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ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2020 - 2021

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 27 juin 2023

 

le 27 juin 2023

 

 

 

 

 

RAPPORT

 

 

au nom de

 

 

L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

 

sur

 

Les implications en matière de recherche et d’innovation technologique de
l’objectif de sobriété énergétique

 

par

 

Mme Olga Givernet, députée, et M. Stéphane Piednoir, sénateur
 

 

 

 

 

 

 

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Président de l’Office

 

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET

Premier vice-président de l’Office


1

 

 

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

 

 

Président

M. Pierre HENRIET, député

 

 

Premier vice-président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

 

Vice-présidents

 

 M. Jean-Luc FUGIT, député  Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, sénatrice              M. Victor HABERT-DASSAULT, député              Mme Angèle PRÉVILLE, sénatrice

 M. Gérard LESEUL député  Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

 

 

 

 

DÉputés

 

 

SÉnateurs

Mme Christine ARRIGHI

M. Philippe BERTA

M. Philippe BOLO

Mme Maud BREGEON

M. Hadrien CLOUET

M. Hendrik DAVI

Mme Olga GIVERNET

M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI

M. Yannick NEUDER

M. Jean-François PORTARRIEU

M. Alexandre SABATOU

Mme Mereana Reid Arbelot

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Huguette TIEGNA

 

 Mme Laure DARCOS

 Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

 M. André GUIOL

 M. Ludovic HAYE

 M. Olivier HENNO

 Mme Annick JACQUEMET

 M. Bernard JOMIER

 Mme Florence LASSARADE

 M. Ronan Le GLEUT

 M. Pierre MÉDEVIELLE

 Mme Michelle MEUNIER

 M. Pierre OUZOULIAS

 M. Stéphane PIEDNOIR

 M. Bruno SIDO

 

 

 


— 1 —

 

SOMMAIRE

___

Pages

Saisine

Synthèse

Introduction

PREMIÈRE PARTIE – Comprendre la sobriété énergétique

I. Qu’est-ce que la sobriété énergétique ?

1. La sobriété : une notion ancienne à la résonance contemporaine

a. Les origines de la sobriété dans l’Antiquité et au Moyen-Âge

b. La sobriété à l’époque moderne : une question controversée

c. Une définition récente de la sobriété, largement partagée

d. Sobriété et efficacité énergétique : deux notions complémentaires

e. Sobriété et énergie grise : une prise en compte nécessaire

f. Est-il possible de distinguer sobriété énergétique et sobriété en général ?

2. La sobriété, résultante d’un cadre collectif

a. Les services nécessitant de l’énergie et l’évolution des valeurs

b. La nécessité d’intégrer les dimensions collectives et de justice sociale

c. Le défi de la sobriété face aux valeurs actuelles de consommation et de production

d. Les mobilités émettrices de carbone et les modèles d’affaires dans divers secteurs

e. Vers une politique de sobriété intégrant conditions matérielles et structurelles

3. Une sobriété monitorée, symbiotique ou gouvernée ?

a. La sobriété monitorée : rationaliser la consommation des ressources

b. La sobriété symbiotique : des usages plus en synergie avec la nature

c. La sobriété gouvernée : réorganiser les infrastructures et les règles de gouvernance

d. La complémentarité des trois trajectoires de sobriété

4. La sobriété dans le cadre législatif et réglementaire français et européen

a. La sobriété dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte

b. La sobriété dans la Stratégie nationale bas carbone

c. La sobriété dans les plans nationaux européens

II. Pourquoi la sobriété ?

1. L’apport de la sobriété à la lutte contre le changement climatique

a. Une évolution du climat préoccupante

b. Une contribution significative de la sobriété à la lutte contre le réchauffement climatique

c. La réduction des incertitudes technologiques

2. Le rôle de la sobriété dans le respect des limites planétaires

a. Neuf limites planétaires à ne pas franchir

b. Des limites reconnues par les Nations unies et l’Union européenne

c. Diminuer la pression sur les ressources minérales

3. La sobriété, facilitateur de l’acceptabilité des nouvelles infrastructures

a. L’enjeu de l’acceptabilité pour la transition énergétique

b. Le cas des énergies renouvelables

c. Le cas des installations nucléaires

d. L’apport de la sobriété

4. L’importance de la sobriété dans la lutte contre l’effet rebond

a. L’origine de l’effet rebond

b. L’effet rebond direct

c. L’effet rebond indirect

d. L’effet rebond structurel

e. Estimation de l’effet rebond

f. Le rôle de la sobriété pour modérer l’effet rebond

5. Le renforcement de la résilience

6. Les co-bénéfices de la sobriété

7. L’impact de la sobriété dans les scénarios climatiques et énergétiques

a. Le scénario négaWatt 2022

b. Les scénarios RTE Futurs énergétiques 2050

III. Les freins à la sobriété

1. Une information insuffisante des consommateurs

2. La pression publicitaire sur l’acte d’achat

3. Le poids de l’habitude et la relation au temps

4. Le « juste assez » contre le règne de la quantité

5. L’existence de prérequis à la sobriété

6. Les normes sociales

7. L’illettrisme énergétique

IV. L’articulation entre la sobriété et d’autres concepts du développement durable

1. Sobriété et économie circulaire

a. Les principes de l’économie circulaire

b. La contribution de l’économie circulaire au développement durable

c. L’économie circulaire dans la législation française

d. Les limites du recyclage

e. L’apport indispensable de la sobriété

2. Sobriété et low tech

a. La course aux technologies avancées : une impasse environnementale ?

b. Contexte historique et origines de la low tech

c. Mieux cerner les contours de la low tech

d. La low tech en tant que démarche d’innovation orientée vers la sobriété

V. Les politiques de sobriété en France, au Japon, en Allemagne et dans les pays nordiques

1. En France : un plan de sobriété gouvernemental

a. Un plan basé sur trois grands principes et une approche collaborative

b. Des premiers résultats substantiels, avec quelques limitations

c. Un deuxième plan destiné à approfondir et pérenniser la sobriété

2. Le précédent du Japon face à l’urgence énergétique : comment la sobriété a permis au pays de s’adapter après Fukushima

a. La catastrophe de Tōhoku et ses conséquences sur l’énergie nucléaire

b. Les réactions immédiates face à la crise énergétique

c. Les résultats de la sobriété énergétique au Japon

3. En Allemagne : une présence discrète du concept de sobriété mais de nombreuses initiatives

a. Éléments de définition de la sobriété en Allemagne

b. La place de la sobriété dans la stratégie énergétique gouvernementale

c. La recherche publique et privée sur la sobriété

d. Des applications concrètes

4. Dans les pays nordiques : un retour à la sobriété, malgré l’abondance énergétique

a. L’évolution du débat sur la sobriété énergétique dans les pays nordiques

b. L’innovation technologique au service de l’efficacité énergétique et de la sobriété

c. Une recherche axée sur l’efficacité énergétique plutôt que la sobriété

SECONDE PARTIE – Les enjeux d’innovation et de recherche

I. Une recherche à développer

1. L’émergence du concept de sobriété dans le monde académique

2. La position de la France dans la recherche sur la sobriété énergétique

3. La recherche sur la sobriété : une diversité de disciplines impliquées

a. Le rôle de la sociologie dans la compréhension de la sobriété

b. Économie et sobriété : décryptage des mécanismes de marché et des politiques publiques

c. La contribution de la psychologie à la recherche sur la sobriété

d. Le prisme des sciences politiques sur la sobriété

4. Le rôle de la science dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de sobriété

II. Des innovations technologiques à accélérer

1. L’innovation pour la sobriété dans le bâtiment : l’apport crucial de la gestion active de l’énergie

a. La gestion active de l’énergie dans les entreprises et le décret BACS

b. La gestion active pour les particuliers et son impact

c. Électrification des usages : implications pour la gestion active de l’énergie

2. Les innovations dans les transports

a. L’apport essentiel de la sobriété

b. L’évolution des véhicules individuels

c. Trois axes de transformation cohérents

d. Développer la production de véhicules à faibles émissions

e. Promouvoir la conduite sobre

3. L’innovation pour la sobriété dans l’industrie : vers de nouveaux modèles économiques

a. L’écoconception, démarche essentielle à la sobriété

b. L’économie du partage

c. Le produit en tant que service

d. Le reconditionnement et la réparation

4. L’innovation pour la sobriété dans le numérique : allonger la durée de vie des équipements

a. Un impact environnemental concentré sur les terminaux

b. La nécessité d’une réglementation adaptée

c. Massifier le réemploi

d. Lutter contre l’obsolescence logicielle

e. Promouvoir l’innovation en matière de modularité

CONCLUSIONS

RECOMMANDATIONS

EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE

liste des personnes entendues par les rapporteurs

ANNEXES

I. Compte rendu de l’audition publique de Mme AgnÈs Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique (24 mai 2023)

II. La sobriété énergétique dans les pays nordiques (Service économique Régional de Stockholm)

III. La sobriété énergétique en Allemagne (OFATE)

 

 

 


1 —

 

   Saisine

 


   Synthèse

Le 19 septembre 2022, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale a saisi l’OPECST « d’une étude qui permettrait de présenter et mesurer les implications, en termes de recherche et d’innovation technologique, de l’objectif de sobriété énergétique, et d’avancer des recommandations ».

Ce rapport présente les principaux enjeux de la sobriété, que ce soit pour la lutte contre le changement climatique, la réduction de la pression sur les ressources minérales ou encore l’acceptabilité des infrastructures énergétiques. 

Plutôt que de céder à la tentation des interdits ou des restrictions, les rapporteurs préconisent de mieux informer les Français sur les nombreux atouts de la sobriété, ou du « juste-assez », en multipliant les messages valorisant ses co-bénéfices (effets positifs sur la santé d’une alimentation plus sobre ; économies réalisées et fatigue évitée d’une modération de la vitesse sur autoroute, etc.).

Ils formulent une vingtaine de recommandations opérationnelles, allant de la généralisation de la gestion active dans les bâtiments à l’allongement de la durée de vie des équipements numériques, en passant par le soutien au développement d’une filière de véhicules légers.

 


1 —

 

La sobriété, notion ancienne à la résonnance contemporaine

La sobriété n’est pas une idée nouvelle. Elle remonte à l’Antiquité :  dans le monde grec, la tempérance, synonyme de modération ou de retenue volontaire de soi-même, était considérée comme l’une des quatre vertus cardinales.

Mais au cours du XVIIIe siècle, les sciences modernes ont fait naître l'idée que les ressources de la Terre peuvent être facilement exploitées pour obtenir en abondance de l’énergie et d’autres matières premières. La sobriété, devenue moralement scandaleuse, finit par être perçue comme « un signe de misère ou de retard ». Ce n’est qu’à partir des années 1990 que la sobriété redevient un sujet d’intérêt pour le monde académique. Pour autant, le concept de sobriété reste encore assez mal défini et pratiquement chacun des interlocuteurs rencontrés en a proposé une définition différente.

Néanmoins, la définition de la sobriété proposée par le GIEC dans son 6e rapport semble faire l’objet d’un large consensus : « la sobriété est un ensemble des mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matière et eau, tout en garantissant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires. »

Cette définition fait référence à la théorie dite du « donut » proposée en 2012 par l’économiste Kate Raworth qui définit un « espace sûr et juste » situé entre deux limites : d’une part un plafond environnemental fixant les frontières écologiques que l'humanité ne doit pas franchir et d’autre par un plancher social, correspondant à la satisfaction des besoins fondamentaux de tous.

En pratique, il est impossible de disjoindre la sobriété énergétique de la sobriété en générale. L’énergie étant au cœur du fonctionnement des sociétés, toute variation dans son utilisation impact nécessairement les autres types de consommation.

Par ailleurs, la sobriété ne repose pas uniquement sur des comportements individuels, mais également sur un cadre collectif favorisant ces comportements. En effet, la demande en énergie, en biens et en services découle principalement de choix collectifs relatifs aux infrastructures, systèmes d'approvisionnement, régulations et allocations d'usage.

Pourquoi la sobriété ?

Face aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux liés à l'énergie, la sobriété apparaît de plus en plus comme un pilier essentiel à la transition énergétique et écologique, peut-être avant même l'efficacité énergétique ou le développement des énergies décarbonées.

En effet, elle offre un potentiel d’amélioration dans plusieurs domaines. 

En limitant la demande en énergie, la sobriété peut réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi les incertitudes technologiques, en évitant d’avoir recours à des technologies risquées, comme la géo-ingénierie.

Par ailleurs, la sobriété peut, de façon plus générale, contribuer au respect des limites planétaires. En particulier, elle peut diminuer la pression sur les ressources minérales, dont l’exploitation impacte plusieurs de ces limites.

La décarbonation accélérée du secteur de l’énergie au niveau mondial implique la construction d’un nombre très élevé de nouvelles infrastructures, comme l’électrification du parc automobile et la production d’hydrogène décarbonée.

Ces infrastructures demanderont de grandes quantités de matériaux. Pour certains, les besoins approcheraient des réserves connues. Pour d’autres, les volumes produits devraient croitre extrêmement rapidement.

La sobriété peut avoir un impact très significatif sur ces besoins en infrastructures, donc en matières.

En outre, la réduction du rythme de construction des nouvelles infrastructures énergétiques aurait un effet positif sur leur acceptabilité.

Un autre apport important de la sobriété concerne la lutte contre l’effet rebond qui se produit lorsque les améliorations technologiques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, avec pour conséquence un accroissement de sa consommation plutôt qu’une diminution.

Parce qu’elle repose sur une réduction volontaire de la consommation, la sobriété permet de limiter les effets rebonds, voire de bénéficier pleinement de la réduction de consommation résultant des améliorations d’efficacité énergétique apportées par l’innovation technologique.

La sobriété peut aussi contribuer à accroître la résilience des systèmes socio-économiques et de la transition énergétique elle-même. En effet, elle permet non seulement de limiter la dépendance à des sources d’approvisionnement externes, mais aussi d’être mieux préparé à faire face à des restrictions imposées par des événements imprévus

Enfin, il ne faut pas passer à côté des co-bénéfices de la sobriété. En effet, les pratiques de sobriété peuvent générer des bénéfices significatifs pour la santé et le bien-être des individus.

Par exemple, la réduction de l’usage des véhicules individuels peut entraîner une diminution de la pollution atmosphérique ainsi qu’une réduction des nuisances sonores, avec des effets bénéfiques pour la santé.

Il serait essentiel que la population puisse prendre conscience de ces bénéfices qui peuvent améliorer la qualité de vie.

Les freins à la sobriété

Bien que la sobriété soit une approche prometteuse pour répondre aux défis environnementaux et énergétiques, plusieurs freins limitent son adoption à grande échelle.

Un premier frein résulte d’un manque d’information des consommateurs, qui ne disposent pas d’assez d’informations claires, présentées sous une forme suffisamment pédagogique et immédiatement exploitable.

La pression de la publicité est un autre frein important, puisqu’elle pousse à l’acte d’achat. Aussi conviendrait-il d’associer à certaines publicités des messages d’avertissement sur les conséquences environnementales d’un achat.

Un troisième frein porte sur la difficulté à changer les habitudes, en particulier la relation au temps. En effet, les sociétés modernes, caractérisées par un rythme de vie effréné, sont stimulées par une consommation perpétuelle, des innovations technologiques continuelles et une quête insatiable de nouveauté.

Un frein supplémentaire découle de l’arbitrage budgétaire entre quantité et qualité. À cet égard, la notion de « juste assez » pourrait servir de guide pour lutter contre cette surconsommation.

Les normes sociales qui imposent des comportements stéréotypés ou des obligations peuvent constituer un obstacle de plus à l’adoption de pratiques de sobriété.

Un dernier frein relève de l’existence de prérequis matériels à la sobriété qui dépendent souvent de l’échelle territoriale, par exemple des pistes cyclables, des cantines approvisionnées localement, etc.

Les enjeux de la recherche

L’émergence du concept de sobriété dans le monde académique a pris plus d’ampleur à partir du milieu des années 2000. De ce fait, les travaux sur ce champ de recherche n’ont connu qu’une croissance très progressive.

Une accélération notable des travaux académiques sur ce sujet n’a été observée qu’à partir des années 2010. La prise en compte du concept de sobriété dans le sixième rapport du GIEC pourrait entraîner une multiplication de ces travaux.

Sur ce plan, la recherche française se trouve dans une position privilégiée pour contribuer à l’approfondissement de ce champ de recherche, compte tenu de l’investissement des chercheurs français dans les travaux exploratoires entrepris depuis une vingtaine années.

Concernant les disciplines impliquées dans les recherches sur la sobriété énergétique, le panel est très large. En particulier, les différentes disciplines des sciences humaines et sociales ont à peu près toutes un rôle à jouer pour approfondir les connaissances sur la sobriété.

Par ailleurs, la pluridisciplinarité prouve encore une fois son utilité, puisque de nombreux travaux de recherches font appel à la collaboration entre chercheurs en sciences humaines et sociales, parfois aussi avec des chercheurs des sciences « dures ».

Les apports de l’innovation

En ce qui concerne le secteur des bâtiments, la question du pilotage des équipements, par exemple du chauffage ou de la climatisation dans les différentes pièces d’un bâtiment, est fondamentale.

L’intérêt de ces solutions a été mis en avant par l’OPECST voici près de 10 ans. Toutefois, leur développement s’est heurté à l’époque à une certaine inertie réglementaire.

Le plan de sobriété énergétique du Gouvernement a permis des avancées dans ce domaine. Mais les rapporteurs font des propositions complémentaires.

Concernant les transports, la sobriété peut également jouer un rôle important, mais les approches sont plus diversifiées : promotion de l’éco-conduite, généralisation de la pratique du vélo et développement d’une offre alternative de véhicules légers, indispensable pour satisfaire les besoins d’une clientèle soucieuse de plus de sobriété, etc.

Dans l’industrie, la sobriété passe notamment par de nouvelles démarches, comme l’écoconception, et de nouveaux modèles d’affaires, comme l’économie du partage ou la notion de produit en tant que services.

Pour le numérique, les études les plus récentes montrent que l’essentiel de son empreinte carbone, 80 % environ, est lié aux terminaux des utilisateurs. Il en va d’ailleurs de même pour la consommation électrique.

Les rapporteurs préconisent donc en priorité d’allonger la durée de vie des terminaux : en prolongeant par étapes la période de garantie a 5 ans, tout comme l’obligation de fourniture des mises à jour logicielles par le fabriquant, en séparant les mises à jour de conformité de celles de confort et en promouvant l’innovation en termes de modularité.

En conclusion, la sobriété apparaît de plus en plus comme un levier essentiel pour la transition énergétique et écologique du pays. Elle doit être vue comme un principe d’action, plutôt qu’un idéal à atteindre. Aussi, les rapporteurs ont-ils identifié une vingtaine de recommandations destinées à accélérer la recherche et l’innovation dans ce domaine.


 


— 1 —

   Introduction

Le 19 septembre 2022, M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, a saisi l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) « d’une étude qui permettrait de présenter et mesurer les implications, en termes de recherche et d’innovation technologique, de l’objectif de sobriété énergétique, et d’avancer des recommandations ». L’Office a confié cette étude à Mme Olga Givernet, députée, et M. Stéphane Piednoir, sénateur, le 15 septembre 2022.

Les rapporteurs ont suivi une démarche d’investigation conforme aux pratiques habituelles de l’Office, en procédant à une large consultation des parties prenantes : chercheurs, universitaires, associations, acteurs institutionnels et industriels.

*     *
*

L’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie, survenue le 24 février 2022, a pris de court les dirigeants européens et bouleversé l’approvisionnement énergétique du continent.

Un peu plus de dix ans auparavant, à l’occasion de la publication de leur rapport final le 15 décembre 2011, MM. Christian Bataille, député, et Bruno Sido, sénateur, rapporteurs de la mission parlementaire de l’OPECST sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir avaient pourtant alerté, carte à l’appui, sur le risque d’une trop grande dépendance au gaz russe : « d’un point de vue géostratégique, une moindre dépendance vis-à-vis des hydrocarbures importés est essentielle pour préserver nos marges de manœuvre diplomatiques. À cet égard, il est important pour la France et l’Union européenne que les projets de gazoducs connectant directement les réserves de gaz naturel d’Asie centrale au rivage de la Turquie soient menés à bien. »

À ce problème d’approvisionnement en gaz, anticipé par l’Office parlementaire, s’est ajoutée, quelques mois plus tard, la décision de l’exploitant EDF d’arrêter une douzaine de réacteurs nucléaires en raison de l’apparition inattendue, à l’automne 2021, de corrosion sous contrainte sur le circuit primaire de certains réacteurs, en particulier les plus récents. Cet arrêt avait pour but de procéder aux contrôles et aux réparations nécessaires[1].

La survenue quasi simultanée de ces deux événements a mis à mal à la fois la capacité de la France à assurer son approvisionnement en électricité dans la période hivernale et celle de ses voisins à lui apporter de façon certaine les compléments nécessaires. L’éventualité de devoir réaliser des délestages durant les jours les plus froids ne pouvait de ce fait être totalement écartée.

Pour faire face à cette situation inédite, le Gouvernement a annoncé, le 26 juin 2022, la décision d’élaborer un plan de sobriété énergétique. D’abord conçu pour faciliter le passage de l’hiver, il avait aussi vocation à être une première étape vers l’objectif de réduction de 40 % de la consommation d’énergie finale d’ici 2050, avec un premier palier de réduction à 10 % en 2024.

Malgré les nombreuses critiques formulées à l’époque, les uns jugeant ce plan superflu, les autres au contraire insuffisant, force est de constater qu’il a atteint les objectifs fixés, puisque, par rapport aux années précédentes, la consommation française d’électricité a baissé d’environ 8 % et celle de gaz de près de 13 % sur les périodes de l’automne et de l’hiver. Par comparaison, en 2020, malgré les confinements et la baisse d’activité économique, la consommation d’énergie finale corrigée des variations climatiques n’a diminué que de 5,5 % par rapport à 2019[2].

Les mesures prises dans l’urgence pour encourager la sobriété énergétique ont donc eu un effet significatif et ont probablement permis d’éviter des situations de tension dans l’approvisionnement énergétique, voire des pénuries. Elles ont aussi contribué à réduire de quelque 2,5 % les émissions de gaz à effet de serre de la France en 2022, une baisse particulièrement marquée au dernier trimestre.

Ces premiers résultats démontrent que la sobriété est un moyen très efficace à la fois pour baisser la consommation d’énergie – et par la même occasion les factures énergétiques des Français – et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans la perspective de l’objectif de neutralité carbone en 2050.

La sobriété énergétique, jusque-là trop souvent ignorée, apparaît donc aujourd’hui comme un pilier essentiel, sinon le premier, de la transition énergétique.

Mais plusieurs études récentes, publiées par l’Agence internationale de l’énergie, l’ADEME et RTE montrent que la sobriété est aussi indispensable pour réussir le déploiement des nouvelles infrastructures de la transition énergétique – un autre pilier de cette transition – par exemple en limitant la pression sur les ressources naturelles, en particulier les métaux critiques.

La sobriété est tout aussi indispensable pour bénéficier pleinement des gains résultant de l’amélioration continue de l’efficacité énergétique, troisième pilier de la transition, parce qu’elle permet d’éviter – ou du moins de limiter – l’effet rebond, qui se produit lorsqu’un gain d’efficacité dans l’utilisation d’une ressource entraîne en fait une augmentation, et non une diminution, de la consommation de celle-ci.

Il ne s’agit plus uniquement de faire face à une situation d’urgence, comme cela a déjà été le cas après les chocs pétroliers des années 1970, mais d’assurer une prise en compte de la sobriété sur le long terme.

Il est donc essentiel que la sobriété énergétique ait toute sa place dans les débats à venir sur la stratégie énergétique et climatique de la France, en particulier à l’occasion de l’examen de la future loi de programmation sur l’énergie et le climat.

 


— 1 —

   PREMIÈRE PARTIE –
Comprendre la sobriété énergétique

I.   Qu’est-ce que la sobriété énergétique ?

1.   La sobriété : une notion ancienne à la résonance contemporaine

La sobriété est un concept protéiforme, dont les racines remontent aux traditions philosophiques et religieuses anciennes. De l’Antiquité à nos jours, la notion de sobriété a traversé les siècles et les civilisations, en s’adaptant aux contextes et aux enjeux de chaque époque.

a.   Les origines de la sobriété dans l’Antiquité et au Moyen-Âge

Dans le monde grec, la tempérance (en grec ancien, ἐγκράτεια), synonyme de modération ou de retenue volontaire de soi-même, est considérée comme l’une des quatre vertus cardinales, avec le courage, la prudence et la justice. Les Grecs cultivaient cette vertu avec soin, redoutant son opposé : la démesure ou hubris (en grec ancien, ὕϐρις), considérée comme la cause de la décadence des cités et des royaumes. Dans La République, Platon la définit comme « une certaine forme d’ordre harmonieux, […] la maîtrise de certains plaisirs et désirs. » Son disciple Aristote lui consacre le septième livre de son Éthique à Nicomaque.

Au XIIIe siècle, Thomas d’Aquin reprend les réflexions d’Aristote dans sa Somme théologique, en les remplaçant dans le contexte religieux et scientifique de son temps. Ainsi que l’a souligné le professeur Bruno Villalba lors de son audition, la sobrietas correspond, étymologiquement, à la modération comme juste mesure. Elle ne doit pas être assimilée au renoncement à l’usage ou à une forme d’ascétisme : « Toutes les choses qui appartiennent proprement à la tempérance sont nécessaires à la vie présente, et leur excès est nuisible. C’est pourquoi il faut en tout employer une mesure, ce qui est l’office de la sobriété, et c’est ce qui fait que sous son nom on désigne la tempérance » écrit Thomas d’Aquin.

b.   La sobriété à l’époque moderne : une question controversée

Au cours du XVIIIe siècle, les sciences modernes font naître l’idée que les ressources de la Terre peuvent être facilement exploitées pour obtenir en abondance de l’énergie et d’autres matières premières. L’historien de l’énergie, du travail et des changements sociotechniques François Jarrige note[3] qu’au XIXe siècle, la sobriété, devenue moralement scandaleuse, finit par être perçue comme « un signe de misère ou de retard ». Cette évolution se renforce tout au long du XXe siècle, jusqu’à l’apparition de la société de consommation.

Dans les années 1990, l’économiste allemand Wolfgang Sachs, directeur de l’Institut de Wuppertal pour le climat, l’environnement et l’énergie, a joué un rôle déterminant dans la remise à l’ordre du jour du concept de sobriété (en allemand, Suffizienz) dans le monde académique. Sachs préconise un abandon du modèle économique axé sur la croissance au profit d’une approche plus holistique, mettant l’accent sur la conservation des ressources, l’équité sociale et l’équilibre environnemental.

La publication en 2005 de l’ouvrage The Logic of Sufficiency par le professeur de politique environnementale américain Thomas Princen, a permis de diffuser le concept de sobriété dans le monde anglo-saxon. Princen plaide en faveur d’une approche fondée sur la sobriété, respectant les limites biophysiques, promouvant l’équité sociale et donnant la priorité à la satisfaction des besoins fondamentaux. En analysant des études de cas et en proposant des solutions pratiques, il montre comment la sobriété peut être appliquée dans différents domaines.

En France, Vers la sobriété heureuse, publié en 2010 par Pierre Rabhi, a popularisé le concept de sobriété. Dans son ouvrage, Rabhi critique la société de consommation moderne et ses impacts négatifs sur la planète, les ressources naturelles et le bien-être humain. Il propose un retour aux valeurs essentielles et à une vie basée sur la frugalité, l’autonomie, l’entraide, le respect de la nature et le retour à la terre.

En parallèle, l’association négaWatt, créée en 2002, présente à partir de 2003 plusieurs scénarios énergétiques successifs, visant à sortir à la fois des énergies fossiles et nucléaire, basés sur trois leviers principaux, actionnés dans cet ordre : sobriété, efficacité énergétique et énergies renouvelables.

Démarche négaWat, priorisant les approches de sobriété, puis d’efficacité et enfin de production renouvelable
pour passer d’un scénario tendanciel à un scénario « négaWatt » - Source : négaWatt

Ce travail innovant de modélisation rencontre dès les années 2000 un très large écho et permet au concept de sobriété de connaître en France une diffusion beaucoup plus large que dans les pays voisins, en particulier dans les milieux politiques et institutionnels.

Malgré cette large diffusion, le concept de sobriété reste à ce jour encore assez mal défini et surtout sujet à polémique. Par exemple, Gabriel Bareux, directeur recherche et développement, et Olivier Houvenagel, directeur de l’économie du système électrique, le considèrent comme le concept le plus clivant de la concertation organisée par RTE pour préparer les scénarios Futurs énergétiques 2050 (publiés entre janvier 2021 et juin 2022).

De fait, plusieurs des organismes auditionnés par les rapporteurs proposent leur propre définition de la sobriété énergétique :

-         pour RTE, la sobriété est « une modération organisée et volontaire des recours aux ressources énergétiques et matériels » ; elle doit être distinguée de l’efficacité énergétique et de la précarité ;

-         pour l’ADEME, la sobriété correspond à « une recherche de “moins”, de modération des biens et des services produits et consommés, tout en recherchant un “mieux”, notamment une augmentation de la qualité de vie et du bien-être » [4];

-         pour l’association Virage énergie, la sobriété énergétique est une « démarche qui vise à réduire les consommations d’énergie par des changements de comportement, de mode de vie et d’organisation collective (moindre usage de la voiture, alimentation plus locale et de meilleure qualité, etc.) ».

c.   Une définition récente de la sobriété, largement partagée

Le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) définit la sobriété comme : « Un ensemble des mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matière et eau, tout en garantissant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires. » (en anglais, « A set of measures and daily practices that avoid demand for energy, materials, land, and water while delivering human well-being for all within planetary boundaries »)

La grande majorité des interlocuteurs rencontrés sont convenus de la pertinence de cette définition du GIEC.

Elle est très proche de celle proposée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son rapport intitulé « Quelles politiques pour favoriser l’évolution de la société vers la sobriété ? », qui ajoute de façon tout à fait pertinente aux mesures et pratiques du quotidien « les organisations collectives »[5].

Lors de son audition, Yamina Saheb, consultante et autrice du sixième rapport du GIEC, a expliqué que la sobriété, telle qu’envisagée par le GIEC, repose sur quatre piliers interdépendants et tous essentiels. Les deux premiers piliers concernent, d’une part, les politiques publiques et, d’autre part, les pratiques quotidiennes.

Par exemple, l’utilisation du vélo commence à devenir une norme sociale en France et, plus généralement, en Europe, car des politiques publiques ont permis de créer des conditions favorables à son développement, telles que des pistes cyclables en milieu urbain. La diffusion de nouvelles pratiques ne doit donc pas être confondue avec un simple changement des comportements individuels, les individus étant soumis aux cadres établis par les politiques publiques.

Les troisième et quatrième piliers portent, d’une part, sur le bien-être pour tous, garantissant une vie décente incluant les loisirs, le logement, la mobilité, une nourriture adéquate, etc., et, d’autre part, sur le respect des limites planétaires. Le troisième pilier est lié à la justice climatique, la sobriété devant permettre à tous, en particulier aux personnes les plus vulnérables, d’accéder à la modernité. Le quatrième pilier prend en compte non seulement les émissions actuelles, mais aussi les émissions cumulées (ces deux piliers s’inscrivent dans le modèle économique dit du « Donut » de l’économiste britannique Kate Raworth).

La théorie du Donut

La théorie du Donut, présentée en 2012[6] par l’économiste britannique Kate Raworth, est un modèle d’économie durable qui conjugue la satisfaction des besoins fondamentaux des êtres humains et le respect des limites planétaires.

Suivant ce modèle, une société sobre doit permettre à l’humanité de vivre dans un « espace sûr et juste » situé entre deux limites :

- un plafond environnemental définissant les frontières écologiques que l’humanité ne doit pas franchir pour préserver la stabilité et la résilience des systèmes terrestres ;

- un plancher social, correspondant à la satisfaction des besoins fondamentaux permettant d’assurer à l’ensemble des êtres humains une qualité de vie digne.

Source : JFpochon/Commons wikimedia - CC BY-SA 4.0


d.   Sobriété et efficacité énergétique : deux notions complémentaires

i.   Un objectif commun : la réduction de la consommation énergétique

Il existe parfois une certaine confusion entre sobriété et efficacité énergétique, dans la mesure où ces approches contribuent toutes deux à diminuer la consommation d’énergie.

Toutefois, elles correspondent à des logiques bien distinctes :

-         la sobriété énergétique permet d’éviter la demande en énergie, en réduisant l’appel à certains biens ou services ;

-         l’efficacité énergétique, parfois appelée efficience (même si les deux termes ne sont pas synonymes), vise, en mobilisant l’innovation technologique, à produire des biens ou des services nécessitant moins d’énergie à l’unité.

Le tableau suivant fournit des exemples de mesures d’efficacité ou de sobriété applicables dans plusieurs domaines :

Domaine

Mesures d’efficacité énergétique

Mesures de sobriété énergétique

Logement

Isoler les bâtiments, remplacer des radiateurs à effet Joule par une pompe à chaleur, remplacer des ampoules à incandescence par des ampoules LED

Baisser la température du thermostat en hiver et l’augmenter en été, minimiser l’utilisation de la climatisation ou du chauffage, éteindre les lumières et appareils inutilisés

Transport

Véhicules électriques, optimisation de la logistique pour réduire les déplacements inutiles

Limiter ses déplacements, réduire sa vitesse en voiture, utiliser le covoiturage, pratiquer la marche ou le vélo chaque fois que possible.

Numérique

Utiliser des équipements informatiques moins consommateurs en énergie, optimiser les logiciels pour minimiser l’utilisation des ressources

Acheter moins d’appareils numériques et les utiliser plus longtemps. Réduire l’utilisation des appareils numériques, basculer les appareils inutilisés en mode veille ou les éteindre.

ii.   Les avantages de l’efficacité énergétique

À l’occasion de son audition, Bertrand Piccard, initiateur et président de la fondation Solar Impulse, a mis en avant plusieurs atouts de la démarche d’efficience énergétique.

Elle permet tout d’abord, dans un certain nombre de cas, de réduire drastiquement la consommation d’énergie, y compris par rapport à la sobriété. Par exemple, remplacer des radiateurs électriques par une pompe à chaleur conduit à diviser par un facteur trois à cinq la consommation d’électricité, la pompe puisant dans l’environnement une partie de la chaleur fournie à l’usager. Baisser la température permet également une diminution de la consommation non négligeable, mais plus modeste, de l’ordre de 7 % pour un degré de moins. De la même façon, les ampoules à LED consomment de 5 à 7 fois moins d’électricité que les anciennes ampoules incandescentes, pour répondre à un même besoin d’éclairage.

L’efficience favorise à la fois l’innovation technologique, indispensable au développement de nouvelles solutions consommant moins d’énergie, et le développement économique, puisque ces innovations doivent être industrialisées et commercialisées à grande échelle pour avoir un effet sur la consommation globale d’énergie.

Enfin, l’efficience ne pose pas de problème d’acceptabilité sociale, dans la mesure où les solutions qu’elle propose ne modifient pas les habitudes de consommation tout en conduisant à une réduction de la dépense d’énergie, donc à des économies pour les consommateurs.

iii.   Les limites de l’efficacité énergétique

Cependant, l’efficacité énergétique présente plusieurs limites.

Elle peut entraîner ce que l’on appelle un « effet rebond ». Ce phénomène, aussi appelé paradoxe de Jevon, a été mis en évidence au XIXe siècle. Il peut réduire les gains procurés par l’efficacité énergétique, voire, dans des cas extrêmes, conduire à une augmentation de la demande globale en énergie. Cet effet rebond est abordé de façon plus approfondie dans la suite du présent rapport.

Il faut également noter que l’efficacité énergétique nécessite souvent des investissements importants, puisqu’elle suppose de mettre en place des équipements nouveaux, a priori plus coûteux que ceux qui sont remplacées, par exemple le prix d’une pompe à chaleur pour usage domestique s’élève à plusieurs milliers d’euros. Cet investissement peut représenter un obstacle majeur pour de nombreux consommateurs et entreprises.

Enfin, les solutions d’efficacité énergétique peuvent, dans certains cas, n’être déployées que très progressivement, donc n’avoir qu’un impact réduit sur la consommation globale. Ainsi, la rénovation thermique du parc immobilier existant, engagée depuis les années 2000, s’étale sur plusieurs décennies.

iv.   L’efficacité et la sobriété énergétiques, deux démarches complémentaires

Malgré ces limites, l’efficacité énergétique demeure indispensable pour réussir la transition vers une économie à faible émission de carbone. À cet égard, l’efficacité énergétique et la sobriété apparaissent, à plusieurs titres, comme des stratégies complémentaires plutôt que concurrentes.

Ainsi, la sobriété énergétique peut limiter l’effet rebond, comme décrit dans la suite du présent rapport. De plus, certaines solutions de sobriété énergétique peuvent être mises en place dans des délais courts, à coût nul ou très faible, en attendant que soient mises en œuvre les solutions d’efficacité énergétique nécessitant des délais importants et occasionnant des coûts élevés.

Par exemple, le plan de sobriété énergétique lancé en octobre 2022 a conduit à une réduction rapide et substantielle de la consommation d’énergie liée au chauffage, alors que les gains résultant des travaux d’isolation thermique des bâtiments demanderont encore plusieurs décennies pour produire leurs effets sur l’ensemble du parc existant.

En combinant ces deux approches, il est donc possible de réaliser des réductions de consommation d’énergie plus importantes et de faire un pas significatif vers la résolution de la crise énergétique et climatique.

e.   Sobriété et énergie grise : une prise en compte nécessaire

L’énergie grise est un autre concept fondamental pour apprécier l’empreinte énergétique réelle des biens et services consommés et donc pour prendre les bonnes décisions en matière de sobriété.

i.   La face cachée de la consommation d’énergie

L’énergie grise englobe l’énergie totale dépensée pour la production, le transport et la fin de vie d’un produit, en incluant l’extraction des matériaux nécessaires ainsi que les services, par exemple la commercialisation et l’entretien.

A contrario, l’énergie grise n’inclut pas l’énergie dépensée durant la période d’utilisation du produit, qui est visible du consommateur puisqu’il doit en général la financer. L’énergie grise correspond par conséquent à la part d’énergie cachée au consommateur, qui n’a aucun moyen de l’évaluer directement.

ii.   Une énergie largement importée

Comme l’a rappelé en audition Greg De Temmerman, directeur général de Zenon Research, 75 % de l’énergie totale consommée en France correspond à l’énergie grise.

En effet, avec les délocalisations industrielles, la France, comme la plupart des pays développés, a transféré une partie de sa consommation d’énergie, correspondant à cette part cachée, vers d’autres pays.

Lorsqu’un produit est importé, une part de l’énergie grise, celle correspondant à sa fabrication, a été consommée dans son pays d’origine.

iii.   Prendre en compte l’énergie grise

L’énergie grise révèle l’ampleur réelle de la consommation énergétique associée à un produit. Par exemple, une voiture électrique peut sembler consommer seulement l’énergie nécessaire aux déplacements. Cependant, lorsqu’on considère l’énergie dépensée pour extraire et raffiner les matières premières nécessaires, fabriquer les composants, assembler le véhicule, le transporter jusqu’au concessionnaire, puis le recycler ou le mettre au rebut, l’empreinte énergétique totale peut être bien plus importante.

Le concept d’énergie grise met en lumière les limites de l’efficacité énergétique qui se concentre sur la réduction de l’énergie consommée pendant la phase d’utilisation d’un produit ou d’un service. Par exemple, remplacer une vieille machine à laver par une nouvelle plus économe en énergie peut apparaître comme une bonne décision du point de vue de l’efficacité énergétique. Mais si l’énergie économisée durant la durée de vie de la nouvelle machine ne permet pas de compenser l’énergie grise nécessaire pour la produire et la recycler, cette décision pourrait en réalité augmenter l’empreinte énergétique totale.

f.   Est-il possible de distinguer sobriété énergétique et sobriété en général ?

La sobriété énergétique consistant en une limitation volontaire de la consommation d’énergie est liée à la notion plus générale de sobriété, qui concerne la réduction globale de la consommation des ressources naturelles. Le lien intrinsèque entre ces deux concepts peut être établi de plusieurs façons.

D’évidence, l’énergie constitue le moteur des sociétés développées : elle alimente les industries, les habitations, les transports, etc. Par conséquent, une réduction de la consommation d’énergie appelle une modification des habitudes générales de consommation. Par exemple, opter pour des appareils électroménagers plus petits, préférer la marche, le vélo ou les transports en commun à l’automobile sont autant de choix qui favorisent la sobriété énergétique, tout en réduisant la consommation d’autres ressources naturelles.

Cependant, la sobriété énergétique ne suffit pas à elle seule à atténuer les problèmes environnementaux. Même si l’énergie est utilisée avec davantage de parcimonie, la surconsommation et la surproduction dans d’autres domaines peuvent continuer à générer des incidences négatives sur l’environnement. Par conséquent, une approche intégrant également des pratiques plus générales en matière de sobriété apparaît indispensable.

D’ailleurs, la logique qui préside à la fois à la sobriété énergétique et à la sobriété en général est fondée sur la réduction de l’empreinte écologique et sur la promotion d’un mode de vie plus durable. Elles doivent donc être abordées de manière intégrée pour réaliser pleinement leur potentiel.

Peut-être plus important encore, la recherche de la sobriété, qu’elle soit spécifique à l’énergie ou générale, implique non seulement des changements dans les technologies et les infrastructures, mais aussi dans les valeurs, les normes et les comportements. De ce fait, la sobriété énergétique et la sobriété dans son ensemble nécessitent toutes deux une profonde transformation sociétale.

C’est sur cette interpénétration inextricable des deux dimensions de la sobriété qu’a insisté Martina Knoop, directrice de recherche au CNRS et directrice de la mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI), lors de son audition concernant la recherche. Ce domaine est l’un de ceux pour lesquels l’utilisation des ressources énergétiques est corrélée à celle d’autres ressources : matériaux, eau, espace, numérique et même humaines, et où diminuer l’utilisation de l’énergie implique d’optimiser un processus complet.

La sobriété énergétique ne peut donc être dissociée de la sobriété dans son ensemble. Non seulement elles sont interconnectées dans leur mise en œuvre, mais elles sont fondées sur les mêmes valeurs. Aussi, dans la suite du présent rapport ces deux notions seront-elles largement confondues.

2.   La sobriété, résultante d’un cadre collectif

Selon Sophie Dubuisson-Quellier, directrice de recherche en sociologie au Centre de sociologie des organisations et membre du Haut-Conseil pour le climat, la sobriété ne repose pas uniquement sur des comportements individuels, mais également sur un cadre collectif favorisant ces comportements. En effet, la demande en énergie, biens et services découle principalement de choix collectifs relatifs aux infrastructures, systèmes d’approvisionnement, régulations et allocations d’usage. Il serait illusoire de prétendre influencer la demande des ménages et des entreprises sans agir sur ces choix collectifs.

a.   Les services nécessitant de l’énergie et l’évolution des valeurs

Il n’existe pas véritablement de demande d’énergie spécifique, mais plutôt une demande de services nécessitant de l’énergie, tels que le chauffage, les déplacements, les loisirs, etc. Chaque service implique une demande d’énergie. Dès lors, se focaliser sur la demande d’énergie peut s’avérer problématique, car ceci masque les choix liés aux services demandés.

Or, les valeurs associées à ces services évoluent avec le temps. Par exemple, les vacances dans les années 1950 n’avaient pas la même signification sociale qu’aujourd’hui, et cette signification pourrait encore changer dans les temps futurs.

Ainsi, le passage de deux semaines de congés payés, instaurées en 1936, à trois semaines en 1956, puis quatre en 1969 et cinq en 1981 a progressivement modifié les mentalités. Jusque dans les années 1950, partir en vacances coutait cher, si bien que les classes moyennes et populaires n’en profitaient pas réellement.

Avec le développement économique, le taux de départ en vacances est progressivement passé d’environ 15 % en 1950[7] à 65 % à la fin des années 1980 ; il a ensuite diminué puis s’est rétabli à peu près au niveau antérieur jusqu’à la baisse de 9 % consécutive à la crise sanitaire de 2020[8].

Les vacances, autrefois privilège d’une minorité, demeurent toutefois un marqueur social : 80 à 90 % des personnes relevant des catégories aisées partent en vacances, mais seulement 20 à 30 % dans les catégories populaires. En 2022, près de 45 % des vacanciers sont partis à l’étranger ou dans les Outre-mer et plus de 40 % ont fait appel à des services d’hébergement professionnels[9].

b.   La nécessité d’intégrer les dimensions collectives et de justice sociale

Les pratiques de sobriété sont ancrées dans les services fournis et les valeurs associées à ces services. Une approche axée uniquement sur le comportement individuel sans considérer les dimensions collectives est peu pertinente, car les acteurs sont souvent incapables de modifier leurs comportements.

La justice sociale constitue également une dimension importante de la sobriété, toutes les options n’étant pas accessibles à tous. Par exemple, certains ménages dépendent fortement de la voiture individuelle en raison de la distance entre leur domicile et leur lieu de travail, imposée par les coûts fonciers.

Ainsi, dans une enquête menée en 2022[10], 75% des actifs français déclaraient utiliser une voiture dans le cadre de leurs trajets professionnels ou domicile-travail, pour une distance moyenne parcourue de 20 kilomètres et une durée moyenne de trajet de 25 minutes. Le manque de choix, l’autonomie et la rapidité étaient les principales raisons citées d’utilisation de la voiture dans le cadre des déplacements liés au travail et 45 % des utilisateurs de voitures thermiques estimaient ne pas pouvoir adopter un mode de transport alternatif.

c.   Le défi de la sobriété face aux valeurs actuelles de consommation et de production

De nos jours, les valeurs sociales collectives ne sont pas nécessairement orientées vers la sobriété. La consommation est souvent présentée comme un moteur de croissance et de prospérité, tandis que la production est associée à la création de valeur et d’emploi.

Dans ce contexte, seul un changement de paradigme qui mette davantage l’accent sur la sobriété permettrait de réorienter progressivement ces valeurs sociales.

« Juste assez »

Le principe du « juste assez » appelle à un usage mesuré des ressources pour satisfaire les besoins sans faire d’excès. Ce concept s'inscrit parfaitement dans la quête de la sobriété, parce qu’il met en évidence la rupture nécessaire avec un modèle économique qui valorise la surproduction et la surconsommation.

Il peut servir de guide pour reconsidérer ses besoins et distinguer ceux qui sont essentiels de ceux qui sont superflus. Par ailleurs, le « juste assez » évite de se focaliser sur la croissance matérielle incessante pour mieux reconnaître les avantages d'une vie plus simple et plus équilibrée, où le bonheur ne dépend pas de l'accumulation de biens matériels mais de la qualité des relations, de l’engagement dans la communauté et de la capacité à préserver la planète.

Enfin, en promouvant l'usage modéré des ressources pour répondre aux besoins de tous, le « juste assez » incite à lutter contre les inégalités et à favoriser la justice sociale.

d.   Les mobilités émettrices de carbone et les modèles d’affaires dans divers secteurs

De nombreux secteurs économiques mettent à la disposition d’une vaste population des gammes de services ou mettent en œuvre des modes d’organisation globale de circulation des marchandises tels qu’ils favorisent des mobilités fortement émettrices de carbone.

Par exemple, la mondialisation a engendré une forte croissance du commerce maritime depuis les années 1970. Le volume du fret international a été multiplié par un facteur quatre entre 1970 et 2021, passant de 2 600 millions de tonnes à près de 11 000 millions de tonnes[11], et il devrait être à nouveau multiplié par plus de quatre d’ici 2050[12].

L’inversion de cette tendance impliquerait une transformation majeure des échanges internationaux. À cet égard, il faut remarquer que la forte perturbation provoquée par la crise sanitaire de 2020 ne s’est traduite que par une contraction faible et momentanée du volume du fret international.

De même, la capacité à attirer des étudiants internationaux et à envoyer leurs propres étudiants dans d’autres pays est devenue un paramètre primordial dans l’évaluation de l’excellence des institutions d’enseignement supérieur. De fait, elle leur permet à la fois d’améliorer leur renommée, de diversifier leur vivier d’étudiants, voire de combler un manque d’effectif dans certaines filières, et d’accroitre leurs recettes[13].

Selon les données de l’Unesco[14], le nombre d’étudiants en mobilité internationale est ainsi passé de près de 2 millions en 1998 à 5,6 millions en 2018. De ce fait, la mobilité étudiante devient le poste le plus élevé dans le bilan carbone de certains établissements.

Une inversion de cette tendance à l’accroissement de la mobilité étudiante impliquerait, d’une part une transformation concertée au niveau international des modalités d’évaluation des établissements d’enseignement supérieur, et d’autre part une évolution des critères de recrutement des entreprises, qui prennent en compte les expériences à l’étranger.

Enfin, certains secteurs, tels que la high-tech ou la mode, reposent sur des principes et des modèles d’affaires qui encouragent l’innovation continue et le renouvellement fréquent des produits.

e.   Vers une politique de sobriété intégrant conditions matérielles et structurelles

En conséquence, une politique de sobriété ne peut se limiter à une injonction à la sobriété d’acteurs contraints par le cadre collectif. Elle doit inclure l’organisation des conditions matérielles et structurelles nécessaires à la mise en œuvre de la sobriété.

3.   Une sobriété monitorée, symbiotique ou gouvernée ?

Au cours de leur audition, Julie Mayer, maître de conférences au département Management de l’innovation et entreprenariat, et Matthieu Guérineau, maître de conférences en sciences de gestion, ont souligné l’existence de trois trajectoires possibles pour construire une société plus sobre, chacune impliquant des modalités distinctes de mobilisation des technologies. Cette observation se fonde sur l’analyse des initiatives entreprises à divers niveaux : collectivités, entreprises et initiatives citoyennes.

a.   La sobriété monitorée : rationaliser la consommation des ressources

La première trajectoire est celle de la sobriété monitorée, qui vise à rationaliser la consommation de ressources sans remettre en question les mécanismes sociétaux et les modes de vie actuels.

Cette approche correspond à la majorité des actions préconisées de nos jours, en particulier dans la première phase du plan de sobriété du Gouvernement. Par exemple, il peut s’agir des éco-gestes ou de l’optimisation du chauffage et de la climatisation.

Dans cette forme de sobriété, la technologie joue un rôle majeur, permettant, grâce à des outils de mesure, d’identifier les sources d’économies d’énergie, ou, à travers des outils d’incitation, d’initier des changements de comportements de consommation.

Un corpus d’études abondant démontre à la fois l’intérêt et les limites de ces outils, notamment la difficulté à pérenniser les comportements de sobriété induits, en raison d’effets rebonds ou d’incitations sociales à consommer davantage.

Néanmoins, comme l’a démontré la première phase du plan de sobriété français, cette forme de sobriété peut être mise en place rapidement et à moindre coût. Elle permet une première approche de la démarche de sobriété et par conséquent une sensibilisation à son intérêt.

Enfin, les résultats obtenus apparaissent très substantiels, puisque ce plan a permis une baisse de la consommation d’électricité d’environ 8 % et de gaz de près de 13 % sur les périodes de l’automne et de l’hiver 2022.

b.   La sobriété symbiotique : des usages plus en synergie avec la nature

La deuxième trajectoire est celle de la sobriété symbiotique, qui, contrairement à la précédente, remet en question les modes de vie et vise à expérimenter des usages plus en synergie avec la nature. Ce type de sobriété peut être observé dans des initiatives locales, comme des projets de permaculture ou d’habitat partagé.

Dans cette trajectoire, la nature des technologies doit être également repensée : elles doivent devenir moins complexes, moins dépendantes de matériaux rares et plus accessibles, par exemple en se matérialisant dans des matériels facilement réparables. C’est dans cette perspective que se situe la Low Tech, décrite en détail dans la suite du rapport.

Un corpus d’études académiques commence également à émerger dans ce domaine, notamment dans les sciences de gestion, s’appuyant sur l’idée que des changements de paradigme sont nécessaires pour repenser non seulement les modes de vie, mais aussi le fonctionnement des institutions et des entreprises. Ces recherches étudient des notions telles que l’éco-centrisme, l’anthropocène et les limites planétaires.

c.   La sobriété gouvernée : réorganiser les infrastructures et les règles de gouvernance

La troisième trajectoire envisageable, celle de la sobriété gouvernée, consiste à réorganiser les infrastructures et les règles de gouvernance qui les régissent. L’adoption d’un plan vélo sur un territoire et l’organisation de concertations citoyennes sur la réduction de l’éclairage public en sont de bons exemples.

Dans ce cas, la technologie peut contribuer à concevoir des systèmes plus résilients qui facilitent, par exemple, la mutualisation des ressources à l’échelle d’un territoire, en mettant en relation offre et demande, et permettre une meilleure intégration des citoyens dans la décision publique.

Une étude européenne menée par des chercheurs membres du réseau Enough a recensé les actions de sobriété portées politiquement dans différents pays[15]. Bien que peu d’études évaluent l’impact de ces actions, elles soulignent souvent le manque d’alignement entre les ambitions des feuilles de route politiques en matière de sobriété et l’enjeu énergétique.

d.   La complémentarité des trois trajectoires de sobriété

Julie Mayer et Matthieu. Guérineau ont souligné que ces trois trajectoires de sobriété sont non seulement complémentaires, mais aussi assez souvent conjointes dans les projets actuels. Ainsi, il est essentiel de reconnaître l’importance de chaque trajectoire et de les intégrer de manière cohérente pour parvenir à une société plus sobre.

Il faut aussi tenir compte des différents niveaux d’action : collectivités, entreprises et initiatives citoyennes, ainsi que des technologies pertinentes pour chacune de ces trajectoires, afin de maximiser leur potentiel et leur impact sur la transition vers la sobriété.

4.   La sobriété dans le cadre législatif et réglementaire français et européen

La France est l’unique pays membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ayant intégré la notion de sobriété dans sa législation et sa réglementation.

a.   La sobriété dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte

Ainsi, l’article premier de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte distingue l’efficacité de la sobriété énergétique en matière de maîtrise de la demande d’énergie. Le mot sobriété apparaît à trois autres reprises : dans l’article 37, concernant l’identification des véhicules, dans l’article 176, concernant les bilans annuels du gestionnaire d’électricité, et dans l’article 183, concernant les objectifs de la recherche en matière d’énergie.

b.   La sobriété dans la Stratégie nationale bas carbone

La sobriété est également incluse dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) en tant qu’un des trois leviers physiques ayant un impact sur la transition énergétique, aux côtés de la décarbonation des vecteurs énergétiques (par exemple en produisant de l’électricité à partir d’énergies renouvelables plutôt que de charbon) et de l’efficacité énergétique (par exemple, en produisant les mêmes services avec moins d’énergie, comme le permet l’isolation thermique des bâtiments). La sobriété est définie dans la SNBC comme : la « réduction de la consommation d’énergie par des changements d’ordre comportemental ».

Cependant, la sobriété n’est mentionnée qu’incidemment, à quatre reprises, dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)[16].

c.   La sobriété dans les plans nationaux européens

Dans l’Union européenne, une étude de 2021[17] basée sur les plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat (PNIEC, en anglais, European National Energy and Climate Plans ou NECPs et Long-Term Strategies ou LTSs) fait apparaître que tous les pays de l’Union prévoient des mesures portant sur la sobriété. Celles-ci concernent principalement le secteur des transports et consistent surtout en investissements destinés à améliorer l’attractivité des infrastructures ferroviaires et cyclables, pour favoriser le changement modal.

En revanche, le concept de sobriété semble actuellement absent de la législation et de la réglementation européennes, bien que de nombreux travaux de recherche sur la sobriété soient financés par l’Union européenne.

 

 


II.   Pourquoi la sobriété ?

Face aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux liés à l’énergie, la sobriété énergétique apparaît de plus en plus comme un pilier essentiel de la transition énergétique et écologique, avant même l’efficacité énergétique ou le développement des énergies décarbonées.

En effet, elle apparaît très prometteuse pour se rapprocher d’objectifs aussi diversifiés que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le respect des limites planétaires, l’acceptabilité des nouvelles infrastructures énergétiques, l’optimisation de l’efficacité énergétique ou le renforcement de la résilience.

1.   L’apport de la sobriété à la lutte contre le changement climatique

a.   Une évolution du climat préoccupante

Les experts du GIEC considèrent que les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine sont d’ores et déjà la cause d’une hausse de la fréquence ou de l’intensité de certains évènements climatiques extrêmes, une évolution qui devrait se poursuivre et s’amplifier. En particulier, ils annoncent des vagues de chaleur plus fréquentes, plus longues ou plus sévères.

D’après le GIEC, si l’humanité atteint rapidement la neutralité carbone, le réchauffement global pourrait s’arrêter assez vite, à condition que les puits de carbone soient résilients.

b.   Une contribution significative de la sobriété à la lutte contre le réchauffement climatique

Le troisième volet du sixième rapport d’évaluation du GIEC, relatif à l’atténuation du changement climatique, traite pour la première fois de l’adaptation de la demande d’énergie et de services. Les auteurs du rapport estiment, avec un niveau de confiance moyen, que les changements socioculturels et de modes de vie peuvent faciliter l’atténuation du dérèglement climatique.

Ainsi, ils identifient une soixantaine d’actions susceptibles de modifier la consommation individuelle, les plus efficaces étant : privilégier la marche et le vélo, limiter les déplacements en avion, ajuster la température du chauffage et de la climatisation, diminuer l’utilisation des appareils électroménagers ou encore la consommation de viande.

Par exemple, les experts du GIEC estiment que les bâtiments neufs et rénovés pourraient approcher du zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050 si des politiques combinant des mesures ambitieuses en matière de sobriété, d’efficacité et d’énergies renouvelables sont mises en œuvre, sous réserve que les obstacles à la décarbonation soient levés.

En particulier, les mesures de sobriété s’attaquent aux causes des émissions de gaz à effet de serre en limitant la demande en énergie et en matériaux tout au long du cycle de vie des bâtiments et des équipements. Les études montrent que d’ici à 2050, jusqu’à 61 % des émissions mondiales des bâtiments (8,2 Gt de CO2) peuvent être ainsi évitées. Les politiques de sobriété, d’efficacité énergétique et de déploiement des énergies renouvelables contribueraient à ce potentiel respectivement à hauteur de 10 %, 42 % et 9 %.

c.   La réduction des incertitudes technologiques

Ainsi, d’après le GIEC, la sobriété permettrait de limiter directement les émissions de gaz à effet de serre de façon significative, en réduisant la consommation de combustibles fossiles et les émissions de CO2 associées.

Par ailleurs, les experts du GIEC estiment que pour atteindre la neutralité carbone, il pourrait s’avérer nécessaire de mobiliser des technologies encore en développement ou aux effets mal maîtrisés, telles que la géo-ingénierie ou le captage et stockage du carbone.

En réduisant la demande d’énergie, la sobriété réduit la dépendance à ces technologies risquées. Elle limite, de ce fait, les incertitudes sur l’atteinte des objectifs climatiques. C’est un fort levier de mitigation des risques sur la disponibilité en ressources énergétiques.

2.   Le rôle de la sobriété dans le respect des limites planétaires

a.   Neuf limites planétaires à ne pas franchir

Les limites planétaires représentent les seuils environnementaux critiques que l’humanité ne doit pas dépasser pour éviter des changements planétaires dangereux et irréversibles. D’après le collectif de chercheurs qui a identifié neuf limites planétaires en 2009[18], l’environnement pourrait en effet ne plus être en mesure de s’autoréguler si celles-ci sont franchies.

Les neuf limites planétaires en 2009 (vert : limites estimées / rouge : niveau estimé)

D’après un second article paru en 2015[19], quatre de ces neuf limites étaient déjà dépassées ou sur le point de l’être. Il s’agissait, outre le changement climatique, de l’érosion de la biodiversité et de la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore. Le 18 janvier 2022, des scientifiques du Stockholm Resilience Center (SRC) ont indiqué qu’une cinquième limite planétaire, relative à l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère, a elle aussi été franchie. Quelques mois plus tard, une équipe internationale publiait une étude[20] montrant que la sixième limite planétaire, celle du cycle de l’eau douce, a également été dépassée.  

b.   Des limites reconnues par les Nations unies et l’Union européenne

Bien qu’elle reste à préciser, notamment en ce qui concerne l’évaluation des limites et de leur niveau actuel, cette approche a été utilisée à la fois par les Nations unies et l’Union européenne, en particulier dans son septième programme d’action pour l’environnement : « Bien vivre, dans les limites de notre planète ».

En outre, la définition de la sobriété incluse dans le sixième rapport du GIEC fait explicitement référence aux « limites planétaires ».

L’approche par les limites planétaires présente l’avantage de replacer la question de la lutte contre le changement climatique dans la perspective beaucoup plus large de la protection de l’environnement.

c.   Diminuer la pression sur les ressources minérales

Bien que les ressources minérales ne soient pas incluses dans les neuf limites planétaires, leur extraction à grande échelle affecte directement ou indirectement plusieurs d’entre elles, notamment au travers des émissions de gaz à effet de serre associées à cette activité, mais aussi par la modification de l’utilisation des sols ou la perturbation du cycle de l’eau douce.

i.   Un besoin important en ressources minérales pour atteindre la neutralité carbone

L’atteinte de la neutralité carbone nécessitera notamment une décarbonation accélérée du secteur de l’énergie au niveau mondial, qui implique la construction, en quelques décennies, d’un nombre très élevé de nouvelles infrastructures, telles que des parcs éoliens et solaires, des centrales hydroélectriques ou nucléaires.

En parallèle, le parc automobile devra largement être électrifié et la production d’hydrogène décarbonée, à la fois pour substituer l’hydrogène carboné actuellement utilisé dans l’industrie et pour massivement décarboner d’autres filières, comme celles du ciment et de l’acier.

Par ailleurs, l’importation d’hydrogène produit dans des pays tiers à partir d’énergies renouvelables, aujourd’hui envisagée à grande échelle en Europe, nécessitera d’installer dans ces pays des moyens de production renouvelables et de développer les infrastructures de transport correspondantes.

À ces besoins, s’ajoutent ceux liés à la transition numérique et à la digitalisation, qui progressent à un rythme extrêmement rapide et constituent un moteur important de la demande en éléments minéraux. Dans ce domaine, les courbes de croissance des besoins tendent vers l’exponentielle. Au demeurant, le numérique, omniprésent dans nos sociétés, sera nécessaire pour mener à bien la décarbonation du système énergétique[21].

De telles infrastructures requièrent de grandes quantités de matériaux, allant des produits de base, tels que l’acier et le ciment, jusqu’aux métaux critiques, par exemple les terres rares.

Minéraux mobilisés par certaines technologies énergétiques propres (source : AIE)

ii.   Des réserves probablement suffisantes mais un accroissement très rapide de la demande en ressources minérales

Certaines études estiment que la demande en ressources minérales augmentera fortement avec la construction de ces infrastructures dans les prochaines décennies, mais qu’elle ne devrait pas dépasser cumulativement les réserves géologiques[22].

Néanmoins, cette demande pourrait s’approcher dans certains cas des ressources connues à ce jour. Ainsi, d’ici à 2050, le monde pourrait mobiliser entre 60 % et 90 % des ressources en cuivre connues à ce jour, entre 50 % et 85 % de la bauxite, autour de 80 % pour le cobalt, 60 % pour le nickel, 30 % pour le lithium et 4 % pour les terres rares[23].

Par ailleurs, la production annuelle de certaines matières, par exemple le cuivre[24], le lithium, le cobalt, le néodyme (Nd), le dysprosium (Dy) et le silicium polycristallin de qualité solaire, devrait croître extrêmement rapidement, ce qui n’est pas acquis dans les délais impartis et pourrait avoir pour conséquence de retarder la transition ou de conduire à une forte augmentation du prix de ces matières, mettant à mal l’atteinte des objectifs de décarbonation[25].

Production minière engagée et estimation de la demande pour certains minéraux – Source : AIE

En outre, les émissions de CO2 liées à l’extraction de ces matières pourraient aller croissant, dans la mesure où leur concentration moyenne dans le minerai devrait continuer à diminuer progressivement. Plus cette dernière devient faible, plus l’extraction et le traitement du minerai mobilisera de l’énergie. Or, ces processus utilisent majoritairement des énergies fossiles[26].

iii.   L’impact de la sobriété sur les besoins liés aux infrastructures

Pour la France, les scénarios Futurs énergétiques 2050 de RTE font apparaître qu’un effort de sobriété très volontariste, allant bien au-delà des simples « éco-gestes », permettrait de diminuer la consommation annuelle d’électricité de quelque 90 TWh, soit une diminution de l’ordre de 15 % par rapport à la consommation de référence de 645 TWh.

La diminution de 90 TWh évoquée par RTE modérerait les besoins en moyens de production. Le graphique ci-dessous illustre l’ampleur de cet ajustement s’il est concentré sur une seule filière de production d’électricité : il serait équivalent à six fois la capacité installée actuelle pour le solaire, à trois fois la capacité actuelle pour l’éolien terrestre, à cinquante parcs de type « Saint-Nazaire » pour l’éolien en mer ou encore à huit réacteurs de type EPR2.

C:\Users\mkrauth\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\BFDCB252.tmp

Capacités évitées en 2050 dans le scénario sobriété par rapport au scénario de référence sur la consommation,
en cas d’ajustement seulement sur une filière – Source : RTE

Cet exemple illustre comment, en modérant la consommation énergétique, la sobriété permettrait de diminuer de façon substantielle le besoin de nouvelles infrastructures de production, allégeant de ce fait les exigences en investissements et la pression sur l’extraction des ressources, ainsi que les émissions de CO2 qui y sont liées.

Par ailleurs, le scénario sobriété de RTE a également un impact significatif sur la réduction des besoins en batteries pour les véhicules électriques et le stockage stationnaire, donc la demande en matériaux.

Globalement, la sobriété conduirait, suivant les matériaux considérés, à une baisse de la demande liée à la transition énergétique allant de 15 % à 30 % environ par rapport au scénario de référence.

Diminution moyenne des ressources nécessaires au système électrique et à l’électromobilité dans le scénario « sobriété » par rapport au scénario de référence – Source : RTE

 

À cet égard, il convient de rappeler que la consommation de référence de 645 TWh, retenue par RTE en conformité avec le scénario sous-jacent à la Stratégie nationale bas carbone, suppose une réduction très ambitieuse de la consommation énergétique finale totale de la France de 1 600 TWh à 930 TWh en 2050, soit une baisse de l’ordre de 40 %, alors même que la population augmenterait de 67 millions à 72 millions d’habitants sur la même période.

Ces prévisions de consommation d’électricité de RTE sont contestées. Un avis du 8 juillet 2021 de l’Académie des sciences évalue les besoins d’électricité en 2050 entre 700 TWh et 900 TWh[27]’ ; un avis du 10 mars 2021 de l’Académie des technologies « propose une évaluation raisonnable de la demande d’électricité en 2050 » située, suivant les hypothèses retenues, entre 730 TWh et plus de 840 TWh[28].

Les évaluations des académies semblent désormais corroborées par RTE, qui reconsidère à la hausse les projections de la demande d'électricité en France à l'horizon 2035. Dans son étude du 7 juin 2022 intitulée « Comprendre et piloter l'électrification d'ici 2035 », RTE estime une consommation d'électricité variant entre 580 et 640 TWh pour l'année cible, en contraste avec les 540 TWh prévus dans le scénario de référence des « Futurs énergétiques 2050 ».

Cette réévaluation de la demande en électricité peut être principalement attribuée à deux facteurs : d'une part la révision des objectifs climatiques de l'Union européenne, qui vise une réduction de 55 % des émissions de CO2 d'ici 2030, et d'autre part l'agenda de réindustrialisation de la France.

3.   La sobriété, facilitateur de l’acceptabilité des nouvelles infrastructures

a.   L’enjeu de l’acceptabilité pour la transition énergétique

L’acceptabilité des moyens décarbonés de production d’électricité est devenue un enjeu majeur dans la lutte contre le changement climatique et l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de CO2.

Ce sujet a fait récemment l’objet de nombreux débats dans le cadre de l’examen de deux projets de lois visant à accélérer le déploiement des énergies renouvelables[29] et celui des installations nucléaires[30].

b.   Le cas des énergies renouvelables

S’agissant des énergies renouvelables, les riverains expriment parfois des préoccupations quant à l’impact visuel et sonore des éoliennes, ainsi que leur effet sur la faune, notamment les oiseaux.

De même, dès lors que les installations solaires ne sont pas intégrées au bâti existant, l’utilisation des terres et l’impact sur les paysages naturels et agricoles peuvent soulever des questions d’acceptabilité.

c.   Le cas des installations nucléaires

En ce qui concerne les installations nucléaires, les dispositions de contrôle de la sûreté par une autorité indépendante et d’information du public, notamment par le biais des commissions locales d’information, facilitent l’acceptation des sites existants.

Toutefois, le déploiement envisagé d’installations nouvelles, en particulier de petits réacteurs modulaires (en anglais, small modular reactors ou SMR) hors des sites actuels, pourrait engendrer de nouvelles inquiétudes concernant la sûreté et la sécurité nucléaires.

d.   L’apport de la sobriété

Ce problème d’acceptabilité pourrait devenir d’autant plus préoccupant que la multiplication des nouvelles installations de production d’électricité touchera un nombre plus élevé de personnes.

En permettant de limiter le nombre de nouvelles installations de production d’électricité décarbonée, la sobriété contribuera à faciliter l’acceptation sociale de celles qui demeureront nécessaires.

4.   L’importance de la sobriété dans la lutte contre l’effet rebond

Afin de diminuer la consommation d’énergie et les émissions de CO2 associées, les politiques publiques reposent en partie sur l’amélioration de l’efficacité énergétique, qui vise à produire, en mobilisant l’innovation technologique, des biens ou des services nécessitant moins d’énergie à l’unité. La diminution de la consommation en carburant des véhicules par kilomètre parcouru est un exemple des effets d’une telle politique.

a.   L’origine de l’effet rebond

L’effet rebond, également connu sous le nom de paradoxe de Jevons, est un phénomène qui se produit lorsque les améliorations technologiques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, mais ont pour conséquence un accroissement de sa consommation plutôt qu’une diminution.

Cet effet contre-intuitif a été mis en évidence au XIXe siècle par l’économiste britannique William Stanley Jevons, lorsqu’il a constaté que l’efficacité accrue de l’utilisation du charbon grâce à la machine à vapeur inventée par James Watt avait conduit à une plus grande consommation de cette ressource. La publication en 1865 de son ouvrage The Coal Question a renforcé les craintes, très vives à l’époque, d’une prochaine pénurie de charbon en Angleterre.

Après les crises pétrolières de 1973 et 1979, les travaux de Jevons ont été repris et modernisés par deux économistes : Daniel Khazzoom et Leonard Brookes, à l’origine du postulat de Khazzoom-Brookes : « les améliorations de l’efficacité énergétique qui, au sens le plus large, sont justifiées au niveau microéconomique, conduisent à de plus hauts niveaux de consommation d’énergie au niveau macroéconomique. » Mais ce postulat n’a pas été confirmé par les observations, qui n’ont pas montré qu’une telle augmentation de consommation au niveau macroéconomique était systématique.

En 2009, l’économiste Steven Sorrell a montré que l’effet rebond peut se manifester de plusieurs façons, notamment par des effets directs, indirects et structurels.

b.   L’effet rebond direct

Un effet rebond direct se produit lorsqu’un gain d’efficacité dans l’utilisation d’une ressource entraîne une augmentation de la consommation de cette même ressource.

Par exemple, des voitures plus économes en carburant peuvent inciter à conduire plus souvent ou à parcourir de plus grandes distances, puisque le coût du carburant au kilomètre parcouru a baissé ; l’isolation d’une maison abaissant le coût relatif du chauffage peut inciter à la chauffer plus longtemps ou à des températures plus élevées ; un éclairage économe en énergie peut inciter à laisser la lumière allumée plus longtemps, etc.

Comme l’efficacité réduit généralement le prix d’un produit, elle incite à augmenter la consommation, ce qui conduit à ce qu’une partie ou la totalité des avantages qui découlent des gains d’efficacité soient perdus.

c.   L’effet rebond indirect

Un effet rebond indirect se produit lorsque les gains d’efficacité entraînent une augmentation de la consommation d’une autre ressource.

Par exemple, l’achat d’un véhicule plus performant ou l’isolation d’une maison peuvent réduire la consommation annuelle d’énergie, mais l’argent économisé sur ces postes de dépense peut servir à acquérir d’autres biens nécessitant de l’énergie, par exemple un voyage en avion ou un nouveau téléviseur.

Si une partie ou la totalité de l’énergie économisée grâce à l’isolation de la maison est consommée à d’autres fins, la dépendance énergétique globale peut rester inchangée, ou même augmenter.

d.   L’effet rebond structurel

L’effet rebond structurel est la résultante des effets rebonds directs et indirects. Des avancées technologiques peuvent créer de nouvelles opportunités de production ou rendre les productions existantes accessibles à un plus grand nombre, stimulant ainsi la croissance économique.

De ce fait, les technologies qui accroissent l’efficacité facilitent fréquemment la consommation d’énergie et de ressources, même si l’intensité unitaire en énergie et en ressources diminue, comme Jevons l’a observé en son temps.

e.   Estimation de l’effet rebond

L’économiste Steven Sorrel a estimé l’effet rebond pour les services énergétiques grand public dans les pays de l’OCDE à partir des données issues de la littérature[31] :

Usage

Fourchette de valeurs de l’effet rebond dans la littérature

Nombre d’études

Estimation

de l’effet rebond

Niveau de confiance

Transport automobile personnel

5-87%

17

10-30%

Haut

Chauffage domestique

1.4-60%

9

10-30%

Moyen

Climatisation des locaux

1-26%

2

1-26%

Bas

Autres services énergétiques grand public

0-49%

3

<20%

Bas

Steven Sorrel conclut que « les effets rebond sont significatifs, mais ne rendent pas nécessairement les politiques d’efficacité énergétique inefficientes pour réduire la demande en énergie » et que pour la plupart des services énergétiques grand public l’effet rebond direct a peu de chance de dépasser 30 %, un pourcentage significatif. Enfin, il préconise d’accompagner les politiques d’efficacité énergétique par des mesures complémentaires destinées à limiter l’impact des effets rebond.

f.   Le rôle de la sobriété pour modérer l’effet rebond

Parce qu’elle repose sur une réduction volontaire de la consommation, la sobriété permet de limiter les effets rebonds, voire de bénéficier pleinement de la réduction de consommation résultant des améliorations d’efficacité énergétique apportées par l’innovation technologique.

5.   Le renforcement de la résilience

Au-delà de sa contribution au respect des limites planétaires, en particulier à la lutte contre le changement climatique, à l’acceptabilité des nouvelles infrastructures et à la lutte contre les effets rebond, la sobriété peut aussi contribuer à accroître la résilience des systèmes socio-économiques et de la transition énergétique elle-même.

En effet, apprendre à réduire la demande en matières premières au niveau individuel et social permet non seulement de limiter la dépendance à des sources d’approvisionnement externes, mais aussi d’être mieux préparé à faire face à des restrictions imposées par des événements imprévus, par exemple liés à des incertitudes géopolitiques.

Ceci est également vrai pour la résilience de la transition énergétique, très consommatrice, comme exposé précédemment, en ressources minérales. Ce renforcement de la résilience apparaît d’autant plus crucial que plusieurs études mettent en évidence la concentration des ressources nécessaires dans un nombre de pays relativement réduit, en particulier la Chine, la Russie, l’Australie, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe[32].

3 premiers producteurs des 10 matières premières critiques les plus concentrées en termes de production (source : OCDE)

6.   Les co-bénéfices de la sobriété

La sobriété, en particulier dans le contexte de la consommation énergétique, recèle une multitude de co-bénéfices qui transcendent le simple objectif d’économie d’énergie et se déclinent en avantages sociaux, économiques et environnementaux.

En effet, les pratiques de sobriété peuvent générer des bénéfices significatifs pour la santé et le bien-être des individus. Par exemple, pour les transports, la réduction de l’usage des véhicules individuels peut entraîner une diminution de la pollution atmosphérique ainsi qu’une réduction des nuisances sonores, avec des effets bénéfiques pour la santé et une réduction des charges publiques correspondantes. De plus, en encourageant des modes de déplacement plus actifs, comme le vélo ou la marche, la sobriété énergétique peut favoriser l’amélioration de la condition physique et du bien-être mental.

La sobriété énergétique peut également induire des avantages économiques substantiels pour les consommateurs. En réduisant la demande d’énergie, elle permet de diminuer les dépenses correspondantes, donc de libérer des ressources pour d’autres usages (avec néanmoins un risque « d’effet rebond »). Elle peut stimuler l’innovation et la recherche, comme le montre la dernière partie de ce rapport, ainsi que la création d’emplois.

La sobriété est aussi intrinsèquement liée à l'idée de justice sociale et de répartition équitable des efforts. Mettre à contribution les décideurs et les plus grands consommateurs d’énergie, tels que les entreprises, les collectivités territoriales et l’État, incite à repenser nos comportements individuels au bénéfice d’une société plus solidaire, prônant le partage de l'espace et des ressources, comme illustré par la cohabitation, le covoiturage, le co-working ou encore le partage des biens matériels.

La sobriété doit être au service d’un gain de temps de qualité, notamment à travers une rationalisation des déplacements qui, selon les cas, pourrait se traduire par une réduction du temps de trajet, une augmentation de l'activité physique (comme la marche à pied ou le vélo) ou la possibilité de se consacrer à des loisirs (comme la lecture ou le divertissement) durant ces déplacements.

De fait, si la sobriété est souvent associée à l’idée de sacrifice, il n’y a pas de parallélisme parfait entre les deux notions. En effet, pour certains leviers de sobriété, les co-bénéfices sont si importants qu’opter pour une approche sobre peut conduire à une nette amélioration de la qualité de vie, sans préjudice des bénéfices pour le climat. Il apparaît donc essentiel de mettre mieux en évidence les co-bénéfices de la sobriété pour susciter une plus large adhésion à celle-ci.

À cet égard, Barbara Niccoloso, directrice de Virage Énergie, a indiqué que l’ensemble des co-bénéfices de la sobriété devraient constituer un champ de recherche prioritaire. Or, faute de données, il s’avère impossible de quantifier un co-bénéfice aussi simple que les économies financières permises par une baisse des consommations d’énergie, même si elles peuvent être estimées en termes de kilowattheure. De nombreux autres co-bénéfices – amélioration de la santé et de l’environnement, création de liens sociaux, etc. – mériteraient eux-aussi d’être modélisés.

De même, la recherche économique bute sur les questions d’indicateurs de la sobriété, de potentialités de développement économique, de destructions et créations d’emplois, etc.

7.   L’impact de la sobriété dans les scénarios climatiques et énergétiques

Au niveau mondial, peu de scénarios climatiques ou énergétiques distinguent explicitement le concept de sobriété énergétique. Ainsi que l’a relevé Greg de Temmerman, dans le monde anglo-saxon, par pragmatisme, le suivi de la réduction globale de la consommation, indépendamment des mécanismes sous-jacents, est souvent privilégié sur celui des effets de la sobriété et de l’efficacité énergétiques prises séparément.

La France est probablement le seul pays au monde disposant de plusieurs scénarios récents qui évaluent l’apport de la sobriété à la diminution de la consommation d’énergie ou des émissions de gaz à effet de serre. C’est notamment le cas des deux scénarios publiés en 2022 par l’association négaWatt et RTE.

Les périmètres de ces études ne sont pas équivalents, puisque celui de RTE se limite à la composante électricité du système énergétique. Une comparaison directe s’avère de ce fait difficile, mais il est possible d’examiner les mesures de sobriété envisagées par les scénarios négaWatt et RTE, ainsi que leur impact sur la consommation d’énergie.

a.   Le scénario négaWatt 2022

i.   Réduction de la consommation d’énergie finale liée à la sobriété

Le scénario négaWatt 2022 prévoit une réduction de la consommation énergétique finale totale de 1 919 TWh en 2020 à 932 TWh en 2050, soit une baisse de 49 %.

Évolution de la consommation d’énergie finale, par secteur, dans le scénario négaWatt 2022 – Source : négaWatt

Dans ce scénario, la sobriété énergétique permettrait de diminuer la consommation de 305 TWh à l’issue cette période, soit l’équivalent de 16 % de la consommation en 2020, alors que l’efficacité de la demande permettrait de la réduire de 418 TWh, soit l’équivalent de 22 % de la consommation en 2020.

ii.   Principales hypothèses de sobriété

Les principales hypothèses de sobriété formulées par l’association négaWatt sont les suivantes :

-         pour le transport des personnes : un report important des déplacements en voiture et en avion vers les transports en commun, la marche, le vélo, etc. ; une diminution des distances parcourues de 23 % entre 2019 et 2050 (télétravail : 40 % en moyenne la moitié du temps, réduction des déplacements très longue distance) ; une augmentation du nombre de passagers par véhicule à 2 (1,7 en 2022) ; le développement du covoiturage et de l’autopartage ; une baisse de la vitesse en ville et sur autoroute ;

-         pour le transport de marchandises : une réduction des tonnages transportés ; une augmentation du taux de remplissage des camions ; un report important du transport routier vers le ferroviaire et le fluvial ;

-         pour le bâtiment : une stabilisation à 2,2 du nombre de personnes par logement (la tendance actuelle étant à la baisse), favorisée par des nouvelles dynamiques en matière d’habitat (modularité, cohabitations intergénérationnelles, etc.) ; une réduction à 20 % (contre 40 % en 2017) de la part des maisons individuelles dans la construction neuve, au profit du petit habitat collectif ; une stabilisation de la surface des logements neufs à 165 m² en maison individuelle et 57 m² en logement collectif ; une diminution du nombre de résidences secondaires à 8 % du parc immobilier (contre 10 %) et de logements vacants à 4 % (contre 8 %) ; une diminution des surfaces neuves construites annuellement (résidentiel et tertiaire), au profit de la réhabilitation de bâtiments existants ; un dimensionnement raisonnable des équipements et l’élimination des gaspillages dans les bâtiments (climatisation, éclairage, etc.) ; la mutualisation de certains espaces dans l’habitat collectif (buanderie, chambre d’amis, etc.) ;

-         pour l’industrie : une diminution de la production d’acier, de ciment et de plastiques et de la consommation d’énergie, rendue possible par la baisse de la demande de différents secteurs (bâtiment, transports) ou produits (engrais, emballages, etc.) ; des produits davantage réparables, plus durables, contribuant à une maîtrise globale de la demande en énergie et en matériaux ; une forte augmentation des taux de recyclage des métaux (95% en 2050), des plastiques (85%) et du verre (85%), qui engendre une diminution de la demande en ressources primaires.

iii.   Mesures prioritaires de sobriété énergétique

Pour le bâtiment, l’effort énergétique porte essentiellement sur la rénovation, donc relève de l’efficacité énergétique. Dans les autres secteurs, les mesures prioritaires de sobriété énergétique proposées par l’association négaWatt sont’ :

-         pour le transport: investir massivement dans les transports en commun et les infrastructures cyclables ; abandonner tout nouveau projet routier ou aéroportuaire ; instaurer une redevance kilométrique sur le fret routier afin de financer le fret ferroviaire ; augmenter le prix de l’aérien (éco-contribution sur les billets d’avion, fiscalité du kérosène, etc.) et interdire progressivement l’ensemble des vols intérieurs, lorsqu’une alternative ferroviaire existe ; interdire la publicité pour l’aérien et les véhicules soumis au malus écologique ; promouvoir une réglementation européenne visant à limiter l’impact environnemental des batteries et la consommation de matières premières associées ; diminuer la vitesse maximale autorisée sur autoroute (110 km/h) ;

-         pour l’industrie : allonger la durée de vie des équipements, notamment par une augmentation de la durée légale de garantie, une meilleure réparabilité et un réemploi facilité ; pour certains secteurs où cet allongement est inefficace ou n’a pas lieu d’être (textile par exemple), réglementer les volumes mis sur le marché ; accélérer et accroître l’ambition des réglementations européennes sur l’écoconception et l’étiquetage des appareils, la durabilité, la réparabilité et la performance énergétique des produits ; rendre obligatoire l’affichage environnemental des produits, incluant l’empreinte CO2 en cycle de vie et des critères de réparabilité, recyclabilité, taux de matières recyclées et durabilité ; fixer des objectifs de recyclage et se donner les moyens de les atteindre en investissant dans des filières de collecte et des centres de tri performants, compétitifs et innovants ; financer ces filières par une éco-contribution, intégrée au prix des produits neufs, et tracer la provenance des matériaux et des produits semi-finis pour orienter le consommateur ; réguler les consommations énergétiques des opérateurs du numérique.

b.   Les scénarios RTE Futurs énergétiques 2050

Contrairement aux scénarios de l’association négaWatt, les scénarios Futurs énergétiques 2050 de RTE portent sur la seule composante électrique du système énergétique, qui devrait prendre une part croissante avec l’électrification de nombreux usages.

i.   Positionnement du scénario « sobriété »

Parmi ces scénarios, le scénario sobriété élaboré par RTE permet de représenter les gains associés à des changements des modes de vie, alors que la trajectoire de référence des Futurs énergétiques 2050 repose sur le maintien des standards de vie actuels.

Plus précisément, comme l’ont souligné Gabriel Bareux, directeur recherche et développement, et Olivier Houvenagel, le scénario sobriété ne se limite pas à des modifications des comportements individuels et à des « éco-gestes ». Il explore de façon systématique les conséquences d’une inflexion structurelle des modes de vie et de l’organisation de la société, par exemple une organisation différente de la ville facilitant une réduction de la consommation d’énergie.

ii.   Leviers de sobriété majeurs

Dans le secteur résidentiel, le principal levier intégré à ce scénario est une hausse du nombre de personnes par ménage, renversant la tendance actuelle à la décohabitation. Réduire le nombre de ménages, donc le nombre de logements à construire ou à chauffer aurait un effet notable sur la consommation énergétique.

Ceci refléterait une évolution majeure dans l’organisation de la société, avec plus de cohabitation dans les familles, plus de colocations, etc. Un autre levier porte sur la généralisation dans l’habitat des espaces partagés, par exemple des buanderies, cuisines ou terrasses, etc.

Enfin, les éco-gestes comme la baisse du chauffage ou la diminution de la consommation d’eau sont aussi pris en compte.

Pour le secteur tertiaire, le levier majeur est le renforcement du télétravail, qui diminue les déplacements réduit les besoins en mètres carrés de bureaux, ce qui implique d’arrêter de construire et de convertir certains bureaux en logements, voire de procéder à l’opération inverse. S’agissant du numérique, l’usage de certains équipements est optimisé. De plus, la surface des commerces est réduite.

Dans les transports, le renforcement du télétravail réduit les déplacements professionnels, tout comme le report vers des modes de déplacement doux et les transports en commun, ce qui illustre la nécessité de la construction d’infrastructures pour permettre un tel changement. Le scénario prévoit une diminution d’un tiers du parc de véhicules individuels, soit 12 millions d’unités en moins. Il s’agit donc bien là aussi d’évolutions structurantes.

Enfin, un certain nombre de mesures permettent de diminuer également la consommation énergétique dans l’industrie : des circuits courts, une alimentation moins transformée, la réduction de la construction, etc. Certaines évolutions technologiques sont aussi nécessaires : les matériaux biosourcés, l’allongement de la durée de vie des équipements et l’amélioration de leur réparabilité, etc. qui sont des points d’attention majeurs des politiques publiques.

Les différents leviers de sobriété identifiés par RTE et leur effet, en TWh évités, sont résumés dans le tableau ci-dessous.

C:\Users\mkrauth\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\40D4B56F.tmp

Décomposition des leviers de sobriété électrique par secteur d’activité – Source : RTE

iii.   Limites du scénario « sobriété »

Si les leviers à activer pour atteindre les objectifs du scénario sobriété sont bien identifiés et leur effet en termes de réduction de la consommation, évalué, les actions permettant de les activer ne sont pas identifiées dans le scénario de RTE : sensibilisation, obligation, effet prix, etc. Celles-ci nécessiteraient des recherches complémentaires.

iv.   Réduction de la consommation d’électricité liée à la sobriété

La réduction de la consommation permise par l’activation de ces gisements de sobriété est estimée à 90 TWh à l’horizon 2050 par rapport à la trajectoire de référence, soit un gain de 14 %. Ces 90 TWh se décomposent en 23 TWh dans le secteur résidentiel, 18 TWh dans le tertiaire, 22 TWh dans les transports, 20 TWh dans l’industrie et 5 TWh en pertes évitées.

La consommation d’électricité en 2050 atteindrait alors 555 TWh en 2050, ce qui représente une augmentation de la consommation d’électricité de 80 TWh par rapport aux 475 TWh consommés en 2019.

Décomposition des effets d’actions de sobriété sur la consommation en 2050 – Source : RTE

 

Comme le souligne RTE, aucun des leviers de sobriété activés pour atteindre ce résultat : « ne va de soi et tous marquent une inflexion dans l’ordre des représentations symboliques : au-delà de l’appel au volontarisme individuel, ils dessinent un scénario en tant que tel, qui nécessite l’activation de leviers collectifs, au niveau de l’organisation de la société. »

Dans sa récente étude intitulée « Comprendre et piloter l’électrification d’ici 2035 », qui réévalue à la hausse les besoins futurs en électricité (une augmentation entre +40 et +100 TWh), RTE considère que le levier de sobriété est devenu essentiel. De fait, la sobriété fera partie intégrante des scénarios élaborés dans le cadre de son Bilan Prévisionnel pour 2035, dont la publication est prévue en septembre 2023.

 

III.   Les freins à la sobriété

Bien que la sobriété soit une approche prometteuse pour répondre aux défis environnementaux et énergétiques, plusieurs freins limitent son adoption à grande échelle. Sur la base de ses travaux de recherche, Valérie Guillard, professeure des universités en sciences de gestion, considère que ces freins peuvent être d’ordre matériel, logistique, social, économique, culturel ou psychologique.

1.   Une information insuffisante des consommateurs

Un premier frein résulte d’un manque d’information des consommateurs, qui manquent d’informations claires, présentées sous une forme suffisamment pédagogique et immédiatement exploitable.

Par exemple, un consommateur qui s’interroge sur l’opportunité de remplacer son réfrigérateur ne peut pas estimer l’impact environnemental d’une mise au rebut de son appareil actuel, en particulier l’énergie grise liée à l’achat d’un modèle plus récent, au regard des économies d’énergie permises par celui-ci.

De nombreux progrès ont pourtant été réalisés ces dernières années, avec la création d’indicateurs de traçabilité ou d’indices de réparabilité et de durabilité. Mais la multiplicité de ces informations reste difficile à intégrer pour beaucoup de consommateurs.

Le manque d’information permettant un suivi à la fois simple et interactif est également un obstacle à la maîtrise de la consommation d’électricité ou de gaz. En effet, comme l’a souligné Laurent Bernard, la consommation de ces énergies ne se voyant pas, elle s’avère difficile à contrôler (c’est d’ailleurs aussi en partie vrai pour l’eau).

Environ un quart de l’énergie serait gaspillée[33] en raison de l’impossibilité pour les consommateurs de mesurer la surconsommation résultant de petites mauvaises habitudes, telles qu’une température de chauffage légèrement trop élevée, des appareils laissés en veille, un congélateur mal dégivré, etc. Au total, en France, cette surconsommation représenterait l’équivalent de la production de sept réacteurs nucléaires de 900 mégawatts.

D’après Laurent Bernard, les données issues de dispositifs permettant aux consommateurs de visualiser simplement en temps réel leur consommation d’électricité et d’analyser la répartition de celle-ci montrent une diminution moyenne de l’ordre de 18 % de leur consommation, soit une part substantielle de l’énergie aujourd’hui gaspillée faute d’information.

Par ailleurs, l’utilisation d’un tel dispositif constitue aussi une démarche d’initiation et de sensibilisation progressive des consommateurs à un usage raisonné de l’énergie et in fine à la sobriété énergétique, voire à la sobriété en général.

2.   La pression publicitaire sur l’acte d’achat

Un deuxième frein concerne l’habitude de l’acte d’achat, renforcée par la publicité et associée à une forme de gratification. Le rôle de la publicité est majeur dans le processus d’achat, car elle accroît la notoriété des produits et services, influence les perceptions et préférences des consommateurs, et les incite à l’action.

Une publicité bien conçue suscite des émotions positives et crée des associations favorables dans l’esprit des consommateurs, l’acte d’achat étant in fine assimilé à une forme de quête du bonheur individuel.

La publicité renvoie des images d’un idéal de vie, parfois en contradiction avec les nécessités de comportements sobres. Ainsi, en 2019, 42 % des investissements de publicité et de communication de la filière automobile étaient consacrés à la promotion des SUV[34] (Sport Utility Vehicle ou véhicule utilitaire sportif), et 30 % seulement aux voitures citadines, moins lourdes donc moins consommatrices de matières premières et moins émettrices de CO2.

La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi climat et résilience », a commencé à apporter une réponse, notamment en interdisant en 2028 la publicité relative à la vente ou faisant la promotion de l’achat des voitures particulières neuves émettant plus de 123 grammes de dioxyde de carbone par kilomètre selon la norme WLTP[35].

Dans la théorie économique, la publicité est en général traitée comme une source d’information pour les consommateurs. À l’échelle d’un marché donné, les campagnes de publicité auraient pour seul effet de modifier la répartition des parts de marché entre les différents acteurs économiques, dans un jeu à somme nulle. Les conséquences de la publicité se limiteraient ainsi à une plus forte concurrence entre ces acteurs.

Toutefois, comme l’a souligné Mathilde Dupré, directrice adjointe de l’institut Veblen, cette interprétation est remise en cause par des travaux de recherche récents, qui suggèrent que la publicité accroît la demande agrégée, donc le volume des produits achetés dans un secteur donné.

Plusieurs études sectorielles suggèrent un lien de causalité entre les dépenses de publicité et la demande agrégée de consommation d’alcool ou de produits pharmaceutiques. Une étude plus large sur les effets de la publicité sur le marché américain, menée entre 1976 et 2006 et publiée en 2018, avait déjà mesuré un effet significatif[36].

Dans les pays développés, la saturation structurelle des marchés de biens d’équipement conduit les industriels à employer en priorité la publicité pour susciter un accroissement du rythme d’achat des consommateurs, si bien qu’avant d’être programmée techniquement, l’obsolescence est d’abord créée par la publicité qui parvient à les convaincre de remplacer des équipements encore fonctionnels. C’est le cas par exemple pour les téléphones, remplacés en moyenne tous les deux ans, alors que dans 88 % des cas, ils sont encore en état de marche[37].

Les rapporteurs considèrent que la pédagogie constitue une réponse adéquate à de telles dérives, comme elle l’a été dans la lutte contre le tabagisme ou contre l’alcoolisme. Les publicités incitant à renouveler ses équipements pourraient être accompagnées d’un message avertissant les consommateurs des conséquences néfastes pour l’environnement d’un tel comportement.

Par exemple, une publicité incitant à remplacer son téléviseur par un modèle à la diagonale d’écran plus grande pourrait être accompagnée d’un message rappelant l’intérêt du « juste assez », la consommation d’électricité d’un téléviseur étant liée à la taille de son écran (cf. graphique page 117). Ainsi, un écran LCD de 46 pouces – correspondant à la moyenne des écrans de télévision vendus en France en 2021 – consomme-t-il six fois moins qu’un écran de 86 pouces de même technologie.

3.   Le poids de l’habitude et la relation au temps

Un troisième frein porte sur la difficulté à changer les habitudes, en particulier la relation au temps. Les sociétés modernes, caractérisées par un rythme de vie effréné, sont stimulées par une consommation perpétuelle, des innovations technologiques continuelles et une quête insatiable de nouveauté.

Ce rythme sociétal s’inscrit dans une culture de l’instantanéité où la vitesse est privilégiée par rapport à la stabilité. Ainsi, les transports en commun sont souvent associés à une perte de temps, alors qu’ils permettent souvent d’avoir une activité durant la période de transit. Il en va de même pour la préparation des plats du quotidien, par rapport aux plats industriels tout prêts.

La sobriété comme principe de vie offre une alternative à cette accélération temporelle, ainsi que l’a décrit Pierre Rabhi dans Vers la sobriété heureuse. Cette réévaluation du temps, de l’éphémère au durable, implique un ralentissement, laissant la place à des pratiques telles que la réparation, la réutilisation et le recyclage. Elle invite également à réévaluer la définition d’une bonne vie : au lieu d’assimiler le bien-être à des niveaux élevés de consommation, elle met l’accent sur la valeur du temps, des relations et des expériences.

4.   Le « juste assez » contre le règne de la quantité

Un quatrième frein découle de l’arbitrage budgétaire entre quantité et qualité, la première option continuant à être majoritairement privilégiée par les consommateurs. Le choix de la qualité implique de changer les habitudes de consommation puisqu’il faut pouvoir bien choisir et ensuite entretenir correctement le bien acquis pour en bénéficier dans la durée.

La notion de « juste assez » peut servir de guide pour lutter contre la surconsommation. Il invite à réévaluer ses besoins, en privilégiant la qualité sur la quantité, tout en évitant l’excès et le superflu. Le « juste assez » plaide en faveur d’un mode de vie responsable et équilibré, favorisant le respect de l’environnement, le bien-être individuel et collectif, ainsi que l’équité sociale.

5.   L’existence de prérequis à la sobriété

Un cinquième frein relève de l’existence de prérequis matériels à la sobriété qui dépendent souvent de l’échelle territoriale, par exemple des pistes cyclables, des cantines approvisionnées localement, etc.

Sur ce plan, Patrice Vergriete, maire de Dunkerque et président de l’Agence de financement des infrastructures de transport en France, a souligné que la question de la sobriété énergétique n’était pas nouvelle pour les collectivités locales et que celles qui avaient anticipé des politiques de sobriété étaient moins durement frappées par l’accroissement des coûts de l’énergie, ce qui illustre l’importance de la sobriété pour la résilience.

Loin de se limiter à la régulation du chauffage dans les bâtiments publics, la sobriété concerne le modèle de développement et d’aménagement urbain, la capacité à structurer une ville d’une manière différente de celle d’il y a un demi-siècle, pour organiser autrement les mobilités.

Par exemple, la création d’une nouvelle usine ne doit pas nécessairement s’accompagner de la construction d’un immense parking pour les employés, si des services de transport adaptés sont mis en place, pour éviter de rendre la population dépendante de la voiture.

Une telle démarche ne génère pas nécessairement des économies de court terme pour les municipalités, mais correspond à un modèle de développement urbain de long terme. À cet égard, Patrice Vergriete a regretté l’absence d’une vision territoriale de l’État – à l’image de celle portée autrefois par la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) – qui permettrait un réel maillage des métropoles avec les villes moyennes, des villes moyennes avec les petites villes, etc.

Afin de réussir la transition vers la sobriété au sein des territoires, les collectivités locales devaient être en capacité de faire appel à une authentique « ingénierie de la sobriété », auprès d’un service de l’État dépositaire du savoir-faire et des compétences nécessaires.

6.   Les normes sociales

Un sixième frein concerne les normes sociales qui imposent des comportements stéréotypés ou des obligations. Ces modèles de comportement, profondément ancrés dans le tissu culturel, peuvent constituer des obstacles importants à l’adoption de pratiques de sobriété.

La consommation ostentatoire, terme inventé par l’économiste Thorstein Veblen, désigne la consommation de biens non seulement pour leur valeur fonctionnelle, mais aussi comme moyen d’afficher son statut social.

Ce phénomène, autrefois limité à une élite, continue d’imprégner les sociétés contemporaines, se manifestant par des tendances telles que la fast fashion, la construction de maisons toujours plus grandes et le renouvellement constant des équipements technologiques.

En outre, les normes sociales peuvent indirectement influencer les comportements de consommation par la création de normes d’acceptabilité. Par exemple, les choix vestimentaires peuvent être influencés par le contexte social : les consommateurs ayant plutôt tendance à acheter et à porter des vêtements qui correspondent aux attentes de leur groupe d’âge, de genre ou de culture, afin d’être acceptés et de se conformer aux normes de leur entourage.

La crainte de l’exclusion sociale ou de la stigmatisation peut empêcher les individus d’adopter des comportements qui s’écartent de ces normes établies dans leur milieu.

La dynamique de compétition sociale aggrave encore le problème. Lorsque les individus comparent leur propre richesse matérielle à celle de leurs égaux, ils peuvent être pris dans un phénomène de « suivi de l’élite ». Cette consommation compétitive peut déclencher une spirale entravant les efforts visant à réduire la demande.

La transformation de ces normes sociales bien ancrées constitue une étape incontournable sur la voie de la sobriété. Les stratégies peuvent inclure la promotion de nouvelles normes de consommation responsable ou la valorisation de modèles de vie alternatifs qui dissocient le statut social de la consommation excessive.

7.   L’illettrisme énergétique

Les appareils électroniques sont fréquemment dotés d’un mode d’économie d’énergie qui doit le plus souvent être activé par l’utilisateur, parfois en actionnant un simple bouton, parfois par un cheminement plus complexe.

Comme le montre une étude publiée en 2015[38] pour plusieurs catégories d’équipements, ce mode n’est parfois activé que dans une minorité de cas (50 % des ordinateurs domestiques, 20 % pour les lave-vaisselle). Or, un paramétrage inadéquat peut entraîner une surconsommation variant entre 6 % et 70 %, suivant l’équipement considéré.

Plusieurs mesures permettraient de favoriser un usage sobre, comme activer par défaut le mode économie dans le paramétrage des appareils, tout en laissant à l’utilisateur la possibilité de l’invalider, ou sensibiliser les acheteurs par une communication plus visible et simple que dans le seul manuel utilisateur. De même, dans les véhicules, désactiver par défaut la climatisation contribuerait à économiser l’énergie.

IV.   L’articulation entre la sobriété et d’autres concepts du développement durable

1.   Sobriété et économie circulaire

L’économie circulaire vise à transformer le système de production et de consommation en minimisant les déchets et en maximisant la réutilisation des ressources. Aussi, les concepts d’économie circulaire et de sobriété énergétique sont étroitement liés de par leur objectif commun de réduction de l’empreinte environnementale.

a.   Les principes de l’économie circulaire

L’économie circulaire est un modèle économique qui s’oppose au système économique qualifié de « linéaire » mis en œuvre depuis la révolution industrielle sans se préoccuper de la raréfaction des ressources et de la production de déchets.

i.   Économie « linéaire » : « extraire, fabriquer, jeter »

L’économie « linéaire » se caractérise par les trois principes suivants : « extraire, fabriquer, jeter ».

Schéma d’économie linéaire – Source : Rémy Le Moigne

 

Ce modèle se caractérise par une démarche dans laquelle les matières premières sont extraites, puis transformées en biens et consommées, avant d’être enfin éliminées sous forme de déchets. Il repose sur l’hypothèse implicite de ressources illimitées, ce qui implique une offre inépuisable de matières premières et une capacité infinie à absorber les déchets.

L’économie linéaire est associée à une société de consommation, dans laquelle la croissance économique est largement alimentée par l’augmentation continue du niveau de la demande. Elle se caractérise par la conception de produits n’ayant qu’une seule « vie », ce qui conduit souvent à une obsolescence rapide et encourage une demande continue de nouveaux produits. Cette pratique, associée à l’absence de stratégies adéquates de gestion des déchets, engendre des problèmes environnementaux conséquents, notamment l’épuisement progressif des ressources, l’accumulation des déchets et la pollution de l’environnement.

ii.   Économie circulaire : « réduire, réutiliser, et recycler »

Né dans les années 1960, le concept d’économie circulaire vise à pallier les défauts de l’économie linéaire. Il s’appuie sur trois principes fondamentaux : « réduire, réutiliser, et recycler », souvent désignés sous l’acronyme « 3R ». Son principe est de minimiser la consommation et le gaspillage de ressources en créant un cycle fermé où les déchets sont réutilisés comme matières premières.

Schéma d’économie circulaire – Source : Rémy Le Moigne

iii.   Premier principe : réduire

Le premier principe, réduire, consiste à minimiser l’utilisation des ressources et de l’énergie dans la conception, la production et la consommation de biens et de services. Cet objectif peut être atteint grâce à diverses stratégies, telles que la réduction de l’utilisation de matières premières, l’adoption de processus de production plus efficaces et la promotion d’habitudes de consommation responsables. Les efforts de réduction incluent également le concept de dématérialisation, consistant à trouver des moyens innovants de fournir la même fonctionnalité avec moins de matériaux ou par des moyens numériques.

iv.   Deuxième principe : réutiliser

Le deuxième principe, réutiliser, consiste à prolonger la durée de vie des produits et des matériaux en les utilisant plusieurs fois pour le même usage ou pour des usages différents. Il peut s’agir de réparer, de remettre à neuf ou de reconvertir des articles, afin de conserver ou d’améliorer leur valeur et leur fonctionnalité. La réutilisation permet non seulement de préserver les ressources, mais aussi de réduire les déchets et le besoin de produire à nouveau, ce qui se traduit par une diminution de la consommation d’énergie et de l’impact sur l’environnement.

v.   Troisième principe : recycler

Le dernier des « 3R », le recyclage, désigne le processus de transformation des déchets en nouveaux produits, matériaux ou ressources, qui permet de boucler le cycle de vie des matériaux. Recycler permet de détourner les déchets des décharges et des incinérateurs, préserver les ressources naturelles et réduire l’impact énergétique et environnemental lié à l’extraction et au traitement des matières premières. La mise en œuvre de systèmes et d’infrastructures de recyclage performants est essentielle pour permettre à l’économie circulaire d’atteindre son plein potentiel.

b.   La contribution de l’économie circulaire au développement durable

L’économie circulaire peut contribuer de manière significative au développement durable, en minimisant la consommation de ressources et la production de déchets.

i.   Atténuer la pression sur les ressources naturelles

En particulier, le recyclage présente deux implications environnementales significatives. En premier lieu, il contribue à atténuer la pression exercée sur les ressources naturelles. L’exploitation excessive de ces dernières entraîne de graves préjudices environnementaux et peut compromettre leur approvisionnement futur.

ii.   Réduire l’impact environnemental des déchets

En second lieu, en réduisant le volume des déchets, le recyclage atténue leur impact environnemental. En effet, la gestion appropriée des déchets constitue un défi environnemental, en raison des risques associés, comme la contamination des sols et des nappes phréatiques ou l’émission de substances toxiques.

iii.   Créer de nouveaux emplois

De plus, le recyclage crée de nouveaux emplois dans les industries de la réparation et du recyclage, et peut stimuler l’innovation et la compétitivité. Une note de France Stratégie publiée en avril 2016[39] évalue à 800 000 le nombre d’emplois potentiels en France dans le domaine de l’économie circulaire, dont 230 000 dans le seul secteur de la réparation.

c.   L’économie circulaire dans la législation française

La notion d’économie circulaire a été introduite dans la législation française par la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, qui cherche à « dépasser le modèle économique linéaire consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter en appelant à une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières primaires ».

La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, vise à accélérer le changement des modèles de production et de consommation, au travers de plus d’une centaine de mesures, afin de réduire les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat.

En particulier, cette loi fixe des objectifs de réduction du volume des déchets ménagers par habitant de 15 % et des déchets d’activités économiques de 5 % à l’horizon 2030, ainsi qu’un objectif de 100 % de plastique recyclé d’ici 2025 et de fin de mise sur le marché d’emballages en plastique à usage unique d’ici à 2040.

Par ailleurs, elle prévoit une meilleure information des consommateurs, au travers d’une harmonisation de l’affichage des caractéristiques environnementales des produits.

Afin d’agir contre l’obsolescence programmée, certains équipements électriques et électroniques, comme les téléphones, les ordinateurs ou les machines à laver doivent comporter un indice dit de « réparabilité ». À l’horizon 2024, ce dernier deviendra un indice de « durabilité, » notamment par l’ajout de nouveaux critères comme la robustesse ou la fiabilité des produits.

De plus, la loi introduit une obligation d’information sur la disponibilité ou la non-disponibilité des pièces détachées permettant de réparer les meubles, les équipements électriques et électroniques, ainsi que sur la durée pendant laquelle les téléphones et ordinateurs supportent les mises à jour logicielles.

Par ailleurs, la destruction des invendus non alimentaires neufs, comme les vêtements, les chaussures, les produits de beauté, les livres ou l’électroménager, est interdite par principe. Les entreprises doivent, sauf exceptions, donner ou recycler leurs produits.

Enfin, la loi renforce le principe « pollueur-payeur » rendant responsable le fabriquant ou le distributeur d’un produit du financement de sa fin de vie, au travers de la responsabilité élargie des producteurs (REP) étendue de la fin de vie à la conception du produit.

La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets comporte également quelques mesures en lien avec l’économie circulaire d’une portée plus limitée, non contraignantes, relatives à des expérimentations ou applicables à long terme.

d.   Les limites du recyclage

L’économie circulaire, malgré ses avantages, présente certaines limites et sa mise en œuvre peut parfois engendrer des effets indésirables susceptibles de réduire les gains qu’elle procure en termes de préservation des ressources naturelles et de réduction des stocks de déchets.

i.   Le risque d’effet rebond

L’une de ces limites est l’effet rebond, qui se réfère à une augmentation de la consommation en raison d’une meilleure utilisation des déchets. Les économistes alertent sur ce phénomène lorsque l’amélioration des performances environnementales d’un bien conduit à une augmentation de son utilisation.

Dans le domaine de l’économie comportementale, des recherches indiquent que lorsque les consommateurs sont conscients de la possibilité de recyclage de leurs biens, ils ont tendance à consommer davantage[40]. Paradoxalement, la promotion du recyclage peut ainsi encourager des comportements moins respectueux de l’environnement.

ii.   Les limites physiques du recyclage

Il convient également de prendre en compte les contraintes physiques liées à la mise en œuvre du recyclage. Conformément au deuxième principe de la thermodynamique, toute transformation d’un système entraîne une augmentation de l’entropie, qui implique une dissipation de matière ou d’énergie. De ce fait, même avec des taux de recyclage très élevés, une portion de matière ou d’énergie est inévitablement perdue après utilisation.

C’est en particulier le cas des matériaux dont l’usage est dit « dispersif », c’est-à-dire qu’il les rend techniquement difficiles à récupérer. Le secteur de l’électronique qui utilise fréquemment des matériaux rares en très petites quantités, illustre bien ce cas de figure, ainsi qu’Agnès Crépet, responsable de la longévité logicielle et de l'informatique, l’a montré avec le cas des terres rares dans les téléphones, qui ne sont pas recyclées.

De plus, la substituabilité de certains matériaux recyclés à ceux d’origine est imparfaite. Dans certains cas, ceci peut conduire à leur recyclage vers d’autres filières : par exemple, les pneus sont recyclés en gazon synthétique ou en matériaux amortissants pour les aires de jeux, les bouteilles plastiques en tissus polaires, etc. Dans le même ordre d’idée, il n’est pas possible de recycler à l’infini la pâte à papier : au bout d’un certain nombre de cycles, elle perd trop en qualité pour être réutilisée.

Dans de tels cas, le recyclage ne fait que retarder l’inévitable épuisement des ressources et la saturation des capacités de stockage des déchets. Même quand le recyclage d’une ressource est quasi parfait, si sa consommation est en augmentation, le recyclage repousse simplement de quelques années la pression sur la ressource.

iii.   La consommation de ressources liée au recyclage

Ainsi que l’a noté Alexandre Tanay, le processus de recyclage n’est lui-même pas exempt d’impacts environnementaux. En particulier, s’il peut parfois être plus efficace en matière d’émission de gaz à effet de serre que les filières issues de l’exploitation de ressources naturelles, il nécessite de l’énergie et ne garantit pas la neutralité carbone.

Ainsi, l’atteinte de taux élevés de récupération de matières premières implique, dans certains cas, la mise en œuvre d’opérations complexes, fortement consommatrices d’énergie, de séparation des matériaux, comme l’hydrométallurgie ou la pyrométallurgie, parfois plus gourmandes que l’extraction de ces matières.

e.   L’apport indispensable de la sobriété

Pour que l’économie circulaire puisse avoir un impact significatif sur la durabilité des modes de vie, il est indispensable que l’augmentation de l’usage du recyclage et de la valorisation des déchets ne se réalise pas au détriment d’une réévaluation critique des pratiques de consommation et de production.

L’économie circulaire constitue un principe fondamental louable, mais il serait risqué de la percevoir comme une alternative à la sobriété car les principes de l’économie circulaire sont très liés à la maîtrise de la consommation de biens qui génèrent des déchets.

2.   Sobriété et low tech

Plusieurs des interlocuteurs auditionnés ont relevé les liens étroits existant entre les concepts de sobriété énergétique et de low tech, qui visent tous deux à répondre aux défis environnementaux et sociétaux de notre époque.

Comme dans le cas de la sobriété, il n’existe pas de définition consensuelle des low tech, parfois qualifiées en français de basses technologies, de technologies douces ou encore de technologiques appropriées.

a.   La course aux technologies avancées : une impasse environnementale ?

La low tech est fréquemment opposée à la high tech – le terme low tech ayant d’ailleurs été construit par antonymie avec cette dernière, aussi appelée haute technologie ou technologie de pointe, qui désigne les technologies considérées comme les plus avancées, dans une époque et un espace géographique donnés.

La notion de haute technologie est donc relative, tout comme celle de low tech : un métier à tisser représentait une technologie avancée à la fin du XVIIIe siècle, mais pourrait être considéré aujourd’hui comme low tech.

À l’occasion de son audition, Philippe Bihouix, directeur général d’AREP, a mis en évidence cinq difficultés majeures résultant du développement de la high tech dans nos sociétés.

En premier lieu, l’enrichissement technologique des sociétés vient accélérer l’exploitation de ressources non renouvelables, spécialement des matériaux critiques. Ainsi, la transition énergétique, en particulier l’électrification de la mobilité individuelle, met une pression sur un certain nombre de ressources, qu’il s’agisse de métaux de base stratégiques, comme le cuivre ou le zinc, de métaux rares, comme le cobalt ou le graphite, ou encore de terres rares, telles que le néodyme ou le dysprosium[41]. Loin de conduire à la dématérialisation, la course en avant technologique accroît au contraire les besoins en matériaux.

En deuxième lieu, les technologies de pointe rendent de plus en plus difficile le recyclage des matériaux, qui permettrait de s’affranchir en partie de l’exploitation des ressources naturelles[42]. En principe, les métaux peuvent être recyclés à l’infini sans dégradation de leurs qualités intrinsèques, ce plus facilement que d’autres, tels les plastiques[43].

Néanmoins, les objets technologiques étant de plus en plus miniaturisés et contenant de plus en plus de matériaux différents – il y a par exemple une quarantaine de métaux dans un téléphone intelligent, dans des quantités de plus en plus réduites, parfois de l’ordre du milligramme, le recyclage s’avère extrêmement difficile à rentabiliser.

L’enrichissement technologique, notamment par l’électronique, crée ainsi une dispersion des ressources. De fait, à l’échelle mondiale, la moitié seulement de la soixantaine de métaux utilisés dans l’industrie sont recyclés à hauteur de plus de 1 %.

Comparaison, à l’échelle mondiale, des concentrations de 48 métaux dans leurs sources primaires et secondaires ainsi que des taux de recyclage en fin de vie correspondants (EOL-RR) - Source : American Chemical Society[44]

En troisième lieu, le rapport coût-bénéfice des technologies de pointe sur le plan environnemental s’avère souvent décevant. En effet, leur coût environnemental est réel et immédiat, puisqu’il faut extraire les matières premières pour les fabriquer et qu’elles consomment de l’énergie durant leur exploitation, directement et indirectement.

A contrario, les bénéfices attendus ne se réalisent pas toujours. Philippe Bihouix a illustré ce point avec le cas de la Smart City, en lien avec le déploiement des réseaux de téléphonie 5G, présentés comme une condition de la transition environnementale de ces villes intelligentes. Mais en pratique, ce concept n’a donné naissance qu’à de rares applications concrètes, par exemple des poubelles connectées, insuffisantes pour contrebalancer les coûts environnementaux induits.

En quatrième lieu, depuis deux cents ans, afin de rester compétitives, les entreprises innovent constamment pour réduire la quantité d’énergie et de ressources nécessaires aux biens et aux services qu’elles proposent. Mais ces gains d’efficacité ne se traduisent pas nécessairement par un bénéfice environnemental. Consommer moins d’énergie et de matières réduit aussi les coûts, ce qui peut accroître la demande.

Ce phénomène de rebond a été observé dès le XIXe siècle, avec la machine à vapeur. De nos jours, il existe toujours, par exemple avec le numérique : l’accroissement de ses performances induisant celui de la demande ; le transport aérien : l’amélioration du rendement des turboréacteurs générant une baisse des prix, donc une augmentation du nombre de vols ; la rénovation thermique des bâtiments : la diminution de consommation incitant à chauffer ou à climatiser plus ; et même le covoiturage de longue distance, la possibilité de se déplacer à moindre coût créant de nouvelles opportunités.

En dernier lieu, si les technologies de pointe sont souvent très efficaces, elles nous rendent dépendants des chaînes d’approvisionnement mondiales. Or, moins un système est maîtrisé localement, plus il est exposé à des risques.

Ainsi, un problème survenant à l’autre bout du monde, comme cela a été le cas durant la crise sanitaire de 2020-2021 à Taïwan pour la production de microprocesseurs, peut perturber la production automobile en France. Un arbitrage doit donc être fait entre l’appel à certaines technologies de pointe et la résilience.

Ces limitations ont, parmi d’autres, conduit à une remise en question de l’orientation high tech de nos sociétés, ainsi qu’à un intérêt croissant pour des solutions technologiques ne présentant pas ces mêmes inconvénients.

b.   Contexte historique et origines de la low tech

Les premiers mouvements critiques des technologies avancées sont apparus en réponse aux impacts sociaux, environnementaux et économiques de la révolution industrielle de la fin du XVIIIe siècle. Cette révolution a été marquée par l’apparition centres urbains industrialisés, qui se sont développés avec l’introduction d’innovations telles que la machine à vapeur, la machine à filer et le métier à tisser mécanisé. Si ces innovations ont favorisé une croissance économique inédite, elles ont également eu des effets indésirables, tels que la dégradation de l’environnement et la marginalisation de l’artisanat ainsi que des compétences traditionnelles.

Le mouvement luddite, né au début du XIXe siècle en Angleterre en réaction à la mécanisation rapide du secteur textile, représente la première opposition notable aux conséquences du déploiement de ces nouvelles technologies. Les luddites se livraient à des actes de sabotage, en particulier de machines textiles, pour exprimer leur refus de la disparition de leur unique moyen de subsistance : l’artisanat traditionnel.

Bien que le mouvement luddite ne proposât pas de réelle alternative et finît par être réprimé par la force, il demeure un symbole de résistance à un progrès technologique aux impacts mal maîtrisés.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle au Royaume-Uni, le Arts and Crafts Movement, littéralement « mouvement des arts et des artisanats », a défendu des valeurs de simplicité et de préservation des paysages et des savoir-faire traditionnels, en opposition à la production de masse et à la standardisation engendrées par la révolution industrielle.

Ce mouvement a jeté les bases de l’éthique low tech, en soulignant la valeur intrinsèque du travail manuel et la nécessité d’équilibrer les effets du progrès technologique par d’autres considérations.

Mais c’est la crise énergétique du début des années 1970 qui donna l’impulsion à une remise en cause radicale de la high tech, concept né dans les années 1950, et conduit à l’émergence du concept de low tech, avec la publication de plusieurs ouvrages majeurs, notamment ceux de l’économiste Ernst Friedrich Schumacher, du philosophe Ivan Illich ainsi que du philosophe et sociologue Jacques Ellul.

Ainsi, dans Small is Beautiful, publié en 1973, Schumacher critique un modèle de développement privilégiant les solutions à grande échelle et à forte intensité de ressources, qu’il juge non durables et préjudiciables au bien-être humain. En proposant le concept de « technologie appropriée » (intermediate technologies), centré sur la préservation des ressources et l’autonomisation des communautés, Small is Beautiful a influé de manière significative sur l’émergence du mouvement low tech moderne.

Paru la même année, La convivialité d’Illich constitue une œuvre charnière pour le mouvement low tech, présentant un examen critique de la relation entre la technologie, la société et l’autonomie de l’individu. Illich affirme que les sociétés industrialisées privilégient l’efficacité et la productivité au détriment de la convivialité humaine et de l’autodétermination. Il plaide pour l’adoption d’outils conviviaux, peu technologiques, favorisant la créativité et la coopération.

Dans Le Bluff technologique publié en 1988, Ellul critique le rôle de la technologie dans la société moderne, affirmant qu’elle est devenue une force autonome, échappant au contrôle humain. Il plaide pour une réévaluation de la relation à la technologie, en promouvant une approche plus équilibrée, reconnaissant les limites inhérentes et les dangers potentiels d’un développement technologique incontrôlé. Cet ouvrage est un texte fondateur pour le mouvement low tech.

c.   Mieux cerner les contours de la low tech

La seule opposition entre high tech et low tech ne suffit pas à cerner correctement cette dernière. Lors de son audition, Philippe Bihouix a ainsi relevé qu’un vélo pouvait être considéré comme un objet low tech alors même que certains de ses composants, comme le dérailleur ou les pneus, font appel à des technologies sophistiquées.

En effet, la fabrication d’un vélo demande relativement peu de matières premières et une fois fabriqué, il peut être facilement entretenu, les pannes étant, par exemple, simples à identifier et à réparer. De ce fait, il pourra être utilisé très longtemps, induisant une économie de ressources importante.

Aussi, Philippe Bihouix estime-t-il que la low tech correspond moins à un type particulier de technologie qu’à une démarche visant à « mettre l’innovation technologique au service de la réduction de l’empreinte environnementale ».

Dans son ouvrage de référence publié en 2014, L’Âge des low tech : Vers une civilisation techniquement soutenable, Philippe Bihouix identifie sept principes fondamentaux d’une démarche low tech : « questionner les besoins, (…) produire et concevoir de manière durable, (…) orienter le savoir vers l’économie des ressources, (…) rechercher l’équilibre entre performance et convivialité, (…) relocaliser sans perdre les bons effets d’échelle, (…) démachiniser les services et (…) savoir rester modeste ». Il en a particulièrement mis trois en avant à l’occasion de son audition.

Le premier porte sur le discernement technologique consistant à faire appel à la technologie lorsque son utilité est avérée et non par effet d’imitation ou de mode. Par exemple, l’usage du numérique dans l’enseignement primaire ne semble pas apporter de progrès dans l’acquisition de certaines connaissances fondamentales, telles que la lecture.

Au contraire, dans d’autres domaines tels que la médecine, l’usage des technologies de pointe apparaît parfaitement justifié. L’invention du scanner a permis d’améliorer notablement le diagnostic de certaines maladies et, ces dernières années, l’introduction de l’intelligence artificielle, singulièrement des algorithmes d’apprentissage profond, a conduit à de nouveaux progrès dans ce domaine[45].

Le deuxième principe mis en avant consiste à concevoir des objets et des services qui soient plus durables et réparables, ce qui aura évidemment pour effet d’abaisser la consommation de ressources. Il s’agirait de passer d’un âge de la consommation éphémère à un âge de la maintenance, dans lequel les objets seraient réparés plutôt que jetés et aussitôt remplacés.

Pour Philippe Bihouix, le troisième principe d’une démarche low tech porte sur la sobriété.

Néanmoins, d’autres acteurs proposent de fonder la low tech sur un ensemble de principes différent. Ainsi, le Low-tech Lab, association française dédiée à la promotion de ce concept, la définit plus simplement comme : « des objets, des systèmes, des techniques, des services, des savoir-faire, des pratiques, des modes de vie et même des courants de pensée, qui intègrent la technologie selon trois grands principes : utile, accessible, durable. »

Plus récemment, Arthur Keller et Emilien Bournigal ont cherché à synthétiser dans un unique schéma l’ensemble des critères fondant la low tech, regroupés en trois grandes thématiques : durabilité forte, résilience collective et transformation culturelle.

Par Arthur Keller et Émilien Bournigal — https://lowtechnation.com/low-tech/, CC BY-SA 4.0

Confronté à la multiplicité des tentatives de définition de la low tech, le projet de recherche « Viabilité Low-tech »[46] a réalisé une revue bibliographique de la littérature scientifique (ouvrages, articles scientifiques) et de la littérature dite grise (sites internet, blogs, mémoires de master) sur la low tech « afin d’en apporter des premiers éléments de définition ».

Dans ce cadre, les chercheurs ont identifié sept principes-clés qui « délimitent les origines et motivations d’une démarche low-tech » :

-         adéquation aux besoins : un système imaginé et conçu pour répondre à un besoin réel identifié comme suffisant pour assurer un niveau de confort minimal ; il ne répond pas à des besoins artificiels et limite au maximum l’effet rebond ;

-         allongement de la durée de vie : un système dont la durée de vie est allongée au maximum grâce à des matériaux et un design robustes, une réparabilité facilitée et une réutilisation encouragée ;

-         économie de ressources : un système dont le cycle de vie (conception, fabrication, utilisation, fin de vie) est caractérisé par une consommation sobre en matériaux, énergie, eau ; l’utilisation de ressources secondaires est encouragée ;

-         appropriation : un système qui permet une réappropriation des savoirs à l’échelle collective et individuelle ; l’accès à la connaissance est grandement facilité afin de permettre à n’importe qui de l’utiliser et de l’enrichir ;

-         collaboration : un système qui encourage la création d’une communauté participative et les interactions humaines ; le système en lui-même est au second plan comme support à la mise en place de liens collaboratifs, d’une vie culturelle et sociale ;

-         résilience : un système qui s’inscrit dans des trajectoires de production et de consommation visant une dépendance limitée aux activités extérieures ; son utilisation encourage la mobilisation de ressources locales ;

-         adaptation au milieu : un système conçu et utilisé selon des contraintes sociales et matérielles clairement identifiées, qui déterminent l’échelle d’application appropriée.

Enfin, dans le cadre d’une étude très complète consacrée à la low tech publiée en mars 2022[47], l’Agence de la transition écologique (ADEME) a également cherché à mieux cerner les contours d’une démarche low tech. ce qui l’a conduite à proposer la définition suivante :

« Le qualificatif de low-tech s’applique à une démarche et non pas à son résultat. Ainsi, un objet n’est pas low-tech dans l’absolu, il est plus (ou moins) low-tech qu’une solution alternative répondant au besoin initial.

« L’approche low-tech, parfois appelée innovation frugale, est une démarche innovante et inventive de conception et d’évolution de produits, de services, de procédés ou de systèmes qui vise à maximiser leur utilité sociale, et dont l’impact environnemental n’excède pas les limites locales et planétaires.

« La démarche low-tech implique un questionnement du besoin visant à ne garder que l’essentiel, la réduction de la complexité technologique, l’entretien de ce qui existe plutôt que son remplacement. La démarche low-tech permet également au plus grand nombre d’accéder aux réponses qu’elle produit et d’en maîtriser leurs contenus. »

Cette définition reprend les critères identifiés par l’ADEME durant cette étude pour caractériser une démarche low tech. Ils rejoignent pour l’essentiel les sept principes-clefs mis en avant par l’étude « Viabilité Low-tech » menée en parallèle, ce qui tend à confirmer leur pertinence.

d.   La low tech en tant que démarche d’innovation orientée vers la sobriété

En tant que démarche visant, comme l’a souligné Philippe Bihouix, à « mettre l’innovation technologique au service de la réduction de l’empreinte environnementale », la low tech peut-elle contribuer à réconcilier sobriété et technologie ?

Pour atteindre cet objectif, Julie Mayer et Matthieu Guerineau proposent, de façon pragmatique, d’évaluer les projets innovants à l’aune de trois questions : quelle technologie développer ? Comment cette technologie peut-elle être mobilisée au service de la sobriété ? Pourquoi l’innovation technologique est-elle initiée ?

Pour répondre à la première question, une technologie peut être considérée comme sobre si elle est conçue pour des usages sobres, ce qui implique de questionner au préalable les besoins dans les différents aspects du quotidien : qu’est-ce qui est véritablement nécessaire pour se déplacer, se chauffer, etc. ?

Par exemple, avant de préconiser une généralisation de la voiture électrique, il serait préférable de questionner la taille des véhicules et d’évaluer les besoins de mobilité, en termes de distances parcourues, de nombre de trajets effectués, de taille, de nombre de passagers transportés, etc.

Une telle démarche permettrait de limiter les effets rebond imprévus et de répondre de manière plus globale et plus pertinente aux besoins, en tenant compte des contraintes individuelles, des enjeux socio-économiques et territoriaux, tout en facilitant l’acceptabilité des solutions mises en place.

En pratique, cela implique de penser aux usages en amont de toute innovation, de former les acteurs de l’innovation à s’approprier les questions d’usage et de les responsabiliser à cet égard. Ainsi, la démarche low tech pourrait jouer un rôle essentiel pour la prise en compte de la sobriété dans l’innovation, tout en permettant de répondre de façon pertinente aux besoins essentiels.

La deuxième question consiste à réfléchir à la manière dont les technologies peuvent contribuer à modérer la consommation des ressources. Par exemple, les technologies numériques peuvent donner des moyens pour savoir comment tendre vers plus de sobriété : visualiser les consommations électriques aide à rendre palpable l’électricité, ressource invisible, et à prendre conscience de la façon dont on l’utilise.

Tant que les technologies aident à modérer la consommation et n’encouragent pas une dépendance accrue aux ressources ou une augmentation des besoins, tant que leur production ou leur mise à disposition de certaines populations ne se fait pas au détriment du bien-être d’autrui ou du reste du vivant, tant que la société est prête à accepter pleinement les risques qu’elle crée à court et à long terme, l’innovation technologique peut avoir du sens et une place dans une société dite sobre.

La troisième question porte sur la finalité de ces technologies : qu’attend-on de l’innovation technologique ? À qui les innovateurs doivent-ils rendre des comptes ? Il est essentiel que toute innovation technologique réponde à un cahier des charges aligné avec des objectifs plus larges, tels que la capacité à régénérer les systèmes naturels, la contribution à une certaine autonomie énergétique ou encore la facilitation de la justice sociale.

Dans une société sobre, les espaces de recherche et d’innovation qui répondent à ce cahier des charges devraient être valorisés, qu’il s’agisse de laboratoires de recherche, d’incubateurs, de démonstrateurs, de pépinières, etc.

Cependant, si nous sommes seuls à adopter la règle du jeu de la sobriété dans un environnement compétitif, axé sur la performance économique avant tout, il est peu probable qu’une telle recherche puisse perdurer. Il serait donc nécessaire d’en faire une norme, ce qui implique d’évaluer la sobriété.

La recherche académique devrait aider à traduire la sobriété en cahier des charges et en critères d’évaluation. Aujourd’hui, les critères d’écoconception et les principes de la low tech ou de l’économie régénérative permettent de poser des bases dont pourrait s’inspirer la réglementation pour établir des « règles du jeu » de l’innovation et la recherche favorisant un basculement vers la sobriété.

Comme en ont témoigné Julie Mayer et Mathieux Guerineau, les élèves de grandes écoles et d’universités s’interrogent de plus en plus sur la finalité de leur futur métier, sur les besoins réels de la société, sur la manière de concilier les enjeux écologiques, économiques et sociaux du monde actuel. Une telle démarche d’innovation leur permettrait de répondre à certaines de ces interrogations et de faire leurs propres choix.

D’ores et déjà, la low tech est présente dans certains établissements. Ainsi, à l’Institut national des sciences appliquées de Lyon (INSA), les étudiants en conception mécanique apprennent à créer des équipements low tech tels que des vélo-cargos et l’École centrale de Nantes propose aux élèves de deuxième et troisième année une option d’ingénierie low tech.

V.   Les politiques de sobriété en France, au Japon, en Allemagne et dans les pays nordiques

Comme la France ces derniers mois, le Japon en 2011 et l’Allemagne en 2022 ont pu faire face à une situation imprévue de tension sur leur approvisionnement énergétique en faisant appel, chacun à sa façon, à la sobriété énergétique.

Disposant de ressources énergétiques propres importantes, les pays nordiques (Danemark, Islande, Norvège et Suède) n’ont pas subi les mêmes contraintes, mais se sont aussi tournés vers la sobriété pour accroître leur résilience et par solidarité avec les pays européens en difficulté.

1.   En France : un plan de sobriété gouvernemental

Le mercredi 24 mai 2023, devant les membres de l’Office, Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, a présenté’ le bilan de la première phase du plan de sobriété énergétique annoncé par le Gouvernement le 6 octobre 2022, et a divulgué les principales orientations du deuxième volet de ce plan. Le compte rendu de cette audition est annexé au présent rapport.

a.   Un plan basé sur trois grands principes et une approche collaborative

Le 26 juin 2022, le Gouvernement a annoncé la décision d’élaborer un plan de sobriété énergétique. D’abord conçu pour faciliter le passage de l’hiver, il se voulait aussi une première étape vers l’objectif de réduction de 40 % de la consommation d’énergie finale d’ici 2050. En effet, le rapport de RTE sur les scénarios Futurs énergétiques 2050 souligne qu’une réduction de 40 à 50 % de la consommation d’énergie finale est essentielle pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Ainsi que l’a indiqué la ministre, ce plan de sobriété est basé sur trois principes et une méthode.

En premier lieu, l’État se doit d’être un modèle, car sa crédibilité dans l’appel à un changement de comportement est étroitement liée à sa capacité à mener sa propre transformation.

En deuxième lieu, les efforts les plus importants en matière de réduction de consommation sont demandés en priorité aux acteurs majeurs : grandes collectivités locales, grandes entreprises et grandes administrations. Ces acteurs sont non seulement plus visibles, mais leur action a également un impact significatif, compte tenu de leur influence sur des aspects tels que les déplacements domicile-travail ou la gestion de grandes surfaces de bâtiments. La démarche d’exemplarité est donc une question d’efficacité, mais aussi de justice et d’acceptabilité, pour encourager la population à s’engager sur la voie de la sobriété énergétique.

En troisième lieu, l’approche adoptée est fondée sur la réalité du terrain et des usages, l’objectif étant de favoriser la responsabilisation et la transparence, plutôt qu’une coercition indiscriminée. En effet, à elles seules, la législation et la réglementation ne suffisent pas à modifier les comportements si elles sont inadaptées ou appliquées de manière inefficace.

S’agissant de la méthode, le Gouvernement a adopté une approche collaborative en mobilisant dix groupes de travail sectoriels réunissant plus de trois cents fédérations professionnelles, experts, associations environnementales et élus locaux. Cette démarche couvre une variété de secteurs, dont l’administration, les collectivités locales, la construction, le sport, la culture, le commerce et les grandes entreprises.

Après plusieurs mois de consultation, le plan de sobriété a été présenté le 6 octobre 2022, visant une réduction de 10% de la consommation énergétique d’ici fin 2024. Le plan repose sur l’engagement volontaire des acteurs sectoriels et l’adoption de mesures réglementaires complémentaires, telles que les deux décrets publiés le 5 octobre 2022 imposant’ la fermeture des portes des locaux climatisés ou chauffés pour éviter les pertes énergétiques ainsi que l’extinction nocturne des publicités lumineuses. Un décret du 18 octobre 2023 impose l’extinction des publicités lumineuses en cas de pic de consommation d’électricité.

Des mesures de soutien ont également été mises en place pour aider les différents acteurs à adopter des comportements plus sobres en énergie. Par exemple, un programme doté de 120 millions d’euros permet aux collectivités locales de réaliser des diagnostics sur l’éclairage ou la gestion des piscines. De plus, pour les TPE-PME, un programme de 26 millions d’euros a été lancé en collaboration avec CCI France, CMA France et La Poste.

Enfin, pour sensibiliser le grand public, le gouvernement a lancé une campagne de communication dont l’impact a été positif. Des efforts ont été réalisés partout en France pour réduire le chauffage, limiter l’éclairage et modifier les habitudes de transport et de consommation.

b.   Des premiers résultats substantiels, avec quelques limitations

En raison de la mise en œuvre du plan de sobriété énergétique, la consommation globale d’électricité et de gaz a respectivement diminué de 8% et 16%, ce qui a entraîné une baisse combinée de la consommation d’énergie de près de 12% par rapport à l’hiver précédent, après correction des effets météorologiques. Une tendance semblable n’a jamais été observée au cours des cinquante dernières années.

Les émissions de gaz à effet de serre ont également connu une baisse significative, avec une diminution de 8,5% au quatrième trimestre, contrastant avec la stabilité observée lors des trois trimestres précédents. En particulier, le secteur du bâtiment a vu ses émissions de gaz à effet de serre diminuer de 15% sur l’année, indépendamment de l’activité économique, ce qui reflète des changements dans la gestion de l’éclairage, du chauffage et de l’utilisation de l’eau chaude sanitaire.

De plus, la consommation de gaz et d’électricité continue à diminuer depuis le début de l’année, y compris chez des consommateurs protégés par le bouclier énergétique, qui les met à l’abri de la volatilité des prix.

Selon le rapport de RTE, la mobilisation des Français pour la sobriété a permis d’éviter huit alertes EcoWatt orange et douze alertes EcoWatt rouge pendant l’hiver. Le 12 décembre 2022, qui marque le pic de consommation énergétique de l’hiver, l’équivalent de la production de sept réacteurs nucléaires a ainsi été économisé grâce aux mesures de sobriété. Cette réalisation sur trois mois éclipse les efforts de réduction de la consommation d’énergie de la France au cours des trente dernières années.

Quant à la mise en œuvre du plan de sobriété, les directives concernant la température ont été largement respectées dans les logements et les bâtiments tertiaires, contribuant à une baisse significative de la consommation d’énergie. Les enquêtes révèlent que 92% des collectivités territoriales ont réduit la température de chauffage, 76% ont diminué la période de chauffe, et 86% des gestionnaires d’infrastructures sportives ont abaissé la température de chauffage. Des mesures importantes ont également été prises en ce qui concerne l’éclairage des bâtiments publics, avec l’extinction des éclairages décoratifs, sauf exceptions particulières, entre 22 heures et 6 heures du matin.

Le Plan de sobriété énergétique a initié d’autres efforts visant à limiter la consommation de carburant, à promouvoir le télétravail et à encourager les agents publics à adopter des pratiques de conduite plus économes en énergie. À titre illustratif, une directive émanant de la Première ministre en août incitait les fonctionnaires à limiter leur vitesse à 110 km/h sur autoroute, à moins qu’une mission d’urgence ne le justifie.

Le ministère de la Transition énergétique a également lancé une expérimentation sur le télétravail, afin d’évaluer son impact sur la consommation énergétique des bâtiments publics lors des week-ends prolongés. Les premiers résultats ont démontré des réductions significatives de consommation.

Le plan a ainsi permis d’engager la France sur une trajectoire de réduction de la consommation énergétique, tout en intégrant le concept de sobriété dans la politique de transition énergétique et écologique. La sobriété est désormais perçue comme une dimension naturelle et acceptable de cette transition.

Le rapport récent de la mission Jean Pisani-Ferry sur les incidences économiques de l’action pour le climat souligne que d’ici 2030, la transition énergétique s’appuiera principalement sur la substitution du capital aux énergies fossiles. La sobriété énergétique contribuera à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec un potentiel estimé à 15-20% de réduction. Le rapport souligne également que la sobriété n’est pas nécessairement synonyme de décroissance et peut même être source de bien-être.

c.   Un deuxième plan destiné à approfondir et pérenniser la sobriété

Suite à une annonce du Président de la République en janvier 2023, lors du Conseil de planification écologique, la ministre de la Transition énergétique a expliqué que la préparation d’un second plan de sobriété a été lancée en mars, afin de pérenniser et d’approfondir ces mesures.

L’acte II du plan de sobriété énergétique pour 2023-2024, dévoilé le 20 juin 2023, met l’accent sur la sobriété dans la durée, en particulier l’été, dans les déplacements et dans les usages numériques.

Ce nouveau plan s’appuie également sur une large concertation avec les collectivités territoriales, les corps intermédiaires, les experts, les acteurs économiques, les associations environnementales et les administrations.

La sobriété numérique reste une dimension assez négligée de la démarche de sobriété énergétique, car elle reste quelque peu opaque aux consommateurs. Il est en effet plus aisé de comprendre qu’il faut éteindre l’éclairage que de saisir les implications énergétiques des consommations numériques. Ceci est également pertinent pour les grandes organisations qui développent de nouvelles applications ou des systèmes basés sur des progiciels de gestion intégré (en anglais, Enterprise Resource Planning ou ERP), sans mesurer les impacts énergétiques correspondants.

Un autre point de frustration concerne la consommation de carburant, qui n’a pas diminué comme espéré, probablement en raison de l’accent mis sur l’électricité et le gaz pendant l’hiver. L’effort doit être renforcé car la sobriété énergétique doit contribuer à atteindre l’objectif de réduction de 30% de la consommation d’énergie finale d’ici 2030 par rapport à 2012, conformément à la directive européenne sur l’efficacité énergétique en cours de finalisation.

La question de la sobriété énergétique nécessite une perspective plus large et une réflexion approfondie. Cela implique d’examiner les co-bénéfices de la sobriété, notamment ses effets positifs sur la santé, la biodiversité, etc., pour rendre ces mesures plus attrayantes. Par exemple, abandonner la voiture pour des trajets de moins de cinq kilomètres au profit de la marche ou du vélo peut tout à la fois contribuer à limiter la consommation énergétique et améliorer la santé, en favorisant l’activité physique. De même, la réduction de l’éclairage public nocturne peut avoir un impact positif sur la biodiversité.

Un autre aspect important concerne l’écoconception des politiques publiques. En effet, chaque fois qu’une question telle que l’implantation d’un nouvel établissement scolaire se pose, il est nécessaire de réfléchir aux implications en termes de transports, de consommation énergétique, etc. Ce sujet concerne à la fois, au niveau national, le législateur et, au niveau local, les élus et collectivités.

Enfin, la mise en place d’une gouvernance locale adaptée est un autre enjeu. Ainsi, pour améliorer la sobriété des transports, il pourrait être envisagé de moduler les horaires des établissements scolaires, afin d’éviter les pics dans les transports en commun entre 8 heures et 9 heures du matin. Toutefois, cela nécessiterait un accord entre les différents acteurs impliqués, notamment les autorités locales, l’Éducation nationale, et les entreprises.

La complexité inhérente à la mise en œuvre d’une politique de sobriété énergétique réside précisément dans la nécessité de se confronter à la granularité de la réalité. À tout le moins, cela soulève la question de la gouvernance locale et de la contractualisation avec divers acteurs qui doivent être impliqués dans le processus.

Cette démarche doit conduire à une planification plus approfondie de la sobriété énergétique, qui va bien au-delà de la simple réduction de la température pour le chauffage collectif.

2.   Le précédent du Japon face à l’urgence énergétique : comment la sobriété a permis au pays de s’adapter après Fukushima

Le 11 mars 2011, le Japon a été frappé par une catastrophe naturelle majeure, qui a provoqué un désastre humain et matériel sans précédent, ainsi qu’un accident nucléaire à la centrale de Fukushima Daiichi. Face à cette situation critique, le pays a dû repenser rapidement sa stratégie énergétique et mettre en œuvre des mesures de sobriété pour faire face à la diminution drastique de sa production d’électricité d’origine nucléaire.

a.   La catastrophe de Tōhoku et ses conséquences sur l’énergie nucléaire

i.   Le tremblement de terre et le tsunami : un désastre humain et matériel

Le tremblement de terre de magnitude 9,1 et le tsunami survenus le 11 mars 2011 au Japon, également connus sous le nom de catastrophe de Tōhoku, ont notamment entraîné la mort de près de 20 000 personnes et l’effondrement complet de quelques 120 000 bâtiments, créant des centaines de milliers de sans-abris.

ii.   L’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi et la chute de la production d’électricité

Le tsunami a également endommagé les systèmes de refroidissement des réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, entraînant une fusion du cœur de trois d’entre eux.

Du 18 au 22 octobre 2011, des parlementaires de l’OPECST, membres de la mission sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, se sont rendus au Japon, pour apprécier l’incidence de l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi sur l’avenir de l’énergie nucléaire dans ce pays.

Sur place, ils ont découvert un processus accéléré d’arrêt successif des réacteurs nucléaires : « le contexte psychologique créé par l’accident de Fukushima amenait désormais les autorités locales à s’opposer au redémarrage de tout réacteur à l’arrêt. Cette interdiction de redémarrer réduit progressivement, mais inéluctablement, la production d’électricité d’origine nucléaire. Au moment de notre visite en octobre, dix réacteurs restaient ainsi en service, sur les 54 qui composent le parc nucléaire japonais. »

L’impact de l’accident de Fukushima Daiichi sur le mix énergétique japonais (production en KWh)

b.   Les réactions immédiates face à la crise énergétique

i.   Mobilisation des moyens de production classiques

Avant ces événements, le Japon dépendait de l’énergie nucléaire pour sa production d’électricité à hauteur de 25 % à 30 %. Pour compenser en partie ce manque, « les compagnies d’électricité ont mobilisé intensément les moyens de production classiques à flammes, en lançant des installations de secours, en réorganisant les calendriers de maintenance, et en utilisant sous contrat les groupes électrogènes disponibles dans certaines entreprises. »

ii.   Les campagnes de sensibilisation auprès du grand public

Mais ces moyens de production n’étaient pas à suffisants et le pays a dû rapidement mettre en place des mesures de sobriété énergétique pour limiter la consommation d’électricité afin de pallier l’insuffisance de la production.

Les autorités japonaises ont lancé une campagne d’information dans les médias pour encourager la population à adopter des comportements économes en énergie : éteindre les lumières inutiles, réduire l’utilisation de la climatisation et du chauffage, éviter les appareils électriques à forte consommation d’énergie ou encore adopter, y compris au travail, une tenue vestimentaire adaptée à la saison pour éviter d’abuser de la climatisation ou du chauffage (« Cool Biz » et « Warm Biz »).

iii.   Les mesures gouvernementales et le rôle du secteur privé

De plus, le gouvernement japonais a mis en place plusieurs mesures pour limiter la consommation d’énergie, telles que l’introduction d’objectifs chiffrés de réduction de la consommation d’électricité pour les entreprises et les administrations publiques. Le secteur privé japonais a aussi joué un rôle important dans la promotion de la sobriété énergétique : les entreprises ont appliqué des mesures comme la réduction des heures d’ouverture des magasins, la mise en place d’horaires décalés pour éviter les pics de consommation d’électricité et l’incitation à l’utilisation des escaliers plutôt que des ascenseurs.

iv.   Les changements de comportement et les motivations des consommateurs

Les parlementaires témoignent qu’après quelques mois, « les préoccupations relatives à la disponibilité en électricité paraissent bien ancrées dans la vie quotidienne, puisque nous avons pu constater que les couloirs des bâtiments administratifs sont délibérément sombres, que les bureaux sont éclairés surtout par des lampes individuelles. Dans les rues de Tokyo, les magasins réduisent l’illumination de leur vitrine et de leurs enseignes, au point que certains d’entre eux rappellent par des panneaux qu’ils demeurent bien ouverts. »

Une étude publiée en 2016[48] explicite les motivations des différentes catégories de consommateurs. Dans un premier temps, elles étaient surtout d’ordre civique. Dans un second temps, avec l’augmentation des prix de l’électricité, l’incitation économique à économiser l’électricité a pris la première place.

c.   Les résultats de la sobriété énergétique au Japon

i.   Réduction significative de la consommation d’énergie

La mise en œuvre de la sobriété énergétique au Japon dans les mois qui ont suivi l’accident de Fukushima a permis de répondre aux problèmes d’approvisionnement électrique résultant de l’arrêt quasi complet du parc nucléaire (une seule centrale nucléaire n’a pas été durablement arrêtée). Grâce aux campagnes de sensibilisation, aux mesures gouvernementales et aux initiatives du secteur privé, mais aussi aux mesures d’efficacité énergétique, le pays a réussi à réduire significativement sa consommation d’énergie, à hauteur de 10 à 15 % en moyenne.

ii.   Prise de conscience et impact sur la consommation au Japon

Ces efforts ont également entraîné un changement de mentalité et une prise de conscience accrue de l’importance de la sobriété énergétique pour préserver les ressources et l’environnement. Ainsi, la mode du « Cool Biz » et du « Warm Biz » persiste plus de vingt ans après son lancement et elle est relayée dans les campagnes publicitaires du secteur de l’habillement. Le succès du « Cool Biz » est tel qu’il donne lieu chaque année à une campagne de promotion commerciale des mois de mai à septembre.

iii.   Le relâchement des efforts des grandes entreprises

A contrario, les grandes entreprises qui ont initialement le plus contribué aux économies d’énergie, avec une baisse de leur consommation de plus de 25 % en 2011 puis de 15 % jusqu’en 2014, n’ont pu maintenir cet effort sur la durée, les mesures prises, telles que le décalage des horaires d’activité pendant des périodes creuses, s’avérant trop contraignantes.

En définitive, la réduction de la consommation d’énergie globale s’est avérée être une stratégie réussie, avec des effets durables pour faire face aux pénuries.

3.   En Allemagne : une présence discrète du concept de sobriété mais de nombreuses initiatives

Les rapporteurs ont interrogé l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE) sur les enjeux de la sobriété énergétique en Allemagne, en particulier en lien avec la recherche et l’innovation. Créé en 2006 par les gouvernements allemand et français, l’OFATE a pour mission principale d’établir une plateforme d’échange d’informations et de créer un réseau d’échanges à destination des acteurs publics et privés de la transition énergétique. En réponse à la demande de l’Office, l’OFATE a élaboré un document de synthèse annexé au présent rapport qui a été présenté aux rapporteurs à l’occasion d’une audition.

Sven Rösner, directeur de l’OFATE, a souligné l’existence de différences notables entre l’Allemagne et la France dans la façon d’aborder la question de la sobriété. Par exemple, en Allemagne, le sujet de la sobriété est quasiment absent du débat public, tout comme l’est celui de la précarité énergétique, alors même qu’avant la récente hausse des prix, le prix de l’électricité était deux fois plus élevé en Allemagne qu’en France. Ces sujets restent confinés à des débats entre spécialistes.

a.   Éléments de définition de la sobriété en Allemagne

En Allemagne, trois stratégies de durabilité destinées à atteindre les objectifs climatiques et énergétiques sont fréquemment évoquées dans les débats scientifiques et politiques : l’efficacité énergétique, la consistance et la sobriété.

Comme en France, l’efficacité énergétique recouvre l’ensemble des solutions techniques qui visent à réduire la consommation énergétique d’un système pour un produit ou un service rendu identique.

La consistance, notion absente des débats en France, consiste à employer des matières premières alternatives et des technologies respectueuses de l’environnement. Elle correspond, par exemple, à l’emploi des énergies renouvelables.

La sobriété (en allemand, Suffizienz) a commencé à s’inviter dans les débats, initialement surtout scientifiques, au début des années 1990. Il existe de multiples définitions de la sobriété énergétique en Allemagne, mais avec des éléments communs : elles mettent toutes l’accent sur la réduction de la consommation d’énergie, de ressources ou d’espace fonciers, grâce à des changements d’ordre économique, politique ou individuel.

b.   La place de la sobriété dans la stratégie énergétique gouvernementale

Il n’existe pas, en Allemagne, de politique de sobriété équivalente au plan de sobriété français. Dans le Plan national énergie-climat allemand (Integrierter Nationaler Energie und Klimaplan), remis à la Commission européenne en 2021, la sobriété n’est mentionnée qu’à une seule reprise, au contraire de l’efficacité énergétique. Par contre, ce document comporte des mesures qui s’inscrivent dans une logique de sobriété, notamment dans le domaine de l’alimentation, de l’élevage, des transports et de la réforme du code de la route.

De fait, la stratégie gouvernementale allemande met surtout en avant l’efficacité énergétique. La sobriété est rarement mentionnée, même si la réalisation de gestes d’économie d’énergie est encouragée. Ainsi, en 2022 dans le contexte de l’agression russe en Ukraine, le gouvernement a lancé une campagne de sensibilisation intitulée : « 80 millions d’habitants mobilisés pour le changement énergétique » qui encourage essentiellement des mesures de sobriété de court terme, en particulier dans le secteur des bâtiments. Le ton de cette campagne est plus humoristique et incitatif que grave et contraignant.

Source : OFATE

c.   La recherche publique et privée sur la sobriété

La sobriété fait partie des thématiques de plusieurs programmes de recherche, notamment le septième programme de recherche pour l’énergie du gouvernement (7. Energieforschungsprogramm) qui fixe les lignes directrices et les priorités de la politique de promotion des technologies innovantes en matière d’énergie. Dans ce cadre, un appel à projets sur le thème « transition énergétique et société » est destiné à faciliter les recherches sur les mesures de sobriété énergétique et l’atténuation des effets rebonds liés aux mesures d’efficacité et de sobriété énergétique.

D’autres projets de recherche s’intéressent à un niveau plus local, par exemple à l’intégration de la sobriété dans les politiques communales ou à l’apport de la sobriété pour la transformation durable des villes.

Dans le cadre de l’initiative nationale pour la protection du climat (Nationale Klimaschutzinitiative), le gouvernement fédéral soutient des projets diversifiés. Certains concernent la sobriété, en particulier au sein du « Plan directeur 100 % protection du climat » (Masterplan 100 % Klimaschutz) qui apporte un soutien à une quarantaine de municipalités.

Par ailleurs, la Fédération pour l’environnement et la protection de la nature en Allemagne (Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland ou BUND), organisation non gouvernementale, travaille à l’intégration de la sobriété dans les politiques communales[49]. De même, le projet SuPraStadt[50] achevé en 2022 et porté par plusieurs instituts de recherche, explore le potentiel de la sobriété pour la transformation durable des villes. Le ministère fédéral de la Recherche et de l’Éducation porte également des initiatives, projets et publications sur la sobriété.

Au moins une dizaine d’instituts et programmes de recherche, pour la plupart indépendants, ont également engagé des travaux sur la sobriété. De fait, une enquête menée en 2020[51] par le ministère fédéral de l’Économie et de la Protection du Climat (Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz) a montré que les thématiques « résilience du système énergétique » et « sobriété dans la transition énergétique » étaient jugées très pertinentes par les membres des réseaux de recherche sur l’énergie (Forschungsnetzwerk).

Enfin, en avril 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine, plus de quarante scientifiques allemands ont lancé un appel[52] demandant au gouvernement de formuler une stratégie pour encourager la sobriété énergétique.

d.   Des applications concrètes

D’après les travaux du Wuppertal Institut, l’économie d’électricité dans le secteur résidentiel pourrait aller jusqu’à 77 % si le potentiel d’efficacité et de sobriété énergétiques était entièrement exploité. Pour l’institut, les politiques menées à l’échelon communal sont particulièrement importantes pour y parvenir. L’institut maintient une base de données recensant les mesures de sobriété envisageables.

i.   La sobriété dans le secteur des bâtiments

Pour la sobriété dans les bâtiments, des mesures de court terme, comme la baisse de température du chauffage, ou de long terme, telles que la réduction de la surface par habitant, sont envisageables. Dans ce domaine, l’Allemagne a lancé en 2008 le programme « Stromspar Check » destiné à encourager des comportements sobres par une meilleure connaissance des consommations individuelles d’électricité.

Par ailleurs, le projet de recherche « Opti-Wohnen » (habitat optimisé), l’un des douze projets transdisciplinaires de l’initiative « quartiers urbains efficaces en ressources », porte sur l’accroissement de la surface moyenne par habitant, qui est passée de 35 m2 en 1980 à 47 m2 en 2019. D’après les organisateurs du projet, il serait nécessaire de prodiguer des informations et des conseils sur un habitat plus sobre.

Certains projets d’aménagement de nouveaux quartiers intègrent des formes de logements modulables, comme dans le nouveau quartier Schumacher à Berlin. De même, dans l’une de ses études l’Öko-Institut propose le développement d’habitats collectifs et intergénérationnels, comportant des espaces partagés : salons, cuisines, etc.

ii.   La sobriété dans les transports

Pour les transports également, les mesures de sobriété de court terme, comme la limitation de vitesse sur routes ou des journées sans voiture, peuvent être mises en œuvre parallèlement à des mesures de long terme, comme le renforcement de l’offre de transports collectifs.

Par exemple, la politique de « la ville des chemins courts », appliquée à Leipzig et Hambourg, vise à diminuer les distances entre domicile, lieu de travail, commerces et services. Elle repose sur la densification urbaine qui permet de rendre les habitants moins dépendants de la voiture.

Elle peut également inclure une réorganisation de la logistique urbaine, par la création de centres logistiques au sein de la ville qui évitent les trajets superflus. La ville d’Hambourg a engagé plusieurs initiatives dans ce domaine, afin de répondre au « défi du dernier kilomètre ».

Par ailleurs, afin d’encourager une transformation des usages, le gouvernement fédéral a réintroduit le 1er mars 2023 un ticket au tarif réduit de 49 euros permettant d’emprunter l’ensemble des moyens de transports régionaux, hors trains à grande vitesse.

iii.   La sobriété dans l’agriculture et l’alimentation

Dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation, des mesures de court terme, comme la réduction de la consommation de viande et du gaspillage alimentaire, peuvent coexister avec des mesures de long terme, comme la sensibilisation à une alimentation plus durable, le développement d’une offre alimentaire plus végétale ou d’une agriculture moins gourmande en engrais minéraux.

iv.   La sobriété dans l’industrie

Pour l’industrie aussi, des mesures de court terme, comme la formation des employés aux problématiques énergétiques, peuvent être complétées par des mesures de long terme, comme la production de biens plus durables et réparables ou la réduction des emballages.

4.   Dans les pays nordiques : un retour à la sobriété, malgré l’abondance énergétique

Les rapporteurs ont sollicité le Service économique régional de Stockholm pour obtenir un éclairage sur la façon dont la sobriété énergétique contribue, en particulier en matière de recherche et d’innovation, à la transition énergétique dans les pays nordiques : Danemark, Islande, Norvège et Suède. Le Service économique régional a produit une note détaillée annexée au présent rapport.

a.   L’évolution du débat sur la sobriété énergétique dans les pays nordiques

Les pays nordiques ont historiquement bénéficié d’énergies bas carbone peu coûteuses et abondantes, ainsi que de capacités de production d’hydrocarbures. En conséquence, par rapport aux autres États membres de l’Union européenne, le concept de sobriété énergétique a été moins présent dans les débats publics sur la transition énergétique au cours des trois dernières décennies. Depuis la fin des années 2010, les avancées de la transition énergétique ont en fait conduit dans ces pays à un effacement du débat sur la sobriété énergétique.

Les énergies fossiles ayant presque disparu des secteurs du bâtiment et de la production d’électricité, encourager la sobriété énergétique dans les pays nordiques est moins pertinent qu’ailleurs, d’autant que les coûts de l’énergie y sont faibles. Le secteur des transports pourrait être concerné, mais avec une part importante de véhicules électriques et de biodiesel, la transition bas carbone est également très avancée. Aussi, la sobriété énergétique n’est pas mise en avant dans les débats nationaux sur la transition énergétique.

Toutefois, le sujet de la sobriété énergétique est récemment réapparu dans le débat public, principalement en vue de renforcer la résilience du système énergétique national face aux crises, de réduire les prix de gros de l’électricité et de contribuer à l’effort de solidarité européenne.

Contrairement à la France, la Suède n’a pas adopté de plan d’économies d’énergie, ni d’objectif chiffré de réduction de sa consommation énergétique totale. La stratégie suédoise, basée sur le marché, permet au pays de diminuer rapidement la demande sans avoir besoin d’introduire d’objectifs nationaux ou de mesures contraignantes.

Cependant, le gouvernement suédois encourage la population et les entreprises à limiter volontairement leur consommation électrique suite à l’arrêt temporaire de réacteurs nucléaires et lance une campagne d’information, en vertu d’une nouvelle directive européenne.

La Finlande et le Danemark ont également lancé des campagnes d’information, tandis qu’en Norvège aucune décision majeure n’a été prise en matière de sobriété énergétique, bien que certains gestionnaires aient annoncé des réductions volontaires de température pour diminuer leurs coûts d’électricité.

b.   L’innovation technologique au service de l’efficacité énergétique et de la sobriété

Les pays nordiques sont à la pointe du développement technologique en matière de pompes à chaleur, avec un taux d’équipement des habitations individuelles de l’ordres de 60 % en Suède et en Norvège.

Ils innovent également dans la construction de grandes pompes à chaleur industrielles, destinée à récupérer la chaleur des eaux grises et à alimenter les réseaux urbains de chaleur, comme dans l’écoquartier Hammarby Sjöstad de Stockholm. Des systèmes similaires ont été installés à Göteborg et dans l’éco-quartier nouveau de Norra Djurgården.

Par ailleurs, l’industrie nordique a réduit considérablement sa consommation d’énergies fossiles grâce à l’utilisation comme source d’énergie de la liqueur noire, un résidu de la production de pâte à papier. L’AIE a mis en avant cette avancée majeure pour la sobriété énergétique dans la région.

Le groupe français Schneider Electric développe des solutions pour aider les entreprises et les collectivités locales à limiter leur consommation énergétique dans la zone nordique. Le bureau Énergie de Schneider à Stockholm permet de contrôler à distance la consommation énergétique de bâtiments situés à des milliers de kilomètres, grâce à des thermostats et à des capteurs placés sur les fenêtres.

Enfin, la digitalisation avancée des sociétés nordiques favorise la sobriété énergétique. Par exemple, presque tous les nouveaux modèles de pompes à chaleur géothermiques sont connectés à internet, permettant aux utilisateurs d’activer une fonction pour que la pompe fonctionne uniquement durant les heures où le prix horaire de l’électricité est le moins cher à la bourse nordique de l’électricité, Nord Pool. Cette facilité permet de réaliser des économies, de contribuer à l’équilibre du réseau électrique et de réduire le recours aux centrales d’appoint à énergies fossiles.

c.   Une recherche axée sur l’efficacité énergétique plutôt que la sobriété

Si les pays nordiques se distinguent par leurs nombreux travaux de recherche sur l’efficacité énergétique, il n’existe pratiquement pas de travaux centrés sur le concept de sobriété énergétique.

L’Agence suédoise de l’énergie STEM cofinance plusieurs programmes de recherche nationaux sur l’efficacité énergétique, dont le programme « design pour un quotidien efficient sur le plan énergétique », géré par la Fondation du design industriel suédois, SVID.

D’autres programmes sont soutenus par STEM, comme le programme MESAM pour l’efficacité énergétique dans les transports, et le programme E2B2 pour l’efficacité énergétique dans le secteur du logement. Des travaux de recherche sont également menés dans les universités et instituts de recherche suédois.

En Norvège, la plateforme nationale Energi21 traite des sujets liés à la digitalisation des systèmes énergétiques et son impact sur l’efficacité énergétique. Plusieurs autres instituts de recherche norvégiens réalisent également des travaux de recherche dans ce domaine.

En Finlande, la recherche publique en matière d’efficacité énergétique est financée par Business Finland et menée par le centre de recherche technique de Finlande (VTT), des entreprises et différentes universités.

Au Danemark, les instituts de recherche DCE, Elforsk et Green Labs DK mènent des travaux de recherche liés à l’efficacité énergétique. Le Copenhagen Center on Energy Efficiency C2E2, établi en 2013, réalise également des études sur ce thème, mais avec une approche internationale.


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   SECONDE PARTIE –
Les enjeux d’innovation et de recherche

I.   Une recherche à développer

1.   L’émergence du concept de sobriété dans le monde académique

L’émergence du concept de sobriété dans le monde académique est relativement récente. Initialement introduit au début des années 1990 par l’économiste allemand Wolfgang Sachs, ce concept a gagné en popularité grâce au professeur de politique environnementale américain Thomas Princen, après la publication en 2005 de son ouvrage The Logic of Sufficiency.

Les travaux sur ce champ de recherche n’ont connu qu’une croissance très progressive. Comme l’illustre le graphique suivant issu de l’unique revue systématique réalisée à ce jour sur cette thématique de recherche, une accélération notable des travaux académiques sur ce sujet n’a été observée qu’à partir des années 2010. La prise en compte du concept de sobriété dans le sixième rapport du GIEC pourrait entraîner, dans les années à venir, une multiplication des travaux de recherche sur ce sujet au niveau international.

Nombre de publications par année[53]

2.   La position de la France dans la recherche sur la sobriété énergétique

À cet égard, la recherche française se trouve dans une position privilégiée pour contribuer à l’approfondissement de ce champ de recherche, compte tenu de l’investissement de nos chercheurs dans les travaux exploratoires entrepris depuis une vingtaine années.

Ce sont très largement leurs travaux, souvent entrepris en lien avec ceux, plus opérationnels, menés par des associations telles que l’association négaWatt ou Virage Énergies ou dans le cadre de financements par des opérateurs publics, tels que l’ADEME ou RTE, qui ont permis à la France d’être en pointe dans la mise en œuvre des politiques de sobriété en Europe[54] et dans le monde.

Sur ce plan, Yamina Saheb a souligné le réel besoin de développer les recherches sur la sobriété. En témoignage la nécessité d’engager, pour la préparation du volet sobriété du sixième rapport du GIEC, des recherches spécifiques, alors que le groupe d’experts a pour principe de s’appuyer sur les travaux de recherche existants.

En particulier, elle juge indispensable d’étendre à l’échelle de l’Europe, voire du monde entier, les travaux de modélisation sur des scénarios de sobriété réalisés en France. Elle estime aussi qu’il existe un manque dans les recherches sur les mesures de sobriété et les impacts réels de celles-ci.

De son côté, Bruno Villalba a regretté qu’un trop faible nombre de chercheurs en sciences sociales s’investissent sur les sujets de sobriété, en particulier énergétique, en raison du stigmate attaché à tort à cette notion, trop souvent associée aux ravages de la précarité énergétique.

3.   La recherche sur la sobriété : une diversité de disciplines impliquées

Ainsi que le précise la revue systématique précitée, les articles scientifiques consacrés à la sobriété « couvrent un large éventail de domaines académiques »[55], qui relèvent pour l’essentiel des sciences humaines et sociales (SHS).

Valérie Guillard a confirmé le rôle de premier plan des sciences humaines et sociales dans l’étude de la sobriété, par exemple pour mieux comprendre l’interaction entre l’individu et son territoire, au travers des objets, ou les questions liées à la justice sociale, comme : Comment les groupes sociaux peuvent il prendre part au discours sur la sobriété ? Ou Comment revenir à une solidarité par l’objet ?

L’un des principaux aspects de la sobriété qui nécessite une approche scientifique approfondie concerne l’interaction complexe entre les comportements individuels, les normes sociétales, les changements technologiques et les initiatives politiques. Les aspects comportementaux et sociétaux de la sobriété en font un domaine de recherche unique, nécessitant des études interdisciplinaires qui combinent notamment la sociologie, la psychologie, l’économie et les sciences politiques.

Ainsi, pour concevoir des stratégies de réduction volontaire de la consommation des ménages, la recherche scientifique permet de comprendre les modèles de consommation sous-jacents, leurs influences sociétales et les impacts potentiels des différentes stratégies d’intervention. Cette recherche pourrait impliquer le développement et l’application de modèles et de simulations sophistiqués, des enquêtes et des études de cas approfondies, ou l’utilisation innovante des technologies de big data et d’intelligence artificielle.

En outre, étant donné la nouveauté du concept, il existe un besoin important d’études empiriques examinant l’efficacité concrète des mesures de sobriété. De telles études pourraient fournir des données pour affiner les modèles théoriques, éclairer l’élaboration des politiques et orienter les futurs efforts de recherche, à l’image de l’étude IPSOS – RTE sur les mécanismes de décision des Français en matière de consommation énergétique publiée en mai 2023.

a.   Le rôle de la sociologie dans la compréhension de la sobriété

La recherche en sociologie joue un rôle de premier plan dans la compréhension de la sobriété en analysant les comportements, les attitudes et les valeurs sociales qui influencent les habitudes de consommation.

Elle peut également aider à identifier les obstacles ou facilitateurs, tels que les normes sociales ou les co-bénéfices, qui peuvent freiner ou encourager la transition vers des comportements plus sobres. Par ailleurs, elle peut évaluer l’impact des programmes de sensibilisation ou des incitations économiques sur le comportement des consommateurs et fournir des indications sur la manière dont ces dernières peuvent être rendues plus efficaces.

De plus, la sociologie donne une perspective critique sur les discours et les pratiques entourant la sobriété énergétique. Elle peut également mettre en évidence les inégalités et les tensions sociales qui peuvent se manifester, comme la répartition inégale des avantages et des coûts de la sobriété entre différents groupes sociaux.

b.   Économie et sobriété : décryptage des mécanismes de marché et des politiques publiques

Dans le domaine de la sobriété, la recherche en économie s’avère essentielle pour développer des politiques et des incitations économiques efficaces destinées à promouvoir des comportements de consommation plus sobres.

La recherche économique permet aussi de quantifier les coûts et avantages des différentes approches de la sobriété. Elle peut aider à identifier et à évaluer l’efficacité des mécanismes de marché et des politiques publiques visant à promouvoir la sobriété. Par exemple, la recherche peut aider à déterminer si des mesures incitatives, comme une tarification progressive de l’énergie, sont susceptibles d’encourager les ménages à réduire leur consommation. Le signal prix est à évaluer.

De plus, l’économie comportementale permet d’appréhender la manière dont les individus prennent des décisions en matière de consommation. Enfin, la recherche économique peut aider à identifier les inégalités susceptibles de freiner la transition vers une société plus sobre.

c.   La contribution de la psychologie à la recherche sur la sobriété

Les apports de la psychologie à l’étude de la sobriété sont multiples. Elle peut fournir un éclairage sur les comportements individuels en matière de consommation et aider à comprendre les motivations sous-jacentes, les croyances, les attitudes ou les habitudes qui conduisent à une consommation excessive.

Un autre aspect de la recherche en psychologie sur la sobriété concerne les mécanismes cognitifs et affectifs qui sous-tendent les comportements. Les chercheurs peuvent, par exemple, étudier comment les individus perçoivent et évaluent l’utilisation de l’énergie, quels facteurs influencent leur volonté et leur capacité à réduire leur consommation énergétique, et comment ces processus peuvent être influencés pour favoriser des comportements plus sobres.

Ainsi, les interventions comportementales, telles que le nudge (ou « coup de pouce ») visent à modifier les actions, par exemple pour encourager la sobriété, en altérant subtilement l’environnement de décision des individus. Le nudge peut utiliser diverses techniques, comme les signaux visuels, les rappels ou les messages personnalisés, pour influencer les comportements, sans restreindre la liberté de choix.

Les études sur le nudge ont montré qu’il peut être utilisé pour réduire la consommation d’énergie, par exemple en encourageant à éteindre les lumières, à réduire la consommation en veille des appareils électroniques, ou à choisir des options de transport plus économes en énergie[56].

d.   Le prisme des sciences politiques sur la sobriété

Les chercheurs en sciences politiques peuvent apporter une contribution à la compréhension des dynamiques de pouvoir, des institutions et des politiques publiques qui peuvent façonner les transitions vers une société plus sobre.

En particulier, les sciences politiques mettent l’accent sur la gouvernance et le rôle des institutions nationales et locales dans la sobriété. Celles-ci sont des acteurs clés dans la mise en œuvre de la sobriété énergétique au travers d’instruments de politique publique tels que la réglementation, la fiscalité, les subventions, ou les incitations pour encourager une consommation plus sobre.

En outre, les sciences politiques proposent des outils pour étudier les dynamiques de pouvoir qui façonnent la sobriété. Les transitions impliquent inévitablement des changements dans la distribution des ressources et du pouvoir, qui peuvent entraîner des conflits et des résistances. Les chercheurs en sciences politiques aident à comprendre ces dynamiques et à trouver des moyens de les gérer[57].

4.   Le rôle de la science dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de sobriété

Les politiques de sobriété peuvent influer sur les modes de consommation d’une société. Mais pour concevoir des politiques efficaces, encore faut-il comprendre les facteurs complexes et interdépendants en jeu. Dans ce domaine, la recherche scientifique peut apporter un appui.

Tout d’abord, la science peut fournir une base pour identifier les politiques les plus efficaces[58]. La complexité des systèmes énergétiques et des comportements humains implique que ce qui fonctionne dans un contexte peut ne pas fonctionner dans un autre. La recherche peut non seulement aider à identifier les mesures politiques prometteuses, mais aussi à comprendre comment elles peuvent interagir avec les structures et les normes existantes, et à anticiper les écueils potentiels.

Ensuite, la recherche scientifique peut contribuer au processus d’élaboration des politiques en fournissant des observations robustes. Les décisions politiques fondées sur des résultats empiriques sont susceptibles d’être plus efficientes. En outre, l’élaboration de politiques fondées sur des données fiables peut également conduire à accroître la transparence et contribuer ainsi à une plus grande adhésion du public.

La recherche peut également jouer un rôle essentiel dans l’évaluation de l’efficacité des politiques de sobriété et l’intégration de critères de sobriété dans l’élaboration de ces dernières. Pour s’assurer que ces politiques atteignent les résultats escomptés, il est essentiel d’inclure des critères de sobriété dans les études d’impact législatives et de procéder à un suivi et à une évaluation continue. Les décideurs politiques peuvent ainsi bénéficier d’un retour d’information qui leur permet d’affiner les politiques au fil du temps.

En outre, la recherche peut aider à identifier les impacts sociaux et économiques des politiques de sobriété énergétique. Par exemple, comment ces politiques affectent-elles les différents segments de la société ? Ont-elles des répercussions sur l’équité sociale ou la compétitivité économique ? Il est essentiel de comprendre ces impacts globaux pour élaborer des politiques qui soient non seulement efficientes, mais aussi robustes sur les plans social et économique.

La recherche scientifique peut aussi favoriser l’innovation dans l’élaboration des politiques. La sobriété étant un concept relativement nouveau et évolutif, elle nécessite d’adopter des démarches novatrices. En explorant de nouvelles idées, en testant différentes approches et en tirant les leçons des succès et des échecs, la recherche peut contribuer à l’adaptation constante des politiques de sobriété. À cet égard, l’évaluation des politiques menées au niveau local et régional devrait être une priorité, les collectivités locales étant un acteur clé de la sobriété énergétique.

Enfin, la recherche scientifique peut guider les innovations économiques. En élaborant des principes et cahiers des charges, la recherche permet d’identifier les bonnes pratiques de développement des produits et services par les innovateurs. Le tout contribuerait à la transition écologique de l’économie vers davantage de sobriété.

Le projet FULFILL, financé par l’Union européenne, s’inscrit pleinement dans cette démarche. Il vise à informer les décideurs européens sur les politiques de sobriété. Après avoir posé les bases théoriques et conceptuelles du processus de recherche, ce projet de recherche étudiera les modes de vie sobres dans six pays européens en faisant usage de diverses méthodes quantitatives et qualitatives.

Il étudiera ensuite l’impact de l’évolution des modes de vie et de consommation sur le climat, l’économie et la société au niveau européen. La dernière étape du projet portera sur l’élaboration de recommandations robustes en matière de politiques de sobriété et sur la préparation de leur transfert dans la sphère politique.

II.   Des innovations technologiques à accélérer

Dans le domaine de l’énergie, l’innovation est le plus souvent associée à l’efficacité énergétique, qui implique la création de nouveaux produits ou services moins consommateurs en énergie, ou au développement de nouvelles solutions de production, de transport ou de stockage de l’énergie, telles que les éoliennes en mer flottantes, les cellules photovoltaïques en couche mince, les petits réacteurs nucléaires modulaires (en anglais, small modular reactor ou SMR), etc.

Toutefois, les rapporteurs ont constaté que l’innovation technologique peut aussi constituer un levier puissant pour faciliter et accompagner les démarches de sobriété dans des secteurs aussi variés que les bâtiments, les transports, l’industrie ou le numérique.

1.   L’innovation pour la sobriété dans le bâtiment : l’apport crucial de la gestion active de l’énergie

Dès 2014, l’Office parlementaire avait attiré l’attention, dans un rapport consacré aux « freins réglementaires à l’innovation en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment »[59], sur les solutions de gestion active de l’énergie dans les bâtiments, aussi bien en construction neuve qu’en rénovation.

La gestion active de l’énergie se caractérise par l’intégration d’un ensemble de capteurs permettant une régulation fine des apports en énergie dans chaque pièce, en fonction de leur utilisation par les occupants. Cette régulation est opérée automatiquement à partir de capteurs de présence, de systèmes de commande par intelligence artificielle, mais aussi par le biais de mécanismes d’information qui orientent les comportements des utilisateurs du bâtiment.

D’après le rapport susmentionné, la réduction de consommation pourrait atteindre jusqu’à 40 % en moyenne pour les systèmes les plus élaborés, capables de gérer de façon fine les besoins et de réguler, en fonction de l’évolution de ces derniers, les apports en énergie.

a.   La gestion active de l’énergie dans les entreprises et le décret BACS

Dans les entreprises, la gestion active de l’énergie se fonde sur un cœur technologique appelé gestion technique du bâtiment (GTB). Le décret du 20 juillet 2020 dit BACS (pour Building Automation and Control Systems), impose de mettre en place un système d’automatisation et de contrôle d’ici le 1er janvier 2025 dans tous les bâtiments tertiaires non résidentiels pour lesquels le système de chauffage ou de climatisation, combiné ou non à un système de ventilation, a une puissance nominale supérieure à 290 kilowatts, et d’ici le 1er janvier 2027 pour les installations d’une puissance nominale supérieure à 70 kilowatts.

Une dizaine d’années après la publication du rapport de l’OPECST, ce décret satisfait en partie l’une de ses préconisations : instaurer ces systèmes « dans les immeubles de plus de 1 000 m2 ». En pratique, les dispositions actuelles ne couvrent cependant pas suffisamment le parc des bâtiments publics.

b.   La gestion active pour les particuliers et son impact

Pour les particuliers, un dispositif simple, permettant de visualiser leur usage de l’électricité en temps réel et de suivre a posteriori les différents postes de consommation peut conduire, comme l’a indiqué Laurent Bernard sur la base de données collectées en utilisation réelle, à une réduction substantielle de la demande, de près de 20 %, sous réserve d’une motivation suffisante des utilisateurs.

Par exemple, un tel équipement peut permettre d’identifier en temps réel les consommations liées à la mise en veille de certains appareils ou au mauvais entretien d’un congélateur, qui ont un impact non négligeable. Même un outil aux fonctionnalités et au coût limités peut donc constituer un instrument efficace d’assistance à la sobriété.

De ce fait, il serait pertinent d’inciter les particuliers à s’équiper plus largement de dispositifs de gestion active de l’énergie, sans toutefois imposer d’obligation, puisque leur efficacité, comme pour toute démarche de sobriété, dépend de la motivation de leurs utilisateurs à limiter volontairement leur consommation.

c.   Électrification des usages : implications pour la gestion active de l’énergie

Avec l’électrification croissante des usages, prévue par les scénarios de RTE, cet investissement deviendra de plus en plus facile à rentabiliser. En particulier, le développement des pompes à chaleur réversibles, s’il permet de baisser drastiquement la dépense énergétique en hiver, incitera aussi à climatiser en été, ce qui renforcera l’intérêt d’un suivi détaillé de la consommation. De plus, avec le développement de l’autoconsommation, la gestion active de l’énergie pourrait en maximiser le bénéfice, en permettant de mieux synchroniser production et consommation.

En particulier, les dispositifs de gestion active de l’énergie devraient être conseillés en accompagnement des opérations de rénovation énergétique des bâtiments, pour mieux en évaluer les résultats réels en termes de réduction de la consommation d’énergie et limiter l’effet rebond qui pourrait être à l’origine d’une érosion relativement rapide des gains énergétiques constatés après travaux, comme le met en évidence une étude de l’Université de Cambridge[60] publiée en 2023.

2.   Les innovations dans les transports

En France, le secteur des transports est à l’origine de 31 % des émissions de gaz à effet de serre, devant celles de l’agriculture, des bâtiments ou de l’industrie manufacturière.

Plus de 90 % de l’énergie consommée, tous moyens de transport confondus, provient des produits pétroliers, le reste provenant des énergies renouvelables, notamment sous forme de biocarburants incorporés à l’essence ou au gasoil, alors que l’électricité ne représente encore que quelques pourcents.

Près de 70 % des émissions liées aux transports sont le fait des véhicules produits par l’industrie automobile, qu’il s’agisse de voitures de tourisme – lesquelles génèrent à elles seules plus de la moitié des émissions du secteur – ou d’utilitaires légers.

Source : ministère de la Transition écologique[61]

Les principaux leviers actionnés pour faire baisser ces émissions sont l’efficacité énergétique des véhicules et la réduction de l’intensité carbone des vecteurs énergétiques utilisés pour les transports, avec l’utilisation des biocarburants ou l’électrification.

Depuis les années 1960, les émissions de CO2 des transports ont été multipliées par quatre, malgré un accroissement de 37 % de l’efficacité énergétique des véhicules et une réduction de 10 % de l’intensité carbone de l’énergie.

Ces gains ont été effacés par l’utilisation croissante de la voiture par rapport aux autres modes de transport, une baisse des taux de remplissage des véhicules et surtout l’augmentation de la demande globale de transport, qui est le produit de la croissance démographique et celle de la demande de transport par personne. Les efforts réalisés pour améliorer la technologie n’ont donc pas pu compenser les évolutions relevant de l’organisation de la société, des usages et des pratiques.

Sur le périmètre des véhicules automobiles, entre 1990 et 2016, l’augmentation des émissions de CO2 a été de 6 %, les gains de 21 % sur l’efficacité énergétique et de 4 % sur l’intensité carbone des véhicules ayant été plus que compensés par l’augmentation de 22 % de la mobilité et la baisse de 14 % du taux de remplissage des véhicules.

a.   L’apport essentiel de la sobriété

Comme l’a souligné durant son audition Jacques Portalier, chef de projet industrie automobile au Shift Project, ces données montrent que l’action sur les leviers technologiques que sont l’efficacité énergétique et l’intensité carbone doit être complétée par une action relevant pour l’essentiel de la sobriété individuelle ou collective sur la demande de mobilité, la répartition modale – c’est-à-dire le choix des modes de transport les moins carbonés et les plus adaptés aux déplacements – et le taux d’occupation des véhicules.

Interroger la demande de mobilité, afin de réduire le nombre de kilomètres parcourus, conduit à s’interroger sur la façon dont la sobriété est prise en compte dans l’aménagement du territoire, le choix du type d’urbanisme, l’évolution des aspirations sociales à se déplacer moins loin ou moins fréquemment, les pratiques de consommation et de production locales, avec des emplois eux aussi locaux.

De manière transverse, la question des parts modales concerne également la sobriété. Elle consiste à choisir les modes de transport les moins émetteurs et les moins consommateurs en énergie. Elle ne dépend pas non plus uniquement des choix individuels, mais aussi de l’organisation de la société, avec des infrastructures conçues pour l’automobile, qui devraient évoluer pour permettre un usage sûr et fluide d’autres modes de transport, en particulier du vélo.

Le taux d’occupation des véhicules touche également à la sobriété, avec des solutions telles que le covoiturage ou l’optimisation du chargement des marchandises.

Le développement du covoiturage à courte distance

Le développement des services de covoiturage à courte distance (trajets dont la distance réalisée en France est inférieure ou égale à 80 kilomètres) représente une opportunité pour optimiser l’utilisation des véhicules et réduire l’empreinte environnementale du transport routier.

Contrairement aux services de covoiturage à longue distance, déjà bien établis, les services de covoiturage à courte distance ciblent principalement les trajets quotidiens, tels que les déplacements domicile-travail, les courses et les activités de loisirs. Le covoiturage à courte distance présente plusieurs bénéfices : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, des coûts de transport, des besoins en places de stationnement et de la congestion routière, surtout dans les zones urbaines où la densité de la population est élevée.

Plusieurs entreprises de covoiturage proposent déjà des plateformes conviviales permettant aux utilisateurs de trouver et de partager facilement de courts trajets. L’audition de Philippe Macé, fondateur de l’une de ces plateformes, a mis en évidence l’importance pour le développement de ces services du soutien des pouvoirs publics, notamment des collectivités locales. L’État a ainsi mis en place une prime de 100 euros versée aux conducteurs pour les inciter à utiliser ce type de services. De plus, l’État complète les aides financières versées par les collectivités locales qui soutiennent cette pratique sur la base du principe d’un euro de l’État pour un euro versé par la collectivité. Mais d’autres modalités de soutien sont envisageables, comme la création de voies réservées au covoiturage ou de zones de stationnement spécifiques à proximité des gares.

Le choix de véhicules exigeant moins d’énergie pour se déplacer, la modération dans la vitesse, l’éco-conduite, la modération dans l’utilisation de la climatisation sont autant de décisions qui dépendent également de choix fondamentaux en matière de sobriété.

b.   L’évolution des véhicules individuels

Depuis les années 1990, notamment pour satisfaire des obligations de sécurité, la masse moyenne des véhicules individuels en France a augmenté de près de 300 kilogrammes. Cette moyenne s’est stabilisé depuis la fin des années 2000, après une baisse en 2006 et 2007, sous l’effet de la réglementation européenne sur les émissions moyennes des véhicules vendus, alors que leur puissance moyenne a crû d’environ 50 % et que les équipements de confort ce sont multipliés.

Source : Shift Project, ADEME, AAA

En parallèle, la production automobile française a fortement baissé dans les années 2000, passant de 3,66 millions d’unités en 2004 à 1,71 million d’unités en 2020, notamment en raison des délocalisations vers l’Europe de l’Est, la Turquie et le Maghreb pour la construction des véhicules dse segments inférieurs, la production restante concernant les véhicules à marge unitaire élevée. Néanmoins, la filière automobile représente encore 900 000 emplois, dont près de la moitié dans la filière aval (activités d’entretien, de réparation, de commercialisation, de financement, etc.) constituée de 150 000 entreprises.

c.   Trois axes de transformation cohérents

Jacques Portalier a présenté trois axes de transformation des produits et de l’activité liés à l’automobile.

Le premier axe porte sur la réduction des émissions carbone liées à la construction des véhicules. Avec l’électrification, ce sujet prendra une importance croissante, dans la mesure où les émissions dans la phase d’utilisation n’existeront plus. Réduire la masse moyenne des véhicules, en revenant à celle des années 1990, constituerait une forme de sobriété en énergie et en matières. Cet allégement permettrait de limiter la consommation d’énergie aussi bien dans les phases de fabrication que d’utilisation.

Le deuxième axe consiste à développer et à construire en France une offre de véhicules sobres et bas carbone. À ce jour, les politiques publiques et l’offre des constructeurs sont focalisées sur la réduction des émissions des véhicules durant leur utilisation. En l’absence d’incitation à rendre la construction des véhicules sobre en énergie et en matières, la masse des véhicules électriques et la taille de leurs batteries ont tendance à augmenter.

Le troisième axe consiste à transformer l’industrie automobile en une industrie des mobilités routières décarbonées, afin qu’elle ne soit plus dépendante de la croissance des kilomètres parcourus.

d.   Développer la production de véhicules à faibles émissions

Il serait possible de stimuler et d’orienter les travaux de recherche et développement dans l’industrie automobile en les adossant à l’objectif d’émission moyenne des véhicules vendus que les constructeurs se doivent de respecter. Cela aurait pour effet de réorienter le marché vers des véhicules plus légers et d’engendrer une diffusion massive de ces derniers.

i.   Généraliser la pratique du vélo

Assurer la production à grande échelle des vélos en France – plutôt que d’assembler des sous-ensembles fabriqués à l’étranger – implique un effort important d’innovation, d’une part sur les processus industriels, pour assurer la compétitivité dans la chaîne de fabrication par rapport à des pays à bas salaires, et d’autre part sur les solutions technologiques, afin de s’affranchir des brevets existants.

Le 5 mai 2023, le Gouvernement a annoncé son « Plan vélo et marche 2023-2027 » doté de deux milliards d’euros d’investissements. Ce plan prévoit notamment qu’à partir de 2027 l’ensemble des enfants soient formés à la pratique sûre du vélo avant leur entrée au collège. Il fixe l’objectif de 80 000 kilomètres d’aménagements cyclables sécurisés en 2027 et 100 000 kilomètres en 2030. Enfin, il a pour ambition, avec les acteurs de la filière, de faire produire plus de 1,4 million de vélos en France en 2027.

ii.   Confirmer la montée en puissance du rétrofit

Une autre voie à développer concerne le rétrofit, qui consiste à modifier des véhicules usagés à moteur thermique pour les convertir à la propulsion électrique ou hydrogène. Cette piste était déjà mentionnée dans le rapport de l’OPECST sur « les scénarios technologiques permettant d’atteindre l’objectif d’un arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040 » élaboré en 2019 par Huguette Tiegna, députée, et téphane Piednoir, sénateur.

Depuis la publication de l’arrêté du 13 mars 2020 relatif aux conditions de transformation des véhicules à motorisation thermique en motorisation électrique à batterie ou à pile à combustible, le rétrofit effectué par des professionnels installés en France est considérablement facilité et les particuliers qui font procéder au rétrofit de leur véhicule par l’un de ces professionnels peuvent bénéficier d’une prime allant jusqu’à 6 000 euros.

iii.   Accélérer le développement des véhicules légers

À côté des véhicules automobiles classiques, se développe, notamment en Asie, une offre extrêmement diversifiée de véhicules légers, tricycles ou quadricycles, plus léger et moins coûteux.

L’ADEME a lancé en 2022 « XD ADEME » (l’eXtrême Défi), un parcours d’innovation en « coopétition », dont l’objectif est de créer de nouvelles solutions pour remplacer la voiture dans les déplacements du quotidien.

Cette formule permet aux participants d’approfondir en commun des sujets relatifs aux technologies, mais aussi aux assurances et aux processus d’homologation. L’objectif de l’ADEME est de structurer une filière pour faire face à la concurrence chinoise.

À cet égard, il conviendrait de rétablir un droit d’accès équitable aux autoroutes et voies express pour les tricycles et quadricycles rapides dits « lourds » : catégories L5e et L7e, à l’égal de leurs équivalents à deux-roues : catégorie L3e « 125 cm3 ». La différence de traitement actuelle constitue un frein important au développement des solutions de mobilité innovantes, fabriquées localement et peu énergivores, pourtant homologuées dans les règles de l’art par leurs constructeurs.

Rien n’explique cette anomalie. Ni la vitesse maximale des tricycles ou quadricycles lourds, qui peut être supérieure à celle de deux-roues « 125 cm3 », ni les considérations relatives à la sécurité de ces engins ne peuvent justifier une telle différence de traitement en leur défaveur.

e.   Promouvoir la conduite sobre

L’éco-conduite est un comportement de conduite sobre permettant tout à la fois de réduire la consommation de carburant, de limiter les émissions de gaz à effet de serre et de diminuer le risque d’accident.

Par exemple, dans le cadre de la première phase du plan de sobriété gouvernemental, les agents publics sont incités à rouler à 110 km/h sur les autoroutes, faisant gagner 20 % de la consommation de carburant. Cette mesure incitative est élargie à l’ensemble des déplacements professionnels dans l’acte II de ce plan.

Par ailleurs, de nombreuses administrations ou entreprises publiques, par exemple le groupe La Poste, ont inscrit une composante d’éco-conduite dans la démarche de formation de leurs personnels. Les grandes entreprises pourraient utilement s’en inspirer.

De plus, des prestataires proposent désormais aux entreprises un suivi de leur parc automobile, basé sur la collecte et l’analyse des données relatives aux trajets des véhicules. Ce suivi permet d’assister les conducteurs dans l’amélioration de leur conduite, notamment afin de baisser leur consommation et leurs émissions.

Enfin, dans le cadre de l’examen du permis de conduire, une conduite sobre permet d’obtenir un point supplémentaire dit « point écologique ».

3.   L’innovation pour la sobriété dans l’industrie : vers de nouveaux modèles économiques

En matière de sobriété énergétique ou de sobriété en général, la situation de l’industrie diffère de celle des autres secteurs, dans la mesure où les entreprises réalisent pour la plupart depuis longtemps et de façon continue des efforts pour minimiser leur consommation de ressources, afin de réduire leurs coûts et devenir ainsi plus compétitives ou encore pour améliorer leur image.

Ces progrès sont néanmoins limités par la nécessité de les rentabiliser sur une durée relativement courte et il est essentiel qu’ils n’entravent pas les capacités de production des entreprises concernées. En outre, ils sont restreints par la pression exercée par la concurrence internationale, certaines entreprises étrangères n’étant pas soumises aux mêmes contraintes réglementaires

Face aux exigences croissantes des réglementations environnementales et à l’appétence de plus en plus marquée des consommateurs pour des produits plus durables, certaines industries adoptent de nouvelles démarches de conception ou de nouveaux modèles économiques, pour certains dérivés de l’économie circulaire.

a.   L’écoconception, démarche essentielle à la sobriété

L’écoconception vise à limiter, dès la phase de conception, l’impact environnemental d’un produit ou d’un service tout au long de son cycle de vie, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à sa fin de vie. Elle repose sur une approche intégrée qui tient compte des aspects environnementaux à chaque étape du processus de conception.

Il devient ainsi possible de diminuer les quantités de matière et d’énergie utilisées lors de la production et de l’utilisation du produit, d’allonger sa durée de vie, de faciliter sa réparation, son reconditionnement et son recyclage. Pour ce faire, l’écoconception s’appuie sur des méthodes d’évaluation de l’impact environnemental, telles que l’analyse du cycle de vie, qui permet d’évaluer les impacts potentiels associés à toutes les étapes du cycle de vie d’un produit.

Du point de vue des entreprises, l’écoconception permet notamment de réaliser des économies en termes de coûts de production et de gestion des déchets. De plus, elle peut les aider à se conformer aux réglementations environnementales et à répondre à la demande croissante des consommateurs pour des produits plus durables. Néanmoins, l’écoconception peut nécessiter des investissements initiaux importants, susceptibles d’être compensés à long terme par les économies réalisées et une amélioration de l’image de l’entreprise.

De plus, la mise en œuvre de l’écoconception requiert une expertise technique et une compréhension approfondie des impacts environnementaux associés à un service ou un produit. Trouver des spécialistes devrait s’avérer de plus en plus facile, un nombre croissant d’écoles d’ingénieurs ou de masters spécialisés intégrant la démarche d’écoconception dans leurs enseignements, par exemple l’École polytechnique, l’École centrale de Lyon ou celle de Nantes.

Cette démarche est notamment basée sur des principes tels que la longévité, la modularité et le faible impact environnemental.

i. Concevoir pour la longévité

Concevoir pour la longévité signifie créer des produits durables et facilement réparables. Cet objectif peut être atteint grâce à l’utilisation de matériaux de haute qualité ou de techniques de construction robustes, ainsi qu’en assurant un accès aisé aux pièces détachées ou aux services de réparation.

Des produits plus durables réduisent le besoin d’un remplacement fréquent, ce qui conduit à une diminution de la consommation de ressources, de la production de déchets et de la consommation d’énergie.

ii. Concevoir pour la modularité

Une conception modulaire consiste à créer des produits autour de composants interchangeables qui peuvent être facilement mis à jour, améliorés ou remplacés selon les besoins. Cette approche facilite la personnalisation, l’adaptation et la réparation, ce qui contribue à prolonger la durée de vie des produits et à réduire la quantité de déchets.

La modularité facilite également la récupération et le recyclage des matériaux, car elle permet de séparer et de trier les différents composants, qui peuvent ensuite être traités et réutilisés plus efficacement.

iii. Concevoir pour un faible impact environnemental

Concevoir pour un faible impact environnemental implique de prendre en compte l’ensemble du cycle de vie d’un produit, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à l’élimination ou le recyclage en fin de vie. À cela s’ajoute la sobriété énergétique qui devrait devenir un principe directeur du processus de développement des produits et services. En évaluant les effets potentiels sur l’environnement et la consommation énergétique des matériaux, des processus de production, du transport et de l’utilisation, les concepteurs peuvent prendre des décisions qui minimisent l’empreinte écologique de leurs produits.

Il peut s’agir de sélectionner des matériaux durables ou de développer des matériaux plus sobres, d’utiliser des techniques de fabrication économes en énergie et d’incorporer des caractéristiques qui facilitent le recyclage ou la réutilisation en fin de la vie d’un produit.

b.   L’économie du partage

L’économie du partage, qui englobe les plateformes de partage de voitures, de vélos et de tous types d’équipements, est un excellent exemple de la manière dont de nouveaux modèles économiques peuvent contribuer à la sobriété.

En favorisant l’accès à un équipement plutôt que la propriété et en maximisant l’utilisation des ressources, l’économie de partage peut contribuer à réduire la demande de nouveaux produits, donc la mobilisation des matières nécessaires à leur fabrication, et la consommation d’énergie associée lors de la production et du transport.

Par exemple, les services de vélos en libre-service, nés sous une forme artisanale en 1965 à Amsterdam, se sont considérablement développés dans les villes ces vingt dernières années. En 2021, quelque 10 millions de vélos étaient ainsi partagés au travers d’environ 3 000 services de ce type[62].

Ce développement rapide s’explique par les multiples avantages de ces systèmes de partage qui incluent la flexibilité du transport, la diminution des émissions des véhicules, les bénéfices pour la santé, la réduction des embouteillages et de la consommation de carburant, ainsi que des économies pour les utilisateurs.

Sur le modèle de ce succès de l’économie du partage, Yann Lemoine, fondateur et président de l’entreprise de l’économie sociale et solidaire « Les Biens en commun » et Thomas Koell, associé et directeur général, essaient de relever le défi de la mutualisation des équipements domestiques du quotidien : aspirateurs, perceuses, friteuses, cuiseurs à riz, etc.

Certains de ces équipements, présents dans la plupart des foyers, ne sont en effet utilisés que quelques dizaines de minutes par an, mais occupent de la place en permanence, sans même évoquer leur coût. Leur fabrication en grand nombre mobilise des matières premières et de l’énergie, tout comme leur traitement en fin de vie.

Ces matériels sont mis à disposition, sur abonnement, dans des casiers situés dans des halls d’immeubles – par exemple des logements sociaux ou des résidences étudiantes, des entreprises, des commerces ou des lieux publics. « Les Biens en commun » se charge de l’achat, de l’entretien, de la réparation et le cas échéant du remplacement des matériels défectueux.

Les deux entrepreneurs ont mis en évidence l’importance de l’implication des pouvoirs publics, singulièrement des collectivités locales, pour le développement d’un tel service basé sur l’économie du partage, comme c’est d’ailleurs aussi le cas encore de nos jours pour la plupart des offres de vélos en libre-service.

c.   Le produit en tant que service

Le passage d’un modèle d’affaires fondé sur la commercialisation de produits à un modèle fondé sur les services, dans lequel les clients paient pour l’usage ou la performance d’un bien plutôt que pour le posséder, peut également contribuer à la sobriété.

En incitant les fabricants à concevoir des produits durables, réparables et économes en énergie, ce modèle peut contribuer à réduire la consommation de ressources et la production de déchets.

d.   Le reconditionnement et la réparation

Certaines entreprises ont adopté le reconditionnement et la réparation pour prolonger la durée de vie de leurs produits, réduisant ainsi le besoin en matériaux et la consommation d’énergie.

Le reconditionnement consiste à démonter, nettoyer et réparer des produits usagés pour les remettre dans un état proche du neuf, tandis que les services de réparation s’attachent à réparer les composants défectueux pour prolonger la durée de vie du produit. Ces deux approches contribuent à réduire la demande d’énergie et la production de déchets.

Ainsi, à Limoges, l’entreprise Renault Trucks a lancé, en 2021 une ligne de reconditionnement de ses camions, qui lui a permis de remettre à neuf environ 330 camions en 2022. Chaque camion voit son moteur, son embrayage, sa boîte de vitesses, sa cabine et ses logiciels rénovés. Le camion ainsi reconditionné peut parcourir encore jusqu’à 800 000 kilomètres. En termes d’impact environnemental, le reconditionnement permet d’économise environ 6 tonnes de matériaux et 14 tonnes de CO2 par rapport à la construction d’un camion neuf.

4.   L’innovation pour la sobriété dans le numérique : allonger la durée de vie des équipements

Dans le domaine numérique, le renouvellement fréquent des équipements, en particulier des terminaux des utilisateurs : téléphones, ordinateurs, tablettes, télévisions, etc. constitue un principe fondamental du développement de cette industrie, au moins depuis les années 1990.

Aussi bien la conception des matériels, fragiles, difficiles à réparer, peu modulaires, etc. que celle des logiciels, maintenus sur des durées relativement courtes et souvent incompatibles avec les matériels un peu plus anciens, contribuent à cet état de fait.

Initialement justifiées par la progression très rapide des performances des matériels et l’accroissement des fonctionnalités des logiciels, ces pratiques apparaissent aujourd’hui plus discutables et surtout peu opportunes au regard de leurs conséquences environnementales.

Une démarche de sobriété implique un changement de paradigme dans ce secteur : la durée de vie des équipements numériques doit être notablement rallongée afin de réduire leur empreinte environnementale.

Cet objectif nécessitera, dans les prochaines années, de modifier en profondeur la conception des matériels et des logiciels, donc un effort d’innovation très conséquent. Cette démarche a d’ores et déjà été entamée par quelques entreprises pionnières.

a.   Un impact environnemental concentré sur les terminaux

Le rapport conjoint de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) et de l’ADEME sur l’impact environnemental du numérique en France, publié en janvier 2022[63], indique que « l’empreinte carbone générée par un an de consommation de biens et services du numérique en France représente actuellement 2,5 % du total de l’empreinte carbone annuelle de la France » alors que « la consommation électrique annuelle induite par les biens et services numériques en France est de 48,7 TWh soit l’équivalent d’environ 10 % de la consommation électrique annuelle ».

79 % de l’empreinte carbone du numérique est liée aux terminaux, alors que les centres de données représentent environ 16 % et les réseaux environ 5 %. « La phase de fabrication des équipements (terminaux, serveurs, box,…) représente 78 % du total alors que la phase d’utilisation représente 21 % ».

Source : ARCEP - ADEME

 

C’est ce qu’ont confirmé Frédéric Bordage et Agnès Crépet : les impacts environnementaux du numérique se situent avant tout au niveau de la fabrication des équipements, en particulier des terminaux high tech destinés aux utilisateurs du numérique. Cela ne doit pas pour autant empêcher d’agir dans les domaines des centres de données et de réseaux, en développant, par exemple, des pratiques de stockage de données durables ou en favorisant la mutualisation des infrastructures télécoms.

Le citoyen français moyen possède environ quinze appareils numériques, dont certains ne sont utilisés que quelques minutes par jour. Au niveau mondial, il existe 400 fois plus de terminaux utilisateurs que de serveurs. C’est ce qui explique que l’essentiel de la consommation de ressources, notamment d’énergie pour la fabrication et l’utilisation, se situe du côté des premiers.

Pour les enfants, la règle « 3-6-9-12 »

Proposée en 2008 par Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, la règle « 3‑6‑9‑12 » propose des conseils d'usage des écrans pour les enfants : pas d'écran avant 3 ans, pas de console de jeux portable avant 6 ans, pas d'Internet sans supervision avant 9 ans et un accès à Internet autonome mais prudent à partir de 12 ans.

Cependant, cette règle ne suffit pas à elle seule. Il est crucial de réglementer le temps passé devant un écran à tout âge, surtout entre 3 et 5 ans, où plus d'une heure par jour n'est pas bénéfique. De plus, l'éducation doit aider les enfants à comprendre la production des médias et leurs modèles économiques, rôle qui revient principalement à l'institution scolaire.

En particulier, les téléviseurs représentent la première source d’impacts environnementaux du numérique, à la fois lors de leur construction et de leur utilisation. Les écrans de technologies LED et OLED requièrent beaucoup d’énergie lors de leur fabrication. Les fabricants mettent en avant leur moindre consommation à l’utilisation, mais celle-ci est compensée par l’augmentation de la taille des écrans, de leur résolution et de leur fréquence.

Consommation en watts d’un téléviseur de technologie LCD ou OLED en fonction de sa taille (source : rtings.com)

La loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte
environnementale du numérique en France

Cette loi s’inspire des conclusions du rapport « Pour une transition numérique écologique » de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, publié le 24 juin 2020[64].

Elle s’articule autour de 5 objectifs :

- sensibiliser à l’impact environnemental du numérique, avec l’introduction d’une formation à la sobriété numérique dès le plus jeune âge et jusqu’à l’université et l’intégration de l’écoconception numérique aux formations d’ingénieurs ;

- ralentir le renouvellement des appareils numériques, en particulier en renforçant le délit d’obsolescence programmée et la lutte contre l’obsolescence logicielle ;

- encourager des usages numériques plus vertueux, notamment par la création en 2024 d’un référentiel général d’écoconception des services numériques, définissant des critères de conception durable des sites web ;

- réduire la consommation d’énergie des centres de données et des réseaux, par exemple en obligeant les opérateurs de communications électroniques à publier des indicateurs sur leurs engagements en faveur de la transition écologique ;

- soutenir le numérique responsable dans les territoires, par exemple en intégrant la question de la récupération de la chaleur des centres de données aux plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET).

A contrario, les centres de données (en anglais, data center), souvent pointés du doigt pour leur forte consommation d’électricité, ne représentent pas, à l’heure actuelle, l’enjeu principal. La première source de dépense énergétique correspond à l’énergie grise liée à la fabrication des terminaux des utilisateurs.


Rationnaliser le stockage des données

Dans notre société de l’information, le besoin de conserver les données conduit à une croissance très rapide des capacités de stockage, à la fois dans les terminaux des utilisateurs et dans les centres de données ou data center.

Si les supports utilisés ne constituent pas encore un enjeu majeur en termes d’émissions de CO2 ou d’usage de matières, en l’absence d’action pour la combattre, l’augmentation des volumes de données pourrait changer la donne : la sphère globale des données, de 33 zettaoctets en 2018, devrait passer à 175 Zo en 2025, et pourrait même atteindre 5 000 Zo en 2040[65].

Heureusement, plusieurs démarches permettent de limiter cette inflation des volumes stockés par les particuliers et les organisations.

Pour les particuliers, une journée mondiale de sensibilisation à l’empreinte environnementale du numérique, le Digital Clean Up Day (dernière édition le 18 mars 2023) se donne pour objectif de générer une prise de conscience de la pollution numérique, en invitant à agir concrètement, en nettoyant ses données ou en offrant une seconde vie à ses équipements numériques inutilisés.

Les organisations peuvent aussi faire leur part pour réduire le volume de leurs données, en rationnalisant leur gestion, même lorsque des contraintes légales les obligent à les conserver.

Ainsi, des données enregistrées sous une forme structurée, le plus souvent dans une base de données, occupent beaucoup moins de place que sous forme de documents formatés. Par exemple, des relevés bancaires peuvent être générés lorsque le client veut les consulter, plutôt que d’être enregistrés à l’avance sous leur forme définitive.

De même, certaines données peuvent être conservées sur des serveurs internes à l’organisation ou sur le « cloud » pour être visualisées en tant que de besoin sur divers terminaux (ordinateurs, tablettes ou téléphones), plutôt que d’être dupliquées sur ces derniers.

 

b.   La nécessité d’une réglementation adaptée

La sobriété dans le monde numérique consiste donc d’abord à fabriquer moins d’équipements terminaux en faisant en sorte d’allonger, en particulier au travers de l’innovation, leur durée de vie.

Cette prolongation de la durée de vie des terminaux numériques peut d’abord passer par leur réemploi, qu’il s’agisse de téléphones, d’ordinateurs ou même de postes de télévision connectés.

Toutefois, Frédéric Bordage a souligné qu’à ce jour le réemploi manque d’un encadrement juridique adapté. En effet, la directive européenne relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE)[66] n’inclut pas de disposition sur le sujet.

Sans une réglementation adéquate, le réemploi ne peut être pris en compte dans les modes de gestion des équipements terminaux. Ainsi, la France est soumise à des pénalités parce qu’elle ne collecte pas assez de déchets d’équipements électriques et électroniques, alors que ces derniers sont réemployés, ce qui est bien plus vertueux.

c.   Massifier le réemploi

La France pourrait collecter bien plus d’équipements en vue de leur réemploi. Un système de consigne pour les équipements numériques permettrait d’encourager les consommateurs à retourner les appareils encore fonctionnels et favoriserait leur réutilisation.

De plus, il pourrait être judicieux de s’inspirer des mesures qui ont permis de structurer et d’améliorer qualitativement le marché des véhicules d’occasion. La confiance des consommateurs envers ces derniers a été considérablement renforcée par l’existence d’un contrôle technique. Au contraire, le marché des téléphones et des ordinateurs d’occasion étant exempt d’une telle réglementation, il n’est pas rare que des clients se trouvent confrontés à des problèmes liés au mauvais reconditionnement d’un produit.

À cet égard, l’introduction du « passeport produits numériques » en Europe, couplé à celle d’un « contrôle technique » obligatoire pour les équipements reconditionnés, qu’il s’agisse de télévisions, d’ordinateurs, de téléphones, etc. permettrait d’instaurer un climat de confiance et de stimuler ainsi la réutilisation des équipements numériques.

Comme l’a noté Alexandre Tanay, en fournissant l’historique d’un équipement, le « passeport produits numériques » permettra de procéder à un reconditionnement plus ciblé, en identifiant la durée et conditions d’utilisation, les réparations effectuées, etc.

Par ailleurs, ainsi que l’a également suggéré Alexandre Tanay, pour que le coût d’un « contrôle technique » ne constitue pas un handicap, l’innovation technologique pourrait jouer un rôle majeur, en permettant d’automatiser les tests des équipements.

Frédéric Bordage estime que le potentiel en termes d’économies d’énergie et de réduction des impacts environnementaux serait considérable. En outre, la massification du réemploi contribuerait à la création de plusieurs dizaines de milliers d’emplois non délocalisables et au rééquilibrage de la balance commerciale.

d.   Lutter contre l’obsolescence logicielle

Le réemploi des équipements terminaux nécessite également que ceux-ci puissent continuer à bénéficier des mises à jour logicielles qui permettent leur fonctionnement normal, en particulier des mises à jour de sécurité indispensables à la protection de l’usager contre divers risques numériques.

Actuellement, l’obligation de fournir ces mises à jour ne vaut que pour une durée de deux années après la commercialisation d’un équipement numérique. Étant donné qu’un matériel peut devenir rapidement inutilisable sans mises à jour, ou du moins ne peut plus être utilisé dans des conditions de sécurité acceptables pour l’utilisateur, il apparaît raisonnable de prolonger l’obligation de fourniture des mises à jour à 5 années après la commercialisation d’un équipement numérique.

Il serait important de séparer les mises à jour de conformité, corrigeant un dysfonctionnement ou palliant un risque, nécessaires au bon fonctionnement de l’appareil et ayant en général peu d’impact sur son fonctionnement, des mises à jour de confort, destinées à étendre les fonctionnalités, parfois au prix de ralentissements ou de saturation des capacités de stockage de l’équipement.

e.   Promouvoir l’innovation en matière de modularité

Comme l’a relevé Agnès Crépet lors de son audition, la modularité d’un équipement numérique, qui implique la possibilité, pour un utilisateur, de le décomposer facilement en unités, est un facteur déterminant de la prolongation de sa durée de vie.

En effet, le caractère interchangeable des modules facilite le remplacement des composants obsolètes, endommagés ou défaillants. Par exemple, en cas de dysfonctionnement d’un seul élément d’un téléphone modulaire, un utilisateur peut facilement remplacer la pièce défectueuse, ce qui limite les dépenses liées à sa réparation ou à l’acquisition d’un nouveau téléphone.

En outre, la modularité autorise une personnalisation accrue des appareils numériques. Chaque utilisateur a des besoins spécifiques, parfois évolutifs. La capacité d’adapter son appareil à ses exigences contribue à accroître sa satisfaction et, par conséquent, à prolonger la durée d’utilisation de l’équipement.

De surcroît, la modularité permet un processus d’amélioration continue des équipements. Ainsi, lorsqu’un module plus avancé technologiquement devient disponible, il peut être intégré à l’équipement existant, afin d’améliorer ses performances, sans pour autant nécessiter de remplacer l’ensemble. De cette façon, les utilisateurs peuvent bénéficier des dernières avancées technologiques tout en conservant leur équipement initial, donc à moindre coût.

Enfin, la modularité contribue à limiter la production de déchets électroniques, en permettant de ne remplacer qu’une partie d’un appareil.

Malgré ses nombreux avantages, notamment pour prolonger la durée de vie, la modularité est rarement considérée comme un objectif par les fabricants d’équipements électroniques. Bien au contraire, elle a plutôt eu tendance à régresser au fil du temps, en partie avec la miniaturisation des équipements ou l’intégration de fonctionnalités supplémentaires.

Ainsi, les batteries pouvaient être facilement remplacées sur la plupart des téléphones voici une dizaine d’années. Il suffisait de démonter le dos de l’appareil pour y accéder. Aujourd’hui, la batterie est en général collée à l’intérieur du téléphone, dont la coque ne peut elle-même être facilement ouverte pour y accéder.

Cette réduction de l’accessibilité à un composant sujet à une dégradation dans le temps est liée à des choix de conception destinés à répondre à des objectifs tels que la compacité du téléphone, mais aussi à accroître sa résistance aux éléments, en le rendant étanche. Le téléphone devient ainsi plus résistant à une immersion dans l’eau ou au sable sur la plage, donc plus durable.

Par conséquent, une meilleure modularité implique de repenser la façon dont les appareils sont conçus, en trouvant des solutions innovantes, permettant de préserver d’autres caractéristiques, comme la résistance aux agressions extérieures.

Concilier ces différentes exigences n’est toutefois pas inatteignable, comme le démontrent plusieurs sociétés proposant dès aujourd’hui des équipements numériques modulaires aux performances proches, voire identiques, à celle des modèles les plus prisés sur le marché[67].


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   CONCLUSIONS

Comme l’ont déjà montré de précédents travaux de l’Office, la présente étude sur « les implications, en termes de recherche et d’innovation technologique, de l’objectif de sobriété énergétique » illustre l’importance de l’apport des sciences humaines et sociales (SHS) et de la multidisciplinarité dans un domaine, celui de l’énergie, a priori considéré comme relevant pour l’essentiel des sciences « dures » et, pour leurs applications, des technologies.

De fait, bien qu’elle remonte à l’Antiquité, la sobriété reste de par ses multiples dimensions parfois difficiles à cerner. À cet égard, la définition récemment proposée par le GIEC, qui semble largement partagée, a l’avantage de présenter la sobriété comme un principe d’action plutôt qu’un idéal à atteindre : « Un ensemble des mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matière et eau, tout en garantissant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires. »

La sobriété ne relève pas uniquement de comportements individuels, elle se décline à plusieurs niveaux en sobriété monitorée – consistant à rationaliser la consommation de ressources, symbiotique – plus en synergie avec la nature, ou gouvernée – nécessitant de réorganiser les infrastructures et les règles de gouvernance qui les régissent. Ces trois trajectoires de sobriété sont d’ailleurs complémentaires et doivent être intégrées de manière cohérente pour parvenir à une société plus sobre.

La prise de conscience des limites de notre planète, tout comme de la nécessité d’une gestion responsable des ressources disponibles pour l’humanité, apparaissent aujourd’hui comme une évidence à la plupart. Néanmoins, l’aspiration légitime à préserver un certain confort conduit encore trop souvent à une réaction de méfiance vis-à-vis de la sobriété, perçue à tort comme une menace pour nos conditions de vie.

Pourtant, les apports de la sobriété à l’amélioration de la qualité de vie sont difficiles à nier, que ce soit dans le domaine de la santé, en favorisant une alimentation plus équilibrée et un style de vie plus actif, ou de la préservation de l’environnement, en réduisant l’empreinte environnementale des activités quotidiennes.

En limitant les besoins en énergie, la sobriété s’inscrit dans un cercle vertueux, puisqu’elle diminue à la fois les risques d’effet rebond liés à l’amélioration de l’efficacité énergétique et les besoins de nouvelles infrastructures de production d’énergie. Qui plus est, comparées à ces dernières, les mesures relevant de la sobriété présentent en général le double avantage d’un coût réduit et d’un délai de mise en œuvre très court.

Comme l’illustre le plan de sobriété présenté par le Gouvernement à l’automne dernier, la sobriété librement consentie peut s’avérer extrêmement efficace puisque, par rapport aux années précédentes, la consommation française d'électricité a baissé d’environ 8 % et celle de gaz de près de 13 % sur l’automne et l’hiver 2022-2023.

Plutôt que de céder à la tentation des interdits ou des restrictions, il apparaît donc préférable d’informer nos concitoyens des atouts bien réels de la sobriété, en multipliant les messages bienveillants qui valorisent les démarches de sobriété, en mettant en avant leurs co-bénéfices, par exemple les effets positifs sur le poids et la santé d’une alimentation plus sobre ou les économies réalisées et la fatigue évitée en modérant sa vitesse sur autoroute.

Ainsi, la sobriété sera de moins en moins perçue comme une entrave, mais plutôt comme une voie d'accès à une meilleure qualité de vie, une santé optimisée, et un environnement préservé. Cette perspective contribuera à redéfinir les termes de notre contrat social, en appelant à réconcilier confort et durabilité, pour un avenir plus serein et plus résilient.

 


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   RECOMMANDATIONS

  1.   Axe – Bâtiments

Instaurer comme principe le réglage par défaut des appareils et services numériques sur un mode économe (par exemple lecture de vidéos, désactivation au démarrage de la climatisation automatique sur les voitures).


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   EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques s’est réuni le 27 juin 2023 pour examiner le rapport sur « Les implications en matière de recherche et d’innovation technologique de l’objectif de sobriété énergétique » présenté par Mme Olga Givernet, députée, et M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Bonjour à tous. Notre réunion a pour ordre du jour l’examen du rapport préparé par Olga Givernet et Stéphane Piednoir sur les implications en matière de recherche et d’innovation technologique de l’objectif de sobriété énergétique. Je rappelle que le mois dernier, dans le cadre de la préparation de ce rapport, nous avons auditionné la ministre de la Transition énergétique. Le rapport qui va nous être présenté ne manquera pas d’éclairer la représentation nationale sur ces enjeux majeurs, comme l’ont bien montré les inquiétudes apparues sur l’approvisionnement énergétique l’hiver dernier.

Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. – Le projet de loi de programmation de l’énergie et du climat devrait être examiné par le Parlement à l’automne 2023. Il comportera, pour la première fois, un important volet consacré à la sobriété, aux côtés de mesures concernant les énergies décarbonées et l’efficacité énergétique.

En amont de l’examen de ce projet de loi, le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, Jean-Marc Zulesi, a saisi l’Office d’une « étude qui permettrait de présenter et mesurer les implications, en termes de recherche et d’innovation technologique, de l’objectif de sobriété énergétique, et d’avancer des recommandations ».

Le sujet de la sobriété énergétique a surgi dans le débat public avec la présentation, en octobre dernier, du plan de sobriété énergétique préparé par le Gouvernement.

Il s’agissait d’abord de faire face à la situation de crise énergétique en Europe consécutive à l’agression russe en Ukraine, aggravée dans notre pays par la découverte d’un phénomène de corrosion sous contrainte qui a obligé EDF à arrêter certains de ses réacteurs nucléaires. L’Office s’est d’ailleurs penché sur le sujet.

Mais la sobriété n’est pas une idée nouvelle, elle remonte même à l’Antiquité. Dans le monde grec, la tempérance, synonyme de modération ou de retenue volontaire de soi-même, était considérée comme l’une des quatre vertus cardinales.

En revanche, au cours du XVIIIe siècle, les sciences modernes ont fait naître l’idée que les ressources de la Terre pouvaient être facilement exploitées pour obtenir en abondance de l’énergie et des matières premières. La sobriété, devenue moralement scandaleuse, a fini par être perçue comme un signe de misère ou de retard.

Ce n’est qu’à partir des années 1990 que la sobriété est redevenue un sujet d’intérêt pour le monde académique. Pour autant, le concept de sobriété reste encore assez mal défini et pratiquement aucun des interlocuteurs que nous avons rencontrés n’en a proposé une définition identique.

Néanmoins, la définition proposée par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) dans son sixième rapport semble faire l’objet d’un large consensus. Voici sa traduction en français : « La sobriété est un ensemble des mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matière et eau, tout en garantissant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires. »

Le GIEC ne définit donc pas la sobriété comme un état à atteindre, mais un principe d’action destiné à réduire notre empreinte environnementale, ceci afin de respecter les limites planétaires, tout en assurant à tous une vie décente.

Cette définition fait référence à la théorie dite du « donut », proposée en 2012 par l’économiste Kate Raworth qui définit un « espace sûr et juste » situé entre deux limites : un plafond environnemental définissant les frontières écologiques que l’humanité ne doit pas franchir, et un plancher social, correspondant à la satisfaction des besoins fondamentaux de tous.

La sobriété énergétique est souvent confondue avec l’efficacité énergétique, car elles ont toutes deux le même objectif : réduire la consommation d’énergie. Cependant, les approches sont différentes. Là où la sobriété énergétique permet d’éviter la demande en énergie en réduisant l’appel à certains biens ou services, l’efficacité énergétique vise, en mobilisant l’innovation technologique, à produire des biens ou des services nécessitant moins d’énergie à l’unité. Par exemple, baisser la température du chauffage relève de la sobriété, alors qu’isoler son logement consiste à améliorer l’efficacité énergétique de celui-ci.

Un autre point à garder en tête concerne l’énergie grise. Celle-ci englobe l’énergie totale dépensée pour la production, le transport et la fin de vie d’un produit, mais pas le temps d’utilisation du produit : 75 % de l’énergie totale consommée en France correspond à de l’énergie grise.

Par ailleurs, il est pratiquement impossible de disjoindre la sobriété énergétique de la sobriété en général. L’énergie étant au cœur du fonctionnement de nos sociétés, toute variation dans son utilisation a nécessairement un impact sur les autres consommations.

Il faut aussi noter que la sobriété ne repose pas uniquement sur des comportements individuels, mais également sur un cadre collectif favorisant ces comportements. En effet, la demande en énergie, en biens et en services découle principalement de choix collectifs relatifs aux infrastructures, systèmes d’approvisionnement, régulations et allocations d’usage.

Il est ainsi possible de définir plusieurs niveaux de sobriété. On peut d’abord identifier une sobriété dite « monitorée » qui vise à rationaliser la consommation de ressources sans remettre en question les mécanismes sociétaux et les modes de vie actuels. La sobriété « symbiotique » ensuite, contrairement à la précédente, remet en question les modes de vie et vise à expérimenter des usages plus en synergie avec la nature. Enfin, la sobriété « gouvernée » consiste à réorganiser les infrastructures et les règles de gouvernance qui les régissent.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. – Pour faire face aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux liés à l’énergie, la sobriété apparaît de plus en plus comme un pilier essentiel de la transition énergétique et écologique, peut-être même avant l’efficacité énergétique ou le développement des énergies décarbonées, dont on entend plus souvent parler.

En effet, la sobriété offre un potentiel d’amélioration dans plusieurs domaines : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le respect des limites planétaires, l’acceptabilité des nouvelles infrastructures énergétiques, l’optimisation de l’efficacité énergétique ou le renforcement de la résilience.

Le sixième rapport du GIEC, sur lequel nous nous sommes beaucoup appuyés, traite pour la première fois de l’adaptation de la demande en énergie et services. Bien entendu, en limitant la demande en énergie, la sobriété peut diminuer les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi contribuer à réduire les incertitudes technologiques, en évitant d’avoir à faire appel à des technologies risquées, voire incertaines comme la géo-ingénierie – technologie visant à modifier le climat ou l’environnement, de manière artificielle, dans le but de corriger les dérives que l’humanité cause par ailleurs.

La sobriété peut, de façon plus générale, contribuer au respect des limites planétaires. En particulier, elle peut diminuer la pression sur les ressources minérales, dont l’exploitation fait peser des menaces sur le respect de plusieurs de ces limites, au travers de ses émissions de gaz à effet de serre, par la modification de l’utilisation des sols ou la perturbation du cycle de l’eau douce.

L’atteinte de la neutralité carbone nécessitera notamment une décarbonation accélérée du secteur de l’énergie au niveau mondial, ce qui implique de construire, en quelques décennies seulement, un nombre très élevé de nouvelles infrastructures, telles que des parcs éoliens et solaires, des centrales hydroélectriques ou nucléaires.

En parallèle, le parc automobile devra largement être électrifié et la production d’hydrogène devra être décarbonée, à la fois pour remplacer l’hydrogène carboné actuellement utilisé dans l’industrie et pour massivement décarboner d’autres filières, comme celles du ciment et de l’acier.

Toutes ces infrastructures demanderont de grandes quantités de matériaux, allant des produits de base, tels que l’acier et le ciment, jusqu’aux métaux critiques, comme les terres rares. Pour certaines matières, les besoins approcheraient des réserves connues aujourd’hui. Pour d’autres, les volumes produits devraient croître extrêmement rapidement, ce qui n’est pas acquis.

Or, la sobriété peut avoir un impact très significatif sur les besoins en infrastructures. D’après les scénarios de RTE « Futurs énergétiques 2050 », la sobriété pourrait éviter de construire l’équivalent de six fois la capacité solaire actuelle, ou trois fois la capacité actuelle d’éolien terrestre, ou encore 50 parcs éoliens en mer de type « Saint-Nazaire ».

En outre, la réduction du rythme de construction des nouvelles infrastructures énergétiques aurait un effet positif sur leur acceptabilité. C’est vrai pour l’éolien, pour le solaire et sans doute pour le nucléaire.

Un autre apport important de la sobriété concerne la lutte contre l’effet rebond, mis en évidence au XIXe siècle par l’économiste William Stanley Jevons, lorsque l’amélioration du rendement de la machine à vapeur, au lieu de réduire la demande charbon, l’a au contraire accrue.

L’effet rebond se produit lorsque les améliorations technologiques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée et a pour conséquence une diffusion de son usage et un accroissement de sa consommation plutôt qu’une diminution.

Parce qu’elle repose sur une réduction volontaire de la consommation, la sobriété permet de limiter les effets rebonds, voire de bénéficier pleinement de la réduction de consommation résultant des améliorations d’efficacité énergétique apportées par l’innovation technologique.

La sobriété peut aussi contribuer à accroître la résilience des systèmes socio-économiques et de la transition énergétique elle-même. En effet, la sobriété permet non seulement de limiter la dépendance à des sources d’approvisionnement externes, mais aussi d’être mieux préparés à faire face à des restrictions imposées par des événements imprévus, comme on l’a vu dernièrement.

Enfin, il ne faut surtout pas passer à côté des co-bénéfices de la sobriété. En effet, les pratiques de sobriété peuvent générer des bénéfices significatifs pour la santé et le bien-être des individus. Par exemple, la réduction de l’usage des véhicules individuels peut entraîner une diminution de la pollution atmosphérique ainsi qu’une réduction des nuisances sonores, avec des effets bénéfiques pour la santé. Il serait très important de faire prendre conscience à nos concitoyens de ces bénéfices qui peuvent améliorer leur qualité de vie.

Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. – Bien que la sobriété représente une approche prometteuse pour répondre aux défis environnementaux et énergétiques, plusieurs freins limitent son adoption à grande échelle.

Un premier frein résulte d’un manque d’information des consommateurs qui ne disposent pas suffisamment d’informations claires, présentées sous une forme pédagogique et immédiatement exploitables. Cela a été dit à plusieurs reprises durant les auditions.

La pression de la publicité est un autre frein important, puisqu’elle pousse à l’acte d’achat et projette dans un idéal de vie. Aussi conviendrait-il d’associer à certaines publicités des messages d’avertissement sur les conséquences environnementales d’un achat.

Un troisième frein porte sur la difficulté de changer ses habitudes, en particulier la relation au temps. Les sociétés modernes, caractérisées par un rythme de vie effréné, sont en effet stimulées par une consommation perpétuelle, des innovations technologiques continuelles et une quête insatiable de nouveauté. Il faudrait réfléchir à la façon dont notre époque pourrait bénéficier d’un ralentissement.

Un frein supplémentaire découle de l’arbitrage budgétaire entre quantité et qualité. À cet égard, la notion de « juste assez » pourrait servir de guide pour lutter contre cette surconsommation.

En outre, les normes sociales qui imposent des comportements stéréotypés ou des obligations peuvent constituer un obstacle supplémentaire à l’adoption de pratiques de sobriété.

Un dernier frein relève de l’existence de prérequis matériels à la sobriété, qui dépendent souvent de l’échelle territoriale ; par exemple, des pistes cyclables, des cantines approvisionnées localement, etc., autant d’éléments qui permettraient de mieux organiser la sobriété.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons aussi examiné l’articulation de la sobriété avec deux autres concepts du développement durable : d’une part, l’économie circulaire ; d’autre part, les low tech. Je ne m’attarderai pas sur ces sujets dans mon propos liminaire, mais je vous invite à consulter la fin du rapport.

Nous apportons également un éclairage sur les politiques de sobriété à l’étranger. Par exemple, au Japon, le tsunami de 2011 a pratiquement conduit à arrêter du jour au lendemain le parc nucléaire. Dans le rapport, vous trouverez aussi l’exemple des pays nordiques qui disposent d’une énergie abondante et font peu de cas de la sobriété, ou encore de l’Allemagne qui pratique la sobriété sans nécessairement mettre en avant le concept.

J’en viens au sujet de la recherche sur la sobriété qui est explicitement mentionné dans la lettre de saisine.

L’émergence du concept de sobriété dans le monde académique est relativement tardive. Elle date du début des années 1990 et a pris de l’ampleur à partir du milieu des années 2000. De ce fait, les travaux sur ce champ de recherche n’ont connu qu’une croissance très progressive. Une accélération notable des travaux académiques n’a été observée qu’à partir des années 2010. La prise en compte du concept de sobriété dans le sixième rapport du GIEC pourrait entraîner, à l’avenir, une multiplication de ces travaux, comme l’indique aussi le rapport de France Stratégie sur la sobriété.

Sur ce plan, la recherche française se trouve dans une position privilégiée, compte tenu de l’investissement de nos chercheurs dans les travaux exploratoires entrepris depuis une vingtaine d’années.

Le panel des disciplines impliquées dans les recherches sur la sobriété énergétique est très vaste. Il est certain que les différentes disciplines des sciences humaines et sociales ont quasiment toutes un rôle à jouer. Par ailleurs, la pluridisciplinarité prouve encore une fois son utilité, puisque de nombreux travaux de recherche menés sur la sobriété font appel à la collaboration entre chercheurs en sciences humaines et sociales, parfois aussi avec des chercheurs en sciences « dures ».

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. – J’en viens maintenant aux innovations technologiques liées à la sobriété. Dans chaque secteur, nous avons cherché à mettre en avant les technologies qui nous semblaient les plus pertinentes, pour éviter de nous éparpiller et nous appliquer à nous-mêmes une forme de sobriété.

En ce qui concerne le secteur des bâtiments, la question du pilotage des équipements, par exemple du chauffage ou de la climatisation dans les différentes pièces d’un bâtiment, est fondamentale. L’intérêt de ces solutions a été mis en avant par l’Office voici dix ans, mais elles se sont heurtées à l’époque à une certaine inertie réglementaire. Heureusement, les choses évoluent, notamment en lien avec le plan de sobriété énergétique du Gouvernement qui a permis des avancées. Cependant, ce n’est pas suffisant et nous faisons des propositions pour aller plus loin.

Concernant les transports, la sobriété peut également jouer un rôle important, mais les approches que nous avons considérées sont plus variées, de la promotion de l’éco-conduite lors de l’apprentissage de la conduite au développement d’une offre alternative de véhicules plus légers, indispensables pour satisfaire les besoins d’une clientèle soucieuse de plus de sobriété. Les Chinois sont très actifs dans ce domaine et il faut réagir si nous ne voulons pas être dépassés sur ce marché.

Dans l’industrie, qui fait depuis longtemps déjà beaucoup d’efforts de sobriété pour rester compétitive, la sobriété passe notamment par de nouvelles démarches, comme l’éco-conception, et de nouveaux modèles d’affaires, comme l’économie du partage ou la notion de produit en tant que service. Là aussi, nous faisons un certain nombre de propositions.

Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. – Je vais m’attarder un peu plus sur la question du numérique, qui a fait récemment l’objet de nombreux travaux, sans doute insuffisamment pris en compte.

Ces dernières années, la question de la consommation électrique des centres de données, ou data center, et de leurs émissions de gaz à effet de serre a été souvent mise en avant dans les médias. Ce problème est sérieux et des efforts d’amélioration doivent être engagés. Il en va de même pour le sujet connexe de la gestion rationnelle des données, dont le volume ne cesse d’augmenter, au point qu’il pourrait devenir un jour un problème à lui seul.

Néanmoins, les études les plus récentes montrent que l’essentiel de l’empreinte carbone du numérique, 80 % environ, est lié aux terminaux des utilisateurs. Il en va d’ailleurs de même pour la consommation électrique.

C’est donc en priorité sur cette question que doivent porter nos efforts, si l’on veut parvenir rapidement à un résultat. Pour réduire l’empreinte carbone des terminaux, une solution consiste simplement à diminuer le nombre d’équipements dont chacun dispose ; nous pouvons aussi réduire la taille des écrans de télévision.

Nous préconisons en priorité d’allonger la durée de vie de ces équipements en agissant sur plusieurs leviers : en prolongeant par étapes la période de garantie à cinq ans, tout comme l’obligation de fourniture des mises à jour logicielles par le fabricant ; en séparant les mises à jour de conformité de celles de confort, pour éviter que les particuliers soient dans l’obligation d’effectuer ces dernières ; en promouvant l'innovation en termes de modularité, pour que demain, les particuliers puissent changer les pièces à leur convenance – batterie, écran, etc. – sans devoir changer l’équipement tout entier.

En conclusion, la sobriété apparaît de plus en plus comme un levier essentiel pour la transition énergétique et écologique du pays. Elle doit être considérée comme un principe d’action, plutôt qu’un idéal à atteindre. Pour cette raison, nous avons identifié une vingtaine de recommandations destinées à accélérer la recherche et l’innovation dans ce domaine.

Nous le disons et le redisons : la sobriété n’est pas la décroissance, mais le « juste assez ».

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Nous vous remercions pour l’excellent travail que vous nous proposez cet après-midi.

Après plusieurs dizaines d’heures d’audition et de confrontation de différents points de vue, vous êtes parvenus à ces recommandations, dont certaines sont précises, d’autres plus générales, mais avec un sens de l’action bien défini.

Peut-être certains souhaitent-ils s’exprimer sur ces recommandations ou demander des précisions ?

En particulier, nous avons bien compris l’importance du « juste assez ». Nous pourrons reprendre et diffuser cette expression, pour que ces enjeux soient bien compris hors de la communauté scientifique, notamment auprès de nos collègues parlementaires et de l’ensemble des décideurs publics, afin de réussir ce plan de sobriété énergétique dans la durée.

Mme Christine Arrighi, députée. – La participation aux travaux de l’Office, en particulier à la présentation de ce rapport, est une bouffée d’oxygène décarbonée (sourires) pour l’écologiste que je suis.

Aujourd’hui, la révolution culturelle est faite : chacun sait que le dérèglement climatique est produit par l’activité humaine. Ce n’est quasiment plus contesté nulle part – en tout cas, chez les gens sérieux.

Cependant, il reste à agir résolument, ce pour quoi vos recommandations sont intéressantes, notamment dans le contexte actuel. En effet, je reviens du Salon aéronautique du Bourget où la petite musique du solutionnisme technologique se fait de plus en plus entendre. La technique nous sauverait de tout, car il suffirait de remplacer l’avion carboné par l’avion décarboné, la voiture carbonée par la voiture décarbonée, etc…

Or, ce remplacement de toute chose par son équivalent décarboné entre en contradiction totale avec vos travaux, dont la teneur est presque d’ordre philosophique, sur la question de la sobriété. En effet, cela touche à l’activité humaine et à la façon dont nous appréhendons cette société consumériste et avide. Nous savons que celle-ci produit, consomme et jette toujours plus, donc pioche de façon tout à fait immodérée dans les ressources de notre planète, pourtant en quantité finie.

Face au techno-solutionnisme, ce rapport arrive à point nommé, car il montre que nous ne pourrons pas mener la transition écologique sans sobriété énergétique. En toile de fond, tout est une question d’énergie. Même si elle est renouvelable, encore faut-il faire tourner les éoliennes, les fabriquer, recharger les voitures électriques ou extraire du minerai, etc. Par conséquent, nous finirons nécessairement par être confrontés à la finitude de nos ressources.

Pour conclure, j’ai remarqué que vous preniez soin de distinguer la sobriété de la décroissance, comme s’il ne s’agissait pas d’un joli mot… J’aimerais pouvoir débattre de ce sujet, car vos propos appellent pourtant à la décroissance vis-à-vis du modèle complètement fou et partagé aujourd’hui par les riches Occidentaux. En effet, la sobriété, qui a l’air d’être un mot plus politiquement convenable pour vous, me paraît correspondre peu ou prou, au regard de nos modèles occidentaux débridés, à ce que nous pourrions appeler la décroissance.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. – Pour mener à bien nos travaux, nous sommes partis de plusieurs constats, dont l’un nous a particulièrement marqués : la manière dont a été reçu, l’hiver dernier, le message de sobriété qui appelait à réduire la consommation d’énergie, principalement liée au chauffage.

Certes, il n’est pas aisé de distinguer les populations ayant réduit leur consommation par crainte de la hausse des prix de celles ayant pris conscience qu’elles pouvaient se permettre de baisser le chauffage d’un ou deux degrés sans compromettre leur confort.

Quoi qu’il en soit, nous avons tenu à considérer le facteur pédagogique, en appelant notamment chacun à se rendre compte par lui-même de ce dont il a réellement besoin pour son bien-être et son confort : le « juste assez ». À proprement parler, il ne s’agit pas ici de décroissance.

Par ailleurs, nous envisageons certes pour le secteur du numérique une moindre activité, un moindre volume d’achats, donc peut-être une moindre croissance, mais ce n’est pas tout à fait la même chose que la décroissance.

Il faut faire attention aux mots que nous employons. Par exemple, Jean-Marc Jancovici propose de restreindre le nombre de billets d’avion à quatre pour toute une vie ; mais en moyenne par habitant, nous nous situons bien au-delà, donc cette proposition n’est pas tenable, le message n’est pas audible et la population ne l’intègre pas.

Si un message est dénué de bon sens, il n’est pas perçu comme réaliste et n’est donc pas intégré dans le comportement individuel. Notre rapport privilégie ainsi des messages peut-être un peu moins ambitieux, un peu moins radicaux diront certains, mais acceptables sans effort excessif.

C’est un peu subtil, presque philosophique, mais je crois que cette approche est plus facile à mettre en œuvre, encore plus sur le long terme.

Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. – Nous avons beaucoup travaillé à partir des scénarios de négaWatt, de l’ADEME et de RTE. Certes, il est question de baisser la consommation d’énergie, afin de parvenir à la souveraineté de la production énergétique, mais on ne parle pas de décroissance dans ces scénarios.

Ceci ne veut pas dire que certains secteurs ne finiront pas par décroître, comme l’automobile où il faudrait réduire la taille et le poids des voitures, mais d’autres secteurs seront parallèlement en croissance. Ainsi, l’augmentation de la durée de vie des équipements favorise l’essor de l’économie circulaire, autour de questions de réparabilité, de durabilité et de capacité à produire sur notre sol.

C’est pourquoi nous n’employons pas le terme de décroissance, ni un synonyme. Nous estimons que certaines activités seront en croissance, tandis que d’autres seront potentiellement en décroissance.

Quoi qu’il en soit, comme nous l’avons dit, la sobriété est un moyen pour tendre vers une moindre consommation des ressources. D’ailleurs, l’étude RTE, qui a été réalisée auprès de 11 000 personnes, utilise le terme de sobriété et a donc contribué à mieux le faire accepter.

Comme nous voulons nous prémunir d’un éventuel effet rebond, il faut aussi pouvoir pénétrer l’opinion publique avec des signaux plutôt positifs. Pour cette raison, nous parlons de cobénéfices, de santé environnementale, de gains sur le budget et de facilitation du partage social. Tout cela est beaucoup plus attirant pour nos concitoyens.

En outre, il est également possible de mettre en place des nudges, consistant à donner des repères assez simples pour que les personnes réussissent à devenir plus sobres, comme les gestes simples communiqués cet hiver.

Il est vraiment important de donner des signaux positifs. On nous a même conseillé de ne pas hésiter à employer, plutôt qu’un ton culpabilisant et moralisateur, un ton humoristique, comme celui employé en Allemagne dans la publicité incitant à la sobriété.

Les acteurs auditionnés nous ont vraiment encouragés à délivrer un message affirmant qu’il est possible de bien vivre et de profiter de la vie, tout en étant beaucoup plus sobre et en respectant les limites planétaires.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office. – Je vous remercie pour ce rapport très intéressant. Je ne le dis pas pour faire plaisir, mais parce que je pense qu’il est vraiment utile.

Nous pouvons nous réjouir de la baisse de la consommation d’énergie de l’hiver dernier : corrigée par la variable température, elle avoisine 10 %. Certes, nous pouvons supposer une influence du signal prix, mais il est probable qu’une partie de la baisse relève de la prise de conscience. Il faut l’espérer. En tout cas, en discutant avec mes concitoyens dans ma circonscription, j’ai l’impression que l’idée de faire évoluer nos modes de vie est en train de se développer. Attendons les mois et années à venir pour confirmer ce sentiment.

Pour revenir à votre rapport, j’ai une critique constructive à formuler sur l’une des recommandations de l’axe « recherche », que je trouve pertinente par ailleurs. Après avoir écrit que vous souhaitez « établir un programme de recherche pluridisciplinaire centré sur la sobriété, permettant de stimuler l’innovation technologique tout en fondant sur des bases scientifiques […] », ne faudrait-il pas faire référence à la sociologie du comportement ?

En effet, le « juste assez » n’a pas nécessairement la même signification pour chacune et chacun d’entre nous. Il revêt une dimension très personnelle. Par conséquent, cette notion appelle sûrement un regard de sociologue, afin de comprendre comment chacune et chacun conçoit le « juste assez », du point de vue de l’énergie, pour se loger, se nourrir, etc.

Par ailleurs, il serait intéressant de pouvoir dégager quelques recommandations autour de l’éducation. Un article de la loi Climat et résilience invite d’ailleurs à inscrire les élèves dans une démarche de compréhension de l’environnement qui les entoure. La question essentielle de la sobriété pourrait en faire partie.

Certes, dans l’axe « numérique », vous appelez à « inscrire les usages du numérique pour les enfants (règle du 3-6-9-12) dans la formation initiale et continue des enseignants du premier degré ». Cependant, il n’y a pas que le numérique, il y a aussi la gestion de l’eau, de l’air que l’on respire, etc. Je pense donc que ceci pourrait être utile. Ceci permettrait d’ailleurs de leur faire comprendre un principe pertinent en matière énergétique, celui de Lavoisier, l’un des pères de la chimie moderne : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. »

Ma dernière remarque porte sur la communication de ce rapport. Afin d’inciter les quelque 900 parlementaires à le lire, ou au moins à lire ses recommandations, je suggère à notre président d’en offrir un exemplaire papier à chacun lors des manifestations du 40ème anniversaire de l’Office, en les invitant expressément à en prendre connaissance. À quelques semaines de l’examen du projet de loi énergie et climat, cela pourrait être une lecture de vacances utile (sourires).

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. – Je vais répondre sur l’aspect éducatif. Je reviens tout d’abord sur la règle « 3-6-9-12 » que nous citons explicitement dans nos recommandations liées au numérique et qui préconise : pas d’écran avant 3 ans, pas de console de jeu portable avant 6 ans, etc.

Nous souhaitons inscrire cette règle dans les exigences de formation des enseignants du premier degré, voire dans celles des parents si elles existaient (sourires). En effet, dans l’Éducation nationale, le numérique est excessivement présent dans les apprentissages des tout-petits jusqu’à l’école primaire. Or, le numérique n’est pas nécessairement une plus-value pour l’apprentissage de la lecture. Peut-être certains enseignants ne seront-ils pas de cet avis, mais je suis moi-même enseignant.

Quoi qu’il en soit, je pense que nous sommes allés trop loin. Quand je vois certaines classes d’école maternelle remplies d’ordinateurs, je me dis que quelque chose ne va pas…

À titre d’exemple, certains enfants de trois ans ne comprennent pas pourquoi une brochure publicitaire n’interagit pas comme un écran numérique. Un réel problème de motricité fine est ainsi induit par l’usage du numérique. Je vous invite à consulter les rapports de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, qui a beaucoup travaillé sur cette question.

Le sujet de l’initiation aux problématiques environnementales a été évoqué. Le code de l’éducation est l’un de ceux qui grossissent le plus rapidement. Nous sommes donc assez réticents à l’alourdir davantage. On veut tout faire faire à l’école, mais il faut savoir faire des choix. Comme un ancien ministre de l’Éducation nationale, je suis attaché à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, des mathématiques et du respect d’autrui.

Attention à ne pas imposer trop de contraintes aux tout-petits, sachant que la culture citoyenne recouvre beaucoup d’aspects : la sensibilisation à l’environnement, l’apprentissage de l’hygiène corporelle, etc. Il reste donc moins de temps pour l’apprentissage de la lecture et des mathématiques, car le temps scolaire n’a pas augmenté en conséquence.

Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. – Effectivement, nous devons valoriser la recherche en sociologie. Cela est d’autant plus pertinent que nous manquons de données dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la sobriété socialement acceptable. Par conséquent, notre proposition sur la recherche pluridisciplinaire mentionnera ce champ disciplinaire, un point que nous pourrons préciser dans le rapport.

Dans tous les domaines, il y a des efforts à faire. Alors que les bénéfices en efficacité énergétique associés au progrès technologique se manifestent immédiatement après que les investissements sont réalisés, la sobriété nécessite un accompagnement au long cours pour prévenir les effets rebonds. Il faut organiser et maintenir des efforts soutenus en matière de pédagogie et de communication auprès des divers publics.

Comme pour la gestion des déchets, la simple volonté d'agir ne suffit pas. Il est également indispensable de disposer des bonnes informations, des indicateurs pertinents et de maîtriser la façon d’aborder les gens.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. – J’ai oublié de préciser que la valorisation de l’effort de chacun me semble essentielle. En effet, le « juste assez » n’est pas identique pour tous, car nous n’avons pas tous les mêmes besoins ni les mêmes envies.

En revanche, valoriser l’effort de chacun me paraît extrêmement efficace. Cela incite à conserver les bonnes habitudes sur le long terme, contrairement aux injonctions et interdictions qui sont mal perçues et entraînent parfois une réaction contraire. C’est notre conviction.

M. Philippe Bolo, député. – Je vous remercie pour ce document très éclairant sur la sobriété, un concept dont on entend de plus en plus parler, notamment avec la crise énergétique de cet hiver, en lien avec nos objectifs de réduction de la consommation énergétique pour atteindre les objectifs bas carbone. Aujourd’hui, le concept de sobriété se trouve également au centre des débats sur la gestion de l’eau et la raréfaction des ressources, dans un contexte de changement climatique et de diminution des précipitations dans certains territoires.

J’ai noté que votre travail rapproche, à partir de la page 63, la sobriété et l’économie circulaire, dans un chapitre qui s’intéresse aux relations entre ces deux concepts. Vous y regardez si l’économie circulaire et la sobriété visent les mêmes objectifs – et il apparaît que c’est le cas.

Votre démonstration s’appuie sur une présentation claire de l’économie circulaire, comparée à l’économie linéaire. La seconde prélève de la ressource pour consommer et jeter ; la première va considérer différemment le sujet de la production économique, en cherchant à utiliser la ressource de manière plus efficiente, afin de produire le moins de déchets possible, à travers les « trois R » que sont la réduction, la réutilisation et le recyclage – auxquels j’ajoute la réparation.

Dans une sous-partie de ce chapitre, intitulée « les limites de l’économie circulaire », le premier point de votre démonstration s’appuie sur l’effet rebond. Comme vous l’avez indiqué, cet effet comportemental conduit à ce qu’à partir du moment où un consommateur est conscient qu’un produit est recyclable, il va moins limiter sa consommation, puisqu’il considère que le recyclage est une solution à ses excès. Le deuxième point de la démonstration s’appuie sur les limites physiques du recyclage et le troisième sur la consommation de ressources liées au recyclage. En définitive, votre démonstration des limites de l’économie circulaire se fonde sur trois aspects qui ne concernent que le recyclage.

C’est pourquoi je vous invite à revoir le titre du passage, en remplaçant les « limites de l’économie circulaire » par les « limites du recyclage ». En effet, il ne faut pas oublier que les deux autres piliers de l’économie circulaire, le « R » de la réduction et le « R » de la réutilisation, correspondent à des actes de sobriété : pour la réduction, cela va de soi, c’est absolument immédiat ; pour la réutilisation, c’est indirect, parce que le même contenant, le même véhicule, le même équipement vont être utilisés par plusieurs utilisateurs ou sur une durée de vie plus longue.

Enfin, le rapport évoque la low tech. Autour de cette table, nous voyons de quoi il s’agit, mais comment faut-il s’y prendre pour embarquer le maximum de Françaises et de Français dans ces sujets et atteindre nos objectifs ?

En effet, entre la low tech dans le numérique, l’économie circulaire dans le domaine des matériaux et la sobriété dans le domaine énergétique, cela peut porter à confusion. Vus de l’extérieur, ces éléments peuvent sembler ne pas être exactement les mêmes, alors qu’il s’agit toujours de consommer ce qui nous apparaît le plus juste par rapport à ce dont nous avons besoin. Il faut donc pouvoir effacer les différences entre ces termes.

Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. – Nous n’avons pas abordé ce sujet, mais nous avons identifié que nous devions aussi nous adresser aux étudiants, en appelant les écoles à les sensibiliser à la sobriété.

C’est important, car ces jeunes en quête de sens sont les ingénieurs de demain, qui repenseront les produits et les organisations. Ils auront au moins dans un coin de leur tête cette idée de sobriété et pourront s’interroger sur ce qui est bénéfique pour la planète.

Un effort doit être mené dans ce domaine. D’ailleurs, je crois que certaines écoles d’ingénieurs commencent à intégrer cet aspect. En revanche, les écoles de commerce, comme HEC, prétendent défendre la sobriété, tout en continuant de promouvoir, pour l’instant, des stratégies marketing agressives, en contradiction avec les principes de sobriété.

Je crois que nous devons aller dans les universités et les écoles, afin de redonner du sens à ces jeunes qui en veulent pour leurs futurs engagements professionnels.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. – Effectivement, il est compliqué de trouver un terme commun. Il y a beaucoup de mots assez proches, dont celui d’efficience, popularisé par Bertrand Piccard ; peut-être faudrait-il faire appel à Ségolène Royal pour trouver un nouveau terme générique, car elle y excelle (sourires).

Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. – Il nous a été démontré que la low tech n’est pas affaire de technologies rétrogrades, mais plutôt d’innovations. Par exemple, certains considèrent qu’un vélo, technologie plutôt sobre, fait partie de la low tech. Cependant, ceci n’empêche pas les vélos de mobiliser des matériaux high-tech et des sous-systèmes très complexes.

Ainsi, nous ne souhaitons pas opposer high tech et low tech. Il s’agit simplement d’intégrer les critères de modularité et d’utilisation de matériaux sobres en énergie dans les cahiers des charges de développement. Sans oublier d’y associer une analyse du cycle de vie, car c’est surtout par cette analyse qu’on peut savoir si l’amortissement d’un équipement sera intéressant.

M. Philippe Bolo, député. – Partagez-vous ma remarque sur le titre d’une partie du rapport, la démonstration étant fondée sur le recyclage, pas sur l’économie circulaire ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. – Nous avons pris en compte la remarque et rectifierons si les autres membres de l’Office en sont d’accord.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Jean-Luc Fugit a raison de souligner l’importance d’une bonne communication de ce travail. Je suppose que vous avez prévu de présenter à la rentrée le rapport à la commission qui a saisi l’Office.

Comme pour chaque rapport, un « quatre pages » qui présente à la fois la synthèse du rapport et ses recommandations sera élaboré et largement diffusé. Une version papier pourra évidemment être mise à disposition. Ce support permettra de sensibiliser l’ensemble de nos collègues à ces enjeux de sobriété.

Comme vous l’avez tous deux souligné, je voudrais moi aussi insister sur la dimension d’acceptabilité. Récemment, j’ai eu l’occasion d’examiner plusieurs débats parlementaires de la IIIe République, lorsqu’ont été adoptées les grandes lois de liberté qui fondent les principes en vigueur aujourd’hui. La plupart de nos prédécesseurs plaçaient l’adhésion et l’acceptabilité citoyenne au cœur des lois votées et plus globalement des évolutions sociétales qui touchaient l’ensemble des citoyens. Pour réussir la transition énergétique et s’assurer que le plan de sobriété soit appliqué par l’ensemble de nos concitoyens, cibler particulièrement cette dimension d’adhésion, voire de consensus, me paraît fondamental.

Tout ceci est bien présent dans votre rapport. La sobriété est l’affaire de tous : nous-mêmes en tant que décideurs politiques, mais également l’ensemble de nos concitoyens, chacun dans ses responsabilités. Pour cela, il est fondamental de porter, comme vous l’avez fait, des recommandations permettant cette large adhésion.

Je vous adresse un grand merci pour ce travail conséquent. Nous mesurons la portée qu’il peut avoir dans l’opinion publique. Nous le relaierons le plus largement possible.

 

L’Office adopte à l’unanimité le rapport sur les implications en matière de recherche et d’innovation technologique de l’objectif de sobriété énergétique et en autorise la publication.

 


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   liste des personnes entendues par les rapporteurs

Jeudi 20 octobre 2022

14 heures : Ekojoko

Jeudi 27 octobre

14 heures : Zenon Research

15 heures : The Shift Project

16 heures : Schneider Electric

Jeudi 3 novembre 2022

14 heures : négaWatt

Jeudi 10 novembre

14 heures : ENGIE

15 heures : Agence pour la Transition écologique (ADEME)

16 heures : EDF

Mercredi 16 novembre 2022

16 heures 30 : AgroParisTech

Jeudi 1er décembre 2022

9 heures :

10 heures :

Mercredi 14 décembre 2022

16 heures 30 : RTE

17 heures 30 : Green-IT

Jeudi 15 décembre 2022

9 heures : Fondation Solar Impulse

10 heures : CNRS

Mercredi 11 janvier 2023

9 heures 30 : AREP

11 heures 30 : Université de Toulouse Jean Jaurès

Lundi 16 janvier 2023

10 heures : SOMFY

11 heures : Conseil économique, social et environnemental

Mercredi 8 février 2023

17 heures :

18 heures : CRÉDOC

Mardi 14 février 2023

15 heures :

Mardi 21 février 2023

11 heures : Université de Lund

15 heures : Back Market

16 heures : Les biens communs

17 heures : Halte à l’obsolescence programmée

M. Ronan Goussier, responsable des affaires publiques

Mercredi 22 février 2023

9 heures : Haut-Conseil pour le climat

10 heures : IRD

Mercredi 1er mars 2023

16 heures 30 : Office franco-allemand pour la transition énergétique

Mercredi 8 mars 2023

8 heures 30 : Fairphone

Jeudi 9 mars 2023

9 heures : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

11 heures : Paris Dauphine - PSL


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   ANNEXES

I.   Compte rendu de l’audition publique de Mme AgnÈs Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique (24 mai 2023)

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. – Nous avons l’honneur d’accueillir Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. Madame la Ministre, votre présence devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) atteste de votre engagement sans faille en faveur de la sobriété énergétique. Souvent noyé dans un flot de malentendus, ce sujet a surgi au grand jour ces derniers mois.

L’annonce faite au cœur de l’été dernier de la préparation d’un ambitieux plan de sobriété a d’abord été accueillie par une vague de scepticisme. Cependant, face aux difficultés de notre approvisionnement électrique, notre nation a réussi à naviguer habilement dans les eaux tumultueuses de l’hiver, évitant ainsi les coupures et les délestages. Vous avez ainsi prouvé que la sobriété peut être une arme puissante et efficace pour atteindre les objectifs de réduction de la consommation énergétique et reprendre le contrôle de notre destin énergétique.

Le temps de cette audition étant limité, je passe immédiatement la parole à nos deux collègues rapporteurs de l’étude que l’Office a engagée sur la sobriété énergétique pour un bref propos introductif.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. – Madame la Ministre, nous sommes très honorés de vous accueillir aujourd’hui pour cette audition qui s’inscrit dans le cadre des travaux que je mène avec Olga Givernet depuis l’automne dernier au nom de l’Office. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale a en effet saisi l’OPECST d’une étude sur « les implications en matière de recherche et d’innovation technologique de l’objectif de sobriété énergétique ».

Nous avons d’ores et déjà entendu plus d’une cinquantaine d’acteurs venant du monde industriel, des start-up, de la recherche, de l’université, du milieu associatif et des différentes structures qui réfléchissent à cette notion de sobriété aux contours parfois flous.

Le Gouvernement a mené dans ce domaine une action résolue, concrétisée par la présentation, le 6 octobre dernier, du plan de sobriété énergétique, à l’issue d’une phase de concertation avec les acteurs économiques, les représentants du monde associatif, des énergéticiens, des experts et des élus.

Il s’agissait avant tout de faire face à l’urgence de la crise énergétique européenne provoquée en particulier par l’agression russe en Ukraine et aggravée, dans notre pays, par la découverte du phénomène de corrosion sous contrainte dans certains de nos réacteurs, ayant nécessité leur arrêt. Ces problèmes de corrosion ont donné lieu à une audition publique de l’Office le 27 octobre dernier.

Récemment, le Gouvernement a annoncé une nouvelle phase du plan de sobriété énergétique. Par ailleurs, l’examen de la future loi de programmation de l’énergie et du climat (LPEC), à l’automne prochain sans doute, donnera l’occasion aux parlementaires de débattre de la sobriété énergétique et surtout d’envisager les voies et moyens d’y parvenir.

En effet, à côté de la transition vers les énergies décarbonées, renouvelables ou nucléaires, et de l’efficacité énergétique visant à limiter la consommation énergétique pour un service rendu identique, la sobriété apparaît comme un troisième pilier indispensable à la réussite de la transition énergétique et à l’atteinte de nos ambitieux objectifs climatiques. Il ne s’agit plus seulement de faire face à une situation d’urgence comme lors des différents chocs pétroliers des années 1970, mais de prendre en compte la sobriété dans une dimension de long terme.

Avant de passer la parole à Olga Givernet, je rappelle que cette audition est filmée, diffusée en direct et qu’elle sera disponible sur le site internet du Sénat.

Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. – Madame la Ministre, nous sommes honorés de vous entendre sur ce sujet fondamental pour la transition énergétique française et la lutte contre le réchauffement climatique. La sobriété n’est ni la décroissance, ni l’écologie punitive, mais constitue de toute évidence un pilier fondamental de notre stratégie de sortie des énergies fossiles et d’efficacité énergétique, comme l’a souligné le Président de la République dans son discours de Belfort.

Ce constat n’allait pourtant pas de soi il y a quelques mois, lorsque le Gouvernement a présenté son plan de sobriété énergétique. Celui-ci visait à éviter les pénuries de gaz et les coupures d’électricité cet hiver. Il a fallu réduire volontairement tous les postes de consommation : chauffage, éclairage, déplacements ou utilisation du numérique. L’objectif est de réduire notre consommation d’énergie de 10 % d’ici à 2024. Vous aurez l’occasion, Madame la Ministre, de nous présenter un retour d’expérience sur ce sujet.

Malgré les nombreuses critiques formulées à l’époque, les uns jugeant ce plan superflu, les autres insuffisant, tous les scénarios de prospective font de la sobriété un levier fondamental pour atteindre la neutralité carbone. Plusieurs études récentes publiées par l’Agence internationale de l’énergie, l’ADEME (Agence de la transition écologique), RTE (Réseau de transport d’électricité) et France Stratégie montrent qu’elle permettra de limiter la pression, notamment sur les métaux critiques nécessaires à la production de panneaux solaires et de batteries.

La sobriété sera tout aussi indispensable pour bénéficier pleinement de l’amélioration de l’efficacité énergétique. En effet, elle permet d’éviter les effets rebonds qui se produisent lorsqu’un gain d’efficacité dans l’utilisation des ressources entraîne une augmentation de la consommation de celles-ci.

Il est ainsi essentiel que la sobriété énergétique trouve toute sa place dans les débats sur la stratégie énergétique et climatique française, en particulier à l’occasion de l’examen de la future LPEC. Je suis donc particulièrement honorée d’en piloter le groupe de travail.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. – Merci beaucoup Monsieur le président, chère Olga Givernet, cher Stéphane Piednoir. Mesdames et Messieurs les membres de l’Office, je vous remercie de l’organisation de cette audition consacrée à la sobriété énergétique, qui est l’un des quatre piliers de notre politique énergétique.

La sobriété repose sur des changements de comportement et non sur des paris technologiques. C’est probablement le levier le plus rapide et le moins coûteux à mettre en œuvre. Néanmoins, la sobriété reposant sur les comportements et sur la culture, elle pose d’autres questions que l’efficacité énergétique ou le déploiement des énergies renouvelables. L’enjeu est de savoir comment nous pouvons inciter à une évolution des modes de consommation des entreprises, des collectivités et des individus.

Avant de vous exposer notre stratégie et notre action en la matière, je souhaiterais les replacer dans leur contexte climatique. 2022 a été une année de bascule. Au niveau énergétique, la guerre en Ukraine a mis à jour la dépendance de notre pays et de notre continent aux énergies fossiles. Au niveau climatique, je n’ai pas besoin de recenser les épisodes de sécheresse, de canicule, de « méga feux » et l’ensemble des éléments visibles du dérèglement climatique.

Dans ce contexte, j’ai décidé, à l’été 2022, d’élaborer un plan de sobriété énergétique. Ce plan était conçu pour faciliter le passage de l’hiver, mais il ne s’y limitait pas. Il constitue la première marche vers l’objectif de réduction de 40 à 50 % de notre consommation d’énergie, conformément au scénario défini par les experts de RTE, afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Réduire la consommation énergétique ne se décrète pas, comme ont dû le confirmer vos travaux. Le plan de sobriété énergétique est donc fondé sur trois principes.

Tout d’abord, l’État doit être exemplaire, sans quoi les acteurs économiques, les collectivités locales et les Français ne consentiraient pas à faire évoluer leurs comportements.

Ensuite, nous demandons aux grands acteurs, que ce soient des collectivités territoriales, des administrations ou des entreprises, de faire les plus grands efforts de réduction de consommation. Cette approche vise l’exemplarité, mais aussi l’efficacité. En effet, ces acteurs suscitent le plus grand nombre de déplacements sur le territoire, à l’occasion des déplacements domicile-travail comme du fait de leurs activités, et occupent la plus grande surface habitable.

Enfin, nous partons du terrain et de la réalité des usages. Notre approche fait le choix de l’incitation, de la responsabilisation et de la transparence, plutôt que d’une coercition indéterminée, consistant à faire une loi générale sans penser à son adaptation. En effet, la loi seule ne suffit pas, a fortiori en matière de comportements et de culture. Ainsi, l’obligation de baisser le chauffage en hiver à 19 degrés Celsius, qui figure pourtant dans notre arsenal législatif depuis 1978, n’a jamais été appliquée.

Notre méthode est celle d’une co-construction autour de dix groupes de travail sectoriels réunissant plus de 300 fédérations professionnelles, des experts, des associations environnementales et des élus locaux. Elle permet de couvrir les principaux enjeux de la sobriété énergétique pour l’administration, les collectivités territoriales et les grandes entreprises, dans le secteur du bâtiment, du sport et de la culture.

Après plusieurs mois de concertation, j’ai présenté le 6 octobre 2022, aux côtés de la Première ministre, un plan de sobriété dans l’objectif de baisser de plus de 10 % notre consommation énergétique d’ici fin 2024. Ce plan a été accueilli avec beaucoup de circonspection, notamment à l’égard de son positionnement et de ses objectifs.

Outre les nombreux engagements volontaires des différents secteurs, il a cependant conduit à l’adoption de plusieurs mesures réglementaires, notamment pour mettre fin au gaspillage énergétique et favoriser un engagement identique de tous les acteurs. En effet, lorsque certains ne jouent pas le jeu, au détriment d’autres, il est nécessaire de définir des règles communes.

Parmi ces mesures j’en citerai cinq.

Les deux décrets du 5 octobre 2022 imposent la fermeture des portes des locaux climatisés ou chauffés, afin d’éviter la déperdition énergétique, et l’extinction nocturne des publicités lumineuses. Par ailleurs, le décret du 18 octobre 2022 impose l’extinction des publicités lumineuses en cas de pic de consommation d’électricité, c’est-à-dire en cas de signal EcoWatt rouge. De plus, le décret dit « BACS » impose des systèmes de pilotage technique des bâtiments. Enfin, un décret publié le mois dernier permet une suspension temporaire de l’obligation de l’eau chaude sanitaire dans les bâtiments tertiaires.

Nous avons également mis en place des mesures de soutien pour accompagner les Français. La sobriété ne supposant pas d’investissements, la frontière avec l’efficacité énergétique peut être poreuse. Néanmoins, les accompagnements en matière d’ingénierie et de construction de programmes sont utiles.

Nous avons ainsi accompagné les collectivités locales en lançant le programme ACTEE+ (action des collectivités territoriales pour l’efficacité énergétique). Doté de 220 millions d’euros, il permet de réaliser des diagnostics sur l’éclairage ou la gestion des piscines. Pour les TPE-PME, nous avons lancé, avec CCI France, CMA France et La Poste, le programme « Baisse tes Watts », doté de 26 millions d’euros. Pour accompagner les particuliers, nous avons revalorisé certains certificats d’économie d’énergie, afin de mieux soutenir les changements de modes de chauffage au fuel ou le fait de mieux piloter le chauffage domestique. Nous avons également lancé un plan covoiturage et un plan vélo, assortis de certificats d’économie d’énergie, pour inciter au passage vers une économie plus durable. Nous avons enfin accentué le soutien à la rénovation énergétique au travers du dispositif MaPrimeRénov'.

Grâce à ces mesures et à la communication gouvernementale, les résultats ont été exceptionnels : partout en France des efforts ont été accomplis pour baisser le chauffage, limiter les éclairages et revoir les habitudes de transport et de consommation.

Notre consommation d’électricité globale a baissé de 8 % et notre consommation de gaz de 16 %, après correction des effets météo.

Par ailleurs, nous avons baissé notre consommation combinée de gaz et d’électricité de près de 12 % l’hiver dernier. Nous n’avons pas de trace de trajectoires équivalentes dans les cinquante dernières années.

Nos émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 8,5 % au quatrième trimestre. Elles étaient étales durant les trois premiers, alors que nous avions eu recours à plus de gaz dans le contexte de la crise climatique. En particulier, les émissions ont baissé de 15 % dans le secteur des bâtiments sur toute l’année. Ce résultat est intéressant car il dépend très peu de l’activité économique.

Selon le rapport de RTE sur le passage de l’hiver, la mobilisation des Français en faveur de la sobriété a permis d’éviter huit signaux EcoWatt orange et douze signaux EcoWatt rouge. Or, le signal EcoWatt rouge entraîne des mesures de restriction de l’électricité et de baisse de tension pouvant déboucher sur des délestages.

Mieux encore, le 12 décembre 2022, soit durant le pic hivernal théorique de consommation énergétique, l’équivalent de la production de sept réacteurs nucléaires a été économisé. Pour rappel, le programme de relance du nucléaire porte sur six réacteurs, certes plus puissants.

En somme, nous avons su faire en trois mois ce que notre pays n’a pas su faire en trente ans.

Je citerai quelques exemples d’application du plan de sobriété énergétique.

Tout d’abord, les consignes de température ont été très largement respectées dans les logements et le secteur tertiaire. La baisse drastique des consommations résulte principalement de cette mesure. Ainsi, 92 % des collectivités territoriales ont baissé leur chauffage, 76 % ont réduit la période de chauffe et 86 % des gestionnaires d’infrastructures sportives ont diminué la température de chauffage.

Ensuite, des efforts importants ont été faits concernant l’éclairage. Les éclairages ornementaux des bâtiments publics sont désormais, sauf exception, éteints entre 22 heures et 6 heures.

Enfin, les premiers efforts ont été engagés pour limiter la consommation de carburant et promouvoir le télétravail organisé et concerté. La circulaire signée par la Première ministre début août demandait aux agents en fonction de rouler à 110 km/h sur autoroute, hors mission d’intervention d’urgence.

Afin de montrer l’exemple et d’en mesurer l’utilité, j’ai mené au sein de mon ministère une expérimentation concernant le télétravail, visant à mesurer la baisse de la consommation énergétique des bâtiments lorsqu’ils sont totalement mis à l’arrêt lors de week-ends prolongés. En regard, nous avons mesuré l’effet rebond potentiel chez les agents publics qui acceptaient de communiquer leurs données de consommation.

Les premiers résultats de cette étude menée par l’Institut français pour la performance du bâtiment (IFPEB) et l’ADEME sont très positifs. Nous avons ainsi fermé des bâtiments à Paris et en province, en examinant aussi différentes situations liées aux transports en commun. L’étude nous a renseignés sur les bonnes pratiques à adopter pour que le télétravail puisse entraîner une baisse de la consommation énergétique.

Grâce à ce plan, nous avons engagé la France sur une trajectoire de baisse de la consommation et contribué à rendre acceptable le terme « sobriété » au sein des politiques de transition énergétique et écologique. Mon collègue Christophe Béchu a mis en place, de son côté, un plan de sobriété sur l’eau. Nous aurons besoin de sobriété pour les matières premières, les intrants consommés, mais aussi le foncier, comme le préconise déjà l’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN).

Une baisse cruciale de la consommation est nécessaire pour atteindre nos objectifs climatiques, comme nous l’a encore montré cette semaine le rapport de la mission de Jean Pisani-Ferry sur les incidences économiques de l’action pour le climat. Celui-ci énonce que, d’ici 2030, « la transformation reposera principalement sur la substitution de capital aux énergies fossiles : la sobriété contribuera à la réduction des émissions », mais pour 15 % environ, en tout cas pour moins de 20 %. Nous faisons nôtre cet objectif. Il nous faut adopter l’approche la plus scientifique et la plus expérimentale possible pour avancer.

Le rapport précise aussi que « la sobriété n’est pas nécessairement synonyme de décroissance et peut de plus être source de bien-être ». Nous devons donc approfondir les mesures de sobriété pour les inscrire dans le temps. C’est pourquoi, lors du Conseil de planification écologique de janvier 2023, le Président de la République a annoncé la préparation d’un deuxième plan de sobriété.

Ce plan a été engagé dès mars par une large concertation avec les collectivités territoriales, les corps intermédiaires, les experts, les acteurs économiques, les associations environnementales et les administrations. Les différents groupes de travail sectoriels ont été réunis plusieurs fois.

La consommation énergétique a continué de baisser depuis le début de l’année, y compris pour les consommateurs protégés par le bouclier énergétique, qui ne sont pas soumis à la volatilité des prix. En revanche, deux frustrations subsistent.

Le numérique reste un angle mort de notre politique de sobriété. En effet, il est très difficile d’évaluer la consommation liée au numérique et l’impact énergétique que peut avoir la conception d’applications au sein des grandes entreprises (ERP).

La baisse de la consommation de carburant n’a pas été au rendez-vous. En effet, l’attention s’est plutôt portée sur l’électricité et le gaz. Cet élément doit être abordé et renforcé.

La sobriété doit contribuer à l’atteinte de l’objectif de réduction de 30 % de consommation d’énergie finale en 2030 par rapport à 2012. Cet objectif est fixé par la directive européenne sur l’efficacité énergétique, en cours de finalisation.

La deuxième étape du plan de sobriété sera dévoilée mi-juin. Elle vaudra pour 2023-2024, mais n’a pas prétention à aller au-delà. Elle mettra l’accent sur deux sujets.

D’une part, l’intégration d’un volet sobriété estivale, insistant sur les bons gestes à adopter pour réduire sa consommation pendant l’été.

D’autre part, l’approfondissement de l’implication des grands acteurs, notamment les grandes entreprises. Je leur ai demandé d’adopter en conseil d’administration des objectifs chiffrés de baisse de leur consommation, puis de les présenter si possible en comité social et économique (CSE), afin de leur donner une plus grande force juridique, ainsi que de les publier sur internet pour les rendre opposables, au moins d’un point de vue réputationnel. Par ailleurs, les entreprises doivent développer le télétravail et examiner la possibilité de faire de la question de la vitesse des salariés sur les routes un élément de dialogue social.

À moyen terme, nous devons travailler sur les co-bénéfices de la sobriété sur la santé ou sur la biodiversité. Ce sera l’objet de la LPEC et ce sera au cœur des activités du groupe de travail « sobriété ». Il faut rendre la sobriété désirable. Je citerai deux exemples.

Tout d’abord, 40 % des trajets en ville s’effectuent sur moins de cinq kilomètres. Or, les médecins indiquent qu’il faudrait faire une demi-heure d’activité sportive légèrement soutenue par jour. Ainsi, il est possible d’abandonner la voiture pour marcher ou faire du vélo. Cependant, il faut créer une habitude et rendre ces comportements désirables. Il faut également mettre en place les infrastructures adéquates, par exemple pour garantir la sécurité des trajets cyclistes.

Ensuite, l’éclairage public nocturne nuit fortement à la biodiversité. Dans un certain nombre de communes rurales ou périphériques, cette nuisance est directement mesurable. Si certains enjeux relatifs à la biodiversité sont planétaires et multifactoriels, le bénéfice d’une réduction des éclairages publics est directement visible.

Par ailleurs, l’écoconception des politiques publiques doit être renforcée. Chaque fois que nous construisons une nouvelle école, nous devons réfléchir à ses implications énergétiques ou à sa desserte par les transports en commun. L’écoconception des politiques publiques est d’abord un sujet national relevant du législateur, mais sa dimension est également locale.

Aussi, la gouvernance locale doit pouvoir être adaptée en fonction des situations. Au sein des groupes de travail locaux consacrés à la sobriété, un élu de l’association France urbaine avait par exemple souhaité étaler les horaires d’ouverture des écoles, des usines ou des bureaux, afin de favoriser la sobriété des transports et éviter les pics de voyageurs.

La question est très judicieuse, mais la réponse très complexe à mettre en œuvre. Les élus locaux n’ont la main ni sur l’Éducation nationale, ni sur les horaires d’ouverture des entreprises. Il ne suffit pas d’étaler les horaires d’ouverture entre 8 et 9 heures du matin. Sur un tel sujet, nous sommes confrontés à la granularité du réel.

A minima, cela pose la question de la gouvernance locale et de la contractualisation. Ainsi, nous entrons dans une planification de la sobriété bien plus ambitieuse.

Mesdames et Messieurs, vous aurez compris qu’après le sprint du premier plan de sobriété, nous nous engageons désormais dans un marathon. Celui-ci est crucial pour faire face au défi climatique.

Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. – Madame la Ministre, vous avez évoqué un certain nombre de points que nous avons relevés lors de nos auditions. Vous soulignez à juste titre le besoin d’organisation et de coordination de nos systèmes. Le besoin d’information est également primordial : des plateformes numériques peuvent aider à prendre des décisions, s’agissant du covoiturage ou du réglage de la ventilation dans les bâtiments par exemple. Les questions d’écoconception et de low tech ont également été évoquées. Prendre en compte l’énergie grise permet, par exemple, de fabriquer des équipements sans gaspillage.

Vous avez parlé de court, de moyen et de long terme. Pourriez-vous évoquer le calendrier, les horaires, la saisonnalité, autant de facteurs qui affectent la production agricole ?

Par ailleurs, la baisse actuelle du prix de l’énergie pourrait occasionner des formes de relâchement sur l’attention portée à la sobriété. Comment pouvons-nous davantage inciter à la sobriété, sachant que les actions menées en France sont relativement inédites au niveau international ? Je tiens à saluer les initiatives du Gouvernement sur ce sujet.

Mme Agnès Pannier-Runacher. – En effet, la notion de sobriété portée par la France est assez spécifique. Si beaucoup de pays ont pris des mesures de sobriété cet hiver, celles-ci sont restées ponctuelles. Au contraire, la France a fait de la sobriété un aspect essentiel de la transition énergétique.

Cette orientation est également partagée par l’Inde, qui présidera la prochaine réunion du G20 au mois de juillet. Nous avons essayé de porter ensemble cette conception de la sobriété dans la déclaration commune du G7, où l’Inde était invitée, afin d’attirer l’attention de nos partenaires sur l’importance de la maîtrise de la consommation d’énergie. Si l’usage de la technologie pour faire baisser la consommation d’énergie est largement admis, l’idée d’interroger nos modèles de consommation ne fait pas l’unanimité au sein du G7. Nous allons donc essayer de porter ce sujet aux niveaux européen et international.

L’effet prix est effectivement important. Ce sujet sera examiné en vue des futures recommandations de politique publique qui seront inscrites dans la LPEC. Il comprend l’examen des niches fiscales brutes, mais aussi du signal prix. Nous devons suivre une ligne de crête entre, d’une part, la préservation du pouvoir d’achat de ceux qui n’ont pas les moyens de sortir facilement des énergies fossiles, et d’autre part l’envoi d’un signal prix qui permette d’inciter à des comportements moins énergivores.

La démarche adoptée par « Fit for 55 » acte qu’aucun secteur ne doit échapper à la prise en compte de son empreinte carbone, y compris le transport maritime international ou l’aviation, secteurs qui ont longtemps été laissés de côté. Tous les secteurs payent-ils le prix réel correspondant à leurs émissions ? Cette question mérite d’être étudiée. De plus, il faut trouver les moyens de faire payer le prix du CO2 à ceux qui en ont les moyens.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. – Merci, Madame la Ministre, pour vos propos. Nous voyons bien que beaucoup reste à faire. Nous parlons de « la » sobriété alors que celle-ci revêt plusieurs dimensions : structurelle avec l’organisation de l’espace qui relève plutôt des politiques publiques, dimensionnelle avec la question de la communication à destination des usagers, sans parler de la sobriété d’usage et des questions de déplacement.

Vos estimations concernant les baisses de CO2 concordent avec celles de négaWatt. La baisse de 8 % enregistrée l’hiver dernier est similaire à celle observée durant le confinement. Ce résultat est remarquable.

Par ailleurs, je pense que l’acceptabilité des co-bénéfices est extrêmement importante pour le passage à l’acte de l’opinion publique et pour rendre plus pérennes les usages et les comportements. Concernant l’exemplarité de l’État, la gestion technique des bâtiments publics, qui est une obligation légale, n’est absolument pas appliquée. Par exemple, l’extinction du chauffage la nuit n’est jamais programmée, alors qu’il s’agit d’un réflexe dans le secteur privé.

Si la mesure des 19 degrés a bien été respectée, il ne faudrait pas occulter l’impact de l’effet prix. Les ménages ont d’abord pensé en termes de contraintes budgétaires. Par ailleurs, la limitation de la vitesse pourrait provoquer un effet report sur les routes départementales. Le résultat en termes de réduction des émissions pourrait ainsi ne pas être si spectaculaire.

Nous sommes attachés au terme « juste assez », celui de « sobriété » étant assez mal défini et celui de « suffisance » étant trop négativement connoté.

Mme Agnès Pannier-Runacher. – Je partage un grand nombre de vos propos.

Outre l’exemplarité, le développement de la gestion technique des bâtiments publics permet un retour rapide sur investissement. Sa réalisation est en cours au niveau de l’État et devra être déclinée par les collectivités territoriales. Nous nous préoccupons également de l’ingénierie d’accompagnement de ces dernières, afin qu’elles connaissent les coûts et les bénéfices des opérations de rénovation.

Par ailleurs, entre le début et la fin de l’année, nous observons une amélioration massive de l’économie d’énergie réalisée sur des contrats dont les montants sont restés strictement identiques, les prix de l’électricité et du gaz étant couverts par le bouclier énergétique. La consommation d’électricité diminuait de 2 % en début d’année et de 8 à 9 % en fin d’année. Ces chiffres sont plus nets encore pour le gaz.

La communication autour de l’envolée des prix a pu avoir un impact sur l’anticipation du risque d’augmentation de la facture par les ménages. L’effet prix était peut-être psychologique, mais les consommations entre le début et la fin de l’année présentent une véritable différence. L’effet prix est en revanche très net, sur le gaz notamment, dans le monde de l’entreprise, et particulièrement dans le secteur industriel où la baisse de consommation avoisine les 20 %.

Concernant la vitesse sur la route, il faut en effet éviter les effets de report. Néanmoins, nous souhaitons provoquer des changements d’habitudes dans des cadres professionnels accoutumés aux négociations sociales. Cette préoccupation peut entrer en résonance avec la diminution de la consommation de carburant. La réduction de la vitesse permet par exemple à l’employeur de payer moins de carburant. Elle diminue la fatigue des conducteurs et augmente la sécurité au travail. Nous souhaitons que chaque employeur s’interroge sur les meilleures façons d’économiser du carburant en prenant en compte la qualité de vie au travail. Les négociations intégreront aussi d’autres éléments, comme le télétravail, l’organisation des réunions et des déplacements, en fonction des besoins particuliers de l’entreprise.

Je refuse en effet d’imposer une vision parisienne et centralisée de ce qui est bon pour les entreprises. En revanche, nous pouvons poser un cadre de discussion et de négociations et proposer aux employeurs des trajectoires de réduction de leurs empreintes en Scope 1 et 2.

Par ailleurs, concernant la valeur de l’exemplarité, l’État a créé le concours CUBE (Concours usages bâtiment efficace) qui invite une catégorie d’acteurs, écoles, bâtiments publics ou entreprises, à diminuer leur consommation d’énergie à travers le seul prisme de la sobriété. Ces concours ont un fort impact, en entraînant une baisse de 11 % de la consommation d’énergie en moyenne, et jusqu’à 30 % pour les acteurs les plus engagés.

Dans les collèges et lycées, on constate que le taux d’adhésion aux mesures coconstruites autour de l’établissement scolaire dépasse 80 % chez les élèves, qui les répliquent chez eux, et chez les parents d’élèves. Ces démarches montrent que la sobriété peut également servir de catalyseur pour l'élaboration de narratifs et de projets communs au sein d’une organisation. Nous continuerons donc à soutenir ces concours en multipliant les angles et les catégories (TPE, PME, etc.).

Enfin, nous disposons d’une grande masse de données sur la consommation énergétique. Enedis est reconnu comme le meilleur réseau digital au monde, notamment par des experts de Singapour. Un certain nombre d’équipements consommant de l’énergie pourraient faire l’objet d’offres de contrats d’électricité valorisant la sobriété. L’hiver dernier, nous avons modifié le moment de déclenchement automatique des chauffe-eau, ce qui a permis de ne pas devoir appeler une puissance de 2,5 gigawatts. Ce raisonnement peut être étendu au chauffage, aux box internet, etc...

M. Alexandre Sabatou, député. – Madame la Ministre, je n’ai pas très bien saisi votre réponse concernant la baisse de la consommation d’électricité et de gaz. La baisse de la consommation de gaz ayant été deux fois plus importante que celle de l’électricité, il apparaît probable que l’explosion des prix a eu plus d’impact que les recommandations gouvernementales. Quels éléments vous font penser l’inverse ?

Le rapport Pisani-Ferry recommande entre 25 et 34 milliards d’euros d’investissement d’ici 2030. Comment comptez-vous concrétiser ce plan, si vous souhaitez le faire, et quelles seront vos priorités d’investissement ?

Mme Agnès Pannier-Runacher. – D’abord, le gaz est beaucoup plus utilisé pour le chauffage que l’électricité, mais beaucoup moins pour d’autres usages. Cet élément explique la baisse plus importante de consommation du gaz chez les acteurs résidentiels par rapport à l’électricité. Je répète que pour les particuliers, le coût du gaz comme celui de l’électricité est resté identique du début à la fin de l’année. Or, en février 2022, les diminutions de consommation combinées avoisinaient 2 %, contre 12 % en décembre. L’effet prix n’est donc pas l’élément d’explication directe de la baisse de consommation des ménages.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office. – Je voudrais vous faire part de quelques remarques concrètes qui m’ont été faites dans ma circonscription.

Tout d’abord, dans la région lyonnaise, les halls des concessionnaires automobiles sont constamment éclairés. Ne faudrait-il pas prendre une mesure claire sur ce sujet ?

Par ailleurs, les consignes de température ne sont pas les mêmes en Italie et en France. L’alliance européenne constituée autour du nucléaire pourrait-elle trouver un équivalent concernant la sobriété, afin que la France bénéficie de l’expérience d’autres pays ?

Lorsque j’étais vice-président d’université, j’ai eu l’honneur de recevoir Stéphane Diagana, qui travaille sur la conception de bâtiments et sur la circulation en leur sein. Or, dans beaucoup de bâtiments, l’ascenseur est directement visible en entrant, contrairement à l’escalier, plus caché. C’est notamment le cas à l’Assemblée nationale. Cet élément pose problème et ignore les co-bénéfices sur la santé.

Vous nous avez parlé de sprint et de marathon pour différencier le premier plan sobriété du second, deux pratiques qui demandent un entraînement complètement différent. Par conséquent, quel retour d’expérience faites-vous sur ce sprint ? Comment faire de la sobriété un mode de vie, de pensée et de conception ? Les sociologues sont-ils associés à la conception de ce deuxième plan de sobriété ? Je vous remercie pour votre action sur ce sujet.

Mme Agnès Pannier-Runacher. – Concernant les halls de concessionnaires, je partage votre avis. Il est indispensable qu’un décret fournisse une règle commune, sur cette question comme sur d’autres. En effet, il ne faut pas que les bons élèves en matière de sobriété soient moins attractifs que leurs concurrents. La question se joue au niveau des filières. Nous avons appliqué ce raisonnement à la grande distribution, afin de recréer un fonctionnement commun moins énergivore. Ainsi, le maintien de mauvaises pratiques sera sanctionné en termes de réputation, d’attractivité, ou plus simplement via des sanctions administratives et financières.

Concernant la question du plan européen de sobriété, je souhaite pousser cette idée, comme lors du G7. Différentes accroches existent dans les textes et la question suscite l’intérêt de la Commission européenne. Néanmoins, aucune politique concrète n’est encore définie. Nous y travaillons avec l’Agence internationale de l’énergie, son directeur général Fatih Birol souhaitant faire de la sobriété l’un des thèmes de sa réunion ministérielle de janvier ou février 2024.

La question de l’écoconception des politiques publiques et des bâtiments rejoint celle du nudge. Il faut rendre la sobriété accessible et facile à appréhender. Par exemple, le déclenchement automatique des vidéos en ligne consomme de l’énergie. La sobriété est la somme d’une multitude de petites actions. Je travaille avec la French Tech Corporate Community, qui réunit les directeurs des services informatiques et technologiques de la plupart des grandes entreprises, pour qu’ils réfléchissent au déploiement des habitudes de sobriété numérique. Nous étudions à la fois l’usage des smartphones ou des ordinateurs et des sujets plus techniques comme la conception des serveurs.

Nous avons besoin en effet de nous appuyer sur des travaux académiques en matière de sobriété. Si quelques associations et personnalités s’intéressent à ce sujet, nous ne disposons pas encore d’un corpus très établi. Si le corpus philosophique est abondant, il faut passer à une approche sociologique visant à rendre désirable une conception plus durable de la vie, en privilégiant par exemple la qualité à la quantité. Ces éléments sont encore peu explorés. Que deviendront le marketing et la publicité dans un monde durable ? Je suis éblouie par les grandes écoles qui s’inscrivent dans la transition écologique et énergétique. Néanmoins, il faut que l’enseignement change en conséquence, par exemple sur le marketing et la publicité.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l’Office. – À l’automne, la Première ministre déclarait que la sobriété et le rationnement étaient de puissants outils de justice sociale. Beaucoup en doutent encore. De plus, comme le montre la science politique, une définition rabotée de la sobriété, résumée à des petits gestes, risque de créer un conflit de cadrage.

Dès lors, comment assurer la conciliation entre sobriété et justice sociale ? Je pense notamment à la mise en place des zones à faibles émissions, qui touchent les citoyens au quotidien de manière très différenciée.

Les incitations à la sobriété énergétique n’ont de chance d’être suivies que si elles s’inscrivent dans un plan d’ensemble de réduction des consommations d’énergie. Comment inciter chacun à fournir des efforts sans vouloir, par exemple, réguler les jets privés ? De même, les publicités pour les avions ou les voitures pourraient être retirées de l’espace public, la vitesse sur l’autoroute réduite. Quid des exonérations fiscales, qui coûtent cher au contribuable et augmentent notre consommation énergétique ? L’exonération totale du kérosène aérien sur les vols domestiques représente 1,3 milliard d’euros de manque à gagner, et celle sur le transport routier 300 à 500 millions d’euros. Nous faisons face à un problème de cohérence entre les discours et les décisions publiques.

Par ailleurs, la gestion thermique des bâtiments est défectueuse, sans parler des installations d’énergie renouvelable. L’État doit donner des signaux forts de son implication dans la transition énergétique.

Mme Agnès Pannier-Runacher. – Sur ce dernier point, l’État a strictement respecté la température de consigne, accéléré son équipement en gestion technique des bâtiments et explore l’installation d’énergies renouvelables, comme la géothermie, pour l’Élysée par exemple. Néanmoins, ces changements prennent un certain temps et relèvent plus de l’efficacité énergétique et de l’utilisation des énergies renouvelables que de la sobriété. Lorsque le plan de sobriété énergétique a été annoncé, beaucoup pensaient qu’il serait peu respecté dans les ministères. Au contraire, il a été strictement appliqué.

Le plan de sobriété énergétique n’est pas une somme d’écogestes. Il passe d’abord par la mobilisation des grandes entreprises, collectivités locales et administrations, avec un reporting et une collecte de données sectorisées, dans le sport par exemple. Ainsi, en Ligue 1, dix-huit ou vingt clubs respectent les consignes d’éclairage du plan. La question du transport des joueurs n’est pas encore résolue, le sujet comportant des enjeux multiples. Cette question qui paraissait anecdotique il y a quelques années est devenue primordiale. De la même manière, dans la culture, les grands spectacles utilisent désormais Enedis, au lieu de générateurs électriques au fuel.

Je partage vos considérations concernant l’équité sociale, qui fait l’objet de plusieurs mesures. « Fit for 55 » ne laisse plus de côté les secteurs aéronautique et maritime : au niveau européen, tous les secteurs payent d’une manière ou d’une autre, et les exigences augmentent chaque année. Je rappelle que « Fit for 55 » représente 3 500 pages de législation. Ce texte est le plus ambitieux et exigeant au monde en matière de transition énergétique et climatique, au point que son applicabilité et son acceptabilité sont contestées par certains. Il faut d’abord le déployer en tenant compte des différences territoriales de consommation d’énergie et de capacité à sortir des énergies fossiles.

Le malus au poids est déjà inclus dans les critères de soutien public. Les exonérations fiscales sur le transport routier donnent lieu à des discussions animées depuis des années. Nous devons tenir compte de l’impact qu’aurait la fin de cette niche fiscale sur les transporteurs. Ces derniers sont loin d’être les personnes profitant le plus de la situation et constituent un maillon assez indispensable de notre approvisionnement énergétique. Il faut les accompagner pour qu’ils diminuent progressivement leur consommation de carburant.

Nous devons penser aux alternatives. Or, nous ne disposons pas aujourd’hui d’une offre pléthorique de transports routiers décarbonés. Nous subventionnons leur émergence, sachant qu’ils coûtent deux à trois fois plus cher que les poids lourds classiques, et tentons d’accompagner la transition énergétique des transporteurs.

Prenons garde à la tentation collective d’adopter des mesures fortes pour avoir les mains propres, tout en déplaçant les problèmes ailleurs dans le monde. Au fond, nous avons exporté la pollution. Cette pseudo-solution est à la fois terriblement hypocrite, destructrice du tissu économique et défavorable aux personnes les plus précaires.

Dans le bassin minier, nous avons perdu des dizaines de milliers d’emplois à la suite de la fermeture des mines ainsi que des restructurations successives de l’industrie lourde et de l’industrie automobile. Ces stigmates se répercutent aujourd’hui sur le nombre de personnes au RSA, sur l’absence de perspective pour les jeunes et sur la dépolitisation.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l’Office. – Certes, mais ce sujet n’a pas grand-chose à voir avec la question initiale.

Mme Agnès Pannier-Runacher. – Nous pouvons, par exemple, choisir de fermer les usines de SUV, mais celles-ci seront reconstruites de l’autre côté de la frontière et des milliers d’emplois de techniciens seront supprimés par cette décision.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-président de l’Office. – Comment avez-vous travaillé sur l’impact du numérique ? Nous lisons souvent qu’il consomme énormément d’électricité. Avez-vous prévu de lancer une étude sur cette question ?

Vous avez également parlé de communication, en lien avec la biodiversité et la santé. Cependant, il faut également continuer à parler du coût. En effet, je ne pense pas que la communication ait eu l’impact que vous lui prêtez sur la baisse des consommations d’énergie cet hiver.

Enfin, concernant l’exemplarité de l’Etat, dans les écoles la règle des 19 degrés ne passe ni auprès des enfants, ni auprès des enseignants. En établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou en maternelle, cette mesure est-elle adaptée ?

M. Pierre Ouzoulias, sénateur. – Le petit-fils de paysans corréziens que je suis est ravi de voir que la sobriété millénaire des campagnes est importée dans les villes. Pour une fois que la Haute Corrèze est en avance sur son temps, j’en suis très satisfait ! Pline raconte que l’empereur Tibère a mis à mort un artisan verrier lui ayant proposé du verre incassable, car cette innovation aurait mis les autres ouvriers au chômage.

Ces deux exemples montrent que le rapport au progrès et à la technologie a beaucoup changé. Nous avons donc besoin de la science, des connaissances et des sciences humaines. Vous nous avez dit que vous pouvez solliciter des compétences individuelles. Mais votre ministère ne devrait-il pas passer des programmes et des contrats d’objectifs avec les grands opérateurs de la recherche, notamment le CNRS ? Nous avons besoin d’une programmation de la recherche.

Mme Agnès Pannier-Runacher. – Le numérique représente 2 % de nos émissions de gaz à effet de serre, avec une projection de multiplication par trois d’ici 2050, et 10 % de notre consommation d’électricité avec, comme principale source de consommation, les outils et non les usages.

Ces chiffres montrent l’importance du reconditionnement et de la lutte contre l’obsolescence programmée. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) mène un important travail à ce sujet. Nous devons aller plus loin et inciter les citoyens à réparer les outils numériques plutôt que de les changer.

En 2019, un programme d’évaluation de l’empreinte carbone du numérique a été lancé avec le ministère de la Transition écologique et suivi d’un plan visant à la stabiliser d’ici 2025. En utilisant notamment le levier technologique que constitue la 5 G, ce plan visait à absorber l’augmentation des usages des données.

De plus, un travail est mené concernant l’écoconception des applications numériques. Par exemple, certaines applications professionnelles n’ont pas besoin d’être rafraîchies toutes les deux heures. Cédric O et Jean-Noël Barrot ont repris les objectifs de décarbonation du numérique avec des plans d’action assez précis.

Le prix constitue, en effet, un élément primordial de gestion de la consommation d’énergie. La potentielle suppression des niches fiscales, déjà mentionnée, est un moyen de réduire la consommation d’énergie, de même que la gestion du tarif du bouclier énergétique, ou du prix du gaz par rapport à l’électricité, celle-ci étant décarbonée à 90 %. Des propositions seront sans doute faites sur ces questions.

La règle des 19 degrés, quant à elle, est inscrite depuis longtemps dans la loi. Cette température est assez communément partagée, notamment par l’expertise médicale. Elle a été adoptée par la plupart des pays européens ayant mis en place des plans de sobriété. En revanche, les crèches, les maternelles et les Ehpad ne sont pas soumis à cette règle. Le véritable problème concerne les passoires thermiques, qui nécessitent d’importantes rénovations. C’est l’enjeu du plan école lancé par Christophe Béchu, dont les retombées sont importantes : les émissions de gaz à effet de serre baissent, la consommation d’énergie également et les enfants comme les professeurs travaillent dans de meilleures conditions, été comme hiver.

Enfin, nous n’avons pas encore réfléchi à l’établissement de contrats d’objectifs avec de grands opérateurs. Il pourrait s’agir de l’une des recommandations du groupe « sobriété » travaillant sur la loi de programmation sur l’énergie et le climat. J’en parlerai à ma collègue Sylvie Retailleau.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – Je voudrais vous remercier, Madame la Ministre, d’être venue nous parler de la sobriété, vertu exemplaire dont l’État prend en charge la diffusion au risque d’aboutir à des paradoxes. En effet, l’État, dans sa complexité, n’est pas le plus à même de parler de cette notion et risque le ridicule.

Vous êtes née en 1974. J’étais alors jeune sous-préfet : le ministère de l’Intérieur avait envoyé, à la suite du deuxième choc pétrolier, une circulaire relative à l’extinction des vitrines des commerces à 22 heures. Celle-ci a suscité une forte émotion, mais elle a été appliquée, de manière très inégale, et est vite devenue obsolète. Je ne pense pas que l’État doive trop entrer dans le détail de la sobriété.

En revanche, le patrimoine de CO2 que les Français peuvent mobiliser dans leur vie quotidienne devrait peut-être faire l’objet d’un suivi individualisé, afin que chacun sache où il en est et puisse avoir les bons gestes. À cet égard, l’effet prix me paraît particulièrement important. Les factures de chauffage au gaz ont tout de même doublé dans la plupart des cas : j’ai du mal à comprendre les effets du bouclier énergétique.

Pour répondre à la question des jets privés, la plupart sont utilisés par des entreprises pour des besoins professionnels. Les entreprises pourraient disposer d’un patrimoine de CO2, avec des dépenses, des économies et des émissions plafonnées. Ce système permettrait de responsabiliser les acteurs. L’Office devrait travailler sur les systèmes de contrôle et de mesure en la matière, de la même manière que, pour l’électricité comme pour le gaz, les compteurs connectés ont constitué une véritable révolution.

J’ajoute qu’avec le passage du patrimoine français d’énergie électrique de 450 TW/h à 300 TW/h, toutes nos « petites économies » sont balayées par une seule décision, si pertinente et légitime soit-elle. Les systèmes centralisés, s’ils ne sont pas maîtrisés, découragent les gestes individuels dont l’addition totale représente en général une part très minoritaire des grands acteurs. La décarbonation des processus industriels et de l’énergie est un devoir absolu. Le rôle de l’OPECST consiste plutôt à examiner la relation entre coûts et rendements de telle ou telle mesure. Néanmoins, je partage l’orientation générale de la sobriété.

 


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II.   La sobriété énergétique dans les pays nordiques (Service économique Régional de Stockholm)


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III.   La sobriété énergétique en Allemagne (OFATE)


[1] Audition publique sur les problèmes de corrosion sous contrainte rencontrés sur le parc électronucléaire d’EDF, M. Pierre Henriet, député, et M. Gérard Longuet, sénateur, rapporteurs, 27 octobre 2022

[2] Bilan énergétique de la France en 2020 - Données définitives, ministère de la Transition écologique, décembre 2021

[3] Sobriété énergétique, un nouvel oxymore ?, AOC, février 2020

[4] Panorama sur la notion de sobriété, ADEME, 2019

[5] La définition du CESE est la suivante : « Ensemble de mesures, d’organisations collectives et de pratiques du quotidien, qui évitent et réduisent la demande en énergie, matériaux, sol et eau tout en assurant le bien-être pour toutes et tous dans les limites planétaires. »

[6] Raworth, Kate. (2013). Defining a Safe and Just Space for Humanity. 10.5822/978-1-61091-458-1_3.

[7] L’évolution récente des comportements de vacances des Français et la géographie du tourisme, Françoise Cribier, Travaux de l’Institut de Géographie de Reims, 1973

[8] Source : Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC)

[9] Source : baromètre Raffour Interactif 2022

[10] Baromètre mobilité et entreprise 2022, IFOP – Alphabet France

[11] Source : Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement1 (CNUCED)

[12] Source : Forum international des transports ou FIT (em anglais, International Transport Forum ou ITF)

[13] Mobilités étudiantes internationales : l’attractivité de la France, Lama Kabbanji, Antonina Levatino, Sorana Toma, Plein droit 2021

[14] Institut statistique de l’Unesco (ISU), avril 2021

[15] C. Zell-Ziegleret al., Enough? The role of sufficiency in European energy and climate plans, Energy Policy, 2021

[16] Stratégie française pour l’énergie et le climat, Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2023 / 2024-2028, Ministère de la Transition écologique et solidaire, 21 avril 2020

[17] Carina Zell-Ziegler and al. Enough? The role of sufficiency in European energy and climate plans, Energy Policy, Volume 157, 2021,

[18]  Rockström, et al.. Planetary boundaries:exploring the safe operating space for humanity. Ecology and Society 14(2): 32.

[19] Will Steffen et al., Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet. Science 347,1259855 (2015)

[20] Wang-Erlandsson, L., et al. A planetary boundary for green water. Nat Rev Earth Environ 3, 380–392 (2022)

[21] Les métaux stratégiques pour la transition énergétique, Christophe Poinssot, BRGM, 23 février 2022

[22] The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions- World Energy Outlook Special Report, AIE,

[23] Les métaux dans la transition énergétique, Emmanuel Hache, IFP-EN, janvier 2022

[24] The Future of Copper Will the looming supply gap short-circuit the energy transition?, S&P Global, avril 2023

[25] Fluxes, not stocks: The real challenges of metallic resources for the energy transition, François de Rochette et Greg De Temmerman, Zenon Research, février 2022

[26] The Mining of Minerals and the Limits to Growth, Simon P. Michaux, Geological Survey of Finland, mars 2021

[27] Avis L’apport de l’énergie nucléaire à la transition énergétique, aujourd’hui et demain, Académie des sciences, 8 juillet 2021

[28] Avis Perspective de la demande française d’électricité d’ici 2050, Académie des technologies, 10 mars 2021

[29] Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables

[30] Loi n° XX du XX mai 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes

[31] The Rebound Effect: An Assessment of the Evidence for Economy-wide Energy Savings from Improved Energy Efficiency, Steven Sorrel, UK Energy Research Center, 2007

[32] Supply of critical raw materials risks jeopardising the green transition (L’approvisionnement en matières premières critiques risque de compromettre la transition verte), OCDE, 11 avril 2023

[33] A. Kendel et N. Lazaric : The diffusion of smart meters in France: A discussion of the empirical evidence and the implications for smart cities, Emerald Insight, 3 juin 2015

[34] Le trop plein de SUV dans la publicité, mars 2021, WWF France

[35] Mise en place en septembre 2017 par la Commission Économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU), la norme WLTP pour Worldwide harmonised Light vehicles Test Procedure (ou procédure d’essai mondiale harmonisée pour les véhicules légers) est un cycle d’homologation des véhicules.

[36] B. Molinari et F. Turino, Advertising and aggregate consumption: a Bayesian DSGE assessment, Economic Journal, vol. 128, n°613, 2018

[37] Tiroirs pleins de téléphones remplacés : consommateurs et objets à obsolescence perçue, juin 2017, ADEME

[38] Sivitos, Stamatis and al. (2015). Don’t just press the button! Why appliance settings increasingly matter for efficiency delivery and rulemaking.

[39] L’économie circulaire, combien d’emplois ? France stratégie, avril 2016

[40] J. R. Catlin et Y. Wang, Recycling gone bad: When the option to recycle increases resource consumption, Journal of Consumer Psychology, Volume 23, Issue 1, 2013

[41] Rapport sur les enjeux des métaux stratégiques : le cas des terres rares, n° 3716, déposé le 23 août 2011 par MM. Claude Birraux et Christian Kert

[42] Rapport sur les enjeux stratégiques des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques, n° 3771, déposé(e) le jeudi 19 mai 2016 par M. Patrick Hetzel et Mme Delphine Bataille, p. 63 et suivantes

[43] Rapport sur les pollutions plastiques : une bombe à retardement ?, n° 3654 , déposé le jeudi 10 décembre 2020, par M. Philippe Bolo, député, et Mme Angèle Préville, sénatrice

[44] Pour chaque métal, la figure indique une concentration moyenne dans sa source primaire mais plusieurs concentrations dans ses sources secondaires. Par conséquent, chaque point de données indique la concentration d’une source secondaire par rapport à la concentration de la source primaire.

[45] van Leeuwen, K.G., de Rooij et al., How does artificial intelligence in radiology improve efficiency and health outcomes? Pediatric Radiology, 2022

[46] Audrey Tanguy, Valérie Laforest. Les frontières du Low-tech : principes-clés identifiés dans la littérature : RAPPORT DU PRC 20.2 VIABILITE LOW-TECH. [Rapport de recherche] PRC20.1 – L1.1, Mines Saint-Etienne. 2021, 21p. ffemse-03264266f

[47] Démarches « Low-Tech », état des lieux et perspectives, Rapport final, mars 2022, ADEME

[48] Responding to electricity shortfalls: Electricity-saving activities of households and firms in Japan after Fukushima, Osamu Kimura et Ken-Ichiro Nishio, Economics of Energy & Environmental Policy, 2016, vol. Volume 5, issue Number

[49] Politique de communale de sobriété : perspectives stratégiques pour les villes, les Länder et l’État fédéral - Brève étude du Wuppertal Institut pour le climat, l’environnement et l’énergie (Kommunale Suffizienzpolitik Strategische Perspektiven für Städte, Länder und Bund - Kurzstudie des Wuppertal Instituts für Klima, Umwelt, Energie), BUND, 2016

[50] Qualité de vie, participation et préservation des ressources par la diffusion sociale de pratiques de sobriété dans les quartiers urbains (Lebensqualität, Teilhabe und Ressourcenschonung durch soziale Diffusion von Suffizienzpraktiken in Stadtquartiere – SuPraStadt, Lars-Arvid Brischke et al., 2022

[51] Crise du coronavirus : impact sur la recherche énergétique - résultats de l’enquête dans les réseaux de recherche et recommandations d’action (Corona Krise: Auswirkungen auf die Energieforschung - Ergebnisse und Handlungsempfehlungen zur Umfrage in den Forschungsnetzwerken), décembre 2020

[52] Les économies d’énergie, clé de la sécurité énergétique - la sobriété comme stratégie (Energiesparen als Schlüssel zur Energiesicherheit – Suffizienz als Strategie), https://doi.org/10.5281/zenodo.6419202, 6 avril 2022

[53] J. Jungell-Michelsson, P. Heikkurinen, Sufficiency: A systematic literature review, Ecological Economics, Volume 195, 2022

[54] La sobriété énergétique, ce concept politique français encore incompris en Europe, Euractiv, 3 juin 2023

[55]En anglais : « spread out across a wide range of academic fields »

[56] E. Toulouse et al., Stimulating energy sufficiency: barriers and opportunities, ECEEE Summer Study Proceedings, 2017

[57] B. Villalba, Politiques de sobriété, Editions Le Pommier, avril 2023

[58] P. Bertoldi, Policies for energy conservation and sufficiency: Review of existing policies and recommendations for new and effective policies in OECD countries, Energy and Buildings, Volume 264, 1 June 2022

[59] Jean-Yves Le Déaut, député, et Marcel Deneux, sénateur, Les freins réglementaires à l’innovation en matière d’économie d’énergie dans le bâtiment : le besoin d’une thérapie de choc, 9 juillet 2014, Assemblée nationale n° 2113 (XIVe législature), Sénat n° 709 (2013-2014).

[60] Cristina Peñasco, Laura Díaz Anadón, Assessing the effectiveness of energy efficiency measures in the residential sector gas consumption through dynamic treatment effects: Evidence from England and Wales, Energy Economics, Volume 117, 2023

[61] Chiffres clés du climat France, Europe et Monde édition 2022

[62] The Meddin Bike-Sharing World Map, PSBC, 27 octobre 2021

[63] Évaluation de l’impact environnement du numérique en France et analyse prospective, 19 janvier 2022

[64] Pour une transition numérique écologique, rapport d’information n° 555 (2019-2020), déposé le 24 juin 2020, par MM. Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte

[65] Le stockage des données sous forme d’ADN, Les notes scientifiques de l’OPECST, décembre 2021

[66] Directive 2012/19/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE)

[67] Par exemple, le Fairphone 4, un téléphone modulaire, a des caractéristiques de taille, de poids, de performance et de résistance à l’humidité (IP 54) proches ou identiques à celles de ses principaux concurrents.