les établissements chargés d'assurer les soins psychiatriques sans consentement figure à l’article L. 3222-4-1 du code de la santé publique.

Demande de retrait.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques CL333 de Mme Emeline K/Bidi, CL388 de Mme Andrée Taurinya et CL527 de M. Jean-Félix Acquaviva.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Les alinéas 101 à 103 permettent, au cours de la garde à vue d’un majeur, une dérogation à l’intervention de l’interprète lors de la notification des droits et pendant les quarante-huit premières heures de la garde à vue en autorisant le recours à un moyen de télécommunication avec l’interprète.

À nouveau, parce que l’on manque de moyens et que la justice doit faire toujours plus vite, on privilégie la dématérialisation. La situation est la même qu’à propos des téléconsultations. En donnant une place croissante aux outils de télécommunication tout au long de la procédure, on rogne de plus en plus sur les droits de la défense, au détriment de l’efficacité de la justice. Nous nous opposons à cette déshumanisation et à la place donnée aux nouvelles technologies au détriment des droits de ceux qu’il faut protéger.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Voilà une nouvelle proposition qui vise à gérer la pénurie. On l’a fait pour la téléconsultation, on nous la ressort pour les interprètes ; nous sommes contre dans les deux cas. La communication passe par tout un panel d’éléments qui ne sont pas seulement vocaux – la gestuelle, le regard. On parle ici de gardés à vue étrangers, qui doivent se sentir en confiance pour pouvoir communiquer. Or cette technologie ne le permet pas. C’est de la déshumanisation.

Il faudrait que le Gouvernement ait déjà la décence de payer les interprètes judiciaires, qui nous alertent au sujet du retard avec lequel ils perçoivent leur rémunération. Monsieur le garde des Sceaux, je vous ai adressé à ce propos une question écrite à laquelle je n’ai pas encore reçu de réponse. Puisque le budget de la justice est inédit, payons-les et recrutons-en !

M. Paul Molac (LIOT). En effet, la gestuelle et les mimiques font partie de la langue. L’audition n’est pas la même selon que l’on a la personne en face de soi ou au téléphone. La distance peut entraîner une mauvaise compréhension, on le voit bien quand on en fait l’expérience dans une autre langue que sa langue maternelle. Je crains que, par ces méthodes, on n’amoindrisse les droits de la défense.

M. Erwan Balanant, rapporteur. D’abord, une remarque : nos débats passent d’un sujet à l’autre parce qu’ils suivent l’ordre de progression du code de procédure pénale ; cela confirme la nécessité de recodifier celui-ci pour le rendre plus intelligible.

Le texte tend à permettre, pendant les quarante-huit premières heures de garde à vue ou lors d’une audition libre, de recourir aux services d’un interprète par visioconférence, sans que cela soit nécessairement subordonné à l’impossibilité pour lui de se déplacer. Après ce délai, le recours à l’interprète selon cette modalité renoue avec les conditions de droit commun : l’impossibilité de se déplacer et l’autorisation du magistrat. Il n’y a là rien de révolutionnaire.

En vous écoutant, j’ai été conforté dans mon sentiment que la mesure a tout son sens. Que l’on ait ou non des interprètes en nombre suffisant, la garde à vue n’est habituellement pas prévisible : il est donc difficile de planifier l’intervention d’un interprète, à la différence de ce qui se passe au stade de l’instruction. Exclure la visioconférence dans ce cas empêche une personne qui, parfois, ne parle pas un mot de français de bénéficier rapidement de l’assistance d’un interprète. L’intéressé est dans une cellule et ne sait pas ce qui se passe ; il doit attendre que l’on trouve un interprète, que celui-ci se déplace ; on ne peut même pas lui lire ses droits. Est-ce qu’il ne vaut pas mieux les lui lire en visioconférence que ne pas les lui lire du tout ?

Monsieur Molac, il ne s’agit pas uniquement de téléphone, mais aussi de visioconférence. Celle-ci n’est pas parfaite et m’a souvent inspiré beaucoup de doutes – vous pourrez retrouver mes prises de position à son sujet dans le cadre des textes précédemment examinés. Mais j’assume d’avoir changé d’avis, parce que l’on a progressé dans ce domaine et que nous avons tous beaucoup plus l’habitude de cet outil.

Enfin, le dispositif est bien encadré, et il ne concerne ni les mineurs ni les majeurs protégés.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Allez chercher à vingt-deux heures un interprète en mongol ou en swahili pour une garde à vue à Cusset, vous verrez si ce n’est pas utile de recourir aux moyens modernes !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Autant demander à ChatGPT !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Cela n’a rien à voir. Ne m’interrompez pas ; moi, j’ai la courtoisie de vous écouter. À Paris, on peut trouver un interprète dans toutes les langues, mais dans d’autres endroits, ce n’est pas le cas. La télécommunication audiovisuelle est alors bien utile. Ce n’est pas la même chose que d’avoir l’interprète à ses côtés et certains gestes peuvent échapper à l’attention, je l’entends, mais quand on n’a pas d’interprète, la garde à vue est bloquée. C’est cela, la réalité ! Il faut être pragmatique. Ceux qui ont déjà mis les pieds dans un palais de justice savent comment les choses se passent au quotidien. Je préfère la télécommunication audiovisuelle avec un interprète plutôt que rien du tout.

Le rapporteur l’a dit, les mineurs et les majeurs protégés ne sont pas concernés.

Pourquoi faire simple quand on peut faire très compliqué ? C’est un peu le principe de ces amendements, auxquels je suis évidemment défavorable.

M. Ludovic Mendes (RE). Je soutiens ce que vient de dire monsieur le ministre. Nous l’avons montré dans notre rapport sur l’accueil de l’Ocean Viking, nous n’avons pas les traducteurs qui permettent de satisfaire tous les besoins dans tous les territoires. Là où une grosse population de migrants est présente, il faut recourir à la téléconsultation, au téléphone, à la visioconférence, et cela fonctionne très bien. Les traducteurs eux-mêmes le disent : il peut être plus simple de répondre à vingt-deux heures à un appel en visio que de faire deux heures de route, qui coûtent très cher au contribuable, pour une demi-heure d’intervention, sans compter les personnes et les familles que l’on bloque ainsi toute une soirée. Il faut penser à l’aspect humain au sujet de tous les intervenants, pas seulement des personnes qui se retrouvent devant la police.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Je ne comprends pas ce dernier argument : les travailleurs de nuit travaillent la nuit pendant que leur famille les attend à la maison ; cela existe dans de nombreux corps de métier et cela coûte certes de l’argent au contribuable, mais comme tout service public.

Monsieur le garde des Sceaux, monsieur le rapporteur, vous êtes d’accord pour dire que l’humain, c’est mieux, et que la télécommunication audiovisuelle sert de solution de repli. Mais, dans la rédaction actuelle du projet de loi, il n’est pas question que la télécommunication soit audiovisuelle. Je suppose donc qu’après votre argumentaire enflammé, vous allez vous‑même défendre un amendement pour que la communication soit bien audiovisuelle et non uniquement téléphonique.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL528 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Paul Molac (LIOT). Il s’agit d’un amendement de repli.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL40 de M. Philippe Gosselin, CL331 de Mme Emeline K/Bidi et CL542 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Philippe Gosselin (LR). L’alinéa 104 annule dans les faits la mise en liberté qui résulterait d’une détention irrégulière. Alors que l’article 803‑7 du code de procédure pénale prévoit la mise en liberté immédiate, l’assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse) prévue ici est en contradiction avec ce principe.

Nous proposons de supprimer cette disposition.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Une personne qui se trouve en détention provisoire en raison d’une procédure dans laquelle une erreur a été découverte doit être remise en liberté. À quoi sert la procédure pénale, censée garantir les droits et libertés fondamentaux, s’il est possible de placer sous Arse cette personne présumée innocente ? Ce n’est pas acceptable. Si l’on s’engouffre dans cette brèche, c’est tout le code de procédure pénale qui est en danger. Il ne faut pas légitimer les erreurs. La justice est rendue par des êtres humains, mais cela ne peut pas tout justifier.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable. Je comprends vos préoccupations, mais cette personne peut être dangereuse.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Elle est présumée innocente !

M. Erwan Balanant, rapporteur. Certes, mais elle n’a pas été placée en détention provisoire sans raison ; par exemple des faisceaux d’indice permettent parfois de dire que cette personne est dangereuse et la détention provisoire vise alors à prévenir le renouvellement de l’infraction. La solution proposée n’est pas parfaite mais un garde-fou est prévu.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Il y a en ce moment des gens qui devaient comparaître devant une cour d’assises et qui ont été remis en liberté parce que certains délais procéduraux n’ont pas été respectés. Je vais demander des explications.

Il n’est pas invraisemblable que l’on cherche à contrôler des gens dangereux, certes présumés innocents, mais qui sont sortis de prison non par ordre du juge mais à la suite d’une erreur de procédure. Aujourd’hui, le code de procédure pénale prévoit qu’on peut utiliser le contrôle judiciaire. Cela peut être insuffisant. S’il y a un risque de fuite, par exemple parce que le suspect est étranger, l’Arse est intéressante : on peut aller et venir, avec quelques contraintes.

Préféreriez-vous un contrôle judiciaire, qui renverrait l’intéressé en détention s’il n’est pas capable de le respecter ? Ce serait déloyal.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Si je suis bien le raisonnement, au lieu d’être remise en liberté ou placée sous contrôle judiciaire, la personne sera remise en détention provisoire le temps de mener l’étude de faisabilité indispensable pour une Arse. Le type ne va pas sortir, et c’est bien le but ! On le remet en prison dix jours le temps qu’il ait un bracelet.

À vous entendre, ce serait mieux que le contrôle judiciaire ; mais celui qui veut fuir prend une paire de ciseaux et coupe le bracelet, et s’il ne prend pas son smartphone, il ne pourra pas être géolocalisé, et vous ne le retrouverez pas. Le contrôle judiciaire est souvent plus intrusif et plus coercitif qu’une Arse, mais ce n’est pas quelque chose que vous portez en permanence à la cheville, qui vous fait sonner et qui rend fous les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) et tous les acteurs de la chaîne pénale.

Le problème, ici, c’est que les procédures sont le fondement de l’état de droit. Une fois de plus, la norme, ce n’est plus la liberté. On bascule dans autre chose, comme vous nous y avez habitués depuis plusieurs années.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, monsieur le ministre : oui, quand une erreur a été commise, il existe des dispositifs. C’est parce que le contrôle judiciaire existe que l’Arse ne me paraît pas nécessaire.

Vous introduisez cette disposition parce que des gens, sans doute très dangereux, ont été remis en liberté à la suite d’erreurs de procédures. Quelques dossiers anecdotiques, et on légifère sous le coup de l’émotion.

Les magistrats sont tellement submergés de dossiers que les erreurs sont sans doute un peu plus nombreuses : au lieu de remédier à cette situation et d’embaucher, vous couvrez leurs erreurs et vous trouvez un moyen de laisser en détention provisoire des gens qui auraient dû être libérés. Dans un État de droit, ce n’est pas acceptable.

M. Philippe Gosselin (LR). Une infraction doit être sanctionnée : il ne s’agit pas de remettre tout le monde dans la nature. Le contrôle judiciaire existe parce que nous ne vivons pas au pays des Bisounours.

Mais la mesure que vous proposez heurte fondamentalement l’État de droit – vous m’entendrez rarement aussi véhément, et je n’engage pas mon groupe. Si une irrégularité procédurale est constatée, le code de procédure pénale prévoit la remise en liberté de la personne détenue ; mais non, vous prévoyez maintenant une nouvelle mesure privative de liberté – ce que n’est pas le contrôle judiciaire ! Ce n’est pas un changement de degré mais de nature. Bien sûr, vous pourrez toujours citer des cas exceptionnels et jouer l’opinion publique contre nous. Mais je suis un vieux schnock et, sur le plan des principes, cela me choque encore.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL113 et CL114 de Mme Cécile Untermaier, CL543 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL682 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune).

Mme Cécile Untermaier (SOC). Ces deux amendements, qui reprennent des propositions du sénateur Jean-Pierre Sueur, visent à améliorer la procédure de recours contre les conditions indignes de détention, dont le bilan est mitigé.

Par l’amendement CL113, le juge pourrait enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures pour mettre fin aux conditions indignes de détention ; la cellule où a été constatée une situation d’indignité ne pourrait pas être occupée avant que cette situation d’indignité y ait cessé ; si le requérant était transféré dans un autre établissement pénitentiaire, il serait assuré de ne pas y subir à nouveau des conditions de détention indignes.

L’amendement CL114 inscrit le transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire comme un dernier recours pour le juge judiciaire, et non plus comme la première des solutions.

Il nous semble essentiel de garantir un recours effectif contre ces situations insupportables.

M. Paul Molac (LIOT). L’amendement CL543 tend à supprimer la possibilité de transfèrement vers un autre établissement lorsqu’un détenu a formulé une requête concernant ses conditions de détention.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). En janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour la surpopulation structurelle de ses prisons et l’indignité des conditions de détention. Depuis, notre pays n’a jamais autant incarcéré : en novembre 2022, nous avons même battu un record. En janvier 2023, il y a 72 000 personnes enfermées dans des prisons, dont plus des deux tiers dans des maisons d’arrêt aux conditions de vie indignes – le taux d’occupation y est en moyenne de 141 %, et atteint parfois 200 %. Plus de 2 000 personnes dorment sur des matelas à même le sol.

En 2021, une nouvelle voie de recours devant le juge des libertés et de la détention a été ouverte. Elle ne tient pas ses promesses. Les associations de défense des droits des détenus observent que la possibilité qu’un transfèrement soit prononcé a un effet dissuasif, car les détenus ont peur d’être éloignés de leur famille. Nous proposons donc de supprimer cette possibilité de transfèrement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le texte de 2021, voté sous l’impulsion de Mme Abadie à l’Assemblée nationale et de M. Buffet au Sénat, a constitué une avancée. Le juge dispose de trois possibilités : transfert, aménagement, mise en liberté. Il n’y a pas de hiérarchie entre elles : l’amendement CL114 n’aurait pas de portée normative.

Cette procédure devrait fonctionner de mieux en mieux. Je suis défavorable aux amendements.

Mme Cécile Untermaier (SOC). On ne peut pas balayer d’un revers de main la question de l’hébergement indigne des détenus ! La loi de 2021 a été un premier pas, je propose d’en faire un deuxième parce que le bilan n’est pas bon, il faut le reconnaître. Une personne détenue doit disposer d’un recours autre que le transfèrement. Je ne parle pas d’obligation de résultat, mais les recours doivent être effectifs.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL794 et CL793 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Ces deux amendements concernent le code de la justice pénale des mineurs.

L’amendement CL794 vise à permettre au procureur de la République d’avancer la date d’audience afin de faire comparaître le mineur en détention provisoire, ce qui ferait diminuer le nombre de mineurs en détention provisoire.

L’amendement CL793 permet aux greffiers de recourir à un seul acte d’huissier, et donc à un seul acte de procédure, pour la signification du jugement de culpabilité et les citations à l’audience de sanction. Cette possibilité est aussi offerte lorsque la date de l’audience de sanction ou la juridiction saisie sont modifiées.

La commission adopte successivement les amendements.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Après l’article 3

Amendement CL399 de M. Ugo Bernalicis.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Cet amendement vise à permettre aux associations de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations d’avoir qualité à agir en tant que partie civile devant les juridictions pénales pour les dégradations de stèles ou de sépultures.

Cet amendement fait suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2023 concernant la constitution de partie civile de l’association Maison des potes dans la procédure judiciaire relative au saccage du cimetière juif de Sarre-Union, où la nature antisémite de l’acte a été reconnue.

Nous sommes unanimes pour reconnaître le caractère symbolique des stèles et statues dans notre espace public. Ces dernières années, les violences qui les visent, venant surtout de l’extrême droite, se sont répandues dans notre société. Des fresques, notamment représentant Simone Veil, ont été dégradées. Nous déplorons aussi des dégradations dans des cimetières : au cimetière juif de Quatzenheim en 2019, au cimetière musulman de Carros en 2012, au carré catholique de Nîmes en 2022, au cimetière juif de Bayonne en 2020.

Seules les associations dont les statuts prévoient la défense des intérêts moraux et de l’honneur de la Résistance ou des déportés, conformément à l’article 2‑5 du code de procédure pénale, peuvent se porter partie civile. Nous proposons d’étendre cette possibilité.

À l’avenir, nous pourrions d’ailleurs étendre encore cette possibilité notamment pour ce qui concerne la LGBTphobie.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est une idée tout à fait pertinente, défendue depuis longtemps par Ugo Bernalicis. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement, et l’article 3 bis AA est ainsi rédigé.

Amendement CL660 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’urgence d’agir pour le climat et le vivant est connue. Le droit de l’environnement s’enrichit, mais les atteintes se poursuivent et la réponse judiciaire n’est pas à la hauteur. Le rapport Molins de décembre dernier évoquait même une « dépénalisation de fait » des atteintes à l’environnement.

Le problème ne vient pas de nos lois elles-mêmes mais de la façon dont elles sont appliquées. Malgré le déploiement depuis 2021 des pôles spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement, le droit de l’environnement n’a pas trouvé son garant.

Nous proposons de redonner à l’autorité judiciaire la place qui lui revient dans le suivi de l’exécution des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), qui sont des alternatives aux poursuites qui permettent d’accélérer la réparation du préjudice écologique, de mieux encadrer la mise en conformité et de renforcer la responsabilité des personnes morales. Actuellement, le contrôle des engagements pris dans ces conventions est confié au ministère chargé de l’environnement et à l’Office français de la biodiversité (OFB). Or, leurs effectifs sont faibles et ils sont placés au niveau local sous l’autorité des préfets, dont les arbitrages se font souvent au détriment de la défense de l’environnement, et plutôt au profit des intérêts économiques. Il n’existe donc aucune autorité chargée de la mise en conformité imposée par la convention judiciaire d’intérêt public. L’idéal serait d’instaurer une autorité indépendante, chargée du suivi de l’exécution de ces mesures, sur le modèle de l’agence anticorruption, comme le préconise le rapport de la Cour de cassation sur le traitement pénal du contentieux de l’environnement. Nous ne pouvons pas le proposer dans le cadre de ce projet de loi.

Cet amendement vise à redonner au parquet le monopole du contrôle de la bonne exécution des peines.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est une préoccupation que j’avais exprimée quand nous avons débattu de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience ». Je suis favorable à l’évolution que vous proposez.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Excellent amendement. La justice doit évidemment être associée au combat écologique. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement, et l’article 3 bis AB est ainsi rédigé.

Amendement CL115 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous revenons à la question essentielle de la régulation carcérale, dont je sais que vous mesurez l’importance, monsieur le ministre.

L’amendement propose de convertir les peines d’enfermement en peine d’assignation à résidence avec surveillance électronique (Arse) pour les personnes à qui il ne reste que trois mois de détention à accomplir et lorsque ces personnes ont été condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans. Une telle condition impose des preuves suffisantes de bonne conduite, et certains crimes et délits sont exclus.

Cet amendement n’est pas particulièrement innovant : il reprend simplement ce qui a été fait pendant la période de crise sanitaire. Ce dispositif de régulation avait permis de faire disparaître la surpopulation carcérale. Celle-ci fait des prisons des lieux qui préparent à la récidive, et rend très difficile le travail des surveillants pénitentiaires.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je partage votre préoccupation. Ce texte comprend différentes mesures qui permettront de limiter la pression carcérale. Je ne suis pas sûr qu’elles seront suffisantes. C’est un sujet qui doit être encore travaillé. Je vous demande de retirer l’amendement pour que nous continuions à travailler sur ce sujet afin de dégager des solutions transpartisanes.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. C’est en effet un sujet préoccupant. Sur les reliquats de trois mois, la mesure de libération sous contrainte a pris effet le 1er janvier dernier. Nous parlerons plus tard des travaux d’intérêt général (TIG) et de diverses mesures relatives à l’Arse.

À ce stade, je vous invite à retirer votre amendement.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). On entend beaucoup l’argument selon lequel il faut encore travailler sur la régulation carcérale, comme si le sujet était nouveau. Il ne l’est pas, les propositions sont nombreuses. Nous disposons là d’un véhicule législatif qui devait permettre d’aborder la question de la surpopulation et de son traitement par la loi, et ainsi de traiter de ce sujet à un niveau politique, en cessant de laisser la chaîne pénale porter seule cette charge. Nous insisterons au cours des débats, car je crois que nous sommes prêts à agir. Il y a urgence.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Pourquoi repousser ce débat alors que nous sommes tous conscients du problème ? La surpopulation est alarmante, les visites de prison permettent de la constater. Il faut agir vite et cet amendement me paraît de bon sens.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL381 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il s’agit de supprimer les cours criminelles départementales (CCD). Expérimentées pour remplacer les assises, elles devaient notamment éviter la correctionnalisation d’infractions à caractère sexuel. Elles ont été généralisées très rapidement, sans attendre une véritable évaluation. Des rapports ont ensuite montré que les cours criminelles départementales n’avaient pas eu d’impact sur la décorrectionnalisation des viols et, pire…

M. le président Sacha Houlié. Nous n’avons pas lu le même rapport !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je parle du rapport du Sénat. Quand vous commandez les vôtres, ils vont dans votre sens, mais ceux de gens qui ne sont pas de chez vous vous dérangent !

M. le président Sacha Houlié. Le rapport a été publié et il atteste du bon fonctionnement et de l’intérêt des cours criminelles départementales.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je reprends mon argumentation. Elles devaient aussi permettre des audiencements plus rapides. Mais elles consomment davantage de magistrats que les assises, à tel point que, dans certains ressorts, leur mise en place a dû attendre car on manquait de magistrats ! Là où elles existent, elles fonctionnent au détriment d’autres activités.

Il serait donc sage de supprimer ces cours criminelles départementales. De plus, aux assises, c’est un jury populaire qui rend le verdict. Or, depuis la Révolution, la justice est rendue au nom du peuple français.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable. Votre présentation est partiale. Je me souviens bien des débats sur la loi de 2019 ; deux députés avaient fortement contesté les cours criminelles départementales : vous-même et Antoine Savignat. M. Savignat a, par la suite, participé à une mission « flash » sur ce sujet, et il est largement revenu sur son opposition, reconnaissant qu’il s’agissait d’une vraie avancée.

Le comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementale a souligné que les plaidoiries se déroulent « dans un climat moins pesant, davantage centré sur les aspects techniques et juridiques » et que les CCD permettent « d’éviter l’aléa judiciaire très souvent constaté devant les cours d’assises ».

S’il reste sans doute des choses à améliorer dans le fonctionnement de cette jeune juridiction, je pense que ce choix courageux était le bon. Supprimer ces cours serait une profonde erreur.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Nous n’avons vraiment pas lu les mêmes rapports, monsieur Bernalicis !

Dans les huit premiers départements qui ont expérimenté ces cours, 182 décisions criminelles ont été rendues en 2019 – hors cours criminelles départementales car elles n’étaient pas encore en place ; 269 l’ont été en 2022. C’est une augmentation de moitié, et la montée en puissance continue. Les cours criminelles départementales, ce sont des audiencements plus rapides et des affaires « en stock » – pardon pour cette expression – qui sont jugées. Elles évitent aussi la correctionnalisation des viols, qui était insupportable pour les victimes.

Je n’oublie pas Stéphane Mazars, membre de la majorité et comme M. Savignat avocat de profession, et qui a participé à la mission flash citée par le rapporteur : il a aussi estimé le fonctionnement satisfaisant.

On peut être nihiliste et vouloir détruire ce qui marche ! Mais une augmentation de 50 % du nombre de crimes jugés, en un an, cela ne vous intéresse pas ?

Vous parlez du jury populaire, mais c’est bien moi qui ai redonné à l’expression « souveraineté populaire » une vraie définition puisque j’ai souhaité qu’il y ait un juré de plus pour prononcer une culpabilité.

Je remercie la majorité d’avoir voté la cour criminelle départementale : c’est bon pour les victimes, pour les accusés et pour la justice.

Enfin, que n’a-t-on pas dit des avocats honoraires ! Eh bien, nous venons de recevoir la deuxième promotion à l’École nationale de la magistrature. Ils aident les magistrats professionnels à rendre la justice. C’est un mécanisme qui fonctionne, je ne vois vraiment pas pourquoi il faudrait le mettre à bas.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Le rapport de la mission « flash » sur les cours criminelles départementales n’a pas été rédigé par deux parlementaires acquis à cette cause, même si les réserves émises par Antoine Savignat n’étaient pas exactement de même nature que les miennes. Quant au rapport de 2022 du comité d’évaluation et de suivi, qui a failli n’être jamais publié, il montre que le taux d’appel des jugements de cours criminelles départementales est plus élevé que celui des jugements de cours d’assises, alors même que l’on promettait une justice plus prévisible, rendue uniquement par des magistrats professionnels – on nous faisait bien comprendre que le citoyen n’avait pas vraiment sa place dans ces cours et que la justice devait rester une affaire de professionnels.

Tel a été le péché originel : on a laissé aux cours d’assises les petits dossiers et on a mis le paquet sur les cours criminelles départementales. Dans le cadre d’expérimentations, on a poussé les chefs de juridiction à dédier à ces cours des moyens importants afin que l’on puisse dire qu’elles fonctionnent bien, ce qui n’est pas vraiment le cas en vitesse de croisière.

Je continuerai donc de soutenir la mobilisation contre les cours criminelles départementales, qui n’est pas de mon seul fait – j’appartiens à un groupe de soixante-quinze députés, lui-même membre d’un intergroupe bien plus large. Une pétition circule pour demander la disparition de ces cours : il ne s’agit pas de supprimer quelque chose qui marche, puisque tel n’est pas notre point de vue, mais de revenir à l’essence même de notre système judiciaire fondé sur la participation du jury citoyen, un acquis chèrement arraché à l’Ancien Régime par les révolutionnaires après 1789.

M. Éric Poulliat (RE). Je sortirai de la référence à la période révolutionnaire habituellement citée par nos collègues insoumis, chez qui je perçois un brin de nostalgie, pour évoquer les retours du terrain.

À l’invitation du procureur général et de la première présidente de la cour d’appel de Bordeaux, j’ai récemment assisté à un conseil de juridiction. Je me réjouis que les parlementaires puissent désormais assister à ces réunions, car c’était une expérience très intéressante : nous avons entendu le témoignage d’un juré d’assises et avons longuement évoqué les cours criminelles départementales. Je puis donc vous assurer que, dans le ressort de la cour d’appel de Bordeaux, les retours sont très positifs et que les choses se font assez naturellement. Tous les bénéfices énumérés par le garde des Sceaux m’ont été confirmés. La mise en place de ces cours est très bien perçue, y compris par les citoyens et les jurés d’assises, qui n’expriment aucune défiance particulière. Il ne faut pas polémiquer ni essayer d’opposer encore une fois les Français à leurs institutions – ce serait là un jeu dangereux.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je me souviens très bien de nos débats lors de la création des cours criminelles départementales : à l’époque, je comptais parmi ceux dont l’avis était en demi-teinte. J’avais donc quelques doutes, jusqu’à ce que soient publiés les premiers résultats de l’expérimentation, mis sur la table par nos collègues Antoine Savignat, membre du groupe Les Républicains, et Stéphane Mazars, député de la majorité. Ces résultats s’imposent à nous, et ils sont plutôt bons. De l’aveu même des professionnels pratiquant devant ces cours, les principes de l’oralité et du contradictoire y sont tout à fait respectés. Les parties civiles et les associations de victimes témoignent d’une ambiance apaisée et du respect de leurs droits. Il me semble par ailleurs que les décisions rendues par ces cours suscitent moins d’appels.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Absolument : le rapport auquel s’est référé M. Bernalicis ne tient pas compte des désistements.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Tout cela est dans l’intérêt du justiciable, qui souhaite que les choses se passent bien et que la justice aille plus vite. J’admets donc que je m’étais trompée et que la mise en place des cours criminelles départementales, qui seront peut-être amenées à évoluer, était une idée intéressante.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL662 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Nous proposons d’élargir le référé pénal environnemental aux atteintes à l’environnement pour lesquelles les pôles régionaux spécialisés sont compétents. Cet outil permet au juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, de prendre toute mesure utile, y compris la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction de la loi pénale, pour éviter l’aggravation d’un dommage. Le juge d’instruction dispose des mêmes prérogatives en cas d’ouverture d’une information judiciaire. Le procureur peut être saisi à la demande d’une autorité administrative, de la victime ou d’une association agréée de protection de l’environnement.

Le champ d’application de ce dispositif très efficace se limite cependant à certains manquements, à savoir aux cas de non-respect des règles de la procédure environnementale ou des règles générales et spéciales de préservation de la qualité et de la réparation des eaux superficielles souterraines et des eaux de la mer. Le référé pénal environnemental n’est pas applicable aux autres atteintes à l’environnement pour lesquelles les pôles spécialisés sont compétents lorsque la complexité de l’affaire l’impose.

Pour renforcer l’efficacité de cet outil, il convient de le rendre applicable à toutes les affaires prises en charge par les pôles régionaux spécialisés, qui verraient leurs prérogatives étendues. Inspiré des recommandations de la mission « flash » sur le référé spécial environnemental, cet amendement présente l’avantage de ne pas concerner l’ensemble des atteintes à l’environnement, mais seulement celles qui sont traitées par les pôles régionaux.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez mentionné l’excellent rapport rédigé lors de la législature précédente par Mme Moutchou et Mme Untermaier, qui préconisaient « d’élargir le champ d’application du référé pénal spécial prévu par l’article L. 216-13 du code de l’environnement à l’ensemble des atteintes à l’environnement ». J’ai moi-même défendu un amendement dans ce sens, dont la portée était cependant un peu moins importante, lors de l’examen du projet de loi « climat et résilience », dont j’étais l’un des rapporteurs. Je ne vais pas me dédire : je donne donc un avis favorable à votre amendement, qui renforcera l’efficacité du traitement des affaires environnementales.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Cet élargissement du référé pénal environnemental ne me paraît pas justifié. Le critère de compétence des pôles spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement est celui de la complexité des faits ; il ne me semble pas possible d’en tirer des conclusions sur l’applicabilité ou non des dispositions relatives au référé pénal environnemental. Si ce dernier devait être étendu, ce serait à des infractions précisément définies, et non à tous les délits prévus par le code de l’environnement au motif qu’ils présenteraient une complexité justifiant la saisine d’un pôle spécialisé. Avis défavorable.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je suis très heureuse que l’on parle ce soir de justice environnementale, un sujet sur lequel nous avons beaucoup travaillé ces dernières années. La loi relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a créé des juridictions spécialisées en matière environnementale. Avec Cécile Untermaier, nous avons planté la graine de la convention judiciaire d’intérêt public environnementale, qui rencontre un certain succès, puis travaillé sur le référé spécial environnemental, au sujet duquel nous avons défendu des amendements lors de l’examen du projet de loi « climat et résilience ». Nous continuons notre travail commun puisque nous sommes en train de préparer un texte transpartisan.

Je rejoins cependant les explications de monsieur le garde des Sceaux : le référé doit répondre à des situations urgentes et évidentes. Cette procédure ne convient pas à des dossiers plus complexes. Si votre amendement est intéressant, il n’en demeure pas moins que sa mise en œuvre s’avérerait très difficile ; c’est pourquoi je ne le voterai pas.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL639 et CL665 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul Molac (LIOT). Ces amendements visent à renforcer le statut de repenti.

Aux termes de l’article 706-63-1 du code de procédure pénale, les individus mentionnés à l’article 132-78 du code pénal, ayant coopéré avec la justice dans le cadre de la résolution de certains crimes et délits, peuvent bénéficier d’un dispositif de protection et de réinsertion. En pratique, ce dispositif est sous-utilisé, alors que de telles garanties s’avèrent essentielles pour renforcer l’attractivité et l’efficacité du statut de repenti, qui pourrait constituer un véritable atout pour la justice française, en particulier dans le cadre de la lutte contre la mafia.

En ce sens, l’amendement CL639 prévoit que les mesures de protection et de sécurité s’appliquent automatiquement, sauf opposition expresse de la part du repenti, et que ce dernier bénéficie de plein droit d’une aide à la réinsertion.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Sur l’ensemble du texte, nous avons beaucoup travaillé, mené de nombreuses auditions et eu le temps de nous forger certaines opinions solides. Or, vous soulevez ici une question supplémentaire, à propos de laquelle je n’ai rien lu ni auditionné personne. À première vue, votre amendement me semble partiellement satisfait, puisque l’article 706-63-1 du code de procédure pénale prévoit que la protection peut être accordée sans délai. Par ailleurs, la disposition selon laquelle cette protection est systématique, sauf opposition expresse et écrite de la part du repenti, n’est pas vraiment opérationnelle. Il convient de décider de cette protection et de son format au cas par cas, en fonction des besoins, comme le prévoit actuellement le code de procédure pénale.

Je vous demande donc de retirer vos amendements, faute de quoi je leur donnerai un avis défavorable, puisque nous n’avons pas suffisamment étudié cette question.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je suis allé en Italie, où j’ai rencontré mon homologue Carlo Nordio. Nos échanges m’ont beaucoup inspiré, d’autant que les Italiens ont adopté une législation très avancée sur ces sujets. Nous sommes donc en train de travailler spécifiquement sur cette question. Notre réflexion n’est pas encore aboutie, mais je peux vous affirmer que le statut de repenti constitue à mes yeux un outil très important dans la lutte contre la très grande criminalité.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je me réjouis qu’un travail soit en cours. J’ai moi-même rencontré en Sicile les acteurs de la lutte anti-mafia, qui m’ont présenté les dispositifs en vigueur chez eux. En comparaison, on voit bien que le régime français des repentis, très peu utilisé, ne fonctionne pas, tandis que le système italien produit des résultats dans la répression de la mafia.

Cette politique est particulièrement importante au vu des constats que nous avons dressés, notamment, lorsque nous avons évalué l’action de la police judiciaire dans le cadre de la réforme de la police nationale. Les plus hautes autorités judiciaires du pays ainsi que les magistrats exerçant dans les juridictions interrégionales spécialisées nous alertent quant aux menaces que les organisations mafieuses, dont les ramifications sont loin d’être négligeables, font peser sur un certain nombre de démocraties européennes, où elles sont insuffisamment réprimées. Je ne voudrais pas que l’on tente de kidnapper notre garde des Sceaux, comme cela a failli arriver dans un pays voisin ! J’espère que la représentation nationale sera associée à ces réflexions, car notre contribution pourrait être bienvenue.

M. Paul Molac (LIOT). Monsieur Colombani m’a expliqué que le système actuel ne fonctionne pas : certaines personnes mises en cause rechignent à demander le statut de repenti car elles ne se sentent pas protégées. Il faudrait donc que les mesures de protection deviennent systématiques.

M. le président Sacha Houlié. Nous sommes en train de travailler, avec le président Marcangeli et en lien avec le garde des Sceaux, à une proposition de loi relative au statut de repenti. Notre objectif est de soumettre ce texte au Parlement avant la fin de l’année 2023.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL463 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous avons tous bien compris le caractère très particulier des techniques spéciales d’enquête (TSE) que sont l’infiltration, l’enquête sous pseudonyme, et peut-être malheureusement bientôt la sonorisation et l’accès à des images via n’importe quel type d’objet connecté. Afin qu’il en soit fait un usage proportionné, la moins mauvaise des garanties serait que ces enquêtes, compte tenu de leur caractère particulièrement intrusif nécessitant un contrôle effectif et complet, ne puissent être déclenchées que par l’autorité judiciaire. Cette dernière est, du fait de son indépendance, la seule à même de garantir le respect des libertés fondamentales, conformément à la Constitution et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il est heureux que les TSE ne puissent être mises en œuvre que sur décision de l’autorité judiciaire – ce principe est enseigné en fac de droit, dès la première année ! Nous ne parlons pas ici de décisions administratives ou politiques. C’est même seulement un magistrat du siège qui peut décider d’y avoir recours. Vous faites une confusion assez importante : je vous demande donc de retirer votre amendement, faute de quoi je lui donnerai un avis défavorable.

La situation est assez cocasse. Tout à l’heure, M. Bernalicis nous appelait à utiliser tous les moyens possibles pour lutter contre les mafias. Tel est précisément l’objet des TSE : les représentants de la police judiciaire et des gendarmes enquêteurs, que nous avons auditionnés, nous ont confirmé que ces moyens donnés aux forces de l’ordre et aux équipes d’enquête sont notamment utilisés pour combattre le développement du grand banditisme.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Vous m’accusez d’encourager la lutte contre la mafia par toutes les techniques possibles tout en refusant ici le recours à certaines d’entre elles. Tel n’est pas le sens de notre amendement : nous demandons que l’utilisation des TSE ne puisse être autorisée que par un juge judiciaire dans le cadre d’une instruction. J’ose imaginer que les enquêtes relatives aux organisations mafieuses sont entre les mains de l’instruction, et non du parquet.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pour le parquet, ce n’est pas possible d’autoriser les TSE !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). J’ose espérer que ce sont les enquêteurs spécialisés du service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) qui traitent ces dossiers, en lien avec la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et sous le contrôle des magistrats du siège. Le parquet peut évidemment exercer un droit de regard – les Jirs font leur travail –, mais les TSE sont tellement attentatoires aux libertés que le magistrat le mieux placé pour veiller au respect des garanties légales n’est pas le procureur ou son substitut, mais le juge d’instruction, du fait de son indépendance.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous n’avez pas écouté ma réponse. Votre amendement est satisfait : ce n’est pas le parquet, mais un magistrat du siège ou le juge des libertés et de la détention qui peut autoriser le recours à ces techniques.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL578 de Mme Caroline Abadie et CL397 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Caroline Abadie (RE). Il s’agit de lutter contre la surpopulation carcérale.

En préambule, je souhaite préciser que la majorité, dont je fais partie depuis six ans, a toujours été très fière de voter des budgets en augmentation, qui ont notamment permis de prévoir la construction de 15 000 places nettes de prison. Cela ne nous empêche pas d’avoir, dans nos prisons, 13 000 détenus de plus que de places, ce qui nous vaut quelques condamnations internationales. Tout le monde ici conviendra par ailleurs que des conditions dignes de détention permettent toujours une meilleure réinsertion, et donc une lutte plus efficace contre la récidive.

La majorité a voté – encore ce soir – un grand nombre de mesures permettant de recourir davantage aux Arse, aux TIG et aux contrôles judiciaires lorsque les juges estiment ces dispositifs appropriés. Cependant, dans le cadre de la mission d’information sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale, que je mène depuis plusieurs mois avec Elsa Faucillon, nous avons notamment constaté que la libération sous contrainte de plein droit, en vigueur depuis janvier dernier, était inégalement appliquée sur le territoire.

Le dispositif que nous proposons ne s’apparente pas à un numerus clausus. Il ne porte pas non plus atteinte à l’indépendance des juges et ne vise pas à libérer 13 000 dangereux criminels.

Nous entendons nous attaquer d’abord aux difficultés rencontrées dans les maisons d’arrêt, qui sont les principales concernées par les problèmes de surpopulation carcérale. Nous proposons un dispositif progressif, dont la mise en œuvre s’étalerait jusqu’en 2027, lorsque les 15 000 places de prison envisagées seront normalement sorties de terre. Nous souhaitons que les juges et les établissements pénitentiaires puissent passer des conventions, sur leur territoire, pour trouver le moyen de limiter à 100 %, d’ici à 2027, le taux d’occupation des maisons d’arrêt et des quartiers maison d’arrêt des centres pénitentiaires.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Mon amendement identique est le fruit de nos travaux communs, mais aussi de l’écoute de toutes les personnes qui, dans le monde de la justice et les établissements pénitentiaires, s’inquiètent de l’augmentation de la population carcérale et du fait que la prison ne peut assurer convenablement le service qu’elle est censée rendre à la société. Non seulement la surpopulation carcérale porte atteinte à la dignité humaine, mais elle entraîne également, pour le personnel pénitentiaire, des conditions de travail qui rendent impossibles une bonne surveillance et une bonne préparation de la réinsertion des personnes détenues. La surpopulation d’aujourd’hui est la délinquance de demain : nous ne pouvons donc pas nous abstenir de traiter ce sujet.

Nous avons essayé de chercher quelques pistes. Nous en proposerons d’autres, dans le cadre de notre rapport d’information – je pense notamment à une meilleure utilisation des peines alternatives existantes –, mais avant de poser ces questions à la chaîne pénale, nous devons d’abord régler le problème de la surpopulation.

Je ne comprends pas, monsieur le garde des Sceaux, que vous refusiez d’aborder pleinement ce sujet dans le cadre d’un projet de loi consacré à la justice, d’autant que nous devrons respecter d’ici à 2027 le principe de l’encellulement individuel. En repoussant notre proposition, vous avouez en quelque sorte que vous n’y arriverez pas. J’ai l’impression que vous confondez les mesures de régulation carcérale avec l’instauration d’un numerus clausus. Nous ne proposons pas ici de porter atteinte à la liberté du juge de prononcer une peine de prison, même si nous considérons que l’emprisonnement doit cesser d’être, dans les esprits, une peine de référence – en tout cas, ce n’est pas la plus utile ni celle qui permet la meilleure réinsertion.

M. Erwan Balanant, rapporteur. J’estime, comme vous, que la résolution du problème de la surpopulation carcérale est une priorité – c’est d’ailleurs l’un des engagements de ce projet de loi et du rapport annexé.

Madame Abadie, je reconnais votre expertise sur ce sujet et je salue le travail que vous menez avec Madame Faucillon. Vous faites preuve d’un engagement sans faille dans ce combat, que vous avez d’ailleurs commencé lors de la législature précédente – je me souviens d’avoir visité avec vous une prison en Corse. J’ai hâte de lire le rapport que vous êtes en train de finaliser et que vous remettrez, je crois, le 19 juillet. Pour ma part, je ne suis pas un spécialiste de ces questions et je me trouve très embêté de devoir vous donner aujourd’hui un avis sans avoir développé ma propre expertise. Au vu de son importance et de sa complexité, ce sujet mérite de faire l’objet d’un texte spécifique, transpartisan.

Toutefois, je suis d’accord avec vous sur le fond : on doit réduire la pression carcérale, qui rend les conditions de vie des détenus indignes, les conditions de travail du personnel pénitentiaire, difficiles, et surtout la réinsertion des anciens prisonniers particulièrement compliquée. Je demande le retrait de ces deux amendements, que nous ne pouvons pas adopter aujourd’hui en toute connaissance de cause.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Ils figurent pourtant sur Eliasse, lisez-les !

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il vous suffit peut-être de lire un amendement pour avoir une expertise. Pour ma part, j’ai besoin de travailler davantage, mais je suis peut‑être beaucoup moins intelligent que vous, monsieur Bernalicis.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Comme l’a très bien dit madame Abadie, nous avons développé depuis six ans divers mécanismes non exclusifs les uns des autres pour tenter de lutter contre la surpopulation carcérale. À l’occasion de l’examen d’un amendement de madame Untermaier, nous avons parlé des TIG, des Arse et du plan de construction de 15 000 places de prison. Malgré ces efforts, nous constatons tous, lorsque nous visitons les maisons d’arrêt de nos circonscriptions – je le fais moi-même à Albi –, que le phénomène n’est pas régulé. Pour ma part, j’ai appelé de mes vœux l’ouverture d’une prison dans le sud du Tarn – le garde des Sceaux en sait quelque chose.

Je salue votre travail, que nous avons cherché à mettre en valeur lors d’une audition à laquelle vous avez accepté de participer. Ce n’est pas banal d’auditionner des collègues, mais monsieur Balanant et moi-même étions très intéressés de connaître les premières conclusions de votre mission d’information. Votre proposition de phasage nous paraît intéressante.

En ma qualité de rapporteur général, je me permettrai de faire une proposition àmonsieur le garde des Sceaux : il serait intéressant de nous revoir, avant la séance, pour réfléchir de manière transpartisane, en lien avec les services du ministère de la justice, à la façon de mettre en œuvre le dispositif que vous avez conçu. À l’instar de Erwan Balanant, je vous demande donc de bien vouloir retirer vos amendements afin que nous puissions aboutir, d’ici à la séance, à une proposition concrète.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Il y a un point sur lequel nous pouvons tous tomber d’accord : priver un homme de liberté, ce n’est pas le priver de dignité.

Dans notre pays se pose un problème ancien de surpopulation carcérale. Le développement des TIG, la mise en place de la libération sous contrainte (LSC), la modification des modalités de l’Arse et la construction de nouvelles places de prison sont des leviers d’action. Cependant, la question est complexe et je vous remercie, mesdames Abadie et Faucillon, de vous être longuement penchées dessus et d’avoir formulé des propositions qui n’avaient pas encore été envisagées.

Nous devons évidemment lutter contre la surpopulation carcérale. Les dispositifs de régulation que vous proposez me paraissent cohérents et s’inscrivent dans une logique de progressivité, leur échéance coïncidant avec la livraison des 15 000 nouvelles places de prison. Toutefois, ils ne sont pas pleinement satisfaisants, pour un certain nombre de raisons.

Dans certains cas, ils empêcheraient les magistrats de prononcer des peines d’emprisonnement, même pour un temps donné, ce qui pourrait menacer la sécurité de nos concitoyens. Cela me préoccupe. Je revendique depuis longtemps la fermeté sans démagogie et l’humanisme sans angélisme.

Le dispositif de réduction supplémentaire de peine que vous préconisez s’apparente par ailleurs à celui qui a été mis en œuvre, durant un temps limité, dans le contexte très particulier de la crise sanitaire. Dans la période actuelle, ce mécanisme poserait une difficulté au regard du principe d’égalité devant la loi, dans la mesure où ces réductions de peine ne seraient pas nécessairement appliquées dans l’ensemble des établissements pénitentiaires.

Enfin, d’une certaine façon, le principe d’individualisation de la peine peut sembler remis en question.

Je souhaite que les dispositifs favorisant les alternatives à la détention, déjà inscrits dans la loi, comme la libération sous contrainte, soient pleinement utilisés par les magistrats. Avant de créer un mécanisme généralisé de régulation carcérale, qui repose notamment sur des seuils de densité carcérale, je suggère que l’on mène une action concertée et transpartisane. Les quotas ne font pas partie des mesures retenues par le plan d’action pour la justice, pas plus que le seuil de criticité. Les acteurs concernés se réunissent déjà, aujourd’hui, pour évoquer la question de la surpopulation. Vos propositions présentent toutefois un caractère innovant.

Partageant l’avis du rapporteur général, je suggère que vous retiriez votre amendement afin que nous y travaillions avec tous les groupes, car nous partageons tous le même constat. Nous devons en particulier réfléchir aux leviers nécessaires à la réduction pérenne de la surpopulation carcérale et de l’indignité qu’elle engendre. J’ajoute que nous n’avons jamais autant investi dans la rénovation des établissements pénitentiaires et dans la création de places nouvelles. Par ailleurs, nous ne disposons pas d’étude d’impact ; nous devons y réfléchir.

M. Éric Poulliat (RE). En ma qualité de rapporteur pour avis sur le budget de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, j’ai constaté les efforts que vous avez accomplis pour développer les placements extérieurs et d’autres mesures alternatives à la prison. Cela témoigne de votre volonté de favoriser la réinsertion et de lutter contre la récidive. Parallèlement, vous agissez pour améliorer les conditions de détention en milieu fermé. J’approuve pleinement le plan de construction des 15 000 places.

Cela étant, je m’exprimerai aussi en tant que député de la Gironde, pour vous faire part de la situation catastrophique de la maison d’arrêt de Gradignan, qui connaît un taux d’occupation de plus de 200 % et où une mesure de stop écrou a été prise. Je vous remercie pour l’effort engagé pour la construction de la nouvelle prison, mais on sait que l’augmentation du nombre de places ne réduira pas la suroccupation, car le nombre de détenus continuera de croître.

Tout le monde appelle de ses vœux la régulation carcérale, y compris l’administration pénitentiaire. Il faut réfléchir au développement des mesures alternatives à l’incarcération et aux sorties accompagnées – je connais votre attachement aux structures d’accompagnement vers la sortie (SAS).

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il est regrettable que le rapporteur et le Gouvernement soient aussi timides sur un sujet comme celui-là. On nous explique que la question est discutée parce qu’un rapport va être rendu le 19 juillet : non ! Le problème avait déjà été débattu au cours des états généraux de la justice, monsieur le ministre, dont vous dites qu’ils ont constitué la base du projet de loi de programmation. Vous avez écarté ce sujet, par principe. Vous aviez tenu un discours différent au Sénat, affirmant que les Français n’étaient pas prêts à voir les détenus sortir. Cela a pourtant eu lieu pendant le covid, et nous n’avons pas connu l’été Orange mécanique qu’avait prédit Éric Ciotti – autrement dit, pas plus d’incarcérations ni de délits que d’habitude.

Le dispositif proposé est progressif, adapté à vos objectifs de construction de places de prison – que je ne partage pas – et laisse toute liberté au juge pour prononcer une peine de prison. Il ne s’agit pas d’instaurer un numerus clausus à l’entrée. Le procureur général Rémy Heitz, qui a été l’un des artisans de la précédente loi de programmation et qui nous avait promis que, grâce à ce texte, il y aurait moins d’incarcérations et de courtes peines, reconnaît que cela n’a pas fonctionné et admet aujourd’hui la nécessité d’un mécanisme de régulation carcérale. Que vous faut-il de plus ? On devrait tous s’attacher à prévenir la récidive.

M. Ludovic Mendes (RE). Je peux observer, dans la maison d’arrêt de ma circonscription, les difficultés éprouvées par les détenus et les atteintes au principe de dignité, qui nous valent des condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et des rappels à l’ordre de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). Il faut trouver des remèdes à la surpopulation carcérale. Comme l’ont fait remarquer nos rapporteurs et monsieur le ministre, il manque une étude d’impact. Monsieur Bernalicis, la proposition qui nous est soumise n’avait pas été faite lors des états généraux. Elle présente un caractère innovant, propose une évolution progressive et nous oblige à revoir l’ensemble de notre système de sortie de prison et d’accompagnement – je pense, par exemple, aux Spip. Les professionnels pénitentiaires sont en grande difficulté. Même si on construit les 15 000 places, il est possible que cela ne suffise pas, compte tenu de l’accroissement de la population et de l’augmentation potentielle du nombre de peines complémentaires. Nous devons travailler collectivement pour apporter une réponse technique à un sujet hautement politique et émotionnel.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je constate qu’il y a une volonté unanime de trouver une solution à cette difficulté et que chacun a salué la qualité du travail transpartisan mené par nos collègues. Les positions évoluent dans chaque groupe. L’occasion se présente de faire entrer dès maintenant ces dispositions dans la loi. Comment ne pas la saisir après avoir développé des arguments aussi positifs ? Si vous décidez de reporter sine die l’adoption d’un texte sur ce sujet, ce sera un véritable problème. C’est un choix politique que de ne pas agir lorsqu’on a la possibilité de prendre un engagement ferme. Assurez-nous que l’amendement sera retravaillé et adopté en séance.

M. Didier Paris (RE). Monsieur le ministre s’est engagé clairement, me semble-t-il, à ce que l’amendement soit retravaillé. Reste que nous devons continuer à limiter l’incarcération, en amont : c’est le facteur principal pour éviter l’engorgement des prisons. Parallèlement, il faut faciliter les sorties de prison – un travail considérable a déjà été mené en ce domaine. Nous avons voté en 2021 une loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. La dignité n’est pas seulement la résultante de la baisse du nombre de détenus mais est aussi déterminée par la manière dont la détention est assurée. Dans ma circonscription, une maison d’arrêt est en surpopulation sur le papier mais, en réalité, les choses se passent relativement bien.

L’une de vos propositions – le conventionnement par juridiction – m’inspire un certain scepticisme car les détenus tournent beaucoup entre les maisons d’arrêt ; lorsqu’ils sont impliqués dans une même affaire, on les sépare systématiquement. Je ne vois donc pas comment cela répondrait au problème. Par ailleurs, je ne pense pas que l’on puisse imposer à un juge de l’application des peines (JAP) une limitation automatique d’exécution de la peine, car cela contreviendrait aux principes d’individualisation des peines et d’égalité.

Il faut retravailler sur cette question essentielle, privilégier les moyens d’éviter l’engorgement des prisons et mieux respecter les principes fondamentaux du droit pénal.

La réunion est suspendue de vingt-trois heures quarante à vingt-trois heures cinquante-cinq.

Mme Pascale Bordes (RN). Si nous nous accordons tous à dire qu’il faut lutter contre les conditions indignes de détention, nous ne proposons pas tous les mêmes solutions. Je prends acte de votre volonté de réduire la surpopulation carcérale mais je ne pense pas que le remède consiste à ouvrir les portes à tout-va. Nous voterons les crédits nécessaires à la construction de prisons, qui est une grande partie de la solution.

L’amendement suscite des interrogations, en particulier en ce qui concerne la réduction automatique de peine, qui me paraît totalement inconcevable. Cette mesure serait injuste vis-à-vis de détenus incarcérés dans d’autres centres et reviendrait à se substituer à la décision prise par un magistrat ou un tribunal. En outre, cela fait fi des droits des victimes. Personnellement, je suis plus attachée aux victimes qu’aux détenus. Je ne voterai donc pas cet amendement.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Il y a un consensus sur l’urgence d’agir contre la surpopulation carcérale. Des mesures ont déjà été prises. Nous travaillons sur l’augmentation du parc pénitentiaire, la réhabilitation des juridictions, les mécanismes à l’entrée – les aménagements de peine, en particulier –, les alternatives à la peine, la sortie, la lutte contre la récidive… Je suis persuadée qu’il faut développer ces mécanismes pour atteindre l’objectif de régulation carcérale. Les mesures proposées sont intéressantes mais très contraignantes. Je m’interroge sur le nombre de détenus qui pourraient sortir de prison : seront-ils 13 000, 5 000, 1 000 ? En tout état de cause, ce ne sera pas anodin. Il nous faut des précisions. Je ne suis pas certaine que la solution vienne de la régulation carcérale. Il n’est pas évident que la lutte contre la surpopulation passe par la sortie d’un certain nombre de détenus ou l’absence d’incarcération, alors qu’une peine a bel et bien été prononcée par un magistrat.

M. Philippe Gosselin (LR). La surpopulation carcérale constitue un problème structurel. Le programme dit « 15 000 » a pris trop de retard et n’a pas encore produit d’effets. Nous doutons que le Gouvernement atteigne ses objectifs d’ici à la fin de la législature.

Pour autant, je ne suis pas sûr que la solution ici proposée soit la bonne. La surpopulation touche essentiellement les maisons d’arrêt. L’amendement est très contraignant, et il est à craindre que les engagements de construction ne soient pas tenus d’ici à 2027. En outre, il ne me paraît pas souhaitable de reproduire ce qui s’est passé pendant la covid, où 13 000 détenus avaient été libérés au fil de l’eau. En l’espèce, on ne sait pas combien de détenus seraient concernés. Pensons au message que l’on enverrait aux victimes et, plus généralement, à l’ensemble de la société. Je ne fais pas de la prison l’alpha et l’oméga mais, lorsqu’une peine est prononcée, elle doit être exécutée.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le projet de loi prévoit des crédits élevés pour la création de prisons. Je pense qu’on sera loin des 15 000 places en 2027 – si on en a 3 500 ou 4 000, on devra déjà être contents. Nous ne vous en faisons pas le reproche, car nous savons que c’est difficile, mais le postulat sur lequel repose l’amendement me gêne.

Néanmoins, cette proposition a été élaborée sérieusement, de manière transpartisane, et lance des pistes de réflexion. Nous pourrions très bien adopter l’amendement afin de disposer d’une base de travail en vue de la séance. Cela nous obligera à trouver une solution à ce problème que vous avez reçu en héritage et qui devient trop lourd. Il serait regrettable qu’en regard des investissements programmés, le texte ne propose pas un dispositif de régulation, pourvu que celui-ci respecte le principe que le juge doit continuer à juger comme il l’entend.

Mme Caroline Abadie (RE). J’observe le constat partagé, même si les solutions proposées divergent ; je vois la main tendue de messieurs les rapporteurs et de monsieur le garde des Sceaux, et j’entends leur invitation à retravailler le dispositif d’ici à la séance. Je répète tout de même qu’il y a urgence. Qu’un directeur interrégional décide courageusement, de sa propre autorité, pour préserver un bâtiment – autrement dit, pour ne pas en laisser les clés aux détenus, d’instituer un stop écrou, sans véritable fondement juridique, doit nous interpeller.

Des conventions entre le président du tribunal, le procureur de la République, les établissements pénitentiaires et le Spip ont été signées à Varces et en d’autres lieux : elles donnent toute satisfaction mais ne sont pas pérennes. Nous ne proposons pas la création de nouveaux outils – la demande de LSC, par exemple, fait déjà l’objet d’un examen de droit – mais souhaitons qu’ils soient pleinement utilisés.

J’ajoute, à l’attention de nos collègues du Rassemblement national, que nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut s’occuper des victimes. Beaucoup de choses sont faites pour elles, et il faut continuer à le faire. Mais s’il y a moins d’auteurs et de récidive, il y aura également moins de victimes.

Je retire mon amendement mais, par loyauté au travail que nous avons effectué, je voterai, à titre personnel, pour celui d’Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Ce travail a été entamé par beaucoup d’autres collègues, comme Ugo Bernalicis, Éliane Assassi, Cécile Untermaier et, avant eux, d’autres parlementaires socialistes, tels Dominique Raimbourg et Jean-Pierre Sueur. Cela nous appelle à créer de l’expertise sur le sujet. Personne ne peut invoquer l’argument de la surprise, car il était prévisible que la question de la régulation carcérale serait abordée à l’occasion de ce texte.

La mesure présente, à la demande des professionnels, un caractère contraignant car les expérimentations nous ont montré que, lorsque les bonnes volontés cessent, le rythme d’incarcération et l’inflation pénale reprennent leur cours. À Gradignan, le directeur de la prison, qui connaît un taux d’occupation de 236 %, demande des dispositions contraignantes et espère que l’on fera preuve de courage politique pour ne pas laisser les personnels pénitentiaires supporter seuls le problème. Magistrats, avocats et surveillants pénitentiaires le demandent aussi.

Nous sommes prêts. Je vous invite à voter l’amendement afin que nous disposions d’une base de travail pour la séance.

L’amendement CL578 est retiré.

La commission rejette l’amendement CL397.

Première réunion du jeudi 22 juin 2023 à 9 heures

Lien vidéo : https://assnat.fr/tR2KfC

Présidence de Mme Caroline Abadie, vice-présidente.

Après l’article 3 (suite)

Amendement CL144 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il s’agit d’une demande de rapport. Même si le ministère de la justice publie des statistiques annuelles et des documents très intéressants, il est important de disposer du nombre de perquisitions et de gardes à vue annuelles, ainsi que de données sur le recours aux différentes techniques spéciales d’enquête, notamment les interceptions, captations, géolocalisation, sonorisations, le recueil de données de connexion et le nombre d’activations à distance. Cette transparence serait de nature à rassurer les parlementaires.

M. Erwan Balanant, rapporteur sur les titres Ier et II. Je suis également très attaché aux statistiques, qui permettent d’objectiver les choses et qui sont par ailleurs utilisées par les chercheurs, les universitaires et les journalistes pour leurs études. Dans le rapport annexé, le ministère s’engage sur le développement d’un pôle statistique, ce qui est souhaitable. Par ailleurs, nous recevons tous régulièrement une publication très intéressante sur les chiffres clés de la justice, que je parcours pour ma part avec gourmandise ; les statistiques y seront intégrées. Compte tenu de ces outils existants ou à venir, un rapport me semble donc inutile. Je vous invite à retirer votre amendement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. Je ne suis pas favorable à la multiplication des rapports. De plus, le Parlement dispose des prérogatives que lui confère l’article 24 de la Constitution. Enfin, ces chiffres relèvent, à titre principal, du ministère de l’intérieur.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous sommes tout de même appelés à voter sur des techniques d’enquête nouvelles, qui posent quelques difficultés. Même sans rapport, un engagement à publier ces statistiques chaque année peut-il être pris ? Il est légitime d’adresser cette demande au ministère de la justice, qui recourt à ces techniques, et qu’il doive pour cela se mettre en relation avec celui de l’intérieur ne saurait faire obstacle à la transparence due à nos concitoyens. S’il est impossible de toucher à quoi que ce soit dans ce projet de loi, dites-le-nous clairement. Cette demande de rapport n’est pas excessive. Si nous n’obtenons même pas la garantie d’avoir des statistiques sur un sujet qui pose problème, je me demande à quoi nous servons.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Le problème vient précisément du fait que ces statistiques relèvent à titre principal du ministère de l’intérieur, alors qu’elles concernent des enquêtes judiciaires, diligentées par des magistrats. Cela montre l’intérêt de l’ajout fait par le Sénat concernant l’échange statistique entre les deux ministères, les techniques spéciales d’enquête ayant déjà pu conduire à des rebondissements inattendus – je pense au chef du projet de départementalisation de la police nationale, mis en cause suite à une écoute lilloise concernant une autre affaire, sans même parler des cas d’écoutes un peu problématiques… Obtenir des données objectivables s’inscrirait donc pleinement dans la mission de contrôle qui est la nôtre, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL706 de Mme Naïma Moutchou.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Il s’agit d’une demande de rapport pour savoir où nous en sommes dans les différentes réformes qui ont été votées depuis quelques années en matière pénale. Le centre de gravité s’est beaucoup déplacé sur la phase préparatoire au procès pénal. Le renforcement du rôle du parquet conduit à s’interroger sur le rôle du juge d’instruction, sur celui du juge des libertés et de la détention – qui se voit confier de plus en plus de missions – ou sur le statut du parquet – car, si nous allons vers une fusion, la question de son indépendance se pose. Nous voyons apparaître en creux l’idée d’un véritable juge des libertés et de l’investigation, ce qui interroge sur l’ouverture au contradictoire de toute la phase préparatoire au procès. Quel avenir pour un cadre pénal moderne ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je le considère comme un amendement d’appel. En tant que rapporteur, il est toujours difficile de prendre position sur une demande de rapport, la décision appartenant au Gouvernement. Je vous invite donc à retirer cet amendement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. La suppression du juge d’instruction n’est pas d’actualité, même si cela fut le cas par le passé : ni mon directeur de cabinet, ni ma directrice adjointe, ni moi-même ne militons en ce sens. Le rapport des États généraux de la justice n’évoque pas non plus cette question. Le code de procédure pénale va être réécrit à droit constant. Je ne suis pas très favorable aux rapports et il n’y a pas de raison d’être favorable à celui-là.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je retire l’amendement, mais la question du cadre pénal que nous dessinons se pose. Nous en avons déjà débattu au sujet du parquet européen, avec la création d’un procureur européen étant également juge d’instruction. Nous devons mener une réflexion sur le devenir de la procédure pénale à la française.

L’amendement est retiré.

Article 3 bis A (nouveau) (art. 41-4 du code de procédure pénale) Interdiction de la destruction des scellés pour une période étendue en cas de non résolution d’une affaire criminelle

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL887 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Elle adopte l’article 3 bis A modifié.

Article 3 bis B (nouveau) (art. 689‑11 du code de procédure pénale) : Assouplissement de la condition de double incrimination pour la compétence universelle de la justice française

Amendement CL622 de M. Guillaume Gouffier Valente.

M. Didier Paris (RE). Cet amendement porte sur un sujet lourd et délicat, qui est cher à M. Gouffier Valente : la compétence qui pourrait être donnée aux juridictions françaises de poursuivre des crimes graves – crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides – commis à l’étranger par des étrangers, ce qui sort de la compétence traditionnelle de nos juridictions dans le code de procédure pénale français.

Tout cela est encadré par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, dont la France est signataire mais pas d’autres pays, comme la Russie ou l’Ukraine. De tels crimes commis par des étrangers dans les pays non signataires ne peuvent donc pas être poursuivis par des juridictions françaises.

Si le sujet du génocide a été en grande partie réglé par une loi de 2010, ce n’est pas le cas des deux autres crimes gravissimes. L’article 689-11 du code de procédure pénale exige plusieurs conditions cumulatives pour les poursuivre : l’auteur doit résider de manière continuelle en France ; les crimes doivent non seulement être punis dans notre pays, mais aussi dans celui où ils se sont déroulés, sauf à ce que l’auteur ait la nationalité d’un pays qui les poursuit ou qui soit signataire du Statut de Rome.

La question est donc complexe. Le Sénat a fait une première avancée – notre collègue Sueur travaille depuis longtemps sur cette question. Nous souhaitons que soient supprimées les deux conditions de résidence habituelle et de double incrimination, mais j’ai conscience des difficultés que cela représente pour le ministère de la justice et celui des affaires étrangères.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce serait vraiment une révolution copernicienne, qu’on ne peut traiter dans ce texte au détour d’un amendement. Je considère qu’il s’agit d’un amendement d’appel et vous invite à le retirer.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je salue l’investissement du député Gouffier Valente sur cette question. L’amendement propose de supprimer la condition de résidence habituelle en France de la personne poursuivie, ainsi que celle de la double incrimination pour les crimes contre l’humanité et pour les crimes et délits de guerre. Il fait suite aux hésitations jurisprudentielles – le fameux arrêt Chaban – quant à l'étendue de la compétence des juridictions françaises pour les crimes commis à l’étranger.

Nous pouvons cependant être rassurés au regard des décisions rendues très récemment par l’assemblée plénière de la Cour de cassation. Le Sénat a codifié cette interprétation jurisprudentielle, en modifiant le texte de l’article 689-11 du code de procédure pénale.

Le remplacement du critère tenant à la résidence habituelle par celui d’une simple présence en France, comme vous le proposez, ferait peser des risques d’instrumentalisation sur notre justice. Je vous invite à retirer votre amendement pour que travaillions ensemble à une autre rédaction sur cette question primordiale, en vue de l’examen en séance.

M. Didier Paris (RE). La question est effectivement d’importance. J’accepte de retirer cet amendement, dans la mesure où nous aurons la possibilité de le retravailler avec vous. Nous avons conscience des difficultés que vous rencontrez, étant précisé qu’aucune poursuite ne peut avoir lieu sans décision du parquet : une instrumentalisation à l’excès n’est donc pas possible. Par ailleurs, le ministère des affaires étrangères craint que la seule présence en France de tel ou tel oligarque puisse être difficile à gérer.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 3 bis B non modifié.

Article 3 bis C (nouveau) (art. 693 et 706-106-1 du code de procédure pénale) : Élargissement du champ de la compétence concurrente du pôle dédié au traitement des crimes sériels ou non élucidés du tribunal judiciaire de Nanterre

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL888 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Elle adopte l’article 3 bis C modifié.

Article 3 bis (nouveau) (art. 48-2 [nouveau] du code de procédure pénale) : Accès des statisticiens publics aux données des affaires en cours

Amendements de suppression CL400 de M. Ugo Bernalicis et CL786 du Gouvernement.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il s’agit de supprimer l’article 3 bis, ajouté par le Sénat, qui nous inquiète. Il prévoit un échange de données statistiques entre le ministère de l’intérieur et celui de la justice. Nous sommes opposés à une telle compilation de données, dangereuse pour les libertés individuelles. Peut-être M. Balanant ne s’opposera-t-il pas à cet amendement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis d’accord, cette suppression va dans le bon sens.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Depuis le début de l’examen de ce texte, j’ai donné un avis favorable à de nombreux amendements de l’opposition.

De façon générale, l’outil statistique est très utile, notamment dans le cadre de la recherche. Les dispositions de l’article 3 bis soulèvent néanmoins trois questions. Malgré l’anonymisation, resterait-on suffisamment respectueux du secret de l’enquête et de l’instruction ? Les données d’une enquête en cours sont-elles considérées comme des statistiques ? Les services d’information du ministère sont-ils en capacité de gérer cela ? Étant très réservé sur cet article, je suis favorable à sa suppression.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Même si l’intention est la bonne, le dispositif proposé soulève beaucoup de questions, reprises dans l’exposé des motifs de l’amendement du Gouvernement. Lors de la précédente législature, j’avais présenté un rapport d’information sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière, qui avait fait ressortir la difficulté de coordination entre les ministères de l’intérieur et de la justice. Monsieur le ministre, où en sont les discussions avec le ministère de l’intérieur ?

La commission adopte les amendements identiques CL400 et CL786.

En conséquence, l’article 3 bis est supprimé.

Article 4 (art. 131-8 et 131-9 du code pénal, art. 464-2, 474, 712-6, 723-2, 723-7-1 et 747-1 du code de procédure pénale, art. L 122-1 du code de la justice pénale des mineurs) : Dispositions visant à favoriser le recours au travail d’intérêt général

Amendement de suppression CL435 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). Il vise à supprimer l’article 4, qui favorise le recours à la peine de travail d’intérêt général (TIG), notamment en élargissant les possibilités qui sont offertes au juge de l’application des peines (JAP) de la prononcer, et en l’étendant aux sociétés de l’économie sociale et solidaire poursuivant un but d’utilité sociale.

Je ne suis pas hostile au TIG en tant que tel : j’en ai connu les débuts et j’y ai même été favorable ! À l’époque, les TIG étaient réservés aux primo-délinquants, ce qui change tout. Le groupe d’avocats et de magistrats que nous formions considérait que, dans le cadre de certains délits routiers par exemple – délits de grande vitesse, conduite sous l’emprise de l’alcool ou d’un produit stupéfiant – il était utile de pouvoir mettre les délinquants en contact avec des victimes d’accidents de la circulation.

Nous nous sommes heurtés à des difficultés considérables : les victimes ne souhaitaient pas être en contact avec les délinquants, le personnel des services ne voyait pas d’un bon œil la présence de primo-délinquants, et les délinquants eux-mêmes s’y opposaient.

Je reste favorable au TIG, mais je pense qu’il est préférable de le réserver aux primo-délinquants : à l’heure où la société est extrêmement violente, il ne constitue pas la réponse pénale adaptée.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je ne renoncerai pas à essayer de vous convaincre. Le TIG est, à mon sens, une peine utile, qui doit être développée. Je signale que, selon l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (Atigip), il y a plus de TIG disponibles que prononcés : il faut sensibiliser les juges pour qu’ils en prononcent davantage. Ce type de peine est utile et permet à la personne qui la purge de se questionner et d’être au contact du monde de l’insertion – notamment pour les personnes désocialisées ou « désinsérées ». A contrario, une telle peine permet aussi à ceux qui sont très insérés de ne pas aller en prison et de ne pas perdre contact avec la société. Avis très défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je ne comprends pas votre raisonnement, madame Bordes. Vous dites ne pas être hostile au TIG, en indiquant toutefois qu’il ne peut pas s’agir de la réponse adaptée. Mais ce n’est pas à nous de savoir s’il est adapté ou non, c’est au juge ! Le TIG est merveilleux pour les faits auxquels il correspond, personne ne pense l’utiliser en matière de grand banditisme – seul M. Bernalicis est peut-être sceptique !

Le TIG est adapté à des infractions qui ne sont pas les plus graves et s’adresse à des personnes souvent jeunes. Parfois, il constitue une première expérience professionnelle ! Et le taux de récidive des personnes qui ont été astreintes au TIG est plus faible que pour n’importe quelle autre peine. Il faut savoir clairement si nous sommes pour ou contre le TIG, et si oui, alors étendons-le à chaque fois que cela est possible.

Hier, lorsque nous avons évoqué la surpopulation carcérale, tout le monde était d’accord sur le constat, y compris vous madame Bordes. Mais dès qu’il s’agit du TIG, vous freinez des quatre fers ! Le TIG n’est pas l’expression même du laxisme, mais une peine adaptée à certains types d’infractions et de personnalités, et qui fonctionne bien. Nous avons doublé le nombre de TIG, mais ce n’est pas encore suffisant. Avis défavorable.

M. Didier Paris (RE). Nous avons reformaté l’échelle des peines, en 2019, avec la loi Belloubet. Le TIG constituait un pari sur l’avenir, arrivant en troisième position, après la détention et la détention sous bracelet électronique. La difficulté majeure était celle du manque d’outils pratiques, raison pour laquelle, sur la base d’un rapport que j’avais rendu au Premier ministre, a été créée l’Atigip, qui permet à un magistrat et à un avocat de connaître l’ensemble des places disponibles dans le ressort de leur juridiction. Nous avons donc fait tout ce qui était en notre pouvoir pour faciliter la décision judiciaire de condamner à un TIG.

La difficulté est actuellement inverse : nous avons plus de places disponibles que de décisions rendues. Il faut travailler à déclencher encore plus facilement le TIG : les avocats doivent se montrer moins timides et le plaider plus régulièrement. Sans doute reste-t-il encore à augmenter un peu le nombre de places disponibles dans des secteurs intermédiaires comme l’économie sociale et solidaire ou les sociétés à mission. Il faut continuer l’expérimentation en ce domaine, voire la généraliser.

Cela ne fait aucun doute, le TIG est une réponse adaptée, souvent pour des primo-délinquants, qui n’ont rien à faire en prison et ont besoin d’être sociabilisés. Le travail est un formidable outil pour cela. Je ne comprends pas qu’il existe encore des réticences sur le TIG.

Mme Pascale Bordes (RN). Je le redis, je suis favorable au TIG pour les primo-délinquants. Mais une seule fois ! Or, tous les praticiens du droit pénal ont été confrontés à des TIG « XXL ». J’ai en tête le cas d’un garçon qui a été condamné sept fois à un TIG ! Le coup d’après, il a reçu une peine d’amende… J’ai arrêté là de le suivre, mais je ne pense pas qu’il ait encore compris qu’il s’agissait d’une peine.

Vous pensez que, s’il y a plus d’offres de TIG que de demandes, c’est parce que les avocats sont frileux. Mais je vous rappelle que, pour le proposer, encore faut-il l’accord du prévenu ! Arrêtons l’angélisme et regardons les choses en face : le TIG est très bien pour un certain nombre de délinquants, mais il en est d’autres qui n’ont juste aucune envie de travailler.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL401 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Contrairement à l’extrême droite, nous sommes très inquiets quant à la surpopulation carcérale. Il faut mettre en œuvre un système de régulation. Le TIG fait partie des solutions. Toutefois, nous n’avons pas envie qu’il devienne une source de travailleurs gratuits, à l’image de ce que serait un RSA sous conditions. Nous nous opposons donc à l’extension du dispositif au profit des personnes privées ainsi qu’à l’allongement de l’expérimentation du TIG au profit des sociétés à objectifs sociaux et environnementaux.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je trouve cela vraiment dommage, et votre position me surprend un peu. Pour avoir été pendant dix ans président d’une association d’insertion, je peux vous dire que les entreprises du champ de l’économie sociale et solidaire certes peuvent avoir un but lucratif, mais toujours dans une perspective sociale et environnementale. Elles sont particulièrement représentatives des valeurs de la France. Je ne comprends pas votre refus que l’on effectue des TIG dans ces structures : elles constituent justement un excellent espace d’accueil et d’accompagnement. Je pense, par exemple, aux communautés Emmaüs.

Je comprends que le caractère lucratif des entreprises vous pose problème, mais certaines régies de transport, dépendant de Veolia par exemple, accueillent déjà des tigistes. Ce n’est donc pas un problème en soi. Le TIG doit être utile au condamné. Or, une structure appartenant au champ de l’économie sociale et solidaire, qu’elle poursuive un but lucratif ou pas, peut répondre à cet objectif. Peut-être ce refus de tout ce qui est en lien avec l’économie sociale et solidaire est-il inscrit dans l’ADN de la France insoumise ? En tout cas, j’ai déjà eu l’occasion de l’observer.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Madame Taurinya, pour le dire avec la liberté qu’ont les jeunes, vous êtes « grave », quand même ! Je ne comprends pas votre position. Oui, vous êtes « grave ».

Mme Naïma Moutchou (HOR). J’ai été choquée par la manière dont l’amendement a été présenté, même si, par ailleurs, les propos de Mme Taurinya ne correspondent pas tout à fait à la teneur de l’exposé sommaire. Nous avons entendu une remise en cause de l’économie sociale et solidaire, qui est pourtant un milieu remarquable. Il s’agit de personnes contribuant à l’intérêt général, œuvrant au bien commun à travers le mécénat, la philanthropie, le bénévolat – pour connaître un peu ce milieu, je puis en témoigner. Il s’agit de structures défendant des causes telles que la lutte contre la pauvreté ou le soutien à la scolarisation. Il s’agit des communautés Emmaüs ou des Restos du cœur, bref de structures qui interviennent là où l’État ne peut pas le faire, car l’État ne peut pas tout. On peut ne pas être d’accord avec ce que nous proposons en matière de travail d’intérêt général, mais de là à remettre en cause ce que font toutes ces personnes…

Mme Pascale Bordes (RN). Cette fois, nos amis d’extrême gauche ont vraiment touché le fond.

Monsieur le ministre, trouver des prévenus qui acceptent l’idée de travailler et faire avec les exigences de rémunération, cela va être compliqué… La réforme, ce n’est pas pour demain !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Que l’on ne se méprenne pas : nous sommes extrêmement favorables au TIG tel qu’il a été conçu par Robert Badinter, c’est-à-dire comme un véritable travail d’intérêt général, ce qui n’est pas la même chose que de considérer que le travail en soi est d’intérêt général – on peut tout à fait défendre la valeur travail, mais ce n’est pas exactement le sens de la mesure.

Dans un premier temps, la mesure était circonscrite aux collectivités publiques et aux associations, à savoir des structures à but non lucratif. Vous en aviez déjà étendu le périmètre à l’économie sociale et solidaire, dont l’activité peut revêtir un caractère lucratif. Même si les entreprises de cette nature exercent des missions d’intérêt général, elles ne font pas seulement cela ; ce n’est pas grave, mais tel n’est pas le sens du TIG.

Ce qui est plus gênant encore, c’est que l’élargissement du périmètre n’est pas justifié par la nécessité de trouver davantage de lieux pour les TIG : il y en a assez de disponibles. Le problème vient du fait que les juges ne prononcent pas assez de TIG. Vous tapez donc à côté.

Le véritable enjeu consiste à développer les chantiers dans la sphère publique, c’est-à-dire les TIG en groupe. Cette forme de TIG permettrait d’avoir un meilleur maillage territorial. Pour cela, il faut des encadrants. Nous avions proposé de financer des postes pour favoriser le développement de tels projets. Il aurait été bien que cela figure dans le projet de loi de programmation : les TIG collectifs ont davantage de valeur et sont plus porteurs.

En réalité, vous esquivez le débat sur le phénomène de vases communicants qui existe entre la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) et les TIG. De facto, il est plus facile de prononcer une DDSE, et les magistrats ont été incités à le faire. Cela explique que les personnes placées sous main de justice se voient davantage condamnées à une DDSE, y compris ab initio, qu’à un TIG. La question n’est pas de savoir si les avocats demandent suffisamment que des TIG soient proposés à leurs clients : c’est la mécanique même du ministère de la justice qui conduit à cette situation. Quand on en arrive au point où même les circulaires incitant à prononcer des TIG ne sont pas suivies d’effet, peut-être faut-il modifier l’échelle des peines ?

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL889 de M. Erwan Balanant.

Amendement CL664 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement a été élaboré avec l’Association nationale des juges de l’application des peines.

En cas d’inexécution du TIG, la peine de prison est automatique ; or nous pensons qu’elle ne doit être envisagée qu’en dernier ressort. Nous proposons donc que le juge de l’application des peines puisse prolonger le délai d’exécution du TIG. Comme le dossier de la personne revient devant le juge, une nouvelle appréciation a lieu à ce stade. L’objectif est de faire en sorte que cette peine soit davantage prononcée.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le délai d’exécution est de dix-huit mois ; c’est déjà beaucoup. L’enjeu est de s’assurer que les TIG sont exécutés le plus rapidement possible, et non d’allonger les délais. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL890 et CL891 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL661 de Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie, présidente. Cet amendement est issu directement de l’excellent rapport que Didier Paris a consacré au TIG, qui est à l’origine de la création de l’Atigip et du fait que nous disposions de disposer de davantage de places qu’il n’y a de peines prononcées. La création de l’Agence visait aussi à crédibiliser le TIG dans l’esprit des magistrats, notamment parce qu’elle permettait de raccourcir les délais d’exécution.

L’amendement vise à faire passer le délai de convocation devant le juge de l’application des peines de trente jours à huit, et celui de convocation devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) de quarante-cinq jours à quinze. Je suis gourmande, mais cette ambition était déjà celle de Didier Paris.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suis assez favorable à l’idée, mais le dispositif pose problème car il ne concernerait pas seulement les TIG : toutes les peines de moins d’un an pour lesquelles un mandat de dépôt n’a pas été prononcé et qui peuvent être aménagées seraient englobées. Cet effet de bord mérite d’être évalué de manière plus approfondie. Je demande le retrait de l’amendement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. La gourmandise est un péché capital, madame Abadie. La mesure est intéressante, mais il faut voir avec les JAP et les Spip comment le dispositif pourrait être articulé, le risque étant que les effets de bord provoquent une embolisation. Même si l’idée a reçu l’imprimatur de l’excellent Didier Paris, elle mérite que nous y travaillions davantage. Qui trop embrasse mal étreint : si le système était embolisé, on aurait tout perdu… Je vous propose donc de retirer l’amendement. Nous continuerons à y travailler d’ici à la séance pour réussir à articuler les délais. Cela me paraît plus sage.

Mme Caroline Abadie, présidente. Je retiens votre proposition de revoir les délais d’ici à la séance.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL892 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL893 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les dispositions que nous vous proposons à travers cet amendement vont dans le sens du projet de loi : il s’agit de mesures de simplification et de clarification.

Nous entendons modifier les juridictions compétentes pour se prononcer sur une demande de relèvement des interdictions, déchéances, incapacités ou mesures de publication quelconque, résultant de plein droit d’une condamnation pénale ou prononcées dans le jugement de condamnation à titre de peine complémentaire. Dorénavant, c’est le tribunal correctionnel ayant prononcé la condamnation ou celui se trouvant au siège de la juridiction ayant prononcé cette condamnation qui serait compétent.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL894 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’article 712-13 du code de procédure pénale fixe les modalités de l’appel devant la chambre de l’application des peines. Le condamné n’est pas entendu à ce stade, sauf si la chambre en décide autrement. L’amendement vise à ouvrir à la personne condamnée la possibilité de demander à être entendue. C’est l’une des nombreuses dispositions du texte qui feront avancer les droits de nos concitoyens.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL895 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL667 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à favoriser les TIG. Nous proposons de confier au juge de l’application des peines le pouvoir de convertir une peine d’amende en peine de TIG.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cette disposition va dans le sens de l’article. Je donne donc l’un de mes nombreux avis favorables à des amendements émanant de l’opposition.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. J’ai deux toutes petites réserves.

La première est de principe. Le TIG, vous me le concéderez, est principalement utile pour éviter l’emprisonnement. Certes, il est déjà possible de convertir des jours-amende, mais ces derniers ne doivent pas être confondus avec des amendes : dans la notion de jour-amende, la perspective de l’emprisonnement ferme est déjà présente, dans le cas où l’amende ne serait pas payée.

La seconde réserve est pratique. Il serait préférable de réserver cette possibilité de conversion aux amendes délictuelles, en excluant les condamnations pour contravention ou pour crime, ainsi que les amendes délictuelles forfaitaires. Il conviendrait enfin que la conversion ait lieu seulement à la demande de l’intéressé, car une saisine du parquet sur demande du Trésor public ne pourrait jamais aboutir faute d’accord du condamné.

Pour ces raisons, je m’en remets à la sagesse de la commission. Nous pourrions retravailler sur les points que j’ai soulevés, de manière à trouver un accord. Qu’en pensez-vous, monsieur Iordanoff ?

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je propose que nous adoptions l’amendement en l’état et que l’ensemble des précisions demandées par M. le ministre soient consignées dans un amendement que nous examinerons en séance – auquel je serai favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL896, CL897, CL898 et CL899 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

La commission adopte l’article 4 modifié.

Article 5 (art. 7063, 70614 et 706143 [nouveau] du code de procédure pénale) : Dispositions améliorant l’indemnisation des victimes

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL900, CL901 et CL902, l’amendement de cohérence CL883 et les amendements rédactionnels CL903 et CL904 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Elle rejette l’amendement CL690 de Mme Gisèle Lelouis.

La commission adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

Amendement CL708 de Mme Naïma Moutchou.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Les contentieux liés à l’indemnisation sont de plus en nombreux. Or, ils sont éparpillés et les barèmes diffèrent. Je demande donc un rapport sur la question. Il s’agirait, notamment, d’évaluer l’opportunité de créer un juge de l’indemnisation.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Sur le fond, je ne suis pas en opposition avec votre souhait d’avancer sur cette question, mais j’ai toujours du mal à me prononcer sur les demandes de rapport adressées au Gouvernement… Disons que je considère votre demande avec bienveillance.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Pour ma part, je suis rarement bienveillant envers les demandes de rapport… Outre ma réticence de principe, madame Moutchou, je voudrais vous livrer une réflexion : je ne suis pas certain qu’un rapport portant sans distinction sur l’indemnisation de tous les préjudices par les juridictions éclaire vraiment le Parlement. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

titre III - DISPOSITIONS RELATIVES À LA JUSTICE COMMERCIALE ET AUX JUGES NON PROFESSIONNELS

Chapitre I - Diverses dispositions portant expÉrimentation d’un tribunal des activitÉs Économiques

Avant l’article 6

Amendement CL81 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). Il s’agit d’un amendement purement rédactionnel.

M. Philippe Pradal, rapporteur sur le titre III. Non, il n’est pas strictement rédactionnel : il vise à supprimer le terme « diverses » dans l’intitulé du chapitre. Or, des dispositions peuvent être communes, identiques, ou encore parallèles. Le terme doit donc être maintenu. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL385 de M. Christophe Blanchet.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’amendement vise à engager une expérimentation, sur la base d’un rapport de M. Blanchet. Or, la création d’une chambre spécialisée dans le commerce en ligne est déjà possible par voie réglementaire. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 6 : Diverses dispositions portant expérimentation d’un tribunal des activités économiques (TAE)

Amendements de suppression CL64 de M. Sébastien Jumel, CL116 de Mme Cécile Untermaier et CL402 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). La création d’un tribunal des activités économiques (TAE) est l’une des mesures proposées par les États généraux de la justice. On ne peut pas dire que le fonctionnement des tribunaux de commerce et celui des tribunaux judiciaires, qui traitent certaines affaires d’ordre commercial, satisfassent pleinement les parties et les observateurs. Certes, on ne peut pas dire non plus que le système dysfonctionne complètement, mais il est clair qu’il n’emporte pas toutes les garanties que l’on est en droit d’attendre d’une justice satisfaisant aux standards d’une grande démocratie.

Néanmoins, votre proposition suscite plus de questions qu’elle n’en résout. Vous nous direz sans doute qu’il ne s’agit que d’une expérimentation, mais justement : les expérimentations concernant des tribunaux sont toujours délicates, car elles conduisent à juxtaposer deux régimes juridiques différents, ce qui fait que l’on n’est pas jugé de la même façon selon le lieu où l’on habite. Cela peut avoir des conséquences. C’est le cas pour les agriculteurs, qui seront concernés au premier chef par la réforme, car ce sont eux qui subissent la modification juridique la plus importante. Le fait qu’ils puissent être jugés par des commerçants pose question : si les uns sont les clients des autres, cela crée un tout autre type de relations que lorsqu’on est jugé par ses pairs. Il y a des risques de conflits d’intérêts.

Nous ne sommes pas opposés au fait que des pairs élus siègent, comme c’est le cas aux prud’hommes et dans les tribunaux de commerce. Peut-être pourrait-on avancer vers l’échevinage, mais pas avec des juges professionnels siégeant comme assesseurs aux côtés des juges élus : l’inverse serait plus intéressant.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Ces amendements de suppression reposent sur des justifications différentes.

Qu’il me soit permis, alors que nous entamons la discussion sur les tribunaux de commerce et le futur TAE, de rendre hommage à tous les magistrats qui œuvrent en matière de justice commerciale, qu’ils soient professionnels ou non. Ce travail n’est pas facile ; ils le font avec sérieux. Des efforts importants ont été consentis en faveur de la formation des présidents de tribunaux de commerce, notamment.

Le périmètre de l’expérimentation sera de neuf à douze tribunaux. Lors de son audition, M. le garde des Sceaux a indiqué qu’il veillerait à ce que les nouveaux tribunaux soient représentatifs, de façon à ce que l’expérimentation permette de dégager des conclusions précises : il n’y aura pas seulement des tribunaux de commerce de grandes villes.

Adopter ces amendements de suppression reviendrait tout simplement à maintenir la situation actuelle, donc à se priver d’un dispositif présentant un intérêt.

Parmi les questions qui mériteront d’être abordées, il y a celle des agriculteurs. Des amendements visent à exclure ces derniers de la compétence des TAE ; nous aurons donc l’occasion d’en débattre. En revanche, se contenter de régler la question avec des amendements de suppression, ce n’est rien d’autre que « jeter le bébé avec l’eau du bain ».

La présence des magistrats professionnels dans les formations de jugement est un autre aspect important. À cet égard, le Sénat a modifié certains des équilibres de l’article 6 : dans le texte qu’il nous a transmis, l’intervention de magistrats professionnels a été supprimée. Par ailleurs, la compétence du TAE a été beaucoup élargie.

S’agissant du premier point, je me référerai très exactement à ce qu’a déclaré M. le garde des Sceaux : il faut convaincre, pas contraindre. Or, à ce stade, force est de constater que le modèle proposé ne recueille pas l’adhésion des magistrats, consulaires ou professionnels. Le texte issu des travaux du Sénat sera peut-être un point d’étape à partir duquel nous pourrons travailler – voilà encore un argument contre la suppression.

En ce qui concerne l’extension des compétences opérée par le Sénat, nous aurons, là encore, l’occasion d’examiner des amendements. Les équilibres n’ont pas été complètement respectés, et la cohérence de l’expérimentation s’en ressent. Ainsi, certaines professions se retrouvent dans le champ du TAE alors qu’elles ne devraient pas y être.

En résumé, pour débattre des questions légitimes que soulèvent les auteurs des amendements de suppression, il faut rejeter ces amendements. Avis défavorable.

M. Jean Terlier, rapporteur général, rapporteur sur les titres IV à VII. Nous abordons une disposition très importante du texte. À cet égard, je souhaite réagir aux propos de M. Bernalicis, qui considère que le fonctionnement des tribunaux de commerce ne correspond pas aux standards qui doivent être ceux d’une grande démocratie. Un tel discours n’est pas acceptable. La défiance que vous manifestez vis-à-vis de ces juges, certes non professionnels, ne me paraît en rien justifiée. À vous entendre, vous donnez le sentiment de les considérer presque comme des « sous-juges ». Il s’agit pourtant de personnes ayant eu de grandes réussites durant leur parcours professionnel, qui donnent de leur temps de manière bénévole pour rendre la justice. Les juges consulaires font un travail remarquable au quotidien.

Les statistiques non plus ne vont pas dans votre sens : le taux d’appel et celui d’infirmation des décisions en appel sont nettement plus bas dans les tribunaux de commerce que dans les juridictions civiles, dont les jugements sont pourtant rendus par des juges professionnels.

À propos des agriculteurs, vous avez pointé des risques de conflits d’intérêts. Je ne partage pas du tout votre avis : si un agriculteur se retrouve devant le TAE dans le cadre d’une procédure collective et qu’il constate qu’il connaît l’un des magistrats assis en face de lui, le déport de celui-ci sera demandé, comme c’est le cas dans toutes les juridictions, civiles ou commerciales.

Présidence de M. Sacha Houlié, président

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Moi non plus je n’ai pas aimé ce que j’ai entendu. La justice commerciale de notre pays est une justice de qualité, rendue par des femmes et des hommes bénévoles, qui consacrent beaucoup de leur temps à régler ces litiges qui sont de leur compétence.

Ce que l’on peut dire, sans aucunement mettre en cause les juges consulaires, c’est qu’en première instance, pour les procédures collectives, le partage des compétences par secteurs d’activité entre les tribunaux de commerce et les tribunaux judiciaires manque de lisibilité. Sur ce point, le diagnostic est unanime. L’instauration du TAE, dont l’objet est d’expérimenter une juridiction unique compétente pour la quasi-intégralité des procédures collectives, correspond selon moi à un vrai besoin ; les États généraux de la justice l’ont dit eux aussi.

Nous voulons accompagner les juges consulaires dans la prise en charge de ce nouveau contentieux en assurant leur formation. Et les agriculteurs bénéficieront de la culture de la prévention et de l’accompagnement de l’entrepreneur en difficulté, qui est au cœur de la pratique professionnelle des juges consulaires.

L’expérimentation permettra d’améliorer les choses, le cas échéant, au fil de l’eau. Le TAE constituera un progrès considérable. Ne même pas vouloir qu’une expérimentation voie le jour ne me semble pas du tout être la bonne démarche.

M. Philippe Schreck (RN). Nous n’avons pas déposé d’amendement de suppression. Pour autant, nous avons du mal à comprendre l’intérêt de cette expérimentation. Quels sont les griefs contre le schéma existant ? Quels sont les buts poursuivis ?

En réalité, il s’agit de transférer les compétences et les contentieux de ce que l’on appelle la « chambre du conseil » dans les tribunaux judiciaires vers une juridiction unique. Dont acte, mais en quoi l’office des chambres du conseil actuelles est-il insuffisant ? Le système fonctionne correctement, en tout cas pas plus mal que le reste… En quoi le transfert au TAE permettrait-il de mieux traiter les affaires ? On ne nous l’explique pas.

Bien sûr, l’objectif est de diminuer les stocks du juge judiciaire et des tribunaux judiciaires. Mais faire baisser les stocks ne veut pas dire que l’on supprime du contentieux : vous dévitaliserez les tribunaux judiciaires, mais ne ferez qu’accroître les stocks des tribunaux de commerce, qui s’appelleront dorénavant TAE. Qui plus est, il est très difficile de recruter des juges consulaires, même si vous tentez d’améliorer cette situation. Autrement dit, vous ne ferez que déplacer les stocks vers une autre juridiction, sans accroître la qualité du traitement.

Chaque fois qu’une proposition utile est faite, nous répondons présents, mais, en l’espèce, nous ne comprenons pas l’utilité.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL398 de M. Ugo Bernalicis, CL773 de M. Philippe Pradal, amendements identiques CL53 de Mme Danielle Brulebois, CL780 du Gouvernement et CL34 de M. Philippe Gosselin, et amendement CL418 de Mme Andrée Taurinya (discussion commune).

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je m’exprime librement, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur. Que vous soyez frileux, c’est votre problème.

J’ai la faiblesse de croire que les travaux menés avec Didier Paris ont conduit à poser quelques questions, que nous avons mises noir sur blanc et qui ont leur pertinence. Il ne s’agit pas, pour autant, de dire qu’il y a un problème avec tous les tribunaux de commerce – j’ai d’ailleurs pris la précaution de souligner qu’ils fonctionnent globalement. Quand j’affirme que nous ne sommes pas à la hauteur de ce qu’on est en droit d’attendre dans une grande démocratie, cela concerne la professionnalisation, et j’assume mes propos. Je pense qu’il faut davantage de magistrats professionnels aux côtés des magistrats élus.

Ce n’est pas la qualité de ces derniers qui est en cause. Le fait qu’ils soient élus et qu’ils soient des pairs est un véritable atout pour la qualité de la justice. La difficulté est que la complexification du droit demande des compétences, et que ces magistrats sont souvent en proie au désarroi.

Le fait qu’il n’y ait que peu d’appels n’est pas forcément un critère – les raisons qui poussent à faire appel sont parfois un peu éloignées de la question de la qualité du jugement en première instance. Faire appel implique beaucoup de choses, aussi bien pour le justiciable que pour les entreprises.

En matière de déport, il reste des marges de progrès substantielles, et pas seulement dans les tribunaux de commerce. C’est dans les tribunaux administratifs que les pratiques sont, en fin de compte, les plus avancées : le déport y est beaucoup mieux admis, alors qu’il est vécu comme une remise en cause, comme un sujet de tension dans les autres tribunaux. Cela devrait être simple et normal partout.

Il faut avancer : je ne suis pas pour garder en l’état les tribunaux de commerce et, contrairement à vous, j’assume mes critiques.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Il n’y a aucune frilosité de notre part, mais une volonté d’efficacité et de rationalisation. Ce qui me gêne dans vos arguments, c’est que, même si vous n’évoquez plus une suspicion – vous êtes un peu revenu sur vos premiers propos – vous considérez qu’il faut du professionnalisme pour statuer sur les affaires commerciales. Mais alors, pourquoi n’appliquez-vous pas le même raisonnement aux conseils de prud’hommes ? Le droit du travail est une matière excessivement complexe !

Les magistrats non professionnels apportent beaucoup au fonctionnement de notre justice. Une formation est dispensée aux magistrats consulaires, et les taux d’appel et d’infirmation en appel, ne vous en déplaise, sont quand même importants. En appel, seuls siègent des magistrats professionnels. S’il y a peu d’appels et que les jugements ne sont pas très différents de ceux de première instance, c’est que la justice commerciale, aujourd’hui rendue par des magistrats bénévoles, élus par leurs pairs – ce qui est une spécificité française – est efficace. Elle ne doit pas être mise en cause dans les termes que vous avez employés.

Mon amendement CL773 rétablit le texte initial pour plusieurs alinéas.

Mme Danielle Brulebois (RE). L’amendement CL53 rétablit la rédaction initiale, afin d’exclure de la compétence du tribunal des activités économiques les procédures concernant les professions réglementées du droit – avocats, officiers publics et ministériels – qui exercent des tâches de service public plutôt que des activités économiques.

Il ne s’agit en rien d’un désaveu des tribunaux de commerce ni de leurs juges, dont je connais l’éthique et le dévouement. Ils ont développé des actions de prévention très utiles pour les petites entreprises et font un travail de proximité, grâce au mandat ad hoc et à la conciliation. En 2022, la part de la procédure de conciliation était ainsi de 80 % dans le Jura. C’est un outil très utile pour éviter les faillites de nos très petites entreprises (TPE) et de nos PME. Il est également utile de libérer du temps pour cela.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je retire l’amendement du Gouvernement au profit de celui du rapporteur.

M. Philippe Gosselin (LR). Nous devons effectivement exclure du champ de l’expérimentation les professions réglementées, qui ne sont pas à proprement parler commerciales, mais civiles. Il est important, par ailleurs, que le contentieux garde une forme d’unité et relève dans son ensemble du tribunal judiciaire, au lieu d’entrer dans le champ de l’expérimentation. Un consensus est en train de se dégager sur ce plan, comme du reste pour les professions agricoles. Je remercie notre rapporteur Philippe Pradal, de l’avoir souligné dans son propos liminaire, qui avait l’avantage de présenter la philosophie des articles 6 et 7 – quand on sait ce qu’il en est, on peut éviter bien des crispations.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Par l’amendement CL418, nous voulons exclure de l’expérimentation les activités agricoles. Les exploitations connaissent, on le sait, une situation alarmante : il faut les soutenir et non les affaiblir, comme le fait, insidieusement, l’expérimentation prévue. Nous avons été sollicités par plusieurs syndicats et associations d’agriculteurs, dont nous relayons la voix.

M. Philippe Pradal, rapporteur. La modification apportée par le Sénat, s’agissant des professions réglementées du droit, me paraît aller trop loin. C’est pourquoi je propose dans l’amendement CL773 d’exclure ces professions du champ de compétence du TAE. Je salue les propos de Mme Brulebois et de M. Gosselin, mais j’invite au retrait de tous les amendements en discussion commune au profit du mien, dont la rédaction me paraît, après avoir échangé avec le cabinet du garde des Sceaux, plus efficace.

M. Philippe Schreck (RN). S’agissant de l’échevinage, les dispositions qui ont été proposées ne satisfont ni les juges consulaires, ni les juges professionnels. Les premiers considèrent la mise en place de l’échevinage comme un véritable acte de défiance, et on risque d’aboutir à une crise des vocations. Quant aux magistrats, se voir donner la place d’assesseur les gêne.

Si l’expérience devait être généralisée – sait-on jamais –, un problème d’effectifs se poserait aussi. Si les 1 500 magistrats supplémentaires dont vous prévoyez l’embauche sont déployés en qualité d’assesseurs dans l’ensemble des juridictions, on ne verra pas trop la différence. Nous sommes donc extrêmement réservés au sujet de l’échevinage, voire hostiles, comme le sont les juridictions consulaires et leur assemblée générale.

En revanche, nous sommes d’accord avec la rédaction retenue par l’amendement CL773. Le Sénat est allé un peu loin en incluant les professions réglementées dans le champ d’application des TAE.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nous reviendrons avec d’autres amendements sur la question de l’échevinage.

L’amendement CL398 propose de revenir sur la rédaction adoptée par le Sénat. Monsieur le rapporteur, je suis ouvert à toutes les discussions et réflexions, y compris en matière prud’homale, mais le présent article concerne les tribunaux de commerce.

Les magistrats supplémentaires devront être assignés aux tâches pour lesquelles on manque de monde, et non à de nouvelles expérimentations. Il est donc plus sage de ne pas s’engager dans celle qui nous est proposée, c’est la seule conclusion logique. J’assume notre volonté d’en rester à la situation actuelle : globalement, cela fonctionne. Les agriculteurs sont notamment contents de relever du tribunal judiciaire.

Les amendements CL780 et CL34 sont retirés.

La commission rejette l’amendement CL398. Puis elle adopte l’amendement CL773.

En conséquence, les amendements CL53 et CL418 tombent, ainsi que les amendements CL51 de Mme Danielle Brulebois, CL222 de Mme Véronique Louwagie, CL172 de M. Philippe Gosselin, CL693 de Mme Sarah Tanzilli et CL709 de Mme Naïma Moutchou.

Amendements identiques CL419 de Mme Andrée Taurinya et CL476 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il s’agit de lancer une réflexion. S’il doit y avoir un échevinage, il faut que le magistrat préside la formation de jugement et qu’il y soit minoritaire. Les assesseurs, qui seraient élus par leurs pairs, s’intéresseraient au fond des dossiers, tandis que le magistrat professionnel serait tout simplement le garant de l’application du droit et de la procédure. C’est cette formule qui nous semble présenter le plus de garanties pour le justiciable, la société et les parlementaires que nous sommes. S’il fallait mener une expérimentation, ce serait plutôt en ce sens. Cela pourrait favoriser une bonne synergie, alliant connaissance du territoire et des sujets et connaissance du droit et professionnalisme.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Confier la présidence de la formation de jugement à un magistrat professionnel n’est pas conforme, les auditions l’ont confirmé, à ce qui était initialement voulu. L’objectif était de favoriser, par le dialogue et la cohabitation avec les juges consulaires, non seulement des synergies, mais aussi une acculturation des magistrats professionnels aux réalités du monde économique. Il ne s’agissait pas d’instaurer une quelconque tutelle ou un contrôle – et les magistrats de la Cour de cassation avaient salué l’assessorat lorsque nous les avons auditionnés. Comme ces amendements tordraient un peu l’objectif initial de la réforme, j’émets un avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques CL761 de M. Philippe Pradal et CL54 de Mme Danielle Brulebois.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je propose de supprimer un ajout du Sénat qui étend la compétence des TAE à l’ensemble des baux commerciaux, même en l’absence de connexité avec une procédure collective. Ce serait, en l’état, délicat et susceptible de déstabiliser le périmètre de l’expérimentation.

Mme Danielle Brulebois (RE). Mon amendement tend aussi à rétablir la rédaction initiale. L’extension de la compétence du TAE à tous les baux commerciaux et autres conventions n’est pas conforme aux conclusions des États généraux de la justice, dont le comité a estimé que les présidents de tribunaux judiciaires et les tribunaux judiciaires devaient conserver leurs compétences de droit commun en matière de baux commerciaux, sauf en cas de contestation liée aux procédures collectives, et en matière de propriété intellectuelle, pour des raisons de technicité. Cet avis est partagé par les magistrats de carrière comme par les juges consulaires.

La commission adopte les amendements.

Amendement CL972 de M. Philippe Pradal.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Il est prévu d’étendre aux associations la compétence du TAE en matière de procédures collectives. Mon amendement vise à se limiter aux associations qui exercent une activité économique ; pour les autres, je ne vois pas clairement la plus-value que pourrait apporter le TAE.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je vous propose de retirer cet amendement. Garder dans la compétence du tribunal judiciaire les seules associations à but non lucratif me paraît constituer un critère de répartition complexe, alors que nous tentons, par cette expérimentation, de simplifier les choses. Certaines associations ont une activité lucrative, d’autres une activité non lucrative, et d’autres encore une activité non lucrative à titre principal et des activités lucratives à titre accessoire, lesquelles sont soumises aux impôts visés par votre amendement.

La qualification du caractère lucratif ou non d’une association est loin d’être aisée et ne résulte pas toujours des déclarations spontanées de leurs dirigeants. Votre proposition peut donc être une source de complexité et ne permet pas d’embarquer dans le TAE toutes les associations aux activités lucratives, puisque seraient exclues celles qui n’auraient pas spontanément rempli leurs obligations fiscales. On courrait, enfin, le risque de générer un contentieux de requalification devant le tribunal judiciaire, saisi à tort, ce qui pourrait retarder et fragiliser le traitement des difficultés économiques, parfois lourdes de conséquences en matière d’emploi.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je vais retirer cet amendement, mais je maintiens qu’il faut trouver une rédaction plus adaptée en vue de la séance. Les associations cultuelles et, plus généralement, toutes les associations qui ne relèvent pas de la loi de 1901 posent des problèmes très spécifiques. La compétence du TAE pour les procédures qui pourraient leur être applicables conduirait, à mon avis, à d’autres types de difficultés.

L’amendement est retiré.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL765, CL764 et CL763 de M. Philippe Pradal, rapporteur.

Elle adopte l’article 6 modifié.

Article 7 : Expérimentation portant sur la contribution pour la justice économique

Amendements de suppression CL118 de Mme Cécile Untermaier, CL323 de Mme Emeline K/Bidi, CL420 de Mme Andrée Taurinya, CL433 de Mme Pascale Bordes, CL521 de Mme Sandra Regol et CL562 de M. Philippe Schreck.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous avons déjà largement abordé hier la question de l’égalité des justiciables devant la loi. Il nous semble que l’article 7 contrevient à ce principe et nous craignons, même si la contribution est limitée aux tribunaux des activités économiques, qu’un glissement se produise et qu’on finisse par en venir à un droit de timbre pour d’autres types de juridictions. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Nous nous opposons, compte tenu des risques, à la création d’un droit de timbre. L’ensemble des justiciables des tribunaux des activités économiques ne seront pas forcément en mesure de s’acquitter des coûts d’un recours. De surcroît, on ne sait pas à quoi cela pourrait conduire plus tard : on peut craindre une dérive, sous la forme d’une sorte de taxe basée sur les bénéfices ou le chiffre d’affaires des entreprises et des personnes morales requérantes, et ensuite que cette logique soit reprise pour d’autres types d’affaires, y compris impliquant des personnes physiques.

Mme Pascale Bordes (RN). Cet article instaure, à titre expérimental, une contribution financière pour chaque instance introduite devant le TAE, à peine d’irrecevabilité de la demande. La contribution financière pourrait aller jusqu’à 5 % du montant des demandes cumulées et 100 000 euros. C’est attentatoire au principe de la gratuité de la justice, auquel je suis très attachée, et dissuadera un certain nombre de personnes, parmi les plus fragilisées, de saisir la justice. Je pense en particulier aux artisans, qui pâtissent déjà grandement de la situation actuelle – comme les boulangers-pâtissiers, qui font face à d’énormes factures d’électricité. Si on leur impose une telle contribution financière, ils ne saisiront pas la justice et on les retrouvera ipso facto dans le cadre de procédures collectives. La proposition qui nous est faite est donc extrêmement dangereuse.

Une telle mesure introduirait, par ailleurs, des différences entre les justiciables, ce qui n’est pas souhaitable dans une démocratie : une différence entre ceux qui auront les moyens de saisir les tribunaux et ceux qui ne le pourront pas, et une différence entre ceux qui, malheureusement, devront se tourner vers un TAE expérimental et ceux qui continueront à relever d’un tribunal de commerce classique et n’auront pas, eux, à régler une contribution.

Pour toutes ces raisons, nous demandons également la suppression de cet article.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Nous voulons vous alerter sur le fait que cet article reviendrait sur le principe de la gratuité de la justice. On peut comprendre que faire contribuer de très grosses entreprises ne paraisse pas choquant, mais aucun seuil n’est prévu dans le texte. Et sur le fond, si vraiment il fallait envisager une remise en cause du principe de gratuité de la justice – nous sommes plutôt contre à ce stade – il faudrait un encadrement très strict, ce qui n’est pas prévu.

M. Philippe Schreck (RN). Cette expérimentation revient à instaurer une justice payante, à laquelle nous sommes opposés. On ne peut pas régler les problèmes, notamment budgétaires, de la justice, en levant un impôt. Nous sommes attachés à la relative gratuité de la justice – elle est quand même payante pour les justiciables, qui doivent rémunérer des auxiliaires de justice et payer des frais de greffe.

Comme souvent, le nouveau péage risque de frapper les faibles, sans vraiment toucher les forts. Une très grosse entreprise n’aura aucune difficulté à régler une contribution financière limitée à 5 % du montant des demandes cumulées et à 100 000 euros, mais ce ne sera pas le cas pour les professions indépendantes, les artisans, les TPE ou les PME. Cela posera donc des difficultés d’accès à la justice.

Les TPE et PME françaises sont celles qui acquittent le plus de prélèvements obligatoires au monde. Elles ont également subi, comme tout le monde, l’inflation et la hausse du coût de l’énergie. Demander, en cette période, à un artisan qui attaquerait un promoteur immobilier pour obtenir le paiement d’une facture, qui doit déjà payer une expertise, un avocat et des frais de greffe, de s’acquitter en plus d’un droit de péage pour accéder au juge me paraît totalement disproportionné et contraire aux principes qui gouvernent depuis longtemps notre justice. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’idée d’une contribution au financement de la justice, dans le cadre du mécanisme prévu à l’article 7, fait consensus, les États généraux de la justice l’ont relevé.

Il est important de garantir un accès facile à la justice. Dans la rédaction actuelle du texte, les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle ne sont donc pas concernés, pas plus que les demandeurs à l’ouverture d’une procédure amiable ou collective ni, nous y reviendrons, certaines personnes morales de droit public. Par ailleurs, si l’instance se termine par le recours à un mode amiable de règlement du différend, la contribution sera remboursée.

Reste la question importante des PME. Sans déflorer le débat que nous aurons tout à l’heure, j’annonce tout de suite que je donnerai un avis favorable à l’amendement CL33 de Philippe Gosselin, qui prévoit d’exonérer de la contribution toutes les entreprises dont l’effectif est inférieur à 250 salariés. Ce critère a l’avantage d’être très lisible et assez large – d’autres amendements font appel à des seuils de chiffre d’affaires ou à des notions plus complexes à appliquer.

Le dispositif permettra dès lors de garantir complètement un accès facile à la justice, tout en gardant son nécessaire aspect dissuasif, la demande étant irrecevable si la contribution n’est pas acquittée. L’objectif est d’éviter que les gros puissent dissuader les petits de faire des recours contre eux. Les litiges devant les tribunaux de commerce, voire en matière pénale, sont en effet bien souvent utilisés comme des outils lorsque les relations entre clients et fournisseurs deviennent difficiles. La rédaction à laquelle l’amendement CL33 conduirait permettrait donc d’aboutir à un résultat équilibré.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Je partage ce qui vient d’être dit. S’agissant de l’accès à la justice, étant vous-même avocat, monsieur Schreck, vous avez pu constater que l’application d’un droit de timbre ne conduisait pas à une diminution du nombre de contentieux. La nouvelle contribution ne posera pas, à mon avis, des difficultés d’accès à la justice. Par ailleurs, si elle est versée par les demandeurs, elle sera réglée in fine par la partie qui succombera à l’issue de la procédure, suivant un mécanisme classique, et de nombreux cas d’exclusion sont prévus, par exemple dans le cadre de règlements amiables – et nous reparlerons des PME. Enfin, vous savez bien qu’il existe parfois un risque de procédures dilatoires ; ce mécanisme pourrait être de nature à y apporter une réponse. Je suis donc, moi aussi, opposé aux amendements de suppression.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je comprends que cela soulève des questions principielles, et je veux tous vous rassurer.

La Chancellerie a fait beaucoup d’efforts pour l’attractivité de la France, et notamment celle de la place de Paris. Je pense, en particulier, à la création de la juridiction unifiée du brevet. Or, je rappelle que la justice économique est payante presque partout en Europe. Ce qui est très paradoxal, c’est que notre justice est critiquée parce qu’elle est gratuite. J’appelle cela le syndrome des marques : quand deux costumes sont de même facture, mais que l’un porte une marque et l’autre non, certains préfèrent le premier… C’est une réalité s’agissant des acteurs économiques.

J’entends et je partage la deuxième crainte, qui porte sur l’accès à la justice. Soyons très clairs : les personnes physiques bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, les demandeurs dans le cadre de procédures collectives et les personnes morales de droit public sont exclues des dispositions de l’article 7 ; pour les entreprises, nous fixerons des seuils, notamment en matière de nombre de salariés. N’ayez donc aucune crainte : les TPE n’entrent pas du tout dans le champ de l’article 7. M. Iordanoff a dit qu’il pourrait accepter une contribution pour les très grosses entreprises : c’est exactement ce que nous proposons !

Je souligne aussi qu’il s’agit d’une expérimentation, dans un but d’intérêt général. Le montant fixé, selon des critères objectifs, est rationnel, compte tenu des exonérations prévues. Nous y reviendrons plus en détail.

Je rappelle également que le Conseil d’État, dans son avis sur le texte, n’a rien dit de défavorable, et que les États généraux de la justice ont clairement identifié le besoin d’une contribution – ce n’est pas une lubie ministérielle.

Pourquoi créer des TAE ? Les délais sont actuellement très longs : trente et un mois devant les tribunaux de commerce, quarante mois devant les tribunaux judiciaires. C’est une des raisons pour lesquelles nous voulons une justice économique unifiée.

Je reviens aussi sur la question des agriculteurs, car j’y suis extrêmement attaché : les mesures que l’on prend en amont sont très efficaces et je souhaite que les agriculteurs puissent en bénéficier.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable aux amendements de suppression. Si vous avez été convaincus par les seuils et les vraies précautions que nous allons mettre en place, je vous suggère de les retirer.

Mme Naïma Moutchou (HOR). La justice n’est pas gratuite. S’il est vrai que l’accès à la justice n’est pas payé par les usagers, il n’en demeure pas moins qu’il a un coût, qui repose sur le contribuable. Or, le budget de l’État n’est pas un puits sans fond et, alors que l’on ne cesse d’évoquer les conditions de travail dégradées et les procédures qui n’avancent pas, le maintien de la gratuité est une vraie question, que nous devons aborder sans tabou.

Je suis donc favorable au droit de timbre. Il a d’ailleurs existé par le passé, sans poser aucune difficulté. Dès lors que son montant est raisonnable, par exemple 50 euros, et que les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle en sont exonérés, le droit de timbre permettrait d’alimenter le budget de la justice tout en préservant les publics les plus fragiles et les plus modestes. On ne peut pas continuer à brandir le slogan de la gratuité de la justice tout en se plaignant que des choses ne fonctionnent pas. Toute la question est de parvenir à un dispositif équilibré.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La gratuité est un principe, pas un slogan, ne la dévalorisons pas. Ce principe, je le défends pour tous, y compris pour les plus riches et les grandes entreprises. Dans le cas contraire, on a une justice à deux vitesses, deux niveaux, avec un service qui est rendu à la hauteur de ce que chacun paye – ou ne paye pas. Voilà le danger qui guette. Par ailleurs, envisager de rétablir le droit de timbre dans l’état de délabrement où se trouve la justice – quatre ans pour un divorce ! – c’est tout de même osé.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Nous ne sommes pas hostiles à une contribution modeste et égale pour tous. Ce qui nous gêne, c’est que certains justiciables doivent payer et d’autres non. Par ailleurs, le texte ne dit rien du montant de la contribution. Il faut s’assurer qu’elle soit suffisamment modeste pour ne pas faire douter de l’intérêt d’aller en justice. En outre, si un amendement doit exonérer les entreprises en deçà d’un certain seuil de salariés, rien n’est prévu pour les artisans. Alors oui, on peut s’interroger sur l’intérêt d’une contribution pour participer au financement de la justice et la rendre plus effective, mais en s’assurant toujours que tous les justiciables soient sur un pied d’égalité.

Mme Caroline Yadan (RE). Cette expérimentation répond à une recommandation des États généraux de la justice. Elle a un pendant en matière réglementaire : la justice amiable. L’instauration des divers instruments de cette justice amiable permettra non seulement de désengorger les tribunaux, mais aussi de répondre à un certain nombre d’interrogations, et amènera sans doute à penser autrement l’avenir de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je vous remercie d’avoir fait cet utile rappel. Dans notre dispositif, si l’on trouve une solution amiable, il n’y a pas de contribution ; cela favorise donc l’amiable.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL119 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Étant sensible à l’amendement qui sera proposé concernant le seuil de 250 salariés, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

Amendements CL563, CL565, CL566, CL569, CL571, CL584, CL573, CL581, CL582, CL583, CL585 et CL586 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Ce sont des amendements de repli, qui jouent tantôt sur le taux, tantôt sur le montant.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable, car il importe de ne pas dissuader ceux qui en ont le plus besoin de recourir à la justice. Une disposition trop générale et aveugle aurait pour effet de favoriser les gros auteurs de recours ou les grandes entreprises, ce qui me paraît contradictoire avec votre objectif.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL971 de M. Philippe Pradal.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Il vise à limiter l’exonération des personnes morales de droit public à l’État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis très favorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CL983 de M. Philippe Pradal, CL588, CL589, CL590 et CL591 de M. Philippe Schreck, CL479 de M. Emmanuel Mandon, CL592 de M. Philippe Schreck, CL522 de Mme Sandra Regol, CL610, CL611, CL613, CL614, CL616, CL617, CL618, CL625, CL627, CL629, CL631, CL604, CL605, CL621, CL623 et CL607 de M. Philippe Schreck (discussion commune).

M. Philippe Pradal, rapporteur. À l’initiative de M. Gosselin, il est proposé d’exonérer les entreprises les moins importantes. Le seuil serait fixé à 250 salariés.

M. Philippe Schreck (RN). Mes amendements vont probablement tomber si celui du rapporteur est adopté.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Il nous semble important de prévoir un autre cas d’exonération pour les très petites entreprises, compte tenu du contexte économique difficile et des crises à répétition auxquelles elles doivent faire face. Il ne faut pas restreindre leur accès à la justice économique : une contribution, même modeste, peut les dissuader de s’engager dans un contentieux déjà lourd et difficile pour elles.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Mon amendement fixe un seuil minimum de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires afin de protéger les petites et moyennes entreprises.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable aux amendements de M Schreck, ainsi qu’à celui de Mme Regol, qui me surprend car le seuil proposé ne correspond pas à une petite entreprise. Rappelez-vous Lacordaire : entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ! Il ne me paraît pas très équilibré d’exonérer une entreprise réalisant 49 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je propose au rapporteur de déposer un sous-amendement pour corriger ce point, car il serait dommage de renoncer à l’objectif pour une question de montant.

M. le président Sacha Houlié. Le rapporteur propose de fixer le seuil en nombre de salariés : la contribution serait due à partir de 250 salariés.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’amendement du rapporteur va dans le bon sens. Le seuil de 250 salariés est intéressant. Avis défavorable aux autres amendements.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je comprends le seuil de 250 salariés, mais il pose le problème des entreprises qui travaillent avec des prestataires extérieurs. Certaines entreprises agricoles réalisent ainsi un très gros chiffre d’affaires, tout en n’employant qu’un très faible nombre de salariés ; elles pourront de ce fait bénéficier de l’exonération.

La commission adopte l’amendement CL983.

En conséquence, les autres amendements tombent.

M. Philippe Gosselin (LR). Je n’ai pu soutenir mon amendement, qui était identique à celui du rapporteur, car j’étais en séance en train de défendre des amendements tout aussi importants sur un autre texte. Je plaide pour exonérer les entreprises de moins de 250 salariés. Cela rejoint la question du droit de timbre, qui nous divise régulièrement : la justice doit être gratuite, mais il faut pouvoir trouver des ajustements, sans remettre en cause ce principe.

L’amendement CL595 de M. Philippe Schreck est retiré.

Amendement CL597 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Il s’agit de rembourser la contribution au demandeur placé en procédure collective en cours d’instance. Les sociétés faisant l’objet d’un redressement judiciaire ou d’une procédure de sauvegarde ont besoin de capacités d’autofinancement pour assurer la continuité de leur activité et le maintien des salaires. Si cet événement regrettable arrive en cours de procédure, il paraît intéressant de rembourser la contribution au mandataire, au représentant des créanciers ou à l’administrateur.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’amendement que nous venons d’adopter exonère déjà les petites entreprises. Quant aux autres, votre amendement n’aurait que peu d’impact sur le sort final de la procédure collective. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL769 et CL770 de M. Philippe Pradal, rapporteur.

Elle adopte l’article 7 modifié.

La séance, suspendue à 11 heures 5, est reprise à 11 heures 20.

Chapitre II - Dispositions diverses relatives À la formation et À la responsabilitÉ des juges non professionnels

Avant l’article 8

L’amendement CL82 de Mme Pascale Bordes est retiré.

Article 8 (art. L. 1441‑11 et L. 1442‑14‑1 [nouveau] du code du travail) : Conditions de candidature aux fonctions de conseillers prud’hommes et régime disciplinaire applicable

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL939 et CL940 de M. Philippe Pradal, rapporteur.

Elle adopte l’article 8 modifié.

Article 8 bis A (nouveau) (art. L. 1442‑17 et L. 1442‑18 du code du travail) : Adaptation et ouverture de la procédure de relèvement d’incapacité aux conseillers prud’hommes réputés démissionnaires pour défaut de formation initiale

La commission adopte l’article 8 bis A non modifié.

Article 8 bis (nouveau) (art. 1421‑3 [nouveau] du code du travail) : Création d’une obligation de déclaration d’intérêts pour les conseillers prud’hommes

Amendement CL743 de M. Philippe Pradal.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Il vise à permettre aux conseillers prud’hommes de déposer leur déclaration d’intérêts dans un délai de six mois, et non deux.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 8 bis modifié.

Article 8 ter (nouveau) (art. 1441‑9 et 1442‑3 du code du travail) : Instauration d’une limitation du cumul des mandats de conseiller prud’hommes et d’une limite d’âge pour l’exercice de cette fonction

La commission adopte l’article 8 ter non modifié.

Article 8 quater (nouveau) (art. 1441-19 et 1441‑29 du code du travail) : Assouplissement des règles de parité femmes-hommes pour les listes de candidats aux fonctions de conseillers prud’hommes

La commission adopte l’article 8 quater non modifié.

Article 9 (art. L. 722‑6, L. 722‑11‑1 [nouveau] et L. 723‑5 [nouveau] et L. 723‑6 [nouveau] et L. 724‑1‑2 [nouveau] du code de commerce) : Sanction de l’obligation de formation des présidents de tribunal de commerce et du refus de siéger sans motif légitime des juges consulaires

La commission adopte l’amendement CL744 rectifié de M. Philippe Pradal, rapporteur.

Elle adopte l’article 9 modifié.

Article 10 (art. L. 218‑3, L. 218‑4, L. 218‑6, L. 218‑12 et L. 218‑13 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire) : Sanction par la démission d’office en cas d’absence de suivi de la formation initiale par les assesseurs de pôle sociaux

La commission adopte l’article 10 non modifié.

Article 10 bis (nouveau) (art. 251‑5 du code de l’organisation judiciaire) : Suppression de la prestation de serment pour les assesseurs des tribunaux pour enfants qui ont déjà exercé des fonctions judiciaires au sein d’un tel tribunal

La commission adopte l’article 10 bis non modifié.

titre IV – OUVERTURE ET MODERNISATION DE L’INSTITUTION JUDICIAIRE

Article 11 (art. L. 123-4 du code de l’organisation judiciaire, art. L. 123-5 du code de l’organisation judiciaire [nouveau], art. 706 du code de procédure pénale et art. 803-9 du code de procédure pénale [nouveau]) : Organisation de l’équipe autour du magistrat

Amendement CL422 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous sommes résolument opposés à la création d’attachés de justice pour pallier la pénurie de magistrats, tout comme nous l’étions à la création des assistants d’enquête dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Le Syndicat de la magistrature ne voit pas cette mesure d’un très bon œil, particulièrement en ce qui concerne la possibilité d’assister aux délibérés, dont le secret doit être préservé. Personne d’autre que les magistrats – et les auditeurs de justice, futurs magistrats – ne doit y participer.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis très défavorable. Il ne faut pas tout confondre. Dans le cadre de ce projet de loi, nous mettons en place un budget inédit, nous augmentons le nombre de magistrats et de greffiers. En créant des attachés de justice pour remplacer les juristes assistants et en les pérennisant dans leurs fonctions, nous permettons au magistrat de disposer d’une véritable équipe. Cela contribuera au bon fonctionnement de la justice. Je n’ai pas les mêmes retours que vous de la part des magistrats et des syndicats : ce sont des aides précieuses pour les magistrats, qui peuvent ainsi se recentrer sur leurs missions principales. Nous aurons une discussion sur leur participation au délibéré ou sur la délégation de signature, mais de façon générale, ils sont un atout précieux pour les magistrats.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis totalement défavorable à cet amendement. Avec les 2 000 contractuels que nous avons déjà recrutés, nous avons permis un déstockage des dossiers en matière civile de plus de 30 % au niveau national. C’est un résultat historique ! Les magistrats et les greffiers appellent de leurs vœux la constitution d’une véritable équipe. Ces contractuels sont tellement utiles que les chefs de juridiction m’ont tous demandé de les pérenniser. Je le fais : ils auront un CDI, ils prêteront serment et ils recevront une formation. On ne peut plus se passer d’eux, voilà la réalité !

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL930 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL938 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Cet amendement a pour objet de fixer dans la loi le niveau de recrutement des attachés de justice, lesquels devront être titulaires d’un bac+5 sanctionnant une formation juridique. Nous disposerons ainsi de juristes de grande qualité, qui apporteront une aide importante aux magistrats.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Sagesse : j’aurais souhaité que la condition de diplôme soit élargie aux titulaires de bac+4, et pas forcément limitée au seul domaine juridique. Dans la mesure où nous avons des ambitions importantes de recrutement d’attachés de justice, je souhaite pouvoir élargir le vivier des candidats.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Je maintiens l’amendement et propose d’étudier d’ici la séance la possibilité de l’élargir.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CL434 de Mme Pascale Bordes, CL679 de M. Jérémie Iordanoff et CL931 de M. Jean Terlier (discussion commune).

Mme Pascale Bordes (RN). Si je n’ai pas la moindre réticence concernant les attachés de justice, qui rendent des services incontestables, je considère qu’ils ne doivent pas prendre la place du juge. Le juge est celui qui décide et qui signe : je ne suis pas favorable à une délégation de signature dans toutes les matières.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Dans la rédaction actuelle, la délégation de signature s’appliquerait à l’ensemble des réquisitions, y compris concernant l’entrée dans un système d’information traitant de données nominatives. C’est un acte intrusif et attentatoire aux libertés, réservé au juge des libertés et de la détention. Cette confusion des rôles entre les attachés de justice et les magistrats nous paraît fortement problématique. Seuls les magistrats, qui disposent d’une garantie d’indépendance statutaire, doivent pouvoir effectuer ces actes. Nous proposons donc de supprimer la délégation de signature.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Mon amendement vise à réserver la délégation de signature aux matières civile et commerciale.

J’ai du mal à comprendre les amendements précédents. Une délégation de signature se fait systématiquement sous la responsabilité du magistrat. C’est à lui d’apprécier si son attaché est suffisamment compétent et expérimenté pour l’avoir. Les attachés de justice seront recrutés à bac+5 et vont monter en compétences. Enfin, la délégation de signature participe à l’objectif d’associer plus étroitement les attachés de justice à l’équipe autour du magistrat et de les valoriser, afin qu’eux-mêmes puissent accéder à terme à la magistrature. Avis défavorable sur ces amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Avis favorable à l’amendement du rapporteur général, défavorable aux autres.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je soutiens l’amendement du rapporteur général. C’est une délégation de signature et non une délégation de pouvoir. Il me paraît important que le magistrat puisse utiliser au mieux ses attachés de justice.

La commission rejette successivement les amendements CL434 et CL679, puis adopte l’amendement CL931.

Amendement CL121 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je suis plus réservée sur la présence de l’attaché de justice dans un délibéré. Il est très important que les magistrats se retrouvent entre eux, non pas pour cultiver l’entre-soi, mais pour pouvoir dire ce qu’ils pensent sans redouter une éventuelle fuite.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable. Le rôle des attachés de justice sera d’assister le magistrat. Dans le cadre du délibéré, ils l’aideront à cerner les tenants et aboutissants d’une décision à laquelle ils auront travaillé. Si l’on veut qu’ils montent en compétence, on ne peut pas les exclure des délibérés. Le secret du délibéré sera bien garanti, puisque les attachés de justice prêteront serment et seront tenus au secret professionnel.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je comprends et partage votre souhait de faire monter en compétence les attachés, pour qu’ils deviennent ensuite des magistrats. On pourrait toutefois envisager que cela reste à la discrétion des magistrats, que cela ne soit pas un droit des attachés de justice. Il faudrait, pour la séance, concevoir un dispositif permettant aux magistrats d’avoir la main sur leur présence ou non dans le délibéré.

M. Jean Terlier, rapporteur général. C’est déjà le cas : il s’agit d’une possibilité et non d’une obligation.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CL154 de Mme Cécile Untermaier.

Amendement CL480 de M. Emmanuel Mandon.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le débat sur les attachés de justice, les assistants spécialisés et le rôle de l’équipe autour du magistrat a montré que nous vivons une évolution importante, qui n’a sans doute pas fini de produire ses effets – du moins peut-on le souhaiter. On peut comprendre les réserves exprimées, par exemple en se rappelant ce qu’ont vécu les collaborateurs parlementaires lors de leur arrivée à l’Assemblée.

Dans sa recommandation n° 47, le plan Rouge vif pour améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales préconisait de mettre en place une équipe autour du juge, qui comprenne des personnes compétentes sur ces sujets. Nous souhaitons donc une spécialisation et une montée en compétences.

Le présent amendement prévoit ainsi l’affectation d’assistants spécialisés au sein des futurs pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, qui devraient être opérationnels au 1er janvier 2024.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Le plan Rouge vif est issu du rapport de notre collègue Émilie Chandler. La recommandation porte davantage sur l’affectation des futurs attachés de justice que sur celle d’assistants spécialisés, car le contentieux des violences intrafamiliales n’est pas complexe. Je comprends toutefois votre souci d’affecter spécialement des moyens humains pour le traiter. Je vous suggère de retirer l’amendement pour le retravailler et l’intégrer dans le rapport annexé.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je comprends le sens de l’amendement, mais j’en suggère le retrait, pour les mêmes raisons.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Nous le retravaillerons en ce sens d’ici à la séance.

L’amendement est retiré.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CL122 de Mme Cécile Untermaier.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL932 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL120 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il s’agit de restreindre la possibilité, pour les attachés de justice, de disposer d’une délégation de signature du magistrat dans sa mission juridictionnelle : celui-ci doit s’engager lui-même.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Je l’ai dit, la délégation de signature se fera évidemment sous la responsabilité du magistrat. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. La délégation de signature n’est pas une délégation de pouvoir, qui serait d’ailleurs inconstitutionnelle. Comme nous l’avons rappelé, il y a une équipe, et un chef d’équipe : le magistrat.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). C’est vrai, juridiquement, une délégation de signature n’est pas une délégation de pouvoir. Mais, dans la pratique, elle y ressemble étrangement, car le magistrat fait confiance à ses subordonnés : ce sont eux qui prennent la décision in fine. Le magistrat change d’office : il n’est plus celui qui décide, il devient celui qui supervise des décisions. On le place dès lors dans un rôle de manager plus que de praticien.

On peut défendre cela, mais ce n’est pas la position de notre groupe, qui s’oppose aux attachés de justice tels que vous les proposez. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion sur ce que l’on entend par « équipe » et sur le positionnement du magistrat. Il ne faudrait pas arriver à des équipes de dix attachés de justice qui font tout, le magistrat se contentant de mettre des coups de tampons et de faire un contrôle de supervision par échantillonnage !

Or, en l’état actuel du texte, pour « vider les stocks », puisque c’est votre enjeu, on pourrait imaginer que cela arrive.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Faites confiance aux magistrats ! Ce sont eux qui travailleront au quotidien avec les attachés de justice et qui détermineront, en fonction de leurs compétences et de l’expérience acquise, si une délégation de signature est possible, sous leur responsabilité. Cela participe d’une bonne justice.

Dans les amendements précédents, nous avons cherché à circonscrire les domaines et le cadre d’intervention dans lesquels ces délégations de signature pourront intervenir. Il faut laisser le juge en décider.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Cette vision du juge comme un apparatchik tamponneur est assez curieuse. Ce n’est pas la mienne, mais on ne peut évidemment pas être d’accord sur tout.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL933 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Elle adopte l’article 11 modifié.

Article 12 (art. L. 212-9 du code de l’organisation judiciaire [nouveau], art. L. 312-9 du code de l’organisation judiciaire [nouveau], art. L. 436-1 du code de l’organisation judiciaire [nouveau], art. L. 122-4, L. 221-2-2 et L. 222-3-1 du code de justice administrative [nouveaux]) : Participation des parlementaires au conseil de juridiction

Amendements identiques CL979 de M. Jean Terlier et CL123 de Mme Cécile Untermaier, et amendement CL417 de M. Ugo Bernalicis (discussion commune).

Mme Cécile Untermaier (SOC). Cet amendement important reprend l’avis du Conseil d’État considérant que le conseil de juridiction doit inclure des parlementaires et être identifié par la loi. Je défends depuis des années l’idée que les parlementaires doivent aussi travailler localement, dans des conseils de juridiction, pour avoir connaissance des difficultés et relayer ce qu’ils font au niveau national. C’est un véritable travail pendulaire que nous devons mener. Quant au conseil de juridiction, il doit faire confiance aux parlementaires. Je suis satisfaite que M. le rapporteur général ait déposé le même amendement.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’idée de mon amendement est d’inclure des parlementaires, mais pas uniquement, et de donner davantage de corps aux conseils de juridiction, pour la fixation de l’ordre du jour comme pour la publication des comptes rendus. Il s’agit que les citoyens sachent que de tels conseils existent et puissent se renseigner sur les débats qui s’y tiennent.

Au sein du conseil de juridiction du tribunal judiciaire de Lille, auquel j’ai participé plusieurs fois, les discussions sont intéressantes. Les pratiques sont toutefois hétérogènes dans l’ensemble du territoire. On sent que l’idée d’un tel conseil, auquel des parlementaires sont intégrés, est encore naissante et qu’il faut lui donner de la consistance. Ce n’est pas une énième réunion où l’on cultive l’entre-soi : il faut qu’un objectif en ressorte.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable à cet amendement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Ces questions sont fondamentales. Les conseils de juridiction ont été instaurés pour créer un échange entre l’autorité judiciaire et la cité. Il est bien normal que les parlementaires y participent.

Depuis que je suis garde des Sceaux, j’ai œuvré pour favoriser les échanges, au-delà de certaines mauvaises habitudes. Ainsi, j’ai souhaité ouvrir l’École nationale de la magistrature à d’autres horizons et à d’autres enseignements : elle comptera désormais des enseignants qui ne sont pas magistrats, alors que ce n’était pas le cas auparavant. De la même façon, je souhaite que les auditeurs de justice se rendent dans les points justice, à la rencontre des plus défavorisés de nos compatriotes. Cela procède du même état d’esprit et de la même cohérence.

Je suis donc très favorable à ce que les parlementaires se rendent auprès des magistrats et échangent avec eux.

La commission adopte les amendements identiques.

En conséquence, l’amendement CL417 tombe.

Amendement CL934 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Il vise à supprimer l’ajout du Sénat, qui crée une exception au principe selon lequel le conseil de juridiction n’exerce aucun contrôle sur l’organisation de la juridiction ou son activité juridictionnelle. Or, l’absence de contrôle est essentielle pour garantir la séparation des pouvoirs.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL935 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL980 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Cet amendement de précision a pour objet de permettre aux parlementaires d’être conviés au conseil de juridiction près de la cour d’appel, quel que soit l’ordre du jour.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL936 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL937 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. L’amendement revient sur un ajout du Sénat, qui prévoit la création d’un conseil de juridiction au sein des juridictions administratives ainsi que de la Cour de cassation.

S’agissant de la Cour de cassation et du Conseil d’État, il semble moins opportun d’avoir un dispositif rigide, eu égard au ressort qui est le leur. Quant aux juridictions administratives, leurs spécificités ne semblent pas nécessiter un tel dispositif.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Favorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je suis défavorable à la suppression des alinéas 14 à 39, car il semble intéressant d’étendre le principe des conseils de juridiction aux juridictions administratives. Je peux comprendre que cela soit plus compliqué pour le Conseil d’État ou la Cour de cassation, même si l’on pourrait instaurer un échange régulier avec la commission des lois par exemple.

Nous sommes invités chaque année aux audiences solennelles des tribunaux administratifs, qui sont des moments d’échange. Plutôt que cela se fasse autour d’un café à ces occasions, il pourrait être utile de normaliser un cadre de discussion, d’autant que les débats qui animent l’institution administrative sont au moins aussi intéressants que ceux de l’institution judiciaire. Les missions dévolues au juge administratif sont de plus en plus nombreuses, notamment sur la question des libertés individuelles et collectives, qui n’est pas étrangère à notre périmètre et à nos réflexions. Il y a là matière à avancer. Sur le contentieux des étrangers, par exemple, qui nous occupera lors de la prochaine session, il y aurait matière à échanges au sein du conseil de juridiction d’un tribunal administratif.

M. le président Sacha Houlié. Je rappelle que la commission des lois a institutionnalisé un échange avec le Conseil d’État, auquel M. Coulomme notamment a participé.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 12 modifié.

Article 12 bis (art. L. 211-16 du code de l’organisation judiciaire) : Correction d’une référence à un article abrogé

La commission adopte l’article 12 bis non modifié.

Chapitre II - JURIDICTIONS DISCIPLINAIRES DES OFFICIERS MINISTÉRIELS ET DES AVOCATS

Article 13 (art. 11 et 12, de l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels, et art. 22‑3 et 23 de la loi n° 71‑1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) : Juridiction disciplinaire des officiers ministériels et des avocats

Amendement de suppression CL411 de M. Ugo Bernalicis.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer cet article, qui prévoit que la présidence des juridictions disciplinaires des officiers ministériels et des avocats puisse être assurée par des magistrats honoraires, du fait du manque criant de magistrats.

Hier, nous sommes tombés d’accord sur la nécessité de réinvestir et de sauvegarder notre système de justice. Au moment où vous présentez un grand plan, avec 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires, vous ne pouvez pas gérer la pénurie avec des bouts de ficelle et demander à des magistrats honoraires d’assumer une telle présidence.

Dans la juridiction de Nantes, M. le ministre a annoncé le renfort de trois magistrats. Pourtant, l’effectif risque de rester constant en 2023, du fait des départs en retraite. Selon la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires, au moins 24 juges supplémentaires seraient nécessaires pour traiter les demandes – il reste 735 affaires en stock, soit près de 258 audiences. La juridiction devrait compter 186 magistrats pour être dans la moyenne de l’Union européenne, qui est de 17,7 magistrats pour 100 000 habitants. On en est très loin, et le président du tribunal judiciaire estime que Nantes est « en sous-effectif parmi les sous-effectifs ».

Le fait d’examiner l’article 1er à la fin, donc de ne pas discuter de l’attribution des postes et des financements, empêche de savoir comment seront traités les problèmes des juridictions en grande pénurie.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Votre argumentation, cher collègue, est loin de l’amendement. S’agissant du manque d’effectifs, la suppression que vous proposez semble contre-productive, puisqu’elle fait disparaître des mesures de coordination entre la loi organique et ordinaire qui sont nécessaires, mais n’aura pas pour effet d’empêcher la contribution des magistrats honoraires à l’institution judiciaire. Nous en débattrons lors de l’examen du projet de loi organique.

Les magistrats honoraires ont toute leur place au sein des juridictions disciplinaires des avocats et des officiers ministériels. Cela va dans votre sens, en permettant de disposer de davantage de magistrats, y compris à Nantes.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Toutes ces dispositions – l’extension des prérogatives de magistrats honoraires, les magistrats à titre temporaire, les voies de recrutement parallèle – résultent de ce que vous essayez par tous les moyens de trouver le plus grand nombre de magistrats en un temps très court. Je comprends cette logique, mais entendez aussi que notre conception des grands principes de la magistrature – l’inamovibilité, les garanties d’indépendance qui en découlent – y apporte des limites. On ne peut pas, sur la base de bons sentiments, faire entrer un maximum de gens dans l’institution judiciaire. Cela va trop loin.

D’autres solutions existent, que mon groupe défend depuis plusieurs années. Il faut ouvrir des antennes de l’École de la magistrature partout dans le pays, élargir les murs, augmenter la taille des promotions, pour disposer de magistrats supplémentaires dans trente et un mois. Nous avons eu des échanges à ce sujet avec le ministre, y compris par tweets interposés.

À la fin, on voit qu’on est à la traîne, et on finit par élargir les compétences des magistrats honoraires. Ce n’est pas la conception que nous défendons de l’arrivée de forces vives au sein de l’institution judiciaire.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement de coordination rédactionnelle CL760 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL767 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Il s’agit de la procédure de révocation du sursis assortissant la peine d’amende contre les commissaires de justice. L’article 16 de l’ordonnance du 13 avril 2022 ouvre la possibilité d’assortir de sursis la peine d’interdiction temporaire ou d’amende qui peut être prononcée contre les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, aux commissaires de justice, aux greffiers des tribunaux de commerce et aux notaires. Cet article inclut les modalités de révocation du sursis assortissant la peine d’interdiction temporaire, mais son III ne les prévoit pas pour la peine d’amende. L’amendement vise à corriger cette erreur de plume.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL495 de M. Davy Rimane.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Le présent amendement vise à organiser un conseil de discipline commun aux trois barreaux de Guyane, de Martinique ainsi que de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, pour éviter que les professionnels ne soient jugés par leurs pairs et pour renforcer l’impartialité et l’indépendance de cet organe.

M. Jean Terlier, rapporteur général. L’idée d’améliorer l’impartialité des conseils de discipline est louable, et celle d’un conseil de discipline commun pour des barreaux qui ne contiennent qu’un tribunal de petite taille est intéressante. Le dispositif mérite cependant d’être retravaillé d’ici à la séance, notamment pour s’assurer des modalités pratiques de réunion de ce conseil. Je vous propose donc de retirer l’amendement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. M. le rapporteur a raison de rappeler l’importance de l’impartialité ; pour ma part, j’insisterai sur l’apparence d’impartialité, qui est une exigence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’idée paraît donc bonne, mais les éloignements et les difficultés pour réunir le conseil de discipline soulèvent certains doutes. Je vous suggère de retirer l’amendement pour le retravailler d’ici à la séance.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Tout à l’heure, nous avons adopté un amendement en sachant qu’il n’était pas abouti. Cela nous engage à l’améliorer pour la séance afin d’aboutir à un dispositif qui tourne. Je propose de conserver cette pratique, qui semble plus respectueuse de l’initiative parlementaire et qui nous oblige par la suite. Trop d’engagements à retravailler des amendements ont été pris sans être suivis d’effets : dans ce cas, on se dit qu’on va rédiger une proposition de loi, ce qu’on ne fait pas non plus… La sagesse est plutôt d’adopter l’amendement, ce qui nous engage à le travailler pour la séance.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement de précision CL768 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Elle adopte l’article 13 modifié.

Après l’article 13

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL766 de M. Jean Terlier, rapporteur général, et l’article 13 bis est ainsi rédigé.

Article 14 (art. L. 113-4-1 [nouveau], L. 114-1, L. 114-2 et L. 223-20 [nouveau] du code pénitentiaire, art. 2 de la loi n° 2018-697 du 3 août 2018) : Dispositions concernant l’administration pénitentiaire

Amendement de suppression CL395 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous nous demandons comment améliorer la situation des surveillants pénitentiaires, qui travaillent dans des conditions très pénibles et dont le recrutement est difficile. M. le ministre a bien voulu leur accorder le passage en catégorie B : ils apprécient, mais font remarquer que sans révision de la grille indiciaire, cela n’aura pas beaucoup d’effet.

Surtout, vous proposez dans cet article de recourir à la réserve pénitentiaire. Il y aurait donc des surveillants pénitentiaires de 67 ans. Vous êtes vraiment complètement hors- sol ! Le pays a vécu des mois de mobilisation intense contre la réforme des retraites, qui institue un report de l’âge légal de départ à 64 ans. À ce jour, malgré les onze 49.3 et l’empêchement du débat parlementaire dans lequel nous avons été projetés par un déni de démocratie, les gens sont encore vent debout contre la réforme. Et vous faites encore plus fort ! Pour compléter des agents qui sont submergés par les tâches qu’ils doivent accomplir et qui travaillent dans des conditions de pénibilité extrême, notamment du fait de la surpopulation carcérale, vous proposez de recourir à des personnes ayant jusqu’à 67 ans ! Encore une fois, vous êtes entièrement en dehors de la réalité.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Je suis opposé à votre amendement pour plusieurs raisons. D’abord, je ne comprends pas votre opposition de principe à la réserve pénitentiaire, qui existe déjà. Lors des auditions, il est apparu qu’elle est utile et rend de nombreux services. Elle est évidemment fondée sur le volontariat. L’idée est d’en élargir le vivier potentiel. La limite est aujourd’hui fixée à cinq ans après la retraite, soit jusqu’à 57 ans le plus souvent, plutôt que 67, car les surveillants pénitentiaires partent à la retraite à 52 ans en moyenne. Il serait utile de bénéficier de l’expérience de ces personnes qui viendraient abonder la réserve pénitentiaire de façon volontaire. C’est un objectif que nous pourrions partager.

Ensuite, je vous rejoins sur la difficulté à recruter par le concours classique. Je rappelle que la réforme s’accompagnera d’une revalorisation statutaire sans précédent, ce qui incitera à passer le concours. Toutefois, passer un concours peut être rédhibitoire pour les jeunes générations. Le texte y remédie en créant le statut particulier de surveillant adjoint contractuel. Avec ce statut, ils intégreront le métier sous la surveillance de titulaires, ce qui leur permettra de se former et peut-être de tenter le concours. S’adapter à une nouvelle génération qui intègre de moins en moins l’idée de faire toute sa carrière dans une même administration va dans le bon sens.

Pour toutes ces raisons, avis défavorable.

M. Jordan Guitton (RN). Le Rassemblement national ne votera pas l’amendement de suppression de l’article. Nous soutenons en effet la réserve pénitentiaire jusqu’à 67 ans, sur la base du volontariat : elle est une nécessité. Dans l’administration pénitentiaire comme partout, des personnes souhaitent travailler et sont attachées à leur métier. Je ne m’opposerai pas à ce qu’elles intègrent la réserve pénitentiaire et, de façon volontaire, qu’elles donnent un coup de main car elles aiment leur métier.

L’article traite aussi de la généralisation du port de caméras individuelles, sur laquelle nous reviendrons.

Ce qui nous pose réellement problème dans cet article, c’est la contractualisation des surveillants adjoints de l’administration pénitentiaire. C’est cela que nous proposerons de supprimer.

M. Philippe Gosselin (LR). Les Républicains ne voteront pas non plus l’amendement de suppression. Il faut s’adapter à la réalité, celle des difficultés de recrutement et du manque d’attractivité de certaines professions. Les agents pénitentiaires n’échappent pas à la règle. Cela soulève d’ailleurs des questions pour les 10 000 postes prévus par le garde des Sceaux, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires : il faudra activer un peu tout le monde pour que toutes les professions soient attractives.

Compléter le dispositif par des réservistes ne semble pas une idée saugrenue : nous venons d’ailleurs de le voter pour les douanes en séance. On essaie d’étendre ce que l’on appelle la « garde nationale », on fait appel à des réservistes de la gendarmerie, de la police, des professions de santé. Tout ce qui peut permettre de prolonger ce mouvement va dans le bon sens. Quant aux 67 ans, la belle affaire ! Pour les militaires et certains réservistes, la loi de programmation militaire, que nous venons aussi de voter, a reculé la limite d’âge à 70 ans. Ne refaisons donc pas un débat sur les retraites, il est hors sujet.

Qu’il y ait besoin de contractuels, même si ce statut n’est pas le plus favorable, est aussi une réalité. C’est la Realpolitik, et il faut savoir s’adapter ou périr.

Mme Caroline Abadie (RE). Nous sommes bien sûr favorables à l’article 14, qui permettra d’aider l’administration pénitentiaire à pourvoir à ses besoins et à remplir ses missions. La première chose que nous disent les surveillants, c’est qu’ils ont besoin de monde dans les coursives et que le sous-effectif mine leur travail au quotidien. C’est une réalité à laquelle il faut faire face.

L’administration pénitentiaire recrute des surveillants et les forme à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), mais quand les promotions ne sont pas suffisamment remplies pour répondre à l’ensemble des besoins, même si on aurait aimé que les surveillants soient tous fonctionnaires, on doit quand même faire en sorte de pourvoir les postes. Le principe de subsidiarité prévaudra : on ne fera appel aux surveillants adjoints qu’en cas de carence. Ils seront ensuite encadrés dans leurs fonctions.

J’ai l’impression que l’on dramatise beaucoup la réserve. Toutes les administrations, même l’éducation nationale, en 2015, ont fini par se doter d’une réserve. Elle permet un engagement citoyen, qui peut être prolongé vers des métiers que l’on a envie d’exercer plus tard ou que l’on a exercé dans le passé. L’administration pénitentiaire, comme les autres administrations, a le droit de disposer d’un tel vivier de recrutement.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous sommes opposés à l’ensemble des dispositions de l’article 14.

Nous aussi, nous avons discuté avec les surveillants : ceux qui rejoignent la réserve pénitentiaire le font pour remplir le frigo, pas par plaisir ! Qui a envie de travailler à 67 ans ? Vous n’écoutez pas les gens !

Nous refusons donc que l’âge limite pour en faire partie soit porté à 67 ans. Quant au recours aux contractuels, c’est la solution que vous avez trouvée pour tous les services publics confrontés à des problèmes de recrutement. Si vous offriez des conditions de travail et des rémunérations dignes, ainsi qu’une reconnaissance, vous trouveriez spontanément des candidats aux concours. Enfin, nous contestons l’usage des caméras de surveillance, nous y reviendrons.

Ce n’est pas en mettant du mercurochrome sur une jambe de bois que vous réussirez à recruter le personnel nécessaire pour surveiller les 15 000 places supplémentaires que vous voulez construire.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Madame la députée, comme souvent, votre discours se résume à « y a qu’à, faut qu’on ». Vous avez toutes les solutions, mais vous n’en proposez aucune.

Les caméras protègent les surveillants pénitentiaires et, il faut le dire, la vérité. Elles peuvent aussi dissuader des agresseurs potentiels.

Quant aux contractuels, permettez-moi de rappeler que c’est moi qui ai permis que les surveillants de catégorie C passent en catégorie B et que le commandement passe en catégorie A. Cela fait plus de vingt ans que l’administration pénitentiaire réclamait cette réforme, mais cela, vous n’avez pas envie de le dire.

Enfin, vous voulez jouer la énième manche du match sur les retraites, mais quand allez-vous laisser les gens faire ce qu'ils ont envie de faire ? Figurez-vous que certaines personnes souhaitent intégrer la réserve ! Monsieur Mélenchon a 72 ans, est-ce que vous lui interdisez quoi que ce soit ? Les magistrats exerçant à titre temporaire veulent travailler jusqu’à 75 ans, et je ne parle pas des avocats : combien sont en activité à 75, voire 80 ans ? Pensez à Henri Leclerc, qui a bientôt 90 ans : quel avocat !

Je vous fais une confidence : mon grand-père, qui était ouvrier d’usine, n’a pas supporté d’avoir arrêté de travailler. Tous les jours, il prenait sa musette et se rendait dans son ancienne boutique en regrettant d’avoir pris sa retraite.

Vous avez sans arrêt le mot « liberticide » à la bouche, mais laissez les gens vivre ! Ceux qui rejoignent la réserve le font parce qu’ils en ont envie, et leur choix aide l’administration pénitentiaire : nous devrions tous nous en féliciter. C’est étonnant, à quel point l’idéologie vous éloigne de la réalité. Et c’est vous qui reprochez aux autres d’être hors-sol, c’est fantastique !

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL181 de M. Jordan Guitton et CL403 de M. Ugo Bernalicis.

M. Jordan Guitton (RN). Nous souhaitons supprimer les alinéas autorisant le recours aux contractuels.

La réforme des statuts, qui entre en vigueur au 1er janvier 2024, pourrait s’avérer une fausse bonne idée. La hausse des rémunérations est bienvenue pour améliorer l’attractivité du métier. En revanche, en passant de la catégorie C à la catégorie B, vous risquez de vous priver du vivier que constituent les personnes n’ayant pas le baccalauréat – 20 % en 2019 selon l’Insee. À titre d’information, 40 % des surveillants pénitentiaires n’ont pas le baccalauréat. Cet écueil vous oblige à envisager le recrutement de contractuels.

Dans un métier si particulier, très dur et très pénible, nous avons besoin de personnels impliqués à long terme – j’en rencontre souvent dans ma circonscription, qui compte de nombreux établissements pénitentiaires. De ce point de vue, la contractualisation n’est pas la solution : elle offre des perspectives à court terme seulement, et elle risque de détourner des candidats qui auraient pu devenir titulaires. Il faut maintenir le recrutement de fonctionnaires et augmenter leurs traitements.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Ce dispositif, qui est calqué sur celui de la police nationale, soulève de nombreuses questions, parmi lesquelles le choix de confier des prérogatives à des personnes insuffisamment formées.

Les adjoints de sécurité avaient été créés sous Lionel Jospin dans le cadre des emplois-jeunes, non pour pallier une pénurie de personnels, mais pour élargir le vivier de recrutement et rapprocher la jeunesse de la police.

Aujourd’hui, vous peinez déjà à trouver du personnel pour les prisons existantes. Comment ferez-vous pour surveiller les 15 000 places supplémentaires ? La baisse des qualifications est inévitable. Ces métiers de plus en plus rudes demanderaient pourtant davantage de formation et de rémunération, mais ce n’est pas la voie que vous avez choisie.

Quant à la réforme statutaire, je pense que c’est un attrape-nigaud – je ne vais pas me faire que des amis parmi les syndicats de la fonction publique en disant cela. En passant d’une catégorie à l’autre, certes vous gagnez en considération et en prestige mais, en ce qui concerne les rémunérations, ce n’est pas le Pérou. Il aurait mieux valu augmenter les grilles indiciaires des catégories B et C, d’autant que la réforme a pour conséquence de brouiller la répartition des compétences – chaque catégorie correspond normalement à un niveau de responsabilités, lequel implique un niveau de rémunération.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Monsieur Guitton, vos collègues du Rassemblement national l’ont entendu au cours des auditions, les concours classiques souffrent d’un déficit de candidatures depuis plusieurs années. Le passage de catégorie C en catégorie B n’est qu’une partie de la réponse à ce problème. Face à la triste réalité du manque d’attractivité de ces métiers, il faut imaginer d’autres solutions. Les contractuels, je le rappelle, n’ont pas vocation à se substituer aux surveillants titulaires, ils viendront combler les places laissées vacantes par les concours. Cela constitue, à mon sens, une garantie.

La contractualisation permettra aussi d’attirer des jeunes qui n’ont pas d’appétence particulière pour les concours, ou qui ne veulent pas prendre le risque d’être affectés loin de leur territoire d’origine.

Monsieur Bernalicis, les surveillants adjoints ne remplaceront pas les surveillants pénitentiaires dans leurs fonctions. L’étude d’impact le dit, et le ministre prendra certainement des engagements en ce sens, les contractuels travailleront en binôme avec les titulaires ; leurs prérogatives seront clairement définies et limitativement énumérées : le « binômage » en détention, les opérations de fouilles sectorielles de la cellule, sous la responsabilité d’un surveillant titulaire, les écoutes téléphoniques réalisées dans l’établissement, ou encore la surveillance vidéo.

Ces éléments devraient être de nature à vous rassurer sur la pertinence de la création du poste de surveillant adjoint contractuel.

M. le président Sacha Houlié. Satisfaire aux obligations syndicales aurait pu valoir un peu de reconnaissance pour ce qui concerne le passage de catégorie C à catégorie B des agents de l’administration pénitentiaire.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Guitton, pourquoi avons-nous fait droit à une demande ancienne en modifiant les catégories ? Parce que les personnels pénitentiaires déploraient de ne pas être logés à la même enseigne que ceux de la police, alors qu’ils représentent la troisième force de sécurité du pays – je l’ai entendu vingt fois dans mes déplacements.

Contrairement à ce que dit monsieur Bernalicis, la grille indiciaire sera évidemment modifiée. Les personnels ne vont pas se contenter d’une lettre, ils ne sont pas sots ! – c’est pourquoi l’expression « attrape-nigaud » est complètement inadaptée. Ils bénéficieront des avantages inhérents au passage à la catégorie supérieure.

Les députés de La France insoumise sont contre tout. Puisqu’ils sont contre la construction des prisons, ils sont aussi contre le recrutement parallèle. Moi, j’ai besoin de surveillants pénitentiaires pour les prisons que je construis. Je prévois donc des contractuels, qui auront une voie d’accès privilégiée au concours de surveillant, sachant que les surveillants adjoints n’exerceront pas les mêmes fonctions que les titulaires. Voilà comment les détenus qui seront transférés dans les nouveaux établissements pénitentiaires resteront sous main de justice.

La voie contractuelle permettra aussi de profiter d’une ressource humaine de proximité – les personnes habitant près des établissements pénitentiaires qui sont répartis sur le territoire.

Enfin, le recrutement de contractuels ne signifie pas une contractualisation de la mission pénitentiaire, qui restera naturellement une mission régalienne essentielle.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je voulais appeler votre attention sur un sujet qui n’a pas été abordé : la corruption en milieu pénitentiaire. J’ai rencontré récemment un surveillant pénitentiaire qui m’expliquait que les détenus cherchent à exploiter toutes les failles personnelles des surveillants. Il s’inquiétait du possible recrutement de contractuels, qui seront moins formés et, sans doute, dans des situations plus précaires. C’est un argument qui mérite d’être versé au débat.

M. Éric Poulliat (RE). Certains propos dénotent une vision quelque peu archaïque de la fonction publique. Surveillant pénitentiaire, c’est un métier exigeant, pas facile au quotidien. Il n’est pas absurde de le découvrir par la voie contractuelle, qui est d’ailleurs un bon moyen d’intégrer la fonction publique – nous l’avons démontré dans la loi de 2019 de transformation de la fonction publique, qui favorise les allers-retours entre le public et le privé et encourage la découverte des métiers publics pour susciter des vocations.

Les lois Sapin – ministre de gauche ! – et Sauvadet ont très intelligemment permis de faire des contractuels de bons fonctionnaires. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas poursuivre dans cette voie.

M. Jordan Guitton (RN). Les surveillants pénitentiaires sont très mobiles ; ils ont souvent travaillé dans plusieurs établissements pénitentiaires dans des territoires différents. La voie contractuelle n’offre pas de garantie d’emploi à moyen terme, ce qui peut empêcher d’obtenir un prêt, de fonder une famille, etc. Faute de perspectives de carrière, les candidats potentiels pourraient renoncer à s’engager. Compte tenu des difficultés de pouvoir d’achat de nos compatriotes, on pourrait imaginer un contrat à durée indéterminée qui donne quelques certitudes économiques.

Nous sommes évidemment favorables à l’augmentation du nombre de prisons et de surveillants pénitentiaires. Nous ne nous opposerons donc pas aux mesures qui y contribueront, mais ce point particulier pose problème.

M. Jean Terlier, rapporteur général. L’étude d'impact précise que « les surveillants contractuels se verraient proposer, au cours de leur contrat, une voie d’accès privilégiée au concours de surveillant ». L’existence de ce concours passerelle devrait apaiser votre inquiétude légitime.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL949 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL396 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Le ministre ne nous écoute pas. Contrairement à ce qu’il dit, nous avons des propositions : la révision des grilles indiciaires, l’affectation des moyens aux recrutements plutôt qu’aux nouvelles prisons…

Non seulement nous ne sommes pas contre tout, mais nous sommes pour plein de choses : pour le bien-être au travail, pour le bonheur, pour le droit de profiter de la vie, du soleil et de ses petits-enfants à partir de 60 ans – d’où notre contre-projet sur les retraites… Nous sommes donc, oui, contre le fait de travailler jusqu’à 67 ans !

M. Jean Terlier, rapporteur général. Nous aussi, nous sommes pour le bien-être, le bonheur et la liberté laissée à chacun de travailler s’il en a envie.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Moi aussi, je suis pour le bonheur et le soleil, contre la guerre et la maladie. Vous n’avez pas l’exclusivité…

M. le président Sacha Houlié. S’agissant du bien-être au travail, un accord-cadre doit être conclu par la Chancellerie avec l’ensemble des professions pour revaloriser leur statut et leur rémunération.

M. Jordan Guitton (RN). On peut défendre un droit à la retraite – et nous sommes nombreux à l’avoir fait dans l’hémicycle – et en même temps la réserve, qui n’est pas une obligation. Si cela peut intéresser des retraités ayant une pension modeste ou désireux de continuer à exercer un métier qui les passionne, pourquoi les en empêcher ? Notre société est déjà suffisamment liberticide. De surcroît, les réservistes pourront apporter leur expérience et former les jeunes. Cet amendement est vraiment contre-productif.

M. Ian Boucard (LR). On parle ici d’un choix. Nous ne savons pas si vous êtes contre tout ou si vous êtes pour rien, mais une chose est sûre, vous n’êtes pas pour la liberté. C’est terrifiant.

Si demain, à 65 ans, je veux rejoindre la réserve, ce n’est pas à vous de me l’interdire. Il n’est pas question dans ce texte d’imposer à tous les gardiens de prison de faire partie de la réserve jusqu'à 67 ans – j'y suis totalement défavorable, comme je l’étais à la réforme des retraites – mais de permettre à ceux qui en ont envie de l’intégrer !

Je vous invite à être pour la liberté, un concept simple sur lequel nous pourrions nous accorder.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL951 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendements identiques CL324 de Mme Emeline K/Bidi et CL404 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Il s’agit de supprimer les dispositions relatives au port des caméras individuelles par les agents des services pénitentiaires.

Le projet de loi prévoit de généraliser une expérimentation qui devait être menée pendant trois ans et qui finalement n’aura duré que huit mois. Les résultats sont on ne peut plus mitigés, en dépit des efforts d’un rapport pour tordre les chiffres et aboutir à une conclusion favorable à la généralisation.

L’analyse de l’Observatoire international des prisons (OIP) montre que l’expérimentation ne révèle rien, et surtout pas une amélioration des conditions de travail des agents, ni une diminution du nombre d'incidents rapportés en prison. Ainsi, sur près de 64 500 caméras portées, seuls 2 564 enregistrements ont été déclenchés et 30 ont été exploités, dont 80 % à des fins de formation pédagogique des agents. On est bien loin de la formidable avancée à laquelle vous voulez faire croire.

Le déploiement des caméras, qui, selon les retours de terrain, ne fonctionnent pas bien, coûtera des millions d’euros Le dispositif est particulièrement attentatoire aux libertés, puisque la caméra est déclenchée uniquement à la demande de l’agent. Si la caméra filmait en continu, nous pourrions y voir une certaine équité : elle pourrait aussi servir aux détenus lorsqu’ils dénoncent les comportements de certains agents. Mais il n’en est rien, ce sont les agents qui décideront de priver les détenus du peu de liberté et d’intimité qui leur restent.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). On ne peut pas tirer de leçon positive d’une expérimentation qui n’a pas été menée jusqu’à son terme – huit mois au lieu de trois ans !

De surcroît, les résultats sont mauvais : 64 500 caméras ont été portées, 2 564 enregistrements ont été réalisés et seulement 30 ont été exploités, dont 80 % à but pédagogique. Comment voulez-vous apprécier l’efficacité de l’expérimentation ?

Par ailleurs, le déclenchement de la caméra reste à la discrétion de l’agent. Je prends un exemple hors de l’administration pénitentiaire, celui des centres de rétention administrative, dans lesquels, on le sait, il est fait un usage très sélectif des caméras : à Vincennes, les associations reçoivent des plaintes liées à l’absence de caméras pour filmer des séances qui comportent pourtant des risques de violence, y compris entre détenus !

Nous nous opposons à un dispositif aussi discrétionnaire et coercitif. Il faudrait une expérimentation sur le long terme. Les exemples anglais, écossais ou gallois, et toute la littérature internationale le montrent : ces caméras, pas plus que la vidéosurveillance dans la rue, n’apportent rien, contrairement à ce que veut nous faire croire ce gouvernement très sécuritaire. Nous proposons de retravailler cette idée, pourquoi pas en filmant de manière continue – en espérant que les serveurs de l’État seront assez solides pour accueillir toutes les données. Cela éviterait de fausser les résultats.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable. Si vous aviez assisté aux auditions, vous auriez pu entendre l'ensemble des syndicats de surveillants pénitentiaires soutenir la généralisation des caméras, ne vous en déplaise. Je tiens à votre disposition les contributions, y compris de la CGT et de FO, qui vont en ce sens. Vous gagneriez peut‑être à écouter ce que pensent les utilisateurs des caméras pour nourrir votre réflexion.

La généralisation de l’expérimentation est attendue par les surveillants pénitentiaires. Les interventions seront plus apaisées, dès lors que les éléments de preuve seront plus nombreux en cas de difficulté entre un surveillant et un détenu. Les surveillants pourront ainsi exercer leur fonction dans de meilleures conditions de sécurité.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’anathème est lancé : le Gouvernement est ultra sécuritaire ! Mais vous oubliez les structures d’accompagnement vers la sortie, les projets Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi, ou encore les modules Confiance. Vous oubliez tout ce qui vous arrange.

Il y a un chiffre que – vous ne voulez pas donner, et c’est le seul qui m’intéresse : le nombre d’agressions évitées. Nous ne l’aurons jamais. C’est la même chose pour le bracelet anti-rapprochement, qui a donné lieu à 3 600 interventions : avez-vous déjà vu à la une d’un journal qu’une agression n’a pas été commise ? Et bien non.

Les caméras sont au service de la sécurité de nos agents pénitentiaires et de la vérité. Elles évitent des agressions et sont de nature à pacifier les situations.

L’OIP peut écrire ce qu’il veut, je le respecte infiniment, mais après avoir entendu les surveillants pénitentiaires, je peux vous assurer que vous êtes totalement hors-sol, pour reprendre une expression que vous aimez appliquer aux autres.

M. Jordan Guitton (RN). L’agent doit signaler l’activation de la caméra : le détenu est donc informé. Les deux parties sont de fait sur un pied d’égalité.

Ensuite, vous pouvez sortir tous les chiffres que vous voulez, ils importent peu face à l’utilité des caméras. L’exploitation à des fins pédagogiques, que vous moquez, a son utilité. Et en cas de violence, les images des caméras facilitent largement le travail de la justice et la recherche de la vérité. Dans des cas minoritaires, elles peuvent aider à vérifier les faits qui sont reprochés à des surveillants pénitentiaires. Sans vidéosurveillance, c’est la parole du surveillant pénitentiaire contre celle du détenu. La vidéoprotection protège tout le monde.

Vous êtes souvent opposés au recours aux nouvelles technologies dans le domaine de la justice, alors que celles-ci offrent une protection à un grand nombre de personnes.

M. Ian Boucard (LR). Nous avons déjà eu ce débat lorsqu’il s’est agi d’équiper les polices nationale et municipale – La France insoumise s’y opposait pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui.

Les caméras protègent d’abord l’agent – car le détenu hésitera à passer à l’acte – mais aussi le détenu.

Évidemment, leur usage doit être laissé à la discrétion de l’agent. Je ne fais pas partie de ceux qui mettent à égalité les surveillants, qui assurent la sécurité, et les détenus, qui sont là parce qu’ils ont commis des délits ou des crimes. Lors de l’examen de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, vous mettiez déjà un signal égal entre le fonctionnaire de police qui risque sa vie et le délinquant qui lui jette un pavé. Nous ne l’admettrons jamais. Cela m’inquiète, cinq ans plus tard, de l’entendre à nouveau. Tout cela n’est pas très républicain.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je le répète, la France manque singulièrement d’études scientifiques sur le sujet. Un gouvernement responsable ne manquerait pas d’en commander pour étayer sa position politique.

Les études internationales montrent que le bilan de l’utilisation des caméras est au mieux nul, au pire négatif. Celle-ci peut avoir pour conséquence non seulement d’aggraver la tension dans des situations déjà compliquées, mais aussi de déshumaniser les fonctionnaires dans leurs relations avec les usagers.

Notre opposition de principe est nourrie des sciences humaines, auxquelles vous n’accordez guère de crédit. Pour notre part, nous considérons qu’elles sont une boussole intéressante pour faire évoluer la société.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Bernalicis, pouvez-vous me communiquer les études scientifiques internationales que vous évoquez ? Je ne les connais pas, et pourtant, je me renseigne… Sur chaque sujet, vous faites état d’études que nous n’avons pas lues et nous passons pour des ignorants. Je finirai par me demander si ces études existent...

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL952 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL183 de M. Jordan Guitton.

M. Jordan Guitton (RN). Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Je serais plutôt défavorable, mais je m’engage à vérifier avant la séance.

L’amendement est retiré.

Amendement CL125 de M. Roger Vicot.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous sommes favorables à l’équipement des surveillants, mais nous souhaiterions que l’enregistrement soit déclenché dans toutes les situations où les personnels pénitentiaires sont susceptibles d’entrer en contact physique avec les personnes détenues. Nous voulons ainsi éviter un choix opportuniste de certains agents.

M. Jean Terlier, rapporteur général. J’y serais plutôt favorable, mais votre amendement ne prévoit pas le cas des fouilles, qui sont exclues du dispositif pour des raisons évidentes de respect de la dignité de la personne humaine. Demande de retrait, afin de réfléchir à une rédaction excluant ce cas.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL953 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL171 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin (LR). Il s’agit de prévoir un dispositif d’information spécifique à destination des mineurs incarcérés, qui constituent un public particulièrement vulnérable.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Je suis d’accord avec vous sur le fait que la situation des mineurs est un peu différente. Mais vous proposez de les informer du déclenchement d’un enregistrement, ce qui est aussi intelligible pour un mineur que pour un majeur. En outre, je ne vois pas bien quelle forme pourrait prendre cette information spécifique. Demande de retrait.

M. Philippe Gosselin (LR). Je ne prétends pas que c’est simple. C’est bien pour cela – et aussi parce que j’estime que la loi ne doit pas rentrer dans les détails – que l’amendement renvoie les modalités d’application à un décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, comme prévu à l’alinéa 21 de cet article.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Il faudrait vérifier avec les services de la Chancellerie comment cet objectif, auquel je suis favorable, peut être atteint.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis particulièrement sensible au fait que vous reconnaissiez que les mineurs sont vulnérables. Ce n’est pas toujours dit et je retiens cette phrase. Pour le reste, demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL124 de Mme Cécile Untermaier.

M. Hervé Saulignac (SOC). Cet amendement prévoit qu’une information est délivrée dès que possible aux personnes filmées.

Il s’agit d’appliquer à l’administration pénitentiaire les mêmes règles que celles qui sont déjà prévues pour l’utilisation des caméras individuelles par les forces de sécurité intérieure et les polices municipales. Le déclenchement de la caméra doit être précédé d’une information de la personne filmée, sauf bien entendu si les circonstances ne le permettent pas.

M. Jean Terlier, rapporteur général. C’est un amendement intéressant. Je suis plutôt favorable à la première partie, qui prévoit avec bon sens que l’information intervient « dès que possible ». Mais je suis plus réservé sur la seconde, qui indique que cela doit être le cas « au plus tard au terme de l’intervention », car cela pose des difficultés opérationnelles. Demande de retrait, pour le retravailler en vue de la séance.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Avis défavorable.

M. Hervé Saulignac (SOC). On nous dit toujours que nos amendements sont intéressants, mais on nous demande de les retirer ! Nous allons donc maintenir celui-ci et nous le retravaillerons pour la séance.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL185 de M. Jordan Guitton.

M. Jordan Guitton (RN). Cet amendement de bon sens propose que chaque établissement pénitentiaire mentionne dans son règlement intérieur le recours possible à des caméras individuelles. Cela va mieux en l’écrivant.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Avis défavorable également, d’autant plus qu’il me revient d’organiser une information générale au sein des établissements pénitentiaires et auprès de l’ensemble des publics concernés. Votre amendement tend à supprimer cette information qui existe, au profit d’une simple mention dans le règlement intérieur.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL948 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL518 de Mme Sandra Regol.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). La première phrase de l’alinéa 17 dispose que « Les personnels auxquels les caméras sont confiées ne peuvent avoir un accès direct aux enregistrements auxquels ils procèdent. » Cela relève du bon sens.

Le problème vient de la deuxième phrase, qui prévoit une longue liste d’exceptions. Une différence très claire apparaît entre les détenus et les surveillants en ce qui concerne l’accès direct aux enregistrements. Cela nous paraît absolument contradictoire avec le fait que les images sont destinées à dévoiler la vérité, comme vous l’avez indiqué.

À défaut d’enregistrement en continu ou de possibilité accordée au détenu de déclencher lui-même l’enregistrement, il faut que les surveillants n’aient pas accès aux images. C’est le minimum.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable. Votre amendement est contre-productif, car l’alinéa que vous souhaitez supprimer a été ajouté à la demande du Conseil d’État. Ce dernier a estimé que ces dispositions sont de nature « à rendre plus efficace et plus protecteur, au regard des finalités poursuivies, l’usage des caméras individuelles, en permettant d’assurer une capacité de contrôle à distance et un meilleur encadrement des interventions les plus délicates, sans affaiblir les garanties dont il doit être assorti. »

En outre, l’alinéa 19 prévoit que « Les caméras sont équipées de dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité des enregistrements jusqu’à leur effacement et la traçabilité des consultations lorsqu’il y est procédé dans le cadre de l’intervention. »

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je ne comprends pas bien l’avis du Conseil d’État. L’activation ou le suivi à distance n’ont rien à voir avec le fait que l’agent qui porte la caméra individuelle puisse aller consulter l’enregistrement.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL954 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL406 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Cet amendement a pour objet d’autoriser les détenus et leurs avocats à avoir accès aux images enregistrées, afin qu’elles puissent être utilisées lorsque l’interprétation de certains faits donne lieu à des différends.

On sait bien qu’une asymétrie persistera avec les personnels pénitentiaires et nous la critiquons, mais il s’agit d’un amendement de repli.

M. Jean Terlier, rapporteur général. L’amendement est satisfait, puisque les enregistrements sont versés au dossier dans le cadre de poursuites administratives, judiciaires ou disciplinaires. Les détenus et leurs avocats ont alors accès à ces enregistrements.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Mais il y a une différence entre disposer d’un accès direct aux enregistrements et pouvoir le faire seulement après avoir exigé l’ouverture d’une enquête. Dans le second cas, il existe un filtre préalable. Et le magistrat peut d’ailleurs classer sans suite en estimant qu’il n’y a pas assez d’éléments probants dans la plainte – alors même que ces éléments sont dans ledit enregistrement.

Il faut donc prévoir pour le détenu ou son avocat un droit d’accès direct qui puisse être exercé préalablement à l’engagement d’une démarche judiciaire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL203 de M. Jordan Guitton.

M. Jordan Guitton (RN). Pour plus de clarté, cet amendement prévoit que les images captées sont systématiquement transmises en temps réel à la cellule de crise de l’établissement pénitentiaire. En l’état, il s’agit d’une faculté.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable. Tout dépend des situations de crise, de leur gestion et des possibilités d’intervention. Il faut faire confiance aux personnels pénitentiaires pour gérer ces situations avec discernement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL186 de M. Jordan Guitton.

M. Jordan Guitton (RN). Cet amendement rédactionnel vise à supprimer à l’alinéa 18 la répétition d’une formule qui figure déjà à l’alinéa 12.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL204 et CL205 de M. Jordan Guitton, et amendement CL520 de Mme Sandra Regol (discussion commune).

M. Jordan Guitton (RN). L’amendement CL204 vise à porter de trois à douze mois la durée de conservation des enregistrements audiovisuels qui n’ont pas été utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire. Il faut conserver le plus longtemps possible des images qui pourraient servir dans le cadre d’une instruction ou d’une enquête. Douze mois me paraît être un bon compromis.

L’amendement CL205 est un amendement de repli.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’amendement CL520 propose d’aligner le délai de conservation des images sur le droit commun.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable. Le délai avait initialement été fixé à six mois et il a été réduit à trois mois à la demande du Conseil d’État. Il ne me semble donc pas pertinent de l’allonger à douze mois.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte les amendements rédactionnels CL955 et CL950 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CL656 de M. Romain Baubry.

Amendement CL680 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le Sénat a adopté un amendement qui introduit une procédure alternative aux poursuites disciplinaires dans le code pénitentiaire. L’objectif est d’autoriser les chefs d’établissement à engager des procédures infradisciplinaires pour des faits de moindre gravité. Les conditions d’application doivent être déterminées par un décret en Conseil d’État, mais rien n’est précisé en ce qui concerne son contenu. Cela risque de laisser une trop grande marge de manœuvre aux directeurs de prison, avec des renvois au règlement intérieur.

Comme il s’agit tout de même d’affaires disciplinaires, notre amendement propose que le décret précise notamment le contenu des manquements, les différentes alternatives aux poursuites qui peuvent être proposées, la composition de la commission disciplinaire et la procédure applicable, au cours de laquelle la personne doit pouvoir être assistée d’un avocat.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL410 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’amendement demande au Gouvernement un rapport sur le fonctionnement des comparutions immédiates, leurs conséquences sur l’accroissement des incarcérations et ce que cela implique tant pour les tribunaux que pour la surpopulation carcérale.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 14 modifié.

 

Deuxième réunion du jeudi 22 juin 2023 à 14 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/zJtIvS

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

M. le président Sacha Houlié. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

Après l’article 14

Amendement CL286 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport étudiant la capacité d’atteindre un taux d’encellulement individuel de 100 % en suivant un mécanisme de régulation carcérale.

Hier soir, nous sommes tombés d’accord qu’il faut lutter contre la surpopulation carcérale. De l’avis de notre groupe, qui travaille sur ce sujet, rien ne sert de construire des prisons, il faut travailler sur la régulation carcérale en révisant l’échelle des peines. On nous objecte toujours qu’une telle révision n’est pas possible ; le rapport demandé permettrait d’avoir une vision objective de sa faisabilité.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Cette demande de rapport porte sur un sujet dont nous avons longuement débattu hier soir, jusqu’à une heure tardive. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL408 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous demandons un rapport comparant notre système aux autres modèles européens. Chez nous, le taux moyen d’occupation des prisons est de 143 %, voire 200 % dans certaines prisons.

Sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, 120 infractions passibles de peines d’emprisonnement ont été créées ou durcies. Ce n’est pas ainsi que nous réduirons la surpopulation carcérale. Lorsque nous avançons des chiffres, on nous rétorque que nous sommes dans le fantasme. Le rapport que nous demandons permettrait de disposer d’un document officiel offrant une vision objective des choses.

L’avis défavorable sur l’amendement précédent reposait uniquement sur le fait que nous avons abordé le sujet hier soir. C’est un peu court.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Vous formulez une demande de rapport en inversant la charge de la preuve, si je puis dire. Une telle demande doit être étayée par des éléments pertinents un peu plus nourris que de simples affirmations un peu surréalistes, telles que celle consistant à dire que 120 infractions punies de peines d’emprisonnement ont été créées ou durcies. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. Vous souhaitez que le Gouvernement remette au Parlement un rapport – un de plus – sur la décroissance pénale offrant une comparaison entre le système français et les autres modèles européens. La politique que nous mettons en œuvre vise à lutter contre la surpopulation carcérale, en agissant sur le champ immobilier, notamment par la construction de places nettes de prison, et sur les alternatives à l’incarcération.

De façon générale, le Gouvernement n’est pas favorable à la multiplication des rapports. Le Parlement dispose des prérogatives que lui confère l’article 24 de la Constitution, notamment celles de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques, en cette matière comme en toute autre. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Sur la base des exemples européens que nous avons étudiés dans le cadre de la mission d’information sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale, j’alerte sur les effets de la décroissance pénale et de la décroissance carcérale sur les personnels pénitentiaires.

Faute d’avoir examiné l’article 1er, il est difficile d’évaluer les améliorations dont ils bénéficieront. Quoi qu’il en soit, il faut avoir conscience de l’effet de la surpopulation carcérale sur leurs conditions de travail. Si on les emmenait voir celles de certains de leurs homologues européens, ils se mettraient sans doute en grève un peu plus souvent !

Quand on constate qu’un gardien néerlandais supervise douze détenus, on n’a pas tellement envie de poursuivre l’étude, tant ce chiffre nous fait mal, à nous dont les effectifs sont calculés d’après les effectifs théoriques et non d’après les effectifs réels. J’espère que l’article 1er prévoira des moyens supplémentaires pour les personnels pénitentiaires.

La commission rejette l’amendement.

Avant l’article 15

La commission adopte l’amendement de clarification CL757 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

 

TITRE V
DISPOSITIONS RELATIVES AU DROIT CIVIL ET AUX PROFESSIONS

Article 15 (articles L. 342-1, L. 342-4 à L. 342-7, L. 342-9, L. 342-11, L. 342-12, L. 342-16, L. 342-17, L. 343‑3, L. 343-10, L. 343-11, L. 352-7, L. 614-13, L. 733-7 à L. 733-11, L. 741-10, L. 742-1, L. 742-4 à L. 742-8, L. 742-10, L. 743-1, L. 743-2, L. 743-4 à L. 743-9, L. 743-11 à L. 743-14, L. 743-18 à L. 743-21, L. 743-23, L. 743-24, L. 744-17, L. 751-5 et L. 754-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, L. 213-10 du code de l’organisation judiciaire, 137-1-1 du code de procédure pénale, L. 3131-13, L. 3211-12 à L. 3211-12-4, L. 3212-11, L. 3213-3, L. 3213-8, L. 3213-9-1, L. 3214-2, L. 3215-1, L. 3216-1, 3222-5-1 et L. 3223-1 du code de la santé publique) : Transfert des fonctions civiles du juge des libertés et de la détention

Amendements de suppression CL126 de Mme Cécile Untermaier, CL325 de Mme Emeline K/Bidi, CL413 de Mme Andrée Taurinya et CL683 de M. Jérémie Iordanoff.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il s’agit de supprimer l’article 15, qui transfère les compétences civiles du juge des libertés et de la détention (JLD) au juge non spécialisé.

En 2016, nous nous sommes battus pour la création d’un statut protégé pour le JLD. Nous ne souhaitons pas que ses prérogatives, ainsi que la protection et les garanties dont il bénéficie, soient mises à mal par un article banalisant son intervention en la confiant à un magistrat du siège, pour lequel j’ai toute considération mais qui n’est pas le JLD.

Cet article vise à gérer la pénurie de personnel, notamment dans les juridictions de taille moyenne qui n’ont qu’un JLD. L’embauche annoncée de 1 500 magistrats doit servir à renforcer la présence du JLD au sein de la juridiction, qui est capitale.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). L’article 15 inscrit dans la loi la gestion de la pénurie au rang de principe.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Comme mes collègues de la NUPES, comme hier dans le cadre de l’examen d’autres amendements, j’alerte sur les difficultés que rencontrent les JLD et sur la nécessité de conserver leur spécialisation. Nous ne voulons pas prendre le risque de diluer la qualité des décisions en faisant du tout-venant. La gestion de la pénurie ne saurait nous amener à des effets de bord.

Puisque l’embauche de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers est envisagée, nous devrions encourager la création de postes de JLD dans les juridictions, d’autant que la politique du Gouvernement consistant à faire peser une répression particulière sur les personnes étrangères alourdit la charge de travail des JLD. En matière de droit des étrangers moins qu’en toute autre, nous ne pouvons faire du tout-venant.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Confier tout le contentieux relatif à l’enfermement des personnes au JLD présente une véritable cohérence. L’article 15 lui retire les prérogatives relevant du droit des étrangers et de l’hospitalisation sous contrainte, soit des mesures assez clairement attentatoires à la liberté d’aller et venir. Ces prérogatives doivent rester dans le giron du JLD, quitte à recruter plus de ces magistrats. Nous ne comprenons pas pourquoi elles en sont exclues.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable. L’article 15 prévoit un transfert des fonctions civiles du JLD à un magistrat du siège du tribunal judiciaire.

Le JLD a été créé par la loi Guigou du 15 juin 2000, d’abord pour statuer en matière de détention provisoire. Au fil des lois, le législateur a étendu sa compétence, tant en matière pénale qu’à des mesures situées hors du champ de celle-ci. Ainsi, le JLD est compétent en droit des étrangers, en matière de prolongation de placement en rétention administrative ou de maintien en zone d’attente et de visites domiciliaires en cas d’assignation à résidence d’étrangers. Il est également compétent en droit de la santé pour l’hospitalisation sans consentement, les soins psychiatriques sans consentement, la mise à l’isolement ou en quarantaine et les mesures dites de contention.

Le transfert de compétences est apparu, notamment lors des états généraux de la justice, comme une nécessité. Les présidents de juridiction que nous avons auditionnés ont tous souscrit à cette nécessité. Le président Jean-Marc Sauvé, lors de son audition, a considéré que cette mesure est indispensable, compte tenu de la charge de travail des JLD, qui ne cesse de s’accroître. Ce transfert de compétences est inspiré du constat suivant : le taux de vacance des fonctions de JLD était de 16,10 % au 1er janvier 2023, en augmentation de 3,6 points par rapport à l’année précédente, soit, en volume, 224 postes occupés sur 267 à pourvoir.

Par ailleurs, le Conseil d’État, dans son avis, a estimé que ce transfert « n’affaiblit pas les garanties individuelles devant entourer les mesures privatives de liberté […] mais devrait permettre au contraire de mieux les assurer en remédiant aux difficultés pratiques rencontrées par les juridictions ».

Je me permets de rappeler que la mission de tous les magistrats, consacrée par la Constitution, est de protéger les libertés individuelles. J’avoue avoir du mal à entendre les propos de notre collègue du groupe La France insoumise, qui suggère qu’une décision de justice manquerait de crédibilité au motif qu’elle est rendue par un magistrat et non par un JLD. Parler de « tout-venant » est à mes yeux un manque de considération pour les magistrats du siège, qui au demeurant peuvent déjà être amenés, par exemple les week-ends et lors des congés annuels, à exercer les fonctions de JLD, sans qu’aucune difficulté particulière soit signalée à ce sujet.

Je me permets de rappeler aussi que la direction des services judiciaires (DSJ) a indiqué que le transfert proposé est surtout une mesure visant à permettre davantage de souplesse. Dans certains cas, rien ne s’oppose à ce que le JLD de la juridiction conserve l’intégralité de ses attributions. Dans d’autres, une répartition de la charge de travail s’avère nécessaire.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Vous dites « pénurie », je dis « souplesse », ce qui est singulièrement différent. Si, comme vous venez de l’affirmer, la pénurie vous préoccupe, vous voterez, à n’en pas douter, le texte que je propose, parce qu’il permet d’embaucher et d’améliorer la situation des magistrats, des greffiers, des personnels administratifs et des personnels pénitentiaires de ce pays.

Je remercie monsieur le rapporteur d’avoir cité l’avis du Conseil d’État et rappelé la position du rapport issu des états généraux de la justice sur ce transfert de compétences, qui n’est rien d’autre qu’une mesure de bon sens. Il s’agit d’ouvrir la possibilité de confier le contentieux civil relevant du JLD à tout magistrat du siège, qui n’est pas moins garant que lui de la liberté individuelle.

Comme l’a rappelé très opportunément monsieur le rapporteur, dans les petites juridictions, le week-end et pendant les vacances, c’est un autre magistrat que le JLD en titre qui exerce ces fonctions. Certains JLD se plaignent de devoir traiter un contentieux trop important, additionnant celui imposé par la loi et celui imposé par certaines décisions du Conseil constitutionnel. D’autres s’en accommodent. Nous faisons en sorte que le chef de juridiction et son ou ses JLD puissent évoquer ensemble la situation. L’un des mantras du présent projet de loi est de donner davantage de liberté au terrain. Cette mesure s’inscrit dans cet état d’esprit.

Le transfert des compétences civiles du JLD n’affecte ni le fond des droits garantis ni la procédure. La réforme a notamment pour objet de permettre à plus de juges de juger. Le taux de vacance des fonctions de JLD était de 16,10 % au 1er janvier 2023. Le transfert des compétences civiles du JLD vise à assurer la stabilité de la prise en charge de ces contentieux.

Vous soutenez que la réforme alourdira la charge de travail des juges non spécialisés et contribuera à la désaffection envers leurs fonctions. Je ne le crois pas. Renforcer les effectifs de juges non spécialisés est l’un des objectifs majeurs de la réforme. Par ailleurs, une place très importante sera accordée à la formation des magistrats et des attachés de justice, qui pourront assister les juges non spécialisés

En conséquence, j’émets un avis très défavorable aux amendements.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Monsieur le ministre, je vous remercie de ces explications.

Le taux de vacance des fonctions de JLD de 16,10 % doit être mis en relation, me semble-t-il, avec la difficulté dans laquelle les JLD exercent leur mission. Tous nous disent leur sentiment de solitude. Ils traitent seuls, sans équipe, des dossiers majeurs.

Deux solutions s’offrent à nous : doublonner, pour avoir – formidable ! – deux JLD par juridiction ; doter le JLD d’attachés de justice pour alléger sa charge de travail. Ils doivent prendre des décisions très rapidement, en référé, dans la solitude, sans pouvoir toujours étudier les dossiers au fond, d’après leurs témoignages.

Lors de nos auditions, les syndicats de magistrats comme les magistrats non syndiqués se sont montrés très réservés sur le transfert de compétences prévu à l’article 15, craignant qu’il ne réduise l’intérêt de leur métier. Je partage leurs craintes et pose, à ce stade du débat, la question : priver le JLD de sa compétence civile ne risque-t-il pas de nuire à l’attractivité de son travail ?

Certes, cette compétence est exercée par des magistrats pendant les week-ends et les congés : il faut bien gérer ! Heureusement que les juridictions parviennent à affecter un magistrat à chaque contentieux !

L’article 15 a été rédigé sous l’empire de la nécessité. Je ne souhaite pas que l’on déshabille le statut du JLD. Parce que l’on fait reposer sur ses épaules des décisions très importantes, parce qu’il doit prendre des décisions intrusives, le JLD doit être protégé.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Face à une abondance de dossiers, deux conduites sont possibles : en confier certains à d’autres magistrats ; recruter des JLD ou leur attribuer des équipes. Le JLD est souvent très seul pour traiter de dossiers complexes. La privation de liberté est une matière sensible, particulière. Il est cohérent de la confier dans son ensemble au JLD.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Le prochain amendement que nous examinerons, déposé par notre groupe, vise à briser la solitude du JLD et à améliorer l’exercice de ses fonctions en le dotant d’une équipe. J’invite chacun à le soutenir.

Ma critique ne porte pas sur le risque de fourre-tout, par ailleurs bien réel – nous payons par des astreintes le week-end les manques. J’appelle l’attention sur l’hypocrisie qui consiste à transférer des compétences au JLD au gré des textes sécuritaires, où il est saupoudré un peu partout et auquel il sert de caution de liberté.

Si nous en revenions à des textes moins sécuritaires et à des objectifs plus humains, nous allégerions un peu la charge de travail des JLD, qui pourraient ainsi se recentrer sur leur travail essentiel, dont chacun ici admet la nécessité absolue, tout en saluant leurs compétences. Personne ne remet en cause le travail des autres magistrats, mais à chaque tâche son magistrat. Cessons de multiplier les casquettes des uns et des autres ! Donnons-leur des moyens suffisants !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. En matière de relations humaines, de petit immobilier et de numérisation, nous laissons au terrain la possibilité de gérer. Nous voulons que la décision, dans ces matières, ne remonte plus à l’administration centrale. Vous refusez d’entendre que nous offrons au JLD qui s’estime débordé, ce dont je veux bien convenir, la possibilité d’en discuter avec son chef de juridiction.

Je ne veux pas d’une gestion caporaliste de ces questions. Nous laissons au terrain le soin de régler les problèmes du terrain, en l’espèce ceux des week-ends et des congés payés. Ceux-ci, pour les magistrats qui les prennent intégralement, durent deux mois par an. Pendant ce laps de temps, que fait-on ? On panique ou on considère que la justice est rendue ?

Nous simplifions et nous introduisons de la souplesse. Vous pensez bien que j’ai consulté les JLD et que je n’ai pas eu l’idée de transférer certaines de leurs compétences au doigt mouillé. Certains JLD considèrent qu’il faut alléger leur charge de travail, d’autres estiment qu’ils peuvent l’assumer. La meilleure façon de régler les problèmes du terrain est de s’en remettre au terrain.

Nous proposons une disposition simple, adaptée aux territoires des juridictions, ainsi qu’à la volonté du JLD et de son chef de juridiction. Imposer une mesure pose un vrai problème. Madame Untermaier, vous avez entendu des JLD se plaindre ; moi aussi, ainsi que d’autres qui disent le contraire. Laissons au chef de juridiction et au JLD le soin de régler les problèmes de la façon la plus simple et la plus fluide possible.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL415 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous devons essayer de trouver une voie de consensus. Le transfert des compétences civiles du JLD, qui n’est jamais qu’un transfert de charge dont nous estimons qu’il ne résoudra rien, ne s’inscrit pas dans une réflexion générale sur ce que nous voulons de la justice dans notre pays. Il ne fait consensus ni entre nous ni, vraisemblablement, au sein de la profession.

Pour améliorer l’attractivité de la fonction de JLD ainsi que les conditions dans lesquelles elle s’exerce, tout en conservant sa spécialisation qui est frappée au coin du bon sens s’agissant de décisions à caractère particulier, nous proposons d’entourer le JLD d’une équipe.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Nous sommes ravis d’apprendre que vous voterez le présent texte de loi, qui prévoit notamment de bâtir une équipe autour du magistrat. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Le taux de vacance des fonctions de JLD, qui est de 16,10 % aujourd’hui, était de 36 % en 2017. Nous avons donc un peu modifié le cours des choses. Je veux bien qu’on appelle à renforcer l’équipe et les moyens des magistrats, et à en embaucher davantage, mais pour ce faire, il faut un budget, faute de quoi on donne dans le nihilisme.

Vous vous opposez à tout en demandant davantage. Très bien ! Mais avec quel argent, sinon celui inscrit dans le présent projet de loi d’orientation et de programmation ? Sans lui, ce que vous proposez ne sert pas à grand-chose et ne fera pas bouger les choses d’un millimètre. Nous prenons note que vous souhaitez aider les JLD mais pas voter un texte qui permet de les aider.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL685 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement de repli vise à maintenir le contentieux des étrangers au sein des compétences du JLD. Les magistrats du siège sont des juges non spécialisés qui dépendent de leurs chefs de juridiction. L’affectation du JLD ne dépend pas du pouvoir discrétionnaire du chef de juridiction. Depuis 2016, le JLD dispose d’une indépendance décisionnelle supérieure et n’a pas à craindre d’être dessaisi de ses fonctions.

S’agissant du contentieux politiquement sensible qu’est le contentieux des étrangers, en cas de pic d’arrivées d’exilés sur le territoire et de saisines massives, l’indépendance de la décision du JLD n’est-elle pas mieux assurée que celle des décisions des autres magistrats ?

M. Jean Terlier, rapporteur général. L’indépendance des magistrats, rattachés ou non au chef de juridiction, ne fait aucun doute. Elle est consubstantielle à leur fonction.

J’émets un avis défavorable à l’amendement. Si cela peut vous rassurer, je rappelle que certains magistrats parviennent, au sein des juridictions, à se spécialiser dans des contentieux complexes. Tel est le cas, par exemple, en matière d’expropriation, qui est un contentieux très spécifique, et au sein du tribunal paritaire des baux ruraux.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL414 de Mme Andrée Taurinya.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur les moyens du JLD et sur leur adéquation à la charge de ses missions. Chacun convient, et les chiffres le prouvent, que le métier connaît une crise d’attractivité. Déléguer certaines compétences à d’autres magistrats consiste à gérer la pénurie. Nous pensons qu’il faut plus de JLD, ce qui suppose d’améliorer l’attractivité du métier.

Nous y travaillons en tant que parlementaires. Des rapports tels que celui que nous demandons nous permettent d’étayer nos analyses et d’être éclairés avant de voter. Monsieur le ministre, vous avez vos fiches, nous, nous aimons la littérature scientifique, y compris sur les caméras de surveillance.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suggère le retrait de l’amendement. Le rapport demandé existe, il a pour titre Rendre justice aux citoyens et a été rédigé à l’issue des états généraux de la justice. Tout y est !

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, je reconnais bien là votre caractère volontiers provocateur, s’agissant d’un rapport qui inspire le présent projet de loi mais dont certaines propositions n’ont pas été reprises.

Le travail parlementaire n’est pas le travail du Gouvernement. Il est nécessaire de donner au Parlement les moyens de mener ses propres analyses. Conscient que l’amendement sera rejeté par la commission, je le retire pour le représenter en séance publique.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 15 non modifié.

Avant l’article 16

L’amendement CL83 de Mme Pascale Bordes est retiré.

L’amendement de clarification CL758 de M. Jean Terlier, rapporteur général, est adopté.

Article 16 (articles L. 814-2 et L. 814-13 du code de commerce) : Création d’un portail unique des déclarations de créances

L’article 16 est adopté non modifié.

Article 17 (articles L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, L. 121-4, L. 211-1, L. 212-1 à L. 212-16 [nouveaux], et L. 213-5 du code des procédures civiles d’exécution, L. 133-4-9 du code de la sécurité sociale, L. 3252-4, et L. 3252-8 à L. 3252-13 du code du travail, 1 et 16 de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice) : Réforme de la procédure de saisie des rémunérations

Amendements de suppression CL127 de Mme Cécile Untermaier, CL321 de Mme Emeline K/Bidi, CL426 de Mme Andrée Taurinya, CL687 de M. Jérémie Iordanoff et CL731 de Mme Gisèle Lelouis.

M. Hervé Saulignac (SOC). L’article 17 confie aux commissaires de justice le soin de procéder à la saisie des rémunérations, laquelle était jusqu’ici précédée d’une phase obligatoire de conciliation. Monsieur le ministre, alors que vous faites volontiers état de votre intérêt pour les procédures amiables, vous les supprimez ici, ce qui paraît contradictoire.

Une étude d’impact approfondie aurait sans doute mis en lumière les difficultés que risque d’occasionner une telle mesure : je songe notamment au risque, pour les plus précaires, de tomber dans le surendettement. La déjudiciarisation ne saurait être une solution à tous les problèmes d’encombrement du système judiciaire. Le juge est une garantie d’impartialité et il est capable de s’adapter à la diversité des cas. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cette disposition risque de fragiliser les justiciables les plus en difficulté. Elle ne correspond à aucune des recommandations du comité des états généraux de la justice et va plutôt à rebours de vos déclarations en faveur des procédures amiables.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Comme mes collègues, j’ai du mal à comprendre cette disposition. Vous nous dites, monsieur le ministre, que ce projet de loi s’inspire directement du rapport Sauvé. Or le rapport ne préconise absolument pas cette disposition ; au contraire, il s’inquiète de la déjudiciarisation de nombreux actes en matière civile. En outre, ces saisies de rémunérations concerneront surtout des personnes qui ont déjà des difficultés et elles ne feront que les aggraver. Jusqu’ici, elles se faisaient avec l’intervention d’un juge et pouvaient se régler à l’amiable. Nous craignons que ce soient les personnes les plus en difficulté qui pâtissent de cette disposition.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le juge de l’exécution exerce un contrôle qui n’est pas accessoire, puisqu’il vérifie la régularité du titre exécutoire et les frais appliqués. Cette étape est importante. Les recours seront peu nombreux et leur charge incombera au débiteur. Cela n’est pas logique et ne fera que fragiliser encore un peu plus les personnes déjà vulnérables.

Mme Pascale Bordes (RN). Dans le système actuel, le contrôle du juge de l’exécution précède la saisie. Avec cet article, vous proposez de faire l’inverse : la saisie aura lieu et si le débiteur – ou le prétendu débiteur – n’est pas d’accord, il faudra qu’il saisisse le juge. Or ce type de procédure concerne généralement un public fragile, qui ne saura pas nécessairement comment saisir le juge. Ne serait-ce que sur le plan des principes, cette mesure me heurte.

Par ailleurs, il est impératif, dans ce type de procédure, de contrôler d’emblée le titre, car il peut arriver que des créanciers présentent un titre très ancien, frappé de prescription, ou que la commission de surendettement ait décidé d’effacer des dettes. Certains commissaires de justice ont des liens avec des sociétés de recouvrement, dont les méthodes sont à la limite du harcèlement – avalanche de courriers annonçant une saisie, coups de fil incessants. La mesure que vous introduisez – saisir d’abord, contester ensuite – va fragiliser des gens déjà très vulnérables.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Je suis défavorable à ces amendements et je vais tenter de vous exposer les raisons pour lesquelles ce dispositif me semble pertinent.

Toute personne ayant un peu pratiqué cette matière sait très bien dans quelles conditions a lieu la saisie des rémunérations. Elle intervient très tard, au terme d’une procédure civile, durant laquelle le juge essaie de trouver un accord entre le créancier et le débiteur. Un jugement est prononcé, qui condamne l’une des parties à payer une somme à l’autre, et il est possible de faire appel. Il y a donc bien un contrôle du juge très en amont.

Le juge de l’exécution intervient seulement pour contrôler la conformité du titre exécutoire, puis il en délègue l’exécution au greffier. Cette procédure est très chronophage, à la fois pour les magistrats et pour les greffiers.

Monsieur Saulignac, il y a eu une étude d’impact et elle établit clairement que cette mesure va alléger la charge de travail des greffes de 140 équivalents temps plein (ETP). La procédure restera très encadrée, puisqu’il faudra toujours un titre exécutoire. Il n’est pas vrai que les commissaires de justice font n’importe quoi : ils procèdent à la saisie des rémunérations sur la base de règles qui sont très encadrées et l’article ne touche pas aux quotités saisissables.

Enfin, je répète qu’il ne s’agit pas d’une déjudiciarisation totale de la saisie des rémunérations, puisque l’on supprime seulement le contrôle a priori du juge d’exécution, qui était superfétatoire et, surtout, très chronophage. Il pourra toujours être saisi a posteriori par le débiteur.

Une phase amiable est préservée puisque la procédure débutera par un commandement de payer. On sait bien que, dans les faits, le commissaire de justice essaie toujours de trouver un accord avec le débiteur pour éviter la saisie des rémunérations.

Cette déjudiciarisation partielle de la procédure offre toutes les garanties nécessaires.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Premièrement, cela représente effectivement une charge de travail considérable pour les greffiers.

Deuxièmement, on me reproche de m’éloigner des rives de l’amiable qui me sont chères, mais le commissaire de justice recherche toujours la médiation.

Troisièmement, madame Bordes, le commissaire de justice va vérifier si la créance est certaine, liquide et exigible. J’entends vos préoccupations, mais elles n’ont pas de raison d’être.

Enfin, la saisie des rémunérations est la seule mesure d’exécution forcée mobilière qui fait l’objet d’un traitement judiciaire de bout en bout.

M. Philippe Schreck (RN). Il est vrai que la procédure de saisie des rémunérations est longue et très peu lisible et qu’il importe sans doute de l’adapter, dans l’intérêt du créancier et du débiteur. Toutefois, lorsqu’on touche au salaire des gens, il faut être prudent, et c’est ce qui justifiait que le juge soit présent du début à la fin.

Le dispositif proposé ne me semble pas aller dans le sens de la simplification. Premièrement, j’entends qu’il faille faire confiance au commissaire de justice, mais ce n’est pas un acteur impartial : il est au service d’une partie et est payé par elle. Deuxièmement, la nouvelle procédure ajoutera de la complexité : lorsque plusieurs créanciers saisiront chacun un commissaire de justice, il y aura un commissaire coordinateur, désigné par la chambre des commissaires. On ne peut pas dire que cela aille dans le sens de la lisibilité. Enfin, même s’il sera possible de saisir le juge d’exécution a posteriori, chacun sait que c’est une juridiction dont les délais sont très longs en première instance.

Je comprends la volonté de déjudiciarisation, je sais que ce sont des ETP en moins, mais il est normal d’avoir des ETP quand on saisit le salaire des gens.

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à ce dispositif.

M. Hervé Saulignac (SOC). Monsieur le ministre, vous dites que les commissaires de justice cherchent toujours la conciliation. Je ne sais pas si nous avons eu affaire aux mêmes et je ne suis pas certain que leur métier consiste à chercher la conciliation ; le commissaire de justice a pour mission de recouvrer une créance rapidement, pas de perdre du temps en conciliations.

M. Jean Terlier, rapporteur général. La phase amiable est préservée, puisque la procédure débutera par un commandement de payer. Par ailleurs, le commissaire de justice ne pourra pas procéder aux saisies avant un délai d’un mois, ce qui laisse le temps de trouver un accord avec le débiteur. Je connais bien ces procédures et je peux vous dire que c’est déjà ce que font les commissaires de justice. Ils préfèrent récupérer l’argent par un accord amiable, plutôt que s’engager dans de longues procédures. Enfin, durant ce délai d’un mois, le débiteur pourra contester la mesure devant le juge de l’exécution avec un effet suspensif. Il me semble que ces précisions sont de nature à vous rassurer.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Schreck, les commissaires de justice, qui sont encore appelés « huissiers » dans le code de procédure pénale, font leur boulot, que ce soit pour les saisies-attribution ou les pensions alimentaires, et personne ne s’en plaint. Par ailleurs, pour garantir leur impartialité, on a introduit un mécanisme de tirage au sort.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL736 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Le droit à l’exécution forcée des décisions de justice est consacré par le Conseil constitutionnel comme composante du droit à recours juridictionnel effectif. Il ne peut pas être conditionné, de manière générale, à un préalable amiable obligatoire. Le présent amendement modifie, pour cette raison, un ajout du Sénat qui vise toutes les procédures et pas seulement la saisie des rémunérations. La formulation du Sénat est trop large et ne serait pas conforme au droit à l’exécution des décisions de justice tel que reconnu au niveau constitutionnel et conventionnel.

Le présent amendement ne remet pas en cause l’inscription formelle de la mission amiable des commissaires de justice. Il ne remet pas non plus en cause la possibilité d’une phase amiable dans la procédure de saisie des rémunérations dans le mois qui suit le commandement de payer.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL737 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL738 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Le Sénat a prévu la possibilité de contester une saisie des rémunérations par requête. Cet amendement rétablit l’assignation comme seule voie de saisine du juge de l’exécution en cas de contestation de la saisie, conformément au droit commun des procédures civiles d’exécution. En effet, le choix de la requête est faussement protecteur pour le débiteur, car sa contestation risque d’être privée d’effet suspensif.

La requête ne garantit pas le respect du principe du contradictoire. Elle présente le risque d’exposer le traitement de la contestation à d’importantes difficultés pratiques et à une inutile complexification de la procédure quant à l’information du commissaire de justice qui a procédé à la saisie des rémunérations.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL140 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Cet amendement de repli vise à compléter le dispositif de recours, en renforçant le contrôle du juge, lorsque celui-ci est saisi d’une contestation de la mesure. Nous proposons qu’il contrôle la validité du titre exécutoire – et pas seulement le montant des frais d’exécution dont le recouvrement est poursuivi.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Votre amendement me semble satisfait, puisque le juge de l’exécution peut déjà faire ce type de contrôle. Je vous invite donc à le retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL739 et CL740 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL427 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Dans l’espoir d’arriver à un compromis, nous proposons que le juge fixe la créance, étant entendu qu’habituellement il a la capacité de l’adapter et, au moins, de vérifier la légalité de la procédure.

Nous parlons d’une décision qui a des conséquences importantes sur la vie des personnes concernées. Or on a l’impression qu’il s’agit, dans ce projet de loi, d’organiser des transferts de charge sans réflexion globale sur la justice que nous voulons. Notre crainte, c’est que ces transferts de charge ne résolvent rien, qu’ils n’aient d’effet ni sur la masse de travail des uns et des autres, ni sur la rapidité du système. L’intervention du juge crée aussi de la confiance.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Vous proposez de rétablir l’autorisation judiciaire préalable, au cours de laquelle le juge vérifiait le titre exécutoire et le montant de la créance exigible. Or nous considérons que le commissaire de justice est tout à fait à même de le faire. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL741 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Il s’agit de réintroduire la sanction de l’employeur en cas de déclaration inexacte dans le cadre d’une procédure de saisie des rémunérations

L’employeur est le tiers saisi dans le cadre de la procédure de saisie des rémunérations. Pour permettre aux opérations de saisie de se dérouler correctement, ce dernier doit exécuter des obligations déclaratives, sous peine de sanction. Le Sénat a entendu protéger l’employeur en supprimant la sanction des déclarations inexactes. Cela n’est pas opportun, car des déclarations inexactes peuvent mettre en péril les opérations de saisie et même porter préjudice au débiteur. Cet amendement supprime donc cet ajout du Sénat et rétablit la sanction des déclarations inexactes.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL153 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous demandons que le décret précise l’ordre d’affectation des sommes et la priorité du remboursement en capital. Puisque cette disposition, on l’a dit, concerne généralement des personnes très vulnérables, il importe que les sommes saisies servent d’abord à rembourser leur dette, et non à rémunérer les commissaires de justice. C’est important pour que les intérêts ne continuent pas d’augmenter.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Défavorable. L’audition des commissaires de justice et de l’administration centrale nous a montré que cette précision n’était pas nécessaire.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Les règles d’affectation sont déjà prévues par la loi et un décret ne pourrait pas y déroger. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL152 de Mme Cécile Untermaier.

M. Hervé Saulignac (SOC). Nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’exécution de cette mission par les commissaires de justice. Il importe, pour que les parlementaires puissent exercer leur mission de contrôle de l’action du Gouvernement, qu’ils soient éclairés sur les résultats de cette expérimentation.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Vous voulez me condamner à ne faire que des rapports ! Si j’avais accepté toutes les demandes de rapport qui m’ont été faites, j’aurais de quoi y passer ma vie ! Je suis défavorable à ces demandes par principe et je rappelle que l’article 24 de la Constitution vous permet de contrôler l’activité gouvernementale.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Pendant cinq ans, je n’ai déposé aucune demande de rapport, parce que le président de la commission des lois de l’époque, Jean-Jacques Urvoas, nous disait la même chose que vous. Mais on s’est aperçu que si la demande de rapport n’est pas inscrite dans la loi, on a beaucoup de mal à l’obtenir de l’exécutif.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Quand nos amendements ont été jugés irrecevables ou qu’ils ont été rejetés, la demande de rapport est la dernière solution qui nous reste pour essayer d’établir un dialogue avec l’exécutif. Si vous voulez moins de demandes de rapport, discutez un peu plus et acceptez davantage de nos amendements.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 17 modifié.

Article 18 (article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice) : Dispositions relatives à la légalisation des actes publics étrangers

Amendement de suppression CL428 de Mme Andrée Taurinya.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). L’article 18 dispose que tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé. Nous demandons sa suppression.

Apparue dans notre droit en 1681, au travers d’une ordonnance royale sur la marine, la légalisation des actes étrangers a été abrogée par une loi de simplification en 2006 et il ne me semble pas opportun d’y revenir.

La tentative de rétablissement de cette légalisation dans la loi de programmation pour la justice de 2019 a été censurée par le Conseil constitutionnel en décembre 2022. Plusieurs associations de défense des droits des étrangers, le Syndicat des avocats de France et le Conseil national des barreaux (CNB), par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité, ont notamment critiqué l’absence de recours en cas de refus de légalisation par l’autorité compétente.

L’association Les Amoureux au ban public, que nous avons auditionnée dans le cadre de feu la future loi « immigration, asile et intégration », organise la défense des couples binationaux. Or elle nous a expliqué qu’une mesure comme la légalisation des actes étrangers introduit une suspicion de séjour irrégulier, au détriment des gens qui s’aiment. Dans un référé du 26 novembre 2002, le tribunal de grande instance de Dijon a précisé que la suspicion de séjour irrégulier est sans influence sur le consentement au mariage.

Cette mesure censée simplifier le travail des juridictions va surtout pourrir la vie de bien des couples binationaux.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Je pense qu’il y a une méprise sur l’objet de cet article. Il ne crée pas l’obligation de légalisation des actes étrangers, qui existe déjà, mais il introduit une voie de recours, pour tenir compte de la censure du Conseil constitutionnel. Votre amendement me semble donc contre-productif et je vous invite à le retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL742 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Il s’agit de réintroduire la compétence du juge administratif pour la contestation des refus de légalisation des actes relatifs à l’état civil.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 18 ainsi modifié.

Article 19 (articles 11 et article 58-1 [nouveau] de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) : Élévation du niveau de diplôme requis pour accéder à la profession d’avocat

Amendements CL429 de Mme Andrée Taurinya, amendements identiques CL55 de M. Philippe Gosselin et CL30 de M. Ian Boucard, amendement CL217 de M. Raphaël Schellenberger (discussion commune).

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). L’article 19 allonge d’un an les études pour les étudiants désireux de passer l’examen du barreau. Je sais que la profession réclame le passage à un niveau master 2 (M2) mais, pour notre part, nous y sommes opposés.

Nous pensons qu’il faut démocratiser cette profession. Or allonger les études d’un an reviendra à empêcher de nombreux étudiants en situation modeste ou précaire de passer cet examen. Laissons aux étudiants la possibilité de le passer à bac + 4, comme c’est le cas actuellement et voyons qui est reçu. Nombre d’étudiants sont obligés de recourir aux banques alimentaires et ont de grandes difficultés à suivre leurs études. Relever à bac + 5 le niveau de l’examen, c’est un très mauvais signal que vous envoyez aux familles modestes, qui ne pourront pas assumer financièrement une année d’études supplémentaire.

M. Philippe Gosselin (LR). Les étudiants, pour pouvoir candidater, doivent être de niveau master 1 (M1). Vous proposez d’exiger un M2. Je ne vois pas pourquoi on sanctionnerait les bons élèves. Tant mieux si certains réussissent avec un M1 ! Nous aborderons plus loin l’exclusion des docteurs en droit, qui nous semble également incongrue. Laissons donc les choses en l’état. Inutile de mettre cela sur le compte de la réforme LMD – elle a bon dos !

M. Ian Boucard (LR). Il s’agit de revenir sur la disposition obligeant les étudiants à attendre le M2 pour passer l’examen du barreau, privant ainsi les meilleurs étudiants de la possibilité d’accéder plus vite au métier d’avocat. Vous nous aviez indiqués, monsieur le ministre, avoir pris cette décision parce que les avocats vous l’avaient demandée : je trouve cette réponse particulièrement insatisfaisante. En effet, elle vise à restreindre l’accès à la profession d’avocat ; on peut comprendre qu’ils aient envie de restreindre la concurrence mais ce n’est pas comme cela que nous devons faire la loi.

Par ailleurs, il y a d’excellents avocats qui ont réussi l’examen avec un M1 : vous en êtes l’illustration et cela ne vous a pas empêché de faire une brillante carrière d’avocat. J’ai retrouvé une citation de vous dans L’Étudiant : « Je voulais surtout que cela se termine et commencer mon vrai métier. » Je suis certain que nombre d’avocats ont réussi l’examen avec un M2 et n’ont pas fait une aussi belle carrière que la vôtre. Une année de plus ou de moins n’y changera rien : c’est la qualité de l’avocat qui fait la différence.

De plus, si des étudiants en M1 passent le barreau sans en avoir le niveau, ils ne réussiront pas l’examen ; alors laissez-les passer cet examen ! Je trouve cette mesure très injuste, d’autant plus pour ceux qui sont déjà engagés dans une carrière ou pour les étudiants précaires qui n’ont pas les moyens de faire une année d’études en plus. C’est une bien mauvaise mesure, sur laquelle je vous invite à revenir.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Cela répond à une demande de la profession, qui recherche une forme d’homogénéité des candidats qui se présentent à l’examen. Il s’agit de faire correspondre ce niveau de recrutement à celui qui est requis pour les professions de notaire, de commissaire de justice et de greffier des tribunaux de commerce.

Par ailleurs, de très nombreux candidats se présentant à l’examen ont déjà ce niveau de diplôme : la disposition que nous envisageons ne nous paraît donc pas déraisonnable. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Boucard, vous vous êtes trompé : j’ai certes un M1 mais je suis également diplômé de l’Institut d’études judiciaires, ce qui fait une année de plus et me situe donc en M2.

Je rappelle que 88 % des lauréats de l’examen – ce n’est pas un concours – sont déjà titulaires d’un M2. Quand le CNB me dit qu’il souhaite imposer un M2, n’est-ce pas parce qu’il estime que le niveau actuel est trop faible ? Je n’en sais rien, je pose la question. Nous pouvons en rediscuter mais l’exigence de qualité n’est pas une exigence vaine.

Concernant la précarité des étudiants, cet argument est bien légitime mais ce n’est pas sur ce terrain qu’il faut agir. Nous en reparlerons en séance.

M. Ian Boucard (LR). Puisque 88 % des étudiants reçus à l’examen ont le M2, cela signifie que seuls 12 % ont un M1 : pourquoi vouloir les exclure ? Ces 12 % sont les meilleurs du M1 ! S’ils se présentent et obtiennent l’examen, je ne vois vraiment pas quel problème cela pose.

Par ailleurs, vous dites avoir proposé cette réforme parce que la profession vous l’a demandée. Je rappelle que la dernière fois que nous avons fait quelque chose à la demande d’une profession, cela a abouti au numerus clausus : quelques décennies plus tard, je ne suis pas sûr que l’on soit ravi du résultat !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Nous allons étudier cela avec beaucoup d’attention et nous en reparlerons en séance, car je suis sensible à votre argument sur l’excellent étudiant de M1. Doit-on le pénaliser ? Il s’agit d’une question d’équité.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je suis également sensible aux arguments de mon collègue. Je saurai toutefois me souvenir de votre réponse, monsieur le ministre, car de nombreuses demandes émanant d’autres professions restent en souffrance, par exemple la régulation carcérale, qui est largement souhaitée par la profession. C’est donc un argument que j’enregistre avec plaisir.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Pour ma part, je ne suis pas convaincue par les arguments de mes collègues. Cette demande de la profession est fondée, car on n’apprend plus le métier d’avocat aujourd’hui comme il y a vingt ou trente ans. L’explosion des normes, la technicité et la multiplicité des matières nécessitent un autre niveau d’exigence. Du reste, près de 90 % des étudiants réussissant l’examen sont titulaires d’un M2. Quant à la précarité de certains étudiants, qui est réelle, elle ne peut justifier que l’on abaisse le niveau de l’examen, d’autant, et je peux en témoigner, qu’il existe des aides de l’État – tutorat, bourses…

M. Jean Terlier, rapporteur général. Tout comme le ministre, je suis sensible à votre argument concernant les très bons élèves.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL31 de M. Ian Boucard et CL56 de M. Philippe Gosselin.

M. Ian Boucard (LR). Cet amendement de repli vise à garantir que les règles ne changent pas en cours de jeu pour les étudiants qui ont déjà commencé leurs études ou les commenceront à la rentrée universitaire prochaine.

M. Philippe Gosselin (LR). À défaut d’avoir gain de cause, nous pouvons au moins nous entendre pour fixer une période transitoire afin de ne pas pénaliser les étudiants.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Tout à fait d’accord. Mais demande de retrait à ce stade.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il y a tout de même un problème avec la façon dont nous travaillons : rien n’est accepté, pas même ce qui pourrait faire l’objet d’un compromis. Puisque c’est ainsi, envoyez-nous les projets de loi par internet et arrêtons de nous réunir : comme cela, ce sera clair !

La commission rejette les amendements.

Amendement CL697 de Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie (RE). Il vise à autoriser les étudiants en M1 à passer l’examen du barreau et à ne leur délivrer le certificat d’aptitude à la profession d’avocat qu’après l’obtention du M2. Dans les faits, les étudiants passent très souvent ce diplôme au cours de leur formation.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Demande de retrait.

Je tiens à rappeler à notre collègue de La France insoumise que lorsqu’une argumentation est convaincante, comme c’était le cas pour les amendements de nos collègues des Républicains, nous acceptons de retravailler le texte. Cela participe de la bonne création de la loi.

L’amendement est retiré.

Amendements identiques CL169 de M. Philippe Gosselin et CL694 de M. Emmanuel Pellerin.

M. Philippe Gosselin (LR). Il vise à sécuriser le statut des élèves avocats en prévoyant que les stages font l’objet de conventions tripartites. Il s’agit d’éviter les requalifications de convention de stage en contrat de travail.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission adopte les amendements.

Amendements CL128 de Mme Cécile Untermaier et CL982 de M. Jean Terlier (discussion commune).

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il a pour objet la suppression des alinéas relatifs à la création d’un legal privilege pour les juristes d’entreprise.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Les consultations juridiques réalisées par les juristes d’entreprise ne sont pas couvertes par la confidentialité, exposant les entreprises au risque de l’auto-incrimination. Nous devons donc avancer sur la question des consultations juridiques réalisées en interne. Mon amendement vise à cantonner le champ du legal privilege aux seules matières civile, commerciale et administrative, à l’exclusion des matières fiscale et pénale.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Les entreprises françaises sont soumises à des obligations de conformité de plus en plus exigeantes, touchant un nombre croissant de domaines – gouvernance, droits humains, droits sociaux, devoir de vigilance, protection des données, règles déontologiques, responsabilité sociale et environnementale, lutte contre le blanchiment de capitaux… Les juristes d’entreprise français sont dans une situation très paradoxale : ils doivent respecter des obligations de conformité de plus en plus nombreuses et donc pouvoir alerter les cadres dirigeants sur les risques juridiques, tout en n’auto-incriminant pas leur entreprise.

L’absence de toute confidentialité des avis des juristes d’entreprise nuit très objectivement à l’attractivité de la France. De nombreuses directions juridiques choisissent de s’établir dans des pays qui bénéficient de cette protection. D’autres sociétés qui restent en France font le choix de ne pas recruter de juristes d’entreprises français et se tournent vers des lawyers anglo-saxons. N’oublions pas que lorsque la direction juridique est à l’étranger, le droit des contrats de l’entreprise sera étranger. Ce n’est pas une question purement juridique : derrière le choix du droit applicable, il y a des emplois et de l’attractivité. Je suis donc favorable à l’introduction d’un legal privilege à la française.

Le bénéfice de cette confidentialité doit être encadré. Votre amendement, monsieur le rapporteur, qui développe la rédaction adoptée par le Sénat, démontre votre volonté d’aboutir. C’est aussi la mienne. Je vous propose de retirer votre amendement et de le retravailler en vue de la séance.

M. Philippe Gosselin (LR). Je voudrais souligner l’importance de cet amendement. L’objectif est que la France soit à armes égales avec les Anglo-Saxons qui, eux, bénéficient du legal privilege. Les Républicains soutiennent donc cet amendement de bon sens.

M. Jean Terlier, rapporteur général. J’entends ce que vous dites, monsieur le ministre, sur la nécessité de retravailler le périmètre de cet amendement. Je retire donc mon amendement.

L’amendement CL982 est retiré.

La commission rejette l’amendement CL128.

Elle adopte l’article 19 modifié.

Article 20 (articles L. 444-1 et L. 444-4 du code de commerce) : Rémunération des greffiers des tribunaux de commerce

L’amendement CL63 de Mme Emeline K/Bidi est retiré.

La commission adopte l’article 20 non modifié.

Article 21 (supprimé) (article 198 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique) : Report de l’habilitation sur la publicité foncière

Amendement CL781 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Il vise à rétablir l’article 21, supprimé par la commission des lois du Sénat. Il s’agit de renouveler l’habilitation donnée au Gouvernement de réformer par voie d’ordonnance le droit de la publicité foncière.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission adopte l’amendement.

L’article 21 est ainsi rétabli.

Avant l’article 22

L’amendement CL84 de Mme Pascale Bordes est retiré.

TITRE VI
DISPOSITIONS DIVERSES RELATIVES AUX JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET FINANCIÈRES ET À LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS

Article 22 (art. L. 131-6, L. 231-5-1, L. 233-2 du code de justice administrative, art. L. 221-3 du code des juridictions financières, article 9 de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État) : Conditions d’accès aux corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel et des magistrats des chambres régionales des comptes en sortie de l’Institut national du service public

Amendements CL675, CL673, CL676 et CL674 de M. Sacha Houlié et CL782 du Gouvernement.

M. le président Sacha Houlié. Mes quatre amendements concernent les magistrats administratifs et financiers. L’amendement CL675 prévoit la prestation de serment des juges des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel (TACAA) et des membres du Conseil d’État. Par les amendements CL673 et CL674, il est proposé de permettre aux conseillers des TACAA et des chambres régionales des comptes (CRC) de se porter candidats à l’auditorat au sein du Conseil d’État ainsi que de la Cour des comptes. L’amendement CL676 vise à permettre aux juges des TACAA de valider leurs obligations de mobilité lorsqu’ils sont allés exercer leurs activités juridictionnelles en outre-mer.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’amendement CL782 du Gouvernement tend à modifier, pour les magistrats de l’ordre administratif, les conditions d’ancienneté requises pour l’avancement au grade de premier conseiller.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Avis favorable sur l’ensemble de ces amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis favorable à l’amendement CL675, en recanche je souhaite le retrait des amendements CL673 et CL674 qui autoriserait des agents sans expérience préalable du terrain à postuler à l’auditorat au sein du Conseil d’État et de la Cour des comptes et de l’amendement CL676.

M. le président Sacha Houlié. Je tiens à souligner qu’il existe une différence de traitement entre les administrateurs de l’État et les magistrats administratifs qui sortent de l’Institut national du service public (INSP). Pouvez-vous nous éclairer sur la voie dérogatoire qui leur permet d’accéder au Conseil d’État en auditorat et sur la façon dont on pourrait la réformer pour en rendre l’accès plus facile ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. La liste des corps et cadres d’emplois ayant accès aux fonctions d’auditeur a été déterminée au regard de la logique d’ensemble de la réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État. Cette logique consiste à subordonner l’accès aux fonctions de contrôle et d’inspection et aux fonctions juridictionnelles à une première expérience préalable en qualité d’administrateur. Les amendements CL673 et CL674 auraient pour effet de permettre à des agents n’ayant aucune expérience préalable dans des fonctions d’administrateur de postuler à l’emploi d’auditeur, en contradiction avec les objectifs de la réforme. C’est la raison pour laquelle je vous propose de le retirer.

Par ailleurs, je souhaite également le retrait de l’amendement CL676, qui vise à assimiler l’exercice juridictionnel en outre-mer à la réalisation d’une mobilité statutaire car une telle mesure ne relève pas du domaine de la loi. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement élabore en ce moment même un dispositif similaire par voie réglementaire, et qui est actuellement soumis à l’examen du Conseil d’État.

M. le président Sacha Houlié. Vous vous engagez donc à ce que les magistrats voient leur expérience en outre-mer valorisée par voie réglementaire ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Oui.

M. Ian Boucard (LR). On ne peut pas accuser le garde des Sceaux de faire du favoritisme : vous êtes presque aussi maltraité que nous, monsieur le président !

Les amendements CL673 et CL676 sont retirés.

La commission adopte successivement les amendements CL675, CL782 et CL674.

Elle adopte l’article 22 modifié.

Article 23 (Art. L. 120-14, L. 122-3, L. 212-2, L. 220-3, L. 221-2, L. 221-2-1, L. 222-1, L. 262-15, L. 262-25, L. 272-17 et L. 272-28 du code des juridictions financières) : Diverses modifications statutaires relatives aux magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes

Amendement CL783 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’amendement a pour objet de rétablir des dispositions du projet de loi initial supprimées par le Sénat. Il s’agit, d’une part, d’intégrer les nominations de conseillers référendaires en détachement dans le décompte des nominations de conseillers maîtres au tour extérieur ; d’autre part, de raccourcir la durée des fonctions de président et de vice-président de la chambre régionale des comptes.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement de coordination CL804 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Suivant l’avis du rapporteur général, elle rejette l’amendement CL430 de M. Ugo Bernalicis.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL802 et CL803 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Elle adopte l’article 23 modifié.

Après l’article 23

 

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CL280 de M. Philippe Schreck.

Article 24 (Art. 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement) : Ratification de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette successivement les amendements CL431 de Mme Andrée Taurinya et CL279 de M. Philippe Schreck.

Elle adopte l’amendement CL947 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL710 de M. Philippe Pradal.

M. Philippe Pradal (HOR). L’amendement tend à rétablir le délai de deux mois dont disposent les ordonnateurs pour répondre au rapport d’observations provisoires d’une chambre régionale des comptes. Le délai actuel d’un mois est trop court pour garantir un travail de qualité.

M. Jean Terlier, rapporteur général. La réduction de deux mois à un seul du délai de réponse constitue l’une des mesures de simplification des procédures prévues par l’ordonnance du 23 mars 2022. Il s’agit de s’aligner sur le délai de réponse aux observations définitives, qui a toujours été d’un mois. Néanmoins, j’entends votre argument. Sagesse.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Demande de retrait au nom de la cohérence ; le rapporteur général a déjà développé l’argument.

M. Philippe Pradal (HOR). Je maintiens l’amendement, car les réponses à des observations, selon que celles-ci sont définitives ou provisoires, ne sont pas de même nature. La cohérence n’est qu’apparente.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 24 modifié.

Article 25 (Art. L. 131-12 et L. 231-10 [nouveaux] du code de justice administrative et art. L. 120-3-1 et L. 220-4-1 [nouveaux] du code des juridictions financières) : Mécanisme d’extension par décret des accords nationaux relatifs à la couverture complémentaire santé aux magistrats administratifs et financiers

Elle adopte l’article 25 non modifié.

Article 26 (Art. L. 314-1, L. 314-9, L. 351-1, L. 351-2 [abrogé], L. 351-3, L. 351-4 [abrogé], L. 351-5 [abrogé], L. 351-6, L. 351-7 [abrogé], L. 351-8 du code de l’action sociale et des familles ; art. L. 6114-4 et L. 6143-4 du code de la santé publique et art. L. 162-24-1 du code de la sécurité sociale) : Transfert du contentieux de la tarification sanitaire et sociale aux juridictions administratives de droit commun

 

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL792 et CL791 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Elle adopte l’article 26 modifié.

Article 26 bis (nouveau) (Art. L. 131-10 et L. 231-4-4 du code de justice administrative ; art. L. 120-13 et L. 220-11 du code des juridictions financières ; art. L. 122-12 du code général de la fonction publique et art. L. 4122-8 du code de la défense) : Coordination avec le projet de loi organique

La commission adopte l’article 26 bis non modifié.

TITRE VII
DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES

Article 27 (articles L. 513-11, L. 531-1, L. 551-1, L. 552-2, L. 552-9-1, L. 552-9-2 à L. 552-9-11, L. 552-9-2 à L. 552-9-12 [nouveaux], L. 552-9-4, L. 552-9-6, L. 552-9-11, L. 552-10, L. 561-1, L. 562-2, L. 562-6-1, et L. 562-25 du code de l’organisation judiciaire, L. 362-1, L. 363-1, L. 364-1, 364-2, L. 365-1, L. 365-2, L. 366-1, L. 366-2, L. 654-1, L. 656-1, L. 761-8, L. 762-1, L. 763-1, L. 764-1, L. 765-1, L. 766-1, L. 832-1, L. 833-1, L. 834-1, L. 835-1 et L. 836-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, L. 3821-11, L. 3841-2, L. 3844-1, L. 3844-2 du code de la santé publique, L. 950-1 du code de commerce, 81 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, 804, 864 et 900 du code de procédure pénale, L. 752-1, L. 753-1, L. 757-1, L. 762-1, L. 763-1, L. 767-1, L. 772-1, L. 773-1, L. 777-1 du code pénitentiaire, 711-1 du code pénal, L. 721-1, L. 722-1 et L. 723-1 du code de la justice pénale des mineurs) : Application outre-mer

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL800, CL799, CL801, CL796, CL798 et CL797 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Elle adopte l’article 27 modifié.

Article 28 : Dispositions transitoires relatives aux juristes assistants et aux titulaires du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA)

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL774 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Amendement CL424 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). L’amendement vise à étendre le bénéfice des dispositions transitoires aux personnes inscrites à l’examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 28 modifié.

Article 29 : Application différée dans le temps de certaines dispositions

Amendement CL946 de M. Philippe Pradal.

M. Philippe Pradal (HOR). Cet amendement reporte l’entrée en vigueur de l’obligation de dépôt des déclarations d’intérêts des conseillers prud’hommes.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL776 et CL795 de M. Jean Terlier, rapporteur général.

Elle adopte l’article 29 modifié.

La réunion est suspendue de seize heures vingt à seize heures trente-cinq.

TITRE Ier (précédemment réservé)

Article 1er: Programmation financière et approbation du rapport annexé

Amendement CL285 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). C’est désormais une fâcheuse habitude que d’examiner le rapport annexé après l’adoption de tous les articles d’un projet de loi de programmation. Nous aurions dû commencer par là.

Le rapport annexé est un pot-pourri de mesures dépourvues de portée normative. Le Conseil d’État considère d’ailleurs que ces différentes orientations devraient être mieux hiérarchisées et, lorsque c’est possible, plus précisément reliées aux mesures normatives figurant dans le projet. Nous proposons donc de supprimer le rapport annexé.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous regrettez les conditions d’examen du rapport annexé dont vous demandez la suppression. Est-ce à dire qu’il n’est pas si inutile ?

Le rapport annexé est un document intéressant sur lequel de nombreuses personnes ont travaillé. Loin d’être un pot-pourri, il rassemble les orientations destinées à donner un cap à l’action du ministère. Je suis évidemment défavorable à l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL155 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). L’article 1er réunit tous les éléments constitutifs d’une loi de programmation – le rapport annexé, la trajectoire financière, les créations d’emplois et le périmètre budgétaire. Afin que ces aspects essentiels soient examinés dans de bonnes conditions, nous proposons que chacun d’entre eux fasse l’objet d’un article à part entière.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements CL572 de M. Jérémie Iordanoff, CL287 de Mme Andrée Taurinya, CL288 de M. Ugo Bernalicis, CL292 de Mme Andrée Taurinya, CL293 et CL291 de M. Ugo Bernalicis, CL289 de Mme Andrée Taurinya, CL513, CL525, CL540 et CL538 de M. Philippe Schreck (discussion commune).

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Il s’agit d’obtenir des précisions sur la ventilation des crédits puisque le texte, à ce stade, ne présente qu’une enveloppe globale.

Nous souhaitons avoir l’assurance que la hausse des moyens profitera essentiellement aux personnels de justice, et pas à la construction de places de prison supplémentaires.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’amendement CL287 a pour objet d’augmenter significativement les crédits pour embaucher davantage de magistrats et de personnels de la protection judiciaire de la jeunesse. La justice de notre pays souffre d’abord d’un manque de moyens. Les mesures contenues dans le projet de loi, qui ont en commun d’opérer un glissement des missions de la justice, ne sont pas la réponse appropriée.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). L’amendement CL288 concerne notre sujet de prédilection : la surpopulation carcérale. Il est proposé d’augmenter de 44 millions d’euros, sur la période 2024-2027, les crédits consacrés au placement à l’extérieur, qui est, à nos yeux, une bonne alternative à l’emprisonnement.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La ventilation budgétaire n’étant pas suffisamment précisée, nous craignons que la construction de nouvelles prisons ne vienne consommer une large part des crédits supplémentaires. L’amendement CL292 vise donc à sanctuariser une partie d’entre eux au profit de l’accès à la justice.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Dans l’amendement CL293, il s’agit d’augmenter les crédits du programme Justice judiciaire de 11 millions d’euros par an jusqu’en 2027 afin de créer une nouvelle action dénommée « Promotion des mesures en milieu ouvert de la protection judiciaire de la jeunesse ».

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’amendement CL291 propose une hausse des moyens humains mis à disposition du parquet national financier, qui joue un rôle clé dans la lutte contre la délinquance financière. Nous ne pouvons pas accepter que des coupables passent entre les mailles du filet faute de moyens.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Preuve que nous sommes capables de faire des propositions – celle-ci est issue du programme de l’avenir en commun –, l’amendement CL289 a pour objet de rattacher la police judiciaire à la mission Justice. C’est aussi une manière de rappeler notre opposition à la réforme engagée par le ministre de l’intérieur, et ce pour plusieurs raisons : la disparition de l’expertise de la police judiciaire dans la résolution des enquêtes longues et complexes ; la dilution de son savoir et de ses moyens dans la répression de la petite délinquance ; les risques accrus pour le secret des enquêtes, notamment financières, et pour l’indépendance à l’égard de l’exécutif.

M. Philippe Schreck (RN). Les différents amendements portent un regard critique sur le tableau présentant l’évolution des crédits de paiement.

Alors que la loi de programmation a vocation à fixer un cap pour les exercices budgétaires à venir, le tableau fait apparaître les crédits de l’année 2022, certes pour mémoire, qui ont été exécutés, et ceux de l’année 2023, qui ont été votés. Nous subodorons que cette présentation trompeuse accentue l’évolution à la hausse que le Gouvernement souhaite souligner.

Il est donc proposé de supprimer la mention des années 2022 et 2023, et, à défaut, d’ajouter la mention « pour mémoire » pour l’année 2023.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je partage le souci exprimé par plusieurs d’entre vous d’une clarification de la ventilation des crédits.

Je salue l’œuvre de sobriété de La France insoumise qui recycle les amendements qu’elle avait déposés sur le projet de loi de finances.

Je suis défavorable à l’ensemble des amendements. Nous pouvons nous féliciter d’une hausse historique. Jamais un budget de la justice n’aura autant augmenté en si peu de temps. Je suis élu dans le même département qu’un ancien garde des Sceaux qui avait parlé de la clochardisation de la justice. Il a reconnu récemment dans une interview que nous étions à la hauteur.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je partage la position du rapporteur. Monsieur Schreck, sachez que la présentation du tableau est identique à celle de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) et cohérente avec la précédente loi de programmation pour la justice.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous ne voulons pas jouer les « Monsieur Plus », mais nous partons de tellement loin que l’augmentation, aussi notable soit-elle – je mets de côté les moyens dédiés à la construction de 15 000 places de prison –, ne permettra pas de nous rapprocher des ratios de nos voisins.

Reste le problème, du point de vue démocratique, du manque de détails sur la ventilation des crédits et des effectifs. J’espère que, contrairement à la Lopmi, vous nous fournirez des éléments plus précis avant le début de l’examen en séance – ce serait plus respectueux.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je vous rappelle que la justice a souffert de décennies d’abandon total et que vous n’avez pas soutenu les derniers budgets car vous les jugiez insuffisants – cette arithmétique m’échappe totalement.

Vous avez du mal à qualifier la hausse d’historique, mais, le rapporteur l’a dit, M. Jean-Jacques Urvoas, lui, prononce le mot dans l’Opinion, ajoutant que l’intention est bonne et le budget à la hauteur.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL777 du Gouvernement et CL956 de la commission des finances, amendements CL624 et CL626 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune).

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’amendement vise à rétablir l’alinéa 4 de l’article 1er tel que le Gouvernement l’avait proposé dans le projet de loi initial. Cet alinéa porte sur la répartition des 10 000 créations d’emplois sur le quinquennat.

En premier lieu, le nombre total des créations d’emplois nettes sur ce quinquennat s’établit bien à 10 000 ETP, et non 9 395. En effet, 605 équivalents temps plein ont certes été autorisés en gestion 2022, mais ces recrutements ont été effectués lors du second quinquennat qui a débuté le 14 mai 2022, en dépassement de l’autorisation parlementaire de la loi de finances de 2022 et par anticipation des créations annoncées pour le quinquennat.

En second lieu, sans méconnaître le rôle essentiel des différents métiers de la justice, l’amendement prévoit d’en rester à la répartition générale des emplois judiciaires proposée initialement par le Gouvernement, soit 1 500 magistrats et 1 500 greffiers. Ces quantums sont un plancher, autrement dit si le besoin venait à se faire sentir, ils pourraient être dépassés. Il est également prévu des recrutements significatifs afin de constituer une véritable équipe autour du magistrat.

En troisième lieu, s’agissant des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), il est proposé d’en supprimer la mention, car il est prématuré de s’engager sur un quantum précis de 600 ETP. Je rappelle que 1 500 postes ont été créés dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) lors du premier quinquennat, dont 970 CPIP. Ces recrutements ont permis d’abaisser le nombre de dossiers suivis par CPIP de 81 à 71.

La répartition permettra de conserver de la flexibilité dans l’allocation annuelle des moyens humains du ministère. Les répartitions seront établies finement, année après année, en fonction des besoins par métier, de l’avancement des projets, et des capacités de recrutement et de formation des écoles.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis de la commission des finances. La commission des finances a également souhaité revenir à la répartition initiale des créations nettes d’emplois. Le choix du Sénat d’ajouter 300 greffiers, sans modifier le chiffre total, risquait de grever les autres emplois du ministère de la justice.

Il est important de noter que les chiffres indiqués pour les magistrats et les greffiers sont bien des planchers.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Nous regrettons que l’amendement du Gouvernement revienne sur le chiffre de 1 800 greffiers. Par ailleurs, à quoi correspond le chiffre de 9 395 ?

L’amendement CL624 est un amendement d’appel. Les dernières études évaluent à 5 000 les besoins réels en magistrats. J’entends que le chiffre de 1 500 représente déjà un effort budgétaire considérable. Il me semble néanmoins important d’avoir en tête les ordres de grandeur, notamment dans les comparaisons avec les autres pays.

Quant à l’amendement CL626, il propose, de manière plus raisonnable, le chiffre de 2 500.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suis favorable aux amendements identiques du Gouvernement et de la commission des finances.

En revanche, monsieur Iordanoff, la directrice de l’École nationale de la magistrature (ENM) nous a indiqué, lors de son audition, que le chiffre de 1 500 était celui qui lui semblait le plus raisonnable pour pouvoir maintenir le haut niveau de recrutement et la qualité de la formation. Nous ne parviendrons pas à former 5 000 magistrats en quatre ans, ni 2 500. Depuis sa création, l’ENM a formé 12 000 auditeurs de justice. Le chiffre de 1 500 représente déjà un effort considérable.

Vous reprenez aussi l’argument selon lequel le ratio de magistrats par rapport à la population serait particulièrement faible dans notre pays. Ce ratio est calculé sans prendre en compte ni la justice prud’homale, ni la justice consulaire, ni la justice administrative. Or il y a tout de même 1 200 juges administratifs ; le budget du Conseil d’État, c’est presque un demi-milliard d’euros ! Il faut donc envisager ces ratios avec prudence.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Même avis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Vous contestez systématiquement les comparaisons avec les autres pays, mais ils ont été mis en avant au début de la réflexion des états généraux de la justice et souvent repris par les plus hauts magistrats de ce pays. Voulez-vous dire qu’il n’y a en réalité pas de problème ?

Se fixer une cible de 5 000 recrutements paraît raisonnable : c’est un chiffre que vous atteindrez très vite si vous cherchez à estimer le nombre de magistrats supplémentaires nécessaires dans chaque tribunal. Pour y arriver, il aurait fallu anticiper, c’est vrai.

M. Philippe Schreck (RN). Le Gouvernement veut revenir sur une rédaction du Sénat alors que celle-ci me paraît réaliste et sincère : 605 ETP ayant déjà été exécutés en 2022, ils n’ont pas à figurer dans cette loi de programmation.

Vous dites que la Lopmi a fait la même chose. Mais elle portait sur la période 2023-2027, et elle a été proposée en 2022.

La commission adopte les amendements CL777 et CL956.

En conséquence, les amendements CL624 et CL626 tombent.

Amendement CL628 de M. Jérémie Iordanoff

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je vous offre l’occasion d’apporter un peu de clarté sur les besoins. Nous avons besoin d’un référentiel sur la charge de travail des magistrats, car nous ne savons pas sur quelle base le ministère répartit les postes. Nous demandons aussi que ce référentiel figure dans un rapport remis au Parlement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est à la Chancellerie qu’il revient d’élaborer ce référentiel. Je crois qu’un travail est en cours. Demande de retrait.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je me suis en effet engagé à faire émerger un outil national de mesure de l’activité judiciaire : il était demandé par tous, y compris par la Cour des comptes. Nous y travaillons dans la concertation.

Nous élaborons par ailleurs une convention-cadre sur la qualité de vie au travail dans les juridictions.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je me réjouis de ce travail sur le référentiel. Ses résultats doivent être transmis au Parlement. Nous votons les crédits de la justice, et nous devons pouvoir comprendre comment les répartitions sont effectuées, métier par métier.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL101 de Mme Cécile Untermaier

Mme Cécile Untermaier (SOC). À dotation historique, rapport nécessaire. Mais je retire l’amendement au profit du CL957 de la commission des finances.

L’amendement est retiré.

Amendement CL102 de Mme Cécile Untermaier, CL882 de M. Erwan Balanant et CL957 de la commission des finances (discussion commune)

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’amendement CL102 inscrit dans la loi la mise en place d’un comité de suivi composé de parlementaires des différents groupes représentés au Parlement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est là une préoccupation que nous partageons.

Je retire mon amendement CL882 au profit de celui adopté par la commission des finances, compétente pour ces sujets budgétaires. Nous pourrons, le cas échéant, le corriger en séance. Il propose également un rapport annuel. Les moyens accordés à la justice sont inédits, et le pilotage doit être efficace.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis de la commission des finances. Cette loi de programmation est exceptionnelle et il nous paraît indispensable de dresser un bilan annuel. Avec cet amendement transpartisan, nous souhaitons qu’un rapport soit établi chaque année avant le 30 avril. Il sera ainsi discuté lors du Printemps de l’évaluation.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis par principe défavorable aux rapports, vous le savez, même si je suis pleinement favorable à l’information des parlementaires.

Je rappelle l’existence du projet annuel de performances (PAP) et du rapport annuel de performances (RAP).

Sagesse.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous disposons en effet de documents budgétaires qui permettent d’évaluer précisément l’action du Gouvernement. Je redis que nous voulons connaître le point de départ : ces documents doivent être précis sur les types d’emplois que vous voulez créer afin de suivre l’avancée de la programmation. Et s’il vous plaît, ne nous donnez pas les documents deux heures avant le vote, comme ce fut le cas pour la Lopmi.

Mme Caroline Abadie (RE). Le Printemps de l’évaluation est une procédure très saine, car notre rôle est aussi de contrôler l’action du Gouvernement. Tous les ministres se plient-ils à cet exercice devant la commission des finances ?

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Les chiffres donnés dans le RAP comprennent le compte d’affectation spéciale Pensions, ce qui ne serait pas le cas du rapport que nous demandons ici.

Au cours du Printemps de l’évaluation, tous les rapporteurs spéciaux font un point sur l’exécution budgétaire de l’année précédente. Ce rapport aiderait le rapporteur spécial de la mission Justice.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. J’ai récemment été auditionné pendant trois heures et demie par la commission des finances.

L’amendement CL882 est retiré.

La commission rejette l’amendement CL102.

Elle adopte l’amendement CL957.

M. le président Sacha Houlié. Nous en arrivons maintenant aux amendements portant sur le rapport annexé.

Amendement CL294 de M. Ugo Bernalicis

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). À défaut de pouvoir changer de ministre, nous vous proposons de lui assigner une nouvelle feuille de route : nous avons copié-collé dans cet amendement le livret « justice » du programme de Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle de 2022. Le ministre nous reproche d’accumuler les « y’a qu’à, faut qu’on » et nous traite de nihilistes. Eh bien, vous pouvez les trouver scandaleuses et irréalistes, mais nous formulons de très nombreuses propositions. Si vous avez l’impression contraire, c’est en raison de l’asymétrie entre les parlementaires et le Gouvernement, qui est un aspect particulièrement problématique de la Ve République.

En une seule phrase, il s’agit de réparer la justice de ce pays – pour de vrai.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il me semble que Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise, n’a pas gagné l’élection présidentielle. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Il n’a pas été Premier ministre non plus. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je ne m’attendais pas à des avis favorables, rassurez-vous ; j’aurais en revanche aimé vous entendre reconnaître que nous formulons bien des propositions. Les gens qui s’intéressent à nos débats pourront lire cet amendement pour comprendre vers quoi nous voulons aller et y trouver de bonnes idées.

Certaines de celles-ci finissent parfois par advenir, à force de persévérance ; en matière de régulation carcérale, je ne désespère pas.

Mme Caroline Abadie (RE). Ce programme fait notamment référence à la VIe République et prévoit des recrutements de magistrats absolument irréalistes. Nous nous discréditerions en votant cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL296 de Mme Andrée Taurinya

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Pour rendre aux métiers de la justice leur attractivité, voire leur crédibilité, il nous semble qu’il faut partir d’un diagnostic qui correspond à la réalité, en reconnaissant que la justice est très pauvre et que les changements en son sein sont souvent le fruit de logiques gestionnaires. Souvent, les évolutions qui nous sont proposées ne sont pas justifiées par une volonté de mieux faire, mais par un raisonnement en flux et en stock.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Certes, tout n’est pas parfait, mais reconnaissez que Mme Belloubet puis M. Dupond-Moretti ont obtenu des moyens inédits, et que la situation est bien meilleure qu’elle n’a été ! Nous ne serons pas d’accord sur tout, mais essayons de travailler ensemble.

Nous sommes loin de la saignée qu’était la réforme de la carte judiciaire imposée par Rachida Dati ; à l’époque, on pensait qu’en fermant des tribunaux et en supprimant des postes de magistrats, on aurait une justice plus rationnelle et plus efficace. Je me souviens avoir manifesté en 2010 avec mon écharpe d’adjoint au maire pour sauver le tribunal d’instance de Quimperlé. Je regrette encore aujourd’hui la fermeture de ce tribunal qui rendrait de grands services. Nous connaissons tous des exemples de ce type. Reconnaissons ces progrès historiques.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Vous parlez de crédibilité, mais vous proposez de créer 13 000 postes de magistrats et 20 000 postes de greffiers ! Ce sont des incantations. Le projet d’embaucher 1 500 magistrats et 1 500 greffiers est déjà considéré comme ambitieux, mais difficile, par ceux-là mêmes qui devront former ces nouveaux arrivants.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Vous parlez de travailler ensemble, monsieur le rapporteur : nous verrons bien à la fin du bal combien de nos amendements auront été retenus.

Des moyens supplémentaires sont consacrés à la justice, nous le reconnaissons bien volontiers. Mais il y a un problème de répartition – les 15 000 places de prison que vous prévoyez seront remplies aussi vite qu’elles seront créées – et il demeure un problème de montants.

La difficulté de fond, c’est surtout que, si l’on voit bien les logiques gestionnaires et la gestion de la pénurie, aucune stratégie globale ne se dessine.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL806 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL315 de Mme Andrée Taurinya

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). La rédaction actuelle du rapport annexé énonce que « la justice est […] aussi un service public, certes spécifique, qui doit répondre aux exigences d’efficacité et de modernisation ». Nous proposons d’écrire plutôt qu’elle est un service public « dont l’objectif doit être de préserver les intérêts de ses agents comme de ses usagers ».

Cela vous paraît peut-être philosophique, mais nous avons beaucoup entendu parler ces derniers jours d’agilité, de simplification, d’efficacité. Nous souhaitons sortir les services publics de cette logique managériale. Quand je vais au tribunal de Nantes, j’entends comme à l’hôpital que les agents souffrent du néo-managériat qui veut tout objectiver, tout chiffrer. Aux logiques marchandes, nous préférons l’humain.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable. J’aime la philosophie, mais quand il s’agit de répondre aux préoccupations des citoyennes et des citoyens de notre pays, l’efficacité ne me semble pas être un gros mot.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Évidemment, si vous aviez écrit que vous visiez l’inefficacité, cela aurait été bizarre. Vous vous moquiez de l’intervention de ma collègue Taurinya qui parlait de douceur de la vie et de droit au bonheur quand on est vieux. Mais il y a une réalité : vos mots cachent une politique qui porte un nom, le new public management, la nouvelle gestion publique. Cette théorie née dans les années 1970 aux États-Unis vise à rationaliser l’action publique pour permettre au privé de prendre toute sa place ; elle est sous-tendue par une idéologie néolibérale selon laquelle l’État est forcément un problème, une entrave au marché, qu’il faut réduire autant que possible. On a vu arriver ce mouvement en France avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et ses indicateurs de performance. Cela nous fait perdre le sens du service public.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL490 de M. Davy Rimane

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Cet amendement rappelle que l’accès à la justice est une impérieuse nécessité pour tous les citoyens. Dans les outre-mer, il est parfois très complexe, le rapport des états généraux de la justice le constate. C’est une réalité que nous voudrions mettre en lumière.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis favorable. Je suis breton, et les Bretons sont presque ultramarins !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je ne suis pas breton, et je le regrette ; je suis néanmoins favorable à cet amendement. Qui pourrait être défavorable à l’idée sublime d’une justice de qualité quel que soit le territoire où elle s’exerce ?

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement de précision CL881 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL347 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Je serai plus taquine que mon collègue Davy Rimane, mais vous ne manquez pas d’humour, monsieur le ministre.

Le rapport annexé synthétise le rapport du comité des états généraux en parlant du « constat d’une justice sous tension, parfois en difficulté pour remplir pleinement son rôle ». Or ce rapport constate « l’état de délabrement avancé dans lequel l’institution judiciaire se trouve aujourd’hui », ajoutant qu’« un point de rupture semble avoir été atteint ». Je propose donc d’adopter une nouvelle formulation et de parler du constat de « la crise majeure de l’institution judiciaire et de la nécessité d’une réforme systémique ».

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable. On pourrait passer beaucoup de temps sur ces formulations ; je n’ai rien contre la vôtre mais je préfère conserver la rédaction actuelle. Sur le fond, le constat d’une justice longtemps abandonnée mais qui renaît depuis cinq ans est partagé.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL491 de M. Davy Rimane

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Le rapport du comité des états généraux de la justice souligne que « les départements, régions et collectivités d’outre-mer présentent des caractéristiques démographiques et socio-économiques qui les distinguent significativement de la métropole et pèsent sur l’activité des juridictions et des services déconcentrés ». Cet amendement vise à remédier à l’insuffisante prise en considération des outre-mer.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement que nous avons adopté tout à l’heure me semble suffisant.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL807 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant les avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CL356 de M. Philippe Schreck et CL716 de Mme Gisèle Lelouis.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL808 et CL809 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL85 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). L’occurrence « et » revient à trois reprises à l’alinéa 24. Je propose de remplacer l’une d’elles par « ainsi que ».

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Amendements identiques CL219 de M. Jean Terlier, CL141 de Mme Cécile Untermaier, CL695 de Mme Caroline Abadie et CL958 de la commission des finances.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Il s’agit de rappeler que l’application du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) a permis de réduire les délais de jugement ainsi que de souligner la nécessité de renforcer le soutien aux juridictions en tension.

La commission adopte les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL405 de M. Philippe Schreck.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL810 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL412 de M. Philippe Schreck.

Amendement CL462 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous proposons d’ajouter un alinéa au paragraphe intitulé : « Une justice civile et commerciale au cœur des attentes des citoyens ». Nous entendons lutter contre les déserts judiciaires en recréant des tribunaux compétents pour les affaires familiales. La justice de proximité a une importance particulière en matière de protection de l’enfance. Il est intolérable que les gens doivent parfois parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour y avoir accès.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous remercie de souligner la qualité de la justice rendue par les juges aux affaires familiales (JAF), mais je ne crois pas que ce soit dans le rapport annexé que l’on puisse déterminer cette affectation. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Si ce n’est pas dans l’annexe, je ne vois pas où on pourra placer cette disposition. Il nous semble que le temps de trajet entre le domicile et le tribunal est un critère objectif –  vous le jugerez peut-être révolutionnaire – de nature à déterminer le bon maillage de la justice de proximité.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL465 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Cet amendement demande un rapport sur le contentieux de la protection. J’ai constaté, à l’occasion d’une journée d’immersion, à quel point les magistrats étaient dépourvus de moyens pour traiter des affaires de tutelle et de curatelle, qui ont des répercussions considérables pour les intéressés et leur famille. Les délais de jugement peuvent atteindre six mois.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je ne souhaite pas de rapport dans le rapport, car on risquerait de s’y perdre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL877 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il s’agit d’indiquer que l’éclatement des dispositions du code de procédure pénale nuit à son intelligibilité et à son accessibilité par les justiciables.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL878 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements en discussion commune CL421 de M. Philippe Schreck et CL348 de Mme Émeline K/Bidi.

Amendement CL316 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous proposons d’indiquer que 73 162 personnes sont placées derrière les barreaux à ce jour, dont plus de 49 000 sont incarcérées en maison d’arrêt, où la surpopulation moyenne avoisine 143 % – 2 241 personnes étant contraintes de dormir sur un matelas au sol. Il est important d’écrire les chiffres pour éviter que le problème ne soit mis sous le tapis.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suis sensible à cette question mais il s’agit d’une donnée factuelle qui ne sera plus vraie demain. Les chiffres, en la matière, sont publiés régulièrement. Avis défavorable, mais peut-être pourra-t-on ajouter quelques éléments à ce sujet, en séance, dans le rapport annexé.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous avons indiqué que c’était la situation au 1er mai. Les choses évolueront, naturellement, mais au moins, cela rend le problème visible.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL492 de M. Davy Rimane.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Cet amendement vise à mettre en lumière le problème de la densité carcérale, dont les répercussions sont plus fortes en outre-mer que dans l’Hexagone. Les conditions de détention sont parfois indignes, avec parfois neuf ou dix détenus dans une cellule prévue pour deux ou trois, ce qui rend également les conditions de travail des surveillants, très difficiles. Il faut prendre des mesures d’urgence adaptées aux spécificités de l’outre-mer.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Si on ajoute cette disposition, on pourrait faire de même pour la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie ou d’autres régions. En réalité, cette préoccupation existe partout en France. Avis défavorable.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Loin de moi l’idée de nier les difficultés présentes dans l’Hexagone, mais il me paraît important de mettre en exergue les problèmes que connaissent les territoires d’outre-mer, car leurs effets sont démultipliés.

La commission rejette l’amendement.

Suivant les avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CL515 de M. Yoann Gillet et CL596 de Mme Julie Lechanteux.

Amendement CL298 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Malgré un titre alléchant – « Une politique carcérale au cœur des attentions » –, le rapport annexé ne consacre que six lignes à ce sujet essentiel. L’amendement vise à leur substituer un paragraphe beaucoup plus détaillé. Nous y rappelons le principe de l’encellulement individuel, qui remonte à 1875. Nous évoquons la nécessité d’être plus attentifs, par exemple, aux détenus non francophones et aux personnes transgenres. Nous indiquons que la prise en charge psychosociale sera renforcée. On a connu des drames parce que des détenus souffrant de problèmes de santé mentale ne sont pas pris en charge du fait de l’état de ruine de l’hôpital.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je partage votre point de vue mais suis gêné par plusieurs aspects de votre amendement. Vous ne mentionnez aucune des avancées que nous avons obtenues – il est vrai, toutefois, que ce n’est peut-être pas le rôle de l’opposition. Plus fondamentalement, je m’étonne du décalage existant entre le dispositif de plusieurs de vos amendements et les exposés sommaires, qui sont à charge et expriment une indéniable violence. Ainsi nous accusez-vous de mener une politique pénale « répressive, inique, inepte, irrationnelle, qui méconnaît la délinquance et ses racines, avant tout sociales ». Sans doute, en entretenant un rapport plus apaisé, parviendriez-vous à faire adopter un plus grand nombre d’amendements sur le rapport annexé.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). L’objet du rapport annexé n’est pas de dresser un bilan mais de dessiner les contours de la politique qui sera menée d’ici à 2027. Or votre paragraphe ne dit rien à ce sujet. Les Français ont besoin d’éléments précis.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL438 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Aux termes de l’alinéa 49, les crédits du budget de la justice connaîtront une augmentation de 21 % entre la loi de finances initiale pour 2022 et l’année 2027. Nous proposons de soustraire l’année 2022, déjà exécutée, ainsi que l’année 2023, en cours d’exécution et dont les crédits ne devraient pas connaître de progression notable. Si l’on retire ces deux exercices, la hausse n’est plus que de 12 %.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il faut rappeler que les crédits ont connu une augmentation de 32 % entre 2017 et 2022. Il n’y a donc pas de rattrapage : on s’inscrit dans la continuité des efforts déjà engagés.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL907 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL442 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Je propose l’ajout des mots : « inflation comprise » à l’alinéa 51. Le budget de la justice est sensible à l’inflation puisqu’il comprend un volet immobilier important. Les prévisions montrent que, même si elle ne demeurera pas au niveau actuel, l’inflation restera présente tout au long de la période.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. La trajectoire budgétaire proposée tient compte des hypothèses d’inflation pluriannuelles retenues par Bercy et appliquées aux postes soumis à l’inflation. De plus, la clause de revoyure de 2025 a pour objet d’ajuster, si nécessaire, les crédits immobiliers du ministère, notamment en fonction du rythme de l’inflation.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL449 de M. Philippe Schreck.

Amendement CL91 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). L’amendement vise à retirer les 605 ETP recrutés en gestion en 2022 au titre de la justice de proximité car ils n’ont pas vocation à figurer dans le présent programme, lequel couvre les années 2023 à 2027.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL94 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). L’alinéa 54 évoque une « trajectoire budgétaire sécurisée ». Il n’en est rien puisque les projections, qui n’ont pu être avalisées par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), sont par nature incertaines. Je demande donc la suppression du mot : « sécurisée ».

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il y a une volonté politique d’accroître les moyens dédiés à la justice tout au long du quinquennat. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL908 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL734 de Mme Gisèle Lelouis.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL909 et CL910 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL98 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Les greffiers demandent instamment à rejoindre la catégorie A de la fonction publique. Il me paraît utile d’inscrire cet objectif dans le cadre du renforcement de l’attractivité des métiers,

M. Erwan Balanant, rapporteur. La Chancellerie mène des travaux sur les conditions de travail des greffiers. Je vous demande de retirer votre amendement car ce sujet relève de l’exécutif.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Un travail est en effet engagé avec le ministère de la transformation et de la fonction publiques afin d’envisager une revalorisation de la grille indiciaire des greffiers, corps de catégorie B. Demande de retrait.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je me permets d’insister car les greffiers souhaitent vivement avoir la possibilité, au cours de leur carrière, d’accéder à la catégorie A. Cette demande est à mettre en relation, entre autres, avec l’arrivée prochaine des attachés de justice. Peut-être pourrait-on mentionner l’objectif dans le rapport annexé, quitte à recourir à une rédaction différente ?

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL653 de Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie (RE). Les différentes revalorisations salariales et statutaires que l’on a connues dans l’administration pénitentiaire au cours des dernières années ont produit une incohérence : les directeurs de service pénitentiaire d’insertion et de probation gagnent parfois jusqu’à 150 euros de moins que les conseillers qu’ils encadrent. Cet amendement vise à engager le Gouvernement à mettre fin à cette anomalie. C’est l’occasion de reconnaître ces acteurs essentiels du service pénitentiaire, dont les fonctions sont parfois méconnues.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est une préoccupation qui a été exprimée au cours des auditions. Ce sujet relevant de l’exécutif, je me contenterai de donner un avis favorable et de laisser le ministre exprimer son point de vue.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Le corps des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation est un maillon essentiel de la chaîne pénale, qui souffre d’une baisse d’attractivité. C’est l’une des raisons qui m’incitent à donner un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL911 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL310 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Par cet amendement nous invitons le Gouvernement à nous faire part d’une stratégie en matière de déflation pénale. On a beau durcir les peines, criminaliser des faits qui pourraient être considérés comme des incivilités, cela ne favorise pas la prévention, qu’il s’agisse d’infractions ou de récidive. La prévention est pourtant l’un des objectifs de la justice. On pourrait même dire que la hausse des quanta de peine voulue par le Gouvernement a un effet contre-productif car les magistrats ne suivent pas le mouvement. Les mauvais esprits en déduisent que la justice est laxiste.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Comme je l’ai dit, avis défavorable à toute demande de rapport dans le rapport.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL459 de Mme Andrée Taurinya.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Cet amendement vise à ce que le Gouvernement remette un rapport sur les conditions d’attribution des congés bonifiés au sein de l’administration pénitentiaire. Cette question intéresse nos agents publics issus des territoires ultramarins. Comme l’a dit Davy Rimane, les difficultés sont démultipliées en outre-mer.

M. Erwan Balanant, rapporteur. J’en profite pour dire à M. Rimane qu’il pourrait faire part de ses préoccupations sur le milieu carcéral au sein des développements que le rapport annexé consacre à l’outre-mer. Peut-être est-il possible d’y travailler d’ici à l’examen en séance. Cela dit je suis défavorable à votre demande de rapport, monsieur Kerbrat.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL912 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL456 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Je souhaiterais que l’on rappelle l’obligation d’emploi de 6 % de personnes en situation de handicap. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, nous avions proposé la mise en place d’un indicateur permettant de vérifier le respect de ce seuil, ce qui nous avait été refusé.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La préoccupation est légitime mais l’insertion, dans un rapport du Gouvernement, du contenu de la loi sur le handicap s’apparenterait à une mise en abyme peu utile à mes yeux. Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL913 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL317 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Les contractuels recrutés et formés dans le cadre de la lutte contre les violences intrafamiliales et de la justice de proximité pourraient se voir proposer un CDI. Nous voulons aller plus loin en les titularisant. Nous avons déjà longuement discuté de ce sujet hier et ce matin : mettons fin à la contractualisation et titularisons ces personnels, dont nous avons besoin, afin de les fidéliser et d’éviter le turnover !

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL457 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Nous sommes favorables à ce que les contractuels des catégories A, B et C puissent bénéficier d’un CDI à l’issue de la première période de leur contrat. Le rapport annexé prévoit l’automaticité de cette mesure. Bien que cette dernière concerne peu d’agents, il me semble préférable de la soumettre à l’avis conforme de leur hiérarchie.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL531 de Mme Edwige Diaz.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Nous appelons le Gouvernement à considérer la lutte contre les violences intrafamiliales comme l’une des grandes causes du quinquennat en cours. Dans les faits, la « grande cause » annoncée il y a six ans par le Président de la République, qui consiste à intensifier la prévention et la lutte contre toutes les formes de violences sexistes et sexuelles, ne tient pas toutes ses promesses. Ainsi, 110 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint en 2022.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cet amendement n’est pas vraiment à sa place à l’alinéa 70, qui traite des recrutements. Le sujet devrait plutôt être évoqué à l’alinéa 317, qui détaille la future organisation des pôles spécialisés. Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL206 de M. Jordan Guitton.

Mme Pascale Bordes (RN). Cet amendement vise à rappeler les prérogatives principales des magistrats face à l’objectif annoncé de renforcer leurs tâches de management. Il est important que ces dernières n’empiètent pas sur leurs missions historiques.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les magistrats continueront de juger et d’enquêter. Cependant, pour mener à bien ces missions, ils bénéficieront désormais d’équipes autour d’eux : le fait qu’ils acquièrent de nouvelles compétences en management va donc dans le bon sens. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL514 de M. Yoann Gillet.

Amendements identiques CL218 de M. Jean Terlier, CL142 de Mme Cécile Untermaier et CL959 de la commission des finances.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Il s’agit de préciser qu’un effort de formation sera réalisé au profit des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

La commission adopte les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL914 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL960 de la commission des finances.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Alors que la quasi-totalité des juges ont désormais affaire à des enfants, il convient de rappeler la nécessité de mettre en place, dans le cadre de la formation des magistrats, un module sur l’intérêt supérieur de l’enfant et la prise en compte de ses besoins fondamentaux.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suis sensible à cette attention, étant moi-même membre de la délégation aux droits des enfants. La loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a déjà prévu que les magistrats reçoivent une formation sur ce sujet spécifique et, un peu plus largement, sur celui de la vie scolaire. Nous nous devons de porter une attention particulière, exigeante, à notre jeunesse et nos enfants. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL915 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL314 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Le taux de pauvreté dans les outre-mer est deux à cinq fois plus élevé qu’en métropole. Alors que le niveau de revenus reste déterminant dans l’accès à la justice, chaque citoyen, qu’il soit riche ou pauvre, doit pouvoir faire valoir ses droits. Nous demandons donc une augmentation de l’aide juridictionnelle dans les collectivités d’outre-mer.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cette préoccupation est importante, mais ce n’est pas parce qu’il n’existe pas de ligne spécifiquement dédiée à l’aide juridictionnelle dans les outre-mer qu’aucun budget n’est prévu. En 2023, les crédits de la mission Justice consacrés aux outre-mer s’élèvent à 40 millions d’euros. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Regardez donc le niveau de consommation des crédits relatifs à l’aide juridictionnelle !

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL313 de Mme Andrée Taurinya.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Par cet amendement d’appel nous demandons « un rapport visant à définir un plan d’action détaillé de réinvestissement dans l’accès au droit dans les territoires ultramarins de la France ». J’entends bien que ce n’est pas parce que la ligne n’existe pas que le budget n’existe pas ; cependant, comme M. Rimane, Mme Martin et moi-même l’avons rappelé à plusieurs reprises, cette énième demande de rapport est pour nous un moyen d’obtenir le plus de précisions possible en vue d’agir pour corriger une situation dégradée.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL916, CL917, CL918 et CL919 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL964 de la commission des finances.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Dans la partie du rapport annexé relative à l’action sociale du ministère de la justice, il est indiqué par deux fois, s’agissant du chèque emploi service universel (Cesu) et des places de crèche, qu’un effort particulier doit être réalisé « dans les grandes agglomérations » et « en Île-de-France ». Or les juges et les personnels du ministère sont implantés un peu partout dans le pays. Afin d’éviter que l’Île-de-France et les grandes métropoles soient les seules soutenues et d’assurer une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national, je propose de supprimer les mentions incriminées.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je m’étais fait la même remarque et j’avais initialement déposé le même amendement. On m’a alors expliqué qu’il existait en Île-de-France des préoccupations importantes en matière de logement, en partie liées à la construction des prisons : j’ai donc retiré mon amendement et je vous demanderai de faire de même.

Il existe certes des zones tendues, manquant de logements et de places de crèche, mais elles ne se situent pas uniquement en Île-de-France. Peut-être pourrions-nous donc, d’ici à l’examen en séance, échanger avec les services du ministère afin de trouver une rédaction différente. Il s’agirait de tenir compte des endroits marqués par des problèmes particuliers sans mentionner l’Île-de-France en particulier.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’idée est plus qu’excellente : elle va naturellement dans le bon sens. J’allais proposer de retravailler la rédaction des alinéas concernés d’ici à la séance, mais nous pourrions tout aussi bien supprimer dès à présent les mentions contestées. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL920 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL461 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Soucieux des conditions de travail des agents, nous aimerions que le ministère s’engage à réaliser annuellement un bilan social portant spécifiquement sur les personnels pénitentiaires. Alors que l’administration n’a pas publié un tel bilan depuis trois ans, il nous semble opportun de lui rappeler cette obligation.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il me semble un peu superfétatoire de mentionner cette obligation réglementaire dans le rapport annexé. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement. Il n’en demeure pas moins que le sujet est important : aussi pourrions-nous rechercher ensemble une rédaction convenable.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Ce bilan social n’a pas été fourni depuis trois ans. Si vous aviez assisté aux auditions que nous avons organisées avec les personnels pénitentiaires, vous sauriez qu’ils réclament ce document. Puisque le rapport annexé vise à définir la ligne d’action du ministère de la justice jusqu’en 2027, il nous semble opportun d’y rappeler cette obligation. Si nous ne le faisons pas dans ce cadre, où pourrons-nous le faire ?

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL921 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL458 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Nous revenons à la question du taux d’emploi des personnes en situation de handicap. Il y a quelques minutes, monsieur le rapporteur, alors que j’avais défendu mon amendement CL456, vous m’avez répondu qu’il n’était pas d’usage de rappeler la loi dans un rapport. Or je note qu’est mentionné à l’alinéa 111 le taux que j’avais proposé d’ajouter à l’alinéa 69.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce n’est pas moi qui ai rédigé le rapport annexé ! Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL922, CL923 et CL924 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL132 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). J’aimerais que soit réaffirmé – si ce n’est dans la loi, au moins dans le rapport annexé – le principe de liberté syndicale des magistrats. Je m’élève contre un amendement adopté par le Sénat visant à imposer le respect du principe d’impartialité, qui pourrait être interprété comme une restriction apportée à l’action syndicale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il me semble que Monsieur Paris a l’intention de supprimer l’alinéa 2 de l’article 1er du projet de loi organique, qui évoque « le respect du principe d’impartialité qui s’impose aux membres du corps judiciaire ». Cependant, la mention du principe de liberté syndicale a davantage sa place dans la loi que dans le rapport annexé. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL925 et CL906 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL879 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il me semble opportun de préciser que la nécessaire modélisation du rôle des collaborateurs entourant les magistrats doit « prendre en compte les spécificités de chaque juridiction ». Il est en effet important de préserver une certaine souplesse dans l’organisation des équipes.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CL99 et CL100 de Mme Cécile Untermaier (discussion commune).

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’amendement CL99 prévoit que « des critères d’affectation des attachés de justice auprès des différentes juridictions sont fixés par la chancellerie et sont rendus publics ». Quant à l’amendement CL100, il précise que « le juge des libertés et de la détention bénéficie en priorité de l’affectation à ses côtés d’un attaché de justice ».

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il est assez rare que nous ne soyons pas en phase l’un avec l’autre. Alors que je viens de réclamer un peu de liberté pour chaque juridiction, vous demandez la fixation de règles précises.

La publication des critères d’affectation des attachés de justice ne pose pas de problème. Pour le reste, je pense vraiment qu’il faut laisser de la souplesse aux juridictions, dans un cadre défini par la chancellerie. Je vous demande donc de retirer votre amendement CL99.

Par ailleurs, les juges de la liberté et de la détention, dont le rôle évoluera quelque peu, ne seront pas les seuls à avoir des besoins. Si nous leur accordons une priorité dans l’affectation des attachés de justice, cela ne manquera pas de susciter quelques tensions. Je donne donc à votre amendement CL100 un avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je retirerai ces deux amendements d’appel. Je voulais juste que l’on sache sur quelles bases les attachés de justice seront affectés dans les différentes juridictions. Nous allons être interrogés à ce sujet, d’autant que nous pourrons désormais assister aux conseils de juridiction.

Les amendements sont retirés.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL926 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL524 de M. Yoann Gillet.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Les institutions judiciaires de la Martinique et de la Guadeloupe souffrent d’un manque important de moyens humains et matériels. Aussi proposons-nous de répondre efficacement aux difficultés des juridictions de Fort-de-France et de Basse-Terre.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Des dispositifs exceptionnels, que M. le garde des Sceaux vous présentera certainement, ont déjà été mis en œuvre dans ces territoires.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Nous avons déjà constitué des brigades de soutien pour Mayotte et Cayenne : dès la publication des appels à candidature, nous avons très rapidement reçu des demandes émanant de magistrats et de greffiers désireux d’y participer. Les retours de cette expérience sont positifs : ces brigades ont très bien fonctionné.

J’espère pouvoir compter sur vous pour rétablir, dans le projet de loi organique, ce dispositif qui n’a pas recueilli l’assentiment du Sénat. Les brigades de soutien, qui regrouperont des magistrats et des greffiers déjà en poste en métropole, auront vocation à intervenir pendant trois mois là où des difficultés se présentent, notamment dans les collectivités ultramarines.

D’autres mesures visant à accroître l’attractivité de ces territoires ont déjà été mises en place et devront être développées.

À ce stade je vous demande donc de retirer votre amendement, étant entendu que nous reparlerons de tout cela lors de l’examen du projet de loi organique.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL927, CL880 et CL876 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL471 de Mme Clara Chassaniol.

Mme Clara Chassaniol (RE). Cet amendement vise à compléter les dispositions relatives à la transformation des outils numériques mis à la disposition de la justice. Les états généraux de la justice ont souligné la nécessité d’élaborer un nouveau plan de transformation numérique, organisé autour de huit objectifs stratégiques. Je vous propose d’en ajouter un neuvième, celui de préserver la souveraineté des données personnelles en privilégiant le recours à des solutions technologiques développées par des entités françaises ou dans l’Union européenne.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous soulevez une vraie question, qui rejoint d’ailleurs celles que nous nous poserons tout à l’heure au sujet de l’intelligence artificielle. Je donne à votre amendement un avis favorable et j’aimerais que, d’ici à la séance, nous continuions de réfléchir à ces questions. L’intelligence artificielle fait un peu peur mais, si notre justice ratait le virage des évolutions technologiques actuelles, nous ferions la même erreur que si nous avions manqué il y a quelques années le virage du numérique et de la numérisation. Je cherche donc des volontaires pour travailler avec moi sur une série de petits dispositifs à ajouter dans le rapport annexé.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CL96 de Mme Cécile Untermaier et CL941 de M. Erwan Balanant (discussion commune).

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je m’interroge sur l’influence de l’intelligence artificielle sur le travail juridictionnel des magistrats. Alors qu’un nombre croissant de start-up viennent frapper à la porte des juridictions et des cabinets d’avocats, il me semble important d’engager une réflexion sur une nécessaire régulation. Plutôt que d’intelligence artificielle, je parlerais d’ailleurs d’« outils performants ». Je suis bien consciente que ma proposition n’est pas aboutie : il faut donc considérer mon amendement CL96 comme un amendement d’appel qui me permet de soulever cette question essentielle.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suis tout à fait en phase avec vos préoccupations. Dans le monde de la justice, l’intelligence artificielle fait peur. Nous craignons tous les dérives d’une justice à la Minority Report où le juge n’aurait rien à décider, puisque l’intelligence artificielle fournirait elle-même la décision la plus logique au vu de la loi et de la jurisprudence. Une telle situation serait en effet très risquée. Néanmoins, pour les acteurs de la justice comme pour les chercheurs en sciences humaines, cet outil peut s’avérer intéressant, par exemple dans l’analyse de documents.

Je propose que nous retirions tous les deux nos amendements afin de travailler ensemble à une disposition plus aboutie. Je suis à la disposition des députés de tous les groupes désireux de participer à cette réflexion.

Les amendements sont retirés.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL811, CL812 et CL813 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CL95 et CL97 de Mme Cécile Untermaier.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL814 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL942 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cet amendement porte une nouvelle fois sur l’intelligence artificielle. Comme les précédents, je le retire afin que nous puissions travailler à une proposition plus aboutie.

L’amendement est retiré.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL815, CL816 et CL817 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendements identiques CL220 de M. Jean Terlier, CL965 de la commission des finances et CL143 de Mme Cécile Untermaier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Ces amendements visent à répondre à une préoccupation identifiée avec Mme Untermaier dans le cadre de notre mission d’information sur l’évaluation de la mise en œuvre du code de la justice pénale des mineurs.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous souhaitons que la dématérialisation des dossiers uniques de personnalité des mineurs soit poursuivie et adaptée en vue d’une meilleure coordination entre les prises en charge pénale et civile. Nous avons observé beaucoup de copier-coller et de transmissions de papiers inutiles venant alourdir les procédures. La Chancellerie devrait réfléchir à la mise en place d’une plateforme où l’information serait partagée, avec toute la confidentialité nécessaire, afin de nourrir un dossier numérique auxquels les avocats pourraient peut-être avoir accès.

La commission adopte les amendements.

Amendement CL295 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La dématérialisation ne fait pas une politique publique : elle peut même comporter un certain nombre de risques en termes d’accès au droit et aux grands services publics. Il nous paraît donc nécessaire de maintenir, au moins dans chaque ressort de tribunal judiciaire, des points d’accès physique et téléphonique pour les justiciables.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez raison, le numérique ne fait pas tout : nos concitoyens ont aussi besoin de points d’accès réels au service public de la justice, dont le déploiement sera permis par les moyens supplémentaires accordés. Je vous ai parlé tout à l’heure du tribunal de Quimperlé, qui a fermé en 2010 : le point d’accès au droit qui lui a succédé a bien fonctionné. Les maisons France Services peuvent également être des relais. Je donne à votre amendement un avis défavorable, tout en partageant votre préoccupation d’un maillage territorial suffisant.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Vous oubliez les 2 080 points justice, les 148 maisons de la justice et du droit, les 264 services d’accueil unique du justiciable qui ont été créés et dont la répartition territoriale est ainsi faite que le justiciable qui a besoin d’un point justice le trouve à une distance raisonnable de son domicile, notamment dans les territoires dépourvus de transports en commun. Vous qui nous critiquez beaucoup, savez-vous qu’en 2022, nous avons reçu 900 000 personnes dans ces différents lieux ?

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Si l’objectif est déjà rempli, autant inscrire dans le projet de loi que cela doit rester ainsi. La dématérialisation peut certes améliorer les choses, mais il faut maintenir l’accès des justiciables à leurs droits. De nombreuses personnes sont en situation d’illectronisme ou n’ont pas d’accès à internet. Le respect des droits devrait faire partie de vos objectifs.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL603 de Mme Julie Lechanteux.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Cet amendement vise à étendre le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) aux auteurs de violences intrafamiliales ayant entraîné une incapacité temporaire de travail (ITT) d’une durée supérieure ou égale à huit jours.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il faut raison garder. Sans nier l’importance ni la gravité des violences intrafamiliales, je rappelle que le Fijais concerne les crimes de meurtre, d’assassinat, de viol, de torture ou d’actes de barbarie, la traite des êtres humains, le proxénétisme, les agressions sexuelles et la pédopornographie... Les violences que vous évoquez ne me semblent pas relever du même fichier. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL819 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL159 de M. Philippe Schreck.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL820 et CL821 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements rédactionnels CL86, CL87, CL88, CL89 et CL90 de Mme Pascale Bordes.

Amendement CL468 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Alors que le rapport énumère une série de projets immobiliers de la justice, qui concernent aussi bien l’extension que la rénovation ou la construction de centres pénitentiaires ou de tribunaux, je m’étonne qu’à l’alinéa 192 ne soit pas mentionné le tribunal de Toulon, plusieurs fois promis. J’ai bien noté lors de l’audition du ministre que cette liste n’était pas exhaustive et qu’il fallait peut-être consulter le site internet du ministère pour voir l’ensemble des projets mais un rapport me semble avoir plus de poids qu’une page web.

À Toulon, tous les sites sont éclatés et les juges, les fonctionnaires, les avocats et les justiciables sont confrontés à des difficultés opérationnelles. Il ne coûte rien de mentionner dans le rapport la situation de la préfecture du Var.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La liste concerne des projets dont la date prévisionnelle de mise en chantier se situe en 2023 ou 2024 et j’ai, à cet égard, une bonne nouvelle pour vous : le projet de la cité judiciaire de Toulon est déjà lancé et un appel d’offres a été publié la semaine dernière pour la sécurisation de l’emprise de l’extension du projet. Soyez donc rassuré. Une page est d’ailleurs consacrée au projet du palais de justice sur le site de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice. En outre, une nouvelle structure d’accompagnement vers la sortie verra le jour à Toulon en 2023.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL670 de M. Raphaël Gérard.

Mme Caroline Abadie (RE). Raphaël Gérard, soucieux de constater le vieillissement de la population carcérale, propose que le rapport annexé en fasse état. De la même manière que nous nous préoccupons des personnes en situation de handicap, nous devons garder à l’esprit le fait que, dans nos prisons, de nombreuses personnes sont en perte d’autonomie.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les auditions auxquelles nous avons procédé et les dialogues que nous avons eus avec l’administration pénitentiaire montrent que la préoccupation de Raphaël Gérard est déjà prise en compte. Il me semble toutefois pertinent qu’elle figure dans le rapport annexé.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. On comptabilise près de 3 000 détenus de plus de 60 ans, qui ne sont pas tous concernés de la même façon par les problèmes liés au vieillissement et à la dépendance. À l’échelle nationale, il existe 527 cellules adaptées aux personnes à mobilité réduite et tous les établissements neufs disposent de 3 % de cellules de ce type, conformément à la réglementation. L’enveloppe dédiée à la mise en accessibilité des établissements pénitentiaires est de 32 millions d’euros pour la période 2018-2022.

Enfin, des actions spécifiques sont mises en œuvre pour améliorer la prise en charge de ces publics, qu’il s’agisse de l’intervention en prison de services d’aide et d’accompagnement à domicile ou de l’amélioration de l’accès aux structures d’Ehpad à la libération. Nous prenons donc ce sujet à bras-le-corps.

Je suis ravi de lire cet amendement sous la plume du député Raphaël Gérard et je m’en remets à la sagesse de la commission.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Notre groupe votera cet amendement, qui invite à réfléchir sur les conditions du vieillissement de la population. Il ne faudrait pas que se produise en France ce qui arrive au Japon, où des personnes âgées commettent volontairement des délits pour aller en prison, en raison des mauvaises conditions d’accueil dans les Ehpad et du coût du séjour dans ces établissements. Voter cet amendement prépare le terrain.

M. le président Sacha Houlié. Il me paraît hasardeux de comparer nos Ehpad aux prisons françaises, surtout après avoir longtemps dénoncé les conditions d’incarcération.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL297 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous souhaiterions que vous nous communiquiez des éléments précis de programmation et de planification concernant des rénovations massives, voire des démantèlements d’établissements pénitentiaires, car nous ne faisons qu’apercevoir certains projets sans disposer d’informations relatives aux grosses rénovations coûteuses qui devront être mises en œuvre, comme celle de Fresnes. Cela pourrait en outre être l’occasion d’une réflexion sur la forme des établissements pénitentiaires, car on sait que les établissements hypersurveillés par la « machine », c’est-à-dire par des outils technologiques, et très aseptisés font augmenter le taux de suicides.

Monsieur Erwan Balanant, rapporteur. Nous n’avons pas à rougir de ce qui a été engagé dans le domaine pénitentiaire, avec des augmentations budgétaires de 2,2 % en 2018, 5,7 % en 2019, 6,2 % en 2020, 7,8 % en 2021, 7,4 % 2022 et 7,5 % en 2023. Nous avons rénové plusieurs prisons et, pour avoir visité certaines d’entre elles avant et après travaux, je peux dire qu’il y a réellement du mieux. Malgré vos critiques, il est important de consacrer de l’argent au monde pénitentiaire pour rénover le parc existant.

Je souscris, comme sans doute l’administration pénitentiaire, à l’idée que nous devons avoir une réflexion sur les différents modèles de prison dont nous avons besoin pour incarcérer, selon les cas, des profils différents. Cette dimension me semble également prise en compte.

Notre parc carcéral a besoin d’être rénové et refondé. C’est la raison pour laquelle, depuis presque six ans maintenant, nous avons fait un effort financier conséquent dans ce domaine. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous pourrons donc présenter à nouveau cet amendement en séance. En matière de réflexion, nous ne voyons rien venir et tous les projets concernent jusqu’à présent des établissements pénitentiaires aseptisés, refermés sur eux-mêmes et contrôlés par la machine – ou, si vous préférez, par la technologie –, facteurs de déshumanisation.

Nous vous inviterons donc à partager avec nous, durant l’examen du texte en séance publique, votre réflexion et, le cas échéant, à nous communiquer les documents correspondants. J’en serai ravie.

Monsieur Erwan Balanant, rapporteur. Durant la législature précédente, j’ai visité à plusieurs reprises sept prisons différentes. Des évolutions ont eu lieu. Vous évoquez une prison refermée sur elle-même, et c’est en partie vrai, mais nous avons aussi créé le statut du travailleur pénitentiaire, qui permet de faire entrer le travail dans la prison, et certaines prisons mettent en place divers programmes. Allez voir les prisons et rencontrez les personnels pénitentiaires : vous verrez qu’ils font beaucoup d’efforts pour rendre leurs prisons plus humaines.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CL207 de M. Jordan Guitton et CL526 de M. Yoann Gillet.

Amendement CL966 de la commission des finances.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Cet amendement, déposé en commission des finances par nos collègues Mathieu Lefèvre et Charles Sitzenstuhl, vise à ajouter, à l’alinéa 201, les mots : « assurer l’effectivité de la réponse pénale ».

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL822 et CL823 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendements CL529 de M. Yoann Gillet et CL92 de Mme Pascale Bordes (discussion commune).

Mme Pascale Bordes (RN). La radicalisation contenant intrinsèquement de la violence, il convient de supprimer l’adjectif « violente », car ne pas le faire supposerait que l’on ne devrait lutter que contre la radicalisation violente, et non pas contre toute forme de radicalisation, et qu’il existerait de la radicalisation non-violente.

Monsieur Erwan Balanant, rapporteur. Il existe en effet de la radicalisation non‑violente, et je ne suis pas certain qu’elle pose nécessairement un problème à la société. Avis défavorable.

Mme Pascale Bordes (RN). Il suffit d’aller dans les prisons pour s’en rendre compte. La radicalisation est la mère de bien des difficultés. Si on ne lutte pas à la base, le combat est perdu.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Une distinction sémantique importante s’impose. On peut en effet être radical sans être violent, et c’est d’ailleurs ce que nous incarnons : nous sommes radicaux, mais nous ne sommes pas violents. Nous avons pour idée d’en finir avec le système capitaliste, ce qui est très radical, mais nous considérons que c’est le capitalisme qui est violent et qui organise la misère et la mort, avec une violence qui s’exerce parfois avec les outils de l’État lui-même. Nous sommes donc opposés à cet amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL824 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL318 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous aimerions voir inscrire dans le rapport annexé que le mécanisme de régulation carcérale sera adopté le plus tôt possible pour atteindre un taux d’encellulement individuel de 100 % avant l’expiration, en 2027, d’un moratoire qui a déjà été repoussé trois fois. Vous voulez construire 15 000 places de prison afin d’obtenir un taux d’encellulement individuel de 80 %, mais il faut aller plus loin en nous fixant cet objectif de 100 % et en l’inscrivant avec précision dans le rapport annexé, dont il a déjà été souvent relevé qu’il n’était pas très précis et contenait beaucoup de blabla.

Monsieur Erwan Balanant, rapporteur. La question n’est pas tant de mettre en place ce mécanisme de régulation que d’atteindre les objectifs de la loi en termes d’encellulement individuel, avec un taux qui, du reste et pour diverses raisons, ne sera pas de 100 % car, dans certains cas – par choix des détenus ou, par exemple, pour prévenir les suicides –, l’encellulement ne doit pas être individuel.

Je demande donc le retrait de cet amendement pour préserver la cohérence avec le travail collectif qu’avec Caroline Abadie, Elsa Faucillon et d’autres, nous nous sommes engagés à effectuer sur nos prisons.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Avis défavorable. Nous avons dit hier que nous faisions tous le même constat, que des travaux avaient été menés par Caroline Abadie et Elsa Faucillon, que nous devions en parler, aller de l’avant et débattre encore, et que, si c’était possible, nous aurions des échanges transpartisans sur ce sujet qui nous préoccupe tous.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il est donc possible, à vous entendre – et il est même très probable – qu’au 31 décembre 2027 nous n’atteignions pas l’objectif que vous nous avez fait voter l’année dernière en nous disant, la main sur le cœur, que le problème serait réglé à cette date. En réalité, il ne le sera pas, et vous le savez aussi bien que nous.

Si nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation où nous devrions, à la faveur d’un amendement examiné en séance dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative, voter une énième prolongation du moratoire sur l’encellulement individuel, mieux vaudrait éviter de parler de taux et parler plutôt de droit à l’encellulement individuel, idée qui me semble recueillir l’assentiment de tous. De fait, même si nous avions assez de places de prison, vous ne pourriez garantir que le taux d’encellulement conviendrait partout, par exemple en cas d’interpellations nombreuses dans une grosse ville, et un mécanisme de régulation serait nécessaire pour éviter que ce taux soit de 140 % dans certains établissements et de 60 % dans d’autres.

Mme Caroline Abadie (RE). Je comprends tout à fait le souci qu’exprime cet amendement, mais tous les groupes, hier, ont unanimement souscrit au constat, avec le ministre et le rapporteur, et accepté de se mettre autour de la table pour travailler la semaine prochaine, en vue de l’examen en séance, à un dispositif transpartisan qui nous permettrait de sortir de cette difficulté.

J’entends les arguments qui voudraient nous faire dire que nous sommes en difficulté, mais nous le reconnaissons bien volontiers et l’avons d’ailleurs tous reconnu hier soir. Il est peut-être plus important que des mesures figurent dans le texte du projet de loi que dans le rapport annexé et, si elles doivent apparaître dans les deux, elles devront être cohérentes. Nous devons avoir l’ambition de mener ce travail en commun.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL668 de M. Romain Baubry.

Amendement CL312 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cet amendement vise à ce qu’un rapport mesure l’écart entre le caractère exceptionnel que doit avoir, selon la loi, la détention provisoire et la réalité, où 20 000 personnes sont détenues à ce titre. Nous aurions intérêt, pour le bon fonctionnement de la justice, à nous interroger sur les causes de cet écart. Nous pourrions, par exemple, analyser la détention provisoire au regard des raisons qui y conduisent, des contextes dans lesquels elle est prononcée, de sa durée et de son impact sur la surpopulation carcérale. Ce rapport n’est pas destiné à caler les armoires, mais à mieux comprendre le phénomène d’inflation de la détention provisoire.

Monsieur Erwan Balanant, rapporteur. J’en reste à notre doxa : pas de rapport dans le rapport. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL825 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendements CL469, CL470, CL474 et CL475 de M. Philippe Schreck (discussion commune).

M. Philippe Schreck (RN). Il sera difficile de réaliser dans les délais le plan de 15 000 places de prison. Parmi les obstacles à sa réalisation figure souvent la défiance des élus, qui ne veulent pas toujours avoir sur leur territoire un centre de détention ou un établissement pénitentiaire. Un travail de dialogue doit être engagé avec eux et certains tabous doivent peut-être être brisés.

L’une des pistes à suivre repose sur la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU, qui leur impose des quotas de logements sociaux parfois très difficiles à atteindre, notamment pour des raisons d’urbanisme. Les amendements CL469 et CL470 visent donc, d’une part, là où les projets sont ciblés, à intégrer l’équation du centre pénitentiaire dans la dotation globale de financement (DGF) de ces élus, et, d’autre part, à intégrer dans les quotas, éventuellement avec une pondération, le nombre de personnes accueillies dans ces centres de détention, qui ont un rôle évidemment social. Je ne détiens aucune vérité et il ne s’agit là que de pistes, mais je constate souvent des réticences liées à un manque de communication avec les élus.

Monsieur Erwan Balanant, rapporteur. Votre préoccupation de prendre en compte les établissements pénitentiaires dans le calcul de la DGF est légitime, mais il ne me semble pas qu’elle doive figurer dans ce rapport annexé. Sa place est plutôt en commission des finances, à l’occasion du PLF. Je demande donc le retrait de l’amendement CL469.

Sur l’amendement CL470, avis défavorable. Il ne faut pas mélanger les questions.

Avis défavorable également sur les amendements CL474 et CL475.

Mme Caroline Abadie (RE). Nous avons travaillé sur cette question avec Philippe Benassaya à l’occasion de notre précédent rapport sur les éventuels dysfonctionnements de la politique pénitentiaire, où nous avions relevé qu’il était difficile pour les communes d’accepter l’implantation d’établissements pénitentiaires sur leur territoire. Parmi les leviers que nous avions identifiés pour y remédier figuraient le recours à la DGF ou la prise en compte des places de prison au titre des logements sociaux. Du reste, les communes hébergeant des établissements pénitentiaires engagent des moyens pour aider à la réinsertion. Il y avait donc là une logique et, malgré les arguments du rapporteur, il conviendra de ne pas enterrer cette question. Je rouvrirai peut-être ce débat lors de l’examen du texte en séance publique.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Un travail est engagé à la Chancellerie sur cette question importante, à laquelle réfléchissent notamment Mme Caroline Abadie, Mme Maud Petit et M. Robin Reda.

Monsieur Schreck, ma grande difficulté a été de trouver des terrains. Comme je l’ai dit, ce sont parfois les élus les plus gourmands en matière de sécurité qui sont les moins généreux dans ce domaine. C’est curieux, mais c’est comme ça !

Nous avons réglé cette question, même si vous dites en termes comminatoires que nous ne serons pas au rendez-vous de nos engagements. Je serai lundi dans une ville où nous inaugurerons de grandes avancées pénitentiaires. J’inaugurerai dix établissements d’ici à la fin de l’année et la moitié des établissements pénitentiaires prévus seront opérationnels l’année prochaine.

Je précise que nous avons été confrontés à deux difficultés majeures. La première est la covid : ceux qui ont fait construire une maison individuelle savent les retards que cette crise a entraînés. L’autre est la guerre en Ukraine, qui a eu pour effet, comme tout le monde le sait, que les matériaux n’ont pas été livrés dans les délais. Nous travaillons à faire le forcing, les établissements pénitentiaires sortent et, contrairement à vous, je pense que nous serons au rendez-vous de nos obligations.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Je suis frappé de cette différence entre les maires qui accueillent des établissements pénitentiaires et les autres. Les premiers en voient les aspects positifs, notamment en termes d’emplois, et ils le disent, mais ne devraient-ils pas communiquer encore plus auprès de leurs collègues ? À Moulins-Yzeure ou à Varennes-le-Grand, les élus ne sont pas les plus malheureux du monde.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL790 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendements CL208 et CL209 de M. Jordan Guitton (discussion commune).

Mme Béatrice Roullaud (RN). Il convient de créer au moins un centre éducatif fermé (CEF) par département et d’augmenter la durée de placement possible de six mois à deux ans.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. À ce jour, cinquante-quatre CEF sont en activité et dix-neuf sont programmés. Ils comptent plus d’éducateurs que de mineurs – quasiment le double – mais j’ai les plus grandes difficultés à trouver des terrains. Les prétextes mis en avant sont parfois ubuesques. Nous devons faire savoir que les CEF fonctionnent.

La commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL213 de M. Jordan Guitton.

Amendements CL299 de Mme Andrée Taurinya et CL302 de M. Ugo Bernalicis (discussion commune).

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous proposons de supprimer l’alinéa 236 visant à généraliser le numérique en détention. La déshumanisation des rapports entre les personnels et les détenus est de plus en plus flagrante. C’est une logique à laquelle nous nous opposons. Sans doute serait-il plus utile de travailler à faire en sorte que les détenus puissent accéder à internet.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). La dynamique de modernisation des prisons doit être en effet poursuivie avec le déploiement et la généralisation de l’accès à internet comme outil phare de réinsertion. Notre pays, de ce point de vue, est à la traîne et privilégie le prisme sécuritaire. Comment demander aux détenus de se réinsérer sans leur permettre d’accéder à cet outil ?

L’ancienne garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a eu le courage de généraliser la possibilité d’avoir des téléphones mobiles en cellule, contre l’avis de l’ensemble des syndicats de surveillants, et tout le monde aujourd’hui y trouve son compte, notamment parce que les tensions diminuent… et que les détenus peuvent être ainsi plus facilement mis sur écoute.

M. Erwan Balanant, rapporteur. D’un côté, vous êtes opposés au tout-numérique en prison et, de l’autre, vous souhaitez faciliter l’accès des détenus à internet – ce qui d’ailleurs me paraît souhaitable ! Face à une telle incohérence, demande de retrait.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Nous retrouvons vos champs lexicaux habituels : déshumanisation, répression, etc.

Le budget que nous avons consacré à la rénovation est deux fois supérieur à ce qu’il était avant qu’Emmanuel Macron accède à la Présidence de la République. Outre que le téléphone mobile est en effet généralisé, chaque cellule de chaque établissement rénové comprend une douche individuelle.

Le numérique, que vous détestez tant, permet à 70 % des visiteurs de réserver des parloirs, ce qui évite de longues attentes. Allez demander aux familles ce qu’elles en pensent !

Le numérique favorise également l’enseignement en ligne, ce qui n’est pas rien, comme il permet à l’administration de répondre à un certain nombre de demandes – changements de cellule, inscription à une activité… Chaque année, 345 000 requêtes papier sont ainsi évitées. Les détenus peuvent aussi acheter des produits de la vie courante. Enfin, nous travaillons ainsi à réduire la fracture numérique.

Dès cet été, trois structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), à Poitiers, Longuenesse et Marseille, devraient permettre d’offrir un accès encadré à internet. Ce sera également le cas de la SAS d’Avignon au second semestre.

Vous le voyez, il nous arrive aussi, de temps en temps, de penser aux détenus.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je suis plutôt d’accord avec vous mais cela n’a rien à voir avec le tout-numérique préconisé dans le rapport. In fine, les prises de rendez-vous aux parloirs ressembleront à celles des rendez-vous en préfecture pour obtenir un titre de séjour : que se passera-t-il en cas de dysfonctionnement ou de panne électrique ? L’accès au numérique doit être en effet possible mais, dans tous les cas, une démarche physique doit l’être tout autant.

La commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL530 de M. Yoann Gillet.

Amendements CL93 de Mme Pascale Bordes et CL537 de M. Yoann Gillet (discussion commune).

Mme Pascale Bordes (RN). Le premier amendement a le même objet que l’amendement CL92 à l’alinéa 202, qui vient de subir un triste sort.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements CL539 de M. Yoann Gillet et CL478 de M. Philippe Schreck.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL826 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL967 de la commission des finances.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Nous souhaitons qu’une réflexion soit engagée sur les quartiers de prise en charge de la radicalisation des femmes afin qu’elle soit mieux répartie et que les enfants, dans leur propre intérêt, puissent continuer à rendre visite à leurs mères.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Amendement CL319 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’expérimentation de l’équipement du personnel de surveillance en caméra-piéton doit être effective avant de songer à une généralisation. Nous ne savons pas si un tel dispositif contribue à l’apaisement des tensions, ni s’il est protecteur ou s’il doit être utilisé dans des cas de figure spécifiques. Cela s’impose d’autant plus que cet équipement est coûteux, de même que la conservation des images.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable. Nous avons voté en faveur d’une généralisation à l’article 14.

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL827 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL320 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Les cabines téléphoniques à disposition des détenus devraient faire l’objet d’un entretien plus régulier dans les cellules, les coursives et les cours de promenade. J’ai visité deux fois la prison de la Talaudière, à côté de Saint-Étienne : il n’y a aucune cabine téléphonique dans les cours de promenade et, dans les cellules, elles sont souvent hors d’usage.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les cabines téléphoniques sont de plus en plus répandues. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Je vous invite à répondre vraiment à nos amendements. Cessez, par ailleurs, de faire croire que nous serions dans un monde merveilleux !

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il me semble que, depuis le début de l’examen de ce texte, j’ai répondu de manière assez complète et avec beaucoup de respect, au point que l’on m’a parfois reproché d’être un peu trop long. Souffrez, toutefois, que l’on accélère un peu à ce stade de notre discussion !

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL149 de M. Yoann Gillet.

Amendements CL944, CL945 et CL943 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. Ces amendements précisent les missions qui pourront être confiées aux surveillants adjoints, lesquelles s’exerceront dans le cadre d’un binôme avec le surveillant pénitentiaire titulaire. Ils précisent également la durée de formation de ces surveillants adjoints contractuels et que ces derniers bénéficieront d’une passerelle afin de favoriser leur titularisation dans le corps des surveillants pénitentiaires.

La commission adopte successivement les amendements.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL828, CL829 et CL830 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL831 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Mon amendement vise à poursuivre la démarche de l’open data.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL745 et CL746 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL445 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous travaillons dans des conditions indignes ! Prenons le temps d’examiner vraiment les amendements !

L’amiable ne doit jamais être imposée aux parties.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La résolution amiable d’un différend suppose nécessairement l’accord des deux parties. Votre amendement est donc satisfait. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL711 de M. Philippe Pradal et CL759 de M. Jean Terlier.

M. Philippe Pradal (HOR). Outre les magistrats et les avocats, les autres professions juridiques et les instituts qui forment ces professionnels doivent être particulièrement sensibilisés à la culture de l’amiable.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les amendements.

Amendement CL473 de M. Emmanuel Mandon.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le groupe de travail « Justice civile » des états généraux de la justice a proposé une série de mesures pour favoriser l’essor d’une « politique nationale proactive » des modes alternatifs de règlement des différends (Mard), pensée comme une véritable alternative amiable au règlement judiciaire d’un litige.

Parmi les mesures opérationnelles citées, deux sont reprises dans le rapport annexé : la césure au procès civil et l’audience de règlement amiable. Un autre levier, en revanche, n’y figure pas alors qu’il est particulièrement intéressant pour faire face à la montée en puissance de l’obligation prochaine du recours amiable avant un procès : la création d’un magistrat référent du recours amiable au sein de chaque juridiction. Prescripteur de l’orientation des procédures éligibles au MARD, ce magistrat parachèverait le circuit procédural de l’amiable.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre amendement est satisfait mais une inscription dans la loi s’entend parfaitement. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL712 de M. Philippe Pradal.

M. Philippe Pradal (HOR). Le Conseil national de la médiation, dont les membres ont été nommés le 25 mai 2023, sera associé au développement de la politique de l’amiable et participera, à travers des actions de formation, en renforcement de cette culture.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Amendement CL974 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier, rapporteur général. L’instauration d’une véritable politique de l’amiable est l’un des axes forts des états généraux de la justice.

La réforme de la procédure civile étant essentiellement de niveau réglementaire, le législateur ne peut se prononcer sur le fond de la réforme qu’à travers le rapport annexé.

Cet amendement vise à détailler deux innovations majeures de la réforme envisagée de la procédure civile : l’audience de règlement amiable et la césure du procès civil.

L’audience de règlement amiable doit avoir pour finalité la résolution amiable du différend entre les parties par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige.

La césure du procès civil doit permettre à la juridiction de ne trancher, dans un premier temps, que certaines des prétentions dont elle est saisie par un jugement partiel. Les parties pourront tirer les conséquences du jugement partiel notamment en recourant à une médiation ou une conciliation de justice pour rechercher un accord amiable sur les prétentions restant en discussion. Ces deux instruments sont de nature à accélérer la résolution des différends par la voie amiable.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL747 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements CL443 et CL444 de M. Ugo Bernalicis, CL721 de Mme Gisèle Lelouis et CL130 de Mme Cécile Untermaier.

Amendement CL300 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous regrettons que le rapport soit muet sur ce parent pauvre de l’institution judiciaire qu’est la justice prud’homale, pourtant si nécessaire pour régler des conflits entre employeurs et salariés.

Nous avons repris nos propositions programmatiques en matière de moyens humains et d’accès physiques aux conseils de prud’hommes. Nous proposons également de revenir au délai de prescription de trois ans dans les cas de rupture du contrat de travail.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je ne suis pas certain que ces propositions, telles qu’elles sont formulées, aient leur place dans le rapport annexé. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL748 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement de cohérence CL281 de M. Philippe Pradal.

Amendement CL962 de M. Philippe Pradal.

M. Philippe Pradal (HOR). Afin de renforcer leurs compétences, le ministère de la justice mettra à la disposition des magistrats du corps judiciaire une offre de formation incluant des modules pratiques sur les enjeux économiques et financiers de la vie des entreprises.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL832, CL834 et CL833 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL835 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cet amendement vise à rétablir des alinéas importants qui ont été supprimés au Sénat.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL355 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous souhaitons réformer la procédure de comparution immédiate car elle ne respecte pas les droits de la défense. Ce déni de justice contribue à la surpopulation carcérale. L’amendement vise à ce que le principe de cette réforme soit inscrit dans le rapport annexé.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). J’avais déposé un amendement visant à supprimer la procédure de comparution immédiate lors de l’examen du dernier projet de loi de programmation, présenté par Mme Nicole Belloubet et couvrant la période 2018-2022 : le rapporteur du texte, Stéphane Mazars, m’avait ri au nez et affirmé que cela n’avait aucun rapport avec les peines ; pourtant le même constat revient, et ce fut encore le cas lors des états généraux de la justice. Tous les professionnels expliquent que les comparutions immédiates posent problème, notamment sur le format de la procédure et les horaires – vous aviez dit, monsieur le ministre, qu’il fallait essayer, avec les nouveaux magistrats, de finir avant vingt-trois heures.

Il conviendrait de s’interroger sur la pertinence de cette procédure rapide, qui est la plus pourvoyeuse d’incarcérations, certes relativement courtes mais qui n’assurent ni la prévention de la récidive, ni la personnalisation de la peine.

Monsieur le ministre, si vous étiez encore avocat, vous vous rendriez compte que cette procédure ne permet pas d’assurer convenablement la défense des prévenus.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL311 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Dans la même veine, l’amendement a pour objet de demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur les comparutions immédiates, non pour caler les armoires mais pour vérifier que les droits de la défense sont respectés. Il n’y a pas de justice sans droits de la défense effectifs, surtout dans une telle procédure qui concerne majoritairement des personnes précaires.

Les conditions de travail des magistrats sont insoutenables – on en revient à Charlie Chaplin dans Les Temps modernes –, si bien qu’ils ne peuvent pas examiner chaque affaire individuelle comme il le faudrait.

Nous doutons profondément de la pertinence de la maxime selon laquelle une bonne justice est rapide et nous pensons qu’une justice trop rapide est mauvaise – que l’on songe aux divorces, par exemple.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’exposé sommaire cite une chercheuse dont les travaux – la recherche est toujours utile – montrent que, pour des personnes placées dans des situations pénales identiques, la probabilité de faire l’objet de comparutions immédiates est deux fois plus élevée pour les chômeurs et trois fois plus grande pour les personnes nées à l’étranger et les sans-domicile fixe. Ces faits devraient nous inciter à réfléchir et à réformer la procédure : nous pourrions conserver une procédure rapide, mais refuser qu’elle puisse aboutir au prononcé d’une peine privative de liberté. D’ailleurs, vous suivez le même raisonnement quand vous faites en sorte de développer les peines alternatives à l’incarcération, y compris en comparution immédiate. Il faudra bien s’interroger, monsieur le ministre, sur les racines profondes du malaise dans lequel se trouve la justice pénale de notre pays, situation dans laquelle la comparution immédiate joue un rôle important.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL836 et CL837 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL441 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Cet amendement vise à mettre en place une cellule psychologique d’urgence, animée par des associations d’aide aux victimes agréées par le ministère de la justice, pour accompagner les familles marseillaises qui ont perdu des proches, tués dans des fusillades entre bandes rivales, sur fond de trafic de stupéfiants, alors qu’ils n’avaient aucun lien avec les criminels. Il est important de répondre à la demande qui s’exprime sur le sujet.

L’attention se porte sur Marseille, mais la métropole lilloise n’est pas loin de souffrir du problème dans les mêmes proportions. Il importe de progresser dans ce domaine et de reconnaître aux familles un statut de victime.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’accompagnement des victimes figure parmi les priorités du ministère, comme l’indique clairement le rapport annexé. Nous partageons l’objectif de votre amendement, mais son champ est trop réducteur : pourquoi le circonscrire à Marseille ? Comme vous l’avez dit vous-même, le problème se pose également à Lille, à Nice et ailleurs. Je ne suis pas opposé à votre souhait d’accompagner les victimes, mais je vous demande de retirer l’amendement car toutes les victimes doivent l’être de la même manière, partout en France. Vous pourriez retravailler votre dispositif d’ici à l’examen en séance publique.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nous le maintenons, suivant en cela la règle selon laquelle mieux vaut adopter un amendement et le modifier en séance publique.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL446 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Cet amendement est également issu du travail réalisé par les familles de victimes à Marseille : il vise à renforcer les effectifs d’agents de la police judiciaire et de magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Marseille. J’ai eu la chance d’échanger avec ses membres avant la dernière campagne présidentielle, au début de l’année 2022 : ils ont déjà reçu des renforts pour la lutte contre la criminalité organisée et un tout petit appui supplémentaire pour celle contre la délinquance économique et financière. Il n’en reste pas moins que la Jirs de Marseille a besoin de moyens bien plus étoffés.

Vous connaissez mon point de vue sur la police judiciaire puisque j’ai commis un rapport sur le sujet avec ma collègue Marie Guévenoux. Des efforts substantiels restent à accomplir dans la lutte contre la criminalité organisée, notamment dans son spectre le plus élevé.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Vous demandez des renforts de police judiciaire, mais je ne suis pas encore ministre de l’intérieur.

Quant aux magistrats, il y en avait 115 au siège et 46 au parquet à Marseille en 2020 et il y en a actuellement 139 et 56. Avec ces effectifs supplémentaires, nous avons ouvert une section dédiée à la Jirs. Nous avons augmenté le nombre de juges d’instruction ainsi que les capacités de jugement, notamment des dossiers de criminalité organisée. Voilà ce que nous avons fait à Marseille où j’avais un promis un plan Marshall : nous avons déployé un plan très important et nous avons été, là aussi, au rendez-vous de nos engagements.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je citais Marseille comme exemple, mais la question dépasse largement cette ville. J’ai dit que des moyens supplémentaires avaient été accordés à la Jirs de Marseille, mais face à la montagne d’affaires à traiter, notamment dans le domaine du trafic d’armes, il faut davantage de magistrats.

La structuration pyramidale de la criminalité, qui ruisselle sur la délinquance, impose de s’attaquer au sommet de la pyramide pour régler de nombreux problèmes situés plus bas dans l’échelle du banditisme. Prenez ma proposition comme un encouragement, monsieur le ministre.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements CL713 de Mme Naïma Moutchou, CL328 de Mme Andrée Taurinya et CL129 de Mme Cécile Untermaier (discussion commune).

Mme Naïma Moutchou (HOR). L’amendement CL713 vise à ce que le rapport annexé précise que la feuille de route des prochaines années du ministère de la justice indique que celui-ci amplifie les mesures de justice restaurative, auxquelles nous sommes très attachés. Nous n’y voyons que des effets bénéfiques : la justice restaurative ne se substitue pas à la justice pénale, elle la complète dans certains cas et pourrait trouver toute sa place dans plusieurs domaines, comme celui du harcèlement à l’école que connaît bien le rapporteur.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il convient de développer la partie du rapport consacrée à la justice restaurative ; cette dernière peut apporter de l’apaisement aux victimes tout en améliorant la compréhension de la sanction, en lien avec ce que les victimes ont ressenti au moment du délit ou de l’infraction. En aidant les victimes comme les coupables, la justice restaurative se révèle d’un grand intérêt.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement de Mme Moutchou est le plus complet. Il pose des principes et s’accorde ainsi avec l’esprit du rapport annexé. Je demande le retrait des amendements CL328 et CL129 au bénéfice du CL713.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’amendement de Mme Moutchou décrit en effet de manière plus exhaustive l’état de la justice restaurative ainsi que les pistes de son développement. Cette justice devrait pouvoir être utilisée, pour les auteurs de l’infraction comme pour les victimes, à toutes les étapes de la procédure, notamment dès le dépôt de plainte car celui-ci n’entraîne pas forcément de procédure ou parce que l’auteur ne sera peut-être pas retrouvé. Néanmoins, l’accès à la justice restaurative devrait être ouvert même dans ces cas de figure car elle remplit un rôle différent de celui la procédure pénale : toutes les victimes devraient en bénéficier et pouvoir discuter avec d’autres victimes ou avec des auteurs d’infractions similaires.

Nous retirons notre amendement au profit de celui de Mme Moutchou, que nous compléterons peut-être en séance publique.

Les amendements CL328 et CL129 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CL713.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CL602 de Mme Julie Lechanteux, CL211 de M. Jordan Guitton et CL663 de M. Romain Baubry.

Suivant l’avis du rapporteur, elle adopte l’amendement rédactionnel CL968 de la commission des finances.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL838 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL532 de Mme Edwige Diaz.

Amendement CL472 de Mme Clara Chassaniol.

Mme Clara Chassaniol (RE). L’alinéa 313 érige la lutte contre les violences intrafamiliales au rang des priorités de la justice pénale, compte tenu du nombre d’affaires relatives à ces faits. Je vous propose de faire également figurer dans l’alinéa la prévention et la répression des actes de cyberharcèlement.

Les réseaux sociaux peuvent être des supports de haine et de violence, lesquelles restent trop souvent impunies alors qu’elles peuvent conduire à des drames insoutenables. Alors que 60 % des jeunes adultes ont déjà été harcelés sur internet et qu’une victime sur deux a pensé au suicide, le cyberharcèlement représente un défi sociétal. Nous devons protéger ceux qui en sont victimes et faire du numérique un espace où les règles de la République s’appliquent. Nous avons renforcé les moyens de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), et la Première ministre a annoncé mardi le déploiement d’un plan interministériel contre le harcèlement scolaire. Il serait cohérent que ces préoccupations fassent partie des orientations du ministère de la justice.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suis très sensible à cet amendement, que je vous propose d’adopter puis de compléter, notamment dans le volet consacré au harcèlement scolaire, en vue de l’examen en séance.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis favorable à cet excellent amendement.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL131 de Mme Cécile Untermaier.

Amendement CL146 de Mme Cécile Untermaier.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement est satisfait, donc j’en demande le retrait.

L’amendement est retiré.

Amendement CL969 de la commission des finances.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Il y a un peu plus d’un an, nous avons adopté une mesure visant à développer le placement d’enfants auprès de tiers dignes de confiance. À l’alinéa 314, consacré à la protection des enfants victimes, nous souhaitons faire figurer le développement de la possibilité de recourir à un tiers digne de confiance.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Amendement CL970 de la commission des finances et sous-amendement CL978 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Vous connaissez mon entêtement ! Il me conduit ici à défendre à nouveau la présence systématique d’un avocat auprès des enfants en assistance éducative. Je sais que vous n’êtes pas favorable à cette mesure dans l’immédiat ; aussi l’amendement ne vise-t-il qu’à engager la réflexion sur le sujet. Personne n’est capable de dire si cette présence est positive ou non ; je souhaiterais donc que l’on réfléchisse à la question, voire que l’on ouvre des expérimentations.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous connaissons vos craintes en la matière, monsieur le ministre. Les barreaux ont déjà lancé une expérimentation, à laquelle il serait intéressant que le ministère participe dans l’année qui vient.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous devrions conserver uniquement l’amendement de Mme Goulet ; j’ignore toutefois si la réflexion est préférable à l’expérimentation en la matière.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis favorable à la réflexion, mais l’expérimentation me paraît prématurée : d’abord, il faut réfléchir, puis éventuellement expérimenter, avant de confirmer la mesure si elle donne satisfaction.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je partage cet avis.

La commission rejette le sous-amendement et adopte l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette successivement l’amendement CL541 de M. Yoann Gillet ainsi que les amendements CL600 et CL599 de Mme Julie Lechanteux.

Amendements CL696 et CL715 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune).

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le premier amendement vise à renforcer la justice environnementale en s’attaquant au problème de l’absence de saisine des parquets, laquelle laisse les atteintes à l’environnement sans suite judiciaire. Les services verbalisateurs privilégient les procédures administratives non contraignantes et n’informent pas l’autorité judiciaire. Nous proposons de créer un cadre privilégié d’échange d’informations entre les agents assermentés et les parquets, sur le modèle des comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale (Colden), mais sans la présence des autorités administratives, en l’occurrence les préfets et les exécutifs locaux, qui incitent souvent à contourner l’autorité judiciaire pour privilégier les intérêts économiques au détriment des préoccupations environnementales.

Le second amendement a pour objet de s’attaquer à un autre point faible de la lutte contre la criminalité environnementale, à savoir le manque de coordination des acteurs du contentieux de l’environnement, pointé par le rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement. Nous souhaitons encourager la création de formations communes aux magistrats et aux inspecteurs de l’environnement : les seconds ne sont pas suffisamment sensibilisés au fonctionnement de la justice et les premiers manquent souvent d’une connaissance technique des questions environnementales. Nous proposons d’associer également les associations de défense de l’environnement à ces formations, le cadre commun de ces dernières pouvant favoriser l’expertise sur le sujet.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous demande de retirer les amendements. Le premier est en partie satisfait car les contacts existent déjà ; quant aux formations, celles de l’ENM sont, dans ce domaine, de plus en plus riches et ne cesseront de se développer, compte tenu de l’importance des questions environnementales.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le premier amendement n’est pas du tout satisfait : les contacts existent, mais il faut que le procureur de la République puisse exposer sa politique pénale devant les personnes qui constatent les infractions, sans la présence de la préfecture. Je maintiens l’amendement.

Quant au second, si vous n’y êtes pas défavorable, je préfère que vous le souteniez : il importe de faire figurer dans le rapport annexé la question de la formation, qui représente l’un des leviers de progrès dans le domaine environnemental.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL717 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Mon amendement vise à instituer un groupe de travail commun au ministère de la justice et à celui de la transition écologique, afin de réfléchir à la place de la sanction administrative dans la répression des atteintes à l’environnement.

Les affaires dans lesquelles les préfets ont laissé sciemment l’industrie polluer sont légion ; dans ce contexte, il y a lieu d’étudier sérieusement la question suivante : faut-il laisser aux autorités administratives le pouvoir d’intervenir en la matière ? Un travail conjoint des deux ministères pourrait éclairer la représentation nationale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Lors de l’élaboration de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience », nous avons effectué un travail important sur l’articulation entre l’action administrative et l’action judiciaire dans la sanction des atteintes à l’environnement. Plusieurs rapports sont d’ailleurs en cours de rédaction sur cette question.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je les lirai lorsqu’ils seront publiés.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL928 et CL929 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendements CL659 de M. Romain Baubry, CL724 de M. Jérémie Iordanoff et CL212 de M. Jordan Guitton (discussion commune).

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Mon amendement vise à renforcer la présence des Spip dans les juridictions, comme le recommande le rapport des états généraux de la justice. L’objectif est double : garantir la prise en charge des prévenus en grande difficulté dès la sortie de l’audience et renforcer leurs liens avec les juges correctionnels et les juges d’application des peines.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’idée peut paraître séduisante, mais les Spip souhaitent rester en dehors des tribunaux ; ils sont plutôt opposés à votre proposition, qu’ils verraient comme un retour en arrière. En outre, leur rapprochement poserait une question immobilière car il n’y a pas de place dans les bureaux. Pour ces deux raisons, je vous demande de retirer l’amendement.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL440 de Mme Pascale Bordes.

Mme Pascale Bordes (RN). Cet amendement vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur le fonctionnement du contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP).

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous sommes défavorables aux demandes de rapport dans le rapport annexé.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL598 de Mme Julie Lechanteux.

Amendement CL352 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous vous félicitons d’avoir instauré le contrat d’emploi pénitentiaire, mais – car il y a un « mais » – le code du travail n’est pas encore entré en prison. Voilà pourquoi nous proposons d’insérer un nouvel alinéa dans le rapport, qui vise à appliquer le droit du travail dans les établissements pénitentiaires et à revoir de fond en comble la conception du travail en prison. Il importe de prendre le temps de réfléchir à cette question car le travail est le vecteur de la réinsertion sociale une fois la peine accomplie.

M. Erwan Balanant. L’avis est défavorable, même si je note, pour une fois, un satisfecit de votre part. Nous avons beaucoup fait, et il faut laisser le temps aux nouveaux dispositifs de se déployer tout en continuant d’avancer.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je vous ai félicité et je vous demande simplement de rajouter un alinéa, pourquoi le refusez-vous ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre satisfecit ne me lie pas : des avancées historiques ont été accomplies sur le travail en prison et nous continuerons dans cette voie.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL839, CL840, CL963 et CL789 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL301 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nous souhaitons que le rapport annexé fixe l’objectif d’élaborer un code de l’enfance articulant les dimensions pénale et civile, réaffirmant la prédominance de l’éducatif sur le répressif et consacrant le principe de spécialisation de la justice des mineurs.

En outre, il ne faut pas oublier que des mesures d’aide sociale à l’enfance (ASE) ne sont pas exécutées : vous reconnaissez l’existence d’un problème, monsieur le ministre, mais vous vous sentez démuni parce que la compétence de l’ASE appartient aux départements : il conviendrait que la PJJ assure une partie des missions et que l’État reprenne en main ce champ, dans lequel l’échec est interdit.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est une piste intéressante qui mériterait un travail transpartisan. En attendant, l’avis est défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements CL749, rédactionnel, et CL841 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendements CL70 de Mme Emeline K/Bidi et CL353 de Mme Andrée Taurinya (discussion commune).

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Nous souhaitons supprimer la dématérialisation de l’aide juridictionnelle. De nombreux territoires n’ont pas accès au numérique ; en outre, l’illectronisme et l’illettrisme empêchent les plus démunis de bénéficier de l’aide juridictionnelle dématérialisée, car ce sont eux qui souffrent en majorité de ces handicaps.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’aide juridictionnelle représente, pour certains citoyens, la seule façon de faire valoir leurs droits. Nous souhaitons augmenter l’aide juridictionnelle et la rendre plus progressive et accessible à davantage de bénéficiaires ; il convient également de l’élargir aux phases de conseil et de précontentieux, moments essentiels au cours desquels des décisions sont prises : il est donc nécessaire d’être accompagné, notamment par un accueil physique ou téléphonique.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Rimane, votre amendement supprime tous les alinéas du rapport consacrés à l’aide juridictionnelle. Il faut certes accompagner les personnes qui n’ont pas accès à la dématérialisation, mais il convient de ne pas éliminer totalement cette dernière qu’attendent de nombreuses personnes.

Madame Martin, un effort considérable a déjà été accompli pour revaloriser l’aide juridictionnelle, qui a représenté plus de 600 millions d’euros en 2022. L’unité de valeur (UV) est passée de 32 à 34 euros en 2021 : il faut en effet continuer dans cette voie, mais la rédaction de votre amendement n’est pas fidèle à la réalité des faits.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je ne comprends pas l’amendement visant à revaloriser l’aide juridictionnelle. Son budget représentait 342,4 millions d’euros en 2017 et près de 630 millions en 2022 – nous nous sommes calés sur le rapport de Dominique Perben sur l’avenir de la profession d’avocat : l’augmentation annuelle suit un rythme de 13 %, mais vous ne votez pas les crédits budgétaires et vous venez ensuite demander par voie d’amendement l’augmentation de l’aide juridictionnelle : comprenne qui pourra !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je ne désespère pas de convaincre la terre entière, monsieur le ministre : nous ne votons pas les crédits budgétaires, car nous sommes opposés à la direction globale des choix que vous faites et que traduisent ces crédits ; mais si nous pouvions voter ligne par ligne, nous soutiendrions sans hésiter l’augmentation de l’aide juridictionnelle.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Nous sommes conscients qu’il existe une attente par rapport à la dématérialisation, mais vous menez une politique du tout ou rien : vous n’apportez aucune solution à ceux qui n’ont pas accès au numérique ou qui souffrent d’illectronisme ou d’illettrisme ; voilà pourquoi nous sommes contraints de demander la suppression de la dématérialisation. Nous pouvons revoir la rédaction de l’amendement, mais nous refusons la disparition du lien physique entre l’usager du service public de la justice et les agents de l’aide juridictionnelle.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL750 et CL751 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL354 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Le rapport annexé se montre parfois très vague sur des sujets importants et il peut au contraire entrer dans des détails qui me laissent circonspect. Afin de rapprocher les citoyens de la justice et de connaître leur niveau de satisfaction, vous souhaitez mettre en place un bouton permettant aux usagers de donner leur avis sur le site internet de l’aide juridictionnelle.

Qu’une entreprise commerciale qui vend des produits le fasse, on peut le comprendre, mais un service public est différent. Si vous voulez connaître l’opinion des usagers, réalisez des enquêtes en y consacrant des moyens.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est important de pouvoir donner son avis sur un service public ! L’avis est défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nous réfléchirons, d’ici à l’examen en séance, à la couleur du bouton. Le même dispositif a été déployé pour la police de sécurité du quotidien : entendez-vous encore parler de ces enquêtes de satisfaction ?

M. le président Sacha Houlié. Oui, elles sont excellentes.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Parfait, tout va très bien !

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL752 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL61 de Mme Emeline K/Bidi.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Nous souhaitons renforcer l’ambition du Gouvernement dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Le combat contre les violences intrafamiliales doit être une cause nationale car elles augmentent dans notre pays.

Il convient de déployer un plan massif de formation de l’ensemble des professionnels de justice.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement est satisfait car un plan de formation existe déjà dans ce domaine. Il faut néanmoins en évaluer l’efficacité, mais cette tâche renvoie à notre rôle de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. L’avis est défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL753, CL754 et CL755 de M. Erwan Balanant, rapporteur.

Amendement CL533 de Mme Edwige Diaz.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Cet amendement vise à supprimer du rapport annexé le plafonnement de la nouvelle possibilité d’indemnisation des victimes de violences graves dans un cadre intrafamilial.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable. Cette possibilité d’indemnisation est une grande avancée mais, s’agissant d’un nouveau droit, ouvert à un large panel de victimes, le déplafonner serait une erreur.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL534 de Mme Edwige Diaz et CL558 de M. Guillaume Gouffier Valente (discussion commune).

Mme Béatrice Roullaud (RN). L’amendement CL534 vise à chiffrer les objectifs du ministère concernant le déploiement des bracelets antirapprochement et des « téléphones grave danger ». Il serait souhaitable que 10 000 téléphones et 3 000 bracelets soient actifs à l’horizon 2027.

Mme Caroline Abadie (RE). L’amendement CL558 a pour objet d’étendre l’usage du « téléphone grave danger » aux victimes de violences conjugales à la fin de la peine de l’auteur.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable sur le premier de ces deux amendements, dont les objectifs chiffrés ne sont pas motivés.

Avis favorable, en revanche, sur le second amendement car l’extension du dispositif « téléphone grave danger » en cas de risque de réitération des violences est une bonne mesure.

Successivement, la commission rejette l’amendement CL534 et adopte l’amendement CL558.

Successivement, suivant les avis du rapporteur, elle rejette les amendements CL535 de Mme Edwige Diaz et CL560 de M. Guillaume Gouffier Valente, adopte l’amendement rédactionnel CL756 de M. Erwan Balanant, rapporteur, et rejette l’amendement CL536 de Mme Edwige Diaz.

Amendement CL726 de Mme Sarah Tanzilli.

Mme Sarah Tanzilli (RE). L’amendement vise à inscrire dans le rapport annexé l’engagement que vous avez pris devant nous cet automne, monsieur le garde des Sceaux, de réformer les missions, le statut et les conditions d’indemnisation des administrateurs ad hoc.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Amendement CL303 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Les ordonnances de protection pour les victimes de violences intrafamiliales concernent particulièrement les femmes. L’amendement a pour objet de leur permettre d’accéder plus facilement à ce dispositif par une revalorisation des indemnités pour les avocats et les commissaires de justice qui se préoccupent d’elles.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’indemnité d’aide juridictionnelle a déjà été revalorisée en 2021. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL842 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les amendes pénales tombent dans le pot commun des amendes. Je propose de les affecter au FGTI – fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions – afin d’indemniser les victimes. C’est le genre d’amendement que n’aime pas trop Bercy, qui n’apprécie pas le fléchage, mais Bercy n’est pas non plus complètement irréprochable puisque le taux de recouvrement de ces amendes n’est que de 38 %.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je comprends l’intérêt d’établir un lien entre l’indemnisation des victimes et le produit des amendes pénales payées par les auteurs d’infraction. Toutefois il est difficile de déroger au principe de l’universalité budgétaire. Si des mécanismes dérogatoires – compte d’affectation, fonds de concours – permettent d’affecter des recettes à une dépense particulière, leur conformité à la loi organique relative aux lois de finances est remise en question par la Cour des comptes et par la direction du budget, notamment en raison de l’absence de consentement à l’affectation. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il faudrait s’interroger sur les raisons du faible taux de recouvrement des amendes : si les gens ne payent pas, c’est peut-être parce qu’ils ne le peuvent pas. Cela revient à poser la question du sens de la peine d’amende, notamment des amendes forfaitaires délictuelles, dont la Défenseure des droits demande la suppression.

Mme Caroline Abadie (RE). Cet amendement très intéressant même si nous comprenons le problème qu’il pose au regard de l’universalité budgétaire. Je serais néanmoins d’avis de nous pencher sur la question du taux de recouvrement, notamment à travers le recours au jour-amende ou aux contraventions, pour donner confiance en ces outils. Nous suivrons donc l’avis du ministre.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il est tout à fait possible d’affecter des recettes : c’est le cas des amendes routières, en partie affectées au fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). L’aide aux victimes est aujourd’hui déficitaire ; or il me semblerait intéressant d’établir un lien entre l’amende payée et la réparation apportée aux victimes. Cela va dans le sens d’une justice restaurative.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 1er et le rapport annexé modifiés.

Après l’article 1er (amendement précédemment réservé)

Amendement CL62 de Mme Emeline K/Bidi

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). C’est une demande de rapport sur la possibilité d’ajuster le nombre de magistrats et de greffiers de chaque tribunal en fonction de la charge de travail. Les tensions sont très fortes dans les tribunaux, vous l’avez vu vous-même en Guyane, monsieur le ministre. Le ministère a fait des efforts en mettant en place des task forces, mais c’est un problème structurel.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avis défavorable. Vous proposez des quotas ; ce n’est pas la bonne méthode.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). C’est toute la question des effectifs cibles. Sous la législature précédente, c’était la rengaine : nous avons atteint l’objectif. Oh, alors, tout va bien ! Non. Nous étions quelques-uns à dire qu’il fallait partir des besoins pour établir de nouvelles cibles, en interrogeant les juridictions. La direction des services judiciaires l’a fait.

Il serait intéressant de savoir où vous entendez affecter les magistrats que vous prévoyez de recruter.

Nous devrions fixer des cibles en fonction des besoins, quitte à savoir que nous ne les atteindrons pas dès 2027.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Pour que la justice fonctionne bien, il faut affecter des magistrats en fonction de la charge de travail, car il peut y avoir peu d’habitants sur un territoire et pourtant une forte criminalité.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, d’orientation et de programmation du ministère de la justice (n°1346) (M. Jean Terlier, rapporteur général, MM. Erwan Balanant et Philippe Pradal, rapporteurs) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 


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   travaux de la commission des finances saisie pour avis

Première réunion du mardi 20 juin 2023 à 14 heures 

Lien vidéo : https://assnat.fr/czfSaF

La commission des Financeslors de sa réunion du 20 juin examine, pour avis, l’article 1er du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (n° 1346) (Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis)

M. le président Éric Coquerel. Notre commission a décidé de se saisir pour avis de l’article 1er du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, ainsi que du rapport annexé à cet article. Le texte sera examiné au fond par la commission des lois à compter de demain matin.

Dix-sept amendements ont été jugés irrecevables, seize parce qu’ils étaient en dehors du champ de la saisine pour avis, un parce qu’il méconnaissait les exigences de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. L’article 1er du projet d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, dont nous sommes saisis pour avis, définit la trajectoire budgétaire de la mission Justice, à l’exclusion du compte d’affectation spéciale Pensions. Les crédits de cette mission, qui s’élevaient à 8,7 milliards d’euros en 2022, devraient progresser de 21 % et atteindre 10,7 milliards d’euros en 2027. En cumulé, ce sont 7,5 milliards d’euros supplémentaires qui seront alloués au service public de la justice par rapport à 2022. Cette progression est inédite : entre 2007 et 2012, 2 milliards d’euros supplémentaires avaient été alloués au ministère de la justice ; idem entre 2012 et 2017.

Le projet de loi s’inscrit dans la continuité de la précédente période de programmation, qui, quoique sous-exécutée à ses débuts, a fait l’objet d’un important rattrapage en fin de période. Les crédits de la mission Justice ont ainsi progressé de 8 % en 2021, en 2022 et en 2023.

L’essentiel de la hausse du budget du ministère devrait être réalisé en début de programmation. La dotation de la mission Justice augmentera de 500 millions d’euros en 2024 puis de 600 millions d’euros en 2026 avant de stagner. Selon le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), cette trajectoire s’explique à double titre. D’une part, les recrutements du ministère devraient être concentrés en début de période. Le rythme des créations d’emplois s’élèverait ainsi à 1 900 en moyenne en 2024 et 2025, contre 1 600 en 2026 et 2027. D’autre part, la majorité des investissements immobiliers et numériques du ministère ont été lancés entre les années 2018 et 2022 et devraient atteindre un pic en 2025.

L’article 1er du projet de loi définit à grand trait le schéma d’emplois prévisionnel de la mission Justice. Le texte déposé par le Gouvernement prévoyait la création de 10 000 emplois, dont 1 500 de magistrats et 1 500 de greffiers. Ces objectifs de recrutements sont particulièrement ambitieux, car ils représentent environ 10 % des effectifs actuels du ministère. À l’initiative des rapporteures du Sénat, ce schéma d’emplois a été modifié sur trois points, mais je proposerai un amendement visant à revenir à la version initiale.

La programmation que nous examinons appelle plusieurs commentaires.

Les besoins financiers du ministère ont été définis à partir des constats et recommandations formulés par le comité des états généraux de la justice. J’espère que nous tomberons d’accord pour considérer que les moyens supplémentaires que le Gouvernement entend allouer au service public de la justice sont non seulement nécessaires, mais aussi à la hauteur des enjeux.

Les crédits alloués au ministère serviront à financer ses orientations stratégiques, détaillées dans le rapport annexé. Elles visent avant tout à réduire les délais de jugement, renforcer l’attractivité des métiers du ministère, du côté judiciaire comme du côté pénitentiaire, accélérer sa transformation numérique et offrir des conditions dignes de détention. À l’initiative du Gouvernement, le rapport annexé a également été enrichi d’une partie portant sur l’institutionnalisation des pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales au sein des tribunaux.

Je partage ces ambitions. Je proposerai toutefois d’en préciser certaines par voie d’amendement, notamment afin d’assurer une protection plus effective des intérêts des enfants.

Deux risques principaux d’exécution peuvent toutefois être identifiés. Le premier, également souligné par le HCFP, porte sur les difficultés de recrutement que rencontre l’ensemble de la fonction publique, et plus particulièrement le ministère de la justice. Le déficit d’attractivité des métiers de la justice pourrait ainsi conduire à une sous-exécution du schéma d’emplois, ce qui remettrait en cause les objectifs détaillés dans le rapport annexé. Toutefois, de nombreuses mesures sont prises pour pallier ces difficultés, notamment la revalorisation de la rémunération des magistrats et des greffiers, ainsi que la requalification des personnels de surveillance pénitentiaire en catégorie B.

Le second risque concerne le contexte inflationniste, qui pourrait conduire à des surconsommations de crédits s’agissant des dépenses immobilières de la mission. Il nous faut être attentifs aux effets produits par la hausse des prix.

Par ailleurs, je regrette que les dispositions de l’article 1er ne soient pas suffisamment précises. J’estime que la programmation du ministère devrait être ventilée en fonction des différents programmes de la mission, afin que nous puissions nous prononcer sur la répartition des moyens qui lui seront alloués. De même, en dehors des recrutements de magistrats, de greffiers et de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), nous ne disposons pas beaucoup d’informations sur la répartition des 10 000 emplois qui seront créés en cinq ans.

Le projet de loi avait initialement pour objectif d’offrir au ministère de la flexibilité pour ajuster l’allocation des moyens au plus près des besoins. Je pense néanmoins qu’à l’instar de ce qui avait été retenu dans le cadre de la loi de programmation pour 2018-2022, des précisions auraient pu au moins être apportées dans le rapport annexé. J’espère les obtenir pour la semaine prochaine.

Je vous propose d’adopter l’article 1er et, par voie de conséquence, d’approuver le rapport annexé.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Michel Lauzzana (RE). Ce projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027, couplé d’un volet organique examiné en commission des lois, matérialise l’engagement fort du Président de la République en vue de rendre la justice plus proche des citoyens, plus accessible et plus efficace, afin de tourner définitivement la page du « délabrement de la justice ». Il résulte d’une concertation très large, lancée à l’occasion des états généraux de la justice.

L’article 1er que nous examinons pour avis propose d’entériner une hausse inédite des crédits alloués à la mission Justice, qui atteindront près de 11 milliards d’euros en 2027. Sur l’ensemble du quinquennat, les crédits augmenteront de près de 7,5 milliards d’euros.

Cette hausse massive vise quatre objectifs. Premièrement, le recrutement de 10 000 personnels supplémentaires, dont 1 500 magistrats et autant de greffiers. Deuxièmement, l’entretien, la rénovation et la construction d’immobilier judiciaire et pénitentiaire, comportant la construction de places supplémentaires de prison. Troisièmement, la modernisation des outils numériques du ministère. Enfin, la revalorisation des salaires et des carrières des agents du ministère, annoncée par le garde des Sceaux à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) d’Agen, dans ma circonscription.

Ces objectifs permettront à terme de répondre aux demandes exprimées lors des états généraux de la justice et par nos concitoyens dans nos circonscriptions. C’est pourquoi les députés du groupe Renaissance voteront en faveur de ce texte et appellent à la responsabilité des autres groupes pour qu’ils fassent de même.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je suis prêt à souscrire à une partie de votre argumentation, madame la rapporteure pour avis, mais je trouve votre conclusion problématique. Vous le notez vous-même : nous ne disposons d’aucun détail. On nous dit que les crédits augmenteront de 7,5 milliards, un chiffre presque rond, mais pour faire quoi ? Quels programmes, quelles actions en bénéficieront ? J’imaginais qu’à la commission des finances, on s’intéressait davantage à ces questions qu’à la commission des lois ! J’ai interpellé le ministre sur le sujet lors de son audition la semaine dernière et je n’ai eu aucune espèce de réponse. Pour m’être battu ardemment en commission des lois pour obtenir, pour le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), un détail similaire à celui que vous réclamez, j’imagine que tant que vous ne l’aurez pas obtenu, vous ne voterez pas pour cette programmation budgétaire… Ce n’est pas sérieux – or, à vous en croire, vous êtes les représentants du sérieux dans cette auguste assemblée.

De surcroît, l’essentiel de la programmation devrait servir à construire de nouvelles places de prison. Mon groupe y est opposé, mais vous qui y êtes favorables, vous devriez demander des détails. Le tableau budgétaire tient en une seule ligne – ils ne se sont pas foulés ! Quant au rapport annexé, il est extrêmement vague.

Je vous invite donc à voter contre l’article 1er afin que le ministre nous fournisse les détails demandés avant le vote en première lecture à l’Assemblée. Il est quand même étrange que les sénateurs n’aient pas eu besoin de ces éléments pour se prononcer…

Quoi qu’il en soit, il faudrait plus de crédits pour atteindre l’objectif, qui n’est pas complètement dingue, d’être au niveau de la moyenne européenne. On est loin du compte.

M. Patrick Hetzel (LR). Effectivement, le texte que nous examinons n’est de toute évidence pas un texte budgétaire… L’article 1er est pour le moins lacunaire. Seuls sont mentionnés les crédits de paiement ; nous ne savons rien des autorisations d’engagement. Or, si l’on veut évaluer une politique ministérielle, il faut bien travailler sur les deux, d’autant plus qu’il s’agit là d’investissements immobiliers. Il s’agit plutôt d’un article de communication gouvernementale.

Quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’on peut douter de tout ce qui est indiqué, y compris du point de vue quantitatif. Dans sa dernière note, la contrôleuse budgétaire et comptable ministérielle (CBCM) formule d’ailleurs plusieurs alertes. Elle signale que certains accroissements budgétaires sont en réalité liés à l’inflation et à l’augmentation du coût d’investissements à venir. On est donc en droit de se demander à quoi correspondent exactement les hausses inscrites. On en vient même à douter de la sincérité d’un tel tableau.

Je suis, pour ma part, extrêmement réservé sur cet article, qui concerne la commission des lois plutôt que celle des finances. Ce n’est pas sérieux. Nous devrions le rejeter.

M. Pascal Lecamp (Dem). Avec les états généraux de la justice, lancés chez moi, à Poitiers, dans la Vienne, en octobre 2021, un constat clair a été posé : notre justice est complexe, lente, parfois illisible. Le texte dont nous sommes saisis pour avis vise à répondre aux préoccupations des 73 % de Français qui pensaient, en 2022, que la justice fonctionnait mal.

L’article 1er fixe une trajectoire à la hauteur de cette ambition. La progression de 21,3 % des crédits à l’horizon 2027 portera les efforts de la majorité à une augmentation de 60 % du budget de la justice en dix ans. Il s’agit d’un effort historique contre la surpopulation carcérale, pour la diminution des délais de traitement des affaires, en particulier en matière pénale, pour une meilleure justice et pour une meilleure réinsertion des personnes placées sous main de justice. Évidemment, notre système judiciaire ne serait rien sans les professionnels qui le font vivre au quotidien ; leur nombre sera ainsi augmenté progressivement d’ici à 2027 dans toutes les professions : au total, 10 000 personnes supplémentaires, dont 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers d’insertion et de probation. Nous souhaiterions néanmoins une meilleure ventilation et lisibilité des différentes lignes budgétaires.

Je remercie la rapporteure pour avis qui, conformément à son engagement sans faille pour les droits des enfants, a mis l’accent sur la présence de l’avocat auprès de l’enfant en assistance éducative. Le groupe Démocrate votera bien évidemment en faveur de l’article 1er et du rapport annexé.

Mme Christine Pires Beaune (SOC). De 2023 à 2027, les crédits progresseront de 21 % – à comparer aux 32 % de la précédente période de programmation. Nous resterons vigilants concernant leur mise en œuvre parce que nous ne connaissons que trop bien la propension du Gouvernement à ouvrir beaucoup de crédits, en mettant en avant sa générosité, puis à ne pas les dépenser, à les annuler ou à les reporter, en se félicitant de sa bonne gestion.

Le Gouvernement prévoit la création de 10 000 emplois, dont 1 500 de magistrats et autant de greffiers, ainsi qu’un nombre indéterminé d’assistants de magistrat, de personnels pour la justice de proximité, de personnels pénitentiaires et de conseillers de probation et d’insertion. Si nous saluons ces créations de postes, rappelons que nous les réclamons depuis longtemps. Surtout, sans revalorisation et sans amélioration de l’attractivité des métiers, vous pouvez ouvrir des centaines de milliers de postes, ça n’engage pas à grand-chose…

Nous saluons l’institutionnalisation des pôles de lutte contre les violences intrafamiliales, mesure que nous défendions de longue date.

Néanmoins, si cet article 1er est alléchant, nous ne sommes pas dupes. Il s’agit d’un appât. Nous n’ignorons pas ce que contient le reste du texte en matière de perquisitions de nuit ou d’activation à distance des appareils électroniques à des fins de surveillance. C’est pourquoi nous serons extrêmement vigilants.

Mme Lise Magnier (HOR). Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice prévoit un renforcement sans précédent des moyens financiers du ministère. Le budget de la justice s’élèvera à 10,8 milliards d’euros d’ici à quatre ans, soit une hausse de plus de 20 % au cours du quinquennat. Cette augmentation substantielle s’ajoute à celle de plus de 30 % enregistrée au cours de la précédente législature – pour mémoire, le budget de la justice a atteint 9,6 milliards en 2023, grâce à trois hausses successives de 8 % en 2021, 2022 et 2023.

Ces chiffres témoignent de l’investissement massif en faveur d’une justice qui fut malheureusement le parent pauvre des politiques publiques durant trop d’années. Le retard à rattraper est colossal. Cela prendra du temps mais nous nous donnons avec ce texte les moyens d’y parvenir.

L’accroissement des crédits alloués à la justice permettra de renforcer notamment les moyens humains dont nous manquons, avec la création en cinq ans de près de 10 000 emplois, dont 1 500 de magistrats –  autant qu’au cours des vingt dernières années –, 1 500 de greffiers, ainsi que le recrutement de nouveaux attachés de justice et de surveillants pénitentiaires adjoints, et cela alors que cette activité souffre d’un cruel déficit d’attractivité. Les crédits supplémentaires permettront également de financer la création de 15 000 places de prison.

Toutes ces mesures vont dans le bon sens et sont attendues par nos concitoyens. Les députés du groupe Horizons et apparentés soutiendront le projet de loi.

Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Le constat formulé lors des états généraux de la justice montre que l’institution judiciaire est au bord de la rupture. Dans l’introduction du rapport Sauvé, il était noté qu’elle se portait mal. Tous les professionnels qui concourent au quotidien à son fonctionnement font part de leur profond malaise. Les justiciables ne lui accordent qu’un crédit limité. L’institution paraît grippée. Pour beaucoup, elle serait en lambeaux.

Voilà un lourd défi politique à relever, en raison de « décennies de politiques publiques défaillantes », pour reprendre les termes du comité des états généraux de la justice. Face à cette crise, 3 000 magistrats, greffiers et auditeurs de justice dénonçaient, dans une tribune publiée en novembre 2021, l’approche gestionnaire de la justice et soulignaient la discordance entre la volonté de rendre une justice de qualité et la réalité du quotidien. Le 14 février, j’avais moi-même interpellé le garde des Sceaux au moyen d’une question écrite sur la situation très dégradée du tribunal judiciaire de Toulouse, du point de vue tant des effectifs que des moyens. Je n’ai pas reçu de réponse à ce jour. Ce qui m’a été rapporté par les magistrats et par les greffiers, c’est que le tribunal est désormais contraint de prioriser les contentieux, d’appliquer un traitement différencié entre les justiciables, d’abandonner certaines de ses missions et de reporter des audiences faute de magistrats. La paralysie contrainte de certains services et les délais de traitement des dossiers confinent au déni de justice dans la mesure où ils sont incompatibles avec les principes du droit au procès équitable et de l’accès aux juges tels que définis par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le présent texte prévoit un renforcement des moyens de la justice, mais ceux-ci restent largement en dessous de la moyenne européenne, les nombreuses années de sous-budgétisation n’étant pas totalement rattrapées. L’article 1er prévoit la création nette de 9 395 équivalents temps plein (ETP) d’ici à 2027, dont 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers de probation et d’insertion. Nous pensons nécessaire de sanctuariser l’augmentation des moyens des programmes Justice judiciaire et Protection judiciaire de la jeunesse, qui nécessitent des moyens humains, et pas uniquement ceux du programme Administration pénitentiaire, à travers la création de places en détention et la protection des murs de prison. En matière de justice, ce qui compte, c’est la prévention.

M. Charles de Courson (LIOT). Cela a été dit, les moyens par habitant que l’État français accorde à sa justice sont, grosso modo, moitié moindre de ce qu’ils sont dans les autres grandes démocraties. Il est d’ailleurs étonnant que, dans ces conditions, notre justice ne se soit pas complètement effondrée ! Pourtant, elle fonctionne encore, en dépit de délais de jugement extrêmement longs.

Ce texte va donc dans le bon sens, même si nous émettons beaucoup de réserves à son sujet. Plusieurs collègues, y compris de la minorité présidentielle, ont évoqué le problème des recrutements et de la gestion du corps judiciaire : ce n’est pas tout d’ouvrir des postes, encore faut-il les pourvoir. L’École nationale de la magistrature (ENM) a des capacités de formation qui ne sont pas illimitées.

Autre problème : les prisons. Notre collègue Hetzel a récemment remis un rapport sur la planification de la construction des prisons : on voit bien que, du fait de nos procédures, c’est toujours plus long qu’on ne croit. Vu la surpopulation carcérale, certains magistrats préfèrent ne pas prononcer de peines privatives de liberté, dont quelque 10 % ne sont pas exécutées faute de place. On ridiculise la magistrature.

Il reste donc beaucoup à faire. Il est toutefois notable que les efforts seront réalisés au cours des premières années – alors qu’en général, on commence plutôt petitement.

Pour ces raisons, notre groupe votera en faveur de ce texte.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Notre justice est malade. Des criminels sont en liberté parce qu’elle n’a pas les moyens de faire convenablement son travail. Hier, à Villers-Cotterêts, dans ma circonscription, se tenait le procès d’un homme qui avait agressé violemment un couple. Ils étaient plusieurs à les avoir roués de coups – la femme s’est retrouvée avec le bras cassé. Un seul d’entre eux a été interpellé. Bien que multirécidiviste, il n’a écopé que de quatorze mois de prison, dont huit avec sursis. Il va effectuer sa peine sous bracelet électronique.

De qui a-t-on besoin ? De magistrats ou de bijoutiers ? Si c’est pour donner des bracelets à tout le monde, inutile de créer des places en prison !

Le couple a été obligé de déménager à 25 kilomètres de son domicile par peur des représailles. Les délinquants et les criminels agissent en toute impunité, ils reviennent sur le terrain de leurs forfaits parce que la justice n’est pas capable de faire son travail dans de bonnes conditions, parce qu’on manque de prisons et de magistrats.

Vous proposez la création de 1 500 postes de magistrat supplémentaires, mais le chiffrage est trop imprécis. Nous n’avons connaissance que des crédits de paiement, pas des autorisations d’engagement. Nous ne connaissons pas l’impact de l’inflation. Il faudrait que la commission des finances en sache davantage sur ces points. Nous voterons contre le texte.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Trois réactions rapides à ce qui vient d’être dit.

Premièrement, il s’agit d’un projet de loi de programmation du ministère de la justice, et en aucun cas d’un projet de loi de finances. Il n’a pas à entrer dans le même niveau de détails ; il fixe un cadre, une cible et des objectifs, en laissant beaucoup de liberté aux acteurs de la justice pour programmer les embauches et les investissements immobiliers. Évidemment, seule l’autorisation annuelle fera foi.

Deuxièmement, je vous confirme, monsieur Bernalicis, que nous sommes la majorité du sérieux budgétaire. Nous maîtrisons la trajectoire des dépenses publiques, ce qui ne nous empêche pas de fixer des priorités – et la justice en est une. C’est pourquoi nous aurons augmenté ses crédits de quelque 60 % entre 2017 et 2027 ; nous avons déjà fait plus de la moitié du chemin.

Troisièmement, j’invite les collègues qui sont venus à cette réunion « les mains dans les poches » à lire en détail les travaux réalisés dans le cadre du Printemps de l’évaluation. Nous avons eu en particulier une discussion extrêmement détaillée avec le ministre sur les 15 000 nouvelles places de prison.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Voici les réponses que le ministère m’a données. S’il n’y a pas plus de précisions, c’est tout simplement parce qu’il s’agit de programmation, et que, notamment pour l’immobilier, en particulier celui destiné à l’administration pénitentiaire, il peut y avoir des retards. Et si l’immobilier prend du retard, on ne va pas recruter tout de suite. Un encadrement année par année risquerait d’être trop contraignant.

Toutefois, comme la commission des finances a besoin d’un minimum d’informations, je soutiendrai l’amendement de Mme Untermaier visant à demander un rapport d’exécution annuel, en précisant que ce rapport devra être rendu avant le 30 avril, afin que nous puissions suivre la mise en œuvre de la loi de programmation dans le cadre du Printemps de l’évaluation.

La commission en vient à l’examen de l’article 1er du projet de loi dont elle s’est saisie pour avis.

 

 

TITRE IER
OBJECTIFS ET MOYENS DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Article 1er : Programmation financière et approbation du rapport annexé

Amendement CF29 de Mme Andrée Taurinya.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Quitte à avoir un article absolument pas détaillé et qui n’engage à rien, autant le supprimer ! Cela laissera encore plus de liberté au ministre pour faire tout ce qu’il veut dans les projets annuels de performances (PAP).

Plus sérieusement, le détail, nous avons réussi à l’obtenir pour le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Si on ne l’a pas, on ne peut pas faire de suivi ! Cela nous éviterait de nous retrouver dans la même situation que pour la précédente loi de programmation : dès la première année, on avait observé un décrochement par rapport aux engagements pris.

Connaître la ventilation des crédits est une exigence. L’augmentation va-t-elle être au seul bénéfice de l’administration pénitentiaire, pour la construction de places de prison, ou en restera-t-il un peu pour les tribunaux ? Quid de l’aide juridictionnelle ? On parle vaguement d’une revalorisation des unités de valeur (UV), mais rien de plus.

J’imaginais que la commission des finances ferait preuve d’un peu plus de rigueur.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 1, c’est-à-dire le rapport annexé. Or vous réclamez parallèlement plus d’informations concernant la ventilation des crédits par programmes et par actions. Si l’on supprime le rapport annexé, nous ne disposerons plus d’aucun élément. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Le Gouvernement nous présente un texte brouillon, imprécis, inachevé. Qui donc vient les mains dans les poches, monsieur le rapporteur général ?

M. Michel Lauzzana (RE). Il s’agit d’un projet de loi de programmation, qui fixe un cadre budgétaire. Sur la durée, il risque d’y avoir des ajustements importants, notamment en matière immobilière. En revanche, d’autres mesures sont précisées, par exemple le nombre de magistrats et de greffiers qui seront embauchés pour faire mieux fonctionner la justice, ou l’élargissement et la simplification des voies de recrutement des magistrats. Supprimer le rapport annexé qui comprend toutes ces précisions me paraît contreproductif.

M. le président Éric Coquerel. Monsieur Bernalicis, la critique portant sur le sérieux budgétaire peut éventuellement être appliquée au Gouvernement, mais ne préjugez pas de ce que va dire la commission des finances, je vous prie.

La commission rejette l’amendement CF29.

Amendements CF3 de M. Philippe Schreck, CF31 de Mme Andrée Taurinya, CF32 et CF36 de M. Ugo Bernalicis, CF35 de Mme Andrée Taurinya, CF34 de M. Ugo Bernalicis et CF33 de Mme Andrée Taurinya (discussion commune).

M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous demandons, dans la même logique, la suppression des alinéas 2 à 5.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’amendement CF31 vise à augmenter les crédits destinés au placement à l’extérieur, qui est à la fois un aménagement de peine et une mesure alternative à l’incarcération. Ce dispositif, qui a fait ses preuves en matière de prévention de la récidive, objectif que nous devons toutes et tous partager, me semble-t-il, repose essentiellement sur des associations, comptant des bénévoles mais aussi des salariés, qui ont besoin d’une visibilité et de moyens pour assurer leur mission de service public, dans l’intérêt de la justice et du pays tout entier.

L’amendement suivant, qui tend aussi à augmenter les crédits, est centré sur le prix de journée dans le cadre du placement à l’extérieur. Le ministère s’est engagé à ce sujet, mais nous voulons nous assurer que la programmation budgétaire correspondante est bien prévue.

L’amendement CF36 a pour objet d’augmenter la ligne budgétaire servant à financer l’aide juridictionnelle (AJ), pour que les avocats bénéficient d’une meilleure rémunération, grâce à l’augmentation du montant des UV, et dans l’intérêt des justiciables. Pour toucher l’aide juridictionnelle à 100 %, ces derniers doivent avoir un revenu inférieur au seuil de pauvreté ; si on gagne simplement moins que le SMIC, le taux de prise en charge n’est que de 50 %. Nous devons être mesure de relever les seuils.

L’amendement CF35 concerne la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le texte est particulièrement silencieux en la matière, hormis pour ce qui est de la volonté de continuer à construire des centres éducatifs fermés, alors que ces derniers n’ont pas fait leurs preuves et qu’il s’agissait déjà d’une promesse du précédent plan de programmation. Je pensais il y a deux ans que la justice était réparée, car j’avais entendu le ministre l’expliquer à la radio, mais ce n’est finalement pas complètement le cas !

L’amendement CF34 a un écho dans l’actualité, à travers le travail mené par le parquet national financier (PNF) en matière de lutte contre la délinquance économique et financière. Les rapports successifs ont montré qu’il y avait un angle mort, du point de vue des moyens dont disposent tant le ministère de la justice, du côté du PNF, que le ministère de l’intérieur – on l’a vu avec la Lopmi, rien n’a progressé de ce côté. Nous espérons que le nombre de magistrats affectés au PNF correspondra à ce qui était prévu, dans l’étude d’impact, au moment de sa création – il ne devrait pas y avoir plus d’une douzaine d’affaires par magistrat, alors qu’on est plutôt autour d’une quarantaine et que les affaires traitées sont extrêmement complexes. Si on est un partisan de la lutte contre la corruption, il faut s’en donner les moyens, ce qui ne représente pas grand-chose sur 7,5 milliards d’euros.

Enfin, l’amendement CF33 correspond budgétairement au transfert pur et simple de la police judiciaire du ministère de l’intérieur à celui de la justice, de sorte que la séparation des pouvoirs soit garantie et que les magistrats puissent avoir à leur disposition les enquêteurs dont ils ont besoin, au lieu d’être soumis à des impératifs venant de la hiérarchie du ministère de l’intérieur et de son ministre. En théorie, la politique pénale est conduite par le garde des Sceaux ; encore faudrait-il qu’il en ait les moyens.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. C’est un amendement d’appel que vous avez défendu, monsieur Dessigny. Vous n’êtes pas contre les alinéas que vous proposez de supprimer, puisque vous souhaitez les replacer ailleurs, par un autre amendement.

Monsieur Bernalicis, je crois que vous vous êtes trompé s’agissant de votre premier amendement : il vise en réalité à recruter 13 000 magistrats en cinq ans. Cela reviendrait à plus que doubler les chiffres – nous avons actuellement 8 636 magistrats –, ce qui n’est pas forcément ce qui est attendu, je l’ai constaté sur le terrain, même si une hausse est souhaitée. Par ailleurs, l’École nationale de la magistrature n’aurait pas la capacité de former autant de magistrats en aussi peu de temps. Avis, donc, défavorable.

Même avis en ce qui concerne l’amendement relatif au placement à l’extérieur, dont vous proposez de multiplier par quatre l’enveloppe. Je ne vois pas comment les associations pourraient suivre.

Le budget de l’accès au droit et à la justice, objet de l’amendement CF36, augmentera de 40,9 millions d’euros entre 2023 et 2025, comme l’indique le PAP publié cette année. Nous avons déjà toutes les informations pour cette période –  la seule différence étant que le PAP présente les crédits de la mission en intégrant le CAS Pensions. Comme il y aura déjà une augmentation, je suis également défavorable à cet amendement.

Pour ce qui est de la prise en charge des mineurs délinquants, je pense, contrairement à vous, que nous avons besoin des centres éducatifs fermés, de même que de la prise en charge en milieu ouvert – il ne faut pas les opposer. Même avis défavorable.

En dernier lieu, les effectifs du parquet national financier augmentent continuellement. Alors qu’il était doté de dix magistrats en 2014, il en compte dorénavant dix-neuf, et un vingtième sera nommé en septembre. De plus, l’activité du PNF ne repose pas que sur des magistrats : sept assistants spécialisés, un juriste assistant et un assistant de justice leur apportent leur concours, et il y a également quatorze personnels de greffe. Le PNF monte en charge. Je suis donc défavorable à votre amendement.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Je tiens à souligner la contradiction dans laquelle se trouvent le Rassemblement national et la France insoumise, qui appellent manifestement de leurs vœux un renforcement des moyens de la justice tout en s’apprêtant à s’opposer à ce texte. On peut avoir des divergences sur les moyens qu’il faudrait renforcer et sur le rythme à suivre, mais je ne comprends pas pourquoi vous vous opposez à ce texte.

J’ajoute que la précédente loi de programmation de la justice a été respectée, ce qui est un gage de confiance. Elle prévoyait 38,3 milliards d’euros de crédits, et l’exécution s’élève à 38,4 milliards – il y a même eu un excédent de 100 millions d’euros.

Qu’ont fait nos collègues socialistes entre 2012 et 2017 pour augmenter les moyens de la justice ? Il est beaucoup trop facile de déplorer les conséquences dont on chérit les causes.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Vous avez peut-être raté, cher collègue, l’examen du rapport annuel de performances (RAP) de la justice pour 2022 : il pointait notamment une sous-exécution de 1 151 équivalents temps plein travaillé.

Le nombre de 13 000 magistrats supplémentaires est celui qu’un des syndicats concernés considère comme correspondant à la situation idéale, compte tenu du volume de contentieux, pour que chacun puisse faire son travail. Je suis d’accord avec vous, l’ENM n’est pas en mesure d’accueillir autant de magistrats à l’instant « t », mais ce n’est pas davantage vrai pour les 1 500 magistrats supplémentaires prévus par le Gouvernement. Vous n’avez pas creusé cette question. Le reste du projet de loi ordinaire et le projet de loi organique concernent d’ailleurs des magistrats à titre temporaire, des magistrats honoraires et des voies de recrutement parallèles. Il ne s’agit pas de recrutements de magistrats dans le cadre de l’ENM, avec une formation de trente et un mois pour les auditeurs de justice, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est bien dommage : j’aurais aimé qu’il y ait une vraie programmation, mais les projets de loi sont plutôt taiseux sur ce point.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. J’ai posé la question. On forme d’habitude entre 180 et 230 magistrats par an. La volonté actuelle est d’aller au moins jusqu’à 230, voire d’en former 100 de plus. On sait que c’est tenable : on peut former jusqu’à 350 magistrats par an. La trajectoire visant à créer 1 500 emplois de magistrats sur cinq ans correspond donc à ce qui est absorbable par l’ENM.

La commission rejette successivement les amendements CF3, CF31, CF32, CF36, CF35, CF34 et CF33.

Amendements CF62 de Mme Perrine Goulet et CF37 de M. Charles de Courson (discussion commune).

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Mon amendement vise à rétablir la rédaction initiale de l’alinéa 4, qui fixait un objectif plancher de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers supplémentaires, y compris 605 équivalents temps plein recrutés au titre de la justice de proximité.

M. Charles de Courson (LIOT). Tout le monde sait que les lois de programmation ont pour limite le vote des lois de finances successives. Il n’est pas rare, pour le dire gentiment, que l’État n’atteigne pas les objectifs qu’il se fixe en loi de finances ou en loi de programmation. Mon amendement est donc un peu symbolique : c’est une précision rédactionnelle visant à s’assurer que l’objectif de recrutement est un plancher.

Je souligne aussi que le recrutement de 1 500 magistrats sur les cinq ans qui viennent représente 300 personnes à former par an. Notre rapporteure pour avis a dit que c’était limite, compte tenu des capacités de l’ENM.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Votre amendement va dans le même sens que le mien, auquel je vous invite à vous rallier : il s’agira d’un plancher.

M. Charles de Courson (LIOT). Je me range à votre avis, pour vous faire plaisir, mais vous insérez par votre amendement, si je peux me permettre de le faire remarquer, des précisions qui figurent déjà à l’alinéa 53 du rapport annexé.

L’amendement CF37 est retiré.

La commission adopte l’amendement CF62 (CL956).

Amendement CF11 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Christine Pires Beaune (SOC). Cet amendement vise à créer un comité de suivi parlementaire, comptant des représentants de tous les groupes, au sujet de la mise en œuvre de la loi de programmation.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Même si cette idée paraît intéressante, j’y vois quelques inconvénients. Un comité de suivi peut être organisé sans intervention du législateur. Ensuite, les autres lois de programmation que nous avons adoptées ces derniers temps ne prévoient pas de tels comités. Le ministre aura, bien entendu, l’occasion d’informer le Parlement de la mise en œuvre de la loi chaque année, lorsque la commission des lois et la commission des finances examineront le projet de loi de finances. Je vous propose donc de retirer cet amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo (LR). Je ne suis pas très favorable, moi non plus, à cet amendement. En multipliant les structures, surtout pour ce qui relève du travail parlementaire, en particulier celui des commissions, la nôtre comme celle des lois, on risque en réalité de passer sous silence la question de la bonne application ou non de la future loi de programmation. L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. La tendance doit, désormais, être de rationaliser au maximum les structures : nous ne pouvons plus nous permettre le luxe, en matière de temps comme en matière de moyens, de les multiplier pour nous donner bonne conscience.

La commission rejette l’amendement CF11.

Amendement CF5 de M. Philippe Schreck.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous demandons au Gouvernement de remettre chaque année, concomitamment au dépôt du projet de loi de finances, un rapport présentant l’impact de l’inflation sur les crédits proposés. Nous suivrons ainsi une préconisation du Haut Conseil des finances publiques.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Nous devrons effectivement être attentifs aux effets de l’inflation sur la loi d’orientation et de programmation, mais nous disposerons déjà de rapports annuels qui permettront d’être informés sur ce sujet. Celui que proposez serait redondant avec ce qui nous est fourni chaque année, notamment dans le RAP, et avec le travail mené par notre rapporteur spécial pour la mission Justice. Je vous propose donc de retirer votre amendement.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). J’appelle l’attention de nos collègues : dans un des tableaux figurant dans le rapport annexé, il est prévu entre 2025 et 2026 une augmentation de seulement de 10 millions d’euros. On passerait, en effet, de 10,681 milliards d’euros à 10,691 milliards, alors que nous avons connu des augmentations de 7 % ou 8 %. J’espère donc, pour le sérieux de vos prévisions, qu’il n’y aura ni inflation, ni augmentation de la valeur du point d’indice, ni perturbation en général. J’ai l’impression qu’on a cherché à faire en sorte d’arriver à 7,5 milliards d’euros de plus, pile, compte tenu de ce qui a déjà été engagé, pour des raisons de communication, comme l’a dit le collègue Hetzel.

La commission rejette l’amendement CF5.

Amendement CF27 de M. Jocelyn Dessigny.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Cet amendement s’inscrit également dans la continuité des recommandations du Haut Conseil des finances publiques. Il serait utile que le Parlement sache ce que prévoit le Gouvernement dans l’hypothèse d’un contexte durablement inflationniste, qui aurait une incidence forte et directe sur la présente loi de programmation en ce que cela nécessiterait d’importants crédits supplémentaires.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Nous avons déjà tous ces éléments dans les documents budgétaires annuels : ce serait redondant. Je vous propose donc de retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo (LR). Comme l’a dit M. Bernalicis, la construction de la trajectoire budgétaire conduit à s’interroger. Il y a, certes, des objectifs à court terme et d’autres à moyen terme, mais aussi beaucoup aussi de marketing politique. Cette hausse de simplement 10 millions d’euros entre 2025 et 2026 ne tiendra pas, on le sait déjà. Vous voulez afficher de très forts recrutements dans les premières années tout en restant dans les clous des 3 % de déficit, pour Bruxelles, d’ici à la fin du quinquennat. Tous les commissaires des finances que nous sommes mesurent l’incohérence de la trajectoire prévue et l’impossibilité de la suivre. Tout cela est marqué du sceau de la communication politique et manque un peu de sérieux du point de vue de la justice comme du point de vue financier.

M. Charles de Courson (LIOT). Je l’ai signalé au début de cette réunion, il y a quelque chose d’étrange dans cette programmation budgétaire : la hausse des crédits serait de 10 millions d’euros en 2026 et de 57 millions en 2027 ; or je crois me souvenir que dans le projet de loi de programmation des finances publiques qui a été rejeté on espérait revenir à une inflation de 2 % ou 2,5 %, ce qui représenterait en l’espèce 250 millions d’euros.

Bref, c’est un peu bizarre : on ferait des efforts considérables en 2023, avec une augmentation de 717 millions, qui a déjà été votée, en 2024, à hauteur de 502 millions, et en 2025 – la hausse serait alors de 600 millions –, puis les augmentations plongeraient, les montants passant à seulement 10 millions puis 57 millions. Mais notre rapporteure pour avis aura peut-être des explications à nous donner…

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Une grande partie des crédits prévus pour 2024 et 2025 sont liés au schéma immobilier : de gros investissements auront alors lieu, mais ils ne se reproduiront pas les années suivantes. Par ailleurs, je peux vous rassurer, les effectifs continueront bien à progresser au-delà de l’année 2025.

La commission rejette l’amendement CF27.

Amendement CF10 de Mme Cécile Untermaier et sous-amendement CF63 de Mme Perrine Goulet.

Mme Christine Pires Beaune (SOC). L’amendement demande un rapport du Gouvernement au sujet de la mise en œuvre de la loi de programmation. J’ai cru comprendre tout à l’heure que Mme la rapporteure pour avis y était favorable, et je l’en remercie.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Pour que ce rapport soit efficace et qu’il arrive au bon moment, je propose de préciser qu’il doit être remis au plus tard le 30 avril, ce qui correspondra au Printemps de l’évaluation et permettra donc de faire un véritable suivi. Sans date butoir, il est toujours compliqué de réclamer un rapport. Sous réserve de l’adoption de ce sous-amendement, j’émets un avis favorable.

Mme Christine Pires Beaune (SOC). J’accepte le sous-amendement.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je pensais qu’on pouvait avoir ce genre de détails dans les rapports annuels de performances. Dès lors, pourquoi demander un rapport supplémentaire ? Je ne fais que reprendre votre argumentaire concernant l’amendement précédent, madame la rapporteure pour avis. On n’y comprend plus rien à la fin : quelle logique suivez-vous ? Cela dit, je suis pour qu’on ait un maximum d’informations – un rapport supplémentaire m’irait donc très bien.

La commission adopte successivement le sous-amendement CF63 et l’amendement CF10 sous-amendé (CL957).

Amendement CF28 de M. Jocelyn Dessigny.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Cet amendement s’inscrit aussi dans le prolongement des recommandations du Haut Conseil des finances publiques. Au vu des difficultés de recrutement qui affectent la fonction publique, dans l’ensemble des métiers et du territoire, ce qui fait peser un risque sur l’exécution du schéma d’emplois prévisionnel, le Parlement a besoin de connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre. Tel est le sens de cet amendement.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. La remise d’un rapport dès la promulgation de la loi ne me paraît pas forcément une solution pertinente. Par ailleurs, le rapport annexé comporte une batterie de nouvelles mesures pour rendre plus attractifs ces emplois. La revalorisation prévue pour les magistrats au mois d’octobre de cette année devrait également y concourir. Votre demande me paraît donc déjà satisfaite, et vous pourrez demander davantage d’éléments au garde des Sceaux en séance. Je vous propose de retirer cet amendement ; sinon, avis défavorable.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Quelques éléments sont en effet prévus, mais ce n’est pas simplement grâce à une amélioration de l’attractivité que l’on pourra recruter rapidement des magistrats. Bien d’autres mesures doivent être prises, en ce qui concerne les formations à ouvrir et les conditions de travail, qui sont le principal facteur en fonction duquel les candidats se dirigent vers un poste plutôt qu’un autre. Si on n’améliore pas les conditions de travail et si on n’introduit pas davantage de cohérence dans le système judiciaire français, je ne vois pas comment on réussira à recruter de nouveaux magistrats.

M. Michel Lauzzana (RE). Il me semble que le rapport annexé apporte des réponses. Grâce à la multiplication des voies de recrutement, on aura besoin de formations plus courtes, puisqu’il s’agira souvent de gens qui travaillent déjà au sein de la justice, avec les magistrats. Cela permettra aussi d’assurer un vrai déroulement de carrière pour tous ces personnels qui étaient bloqués jusque-là, ce qui contribuera à assurer l’attractivité des métiers – c’est nécessaire si on veut recruter un peu plus. L’existence d’une voie de recrutement permettant de progresser dans sa carrière jusqu’à devenir magistrat sera un facteur puissant en matière d’attractivité.

La commission rejette l’amendement CF28.

Amendement CF22 de Mme Cécile Untermaier.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Le rapport de la mission d’information sur la mise en œuvre du code de la justice pénale des mineurs a mis en évidence une réduction rapide des délais de jugement et une accélération de la prise en charge des mineurs délinquants dans le cadre de la césure du procès pénal. Il nous semble intéressant d’ajouter ce point au rapport annexé.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Vous avez raison de rappeler la réduction des délais de jugement des mineurs à la suite de l’entrée en vigueur du nouveau code. Cet amendement issu des travaux menés par Mme Untermaier et M. Terlier me semble bienvenu. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement CF22 (CL958).

Amendement CF15 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Christine Pires Beaune (SOC). Cet amendement demande au Gouvernement de lancer une réflexion sur le métier et la fonction de greffier, en envisageant notamment un repositionnement en catégorie A.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. J’appelle votre attention sur le fait que le comité des états généraux n’a pas retenu cette proposition de requalification en catégorie A. En revanche, le comité a mis en avant, dans son rapport, un écart de 13 % en matière de rémunération par rapport aux autres métiers de catégorie B de la fonction publique. Plusieurs mesures ont été prises pour les greffiers : celles-ci, d’un montant 21 millions d’euros en 2022 puis de 7 millions en 2023, permettront d’augmenter leur rémunération de 12 %. Le garde des Sceaux a également annoncé une négociation sur les grilles salariales en 2023. Je vous propose d’attendre de voir les résultats que cela produira avant d’adopter un tel amendement. Par conséquent, demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

L’amendement CF15 est retiré.

Amendement CF23 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Je suis favorable à cet amendement visant à préciser que la formation des personnels de la PJJ porte sur la prise en charge de tous les mineurs, et pas uniquement les mineurs non accompagnés (MNA).

La commission adopte l’amendement CF23 (CL959).

Amendement CF55 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. En vue de favoriser une meilleure prise en compte des droits de l’enfant par la justice, notamment dans le cadre des nombreuses procédures en cours, je vous propose de préciser qu’il y aura, à l’École nationale de la magistrature, des modules relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant.

La commission adopte l’amendement CF55 (CL960).

Amendements CF38 et CF39 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson (LIOT). Le premier de ces amendements demande une augmentation de la place des stages outre-mer, où on a du mal à recruter, au sein de la formation initiale. En 2022, vingt-deux stages ont été effectués dans ces territoires.

Le second amendement concerne la petite enfance : dans l’intérêt de l’attractivité des métiers de la justice, il faut qu’on s’occupe des enfants du personnel, quel qu’il soit, magistrats, greffiers…

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Votre premier amendement est, selon moi, satisfait par l’alinéa 90 du rapport annexé, relatif à « la construction de parcours professionnels ministériels, interministériels, voire interfonctions publiques pour les agents qui souhaitent faire toute ou une partie de leur carrière dans un territoire ultramarin ». Je vous propose donc de retirer cet amendement. J’ajoute, pour votre information, que vingt-cinq stages outre-mer ont été proposés aux auditeurs de justice en 2022 – l’outre-mer n’est pas oublié.

S’agissant de l’action sociale, je vous proposerai tout à l’heure de nous assurer qu’elle est menée partout, et pas spécifiquement en Île-de-France ou dans les grandes agglomérations, comme le précise actuellement le rapport annexé. Nous en avons besoin. Je vous invite donc à retirer aussi cet amendement.

M. Charles de Courson (LIOT). Je suis d’accord pour retirer le second. S’agissant du premier, l’alinéa 90 parle de « parcours professionnels ». Cela inclut-il ce qu’on fait à l’École nationale de la magistrature ? Si vous me le confirmez, je retirerai également cet amendement.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Oui. Quand on est auditeur, on est déjà engagé dans un parcours professionnel, à l’image des stagiaires dans la fonction publique.

Les amendements CF38 et CF39 sont retirés.

 

 


Deuxième réunion du mardi 20 juin 2023 à 17 heures 30

La commission poursuit l’examen, pour avis, de l’article 1er du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (n° 1346) (Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis)

Lien vidéo : https://assnat.fr/GSmGrG  

Amendement CF56 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Il n’est pas opportun de circonscrire aux grandes agglomérations et à l’Île-de-France les efforts en matière de garde d’enfants. L’amendement vise donc à supprimer ces mentions dans le rapport annexé.

M. Daniel Labaronne (RE). Avez-vous une idée du coût de ce que vous proposez ?

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Le ministère de la justice est favorable à cette suppression.

Les magistrats ne travaillent pas seulement dans les métropoles et en Île-de-France. Les efforts en faveur de la petite enfance doivent porter sur tout le territoire.

M. le président Éric Coquerel. L’amendement ne coûtera pas plus puisqu’il se borne à supprimer une précision sans modifier la phrase initiale. D’autre part, je vous confirme que cet amendement ne contrevient pas à l’article 40 de la Constitution.

La commission adopte l’amendement CF56 (CL964).

Amendement CF21 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Cet amendement fait suite aux modifications apportées par le Sénat à l’article premier du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, qui doivent tous nous préoccuper.

Je ne nie pas le devoir de réserve et d’exemplarité déontologique qui s’impose aux syndicats. En revanche, l’exigence d’impartialité, que le Sénat a introduite, témoigne d’une conception problématique du travail syndical.

Il est donc proposé de rappeler : « La liberté syndicale et la liberté d’expression des magistrats ne souffrent d’aucune restriction. Les obligations déontologiques des magistrats, telles que l’impartialité, l’indépendance, la dignité, la loyauté, le devoir de réserve, s’appliquent aux juges dans leur prise de décision dans les affaires individuelles qu’ils ont à traiter. La notion d’impartialité ne peut être utilisée comme un levier pour encadrer la liberté syndicale ou la liberté d’expression. »

Un magistrat ne se départit pas de ses obligations déontologiques lorsqu’il exerce des fonctions syndicales. La rédaction retenue par le Sénat est pour le moins maladroite et de nature à remettre en cause le droit syndical.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. L’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction en vigueur, garantit déjà le droit syndical aux magistrats qui peuvent librement créer ou adhérer à des organisations syndicales.

En outre, le garde des Sceaux a demandé, en mai 2023, au Conseil supérieur de la magistrature un avis sur l’expression publique des magistrats.

Je vous invite à retirer votre amendement qui relève, de surcroît, du projet de loi organique.

M. Michel Lauzzana (RE). Je vous rassure, madame Untermaier, le droit syndical est protégé par la Constitution et le droit européen.

Par ailleurs, le rapporteur du projet de loi organique, Didier Paris, a l’intention de proposer la suppression de la disposition introduite par le Sénat.

Il n’est donc pas nécessaire de rappeler le droit syndical dans le rapport annexé.

La commission rejette l’amendement CF21.

Amendement CF16 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. La définition par la Chancellerie de critères d’affectation des attachés de justice pourrait limiter les choix des chefs de cour. Je demande donc le retrait de l’amendement.

La commission rejette l’amendement CF16.

Amendement CF17 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Les juges des libertés et de la détention (JLD) déplorent leur solitude, particulièrement pesante face à la multiplication des missions qui leur sont confiées.

Nous proposons donc qu’ils bénéficient en priorité de l’affectation à leurs côtés d’un attaché de justice, l’idéal étant d’avoir deux JLD par tribunal.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Les attachés de justice, qui sont recrutés par voie contractuelle, sont affectés en fonction des besoins, lesquels sont appréciés par le chef de cour, qui a, en plus, la possibilité de recruter lui-même.

En systématisant l’affectation, on risque de doter des gros tribunaux dans lesquels ces postes sont moins utiles que dans les plus petits. Il faut conserver de la flexibilité pour allouer les moyens de manière optimale.

Retrait, ou, à défaut, avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je ne suis pas convaincue. Pour remédier à la désespérance chez les JLD qui sont submergés par les responsabilités, faisons-leur profiter de l’avancée considérable en matière d’effectifs que représente le projet de loi.

L’amendement n’a pas pour but de systématiser l’affectation, il est question d’affecter « en priorité ». Ce serait un signal envoyé aux chefs de juridiction pour les inciter à épauler le JLD.

La commission rejette l’amendement CF17.

Amendement CF13 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’intelligence artificielle n’est malheureusement pas abordée dans le texte.

L’amendement vise à préserver le monde de la justice de l’influence des intelligences artificielles tant que nous n’en avons pas pris la mesure, tant que nous ne savons pas quel usage en faire en matière juridictionnelle ni comment en assurer la transparence.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Je ne suis pas sûre que le rapport annexé soit le lieu approprié pour mener une telle réflexion, pourtant nécessaire.

Le ministère de la justice s’intéresse aux traitements automatisés de données. Il a ainsi expérimenté pendant deux ans un algorithme nommé Datajust pour aider à calculer le montant des préjudices et indemnisations des victimes.

Le rapport annexé prévoit de mettre la valeur de la donnée au cœur de la réflexion. Cette disposition pourrait entrer en contradiction avec votre amendement. Je vous invite donc à le retirer pour le retravailler et à interroger le ministre.

M. le président Éric Coquerel. Je suis favorable à ce que l’on peut considérer comme un amendement d’appel. Face à l’influence croissance de l’intelligence artificielle, il y a lieu de prendre des précautions.

La commission rejette l’amendement CF13.

Amendement CF12 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le rapport annexé n’a pas de valeur normative mais il permet aux parlementaires de faire part de leurs préoccupations.

Par cet amendement, nous souhaitons qu’il soit rendu compte, chaque année, des améliorations obtenues dans l’usage du numérique, et en particulier des différents logiciels, lesquels donnent lieu à une incroyable gabegie dans le monde judiciaire.

Nous allons voter des crédits très importants en faveur de la justice, c’est notre responsabilité de nous assurer de leur bonne utilisation. Cela nous évitera de découvrir soudainement qu’un logiciel ne fonctionne pas…

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Les projets numériques figurent dans les documents budgétaires où ils apparaissent dans les indicateurs de performance, qui permettent de suivre leur avancée. La Cour des comptes rend également des rapports sur ces programmes. Votre amendement étant satisfait, je vous invite à le retirer ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je ne retire pas l’amendement : le rapport annexé sert à transmettre certains messages. Tout le monde sait que le numérique est une catastrophe dans les juridictions, ce problème étant apparu crûment pendant la crise sanitaire. Ce sont les justiciables qui en souffrent.

Il est du devoir du législateur de demander un bilan d’étape sur le fonctionnement et le degré de satisfaction des magistrats sur des logiciels tels Cassiopée et Parcours. Je me permets d’insister, madame la rapporteure pour avis, ces amendements sont motivés par des remontées du terrain ; nous voulons coller à la réalité : 450 millions d’euros ont été rendus sur le numérique. Je suis très inquiète de la capacité de ce ministère à gagner la bataille du numérique.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Une question se pose en effet, mais son champ dépasse celui de votre amendement. On recense notamment des difficultés dans le fonctionnement des logiciels d’échange de données, mais l’obligation de rendre compte existe déjà. Je ne suis pas en désaccord avec le fond de votre amendement, mais celui-ci est mal placé et pose un problème de forme.

La commission rejette l’amendement CF12.

Amendement CF14 de Mme Cécile Untermaier.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Il vise à garantir aux acteurs de la procédure judiciaire qu’une transmission numérique de documents – qui fonctionne parfois parfaitement – ne soit pas doublée d’une transmission des mêmes documents dans leur version papier.

Sur le terrain, le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) est très efficace devant la juridiction administrative, alors que la juridiction judiciaire demande en plus le dossier en version papier.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Je me suis posé la même question sur d’autres sujets, notamment pour les auditions d’enfant par vidéo qui doivent être retranscrites sur papier, mais l’absence d’une version papier de certains documents pose problème pour les droits de la défense.

Une ambition « zéro papier » a été fixée pour 2027 : conservons-la et n’interdisons pas de manière sèche, en 2025, la transmission de documents en version papier. Je vous invite à retirer l’amendement, quitte à le redéposer en retenant la date de 2027 et à en discuter avec le ministre de la justice.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le « zéro papier » en 2027 concerne tous les documents : le périmètre de notre amendement est plus circonscrit et fixe une échéance à 2025. Certains logiciels donnent satisfaction, notamment le RPVA que les avocats ont élaboré eux-mêmes et que les magistrats apprécient, mais des copies de documents dématérialisés doivent être présentées à ces derniers, avec, si possible, des post-it pour identifier chaque moyen. Comment l’avocat fait-il lorsque, en postulation, la partie représentée ne veut pas se soumettre à cette obligation ? Il y a un vrai sujet.

L’amendement ne concerne évidemment que les logiciels qui fonctionnent et non ceux, hélas nombreux, qui se révèlent défectueux.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Cela marche avec les avocats, mais votre amendement couvre également les services d’enquête de la police et de la gendarmerie, la PJJ et « tout autre acteur œuvrant dans le domaine de la justice » : certains de ces services ne sont pas prêts à ne travailler que par voie numérique en 2025, échéance que votre amendement retient. Voilà pourquoi l’horizon du plan « zéro papier » est fixé à 2027. Je vous invite à redéposer votre amendement en séance publique en retenant cette dernière date.

La commission rejette l’amendement CF14.

Amendement CF24 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il concerne un sujet que vous connaissez bien, madame la rapporteure pour avis, à savoir la dématérialisation des dossiers uniques de personnalité des mineurs, que l’on doit absolument poursuivre, en l’adaptant afin d’améliorer la coordination entre les prises en charge pénales et civiles.

Je ne savais pas où placer ce dispositif, mais il répond à une demande importante que nous avons entendue lors des travaux menés par la mission d’information sur la mise en œuvre du code de justice pénale des mineurs et qui fait partie des recommandations qu’elle a formulées.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Je suis tout à fait d’accord avec vous et émets un avis favorable.

La commission adopte l’amendement CF24 (CL965).

Amendement CF7 de M. Philippe Schreck.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Les documents budgétaires sont très détaillés, donc cette demande de plan pluriannuel d’investissements est inutile. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

La commission rejette l’amendement CF7.

Amendement CF8 de M. Mathieu Lefèvre.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Il vise à faire preuve de volontarisme pour le déploiement du plan de création de 15 000 places de prison ; beaucoup a déjà été fait depuis 2017 et nous souhaitons accélérer la trajectoire : une telle disposition placée dans le rapport annexé est certes peu normative, mais il importe de rappeler la nécessité d’anticiper au mieux la construction de places de prison supplémentaires compte tenu des défis auxquels est confrontée notre politique pénale.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Je partage votre volonté d’accélérer la mise en œuvre du plan, mais les entreprises de construction rencontrent des difficultés, même si tous les terrains ont été identifiés. Ces contraintes empêcheront « d’accélérer », comme le demande votre amendement, mais la volonté de bâtir ces 15 000 places est bien présente. Je vous demande de retirer l’amendement.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Je vais le retirer et je le redéposerai peut-être dans une nouvelle rédaction.

L’amendement CF8 est retiré.

Amendement CF9 de M. Mathieu Lefèvre et sous-amendement CF64 de Mme Perrine Goulet.

M. Mathieu Lefèvre (RE). L’amendement a pour objectif d’affirmer le lien entre l’effectivité de la réponse pénale et la création de places de détention supplémentaires. De trop nombreuses peines de prison ne sont pas prononcées faute de places disponibles. Le déploiement du programme 15 000 garantira l’effectivité de la réponse pénale dans notre pays.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Je suis en total accord avec le fond de l’amendement, mon sous-amendement tendant à en modifier la rédaction, en préférant « assurer » l’effectivité de la réponse pénale plutôt que la « renforcer ».

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés votera contre l’amendement, car la réponse pénale est déjà effective. D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, les prisons ne seraient pas surpeuplées comme elles le sont. Notre pays se montre extrêmement sévère et n’hésite pas à emprisonner les gens. Je ne comprends pas cet amendement, qui insinue que la réponse pénale n’est pas effective dans notre pays – ce serait dramatique si tel n’était pas le cas. Le juge d’application des peines existe, et la préoccupation sur l’effectivité des décisions juridictionnelles touche davantage le domaine civil que la justice pénale.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Des magistrats n’osent pas prononcer des peines parce que celles-ci ne pourront pas être effectuées ; de nombreuses remises de peine sont accordées parce que le nombre de places de détention n’est pas à la hauteur du pays des droits de l’homme. Je ne reviens sur aucun objectif du programme 15 000, notamment celui de l’encellulement individuel, mais je maintiens que l’effectivité de la réponse pénale nécessite l’existence d’un parc de places de prison plus développé.

Je suis par ailleurs favorable au sous-amendement.

La commission adopte successivement le sous-amendement CF64 et l’amendement CF9 sous-amendé (CL966).

Amendement CF65 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Dans le cadre du programme 15 000 et à la suite des conclusions du groupe du travail sur le retour des enfants de Syrie, nous souhaitons que s’engage une réflexion sur l’implantation de nouveaux quartiers dédiés aux femmes radicalisées. Il n’en existe à ce jour qu’un seul, situé à Rennes : nous tentons de rapprocher ces enfants de leur famille élargie, si bien que certains d’entre eux pourraient se retrouver à Marseille quand leur mère serait à Rennes. Or ils ont passé trois ou quatre ans dans un lien fusionnel avec leur mère en Syrie : peu importe ce qu’ont pu faire ces femmes, si l’on se place du côté de l’intérêt supérieur de l’enfant, il importe de maintenir ce lien en ne séparant pas géographiquement les mères et leurs enfants.

La commission adopte l’amendement CF 65 (CL967).

Amendement CF19 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’avantage du rapport annexé est de rendre recevables tous les amendements. Celui-ci, qui nous tient vraiment à cœur, vise à renforcer l’ordonnance de protection des femmes victimes de violences, en allongeant la durée maximale de l’ordonnance de six à douze mois.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Je partage l’objectif de votre amendement, qui reprend en effet le dispositif de la proposition de loi visant à renforcer l’ordonnance de protection, que nous avons adoptée en première lecture en février 2023. J’appelle toutefois votre attention sur le fait que votre amendement insère un nouvel alinéa après l’alinéa 277, qui porte sur la protection des personnes vulnérables, c’est-à-dire celles qui sont placées sous tutelle ou curatelle : la portée de votre amendement, par ailleurs très intéressant, s’en trouve considérablement réduite. Je vous propose de le retirer et de le redéposer en vue de la séance publique, en le plaçant à un endroit plus adapté.

L’amendement CF19 est retiré.

Amendement CF25 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il s’agit d’une recommandation : la réforme de la police nationale a été accompagnée de la mise en place d’un comité de suivi, qui fonctionne bien. La nouvelle organisation policière a été amplement débattue dans la sphère judiciaire ; elle ne doit pas constituer une entrave au libre choix du service enquêteur par les magistrats. Pour protéger l’indépendance de certaines enquêtes judiciaires, il faut doter l’échelon zonal de la police judiciaire de moyens humains et budgétaires. Nous souhaitons exprimer ce vœu dans le rapport annexé, qui en contient de nombreux.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Une expérimentation de la réforme de la police judiciaire menée dans huit départements a donné lieu à une évaluation par trois corps d’inspection. Celle-ci relève plusieurs points positifs, notamment l’amélioration de la coordination lors des opérations. Toutefois, plusieurs recommandations ont été formulées pour tenir compte des craintes des magistrats s’agissant de leur liberté de choix du service enquêteur et du secret de l’enquête. Je considère que l’on doit être attentif aux suites qui seront données à ces recommandations, toutefois la modification du rapport annexé que vous proposez ne me semble pas forcément opportune. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF25.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CF59 de Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis (CL968).

Amendement CF60 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. La loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfant impose aux magistrats de mieux tenir compte des tiers dignes de confiance afin que les enfants soient davantage confiés à leur famille plutôt que placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE). Je vous propose d’apporter cette précision après la mention de l’administrateur ad hoc.

La commission adopte l’amendement CF60 (CL969).

Amendement CF61 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Il vise à prévoir une réflexion pour garantir la présence systématique d’un avocat auprès des enfants en assistance éducative.

La commission adopte l’amendement CF61 (CL970).

Amendement CF20 de Mme Cécile Untermaier.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Il vise à renforcer la lutte contre la corruption car, contrairement à d’autres pays occidentaux, notamment les États-Unis, la lutte anticorruption en France n’est pas suffisamment visible en tant que politique publique majeure. C’est pourtant un réel enjeu de confiance publique, mais aussi de souveraineté et de sécurité.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Le rapport annexé mentionne déjà la lutte contre la corruption. De plus, une stratégie nationale de coopération internationale anticorruption pour 2021-2030 a été définie dans un cadre interministériel associant les ministères des affaires étrangères, de l’intérieur, de l’économie et de la justice. Demande de retrait, sinon avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF20.

Amendement CF18 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). J’ai la conviction que nous devons montrer aux justiciables, aux magistrats et à tous les acteurs de la justice que nous n’avons pas oublié la justice restaurative, qui intervient parallèlement à la justice pénale traditionnelle. Elle fait des miracles au Québec dans la lutte contre les violences conjugales et contre le harcèlement scolaire. Le présent amendement vise donc à demander au Gouvernement la remise d’un rapport sur les modalités de fonctionnement de la justice restaurative ainsi que sur les mesures proposées, tant réglementaires que financières, pour développer ce dispositif en France.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Effectivement, la justice restaurative fonctionne très bien. Deux études récentes ont été publiées sur ce sujet, l’une par la Fondation Jean-Jaurès, en septembre 2022, et l’autre, avec le soutien du ministère de la justice, par l’Observatoire de la justice restaurative, en 2021. Cet après-midi, nous avons adopté votre projet de rapport global sur l’évaluation de la présente loi. Essayons de faire en sorte qu’il porte aussi sur ce sujet en trouvant à celui-ci une place dans le rapport annexé, plutôt que de demander un énième rapport, ce à quoi je ne suis pas favorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je maintiens cet amendement.

La commission rejette l’amendement CF18.

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 1er et du rapport annexé modifiés.

Après l’article 1er

Amendement CF4 de M. Philippe Schreck.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. Il s’agit de l’amendement miroir à l’amendement CF3, que nous n’avons pas adopté un peu plus tôt. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF4.

Amendement CF30 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Alors que 2 241 détenus dorment sur un matelas à même le sol dans les prisons françaises, le Gouvernement vient de repousser pour la troisième fois le moratoire sur le principe de l’encellulement individuel. Le présent amendement vise à demander un rapport au Gouvernement à l’issue de ce moratoire, le 31 décembre 2027, évaluant les effets d’une véritable régulation carcérale, avec une redéfinition de l’échelle des peines, sur la résorption de la surpopulation dans les prisons.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. L’encellulement individuel a donné lieu à la remise d’un rapport au Parlement en octobre 2022. Il retrace toutes les projections sur l’évolution du nombre de détenus et de places de détention, ainsi que l’appréciation que porte le Gouvernement sur sa capacité à atteindre un taux de 80 % d’encellulement individuel. La loi de finances de 2023 prévoit la remise de deux rapports en 2025 et 2027 sur le sujet. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Ce n’est pas tout à fait ce que nous demandons. Nous souhaitons que ce rapport étudie les effets de la régulation carcérale et de la redéfinition de l’échelle des peines sur la surpopulation carcérale.

M. Fabien Di Filippo (LR). Je relève une contradiction dans les propos de notre collègue. Les Insoumis s’étaient opposés à la création de places de prison. Or, pour atteindre l’objectif d’encellulement individuel sans construire de prisons, il faut diviser par six le nombre de détenus. Cela signifie qu’aucune personne ou presque ne serait plus incarcérée, même pour des crimes majeurs. Votre logique atteint donc clairement des limites.

Je vous rejoins sur un point : il n’est pas acceptable que des détenus dorment sur des matelas au sol. La seule solution, c’est de construire rapidement 15 000 ou 20 000 places de prison. M. Lefèvre a évoqué cette idée tout à l’heure : je suis content que des membres de la majorité prennent enfin la mesure de ce chantier mais, depuis six ans qu’ils sont au pouvoir, ils auraient déjà dû commencer à construire la première d’entre elles.

Mme Perrine Goulet, rapporteure pour avis. La régulation carcérale, telle que vous la concevez, conduirait à 13 000 libérations de prisonniers en sortie sèche, sans accompagnement en insertion ni accompagnement social, ce qui conduirait à un grand nombre de récidives. De plus, nous avons déjà adopté des mesures de régulation puisque, depuis le 1er janvier, le régime de libération sous contrainte est applicable de plein droit pour les plus petits reliquats de peine. Je suis donc vraiment défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement CF30.