N° 1745

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ASSEMBLÉe   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2023.

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2024 (n° 1680),

 

PAR M. Jean-René CAZENEUVE,

Rapporteur général

Député

 

——

 

ANNEXE N° 29
 

 

INVESTIR POUR LA France DE 2030

 

 

 

 

 

Rapporteur spécial : M. Damien MAUDET

 

Député

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SOMMAIRE

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Pages

PRINCIPALES OBSERVATIONS Du RAPPORTEUR SPÉCIAl

DONNÉES CLÉS

INTRODUCTION

I. moins de 5 % des crédits sont destinés À l’achèvement du PIA 3

A. Le programme 421 Soutien des progrÈs de l’enseignement et de la recherche

B. le programme 422 Valorisation de la recherche

C. le programme 423 AccÉlÉration de la modernisation des entreprises

II. France 2030 mobilise 95 % des crédits de la mission

A. Le programme 424 Financement des investissements stratégiques

B. Le programme 425 Financement structurel des écosystèmes D’INNOVATION

C. Des choix stratÉgiques discutables

EXAMEN EN COMMISSION

LISTES DES PERSONNES AUDITIONNéES PAR LE RAPPORTEUR SPECIAL

 

L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 100 % des réponses relatives à la mission étaient parvenues à la commission des finances.

 


   PRINCIPALES OBSERVATIONS Du RAPPORTEUR SPÉCIAl

Si la mise en place d’un outil de planification est souhaitable, le rapporteur spécial estime que les choix d’investissement et la méthode retenus dans le cadre de France 2030 ne sont pas susceptibles de répondre aux défis que la France doit relever à moyen terme.

France 2030 a été créé dans un contexte de renforcement constant des moyens publics alloués aux acteurs du secteur privé et d’efforts toujours plus importants demandés au service public. Au demeurant, il s’adresse à un nombre limité d’acteurs, composé principalement d’entreprises.

En tout état de cause, le plan est fondé sur des présupposés discutables. L’hypothèse selon laquelle les start-up seraient les acteurs les mieux armés pour préparer la transition écologique est un tropisme idéologique, qui fait l’impasse sur une grande partie des chantiers et métiers essentiels pour cette transition : la rénovation thermique des bâtiments, le développement très fort des métiers du lien (aides à domicile, accompagnants d’élèves en situation de handicap, assistantes maternelles, etc.), l’économie circulaire… La transition nécessitera avant tout un investissement massif dans les services publics et dans ces métiers essentiels, et la croyance dans le solutionnisme technologique, matérialisée par ce plan, ne fait que le retarder.

De plus, France 2030 entend favoriser les relocalisations d’activité en se concentrant sur certains biens manufacturés à haute valeur ajoutée, tout en délaissant d’autres activités essentielles. Il ne permet pas de réflexion sur les usages qui pourront être faits des technologies ayant vocation à être mises sur le marché. France 2030 n’est pas un outil de planification écologique : il ignore la question de la sobriété énergétique et il ne permettra pas de changer en profondeur nos modes de consommation, alors que l’urgence climatique l’impose. Aussi le plan ne comporte aucune réflexion au niveau des filières industrielles : alors qu’on accorde des millions à des projets de fabrication de batteries pour véhicules électriques, on laisse délocaliser les fonderies d’aluminium, qui produisent les carters de ces voitures électriques. L’unique réflexion en termes de valeur ajoutée ne permet de résoudre, ni les problèmes de transition, ni les problèmes de souveraineté nationale.

Par ailleurs, aucune règle n’est fixée aux bénéficiaires des subventions pour leur imposer de respecter des engagements écologiques. Il en est de même sur le plan de l’emploi : rien n’est fait pour s’assurer que les entreprises qui bénéficient des aides ne licencient pas. Le rapporteur spécial considère qu’il conviendrait d’exiger qu’elles adoptent, en échange des subventions dont elles bénéficient, un comportement vertueux à l’égard de leurs salariés et de l’environnement, et que leurs engagements en termes de création d’emplois soient contrôlés sur le long terme, avec un remboursement des subventions en cas de non-respect de ceux-ci.

Ensuite, France 2030 est utilisé pour contourner des problèmes nés du manque de moyens alloués aux services publics. Ainsi, la stratégie d’accélération « Santé numérique » poursuit l’objectif de développer des modes de prise en charge à distance. Pour autant, la lutte contre les déserts médicaux ne pourra être correctement menée sans recruter massivement des infirmiers, des médecins et des aides-soignants.

Enfin, ce plan n’aborde même pas le levier le plus important de la transition : la sobriété. Alors que la priorité devrait être donnée à une réflexion collective sur la façon dont nous produisons et consommons, ce plan se contente de saupoudrer avec des milliards d’argent public des technologies sans jamais s’interroger sur leur utilité ou sur leur désirabilité.

Le rapporteur spécial appelle donc à émettre un avis défavorable aux crédits de la mission Investir pour la France de 2030.


   DONNÉES CLÉS

Évolution des crÉdits de la mission Investir pour la France de 2030

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2023

PLF 2024

Évolution 2023-2043

LFI 2023

PLF 2024

Évolution 2023-2024

421 – Soutien des progrès de l’enseignement et de la recherche

0

0

/

244

255

+ 4,51 %

422 – Valorisation de la recherche

0

0

/

33

88

+ 167,27 %

423 – Accélération de la modernisation des entreprises

0

0

/

92,5

14,3

– 84,58 %

424 – Financement des investissements stratégiques

0

0

/

3 485

5 691

+ 63,32 %

425 – Financement structurel des écosystèmes d’innovation

0

0

/

2 233

1 653

– 26,00 %

Total

0

0

/

6 088

7 702

+ 26,51 %

Source : commission des finances d’après le projet de loi de finances pour 2024.

La mission Investir pour la France de 2030 est composée de cinq programmes, dont trois – les programmes 421, 422 et 423 – portent les crédits alloués au troisième volet du programme d’investissements d’avenir (PIA 3) et deux – les programmes 424 et 425 – portent les crédits alloués au PIA 4 et à France 2030.

Comme pour le PIA 3, les autorisations d’engagement allouées à France 2030 et au PIA 4 ont toutes été ouvertes lors de leur lancement. Les crédits de paiement sont ouverts progressivement par chaque loi de finances en fonction de l’avancement des projets financés. De ce fait, le budget de la mission Investir pour la France de 2030 ne comprend que 7,7 milliards d’euros en crédits de paiement pour 2024.

Dans le cadre du présent projet de loi de finances, les crédits demandés pour 2024 sur les programmes 421, 422 et 423 représentent 357 millions d’euros et moins de 5 % des crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

Les programmes 424 et 425 portent le plan France 2030, qui a été intégré à l’architecture du PIA 4. Pour 2024, 7,3 milliards d’euros de crédits de paiement sont proposés sur les programmes 424 et 425. Ils représentent 95 % des crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

On constate une hausse de 63 % des crédits du programme 424 Financement des investissements stratégiques par rapport à 2023, qui s’explique essentiellement par l’augmentation des crédits des actions 2 (Maturation de technologies, R&D, valorisation de la recherche) et 4 (Soutien au déploiement). Les crédits du programme 425 Financement structurel des écosystèmes d’innovation baissent de 26 % par rapport à 2023, ce qui est lié à la baisse des crédits de l’action 3 Aides à l’innovation « bottom-up » (fonds propres).


   INTRODUCTION

Quatre programmes d’investissement d’avenir (PIA) se sont succédé en France depuis une dizaine d’années pour financer des projets innovants, contribuant à la transformation du pays, à une croissance durable et à la création des emplois de demain. Les PIA 1 et PIA 2 ont pris la forme de crédits ouverts sur des « programmes éphémères » au sein des différentes missions du budget de l’État (supprimés l’année suivant celle de leur création). Afin de répondre aux critiques formulées par la Cour des comptes et le Parlement concernant les modalités de gestion extrabudgétaire des crédits, le PIA 3 a fait l’objet d’une budgétisation sur une mission pérenne. La loi de finances pour 2017 ([1]) a institué la mission Investir pour la France de 2030 (initialement intitulée Investissements d’avenir). Cette mission était alors composée de trois programmes reflétant l’architecture du PIA 3, structuré de l’amont vers l’aval de la chaîne de valeur : le programme 421 Soutien des progrès de l’enseignement et de la recherche ; le programme 422 : Valorisation de la recherche et le programme 423 : Accélération de la modernisation des entreprises.

Suite au lancement du PIA 4 en 2021, deux nouveaux programmes ont été ajoutés à la mission : le programme 424 : Financement des investissements stratégiques et le programme 425: Financement structurel des écosystèmes d’innovation.

Enfin, le lancement du plan France 2030 a fait évoluer le contenu de la mission Investir pour la France de 2030. Ce plan, annoncé en octobre 2021, soutient tout le cycle de vie de l’innovation, de la recherche fondamentale jusqu’à l’industrialisation. Le lancement de France 2030 a conduit à l’adoption, en première lecture du projet de loi de finances pour 2022 à l’Assemblée nationale, d’un amendement présenté par le Gouvernement abondant les programmes 424 et 425 de 34 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 3,5 milliards d’euros en crédits de paiement. Par suite, le PIA 4 a été intégré à France 2030, qui constitue désormais un unique plan d’investissement doté de 54 milliards d’euros au total. La mise en œuvre du plan France 200 repose sur les quatre opérateurs historiques des PIA : l’Agence de la transition écologique (ADEME), l’Agence nationale de la recherche (ANR), Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

La mission Investir pour la France de 2030 ne comprend en 2024 aucune autorisation d’engagement et elle ne comprend que des crédits de paiement. Les crédits de paiement sont ouverts progressivement par chaque loi de finances en fonction de l’avancement des projets financés. Ils ne comprennent pas de dépenses de personnel et recouvrent surtout des dépenses de fonctionnement, d’investissement et d’intervention. La mission Investir pour la France de 2030 fait l’objet de 7,7 milliards d’euros de crédits de paiement pour 2024. Ces crédits correspondent à une augmentation de 26,5 % par rapport à la loi de finances pour 2023, qui a ouvert 6 milliards d’euros.

Si cette augmentation doit être soulignée, le rapporteur spécial porte toutefois un regard critique sur France 2030. Tout en approuvant pleinement le principe d’un outil de planification, il estime que ni les choix d’investissement ni la méthode retenus ne sont susceptibles de répondre aux défis que la France doit relever d’ici 2030.

Il appelle donc à émettre un avis défavorable aux crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

 


I.   moins de 5 % des crédits sont destinés À l’achèvement du PIA 3

Le PIA 3 est porté par les programmes 421 Soutien des progrès de l’enseignement et de la recherche, 422 Valorisation de la recherche et 423 Accélération de la modernisation des entreprises.

Les autorisations d’engagement correspondant à l’intégralité du PIA 3 ont été ouvertes en 2017, pour un montant de 10,3 milliards d’euros.

Les décaissements de crédits de paiement sont réalisés progressivement. Au 31 décembre 2023, on estime que le reliquat de crédits de paiement restant à décaisser est de 1,06 milliard d’euros pour les crédits du programme 421 ([2]), 386 millions d’euros pour les crédits du programme 422 ([3]) et 356 millions d’euros pour ceux du programme 423 ([4]).

Pour 2024, l’ensemble des programmes 421, 422 et 423 serait doté de 357 millions d’euros de crédits de paiement, soit moins de 5 % des crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

A.   Le programme 421 Soutien des progrÈs de l’enseignement et de la recherche

Le programme 421 vise à soutenir l’évolution du système d’enseignement supérieur et de recherche. Il serait doté en 2024 de 255 millions d’euros de crédits de paiement, ce qui représente 3 % des crédits de la mission Investir pour la France de 2030. Les crédits de paiement augmentent de 4,5 % par rapport à la loi de finances pour 2023, où ils étaient de 244 millions d’euros.

Le programme 421 finance six actions, dont cinq sont encadrées par une convention signée entre l’État et l’ANR le 14 février 2017 (actions 1 à 5) et une par une convention signée entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations le 29 décembre 2017 (action 7) ([5]).

L’action 1 Nouveaux cursus à l’université est dotée en 2024 d’un montant de 25 millions d’euros et représente près de 10 % des crédits du programme. Elle a pour objectif de soutenir les universités, les écoles et les regroupements d’établissements qui souhaitent diversifier leur offre de formation en licence afin de répondre aux enjeux auxquels est confronté le système français d’enseignement supérieur. Les projets sélectionnés sont financés pour une durée maximale de dix ans sur la période 2018 - 2027. L’action 1 a été dotée au total de 250 millions d’euros de dotations décennales et 30 millions d’euros de subventions.

Sur l’action 2 Programmes prioritaires de recherche, 40 millions d’euros sont prévus, soit près de 16 % des crédits du programme. Elle vise notamment à financer des projets de recherche de haut niveau pour faire face au changement climatique ainsi que des instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle. Elle a été dotée au total de 310 millions d’euros : 260 millions d’euros de dotations décennales et 50 millions d’euros de subventions. À ce jour, sur la totalité des engagements effectués, 102 millions d’euros ont été versés (75 millions d’euros en dotation décennale et 27 millions d’euros en subventions) ([6]).

L’action 3 Équipements structurants de recherche serait dotée en 2024 de 50 millions d’euros, ce qui représente près de 20 % des crédits du programme. Elle vise à doter la recherche française d’équipements de haut niveau afin de lui permettre d’accueillir les expérimentations conduites par les chercheurs dans les meilleures conditions de travail et aux plus hauts standards, condition de compétitivité de la recherche française. Elle est dotée au total de 434 millions d’euros de crédits. Au 30 juin 2022, l’intégralité de l’enveloppe avait été engagée et 84 millions d’euros décaissés aux bénéficiaires ([7]).

L’action 4 Soutien des grandes universités de recherche fait l’objet de 90 millions d’euros, ce qui représente 35 % des crédits du programme. Elle a été dotée au total de 670 millions d’euros de dotations décennales. Elle permet notamment d’accompagner la transformation organisationnelle et la transformation des cursus de formations au niveau master et doctorat. Au 30 juin 2023, les crédits alloués à ces projets étaient décaissés à hauteur de 130 millions d’euros ([8]).

30 millions d’euros de crédits sont demandés pour 2024 sur l’action 5 Constitution d’écoles universitaires de recherche, soit près de 12 % du programme. Elle vise à renforcer l’impact et l’attractivité internationale de la recherche et de la formation française grâce aux masters et doctorats, avec par exemple la création de parcours complets de master 1 et master 2 intégralement en anglais. Elle est dotée au total de près de 300 millions d’euros de dotations décennales. 122 millions d’euros ont été versés aux bénéficiaires au 30 juin 2023 ([9]).

L’action 7 Territoires d’innovation pédagogique serait dotée de 20 millions d’euros, soit près de 8 % des crédits de paiement. Cette action vise à financer des innovations dans le domaine éducatif, notamment dans ceux de l’orientation et de la formation des professeurs. Elle est au total dotée de 500 millions d’euros (400 millions d’euros en subventions et 100 millions d’euros en dotations décennales). Au 30 juin 2023, 86 millions d’euros ont été décaissés ([10]).

B.   le programme 422 Valorisation de la recherche

Le programme vise à soutenir le développement de projets innovants particulièrement ambitieux, ainsi que de nouvelles structures d’innovation et de transfert de technologie. Il serait doté en 2024 de 88 millions d’euros, soit 1 % des crédits de la mission. Les crédits seraient relevés de près de 170 % par rapport à 2023, où ils étaient de 88 millions d’euros. Le programme finance deux actions.

L’action 3 Démonstrateurs et territoires d’innovation serait dotée de 60 millions d’euros. Elle comporte trois volets : les « territoires d’innovation », les démonstrateurs et le « nucléaire de demain ». Les différents volets sont encadrés par des conventions signées en 2017 entre l’État et la Caisse des dépôts (pour le volet « Territoires d’innovation de grande ambition »), l’ADEME (pour le volet « démonstrateurs ») et l’ANR (pour le volet « Nucléaire de demain »). Elle a été dotée au total de 1 779,8 millions d’euros. Deux volets bénéficieraient de crédits en 2024. Le volet « Territoires d’innovation » serait doté de 50 millions d’euros. Il accompagne des projets portant une stratégie ambitieuse de transformation des territoires, visant à répondre, dans un souci de développement économique, aux enjeux des transitions énergétique, écologique, numérique, démographique et sociale. Le volet « démonstrateurs » bénéficierait de 10 millions d’euros. Il vise à financer des projets de démonstration de solutions et technologies innovantes dans le domaine de la transition écologique et énergétique (énergies renouvelables, réseaux intelligents et stockage de l’énergie).

L’action 5 Accélération du développement des écosystèmes d’innovation performants serait dotée de 28,2 millions d’euros pour 2024. Elle vise à accélérer le passage du laboratoire de recherche à la commercialisation. Les crédits contribuent notamment à financer la recherche hospitalo-universitaire ainsi que des projets en matière de transports et de mobilité durables. Au 30 juin 2023, l’action était engagée à hauteur de 115 millions d’euros et décaissée à hauteur de 62 millions d’euros ([11]).

C.   le programme 423 AccÉlÉration de la modernisation des entreprises

Le programme 423 Accélération de la modernisation des entreprises vise à aider des entreprises françaises à s’adapter aux mutations de l’environnement économique global, à renforcer la compétitivité de l’industrie nationale par rapport à ses principaux concurrents et à maintenir une base industrielle ancrée sur le territoire national. Ce programme est doté en 2024 de 14 millions d’euros, soit moins de 0,2 % des crédits de la mission Investir pour la France de 2030. Les crédits diminueraient de près de 85 % par rapport à la loi de finances pour 2023, où ils étaient de 92,5 millions d’euros. Le programme finance deux actions.

L’action 2 Accompagnement et transformation des filières ferait l’objet de 9,7 millions d’euros. Elle vise notamment à structurer et à moderniser des filières économiques (regroupement horizontal ou vertical d’entreprises œuvrant dans un même secteur d’activité) par des projets de mutualisation d’outils communs au sein d’une filière ou encore le financement de l’accompagnement de petites et moyennes entreprises et d’entreprises de taille intermédiaire par un consultant externe pour leur permettre d’adopter des technologies d’avenir.

L’action 4 Adaptation et qualification de la main-d’œuvre serait dotée de 4,6 millions d’euros. Elle est encadrée par la convention du 29 décembre 2017 entre l’État et la Caisse des dépôts. Elle vise notamment à financer des projets de conception et d’ingénierie de nouvelles formations afin de diffuser les innovations auprès des employés actuels ou futurs (par exemple des modules de formation à l’usage d’une imprimante 3D).

II.   France 2030 mobilise 95 % des crédits de la mission

Les programmes 424 et 425 portent le plan France 2030, qui a été intégré à l’architecture du PIA 4. Les autorisations d’engagement correspondant à l’ensemble de France 2030 représentent 40,4 milliards d’euros et elles ont été ouvertes en 2021 et 2022. Au 31 décembre 2023, on évalue les autorisations d’engagement non couvertes par les crédits de paiement à 31,4 milliards d’euros pour le programme 424 ([12]) et à 6 milliards d’euros pour le programme 425 ([13]).

En 2024, les crédits des programmes 424 et 425 représentent 7,3 milliards d’euros, soit 95 % des crédits de la mission, ce qui illustre le fait que la part du PIA 3 n’est plus que résiduelle.

Les crédits de paiement destinés à couvrir les autorisations d’engagement sont ouverts progressivement depuis la loi de finances pour 2021 et sont versés sur les comptes au Trésor des quatre opérateurs du PIA 4 : la Caisse des dépôts et consignations, Bpifrance, l’ADEME et l’ANR.

Ce choix de gestion traduit une volonté de centralisation, qui se retrouve aussi dans les choix faits pour la gouvernance de France 2030. Celle-ci est organisée autour d’une série de comités :

– le comité d’orientation stratégique placé auprès du Président de la République, qui propose les grandes orientations stratégiques et technologiques et veille au suivi du plan ;

– le conseil interministériel de l’innovation, présidé par la Première ministre, qui est lui-même assisté d’un comité exécutif et qui arbitre la répartition budgétaire et arrête les orientations de France 2030 ;

– le comité France 2030, également présidé par la Première ministre, qui assure le suivi de l’exécution du plan ;

– quatorze comités de pilotage ministériels, qui assurent le pilotage et le suivi des différentes thématiques de France 2030 et dont les travaux sont préparés par des comités de pilotage ministériels opérationnels (qui valident les cahiers des charges des procédures de sélection des projets et les propositions formulées par les comités de sélection) ;

– le Secrétariat général pour l’investissement, qui assure la coordination de l’exécution de l’ensemble du plan et le pilotage de l’évaluation des projets.

Le rapporteur spécial estime que cette architecture, porteuse d’une lourdeur considérable dans la gestion des crédits, ne peut que générer une forme de déresponsabilisation.

  1.   Le programme 424 Financement des investissements stratégiques

La logique du programme 424, créé en lien avec le PIA 4, était de construire des priorités d’investissements répondant aux enjeux de transition de l’économie et de la société et représentant des relais robustes de croissance économique pour notre pays. Il a été structuré en une série d’actions budgétaires organisées selon le degré de maturité des innovations. Les actions 2, 3 et 4 sont encadrées par des conventions signées en juin 2021 entre plusieurs partenaires : l’État, l’ANR, l’ADEME, Bpifrance et, le cas échéant, la Caisse des dépôts et consignations. L’action 6 est encadrée par la convention signée le 16 mars 2022 entre l’État, l’ADEME, l’ANR, la Caisse des dépôts et consignation, et Bpifrance.

Lorsqu’en 2022, le plan France 2030 est venu compléter la démarche initiée par le PIA 4, l’architecture budgétaire n’a pas été modifiée mais seulement complétée, avec notamment la création de l’action 6. D’ailleurs, les stratégies nationales préparées dans le cadre du PIA 4 constituent autant d’éléments permettant d’atteindre les dix objectifs qui constituent le plan France 2030.

Le programme 424 serait doté de près de 5,7 milliards d’euros en 2024, soit près de 74 % des crédits de la mission. Les crédits seraient en hausse de 63 % sur les quelque 3,5 milliards d’euros votés pour 2023. Cette hausse porte essentiellement sur les actions 2 Maturation de technologies, R&D, valorisation de la recherche et 4 Soutien au déploiement).

L’action 2 Maturation de technologies, R&D, valorisation de la recherche ferait l’objet en 2024 de 640 millions d’euros de crédits, soit 11 % du programme  424. Elle vise à identifier les ruptures technologiques, qui répondent à des enjeux majeurs de transition, à accompagner des projets de recherche-développement et à favoriser le transfert technologique dans des domaines stratégiques. Elle permet notamment de soutenir dans ce cadre des projets ayant trait à la cybersécurité.

L’action 3 Démonstration en conditions réelles, amorçage et premières commerciales serait dotée en 2024 de 1,2 milliard d’euros, ce qui représente près de 22 % des crédits du programme 424. Sa dotation est de 7,5 milliards d’euros au total. Au 30 juin 2023, 2,3 milliards d’euros ont déjà été engagés ([14]). Elle soutient la mise en œuvre de premières réalisations industrielles ou de services à l’échelle « pilote » ou « démonstrateur » qui permettent de vérifier la viabilité organisationnelle et technico-économique d’innovations, dont les principaux verrous technologiques ont été levés Elle peut accompagner des expérimentations en conditions réelles. Elle concerne notamment les énergies renouvelables ou encore les robots industriels.

L’action 4 Soutien au déploiement fait l’objet pour 2024 de 1,87 milliard d’euros de crédits, soit près de 33 % du programme 424. Elle serait ainsi dotée de 10,5 milliards d’euros au total. Au 30 juin 2023, 3,2 milliards d’euros ont été engagés ([15]) Elle permet de soutenir l’implantation de sites industriels et de sécuriser l’industrialisation des technologies. Elle concerne les énergies renouvelables, l’agriculture et l’alimentation, la santé, les matériaux (métaux, plastique, bois…) et les composants.

L’action 5 Accélération de la croissance recevrait 210 millions d’euros en 2024, ce qui représente près de 3 % des crédits du programme. Elle recouvre les investissements en fonds propres qui viennent compléter les instruments subventionnels prévus par les actions 1 et 4 et concernent l’aval de la chaîne de valeur. Cette action, dotée au total de 3,5 milliards d’euros, recouvre quatre dispositifs :

– le « Fonds écotechnologies 2 », qui accompagne principalement, par des opérations de capital-risque, des sociétés développant des solutions technologiques dans le domaine de la transition écologique et énergétique ;

– le dispositif « French tech Souveraineté » initié dans le PIA 3 ;

– le « Fonds national de venture industriel » qui vise à favoriser l’émergence et la structuration du marché des fonds de capital-risque ciblant les start-up industrielles du prototype à la première usine et les fonds de capital-développement transmission ciblant des PME et ETI industrielles porteuses de projets de développement de leur outil de production, d’innovation industrielle ou de relocalisation de leur capacité de production ;

– le Fonds « Deep tech » qui accompagne le passage à l’industrialisation de sociétés développant des technologies considérées comme critiques pour la souveraineté nationale.

L’action 6 Industrialisation et déploiement, dotée en 2024 de 1,73 milliard d’euros, recevrait plus de 30 % des crédits du programme.

Elle vise à soutenir l’industrialisation et le déploiement de projets stratégiques situés plus en « aval » dans le processus d’innovation que ceux financés par les actions 1 à 5. Sa dotation totale serait ainsi de 12,9 milliards d’euros. Au 30 juin 2023, les crédits ont donné lieu à des engagements à hauteur de près de 4 milliards d’euros ([16]). Elle vise en particulier à soutenir l’innovation dans les industries de santé, la décarbonation de l’industrie, le développement de véhicules connectés zéro émission, les puces électroniques et les robots industriels.

B.   Le programme 425 Financement structurel des écosystèmes D’INNOVATION

Près de 1,7 milliard d’euros de crédits sont demandés pour 2024 sur ce programme, ce qui représente plus de 21 % des crédits de la mission. Ils baisseraient de 26 % en un an (ils étaient de 2,2 milliards d’euros en loi de finances pour 2023), reflétant le recul des crédits de l’action 3 Aides à l’innovation « bottom-up » (fonds propres).

Ce programme vise à assurer une contribution pérenne aux acteurs et structures de l’enseignement et de la formation, de la recherche et de l’innovation dans la continuité des précédents PIA 1 à 4. Il comporte trois actions.

L’action 1 Financements de l’écosystème ESRI et valorisation, dotée de 220 millions d’euros en 2024, représenterait 13,3 % des crédits du programme. Elle serait dotée au total de 3,25 milliards d’euros, dont 1 milliard a déjà été engagé au 30 juin 2023 ([17]). Elle est encadrée par la convention signée le 2 juin 2021 entre l’État, l’ANR et la Caisse des dépôts et consignations. Elle permet notamment :

– de financer des laboratoires, des équipements et des programmes de recherche de grande ampleur ;

– d’amplifier l’effort en faveur de la recherche biomédicale, le développement des connaissances en matière de santé et l’amélioration des pratiques médicales, notamment à travers les instituts et les projets de recherche hospitalo-universitaires ;

– de soutenir les instituts de recherche technologique et les instituts pour la transition énergétique (organismes partenariaux réunissant industriels et acteurs de la recherche publique) ;

– d’accélérer, la structuration du paysage des acteurs de la maturation et du transfert technologique, notamment à travers les Sociétés d’accélération du transfert de technologies, les SATT.

L’action 2 Aides à l’innovation « bottom-up » (subventions et prêts), dotée en 2024 de 727,5 millions d’euros, représenterait 44 % des crédits du programme. Elle disposerait au total de 4,25 milliards d’euros. Cette action est encadrée par des conventions des 8 avril 2021, 14 mai 2021 et 13 août 2021 signées entre l’État et Bpifrance et, le cas échéant, la Caisse des dépôts et consignations. Elle aide les entreprises innovantes qui ont besoin d’accéder à des sources de financement pour couvrir le risque inhérent à leurs projets de recherche et développement et d’innovation et comprend pour ce faire trois volets :

– des « aides guichet » qui sont attribuées aux start-up et aux petites et moyennes entreprises pour financer des études de faisabilité, des travaux de recherche industrielle et/ou de développement expérimental ;

– des aides nationales qui financent des concours d’innovation à destination des start-up et des petites et moyennes entreprises (dans des domaines tels que le numérique, la santé, les transports et les énergies renouvelables) et des projets structurants de recherche-développement de projets collaboratifs associant des grandes entreprises avec des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire ;

– des aides régionales (dans ce dispositif, chaque région définit, dans le cadre d’un pilotage commun avec l’État, une déclinaison régionale spécifique autour de quatre axes d’intervention : les projets de filières, les projets d’innovation, les projets collaboratifs de recherche-développement et les projets de formation professionnelle).

L’action 3 Aides à l’innovation « bottom-up » (fonds propres) serait dotée en 2024 de 705 millions d’euros, soit près de 43 % des crédits du programme. Dotée au total de 3 milliards d’euros, elle vise à soutenir la croissance de start-up à tous les stades de leur développement et à apporter un financement en fonds propres aux projets d’accélération des implantations de start-up.

C.   Des choix stratÉgiques discutables

Les programmes 424 et 425 représentant près de 95 % des crédits de la mission, le rapporteur spécial souhaite ici exprimer ses vives réserves sur les choix économiques et technologiques retenus.

Tout d’abord, France 2030 a été créé dans un contexte de renforcement constant des moyens publics alloués aux acteurs du secteur privé et d’efforts toujours plus importants demandés au service public. Au demeurant, il s’adresse à un nombre limité d’acteurs, composé principalement d’entreprises.

En tout état de cause, le plan est fondé sur des présupposés discutables. L’hypothèse selon laquelle les start-up seraient les acteurs les mieux armés pour préparer la transition écologique est un tropisme idéologique, qui fait l’impasse sur une grande partie des chantiers et métiers essentiels pour cette transition : la rénovation thermique des bâtiments, le développement très fort des métiers du lien (aides à domicile, accompagnants d’élèves en situation de handicap, assistantes maternelles, etc.), l’économie circulaire... La transition nécessitera avant tout un investissement massif dans les services publics et dans ces métiers essentiels, et la croyance dans le solutionnisme technologique, matérialisée par ce plan, ne fait que le retarder.

De plus, France 2030 entend favoriser les relocalisations d’activité en se concentrant sur certains biens manufacturés à haute valeur ajoutée, tout en délaissant d’autres activités essentielles. Il ne permet pas de réflexion sur les usages qui pourront être faits des technologies ayant vocation à être mises sur le marché. France 2030 n’est pas un outil de planification écologique : il ignore la question de la sobriété énergétique et il ne permettra pas de changer en profondeur nos modes de consommation, alors que l’urgence climatique l’impose. Aussi le plan ne comporte aucune réflexion au niveau des filières industrielles : alors qu’on accorde des millions à des projets de fabrication de batteries pour véhicules électriques, on laisse délocaliser les fonderies d’aluminium, qui produisent les carters de ces voitures électriques. L’unique réflexion en termes de valeur ajoutée ne permet de résoudre, ni les problèmes de transition, ni les problèmes de souveraineté nationale.

Par ailleurs, aucune règle n’est fixée aux bénéficiaires des subventions pour leur imposer de respecter des engagements écologiques. Il en est de même sur le plan de l’emploi : rien n’est fait pour s’assurer que les entreprises qui bénéficient des aides ne licencient pas. Le rapporteur spécial considère qu’il conviendrait d’exiger qu’elles adoptent, en échange des subventions dont elles bénéficient, un comportement vertueux à l’égard de leurs salariés et de l’environnement, et que leurs engagements en termes de création d’emplois soient contrôlés sur le long terme, avec un remboursement des subventions en cas de non-respect de ceux-ci.

Ensuite, France 2030 est utilisé pour contourner des problèmes nés du manque de moyens alloués aux services publics. Ainsi, la stratégie d’accélération « Santé numérique » poursuit l’objectif de développer des modes de prise en charge à distance. Pour autant, la lutte contre les déserts médicaux ne pourra être correctement menée sans recruter massivement des infirmiers, des médecins et des aides-soignants.

Enfin, ce plan n’aborde même pas le levier le plus important de la transition : la sobriété. Alors que la priorité devrait être donnée à une réflexion collective sur la façon dont nous produisons et consommons, ce plan se contente de saupoudrer avec des milliards d’argent public des technologies sans jamais s’interroger sur leur utilité ou sur leur désirabilité.

Il est fort regrettable que la préparation de l’avenir soit ainsi inspirée de conceptions dépassées.


   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 25 octobre 2023, la commission des finances a examiné les crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

M. Damien Maudet, rapporteur spécial. « Réindustrialiser la France, c’est la mère des batailles », déclarait Emmanuel Macron à Challenges en mai dernier. Entre 1974 et 2019, nous avons perdu 2,6 millions d’emplois dans l’industrie. On connaît la responsable : la mondialisation heureuse, que vous défendez, collègues de la majorité, comme certains de vos prédécesseurs. On a choisi de mettre notre industrie en concurrence directe avec des pays où le coût de la main-d’œuvre est faible et la protection sociale inexistante.

La volonté affichée du Président est de faire revenir l’industrie sur le territoire français. Nous partageons évidemment cet objectif, mais il y a deux manières de l’atteindre. La première, la vôtre, consiste à devenir compétitif par rapport aux pays où on l’a délocalisée, en baissant le coût du travail et en accordant des cadeaux fiscaux et des exonérations multiples aux entreprises et aux riches actionnaires qui les financent. Dans ce domaine, vous êtes les champions, avec 50 milliards par an accordés pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais pour financer tout cela, il faut des coupes dans les services publics. C’est une course folle. Devons-nous nous mettre au niveau de pays qui n’ont pas d’acquis sociaux ?

La seconde manière de procéder est la planification : donner des objectifs de production sur le territoire national, filière par filière, et mettre les moyens nécessaires pour les atteindre. Cela suppose des investissements publics, mais également du protectionnisme. Ce n’est pas ce que fait France 2030 : en dépit des apparences, il n’est pas question ici de planification, tout au plus de saupoudrage d’argent public. Cela fait du bien aux entreprises qui en bénéficient, mais cela ne suffit pas.

Les besoins de financement pour atteindre nos objectifs climatiques sont estimés entre 50 et 70 milliards d’euros par an ; ce plan ne leur consacre que 5,5 milliards d’euros sur dix ans, soit à peine 1 % de ce qu’il faudrait. Seuls 25 % des dépenses de France 2030 ont un impact favorable sur l’environnement.

Alors que les pénuries de médicaments s’enchaînent, que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) tient à jour une liste de 400 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, le plan ne prévoit la relocalisation que de 5 % d’entre eux. A ce rythme, il nous faudra 200 ans pour être capables de produire tous nos médicaments stratégiques. Sur les 5,4 milliards d’euros dédiés aux médicaments, seuls 50 millions d’euros concerneront la production, bien que les ministres citent toujours France 2030 pour nous rassurer à ce sujet.

Le plan ne comporte aucune vision d’ensemble. Le Gouvernement se félicite de l’ouverture de gigafactories fabriquant des batteries électriques pour les voitures, mais il a laissé partir des carters en aluminium essentiels à ces mêmes voitures : on ne garde que ce qui est à forte valeur ajoutée, mais on ne s’assure pas de permettre la production sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

En ce qui concerne la conditionnalité des aides aux entreprises, le Secrétariat général pour l’investissement répond qu’« une réflexion est en cours au SGPI, en lien avec les opérateurs et les ministères, pour l’introduction de telles clauses et contreparties ». C’est après avoir dépensé 25 % de l’argent du plan que l’on se pose enfin la question de savoir ce qui se passe si les promesses de relocalisation ne sont pas respectées.

Dernier grand absent du plan : la démocratie. On ne transforme pas une économie sans que les citoyens prennent part aux choix qui sont faits. Sur ce point, la méthode résume tout : pour la création du plan, vous avez fait voter par votre majorité l’amendement le plus cher de la Ve République, à 34 milliards d’euros, sans la moindre étude d’impact.

Pour toutes ces raisons, il est impossible d’être favorable à France 2030. J’émets un avis défavorable aux crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

En revanche, je serai favorable à tous les amendements qui tendent à subordonner l’octroi des aides à des conditions et à favoriser le respect de l’environnement.

Article 35 et état B : Crédits du budget général

M. le président Éric Coquerel. Les crédits de la mission ne faisant l’objet d’aucun amendement, nous en venons aux explications de vote.

M. Emmanuel Lacresse (RE). France 2030 est le principal vecteur de rebond pour notre industrie et notre recherche scientifique. C’est par la science et l’innovation que nous réussirons une transition climatique compatible avec notre mode de vie, c’est-à-dire respectant le droit à la mobilité à chaque âge de la vie, offrant une énergie bon marché et assurant l’autonomie de l’Europe vis-à-vis de la Chine.

Deux ans après son lancement, le bilan des programmes 421 à 425 est impressionnant. Le budget est de 54 milliards, dont 21 milliards déjà dépensés ; 7,3 milliards en crédits de paiement sont consacrés au programme d’investissements d’avenir 4, en 2024. Nous sommes au rendez-vous d’une nouvelle révolution industrielle avec 2 000 entreprises soutenues, 4 000 projets, 300 entreprises relocalisées. Nous aurons de petits réacteurs innovants, une production d’hydrogène décarboné, avec au moins deux gigafactories d’électrolyseurs, mais aussi des technologies de rupture pour les éoliennes en mer et deux millions de véhicules hybrides électriques. Ce budget permet l’émergence de nouvelles industries et la coopération des filières entre elles. Nous voterons les crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

M. Frédéric Cabrolier (RN). Alors que le plan de relance consistait en une politique de saupoudrage, il s’agit ici de chercher des champions industriels et de les aider à être performants à l’horizon 2030. On observe une montée en puissance pour 2024. Mais, comme l’a dit le rapporteur spécial, il manque une vision stratégique et industrielle à moyen et long termes. Par conséquent, nous nous abstiendrons.

M. René Pilato (LFI-NUPES). France 2030, ce sont 34 milliards d’argent public soustraits au débat parlementaire. En cet instant démocratique, entre deux 49-3, vous proposez une planification écologique pour la France de demain : nous sommes ravis que vous repreniez nos propos, mais ensuite, quelle déception ! Une absence totale de cohérence contrairement au programme de La France insoumise, et des investissements sans conditionnalité ni réflexion sur l’interaction des projets entre eux…parler de souveraineté sans partir des besoins définis collectivement ni évoquer l’aménagement du territoire n’est pas à la hauteur des enjeux de ce siècle !

Une planification ambitieuse nécessiterait un récit partagé pour entraîner le pays entier vers un avenir désirable. De grandes orientations stratégiques définies par un comité restreint autour du président Macron révèlent une pensée étriquée et pauvre. Se priver de la richesse du débat contradictoire à l’Assemblée nationale est prétentieux et dangereux pour notre pays. Une politique ambitieuse de planification ne peut se résumer à 54 milliards dépensés sans cap clairement fixé ni vision d’un avenir en commun désirable.

Nous voterons contre les crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). France 2030 nous offre moins de visibilité que les précédents PIA (programmes d’investissements d’avenir). Le PIA 3 en manquait déjà, mais le PIA 4, intégré à France 2030, est carrément illisible. Il bénéficie de 7,3 milliards de crédits de paiement en 2024, notamment pour le financement des investissements stratégiques. Mais quels sont ces derniers ? On a l’impression que c’est à géométrie variable et que les opérateurs retenus – les mêmes que pour les PIA – n’ont pas plus de vision ; on se demande quel est le pilotage.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.

M. Pascal Lecamp (Dem). France 2030 sera en 2024, pour la troisième année, le fil rouge de l’action menée par l’État en faveur de l’investissement productif et innovant. La présente mission et ses cinq programmes budgétaires, correspondant au PIA 3, qui est en fin de réalisation, et au PIA 4, représentent 7,7 milliards d’euros en crédits de paiement en 2024 et, au total, 40,4 milliards en autorisations d’engagement.

Je voudrais souligner quelques-unes des initiatives déployées sous le parapluie de France 2030, car elles montrent bien à quel point cette mission est avant tout une boîte à outils flexible qui, dans les mains de quatre opérateurs d’excellence, dont BPIfrance – je précise que je suis membre de son comité national d’orientation, avec Véronique Louwagie – permet de faire tendre les forces scientifiques et économiques de notre pays vers des priorités stratégiques.

En vue d’agir en faveur d’une alimentation saine, durable et traçable, un appel à projets piloté par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) soutiendra, à hauteur de 28 millions d’euros, des actions de recherche pour une agriculture sans pesticide. C’est essentiel pour sortir des impasses actuelles.

Je passe, faute de temps de parole, sur les actions en faveur de la décarbonation, mais le groupe Démocrate soutient les ambitions qui sont au cœur de France 2030.

M. Dominique Potier (SOC). Nous partageons aussi, globalement, les ambitions de France 2030, mais nous nous abstiendrons, car nous sommes du même avis que nos collègues Les Républicains au sujet de l’absence de lisibilité et surtout de conditionnalité. Celle-ci est nécessaire en matière de responsabilité sociale des entreprises, de sous-traitance ou encore de respect des droits humains et de la planète. Nous avons besoin d’une meilleure lisibilité afin de pouvoir soutenir des opérations industrielles et des process cohérents avec le dessein qui est le nôtre.

M. Christophe Plassard (HOR). France 2030 poursuit l’engagement de l’État en faveur de l’innovation. Depuis le 1er janvier 2022, la mission Investissements d’avenir est devenue la mission Investir pour la France de 2030, qui rassemble les crédits de France 2030 et des PIA 3 et 4.

France 2030, qui prolonge la démarche engagée dans le cadre du PIA 4, est un plan inédit par son ampleur : ses 54 milliards d’euros – 43 milliards votés en loi de finances initiale de 2022 et 20 milliards dans le cadre du PIA 4 – permettront de transformer durablement des secteurs clefs de notre économie et de positionner la France en chef de file de l’économie de demain.

En 2024, plus de 1,6 milliard d’euros supplémentaires de crédits de paiement seront mobilisés, ce qui portera le total à 7,7 milliards, afin d’assurer un déploiement rapide des investissements nécessaires. Nous ferons ainsi de la France une terre d’innovation et un leader à l’échelle européenne et mondiale pour nos priorités stratégiques : la transition écologique, le nucléaire de demain, l’hydrogène vert, l’industrie bas-carbone, l’agroalimentaire, la santé ou encore les contenus culturels.

Le groupe Horizons votera les crédits de cette mission budgétaire.

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Parmi les 7 milliards que le Gouvernement a annoncés à grand renfort de communication pour l’écologie, 1,5 milliard serait attribué aux entreprises sous couvert d’innovation verte, notamment dans le cadre de France 2030. Or dans quelle mesure faut-il aider des entreprises qui réalisent de larges bénéfices ?

En matière de transition écologique, comme l’a dit Anne Bringault, il faut aider ceux qui en ont le plus besoin. Malheureusement, on fait l’inverse : le Gouvernement aide massivement les entreprises, dont certaines auraient largement les moyens de financer leurs projets de transition, et accompagne insuffisamment les ménages. Une étude du Conseil économique, social et environnemental publiée aujourd’hui le confirme : 37 % des Français affirment ne pas avoir les moyens d’adopter un comportement plus vertueux en matière écologique. C’est particulièrement vrai quand il s’agit de changer de véhicule ou d’isoler son logement – seuls 500 millions supplémentaires y sont alloués dans ce PLF. Parallèlement, le Gouvernement va aider Engie à hauteur de 2,4 millions pour des projets concernant des carburants aéronautiques durables, TotalEnergies va toucher 5 millions pour la récupération de chaleur et 4,7 millions pour les bornes de recharge, et ArcelorMittal 850 millions.

Le rôle de l’État est-il réellement d’aider ces entreprises très bénéficiaires ? Ne devrait-il pas en priorité se tenir aux côtés des Français pour les accompagner dans la transition écologique ? Parce que l’argent coule à flots pour les entreprises et au goutte-à-goutte pour les ménages, nous voterons contre les crédits de cette mission.

M. Paul Molac (LIOT). Si nous partageons l’idée générale, nous considérons avec circonspection l’octroi de crédits considérables du budget de l’État sans conditionnalité ni véritable visibilité. On sait que la plupart des entreprises bénéficiant du crédit d’impôt recherche ne devraient pas, en réalité, y avoir droit. En l’absence de visibilité, je crains que la boîte à outils évoquée tout à l’heure ne serve qu’à certaines entreprises, qui n’en ont pas forcément besoin et qui augmenteront tout simplement les dividendes versés. S’il y avait une vision stratégique et un contrôle, en revanche, cela pourrait être utile.

La commission adopte les crédits de la mission Investir pour la France de 2030 non modifiés.

Après l’article 54

Contre l’avis du rapporteur spécial, la commission rejette l’amendement II-CF241 de Mme Marie-Noëlle Battistel.

Amendement II-CF1161 de Mme Eva Sas

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à exclure du bénéfice des aides publiques de la mission France 2030 les entreprises réalisant des superprofits : elles ont largement les moyens de financer leurs propres projets.

Contre l’avis du rapporteur spécial, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CF1162 de Mme Eva Sas

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Nous proposons de conditionner les aides publiques accordées dans le cadre de France 2030 à des engagements climatiques contraignants.

M. Damien Maudet, rapporteur spécial. Je suis tout-à-fait favorable à cet amendement. J’ai rappelé tout-à-l’heure qu’il n’y avait pas assez d’actions en lien avec la décarbonation dans ce qui est financé par France 2030.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CF1163 de Mme Eva Sas

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Cet amendement ne vise qu’à conditionner l’attribution des aides à la publication d’un bilan carbone. Contrairement à ce qu’on croit, toutes les entreprises assujetties à l’obligation de publier un bilan carbone ne le font pas.

M. Damien Maudet, rapporteur spécial. Je l’ignorais : il est incroyable que toutes les entreprises qui ont l’obligation de publier un bilan carbone ne le fassent pas. Il va de soi que si elles veulent bénéficier du plan France 2030, elles devraient au moins respecter cette obligation.

M. le président Éric Coquerel. Je ne vois pas comment on pourrait voter contre cet amendement, qui ne coûte rien et semble assez normal.

La commission rejette l’amendement.

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   LISTES DES PERSONNES AUDITIONNéES
PAR LE RAPPORTEUR SPECIAL

 

Secrétariat général pour l’investissement

– Mme Géraldine LEVEAU, secrétaire générale adjointe

– M. John PALACIN, conseiller juridique

 


([1]) Loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

([2]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 29.

([3]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 51.

([4]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 69.

([5]) L’action 6 « Créations expérimentales de sociétés universitaires et scientifiques » ne comprend aucun crédit de paiement car l’appel à manifestations d’intérêt ouvert en 2018 a été clôturé fin 2021 en l’absence de nouvelles candidatures enregistrées (projet annuel de performance pour 2024, p. 38).

([6]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 34.

([7]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 35.

([8]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 36

([9]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 37.

([10]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 40.

([11]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 58.

([12]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 89.

([13]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 110.

([14]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 94.

([15]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 95.

([16]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 98.

([17]) Source : projet annuel de performance pour 2024, p. 112.