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N° 1703

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 octobre 2023.

 

 

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI visant la création d’un complément de revenu garanti par l’État pour les étudiants qui travaillent durant leurs études,

 

 

 

 

Par M. Kévin MAUVIEUX,

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro : 1150.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. Un contexte alarmant : l’aggravation de la précarité étudiante

A. Les jeunes étudiants : une population où le risque de pauvreté est particulièrement élevé

B. Des difficultés structurelles amplifiÉes sous l’effet de deux chocs : la crise sanitaire puis le choc inflationniste

1. La crise sanitaire a considérablement affecté le quotidien des étudiants et fragilisé leur situation financière

2. Une précarité en augmentation face à l’inflation

II. L’emploi étudiant : un phénomène massif et pourtant largement ignoré pAr les pouvoirs publics

A. une grande partie des Étudiants exercent un emploi à côté de leurs Études

B. les grandes caractéristiques de l’emploi étudiant

C. La question du lien entre emploi étudiant et rÉussite des Études

III. Un système d’aides largement défaillant qui laisse de côté les classes moyennes et qui ne prévoit aucune mesure dédiée pour les étudiants occupant un emploi

IV. Une proposition de loi essentielle pour soutenir les étudiants français en emploi

Commentaire des articles

Article 1er Instauration d’un complément de revenu pour les étudiants français

Article 2 Gage sur les superprofits

Travaux de la commission

ANNEXES

Annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Annexe n° 2 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 


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Introduction

À la rentrée 2023, un étudiant sur deux limite ou renonce à des achats alimentaires, contre un quart de l’ensemble de la population française. Près d’un étudiant sur deux a déjà sauté un repas, faute de moyens financiers suffisants ([1]).

Tristement mise en lumière lors de la crise sanitaire, à travers les témoignages devenant viraux sur les réseaux sociaux et les images médiatisées des files d’attente d’étudiants devant les associations d’aide alimentaire, la précarité étudiante ne cesse de s’accroître depuis lors. Alors que leur santé mentale est fragilisée et leurs conditions de vie dégradées, les étudiants sont aujourd’hui en première ligne face à l’inflation des prix, en particulier alimentaires. L’ensemble des mouvements politiques qui se succèdent depuis des décennies sont responsables de cette situation : le ressenti des étudiants sur leurs conditions, dans les enquêtes de l’observatoire de la vie étudiante, n’ayant presque pas bougé jusqu’à la crise de la covid-19.

Face à cette situation, les actions du Gouvernement sont très largement insuffisantes et inadaptées, avec une réforme des bourses très en deçà des enjeux et un retard plus que conséquent pris dans la construction de logements étudiants. Sur le plan alimentaire, la France connaît une fracture territoriale : de nombreux étudiants se situant sur des lieux d’études faiblement urbanisés n’ont pas accès à des restaurants universitaires. Ils n’ont par conséquent pas accès au repas à 1 euro pour les étudiants les plus en difficulté et 3,30 euros pour les autres et doivent s’alimenter à des prix plus élevés et avec une nourriture de moins bonne qualité (restauration rapide notamment).

Alors que plus de la moitié des étudiants exerce un travail en complément de leurs études, pour un volume horaire moyen d’une dizaine d’heures par semaine et un salaire moyen de 500 euros par mois, il n’existe aucune politique publique de soutien pour ces étudiants méritants et courageux, très majoritairement issus des classes moyennes et populaires. Comment ne pas comprendre le sentiment de délaissement de la jeunesse face à cette inaction politique ? Comment ne pas comprendre que les nouvelles générations ne trouvent plus l’épanouissement dans le travail ? Tout ceci est bien le témoin direct du peu d’intérêt que les majorités présidentielles successives portent à la valeur travail. Travailler rapporte de moins en moins, est de plus en plus taxé et épanouit donc de moins en moins les Français.

Tandis que certains proposent des réformes irréalistes pour mettre en place un revenu universel pour tous les étudiants, qui générerait des effets d’aubaine massifs et creuserait encore notre dette publique pourtant abyssale, le Rassemblement National propose avec cette proposition de loi une mesure simple, juste et efficace pour soutenir la jeunesse française méritante. Offrir un revenu universel, au-delà du coût exorbitant pour l’État, serait un signal supplémentaire envoyé à la société et, notamment, à nos jeunes, incitant à ne plus travailler. Il s’agirait là de la mort définitive de la valeur travail, déjà très affectée comme précédemment indiqué. À l’inverse, le complément de revenu étudiant proposé par la présente proposition de loi doit permettre à l’ensemble des étudiants français âgés de 18 à 24 ans titulaires d’un contrat de travail de percevoir une prime égale à 20 % de leur salaire. Pour les étudiants boursiers, la prime est fixée à 30 %. Pour éviter les effets d’aubaine, un plafonnement est prévu (300 euros pour les boursiers, 200 euros pour les autres étudiants). Cela permettra donc aux étudiants concernés d’obtenir, en moyenne, 100 à 150 euros de complément de revenus.

Cette proposition de loi est un véritable levier pour favoriser la réussite étudiante, car la mise en place d’un complément de revenu permettra aux étudiants concernés d’alléger leur volume horaire et ainsi de limiter les risques de décrochage. Le ministère de l’enseignement supérieur indique, en effet, qu’au-delà de 12 heures par semaine de travail, l’étudiant voit le risque de décrochage sérieusement augmenter. Or, souvent, lorsque les étudiants dépassent ce seuil, c’est justement en réalisant des heures supplémentaires, incontournables pour avoir un complément de revenu, non versé par l’État à ce jour, permettant de boucler la fin de mois.

Cette mesure n’a pas pour objectif d’inciter les étudiants à travailler à côté de leurs études et à prendre le risque d’échouer. Elle a précisément vocation à aider ceux qui travaillent déjà et le font, bien souvent par obligation, à moins travailler pour davantage se consacrer à leurs études tout en trouvant, de la part de l’État, le signal que leur courage mérite récompense. Elle valorise le travail et apporte un soutien aux étudiants en limitant le risque d’effets de seuil, qui laisse aujourd’hui de côté de nombreux jeunes issus des classes moyennes, trop riches pour entrer dans les critères permettant d’accéder à une bourse décente, et trop pauvres pour vivre décemment sans travailler.

Comme toujours, le Rassemblement National vise la justice sociale, l’équilibre financier et le pragmatisme. En votant cette proposition de loi, la représentation nationale se donnerait les moyens de remettre la valeur travail au centre et de soutenir la jeunesse de France.

 


—  1  —

I.   Un contexte alarmant : l’aggravation de la précarité étudiante

A.   Les jeunes étudiants : une population où le risque de pauvreté est particulièrement élevé

Pour couvrir leurs dépenses quotidiennes, les étudiants s’appuient sur :

– l’aide familiale (en moyenne 41,9 % des dépenses) ;

– les revenus d’activité (en moyenne 25,3 % des dépenses) ;

– les aides sociales (en moyenne 23 % des dépenses) ([2]).

Ces chiffres varient en fonction du milieu social d’origine des étudiants. Si 90 % des jeunes reçoivent une aide financière de leurs parents, les enfants de cadres sont deux fois plus aidés par leur famille que les enfants d’ouvriers, selon les chiffres de la direction de la recherche, des études de l’évaluation et des statistiques (Drees).

Objectiver la pauvreté des jeunes étudiants reste un exercice périlleux en raison du manque de données disponibles, d’ailleurs déploré dans le rapport public annuel 2022 de la Cour des comptes ([3]). On peut ainsi regretter que la dernière enquête d’ampleur de la Drees sur ce sujet s’appuie sur des données datant de 2014. Ces chiffres, bien qu’anciens, donnent néanmoins un aperçu des difficultés financières rencontrées par le public étudiant, qui semblent s’être accrues ces dernières années selon les différents acteurs auditionnés.

Ainsi, si 14,6 % de la population française vit en dessous du seuil de pauvreté ([4]), ce taux atteint, selon la Drees, 26 % pour les jeunes de 18 à 24 ans. La situation est d’autant plus critique pour les jeunes étudiants, et en particulier ceux qui ne vivent plus au domicile de leurs parents. Pour ces derniers, le taux de pauvreté monétaire grimpe à 40 %. Si les étudiants ont, comme le montrent les travaux de la Drees, davantage tendance que le reste de la population à relativiser leurs difficultés, perçues comme transitoires, il n’en reste pas moins que cette situation implique des privations matérielles et essentielles fortes, telles que des suppressions de repas ou le renoncement à se soigner, et interroge sur la place que notre société laisse à la jeunesse.

B.   Des difficultés structurelles amplifiÉes sous l’effet de deux chocs : la crise sanitaire puis le choc inflationniste

Le phénomène de la précarité étudiante s’est accentué depuis la crise sanitaire liée à l’épidémie de la covid‑19 et connaît un nouveau rebond depuis le choc inflationniste.

1.   La crise sanitaire a considérablement affecté le quotidien des étudiants et fragilisé leur situation financière

La crise sanitaire a bouleversé le quotidien des étudiants et aggravé leurs conditions de vie, marquées par l’arrêt des restaurants universitaires, la fermeture des lieux d’études, et une situation tendue sur le marché du travail. La période a également affecté la santé mentale des étudiants, dont un sur trois a présenté des signes de détresse psychologique durant cette période ([5]).

Sur la question de l’emploi, l’enquête réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante à l’été 2020 sur le premier confinement a montré que 60 % des étudiants exerçant une activité rémunérée ont dû la réduire, l’interrompre ou en changer. Ces chiffres sont proches de ceux du ministère de l’enseignement supérieur, qui indique que 58 % des étudiants qui exerçaient une activité ont arrêté, réduit ou changé leur activité rémunérée. Parmi eux, 36 % ont dû arrêter complètement leur activité, avec une perte de revenu estimée en moyenne à 274 euros par mois. 27 % ont bénéficié du dispositif de chômage partiel ([6]). De nombreux étudiants ont perdu durant cette période un salaire occupant une part significative de leurs ressources (25 % en moyenne, cf. supra). La situation s’est ainsi révélée critique pour les étudiants boursiers, mais également et peut-être encore davantage pour une partie des étudiants non boursiers. En effet, selon la Cour des comptes, la pandémie a révélé les difficultés et les risques de précarité auxquels peuvent être exposés ces derniers : « non ciblée par les dispositifs préexistants, cette population étudiante, dont l’importance est difficile à évaluer, a été délaissée dans les premiers mois de la crise ([7]) ».

2.   Une précarité en augmentation face à l’inflation

Les étudiants sont aujourd’hui en première ligne face à l’inflation qui pénalise lourdement le pouvoir d’achat de l’ensemble des ménages français et contre laquelle le Gouvernement actuel reste totalement impuissant. Selon la dernière enquête annuelle de l’Unef, présentée en août 2023, le coût de la vie étudiante est en augmentation moyenne de 6,47 % par rapport à l’année dernière. Les étudiants auront besoin pour l’année universitaire à venir d’un budget supplémentaire pour faire face à l’inflation de 594,76 euros, soit 49,56 euros supplémentaires par mois. Cette hausse est la plus importante enregistrée depuis que l’Unef réalise cette enquête, soit dix‑neuf ans. Les principaux postes concernés sont d’abord l’alimentation (+ 14,3 %), l’électricité (+ 10,1 %) et les transports (+ 5,91 % pour les non-boursiers, + 3,95 % pour les boursiers). Ces difficultés ont également été soulignées lors des auditions des syndicats étudiants UNI et la Cocarde, conduites par votre rapporteur.

Un sondage de l’Ifop en partenariat avec l’association COP1 paru au mois de septembre 2023 présente également des résultats très inquiétants. Selon cette étude, près d’un étudiant sur deux indique limiter voire renoncer à des achats alimentaires, contre un quart de l’ensemble de la population française. Près d’un étudiant sur deux signale avoir déjà sauté un repas pour des raisons financières. Un quart des étudiantes sont contraintes de renoncer au moins occasionnellement à l’achat de protections hygiéniques. 29 % des étudiants sont en difficulté pour payer à temps les charges de leur logement. 50 % des étudiants ont un reste à vivre de moins de 100 euros après paiement de leur loyer.

En outre, une fracture territoriale s’observe sur le plan de l’accès à des repas sains, équilibrés et abordables. En effet, un certain nombre de lieux d’enseignement supérieur ne proposent pas de restaurants universitaires, très souvent dans les zones les moins urbaines ou les plus rurales. Les étudiants sont alors privés d’accès aux dispositifs gouvernementaux tels que le repas à 1 euro pour les étudiants les plus en difficulté (3,30 euros pour les autres). Ils doivent donc s’alimenter par eux-mêmes via, très souvent, une restauration rapide, moins saine mais plus abordable pour eux que la restauration « classique ». Les étudiants de ces zones sont donc dans une situation de tension financière accrue. La loi n° 2023-265 du 13 avril 2023 visant à favoriser l’accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré doit certes permettre des améliorations en la matière, mais le décret d’application n’est toujours pas paru.

II.   L’emploi étudiant : un phénomène massif et pourtant largement ignoré pAr les pouvoirs publics

A.   une grande partie des Étudiants exercent un emploi à côté de leurs Études

La démocratisation de l’accès aux études supérieures s’est accompagnée d’une généralisation de l’emploi étudiant.

La part des étudiants qui occupent un emploi en plus de leurs études varie en fonction des sources consultées en raison des différences de périmètres des études conduites. On peut retenir l’ordre de grandeur donné par la Drees, selon qui deux tiers des étudiants déclarent avoir une activité rémunérée dans l’année. Ces chiffres peuvent être utilement complétés par ceux de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), qui, dans son enquête de 2020 s’appuyant sur des données déclaratives, indique que 40 % des étudiants exercent une activité professionnelle au cours de l’année universitaire (hors stages et alternance).

B.   les grandes caractéristiques de l’emploi étudiant

Les chiffres précités recouvrent des réalités assez contrastées, notamment concernant le volume horaire exercé, comme en témoigne l’enquête OVE.

Type d’activité rémunérée exercée pendant l’année universitaire (en %)

Selon les données de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) transmises à votre rapporteur, deux tiers des jeunes en cumul emploi-études travaillent moins de trente heures. La majorité travaille plus de dix heures.

Nombre d’heures moyennes travaillées par semaine
(hors stages et alternance)

Concernant le montant des rémunérations perçues, elles sont en moyenne de 500 euros par mois.

Rémunération mensuelle (hors stages et alternance)

Les secteurs les plus concernés identifiés par la Dares sont le commerce, l’hôtellerie-restauration, le public et le parapublic. Les syndicats étudiants entendus par votre rapporteur ont confirmé ces données, avec un grand nombre d’emplois étudiants effectués dans la grande distribution, la restauration rapide, mais également l’aide aux devoirs et la garde d’enfants.

Les secteurs d’activité du cumul emploi-études
(hors stages et alternance)

 

L’emploi étudiant se caractérise aussi par la diversité des contrats passés. Selon l’enquête déclarative de l’OVE, 23 % des étudiants en emploi occupent un contrat à durée indéterminée (CDI), 26 % un contrat à durée déterminée (CDD), tandis que 17 % sont sans contrat de travail, ce qui semble révéler une part importante de travail non déclaré.

Type de contrat pour l’activité rémunérée principale exercée pendant l’année universitaire (en %)

C.   La question du lien entre emploi étudiant et rÉussite des Études

Concernant la relation entre emploi étudiant et réussite des études, les enquêtes conduites sur le sujet montrent une relation négative entre emploi et réussite des études, lorsque le nombre d’heures devient significatif ([8]). Selon le ministère de l’enseignement supérieur entendu par votre rapporteur, au-delà de 12 heures par semaine, un travail étudiant constitue un vrai risque pour la réussite de l’étudiant. Selon l’enquête de l’OVE, 48 % des étudiants estiment que cette activité a un effet négatif sur le bien-être et leurs résultats universitaires. Les étudiants effectuant un volume horaire important le font par obligation financière, d’où la nécessité de mettre en place des politiques publiques offrant la possibilité aux étudiants de limiter leur volume horaire, à travers des compensations financières.

On peut noter toutefois que, comme souligné par la Dares au cours de son audition, l’emploi étudiant, s’il a plutôt tendance à pénaliser les résultats obtenus en cas de volume horaire significatif, peut au contraire avoir un effet positif en termes d’insertion professionnelle.

Le volume d’heures effectué est corrélé au milieu social d’origine, puisque 6,1 % des étudiants issus des classes populaires exercent une activité concurrente avec les études, contre 4,2 % pour les étudiants issus de parents cadres ou profession intellectuelle supérieure (voir le tableau ci-dessous). En outre, le fait d’exercer une activité professionnelle directement liée aux études est lié au milieu social d’origine, puisque c’est le cas pour 9,7 % des enfants de cadre et professions intellectuelles supérieures, contre 6,6 % pour les classes populaires.

Type d’activité rémunérée exercée pendant l’année universitaire selon la catégorie sociale des parents (en %)

Enfin, les motivations des étudiants exerçant une activité rémunérée sont détaillées dans le sondage ci-dessous, issu de l’enquête OVE. Cette activité est considérée indispensable pour vivre pour plus de la moitié des étudiants interrogés.

Motivations pour exercer une activité rémunérée pendant l’année universitaire (en %)

Si elle peut susciter du stress et entrer en concurrence avec les études, elle est aussi majoritairement perçue positivement sur le plan de l’insertion professionnelle, puisque 73,3 % des étudiants interrogés considèrent qu’elle permet d’acquérir une expérience professionnelle. L’emploi étudiant permet en effet à l’étudiant d’obtenir de premières expériences professionnelles lui conférant les premières qualités nécessaires à l’obtention d’un emploi rapidement après leurs études.

III.   Un système d’aides largement défaillant qui laisse de côté les classes moyennes et qui ne prévoit aucune mesure dédiée pour les étudiants occupant un emploi

Si les aides sociales dont peuvent bénéficier les étudiants sont nombreuses, voire pléthoriques, le système actuel comporte de nombreuses lacunes, qui laissent dans des situations de précarité beaucoup d’étudiants, en particulier ceux issus des classes moyennes.

Les deux dispositifs principaux d’aides dont bénéficient les étudiants sont les bourses distribuées sur critères sociaux et les aides personnelles au logement, ces deux dispositifs ayant une vocation distributive et étant attribués sous conditions de ressources.

Concernant le système des bourses sur critères sociaux, 30 % des étudiants du supérieur bénéficient aujourd’hui d’une bourse sur critères sociaux, pour un montant moyen de 290 euros par mois. Néanmoins, le système actuel est à l’origine d’effets de seuil importants et souffre d’un problème de contemporanéité, puisqu’il est globalement calculé à partir du revenu en N‑2 des parents. Il ne permet pas de répondre aux difficultés rencontrées par les étudiants issus de classes moyennes, le niveau des bourses correspondants aux échelons 0 bis et 1 (soit environ la moitié des boursiers) apparaissant particulièrement bas (voir le tableau ci-dessous).

Échelons des bourses étudiantes et montants correspondants

Une image contenant texte, capture d’écran, nombre, Police

Description générée automatiquement

Source : site internet viepublique.fr.

La réforme des bourses annoncée par la ministre chargée de l’enseignement supérieur, Mme Sylvie Retailleau, devrait certes permettre une revalorisation financière bienvenue (500 millions d’euros annoncés) ([9]), mais elle est loin de répondre aux difficultés structurelles identifiées et ne vient combler qu’une partie de l’inflation subie par les étudiants.

60 % des étudiants décohabitant touchent une allocation logement, pour un montant moyen de 180 euros par mois ([10]). Là aussi, les montants perçus ne permettent pas d’assurer à tous un logement digne, en particulier dans les métropoles ou les villes touristiques où les loyers sont particulièrement élevés. Sur la question du logement étudiant, votre rapporteur souhaite aussi souligner le très important retard pris par le Gouvernement dans la construction de nouveaux logements étudiants. Rappelons ainsi qu’en 2017, le candidat Emmanuel Macron s’était engagé à construire 60 000 logements pour étudiants pendant la durée de son quinquennat. La promesse est loin d’être tenue, avec seulement 36 000 logements mis en service sur la période.

Aux côtés de ces deux dispositifs, de nombreuses autres aides existent, mais elles se caractérisent par une grande complexité et un problème de lisibilité. Cette complexité amène à des taux de non-recours importants, qui s’élèvent en moyenne à 25 % d’après le baromètre DJPEVA sur la jeunesse 2021 de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. En particulier, le rapport public annuel de la Cour des comptes 2022 dénonce « un système d’aides publiques faiblement lisible en raison de la multiplicité des dispositifs et de la diversité des opérateurs, une capacité de logements en résidences étudiantes insuffisante ou encore une offre de santé peu développée sur les campus universitaires ». Concernant les dispositifs spécifiques mis en place pendant et après la crise sanitaire, la Cour souligne que, s’ils ont été nombreux, « leur montée en puissance a été tardive, et ils ont atteint les étudiants de manière inégale ».

L’échec de l’aide mise en place pour soutenir les étudiants ayant perdu leur emploi pendant la crise sanitaire analysé par la Cour des comptes

Extrait du rapport public annuel 2022

« À la suite des annonces du Président de la République, le 13 avril 2020, une aide d’un montant forfaitaire de 200 € a été mise en place en faveur des étudiants ayant perdu leur emploi ou leur stage gratifié, du fait de la fermeture de l’établissement où ils exerçaient ou de la baisse de son activité à la suite de la crise sanitaire. Cette mesure n’a pas trouvé son public. En lien avec l’OVE, la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) avait estimé à 510 000 le nombre d’étudiants susceptibles d’en bénéficier. Or, seuls 23 429 d’entre eux ont pu finalement recevoir cette aide. Les critères imposés pour en bénéficier, en particulier le fait qu’une activité importante soit exigée, ont été définis pour éviter d’éventuels effets d’aubaine et limiter le coût de cette mesure. Leur complexité explique le faible impact du dispositif. La consultation réalisée par la Cour dans le cadre de l’enquête fait ressortir que ce résultat décevant ne s’expliquerait pas principalement par un problème de méconnaissance du dispositif (seuls 34 % environ des répondants ont déclaré ne pas le connaître), mais qu’il résulterait majoritairement du fait que les étudiants n’auraient pas pu en bénéficier (56 %). En effet, la majorité des étudiants exerçant une activité professionnelle à titre secondaire le feraient à titre occasionnel ou dans le cadre d’une activité saisonnière, ce qui pourrait également recouvrir des cas de travail informel ».

Au total, les différentes mesures prises par le Gouvernement pour agir sur ces politiques publiques s’apparentent davantage à du saupoudrage qu’à une véritable réforme d’ampleur structurelle. L’action gouvernementale reste très en deçà des attentes des étudiants et ne permet pas de juguler la précarité étudiante.

Concernant plus particulièrement le soutien à l’emploi étudiant, aucune mesure significative n’existe à ce jour. À l’exception du mécanisme de défiscalisation des salaires qui paraît jouer un rôle important, les autres dispositifs existants restent très confidentiels et ne sont pas conçus pour soutenir spécifiquement le travail étudiant. En particulier, la prime d’activité est en très grande partie inadaptée à ce public en raison des seuils fixés pour pouvoir en bénéficier (voir le commentaire de l’article 1er). Les étudiants qui ont le courage, la force et la pugnacité de travailler en plus de leurs études ne font donc l’objet d’aucune reconnaissance de l’État qui, pourtant, devrait se tenir à leurs côtés et les soutenir.

IV.   Une proposition de loi essentielle pour soutenir les étudiants français en emploi

Le dispositif proposé dans la présente proposition de loi constitue une mesure de justice sociale pour les étudiants titulaires d’un contrat de travail.

La mesure proposée permet d’attribuer un complément de revenu de 20 % pour les étudiants français de 18 à 24 ans non-boursiers, et de 30 % pour les étudiants remplissant les mêmes conditions et boursiers. Alors que le revenu moyen des étudiants en situation d’emploi est de 500 euros, cette aide apporterait un soutien significatif d’en moyenne 100 euros pour les étudiants non boursiers, et de 150 euros par mois pour les boursiers. Un mécanisme de plafonnement est prévu pour éviter les effets d’aubaine et garantir le bon usage des deniers publics.

Cette proposition lutte contre la précarité étudiante et valorise la valeur travail en encourageant les étudiants méritants. Dans une société qui, de plus en plus, dévalorise le travail, nous devons redonner à nos jeunes la récompense de l’effort, la reconnaissance de la société pour la pierre apportée à son édifice.

Dans un contexte de finances publiques extrêmement contraintes par les différentes politiques menées depuis des décennies et, particulièrement, depuis six ans, qui ont creusé la dette et les déficits, il apparaît central de récompenser davantage le travail, créateur de valeur pour notre pays. Mais, les dépenses doivent rester mesurées et toutes les propositions purement démagogiques et financièrement irréalisables, telles que la création de revenus universels pour les étudiants, ne peuvent être évoquées raisonnablement. Nous devons rester pragmatiques et responsables, avec cette proposition équilibrée et financée.

Cette proposition de loi prévoit donc une mesure simple, efficace et lisible pour tous. Cette mesure présente également l’avantage de limiter le décrochage des étudiants qui travaillent. De nombreux étudiants augmentent leur nombre d’heures travaillées par obligation financière. Cette proposition leur permettra alors de limiter leur volume horaire travaillé afin de mieux étudier en percevant ce complément de revenu proposé.

 


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Commentaire des articles

Article 1er
Instauration d’un complément de revenu pour les étudiants français

Supprimé par la commission

L’article 1er instaure un complément de revenu pour les étudiants français.

L’aide s’élève à 20 % du revenu net mensuel prévu par le contrat de travail, avec un plafonnement fixé à 200 euros. Pour les étudiants boursiers, cette aide s’élève à 30 % du revenu net mensuel prévu par le contrat de travail, avec un plafonnement à 300 euros.

I.   l’état du droit : l’absence d’une stratégie publique pour soutenir les étudiants en situation d’emploi

L’état actuel du droit prévoit l’accès à un certain nombre de droits et de ressources financières pour les étudiants, le plus souvent sous conditions de ressources. Les politiques publiques de soutien à la vie étudiante reposent sur deux principaux piliers : les bourses sur critères sociaux et les aides au logement.

En revanche, il existe très peu d’aides ciblées sur le public des étudiants en situation d’emploi. Les politiques de soutien en la matière se limitent aux principales mesures suivantes :

– la prime d’activité, prévue à l’article L. 841-1 du code de la sécurité sociale, qui peut sous certaines conditions être obtenue pour un étudiant. Complément de revenu destiné aux travailleurs percevant des revenus modestes, afin d’inciter à l’emploi, la prime d’activité a remplacé la prime pour l’emploi et le RSA activité. Elle est accordée aux étudiants salariés, stagiaires et apprentis qui gagnent plus de 78 % du Smic, soit 1 078,80 euros mensuels net au 1er mai 2023. Elle correspond donc à des situations particulières et limitées, puisque la plupart des étudiants perçoivent des rémunérations inférieures à 1 078,80 euros, le revenu moyen se situant plutôt aux alentours de 500 euros (voir supra) ;

– un cadre juridique de l’emploi étudiant encore très embryonnaire. En effet, pour répondre aux difficultés pratiques des étudiants qui cumulent emploi et études, en particulier lors des périodes d’examen ou des stages obligatoires, un statut de l’emploi étudiant est prévu en droit. La loi du n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a créé un congé pour les étudiants salariés justifiant une inscription en cours de validité dans un établissement d’enseignement supérieur, pour que ces derniers puissent préparer leurs examens. En outre, un régime spécial d’études a été créé en 2014 pour permettre aux établissements de prévoir des mesures dédiées pour certaines catégories d’étudiants, dont les étudiants salariés. Toutefois, le déploiement de ces mesures paraît très aléatoire en fonction des universités, comme l’a notamment mis en évidence le rapport du Sénat sur les conditions de la vie étudiante en France (2021) ([11]) ;

– des exonérations d’impôt sur le revenu qui s’appliquent aux revenus des activités exercées par les étudiants, aux salaires des apprentis ainsi qu’à la gratification des stagiaires.

II.   Le dispositif proposé

L’article 1er de la présente proposition de loi introduit un nouvel article L. 821-1-1-1 dans le code de l’éducation, qui pose le cadre d’un complément de revenu ouvert à l’ensemble des étudiants français, entre 18 et 25 ans, titulaires d’un contrat de travail. Pour en bénéficier, l’étudiant doit être détaché du foyer fiscal de ses parents et inscrit dans une formation en vue de la préparation d’un diplôme ou d’un concours.

Les auditions ont conforté l’idée du rapporteur selon laquelle le fait de cibler la mesure vers les étudiants détachés du foyer fiscal permet d’éviter les effets d’aubaine et de toucher les étudiants des classes populaires et moyennes, le rattachement au foyer fiscal des parents paraissant davantage la norme dans les milieux aisés (en raison d’avantages fiscaux liés aux demi-parts fiscales).

L’aide s’élève à 20 % du revenu net mensuel du contrat de travail, avec un plafonnement fixé à 200 euros. Pour les étudiants boursiers, cette aide s’élève à 30 % du revenu net mensuel du contrat de travail, avec un plafonnement à 300 euros.

L’article renvoie à un décret le soin de préciser les modalités de calcul de déclaration de perception et de contrôle de cette aide.

De plus, et conformément au programme de Marine Le Pen, la priorité nationale trouve ici sa place. Ainsi, cette aide est prévue pour être versée aux étudiants de nationalité française. Rappelons que les bourses sur critères sociaux sont elles-mêmes ouvertes pour les personnes domiciliées depuis au moins deux ans en France et attestant d’un foyer fiscal de rattachement en France depuis au moins deux ans. Des critères de restriction sont donc déjà existants sur ce dispositif en lien avec la nationalité des étudiants. Nous souhaitons que les aides de l’État versées par la France bénéficient en priorité aux étudiants français.

III.   Les dispositions adoptées par la commission

La commission des affaires sociales a adopté quatre amendements identiques de suppression – AS1 de Mme Fatiha Keloua Hachi (groupe Socialistes et apparentés), AS3 de M. Louis Boyard (groupe La France insoumise – Nouvelle Union Populaire écologique et sociale), AS4 de Mme Sandrine Rousseau (groupe Écologiste - NUPES) et AS5 de M. Charles Sitzenstuhl (groupe Renaissance).

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Article 2
Gag
e sur les superprofits

Supprimé par la commission

L’article 2 crée un gage sur les superprofits dégagés par les secteurs pétrolier, gazier, de transport maritime, et les concessionnaires d’autoroutes.

I.   Le dispositif proposé

L’article 2 crée un gage permettant de garantir la recevabilité de la proposition de loi, condition nécessaire à son dépôt. Plutôt que de s’en tenir classiquement à la taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services, le gage prévoit l’instauration d’une contribution exceptionnelle, pour 2023, sur les superprofits dégagés par les secteurs pétrolier, gazier, de transport maritime, et les concessionnaires d’autoroutes.

Cette contribution exceptionnelle s’applique pour l’ensemble des entreprises des secteurs pétrolier, gazier, de transport maritime, et les concessionnaires d’autoroutes dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros et supérieur de 20 % à la moyenne constatée sur les cinq exercices précédents. Les bénéfices exceptionnels des entreprises concernés seront taxés à 25 %. L’assise est calculée sur la fraction du résultat net réalisé au titre de l’exercice 2022 qui excède la moyenne des résultats nets réalisés au titre des exercices de 2019 à 2022. L’article précise également les modalités de calcul du chiffre d’affaires et prévoit que les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution exceptionnelle. De même, elle n’entre pas dans le champ des charges déductibles pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés (IS). Les modalités de contrôle et de recouvrement sont alignées sur les règles applicables pour l’impôt sur les sociétés. L’article prévoit également les règles applicables en fonction de la localisation du siège de la société.

Enfin, l’article demande la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement afin d’identifier les conventions fiscales bilatérales qu’il convient de renégocier en vue d’éviter la double imposition.

II.   les dispositions adoptées par la commission

La commission des affaires sociales a adopté trois amendements identiques de suppression de l’article – AS2 de Mme Fatiha Keloua Hachi (groupe Socialistes et apparentés), AS7 de Mme Sandrine Rousseau (groupe Écologiste - NUPES) et AS6 de M. Charles Sitzenstuhl (groupe Renaissance).

 


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   Travaux de la commission

Lors de sa seconde réunion de mercredi 4 octobre 2023, la commission procède à l’examen de la proposition de loi visant la création d’un complément de revenu garanti par l’État pour les étudiants qui travaillent pendant leurs études (n° 1150) (M. Kévin Mauvieux, rapporteur) ([12]).

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous concluons l’examen des trois propositions de loi dont le groupe Rassemblement National a demandé l’inscription à l’ordre du jour des séances qui lui sont réservées, jeudi 12 octobre.

Nous en venons donc à la proposition de loi visant la création d’un complément de revenu garanti par l’État pour les étudiants qui travaillent pendant leurs études.

M. Kévin Mauvieux, rapporteur. Merci de m’accueillir au sein de votre commission pour vous présenter cette proposition de loi.

Nous avons décidé, au Rassemblement National, de mettre les étudiants en lumière, aujourd’hui, dans le cadre de notre niche parlementaire, grâce à la proposition de loi de ma collègue Laure Lavalette. Ce texte, qui est issu du programme défendu par Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle de 2022, concerne le complément de revenu pour les étudiants travailleurs.

Très souvent oubliés par les politiques publiques et livrés à leur sort, les étudiants subissent de plein fouet les conséquences de l’inflation qui sévit depuis plusieurs mois. Cette hausse des prix généralisée suit la crise du covid-19 qui a, elle aussi, frappé durement les jeunes.

La situation du pays est aujourd’hui catastrophique, sur le plan du pouvoir d’achat comme sur celui de la dette. Nos marges de manœuvre sont extrêmement serrées – voire quasi nulles – à cause des six années de folie dépensière, de démagogie financière et d’œillères politiques de la Macronie. Des œillères qui masquent les crises, mais aussi les solutions, simples et peu coûteuses, qui pourraient leur être apportées.

Notre objectif a été de trouver comment l’État pourrait soutenir les plus méritants et les plus nécessiteux des étudiants, sans pour cela grever les finances publiques. Il a fallu tout d’abord faire un état des lieux des conditions de vie de ces étudiants et de leur niveau de précarité. Depuis la rentrée 2023, la moitié des étudiants disent limiter leurs achats alimentaires – quand ils n’y renoncent pas –, contre un quart dans l’ensemble de la population française, ce qui est déjà trop. Près d’un étudiant sur deux signale avoir déjà sauté un repas pour des raisons financières. Pour deux tiers d’entre eux, il ne reste plus que 50 euros pour vivre une fois les charges fixes mensuelles réglées, selon l’association Linkee. Pis : la même enquête révèle que près de six étudiants sur dix ont renoncé à des soins médicaux au cours des douze derniers mois. La crise sanitaire a mis en lumière l’aggravation de la précarité et la dégradation de la santé mentale de nombre d’étudiants. Les témoignages et les images d’étudiants qui patientent devant des associations d’aide alimentaire ou qui vivent dans des tentes, dans des campings, sont récemment devenus viraux, sur internet et les réseaux sociaux. C’est « le poids des mots et le choc des photos », pour reprendre l’ancien slogan d’un célèbre hebdomadaire ; si la minorité présidentielle, enivrée d’autosatisfaction, peut faire mentir les chiffres, elle ne peut le faire avec les images. Prenez conscience des réalités et ouvrez les yeux : c’est toute une génération, celle qui demain fera la France, qui est en souffrance.

L’ensemble des mouvements politiques qui se succèdent au pouvoir depuis des décennies, des diverses composantes de la NUPES aux Républicains en passant par la Macronie, sont responsables de cette situation.

Lors de nos auditions, l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) nous a confié être surpris par cette situation. Selon ses analyses – subjectives –, fondées sur le ressenti des étudiants au regard de leurs conditions de vie, les résultats étaient plutôt stables jusqu’à la crise du covid-19. Une stabilité qui, évidemment, ne signifie pas satisfaction quant à ces conditions.

Face à ce tableau peu glorieux, le Gouvernement manque d’ambition, agit peu et mal. Les réponses apportées sont insuffisantes et inadaptées, à l’image de la réforme des bourses destinées aux étudiants, très en deçà des enjeux, et du retard pris en matière de livraison de nouveaux logements. Pourtant, le logement est le premier poste de dépenses des étudiants ; en augmenter le nombre soulagerait beaucoup d’entre eux. Ainsi, alors que le candidat Macron proposait, en 2017, la construction de 60 000 logements, à peine la moitié ont été construits à ce jour.

Autre réponse largement perfectible : le repas à 1 euro pour les étudiants les plus modestes et à 3,30 euros pour les autres. Cette solution présente un défaut majeur : la création d’une nouvelle fracture territoriale dans notre pays. En effet, nombre de jeunes étudient dans des zones reculées, peu urbanisées, dépourvues de restaurant universitaire. Ils ne peuvent donc pas bénéficier de ces repas équilibrés, financièrement accessibles. Ils sont contraints de se nourrir par leurs propres moyens, en recourant notamment à la restauration rapide, bien souvent la seule option accessible. Ils mettent alors leur santé au second plan en prenant des repas déséquilibrés et trop gras.

C’est l’ensemble de ces éléments, conjoncturels et structurels, qui poussent une part importante des étudiants à travailler pour financer leurs études. Ils appartiennent fréquemment à la classe moyenne, cette classe oubliée, délaissée et pourtant si courageuse. Ces étudiants, qui en matière de bourses relèvent des échelons 0 ou 0 bis ce qui permet aux ministres de dormir sur leurs deux oreilles –, ne perçoivent pas assez pour vivre dignement. Ces étudiants ont des parents courageux, qui font tourner la France, qui gagnent assez pour être ponctionnés par l’État mais trop pour être aidés ; des parents qui aimeraient pouvoir financer totalement les études de leurs enfants – dont ils sont fiers –, mais qui ne peuvent, quand la chance leur sourit, ne leur apporter qu’un appui limité et ponctuel.

Les chiffres montrent que les étudiants des foyers les plus modestes et ceux des milieux les plus aisés travaillent moins durant leurs études. Plus de la moitié des étudiants exercent une activité professionnelle parallèlement à leurs études. En moyenne, ils travaillent une dizaine d’heures par semaine et gagnent 500 euros par mois.

Nous avons eu la confirmation, aux cours de nos auditions, qu’aucune politique publique de soutien n’est prévue pour ces étudiants méritants. Ces jeunes sont donc livrés à eux-mêmes et sont contraints de retrousser leurs manches et d’assurer, de front, courageusement, un travail et des études. Ce sont pour eux les premières désillusions quant à la valeur donnée au travail, par les dirigeants politiques notamment.

On pourrait concevoir un premier remède pour soulager ces maux : nous l’appellerons la solution « de facilité », solution « slogan » ou encore solution « démago ». Il s’agirait de créer un revenu universel, donc pour tous les étudiants. Le concept est simple : que vous soyez le riche héritier d’un empire du luxe, leader du CAC40, l’enfant d’une caissière de supermarché ou celui d’un chauffeur de bus, vous touchez un revenu, versé par l’État. Cette option présente plusieurs écueils : le premier est qu’elle n’apporterait aucune justice sociale ; le deuxième est son financement, dans un pays endetté à hauteur de 3 000 milliards d’euros ; le troisième est qu’elle pendrait définitivement au bout d’une corde la valeur travail. C’est donc une fausse bonne idée, qui n’aboutirait qu’à attirer la jeunesse de France dans un dangereux filet qui, in fine, la ferait couler.

Une deuxième solution est également envisageable : nous l’appellerons solution « Macron », solution « œillères » ou « fumée ». Elle consisterait à ne rien faire, à présenter des chiffres acceptables et à s’en satisfaire. Mais elle n’apporterait aucun remède et n’améliorerait pas les conditions de vie des étudiants, qui pourraient certes contempler des ministres heureux, mais n’en seraient pas mieux nourris.

Une troisième possibilité existe : nous l’appelons solution de « bon sens », solution de « reconnaissance » ou, encore, solution « pragmatique ». Il s’agit d’un complément de revenu étudiant, dont l’idée est simple : remettre la valeur du travail au centre du jeu en récompensant le courage des étudiants qui travaillent. Ce complément doit permettre à l’ensemble des étudiants français âgés de 18 à 25 ans révolus, titulaires d’un contrat de travail, de percevoir une prime égale à 20 % de leur salaire, et même à 30 % s’ils sont boursiers. Un plafonnement de 300 euros pour les boursiers et de 200 euros pour les autres est prévu, pour éviter les effets d’aubaine. Ce dispositif permettrait aux étudiants concernés d’obtenir en moyenne 100 à 150 euros de complément de revenu. Cette solution est bien moins coûteuse que celle du revenu universel, tout en étant plus équilibrée et en répondant à des principes de justice sociale. En effet, les étudiants qui travaillent sont issus des classes modestes et – surtout – moyennes ; ce sont eux qui ont le plus besoin du soutien de l’État. A contrario, un étudiant qui n’a pas besoin de revenus supplémentaires ne travaille pas et ne travaillera jamais pendant ses études.

Le ministère de l’enseignement supérieur a indiqué que le travail nuisait aux études, au-delà d’une douzaine d’heures par semaine. Cette proposition de complément de revenu corrige cet effet et permet d’éviter que des étudiants qui, chaque semaine, consacrent déjà 10, 12 heures ou plus à leur emploi ne travaillent davantage encore pour augmenter un peu leur revenu. Si l’État verse ce complément aux étudiants qui en ont besoin, alors ces étudiants pourront s’abstenir de travailler plus pour se consacrer à leurs études. Grâce à cette mesure, la méritocratie et la valeur du travail sont remises au cœur de la politique.

S’agissant de son financement, il est largement assuré pour la taxe sur les surprofits réalisés, notamment par le secteur de l’énergie. À elle seule, cette taxe permettrait d’ailleurs de financer une dizaine de fois notre dispositif. Le seul prérequis est d’accepter de récupérer les profits indus réalisés au détriment des Français pour les redistribuer là où ils sont nécessaires.

Justice sociale, travail et soutien aux étudiants – c’est-à-dire à notre avenir – caractérisent cette proposition de loi. Elle corrige, au moins en partie, le recul de la méritocratie et de la valeur accordée au travail ; elle atténue les effets dévastateurs des crises à répétition et de l’inflation sur la vie de nos étudiants.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Le groupe Renaissance s’opposera bien sûr à cette proposition de loi du Rassemblement national. Sous couvert de générosité envers les étudiants, ce texte est une synthèse parfaite de l’incompétence, de la démagogie et des obsessions de l’extrême droite. Premièrement, le titre de cette proposition de loi est trompeur : vous parlez de complément de revenu garanti par l’État alors que, en réalité, vous créez une énième allocation, qui ne dit pas son nom. Deuxièmement, vous avez bâclé l’écriture de ce texte et, ce faisant, vous n’avez pas remarqué que certains étudiants sont déjà éligibles à la prime d’activité, sous certaines conditions. Troisièmement, le mécanisme proposé est, en fait, antisocial ; c’est une trappe à très bas salaires qui désincitera les employeurs à rémunérer correctement les étudiants parce que, la prime étant connue à l’avance, ils anticiperont et verseront aux étudiants le revenu le plus faible possible. Quatrièmement, ce texte est ouvertement discriminatoire puisqu’il prévoit une clause de préférence nationale, illustration de la filiation entre le Rassemblement national et le Front national. Décidément, collègues d’extrême droite, vous ne changez pas.

Cinquièmement, les modalités du dispositif sont inconnues. Il faut clarifier plusieurs points importants : quel type de contrat de travail ? Quel volume horaire mensuel ? Les emplois saisonniers, les jobs d’été sont-ils inclus ? Comment les périodes de vacances sont‑elles prises en compte ? Quel est l’impact sur le budget de l’État ? Rien n’est précisé dans l’exposé des motifs.

Enfin, vous dénoncez la prétendue inaction du Gouvernement depuis six ans, alors que vous ne faites que des effets de manche. Nous n’avons pas à rougir de notre bilan : nous avons revalorisé le montant des bourses, nous avons augmenté leur budget sur critères sociaux et c’est bien nous, c’est bien Emmanuel Macron qui a mis en place le repas à 1 euro pour les étudiants boursiers ou en difficultés.

Mme Laure Lavalette (RN). La proposition de loi que nous étudions, mesure défendue par Marine Le Pen lors de la dernière élection présidentielle, répond à une urgence que nous connaissons tous et qui, à mon avis, n’a pas de couleur politique.

Inutile de vous rappeler les chiffres de la précarité étudiante – mon collègue vient de le faire –, qui sont particulièrement alarmants. Ils le sont d’autant plus qu’ils concernent une population vulnérable par nature. Elle est vulnérable, car les étudiants sont de jeunes adultes qui débutent dans la vie et qui, tous, cherchent – et nous l’avons fait avant eux – à s’émanciper. Il s’agit du premier jalon de leur vie professionnelle d’adulte ; cette période exaltante, par la quête à la fois de l’indépendance et du savoir, doit être le plus sereine possible. Mais cette vie professionnelle commence parfois en même temps que la vie étudiante. Celles et ceux qui, en cette période de forte inflation, étudient et travaillent pour subvenir à leurs besoins méritent d’être soutenus. Oui, j’y insiste, ils méritent un soutien particulier, car ils ne devraient pas avoir à vivre cette situation.

Personne ici ne souhaite que les étudiants travaillent durant leurs études. En proposant une aide de 200 à 300 euros par mois pour les étudiants boursiers qui occupent un emploi, nous offrons une largesse, nous n’incitons pas au travail. Si nous en sommes là, ce n’est pas par choix, mais à cause de l’inaction politique gouvernementale en la matière. Ce n’est pas moi qui le dis mais la Cour des comptes, dans son rapport de février 2022 sur le soutien de l’État à la vie étudiante. Depuis la crise sanitaire, les familles peinent de plus en plus à subvenir aux besoins de leurs enfants étudiants. L’inflation incontrôlée, la non-construction des 60 000 logements étudiants promis par Emmanuel Macron – encore une promesse non tenue – et l’augmentation des loyers ne font qu’aggraver la fragilité financière, donc psychologique, de nos étudiants.

Quelles que soient les raisons qui vous pousseraient à ne pas voter ce texte, aucune ne pourra justifier que vous priviez les jeunes méritants d’un coup de pouce qui leur permettrait de mieux se nourrir, de mieux se loger et d’avancer des frais de santé.

Une fois encore, vous perdriez à jamais le droit de vous indigner sur la précarité étudiante.

M. Louis Boyard (LFI - NUPES). Cette année, 50 % des étudiants renoncent à acheter des produits alimentaires ; 36 % songent à recourir aux distributions de nourriture. La moitié des étudiants ont un reste à vivre de 100 euros lorsqu’ils ont payé leur loyer.

Et voici qu’après cinquante ans d’existence, pour la première fois de son histoire, le Rassemblement National fait semblant de s’intéresser à la précarité étudiante. Et quelle est sa seule proposition ? N’aider que ceux qui ont un job étudiant ! Il propose de leur donner l’équivalent de 1,80 euro supplémentaire par heure travaillée. Ce n’est même pas le prix du ticket de bus qu’ils doivent prendre pour aller travailler ! C’est la seule proposition du Rassemblement National et elle ne concernera qu’un étudiant sur trois à peine, alors que les trois quarts d’entre eux, c’est-à-dire plus de 2 millions, se privent au quotidien. Pour eux, vous ne mettez pas fin aux distributions alimentaires. Quant à l’étudiant qui travaille 15 à 20 heures par semaine, il toucherait, avec son salaire et votre complément de revenu, entre 700 et 900 euros au maximum. En cumulant études et travail – soit près de 40 heures hebdomadaires de boulot –, il vivrait toujours sous le seuil de pauvreté. Lui aussi, vous continuez à l’envoyer aux distributions de denrées alimentaires, comme les 400 000 étudiants étrangers que votre racisme gras exclut de votre proposition de loi.

Députés du Rassemblement National, je vous rappelle que ce sont des étudiants des classes modestes et moyennes qui sont obligés d’avoir un emploi durant leurs études. Pouvez‑vous m’expliquer l’intérêt pédagogique d’obliger les étudiants précaires à manquer des cours et à travailler dans un fast-food ou à faire du baby-sitting, pour obtenir un complément de revenu – alimenté par de l’argent public – qui ne leur permettrait même pas de vivre au-dessus du seuil de pauvreté ? Sachez que la moitié de ces étudiants, souvent en première année de licence, ratent leurs études à cause de leur boulot et vous encouragez cela. Les gosses de riches, eux, n’ont pas ce problème. Ce sont les seuls avec lesquels vous êtes généreux, puisque vous êtes pour Parcoursup et contre notre proposition de revenu étudiant.

Votre programme, pour ce qui est des jeunes, c’est avant tout du gros foutage de gueule !

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Monsieur Boyard, vos termes ne sont pas adaptés à cette enceinte. Merci de veiller à modérer vos propos lors de votre prochaine intervention.

Mme Anne Bergantz (Dem). Je dois l’avouer, il y a quelques points sur lesquels nous pourrions être en accord. Oui, le travail doit être valorisé et il peut être une plus-value dans le cadre des études et de l’insertion professionnelle future. Mais il peut aussi avoir des répercussions délétères quant à la réussite des études si le temps consacré à ce travail alimentaire, sans lien avec l’objet des études, occupe trop de place dans la vie de l’étudiant.

Néanmoins je n’adhère pas du tout au dispositif proposé ; j’ajoute que votre rapport de commission contredit parfois les objets de votre exposé des motifs. Je pense notamment à l’étude de l’association COP1, selon laquelle 85 % des étudiants sondés ont déjà sauté un repas, en oubliant de mentionner que ces étudiants sont les bénéficiaires de l’aide alimentaire, qu’il s’agit donc d’un public précaire, composé à 75 % d’étrangers. Dès lors que vous excluez sciemment les étudiants étrangers de votre dispositif, on peut s’étonner que vous utilisiez ce chiffre dans votre argumentaire.

Nous sommes parfaitement conscients du sort réservé à certains étudiants de notre pays, la Cour des comptes estimant à 130 000 le nombre de ceux qui vivent dans une forte précarité. La majorité a apporté des réponses adaptées et équilibrées, que ce soient les 140 000 bourses qui basculent vers l’échelon supérieur, les 35 000 nouveaux boursiers issus des classes moyennes, les repas à 1 euro pour les boursiers et les étudiants précaires, le gel des loyers ou la distribution de protections périodiques aux étudiantes, dès 2024.

Cibler et aider ceux qui en ont le plus besoin, c’est ce que fait le Gouvernement, mais il est évident qu’il y a encore des questions à traiter, la problématique du logement notamment.

Combien d’étudiants entendez-vous aider avec les critères que votre rédaction impose, notamment en excluant les étudiants rattachés au foyer fiscal de leurs parents ? Avec ce principe, vous excluez, de fait, la quasi-totalité des étudiants.

Nous pensons que cette proposition de loi est démagogique ; vous n’obtiendrez donc pas le soutien du groupe Démocrate sur ce texte.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Vous l’avez rappelé, une étude révèle que 46 % des étudiants déclarent avoir déjà sauté un repas pour des raisons financières. La précarité des étudiants est croissante, et pour cause : aux huit échelons de bourse correspondent des montants insuffisants. Le rattachement au foyer fiscal des parents interdit le versement de bourses aux étudiants, quand bien même ces parents ne les aideraient pas. Quant à l’échelon le plus élevé, il n’est accordé qu’à 8,5 % des étudiants boursiers. Enfin, ce système n’est pas indexé sur l’inflation.

Si ce système d’aide sociale n’est plus adapté, cette proposition de loi n’apporte quasiment rien. Derrière son titre et quelques effets d’annonce, il s’agit d’une mesure limitée et de montants infimes, qui ne permettent d’apporter aucune solution, d’ampleur ou d’urgence, à nos étudiants.

Fidèle à ses idées discriminatoires, le Rassemblement National nous propose un texte centré sur une partie de la population étudiante : celle des Français qui ont un emploi. Cette proposition de loi ne fait que séparer ces étudiants de tous les autres. Le groupe Socialistes est en désaccord profond avec la philosophie de ce texte et son caractère raciste ; il entend donc en supprimer les articles.

M. Frédéric Valletoux (HOR). Ni le nombre potentiel de bénéficiaires de ce complément de revenu, destiné aux étudiants titulaires d’un contrat de travail, ni son impact financier – qui permettrait d’estimer sa soutenabilité – ne sont évalués dans cette proposition de loi du Rassemblement National. Il s’agit d’une mesure pérenne, financée par une taxe exceptionnelle, dont on ne connaît pas le montant. Aucun financement dédié n’est prévu.

Là où nous avons instauré le repas à 1 euro, où nous avons réformé notre système de bourse et où nous avons gelé les tarifs d’inscription et ceux des logements pour les étudiants, nous avons affaire, ici, à une proposition superficielle qui ne servirait en rien la cause des étudiants.

Nous remarquons ainsi un chevauchement avec la prime d’activité existante, qui provoque une plus grande complexité et réduit la lisibilité des aides pour les étudiants.

Le public visé par ce dispositif suscite également des interrogations. L’aide ne serait pas calculée en fonction des ressources et pourrait, par conséquent, être versée à un étudiant aidé par ses parents. En outre elle serait, dans les faits, cumulable avec la prime d’activité.

De même, ce dispositif exclurait les étudiants menant une activité entrepreneuriale sans contrat de travail, ainsi que les étudiants étrangers travaillant dans les mêmes conditions que leurs homologues français. Cela créerait, clairement, une rupture d’égalité.

L’automatisation de cette aide poserait également la question de son efficacité, des éventuels abus qu’elle pourrait engendrer et, partant, des contrôles nécessaires à mettre en place. J’associe mon collègue François Gernigon à une réflexion plus large et plus adéquate sur la prime d’activité, qui concerne aujourd’hui les étudiants qui gagnent plus de 1 070 euros par mois. Un amendement sera déposé en ce sens au projet de loi de finances pour favoriser une ouverture plus large à des étudiants qui travaillent, afin d’encourager leur activité.

La majorité présidentielle est convaincue qu’il faut maintenir l’effort engagé envers nos jeunes depuis 2017, pour qu’ils puissent étudier dans de bonnes conditions et accéder aux mêmes formations, quels que soient leurs moyens, grâce à des mesures efficaces et non démagogiques.

Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons ne soutiendra pas cette proposition de loi.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Les chiffres de la précarité chez les étudiants sont alarmants ; une proportion importante de ces jeunes vivent sous le seuil de pauvreté, comme cela a été dit. Une fois leurs factures payées, trois étudiants sur quatre n’ont plus que 100 euros pour vivre pendant un mois. Résultat logique : les files d’attente dans les banques alimentaires s’allongent chaque jour et deviennent effrayantes.

Le texte que nous étudions ne doit pas nous leurrer : derrière les bonnes intentions affichées de soutien à la jeunesse et de lutte contre la précarité, nous retrouvons le fondement xénophobe et réactionnaire des politiques que souhaite mettre en place, de manière constante, le Rassemblement National.

Réactionnaire d’abord, car ce texte ne propose rien de mieux comme solution à la misère des jeunes étudiants que de les pousser à travailler. Et quoi d’autre ? Quoi d’autre ? Rien ! Le logement ? Rien ! Les conditions de vie ? Rien ! Lutter contre la pauvreté des étudiants en se contentant de les encourager à travailler, c’est au mieux démagogique, au pis la démonstration d’une totale méconnaissance de la question du travail des jeunes. Ceux-ci sont, en effet, surreprésentés dans les emplois précaires et pénibles. Je vous rappelle que l’exercice d’un emploi parallèlement aux études accroît les risques de décrochage scolaire. Ainsi, les étudiants qui travaillent plus de 18 heures par semaine ont un taux de réussite de près de 10 points inférieur à celui des étudiants qui n’exercent aucune activité rémunérée.

Que souhaitez-vous donc : que les étudiants échouent dans leurs études ?

Ce texte est xénophobe, ensuite. Nous avons bien compris que votre volonté de conditionner cette aide à la nationalité française a pour but d’exclure les étudiants étrangers. Mais peut-être pas tous, d’ailleurs. Vous jugiez naturel d’accueillir les jeunes Ukrainiens, les jeunes Européens, sur le territoire national. Mais qu’en est-il de l’aide à leur apporter lorsqu’ils sont étudiants et précaires ? Si les accueillir serait naturel, les aider à poursuivre leurs études ne le serait plus ? Je serais curieuse de vous entendre sur cette question, parce que s’il s’agit juste d’écarter les étudiants africains, il faudra le dire à un moment.

Nous, écologistes, nous sommes fiers que la France accueille 400 000 étudiants étrangers chaque année.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Le dispositif qui nous est présenté ne répond pas à la précarité des étudiants. En effet, il donne plus à ceux qui gagnent plus puisque l’aide est proportionnelle aux revenus tirés de leur travail. Ainsi, un étudiant qui souhaiterait travailler moins pour mieux se consacrer à ses études verrait son aide diminuer. Aider les étudiants qui travaillent, ce n’est pas les inciter à le faire davantage, mais leur donner les moyens de leur autonomie et de leur émancipation, en leur permettant de se consacrer à leurs études. Et s’ils doivent travailler, c’est aussi faire en sorte que cette activité ne compromette pas la réussite de leurs études.

Sans surprise, cette aide est réservée aux étudiants français. L’universalité du savoir est un concept bien éloigné du projet politique discriminatoire et xénophobe du Rassemblement National.

Dans son rapport sur l’impact du travail salarié des étudiants sur la poursuite et la réussite des études universitaires, l’Insee précise que « s’ils ne travaillaient pas, les étudiants salariés auraient une probabilité plus élevée de 43 points de réussir leur année ». Or, parmi les 46 % d’étudiantes et d’étudiants qui travaillent, 19 % le font à mi‑temps et plus. Ce faisant, ils hypothèquent leur chance de mener à bien leurs études. La priorité, c’est de permettre aux étudiants de se libérer du travail contraint ; c’est pour cela que le groupe GDR - NUPES défend depuis des années le projet d’un revenu étudiant véritablement émancipateur. Un revenu, car nous considérons l’étudiant non seulement comme un futur travailleur, mais aussi comme quelqu’un qui produit, qui travaille d’ores et déjà, par sa qualité même d’étudiant.

Voilà une réponse ambitieuse et structurelle à la précarité que subit notre jeunesse, contrairement à ce complément de revenu qui, bien loin d’aider les étudiants qui travaillent, ne fera qu’augmenter le travail contraint, au détriment de leur réussite future.

M. le rapporteur. Avant de répondre à l’ensemble des interventions, je voudrais simplement préciser que je trouve assez triste qu’un tiers seulement des députés de cette commission soient présents pour parler des étudiants et de leur précarité.

Monsieur Sitzenstuhl, vous avez qualifié notre dispositif de énième allocation, alors qu’il existe déjà la prime d’activité. Comme je l’ai précisé dans mon propos liminaire, les étudiants qui travaillent gagnent en moyenne 500 euros par mois. Pour bénéficier de cette prime d’activité, le revenu doit être au minimum de 1 070 euros. Autant dire que les trois quarts – si ce n’est plus – des étudiants qui travaillent n’ont pas accès à la prime d’activité et ne reçoivent donc aucune aide pour les récompenser de leur travail, pour les soutenir et les aider.

Vous avez ensuite estimé que cette aide financière aurait un défaut majeur, car elle serait anticipée par les employeurs qui en profiteraient pour baisser le salaire des étudiants. La plupart des étudiants sont payés au Smic ; or il est interdit, dans notre pays, de verser un salaire inférieur à ce Smic à un étudiant, sous prétexte que celui-ci percevrait une prime complémentaire. Le salaire des étudiants ne sera donc pas baissé, encore moins celui de ceux qui sont déjà sous contrat.

Vous nous avez ensuite gratifiés d’une longue litanie – assez drôle, je dois dire – sur le fait que les modalités sont inconnues. Il est amusant que ce reproche soit formulé par le représentant du groupe parlementaire qui consacre au moins une séance par mois à nous demander de déléguer au Gouvernement la possibilité de tout gérer, en s’affranchissant du Parlement. Pour cette proposition de loi, nous vous donnons effectivement la possibilité de le faire, puisque nous prévoyons que les modalités d’application soient précisées par décret. Alors s’il vous plaît, ne crachez pas dans la soupe !

Monsieur Boyard, je vais vous répondre avec courtoisie et élégance ; nous sommes au Parlement et nous devons nous astreindre à une certaine retenue.

Vous avez indiqué que seulement un étudiant sur trois serait concerné par notre dispositif. Selon les statistiques, plus de la moitié des étudiants travaillent : autant dire que cette aide ne s’adresserait pas à un tiers d’entre eux seulement. Mais je précise, monsieur Boyard, que nous parlons du travail légal. Sachez, en outre, qu’il est possible de trouver des emplois en dehors des heures de cours. (M. Louis Boyard s’exclame.)

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. S’il vous plaît, monsieur Boyard, c’est moi qui préside. Laissez parler M. le rapporteur.

M. le rapporteur. Je suis issu d’une famille modeste et, pendant mes études, j’ai travaillé comme caissier dans une grande surface les samedis, dimanches, jours fériés et pendant les vacances. Je ne travaillais pas pendant les heures de cours – j’ai réussi mes études –, mais je vous concède que j’ai failli le faire. J’aurais aimé, à l’époque, que l’État me verse l’équivalent d’une prime d’activité étudiante ou un complément de revenu garanti, afin de terminer les mois plus facilement.

Votre discours tient en fait de la pauvrophobie : il ne faut pas aider les pauvres qui travaillent, mais aider tout le monde, y compris ceux qui n’ont pas besoin de l’être. Ce n’est pas notre façon de voir.

Je vous remercie, madame Bergantz, pour vos propos courtois et argumentés, même si nous sommes en désaccord. Vous dites qu’un travail qui occupe trop de place dans un emploi du temps d’étudiant réduit les chances de réussir ses études. C’est un fait, nous l’avons constaté au cours des auditions que nous avons menées et nous ne le remettons pas en cause. Le ministère de l’enseignement supérieur nous a confié qu’au-delà de 12 heures hebdomadaires, l’emploi étudiant réduit les chances de réussir ses études. Ce constat conforte notre proposition de loi, puisque ceux qui travaillent plus de 10 ou 12 heures par semaine le font grâce aux heures supplémentaires ou à des avenants aux contrats – c’est ce que je faisais pendant mes études. Et ils le font parce qu’ils ont besoin d’un complément de revenu. Lorsque vous êtes étudiant, que vous avez un contrat de 10 heures et que vous effectuez 5 ou 6 heures supplémentaires dans le mois, vous gagnez ce que notre complément de revenu propose de verser. Cette solution nous paraît être la bonne, car elle permet aux étudiants de se limiter à ces 10 ou 12 heures et leur évite de devoir recourir aux heures supplémentaires.

Vous avez également évoqué la question du rattachement au foyer fiscal des parents, que nous nous sommes également posée. Nous avons décidé d’exclure ce rattachement pour une raison simple : même s’il n’y a pas de chiffres officiels sur la précarité étudiante, il nous est apparu, lors de l’audition de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, que les parents qui conservent ce rattachement ont des revenus plus élevés et bénéficient de la part fiscale supplémentaire. A contrario, les étudiants issus de foyers modestes ou de la classe moyenne ont plutôt tendance à quitter le foyer fiscal familial s’ils ont un job étudiant. En effet, ce revenu supplémentaire, même s’il n’est pas imposable, joue dans le calcul des aides et peut empêcher les parents de percevoir certaines d’entre elles, comme l’aide personnalisée au logement (APL). Ainsi, j’avais dû quitter le foyer fiscal de mes parents, les 390 euros que je touchais chaque mois en moyenne leur faisant perdre le bénéfice de l’APL. Ce choix nous permet de nous assurer, indirectement, que ce sont ceux qui en ont le plus besoin qui touchent cette aide, et pas les autres.

Mme Rousseau nous a dit craindre que notre aide n’incite les étudiants à travailler. Je la rassure, ceux qui n’ont pas besoin de travailler ne vont pas gâcher leurs études à le faire, simplement parce que l’État leur propose un complément de revenu. Seuls ceux qui en ont besoin iront travailler et je vous assure que pour la majorité d’entre eux, c’est déjà le cas. On ne va pas pousser les jeunes à travailler, au contraire : on va les aider à le faire un peu moins, grâce à cette prime qui compensera le manque à gagner et leur permettra de s’investir davantage dans leurs études.

Plusieurs d’entre vous – MM. Valletoux et Sitzenstuhl, notamment – ont insisté sur les repas à 1 euro mis en place par le gouvernement Macron. S’il s’agit d’une avancée pour tous les étudiants qui ont accès à des restaurants universitaires, cela n’apporte rien à ceux qui vivent dans des zones moins urbanisées, qui n’ont pas d’établissement de ce type à proximité et qui ne peuvent compter que sur le fast-food ou le kebab du coin pour se restaurer. Ils doivent alors payer leur repas avec leur petit salaire étudiant et ne bénéficient d’aucune aide.

Étendre le principe de la prime d’activité aux étudiants reviendrait, peu ou prou, à notre proposition, sans créer de nouveau dispositif. Alors pourquoi pas, en effet ? Mais il faut également veiller à rétablir l’égalité entre les étudiants qui vivent en zones urbanisées et les autres, afin qu’ils puissent tous profiter de repas équilibrés, au même tarif. Ainsi, lorsque vous faites vos études à Rouen – je suis normand –, vous pouvez prendre des repas plutôt équilibrés au resto U, pour 1 euro. Lorsque, comme moi, vous êtes étudiant à Pont-Audemer, il n’y a pas de resto U et vous allez manger au kebab. D’un côté, vous dépensez – dans le meilleur des cas – 5 euros par repas, de l’autre, vous prenez 5 kilos par année d’études. Il faudrait donc réfléchir à cet aspect de la vie étudiante.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Victor Catteau (RN). Nous sommes évidemment d’accord avec cette proposition de loi, puisqu’elle émane de notre groupe.

Ce complément de revenu permettrait de diminuer considérablement le temps que certains étudiants consacrent au travail pendant leurs études. Grâce à ce dispositif, quelqu’un qui travaille 10 à 15 heures par semaine pourrait réduire cette activité à 5 ou 7 heures. Le temps supplémentaire qu’il pourrait ainsi consacrer aux cours et aux révisions serait déterminant pour poursuivre et réussir ses études.

Nos collègues de la majorité nous ont dit que ce dispositif serait une trappe à bas revenus. Comme l’a rappelé notre rapporteur, la quasi-totalité des étudiants qui travaillent gagne le Smic ; personne ne pourra donc baisser leur rémunération en dessous de ce salaire minimal légal.

Certains ont également évoqué la prime d’activité, mais comme cela a été rappelé également, elle n’est octroyée qu’au-dessus de 1 070 euros. Je doute qu’il y ait beaucoup d’étudiants qui perçoivent un tel montant, surtout en travaillant à temps partiel.

J’ai moi aussi travaillé pendant mes études ; j’ai cumulé deux ou trois emplois par semaine. Quand on vide des camions par 40° C, quand on travaille de nuit, on le fait rarement par plaisir, mais par besoin. Il faut envoyer un signal fort, mettre en lumière la valeur du travail, aider ces étudiants et valoriser les efforts qu’ils font pour financer leurs études.

M. Éric Alauzet (RE). Ce dispositif se fonde sur la valeur du travail et j’entends Mme Lavalette dire que personne ne souhaite que les étudiants travaillent. Ce n’est pas très clair ; c’est même un peu contre-intuitif. Personnellement, je souhaite que tous les étudiants puissent travailler un peu, modérément. Beaucoup d’entre nous l’ont fait ; en tout cas, j’espère que vous l’avez fait, car l’expérience du travail est riche. Cela permet de se confronter au monde du travail, de faire des choses que l’on ne refera peut-être jamais plus au cours de sa vie...

M. Jérôme Guedj (SOC). Ça s’appelle des stages !

M. Éric Alauzet (RE). Non, je vous parle de vrai travail, d’emplois salariés, de remplacements de personnes qui partent en vacances. C’est incroyable !

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Ce n’est pas une conversation. Monsieur Alauzet, poursuivez.

M. Éric Alauzet (RE). L’été, ça peut même être un travail de 35 heures par semaine. Je l’ai fait pendant deux mois, tous les étés, pendant mes études. Que les étudiants puissent travailler est une bonne chose ; ça leur permet de se confronter à la vie des travailleurs et à différents métiers ; je m’étonnais donc que Mme Lavalette dise que personne ne souhaitait voir les étudiants travailler. C’est, en effet, plutôt une chance, qui leur permet d’assurer leurs études quand c’est un peu difficile, sans mettre celles-ci en péril. Quand on travaille le week‑end ou l’été, on peut se constituer un petit pécule qui peut aider à vivre le reste de l’année. Encore une fois, je crois que beaucoup ici l’ont fait.

La seconde chose qui m’a troublé, monsieur le rapporteur, c’est lorsque vous avez évoqué les étudiants qui sont obligés de recourir à la restauration rapide. J’ai bien compris votre explication quant aux endroits où il n’existe pas de resto U, mais la majorité des étudiants, en France, ont accès à ce type d’établissements. Ce n’est pas le cas partout et ça n’a pas été votre cas, mais ça l’est pour la majorité d’entre eux. Les boursiers, qui représentent un peu moins de la moitié des étudiants, peuvent désormais manger pour 2 euros par jour – s’ils prennent deux repas au resto U –, soit 60 euros par mois.

M. le rapporteur. Monsieur Alauzet, le sens de cette proposition est de redonner de la valeur au travail, mais il ne faut pas que les étudiants travaillent au détriment de leurs études. À titre personnel, je ne regrette pas d’avoir travaillé les samedis, dimanches, jours fériés et pendant les vacances, durant mes études. Je considère même que c’est une chance, qui m’a permis de me constituer un petit pécule et d’acquérir une première expérience professionnelle. Même si elle ne me préparait pas au métier auquel je me destinais. Je l’ai très bien vécu, mais le message que l’on veut passer est que les études doivent primer sur le travail.

S’agissant du repas à 1 euro, je le répète, c’est très bien. La grande majorité des étudiants y ont accès, mais ce n’est pas parce que cela concerne 80 % des étudiants que l’on doit pour autant oublier les 20 % qui se nourrissent dans des fast-foods et qui ne parviennent pas à boucler leur fin de mois.

 

Article 1er : Instauration d’un complément de revenu pour les étudiants français

Amendements de suppression AS1 de Mme Fatiha Keloua Hachi, AS3 de M. Louis Boyard, AS4 de Mme Sandrine Rousseau et AS5 de M. Charles Sitzenstuhl

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Cet article ne permet en rien de lutter contre la précarité grandissante qui touche la jeunesse. Il ne cible en effet que les étudiants titulaires d’un contrat de travail et exclut ceux qui ne peuvent pas travailler, qui n’ont pas trouvé de travail, les 1 500 000 jeunes qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation, ainsi que les étudiants de nationalité étrangère.

M. Adrien Quatennens (LFI - NUPES). Un étudiant sur deux a déjà sauté un repas et un sur trois envisage de recourir à l’aide alimentaire. Le taux de pauvreté des 18-29 ans a augmenté de 50 % entre 2002 et 2018, sans compter les dégâts causés par la crise inflationniste.

Les étudiants assurent connaître de grandes difficultés financières pour l’alimentation, le logement et la santé ; 40 % d’entre eux déclarent exercer une activité rémunérée, hors stage, pendant l’année universitaire. Lorsqu’elle est très prenante, 86 % considèrent qu’elle est indispensable pour vivre et 32 % qu’elle a des conséquences négatives sur leurs résultats universitaires ; enfin, 21 % de ceux qui travaillent pour financer leurs études exercent de nuit. Et la réponse du Rassemblement National à la précarité étudiante consiste à proposer un petit complément de revenu !

Que près d’un étudiant sur deux soit obligé de travailler pour subvenir à ses besoins constitue une véritable injustice car tous les étudiants ne disposent pas ainsi du même temps à consacrer à leur cursus. Une mission sénatoriale, en 2021, a confirmé que le taux de réussite annuel des étudiants qui travaillent est inférieur à celui des autres, ce qui rallonge la durée de leurs études – quand le cumul emploi-études ne les incite pas à décrocher par manque de motivation. Les étudiants doivent étudier, pas travailler. Les aider, c’est leur permettre de se consacrer entièrement à leurs études, pas les encourager à devoir les financer.

En outre, vous excluez de ce dispositif les étudiants étrangers, qui sont pourtant particulièrement touchés par la précarité.

Le Rassemblement National a voté contre nos propositions visant à augmenter le Smic et à instaurer une allocation d’autonomie de 1 102 euros pour que tous les jeunes âgés de 18 à 25 ans – et dès 16 ans pour les lycées professionnels – détachés du foyer fiscal parental et inscrits dans une formation puissent étudier dignement. L’intérêt du Rassemblement National pour les plus précaires, c’est comme vos cravates et vos bonnes manières : une apparence.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Vous n’avez pas le monopole du travail pendant les études et cette commission n’est pas un cabinet de psychanalyse.

Comment faire en sorte que nos étudiants réussissent dans les meilleures conditions ? Ceux qui travaillent, même 10 à 12 heures par semaine, sont épuisés, surtout lorsqu’ils sont obligés de se rendre loin de leur lieu d’étude ou de leur domicile. Ils courent après la vie alors qu’à leur âge, ils devraient avoir le temps de lire, par exemple, et avoir une vie normale. Le plus souvent, ils abandonnent d’ailleurs leurs études faute de pouvoir mener une vie sociale.

Encourager le travail des étudiants, c’est accroître leur isolement et leur épuisement. Oui à une augmentation des bourses et à la création d’un revenu minimum, oui à la construction de logements pour les étudiants, oui à l’amélioration des conditions de vie étudiantes, mais non à un tel dispositif ! Le travail n’est pas la solution.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). La préférence nationale est contraire au principe de l’universalité d’accès au savoir. Considérez-vous, de surcroît, que la France ne doit plus accueillir d’étudiants étrangers ?

En outre, la préférence nationale est contraire à tous nos engagements européens et au principe fondamental de non-discrimination régissant l’Union européenne. Quelle est donc votre vision de l’Europe ?

M. le rapporteur. J’assume la préférence nationale, comme j’assume la volonté de pas appliquer la politique que l’Union européenne nous demande d’appliquer. L’Union européenne est nécessaire pour maintenir la paix, pour la coopération et pour bien d’autres choses mais elle n’a pas à gouverner la France à la place du gouvernement français.

Avec les centaines de milliards de dette que vous avez accumulés, il est difficile de proposer des aides universelles. Des choix s’imposent donc pour aider les Français avec l’argent qui est le leur : au-delà, ce n’est pas possible. Comme nous l’avons toujours dit, les aides sociales françaises doivent être réservées aux Français ou aux étrangers ayant travaillé cinq ans sur notre territoire.

Mme Rousseau s’énerve parce que j’ai travaillé pendant mes études. J’en suis navré, mais elle n’a pas le monopole des classes moyennes et modestes, qu’elle a d’ailleurs une fâcheuse tendance à sous-estimer. Personne ne niera que travailler pendant les études fait courir un risque pour leur bon déroulement mais, à votre différence, nous ne voulons pas faire peser sur les étudiants – puis sur les impôts de tous les Français – une dette abyssale en leur offrant gratuitement et universellement une allocation de 1 100 euros. Vous faites croire aux étudiants que vous voulez les aider mais, en fait, vous les pénaliseriez.

Les étudiants travaillent parce qu’ils n’ont pas le choix. Dans un pays où la valeur travail est de plus en plus battue en brèche, où le travail est de moins en moins rémunérateur et où certains incitent à la paresse, il importe de le remettre au centre de nos préoccupations et de dire aux jeunes que, s’ils sont obligés de travailler, l’État sera là pour les aider.

Avis défavorable.

M. Louis Boyard (LFI - NUPES). L’université, la vie que vous venez d’évoquer ne ressemblent en rien à celles de ma génération. À votre époque, on comptait 2 300 000 étudiants. Avec l’ultra-massification de l’enseignement supérieur que nous connaissons, nous en comptons un tiers de plus.

En outre, nous sommes dans un contexte inflationniste et de pénurie d’emploi, ce qui n’est pas rien lorsqu’il est question des jobs étudiants. Vous avez évoqué ceux que vous avez exercés le week-end mais aujourd’hui, combien, parmi la génération de leurs parents, les exercent ? Les étudiants sont en concurrence directe avec des personnes qui ont des difficultés à trouver un travail et sont fragilisés sur le marché de l’emploi. Si vous vous proposez pour tenir une boutique l’après-midi, on vous répondra qu’il est nécessaire d’avoir une expérience professionnelle. Quels jobs leur reste‑t‑il ? Les plus difficiles. Poursuivre des études et travailler dans la restauration, c’est dur physiquement et psychologiquement.

Enfin, vous n’avez pas connu ce nouveau paramètre qu’est la sélection dans l’enseignement supérieur. Les macronistes, depuis la fin du lycée jusqu’au master en passant par Parcoursup, ont organisé une compétition généralisée. Le gosse de riche qui n’a pas à travailler pendant ses études a de facto un avantage, ce qui constitue la plus grande des injustices.

Combien, parmi ces jeunes, veulent simplement pouvoir vivre dignement en étudiant correctement ? Peut-être préfèreraient-ils le revenu étudiant et l’allocation d’autonomie que nous proposons.

Mme Anne Bergantz (Dem). Je suis frappée par une vision aussi misérabiliste des étudiants qui travaillent.

Les situations sont très différentes : apprentis, alternants, stagiaires, jobs d’été, salariés étudiants, petits boulots... Je ne minimise pas le problème de la précarité mais, à mes yeux, la véritable difficulté à laquelle les étudiants sont confrontés, c’est celle du logement. Nous devons faire en sorte de pouvoir en disposer en plus grand nombre et de les proposer à des coûts moindres.

Il est possible d’étudier et de travailler, même s’il importe de ne pas dépasser un certain nombre d’heures hebdomadaires. Ne dites donc pas qu’il ne faut pas que les étudiants aient un travail ! Ce parti pris est délétère pour l’ensemble de la société et de la jeunesse.

Mme Laure Lavalette (RN). Je suis effarée d’une telle malhonnêteté intellectuelle. Nous n’avons absolument pas une vision misérabiliste de la vie étudiante. Cette proposition de loi vise simplement à donner un coup de pouce à ceux qui prennent la peine de travailler.

M. Sitzenstuhl, quant à lui, doit avoir des ambitions européennes et préférerait sûrement siéger au Parlement européen plutôt qu’ici. Il feint de découvrir que nous sommes favorables à la priorité nationale, y compris en matière d’emploi et de logement. Lorsque l’on est député de la nation française, qui compte 10 millions de pauvres, on s’occupe en priorité de son propre peuple. Ce bon sens devrait être transpartisan.

M. Marc Ferracci (RE). La proposition de loi nous donne l’occasion de débusquer un énième mensonge du Rassemblement National. Le rapporteur l’a reconnu sans ambages, il convient de temps à autre de déroger aux règles européennes et de choisir les règles qui doivent s’appliquer.

J’ai le souvenir de Marine Le Pen disant que pour appliquer son programme, il fallait sortir des traités européens. Ensuite, prenant conscience des désagréments d’un tel choix, elle a semblé changer d’avis. Mais les propos du rapporteur en attestent, le projet reste le même ; il suppose de sortir des traités européens. Assumez-en les conséquences, ne vous cachez pas derrière votre petit doigt !

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). On ne peut pas comparer les jobs d’étudiant et l’apprentissage. Dans le second cas, les horaires sont aménagés pour pouvoir concilier durablement études et expérience professionnelle. Dans le premier, le plus souvent – je le dis en tant qu’ancienne vice-présidente d’une des plus grosses universités de France –, les aménagements consistent à faire l’impasse sur certains cours ; les étudiants se plient d’abord aux exigences de l’employeur.

Il est question non pas d’interdire les jobs d’étudiant mais de ne pas encourager un modèle qui ne peut pas être durable. Plutôt que de favoriser la difficile conciliation entre études et emploi, l’État devrait garantir aux étudiants un droit à la réussite.

M. le rapporteur. Madame Bergantz, j’en conviens, le logement est la priorité pour les étudiants. Malheureusement, la majorité à laquelle vous appartenez n’a pas tenu sa promesse de créer 60 000 logements à leur intention. Alors que plusieurs années s’écouleront avant que de nouveaux logements soient mis sur le marché, nous proposons, grâce au complément de revenu, une aide immédiate.

Je ne réponds pas à M. Boyard, qui fait de moi un senior.

Monsieur Ferracci, les traités européens sont faits pour être négociés, nous ne sommes pas obligés de tout plaquer. Brandir la sortie de l’euro, c’est faire peur aux Français, nous ne le voulons pas.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements AS8 et AS9 tombent.

 

Article 2 : Gage sur les superprofits

Amendements de suppression AS2 de Mme Fatiha Keloua Hachi, AS6 de M. Charles Sitzenstuhl et AS7 de Mme Sandrine Rousseau

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). L’article 2 prévoit un impôt mal ficelé pour financer une hausse des salaires versés aux étudiants qui incombe au premier chef aux entreprises.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Par cohérence avec la suppression de l’article 1er, il est proposé de supprimer l’article 2.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Il est cocasse que le rapporteur, après nous avoir fait part de son opposition à l’impôt, propose d’en instaurer un nouveau.

M. le rapporteur. Je vous le confirme, je ne suis pas favorable à un nouvel impôt pesant sur les ménages, qui paient déjà suffisamment. En revanche il est curieux d’entendre la gauche, qui ne cesse de réclamer une taxation des superprofits, la refuser ici. De la part de M. Sitzenstuhl, je l’aurais compris puisque c’est la position que défend la majorité depuis toujours, mais, venant de la gauche, c’est risible.

Avis défavorable.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Plutôt que de taxer leurs superprofits, assurez‑vous que les entreprises paient convenablement les étudiants. Il n’est pas acceptable qu’ils travaillent pour un salaire de misère et avec des horaires décalés.

M. le rapporteur. Je me mets à la place des dizaines de milliers d’étudiants qui espéraient un coup de pouce et une reconnaissance de leurs efforts pour s’en sortir. Ils découvrent que la Macronie reste droite dans ses bottes et refuse de s’intéresser à eux tandis que la gauche les regarde souffrir tranquillement en attendant d’instaurer un revenu universel qui tomberait du ciel. Les autoproclamés défenseurs des étudiants servent leur propre cause, pas celle des étudiants.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 2 est supprimé et l’amendement AS10 tombe.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

 

*

*     *

 

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

 


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ANNEXES

  Annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Par ordre chronologique

 Union nationale inter-universitaire (UNI) : M. Rémy Perrad, délégué national

 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) : Mme Julie Labarthe, sous-directrice de l’observation de la solidarité

 Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) : M. Michel Houdebine, directeur

 La Cocarde étudiante : M. Vianney Vonderscher, président

 Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) : Mme Laure Vagner-Shaw, cheffe de service stratégie des formations et de la vie étudiante, et Mme Anne Grangé, adjointe à la sous-directrice de la réussite et de la vie étudiante

 Observatoire de la vie étudiante : M. Feres Belghith, directeur

 


–  1  –

Annexe n° 2 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

Projet de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code de l’éducation

L. 821-1-1 [nouveau]

 

 

 


([1]https://www.ifop.com/publication/inflation-et-precarite-quelle-realite-pour-les-etudiants-en-france.

([2]) Chiffres issus de l’enquête 2020 de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE).

([3]) Voir le chapitre du rapport consacré au soutien de l’État à la vie étudiante.

([4]) Chiffre de l’Insee, 2019.

([5]) Chiffre du ministère chargé de l’enseignement supérieur.

([6]) Chiffre du ministère chargé de l’enseignement supérieur, voir : https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/EESR14_ES_19/les_conditions_de_vie_des_etudiants_durant_le_confinement_du_printemps_2020/#:~ :text=Pour%20autant%2C%2039%20%25%20des%20%C3%A9tudiants,num%C3%A9riques%20mis%20%C3%A0%20leur%20disposition

([7]) Extrait du rapport public annuel 2022 de la Cour des comptes.

([8]) Voir par exemple les travaux de Julien Berthaud conduits sur le sujet et cités dans la mission d’information sénatoriale sur les conditions de la vie étudiante en France. Ces travaux montrent que les étudiants salariés travaillant plus de 18 heures par semaine connaissaient un taux de réussite en trois ans de 64 %, nettement inférieur à celui des autres étudiants salariés (69 %) et a fortiori des étudiants n’exerçant pas d’activité rémunérée (73 %).

([9]) Selon le ministère, cette réforme doit permettre à 35 000 étudiants supplémentaires de devenir boursiers. Elle doit également se traduire par une augmentation des bourses de 37 euros par mois pour tous les échelons et avoir pour conséquence de faire basculer 140 000 boursiers vers un échelon de bourse supérieur.

([10]) Chiffres donnés par la Drees au cours de son audition par votre rapporteur.

([11]) https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/missions-dinformation-communes/archives/mission-dinformation-conditions-de-la-vie-etudiante-en-france.html

([12]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.13948421_651d7cca752db.commission-des-affaires-sociales--proposition-de-loi-visant-la-creation-d-un-complement-de-revenu-g-4-octobre-2023