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N° 1824

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2023.

 

 

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements,

 

 

 

Président

M. Patrick HETZEL

 

Rapporteur

M. Florent BOUDIÉ

 

Députés

 

——

 

TOME I

RAPPORT

 

 

 Voir les numéros : 1064 et 1181.


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La commission d’enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements, est composée de :

– M. Patrick Hetzel, président ;

 M. Florent Boudié, rapporteur ;

 M. Aymeric Caron, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Mandon, M. Ludovic Mendes, vice-présidents ;

– Mme Félicie Gérard, Mme Patricia Lemoine, M. Pierre Morel-A-L’Huissier, M. Roger Vicot, secrétaires ;

– M. Mounir Belhamiti, Mme Aurore Bergé (jusqu’au 20 août 2023), M. Ugo Bernalicis, Mme Clara Chassaniol (à compter du 30 septembre 2023), M. Romain Daubié, Mme Marina Ferrari, M. Philippe Guillemard, Mme Emeline K/Bidi, Mme Julie Laernoes (à compter du 7 novembre 2023), M. Marc Le Fur, M. Benjamin Lucas (jusqu’au 7 novembre 2023), Mme Sandra Marsaud, Mme Michèle Martinez, M. Frédéric Mathieu, Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller, M. Serge Muller, M. Julien Odoul, M. Éric Poulliat, M. Michaël Taverne, Mme Cécile Untermaier, M. Alexandre Vincendet.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos du président

INTRODUCTION

I. L’État des lieux des violences commises en marge des manifestations et rassemblements entre le 16 mars et le 3 mai 2023

A. le lourd bilan humain, matériel et économique

1. Des violences frappant, à des degrés divers, l’ensemble du territoire national

2. Des destructions spectaculaires sans effet économique perceptible

3. L’hystérisation du débat public autour des violences, entre saturation et caricatures

B. La réponse institutionnelle aux violences

1. L’action des forces de l’ordre au cours des manifestations

a. Les journées nationales d’action et les rassemblements non-déclarés

b. Les événements survenus à Sainte-Soline le 25 mars 2023

2. Des suites judiciaires difficiles à appréhender sur le plan statistique

a. Un taux de réponse pénale contrasté

b. La nécessité de construire un outil statistique fiable

II. Les nouveaux rapports entre « violences » et mouvement social : des mots aux actes

A. La montée des radicalités : un continuum de la violence ?

1. Conflictualité sociale et violences lors des manifestations contre la réforme des retraites

a. Les journées d’action syndicales et le 1er mai 2023 : des manifestations sans incident notable mais confrontées au problème des précortèges

i. Des cortèges syndicaux maîtrisés

ii. Les précortèges au cœur de la violence

b. Les rassemblements spontanés : des mouvements imprévisibles vecteurs d’affrontement

c. Des violences et des affrontements rattachés à l’ultradroite

2. Le phénomène émergent : des radicalités violentes au nom de l’urgence climatique

a. Des mouvements revendicatifs non sans précédents

b. La marche sur SainteSoline : point d’orgue ou évènement fondateur ?

i. Un projet de retenue de substitution à l’origine de profonds clivages locaux et ayant déjà donné lieu à de violentes épreuves de force

ii. Une manifestation non déclarée suscitant des tensions croissantes et une polarisation médiatique

iii. Une confrontation rendue inévitable par le positionnement de certains protagonistes

iv. Des affrontements d’une ampleur spectaculaire, des dommages inacceptables et de profonds traumatismes

B. La nébuleuse des groupes auteurs de violences : une détermination totale, un profilage complexe

1. Derrière les masques des black blocs, un ensemble hétéroclite

a. L’ultragauche

i. La catégorisation idéologique

ii. Le maillage territorial

iii. Les profils

b. Les ultrajaunes

c. La légitimation décomplexée du recours à la violence

d. Une organisation horizontale, un financement modeste, un fonctionnement efficace

i. Une organisation horizontale

ii. Un financement modeste

iii. Un fonctionnement efficace

e. Des relations distanciées avec la sphère politique mais des liens avec certaines structures syndicales et des groupes d’étudiants

i. L’absence de contact avec la représentation partisane illustre la prise de distance de l’ultragauche vis-à-vis de la sphère politique

ii. Les passerelles avec certaines structures syndicales et des groupes d’étudiants

2. La galaxie des activistes écologistes radicaux : quand l’éco-anxiété est le support de la légitimation de la violence

a. La myriade de structures composant la mouvance écologiste : chronique d’une radicalité annoncée

b. La fongibilité de l’écologie radicale dans l’ultragauchisme violent : le cas des Soulèvements de la Terre

c. De la désobéissance civile à l’action violente : un cheminement tortueux

i. Un sentiment partagé d’urgence et de trahison

ii. Le recours à la violence : de la condamnation à la relativisation, de la réfutation à la justification

iii. « L’éco-terrorisme » : un risque, pas une menace matérialisée

3. Les individualités entraînées dans la spirale de la violence

a. Des individus sans lien avec les groupuscules

i. La participation de « madame et monsieur Tout-le-monde »

ii. La délinquance opportuniste

b. Une nouvelle psychologie des foules ?

III. La nécessaire adaptation du maintien de l’ordre et des dispositions administratives et judiciaires à la lutte contre les violences collectives

A. Moderniser le maintien de l’ordre et mieux contrôler l’activité des forces des sÉcurité : des exigences indissociables

1. Une doctrine d’emploi des forces à stabiliser face au renouvellement des conditions et exigences du maintien de l’ordre

a. Des interventions à concevoir et à mener dans un environnement complexe

b. Un besoin de coopération renforcée avec les organisateurs et les participants des manifestations

i. La communication avec les manifestants : un axe à approfondir

ii. La coopération avec les services d’ordre des syndicats

iii. Les sommations : une procédure à clarifier

c. Un statut à définir pour les journalistes et les observateurs

2. Des capacités humaines et matérielles à conforter et à entretenir au regard des besoins d’opérations de police spécifiques

a. Assurer la disponibilité des forces face à des phénomènes délinquants impliquant des engagements de haute intensité

b. Adapter les armes du maintien de l’ordre pour un usage graduel et proportionné de la force

c. Préserver les acquis de l’expérience dans l’architecture de commandement des opérations de maintien de l’ordre

d. Conforter les capacités d’anticipation procurées par les renseignements territoriaux

e. Une nécessaire coopération policière européenne

3. Un lien à cultiver entre police et population

a. Conforter l’indépendance des services d’inspection

b. Assurer le respect du port du numéro RIO

B. Poursuivre la rénovation du cadre juridique afin de prévenir et de réprimer les violences commises lors des manifestations

1. Un arsenal préventif et répressif récemment renforcé mais qui reste à consolider

a. L’encadrement du droit de manifester : un équilibre satisfaisant entre préservation des libertés et protection de l’ordre public

i. Un régime déclaratif pouvant donner lieu à interdiction sous le contrôle du juge administratif

ii. Les contrôles préventifs : un outil à la frontière de la police judiciaire et de la police administrative

iii. Le nécessaire développement d’incriminations et de sanctions pénales adéquates

b. La lutte contre les associations et groupements de fait qui provoquent à la violence

i. Les assouplissements opérés par la loi du 24 août 2021

ii. La surveillance administrative : l’analyse des sources ouvertes et du renseignement

iii. La dissolution : une décision utile strictement contrôlée par le juge administratif

2. Un traitement judiciaire des violences à perfectionner

a. L’indispensable objectivation de la preuve

i. Les produits de marquage codé

ii. La captation d’images

b. Sécuriser le début de la procédure judiciaire

i. Mieux documenter l’interpellation des auteurs de violences lors des manifestations

ii. Fluidifier les relations entre l’agent interpellateur et l’officier de police judiciaire

iii. Mieux contrôler la garde à vue

c. La délicate judiciarisation du renseignement

Liste des recommandations

Examen en commission

Contributions des membres de la commission d’enquête

1. Contribution de M. Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin

2. Contribution de M. Benjamin Lucas, membre du groupe écologiste-NUPES

3. Contribution de M. Julien Odoul, membre du groupe Rassemblement National

4. Contribution de Mme Edwige Diaz, membre du groupe Rassemblement national

5. Contribution du groupe LFI-NUPES

ANNEXE  1 : Liste des personnes auditionnées par la commission d’enquête

ANNEXE  2 : Liste des personnes auditionnées par lE rapporteur lors de déplacements

1. Gironde, le lundi 17 juillet 2023

2. DeuxSèvres, le mercredi 6 septembre 2023

ANNEXE  3 : Liste des contributions écrites

ANNEXE N° 4 : Lettre du garde des Sceaux

ANNEXE  5 : Étude comparative du maintien de l’ordre en Europe

 


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   Avant-propos du président

Avec ce rapport d’enquête prennent fin les travaux d’une commission qui aura œuvré pendant six mois, avec patience et méthode, pour tenter d’éclairer le Parlement et, à travers lui, les Français, sur les violences qui ont entaché tout au long du printemps 2023 le débat public autour de grands enjeux sociaux et environnementaux.

Le sujet est d’importance pour l’ensemble de la nation, et la procédure l’a montré. Alors que les commissions d’enquête procèdent désormais, pour leur grande majorité, du « droit de tirage » dont bénéficient les groupes politiques, celle‑ci a connu une genèse différente. C’est dans l’Hémicycle, le 10 mai 2023, à l’issue d’un débat de plusieurs heures, que les députés ont décidé de sa création par 204 voix contre 47. Les trente membres appelés à y prendre part recevaient alors une mission essentielle, simple dans son principe mais délicate dans ses modalités : établir, comprendre et expliquer ce qui, entre le 16 mars et le 3 mai, avait conduit à des violences, contre les personnes et contre les biens, lors de manifestations et de rassemblements déclarés, spontanés voire interdits.

L’État de droit appelle un équilibre subtil entre l’exercice des droits fondamentaux d’une part, la protection des personnes et des biens d’autre part. Son origine réside dans l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. »

La rédaction initiale de la résolution prévoyait d’enquêter sur « la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes ». C’était donner une tonalité répressive et confiner à l’investigation judiciaire. Fort à propos, en commission des Lois puis devant l’Assemblée nationale, le rapporteur Florent Boudié s’est attaché à corriger cet objet : documenter les actes commis par les auteurs de violences en manifestations, certes, mais dans toutes les manifestations et rassemblements, et explorer également le déroulement des événements en cause pour interroger les succès, les carences et les manquements du maintien de l’ordre. La commission d’enquête qui naissait du vote des députés, le 10 mai, n’avait pas vocation à instruire à charge ; tout au contraire, elle recevait mission d’observer tout, de tous les points de vue, et d’établir des faits collectivement admis.

C’est dans ce contexte que les commissaires m’ont fait l’honneur, lors de la réunion constitutive du 24 mai, de me désigner à la présidence de la commission d’enquête. J’ai tâché de diriger ses travaux dans cet esprit d’impartialité et d’objectivité. Chaque sensibilité a pu s’exprimer, non seulement parmi les députés membres de la commission, mais également dans la société française dont les institutions, les associations, les observateurs de tous les horizons ont été conviés à déposer. Les suggestions d’audition présentées par les différents groupes politiques ont toutes été satisfaites et, si les comptes rendus témoignent d’échanges parfois vifs, ils reflètent fidèlement une confrontation des regards qui est le cœur de la démocratie comme de la fonction parlementaire.

La commission d’enquête a beaucoup travaillé. Elle a procédé à près de quarante auditions à l’Assemblée nationale, représentant plus de cinquante heures d’échanges. Une délégation du bureau a effectué deux déplacements sur le terrain, dans les départements de la Gironde et des Deux‑Sèvres, pour interroger les acteurs locaux et pour acquérir une connaissance approfondie des lieux sur lesquels des confrontations avaient éclaté.

Ce rapport d’enquête est le fruit de ces travaux. En croisant les récits et les relations des événements, le rapporteur parvient à établir des faits et à restituer les différents points de vue pour peindre un tableau fidèle des heurts du printemps. Les éléments qu’il présente, avec rigueur et objectivité, nourriront le débat. Bien sûr, chacun bâtira à partir de ces prémisses des démonstrations différentes, en lien avec sa sensibilité politique, mais au moins la base de réflexion pourra-t-elle constituer un socle commun. Le rapporteur a ensuite formulé des conclusions personnelles et des préconisations ; les membres de la commission qui l’ont souhaité, dont je suis, ont fait de même, et leurs contributions sont annexées au présent volume. Là encore, telles sont les règles du jeu démocratique, que cette commission d’enquête a scrupuleusement respectées.

À l’heure où la commission d’enquête arrive à son terme, mes remerciements sincères vont aux députés qui l’ont composée. Tout au long des travaux, les débats ont été riches, instructifs, parfois sensibles et à l’occasion tranchés, mais toujours respectueux, ouverts et pluralistes. Les désaccords de fond n’ont jamais fait obstacle à la discussion, et tous les commissaires, sur tous les bancs, ont fait avancer la réflexion collective. Qu’il me soit permis d’adresser une pensée chaleureuse au rapporteur Florent Boudié, pour la confiance réciproque qui nous a animés en permanence dans l’exercice de nos prérogatives respectives.

Un regret, toutefois, perdure. La commission d’enquête a donné la parole à tous. Le plus souvent, elle a offert une tribune à ceux qui souhaitaient témoigner de leurs expériences et de leurs convictions. À de rares occasions, elle a dû user des pouvoirs que lui confère l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires pour convoquer ses interlocuteurs et dissiper, de vive voix, les préventions nourries à l’encontre de ses visées supposées. Les auditions en question ont été, finalement, profitables à tous. Pourtant, malgré la convocation formelle de ses porte-paroles, prompts à s’exprimer face aux médias mais visiblement suspicieux devant l’institution parlementaire, une organisation a obstinément refusé de paraître. Les Soulèvements de la Terre ont pourtant joué un rôle capital dans les événements de Sainte‑Soline qu’il appartenait à la commission d’enquête de documenter. En dépit de multiples relances et de plusieurs discussions infructueuses sur les conditions d’une audition, celle-ci n’a pu avoir lieu. Ce refus de concourir à l’exercice démocratique, dans des conditions de publicité transparentes avec les élus de tous bords, est dommageable à tous : à la commission d’enquête privée d’éléments utiles, aux convictions privées d’écho, à la République dont les principes les plus évidents sont sapés. Pour cette raison, et comme le droit le commande, j’ai requis du procureur de la République de Paris l’exercice de poursuites pénales sur le fondement de l’article 6 de l’ordonnance précitée à l’encontre des porte-paroles convoqués. La loi protège l’information des députés car une Assemblée nationale méprisée, devant laquelle on comparaîtrait seulement selon son bon vouloir, serait un bien pauvre garant des libertés démocratiques : les droits du Parlement doivent être défendus ; j’y ai donc pris ma part dans les fonctions qui étaient les miennes.

Tel est l’esprit qui a présidé aux travaux de cette commission d’enquête et qui a concouru, je l’espère, au soutien quasi unanime exprimé par ses membres à l’adoption du présent rapport. Je forme le vœu qu’il alimente, à son tour, les réflexions des différentes institutions pour que les manifestations et les rassemblements à venir, au cours desquelles les Français usent de leurs libertés fondamentales et prennent légitimement part aux choix politiques de la nation, se déroulent dans le respect de l’ordre public et de l’État de droit.

 Patrick Hetzel

 Député du Bas-Rhin

 

 


—  1  —

   INTRODUCTION

Le souci de garantir la sécurité dans notre pays, comme la liberté fondamentale de manifester sans heurt, de même que la volonté de prévenir de nouvelles fractures et de nouveaux traumatismes, dans une société qui n’en manque pas, ont conduit l’Assemblée nationale à décider la création, le 10 mai 2023, d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements ([1]). Présentée à l’initiative des groupes Renaissance et Horizons ([2]), la proposition de résolution a été adoptée par 204 voix pour ([3]) et 47 voix contre ([4]).

Nul n’ignore que le premier semestre de l’année 2023 a été marqué par la contestation du projet de réforme des régimes de retraite soumis au Parlement ([5]), ainsi que par l’opposition à des projets d’infrastructures tels que la construction de réserves de substitution d’eau à Sainte‑Soline. Les nombreuses journées d’actions syndicales, les manifestations et rassemblements intervenus dans ce contexte ont souvent été émaillés de dégradations matérielles, d’atteintes aux personnes, ainsi que de violents affrontements visant les forces de l’ordre.

À bien des égards, les exactions et les troubles à l’ordre public observés durant la période examinée par la commission d’enquête parlementaire évoquent les désordres survenus en France, depuis le début des années 2000, en marge de mouvements porteurs de revendications sociales, politiques ou culturelles, ou encore à l’occasion de sommets internationaux ([6]). Toutefois, la nature et la gravité des blessures physiques et des dommages psychologiques subis par les manifestants et les membres des forces de l’ordre, l’ampleur des préjudices matériels, ainsi que le degré de radicalité et de violence atteint notamment dans la remise en cause des institutions, montrent qu’un cap supplémentaire a été franchi. L’enchaînement de confrontations et de destructions spectaculaires ne participe plus de la dramaturgie ordinaire des conflits sociaux. Il reflète l’émergence et l’enracinement de nouvelles radicalités et d’individus ayant basculé dans l’extrémisme, en marge des mouvements revendicatifs. D’évidence, un tel phénomène pose la question des conditions de sécurité au sein et aux abords des manifestations et rassemblements et, au-delà, du maintien de l’ordre dans l’espace public. De même qu’il interroge notre capacité collective à dénoncer clairement de tels actes et celle de l’État à juguler les individus et groupes violents, à les identifier, les interpeller et à engager les voies de judiciarisation permettant les sanctions.

Aussi, les membres de la commission d’enquête se sont-ils assignés trois objectifs principaux dans la conduite de leurs travaux. En premier lieu, cerner le profil des groupes et individus présents sur le théâtre de rassemblements en marge desquels ont éclaté des violences, et dissiper les dénis comme les fantasmes quant aux actions qui leur sont effectivement imputables. En second lieu, comprendre et rendre compte de l’organisation des structures impliquées, de leurs ressources matérielles et humaines, de leurs motivations, de leurs soutiens, de leurs modes opératoires. En dernier lieu, déterminer des moyens nécessaires pour prévenir et réprimer leurs actions violentes, en évaluant la pertinence du cadre légal et des dispositifs de maintien de l’ordre. À cet égard, la commission d’enquête a entendu disposer d’éclairages à propos des moyens juridiques, de nature administrative et judiciaire, dont disposent les pouvoirs publics à l’étranger afin de lutter contre des phénomènes comparables.

À cet effet, la commission s’est attachée à recueillir toute information pertinente auprès d’universitaires et de journalistes spécialisés dans l’analyse des manifestations et mouvements radicaux ou les ayant couverts en reportage, auprès de parties prenantes de la société civile (syndicats, organisations non gouvernementales, réseaux sociaux). Elle a évidemment sollicité des représentants des unités chargées du maintien de l’ordre. Elle a auditionné les trois derniers préfets de police de Paris et l’ensemble des directions compétentes en matière de sécurité publique à l’échelle nationale et territoriale, avant d’interroger le ministre de l’intérieur et plusieurs de ses prédécesseurs, ainsi que d’autres membres du Gouvernement. Sans préjuger des suites susceptibles d’être données aux procédures judiciaires dont ils peuvent faire l’objet, la commission s’est en outre efforcée de donner la parole aux groupes et individus identifiés prenant part aux rassemblements et manifestations afin qu’ils expriment leurs positions et qu’ils répondent eux-mêmes aux questionnements que suscitent leurs modes d’action et leurs initiatives passés. C’est là la trame des 39 auditions et tables rondes ([7]) tenues entre la fin du mois de mai et le début du mois d’octobre 2023, à l’Assemblée nationale comme à l’occasion de déplacements effectués en Gironde et dans les Deux-Sèvres.

Cette démarche découle du mandat confié par l’Assemblée nationale sur le fondement de la proposition de résolution déposée par les présidents des groupes Renaissance et Horizons, et clarifiée lors de son examen par la commission des Lois. À l’initiative de votre rapporteur, cette dernière a entendu recadrer l’objet de la commission d’enquête par trois modifications ([8]) :

– d’une part, le report du terme de la période examinée du 4 avril au 3 mai 2023, date d’examen de la résolution par la commission des lois, de façon à étudier l’ensemble de la séquence et des mobilisations ayant été le prétexte de violences et de dégradations, en particulier les manifestations et rassemblements survenus à la suite de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale ([9]), ainsi que la journée nationale d’action organisée le 1er mai ;

– d’autre part, l’élargissement du périmètre de l’enquête à l’ensemble des « manifestations et rassemblements » de la période ([10]), quand la proposition de résolution ne visait dans sa rédaction initiale que les manifestations illicites ;

– enfin, une définition plus extensive de la finalité des travaux afin d’intégrer à l’analyse des événements intervenus au cours, en marge et à la suite des cortèges et des rassemblements, ainsi que le comportement de tous les acteurs, y compris – c’est le rôle d’une commission d’enquête pluraliste par construction – des forces de l’ordre : la proposition de résolution n’emportait initialement que l’obligation d’examiner la « conduite » des manifestations et des rassemblements, terme ambigu remplacé à l’initiative de votre rapporteur par celui de « déroulement ».

La précision terminologique revêt ici toute son importance. Ainsi, le rôle de la commission d’enquête n’était pas de se prononcer sur le bien-fondé des revendications exprimées ou invoquées à l’occasion des mouvements revendicatifs, mais bien de comprendre les ressorts des violences et des dégradations dont ils avaient pu être le prétexte. Les travaux devaient porter sur les violences commises dans le contexte particulier de mouvements revendicatifs ([11]).

Au terme des travaux de la commission d’enquête, trois enseignements essentiels s’imposent.

En premier lieu, les violences commises en marge des rassemblements et des manifestations du printemps 2023 ont frappé l’opinion publique française et internationale à l’aune de deux constats : d’une part, la lourdeur du bilan humain, matériel et économique ; d’autre part, l’intensité de l’engagement des forces de l’ordre et les tensions du système judiciaire.

En deuxième lieu, il existe, en marge des mouvements revendicatifs, de nouveaux rapports à la violence, des formes de légitimation explicite ou implicite de son usage, dans un contexte de montée en puissance des éléments activistes radicaux qui, hélas, n’est pas propre à notre pays. Dans le cours des manifestations et des rassemblements du deuxième trimestre 2023, le renouvellement des profils et des motivations parmi les fauteurs de trouble a en effet joué un rôle décisif. Il se trouve à l’origine de deux phénomènes qui méritent l’attention des pouvoirs publics : la formation d’un bloc radical au sein des précortèges et le développement des rassemblements spontanés dans le contexte de protestation contre la réforme des retraites, mais aussi l’affirmation de radicalités nouvelles au nom de la défense de causes environnementales. Avec un constat alarmant : le flou qui semble s’être emparé de nombreux esprits entre violence et non-violence, entre conflictualité et extrémisme, entre contestation et volonté insurrectionnelle.

Les auditions et les déplacements à Bordeaux et à Sainte-Soline ont permis de soulever plusieurs interrogations auxquelles le présent rapport d’enquête tente d’apporter des réponses. L’existence d’un continuum de la violence a été âprement débattue. Les actes violents commis en marge des manifestations sont parfois perpétrés au nom d’un sentiment de violence politique et sociale et prolongent une radicalisation des discours politiques dont la cause environnementale n’est que l’un des réceptacles.

De ces constats, il ressort, en troisième lieu, la nécessité de réponses adaptées dans l’organisation du maintien de l’ordre, afin d’assurer la préservation des libertés et de la sécurité publiques face à des menées qui n’ont rien de politiques mais sont de purs actes de délinquance. Cet impératif d’affermir les instruments du maintien de l’ordre et de garantir plus encore l’efficacité du traitement judiciaire vise une préoccupation centrale : assurer la sécurité de tous dans les manifestations et les rassemblements et redonner, à la confrontation démocratique, le sens qui est le sien, c’est-à-dire régler les conflits et divergences d’opinions dans une société pluraliste où le peuple n’est pas homogène mais composite et traversé de contradictions.

Tranchons le mot : les violences objet de la présente commission d’enquête n’ont pas été planifiées et orchestrées par des organisations activistes et radicales qui, depuis le territoire national ou l’étranger, en auraient assuré le pilotage centralisé. De même, les travaux de la commission d’enquête conduisent à écarter l’existence de liens formels entre les groupuscules à l’origine des désordres et des groupements politiques, bien que certains fassent montre, à l’égard des violences, d’une indulgence inacceptable et dangereuse, voire d’une complaisance coupable que rien, pas même la légitime confrontation démocratique, ne saurait justifier.

En réalité, l’escalade des violences résulte des agissements d’individus aux profils divers et des groupuscules formés en black blocs dont l’existence et les buts semblent gagner en importance et en intensité.

Loin de canaliser la violence, la conflictualité du débat politique a rejailli à l’occasion des manifestations du printemps dernier, découvrant de façon visible et brutale les antagonismes et les fractures qui traversent notre société. Si cette grille de lecture a été partagée par plusieurs des personnes auditionnées, votre rapporteur considère qu’elle ne saurait occulter la mobilisation récurrente de groupuscules déterminés à commettre des dégradations et à s’en prendre physiquement aux forces de l’ordre, en recherchant sciemment et systématiquement le combat et la violence avec les représentations de l’État, au risque – réel – de mettre leur vie en péril.

Le rapport présente ainsi le profil des individus auteurs des exactions ayant émaillé les récents mouvements écologistes et sociaux, leurs organisations et modes opératoires, ainsi que la coordination de leurs actions. Il décrit les relations organiquement distanciées qu’entretiennent ces groupuscules avec la représentation partisane, mais aussi les liens récemment noués avec certaines structures syndicales et une partie limitée, mais très active, du milieu estudiantin. Au terme des travaux de la commission d’enquête, une évidence apparaît clairement : aucune connexion de nature organique ou matérielle n’a été identifiée entre les activistes violents et des représentants politiques. De ce point de vue, certains fantasmes méritent d’être écartés avec vigueur. Mais soyons tout aussi nets : l’absence de liens formels ou organiques n’exclut pas – hélas ! – l’existence de passerelles idéologiques, conscientes ou inconscientes.

Un mot semble traduire le mouvement qui s’opère dans la sphère radicale : le mot « glissement ». Votre rapporteur l’emprunte à l’autrice Monica Sabolo qui, dans son dernier roman, observe la façon dont des groupes ont pu, en France et dans le courant des années 1970, basculer dans la violence extrême :

« J’ignore si ces jeunes gens sont romantiques ou dangereux, rêveurs ou fous, à côté de la plaque ou au cœur du réel ; je ne sais d’où provient la violence, d’eux ou du système, je ne sais s’ils sont des résistants, des aventuriers, des Pieds Nickelés ou des gangsters. Peut-être sont-ils tout cela à la fois, peut-être rien de tout cela. Mais ce qui m’apparaît, et m’est étrangement familier, c’est le glissement. Cette ombre qui se déplace, de manière imperceptible et les conduit dans un lieu solitaire, de plus en plus loin des autres, et d’eux-mêmes. Un mouvement qui les emporte à travers le temps et l’espace à la façon du courant d’une rivière tandis que l’ombre les recouvre. Et soudain, ils sont là, plongés dans l’obscurité, et ils s’apprêtent à commettre l’irréparable. » ([12])

Ce glissement, réfléchi et assumé, vers le recours à la violence diffère selon les causes au nom desquelles il s’opère. Il s’accompagne d’une certaine évolution des mentalités par laquelle la violence à l’encontre des biens est souvent présentée comme un moyen d’action, certes regrettable, mais justifié par l’urgence de la situation et la prétendue incurie des pouvoirs publics. L’exemple le plus saisissant est la radicalisation de mouvements d’inspiration écologiste.

Inspirée des idées professées par le théoricien suédois Andréas Malm ([13]), la radicalisation d’une partie de la sphère écologiste se fonde sur la « non‑dissociation » entre activisme militant et action violente, la seconde étant, pour paraphraser Clausewitz, la continuation de la première par d’autres moyens. Elle s’appuie également sur la « non-dénonciation » du recours à la violence, celle-ci étant artificiellement catégorisée, régulièrement relativisée, et méthodiquement disséquée pour être opportunément réduite à la portion congrue.

La commission d’enquête s’est également interrogée sur les mutations de la désobéissance civile dont les succès historiques, pourtant adossés au principe de non-violence, servent parfois de justification aux dégradations commises au nom de la cause environnementale. Il en résulte une forme de malaise perceptible dans les propos de plusieurs responsables syndicaux et politiques auditionnés, ce qui traduit, selon votre rapporteur, l’idée d’une impuissance du combat politique traditionnel à contenir ces dérives. La participation d’élus locaux et nationaux à des manifestations interdites, qui, à cette occasion, assument voire encouragent le non-respect de la règle de droit, témoigne de la brume qui entoure ces enjeux.

Face à ces défis, votre rapporteur s’est attaché à suivre une règle à la fois simple et redoutable pour conjurer cette brume : les faits. Avec un objectif, celui que doit s’assigner tout législateur : analyser les réponses opérationnelles et juridiques susceptibles d’être apportées, tout en étant prudent vis-à-vis de ce qui pourrait apparaître comme des propositions de circonstances.

Au total, l’objectif d’une « désescalade » pour garantir l’expression libre et pacifique des revendications sociales et écologistes constitue une priorité qui recueille naturellement un fort consensus. Les méthodes pour y parvenir suscitent quant à elle des débats légitimes et parfois virulents. Ils impliquent de consolider et parfois de clarifier les dispositifs de maintien de l’ordre, ainsi que le cadre administratif et judiciaire, selon un double principe de proportionnalité et d’efficacité, dans le respect du droit de manifester et, plus généralement, des libertés fondamentales, sans lesquelles l’espace démocratique et républicain qui singularise notre pays serait appelé à s’effondrer.

Votre rapporteur formule en ce sens 36 recommandations qui requièrent, pour certaines d’entre elles, des ajustements du cadre règlementaire et législatif. Elles n’ont aucunement pour objet de clore les réflexions que le Gouvernement, le Parlement et l’ensemble de la société nourrissent sur ces questions, mais d’esquisser des solutions aussi concrètes que possibles afin de lutter de façon résolue contre la multiplication des violences commises en marge des manifestations.

C’est à cette condition exigeante que la liberté d’expression et l’ordre public seront durablement garantis.

 


—  1  —

I.   L’État des lieux des violences commises en marge des manifestations et rassemblements entre le 16 mars et le 3 mai 2023

Les violences commises en marge des manifestations et rassemblements du printemps 2023 sont le symptôme d’une grave crise de société, peut-être la plus importante de notre histoire récente. Ce jugement s’appuie notamment sur un lourd bilan humain et matériel et économique, ainsi que sur l’ampleur des défis sécuritaires lancés aux forces de l’ordre et à l’autorité judiciaire qui ont dû faire face à des agissements délinquants mettant en cause la sécurité commune, avec un degré de radicalité et l’agrégation, aux côtés de mouvances ultras aux méthodes connues, de profils nouveaux prêts à légitimer et à basculer dans l’action violente.

A.   le lourd bilan humain, matériel et économique

1.   Des violences frappant, à des degrés divers, l’ensemble du territoire national

● La période du 16 mars au 3 mai 2023 se caractérise par la multiplication et l’extension des rassemblements et manifestations émaillés de violences à l’échelle du territoire national. Ainsi que l’illustre le tableau ci-après, le phénomène aura affecté l’ensemble des régions ainsi que l’essentiel du tissu urbain.

ACTIONS VIOLENTES COMMISES LORS DES journées nationales d’action
CONTRE LA RéFORME DES RETRAITES (73 manifestations recensées)

Dates

Nombre de manifestations avec actions violentes

Villes concernées

15 mars

8

Lille (59), Lyon (69), Nancy (54), Nantes (44), Perpignan (66), Reims (51), Rennes (35), Toulouse (31).

23 mars

15

Amiens (80), Bayonne (64), Bordeaux (33), Bourg-en-Bresse (01), Brest (29), Charleville-Mézières (08), Épinal (88), Lille (59), Lyon (69), Montpellier (34), Nancy (54), Nantes (44), Rennes (35), Strasbourg (67), Toulouse (31).

28 mars

10

Brest (29), Dijon (21), Gap (05), Lyon (69), Marseille (13), Nancy (54), Nantes (44), Nice (06), Rennes (35), Toulouse (31).

6 avril

16

Albertville (73), Angers (49), Bordeaux (33), Brest (29), CharlevilleMézières (08), Dijon (21), Lyon (69), Marseille (13), Metz (57), Nancy (54), Nantes (44), Quimper (29), Rennes (35), SaintNazaire (44), Strasbourg (67), Valence (26).

13 avril

9

Bordeaux (33), Charleville-Mézières (08), Dijon (21), Lille (59), Lyon (69), Nantes (44), Rennes (35), Saint-Nazaire (44), Strasbourg (64).

1er mai

15

Angers (49), Besançon (25), Bordeaux (33), Brest (35), Caen (14), Clermont‑Ferrand (63), Dijon (21), Lyon (69), Nancy (54), Nantes (44), Marseille (13), Montpellier (34), Rennes (35), Strasbourg (67), Toulouse (31)

Source : réponses au questionnaire adressé à la direction générale de la police nationale.

De fait, les travaux de la mission d’enquête mettent en lumière l’extension des violences des métropoles aux petites villes, peu coutumières de ce type d’atteintes à la sûreté publique.

Les violences observées se révèlent toutefois d’une intensité inégale. Les circonstances ont aussi eu un impact sur le niveau des violences : l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le projet de loi de réforme des retraites, le 16 mars 2023, a constitué, de ce point de vue, un tournant dans la dynamique des rassemblements spontanés et interdits. En outre, les atteintes à la sécurité publique ont revêtu une acuité variable selon le terrain retenu par les mouvements revendicatifs.

Les violences ayant émaillé

les manifestations et rassemblements à Bordeaux entre le 16 mars et le 3 mai 2023

Selon la direction départementale de la sécurité publique de la Gironde, entre le 16 mars et le 3 mai 2023, la circonscription de police de Bordeaux a recensé vingt-six rassemblements et manifestations dans le centre-ville. Ces derniers ont réuni un total de 138 925 manifestants avec des fluctuations de participation, chaque rassemblement comptant de 35 à 18 500 personnes. Sur ces vingt-six événements, la présence d’individus violents ou animés de velléités de commettre des exactions a été détectée à quatorze reprises. Le nombre d’individus ayant pris part à des groupes violents a varié de 15 à 200 personnes (black bloc du 1er mai).

Hormis ces manifestations, il convient de signaler les coupures d’électricité dont ont pu être victimes des services publics sensibles tels que l’hôpital de Bordeaux. Par ailleurs, le bilan de la période comporte quelques blocages ponctuels d’entreprises ou d’équipements collectifs ont pu avoir lieu – entreprises de transport, incinérateur, etc.

Source : réponses au questionnaire adressé à M. Étienne Guyot, préfet de la région Nouvelle‑Aquitaine, préfet de la Gironde, en vue du déplacement d’une délégation de la commission à Bordeaux, le 17 juillet 2023.

● Le nombre des blessés atteste du niveau de violence atteint dans les heurts qui ont suivi ou accompagné les mouvements revendicatifs ayant pour objet la contestation de la réforme des retraites ou la défense de causes environnementales.

D’après les statistiques transmises par le ministère de l’intérieur ([14]), recoupées par les éléments recueillis par la commission d’enquête, le bilan de la période allant du 16 mars au 3 mai 2023 s’établit à 546 blessés parmi les manifestants, parmi lesquels 19 se trouvaient en urgence absolue. La seule journée du 23 mars 2023 compte pour plus du quart de ce total.

S’agissant du rassemblement interdit de Sainte-Soline du 25 mars 2023, le procureur de la République a recensé, hors forces de l’ordre, deux journalistes en urgence relative et trois manifestants pris en charge en urgence absolue. Pour leur part, les organisateurs affirment avoir comptabilisé 200 blessés parmi les participants au rassemblement, dont 40 blessés graves, parmi lesquels quatre avaient été pris en charge en urgence absolue.

Les blessés parmi les manifestants à Paris et à Bordeaux
entre le 16 mars et le 3 mai 2023

Selon M. Laurent Nuñez, en marge des vingt-et-une manifestations déclarées ou spontanées de la période, manifestations intersyndicales comprises, la préfecture de police de Paris a recensé 142 blessés parmi les manifestants.

Selon la direction départementale de la sécurité publique de la Gironde, quinze manifestants ou tierces personnes blessés ont été recensés, la plupart pour des blessures légères causées, en général et selon l’autorité administrative, par d’autres manifestants à l’occasion notamment de jets de projectiles en direction des forces de l’ordre. Quelques manifestants ou tierces personnes ont été incommodés par les gaz lacrymogènes.

Source : audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023 ; réponses au questionnaire adressé à M. Étienne Guyot, préfet de la région Nouvelle-Aquitaine, préfet de la Gironde, en vue du déplacement d’une délégation de la commission à Bordeaux, le 17 juillet 2023.

● Pour ce qui concerne les forces de l’ordre, on déplore sur l’ensemble de la période étudiée par la commission d’enquête 1 518 blessés parmi les gendarmes et les policiers, à savoir :

– 1471 policiers, dont 947 membres des compagnies républicaines de sécurité ([15]) ;

– 48 gendarmes, dont deux se trouvant en urgence absolue lors de leur prise en charge, au terme de l’opération de maintien de l’ordre de Sainte-Soline.

Les éléments transmis par la direction générale de la police nationale mettent en évidence un décuplement du nombre quotidien des blessés parmi les forces de l’ordre le 23 mars 2023, puis une relative stabilité jusqu’au 1er mai 2023, date à laquelle on dénombre 329 policiers blessés, parmi lesquels 278 membres des compagnies républicaines de sécurité et 18 agents transportés pour hospitalisation ([16]).

D’après l’étude dont a fait état, devant la commission d’enquête, M. Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris, les blessures les plus répandues parmi les compagnies d’intervention de la préfecture de Paris se regroupent en trois catégories([17]) :

– les blessures à la tête causées par des jets de projectiles en raison d’une « certaine vulnérabilité des visières » ;

– les blessures aux genoux « malgré les protections dont les effectifs sont dotés » ;

– les blessures auditives liées au bruit car, suivant les observations de M. Foucaud, « les déflagrations n’émanent pas forcément des grenades des forces de l’ordre, mais également du matériel détonant des black blocs. »

L’étude conclut que « les accidents ne représentent pas une part significative des blessures constatées ». Elles sont donc majoritairement la conséquence de violences volontaires.

Les témoignages recueillis par la commission d’enquête font également état de blessures extrêmement diverses parmi les participants aux manifestations et rassemblements, dont des blessures à la tête et des traumatismes crâniens. Néanmoins, les travaux de la commission d’enquête se heurtent ici à la difficulté de recouper des informations et de dresser un inventaire exhaustif sur l’ensemble de la période.

Au-delà des dommages physiques, la multiplication des événements exigeant des forces de l’ordre un haut degré d’engagement a lourdement affecté l’état psychologique et moral des personnels, ainsi que la vie de leur entourage. Comme le souligne l’adjudant‑chef Frédéric Le Louette, membre du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale, nombre d’observateurs voient, dans l’alourdissement des conditions d’exercice des missions de maintien de l’ordre, un facteur d’usure des effectifs préjudiciable aux forces de sécurité intérieure, y compris pour l’accomplissement de leurs missions :

« L’impact sur les personnels est réel. Nous sommes confrontés à un emploi permanent et difficile, à des horaires à rallonge et à une médiatisation perpétuelle. Les gendarmes s’efforcent d’être irréprochables. Mais les effets sont indéniables sur la fatigue des personnels. L’état d’esprit n’est pas aussi bon qu’il le pourrait. Même si nous ne sommes pas proches de la dépression, les escadrons éprouvent évidemment une forme de lassitude. Tous mes camarades peuvent en témoigner. Les familles sont également impactées, compte tenu des absences fréquentes et du nombre croissant de blessés assez graves. Puisque nous sommes en crise de manière permanente, cela pèse sur la vie de famille. Il en résulte inévitablement des conséquences importantes sur l’usure des personnels. C’est la raison pour laquelle nous insistons sur la nécessité d’accroître les effectifs. » ([18])

À l’image des blessés parmi les individus ayant participé aux manifestations et rassemblements, le bilan parmi les forces de l’ordre varie selon les lieux.

Les blessés parmi les forces de l’ordre à Paris et à Bordeaux
entre le 16 mars et le 3 mai 2023

Selon M. Laurent Nuñez, en marge des vingt-et-une manifestations déclarées ou spontanées de la période, manifestations intersyndicales comprises, la préfecture de police de Paris a recensé 697 blessés chez les fonctionnaires de police ou les militaires des escadrons de gendarmerie mobile.

Selon la direction départementale de la sécurité publique de la Gironde, vingt-deux policiers ont été blessés, notamment par des jets de projectiles. De très nombreux tirs tendus de fusées d’artifice ont visé les forces de l’ordre, constituant un danger direct pour les agents.

Sources : audition précitée de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023 ; réponses au questionnaire adressé à M. Étienne Guyot, préfet de la région Nouvelle-Aquitaine, préfet de la Gironde, en vue du déplacement d’une délégation de la commission à Bordeaux, le 17 juillet 2023.

2.   Des destructions spectaculaires sans effet économique perceptible

● Sur le plan macroéconomique, l’impact des violences et des dégradations ayant émaillé les manifestations et rassemblements du printemps 2023 se révèle difficilement mesurable.

D’une part, les statistiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) rendent compte d’une hausse du produit intérieur brut (PIB) de 0,5 % au second trimestre 2023, croissance supérieure à celle observée dans les trois premiers mois de l’année (soit + 0,1 %). Si la consommation des ménages a reculé de 0,4 % sur la période, après une stabilité au premier trimestre, le niveau de l’investissement global dans l’économie ([19]) a connu progression (+ 0,1 %) ([20]), certes modeste.

D’autre part, une analyse plus sectorielle met également en évidence une évolution relativement contrastée de l’économie française pendant la période entrant dans le champ des travaux de la commission d’enquête. Suivant les données conjoncturelles de la Banque de France, les secteurs des commerces, des transports et de l’hébergement-restauration ont accusé une baisse de 1,4 %. En revanche, l’activité touristique a connu une hausse spectaculaire et a presque renoué avec les niveaux records observés avant la crise sanitaire du covid‑19. En effet, la période correspondant aux vacances d’hiver et de printemps 2023 se caractérise par une hausse massive de la fréquentation des sites et des établissements touristiques, tant pour la clientèle des résidents que pour celles des étrangers (+ 15 % par rapport aux vacances de printemps 2022) ([21]). Le retour des touristes a également concerné Paris et l’île‑de‑France, tant du point de vue des recettes économiques (+ 27 % par rapport à la même période en 2022), que du nombre des personnes accueillies dans le secteur hôtelier (+ 17 % par rapport à l’année précédente) ([22]).

De fait, l’économie française, au second trimestre 2023 s’est révélée avant tout tributaire de deux facteurs déterminants :

– l’impact des cessations de travail et des perturbations de l’activité en rapport avec le mouvement de contestation du projet de loi de réforme des retraites. Les statistiques de l’Insee font apparaître que le recul du PIB mesuré en mars 2023 (– 0,3 % par rapport à mars 2022) résulte en partie de l’incidence des journées de mobilisation et mouvement sociaux sur la production des branches énergie, eau, déchets et raffinage (en baisse de 6,9 %), ainsi que sur l’activité des hôtels et restaurants ;

– en second lieu, des difficultés internationales et macro-économiques liées à la poussée inflationniste et aux tensions d’approvisionnement de plusieurs secteurs.

Il convient également d’observer que les manifestations et rassemblements survenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023 n’ont pas donné lieu à un nombre inhabituellement élevé de déclarations de sinistre auprès des compagnies d’assurance ([23]). D’après France Assureurs, le nombre des dossiers reçus demeure stable pour la période, voire accuse une relative baisse par rapport à 2022. Ceci expliquerait que les entreprises d’assurance n’aient établi aucun dispositif spécifique de suivi de la sinistralité, comme il est d’usage pour les évènements qualifiés de grande ampleur. Les graphiques, ci-après, illustrent une sinistralité inférieure ou égale à celle constatée en 2022 en ce qui concerne les dommages déclarés pour les automobiles et les biens des particuliers.

Source : réponses au questionnaire adressé à France Assureurs.

Toutefois, les données communiquées à votre rapporteur revêtent un caractère national, elles ne permettent pas de déterminer l’impact des manifestations et rassemblements dans les territoires les plus touchés par les violences sur la période.

● En revanche, les statistiques disponibles mettent en relief de manière incontestable l’importance des dégradations et des destructions subies par les particuliers et les collectivités publiques, dès avant la période examinée par la commission d’enquête.

Ainsi, les données communiquées par le ministère de l’intérieur pour la période allant du 19 janvier au 3 mai 2023 font-elles état de ([24]) :

– 438 atteintes aux biens, dont 179 dégradations de permanences parlementaires, survenues pour l’essentiel entre les 15 et 23 mars 2023, soit juste avant et peu après l’engagement par le Gouvernement de sa responsabilité devant l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites, et 259 détériorations de bâtiments publics comme des préfectures, des mairies et des locaux appartenant à des conseils départementaux ;

– 3 857 incendies, 156 d’entre eux ayant touché des bâtiments, 99 détruisant des véhicules et 3 602 feux de voie publique. Les journées ayant connu le plus grand nombre d’incendies sont celles du 23 mars (929), du 20 mars (441), du 28 mars (440), du 16 mars (279) et du 6 avril (225).

Ce que ne transcrivent pas ces chiffres, c’est que les auteurs de ces méfaits ont pris pour cibles des services publics emblématiques, de même que des éléments du patrimoine privé, allant jusqu’à menacer des vies. Ainsi que l’a rappelé le ministre de l’intérieur ([25]), « un commissariat a failli brûler à Lorient, une ville qui n’est pourtant pas connue pour ses violences contre les forces de l’ordre, alors que des fonctionnaires s’y trouvaient encore. La porte de l’hôtel de ville de Bordeaux a été incendiée. La mairie du 4ème arrondissement de Lyon a fait l’objet de dégradations. […] À Paris, pompiers et policiers ont évacué vingt-trois personnes en raison de l’incendie de leur immeuble dû à des feux de poubelles » ([26]).

De fait, les dégradations et les destructions ont présenté une acuité ou une portée symbolique particulière selon les lieux et l’intensité des troubles à la sécurité publique. À Bordeaux, outre la porte de la façade de la mairie, les locaux de l’Université ont particulièrement souffert de la contestation de la réforme des retraites et de l’occupation du campus du quartier de la Victoire, situé au centre-ville.

Premier bilan des dommages matériels subis par l’Université de Bordeaux

D’après le président de l’Université de Bordeaux, la réparation des dégradations matérielles a d’ores et déjà coûté près de 750 000 euros – montant engagé pour une remise en état de la quasi-totalité du site. S’y ajoute le coût du plan de renforcement de la sécurité du campus, évalué à 700 000 euros et financé sur fonds propres. Les dégradations matérielles ont également eu pour conséquence l’annonce de la résiliation, par la compagnie d’assurance, du contrat la liant à l’Université, et ce dès le 31 décembre prochain.

L’occupation du site et sa dégradation ont fortement affecté le travail et le bien-être des personnels et des étudiants. Sa fermeture pour de nombreux mois a contraint les services à s’organiser en télétravail total ou, pour certains, à être temporairement relocalisés. Les cours ont basculé en distanciel et les examens ont dû être organisés dans d’autres campus. Le service de santé au travail a également été fortement mobilisé.

Source : réponses au questionnaire adressé à M. Dean Lewis, président de l’Université de Bordeaux.

S’agissant du rassemblement interdit de Sainte‑Soline – qui se distingue à bien des égards des autres rassemblements–, le bilan des journées des 24 et 25 mars 2023 comporte de nombreux dégâts infligés aux bâtiments et aux terres agricoles, en conséquence des mouvements opérés par les cortèges afin d’atteindre la retenue de substitution, puis des affrontements avec les forces de l’ordre qui ont suivis. Ces pertes, dont l’estimation est difficile à quantifier, s’ajoutent aux préjudices déjà subis en marge des manifestations organisées, en 2022, en opposition à l’aménagement de retenues de substitutions.

Premier bilan des dégradations et destructions en marge du
rassemblement interdit de Sainte-Soline le 25 mars 2023

La direction départementale des territoires des Deux‑Sèvres a identifié une vingtaine d’exploitations affectées par des dégradations survenues à l’occasion des manifestations. Parmi les dégradations ont été relevés un point de livraison d’eau de la réserve incendié (pompes et canalisations), des passages de roues et des sillons sur des parcelles agricoles, des terres retournées, des piézomètres arrachés, des haies et arbres calcinés, des cultures piétinées, ainsi que des traces de projectiles et des déchets brûlés. Le montant financier du préjudice correspondant n’a pas été communiqué par les exploitations.

Par ailleurs, lors de ces rassemblements, des parcelles agricoles ont été détruites en tout ou partie par des piétinements ou écrasements. Elles représentent environ 158,5 hectares, dont 11 hectares d’orge, 94 hectares de blé, 25,5 hectares de colza, 2 hectares de prairies ainsi que 26 hectares qui n’étaient pas encore semés alors. Toutefois, aucune conséquence sur les récoltes en cours ou à venir n’a été signalée par les exploitants. Par ailleurs, l’analyse des images satellitaires ne montre pas de problématique de pousse des parcelles et laisse supposer des dégâts limités qui n’ont pas affecté le développement des cultures ou, dans le cas contraire, une réimplantation avec des cultures de printemps.

Enfin, des voies communales utilisées par les exploitants agricoles ont été dégradées (panneaux arrachés, chaussée dégradée), ainsi que des fossés.

Source : réponses au questionnaire adressé au ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

3.   L’hystérisation du débat public autour des violences, entre saturation et caricatures

La qualité et la sérénité du débat public sont les autres victimes du climat de violence qui a entouré les manifestations et rassemblements du printemps 2023. Et ce n’est pas le moindre des problèmes auxquels nos institutions démocratiques sont désormais confrontées, dans un contexte où la conflictualité finit trop souvent par rimer avec extrémisme. De fait, la période apparait marquée par la profusion de discours manichéens, entre une défense sans nuance du « maintien de l’ordre à la française », et une critique quasi pavlovienne de l’action des forces de sécurité intérieure.

Ce climat tient d’abord aux positions de certains acteurs publics qui véhiculent ou entretiennent, parfois délibérément, une vision partiale et unilatérale de la responsabilité des affrontements et des dommages subis. L’ancien premier ministre, Bernard Cazeneuve, a ainsi eu des échanges très vifs avec certains des membres de la commission d’enquête :

« [Q]uand on n’a pas du tout la même intensité de discours lorsqu’il s’agit de ceux qui cassent, parce qu’on est les théoriciens en chef de la consubstantialité de la violence à la police, on a un positionnement politique. […] J’aimerais simplement que, lorsqu’il y a des exactions dans les manifestations, plutôt que de théoriser la consubstantialité de la violence à la police, vous ayez des propos aussi clairs sur ceux qui créent ces désordres et qui sont d’une extrême violence. » ([27]).

En d’autres termes, interroger notre système de maintien de l’ordre, l’évaluer avec l’esprit critique nécessaire, puis en discerner les forces et les faiblesses, les qualités et les défauts, est une chose ; le criminaliser, en revanche, en est une autre d’une extrême gravité. Chacun se souvient, en effet, de la formule – grotesque et pernicieuse – selon laquelle « la police tue ». Elle restera, dans notre histoire politique récente, un point de bascule particulièrement néfaste vers une violence toujours plus assumée et désormais intégrée au discours politique.

De ce point de vue, entretenir, non le débat, mais des polémiques toujours plus vives, questionne les frontières avec la relativisation, voire la justification des violences. Dans cette optique, ces dernières ne constitueraient en réalité rien d’autre qu’une défense face à l’action des pouvoirs publics, une réaction face – pour reprendre le terme de l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve – à la « consubstantialité de la violence à la police » ([28]) : la violence des manifestants serait une juste réponse à celle des institutions, et s’en trouverait absoute et légitimée. D’après les observations du journaliste Thierry Vincent, cette construction intellectuelle imprègne nombre de personnes présentes dans les précortèges et conspire à créer les conditions psychologiques d’un affrontement prétendument nécessaire avec les forces de l’ordre :

« Dans le cortège de tête, on entend que la police mutile. Force est de constater que l’augmentation des moyens accordés aux forces de l’ordre n’a pas permis la diminution des violences. Il y a une escalade. D’une part, la police devient plus ferme, plus violente parce que les manifestants sont plus violents. Et d’autre part, ces derniers se disent que, puisque la police est violente, ils doivent l’être aussi. » ([29])

À certains égards, les déclarations de Mme Anne-Morwenn Pastier, membre du collectif Bassines non merci !, peuvent fournir une autre illustration des représentations qui prévalent désormais dans certains milieux militants quant à l’action des forces de l’ordre. Elles tiennent pour acquis le fait que la participation à une manifestation exposerait nécessairement à des risques de blessures, du fait des pratiques policières :

« Vous semblez distinguer des manifestants assez festifs et d’autres dont le seul but serait de tout casser sans même partager notre cause écologique. Or, le 25 mars, personne n’est venu manifester dans un esprit festif. Les gens participent de plus en plus à ce genre de rassemblement munis de certains objets. En ce qui me concerne, c’est le cas depuis les manifestations contre la loi dite “travail” en 2016. Je ne parle pas de battes de baseball mais de masques, de lunettes ou de capuches visant à éviter que des grenades explosives entrent dans notre col et nous tuent comme Rémi Fraisse. Ce sont des réflexes que les manifestants ont acquis depuis plusieurs années. Ils se protègent, même s’ils ont les meilleures intentions du monde. Même pour faire une promenade bucolique dans les champs, je mettrais un masque, des lunettes, une capuche voire un casque, et plusieurs épaisseurs de vêtements pour encaisser les tirs de lanceur de balles de défense. La distinction entre des manifestants pacifiques et des blocs venus donner libre cours à la violence n’existe que dans la tête de ceux qui ne participent pas à ces manifestations. »

Par les généralisations dont ils procèdent et par la confusion entre causes et conséquences, de tels positionnements biaisent tout examen objectif de l’action des forces de l’ordre. Ils empêchent tout débat qui n’admettrait pas un mécanisme de violences policières systémiques et toute analyse quant aux moyens de sécuriser les manifestations et les rassemblements dans un contexte de tensions et de radicalité croissante dans la société française. Pour votre rapporteur, ces prises de position sont d’autant plus dangereuses qu’elles créent un écran de fumée sur les responsabilités des violences et sèment les germes de l’affrontement, voire d’un glissement vers des formes d’action de plus en plus radicales, au nom de causes sociales et environnementales.

B.   La réponse institutionnelle aux violences

La mobilisation des forces de police et de gendarmerie, lors des manifestations du premier semestre 2023, s’est concentrée autour des treize journées nationales d’action organisées par les syndicats sur l’ensemble du territoire français entre le 19 janvier et le 1er mai 2023. Entre le 16 mars et le 3 mai, cinq journées nationales d’action se sont déroulées, ainsi que plusieurs rassemblements non déclarés, voire interdits par l’autorité administrative. Ils ont donné lieu à des scènes de violences urbaines entraînant, au total, 3 339 interpellations ([30]), sur 3 561 000 manifestants recensés. La période étudiée par la commission d’enquête inclut également les événements survenus à Sainte-Soline le 25 mars dernier.

Communiquées à votre rapporteur par les services des ministères de l’intérieur et de la justice, les données statistiques présentées ci-après dressent un état des lieux du nombre des interpellations, des placements en garde à vue et des suites judiciaires à la suite des phénomènes de violences qui ont émaillé les manifestations et rassemblements survenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023.

1.   L’action des forces de l’ordre au cours des manifestations

a.   Les journées nationales d’action et les rassemblements non-déclarés

Selon les chiffres du ministère de l’intérieur ([31]), au cours des cinq journées nationales d’action organisées entre le 16 mars et le 3 mai 2023 ([32]), environ 3 561 000 manifestants ont été décomptés ([33]). Ces manifestations ont donné lieu à 3 339 interpellations par les forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire national, soit environ un individu pour mille manifestants. Votre rapporteur considère que ce chiffre témoigne de la réalité du ciblage opéré par la police et la gendarmerie, à rebours de la dénonciation de vagues massives d’interpellations indiscriminées.

statistiques relatives aux journées nationales d’action n° 9 à n° 13

 

 

JNA n° 9

23 mars

JNA n° 10

28 mars

JNA n° 11

6 avril

JNA n° 12

13 avril

JNA n° 13

1er mai

TOTAL

Nombre d’unités de forces mobiles déployées

83

90

79,5

79,5

74,5

405,5

Nombre de forces de l’ordre mobilisées

10 500

13 000

11 500

11 200

11 600

57 800

Dont à Paris

4 000

5 500

4 200

4 100

4 300

22 100

Nombre total de manifestants

1 089 000

740 000

570 000

380 000

782 000

3 561 000

Dont à Paris

119 000

93 000

57 000

42 000

112 000

423 000

Estimation du nombre de manifestants considérés « à risque »

5 100

7 500

4 400

2 200

3 600

22 800

Nombre de villes dans lesquelles s’est déroulée une manifestation

700

600

570

400

340

2 610

Nombre d’interpellations

428

402

271

177

540

1 818

Source : ministère de l’intérieur.

En dépit d’un nombre plus faible de manifestants que celui constaté au cours des huit premières mobilisations tenues entre le 19 janvier et le 15 mars 2023 ([34]), les cinq dernières journées nationales d’action ont donné lieu à une multiplication du nombre d’interpellations ([35]), conséquence du surcroît de violences observé à compter du 16 mars, date à laquelle le Gouvernement a recouru à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Ce constat est corroboré par le nombre de manifestants considérés « à risque » selon les forces de sécurité intérieure, compris entre 200 et 600 individus pour les précédentes journées des 11 et 15 mars, soit des estimations bien en deçà de celles retenues à compter de la journée du 23 mars.

Les 1 818 interpellations, effectuées à l’issue des manifestations organisées lors des cinq dernières journées de mobilisation contre la réforme des retraites, représentent environ la moitié du nombre total d’interpellations constaté entre le 16 mars et le 3 mai 2023. Ainsi, 1 521 individus ont été arrêtés à l’occasion de rassemblements « spontanés », non-déclarés ou interdits par l’autorité administrative, notamment au cours des soirées des 16, 18 et 20 mars.

Le ministère de la justice note que 3 189 individus ont été placés en garde à vue à la suite des violences commises en marge des manifestations et des rassemblements non-déclarés sur la même période ([36]). Lors de son audition devant la commission d’enquête, le ministre de la justice, M. Éric Dupond-Moretti, a par ailleurs précisé que « 91 % des 3 189 gardés à vue […] étaient des majeurs. Ceci diffère des émeutes du début de l’été [2023] où l’on trouve beaucoup plus de mineurs, y compris très jeunes » ([37]).

Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, considère que « [l]e 16 mars, jour de l’annonce du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, marque une véritable rupture pour les services du parquet » ([38]). Si chacune des huit premières journées nationales d’action avait donné lieu à une moyenne d’une cinquantaine de gardes à vue sur le ressort du tribunal judiciaire de Paris, 1 496 gardes à vue ([39]) ont été dénombrées entre le 16 mars et le 3 mai ([40]), à l’issue des cinq dernières journées nationales d’action et des rassemblements non déclarés ou interdits ([41]). L’afflux de personnes simultanément placées en garde à vue, notamment les 16 et 20 mars, a pu mettre sous tension les locaux de garde à vue des commissariats parisiens dont la capacité d’accueil maximale s’élève à 951 places ([42]), selon les éléments communiqués à votre rapporteur par la préfecture de police de Paris.

b.   Les événements survenus à Sainte-Soline le 25 mars 2023

À n’en pas douter, les événements de Sainte-Soline occupent une place à part dans l’examen des violences commises au printemps dernier. La cause défendue, la rupture entretenue et même assumée vis-à-vis des institutions d’État, les modes opératoires et la juxtaposition organisée de manifestants de bonne foi et d’activistes violents, distinguent Sainte-Soline de tous les autres rassemblements.

S’agissant des données transmises par le parquet de Niort, ce dernier a indiqué, dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, que 26 personnes avaient été placées en garde à vue ([43]) à la suite des violences commises au cours de la manifestation, interdite par la préfecture, du 25 mars 2023. Alors que cet événement a concentré entre 6 000 et 8 000 participants selon le ministère de l’intérieur, la contribution écrite remise à votre rapporteur par la gendarmerie chiffre à six le nombre d’interpellations lors de cette manifestation.

En outre, dans un objectif préventif, la contribution écrite remise à votre rapporteur par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, a précisé que quatorze interdictions administratives de territoire ([44]) avaient été prononcées à l’encontre de ressortissants étrangers ne résidant pas habituellement en France et ayant été considérés comme susceptibles de participer à des actions violentes lors des rassemblements organisés contre les mégabassines à Sainte-Soline le 25 mars dernier ([45]). L’internationalisation de l’activisme violent est en effet l’une des données fondamentales pour « comprendre Sainte-Soline ».

2.   Des suites judiciaires difficiles à appréhender sur le plan statistique

Si les données relatives aux suites judiciaires des gardes à vue montrent des résultats contrastés, elles révèlent les marges de progression des outils statistiques du ministère de justice en vue d’établir un état des lieux, précis et complet, de la réponse pénale apportée aux actes de violences commis lors des manifestations du printemps dernier.

a.   Un taux de réponse pénale contrasté

Selon la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, les 3 189 placements en garde à vue ont abouti, pour la moitié d’entre eux, à des suites judiciaires ([46]) :

 48 % ont donné lieu à un classement sans suite ;

 22 % ont donné lieu à un défèrement ([47]) ;

 18 % ont donné lieu à une alternative aux poursuites ;

 11 % ont donné lieu à des poursuites sous la forme d’une convocation par un officier de police judiciaire, d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou d’une ordonnance pénale ;

 1 % ont donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire.

Dans le ressort du tribunal judiciaire de Paris, la situation apparaît plus dégradée. Le parquet de Paris précise ([48]) que près des deux tiers des 1 496 gardes à vue entre le 16 mars et 3 mai se sont soldés par un classement sans suite, essentiellement en raison de l’insuffisante caractérisation de l’infraction imputée aux individus mis en cause ([49]). Les rappels du parquet de Paris, à l’attention des forces de l’ordre sur la nécessité de mieux documenter les interpellations, ont cependant permis d’améliorer le taux de réponse pénale dans le temps, passant de 4 % et 10 %, à l’issue des gardes à vue des 16 et 20 mars, à 70 % le 28 mars.

Selon les chiffres communiqués à votre rapporteur par le parquet local, le taux de réponse pénale apporté dans le ressort du tribunal judiciaire de Bordeaux atteint près de 65 %, soit un niveau deux fois supérieur à celui de Paris. Le nombre des suites judiciaires décidées à l’issue des gardes à vue semble ici corrélé à la proportion, plus réduite, des interpellations, en l’espèce une centaine entre le 16 mars et le 3 mai.

Sur les 26 placements en garde à vue effectués à la suite des événements de Sainte-Soline, le parquet de Niort a indiqué que 23 d’entre eux avaient reçu des suites judiciaires ([50]). Les poursuites concernent notamment des faits de violences, de participation à un groupement en vue de commettre des violences et d’organisation d’une manifestation interdite.

De façon générale, le taux de réponse pénale constaté à la suite des placements en garde à vue soulève de nombreuses interrogations. Bien que variable selon les ressorts et le contexte propre à chaque manifestation ou rassemblement non-déclaré, le nombre limité de suites judiciaires a pu être considéré comme, d’une part, l’illustration d’interpellations en contexte chaotique, et d’autre part, l’expression d’une série d’imperfections dans la chaîne de judiciarisation, en particulier dans la coordination entre agents interpellateurs et officiers de police judiciaire.

Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, met en relief ce paradoxe : « […] l’analyse des suites judiciaires a mis en évidence une différence souvent importante entre le nombre de personnes placées en garde à vue et le nombre de réponses pénales. Ce décalage alimente le soupçon, soit du recours à des gardes à vue préventives, soit d’une justice en retrait par rapport à la gravité des faits » ([51]).

Dans ce contexte, votre rapporteur estime que la réponse pénale, apportée à l’issue des gardes à vue consécutives aux manifestations du printemps dernier, révèle en réalité l’étendue du contrôle opéré par l’autorité judiciaire du respect des règles de la procédure pénale, ainsi que le rappelle M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice : « [s]i les parquets considèrent parfois qu’un certain nombre de gardes à vue doivent être levées, ils jouent leur rôle. C’est plutôt un signe de bon fonctionnement de notre système de séparation des pouvoirs entre les services de police et l’autorité judiciaire, chacun exerçant la mission qui est la sienne » ([52]).

Dans un contexte d’agitation, de mouvements de foules, d’exactions matérielles et de violences faites aux personnes, la difficulté d’établir la réalité des faits, et de rassembler suffisamment d’éléments probatoires à l’encontre des individus interpellés, explique le caractère contrasté des taux de réponse pénale précédemment mentionnés.

Il apparaît cependant regrettable que les suites judiciaires des gardes à vues décidées au printemps dernier ne soient pas connues avec davantage de précision, plus de six mois après la commission des faits, ce qui souligne la nécessité, notamment pour objectiver le débat public, de doter le ministère de la justice d’un outil statistique véritablement performant et donc plus transparent.

b.   La nécessité de construire un outil statistique fiable

Au-delà des éléments transmis par les parquets de Bordeaux et de Niort, ainsi que du témoignage de Me Raphaël Kempf lors de son audition par la commission d’enquête ([53]), le recueil d’informations détaillées et actualisées sur les suites judiciaires des gardes à vue consécutives aux manifestations apparaît particulièrement difficile.

Sollicités par votre rapporteur, les services du ministère de la justice ont reconnu ne pas disposer d’éléments chiffrés relatifs aux condamnations pénales prononcées en répression des violences commises en marge des manifestations et rassemblements survenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023.

Les instruments statistiques ([54]), utilisés par la direction des affaires criminelles et des grâces, se heurtent à un double écueil. D’une part, ils ne permettent pas d’isoler le contexte dans lequel les infractions ont été commises. Cela empêche de dresser un état des lieux précis des condamnations pénales visant les seuls auteurs de crimes ou délits commis au cours des manifestations du printemps dernier. D’autre part, plus de six mois après les faits, il est encore impossible d’extraire les données correspondant à la période étudiée par la commission d’enquête, les statistiques consolidées les plus récentes remontant seulement au second semestre 2022. En outre, s’agissant des défèrements et des alternatives aux poursuites décidés à la suite des gardes à vue, les outils disponibles ne permettent pas de catégoriser les différentes mesures et procédures de jugement privilégiées ([55]).

S’il existe une méthodologie afin d’établir un lien entre l’infraction poursuivie et le contexte de ces manifestations, grâce au cumul des critères de la date, du lieu de commission des faits et de la nature de l’infraction visée, les chiffres ainsi produits aboutiraient probablement à une volumétrie supérieure à la réalité, en présentant le risque de décompter un nombre non négligeable de procédures de droit commun, sans aucun lien avec les manifestations du printemps 2023. Les seules données chiffrées fiables, relatives au contexte dans lequel l’infraction a été commise, concernent les remontées d’informations quantitatives des juridictions, sur le fondement de l’article 35 du code de procédure pénale, qui ne constituent pas des statistiques au sens strict et ne sauraient donc être considérées comme exhaustives.

À cet égard, lors de son audition, Mme Laure Beccuau a déploré l’absence d’un « outil statistique pertinent » ([56]). Cette carence fragilise en conséquence les retours d’expérience sur ces événements. L’amélioration des outils statistiques du ministère de la justice constitue, selon votre rapporteur, une priorité incontournable afin d’objectiver, sans délai, les réponses pénales apportées par l’autorité judiciaire à des phénomènes de violence majeurs. C’est à cette condition que l’évaluation des politiques pénales gagnera en transparence et donc en efficacité. C’est aussi un impératif pour un contrôle parlementaire et démocratique digne de ce nom.

Recommandation n° 1 : Améliorer les outils statistiques dont dispose le ministère de la justice afin de dresser un état des lieux pertinent, exhaustif et précis de l’ensemble des procédures et condamnations pénales, selon le contexte dans lequel les infractions ont été commises.

Les bilans humains, matériels et judiciaires précédemment exposés témoignent d’un rapport évolutif entre les mouvements sociaux du printemps dernier et l’expression de la violence. Cette conflictualité accrue révèle la tentation d’une forme de radicalisation du discours et des actes dans laquelle se distinguent des groupuscules déterminés à créer les conditions du chaos.

 


—  1  —

II.   Les nouveaux rapports entre « violences » et mouvement social : des mots aux actes

L’histoire de ces dix dernières années comporte de nombreux exemples de conflits idéologiques et sociaux, ainsi que de confrontations d’une particulière intensité à l’occasion de rassemblements ou de manifestations, se soldant par des éclats de violence dans l’espace public. Sans remonter aux débordements survenus en marge du sommet du G8 à Évian, en juin 2003, ou lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg en avril 2009, chacun se souvient du caractère spectaculaire des dégradations et des affrontements qui ont émaillé, en 2016, la contestation de la loi dite « El Khomri » ([57]), ainsi que le mouvement des Gilets jaunes en 2018 et 2019.

Si elles participent sans doute d’une même séquence historique, les violences et dégradations intervenues entre le 16 mars et le 3 mai 2023 n’en présentent pas moins des spécificités qui, nonobstant le poids d’évènements conjoncturels, interrogent du point de vue de la cohésion sociale et du rapport à la règle commune dans la France contemporaine. Leur analyse met en lumière une montée des radicalités ainsi que l’existence d’une pluralité d’individus et de groupes violents sur le territoire national.

A.   La montée des radicalités : un continuum de la violence ?

Les évènements survenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023 mettent en évidence, au-delà des tensions sociales et idéologiques, la propension de certains individus ou groupes d’individus à recourir de manière désinhibée aux violences et aux dégradations, dans le contexte de mouvements revendicatifs. À bien des égards, il convient de constater un lien désormais plus ténu entre radicalité des idées, violence verbale, violence contre les biens et violence contre les personnes.

S’il comporte une part de théâtralisation des rapports de force entre les acteurs sociaux et la puissance publique ([58]), ou révèle un retour aux pratiques antérieures à l’apaisement des manifestations sociales survenu à la fin du siècle dernier ([59]), le déroulement des manifestations et rassemblements soulève dès lors de nouveaux enjeux pour la régulation des mouvements sociaux et le respect de l’ordre public.

Suivant la réflexion de M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II, « [s]’agissant de l’impact des groupuscules et de leur volonté d’imposer leurs vues, il faut d’abord saisir que ces mouvements existent, qu’ils suscitent l’approbation ou la désapprobation, et se demander ce que cet état de fait traduit. La violence peut briser les ordres. Mais elle ne crée rien » ([60]).

Il convient, dès lors, de s’interroger sur deux évolutions : d’une part, une conflictualité sociale qui semble nourrie et se nourrir de la violence lors des manifestations contre les retraites ; d’autre part, l’émergence de nouvelles radicalités violentes au nom de l’urgence climatique.

1.   Conflictualité sociale et violences lors des manifestations contre la réforme des retraites

a.   Les journées d’action syndicales et le 1er mai 2023 : des manifestations sans incident notable mais confrontées au problème des précortèges

Entre le 16 mars et le 3 mai 2023, la contestation contre la réforme des régimes de retraites a donné lieu à six journées de mobilisation, parmi lesquelles le 1er mai, fête du Travail, avec des appels à la grève et des manifestations organisées à l’initiative de l’intersyndicale. Même s’ils peuvent être tenus pour limités, au regard du nombre considérable de manifestants, certains défilés ont pu donner lieu à de graves dégradations et violences.

Les journées de mobilisations contre le projet de réforme des retraites
organisées entre le 16 mars et le 3 mai 2023

23 mars : neuvième journée de mobilisation avec grèves et manifestations rassemblant 1,089 million de manifestants selon la police, plus de 3 millions selon l’intersyndicale ;

28 mars : dixième journée de mobilisation avec grèves et manifestations rassemblant 740 000 manifestants selon la police, plus de 2 millions selon l’intersyndicale ;

6 avril : onzième journée de mobilisation avec grèves et manifestations rassemblant 570 000 manifestants selon la police, près de 2 millions selon l’intersyndicale ;

13 avril : douzième journée de mobilisation avec grèves et manifestations rassemblant 380 000 manifestants selon la police, plus de 1,5 million selon l’intersyndicale ;

1er mai : treizième journée de mobilisation avec 300 manifestations rassemblant 782 000 manifestants selon la police, 2 millions selon l’intersyndicale.

Source : site clesdusocial.com.

L’examen des circonstances et des lieux dans lesquels ces infractions ont été commises montre que les atteintes à l’ordre public résultent d’individus ou de groupes qui agissent essentiellement en marge des mouvements revendicatifs. Ce constat conduit à distinguer, pendant la période intéressant la commission d’enquête, le déroulement des défilés syndicaux des désordres provoqués par les précortèges.

i.   Des cortèges syndicaux maîtrisés

Les cortèges placés sous la direction et la responsabilité des organisations syndicales ne sont pas à l’origine de troubles à l’ordre public. D’ailleurs, le bilan dressé par les responsables syndicaux auditionnés montre que les défilés n’ont pas connu de heurts significatifs. M. Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière (FO), affirme ainsi que « [à] l’intérieur des cortèges syndicaux, ces manifestations se sont bien déroulées » ([61]).

Mme Marylise Léon, secrétaire générale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), a également assuré que les violences sur lesquelles se penche la commission d’enquête ne se sont pas produites dans le périmètre qu’encadrent les organisations syndicales, « du carré de tête à la fin du cortège », donnant lieu à très « peu d’altercations, qui sont le fait de groupuscules » et que « les cortèges ont été pacifiques, massifs et d’une très bonne tenue » ([62]).

Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la Confédération générale du Travail (CGT), confirme qu’« aucun élément violent n’a pénétré les cortèges syndicaux au cours du printemps », et recense trois incidents au cours des manifestations qui seraient « le fait des forces de l’ordre : le 7 février à Paris quand la police a chargé le service d’ordre, puis les 11 et 23 mars quand le carré de tête a été gazé » ([63]).

Le bilan présenté par les responsables syndicaux corrobore les constats établis devant la commission d’enquête par l’ensemble des responsables de l’ordre public, notamment par le préfet de police de Paris. Ainsi que l’a souligné M. Laurent Nuñez, « treize manifestations syndicales se sont tenues en incluant le 1er mai, qui a revêtu cette année une dimension d’opposition à la réforme et qui a réuni de nombreuses personnes. […] Celles-ci se sont déroulées sans aucun incident à l’intérieur des cortèges syndicaux » ([64]).

Au regard des modalités d’organisation des journées d’action qui ont été décrites à la commission d’enquête, ce résultat doit beaucoup aux rapports fonctionnels noués et maintenus entre les organisations syndicales et les responsables du maintien de l’ordre, dans le strict respect du droit en vigueur concernant la liberté fondamentale de manifester.

Il ressort de l’état des lieux dressé par Mme Marylise Léon qu’il existe un contact régulier entre le responsable du service d’ordre et la direction de l’ordre public et de la circulation, ainsi qu’avec les autres services de la préfecture de police, « et s’il le faut, avec le préfet de police lui-même ». Les échanges avec les forces de l’ordre sont assurés par un officier de liaison « dans le cadre d’un dispositif qui [lui] apparaît satisfaisant ». La secrétaire générale de la CGT estime ainsi que « les échanges, globalement, ont été satisfaisants de janvier à juin », constatant « combien ce lien direct avec les responsables des forces de l’ordre est nécessaire », « lorsque le carré de tête a été confronté aux violences qui ont eu lieu entre les forces de l’ordre et les mouvances contestataires » ([65]).

Ces observations rejoignent les constats des autres responsables syndicaux auditionnés. Ainsi, M. Jean-Philippe Tanghe, secrétaire général de la Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE‑CGC), juge-t-il que « la police a géré la distance entre le carré de tête et les casseurs, qui laissent derrière eux des scènes de violence que personne ne peut confondre avec une action syndicale » ([66]).

Pour sa part, Mme Sophie Binet relève « une évolution positive depuis la nomination du nouveau préfet de police de Paris, qui a rétabli des échanges techniques et constructifs avec les organisations syndicales » ([67]).

M. Cyril Chabanier, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), affirme de son côté que « les échanges avec la préfecture sur la détermination des parcours et la préparation des cortèges se sont toujours bien passés » et que « les relations étaient plutôt bonnes ». Il observe toutefois que le rôle de l’officier de liaison mis à disposition par l’autorité de police pourrait être optimisé :

« [Je] tiens à souligner le rôle de l’officier de liaison qui nous est affecté lors de ces manifestations. Ce n’est évidemment pas toujours la même personne. Nous avons noté que, lorsque cet officier de liaison était facilement joignable, voire présent à nos côtés, un grand nombre de difficultés pouvaient être facilement réglées. Il a pu arriver que l’officier de liaison soit difficile à joindre : tout est devenu tout de suite plus compliqué car, dans une manifestation, il se produit toujours des événements imprévisibles. Quand nous l’avons à nos côtés, nous évitons beaucoup de problèmes. » ([68]).

ii.   Les précortèges au cœur de la violence

La source des violences et des dégradations objet de la commission d’enquête réside dans la formation récurrente et problématique d’une nébuleuse ou d’un bloc radical, en marge des cortèges syndicaux. Les analyses et signalements recueillis par votre rapporteur démontrent que ces précortèges ont soulevé, entre le 16 mars et le 3 mai 2023, des troubles majeurs pour le maintien de l’ordre public, ainsi que pour l’exercice du droit fondamental à manifester sur l’ensemble du territoire national. Dans la capitale, le préfet de police, M. Laurent Nuñez a ainsi estimé que « les difficultés que nous rencontrons se situent essentiellement dans le précortège situé devant la manifestation principale » ([69]).

● En soi, le phénomène de précortèges rassemblant des individus sans rapport, voire en rupture, avec le mouvement syndical, ne revêt pas un caractère totalement nouveau. Ainsi que l’a souligné l’essayiste Christophe Bourseiller ([70]), les manifestations étudiantes, syndicales ou réunissant des formations de gauche comportaient dès 1971, à la suite des évènements de mai 1968, des cortèges de tête formés par les « autonomes », membres d’un courant idéologique issu de l’ultragauche ([71]). De même, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Mme Isabelle Sommier souligne que « la présence d’éléments radicaux dans les manifestations n’est pas nouvelle » : « on les appelait les casseurs dans les années soixante-dix où ils étaient assimilés à l’extrême gauche trotskiste ou maoïste » ([72]). Pour sa part, M. Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière, note que « les manifestations de mai 1968 comportaient déjà des violences, comme celles de 1986 et celles de 2016 », et que les « échauffourées révèlent l’action des groupes » auxquels s’intéresse la commission d’enquête ([73]).

Ainsi que l’analyse Mme Isabelle Sommier, le principal changement entre les éléments radicaux des périodes précédentes et la place qu’ils occupent à présent en marge des mouvements revendicatifs tient à l’évolution de leur rapport de force avec les organisations syndicales.

« La différence avec la période actuelle réside dans la perte de puissance des syndicats : il y a cinquante ans, le taux de syndicalisation atteignait 25 % et les organisations disposaient de services d’ordre très structurés. Les militants radicaux qui souhaitaient atteindre la tête de cortège n’y parvenaient pas et ils étaient renvoyés en queue de défilé. […] Aujourd’hui, la situation s’est inversée : les syndicats n’ont plus les forces militantes ni la légitimité pour assurer un service d’ordre efficace » ([74]).

Si l’explosion des violences commises à l’occasion des manifestations du printemps dernier interroge l’adaptation des méthodes et moyens de maîtrise de l’ordre, et questionne les outils de police administrative et de judiciarisation des actes commis mis à la disposition de l’État, elle révèle également, selon plusieurs analyses, une forme de distance, voire de défiance envers les organisations syndicales dont ces dernières n’ont pas, hélas, l’exclusivité.

● L’analyse des blocs radicaux impliqués dans les violences et dégradations commises entre mars et mai 2023 montre que la composition des précortèges s’est en grande partie renouvelée.

D’une part, les éléments recueillis par votre rapporteur mettent en lumière la diversification des profils présents au sein des blocs radicaux ou de la nébuleuse. S’ils réunissaient initialement des individus qui ne voulaient pas ou ne voulaient plus manifester sous bannière syndicale, et contestaient aux syndicats la légitimité de défendre leur cause, les précortèges ont depuis accueilli des individus d’horizons très différents dont la présence n’obéit pas aux mêmes motivations. Selon Mme François Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris ([75]), les blocs radicaux ont ainsi agrégé :

– des membres des mouvances de l’ultragauche, autonomes et antifascistes mus par des ressorts idéologiques ;

– des « ultra jaunes », héritiers du mouvement des Gilets jaunes ;

– des jeunes, de lycéens et d’étudiants, pas nécessairement affiliés à une mouvance spécifique, optant pour un mode d’action violent et susceptibles de participer aux exactions aux côtés d’activités aguerris et violents ;

– des groupes de délinquants, auteurs d’infractions opportunistes, qui constituent l’un des faits nouveaux observés à l’occasion de la protestation contre la réforme des retraites, mais demeurent marginaux ([76]).

Parmi les éléments activistes de la sphère contestataire, la direction générale de la police nationale ([77]) signale la présence de militants étrangers venus de Suisse, d’Italie, d’Allemagne, d’Espagne ou encore de Grèce venus prêter main forte à leurs camarades français. De tels déplacements ont été constatés en marge des journées nationales d’action à Paris, ou encore à Strasbourg où une dizaine de militants européens ont été identifiés le 1er mai 2023, préalablement à la tenue de la manifestation.

En termes d’effectifs, les précortèges ont pris une importance variable, selon les lieux et les circonstances. À Paris, le préfet de police Laurent Nuñez évoque ainsi des précortèges compris entre 2 000 et 12 000 personnes ([78]).

D’autre part, il convient sans doute de manier avec précaution l’idée d’un précortège dont les actions auraient répondu à une organisation centralisatrice. En dehors des évènements de Sainte-Soline, les éléments recueillis par votre rapporteur portent plutôt à conclure à l’existence de groupes affinitaires, inégalement structurés, mais susceptibles d’agir en parallèle dans les circonstances créées par le déroulement des manifestations et la confrontation avec les forces de l’ordre.

Selon Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, « l’action de type black bloc, rigide, compacte, en avant de la manifestation, n’est plus la règle. La dernière manifestation de ce type remonte au 1er mai 2018, avec un bloc dur, organisé et homogène » ([79]).

De fait, le scénario des journées de mobilisation contre la réforme des retraites révèle l’existence de modes opératoires et d’une participation aux précortèges différents selon la composition des groupes qui opèrent.

À ce titre, la formation des blacks blocks au sein des précortèges est le fait d’individus très organisés, appartenant à un groupe préconstitué fréquemment issu des mouvances contestataires, ou répondant à un appel lancé sur les réseaux sociaux, souvent présents dès le début de la manifestation, et passant à l’action suivant une attitude opportuniste. La direction générale de la police nationale met en évidence le recours à un certain nombre de techniques éprouvées, du positionnement en tête du cortège au retrait immédiat des fauteurs de trouble dès l’intervention des forces de l’ordre.

Les éléments recueillis rendent également compte d’attitudes extrêmement diverses au moment de la dispersion des cortèges. D’après Mme Françoise Bilancini ([80]), les fins de manifestations comporteraient désormais trois invariants :

– des actions de pillage de jeunes issus des quartiers difficiles, eux aussi habillés en noir ;

– un retrait rapide des membres des mouvances d’ultragauche destiné à éviter les interpellations ;

– un maintien sur les lieux d’ultrajaunes, propice à des dégradations et à des affrontements avec les forces de l’ordre.

Les modes opératoires du black block observés

au cours des manifestations organisées entre le 16 mars et le 3 mai 2023

Au cours des journées nationales d’action contre le projet de réforme des retraites, les individus et groupuscules formant des black bloc dans les précortèges ont recouru aux méthodes suivantes.

– Un positionnement discret en tête de cortège. Dans plusieurs défilés, les groupuscules violents ne se forment pas immédiatement en black bloc. Au départ des manifestations, n’est souvent visible qu’une nébuleuse formée de personnes revêtues de gilets jaunes, pour certaines reconnues comme gilets jaunes « historiques », de sympathisants et d’individus habillés de vestes foncées à capuche et dont le visage est en partie dissimulé par des masques chirurgicaux et des lunettes de piscine. Ce groupe est bruyant, agité, mais dans un premier temps non violent. Il se positionne devant le cortège officiel des syndicats. Il peut être composé de plusieurs centaines de personnes. Environ 2 000 individus situés en tête de cortège ont été observés à Lyon le 1er mai 2023.

– Une formation progressive du black bloc après le départ des manifestations, sans doute afin d’éviter les contrôles préventifs et de compliquer leur identification. La constitution du black bloc est souvent annoncée par des fumigènes noirs, l’ouverture d’un parapluie multicolore, des messages sur les réseaux sociaux cryptés ou tout autre signe de ralliement. Un groupe compact se forme alors dans la nébuleuse de tête. Des individus changent de tenue pour s’habiller de noir et cachent leur visage.

– Des techniques de dissimulation. Les méthodes employées comportent l’utilisation de cagoules, gants, parapluies et banderoles, ainsi que de bâches renforcées. Si elle n’est pas nouvelle, cette dernière technique a évolué dans sa confection et son utilisation tactique, avec une stratégie concertée des manifestants violents. Elle permet de masquer un groupe conséquent. Cette bâche est dorénavant renforcée par des morceaux de bois rigides voire des clubs de golf, pouvant être extraits des portants pour devenir des armes. Enfin, une ou plusieurs banderoles sont sorties pour protéger le black bloc. Du matériel peut être déposé la veille sur le parcours du défilé.

– Une coordination ponctuelle sur le terrain des manifestations. Des militants en retrait évaluent le dispositif du maintien de l’ordre. Ils communiquent au moyen de talkies-walkies, de passages en trotinettes, voire de drones ([81]) et guident les éléments du bloc. Des chefs de file peuvent être présents dans le bloc pour orienter les plus déterminés, souvent à l’aide de mégaphones.

– La multiplication des feux sur la chaussée. Les feux de poubelles, le « piégeage » de sites ou d’amas de détritus avec des engins incendiaires ont été courants.

Source : réponses aux questionnaires adressés à la direction générale de la police nationale et au service central du renseignement intérieur.

Les représentants des organisations syndicales ont confirmé le caractère propice aux exactions des fins de manifestation, notamment par la voix de M. Cyril Chabanier :

« Ce qui arrive en marge du défilé, dans le précortège ou au point d’arrivée, nous ne le maîtrisons pas. Nous sommes très contrôlés pour accéder au point de rassemblement duquel s’élance la manifestation, même en portant les chasubles et les drapeaux de nos organisations, alors qu’il ne s’y produit aucune violence puisque les affrontements ne commencent jamais avant le début du défilé. Au contraire, il est particulièrement simple de rejoindre le point d’arrivée, parfois même avant le démarrage du cortège. » ([82])

● Les précortèges constitués en marge des journées d’action contre la réforme des retraites ont ainsi été au cœur d’un nombre croissant de violences et de dégradations commises à compter du 16 mars 2023, avec pour points d’orgue les rassemblements du 23 mars et du 1er mai. Le bilan dressé par le service central du renseignement intérieur fait ainsi état d’actions vindicatives, violentes, voire insurrectionnelles, menées par des groupes d’ultragauche locaux, mais également des phénomènes de solidarisation impliquant de jeunes étudiants, des citoyens qualifiés de « déterminés » par les services de police, des ultrajaunes, ainsi que des militants syndicaux radicaux ([83]).

Métropoles, villes moyennes et petites villes affectées par des troubles à l’ordre public en marge de la contestation du projet de réforme des retraites

Dans son état des lieux des violences et dégradations commis en marge des journées d’action, le service central du renseignement territorial signale des troubles à l’ordre public inhabituels dans des villes moyennes ou de petits centres urbains. Peuvent illustrer ce phénomène :

– Charleville-Mézières, le Puy-en-Velay, Morlaix ou encore Épinal, théâtres de dégradations, d’incendies et de confrontations parfois violentes avec les forces de l’ordre ;

– Lorient , ville particulièrement affectée par des violences à l’encontre du commissariat avec tentative d’intrusion et incendie de locaux, ainsi que de la sous-préfecture.

Dans son analyse des manifestations du 17 mars, le service central du renseignement territorial relève qu’à Nantes, la manifestation a rassemblé 6 000 personnes dont 500 manifestants en soutien d’un groupe « à risques » de 150 individus. Les 500 personnes se sont déplacées dans le centre-ville en plusieurs groupes très mobiles, mettant le feu ou renversant des poubelles, courant en tous sens et jouant au jeu du chat et de la souris avec les forces de l’ordre, qui subissaient régulièrement des jets de bouteilles ou autres projectiles. Ces petits groupes mobiles n’apparaissaient pas coordonnés ni structurés, contrairement aux véritables militants de l’ultragauche. Finalement, un regroupement de l’ensemble des personnes souhaitant poursuivre le mouvement au-delà de la manifestation intersyndicale s’est concrétisée à la Croisée des Trams. Les individus les plus hostiles ont érigé une barricade enflammée. Ce groupe hétéroclite était composé d’environ 150 personnes, profils de jeunes 20‑30 ans, avec quelques jeunes issus des quartiers, une poignée d’anciens gilets jaunes non porteurs de la chasuble et qui n’avaient plus été vus depuis de nombreux mois, et quelques personnes plus âgées.

Source : réponses au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial.

Si ces événements ont concerné l’ensemble des grandes agglomérations et villes d’implantation traditionnelle de l’ultragauche, les violences commises au printemps se sont signalées par une extension des territoires de violence, en particulier dans des villes dites moyennes de moins de 50 000 habitants, ainsi qu’à l’échelle de petits ensembles urbains de moins de 10 000 habitants – une donnée qui recoupe les constats établis dans un tout autre contexte, celui des émeutes urbaines de l’été 2023.

Ainsi qu’il ressort de l’ensemble des analyses développées devant la commission d’enquête ([84]), ce mouvement reflèterait une poussée de radicalité dans le contexte du recours à la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution en vue de l’adoption du projet de loi relatif à la réforme des retraites ([85]). Une analyse que confirment les observations formulées par le préfet de police, M. Laurent Nuñez :

« À partir du 16 mars, on constate dans le précortège et dans le bloc des éléments radicaux une montée en puissance de la radicalisation. Ces individus deviennent manifestement beaucoup plus déterminés, mais ils ont été toujours présents. » ([86])

Pour ce qui concerne les villes qui n’avaient jusque-là pas connu d’actions violentes, le service central du renseignement territorial tente d’expliquer la contagion de la radicalité en fonction du contexte local :

– le parasitage des actions locales revendicatives, par des militants engagés dans le combat contestataire, sans pour autant être structurés à l’échelon départemental ou régional, voire par des individus mobiles en capacité d’agir en tout point du territoire ;

– l’exaspération suscitée, dans une partie de l’opinion publique, par le projet de réforme des retraites, son processus d’adoption, et un discours institutionnel perçu comme méprisant ([87]) ;

– la radicalisation de certains syndicalistes ambitionnant de donner plus d’écho à leurs combats locaux, parfois poussés par l’implication déterminée de leurs pairs dans certaines grandes villes ;

– l’implication croissante de groupes d’étudiants dans les manifestations, car si certains étudiants et lycéens politisés ont participé à des actions violentes afin d’exprimer une contestation radicale des institutions d’État, en particulier des forces de l’ordre, d’autres ont procédé par voie de participations affinitaires, parfois très ponctuelles et sans lendemain.

Sur le plan de la sécurité publique, les signalements transmis au rapporteur démontrent un durcissement des affrontements et une violence exacerbée des blocs radicaux immiscés entre les forces de l’ordre et les cortèges syndicaux. Le constat vaut notamment pour la capitale où la « régulation » des précortèges et leur dispersion ont nécessité des interventions dans des conditions de plus en plus difficiles. Marquée par un niveau de violence croissant avec le recours à des armes par destination, la complexité des conditions d’engagement des forces de sécurité ressort clairement des analyses communiquées par le préfet de police, M. Laurent Nuñez :

« Avant le 16 mars, nous intervenions pour ces dispersions et pouvions nous retirer pour laisser le précortège continuer sa route. C’est devenu difficile à compter du 16 mars, et c’est une autre césure : lorsque les forces de l’ordre se retirent désormais, elles sont encore prises à partie, ce qui complique leur déplacement et les conduit souvent à pousser le black bloc pour le faire avancer plus vite et éviter qu’il n’empêche les organisations syndicales de manifester. » ([88])

b.   Les rassemblements spontanés : des mouvements imprévisibles vecteurs d’affrontement

En dehors de la formation récurrente et problématique d’une nébuleuse ou d’un bloc radical en marge des cortèges syndicaux, la prolifération de rassemblements spontanés s’impose comme l’autre facteur majeur des exactions observées en marge du mouvement social, à l’image de la soirée du 16 mars 2023, place de la Concorde et devant l’Hôtel de ville de Paris.

Non déclarés, ces rassemblements, ayant abouti à des déambulations dans les centres urbains, soit à la suite de journées d’actions organisées par les syndicats, soit en réaction avec les évènements qui ont scandé l’examen et l’adoption du projet de loi de réforme des régimes de retraite ([89]), révèlent un profil des participants assez hétérogène ([90]) :

– manifestants ayant pris part aux cortèges syndicaux, se qualifiant de « citoyens en colère », et parfois entraînés par des individus masqués et vêtus de noir ;

– membres de l’ultragauche, quoique peu présente, selon la direction du renseignement de la préfecture de police, aux rassemblements spontanés de la Place de la Concorde et de l’Hôtel de Ville le 16 mars 2023 ;

– « ultrajaunes » ;

– lycéens et autres jeunes individus.

Au-delà des rassemblements spontanés parisiens, l’ensemble du territoire national ([91]) a connu des troubles à la suite des deux tournants du mouvement de protestation contre la réforme des retraites que sont l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le projet de loi, le 16 mars, et la décision du Conseil constitutionnel sur le texte adopté par le Parlement, le 14 avril suivant.

Du point de vue de la sécurité publique, les déambulations et les attroupements ont suscité des difficultés croissantes de maintien de l’ordre, certains mouvements occasionnant des dégradations d’ampleur inégale. Ainsi que le montrent les signalements transmis à votre rapporteur à propos des journées du 17 et du 24 avril 2023, les rassemblements ont pu prendre des formes très diverses, s’accompagner de dégradations et violences, évoquant la pratique de certaines composantes du mouvement des Gilets jaunes, à propos desquelles l’ancien préfet de police de Paris, M. Didier Lallement, souligne s’être alors « trouvé dans la situation paradoxale d’être le principal organisateur des manifestations car il n’y avait aucun service d’ordre » ([92]).

Les deux séquences des Gilets jaunes et des manifestations contre la réforme des retraites se distinguent toutefois en termes de dommages et de préjudices occasionnés. S’agissant du mouvement des Gilets jaunes, le préfet de police Laurent Nuñez souligne que « […] les individus, quoique moins nombreux, étaient beaucoup plus portés à l’action violente, qui relevait d’ailleurs presque d’un mode d’expression. Nous n’atteignons ainsi pas le même niveau de violence et les dégradations sont sensiblement moindres qu’à cette époque » ([93]).

Toutefois, les éléments recueillis par votre rapporteur mettent en exergue des risques accrus pour la sécurité publique, compte tenu de la dispersion des mouvements et de la nécessité d’assurer la présence des forces de l’ordre face à des éléments très mobiles, dans un contexte de tension extrême. Il en va ainsi tout particulièrement à Paris, ainsi qu’il ressort de l’analyse de M. Laurent Nuñez :

« Nous étions alors dans la période de grève de la collecte des ordures ménagères et de nombreux cas de mise à feu de poubelles ont été recensés, générant des risques de propagation voire des propagations avérées vers des immeubles. Ces cortèges sauvages se sont dispersés dans les rues de la capitale en plusieurs endroits. Ils ont commis de nombreuses exactions. C’est souvent lors de celles-ci que nous avons été obligés d’interpeller des groupes d’individus car ils commettaient des violences […]. » ([94])

La dynamique des rassemblements spontanés
en marge du mouvement de contestation de la réforme des retraites

Pour la journée du 17 avril 2023, les dégradations et violences recensées par le service central du renseignement territorial consistent en :

– des barricades et incendies de poubelles à Marseille ;

– une tentative d’incendie de la porte d’entrée de la préfecture à Caen ;

– de multiples incendies de poubelles, l’usage de mortiers sur les forces de l’ordre et la tentative d’incendie d’un poste de police à Bordeaux : le service central du renseignement territorial signale l’organisation d’une manifestation non déclarée dans le centre-ville qui a réuni jusqu’à 1 900 personnes. Ce cortège a défilé de façon erratique, renversant et incendiant des poubelles sur son passage. Ces actes de dégradation et provocation ont été effectués par un groupe d’individus à risque placé dans un premier temps en tête de cortège.

À 17h20, un groupe de 200 manifestants est signalé devant la mairie. Certains, amassant des poubelles devant le bâtiment pour y mettre le feu, étaient dispersés par les forces de l’ordre. De nombreux slogans hostiles à la police ont été scandés et des fumigènes jetés. Des petits groupes étaient dispersés dans plusieurs rues, certains groupes masqués, profils « black blocs » ou « ultra jaunes ». Neuf interpellations ont été recensées lors de ce rassemblement.

– des dégradations de vitrines, incendies de poubelles, jets de projectiles sur l’hôtel préfectoral à Saint-Étienne ;

– un incendie devant le poste municipal et la mairie du 1er arrondissement à Lyon ;

– des tirs de mortiers vers des forces de l’ordre et des incendies de poubelles à Rouen.

Pour la journée du 24 avril 2023, on recense :

– des jets de projectiles à l’encontre des forces de l’ordre par un groupe hostile d’environ 300 personnes à Lyon, et d’autres dégradations sur les commerces ou les véhicules témoignant d’une hostilité envers les symboles du capitalisme ;

– l’incendie de poubelles, dont l’une devant la permanence d’un député, et des tirs de projectiles contre les policiers à Saint-Étienne ;

– la déambulation d’un groupe de 150 personnes masquées et l’incendie d’une poubelle à Grenoble.


On rappellera également qu’à la suite de l’annonce de la décision du Conseil constitutionnel, plusieurs collectifs citoyens, des organisations syndicales (CGT et Solidaires) et plusieurs formations politiques (La France insoumise, le Parti communiste français, Europe Écologie Les Verts) ont organisé des rassemblements en signe de protestation devant les préfectures et les mairies les 17 et 24 avril 2023. Le service central du renseignement territorial recense 172 actions rassemblant plus de 24 000 personnes le 17 avril et 170 actions rassemblant 11 000 personnes le 24 avril.

Source : réponses au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial.

c.   Des violences et des affrontements rattachés à l’ultradroite

Les éléments recueillis par votre rapporteur soulignent la portée des actions imputables à des mouvements classés à l’ultradroite. Au regard de la sécurité publique et de la paix civile, leurs initiatives ont créé des foyers de tensions, voire se sont soldées par des violences et des dégradations.

● En premier lieu, le bilan de la période allant du 16 mars au 3 mai 2023 met en lumière le rôle de ces mouvements dans les affrontements survenus au sein de certaines universités, dans le contexte créé par la contestation de la réforme des retraites ([95]). Des établissements ont ainsi été le théâtre de tensions et de rixes entre, d’un côté, des mouvements d’extrême gauche ayant parfois provoqué la suspension des cours et occupé les locaux et, de l’autre, des groupes d’ultra droite enclins à des opérations de « déblocage ». D’après le recensement du service central du renseignement territorial, de tels faits ont été observés à :

– Sciences Po Reims le 15 mars 2023,

– l’Université Paul Valéry de Montpellier le 23 mars 2023,

– l’Université Lyon III, avec une rixe opposant les militants du collectif antifasciste La Jeune Garde et l’ultradroite identitaire le 28 mars 2023 ;

– la faculté de lettres de Nice le 28 mars 2023, ainsi qu’à

– la faculté de lettres d’Aix-en-Provence le 30 mars 2023, où une quinzaine d’individus ont lancé des fumigènes au-dessus des grilles d’accès au bâtiment en criant « Aix nationaliste ! ».

● En second lieu, des signalements attestent d’une implication de militants d’extrême droite dans des actions visant des manifestants et des parlementaires, en raison de leurs prises de position dans les manifestations ou dans le débat sur la réforme des retraites.

Ainsi, il ressort des informations transmises à votre rapporteur que le mouvement royaliste Action française a manifesté de manière active son opposition à la réforme des retraites, par le biais des réseaux sociaux et en revendiquant la présence de ses militants dans la rue, sous le mot d’ordre « avec le pays réel contre #Macron et sa réforme inique ! » ([96]).

Le groupe s’est également illustré dans des actions visant des responsables politiques à travers le pays.

Signalements concernant les initiatives de militants de l’Action française
pendant la contestation de la réforme des retraites

Le 24 mars 2023 à Nancy, un groupe d’une trentaine d’individus s’en est pris aux participants d’une manifestation contre la réforme des retraites, avant d’être mis en fuite par les forces de l’ordre.

Le 25 mars 2023 à Nice, trois membres des Jeunesses communistes porteurs de drapeaux rouges siglés « JC » ont été pris à partie par quatre individus à l’issue d’une manifestation en opposition à la réforme des retraites.

Le 26 mars 2023, la permanence du député de la première circonscription de la Gironde, M. Thomas Cazenave, a été couverte par six affiches hostiles à la réforme des retraites. L’action a été revendiquée sur le compte Instagram d’Action française Bordeaux.

Le 31 mars 2023 à Pessac, une dizaine de militants d’Action française Bordeaux se sont rassemblés devant la permanence du député de la septième circonscription de la Gironde, M. Frédéric Zgainski, déployant une banderole « Réforme des retraites, vous aurez du sang sur les mains ».

Le 1er avril 2023 à Pau, six militants d’Action française Pau ont déployé une banderole « République antisociale » devant la permanence de la députée de la première circonscription des Pyrénées-Atlantiques, Mme Josy Poueyto.

Source : réponse au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial.

2.   Le phénomène émergent : des radicalités violentes au nom de l’urgence climatique

Même si elles ont été éclipsées par les affrontements survenus en marge de la contestation de la réforme des retraites, les violences ayant entouré la défense de causes environnementales constituent l’autre fait marquant parmi les évènements examinés par la commission d’enquête. Certes, une grande majorité des rassemblements et des manifestations organisée autour de la cause environnementale n’ont occasionné ni violences, ni dégradations. Le constat s’impose toutefois : l’urgence climatique nourrit l’émergence de nouvelles radicalités dont les violences et les dégradations survenues à Sainte-Soline sont une illustration frappante.

a.   Des mouvements revendicatifs non sans précédents

La période courant du 16 mars au 3 mai 2023 se caractérise par la contestation de projets d’aménagements, notamment d’infrastructures de transports : contournements d’agglomération, nouvelles autoroutes en construction, équipements conçus à des fins de développement de l’activité économique, au premier chef à vocation agricole.

S’ils constituent des faits isolés, la violence et les dégradations observées au cours de certains rassemblements pour la défense de l’environnement s’inscrivent néanmoins dans une séquence historique. Ainsi que l’a souligné M. Alain Bauer, criminologue et professeur au Conservatoire national des arts et métiers, les modalités de la contestation ne présentent pas un caractère surprenant à la lumière des conflits qui ont entouré le projet de construction d’un camp militaire au Larzac dans les années 1970, de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ou encore la construction du barrage de Sivens (Tarn) au cours des années 2000 à 2019 ([97]).

Il ressort des travaux de la commission d’enquête que des mouvances parfois radicales placent volontiers leurs luttes dans la continuité de ces conflits. De ce point de vue, le précédent de la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes exerce une influence prégnante, sorte de mythe fondateur, tant sur le plan de la conception des luttes et de leurs finalités que des modes opératoires employés. Ainsi que le constatent MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin dans leur analyse des milieux éco-activistes, « depuis 2014, date des premières marches pour le climat et du point culminant de la mobilisation de Notre- Dame-des-Landes, le mouvement écologiste s’est renouvelé et transformé pour créer une toile de collectifs interconnectés. » ([98]).

Le général Christian Rodriguez confirme la recrudescence de troubles à l’ordre public motivés par des considérations environnementales, jadis exceptionnels, et les conséquences qu’en tire progressivement la gendarmerie nationale :

« Si j’en reviens à Sainte-Soline, il faut chercher loin pour relever du maintien de l’ordre dit rural, hors des grandes villes. Cela s’est vu par le passé : nous avons relevé il y a quelques années une augmentation des actions contre les grands projets, comme à Sivens. Je ressens aujourd’hui une forme d’accélération au point que la contestation devient quasi systématique. » ([99])

b.   La marche sur Sainte‑Soline : point d’orgue ou évènement fondateur ?

Les évènements violents survenus le 25 mars 2023 à Sainte-Soline marquent incontestablement un tournant, la ruralité devenant un nouveau théâtre de combat pour des activistes cherchant à s’emparer de la cause environnementale. La manifestation organisée contre la construction d’une « mégabassine » dans cette petite commune des Deux-Sèvres, si elle s’inscrit dans une revendication locale, a connu un important retentissement en raison de l’âpreté et de l’extrême violence des affrontements ayant opposé une partie des cortèges qui ont atteint le site aux forces de l’ordre. Pour le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Christian Rodriguez, « Sainte-Soline a été une sorte de catalyseur médiatique de la violence assumée » ([100]).

Ces évènements donnent lieu aujourd’hui à la construction de « récits » antagonistes et font l’objet de procédures judiciaires dont le procès tenu devant le tribunal judiciaire de Niort, le 8 septembre 2023, constitue l’un des volets ([101]). Il importait donc que la commission d’enquête puisse établir et consigner des faits objectifs quant aux conditions du maintien de l’ordre à Sainte-Soline, attendu que ni sa mission, ni son rôle ne consistent à évaluer le bien-fondé du projet de retenue de substitution. À cet effet, le président et votre rapporteur, ainsi qu’une délégation de la commission d’enquête, se sont rendus sur les lieux. Cette visite et les travaux menés à Paris permettent de retenir les éléments suivants.

i.   Un projet de retenue de substitution à l’origine de profonds clivages locaux et ayant déjà donné lieu à de violentes épreuves de force

Le rassemblement organisé le 25 mars 2023, à Sainte-Soline, visait officiellement, selon ses promoteurs, à accéder autant au site qu’à l’infrastructure de la retenue d’eau elle-même (dit SVE 15) en cours de construction ([102]). D’après M. Benoit Jaunet, porte-parole de la Confédération paysanne des Deux-Sèvres ([103]), l’objectif de la marche « était d’alerter sur la question de la préservation et du partage de l’eau, mis à mal par la construction des mégabassines ».

Avec Mauzé‑sur‑le‑Mignon notamment, la « mégabassine » de Sainte‑Soline constitue l’une des seize réserves d’eau dont l’aménagement est prévu dans le bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon. Ainsi que l’a souligné M. Thierry Boudaud, président de la Société coopérative anonyme de l’eau des Deux‑Sèvres ([104]), le projet participe de la mise en œuvre du « protocole d’accord pour une agriculture durable dans le territoire du bassin Sèvre niortaise-Mignon » conclu le 18 décembre 2018 et reflétant un compromis entre les différentes parties prenantes ([105]). Les travaux de construction de la « mégabassine » de SainteSoline ont été dès lors autorisés par un arrêté préfectoral du 23 octobre 2017, modifié par un nouvel arrêté du 20 juillet 2020 ([106]).

LA RETENUE D’eau de saintesoline

Source : Stéphane Mahe, Reuters (par Le Figaro avec l’AFP).

Les projets de retenues de substitution ont toutefois suscité, depuis leur lancement, d’âpres contestations quant à leur opportunité et à leur impact sur la disponibilité de la ressource. D’un côté, leurs détracteurs dénoncent un accaparement de l’eau destiné à l’agro-industrie, ainsi qu’une « fuite en avant » du modèle agricole productiviste. De l’autre, leurs soutiens décrivent un aménagement indispensable à la préservation des activités agricoles, dans un territoire caractérisé par les sols calcaires et exposé à des dérèglements climatiques qui obèrent son approvisionnement en eau.

De fait, les évènements de Sainte-Soline interviennent dans la continuité d’un contexte ancien marqué par un débat profondément conflictuel sur les moyens de répondre aux besoins en eau de l’agriculture locale.

Cette opposition s’est traduite par l’engagement, devant la juridiction administrative, de contentieux dont l’issue demeure à ce jour incertaine.

Les procédures en cours devant le juge administratif contre le projet de construction de retenue de substitution à SainteSoline

Le projet de retenue de substitution à Sainte-Soline a donné lieu à deux sortes de procédures devant les juridictions administratives à l’initiative de l’association Nature environnement 17 et de nombreuses autres associations de défense de l’environnement : d’une part, des recours contestant les études d’impact et, d’autre part et surtout, la mise en cause de la légalité des arrêtés préfectoraux autorisant la construction.

Par un jugement en date du 17 mai 2021, le tribunal administratif de Poitiers a d’abord écarté les requêtes relatives au caractère supposé insuffisant de l’étude d’impact et de l’étude d’incidence environnementale. En revanche, il a jugé que les volumes de prélèvement autorisés pour neuf réserves n’avaient pas été fixés d’une manière conforme aux règles du schéma d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de Sèvre niortaise-Marais poitevin.

Aux termes du jugement rendu le 11 avril 2023, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté les contestations exprimées contre le projet de retenue de substitution tel que prévu à la suite de l’arrêté modificatif du 20 juillet 2020. Ainsi qu’il a été confirmé au rapporteur au cours du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête dans les Deux-Sèvres, les associations requérantes ont interjeté appel des deux jugements devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.

Source : commission d’enquête.

En parallèle, et ce depuis l’année 2021, les différents projets engagés dans les Deux-Sèvres, et plus largement dans le Marais poitevin, ont suscité des manifestations parfois émaillées d’affrontements, ainsi que de multiples débordements.

Il en va ainsi du chantier de la retenue de substitution aménagée à Mauzé‑sur‑le‑Mignon. Comme l’ont rappelé des élus locaux et des représentants de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres ([107]), l’ouvrage a subi des dégradations le 21 septembre 2021, à la suite d’une manifestation organisée initialement à Niort, en marge du congrès de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Des manifestants ont alors envahi le site, endommageant une bâche de protection et une pelleteuse face aux caméras : plusieurs gendarmes ont alors essuyé des tirs de projectiles ([108]).

De manière générale, il ressort des éléments communiqués par la préfète des Deux-Sèvres qu’avant la marche de Sainte‑Soline, « il y avait déjà eu des violences avec plusieurs gendarmes blessés […] et des dégradations lors des précédents rassemblements des mêmes organisateurs » ([109]). Parmi les incidents notables, on peut citer :

– les heurts violents survenus le 6 novembre 2021 entre les forces de l’ordre et un cortège de 2 000 manifestants qui, s’étant détourné de son itinéraire, avait attaqué la retenue de substitution de Cram-Chaban (Charente-Maritime). D’après M. Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci !, cette dégradation aurait constitué une simple réaction aux obstacles mis par les forces de l’ordre au bon déroulement de la manifestation ([110]) ;

– l’irruption par la force d’activistes, le 15 janvier 2022, dans un périmètre interdit à la manifestation, les forces de l’ordre ayant dû s’interposer afin d’éviter la confrontation avec des membres de la Coordination rurale venus en découdre ;

– les dommages causés à une station de pompage et à un tuyau d’alimentation en eau le 26 mars 2022, en marge d’un rassemblement de 5 000 personnes.

D’après le ministre de l’intérieur, le préjudice des nombreuses dégradations « se chiffrait à plusieurs centaines de milliers d’euros » ([111]).

Un tel climat de tension a pu également se matérialiser par des actes de vandalismes commis contre des exploitations agricoles. Suivant le témoignage des représentants de la chambre départementale d’agriculture, des dégradations ont été constatées régulièrement dans les deux jours qui précédaient les manifestations hostiles à l’aménagement de retenues de substitution, tels que l’arrachage, en mars 2022, d’un tuyau et d’un équipement d’irrigation chez un agriculteur qui venait de l’installer ([112]).

Les violences observées à l’occasion de la marche du 25 mars 2023 contre le projet de retenue de substitution à Sainte-Soline ne sont d’ailleurs pas sans précédent. Un premier rassemblement avait été organisé sur le site, le 29 octobre 2022, à l’appel du collectif Bassines non merci ! et des Soulèvements de la Terre. Malgré l’arrêté d’interdiction édicté par la préfecture des Deux-Sèvres, il avait réuni de l’ordre de 4 000 à 7 000 personnes, réparties en trois cortèges ([113]), en présence de nombreux participants élus ([114]).

Après avoir forcé les grilles de protection, plusieurs individus avaient accédé au chantier de construction. Suivant un scénario identique à celui du 25 mars 2023, la tentative d’entrée dans son périmètre avait entraîné des affrontements avec les effectifs de gendarmerie déployés sur le terrain ([115]), confrontation marquée par des échanges de tirs de grenades et de projectiles divers. À l’issue de la journée, étaient dénombrés 61 blessés parmi les gendarmes, dont 22 touchés grièvement ([116]), et une cinquantaine de blessés parmi les participants au rassemblement, dont dix pris en charge par les pompiers et cinq hospitalisés ([117]).

Selon M. Bertrand Baud, directeur départemental de la sécurité publique des Deux-Sèvres ([118]), cette situation s’explique par la mutation de la sociologie et de l’inspiration du mouvement d’opposition aux retenues de substitution, les associations locales de défense de l’environnement étant rejointes par des structures aux motivations plus politiques et radicales : « Le mouvement anti retenue de substitution s’est radicalisé à mesure qu’il était progressivement repris par des organisations d’ultra gauche et écolo radicales rompues aux techniques de violences collectives [comme les] Soulèvements de la Terre. Au-delà de la contestation écologique, ces manifestations ont rassemblé au fil du temps plus largement toutes formes de mouvances contestataires de nature anarcho-libertaire. […] L’appropriation de la thématique environnementale par les mouvances d’ultragauche a eu pour conséquence que les Soulèvements de la Terre, après leur combat gagné contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, [viennent] se joindre à Bassines non merci ! pour renforcer et appuyer leur structure dans l’organisation de la contestation. [Le groupe] Soulèvements de la Terre a donc progressivement mis à disposition sa logistique (chapiteaux…), son savoir-faire sur l’organisation de grands rassemblements contestataires et sur les techniques de désobéissance civile, ses réseaux... au profit du petit collectif local initial. Cette PME de la contestation antibassines s’est finalement faite phagocyter en quelque sorte par la grande nébuleuse des Soulèvements de la Terre qui est aujourd’hui à la manœuvre et qui ne laisse plus qu’une petite place à Bassines non merci ! qui, sans les Soulèvements de la Terre, ne représente localement que quelques dizaines de sympathisants (toujours les mêmes depuis le début). »

Cette analyse porte à conclure que les structures locales ont accueilli, voire sollicité, l’expérience des Soulèvements de la Terre, tant pour la visibilité des méthodes d’action que pour leur pratique d’actions radicales. Ce mouvement a par conséquent été associé à la contestation locale dans une démarche de « convergence des combats », au prix de l’extrémisation – recherchée et assumée – des méthodes.

Cet état des lieux tend à corroborer les indications apportées à la commission d’enquête par nombre d’acteurs locaux pour qui la manifestation organisée à Niort, au mois de septembre 2021, avait marqué l’apparition d’une nouvelle catégorie d’activistes, en particulier au sein du convoi dit « des tracteurs » qui se dirigeait alors vers la commune de Mauzay‑sur‑le‑Mignon ([119]).

ii.   Une manifestation non déclarée suscitant des tensions croissantes et une polarisation médiatique

L’organisation de la « marche » du 25 mars 2023 contre le chantier de la retenue de substitution de Sainte‑Soline trouve son origine dans l’appel lancé, dès le 12 janvier 2023, par les Soulèvements de la Terre, Bassines non merci ! et la Confédération paysanne, en vue d’une « manifestation internationale anti-bassine le 25 mars prochain dans le Poitou-Charentes ». Relayé par des tracts, des affichages et des messages diffusés sur les réseaux sociaux, l’appel invitait à participer à une opération intitulée « 25/26 mars – Poitou – Pas une bassine de plus –Mobilisation internationale pour la défense de l’eau ».

Extraits du tract diffusé le 12 janvier 2023 appelant à la manifestation

à Sainte-Soline le 25 mars 2023

« Il faut maintenant faire en sorte que ce refus aboutisse. Tant que les chantiers continuent, tant que le gouvernement, inféodé aux lobbys et multi-nationales de l’agro-chimie se refuse à un moratoire, tant que la question du partage de l’eau ne sera pas remise au cœur du débat, le mouvement va devoir encore se renforcer. Nous appelons donc à une manifestation internationale anti-bassines le 25 mars prochain dans le Poitou-Charentes. Cette manifestation aura de nouveau pour enjeu d’impacter concrètement les projets de bassines et leur construction, à Sainte‑Soline, Mauzé-sur-le-Mignon ou ailleurs... Elle pourra se déployer aussi vers les lieux de pouvoir où ces projets sont échafaudés.

L’appel à cette mobilisation est porté par un ensemble d’associations, syndicats, partis, ONG, fermes et collectifs... Que ce soit face à la réforme des retraites ou aux méga-bassines, il nous faut désormais faire primer la mise en commun et la solidarité, et mettre fin à la mainmise croissante d’une minorité sur les ressources vitales et les richesses.


Puisque le gouvernement passe en force, puisqu’il y a plus que jamais urgence à protéger l’eau, les terres nourricières et à faire obstacle à la fuite en avant du modèle agro-industriel, nous ne doutons pas un seul instant être encore beaucoup plus nombreux·ses et tout aussi déterminé·es à nous retrouver le 25 mars.

Ce large rassemblement fera aussi la place à des temps de convergences pour construire d’autres projets de territoires ainsi qu’à de beaux moments de fêtes pour célébrer la résistance. Dans le sillage de la journée mondiale de l’eau du 22 mars et à l’occasion de cette manifestation, le Poitou sera aussi un lieu de convergence de délégations internationales venues de régions du monde en lutte pour la défense de l’eau et la protection des communs ».

Source : site internet du collectif Bassines non Merci !

Annoncé deux mois et demi avant son organisation au mois de mars 2023, le projet de manifestation n’a pourtant pas fait l’objet d’une déclaration auprès de la préfecture des Deux-Sèvres, en contrariété avec les prescriptions légales ([120]). Il est d’ailleurs établi que les trois associations et groupements identifiés comme organisateurs ont laissé sans réponse la correspondance que leur adressait, dès le 10 mars 2023, la préfète du département ([121]). Mme Emmanuelle Dubée y affirmait que le rassemblement annoncé serait interdit au vu des violences ayant émaillé de précédentes mobilisations, en particulier à l’automne 2022, autour de revendications identiques. Elle invitait les organisateurs à exposer les dispositions qu’ils comptaient prendre pour la bonne tenue d’une éventuelle manifestation, y compris sur le plan de l’organisation des secours ([122]).

Devant la volonté publiquement affichée par les organisateurs de maintenir leur rassemblement ([123]), la préfète des Deux-Sèvres a pris un arrêté d’interdiction de manifester le 17 mars 2023 ([124]). Celui-ci proscrivait les manifestations, les attroupements et les rassemblements revendicatifs entre le vendredi 24 mars à 20 heures et le dimanche 26 mars 2023, dans un périmètre délimité autour de Mauzé‑sur‑le‑Mignon et Sainte‑Soline, à l’appui de plusieurs motivations reproduites ci-après.

Au-delà de l’arrêté préfectoral d’interdiction, la préfète des Deux‑Sèvres a également édicté des mesures de contrôle tendant à prévenir des déplacements de personnes, la circulation de véhicules et l’usage de produits ou d’objets susceptibles de constituer un risque pour le maintien de l’ordre public. Ces dispositions devaient s’appliquer, selon le cas, entre les 20 et 26 mars, dans un périmètre analogue à celui délimité pour l’interdiction de rassemblement et de manifestations le 25 mars 2023.

Les principales motivations de l’interdiction de manifester

prononcée par l’arrêté de la préfète des Deux-Sèvres

« Considérant, en premier lieu que, les organisations à l’origine de cet appel à manifester sont connues pour leurs incitations à la désobéissance civile ainsi que pour leurs actions radicales et violentes ; qu’elles appellent sans discontinuer les militants à converger massivement sur le territoire des deux Sèvres afin de stopper, par tous les moyens, y compris et notamment la destruction ou la dégradation, le fonctionnement ou la création des retenues de substitution ; […]

« Considérant en deuxième lieu que depuis le début du mouvement d’opposition aux projets de construction, ces provocations à la violence sont largement suivies d’effet lors des manifestations organisées par ces organisations […] ; qu’il apparait ainsi que ce mouvement d’opposition est marqué par une violence croissante, à la fois contre les biens et contre les personnes ;

« Considérant en troisième lieu que les annonces largement diffusées sur les réseaux sociaux concernant l’organisation d’une manifestation non déclarée les 25 et 26 mars 2023, confirment que les responsables de ces organisations entendent de nouveau recourir à des procédés violents pour exprimer leurs revendications ; […] que les organisateurs ont également diffusé des consignes permettant aux manifestants de s’équiper et de se constituer en groupes dans un but d’affrontement avec les forces de l’ordre ;

« Considérant en quatrième lieu que les déclarations des organisateurs laissent présager un mouvement de grande ampleur, avec la venue de manifestants issus d’autres départements voire d’autres pays […] ;

« Considérant en dernier lieu qu’un communiqué de presse commun du syndicat de la confédération paysanne et des collectifs « Les soulèvements de la Terre » et « Bassines non merci » en date du 10 mars a annoncé le maintien des manifestations en réponse au courrier de la préfète du 9 mars enclenchant la procédure contradictoire […]


« Considérant qu’il ressort de l’ensemble de ces éléments que les organisateurs de la manifestation non déclarée prévue les 25 et 26 mars assument le recours à la violence, dans le cadre d’une mobilisation massive rassemblant des manifestants venus d’autres régions de France et d’Europe ; qu’il est également établi, compte tenu de la communication annonçant la manifestation et des appels des organisateurs à commettre des destructions et des dégradations de biens, et à affronter les forces de l’ordre, comme ce fut le cas antérieurement, que l’objet même du rassemblement envisagé constitue une provocation à commettre des délits ; que cette mobilisation fait également naître un risque important d’affrontement avec les agriculteurs, lassés des appels à la destruction des retenues de substitution, qui souhaitent protéger leur outil de travail et également d’affrontement violents avec les forces de l’ordre […]. »

Source : arrêté du 17 mars 2023.

 

Les mesures de maintien de l’ordre prises par la préfète des Deux-Sèvres
dans les jours précédant la marche à Sainte-Soline

Les mesures complétant l’interdiction des manifestations et rassemblement organisés les 25 et 26 mars 2023 sur les territoires et autour de Sainte-Soline et Mauzay-sur-le-Mignon procèdent de sept arrêtés publiés entre le 17 et le 22 mars 2023 :

– un arrêté du 17 mars 2023 portant interdiction de port et de transport d’armes, de munitions et objets pouvant constituer une arme par destination, du lundi 20 mars au lundi 27 mars inclus, dans le sud du département des Deux-Sèvres ;

– un arrêté du 17 mars 2023 portant interdiction temporaire de vente, transport et utilisation d’artifices et carburant au détail, acides, produits inflammables, chimiques ou explosifs, pour la même durée et sur le même périmètre que le précédent ;

– deux arrêtés des 20 et 21 mars 2023 portant interdiction de survol des zones concernées par des rassemblements de personnes ;

– un arrêté du 21 mars 2023 portant interdiction de circulation d’engins agricoles et porte-chars, du 24 mars à 8 h 00 au 26 mars à 20 h 00, sur un périmètre plus large autour de Sainte-Soline d’une part et de Mauzé-sur-le-Mignon d’autre part ;

– deux arrêtés du 22 mars 2023 visant à interdire tout rassemblement de type rave parties et transport de matériel de son du 24 mars 20 h 00 au 26 mars 20 h 00 dans tout le département ;

– un arrêté du 22 mars 2023 portant interdiction de circuler pour tout véhicule du samedi 25 mars à 7 h 00 au dimanche 26 mars à 20 h 00, sur certains axes autour de Mauzé-sur-le-Mignon et un périmètre autour de Sainte-Soline.

Source : réponse de la préfète des Deux-Sèvres au questionnaire du rapporteur.

Votre rapporteur note que l’arrêté préfectoral portant interdiction de manifester n’a fait l’objet d’aucun recours devant la juridiction administrative de la part des organisateurs. M. Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci !, a pourtant souligné, devant la commission d’enquête, que « ces arrêtés préfectoraux d’interdiction de manifestation, souvent pris dans l’urgence, sont attaquables » ([125]). Seuls ont été contestés, dans le cadre de référés-libertés finalement rejetés dès le 24 mars 2023 par le tribunal administratif de Poitiers :

– l’arrêté du 17 mars 2023 portant interdiction de port et de transport d’armes, de munitions et objet pouvant constituer une arme par destination ([126]) ;

– l’arrêté du 22 mars 2023 portant interdiction de circulation d’engins agricoles et porte chars ([127]).

Au vu de la chronologie des évènements, et des positions publiques adoptées par chacun des acteurs, votre rapporteur formule deux observations. D’une part, les organisateurs du rassemblement interdit ont déployé une stratégie de recours juridictionnels étonnamment sélective, refusant d’attaquer l’arrêté d’interdiction de manifester. D’autre part, les slogans appelant à manifester, les violences commises à l’occasion des précédents rassemblements laissent supposer une montée en tension particulièrement réfléchie de la part des organisateurs. Dès lors, la confrontation s’est affirmée comme l’un des buts recherchés par les organisateurs.

iii.   Une confrontation rendue inévitable par le positionnement de certains protagonistes

● Les éléments recueillis par votre rapporteur permettent de conclure à l’orchestration, par les organisateurs, d’un refus délibéré de dialogue avec l’autorité administrative, en amont de la manifestation du 25 mars 2023.

Outre l’absence de déclaration requise en préfecture, il apparaît que les organisateurs de la manifestation interdite ont en effet répondu négativement à toute solution alternative. Les éléments transmis à votre rapporteur ([128]) montrent que la préfète des Deux-Sèvres a ainsi invité la Confédération paysanne des Deux-Sèvres « à déclarer une manifestation compatible avec la législation, respectant l’ordre public et la sécurité des personnes, gendarmes comme manifestants », en l’occurrence le défilé d’un cortège de tracteurs. Après une série de conversations téléphoniques à l’initiative de Mme Emmanuelle Dubée, entre la soirée du vendredi 17 mars et la fin de matinée du mardi 21 mars, ces propositions ont été repoussées par le représentant de la Confédération paysanne.

D’autre part, le témoignage de chacune des parties atteste du refus délibéré des organisateurs d’un dialogue minimal, dialogue pourtant nécessaire pour limiter les risques inhérents à un grand rassemblement, qui plus est interdit.

Cette attitude tranche, très nettement, avec les échanges nourris, construits, acceptés par chacune des parties, qui ont prévalu dans l’organisation, des manifestations contre la réforme des retraites portées par l’intersyndicale. En soi, elle dénote l’absence de volonté de coopération pour concilier liberté de manifester et ordre public, ainsi que la volonté d’orchestrer un rassemblement voué à de graves débordements.

S’agissant du maintien de l’ordre, M. Bertrand Baud, directeur départemental de la sécurité publique des Deux-Sèvres, souligne ainsi que « des contacts avec certains organisateurs ont été pris notamment par le SDRT 79 ([129]) mais il demeurait compliqué voire impossible d’entrer en contact avec d’autres (BNM ([130]) notamment) » ([131]). Cette observations fait écho aux constats livrés aux membres de la commission d’enquête par les officiers de la gendarmerie nationale chargés des opérations lors de la visite du site de Sainte‑Soline ([132]). D’après le général Samuel Dubuis, commandant la région de gendarmerie Nouvelle‑Aquitaine et la zone de sécurité Sud-ouest, les tentatives d’identifier des interlocuteurs soucieux de coopérer à l’anticipation des risques sécuritaires liés aux animations des 24 et 25 mars 2023, de même que les tentatives d’établir des contacts sur les lieux mêmes du rassemblement – démarches indispensables pour garantir l’échange d’informations pendant le déroulement des manifestations, en termes de maintien de l’ordre comme de prise en charge des blessés éventuels – se sont heurtées à des organisations « hermétiques ».

S’agissant, en effet, de l’organisation des secours, l’absence de relation établie entre les services de l’État et les organisateurs a empêché la formalisation d’un véritable dispositif prévisionnel. En amont de la manifestation du 25 mars, aucune modalité pratique n’avait, de ce fait, pu être convenue avec les organisateurs pour l’évacuation des blessés et la délimitation de zones à partir desquelles ils pourraient être transportés hors du site du rassemblement interdit. Seule une réunion de la commission de sécurité a pu se tenir, à l’initiative des services de l’État, le mardi 21 mars – ce que confirme M. Jérémie Fougerat, membre du collectif Bassines non merci !, par ailleurs médecin responsable du dispositif sanitaire de Melle, selon lequel « [é]taient présents les services de la préfecture, le Samu, les pompiers, les gendarmes, la mairie de Melle et une délégation des organisateurs » ([133]).

Il apparaît ainsi à votre rapporteur que la volonté des organisateurs de rompre avec des principes et des usages qui prévalent dans l’organisation des mouvements revendicatifs constitue un choix assumé par les responsables des structures à l’origine de l’appel à manifester à Sainte‑Soline. Revendiquée, cette rupture se justifiait, selon la position défendue par M. Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non Merci !, par le fait que « […] pendant les cinq premières années, nous avons organisé de nombreuses manifestations déclarées. Cela donnait lieu à des rencontres avec les services chargés du maintien de l’ordre, notamment pour établir les parcours. Il y a eu un schisme dans notre relation avec l’État à la suite d’une première manifestation en septembre et d’une deuxième en octobre 2021 à Mauzé-sur-le-Mignon. » ([134])

● L’enchainement des évènements préalables au rassemblement de Sainte-Soline met également en lumière une dégradation progressive du climat politique et psychologique quelques jours avant la date prévue du rassemblement, donnant lieu à des préparatifs et des actions peu conformes à l’ambition affichée d’un rassemblement apaisé et pacifique.

Sur le fondement des arrêtés préfectoraux pris entre le 17 et le 22 mars 2023, le dispositif de maintien de l’ordre décrit par les officiers de la gendarmerie nationale, rencontrés sur place par une délégation de la commission d’enquête ([135]), reposait sur la mise en œuvre de trois mesures :

– une surveillance élargie au sud du département des Deux-Sèvres, afin de démontrer la volonté des autorités d’empêcher toute atteinte aux ouvrages en fonctionnement ;

– des actions de contrôle dans le périmètre du Mellois, compte tenu des retenues de substitution ayant déjà subi des atteintes et des destructions ;

– un resserrement des contrôles dans le secteur de Sainte-Soline à mesure que se précisaient les lieux de rassemblement pour les 25 et 26 mars 2023.

Dans cette dernière zone, les contrôles et fouilles réalisés par les forces de l’ordre ont abouti à la découverte de nombreuses armes, par nature et par destination, et de produits dangereux. D’après le bilan communiqué à votre rapporteur ([136]), près de 1 000 objets ont ainsi été découverts, dont 800 présentant une capacité offensive, parmi lesquels des objets contendants tels qu’une épée à deux mains, des boules de pétanque, des machettes, des frondes, des lance-pierres, des couteaux, des haches, des produits incendiaires ainsi que divers outils volontairement conçus pour porter atteinte à l’intégrité physique.

Tenant des propos tout à fait irresponsables devant la commission d'enquête, le leader de Bassines non merci ! a prétendu que ces armes par destination appartenaient à de simples particuliers, conséquences des 24 000 contrôles opérés par les forces de l’ordre en amont du rassemblement interdit de Sainte-Soline.

La chronologie des évènements comporte également l’installation, le 24 mars 2023, d’un camp de base sur un terrain de la commune de Vanzay, paisible village de 258 habitants situé à l’est de Sainte-Soline et en dehors du périmètre d’interdiction de manifester. Or, l’installation hors de la zone d’interdiction permettait précisément de contourner le dispositif mis en place par les autorités.

Suivant le témoignage de son maire, M. François Brossard, l’organisation du campement, établi en début d’après-midi sur une parcelle dont le propriétaire avait autorisé l’usage dans la perspective du rassemblement ([137]), n’a fait l’objet d’aucune information, conformément à la stratégie de rupture suivie par les organisateurs, non seulement avec les autorités administratives, mais également avec les élus locaux de ce secteur rural ([138]).

Selon M. Brossard, l’affluence sur le camp demeurait faible dans le courant de l’après-midi du 24 mars, les personnes accueillies possédaient l’apparence de « M. tout le monde » et circulaient dans un « esprit bon enfant ». Un changement serait intervenu à compter du début de la soirée, et plus encore dans la nuit du vendredi 24 au samedi 25 mars, avec l’arrivée d’un nombre important de véhicules et l’apparition d’individus présentant un tout autre profil. Le maire de Vanzay confirme, en effet, que les nouveaux venus pouvaient donner le sentiment de « partir à la guerre » et il affirme s’être senti démuni, à partir de cet instant, devant l’afflux d’individus visiblement organisés.

Il ressort également du récit du maire de Sainte-Soline, M. Julien Chassin, que le camp de base représentait une « base arrière logistique ».

Les signalements du maire de Vanzay font écho d’ailleurs aux constatations des services de l’État à propos des heures ayant suivi l’arrivée au camp, le 24 mars dans l’après-midi, d’un cortège de tracteurs de la Confédération paysanne venu de Luzignan (Vienne), en infraction avec l’arrêté préfectoral interdisant la circulation des engins agricoles. Selon la préfète des Deux-Sèvres ([139]), « un premier rassemblement de personnes vêtues de noir s’est constitué pour venir à la rencontre de ces tracteurs. Après avoir détérioré la barrière, il a envahi la [ligne à grande vitesse] Paris-Poitiers nécessitant l’interruption du trafic ». Cette manœuvre visait à créer une diversion et a permis au convoi de déborder les cordons de gendarmes en circulant à travers champs.

● Les éléments factuels recueillis par la commission d’enquête montrent également que les heures ayant précédé la tenue du rassemblement interdit ont été émaillées par de premiers heurts violents impliquant des groupes radicalisés.

À propos du 24 mars 2023, la préfète des Deux-Sèvres fait ainsi état d’une simple opération de contrôle de zone aboutissant, de manière fortuite, à une confrontation entre les forces de l’ordre et un groupe d’individus équipés pour tenir une confrontation violente : « une patrouille de gendarmerie de 2 militaires a été prise à partie par un autre groupe constitué d’environ 100 personnes armées de battes et de raquettes, issu du camp de base de Vanzay. Les militaires ont dû se replier, de justesse, après une alerte passée depuis un hélicoptère de reconnaissance. » ([140])

Ainsi que l’ont relaté les officiers de la gendarmerie nationale ([141]), les forces de l’ordre ont essuyé par ailleurs des jets de projectiles à chaque tentative d’entrer en contact avec les groupes présents à proximité des lieux du rassemblement interdit. Leurs représentants interrogés par une délégation de la commission d’enquête, lors de la visite de la retenue de substitution de Sainte-Soline, décrivent des individus grimés, ainsi que des voitures portant des plaques d’immatriculation dissimulées. Les forces de l’ordre affirment par ailleurs avoir observé la fabrication de matériels explosifs en grande quantité.

De ces éléments, il résulte les constats suivants de votre rapporteur : plusieurs indices concordants, établis à partir des témoignages des élus locaux, comme des représentants de l’État et des forces de l’ordre, démontrent que les pièces maîtresses d’une radicalisation violente préparée, et donc préméditée, avaient été posées, par les organisateurs, dès la veille du rassemblement interdit. Dès lors, tous les éléments d’un affrontement violent étaient prépositionnés pour produire une confrontation d’une ampleur exceptionnelle et les dommages qui seront constatés le lendemain.

iv.   Des affrontements d’une ampleur spectaculaire, des dommages inacceptables et de profonds traumatismes

● Le 25 mars 2023, la marche vers la retenue de substitution de Sainte‑Soline a réuni de 6 000 à 8 000 personnes selon les autorités, tandis que les organisateurs revendiquent près de 30 000 participants. Comme a pu le confirmer à la commission d’enquête l’un des organisateurs, elle avait pour enjeu d’accéder à l’ouvrage en cours de construction un accès dont on peut imaginer, compte tenu des investigations de la commission d’enquête, qu’il n’avait pas pour objectif, contrairement aux propos tenus lors de son audition par M. Julien Le Guet ([142]), de « faire visiter le site » aux manifestants ! C’est, en réalité, à son intégrité que plusieurs des organisateurs entendaient porter atteinte. Ce que confirme le tract diffusé par Bassines non merci ! selon lequel cette « manifestation internationale », véritable acte de « résistance » contre le « Gouvernement », visait à « impacter » « la construction » de l’ouvrage.

Ainsi, les reconstitutions publiées sur les sites internet des organisateurs révèlent que, parmi certains milieux militants, la dégradation, voire la mise hors service de l’ouvrage, faisait partie des objectifs de la journée, et que l’accès au site ne comportait pas que des finalités pédagogiques…

Sur un blog des Soulèvements de la Terre ([143]), on pouvait ainsi lire, en juillet 2023, un billet troublant qui tendait à présenter la marche de Sainte-Soline du 25 mars comme une réédition du rassemblement tenu dans le bourg de Mauzé-sur-le-Mignon en mars 2022 : « Déjà, il s’agissait de passer des lignes de gendarmes, de franchir un ruisseau à plusieurs milliers, de courir dans les champs, de percer des grilles en essuyant des tirs de grenade avant d’atteindre le grand cratère, puis de démonter sa pompe et d’ôter sa bâche de plastique en dansant autour d’un bateau pirate » ([144]).

Une intention voisine est perceptible dans le récit consacré aux leçons à tirer de la journée tel que publié sur le site internet du collectif Bassines non merci ! ([145]) : « En établissant un fortin autour et dans le chantier de la bassine, l’état-major de la gendarmerie s’est assuré une position défensive forte. […] Malgré tout, nous avons pensé que si nous parvenions jusqu’à la bassine, le nombre nous permettrait de l’encercler et que le pourtour serait émaillé d’approches d’ordre divers, ce qui aurait permis éventuellement d’arracher de nouveau les grilles et de stopper, au moins temporairement, les travaux pendant quelques temps. »

● De fait, l’analyse du déroulement de la journée conduit à distinguer les manifestants venus exprimer leur opposition aux retenues de substitution des profils activistes et radicaux prêts à mener des dégradations matérielles et des violences contre les forces de l’ordre.

La première catégorie est constituée de profils divers, tels que des particuliers venus seuls ou en famille, des membres de structures associatives, ainsi que des élus locaux et nationaux.

Votre rapporteur observe toutefois que cette manifestation, présentée par ses organisateurs comme une « marche à la campagne », a fait l’objet de nombreuses publications, évoquées ci-dessus, dont le champ lexical s’apparente bien souvent au langage militaire, dans le cadre de ce qui ressemble à une vaste manœuvre combattante face à un ennemi : l’État. Une liturgie singulière provenant d’un mouvement qui revendique sa filiation avec l’écologie non-violente…

En réalité, tout laisse à penser que les organisateurs de la manifestation de Sainte-Soline se pensent avant tout comme des « soldats » d’une cause intégrant pleinement l’enjeu et la nécessité de la radicalité violente ([146]).

Lors de son audition, Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV ([147]), se désolidarisant nettement et clairement des violences, a souligné que sa présence sur les lieux, en compagnie de parlementaires issus de sa formation politique, répondait à deux motifs : d’une part, la volonté d’exprimer une nouvelle fois, après le rassemblement du 29 octobre 2022, l’opposition du mouvement à l’aménagement de retenues de substitution ; d’autre part, la volonté de prendre en compte les « inquiétudes quant au risques encourus par les manifestants », dès lors que l’interdiction préfectorale de l’événement avait été décidée.

Votre rapporteur, s’il comprend le raisonnement tenu par la dirigeante du parti Les Écologistes, constate que sa participation à la manifestation de Sainte‑Soline était hautement risquée : d’une part, non seulement le rassemblement était interdit, mais ses organisateurs l’avaient sciemment et méthodiquement placé en dehors de toute forme de coopération avec l’autorité administrative ; d’autre part, les faits recueillis par la commission d’enquête démontrent la présence, en amont de la manifestation, d’activistes violents préparés à l’affrontement.

Si l’on peut comprendre que des manifestants de bonne foi ont pu être dupés par la sincérité apparente des organisateurs, au prétexte d’une cause environnementale qui a sa légitimité, cette forme de naïveté est plus étonnante de la part d’organisations partisanes s’inscrivant dans les règles de la civilité démocratique. Il est même extrêmement surprenant, pour votre rapporteur, que des responsables politiques de haut niveau n’ont pas jugé opportun de s’interroger sur les conditions d’organisation de ce rassemblement, compte tenu des risques évalués par nos services de renseignement et des nombreuses alertes préfectorales dans les jours qui ont précédé.

Sans aucune ambiguïté possible, les éléments recueillis par la commission d’enquête démontrent en effet que la seconde catégorie de participants comprenait des activistes radicaux, animés de la volonté d’investir le site de la retenue d’eau, et d’en découdre violemment avec les forces de l’ordre.

Les différents acteurs de la sécurité publique, interrogés par la commission d’enquête, font ainsi état de la présence de 800 à 1 000 individus extrêmement violents et organisés, dont près de 500 black blocs, à l’origine de nombreuses exactions contre les gendarmes ([148]). Ces observations sont corroborées par le témoignage du maire de Sainte-Soline qui évoque le passage de manifestants casqués, vêtus d’une combinaison bleue, munis de parapluies et d’outils conçus pour l’affrontement guerrier, et se déplaçant en cortège vers les lieux du rassemblement interdit ([149]). D’après les renseignements territoriaux, ces individus appartenaient très majoritairement à des mouvances d’ultragauche ([150]).

Par ailleurs, il ressort de l’analyse des services de renseignement et des forces de l’ordre la présence importante de personnes de nationalité étrangère. Le bilan dressé par le ministre de l’intérieur devant la commission d’enquête fait ainsi état d’un effectif allant « jusqu’à 300 activistes étrangers sur le site ». Le recensement effectué par les services de renseignement montre que les individus ayant franchi les frontières pour rallier Sainte-Soline provenaient majoritairement d’Italie, d’Allemagne, d’Espagne, de Belgique et de Suisse. Toutefois, il semble que la participation au rassemblement interdit du 25 mars 2023 ait pu être réduite par les interdictions administratives du territoire prises en coopération avec les autorités suisses, belges et allemandes([151]). D’après le procureur de la République de Niort, « aucune personne de nationalité étrangère n’a toutefois été mise en cause pour des infractions commises pendant la manifestation elle-même. Les interpellations et placement en retenue administrative effectués sur contrôle de zone concernent 11 personnes étrangères venant d’Arménie, du Sénégal, d’Algérie, de Tunisie, de Côte d’Ivoire, de Suisse et de Nouvelle-Zélande » ([152]).

● Ainsi que votre rapporteur a pu en faire lui-même visuellement le constat, il résulte de la topographie même des lieux que le déchaînement de violences observé le 25 mars à Sainte-Soline trouve sa cause essentielle dans la volonté délibérée des éléments activistes et radicaux, d’une part, d’entrer dans le périmètre de la retenue de substitution sécurisé par les forces de l’ordre et, d’autre part, de se porter ainsi à leur contact. La très grande étendue des champs entourant l’infrastructure, sur un terrain plat s’étendant à perte de vue, conjuguée à la position défensive des forces de l’ordre autour de la « mégabassine », permettent de conclure que les affrontements impliquant un contact direct ont été le fruit d’une démarche délibérée et conçue comme telle.

Les éléments recueillis par la commission montrent, en effet, que le dispositif des forces de l’ordre revêtait un caractère par nature défensif. Il mobilisait 3 200 agents des forces de sécurité intérieure (parmi lesquels 3 000 gendarmes) et consistait à déployer les effectifs autour de la retenue de substitution qui domine des surfaces agricoles et qui n’est accessible que par deux routes. Le dispositif comportait en outre des moyens spécialisés, en l’occurrence des escadrons de quad et des hélicoptères. Trois objectifs avaient été assignés par la préfète des Deux-Sèvres pour la conduite des opérations de maintien de l’ordre :

– premièrement, « garantir la sécurité des personnes, gendarmes comme manifestants » ;

– deuxièmement, « assurer la sécurité de la réserve en fonctionnement à Mauzé-sur-leMignon (SEV 17) et prévenir toute menace de dégradation et installation durable sur la SEV 15 à Sainte-Soline » ;

– troisièmement, « permettre à l’autorité judiciaire, sous son autorité, de mener sa mission, notamment pour identifier les auteurs de troubles à l’ordre public » ([153]).

Il apparaît également que les affrontements survenus le 25 mars ont débuté en fin de matinée, dans le périmètre interdit à tout rassemblement où se dirigeaient trois cortèges. Les constats convergents des forces de l’ordre et des observateurs extérieurs, tels que les correspondants de presse, indiquent qu’au lancement du rassemblement (avec une formation des cortèges à compter de 8 heures du matin), les manifestants avançaient dans un mouvement formé de trois ensembles :

– un cortège guidé par un drapeau rose, d’apparence pacifique, transportant une structure en forme d’oiseau (estimé à 2 000 personnes) ;

– un cortège également guidé par un drapeau bleu, constitué de personnes vêtues de noir, équipées de protection et le plus souvent masquées (dont les effectifs étaient également estimés à 2 000 personnes) ;

– un cortège guidé par un drapeau jaune et transportant une structure non identifiée, resté éloigné des deux premiers (environ 2 000 personnes là encore).

Ainsi que le montre la reconstitution des évènements, l’approche du site de la retenue de substitution a donné lieu à une séparation des cortèges qui ont alors emprunté des chemins divergents : le « cortège rose » a continué son chemin vers le chantier ; le « cortège bleu » a dévié à travers champs ; le « cortège jaune » s’est constitué en colonnes de personnes vêtues de noir ou de bleu, au visage entièrement dissimulé. Les travaux de votre rapporteur ne permettent pas de déterminer dans quelle mesure il s’agit du résultat d’une manœuvre concertée, même s’il paraît difficile de concevoir qu’une structuration en trois cortèges de 6 000 à 8 000 personnes au total, relève de la seule « autogestion », terme utilisé par l’un des organisateurs pour décrire le transport des manifestants vers les lieux du rassemblement interdit ([154]).

● Les heurts avec les forces de l’ordre et les conditions d’usage de la force ont donné lieu à des appréciations sévères de la part de personnes auditionnées par la commission d’enquête. Il en va ainsi de la Ligue des droits de l’homme qui avait estimé, au lendemain des évènements, que les mesures prises par les forces de l’ordre pouvaient être considérées comme relevant d’un « usage immodéré et indiscriminé de la force » ([155]).

Les travaux de la commission d’enquête conduisent à des appréciations plus nuancées.

Après recoupement d’informations rendues publiques, il apparaît qu’une mauvaise exécution des ordres donnés dans les premiers engagements de quads a abouti à un premier accrochage entre les forces de l’ordre et le « cortège rose », à un kilomètre du site interdit à la manifestation vers 12 heures 17. Selon les images d’un reportage diffusé dans l’émission Complément d’enquête ([156]), l’instruction donnée à une équipe du peloton motorisé d’intervention et d’interpellation (PM2I) visait à isoler et disperser les éléments ultras formant « le cortège bleu », afin que leur nombre n’excède pas la capacité de défense des forces de l’ordre. Ainsi que l’a admis le ministre de l’intérieur devant la commission d’enquête, « les gendarmes ont tiré sur le mauvais cortège » ([157]).

Cela étant, il paraît indiscutable que la majeure partie des affrontements et le tir de près de 6 000 grenades lacrymogènes ([158]) résultent des mouvements successifs opérés par des éléments activistes et radicaux, parmi lesquels des black blocs, sur les flancs de la retenue de substitution de Sainte-Soline. Selon les observations communiquées par le renseignement territorial ([159]), « 800 à 1 000 individus radicaux, ont convergé vers la bassine. Parmi eux, 400 à 500 black blocs ultra violents, issus très majoritairement de la mouvance d’ultra gauche, se sont trouvés en première ligne et ont affronté les forces de l’ordre. Ces activistes étaient organisés par groupes de 20 individus et se coordonnaient entre eux par talkies walkies ou mégaphones. Ils ont fait usage de cocktails Molotov, mortiers d’artifice, jets de pierres. Des véhicules de la gendarmerie ont été attaqués à l’aide d’une disqueuse et incendiés avec un chalumeau. Les militants radicaux étaient ravitaillés à l’aide de matériel transportés dans une grande tente transportée à bras d’hommes sur place ».

Cette description des armes employées par les éléments activistes et radicaux correspond à la description livrée par le maire de Sainte-Soline ([160]) : d’après son signalement, on aurait retrouvé près de six tonnes de pierre entre la ligne sur laquelle se tenaient les éléments les plus radicalisés, face aux forces de l’ordre, et leur base arrière, ce qui atteste de l’organisation d’une chaine logistique. D’autres signalements des forces de l’ordre rendent compte de la capacité des éléments radicaux à évoluer sur le terrain de manière structurée, en adoptant la technique de la « tortue romaine » ([161]).

Présent sur les lieux pour couvrir les événements, le journaliste indépendant Jules Ravel a décrit à la commission d’enquête le caractère très impressionnant des affrontements et l’extrême violence qui régnait : « J’ai assisté à la manifestation avec mon équipement de protection, qui s’est révélé insuffisant en m’obligeant à prendre des risques, et qui peut poser souci en cas de contrôle routier. Or, se rendre à Sainte-Soline sans matériel de protection, c’était véritablement se mettre en danger de mort. Sur place, les choses se sont plutôt bien passées, mais je n’avais rien vécu de tel auparavant en dépit de mon expérience à l’étranger. Les gens entendaient les grenades exploser autour d’eux toutes les secondes. C’était Verdun. J’étais un peu à l’arrière et je voyais de gros affrontements en première ligne. Je me suis approché en me disant que c’était mon devoir. Nous devions être deux ou trois reporters indépendants. C’était dangereux, nous étions pratiquement dans des conditions de guerre. Jamais, jamais, je n’avais vu ça. » ([162])

Ainsi que le montrent les récits recueillis par la commission d’enquête, les affrontements sur le site de la retenue de substitution se sont concentrés en deux phases : la première entre 12 heures 17 et 14 heures ; la seconde vers 16 heures, après une trêve entre deux séquences de confrontation d’une grande intensité. Malgré la protection des forces de l’ordre, une partie des participants est parvenue à proximité de la réserve, réussissant à mettre le feu à plusieurs véhicules de gendarmerie et à détruire les barrières ceinturant le chantier.

● Au-delà de l’intensité des affrontements, les évènements survenus à Sainte‑Soline le 25 mars 2023 frappent, à l’évidence, par l’importance des violences et des dégradations.

D’une gravité infiniment moindre, le bilan matériel est le plus aisé à dresser ([163]). Il comporte d’abord la dégradation de véhicules de la gendarmerie, dont quatre totalement détruits. Les affrontements se sont également accompagnés de l’incendie d’un point de livraison d’eau de la réserve de Sainte‑Soline, de l’arrachement de piézomètres, ainsi que de dégâts divers – arbres et haies calcinés, déchets incendiés, panneaux arrachés, chaussée dégradée ([164]).

Les activités agricoles ont subi des dommages dont l’impact exact est toutefois difficile à établir. D’après les éléments transmis par la préfète des Deux-Sèvres au mois de septembre 2023 ([165]), vingt exploitations auraient subi des préjudices, essentiellement du fait du piétinement de tout ou partie des cultures en place. D’après les évaluations de mars 2023, 170 hectares auraient été touchés, essentiellement des cultures de céréales ([166]).

Le bilan humain est bien sûr celui sur lequel la commission d’enquête a concentré ses investigations. Les chiffres communiqués par le procureur de la République font état de :

– 48 gendarmes blessés, dont 2 en urgence absolue lors de leur prise en charge et 6 nécessitant une évacuation ([167]) ;

– 3 manifestants pris en charge en urgence absolue (un homme de 30 ans avec un traumatisme crânien au pronostic vital engagé, une femme de 19 ans avec un traumatisme facial et un homme de 27 ans présentant une fracture au pied), auxquels s’ajoute un homme qui, d’après la presse, se serait rendu par ses propres moyens au centre hospitalier universitaire de Poitiers et présentait un pronostic vital engagé ;

– 2 journalistes en urgence relative.

De leur côté, les représentants des Soulèvements de la Terre ont évoqué le chiffre de 200 blessés parmi les participants au rassemblement, dont 40 blessés graves du fait de « plaies délabrantes aux jambes et au visage » et 20 personnes mutilées ou au pronostic fonctionnel engagé, parmi lesquelles une personne au pronostic vital engagé ([168]).

S’il appartient désormais à l’autorité judiciaire de se prononcer sur l’origine des blessures et des violences subies, la commission d’enquête est en mesure de constater que la prise en charge des blessés a rencontré d’importants délais et de sérieux dysfonctionnements.

La première difficulté réside dans les conditions d’engagement des services de secours sur le théâtre des affrontements ([169]). Suivant les éléments communiqués à votre rapporteur, la prise de décision semble avoir été tributaire de trois paramètres :

– l’appréciation de l’évolution de la situation sur le terrain des affrontements et de la possibilité de garantir la sécurité des intervenants sanitaires. Cette question donne lieu à des appréciations aujourd’hui divergentes. Certains participants estiment que les phases d’accalmies permettaient l’envoi des secours ([170]) tandis que la préfète des Deux-Sèvres relève qu’« une escorte de gendarmerie […] prévue pour accompagner les véhicules de secours sur le lieu d’attroupement a, au moins, une fois, été prise à partie par les manifestants » ([171]) ;

– la localisation incertaine et imprécise de certains blessés, faute d’un dispositif formalisé préalablement qui aurait permis la délimitation de zones permettant leur évacuation ;

– de nécessaires vérifications avant l’envoi des secours, des rumeurs ayant couru à propos de la localisation de blessés et risquant d’obérer les moyens disponibles au bénéfice des personnes effectivement en péril.

La seconde difficulté découle de la réticence, observée parmi les participants au rassemblement interdit, à accepter une prise en charge des services de secours. Suivant des constats convergents, et non contestés devant la commission d’enquête, il est établi que les trois organisateurs (Soulèvements de la Terre, Bassines non merci ! et la Confédération paysanne) ont relayé des consignes incitant les blessés à ne pas recourir au Samu ou aux pompiers. Diffusés par exemple sous forme d’une brochure, ces recommandations exhortaient les participants, pendant le rassemblement ou à l’issue de celui-ci, à :

– crier « médic », c’est-à-dire à appeler des personnes bénévoles tolérées par les organisateurs, sans lien avec les secours officiels ;

– rejoindre un hôpital géographiquement éloigné en cas de nécessité d’hospitalisation ;

– passer par un poste de soin « médic » pour faire réévaluer la blessure après le rassemblement.

D’après le témoignage de Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts, cette attitude aurait été inspirée par la crainte d’être appréhendé par la police. Plusieurs blessés auraient ainsi expliqué « qu’ils ne voulaient pas être hospitalisés dans la région parce qu’en octobre 2022, certains manifestants, dont l’un avait reçu un tir de lanceur de balles de défense à la tête, avaient été placés en garde à vue à l’hôpital ». D’après les propos rapportés, « la police était venue y faire des perquisitions. Elle avait obtenu la liste des blessés et, dans une violation totale du secret médical qui a choqué le personnel soignant, elle avait demandé à ce dernier quelles blessures étaient susceptibles de provenir de Sainte-Soline. Ce pouvait être le cas, par exemple, d’éclats aux membres inférieurs causés par des grenades ». En outre, « [l]es effets personnels des blessés hospitalisés avaient été passés au détecteur de marqueurs chimiques, des substances projetées sur les manifestants qui, sous une lampe torche, produisent une couleur. » ([172])

Les éléments recueillis par votre rapporteur ne permettent pas de se prononcer sur ce récit. Il n’en apparaît pas moins qu’une telle hostilité à l’égard des autorités, fussent-elles sanitaires, combinée à la non-organisation conjointe avec les autorités de l’État d’une stratégie de secours, a pesé de manière très préjudiciable sur les conditions de prise en charge des blessés et donc porté atteinte à leur sécurité.

Au total, la responsabilité des trois organisateurs dans le déferlement de violences constaté à Sainte-Soline est absolument écrasante. Votre rapporteur, compte tenu des éléments recueillis par la commission d’enquête, a acquis la conviction que loin d’être un tragique dérapage, les violences commises le 25 mars, en particulier contre les forces de l’ordre, s’inscrivent dans une démarche assumée de confrontation, au risque d’atteintes à des vies.

B.   La nébuleuse des groupes auteurs de violences : une détermination totale, un profilage complexe

Les violences qui ont émaillé les manifestations contre la réforme des retraites et la retenue de substitution à Sainte-Soline révèlent, au-delà des modes opératoires utilisés, la mobilisation de groupes appartenant à la mouvance « ultra » ([173]). Si les profils et motivations idéologiques de leurs membres présentent une certaine diversité, une convergence se dessine quant à l’acceptation et la mise en scène de la violence comme mode d’expression légitime, agrégeant dans son sillage une pluralité d’individus poursuivant des intérêts multiples.

  1.   Derrière les masques des black blocs, un ensemble hétéroclite

Au sein du « bloc radical », identifié lors des manifestations du printemps dernier par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) ([174]), deux catégories se distinguent : l’ultragauche, qui rassemble plusieurs courants représentant la figure historique du black bloc et, dans une moindre mesure, les « ultrajaunes », terme désignant des personnes issues du mouvement des « gilets jaunes » radicalisés. La souplesse organisationnelle des groupuscules d’ultragauche garantit l’efficacité de leurs actions violentes, que favorise la complaisance, voire le concours documenté, de groupes d’étudiants et parfois la triste bienveillance à leur égard de cadres politiques ou syndicaux.

a.   L’ultragauche

i.   La catégorisation idéologique

L’ensemble des services de renseignement auditionnés par la commission d’enquête ([175]) s’accordent à distinguer les mouvements d’ultragauche comme les principaux auteurs des violences survenues, à compter du 16 mars 2023, lors des manifestations contre la réforme des retraites. À la différence de l’extrême-gauche, ces groupements de fait récusent toute représentation institutionnelle, s’opposant frontalement aux fondements et mécanismes de la démocratie libérale.

Le directeur général de la police nationale (DGPN), M. Frédéric Veaux, estime que l’ampleur de la contestation à la réforme des retraites fut « une opportunité de semer le trouble [qui] a évidemment été saisie par l’ultragauche » ([176]), dont l’implication s’avère, selon la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la principale cause des violences observées en marge des cortèges ([177]). Lors de son audition, M. Frédéric Veaux a précisé ce que recouvre, selon la police nationale, le qualificatif « d’ultragauche » :

« [il] désigne des composantes de la gauche radicale qui se distinguent par leur stratégie anti-institutionnelle et anti-représentative. Cette mouvance manifeste son hostilité envers l’État, ses représentants et le pouvoir […]. Elle prône des changements radicaux par la déstabilisation des institutions républicaines, en contestant les valeurs démocratiques par le recours à la violence, le plus souvent à l’encontre des biens ou des personnes qui les représentent. Elle agglomère des mouvements aux idéologies différentes : anarchistes, autonomes ou mouvance “antifa”. Ces mouvements cherchent à faire prospérer leurs idées, non par des vecteurs démocratiques, mais par la force et la violence. Leur objectif général et partagé est de provoquer le chaos. » ([178])

M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial (SCRT), rappelle les deux cibles habituellement visées par ces mouvements : d’une part, les « représentations de l’État » – les forces de l’ordre en constituant l’une des facettes les plus visibles –, et d’autre part « les symboles du capitalisme » ([179]). Les priorités stratégiques de l’ultragauche sont clairement identifiées par M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure :

« La menace d’ultragauche pèse d’abord sur l’ordre public et l’intégrité des biens, de deux façons. Il y a, d’une part, l’infiltration de rassemblements sur la voie publique pour les faire dégénérer et viser les symboles capitalistes et gouvernementaux ou, par exception à leur habitude de s’en prendre aux biens, les membres des forces de l’ordre. On relève, d’autre part, l’affrontement avec la mouvance opposée : si l’ultradroite a été à l’initiative, au cours des derniers mois, de certaines confrontations avec l’ultragauche, celle-ci a aussi provoqué des rixes et mené des raids envers les sympathisants adverses. » ([180])

Interrogé par votre rapporteur sur le rôle éventuel de groupuscules d’ultradroite ([181]) dans les débordements survenus lors des manifestations, M. Frédéric Veaux a souligné son caractère « extrêmement résiduel » :

« Le phénomène reste très limité. En tout cas, l’ultradroite n’a pas été impliquée dans les violences commises à l’occasion des manifestations des journées nationales d’action ou des déambulations qui se sont produites pendant la période à laquelle s’intéresse votre commission d’enquête. » ([182])

Selon la DGSI ([183]), l’ultragauche rassemble deux courants idéologiques distincts. Premièrement, les groupuscules anarcho-autonomes ([184]) constituent la composante la plus politisée et la plus radicale. Établis au sein de squats ou de communautés de vie, ils prônent le recours systématique au sabotage et à la violence, notamment contre les services publics régaliens, mais également à l’encontre des organismes bancaires et des entreprises multinationales. Ils revendiquent historiquement leur appartenance au situationnisme ([185]) voire au nihilisme.

Deuxièmement, le courant « antifa », apparu en France à la fin des années 2000, reconnaît également la nécessité de recourir à la violence, sans pour autant adhérer à l’idéologie anarchiste. Il se singularise en ciblant spécifiquement tout ce qui a trait à l’extrême-droite ou à l’ultradroite, ainsi qu’aux discours jugés réactionnaires dans leur ensemble. La DGSI relève que la frange antifasciste, forte d’origines sociales plus diverses que celles des anarcho-autonomes, fait preuve d’un réel dynamisme et fédère autour d’elle un nombre croissant de militants, notamment issus des quartiers défavorisés.

ii.   Le maillage territorial

Selon M. Frédéric Veaux, l’ultragauche a consolidé un maillage territorial reposant sur l’existence de bastions dans plusieurs métropoles :

« En matière de fonctionnement et de mobilisation, les groupes d’ultragauche sont davantage inscrits dans des combats locaux […]. Pour les journées nationales d’action [de contestation de la réforme des retraites] qui se sont tenues dans toutes les villes de France, ils ont préféré se mobiliser dans leurs communes d’implantation. Pour autant, l’existence de liens parfois forts dans la mouvance, en particulier en Bretagne, a pu entraîner le déplacement ponctuel de militants d’une ville à l’autre. Je pense en particulier aux cas de Nantes et de Rennes. » ([186])

Selon les éléments communiqués à votre rapporteur par le SCRT, les villes de Nantes, Rennes, Bordeaux et Lyon furent les principaux points d’ancrage de la mobilisation de l’ultragauche lors de la contestation à la réforme des retraites.

Contribution écrite remise par le SCRT

Plusieurs structures étaient en première ligne à l’occasion des violences constatées durant la période concernée, notamment à Nantes, Rennes, Bordeaux ou encore Lyon. Si la plupart sont centrées sur leur fief, certaines d’entre elles disposent d’une « antenne » locale :

– la Jeune Garde, notamment, avec des structures « sœurs » à Paris, Strasbourg, Montpellier ou encore Lille.

– l’AFA (Action Antifasciste) se décline sur l’ensemble du territoire (Nantes, Paris, Strasbourg, Lille, Marseille, Toulouse, Brest, Le Havre, Grenoble, Niort, etc.) mais aussi à l’international par le biais de sections « AFA » en Allemagne, Belgique, Suisse, Espagne ou Écosse.

À Nantes :

L’Action Antifasciste Nantes (AFA Nantes), Contre-Attaque, web-média à l’aura désormais nationale impliqué dans toutes les luttes locales (sociale, environnementale) et farouchement opposé à l’extrême droite, ainsi que Faire Bloc représentent des structures locales ayant été impliquées directement ou en relais des actions violentes.

Regroupant un noyau dur d’environ cinquante militants gravitant entre les trois entités, la mouvance contestataire est centrée sur ses bases nantaises même si des déplacements et renforts militants ont été constatés notamment à Rennes ou encore à Sainte-Soline. Les militants nantais issus de ces diverses structures étaient systématiquement en tête de cortège, porteurs d’effets noirs les anonymisant, de parapluies ou de bouées, de masques, casques et gants et protégés derrière des banderoles renforcées aux codes couleurs et messages signés de leurs structures.

À Rennes :

Les mobilisations sont orchestrées par la structure locale Défense Collective (DEFCO) créée en 2016 lors de manifestations contre la loi « Travail ». Forte d’un noyau dur d’environ quatre-vingts membres, cette structure est à l’origine de nombreux faits de violence à Rennes mais également à Nantes (1er mai). Elle a su conforter son implantation et son emprise sur le campus universitaire de Rennes II pour y recruter de nombreux étudiants. À l’exception d’une vingtaine de cadres inamovibles depuis 2016, DEFCO recrute surtout au sein des plus jeunes étudiants. À l’instar des militants issus des structures nantaises, les militants de DEFCO, reprenant tous les codes vestimentaires du black bloc les anonymisant, porteurs de parapluies ou de bouées, de masques, casques et gants, ont systématiquement cherché à prendre la tête des cortèges et à faire dégénérer ces derniers.

À Bordeaux :

Composée d’une cinquantaine de membres, l’Offensive Antifasciste Bordeaux est particulièrement impliquée dans les actes de violences constatés à Bordeaux à compter du 16 mars 2023. Anonymisés derrière des masques et porteurs de vêtements sombres, ils ont affiché lors des manifestations contre la réforme des retraites une détermination et une violence décomplexée en ciblant les forces de l’ordre et les symboles étatiques et capitalistes.

À Lyon :

Le GALE (Groupe antifasciste Lyon et Environs) compte un noyau dur de vingt à trente membres actifs, capable de mobiliser très largement, y compris parmi les étudiants politisés et les jeunes issus des quartiers sensibles de la Guillotière. Le groupe est omniprésent dans les mobilisations de voie publique organisées dans l’agglomération lyonnaise et semble engagé dans une spirale de violences. S’inscrivant dans une stratégie « anti-policière » et « anti-système », ses militants, constitués en « bloc autonome et révolutionnaire », ont pour objectif principal de s’en prendre aux forces de l’ordre. Depuis la suspension par le Conseil d’État, en mai 2022, de la procédure de dissolution visant le GALE, celui-ci multiplie les provocations envers l’État et les forces de l’ordre, affichant un certain sentiment d’impunité.

Seconde structure lyonnaise, le collectif la Jeune Garde Lyon, s’inscrit dans une stratégie de lutte davantage tournée vers l’ouverture à l’égard des organisations politiques et syndicales, estimant que la « vraie lutte contre l’extrême droite, c’est la recomposition d’un bloc politique de lutte des classes ». Elle regroupe une soixantaine de militants.

À cet égard, Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et co-auteur de Violences politiques en France paru en 2021, souligne la mutation des actions menées par l’ultragauche, dans une logique décentralisatrice pleinement assumée :

« Ces mouvances, et c’est la grande différence avec les groupes d’extrême gauche qui ont conduit à l’adoption de la première loi anticasseurs du 8 juin 1970, ne sont plus du tout dans une perspective de conquête du Palais d’Hiver ([187]). Elles visent la constitution de zones autonomes temporaires, c’est-à-dire de moments, lors de manifestations, ou d’espaces, par exemple des zones à défendre (ZAD), où l’emprise étatique est mise à mal et où les représentants des institutions ne doivent pas être présents. Un succès témoigne de la possibilité d’échapper à l’emprise de l’État. » ([188])

iii.   Les profils

S’appuyant sur un contingent d’environ « 10 000 individus dont 3 000 fichés S ([189]) » selon le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin ([190]), l’ultragauche réunirait, selon la DGSI ([191]), 600 à 800 activistes particulièrement mobiles, déterminés et susceptibles de perpétrer des actions violentes.

Pour autant, les services de renseignement éprouvent de réelles difficultés à dresser un « portrait-robot » de l’activiste d’ultragauche comme le souligne le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Christian Rodriguez : « […] il est délicat de définir un profil. Les personnes interpellées sont diverses. Les catégories socioprofessionnelles sont très variables, même au sein des black blocs » ([192]). Le caractère éphémère, voire insaisissable, des black blocs s’explique par le renouvellement permanent des individus qui les composent, compliquant d’autant le profilage établi par les forces de sécurité intérieure.

La DGSI indique que la majorité des profils de l’ultragauche est constituée d’individus âgés de 18 à 45 ans, à parité d’hommes et de femmes aux origines sociales variées. S’agissant des black blocs au sens strict, le journaliste d’investigation Thierry Vincent, auteur d’un livre d’enquête paru en 2022, estime que les femmes représentent un tiers des effectifs ([193]). Selon lui, la féminisation de la mouvance se conjugue à son rajeunissement, la majorité des membres étant âgés de moins de trente ans. Le profil des 48 personnes interpellées et déférées devant l’autorité judiciaire à l’issue de la manifestation parisienne du 1er mai 2023 ([194]) ne corrobore que partiellement cette description : si 75 % d’entre elles ont moins de 33 ans, 85 % sont des hommes.

Un phénomène de « moyennisation » des black blocs semble pourtant se dessiner, reposant sur une majorité de jeunes activistes souvent diplômés de l’enseignement supérieur, mais dotés d’un capital économique relativement limité :

« Contrairement à ce qui était le cas pour le black bloc historique et contrairement à ce qui se dit, le mouvement n’est pas composé de fils de bourgeois privilégiés. Le profil n’est pas non plus celui de prolétaires défavorisés. À très gros traits, il s’agit de personnes jeunes, au capital culturel élevé, souvent des étudiants mais aussi des lycéens parce que cette mouvance est très jeune, dont les parents ont aussi un capital culturel élevé. Pour autant, dire que ce sont des fils de bourgeois est caricatural : un fils de professeur ou d’intermittent du spectacle n’est pas un fils de bourgeois. Dans les black blocs, il y a toujours eu aussi des gens de milieux plus défavorisés et ayant accompli moins d’études. Mais c’était relativement marginal. » ([195])

En outre, l’ultragauche bénéficie de longue date du concours de nombreux ressortissants d’États membres de l’Union européenne, rappelle Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris :

« La mouvance d’ultragauche est solidaire et elle pratique les voyages d’échange avec l’étranger comme les rencontres internationales, pour la plupart clandestines. Je les ai vus se réunir en Grèce, berceau des mouvements anarchistes ; il y avait une grande porosité avec les anarchistes grecs au début des années 2000-2010. Des échanges ont lieu aussi avec l’Italie, qui a une tradition anarcho-terroriste […] Il y a aussi des liens en Espagne […] Dernièrement, certains militants antifascistes parisiens ont mené une action en coopération avec des Irlandais […] Il y a donc, au niveau international, des échanges politiques et de pratiques » ([196]). C’est d’ailleurs ce que démontrent les connexions établies avec des activistes violents issus de plusieurs pays d’Europe en amont et pour la préparation de la manifestation à Sainte-Soline.

Si la présence d’activistes étrangers s’explique aisément par la dimension intrinsèquement transnationale des mouvances d’ultragauche, leur part parmi les auteurs interpellés et déférés pour des faits de violence à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites au printemps 2023 s’avère cependant résiduelle ([197]).

b.   Les ultrajaunes

Outre l’ultragauche, les violences commises en marge des manifestations contre la réforme des retraites ont fait apparaître la présence de « gilets jaunes radicalisés », qualifiés par l’ensemble des services de renseignement « d’ultrajaunes ». Si la direction générale de la police nationale estime réduite leur proportion au sein des black blocs, les ultrajaunes ont contribué aux actions violentes menées par l’ultragauche en participant à des dégradations de biens et à des violences contre les forces de l’ordre.

La réactivation d’anciens « gilets jaunes » lors des manifestations et rassemblements à compter du 16 mars 2023 est interprétée comme une tentative de poursuivre la mobilisation née à l’automne 2018, en choisissant une voie d’action violente susceptible de rétablir leur visibilité ([198]). M. Nicolas Lerner le confirme : « Ce mouvement s’étant largement essoufflé, ils expriment par d’autres moyens leur détermination, leur révolte et leur frustration. » ([199])

Si les actes de violence commis par les ultrajaunes sont décorrélés du combat politique caractérisant les mouvances d’ultragauche et d’ultradroite, leur intensité est d’autant plus forte que les ultrajaunes se dispersent moins vite que leurs homologues d’ultragauche. Selon Mme Françoise Bilancini, les ultrajaunes assument totalement l’affrontement physique avec les forces de l’ordre : « La mouvance ultragauche se retire rapidement pour éviter les interpellations. Il reste les durs de durs, ceux que l’on voit s’attarder à chaque fois : les ultrajaunes qui dégradent et s’en prennent aux forces de l’ordre. » ([200])

Bien qu’ils se rejoignent dans le choix de recourir à la violence en marge des manifestations, l’ultragauche et les ultrajaunes semblent agir en silos, rejetant tout contact ou rapprochement collaboratif : « Les ultrajaunes suivent le mouvement mais ils n’échangent pas avec les ultragauchistes et ils ne leur obéissent pas » ([201]). Cette déconnexion profiterait à l’ultragauche pour laquelle les ultrajaunes représenteraient de nouveaux « idiots utiles » : « Les ultrajaunes, ce sont un peu des pigeons. Ils disent vouloir refaire le black bloc, ils se griment et ils font des banderoles magnifiques. Les autres les laissent partir devant et ils font ce qu’ils veulent derrière. L’ultragauche les utilise. » ([202])

Mme Françoise Bilancini souligne également le relatif amateurisme qui caractérise les ultrajaunes, dont la volonté de médiatisation tranche avec la stratégie du secret et de la dissimulation méthodiquement déployée par l’ultragauche : « Les ultrajaunes sont eux aussi cagoulés et habillés en noir. Mais ils oublient souvent de dissimuler un élément qui permet de les identifier. Ils gardent leur téléphone parce qu’il faut qu’ils parlent, qu’ils disent où ils sont, qu’ils commentent. Ils sont contents d’alimenter les réseaux et leur télévision affinitaire. » ([203])

Cet objectif de visibilité requiert l’usage des réseaux sociaux. M. Éric Garandeau, directeur des relations institutionnelles et affaires publiques France de TikTok, a constaté une recrudescence de la publication de vidéos violentes entre le 16 mars et le 3 mai 2023 ([204]), justifiant la modération rapide de ces contenus pouvant aller jusqu’à la suppression de comptes d’utilisateurs :

« Nous avons observé, notamment au printemps 2023, une augmentation de vidéos qui ont été retirées parce qu’elles comportaient des contenus violents […] Entre le 16 mars et le 3 mai, nous avons retiré 79 210 vidéos au total. Parmi elles, 37 776 vidéos violaient nos politiques par leur contenu violent notamment visuel ; 7 300 vidéos exprimaient un extrémisme violent […] Nous pratiquons une politique de réponse graduée. Nous commençons par supprimer les contenus. Si le contenu est très dommageable, le compte est supprimé. Dans d’autres cas de figure, nous adressons plusieurs avertissements avant de supprimer le compte. Au printemps 2023, nous avons supprimé 945 comptes. » ([205])

Par ailleurs, selon la DRPP, les risques d’échauffourées au sein même du black bloc apparaissent réels : « Les ultrajaunes et les militants de l’ultragauche sont très différents. Le militant d’ultragauche qui vient faire un bloc arrive à jeun, n’a pas de téléphone et ne se grime qu’une fois sur place. Du côté ultrajaune, ce n’est pas tout à fait ça. Plus le temps passe, plus ils sont imbibés et cela finit en catastrophe […] Il n’y a pas d’antagonisme entre eux, sauf quand les médias des ultrajaunes viennent filmer : là, ça part au carton » ([206]).

En dépit de ces différences, la revendication de la violence comme moyen d’expression et d’action légitime en marge des manifestations est le trait d’union des mouvances « ultra », adossée à une pseudo-construction idéologique sujette à caution.

c.   La légitimation décomplexée du recours à la violence

Les activistes ultrajaunes et d’ultragauche placent la violence matérielle et physique au cœur de leur stratégie de déstabilisation, avec toutefois deux catégories de légitimation distinctes.

D’une part, pour l’ultragauche, la violence est un impératif idéologique indissociable du projet révolutionnaire défendu par ses militants. Le combat physique contre les forces de l’ordre et le saccage de biens ou de commerces assimilés à la société marchande sont ainsi consubstantiels aux motivations historiques de l’ultragauche :

« Chez certains, comme les autonomes, il n’y a pas de revendication parce qu’ils sont en dehors de cette logique […] (L)a très grande majorité d’entre eux ne votent pas, parce qu’ils ne croient pas en la démocratie représentative. C’est différent des logiques relevant de la colère, du sentiment de ne pas être entendu [...] » ([207]).

M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, explicite cette stratégie : « Il s’agit de militants qui aiment faire le coup de poing contre les forces de l’ordre dès qu’une manifestation a lieu, qui arrivent dans ces défilés sans chercher à défendre la cause qui les motivent, qui crient et portent des slogans anti-démocratie représentative, et dont l’objectif consiste à créer des troubles pour faire basculer le système » ([208]).

D’autre part, la légitimation de la violence procède d’une approche plus instrumentale, tirée d’un constat d’échec des voies institutionnelles classiques, qu’elles relèvent du système électoral ou des manifestations pacifiques. « Mal nécessaire » ([209]), la violence lors des manifestations est alors perçue comme « un instrument efficace » ([210]), un outil utilisé en dernier recours destiné à répondre « à une violence supérieure » que constitueraient aussi bien le refus des pouvoirs publics de satisfaire les revendications exprimées par les manifestants que la mobilisation des moyens du maintien de l’ordre ([211]).

M. Thierry Vincent considère ainsi que la légitimation et la banalisation de la violence lors des manifestations sont la conséquence directe et concrète d’un sentiment éprouvé par une partie de la population de ne plus être entendu, illustrant à ses yeux le refus des gouvernants « d’écouter le peuple, le signe que les voies du dialogue et de la concertation sont bouchées dans notre démocratie. De là naît l’idée que, la manifestation classique ne fonctionnant plus, il faut aller un cran au-dessus, avec une certaine dose de radicalité et probablement de violence. Et le niveau d’acceptation de la violence en manifestation par des gens ordinaires va grandissant » ([212]).

Qu’elle revête un caractère idéologique ou instrumental, la légitimation de la violence se double d’une fascination, conscientisée ou non, pour le geste destructif. Au-delà de ce qu’elle révèle sur les stratégies et motivations des groupuscules qui s’y adonnent, l’action violente agit comme facteur de communion, unissant temporairement des individus dans une forme de « jouissance transgressive ». M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II et auteur de l’ouvrage Le vertige de l’émeute paru en 2019, en analyse les mécanismes :

« Qu’éprouve-t-on dans le fait de casser la vitrine d’une banque ? Chacun sait qu’il ne fera pas tomber l’institution bancaire par ce simple geste. En revanche, ces destructions sont vécues comme une épreuve tactile du politique. Elles donnent à voir l’image d’un pouvoir qui s’effondre avec fracas, et ce bruit participe à cette atmosphère : on applaudit, car on assiste au spectacle de l’effondrement momentané et symbolique des structures, des ordres. Avoir dans les mains un bout de verre, c’est avoir dans les mains un bout du pouvoir, qu’on a fait s’effondrer. Si on le serre trop fort, il nous blesse. L’émeute violente est une quête charnelle du politique. » ([213])

Le recours assumé et décomplexé à la violence par les activistes « ultra » interroge les moyens dont ils disposent pour atteindre leur but, le degré de structuration de leur organisation et la nature des relations qu’ils entretiennent avec les sphères politiques, estudiantines et syndicales.

d.   Une organisation horizontale, un financement modeste, un fonctionnement efficace

i.   Une organisation horizontale

Les courants « ultra » impliqués dans les violences commises lors des manifestations du printemps dernier ne s’appuient sur aucune organisation hiérarchisée. Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin estime ainsi que les mouvances d’ultragauche « ne sont pas organisées au sens structurel du terme, [elles] n’ont pas la manie de l’ordre et de l’organisation que peut avoir l’ultradroite […]. Lorsque l’on combat l’ultradroite, les choses sont plus faciles car plus organisées, il y a une hiérarchie, des statuts, des financements, qui aident les services à caractériser ces groupes » ([214]).

Comme le souligne l’essayiste Christophe Bourseiller, auteur d’un ouvrage consacré à l’histoire de l’ultragauche paru en 2021, le refus de toute autorité verticale est inhérent à la doctrine des anarcho-autonomes :

« Il est difficile de définir le type d’organisation de ces groupes. Eux-mêmes prônent une structuration horizontale : théoriquement, toute décision émane d’une sorte de consensus entre camarades sans qu’aucun dirigeant ne se dégage […] Peut-on même parler d’organisations ? […] Leur organisation paraît clanique et communautaire […]. Les autonomes sont très repliés sur eux-mêmes, notamment pour prévenir les infiltrations dont ils ont été victimes à maintes reprises » ([215]).

Cette analyse corrobore les constats et analyses établis par le SCRT : « L’ultragauche a la culture de la contestation et de la liberté plus que celle de l’organisation et de la hiérarchie » ([216]).

Cette horizontalité rend plus complexe le travail des services de renseignement en limitant la connaissance de leur fonctionnement et de leurs agissements. L’asymétrie avec les groupuscules d’ultradroite apparaît alors très nettement :

« S’agissant de l’ultragauche, elle est plus difficile à suivre que l’ultradroite en raison de sa moindre appétence pour la structuration et l’organisation. Elle se présente comme une nébuleuse, au contraire de l’ultradroite qui, au cours des dernières années, a eu à cœur de se structurer en réseaux, cellules et groupes, concevant son organisation sur un mode militaire. » ([217])

Le SCRT confirme l’absence de structure pyramidale, même à l’échelle locale : « Il n’y a pas le chef central des black blocs de France avec une déclinaison organisée, une hiérarchie, des codes, des rites pour monter en grade » ([218]). M. Serge Lasvignes, président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), rejette également l’hypothèse d’une organisation nationale coordonnant l’action des activistes violents ([219]) : « Rien ne permet de penser, à la lumière des éléments dont nous avons connaissance, qu’il existerait un quelconque complot national. Je discerne un ensemble composite de groupuscules, formés à des degrés variables à l’organisation […] » ([220]).

La dimension « artisanale » de l’organisation de ces groupes se vérifie sur le plan financier, ce qui complique, là encore, leur suivi.

ii.   Un financement modeste

Les besoins de financement des groupes d’ultragauche se révèlent très limités. La confection de banderoles ou d’explosifs artisanaux présente des coûts réduits, de même que l’acquisition de matériels défensifs. Les frais de déplacement sont également maîtrisés grâce à l’essaimage de multiples structures locales. Les modes d’action de l’ultragauche ne nécessitent donc pas une source de financement robuste, ainsi que le souligne M. Frédéric Veaux :

« La participation à ces manifestations n’a pas un coût très élevé, que ce soit par les transports en commun ou par le covoiturage ([221]). Le prix est celui du carburant. Les individus sont généralement hébergés dans des squats ou par des amis, ou ils campent dans les zones plus rurales. » ([222])

Pour autant, ces groupuscules mobilisent des ressources diverses, difficilement traçables, générant de faibles revenus mais suffisants pour financer leurs actions, ce que confirme le SCRT :

« Qu’il s’agisse des actions environnementales ou de l’ultragauche […], les moyens sont modestes mais il y en a quelques-uns. Ils proviennent d’associations ou de groupements de fait qui créent des événements pour amasser des recettes. Des soirées musicales, des repas, des fêtes sont organisés pour attirer une partie de la population et, comme toute association, ils récupèrent ainsi de l’argent. Ils vendent aussi des vêtements, des bibelots, des objets. De plus en plus, ils collectent des dons grâce à la plateforme HelloAsso ou au site de cagnotte en ligne Leetchi. Quant aux frais, ils sont souvent réduits. La plupart des actions se déroulant à proximité géographique, les rares déplacements ne font pas intervenir de grosses sommes. Il n’y a pas une économie noire ou secrète » ([223]).

Entendu par des membres de la commission d’enquête lors de leur déplacement à Bordeaux le 17 juillet 2023, le service zonal du renseignement territorial a ainsi souligné que « l’Offensive Antifasciste Bordeaux » bénéficiait de moyens très réduits et se finançait essentiellement en organisant des soirées, aidée par certains supporters « ultra » du Football club des Girondins de Bordeaux (FCGB), dont l’appartenance à l’ultragauche est « notoire » ([224]).

En outre, si M. Frédéric Veaux observe que la mouvance d’ultragauche « a trouvé à se financer d’une manière tout à fait légale, notamment en constituant des associations qui fonctionnent normalement, parfois même avec des subventions, ce qui pose question » ([225]), il n’a pas été porté à la connaissance de la commission d’enquête, ni à celle de votre rapporteur, d’éléments précis permettant d’objectiver l’existence de transferts de fonds entre des structures associatives subventionnées par les pouvoirs publics et des groupuscules auteurs de violences.

Par ailleurs, l’ensemble des services de renseignement auditionnés par la commission d’enquête précisent qu’aucun lien n’a été identifié entre la mouvance d’ultragauche et des réseaux relevant de la criminalité organisée.

L’activité économique des groupuscules susceptibles de perpétrer des actions violentes fait toutefois l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics. Sollicité par votre rapporteur, le service de renseignement Tracfin ([226]) indique avoir diligenté 29 investigations financières depuis 2020, dans le cadre de la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique, sur le fondement de l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure ([227]). Tracfin précise cependant ne pas avoir reçu d’informations faisant état de circuits de financement clandestins visant à la préparation d’actions violentes en marge des manifestations contre la réforme des retraites ([228]).

Contribution écrite remise par Tracfin

Tracfin a vocation à traiter des dossiers répondant à la cinquième finalité de l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, en particulier son point relatif à la « prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». À cet égard, l’action de Tracfin repose sur deux piliers :

– le traitement de demandes d’environnement financier émanant des services spécialisés des premier et second cercles ;

– les dossiers qui résultent des capteurs propres à Tracfin, communiqués aux partenaires compétents ou à l’autorité judiciaire.

À la demande de ses partenaires de la communauté du renseignement, Tracfin est amené à diligenter des investigations financières sur des groupuscules s’inscrivant dans une trajectoire violente. Inexistantes jusqu’à 2020, elles connaissent depuis lors une croissance régulière, pour un nombre total de 29 investigations menées à ce jour.

Ces saisines peuvent porter sur des structures qui représentent une menace modérée, mais pour lesquelles les partenaires souhaitent disposer d’une évaluation générale des ressources. Elles concernent également des groupuscules réputés pour leurs actions violentes, nécessitant une analyse fine, dans un temps souvent contraint, ainsi que l’identification d’éventuelles possibilités d’entrave.

iii.   Un fonctionnement efficace

L’absence d’organigramme, de structure hiérarchique ou de trésorerie ne porte pas préjudice au fonctionnement des groupuscules violents d’ultragauche. Contrairement aux ultrajaunes ([229]), la DRPP observe leur quasi-inexistence sur les réseaux sociaux, au profit d’un activisme « à l’ancienne », reposant sur la logique du bouche-à-oreille ([230]).

En dépit de cette culture de la dissimulation, l’ensemble des services de renseignement ont identifié l’utilisation massive et systématique des messageries cryptées tels que Signal ou Telegram afin de mobiliser leurs membres de façon instantanée, selon les circonstances propres à chaque manifestation. M. Denis Jacob, délégué général du syndicat Alternative Police CFDT considère que la vitesse d’exécution de cette phase préparatoire, quelques heures voire quelques minutes seulement avant la commission des violences, garantit l’efficacité de leurs méthodes :

« La question se pose de la manière d’anticiper leur action, notamment via leurs échanges sur les réseaux sociaux et les messageries cryptées. Cette situation nécessite un renforcement de la lutte contre la cybercriminalité. Il suffit à ces groupuscules d’un seul appel sur ces réseaux pour converger vers un point commun et agir. » ([231])

L’utilisation des messageries cryptées intervient clairement en amont de la présence des activistes d’ultragauche en marge des manifestations, comme le rappelle la DRPP : « Ils savent comment on travaille : ils laissent donc leur portable à la maison, ils débranchent tout […]. Pour préparer un black bloc comme celui de 2018, ils ont utilisé des cabines téléphoniques. » ([232]).

En dehors de la préparation immédiate du black bloc, les groupuscules d’ultragauche organisent des formations aux techniques émeutières, témoignant d’une détermination et d’une professionnalisation accrues, comme le souligne le SCRT :

« Des membres des noyaux durs peuvent s’entraîner. Certains suivent des entraînements clandestins à la défense, à l’attaque, aux manœuvres. Il y a des formations destinées aux soigneurs, des formations juridiques sur la façon de se comporter en garde à vue, des formations sur l’hygiène numérique, sur le cryptage des communications. Tous apprennent à ne pas emporter de téléphone dans des événements pour ne pas être retrouvé. Il y a aussi l’effet d’apprentissage des habitués qui, de manifestation en manifestation, ont acquis de l’expérience. À Nantes ou à Rennes, certains pratiquent depuis plus de quinze ans. Ils sont rodés » ([233]).

Lors de l’audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale, le major Laurent Cappelaere estime que « la préparation [des groupuscules d’ultragauche] est quasiment militaire, des groupes de réflexion se réunissent sur différents thèmes afin de procéder à des actions d’une grande violence » ([234]). Le ministre de l’intérieur évoque également « des camps d’entraînement [et] des tutoriaux sur le dark web » ([235]).

L’organisation régulière de sessions de formation destinées à acquérir les réflexes pratiques, juridiques et médicaux révèle une stratégie « réfléchie, pensée, et anticipée » ([236]) visant à organiser, de façon méthodique, les débordements en marge des manifestations, dans le seul souci de commettre le maximum de dégradations et d’actes de violence à l’encontre des forces de l’ordre, tout en minimisant le risque d’interpellation.

e.   Des relations distanciées avec la sphère politique mais des liens avec certaines structures syndicales et des groupes d’étudiants

i.   L’absence de contact avec la représentation partisane illustre la prise de distance de l’ultragauche vis-à-vis de la sphère politique

À l’issue des auditions menées par la commission d’enquête, il apparaît, selon votre rapporteur, que les groupuscules d’ultragauche n’entretiennent pas de relation de nature organique ou matérielle avec des partis ou groupements politiques ([237]).

Le rejet de la représentation institutionnelle exprimée par l’ultragauche s’oppose par nature à l’acceptation des règles démocratiques sur lesquelles repose le système électif. Ce hiatus entrave toute possibilité de rapprochement concret entre ces mouvances et une structure partisane concourant, selon l’article 4 de la Constitution, à l’expression du suffrage. Le journaliste Thierry Vincent se montre ainsi catégorique et traduit le point de vue exprimé par l’ensemble des personnes et institutions auditionnées par la commission d’enquête :

« Je n’ai jamais vu de lien avec des partis politiques institutionnels. Au contraire, la radicalité qu’incarne le black bloc s’est construite en opposition aux partis traditionnels, notamment les partis de gauche du champ démocratique. Pour mettre les pieds dans le plat, j’ai lu comme tout le monde que La France insoumise, notamment, est soupçonnée de complicité ou de connivence. Ce que je peux dire, c’est que je n’ai jamais vu quelqu’un lié de près ou de loin à La France insoumise, adhérents ou sympathisants, parmi les militants que j’ai longtemps interrogés. » ([238])

Troisièmement, les mouvances d’ultragauche se caractérisent par une désaffiliation politique qui imprègne, à des degrés divers, l’ensemble de la société. M. Thierry Vincent constate ainsi que « […] dans le cortège de tête, la plupart des mots d’ordre sont désormais des slogans anti-policiers plus que des revendications politiques d’extrême gauche classiques » ([239]).

L’essayiste Christophe Bourseiller partage cette analyse :

« Le phénomène de dépolitisation est réel. On le retrouve à l’ultradroite, où certains individus ont perdu le bagage idéologique de l’extrême-droite traditionnelle et se contentent de réactions ataviques. À l’ultragauche, les nouvelles générations semblent animées d’une conscience politique moindre. Cette tendance se traduit par la raréfaction des tracts distribués au cours des manifestations. Entre les années 1970 et les années 2000, à chaque fois que les autonomes frappaient, ils distribuaient des tracts, généralement rédigés dans une langue un peu célinienne. “Le plus vieux baptistère de France a été baptisé”, écrivaient-ils par exemple après avoir abîmé le baptistère Saint-Jean, à Poitiers. Depuis les années 2010, les tracts ont disparu. » ([240])

La déconnexion entre la sphère politique et l’ultragauche n’a toutefois pas empêché celle-ci de bénéficier d’une forme de bienveillance, voire de sympathie, exprimée par une partie des manifestants contre la réforme des retraites. Ce changement d’état d’esprit contraste, selon M. Christophe Bourseiller, avec l’hostilité idéologique dont découlaient les affrontements opposant les autonomes aux mouvements syndicaux et d’extrême-gauche lors des manifestations du siècle dernier :

« […] une grande partie de l’extrême-gauche éprouve [aujourd’hui] une forme de mansuétude à l’égard des autonomes. Elle n’est pas d’accord avec eux, mais elle les laisse faire ce qu’ils veulent. Au XXe siècle, il y avait de très forts affrontements entre les services d’ordre des mouvements d’extrême-gauche et les autonomes. Au XXIe siècle, c’est la tolérance mutuelle qui domine, y compris du côté des organisations syndicales. Ainsi, dans les manifestations, les autonomes ne reçoivent pas aujourd’hui le même accueil que dans les années 1970 […]. Alors qu’ils devraient être en rupture avec le monde, avec la société du spectacle, ils suscitent désormais une apathie souriante de la part de certains manifestants. »

De façon encore plus visible, des contacts réguliers, sinon une complaisance avérée, entre des groupuscules auteurs de violences au cours des manifestations du printemps dernier et certains milieux syndicaux ou estudiantins, ont été documentés par la commission d’enquête.

ii.   Les passerelles avec certaines structures syndicales et des groupes d’étudiants

Procédant de la radicalisation de la contestation contre la réforme des retraites depuis l’utilisation par le Gouvernement, le 16 mars 2023, de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, le processus d’unification du front politique et social a favorisé le rapprochement de certaines structures syndicales avec la mouvance d’ultragauche.

Cette connivence n’est pas inédite. Mme Isabelle Sommier a pu l’observer dans le cadre de ses travaux, rappelant le précédent constaté au cours des manifestations contre la loi « Travail » en 2016 : « des membres des black blocs ont souligné que la répression policière […] les avait beaucoup aidés car elle avait créé une solidarité avec d’autres militants, par exemple des syndicalistes de Solidaires, unitaires, démocratiques (SUD), auparavant hostiles. Une expression était même née, “totolidaires”, contraction du surnom des autonomes et du nom du syndicat » ([241]).

Cette solidarisation a pu se muer, lors de certaines manifestations et rassemblements organisés au printemps dernier, en une collaboration ponctuelle destinée à susciter, voire à accomplir, des actes pénalement répréhensibles.

À la suite du déplacement de membres de la commission d’enquête à Bordeaux le 17 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Bordeaux a indiqué, dans une contribution écrite remise à votre rapporteur, que plusieurs enquêtes pénales approfondies – dont certaines étaient encore, en septembre 2023, en cours ([242]) – avaient mis en évidence l’implication de l’organisation syndicale CGT-Énergie dans les coupures d’électricité ayant affecté plusieurs services publics lors de la manifestation organisée le 4 avril 2023, tels que l’hôpital Saint-André et la mairie de Bordeaux.

Dans une contribution écrite remise à votre rapporteur, la préfecture de Bordeaux précise également que des groupuscules d’ultragauche ont directement bénéficié du support de structures syndicales telles que Solidaires ou la CGT-Énergie, dont certains membres ont procédé à des coupures d’électricité ayant pour but de neutraliser le fonctionnement des caméras de vidéoprotection afin d’entraver l’action des forces de l’ordre.

Interrogée sur ce sujet par la commission d’enquête le 7 septembre 2023, la secrétaire générale de la CGT, Mme Sophie Binet, s’est émue des questions posées par votre rapporteur et a refusé d’exprimer une quelconque réaction de condamnation ou de soutien à l’égard des militants syndicaux mis en cause, entretenant, au passage, une forme de concurrence de légitimité entre organisations partisanes et syndicales :

« En ce qui concerne les questionnaires qui nous ont été adressés, la CGT a constaté bénéficier de quelques questions en bonus à propos de luttes décidées et organisées par les salariés eux-mêmes dans certains secteurs – celui de l’énergie par exemple. Nous comptez-vous donc parmi les groupuscules, alors que l’ensemble des organisations syndicales a plus d’adhérents que l’ensemble des organisations politiques ? » ([243])

S’ils demeurent heureusement isolés, et non-représentatifs de l’action syndicale menée contre la réforme des retraites, ces faits soulignent les passerelles existantes entre la violence à laquelle se livrent régulièrement les groupuscules d’ultragauche et les agissements d’une petite minorité de militants syndicaux qui, selon le SCRT, « se sont radicalisés et s’éloignent des méthodes classiques de la lutte sociale » ([244]).

Au-delà du champ syndical, le milieu estudiantin peut constituer un terreau fertile à l’épanouissement des thèses de l’ultragauche.

Les groupuscules d’ultragauche en font un vivier de recrues potentielles, s’inscrivant dans le processus de radicalisation idéologique qui caractérise les groupes « antifa ». Ainsi que le souligne la DRPP, des « lycéens vraiment convaincus peuvent […] se rapprocher de mouvements liés, par exemple, à l’Action antifasciste Paris-Banlieue. Il en est de même pour les étudiants. Ceux qui font ce choix sont les plus convaincus et ils n’ont pas peur du risque juridique. » ([245])

Le suivi des étudiants radicalisés s’avère toutefois délicat, « le monde universitaire, qu’il soit enseignant, encadrant ou étudiant, ne [coopérant] pas avec les services de renseignement » ([246]). Cette situation constitue une source de difficultés, d’autant plus que les enseignants-chercheurs sont des fonctionnaires de l’État.

M. Frédéric Veaux rappelle, à cet égard, que la participation d’étudiants aux actions conduites par les groupuscules d’ultragauche « est souvent facilitée par l’occupation de sites universitaires, foyer ou creuset du regroupement de ces militants, pour commettre des violences au cours des manifestations » ([247]).

La commission d’enquête a pu constater les synergies qui peuvent naître entre l’ultragauche et le milieu estudiantin. À Bordeaux, le blocage et l’occupation du 21 au 31 mars du site universitaire de la Victoire sont unanimement considérés par les représentants de la préfecture, les forces de l’ordre et les magistrats du tribunal judiciaire auditionnés par des membres de la commission d’enquête lors de leur déplacement à Bordeaux le 17 juillet 2023 ([248]), comme ayant facilité la création d’une véritable « base arrière » de préparation des actions violentes ayant émaillé les manifestations du printemps dernier.

Selon les éléments communiqués par la direction départementale de la sécurité publique de Gironde (DDSP), la direction zonale de la police judiciaire (DZPJ) et le tribunal judiciaire de Bordeaux, l’occupation de la faculté de la Victoire a constitué un refuge pour les activistes les plus virulents, permettant de former un « noyau conspiratif », « un lieu d’appel à émeutes », afin de planifier et développer des actions « coup de poing » en marge des rassemblements et manifestations. La DDSP et la DZPJ ont précisé à votre rapporteur que l’incendie de la porte de l’hôtel de ville, survenu le 23 mars 2023, semble avoir été organisé et déclenché depuis les locaux universitaires de la Victoire.

Contribution écrite remise par la direction zonale de la police judiciaire Sud-Ouest

Le site universitaire de la Victoire est apparu comme un point central des actions violentes. S’agissant de la dégradation de la porte de l’hôtel de ville, l’initiative semble partir de ce lieu et de la place de la Victoire. Le groupe s’est ainsi formé à cet endroit et a alors gagné la place Pey‑Berland, puis a pu rejoindre la place de la Victoire afin de se réfugier et se mettre à l’abri au sein de l’Université.

Lors de ces faits, les auteurs ont indéniablement profité de la configuration du centre-ville de Bordeaux et notamment de leur implantation au sein des locaux de l’université. Ce bâtiment, dans lequel certains manifestants actifs avaient trouvé refuge pendant cette période de tension sociale et au sein duquel certaines actions étaient très probablement décidées et organisées, leur a permis de se projeter très rapidement et discrètement sur des sites sensibles afin d’y commettre des exactions.

S’agissant de l’incendie de la porte de l’hôtel de ville, il apparaît clairement que plusieurs individus ont « suivi » le mouvement et ont été entraînés dans la commission des dégradations, soit directement sur le lieu même des faits, soit depuis la place de la Victoire voire, depuis les locaux de l’université.

Sollicité par votre rapporteur ([249]), le président de l’Université de Bordeaux, M. Dean Lewis, a indiqué avoir demandé à l’autorité préfectorale de faire évacuer le site par les forces de l’ordre ([250]) lorsqu’il a obtenu la preuve que la sécurité des personnes et des biens n’était plus garantie dans l’enceinte universitaire, notamment du fait de la détérioration des systèmes d’incendie. Pourtant, le 28 mars 2023, sept jours après le début de l’occupation de l’université, M. Jean-Marc Rouillan, co‑fondateur du groupe armé « Action Directe », condamné en 1989 et 1994 à la réclusion criminelle à perpétuité pour des actes de terrorisme ([251]) – et présenté par le groupe « Révolution permanente » comme un respectable « écrivain et prisonnier politique » –, a donné une conférence dans un amphithéâtre de la faculté, à l’invitation des étudiants occupant les locaux. Il a donc fallu dix jours de blocage et des dégradations évaluées à près de 750 000 euros ([252]) pour que la direction de l’Université de Bordeaux sollicite le représentant de l’État afin d’évacuer le site.

Ce délai interroge. En effet, les responsables universitaires savent parfaitement qu’il convient d’agir très vite et très tôt afin d’éviter au maximum les dégradations. À Bordeaux, la situation s’est enkystée, faute de réaction immédiate. Il convient de s’interroger sur la manière dont certains responsables universitaires se réfugient derrière le concept juridique de la « franchise universitaire » qui leur donne le pouvoir décisionnel en matière de police sur les campus, alors que d’aucuns ne l’exercent pas de manière satisfaisante afin d’assurer efficacement la protection des biens et des personnes.

La radicalité croissante exprimée lors des manifestations contre la réforme des retraites s’inscrit au-delà des revendications sociales traditionnelles, comme le souligne Mme Isabelle Sommier : « S’agissant des mouvances sur lesquelles je travaille – anarchistes, autonomes, etc. –, on observe depuis plusieurs années une évolution des thématiques vers les questions des libertés ainsi que, désormais, les questions animalistes et surtout environnementales. Ceci conduit à une porosité entre les radicalités d’ordre idéologique et d’ordre sociétal. » ([253])

Les actes de violences habituellement commis en marge des manifestations ne sont plus circonscrits aux seuls théâtres urbains. Ils prennent également appui sur des mouvances écologistes radicales.

2.   La galaxie des activistes écologistes radicaux : quand l’éco-anxiété est le support de la légitimation de la violence

La mouvance écologiste s’incarne dans une multitude de structures, agissant tant à l’échelle locale que nationale, donnant lieu à une diversification des profils de leurs membres, dont certains rejoignent ceux des activistes d’ultragauche, usent d’un discours médiatique radical, mêlant appel à la désobéissance civile et complaisance, voire incitation, à la violence.

a.   La myriade de structures composant la mouvance écologiste : chronique d’une radicalité annoncée

Auditionnés par la commission d’enquête, les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, auteurs de l’ouvrage L’affrontement qui vient : de l’éco-résistance à l’éco-terrorisme ? publié en mars 2023, catégorisent la mouvance écologiste en cinq fronts distincts mais complémentaires :

« Il y a le front du plaidoyer, avec des organisations plus anciennes comme Greenpeace ou Générations Futures. Il y a le front juridique avec France Nature Environnement qui rassemble 900 000 personnes et qui parvient souvent à empêcher des projets en justice. Il y a le front médiatique, avec Extinction Rébellion ou Dernière Rénovation, dont la mission est d’attirer les projecteurs sur la cause écologiste et de mettre l’écologie à l’agenda politique.

Il y a aussi le front des alternatifs, avec Alternatiba ou ANVCOP21, qui essaient de rendre l’écologie plus concrète et plus intelligible pour le grand public, en créant un modèle alternatif. Enfin, il y a le front de l’action directe et locale avec les Soulèvements de la Terre et aussi Terre de luttes, qui répertorie les projets à cibler pour le mouvement écologiste. Ces cinq fronts s’ajoutent au front politique, représenté par Europe-Écologie-Les Verts notamment. » ([254])

Si leurs rôles et méthodes diffèrent, leurs approches se révèlent complémentaires : « Ils se réunissent ponctuellement, à Sainte-Soline par exemple, et ils créent une constellation assez puissante dans le sens où chaque mouvement apporte son savoir-faire, ses pratiques et son expertise. » ([255])

Ces fronts constituent un chaînage dans lequel les structures les plus récemment créées prennent la forme de groupements de fait se rattachant, pour certaines d’entre elles, à des mouvements internationaux, à l’image d’Extinction Rébellion, fondé au Royaume-Uni en 2018, et importé depuis en France. Si elle peut être interprétée comme un éparpillement des moyens d’action fragilisant l’unité de la cause écologiste, la multiplication de ces groupes s’explique par une quête de radicalité, comme l’observent MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin :

« Au cours de notre enquête, nous avons observé un glissement rapide intervenu depuis 2018 et l’arrivée en France d’Extinction Rebellion, vu à ce moment-là comme un mouvement très radical. Aujourd’hui, il est largement dépassé en radicalité par des petits groupes qui revendiquent d’autres modes d’action et d’autres modes de pensée. » ([256])

Cette radicalité se concrétise par le biais de fortes mobilisations visant à contester des projets agricoles ou industriels considérés comme portant atteinte à l’environnement, ce que rappelle le SCRT : « Tout commence par une contestation de proximité de la part de personnes en désaccord avec un projet de construction d’un parc éolien, d’une usine de méthanisation ou d’une bretelle d’autoroute » ([257]).

Si elle témoigne, bien sûr, d’une évolution des discours au regard de l’aggravation des risques qu’engendre le changement climatique et de leur perception croissante par l’ensemble de la population ([258]), la radicalisation de la cause écologiste se traduit avant tout dans la manière de conduire des actions sur le terrain, dans une recherche assumée de visibilité médiatique et d’efficacité opérationnelle. Dans cette perspective, la réussite des actions accomplies s’évalue autant à la lumière de leur visibilité médiatique qu’à celle du résultat obtenu : l’abandon ou la destruction du projet contesté représente ainsi une fin en soi, celle-ci déterminant le choix du moyen considéré le plus pertinent pour atteindre l’objectif, même si la méthode utilisée est illicite ou entraîne des violences.

Le SCRT décrit un processus au terme duquel des groupuscules radicaux recourent aux méthodes éprouvées de la mouvance « ultra » pour réorienter les combats de la lutte environnementale :

« Parce qu’ils estiment le terreau propice, que le calendrier les intéresse ou qu’ils savent pouvoir manipuler la mobilisation citoyenne, des mouvements comme Extinction Rébellion proposent de passer à un niveau supérieur de contestation, proche de la désobéissance civile, par la confrontation voire le sabotage – terme littéraire auquel le code pénal préfère la qualification de dégradation de bien.

L’étape finale est l’apparition des Soulèvements de la terre, qui ont une culture de violence, prétendument de résistance, avec un vocabulaire de combat. Ces gens sont des anciens de Notre-Dame-des-Landes. Ils utilisent des pratiques d’ultragauche et de combat connues. Ils profitent de ces situations et, plus généralement, de la contestation environnementale, plus facilement recevable, pour créer désordre et chaos […] Les citoyens commencent alors à être dépouillés de leurs objectifs. » ([259])

Votre rapporteur décèle une analogie avec les techniques mises en œuvre par les groupuscules d’ultragauche lors des manifestations contre la réforme des retraites : les manifestants et militants écologistes pacifistes sont relégués derrière les activistes radicaux, dont la violence focalise l’attention médiatique. Les causes légitimement défendues par les premiers servent ainsi de prétexte, voire d’excuse, aux exactions commises par les seconds. La violence devient ainsi un objectif politique en soi parce qu’elle est perçue comme un gain politique. De toute évidence, cette violence a pour objet de développer la peur dans notre société.

Les luttes sociales et écologistes présentent toutefois une différence notable. Si la plupart des manifestants s’opposant à la réforme des retraites ne partageaient pas le corpus idéologique de l’ultragauche, le consensus sur le constat de l’urgence climatique et les mesures qu’il conviendrait d’adopter réunissent de très nombreux militants écologistes, atténuant les clivages qui séparent à ce jour les activistes de l’écologie radicale des militants récusant encore le recours à la violence. La subsistance d’antagonismes au sein de la sphère écologiste se résume essentiellement aux modalités par lesquelles la lutte doit se mener, et non au projet idéologique qui la sous-tend.

Il en découle, selon MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, la formation d’une « toile de collectifs interconnectés » ([260]), débouchant en 2021 sur la création du collectif des Soulèvements de la Terre, que la CNCTR appréhende comme le produit « d’un mouvement de convergence ou d’entrisme » formant « une sorte de creuset militant dont l’organisation est difficilement saisissable » ([261]).

Véritable « attrape-tout », revendiquant plus d’une centaine de groupes locaux et fondé sur un noyau dur de militants de l’ex zone-à-défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, ce groupement de fait, au sens de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, a fait l’objet d’un suivi particulier par le SCRT, dont une note intitulée « Les Soulèvements de la Terre, vecteur de radicalité des luttes écologistes », rédigée à la fin de l’année 2022 et relayée par la presse ([262]). Le SCRT y documente la composition, le fonctionnement et l’engagement du groupement de fait dans plusieurs dizaines de mouvements de contestations environnementaux sur l’ensemble du territoire.

La note du SCRT précise ainsi que « le manifeste détaillant les objectifs de ce mouvement a été signé par une centaine de collectifs, associations et personnalités, actant la volonté de constituer un front commun (ultragauche, syndicats agricoles, collectifs écologistes, riverains, etc.,), transcendant les appartenances d’origine et les divergences de stratégies (juridiques, citoyennes, occupations et actions plus offensives), dans une logique de transversalité des luttes afin de fédérer le plus grand nombre possible de militants et groupes issus d’horizons idéologiques différents ».

Poursuivant un objectif unificateur de l’ensemble des fronts de la cause environnementale, ce collectif développe une stratégie globale visant à intégrer sous sa houlette la totalité des structures et militants auxquels il apporte son concours :

« Le soutien des SLT à un combat local lui confère généralement une visibilité nouvelle et apparaît comme un accélérateur de luttes […]. Selon un principe de réciprocité, chaque organisation et collectif bénéficiant d’un appui des SLT s’engage à soutenir les autres luttes pour lesquelles les SLT sont engagés, amplifiant ainsi le nombre de manifestants et conduisant à une grande mobilité des militants sur l’ensemble du territoire national » ([263]).

Le décret de dissolution du collectif des Soulèvements de la Terre adopté en conseil des ministres le 21 juin 2023 ([264]) se fonde sur plusieurs éléments permettant, selon le Gouvernement, de caractériser les Soulèvements de la Terre en tant que groupement de fait « provoquant à des agissements violents contre des personnes ou des biens » ([265]).

Extraits du décret du 21 juin 2023 portant dissolution d’un groupement de fait

Considérant que le collectif « Les Soulèvements de la Terre » (SLT) a été créé début 2021 autour d’un noyau dur de militants, tous issus de l’ex‑ZAD de Notre-Dame-des-Landes et désireux d’exporter leur expérience et les stratégies violentes déployées localement durant la lutte contre ce projet aéroportuaire, à l’ensemble du territoire, parmi lesquels MM. X, Y et Z ; que ces militants, présents sur de nombreuses actions de contestation de projets d’aménagement, sont particulièrement connus et suivis des services de renseignement pour leur caractère violent et déterminé ; que le collectif, particulièrement identifié au sein de la mouvance radicale, a rapidement attiré à lui des activistes aguerris militants d’autres associations mais désireux de rejoindre des modes d’actions plus violents ; qu’il s’identifie au travers de sa dénomination et de son logo figurant sur toutes ses publications et constituant un moyen d’identification commun ; qu’il s’exprime par la voix de deux de ses dirigeants, X et Y, qui représentent le groupement, organisent les actions en son nom et les dirigent sur le terrain ; qu’il communique via les réseaux sociaux, ses pages dûment identifiées étant régulièrement alimentées et assurant la promotion de son idéologie, des actions qu’il organise et leur revendication a posteriori ; qu’il organise régulièrement, notamment sur l’ex‑ZAD de Notre-Dame-des-Landes sur laquelle X réside ou sur la ZAD du « quartier libre des Lentillères » à Dijon, des rencontres avec des collectifs locaux désireux de s’agréger, au coup par coup, aux campagnes des SLT en raison de leurs méthodes offensives, les dossiers sélectionnés par un comité centralisé bénéficiant ensuite de son appui logistique, humain, financier et organisationnel ; que l’ensemble de ces éléments permet ainsi d’établir l’existence d’un groupement de fait au sens de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;

Statuant en référé le 11 août 2023 ([266]), le Conseil d’État – preuve que notre État de droit fonctionne à plein et de l’indépendance de la Haute juridiction – a suspendu la dissolution des Soulèvements de la Terre, considérant qu’il existe un doute sérieux quant à la qualification retenue de « provocation à des agissements violents contre des personnes ou des biens » pour motiver la dissolution ([267]).

Le 27 octobre 2023, lors de l’examen au fond du décret de dissolution, le rapporteur public du Conseil d’État ([268]) s’est prononcé en faveur du rejet des requêtes en annulation ([269]). S’il estime qu’elles revêtent un caractère « implicite », les provocations aux atteintes aux biens commises par les Soulèvements de la Terre sont, selon lui, « documentées ». Le rapporteur public souligne que le « caractère récurrent » des actions mises en œuvre et le « nombre important de militants radicalisés » qu’elles mobilisent caractérisent « un trouble grave à l’ordre public ».

Convoqués en audition devant la commission d’enquête, les représentants habituels des Soulèvements de la Terre auprès de la presse et qui se revendiquent en être les porte-paroles ont refusé de comparaître ([270]). Le président de la commission a pris, en conséquence et avec le soutien de votre rapporteur, la décision de requérir de l’autorité judiciaire l’exercice de poursuites pénales ([271]).

b.   La fongibilité de l’écologie radicale dans l’ultragauchisme violent : le cas des Soulèvements de la Terre

En l’absence de statut légal, la plasticité des groupements de fait apparus dans la sphère écologiste complique la comptabilisation de leurs membres, ces derniers adoptant une simple logique déclarative ([272]). Cette plasticité est un choix stratégique pour échapper à l’État de droit.

Selon les éléments communiqués par le SCRT à votre rapporteur ([273]), les Soulèvements de la Terre ont été fondés par un noyau dur de militants d’ultragauche aguerris. Les dirigeants du mouvement sont majoritairement jeunes, urbains, diplômés, issus de milieux relativement aisés mais peu insérés dans le monde du travail. Ce profil correspond également à celui des membres de Dernière Rénovation et d’Extinction Rébellion, comme le précisent MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin : « La majorité de leurs membres à moins de quarante ans, la plupart ont un capital culturel élevé et, pour certains, un capital économique important » ([274]). M. Christophe Bourseiller observe que « ces groupes sont souvent dominés par des têtes pensantes, bac + 5 au minimum, issues des classes moyennes supérieures […] » ([275]).

Cependant, les fondateurs des Soulèvements de la Terre possèdent, contrairement à la plupart des militants de Dernière Rénovation ou d’Extinction Rébellion, une longue expérience militante acquise principalement dans les différentes « luttes » soutenues par la mouvance anarcho-autonome.

L’affiliation à la mouvance anarcho-autonome de nombreuses têtes d’affiche de l’activisme écologiste radical s’enracine dans la doctrine situationniste théorisée par Guy Debord, comme le remarque M. Christophe Bourseiller :

« Guy Debord publie [en 1972] les Thèses sur l’Internationale situationniste et son temps, où il estime que le plus grand péril qui menace la planète relève de ce qu’il appelle les “nuisances”, dont la pollution, définissant avant l’heure la thématique de la lutte écologiste. Absolument radical, hostile au jeu parlementaire, politique, partisan, il considère l’extrême gauche comme “l’extrême gauche du capital”. Debord part vivre à la campagne où, à sa suite, nombre de ses admirateurs s’installeront. De la fin des années 1990 au début des années 2000, de nombreux néo-ruraux créeront des “zones d’opacité” afin d’être moins contrôlables. Ce sont ces activistes qui seront à l’origine des “ZAD”, zones d’autonomie durable ou défensive et non, initialement, zones à défendre. Cette mouvance antiautoritaire compte, au maximum, un millier de personnes se déplaçant sans cesse d’un front de lutte à un autre. » ([276])

Les connexions entre les mouvances d’ultragauche et les Soulèvements de la Terre résident dans le soutien réciproque exprimé à l’occasion de manifestations et rassemblements récents, pouvant aller jusqu’à une double appartenance, comme le souligne M. Nicolas Lerner :

« Les thèmes de mobilisation de l’ultragauche sont la violence et l’oppression d’État, l’extrême droite, les symboles du capitalisme et, de façon croissante, les questions environnementales. La tendance nouvelle qui s’est affirmée ces derniers mois est la façon dont certains militants connus pour leur engagement à l’ultragauche ont épousé la cause environnementaliste. Ils ont mis leurs méthodes d’action, parfois violentes, à son service. » ([277])

Selon la DGSI, il est ainsi possible de distinguer une « appropriation des thèmes environnementaux par une partie de l’ultragauche […]. Sur ce dernier point, par-delà la proximité idéologique, les têtes pensantes des mouvements de défense de l’environnement, les Soulèvements de la Terre récemment, ont activement cherché à obtenir le soutien des antifascistes. Comme l’ont clairement documenté les services, sans préjuger de l’issue des procédures judiciaires, les émissaires des Soulèvements de la Terre ont, avant Sainte-Soline, fait le tour des communautés d’ultragauche en France et des sympathisants antifascistes en Europe pour les inviter à participer […]. La façon dont les thèmes environnementaux peuvent être utilisés par les mouvances d’ultragauche, à tout le moins rejoindre leurs préoccupations, est une nouveauté des derniers mois. » ([278])

Selon la formule du sociologue Colin Robineau, la radicalisation des militants écologistes s’articule à l’écologisation des militants radicaux ([279]). Mme Françoise Bilancini confirme cette évolution qui esquisse les premiers traits d’une convergence des luttes encore balbutiante ([280]) :

« Notre travail de veille a effectivement permis de découvrir que des militants de la mouvance antifasciste parisienne s’étaient rendus à deux reprises à Sainte-Soline […]. Nous les avons signalés aux collègues de Sainte-Soline. Nous avons échangé du renseignement opérationnel, des photographies.

Ils étaient à Sainte-Soline parce qu’ils savaient qu’il y aurait des manifestants d’horizons divers, que ça allait déborder. Ils sont comme des papillons attirés par la lumière : ils se mêlent à la manifestation pour la faire dégénérer, créer de la violence et se confronter aux forces de l’ordre. L’environnement n’est pas trop leur sujet et les bassines, à la limite, ils n’en ont pas grand-chose à faire. Mais elles rapportent de l’argent puisqu’elles bénéficient aux très gros producteurs de maïs de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), et c’est Vinci qui creuse les trous. Vinci, pour eux, c’est Satan. » ([281])

À l’issue du déplacement de membres de la commission d’enquête à Sainte-Soline le 6 septembre 2023, les éléments transmis par le procureur de la République de Niort à votre rapporteur ([282]) soulignent que, si la plupart des personnes poursuivies par la justice à la suite des manifestations des 24 et 25 mars 2023 ne présentent pas d’antécédent judiciaire, certains individus étaient déjà connus des forces de l’ordre, ou ont été condamnés pour leur participation à des actes violents commis lors du mouvement des « gilets jaunes » ou de contestation de la loi dite « El Khomri ».

Symétriquement, les déclarations publiques des Soulèvements de la Terre débordent des stricts enjeux environnementaux. À titre d’exemple, dans un tweet publié le 7 septembre 2023 en réaction au décès d’un individu à la suite d’un refus d’obtempérer, le collectif affirme que « la police est raciste. Elle mutile, tue et exige l’impunité » ([283]), reprenant le vocabulaire habituellement utilisé par les groupuscules d’ultragauche.

Au-delà du noyau d’activistes radicaux, les Soulèvements de la Terre parviennent à agréger de nombreux militants écologistes déçus des formes de mobilisation plus pacifiques, considérées finalement comme « stériles » ou « insuffisantes » ([284]). Une sorte de doctrine est désormais implicitement revendiquée : « la violence paie ». Dans sa note précitée, le SCRT documente ainsi le parcours individuel de plusieurs militants de la cause environnementale désireux de s’impliquer dans des « actions plus offensives et engagées » ([285]).

Le « syncrétisme militant » repéré à Sainte-Soline, que le SCRT appréhende comme un « modèle de synergie entre massification et radicalité » ([286]), n’est pas inédit. M. Christophe Bourseiller rappelle à ce titre la diversité des profils identifiés dans les ZAD, notamment à Notre-Dame-des-Landes :

« En ce lieu se côtoient des autonomes, bien sûr, mais aussi des gens qui pratiquent la permaculture ou qui veulent vivre différemment, loin de tout. Ces individus très divers ont un point commun : ils sont plutôt de sensibilité libertaire antiautoritaire, sans être tous violents pour autant. Ainsi, à Sainte-Soline, les autonomes sont partie prenante de quelque chose de plus large. » ([287])

Votre rapporteur considère que le creuset que constituent les Soulèvements de la Terre, mêlant des militants issus d’horizons divers, témoigne d’une transversalité qui surplombe les différences idéologiques et les structures institutionnelles composant la sphère écologiste. Cette recherche « d’unité dans la diversité » s’adosse à une radicalité pleinement assumée, au risque de légitimer, en creux, le recours à la violence. À travers cela, un risque de banalisation de la violence émerge clairement.

c.   De la désobéissance civile à l’action violente : un cheminement tortueux

i.   Un sentiment partagé d’urgence et de trahison

La radicalisation de l’activisme environnemental repose, en premier lieu, sur un constat partagé, certes à des degrés divers, par l’ensemble des militants écologistes : l’avenir de la planète est désormais menacé. Loin d’être un risque hypothétique, il s’agit d’un péril tangible, voire immédiat. Cette perception d’un danger vital pour l’espèce humaine imprègne plus particulièrement une partie de la jeunesse, comme le soulignent MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin :

« Le parcours typique que nous avons observé est celui de jeunes militants qui glissent très vite vers des modes d’action radicaux entre leur prise de conscience et leurs premières actions. Les thèses relatives à un effondrement prochain pénètrent cette jeunesse […] Ce malaise face à l’état du monde se combine à l’idée qu’il faut agir d’urgence pour pousser un certain nombre de jeunes à s’engager. Beaucoup ne croient plus au temps long ni à l’engagement politique traditionnel. Ils privilégient des actions très concrètes de blocage, de choc, voire de destruction. » ([288])

Le discours eschatologique de certains militants témoigne d’un profond malaise existentiel, comme l’illustrent les propos de M. Pierre Taïeb, membre du collectif Dernière Rénovation, lors de son audition par la commission d’enquête :

« Je vois d’autres jeunes gens qui, comme moi, sont poussés vers le précipice. Quand on a mon âge et qu’on regarde la réalité en face, quand on fait ce choix-là, on doit faire le deuil de ses projets de vie, de ses projets de famille, de son avenir. Imaginer un futur à plus de cinq ou dix ans n’a strictement aucun sens pour moi et tous les jeunes comme moi. » ([289])

M. Nicolas Lerner estime que la radicalisation des actes accomplis par certains activistes écologistes est directement liée à leur perception, indiscutable car irréfragable, d’un effondrement collectif imminent :

« Pour des militants de la cause environnementale, nous sommes confrontés à une menace climatique vitale pour notre pays, notre démocratie et le monde en général. Elle est non seulement vitale mais prochaine ; ce n’est pas l’explosion du soleil dans quatre milliards d’années, mais un péril à court terme. De surcroît, ils sont convaincus que les autorités font preuve d’une inaction coupable. Persuadés, en leur for intérieur, que nous menons l’humanité à sa perte sans en avoir conscience, ces individus considèrent les actions d’éclat et la violence comme la seule façon de provoquer une prise de conscience. Cette conviction, documentée et théorisée, est exprimée par de nombreux individus que nous suivons. Elle nous préoccupe. » ([290])

À cette peur collapsologique s’ajoute un puissant sentiment de désarroi, sinon de trahison, à l’encontre des décideurs publics locaux et nationaux. Ces derniers sont accusés de nier les conséquences du changement climatique, d’en accélérer délibérément les effets par les politiques qu’ils soutiennent, ou de susciter de faux espoirs en ne respectant pas leurs engagements, comme le déplore Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les-Verts :

« Les institutions […] sont malheureusement encore trop inactives face aux immenses défis environnementaux qui se révèlent à nous. Je rappelle que la justice européenne et la justice française condamnent certaines de ces institutions pour inaction climatique, pour manquement à la qualité de l’air, pour non-respect des règles européennes sur la chasse, pour absence d’une politique visant à protéger la biodiversité. Ce n’est donc pas une vue de l’esprit. » ([291])

Le collectif Dernière Rénovation se montre encore plus sévère : « D’une manière générale, l’action politique est indigente […]. Cette indifférence pour nos vies et ce choix des profits immédiats constituent un crime de masse […]. Le déni, le cynisme ne protégera personne. » ([292])

Les promesses nées des travaux de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), considérées comme non-tenues, ont catalysé les frustrations, confortant de nombreux militants dans l’idée que seule une action citoyenne menée sur le terrain est susceptible d’apporter des solutions concrètes à la crise écologique. C’est ce qu’explique Mme Youlie Yamamoto, porte-parole de l’association Attac : « En réponse aux défaillances de l’État et à l’inaction gouvernementale, l’action citoyenne, élément central qui garantit le bon fonctionnement d’un régime démocratique, est nécessaire. » ([293])

De ces attentes déçues naît une rupture avec les gouvernants que le sociologue Romain Huët analyse comme « l’expérience de l’incommunication » susceptible d’aboutir à l’expression de la violence : « Je ne vous apprends rien en vous rappelant qu’une série de diagnostics fait état du désastre de la situation environnementale. Or, le sentiment que ces constats ne sont pas écoutés est largement répandu. La violence est alors l’expérience de l’incommunication. Elle ne peut jamais, en effet, traduire un rapport d’écoute mutuelle. La désobéissance procède du sentiment qu’il faut faire effraction dans le présent, qu’il n’est plus possible d’attendre que la politique constituée affronte véritablement le problème. » ([294])

MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin observent cette transformation qui dépasse aujourd’hui le seul cercle des activistes radicaux :

« Ils disent être “la Terre qui se défend”. Ils se présentent en défenseurs de la planète, ce qui les rend légitimes, y compris à se détourner de la légalité et à parfois envisager la violence. Ce changement de logiciel touche à peu près tous les écologistes, des plus mesurés aux plus radicaux. Les dirigeants de structures modérées comme France Nature Environnement racontent que la base leur échappe de plus en plus : leurs militants, par une accumulation de frustrations et de colères, envisagent des actions qui étaient jusque-là exclues. » ([295])

Une controverse idéologique et sémantique majeure entoure désormais la défense de l’environnement : la désobéissance civile, méthode par nature non-violente, et principe revendiqué par la plupart des militants écologistes, conduit-elle, paradoxalement, à légitimer des actions violentes ?

ii.   Le recours à la violence : de la condamnation à la relativisation, de la réfutation à la justification

Matrices du mouvement écologiste, la revendication de la non-violence et son corollaire, la condamnation de la violence, ont été rappelées à plusieurs reprises lors des auditions de la commission d’enquête, ainsi que le souligne Mme Marine Tondelier :

« Chez Europe Écologie-Les Verts, nous avons toujours défendu l’idée que ce qui vient avec la violence n’aboutit jamais à rien de positif. La non-violence est au cœur de nos valeurs et de nos modes d’action, y compris la non-violence verbale dans nos échanges entre nous et avec les autres – la réciproque n’est pas toujours vraie. Nous regrettons et nous condamnons donc toujours les violences […]. Nous avons sur le sujet une position ferme et constante – j’insiste : constante. » ([296])

Les attaques violentes menées à l’encontre des forces de l’ordre à Sainte-Soline sont pleinement reconnues et font également l’objet d’une condamnation sans réserve : « Évidemment que certains membres des forces de l’ordre ont été attaqués ! Nous avons toujours condamné ces actions, pas seulement à Sainte-Soline. Tous les jours, dans toutes les émissions auxquelles je participais, on m’a demandé de m’excuser, en tant que cheffe de parti. On m’a aussi demandé si je condamnais les violences contre des policiers. À chaque fois, j’ai répondu par l’affirmative. On s’en est étonné et on a répliqué que c’était bien que je le dise. Je n’arrête pas de le dire ! » ([297])

Toutes les analyses et toutes les positions ne sont hélas pas aussi claires et usent d’un juridisme surprenant de la part d’acteurs prônant, par ailleurs, la désobéissance civile et donc le non-respect du droit.

Ainsi, bien qu’il prétende récuser lui aussi la violence comme moyen d’action, M. Bertrand Caltagirone, membre de Dernière Rénovation, prend la précaution de s’en tenir à la notion de violence prévue par le code pénal : « […] le droit pénal fait une distinction entre la dégradation et la violence, qui est exclusivement tournée vers les personnes. On parle de violence lorsqu’on s’en prend aux personnes et nous ne la légitimons en aucun cas » ([298]).

En conséquence, la définition retenue du terme de « violence », si elle s’avère conforme à sa stricte acception pénale, se veut délibérément restrictive, alors même que l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne distingue nullement la violence selon qu’elle est commise à l’encontre des personnes ou des biens. Et qu’à leur tour, les mêmes mouvements qui s’avèrent soudainement très soucieux d’une définition précise et juridique de la violence lorsqu’ils décrivent les actes commis par des activistes à l’occasion de rassemblements, se révèlent moins tatillons lorsqu’il faut englober sous ce terme « la violence d’État », « les violences policières », celles de « l’ultralibéralisme » ou encore les violences « capitalistiques » et « écologiques » commises contre l’environnement. Ici s’arrête la cohérence de leur pensée et de leur propos.

Limiter la violence aux seuls agissements perpétrés contre les personnes n’est bien sûr pas innocent. Il procède de la volonté de restreindre la portée de cette qualification, d’en vider au maximum la substance, dans le but de rendre acceptables, sinon légitimes, les dégradations et destructions de biens commises au nom de la cause environnementale. Celles-ci se trouvent alors exonérées d’une qualification  la violence encore considérée infamante et donc susceptible de discréditer les actions régulièrement menées par certains activistes écologistes.

Article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, alinéas 1er et 2

Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :

1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ;

Si votre rapporteur reconnaît la distinction entre dégradations matérielles et violences faites aux personnes, il récuse fermement cette approche qui constitue pourtant la pierre angulaire de l’argumentation de nombreuses personnalités et collectifs auditionnés par la commission d’enquête. S’abritant opportunément derrière cette distinction, ils en tirent parti afin d’étendre la portée des actions de « désobéissance civile » aux dégradations et aux destructions de biens, tout en revendiquant, avec solennité, leur attachement au principe de non-violence, après avoir préalablement réduit la notion même de violence à la portion congrue.

Si votre rapporteur constate le rejet unanimement exprimé par l’ensemble des auditionnés de toute violence à l’encontre des personnes, il s’oppose à l’idée selon laquelle les agissements violents contre les biens, pourtant réprimés par l’article L. 212-1 du code de la sécurité, devraient bénéficier d’un blanc-seing dès lors qu’ils seraient commis au nom de la défense de l’environnement ou de toute autre cause sociale ou politique. Cette relativisation, voire réfutation, d’une partie de la violence s’appuie sur une conception extensive de la « désobéissance civile », parée des vertus que lui conférerait notre histoire politique et sociale, quitte à tracer des parallèles fallacieux :

« Regardons l’histoire des droits de l’homme. Les luttes pour l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, contre l’apartheid en Afrique du Sud, pour le droit à l’avortement en France ont commencé par des manifestations interdites. Qui contesterait aujourd’hui que ces mouvements populaires ont fait avancer le droit ? » ([299])

Ce type d’analyse va parfois jusqu’à comparer l’Ancien Régime absolutiste, ses privations de liberté, son organisation monarchiste, sa conception d’une communauté divisée en ordres sociaux séparés, aux institutions de la Ve République et à une démocratie libérale qui justifierait d’en passer par un choc de nature révolutionnaire. Il s’agit d’une forme comme une autre de révisionnisme historique, particulièrement dangereuse tant elle s’invente de nouvelles Bastilles à détruire.

Selon cette nouvelle conception, la désobéissance civile, revendiquée ou consentie par plusieurs figures du mouvement écologiste ([300]), peut impliquer la commission d’infractions pénales, telles que celles incriminant la dégradation de biens publics ou privés, ce qu’admet implicitement M. Benoît Biteau, député européen :

« Quand quelqu’un se lance dans la désobéissance civile, il accepte la judiciarisation, mais il le fait pour alerter ses concitoyens. C’est grâce à la désobéissance civile que l’on n’a pas un grand parc militaire au Larzac, que l’on n’a pas le barrage de Sivens, que l’on n’a pas de gaz de schiste en France, que l’on n’a pas d’organismes génétiquement modifiés. La liste est longue. Elle rappelle que cette forme de lutte peut servir l’intérêt commun et garantir l’avenir des générations futures. » ([301])

Ces actes de violence contre les biens, quelles que soient les motivations invoquées, rompent avec le principe originel de la désobéissance civile théorisée en 1849 par Henry David Thoreau dont la protestation contre l’esclavagisme pratiqué dans le sud des États-Unis l’avait conduit à refuser d’acquitter ses impôts ([302]). Une volonté de draper de légitimité des actions illégales se dessine.

Auditionnés par la commission d’enquête, les représentants de l’association Attac estiment d’ailleurs que la désobéissance civile n’a pas vocation à être exclusivement non-violente :

« Nous nous revendiquons de la désobéissance civile. Nous excluons toute violence qui s’exercerait à l’encontre de personnes. En revanche, nos actions peuvent entraîner des dégradations légères de biens publics ou privés […] ([303]).

Il y a effectivement une lecture trop rapide de la désobéissance civile, portée aux nues parce qu’elle aurait été consensuelle dans le mouvement des droits civiques aux États-Unis. En réalité, les choses ont été plus complexes. L’articulation des différents mouvements, tactiques et pratiques a toujours été un débat, parfois conflictuel. Il l’est également aujourd’hui dans les mouvements sociaux en France. Il est le terrain d’alliances ponctuelles ou plus durables. Il n’existe pas, d’un côté, une bonne désobéissance civile strictement non-violente, même si c’est à celle-ci que nous nous référons, et, de l’autre, des actions qui seraient autres. La réalité est plus nuancée. » ([304])

Votre rapporteur réprouve les dégradations ou destructions de biens, fussent-elles légères ou motivées par des considérations respectables. Leur illégalité systématique et assumée ([305]) ne saurait être tolérée et encore moins encouragée dans un système démocratique régi par la règle de droit et dans lequel la loi représente l’expression de la volonté générale.

La relativisation des violences au motif qu’elles ne cibleraient aucunement les personnes, mais seulement les biens, se caractérise également par l’euphémisation des termes utilisés dans la justification des actions de sabotage notamment commises par les Soulèvements de la Terre, comme l’analyse le SCRT :

« Les stratèges des SLT ont ingénieusement réussi, par le concept de “désarmement”, à faire accepter la pratique de l’éco-sabotage à une masse de militants davantage adeptes d’actions de désobéissance civile […].

Les SLT ont pris soin de distinguer ce concept du sabotage, qui désigne une pratique, celle “d’altérer et d’endommager” sans rien dire de “l’intention qu’il y a derrière”, du désarmement, “qui signifie rendre inopérante des armes”, mettant ainsi en avant “la nécessité de détruire les armes qui détruisent la planète et ainsi faire obstacle à une plus grande violence” […].

En ancrant ces actions dans une logique défensive, les leaders des SLT sont parvenus à normaliser le recours au sabotage, la majorité des militants acceptant aujourd’hui, a minima, la nécessité de faire coexister différents modes d’actions. Preuve de la capacité d’influence des SLT, le terme de désarmement est d’ailleurs désormais repris par différents collectifs qui n’hésitent plus à revendiquer le franchissement d’une étape, rendue nécessaire par l’attitude des pouvoirs publics. » ([306])

La manipulation sémantique vise à transformer des actions violentes offensives en actes de résistance défensifs pour lutter contre la menace « écocide ». Elle est illustrée par les propos tenus par M. Julien Le Guet, porte-parole du mouvement Bassines non merci ! :

« Notre mouvement, avec une partie des collectifs qui nous accompagnent, revendique un moyen d’action que d’aucuns qualifieront de sabotage. Nous préférons parler de désarmement. Nous considérons que ces bassines, à l’image de celle que nous avons décrochée à Cram-Chaban, sont des ouvrages illégaux. S’ils ne le sont pas encore, ils sont destinés à le devenir. Ils vont à rebours de l’histoire. Ce sont des constructions écocidaires. » ([307])

Légitimer les agissements violents contre les biens, en plus de porter atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, peut ainsi constituer le « premier pas » vers un engrenage incontrôlable, rejoignant et nourrissant le passage à l’activisme violent.

Si la préservation de la vie humaine demeure une ligne rouge qu’aucun mouvement écologiste ne souhaite franchir, les actes de violence physique à l’encontre des forces de l’ordre sont régulièrement relativisés ou appréhendés comme une conséquence prévisible, certes malheureuse et condamnable, d’une montée en tension imputable aux seuls pouvoirs publics, et au bout du bout, aux attendus de la démocratie libérale.

Ainsi, Mme Florence Marchal, membre du collectif Dernière Rénovation, dénonce l’existence d’un « effet de loupe » visant à stigmatiser l’ensemble du mouvement écologiste : « La violence que vous évoquez m’effraie mais le projecteur que vous braquez sur elle me paraît disproportionné. Et, pendant ce temps-là, on ne parle jamais de la violence qui arrivera dans nos vies, dans celle de nos enfants et de nos petits-enfants. » ([308])

Si les violences commises à l’occasion des manifestations du printemps sont bien souvent relativisées, l’action des forces de l’ordre est, elle, lourdement et systématiquement incriminée : « […] ce qui me choque, ce n’est pas la violence dont vous parlez, mais les 6 000 grenades tirées, qui ne l’ont pas été par les manifestants ! Dans une perspective de proportionnalité, ce qui me choque, c’est que des gens soient envoyés dans le coma alors qu’ils ont une autre vie et qu’ils ne sont pas des black blocs ». ([309]). M. Jérôme Graefe, membre de la Ligue des droits de l’homme, considère que les blessures susceptibles d’être causées aux manifestants par les forces de sécurité intérieure sont plus graves que celles pouvant être infligées par les premiers aux seconds, tout en émettant des doutes sur la réalité des violences commises par les manifestants : « […] on ne peut mettre sur un pied d’égalité la violence exercée par l’État, d’une part, et ce qui peut être qualifié de violences commises par les manifestants, d’autre part. » ([310]) Il y aurait ainsi une bonne et juste violence opposée à l’action illégitime et injuste des forces de maintien de l’ordre.

Par ailleurs, l’échec des voies d’actions légales et non-violentes ([311]) aboutirait légitimement, presque mécaniquement au développement d’actions violentes, perçues comme un cri de désespoir que l’État s’obstinerait à ignorer.

Interrogé sur le port, par certains manifestants, d’objets susceptibles d’être utilisés en tant qu’armes par destination ([312]), M. Pierre Taïeb, membre de Dernière Rénovation, précise que « c’est en effet un problème. Mais la culpabilité n’est pas de ce côté-là. Elle tient à ce que l’action politique n’offre aucun espoir. La lutte non violente n’est absolument pas écoutée. C’est un problème grave, mais il faut remettre la culpabilité au bon endroit. » ([313])

M. Bertrand Caltagirone ajoute que « […] ce qui contribue à l’escalade de la violence, c’est l’indifférence des pouvoirs publics, le fait que les élites économiques refusent les mesures nécessaires pour restreindre la folie du système économique et le sentiment d’impuissance de tous les jeunes qui n’ont plus aucun moyen de défendre leur vie et leur avenir » ([314]).

Alternant minimisation et justification de la violence, que celle-ci s’inscrive ou non dans le champ de la désobéissance civile, les représentants des mouvements écologistes auditionnés par la commission d’enquête s’indignent également de l’emploi du néologisme « éco-terrorisme » par le ministre de l’intérieur ([315]) afin de désigner les actes violents commis au nom de la défense de l’environnement.

iii.   « L’éco-terrorisme » : un risque, pas une menace matérialisée

Appréhendée par l’ensemble des militants écologistes comme une tentative de criminaliser certains les modes d’action radicaux, la qualification « d’éco‑terrorisme » soulève des interrogations ainsi que l’observe M. Nicolas Lerner :

« La France n’a pas été confrontée, judiciairement parlant, à des actions écoterroristes. Aucun fait s’inscrivant dans la défense de l’environnement n’a été qualifié de terroriste par la justice » ([316]). Régie par l’article 421-1 du code pénal, l’incrimination d’acte de terrorisme est effectivement inopérante pour qualifier les actions violentes menées par des activistes écologistes radicaux.

La montée de la violence fondée sur la cause environnementale fait toutefois l’objet d’une vigilance indispensable. Inspirés par le théoricien suédois Andréas Malm, notamment auteur d’un ouvrage intitulé Comment saboter un pipeline ?, les Soulèvements de la Terre visent par exemple un objectif « d’articulation des luttes » ([317]) susceptible, à moyen terme, de recouvrir des réalités criminelles nouvelles. Lors de leur audition le 6 juillet 2023, MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin tentent d’évaluer cette hypothèse :

« Un agent des services nous a indiqué : “Je ne crois pas que ce soit le groupe Extinction Rébellion ou un autre qui va du jour au lendemain passer à l’action terroriste. En revanche, c’est au sein de ce type de groupe qu’on peut voir se structurer de toutes petites cellules de trois à cinq personnes qui vont fomenter un projet d’action clandestine”, qui pourraient entrer dans le giron éventuellement écoterroriste. Nous n’y sommes pas encore en France. Mais la dissolution des Soulèvements de la Terre peut éventuellement présenter ce risque. » ([318])

À cet égard, la DGSI suggère que « les récentes actions portées par la mouvance ou par des thèmes environnementaux – saccage d’une usine Lafarge, manifestation à Sainte-Soline – suggèrent que des militants assument un niveau de radicalité susceptible de les amener à une action terroriste. La limite aurait été franchie si, par exemple, les militants s’en étaient pris physiquement aux dirigeants de l’usine Lafarge, ce qui aurait pu faire basculer la qualification judiciaire des faits. » ([319])

À la lumière de ces analyses, votre rapporteur estime que la radicalisation d’une partie du mouvement écologiste, en repoussant progressivement les frontières de la désobéissance civile, comporte le risque de faire émerger de nouvelles formes de contestations. L’usage de la violence physique pourrait alors constituer, à l’image des modes opératoires des groupuscules d’ultragauche en marge des manifestations urbaines, un moyen d’action, susceptible de se banaliser à l’occasion des mobilisations locales ou nationales. Cette évolution pourrait même atteindre un point de non-retour, des individus finissant par se détacher des mouvances éco-activistes – dans lesquelles la violence est d’ores et déjà intégrée aux buts des mobilisations – pour s’autonomiser et rejoindre des formes d’action clandestine, conduisant, le cas échéant, à des menées de type terroriste.

Outre l’action violente des mouvances d’ultragauche et des activistes écologistes radicaux, un phénomène plus marginal, mais tout aussi sensible, a été identifié lors des manifestations du printemps 2023 : le basculement d’individus sans antécédent ni affiliation idéologique dans une spirale de la violence, relevant pour certains d’entre eux d’une délinquance opportuniste, et témoignant, plus généralement, d’une dynamique émeutière.

3.   Les individualités entraînées dans la spirale de la violence

Les membres des groupuscules d’ultragauche dissimulés au sein des black blocs ne sont pas les seuls auteurs des violences commises en marge des manifestations contre la réforme des retraites. Outre des délinquants « opportunistes », des individus « isolés » aux profils divers ont aussi été identifiés par les forces de l’ordre, ce qui met en relief les ressorts psychologiques et sociaux de leur basculement vers la violence.

a.   Des individus sans lien avec les groupuscules

i.   La participation de « madame et monsieur Tout-le-monde »

L’anticipation par les services de renseignement et les forces de l’ordre des risques de débordement lors des manifestations organisées à compter du 16 mars 2023 a été rendue délicate par la participation récurrente de manifestants, habituels ou occasionnels, aux agissements violents commis par les black blocs. L’agrégation d’individus sans lien avec les groupuscules d’ultragauche accentue l’insaisissabilité de ces phénomènes de violence, ce qui ne facilite pas la catégorisation et l’identification de leurs auteurs.

Fort de son expérience de ministre de l’intérieur lors de la crise des « gilets jaunes », M. Christophe Castaner observe que, « […] contrairement à ce que certains pensent, [ce ne sont pas] des personnes identifiées qui se donneraient rendez-vous pour semer le trouble. Si cela marchait comme ça, ce serait assez simple. La réalité, et je vais être provocateur, c’est que ce sont nos enfants qui décident, à un moment, de se joindre à un mouvement contestataire pour une cause qu’ils jugent noble, et qui participent ainsi à une forme de radicalité » ([320]).

Cette « masse composite » ([321]), si elle se greffe à l’activisme violent, ne présente pas de point commun avec les activistes d’ultragauche ni même avec les citoyens dits « déter » ([322]), ce que rappelle M. Frédéric Veaux :

« […] le profil des interpellés ne correspond pas à la description de ces radicaux. Ceux que nous arrêtons sont généralement inconnus des services de renseignement. Ils ne sont pas membres de syndicats ou de structures identifiées. Ils ont, pour leur grande majorité, de 20 à 28 ans, avec un profil étudiant, même si nous rencontrons quelques marginaux de plus de quarante ans, parfois sans domicile fixe. Ils sont quasi exclusivement de nationalité française, dont un bon tiers de jeunes femmes. Ils ne maîtrisent pas les codes et le vocabulaire de l’ultragauche. » ([323])

Les profils identifiés à l’issue des interpellations du printemps dernier illustrent l’absence de filiation idéologique précise. Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, évoque ainsi l’exemple d’un jeune homme ayant jeté un pavé sur un policier, lui occasionnant trente jours d’incapacité totale de travail : « À l’audience, il était désolé et a dit avoir été entraîné par le mouvement de foule. On aurait pu imaginer qu’il appartenait à un black bloc. Ce n’est pas ce qu’a démontré la procédure. » ([324])

Les éléments recueillis par le tribunal judiciaire de Bordeaux et communiqués à votre rapporteur font état de constats similaires ([325]). En effet, les personnes interpellées et placées en garde à vue présentaient, pour la plupart, peu voire aucun antécédent judiciaire ([326]). Le plus jeune interpellé était âgé de 16 ans et le plus âgé de 53 ans. Sur les 85 personnes gardées à vue pour des faits de violences commis en marge des manifestations, treize d’entre elles étaient des femmes, dix étaient mineures au moment des faits et trente-cinq étaient âgées de 19 à 23 ans.

Le général Christian Rodriguez confirme qu’il « est compliqué de dessiner le portrait-robot des individus [interpellés] de manière régulière » ([327]).

Cependant, les services de renseignement observent la présence croissante d’étudiants, voire de lycéens, parmi les auteurs de violences : « […] je ne peux pas nier un effet de galvanisation, notamment chez […] les gamins qui ont envie de se faire peur. Certains arrachent les petits marteaux dans les bus pour casser des vitrines et ils diffusent les images sur Instagram ou TikTok […]. Je ne pense pas qu’on retrouvera ces lycéens dans trois ans, une fois passée la crise d’adolescence. » ([328])

La recherche « d’adrénaline et de sensations fortes » ([329]) conduirait des centaines de profils à sombrer dans la violence : « À Lyon, de jeunes étudiants qui n’avaient jamais participé à des actions de voie publique s’étaient associés aux troubles par jeu ou par défi. Ils n’ont réalisé les faits commis, les infractions qui leur étaient reprochées et les conséquences qui en résultaient qu’après avoir été interpellés puis placés en garde à vue. S’en prendre aux forces de l’ordre, envoyer des pierres ou des pavés était pour eux une action de détente. » ([330])

Le sociologue Romain Huët observe que « […] le cortège de tête est rejoint par un très grand nombre de personnes qui attendent que quelque chose se passe avec, parfois, une forme d’impatience » ([331]).

La participation d’individus sans lien apparent avec les groupuscules d’ultragauche au sein des pré-cortèges se conjugue également à la présence de délinquants « opportunistes », profitant des troubles à l’ordre public pour s’attaquer à des commerces et y commettre des pillages.

ii.   La délinquance opportuniste

Qualifiés de « surfeurs de la manifestation » ([332]) par le criminologue Alain Bauer, des profils opportunistes se livrent à des actes de délinquance en marge des manifestations prenant appui sur les violences commises par les black blocs et avantage de l’état de confusion qui caractérise les débordements. Ces délinquants ne poursuivent aucun objectif contestataire précis et tirent simplement parti du désordre pour vandaliser et piller des boutiques situées à proximité du parcours.

Le préfet de police de Paris Laurent Nuñez souligne que « ce phénomène de délinquance opportuniste a été constaté de manière marginale au sein du mouvement récent, plutôt en fin de manifestation, sur les lieux de dispersion. C’était lors de la manifestation entre République et Nation, puis lors de la dispersion de la manifestation du 1er mai, où nous avons dû intervenir sur des tentatives de pillage de commerces qui laissaient davantage penser à des comportements délictueux qu’à des profils politiques radicalisés » ([333]).

Ces comportements s’avéreraient résiduels. Ils font l’objet d’une réponse policière rapide : « En investigation, nous sommes généralement efficaces pour identifier ces individus grâce à la vidéo et à la connaissance de la population dont les services de police disposent. Lors d’une manifestation qui se terminait place d’Italie, la brigade de répression de l’action violente motorisée a interpellé dans le métro des individus qui avaient pillé un magasin. » ([334])

Les services de renseignement identifient néanmoins plusieurs évolutions. Ainsi, la DRPP observe que ces délinquants peuvent contribuer à perturber, plus tôt que par le passé, le déroulement des cortèges : « Auparavant, ils intervenaient tardivement après les manifestations, à la nuit tombée, pour des actes de délinquance acquisitive. Désormais, ils arrivent à partir de dix-sept heures : c’est ce que l’on a vu à l’Opéra […] Le 1er mai, au début de la dispersion, un groupe a remonté l’avenue du Trône pour piller tous les magasins. » ([335])

Le SCRT identifie des spécificités régionales qui témoignent d’une forme de « professionnalisation » des actes de délinquance opportuniste à l’occasion des manifestations : « nous relevons un particularisme du Groupe Antifasciste Lyon et Environs dont l’emprise sur le quartier de La Guillotière lui permet de mobiliser une frange de la population dans des proportions que l’on ne constate pas ailleurs. Effectivement, des opportunistes, des casseurs, des pilleurs peuvent se mêler aux black blocs pour attaquer des magasins dans une volonté d’appropriation. Mais c’est dans des proportions bien plus importantes à Lyon du fait de ce particularisme. De plus, cette frange est rodée aux violences urbaines et l’on y retrouve des méthodes similaires aux black blocs. » ([336])

Le caractère hétéroclite des auteurs de violences interroge la grille d’analyse psychologique et sociale de ces comportements délictueux, dont les dimensions à la fois individuelles et collectives permettent d’appréhender une nouvelle dynamique émeutière.

b.   Une nouvelle psychologie des foules ?

L’analyse psychosociologique des mouvements de foules s’appuie historiquement sur les travaux de Gustave Le Bon, dont l’ouvrage Psychologie des foules paru en 1895 constitue une référence majeure, bien qu’elle fasse aujourd’hui l’objet de plusieurs remises en cause. En effet, l’hypothèse d’une forme de « régression intellectuelle » qui caractérisait, selon Gustave Le Bon, l’individu immergé dans un collectif ([337]) apparaît désormais discutable. Confrontés à de fortes tensions et craignant pour leur intégrité physique, les manifestants conserveraient toutefois leur discernement : ils éprouveraient plutôt un sentiment d’appartenance à une même communauté, entraînant en conséquence l’uniformisation de leur comportement.

La sociologue Isabelle Sommier évoque ainsi le renouvellement conceptuel apporté par les travaux du professeur Stephen Reicher ([338]) :

« Ce qui se joue de plus en plus dans le cortège de tête est lié au type de maintien de l’ordre : c’est une solidarisation entre, d’une part, des manifestants qui ne sont pas présents pour en découdre avec la police et, d’autre part, ceux qui sont venus spécialement pour cela, selon des logiques de situation sur lesquelles nous pourrons revenir. C’est la fameuse “nouvelle psychologie des foules”, étudiée par le sociologue britannique Stephen Reicher […].

On ne peut pas mettre ce paradigme en parallèle avec la vieille psychologie des foules du XIXe siècle qui considère que l’individu, dès lors qu’il est dans une foule, régresse sur l’échelle de la civilisation et redevient un barbare laissant libre cours à ses pulsions sous la pression de “meneurs fous”, selon l’expression de Serge Moscovici qui parlait de “somnambules” guidés par des fous. » ([339])

Se référant aux travaux de Stephen Reicher, Mme Isabelle Sommier rappelle que « l’émotion la plus mobilisatrice n’est pas la colère, mais la peur. Une foule qui était constituée de conglomérats gagne alors en cohésion, une identité collective se forme et elle légitime la résistance à ce qui est perçu comme une menace extérieure. C’est cela qui provoque la solidarisation d’individus comme vous et moi avec quelqu’un qui, par exemple, jette des pavés » ([340]).

Le major Patrick Boussemaëre témoigne de ce basculement psychologique qui affecte des individus pourtant désireux, initialement, de manifester pacifiquement : « […] au cours de ma carrière, je me suis rendu compte que des gens socialement bien établis réagissent parfois de manière insensée et deviennent aussi violents que certains casseurs, qui eux ne sont là que pour la violence » ([341]).

L’effet d’entraînement au sein d’un groupe, loin de se résumer à un acte grégaire dépourvu de toute signification idéologique, peut aussi être interprété comme l’expression d’un nouveau rapport avec le pouvoir. M. Nicolas Lerner estime que « ces manifestations sont une poussée d’adrénaline et une façon de satisfaire une haine recuite de l’ordre établi et des pouvoirs publics, d’exprimer un sentiment de discrimination et d’injustice, et de faire payer la société faute d’y trouver sa place. Des comportements individuels s’expliquent par ce genre de motivations » ([342]).

La désinhibition éphémère d’individus qui n’appartiennent à aucun groupuscule radical mais vont, le temps d’une manifestation, s’agréger au black bloc, traduirait également un « débordement d’énergie » déjà analysé par le sociologue Roger Caillois s’agissant des fêtes populaires, où les excès temporaires compensent l’ordre habituel et routinier de la vie quotidienne ([343]).

Au-delà de la grille de lecture psychologique, ces violences reflètent enfin une conflictualité politique singulière : le rejet d’une décision publique aboutit à transgresser des interdits légaux et moraux – le recours à la violence physique –, dans une ambiance d’effervescence presque festive, comme l’observe M. Romain Huët :

« Les participants sont majoritairement présents parce qu’ils sont persuadés qu’il va se passer quelque chose. Et il se passera quelque chose. Cela en dit long sur notre rapport au politique et sur notre difficulté à trouver des prises sur le monde dans lequel nous vivons, mais aussi sur le sentiment de déception et d’impuissance que beaucoup expérimentent […]. L’émeute donne lieu à une rencontre brutale avec le pouvoir […].

[D]ans un mouvement social ou une émeute, le pouvoir surgit, incarné par les forces de l’ordre. Michel Foucault explique que le pouvoir traverse quotidiennement nos vies de manière subtile. Or, dans une émeute, cette rencontre est dépourvue de subtilité : la matraque est le bout du pouvoir et l’image d’un pouvoir qui est à bout. L’émeute objective un pouvoir qui n’a plus rien de sophistiqué. Elle fait surgir le pouvoir et le met ponctuellement en déroute, ne serait-ce qu’en faisant échec à la mise en carte préparée par les préfectures.

Les manifestations sauvages ne sont pas toujours violentes. Elles peuvent se traduire par des casses mais aussi par des expressions de joie. Pendant les manifestations contre la réforme des retraites, c’était la joie d’avoir déjoué la planification stratégique et le contrôle de l’espace autorisé pour les manifestants. Il y a eu assez peu d’affrontements dans ce cadre. Or, cette rencontre brutale avec le pouvoir est quasiment impossible dans la vie quotidienne. » ([344])

La triple analyse sociale, psychologique et politique de ces dynamiques émeutières renvoie à un constat déjà établi par le rapport d’enquête remis par notre ancien collègue Jérôme Lambert en janvier 2021 ([345]) : l’escalade des tensions lors des manifestations bouleverse la doctrine et les pratiques du maintien de l’ordre, à l’épreuve des exactions régulièrement commises par les groupuscules radicaux en marge des cortèges.

Pourtant, des solutions opérationnelles et juridiques existent afin de préserver l’exercice du droit de manifester tout en réprimant, sans excès ni faiblesse, les auteurs de violences.

 


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III.   La nécessaire adaptation du maintien de l’ordre et des dispositions administratives et judiciaires à la lutte contre les violences collectives

La nature et l’ampleur des violences, agressions et dégradations, qui ont été commises entre le 16 mars et le 3 mai 2023 sur l’ensemble du territoire national, démontrent la nécessité d’interroger les instruments dont dispose l’État pour assurer l’exercice des libertés d’expression et de manifestation dans des conditions conformes aux principes républicains. Il s’agit de garantir le bon déroulement des manifestations et rassemblements organisés dans le respect de la loi face aux menées de groupes ou d’individus qui tiennent la violence pour légitime dans le règlement des conflits et des divergences d’opinions au sein d’une société pluraliste. Un tel défi soulève la question des modes opératoires ainsi que des ressources opérationnelles et juridiques à la main des autorités publiques pour prévenir et juguler les actions violentes susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux individuels et collectifs, à commencer par celui de manifester dans l’espace public, ainsi qu’à la protection des personnes et des biens.

Au regard de l’état des lieux dressé au fil des travaux et déplacements de la commission d’enquête, votre rapporteur estime que ces enjeux essentiels appellent deux réponses concertées. D’une part, la modernisation des instruments du maintien de l’ordre et un meilleur contrôle de l’activité des forces de sécurité intérieure s’imposent évidemment au vu de l’expérience récente. D’autre part, la modernisation du droit applicable, déjà engagée, doit se poursuivre dans le respect des libertés publiques afin d’appréhender des phénomènes délinquants singuliers et d’assurer leur traitement judiciaire de manière efficace.

A.   Moderniser le maintien de l’ordre et mieux contrôler l’activité des forces des sÉcurité : des exigences indissociables

Les conditions du maintien de l’ordre dans le contexte des manifestations et des rassemblements en France suscitent des controverses récurrentes, notamment depuis le mouvement de contestation de la loi dite « Travail » du 8 août 2016 ([346]) et le mouvement des « gilet jaunes » en 2018-2019. Ainsi qu’en témoignent les différents propos tenus au cours des auditions conduites par la commission d’enquête, les interventions des forces de l’ordre au cours des manifestations et rassemblements du printemps 2023 donnent lieu à des appréciations extrêmement contrastées et trop souvent à de simples postures.

Certains observateurs estiment que les événements ont apporté la preuve de l’excellence du « maintien de l’ordre à la française ». Ce point de vue fait écho à l’analyse de Me Thibault de Montbrial, président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure, qui a estimé : « Beaucoup a été fait avec le schéma national du maintien de l’ordre et la loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations. Globalement, je considère que les dispositions prises par les gouvernements successifs vont dans le bon sens » ([347]). D’autres acteurs, à l’instar de Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, affirment au contraire que « la doctrine de maintien de l’ordre à la française, considérée exemplaire par un syndicat de policiers, ne l’est plus depuis de nombreuses années » ([348]). Pour leur part, des experts indépendants des Nations unies, dans une déclaration qui ne constitue pas un rapport engageant l’organisation onusienne, ont cru devoir exprimer « leur inquiétude face aux allégations d’un usage excessif de la force des récentes manifestations contre la réforme des retraites et les projets de méga-bassines en France » ([349]).

Mieux vaut se garder de toute conclusion hâtive. Rapporté au nombre des manifestants ou des participants à des rassemblements non déclarés ou interdits, le décompte des blessés et le nombre des arrestations à l’issue du printemps ne caractérisent pas en eux-mêmes ce que certains appellent, par commodité ou dans un esprit polémique, un système organisé de « violences policières ». En outre, les causes et les circonstances des blessures subies par des manifestants, mais aussi par des membres des forces de l’ordre, restent à établir dans nombre de cas. Ceci explique la poursuite de diverses investigations judiciaires et la saisine des services d’inspection et de contrôle de la police et de la gendarmerie nationales. Il appartiendra aux tribunaux d’établir les faits et de déterminer, au cas par cas, les responsabilités éventuelles incombant aux uns et aux autres.

Au-delà de manquements individuels toujours possibles et toujours condamnables, l’efficacité du maintien de l’ordre implique de satisfaire trois besoins : premièrement, stabiliser une doctrine d’emploi des forces confrontée au renouvellement des conditions et exigences des opérations ; deuxièmement, consolider les ressources humaines et matérielles nécessaires au regard des besoins ; troisièmement, affermir la confiance dans le contrôle de l’activité des forces de sécurité intérieures, conditions du très commenté « lien police-population » et nécessité absolue pour l’action des forces de l’ordre républicaines.

1.   Une doctrine d’emploi des forces à stabiliser face au renouvellement des conditions et exigences du maintien de l’ordre

La doctrine du maintien du maintien de l’ordre dans le contexte de mouvements revendicatifs mise en œuvre pendant la période du 16 mars au 3 mai 2023 procède du schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) en vigueur depuis décembre 2021 ([350]). Établi par les services du ministère de l’intérieur à l’initiative de Christophe Castaner ([351]) et publié par son successeur Gérald Darmanin, ce document détermine le cadre d’exercice et les modalités opérationnelles du maintien de l’ordre applicables à l’ensemble des manifestations – pacifiques, violentes, urbaines, rurales, ou autres. Il s’impose à l’ensemble des forces de police et de gendarmerie.

Le schéma national du maintien de l’ordre consacre les principes et objectifs assignés aux forces en rappelant, par exemple, les exigences d’exemplarité et de professionnalisme auxquelles chacun est soumis. Il énonce les conditions de leur emploi, les moyens et les dispositifs sur lesquels elles peuvent s’appuyer. Il détermine également les rapports qui doivent prévaloir avec d’autres acteurs présents sur les lieux des manifestations et rassemblements ([352]). Cette reformulation récente de la doctrine du maintien de l’ordre fait suite au mouvement des « gilets jaunes » : l’État a cherché à tirer les enseignements d’une crise marquée par des exactions répétées et par l’infiltration systématique des casseurs au sein des manifestations.

Publié dans une première version en septembre 2020 ([353]), l’actuel schéma national du maintien de l’ordre intègre les modifications apportées par le ministère de l’intérieur en conséquence de plusieurs arrêts du Conseil d’État ordonnant l’aménagement de certaines des dispositions initiales.

À la lumière du déroulement des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, la mise en œuvre de la doctrine du maintien de l’ordre soulève deux questions essentielles : d’une part, la pertinence du positionnement et des hypothèses d’intervention des forces de sécurité ; d’autre part, le choix des priorités dans la conduite des opérations du maintien de l’ordre.

Dans cette optique, votre rapporteur estime que les orientations qui sous-tendent le schéma national du maintien de l’ordre doivent être analysées de manière pratique. Il faut, pour cela, prendre en considération trois objectifs dont la satisfaction ne va pas sans difficulté : d’abord concevoir et effectuer des interventions dans un environnement complexe et adverse, ensuite organiser une coopération avec les organisateurs et les participants des manifestations, enfin assurer sa juste place à la presse pour garantir l’expression pluraliste inhérente à une manifestation et permettre l’observation indépendante de leur déroulement.

La décision du Conseil d’État relatives

au schéma national du maintien de l’ordre

Depuis la publication de la circulaire du 16 septembre 2020, le schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) a fait l’objet de plusieurs recours contentieux destinés à obtenir la suppression de certaines de ses dispositions.

Dans un arrêt du 10 juin 2021 ([354]), le Conseil d’État annule quatre dispositions du SNMO portant sur :

 la possiblité d’un encerclement des manifestants : le Conseil juge la disposition illégale en l’absence de conditions précises quant aux hypothèses justifiant l’emploi de cette technique ; il estime que l’objectif énoncé de contrôler, d’interpeller ou de prévenir la poursuite de troubles à l’ordre public ne garantit pas que l’encerclement soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances ;

 l’obligation pour les journalistes d’obéir aux ordres de dispersion de la police ou de la gendarmerie : le Conseil annule la disposition du SNMO qui imposait aux journalistes de se placer en dehors des manifestants objet d’un ordre de dispersion. Il affirme que les journalistes doivent pouvoir continuer d’exercer librement leur mission d’information et ne peuvent être tenus de quitter les lieux s’ils se placent de telle sorte qu’ils ne puissent confondus avec les manifestants ou faire obstacle à l’action des forces de l’ordre. Le Conseil d’État consacre le même principe pour les observateurs indépendants ;

 des restrictions au port de protection par les journalistes lors des manifestations : le Conseil estime que les conditions admises dans le SNMO pour l’usage d’équipements de protection par les journalistes excèdent les exigences du code pénal et revêtent un caractère ambigu et imprécis ; du reste, il indique qu’il n’appartient pas au ministre de l’intérieur, dans une circulaire visant à encadrer l’action des forces de l’ordre en matière de maintien de l’ordre, d’édicter ce type de règles à l’attention des journalistes comme de toute personne participant ou assistant à une manifestation ;

 la limitation du canal d’information destiné aux journalistes aux seuls journalistes accrédités : le Conseil relève que le SNMO ne précise ni la portée, ni les conditions, ou encore les modalités de délivrance de l’accréditation qui conditionnerait l’accès au canal d’information ; il y voit le risque d’une atteinte disproportonnée à la liberté de la presse, la rédaction floue de la disposition pouvant autoriser des choix discrétionnaires.

Source : communiqué de presse du Conseil d’État sur la décision du 10 juin 2021.

a.   Des interventions à concevoir et à mener dans un environnement complexe

Formalisé par les circulaires du 16 septembre 2020 et du 15 décembre 2021, le schéma national du maintien de l’ordre s’efforce de concilier deux éléments fondamentaux dans la conception des opérations de maintien de l’ordre : d’une part, le maintien à distance et la désescalade ; d’autre part, l’intervention rapide de forces mobiles en cas de besoin ([355]). En principe, leur mise en œuvre implique un positionnement en marge des cortèges et des rassemblements ainsi décrit par le préfet de police de Paris, M. Laurent Nuñez :

« Nous donnons de la distance. Nous ne nous rendons pas visibles. Nous n’intervenons qu’en cas d’exaction. Puis nous nous retirons. Par conséquent, nous demandons aux forces de l’ordre d’être très loin et d’agir très vite. […] Les policiers demeurent éloignés et ne sont généralement pas présents, sauf en tête de cortège. Nous leur demandons en revanche d’être très réactifs. Ainsi, dès que les exactions commencent, que ce soient des dégradations, des pillages ou des violences contre les forces de l’ordre, nous intervenons de manière mobile et réactive pour disperser les fauteurs de troubles et si possible les interpeller. Nous nous retirons ensuite le plus rapidement possible pour laisser le cortège se dérouler. » ([356])

En cela, la doctrine du maintien de l’ordre appliquée entre le 16 mars et le 3 mai 2023 s’inscrit dans le respect des préceptes régissant l’intervention des forces de sécurité intérieure. Ce que confirment les syndicats : en l’absence d’activistes violents aux abords du cortège syndical, la mise à distance est la règle acceptée et les manifestations se déroulent normalement. Ce constat rejoint la remarque de M. Christophe Castaner à propos des intentions qui présidaient à l’élaboration du schéma national du maintien de l’ordre : « Nous n’avons pas abandonné, avec le passage à cette doctrine de réactivité et d’intervention, la doctrine du maintien de l’ordre à distance. Elle est restée à ce moment-là, de même que dans le schéma national du maintien de l’ordre adopté ensuite, la doctrine principale. » Suivant la précision apportée par l’ancien ministre de l’intérieur, « nous nous sommes seulement placés dans le cas où des violences conduisent à des modalités d’intervention différentes, qui permettent d’agir. En l’absence de violence, les forces de l’ordre encadrent les manifestations à distance : cette règle n’a jamais changé au cours des dernières années » ([357]).

Ainsi que l’a souligné l’ancien préfet de police de Paris Didier Lallement, le « schéma national de maintien de l’ordre n’impose pas de doctrine très précise. Il évoque la nécessité de s’adapter » ([358]). En dépit de la dénonciation d’un système policier violent par nature et par principe entretenue par une partie des acteurs publics, rien ne permet d’établir que le schéma national de maintien de l’ordre en vigueur soit à l’origine de l’exacerbation des tensions observables dans les manifestations et rassemblements organisés pendant la période de référence. La montée en puissance progressive des activistes violents est d’ailleurs ancienne, dépasse largement le seul cadre français et précède le SNMO adopté en 2020. En revanche, les travaux de votre rapporteur mettent en lumière l’effort que nécessite l’adaptation constante du positionnement des forces à la progression des cortèges et aux mouvements des éléments potentiellement perturbateurs qui en instrumentalisent le déroulement et les mots d’ordre.

Une première difficulté peut découler de la tension dans l’articulation entre la mise à distance, qui permet d’éviter la confrontation, et la capacité de mobilité, qui permet d’intervenir. Au regard du déroulement du rassemblement interdit tenu à Sainte-Soline le 25 mars 2023, cette conciliation ne va pas de soi suivant les effectifs mobilisés, les stratégies de confrontation conduites par les individus violents, les exactions commises et les sujétions qu’impose le terrain. À bien des égards, elle dépend des solutions opérationnelles que les forces présentes sur place peuvent déployer, ainsi que de la possibilité d’une coordination entre elles.

Des modalités divergentes d’intervention

des forces de l’ordre en Europe dans les manifestations

En Allemagne, la doctrine du maintien de l’ordre ne repose pas sur la mise à distance des manifestants et des auteurs de violence, mais sur l’établissement d’un rapport de force physique, ce qui nécesssite le déploiement de forces très importantes. En conséquence, les autorités ont fait le choix de « sur-équiper » les unités en termes de protection et d’accroître les effectifs déployés sur le terrain, afin d’être à la fois en capacité d’absorber le choc (résilience élevée) et de saturer l’espace par la présence policière.

Le Portugal privilégie une entrée en contact direct avec les manifestants dès les premières exactions, avec un usage immédiat et accepté des bâtons de défense.

Sources : réponses aux questionnaires adressés à la direction générale de la police nationale et à la direction générale de la gendarmerie nationale.

Il existe aussi, dans la définition des tâches assignées aux forces de l’ordre, un antagonisme potentiel entre, d’une part, le maintien à distance et la désescalade et, d’autre part, les objectifs de nature judiciaire relatifs à l’interpellation des auteurs d’infraction. Ainsi que l’ont relevé plusieurs intervenants, « la volonté d’interpeller [..] suppose d’aller au contact physique alors que le principe du maintien de l’ordre est la mise à distance » ([359]). Or, comme observé précédemment, l’objectif de nombre de groupuscules violents est d’affronter les forces de l’ordre, de créer le trouble et de commettre des exactions, y compris en portant atteinte à l’intégrité physique et donc à la vie des policiers et gendarmes. Il s’avère donc difficile de procéder à des interpellations lorsque les forces disponibles doivent elles-mêmes, sans abandonner leur mission de maintien de l’ordre, assurer leur propre défense face à des agresseurs ne connaissant pas de limites et prompts à modifier leurs tenues vestimentaires afin de ne pas être identifiés.

La seconde difficulté pour la mise en œuvre de la doctrine du maintien de l’ordre découle de la forme et de la dynamique des manifestations et des rassemblements, marqués par la présence plus systématique et parfois plus massive d’un bloc radical mobile et la multiplication de mouvement non structurés.

Ainsi que l’a observé l’ancien préfet de police de Paris, M. Didier Lallement, « longtemps, notre système de maintien de l’ordre était fondé sur un rapport de force assez statique : les cortèges étaient encadrés par des services d’ordre ; les fonctionnaires de police ou les gendarmes mobiles prenaient place à des endroits connus. On savait à peu près où auraient lieu les frottements et on connaissait ses interlocuteurs, à part quelques exceptions comme mai 1968 ou les manifestations parisiennes de la fin de la guerre d’Algérie » ([360]).

À la lumière des violences et dégradations examinées par la commission d’enquête, les principales difficultés rencontrées en matière de maintien de l’ordre entre le 16 mars et le 3 mai 2023 concernent les rassemblements spontanés, ainsi que la marche interdite de Sainte-Soline. Dans ce dernier cas, la commission d’enquête a même pu observer le refus de principe des organisateurs de coopérer avec l’autorité administrative et les forces de l’ordre, dans une savante et dangereuse entreprise visant, précisément, à déstabiliser la nécessaire opération de maintien de l’ordre. Or, l’encadrement de ce type d’événements comporte nécessairement des incertitudes dès lors qu’il est impossible d’établir des rapports de coopération avec des interlocuteurs identifiés et responsables. Ainsi que le souligne M. Denis Jacob, délégué général du syndicat Alternative Police CFDT, « [c]e qui distingue une manifestation déclarée d’un mouvement spontané est que la première est préparée avec les forces de sécurité et les services d’ordre des organisations syndicales, qui restent en contact permanent avec les forces de l’ordre par radio. Il est donc beaucoup plus facile pour nous de surveiller une manifestation déclarée. Pour une manifestation interdite, nous estimons au jugé le nombre de personnels que nous devons mobiliser » ([361]).

Suivant la réflexion de M. Didier Lallement, la mise en œuvre du précepte de mobilité opérationnelle soulève la question du format et de la structuration des unités déployées dans le périmètre des mouvements revendicatifs. En pratique, elle impose un arbitrage difficile entre la recherche d’une capacité de réaction, qui peut impliquer le recours à des formations réduites, et le risque d’exposer les personnels en les faisant opérer en effectifs réduits. Selon M. Didier Lallement, cette alternative découle très directement de l’évolution des conditions du maintien de l’ordre :

« La composition même de notre dispositif était fondée sur ce principe statique : les compagnies et les escadrons ne se scindent pas au-delà de la demicompagnie ou de la section, ou du demiescadron, c’est-à-dire qu’on descend rarement en dessous de vingt personnes. Or, nous sommes, en ce qui concerne les effectifs de la préfecture de police, descendus au niveau du groupe, soit six personnes. Fractionner autant est dangereux car ces petits effectifs deviennent vulnérables. Mais c’est aussi très efficace car vous étendez la zone de contrôle. » ([362])

Vulnérabilité contre efficacité, à l’évidence, l’articulation des forces déployées constitue un enjeu primordial pour l’adaptation des dispositifs du maintien de l’ordre à des éléments radicaux et activistes de plus en plus mobiles dans les cortèges. C’est la raison pour laquelle votre rapporteur estimerait utile d’évaluer la pertinence opérationnelle de l’articulation et du format des forces affectées aux opérations de maintien de l’ordre au regard des exigences du schéma national du maintien de l’ordre. Un tel travail pourrait avoir pour cadre naturel les instances des directions générales des forces de sécurité nationale afin d’évaluer périodiquement les conditions de mise en œuvre de la doctrine, à l’exemple des comités spécialisés de la gendarmerie nationale ([363]).

Recommandation n° 2 : Évaluer la pertinence opérationnelle de l’articulation et du format des unités de maintien de l’ordre affectées à l’encadrement des rassemblements et des manifestations au regard des exigences du schéma national du maintien de l’ordre.

b.   Un besoin de coopération renforcée avec les organisateurs et les participants des manifestations

Au-delà du positionnement des unités et des techniques d’interventions, le bon déroulement des manifestations et des rassemblements dans le cadre de mouvements revendicatifs suppose une certaine capacité de dialogue entre les autorités administratives, les forces de l’ordre, les organisateurs et les participants.

Cette conception contemporaine imprègne aujourd’hui un certain nombre de doctrines du maintien de l’ordre, à l’exemple de la « gestion négociée de l’espace public » (GNEP) pratiquée en Belgique qui, malgré des remises en cause, fait encore figure de modèle au plan théorique.

Concept et limites de la gestion négociée de l’espace public en Belgique

En Belgique, la gestion des manifestations procède de la mise en œuvre du concept de gestion négociée de l’espace public (modèle GNEP). Succédant à une approche fondée sur le principe dit de « Law and Order » qui faisait prévaloir un strict contrôle de l’espace public et des rassemblements, les principes de GNEP ont été formalisés par la circulaire CP4 du 11 mai 2011 du ministre de l’intérieur, leur traduction en termes opérationnels ayant été effectuée par la circulaire ministérielle OOP 41 du 31 mars 2014. Dans ce cadre, la gestion des grands rassemblements repose sur la communication et la négociation entre les participants à l’évènement et les autorités.

La base opérationnelle sur laquelle le maintien et le respect de l’ordre public sont assurés sur le terrain est élaborée par les forces de police sous la forme d’un « ordre d’opérations ». Celui-ci précise les principes d’intervention et les limites préalablement arrêtés par l’autorité administrative sous l’ordre de laquelle les forces de police agissent. Outre le respect des principes fixés dans la loi sur la fonction de police, le contenu de l’ordre d’opérations est inspiré par les concepts de politique policière dans l’optique d’un exercice des pouvoirs de police tourné vers la communauté et guidé par l’objectif d’assurer l’information et la mise en place d’une organisation intégrale.

Une analyse des risques, tant dans une perspective opérationnelle que dans une recherche du bien-être des membres des services de police, précède l’ordre d’opérations et détermine les modalités d’intervention des services de police.

Toutefois, la mise en œuvre du modèle GNEP se heurte aujourd’hui à de nouvelles formes de protestations et de manifestations qui ne sont plus organisées de manière traditionnelle et pour lesquelles les services de police ne parviennent plus à identifier un organisateur ou un point de contact clairement défini.

Dans son exposé d’orientation politique du 6 novembre 2020, la ministre de l’intérieur Annelies Verlinden déclarait : « Le modèle existant de la GNEP débute par une concertation préalable entre les différents partenaires. La police doit cependant faire face à des difficultés sur ce plan, en raison de nouveaux mouvements sociaux présentant la particularité de ne pas avoir de leader ou interlocuteur (par exemple, les Gilets jaunes). Parallèlement, les manifestants ont gagné en rapidité grâce à l’utilisation des réseaux sociaux. La police devra pouvoir intervenir de manière plus rapide et plus mobile dans son action ».

La ministre indiquait par ailleurs : « Il est essentiel de développer une nouvelle approche policière en matière de préparation et de gestion de ces nouveaux modes de protestation, et ce dans le respect de la philosophie de la gestion négociée de l’espace public. Il conviendra dès lors d’adapter toutes les facettes de la gestion opérationnelle des événements aux nouvelles formes de protestation. Il s’agit notamment de la collecte d’informations, de l’analyse des risques, de l’engagement de capacité, des techniques et tactiques policières, de la for-mation et des entraînements, ainsi que de la communication par des équipes spécialisées ».

Ce travail d’actualisation est encore en cours.

Source : réponses au questionnaire adressé au Centre européen de recherche et de documentation (CERDP).

En France, le schéma national de maintien de l’ordre accorde une place centrale à l’établissement de canaux de communication et d’information avec les organisateurs des manifestations, ainsi qu’avec les manifestants, démarche considérée prioritaire dans la gestion de l’ordre public ([364]).

En elle-même, l’analyse des manifestations et rassemblements de la période du 16 mars au 3 mai 2023 ne porte pas à remettre pas en cause ces ambitions dans le contexte de mouvements revendicatifs d’ampleur perturbés par l’irruption d’éléments activistes et radicalisés. Elle révèle toutefois la nécessité d’un perfectionnement des dispositifs et des pratiques dans trois domaines : la communication avec les manifestants, la coopération avec les services d’ordre des syndicats, et la pratique des sommations.

i.   La communication avec les manifestants : un axe à approfondir

Depuis sa publication, le schéma national du maintien de l’ordre prévoit pour chaque manifestation ou rassemblement l’établissement d’un dispositif de liaison et d’information ([365]). Sa mise en œuvre donne lieu à deux types de mesures.

D’une part, le dispositif de liaison et d’information comporte des publications et les actions de communication. Les publications peuvent prendre la forme de communiqués de presse relatifs, par exemple, aux conditions de circulation, aux périmètres interdits ou restreints, ou encore aux itinéraires des manifestations. Les actions de communications sont variées. Elles peuvent amener les autorités à tenir des conférences de presse destinées à informer des mesures prises par arrêté préfectoral, comme l’interdiction de vente et de consommation de boissons alcooliques ou l’interdiction de la vente et de l’utilisation d’artifices de divertissement.

D’autre part, le schéma national du maintien de l’ordre prévoit la mise en place d’équipes de liaison et d’information (ÉLI). Placés sous l’autorité du directeur du service d’ordre, ses membres assument une mission exclusive de toute autre pendant la manifestation. Leur rôle consiste à nouer un contact régulier avec les organisateurs pour les prévenir de tout incident sur le parcours (rue bloquée, intervention des secours, etc.) et des mouvements des forces de l’ordre (charge imminente, raisons d’une interpellation, etc.). Il leur incombe également de transmettre au commandement chargé du maintien de l’ordre les demandes des organisateurs et les questions urgentes, telles que la prise en charge de blessés. Le schéma national précise que l’obligation de communication avec les manifestants reste valable dans les événements dépourvus d’organisateur.

L’étude du déroulement des manifestations et rassemblements entre le 16 mars et le 3 mai 2023 met en lumière une capacité inégale des forces de maintien de l’ordre, suivant les lieux et les circonstances, à informer les manifestants de la situation et des manœuvres qu’elles peuvent être conduites à accomplir pour contenir les éléments du bloc radical, notamment dans le précortège. Selon plusieurs témoignages, dont celui de Mme Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT ([366]), ce problème de communication a pu se poser notamment dans la phase de dispersion des cortèges et des rassemblements, « moment crucial, qui dure un certain temps », alors que l’affluence des participants rendait les manifestations particulièrement denses. Dans un tel contexte, il faut poser la question des moyens d’informer l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, tâche qui excède le rôle des syndicats, comme le souligne le secrétaire général de Force ouvrière, M. Frédéric Souillot :

« Tous les syndicats passent un message sur le déroulement de la dispersion. Les procédures sonores d’information devraient débuter plus tôt. Les organisations syndicales sont en lien avec les forces de l’ordre puisqu’elles ont déclaré la manifestation, mais tous ceux qui rejoignent le cortège ne savent pas forcément où et quand aura lieu la dispersion, par exemple à dix-huit heures place d’Italie. » ([367])

Ces constats font écho aux observations du préfet de police de Paris, M. Laurent Nuñez :

« Nous rencontrons effectivement des difficultés s’agissant de l’information qu’il convient de fournir. Nous procédons souvent par des sommations, mais un degré plus élevé d’audibilité est nécessaire. […] Récemment, certains députés insoumis ont attiré mon attention sur le fait que l’on n’a pas toujours conscience et connaissance des manœuvres engagées lorsque l’on se situe dans le précortège. Il s’agit de l’un de nos points d’amélioration. » ([368])

Dès lors, il importe de renforcer les moyens de communication des forces de l’ordre sur le lieu des manifestations. Cette démarche répond d’abord à une nécessité pratique : celle de favoriser la régulation du flux des participants au cours des manifestations et rassemblements, puis à leur dispersion. Mais il s’agit aussi de fournir aux personnes de bonne foi les informations claires qui leur permettent de s’orienter, d’éviter la proximité des attroupements violents et de se conformer aux consignes de sécurité délivrées par les autorités.

Suivant la remarque de Mme Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT ([369]), les forces de l’ordre d’autres États européens recourent à des dispositifs techniques tels que les messages sonores et les panneaux indicateurs. Il conviendrait de s’en inspirer dès lors que de telles méthodes paraissent de nature à satisfaire aux exigences consacrées par le schéma national du maintien de l’ordre. De ce point de vue, l’Allemagne semble offrir un exemple à étudier, ce que confirme Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

« Cela marche bien en Allemagne, par exemple, grâce à l’usage de panneaux lumineux et de micros. Afin d’éviter que les gens soient pris de panique, la police prévient qu’elle va intervenir 200 mètres plus loin pour isoler un groupe et elle demande aux autres manifestants de ne pas bouger. » ([370])

Ainsi que l’a laissé entendre M. Laurent Nuñez, la préfecture de police pourrait se doter de nouveaux panneaux lumineux qui délivreraient des informations précises. Jusqu’à présent, les forces de l’ordre utilisaient de manière seulement occasionnelle des « panneaux à messages variables » ([371]).

Votre rapporteur soutient cette initiative puisse se généraliser, la diffusion de messages clairs et explicites dans la conduite des opérations de maintien de l’ordre constituant un besoin clairement identifié pour le bon déroulement des manifestations.

Recommandation n° 3 : Doter les forces de l’ordre de moyens techniques (panneaux indicateurs, dispositifs sonores) permettant d’assurer l’information des participants aux cortèges et rassemblements sur le lieu des manifestations et de communiquer efficacement à leur destination.

ii.   La coopération avec les services d’ordre des syndicats

À la lumière des exactions survenues en marge des manifestations et des rassemblements organisés entre le 16 mars et le 3 mai 2023, il s’avère impératif d’améliorer les rapports fonctionnels entre les forces de l’ordre et les services d’ordre des syndicats sur le terrain.

Le propos n’est pas ici d’assigner aux centrales syndicales un quelconque rôle dans les opérations de maintien de l’ordre. Il est entendu que leur responsabilité se borne à assurer le bon ordre au sein des cortèges. Ainsi que l’a rappelé Mme Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, un service d’ordre comme celui de la CFDT « vise à protéger [les] militants dans un cortège constitué et, avec celui des autres organisations syndicales, à assurer la protection du carré de tête, composé des responsables politiques des différentes organisations, ainsi que la bonne marche du cortège, conformément à la déclaration préalable en préfecture, du point de départ au point d’arrivée définis. Il est constitué de militants volontaires, recrutés au sein de chaque organisation » ([372]). Les syndicats n’en apportent pas moins une contribution essentielle à l’expression et au déroulement, dans les meilleures conditions au regard de l’ordre public, des mouvements revendicatifs. Or, les éléments recueillis au cours de la commission d’enquête mettent en évidence deux difficultés majeures dans le dialogue entretenu avec les autorités publiques.

La première difficulté tient à un affaiblissement certain des moyens déployés par les structures syndicales pour la protection des manifestations et rassemblements organisés à leur initiative au regard des capacités d’action et du sens de la manœuvre des éléments activistes et radicaux.

Selon Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le constat vaut en particulier pour le service d’ordre de la CGT :

« Les black blocs deviennent de plus en plus professionnels quand les services d’ordre, notamment celui de la CGT, connaissent le mouvement contraire. Leurs troupes sont vieillissantes et clairsemées alors que les black blocs sont très mobiles. » ([373])

Cette faiblesse relative s’explique probablement par une absence de renouvellement générationnel et par l’attrition des services d’ordre, ainsi que par une sous-estimation persistante de la force désormais acquise par les éléments perturbateurs par rapport à leur propre capacité d’intervention :

« [L]e service d’ordre de la CGT a mis du temps à intégrer le changement de rapport de force, notamment dans la taille et la qualité des effectifs, sans parler de l’âge des militants et de leur capacité à courir. Un vieux cheminot et un jeune militant n’ont pas les mêmes capacités physiques. Ce service d’ordre a longtemps continué à prendre les groupes anarchistes et autonomes de haut, considérant leurs membres comme des blancs-becs et des bourgeois ». ([374])

Les considérations recueillies par la commission d’enquête donnent à penser que les organisations syndicales mesurent aujourd’hui cette difficulté et tendent à renforcer leurs équipes. En revanche, il ne paraît pas établi qu’elles disposent toujours des moyens d’intervenir face aux désordres susceptibles d’affecter le déroulement des cortèges et des rassemblements. Cette incertitude existe notamment face aux menées des black blocs. De fait, l’histoire récente des mouvements sociaux comporte des épisodes au cours desquels les militants des centrales syndicales ont pu être pris à parti par ce type de groupuscules. Mme Isabelle Sommier a rappelé que, « [l]e 1er mai 2021, la CGT a été prise pour cible ». D’après ses observations, son service d’ordre « a fini par intégrer sa faiblesse et il cherche dorénavant à éviter que les débordements ne touchent leurs manifestants. Ils n’ont plus l’ambition d’expulser les black blocs. D’ailleurs, une partie des syndiqués de base ne voit pas ces derniers d’un mauvais œil, considérant que les manifestations traditionnelles n’obtiennent rien et que la violence est du côté de la police » ([375]).

Cette analyse est partagée par M. Christophe Bourseiller, tant sur ses éléments historiques que dans sa lecture des évolutions contemporaines :

« Jusqu’à la chute du mur de Berlin, la Confédération générale du travail (CGT) était connue pour avoir un service d’ordre pléthorique, très dur, qui nettoyait tout sur son passage. La police n’avait pas besoin d’intervenir. Les autonomes priaient même pour que ce soit la police qui vienne à leur rencontre, tant le service d’ordre syndical était violent. […] On ne rigolait pas ! Lorsque le mur de Berlin est tombé, la CGT s’est ouverte et diversifiée. Son service d’ordre s’est réduit comme peau de chagrin. Quand les autonomes sont revenus à l’assaut, au début des années 2000, les organisations syndicales ont demandé à la police de faire son travail afin de manifester tranquillement. Le retour des services d’ordre est récent. Il date d’il y a deux ou trois ans. On l’a vu dans les manifestations contre la réforme des retraites. Après le cortège de tête, trois épaisseurs de gros bras syndicaux forment désormais une sorte de couloir hermétique. » ([376])

La seconde difficulté dans la coopération entre les organisations syndicales et les autorités publiques porte sur l’encadrement des cortèges par les forces de l’ordre. Au-delà du positionnement périphérique des effectifs qui est la conséquence du principe de mise à distance – objet d’appréciations divergentes ([377]) –, plusieurs problèmes pratiques ont été révélés par les travaux de la commission d’enquête.

Le premier d’entre eux concerne la gestion de l’accès aux cortèges. En l’occurrence, des alertes lancées par les responsables syndicaux mettent en lumière une sécurisation inégale entre la phase de rassemblement des participants, objet de mesures de surveillance strictes, et celle de la dispersion, divers groupes et individus rejoignant alors le rassemblement sans filtrage spécifique. Cette faille de sécurité ressort du témoignage de M. Cyril Chabanier, président de la CFTC :

« Nous sommes très contrôlés pour accéder au point de rassemblement duquel s’élance la manifestation, même en portant les chasubles et les drapeaux de nos organisations, alors qu’il ne s’y produit aucune violence puisque les affrontements ne commencent jamais avant le début du défilé. Au contraire, il est particulièrement simple de rejoindre le point d’arrivée, parfois même avant le démarrage du cortège. » ([378])

Ce constat rejoint celui de M. Jean-Philippe Tanghe, secrétaire général de la CFE‑CGC qui relève que « les fins de manifestation ne sont pas toujours sécurisées, notamment pour les derniers arrivants » ([379]).

Le second problème a trait à la gestion des flux nécessaire à la bonne progression des défilés en milieu urbain. Certes, les forces de l’ordre développent depuis plusieurs années des méthodes susceptibles de faciliter la bonne marche des cortèges en cas de forte affluence ou de difficulté de circulation. Il en va ainsi des parcours de délestage. Ainsi que l’a souligné M. Jean-Philippe Tanghe, secrétaire général de la CFE–CGC, ils constituent une « innovation très satisfaisante », en ce qu’« elle évite la création d’îlots fixes et elle permet au cortège d’avancer avec régularité » ([380]). Le secrétaire général de Force ouvrière, M. Frédéric Souillot, a également salué l’identification de ces voies annexes qui « absorbent le nombre très important de manifestants et garantissent le bon exercice de la liberté de manifester » ([381]).

Toutefois, l’expérience des manifestations parisiennes dans la période étudiée par la commission d’enquête démontre la portée limitée des outils désormais classiques de régulation des manifestations face aux désordres semés par les éléments sortis des précortèges. Des groupes comme les black blocs ont le pouvoir d’influer sur la progression du défilé, en s’infiltrant au sein du cortège principal et en contraignant les forces de l’ordre à des interventions qui conduisent à le segmenter. Ce risque ressort très nettement de la description livrée par le préfet de police Laurent Nuñez des difficultés rencontrées dans la gestion de certaines manifestations :

« Il est très difficile d’agir sur un black bloc de 1 000 personnes, que ce soit pour une compagnie républicaine de sécurité, un escadron de gendarmerie mobile ou une compagnie de la direction de l’ordre public et de la circulation. […] Si le black bloc souhaite arrêter le défilé, il peut le faire. Quelquefois, il le fait. […] Dans deux ou trois cas, des black blocs, lorsque nous sommes intervenus, ont reflué dans le cortège. Cela s’est produit lors de la première manifestation. Dans un cas, des éléments du black bloc ont même pénétré dans le carré de tête, ce qui nous a obligés à y intervenir pour aller les récupérer. » ([382])

Accessoirement, il semble que le positionnement des forces de police et de gendarmerie ait pu conduire les services d’ordre des centrales syndicales à assumer de fait des tâches de régulation de la circulation au passage des cortèges. Ce constat conduit Mme Sophie Binet, secrétaire général de la CGT, à estimer qu’« il serait bon que l’autorité publique prenne en charge les conséquences des manifestations sur la circulation urbaine » ([383]).

Naturellement, la puissance publique ne saurait suppléer les syndicats dans l’organisation des manifestations et le déploiement d’un service d’ordre. Bien au contraire, la réintroduction de méthodes d’encadrement syndical autrefois éprouvées doit être renforcée et déployée méthodiquement par les organisations syndicales elles-mêmes.

Toutefois, les difficultés observées au printemps dernier appellent un approfondissement des pratiques et des dispositifs d’application du schéma national du maintien de l’ordre. Comme observé précédemment, la présence d’officiers de liaison auprès des organisateurs des manifestations constitue un soutien précieux et indispensable dans la supervision des cortèges et dans l’aplanissement des difficultés inhérentes aux grands rassemblements.

Aussi le rapporteur préconise-t-il le renforcement des effectifs des équipes de liaison et d’information, de sorte que les services d’ordre puissent disposer d’un interlocuteur identifié et en permanence à leurs côtés à chaque étape des manifestations et rassemblements. Au-delà des syndicats, une telle mesure pourrait également présenter un intérêt pour l’accompagnement des organisations étudiantes et lycéennes, au regard des observations du secrétaire général de la CFE–CGC, M. Jean-Philippe Tanghe, quant à leur relative inexpérience du bon déroulement des manifestations revendicatives ([384]).

Recommandation n° 4 : Conforter les effectifs et la présence des officiers de liaison dans les manifestations et les rassemblements dont les organisateurs sont déclarés et identifiés.

iii.   Les sommations : une procédure à clarifier

Les questions relatives à l’intelligibilité des sommations découlent directement des difficultés pratiques constatées, entre le 16 mars et le 3 mai 2023, au moment de la dispersion de certains cortèges et rassemblements organisés, après sommation, et face à des manifestations interdites et des rassemblements spontanés.

Le droit applicable assigne aux sommations une double fonction ([385]). Elles marquent à la fois un changement du statut juridique des personnes demeurant sur les lieux d’une manifestation achevée et une modification des conditions de recours à la force publique. Elles avertissent que le rassemblement relève désormais de l’attroupement : il acquiert ainsi un caractère illégal exposant la responsabilité pénale des personnes présentes et pouvant justifier l’usage de la force afin de le disperser ([386]).

Au regard du grand nombre d’évènements entrant dans le champ de ses travaux, les éléments recueillis par la commission d’enquête n’ont permis ni de mettre en doute, ni de confirmer absolument la parfaite exécution des sommations à l’issue des rassemblements et des manifestations de la période. En revanche, leur perception et leur portée auprès des manifestants et des participants nourrissent de légitimes interrogations.

Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, affirme que « […] les personnes n’entendent pas les sommations et elles n’ont pas le temps de se disperser. Nous avons des exemples concrets de cas où des gens essayant de se disperser se sont réfugiés dans des halls d’immeuble ou des parcs parce qu’ils étaient gazés et n’avaient pas le temps de sortir du cortège, ou parce qu’ils étaient nassés. Ils se sont fait interpeller au moment où ils ont voulu rentrer chez eux » ([387]). Ces observations font écho à la remarque générale formulée lors de son audition par M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II : « Les sommations ne sont en effet pas entendues. Elles interviennent dans un contexte chaotique. Les participants sont souvent surpris » ([388]).

Votre rapporteur estime que la France ne saurait conserver, dans son droit, un mécanisme juridique pourtant clef dans la gestion du maintien de l’ordre et en termes de qualification pénale, mais inopérant dans la pratique, au motif qu’il fonctionne parfaitement en théorie. Il est impératif de donner à l’instrument des sommations sa pleine portée afin de permettre aux manifestants de bonne foi de se dissocier des éléments activistes et violents, ce qui suppose un message clair et intelligible en toutes circonstances. La satisfaction de cet objectif passe sans doute moins par des mesures juridiques que par un effort de pédagogie.

Le décret n° 2021‑556 du 5 mai 2021 a d’ores et déjà remanié les articles du code de la sécurité intérieure relatifs aux sommations effectuées par les forces de l’ordre afin de les rendre plus actuelles et plus compréhensibles ([389]). La formule traditionnelle commandait : « Obéissance à la loi. Dispersez-vous ! ». L’article R. 211‑1 dispose désormais que l’avertissement aux personnes présentes sur les lieux d’une manifestation achevée est exprimé en ces termes : « Attention ! Attention ! Vous participez à un attroupement. Obéissance à la loi. Vous devez vous dispersez et quitter les lieux. » En outre, l’article fait obligation aux forces de l’ordre de prononcer expressément deux sommations : « Première sommation : nous allons faire usage de la force. Quittez immédiatement les lieux ! » puis « Dernière sommation : nous allons faire usage de la force. Quittez immédiatement les lieux ! ». La dernière sommation doit être réitérée en cas d’usage imminent des grenades et des lanceurs employés dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre ([390]).

Ainsi que l’a noté le général Christian Rodriguez ([391]), le schéma national du maintien de l’ordre comporte un certain nombre de dispositions relatives à l’information des participants aux manifestations avant leur tenue. Outre l’équipement des forces de l’ordre en dispositifs d’information adaptés et en instruments sonores efficaces, il apparaîtrait utile que le dispositif d’information et de liaison contribue à améliorer les connaissances du public à propos du régime des sommations. De manière pratique, votre rapporteur préconise d’intégrer aux mesures de communication des supports explicatifs sur les obligations des participants et sur les conséquences encourues en cas d’attroupement.

Recommandation n° 5 : Diffuser des supports explicatifs du régime des sommations dans le cadre du dispositif de liaison et d’information déployé préalablement aux rassemblements et manifestations.

c.   Un statut à définir pour les journalistes et les observateurs

Cette préoccupation revêt pour votre rapporteur un caractère d’autant plus essentiel que l’ensemble des témoignages portés à la connaissance de la commission d’enquête rendent compte des risques encourus et des aléas de la couverture des manifestations et rassemblements du printemps dernier.

Les évènements de la période révèlent l’hostilité affirmée que subissent les journalistes et les médias, donnant lieu à de nombreuses violences physiques et verbales commises à l’occasion des manifestations. Cette situation contraint les organes de presse à des mesures de précaution dans le format et l’escorte de leurs équipes, dans le choix des terrains de reportage et dans l’anticipation des risques au regard de la nature des évènements couverts. Les journalistes et les personnels techniques développent également des procédés devenus communs dans la profession afin de garantir leur sécurité, telles qu’une anonymisation des équipements ou un accompagnement par des gardes du corps.

Les témoignages recueillis par la commission d’enquête montrent que cette menace diffuse revêt un caractère plus fréquent et aigu depuis le mouvement des « gilets jaunes ». Selon certaines analyses, les évolutions dans la doctrine du maintien de l’ordre pourraient avoir contribué à exposer les journalistes à l’agressivité des groupuscules radicaux. Ce point de vue est notamment exprimé par les responsables de la chaîne CNews :

« Nos journalistes sentent qu’ils sont devenus des cibles pour les auteurs de violence. Or avec la nouvelle doctrine du maintien de l’ordre, les forces de l’ordre n’étant plus visibles mais cachées dans les rues adjacentes, les manifestants violents semblent moins hésitants à s’en prendre directement aux journalistes. Nos équipes constatent qu’auparavant elles pouvaient bénéficier de la protection des forces de l’ordre, limitant ces situations de mise en danger. » ([392])

Témoignages de violences à l’encontre des journalistes et équipes des médias audivisuels dans les manifestations et rassemblements entre le 16 mars et le 3 mai

M. Nicolas Marut, directeur adjoint de la rédaction de BFMTV : « […] sur la période considérée, nous avons recensé vingt-cinq incidents visant nos journalistes, à Paris comme en région. Nos équipes ont été régulièrement prises à partie, victimes d’insultes, de menaces, de tentatives de vol et même de violences physiques. Ces actes violents ont été commis par des individus isolés, par des groupes constitués ou non, et en une occasion par des forces de l’ordre.

« À titre d’exemple, lors de la manifestation du mardi 28 mars, deux de nos journalistes, un reporter et un JRI [journaliste reporter d’images], se sont fait agresser par un groupe d’une dizaine d’individus vêtus de noir qui ont commencé à les frapper. Alors que leurs agents de sécurité les exfiltraient, notre JRI a été rattrapé et jeté à terre. Il a perdu sa caméra et il a continué à recevoir des coups une fois au sol.

« Il a réussi à quitter définitivement les lieux avec l’aide de sa sécurité et d’autres participants à la manifestation venus à son aide. À la suite de cette agression extrêmement violente et traumatisante, il s’est vu délivrer quatre jours d’interruption temporaire de travail et cinq semaines d’arrêt maladie. […] Ainsi, ce que nous observons sur le terrain est bien souvent une véritable chasse aux journalistes, peut-être plus particulièrement encore parce que nous sommes BFMTV. Ces violences sont évidemment une préoccupation de premier plan pour nous. »

Mme Régine Delfour, grand reporter à CNews : « En mars 2023, la violence est réellement montée d’un cran à Sainte-Soline. Nous disposions de plusieurs équipes, dont une avec les manifestants les moins virulents. Nous étions aussi avec les forces de l’ordre, où nous avons reçu des bombes artisanales qui ont explosé à nos pieds. Des véhicules ont été incendiés. Bien qu’ayant couvert de nombreux évènements, je n’avais jamais vu un tel déferlement de violence. La veille de la manifestation, une de nos équipes avait dû sortir du campement où elle était venue interroger les futurs manifestants : elle a subi des jets de pierres et sa voiture a reçu des projections de peinture. Cela signifie que ces violences sont désormais préméditées À Sainte-Soline, nous avons d’ailleurs dû appeler ensuite tous les organisateurs pour leur demander de passer dans le campement, afin que l’on puisse travailler sereinement.

« En avril dernier, lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, j’étais avec un JRI avenue Blanqui à Paris, quand une banque a été prise pour cible. À ce moment-là, un groupe d’individus radicaux s’est précipité sur nous. Ils ont ouvert leurs parapluies et ils ont bousculé nos agents de sécurité

« En juin dernier, une de nos caméras a été cassée, comme c’est trop souvent le cas depuis plusieurs mois. Nous sommes aussi confrontés à des manifestants qui nous demandent d’effacer nos images de manière plus ou moins agressive selon les circonstances. »

Mme Hélène Lecomte, directrice adjointe de la rédaction de LCI : « Lors des évènements récents, il est arrivé que des appels nominatifs aient été lancés contre certains de nos personnels, qui ne sont donc pas partis sur le terrain. Toute la difficulté consiste à sécuriser nos équipes, ce qui constitue notre priorité absolue. »

M. François Brabant, directeur délégué de France Info : « Les dommages subis par nos équipes ont été heureusement nuls lors des trois derniers mois, même si plusieurs d’entre elles ont dû battre en retraite à de nombreuses reprises devant les menaces et n’ont pu accomplir leur travail jusqu’au bout de ce fait.

« Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous demandons à nos équipes de se faire discrètes, ce qui est compliqué. Sans avoir envie de surexposer un fait ou un évènement, un journaliste doit être à bonne distance pour le comprendre et le restituer. Nous sommes parfois empêchés. Nous ordonnons toujours à nos équipes de se tenir à distance prudente de tout évènement qui pourrait mettre leur intégrité physique en péril. Dans ces conditions, l’accès à l’information est clairement remis en cause. »

Source : audition de la commission d’enquête du 18 juillet 2023.

Cette situation est bien sûr hautement préjudiciable aux journalistes, mais aussi aux citoyens qui se trouvent privés d’information sur la réalité des faits par la seule volonté des manifestants violents, ce que confirme M. Jules Ravel, street journaliste : « Oui, souvent les journalistes des chaînes d’information continue n’ont pas accès à tous les lieux à cause du rejet de certains manifestants. » ([393])

D’autre part, les travaux de la commission ont mis en lumière des incidents qui, dans la confusion des événements, ont pu survenir entre des journalistes et des membres des forces de l’ordre. Ils révèlent une difficulté objective pour les policiers et les gendarmes : déterminer la latitude de mouvement dont chacun bénéficie sur le terrain de manifestations violentes. On en trouvera une illustration dans l’épisode relaté par M. Nicolas Marut, directeur adjoint de la rédaction de BFMTV :

« Le 16 mars dernier, deux de nos journalistes qui couvraient la manifestation improvisée ont dû esquiver plusieurs coups de matraque que trois policiers tentaient de leur asséner pour les éloigner. Notre équipe s’était pourtant clairement identifiée comme journalistes. Nous pensons qu’un effort de sensibilisation doit être accompli afin que les forces de l’ordre déployées dans les manifestations connaissent parfaitement le cadre réglementaire qui encadre notre travail » ([394]).

Les éléments recueillis par la commission d’enquête ne suggèrent pas que de tels faits aient présenté un caractère habituel, encore moins systématique ([395]). Néanmoins, ce témoignage invite à définir plus strictement le cadre dans lequel s’exerce la liberté de la presse et de l’information. Dans une certaine mesure, la question se pose dans des termes analogues pour les street journalistes, les reporters de rue qui ne sont affiliés à aucun média et ne disposent pas toujours d’une carte de presse.

Le schéma national du maintien de l’ordre trace des lignes directrices pour les rapports entre les agents des forces de sécurité intérieure et les journalistes, ainsi que pour les conditions de leur présence dans les manifestations ([396]). À la suite des modifications apportées conformément à l’arrêt du Conseil d’État du 10 juin 2021, le schéma consacre notamment :

– le droit pour les journalistes et leurs accompagnants ([397]) de justifier de leur qualité de deux manières, en présentant soit une carte d’identité de journaliste professionnel (« carte de presse ») ou la carte de presse internationale, soit une attestation normalisée d’identification délivrée par l’employeur, l’école de journalisme ou le commanditaire ([398]) ;

– l’absence d’obligation d’arborer des signes distinctifs comme la mention « presse » sur des brassards ou des gilets, et la possibilité de porter des matériels de protection ;

– la libre-circulation au sein des dispositifs de sécurité mis en place ;

– le droit de demeurer sur place et continuer d’exercer une mission de presse lors de la dispersion d’un attroupement, « dès lors qu’ils se placent de telle sorte qu’ils ne puissent être confondus avec les participants à l’attroupement et ne fassent pas obstacle à l’action des forces de l’ordre » ([399]) ;

– l’ouverture d’un canal d’échange propre aux médias tout au long des manifestations ainsi que la désignation d’un référent au sein des forces présentes sur le terrain pour toutes les manifestations publiques d’importance. Le canal d’échange consiste en la création d’une « boucle » de télécommunication destinée à fournir des informations opérationnelles, à régler les difficultés rencontrées et à dénoncer les violences commises à l’encontre des journalistes.

Les positions exprimées par les représentants des chaînes d’information en continue ont illustré l’accueil favorable que ces dispositions nouvelles rencontrent parmi les médias. Devant la commission d’enquête, M. Nicolas Marut, directeur adjoint de la rédaction de BFMTV, a ainsi indiqué que « désormais, il existe un cadre clair pour nos journalistes sur le terrain : pas d’obligation de s’identifier par un brassard, droit de porter des protections individuelles, pas d’obligation de quitter les lieux quand les forces de l’ordre veulent disperser le cortège, droit de filmer ce que nous jugeons important. Il s’agit d’une amélioration, qui doit maintenant se traduire complètement sur le terrain » ([400]).

Cette exigence d’un passage des textes à la pratique est partagée par M. Jules Ravel, street journaliste : « en dépit des engagements pris dans le schéma national du maintien de l’ordre, les journalistes et les reporters sont régulièrement confrontés, lors des manifestations en France, à d’importantes difficultés pour accomplir leur mission dans les meilleures conditions. Je ne compte plus le nombre de fois où, avec mes confrères, nous nous sommes trouvés en difficulté face aux policiers lors de manifestations » ([401]).

Dès lors, il conviendrait sans doute de préciser les conditions opérationnelles dans lesquelles les journalistes et les forces de l’ordre peuvent accomplir leurs missions respectives dans le contexte de manifestations ou de rassemblements violents. Aussi votre rapporteur appelle-t-il le ministère de l’intérieur, les organes de presse et les médias à se saisir pleinement des questions soulevées par les manifestations et rassemblements tenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023 dans le cadre du comité de liaison mensuel prévu par le schéma national du maintien de l’ordre.

Recommandation n° 6 : Préciser les conditions opérationnelles d’exercice des missions respectives des journalistes et des forces de l’ordre en cas de manifestations et rassemblements violents dans le cadre du comité de liaison mensuel prévu par le schéma national du maintien de l’ordre.

En outre, votre rapporteur estime qu’il pourrait être utile à la pacification du débat public relatif au maintien de l’ordre d’envisager la création d’un statut d’observateur dans les manifestations et rassemblements.

L’analyse des violences et des dégradations de la nature de celles survenues en France au printemps 2023 requiert en effet une exigence élevée de transparence et d’impartialité. Au regard de la confusion que peuvent introduire dans le débat public des travaux dont les conclusions font une large place à des remontées militantes, votre rapporteur estime que l’intégrité de l’information justifieraient que des personnes répondant à des exigences consacrées en droit international soient habilitées à suivre les manifestations et à rendre compte de leur déroulement en toute indépendance.

Si elle faisait sienne cette démarche, la France pourrait s’inspirer des lignes directrices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. D’après cet instrument, « les observateurs sont définis comme des individus ou des groupes tiers non participants dont le principal objectif est d’observer et de consigner les actes et les activités menés pendant une réunion publique. L’observation indépendante peut être le fait d’ONG locales, de défenseurs des droits de l’homme, du bureau du médiateur ou d’une institution nationale de protection des droits de l’homme, d’organisations internationales ayant pour vocation la protection des droits de l’homme (comme Human Rights Watch ou Amnesty International) ou bien de structures intergouvernementales (comme le Conseil de l’Europe, l’OSCE ou le Bureau du Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies) » ([402]).

Suivant la suggestion formulée par Mme Fanny Gallois, responsable de programme, Amnesty International, un tel statut pourrait donner lieu à une protection spécifique dans le cadre du schéma national du maintien de l’ordre ([403]). Il apparaît d’autant plus nécessaire de définir et stabiliser le statut d’observateur que la situation actuelle est ambigüe : des acteurs s’arrogent ce statut alors qu’ils relèvent, dans certains cas, d’organismes ayant appelé à manifester.

Recommandation n° 7 : Envisager la création d’un statut d’observateur indépendant pour les rassemblements et manifestations et lui assurer une reconnaissance ainsi qu’une protection adéquate dans le cadre du schéma national du maintien de l’ordre.

2.   Des capacités humaines et matérielles à conforter et à entretenir au regard des besoins d’opérations de police spécifiques

La stabilisation de la doctrine d’emploi édicte des principes généraux et théoriques qui doivent correctement s’appliquer sur le terrain. Les manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023 démontrent la nécessité de maintenir et d’actualiser les capacités opérationnelles de l’ensemble des unités et des services qui concourent aux opérations de maintien de l’ordre. Dans le contexte de renforcement inédit des ressources capacitaires des forces de l’ordre engagé dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur dite « Lopmi » ([404]).

Cet impératif est une conséquence de la radicalisation de groupes et d’individus dont les modes opératoires renouvellent les enjeux de sécurité publique. Il emporte l’obligation, pour les pouvoirs publics, de veiller à la bonne adaptation du format et de l’organisation des forces de l’ordre, des équipements dont elles disposent ainsi que des ressources de commandement et de coopération qui permettre de prévenir des menaces en constante évolution.

a.   Assurer la disponibilité des forces face à des phénomènes délinquants impliquant des engagements de haute intensité

Les travaux de la commission d’enquête mettent en lumière deux enjeux fondamentaux dans le déroulement des opérations de maintien de l’ordre entre le 16 mars et le 3 mai 2023.

● Le premier enjeu porte sur la mise en tension des effectifs au regard du nombre des événements susceptibles d’atteintes à la sûreté publique.

D’après le bilan dressé par le directeur général de la police nationale, M. Frédéric Veaux, « [e]ntre le 16 mars et le 2 mai, pour les journées nationales d’action, plus de 76 unités de forces mobiles ont été engagées en moyenne, avec un pic d’emploi le 28 mars. Ces unités de forces mobiles sont les compagnies républicaines de sécurité et les escadrons de gendarmerie mobile. Les effectifs de la sécurité publique ont été aussi énormément mobilisés, avec une moyenne de 4 500 policiers pour chaque journée nationale d’action. Les effectifs engagés pour le maintien de l’ordre ont été essentiellement les compagnies départementales d’intervention, les brigades spécialisées de terrain et les brigades anti-criminalité. » ([405])

Cette mobilisation fournit l’indice d’un alourdissement des engagements et des sujétions de service qui a pu créer des tensions dans la gestion des personnels déployés et, finalement, peser sur l’état physique et psychologique des forces. Le constat vaut en particulier pour les compagnies républicaines de sécurité (CRS), ainsi que l’illustre le témoignage de M. Jean‑Paul Nascimento, secrétaire national du pôle CRS du syndicat Unsa Police :

« Pour autant, depuis trois ans et demi, les compagnies républicaines de sécurité sont à un niveau de haute intensité qui ne permet pas de former au maintien de l’ordre comme on le devrait. […] On ampute donc sur les formations des collègues, mais aussi sur leur neutralisation. Cette situation sape fortement le moral des troupes. Elle conduit sans doute à des démissions. De plus, le salaire des fonctionnaires de police n’est pas en adéquation avec les risques pris sur le terrain. Enfin, la campagne de dénigrement permanent et les propos de certains élus atteignent fortement les fonctionnaires. » ([406])

De fait, d’après des éléments recueillis par la commission d’enquête([407]), la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité dispose depuis 2018 de près de 13 400 agents – à la suite de la très forte réduction d’effectifs à partir de 2010 et jusqu’en 2018 –, dont seuls 10 000 agents peuvent être effectivement déployés sur le terrain, de 20 % à 40 % des effectifs étant affectés aux tâches administratives et logistiques.

Pour sa part, la gendarmerie mobile compte environ 13 000 agents répartis dans 18 groupements, dont un groupement blindé à Versailles-Satory. Il existe 109 escadrons répartis au sein de ces 18 groupements. Chaque escadron compte 110 gendarmes dans ses rangs parmi lesquels 4 officiers, 104 sous-officiers et 2 militaires du rang([408]).

Formation d’un escadron de gendarmerie

Un escadron est articulé en cinq pelotons : un peloton hors rang au rôle de soutien et en charge également du commandement, de l’administration et de la logistique, trois pelotons de marche et un peloton d’intervention réservé aux situations critiques comme des opérations de maintien de l’ordre, de police judiciaire ou encore d’interpellation d’individus dangereux ou armés.

Source : Rapport n° 3786 de M. Jérôme Lambert au nom de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines du maintien de l’ordre, déposé le 20 janvier 2021.

Au regard de la violence désormais récurrente des affrontements avec des groupes organisés, ainsi que du nombre des blessés au sein des unités déployées, il importe de poursuivre les efforts entrepris depuis 2014, prolongés entre 2017 et 2022 et amplifiés avec la LOPMI pour la période allant jusqu’en 2027, afin de restaurer le niveau de ressources humaines nécessaire aux forces chargées du maintien de l’ordre.

Suivant le bilan dressé par plusieurs intervenants dont l’ancien Premier ministre et ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, la révision générale des politiques publiques conduite entre 2007 et 2012 s’est soldée par la suppression de 13 000 emplois dans les effectifs de la police et de la gendarmerie. Pour ce qui concerne les escadrons de gendarmerie mobile et les compagnies républicaines de sécurité, la réduction des postes a provoqué la disparition de 15 unités. Ainsi que le souligne M. Bernard Cazeneuve, les « 9 000 emplois créés au cours du quinquennat de François Hollande l’ont été progressivement » et le rétablissement des moyens des unités spécialisés n’a pu être achevé qu’à la fin dudit quinquennat ([409]).

Au crédit de l’action des pouvoirs publics depuis 2017, votre rapporteur compte la création de 10 000 postes au sein de la police et de la gendarmerie nationales. Dans le droit fil des mesures de recrutement prévues par la loi de finances initiale pour 2023 ([410]), l’entrée en vigueur de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dite « Lopmi » ([411]), inscrit cet effort dans la durée.

Le rapport annexé à cette loi prévoit la création de onze unités de forces mobiles, dont sept escadrons de gendarmerie mobile et quatre compagnies républicaines de sécurité qui viendront s’ajouter aux sept escadrons dont dispose la préfecture de police de Paris pour le gardiennage de bâtiment ([412]). Les formations seront conçues sur le modèle de la CRS 8 ([413]) et du dispositif d’intervention augmenté de la gendarmerie nationale, y compris outre-mer, afin de « faire face à des affrontements violents dans un temps très court, avec des moyens spécifiques ». D’après les éléments communiqués par le ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, trois escadrons de gendarmerie mobile sont déjà opérationnels, une compagnie républicaine de sécurité a été formée et la création des compagnies restantes devrait intervenir dans le courant du mois de novembre 2023 ([414]).

Votre rapporteur ne peut qu’appeler à s’inscrire dans la trajectoire largement adoptée par le Parlement à la fin de l’année 2022 s’agissant des ressources affectées au ministère de l’intérieur.

Recommandation n° 8 : Inscrire la création des unités de force mobile dans la trajectoire fixée par la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI).

● Le second enjeu touche à l’adéquation des missions et caractéristiques des unités engagées avec les exigences du maintien de l’ordre.

Quoique parfois commandé par la nécessité, l’emploi de forces non spécialisées dans les opérations de maintien de l’ordre nourrit un débat relativement ancien quant à leur capacité à accomplir des tâches spécifiques et au risque de comportements inadéquats. En 2021, la Défenseure des droits, Mme Claire Hédon, publiait une étude sur l’enjeu de la désescalade soulignant les difficultés créées par la participation des forces locales de sécurité, habituées aux interpellations individuelles mais insuffisamment formées au maintien de l’ordre et à la mise à distance des foules ([415]). Selon elle, ce hiatus pouvait découler une mise en danger des manifestants ([416]).

C’est ainsi que plusieurs personnes auditionnées ont mis en cause, devant la commission d’enquête, les conditions d’intervention d’unités non spécialisées dans le maintien de l’ordre, à savoir les brigades anti-criminalité (BAC) ([417]) et les brigades de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) ([418]).

D’une part, le débat porte sur des interventions qui ne participeraient pas au maintien de l’ordre et accorderaient la priorité aux interpellations. D’autre part, certains intervenants invoquent un usage disproportionné de la force. Devant la commission d’enquête, Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, a estimé que les « unités non spécialisées qui viennent en renfort des compagnies républicaines de sécurité et des escadrons de gendarmerie mobile n’ont ni la même culture ni la même mission qu’eux ». De son point de vue, elles « sont intégrées – et encore, cela prête à discussion – dans les unités de maintien de l’ordre, elles viennent en tout cas les renforcer, mais elles interpellent, donc vont au contact et utilisent leurs matraques de manière disproportionnée. Les policiers ont dit que les manifestants venaient désormais au contact. C’est inverser les choses. Au départ, ce sont ces unités qui vont au contact, qui vont interpeller et qui créent un désordre au lieu d’une désescalade » ([419]).

La presse a rendu publics des témoignages qui imputent à des membres de ces deux unités des comportements insultants voire violents à l’égard de participants aux rassemblements et manifestations du printemps 2023 ([420]). Certaines affaires font aujourd’hui l’objet de procédures judiciaires ([421]).

Au regard des éléments recueillis, la commission d’enquête ne saurait prétendre que de tels comportements sont représentatifs de l’action des forces de l’ordre. Elle ne prendra pas davantage position, en raison des principes de séparation des pouvoir et de présomption d’innocence, sur la responsabilité de leurs auteurs supposés. En revanche, il convient à l’évidence d’exprimer une claire condamnation des comportements répréhensibles qui, une fois établis, appellent des sanctions pénales et disciplinaires exemplaires, et d’optimiser les conditions d’emploi des forces pour éviter leur réitération à l’avenir.

De ce point de vue, le schéma national du maintien de l’ordre en vigueur affirme la priorité du recours à des unités spécialisées pour les tâches relevant du maintien de l’ordre : il s’agit des escadrons de gendarmerie mobile, des compagnies républicaines de sécurité et des compagnies d’intervention de la préfecture de police de Paris ([422]). Il admet par ailleurs l’engagement des compagnies d’intervention de la police nationale ainsi que des unités généralistes de la sécurité publique ou de la gendarmerie départementale. En outre, dans un objectif de réactivité, il envisage la mise sur pied d’unités spécialement constituées disposant d’une forte capacité de mobilité « afin d’être en mesure d’intervenir successivement sur des points relativement éloignés » ([423]).

Compte tenu de l’évolution des mouvements revendicatifs, de leur vulnérabilité aux violences et aux dégradations, et de leur dispersion géographique, il n’est pas raisonnablement concevable de faire reposer le maintien de l’ordre sur les seules unités spécialisées. Ainsi qu’il ressort de l’analyse de l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, le recours à d’autres forces, lors de multiples manifestations disséminées sur l’ensemble du territoire et menacées par des individus violents, peut relever de la nécessité dès lors que les compagnies républicaines de sécurité et la gendarmerie mobile ne disposent plus des moyens d’accomplir leurs missions. En effet, les nécessités du maintien de l’ordre commandent d’établir un rapport de force : « […] si vous ne mettez pas le minimum d’effectifs en face de ceux qui sont là pour créer des troubles importants, des difficultés très grandes surviendront » ([424]).

Par ailleurs, l’expérience des manifestations parisiennes entre mars et mai 2023 donne à penser qu’il est préférable ne pas solliciter un seul type de forces, ainsi que l’illustre le bilan dressé par le préfet de police Laurent Nuñez :

« Un changement s’est effectivement produit, qui ne nous conduit toutefois pas à privilégier une force par rapport aux autres. Ce qui a changé dans la manière dont nous concevons les services d’ordre au cours des mois écoulés, c’est une meilleure utilisation des compagnies républicaines de sécurité et des gendarmes mobiles aux côtés des compagnies d’intervention de la préfecture de police, qui présentent l’avantage de connaître la capitale et d’être également formées au maintien de l’ordre. Nous faisons désormais participer tout le monde ; nous constituons des groupes d’intervention qui regroupent l’ensemble des forces, qui sont très éloignés pendant la manifestation, qui n’interviennent que sur les casseurs et qui doivent être très réactifs. » ([425])

Plutôt qu’un débat quelque peu théorique – et parfois excessivement politisé – sur la nécessaire spécialisation des forces, le véritable enjeu réside dans l’effort de formation de l’ensemble des unités susceptibles d’être engagées dans les opérations de maintien de l’ordre.

Ainsi que le souligne Me Thibault de Montbrial, président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure, des unités adjointes aux compagnies républicaines de sécurité et escadrons de gendarmerie mobile « ne sont pas toujours, en tout cas au début, parfaitement formées à cette mission ». Selon ces observations, « en cas de crise, on demande à des brigades anti-criminalité de renforcer les unités de maintien de l’ordre, mais elles ne sont pas du tout conçues pour travailler de la même façon. Il peut être compliqué pour un agent des brigades anti-criminalité de percevoir tactiquement comment la force qu’il est habitué à engager, en contrepartie de celle à laquelle il est exposé, s’adapte à l’univers complexe du maintien de l’ordre. Celui-ci obéit, en plus, à des règles qui ne sont pas strictement identiques. À Paris, les compagnies d’intervention et les brigades de répression de l’action violente sont néanmoins très efficaces, en dépit de la propagande que l’extrême gauche essaie de véhiculer » ([426]).

En conséquence, il importe de favoriser une large acquisition de compétences en rapport avec les besoins d’opérations de police spécifiques. En application du schéma national du maintien de l’ordre et sur le fondement des instructions ministérielles ([427]), une offre de formation a été développée et complétée par des entrainements communs. D’après l’état des lieux dressé par Mme Pascale Dubois, directrice centrale des compagnies républicaines de sécurité, de tels entrainements réunissent des effectifs des compagnies républicaines de sécurité et de la sécurité publique ([428]). Pour sa part, le préfet de police de Paris indique qu’une « compagnie d’intervention effectue une journée d’entraînement tous les lundis de sorte à maintenir le niveau de technicité nécessaire » ([429]).

Néanmoins, les éléments recueillis par la commission d’enquête posent question sur la fréquence des entraînements et la capacité des personnels à prendre part aux formations, compte tenu de l’engagement très élevé, voire quasi-permanent, des unités auxquelles ils appartiennent. Ces obstacles pratiques semblent particulièrement ressentis au sein des compagnies républicaines de sécurité, au vu du témoignage de M. Johann Cavallero, responsable national CRS d’Alliance Police nationale :

« En matière de formation, nous constatons un suremploi des compagnies républicaines de sécurité alors qu’il ne se passe rien. On est en train de mettre en danger l’institution. On ne peut plus se former et c’est dangereux. On arrive à un point où il faut vite rétablir l’équilibre. » ([430])

Ces observations font l’objet de constats manifestement partagé au sein du corps, ainsi qu’en attestent les déclarations de M. Jean‑Paul Nascimento, secrétaire national du pôle CRS de l’Unsa Police, pour qui « [depuis] trois ans et demi, les compagnies républicaines de sécurité sont à un niveau de haute intensité qui ne permet pas de former au maintien de l’ordre comme on le devrait. En France, nous comptons soixante‑et-une compagnies républicaines de sécurité et nous employons quarante-trois unités chaque jour, ce qui ne permet pas de rendre les repos gagnés par les fonctionnaires. On ampute donc sur les formations des collègues, mais aussi sur leur neutralisation » ([431]).

En application de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, la création de nouvelles unités mobiles s’accompagnera d’un investissement supplémentaire dans la formation au maintien de l’ordre. Le rapport annexé à la loi comporte en effet deux mesures. En premier lieu, un centre de formation spécialisé dans les techniques de maintien de l’ordre en milieu urbain sera ouvert en région parisienne. En second lieu, l’actuel centre d’entraînement des forces de Saint-Astier sera rénové, avec la création de nouveaux espaces d’apprentissage et l’accueil d’un plus grand nombre de stagiaires ([432]).

Votre rapporteur appelle à accentuer l’effort de formation en éliminant les sujétions qui pourraient entraver la tenue des entrainements communs et le suivi des formations au maintien de l’ordre pour l’ensemble des unités appelées à prendre part à ces opérations.

Recommandation n° 9 : Assurer la formation au maintien de l’ordre des unités non spécialisées. Créer les conditions d’un meilleur accès aux dispositifs de formation des unités spécialisées, notamment ceux développés à la suite de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

b.   Adapter les armes du maintien de l’ordre pour un usage graduel et proportionné de la force

Ainsi qu’il ressort des témoignages exprimés devant la commission d’enquête, l’usage des armes par les forces de l’ordre pendant les manifestations du printemps 2023 suscite de fortes suspicions.

Certains observateurs auditionnés lui imputent la responsabilité d’une part importante des blessures déplorées parmi les participants aux rassemblements de la période, qu’ils aient pour cadre le mouvement de contestation de la réforme des retraites ou la marche interdite de Sainte‑Soline ([433]). En ce qui concerne la manifestation du 1er mai 2023 à Paris, la Ligue des droits de l’homme met ainsi en cause l’usage abondant de grenades de désencerclement (grenades à éclats non létaux – GENL), l’utilisation de grenades assourdissantes (grenades assourdissantes – ASSD – ou grenades modulaires deux effets lacrymogènes – GM2L), la saturation de l’air par des grenades lacrymogènes fumigènes et l’emploi des lanceurs de balles de défense (LBD 40) ([434]).

Par nature, les constats généraux exposés devant la commission d’enquête ne permettent d’établir les circonstances dans lesquelles les tirs de la police et de la gendarmerie auraient causé des dommages. En revanche, l’analyse du déroulement des manifestations et des rassemblements soulève deux questions essentielles.

● La première interrogation porte sur la proportionnalité des armes employées dans les opérations de maintien de l’ordre. Elle découle de controverses répétées quant à leur dangerosité.

D’une part, certaines personnes auditionnées mettent en cause la puissance et les effets des modèles dont sont dotées la police et la gendarmerie, compte tenu de la portée et de la vitesse des projectiles. Devant la commission d’enquête, Mme Fanny Gallois a rappelé la demande d’Amnesty International tendant à l’interdiction de certaines armes actuellement en dotation sur le fondement que les modèles employés ne participeraient pas d’un usage proportionné de la force :

« Pour nous, la proportionnalité est moins importante à partir du moment où des éléments permettent de conclure à l’utilisation d’une grenade de désencerclement ou d’une grenade GM2L à double effet assourdissant et lacrymogène – ce qui est contradictoire selon nous. En effet, l’effet lacrymogène est supposé entraîner la dispersion, mais l’effet assourdissant crée une confusion qui va l’empêcher en bon ordre. » ([435])

L’usage des lanceurs de balle de défense fait également l’objet de nombreux débats. Ainsi qu’il a été rappelé à la commission d’enquête, la Défenseure de droits souhaite leur interdiction dans les opérations de maintien de l’ordre ([436]).

De son côté, Me Arié Alimi dénonce l’usage du lance-grenades, de marque Cougar ou Penn Arms, qui, d’après son analyse, comporte le risque « de toucher les têtes et les corps, à une vitesse très grande et avec des grenades beaucoup plus lourdes que les balles de défense », le tir devant être effectué selon un angle de 30 à 45 degrés au minimum selon les consignes du fabriquant ([437]).

D’autre part, certains intervenants mettent en exergue les risques que faisaient naître les difficultés d’utilisation des armes confiées aux forces de l’ordre. Du point de vue de Me Arié Alimi, « on demande aux policiers d’employer des munitions à l’usage desquelles ils n’ont pas été formés, et on ne sait pas vraiment quelles munitions sont utilisées car les deux leur sont fournies. C’est notamment pour cette raison que l’on a constaté énormément de mutilations » ([438]).

D’autres encore vont jusqu’à qualifier les modèles en dotation d’armes de guerre. Présente dans le récit d’un certain nombre d’évènements tels que le rassemblement interdit de Sainte‑Soline ([439]), cette assimilation s’appuie sur une interprétation de la classification des armes établie par le code de sécurité intérieure. Elle est invoquée par certains acteurs tels que M. Jérôme Graefe, membre de la Ligue des droits de l’homme, au cours de l’audition du collectif Bassines non merci ! : « S’agissant de l’usage des armes, il convient d’apporter une précision préalable. Gérald Darmanin a expliqué qu’il ne s’agissait pas de matériels de guerre au sens du code de la sécurité intérieure. Or, nombre des matériels utilisés sont de la catégorie A2, qui comprend les armes relevant des matériels de guerre. » ([440])

La classification des armes sur le fondement du code de la sécurité intérieure

Aux termes des dispositions de l’article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure, la nomenclature des armes en France se compose de quatre catégories, établies suivant la puissance et la dangerosité des équipements et de leurs accessoires. Le classement dans une catégorie détermine le droit et les conditions de détention de chacun d’eux. Le code de la sécurité intérieure distingue ainsi :

– catégorie A  les matériels de guerre et armes interdits à l’acquisition et à la détention : la catégorie A comprend deux rubriques, l’une consacrée aux armes et éléments d’armes interdits à l’acquisition et à la détention [rubrique 1], l’autre portant sur les armes relevant des matériels de guerre, les matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu, les matériels de protection contre les gaz de combat [rubrique 2] ;

– catégorie B  les armes soumises à autorisation pour l’acquisition et la détention : relèvent notamment de cette catégorie : les armes à feu de poing et armes converties en armes de poing non comprises dans les autres catégories ; les armes à feu d’épaule ; les armes à feu fabriquées pour tirer une balle ou plusieurs projectiles non métalliques et munitions ; les armes à impulsion électrique permettant de provoquer un choc électrique à distance et leurs munitions ; les armes à impulsion électrique de contact permettant de provoquer un choc électrique à bout touchant ; les générateurs d’aérosols incapacitants ou lacrymogènes d’une capacité supérieure à 100 ml ou classés dans cette catégorie par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé des douanes ;

– catégorie C – les armes soumises à déclaration pour l’acquisition et la détention : y figurent notamment : les armes à feu d’épaule ; les armes à feu fabriquées pour tirer une balle ou plusieurs projectiles non métalliques classées dans cette catégorie par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé des douanes ; les armes et lanceurs dont le projectile est propulsé de manière non pyrotechnique avec une énergie à la bouche supérieure ou égale à 20 joules ; les armes ou type d’armes présentant des caractéristiques équivalentes qui, pour des raisons tenant à leur dangerosité, à l’ordre public ou à la sécurité nationale sont classées dans cette catégorie par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé des douanes ;

– catégorie D – les armes et matériels dont l’acquisition et la détention sont libres : la catégorie regroupe : tous objets susceptibles de constituer une arme dangereuse pour la sécurité publique (dont les armes non à feu camouflées ; les poignards, les couteaux-poignards, les matraques, les projecteurs hypodermiques et les autres armes figurant sur un arrêté du ministre de l’intérieur) ; les générateurs d’aérosols lacrymogènes ou incapacitants d’une capacité inférieure ou égale à 100 ml sauf ceux classés dans une autre catégorie par arrêté ; les armes à impulsions électriques de contact permettant de provoquer un choc électrique à bout touchant sauf celles classées dans une autre catégorie par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé des douanes ; les armes classées dans la catégorie D qui ont été neutralisées ; les armes historiques et de collection dont le modèle est antérieur au 1er janvier 1900, etc.

Source : commission d’enquête.

Cela étant, l’équipement des forces de l’ordre a évolué de manière sensible dans la période récente avec le retrait du service d’armes dont la puissance produisait des effets disproportionnés au regard des exigences du maintien de l’ordre. Ainsi que l’a rappelé le major Érick Verfaillie, il a notamment été décidé de mettre un terme à l’utilisation des grenades OF‑FI après la mort tragique de Rémi Fraisse à Sivens en 2014 ([441]). C’est dire que l’appréciation de la dangerosité et, en l’espèce, de la létalité des équipements, fait partie des critères pris en compte dans l’adaptation de la doctrine du maintien de l’ordre.

Dans cette optique, votre rapporteur estime utile de procéder, de manière régulière, à l’évaluation des armes utilisées lors des opérations de maintien de l’ordre dans le contexte de mouvements revendicatifs. Cet examen, dont le cadre et les modalités restent à définir, prendrait en considération les évolutions techniques. Suivant la remarque du major Érik Verfaillie, « la technologie évolue et il doit être possible d’utiliser du matériel qui puisse provoquer un choc tout en diminuant le risque de blessures » ([442]).

Recommandation n° 10 : Procéder à l’évaluation régulière des armes utilisées lors des opérations de maintien de l’ordre dans le contexte de mouvements revendicatifs au regard de leur puissance et de leur précision.

Dans un même objectif de sécurisation des opérations de maintien de l’ordre, le renforcement des formations au maniement des armes employées dans les manifestations et les rassemblements s’impose évidemment. Ainsi qu’il ressort des témoignages précédemment évoqués, l’usage des armes exige des compétences acquises à travers un entraînement adapté et une pratique régulière, comme par exemple la maitrise de l’angle de tir et l’appréciation de la distance. C’est la raison pour laquelle votre rapporteur préconise le développement d’une offre régulière de formation tirant avantage des dispositifs mis en place à la suite de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

Recommandation n° 11 : Renforcer les formations sur le maniement des armes employées dans les manifestations et les rassemblements.

● La seconde interrogation fondamentale touche au caractère adapté des armes dont disposent les forces de l’ordre face à des éléments radicaux, violents, mobiles et recherchant la confrontation directe.

Pour le major Christophe Le Jeune, membre du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale ([443]), « [a]ujourd’hui, les adversaires sont parfois mieux équipés que les forces de l’ordre. Ils portent des masques et des casques. Ils ne craignent ni les lacrymogènes, ni de se retrouver face aux forces de l’ordre. Ils progressent de manière quasiment militaire et vont au contact ».

Comme précédemment évoqué, les ministres de l’intérieur successifs ont été conduits, depuis 2016, à retirer de la dotation des forces de l’ordre certains armements en considération de leur puissance et des conséquences dramatiques de leur emploi. Le schéma national du maintien de l’ordre a donc entériné ([444]) :

– l’abandon de la grenade GLI‑F4 et son remplacement par la grenade GM2L, qui ne contient pas d’explosif, pour les utilisations avec lanceur, et par une grenade à effet sonore pour les lancers à la main ;

– la substitution au modèle de grenade à main de désencerclement (GMD) d’un modèle plus récent moins susceptible de causer des blessures ;

– hors le cas de la légitime défense, la présence d’un superviseur auprès des tireurs de lanceurs de balle de défense lors des opérations de maintien de l’ordre.

Ces décisions faisaient suite à des accidents qui démontraient de graves dangers pour l’intégrité des manifestants et des personnels. L’ancien ministre de l’intérieur Christophe Castaner explique avoir interdit pour ces raisons les grenades lacrymogènes instantanées (GLI‑F4) :

« Elles étaient très efficaces : grâce à la forte explosion qu’elles provoquaient, elles permettaient à un fonctionnaire acculé de se dégager. Toutefois, l’explosif avait causé plusieurs accidents graves. Même si ces derniers étaient presque systématiquement liés au fait que des manifestants s’étaient emparés de la grenade pour la renvoyer et avaient eu la main arrachée à cette occasion, et que le plus simple aurait été que les gens cessent d’agir ainsi, j’ai fait le choix d’interdire ces armes. » ([445])

Son prédécesseur, M. Bernard Cazeneuve, partage cette conviction :

« C’est moi qui ai supprimé un certain nombre d’armes intermédiaires, ayant considéré qu’elles avaient eu des conséquences graves. C’est moi qui ai fait retirer les grenades offensives après les événements de Sivens, parce que j’ai jugé qu’une arme utilisée par des policiers ou des gendarmes qui occasionnait une telle tragédie ne devait pas l’être une seconde fois. J’ai également fait détruire plusieurs stocks de grenades de désencerclement lorsque j’ai constaté que leur utilisation avait provoqué, dans des manifestations où des individus violents avaient tenté d’agir, des blessures graves. La police républicaine ne peut pas maintenir l’ordre par des moyens ayant des conséquences sur des manifestants telles que celles, tragiques, qui ont prévalu à Sivens. » ([446])

Le cadre d’emploi des lanceurs de balles de défense (LBD)

3.3.2 Afin de prendre en compte le contexte particulier du maintien de l’ordre qui oblige les forces à évoluer dans un environnement dégradé et en présence d’une foule, une doctrine propre à l’emploi du LBD 40 au maintien de l’ordre est définie.

Pour tout tireur équipé de LBD 40 au sein d’une unité constituée engagée au maintien de l’ordre, hors le cas de la légitime défense, un superviseur sera désigné, chargé d’évaluer la situation d’ensemble et les mouvements des manifestants, de s’assurer de la compréhension des ordres par le tireur et de désigner l’objectif. Ce dispositif sera évalué après une année de mise en œuvre.

Enfin, l’instruction du 23 janvier 2019 visant à doter, dans toute la mesure du possible, les porteurs de LBD d’une caméra-piéton, à fixation ventrale de préférence, ou de prévoir un binôme porteur de LBD/ porteur de caméra (le superviseur désormais) et d’inviter, dans tous les cas, les porteurs de caméra à enregistrer les conditions dans lesquelles le LBD a été utilisé est confirmée.

Source : schéma national du maintien de l’ordre.

Cependant, l’examen des manifestations et rassemblements du printemps 2023 nourrit des questionnements sur l’efficacité des armes et moyens intermédiaires dont disposent aujourd’hui les forces de l’ordre pour éviter une confrontation directe.

Suivant un point de vue partagé par de nombreux acteurs de la sécurité publique, l’évolution de la dotation ne permettrait plus d’appliquer le principe de la mise à distance. Le major Christophe Le Jeune, membre du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale, estime ainsi que « [l]es différents évènements des dernières années nous ont conduits à perdre des moyens intermédiaires. Nous avons perdu des grenades OF et GLIF4 qui auraient facilité le maintien de l’ordre rural. Au fil des ans, les forces de l’ordre sont moins armées pour le maintien à distance de nos adversaires » ([447]).

Selon le major Patrick Boussemaëre, également membre du groupe de liaison, il en résulte une capacité des éléments radicaux à abolir la distance qui les sépare des forces de l’ordre, suivant les terrains de manifestation et de rassemblement, et un risque accru de violences directes dont les évènements de Sainte‑Soline fournissent l’illustration :

« Lorsque nous réussissons à les maintenir à trente ou quarante mètres de distance, les violences sont évitées. En revanche, lors des évènements de SainteSoline, de nombreux manifestants étaient quasiment équipés de la même manière que les forces de l’ordre, ce qui leur permettait de traverser les nuages de gaz lacrymogène. Nous avons maintenu ces nuages pour créer cette distance. Mais les plus déterminés portent masques et lunettes ; ils ne s’arrêtent pas. Il faudrait sans doute réfléchir à d’autres moyens de maintien à distance. En zone urbaine, la solution est plus simple avec des canons à eau. C’est plus difficile à SainteSoline, ce qui entraîne des dégâts collatéraux de part et d’autre. » ([448])

Cette analyse rejoint les observations partagées avec les responsables du maintien de l’ordre lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête dans les Deux-Sèvres à propos d’une « absence de capacité détonante et de grenades à gaz dans la zone des 0 à 30 mètres » pouvant séparer des manifestants du dispositif des forces de l’ordre ([449]).

● Ces analyses convergentes et l’examen des évènements confirment l’intérêt d’un renouvellement des moyens et armes de force intermédiaire dans le contexte de mouvements revendicatifs, à la condition d’une adaptation et d’un contrôle de leur emploi.

Parmi les solutions avancées, votre rapporteur estime qu’il conviendrait de développer l’usage de nouvelles armes intermédiaires comme les canons à eaux. Suivant le constat de M. Michel Delpuech, ancien préfet de police de Paris, « [l]es canons à eau sont également utiles et efficaces, mais leur quantité demeure limitée » ([450]). De manière générale, il est raisonnable de conforter la capacité d’initiative et d’action des unités de sécurité intérieure en les dotant d’équipements dont la valeur ne repose pas exclusivement sur leur puissance de feu. Il importe en effet de ménager la possibilité d’une réponse graduée, suivant la gravité des troubles et la violence des éléments activistes et radicaux.

Recommandation n° 12 : Renouveler les moyens et les armes de force intermédiaire à la disposition des forces de l’ordre dans le contexte de mouvements revendicatifs de façon à conforter leur capacité à apporter une réponse graduée aux troubles qu’elles constatent, notamment par le déploiement des canons à eau.

● Les éléments recueillis par la commission d’enquête illustrent l’intérêt d’une meilleure exploitation de nouveaux équipements et technologies qui renouvellent les capacités de manœuvre et de projection des forces au cours des rassemblements et des manifestations.

Il en va ainsi des quads. Ainsi qu’il ressort des auditions, l’usage de ces véhicules étend significativement le champ d’intervention sur les terrains dégagés en permettant des manœuvres de reconnaissance, des interpellations et des mesures de dispersion préventive. En cela, les quads procurent une mobilité accrue aux forces de l’ordre parfois lourdement équipées, ainsi qu’en témoigne le major Patrick Boussemaëre, membre du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale :

« Lors des évènements de SainteSoline, nous avons mobilisé des quads, qui ont rendu beaucoup de mobilité aux forces de l’ordre. En revanche, les protections individuelles des gendarmes mobiles sont d’un poids certain. Ces trente à quarante kilos supplémentaires affectent nécessairement nos facultés de déplacement. » ([451])

L’adjudant-chef Frédéric Le Louette, également membre du groupe de liaison, souligne l’existence d’autres perspectives en termes d’équipements des pelotons d’intervention de la gendarmerie nationale : « Nous devons aussi travailler sur les véhicules multi missions que sont les Centaure, qui seront utiles. Il est également nécessaire de retrouver la mobilité des pelotons d’intervention pour réagir rapidement à la violence et y mettre fin par des interpellations plus nombreuses. » ([452])

Votre rapporteur juge qu’il s’agit là d’un investissement à encourager, notamment au moyen des ressources votées par le Parlement dans la loi précitée d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

Quant aux drones ([453]), ils présentent deux intérêts majeurs ([454]) :

– d’une part, les appareils offrent un moyen d’observer l’ensemble d’une zone d’opération de maintien de l’ordre ;

– d’autre part, ils peuvent accompagner au plus près les manœuvres tactiques et, ce faisant, assurer la sécurité des policiers et des manifestants comme des fauteurs de trouble qu’il s’agit d’appréhender. Suivant l’exemple présenté par la préfecture de police de Paris, « lors de l’attaque d’une chaine de restauration rapide Place Léon Blum (11e), l’appréciation du nombre d’individus violents avec les caméras de vidéo protection a été modifiée grâce aux images issues des drones car il s’est avéré beaucoup plus important qu’estimé. Aussi, des unités en renfort ont été engagées renforçant la sécurité des effectifs intervenants » ([455]).

La réglementation de leur emploi procède dorénavant du décret n° 2023283 du 19 avril 2023 ([456]), pris en application de la loi du 24 janvier 2022 ([457]). Il autorise notamment leur usage pour :

«  La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s’y sont déjà déroulés, à des risques d’agression, de vol ou de trafic d’armes, d’êtres humains ou de stupéfiants, ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu’ils sont particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation ;

 La sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public ainsi que l’appui des personnels au sol, en vue de leur permettre de maintenir ou de rétablir l’ordre public, lorsque ces rassemblements sont susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public. »

Le décret subordonne le recours aux drones par les forces de l’ordre à une autorisation préfectorale. Il encadre l’objet et l’usage des informations enregistrées.

Le cadre réglementaire d’usage des drones par les forces de l’ordre

En application du I de l’article R. 242-9 du code de la sécurité intérieure, les traitements réalisés à partir des informations collectées par les drones portent sur :

1° Les images, à l’exclusion des sons, captées par les caméras installées sur des aéronefs ;

2° Le jour et la plage horaire d’enregistrement ;

3° Le nom, le prénom et/ou le numéro d’identification administrative du télé-pilote ou de l’opérateur ainsi que, le cas échéant, le numéro d’enregistrement de l’aéronef ;

4° Le lieu ou la zone géographique où ont été collectées les données.

Aux termes du I de l’article R. 242‑10, peuvent accéder à ces données, pendant la durée de l’intervention ou pour les besoins d’un signalement sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d’en connaître :

1° Le chef du service de police nationale, le commandant de l’unité de gendarmerie nationale ou le chef du service des douanes ;

2° Les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale ou les agents des douanes, individuellement désignés et habilités ;

3° Les militaires des armées déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321‑1 du code de la défense.

Peuvent être destinataires des données :

1° Les personnels affectés aux postes de commandement et aux centres opérationnels des services de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes ;

2° Les autorités administratives et judiciaires compétentes pour les besoins de l’intervention ainsi que celles chargées de la direction des opérations de secours ;

3° Les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale et les agents des douanes ainsi que les militaires des armées déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321‑1 du code de la défense […].

Source : commission d’enquête.

Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté une demande de suspension du décret du 19 avril 2023 en considérant que les moyens soulevés à son encontre ne créaient pas de doute sérieux quant à sa légalité ([458]). Il se prononcera au fond dans les prochaines semaines.

Ainsi que l’a relevé le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, l’impossibilité pour les forces de l’ordre de recourir aux drones avant la publication du décret du 19 avril 2023 a constitué un handicap majeur ([459]). Il importe à l’avenir de sécuriser les conditions d’emploi des équipements aux plans juridique et opérationnel afin d’optimiser leur usage dans les opérations de maintien de l’ordre, ainsi qu’y invitent les observations du préfet de la Gironde :

« En ce qui concerne le champ de compétence de la Préfecture, un dispositif juridique plus flexible et réactif permettant aux forces de l’ordre de recourir à l’usage de drones en situation d’urgence est souhaitable, ces derniers étant particulièrement utiles d’un point de vue opérationnel et pour le traitement des éventuelles suites judiciaires en cas de débordement. » ([460])

Recommandation n° 13 : Élargir les conditions d’emploi des drones aux plans juridique et opérationnel dans le cadre fixé par le décret n° 2023-283 du 19 avril 2023.

Pour votre rapporteur, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur offre un cadre approprié à cet effort compte tenu des options qu’elle retient en faveur de l’acquisition de drones et du développement de leur emploi.

Orientations de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur relatives à l’usage des drones

2.10.4. Drones

Si l’émergence de nouveaux matériels, tels que les drones, fait naître des menaces nouvelles qui nécessitent d’adapter la réponse opérationnelle […], leur utilisation par les forces de sécurité ouvre également de nouvelles opportunités, notamment dans l’appui opérationnel aux missions de sécurité publique et de sécurité civile ainsi que dans le recueil de renseignements (ordre public, surveillance des frontières, etc.).

Un programme d’acquisition de drones sera lancé afin d’équiper les forces de sécurité et de secours. Ces matériels seront adaptés aux missions différentes qu’ils seront amenés à remplir mais feront l’objet d’un achat puis d’une maintenance et d’une formation des pilotes mutualisés entre les différentes forces du ministère – police, gendarmerie, sapeurs-pompiers.

Source : rapport annexé à la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

c.   Préserver les acquis de l’expérience dans l’architecture de commandement des opérations de maintien de l’ordre

● L’architecture de commandement des opérations de maintien de l’ordre découle des principes formalisés par le schéma national ([461]). Elle repose sur un partage des compétences entre :

– le préfet de département ou, par délégation, le sous-préfet qui le représente, qui définit la stratégie et les objectifs assignés aux forces de sécurité intérieure et rend compte au ministre de l’intérieur ([462]) ;

– les responsables opérationnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale ou de la préfecture de police de Paris qui assurent la direction et la coordination de l’ensemble des personnels du dispositif déployé ([463]). Sur le terrain, le rôle de commandant de la force publique échoit au commandant de la compagnie républicaine de sécurité ou de l’escadron de gendarmerie mobile.

L’organisation de la chaine de commandement du maintien de l’ordre
 

2.4.1 Le préfet de département, le préfet de police ou le préfet de police des Bouches-du-Rhône, autorité civile, est Responsable de l’ordre public (ROP). Il définit la stratégie de gestion de l’ordre public et fixe le cadre juridique et les grandes orientations pour le service d’ordre. Il est présent ou se fait représenter sur le terrain par un des membres du corps préfectoral sur les opérations les plus complexes ou les plus sensibles.

2.4.2 Le directeur du service d’ordre (DSO), généralement le chef territorial de la police ou de la gendarmerie ou le directeur de l’ordre public et de la circulation à la préfecture de police, assure la direction et la coordination de l’ensemble des opérations de maintien de l’ordre. Il peut diriger les manoeuvres depuis son centre opérationnel ou directement sur place. Outre les unités qui lui sont organiquement rattachées, il peut disposer d’unités de forces mobiles placées sous son autorité le temps de la manifestation.

2.4.3 Le DSO peut désigner un ou des chef(s) de secteur opérationnel (CSO) qui, pour accomplir la mission fixée par le DSO, disposent d’une marge d’initiative tactique et opérative en s’appuyant sur les forces engagées.

Le DSO et les CSO sont chargés de conduire la communication avec les manifestants, et sont autorités habilitées à procéder aux sommations (art. R. 211-11 du code de la sécurité intérieure).

2.4.4 Le DSO ou CSO fixe au commandant de la force publique (CFP) la mission et les objectifs afférents. Le CFP conseille utilement le DSO/CSO dans la préparation des manœuvres envisagées. Le concours absolu et continu que doivent se prêter mutuellement DSO/CSO et CFP est une condition première de l’efficacité d’une opération de maintien de l’ordre.

Le DSO/CSO conserve le contrôle du développement des mesures mises en œuvre et peut à tout moment modifier, suspendre ou annuler ses instructions en fonction de l’évolution de la situation. Le CFP met en oeuvre les moyens dans le cadre des objectifs et des limites qui lui sont fixés par le DSO/CSO.

Le DSO/CSO décide, hors les cas de légitime défense, de l’emploi de la force et de l’usage des armes.

source : schéma national du maintien de l’ordre

L’organisation de la chaine de commandement à Paris et dans sa région revêt un caractère spécifique en ce que la même autorité, à savoir le préfet de police, définit la stratégie et prend les décisions concernant le déroulement des opérations.

● Les observations recueillies par la commission d’enquête ne portent pas à conclure à l’existence de défauts d’articulation ou de réactivité des chaînes de commandement dans les manifestations et rassemblements du printemps 2023.

Pour ce qui concerne les Deux‑Sèvres, Mme Emmanuelle Dubée, préfète du département, indique que « la chaine de commandement du maintien de l’ordre n’a jamais posé de difficultés dans les manifestations qui s’y sont tenues » ([464]).

Ce constat prévaut également pour Paris. D’une part, les observations recueillies par la commission d’enquête rendent compte d’une certaine rapidité de la diffusion des ordres d’intervention, ainsi qu’il ressort du témoignage du préfet de police Laurent Nuñez :

« Ainsi dès que je donne le feu vert pour intervenir, le temps d’exécution se situe entre trente secondes et une minute. Nous avons connu une seule fois une intervention de trois minutes en raison de problèmes de radio. » ([465])

D’autre part, les déclarations du préfet de police donnent à penser que les responsables des unités chargées du maintien de l’ordre ont été davantage associés à la conception des opérations à l’occasion des rassemblements et manifestations du printemps 2023. Devant la commission, M. Laurent Nuñez a ainsi affirmé :

« Nous travaillons dorénavant avec la hiérarchie des compagnies républicaines de sécurité et des escadrons de gendarmerie mobile dans la préparation des manifestations. Je souhaite associer tout le monde, tous les spécialistes du maintien de l’ordre. »

Cette pratique semble de nature à lever les réserves exprimées par certaines organisations syndicales quant au double rôle assumé par le préfet de police à Paris ([466]).

Du point de vue du rapporteur, il convient d’encourager naturellement la coordination et l’échange d’informations qui contribue à l’intégration du dispositif du maintien de l’ordre et à la capacité de manœuvre des forces de sécurité intérieure dans le contexte de mouvements revendicatifs.

Recommandation n° 14 : Dans la chaîne de commandement unifiée qui prévaut à Paris, pérenniser la pratique consistant à associer l’ensemble des responsables des unités chargées de la sécurisation des manifestations et des rassemblements. 

d.   Conforter les capacités d’anticipation procurées par les renseignements territoriaux

● Dans la gestion des manifestations et rassemblements, les services du renseignement territorial offrent une aide à la décision précieuse pour la préparation des dispositifs du maintien de l’ordre.

Le rôle du renseignement territorial consiste à évaluer les risques susceptibles d’entourer les manifestations et les rassemblements afin d’en informer les autorités, notamment les commandants de police et de gendarmerie chargés de concevoir les dispositifs sur place. Ce travail prospectif repose sur le recoupement des données, analyses et signalements fournis par les différentes sources d’information ou « capteurs » dont disposent les services. Ils peuvent être alimentés par les transmissions de services de renseignement partenaires et étrangers, des sources ouvertes ou des relais locaux. Il vise à anticiper le niveau de violence et de désordre que pourrait comporter la mobilisation à venir, voire à identifier des individus dangereux susceptibles d’y prendre part – militants radicaux, repris de justice, agitateurs étrangers.

En deuxième lieu, le renseignement territorial participe au suivi des événements par des missions de terrain diverses qui peuvent avoir pour objet, dans le cadre d’une surveillance active de leur déroulement ([467]) :

– le comptage des manifestants ;

– l’observation des profils présents ainsi que la détection et l’identification des individus violents ;

– l’information du service central et des autorités en temps réel. Par exemple, les agents de la filière « recherche et appui » s’assurent que les individus suivis se dirigent bien vers les lieux de contestation et maintiennent la surveillance jusqu’à l’arrivée sur place pour détecter leurs contacts et d’éventuels actes préparatoires ;

– le recueil de renseignement en vue d’une exploitation ultérieure, avec pour but de rassembler des informations sur les agissements des individus, le cas échéant en vue d’un traitement judiciaire.

Ces différentes tâches incombent aux agents du service central du renseignement territorial ou, dans la capitale, par les agents de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.

● Les travaux de la commission d’enquête montrent que le renseignement territorial a apporté une contribution décisive dans la préparation des opérations de maintien de l’ordre, pour ce qui concerne les manifestations et rassemblements tenus du 16 mars au 3 mai 2023.

Les éléments recueillis mettent en lumière une capacité certaine d’anticipation quant à l’importance de la participation et à l’existence d’un risque de débordements du fait du contexte ou de la présence d’éléments perturbateurs, notamment à Paris au cours des manifestations contre la réforme des retraites([468]). En ce qui concerne le rassemblement interdit à Sainte‑Soline, la préfète des Deux‑Sèvres souligne que « [d]ans un contexte où les organisateurs ont délibérément gardé secret le détail de leur projet et de leur organisation, le renseignement fourni a été précieux et d’excellente qualité » ([469]).

● Au regard de la radicalisation et de la violence des groupuscules et des individus susceptibles de s’immiscer dans les manifestations, ce premier bilan plaide en faveur de la poursuite de la politique de renforcement des services du renseignement territorial. Raffermir une présence de terrain et restaurer des capacités d’expertise et de suivi amoindries par la fusion ordonnée en 2008 entre la direction de la surveillance du territoire et les renseignements généraux, paie aujourd’hui des dividendes qui appellent à être réinvestis.

Ainsi que l’a noté Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, la fusion « fut une perte considérable en matière de renseignement, que le renseignement territorial pallie maintenant. Les renseignements généraux ont beaucoup perdu dans l’affaire, notamment par la réduction des effectifs. […] Beaucoup de sources qui émanaient du terrain ont été taries. Les gilets jaunes ont surpris parce qu’on ne les avait pas vus arriver » ([470]). De ce point de vue, les violences et dégradations survenues en marge des mouvements revendicatifs examinés par la commission d’enquête apportent la démonstration, suivant la remarque de l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, que « la réforme du renseignement permet de prendre des décisions pertinentes et opportunes en amont des événements susceptibles de troubler gravement l’ordre public » ([471]).

Dans le droit fil de la suite de la création en 2013 de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), les pouvoirs publics se sont employés, depuis 2017, à donner au renseignement de proximité les moyens d’exercer pleinement ses missions. Ainsi, d’après le bilan dressé à l’occasion des débats sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, la DGSI et les services du renseignement territorial ont reçu près de 40 % des 10 milliards d’euros de crédits et des 10 000 créations de postes alloués au renforcement de la sécurité intérieure ([472]).

Votre rapporteur prône naturellement la confirmation de ces choix budgétaires volontaristes, étant observé que le renforcement du renseignement de proximité nécessite d’entretenir et de développer les compétences des agents déployés sur le terrain. Dans cette optique, il recommande de poursuivre l’accroissement des crédits alloués à la direction générale de la sécurité intérieure et aux renseignements territoriaux, ainsi que la mise en place, dans les meilleurs délais, de l’offre de formation interservices spécialisée prévue par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

Recommandation n° 15 : Poursuivre le renforcement des crédits budgétaires affectés aux services du renseignement territorial et développer dans les meilleurs délais l’offre de formation interservices spécialisée en matière de renseignement prévue par la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

Orientations de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur relative à l’offre de formation en matière de renseignement

3.5.1. Renforcer la formation initiale

Une nouvelle offre de formation interservices spécialisée en matière de renseignement est proposée à ses partenaires par la DGSI, ayant vocation à bénéficier aux personnels affectés à la DGSI, au service central du renseignement territorial (SCRT) de la DGPN, à la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) et à la sous-direction de l’anticipation opérationnelle de la DGGN. Elle permettra de partager les compétences et d’harmoniser les pratiques professionnelles entre tous les agents, quel que soit leur statut (policiers, agents contractuels, gendarmes, agents administratifs), concourant à la mission de renseignement. Cette offre de formation sera construite par la DGSI et les services bénéficiaires concernés pour répondre à leurs besoins opérationnels. Elle fera l’objet d’échanges avec la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) et l’académie du renseignement. Elle pourra en outre bénéficier au service national du renseignement pénitentiaire (SNRP).

Source : rapport annexé à la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

e.   Une nécessaire coopération policière européenne

● La sécurisation des manifestations et des rassemblements constitue aujourd’hui l’un des objets de la coopération qu’entretiennent la police et la gendarmerie nationales avec leurs homologues étrangers. Il en va particulièrement ainsi au sein de l’Union européenne où cette coopération repose notamment sur :

– les instruments de coopération et d’échange d’information établis au sein de l’espace Schengen pour la gestion des frontières intérieures et extérieures ;

– le comité permanent de coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure, destiné à favoriser la coordination de l’action des autorités compétentes des États-membres en matière de sécurité intérieure ([473]).

À l’échelle nationale, la direction de la coopération internationale de sécurité assure l’interface entre les services nationaux et leurs homologues étrangers dans les coopérations opérationnelles, techniques et institutionnelles relatives aux enjeux de sécurité d’intérêt commun ([474]).

● À la lumière des manifestations et rassemblements tenus entre le 16 mars et 3 mai 2023, il apparaît que l’action conjointe des services nationaux et de leurs homologues étrangers doit être plus que jamais considérée comme un instrument essentiel des opérations de maintien de l’ordre.

Certes, les éléments recueillis par la commission d’enquête excluent que la responsabilité des violences et des dégradations commises alors puisse être imputée à des groupuscules qui posséderaient des ramifications internationales ou qui agiraient depuis l’étranger. En revanche, ils révèlent des liens de coopération entre certaines mouvances pouvant aller jusqu’à la participation de leurs membres étrangers à des actions conduites sur le territoire français. Dans ses réponses à votre rapporteur, la direction générale de la gendarmerie nationale note ainsi que les « mouvances ultras s’internationalisent et il n’est pas rare de voir des militants étrangers lors des manifestations violentes en France, ou des activistes français à l’étranger dans les mêmes conditions » ([475]).

Les travaux de la commission d’enquête attestent de la pertinence de la coopération policière européenne, notamment sur le plan des échanges d’information entre services chargés du maintien de l’ordre.

Les éléments fournis par la direction générale de la police nationale font état d’échanges opérationnels réguliers et réciproques avec nos partenaires étrangers, notamment par le truchement de la direction de la coopération internationale de sécurité, à l’occasion de chaque évènement pouvant mobiliser des militants au-delà des frontières nationales ([476]). Pour Sainte‑Soline, les services espagnols, allemands, suisses et italiens ont communiqué des informations permettant d’anticiper la venue des intéressés, de procéder à des contrôles et de prendre des mesures d’interdiction administrative de territoire ([477]). Suivant le décompte communiqué à la commission d’enquête, 14 interdictions administratives du territoire ont été prononcées à l’encontre de ressortissants étrangers ne résidant pas habituellement en France, ayant été considérés comme susceptibles de participer à des actions violentes lors des manifestations et rassemblements survenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023. ([478])

Dès lors, il importe d’entretenir les liens de coopérations avec les autorités étrangères. Pour votre rapporteur, cette démarche pourrait être utilement soutenue par la formalisation dans l’espace Schengen d’une coopération plus étroite qui tienne compte de la circulation sur le continent européen d’éléments radicalisés et violents.

Recommandation n° 16 : Intensifier, au sein de l’espace Schengen, la coopération entre les services chargés de la sécurisation des rassemblements et des manifestations.

3.   Un lien à cultiver entre police et population

Les forces de sécurité comptent parmi les institutions républicaines auxquelles les Français accordent soutien et crédit ([479]). Il revient toutefois aux autorités publiques de préserver et de consolider le lien de confiance qui semble s’être distendu dans certaines catégories de la population et sur certains territoires de la République : cet enjeu est central.

Au regard des controverses entourant les opérations de maintien de l’ordre qu’examine la présente commission d’enquête, il apparaît indispensable d’apporter aux citoyens la garantie que les éventuels manquements commis par des membres des forces de l’ordre donnent lieu à une juste sanction. Ainsi que l’a déclaré l’ancien préfet de police de Paris Michel Delpuech, « [p]eu importe que l’unité soit une brigade de répression de l’action violente motorisée, un détachement d’action rapide et de dissuasion, une brigade anti-criminalité ou une compagnie d’intervention, ce qui importe est le comportement. Le devoir de l’encadrement et de l’autorité est d’y veiller. Quand des manquements interviennent, ils doivent être sanctionnés, le cas échéant sur le terrain pénal. » ([480])

Du point de vue de votre rapporteur, cet impératif, de même que la nécessité d’apaiser et d’objectiver le débat sur l’usage de la force, commandent d’améliorer l’efficacité des procédures ayant pour objet la transparence et le contrôle de l’action des forces de l’ordre.

a.   Conforter l’indépendance des services d’inspection

● Outre l’exercice par les supérieurs hiérarchiques de leur pouvoir disciplinaire, le contrôle de l’action des membres des forces de l’ordre repose sur deux piliers :

– le contrôle externe exercé par la Défenseure des droits, au titre du contrôle du respect de la déontologie par des personnes exerçant des activités de sécurité ([481]) ;

– le contrôle interne exercé par l’inspection générale de la police nationale et l’inspection générale de la gendarmerie nationale, en leur qualité de corps d’inspection administratifs placés auprès du ministre de l’intérieur.

Il revient ainsi aux inspections générales de procéder aux enquêtes relatives à l’usage de la force par les policiers et les gendarmes dans les opérations de maintien de l’ordre ([482]). Ces investigations revêtent deux formes :

– d’une part, des enquêtes administratives diligentées sur instruction de l’autorité hiérarchique et pouvant conduire à proposer des sanctions disciplinaires ;

– d’autre part, des enquêtes judiciaires à la demande de l’autorité judiciaire, qu’il s’agisse du parquet ou d’un juge d’instruction.

Par ailleurs, les inspections générales recueillent des signalements effectués par les citoyens à propos des actions des forces de police et de gendarmerie. Cette mission repose désormais sur des plateformes numériques ([483]).

● Depuis plusieurs années, le contrôle de l’action des forces de l’ordre par les inspections générales fait parfois l’objet d’un relatif scepticisme, voire d’une défiance affirmée. Ainsi que l’illustrent de récents travaux de l’Assemblée nationale ([484]), les critiques et les doutes exprimés évoquent notamment les arguments suivants :

– l’inadéquation des effectifs au volume et à l’évolution de l’activité des inspections, l’inspection générale de la police nationale comptant, d’après les derniers chiffres publics, 276 personnes dont 203 policiers actifs de tout grade, et l’inspection générale de la gendarmerie nationale 117 personnes ([485]) ;

– le rattachement statutaire aux directions du ministère de l’intérieur possédant l’autorité hiérarchique sur les agents susceptibles d’être mis en cause devant les inspections générales ;

– la composition des inspections générales qui, faisant peser le soupçon d’un entre-soi ou d’un fonctionnement en vase clos, peut jeter un doute sur l’impartialité des contrôles. Le personnel est essentiellement recruté parmi les policiers et les gendarmes, c’est-à-dire au sein des corps sur lesquels s’exerce le contrôle ;

– l’absence de portée des contrôles, les inspections générales ne formulant que des propositions alors que le pouvoir de sanctions appartient aux supérieurs hiérarchiques des agents mis en cause.

● À ce stade, le nombre des faits en rapport avec les manifestations et les rassemblements de la période examinée par la commission d’enquête ayant donné lieu à une saisine d’une inspection générale, reste à préciser. Ainsi qu’il l’a confirmé au cours de son audition, le ministre de l’intérieur a saisi l’inspection générale de la gendarmerie nationale de l’usage d’un lanceur de balle de défense à l’encontre de participants de l’un des cortèges de Sainte‑Soline ([486]).

Il a par ailleurs réaffirmé la doctrine du ministère de l’intérieur en ce qui concerne le traitement des signalements relatifs aux manquements qui mettraient en cause l’action des forces de l’ordre dans le contexte des mouvements revendicatifs. Ainsi que le ministre l’avait indiqué à la commission des lois de l’Assemblée nationale, ces lignes directrices établissent une claire répartition entre le rôle des inspections et celui de l’autorité judiciaire :

« […] Dans le premier cas, les éventuelles sanctions dépendent de l’autorité judiciaire. Lorsque des mises en examen impliquent que les policiers ou les gendarmes ne doivent plus être sur la voie publique ni travailler dans certains services, ou doivent être désarmés, nous appliquons ces mesures immédiatement et nous attendons, comme le prévoit la jurisprudence, la fin de l’enquête judiciaire pour prendre d’éventuelles sanctions administratives. Lorsqu’il n’y a pas d’enquête judiciaire, l’IGPN et l’IGGN doivent désormais rendre leur rapport dans un délai de trois mois. Depuis la Lopmi, et à ma demande, nous publions ces rapports. Les directeurs généraux prennent leur décision après le conseil de discipline dans les trois mois qui suivent les enquêtes administratives. Ces mesures s’appliqueront donc pour les quatre cas que j’ai signalés et les éventuelles sanctions seront connues immédiatement » ([487]).

Néanmoins, il peut être opportun de conforter les procédures engagées devant les inspections générales par une évolution de leur statut et de leurs attributions. Le rapport annexé à la loi précitée d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur trace déjà un certain nombre de perspectives pour améliorer le suivi des signalements qu’elles reçoivent. Il prévoit :

– la modernisation des plateformes de signalements afin de favoriser leur recueil en temps réel et à partir de tout support mobile, tel qu’un téléphone portable ou une tablette ;

– la mise en service d’un outil de suivi des sanctions ;

– une cosaisine fréquente de l’inspection générale de l’administration afin d’apporter une expertise complémentaire.

Dans cet esprit et suivant des propositions déjà formulées par la commission d’enquête sur le maintien de l’ordre, votre rapporteur préconise l’indépendance des inspections générales par la suppression de la tutelle administrative des directions générales et un rattachement direct au ministre de l’intérieur ([488]).

Au vu de la diversité des modèles en Europe, il pourrait même être envisagé un contrôle externe de l’action des forces de l’ordre sous la forme d’une autorité publique indépendante.

Les modèles d’inspection et de contrôle interne britannique et espagnol

Mis en place en janvier 2018, l’Independant Office for Police Conduct (IOPC) se présente comme un organisme public non ministériel chargé de superviser le système de traitement des plaintes déposées contre les forces de police en Angleterre et au Pays de Galles. Son indépendance organique vis-à-vis des forces de sécurité se traduit également par sa composition : le directeur général, les membres de l’équipe exécutive et les six directeurs régionaux sont tenus par la loi de n’avoir jamais travaillé pour la police. L’IOPC n’enquête que sur les incidents et les allégations les plus graves mettant en cause des agents de police. Il dispose à ce titre de larges prérogatives lui permettant notamment de prendre l’initiative d’enquêter sans qu’une force de police ne soit déjà saisie préalablement, de reprendre des investigations pour des affaires déjà classées si de nouveaux éléments apparaissent et de diligenter des poursuites judiciaires à l’encontre de policiers si les conclusions tirées de son enquête sont contraires à celles de l’enquête administrative menée par le service de police compétent. N’étant pas une structure policière, l’IOPC exerce essentiellement un rôle de supervision, d’encadrement, et de redirection. Il établit les normes selon lesquelles la police devrait traiter les plaintes, par l’intermédiaire de recommandations à l’attention des services de police tirées des conclusions de leurs enquêtes.

En Espagne, la garde civile et la police nationale disposent, pour chacun de ces deux corps, d’une unité en charge des « questions internes ». Ces unités diffèrent assez sensiblement des inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales françaises au regard de leur champ de compétences. Dirigées par des membres appartenant à leurs corps respectifs, elles ne prennent en charge que les affaires pénales les plus graves impliquant les forces de l’ordre. Concrètement, les autres enquêtes pénales et l’ensemble des enquêtes administratives sont donc traitées par les échelons de commandement locaux. Si cette organisation limite l’encombrement potentiel des unités de contrôle interne des forces de l’ordre, elle renvoie de façon massive l’ensemble des plaintes et réclamations déposées à leur encontre aux services locaux de la garde civile et de la police nationale.

Source : rapport n° 3786 de M. Jérôme Lambert au nom de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines du maintien de l’ordre, déposé le 20 janvier 2021, pp. 101-106.

Aussi paraît-il pertinent à votre rapporteur de doter notre pays d’un modèle robuste de contrôle extérieur, doté des ressources humaines et matérielles nécessaires, notamment en habilitant la Défenseure des droits à saisir directement les inspections générales aux fins d’enquêtes administratives ([489]).

Recommandation n° 17 : Étayer l’indépendance de l’inspection générale de la police nationale et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale en supprimant la tutelle administrative des directions générales de la police et de la gendarmerie nationales.

Recommandation n° 18 : Donner à la Défenseure des droits le pouvoir de saisir directement les inspections générales aux fins d’enquêtes administratives.

Outre ces mesures procédurales, votre rapporteur estime important de nourrir la réflexion sur la déontologie applicable aux forces de l’ordre au vu de l’évolution des nécessités et des conditions du maintien de l’ordre. Dans cette perspective, il invite le Gouvernement à assurer au plus vite le fonctionnement du « collège de déontologie » dont la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur prévoit la mise en place auprès du ministre de l’intérieur ([490]).

Collège de déontologie prévu par la loi d’orientation et de programmation

du ministère de l’intérieur à propos du collège de déontologie

Un collège de déontologie sera institué auprès du ministre de l’intérieur. Il sera composé de quatre professionnels et de trois personnalités extérieures qualifiées, dont un magistrat de l’ordre judiciaire et un universitaire. Il sera présidé par un membre du Conseil d’État, désigné sur proposition du vice-président du Conseil d’État.

Il participera à l’adaptation et à l’actualisation du code de déontologie et prendra en compte l’action des référents déontologues placés auprès du secrétaire général, du chef de l’inspection générale de l’administration, du directeur général de la police nationale, du directeur général de la sécurité intérieure et du directeur général de la gendarmerie nationale. Il conduira des réflexions sur l’éthique et la déontologie dans l’ensemble des domaines de compétence du ministère de l’intérieur et formulera toute proposition de nature à en assurer la promotion. Il rendra des avis et des recommandations sur des dossiers complexes.

Source : rapport annexé à la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

b.   Assurer le respect du port du numéro RIO

Le référentiel des identités et de l’organisation (RIO) désigne le numéro d’identification individuelle des membres des forces de l’ordre. Composé de sept chiffres, il se trouve sous l’étiquette « police » ou « gendarme » des uniformes. Les modalités du port du RIO sont fixées par un arrêté du 24 décembre 2013 ([491]).

Le port du RIO est destiné à assurer la transparence de l’action des forces de l’ordre et, le cas échéant, à établir la responsabilité d’un agent en cas de manquement. Or, ainsi que la presse s’en est fait l’écho, les obligations réglementaires entourant le port de ce matricule font l’objet d’une application très inégale voire défaillante. Ce constat rejoint les observations formulées de manière récurrente par la Défenseure des droits, Mme Claire Hédon :

« Sur les tenues des policiers et des gendarmes, le matricule est peu visible en raison du port d’un gilet tactique par-dessus l’uniforme. Les agents en civil n’ont pas toujours enfilé le brassard police, ce qui crée des difficultés y compris au sein des forces de l’ordre. Les enregistrements vidéo issus des caméras de voie publique, des équipements portés par les agents et des appareils utilisés par des témoins sont régulièrement le seul moyen d’identifier les protagonistes d’une intervention. Or, les images enregistrées permettent rarement de distinguer le RIO en raison de la distance ou des mouvements des personnes. Les saisines relatives à ces problèmes d’identification ne peuvent encore, à ce stade, être évaluées. Elles le seront en fonction des réponses des directions générales aux demandes d’identification. » ([492])

Dans un arrêt du 11 octobre 2023 ([493]) , le Conseil d’État a fait injonction au ministère de l’intérieur de prendre, dans un délai de douze mois, les mesures nécessaires au respect par les policiers et les gendarmes de l’obligation de port apparent du RIO, y compris lorsque l’emplacement habituel du numéro d’identification est recouvert par un équipement de protection individuelle comme, par exemple un gilet pare-balles. En outre, l’arrêt du Conseil exige du ministère de l’intérieur qu’il adopte, dans un délai de 12 mois, toute mesure de nature à garantir que le RIO soit de taille suffisante pour être lisible.

Votre rapporteur estime qu’il s’agit là d’un juste rappel du droit qui s’impose aux forces de l’ordre et qui, dans une certaine mesure, participe des devoirs de transparence et d’exemplarité. Néanmoins, l’arrêt du conseil d’État pourrait receler un grand nombre de difficultés pratiques au vu des violences et des risques de confrontation directe auxquels les agents des forces de l’ordre s’exposent désormais.

La commission d’enquête a été littéralement sidérée d’apprendre que les compagnies républicaines de sécurité disposent en dotation de cagoules anti-feu que les personnels ont pour consigne de ne pas revêtir pour des raisons de transparence et d’identification, alors même que l’usage par les activistes violents d’engins incendiaires artisanaux et de cocktails Molotov commanderait évidemment de faire usage de cet équipement de protection individuelle. Comme le relève M. Johann Cavallero, responsable national CRS d’Alliance Police nationale :

« Tout le monde a été choqué par les collègues brûlés par des coquetels Molotov. On leur interdit pourtant de porter la cagoule antifeu dont ils sont dotés au motif qu’ils doivent rester identifiables. Cette cagoule est pourtant un équipement de protection individuelle et les policiers restent par ailleurs toujours identifiables. […] Il faut que les collègues puissent intervenir en toute sécurité. L’épisode de Sainte-Soline est symptomatique de ce que les manifestants peuvent inventer pour mutiler ou tuer les forces de l’ordre. » ([494])

Aussi votre rapporteur appelle-t-il à une réflexion sur la conciliation d’impératifs potentiellement contradictoires. Il doit exister des moyens de satisfaire à l’obligation du port du RIO, qui concourt à la légitime responsabilité des personnels en cas de manquement, sans porter atteinte aux nécessités du maintien de l’ordre et de la protection des agents des forces de l’ordre.

Recommandation n° 19 : Examiner, et le cas échéant réviser, les conditions pratiques permettant de concilier les obligations de transparence, notamment relatives au port du référentiel des identités et de l’organisation (RIO), avec les impératifs du maintien de l’ordre et la protection des personnels des forces de l’ordre.

B.   Poursuivre la rénovation du cadre juridique afin de prévenir et de réprimer les violences commises lors des manifestations

Les règles administratives et pénales qui encadrent l’exercice du droit de manifester et la lutte contre les groupuscules violents ont été récemment renforcées. Si leur consolidation est opportune, il convient également de parfaire les mécanismes de répression des violences commises en marge de manifestations afin de lutter efficacement contre ces phénomènes malheureusement récurrents.

1.   Un arsenal préventif et répressif récemment renforcé mais qui reste à consolider

L’encadrement du droit de manifester et les moyens juridiques consacrés à la lutte contre les associations et groupements de fait provoquant à la violence traduisent la recherche d’un point d’équilibre entre l’indispensable préservation des libertés et la nécessaire protection de l’ordre public.

a.   L’encadrement du droit de manifester : un équilibre satisfaisant entre préservation des libertés et protection de l’ordre public

i.   Un régime déclaratif pouvant donner lieu à interdiction sous le contrôle du juge administratif

L’approche libérale du droit de manifester réside dans le caractère déclaratif des manifestations qui se déroulent sur la voie publique. Conformément aux articles L. 211-1 et L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, leurs organisateurs doivent préalablement les déclarer auprès de la mairie ou de la préfecture ([495]). Reconnue comme un droit fondamental par la jurisprudence constitutionnelle ([496]), européenne ([497]) et administrative ([498]), la liberté de manifestation s’articule avec la prévention des troubles à l’ordre public qui découle de l’impératif de protection des personnes et des biens.

Selon les informations dont dispose l’autorité administrative compétente et dès lors que l’interdiction est la seule mesure permettant de prévenir les troubles ([499]), la manifestation peut être prohibée par arrêté municipal ou préfectoral ([500]) susceptible de recours devant le juge administratif. En outre, le juge des référés du Conseil d’État a récemment rappelé qu’aucune interdiction générale de manifester ne peut être prononcée sans considération des troubles à l’ordre public qu’une manifestation est susceptible d’occasionner ([501]).

Comme le précise la contribution écrite remise à votre rapporteur par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, l’autorité administrative peut envisager une série d’amodiations pour un déroulement de la manifestation dans les meilleures conditions ([502]). C’est seulement face à l’impossibilité caractérisée d’assurer la sécurité des biens et des personnes que l’interdiction peut être prononcée.

Il appartient donc à l’autorité administrative d’évaluer les risques pour l’ordre public et de définir les modalités de prévention de ces risques, par un encadrement policier suffisant permettant à la manifestation de se dérouler sans mettre en péril l’ordre public. Ce n’est que lorsqu’elle constate que les pouvoirs et les moyens dont elle dispose seraient insuffisants pour prévenir ces risques qu’il peut être porté atteinte à la liberté de manifestation, de manière adaptée et proportionnée ([503]).

Ainsi, le juge administratif laisse-t-il à l’autorité administrative une certaine marge d’appréciation pour interdire une manifestation susceptible de troubler l’ordre public. De nombreuses interdictions administratives de manifester ont été régulièrement jugées légales, par exemple dans le but de préserver la circulation sur certaines voies de la commune ([504]), en cas d’insuffisance des forces de l’ordre disponibles ([505]), au regard de la gravité des incidents survenus à l’occasion des rassemblements précédemment organisés ([506]) ou de la difficulté des forces de l’ordre à manœuvrer sur les lieux ([507]).

Garanti sous l’expression de « liberté de réunion pacifique » par l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, le droit de manifester fait également l’objet d’une jurisprudence européenne abondante qui admet des restrictions dès lors que les organisateurs ou participants à ces manifestations poursuivent des intentions violentes ([508]).

Les exactions commises lors des manifestations des « gilets jaunes » à la fin de l’année 2018 ont conduit le législateur à adopter, au mois de mars 2019, une proposition de loi déposée par le sénateur de Vendée M. Bruno Retailleau comprenant à son article 3 une mesure d’interdiction administrative individuelle de manifester ([509]). Cette interdiction pouvait frapper une personne constituant « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », sans qu’il soit besoin d’administrer la preuve qu’elle ait précédemment commis, ou se soit apprêtée à commettre, des actes de violences au cours d’une manifestation. Tous les rassemblements pouvaient ainsi être concernés par l’interdiction, indépendamment de l’existence de risques de troubles spécifiques et avérés que leur tenue faisait peser sur l’ordre public. L’interdiction pouvait s’appliquer sur l’ensemble du territoire national pour une durée maximale d’un mois.

Le Conseil constitutionnel a jugé cet article contraire à la Constitution, estimant que « compte tenu de la portée de l’interdiction contestée, des motifs susceptibles de la justifier et des conditions de sa contestation, le législateur a porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée » ([510]).

Interrogée lors de son audition sur la possibilité de réintroduire ce dispositif, Mme Pascale Léglise estime envisageable « de rédiger plus strictement l’interdiction administrative en précisant le champ d’application de la mesure et en renonçant à une application au-delà d’une simple manifestation – du point de vue spatial comme temporel » ([511]).

Si une « voie de passage » permettant d’assurer la constitutionnalité de la mesure existe, votre rapporteur considère son intérêt limité au regard des exigences de la jurisprudence constitutionnelle. D’une part, l’éventuelle nouvelle mouture d’une interdiction administrative de manifester présenterait alors une utilité réduite, lestée de contraintes juridiques et opérationnelles restreignant la portée du dispositif envisagé. D’autre part, la protection due au droit de manifester dans l’ordonnancement juridique national n’invite pas aux comparaisons avec d’autres mécanismes relevant de la police administrative, comme les interdictions administratives de stade ([512]) ou de déplacement de supporters ([513]) auxquels les pouvoirs publics ont régulièrement recours afin de combattre le hooliganisme.

L’objectif légitime de prévenir efficacement les violences lors des manifestations justifie en revanche d’envisager la mobilisation des leviers placés sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

ii.   Les contrôles préventifs : un outil à la frontière de la police judiciaire et de la police administrative

L’application de mesures de contrôles préventifs, en amont des rassemblements identifiés comme comportant des risques de troubles à l’ordre public, offre la voie la plus efficace pour déjouer les stratégies de débordements violents. Elle suppose toutefois un encadrement strict, adapté et proportionné à la nature des risques anticipés.

Un bon exemple de cette démarche est la dépêche du ministre de la justice publiée le 18 mars 2023 dans laquelle le garde des Sceaux incitait les procureurs de la République à délivrer des réquisitions aux forces de l’ordre, en application des articles 78‑2 et 78‑2‑2 du code de procédure pénale, dans le but de procéder à des contrôles d’identité, des visites de véhicules, des inspections visuelles et des fouilles de bagages ([514]). Ces opérations peuvent d’ailleurs révéler des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République sans constituer une cause de nullité des procédures incidentes.

Sur le fondement de l’alinéa 7 de l’article 78‑2, les forces de l’ordre peuvent contrôler l’identité de toute personne suspectée de commettre ou de se préparer à commettre des infractions figurant sur les réquisitions écrites transmises en ce sens par le procureur de la République. Selon des modalités similaires, le II de l’article 78‑2‑2 autorise les forces de l’ordre à procéder à l’inspection visuelle ou à la fouille des bagages des personnes contrôlées aux fins de recherche et de poursuites d’infractions limitativement énumérées ([515]).

Les réquisitions sont circonscrites dans le temps et dans l’espace ([516]). Elles concernent une zone territoriale strictement délimitée et ne peuvent excéder douze ([517]) ou vingt-quatre heures ([518]). Elles peuvent ainsi viser les lieux des manifestations ou les sites de rassemblements, mais aussi les axes principaux de circulation permettant d’y accéder.

Ce cadre légal et le code de procédure pénale ont été utilement complétés par l’article 78-2-5 issu de la loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, un texte pensé, précisément, pour faire face à la systématisation des violences d’opportunité venant se greffer aux rassemblements déclarés ou pas. Jugées conformes à la Constitution ([519]), ces dispositions permettent, sur réquisitions du procureur de la République, de procéder sur les lieux d’une manifestation sur la voie publique et, à ses abords immédiats, à la visite de véhicules, à l’inspection visuelle des bagages des personnes et à leur fouille dans une finalité unique : rechercher et poursuivre les auteurs de l’infraction prévue à l’article 431-10 du code pénal réprimant la participation à une manifestation en possession d’une arme.

Mme Pascale Léglise souligne l’intérêt des réquisitions fondées sur l’article 78-2-5 : « Cette mesure permet de prévenir le port et le transport de matériels pouvant s’avérer dangereux en manifestation. Je rappelle ainsi qu’à Sainte-Soline, des armes par nature et par destination ont été découvertes par les forces de l’ordre. Les inspections ont permis de désarmer un certain nombre de personnes qui se présentaient munis d’un matériel aucunement approprié pour une manifestation » ([520]).

Votre rapporteur considère que les réquisitions établies sur le fondement des articles 78‑2, 78‑2‑2 et 78‑2‑5 présentent une nature hybride, se situant à la frontière entre la police judiciaire et la police administrative ([521]). Si elles visent à rechercher les auteurs d’infractions pénales, elles concourent également à prévenir la commission de violences en marge des manifestations, en interpellant le cas échéant des individus en possession d’armes ou d’objets susceptibles de constituer des armes par destination ([522]).

Ces réquisitions relèvent du pouvoir d’appréciation des procureurs de la République. Elles doivent s’inscrire dans le respect des exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ([523]) et de la Cour de cassation ([524]) qui prohibent les contrôles généralisés et insuffisamment délimités dans le temps et l’espace. Elles requièrent, au préalable, une coordination entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire afin de délimiter les zones stratégiques dans lesquelles les forces de l’ordre ont vocation à opérer ces contrôles, ainsi que le précise la procureure de la République de Paris :

« En amont, nous sommes également en relation avec l’autorité administrative dans les demandes de réquisition préalables à la manifestation. Il me semble que c’est un moyen qu’il faut absolument utiliser car il est pertinent […]. Vu ce que nous constatons dans les faits, il serait inenvisageable que nous n’utilisions pas cet outil […]. Il s’agit d’un moyen de prévention : si je ne consentais pas à ces réquisitions, ce serait le champ ouvert à ceux qui voudraient s’armer du fait de l’absence de contrôle. » ([525])

L’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve approuve également cette stratégie préventive : « […] il faut interpeller si l’interpellation est possible en amont. Ne pas le faire, c’est prendre le risque que les manifestations dégénèrent » ([526]).

L’efficacité des réquisitions se heurte toutefois à certaines limites. D’une part, leur efficacité a été progressivement constatée et comprise par les auteurs de violences. Le service central du renseignement territorial ([527]) souligne en effet que les individus les plus dangereux ne se présentent pas avec du matériel offensif aux abords des manifestations mais ils utilisent essentiellement le mobilier urbain disponible sur le parcours, tandis que les engins pyrotechniques ne sont employés qu’au moment où le black bloc est suffisamment dense pour faciliter leur circulation. La procureure de la République de Paris affirme en ce sens que « ceux qui se préparent à affronter les forces de l’ordre et à commettre des dégradations connaissent l’existence de ces réquisitions. Ils n’arrivent pas sur les lieux avec un objet dans leur poche » ([528]).

D’autre part, les contrôles auxquels procèdent les forces de l’ordre sur réquisitions du procureur de la République suscitent le débat, en particulier la méthode des contrôles d’identité dits « délocalisés » ([529]) qui permettent, dans le respect des règles prévues à l’article 78‑3, d’éloigner un individu soumis à un contrôle d’identité, de le retenir sur place ou de le conduire à un local de police aux fins de vérification de son identité. Lors de son audition par la commission d’enquête, la Défenseure des droits a tenu à rappeler leur cadre d’application :

« […] de tels contrôles sont illégaux quand les conditions prévues à l’article 78-3 du code de procédure pénale ne sont pas réunies. En vertu de cette disposition, une personne contrôlée peut être transportée au commissariat de police le plus proche, durant le temps strictement nécessaire à l’établissement de son identité, si et seulement si elle refuse de justifier son identité ou si elle est dans l’impossibilité de le faire. À plusieurs reprises, notamment dans une décision du 10 décembre 2019, le Défenseur des droits a demandé que soit mis fin aux contrôles d’identité délocalisés. » ([530])

En outre, les modalités d’application de l’article 78-2-5 du code de procédure pénale peuvent soulever certaines interrogations quant à la portée des contrôles effectués par les forces de l’ordre. Si la recherche d’armes ou d’objets constituant des armes par destination est nécessaire, la Défenseure des droits observe qu’elle peut aboutir à des excès préjudiciables à l’exercice du droit de manifester :

« Les interpellations préventives ont lieu en amont d’une manifestation pour les personnes trouvées porteuses d’objets considérés comme faisant obstacle à l’action de police, notamment des masques de protection ou des lunettes de piscine. Or, les arrestations sont arbitraires lorsqu’elles n’ont pas de base légale ou lorsque leur motif est erroné. […] J’ai été saisie de réclamations dénonçant le caractère arbitraire d’interpellations lors des dernières manifestations. J’y porterai une attention particulière et je prendrai position à l’issue des enquêtes en m’interrogeant sur les critères de recours, les instructions données par l’encadrement et les fondements juridiques. Ces pratiques induisent clairement un risque de privation disproportionnée de liberté. Elles peuvent aussi favoriser des tensions. » ([531])

Dans l’attente de la position que prendra prochainement la Défenseure des droits, votre rapporteur considère que les risques d’utilisation abusive des dispositions de l’article 78‑2‑5, déjà identifiés par notre ancien collègue Jérôme Lambert il y a trois ans ([532]), pourraient être limités par la clarification, à l’échelle réglementaire, des objets, matériels ou équipements dont la possession est ou non autorisée lors des manifestations.

Si dresser une liste exhaustive et détaillée semble peu réaliste, des consignes claires et harmonisées doivent être données aux forces de l’ordre en la matière, dans le but de préserver l’effet utile des contrôles préventifs.

Recommandation n° 20 : Clarifier, par voie règlementaire, les objets, matériels ou équipements dont la possession est ou non autorisée lors des manifestations. 

iii.   Le nécessaire développement d’incriminations et de sanctions pénales adéquates

Le code pénal prévoit un ensemble d’incriminations susceptibles de qualifier des faits commis lors des manifestations, arsenal dont M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, considère qu’il est « aujourd’hui globalement complet » ([533]).

L’article 431‑9 du code pénal punit en effet de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende le fait d’organiser une manifestation non-déclarée ou ayant été interdite par l’autorité administrative.

Condamnations pour infraction à l’article 431-9 du code pénal

 

Année

Condamnations

Taux
d’emprisonnement

Quantum moyen de
l’emprisonnement ferme

Montant moyen des amendes fermes

2018

4

25 %

-

300 euros

2019

23

13 %

-

589 euros

2020

7

28,6 %

4 mois

498 euros

2021

9

0 %

-

250 euros

2022

9

0 %

-

509 euros

Source : ministère de la justice.

Issu de la loi n° 2019‑290 du 10 avril 2019, l’article 431‑9‑1 du code pénal incrimine par ailleurs la dissimulation volontaire de tout ou partie du visage d’une personne sans motif légitime au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis.

Ce délit est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ([534]).

Condamnations pour infraction à l’article 431-9-1 du code pénal

 

Année

Condamnations

Taux
d’emprisonnement

Quantum moyen de
l’emprisonnement ferme

Montant moyen des amendes fermes

2019

16

31 %

3,8 mois

292 euros

2020

25

20 %

2 mois

363 euros

2021

8

13 %

-

500 euros

2022

1

100 %

6 mois

-

Source : ministère de la justice.

L’article 431-10 du code pénal punit également de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de participer à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme ([535]).

S’agissant des récents débats très médiatisés concernant les conséquences pénales découlant de la participation à une manifestation interdite ou non-déclarée, il faut rappeler que le décret n° 2019‑208 du 20 mars 2019 a créé l’article R. 644-4 du code pénal, lequel prévoit que la participation à une manifestation interdite est passible d’une contravention de la quatrième classe, pour un montant forfaitaire de 135 euros ([536]). Outre les précisions apportées par la Cour de cassation dans plusieurs décisions récentes sur le champ d’application de cette infraction ([537]), il convient de rappeler qu’aucune disposition légale ou règlementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non-déclarée : seule la participation à une manifestation interdite par arrêté de l’autorité administrative compétente est constitutive de l’infraction contraventionnelle. En l’absence d’arrêté d’interdiction de la manifestation, l’infraction ne saurait donc être constituée.

Mme Pascale Léglise observe que « la création de la contravention de quatrième classe de participation à une manifestation interdite est intéressante [mais qu’] elle reste utilisée avec parcimonie. En effet, elle suppose que les forces de l’ordre interrompent le maintien de l’ordre pour verbaliser les personnes en infraction » ([538]).

M. Frédéric Veaux définit ainsi les circonstances dans lesquelles les forces de l’ordre recourent à cette amende contraventionnelle : « Nous la mettons en œuvre quand nous sommes en présence de petits groupes » ([539]).

Condamnations pour infraction à l’article R. 644-4 du code pénal

 

Années

2019

2020

2021

2022

1er janvier au 30 mai 2023

16 mars au 3 mai 2023

Nombre

319

1 798

2 937

1 673

1 047

994

Source : ministère de l’intérieur.

Au-delà de ce cadre juridique, la notion d’attroupement constitue un levier d’action efficace. Tel que défini par l’article 431-3 du code pénal, l’attroupement définit l’attroupement vise en effet tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public. Les forces de l’ordre peuvent alors dissiper l’attroupement après deux sommations, l’article 431-4 du même code réprimant le fait de continuer à participer à un attroupement à hauteur d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Les statistiques communiquées par le ministère de la justice soulignent le doublement du quantum moyen de la peine d’emprisonnement ferme prononcée par les juridictions, confirmant la fermeté de la réponse pénale :

Condamnations pour infraction à l’article 431-3 du code pénal

 

Année

Condamnations

Taux
d’emprisonnement

Quantum moyen de
l’emprisonnement ferme

Montant moyen des amendes fermes

2018

195

43,6 %

4,1 mois

456 euros

2019

465

41,5 %

3,9 mois

349 euros

2020

176

33,5 %

8,1 mois

444 euros

2021

238

25,2 %

7,2 mois

367 euros

2022

143

34,3 %

7,8 mois

414 euros

Source : ministère de la justice.

Le code pénal prévoit également plusieurs délits liés à la participation à un attroupement : le port d’arme ([540]), la dissimulation volontaire de tout ou partie du visage ([541]) ou encore la provocation directe à un attroupement armé ([542]).

Enfin, si elles ne sont pas spécifiquement liées à l’organisation, à la participation et au déroulement des manifestations, d’autres incriminations peuvent également être retenues afin de réprimer les violences commises en marge des rassemblements.

Ainsi, l’article 222‑14‑2 du code pénal punit d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende la participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens. Lors de son audition par la commission d’enquête, Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, a toutefois réprouvé le recours à cette qualification pénale au cours des manifestations :

« Nous demandons l’abrogation du délit de participation à un groupement en vue de commettre des violences […] Ce délit sert aux policiers à arrêter sans aucun fondement juridique, ce qui débouche sur des gardes à vue de quarante-huit heures alors que l’infraction n’est pas constituée, puisqu’elle est imprécise et qu’elle nécessite de démontrer des actes préparatoires. » ([543])

Si le parquet de Paris ([544]) reconnaît la sensibilité et la complexité de cette qualification, il l’estime toutefois pertinente pour appréhender les auteurs de violences commises en marge des manifestations, une analyse que confirme M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, rappelant que, avant la loi du 10 avril 2019, l’infraction visée par l’article 222‑14‑2 « n’était guère retenue en pratique puisque la jurisprudence considérait qu’il s’agissait d’un délit de nature politique ne pouvant donner lieu à comparution immédiate. Désormais, cette infraction est retenue sans trop de difficultés par les parquets » ([545]).

Par ailleurs, l’article 450‑1 du code pénal dispose que tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes ou délits constitue une association de malfaiteurs punie de cinq années d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ([546]). De nombreuses autres infractions notamment relatives au vandalisme ([547]), au vol ([548]) et aux atteintes aux forces de l’ordre ([549]) sont également mobilisables dans le cadre des manifestations.

Au-delà des seules peines d’emprisonnement et d’amende, le code pénal et le code de procédure pénale prévoient plusieurs mesures afin, d’une part, de sanctionner efficacement les personnes condamnées pour l’une des infractions précitées et, d’autre part, prévenir leur réitération au cours des manifestations. Ainsi, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice permet au procureur de la République d’infliger, au titre des alternatives aux poursuites ([550]), une interdiction de paraître dans les lieux où l’infraction a été commise ([551]), pour une durée maximale de six mois ([552]). La loi du 10 avril 2019 a également étendu le champ de la peine complémentaire d’interdiction de séjour ([553]) à l’ensemble des délits relatifs aux manifestations illicites et à la participation délictueuse à une manifestation. Si ces deux interdictions de paraître et de séjour peuvent se révéler pertinentes, il apparaît que l’interdiction de manifester représente la peine la plus opportune en répression des violences commises lors des manifestations.

Créée par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, la peine complémentaire d’interdiction de manifester ([554]) peut être prononcée à l’encontre de personnes condamnées pour des infractions commises à l’occasion de manifestations ([555]), pour une durée maximale de trois ans et dans les lieux déterminés par la juridiction de jugement.

La loi du 10 avril 2019 a également inséré l’interdiction de manifester au titre des obligations auxquelles le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention peut soumettre une personne placée sous contrôle judiciaire ([556]).

Qu’elle s’inscrive dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou qu’elle soit prononcée au titre d’une peine complémentaire, cette interdiction est inscrite au fichier des personnes recherchées (FPR) ([557]). La violation de l’interdiction de manifester est sanctionnée d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Lorsque l’interdiction découle d’une obligation prévue au titre d’un contrôle judiciaire, celui-ci peut en conséquence être révoqué. Les données communiquées à votre rapporteur par le ministère de la justice illustrent l’utilisation croissante de cette mesure dans le cadre du contrôle judiciaire.

Interdictions de manifester

 

 

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

1er semestre 2023

Au titre de la peine complémentaire

9

25

7

70

341

51

63

24

234

Au titre d’un contrôle judiciaire

-

-

-

-

236

547

635

706

739

Source : ministère de la justice.

cid:image001.png@01D9DFDA.FFEA73C0Source : ministère de la justice. Évolution bimensuelle selon le cadre du prononcé (condamnation [Conda] ou contrôle judiciaire [CJ]).

En outre, selon les éléments communiqués à votre rapporteur ([558]), seuls cinq individus ont été condamnés depuis 2020 pour avoir violé l’interdiction de manifester prononcée à leur encontre en tant que peine complémentaire. Ils se sont ainsi exposés, selon l’article 434-38-1 du code pénal, à un an d’emprisonnement et à 15 000 euros d’amende.

La très forte hausse du nombre d’interdictions de manifester constatée au cours du premier semestre 2023 témoigne, selon votre rapporteur, de l’appropriation par l’autorité judiciaire de cette mesure en tant que peine complémentaire ou au titre d’une obligation relevant du contrôle judiciaire. Elle constitue une réponse utile et efficace pour sanctionner les auteurs des violences commises lors des manifestations du printemps dernier. Néanmoins, Mme Pascale Léglise considère que cet outil pourrait être davantage utilisé par les juridictions : « On s’étonne que des personnes ayant un comportement récidiviste en matière d’agissements violents ne soient pas plus souvent interdites de paraître au sein de manifestations » ([559]).

À la lumière du droit applicable et conformément aux recommandations de plusieurs représentants de l’autorité judiciaire, votre rapporteur estime que plusieurs ajustements pourraient être mis en œuvre afin de renforcer l’efficacité de l’interdiction de manifester.

Premièrement, dans sa rédaction actuelle, l’article 141-4 du code de procédure pénale ne permet pas de retenir dans un local de police ou de gendarmerie, pour une durée maximale de vingt-quatre heures, une personne placée sous contrôle judiciaire et à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a violé l’interdiction de manifester à laquelle elle est assujettie. L’article 141-4 n’autorise ce placement en rétention judiciaire que pour la violation de certaines obligations ([560]) parmi lesquelles l’interdiction de manifester ([561]) ne figure pas. Dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, le parquet de Bordeaux considère que cet « oubli » ne facilite pas le traitement judiciaire de la violation de l’interdiction de manifester, notamment au regard du recours croissant à cette mesure dans le cadre des contrôles judiciaires.

Selon votre rapporteur, il serait effectivement judicieux de modifier l’article 141-4 afin d’intégrer l’interdiction de manifester au périmètre des obligations dont la violation peut justifier la rétention de la personne concernée.

Recommandation n° 21 : Modifier l’article 141-4 du code de procédure pénale afin d’intégrer l’interdiction de manifester dans le champ des obligations dont la violation peut justifier la rétention de la personne concernée, pour une durée maximale de vingt-quatre heures.

Deuxièmement, l’article 431-11 du code pénal prévoit que la peine complémentaire d’interdiction de manifester peut être prononcée pour un nombre limité d’infractions commises au cours d’une manifestation. Outre les délits relatifs aux violences ([562]), à la participation à un groupement en vue de commettre des violences ([563]) et aux destructions et dégradations ([564]), seuls le port d’arme ([565]), la dissimulation du visage ([566]) et l’organisation d’une manifestation non déclarée ou interdite ([567]) peuvent donner lieu au prononcé de la peine complémentaire. Votre rapporteur considère que ce champ infractionnel pourrait être légitimement étendu aux incriminations délictuelles prévues aux articles 431-4 à 431-6 du code pénal qui répriment la participation, armée ou non, à des attroupements après les sommations réalisées par les forces de l’ordre.

Recommandation n° 22 : Élargir le champ des infractions susceptibles de donner lieu à la peine complémentaire d’interdiction de manifester aux délits d’attroupement prévus par les articles 431‑4 à 431‑6 du code pénal.

Troisièmement, dans le sillage de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 qui a consacré le caractère obligatoire de la peine complémentaire d’interdiction de stade à l’encontre des auteurs de délits d’une particulière gravité ([568]), la peine complémentaire d’interdiction de manifester pourrait, elle aussi, revêtir un caractère obligatoire en cas d’infraction particulièrement grave, telles que celles comportant la commission de violences ou le port d’arme.

Dans sa décision sur la loi du 19 mai 2023 ([569]), le Conseil constitutionnel a jugé la peine complémentaire obligatoire d’interdiction de stade conforme à la Constitution dès lors que la juridiction compétente peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, dans le respect du principe d’individualisation des peines.

Votre rapporteur considère ce mécanisme tout à fait pertinent et adapté aux enjeux de répression des auteurs de violences commises lors des manifestations.

Recommandation n° 23 : Consacrer le caractère obligatoire de la peine complémentaire d’interdiction de manifester infligée aux auteurs de délits d’une particulière gravité commis au cours des manifestations.

Quatrièmement, la violation de la peine d’interdiction de paraître ([570]) et de la peine complémentaire d’interdiction de séjour ([571]) susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’auteurs de violences lors des manifestations est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. En revanche, la violation de la peine d’interdiction de manifester n’est passible que d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Dans un souci d’harmonisation des dispositions applicables, il conviendrait, selon votre rapporteur, de rehausser à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende la peine encourue en cas de violation de l’interdiction de manifester, à l’instar des règles relatives aux interdictions de séjour et de paraître.

Recommandation n° 24 : Aligner le quantum de la peine encourue en cas de violation de l’interdiction de manifester sur celui des peines encoures en cas de violation des interdictions de paraître et de séjour, soit deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Enfin, votre rapporteur observe que l’utilité des interdictions de manifester repose aussi, en pratique, sur la capacité des forces de l’ordre et de l’autorité judiciaire à en contrôler le respect et, le cas échéant, à en sanctionner la méconnaissance.

Dans sa rédaction issue du Sénat en première lecture, la loi du 10 avril 2019 prévoyait la mise en place d’une « obligation de pointage » au commissariat ou à la gendarmerie pour les individus faisant l’objet d’une interdiction de manifester. Inspirée des dispositions applicables aux interdictions judiciaires de stade ([572]), cette mesure avait pour objectif de garantir le respect effectif de ces interdictions le jour même des manifestations, selon des modalités décidées par le juge judiciaire. La commission des Lois de l’Assemblée nationale avait néanmoins supprimé cette « obligation de pointage », arguant de son caractère complexe et excessivement lourd à gérer pour les forces de l’ordre.

Si ces craintes ne sont pas infondées, votre rapporteur estime cependant qu’une réflexion pourrait être conduite pour évaluer les avantages et inconvénients de cette proposition, à l’épreuve de la recrudescence d’actes violents commis en marge des manifestations. Une expérimentation pourrait ainsi être menée dans le but de tester, dans un cadre de temps et de lieu strictement défini, la pertinence de ces « obligations de pointage » qui ont déjà fait leur preuve dans la lutte contre le hooliganisme.

Recommandation n° 25 : Expérimenter une obligation de pointage au commissariat ou à la gendarmerie des personnes condamnées à une interdiction de manifester, selon des modalités déterminées par l’autorité judiciaire.

À rebours d’initiatives législatives récentes prônant l’amnistie des auteurs de violences ([573]), votre rapporteur réaffirme la nécessité de consolider l’arsenal administratif et judiciaire pour renforcer l’efficacité de la lutte contre les auteurs de violences commises lors des manifestations.

b.   La lutte contre les associations et groupements de fait qui provoquent à la violence

Adoptée à une large majorité et avec l’abstention constructive de plusieurs groupes de l’opposition parlementaire, la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant les principes de la République a permis d’élargir le champ des motifs pour lesquels des associations ou groupements de fait peuvent être dissous par décret en conseil des ministres. Si la dissolution constitue une mesure utile pour lutter efficacement contre les groupuscules violents, elle exige toutefois, compte tenu de sa portée au regard de la liberté d’association, un travail préalable de documentation et de renseignement très précis.

i.   Les assouplissements opérés par la loi du 24 août 2021

La loi du 24 août 2021 a complété l’article L. 212‑1 du code de la sécurité intérieure qui énumère les fondements susceptibles de justifier la dissolution d’associations ou de groupements de fait. Ces derniers peuvent désormais être visés dès lors qu’ils « provoquent à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » ([574]). Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, souligne les raisons de cette évolution :

« Nous avions effectivement souhaité moderniser l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, qui remontait à 1936 et qui était donc daté à différents égards. La rédaction permettait de dissoudre les associations et groupements de fait “qui provoquent à des manifestations armées dans la rue”. Ce sont des mots d’un autre temps. Nous avons notamment ajouté aux “manifestations armées” un critère consistant en des “agissements violents”. » ([575])

L’élargissement voulu par le législateur facilite la dissolution de groupuscules affiliés à la mouvance ultra dont les membres ou les sympathisants soutiennent publiquement les violences commises en marge des manifestations et rassemblements, voire y prennent part.

La loi du 24 août 2021 a également introduit dans le code de la sécurité intérieure un nouvel article L. 212‑1‑1 qui autorise la dissolution d’associations et de groupements de fait à raison d’agissements commis par un ou plusieurs de leurs membres. Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution ([576]) considérant que le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public sans porter à la liberté d’association une « atteinte qui ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée » ([577]).

Article L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure

Pour l’application de l’article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l’association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient.

Outre le rappel de la gravité des faits susceptibles de justifier la dissolution et le contrôle de celle-ci par le juge administratif, le Conseil constitutionnel observe que la décision de dissolution doit être « écrite et motivée » ([578]), conformément aux articles L. 122-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration.

Cette exigence de motivation implique un travail préparatoire de recherche et de documentation auquel concourent les services juridiques et de renseignement du ministère de l’intérieur, dans un contexte où l’établissement des faits est parfois d’une complexité redoutable.

ii.   La surveillance administrative : l’analyse des sources ouvertes et du renseignement

La documentation de la provocation à la violence contre les personnes ou les biens impose aux services du ministère de l’intérieur le recueil d’informations détaillées sur l’organisation, le fonctionnement et l’activité de ces groupuscules. Il leur appartient de rassembler suffisamment d’éléments tangibles et circonstanciés pour administrer la preuve que ces associations ou groupements de fait, par le truchement de leurs membres ou sympathisants, s’engagent dans une action violente, ainsi que l’expose la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques :

« Pour y parvenir, nous disposons d’un certain nombre d’outils. Il peut s’agir d’informations émanant des services de renseignement, concernant des captures d’écran ou la présence des membres d’une association dans des manifestations violentes. En sources ouvertes, nous effectuons également des recherches pour connaître les communications et les mots d’ordre des associations, les agissements violents auxquels elles ont appelé et leurs revendications, les condamnations de leurs membres ». ([579])

Dans cette perspective, la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques identifie deux écueils susceptibles de faire échec au travail des services.

D’une part, l’objectivation de la notion de « provocation » peut s’avérer délicate :

« Le principal obstacle à surmonter concerne la mention “qui provoquent à”. En effet, il n’est pas toujours facile d’utiliser cette notion. Certaines associations visent explicitement à provoquer des agissements violents. Cependant, la plupart du temps, la provocation est implicite, indirecte et presque subliminale. Mais tant pour l’émetteur que pour le récepteur, elle est évidente. Il suffit pour s’en convaincre de lire les commentaires qui succèdent à la parution du message provocateur sur internet ou les réseaux sociaux. Notre travail consiste donc à convaincre le Conseil d’État qu’il n’existe pas uniquement de la provocation directe, mais aussi la provocation implicite et indirecte. […] Naturellement, il faut agir au cas par cas, pour effectuer un décryptage précis des agissements de l’association ». ([580])

Si la récurrence de messages, propos ou publications approuvant ou incitant à la commission d’actes violents permet de matérialiser la réalité d’une provocation ([581]), une étude au cas par cas de l’activité des associations et groupements de faits ciblés doit être systématiquement effectuée, alors même que le caractère explicite des provocations à la violence n’est pas forcément aisé à établir :

« Le fait qu’une association en félicite une autre sur internet parce qu’elle a mis le feu à un commissariat en Corse constitue-t-il une provocation indirecte aux yeux du juge ? De notre côté, nous considérons qu’il s’agit d’une provocation, certes maline. On peut lire par exemple des commentaires comme le suivant : “Un poulet grillé, vous pouvez faire mieux. La semaine prochaine on vous amènera des frites.[…]

Nous essayons de faire progresser la jurisprudence afin que les provocations retenues ne soient pas seulement explicites. La seule publication de vidéos de policiers en feu ou victimes de graves atteintes doit suffire, selon nous, à qualifier la provocation. […] Il y avait débat sur la question de savoir si des messages avec un pouce levé ou un “bravo” pouvaient être caractérisés comme de la provocation. Il a fallu ferrailler pour convaincre, mais nous y sommes parvenus. » ([582])

Votre rapporteur considère que l’exigence de documentation précise et détaillée des propos ou actes imputables à une association ou à un groupement de fait requise pour justifier sa dissolution est à la fois légitime et indispensable au regard des garanties constitutionnelles attachées à la liberté d’association ([583]).

À l’issue des auditions menées par la commission d’enquête, il apparaît aussi que les groupuscules concernés adoptent des stratégies, notamment sur internet, visant à dissimuler ou atténuer consciemment la radicalité de leurs propos, en jouant d’ambiguïtés et de sous-entendus ([584]). Ces manœuvres de contournement compliquent la caractérisation, par les services du ministère de l’intérieur, d’une provocation à la violence, dans l’objectif évident de mettre en échec les procédures de dissolution devant le juge administratif.

Dans cette optique, votre rapporteur considère qu’il pourrait être opportun de préciser dans la loi que la provocation précitée peut être « directe » ou « indirecte » ([585]) en complétant à cette fin l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, la charge de la preuve continuant d’être exigée de l’autorité administrative.

Recommandation n° 26 : Préciser à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure que la provocation à des agissements violents peut être « directe ou indirecte ».

D’autre part, la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 212‑1‑1 se heurte à la difficulté de prouver qu’une structure a effectivement eu connaissance des agissements d’individus qui s’en réclament :

« L’article L. 21211 du code de la sécurité intérieure sanctionne l’absence de désolidarisation de l’association vis-à-vis des agissements de leurs membres. Quand elles ont été informées de comportements répréhensibles, si les associations ne s’en sont pas désolidarisées ou n’ont pas pris de sanction, elles sont réputées partager le message. […] Elles peuvent toutefois adopter un comportement de façade, par exemple en excluant officiellement un membre pour attester de leur bonne foi.

L’imputation des agissements de ses membres à une association constitue donc une première difficulté. La deuxième difficulté à laquelle nous sommes confrontés est relative à la suppression des messages. En effet, nous nous insérons dans une procédure contradictoire en notifiant un certain nombre de motifs à la partie adverse. Ce faisant, nos arguments sont connus. Nos adversaires savent qu’une des parades à leur disposition consiste à supprimer les messages en feignant de les découvrir. » ([586])

En outre, la dimension nébuleuse des groupuscules ultra, couplée à la logique de dissimulation qui leur est consubstantielle, complexifie l’identification des individus pouvant appartenir à ces derniers :

« La difficulté d’imputation à une association est en réalité liée à la difficulté de connaître ses membres. La plupart du temps, les individus sont juste qualifiés de sympathisants par les structures, qui réfutent leur appartenance en tant que membres » ([587]). Ce constat est bien sûr renforcé en présence de groupements de fait qui, par nature, peuvent revêtir des formes souples d’organisation et d’appartenance.

Le travail mené par les services de renseignement se révèle donc essentiel pour constituer un faisceau d’indices suffisamment solide, en exploitant en premier lieu les données disponibles en source ouverte, telles que la publication de textes, de photos ou de vidéos en ligne, comme le souligne le service central du renseignement territorial : « Nous contribuons à fournir des éléments […]. Établir les faits par des propos qui circulent sur les réseaux sociaux, par notre travail d’enquête permet au Président de la République de décider la dissolution […] » ([588]). Il faut toutefois souligner l’usage de messageries numériques cryptées, très largement répandu dans les réseaux activistes violents, oppose aux services de renseignement un obstacle de taille dans la collecte de preuves.

Ces difficultés se déclinent à deux niveaux. D’une part, l’inviolabilité des messageries cryptées représente une barrière technique majeure qui complexifie fortement l’accès à ces données. D’autre part, l’accès et la conservation de celles-ci sont soumis aux exigences découlant des jurisprudences européenne ([589]) et nationale ([590]) dont la dimension restrictive ne facilite pas la conduite des enquêtes pénales, ce qui souligne la nécessité d’apporter une réponse à ce double enjeu, sans doute à l’échelle européenne.

La surveillance administrative des groupuscules radicaux susceptibles de commettre des actions violentes ([591]) peut également conduire les services de renseignement à solliciter la mise en place de techniques de renseignement sur le fondement de l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure créé par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

Article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure

Pour le seul exercice de leurs missions respectives, les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V du présent livre pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation suivants :

1° L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;

2° Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;

3° Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;

4° La prévention du terrorisme ;

5° La prévention :

a) Des atteintes à la forme républicaine des institutions ;

b) Des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l’article L. 212-1 ;

c) Des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;

6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;

7° La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.

Selon les chiffres communiqués par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement à votre rapporteur ([592]), la finalité prévue par le c) du 5°, c’est-à-dire la prévention « des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique » ([593]), a donné lieu à environ 12 % des demandes de surveillance reçues par la Commission en 2022. Pour ce seul motif, 2 692 individus faisaient ainsi l’objet d’une surveillance par le biais d’une technique de renseignement.

En valeur absolue, 10 740 demandes ont été présentées en 2022 à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, contre 12 437 l’année précédente. Cette évolution s’explique par une baisse du nombre de demandes d’accès aux données de connexion, la part des demandes de techniques « plus intrusives » demeurant inchangée : 5 657 demandes d’accès aux métadonnées ont été formulées en 2022 contre 7 340 en 2021, soit une baisse de 1 683 demandes.

Le tableau suivant présente l’évolution du nombre de demandes relatives à cette finalité depuis 2017 :

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Nombre de demandes toutes techniques confondues

4 225

6 962

10 147

11 303

12 437

10 740

En proportion de l’ensemble des demandes reçues par la Commission

6 %

9,5 %

13,8 %

14,2 %

14,2 %

12 %

Source : contribution écrite remise par la CNCTR.

Au cours des cinq premiers mois de l’année 2023, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement a été saisie de 5 377 demandes présentées sur le fondement cette finalité.

En 2022, elle a rendu 481 avis défavorables : 4,48 % ([594]) des demandes formulées par les services de renseignement n’ont donc pas obtenu l’aval de la Commission ([595]). Ce taux s’avère près de trois fois supérieur au taux moyen d’avis défavorables rendus pour l’ensemble des finalités au titre desquelles une technique de renseignement peut être mise en œuvre. Le rapport d’activité annuel souligne, là encore, l’existence d’une ligne de crête entre l’activisme non-violent et la radicalisation violente :

« Ces demandes nécessitent un examen particulièrement délicat. La commission doit concilier la nécessaire prévention des violences avec, non seulement la protection de la vie privée, mais aussi la sauvegarde de la liberté d’expression et de manifestation. Il s’agit d’entraver les actions violentes, et non de surveiller une activité militante.

Les services, de leur côté, ont dû faire face à une diversification de la menace, dont la tentation de certains groupes pratiquant jusque-là des formes de désobéissance civile de basculer dans des registres d’action plus radicale. Ils ont ainsi été confrontés à des situations mêlant étroitement, pour la défense de causes parfois largement partagées, des modes d’expression et de revendication nouveaux avec l’acceptation, plus ou moins explicite, de débordements dangereux. Des individus ou groupes extrémistes se sont mélangés, par conviction ou opportunisme, avec des militants en quête de nouveaux modes d’expression.

Le dialogue instauré avec les services – ainsi d’ailleurs que la radicalisation de certaines formes de militantisme – a progressivement permis d’affiner le ciblage des individus susceptibles d’être surveillés et, par suite, d’améliorer la qualité des demandes soumises à l’examen de la commission. » ([596])

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement indique faire preuve de pédagogie à l’attention des services de renseignement, en explicitant autant que possible les critères à l’aune desquels elle rend ses avis :

« [P]lusieurs conditions doivent être réunies pour admettre la demande : la vraisemblance d’un risque de violences ; le caractère collectif de ces violences ; leur degré de gravité et d’intensité enfin, car il doit s’agir de violences susceptibles de causer, selon les termes mêmes de la loi, un trouble grave à la paix publique – une notion qui relève du ressenti du citoyen, celle d’ordre public incombant à l’appréciation du préfet […].

La Commission s’est efforcée de donner aux services des repères sécurisants : un manuel de la doctrine et des séances de retour sur dossier. Elle a aussi veillé à comprendre l’évolution de la menace, à travers de nombreux échanges thématiques et des déplacements au contact des services. Sa doctrine a également évolué s’agissant notamment de la prise en compte des atteintes aux biens, lorsque de telles atteintes s’inscrivent dans un contexte d’aggravation des violences, ou de la surveillance de personnes qui, sans prôner la violence, l’acceptent, notamment en apportant un soutien logistique. L’exemple des mobilisations anti-bassines vient ici à l’esprit […].

[T]out le travail de la Commission a été de faire le tri, c’est-à-dire d’éviter que les services sollicitent la surveillance de centaines de personnes uniquement parce qu’elles étaient à Sainte-Soline. Nous leur avons demandé de fournir des éléments de nature à établir une implication personnelle dans la préparation de violences ou leur déchaînement. Les difficultés qu’éprouvaient parfois les services face à certaines personnes mal connues ont pu nous conduire à consentir quelques assouplissements et à permettre leur surveillance, dès lors que le risque de passage à l’acte était avéré, mais pour une durée plus limitée, circonscrite à la manifestation. La poursuite de la surveillance n’était possible que si les services avaient recueilli des éléments supplémentaires»([597])

Dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, la Commission précise tenir compte du degré d’implication de la personne visée pour apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée aux libertés par la technique demandée. Elle rappelle en effet qu’il doit exister une adéquation entre, d’une part, l’importance de son rôle dans le projet visant à commettre des violences – qui différera selon que cette personne en est l’organisatrice, y apporte un soutien logistique actif ou y participe comme sympathisant d’une cause –, et, d’autre part, l’importance des mesures demandées pour sa surveillance.

La caractérisation des violences fait également l’objet d’une réflexion approfondie de la part de la Commission, ce qui lui permet de discerner les agissements susceptibles de relever ou non de cette qualification.

Extraits de la contribution écrite remise par
la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

La technique de renseignement sollicitée doit avoir pour objet la prévention d’actions violentes, ce qui exclut d’autres actions ne pouvant recevoir cette qualification (tel que le fait de tracer des inscriptions sur le mobilier urbain ou de jeter de la peinture sur la façade d’un bâtiment public).

Les violences s’entendent au sens d’atteintes à l’intégrité physique des personnes, ou de violences psychologiques, dans les cas d’actes particulièrement graves d’intimidation ou de menace.

Dans un nombre plus réduit de cas, les renseignements recherchés ne relèvent pas d’une finalité de prévention de violences collectives : ont ainsi reçu un avis défavorable des demandes de surveillance ayant pour motif le suivi de phénomènes non violents de contestation.

La CNCTR estime que la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ne saurait être interprétée comme permettant la pénétration d’un milieu syndical ou politique ou la limitation du droit constitutionnel de manifester ses opinions, fussent-elles extrêmes, tant que le risque d’une atteinte grave à la paix publique n’est pas avéré.

La CNCTR admet qu’une atteinte aux biens puisse être qualifiée de violence dans des cas particuliers de destructions ou de dégradations dont la gravité montrerait la détermination de leurs auteurs à passer à l’acte et le risque d’une escalade dans la violence, par exemple lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet de provoquer des heurts avec les forces de l’ordre ou des adversaires politiques. Il peut s’agir également d’actions consistant à user de la force pour entraver le déroulement d’activités légales, par exemple de nature industrielle. Votre rapporteur juge ainsi que la porosité entre les types de violence, selon qu’elle s’attaque aux biens ou aux personnes, accrédite l’idée d’un continuum de la violence de nature à transcender ces différents modes d’action.

Si la difficulté de l’exercice varie selon la nature des groupes ciblés ([598]), M. Serge Lasvignes considère, à l’instar du directeur général de la sécurité intérieure, M. Nicolas Lerner ([599]), que le cadre légal résultant de l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure est clair, complet et n’entrave pas l’action des services de renseignement pour lutter efficacement ([600]) contre les groupuscules violents :

« L’enjeu réside dans la mise en œuvre de la loi et sa compréhension par les services. La seule évolution législative qui pourrait être envisagée consisterait à abaisser le degré de gravité afin que l’on puisse appréhender un plus grand nombre de comportements. Du point de vue des principes démocratiques, cela ne me paraît pas souhaitable et je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire pour assurer l’efficacité de l’action des services. Je n’ai pas connaissance de ce que l’application par la Commission de la loi ou la loi elle-même soit considérée comme un problème par ces derniers. Le cadre légal actuel leur permet de travailler. » ([601])

Votre rapporteur partage la position exprimée par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement : le régime juridique issu de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement se situe à un point d’équilibre satisfaisant. Il préserve les droits et libertés des citoyens tout en garantissant aux services de renseignement le recours aux moyens d’une surveillance efficace d’individus et de groupuscules dangereux. La robustesse de notre cadre législatif, fondée sur la transparence et l’exercice de contre-pouvoirs, doit être rappelée avec force, à rebours des attaques simplistes dont il fait l’objet et aux procès en illibéralisme ou en autoritarisme dont il est régulièrement accablé.

En outre, le contrôle juridictionnel opéré sur les décrets de dissolution pris en conseil des ministres illustre l’étendue des garde-fous attachés au fonctionnement de l’État de droit.

iii.   La dissolution : une décision utile strictement contrôlée par le juge administratif

Selon les éléments communiqués par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur à votre rapporteur ([602]), dix-neuf associations ou groupements de fait impliqués dans des actions violentes sur la voie publique ([603]) ont été dissous au cours de la dernière décennie. Les structures dissoutes se partagent de la façon suivante : seize d’entre elles relèvent de l’ultradroite, une appartient à l’ultragauche, une est associée au mouvement indigéniste et la dernière s’inscrit dans la mouvance nationaliste turque. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 24 août 2021, cinq associations ou groupements de fait ont été dissous sur le fondement de la provocation à des agissements violents contre les personnes et les biens.

Votre rapporteur observe que la dissolution administrative présente plusieurs avantages majeurs. Elle permet en particulier de déstabiliser la structure dissoute en la privant des moyens de réunion, de communication ou d’action sous son ancienne dénomination. Ainsi que l’observe la direction des libertés publiques et des affaires juridiques ([604]), il en résulte généralement l’affaiblissement très net de la propagande et des agissements violents imputables à ces structures. Cet effet est amplifié par l’article 431‑15 du code pénal qui punit de trois d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la participation au maintien ou la reconstitution ouverte ou déguisée d’une association ou d’un groupement de fait dissout sur le fondement de l’article L. 212‑1 du code de la sécurité intérieure.

Mme Françoise Bilancini tempère toutefois l’effet utile des dissolutions visant les groupements de fait : « La dissolution, c’est bien. Mais à quoi bon dissoudre des groupes informels dont on est à peu près certain qu’ils vont se reconstituer ? Ce ne sont pas des entités où l’on cotise en échange d’une carte d’adhérent. Si on les dissout, ils se reforment sous un autre nom et avec un nouveau logo […]. » ([605])

Afin de préserver l’effet utile des dissolutions, votre rapporteur souhaite rappeler la nécessité d’une veille systématique des membres ou sympathisants des associations ou groupements de fait dissous de façon à contrôler qu’ils n’ont pas poursuivi, sous une autre bannière, les activités illicites de ces derniers. Le cas échéant, des poursuites judiciaires sur le fondement de l’article 435‑15 du code pénal doivent pouvoir être rapidement engagées afin de réprimer sévèrement ces pratiques de contournement mettant en péril l’autorité de l’État.

Recommandation n° 27 : Vérifier systématiquement que les associations ou groupements de fait dissous n’ont pas poursuivi leur activité illicite sous une autre forme, et, le cas échéant, engager dès que possible des poursuites judiciaires sur le fondement de l’article 435-15 du code pénal.

Par ailleurs, dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques fait état de pistes de réflexion afin de limiter les risques de maintien ou de reconstitution des structures dissoutes. Elle mentionne ainsi la possibilité de créer un régime spécifique de dévolution des biens et de gel des avoirs des associations dissoutes. Même si l’impact réel de ces mesures serait nécessairement limité au regard de la faiblesse des moyens matériels dont disposent les groupuscules radicaux, votre rapporteur estime que ces orientations s’avèrent pertinentes.

Recommandation n° 28 : Créer un régime spécifique de dévolution des biens et de gel des avoirs des associations et groupements de fait dissous sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

Lors de son audition par la commission d’enquête le 13 juin 2023 ([606]), Mme Pascale Léglise a indiqué que la très grande majorité des dissolutions prononcées au cours de la dernière décennie avaient été validées par le Conseil d’État, saisi en référé et au fond de la légalité de ces décrets : « Il y a eu peu d’échecs. Depuis 2013, nous avons dissous dix-neuf associations pour seulement deux suspensions en justice. En outre, ces suspensions sont intervenues en référé, le jugement au fond n’ayant pas encore été prononcé » ([607]).

Le contrôle opéré par le juge administratif sur la dissolution d’associations ou de groupements de fait est particulièrement strict. Statuant en référé sur la légalité du décret de dissolution des Soulèvements de la Terre, le Conseil d’État a ainsi choisi de distinguer clairement les agissements violents à l’encontre des personnes de ceux visant les biens. S’il considère que l’action du collectif précité pouvait entraîner des dommages d’ordre selon lui « symbolique », le juge des référés souligne que le ministère de l’intérieur n’a pas démontré que les Soulèvements de la Terre cautionnaient la violence à l’encontre des personnes.

Si cette suspension ordonnée en référé ne préjuge pas de l’examen au fond du décret par le Conseil d’État ([608]), votre rapporteur estime cependant qu’elle illustre les limites inhérentes à l’action administrative entreprise contre les groupuscules radicaux, avec une considération d’une particulière sensibilité : le développement des moyens administratifs et de l’arsenal pénal permettant de lutter efficacement contre les violences commises lors des manifestations et rassemblements doit se conjuguer au perfectionnement du traitement judiciaire des auteurs de violences.

Extraits de l’ordonnance de référé n° 476385 rendue par le Conseil d’État
le 8 août 2023 suspendant la dissolution des Soulèvements de la Terre

Si le décret contesté fait grief au collectif Les Soulèvements de la Terre de provoquer à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens, il ne résulte pas des pièces versées au dossier du juge des référés ni des éléments exposés à l’audience que ce collectif cautionne d’une quelconque façon les violences à l’encontre des personnes.

S’agissant des violences alléguées à l’égard des biens, il ressort des pièces versées au dossier, ainsi que des éléments exposés à l’audience, que les actions promues par les Soulèvements de la Terre ayant conduit à des atteintes à des biens se sont inscrites dans les prises de position de ce collectif en faveur d’initiatives de désobéissance civile et de « désarmement » de dispositifs portant atteinte à l’environnement, dont il revendique le caractère symbolique, et ont été en nombre limité.

Eu égard au caractère circonscrit, à la nature et à l’importance des dommages résultant de ces atteintes, le moyen tiré de ce que les actions reprochées au collectif ne peuvent pas être qualifiées de provocation à des agissements troublant gravement l’ordre public de nature à justifier l’application des dispositions précitées du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, notamment au regard des exigences découlant des articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret.

2.   Un traitement judiciaire des violences à perfectionner

La judiciarisation des auteurs de violences commises en marge des manifestations se heurte à plusieurs difficultés liées à l’établissement de la preuve, au déroulement de la procédure de garde à vue et à l’utilisation des notes préparées par les services de renseignement. Si ces contraintes sont nécessaires pour garantir l’effectivité de l’État de droit, des solutions existent pour garantir un traitement judiciaire à la fois respectueux des droits de la défense et efficace dans la répression des atteintes à l’ordre public.

a.   L’indispensable objectivation de la preuve

L’engagement de la responsabilité pénale impose l’imputation d’un fait à un individu dans un contexte où les activistes violents déploient de nombreuses stratégies d’évitement de la judiciarisation de leurs actes ([609]). Agissant le plus souvent masqués, les auteurs de violences se fondent dans la masse des rassemblements auxquels ils participent, compliquant leur identification par les forces de l’ordre. Rassembler des preuves suffisantes pour caractériser les faits constitutifs d’une infraction implique dès lors un travail minutieux d’observation et d’interpellation, essentiellement en flagrance : un objectif évidemment difficile au regard du contexte du déroulement des manifestations, ainsi que le constate le major Érick Verfaillie, pour qui les violences commises à cette occasion ne sont pas comparables à « scène de crime figée » : « [L]es preuves doivent être récupérées au milieu du chaos, alors même que nos adversaires sont entraînés pour précisément ne rien laisser sur place. […] La difficulté est en réalité initiale, dans la collecte des preuves. » ([610])

Deux outils susceptibles de satisfaire aux exigences probatoires de la procédure judiciaire ont été débattus lors des auditions menées par la commission d’enquête : les produits de marquage codé et la captation vidéo.

i.   Les produits de marquage codé

Si leur expérimentation a été annoncée par le Gouvernement dès le mois de mars 2019 à l’occasion des manifestations dites des gilets jaunes ([611]), les produits de marquage codé (PMC) ont été utilisés pour la première fois par les escadrons de gendarmerie mobile, selon les informations recueillies par la commission d’enquête, au cours des rassemblements organisés à Sainte-Soline en novembre 2022 puis les 25 et 26 mars 2023. Selon le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN), ces produits « sont des dispositifs indétectables à l’œil nu, inodores et incolores (non toxiques) permettant le marquage des biens, des personnes et des lieux […] Quel que soit le type de formulation mis en œuvre, cette technologie confère à tout support marqué une identification par un code unique ». ([612])

Les PMC ont été initialement développés dans un but de protection des commerces et des biens ([613]). Répandus par pulvérisation et dotés d’un code unique, leur présence sur un objet est révélée par l’exposition à une lumière spécifique. Selon le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale, ces outils présentent un « effet dissuasif avéré » et permettraient de constituer une « preuve matérielle solide », tout en soulignant que, comme « tout autre élément de preuve, il se doit nécessairement d’être corroboré par les autres indices et données de l’enquête ». ([614])

L’intérêt de ce nouvel instrument consiste à établir la présence d’un individu dont les vêtements ont été aspergés sur les lieux et au moment de la commission d’une infraction. Le garde des Sceaux, M. Éric Dupond-Moretti, a encouragé son usage au cours de son audition devant la commission d’enquête :

« […] Les produits de marquage codés peuvent se révéler précieux dans le recueil des preuves en ce qu’ils permettent d’objectiver la présence d’un individu dans une zone déterminée […] C’est un bon outil. Les traces sont révélées par fluorescence, un peu comme on met en évidence des taches de sang. C’est utile pour retrouver la trace d’un individu cagoulé. » ([615])

De même, la procureure de la République de Paris a indiqué que les PMC, bien qu’ils n’aient jamais été utilisés lors de manifestations parisiennes, représentent une « technique d’enquête qui mériterait d’être expérimentée » ([616]), le général Christian Rodriguez estimant quant à lui qu’il « semblerait naturel qu’un débat porte sur le sujet » ([617]).

Leur utilisation à Sainte-Soline, au printemps dernier, n’a toutefois pas produit les effets escomptés, selon les éléments transmis à votre rapporteur par le procureur de la République de Niort :

« Si le produit reste un long moment sur les vêtements mais aussi sur la peau, il nécessite toutefois un gros travail de contrôle de zone postérieur aux manifestations pour détecter sa présence sur des individus. Dans le cadre du mouvement du 25 mars 2023, les enquêteurs n’ont pu interpeller que deux personnes porteuses d’un produit de ce type ; il est toutefois apparu que ces deux personnes n’avaient pas été marquées directement, mais avaient simplement été en contact avec une des personnes touchées, ce qui n’a pas permis de retenir leur participation à des infractions. » ([618])

Ces résultats, apparus à l’occasion du premier usage de PMC dans le contexte de rassemblement violent, soulèvent, selon votre rapporteur, trois interrogations quant à leur fiabilité pour confondre les auteurs de violences. Premièrement, ainsi que précisé par le procureur de la République de Niort, les produits peuvent faire l’objet de « transferts » par le biais de contacts physiques entre un individu « marqué » et une personne tierce, au moment de la manifestation ou même ultérieurement. Deuxièmement, la pulvérisation des PMC requiert une précision de tir importante, quelles que soient les conditions météorologiques, afin de toucher exclusivement la personne ou, le cas échéant, le groupe commettant effectivement des actes violents. Troisièmement, comme le rappelle le ministre de la justice, les PMC ont pour objet d’apporter « la preuve de la présence d’un individu, non celle de sa culpabilité : il[s] peu[ven]t toucher un manifestant tranquille » ([619]). Transmis à votre rapporteur par le collectif Bassines non merci ! à l’issue de son audition, le rapport des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières ([620]) relatif aux événements de Sainte-Soline pose la question de l’apport probatoire des produits de marquage codé : « En quoi le fait d’avoir été marqué permet-il de caractériser autre chose que la présence sur le lieu où le produit a été utilisé ? » ([621]) Il s’agit d’une observation que votre rapporteur entend faire sienne pour souligner les limites de cette technique d’identification.

La direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur reconnaît d’ailleurs le caractère peu approprié de cette technique pour identifier les auteurs de violences lors des manifestations : « s’il semble que certaines circonscriptions aient déjà utilisé le produit dans le cadre d’une expérimentation, l’idée a finalement été vite abandonnée, le dispositif étant assez peu concluant sur une population prompte à changer rapidement d’effets vestimentaires en cours de manifestation […]. Aussi, cela interrogerait la fiabilité de la preuve et l’utilisation de ces éléments comme élément permettant d’engager des poursuites pénales. » ([622])

Sollicitées par votre rapporteur par l’intermédiaire du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, les ambassades de France en Italie, en Belgique, en Grèce, en Espagne, en Allemagne et au Royaume-Uni soulignent qu’aucun de ces États n’a recours aux produits de marquage codé pour des opérations de maintien de l’ordre, notamment pour des raisons relevant de « l’acceptabilité sociale » ([623]) de cette technique.

En outre, aucun cadre légal ou règlementaire spécifique ne régit leur utilisation. La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice précise que ces produits relèvent simplement des pouvoirs généraux d’enquête prévus par les articles 14, 39-3, 41 et 81 du code de procédure pénale ([624]).

En l’absence de tout fondement juridique approprié et de résultats convaincants quant à l’intérêt probatoire des produits de marquage codé, votre rapporteur considère que leur utilisation par les forces de l’ordre au cours des manifestations ne saurait se développer dans les conditions actuelles. Toute initiative en la matière implique une expérimentation préalable et strictement encadrée, en vue d’une évaluation rigoureuse des conditions d’emploi et de l’efficacité réelle de cette technique dans les procédures judiciaires.

Recommandation n° 29 : Suspendre le recours aux produits de marquage codé par les forces de l’ordre lors des manifestations tant qu’une expérimentation strictement encadrée et donnant lieu à l’évaluation précise de leur intérêt probatoire n’a pas été préalablement menée à bien.

ii.   La captation d’images

Outre les images des caméras de vidéoprotection ([625]), les enregistrements effectués par les caméras piétons ([626]), et désormais par les caméras aéroportées ([627]), peuvent fournir des éléments de preuve tangibles pour identifier les auteurs de violences au cours des manifestations.

Pérennisée depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ([628]) et généralisée en 2020, la captation mobile de données audiovisuelles par les agents de police et les gendarmes présente un réel intérêt lors des opérations de maintien de l’ordre au regard du cadre juridique applicable.

Cadre juridique applicable aux caméras piétons

L’article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure précise que les agents de police et les gendarmes sont autorisés à procéder à l’enregistrement audiovisuel de leurs interventions dans des conditions et selon des finalités limitativement énumérées.

Premièrement, si la décision d’enregistrement appartient uniquement à l’agent, elle demeure conditionnée à l’existence potentielle ou avérée d’un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées par celle-ci. L’enregistrement, non-permanent, se matérialise par un signal visuel spécifique. Son déclenchement fait l’objet d’une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l’interdisent.

Deuxièmement, les finalités du dispositif sont circonscrites à la prévention des incidents au cours des interventions, au constat des infractions et à la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves, ainsi qu’à la formation et la pédagogie des agents.

Conformément à l’article R. 241-2 du code de la sécurité intérieure, les traitements de données issues des caméras piétons font apparaître les informations suivantes :

– les images et les sons captés ;

– le jour et les plages horaires d’enregistrement ;

– l’identification de l’agent porteur de la caméra lors de l’enregistrement des données ;

– le lieu où ont été collectées les données ;

– l’identifiant de la caméra ;

– l’identification des personnels utilisateurs du logiciel d’exploitation des fichiers vidéo ;

– le motif d’export du fichier vidéo, le nom de l’agent et du service demandeurs, et le numéro de procédure.

En cas de menace sur la sécurité des personnes, les images captées et enregistrées au moyen de caméras individuelles peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné et aux personnels impliqués dans la conduite et l’exécution de l’intervention.

Lorsque cette consultation est nécessaire pour faciliter la recherche d’auteurs d’infractions, la prévention d’atteintes imminentes à l’ordre public, le secours aux personnes ou l’établissement fidèle des faits lors des comptes rendus d’interventions, les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une intervention. Les caméras sont équipées de dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité des enregistrements jusqu’à leur effacement et la traçabilité des consultations lorsqu’il y est procédé dans le cadre de l’intervention. Les enregistrements audiovisuels sont conservés dans la limite d’un mois, à l’exception des cas où ils sont consultés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire.

Source : rapport d’information n° 1089 de MM. Philippe Latombe et Philippe Gosselin à la commission des lois de l’Assemblée nationale, « Images, vidéos et sécurité : bilan et perspectives à l’heure de l’intelligence artificielle », 12 avril 2023.

Le général Christian Rodriguez observe que ces caméras « fournissent aux enquêteurs des éléments de preuve et […] aident à comprendre ce qui a pu se passer » ([629]). Votre rapporteur regrette cependant que leur usage ne soit pas généralisé lors des opérations de maintien de l’ordre, ce que déplore également la procureure de la République de Paris : « […] nous constatons que les caméras piétons sont peu ou pas utilisées alors même que celles-ci, dans certains cas, [peuvent] fournir des images tout à fait objectives » ([630]). M. Denis Jacob, délégué général du syndicat Alternative Police CFDT, partage ce constat :

« […] nous aurions intérêt à généraliser le port individuel de la caméra-piéton, justement pour avoir la matérialisation de la preuve et mieux cerner une situation. Le but est d’éviter qu’un extrait de quelques secondes montre une personne recevant un coup sans qu’on ne sache ce qui précède, le comportement de cette personne et les modalités de l’interpellation. La généralisation des caméras-piétons […] permettrait de travailler après les faits dans le cadre d’enquêtes judiciaires ». ([631])

Les modalités de déclenchement des caméras piétons demeurant soumises à des conditions restrictives en l’état du droit, seul l’agent de police ou le gendarme équipé de la caméra peut décider de démarrer l’enregistrement ([632]) , votre rapporteur considère que, conformément à la recommandation récemment émise par nos collègues Philippe Latombe et Philippe Gosselin ([633]), l’assouplissement des conditions de déclenchement de l’enregistrement renforcerait l’intérêt opérationnel des caméras piétons. Il pourrait ainsi être envisagé de procéder à leur activation à distance, depuis le poste de commandement, et de prévoir l’automaticité de l’enregistrement dès lors qu’un policier ou un gendarme fait usage de son arme, voire de moyens de mise à distance ([634]) pour les besoins du maintien de l’ordre.

Recommandation n° 30 : Systématiser le port des caméras piétons lors des opérations de maintien de l’ordre et assouplir les conditions dans lesquelles les enregistrements peuvent être déclenchés.

Autorisé par le décret du 19 avril 2023 et attendu par l’ensemble des forces de l’ordre ([635]), l’usage des drones en matière de police administrative peut également faciliter l’identification, postérieurement aux faits, d’auteurs de violences commises au cours des manifestations, tout en offrant une meilleure contextualisation du déroulement des manifestations et de la gestion du maintien de l’ordre. Le général Christian Rodriguez précise à cet égard que la gendarmerie procède à la saisie de « tout ce qui peut permettre d’identifier quelqu’un qui aurait commis des exactions. Des images de drone peuvent aider à reconnaître quelqu’un quand il ne porte pas de masque » ([636]).

Il s’agit d’une saisie d’ailleurs facilitée par les dispositions de l’article R. 242-11 du code de la sécurité intérieure selon lequel les images captées par des caméras aéroportées peuvent être conservées au-delà de la durée maximale s’élevant à sept jours pour les besoins liés au signalement d’un crime ou d’un délit à l’autorité judiciaire.

Au-delà de la nécessaire utilisation systématique des caméras piétons et de l’opportunité du recours aux moyens aéroportés, l’envoi d’équipes de policiers ou de gendarmes dédiées au recueil d’images au sein ou aux abords des manifestations considérées « à risques » est une solution susceptible d’améliorer le recueil de preuves sur le terrain, ainsi que l’avancent la procureure de la République de Paris ([637]) et le directeur général de la police nationale :

« Autant que faire se peut, et indépendamment de la caméra-piéton des policiers, certains [agents] sont munis de caméscopes pour suivre les manifestations et tenter d’identifier ainsi des individus avant qu’ils ne se griment. » ([638])

Votre rapporteur considère que « la guerre des images » évoquée par l’ancien préfet de police de Paris, M. Michel Delpuech ([639]), représente en effet un enjeu majeur dans la lutte contre les groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations. La documentation circonstanciée de leurs agissements facilite grandement l’engagement de leur responsabilité pénale devant la juridiction judiciaire. Les supports vidéos constituent des éléments probatoires solides et souvent indispensables à l’identification des fauteurs de troubles de même que la prise en compte du contexte dans lequel les forces de l’ordre sont appelées à intervenir.

Recommandation n° 31 : Généraliser, lors des manifestations et rassemblements considérés « à risques », la présence d’équipes de policiers et de gendarmes dédiées à la captation audiovisuelle du déroulement des manifestations et rassemblements concernés.

b.   Sécuriser le début de la procédure judiciaire

La judiciarisation des actes de violences commis en marge des manifestations est une tendance relativement récente, que l’ancien préfet de police M. Didier Lallement estime s’est renforcée il y a une vingtaine d’années :

« L’action de police visait à mettre fin à la manifestation qui posait des problèmes ; personne ne croyait nécessaire d’interpeller des casseurs et de les présenter au juge. Il y a aujourd’hui une volonté populaire, sociale, de pénalisation […] Cela contraint fortement l’action des services de police ». ([640])

M. Christophe Castaner confirme cette évolution : « Dans les années antérieures, on ne se préoccupait pas forcément d’interpeller : on s’intéressait à la neutralisation des désordres, pas nécessairement aux suites judiciaires. C’est différent aujourd’hui » ([641]).

Si ce « tournant judiciaire » poursuit un but légitime, sa réussite est tributaire de la robustesse des procédures mises en œuvre, de l’interpellation des personnes sur le site de la manifestation à leur placement en garde à vue. Les écarts substantiels entre le nombre d’individus interpellés et les suites judiciaires qui leur sont réservées trahissent l’impérieuse nécessité de mieux documenter l’interpellation des auteurs de violences, de fluidifier les relations entre l’agent interpellateur et l’officier de police judiciaire, ainsi que d’assurer un contrôle effectif de la garde à vue.

i.   Mieux documenter l’interpellation des auteurs de violences lors des manifestations

Le contexte chaotique dans lequel sont commises les violences en marge des cortèges complique considérablement l’interpellation de leurs auteurs par les forces de l’ordre, ainsi que le décrit Me Thibault de Montbrial :

« Dans cette mêlée dont témoignent les nombreuses vidéos qui existent, il est difficile de faire la part des choses. Vous saisissez des individus dans la nébuleuse, vous les extrayez de la manifestation et vous les emmenez. Ils sont placés en garde à vue et le parquet se retrouve dans une position difficile car la charge de la preuve incombe à l’accusation […] Les personnes mises en cause nient et il faut des éléments pour les confondre.

Le policier, lui, est entendu huit heures après les faits. Pendant ce temps, il a souffert. Il n’a ni mangé ni bu, il n’est pas passé aux toilettes et il a reçu cinquante pavés. Il devrait parler de celui qu’il a interpellé dans la mêlée à treize heures douze, qui était vêtu de noir comme tous les autres, et qui mesure un mètre quatre-vingt comme la moitié du défilé. Le policier dresse de bonne foi un procès-verbal. Le parquet regrette alors un propos qui n’est pas assez catégorique. Comment pourrait-il l’être ? » ([642])

L’ancien préfet de police de Paris, M. Didier Lallement, témoigne de la difficulté inhérente à l’effet de foule :

« Prenons le cas concret d’une quinzaine d’individus en train de casser une vitrine. Les forces de police interviennent. Elles sont immédiatement entourées par une nuée de photographes, de journalistes, de gens qui filment avec leur téléphone à quelques centimètres du visage des fonctionnaires car, sur le terrain, à hauteur d’homme, on est devant un mur de personnes en train de filmer.

Tout cela complique le recueil de la preuve. Celle-ci résulte souvent de la déclaration des fonctionnaires, mais il est pratiquement impossible de trouver un autre témoin. Du point de vue judiciaire, les choses fonctionnent quand vous intervenez sur une personne en train de taper sur une vitrine avec un marteau : c’est incontestable. Quand il a lâché le marteau […] que vous l’avez repéré et que vous l’arrêtez, il sera délicat d’affirmer au plan judiciaire que c’est bien lui. Les fonctionnaires et les militaires l’ont suivi, sont à peu près sûrs d’eux, mais l’apport de la preuve est quasiment impossible. Il faut voir ce que tout cela signifie concrètement. » ([643])

Par nature confuses, les circonstances dans lesquelles s’effectuent les interpellations aboutissent en conséquence à formuler deux hypothèses antinomiques pour expliquer le nombre restreint de suites judiciaires à l’issue des gardes à vue. D’une part, les forces de l’ordre ne commettraient aucun excès de zèle mais seraient simplement dans l’incapacité matérielle d’objectiver la commission d’infractions par les personnes interpellées. D’autre part, ces mêmes forces de l’ordre ne procèderaient pas à des interpellations précises et ciblées : manquant ainsi de diligence, elles auraient recours à des arrestations indiscriminées, sans préjudice du comportement des personnes interpellées. C’est la thèse défendue par Mme Dominique Simonnot, Contrôleure général des lieux de privation de liberté :

« Nous avons constaté que des gens avaient été arrêtés sans autre raison que parce qu’ils se trouvaient là, ou parce qu’on les soupçonnait d’une infraction sans se baser sur rien de concret. Au bout du compte, ces deux hypothèses reviennent au même ». ([644])

À la suite des manifestations contre la loi dite « El Khomri » ([645]), la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a préconisé, en septembre 2016, l’élaboration de fiches de mise à disposition qui définissent, selon un format standardisé, le contexte et les infractions reprochées aux individus interpellés. Lors de leur remise à un officier de police judiciaire, ces fiches permettent à celui-ci de prendre immédiatement connaissance des éléments concrets justifiant l’interpellation afin de décider ou non du placement en garde à vue. Elles doivent indiquer l’identité de l’agent interpellateur et celle des témoins susceptibles d’être ultérieurement auditionnés dans le but de faciliter les confrontations avec les individus mis en cause. La dépêche du ministre de la justice publiée le 18 mars 2023 rappelle l’usage systématique de ces fiches dans le cadre des violences commises en marge des manifestations :

« […] S’agissant de l’appréhension des personnes mises en cause, lorsque l’interpellation ne pourra pas être réalisée par un officier de police judiciaire, les procureurs de la République devront donner toutes instructions utiles afin que la remise d’individus interpellés soit systématiquement accompagnée d’une fiche de mise à disposition destinée à assurer l’information immédiate de l’officier de police judiciaire sur les éléments ayant justifié lesdites interpellations et de permettre l’identification des agents interpellateurs et témoins éventuels. » ([646])

Présentées comme un « outil efficace, mais lourd » ([647]) par l’ancien ministre de l’intérieur, M. Christophe Castaner, les fiches de mise à disposition représentent un outil d’information pertinent à la condition expresse d’être renseignées avec précision et exhaustivité.

Les auditions menées par la commission d’enquête ont fait état de difficultés majeures entourant la rédaction, ou plutôt le remplissage, de ces fiches par les agents interpellateurs. Les autorités administratives et judiciaires ont pris conscience de ces problèmes, comme l’admet la procureure de la République de Paris :

« Durant la période, nous avons eu de nombreux échanges concernant les fiches de mise à disposition qui, pour partie, étaient vierges ou très imparfaitement remplies. Je réunis mensuellement autour de moi l’ensemble des services de la plaque parisienne et le sujet a évidemment été mis à l’ordre du jour afin de rappeler la nécessité d’employer ces fiches de mise à disposition de façon conforme. En effet, dans ces procédures, elles se substituent au procès-verbal d’interpellation. Il s’agit donc de l’acte inaugural de la procédure pénale. » ([648])

Arguant des dérives que la fiche de mise à disposition serait susceptible d’engendrer, Me Raphaël Kempf rejette fermement cet outil :

« La pratique de la fiche d’interpellation doit être prohibée. Ce document pré-rempli, sur lequel les policiers se contentent de cocher des cases, apparaît aux avocats que nous sommes extrêmement dangereux. C’est un outil facilement utilisable par les fonctionnaires de police et les gendarmes mobiles sur le terrain des manifestations pour interpeller. On coche quelques cases et advienne que pourra. C’est l’une des raisons du grand nombre d’interpellations faites à tort ». ([649])

Ces remarques sont en partie surprenantes, sauf à nier l’existence d’un lien mécanique entre l’accroissement de violences commises en marge des manifestations du printemps dernier, lesquelles ont justifié la création d’une commission d’enquête parlementaire, et l’accroissement des interpellations auxquelles elles donnent immanquablement lieu. Il convient également de souligner que c’est bien l’incomplétude des fiches d’interpellation qui aboutit bien souvent à l’absence de poursuites pénales.

Le préfet de police de Paris, M. Laurent Nuñez, reconnaît d’ailleurs les efforts à accomplir en la matière, de façon d’autant plus vive que la complétude et le degré de détails de ces fiches conditionnent directement l’engagement d’éventuelles poursuites judiciaires à l’encontre des fauteurs de troubles :

« […] Nous avons aussi des marges de progression dans la rédaction de nos procès-verbaux d’interpellation et de mise à disposition, de manière à réduire l’écart entre le nombre des gardes à vue et celui des suites judiciaires. C’est nécessaire pour arrêter le bruit selon lequel nous interpellerions des individus pour empêcher leur présence lors des manifestations. Nous essayons de contenir les troubles à l’ordre public et notre préoccupation s’arrête là. Nous devons toutefois améliorer la contextualisation de l’intervention, c’est-à-dire des violences que nous avons constatées et qui justifient l’arrestation. » ([650])

Dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur en septembre dernier, la procureure de la République de Paris précise que les « rappels effectués par le parquet » ont été suivis d’une « amélioration significative de la qualité des fiches de mise à disposition » ([651]).

Votre rapporteur considère que la sécurisation des procédures judiciaires visant des individus suspectés d’avoir commis des violences lors des manifestations exige, en premier lieu, de former les agents interpellateurs ne disposant pas, pour la très grande majorité d’entre eux, de la qualité d’officier de police judiciaire, à l’utilisation de ces fiches de mise à disposition.

Recommandation n° 32 : Sensibiliser les agents interpellateurs à la bonne utilisation des fiches de mise à disposition, dans l’objectif de contextualiser de la façon la plus détaillée et la plus complète possible les infractions commises par les individus mis en cause.

ii.   Fluidifier les relations entre l’agent interpellateur et l’officier de police judiciaire

Loin de revendiquer leur suppression compte tenu de leur utilité dans la mobilisation des preuves, votre rapporteur toutefois que l’incomplétude ou l’imprécision des fiches de mise à disposition remplies par les agents interpellateurs, puis remises à l’officier de police judiciaire, obscurcit considérablement la perspective de suites judiciaires à l’encontre des personnes interpellées ([652]). Cette situation contraint en effet l’officier de police judiciaire à solliciter de nouveau les agents interpellateurs afin d’obtenir des détails complémentaires sur les raisons de l’interpellation, parfois plusieurs heures après le déroulement des faits et alors même que la poursuite des débordements exige leur pleine mobilisation sur le terrain.

À l’issue des contrôles diligentés dans plusieurs commissariats parisiens les 24 et 25 mars 2023 par les équipes du Contrôle général des lieux de privation de liberté, M. André Ferragne, secrétaire général de ce dernier, précise que les officiers de police judiciaire « étaient obligés de rappeler systématiquement les agents interpellateurs. Ceux-ci répondaient ne plus savoir pourquoi ils avaient procédé à ces interpellations dans le feu de l’action. Le résultat était le même que s’ils avaient arrêté des gens au hasard puisque rien n’indiquait concrètement que les interpellés s’apprêtaient à commettre un acte répréhensible » ([653]).

La distension du lien entre l’agent interpellateur et l’officier de police judiciaire s’explique principalement par la multiplication des violences commises en marge des manifestations au printemps dernier, justifiant l’augmentation corrélative du nombre d’interpellations. Dans un contexte dont il convient de rappeler qu’il sollicite fortement les forces de l’ordre, lesquelles sont elles-mêmes la cible de violences inacceptables, le nombre d’interpellations témoigne aussi d’une organisation des services de police que votre rapporteur estime perfectible. Si la volonté de poursuivre pénalement les auteurs de violences lors des manifestations est une ambition légitime, elle suppose de mettre en œuvre une logistique et des méthodes adaptées.

M. Didier Lallement souligne l’ampleur de cette tâche au regard de la lenteur qui caractérise presque mécaniquement le processus de judiciarisation :

« […] Interpeller un manifestant dont on a la preuve qu’il vient de commettre une infraction immobilise l’équipe interpellatrice jusqu’à l’arrivée du moyen de transport vers le commissariat pour la présentation devant l’officier de police judiciaire. Plus vous interpellez, plus vos effectifs sont immobilisés, plus vous avez besoin de moyens de transport et plus il faut rédiger de procès-verbaux.

Les fonctionnaires du maintien de l’ordre se retrouvent à dresser des procès-verbaux d’interpellation sur le trottoir, au milieu du brouhaha, voire dans des moments de tension extrême. À certains moments, cela relève de l’impossibilité pratique. Quand j’étais en responsabilité, les équipes qui avaient interpellé sortaient du dispositif, se mettaient sur le côté pour rédiger le procès-verbal, attendaient le véhicule qui pouvait être très long à arriver et à repartir dans une circulation bloquée et avec un conducteur ne connaissant pas forcément les lieux. » ([654])

Ces temps de latence emportent une double conséquence négative. Premièrement, elle induit une privation de liberté des personnes interpellées – en amont de leur placement éventuel en garde à vue – s’élevant parfois à plusieurs heures, avant même leur présentation à un officier de police judiciaire et la possibilité de faire valoir leurs droits. Deuxièmement, elle perturbe la transmission d’informations entre l’agent interpellateur et l’officier de police judiciaire, en altérant la « mémoire vive » nécessaire à l’établissement circonstancié des faits. Appelé à revenir dès que possible sur le théâtre d’opération après avoir conduit les individus interpellés au commissariat, le premier n’est plus en mesure de répondre de façon satisfaisante aux demandes formulées par le second.

M. André Ferragne décrit ainsi une logique de « noria » :

« En conditions ordinaires, lorsque la police interpelle quelqu’un, elle le conduit dans une voiture et l’emmène au commissariat. Dans le cas qui nous intéresse, des attentes d’une heure ont été relevées. Ce délai est un temps de privation de liberté sans mesure efficace d’enquête. Il est purement lié au regroupement […]

En principe […] un officier de police judiciaire qui reçoit une personne interpellée voit celui qui l’amène et peut lui poser des questions. Là, ce n’était pas le cas car il y avait un système de noria qui privait l’officier de police judiciaire de contact direct avec l’agent de police judiciaire. Ensuite, on retrouve à l’intérieur du commissariat les phénomènes d’attente puisque tous les officiers de police judiciaire ont été contraints de traiter les dossiers en masse.

Ces lenteurs comportaient deux phases : d’abord l’attente de la comparution devant l’officier de police judiciaire ; puis la difficulté de ce même officier de police judiciaire pour joindre le parquet, lui-même submergé d’appels des commissariats confrontés aux mêmes problèmes. Tout cela a eu pour effet de prolonger les délais. Dès lors, le renseignement des procédures a été assez erratique, ce qui a d’ailleurs expliqué un certain nombre de relaxes car ces procédures étaient incomplètes. » ([655])

Votre rapporteur considère que la complémentarité entre les différents maillons de la chaîne policière est un élément-clef de la réussite de la judiciarisation. Dans cette perspective, plusieurs solutions sont envisageables afin de résoudre les blocages identifiés.

Sollicitée par votre rapporteur, l’ambassade de France au Royaume-Uni a par exemple fait état de la mise en œuvre, par la police de Londres, d’un dispositif judiciaire intégré aux opérations de maintien de l’ordre.

Extraits de la contribution écrite remise par l’ambassade de France au Royaume-Uni

La police de Londres a mis en place une unité judiciaire permanente reposant sur une équipe de six officiers de police judiciaire (OPJ) commandés par un officier, spécialisée dans la police judiciaire appliquée au cadre légal et au contexte du maintien de l’ordre. Ils conseillent le Gold ([656]) et le Silver ([657]), en amont des manifestations, pour définir la meilleure stratégie pénale possible, en fonction des circonstances et des moyens disponibles ainsi que dans les modalités de sa mise en œuvre. Ils briefent les enquêteurs qui viennent en renfort pour s’agréger à la structure existante et dirigent les enquêtes. Cette structure permanente développe et améliore les processus propres à la judiciarisation du maintien de l’ordre, capitalise sur l’expérience passée et les partage. Les enquêteurs développent une expertise spécifique et nouent des relations privilégiées avec les magistrats.

M. Denis Jacob, délégué général du syndicat Alternative Police CFDT, propose d’inverser la logique actuelle en déplaçant des officiers de police judiciaire à proximité des lieux d’interpellation, sous la forme de « bus mobiles » :

« Nous pensons que cette judiciarisation doit être faite sur le terrain. Quelques dispositifs émergent. Nous préconisons un dispositif de bus mobiles d’officiers de police judiciaire à même les théâtres de violence, pas au cœur des affrontements mais en retrait, avec des mises à disposition mobiles qui regroupent des officiers de police judiciaire enregistrant les plaintes en direct. L’agent présente l’interpellé. Il peut tout de suite témoigner de ce qu’il a vu, de ce qu’il s’est passé. L’officier de police judiciaire dispose de tous les éléments caractéristiques pour ensuite placer la personne en garde à vue et, le cas échéant, le présenter à un magistrat ». ([658])

Si Me Claire Dujardin, présidente du syndicat des avocats de France, considère que cette solution reviendrait à « banaliser l’interpellation » ([659]), votre rapporteur entend souligner que renforcer la proximité entre l’agent interpellateur et l’officier de police judiciaire ne saurait conduire à précipiter les interrogatoires des individus interpellés, en dehors des commissariats et dans des conditions pratiques nécessairement dégradées, pour définir la stratégie pénale la plus adaptée aux circonstances.

Selon votre rapporteur, il conviendrait d’agir simultanément sur deux leviers de façon à mieux intégrer le dispositif judiciaire aux opérations de maintien de l’ordre : organiser, d’une part, des points de regroupement d’individus interpellés en marge du parcours des manifestations afin de les conduire dès que possible, par un système de transport calibré et dédié à cet effet, aux commissariats les plus proches et, d’autre part, garantir une liaison audio permanente entre les officiers de police judiciaire et les agents interpellateurs restés sur le terrain.

En tout état de cause, aucune « solution magique » ne saurait, à elle seule, résoudre de façon définitive les difficultés opérationnelles décrites devant la commission d’enquête. Néanmoins, la coordination accrue des actions menées par l’ensemble des forces de l’ordre, de l’interpellation sur site au placement en garde à vue, constitue la réponse la plus évidente aux défis logistiques et humains que soulève la multiplication des violences commises en marge des manifestations.

Recommandation n° 33 : Renforcer la coordination et le partage d’informations en temps réel entre les agents interpellateurs et les officiers de police judiciaire.

iii.   Mieux contrôler la garde à vue

Face à l’afflux d’individus interpellés et transportés au commissariat pour être présentés à un officier de police judiciaire, l’ensemble des services de police et des autorités judiciaires se sont organisés en renforçant les dispositifs de permanence de jour comme de nuit, conformément à la dépêche ministérielle du 18 mars 2023 :

« L’importance ou la multiplication des éventuels débordements violents peuvent avoir un impact lourd sur les parquets qui devront s’assurer de maintenir une organisation spécifique, qui pourra inclure, pour les ressorts les plus touchés, une permanence dédiée au traitement des infractions commises en marge des mouvements de contestation. » ([660])

En dépit de la remarquable mobilisation des policiers et des magistrats, l’anticipation de ces événements n’a pas permis d’éviter l’engorgement des commissariats ([661]) et l’allongement subséquent de la durée des gardes à vue. M. Didier Lallement décrit ainsi la récurrence d’un engrenage constaté à l’issue de chaque manifestation occasionnant des violences :

« Quand la manifestation est finie débutent les suites des interpellations. Dans les services de l’accueil et de l’investigation de proximité, cela prend la nuit. Quant aux magistrats de permanence, ils y passent la nuit et une partie de la journée suivante. Une interpellation débouche sur de longues heures de mobilisation des dispositifs administratifs et judiciaires. Or, quand le service de l’accueil et de l’investigation de proximité est occupé au traitement de manifestation, il délaisse les autres affaires judiciaires et les autres faits de délinquance, ou du moins il s’en occupe moins rapidement. Cela allonge les files d’attente. Pour les services de police, c’est la principale difficulté : le dispositif est engorgé. C’est exactement la même chose pour les magistrats ». ([662])

La multiplication des gardes à vue simultanées rend nécessairement plus délicat leur contrôle effectif par les magistrats du parquet, informés, en application de l’article 63 du code de procédure pénale, du placement en garde à vue par l’officier de police judiciaire dès le début de la mesure et par tout moyen.

Si la Cour de cassation estime, selon une jurisprudence constante, qu’un délai est admis entre l’interpellation et le placement en garde à vue en cas de circonstances insurmontables ([663]), l’information du parquet doit s’effectuer sans délai. Les effectifs de permanence semblent toutefois avoir été submergés par le flux d’appels à traiter, entraînant des retards successifs tout au long de la garde à vue ainsi que l’observe le rapport publié par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté le 3 mai 2023 :

« Par ailleurs, malgré la mise en place d’une ligne téléphonique spécifique, les OPJ parviennent rarement à joindre effectivement le parquet avant plusieurs heures (entre une et quatre heures selon les lieux). Dans ces conditions, l’appel groupé est privilégié et les OPJ traitent toutes les procédures avant de contacter le procureur de la République, ce qui contribue à l’allongement des temps de garde à vue, qui avoisinent ainsi fréquemment les 24 heures sans réalisation d’investigations. Les contrôleurs ont en outre observé des levées tardives de garde à vue, parfois plus de deux heures après la consigne donnée par le parquet de mettre fin à la mesure ». ([664])

La procureure de la République de Paris évoque également une difficulté d’ordre technique : « […] Le centre d’appels de la permanence permet l’ouverture de six lignes au maximum, dont l’une nécessairement dévolue à la permanence criminelle. Or, nous avons eu jusqu’à huit magistrats de permanence. En conséquence, certains collègues ont utilisé leur téléphone portable personnel pour traiter le plus rapidement possible des gardes à vue, le temps de celles-ci étant compté » ([665]).

Si la gestion des effectifs de policiers et de magistrats disponibles et mobilisables le jour des manifestations n’appelle pas de remarque particulière ([666]), votre rapporteur considère en revanche que le problème technique mentionné par la procureure de la République de Paris ne saurait revêtir un caractère insoluble.

Recommandation n° 34 : Faciliter les liaisons téléphoniques entre les officiers de police judiciaire et le parquet en dimensionnant les centres d’appels des tribunaux judiciaires selon le nombre de magistrats de permanence.

L’allongement de la durée des gardes à vue des individus interpellés, atteignant fréquemment vingt-quatre heures voire davantage ([667]), a nourri le débat sur l’effectivité du contrôle par l’autorité judiciaire des conditions dans lesquelles ils ont été privés de liberté à l’issue des manifestations contre la réforme des retraites.

Votre rapporteur retire de ses investigations la conclusion que le ralentissement des procédures, conséquence de l’engorgement précité, n’est en aucun cas un « choix délibéré » des services de police ou du parquet, ainsi que l’a confirmé la procureure de la République de Paris : « […] je réaffirme vigoureusement que je n’ai formalisé aucune instruction [visant à retarder les levées de garde à vue] ni écrite ni orale ». ([668])

Au-delà de leur durée, le déroulement des gardes à vue à l’issue des manifestations contre la réforme des retraites a fait l’objet d’observations sévères de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Dans le rapport précité, elle évoque une succession de dysfonctionnements constatés dans plusieurs commissariats parisiens les 24 et 25 mars 2023, faisant ainsi état « d’atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes enfermées » au risque, selon elle, de méconnaître les droits de la défense et le respect de la dignité de la personne.

Extraits de la contribution écrite remise par la
Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

La CGLPL n’a pas conclu sur le caractère inédit ou non des pratiques constatées mais a relevé des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes concernées et ce à plusieurs titres :

 les conditions de garde à vue sont globalement insatisfaisantes : fouilles systématiques en sous-vêtements, notification des droits tardive et incomplète ;

 les conditions matérielles de prise en charge sont attentatoires à la dignité : espaces individuels insuffisants, conditions d’hygiène indignes, accès à l’eau et à la nourriture défaillant ;

 les conditions d’interpellation ont été majoritairement décrites comme s’accompagnant de comportements inappropriés imputés aux agents interpellateurs (tutoiement systématique, injures, menaces) ; presque toutes les personnes interrogées indiquent avoir été victimes ou témoins de comportements violents ;

 les documents de la procédure ayant trait à l’interpellation contenaient des irrégularités : fiches d’interpellation succinctement renseignées et faiblement motivées, aucun procès-verbal détaillé exposant le contexte de l’interpellation et les éléments susceptibles de caractériser l’implication de la personne dans un acte de délinquance n’est dressé ;

 les gardés à vue ont généralement été privés de liberté la nuit et une partie de la journée suivant leur interpellation en dépit de l’indigence des motifs d’interpellation.

Les personnes gardées à vue avec lesquelles les contrôleurs se sont entretenus, approximativement une trentaine, ont de manière quasi-unanime fait état de comportements inappropriés de la part des forces de l’ordre lors des interpellations.

M. André Ferragne, secrétaire général, estime que cette situation est la conséquence « du caractère massif des interpellations. Il n’est pas question de dire qu’il s’agissait de malveillance policière. Il y avait simplement de la surcharge policière […] » ([669])

Le ministère de l’intérieur et le parquet de Paris récusent en grande partie les critiques formulées par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. La procureure de la République de Paris s’étonne ainsi de n’avoir reçu aucune alerte en ce sens de la part de la bâtonnière qui a visité les locaux de garde à vue. Quant au ministre de l’intérieur, sa réponse au rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté insiste sur le caractère exceptionnel de la situation sécuritaire le soir du 24 mars 2023, ce qui peut expliquer, selon lui, des « notifications de droits tardives » ([670]) ou des conditions d’accueil en garde à vue immanquablement dégradées ([671]).

Me Claire Dujardin déplore l’incapacité opérationnelle des magistrats du parquet à superviser le placement en garde à vue, en ordonnant le cas échéant la levée de la mesure dès qu’ils estiment que les conditions de celle-ci ne sont plus réunies : « Il[s] devrai[en]t venir en garde à vue et vérifier les procédures. Mais il[s] ne le [font] pas. Pourtant, l’autorité judiciaire est censée être garante de la procédure et contrôler les gardes à vue. C’est une vraie difficulté » ([672]).

La procureure de la République de Paris précise que le contrôle du placement en garde à vue par le parquet, en lien avec l’officier de police judiciaire, ne se résume pourtant pas à une banale formalité procédurale : « L’objectif de ces échanges n’est pas de délivrer des réponses stéréotypées. Nous dialoguons avec l’officier de police judiciaire. Nous étudions les dossiers d’interpellation. Nous vérifions un certain nombre d’éléments : que la personne a pu faire valoir ses droits, l’heure de placement en garde à vue, que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis, s’il faut prévoir d’autres investigations pour vérifier et éventuellement écarter la responsabilité de la personne » ([673]).

Le nécessaire respect des droits de la défense et du principe de dignité de la personne a été récemment rappelé par le Conseil constitutionnel ([674]). Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que, en cas d’atteinte à la dignité d’une personne résultant des conditions de sa garde à vue, le magistrat compétent doit immédiatement prendre toute mesure afin de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, ordonner sa remise en liberté. À défaut, la personne gardée à vue dans des conditions indignes peut engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir réparation du préjudice subi.

Conseil constitutionnel, décision n° 20231064 QPC du 6 octobre 2023,
communiqué de presse du 6 octobre 2023

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 juillet 2023 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 62-3, 63, 63-5, 154 et 706-88 du code de procédure pénale.

L’objet de la question

L’article 62-2 du code de procédure pénale définit la garde à vue comme une mesure de contrainte par laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs. Parmi les dispositions renvoyées, qui déterminent le cadre juridique de la garde à vue, l’article 63-5 du même code prévoit notamment que cette mesure doit s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne.

Les critiques formulées contre ces dispositions

L’association requérante, rejointe par une partie intervenante, reprochait à ces dispositions de permettre la mise en œuvre d’une garde à vue dans des conditions indignes, faute de prévoir que la décision de placement ou de maintien en garde à vue doit être subordonnée aux capacités d’accueil et aux conditions matérielles des locaux dans lesquels cette mesure doit se dérouler. Selon elle, ce faisant, le législateur avait méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et porté une atteinte injustifiée et disproportionnée à ce même principe. Il était en outre soutenu par une partie intervenante que, pour les mêmes motifs, les dispositions contestées méconnaissaient le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense des personnes en garde à vue.

Le contrôle des dispositions faisant l’objet de la QPC

Le Conseil constitutionnel rappelle que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé et proclamé des droits, libertés et principes constitutionnels en soulignant d’emblée que : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Il en ressort que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. Par suite, toute mesure privative de liberté doit être mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne humaine.

Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel juge qu’il appartient dès lors aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. À ce titre, elles doivent s’assurer que les locaux dans lesquels les personnes sont gardées à vue sont effectivement aménagés et entretenus dans des conditions qui garantissent le respect de ce principe. Le Conseil juge qu’il appartient, en outre, aux autorités judiciaires compétentes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont reconnus par le code de procédure pénale et, le cas échéant, sur le fondement des infractions pénales prévues à cette fin, de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue et d’ordonner la réparation des préjudices subis. À l’aune de ces exigences constitutionnelles, le Conseil constitutionnel relève, en premier lieu, que l’objet même des dispositions contestées de l’article 63-5 du code de procédure pénale est d’imposer que la dignité de la personne gardée à vue soit protégée en toutes circonstances.

En second lieu, il constate que législateur a entouré la mise en œuvre de la garde à vue de différentes garanties propres à assurer le respect de cette exigence.

D’une part, seules les mesures de sécurité strictement nécessaires peuvent être imposées à la personne gardée à vue. Cette dernière bénéficie par ailleurs du droit d’être examinée par un médecin qui se prononce sur l’aptitude au maintien en garde à vue et procède à toutes constatations utiles. En outre, le procès-verbal établi par l’officier de police judiciaire en application de l’article 64 du code de procédure pénale mentionne notamment la durée des repos qui ont séparé ses auditions et les heures auxquelles elle a pu s’alimenter.

D’autre part, la mesure de garde à vue est décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Elle s’exécute, selon le cas, sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction. La personne gardée à vue a le droit de présenter à ce magistrat, lorsqu’il se prononce sur l’éventuelle prolongation de la garde à vue, des observations tendant à ce qu’il soit mis fin à cette mesure. Enfin, le procureur de la République doit contrôler l’état des locaux de garde à vue chaque fois qu’il l’estime nécessaire et au moins une fois par an.

En outre, en application de l’article 62-3 du code de procédure pénale, le magistrat compétent doit assurer la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue et peut notamment, à cet effet, ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté.

Les critiques visant la chaîne de judiciarisation des violences commises en marge des manifestations du printemps dernier omettent très souvent et de façon tout à fait regrettable le fait générateur : la massification et la répétition d’actes de violences. Par un étrange renversement de paradigme, les interpellations sont alors plus ouvertement contestées et critiquées que les violences elles-mêmes. Privilégiant l’explication voire la justification des actes violents, ces analyses rejettent toute explication du lien entre ces derniers et la nécessité d’interpeller leurs auteurs.

Votre rapporteur considère que la jurisprudence du Conseil constitutionnel pourrait utilement être retranscrite par le législateur dans le code de procédure pénale, afin de rappeler explicitement l’importance des exigences procédurales qui entourent ces privations de liberté. Loin d’être des contraintes freinant les investigations judiciaires, elles représentent, à l’inverse, des garde-fous utiles à la manifestation de la vérité dont le respect, tant par les officiers de police judiciaire que par les magistrats, s’avère indispensable à l’élucidation de ces affaires.

Recommandation n° 35 : Retranscrire dans le code de procédure pénale la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 octobre 2023 relative au respect du principe de dignité de la personne placée en garde à vue.

c.   La délicate judiciarisation du renseignement

L’utilisation dans une procédure pénale d’informations recueillies par les services de renseignement, agissant au titre de leurs missions de police administrative et non comme services enquêteurs de police judiciaire, soulève des interrogations récurrentes sur l’efficacité supposée de cette judiciarisation.

Les représentants de l’autorité judiciaire auditionnés par la commission d’enquête soulignent l’intérêt que peuvent revêtir les « notes blanches » rédigées par les services de renseignement afin de caractériser des infractions pénales commises en amont des violences survenant au cours des manifestations. La procureure de la République de Paris précise en effet que : « la difficulté de l’action judiciaire trouve principalement sa source dans le déficit d’informations préalables quant à la présence de groupuscules violents au sein des manifestations. Ces informations permettraient […] de diligenter des enquêtes [liées] au chef d’association de malfaiteurs en vue de commettre des violences ou des dégradations ». ([675])

Sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, la judiciarisation du renseignement intervient dès lors que les éléments recueillis par les services font état de faits susceptibles de poursuites judiciaires. M. Serge Lasvignes rappelle à ce titre que « l’action de police administrative doit cesser dès lors que l’infraction est caractérisée. Des services comme la direction générale de la sécurité intérieure font le lien entre les deux activités car ils exercent la double fonction de police administrative et judiciaire. Ils travaillent de manière fluide, en pratique, avec le parquet » ([676]).

Le ministre de la justice souligne l’impérieuse nécessité d’une transmission d’informations régulière entre les services de renseignement et l’autorité judiciaire :

« Dans leur mission de recueil d’informations concernant ces profils les plus actifs, les services de renseignement ont vocation à livrer à l’autorité judiciaire des éléments qui feront l’objet d’une judiciarisation s’ils révèlent l’engagement desdits individus dans un processus délictuel. L’autorité judiciaire développe une approche fine, éclairée et lucide des situations pour distinguer les plus virulents, qui planifient leurs actions à l’occasion de rassemblements d’ampleur, des fauteurs de troubles spontanés […]

Il me semble indispensable que les parquets concernés, notamment le parquet de Paris, sur le fondement des renseignements partagés par les services spécialisés, puissent judiciariser ces agissements – dans le respect du principe de proportionnalité dont l’autorité judiciaire est garante, avec la rigueur et l’exigence qui doivent être les siennes. Il faut qu’ils ouvrent des procédures d’enquête ou d’information en retenant les qualifications adaptées, notamment le délit d’association de malfaiteurs, lorsque les renseignements recueillis et le travail des services de police permettent d’établir, en amont de l’infraction projetée, la constitution d’un groupement” ou d’une entente” […] établis en vue de la préparation, caractérisée par des actes matériels, d’une action violente dirigée contre les membres des forces de sécurité intérieure ou des personnes déterminées ». ([677])

Le versement dans la procédure judiciaire des « notes générales de contexte » permettant d’éclairer l’environnement dans lequel se déroulent les manifestations ne semble pas soulever de difficultés particulières comme le précise M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice :

« Plusieurs circulaires ont rappelé l’importance de solliciter auprès des services de la sécurité publique, l’établissement d’une note qui rappelle ce qui s’est passé, qui explique comment les groupes ont pu se mouvoir, qui identifie les infractions selon les lieux. La note générale de contexte relie l’ensemble des éléments qu’ont pu réunir les services de police à partir de renseignements administratifs.

Elle est discutée devant le tribunal et la défense y a accès sans difficulté. Ces informations influent sur le niveau de répression que privilégie ensuite le tribunal. Ce n’est pas du tout la même chose de présenter un prévenu qui a volé une paire de chaussures avec ou sans la note de contexte général qui explique que toute la rue a été entièrement pillée, que le prévenu s’est donc inscrit dans un mouvement général de pillage. Ces notes sont plutôt utilisées. Nous encourageons leur versement en procédure. » ([678])

En revanche, l’utilisation des « notes blanches » relatives aux agissements imputables à des individus ou à des groupes présente une plus-value limitée. Le service central du renseignement territorial rappelle que ces éléments ne sauraient constituer « un scellé judiciaire » et sont donc dépourvus de toute force probante dans une procédure judiciaire ([679]). En l’absence de débat contradictoire ([680]), leur inopposabilité aux personnes mises en cause se doublerait même du risque de révéler incidemment les sources ayant permis leur recueil.

Me Thibault de Montbrial, président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure, observe que « ces notes blanches […] contiennent souvent des informations issues de services partenaires […] qui ont leurs raisons de ne pas vouloir qu’elles apparaissent dans une procédure judiciaire et d’éviter que la défense y ait accès. Donc, on sait mais on a du mal à prouver. En tant qu’avocat, je prends la mesure de cette difficulté. Les préfectures s’y heurtent souvent lorsqu’une manifestation s’annonce qui doit rassembler de nombreuses personnes violentes » ([681]).

Votre rapporteur considère que la judiciarisation des « notes blanches », soit l’ouverture d’une procédure judiciaire à l’encontre d’individus sur la base d’informations réunies par les services de renseignement, doit faire l’objet d’un examen minutieux, au cas par cas, auquel concourent l’ensemble des services administratifs et l’autorité judiciaire. À ce titre, la création de structures partenariales ad hoc dédiées à la lutte contre les auteurs de violences en marge des manifestations constitue une piste qu’il convient d’explorer, à la lumière des enseignements tirés des débordements du printemps dernier.

La procureure de la République de Paris envisage ainsi la création d’un groupe local de traitement de la délinquance ([682]) consacré à ces questions, dans le but de travailler la « capacité de réaction » ([683]) du parquet.

Le ministre de la justice estime que « cette instance est susceptible de constituer un cadre privilégié d’échange d’informations pour mieux appréhender ces mouvements et améliorer leur suivi par une approche stratégique. Elle est de nature à sensibiliser chacun des acteurs et à favoriser une action concertée pour prévenir les débordements, pour lutter contre les infractions commises par les membres les plus actifs de ces groupements » ([684]).

Votre rapporteur approuve pleinement cette orientation. La dimension partenariale de l’action menée par les pouvoirs publics contre les groupuscules violentes favorise la circulation de l’information entre les services de police et l’autorité judiciaire. Il s’agit de renforcer le continuum de sécurité et d’apporter une réponse pénale adaptée aux enjeux spécifiques qui entourent ces troubles récurrents à l’ordre public.

Recommandation n° 36 : Créer des groupes locaux de traitement de la délinquance dédiés à la lutte contre les auteurs de violences commises à l’occasion des manifestations et rassemblements.

 

 


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   Liste des recommandations

 

Recommandation n° 1 : Améliorer les outils statistiques dont dispose le ministère de la justice afin de dresser un état des lieux pertinent, exhaustif et précis de l’ensemble des procédures et condamnations pénales selon le contexte dans lequel les infractions ont été commises.

 

Recommandation n° 2 : Évaluer la pertinence opérationnelle de l’articulation et du format des unités de maintien de l’ordre affectées à l’encadrement des rassemblements et des manifestations au regard des exigences du schéma national du maintien de l’ordre.

 

Recommandation n° 3 : Doter les forces de l’ordre de moyens techniques (panneaux indicateurs, dispositifs sonores) permettant d’assurer l’information des participants aux cortèges et rassemblements sur le lieu des manifestations et de communiquer efficacement à leur destination.

 

Recommandation n° 4 : Conforter les effectifs et la présence des officiers de liaison dans les manifestations et les rassemblements dont les organisateurs sont déclarés et identifiés.

 

Recommandation n° 5 : Diffuser des supports explicatifs du régime des sommations dans le cadre du dispositif de liaison et d’information déployé préalablement aux rassemblements et manifestations.

 

Recommandation n° 6 : Préciser les conditions opérationnelles d’exercice des missions respectives des journalistes et des forces de l’ordre en cas de manifestations et rassemblements violents dans le cadre du comité de liaison mensuel prévu par le schéma national du maintien de l’ordre.

 

Recommandation n° 7 : Envisager la création d’un statut d’observateur indépendant pour les rassemblements et manifestations et lui assurer une reconnaissance ainsi qu’une protection adéquate dans le cadre du schéma national du maintien de l’ordre.

 

Recommandation n° 8 : Inscrire la création des unités de force mobile dans la trajectoire fixée par la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI).

 

Recommandation n° 9 : Assurer la formation au maintien de l’ordre des unités non spécialisées. Créer les conditions d’un meilleur accès aux dispositifs de formation des unités spécialisées, notamment ceux développés à la suite de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI).

 

Recommandation n° 10 : Procéder à l’évaluation régulière des armes utilisées lors des opérations de maintien de l’ordre dans le contexte de mouvements revendicatifs au regard de leur puissance et de leur précision.

 

Recommandation n° 11 : Renforcer les formations sur le maniement des armes employées dans les manifestations et les rassemblements.

 

Recommandation n° 12 : Renouveler les moyens et les armes de force intermédiaire à la disposition des forces de l’ordre dans le contexte de mouvements revendicatifs de façon à conforter leur capacité à apporter une réponse graduée aux troubles qu’elles constatent, notamment par le déploiement des canons à eau.

 

Recommandation n° 13 : Élargir les conditions d’emploi des drones aux plans juridique et opérationnel dans le cadre fixé par le décret n° 2023-283 du 19 avril 2023.

 

Recommandation n° 14 : Dans la chaîne de commandement unifiée qui prévaut à Paris, pérenniser la pratique consistant à associer l’ensemble des responsables des unités chargées de la sécurisation des manifestations et des rassemblements. 

 

Recommandation n° 15 : Poursuivre le renforcement des crédits budgétaires affectés aux services du renseignement territorial et développer dans les meilleurs délais l’offre de formation interservices spécialisée en matière de renseignement prévue par la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

 

Recommandation n° 16 : Intensifier, au sein de l’espace Schengen, la coopération entre les services chargés de la sécurisation des rassemblements et des manifestations.

 

Recommandation n° 17 : Étayer l’indépendance de l’inspection générale de la police nationale et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale en supprimant la tutelle administrative des directions générales de la police et de la gendarmerie nationales.

Recommandation n° 18 : Donner à la Défenseure des droits le pouvoir de saisir directement les inspections générales aux fins d’enquêtes administratives.

 

Recommandation n° 19 : Examiner, et le cas échéant réviser, les conditions pratiques permettant de concilier les obligations de transparence, notamment relatives au port du référentiel des identités et de l’organisation (RIO), avec les impératifs du maintien de l’ordre et de la protection des personnels des forces de l’ordre.

 

Recommandation n° 20 : Clarifier, par voie règlementaire, les objets, matériels ou équipements dont la possession est ou non autorisée lors des manifestations. 

 

Recommandation n° 21 : Modifier l’article 141-4 du code de procédure pénale afin d’intégrer l’interdiction de manifester dans le champ des obligations dont la violation peut justifier la rétention de la personne concernée, pour une durée maximale de vingt-quatre heures.

 

Recommandation n° 22 : Élargir le champ des infractions susceptibles de donner lieu à la peine complémentaire d’interdiction de manifester aux délits d’attroupement prévus par les articles 431‑4 à 431‑6 du code pénal.

 

Recommandation n° 23 : Consacrer le caractère obligatoire de la peine complémentaire d’interdiction de manifester infligée aux auteurs de délits d’une particulière gravité commis au cours des manifestations.

 

Recommandation n° 24 : Aligner le quantum de la peine encourue en cas de violation de l’interdiction de manifester sur celui des peines encoures en cas de violation des interdictions de paraître et de séjour, soit deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

 

Recommandation n° 25 : Expérimenter une obligation de pointage au commissariat ou à la gendarmerie des personnes condamnées à une interdiction de manifester, selon des modalités déterminées par l’autorité judiciaire.

 

Recommandation n° 26 : Préciser à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure que la provocation à des agissements violents peut être « directe ou indirecte ».

 

Recommandation n° 27 : Vérifier systématiquement que les associations ou groupements de fait dissous n’ont pas poursuivi leur activité illicite sous une autre forme, et, le cas échéant, engager dès que possible des poursuites judiciaires sur le fondement de l’article 435-15 du code pénal.

 

Recommandation n° 28 : Créer un régime spécifique de dévolution des biens et de gel des avoirs des associations et groupements de fait dissous sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

 

Recommandation n° 29 : Suspendre le recours aux produits de marquage codé par les forces de l’ordre lors des manifestations tant qu’une expérimentation strictement encadrée et donnant lieu à l’évaluation précise de leur intérêt probatoire n’a pas été préalablement menée à bien.

 

Recommandation n° 30 : Systématiser le port des caméras piétons lors des opérations de maintien de l’ordre et assouplir les conditions dans lesquelles les enregistrements peuvent être déclenchés.

 

Recommandation n° 31 : Généraliser, lors des manifestations et rassemblements considérés « à risques », la présence d’équipes de policiers et de gendarmes dédiées à la captation audiovisuelle du déroulement des manifestations et rassemblements concernés.

 

Recommandation n° 32 : Sensibiliser les agents interpellateurs à la bonne utilisation des fiches de mise à disposition, dans l’objectif de contextualiser de la façon la plus détaillée et la plus complète possible les infractions commises par les individus mis en cause.

 

Recommandation n° 33 : Renforcer la coordination et le partage d’informations en temps réel entre les agents interpellateurs et les officiers de police judiciaire.

 

Recommandation n° 34 : Faciliter les liaisons téléphoniques entre les officiers de police judiciaire et le parquet en dimensionnant les centres d’appels des tribunaux judiciaires selon le nombre de magistrats de permanence.

 

Recommandation n° 35 : Retranscrire dans le code de procédure pénale la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 octobre 2023 relative au respect du principe de dignité de la personne placée en garde à vue.

 

Recommandation n° 36 : Créer des groupes locaux de traitement de la délinquance dédiés à la lutte contre les auteurs de violences commises à l’occasion des manifestations et rassemblements

 

 


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   Examen en commission

Au cours de sa réunion du mardi 7 novembre 2023, la commission d’enquête examine, à huis clos, le présent rapport.

M. le président Patrick Hetzel. Depuis notre réunion constitutive le 24 mai dernier, nous aurons siégé à quarante-et-une reprises pour un total de plus de cinquante-deux heures dauditions, auxquelles sajoutent les déplacements effectués en Gironde et dans les DeuxSèvres.

Ce travail a été à la fois dense, sérieux et respectueux de chacun. Jai veillé à ce que toutes les opinions puissent sexprimer, aussi bien parmi les membres de la commission que parmi les personnes auditionnées.

Nous avons pu discuter et débattre. Les comptes rendus attestent de la vigueur de certains échanges, mais cest aussi tout le sens de la démocratie. Je remercie les membres des différents groupes davoir fait en sorte que les échanges soient fructueux. Je remercie également les personnes que nous avons auditionnées d’avoir exposé leurs points de vue. Je déplore, évidemment, que les Soulèvements de la Terre, et eux seuls, se soient soustraits à cet exercice démocratique. Cela ma conduit à écrire au procureur de la République de Paris.

Je vous indique avoir reçu du président de la Ligue des droits de lhomme un courrier contestant certains éléments avancés par le ministre de lintérieur lorsque nous l’avons auditionné. Ce courrier a été rendu public par la Ligue – c’était sans doute là son objectif premier –, de sorte que chacun a pu en prendre connaissance. Le rapporteur y fait dailleurs référence dans le projet de rapport que vous avez pu consulter.

Les contributions que les membres ont souhaité rédiger seront annexées au rapport au moment de sa publication. Puisqu’elles engagent leurs signataires uniquement, elles ne sont pas soumises au débat d’aujourd’hui.

La résolution portant création de la commission denquête ayant été adoptée dans lhémicycle le 10 mai dernier, nous aurons respecté le délai de six mois qui nous était imparti pour mener à bien nos travaux.

À lissue de notre discussion, je mettrai aux voix ladoption du projet de rapport. Conformément à lordonnance du 17 novembre 1958, cest à lexpiration dun délai de cinq jours francs, soit après la journée de lundi, qu’aura lieu la publication. Dans lintervalle, je vous demanderai de ne pas communiquer les documents en votre possession.

Monsieur le rapporteur, je vous cède la parole, non sans vous remercier de la bonne entente et de la confiance mutuelle qui ont caractérisé nos travaux.

M. Florent Boudié, rapporteur. Je vous remercie chaleureusement, monsieur le président, pour votre efficacité et votre bienveillance dans la conduite de nos débats. Je remercie également les membres de la commission d’enquête pour leur implication au cours des trenteneuf auditions, auxquelles se sont ajoutés nos déplacements à Bordeaux et à SainteSoline.

Tous les acteurs ont accepté d’être auditionnés, à lexception des Soulèvements de la Terre. Ceci vous a amené, de manière inédite me semble-t-il, à faire application de larticle 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958. Nous aurons ainsi démontré notre volonté d’écoute mais aussi notre intransigeance face au non-respect de notre institution.

La complémentarité des approches, qu’elles soient opérationnelles, juridiques – tant sur le plan administratif que judiciaire – ou sociologiques, et leur caractère parfois discordant, sinon contradictoire, nous ont permis dentendre tous les points de vue, y compris ceux qui étaient très éloignés des nôtres. En tant que rapporteur, je me suis efforcé de restituer, aussi fidèlement que possible, les constats et analyses qui nous ont été présentés par lensemble des personnes auditionnées. Les éventuelles conclusions personnelles que jen ai tirées sont expressément soulignées comme telles dans le rapport.

Les débats préalables à la création de la commission d’enquête ont fait ressortir les trois objectifs principaux qui lui étaient assignés. En premier lieu, cerner le profil des groupes et individus présents sur le théâtre de rassemblements en marge desquels ont éclaté des violences, afin de dissiper certains dénis et fantasmes. Il est une donnée objective et presque incontestée : lextrême violence à laquelle les forces de lordre ont été confrontées, mettant parfois leur vie en danger. Je tiens à leur rendre hommage. Le rassemblement de SainteSoline marque le franchissement dun cap dans la violence. La stratégie de confrontation est assumée, organisée, préméditée et ne peut avoir pour seule issue qu’un déferlement de violence.

Deuxième objectif, comprendre et rendre compte de lorganisation des structures impliquées, de leurs ressources matérielles et humaines, de leurs motivations, de leurs soutiens ainsi que de leurs modes opératoires.

Troisième objectif, déterminer les moyens nécessaires pour mieux prévenir et mieux réprimer les actions violentes, en évaluant la pertinence du cadre légal et règlementaire ainsi que lefficacité des dispositifs de maintien de lordre. À cet égard, jai souhaité que nous nous intéressions non pas à la conduite des opérations de maintien de lordre – terme par trop ambigu – mais à leur déroulement et aux comportements de lensemble des acteurs.

Le rapport comprend trois parties. La première dresse le bilan humain, matériel et économique des violences commises en marge des manifestations, en exposant la mobilisation des forces de lordre et la réponse judiciaire qu’elles ont suscitées. Bien que la commission denquête ait été créée à la demande de deux groupes de la majorité, à aucun moment nous navons éludé le point de basculement que constitue le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution sur la réforme des retraites le 16 mars 2023.

La deuxième partie sintéresse à la notion de continuum de la violence en décrivant les modes opératoires des activistes radicaux mais aussi leur profil, leurs motivations et lorganisation des groupuscules auxquels ils se rattachent. Il existe en effet, en marge des mouvements de revendication traditionnels, de nouveaux rapports à la violence, des formes de légitimation explicite ou implicite de son usage, corroborant une montée en puissance des éléments activistes radicaux qui nest pas propre à notre pays. La formation dun bloc radical au sein des précortèges et le développement des rassemblements spontanés, notamment dans la protestation contre la réforme des retraites, mais aussi laffirmation de radicalités nouvelles au nom de la défense de causes environnementales me poussent à un constat alarmant : les frontières entre violence et non-violence, entre conflictualité et extrémisme, entre contestation et volonté insurrectionnelle sont aujourd’hui particulièrement perméables. Jemploie dans le rapport le terme de « brume » pour qualifier cette nébuleuse de la pensée très inquiétante qui nous a tous frappés. J’évoque également un glissement vers la violence dont témoignent les mutations de la désobéissance civile. Certains estiment que celle-ci peut désormais saffranchir du principe de non-violence qui est pourtant sa caractéristique fondatrice.

Le rapport clarifie un point qui a pu faire naître des craintes ou des fantasmes : les violences nont pas été planifiées et orchestrées par des organisations activistes et radicales qui, sur le territoire national ou à l’étranger, en auraient assuré le pilotage centralisé. De même, il nexiste pas de lien organique entre activistes ou groupuscules violents et organisations plus traditionnelles telles que des partis politiques ou des syndicats. En revanche, il existe des passerelles. C’est le cas avec une partie du milieu étudiant ; nous lavons vu à Bordeaux. C’est même le cas avec le milieu syndical – je pense à certains militants de la CGT MinesÉnergie. Si Sophie Binet, lors de son audition, sest étonnée de mes remarques sur lattitude de cette fédération de la CGT, consistant à couper l’électricité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, elle ne l’a pas dénoncée. Nous sommes là dans la brume que j’évoquais précédemment.

La troisième partie du rapport analyse les enjeux opérationnels du maintien de lordre et le cadre juridique afin de sanctionner plus efficacement les auteurs de violences – ceux qui sont venus casser, en découdre avec les forces de lordre et sen prendre aux symboles de l’État, au risque parfois de menacer la vie des policiers et des gendarmes. Les individus violents nont manifestement pas fait la distinction que certains ont voulu mettre en évidence entre violences contre les biens et violences contre les personnes.

Le rapport formule trente-six recommandations de niveau juridique variable. Permettez-moi de vous en présenter quelques-unes.

Elles concernent, en premier lieu, la modernisation des instruments du maintien de lordre et le contrôle de l’activité des forces de sécurité intérieure – lun ne pouvant à mon sens aller sans lautre.

Il sagit dabord de stabiliser la doctrine demploi des forces et de tirer les leçons de l’expérience des manifestations du printemps 2023. La France dispose depuis septembre 2020 d’un schéma national du maintien de lordre (SNMO), qui a fait lobjet de plusieurs ajustements à la suite dun arrêt du Conseil d’État du 10 juin 2021.

Nos travaux confirment une tension, quasi inévitable, que connaissent bien les acteurs de la sécurité publique, entre deux principes fondamentaux : dune part, le maintien à distance et la désescalade, qui est lobjectif des forces de lordre, nen déplaise à certains ; dautre part, lintervention rapide et la mobilité des forces en cas d’exaction. La très grande mobilité des éléments du bloc radical, leur sens de lorganisation et leur violence contraignent les forces de lordre à des opérations dans un environnement toujours plus complexe. Cest la raison pour laquelle le rapport recommande d’« évaluer la pertinence opérationnelle de larticulation et du format des unités de maintien de lordre affectées à lencadrement des rassemblements et des manifestations au regard des exigences du SNMO ».

Le rapport souligne également limpératif que constitue une coopération renforcée avec les organisateurs et les participants des manifestations. Lexemple de Sainte-Soline – le refus total des organisateurs de dialoguer avec les autorités administratives, y compris sagissant de l’architecture des secours – est à cet égard remarquable, si jose dire. Sans coordination entre organisateurs et forces de lordre, il est inévitable que les choses se passent mal. Dans les manifestations intersyndicales, le plus souvent, la coordination est plutôt satisfaisante.

Les forces de lordre doivent être capables de distinguer le manifestant de bonne foi de lindividu violent, notamment lors de la dispersion de la manifestation. Il faut améliorer la communication en direction des premiers. La France doit ainsi revoir profondément son approche en « dotant les forces de lordre de moyens techniques – tels que panneaux indicateurs, dispositifs – permettant dassurer linformation des participants aux cortèges et rassemblements sur le lieu des manifestations et de communiquer efficacement à leur destination ». C’est la recommandation n° 3.

Il me paraît également indispensable daméliorer les rapports fonctionnels entre les forces de sécurité intérieure et les services dordre des syndicats. Nous constatons un affaiblissement des moyens déployés par les structures syndicales pour la protection des manifestations et rassemblements organisés à leur initiative, mais aussi des difficultés pratiques dans la gestion de laccès aux cortèges. En particulier, un meilleur filtrage des individus violents est nécessaire en fin de manifestation, sur les lieux de dispersion : autant il est difficile pour eux d’accéder au point de départ du cortège, autant il leur est souvent facile de se rendre à son point d’arrivée et de sy livrer à des exactions. Il apparaît donc nécessaire de renforcer les effectifs des équipes de liaison et dinformation, de sorte que les services dordre des syndicats disposent en permanence dun interlocuteur identifié.

Le rapport invite également à mieux définir la place des journalistes et des observateurs. Cest là un sujet qui peut faire débat entre nous. Les journalistes que nous avons reçus – qu’ils soient street reporters ou qu’ils appartiennent à des chaînes dinformation en continu – nous indiquent que les premières violences qu’ils constatent sexercent contre eux. Ils notent en second lieu des difficultés dans leurs relations avec les forces de lordre. Jappelle donc à une meilleure coordination, dans le cadre du SNMO, même si des progrès ont déjà été accomplis après l’arrêt du Conseil d’État que je mentionnais précédemment. Un comité de liaison mensuel est prévu : il doit aborder ces questions pour lever les ambiguïtés sur la mission des journalistes, surtout dans le cadre chaotique des manifestations.

Je propose ensuite la nomination dobservateurs indépendants. Jai beaucoup hésité avant de formuler cette proposition, et je sais qu’elle fera débat, mais jai constaté que des gens se présentent déjà comme observateurs. Ils le sont, sans doute, mais ils sont aussi parfois membres des structures qui appellent à manifester. La question de leur impartialité se pose. Ceux que nous avons entendus considéraient qu’ils n’étaient là que pour observer le comportement des forces de lordre : pourquoi pas, mais il me semble qu’il faut tout observer. Si nous voulons objectiver les questions des violences et du maintien de lordre, et apaiser le débat public, la présence dobservateurs indépendants, qui ne seraient pas là pour regarder lune ou lautre seulement des parties en présence, pourrait être une solution. Le débat en noir et blanc auquel nous assistons nest pas toujours à la hauteur de la complexité des situations et, jy insiste, de la violence qu’affrontent nos forces de lordre.

Le contrôle externe du maintien de lordre revient au Défenseur des droits. C’est un modèle qui est plutôt un standard européen. Mais ses moyens, matériels et humains, sont limités. Dans ce débat sur le maintien de lordre, et parce que je ne crois pas que le problème vienne des forces de lordre, jestime que nous devons assurer la transparence : je propose donc de donner au Défenseur des droits la possibilité de saisir directement les inspections générales à des fins denquête administrative.

Meilleure reconnaissance des journalistes, statut dobservateur, contrôle externe confié à une autorité publique indépendante : voilà, je crois, des solutions pour apaiser le débat sur le comportement des forces de lordre.

Nous devons également nous poser la question des moyens du maintien de lordre. Il faut conforter les ressources humaines et matérielles à disposition pour conduire des opérations de police très spécifiques. La disponibilité des forces de lordre est essentielle : nous serons tous daccord, ou presque, pour estimer indispensable de respecter la trajectoire de reconstitution de nos forces inscrite dans la loi dorientation et de programmation du ministère de lintérieur (Lopmi). En tant que parlementaires, il nous revient d’être vigilants sur ce point. Cela concerne aussi le renseignement, qui est au cœur de la lutte contre les individus violents.

Nous devons doter nos forces de lordre darmes adaptées à des missions de plus en plus exigeantes. Il faut renouveler les armes de force intermédiaire ; je plaide notamment pour le déploiement de canons à eau, mais aussi de quads, car la mobilité est indispensable. Jassume également de considérer que lusage de drones, dans le cadre du décret du 19 avril 2023, constitue une solution intéressante ; jestime même que nous pourrions élargir les conditions de leur emploi.

Je marrêterai enfin sur les recommandations de niveau législatif. Je suis resté prudent car je ne suis pas un chaud partisan des lois de circonstance, même si cest le jeu de la politique et que nous nous y sommes tous laissé prendre.

Je propose dinscrire dans le code pénal le caractère obligatoire de la peine complémentaire dinterdiction de manifester pour les délits les plus graves, comme le port darmes : la procureure de la République de Paris a évoqué à ce sujet un oubli législatif. Je précise que le juge peut, de façon motivée, écarter cette peine complémentaire : lautorité judiciaire reste indépendante.

Lobligation de pointage a fait ses preuves dans le cas des interdictions de stade : elle pourrait être étendue aux interdictions de manifester. Nous pourrions également intégrer la violation de linterdiction de manifester – interdiction prononcée par un tribunal, je le rappelle – parmi les critères permettant une rétention qui peut durer jusqu’à vingt-quatre heures. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre, a affirmé devant nous la nécessité doutils pénaux préventifs – toujours dans le respect des libertés publiques et de lindépendance de lautorité judiciaire.

Je propose enfin d’élargir le champ des infractions punies dune interdiction de manifester. Je pense en particulier à la participation à un attroupement, levier pénal très important.

Voilà les pistes de réflexion que je vous propose pour consolider notre dispositif de maintien de lordre et jouer la carte de la transparence. Il faut sortir du débat parfois absurde dans lequel nous tombons tous, quelles que soient nos sensibilités politiques. Notre exigence républicaine nous impose de réprimer avec la plus grande efficacité, dans le cadre de l’État de droit, des violences qui fragilisent tout autant lordre public que la liberté fondamentale de manifester.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). Je représente mon collègue Benjamin Lucas, qui a participé aux travaux de la commission d’enquête. Je voterai contre la publication de ce rapport. Cette commission denquête très politique visait à masquer limpopularité du Gouvernement au moment de la réforme des retraites, et pour cela à mettre en accusation et à disqualifier le mouvement syndical, qui a réussi à réunir des manifestations massives et tout à fait pacifiques, mais aussi le mouvement écologiste.

Présente moi-même à une manifestation le 1er mai, à Nantes, jai subi une charge des forces de lordre, après la manifestation, sur une terrasse de café bondée. Les forces de lordre se sont massées de manière menaçante ; jai avancé avec mon écharpe de députée et les mains en lair : cela na rien empêché. Jai aussi parlé à de nombreuses familles choquées des méthodes de maintien de lordre employées ce jour-là. Ce sont des débordements qui ne sobservent pas dhabitude.

Le droit de manifester nest pas garanti : les gens ont peur, ce qui pose problème dans une démocratie. Or, je nai pas limpression que ce rapport cherche à y remédier.

La non-violence est un principe fondamental des écologistes ; nous avons toujours condamné les violences, doù qu’elles viennent. Or, le rapport emploie le terme « écoterroriste ».

M. Florent Boudié, rapporteur. Vous navez pas lu le rapport : je dénonce ce terme, au contraire !

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). Ce terme a été utilisé et le rapport le reprend, tout en indiquant qu’il ny a pas dactes terroristes menés par des militants écologistes. Vous opérez un rapprochement sémantique ; vous parlez de répression, dinterdiction de manifester, alors qu’il ny a aucune preuve d’écoterrorisme. La violence des méthodes policières utilisées contre des militants des causes écologiques, les mêmes que pour des terroristes, nous inquiète et montre une dérive.

M. Michaël Taverne (RN). Cest une blague !

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). Non. Jai aussi combattu la construction de laéroport de Notre-Dame-des-Landes et manifesté à cette occasion, de manière pacifique et avec Mounir Belhamiti qui est assis à mes côtés. En démocratie, nous avons le droit de manifester pour exprimer un désaccord. Or, le rapport sefforce de disqualifier des mouvements et des revendications. Il propose de restreindre le droit de manifester de certains. Il napporte donc pas grand-chose, dans un moment grave pour notre démocratie et pour la liberté de manifester – droit qui, je le redis, nest pas garanti aujourd’hui.

Enfin, vous ne vous arrêtez pas sur les groupes dextrême droite. Pourtant, lattaque terroriste contre la maison du maire de Saint-Brevin-les-Pins a eu lieu pendant la période couverte par la commission denquête.

Mme Sandra Marsaud (RE). Merci pour ce travail, monsieur le rapporteur. Jai entendu ce qui vient d’être dit avec un peu de dépit. Pour avoir participé à la plupart des auditions, je nai pas entendu ce que vous dénoncez, madame Laernoes – bien sûr, vous avez le droit de donner votre opinion. Pour ma part, je suis très attachée au développement durable, mais je nappartiens pas à Europe Écologie-Les Verts et je suis fière de défendre ces sujets au sein du groupe Renaissance. Je ne me promène pas avec une écharpe croyant qu’elle va me protéger : je ne vais pas à ces manifestations et je respecte la loi.

Ce rapport me semble équilibré. Les réponses proposées, en ce qui concerne tant le droit pénal que le statut dobservateur et la liberté de la presse, sont fortes.

M. Ludovic Mendes (RE). À mon tour de remercier le président et le rapporteur pour la façon dont ils ont mené les travaux de cette commission denquête. Elle a été difficile à mettre en place. Ce que dit notre collègue écologiste nest pas faux : la politique est bien présente. Mais ce nest pas nous qui avons fait ce choix. Ce sont les personnes auditionnées qui ont choisi de nous parler des partis politiques, qui ont donné des noms de responsables politiques qui ont participé à certaines manifestations et qui ont agi de façon violente. Nous navons fait que dresser un état des lieux.

Je souligne lintérêt de l’étude comparative européenne présente en fin de rapport.

Je me réjouis aussi du fait que le rapport évoque lensemble des difficultés rencontrées : il ne cherche pas à défendre seulement la police ou la gendarmerie, mais aussi les manifestants et les syndicats. Il démontre que nous avons besoin dobservateurs et de permettre aux journalistes de mieux exercer leur métier – une partie que vous avez peut-être ratée, madame Laernoes. Certaines recommandations du rapport vont à lencontre de propos tenus par des membres du Gouvernement que nous soutenons.

Ce rapport est factuel, consciencieux, responsable. Il ne dit qu’une seule chose : la réalité de ce qui sest passé, reconstituée grâce à un grand nombre dauditions. Oui, il y a parfois une dérive ; oui, il faut respecter la Ve République et la Constitution, dont le droit de manifester. Les violences dans les manifestations sont dues à des gens qui veulent tout détruire : nous formulons des recommandations pour protéger les manifestants, les biens et les membres des forces de lordre qui sont sur le terrain et qui en prennent plein la figure parfois tous les week-ends – ce que vous oubliez de dire.

Ce rapport est juste, neutre et répond à toutes les attentes. La seule cabale politique que nous avons vécue est venue de certains de nos collègues députés.

Mme Marina Ferrari (Dem). Je voterai pour la publication du rapport, que je trouve équilibré. Trois recommandations ont retenu mon attention : la recommandation n° 9, car une meilleure préparation des forces de lordre aux nouvelles formes de violence permettrait de limiter les blessures de part et dautre, la n° 10 et la n° 11.

Contrairement à ce que disait notre collègue du groupe Écologiste au sujet des syndicats, le rapport fait état de leur bonne communication entre les forces de lordre. À Sainte-Soline, en revanche, les organisateurs nont pas voulu entrer en relation avec les autorités administratives ; nous devons nous interroger sur la manière de sortir de cette ornière dans lhypothèse dautres manifestations de ce genre, afin dassurer la sécurité et des manifestants et des forces de lordre.

Mme Edwige Diaz (RN). Au nom de mon groupe, je salue lattitude du président comme du rapporteur de la commission d’enquête. Ils ont permis des débats dénués de sectarisme, ce que nous avons beaucoup apprécié.

Comme je lai indiqué dans la contribution que je vous ai envoyée, cette commission denquête nous laisse un sentiment dinachevé, notamment en raison de la non-réponse à notre convocation des Soulèvements de la Terre, objet clef du champ d’étude de la commission.

Il est exact que celle-ci a été très politique. Nous ne sommes pas dupes de la manière dont la majorité a tenté de minimiser son rôle dans lincendie social qui a enflammé notre pays. En revanche, le rapport souligne bien les liens évidents entre lextrême gauche et la recrudescence des violences, qui alimente une atmosphère très dégradée. Nous pointons cette double responsabilité dans notre contribution.

Nous vous remercions également de nous avoir permis de nous exprimer et de dire notre gratitude aux forces de lordre pour leur travail.

Nous voterons en faveur de la publication du rapport, même sil natteint pas son objectif pour les raisons que je viens dexposer, et même si nous doutons de sa portée en labsence dune remise en question globale de notre politique judiciaire. Il nen est pas moins riche ; de nombreuses personnes ont fait leffort de se déplacer et nous avons appris beaucoup de choses qui nous seront très utiles pour anticiper la suite.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). Lintervention que nous venons dentendre confirme ce que je vais rappeler. Sur lextrême droite, il ny a qu’une page et demie dans le rapport. Le reste est consacré à la radicalisation des mouvements pour le climat et des écologistes. Ce nest pas proportionnel à ce qui se passe. Notre préoccupation majeure est de lutter contre toutes les formes de violence. De ce point de vue, cest raté. En revanche, vous avez bien réussi votre communication politique, mais cela ne change rien au fait que mon groupe votera résolument contre cette action politicienne.

Mme Patricia Lemoine (RE). Madame, en ce qui vous concerne, vous avez manifestement raté plusieurs auditions. Toutes ont montré que, pendant la période considérée, ce sont des mouvements dultragauche qui étaient à la manœuvre. Cest un fait.

M. le président Patrick Hetzel. Pour ma part, jai beaucoup apprécié la manière dont le rapporteur a tenu à signaler ce qui relève de ses prises de position personnelles – tous ne le font pas. Il y a dans le rapport une volonté dobjectiver ce qui est ressorti des auditions. Il faut aussi garder à l’esprit le périmètre déterminé de la commission denquête, du 16 mars au 3 mai 2023.

Par ailleurs, jai plusieurs fois insisté sur la possibilité offerte à nos groupes parlementaires respectifs dapporter leur propre contribution pour donner un éclairage différent. En ce qui me concerne, japprouve en grande partie le diagnostic et les recommandations, mais je peux avoir, sur lune ou lautre, un avis qui s’écarte de celui du rapporteur. Cest aussi le rôle dun rapport denquête de montrer, par les contributions de ses membres, que tous les points abordés ne font pas lunanimité. Notre travail est une œuvre collective, le fruit de six mois d’échanges, et le rapport reflète bien ces débats. Il est riche de nuances – au point qu’il contient parfois peut-être un peu trop de « en même temps » à mon goût !

M. Florent Boudié, rapporteur. Madame Laernoes, je comprends qu’il ne soit pas simple de prendre connaissance dun rapport qui na été consultable que mardi, mercredi matin et jeudi. Mais, manifestement, il va falloir pousser la lecture un peu plus loin.

Concernant lultradroite, aux pages 45 à 47, je ne fais que reprendre les seuls éléments qui nous ont été communiqués. Ce nest pas faute davoir investigué, non seulement lors des auditions mais aussi par nos questions écrites, qui ont suscité des centaines de pages de réponses. Il sagit bien des seuls actes commis par lultradroite en France durant les manifestations de la séquence considérée. Il ny en a ni plus, ni moins. Des procédures judiciaires ont été engagées lorsque cela était possible. Je n’édulcore pas, je ne gomme pas ; je suis simplement objectif.

Concernant l’« écoterrorisme », je lai dit au ministre : ce nest absolument pas une réalité matérialisée ; cela nexiste pas. Il en a parlé ; je dis le contraire. Cest écrit dans le rapport. En revanche, la définition du périmètre de la non-violence est un enjeu. Peut-on ne qualifier de violences que celles qui visent les personnes ? Peut-on accepter lexplication des violences matérielles, parfois leur légitimation – qui nest pas le propre dun mouvement politique en particulier – ou leur minimisation ? Cest un problème que cette acceptation, parfois, dune forme de glissement. C’est en tout cas mon point de vue, présenté comme tel dans le rapport. Les causes de ce phénomène sont multiples et je nincrimine personne en particulier ; il marrive dans le rapport de pointer quelques responsabilités, toujours en précisant qu’il sagit de mon point de vue.

En revanche, l’« écoterrorisme » est un risque pour lavenir aux yeux de la direction générale de la sécurité intérieure et du service central du renseignement territorial, à limage de ce que nous avons connu avec des mouvements dultragauche ou autonomistes des années 1970 et 1980. Vous lirez lintroduction : jy cite Monica Sabolo, qui rappelle comment ces groupes venus de laprèsMai 68, et appartenant à des organisations tout à fait structurées, se sont petit à petit détachés de ce cadre pour entrer dans la vie clandestine et assumer un glissement vers des actes violents envers les individus. Cela a abouti en 1986 à lassassinat de Georges Besse, PDG de Renault.

Je ne dis pas que cest ce qui va se passer demain. Je nen sais rien. Mais il existe des analyses en ce sens qui ne sont pas les miennes, mais celles de spécialistes appartenant au service public et dont nous avons bien besoin. Et puis il y a des responsables politiques de votre sensibilité, madame Laernoes, qui, quand ils en discutent avec moi, considèrent aussi qu’il y a là un risque ; cest pourquoi ils ne sont pas allés à Sainte-Soline.

Je prends dailleurs la responsabilité de dire qu’un élu local ou national peut participer à une manifestation interdite. Je ne suis pas sûr qu’Edwige Diaz sera daccord, ni même certains membres de mon groupe comme Sandra Marsaud. Je partage à ce sujet le point de vue que lancien ministre de lintérieur Christophe Castaner a exprimé devant la commission denquête : mon problème nest pas qu’un élu aille à une manifestation interdite, mais qu’il y aille en connaissant les risques. À Sainte-Soline, les risques étaient là, tout le monde le savait. Cela, cest un problème.

Jessaie de faire des constats et d’émettre des propositions. Jespère que certaines dentre elles seront entendues. Nous aurons très rapidement loccasion den parler avec le ministre de lintérieur.

M. le président Patrick Hetzel. Puisque plus personne ne souhaite s’exprimer, je soumets le rapport au vote des membres de la commission d’enquête.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). Comme je l’ai indiqué, mon vote est défavorable.

M. le président Patrick Hetzel. J’en prends acte. Je ne note par ailleurs aucune abstention, et je constate donc le vote favorable des autres commissaires présents.

La commission adopte le rapport.

 

 

 


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   Contributions des membres de la commission d’enquête

(Par ordre chronologique)

1.   Contribution de M. Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin

Les six mois qui ont échelonné le travail de la commission d’enquête ont permis aux membres de cette dernière d’auditionner un très grand nombre de protagonistes, d’associations, de syndicats, d’experts, de responsables en charge du maintien de l’ordre ou encore de magistrats. Force est de constater qu’un certain nombre de constats s’imposent et doivent nous amener à formuler des propositions. Je souscris très largement aux conclusions et aux préconisations du rapport réalisé par M. Florent Boudié, député de Gironde. Je voudrais ici simplement mettre l’accent sur cinq constats qui me semblent plus particulièrement problématiques et au sujet desquels des mesures d’action doivent être envisagées sans quoi notre système démocratique et l’État de droit seront gravement menacés. Ces constats sont les suivants : la violence se banalise, la non-condamnation catégorique de la violence contribue à la légitimer, la violence s’installe par un dévoiement du concept de désobéissance civile, certains campus universitaires deviennent des bases arrière de la violence et, enfin, le concept de « collectif » est utilisé pour échapper au contrôle de l’État. Je vais donc, dans les lignes qui suivent, développer ces cinq aspects. Enfin, dans une seconde partie, je reviendrai aussi sur les préconisations qui me semblent les plus importantes ainsi que sur celles avec lesquelles je reste plus circonspect.

  1.   Les principaux enseignements
    1.   La banalisation de la violence

Les nombreuses auditions ainsi que les déplacements à Bordeaux et dans les Deux-Sèvres ont permis de relever qu’au fil du temps s’était développée une sorte de vision hélas de plus en plus partagée : seule la violence permet d’obtenir des résultats. Nul doute que dans un passé récent, les événements de Notre-Dame-des-Landes où le Gouvernement n’a pas respecté le résultat d’une consultation des citoyens, mais a donné raison aux revendications des Zadistes, ont forgé dans l’imaginaire collectif de certains l’idée qu’il fallait développer des formes très radicales de lutte voire des formes violentes car, au fond, la violence payait.

C’est ainsi qu’à de nombreuses reprises, au cours des auditions, nous avons entendu cette affirmation autour de l’effet supposé bénéfique de la violence dans les luttes sociétales ou environnementales plutôt que le respect des voix démocratiques et légales. Même des responsables syndicaux et politiques qui se déclaraient a priori « non violents » nous ont déclaré qu’ils pouvaient comprendre les phénomènes de violence. Or, à entrer dans un raisonnement où l’on va considérer que la violence est explicable, alors il peut y avoir progressivement un glissement, lent mais certain, vers une banalisation de celle‑ci. En sorte, on considère qu’elle est quasiment normale. À cela vient s’ajouter une sorte d’inversion des valeurs, où l’on peut aller jusqu’à considérer que les manifestants « violents » sont légitimes car ils ne font que répondre à la violence de la police et de l’État en oubliant, par là même, que la police n’utilise la violence que pour protéger des personnes et des biens.

D’ailleurs, les auditions ont aussi permis de mettre en lumière un autre aspect inquiétant, c’est que d’aucuns vont jusqu’à construire une rhétorique qui limiterait la violence aux seules personnes et jusqu’à récuser l’emploi du terme de violence lorsque cela ne concerne pas des personnes. Or, la définition habituellement retenue de la violence, c’est bien l’utilisation de force ou de pouvoir, physique ou psychique, pour contraindre, dominer, tuer, détruire ou endommager. Or, on voudrait nous faire croire que s’il n’y a pas de violence physique directement exercée sur des personnes, on ne pourrait pas parler de violence. Tentant ainsi de faire oublier que la violence peut aussi être psychologique, c’est-à-dire morale, mentale ou émotionnelle, notamment par le climat de terreur que l’on peut ainsi créer dans la société. En somme, il y a désormais un premier combat à mener : c’est celui de lutter inlassablement contre toutes ces formes de banalisation de la violence.

  1.   La légitimation de la violence par sa non-condamnation catégorique

Certaines auditions ont permis de mettre en lumière que d’aucuns cherchent soit à minimiser la violence ou à pratiquement l’ignorer, soit à ne pas la condamner fortement et fermement sous prétexte qu’il y aurait une sorte de raison commune de la lutte. C’est ainsi que, sous prétexte de partager un objectif commun de lutte, on ne condamnerait pas celui qui aurait choisi la voie de l’expression violente voire d’extrême violence. En somme, lorsque l’on fait cause commune, même si les voies de revendication sont différentes, on aurait une certaine tolérance à l’égard du recours à la violence. Or, en procédant de la sorte, on contribue à légitimer la violence et si ce n’est explicitement, en tout cas, implicitement. Là encore, on s’éloigne des grands principes de nos sociétés démocratiques et, surtout, on remet en cause les fondements de l’État de droit. Si chacun peut manifester, ce qui est garanti par la loi fondamentale qu’est la Constitution, cela doit se faire dans le calme et dans le respect de l’ordre public. Or, légitimer la violence revient à remettre en cause l’ordre public et donc à remettre en cause l’État de droit. La petite musique de fond chez certains est bien de considérer que la fin justifie les moyens car il y aurait « urgence » à agir et la « non-action » (climatique, par exemple) serait une violence insoutenable à laquelle il faudrait répondre. Dans un tel système de pensée, l’inaction elle-même est alors considérée comme « violence » à laquelle on n’aurait plus d’autre choix que de répondre violemment. On voit aisément les limites d’un tel raisonnement et surtout ses dangers pour le respect de l’État de droit.

  1.   La violence s’installe par un dévoiement du concept de désobéissance civile

La désobéissance civile fut mise en place aux États-Unis d’Amérique au 19ème siècle par Henry David Thoreau. Ce dernier refusait de financer la guerre contre le Mexique de même qu’il s’opposait à l’esclavagisme. Ses actions étaient totalement pacifiques. Ceux qui se sont inspirés de Thoreau par la suite revendiquaient explicitement, à l’image de Gandhi ou de Martin Luther King, des actions non violentes. Or, actuellement, un certain nombre de ceux qui disent mener des actions de « désobéissance civile » n’hésitent pas un recourir à la violence pour atteindre leur objectif. Cela fut particulièrement explicite dans le cas de la manifestation de Sainte-Soline. En effet, les gendarmes mobiles avaient pour mission de protéger le chantier de la construction du bassin de rétention d’eau. Or, une partie des manifestants voulaient occuper le chantier et ils n’ont donc pas hésité à aller au contact des forces de l’ordre pour tenter de porter atteinte au chantier et de l’occuper. Les organisateurs que nous avons interrogés au cours de nos auditions ont revendiqué que leur action relevait de la désobéissance civile tout en cherchant soit à minimiser le recours à la violence, soit à le justifier. Nous assistons donc à une sorte d’inversion des valeurs. Là où le concept de désobéissance civile prenait ontologiquement ses origines dans un principe de non-violence, aujourd’hui le terme est utilisé pour opérer une inversion de sens cherchant par la rhétorique à draper des actions violentes sous le manteau de la désobéissance civile. Il est essentiel de dénoncer une telle dérive qui relève de la malhonnêteté intellectuelle ou de la tentative de manipulation de l’opinion. Il est important de rappeler qu’en aucun cas, on ne peut qualifier de désobéissance civile des actions violentes.

  1.   Certains campus universitaires deviennent des bases arrière de la violence

Les locaux universitaires du site bordelais de la Victoire ont, semble-t-il, servi de base arrière aux importants troubles à l’ordre public causés à Bordeaux et notamment le 23 mars 2023 où la porte de l’hôtel de Ville fut incendiée. Cela interroge sur le maintien du concept de « franchise universitaire » qui interdit l’accès des campus aux forces de l’ordre sans une demande explicite du président d’université. Sans compter qu’à Bordeaux, la mouvance d’ultragauche a manifestement utilisé sciemment cette liberté d’aller et venir sur le campus universitaire pour intensifier ses actions de troubles à l’ordre public et en installant des scènes de guérilla urbaine en quasi impunité. C’est ainsi qu’il aura fallu dix jours de blocage et des dégradations évaluées à près de 750 000 euros pour que la direction de l’Université sollicite enfin le représentant de l’État afin d’évacuer le site. Dix jours pendant lesquels les troubles hors du campus furent rendus possibles parce que le campus était devenu une base arrière. C’est pourquoi il convient de proposer des évolutions législatives pour que cela devienne impossible.

  1.   Le concept de « collectif » comme moyen pour échapper au contrôle de l’État

De plus en plus fréquemment les organisateurs de certaines manifestations ne sont plus des associations ou des syndicats ayant une existence légale précise mais des « collectifs » à l’image des « Soulèvement de la Terre ». De toute évidence, l’objectif de ce type de mode d’organisation est de tenter d’échapper le plus possible au droit et de contourner l’État de droit par la non identification de « responsables », cherchant par la même à dégager leurs responsabilités individuelles et à créer une sorte de nébuleuse. Cela leur permet d’user de discours médiatiques très radicaux, mêlant appel à la désobéissance civile et complaisance voire incitation à la violence.

  1.   Les préconisations

Les 36 propositions formulées par le rapporteur méritent une attention particulière car elles sont de nature à formuler des solutions opérationnelles par rapport à des problèmes de différente nature qui ont émergé au sujet de cette recrudescence des groupuscules violents dans les manifestations. Toutefois, parmi ces préconisations, à mon sens, sept sont d’une importance toute particulière. Elles seront abordées dans les points a. et b. de cette partie. Le point c. revient sur la préconisation n° 7 concernant le statut d’observateur indépendant que propose le rapporteur.

  1.   L’efficacité des services de renseignement et coopération internationale entre les services chargés de la sécurisation des manifestations.

Les recommandations 15 et 16 sont d’une très grande importance. En effet, la recommandation 15 a pour objectif de renforcer les crédits budgétaires affectés aux services du renseignement territorial et inciter au développement d’une offre de formation interservices spécialisée en matière de renseignement. Cela se révèle essentiel car il n’y a qu’au travers des services de renseignement qu’il sera possible de d’anticiper les potentielles montées en puissance de ces groupuscules radicalisés et ultraviolents tels qui ont été décrits dans le rapport.

Quant à la recommandation 16 qui prévoit d’intensifier, au sein de l’espace Schengen, la coopération entre les services chargés de la sécurisation des rassemblements et des manifestations, cela devient indispensable et urgent. Les événements de Sainte-Soline ont par exemple mis en évidence des ramifications internationales de ces mouvances d’ultragauche radicalisées et violentes. Une meilleure coopération doit permettre d’atteindre deux objectifs essentiels : d’une part, permettre une anticipation de la potentielle arrivée de fauteurs de troubles en provenance de l’étranger en procédant à de plus importants contrôles des frontières et, d’autre part, échanger des informations sur les modes opératoires de ces groupuscules et les moyens efficaces pour lutter contre eux et ainsi limiter au maximum le développement de la violence.

  1.   Les modifications législatives qui s’imposent.

Les recommandations 21, 22, 23, 24 et 25 constituent un bloc stratégique pour lutter efficacement contre le développement de cette violence par des groupuscules. En effet, si l’article 141-4 du code de procédure pénale est modifié afin d’intégrer l’interdiction de manifester dans le champ des obligations dont la violation peut justifier la rétention de la personne concernée, pour une durée maximale de 24 heures, on aura alors réussi à empêcher de passer à l’action des personnes dont la propension à créer des troubles importants à l’ordre public est avérée. Une telle mesure est désormais indispensable. Les recommandations 22, 23 et 24 vont évidemment dans le même sens. C’est ainsi qu’il faut aussi, comme indiqué dans la recommandation 22, élargir le champ des infractions susceptibles de donner lieu à la peine complémentaire d’interdiction de manifester aux délits d’attroupement prévus par les articles 431‑4 à 431‑6 du code pénal. Tout comme, tel qu’indiqué en recommandation 23, il est indispensable de consacrer le caractère obligatoire de la peine complémentaire d’interdiction de manifester infligée aux auteurs de délits d’une particulière gravité commis au cours des manifestations. C’est devenu essentiel pour donner un véritable coup d’arrêt à ces montées de violence que d’aucuns recherchent manifestement en toute conscience.

Par ailleurs, pour que le dispositif législatif soit complet, la recommandation 24 est également indispensable afin d’aligner le quantum de la peine encourue en cas de violation de l’interdiction de manifester sur celui des peines encourues en cas de violation des interdictions de paraître et de séjour, soit deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Ce n’est qu’ainsi que l’arsenal juridique sera dissuasif et efficace.

Enfin, il convient aussi de mettre en œuvre dès que possible la recommandation 25 qui prévoit une obligation de pointage au commissariat ou à la gendarmerie des personnes condamnées à une interdiction de manifester, selon des modalités déterminées par l’autorité judiciaire.

Ces cinq mesures sont une priorité absolue et constituent le cœur des évolutions législatives à apporter pour lutter efficacement contre les phénomènes décrits.

  1.   Un statut d’observateur indépendant ?

La préconisation n° 7 du rapporteur consiste à créer un statut d’observateur indépendant pour les rassemblements et manifestations. Si, dans un État de droit, il est parfaitement légitime et louable de se préoccuper d’une analyse « indépendante et objectivée » du déroulement des manifestations, dans les faits, cette préconisation interroge à trois titres. D’une part, il existe aussi bien au sein de la Police nationale que de la Gendarmerie nationale des corps d’inspection qui ont notamment pour objectif de s’assurer que les modalités de maintien de l’ordre s’effectuent dans de bonnes conditions. D’autre part, les services en charge du maintien de l’ordre sont garants de l’ordre républicain et ils agissent dans le cadre de l’État de droit : l’instauration d’un statut juridique d’observateur indépendant consacrerait l’idée d’une défiance ex ante à l’égard des services en question, ce qui est assez discutable. En effet, l’action publique doit et ne peut reposer que sur une confiance ex ante. Enfin, dans un État de droit, ce sont les journalistes qui ont pour mission de donner un regard extérieur et « objectivé » sur ce qui se passe. Pour toutes ces raisons, je reste réservé par rapport à cette recommandation.

Conclusion

Limiter la violence aux seuls agissements perpétrés contre des personnes n’est pas anodin. Il y a une volonté de pousser de plus en plus loin les limites de cette violence en cherchant ainsi, de facto, à la légitimer. Il y a des tentatives de plus en plus fortes pour draper de légitimité des actions illégales par des actions rhétoriques et de communication bien ciblées par certains groupes activistes. En somme, la manipulation sémantique conduit à des glissements dangereux et à des formes d’inversion des valeurs qui peuvent profondément remettre en cause les grands principes d’un État de droit.


2.   Contribution de M. Benjamin Lucas, membre du groupe écologiste-NUPES

 

Cette commission d’enquête a été voulue par la majorité (relative) présidentielle pour créer une diversion politique, parlementaire et médiatique alors qu’elle était engluée dans une profonde impopularité liée à son passage en force sur la réforme des retraites.

 

Il s’agissait de détourner l’attention d’un mouvement historique, exemplaire, quasi exclusivement pacifique, de lutte contre la réforme des retraites injuste et brutale. Cette commission d’enquête marque également une nouvelle étape dans l’offensive inédite menée par le gouvernement et ses relais contre les militants écologistes, inversement proportionnelle à son action pour le climat et la préservation du vivant.

 

Nous voulons remercier notamment les organisations syndicales et les mouvements écologistes qui nous auront permis d’entendre la réalité des difficultés croissantes de mobilisation pacifique depuis plusieurs années, et qui auront démontré – si besoin était – tout leur attachement au respect des principes républicains et au refus de toute forme de violence.

 

Dans un contexte de recul généralisé des libertés publiques et de menace d’un véritable effondrement démocratique, il nous apparait nécessaire de refuser d’entrer dans une logique de mise en cause de la liberté de manifester, droit fondamental consubstantiel à notre démocratie et à sa vitalité.

 

Il convient de préciser en préambule, pour éviter certaines gesticulations prévisibles ou de mauvais procès, que les violences physiques ou verbales, d’où qu’elles viennent, ne suscitent chez nous, parlementaires écologistes, que rejet, dégoût et condamnation. Les écologistes inscrivent dans leur identité politique et leurs pratiques dans les principes de la non-violence.

 

Les critiques formulées au cours des différents débats à l’Assemblée nationale ou en dehors sur la désobéissance civile méconnaissent les grandes conquêtes sociales et sociétales, civiques et politiques des deux derniers siècles en France et dans le monde. Il convient de ne pas mélanger tous les types d’action et de refuser les simplismes et les caricatures dont la plupart des représentants de la majorité et du gouvernement semblent s’être fait les perroquets.

 

La présence d’élus aux côtés des militantes et militants dans de grandes mobilisations environnementales récentes ont permis de témoigner sur des velléités d’escalade des autorités chargées du maintien de l’ordre et sur la brutalité de la répression de ces mouvements.

 

En choisissant de cibler les actions contestables de quelques individus, la majorité présidentielle et son ministre de l’Intérieur ont sciemment minoré la menace réelle et structurelle que représentent les démonstrations de force et de violence de groupuscules d’extrême droite qui sévissent dans nombre de nos villes, bénéficiant d’une forme de laxisme des autorités. Les bornes temporelles fixées pour cette commission d’enquête disent bien quels mouvements sociaux sont visés. Ce n’est pas seulement une erreur, c’est une faute politique et morale.

 

En qualifiant des militantes et des militants écologistes « d’écoterroristes », le ministre de l’Intérieur emprunte à des régimes peu enviables l’habitude qui consiste à qualifier de « terroristes » ses opposants politiques. Cette conception du débat démocratique, et cette qualification d’actions, même quand elles sont condamnables, assimilées à du terrorisme sont ineptes et dangereuses. Singulièrement dans cette période de menace terroriste angoissante pour les Français, au lendemain d’attaques qui ont laissé le pays et le monde en deuil.

 

La criminalisation ou du moins la tentative de délégitimation du mouvement syndical opposé aux injustices et aux inégalités, des associations qui éveillent les consciences par des actions médiatiques d’ampleur, des ONG qui apportent leur secours aux exilés, des citoyens engagés pour la planète et la préservation du vivant, traduisent une détestation de notre modèle démocratique, des contre-pouvoirs et du bouillonnement d’une société qui ne peut se diriger à coups d’injonctions autoritaires.

 

En réalité, réduire la part de violence qui traverse la société ne semble pas être la principale préoccupation du gouvernement et de sa majorité minoritaire. Expliquer n’est pas excuser. Il nous faut comprendre d’où vient cette tension, cette radicalisation parfois. Même marginale, elle doit évidemment nous préoccuper, afin qu’elle ne se diffuse pas. Notre devoir collectif est d’apaiser le pays. C’est la responsabilité première du gouvernement, pour limiter au maximum l’expression de la violence. Nous le devons aussi à nos fonctionnaires de police et gendarmes à qui je veux aussi, au nom des écologistes, rendre hommage.

 

Si la société est aussi troublée et éruptive, c’est parce que notre pacte démocratique est en état de péril mortel. Pour apaiser, il faut que le pouvoir renoue avec une certaine éthique démocratique, qu’il ne tolère plus que ses ministres se comportent en chefs de clan, mais en serviteurs de la République. Il lui faut chercher le chemin de la concorde et non gouverner contre la quasi-unanimité du peuple français, contre son Parlement, contre ses représentants syndicaux et contre tous ses corps intermédiaires. 

 

Cette commission d’enquête n’aura pas su et pas pu poser cette question fondamentale, qui éclaire toutes les autres, de l’état de notre démocratie et des atteintes qu’elle subit au nom de « l’ordre ».

 

L’autre vrai débat, de notre point de vue, sur lequel nous aurions pu esquisser des analyses et des propositions concrètes est celui que le pouvoir refuse depuis des mois : celui du maintien de l’ordre dans notre pays.

 

C’est pourtant un débat d’intérêt général, tant il est intolérable qu’un manifestant, qu’un policier, qu’un journaliste sorte d’une manifestation blessé, mutilé ou effrayé. Mais ce débat, le pouvoir l’esquive avec constance, dédain, s’acharnant à caricaturer, insulter, diffamer celles et ceux qui interrogent le maintien de l’ordre tel qu’il est actuellement.

 

Pourtant, dans une démocratie adulte, on doit sereinement et lucidement regarder les faits, les chiffres, et ce que nous disent la science, la sociologie, les enquêtes journalistiques, les études internationales et les rapports indépendants nationaux, européens ou internationaux.

 

Toutes ces données nous prouvent qu’il existe un véritable problème de maintien de l’ordre dans notre pays. L’usage de la force policière est mal encadré, trop souvent disproportionné et la formations des fonctionnaires de police met en danger chacun d’eux ainsi que les manifestants et citoyens.

 

C’est malheureusement au grand déni que nous faisons face tant les discours lucides, exigeants, argumentés et documentés sont récusés par des caricatures, une accusation de détestation de la police et quelques slogans ringards hérités du passé.

 

 


3.   Contribution de M. Julien Odoul, membre du groupe Rassemblement National

 

Durant plusieurs mois, des millions de Français se sont mobilisés contre la réforme des retraites, et ont fait savoir leur opposition résolument mais pacifiquement. Cette mesure injuste et inique passée avec force à coup de 49-3 légitimait à bien des égards la protestation et la colère du peuple. Néanmoins, ces manifestations inédites par leur ampleur ont été entachées de violences et de dégradations inacceptables, avec pour cible principale nos forces de l’ordre. Ces rassemblements ont été, comme à chaque fois, dévoyés par les mêmes groupuscules qui sévissent depuis des années, c’est-à-dire, les milices d’extrême gauche.

 

Antifas, black blocs, anarchistes, écologistes extrémistes… toutes ces milices agissent systématiquement avec le même mode opératoire : la violence, la casse, les pillages, toujours cagoulés et vêtus de noir. Nommer le mal, c’est pouvoir mieux le combattre. Ainsi, après plusieurs mois d’auditions pour tenter de mettre en lumière la structuration et les modalités d’action de ces groupuscules, le groupe Rassemblement National regrette tout d’abord que leur identité politique ait été délibérément masquée et reniée. Pourtant, ces fauteurs de troubles et ces terroristes du quotidien sont souvent identifiés et bien connus du ministère de l’Intérieur.

 

Pendant quatre mois, la commission d’enquête n’a auditionné que deux collectifs en lien direct avec les violences survenues, notamment à Sainte-Soline le 25 mars dernier. Les auditions de « Dernière Rénovation » le 26 juin dernier, et « Bassines non merci ! » le 27 septembre, ont ainsi permis de démontrer qu’ils étaient parfaitement organisés, qu’ils maitrisaient les éléments de langage d’organisations écologistes extrémistes et qu’ils se faisaient ainsi les porte-paroles des groupuscules violents. Le groupe Rassemblement National tenait également à rappeler que le refus du collectif Les soulèvements de la Terre de se présenter devant la commission d’enquête est inacceptable, lui qui a été à l’initiative de la manifestation interdite de Sainte-Soline, et par conséquent, des violences qui en ont découlées.

 

Le 19 juillet dernier, la commission d’enquête a également pu auditionner Monsieur Jules Ravel, qui se présente comme un journaliste indépendant. En réalité, la commission d’enquête a dû faire face à un énième militant, qui, contrairement à ce que l’éthique et la déontologie du métier de journaliste lui impose, maîtrisait lui aussi les éléments de langage de l’extrême gauche. Au cours de son audition, le manque de nuance et son parti pris nous a frappés. Alors qu’il a couvert une large partie des manifestations contre la réforme des retraites, il n’a eu de cesse de se placer systématiquement du côté des manifestants même violents, sans jamais avoir un mot pour les forces de l’ordre. Pour rappel, rien que sur la journée du 1er mai, plus de 400 forces de l’ordre ont été blessés.

 

Plus généralement, le groupe Rassemblement National déplore le choix des auditions, avec des intervenants émanant de la sphère institutionnelle et, de fait, qui ne réfléchit qu’à travers un prisme technocratique. Au début des travaux, nous avions proposé des personnes à auditionner qui étaient pleinement concernées par les évènements, simples manifestants, ou qui portaient une forme de responsabilité dans les débordements lors des manifestations, voire, qui en étaient les instigateurs. En ce sens, il est regrettable de ne pas avoir convoqué Monsieur Raphaël Arnault, porte-parole du groupuscule d’extrême gauche la Jeune Garde Antifa ; le collectif Alternatiba ; ou encore le collectif Extinction Rébellion. Ces auditions auraient pourtant permis de confronter les fauteurs de troubles devant la représentation nationale, ou a minima, de mettre en lumière le réel.

 

Révoltant, ensuite, de constater que le rapport de l’Observatoire des libertés publiques et des pratiques policières publié en juillet dernier à la suite des manifestations de Sainte-Soline, ne fait à aucun moment état du nombre de blessés du côté des forces de l’ordre et des armes retrouvées sur les lieux. À ce titre, il est nécessaire de rappeler que le 25 mars dernier, 48 policiers et gendarmes ont été blessés, et que des centaines d’armes blanches avaient été confisquées : machettes, haches, pierres aiguisées, ou encore boules de pétanques. Selon une note de la gendarmerie, « 400 à 500 black blocks expérimentés et ultraviolents » étaient présents dans le « cortège » de manifestants. Très clairement, les affrontements à Sainte-Soline ont démontré que ces groupuscules d’extrême gauche sont montés d’un cran dans la sauvagerie. Il n’est plus seulement question de saccager des cultures ou de s’en prendre aux symboles du capitalisme, mais bien de « tuer du flic ». Nous n’avons plus affaire à de simples militants écologistes, mais bien à des écoterroristes.

 

La responsabilité et la complaisance des collectifs organisateurs a néanmoins été révélée, notamment lors de l’audition du porte-parole de « Bassines non merci ! », Monsieur Julien Leguet, qui soutenait que si les militants étaient masqués à Sainte-Soline, c’était pour « des raisons sanitaires » [à la suite de la crise du Covid-19], et que les armes blanches retrouvées dans les véhicules fouillés étaient un « outil de travail comme un autre ». Des arguments aussi aberrants que lunaires, qui feraient presque sourire si la situation n’était pas d’une gravité extrême.

 

Si cette commission d’enquête a fait le choix de se concentrer sur les groupuscules et les évènements violents intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, il nous a semblé nécessaire de rappeler que cette violence n’est en rien anecdotique et que la France l’a déjà subi bien avant la réforme des retraites. Quasiment à chaque fois, tous les mouvements sociaux ont été gangrénés et pourris par l’extrême gauche, entraînant une démobilisation massive et une décrédibilisation des revendications, souvent légitimes. Entre mai et septembre 2016 déjà, lors des manifestations contre la loi El Khomri, ce sont près de 300 policiers et gendarmes qui avaient été blessés à Paris, Nantes, Rennes et Marseille. Le 8 octobre 2016, dans la continuité de ces contestations, plusieurs policiers avaient été incendiés et gravement brulés à Viry-Châtillon, attaqués avec des cocktails Molotov jetés directement dans leur voiture.

 

Entre 2018 et 2019, on se rappelle évidemment du mouvement des Gilets Jaunes, dont les revendications sont d’ailleurs toujours d’actualité, et leurs premiers rassemblements pacifiques. Malheureusement, leurs manifestations avaient là-aussi été contaminées et récupérées par l’extrême gauche, agissant avec la même violence et les mêmes saccages. Au cours de plusieurs mois, près de 1500 forces de l’ordre avaient été violemment attaquées. Aucune commission d’enquête n’avait d’ailleurs émergé de la majorité pour tenter de mettre en lumière la haine anti-flics d’une minorité agissante casquée, cagoulée, vêtue de noir et armée.

 

Ces actes inqualifiables de violence répétée et le profil sulfureux des membres de ces groupuscules d’extrême gauche sont un fléau, et prennent une ampleur sans précédent dans une indifférence générale. Aussi, il est à constater et à déplorer qu’ils bénéficient presque toujours d’une bienveillance médiatique et d’une impunité totale. Pire encore, ils profitent de l’allégeance, voire de la complicité, d’une partie de la classe politique, idéologiquement proche : celle de la NUPES.

 

Si toutes ces atteintes à la sécurité publique, ces dégradations et ce vandalisme entre le 16 mars et le 3 mai 2023 ont pu être largement évoqués tout au long des travaux de la commission d’enquête, ceux qui font régner le chaos et qui alimentent, un peu plus chaque jour, un climat de tension insurrectionnel, n’ont pas été nommés. Le groupe Rassemblement National déplore en ce sens une volonté politique jusque-là inexistante pour restaurer l’ordre républicain et la sécurité avec la dissolution de tous les groupuscules violents et la condamnation ferme de ses membres.

 


4.   Contribution de Mme Edwige Diaz, membre du groupe Rassemblement national

 





 












 

 


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5.   Contribution du groupe LFI-NUPES

 


























 

 

 

 

 


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ANNEXE  1 :
Liste des personnes auditionnées
par la commission d’enquête

(Par ordre chronologique)

       Direction générale de la police nationale (DPGN)  M. Frédéric Veaux, directeur général, Mme Virginie Brunner, directrice centrale de la sécurité publique, Mme Pascale Dubois, directrice centrale des compagnies républicaines de sécurité, M. Philippe Chadrys, directeur central adjoint de la police judiciaire, Mme Sophie Hatt, directrice de la coopération internationale de sécurité et Mme Élise Sadoulet, cheffe de la division des faits religieux et mouvances contestataires du service central du renseignement territorial

       Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) – Général d’armée Christian Rodriguez, directeur général, colonel Sébastien Gay, sous‑directeur de l’anticipation opérationnelle et colonel Antoine Lagoutte, chef du bureau de la synthèse budgétaire

       Service central du renseignement territorial (SCRT)  M. Bertrand Chamoulaud, chef du service, Mme Élise Sadoulet, cheffe de la division des faits religieux et mouvances contestataires, et M. Benjamin Baudis, chargé des affaires réservées

       Préfecture de police de Paris – M. Laurent Nuñez, préfet de police, M. Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation

       Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP)  Mme Françoise Bilancini, directrice

       Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur de Violences politiques en France (2021)

       Contrôle général des lieux de privation de liberté – Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale, et M. André Ferragne, secrétaire général

       Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) (*)  MM. Cédric Tranquard, membre du Bureau, Laurent Woltz, chef du service juridique et fiscal, et Xavier Jamet, responsable des Affaires publiques

       Ministère de l’intérieur, direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ)  Mme Pascale Léglise, directrice, et M. Basile Pierre, chef du bureau de l’instruction et de l’action administrative

       Groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale  Général Emmanuel Valot, secrétaire général, lieutenant-colonel Vincent Delamarre, secrétaire général adjoint, colonel Jean Carrel, major Érick Verfaillie, major Vincent Charneau, major Patrick Boussemaëre, maréchal Des logis-chef Christophe Duprat, major Christophe Le Jeune, adjudant-chef Frédéric Le Louette, major Laurent Cappelaere, major Rachel Chervier, adjudant-chef Aline Rouy, capitaine Marie Michelozzi, adjudant-chef Sandrine Toulouze, membres

       Tribunal judiciaire de Paris – Mme Laure Beccuau, procureure de la République, et M. Laurent Guy, procureur adjoint

       Brigade des sapeurs-pompiers de Paris  Général Joseph Dupré la Tour, commandant, et colonel Guillaume Trohel, chef d’état-major

       Table ronde des syndicats de police :

 Alliance police nationale  MM. Denis Boe, responsable national Judiciaire, et Johann Cavallero, responsable national CRS

– UNSA Police – Mme Ingrid Lecoq, déléguée nationale du pôle province et outre-mer, et M. Jean Paul Nascimento, secrétaire national du pôle CRS

– Alternative police CFDT  MM. Denis Jacob, secrétaire général, et Guillaume Ruet, secrétaire national

       Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)  M. Nicolas Lerner, directeur général, et Mme Caroline Boussion, conseillère juridique

       Dernière Rénovation – Mme Florence Marchal, M. Pierre Taieb et M. Bertrand Caltagirone

       M. Thierry Vincent, journaliste, auteur de Dans la tête des black blocs

       Table ronde d’associations de défense des droits de l’homme :

 Ligue des Droits de l’Homme (*)  Me Nathalie Tehio, membre du Bureau national

– Amnesty International (*) – Mmes Fanny Gallois, responsable de programme, et Domitille Nicollet, chargée de plaidoyer

       M. Christophe Bourseiller, essayiste, auteur de Nouvelle histoire de l’ultragauche (2021)

       Table ronde d’avocats:

– Me Arié Alimi

 Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France

 Me Raphaël Kempf

       Me Thibault de Montbrial, avocat, président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure

       M. Didier Lallement, secrétaire général de la mer, ancien préfet de police de Paris (2019-2022), et M. Benoît Piguet, chef de cabinet

       MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, journalistes, auteurs de L’Affrontement qui vient – De l’écorésistance à l’écoterrorisme ? (2023)

       M. Alain Bauer, criminologue, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

     Table ronde des entreprises de réseaux sociaux :

 Meta (*)  Mmes Béatrice Oeuvrard, et Élisa Borry-Estrade, responsables des affaires publiques

– TikTok (*)  M. Éric Garandeau, directeur des relations institutionnelles et affaires publiques France

– Snapchat  Mme Sarah Bouchahoua, responsable des affaires publiques de Snapchat (France)

       M. Michel Delpuech, ancien préfet de police de Paris (2017-2019)

       M. Christophe Castaner, ancien ministre de l’intérieur (2018-2020)

       Attac (*)  M. Vincent Gay, secrétaire général, et Mme Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac France

       Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, Mme Pauline Caby, adjointe en charge de la déontologie dans le domaine de la sécurité, M. Benoît Narbey, chef du pôle déontologie de la sécurité, et Mme France de SaintMartin, conseillère parlementaire

       M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II, auteur de Le vertige de l’émeute (2019)

     Table ronde des chaînes d’information en continu :

 BFMTV (*)  M. Nicolas Marut, directeur adjoint de la rédaction

 CNews (*)  M. Gérald Brice-Viret, directeur général de Canal + France en charge des antennes et des programmes, et Mmes Régine Delfour, grand reporter, et Amélie Meynard, directrice des affaires publiques

 LCI (*)  Mme Hélène Lecomte, directrice adjointe de la rédaction, et M. Clément Schirmann, responsable des affaires publiques

 France Info (*)  M. François Brabant, directeur délégué

       Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) – MM. Serge Lasvignes, président, et Samuel Manivel, conseiller

       M. Jules Ravel, street journaliste

       Ministère de la justice, direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)  M. Olivier Christen, directeur, et Mme Ariane Mallier, adjointe à la cheffe du bureau de la politique pénale générale

       M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, Mme Laureline Peyrefitte, directrice adjointe du cabinet, M. Guillem Gervilla, conseiller auprès du ministre, en charge des questions législatives, parlementaires et politiques, M. Clément Di Marino, conseiller politique pénitentiaire, et Mme MarieCéline Lawrysz, conseillère politique pénale

     Table ronde des syndicats :

 Confédération française démocratique du travail (CFDT)  Mme Marylise Léon, secrétaire générale, et M. Laurent Diedrich, secrétaire confédéral

 Confédération générale des travailleurs (CGT)  Mme Sophie Binet, secrétaire générale, Mme Marylie Breuil, conseillère, et M. Sylvain Bernard, en charge de l’animation et de la sécurisation des luttes

 Force ouvrière (FO)  M. Frédéric Souillot, secrétaire général, et Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale

 Confédération française de l’encadrement Confédération générale des cadres (CFE-CGC)  M. Jean-Philippe Tanghe, secrétaire général

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)  MM. Cyril Chabanier, président confédéral, et Éric Heitz, secrétaire général confédéral

     Europe Écologie les Verts – Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale, M. Augustin Augier, délégué général, M. Daniel Salmon, sénateur d’Ille‑et‑Vilaine, MM. Benoit Biteau, David Cormand et Claude Gruffat, députés européens

     M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et ancien ministre de l’intérieur (2014-2016)

     Bassines non merci – M. Julien Le Guet, Mmes Anne-Morwenn Pastier et Lucile Richard, et M. Jérémie Fougerat, membres, et M. Jérôme Graefe, Ligue des droits de l’homme

     M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 

 


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   ANNEXE N° 2 :
Liste des personnes auditionnées par lE rapporteur lors de déplacements

(Par ordre chronologique)

1.   Gironde, le lundi 17 juillet 2023

Services de l’État

 M. Jean-Cyrille Reymond, inspecteur général, préfigurateur de la direction zonale de la police nationale Sud‑Ouest

 M. Emmanuel Morin, commissaire général, directeur départemental de la sécurité publique de la Gironde

 Général Loïc Baras, commandant du groupement de gendarmerie de la Gironde

 M. Christian Sivy, commissaire général, directeur zonal de police judiciaire Sud-Ouest, directeur territorial de police judiciaire de Bordeaux

 M. Justin Babilotte, directeur de cabinet du préfet de Nouvelle‑Aquitaine, préfet de Gironde

 Colonel Ludovic Vestieu, commandant du groupement de gendarmerie des Deux-Sèvres

 M. Bruno Picard, chef du service zonal du renseignement territorial

Société civile

 M. Patrick Seguin, président de la chambre de commerce et d’industrie Bordeaux Gironde

 M. David Ducourneau, vice-président de l’association « Bordeaux Mon Commerce »

 M. Éric Malézieux, directeur de l’association « Bordeaux Mon Commerce »

 M. François Dubet, professeur émérite de sociologie à l’Université de Bordeaux

Tribunal judiciaire

 M. Pierre Bellet, premier vice-président du tribunal judiciaire de Bordeaux, coordonnateur du service de l’instruction

 M. Gérard Pitti, vice-président du tribunal judiciaire de Bordeaux en charge d’un service correctionnel

 Me Nathalie Noël, avocate représentant la bâtonnière du barreau de Bordeaux, ancienne président de l’Institut de défense pénale auprès du barreau de Bordeaux.

 Me Hubert Hazera, avocat au barreau de Bordeaux

 Mme Rachel Bray, procureure de la République adjointe près le tribunal judiciaire de Bordeaux

 M. Sébastien Baumert-Stortz, vice-procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bordeaux, en charge du secrétariat général

 Mme Marine Lacroix, vice-présidente du tribunal judiciaire de Bordeaux, en charge du secrétariat général de la présidence

Mairie de Bordeaux

 Mme Claudine Bichet, adjointe au maire de Bordeaux, chargée des finances, de la transition énergétique et de l’égalité femmes/hommes

 M. Bernard Blanc, adjoint au maire de Bordeaux pour la commande publique et l’emploi

 Mme Harmonie Lecerf-Meunier, adjointe au maire de Bordeaux, chargée de l’accès aux droits, des solidarités et des seniors

 M. Olivier Escots, adjoint au maire chargé du handicap et de la lutte contre toutes les discriminations

 M. Aziz Skalli, conseiller municipal

2.   Deux‑Sèvres, le mercredi 6 septembre 2023

Gendarmerie nationale

– Général Samuel Dubuis, commandant la région de gendarmerie Nouvelle‑Aquitaine et la zone de sécurité Sud-ouest

– Colonel Ludovic Vestieu, commandant du groupement de gendarmerie des Deux‑Sèvres

Élus locaux

– M. Julien Chassin, maire de Sainte Soline

– M. François Brossard, maire de Vanzay

– M. Thierry Boudaud, président de la Coopérative de l’eau des Deux‑Sèvres

Préfecture des DeuxSèvres

 Mme Emmanuelle Dubée, administratrice de l’État, préfète des Deux‑Sèvres, et Mme Sophie Pages, directrice de cabinet

Chambre d’agriculture

– M. Jean Marc Renaudeau, président de la chambre d’agriculture

– M. Nicolas Touchard, directeur de la FDSEA des Deux-Sèvres

Table ronde des organisations représentatives agricoles

– M. Thierry Bernier, président de la section bovine FNSEA 79

– M. Denis Mousseaux, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles des Deux‑Sèvres et de Nouvelle‑Aquitaine

– M. Shayna Darak, président des Jeunes agriculteurs des Deux‑Sèvres

– M. Michel Germond, président de la Coordination rurale des Deux‑Sèvres

– Mme Hélène Dupont, animatrice régionale de la Coordination rurale en Poitou-Charentes

 

 

 


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ANNEXE  3 :
Liste des contributions écrites

(Par ordre chronologique)

Les réponses sont présentées dans l’ordre chronologique des organisations ayant répondu aux questionnaires du rapporteur de la commission d’enquête.

– Twitter (*)

– France Assureurs (fédération française de l’assurance – FFA) (*)

– Ministère de l’agriculture

– France Nature Environnement (*)

– M. Dean Lewis, président de l’Université de Bordeaux

– Tracfin

– Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères :

– Ambassade de France en Allemagne

– Ambassade de France en Belgique

– Ambassade de France en Espagne

– Ambassade de France en Grèce

– Ambassade de France en Italie

– Ambassade de France au Royaume-Uni

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 

 

 


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   ANNEXE N° 4 :
Lettre du garde des Sceaux

 

 

 

 


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ANNEXE N° 5 :
Étude comparative du maintien de l’ordre en Europe

LOGO BLEU AN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

LIBERTÉ-ÉGALITÉ-FRATERNITÉ

                                                                          

DIRECTION DES AFFAIRES EUROPÉENNES,
INTERNATIONALES ET DE DÉFENSE

Division des Assemblées parlementaires internationales
et des questions multilatérales

Paris, le 15 septembre 2023

Doctrine et outils du maintien de l’ordre
dans six pays de l’Union européenne 

Synthèse

La présente synthèse expose les réponses transmises, dans le cadre du CERDP ([685]), par les assemblées parlementaires des États suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Canada, Espagne, Finlande, Hongrie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Suède.

Neuf points sont présentés successivement dans cette synthèse :

1.– Le cadre légal et réglementaire : élaboration, contrôle et révisions périodiques

2.– L’évaluation du cadre légal et réglementaire 

3.– Le rôle du Parlement

4.– Les mesures privatives de liberté analogues à la garde à vue 

5.– Les nouvelles technologies employées par les forces de l’ordre

6.– Les moyens administratifs et judiciaires de surveillance des individus et des groupuscules auteurs de violence ou constituant un risque probable pour la sécurité publique 

7.– Les interdictions de paraître sur le lieu d’une manifestation ou d’un rassemblement 

8.– Les peines d’interdiction de manifester

9.– Les interdictions administratives de manifester

  1.   Le cadre légal et réglementaire : élaboration, contrôle et révisions périodiques

État

Réponse

Allemagne

Le maintien de l’ordre est assuré dans le cadre d’un État fédéral dans lequel les Länder ont récupéré une partie de cette compétence.

En effet, dans le cadre de la réforme du fédéralisme (Föderalismusreform) adoptée en 2006, la Loi fondamentale pose une compétence de principe des Länder. Berlin conserve certaines compétences (lutte contre le terrorisme, contre-espionnage, police des frontières) ainsi qu’une capacité d’intervention en soutien par la police fédérale pour un Land qui serait dépassé par certaines situations.

Il est significatif que la réponse du Parlement allemand ait émané du Bundesrat et non du Bundestag.

La question demeure sensible notamment pour des raisons historiques (la république de Weimar a été fragilisée dès sa naissance par des manifestations violentes ; l’après-guerre a été marquée par des mouvements radicaux de contestation). Si les libertés publiques doivent être protégées les pouvoirs publics doivent garantir l’« ordre constitutionnel libre et démocratique » dans le cadre de ce qui est qualifié de « démocratie militante » (« wehrhafte Demokratie »).

● Le maintien de l’ordre est un domaine fortement encadré :

– Par la loi fondamentale

L’article 8 dispose que : « Tous les Allemands ont le droit de se réunir paisiblement et sans armes, sans déclaration ni autorisation préalables. En ce qui concerne les réunions en plein air, ce droit peut être restreint par une loi ou sur le fondement d’une loi ».

Par ailleurs le même texte proclame en son article 20 un droit de résistance du citoyen  Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre constitutionnel, s’il n’y a pas d’autre remède possible »).

– Par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel

Depuis sa décision Brokdorf (1985) le Tribunal applique une jurisprudence constante pour assurer la pleine effectivité du droit à manifester. Il avait statué sur le déroulement en 1981 d’une manifestation anti-nucléaire dans la commune de Brokdorf. Les autorités locales avaient interdit la manifestation avant de la réprimer brutalement. Le tribunal, dans cette décision de principe, a posé que : « Le droit des citoyens de prendre part, au moyen de la liberté de réunion, de manière active à la formation de la volonté et de l’opinion politiques relève des éléments fonctionnels indispensables à toute communauté démocratique ».

Par conséquent le Tribunal a souligné le caractère constitutionnellement protégé de toute forme d’action (y compris les blocages ou sit-in, ou les manifestations non déclarées), dès lors que l’intention des organisateurs ne réside pas dans la volonté de détruire.

– Par la loi ordinaire

Plusieurs textes ont précisé les modalités de manifestation comme la loi sur les rassemblements et les défilés (Versammlungsgesetz) du 24 juillet 1953 qui fixe le cadre général :

– L’article 1er fixe un principe (« Toute personne a le droit d’organiser des réunions et des cortèges publics et de participer à de telles manifestations ») assorti de limitations (« N’a pas ce droit : celui qui a perdu le droit fondamental à la liberté de réunion, celui qui par l’organisation ou la participation à une telle manifestation entend promouvoir les objectifs d’un parti déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle (…) »).

– L’article 2 impose une obligation de déclaration préalable.

https://www.gesetze-im-internet.de/versammlg/BJNR006840953.html

Une loi de 1985 a prohibé l’armement dit « passif » (protections corporelles) et la dissimulation du visage pour les manifestants.

Une loi de 1989 a autorisé les forces de l’ordre à filmer et photographier les manifestants, tout en durcissant les peines prévues pour infractions en manifestation.

S’il n’existe pas, comme en France, un schéma national du maintien de l’ordre force est de constater l’existence d’une doctrine de désescalade (Deeskalationsstrategie) en ce domaine, qui découle fortement de la position des juridictions.

Ainsi les forces de police ont l’obligation d’agir de manière « amicales » à l’endroit des manifestations annoncées ou en cours (versammlungsfreundlich). La jurisprudence constante a posé à l’égard des forces de police une obligation de coopération avec les manifestants.

Des équipes policières sont formées en Kommunikationsteams et renseignent les manifestants sur l’itinéraire, les formalités, les attentes des autorités policières ou encore les raisons pour lesquelles une banderole vient d’être saisie ou des manifestants interpellés.

On notera que chaque Land applique cette doctrine en fonction de la manifestation et des traditions politiques locales. Ainsi, semblent coexister en Allemagne deux stratégies : une « Berliner Linie » (une ligne berlinoise), centrée sur la doctrine de la désescalade, et une « Hamburger Linie » reposant sur une méthode plus proche de celle retenue en France.

Autriche

Le maintien de l’ordre est assuré dans le cadre d’un État provincial (fédéral), et les provinces peuvent adapter à la marge ce cadre.

Tout rassemblement doit être déclaré 48 heures avant son début auprès des autorités de la province.

En règle générale, une évaluation des risques et une évaluation opérationnelle sont effectuées.

Belgique

L’article 26 de la Constitution dispose que : « Les Belges ont le droit de s’assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l’exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable. Cette disposition ne s’applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police ».

Le maintien de l’ordre public est une des missions de la police comme le précise l’article 1er de la loi du 5 août 1992 sur la police qui dispose que : « Les services de police accomplissent leurs missions sous l’autorité et la responsabilité des autorités désignées à cette fin par la loi. Dans l’exercice de leurs missions de police administrative ou judiciaire, les services de police veillent au respect des libertés et des droits individuels, ainsi qu’au développement démocratique de la société. Pour accomplir leurs missions, ils n’utilisent les moyens de contrainte que dans les conditions prévues par la loi ».

La gestion des manifestations repose, depuis les années 90 sur le concept de gestion négociée de l’espace public (GNEP). Cette approche a été formalisée dans une circulaire du ministre de l’Intérieur du 11 mai 2011. Elle repose notamment sur la communication et la négociation entre les manifestants et les autorités. Concrètement chaque circonscription de police comprend un service GNEP chargé spécifiquement d’émettre des avis et de préparer et coordonner les événements sur le terrain.

Dans un récent rapport (La Gestion Négociée de l’Espace Public et le concept de New Way of Protesting - 2022), l’Inspection générale de la police a montré que la GNEP était confrontée à des formes nouvelles de manifestation

https://www.aigpol.be/sites/aigpol/files/downloads/20220301-AIG-IGIN-GNEP%20et%20NWoP-R%C3%A9trospectif%20et%20futur.pdf

https://www.polizei.be/5998/de/nachrichten/gestion-des-foules-des-pratiques-en-constante-mutation

On relève qu’il existe plusieurs instances de contrôle comme le Comité permanent de contrôle des services de police. Ce dernier a exercé une fonction de contrôle à l’occasion de certains événements d’ordre public, que ce soit préventivement (par l’envoi en toute transparence d’observateurs dans le dispositif policier et dans le public) ou a posteriori par la réalisation d’une enquête de contrôle.

Le contrôle est également assuré par l’Inspection générale de la police fédérale et de la police locale.

Canada

La Loi sur les mesures d’urgence de 1988 traite pour partie de ces questions.

https://www.canada.ca/fr/ministere-justice/nouvelles/2022/02/la-loi-sur-les-mesures-durgence-du-canada.html

Par ailleurs, il existe plusieurs documents recensant les meilleures pratiques dans le domaine du maintien de l’ordre.

Par exemple, en 2019, l’association canadienne des chefs de police a publié le « Cadre national pour la préparation des services de police aux manifestations et aux rassemblements ».

https://www.cacp.ca/comit%C3%A9-de-l%E2%80%99accp-sur-les-services-de-police-des-premi%C3%A8res-nations-des-m%C3%A9tis-et-des-inuits.html?asst_id=2095

Espagne

Le droit de manifester est encadré par l’article 21 de la Constitution qui est ainsi rédigé :

« 1. Le droit de réunion pacifique et sans armes est reconnu. L’exercice de ce droit n’exigera pas une autorisation préalable.

« 2. Les autorités seront informées préalablement des réunions devant se dérouler dans des lieux de circulation publique et des manifestations ; elles ne pourront les interdire que si des raisons fondées permettent de prévoir que l’ordre public sera perturbé, mettant en danger des personnes ou des biens ».

Par ailleurs, la loi organique 9/1983 du 15 juillet 1983 réglementant le droit de réunion, comprend les dispositions suivantes :

 Article 3.

« 1. Aucune réunion n’est soumise à une autorisation préalable.

« 2. L’autorité gouvernementale protège les réunions et les manifestations contre ceux qui cherchent à empêcher, à perturber ou à compromettre l’exercice légal de ce droit ».

 Article 8

« La tenue de réunions dans des lieux de circulation publique doit être notifiée par écrit à l’autorité gouvernementale correspondante par les organisateurs ou promoteurs de ces réunions, au moins dix jours civils et au plus trente jours civils à l’avance. Dans le cas des personnes morales, la notification est faite par leur représentant.

« Lorsque des causes extraordinaires et graves justifient l’urgence de la convocation et de la tenue de réunions dans des lieux de circulation publique la notification visée au paragraphe précédent peut être faite au moins vingt-quatre heures à l’avance ».

 Article 9

« 1. La notification doit indiquer par écrit

« (a) les nom, prénom(s), adresse et pièce d’identité officielle du ou des organisateurs ou de leur représentant, s’il s’agit d’une personne morale, en précisant également la dénomination, la nature et l’adresse de cette dernière.

« (b) Lieu, date, heure et durée prévue.

« (c) l’objet de la manifestation

« (d) l’itinéraire prévu, où la circulation est prévue sur les voies publiques

« (e) les mesures de sécurité prévues par les organisateurs ou demandées par l’autorité gouvernementale.

« 2. L’autorité gouvernementale communique à la mairie concernée les informations contenues dans la notification écrite, sauf en cas d’appel urgent tel que prévu au deuxième alinéa de l’article précédent, afin que celle-ci puisse faire rapport dans les vingt-quatre heures sur les circonstances de l’itinéraire proposé. Si le rapport n’est pas reçu dans ce délai, il est réputé favorable. Le rapport doit se référer à des raisons objectives telles que l’état des lieux où la manifestation doit se dérouler, la concomitance avec d’autres manifestations, les conditions de sécurité des lieux conformément à la réglementation en vigueur et d’autres raisons techniques similaires. En tout état de cause, le rapport n’est pas contraignant et doit être motivé ».

 Article 10

« Si l’autorité gouvernementale considère qu’il existe des raisons fondées de trouble à l’ordre public, avec un danger pour les personnes ou les biens, elle peut interdire la réunion ou la manifestation ou, le cas échéant, proposer la modification de la date, du lieu, de la durée ou de l’itinéraire de la réunion ou de la manifestation. La décision doit être adoptée de manière motivée et notifiée dans un délai maximum de soixante-douze heures à compter de la notification prévue à l’article 8, conformément aux exigences établies dans la loi 30/1992, du 26 novembre, relative au régime juridique des administrations publiques et à la procédure administrative commune ».

L’article 23 de la loi organique 4/2015 du 30 mars 2015 sur la protection de la sécurité des citoyens, détaille également les pouvoirs des forces de sécurité en ce qui concerne les réunions et les manifestations :

« 1. Les autorités visées par la présente loi adopteront les mesures nécessaires pour protéger la tenue de réunions et de manifestations, en évitant de perturber la sécurité publique.

Elles peuvent également décider d’interrompre les réunions dans les lieux de circulation publique et les manifestations dans les cas prévus à l’article 5 de la loi organique 9/1983, du 15 juillet, régissant le droit de réunion.

Elles peuvent également interrompre les rassemblements de véhicules sur les voies publiques et les enlever, ainsi que tout autre type d’obstacle, lorsqu’ils gênent, mettent en danger ou entravent la circulation sur ces voies.

« 2. Les mesures d’intervention visant à maintenir ou à rétablir la sécurité publique lors de réunions et de manifestations doivent être graduelles et proportionnées aux circonstances. La dispersion des réunions et des manifestations est le dernier recours.

« 3. Avant d’adopter les mesures visées à l’article précédent, les unités d’intervention des forces et corps de sécurité notifieront ces mesures aux personnes concernées, et pourront le faire verbalement si l’urgence de la situation l’exige.

En cas d’atteinte à la sécurité publique au moyen d’armes, d’engins explosifs ou d’objets contondants ou autrement dangereux, les forces de sécurité peuvent interrompre la réunion ou la manifestation ou enlever les véhicules et les obstacles sans avertissement préalable ».

Finlande

Le droit de manifester est inscrit dans plusieurs dispositions de la Constitution :

 Article 12

« Chacun dispose de la liberté d’expression. La liberté d’expression comprend le droit de s’exprimer, de publier et de recevoir des informations, des opinions et d’autres messages, sans en être empêché à l’avance par quelque personne que ce soit ».

 Article 13

« Chacun a le droit d’organiser des réunions et des manifestations, ainsi que d’y participer, sans demander d’autorisation. (…) Les modalités plus précises relatives à l’exercice de la liberté de réunion et d’association sont fixées dans une loi. ».

L’article 17 de la loi sur la liberté de réunion de 1999 dispose que les organisateurs doivent veiller au maintien de l’ordre et de la sécurité et au respect de la loi lors de la manifestation.

L’article 19 de cette loi dispose que la police a le devoir de protéger l’exercice de la liberté de réunion.

L’article 7 de cette loi dispose que lorsqu’une réunion publique doit être organisée dans un lieu public, l’organisateur doit en informer la police locale oralement ou par écrit au moins 24 heures avant le début de la réunion. Une notification ultérieure peut également être considérée comme valable si l’organisation de la réunion n’entraîne pas de perturbation significative de l’ordre public. Toutefois, il convient de préciser que, selon le Comité de droit constitutionnel, le non-respect de cette obligation de notifier la manifestation à la police locale ne donne pas en soi à la police des raisons de mettre fin à une manifestation.

Le respect de l’obligation susmentionnée d’informer la police locale d’une réunion publique organisée en plein air dans un lieu public est dans l’intérêt de l’organisateur de la réunion. L’article 10 de la loi sur l’Assemblée contient des dispositions sur l’autorité de la police à émettre des ordres sur le lieu d’une réunion publique.

Il n’existe donc pas de document général dans le domaine du maintien de l’ordre.

Hongrie

L’article 7 de la loi de 2018 sur le droit de réunion dispose que la police est « chargée d’assurer la tenue pacifique des rassemblements, de maintenir l’ordre public de prendre les mesures appropriées pour empêcher les tiers de perturber le rassemblement ».

L’article 11 de cette loi dispose que la tenue de toutes les réunions publiques dans les lieux publics doit être notifiée au service de police compétent au moins 48 heures à l’avance. La seule exception concerne les rassemblements spontanés, pour lesquels aucune notification n’est nécessaire.

La décision contient, entre autres, les conditions de sécurité liées à la tenue du rassemblement et à la protection de la sécurité publique, de l’ordre public ou des droits et libertés d’autrui, ainsi que les règles de sécurité nécessaires au déroulement du rassemblement en toute sécurité.

Il n’existe pas de document général en ce domaine.

Pays-Bas

L’article 9 de la Constitution dispose que : « 1. Le droit de se réunir et de manifester est reconnu, sauf la responsabilité de chacun selon la loi. 2. La loi peut fixer des règles en vue de la protection de la santé, dans l’intérêt de la circulation et pour combattre ou prévenir les désordres ».

Les organisateurs de manifestations publiques sont généralement tenus de notifier à l’avance aux autorités municipales compétentes leur intention d’organiser une manifestation. Cette notification permet aux autorités d’évaluer l’impact potentiel sur l’ordre et la sécurité publics.

Sur la base des informations fournies par les organisateurs et de leur consultation avec les différentes parties prenantes, y compris la police, les autorités évalueront les risques potentiels et les exigences en matière de maintien de l’ordre public.

En fonction de l’ampleur et de la nature de la manifestation, un plan de maintien de l’ordre peut être élaboré. Il n’existe pas de détails spécifiques sur ce plan de maintien de l’ordre, et il ne s’agit pas non plus d’une pratique standard pour chaque manifestation. Toutefois, un manuel de la municipalité d’Amsterdam (Handboek Demonstreren Bijkans Heilig) fait autorité en la matière et indique que l’évaluation par les pouvoirs publics devrait comprendre les éléments suivants :

– Une analyse des risques (généralement effectuée par la police).

– Une vue d’ensemble des différents scénarios avec des perspectives d’action.

– L’identification d’autres intervenants tels que les pompiers et les services d’urgence.

Pologne

L’article 7 de la loi du 6 avril 1990 sur la police dispose que le commandant en chef de la police détermine les missions des différents services de police.

En 13 juillet 2020 un plan d’action a été publié sur cette base. Il définit les objectifs et l’organisation des opérations de police.

Portugal

L’article 45 de la Constitution dispose que : « 1. Tous les citoyens ont le droit de se réunir, pacifiquement et sans armes, même dans les lieux ouverts au public, sans qu’aucune autorisation ne soit nécessaire. 2. Le droit de manifester est reconnu à tous les citoyens ».

Ce droit est organisé par la loi 406/74 du 29 août 1974 qui prévoit que les organisateurs d’une manifestation doivent en informer la mairie trois jours à l’avance. Toute objection de la part des autorités doit être communiquée aux organisateurs de la manifestation dans les 24 heures.

Cette loi (et d’autres lois pertinentes en la matière, telles que la loi sur la sécurité intérieure) ne mentionne pas de plan de maintien de l’ordre concernant les manifestations.

Royaume-Uni

Le maintien de l’ordre relève de la compétence des forces de police dans le ressort desquelles se déroule la manifestation.

Un plan individuel doit être élaboré pour chaque manifestation. Chaque circonscription de police dispose de fonctionnaires spécialement formés en matière d’ordre public et de sécurité publique (public order and public safety POPS). Ces commandants POPS sont responsables de la planification et du contrôle des manifestations. Ils sont organisés dans un cadre pyramidale :

– Le commandant en chef « or » est responsable de l’ensemble du maintien de l’ordre dans le cadre de la manifestation et de l’opération de police. C’est lui qui fixe les objectifs stratégiques généraux de l’opération et qui en assure la supervision stratégique.

– Le commandant en chef « argent » définit les paramètres tactiques de l’opération.

– Le commandant opérationnel « bronze » met en œuvre le plan du commandant « argent » en utilisant les tactiques appropriées dans son domaine de responsabilité.

La doctrine du maintien de l’ordre est définie par le College of Policing qui est l’organisme en charge de la définition des normes dans les services de police en Angleterre et au Pays de Galles.

Suède

L’article 1er de la Constitution dispose que : « Tout citoyen, dans ses relations avec l’autorité publique, jouit des droits et libertés suivants : (…) 4. La liberté de manifestation : c’est-à-dire la liberté d’organiser ou de participer à une manifestation dans un lieu public ».

Les rassemblements publics, tels que les manifestations, sont régis par la loi sur l’ordre public de 1993.

Il n’existe pas de cadre général mais des décisions prises en fonction des circonstances.

  1.   Révisions périodiques du cadre légal et réglementaire 

État

Réponse

Allemagne

Le cadre juridique est fortement conditionné par la loi fondamentale. Par conséquent on note une certaine stabilité des dispositions législatives et réglementaires dans le domaine de l’ordre public

Autriche

Le cadre juridique du maintien de l’ordre et de la sécurité publics est régulièrement évalué afin de refléter les changements dans les tactiques et autres pratiques lors des rassemblements.

Belgique

Le concept de « gestion négociée de l’espace public » (GNEP), né dans les années 90, est confronté à de nouvelles formes de protestations et de manifestations. Par conséquent les services de police ne parviennent plus à identifier les organisateurs.

Dans un discours du 6 novembre 2020, le ministre de l’Intérieur a déclaré : « La GNEP doit reposer sur une concertation préalable entre les différents partenaires. La police doit cependant faire face à des difficultés sur ce point, en raison de nouveaux mouvements sociaux présentant la particularité de ne pas avoir de leader ou d’interlocuteur (par exemple, les Gilets jaunes). Parallèlement, les manifestants ont gagné en rapidité grâce à l’utilisation des réseaux sociaux. La police devrait pouvoir intervenir de manière plus rapide et plus mobile dans son action. Il est essentiel de développer une nouvelle approche policière en matière de préparation et de gestion de ces nouveaux modes de protestation, et ce dans le respect de la philosophie de la gestion négociée de l’espace public. Il conviendra dès lors d’adapter toutes les facettes de la gestion opérationnelle des événements aux nouvelles formes de protestation. Il s’agit notamment de la collecte d’informations, de l’analyse des risques, de l’engagement de capacité, des techniques et tactiques policières, de la formation et des entraînements, ainsi que de la communication par des équipes spécialisées ».

Ce travail d’actualisation est encore en cours.

Les services de police, en particulier ceux qui sont déployés en vue du maintien de l’ordre public, s’efforcent d’améliorer leurs procédures dans le cadre d’un benchmarking qui tient compte de l’évolution des situations sur le terrain.

Canada

La Loi sur les mesures d’urgences a été plusieurs modifiée.

Espagne

Le droit de réunion consacré dans la Constitution n’a pas été modifié depuis 1978.

Toutefois le cadre législatif et réglementaire a été plusieurs fois amendé.

Finlande

Le cadre juridique a été modifié pour rendre certaines dispositions plus effectives et plus conforme aux libertés publiques. Le délai de déclaration préalable a ainsi été porté à 24H00 avant le début de la manifestation.

Hongrie

Les lois applicables ont été révisées.

Pays-Bas

Le droit de manifester étant garanti par l’article 9 de la Constitution le cadre juridique évolue peu.

Cependant, en 2017, la loi sur les rassemblements publics a été évaluée et sera probablement modifiée. En effet, plusieurs organisations (comme Amnesty International) ont pointé le caractère peu protecteur des libertés publiques de certaines dispositions comme les articles 5 (possibilité d’interdire les manifestations) et 7 (possibilité de mettre fin aux manifestations). Suite à la modification ces dispositions devraient être plus respectueuses de certains principes comme la motivation et le respect du contradictoire.

Pologne

Le cadre juridique n’a pas fait l’objet de modifications récentes.

Les évolutions reposent plutôt sur des circulaires.

Portugal

La loi 406/74 précitée est antérieure à la Constitution actuelle datant de 1976. Elle n’a pratiquement pas été modifiée à ce jour.

Royaume-Uni

En septembre 2020, le ministre de l’intérieur a demandé à son corps d’inspection (Inspectorate of Constabulary and Fire and Rescue Services - HMICFRS) de déterminer dans quelle mesure la police était en mesure de gérer efficacement les manifestations.

Suite à cette évaluation deux réformes législatives majeures ont été apportées afin de donner à la police davantage de pouvoirs pour mettre fin aux manifestations violentes et de renforcer la réponse de la justice pénale.

Il s’agit de la loi de 2022 sur la police, la criminalité, les peines et les tribunaux (PCSC) et de la loi de 2023 sur l’ordre public (Public Order Act).

Suède

Toute modification du cadre juridique est effectuée par le biais du processus législatif.

  1.   Le rôle du Parlement

État

Réponse

Allemagne

Suite à la réforme du fédéralisme allemand, adopté en 2006, la loi fondamentale a confié aux parlements des Länder la compétence exclusive pour la définition des règles relatives au maintien de l’ordre.

Autriche

Le Parlement autrichien, en tant que législateur fédéral, n’est responsable que du cadre juridique général.

Ce cadre peut être modifié dans chacune des neuf provinces (Bundesländer) qui disposent, outre d’une constitution, d’un parlement (Landtag) qui bénéficie d’une compétence partagée dans certains domaines (énergie, ordre public et sécurité, santé publique, sports et loisirs).

Belgique

Les modifications du cadre réglementaire (arrêtés royaux d’exécution des lois ou des circulaires ministérielles) relèvent de la compétence exclusive du Gouvernement. Ces décisions sont soumises au contrôle parlementaire et peuvent faire l’objet de questions et d’interpellations des députés.

Les modifications du cadre légal (loi sur la fonction de police, loi organisant un service de police intégré, loi communale, etc.) sont soumises au Parlement. Elles peuvent intervenir à la suite d’une initiative du gouvernement (projet de loi) ou d’une initiative parlementaire (proposition de loi).

Le Comité permanent de contrôle des services de police (comité P) et la Commission parlementaire chargée du suivi du Comité permanent P ont un rôle essentiel en matière de contrôle des services de police, y compris de la manière dont ceux-ci gèrent le maintien de l’ordre lors de manifestations. La Commission de suivi instituée au sein de la Chambre des représentants peut charger le Comité P d’examiner certaines thématiques.

Le Comité P a ainsi effectué des enquêtes de contrôle sur le personnel et les moyens disponibles lors d’événements. Le Comité P a également formulé des recommandations en cas d’arrestations administratives à grande échelle, des recommandations à la suite de diverses manifestations (Black Lives Matter et Extinction Rébellion).

Ces enquêtes de contrôle sont réalisées spontanément ou à la demande du Parlement. Elles permettent notamment de formuler des recommandations en termes d’adaptation du cadre légal.

Espagne

Les chambres du Parlement ont les mêmes pouvoirs et compétences en matière de politique de sécurité que dans tout autre domaine législatif.

La Commission des affaires intérieures est chargée d’une mission d’évaluation et de contrôle.

Finlande

L’article 2 de la Constitution dispose que : « L’exercice des pouvoirs publics doit trouver son fondement dans la loi ». Par conséquent le Parlement est responsable du cadre juridique des techniques de maintien de l’ordre utilisées lors des manifestations.

Hongrie

Le Parlement est responsable du cadre juridique des techniques de maintien de l’ordre utilisées pendant les assemblées. Les lois les plus notables sont la Loi LV de 2018 sur le droit de réunion et la Loi XXXIV de 1994 sur la police.

Il assure également une fonction de contrôle et d’évaluation comme en 2006 sur le déroulement des manifestations en septembre-octobre 2006 à Budapest.

Pays-Bas

Le Parlement a modifié certains textes comme la loi sur les municipalités (qui confère au maire des pouvoirs d’urgence), la loi sur la police (interrogatoire, arrestation, demande d’une pièce d’identité, par la police) et le code pénal.

Pologne

Le Parlement est chargé de légiférer et d’exercer un contrôle sur le gouvernement.

Portugal

Le Parlement est responsable du cadre juridique. Il assure également une fonction de contrôle et d’évaluation.

Royaume-Uni

Le Parlement est responsable de l’élaboration de la législation primaire (« lois du Parlement »).

Par ailleurs, le Parlement évalue les techniques de maintien de l’ordre utilisées lors des manifestations. Il le fait en débattant, en posant des questions écrites et orales au Gouvernement et en s’appuyant sur le travail d’investigation des commissions. Par exemple les modalités du maintien de l’ordre lors du couronnement du roi Charles III le 6 mai 2023 a fait l’objet de travaux de la part de la commission spéciale des affaires intérieures (Home Affairs Select Committee).

Suède

Le Parlement fixe le cadre juridique.

Cependant, l’évaluation de l’autorité de police est principalement menée par d’autres organes tels que l’Office national d’audit (indépendant du Riksdag) et le médiateur parlementaire. Le médiateur parlementaire a pour mission d’examiner la mise en œuvre des lois et autres réglementations dans le secteur public au nom du Riksdag et indépendamment du pouvoir exécutif.

  1.   Les mesures privatives de liberté analogues à la garde à vue 

État

Réponse

Allemagne

L’article 104 de la Loi fondamentale (Garanties juridiques en cas de détention) est ainsi rédigé :

« (1) La liberté de la personne ne peut être restreinte qu’en vertu d’une loi formelle et dans le respect des formes qui y sont prescrites. Les personnes arrêtées ne doivent être maltraitées ni moralement, ni physiquement.

« (2) Seul le juge peut autoriser la privation de liberté et sa prolongation. Lorsqu’une privation de liberté n’a pas été ordonnée par un juge, une décision juridictionnelle devra être sollicitée sans délai. De sa propre autorité, la police ne saurait détenir une personne sous sa garde au-delà du jour qui suit son arrestation. Les modalités devront être réglées par la loi.

« (3) Toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale et provisoirement détenue pour cette raison doit être conduite, au plus tard le lendemain de son arrestation, devant un juge qui doit lui notifier les motifs de l’arrestation, l’interroger et lui donner la possibilité de formuler ses objections. Le juge doit sans délai, soit délivrer un mandat d’arrêt écrit et motivé, soit ordonner la mise en liberté.

« (4) Toute décision juridictionnelle ordonnant ou prolongeant une privation de liberté doit être portée sans délai à la connaissance d’un parent de la personne détenue ou d’une personne jouissant de sa confiance ».

Les principales dispositions relatives à la garde à vue figurent dans le code de procédure pénale.

Elles sont reprises et précisées par les lois des Länder relatives à la police.

Autriche

Le code de procédure pénale (CPP) dispose que l’arrestation d’une personne doit être ordonnée par l’autorité de poursuite sur la base de l’approbation du tribunal.

Les conditions préalables à une arrestation sont une forte présomption d’infraction, une base légale pour l’arrestation, et la proportionnalité de l’intervention.

La loi précise les motifs d’arrestation : situation flagrant délit ou immédiatement après, risque de fuite, risque de falsification des preuves et risque de commission ou d’exécution d’un crime.

Dans cette hypothèse la détention doit durer le moins longtemps possible : au maximum 96 heures. Elle prend fin soit avec la libération de l’accusé, soit une détention préventive.

Belgique

Le droit belge connaît deux mesures privatives de liberté :

 L’arrestation administrative (articles 31 et suivants de la loi précitée sur la police)

Les fonctionnaires de police peuvent, en cas d’absolue nécessité, procéder à l’arrestation administrative notamment de personnes qui perturbent effectivement la tranquillité publique ou de personnes qui commettent une infraction qui met gravement en danger la tranquillité ou la sécurité publiques, afin de faire cesser cette infraction.

La privation de liberté ne peut jamais durer plus longtemps que le temps requis par les circonstances qui la justifient et ne peut en aucun cas dépasser douze heures.

En cas de concours d’une arrestation judiciaire et d’une arrestation administrative, la privation de liberté ne peut durer plus de quarante-huit heures. L’arrestation administrative est effectuée après notification et sous le contrôle d’un officier de police administrative. L’autorité administrative locale (le bourgmestre) en est informée, également en sa qualité d’officier de police administrative.

Un procès-verbal doit être établi, mentionnant avec précision le contexte et les circonstances des événements et des arrestations, les conséquences de la mesure et toute autre information utile justifiant la mesure (fouilles, saisies, détention de biens, etc.). L’arrestation doit également être mentionnée dans le registre des arrestations.

L’Organe de contrôle de l’information policière (COC) a une mission de contrôle et de suivi en ce domaine.

 L’arrestation judiciaire (articles 16 et suivants de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive)

Sur la base de l’article 12, alinéa 3, de la Constitution, hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les quarante-huit heures.

Il s’ensuit que seul le juge d’instruction peut notifier personnes soumises à sa juridiction, un mandat d’arrêt soit sur réquisition du ministère public, soit d’office. L’arrestation judiciaire n’est permise qu’en cas de délit ou de crime. Seul un fait de nature à entraîner, pour l’inculpé, un emprisonnement correctionnel principal d’un an ou une peine plus grave peut fonder la délivrance d’un mandat d’arrêt. La délivrance du mandat d’arrêt doit être une nécessité absolue pour la sécurité publique.

Canada

Le Code Criminel comprend une Partie XVI intitulée « Mesures concernant la comparution d’un prévenu devant un juge de paix et la mise en liberté provisoire ».

Sous réserve des autres dispositions du code, le policier qui arrête une personne avec ou sans mandat la fait conduire devant un juge de paix.

Espagne

L’article 17 de la Constitution est ainsi rédigé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sinon en application des dispositions du présent article, et dans les cas et selon la forme prévue par la loi.

« 2. La garde à vue ne peut durer que le temps strictement nécessaire à la réalisation des recherches tendant à l’établissement des faits, et, en tout cas, dans le délai maximum de soixante-douze heures, le détenu sera remis en liberté ou mis à la disposition de l’autorité judiciaire.

« 3. Toute personne détenue est informée immédiatement, et de manière compréhensible pour elle, de ses droits et des motifs de sa détention, elle ne peut être obligée de témoigner. L’assistance d’un avocat est garantie au détenu dans les enquêtes policières, dans les termes établis par la loi.

« 4. La loi règle la procédure d’habeas corpus pour permettre la mise immédiate à la disposition de la justice de toute personne détenue illégalement. De même, la loi détermine la durée maximale de la détention provisoire ».

Le code de procédure pénale précise les modalités de la détention provisoire ou préventive :

– Le délai général est de 24 heures (article 520).

– Il est porté à 72 heures en cas d’infractions commises par des bandes armées (article 520 bis).

– Le délai maximum sera de 24 heures dans le cas d’une personne détenue mineure.

L’article 20 de la loi organique 1/1992 du 21 février 1992, sur la sécurité des citoyens permet la rétention d’une personne : les forces de sécurité peuvent exiger des personnes qui ne peuvent pas s’identifier qu’elles les accompagnent dans des locaux proches dans le seul but de permettre leur identification et « pendant le temps nécessaire » pour atteindre cet objectif.

La Cour constitutionnelle a reconnu la constitutionnalité de cette durée.

Finlande

La loi sur les mesures coercitives (806/2011) encadre les mesures de la garde à vue.

L’article 1er dispose qu’un officier de police peut, dans le but d’élucider une infraction, appréhender un suspect de l’infraction qui est pris sur le fait ou tente de s’échapper.

Hongrie

La loi XXXIV de 1994 sur la police détermine les cas dans lesquels un officier de police doit ou peut placer une personne en « détention de courte durée » dans un poste de police.

La police peut restreindre la liberté d’une personne par le biais d’une détention de courte durée pour un maximum de 8 heures, période qui peut être prolongée une fois pour 4 heures supplémentaires, uniquement si le but recherché par le biais de la détention de courte durée ne peut être atteint pendant cette période. La période de détention de courte durée commence au moment où la mesure de police est exécutée.

Il existe un type particulier de détention de courte durée lorsque la personne ne peut ou ne veut pas s’identifier. Dans ce cas, la police peut placer la personne en « détention pour des raisons de sécurité publique » pour une durée maximale de 24 heures (article 38).

Pays-Bas

La procédure est la suivante :

 Enquête et interrogatoire (Onderzoek en verhoor)

Après l’arrestation d’un suspect, celui-ci peut être détenu au poste de police pour y être interrogé. L’objectif est d’obtenir des éléments sur les faits et d’établir l’identité du suspect. Le suspect peut être détenu pendant 9 heures au maximum à cette fin.

– Garde à vue (Inverzekeringstelling)

Après les 9 premières heures, le suspect peut être amené à rester plus longtemps au poste de police dans l’intérêt de l’enquête. Le procureur en décide. La détention, qui dure trois jours, peut être ordonnée pour les infractions moyennes et graves et peut être prolongée une fois pour trois jours. La détention provisoire peut alors suivre.

– Détention provisoire (Voorlopige hechtenis)

Si le procureur souhaite que le suspect reste plus longtemps en détention provisoire, il demandera au juge d’instruction de délivrer un mandat de dépôt.

Ce juge peut décider que le suspect peut être détenu pendant un maximum de quatorze jours supplémentaires.

La loi énumère plusieurs conditions à remplir. Par exemple, il doit y avoir un soupçon de crime pour lequel la détention provisoire est autorisée et il doit y avoir des objections sérieuses à l’encontre du suspect.

Si le juge d’instruction décide que le suspect sera détenu plus longtemps, une période appelée détention provisoire commence.

Pendant la détention provisoire, le suspect a le droit d’être assisté d’un avocat commis d’office, s’il le souhaite.

L’avocat peut contester la détention au nom du suspect.

Si les 14 jours de détention provisoire ont expiré et que le procureur souhaite la prolonger à nouveau, il se rendra à la chambre du conseil du tribunal, qui se compose de trois juges. La chambre du conseil peut délivrer un ordre de détention pour un maximum de 90 jours au total. Après une période de 90 jours, l’affaire pénale doit être portée devant le tribunal. Si nécessaire, le tribunal peut décider de prolonger à nouveau la détention provisoire de 90 jours.

Tout au long de cette procédure, le suspect a les droits suivants :

– le droit de connaître l’infraction qu’il est soupçonné d’avoir commise ;

– le droit de garder le silence ;

– le droit de s’entretenir confidentiellement avec un avocat avant le (premier) interrogatoire ;

– le droit à la présence d’un avocat pendant l’interrogatoire.

Pologne

Le code de procédure pénale prévoit l’existence d’une garde à vue consistant en une privation temporaire de liberté.

La garde à vue ne peut excéder 48 heures, pendant lesquelles le détenu doit être mis à la disposition du tribunal, qui doit décider dans les 24 heures s’il y a lieu d’appliquer la détention provisoire.

Le détenu doit être libéré s’il n’est pas remis au tribunal dans les 48 heures suivant sa mise en détention ou si une ordonnance de détention provisoire ne lui est pas délivrée dans les 24 heures suivant sa remise au tribunal.

Il doit également toujours être libéré immédiatement si le motif de sa détention cesse d’exister. La mise en liberté doit également se faire sur ordre du tribunal ou du procureur.

Portugal

Les articles 254 à 261 du code de procédure pénale disposent qu’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale peut être détenue par la police pendant la durée strictement nécessaire, mais ne peut jamais être détenue plus de 48 heures sans être présentée à un juge.

Cette détention (detenção) par la police, sans l’intervention d’une autorité judiciaire, est seulement possible :

– si la personne est prise en flagrant délit de crime (flagrante delicto) ;

– ou si la personne n’est pas prise en flagrant délit, lorsque : (a) il s’agit d’un cas dans lequel la détention provisoire est admissible ; (b) il y a des raisons de craindre la fuite ou la poursuite de l’activité criminelle ; (c) il n’est pas possible, compte tenu de la situation d’urgence et du risque de retard, d’attendre l’intervention de l’autorité judiciaire.

La détention provisoire (prisão preventiva) est ordonnée par le tribunal et s’applique à une personne soupçonnée d’avoir commis un crime passible d’une peine d’emprisonnement de plus de cinq ans (ou de trois ans s’il s’agit de terrorisme ou de crime violent ou organisé), lorsque les autres mesures préventives ne sont pas jugées suffisantes ou adéquates.

La détention provisoire est généralement limitée à quatre mois, mais certaines circonstances et certains types de crimes permettent de la prolonger.

Royaume-Uni

La police dispose de pouvoirs, définis dans les parties IV et V de la loi de 1984 sur la police et les preuves judiciaires (Police and Criminal Evidence Act 1984 - PACE), pour détenir les personnes qu’elle a arrêtées parce qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis un délit. La police détient les personnes dans des locaux de garde à vue qui sont normalement situés dans les grands commissariats de police.

Les personnes arrêtées ne peuvent normalement pas être détenues plus de 24 heures sans être inculpées. Toutefois, si l’infraction dont elles sont soupçonnées est grave, un officier de police supérieur (du grade de superintendant ou plus) peut autoriser le maintien en détention d’un suspect pour une durée supplémentaire de 12 heures. Toute détention au-delà de 36 heures nécessite l’autorisation des tribunaux. Dans des circonstances exceptionnelles, les tribunaux peuvent autoriser la détention d’un suspect sans inculpation pour une durée maximale de quatre jours.

Suède

Lorsque la police arrête une personne soupçonnée d’un crime, l’arrestation est signalée au procureur. Après le premier interrogatoire, le procureur décide si la personne doit rester en détention ou être libérée.

Si le suspect reste en détention, le procureur doit alors, conformément au code de procédure pénale, soumettre la demande de détention provisoire au tribunal avant midi le troisième jour suivant la décision d’arrestation. Le tribunal dispose de 96 heures à compter de l’arrestation pour tenir l’audience.

Si le procureur ne soumet pas la demande d’arrestation dans le délai imparti, le suspect est libéré. Les décisions d’arrestation et de détention exigent normalement que le suspect soit soupçonné, pour des raisons probables, d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins un an. En outre, il faut normalement qu’il y ait un risque que la personne se cache ou prenne la fuite, qu’elle poursuive ses activités criminelles ou qu’elle entrave l’enquête, par exemple en supprimant des preuves. S’il existe un risque que le suspect entrave l’enquête en contactant des victimes ou des témoins, le procureur peut décider de limiter les contacts du suspect avec le monde extérieur pendant sa détention.

 

  1.   Les nouvelles technologies employées par les forces de l’ordre (drones, reconnaissance faciale, marquages chimiques)

 

État

Réponse

Allemagne

Selon la jurisprudence des tribunaux administratifs et constitutionnels, la production d’enregistrements, même sans stockage, constitue toujours une violation potentielle du droit à l’autodétermination et nécessite donc une base légale.

Selon une jurisprudence désormais établie, il n’y a aucune différence entre des enregistrements individuels ou des enregistrements d’ensemble, car grâce à l’utilisation de la technologie numérique, des personnes peuvent en principe également être identifiées.

De telles atteintes aux droits fondamentaux peuvent être justifiées dans la mesure où les conditions préalables sont définies par plusieurs lois (loi sur la police, loi sur les réunions, code de procédure pénale).

La police peut réaliser des enregistrements vidéo et audio de personnes ou d’un rassemblement afin d’éviter une atteinte à la sécurité publique.

Les lois sur les réunions des Länder contiennent des dispositions explicites sur les exigences en matière de transmission ou d’enregistrement d’images lors de manifestations.

Certains Länder, font le choix de ne pas utiliser, ou d’utiliser une partie seulement des technologies disponibles (drones, reconnaissance faciale, marquages chimiques).

Autriche

L’article 118 du code de procédure pénale (CCP) dispose que la vérification de l’identité d’une personne est autorisée si cette personne est soupçonnée d’une infraction pénale, si elle possède des informations essentielles pour élucider l’infraction ou si elle a laissé des traces sur le lieu de l’infraction ou sur des objets qui auraient pu être utilisés pour commettre l’infraction.

Toutefois, l’utilisation de moyens techniques (drones, marqueurs chimiques ou reconnaissance faciale) pour vérifier l’identité d’une personne n’est pas explicitement prévue par le code de procédure pénale.

Les drones sont utilisés dans le cadre d’opérations de police, notamment à des fins de documentation ou de surveillance (événements majeurs, opérations de recherche)

Les marqueurs chimiques pour l’identification des délinquants violents ne sont pas utilisés pour la police autrichienne et n’ont pas de base légale.

Les systèmes de reconnaissance faciale ne peuvent être envisagés que pour les infractions relevant du droit pénal (infraction intentionnelle). Ils ne sont utilisés qu’à un niveau policier supérieur (directions provinciales de la police, Service autrichien de renseignement criminel).

Belgique

La loi précitée sur la fonction de police fixe le cadre dans lequel les forces de police peuvent utiliser des caméras (utilisation visible ou non-visible de caméras).

L’Organe de contrôle de l’information policière a notamment pour mission de contrôler l’utilisation des caméras par les services de police. Cette structure est l’institution parlementaire fédérale autonome en charge de la surveillance de la gestion de l’information policière, et est l’autorité de protection des données pour la police intégrée, l’unité d’information des passagers et l’inspection générale de la police fédérale et de la police locale.

https://www.organedecontrole.be/

Sur la base des articles 25/6 et 46/12 de la loi précitée sur la fonction de police, les informations et données à caractère personnel collectées au moyen de caméras non visibles peuvent être enregistrées et conservées pour une durée n’excédant pas douze mois à compter de leur enregistrement. Les principes du règlement général sur la protection des données à caractère personnel doivent être respectés.

Les drones

Les services de police sont autorisés à utiliser des drones dans le cadre de l’exécution de leurs missions légales, pour autant qu’ils répondent à certaines conditions :

– La ou les caméra(s) montée(s) sur le drone sont considérées comme des caméras « mobiles », selon la définition de la loi précitée sur la fonction de police. La mise en œuvre de ces caméras est soumise à une autorisation préalable par les autorités responsables. La délivrance de cette autorisation s’appuie sur les finalités et les modalités d’utilisation de ces caméras. De plus, une analyse d’impact et de risques de la protection de la vie privée est effectuée, notamment quant aux catégories de données à caractère personnel traitées, à la proportionnalité des moyens mis en œuvre, aux objectifs opérationnels à atteindre et à la durée de conservation des données nécessaire pour atteindre ces objectifs.

– Une modalité d’utilisation particulièrement importante consiste dans le caractère visible ou non-visible de la caméra lors de son utilisation. Les conditions de mise en œuvre de caméras non-visibles sont plus strictes que celles des caméras visibles. Pour pouvoir être considérée comme visible, la caméra mobile doit être montée sur un véhicule de police identifiable comme tel. Les drones engagés au cours d’opérations de maintien de l’ordre sont identifiables par l’apposition du logo de la police.

– Une circulaire ministérielle du 8 avril 2022 réglant l’usage de drones par les services de police et de secours détermine, en fonction de la catégorie à laquelle appartient le drone et du type de vol effectué, les règles à respecter par le ou les opérateur(s), notamment au niveau des certificats ou des formations requises pour le(s) télépilote(s), et des analyses de risques spécifiques à réaliser au préalable. Calquées sur la réglementation européenne en vigueur pour l’exploitation civile de drones, les règles énoncées par cette circulaire ministérielle ont pour but de minimiser le risque pour la circulation aérienne ainsi que pour les personnes et les biens au sol.

Les marqueurs chimiques

En l’absence d’une base légale pour l’utilisation de ce moyen technique, les services de police n’utilisent pas de tels marqueurs.

La reconnaissance faciale

Actuellement, il n’existe pas de base légale autorisant les services de police à avoir le recours à ce procédé.

Canada

Les drones

La Gendarmerie Royale du Canada (GRC) et les autres forces de police utilisent les drones pendant les manifestations.

Les marqueurs chimiques 

Ils ne semblent pas être utilisés pour identifier des auteurs de violences pendant des manifestations.

La reconnaissance faciale 

Elle est utilisée mais pas dans le contexte de manifestation.

On notera que la Chambre des communes (Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique) a fait part de ses réserves sur cette technologie.

En février 2023 le Gouvernement a indiqué « prendre acte de la recommandation du Comité au sujet d’un moratoire sur l’utilisation de la reconnaissance faciale par les services de police fédéraux ». Une future évolution du cadre législatif est donc probable.

https://www.ourcommons.ca/content/Committee/441/ETHI/GovResponse/RP12190465/441_ETHI_Rpt06_GR/MinisterOfInnovationScienceAndIndustry-f.pdf#page=17

Espagne

Le cadre juridique repose actuellement sur :

– la loi organique 4/1997 du 4 août 1997 sur l’utilisation de caméras vidéo par les forces de sécurité dans les lieux publics ;

– le décret royal 1036/2017 du 15 décembre 2017 réglementant l’utilisation civile des aéronefs pilotés à distance. Ce règlement contient de brèves références à la question des drones lorsqu’ils sont utilisés par les forces de sécurité de l’État ;

– les drones et caméras corporelles sont utilisés. Mais pas les marquages chimiques. Quant à la reconnaissance faciale elle est utilisée uniquement pour la police aux frontières (notamment sur certaines zones du royaume comme Ceuta et Melilla).

Finlande

La surveillance technique est régie par le chapitre 4 de la loi sur la police. La loi définit la surveillance technique comme la surveillance visuelle ou sonore, continue ou répétée, de véhicules, de conducteurs de véhicules, de piétons ou du public en général à l’aide de dispositifs techniques, ou l’enregistrement automatique de sons ou d’images.

Après notification préalable, la police peut effectuer une surveillance technique dans un lieu public ou sur une voie publique afin de maintenir l’ordre et la sécurité publics, de prévenir les infractions, d’identifier une personne soupçonnée d’une infraction et de surveiller des cibles spéciales.

Les drones entrent dans le cadre de la surveillance technique. Ils sont utilisés lors de grands événements et rassemblements de masse pour obtenir une vue d’ensemble de la situation et estimer le nombre de participants impliqués.

La reconnaissance faciale peut également être utilisée, car son utilisation est possible en application de la loi sur la police, si les conditions préalables de la section sont remplies.

Hongrie

La loi précitée XXXIV sur la police de 1994 autorise l’emploi des drones (article 42) ainsi que la reconnaissance faciale (article 29).

Pays-Bas

Les drones

Leur emploi est autorisé par l’article 3 de la loi sur la police.

Cependant l’utilisation de caméras de surveillance mobiles doit répondre à un certain nombre d’exigences :

– l’utilisation doit être nécessaire au maintien de l’ordre public. Cette forme de surveillance par caméra est de courte durée ;

– le traitement des images des caméras par la police doit répondre à toutes les exigences de la loi sur les données policières ;

– les personnes doivent être informées qu’elles sont filmées. La police doit informer de manière adéquate lorsqu’elle utilise des drones, par exemple en plaçant des panneaux.

La reconnaissance faciale

Elle est autorisée en temps réel dans les espaces publics. Mais son utilisation doit être motivée. Un contrôle éthique est assuré au sein des forces de police.

Pologne

Les drones

L’ordonnance n° 63 du commandant en chef de la police du 7 octobre 2019 détaille les modalités d’utilisation de véhicules aériens sans pilote dans la police.

La reconnaissance faciale

La police ou d’autres services n’utilisent pas la technologie de reconnaissance faciale.

Les marqueurs chimiques

Ils peuvent être utilisés sur la base de la loi du 24 mai 2013 relative aux moyens de coercition directe et aux armes à feu, qui encadre l’emploi des canons à eau qui peut contenir un agent colorant.

Portugal

Les drones

Leur emploi est encadré par loi n° 95/2021 du 29 décembre 2021 sur la vidéosurveillance par les forces de sécurité. Elle permet la possibilité d’utiliser des caméras fixes ou mobiles pour soutenir l’activité opérationnelle des forces et services de sécurité dans le cadre d’opérations de police complexes, en particulier lors d’événements de grande envergure ou d’autres opérations à haut risque ou à menace élevée.

Cependant, cette loi prévoit expressément que les caméras mobiles installées sur des véhicules aériens ne peuvent capturer que des images verticales qui ne permettent pas d’identifier des personnes.

Royaume-Uni

Les forces de police en Angleterre et au Pays de Galles utilisent de plus en plus de drones. Les données sur l’utilisation des drones par la police ne sont pas systématiquement publiées, mais en 2020, l’Université de Birmingham a noté une multiplication par trois de leur utilisation entre 2017 et 2019.

Il n’existe pas un cadre juridique spécifique aux forces de police. Ces dernières doivent se conformer aux normes de l’Autorité de l’aviation civile (CAA) et notamment obtenir une validation du plan de vol. Elles doivent également se conformer aux en matière de protection des données (à savoir la loi sur la protection des données de 2018 et le règlement général sur la protection des données (RGPD).

En 2020, l’association Drone Watch (qui milite pour une utilisation transparente et responsable des drones) a obtenu de la police l’information qu’en 2020 37 % des vols concernaient des manifestations et 31 % d’autres événements publics (tels que des événements sportifs et des festivals de musique).

La reconnaissance faciale

L’utilisation de cette technologie dans les services de police en Angleterre et au Pays de Galles est relativement récente et n’a pas encore été généralisée à l’ensemble des forces de police. En 2016, le Metropolitan Police Service a commencé à la tester à Londres.

Son emploi pour des manifestations est très récent : en mai 2023, la police du Pays de Galles y a recouru à l’occasion d’un match de rugby. En juillet 2023 son emploi par la police du Northamptonshire à l’occasion du Grand Prix britannique de Formule 1 de Silverstone a suscité une certaine controverse.

Il n’existe pas actuellement de règles spécifiques sur l’utilisation de cette technologie par la police. Cette dernière s’appuie sur le code de pratique sur les caméras de surveillance entré en vigueur en janvier 2022.

Suède

Les drones

La loi sur la surveillance par caméra de 2018 fixe les lignes directrices pour leur emploi.

La police doit être légalement autorisée par l’autorité compétente pour utiliser des drones pour la surveillance par caméra d’un rassemblement public. La surveillance à l’aide de drones doit être effectuée dans le respect de la vie privée des personnes. Cela peut impliquer d’éviter la collecte ou le stockage d’informations personnelles inutiles qui ne sont pas pertinentes pour la surveillance. Les données collectées doivent être traitées conformément aux règles applicables en matière de protection des données.

Les marqueurs chimiques

Ils ne sont pas utilisés.

La reconnaissance faciale

Dans certains cas, la police utilise des outils d’analyse automatique d’images qui peuvent impliquer le traitement de données biométriques, telles que la reconnaissance faciale. Cette méthode n’est utilisée que dans des situations jugées absolument nécessaires. L’objectif de ce traitement est principalement de faciliter l’identification de personnes ou d’objets dans un grand nombre d’images ou de rechercher un auteur présumé inconnu à l’aide du registre de description des suspects.

  1.   Les moyens administratifs et judiciaires de surveillance (écoutes téléphoniques, interceptions informatiques)

État

Réponse

Allemagne

Dans le cadre du partage de compétences opéré en 2006 à l’occasion de la révision de la loi fondamentale (LF) Berlin conserve une compétence exclusive dans certains domaines (contreterrorisme ; douanes ; police des frontières ; renseignement).

L’article 73 de la LF dispose que la police fédérale est compétente « lorsque la compétence d’une autorité de police de Land n’apparaît pas clairement ou lorsqu’une autorité administrative suprême de Land demande qu’il en soit ainsi ».

Par ailleurs, l’article 35 de la LF dispose que la police fédérale peut assister à leur demande les länder (« Toutes les autorités de la Fédération et des Länder se prêtent mutuellement entraide judiciaire et administrative »).

La fédération et chaque Land ont développé sa législation dans ce domaine. Cependant l’ensemble de ces normes doit être conforme aux prescriptions de l’article 10 de la LF qui dispose que : « (1) Le secret de la correspondance ainsi que le secret de la poste et des télécommunications sont inviolables. (2) Des restrictions ne peuvent y être apportées que sur le fondement d’une loi. Si la restriction est destinée à défendre l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou l’existence ou la sécurité de la Fédération ou d’un Land, la loi peut disposer que l’intéressé n’en sera pas informé et que le recours juridictionnel est remplacé par le contrôle d’organes et d’organes auxiliaires désignés par la représentation du peuple ».

Autriche

Les divers types d’interception sont encadrés par les articles 134 et suivants du code de procédure pénale (CPP).

L’article 135 du CPP est ainsi rédigé :

« La divulgation de données issues de la transmission de messages est autorisée,

1. s’il existe de fortes présomptions que la personne concernée par la divulgation a enlevé ou pris le contrôle d’une autre personne et si la divulgation des données est limitée aux messages que l’on pense avoir été transmis, reçus ou envoyés par l’accusé au cours de sa privation de liberté,

2. si l’on peut s’attendre à ce que la divulgation contribue à des enquêtes sur une infraction pénale commise intentionnellement et passible d’une peine d’emprisonnement de plus de six mois et si le propriétaire du dispositif technique qui est ou sera la source ou la destination de la transmission des messages consent expressément à la divulgation,

3. si l’on peut s’attendre à ce que la divulgation contribue aux enquêtes sur une infraction pénale commise intentionnellement et passible d’une peine d’emprisonnement de plus d’un an et si, en raison de faits matériels particuliers, on pense que la divulgation permettra d’enquêter sur les données de l’accusé.

4. si, en raison de faits matériels particuliers, on peut s’attendre à ce que la divulgation permette d’établir le lieu où se trouve un prévenu qui a pris la fuite ou est absent et qui est fortement soupçonné d’avoir commis intentionnellement une infraction pénale passible d’une peine d’emprisonnement de plus d’un an ».

Belgique

Le code d’instruction criminelle comprend plusieurs dispositions en ce domaine :

Article 46 bis

En recherchant les crimes et les délits, le procureur du Roi peut, par une décision motivée et écrite, procéder ou faire procéder (…) à :

1° l’identification de l’abonné ou de l’utilisateur habituel d’un service ou bien du moyen de communication électronique utilisé ;

2° l’identification des services auxquels une personne déterminée est abonnée ou qui sont habituellement utilisés par une personne déterminée.

Si nécessaire, il peut pour ce faire requérir, directement ou par l’intermédiaire du service de police désigné par le Roi, la collaboration :

 de l’opérateur d’un réseau de communications électroniques, et

 de toute personne qui met à disposition ou offre, sur le territoire belge, d’une quelconque manière, un service qui consiste à transmettre des signaux via des réseaux de communications électroniques ou à autoriser des utilisateurs à obtenir, recevoir ou diffuser des informations via un réseau de communications électroniques. Est également compris le fournisseur d’un service de communications électroniques. (…)

La motivation reflète le caractère proportionnel eu égard au respect de la vie privée et subsidiaire à tout autre devoir d’enquête.

En cas d’extrême urgence, le procureur du Roi peut ordonner verbalement cette mesure. La décision est confirmée par écrit dans les plus brefs délais.

Pour des infractions qui ne sont pas de nature à entraîner un emprisonnement correctionnel principal d’un an ou une peine plus lourde, le procureur du Roi ne peut requérir les données visées à l’alinéa 1er que pour une période de six mois préalable à sa décision.

Les personnes requises de communiquer les données visées au paragraphe 1er communiquent au procureur du Roi ou à l’officier de police judiciaire les données en temps réel ou, le cas échéant, au moment précisé dans la réquisition, selon les modalités fixées par le Roi, sur proposition du ministre de la Justice et du ministre compétent pour les Télécommunications.

Le Roi fixe, après avis de la Commission de la protection de la vie privée et sur proposition du Ministre de la Justice et du Ministre compétent pour les Télécommunications, les conditions techniques d’accès aux données.

Toute personne qui, du chef de sa fonction, a connaissance de la mesure ou y prête son concours, est tenue de garder le secret. Toute violation du secret est punie conformément à l’article 458 du Code pénal.

Toute personne qui refuse de communiquer les données ou qui ne les communique pas en temps réel ou, le cas échéant, au moment précisé dans la réquisition est punie d’une amende de cent euros à trente mille euros.

– L’article 88 bis traite du repérage et de la localisation de l’origine ou de la destination des télécommunications.

– L’article 99 ter traite des écoutes de communications et télécommunications privées.

Canada

La partie VI du Code criminel définit les dispositions que les services de police doivent suivre pour obtenir une autorisation judiciaire en vue d’intercepter des communications privées dans le cadre d’une enquête criminelle.

Cette section définit les dispositions qui sont également prévues afin que les services de police puissent assurer la surveillance électronique des communications privées sans l’autorisation d’un tribunal en cas de préjudice imminent, comme dans des situations d’enlèvement ou d’alerte à la bombe.

Ces procédures doivent être suivies de manière à respecter le plus possible la vie privée des personnes au cours de la période d’écoute.

Le ministère de la sécurité est en charge d’un rapport annuel d’évaluation

https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/lctrnc-srvllnc-2021/index-fr.aspx

Espagne

Le code de procédure pénale comprend plusieurs dispositions portant sur :

– l’interception des communications téléphoniques et télématiques (article 588 ter).

– l’interception et l’enregistrement de communications orales à l’aide de dispositifs électroniques (article 588 quater).

– l’utilisation de dispositifs techniques de repérage, de suivi et de capture d’images (article 588 quinquies).

– l’enregistrement de dispositifs de stockage de masse et l’enregistrement à distance de matériel informatique (article 588 sexies).

– les recherches à distance sur des équipements informatiques (article 588 septies).

– les mesures de sécurisation, de conservation et de protection de données ou d’informations spécifiques contenues dans un système de stockage informatisé (article 588 octies).

Toutes ces mesures ont les mêmes principes directeurs, chacune d’entre elles ayant son fonctionnement spécifique détaillé dans les articles suivants.

L’article 588 bis du code de procédure pénale fixe ainsi des principes directeurs :

« 1. Au cours de l’instruction des affaires, toutes les mesures d’enquête régies par le présent chapitre peuvent être ordonnées à condition qu’il existe une autorisation judiciaire délivrée dans le plein respect des principes de spécialité, d’adéquation, d’exceptionnalité, de nécessité et de proportionnalité de la mesure.

« 2. Le principe de spécialité exige qu’une mesure soit liée à l’enquête sur une infraction spécifique. Les mesures techniques d’enquête visant à prévenir ou à découvrir des infractions ou à dissiper des soupçons sans base objective ne peuvent pas être autorisées

« 3. Le principe d’opportunité sert à définir la portée et la durée objectives et subjectives de la mesure en fonction de son utilité.

4. En application des principes d’exceptionnalité et de nécessité, la mesure ne peut être accordée que :

(a) lorsque d’autres mesures moins contraignantes pour les droits fondamentaux de la personne faisant l’objet de l’enquête ou des poursuites et tout aussi utiles à l’élucidation de l’acte ne sont pas disponibles pour l’enquête,

(b) ou lorsque la découverte ou l’établissement de l’acte faisant l’objet de l’enquête, la détermination de son ou ses auteurs, la recherche du lieu où ils se trouvent ou la localisation des effets de l’infraction seraient gravement entravés sans le recours à cette mesure.

5. Les mesures d’enquête régies par le présent chapitre ne sont considérées comme proportionnées que lorsque, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, le sacrifice des droits et des intérêts affectés n’est pas supérieur au bénéfice que leur adoption apporte à l’intérêt public et à des tiers. Pour la mise en balance des intérêts en conflit, l’évaluation de l’intérêt public est fondée sur la gravité de l’acte, sa signification sociale ou le domaine technologique de production, l’intensité des preuves existantes et la pertinence du résultat visé par la restriction du droit ».

 

Finlande

Les règles sont énoncées dans la loi sur l’enquête criminelle (805/2011).

La section 1 du chapitre 10 de cette loi régit le champ d’application des « moyens coercitifs secrets ».

Selon cette section, l’interception des télécommunications, l’obtention de données autrement que par l’interception des télécommunications, la surveillance des données relatives au trafic, l’obtention de données relatives aux stations de base, la surveillance étendue, la collecte secrète de renseignements, la surveillance technique (interception sur place, observation technique, contrôle technique et surveillance technique d’un dispositif), l’obtention de données pour l’identification d’une adresse de réseau ou d’un terminal, l’activité secrète, le pseudo-achat, l’utilisation de sources secrètes de renseignements humains et la livraison contrôlée peuvent être utilisés dans le cadre d’enquêtes criminelles en cachette de leurs destinataires.

En outre, selon la même section, la loi sur la police contient des dispositions sur l’utilisation de ces mesures dans la prévention ou la détection des infractions. Les dispositions détaillées relatives à l’utilisation des moyens coercitifs secrets mentionnés peuvent être consultées dans les dernières sections du chapitre 10 de la loi sur les mesures coercitives.

Hongrie

En Hongrie, les forces de l’ordre sont autorisées à surveiller les individus et les groupes qui commettent des actes de violence ou qui constituent un risque probable pour la sécurité publique dans certains cas déterminés par les lois pertinentes.

La loi autorise principalement les services de sécurité nationale (un groupe de cinq agences) à effectuer une surveillance secrète.

Des lois distinctes déterminent les méthodes de surveillance secrète pour chaque agence chargée de l’application de la loi.

Pays-Bas

La loi sur les pouvoirs d’enquête spéciaux est entrée en vigueur le 1er février 2000 et a complété le code de procédure pénale par une réglementation relative aux nouveaux pouvoirs d’enquête et aux procédures connexes.

La loi réglemente les méthodes d’enquête spéciales suivantes :

– observation : suivre systématiquement une personne ou observer systématiquement sa présence ou son comportement, par exemple à l’aide d’une caméra cachée

– infiltration : participation ou coopération avec un groupe de personnes au sein duquel on peut raisonnablement soupçonner que des crimes sont planifiés ou commis

– pseudo-achat ou prestation de services : acheter des biens au suspect ou lui fournir des services

– collecte systématique d’informations : collecte systématique d’informations sur un suspect sans que l’on sache qu’il s’agit d’un agent enquêteur

– enregistrement de communications confidentielles à l’aide d’un dispositif technique

– enregistrement, à l’aide d’un dispositif technique, de communications non destinées au public via l’infrastructure de télécommunications ou via un dispositif de télécommunications utilisé pour fournir des services au public (par exemple, écoutes Internet, écoutes téléphoniques).

Le procureur général détermine quand et comment les pouvoirs spéciaux d’investigation peuvent être utilisés par la police.

Pologne

Les mesures de contrôle à la disposition des forces de l’ordre sont régies par les articles 237 à 242 du code de procédure pénale.

Ces articles réglementent le contrôle et l’enregistrement du contenu des conversations téléphoniques afin de détecter et d’obtenir des preuves pour les procédures en cours ou pour empêcher la commission d’une nouvelle infraction.

Portugal

Les écoutes téléphoniques et l’interception des communications sont régies par les articles 187 à 190 du code de procédure pénale.

Elles ne peuvent être effectuées :

– que pour certains types d’infractions (celles qui sont punies d’une peine d’emprisonnement maximale de trois ans et des crimes spécifiques tels que la contrebande, le trafic de stupéfiants, le terrorisme, etc.)

– et à condition qu’elles soient indispensables à la découverte de la vérité ou qu’il soit impossible ou très difficile d’obtenir des preuves autrement.

En outre, elles ne peuvent être effectuées qu’à l’encontre des suspects et des personnes mises en cause ou de leurs intermédiaires, ainsi que des victimes d’infractions (dans ce cas, le consentement est nécessaire).

L’autorisation doit être donnée par ordonnance motivée du juge d’instruction, à la demande du procureur, pour une période maximale de trois mois, renouvelable pour des périodes égales.

Royaume-Uni

La loi de 2016 sur les pouvoirs d’investigation (Investigatory Powers Act - IPA) réglemente les pouvoirs de la police en matière d’acquisition de données de communication.

L’interception et la consultation des données de communication est généralement réservée aux crimes graves et aux questions de sécurité nationale.

Dans le cadre de l’IPA :

– Toute force de police peut demander à l’Office for Communications Data Authorisations (OCDA) de lui accorder l’accès aux données de communication. Cela leur permet de savoir qui, où, quand et comment se déroule une communication, mais pas son contenu, c’est-à-dire ce qui a été dit ou écrit. L’accès ne peut être accordé qu’à certaines fins spécifiques, notamment la prévention ou la détection de la criminalité.

– Le Metropolitan Police Service (le service de police territorial pour la majeure partie de Londres), le Police Service of Northern Ireland, le Police Scotland et la National Crime Agency peuvent demander au secrétaire d’État un mandat pour intercepter des communications et en voir le contenu. Un tel mandat ne peut être demandé que pour des raisons de sécurité nationale, de prévention ou de détection de crimes graves ou dans l’intérêt du bien-être économique du Royaume-Uni (dans la mesure où ces intérêts sont liés à la sécurité nationale). L’interception doit être considérée comme nécessaire et proportionnée à l’une de ces raisons. Les mandats doivent être approuvés par un commissaire judiciaire.

– Les officiers supérieurs peuvent délivrer à leurs agents des mandats les autorisant à pirater l’équipement (ordinateurs, téléphones portables, dispositifs de stockage USB, etc.) des personnes soupçonnées d’infractions graves. Avant d’agir de la sorte, les officiers supérieurs doivent se demander si le mandat est nécessaire pour prévenir ou détecter des infractions graves, si l’activité autorisée est proportionnée et s’il existe des garanties appropriées pour s’assurer que les données sont traitées de manière adéquate une fois qu’elles ont été obtenues.

Sauf en cas d’urgence, les officiers supérieurs doivent également demander l’approbation d’un commissaire judiciaire.

Suède

Les services de police peuvent recourir à des mesures pour recueillir secrètement des informations sur les activités d’une personne, par exemple au sein d’un réseau de télécommunications, sur l’internet ou dans un lieu spécifique.

Dans le cadre d’une enquête préliminaire, il est possible de recourir à l’interception et à la surveillance secrètes des communications électroniques, à la surveillance secrète par caméra, à l’interception secrète des locaux et à la surveillance secrète des données. Ces mesures secrètes ne peuvent être utilisées que pour des activités criminelles graves.

  1.   Les interdictions préventives de paraître sur le lieu d’une manifestation ou d’un rassemblement 

État

Réponse

Allemagne

Quand des faits objectifs montrent qu’il existe un danger imminent pour la sécurité et l’ordre public en raison de la participation ou de la présence d’une personne à une réunion, il peut être interdit à cette personne de participer ou d’être présente à cette réunion si le danger ne peut être évité d’une autre manière.

Par ailleurs, dans certains länder, il existe une pratique policière consistant à convoquer ou se rendre au domicile d’une personne signalée pour des faits antérieurs de violence, pour lui rappeler ses obligations à l’approche d’une manifestation.

Cependant, tous les länder ne disposent pas d’une telle réglementation.

Autriche

La loi sur les rassemblements et les défilés permet aux autorités d’interdire un projet de manifestation, ou une manifestation en cours. Elle permet également d’interdire l’accès à une personne qui dissimule son visage.

Cependant elle ne comprend pas de dispositions sur les interdictions de paraître.

Espagne

Il n’y a pas de base juridique applicable sur ce point.

Finlande

Il n’existe pas de réglementation interdisant de se présenter sur le lieu d’une manifestation ou de mesure préventive similaire dans la loi sur les réunions.

Hongrie

Il n’y a pas de disposition sur l’interdiction de paraître.

En revanche, la police peut procéder à un contrôle renforcé s’il existe des raisons valables de supposer que des personnes peuvent se présenter à un rassemblement en violant les restrictions garantissant le caractère pacifique du rassemblement.

Pays-Bas

L’article 509 du Code de procédure pénale permet au juge d’imposer une « interdiction de zone » (gebiedsverbod) contre toute personne soupçonnée d’avoir gravement troublé l’ordre public.

Elle porte sur une durée de 90 jours et peut être reconduite pour une durée équivalente

Dans une décision récente du tribunal de La Haye le procureur général a été autorisé à imposer une interdiction de zone à des militants écologistes ayant bloqué la circulation sur une autoroute.

Pologne

Le code de procédure pénale autorise ce type de mesure préventive.

Portugal

Il n’y a pas de base juridique sur ce point.

Royaume-Uni

Actuellement il n’existe aucune loi interdisant aux personnes de se rendre sur le lieu où se déroule une manifestation ou un rassemblement.

Suède

Il n’existe pas d’interdiction de ce type.

Pour limiter les risques la police ferme l’accès à certains périmètres à toute personne.

  1.   Les peines d’interdiction de manifester

État

Réponse

Allemagne

Il n’y a pas de sanction pénale en ce domaine.

 

Autriche

L’article 50 du code pénal dispose que les personnes incarcérées, qui ont été libérées ou qui bénéficient d’un aménagement de peine, peuvent subir une série de prescriptions limitant une possible récidive.

Cependant dans une décision Schroll de 2022 la Cour de cassation a jugé que le droit de manifester ayant une base constitutionnelle, il ne pouvait être entravé dans ce cadre.

Belgique

Le ministre de la Justice a déposé le 25 avril 2023 un projet de loi visant à inscrire dans le Code pénal l’interdiction judiciaire de participer à un rassemblement revendicatif.

Il s’agit d’une peine autonome qui n’est pas automatique. L’interdiction n’est possible qu’en raison d’infractions violentes ou d’actes de vandalisme commis sciemment, volontairement et intentionnellement dans le contexte d’un précédent rassemblement revendicatif. Le juge ne prononce la peine que s’il estime qu’il existe un risque réel de récidive pour des infractions similaires, à l’occasion de rassemblements revendicatifs. La peine d’interdiction ne peut excéder trois ans.

Canada

Espagne

Finlande

Hongrie

Il n’y a pas de sanction pénale en ce domaine.

Pays-Bas

La seule mesure applicable est l’interdiction de zone (voir réponse 7).

Pologne

L’article 41b du Code pénal prévoit l’application de mesures parmi lesquelles l’interdiction de se trouver dans des lieux déterminés ou l’interdiction de participer à un événement de masse. L’interdiction peut être combinée à l’obligation de se présenter à la police ou à une autre autorité désignée à des intervalles spécifiés.

Portugal

Aucune mesure de ce type n’est spécifiquement prévue pour les manifestations.

Le Code pénal prévoit la possibilité pour le tribunal d’imposer des règles de conduite, comme ne pas se rendre dans certains lieux ou ne pas participer à certaines réunions.

Royaume-Uni

Le Parlement a adopté en mai 2023 une loi sur l’ordre public (public order act) qui sera prochainement applicable.

https://www.gov.uk/government/publications/public-order-bill-overarching-documents/public-order-bill-factsheet

Elle permet à une juridiction de notifier à un individu une ordonnance de prévention des perturbations graves (Serious Disruption Prevention Order - SDPO) dont la durée est fixée entre une semaine et deux ans. Le non-respect de ces prescriptions est sanctionnée par une amende voire une peine d’emprisonnement.

La SDPO concerne :

 les majeurs de 18 ans ou plus ;

– ayant, au moins à deux reprises au cours des cinq dernières années, été reconnu coupable d’une infraction liée à une manifestation ou reconnu coupable de la violation d’une injonction relative à une autre manifestation.

L’objectif de la SDPO est d’empêcher de commettre une infraction liée à une manifestation ou de causer des perturbations graves.

La SDPO peut imposer à l’individu :

– une obligation de se rendre dans un lieu ou de demeurer à son domicile ;

– une interdiction de se trouver dans certains lieux, à certains jours et heures ;

– l’interdiction d’être avec certaines personnes ;

– la participation à certaines activités ;

– la détention de certains objets ;

– l’utilisation d’Internet pour interagir avec les manifestants.

Suède

Il n’y a pas de sanction pénale en ce domaine.

  1.   Les interdictions administratives de manifester

État

Réponse

Allemagne

Le contrôle des juridictions a rendu plus rares les mesures de rétention policière (Ingewahrsamnahe) prises contre des personnes souhaitant se rendre à des manifestations.

Cette mesure a été assez courante dans les années 90 (rassemblement punk organisé à Hanovre en 1996 et rassemblements antifascistes de Saalfeld en 1997).

Elle est cependant périodiquement utilisée comme lors de la réunion du G20 à Hambourg en juillet 2017 pour limiter l’accès à la ville de militants altermondialistes et de Schwarze Blocks.

Autriche

L’article 7 de la loi sur les rassemblements et les défilés de 1953 interdit les manifestations dans certaines zones (comme à proximité immédiate du Parlement, soit 300 mètres).

Elle dispose également que l’autorité administrative peut définir un périmètre dans lequel la manifestions n’est pas autorisée pour garantir un « déroulement paisible de l’événement ».

Belgique

Sur la base des articles 133 et 135 de la Nouvelle loi communale, le bourgmestre, qui est chargé du maintien de l’ordre sur le territoire de sa commune, peut imposer une interdiction individuelle et préventive de manifestation lorsqu’il dispose de renseignements sur la base desquels il apparaît qu’une personne est susceptible de troubler l’ordre à l’occasion d’une manifestation organisée sur le territoire de sa commune.

La décision du bourgmestre doit préciser à quelle(s) manifestation(s) prévue(s) s’applique l’interdiction et la durée est limitée à l’existence d’un risque de perturbation de l’ordre public.

Une circulaire administrative du ministre de l’Intérieur du 25 août 2022 précise les conditions dans lesquelles les bourgmestres peuvent imposer une interdiction individuelle et préventive de manifestation à certains fauteurs de troubles dans le cadre d’une manifestation.

Espagne

L’article 5 de la loi organique du 15 juillet 1983 sur le droit de réunion est ainsi rédigé :

« L’autorité gouvernementale suspend et, le cas échéant, dissout les réunions et manifestations dans les cas suivants :

« a) Lorsqu’ils sont considérés comme illégaux au sens du droit pénal.

« b) Lorsque l’ordre public est troublé, mettant en danger des personnes ou des biens.

« c) Lorsque des uniformes paramilitaires sont utilisés par les personnes présentes.

Ces résolutions seront communiquées au préalable aux participants de la manière légalement prévue ».

Finlande

La législation finlandaise ne prévoit pas la possibilité d’imposer des interdictions administratives de manifester.

Hongrie

La loi LV de 2018 prévoit uniquement la possibilité d’interdire une manifestation après sa notification.

Pays-Bas

La loi sur les assemblées publiques donne au maire la possibilité de restreindre, d’interdire ou même d’arrêter une manifestation.

Pologne

L’article 14 de la loi du 5 juillet 1990 relative aux réunions est ainsi rédigé :

« L’autorité communale doit rendre une décision d’interdiction d’un rassemblement au plus tard 96 heures avant la date prévue du rassemblement si :

« 1) son objectif viole la liberté de réunion pacifique, les règles d’organisation des rassemblements, le but de la réunion les dispositions pénales ;

« 2) sa détention est susceptible de mettre en danger la vie ou la santé des personnes ou des biens sur une grande échelle.

Une interdiction totale de manifester peut-être imposée pendant la loi martiale, l’état d’urgence ou l’état de catastrophe naturelle ».

Portugal

Les situations dans lesquelles les manifestations peuvent être interdites sont très limitées.

Le décret-loi n° 406/74 dispose que les autorités peuvent, pour des raisons de sécurité, interdire la tenue de réunions, rassemblements, manifestations ou défilés dans des lieux publics situés à moins de 100 m des sièges des organes souverains, des installations militaires, des prisons et les sièges des représentations diplomatiques ou consulaires et des partis politiques.

Ce texte prévoit également que les autorités ne peuvent interrompre les réunions, rassemblements, manifestations ou défilés que lorsque des actes contraires à la loi ou aux bonnes mœurs sont commis ou qui troublent gravement et effectivement l’ordre public ou le libre exercice des droits des personnes.

En outre, les autorités doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir que ces réunions, rassemblements, manifestations ou défilés se déroulent sans l’interférence de contre-manifestations susceptibles de perturber le libre exercice des droits des participants.

Indépendamment des autres infractions pouvant être commises par les manifestants, le fait de ne pas se conformer à un ordre légal de se retirer d’un rassemblement ou d’une réunion publique donné par une autorité compétente est en soi un crime, en vertu de l’article 304 du Code pénal.

Royaume-Uni

La loi opère une distinction entre :

– Les cortèges (marches de protestation) Dans certaines circonstances, la police peut estimer que ses capacités ne sont pas suffisantes pour gérer le risque de graves troubles publics. En application de la loi sur l’ordre public elle peut demander à l’autorité locale d’interdire le cortège. La participation à une manifestation interdite constitue une infraction pénale pouvant être sanctionnée par une amende de 2 500 £, voire une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois mois.

– Les assemblées (manifestations statiques) L’interdiction des manifestations statiques fonctionne de la même manière que l’interdiction des marches de protestation.

Dans les deux hypothèses les interdictions sont très rares.

Suède

La police peut refuser l’autorisation d’un rassemblement public si cela est nécessaire pour maintenir l’ordre ou si des rassemblements antérieurs du même type ont entraîné des perturbations importantes ou un danger important pour les personnes présentes.

La protection constitutionnelle du droit à manifester fait que les interdictions sont très rares.

 

 

 


([1]) Sur les vingt-cinq commissions d’enquêtes créées sous la XVe législature (2017‑2022), seules trois l’ont été par un vote de l’Assemblée nationale, les vingt-deux autres résultant de l’exercice d’un droit de tirage. S’agissant des neuf commissions d’enquête créées sous la XVIe législature, soit depuis juin 2022, seules deux ont procédé d’un vote de l’Assemblée nationale.

([2]) Proposition de résolution n° 1064 tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023, présentée par Mme Aurore Bergé, M. Laurent Marcangeli et plusieurs de leurs collègues, 4 avril 2023.

([3]) Ont soutenu la création de la commission d’enquête des députés des groupes Renaissance (98), Rassemblement national (44), Les Républicains (19), Démocrate (MoDem et indépendants) (18), Horizons et apparentés (14), Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES) (9) et Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (1) ainsi qu’une députée non-inscrite (1).

([4]) Se sont opposés à la proposition de résolution des députés siégeant au sein des groupes La France insoumise – Nouvelle Union populaire écologique et sociale (38), Socialiste et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES) (2), Écologiste – NUPES (5) et Gauche démocrate et républicaine – NUPES (2).

([5]) Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale n° 760 pour 2023.

([6]) Le premier épisode comparable du point de vue des violences et dégradations date du sommet du G8 tenu à Évian le 1er juin 2003.

([7]) Soit plus de cinquante-deux heures d’auditions et quatorze heures d’auditions dans le cadre des déplacements de la commission à Bordeaux et à Sainte-Soline.

([8]) Rapport n° 1181 de M. Florent Boudié sur la proposition de résolution (n° 1064) de Mme Aurore Bergé, M. Laurent Marcangeli et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023, 3 mai 2023, pp. 18-21.

([9]) Conseil constitutionnel, décision n° 2023‑849 DC du 14 avril 2023, Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([10]) Cette modification habilite la commission d’enquête à examiner le déroulement de l’ensemble des manifestations et rassemblements qui ont eu lieu entre le 16 mars et le 3 mai 2023, qu’ils aient été ou non déclarés, ainsi que les manifestations et rassemblements interdits et ou s’étant déroulés en dehors de toute procédure prévue par le code de la sécurité intérieure (« rassemblement spontané »).

([11]) On peut percevoir un décalage entre l’acception courante du terme « violence » et sa définition pénale qui renvoie aux infractions portant atteinte à l’intégrité des personnes. Cependant, conformément aux dispositions de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, la violence appréhendée dans le rapport vise aussi bien les atteintes aux biens que celle dirigée contre les personnes.

([12]) Monica Sabolo, La vie clandestine, Gallimard, 2022.

([13]) Auteur de l’ouvrage Comment saboter un pipe-line ?, La Fabrique, 2021.

([14]) Rapport n° 1181 de M. Florent Boudié au nom de la commission des Lois sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023, 3 mai 2023, p. 12.

([15]) Réponses au questionnaire adressé à la direction générale de la police nationale.

([16]) Ibid.

([17]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, et de M. Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation, du 1er juin 2023.

([18]) Audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale du 13 juin 2023.

([19]) Mesuré par la formation brute de capital fixe (FBCF).

([20]) Institut national de la statistique et des études économique (INSEE), « Au deuxième trimestre 2023, le PIB progresse sensiblement (+ 0,5 %) et le taux de marge des sociétés non financières augmente nettement (+1,5 point) », Comptes nationaux trimestriels – résultats détaillés – deuxième trimestre 2023.

([21]) Communiqué de presse conjoint du ministère chargé des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme, d’Atout France et de la Fédération nationale des organismes institutionnels de tourisme, « 07/06/2023-Bilan touristique des vacances de printemps et des week-ends du mai de mai », 7 juin 2023.

([22]) Insee, direction générale des entreprises, Choose Paris Région, « Les chiffres du tourisme en région Ile-de-France », août 2023.

([23]) Réponses au questionnaire adressé à France Assureurs.

([24]) Rapport n° 1181 de M. Florent Boudié au nom de la commission des Lois sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023, 3 mai 2023, p. 13.

([25]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023.

([26]) Le ministre de l’intérieur évoque l’incendie qui s’est déclaré face à un immeuble sis 22 rue de la Corderie, dans le troisième arrondissement de Paris, au cours de la nuit du 21 mars 2023, en marge de manifestations. Il convient également de signaler l’incendie d’un immeuble de bureaux en travaux donnant sur la place de la Nation, survenu à la fin de manifestation du 1er mai 2023.

([27]) Audition de M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et ancien ministre de l’intérieur, du 26 septembre 2023.

([28]) Ibid.

([29]) Audition de M. Thierry Vincent, journaliste, du 26 juin 2023.

([30]) Informations communiquées par M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, lors de son audition du 5 octobre 2023.

([31]) Les données figurant ci-après ont été présentées par M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, lors de son audition du 5 octobre 2023.

([32]) Ces journées ont eu lieu les 23 mars, 28 mars, 6 avril, 13 avril et 1er mai 2023.

([33]) La CGT estime que les cinq dernières journées nationales d’action ont rassemblé environ 11 300 000 manifestants.

([34]) La moyenne du nombre de manifestants à l’occasion de ces huit premières journées nationales d’action s’élevait, selon le ministère de l’intérieur, à environ 835 000 personnes.

([35]) La moyenne du nombre d’interpellations à l’occasion de ces huit premières journées nationales d’action s’élevait, selon le ministère de l’intérieur, à environ 77 individus.

([36]) Dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice indique que, sur la période allant du 16 mars au 3 mai 2023, 153 individus ont été placés en garde à vue à Toulouse, 184 à Lyon, 131 à Rennes, 268 à Nantes, 99 à Bordeaux et 65 à Lille.

([37]) Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, du 7 septembre 2023.

([38]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([39]) Dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, la préfecture de police de Paris dénombre 1 680 personnes interpellées et 1 575 gardes à vue.

([40]) Dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, le parquet de Paris précise que 256 individus ont été placés en garde à vue le 16 mars, 111 le 18 mars, 209 le 20 mars, 122 le 23 mars et 285 le 1er mai.

([41]) Treize rassemblements non-déclarés ont eu lieu à Paris sur la période concernée.

([42]) Le nombre total de locaux de garde à vue s’élève à 517 dont 142 cellules collectives, 314 cellules individuelles, 43 cellules pour mineurs et 18 cellules pour personnes vulnérables.

([43]) 17 gardes à vue ont été traitées par la section de recherche de la gendarmerie et 9 autres par le groupement de gendarmerie des Deux-Sèvres.

([44]) L’interdiction administrative de territoire a été créée par la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014. 6 253 interdictions administratives de territoire (IAT) ont été prononcées depuis février 2015, dont 9 % afin de prévenir la participation à une action violente lors d’un rassemblement ou une manifestation.

([45]) Ces quatorze mesures concernent cinq ressortissants suisses, dont trois femmes âgées de 19 à 24 ans et deux hommes âgés de 26 et 22 ans, et neuf ressortissants italiens dont cinq femmes âgées de 26 à 33 ans et quatre hommes âgés de 23 à 32 ans.

([46]) Au-delà des infractions de violences qui peuvent être aggravées par une ou plusieurs circonstances telles que l’usage d’une arme, la commission en réunion, ou encore la qualité de dépositaires de l’autorité publique des victimes, l’appréhension de ces phénomènes a conduit, selon la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, à la caractérisation d’infractions telles que la participation à une manifestation en étant porteur d’une arme, la participation à un attroupement après sommation, la participation à un attroupement avec le visage dissimulé ou en étant porteur d’une arme, la participation à un groupement en vue de la commission de violences ou dégradations, les dégradations du bien d’autrui par moyen dangereux pour les personnes, le port d’arme, l’outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique, ou encore la rébellion.

([47]) En vue d’une comparution immédiate, d’une comparution préalable, d’une comparution à délai différé, d’une convocation par procès-verbal, d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et, pour les mineurs, en vue d’une convocation en audience unique ou en audience de jugement sur la culpabilité dans le cadre de la procédure de mise à l’épreuve éducative.

([48]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([49]) Dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, la préfecture de police de Paris estime que ce taux de réponse pénale est en réalité légèrement plus élevé car les poursuites engagées dans le cadre des enquêtes préliminaires ne sont pas comprises dans le chiffre communiqué par le ministère de la justice, alors qu’elles induisent également des suites judiciaires non encore connues à ce stade.

([50]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([51]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([52]) Audition de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, du 19 juillet 2023.

([53]) Lors de son audition du 29 juin 2023, Me Raphaël Kempf a détaillé les suites judiciaires des dossiers qu’il avait eu à connaître en tant qu’avocat de manifestants poursuivis pour des actes de violences lors des manifestations du printemps dernier : « J’ai été personnellement amené à défendre dix-neuf personnes interpellées pendant des manifestations et placées en garde à vue. Certaines ont été déférées devant le procureur de la République. Trois ont été déférées en comparution immédiate et relaxées par le tribunal ; l’honnêteté m’oblige à vous dire que le parquet a fait appel de ces décisions. Une autre a été renvoyée en justice et condamnée pour des faits de violences ; nous avons interjeté appel et elle reste donc présumée innocente. Une autre encore a été déférée mais elle est finalement défendue par l’une de mes consœurs, et je ne connais pas le résultat de la procédure. Une autre enfin a été renvoyée en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, mais le parquet a abandonné les poursuites. Au total, sur dix-neuf personnes défendues, une seule a été condamnée et cette condamnation n’est pas définitive. »

([54]) Logiciel Cassiopée et casier judiciaire national.

([55]) Le questionnaire renseigné quotidiennement par les parquets généraux ne comporte pas cette ventilation.

([56]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([57]) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

([58]) Voir en ce sens l’audition de M. Alain Bauer, criminologue, du 6 juillet 2023, à propos des rapports entre l’État et les partenaires sociaux. M. Bauer y indique : « Il y a un enjeu particulier dans la structuration nationale de ce pays qui veut que l’État considère que toute revendication, négociation et dialogue passe par le rapport de force. J’ai longtemps travaillé avec Michel Rocard qui s’en désolait, mais une forme de culture d’État impose que l’on montre ses muscles d’abord et que l’on discute ensuite. L’État comme les organisations sociales, paysannes puis ouvrières, ont toujours considéré qu’il s’agissait du mode d’emploi. »

([59]) Voir en ce sens l’audition de Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([60]) Audition de M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II, du 18 juillet 2023.

([61]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023.

([62]) Ibid.

([63]) Ibid.

([64]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023. Le nombre de treize manifestations inclut l’ensemble des journées de mobilisation contre le projet de réforme des régimes de retraite depuis le 19 janvier 2023, date du lancement du mouvement par l’intersyndicale.

([65]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023.

([66]) Ibid.

([67]) Ibid.

([68]) Ibid.

([69]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([70]) Audition de M. Christophe Bourseiller, essayiste, du 29 juin 2023.

([71]) Les « autonomes » sont une mouvance de l’ultragauche antiautoritaire inspirée par l’œuvre théorique de Guy Debord, auteur des Thèses sur l’internationale situationniste et son temps publiées en en 1972.

([72]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([73]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023.

([74]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([75]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([76]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([77]) Réponse au questionnaire adressé à la direction générale de la police nationale.

([78]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([79])  Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([80])  Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([81])  Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023.

([82]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023.

([83]) Réponses au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial.

([84]) Voir en ce sens l’audition de Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([85]) Réponse au questionnaire adressé à la direction générale de la police nationale.

([86]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([87]) M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II et auteur de l’ouvrage Le vertige de l’émeute, indique au cours de son audition du 19 juillet 2023 : « Si le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution entraîne des débordements soudainement plus massifs, c’est parce qu’il est vécu comme un pur déni de démocratie. C’est l’expression d’une colère claire à l’encontre du monde dans lequel on est tenu de vivre, et de la sphère politique. Ces deux motivations doivent être considérées. On ne peut pas reléguer le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution au rang de simple prétexte ! »

([88]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([89]) Les « casserolades » ont pu symboliser ces actions subites qui surgissaient à l’occasion de déplacements sur le terrain de membres de l’exécutif.

([90]) Réponses au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial et audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([91]) Réponses au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial.

([92]) Audition de M. Didier Lallement, ancien préfet de police de Paris, du 6 juillet 2023.

([93]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([94]) Ibid.

([95]) Réponses au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial.

([96]) Ibid.

([97]) Audition de M. Alain Bauer, criminologue, du 6 juillet 2023.

([98]) Réponses au questionnaire adressé à MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, journalistes et auteurs de L’affrontement qui vient, de l’éco-résistance à l’éco-terrorisme ?.

([99]) Audition du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, du 30 mai 2023.

([100]) Audition de M. Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, du 30 mai 2023.

([101]) Au procès commencé devant le tribunal judiciaire de Niort le 8 septembre 2023 ont comparu neuf personnes poursuivies pour « organisation d’une manifestation interdite ». Il devrait se prolonger le 28 novembre 2023.

([102]) Une retenue de substitution désigne un ouvrage artificiel destiné à substituer des volumes d’eau prélevés à l’étiage des sources hydrologiques par des volumes prélevés en période de hautes eaux. En pratique, la retenue de substitution permet de stocker de l’eau en hiver, en prélevant dans les rivières ou dans les nappes, afin de l’utiliser pour l’irrigation au printemps et en été. L’équipement d’une réserve de substitution comporte ordinairement une cuve, une station de pompage, un réseau d’alimentation et un réseau de distribution. On parle de « bassine » ou « mégabassine » dans le Marais poitevin suivant l’importance du dispositif de stockage.

([103]) Réponses au questionnaire adressé le 31 août 2023, préalablement à la visite d’une délégation de la commission d’enquête dans les Deux-Sèvres.

([104]) Audition conjointe des maire de Sainte-Soline et de Vanzay ainsi que du président de la coopérative de l’eau lors du déplacement dans les Deux-Sèvres d’une délégation de la commission d’enquête, le 6 septembre 2023.

([105]) Le protocole d’accord a été alors paraphé par la préfète des Deux-Sèvres, les représentants des collectivités territoriales (région, département et communes concernées), le président de la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres, le président de la commission locale de l’eau du schéma d’aménagement et de gestion des eaux Sèvres-Niortaise Marais Poitevin, le président de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres, le président de Deux-Sèvres environnement, le président du parc naturel régional du Marais poitevin, le représentant de la Coordination pour la défense du Marais poitevin et le président du Collectif d’Uxellois pour le respect de l’environnement sur leur territoire (CURET). Le texte énonce des engagements et des objectifs quant à l’usage et au partage de la ressource ; il planifie la réalisation d’un certain nombre d’équipements. On notera que, d’après les représentants de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres rencontrés à l’occasion du déplacement sur les lieux d’une délégation de la commission d’enquête, le 6 septembre 2023, les représentants de Bassines Non merci ! ont quitté la table des négociations avant la signature du protocole.

([106]) Conjointement pris par les préfets des Deux-Sèvres, de la Charente-Maritime et de la Vienne, l’arrêté du 23 octobre 2017 autorise la société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres à construire dix-neuf réserves de substitution sur le territoire de plusieurs communes du bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon, parmi lesquelles Sainte-Soline et Mauzé‑sur‑le‑Mignon. L’arrêté modificatif du 20 juillet 2020 réduit le volume de stockage autorisé et ramène à seize le nombre des réserves à édifier. Cette modification résulte de la concertation entre des associations de défense de l’environnement, les représentants des irrigants et les services de l’État ayant abouti à la signature du protocole d’accord précité du 18 décembre 2018.

([107]) Auditions organisées lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([108]) Les faits commis à l’occasion de la manifestation du 21 septembre 2021 ont été jugés devant le tribunal correctionnel de Niort le 6 janvier 2023.

([109]) Réponses au questionnaire adressé en vue du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([110]) Audition de M. Julien Le Guet, Mme Anne-Morwenn Pastier, Mme Lucile Richard, M. Jérôme Graefe et M. Jérémie Fougerat, collectif Bassines non merci !, du 27 septembre 2023.

([111]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023.

([112]) Audition des représentants de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([113]) Selon les estimations respectives de la préfecture des Deux-Sèvres et des organisateurs.

([114])  Parmi les participants identifiés à ce rassemblement interdit figuraient notamment : les eurodéputés écologistes Yannick Jadot et Benoît Biteau (Verts/Alliance libre européenne), les députées Sandrine Rousseau et Lisa Belluco (Écologiste – NUPES) et la députée Manon Meunier (La France insoumise – Nouvelle Union Populaire écologique et sociale).

([115]) Soit 1 700 militaires disposant au sol de nombreux véhicules et bénéficiant de l’appui de six hélicoptères.

([116]) Réponses au questionnaire adressé à Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres, en vue du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([117]) Selon le bilan du collectif Bassines non merci ! cité par Juliette Geay, Sarah D’Hers, Paul Sertillanges et Favien Groyer, « Manifestation anti-bassines : ce qu’il faut retenir du rassemblement dans les Deux-Sèvres », France Bleu, 29 octobre 2023.

([118]) Réponses au questionnaire adressé en vue du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([119]) Audition des élus locaux et des représentants de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([120]) Le premier alinéa de l’article L. 211‑1 du code de la sécurité intérieure dispose que sont « soumis à l’obligation d’une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ». Les organisateurs d’une manifestation non déclarée s’exposent à une peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, comme le prévoit l’article 431‑9 du code pénal.

([121]) Le tract informant de la tenue d’un rassemblement dans le Poitou-Charentes le 25 mars 2023 ne comporte que la mention de « + de 150 organisations, associations et syndicats » qui s’associeraient à l’appel à manifester. Le tract renvoyait à une liste sur le site internet des organisateurs. Dans un courrier au président de la commission d’enquête daté du 10 octobre 2023, le président de la Ligue des droits de l’homme a informé la commission des faits suivants : « […] si deux des sections locales de la LDH avaient soutenu les rassemblements prévus les 24 et 26 mars, c’était avant que les interdictions de manifester n’aient été décidées. Ensuite, le comité régional Poitou-Charentes de l’association n’a appelé qu’à un rassemblement dans la commune de Melle, rassemblement déclaré qui n’a pas été interdit et au cours duquel des militants de l’association ont simplement tenu un stand ».

([122]) Réponses au questionnaire précité adressé à Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres.

([123]) Communiqué de presse figurant sur le site de la Confédération paysanne : « Bassines –Réaction des organisateurs.trices de la mobilisation du 25 mars à l’interdiction préfectorale de manifester – « Bassines- Nous manifesterons bien le 25 mars ! ».

([124]) Arrêté du 17 mars 2023 portant interdiction de manifestation et d’attroupement sur les communes de Mauzé-sur-le-mignon, Le Bourdet, Mauré, Epannes, Prin-Deyrançon, La Rochénard, Val du Mignon, et sur les communes de Sainte-Soline, Lezay, Vançais, Rom, Messé, Saint Coutant, Clussais La Pommeraie, Pers, Caunay et Vanzay du 24 mars 2023 (20 heures) au 26 mars (20 heures).

([125]) Audition précitée du collectif Bassines non merci ! du 27 septembre 2023.

([126]) Référé-liberté déposé par la Confédération paysanne, l’Union départementale CGT 79 et Solidaires 79, ainsi que la Ligue des droits de l’homme (LDH). Dans un courrier en date du 10 octobre 2023 adressé au président de la commission d’enquête, le président de la Ligue des droits de l’homme a tenu à préciser : « […] ce sont les seules dispositions visant le transport d’armes par destinations qui ont été attaquées par la LDH, dans la mesure où un tel arrêté, combiné à des réquisitions du parquet permettant la fouille des véhicules sur une zone de plus de 30 km, laissait la porte ouverte à l’arbitraire des agents pour apprécier ce qui pouvait être considéré ou non comme une arme. À telle enseigne que des observateurs se sont fait confisquer leur casque ou leurs lunettes de protection, ainsi que le rapport le détaille. »

([127]) Arrêté contesté devant le juge administratif par la Confédération paysanne et Solidaires 79.

([128]) Réponses aux questionnaires adressés en vue du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([129]) Service départemental du renseignement territorial (SDRT).

([130]) Bassines non merci !

([131]) Réponses au questionnaire adressé aux services de police, de gendarmerie et du service départemental du renseignement territorial des Deux-Sèvres.

([132]) Audition du général Samuel Dubuis, commandant la région de gendarmerie Nouvelle Aquitaine et la zone de sécurité Sud-ouest et du colonel Ludovic Vestieu, commandant du groupement de gendarmerie des Deux-Sèvres lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([133]) Audition précitée du collectif Bassines non merci ! du 27 septembre 2023.

([134]) Ibid.

([135]) Audition précitée du général Samuel Dubuis et du colonel Ludovic Vestieu, le 6 septembre 2023.

([136]) Ibid.

([137]) Rencontre avec MM. Julien Chassin, maire de Sainte‑Soline, et François Brossard, maire de Vanzay, lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([138]) Selon le maire de Vanzay, une rencontre aurait été organisée à la mairie avec les responsables du camp de base avec lesquels il avait été mis en relation afin de mettre en garde contre tout débordement sur le territoire communal.

([139]) Réponses au questionnaire précité adressé à Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres.

([140]) Ibid.

([141]) Audition précitée du général Samuel Dubuis et du colonel Ludovic Vestieu, le 6 septembre 2023.

([142]) Audition de M. Julien Le Guet, Mme Anne-Morwenn Pastier, Mme Lucile Richard, M. Jérôme Graefe et M. Jérémie Fougerat, collectif Bassines non merci !, du 27 septembre 2023.

([143]) https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/quelques-lecons-de-sainte-soline.

([144]) Interrogés dans le cadre du questionnaire adressé préalablement à l’audition pour laquelle ses représentants étaient convoqués et à laquelle ils ont fait le choix de ne pas déférer, le mouvement Les Soulèvements de la Terre n’a pas apporté d’éclaircissement sur le sens de cette comparaison dans les éléments écrits envoyés au rapporteur.

([145]) https://bassinesnonmerci.fr/index.php/2023/04/25/a-celles-et-ceux-qui-ont-marche-a-ste-soline.

([146]) « Sainte Soline, 24-26 mars 2023, Empêcher l’accès à la Bassine quel qu’en soit le coût humain », rapport des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières, juillet 2023, pp. 105‑106. Le rapport contient des captures d’écran d’une vidéo permettant d’identifier parmi les élus participant à une « chaine des manifestants » les députés Clémence Guettée, Murielle Lepvraud, Marianne Maximi et René Pilato.

([147]) Audition de Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts (EELV) du 7 septembre 2023.

([148]) Réponses au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial.

([149]) Rencontre précitée avec les maires de Sainte‑Soline et Vanzay.

([150]) Réponses au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial.

([151]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023.

([152]) Réponses au questionnaire adressé au tribunal judiciaire de Niort en vue du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête, le 6 septembre 2023.

([153]) Réponses au questionnaire précité adressé à Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres.

([154]) Audition de M. Julien Le Guet, Mme Anne-Morwenn Pastier, Mme Lucile Richard, M. Jérôme Graefe et M. Jérémie Fougerat, collectif Bassines non merci !, du 27 septembre 2023.

([155]) Communiqué de presse du 26 mars 2023 : « Première synthèse – Observations des 24-26 mars 2023 à Sainte-Soline »).

([156]) Complément d’enquête, « Manifs : la guerre est déclarée », émission du 6 avril 2023.

([157]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023. Le ministre de l’intérieur avait évoqué une mauvaise exécution des ordres dans les médias dès le lundi 27 mars sur la chaine France 5.

([158]) D’après les chiffres dont a fait état le ministre de l’intérieur devant la commission des lois de l’Assemblée nationale au cours de l’audition du 5 avril 2023 (n° 48), « [e]n réponse, la gendarmerie indique avoir utilisé 5 015 grenades lacrymogènes, 89 grenades de désencerclement et 40 dispositifs déflagrants. Le peloton motorisé d’intervention et d’interposition a procédé à 81 tirs de LBD (lanceur de balles de défense), dont deux non touchants ».

([159]) Réponses au questionnaire adressé au service central du renseignement territorial.

([160]) Rencontre précitée avec les maires de Sainte‑Soline et Vanzay.

([161]) La « tortue romaine » désigne l’une des techniques de défense de l’armée romaine qui consiste à avancer en groupe dans une formation resserrée, entouré de protections destinées à constituer une sorte de carapace infranchissable.

([162]) Audition de M. Jules Ravel, street journaliste, du 19 juillet 2023.

([163]) Réponses au questionnaire précité adressé à Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres.

([164]) Ibid.

([165]) Ibid.

([166]) Dans sa réponse au questionnaire adressé par votre rapporteur, le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a recensé le piétinement de 11 hectares d’orge, 94 hectares de blé, 25,5 hectares de colza et 2 hectares de prairies, ainsi que de terres non semées.

([167]) Suivant la remarque des officiers de la gendarmerie nationale rencontrés à Niort, si le nombre des blessés parmi les forces de l’ordre apparait inférieur à celui constaté à l’issue du rassemblement du 29 octobre, il s’avère que les effectifs engagés à Sainte-Soline ont subi des blessures bien plus graves.

([168]) Chiffres annoncés lors d’une conférence de presse tenue par les Soulèvements de la Terre à Melle, le 26 mars 2023. Repris par la Ligue des droits de l’Homme dans « Sainte Soline, 24-26 mars 2023, Empêcher l’accès à la Bassine quel qu’en soit le coût humain », rapport des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières, juillet 2023, p. 95.

([169])  D’après les éléments communiqués par le ministre de l’intérieur au cours de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale le 5 avril 2023 (n° 48), « treize véhicules du service départemental d’incendie et de secours ont été mobilisés, soit quarante et un sapeurs-pompiers, trois équipes médicales avec trois médecins de la gendarmerie nationale, cinq Smur, deux hélicoptères – un du Smur, un de la gendarmerie nationale ».

([170]) « Sainte Soline, 2426 mars 2023, Empêcher l’accès à la Bassine quel qu’en soit le coût humain », Rapport des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières, juillet 2023, pp. 103-104.

([171]) Réponses au questionnaire précité adressé à Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres.

([172]) Audition de Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts (EELV), du 7 septembre 2023.

([173]) Lors de son audition du 30 mai 2023, le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Christian Rodriguez, souligne qu’une « majorité de faits résulte de l’action d’ultras, dans une logique d’opposition à ce qui symbolise l’autorité ou l’économie. On compte de plus en plus d’actions de ce type, ce que nous n’observions pas il y a dix ans ».

([174]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([175]) Direction générale de la sécurité intérieure, service central du renseignement territorial et direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.

([176]) Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([177]) Contribution écrite remise par la direction générale de la sécurité intérieure à votre rapporteur.

([178]) Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([179]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, du 1er juin 2023.

([180]) Audition de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, du 20 juin 2023.

([181]) Voir pp. 45-47 du présent rapport.

([182]) Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([183]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([184]) Il existe une frange extrême dont les membres sont surnommés « totos », en référence aux « autonomes ». Les « totos » adhèrent à une violence valant pour elle-même et non comme un simple moyen d’action, mais ils demeurent minoritaires au sein de la mouvance d’ultragauche.

([185]) Popularisé par Guy Debord dans les années 1960, le situationnisme correspond à une théorie politique et culturelle prônant la lutte révolutionnaire afin d’abolir l’État et le capitalisme dans une perspective autogestionnaire et libertaire.

([186]) Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([187]) Situé à Saint-Pétersbourg, le Palais d’Hiver abritait la résidence officielle des monarques russes entre 1732 et 1917. Devenue un symbole de la révolution bolchevique, sa prise d’assaut en octobre 1917 a mis fin au gouvernement provisoire d’Alexandre Kerenski.

([188]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeur de sociologie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, auteur de Violences politiques en France, du 5 juin 2023.

([189]) La fiche S consiste en une catégorie de mesures de recherches au sein du fichier des personnes recherchées (FPR). Elle concerne les personnes soupçonnées d’être porteuses de menaces à la sûreté de l’État, sans pour autant qu’elles aient commis un crime ou un délit.

([190]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, du 5 octobre 2023.

([191]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([192]) Audition du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, du 30 mai 2023.

([193]) Thierry Vincent, « Dans la tête des black blocs », L’Observatoire, 2022.

([194]) Selon les informations communiquées par la direction du renseignement de la préfecture de police dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur.

([195]) Audition de M. Thierry Vincent, journaliste, du 26 juin 2023.

([196]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([197]) Dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, la DRPP indique que seuls deux ressortissants allemands et italiens, ainsi qu’un ressortissant brésilien, ont été interpellés et déférés à l’issue de la manifestation parisienne du 1er mai 2023.

([198]) Dans le prolongement des débordements survenus les 1er et 8 décembre 2018 ayant abouti au saccage de magasins sur les Champs-Élysées et à la vandalisation de l’Arc de Triomphe.

([199]) Audition de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, du 20 juin 2023.

([200]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([201]) Ibid.

([202]) Ibid.

([203]) Ibid.

([204]) La part de ces contenus relatifs aux violences commises lors des manifestations n’est pas précisée.

([205]) Audition de M. Éric Garandeau, directeur des relations institutionnelles et affaires publiques France de TikTok, du 10 juillet 2023.

([206]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([207]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeur de sociologie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, auteur de Violences politiques en France, du 5 juin 2023.

([208]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([209]) Selon l’expression utilisée par M. Thierry Vincent dans son ouvrage Dans la tête des black blocs, p. 15.

([210]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeur de sociologie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, auteur de Violences politiques en France, du 5 juin 2023.

([211]) Ibid.

([212]) Audition de M. Thierry Vincent, journaliste, du 26 juin 2023.

([213]) Audition de M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II, auteur de l’ouvrage Le vertige de l’émeute, du 19 juillet 2023.

([214]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023.

([215]) Audition de M. Christophe Bourseiller, essayiste, auteur de Nouvelle histoire de l’ultragauche, du 29 juin 2023.

([216]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, du 1er juin 2023.

([217]) Audition de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, du 20 juin 2023.

([218]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, du 1er juin 2023.

([219]) Lors de son audition du 1er juin 2023, M. Bertrand Chamoulaud a cependant indiqué que « des structures parviennent à coordonner des actions au niveau national » tout en précisant que « cela reste décousu ».

([220]) Audition de M. Serge Lasvignes, président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, du 19 juillet 2023.

([221]) Lors de son audition du 27 septembre 2023, M. Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci !, a confirmé ce mode de fonctionnement : « Ceux qui veulent se rendre à la manifestation se débrouillent. C’est l’autogestion ».

([222]) Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([223]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, du 1er juin 2023.

([224]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([225]) Lors de son audition du 30 mai 2023, M. Frédéric Veaux a précisé les éléments suivants : « […] Localement, un certain nombre d’associations ont pignon sur rue, dans des zones géographiques où l’ultragauche est parfaitement implantée. Je prends peu de risques en citant la Loire-Atlantique, l’Ille-et-Vilaine, le Limousin, le Tarn et Toulouse. Certains squats sont installés et presque officialisés à Grenoble ou à Dijon ; ils favorisent l’implantation de cette mouvance de l’ultragauche. Ces associations, eu égard à leur objet, sollicitent des subventions auprès des collectivités. Nous avons un exemple au niveau européen. Je me garderai de citer des noms dans ce format de publicité ».

([226]) Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins.

([227]) Une en 2020, huit en 2021, douze en 2022 et huit entre janvier et septembre 2023.

([228]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([229]) Lors de son audition du 1er juin 2023, Mme Françoise Bilancini a insisté sur le rôle décisif de Facebook dans le « succès » du mouvement des Gilets jaunes à l’automne 2018 : « Sans Facebook, il n’y aurait pas eu les gilets jaunes. Ils se sont construits là-dessus. Ils ont ouvert des groupes Facebook par région pour fixer des rendez-vous à Paris. Le mouvement des gilets jaunes est très horizontal et n’aurait pas pu exister sans les réseaux sociaux – comme les convois de la liberté ».

([230]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([231]) Audition de M. Denis Jacob, délégué général du syndicat Alternative Police CFDT, du 20 juin 2023.

([232]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([233]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, du 1er juin 2023.

([234]) Audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale, du 13 juin 2023.

([235]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023.

([236]) Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([237]) Il faut rappeler que les services de renseignement français n’ont pas pour mission de surveiller l’activité et le fonctionnement des partis politiques, conformément à la circulaire ministérielle du 3 janvier 1995. Mme Françoise Bilancini se félicite ainsi de cette évolution, qui n’a souffert d’aucune exception au cours des trois dernières décennies : « […] en tant qu’ancienne des renseignements généraux, c’est un grand soulagement. Notre ligne est claire : nous ne travaillons pas sur la politique mais nous préparons toutes les actions de contestation […]. Les groupes qui nous occupent ne sont pas des partis, même pas des associations, mais des groupements de fait qui utilisent la violence avec un fond politique ». Exclu du champ d’étude des services de renseignement, le suivi des partis politiques ne saurait donc constituer un moyen, assumé ou détourné, afin d’observer les éventuelles relations existant entre ces derniers et l’ultragauche.

 

([238]) Audition de M. Thierry Vincent, journaliste, du 26 juin 2023.

([239]) Ibid.

([240]) Audition de M. Christophe Bourseiller, essayiste, du 29 juin 2023.

([241]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeur de sociologie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([242]) Le tribunal correctionnel de Bordeaux est saisi de cette procédure qui a pris la forme d’une convocation par procès-verbal sous contrôle judiciaire (CPVCJ).

([243]) Audition de Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, du 7 septembre 2023.

([244]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, du 1er juin 2023.

([245]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([246]) Ibid.

([247]) Audition M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([248]) Contributions écrites remises à votre rapporteur.

([249]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([250]) L’article L. 712-2 du code de l’éducation prévoit que le président de l’université est seul responsable du maintien de l’ordre au sein des bâtiments universitaires. Il peut faire appel à la force publique dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État.

([251]) Assassinats de René Audran, haut fonctionnaire de la défense nationale, et de Georges Besse, président-directeur général de la régie Renault.

([252]) En outre, le coût du plan de renforcement de la sécurité du site s’élève à 700 000 euros, financés par les fonds propres de l’Université de Bordeaux. Les dégradations ont par ailleurs provoqué la rupture de son contrat d’assurance à compter du 1er janvier 2024.

([253]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeur de sociologie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([254]) Audition de MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, journalistes et auteurs de L’affrontement qui vient : de l’éco-résistance à l’éco-terrorisme ?, du 6 juillet 2023.

([255]) Ibid.

([256]) Ibid.

([257]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, du 1er juin 2023.

([258]) Selon une étude internationale publiée en septembre 2021 par la revue scientifique « The Lancet Planetary Health », 45 % des jeunes âgés de 16 à 25 ans affirment que l’éco-anxiété affecte leur vie quotidienne.

([259]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, du 1er juin 2023.

([260]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([261]) Audition de M. Serge Lasvignes, président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, du 19 juillet 2023.

([262]) Le journal Le Parisien en fait mention dans un article du 20 décembre 2022 : « Les Soulèvements de la Terre : révélations sur le fer de lance de l’écologie radicale en France ». Le média en ligne « Reporterre » a également commenté et publié cette note sur son site internet le 31 mars 2023.

([263]) Note du SCRT intitulée « Les Soulèvements de la Terre, vecteur de radicalité des luttes écologistes », novembre 2022.

([264]) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047709318

([265]) 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

([266]) Le Conseil d’État indique avoir reçu plus de 10 000 requêtes tendant à l’annulation et à la suspension du décret du 21 juin 2023.

([267]) Conseil d’État, 11 août 2023, ordonnance n° 476385.

([268]) La position du rapporteur public ne préjuge pas de la décision qui sera rendue par le Conseil d’État en novembre 2023.

([269]) « Le rapporteur public du Conseil d’Etat se prononce pour la dissolution des Soulèvements de la Terre », Le Monde, 27 octobre 2023.

([270]) Les Soulèvements de la Terre ont remis une contribution écrite à votre rapporteur, dans laquelle ils indiquent ne pas être en mesure de répondre à la quasi-intégralité des questions posées, arguant de procédures administratives et judiciaires en cours.

([271]) L’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 prévoit que la personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d’enquête est passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. La requête à fin d’exercice des poursuites a été adressée à la procureure de la République de Paris le 5 octobre 2023.

([272]) Selon les éléments transmis par MM. Anthony Cortes et Sébastien dans leur contribution écrite remise à votre rapporteur, les Soulèvements de la Terre revendique près de 100 000 « adhérents » en 2023.

([273]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([274]) Audition de MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, journalistes, du 6 juillet 2023.

([275]) Audition de M. Christophe Bourseiller, essayiste, du 29 juin 2023.

([276]) Ibid.

([277]) Audition de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, du 20 juin 2023.

([278]) Ibid.

([279]) Colin Robineau, « Pour une sociologie des écologistes radicaux. Quelques éléments programmatiques », 2020.

([280]) Lors de son audition du 1er juin 2023, M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, a également évoqué la dimension internationale de l’activisme écologiste radical, tout en nuançant sa portée concrète : « Concernant les liens avec l’extérieur, gardons-nous des fantasmes. Nos perturbateurs nationaux ont de quoi faire sans renfort extérieur. Mais il est de tradition d’aller côté espagnol, belge ou italien récupérer des troupes. Je ne saurais chiffrer précisément mais c’est de l’ordre de quelques centaines. Il y a ces connexions parce que des Français sont allés en Italie soutenir des causes. On s’est aperçu que des gens du département des Deux-Sèvres avaient participé à des actions contre Bayer-Monsanto à Villefranche-sur-Saône et que, en remerciement, ceux de Lyon s’étaient rendus dans les Deux-Sèvres. Avec Notre-Dame-des-Landes, ce sont les deux sites où se tiennent des réunions d’organisation et de structuration. »

([281]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([282]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([283]) https://twitter.com/lessoulevements/status/1699563860074672609

([284]) Note du SCRT intitulée « Les Soulèvements de la Terre, vecteur de radicalité des luttes écologistes », novembre 2022.

([285]) Ibid.

([286]) Ibid.

([287]) Audition de M. Christophe Bourseiller, essayiste, du 29 juin 2023.

([288]) Audition de MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, journalistes, du 6 juillet 2023.

([289]) Audition de M. Pierre Taïeb, membre de Dernière Rénovation, du 26 juin 2023.

([290]) Audition de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, du 20 juin 2023.

([291]) Audition de Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les-Verts, du 7 septembre 2023.

([292]) Audition de M. Bertrand Caltagirone, membre de Dernière Rénovation, du 26 juin 2023.

([293]) Audition de Mme Youlie Yamamoto, porte-parole de l’association Attac, du 11 juillet 2023.

([294]) Audition de M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II, du 19 juillet 2023.

([295]) Audition de MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, journalistes, du 6 juillet 2023.

([296]) Audition de Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les-Verts, du 7 septembre 2023.

([297]) Ibid.

([298]) Audition de M. Bertrand Caltagirone, membre de Dernière Rénovation, du 26 juin 2023.

([299]) Audition de M. Claude Gruffat, député européen, du 7 septembre 2023.

([300]) Lors de son audition du 7 septembre 2023, M. David Cormand affirme ainsi : « J’appelle votre attention sur le concept de désobéissance civile. Par définition, c’est une proposition d’action militante qui sort du cadre de la loi. Mais, y compris en tant qu’élu et en tant que législateur, il faut entendre que c’est une façon de militer qui ne sort pas de l’arc républicain, dans la mesure où elle rejette la violence contre les personnes. »

([301]) Audition de M. Benoît Biteau, député européen, du 7 septembre 2023.

([302]) Henry David Thoreau, La désobéissance civile, 1849.

([303]) Audition de Mme Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac, du 11 juillet 2023.

([304]) Audition de M. Vincent Gay, secrétaire général d’Attac, du 11 juillet 2023.

([305]) Lors de son audition du 11 juillet 2023, Mme Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac, explique ce positionnement : « Nous sommes convaincus qu’il existe des urgences et un état de nécessité qui légitiment d’agir en dehors du cadre légal, pour transformer ce dernier et le mettre au service d’impératifs sociaux et écologiques, au service du bien commun. En l’état, l’ordre public qu’il faut protéger devrait d’abord concerner le vivant, les écosystèmes, les droits sociaux et la démocratie. »

([306]) Note du SCRT intitulée « Les Soulèvements de la Terre, vecteur de radicalité des luttes écologistes », novembre 2022.

([307]) Audition de M. Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci !, du 27 septembre 2023.

([308]) Audition de Mme Florence Marchal, membre de Dernière Rénovation, du 26 juin 2023.

([309]) Ibid.

([310]) Audition de M. Jérôme Graefe, membre de la Ligue des droits de l’homme, du 27 septembre 2023.

([311]) Lors de son audition le 27 septembre 2023, M. Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci !, affirme que « l’histoire de cette lutte est celle d’un blocage démocratique. C’est l’histoire de l’épuisement de tous les recours légaux et de toutes les formes d’action que vous qualifiez de pacifiques ».

([312]) L’article 132-75 du code pénal définit les armes par destination comme tout objet susceptible de présenter un danger pour les personnes dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu’il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer.

([313]) Audition de M. Pierre Taïeb, membre de Dernière Rénovation, du 26 juin 2023.

([314]) Audition de M. Bertrand Caltagirone, membre de Dernière Rénovation, du 26 juin 2023.

([315]) Cette expression a été utilisée pour la première fois le 30 octobre 2022 par le ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, à l’issue d’affrontements entre des manifestants et les forces de l’ordre à Sainte-Soline.

([316]) Audition de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, du 20 juin 2023.

([317]) Audition de MM. Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, journalistes, du 6 juillet 2023.

([318]) Ibid.

([319]) Audition de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, du 20 juin 2023.

([320]) Audition de M. Christophe Castaner, ancien ministre de l’intérieur, du 10 juillet 2023.

([321]) Selon l’expression utilisée par M. Bertrand Chamoulaud, chef du SCRT, lors de son audition du 1er juin 2023.

([322]) Les « déter » correspondent à des manifestants dits « déterminés », non-affiliés à des groupuscules d’ultragauche et considérés par la police et la gendarmerie moins rompus aux techniques de l’action violente, ce qui facilite leur interpellation.

([323]) Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([324]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureur de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([325]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([326]) À l’exception de deux individus précédemment condamnés par le tribunal correctionnel de Bordeaux en 2019 pour des infractions commises en marge du mouvement des « gilets jaunes » et d’un individu, mineur de 17 ans, déjà connu de la justice des mineurs.

([327]) Audition du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, du 30 mai 2023.

([328]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([329]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du SCRT, du 1er juin 2023.

([330]) Ibid.

([331]) Audition de M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II, du 19 juillet 2023.

([332]) Audition de M. Alain Bauer, criminologue, du 6 juillet 2023.

([333]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([334]) Ibid.

([335]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([336]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du SCRT, du 1er juin 2023.

([337]) Dans son ouvrage Psychologie des foules, Gustave Le Bon écrit ainsi que « la foule est toujours intellectuellement inférieure à l’homme isolé ».

([338]) Voir notamment le chapitre rédigé par Stephen Reicher intitulé The Psychology of Crowd Dynamics issu de l’ouvrage collectif Self and social identity publié en 2004 par Blackwell Publishing.

([339]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([340]) Ibid.

([341]) Audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale du 13 juin 2023.

([342]) Audition de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, du 20 juin 2023.

([343]) Voir notamment son ouvrage L’homme et le sacré publié en 1942.

([344]) Audition de M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II, du 19 juillet 2023.

([345]) Rapport n° 3789 de M. Jérôme Lambert en conclusion des travaux de la commission d’enquête, présidée par M. Jean-Michel Fauvergue, relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines du maintien de l’ordre, Assemblée nationale, XVe législature, 20 janvier 2021.

([346]) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ou « loi El Khomri ».

([347]) Audition de Me Thibault de Montbrial, président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure, le 29 juin 2023.

([348]) Table ronde d’avocats avec Me Arié Alimi, Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, et Me Raphaël Kempf, du 29 juin 2023.

([349]) Communiqué de presse consultable en ligne.

([350]) Circulaire du ministre de l’intérieur du 15 décembre 2021, NOR INTK2137104.

([351]) Pour des précisions sur les choix ayant présidé à l’élaboration du schéma national du maintien de l’ordre, voir l’audition de M. Christophe Castaner, ancien ministre de l’intérieur, du 10 juillet 2023.

([352]) Circulaire du ministre de l’intérieur du 15 décembre 2021, NOR INTK2137104.

([353]) Circulaire du ministre de l’intérieur du 16 septembre 2020, NOR INTK2023917.

([354]) Conseil d’État, 10 juin 2021, Syndicat national des journalistes et autres, décisions n° 444849, 445063 et 445365. La procédure devant le Conseil résulte de quatre recours en excès de pouvoir déposés respectivement par le Syndicat national des journalistes et la Ligue des droits de l’homme ; la Confédération générale du Travail (CGT) et le Syndicat national des journalistes CGT ; l’Union syndicale solidaires, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et l’association Action des chrétiens pour l’abolition de la torture ; enfin, un particulier.

([355]) Le point 2.5 du schéma national du maintien de l’ordre prévoit : « En l’absence de risques de troubles à l’ordre public, le maintien à distance de la foule pour préserver l’intégrité physique des manifestants reste l’option privilégiée. En cas de menace ou de troubles à l’ordre public, l’adaptation au plus près du dispositif doit être immédiate et permettre l’interpellation des fauteurs de troubles, le respect du parcours et la préservation de la liberté de manifestation. » Le point 3.1.2 du schéma établit pour sa part qu’une « forte mobilité et réactivité des forces sont nécessaires afin de pouvoir mettre fin aux exactions et interpeller leurs auteurs ».

([356]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([357]) Audition de M. Christophe Castaner, ancien ministre de l’intérieur, du 10 juillet 2023.

([358]) Audition de M. Didier Lallement, ancien préfet de police de Paris, du 6 juillet 2023.

([359]) Voir par exemple en ce sens l’audition de Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([360]) Audition de M. Didier Lallement, ancien préfet de police de Paris, du 6 juillet 2023.

([361]) Table ronde de syndicats de police, avec les représentants d’Alliance police nationale, Alternative police CFDT et UNSA Police, du 20 juin 2023.

([362]) Audition de M. Didier Lallement, ancien préfet de police de Paris, du 6 juillet 2023.

([363]) Réponses au questionnaire adressé à la direction générale de la gendarmerie nationale.

([364]) Point 1.3 du schéma national du maintien de l’ordre : « Afin d’accompagner au mieux la préparation de la manifestation, un échange entre l’autorité administrative et les organisateurs doit être recherché en amont. Cet échange, sous l’autorité du directeur du service d’ordre (DSO) voire du préfet pour les manifestations les plus importantes ou sensibles, permet généralement de nouer une relation de confiance, de définir de façon concertée un nouvel itinéraire si celui proposé initialement paraît inapproprié au regard des risques à l’ordre public, d’identifier une difficulté potentielle des organisateurs à assurer le bon ordre et d’appeler solennellement leur attention sur la nécessité d’une désolidarisation rapide vis-à-vis des casseurs le cas échéant. Cette phase contribue à un exercice apaisé des manifestations. Adaptée au contexte de l’événement, elle s’appuie en effet également sur des actions associant l’autorité administrative, les organisateurs, les élus locaux, la population, dans une volonté de transparence, d’information et de pédagogie pour permettre au grand public de prendre connaissance des mesures prises, de les comprendre et de s’y conformer. »

([365]) Point 2.1.1 du schéma national du maintien de l’ordre.

([366]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023.

([367]) Ibid.

([368]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([369]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023.

([370]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([371]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([372]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023.

([373]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([374]) Ibid.

([375]) Ibid.

([376]) Audition de M. Christophe Bourseiller, essayiste et auteur de Nouvelle histoire de l’ultragauche, du 29 juin 2023.

([377]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023. Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, estime ainsi qu’un « dispositif policier massif peut être ressenti comme une provocation, et il serait donc préférable de limiter sa visibilité ».

([378]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023.

([379]) Ibid.

([380]) Ibid.

([381]) Ibid.

([382]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([383]) Table ronde des organisations syndicales du 7 septembre 2023.

([384]) Ibid.

([385]) Articles L. 211-9 et R. 211-11 du code de la sécurité intérieure, et article 431‑3 du code pénal.

([386]) Voir en ce sens l’audition du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, du 30 mai 2023.

([387]) Table ronde d’avocats avec Me Arié Alimi, Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, et Me Raphaël Kempf, du 29 juin 2023.

([388]) Audition de M. Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes II, du 18 juillet 2023.

([389]) Décret n° 2021‑556 du 5 mai 2021 modifiant le code de la sécurité intérieure et relatif aux sommations à effectuer avant de disperser un attroupement.

([390]) Ces armes sont visées à l’article R. 211-16 du code de la sécurité intérieure.

([391]) Audition du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, du 30 mai 2023.

([392])  Réponses du groupe Canal+, au titre de la chaîne CNews, au questionnaire adressé aux chaînes d’information en continu.

([393]) Audition de M. Jules Ravel, street journaliste, du 19 juillet 2023.

([394]) Table ronde des chaînes d’information en continu avec M. Nicolas Marut, directeur adjoint de la rédaction de BFMTV, M. Gérald Brice-Viret, directeur général de Canal + France en charge des antennes et des programmes, Mme Régine Delfour, grand reporter à CNews, Mme Hélène Lecomte, directrice adjointe de la rédaction de LCI, et M. François Brabant, directeur délégué de France Info, du 18 juillet 2023.

([395]) M. Jules Ravel, street journaliste, a également évoqué, au cours de son audition du 19 juillet 2023, le cas d’une journaliste violentée à Marseille « par un membre des compagnies républicaines de sécurité à la vue de sa carte de presse ».

([396]) Points 2.2.1 à 2.2.6 du schéma national du maintien de l’ordre.

([397]) Suivant la définition du schéma national du maintien de l’ordre, la catégorie comprend les techniciens et les agents de sécurité.

([398]) Le point 2.2.1 du schéma national du maintien de l’ordre mentionne dans cette catégorie les éditeurs de presse écrite, les entreprises de l’audiovisuel et les agences de presse.

([399]) Le schéma national du maintien de l’ordre spécifie que la disposition s’applique tant aux manifestations déclarées qu’aux manifestations qui ont été interdites ou n’ont pas été préalablement déclarées.

([400]) Table ronde précitée des chaînes d’information en continu du 18 juillet 2023.

([401]) Audition de M. Jules Ravel, street journaliste, du 19 juillet 2023.

([402]) Commission européenne pour la démocratie par le droit (« commission de Venise »), Lignes directrices du BIDDH/OSCE et de la commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, adoptées par la commission de Venise lors de sa 83e session plénière, 4 juin 2010.

([403]) Voir en ce sens la table ronde d’associations de défense des droits de l’homme, avec Mme Fanny Gallois, responsable de programme d’Amnesty International, et Mme Nathalie Tehio, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme, du 29 juin 2023.

([404])  Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

([405]) Audition précitée de la direction générale de la police nationale du 30 mai 2023.

([406]) Table ronde de syndicats de police du 20 juin 2023.

([407]) Audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale du 13 juin 2023. Rapport n° 3786 de M. Jérôme Lambert au nom de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines du maintien de l’ordre, déposé le 20 janvier 2021, p. 21.

([408]) Audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale du 13 juin 2023.

([409]) Audition de M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et ancien ministre de l’intérieur, du 26 septembre 2023.

([410]) Rapport pour avis à la commission des Lois n° 341, tome VII, de M. Thomas Rudigoz sur le projet de loi de finances pour 2023, 17 octobre 2022, p. 8.

([411]) Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

([412]) Paragraphe 3.3.1. Création de onze nouvelles unités de forces mobiles.

([413]) La CRS 8 est une compagnie républicaine de sécurité qui, depuis sa réorganisation en juillet 2021, s’est spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines et le trafic de drogue. Établie à Bièvres, elle compte 200 agents de police et peut-être mobilisable en quinze minutes, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept.

([414]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023.

([415]) Défenseure des droits, Désescalade de la violence et gestion des foules protestataires, novembre 2021.

([416]) Audition de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, du 11 juillet 2023.

([417]) Les brigades anti-criminalité sont des unités de la police nationale relevant de la direction centrale de la sécurité publique ou de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne. Elles sont déployées sur l’ensemble du territoire national au sein de la plupart des commissariats. Leur mission consiste en la recherche d’infractions sur la voie publique. Les BAC peuvent procéder à des contrôles de véhicules et d’identité. Leur champ d’intervention porte sur les faits quotidiens de petite et moyenne délinquance, notamment dans le cadre du flagrant délit, et, ponctuellement, sur des faits de nature criminelle.

([418]) Créée en 2019 par le préfet de police de Paris Michel Delpuech dans le contexte des « gilets jaunes », la BRAV‑M est constituée de binômes circulant à moto intervenant à Paris lors de manifestations violentes.

([419]) Table ronde d’avocats avec Me Arié Alimi, Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, et Me Raphaël Kempf, du 29 juin 2023.

([420]) Antoine Albertini, « Quand une équipe des BRAV‑M dérape au cours d’une interpellation : “Je peux te dire qu’on en a cassé, des coudes et des gueules” », Le Monde,‎ 24 mars 2023.

([421]) « BRAV-M : deux policiers renvoyés devant le tribunal de Bobigny pour des faits de violences », Le Monde, 5 septembre 2023.

([422]) Paragraphe 2.4.5 à 2.4.7 du schéma national du maintien de l’ordre.

([423]) Paragraphe 3.1.2 du schéma national du maintien de l’ordre.

([424]) Audition de M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et ancien ministre de l’intérieur, du 26 septembre 2023.

([425]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([426]) Audition de Me Thibault de Montbrial, président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure, du 29 juin 2023.

([427]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([428]) Audition, ouverte à la presse, de la direction générale de la police nationale avec M. Frédéric Veaux, directeur général, Mme Virginie Brunner, directrice centrale de la sécurité publique, Mme Pascale Dubois, directrice centrale des compagnies républicaines de sécurité, M. Philippe Chadrys, directeur central adjoint de la police judiciaire, Mme Sophie Hatt, directrice de la coopération internationale de sécurité, et Mme Élise Sadoulet, cheffe de la division des faits religieux et mouvances contestataires du service central du renseignement territorial, du 30 mai 2023.

([429]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([430]) Table ronde de syndicats de police, avec les représentants d’Alliance police nationale, Alternative police CFDT et UNSA Police, du 20 juin 2023.

([431]) Ibid.

([432]) Paragraphe 3.3.2, « Un investissement massif dans la formation des forces au maintien de l’ordre », du rapport annexé à la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

([433]) « SainteSoline, 24-26 mars 2023, Empêcher l’accès à la Bassine quel qu’en soit le coût humain », rapport des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières, juillet 2023, pp. 72‑82.

([434]) Ligue des droits de l’homme et Syndicat des avocats de France, « Escalade des violences et opération de communication – La stratégie de la Préfecture de police de Paris pour le 1er mai », rapport d’observation relatif aux opérations de maintien de l’ordre menées lors de la manifestation du 1er mai 2023, juillet 2023, pp. 7‑10.

([435]) Table ronde d’associations de défense des droits de l’homme, avec Mme Fanny Gallois, responsable de programme d’Amnesty International, et Mme Nathalie Tehio, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme, du 29 juin 2023.

([436]) Audition de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, du 11 juillet 2023.

([437]) Table ronde d’avocats avec Me Arié Alimi, Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, et Me Raphaël Kempf, du 29 juin 2023.

([438]) Ibid.

([439]) Voir en ce sens l’audition de Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts, du 7 septembre 2023.

([440]) Audition du collectif Bassines non merci ! du 27 septembre 2023. En toute rigueur, la classification fondée sur l’article R. 311-2 du code la sécurité intérieure regroupe dans la catégorie A « les matériels de guerre et armes interdits à l’acquisition et à la détention… », c’est-à-dire des armes ne pouvant être employées que par les forces de sécurité. Le 4° de la catégorie A2 comprend ainsi des « [c]anons, obusiers, mortiers, lance-roquettes et lance-grenades, de tous calibres, lance-projectiles et systèmes de projection spécifiquement destinés à l’usage militaire ou au maintien de l’ordre, ainsi que leurs tourelles, affûts, bouches à feu, tubes de lancement, lanceurs à munition intégrée, culasses, traîneaux, freins et récupérateurs ».

([441]) Audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale du 13 juin 2023.

([442]) Ibid.

([443]) Ibid.

([444]) Paragraphes 3.3.1 à 3.3.3 du schéma national du maintien de l’ordre.

([445]) Audition de M. Christophe Castaner, ancien ministre de l’intérieur, du 10 juillet 2023.

([446]) Audition de M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et ancien ministre de l’intérieur, du 26 septembre 2023.

([447]) Audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale, du 13 juin 2023.

([448]) Ibid.

([449]) Audition du général Samuel Dubuis, commandant la région de gendarmerie Nouvelle Aquitaine et la zone de sécurité Sud-ouest et du colonel Ludovic Vestieu, commandant du groupement de gendarmerie des Deux-Sèvres lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([450]) Audition de M. Michel Delpuech, ancien préfet de police de Paris, du 10 juillet 2023.

([451]) Audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale du 13 juin 2023.

([452]) Ibid.

([453]) Les drones sont de petits appareils volants télécommandés notamment utilisés pour des tâches de reconnaissance tactique à haute altitude, de surveillance d’un terrain d’opérations et de guerre électronique. Dans le secteur civil, ils peuvent être aussi utilisés pour des missions de surveillance des manifestations ou de lutte contre la pollution maritime et les incendies de forêt, ou encore pour des prises de vue photographiques et cinématographiques.

([454]) Voir en ce sens l’intervention du major Rachel Chervier au cours de l’audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale du 13 juin 2023.

([455]) Réponses au questionnaire adressé à la préfecture de police de Paris.

([456]) Décret n° 2023‑283 du 19 avril 2023 relatif à la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative. Le décret crée dans la partie réglementaire du code de sécurité intérieure les articles R. 241‑1 à R. 242‑7.

([457]) Loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

([458]) Conseil d’État, 24 mai 2023, M. X et Association de défense des libertés constitutionnelles, n° 473547.

([459]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023.

([460]) Réponses au questionnaire adressé à M. Étienne Guyot, préfet de la région Nouvelle‑Aquitaine, préfet de la Gironde, en vue du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Bordeaux, le 17 juillet 2023.

([461]) Paragraphes 2.4.1 à 2.4.4 du schéma national du maintien de l’ordre.

([462]) Les préfets des départements peuvent rendre compte au ministère des opérations de maintien de l’ordre soit directement par des remontées d’information au centre de veille, soit par l’intermédiaire de l’échelon zonal lorsqu’une synthèse par zone de défense est demandée par l’administration centrale.

([463]) Suivant le lieu des manifestations et rassemblement, il peut s’agir des responsables de zone territoriale au sein de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, soit respectivement les directeurs départementaux de la sécurité publique pour la police nationale et les commandants de groupements départementaux pour la gendarmerie nationale. À Paris, cette fonction est assurée par le directeur de l’ordre public et de la circulation de la préfecture de police.

([464]) Réponses au questionnaire adressé à Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres, en vue du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([465]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([466]) Voir en ce sens, au cours de la table ronde de syndicats de police du 20 juin 2023, l’intervention de M. Jean‑Paul Nascimento, secrétaire national du pôle CRS de l’Unsa Police : « Concernant la sommation et l’utilisation de la force légitime, nous pouvons poser le problème de l’autorité civile sur le maintien de l’ordre, c’est-à-dire le commissaire de police. Son rôle est de fixer des objectifs à atteindre, comme l’évacuation d’une place, en se tournant vers le commandant de la force publique à savoir le commandant de la compagnie républicaine de sécurité ou de l’escadron de gendarmerie mobile. Sur la plaque parisienne, l’autorité civile exerce les deux rôles. Pour l’Unsa Police, cette situation pose problème. »

([467]) Toutefois, les agents du renseignement territorial n’ont pas vocation à intégrer les cortèges, tout particulièrement en cas de risque de trouble grave à la paix publique.

([468]) Voir l’audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([469]) Réponses au questionnaire adressé à Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres, en vue du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Niort, le 6 septembre 2023.

([470]) Audition de Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du 5 juin 2023.

([471]) Audition de M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et ancien ministre de l’intérieur, du 26 septembre 2023.

([472]) Selon les chiffres indiqués par le ministre de l’intérieur à la commission des Lois du Sénat et cités dans le rapport (n° 19) de MM. Marc‑Philippe Daubresse et Loïc Hervé sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, 7 octobre 2022, p. 119.

([473]) Article 71 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne du 26 octobre 2012.

([474]) La direction de la coopération internationale de sécurité est commune à la police et à la gendarmerie nationales.

([475]) Réponses au questionnaire adressé à la direction générale de la gendarmerie nationale.

([476]) Réponses au questionnaire adressé à la direction générale de la police nationale.

([477]) L’interdiction administrative du territoire, régie par les articles L. 320‑1 à L. 323‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, permet d’empêcher un étranger d’entrer en France lorsque sa présence constitue un danger grave. Elle est prononcée par le ministre de l’intérieur sans débat contradictoire. La décision est notifiée. L’autorité administrative peut à tout moment supprimer l’interdiction. L’étranger peut en demander la levée après un délai d’un an ou introduire un recours devant la juridiction administrative.

([478]) Réponses au questionnaire adressé la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l’Intérieur.

([479]) Une enquête BVA pour RTL publiée le 5 juillet dernier relevait que 77 % des personnes interrogées ont une bonne image de la police tandis que 71 % d’entre elles considèrent que la police agit globalement dans le respect des règles et que les dérapages sont des faits isolés. À rebours, 20 % estiment que ces dérapages sont le signe d’un problème plus profond et que la police ne respecte pas les règles qui s’imposent à elle.

([480]) Audition de M. Michel Delpuech, ancien préfet de police de Paris, du 10 juillet 2023.

([481]) Article 4 de la loi organique n° 2011‑333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.

([482]) Relèvent également de leur champ de compétences des missions d’audit, d’évaluation, de retour d’expérience et de conseil destinées à établir un bilan et à formuler des préconisations sur le respect des règles déontologiques au sein de la police et de la gendarmerie nationales.

([483]) Sur les sites respectifs ouverts par la police nationale et par la gendarmerie nationale.

([484]) Rapport n° 3786 de M. Jérôme Lambert au nom de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines du maintien de l’ordre, déposé le 20 janvier 2021, pp. 93‑106.

([485]) Audition conjointe par la commission des Lois du général Alain Pidoux, chef de l’inspection générale de la gendarmerie nationale, et de Mme Agnès Thibault-Lecuivre, directrice, cheffe de l’inspection générale de la police nationale, compte rendu n° 72 (2022‑2023), 12 juillet 2023.

([486]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, du 5 octobre 2023.

([487]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, sur la gestion du maintien de l’ordre du 5 avril 2023, compte rendu n° 48.

([488]) Rapport n° 3786 de M. Jérôme Lambert au nom de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines du maintien de l’ordre, déposé le 20 janvier 2021, p. 102, recommandation n° 27.

([489]) Ibid, p. 105, recommandation n° 29.

([490]) Paragraphe 2.7, « Garantir la transparence et l’exemplarité de l’action des forces de l’ordre », du rapport annexé à la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

([491]) Arrêté du 24 décembre 2013 relatif aux conditions et modalités de port du numéro d’identification individuel par les fonctionnaires de la police nationale, les adjoints de sécurité et les réservistes de la police nationale.

([492]) Audition de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, du 11 juillet 2023.

([493]) Conseil d’État, 11 octobre 2023, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 467771.

([494]) Table ronde de syndicats de police, avec les représentants d’Alliance police nationale, Alternative police CFDT et UNSA Police, du 20 juin 2023.

([495]) Entre trois et quinze jours avant la date prévue de la manifestation en précisant son objet, la date, l’heure, le lieu et l’itinéraire souhaité.

([496]) Conseil constitutionnel, décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité.

([497]) Cour européenne des droits de l’homme, 5 mars 2009, Barraco c/ France, n° 31684/05.

([498]) Conseil d’État, 5 janvier 2007, Ministère de l’intérieur c/ Association Solidarité des Français, n° 300311.

([499]) Conformément aux conclusions du commissaire du gouvernement Louis Corneille à l’occasion de l’arrêt Baldy rendu par le Conseil d’État le 10 août 1917 : « La liberté est la règle, la restriction de police l’exception ». Voir également la suspension par l’ordonnance n° 440846 rendue le 13 juin 2020 par le juge des référés du Conseil d’État du décret n° 2020-663 interdisant de façon générale, pour des motifs sanitaires liés à l’épidémie de covid‑19, les manifestations sur la voie publique réunissant plus de dix personnes.

([500]) Article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure.

([501]) Conseil d’État, Comité Action Palestine, ordonnance de référé n° 488860, 18 octobre 2023.

([502]) Telles que l’aménagement du parcours, l’interdiction de certains lieux ou encore de l’usage d’haut-parleurs au cours du défilé.

([503]) Voir notamment la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-279 QPC du 5 décembre 2012, M. JeanClaude P.

([504]) Conseil d’État, 21 janvier 1966, Legastelois, n° 61.692.

([505]) Cour administrative d’appel de Bordeaux, 19 juillet 1999, Association rétaise des amis d’Henri Béraud, n° 97BX01724.

([506]) Conseil d’État, 26 juillet 2014, M. Pojolat, n° 383091.

([507]) Conseil d’État, 30 décembre 2003, Lehembre, n° 248264.

([508]) Voir notamment les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme Fáber c/ Hongrie, le 24 juillet 2012, n° 40721/08, Gün et autres c/ Turquie, le 18 juin 2023, n° 8029/07, et Taranenko c/ Russie, le 15 mai 2014, n° 19544/05.

([509]) Proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, adoptée en termes identiques par l’Assemblée nationale le 5 février 2019 (T.A. n° 226) et par le Sénat le 12 mars 2019 (texte n° 77, 2018‑2019).

([510]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019‑780 DC du 4 avril 2019, Loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, paragraphe n° 26.

([511]) Audition de Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, du 13 juin 2023.

([512]) Article L. 332-16 du code du sport.

([513]) Article L. 332-16-1 du code du sport.

([514]) Les contrôles, inspections et fouilles sont effectués par les officiers de police judiciaire ou, sous la responsabilité de ces derniers, par les agents de police judiciaire ou agents de police judiciaire adjoints.

([515]) Actes de terrorisme, infractions en matière d’armes et d’explosifs, vol, recel et trafic de stupéfiants.

([516]) Dépêche du ministre de la justice du 18 mars 2023, p. 2.

([517]) S’agissant des réquisitions prises sur le fondement de l’article 78-2.

([518]) S’agissant des réquisition prises sur le fondement de l’article 78-2-2.

([519]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019‑780 DC du 4 avril 2019, Loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, paragraphe n° 17.

([520]) Audition de Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, du 13 juin 2023.

([521]) Ce constat a également été formulé par notre ancien collègue Jérôme Lambert dans le rapport n° 3786 de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines du maintien de l’ordre, déposé le 20 janvier 2021.

([522]) Ainsi que l’indique le parquet de Paris dans une contribution écrite remise à votre rapporteur, ces contrôles préventifs visent à lutter contre des « infractions-obstacles » qui ne sanctionnent pas un résultat dommageable mais un comportement dangereux, précisément dans le but d’éviter un résultat dommageable.

([523]) Conseil constitutionnel, décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, M. Ahmed M. et autre.

([524]) Cour de cassation, première chambre civile, 2 septembre 2020, n° 19-50.013.

([525]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([526]) Audition de M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre, du 26 septembre 2023.

([527]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([528]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([529]) L’article 78-3 du code de procédure pénale prévoit que si la personne contrôlée refuse ou se trouve dans l’impossibilité de justifier de son identité, elle peut, en cas de nécessité, être retenue sur place ou dans le local de police où elle est conduite aux fins de vérification de son identité. Dans tous les cas, elle est présentée immédiatement à un officier de police judiciaire qui la met en mesure de fournir par tout moyen les éléments permettant d’établir son identité et qui procède, s’il y a lieu, aux opérations de vérification nécessaires.

([530]) Audition de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, du 11 juillet 2023.

([531]) Ibid.

([532]) Rapport n° 3786 de M. Jérôme Lambert au nom de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines du maintien de l’ordre, déposé le 20 janvier 2021.

([533]) Audition de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, du 19 juillet 2023.

([534]) L’article R. 645-14 du code pénal punit les mêmes faits d’une contravention de la cinquième classe en l’absence de troubles à l’ordre public.

([535]) Il peut s’agir d’une arme par destination.

([536]) Selon les éléments communiqués à votre rapporteur par le centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), la participation à une manifestation interdite au Royaume‑Uni constitue une infraction pénale punie d’une amende de 2 500 livres sterling, voire de trois mois d’emprisonnement.

([537]) Cour de cassation, chambre criminelle, 14 juin 2022, n° 21-81.054, n° 21-81.061, n° 21-81.066, n° 21-81.072 et n° 21-81.078 ; Cour de cassation, chambre criminelle, 6 juin 2023, n° 22-85.120.

([538]) Audition de Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, du 13 juin 2023.

([539]) Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([540]) Article 431-5.

([541]) Articles 431-4, alinéa 2 et 431-5, alinéas 2 et 3.

([542]) Article 431-6.

([543]) Audition de Me Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, du 29 juin 2023.

([544]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([545]) Audition de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, du 19 juillet 2023.

([546]) Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque les infractions préparées sont des crimes ou des délits punis de dix ans d’emprisonnement.

([547]) Article 332-3.

([548]) Article 311-4.

([549]) Telles que les menaces, l’outrage, la rébellion ou l’embuscade.

([550]) Article 41-1 du code de procédure pénale.

([551]) Dans sa « contre-circulaire relative au traitement judiciaire des infraction commises à l’occasion des manifestations ou des regroupements » publiée le 6 juin 2023, le Syndicat de la magistrature considère que « l’interdiction de paraître [… ] utilisée de manière très large dans le cadre des classements sous condition constitue en réalité une peine déguisée prononcée sans le contrôle du juge et entraîne une réelle atteinte à la liberté d’aller et venir qui doit être envisagée avec beaucoup de prudence. La question se pose de manière similaire lorsqu’une composition pénale est envisagée ».

([552]) Le code de procédure pénale prévoit que l’interdiction de paraître peut également être imposée dans le cadre d’une composition pénale (article 41‑2) ou d’une ordonnance pénale (article 495-2). Elle peut aussi être ordonnée par le juge d’instruction ou par le juge des libertés et de la détention au titre d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique (articles 138 et 142-5). Le code pénal l’autorise à la place de la peine d’emprisonnement pour une durée maximale de trois ans (article 131‑6) ou à la place d’une amende délictuelle (article 131-7). La juridiction de jugement peut enfin l’imposer comme obligation du sursis probatoire. Quel que soit le cadre dans lequel elle est prononcée, l’interdiction de paraître est inscrite au fichier des personnes recherchées depuis la loi n° 2020‑936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

([553]) Article 431-11 du code pénal. L’article 434-38 du même code sanctionne la violation de la peine d’interdiction de séjour d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

([554]) Article 131-32-1 du code pénal.

([555]) Les articles 222-47, 322-15 et 431-11 du code pénal prévoient que la peine complémentaire peut être prononcée pour les infractions suivantes : les violences (articles 222-7 à 222-23), les destructions, dégradations et détériorations de biens sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger (articles 322‑1 à 322‑3 et 332‑6), la participation à un groupement en vue de commettre des violences (article 222‑14‑2), l’organisation d’une manifestation non déclarée ou interdite (article 431‑9), la dissimulation du visage lors d’une manifestation (article 431‑9‑1) et le port d’arme lors d’une manifestation ou d’une réunion publique (article 431‑10).

([556]) bis de l’article 138 du code de procédure pénale.

([557]) 9° et 19° de l’article 230-19 du code de procédure pénale.

([558]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([559]) Audition de Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, du 13 juin 2023.

([560]) Celles prévues par les 1°, 2°, 3°, 8°, 9° et 14° de l’article 138 du code de procédure pénale.

([561]) 3° bis de l’article 138.

([562]) Articles 222-7 à 222-23 du code pénal.

([563]) Article 222-14-2 du code pénal.

([564]) Articles 322-1 à 322-3 du code pénal.

([565]) Article 431-10 du code pénal.

([566]) Article 431-9-1 du code pénal.

([567]) Article 431-9 du code pénal.

([568]) Article L. 332-11 du code du sport.

([569]) Conseil constitutionnel, décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023, Loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, paragraphes 91 à 98.

([570]) Articles 434-41 et 434-44 du code pénal.

([571]) Article 434-38 du code pénal.

([572]) Article L. 332-11 du code du sport.

([573]) Enregistrée à la présidence du Sénat le 15 septembre 2023, la proposition de loi n° 926 déposée par les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky prévoit d’amnistier les auteurs de nombreuses infractions délictuelles commises à l’occasion des manifestations sur la voie publique, notamment celles organisées au printemps dernier.

([574]) 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

([575]) Audition de Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, du 13 juin 2023.

([576]) En revanche, la possibilité pour le ministre de l’intérieur de suspendre pour une durée de trois mois renouvelable une fois les activités de l’association ou du groupement de fait faisant l’objet d’une procédure de dissolution a été censurée par le Conseil constitutionnel.

([577]) Conseil constitutionnel, décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, Loi confortant le respect des principes de la République, paragraphes 33 à 42.

([578]) Ibid, paragraphe 38.

([579]) Audition de Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, du 13 juin 2023.

([580]) Ibid.

([581]) Conseil d’État, 20 décembre 2022, Association Le Bloc Lorrain, n° 469368.

([582]) Audition de Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, du 13 juin 2023.

([583]) Voir notamment la décision n° 71-44 DC rendue par le Conseil constitutionnel le 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

([584]) Lors de son audition du 13 juin 2023, Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, observe la professionnalisation des groupuscules faisant l’objet d’une procédure de dissolution : « […] nous sommes confrontés à une adaptation permanente des méthodes de ces associations, organisées pour répliquer dans le domaine juridictionnel. Elles disposent de juristes. Elles organisent des cours de cours de droit et des ateliers juridiques pour expliquer que faire et ne pas faire afin de ne pas donner prise à des mesures d’entrave individuelles ou collectives. »

([585]) Dans sa contribution écrite remise à votre rapporteur, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur observe que « si la notion de provocation au sens de l’article L. 2121 du code de la sécurité intérieure doit être interprétée strictement à l’instar de la jurisprudence pénale, il n’en résulte pas une nécessité de caractériser l’existence d’actes ou discours directs ou explicites. »

([586]) Ibid.

([587]) Ibid.

([588]) Audition de M. Bertrand Chamoulaud, chef du service central du renseignement territorial, du 1er juin 2023.

([589]) Cour de justice de l’Union européenne, 20 septembre 2022, aff. C-793/19 et aff. C-339-20.

([590]) Cour de cassation, chambre criminelle, 12 juillet 2022, n° 21-83.710, n° 21-83.820, n° 21‑84.096, n° 20‑86.652.

([591]) La cour administrative d’appel de Paris a annulé le 29 septembre 2023 un jugement du tribunal administratif de Paris qui considérait illégale la surveillance des « actions de nature idéologique » de la cellule de la gendarmerie nationale « Demeter » créée en octobre 2019 afin d’identifier les auteurs de violences à l’encontre des exploitations agricoles. Estimant que la création de la cellule « correspond […] à un acte d’organisation du service, pris par le ministre de l’intérieur dans le cadre de son pouvoir réglementaire », elle a jugé que la question de sa régularité relève de la compétence exclusive du Conseil d’État.

([592]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([593]) Comme le Conseil constitutionnel l’a lui-même jugé dans sa décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement, cette finalité fait référence aux incriminations pénales définies aux articles 431-1 à 431‑10 du code pénal.

([594]) Dans le détail, le taux d’avis défavorables s’élevait à 4,24 % pour des demandes de recueil de données de connexion dont des demandes d’accès aux factures détaillées, 4,39 % pour des demandes de géolocalisation en temps réel, 3,17 % pour des demandes de balisage, 4,92 % pour des demandes de recueil de donnée de connexion par IMSI-catchers, 5,25 % pour des demandes d’interceptions de sécurité à l’exception de celles visant des communications hertziennes, 3,67 % pour des demandes de sonorisation de paroles, 6,98 % pour des demandes de captation d’images dans un lieu privé et 5,19 % pour des demandes de recueil de données informatiques.

([595]) La décision de la Commission prend la forme d’un avis rendu au Premier ministre. Comme le rappelle M. Serge Lasvignes lors de son audition du 19 juillet 2023, « [s]i le Premier ministre souhaite délivrer une autorisation malgré un avis négatif, la Commission doit solliciter l’arbitrage du Conseil d’État. En pratique, cela n’arrive jamais. Il arrive, en revanche, que le Premier ministre oppose un refus malgré l’avis positif de la Commission pour des raisons d’opportunité. »

([596]) Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, rapport d’activité 2022, juin 2023, p. 25.

([597]) Audition de M. Serge Lasvignes, président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, du 19 juillet 2023.

([598]) Lors de son audition du 19 juillet 2023, M. Serge Lasvignes estime ainsi que « [c]’est un exercice relativement facile lorsqu’il s’agit de hooligans ou de certains groupes antifascistes, dont la violence constitue l’objet même de l’activité. Dans ces cas, il suffit d’attester à la Commission de l’appartenance à un groupe violent. Concernant l’ultradroite, la Commission dispose souvent d’éléments liés à une passion des personnes visées pour les armes à feu ».

([599]) Lors de son audition du 20 juin 2023, M. Nicolas Lerner considère que «[…] le cadre législatif est adapté à notre action, dès lors qu’il permet de travailler de façon légitime sur certaines mouvances. Il n’est pas moins légitime, et nullement étonnant, que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement nous refuse le recours à certaines techniques de renseignement ».

([600]) Lors de son audition du 5 octobre 2023, le ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, regrette cependant certains avis rendus par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement : « [n]ous avons parfois des débats avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement pour savoir si la finalité du renseignement correspond aux personnes que nous poursuivons. Il va de soi que nous comprenons et respectons ses décisions, même si elles empêchent parfois le travail des services. »

([601]) Audition de M. Serge Lasvignes, président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, du 19 juillet 2023.

([602]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([603]) À l’occasion de manifestations ou à la suite de violences en réunion.

([604]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([605]) Audition de Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris, du 1er juin 2023.

([606]) Le décret de dissolution des Soulèvement de la Terre a été pris en conseil des ministres le 21 juin 2023. Le juge des référés du Conseil d’État a suspendu son exécution le 8 août 2023.

([607]) Audition de Mme Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, du 13 juin 2023.

([608]) Le 27 octobre 2023, lors de l’examen au fond des requêtes tendant à annuler le décret de dissolution, le rapporteur public du Conseil d’État s’est prononcé contre l’annulation du décret, en considérant que les agissements des Soulèvements de la Terre étaient constitutifs de provocations à la violence justifiant leur dissolution. La position du rapporteur public ne préjuge pas de la décision qui sera rendue par le Conseil d’État en novembre 2023.

([609]) Mme Laure Beccuau, procureur de la République de Paris, lors de son audition du 19 juin 2023, rappelle que « la justice ne peut entraîner que des condamnations par preuve ».

([610]) Audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale du 13 juin 2023.

([611]) En dépit des déclaration gouvernementales, les PMC ne semblent pas avoir été utilisés lors des opérations de maintien de l’ordre menées en 2019. Dans la contribution écrite qu’il a remise à votre rapporteur, M. Didier Lallement, préfet de police de Paris entre le 21 mars 2019 et le 21 juillet 2022, a notamment indiqué que les services de la préfecture de police de Paris n’ont pas eu recours à ces techniques au cours de cette période.

([612]) Site de l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale.

([613]) Face à la recrudescence des vols à main armée au sein des établissements commerciaux, les fabricants ont développé au début des années 2010 des systèmes anti-agression poursuivant un double objectif : dissuader les délinquants de passer à l’acte par l’apposition massive et visible de la signalétique adéquate aux abords de la zone protégée et établir un lien entre les faits criminels ou délictuels et un individu mis en cause par la révélation du produit de marquage codé sur ses vêtements.

([614]) Ibid.

([615]) Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, du 7 septembre 2023.

([616]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([617]) Audition du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, du 30 mai 2023.

([618]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([619]) Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, du 7 septembre 2023.

([620]) Le rapport résulte d’une initiative ne présentant aucun caractère institutionnel.

([621]) Le rapport est consultable sur le site de la Ligue des droits de l’homme.

([622]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([623]) Contribution écrite de l’ambassade de France en Belgique remise à votre rapporteur.

([624]) Contribution écrite remise à votre rapporteur. La direction des affaires criminelles et des grâces précise cependant que les produits de marquage codé ont fait l’objet de deux dépêches diffusées les 24 juin 2014 et 22 mars 2019.

([625]) Articles L. 251-1 à L. 255-1 du code de la sécurité intérieure.

([626]) Article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure.

([627]) Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2023-283 du 19 avril 2023.

([628]) À la suite d’une expérimentation lancée en 2013.

([629]) Audition du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, du 30 mai 2023.

([630]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([631]) Audition de M. Denis Jacob, délégué général du syndicat Alternative Police CFDT, du 20 juin 2023.

([632]) Au moment de l’activation de la caméra, les trente secondes précédant celle-ci sont automatiquement enregistrées. L’enregistrement se poursuit pendant trente secondes à l’issue de l’arrêt de la caméra.

([633]) Rapport d’information n° 1089 de MM. Philippe Latombe et Philippe Gosselin à la commission des lois de l’Assemblée nationale, « Images, vidéos et sécurité : bilan et perspectives à l’heure de l’intelligence artificielle », 12 avril 2023. pp. 33-34.

([634]) Tels que les canons à eau et les grenades lacrymogènes.

([635]) À la suite de plusieurs décisions de justice constitutionnelles et administratives, le cadre légal du recours aux caméras aéroportées avait été établi par la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

([636]) Audition du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, du 30 mai 2023.

([637]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([638]) Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, du 30 mai 2023.

([639]) Audition de M. Michel Delpuech, ancien préfet de police de Paris, du 10 juillet 2023.

([640]) Audition de M. Didier Lallement, ancien préfet de police de Paris, du 6 juillet 2023.

([641]) Audition de M. Christophe Castaner, ancien ministre de l’intérieur, du 10 juillet 2023.

([642]) Audition de Me Thibault de Montbrial, avocat et président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure, du 29 juin 2023.

([643]) Audition de M. Didier Lallement, ancien préfet de police de Paris, du 6 juillet 2023.

([644]) Audition de Mme Dominique Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté, du 5 juin 2023.

([645]) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite également loi « travail ».

([646]) Dépêche du ministre de la justice adressée aux procureurs généraux et procureurs de la République du 18 mars 2023.

([647]) Audition de M. Christophe Castaner, ancien ministre de l’intérieur, du 10 juillet 2023.

([648]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([649]) Audition de Me Raphaël Kempf, avocat, du 29 juin 2023.

([650]) Audition de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, du 1er juin 2023.

([651]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([652]) Dans des ressorts juridictionnels plus réduits que ceux de la région parisienne, les fiches de mise à disposition peuvent être remplies par les officiers de police judiciaire eux-mêmes, en lien avec les agents interpellateurs, comme l’indique la contribution écrite remise par le parquet de Bordeaux à votre rapporteur.

([653]) Audition de M. André Ferragne, secrétaire général du Contrôle général des lieux de privation de liberté, du 5 juin 2023.

([654]) Audition de M. Didier Lallement, ancien préfet de police de Paris, 6 juillet 2023.

([655]) Audition de M. André Ferragne, secrétaire général du Contrôle général des lieux de privation de liberté, du 5 juin 2023.

([656]) La hiérarchie policière définissant la stratégie générale et l’organisation des ressources.

([657]) Le responsable opérationnel chargés de la mise en application de la stratégie sur le terrain.

([658]) Audition de M. Denis Jacob, délégué général du syndicat Alternative Police CFDT, du 20 juin 2023.

([659]) Audition de Me Claire Dujardin, présidente du syndicat des avocats de France, du 29 juin 2023.

([660]) Dépêche du ministre de la justice adressée aux procureurs généraux et procureurs de la République du 18 mars 2023.

([661]) Les services de la direction de l’ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris ont procédé autant que possible à une répartition équilibrée des individus interpellés entre les commissariats les plus proches des lieux d’interpellation.

([662]) Audition de M. Didier Lallement, ancien préfet de police de Paris, 6 juillet 2023.

([663]) Cour de cassation, chambre criminelle, 15 octobre 2019, n° 19-82.830.

([664]) Rapport du Contrôle général des lieux de privation de liberté, « Enquête sur les mesures de garde à vue prises dans le contexte des manifestations contre la réforme des retraites », 3 mai 2023, p. 3.

([665]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([666]) Eu égard au caractère exceptionnel de ces situations et à l’impossibilité pratique de multiplier en conséquence le nombre de policiers et de magistrats de permanence.

([667]) Selon l’article 63 du code de procédure pénale, la durée d’une garde à vue s’élève à vingt-quatre heures et est renouvelable une fois.

([668]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([669]) Audition de M. André Ferragne, secrétaire général du Contrôle général des lieux de privation de liberté, du 5 juin 2023.

([670]) Le ministre de l’intérieur précise ainsi que « l’acheminement des personnes interpellées jusqu’aux commissariats où ceux-ci seront présentés à l’officier de police judiciaire territorialement compétent peut en effet constituer un défi logistique, les services de police n’étant pas dimensionnés en temps normal pour transporter un nombre simultané aussi important d’auteurs d’infractions. Dans le temps nécessaire à la mise en œuvre de ces moyens, les forces de l’ordre doivent donc parvenir à maintenir à leur disposition les personnes interpellées ».

([671]) Selon le ministre de l’intérieur, « il est fait grief que les locaux visités étaient surprotégées et les espaces insuffisants”, dont découlent principalement les griefs sur les conditions d’hygiène et de garde à vue, sous réserve d’un examen plus détaillé des griefs. Les équipes du Contrôle général des lieux de privation de liberté font une totale abstraction des circonstances particulièrement exceptionnelles de ces procédures ».

([672]) Audition de Me Claire Dujardin, présidente du syndicat des avocats de France, du 29 juin 2023.

([673]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([674]) Conseil constitutionnel, décision n° 2023‑1064 QPC du 6 octobre 2023.

([675]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([676]) Audition de M. Serge Lasvignes, président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, du 19 juillet 2023.

([677]) Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, du 7 septembre 2023.

([678]) Audition de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces, du 19 juillet 2023.

([679]) Contribution écrite remise à votre rapporteur.

([680]) Lors de son audition du 19 juillet 2023, M. Serge Lasvignes rappelle en effet que la procédure demeure « secrète » à ce stade.

([681]) Audition de Me Thibault de Montbrial, avocat, du 29 juin 2023.

([682]) Article L. 132-10-2 du code de la sécurité intérieure et décret n° 2023-579 du 7 juillet 2023. Comme l’indiquent les articles 1er et 2 du décret n° 2023-579 du 7 juillet 2023 relatif aux groupes locaux de traitement de la délinquance, un tel groupe est « présidé par le procureur de la République » et réunit « des services de police judiciaire » ainsi que « toute autre personne dont la participation […] paraît utile en tenant compte de la nature des infractions et du périmètre géographique concernés ». Le groupe local de traitement de la délinquance a notamment pour mission de déterminer « les actions coordonnées à mettre en œuvre pour lutter contre les infractions ayant motivé sa création » et « les moyens à mettre en œuvre pour le traitement des procédures judiciaires », ainsi que de « veiller aux échanges d’informations entre les services de police judiciaire » et d’exposer la politique pénale du parquet.

([683]) Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, du 19 juin 2023.

([684]) Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, du 7 septembre 2023.

([685])  Le Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) est un réseau documentaire géré par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.