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N° 1902

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 novembre 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à instaurer un moratoire sur le déploiement
des mégabassines (n° 1766).

 

PAR Mme Clémence GUETTÉ

Députée

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Voir le numéro : 1766.


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-Propos

IntroDUCTION

I. impact et situation de l’agriculture dans la crise de l’eau

A. Les effets du rÉchauffement climatique sur la ressource en eau

1. La ressource disponible en eau renouvelable a diminué de 14 % en France depuis 1990

2. Des pressions sur la qualité de l’eau en hausse

3. Des perspectives dégradées à l’horizon 2050-2070

B. des Tensions croissantes sur le partage de la ressource en eau

C. des usages de l’eau inÉgaux dans le secteur agricole

1. L’agriculture est le secteur le plus consommateur d’eau

2. L’irrigation agricole, une pratique minoritaire en progression

3. Les pratiques agricoles affectent le cycle et la qualité de l’eau d’un territoire

II. Les bassines, une mal-adaptation et une rÉponse anachronique face à la rarÉfaction de la ressource en eau

A. Les mÉga-bassines, une solution de facilitÉ sans perspectives

1. Des prélèvements hivernaux pompés dans les eaux souterraines

2. Les méga-bassines sont concentrées dans les territoires rencontrant des tensions structurelles d’approvisionnement en eau

B. Les mÉga-bassines, une solution anachronique face aux nécessitÉs du changement climatique

1. Les bassines dérégulent le cycle naturel de l’eau

2. Les méga-bassines, symbole d’une gestion de l’eau par l’offre qui ne résout pas la problématique d’un partage juste de la ressource

3. Les contre-expériences espagnole et chilienne en matière de méga-bassines

a. En Espagne, les bassines n’ont pas apporté de réponse durable à la crise de l’eau

b. Au Chili, les méga-bassines ont favorisé l’appropriation de la ressource en eau par de grosses exploitations agricoles

C. Des projets mal ÉvaluÉs et attaquÉs devant le juge administratif

1. Les évaluations des projets ne prennent pas en compte les effets du changement climatique

2. Une association des citoyens et des parties prenantes à renforcer

3. Le juge administratif a annulé plusieurs décisions autorisant la construction et l’exploitation de retenues de substitution

III. Une évolution nécessaire des pratiques agricoles

A. les mÉga-bassines, un frein À l’adaptation des pratiques agricoles au changement climatique

B. favoriser la transition agroécologique pour préserver l’eau

COMMENTAIRE de l’article unique de la proposition de loi

Article unique Instauration d’un moratoire suspendant la délivrance des autorisations pour la construction de méga-bassines pendant dix ans

examen en commission

liste des personnes auditionnées

contribution ÉCRITE

liste des Déplacements effectués par la rapporteure

 


   Avant-Propos

Les méga-bassines posent un triple problème : celui du modèle agricole, de l’impact environnemental, et d’ordre démocratique.

Ces immenses réserves d’eau artificielles pompent dans les nappes phréatiques ou les cours d’eau au détriment de la majorité de nos concitoyens, et notamment de la grande majorité des agriculteurs.

C’est un modèle d’irrigation qui s’est peu à peu développé partout dans notre pays. D’abord construites en Espagne, les bassines sont arrivées progressivement par l’ouest, et s’étendent désormais peu à peu dans le centre et le sud du pays.

Depuis plusieurs années, des alertes montent de tous les secteurs de la société. Des syndicats agricoles, des scientifiques, des riverains, des écologistes, ils sont nombreux à alerter quant au danger que font courir ces projets sur leur avenir, sur notre avenir.

Contre le sens commun, quelques lobbys patronaux poussent pour ces projets, se gavant au passage de subventions publiques pour les réaliser.

Les méga-bassines illustrent pourtant l’impasse du modèle agricole contemporain : les agriculteurs y sont écrasés par la pression des marchés, soumis aux aléas des cours de bourse et à la puissance des multinationales.

Elles révèlent l’urgence d’organiser la bifurcation de notre modèle agricole. La souveraineté alimentaire doit être l’un de ses objectifs principaux, à rebours de l’ouverture au marché à tout prix. Cela implique une approche englobant tous les enjeux : répondre à nos besoins, assurer la formation des travailleurs de l’agriculture de demain, organiser une agriculture qui s’intègre dans son environnement et qui partage avec lui la ressource en eau.

L’enjeu de l’eau est l’exemple le plus complet de la nécessité d’une réponse collectiviste à l’urgence écologique au XXIe siècle. Elle se mêle avec les urgences sociale, démocratique et pour la paix qui rendent nécessaires le partage, la planification et la décision collective.

C’est la raison pour laquelle cette réponse doit être planifiée, en commençant par la mise en place d'un moratoire sur les projets de méga-bassines.


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   IntroDUCTION

I.   impact et situation de l’agriculture dans la crise de l’eau

A.   Les effets du rÉchauffement climatique sur la ressource en eau

1.   La ressource disponible en eau renouvelable a diminué de 14 % en France depuis 1990

Le changement climatique affecte d’ores et déjà le cycle de l’eau et réduit la disponibilité de l’eau en France. Par référence à la période 1981-2010, les températures ont augmenté en France de 0,6 degré Celsius au cours des années 2010, soit la hausse décennale la plus importante jamais observée ([1]). L’élévation des températures entraîne d’une part, une modification de la répartition spatiale et temporelle des pluies et d’autre part, une augmentation du phénomène d’évaporation :

– si les précipitations annuelles sont globalement stables en France, le changement climatique affecte leur répartition géographique et saisonnière. Certains sous-bassins sont affectés par une baisse de pluviométrie tandis que d’autres connaissent des épisodes de précipitations plus intenses ;

– la pluie n’est plus aussi efficace qu’auparavant pour reconstituer les réserves d’eau superficielles et souterraines. La hausse du niveau moyen des températures a pour effet d’accélérer le phénomène d’évapotranspiration au détriment de l’alimentation des cours d’eau, des sols et des nappes phréatiques. Autrement dit, la part des précipitations qui retourne à l’atmosphère par les phénomènes d’évaporation et de transpiration des végétaux sans alimenter les eaux superficielles (cours d’eau, lacs) et souterraines (nappes) devient plus importante.

Ce phénomène concerne toutes les saisons : sur la période 1959-2018, la tendance à la hausse de l’évapotranspiration est constatée pour 19 sous-bassins en automne, 24 en hiver, tous les sous-bassins au printemps et 9 en été ([2]). En conséquence, les quantités d’eau présentes dans les surfaces et les nappes tendent à se réduire. 68 % des nappes étaient en dessous de leur niveau normal en avril 2023, contre 58 % en avril 2022 ([3]).

D’après une étude réalisée par le ministère de la Transition écologique, la ressource disponible en eau renouvelable ([4]) a ainsi diminué de 14 % entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018, en passant de 229 milliards de mètres cubes à 197 milliards de mètres cubes. La baisse observée est particulièrement importante dans la partie Sud-Ouest de la France métropolitaine ([5]).

2.   Des pressions sur la qualité de l’eau en hausse

La réduction des masses d’eau de surface et souterraines rend également plus difficile le maintien d’un « bon état » écologique et chimique tel que défini par la directive-cadre européenne sur l’eau du 23 octobre 2000 ([6]) du fait d’une moindre dilution des polluants. En 2019, plus de 40 % des eaux de surface et 34 % des masses d’eau souterraines sont affectées par des pollutions diffuses (nitrates et pesticides issus de l’agriculture notamment), et 25 % des eaux de surface par des polluants ponctuels (rejets polluants par exemple) ([7]).

Ces pressions sur la qualité des eaux sont majorées dans un contexte de raréfaction de la ressource en eau. La concentration moyenne en pesticides dans les eaux souterraines a ainsi significativement augmenté entre 2010 et 2018, comme le montre la comparaison de cartes ci-dessous.

concentration moyenne en pesticides dans les eaux souterraines
en 2010 (carte de gauche) et en 2018 (carte de droite)

En 2018, pour 35 % des points de mesure des réseaux de surveillance de la qualité des eaux souterraines, la concentration totale en pesticides dépasse la norme de 0,5 μg/l pour le total des 760 substances recherchées (contre 14 % en 2010) ([8]).

La qualité de l’eau du robinet est tout particulièrement touchée. Plus d’un tiers des fermetures de captages d’eau potable constatées entre 1980 et 2019 s’explique par la dégradation de la qualité de l’eau. En moyenne, selon la chercheuse auditionnée, Mme Gabrielle Bouleau, soixante points de captage d’eau potable sont abandonnés chaque année pour cause de « pollution diffuse d’origine agricole ». Les problèmes de pollution augmentent également les coûts de traitement de l’eau.

3.   Des perspectives dégradées à l’horizon 2050-2070

Dans le cadre du projet « Explore 2070 », le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a réalisé, au début des années 2010, plusieurs simulations de l’impact du changement climatique sur la ressource en eau à l’horizon 2050-2070. À partir d’un scénario climatique médian du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), ces travaux montrent une baisse des débits moyens des cours d’eau pour une majorité de bassins de 10 % à 40 % dans la moitié Nord et de 30 % à 50 % dans la moitié Sud, ainsi qu’une baisse du niveau des nappes souterraines de 10 % à 25 % (en particulier au niveau du bassin versant de la Loire et dans le Sud-Ouest de la France).

variation moyenne de la recharge des nappes d’eau souterraines
à l’horizon 2070

Les périodes de sécheresse s’allongeraient également considérablement de la mi-juin à la mi-octobre. Une étude « Explore 2 », lancée en 2021, est actuellement menée par l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), en collaboration avec le BRGM, pour actualiser ces résultats et mieux évaluer l’impact du changement climatique sur la ressource en eau au XXIe siècle.

B.   des Tensions croissantes sur le partage de la ressource en eau

L’accès à l’eau n’est ainsi pas garanti toute l’année sur l’ensemble du territoire national. Depuis plusieurs années déjà, certains territoires sont confrontés à des tensions croissantes ; les périodes d’étiage (périodes de l’année où le niveau d’un cours d’eau atteint son point le plus bas) de plus en plus longues contraignent les préfets à déclencher des restrictions d’eau graduelles et temporaires pour préserver les usages prioritaires.

Les arrêtés de restriction, prévus à l’article R. 211-66 du code de l’environnement, reposent sur des niveaux de limitation progressifs selon la sévérité de l’épisode de sécheresse : « vigilance », « alerte », « alerte renforcée » et « crise ». Le niveau de « crise » (le plus élevé) entraîne des interdictions partielles ou totales selon les catégories d’usages ou types d’activités, et vise à assurer la survie des écosystèmes aquatiques tout en protégeant prioritairement quatre usages de l’eau : la santé, la sécurité civile, l’alimentation en eau potable et la salubrité civile. Les prélèvements d’eau pour l’agriculture peuvent alors être interdits partiellement ou totalement.

Plus de 30 % du territoire a été touché par des restrictions d’usage des eaux de surface ([9]) entre 2017 et 2020. Certaines zones de l’Ouest et du Sud-Ouest sont concernées chaque année par des restrictions de niveau « crise » sur des périodes d’au moins deux mois. En 2019, les mesures de limitation d’utilisation des eaux de surface s’étendaient à plus du tiers du territoire de mi-juillet à fin octobre.

Mme Emma Haziza, hydrologue, a souligné, lors de son audition, la multiplication des arrêtés préfectoraux de restriction à partir de 2017, y compris pour des communes qui n’avaient jamais connu de situation de crise : entre 2017 et 2020, nous sommes ainsi passés de quelques communes en situation de crise par an, à une situation où 90 % du territoire se retrouve chaque année en rouge avec des interdictions d’irrigation. Les restrictions d’eau sont par ailleurs déclenchées de plus en plus tôt. À plusieurs égards, la période 2017-2020 a donc constitué un point de bascule du point de vue climatique en France.

fréquence des épisodes annuels de restriction de niveau « crise » des usages de l’eau superficielle d’une durée de plus d’un mois sur la période 2012-2020

https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2022-12/Carte%201_Fiche%201_Restrictions%20usages%20eau_BG.png

Source : SDES, 2021.

Ces épisodes de restriction, que l’accélération du changement climatique rend plus fréquents, exacerbent les conflits entre des usages concurrents, qu’ils soient prioritaires (santé, eau potable, etc.) ou non prioritaires (pratiques agricoles, secteur nucléaire, activités de loisirs, etc.).

C.   des usages de l’eau inÉgaux dans le secteur agricole

  1.   L’agriculture est le secteur le plus consommateur d’eau

L’agriculture est la première activité consommatrice d’eau (58 % de la consommation totale d’eau), devant l’eau potable (26 %), le refroidissement des centrales électriques (12 %) et les usages industriels (4 %) ([10]).

Cette répartition est toutefois variable selon les bassins : l’eau consommée est attribuée majoritairement à l’agriculture dans les bassins Adour-Garonne (80 % du total d’eau consommée), Loire-Bretagne (59 %) et Rhône-Méditerranée (57 %). L’impact de l’utilisation de l’eau par le secteur agricole est également plus important en période estivale (de juin à août), principalement du fait des besoins d’irrigation.

Il est à noter que l’eau consommée à l’échelle d’un territoire ne représente qu’une partie des prélèvements d’eau qui y sont réalisés : la consommation d’eau correspond en effet à la partie de l’eau prélevée qui n’est pas restituée aux milieux aquatiques (prélèvements dits nets). Pour l’irrigation agricole, il est considéré que 100 % de l’eau prélevée est évaporée ou absorbée par les plantes, donc consommée ; ce qui explique que l’agriculture soit la première activité consommatrice d’eau, tandis que les usages agricoles représentent 10 % des prélèvements d’eau totaux, après le refroidissement des centrales électriques, l’eau potable et les usages industriels ([11]). Les prélèvements d’eau pour les usages agricoles ont atteint un point haut en 2020 (3,42 milliards de mètres cubes) en raison de la sécheresse estivale.

Un peu moins de la moitié des prélèvements d’eau douce pour l’agriculture mobilisent des eaux souterraines ; l’autre partie provient des eaux de surface (rivières, lacs, canaux, retenues, etc.). Les situations varient néanmoins d’un territoire à l’autre, avec une situation contrastée entre le Sud où les eaux de surface sont majoritaires (plus de 85 %), et les bassins du Centre et de l’Ouest où plus de 85 % des prélèvements pour l’agriculture sont réalisés en eaux souterraines ([12]).

2.   L’irrigation agricole, une pratique minoritaire en progression

Plus de 90 % des prélèvements d’eau pour l’agriculture (et donc de la consommation d’eau du secteur) sont destinés à l’irrigation ; le reste étant utilisé pour le nettoyage des bâtiments et du matériel et l’abreuvement des animaux.

L’irrigation constitue pour autant une pratique minoritaire au sein du secteur agricole. La plupart des cultures en France recourt en effet uniquement à de l’eau pluviale. D’après les données du recensement agricole de 2020, 6,8 % de la surface agricole utilisée (SAU) a été irriguée en France, soit 1,8 million d’hectares, avec de fortes disparités selon les territoires et les cultures :

– la part des surfaces irriguées avoisine ainsi 20 % en basse vallée du Rhône, dans le Sud-Ouest de la France, le Sud-Ouest du bassin parisien et en Alsace ;

– L’irrigation concerne 34 % des surfaces de maïs, près de 40 % des superficies de pommes de terre et de soja, la moitié des surfaces de verger et plus de 60 % des surfaces de légumes. Le maïs représente plus du tiers des surfaces irriguées ([13]), alors même que 40 % du maïs produit en France est exporté ([14]).

part irriguÉe de la surface agricole utile par départements et rÉpartition des surfaces irrigUées selon les cultures en 2020

Les méga-bassines, destinées à maintenir les pratiques d’irrigation en période de sécheresse, ne bénéficient donc qu’à une minorité d’agriculteurs et de surfaces agricoles.

France Nature Environnement alerte sur la progression de l’irrigation en France alors même que les tensions sur la ressource en eau s’accroissent. Entre 2010 et 2020, d’après les données du recensement général, l’association a constaté une hausse de 14 % de la SAU irriguée, en particulier dans les régions Hauts‑de‑France (+77,7 %), Occitanie (+12,9 %) et Nouvelle-Aquitaine (+2,8 %) alors même que la SAU diminue ([15]).

3.   Les pratiques agricoles affectent le cycle et la qualité de l’eau d’un territoire

L’impact des pratiques agricoles sur la ressource en eau, son cycle et les milieux aquatiques, est multiple. Les prélèvements d’eau pour les activités agricoles contribuent à l’abaissement des niveaux des eaux de surface et souterraines, d’autant plus qu’ils sont concentrés durant l’été lorsque la ressource est la moins disponible.

Les pratiques agricoles intensives impactent plus largement le cycle de l’eau par le drainage des milieux humides, la modification du fonctionnement naturel des cours d’eau, la création de retenues d’eau, ou encore le travail des sols et l’utilisation d’engrais et de pesticides. Elles affectent ainsi l’état des écosystèmes aquatiques et des eaux souterraines, ainsi que le régime des crues et des étiages, et dégradent la capacité d’infiltration des sols.

II.   Les bassines, une mal-adaptation et une rÉponse anachronique face à la rarÉfaction de la ressource en eau

A.   Les mÉga-bassines, une solution de facilitÉ sans perspectives

1.   Des prélèvements hivernaux pompés dans les eaux souterraines

Les bassines sont communément présentées comme une solution à la raréfaction de la ressource en eau pour les agriculteurs irrigants. Il s’agit d’ouvrages artificiels, plus techniquement qualifiés de « retenues de substitution », destinés à stocker de l’eau prélevée l’hiver, en période de hautes eaux, pour irriguer les cultures à l’étiage et notamment en période de sécheresse. Ces réserves s’étendent en moyenne sur une superficie de huit hectares et peuvent couvrir jusqu’à dix-huit hectares pour les plus grandes. Elles sont dites de substitution car l’eau prélevée durant la période hivernale et stockée se substitue à des prélèvements directs en période d’étiage dans la nappe et dans les rivières.

À la différence des retenues collinaires ([16]) ou des barrages qui se remplissent avec de l’eau d’écoulement ou de ruissellement des eaux de pluie (ce qui n’en impacte pas moins les débits des cours d’eau et la recharge des nappes souterraines), les bassines d’irrigation sont alimentées par pompage de l’eau dans une nappe ou un cours d’eau. Elles nécessitent la mise en place d’un réseau de tuyaux d’alimentation et sont plastifiées et imperméabilisées pour stocker l’eau.

En autorisant les agriculteurs à prélever de l’eau en période de hautes eaux afin d’irriguer l’été en période de sécheresse, les bassines apparaissent comme une solution de facilité face aux problèmes d’approvisionnement en eau accrus dans le contexte du changement climatique. Elles sont de plus en plus plébiscitées tout en suscitant de nombreuses oppositions sur le terrain.

2.   Les méga-bassines sont concentrées dans les territoires rencontrant des tensions structurelles d’approvisionnement en eau

Le collectif « Bassines non merci » répertorie aujourd’hui plus d’une centaine de méga-bassines en fonctionnement ou en projet en France métropolitaine ([17]), sachant que le collectif les définit comme des ouvrages de plus de 50 000 mètres cubes, soit vingt piscines olympiques, et/ou de plus d’un hectare.

Les réserves de substitution sont apparues autour du Marais Poitevin à partir des années 1990 dans un contexte d’épuisement des eaux souterraines à la période estivale liée au développement important et non contrôlé de l’irrigation dans les années 1970-1980 ([18]). Même si quelques projets ont émergé depuis autour de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et de Bourges (Cher), elles se sont particulièrement développées dans cette région et en particulier dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vendée, de la Vienne, de la Charente et de la Charente-Maritime. M. Vincent Bretagnolle, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), explique cette spécificité par la présence d’un sol granitique, constitué de roches très denses, qui rendent difficile l’infiltration de l’eau dans les sols et les aquifères. Malgré un déficit chronique de la ressource en eau, la région se caractérise également par une prédominance de la culture du maïs, qui exige beaucoup d’eau en période d’étiage, et notamment durant les pics de sécheresse. Le déploiement important de bassines dans ce territoire relève aussi d’une histoire particulière et de pratiques choisies par les acteurs locaux : l’assèchement progressif du Marais Poitevin, par exemple, a grandement perturbé le cycle de l’eau sur ce bassin. À titre de comparaison, aucune méga-bassine n’existe en Seine-et-Marne, pourtant premier département agricole de la région Île-de-France ([19]).

Les bassines se sont ainsi prioritairement développées dans des territoires en tension du point de vue du partage de la ressource en eau, et notamment dans des « zones de répartition des eaux » (ZRE) qui sont des territoires « présentant une insuffisance, autre qu’exceptionnelle, des ressources par rapport aux besoins », tels que définis à l’article R. 211-71 du code de l’environnement. Le contexte de sécheresse impacte d’autant plus fortement ces bassins et rend hypothétique la poursuite des pratiques agricoles d’irrigation dans les mêmes conditions. Les réserves de substitution constituent alors une forme de réponse immédiate à l’épuisement de la ressource en eau observé dans ces territoires sans remettre en cause la légitimité des pratiques à l’origine des besoins.

Les projets de construction et d’exploitation de nouvelles retenues de substitution se sont ainsi multipliés depuis quelques années en suscitant de fortes oppositions au niveau local et national :

– deux arrêtés préfectoraux – annulés par le tribunal administratif de Poitiers par deux jugements du 3 octobre 2023 – ont autorisé en 2021 la création de quinze retenues, dont neuf de 1,64 million de mètres cubes dans les bassins de l’Aume et de la Couture (en Charente et dans les Deux-Sèvres) et six de 1,48 million de mètres cubes dans le sous-bassin de la Pallu (Vienne) ;

– la préfecture de la Vienne a signé le 3 novembre 2022 un protocole d’accord prévoyant la construction de trente retenues d’eau dans le bassin du Clain pour un total de près de 8,9 millions de mètres cubes d’eau ;

– dans les Deux-Sèvres, la Charente-Maritime et la Vienne, un arrêté préfectoral du 20 juillet 2020, modifiant l’arrêté du 23 octobre 2017 (suite à la signature d’un protocole d’accord du 18 décembre 2018 avec les acteurs locaux) a autorisé la construction de seize retenues d’une capacité totale d’environ 6 millions de mètres cubes, comprenant le projet de méga-bassine de Sainte-Soline ;

– dans le Puy-de-Dôme, la chambre départementale d’agriculture prévoit l’installation de deux bassines, l’une de 15 hectares et d’une capacité de 1,05 million de mètres cubes, l’autre de 18 hectares et d’une capacité de 1,25 million de mètres cubes, qui serait ainsi la plus grande bassine de France (elle équivaudrait à deux fois celle de Sainte-Soline). Le projet prévoit que ces bassines pompent non pas dans les nappes phréatiques, mais dans la rivière de l’Allier. L’ensemble doit permettre d’irriguer les terres de trente-six agriculteurs.

Ces projets ont suscité de fortes oppositions qui se sont traduites par la multiplication de recours en justice des associations de défense de l’environnement, la formation de collectifs anti-bassines et des manifestations populaires. À ce jour, une dizaine de recours concernant près de soixante bassines ont été gagnés par les associations environnementales.

B.   Les mÉga-bassines, une solution anachronique face aux nécessitÉs du changement climatique

1.   Les bassines dérégulent le cycle naturel de l’eau

L’ensemble des chercheurs auditionnés dans le cadre de cette proposition de loi a souligné les effets délétères des retenues de substitution sur le cycle de l’eau et les écosystèmes. L’impact des « bassines agricoles » est multiple :

– d’une part, sur le cycle de l’eau et la quantité d’eau disponible : les bassines diminuent la recharge des eaux souterraines en hiver. Or, celles-ci revêtent une importance stratégique dans la régulation du cycle de l’eau en jouant un rôle de réserve naturelle, de régulation des crues, de filtrage, de préservation des zones humides et de soutien à l’étiage (réalimentation des fleuves et des cours d’eau en période de sécheresse). Contrairement à une idée reçue répandue selon laquelle l’eau hivernale serait « perdue » si elle n’est pas stockée, les connaissances scientifiques sur le cycle de l’eau démontrent que c’est en réalité « strictement l’inverse » ([20]).

Les retenues d’eau, y compris de petite taille et pour des besoins variés, se sont multipliées depuis les années 1990. D’après l’hydroclimatologue Mme Florence Habets, le territoire en compterait aujourd’hui entre 600 000 et 800 000. L’expertise scientifique collective (ESCo) réalisée en 2017 sur « l’impact cumulé des retenues d’eau sur le milieu aquatique » montre un impact significatif avec des réductions de débit des cours d’eau de l’ordre de 10 % et pouvant atteindre jusqu’à 50 % en période de sécheresse.

Le stockage d’eau libre conduit également à des pertes d’eau par évaporation (pertes brutes, non associées à une production de biomasse). Les retenues de substitution amplifient le phénomène d’évaporation et contribuent ainsi directement à la diminution de la ressource en eau renouvelable et à l’assèchement des sols. M. Christian Amblard évalue les pertes entre 20 % et 30 % du volume d’eau stockée sur la base d’études réalisées sur les grands lacs aux États-Unis. Lors de son audition, Mme Gabrielle Bouleau, chercheuse à l’Inrae, a avancé des estimations comprises entre 3 % et 7 %, ce qui, en cumulant toutes les retenues d’eau à l’échelle d’un bassin versant, correspond à des pertes non négligeables ;

– d’autre part, sur la qualité de l’eau : celle-ci tend à se dégrader au contact de l’air libre par rapport à une situation de stockage naturel dans les sols et les aquifères. Notamment du fait du réchauffement de l’eau qui y est stocké, les bassines sont des espaces propices au développement de micro-organismes toxiques (dont l’impact sur la santé humaine, si les cultures sont irriguées avec de l’eau contaminée, n’est par ailleurs pas évalué, selon le physico-chimiste spécialiste de l’eau, M. Bernard Legube ([21])) et d’espèces exotiques envahissantes ;

– enfin, sur les écosystèmes aquatiques et la biodiversité en général : les bassines réduisent l’irrigation naturelle des sols et affectent ainsi sa biodiversité, sa capacité d’absorption et sa fertilité. Ces effets demeurent mal évalués et absents des études disponibles ; par exemple, l’étude réalisée par le BRGM à l’échelle des Deux-Sèvres ([22]), qui a été très médiatisée, ne contient pas de volet dédié aux effets des bassines sur la biodiversité, comme l’a confirmé l’organisme lors de son audition.

2.   Les méga-bassines, symbole d’une gestion de l’eau par l’offre qui ne résout pas la problématique d’un partage juste de la ressource

Surtout, les méga-bassines posent un problème du point de vue du partage de la ressource dans un contexte de raréfaction de l’eau disponible. Les méga-bassines constituent une réponse conjoncturelle à une situation qui ne l’est pas. A contrario, les politiques de l’eau et agricoles devraient aujourd’hui s’adapter à des situations d’approvisionnement en eau qui se détériorent de façon structurelle. Dans le contexte du changement climatique qui a pour effet majeur d’augmenter les inégalités de répartition de l’eau dans l’espace et le temps, « tous les besoins en eau ne pourront être satisfaits », d’après Mme Gabrielle Bouleau. Les attentes doivent être nécessairement réduites, et les usages, modifiés en conséquence.

Les méga-bassines offrent une solution inadaptée à plusieurs égards :

– elles favorisent l’appropriation de la ressource par une minorité d’agriculteurs à l’échelle d’un territoire dans un contexte de tension sur le partage de la ressource. Les bassines divisent la profession agricole, notamment les agriculteurs non irrigants et irrigants, mais aussi les irrigants raccordés à une bassine et les irrigants non raccordés. Alors qu’une large majorité d’agriculteurs est soumise à des restrictions d’eau en période de sécheresse, les bassines remplies en hiver créent un droit dérogatoire d’accès à la ressource en eau pour une minorité d’agriculteurs. À titre d’exemple, d’après la Confédération paysanne, le protocole autorisant la construction de trente retenues d’eau signé par la préfecture de la Vienne en novembre 2022 bénéficie seulement à 149 exploitants sur un total de 2 000 agriculteurs dans le département.

Cette dimension est d’autant plus problématique que ces ouvrages, donc cette appropriation d’une ressource vitale par une minorité d’agriculteurs, sont en grande partie financés par des fonds publics (à hauteur de 70 % en moyenne), à travers les financements des agences de l’eau, des régions, et du fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Pour les seize bassines des Deux-Sèvres, par exemple, cela représente 74,3 millions d’euros d’aides publiques ;

– les méga-bassines constituent le symbole d’une gestion de l’eau par l’offre. En réponse au manque d’eau, elles augmentent artificiellement le volume d’eau disponible alors que le contexte climatique exige de réduire la demande en eau en repensant les usages de la ressource. Elles contribuent même au problème en incitant ainsi à la surconsommation d’eau sur des territoires déjà en tension ;

– en augmentant artificiellement la disponibilité de l’eau, elles constituent un frein à l’évolution des pratiques agricoles et à la réduction nécessaire des consommations d’eau. L’hydroclimatologue Mme Florence Habets estime qu’elles génèrent un « verrouillage socio-technique ». Le rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) publié en décembre 2019 ([23]) confirme cette idée en soulignant que « le recours à l’eau des retenues n’encourage pas le développement de techniques et systèmes sobres en eau » ;

– à long terme, la viabilité des bassines pose également question. Ces infrastructures impliquent des coûts financiers immenses, tant pour leur construction que pour leur maintenance, en grande partie supportés par des fonds publics. Or, le changement climatique fait peser une incertitude majeure sur leur remplissage. Lors de son audition, la chercheuse Mme Gabrielle Bouleau a souligné à ce titre qu’« il ne fallait pas exclure des hivers où les bassines ne pourront pas être remplies, comme c’est actuellement le cas en Espagne ». L’Espagne, qui a développé depuis plus de trente ans des bassines et des barrages pour son agriculture, constitue la meilleure illustration des limites de ces ouvrages.

3.   Les contre-expériences espagnole et chilienne en matière de méga-bassines

a.   En Espagne, les bassines n’ont pas apporté de réponse durable à la crise de l’eau

En Espagne, les méga-bassines apparaissent entre les années 1950 et 1990 dans le cadre d’un plan élaboré par le régime franquiste. Le pays en compterait aujourd’hui 1 226. Les bassines sont particulièrement implantées dans la moitié méridionale semi-aride du pays et l’agriculture en dépend étroitement.

Toutefois, ces retenues ont récemment cessé d’être considérées comme une solution idéale face à la pénurie chronique de l’eau liée au réchauffement climatique et à la gestion agricole dans ces territoires. En effet, notamment du fait de la baisse des précipitations, les réserves de substitution ne se remplissent plus suffisamment par rapport aux besoins. Au début de l’année 2023, le niveau de stockage de l’eau des bassines espagnoles était estimé à 51,7 % de leur capacité, contre 62,7 % en moyenne au cours de la dernière décennie ([24]). La situation apparaît particulièrement problématique en Catalogne où les bassines seraient actuellement remplies à moins du tiers de leur capacité. Les retenues d’eau peinent ainsi à répondre aux besoins des populations en situation de sécheresse, tout en freinant l’adaptation nécessaire des pratiques agricoles au contexte climatique.

L’Espagne aurait entrepris la destruction de plusieurs retenues, notamment à des fins de restauration de la faune et de la flore. Pour répondre à l’urgence, les autorités régionales espagnoles font aujourd’hui le choix de développer les usines de dessalement. Cependant, ces usines constituent un risque majeur pour la biodiversité des fonds marins et sont très onéreuses. Elles ne peuvent être implantées que dans les endroits proches de la mer et y rejettent d’importantes quantités de saumure.

La situation espagnole démontre que les bassines ne peuvent apporter de solution durable à la raréfaction de la ressource en eau. Elles contribuent à dégrader la disponibilité de l’eau dans les territoires et à maintenir des pratiques agricoles anachroniques au regard des nécessités du changement climatique. L’hydrobiologiste M. Christian Amblard a confirmé, lors de son audition, que « les régions d’Espagne où l’on a fait le plus d’aménagements pour contraindre le cycle de l’eau sont les régions qui aujourd’hui souffrent le plus de la sécheresse ».

b.   Au Chili, les méga-bassines ont favorisé l’appropriation de la ressource en eau par de grosses exploitations agricoles

Alors même que le Chili est la troisième réserve mondiale d’eau douce grâce à ses nombreux fleuves et glaciers, il fait également partie des vingt pays subissant le plus haut stress hydrique avec des ressources en eau disponibles inférieures à la demande. Depuis 2011, le pays traverse une situation de sécheresse durable et sans précédent. La chute des précipitations a causé une désertification progressive des paysages ainsi que des pénuries d’eau qui ont mis en danger l’approvisionnement en eau potable de centaines de milliers de personnes ainsi que les activités des petits agriculteurs et des éleveurs. En 2020, environ 500 000 personnes recevaient de l’eau potable via des camions-citernes ([25]).

Au-delà des effets directs de la sécheresse due au changement climatique, les défaillances de la gestion de l’eau au Chili sont largement responsables de la situation de crise que traverse le pays. Depuis plus d’une trentaine d’années, le Chili multiplie les constructions de retenues d’eau au bénéfice d’une agriculture intensive, productiviste et exportatrice (avec des cultures comme les avocats, les noix, les raisins, etc.). Ce modèle a profondément altéré le cycle de l’eau dans les territoires et favorisé l’appropriation de la ressource en eau par de grosses exploitations agricoles, fondée sur un droit de propriété sur l’eau hérité de la dictature du général Pinochet (1973-1990). Plus des trois quarts de la ressource en eau seraient aujourd’hui utilisés par le secteur agricole, contre seulement 7 % pour la consommation domestique ([26]).

Ce système de gestion de l’eau, dont les méga-bassines sont aujourd’hui un symptôme, n’a permis aucune résilience face à la sécheresse, au changement climatique et à la raréfaction de la ressource en eau.

L’ingénieur agronome chilien spécialiste des écosystèmes hydriques, M. Mauricio Galleguillos ([27]), souligne trois conséquences environnementales majeures après trente ans d’usage des bassines : d’une part, l’accumulation de l’eau dans des zones spécifiques modifie sa distribution dans l’espace et déconnecte l’eau de son cycle naturel ; d’autre part, elle diminue la quantité d’eau disponible à cause de l’évaporation ; enfin, elle interfère sur le temps nécessaire pour que l’eau se régénère dans les nappes souterraines. Alors que des solutions fondées sur les écosystèmes et notamment le stockage de l’eau dans les sols seraient à privilégier face à la sécheresse, le pays se tourne aujourd’hui vers la construction d’usines de dessalement sur la côte Pacifique.

C.   Des projets mal ÉvaluÉs et attaquÉs devant le juge administratif

1.   Les évaluations des projets ne prennent pas en compte les effets du changement climatique

D’une façon générale, l’impact des méga-bassines sur la ressource en eau et les écosystèmes à l’échelle des différents bassins demeure mal connu et mal évalué.

Plusieurs personnes auditionnées ont souligné un manque de données sur les prélèvements d’eau réalisés pour des usages agricoles. Le récent rapport de la Cour des comptes sur la gestion quantitative de l’eau ([28]) confirme ce constat et alerte à ce titre sur « les défaillances du système d’information des prélèvements d’eau en France, qui ne permettent pas d’orienter correctement les décisions publiques ».

L’encadrement des prélèvements d’eau

Les prélèvements d’eau dans les eaux souterraines ou superficielles sont soumis à déclaration ou à autorisation en fonction des volumes prélevés, selon des seuils définis à l’article R. 214-1 du code de l’environnement. Un prélèvement dans un système aquifère sera ainsi soumis à autorisation s’il est supérieur ou égal à 200 000 mètres cubes par an.

La première tentative d’encadrement des prélèvements d’eau date de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau. La loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques renforce cette première réglementation suite à l’adoption en 2000 de la directive-cadre sur l’eau (DCE) de l’Union européenne qui impose à tous les États membres de rétablir un bon état qualitatif des eaux et de veiller à une gestion quantitative équilibrée de la ressource. La loi de 2006 vise notamment à attribuer à chaque usager un « volume prélevable » annuel ; toutefois, la définition des volumes d’eau prélevables autorisés, pouvant conduire à des réductions importantes pour une partie de la profession agricole, a suscité de fortes oppositions du secteur. Le cadre juridique précis fixé par la loi de 2006 a ainsi accumulé d’importants retards de mise en œuvre ([29]).

Dans ce contexte, à compter de 2011, le Gouvernement soutient la construction de retenues d’eau supplémentaires au bénéfice d’agriculteurs irrigants ([30]). Plus récemment, le décret n° 2022-1078 du 29 juillet 2022 relatif à la gestion quantitative de la ressource en dehors de la période de basses eaux autorise la définition de volumes de prélèvements d’eau supérieurs en hiver par rapport au régime historique applicable en période de basses eaux. Autrement dit, ce décret permet le remplissage de bassines en hiver avec des volumes supérieurs à ce qui était historiquement prélevé en été.

Les études réalisées en amont des projets de construction de méga-bassines sont également controversées car elles ne prendraient pas suffisamment en compte les effets actuels et futurs du changement climatique sur la ressource en eau. C’est le cas en particulier de l’étude d’impact du projet de réserves de substitution dans les Deux-Sèvres réalisée par le BRGM et parue en juillet 2022. Celle-ci a été établie sur la base des valeurs hydrologiques de la période 20002011 et démontre un impact positif en été et négligeable en hiver des projets de retenues d’eau dans les Deux-Sèvres ([31]). Le BRGM a affirmé ultérieurement, dans un communiqué de presse, en février 2023, « [qu’]en toute rigueur, cette période de référence ne permet pas de prendre en compte les conditions météorologiques récentes et encore moins futures » ([32]). Autrement dit, l’étude démontre un impact positif des projets de bassines par référence à un état de la ressource en eau déjà fortement dégradé sur le territoire, et sans apprécier l’évolution de la disponibilité de la ressource sur la période récente et à l’avenir par rapport à cette même période.

Dans le cadre de recours engagés par des associations environnementales, le juge administratif a eu récemment l’occasion de relever la qualité variable des études d’impact environnemental accompagnant l’autorisation de réserves de substitution. Dans sa décision d’octobre 2023 ([33]), le tribunal administratif de Poitiers a indiqué que l’étude d’impact au regard de laquelle l’autorisation avait été délivrée souffrait de plusieurs « inexactitudes, omissions et insuffisances » de nature à empêcher d’apprécier correctement les incidences du projet sur l’environnement et de « nuire à l’information complète de la population ».

Enfin, plusieurs décisions d’autorisation de bassines semblent avoir été prises sans prendre en compte les résultats d’études hydrologiques plus approfondies. Par exemple, le protocole d’accord précité, signé le 3 novembre 2022 par la préfecture de la Vienne et concernant un projet de trente réserves de substitution d’eau dans le bassin du Clain, a reçu un avis défavorable de la part de l’établissement public territorial du bassin (EPTB) de la Vienne en décembre 2022, suite à la publication d’une étude HMUC (Hydrologie, Milieux, Usages, Climat) concluant que les volumes d’eau disponibles dans les nappes phréatiques sont insuffisants pour remplir l’ensemble des retenues envisagées ([34]).

2.   Une association des citoyens et des parties prenantes à renforcer

Le rapport précité de la Cour des comptes sur la gestion quantitative de l’eau soulève, d’une façon générale, une participation insuffisante des citoyens et des parties prenantes aux décisions relatives à la politique de l’eau. Les instances de concertation existantes demeurent peu reconnues :

– à l’échelle des bassins hydrographiques, les comités de bassin, souvent décrits comme des « parlements de l’eau », ne disposent pas de moyens propres ;

– à l’échelle des sous-bassins, les commissions locales de l’eau (CLE) sont facultatives ; il en existe seulement 196 sur le territoire. De nombreux territoires en sont donc dépourvus. Lorsqu’elles existent, les CLE rendent des avis simples sur les projets de bassines soumis à autorisation ou déclaration.

Concernant le projet de seize retenues de substitution dans les Deux-Sèvres, le collectif Bassines Non Merci a souligné, lors de son audition, plusieurs défauts du processus de consultation et d’information du public. L’étude d’impact du projet n’a notamment pas fait l’objet d’une réunion d’information publique. Le collectif a également souligné un délai de consultation trop court. Le secrétaire national de la Confédération paysanne, M. Nicolas Fortin, a appelé à ce que les projets de bassines et méga-bassines soient rediscutés dans le cadre de véritables « projets de territoire définissant un juste partage de l’eau et qui tiennent compte de l’état réel de la ressource en eau sur le territoire » ([35]). À l’échelle du bassin Loire‑Bretagne, des projets de territoire de gestion de l’eau (PTGE) ainsi qu’une étude HMUC (Hydrologie, Milieux, Usages et Climat) sont encore en cours d’élaboration et ne peuvent donc pas être pris en compte dans les décisions relatives aux projets de bassines.

3.   Le juge administratif a annulé plusieurs décisions autorisant la construction et l’exploitation de retenues de substitution

Dans ce contexte, la multiplication des projets de méga-bassines ces dernières années a fait l’objet de vives contestations. De nombreux recours ont été déposés devant le juge administratif par des associations de défense de l’environnement. Plusieurs arrêtés préfectoraux autorisant des projets de méga‑bassines ont été annulés.

Récemment, le 3 octobre 2023, le tribunal administratif (TA) de Poitiers a annulé deux arrêtés préfectoraux autorisant la création et l’exploitation de six réserves de substitution dans le sous-bassin de la Pallu (département de la Vienne) et neuf dans les sous-bassins de l’Aume et de la Couture (départements de la Charente et des Deux-Sèvres) ([36]). Le juge a estimé que les projets portaient les prélèvements hivernaux à un niveau excessif et ne tenaient pas suffisamment compte des effets prévisibles importants du changement climatique sur la recharge des nappes.

Saisi par l’association Nature Environnement 17, le tribunal administratif de Poitiers avait également annulé en 2020 un arrêté préfectoral autorisant la création et le remplissage d’une réserve de substitution au motif que les volumes prélevés n’étaient pas conformes au règlement du schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) de la Sèvre niortaise et du Marais Poitevin qui limitait les volumes prélevés à 80 % du volume annuel maximal précédemment prélevé dans le milieu naturel ([37]). La Cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé cette décision ([38]).

Au-delà des bassines en elles-mêmes, l’opacité de la gestion de l’eau et le manque de transparence dans l’utilisation de fonds publics pour le soutien à l’irrigation ont été régulièrement attaqués par les associations de défense de l’environnement.

France Nature Environnement a attaqué en justice la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne ([39]) à plusieurs reprises pour non-respect des débits d’étiage, aboutissant à une condamnation pour ces faits par la Cour de cassation en 2019.

Par ailleurs, l’État a été contraint par une décision du Conseil d’État de fournir à l’association Nature Environnement 17 des données, déjà demandées depuis presque trois ans, sur les volumes attribués aux agriculteurs irrigants. La préfecture est pourtant obligée de fournir, chaque année, un rapport indiquant les volumes d’eau consommés par forage et par irrigant.

III.   Une évolution nécessaire des pratiques agricoles

A.   les mÉga-bassines, un frein À l’adaptation des pratiques agricoles au changement climatique

Les méga-bassines n’offrent aucune solution durable aux problèmes structurels et croissants posés par le déséquilibre entre les besoins en eau et la raréfaction de la ressource. Lors de son audition dans le cadre de la présente proposition de loi, M. Christian Amblard, hydrobiologiste et directeur de recherche au CNRS, a dénoncé « une fausse solution, y compris à très court terme », ayant pour effet de « retarder l’évolution des systèmes agricoles vers des modes de production agroécologiques respectueux de l’environnement et de la santé humaine. » Les bassines entretiennent en effet artificiellement la consommation d’eau des agriculteurs irrigants sans inciter aux économies nécessaires pour partager justement la ressource. Elles sont également coûteuses pour l’agriculteur, qui contribue aux coûts de construction, de maintenance et de fonctionnement, et doivent être rentabilisées à ce titre ; ce qui entraîne des effets pervers en incitant à la surconsommation d’eau afin d’entretenir des cultures à forte valeur ajoutée, en grande partie destinées à l’exportation.

De façon contractuelle, certains projets ont pu être accompagnés de protocoles d’accord prévoyants des engagements environnementaux en contrepartie de la construction et de l’exploitation de méga-bassines. Toutefois, ces protocoles d’accord ont rarement été suivis d’effets.

Le protocole d’accord signé le 18 décembre 2018 par les acteurs de monde agricole dans les Deux-Sèvres prévoyait des engagements individuels obligatoires de la part des exploitants agricoles irrigants bénéficiant des projets de retenues (en particulier, la réduction de l’usage des produits phytosanitaires) ainsi que des engagements collectifs. Toutefois, ces mesures sont peu contraignantes et faiblement contrôlées. Elles ne concernent qu’une faible partie de la surface agricole des agriculteurs engagés, et sont similaires à des mesures existantes valorisées par la politique agricole commune (PAC) ([40]). L’échec de ce protocole s’est traduit par le vote d’une motion le 4 juillet 2023 par le comité de bassin Loire‑Bretagne appelant à sa révision ([41]).

B.   favoriser la transition agroécologique pour préserver l’eau

La crise de l’eau exige une évolution des pratiques et des usages de l’eau. Elle nécessite de changer de paradigme par le développement de solutions durables fondées sur la nature permettant de pérenniser le cycle de l’eau. Dans le contexte climatique et pour répondre aux besoins actuels et futurs en eau, les solutions mises en œuvre devraient contribuer à augmenter le débit des cours d’eau et la recharge des nappes, ainsi que préserver la qualité de l’eau et l’état des écosystèmes aquatiques, et non l’inverse.

Pour cela, l’eau doit être prioritairement retenue dans les sols, ce qui nécessite de faire évoluer les pratiques agricoles et d’aménagement des territoires de façon à limiter le ruissellement et augmenter la capacité d’infiltration des sols. Les bonnes pratiques agroécologiques permettant de préserver la ressource en eau sont connues :

– elles impliquent le recours à des variétés et des espèces plus tolérantes à la sécheresse comme le blé dur, le tournesol, le colza, les légumineuses (pois, pois chiche, soja, quinoa, sarrasin, etc.). Le développement de ces cultures plus résistantes à la sécheresse nécessite de faire évoluer en conséquence les filières en amont et en aval (transformation, commercialisation) de façon à sécuriser les débouchés pour les agriculteurs ;

– la pratique de couverts végétaux en hiver limite l’érosion et permet de préserver la biodiversité des sols et de restaurer leur capacité d’absorption de la ressource en eau ;

– la limitation de l’utilisation d’engrais chimiques et de pesticides est de nature à restaurer la biodiversité des sols ;

– l’agroforesterie et notamment, l’entretien ou l’implantation de haies et d’arbres au bord des parcelles cultivées, permet tout particulièrement de limiter le ruissellement de l’eau (et donc les pertes) et d’augmenter l’infiltration d’eau dans les sols (par le maintien d’un milieu humide, et également l’apport de matière organique) ;

– le maintien et la restauration des zones humides, qui constituent des zones d’expansion des crues, permettent l’épuration des eaux et la régulation du cycle de l’eau et facilitent la recharge des nappes phréatiques ainsi que la réalimentation des cours d’eau.

D’une façon générale, les modes de production alternatifs comme l’agroécologie, l’agroforesterie ou l’agriculture biologique, constituent les solutions d’avenir pour adapter l’agriculture au contexte de raréfaction de la ressource en eau. Les agriculteurs ne sont aujourd’hui pas suffisamment accompagnés et incités pour faire évoluer leurs pratiques ([42]). Dans son rapport récent précité, la Cour des comptes invite à un changement de paradigme des politiques publiques : « La politique de l’eau (…) doit désormais devenir une politique de protection d’un bien commun essentiel. La prise de conscience de cette nécessité tarde à se traduire en mesures de politique publique. Celles retenues par les autorités locales consistent toujours à essayer de sécuriser l’approvisionnement en eau par des interconnexions, des infrastructures de stockage et de transfert de l’eau. Ces solutions anciennes deviennent de plus en plus difficiles à mettre en œuvre. »

 

 

 


—  1  —

   COMMENTAIRE de l’article unique
de la proposition de loi

Article unique
Instauration d’un moratoire suspendant la délivrance des autorisations pour la construction de méga-bassines pendant dix ans

Supprimé par la commission

 

L’article unique de la proposition de loi vise à instaurer un moratoire suspendant la délivrance des autorisations pour la construction de « méga-bassines » pour une durée de dix ans à compter de la promulgation de la présente proposition de loi.

I.   Le droit en vigueur

A.   l’eau bÉnÉficie d’une protection juridique particulière

L’eau est un bien commun qui fait l’objet d’une protection particulière. L’article L. 210-1 du code de l’environnement dispose que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation » et que « sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. » La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience », a renforcé ces grands principes régissant la préservation de l’eau et des milieux aquatiques. Son article 45 a notamment inscrit la « qualité de l’eau » comme « patrimoine commun de la nation » à l’article L. 110-1 du code de l’environnement.

L’article L. 211-1 du code de l’environnement définit les principes d’une « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau » qui prend en compte « les adaptations nécessaires au changement climatique ». À ce titre, la politique de l’eau doit concilier à la fois la satisfaction des usages et des activités humaines liées à l’eau, notamment économiques, et les exigences liées à la préservation de la ressource.

Au niveau du droit européen, la directive-cadre sur l’eau (DCE) du 23 octobre 2000 précise que « l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres, mais un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel. »

B.   Le rÉgime des installations, ouvrages, travaux ou activitÉs soumis À autorisation ou déclaration

Les méga-bassines, plus techniquement qualifiées de « réserves de substitution », relèvent du régime juridique des installations, ouvrages, travaux ou activités (IOTA) ([43]) défini aux articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement. Elles sont ainsi soumises à autorisation ou déclaration selon les dangers qu’elles présentent et la gravité de leurs effets sur la ressource et les écosystèmes aquatiques (article L. 214-2). Plus précisément, l’article L. 214-3 dispose que lorsque le projet est susceptible de « présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d’accroître notablement le risque d’inondation » ou « de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique », le régime de l’autorisation environnementale tel que défini par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l’environnement s’y applique. Lorsque le projet n’est pas susceptible de présenter de tels dangers, il est soumis à déclaration.

En pratique, pour déterminer si un projet relève de l’autorisation ou de la déclaration, sont appréciés la superficie du projet, sa hauteur et le volume d’eau stocké, la source d’alimentation de la retenue, sa situation par rapport au lit d’un cours d’eau et la présence de zones humides ([44]). L’article R. 214-1 du code de l’environnement dispose en particulier que les projets sont systématiquement soumis à autorisation :

– lorsque les prélèvements prévus dans un système aquifère sont supérieurs à 200 000 mètres cubes par an dans un système aquifère ;

– lorsque les prélèvements prévus dans un cours d’eau ont une capacité totale maximale supérieure ou égale à 1 000 mètre cubes par heure ou à 5 % du débit du cours d’eau ;

– pour un plan d’eau, permanent ou non, dont la superficie est supérieure à 3 hectares.

Les deux procédures (autorisation ou déclaration) sont précisées aux articles R. 214-6 à R. 214-56.

La procédure d’autorisation prévoit l’avis de plusieurs organismes, notamment de la commission locale de l’eau (CLE) compétente, et l’ouverture d’une enquête publique. L’arrêté d’autorisation du préfet peut intégrer des prescriptions particulières pour garantir la préservation et la protection de la ressource en eau selon les principes définis à l’article L. 211-1.

Tout porteur de projet de méga-bassine, qu’il soit soumis à autorisation ou déclaration, doit présenter un document d’incidences qui comporte une analyse des impacts du projet au regard des objectifs de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau (article L. 211-1). Le contenu de ce document est défini aux articles R. 214-6 ou R. 214-32 du code de l’environnement. Il présente les raisons pour lesquelles le projet a été retenu en lieu et place des solutions alternatives, indique les incidences du projet sur la ressource en eau, les milieux aquatiques, l’écoulement, le niveau et la qualité des eaux et justifie la compatibilité du projet avec les documents de planification que sont le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ou le schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage). Il prend également en compte les incidences Natura 2000 sur la conservation des habitats et des espèces telles que définies par la directive « habitats faune flore » (92/43/CEE), la présence de zones humides, les enjeux associés à la protection des espèces animales et végétales et de leurs habitats, les cours d’eau et les éventuelles mesures de correction ou de compensation envisagées.

Dans le cadre d’un projet faisant l’objet d’une évaluation environnementale, telle que prévue par l’article L. 122-1 du code de l’environnement, une étude d’impact peut être imposée et remplace ce document.

C.   Un encadrement par les sdage, sage et ptge À renforcer

Les méga-bassines sont juridiquement encadrées par les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), et le cas échéant, des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage). Le juge administratif contrôle la compatibilité d’un projet de réserve de substitution faisant l’objet d’un recours à ces documents de planification territoriale. La portée de ce contrôle demeure cependant limitée.

1.   Les dispositions des Sdage et Sage relatives aux méga-bassines

Les Sdage et Sage sont des documents de planification introduits par la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau.

Les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage)

Élaboré à l’échelle de chaque grand bassin hydrographique (Seine-Normandie, Loire-Bretagne, Rhône-Méditerranée, etc.), le Sdage fixe les orientations fondamentales et les dispositions permettant d’assurer une « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau », ainsi que les « objectifs de qualité et de quantité des eaux à atteindre » (article L. 212-1 du code de l’environnement).

Prévu pour six ans, il est adopté par un comité de bassin et approuvé par le préfet coordonnateur de bassin. Toute décision administrative dans le domaine de l’eau doit être compatible ou rendue compatible avec les dispositions des Sdage.

Les Sdage sont susceptibles de préciser la définition d’une retenue de substitution à l’échelle de leur territoire ; il convient donc, dans chaque bassin, de se référer à la définition établie par le Sdage. Les Sdage peuvent également contenir des dispositions qui encadrent la création de retenues d’eau. À titre d’exemple, l’orientation 4.5 du Sdage 2022-2027 du bassin Seine-Normandie fixe des modalités de création des retenues de substitution concernant le cadre de la concertation, les conditions de remplissage des retenues, ou encore le respect de débits minimum dans les cours d’eau.

Déclinaison du Sdage à l’échelle locale, le Sage est un outil de planification visant la « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau » à l’échelle du sous‑bassin hydrographique. Son règlement peut notamment fixer des plafonds aux volumes de substitution prélevables dans le milieu naturel juridiquement contraignants.

Les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (Sage)

Le Sage est la déclinaison du Sdage à l’échelle d’un sous-bassin hydrographique (ou tout autre périmètre à enjeux pour l’eau). Il doit être compatible avec le Sdage correspondant et fixer les « objectifs généraux et les dispositions » permettant de satisfaire une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau (article L. 212-3). Il a vocation à concilier la satisfaction et le développement des différents usages et la protection des milieux aquatiques, en tenant compte des spécificités d’un territoire. Son périmètre est défini selon des critères naturels et repose sur une démarche volontaire de concertation avec les acteurs locaux.

Il est établi par une commission locale de l’eau (CLE) composée de représentants des collectivités territoriales, des usagers (agriculteurs, industriels, associations, propriétaires fonciers, etc.), de l’État et ses établissements publics (agence de l’eau, Office français de la biodiversité), et approuvé par le préfet.

Un Sage comprend :

– un plan d’aménagement et de gestion durable (PAGD) de la ressource en eau et des milieux aquatiques qui fixe les conditions de réalisation des objectifs du schéma. Dans le périmètre du Sage, les décisions prises dans le domaine de l’eau par les autorités administratives doivent être compatibles ou rendues compatibles avec le PAGD ;

– un règlement qui peut définir des priorités d’usage de la ressource en eau et la répartition de volumes globaux de prélèvement par usage (article L. 212-5-1). Dans le périmètre du Sage, ce règlement et ses documents cartographiques sont opposables à toute personne publique et privée pour l’exécution de toute IOTA soumise à autorisation ou déclaration (article L. 212-5-2). Tout projet de méga-bassine doit donc être conforme à ses dispositions, ce qui est plus exigeant qu’un rapport de simple compatibilité.

Toutefois, alors que cette échelle est la plus pertinente pour la mise en œuvre de la politique de l’eau, tous les sous-bassins n’en sont pas dotés : seulement un peu plus de la moitié des sous-bassins-versants fait aujourd’hui l’objet d’un Sage. En 2021, 54,4 % du territoire national était couvert par un Sage ([45]). La couverture est particulièrement faible dans l’Est et le Sud de la France ([46]). D’après le rapport de la Cour des comptes sur la gestion quantitative de l’eau publié en juillet 2023, lorsqu’ils existent, les Sage ne sont également pas toujours actualisés et donc adaptés à la situation locale.

Cette situation s’explique en partie par la durée et la complexité d’élaboration des Sage, qui nécessitent des études scientifiques longues et coûteuses. La durée d’élaboration d’un Sage serait en moyenne de neuf à dix ans, alors même que celui-ci devrait être, en principe, modifié tous les six ans pour être compatible avec la révision des Sdage.

Les Sage sont également difficiles à mettre en œuvre. Les sous-bassins ne correspondent à aucune division administrative de l’État ni au territoire d’une collectivité territoriale. Les collectivités locales peuvent constituer des syndicats mixtes de gestion de l’eau pour mettre en place les actions concrètes prévues par un Sage. Toutefois, les moyens financiers et humains de ces syndicats sont souvent fragiles. Dans son rapport précité, la Cour des comptes recommande de simplifier la procédure d’élaboration des Sage sur une durée limitée pour qu’ils puissent être adoptés et mise en œuvre plus rapidement.

Les Sdage et les Sage peuvent également fixer des objectifs contraignants de réduction des prélèvements d’eau. C’est même une obligation dans les zones en déséquilibre. La définition de ces objectifs chiffrés nécessite des études qui ne sont pas toujours menées, suivies ou actualisées dans un contexte évolutif lié au changement climatique.

2.   D’autres outils contractuels sont mobilisés comme les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE)

Au regard des difficultés d’élaboration des Sage, l’État et les acteurs locaux tendent aujourd’hui à privilégier des outils contractuels comme les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). D’après l’instruction du Gouvernement du 7 mai 2019, les PTGE reposent « sur une approche globale et coconstruite de la ressource en eau sur un périmètre cohérent d’un point de vue hydrologique et hydrogéologique » ([47]). Ces contrats ont vocation à compléter les Sage pour leur donner une portée plus opérationnelle ; ils peuvent être signés en leur absence mais ne substituent pas à eux.

Les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE)

Introduits en 2015, les PTGE visent à impliquer les usagers de l’eau d’un territoire dans un projet global en vue de faciliter la préservation et la gestion de la ressource en eau. Ils sont élaborés par un comité de pilotage au sein duquel tous les types d’usagers doivent être représentés. La commission locale de l’eau (CLE) peut tenir lieu de comité de pilotage.

En pratique, la signature de ces contrats rencontre les mêmes difficultés que celles des Sage du fait d’intérêts divergents et d’une connaissance insuffisante de l’état de la ressource en eau. D’après l’instruction du 17 janvier 2023 portant addition à l’instruction du Gouvernement de 2019, pour faire émerger un PTGE, trois éléments doivent être constitués :

– une problématique de gestion quantitative de l’eau, indissociable des enjeux de qualités des eaux et de fonctionnalité des milieux ;

– un territoire qui soit le lieu de manifestation de cette problématique mais aussi, le lieu de sa possible prise en charge, avec au moins une collectivité compétente sur ce territoire. L’instruction de 2019 précise que le périmètre territorial doit impérativement « refléter la cohérence hydrologique et hydrogéologique. Dans le cas de l’existence d’un Sage, il est recommandé que le périmètre du PTGE soit celui du Sage ou équivalent à celui du Sage, dans une logique de cohérence avec l’ensemble des objectifs à atteindre sur le territoire » ;

– une convergence politique entre les institutions (maître d’ouvrage territoire, État, agence de l’eau, etc.) pour engager un processus de prise en charge.

Selon le média « Pleinchamp » ([48]), les Assises de l’eau avaient fixé en 2018 un objectif de 100 PTGE à l’horizon 2025. En 2022, un décompte du ministère de la transition écologique en dénombrerait 63 validés, 31 en cours d’approbation et 10 en cours de constitution.

3.   Un contrôle du juge administratif limité sur les décisions d’autorisation de projets de méga-bassines

Les décisions administratives relatives aux projets de retenues d’eau sont soumises à une obligation de compatibilité avec le Sdage et le Sage, contrôlée par le juge. Plus précisément, un projet est dit compatible avec un Sdage lorsqu’il n’est pas contraire à ses orientations fondamentales, dispositions et objectifs de bon état des masses d’eau. De même, un projet est dit compatible avec un Sage lorsqu’il n’est pas contraire à ses objectifs ainsi qu’aux dispositions de son plan d’aménagement et de gestion durable (PAGD).

La portée de ce contrôle demeure toutefois limitée. Dans un arrêt du 25 septembre 2019, le Conseil d’État a notamment précisé qu’il « appartient [au juge administratif] de rechercher si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard de chaque disposition ou objectif particulier » ([49]).

La portée du contrôle du juge est plus importante s’agissant des dispositions du règlement du Sage et ses documents cartographiques par rapport auquel toute décision administrative prise dans le domaine de l’eau doit être conforme (et non simplement compatible). Le non-respect des plafonds des volumes de substitution prélevés prescrits par le règlement des Sage constitue ainsi un motif récurrent d’annulation de plusieurs autorisations de construction de réserves en Nouvelle-Aquitaine ([50]).

Le 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Poitiers a annulé deux arrêtés préfectoraux autorisant la création et l’exploitation de quinze réserves de substitution dans les sous-bassins de la Pallu, de l’Aume et de la Couture ([51]). Le juge a estimé que les projets portaient les prélèvements hivernaux à un niveau excessif par rapport aux prescriptions du Sage et ne tenaient pas suffisamment compte des effets prévisibles importants du changement climatique sur la recharge des nappes.

D’autres requêtes ont été récemment rejetées par le juge administratif. C’est le cas du jugement du 11 avril 2023 du TA de Poitiers concernant deux arrêtés préfectoraux ayant autorisé seize réserves de substitution dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente-Maritime (comprenant le projet de méga-bassine de Sainte-Soline). Le tribunal a rejeté les contestations formulées par les associations requérantes qui ont fait appel devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Par un premier jugement du 27 mai 2021, le tribunal avait jugé les volumes de prélèvement autorisés pour neuf de ces réserves non conformes aux règles du Sage du bassin Sèvre Niortaise-Marais poitevin ; ces seuils avaient été modifiés en conséquence par un arrêté du 22 mars 2022.

II.   Le dispositif proposÉ

L’article unique de la présente proposition de loi vise à instaurer « un moratoire suspendant la délivrance des autorisations pour la construction de mégabassines » pour une durée de dix ans à compter de la promulgation de la loi.

Le dispositif rappelle le contexte lié au changement climatique, son « impact sur la ressource en eau » et ses « conséquences écologiques, économiques et sociales ».

Le moratoire s’applique aux projets en cours d’instruction.

III.   les travaux en commission

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a supprimé l’article unique de la proposition de loi par l’adoption des amendements CD3 de Mme Heydel Grillere (Renaissance) et CD17 de M. Schreck (RN).

 

 


  1  

   examen en commission

Lors de ses réunions du mardi 22 novembre 2023, après-midi et soir, la commission a examiné, sur le rapport de Mme Clémence Guetté, la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur le déploiement des mégabassines (n° 1766).

Mme Clémence Guetté, rapporteure. L’eau est un bien commun et une ressource vitale qu’il est nécessaire de préserver. Le changement climatique n’est plus un horizon lointain : il affecte d’ores et déjà le cycle de l’eau et la disponibilité de la ressource en France. De fins observateurs, parmi vous, me feront sûrement remarquer qu’en ce moment, l’eau ne manque pas, mais c’est justement l’une des conséquences du dérèglement climatique.

La répartition géographique et saisonnière des pluies est désormais modifiée : moins de pluie l’été, mais des épisodes plus violents en automne et en hiver. La pluie, en outre, ne permet plus aussi efficacement que par le passé de reconstituer les réserves d’eau souterraines et superficielles : le sol ayant été imperméabilisé, l’infiltration est plus difficile et le ruissellement, favorisé.

L’eau des inondations, turbide et polluée – elle ruisselle violemment – ne pourrait pas être réutilisée sans risque sanitaire. Une étude du ministère de la transition écologique a démontré que la ressource disponible en eau renouvelable a déjà diminué de 14 % entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018. À l’horizon d’une trentaine d’années seulement, les études anticipent des baisses significatives des débits moyens des cours d’eau et du niveau des nappes souterraines.

Depuis plusieurs années, les restrictions d’usages, y compris agricoles, sont de plus en plus fréquentes et de longue durée. Face à la raréfaction de la ressource en eau, les pratiques agricoles doivent urgemment s’adapter. L’agriculture est l’activité la plus consommatrice d’eau et en affecte à la fois le cycle et la qualité. Cette consommation s’explique par un modèle agricole particulier : celui qui est fondé sur l’irrigation, responsable de plus de 90 % des prélèvements du secteur agricole.

Sur le bassin Adour-Garonne, selon les chiffres de France nature environnement, en été, le millier d’irrigants qui profite du système d’irrigation de la Neste consomme 95 % de l’eau disponible, soit 50 % de plus par rapport à 2018. Dans le Marais poitevin, après la grande sécheresse de l’été 1976, l’État a accordé son soutien à un développement massif de l’irrigation. Résultat : dans les années 1990, on s’est rendu compte que l’on était allé beaucoup trop vite et trop loin en matière de prélèvements lorsque de nombreuses rivières se sont retrouvées à sec. Face à l’assèchement du Marais poitevin et aux sécheresses à répétition, il a fallu chercher des solutions. Réduire l’irrigation ? Faire bifurquer le modèle agricole ? Non et non, mais une grande idée : prélever une partie de l’eau en été et une partie en hiver. Pour cela, un instrument miracle : les méga-bassines.

Ces grandes retenues de substitution artificielles, plastifiées et imperméabilisées, qui pompent dans les nappes ou les cours d’eau en hiver pour irriguer les cultures en été, sont principalement construites dans des zones en tension pour le partage de la ressource en eau. Leurs défenseurs les présentent comme une solution permettant de substituer les prélèvements hivernaux aux prélèvements estivaux – d’où leur nom officiel de « retenues de substitution ». Or ces ouvrages sont anachroniques et ne peuvent constituer une solution sérieuse pour gérer la ressource.

Pour y voir plus clair, je me suis déplacée en Espagne, pays qui a connu un développement à très grande échelle des bassines depuis plusieurs dizaines d’années ; j’ai rencontré des représentants des communautés d’irrigants et de la chambre d’agriculture de l’Aragon. Je me suis également rendue dans le Puy-de-Dôme, auprès d’agriculteurs, de collectifs et d’associations de défense de l’environnement, d’un hydrologue et d’un écologue. Dans les Deux-Sèvres, enfin, j’ai rencontré des agriculteurs en bio et un physico-chimiste spécialiste de la qualité de l’eau à l’université de Poitiers. J’ai également auditionné des chercheurs, hydrologues et spécialistes du cycle de l’eau et des écosystèmes aquatiques, le collectif Bassines non merci, France nature environnement, mais aussi la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), la Confédération paysanne, Irrigants de France, la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres ainsi que les services ministériels compétents. Le diagnostic est sans appel : les méga-bassines ne sont pas une solution face à la raréfaction de la ressource en eau.

Tout d’abord, les méga-bassines sont mal adaptées. Censées permettre la substitution entre prélèvements estivaux et hivernaux, elles entraînent des pompages plus importants et dérèglent le cycle de l’eau. Florence Habets, hydroclimatologue que j’ai auditionnée, a participé à une expertise scientifique sur les effets cumulés de ces retenues d’eau. Les résultats qu’elle m’a présentés sont très clairs : « Loin de permettre une substitution, ces retenues sont là pour permettre de consommer plus d’eau. Elles impactent les débits des cours d’eau, avec une réduction moyenne de l’ordre de 10 % à 50 % dans les années sèches. »

C’est donc aussi une solution de court terme, car, en raison du changement climatique, les hivers pendant lesquels les bassines ne pourront pas être remplies seront de plus en plus fréquents, comme c’est le cas en Espagne.

Enfin, c’est une solution qui n’est pas durable, car en augmentant artificiellement le volume d’eau disponible, les bassines incitent à la surconsommation et freinent l’évolution nécessaire des pratiques agricoles.

Outre qu’elles ne sont pas bénéfiques pour la ressource en eau, les méga‑bassines divisent la profession agricole pour la simple raison qu’elles ne bénéficient qu’à une infime minorité des agriculteurs.

Moins de 7 % de la surface agricole est irriguée en France, plus de 93 % des surfaces cultivées étant arrosées par l’eau pluviale. La production de maïs, dont 40 % sont destinés à l’exportation, représente plus du tiers des surfaces irriguées.

Une infime partie des irrigants sont raccordés aux bassines – en moyenne, 5 % des agriculteurs présents sur les territoires concernés. Les bassines créent donc un droit dérogatoire à l’accès à la ressource en eau, dans un contexte où l’écrasante majorité de la profession agricole est soumise chaque année à des restrictions d’eau. Christian Amblard, hydrobiologiste, résumait ainsi la situation lors de son audition : « Les bassines ne correspondent pas à l’intérêt de l’agriculture française : elles correspondent aux intérêts particuliers de quelques agriculteurs, et seulement à court terme. »

Ces deux premiers enjeux – l’incapacité des bassines à constituer une réponse durable à la crise de l’eau et le faible nombre de bénéficiaires – sont d’autant plus problématiques lorsqu’on s’intéresse au financement des méga-bassines.

Je le répète, ces ouvrages dérèglent le cycle de l’eau, ne pourront probablement plus être remplis à un horizon assez proche, permettent un accaparement d’une ressource en eau par quelques gros exploitants agricoles, tout cela, financé par des fonds publics à hauteur de 70 % en moyenne. Pour les seize bassines des Deux-Sèvres, par exemple, cela représente 74,3 millions d’euros d’aides publiques. Lors de son audition, la secrétaire d’État à la biodiversité affichait une volonté politique forte pour lutter contre les subventions néfastes. Les subventions pour les méga-bassines en font-elles partie ?

De nombreuses autorisations de construction de bassines ont d’ailleurs été annulées par la justice. Le tribunal administratif de Poitiers, le 3 octobre, a annulé quinze retenues en raison d’un surdimensionnement. Le tribunal a estimé que les projets porteraient les prélèvements à un niveau excessif – un tiers de plus que le volume prélevable pour les bassines de la Vienne – et étaient inadaptés au dérèglement climatique. Le juge a considéré que les projets ne tenaient pas compte des effets prévisibles du changement climatique et a mis en cause les « inexactitudes, omissions et insuffisances » de l’étude d’impact.

Nous proposons donc un moratoire, mesure minimale et de sagesse, sur la délivrance des autorisations de construction de méga-bassines. Face à la raréfaction de la ressource en eau, à la multiplication des arrêtés de restriction des usages et à la dégradation de la qualité de l’eau, cela permettra d’engager la nécessaire transition des pratiques agricoles vers des usages plus économes et adaptés aux nouvelles conditions climatiques.

En fait, nous aurions besoin de deux grandes lois : l’une, pour enclencher la réorientation urgente de notre modèle agricole ; l’autre, permettant d’associer les citoyens à la gestion d’une ressource en eau qui se raréfie et dont le partage entre différents usages doit être décidé démocratiquement.

Le récent rapport de la Cour des comptes sur la gestion quantitative de l’eau alerte par ailleurs sur les « défaillances du système d’information des prélèvements d’eau, qui ne permettent pas d’orienter correctement les décisions publiques ». Il confirme donc qu’il est nécessaire de prendre le temps de la réflexion, et en particulier celui de mener des études hydrographiques approfondies avant de pouvoir statuer sur la construction de méga-bassines.

Cette proposition de loi a fait l’objet de travaux préparatoires denses et de nombreux échanges de fond sur les méga-bassines mais aussi, plus largement, sur la problématique liée aux usages de l’eau en agriculture dans le contexte du changement climatique. C’est dans cette perspective que je souhaite inscrire nos débats, que j’espère riches et constructifs.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Les auteurs de cette proposition de loi ont-ils bien conscience des difficultés de gestion de la ressource en eau ou s’agit‑il, pour eux, de promouvoir une politique qui stigmatise et divise au lieu d’agir au service des Français ? À la lecture du texte, je n’ai pas été déçue…

Cette proposition de loi a un objet principal qui n’a pas d’existence juridique mais, surtout, elle n’apporte aucune réponse concrète aux multiples défis liés à la ressource en eau. Quelles solutions pour sécuriser l’approvisionnement ? Pour organiser la sobriété des usages de l’eau par tous les acteurs ? Pour renforcer la gouvernance de ce secteur ? Pour préserver la qualité de l’eau et prévenir les pollutions ? Pour protéger nos écosystèmes aquatiques ? Aucune. Rien.

Votre vision réductrice et idéologique ne tient aucun compte de la complexité de cette question fondamentale. Pourquoi ne pas avoir tenu compte du rapport sénatorial sur la gestion durable de l’eau, qui écarte l’idée d’un moratoire ? Nous aurions pu partager le point de vue selon lequel les réserves de substitution ne sont pas l’unique solution face aux besoins indéniables d’eau dans le domaine agricole. Or il n’est pas question d’alternative mais uniquement d’une interdiction pendant dix ans, comme si le changement climatique pouvait attendre.

Pointer du doigt une profession comme responsable des insuffisances en eau sur certains territoires, c’est faire preuve de populisme et d’une méconnaissance totale de la réalité. Le Gouvernement – avec le plan Eau – et cette majorité souhaitent avancer avec cohérence. Nous proposerons donc un amendement de suppression de cet article.

Le seul « mérite » de cette proposition de loi, c’est de transformer une situation complexe en une idée simpliste, ce qui n’est pas à la hauteur des enjeux de notre société.

M. Philippe Schreck (RN). Le principe des retenues de substitution consiste à capter l’eau des nappes phréatiques l’hiver, lorsqu’elles débordent, afin de la stocker et d’assurer l’approvisionnement, notamment pour l’irrigation estivale, et d’éviter alors de puiser dans les nappes. Ces réserves sont nécessaires car elles garantissent à nos agriculteurs un approvisionnement durable, mais il faut qu’une telle possibilité soit mise à profit pour assurer la transition vers des variétés plus sobres et une irrigation plus technologique, moins consommatrice.

L’eau ne doit pas être un produit spéculatif. Des réserves immenses ne doivent pas être uniquement appréhendées par d’énormes structures, notamment céréalières, exclusivement exportatrices et dont le capital n’est plus détenu par des intérêts français. Ce modèle exclut de fait les indispensables petites et moyennes exploitations agricoles.

En outre, ces ouvrages sont subventionnés et leur gestion ne doit donc pas échapper complètement à l’État et à ses agences de l’eau, gages de régulation et de transparence.

Le moratoire proposé n’a guère de sens. En attendant quelle loi ? Que faire faute de loi dans les dix prochaines années ou s’il y en a une avant ? Vous voulez attendre dix ans et ne rien faire. Il est vrai que mettre la poussière sous le tapis et procrastiner constituent un mode de fonctionnement très français dans de nombreux domaines. Au contraire, nous sommes ici pour agir, en particulier en répondant à des questions qui se situent au carrefour de notre souveraineté alimentaire et du réchauffement climatique. Notre groupe votera donc contre cette proposition de loi.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Notre proposition de loi repose sur des études scientifiques démontrant que face au changement climatique, nous ne prenons pas le bon chemin dans le domaine agricole. Contrairement au Rassemblement national, qui joue le jeu dangereux consistant à se faire l’écho des climatosceptiques, nous estimons qu’il est nécessaire et urgent de penser une agriculture résiliente face aux chaleurs et aux sécheresses.

Un moratoire permet de s’arrêter pour réfléchir. Faire face aux sécheresses en asséchant relève d’un rêve de Shadoks. Ce n’est pas parce que l’eau est prélevée en hiver dans les nappes phréatiques qu’elle n’est pas prélevée ! Laissée à l’air libre dans une bassine, son volume diminue par évaporation et il est aberrant de perdre une partie de la ressource en période de pénurie.

Qui dit baisse de quantité dit baisse de qualité, car la concentration en polluants divers augmente. Nous manquons d’études sur les conséquences d’une irrigation avec de l’eau chargée en cyanobactéries sur l’alimentation humaine.

Moins d’eau, de moins bonne qualité et pour une poignée d’agriculteurs : non seulement les méga-bassines augmentent la pénurie en eau, mais l’eau qui reste disponible est réservée à quelques agriculteurs qui refusent de changer leurs modes de travail.

Ces bassines, dont les coûts de construction et de fonctionnement sont élevés, sont bombardées de subventions publiques, parfois à hauteur de 70 %. Nous assistons à la privatisation de l’eau sur fond de subvention publique, c’est-à-dire, à un pur scandale.

Le Conseil économique, social et environnemental (Cese), dans son rapport du mois d’avril dernier, appelle à une interdiction de la subvention par des fonds publics de tout projet de création de méga-bassines, notamment celles alimentées par pompage dans la nappe phréatique. Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) concentre ses actions sur les solutions naturelles pour favoriser un meilleur écoulement des eaux pluviales et un meilleur rechargement de la nappe.

L’eau, c’est la vie. Elle est et doit rester un bien commun que nous devons travailler à rendre accessible à tous, tout en empêchant qu’elle soit gaspillée. Tel est le sens de notre proposition de loi.

M. Pierre Vatin (LR). Le groupe Les Républicains conteste le bien-fondé de cette proposition de loi qui ne vise qu’à interdire les réserves d’eau en faveur de l’agriculture, qu’elles soient déjà en instruction, qu’elles se justifient par des conditions géologiques particulières ou même qu’elles respectent l’environnement. Faut-il d’emblée rejeter l’idée du stockage alors que nos ancêtres l’ont toujours pratiqué et qu’une part de notre essor agricole est liée à ces ouvrages ? Où est le mal à stocker l’eau lorsqu’elle peut remplir plusieurs bassines par jour comme en ce moment, au lieu de la chercher désespérément quand elle manque en été ?

Le Varenne de l’eau a clairement validé le principe des retenues sur la base d’un rapport commun du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. De même, comme l’a conclu un rapport du Sénat, élaboré par des élus de droite, de la majorité et du parti communiste, disqualifier le stockage n’est pas fondé scientifiquement. C’est une analyse au cas par cas, à travers des procédures déjà très exigeantes, qui doit déterminer s’il est souhaitable de créer des réserves.

Vos auditions, madame la rapporteure, ont déjà démontré que les arguments sur l’évaporation et la dégradation de la qualité de l’eau devaient être relativisés. Rappelons que les bassines offrent une voie de repli pour ne pas puiser dans les aquifères profonds. D’après le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), elles ont aidé au redressement du débit des rivières, notamment dans le Marais poitevin. Elles ne sont validées qu’à l’issue d’un examen minutieux par le préfet et sont soumises à un seuil de prélèvements qui interdit tout stockage de confort. Quelque 88 % de nos nappes sont ainsi en bon état au titre de la directive‑cadre sur l’eau. C’est donc un contresens de vouloir interdire les méga-bassines pour leur taille alors que leur déploiement ne devrait avoir à répondre qu’au principe simple de gestion équilibrée de la ressource en eau, inscrit dans le code de l’environnement.

Au-delà des retenues de substitution, c’est bien l’agriculture que vous visez. Le secteur a réduit sa consommation d’eau de 30 % en vingt ans. Assure-t-on l’acceptabilité des projets et la survie des exploitations quand on laisse croire, par des activistes violents et la multiplication des recours, que les bassines ont pour seul but l’enrichissement privé de quelques cultivateurs, alors que la compétitivité de la ferme France et notre souveraineté alimentaire sont en jeu ?

Nous proposerons donc, au contraire, que les projets qui contribuent à la gestion durable de l’eau se voient délivrer une reconnaissance d’intérêt général majeur. Cela permettra de clarifier l’intérêt de déroger à l’équilibre entre prélèvements et renouvellement des nappes en hiver en vue d’épargner les cours d’eau en été. Cela permettra aussi de renforcer la sécurité juridique des autorisations alors que le coût, la durée et la complexité des démarches sont un motif de découragement pour la profession.

M. Jimmy Pahun (Dem). À l’image du mouvement One Planet, le plan France 2030 finance un programme de recherche dénommé One Water. C’est dire combien cet enjeu est prioritaire ! Ce programme vise à construire l’excellence française dans ce domaine stratégique qu’est l’eau comme bien commun. Les conflits d’usages déjà existants se multiplieront avec la raréfaction de la ressource en eau, nous obligeant à faire face avec lucidité à ces nouveaux défis : l’enjeu n’est pas seulement environnemental ou agricole, il est aussi démocratique.

Les événements de Sainte-Soline ne doivent pas préfigurer une France durablement fracturée, incapable d’écoute, de dialogue et d’empathie. Après tous ces épisodes violents, celles et ceux qui sont attachés à la démocratie et à la paix civile doivent avant tout appeler à la reprise du dialogue. Je vous propose de nous inspirer de l’action du comité de bassin Loire‑Bretagne qui, loin de l’agitation médiatique et sous l’autorité de son président Thierry Burlot, a effectué un important travail d’apaisement des tensions et de recherche des solutions. Le 4 juillet dernier, grâce à ce travail, une motion proposant une méthode pour avancer collectivement sur ce sujet si sensible a été adoptée à l’unanimité : tous les acteurs de l’eau – agriculteurs, associations environnementales, acteurs économiques, élus, État – l’ont soutenue. En préambule, le comité de bassin rappelle son attachement à la loi sur l’eau, définissant cette ressource comme appartenant au patrimoine commun de la nation, avant de formuler des recommandations en matière d’études scientifiques, de gouvernance, d’engagements individuels et collectifs des acteurs privés, de leur accompagnement par les pouvoirs publics, mais aussi de suivi et de partage de l’information.

En avril dernier, j’avais invité Thierry Burlot et Jean Placines, directeur de la délégation Armorique de l’agence de l’eau Loire-Bretagne, dans ma circonscription, afin qu’ils puissent rencontrer des agriculteurs et échanger avec les habitants. Je retiens de cette rencontre que ces derniers avaient été très nombreux à s’intéresser à ces enjeux et à manifester une envie de comprendre et de dialoguer – signe positif qui invite à l’optimisme.

Plutôt qu’un moratoire, nous proposons une méthode : celle du comité de bassin Loire-Bretagne. Le groupe Démocrate votera donc contre cette proposition de loi.

Mme Chantal Jourdan (SOC). Madame la rapporteure, je vous remercie de nous donner l’occasion de discuter des retenues de substitution, dites méga-bassines, qui touchent un enjeu plus large et fondamental pour l’avenir, celui de l’accès à l’eau et son partage. Les raisons qui ont motivé la construction de ces bassines sont connues : dans un contexte d’épisodes réguliers de sécheresse, aggravés par le réchauffement climatique, les agriculteurs font face à d’importantes difficultés pour répondre aux besoins d’irrigation de leurs cultures. Or ces infrastructures soulèvent plusieurs questions et points problématiques.

Tout d’abord, elles centralisent d’énormes quantités d’eau à l’air libre, et les risques d’évaporation ou de contamination ne sont pas négligeables. En 2023, le BRGM est d’ailleurs revenu sur ses anciennes conclusions, indiquant ne pas avoir pris en compte les risques d’évaporation ni les évolutions climatiques, et expliquant qu’il serait important de le faire.

Ensuite, le pompage de l’eau directement dans les nappes phréatiques n’est pas sans conséquences. Selon Jean-François Soussana, vice-président de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le stockage risque d’accentuer le niveau de réduction des nappes. Nous manquons de données sur les conséquences des méga-bassines sur le cycle de l’eau, les risques d’assèchement des cours et le niveau des nappes phréatiques. Des cas concrets ont montré que les études d’impact conduites en amont de certains projets avaient été défaillantes. La justice a relevé un manque de précision quant aux conséquences sur les nappes phréatiques et les rivières.

Enfin, ces infrastructures suscitent aussi des inquiétudes concernant le partage de l’eau et la création de situations d’accaparement.

La proposition de loi propose un moratoire de dix ans pour la délivrance d’autorisations de construction de méga-bassines, ce qui laisserait le temps d’ouvrir une réflexion scientifique afin de déterminer dans quelles conditions précises de tels ouvrages pourraient s’inscrire ou non dans une logique d’adaptation. Ce moratoire permettrait aussi d’activer toutes les solutions alternatives à ces infrastructures coûteuses : mobilisation des ouvrages existants et de taille modérée ; reforestation ; travail sur l’évolution des cultures très consommatrices en eau ; retour des prairies ; protection des haies, etc. Cela demande une volonté politique et surtout des moyens pour accompagner les agriculteurs. Voilà ce qui est primordial. Nous voterons pour cette proposition de loi.

Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Je vous remercie, madame la rapporteure, de nous donner l’occasion d’échanger sur cette question cruciale du partage et de la gestion de l’eau, qui est plus que jamais d’actualité.

Comme vous, je pense que c’est une question d’intérêt public et qu’il est nécessaire de penser à la dimension et à l’usage de ces projets. Cependant, comme cela est apparu lors des auditions effectuées dans le cadre de cette proposition de loi ou de la mission d’information sur l’adaptation de la politique de l’eau au défi climatique, que je copréside, tous les projets de réserves d’eau n’affectent pas structurellement les nappes et se montrent vertueux depuis de nombreuses années. Il y aura toujours des périodes de sécheresse, ce qui oblige à stocker l’eau en amont, notamment en zones montagneuses où les réserves diminuent trop rapidement. Les retenues de substitution, destinées à stocker l’eau prélevée durant l’hiver, peuvent être l’une des solutions pour irriguer les cultures en période de sécheresse ou abreuver le bétail en alpage.

Le Gouvernement est déjà sensible à la sobriété hydrique, comme en témoigne le plan Eau élaboré en avril 2023. Dans votre rapport, vous relevez le fait que l’agriculture absorbe 58 % de l’eau, ce qui en fait le consommateur principal. Si vos inquiétudes me semblent légitimes, je ne peux approuver votre réponse extrémiste et excessive : pour proposer dix ans de moratoire sur tous les projets en cours et à venir, il faut totalement méconnaître la réalité concrète de nos pratiques agricoles.

Le groupe Horizons et apparentés n’a pas déposé d’amendement de suppression, compte tenu de l’importance et de l’urgence du sujet, mais il ne soutiendra pas cette proposition de loi qui ne répond absolument pas aux besoins actuels.

Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). Le changement climatique induit ce que l’on pourrait qualifier de changement aquatique : les sécheresses et inondations sont plus intenses et plus fréquentes ; le cycle de l’eau est profondément altéré. Nous avons perdu 14 % de l’eau disponible sur notre territoire en à peine vingt ans.

C’est grave pour le vivant, dont nous faisons partie, car l’eau est la plus indispensable condition d’existence. Cette raréfaction de la ressource menace les écosystèmes de notre pays, déjà en péril. Et si nous en restons plus trivialement à nos intérêts purement humains, toutes nos activités dépendent de l’eau : sans elle, aucune usine ne fabriquera le moindre objet, aucune centrale nucléaire ne générera de l’électricité, aucun champ ne produira de céréales. Dans ce contexte de raréfaction de l’eau, on comprend le réflexe de stockage, pour ne pas dire de thésaurisation. Au risque de vous étonner, je veux dire ici que le groupe Écologiste est – et a toujours été – favorable à la conservation de l’eau.

Cependant, il y a deux façons de conserver l’eau.

Pour décrire la première, je vais faire quelques propositions qui vont certainement plaire à ma collègue du groupe Renaissance. Je vous suggère, par exemple, de lutter contre le changement climatique pour protéger les glaciers et s’assurer que la fonte des neiges continuera à garantir un débit continu des cours d’eau. Vous pouvez stopper l’artificialisation des sols, qui empêche l’infiltration de l’eau dans les nappes phréatiques et provoque le ruissellement des eaux et les inondations qui s’ensuivent. Vous pouvez planter des haies et renaturer les cours d’eau, afin de laisser à l’eau le temps de s’infiltrer dans les sols. Vous pouvez protéger les espaces de stockage naturel, notamment les zones humides, favorisant ainsi le remplissage des aquifères. Vous pouvez transformer votre modèle agricole pour que les sols soient vivants, spongieux et capables de retenir l’eau plutôt que de la laisser ruisseler. Cette première façon de conserver l’eau garantit que tous les humains et les écosystèmes en aient suffisamment pour répondre à leurs besoins.

La deuxième façon consiste à creuser des trous de la taille d’une dizaine de terrains de football avec de l’argent public, d’y mettre une bâche, de pomper l’eau dans les nappes phréatiques pour l’y déverser et se l’approprier. C’est la technique des méga-bassines, qui garantit qu’une minorité d’agriculteurs irrigants accapare l’eau, empêchant les populations, les paysans et les écosystèmes d’y accéder équitablement pour leurs besoins.

La première méthode fait de l’eau un bien commun stocké efficacement ; la seconde méthode fait de l’eau un bien appropriable, un facteur de production au détriment des usagers et des écosystèmes. Vous l’aurez compris, nous voterons pour ce moratoire.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Il est difficile d’appréhender en deux minutes les questions soulevées par la multiplication des projets de stockage d’eau privés à vocation agricole, qualifiés par notre rapporteure de méga-bassines. Nous touchons là à la cohérence globale de notre politique de l’eau et aux objectifs que nous lui assignons.

L’examen de ce texte m’inspire deux réactions.

Premièrement, j’adresse un grand regret au Gouvernement. Nous avons besoin d’un grand débat national sur la gestion de l’eau, sur ses principes, sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer nos besoins fondamentaux à long terme, en nous adaptant à l’accélération des effets du changement climatique. Que fait le Gouvernement ? Il se noie dans la communication politique et dans la réponse par la force. Ce n’est pas acceptable. Les conflits d’usages concernant une ressource aussi essentielle que l’eau ne s’apaiseront pas par de telles attitudes.

Deuxièmement, j’exprime une grande crainte, celle que ce refus de débattre sereinement d’un sujet aussi essentiel ne révèle d’abord un blocage idéologique. Ce débat d’intérêt national n’est-il pas d’abord entravé parce qu’il porte sur des valeurs et des principes qui sont opposés à l’orientation politique du pouvoir en place : la notion de bien commun ; le principe de gestion publique de l’eau qui en découle ; l’exigence d’un arbitrage démocratique fondé sur la raison scientifique et un partage juste et équilibré de la ressource ; la nécessité de transformer en profondeur nos modèles agricoles et la construction des échanges agricoles qui en résulte ? N’est-ce pas d’abord cela qui bloque la mise en œuvre d’une politique de maîtrise et de gestion publique de l’eau ?

À force de laisser pourrir des situations révélatrices d’enjeux aussi essentiels à notre avenir, il ne faut pas s’étonner que la représentation nationale soit contrainte de proposer des mesures d’urgence forcément limitées, comme le moratoire que la rapporteure défend aujourd’hui. Au-delà d’un simple moratoire, que nous approuverons cependant, il est indispensable que s’ouvre un grand débat sur la gestion de l’eau et ses principes, sinon ce ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau.

M. Guy Bricout (LIOT). Quand certains départements, comme ceux du Nord et du Pas-de-Calais, font face à des pluies diluviennes, d’autres doivent composer avec une ressource en eau insuffisante. Partout domine la difficulté à gérer le dérèglement climatique et ses conséquences.

Dans ce contexte, ayons l’humilité de reconnaître qu’il n’y a pas de solution toute faite. La gestion de l’eau – et a fortiori son partage – impose des réponses locales qui tiennent compte des caractéristiques de chacun des territoires concernés. Plutôt que de devoir se positionner pour ou contre les méga-bassines, il faudrait se poser la question suivante : les retenues de substitution sont-elles adaptées à mon territoire ?

Ce n’est pas l’axe que ce que vous choisissez puisque vous entendez mettre fin à toutes les bassines, sans exception, dans un texte dont la rédaction appelle quelques commentaires. Vous êtes particulièrement affirmative sur certains points qui sont loin d’être confirmés par les faits. « À cause du changement climatique, les déficits de pluie, ainsi que la fréquence et l’intensité des sécheresses, notamment hivernales, sont amenés à augmenter », écrivez-vous. Or nous sommes en novembre et les pluies diluviennes de ces dernières semaines ont permis à la plupart des nappes phréatiques de se recharger. Pourquoi opter arbitrairement pour un moratoire de dix ans ? Qu’entendez-vous par méga-bassine puisque ce terme ne renvoie à aucune définition juridique ?

Au-delà de ces questions de forme, nous regrettons que vous transformiez le débat technique sur les retenues d’eau en un débat idéologique, ce qui risque de cliver durablement tous ceux qui aspirent légitimement à utiliser la ressource en eau. Pourtant, la France dispose d’un cadre juridique fournissant les instruments nécessaires pour bâtir du consensus en la matière dans une majorité de territoires où les usagers parviennent d’ailleurs à s’accorder.

Nous souhaitons une meilleure prise en compte des conséquences du dérèglement climatique dans les études d’incidence environnementale ainsi qu’au moment de la délivrance de l’autorisation par l’autorité administrative, et une systématisation du contrôle des contreparties demandées aux agriculteurs. Vous l’aurez compris, notre groupe votera contre ce moratoire.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Je remercie les collègues qui se sont exprimés, même si les différentes prises de position ne recèlent guère de surprises.

À Mme Heydel Grillere, je répondrai que nous aimerions pouvoir faire de grandes lois et avoir, à l’instar de la majorité, toute l’année pour proposer des réformes législatives ambitieuses. Le moratoire est en effet une mesure nécessairement limitée, à l’image du temps d’initiative parlementaire qui nous est laissé : pas grand-chose quand on est un groupe de l’opposition. C’est un reflet des conditions du débat démocratique au Parlement.

Cette mesure limitée a néanmoins le mérite d’identifier des enjeux concernant la gestion de l’eau, reconnus comme assez légitimes par d’autres collègues : la nécessaire bifurcation du modèle agricole ; le changement climatique et ses conséquences sur les usages de l’eau. Pour avoir consulté des hydrologues, je peux assurer de l’importance majeure de ce dernier point. Dans le Massif Central, par exemple, les mêmes cours d’eau sont supposés alimenter des méga-bassines pompant l’Allier dans le Puy-de-Dôme, refroidir des réacteurs nucléaires sur la Loire, répondre aux besoins de l’industrie et du tourisme et fournir une ville comme Clermont-Ferrand en eau potable. Dans les années à venir, il va falloir faire des arbitrages. Cette mesure aurait au moins le mérite de « mettre sur pause » pendant dix ans, le temps d’organiser les conditions du débat démocratique et de faire des choix conformes à la volonté des citoyens.

La situation hydrographique sur le territoire national varie d’un endroit à l’autre, comme certains l’ont souligné : les nappes phréatiques, quand elles existent, ne sont pas toutes de la même profondeur ; les cours d’eau sont plus ou moins abondants. Même s’il est difficile d’adopter une mesure unique pour tout le territoire dans de telles conditions, je pense néanmoins que nous devons le faire. Certains auteurs d’amendements proposent de restreindre le moratoire aux zones de répartition des eaux où le stress hydrique est intense et le manque d’eau avéré. Je pense qu’il faut tout de même l’appliquer sur tout le territoire, car le modèle des bassines, encouragé lors du Varenne de l’eau, notamment par des syndicats agricoles très puissants, peut se développer si nous ne prenons pas le temps d’une discussion.

Nous lançons ce débat parce que nous ne voulons pas que les conflits sur le partage de la ressource en eau se multiplient sans que l’État intervienne. Le problème ne vient pas de la profession agricole dans son ensemble, mais d’intérêts privés minoritaires : les bénéficiaires de ces méga-bassines qui, comme le montrent les chiffres cités, représentent une infime minorité des agriculteurs qui n’ont pas nécessairement l’occasion de dialoguer avec les citoyens de leur territoire. Nous voulons donc prendre ce temps démocratique.

Quant au plan Eau, nous le trouvons très insuffisant. M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, a d’ailleurs annoncé que l’objectif de réduction de 10 % des prélèvements en eau par la profession agricole pourrait passer à la trappe lors de l’examen de la loi d’orientation agricole. Nous serons fixés sur ce point dans quelques mois, mais si l’objectif initial – déjà insuffisant – passe à la trappe, nous aurons perdu beaucoup de temps. En outre, le plan Eau ne prévoit pas de réelles mesures pour aider les agriculteurs à s’orienter vers des cultures plus résilientes. Il est certes prévu d’encourager l’irrigation par goutte-à-goutte, par exemple, ce qui est bien mais très insuffisant à un moment où il nous faut opter pour une très nette bifurcation du modèle agricole. Le plan Eau ne résoudra donc pas grand-chose.

Selon l’orateur du Rassemblement national, nous proposons seulement d’attendre dix ans et de ne rien faire dans l’intervalle. L’hypocrisie de votre attitude va apparaître rapidement au cours des débats : si certains de vos amendements proposent des solutions à un problème que vous jugez réel, vous avez d’emblée demandé la suppression de l’article unique de cette proposition de loi, montrant ainsi que vous ne trouvez pas ce débat légitime. Vous avez même déposé un amendement pour gommer toute mention du changement climatique dans notre proposition de loi, ce qui en dit long sur votre vision en la matière. Si nous proposons de ne rien faire, comme vous le prétendez, pourquoi avoir déposé un amendement de suppression ? Vous voulez supprimer du rien ? Un moratoire, ce n’est pas rien. Contrairement à ce qu’ont dit plusieurs collègues, un moratoire n’est pas non plus une interdiction pure et simple, mais une pause permettant d’avoir le temps de discuter puis de décider de la manière dont nous voulons organiser la ressource en eau en fonction des territoires.

Nous allons pouvoir aussi discuter de la notion de méga-bassine car, contrairement à ce qu’ont indiqué plusieurs collègues, nous ne ciblons pas toutes les retenues. Nous avons retenu des seuils, un peu hauts à mon avis, en nous fondant sur les critères fixés pour une autorisation environnementale : 200 000 mètres cubes et plus de 3 hectares – ce sont donc de grands ouvrages soumis à autorisation et non à une simple déclaration. Nous avons pris cette définition par défaut, mais il en existe d’autres, plus restrictives, qui étendraient le moratoire à davantage de retenues de substitution. En fait, notre dispositif est très raisonnable : il ne cible qu’une infime minorité des réserves de substitution existantes. Je rappelle qu’on estime entre 600 000 et 800 000 le nombre total de retenues d’eau en France.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Je suis saisi d’une demande d’intervention à titre individuel.

M. Pierre Meurin (RN). L’intervention de Mme la rapporteure et celle de la collègue de la France insoumise me poussent à réagir, car je ne veux plus laisser dire que le Rassemblement national prête sa voix aux climatosceptiques.

Tout en reconnaissant que nous faisons des propositions, vous estimez que notre position est hypocrite. Pensez ce que vous voulez, mais je vous rappelle que nous avons suivi assidûment toutes vos auditions, que le sujet nous a beaucoup intéressés, que toutes nos propositions se fondent sur les travaux du Giec. Si nous avons déposé un amendement de suppression, c’est parce que nous considérons que votre texte était bancal sur le plan juridique : le terme de méga-bassine n’ayant pas de valeur juridique, il ne pourra soutenir aucune mesure contraignante. La rédaction de votre article unique n’est pas à la hauteur d’un sujet de cette importance et fait de votre texte un coup d’épée dans l’eau. Le temps d’initiative parlementaire est limité, je vous l’accorde, mais votre texte n’est pas digne d’un travail parlementaire : il se résume à des slogans qui auraient pu être lancés dans un mégaphone à Sainte-Soline. D’où notre amendement de suppression.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Vous avez certes déposé un amendement de suppression de l’article unique, mais vous avez aussi proposé, avec votre amendement CD4, d’enlever la référence au changement climatique et aux conséquences de ces ouvrages.

Vous dites avoir suivi toutes les auditions. Si vous aviez compris les propos de nos interlocuteurs, vous ne pourriez pas demander la suppression de ces mots qui sont au cœur du sujet. Nous demandons un moratoire parce que le changement climatique va affecter la ressource en eau de manière dramatique et que nous voulons que les gens puissent délibérer et donner leur avis sur la hiérarchie des usages. Est‑ce que l’on continue à irriguer des champs de maïs destiné à nourrir du bétail qui sera exporté ? Veut-on que l’eau serve à produire de la neige artificielle pour des stations de ski ? Voulons-nous faire d’autres choix ? Quels usages nous semblent prioritaires ?

Je pense que ce débat est légitime. Si vous ne voulez pas que nous vous accusions d’être climatosceptiques, vous ne devriez pas proposer un amendement aussi révélateur de votre incompréhension de l’ampleur de ce qui nous attend et des choix à faire.

 

 

Article unique : Instauration d’un moratoire suspendant la délivrance des autorisations pour la construction de méga-bassines pendant dix ans

 

Amendements de suppression CD3 de Mme Laurence Heydel Grillere et CD17 de M. Philippe Schreck

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). J’aurais aimé pouvoir débattre du fond, encore faudrait-il qu’il y en ait dans le texte. Ce n’est pourtant pas ce qui manque lorsqu’on évoque la ressource en eau : réseaux, gouvernance, pollution, adaptation au changement climatique et j’en passe. Rien dans ce texte ne permet de répondre à une seule de ces questions puisque l’installation de réserves de substitution dans des territoires bien spécifiques serait l’unique cause des difficultés rencontrées par notre pays.

Pourquoi toujours tout interdire ? Pourquoi stigmatiser les agriculteurs ? Pourquoi dire qu’ils accaparent la ressource en eau, sachant que l’eau est indispensable à toute production agricole, à la survie des exploitations et donc à notre souveraineté alimentaire ?

Le présent amendement vise à supprimer cet article unique, mais, plus symboliquement encore, il propose de mettre un terme à cette vision manichéenne de la société, à un débat qui se détourne des vrais enjeux et de la réponse globale, scientifiquement fondée et concertée, que nous devons apporter. Il n’est pas aussi simple d’écrire une proposition de loi qu’un tweet. Les Français attendent un peu plus qu’un texte court, peut être percutant mais qui raconte surtout n’importe quoi.

M. Philippe Schreck (RN). Nous sollicitons la suppression de l’article unique, car il impose un moratoire sur un objet juridiquement non défini, les prétendues méga-bassines, ce qui pose quand même un problème de fond.

En outre, cet article conduirait à dix ans d’immobilisme. Que ferez-vous durant cette période ? Vous ne le dites pas dans ce texte imprécis et vaporeux qui, comme l’a dit la précédente oratrice, relève du tweet. Consciente des enjeux, notre agriculture a besoin d’être accompagnée dans son adaptation à des évolutions climatiques et non de se voir imposer un gel juridique.

Enfin, contrairement à ce que vous affirmez, il s’agit d’un texte d’interdiction puisque vous proposez que le moratoire s’étende aux projets en cours d’instruction. C’est un dispositif d’interdiction, de restriction, de régression et de gel.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Comme prévu, main dans la main, le Rassemblement national et la Macronie demandent la suppression de l’article unique de notre proposition de loi.

Revenons sur la définition des méga-bassines, puisque mes explications ne semblent pas avoir été assez claires. Même si nous avons choisi de ne pas définir plus précisément le terme, les critères du moratoire n’en sont pas moins précis et ils produiront des effets juridiques dépourvus d’ambiguïté. Le moratoire ne concernera pas toutes les réserves de substitution du pays, je le répète, il ne visera que les plus grandes, celles qui sont soumises à la procédure d’autorisation environnementale prévue à l’article L. 214-3 du code de l’environnement : « les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d’accroître notablement le risque d’inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. » Conformément l’article R. 214-1, le moratoire inclut les projets de bassines donnant lieu à des prélèvements supérieurs à 200 000 mètres cubes d’eau par an dans une nappe ou dont la superficie est supérieure à 3 hectares.

Nous avons utilisé le terme de méga-bassine pour son caractère grand public, compréhensible et intuitif. D’autres définitions, contenues dans des amendements, retiennent la notion de réserve de substitution et peuvent être erronées, notamment lorsqu’elles ne font référence qu’aux pompages dans les nappes phréatiques en oubliant ceux qui sont réalisés dans des cours d’eau. Quoi qu’il en soit, notre définition des méga-bassines est bel et bien précise.

On nous reproche aussi de pointer du doigt la profession agricole. C’est totalement faux : nous expliquons que ces méga-bassines ne vont profiter qu’à une minorité d’exploitants agricoles et, pire, provoquer une hausse du prix de l’eau pour les autres. La situation va donc se dégrader pour ceux qui ont le malheur d’être implantés dans une zone où il existe des méga-bassines et une entente entre certains agriculteurs. J’ai rendu visite à un agriculteur des Deux-Sèvres qui se trouve ainsi au pied d’une méga-bassine mais qui ne va pas en bénéficier. Dire que nous visons la profession agricole dans son ensemble est réducteur. Nous voulons sortir les agriculteurs d’une dépendance croissante et nuisible à l’irrigation, et prévoir des aides massives pour qu’ils puissent convertir leurs exploitations en bio, rendre les sols à nouveau perméables, planter des haies, etc. En d’autres termes, nous préconisons des solutions fondées sur la nature.

Je suis évidemment défavorable à ces amendements de suppression. J’espère qu’ils ne seront pas adoptés pour que puissions avoir le débat que certains collègues ont appelé de leurs vœux.

M. Loïc Prud’homme (LFI-NUPES). Mme Heydel Grillere et d’autres membres de la majorité contestent l’accaparement de la ressource par quelques-uns et la nécessité d’un moratoire, tout en nous reprochant de ne pas parler de gouvernance, de méconnaître le sujet, etc.

Rappelons que cette proposition de loi pose les questions suivantes : quelle part inaliénable de l’eau reste dans les nappes, le meilleur stockage qui soit ? Quels sont les usages prioritaires de l’eau ? Comment la répartir entre les habitants qui en font un usage domestique, les industriels et les agriculteurs ? Puisque nous sommes nuls, incompétents et incapables d’employer les bons termes juridiques, je vais vous renvoyer au préfet Bisch et à l’instruction du Gouvernement du 7 mai 2019, relative aux projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). Les insoumis n’étaient pas au gouvernement, mais nos préconisations sont pourtant écrites noir sur blanc dans cette instruction. Allez donc dire au préfet Bisch qu’il est incompétent et qu’il ne connaît rien à la gouvernance.

Les orateurs du groupe Les Républicains, repris par d’autres, invoquent la sécurité alimentaire pour justifier la construction des méga-bassines. Sachez que 40 % du total des surfaces irriguées sont des champs de maïs, dont seulement 1 % est destiné à l’alimentation humaine. Arrêtez de nous faire passer des vessies pour des lanternes et de tenter de nous faire croire que nous allons manger de l’ensilage de maïs. Révisez ou diversifiez vos sources d’information pour faire des interventions un peu plus pertinentes.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES). Il est faux de dire que les défenseurs des bassines sont du côté des agriculteurs. Aucun de ceux que nous avons auditionnés, notamment dans le cadre de la mission d’information sur les dynamiques de la biodiversité dans les paysages agricoles et l’évaluation des politiques publiques associées, ne nous a demandé expressément des bassines, compte tenu du contexte et des études scientifiques. Pour la plupart, ils subissent les modèles actuels et les conditions découlant des politiques publiques.

Le modèle agricole actuel dépend de normes et de cadences imposées par l’agrobusiness qui, ne nous leurrons pas, défend les bassines. Même des agriculteurs adhérents de la FNSEA, le principal syndicat, s’opposent à de tels projets. Dans ma circonscription du Limousin, les bassines n’inspirent personne, car il n’est même pas possible de puiser dans les nappes. C’est une fuite en avant qui mobilise des moyens importants pour moins de 8 % des agriculteurs. Non, vous ne portez pas la parole des agriculteurs quand vous défendez les bassines.

Pour en revenir à des arguments purement scientifiques, je vais citer Jean-François Soussana, membre du Haut Conseil pour le climat (HCC) créé en 2018 par Emmanuel Macron lui-même. Il nous a dit que les bassines sont une mal-adaptation qui aggrave le problème, un pansement, en aucun cas une solution durable. En les défendant, nous envoyons les agriculteurs dans le mur.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Le groupe Écologiste votera contre ces amendements de suppression.

Je veux exprimer mon étonnement après l’attaque assez virulente de notre collègue Heydel Grillere contre la rapporteure et contre cette proposition de loi. Je n’ai pas entendu beaucoup d’arguments, seulement une attaque visant à dénigrer le projet et à nier la nécessité d’une discussion. Je comprends votre inconfort, chers collègues de la majorité, car vous voulez éviter le débat sur la priorisation, engagé par Mme la rapporteure. La ressource en eau, qui a diminué de 14 % entre 1990 et 2018, pourrait diminuer de 30 % à 40 % d’ici à 2050. Il faudra donc faire avec moins d’eau et établir des priorités entre l’agriculture, l’industrie et les ménages. C’est ce débat, posé par les méga-bassines, que vous souhaitez éviter.

Plusieurs options sont possibles. On peut faire le pari du respect des sols, de la préservation des zones humides, de la préservation de nos glaciers en engageant une lutte intraitable et immédiate contre le réchauffement climatique. On peut aussi s’en remettre à des solutions technologiques d’appoint, accaparer l’eau et faire en sorte que certains pourraient continuer à en bénéficier. Si vous continuez à demander la suppression de l’article unique, vous apportez la preuve de votre refus de débattre. Or ce débat doit avoir lieu, car nous devons faire face à une réduction de la ressource en eau réelle et immédiate.

Mme Chantal Jourdan (SOC). Notre groupe votera contre ces amendements.

La définition des méga-bassines fournie par la rapporteure présente un grand intérêt et clarifie les choses.

Tous les agriculteurs ne sont pas forcément favorables aux méga-bassines. Cette proposition n’est pas contre les agriculteurs, mais pour accélérer la transition agroécologique – démarche que nous devons absolument soutenir.

L’agriculture a besoin de l’irrigation, c’est un fait. Mais il faut répondre aux besoins de manière adaptée. L’ampleur des ouvrages destinés à l’irrigation va de pair avec un modèle agricole néfaste. On doit retrouver les anciens savoir-faire pour résister au stress hydrique. Cela passe notamment par le travail des sols, la réalisation de couverts végétaux et l’observation de la pousse pour intervenir au bon moment et de manière sobre – tout en sachant que les produits obtenus grâce à une irrigation raisonnable sont de bonne qualité.

M. Bruno Millienne (Dem). Madame Guetté, voter contre le moratoire ne veut pas dire que l’on refuse de discuter des méga-bassines. Nous sommes prêts à rechercher des solutions, comme l’a dit Jimmy Pahun. J’aurais préféré que vous proposiez d’examiner les situations en fonction des territoires et dans le cadre de chaque comité de bassin. Vous avez d’ailleurs vous-même relevé que les situations ne sont pas identiques dans les territoires, mais vous proposez un moratoire général. Je ne comprends pas.

Appuyons-nous sur le travail fait par Thierry Burlot, dont les propositions ont été adoptées à l’unanimité par l’ensemble des partis politiques présents au sein du comité de bassin Loire-Bretagne.

Telle qu’elle a été engagée, la discussion sur votre proposition n’amènera rien. C’est idéologie contre idéologie. Vous nous dites que l’État impose aux paysans de cultiver la terre d’une certaine manière, mais vous voulez imposer votre manière de le faire. Je suis persuadé que l’on peut trouver des solutions adaptées à chaque territoire et qui conviennent aux agriculteurs tout en préservant la ressource en eau.

Et arrêtez de dire que la Macronie s’allie avec le RN ! Lors de l’examen de la proposition de résolution tout à l’heure, vous vous êtes alliés avec le RN. Cela suffit. Le RN est libre, indépendant et vote comme il l’entend.

M. Pierre Cazeneuve (RE). Je ne pense pas que les méga-bassines sont l’avenir de l’agriculture française, parce que ce n’est pas exact du point de vue scientifique et qu’il ne s’agit pas d’un modèle à déployer sur l’ensemble du territoire. Néanmoins, il faut impérativement distinguer entre les différents types de retenues d’eau et entre les territoires. Les situations sont différentes dans le Gers, en Bretagne et en Loire-Atlantique.

Je trouve un peu fort de café de dire que nous refusons le débat, alors même que votre proposition impose un moratoire qui constitue une interdiction de facto des méga‑bassines. Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu.

Je reviens sur la question des haies, pour souligner que notre pays est le seul en Europe à financer de manière aussi massive leur replantation, avec 45 millions d’euros par an de 2021 à 2023 et 110 millions par an à partir de l’année prochaine. C’est ce qui a été décidé dans le cadre du projet de loi de finances adopté à la suite du 49.3.

M. Jimmy Pahun (Dem). Certaines régions et certains départements le font déjà depuis quelques années.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. L’idéologie n’est pas un gros mot. Nous avons des visions divergentes s’agissant de l’agriculture et de la bifurcation écologique, ainsi que de la vitesse de cette dernière. Pour l’instant, les politiques que vous menez ne sont absolument pas à la hauteur de l’urgence. C’est en effet idéologie contre idéologie, car il n’est un secret pour personne que nous n’avons pas la même. Nous essayons de faire valoir nos propositions dans le cadre contraint d’une niche parlementaire.

Je ne vais pas vous faire l’affront de répéter une troisième fois les critères précis sur lesquels nous nous sommes appuyés pour définir les méga-bassines qui feront l’objet d’un moratoire – plus de 200 000 mètres cubes et de 3 hectares, c’est‑à‑dire les très grands ouvrages. Le texte ne vise absolument pas toutes les réserves de substitution ou tous les stockages d’eau destinés à l’irrigation agricole, loin de là. Les hydrologues et les représentants des ministères de la transition écologique et de l’agriculture ont confirmé qu’un recensement approximatif à paraître bientôt évalue entre 600 000 et 800 000 le nombre de retenues de tous types – collinaires, de substitution, petites ou grandes.

Encore une fois, notre proposition ne concerne qu’une infime minorité de ces ouvrages et ne s’en prend pas au principe même du stockage d’eau destinée à l’irrigation. Il faut éviter les faux débats. Nous avons justement choisi à dessein un dispositif qui est relativement restrictif et raisonnable.

Vous avez raison de dire que les situations sont différentes selon les territoires. Nous sommes contre le déploiement général des méga-bassines, car ces immenses ouvrages sont une mauvaise idée partout.

Avez-vous déjà vu une méga-bassine ? C’est absolument terrifiant : un grand trou bâché de plusieurs hectares, entouré de digues et qui coûte extrêmement cher. C’est un modèle basé sur le gigantisme, qui n’est pas souhaitable pour les agriculteurs et qui est dangereux pour la biodiversité. Des oiseaux tombent régulièrement dans ces méga-bassines et s’y noient, et c’est cette eau qui est utilisée pour irriguer des cultures – dont certaines sont parfois destinées à l’alimentation humaine. Les conséquences sont également négatives en matière énergétique puisque, contrairement aux retenues collinaires qui utilisent la gravité pour faire couler l’eau, les méga-bassines sont généralement installées en plaine et il faut pomper l’eau. Ces installations sont entourées par ce que l’on appelle des pieuvres, c’est‑à‑dire des kilomètres de tuyaux enfouis sous terre pour irriguer les différentes parcelles. Cela n’est donc pas raisonnable en ce qui concerne l’emprise au sol.

Nous ne prévoyons pas un moratoire pour toutes les installations de stockage d’eau. On pourrait avoir un débat beaucoup plus fin, peut-être dans le cadre des PTGE. Mais ces derniers ne sont malheureusement pas généralisés.

Quoi qu’il en soit, les très grands ouvrages ne sont absolument pas une bonne idée.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article unique est supprimé et les autres amendements tombent.

 

Après l’article unique

 

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Nous allons examiner des amendements portant article additionnel qui étaient destinés, dans l’esprit de leurs auteurs, à compléter un article unique désormais supprimé. Vous avez vidé de sa substance notre proposition de moratoire sur les projets de méga-bassines. Je pense que c’est une erreur. Certains des arguments avancés pour supprimer l’article unique sont fallacieux. Si le dispositif fondé sur les critères des autorisations environnementales ne vous convenait pas, vous auriez pu proposer une autre définition. Une fois de plus, vous avez choisi une suppression pure et simple pour empêcher le débat sur une idée de l’opposition. Après la série des 49.3 en séance, visiblement le débat vous gêne aussi en commission.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Vous ne pouvez pas reprocher l’absence de débat. Nous avons laissé à l’opposition plus de temps de parole que ce qui est permis par l’usage habituel, qui consiste à avoir un orateur pour et un orateur contre chaque amendement. Nous prenons le temps de débattre, en tout cas dans cette commission.

 

Amendements CD29 et CD23 de Mme Delphine Batho (discussion commune)

Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). L’amendement CD29 propose d’instaurer un moratoire sur la délivrance d’autorisations environnementales pour des méga-bassines dans les zones de répartition des eaux (ZRE), c’est-à-dire celles où le stress hydrique est déjà extrêmement important.

Il propose par ailleurs d’abroger les autorisations environnementales délivrées pour de tels ouvrages lorsque les travaux n’ont pas commencé. Cela permet de répondre en particulier à la situation dans les Deux-Sèvres, où une série d’autorisations a été délivrée mais où les chantiers n’ont pas débuté.

Nous proposons aussi de conditionner la poursuite de l’utilisation des réserves d’irrigation existantes au respect de quatre règles cumulatives : un schéma directeur de la biodiversité et d’adaptation des pratiques agricoles ; la baisse des volumes prélevés définis sur la base d’une étude « hydrologie, milieux, usages, climat » (HMUC) – dont l’objectif et de prendre en compte l’ensemble des usages de l’eau sur un territoire, et pas seulement les usages agricoles, et sur laquelle s’appuie un PTGE ; le partage de l’eau entre les agriculteurs ; un usage exclusif de l’eau stockée dans les ouvrages pour l’irrigation de cultures en agriculture biologique.

Enfin, l’amendement prévoit de démanteler les ouvrages déclarés illégaux et de rendre impossible toute régularisation. N’en déplaise à quelques-uns, et notamment au ministre de l’agriculture, un certain nombre d’ouvrages en fonctionnement sont illégaux. Cette question est d’ailleurs à l’origine d’un petit couac dans la communication de son ministère, puisqu’un conseiller de M. Fesneau a dit récemment que les ouvrages illégaux allaient être démantelés, ce que le ministère a ensuite démenti. Nous en profitons pour poser la question : qu’en sera‑t‑il de ces ouvrages ?

La rédaction actuelle du texte ne permet pas de prendre en compte les projets qui ont déjà bénéficié d’une autorisation. L’amendement CD23 propose de traiter ce cas précis en instaurant un moratoire sur ces ouvrages, ce qui est demandé par les 214 élus des Deux‑Sèvres qui ont signé l’appel « Pour la paix et pour l’eau en Deux‑Sèvres ». Comme l’ont évoqué nos collègues Jimmy Pahun et Bruno Millienne, Thierry Burlot, président du comité de bassin Loire-Bretagne, a dénoncé la poursuite des travaux de construction des bassines et plaide pour une pause. Une pause, c’est la même chose qu’un moratoire.

Nous aurions pu discuter de beaucoup de choses, dont la durée de ce moratoire, mais vous avez préféré supprimer tout simplement l’article unique, et c’est bien dommage.

Le terme juridique « moratoire » désigne une suspension temporaire. Pour moi, c’est une pause. Et c’est justement ce que demande Thierry Burlot, que vous avez cité à plusieurs reprises. Je ne comprends donc pas pourquoi vous êtes contre le moratoire, lequel permettrait un dialogue serein et l’apaisement. Pour pouvoir discuter, il faut bien faire une pause, c’est‑à‑dire un moratoire. Ce n’est pourtant pas si compliqué à comprendre.

Contrairement à ce que dit le Gouvernement, il n’y a plus de protocole d’accord concernant les réserves de substitution. Toutes les associations qui l’avaient signé l’ont ensuite dénoncé, qu’il s’agisse de Deux-Sèvres Nature Environnement, du collectif de citoyens pour le respect de l’environnement sur leur territoire – Val‑du-Mignon, de la fédération départementale des Deux-Sèvres pour la pêche et la protection du milieu aquatique et du groupe ornithologique des Deux-Sèvres.

Enfin, les modélisations concernant les méga-bassines dans les Deux-Sèvres ne prennent pas en compte le changement climatique.

Pour toutes ces raisons, nous proposons un moratoire, y compris pour les méga‑bassines des Deux-Sèvres qui sont déjà autorisées.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Avis favorable à l’amendement CD29, même si j’ai deux petites réserves.

Tout d’abord, l’amendement propose de limiter le moratoire aux ZRE, qui sont celles où la situation est déjà la plus tendue. Même si elles sont malheureusement toujours plus nombreuses d’année en année, j’aurais préféré un moratoire qui s’applique à l’ensemble du territoire.

Ensuite, vous proposez d’abroger toutes les autorisations qui ont été délivrées antérieurement. Cela peut présenter un risque pour la sécurité juridique et contrevenir au principe de non-rétroactivité de la loi.

M. Bruno Millienne (Dem). Nous ne sommes pas des perdreaux de l’année et nous avons bien compris que tous ces amendements portant article additionnel sont en fait une façon d’instaurer de nouveau le moratoire que nous avons refusé en supprimant l’article unique. Nous voterons donc contre ces amendements.

C’est dommage d’ailleurs car, par-delà ce moratoire, nous aurions aimé débattre des sujets que vous abordez – et sur lesquels M. Burlot a discuté au sein du comité de bassin qu’il préside. Je vais laisser à ma collègue Sandrine Le Feur le soin de prouver à cette commission combien vous avez menti au sujet de M. Burlot.

Mme Sandrine Le Feur (RE). Je suis obligée de rétablir la vérité. Comme mon collègue Jimmy Pahun, je me suis entretenue au téléphone avec Thierry Burlot. En tant que président du comité de bassin Loire-Bretagne, il m’a demandé de voter contre ce moratoire.

Il est pour la poursuite du dialogue et il est, comme moi, opposé aux méga‑bassines à titre personnel. Mais nous ne sommes pas favorables à un moratoire. Nous souhaitons que se poursuivent les discussions engagées dans le cadre du comité de bassin Loire-Bretagne – dans lequel je siège. Nous avons voté à l’unanimité une motion pour la poursuite du dialogue avec les associations environnementales et les agriculteurs.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). En fait, tout le monde dans cette salle est pour des discussions apaisées et constructives qui permettent de gérer au mieux l’eau. Et c’est justement ce que permet un moratoire, en mettant en pause les travaux pendant les discussions.

À défaut, nous avons vu ce qu’il se passait pour de très nombreux projets écocidaires et climaticides : les travaux progressent pendant les discussions et permettent d’achever l’ouvrage, ce qui cause des dommages à l’environnement pour partie irréversibles.

C’est la raison pour laquelle il faut une pause, afin de permettre au débat d’être utile et que l’ensemble de ses conclusions puissent être mises en œuvre.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES). Lors de la précédente législature, le rapport d’information sur la gestion des conflits d’usage en situation de pénurie d’eau, dont Loïc Prud’homme était corapporteur, a montré que les instances de discussion sont insuffisantes, ce qui est à l’origine des tensions que nous connaissons. Nous appelons à un moratoire pour créer un cadre de discussion serein. Il s’agit tout de même de s’engager sur l’avenir de la ressource en eau.

Le ministre Fesneau insiste pour conférer aux bassines le statut de projet d’intérêt public majeur. N’est-ce pas une manière de mettre fin au débat sur les bassines que de dire que ces ouvrages vont résoudre tous les problèmes des agriculteurs et, de surcroît, permettre de réinjecter de l’eau dans l’environnement ? C’est une aberration scientifique !

Le moratoire est une mesure saine pour organiser un vrai débat démocratique.

M. Loïc Prud’homme (LFI-NUPES). Lorsque notre collègue Manon Meunier a évoqué mon rapport d’information, j’ai entendu quelqu’un dire que ce travail était orienté. Je rappelle que Mme Frédérique Tuffnell était corapporteure.

Nous avions notamment auditionné la préfète des Deux-Sèvres, ce qui nous a permis de comprendre la genèse des problèmes concernant les méga-bassines, car il n’y avait pas eu de débat démocratique préalable. L’instruction du Gouvernement du 7 mai 2019 sur les PTGE n’avait pas été respectée puisque des parties prenantes avaient été exclues du tour de table. Bizarrement, il s’agissait de celles qui n’étaient pas favorables à l’accaparement de la ressource.

Mme Le Feur a souhaité rétablir la vérité. C’est également ce que je viens de faire au sujet de la mission d’information que j’ai menée avec Frédérique Tuffnell, qui appartenait au groupe Modem.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Madame Le Feur, nos avis au sujet des projets de méga-bassines ne sont pas si éloignés. J’ai du mal à comprendre pourquoi vous vous enfermez dans ce débat sémantique sur la pause et le moratoire – ou je comprends trop bien… Un de vos collègues a objecté que le moratoire n’était pas limité dans le temps, alors même que nous proposons qu’il dure dix ans. Vous vous réfugiez derrière ce type d’arguments parce que vous doutez – et le doute est une bonne chose pour des responsables politiques.

Le moratoire permettrait d’atteindre l’objectif de reprise du dialogue…

M. le président Jean-Marc Zulesi. Mes chers collègues, je vous demande d’éviter les gestes déplacés. Chacun d’entre vous peut demander à prendre la parole.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Tout le monde doute face à des projets qui sont gigantesques et néfastes pour la biodiversité. Prendre le temps de la discussion serait bénéfique pour tous. Cela permettrait de faire baisser le niveau de conflictualité, d’augmenter l’acceptabilité sociale des différents projets et d’avoir une réflexion fondée sur des critères scientifiques, puisque de nombreuses études sont désormais disponibles et peuvent mieux éclairer les choix des citoyens.

Je rappelle que dans les Deux-Sèvres, des projets ont été conçus sur la base d’études faites dans les années 1990, alors que l’on ne connaissait pas aussi bien qu’aujourd’hui les conséquences du changement climatique sur la raréfaction de la ressource en eau. Le BRGM a entamé une étude « Explore2 », qui vise à actualiser les connaissances de l’impact du changement climatique sur l’hydrologie. On peut désormais disposer de projections, même si elles sous-estiment parfois l’ampleur de ce qui va arriver.

Comme l’a indiqué notre collègue Lisa Belluco en présentant ses amendements, des projets sont en effet validés par l’administration puis annulés par la justice. Mais les décisions du juge ne sont pas toujours appliquées. Je refuse la fuite en avant qui consiste à prendre les décisions le plus vite possible et à ensuite devoir faire avec leurs conséquences. Il vaudrait mieux prévoir un temps de débat au préalable.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement CD22 de M. Philippe Schreck

M. Philippe Schreck (RN). Plutôt que d’instituer des moratoires et de ne rien faire, nous considérons qu’il faut aborder les sujets et progresser dans l’encadrement des installations.

Cet amendement d’appel prévoit que l’autorisation des installations de substitution devra être renouvelée tous les dix ans, notamment en fonction des prévisions de disponibilité de la ressource et, éventuellement, des besoins de l’agriculture.

En cas de refus de renouvellement, il est prévu d’imposer à l’exploitant ou au gestionnaire des mesures destinées à garantir la remise en état du site.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Ce n’est pas dans dix ans qu’il faudra réévaluer les autorisations, mais bien dès maintenant. Et tel était l’un des objectifs du moratoire.

Ce que vous proposez est contradictoire avec la nécessité de mettre en œuvre des actions urgentes, qui figurait dans l’exposé sommaire de votre amendement de suppression de l’article unique. J’ai du mal à comprendre votre logique.

Vous précisez, en outre, qu’il s’agit d’un amendement d’appel. Il n’a donc pas vocation à être adopté.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CD30 de Mme Delphine Batho

Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). Selon notre groupe, aucune méga-bassine n’aurait dû être construite et nous sommes favorables à leur destruction. À défaut, elles doivent pouvoir au moins être utilisées pour soutenir la transition agroécologique – ce qui n’est pas le cas actuellement.

Cet amendement tend à conditionner le maintien des ouvrages au respect, dans un délai de trois ans, des quatre règles que j’avais déjà détaillées lors de la présentation de mes amendements précédents : la mise en place d’un schéma directeur de la biodiversité et d’adaptation des pratiques agricoles ; la baisse des volumes prélevés, définis sur la base d’une étude HMUC ; le partage de l’eau entre agriculteurs ; un usage exclusif de l’eau stockée dans les ouvrages pour l’irrigation de cultures en agriculture biologique.

Si le débat public se concentre sur les nouveaux projets de méga-bassines, de nombreuses infrastructures existantes ne sont soumises à aucune règle sérieuse pour protéger la ressource en eau, tant en quantité qu’en qualité. Le contexte d’accélération du changement climatique, la dégradation de la qualité de l’eau et l’effondrement de la biodiversité imposent au minimum d’exiger que l’eau des méga-bassines existantes soit réservée à des pratiques écologiquement vertueuses.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Le dispositif proposé par cet amendement de repli s’apparente à certains protocoles d’accord qui ont été signés dans le cas de plusieurs projets de méga-bassines. Malheureusement, ces protocoles sont rarement suivis d’effets. Ces mesures ne sont pas très contraignantes et sont peu contrôlées. Elles sont parfois similaires à des mesures qui sont valorisées dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Comme l’article unique a été supprimé, cela ne remet pas fondamentalement en cause le modèle des méga-bassines. Avis de sagesse.

Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). L’amendement n’a plus de sens après la suppression de l’article unique.

L’amendement est retiré.

 

Amendements CD35, CD44, CD25, CD28, CD27 et CD26 de Mme Lisa Belluco (discussion commune)

Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). Les amendements CD35 et CD44 sont destinés à montrer que la proposition de la rapporteure et du groupe La France insoumise constitue en fait un sage compromis – pour ainsi dire centriste – qui propose un moratoire pour les nouveaux projets et ceux dont le dossier est en cours d’instruction. Cette proposition est bien légitime, puisqu’elle correspond à la demande de la majorité des acteurs des territoires concernés de prendre le temps de discuter.

Nous aimerions, pour notre part, aller plus loin.

L’amendement CD35 vise à interdire les méga-bassines existantes ainsi que les nouveaux projets en cours d’instruction, quels qu’ils soient et sur tout le territoire français. L’amendement CD44 propose la même interdiction, mais en la limitant aux ZRE, où le stress hydrique est le plus important. Soit dit en passant, des ZRE ont été créées dans la Vienne depuis 1994 – en presque trente ans, on aurait pu trouver d’autres solutions que d’y créer des méga-bassines.

L’amendement CD25 tend à prononcer la déconstruction des méga-bassines existantes et l’amendement CD28, de celles qui sont situées en ZRE, les amendements CD27 et CD26, envisageant la destruction des ouvrages existants à des dates plus ou moins lointaines.

Ces amendements offrent toute une palette de solutions à discuter et j’espère que vous saurez saisir cette grande volonté de dialogue.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Mme Belluco a souligné notre modération. Nous ne visons en effet pas tous les ouvrages de stockage, mais seulement les plus grands d’entre eux. Il s’agit en outre d’instaurer un moratoire, pas d’interdire.

Puisque l’article unique a été supprimé, avis favorable aux amendements CD35 et CD44.

Demande de retrait pour les autres amendements, qui visent à instaurer des obligations de démantèlement des retenues existantes selon des modalités différentes. Je n’y suis pas opposée sur le fond, mais ils présentent un aspect un peu punitif. Il faudrait prévoir un accompagnement de certains agriculteurs.

Ceux qui ont incité les agriculteurs à devenir dépendants d’un modèle qui pousse au surendettement, avec l’acquisition de grands hangars ou de gros engins agricoles, ont une responsabilité politique et ils ne leur ont pas rendu service. Il s’agit de la même chose lorsque l’on encourage les méga-bassines, qui supposent d’importants investissements de la part des agriculteurs et les engagent dans des cultures qui ne seront pas résilientes dans les quarante années à venir. Ne pas avoir accepté le moratoire était vraiment une erreur.

Comme les quatre derniers amendements ne sont plus adossés à ce moratoire, ils s’éloignent un peu de l’objectif qui leur était initialement assigné.

M. Pierre Meurin (RN). Les amendements auxquels vous donnez un avis favorable sont bien plus radicaux que votre proposition et vous avouez ainsi votre objectif final : l’interdiction de la plupart des retenues d’eau. En l’occurrence, le seuil retenu est de 20 000 mètres cubes. Cela conduirait à démanteler des dizaines de milliers d’ouvrages, sans prévoir de solution de rechange.

Vous préférez détruire plutôt que construire. Nous essayons de faire preuve de nuance sur les questions liées aux méga-bassines, et notamment sur ce qui concerne la gouvernance et la privatisation de l’eau. Mais vous avez choisi le terrain idéologique, ce qui ne nous convient pas. C’est aussi une occasion ratée de débattre de manière intéressante.

M. Bruno Millienne (Dem). Je plaide sincèrement pour que l’on applique la « méthode Burlot » dans tous les comités de bassin. Cela sera beaucoup plus efficace. Nous voulons bien discuter, mais de manière différente. Nous ne voulons ni du moratoire, ni des interdictions, car nous n’avons pas le même avis que vous, madame Belluco.

Il n’est pas honteux de s’en remettre aux territoires et c’est même en général bien préférable, car les acteurs locaux connaissent mieux les problèmes que nous. Il faut donc discuter dans le cadre de chaque comité de bassin, ce qui sera beaucoup plus utile que de voter un très long moratoire de dix ans.

La différence entre nous, c’est que je respecte ceux qui sont opposés au glyphosate, mais que vous ne respectez pas mon opinion. Je respecte votre avis sur les méga-bassines, madame Guetté, mais je ne pense pas que ce que vous proposez soit la bonne solution. Je n’impose pas la mienne, contrairement à vous ; je demande aux territoires de prendre la main, parce que je pense que la meilleure solution sera définie par chaque comité de bassin.

Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). Je n’ai pas téléphoné à M. Burlot, mais j’ai dîné avec lui il y a quelques mois. C’est d’ailleurs le cas de tous les acteurs dans le Poitou, car il a, semble-t-il, bien fait son travail.

Néanmoins, il a dit sur France Bleu le 20 septembre dernier que « même si on réalise [la méga-bassine de] Priaires, il est absolument nécessaire qu’on fasse une pause et qu’on reprenne un dialogue collectif ». Nous sommes tous d’accord sur ce point. Je n’ai jamais dit qu’il était favorable à cette proposition. Ne nous faites pas dire ce que nous n’avons pas dit. Il a déclaré qu’il était favorable à une pause, ce que nous traduisons juridiquement par le terme « moratoire ». Si vous connaissez une autre traduction, nous sommes preneurs.

Nous aurions aussi été preneurs d’amendements à l’article unique, par exemple en ce qui concerne la durée du moratoire, car dix ans peuvent paraître longs à certains.

Je suis contente d’avoir réussi à mettre tout le monde d’accord sur le fait que la proposition de la rapporteure est très modérée. Nous aurions pu nous diriger vers une interdiction pure et simple, mais la rapporteure souhaite mettre à profit le temps de pause pour discuter. Cela aurait pu figurer de manière plus explicite grâce à un amendement à l’article unique, si vous n’aviez pas supprimé ce dernier.

M. Jimmy Pahun (Dem). Nous pourrions auditionner M. Burlot pour qu’il nous expose sa méthode de travail et nous fasse part de son point de vue.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Je reviens sur un point évoqué par M. Millienne. Selon moi, ce ne sont pas les territoires qui organisent le déploiement des méga-bassines ; ce sont des intérêts minoritaires privés – et ils le font de manière anarchique. Cela nous ramène à des débats que nous avons eus sur les méthaniseurs et les énergies renouvelables. La puissance publique, quelle que soit son incarnation, n’a pas la main sur leur déploiement.

Je le déplore et, comme nous sommes des parlementaires nationaux, j’ai proposé que l’État joue son rôle d’organisateur tout en examinant quels sont les outils à sa disposition. En réalité, il en a déjà beaucoup grâce à la politique environnementale et au droit relatif à l’eau, mais ils ne sont pas utilisés et les missions de contrôle n’ont pas les moyens de faire appliquer les règles sur le terrain.

Nous sommes face à une fuite en avant, avec des acteurs privés qui veulent s’implanter le plus vite possible afin d’imposer un fait accompli.

Je pourrais partager votre volonté d’impliquer davantage les territoires, mais votre vision ne correspond pas à qui s’y passe réellement.

Les amendements CD25, CD28, CD27 et CD26 sont retirés.

La commission rejette successivement les amendements CD35 et CD44.

 

Après l’article unique (suite)

Amendement CD15 de Mme Delphine Batho et sous-amendements CD50, CD52 et CD53 de M. Pierre Meurin

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Il s’agit de soumettre les autorisations de prélèvement pour remplir les réserves d’irrigation existantes à trois conditions cumulatives : des actions d’adaptation au changement climatique fondées sur la nature, la baisse des volumes prélevés et l’utilisation exclusive de l’eau stockée pour l’agriculture biologique.

C’est une disposition complémentaire du nécessaire moratoire sur la construction de nouveaux ouvrages. Les installations existantes ne peuvent pas continuer de fonctionner sans la moindre règle de sobriété et sans la moindre condition relative à l’indispensable changement des pratiques agricoles.

M. Pierre Meurin (RN). Cet amendement nous paraît intéressant, et c’est pourquoi nous avons déposé trois sous-amendements.

Nous proposons d’abord d’élargir l’utilisation possible de l’eau stockée à l’agriculture raisonnée, notion définie par un décret de 2004. Les agriculteurs qui peuvent se convertir au bio sont souvent plutôt aisés ; c’est un processus complexe, qui demande du temps et des moyens. Il s’agit donc d’offrir aux agriculteurs une autre solution.

Nous proposons aussi de réserver les prélèvements d’eau aux productions agricoles destinées à l’alimentation humaine et de les interdire pour les productions destinées à l’exportation.

Il me semble que nous allons plutôt dans votre sens.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Sagesse sur l’amendement : l’article unique ayant été supprimé, cette mesure pensée comme complémentaire, et qui va évidemment dans le bon sens, devient la mesure unique de la proposition de loi – et, dès lors, insuffisante. Elle serait en fait peu contraignante, faiblement contrôlée et finalement sans grand effet sur le modèle agricole si elle n’est pas adossée à un moratoire. Si je donne un avis de sagesse et pas un avis défavorable, c’est qu’une telle mesure serait tout de même bénéfique : nous retrouvons la discussion sur la bifurcation du modèle agricole, sur les cultures qui doivent être soutenues et sur les meilleurs moyens d’encourager la conversion vers le bio.

Quant aux trois sous-amendements, ils ont dû être rédigés dans une certaine précipitation : les sous-amendements CD52 et CD53 présentent des problèmes de rédaction qui empêchent de les adopter.

Quant au premier, le sous-amendement CD50, nous y sommes opposés sur le fond : l’agriculture raisonnée autorise les pesticides, les fongicides, les herbicides, les insecticides, les organismes génétiquement modifiés (OGM)… Elle se situe donc dans le parfait prolongement du modèle productiviste. C’est renoncer à l’ambition de l’amendement.

Mme Sandrine Le Feur (RE). Je vous invite, monsieur Meurin, à aller à la rencontre des agriculteurs bio ! Je ne sais pas d’où vous sortez qu’ils seraient plus aisés que les autres. Entendre de tels propos me scandalise.

Sur l’amendement, tous les agriculteurs ont besoin d’eau pour produire, pour nous nourrir ; et beaucoup font énormément d’efforts pour modifier leurs pratiques. Réserver les prélèvements d’eau aux agriculteurs bio ne me paraît pas une bonne idée.

M. Bruno Millienne (Dem). Les OGM sont interdits en agriculture raisonnée aussi !

Vous souhaitez limiter l’utilisation de l’eau stockée à la production biologique, donc imposer un seul système de production. Ce n’est pas de cette façon que nous résoudrons les problèmes agricoles, ni les problèmes d’eau. Encore une fois, puisqu’il paraît que la pédagogie de la répétition fonctionne, ces questions peuvent être traitées comme l’a fait M. Thierry Burlot à l’échelle des comités de bassin. Exportons la « méthode Burlot » un peu partout !

M. Fabien Di Filippo (LR). Je note, pour m’en réjouir, que vous reconnaissez l’utilité pour notre agriculture des ouvrages de stockage d’eau, et donc de ce que vous appelez les méga-bassines.

Les conversions au bio à marche forcée, avec des incitations réglementaires ou financières, sont problématiques pour notre souveraineté alimentaire, pour la compétitivité de notre agriculture et pour la pérennité des exploitations. Si on va plus vite que le marché ne se convertit lui-même, on crée une catastrophe économique et agricole. Le levier de conversion que vous proposez n’est pas une bonne idée.

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Cet amendement montre que vous avez pris conscience de la nécessité de l’eau pour l’agriculture. Mais il me semble poser plusieurs problèmes.

D’abord, il hiérarchise les types d’agriculture : qui a dit que l’une ou l’autre était plus ou moins efficace du point de vue de l’eau ? L’agriculture biologique aurait-elle des caractéristiques qui lui permettraient d’utiliser moins d’eau, ou qui expliqueraient qu’elle mériterait d’en recevoir plus que les autres ? Je n’ai pas la réponse, mais je ne me permettrais pas de lancer cela dans la campagne. C’est irrespectueux vis-à-vis de l’ensemble des agriculteurs. Certains agriculteurs, qui faisaient du bio, ont arrêté ; inversement, on voit des agriculteurs conventionnels qui évoluent vers d’autres systèmes. Quid, enfin, des agriculteurs mixtes ? Certains font du bio, du conventionnel et du raisonné…

Nous devons réfléchir beaucoup plus profondément aux besoins en eau, à l’échelle de toute l’agriculture, et bien au-delà.

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Merci à la rapporteure de son avis de sagesse.

Cet amendement ne prend pas le contrepied de l’article unique : nous soutenons nous aussi l’instauration d’un moratoire. Il traite des ouvrages existants sans se prononcer sur leur bien-fondé : je ne crois pas beaucoup qu’ils étaient bien fondés, mais ils existent, ils stockent un bien commun, patrimoine de la nation, et ils ont été financés par l’argent public. Dès lors, ils doivent respecter des règles d’intérêt général. Or l’agriculture biologique est bonne pour la santé publique et pour la biodiversité, et même bénéfique pour notre économie en raison des coûts supportés par les collectivités pour traiter et dépolluer les eaux contaminées par les pesticides. Il n’y a donc aucune incohérence à estimer que l’eau, bien commun stocké dans des ouvrages financés par l’argent public, doit être utilisée pour des cultures vertueuses.

Je souligne que j’avais proposé deux autres conditions : une stratégie d’adaptation au changement climatique et la diminution des prélèvements. Il existe dans le bassin de la Boutonne différentes réserves d’irrigation qui ont été financées par le conseil départemental des Deux-Sèvres et la région Poitou-Charentes : non seulement les prélèvements sont très importants, mais le prix de l’eau décroît à mesure que les volumes augmentent. C’est l’inverse du bon sens !

Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). Je voudrais rectifier quelque chose que j’ai entendu : seuls les cahiers des charges de l’agriculture biologique excluent les OGM. Ce n’est pas le cas de ceux de l’agriculture raisonnée.

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). La culture des OGM à des fins commerciales est interdite en France depuis 2008. Que ce soit ou pas inscrit dans les cahiers des charges n’y change rien.

Les réserves d’irrigation sont reliées à des réseaux : à moins de déplacer les tuyaux et d’en ajouter d’autres, il serait très difficile d’envisager de réserver l’eau stockée à telle ou telle exploitation. Cela ne me semble pas un bon usage de l’argent public : un peu de rationalité dans nos argumentaires ne nuirait pas. Allez sur le terrain, ça peut être sympathique et ça évite de tenir ce genre de propos.

M. Bruno Millienne (Dem). Eh oui, souffrez que d’autres que vous aillent sur le terrain, madame Batho ! Nous essayons nous aussi de faire notre boulot de députés, c’est dingue !

La question de la faisabilité a été bien exposée par ma collègue. Je ne suis pas sûr non plus que l’agriculture française soit prête à passer tout entière au bio du jour au lendemain. Encore une fois, on ne peut pas prendre de telles décisions à Paris sans consulter les territoires : passez par les comités de bassin pour définir l’irrigation, et travaillez avec les agriculteurs ! Il y a des méthodes qui marchent, je ne comprends pas pourquoi on ne les utiliserait pas. Madame Batho, vous connaissez parfaitement votre département : allons au plus près du terrain et amenons partout la méthode Burlot. Vous verrez que le dialogue fera avancer les choses : ce n’est pas le cas des invectives qui s’échangent dans une Assemblée nationale fort éloignée des territoires.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. N’oublions pas que les bénéfices environnementaux de l’agriculture biologique ne sont plus à prouver : elle n’utilise pas les intrants chimiques et c’est une pratique bien plus favorable au stockage de l’eau – je pense aux haies, aux arbres, aux bosquets. Les meilleures méga-bassines, ce sont les nappes phréatiques et l’agriculture bio permet aussi de désimperméabiliser un peu les sols.

L’amendement que propose Mme Batho vise à inciter à la conversion, qui effraie parfois les agriculteurs. Mettre en place ce type de mécanisme, c’est bien le rôle de l’État. Cela ne veut pas dire qu’il faut à tout prix vider la bassine, donc construire des kilomètres de tuyaux tout autour pour aller absolument vers des exploitations bio… Ce raisonnement ne tient pas.

Enfin, s’agissant des comités de bassin, je vous ai donné mon sentiment tout à l’heure. Il en va ici de même que sur de nombreux sujets où vous nous renvoyez vers des niveaux intermédiaires ou vers les collectivités : les comités de bassin n’ont pas les moyens financiers de bien fonctionner et ne pourront pas faire de miracles. C’est le rapport de la Cour des comptes sur la gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique publié en juillet dernier qui le dit, et j’imagine que vous le savez.

La commission rejette les sous-amendements.

Elle rejette l’amendement.

Amendement CD47 de la rapporteure ; amendement CD42 de Mme Lisa Belluco et sous-amendement CD49 de M. Pierre Meurin (discussion commune)

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Cet amendement visait à compléter le moratoire. Tous les experts ont souligné que nous ne connaissons pas bien l’état de la ressource en eau, ni son évolution dans le contexte du changement climatique. Le rapport de la Cour des comptes que je citais alertait aussi sur les défaillances des systèmes d’information sur les prélèvements d’eau, qui ne permettent pas d’orienter correctement les décisions publiques.

Je propose donc de subordonner la délivrance d’une autorisation de construction de nouvelles retenues à la réalisation d’une étude hydrologique approfondie dans les cinq années précédentes, c’est-à-dire suffisamment récente.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Il s’agit de mieux articuler connaissances scientifiques et décision politique : la seconde ne peut pas ignorer les premières.

Dans la Vienne, le préfet a fait pression sur la commission locale de l’eau pour qu’elle ne prenne pas en compte les résultats de l’étude « hydrologie, milieux, usages, climat » (HMUC), outil pourtant précieux d’aide à la décision. Il aurait pourtant été utile de prendre en considération que dans trois des onze sous-bassins concernés, la quantité d’eau disponible serait insuffisante pour remplir les méga-bassines et que les remplissages se feraient au détriment d’autres usages sur deux des sous-bassins ou encore que les prélèvements sont déjà trop importants et qu’ils devraient être réduits de 40 % d’ici à 2050. C’est sur ce fondement scientifique que le tribunal administratif de Poitiers vient d’invalider la construction de six méga-bassines sur le sous-bassin de La Pallu.

Cet amendement prévoit que pour tous les projets en cours d’instruction, la prise de décision publique doit s’appuyer sur les connaissances scientifiques, en particulier sur ces études HMUC.

M. Pierre Meurin (RN). Le garde-fou proposé par l’amendement CD42 nous paraît intéressant. Nous proposons ce sous-amendement pour des raisons de sécurité juridique : la loi ne doit pas être rétroactive et les porteurs de projet doivent pouvoir s’appuyer sur le fait que des décisions créatrices de droits déjà prises seront exécutées. Nous proposons donc de réserver cette règle aux nouveaux projets.

Sous réserve de l’adoption de ce sous-amendement, nous voterons donc l’amendement de Mme Belluco ; nous voterons aussi celui de Mme la rapporteure.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Je vous propose de retirer l’amendement CD42, car l’étude HMUC ne concerne que le bassin Loire-Bretagne : mon amendement va dans le même sens, mais il concerne l’ensemble du territoire et précise ce que l’on attend de ces études hydrologiques.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je retire mon amendement.

M. Bruno Millienne (Dem). Il me semble que l’amendement de la rapporteure est satisfait par les consignes qui ont été données aux préfets. Dès lors, il est superflu et je voterai contre.

Je redis que nous pouvons inviter M. Burlot pour qu’il nous explique sa démarche : vous verrez qu’il y a un intérêt bien réel à partir des territoires.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Mon amendement précise que les effets du changement climatiques sont pris en considération. C’est sur ce fondement qu’ont été prises certaines décisions de justice qui annulent des projets de méga-bassines.

M. Bruno Millienne (Dem). C’est un argument intéressant, mais là encore, on ne peut que raisonner territoire par territoire.

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Il s’agit ici d’un amendement de repli par rapport à une position de repli : il considère qu’il peut y avoir de nouvelles autorisations, mais il cherche à poser des conditions. Pouvez-vous préciser la définition des « cinq années précédentes » ?

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Ce délai nous a paru raisonnable pour que les données soient actualisées au fur et à mesure.

L’amendement CD42 est retiré.

En conséquence, le sous-amendement CD49 tombe.

La commission rejette l’amendement CD47.

Amendement CD46 de la rapporteure

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Les études d’impact, qui accompagnent les projets de méga-bassine et dont la réception est controversée, sont insuffisantes, comme le soulignent plusieurs décisions judiciaires récentes. Ainsi, en octobre 2023, le tribunal administratif de Poitiers a souligné les inexactitudes et les insuffisances de l’étude d’impact portant sur les quinze réserves de substitution aménagées dans la Vienne, la Charente et les Deux-Sèvres ; le tribunal a également motivé l’annulation des deux arrêtés préfectoraux autorisant ces réserves par l’absence de prise en compte des effets prévisibles du changement climatique : cette décision pourrait faire jurisprudence pour les études d’impact.

Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a lui-même souligné la faiblesse de la prise en compte du changement climatique. L’amendement vise à obliger les études d’impact sur les projets de méga-bassine à intégrer l’état actuel et futur de la ressource en eau compte tenu du changement climatique. Nous nous appuyons sur les études Explore que nous a présentées le BRGM, qui nous a expliqué que leur second modèle reposerait sur une maille territoriale plus fine, capable d’élaborer des prévisions plus précises.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD24 de Mme Delphine Batho et sous-amendement CD48 de M. Philippe Schreck

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Lisa Belluco a défendu un amendement à l’article unique portant sur le même sujet ; celui-ci est important et concerne les ouvrages définitivement déclarés illégaux par la justice. Ils ne doivent faire l’objet d’aucune mesure de régularisation a posteriori ; ils doivent être détruits et le site remis en état. L’amendement vise à traduire dans la loi les décisions du Conseil d'État, saisi par l’Association syndicale autorisée (ASA) des Roches, déclarant illégales des retenues d’eau en Charente-Maritime.

M. Philippe Schreck (RN). Nous sommes en accord avec la philosophie de l’amendement car il est choquant que des décisions de justice ne soient pas exécutées : il y va de l’État de droit et de l’égale application des jugements dans notre pays.

Le sous-amendement vise à rendre la régularisation possible, comme elle l’est dans de nombreux domaines comme l’urbanisme. Nous souhaitons que la démolition de l’ouvrage et la remise en état du site soient la norme – nous ne devrions pas avoir besoin d’un amendement pour faire respecter les décisions de justice –, mais uniquement pour les installations qui n’ont pas fait l’objet d’une demande de régularisation.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Le sous-amendement a dû être rédigé dans la précipitation car sa rédaction change le sens de l’amendement : l’avis est donc défavorable.

L’amendement est en revanche très intéressant. Puisque tout le monde fait du terrain dans cette commission, vous savez que des ouvrages dont la construction ou l’exploitation ont été annulées par des décisions de justice, subsistent, comme le barrage de Caussade, censé être vidé depuis 2020 mais toujours en activité, ou les cinq retenues en Charente-Maritime – annulées par la justice en 2009, mais construites grâce à une autorisation dérogatoire du préfet de poursuivre les travaux, puis déclarées à nouveau illégales par la justice en 2022. L’adoption de l’amendement rendrait les décisions de justice plus effectives, donc j’y suis tout à fait favorable.

M. Bruno Millienne (Dem). Vous soulevez un sujet important, madame Batho, et Mme la rapporteure a raison de dire que certaines décisions de justice ne sont pas respectées. Ce n’est pas normal, et il revient à l’État de faire appliquer ces jugements.

Si vous interdisez toute mesure de régularisation, vous modifiez beaucoup le code de l’urbanisme : celui-ci autorise les régularisations si elles sont qualifiées, justifiées et conformes aux décisions de justice. C’est un problème juridictionnel, l’adoption de l’amendement n’améliorerait pas la situation par miracle. Sur le fond, vous avez raison, mais l’amendement n’est pas en mesure de résoudre le problème.

La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.

Amendement CD31 de Mme Delphine Batho

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Cet amendement de transparence vise à garantir la publication des données relatives à l’usage économique de l’eau par le secteur agricole. L’objectif est d’obtenir les volumes d’eau prélevés par exploitation et la nature des cultures irriguées.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Le manque de données sur les prélèvements d’eau effectués pour un usage agricole est incontestable. Cette opacité a conduit, là aussi, à des condamnations en justice : France nature environnement (FNE) a fait condamner la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), grand acteur du développement de l’irrigation et des bassines, pour non‑respect des débits d’étiage – la décision définitive a été rendue par la Cour de cassation en 2019 ; autre exemple, le Conseil d'État a enjoint l’État à fournir à l’association Nature environnement 17 des données que celle-ci réclamait depuis trois ans sur les volumes attribués aux agriculteurs irrigants, alors que la préfecture est censée publier un rapport annuel sur le sujet.

Il est nécessaire d’améliorer la transparence et l’information publique : l’idée du moratoire visait à provoquer un moment de réflexion démocratique sur les usages, parfois conflictuels, de l’eau, dans un contexte de raréfaction de la ressource. Cette discussion doit être éclairée par des données et des informations publiques. Je suis donc favorable à l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD32 de Mme Delphine Batho et sous-amendement CD51 de M. Pierre Meurin

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Cet amendement revient sur les dispositions de la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, qui visent à déployer une politique généralisée de stockage de l’eau pour l’irrigation.

Nous proposons une orientation différente, qui intègre l’accélération du réchauffement climatique : nous souhaitons réduire les volumes prélevés, adapter les pratiques agricoles au changement climatique par des solutions fondées sur la nature et réserver l’usage de l’eau stockée dans les ouvrages existants à l’agriculture biologique.

L’exposé sommaire cite les avis scientifiques de Magali Reghezza-Zitt et Florence Habets, pour qui les méga-bassines ne sont pas efficaces pour faire face au changement climatique.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. L’amendement va dans le bon sens, car il est opportun de réécrire cette partie de l’article L. 211-1 du code de l’environnement, qui promeut une politique active de stockage de l’eau. L’avis est donc favorable.

L’avis est défavorable sur le sous-amendement, qui concerne l’agriculture raisonnée sur laquelle je me suis déjà exprimée.

La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.

Amendement CD20 de Mme Delphine Batho

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Cet amendement porte sur les captages prioritaires d’eau potable. Depuis le Grenelle de l’environnement, certains captages ont été fermés car ils étaient touchés par des pollutions diffuses – des arrêts sont encore décidés dans certains territoires. Les captages prioritaires devaient faire l’objet de programmes d’action, mais le bilan se révèle extrêmement inégal ; à l’échelle nationale, on dresse un constat d’échec des programmes ressources.

L’amendement tend à ce que les surfaces agricoles situées dans les aires de protection de captage prioritaire soient cultivées en agriculture biologique, afin d’assurer la qualité de l’eau.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Je suis évidemment favorable à l’amendement, qui traite d’un sujet important sur lequel nous sommes tous interpellés. Gabrielle Bouleau, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), nous a indiqué qu’en moyenne soixante captages d’eau potable étaient fermés chaque année pour cause de pollution diffuse d’origine agricole. Il importe de favoriser une agriculture sans intrants chimiques ni pesticides dans les aires d’alimentation des captages associés à des points de prélèvement sensibles.

M. Bruno Millienne (Dem). L’amendement m’étonne, car personne ne méconnaît le fait que trois années sont nécessaires pour passer de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique. Nous sommes presque en 2024, donc fixer comme délai le 1er janvier 2025 n’est pas sérieux. Je respecte la volonté de faire de l’agriculture biologique, mais pas à marche forcée : nous voterons donc contre l’amendement.

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Monsieur Millienne, lisez l’amendement : « selon le mode de production biologique (…) ou de conversion vers ce mode de production ». Il prend en compte le délai nécessaire au passage de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique.

Compte tenu des graves problèmes que rencontrent les élus locaux sur la question de l’eau potable et de la protection de ses captages, il s’agit d’un amendement de bon sens qui devrait nous rassembler.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES). Si vous n’êtes même pas capables d’engager la transition vers l’agriculture biologique dans les zones de captage d’eau potable, quel modèle de transition envisagez-vous ? Adopter une telle mesure me paraît le minimum.

Sachez, chers collègues qui allez sur le terrain, que notre pays autorise l’importation d’organismes génétiquement modifiés (OGM) pour la nourriture animale ; le cahier des charges de l’agriculture biologique est le seul qui interdit le nourrissage par OGM.

M. Bruno Millienne (Dem). Oui, mais il est interdit de cultiver des OGM.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD18 de Mme Delphine Batho

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à mettre un terme au financement par les agences de l’eau des grandes réserves d’irrigation sans aucune conditionnalité écologique sérieuse. Le financement deviendrait l’exception et non plus la règle, et il dépendrait de la solidité du projet de territoire.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Le financement public de ces grands ouvrages pose d’évidents problèmes, mais l’amendement suivant, CD16, me semble plus opérant car il interdit le financement, par les agences de l’eau, des réserves de substitution à des fins d’irrigation agricole. Je vous demande donc de retirer votre amendement au profit du suivant.

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Les deux amendements n’ont pas exactement le même objet, donc ils ne sont pas contradictoires : le mien ne porte pas sur les réserves d’irrigation, mais sur ce que les agences de l’eau financent dans le domaine agricole. À mes yeux, elles ne doivent soutenir que des projets vertueux du point de vue de la lutte contre le changement climatique et de la reconquête de la qualité de l’eau. L’amendement CD16 est, quant à lui, centré sur la question des ouvrages.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. J’entends votre argumentation, mais comme l’article unique visant à imposer un moratoire sur les méga-bassines a été supprimé, un amendement additionnel adopté deviendrait le nouvel article unique : je maintiens ma demande de retrait de l’amendement ; à défaut, je m’en remettrais à la sagesse de la commission car le fond de votre proposition ne me pose pas de problème.

Je donnerai un avis favorable à l’amendement CD16, qui vise à cesser le financement des méga-bassines par les agences de l’eau : en moyenne, ces projets sont financés à plus de 70 % par des fonds publics, donc par les citoyens à travers la redevance sur la consommation d’eau domestique.

L’amendement est retiré.

Contre l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CD16 de Mme Lisa Belluco.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CD19 de M. Philippe Schreck.

Amendement CD7 de M. Jorys Bovet

M. Jorys Bovet (RN). Il s’agit de rendre obligatoire le contrôle du niveau de la nappe ou de la rivière dans laquelle est pompée l’eau pour alimenter la retenue de substitution. Le BRGM utilise des piézomètres, dont certains peuvent produire des données en temps réel sur les aspects quantitatifs de la ressource en eau souterraine.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Vous avez déposé un amendement de suppression de l’article unique visant à imposer un moratoire sur les méga‑bassines, donc votre amendement est très hypocrite. Votre seule ambition est d’élaborer un texte de mesure du niveau d’eau !

M. Pierre Meurin (RN). Nous n’avons en effet pas la même approche, puisque vous souhaitez un moratoire uniforme des méga-bassines, alors que notre amendement de bon sens vise à suspendre le fonctionnement de la méga-bassine si le niveau de la nappe phréatique est insuffisant.

Nous avons suffisamment expliqué les raisons de notre opposition à votre moratoire global et idéologique ; nous reprenons les idées intéressantes permettant de poser des garde‑fous à l’utilisation desdites méga-bassines. Vous donnez un avis défavorable de dépit.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Non, de conviction.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CD8 de M. Jorys Bovet.

Amendement CD21 de Mme Delphine Batho

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à mettre fin à l’arrosage des cultures à vocation énergétique. L’Assemblée nationale avait, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, adopté un amendement consacrant le principe d’interdiction de l’irrigation des cultures à vocation énergétique ; la commission mixte paritaire a supprimé cette disposition, qu’il serait opportun d’inscrire dans la loi : il faut cesser de gâcher de l’eau en l’utilisant pour irriguer des cultures qui vont dans les méthaniseurs et qui ne servent pas à l’alimentation.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. L’avis est évidemment favorable : nous avions longuement débattu du sujet lors de l’examen de ce projet de loi. Nous avions essayé de limiter les possibilités d’abus des cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). Le sol doit principalement servir à l’alimentation des humains, et les agriculteurs ne souhaitent pas devenir des énergéticiens ; plusieurs dispositifs visent à développer la rentabilité de l’activité d’énergéticien pour inciter les agriculteurs à la privilégier. Cette question est étroitement liée à celle de l’irrigation : il ne faut pas donner la priorité aux Cive, qui sont destinées à nourrir en continu les méthaniseurs.

M. Bruno Millienne (Dem). Je comprends votre amendement, madame Batho, mais il me semble que la plupart des cultures intermédiaires sont plantées l’hiver et ne sont pas irriguées. En outre, vous refusez les cultures intermédiaires à vocation énergétique, mais nous allons tout de même avoir besoin de produire des énergies renouvelables, notamment du gaz renouvelable, si nous voulons tenir nos engagements écologiques. Votre amendement recèle une forme de contradiction.

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Certaines cultures de printemps et d’été sont irriguées pour nourrir des méthaniseurs, à partir de la première réserve de substitution, construite à Mauzé-sur-le-Mignon malgré l’avis du président du comité de bassin Thierry Burlot, qui avait demandé un moratoire dans les Deux-Sèvres pour que reprenne un dialogue local respectueux et que s’éteignent les flammes d’un conflit qui peut dégénérer dans le département.

Certains méthaniseurs fonctionnent tout à fait normalement dans les Deux-Sèvres, à partir de sous-produits agricoles et d’élevage, sans avoir recours à l’irrigation de cultures servant exclusivement à la méthanisation.

M. Bruno Millienne (Dem). Je ne mets pas en doute ce que vous dites, mais nous n’avons pas la même expérience parce que nous vivons dans des territoires différents ; cela démontre les limites de notre action, d’où mon plaidoyer pour un travail bassin par bassin et territoire par territoire. Il n’est pas opportun d’imposer une interdiction nationale.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD43 de Mme Chantal Jourdan

Mme Chantal Jourdan (SOC). Cet amendement vise à répertorier et à cartographier l’ensemble des retenues d’eau du territoire national. D’après le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, il n’existe pas de recensement exhaustif des retenues d’eau. L’objectif est de concevoir des politiques adaptées au changement climatique en fonction des ressources disponibles.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Je rejoins votre préoccupation de cartographier l’ensemble des retenues d’eau aménagées en France. Lors de son audition, l’hydrologue Florence Habets a estimé que le nombre de retenues était compris entre 600 000 et 800 000 – la fourchette est large ; cette évaluation englobe les lacs, les retenues collinaires, les petites bassines et les méga-bassines de façon totalement indistincte. Les ministères chargés de l’eau et de l’agriculture nous ont dit qu’un rapport sur la question allait bientôt être publié.

Votre amendement vise à compléter l’article unique : celui-ci ayant été supprimé, je vous demande de retirer l’amendement, même si j’y suis favorable sur le fond, afin que celui‑ci ne constitue pas l’unique article du texte.

L’amendement est retiré.

Amendement CD34 de M. Christophe Barthès

M. Christophe Barthès (RN). Cet amendement vise à ouvrir le débat entre le Gouvernement et le Parlement sur la gestion de l’eau dans le territoire français.

Le Varenne de l’eau, en 2022, a permis de lancer un inventaire exhaustif des retenues d’eau et de mettre au point un suivi des volumes stockés par des méthodes satellitaires, en lien avec le Centre national d’études spatiales (Cnes).

Une bonne gestion de l’eau implique de donner aux agriculteurs les moyens de préserver notre souveraineté alimentaire. Au regard de cet enjeu capital, nous proposons d’accroître la transparence sur cette question en demandant au Gouvernement d’apporter à la représentation nationale des éclairages quant à la gestion et l’entretien des infrastructures existantes. Cette mesure, qui rejoint la fonction de contrôle qui est celle du législateur, permettra en outre à l’exécutif d’entamer un dialogue avec les élus locaux, plus proches des Français du fait de leur connexion aux territoires.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Si vous vouliez vraiment débattre de la question des méga-bassines, vous auriez proposé d’amender l’article unique plutôt que de le supprimer. Par ailleurs, si vous souhaitez discuter en séance publique de la gestion de l’eau en France, je propose que votre groupe demande l’inscription d’un tel débat à l’ordre du jour de notre assemblée. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CD11 et CD9 de M. Jorys Bovet (discussion commune)

M. Jorys Bovet (RN). L’amendement CD11 vise à demander un rapport évaluant « les risques de pollution des eaux souterraines mises en surface pour les retenues ». En d’autres termes, nous souhaitons que les polluants retrouvés dans les eaux de retenue soient relevés et comparés avec ceux présents dans les nappes d’où proviennent ces eaux. Nous verrons alors s’il existe une différence significative de pollution lorsque les eaux sont mises en surface. Ce rapport est d’autant plus nécessaire que les eaux en question seront utilisées pour irriguer des cultures qui pourraient finir dans nos assiettes.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Dans le programme du Rassemblement national, le mot « pollution » ne figure nulle part. Cet intérêt vous est donc venu tardivement, après même avoir déposé un amendement de suppression de l’article unique de la présente proposition de loi. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CD10 de M. Jorys Bovet

M. Jorys Bovet (RN). Nous demandons encore un rapport, cette fois concernant les enjeux de biodiversité. Un changement du milieu, notamment la création d’un point d’eau, engendre nécessairement des modifications de biotope. Autrement dit, ces changements majeurs ont des impacts sur la faune et la flore alentour, qu’il convient d’évaluer en termes tant quantitatifs que qualitatifs.

Le rapport proposera également des « aménagements potentiels sur les retenues de substitution et leurs alentours pour favoriser la biodiversité ». Il évaluera leur inscription dans l’environnement et le paysage. Je pense ici à l’aménagement d’habitats, d’abris ou de zones de reproduction ou de nidification pour la faune.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES). Nous sommes ravis de constater que le Rassemblement national s’intéresse à la biodiversité. C’est l’une des premières fois qu’il prend une telle initiative ! Toutefois, les naturalistes et plus généralement les scientifiques s’accordent sur la nécessité d’un moratoire, d’une petite pause d’une dizaine d’années pour réfléchir dans un cadre démocratique à la protection de la biodiversité. Or les réserves de substitution pompent l’eau des nappes et affectent tant la qualité que la quantité d’eau disponible, ce qui a, figurez-vous, un impact désastreux sur la biodiversité. Il aurait donc fallu adopter l’article unique de cette proposition de loi.

M. Pierre Meurin (RN). Le Rassemblement national, le Rassemblement national… Depuis quelques minutes, vous parlez plus de nous que des méga‑bassines ! Je veux bien que vous preniez votre propre texte en otage pour faire de la politique politicienne et agiter des chiffons rouges ; il n’empêche que nos propositions sont pertinentes. Sur le principe, vous êtes pour, mais comme cela vient de nous, vous êtes contre. Cela n’a aucun sens ! Nous sommes assez contents d’avoir voté la suppression de l’article unique, puisque vous n’êtes préoccupés que par la politique politicienne et que votre intérêt pour la biodiversité semble très relatif.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. En tant que groupe d’opposition, nous ne disposons que d’une journée de niche parlementaire. Quand on présente un dispositif ambitieux, on n’a pas envie que le texte se réduise à une demande de rapport du Rassemblement national, qui a besoin de se documenter sur les enjeux de biodiversité. Il est hypocrite de défendre des amendements portant article additionnel sur des points de détail. Lisez les rapports existants ! Puisque vous avez participé aux auditions, vous disposez d’assez informations. Vous savez que l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) a déjà publié une étude reconnue intitulée « Impact cumulé des retenues d’eau sur le milieu aquatique », dont un volet entier est consacré aux conséquences de ces dispositifs sur la biodiversité. Mme Meunier a également apporté des précisions sur cette question. J’assume donc mon avis défavorable à votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette l’amendement CD12 de M. Lionel Tivoli.

Amendement CD39 de Mme Chantal Jourdan

Mme Chantal Jourdan (SOC). Nous demandons un rapport relatif aux pratiques agricoles économes en eau permettant de réduire les besoins d’irrigation. Ces éléments d’information sur les solutions plus sobres en eau nourriront le futur projet de loi d’orientation agricole et nous aideront à évaluer les besoins dans le cadre du plan Eau, qui devra soutenir les pratiques agricoles permettant d’économiser cette ressource.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Je partage évidemment votre préoccupation – nous avons pu en discuter puisque vous avez participé à toutes les auditions visant à préparer l’examen de cette proposition de loi. Nous avons longuement évoqué la nécessité de faire évoluer les pratiques agricoles. L’article unique de cette proposition de loi ayant été supprimé, je vous demande cependant de bien vouloir retirer votre amendement – j’y suis très favorable sur le fond mais il ne peut remplacer à lui seul l’ensemble du texte.

Mme Chantal Jourdan (SOC). J’entends tout à fait votre argument. Je retire donc mon amendement.

M. Bruno Millienne (Dem). Je reprends cet amendement très intéressant et je rends hommage à nos amis socialistes qui l’ont déposé : le rapport demandé pourra en effet nous éclairer dans la perspective de l’examen du projet de loi d’orientation agricole. Nous avons réellement besoin de ces informations pour faire la loi comme il le faut.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Je suis absolument persuadée que les intentions de M. Millienne sont totalement dénuées de malice… Mais puisqu’il appartient à un groupe de la majorité présidentielle, peut-être devrait-il demander au président Zulesi de lancer une mission flash qui rendrait ses conclusions avant l’examen du projet de loi d’orientation agricole.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES). Il est regrettable d’en arriver là alors que M. Fesneau a annoncé que la loi d’orientation agricole ne serait pas une loi de transition agroécologique et qu’elle ne comprendrait donc pas de mesures en ce sens. Il est vrai qu’a priori, ce n’est pas urgent… En revanche, monsieur Millienne, si ce sujet vous inspire, ne profitez pas de notre niche : faites plutôt des propositions à M. Fesneau afin d’engager la transition agroécologique que tous les scientifiques appellent de leurs vœux ! Cela rejoint d’ailleurs les travaux de la mission d’information sur les dynamiques de la biodiversité dans les paysages agricoles et l’évaluation des politiques publiques associées : nos recommandations, qui seront bientôt rendues publiques, pourront vous inspirer dans la perspective de l’examen du projet de loi d’orientation qui nous sera soumis en janvier. D’ici là, concentrons-nous sur le sujet du jour !

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Je ne crois pas que nous ayons besoin de ce rapport. Nous savons quelles pratiques agricoles sont vertueuses et permettent de s’adapter au changement climatique, lesquelles consomment moins d’eau, lesquelles doivent être arrêtées parce qu’elles sont totalement inadaptées au territoire ou trop gourmandes en eau. Nous savons qu’il faut planter des haies, recréer des prairies, faire de l’agroforesterie. De manière générale, les données existent. Le débat sur les réserves d’irrigation doit nous amener à nous poser la question suivante : voulons-nous conserver le même modèle d’agriculture, caractérisé par des infrastructures très coûteuses et des cultures complètement inadaptées au changement climatique, ou voulons-nous en changer ?

M. Bruno Millienne (Dem). Madame Batho, je me désole d’entendre que vous trouvez nul cet excellent amendement de vos amis socialistes. Cela illustre bien le climat actuel au sein de la NUPES… En tout cas, votre groupe n’est pas opposé aux demandes de rapport puisqu’il en formule assez souvent.

Je le répète, ce rapport pourrait éclairer de manière assez substantielle les travaux du ministère de l’agriculture. Le ministre a peut-être certaines intentions, mais le Parlement n’est pas tenu de les suivre, du fait de la séparation des pouvoirs. M. Fesneau appartient à la même formation politique que moi mais il m’arrive de ne pas être d’accord avec lui.

Mme Chantal Jourdan (SOC). Je regrette toutes ces manœuvres. Mme Batho a raison, il existe d’autres pratiques agricoles, déjà connues, mais ma demande de rapport visait à confirmer tout cela. Si j’ai décidé de retirer mon amendement, c’est parce que j’ai bien compris l’explication de Mme la rapporteure et qu’il me semble nécessaire que le débat sur ce texte ait lieu, une nouvelle fois, dans l’hémicycle. Si mon amendement devait réapparaître, je me verrais donc dans l’obligation de voter contre.

M. Jean-Marc Zulesi (RE). Mme la rapporteure imagine qu’en tant que président de commission, je pourrais lancer des missions d’information comme je le voudrais. Or c’est sur proposition du bureau et dans une démarche collégiale que nous déterminons les missions à mener.

Sans présager du vote sur cet excellent amendement, je rappelle que Yannick Haury mène actuellement, avec d’autres collègues, une mission d’information sur l’adaptation de la politique de l’eau au défi climatique. Il serait pertinent de traiter dans ce cadre les questions soulevées par l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CD1 de M. Emmanuel Blairy

M. Emmanuel Blairy (RN). Nous avons un Everest à gravir mais nous n’avons même pas franchi le premier pas, puisque l’article unique a été supprimé. Nous l’assumons : si nous avons voté l’amendement de suppression, ce n’est pas parce que nous ne sommes pas totalement d’accord avec vous – chacun ici est libre de ses opinions –, mais peut-être parce que l’article unique était mal ficelé ou que vous l’avez mal vendu.

Nous avons entendu beaucoup de choses ce soir. Le groupe Rassemblement national n’a pas la science infuse, mais vous ne l’avez pas non plus. Nous ne sommes ni prophètes, ni fils et filles de prophètes ! Nous nous en tenons aux différents rapports existants, mais puisque le moratoire de dix ans a été repoussé, peut-être serait-il nécessaire de disposer d’un rapport un peu plus précis sur « la perspective et les prévisions de niveau des nappes phréatiques à dix ans ».

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’ensemble de la proposition de loi.

Mme Clémence Guetté, rapporteure. Votre magouille finale était très visible. Peut‑être trouvez-vous cela amusant ou subtil, mais votre comportement n’améliore pas l’image que vous donnez aux gens qui suivent nos travaux de loin. Alors que le groupe LFI‑NUPES ne dispose que d’une journée d’initiative par an, vous avez trouvé malin de reprendre un amendement – en l’occurrence, la demande d’un rapport sur les pratiques économes en eau dont vous n’avez pas véritablement besoin, puisque M. le président Zulesi a expliqué que la mission d’information menée par M. Haury y répondait déjà partiellement – pour tenter de dénaturer notre texte.

Nous reprendrons donc les débats la semaine prochaine, en séance publique, et j’espère qu’ils seront plus constructifs. J’espère aussi que tous ceux qui considèrent qu’une pause de dix ans serait trop longue proposeront d’amender notre texte. Je suis tout à fait prête à avoir cette discussion. Ce moratoire me semble raisonnable, puisqu’il porte uniquement sur les plus grands ouvrages. Alors que le niveau de défiance est très élevé, l’instauration d’un temps de débat démocratique sur la question du partage de l’eau est une nécessité qui ne fera qu’augmenter au fur et à mesure que la ressource se raréfiera et que les conflits d’usage se développeront.

Je suis un peu agacée de constater que nos débats n’ont pas été au niveau des discussions que nous devrions avoir dans cette commission où tout le monde prétend s’intéresser à l’écologie. Je ne comprends donc pas votre mépris.

Je remercie toutes les personnes que nous avons auditionnées et qui ont donné de leur temps pour que je puisse produire ce rapport.

 


  1  

   liste des personnes auditionnées

(par ordre chronologique)

Audition conjointe

 France Nature Environnement *

M. Alexis Guilpart, animateur du réseau « Eau et milieux aquatiques »

 Bassines non merci

Mme Joëlle Lallemand, membre de Bassines Non Merci et présidente de l’APIEEE (Association de protection, d’information et d’études de l’eau et de son environnement)

M. Jean-Jacques Guillet, porte-parole de Bassines Non Merci et ancien maire d’Amuré

Mme Léa Antoine, membre de Bassines Non Merci et juriste

Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique

M. Francis Garrido, directeur « Eau, procédés et environnement »

Audition conjointe

 Fédération nationale des syndicats des exploitants (FNSEA) *

M. Cédric Tranquart, membre du bureau de la FNSEA

M. Xavier Jamet, responsable des affaires publiques

Mme Sabine Battegay, responsable de la gestion quantitative de l’eau

 Irrigants de France

M. Éric Frétillère, président

Mme Alix d’Armaillé, responsable des actions régionales et institutionnelles

Table ronde de chercheurs

 Mme Florence Habets, hydroclimatologue, directrice de recherche au CNRS et professeure attachée à l’École normale supérieure (ENS)

 Mme Emma Haziza, hydrologue et conférencière, présidente de l’association Mayane

 M. Christian Amblard, directeur honoraire de recherche au CNRS, spécialiste des écosystèmes aquatiques

Mme Gabrielle Bouleau, chercheuse en science politique au Lisis, à l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE), spécialiste des politiques de l’eau, directrice scientifique du programme interdisciplinaire de recherche sur l’environnement de la Seine (Piren Seine)

Confédération paysanne *

M. Nicolas Fortin, secrétaire national en charge du dossier « Eau »

Mme Suzie Guichard, salariée de la Confédération paysanne

Chambre d’agriculture des Deux Sèvres *

M. Jean-Marc Renaudeau, président

M. Pol Lefebvre, directeur

Audition conjointe

– Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire – Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE)

M. Arnaud Dunand, sous-directeur

– Ministère de la transition écologique – Direction de l’eau et de la biodiversité (DEB)

Mme Marie-Laure Metayer, adjointe de la directrice de l’eau et de la biodiversité

Mme Claire-Cécile Garnier, cheffe du bureau de la ressource en eau et des milieux aquatiques (EARM)

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


  1  

   contribution ÉCRITE

 

 

Agence de l’eau Loire-Bretagne

 

 


  1  

   liste des Déplacements effectués par la rapporteure

Banthelu, Val d’Oise, 12 octobre 2023

– Rencontre avec M. Jean Lyon, président de Demain Le Vexin, ainsi que plusieurs membres du collectif.

Région d’Aragon, Espagne, 19-20 octobre 2023

– Rencontre avec M. Álvaro Sanz et Jesús García Usón, députés et coordinateurs de Izquierda Unida en Aragon ;

– Rencontre avec M. Javier Sanchez, président de la chambre d’agriculture de Saragosse, syndicaliste agricole membre de la Via Campesina ;

– Visite d’une usine de pompage et de répartition de l’eau, avec un salarié de la communauté d’irrigants locale ;

– Réunion au siège de la communauté d’irrigants avec les représentants de la communauté d’irrigants et des agriculteurs membres ;

– Visite des infrastructures du canal de Bardenas, avec des représentants de la communauté d’irrigants et de la chambre d’agriculture ;

– Visite d’une nouvelle usine innovante de répartition de l’eau, avec les responsables du projet et des agriculteurs bénéficiaires.

Puy-de-Dôme, 25 octobre 2023

– Rencontre avec le collectif Bassines Non Merci du Puy-de-Dôme : M. Pierre Couturier, membre de France nature environnement 63 et de Volvic nous pompe, Mme Maud Sampieri, co-présidente de Bio 63, M. Pierre Boussange, président de Chom’actif, M. Ludovic Landais, porte-parole de la Confédération paysanne du 63, M. Bernard Proriol, conservateur de variétés anciennes d’arbres fruitiers, M. Victorin Vallier, écologue et technicien en milieux aquatiques ;

– Visite d’une exploitation agricole « la ferme des Raux ». Réunion avec le propriétaire M. Jean-Sébastien Gascuel et avec le collectif Terre de Liens ;

– Réunion avec l’hydrologue M. Jean-Luc Peiry.

Deux-Sèvres et Vienne, 10 novembre 2023

– Rencontre avec Le Clic paysan à Lezay, groupement d’agriculteurs bio ;

– Visite d’une exploitation agricole bio à La Coudre avec deux des propriétaires exploitants ;

– Réunion avec M. Bernard Legube à Poitiers, physico-chimiste en qualité de l’eau, professeur émérite à l’Université de Poitiers, membre d’Acclimaterra.


([1]) Météo France.

([2]) Datalab (Ministère de la transition écologique), « Évolutions de la ressource en eau renouvelable en France métropolitaine de 1990 à 2018 », juin 2022.

([3]) Alternatives économiques, « Comment l’eau est devenue source de tensions en France ? », 27 mai 2023.

([4]) D’après la définition de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), la « ressource en eau renouvelable » correspond à la totalité de l’eau douce qui entre sur un territoire par le cycle naturel de l’eau, soit les cours d’eau provenant des territoires limitrophes et les précipitations participant aux écoulements superficiels et à l’alimentation des nappes (hors retours à l’atmosphère par évapotranspiration). Elle est composée à 94 % d’eaux de pluie et à 6 % des cours d’eau entrant sur le territoire.

([5]) Datalab (Ministère de la transition écologique), « Évolutions de la ressource en eau renouvelable en France métropolitaine de 1990 à 2018 », juin 2022.

([6]) Le bon état écologique des eaux superficielles est notamment mesuré par le débit des cours d’eau.

([7]) Cour des comptes, « La gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique », Rapport public thématique, juillet 2023.

([8]) Datalab (Ministère de la transition écologique), « Eaux et milieux aquatiques. Les chiffres clés. Édition 2020 », décembre 2020.

([9]) Les nappes souterraines sont moins concernées par des mesures de restriction ; les mesures de niveau « crise » sont rares.

([10]) Ministère de la transition écologique, Service des données et des études statistiques (SDES), « L’eau en France : ressource et utilisation – Synthèse des connaissances en 2022 », mars 2023.

([11]) Pour les centrales électriques, la quasi-totalité de l’eau prélevée est rendue aux cours d’eau en cas de circuits de refroidissement ouverts et un tiers du volume est évaporé pour les circuits fermés. Pour l’eau destinée à la consommation humaine (dite « eau potable »), la part qui ne revient pas aux milieux aquatiques est de 20 % en moyenne à l’échelle de la France métropolitaine. Elle correspond aux pertes et aux fuites lors du captage et de la distribution. Pour l’industrie, le taux de 7 % d’eau consommée est appliqué.

([12]) Ministère de la transition écologique, Service des données et des études statistiques (SDES), « Les prélèvements d’eau douce : principaux usages en 2020 et évolution depuis 25 ans en France », juin 2023.

([13]) Agreste (Service de la statistique, de l’évaluation, et de la prospective du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire), « Graph’Agri 2022 », Pratiques de culture et d’élevage (p. 30).

([14]) Basta Media, « Accro au maïs, la France subventionne un modèle agricole gourmand en eau », 14 mars 2023.

([15]) Communiqué de France Nature Environnement, « Sécheresse : l’irrigation augmente alors que la ressource en eau diminue », jeudi 19 mai 2022.

([16]) Réserves artificielles d’eau, en fond de terrains vallonnés, fermées par une ou plusieurs digues (ou barrages), et alimentées soit en période de pluies par ruissellement des eaux, soit par un cours d’eau permanent ou non permanent. Suivant la perméabilité des terrains et le risque de fuite d’eau, le fond peut être rendu étanche par un voile artificiel ou une couche d’argile.

([17]) Carte « collaborative » recensant les méga-bassines existantes et en projet, en ligne sur le site du collectif « Bassines non merci ».

([18]) D’après l’audition de Mme Florence Habets, hydroclimatologue, directrice de recherche au CNRS.

([19]) Le Pays briard, « Méga-bassines : qu’en pensent les agriculteurs de Seine-et-Marne ? », 30 mars 2023.

([20]) D’après l’audition de M. Christian Amblard, directeur de recherche au CNRS, mercredi 8 novembre 2023.

([21]) Rencontré à l’Université de Poitiers, lors d’un déplacement de la rapporteure réalisé dans le cadre de la préparation de cette proposition de loi.

([22]) BRGM, « Simulation du projet 2021 de réserves de substitution de la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres », rapport RC-71650, juin 2022.

([23]) Rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) établi par Mme Dumoulin et M. Hubert, « Retour d’expérience sur la gestion de la sécheresse en 2019 dans le domaine de l’eau », décembre 2019.

([24]) Libération, « Ressources en eau : l’Espagne envisage de vivre sans retenues », 26 mars 2023, d’après le plan hydrologique national espagnol.

([25]) Courrier international, « Au Chili, le manque d’eau frappe surtout les petits éleveurs », 7 septembre 2020.

([26]) Ibidem.

([27]) Reporterre, « Au Chili, les méga bassines néfastes depuis 35 ans », 25 novembre 2022

([28]) Cour des comptes, « La gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique », Rapport public thématique, juillet 2023.

([29]) D’après l'audition de M. Alexis Guilpart, animateur du réseau « Eaux et milieux aquatiques » de France Nature Environnement.

([30]) Marc Laimé, « Les méga-bassines. Une politique à vau-l’eau », DARD, 2022/1, n° 7, p. 28-39.

([31]) BRGM, « Simulation du projet 2021 de réserves de substitution de la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres », rapport RC-71650, juin 2022.

([32]) Note explicative sur l'expertise du BRGM relative au projet de réserves de substitution dans les Deux-Sèvres, Rapport RC-71650 (juin 2022), février 2023.

([33]) TA Poitiers, 3 octobre 2023, Assoc. Poitou-Charentes nature et autres, n° 2101394 : « 13. Les inexactitudes, omissions et insuffisances de l’étude d’impact relevées aux trois points précédents, qui portent sur des données essentielles compte tenu de la nature et de l’importance du projet en litige et des incidences qu’il est susceptible d’avoir sur la ressource en eau, dont la disponibilité constitue un enjeu majeur sur les sous-bassins de l’Aume et de la Couture ».

([34]) La Nouvelle République Vienne, « Le protocole du bassin du Clain en eaux troubles », In : Un pavé jeté dans les bassines, 6 janvier 2023.

([35]) Audition de la Confédération paysanne, le 9 novembre 2023 dans le cadre de la présente proposition de loi.

([36]) TA de Poitiers, décisions du 3 octobre 2023 n° 2101394 (Association « Poitou-Charentes nature » et autres) et n° 2102413 (Association « Vienne nature » et autres).

([37]) TA Poitiers, 4 juin 2020, n° 1901217.

([38]) CAA Bordeaux, 21 février 2023, n° 20BX0235.

([39]) La Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) est un des acteurs principaux de l’apparition des projets de méga-bassines dans le Sud-Ouest de la France dès les années 1990.

([40]) D’après l’audition du collectif Bassines non merci, mardi 7 novembre 2023.

([41]) Motion du comité de bassin Loire-Bretagne à la suite de la mission d’écoute auprès des acteurs des bassins de la Sèvre Niortaise et du Mignon. Séance plénière du 4 juillet 2023.

([42]) Cour des comptes, « Accompagner la transition agroécologique », octobre 2021 ; « Le soutien à l’agriculture biologique », juin 2022.

([43]) Les IOTA sont listés dans le tableau annexé à l’article R. 214-1 du code de l’environnement.

([44]) Guide juridique sur la construction des retenues, publié par le ministère de l’écologie (2012).

([45]) https://www.eaufrance.fr/chiffres-cles/part-du-territoire-couvert-par-un-sage-en-2021

([46]) Carte de situation des SAGE au 15 novembre 2019 : https://www.gesteau.fr/cartes/sage

([47]) Instruction du Gouvernement du 7 mai 2019 relative au projet de territoire pour la gestion de l’eau (NOR : TREL1904750J) ayant abrogé l’instruction du 4 juin 2015 relative au financement par les agences de l’eau des retenues de substitution (NOR : DEVL1508139J.

([48]) Pleinchamp, « Projet de territoire pour la gestion de l’eau : nouvelle instruction ministérielle imminente », 31 mai 2022.

([49]) Conseil d’État, 25 septembre 2019, 418658.

([50]) TA Poitiers, 4 juin 2020, n° 1901217 ; CAA Bordeaux, 21 février 2023, n° 20BX0235.

([51]) TA de Poitiers, décisions du 3 octobre 2023 n° 2101394 (Association « Poitou-Charentes nature » et autres) et n° 2102413 (Association « Vienne nature » et autres).