N° 1858

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2023

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI,

autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant la démarcation et l’entretien de la frontière

PAR M. Michel GUINIOT

Député

——

 

 

AVEC

 

EN ANNEXE

LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 

 

Voir le numéro : 1437


 


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SOMMAIRE

Pages

Introduction

I. La genèse de l’accord francoandorran relatif à la démarcation et à l’entretien de la frontière

A. l’historique des négociations

B. les procédures de ratification

II. Un accord visant à assurer l’entretien de la démarcation de la frontière francoandoranne

A. les principaux objectifs de l’accord

1. Les parties s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour assurer l’entretien de la démarcation de la frontière, ainsi qu’à prévenir et réprimer la destruction la détérioration et l’usage abusif des signes de démarcation

2. Les parties s’engagent à instaurer une commission mixte à la démarcation chargée de la supervision de l’entretien de la frontière

B. les stipulations de l’accord

1. Les dispositions générales

2. Les missions des délégués à la démarcation

3. Les dispositions finales

Examen en commission

ANNEXE N° 1 : TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

ANNEXE N° 2: LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

 


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   Introduction

L’Assemblée nationale est saisie du projet de loi n° 1437, autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant la démarcation et l’entretien de la frontière, signé à Andorre‑la‑Vieille, le 16 juin 2022.

La relation bilatérale entre la France et la Principauté d’Andorre est ancienne et étroite. La Constitution andorrane du 14 mars 1993 définit l’Andorre comme une co‑principauté parlementaire avec deux coprinces, l’évêque d’Urgell et le président de la République française, à titre personnel, symboles et garants de la permanence et de la continuité de l’Andorre.

La frontière franco‑andorrane est la plus ancienne frontière terrestre française. Elle est, en outre, très fréquentée puisqu’en 2023 plus de 3 millions de personnes se sont rendues en Andorre depuis la France. Cependant cette frontière n’avait jamais été clairement définie et restait pour l’essentiel coutumière ([1]), jusqu’aux travaux de délimitation des territoires conclus par un accord de délimitation, signé en 2012 et ratifié en 2015 ([2]).

Dans la continuité du traité portant délimitation de la frontière, la France a proposé à l’Andorre, lors de la réunion de la commission mixte d’abornement ([3]) (CMA) du 12 octobre 2017, de travailler à la conclusion d’un nouvel accord de suivi et d’entretien de la frontière.

Dans ce texte, qui est présentement soumis à l’examen de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, les parties française et andorrane s’engagent à prendre, dans le cadre de leurs prescriptions légales, réglementaires et administratives, les mesures nécessaires pour assurer l’entretien de la démarcation de la frontière, ainsi que pour prévenir et réprimer la destruction, la détérioration et l’usage abusif des bornes, repères et autres signes matériels ou immatériels de démarcation.

Un tel instrument juridique s’inscrit dans le sillon d’autres accords internationaux tendant à délimiter et à clarifier les frontières avec les pays limitrophes de la France. A ainsi été conclu, récemment, un protocole entre la France et le Suriname visant à délimiter la frontière entre la Guyane française et le Suriname sur le fleuve Maroni et la rivière Lawa (2021). De même un accord entre la France et les Pays‑Bas a été conclu au sujet du tracé et de la démarcation de la frontière sur l’île de Saint‑Martin située dans les Antilles (2023).

Les stipulations classiques de ce type d’accords – auxquelles correspondent très largement les stipulations de l’accord franco‑andorran du 16 juin 2022 – comportent notamment des éléments sur la détermination précise du tracé de la frontière, sur l’exactitude des coordonnées géographiques numériques, sur les clauses relatives aux constructions environnantes, ainsi que sur la désignation d’autorités ou de commissions de suivi pour l’entretien de la frontière.


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I.   La genèse de l’accord franco‑andorran relatif à la démarcation et à l’entretien de la frontière

A.   l’historique des négociations

Dans la continuité du traité portant délimitation de la frontière (2012), la France a proposé à l’Andorre, lors de la réunion de la CMA ([4]) du 12 octobre 2017, de travailler à la conclusion d’un accord de suivi et d’entretien de la frontière. Par la suite, la partie française a adressé, en août 2018, par note verbale aux autorités andorranes un projet d’accord allant en ce sens.

La partie andorrane estimait, initialement, que l’accord de délimitation de la frontière constituait un cadre juridique suffisant pour encadrer les travaux relatifs à la démarcation et à l’entretien de la frontière et privilégiait pour la formalisation des travaux d’entretien, une décision de la CMA. Pour la partie française, un accord bilatéral apparaissait cependant nécessaire pour répondre aux exigences de notre ordonnancement juridique, un tel instrument visant notamment à partager les coûts afférents aux opérations d’abornement et à adopter des réglementations spécifiques au contexte frontalier.

La France a ainsi proposé, en janvier 2020, à l’Andorre d’entamer des discussions sur le texte d’un futur accord. La version finale de l’accord ([5]), qui est présentement soumis à l’examen de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, a été agréée par l’Andorre en mai 2022 et signée par l’ensemble des parties en juin 2022 (M. Jean‑Claude Tribolet, ambassadeur de France en Andorre pour le gouvernement de la République française et M. Victoir Filloy Franco, ministre du territoire et du logement, pour le gouvernement de la principauté d’Andorre).

B.   les procédures de ratification

La partie andorrane a transmis son instrument de ratification signé en date du 14 décembre 2022. Ainsi, la principauté a accompli l’ensemble des procédures internes la concernant pour l’entrée en vigueur de l’accord. La partie française a accusé réception de cet instrument le 17 mars 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 16 de l’accord, celui‑ci entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant l’accusé de réception andorran de l’instrument de ratification français qui sera établi et transmis une fois que le projet de loi en discussion aura été adopté et promulgué.


II.   Un accord visant à assurer l’entretien de la démarcation de la frontière franco‑andoranne

A.   les principaux objectifs de l’accord

1.   Les parties s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour assurer l’entretien de la démarcation de la frontière, ainsi qu’à prévenir et réprimer la destruction la détérioration et l’usage abusif des signes de démarcation

Dans cet accord, les parties française et andorrane s’engagent à prendre, dans le cadre de leurs prescriptions légales, réglementaires et administratives, les mesures nécessaires pour assurer l’entretien de la démarcation de la frontière, ainsi que pour prévenir et réprimer la destruction, la détérioration et l’usage abusif des bornes, repères et autres signes matériels ou immatériels de démarcation.

Les parties s’engagent également à ce qu’aucune construction ne soit érigée à moins de deux mètres de part et d’autre de la frontière (sauf exceptions prévues par l’accord), et à ce qu’une bande de deux mètres de part et d’autre de la frontière soit maintenue déboisée en permanence, si la CMA l’estime nécessaire.

Il a été précisé au rapporteur au cours de ses auditions qu’il importait de permettre une bonne lisibilité de la frontière et d’éviter d’être confronté à une situation similaire à celle existant au niveau de la frontière franco‑monégasque où les constructions des deux États sont tellement proches les unes des autres qu’elles empiètent sur la frontière et rendent parfois difficile le suivi de son tracé. En effet, entre la France et la principauté de Monaco, des bornes ont été détruites ou ont disparu en raison de ces chevauchements.

Le principal enjeu vise donc à empêcher les constructions sauvages sur la ligne frontière et à maintenir en bon état les bornes de démarcation. Le rapporteur n’a pas pu obtenir d’estimations précises au cours de ses travaux mais il ressort de ses échanges avec les différentes administrations concernées que l’entretien de la frontière franco‑andorrane, qui devra être effectué régulièrement, pourrait engendrer des coûts s’élevant à « plusieurs milliers d’euros ou être d’un montant assez faible en fonction des années » ([6]).

S’agissant de la protection des sites naturels dans la zone concernée, il a été précisé au rapporteur qu’aucune conséquence environnementale n’avait été établie à ce stade. Trois sites naturels existent aux abords de la frontière franco‑andorrane : la zone spéciale de conservation de la vallée de l’Aston, la zone spéciale de conservation Capcir, Carlit et Camcardos et la zone de protection spéciale Capcir, Carlit et Campardos. Si un déboisement sur une bande de deux mètres de part et d’autre de la frontière s’avérait nécessaire sur ces différents sites, une évaluation des incidences Natura 2000 pourrait alors être requise.

2.   Les parties s’engagent à instaurer une commission mixte à la démarcation chargée de la supervision de l’entretien de la frontière

L’accord prévoit également la création d’une commission mixte composée des deux délégués français et des deux délégués andorrans à la démarcation, se réunissant à la demande de l’une ou l’autre des parties, chaque délégation pouvant s’adjoindre des experts.

Cette commission mixte sera chargée d’élaborer un plan de répartition des travaux à effectuer par les délégués, de façon à ce que les travaux incombant à chacune des parties entraînent autant que possible des dépenses d’importance égale pour chaque partie.

La commission mixte sera également chargée de se prononcer sur les rapports établis par les délégués à la démarcation concernant les travaux exécutés pour l’entretien ou le remplacement des bornes et autres signes de démarcation. La commission mixte fera en sorte que la documentation relative à la description et à la délimitation du tracé de la frontière soit établie sans retard et tenue à jour.

Enfin, cette instance pourra être saisie dans le cas où des difficultés liées à l’application des dispositions de l’accord existeraient. Elle aura alors pour mission de soumettre aux parties toute mesure de nature à résoudre ces difficultés.

B.   les stipulations de l’accord

1.   Les dispositions générales

L’article 1er de l’accord précise son objet en indiquant que « la démarcation de la frontière – telle qu’elle est définie par les engagements internationaux en vigueur entre les parties – doit être établie et maintenue de manière que le tracé soit bien déterminé et puisse être repéré en tout temps sur toute son étendue ».

L’article 2 stipule que les parties doivent prendre les mesures nécessaires « pour assurer l’entretien de la démarcation de la frontière ainsi que pour prévenir et réprimer la destruction, la détérioration et l’usage abusif des bornes, repères et autres signes matériels ou immatériels de démarcation ».

L’article 3 détermine la propriété des signes de démarcation matériels selon leur emplacement sur l’axe de la frontière ou le territoire de l’une des parties en précisant que « les signes de démarcation matériels placés dans l’axe de la frontière sont propriété indivise des deux États » et que « les autres signes de démarcation restent propriété de l’État sur le territoire duquel ils sont placés ».

L’article 4 de l’accord précise les modalités concernant l’interdiction de construction à moins de deux mètres de part et d’autre de la frontière. Il détermine également les dérogations possibles « pour tenir compte de situations spéciales existant à la frontière à la condition que les installations autorisées n’entravent en aucune façon la surveillance de la frontière ».

L’article 5 précise les spécificités de l’entretien de la frontière lorsqu’elle traverse des bois, des buissons ou des broussailles en indiquant qu’une « bande de deux mètres de part et d’autre de la frontière doit être maintenue déboisée en permanence, si la commission mixte prévue à l’article 12 du présent accord l’estime nécessaire » et en précisant que « chaque partie prend à sa charge les frais occasionnés par les travaux de déboisement effectués sur son territoire ».

2.   Les missions des délégués à la démarcation

L’article 6 détaille les différentes tâches confiées aux délégués à la démarcation s’agissant de la démarcation et de l’entretien de la frontière. Celles‑ci comprennent notamment :

-         la surveillance et le contrôle des bornes (a) ;

-         la communication aux autorités dont ils relèvent des faits contraires aux articles 1, 4 et 5 de l’accord (b) ;

-         l’élaboration, commune, d’un état annuel des travaux à effectuer pour l’entretien ou le remplacement des bornes et autres signes de démarcation comportant, notamment, un devis des frais relatifs à ces travaux (c) ;

-         l’exécution, après acceptation des autorités compétentes, des différents travaux. Lorsqu’il s’agit de travaux ayant un caractère d’urgence ([7]) , les délégués à l’abornement peuvent prendre des mesures de leur propre chef (d) ;

-         l’établissement d’un rapport annuel sur l’exécution des travaux d’entretien ou de remplacement des bornes et autres signes de démarcation exécutés avec les frais engendrés (e).

Il a été précisé au rapporteur, au cours de ses auditions, que la création de ces différentes missions n’entraînerait pas de création d’emplois puisque les délégués à la démarcation seront nommés parmi les agents des services locaux.

L’article 7 stipule qu’aux fins de l’application de l’article 6, la frontière est divisée en deux secteurs, selon que celle‑ci se trouve sur le département de l’Ariège ou sur le département des Pyrénées‑Orientales. L’article précise « [qu’] un même délégué à la démarcation de chacune des parties peut avoir compétence sur plusieurs secteurs ».

L’article 8 prévoit que les délégués à la démarcation puissent franchir librement la frontière, sous réserve d’être porteurs d’une pièce établissant leur identité et leur qualité, dans le cadre des travaux d’entretien de la frontière, ainsi que les modalités pour l’exonération des droits et taxes de douane concernant leurs outils et véhicules. Au cours des auditions, il a été précisé au rapporteur que pour ce faire, les délégués à la démarcation devront prévenir le bureau de douane le plus proche de leur qualité et des biens qui seront importés en France après avoir été exportés en Andorre. Il conviendra de leur transmettre un inventaire des outils et objets nécessaires et le bureau de douane leur accordera alors une exonération de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à l’importation. Ainsi, les délégués à la démarcation pourraient devenir des interlocuteurs privilégiés de la direction régionale des douanes de Toulouse, qui comprend le bureau de douane d’Ax‑les‑Thermes (commune la plus proche de la frontière andorrane).

L’article 9 prévoit que les fonctionnaires compétents en matière de démarcation et relevant des administrations centrales des deux États puissent communiquer directement entre eux en vue de l’application de l’accord du 16 juin 2022 « afin d’en assurer le bon fonctionnement et de coordonner l’activité des délégués ».

L’article 10 de l’accord stipule que les parties se communiquent réciproquement les noms de leurs délégués à la démarcation avec mention des secteurs qui leur sont confiés.

L’article 11 précise le partage des frais résultant de l’application de l’accord entre chaque partie. Il indique que ceux‑ci « sont supportés, par moitié, par chaque partie » et que « chaque partie prend en charge les frais de sa délégation à la commission mixte visée à l’article 12 et ceux de ses délégués à la démarcation visés à l’article 6 ». Enfin, il précise que « lorsque des travaux de démarcation sont rendus nécessaires par la réalisation d’ouvrages subordonnés à une concession, les frais relatifs à ces travaux de démarcation sont mis à la charge de l’entreprise concessionnaire ».

L’article 12 prévoit la constitution d’une commission mixte comprenant les délégués français et les délégués andorrans, et précise les compétences de cette dernière. La commission mixte est notamment chargée de :

-         mettre au point un plan de répartition des travaux à effectuer par les délégués en précisant que « cette répartition doit être opérée de telle sorte que les travaux incombant à chacune des parties entraînent autant que possible des dépenses d’importance égale. Les travaux peuvent néanmoins être groupés et exécutés par l’une des parties pour le compte de l’autre lorsque ce regroupement répond à des meilleures conditions économiques » (a) ;

-         se prononcer sur les rapports établis par les délégués concernant les travaux exécutés conformément à l’article 6.e et prendre les dispositions pour assurer le cas échéant la compensation des dépenses (b) ;

-         adopter toutes les mesures nécessaires pour que la documentation relative à la description et à la délimitation du tracé – sous quelque forme qu’elle se présente – soit établie sans retard et tenue à jour (c).

En outre, la commission mixte est, en vertu de l’article 12, saisie de toutes les difficultés qui pourraient résulter de l’application des dispositions qui précèdent. Elle propose aux parties toute mesure de nature à les résoudre. Elle se réunit à la demande de l’une ou l’autre des parties et tient ses sessions alternativement en France et en Andorre. Ses réunions font l’objet de procès-verbaux, établis en deux exemplaires originaux, en français et en catalan, à l’intention des parties.

3.   Les dispositions finales

L’article 13 de l’accord stipule que les dispositions du texte s’appliquent sous réserve des mesures qu’une partie peut être appelée à prendre pour des motifs de sécurité nationale ou en raison de l’état de guerre, de la proclamation de l’état de siège, de l’état d’urgence ou de la mobilisation dans l’un des deux États.

L’article 14 prévoit les modalités de règlement des différends relatifs à l’interprétation ou à la mise en œuvre de l’accord. Il précise que tout différend de ce type est réglé « après proposition de la commission mixte, par voie de consultation ou de négociation entre les parties ».

L’article 15 prévoit que l’accord du 16 juin 2022 puisse être modifié par les parties, « notamment sur recommandation de la commission mixte », par « simple échange de notes ».

L’article 16 précise notamment les modalités concernant la notification des parties de l’accomplissement des procédures constitutionnelles requises. Il indique que « l’entrée en vigueur du présent accord prend effet le premier jour du deuxième mois suivant le jour de la dernière notification ».

L’article 17 stipule enfin que l’accord entrera en vigueur pour une durée indéterminée et prévoit les modalités de dénonciation du texte. Il précise que « chaque partie peut dénoncer le présent accord à tout moment avec un préavis de six mois par notification écrite transmise par voie diplomatique. Dans ce cas, l’accord cesse d’être valable le premier jour du deuxième mois suivant la date de réception de la notification ».

L’accord entre la France et l’Andorre du 16 juin 2022, dont la portée se révèle très ciblée, participe à l’approfondissement des liens entre les deux pays. Il représente une étape supplémentaire dans le développement de la relation franco‑andorrane et permettra d’assurer le bon entretien de notre frontière commune. Pour cette raison, le rapporteur considère utile de l’approuver.


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   Examen en commission

Le mercredi 15 novembre 2023, la commission examine le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant la démarcation et l’entretien de la frontière.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. L’accord avec Andorre sur l’autorisation duquel nous allons nous prononcer aujourd’hui est le troisième avec la Principauté depuis le début de cette législature, ce qui illustre l’étroitesse des liens unissant notre pays à cet État frontalier.

Bien que la frontière franco-andorrane soit la plus ancienne frontière terrestre française, elle n’avait jamais été clairement définie avant l’accord de délimitation du 6 mars 2012. Une liste de 6 400 points, repérés par leurs coordonnées dans un système commun intitulé « ETRS 89 », vaut dorénavant ligne numérique de démarcation. Sur la base de cette démarcation, la France a proposé à l’Andorre, lors de la réunion de la commission mixte d’abornement du 12 octobre 2017, de travailler à la conclusion d’un accord de suivi et d’entretien de la frontière, signé le 16 juin 2022 et ratifié par le Parlement andorran le 24 novembre suivant. Il nous est demandé, par le biais du projet de loi dont nous allons débattre, d’en autoriser l’approbation.

M. Michel Guiniot, rapporteur. L’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant la démarcation et l’entretien de la frontière a été signé à Andorre-la-Vieille le 16 juin 2022.

La frontière franco-andorrane est la plus ancienne frontière terrestre française. Elle s’étend sur 57 kilomètres. Elle est très fréquentée : en 2023, plus de 3 millions de personnes se sont rendues en Andorre depuis la France. Jamais clairement définie, elle est restée pour l’essentiel coutumière jusqu’aux travaux de délimitation des territoires conclus par un précédent accord de délimitation, signé en 2012 et ratifié en 2015. Dans ce cadre, la France a proposé à l’Andorre en octobre 2017, lors de la réunion de la commission mixte d’abornement, qui a notamment pour mission de veiller à la visibilité du tracé de la frontière en tout temps et sur toute l’étendue de la frontière, de travailler à la conclusion d’un nouvel accord de suivi et d’entretien de cette dernière.

Dans le texte soumis à l’examen de notre commission, les parties française et andorrane s’engagent à prendre, dans le cadre de leurs prescriptions légales, réglementaires et administratives, les mesures nécessaires pour assurer l’entretien et la démarcation de la frontière, ainsi que pour prévenir et réprimer la destruction, la détérioration et l’usage abusif des bornes, repères et autres signes matériels ou immatériels de démarcation.

Un tel instrument juridique s’inscrit dans le sillon d’autres accords internationaux tendant à délimiter et à clarifier les frontières avec les pays limitrophes de la France. En 2021, un protocole a été conclu entre la France et le Suriname en vue de délimiter la frontière entre la Guyane française et le Surinam sur le fleuve Maroni et la rivière Lawa. Cette année, un accord entre la France et les Pays-Bas a été conclu au sujet du tracé et de la démarcation de la frontière sur l’île de Saint-Martin, située dans les Antilles. Les dispositions classiques de ce type de texte – celui que nous examinons ne fait pas exception – sont relatives à la détermination précise du tracé de la frontière, à l’exactitude des coordonnées géographiques numériques, aux clauses relatives aux constructions environnantes et à la désignation d’autorités ou de commissions de suivi pour l’entretien de la frontière.

Ainsi, les parties française et andorrane s’engagent à ce qu’aucune construction ne soit érigée à moins de 2 mètres de part et d’autre de la frontière, sauf exceptions prévues par l’accord, et qu’une bande de 2 mètres de part et d’autre de la frontière soit maintenue déboisée en permanence si la commission mixte d’abornement l’estime nécessaire. Les auditions que j’ai menées ont montré l’importance d’assurer la bonne lisibilité de la frontière, pour éviter d’aboutir à une situation similaire à celle de certains pans de la frontière franco-monégasque, où les constructions des deux États sont si proches les unes des autres qu’elles empiètent sur la frontière et rendent parfois difficile le suivi de son tracé.

Par ailleurs, l’accord prévoit la création d’une commission mixte composée de deux délégués français et de deux délégués andorrans à la démarcation. Elle se réunit à la demande de l’une ou l’autre des parties. Chaque délégation peut s’adjoindre des experts. Cette commission mixte sera chargée d’élaborer un plan de répartition des travaux à effectuer par les délégués, afin que les travaux incombant à chacune des parties entraînent, autant que possible, des dépenses d’importance égale pour chaque partie.

La commission mixte sera également chargée de se prononcer sur les rapports établis par les délégués à la démarcation concernant les travaux exécutés pour l’entretien ou le remplacement des bornes et autres signes de démarcation. Elle fera en sorte que la documentation relative à la description et à la délimitation du tracé de la frontière soit établie sans retard et tenue à jour. Elle pourra être saisie si des difficultés liées à l’application des dispositions de l’accord surgissent et aura alors pour mission de soumettre aux parties toute mesure de nature à les résoudre.

L’accord entre la France et l’Andorre du 16 juin 2022, dont la portée est très ciblée, participe à l’approfondissement des liens entre les deux pays. Il représente une étape supplémentaire dans le développement de la relation franco-andorrane. Il permettra d’assurer le bon entretien de notre frontière commune.

Mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de l’approbation de ce texte.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Liliana Tanguy (RE). La frontière entre la France et l’Andorre est la plus ancienne frontière terrestre française. Elle est très fréquentée : en 2023, 3 millions de personnes se sont rendues en Andorre depuis la France. Jamais clairement définie, elle est restée pour l’essentiel coutumière.

Des travaux de délimitation des territoires ont été lancés par les parties ; ils se sont conclus par un accord de délimitation signé en mars 2022. Désormais, une liste de 6 400 points, repérés par leurs coordonnées dans un système commun, vaut limite numérique de démarcation. Sur cette base, la France a proposé à l’Andorre, lors de la réunion de la commission mixte d’abornement du 12 octobre 2017, de travailler à la conclusion d’un accord de suivi et d’entretien de la frontière.

Celui-ci a été signé le 16 juin 2022. Il prévoit que la République française et la Principauté d’Andorre prennent, dans le cadre de leurs prescriptions légales, réglementaires et administratives, les mesures nécessaires pour assurer l’entretien et prévenir la détérioration de la démarcation de la frontière. Il prévoit également la création d’une commission mixte, chargée notamment de faire en sorte que les frais résultant de son application soient supportés à parts égales par chacune des parties.

Le projet de loi que nous examinons vise à autoriser l’approbation de l’accord du 16 juin 2022 concernant la démarcation et l’entretien de la frontière. Considérant que cette approbation relève du bon sens, le groupe Renaissance votera ce projet de loi, qui est cohérent avec d’autres accords internationaux tendant à délimiter et à clarifier les frontières avec les pays limitrophes de la France.

M. Michel Guiniot, rapporteur. Cette approbation relève en effet du bon sens. Elle permet de mettre par écrit le tracé de la frontière et les modalités de son entretien. Même si l’émoi suscité par les incursions andorranes à la source de l’Ariège n’est pas de nature à déclencher la troisième guerre mondiale, mieux vaut disposer d’un accord en bonne et due forme.

M. Kévin Pfeffer (RN). La frontière entre la France et l’Andorre, qui date du rattachement du comté de Foix au royaume de France en 1607, était auparavant établie par la coutume. En 1976, des divergences sont apparues. L’Andorre a unilatéralement annexé 50 hectares de terres françaises riches en eau, appartenant à la commune de Porta, située dans les Pyrénées-Orientales, pour assurer ses besoins hydrauliques. En 1988, les Andorrans se sont emparés de l’estany de Font Negra, où l’Ariège prend sa source. Le maire de Porta s’y est opposé en fermant les vannes de la pompe installée par les Andorrans en territoire français. La police de la Principauté avait eu l’audace de franchir la frontière pour l’interpeller, en tirant des coups de feu en l’air.

Après une première discussion en 2010, la frontière a été clairement définie par un accord de délimitation, signé le 6 mars 2012. Faisant fi de l’appartenance historique du lac à la France ainsi que de la démarche agressive et fort peu diplomatique de l’Andorre quelques décennies plus tôt, l’accord a fixé la frontière au lac des Abelettes, divisant celui-ci en deux. La France a donc entériné la concession de 24 hectares, sans concertation avec la mairie et les habitants de Porta, dont les intérêts ont été bafoués.

Les accords qui ont suivi n’ont pas visé à la rectification de cette erreur. Les discussions qui ont lieu depuis 2017 portent uniquement sur l’entretien de la frontière. Lors de son déplacement en Principauté d’Andorre en 2019, le président de la République n’a pas abordé le sujet, davantage préoccupé par la promotion de l’Europe et par la signature d’un accord d’association entre l’Andorre et l’Union européenne (UE).

Voltaire disait – à tort – que la perte du Canada n’était pas grave, considérant qu’il ne s’agissait que de « quelques arpents de neige ». Le Gouvernement semble penser la même chose du recul de la frontière franco-andorrane, estimant n’avoir perdu que quelques arpents de montagne et de lac. Telle n’est pas la position de notre groupe, ni celle du maire de Porta, qui a dit en 2019 : « Quand j’arrive sur ce site, parce que j’ai l’habitude d’y venir souvent pour me balader, c’est devenu un territoire andorran, j’en ai presque les larmes aux yeux ».

Si le présent texte, que nous voterons, est dépourvu d’enjeu international majeur, il revêt une importance locale toute particulière et traite de la démarcation de nos frontières. Le territoire national a été dépossédé de quelques hectares il y a près de cinquante ans. Comment l’accord du 16 juin 2022 peut-il stabiliser le tracé de la frontière ? Nous voterons pour ce texte.

M. Michel Guiniot, rapporteur. Les questions relatives à la souveraineté sont chères aux yeux de notre groupe. L’accord dont l’approbation nous est soumise entérine en effet la perte de quelques hectares. Cette frontière est l’une des dernières en Europe à être régie par un accord bilatéral, en l’absence de guerre entre les deux États, mais non de discorde. En 1976, l’Andorre a établi une nouvelle carte officielle de son territoire, ce qui a fait surgir des désaccords avec la France. En 1988, les habitants de Porta, menés par leur maire, ont tenté de s’emparer de la source de l’Ariège ; à cette occasion, des policiers andorrans ont fait usage de leurs armes en territoire français et la gendarmerie de Prades a dû intervenir, dans une sorte d’avatar ariégeois de Règlements de comptes à OK Corral.

Depuis lors, le respect des formes l’a emporté. Un accord a permis l’échange de 1,5 hectare. Le 17 juillet 2017, en application de l’accord frontalier de 2012, nous avons concédé 24 hectares à la Principauté d’Andorre, sans contrepartie, afin de lui ménager un accès au point d’eau du lac des Abelettes, ce qui était la pomme de discorde. Cet accord fige la frontière et nous prémunit de toute intervention intempestive.

M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NUPES). L’accord dont l’approbation nous est soumise prévoit que les parties s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour assurer la démarcation de la frontière, ainsi qu’à prévenir et à réprimer la destruction, la détérioration et l’usage abusif des signes de démarcation. Les parties s’engagent également à ce qu’aucune construction ne soit érigée à moins de 2 mètres de part et d’autre de la frontière et qu’une bande de 2 mètres de part et d’autre de la frontière soit maintenue déboisée en permanence. Elles s’engagent aussi à instaurer une commission mixte chargée de la supervision et de l’entretien de la frontière, qui devra notamment élaborer un plan de répartition des travaux à effectuer par les délégués, afin que les travaux incombant à chacune des parties entraînent autant que possible des dépenses d’importance égale pour les deux parties.

À nos yeux, cet accord, conclu pour une durée indéterminée, fait bon marché de sites naturels tels que la zone spéciale de conservation de la vallée de l’Aston ou la zone de Capcir, Carlit et Campcardos. En l’absence d’étude d’impact environnemental, nous considérons le déboisement le long de la frontière comme néfaste.

Nous voterons donc contre le texte.

M. Michel Guiniot, rapporteur. Une bande de 4 mètres de terrain déboisé n’est pas une autoroute. La protection de la nature et de la biodiversité devrait y trouver son compte.

M. Frédéric Petit (Dem). Si le sujet dont nous débattons peut sembler anecdotique, il n’est pas sans lien avec la grande histoire. Il nous rappelle que la notion de frontière est au cœur du chaos du monde contemporain et qu’elle est, en démocratie, une ligne claire mais jamais une ligne rouge, et surtout pas une zone grise. À Gaza, il n’y a pas de frontière telle que celle dont nous nous apprêtons à approuver le tracé.

Par ailleurs, la frontière n’est pas sans lien avec les sujets environnementaux. Elle sera de moins en moins un droit et de plus en plus le marqueur d’une responsabilité ; la discorde sur la ressource aquifère à Andorre le montre. La frontière définit une limite de responsabilité vis-à-vis de la nature. Dans le Donbass, de 2014 à 2022, les sujets en cause étaient environnementaux : par exemple, la station d’épuration de Donetsk desservait les deux côtés de la ligne de front. Pour anecdotique qu’il puisse paraître, le travail quotidien permet aux démocraties de traverser l’histoire, même s’il s’agit d’échanger 1,5 hectare.

Le groupe démocrate votera le texte.

M. Michel Guiniot, rapporteur. Si petite soit la superficie concernée par l’accord, elle a son importance géographique. De façon générale, il est toujours préférable de définir les choses. Dans cette commission où nous voyons défiler les malheurs du monde, prenons ce sujet, au demeurant sérieux, comme un petit sourire qui éclairera notre semaine.

M. Guillaume Garot (SOC). Nous sommes heureux de constater que les relations franco-andorranes sont un sujet prisé de notre commission, qui en débat pour la troisième fois. La soixantaine de kilomètres concernée n’est pas si anecdotique qu’elle le paraît. Pour nous prémunir d’un Manon des sources andorran, il faut délimiter clairement la frontière. Notre collègue Martine Froger, élue de l’Ariège, éclairera nos débats de sa vision concrète et locale des enjeux. Je me contenterai d’indiquer que les collectivités locales doivent être rassurées sur le financement de la démarcation.

Les socialistes voteront le projet de loi.

S’agissant d’accords aux enjeux plus forts, il me semblerait toutefois utile que nous tenions des réunions de travail avec le Quai d’Orsay avant de les examiner une fois finalisés, afin que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères se nourrisse de ce que nous, députés, avons à dire sur les relations internationales de la France.

M. Michel Guiniot, rapporteur. Le coût induit par les dispositions de l’accord est nul, aucune création d’emploi n’étant envisagée. S’agissant de l’entretien de la frontière, les frais induits, au demeurant limités, seront partagés entre les deux parties et assumés, pour la France, par l’État.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La remarque de M. Garot exprime une souffrance permanente de notre commission. Il est extrêmement frustrant de n’intervenir qu’au stade de l’autorisation de l’approbation d’accords que nous ne pouvons ni négocier, ni modifier. Nous avons seulement la possibilité de les adopter ou de les rejeter. La tradition républicaine confie à l’Exécutif le soin de les négocier et, au Parlement, d’en autoriser l’approbation ou la ratification. C’est un peu l’ordre des choses en la matière.

Il serait en effet intéressant que notre commission bénéficie d’une information sur l’état des négociations à mi-chemin. Mais, de manière générale, les négociateurs n’aiment pas découvrir leur jeu et préfèrent nous présenter le bœuf mode quand il est vraiment cuit. Il faudrait que nous identifiions les accords en cours de négociation qui présentent une certaine importance, afin de demander à être mis au courant de l’état des discussions de manière informelle. Il faut y réfléchir.

Je comprends très bien la frustration de l’ensemble des collègues et je la partage.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). La frontière entre la France et l’Andorre est l’une des plus anciennes et pourtant elle est restée coutumière jusque très récemment et les bornes n’ont pas été bien entretenues.

Or les nombreux accords entre nos deux États, par exemple en matière d’entretien des routes, imposent que les frontières soient clairement délimitées, afin de pouvoir déterminer les responsabilités respectives. C’est également nécessaire pour mieux contrôler les opérations de débroussaillage et de déboisement de part et d’autre de la ligne frontière.

Enfin, la commission mixte instituée par cet accord veillera à ce que les charges financières de cet entretien pèsent de manière équilibrée sur chaque partie.

Le groupe Horizons et apparentés votera donc en faveur de ce projet de loi.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord à 100 % avec l’analyse de Frédéric Petit. Tracer convenablement les frontières est nécessaire pour une démocratie et pour la paix dans le monde. Le rapporteur a dit sur le ton de la plaisanterie que nous n’étions pas entrés en guerre avec l’Andorre. Il y a désormais encore moins de risques que cela arrive, puisque la frontière sera clairement définie et bien entretenue.

J’espère que l’entretien de la zone frontière respectera la biodiversité et laissera toute sa place à la nature. Les animaux et les capitaux traversent les frontières librement ; je rêve du jour où les êtres humains pourront également le faire.

Mme Martine Froger (LIOT). La frontière avec l’Andorre et l’Espagne est d’une importance évidente pour tous les citoyens français qui vivent dans un département limitrophe. En tant que député de la première circonscription de l’Ariège, qui est mitoyenne avec l’Andorre, je tiens à rappeler les conséquences néfastes de la fermeture des cols frontaliers, tant du point de vue des échanges économiques que du travail transfrontalier ou de l’accès aux secours. Un certain nombre de cols, notamment dans les Pyrénées-Orientales, restent fermés depuis la crise sanitaire, au nom de la lutte contre les trafics, l’immigration et le terrorisme. Nous appelons à la levée de cette décision administrative française, qui semble contraire aux accords de Schengen. Les contraintes imposées aux populations qui échangent quotidiennement sont élevées alors que les effets en matière de sécurité sont faibles.

Pour en revenir à l’accord de 2022 dont il est question, il apparaît normal que la démarcation de la frontière soit claire et que chaque partie entretienne la zone ainsi définie. Le coût de cet entretien sera réparti à parts égales, à l’exception des frais de déboisement. La frontière franco-andorrane est longue de quelque 60 kilomètres mais il me semble judicieux que les délégués à la démarcation soient répartis en deux sections, l’une concernant l’Ariège et la seconde les Pyrénées-Orientales.

J’aimerais connaître l’avis du rapporteur, et plus généralement de cette commission, sur deux sujets.

Le premier concerne les conséquences financières de l’accord car l’étude d’impact n’en fournit aucune évaluation. Quel était le coût moyen de l’entretien de la zone frontalière lors des années précédentes ? Pouvez-vous garantir que cet accord n’aura pas d’effets sur les finances des collectivités locales ? Une confirmation de ce que vous avez déjà dit en réponse à Guillaume Garot me permettrait de rassurer dans mon département. Par ailleurs, les dispositions relatives au déboisement permettront-elles aux délégués nationaux de recourir à un prestataire unique, afin de réaliser des économies d’échelle et d’éviter la multiplication des acteurs ?

Le second sujet porte sur les amendements ultérieurs. L’article 15 de l’accord prévoit la possibilité de l’amender par simple échange de notes. La fonction de contrôle du Parlement est donc en jeu, même s’il faut garder à l’esprit la nécessité de ne pas encombrer les travaux parlementaires avec des sujets mineurs. Avez-vous obtenu des garanties sur l’étendue de ces modifications ultérieures ?

Le groupe LIOT votera en faveur de la ratification de l’accord sous réserve de vos réponses.

M. Michel Guiniot, rapporteur. Les modifications de l’accord autorisées par l’article 15 resteront marginales et pourront, par exemple, porter sur les questions relatives à l’entretien que nous venons d’évoquer.

Si les coûts sont difficiles à évaluer, on dispose tout de même d’estimations qui font état de plusieurs milliers d’euros – en tout cas un montant assez faible –, avec des variations selon les années en fonction de l’ampleur des travaux d’entretien.

Ces coûts seront supportés par le ministère de l’intérieur, puisqu’il s’agit d’une compétence régalienne. Vous pouvez donc rassurer vos concitoyens et, surtout, les contribuables locaux.

Mme Martine Froger (LIOT). C’est donc au préfet qu’il reviendra de lancer les travaux de déboisement ?

M. Michel Guiniot, rapporteur. La commission paritaire déterminera les travaux à mener pour entretenir la zone frontalière et pour vérifier que les bornes restent bien en place. Et il reviendra au préfet, représentant de l’État dans le département, de décider de leur exécution du côté français.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions individuelles des autres députés.

Mme Yaël Menache (RN). Ce projet de loi nous rappelle l’histoire commune de nos deux pays. Il est assez pittoresque. La commission mixte fixe enfin des frontières entre deux États, dont les relations directes et indirectes remontent à plus de 1 200 ans. Je remercie notre excellent rapporteur d’avoir rappelé cette dimension historique.

Compte tenu du fait que le président de la République est coprince d’Andorre, pouvez-vous nous fournir des précisions quant aux enjeux liés au maintien et au contrôle de cette frontière ?

M. Michel Guiniot, rapporteur. Les enjeux de la mise à jour du tracé de la frontière sont clairs : il s’agit de maintenir une frontière physique contrôlée avec l’Andorre.

En 2022, la brigade des douanes de Porta a saisi presque 7 tonnes de produits et perçu 805 000 euros de droits, taxes et pénalités. Ça n’est pas anodin. Le trafic de tabac constitue la principale fraude, suivi par la contrebande d’alcool. Des organisations criminelles structurées importent illégalement et par tout moyen ces produits, ce qui cause un préjudice autant aux commerçants français qu’à l’État.

En ce qui concerne les contrôles migratoires, 49 116 personnes ont fait l’objet d’une vérification de fichiers lors de leur passage de la frontière en 2022, ce qui a abouti à 36 décisions de refus d’admission sur le territoire. Au cours du premier semestre de 2023, le nombre de consultations de fichiers est similaire mais l’on note toutefois une nette augmentation des refus d’admission, avec 46 cas. Les personnes refoulées viennent majoritairement des pays de l’Est de l’Europe, même si celles originaires du Maghreb sont également concernées de manière notable.

Il m’a été indiqué en audition que des passages en force avaient lieu en nombre élevé : 46 oppositions à fonction ont été relevées en 2022 aux deux points de passage routiers, situés au Pas de la Case et au tunnel d’Envalira, et nous en sommes à 28 en 2023.

Le maintien et le contrôle de cette frontière permettent bien évidemment de contrôler les déplacements de population mais aussi de faire respecter notre fiscalité et nos commerçants en permettant aux douaniers de faire leur travail.

C’est l’une des utilités d’une frontière réelle.

M. Jérôme Buisson (RN). La frontière entre notre pays et la Principauté d’Andorre est d’une longueur de 57 kilomètres. Toute frontière a son importance et ce n’est pas la taille qui compte.

La frontière avec l’Espagne, notre autre voisin pyrénéen, représente 623 kilomètres – soit onze fois celle avec l’Andorre –, ce qui en fait notre deuxième frontière terrestre après celle avec le Brésil. Les enjeux sont proportionnels à la longueur d’une frontière qui a été façonnée par l’histoire et la géographie, et qui est jalonnée de curiosités administratives.

Pouvez-vous nous indiquer si la frontière avec l’Espagne est bien délimitée ?

M. Michel Guiniot, rapporteur. Le président a évoqué en introduction le souci de formalisme qui a conduit à mieux définir la frontière entre l’Andorre et la France. Il faut croire que tel n’est pas tout à fait le cas côté espagnol, du moins pour l’instant.

Il est évident que toutes nos frontières sont délimitées et font l’objet d’un consensus. Mais, en l’occurrence, les rédacteurs du ministère chargé des affaires étrangères ont effectué des recherches et n’ont pas connaissance d’un accord similaire entre l’Espagne et l’Andorre. Le texte le plus récent délimitant le val d’Andorre côté espagnol date du 26 mai 1866 et il a été ratifié par la reine Isabelle II. La frontière était délimitée par les barrières naturelles et les droits d’usage, notamment pour faire pâturer les animaux. Il faut relever que le texte précité aurait dû également être approuvé par la France pour produire ses effets. Tel n’est pas le cas et cette frontière n’est pas complètement fixée d’un point de vue juridique.

Nos travaux pourront inspirer les Espagnols. Ce serait peut-être une bonne chose mais ils sont chez eux et ils font comme ils veulent. Ils semblent se contenter de la coutume et cela n’a pas l’air de poser de problème à l’évêque d’Urgell.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La Principauté est pourtant en quelque sorte copilotée et le coprince français aurait son mot à dire.

M. Michel Guiniot, rapporteur. Nous pourrions recommander au coprince français de demander qu’un accord similaire soit prévu pour la frontière côté espagnol…

*

Article unique (approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant la démarcation et l’entretien de la frontière, signé à Andorre-la-Vieille le 16 juin 2022)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 

 

 


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   ANNEXE N° 1 :
TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

 

Article unique

 

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant la démarcation et l’entretien de la frontière, signé à Andorre‑la‑Vieille le 16 juin 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                

N.B. : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1437)

 


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   ANNEXE N° 2: LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR
LE RAPPORTEUR

Pour le ministère de l’Europe et des affaires étrangères :

-         M. Victor BACQUES, rédacteur Andorre, Mission de l’Europe méditerranéenne ;

-         M. Pierre DOUSSET, conseiller juridique, Mission des Accords et Traités (DJ/MAT) ;

-         Mme Maya RACHAIL, rédactrice à la direction de l’Union européenne Andorre, Mission de l’Europe méditerranéenne.

Pour le ministère de l’économie et des finances :

-    Mme Élisabeth MILLER, rédactrice au bureau transport et fiscalité européenne, direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).


([1])  La délimitation de la frontière entre la France et l’Andorre n’était établie par aucun texte. Son tracé n’était fixé que par des usages locaux et un jugement de l’intendant de Perpignan et de Foix qui avait attribué aux Andorrans, vers 1735, la rive gauche du cours supérieur de l’Ariège, revendiquée par les habitants du comté de Foix, cet arbitrage restant longtemps contesté au XIXe siècle.

([2]) Loi n° 2015-822 du 7 juillet 2015 autorisant l'approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre portant délimitation de la frontière.

([3]) La CMA a pour mission de veiller à ce que le tracé de la frontière soit visible en tout temps sur toute l’étendue de la frontière. Elle permet notamment aux parties, dans le cadre de ses réunions, de s’entendre sur les coordonnées d’un système commun de positionnement. De telles CMA existent avec d’autres États limitrophes (CMA franco-italienne, CMA franco-espagnole, CMA franco-suisse).

([4]) La commission mixe d’abornement associe du côté français le ministère de l’intérieur et des outre-mer, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, les représentants des deux préfets compétents (Ariège et Pyrénées‑Orientales) et l'Institut national de l’information géographique et forestière (IGN).

([5])  En langue française et catalane, les deux textes faisant également foi.

([6])  C’est le budget d’abornement de la direction des affaires européennes et internationales (DAEI) du ministère de l’intérieur qui supportera ces coûts.

([7])  Il a été précisé au rapporteur au cours de ses auditions que les travaux à caractère d’urgence porteraient sur le remplacement ou la réparation des bornes en pierre cassées, arrachées ou déplacées.