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N° 1908

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 novembre 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
 

tendant à la réouverture des accueils physiques
dans les services publics (n° 1773)
 

 

PAR Mme Danièle OBONO

Députée

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SOMMAIRE

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Pages

introduction................................................ 5

présentation de la proposition de loi

I. la dématérialisation tous azimuts des services publics, une évolution problématique à plusieurs titres

1. Le développement de la dématérialisation, un processus ancien qui s’accélère et présente des bénéfices certains

2. Les effets délétères de la dématérialisation des services publics

a. Des usagers et usagères en difficulté : avec les outils numériques, du fait de l’éloignement des administrations et de la fragilisation des publics les plus vulnérables

b. Des services publics fragilisés : réduction des effectifs, fermeture des sites et perte de sens pour les agents

c. Le report du besoin d’accompagnement vers les structures associatives

II. LE « TOUT NUMéRIQUE » : unE DéMARCHE DANS LA CONTINUITé Du « new public management » NéOLIBERAL

1. Les politiques néolibérales de réduction du champ de l’État social

2. Les limites vite atteintes d’une approche trop technocratique

III. Le maintien de l’accueil physique dans les services publics, une nécessité pour notre administration et l’ensemble des usagers et usagères

1. Le maintien d’accueils physiques : une nécessité juridique et humaine

a. Une nécessité humaine pour garantir le respect des principes et des objectifs du service public

b. L’accompagnement des usagers et usagères dans leurs démarches dématérialisées : les insuffisances des espaces France services et des points d’accueil numérique

c. La nécessité de prévoir des solutions de substitution à l’accès en ligne pour certaines démarches administratives

2. Une proposition de loi simple et claire qui vise à apporter des garanties législatives au maintien de ces accueils physiques dans les services publics

Commentaire de la proposition de loi

Article 1er Garanties apportées à la possibilité pour l’usager et l’usagère de réaliser ses démarches administratives par voie non dématérialisée

Article 2 Gage financier

Examen en commission

Personnes entendues

 


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Mesdames, Messieurs,

 

Les services publics sont notre quotidien. Ils sont le produit des luttes, des conquêtes sociales et des choix politiques des générations précédentes, de la Révolution française au Conseil national de la résistance.

Éducation, santé, transports, justice, culture, police, recherche, sport… Ils structurent tous les pans de notre vie, répondent à nos besoins sociaux fondamentaux, contribuent à la cohésion sociale et territoriale, ainsi qu’à l’égalisation des conditions d’existence. C’est la République en actes ([1]).

La récente crise sanitaire a démontré, s’il en était besoin, l’absolue nécessité de disposer de services publics correctement dotés sur l’ensemble du territoire, d’une sécurité sociale solide, et d’agentes et agents publics qui ont les moyens de réaliser leurs missions au service de l’ensemble de la société.

Les services publics sont notre bien commun. Lorsqu’ils fonctionnent conformément à leurs missions, ils obéissent à trois principes cardinaux, associés à des droits reconnus : continuité, égalité, adaptabilité.

 La continuité signifie que le service public doit fonctionner de façon continue, tant il est inenvisageable que l’on puisse déroger par période à la satisfaction de l’intérêt général.

 L’égalité impose au service public d’être accessible à tous et toutes, et reposer sur un principe : à situation identique, traitement identique. Cela signifie que tout usager a le droit de bénéficier des prestations du service public et que leur refus relève d’une discrimination.

 L’adaptabilité demande que le service public soit régulièrement adapté aux nécessités de l’intérêt général et que les gouvernants doivent être à l’écoute des besoins et des demandes des gouvernés.

Au cours des dernières décennies, les besoins sociaux ont connu d’importantes évolutions, qui ont transformé les attentes de la population envers les services publics ([2]). Des virages importants de l’action publique ont eu lieu. Derniers en date, l’introduction des technologies numériques et la numérisation des procédures administratives répondent sans conteste à des demandes d’adaptation aux exigences du mode de vie contemporain.

Ces transformations ont été accueillies positivement par une majorité de la population. Les outils numériques sont porteurs de progrès dans de nombreux domaines et pour la plupart de nos concitoyennes et concitoyens. Par contre, lorsque qu’elle participe de politique de restrictions budgétaires et s’accompagne du recul des implantations territoriales, la numérisation des services publics conduit à des ruptures d’accès aux droits pour une part non négligeable de la population, notamment pour les personnes qui sont confrontées aux démarches les plus complexes.

Au cours des derniers mois, votre rapporteure a effectué de nombreux déplacements, à travers la France, à la rencontre des usagères et usagers du service public, ainsi que des agentes et agents qui travaillent dans ces administrations. Dans le délai imparti par le calendrier législatif, elle a en outre reçu en audition près d’une vingtaine de personnes.

Ces échanges ont permis d’analyser les conséquences néfastes de la dématérialisation accélérée et tous azimuts des services publics en France, processus qui traduit souvent un décalage entre les discours politiques favorables à la proximité humaine et la réalité vécue par les citoyens et les citoyennes. Dans les faits, la fermeture des guichets physiques, la saturation des services en ligne et l’obligation croissante de passer par la voie numérique pour réaliser ses démarches administratives ne vont pas sans poser problème pour nombre d’entre nous.

Aujourd’hui, dans notre pays, environ 13 millions de personnes ont des difficultés avec les outils numériques. C’est donc autant d’individus dont l’accès aux services publics est de fait fragilisé par le développement du tout numérique. L’illectronisme n’est en outre pas la seule explication aux difficultés que peuvent rencontrer les Françaises et les Français. Ainsi, de nombreux jeunes, par ailleurs très à l’aise avec les outils numériques, peinent à remplir en ligne leurs démarches administratives.

Entraînant une déshumanisation du rapport à l’administration, la dématérialisation complique souvent la prise en compte des situations complexes, aggravant les inégalités sociales, augmentant les non-recours aux droits et compliquant la contestation des suspensions de droits. Du côté des agents et agentes des services publics, sous couvert de gains de productivité soi-disant permis par le recours aux procédures numériques, la dématérialisation entraîne bien souvent une perte de sens des missions accomplies et peut même avoir des effets contreproductifs en entraînant une surcharge de travail.

Dans la continuité des travaux effectués par la Défenseure des droits et le Conseil d’État ([3]), qui ont solidement étayé les difficultés rencontrées par nos concitoyens et concitoyennes dans leurs démarches administratives et donc l’accès à leurs droits, la présente proposition de loi vise à garantir le maintien des accueils physiques dans les services publics.

Soulignant l’importance d’un accompagnement humain adapté tout au long des démarches, votre rapporteure ne souhaite pas de retour en arrière, mais défend l’idée d’une complémentarité entre le numérique et le physique. L’objectif de la présente proposition de loi est ainsi de répondre aux besoins concrets de la population et de consolider nos services publics qui font partie des fondements de notre République.

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   présentation de la proposition de loi

I.   la dématérialisation tous azimuts des services publics, une évolution problématique à plusieurs titres

1.   Le développement de la dématérialisation, un processus ancien qui s’accélère et présente des bénéfices certains

Au tournant du 21ème siècle l’administration française a suivi, elle aussi, le chemin de la numérisation, permettant progressivement l’accès aux informations et aux démarches administratives en ligne. De premières réflexions ont ainsi abouti à la création, en 1999, du site Légifrance et, en 2000, du site service‑public.fr, portail numérique de l’administration.

La dématérialisation a pris progressivement de l’ampleur, appelant un encadrement des procédures. En 2005, l’ordonnance relative aux échanges électronique entre les usagers et les autorités administratives a précisé la régularité de la saisine d’une administration par voie électronique et permis aux autorités administratives de créer des téléservices, définis comme « tout système d’information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives » ([4]). En 2012, une directive du Premier ministre a évoqué le concept de « service public numérique » et instauré une charte pour l’Internet de l’État, qui « clarifie les obligations auxquelles doivent se conformer les sites des administrations centrales et des services déconcentrés de l’État » ([5]).

La transformation s’est poursuivie et, en 2014, la France a été désignée par l’Organisation des Nations Unies comme le pays le plus avancé en Europe pour l’administration numérique. Le 13 octobre 2017, le Premier ministre Édouard Philippe a lancé le programme « Action publique pour 2022 », qui vise à repenser le modèle de l’action publique en s’interrogeant en profondeur sur les métiers et les moyens d’action publique au regard de la révolution numérique.

Le programme « Action publique pour 2022 »

Ce programme poursuit trois objectifs :

- pour les usagers et usagères :  améliorer la qualité des services publics, en passant d’une culture du contrôle à une culture de confiance ; en travaillant à la simplification et la numérisation des procédures administratives ;

- pour les agentes et agents publics : leur offrir un environnement de travail modernisé, en les impliquant pleinement dans la définition et le suivi des transformations ;

- pour les contribuables : accompagner la baisse des dépenses publiques, avec un objectif assumé de baisse de 3 points de PIB d’ici 2022.

Il repose sur six principes :

- une prise en compte de toutes les administrations publiques : l’État et ses opérateurs, les administrations de sécurité sociale, les collectivités territoriales ;

- une responsabilisation des ministères ;

- la priorité donnée à la transformation numérique des administrations, avec pour objectif 100 % de services publics dématérialisés à horizon 2022 ;

- des moyens importants pour la « transformation publique », avec un fonds dédié de 700 millions d’euros sur les cinq années à venir, dont 200 millions d’euros dès 2018 ;

- l’implication des agentes et agents publics et des usagers du service public tout au long de la démarche, pour recueillir leurs propositions ;

- un portage politique par le Président de la République et le Premier ministre.

Pour accompagner la mise en œuvre de ces actions, des structures administratives ont été créées, notamment la direction interministérielle de la transformation publique (DITP).

Auditionné par votre rapporteure, M. Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique, a insisté sur l’attente forte de la population en matière de services publics numériques. Cette réalité n’est pas discutée : la numérisation permet, pour de nombreux usagers et usagères, un accès plus simple et plus rapide à leurs démarches administratives. Toutefois, le délégué interministériel le reconnaît lui-même : pour une partie des Français et Françaises, la numérisation ne fonctionne pas.

2.   Les effets délétères de la dématérialisation des services publics

a.   Des usagers et usagères en difficulté : avec les outils numériques, du fait de l’éloignement des administrations et de la fragilisation des publics les plus vulnérables

● Si elle reconnaît le vecteur d’amélioration que peut représenter le numérique pour l’accès aux services publics, la Défenseure des droits alerte sur le fait que la dématérialisation se traduit, pour beaucoup d’usagers et d’usagères, par un véritable recul de l’accès à leurs droits.

Dans un rapport publié en 2019 ([6]), elle a ainsi dénoncé plusieurs difficultés :

– la fracture territoriale et sociale dans l’accès à Internet et aux équipements informatiques ;

– la vulnérabilité de certains publics face au numérique et l’insuffisance de leur accompagnement pour garantir leur accès aux services dématérialisés ;

– le délaissement de certains publics spécifiques : les personnes en situation de handicap, les majeurs protégés et les personnes détenues.

L’utilisation des services publics numériques suppose non seulement un accès à l’outil informatique et à Internet, mais aussi une certaine maîtrise de la langue française, de l’écriture et des procédures administratives elles-mêmes, puisque le téléservice impose souvent une forme d’autonomie dans l’utilisation de la plateforme administrative et dans le suivi de son propre dossier. L’imbrication de problèmes d’illettrisme et d’illectronisme se cumule avec les inégalités sociales et les disparités territoriales en matière de connexion et d’accompagnement. Ces facteurs de vulnérabilité retardent, complexifient, voire empêchent l’accès de certaines populations, notamment les plus précaires, aux services publics dont elles ont besoin.

Dématérialisation des services publics et précarité

La dématérialisation laisse particulièrement de côté les personnes les plus précaires, ce qui pose, bien sûr, des difficultés accrues en termes d’accès aux droits sociaux et conduit à s’interroger directement sur la capacité du numérique à préserver l’accès universel de la population aux services publics.

Selon le baromètre du numérique 2022, la part de personnes ayant des difficultés à effectuer des démarches en ligne a augmenté (1). 54 % des personnes (+ 16 points) éprouvent au moins une forme de difficulté qui les empêche d’effectuer des démarches en ligne. Les périodes de confinements qui se sont succédé ont rendu les outils numériques indispensables dans de nombreuses démarches et activités du quotidien. Les personnes parmi les plus vulnérables sont une majorité à ne pas avoir l’impression d’avoir gagné en maîtrise. Ainsi, si le sentiment de s’être mieux approprié les outils numériques avec la pandémie est marqué chez les cadres et professions intellectuelles supérieures (71 %), à l’inverse, les personnes non diplômées et âgées de 70 ans et plus, quant à elles, sont une majorité à ne pas avoir l’impression de gagner en maîtrise depuis ces deux dernières années (respectivement 53 % et 56 %).

De plus, contrairement à l’idée qui est souvent véhiculée, la numérisation demande des matériels nombreux et coûteux. Il devient ainsi de plus en plus difficile de réaliser ces démarches sans disposer d’un ordinateur, d’un scanner, d’un forfait internet. Du matériel et des accès que les plus précaires ne sont pas toujours en mesure de s’offrir : 22 % des usagers et usagères ne disposent à leur domicile ni d’un ordinateur, ni d’une tablette, et 15 % n’ont pas de connexion internet à domicile (2).

Or, les personnes précaires sont les plus concernées par les droits sociaux. Ce sont donc elles qui ont le plus de démarches à faire et la complexité de leur situation bloque parfois la possibilité de les exposer à l’administration par des formulaires dématérialisés préconçus. Pour ces personnes, l’accès à une personne physique capable de comprendre les complexités individuelles de chaque situation est d’autant plus fondamental. De même, la précarité va souvent de pair avec une forme d’instabilité, impliquant des changements fréquents de situation qui sont autant de signalements à faire auprès des administrations et donc autant de démarches qui se multiplient.

À cet égard, les sociologues Claire Deville et Pierre Mazet soulignent que la dématérialisation a accentué une automaticité qui entraîne de fréquents « trop-perçus » liés à des erreurs de l’administration ou de l’usager ou usagère. L’augmentation de ces situations, en plus de placer les plus précaires dans des situations critiques, pousse à l’abandon des démarches ainsi qu’au renoncement de ses droits ; elle augmente in fine grandement la défiance vis-à-vis de l’État

Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) a ainsi alerté dès 2021 sur le « décalage ressenti entre l’ambition de simplification inhérente à la dématérialisation des démarches et la complexification qu’elle occasionne pour les personnes concernées » (3).

Lors des auditions menées, les représentants de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ont évoqué des dispositifs de simplifications administratives supposés apporter des réponses pour ces publics, tels que la « solidarité à la source ». Mais selon Claire Deville, si ce dispositif est censé simplifier le calcul d’accès aux droits, il n’allégera pas l’accès à la démarche, qui restera « à la charge » des usagers et usagères les plus précaires.

(1)    Credoc, Baromètre du numérique - édition 2022, janvier 2023.

(2)    Défenseur des droits, Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, février 2022.

(3)    Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, La pauvreté démultipliée : Dimensions, processus et réponses printemps 2020, mai 2021.

Parfois, la numérisation conduit – a contrario de l’objectif poursuivi – à une complexification des procédures, multipliant les informations ou les pièces à fournir. Auditionnée par votre rapporteure, la Quadrature du net rapportait, par exemple, l’ajout de l’obligation de joindre un relevé d’identité bancaire (RIB) pour former une demande de RSA en ligne, alors même que les textes de droit n’imposent pas la possession d’un compte bancaire pour toucher le RSA.

Quand en outre l’applicatif numérique est mal adapté, intégrant par exemple une erreur ou oubliant certaines situations rares, il est particulièrement difficile pour les usagers et usagères de joindre un interlocuteur ou une interlocutrice pour dénouer ce problème. Cette difficulté risque de s’aggraver si le développement des logiciels est externalisé, ce qui est le cas de certaines administrations. Là encore, ce sont souvent les personnes exposées aux situations les plus particulières qui sont les plus confrontées à ces obstacles menaçant parfois leur accès aux droits.

● En 2022, la Défenseure des droits s’est à nouveau penchée sur le sujet, dressant un bilan contrasté des mesures gouvernementales et formulant plusieurs recommandations pour faciliter l’accès aux démarches en ligne ([7]). Malgré les mesures qui ont pu être prises, 13 millions de personnes rencontrent encore des difficultés dans l’utilisation des outils numériques en France. Selon la Défenseure des droits, « les laissés pour compte de la dématérialisation sont toujours aussi nombreux ».

Ces situations se traduisent concrètement dans les demandes dont est saisie cette autorité indépendante : en 2021, plus de 90 000 réclamations ont concerné les services publics et, selon les délégués de la Défenseure des droits, « la dématérialisation des démarches administratives représente une part significative des dossiers qui leur sont soumis et, depuis deux ans, le nombre de réclamations en lien avec la dématérialisation est en augmentation ».

Des voies alternatives saturées

Comme l’a expliqué le délégué interministériel à la transformation publique lors de son audition, les alternatives à la voie dématérialisée se répartissent comme suit : 43 % par téléphone ; 32 % par chat, mail ou visioconférence ; 15 % en physique ; 10 % par courrier.

Mais face à une demande qui explose, à moyens constants ou baissant dans les administrations, ces voies alternatives trouvent leurs limites.  Ainsi, dans une enquête dont les résultats ont été publiés en début d’année 2023, 60 millions de consommateurs et la Défenseure de droits montrent que 54 % des coups de fil à la CAF n’aboutissaient pas. Un chiffre qui monte à 72 % pour l’assurance maladie (1).

La méthode de cette enquête a été critiquée par les directions de certaines administrations. Quand bien même ces chiffres seraient à relativiser, la difficulté à obtenir un interlocuteur ou une interlocutrice nous a été confirmée par la majorité des représentants et représentantes syndicales rencontrées, ainsi que par de nombreux représentants de collectifs d’usagers et usagères. Selon un sondage réalisé par le groupe de réflexion « Sens du service public » début 2023, si 33 % des personnes interrogées avaient utilisé au cours des précédents mois un standard téléphonique des administrations, 52 % l’estimaient insatisfaisant (2).

(1)    60 millions de consommateurs, « Services publics : il y a quelqu’un au bout du fil ? », 26 janvier 2023.

(2)    Sens du service public, « Pour accompagner la dématérialisation, valorisons le téléphone », octobre 2023.

En outre, comme l’explique le sociologue Pierre Mazet, le numérique administratif n’est pas le même que le numérique générique. En sus des 13 millions de personnes rencontrant des difficultés avec tout outil numérique, ce qui se répercute sur leurs accès aux services publics dématérialisés, nombreuses sont les personnes qui savent utiliser le numérique pour certains usages, mais ne parviennent pas à maîtriser le numérique administratif.

Les chiffres concernant les jeunes sont particulièrement évocateurs puisqu’en 2020, année de crise sanitaire, un quart des 18-24 ans ont indiqué avoir rencontré des difficultés pour réaliser seuls des démarches en ligne, soit 14 points de plus que la moyenne.

Lors de son audition, M. Pierre Mazet expliquait ainsi qu’en 2017, 70 % des personnes se rendant à l’accueil physique d’un centre CAF-CPAM étaient en réalité des utilisateurs quotidiens d’internet. Leur visite n’était donc pas liée à une incapacité à utiliser les outils numériques, mais à des questions liées aux situations administratives. Parfois, le contact est nécessaire simplement pour vérifier avec un agent ou une agente que les démarches ont correctement été renseignées.

Confirmant ces analyses, lors de son audition, le délégué interministériel à la transformation publique a, lui aussi, identifié plusieurs publics pour lesquels la dématérialisation pose en effet problème : les personnes en situation d’illectronisme, certains jeunes qui ne s’engagent jamais dans les démarches administratives, les personnes victimes de handicap, ou encore les personnes étrangères. Pour ces dernières, l’exemple est particulièrement criant, les difficultés matérielles renforçant souvent les difficultés administratives, avec des conséquences potentiellement dramatiques, puisque la légalité de leur situation dépend des démarches et procédures administratives réalisées.

Finalement, la dématérialisation croissante des services publics comporte plusieurs types de risques, qui touchent des populations diverses. Elle crée une forme de déshumanisation de l’administration, en augmentant la distance entre l’usager et l’usagère et le service public. Elle est moins inclusive, excluant des procédures « classiques » par voie dématérialisée certains publics ayant des difficultés avec les outils numériques ; plus généralement, elle complexifie parfois les démarches, avec des procédures qui ne sont pas toujours bien conçues.

L’administration numérique pour les étrangers en France (ANEF)

L’ANEF a pour objectif de dématérialiser toutes les démarches concernant les étrangers en France : séjour et accès à la nationalité. Elle consiste en un portail unique, sur lequel l’usager ou l’usagère dispose d’un compte personnel pour suivre son dossier.

Mis en œuvre dans une visée de simplification des démarches, le déploiement de ce téléservice s’est fait très rapidement, entraînant avec lui de nombreuses difficultés. Les litiges relatifs aux droits des étrangers sont d’ailleurs devenus la première source de saisines du Défenseur des droits (25 % du total), principalement sur la question de l’accès aux démarches en préfecture. Elles ont augmenté de 231 % en trois ans (1).

Ces difficultés sont principales de deux ordres : d’une part, les difficultés à prendre rendez-vous en ligne du fait de l’indisponibilité récurrente de créneaux ; d’autre part, les nombreux dysfonctionnements et des retards dans le traitement des demandes empêchent le dépôt du dossier ou la délivrance dans les temps d’une attestation et d’un titre de séjour (2).

Lorsqu’un étranger ou une étrangère cherche à faire renouveler son titre de séjour – qu’il détient parfois depuis de nombreuses années – et qu’il ne parvient pas accéder à la plateforme numérique de prise de rendez-vous, ou que ce rendez-vous est donné très tardivement, les ruptures de droits sont dramatiques : cette personne peut perdre son emploi et les prestations sociales qu’elle est susceptible de percevoir. Il n’est pas rare qu’elle rencontre alors dans ce contexte toutes les difficultés à faire face à ses dépenses, notamment de logement. L’étranger placé dans cette situation encourt enfin le risque de se faire interpeller et, faute de moyen de prouver la régularité de son séjour, d’être placé en centre de rétention administrative (3).

(1)    Assemblée nationale, Ugo Bernalicis, rapport pour avis n° 1778 sur le projet de loi de finances pour 2024, 18 octobre 2023.

(2)    Secours catholique, « Dématérialisation des services publics : les plus précaires en danger », 2 novembre 2022

(3)    Défenseur des droits, Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, 2019.

b.   Des services publics fragilisés : réduction des effectifs, fermeture des sites et perte de sens pour les agents

La numérisation permet de justifier la réduction du nombre d’agents et d’agentes, ainsi que la fermeture de nombreux points d’accueil des administrations. Les témoignages en ce sens ne sont que trop nombreux. Lors d’une table ronde organisée avec des représentants des syndicats, M. Stéphane Langlois, délégué CGT du service des finances publiques de Paris, expliquait par exemple qu’en cinq années, le nombre de sites de son administration a été réduit de près de moitié, passant de 25 à 13. Le nombre d’agents et agentes est lui aussi réduit : depuis 2010, il serait passé de 6 500 à 4 000. Cela se traduit concrètement par une restriction des possibilités d’accès au service public de l’impôt pour les usagers et usagères, qui ne peuvent d’ailleurs plus être reçus que les matins, quand auparavant les points d’accueil étaient ouverts toute la journée.

En 2022, l’analyse de la Cour des comptes aboutit au même constat : « tous ministères et tous niveaux confondus, les effectifs de l’administration territoriale de l’État sont passés de 82 429 ETPT à 70 666 ETPT entre 2012 et 2020, soit une réduction de 14 % » ([8]). Cette réduction drastique des capacités d’accueil se retrouve donc dans toutes les administrations et promet de se poursuivre.

Selon Mme Nora Nidam, secrétaire générale FO de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Paris, 1 700 suppressions de poste sont d’ores et déjà prévues dans la branche maladie de la Sécurité sociale. Cette décision s’inscrit dans la continuité des précédentes suppressions, qui ont pourtant montré leurs limites au vu de l’incapacité des agents et agentes à répondre aux usagers et usagères dans des délais raisonnables. Les agents et agentes d’accueil physique de la CPAM sont passés en « tout rendez-vous ». Malgré des critères devenus très restrictifs pour obtenir une rencontre avec un ou une agente, et des directives qui poussent à privilégier les appels téléphoniques pour éviter au maximum l’entrevue, les délais d’attente sont actuellement de 3 semaines sur Paris, faute de personnel suffisant. Un temps d’attente insupportable pour des assurés et assurées dont le versement des indemnités dépend bien souvent de l’issue de ce rendez-vous.

En sus des horaires et du nombre de sites d’accueil, les modalités d’accueil sont elles aussi minimisées, ne correspondant plus toujours aux besoins des usagers. M. Jean-Marie Dehayes, délégué FO au Pôle emploi Île-de-France, témoignait ainsi que l’accueil du public dans les antennes de Pôle emploi est dorénavant assuré par des agents spécialistes de l’aide à la recherche d’emploi, alors qu’en réalité 80 % des usagers ont des demandes relatives à leur indemnisation.

Les difficultés de la dématérialisation à Pôle emploi

Le cas de Pôle emploi est également instructif de la tendance à surévaluer les gains de productivité anticipés du fait de la dématérialisation.

Un rapport du cabinet d’expertise commissionné par le comité social et économique (CSE) Pôle Emploi Île-de-France a ainsi montré qu’une baisse de charge de travail importante avait été anticipée du fait de la dématérialisation, de l’automatisation et de l’externalisation de certaines tâches (1).

Entre 2015 et 2018, cette réduction attendue de la charge de travail était planifiée comme étant de l’ordre de 39 %. Mais l’augmentation de certaines tâches liées à l’utilisation de canaux alternatifs par les usagers et usagères n’avait pas été anticipée. Sur la période, il y a ainsi eu une hausse de 287 % de la charge portant sur les flux de mails indemnisation, de 157 % sur les flux téléphoniques entrants et de 1227 % sur ces mêmes flux sortants.

Le rapport pointe par ailleurs « une difficulté à avoir suffisamment d’effectifs et suffisamment formés ». Entre 2020 et 2022, les chiffres sont probants, avec une hausse de 44 % d’embauche en CDD. En Île-de-France, 20 % des agents ont ainsi moins de 2 ans d’ancienneté.

(1)    Degest/CSE Pôle Emploi Ile-de-France, Le risque grave au sein de l’établissement Pôle Emploi Ile-de-France dans le réseau, 11 mai 2023.

Cette politique de dématérialisation « à marche forcée » produit également de nouvelles formes de souffrances au travail et une perte de sens.

La dématérialisation conduit ainsi à une baisse de qualité du service public, qui en devient moins accessible. Elle se traduit aussi par une recomposition des missions des agents et agentes, qui s’articule dorénavant avec des outils et procédures numériques pas toujours bien adaptés aux besoins du public. Ce fut le cas notamment de la campagne de déclaration de patrimoine (GMBI) évoquée par M. Langlois, qui était mal préparée et dont l’outil informatique n’était pas fonctionnel, entraînant de longues files d’attente il y a quelques mois.

Dans le cadre de ses travaux sur la mission budgétaire « Administration générale et territoriale de l’État » (AGTE), notre collègue Ugo Bernalicis observe la même dégradation. Étoffant son constat de nombreux témoignages de terrain, il rapporte que « les agents titulaires qui sont restés en poste ont vu leurs conditions de travail se dégrader et ont le sentiment qu’on ne leur donne pas les moyens nécessaires pour réaliser leur mission de manière satisfaisante. Il en va de même pour les contractuels – notamment les vacataires – placés en situation de précarité et insuffisamment formés pour réaliser leurs tâches.

Les agents sont également touchés par la dématérialisation qui déshumanise les relations de travail : demande de "tickets" pour obtenir un acte de maintenance informatique, utilisation de boîtes fonctionnelles ou de "chatbot" pour échanger avec les ressources humaines, traitement des dossiers sans entretien avec les usagers etc. » ([9]).

La Cour des comptes relève que des missions essentielles des préfectures sont fragilisées par une décennie de réductions d’emplois

L’enquête de la Cour sur la capacité d’action des préfets vise à analyser dans quelle mesure les préfets ont la capacité de remplir leurs missions et de faire face à ces nombreuses attentes exprimées à leur égard. Elle a porté sur les années 2016 à 2022, l’année 2016 correspondant à la constitution des grandes régions et au lancement du plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG).

Les suppressions d’emplois mises en œuvre depuis la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) en 2010 (4748 ETP supprimés dans les préfectures entre 2010 et 2020) ont affecté les effectifs des préfectures, qui ne comptent plus à ce jour qu’environ 29 000 agents.

L’instruction et la délivrance de titres occupent 21 % des effectifs, dont plus de deux tiers pour la gestion des titres des ressortissants étrangers. Les autres missions des préfectures - « Sécurité », « Animation des politiques interministérielles », « Représentation de l’État », « Management et pilotage » - occupent chacune entre 10 et 11 % des effectifs. Les postes relatifs aux relations avec les collectivités territoriales ne concentrent qu’un peu plus de 7 % des agents. Un quart des effectifs est affecté aux fonctions support.

Certaines missions confiées aux préfets sont aujourd’hui sous tension, en raison de moyens devenus insuffisants. C’est particulièrement le cas des services rendus directement au public. Ainsi, dans les domaines de la délivrance des titres et de l’accueil et du séjour des étrangers, les indicateurs de performance se sont fortement dégradés, témoignant d’une baisse de la qualité du service du fait notamment d’un allongement excessif des délais de délivrance des titres. Les services des étrangers souffrent non seulement d’effectifs insuffisants, leur augmentation n’ayant pas suivi celle de la demande de titres de séjour, mais aussi du recours massif à des contractuels de courte durée, dont le recrutement, la formation et le suivi au quotidien absorbent une grande part du temps de travail de l’encadrement. La dématérialisation du dépôt des demandes de titre de séjour (Administration numérique pour les étrangers en France, ANEF), dont le déploiement s’est achevé en avril 2023, s’est accompagnée de nombreux problèmes techniques qui doivent être corrigés.

Source : extraits des observations définitives de la Cour des comptes sur la capacité d’action des préfets (2016-2022), 19 juillet 2023.

Dénonçant la visée trop souvent purement budgétaire des démarches de dématérialisation, Mme Nathalie Bazire, secrétaire confédérale de la CGT, identifie plusieurs difficultés que pose aux agentes et agents la numérisation des procédures :

– réformes permanentes que ni les agents, ni les usagers n’arrivent à suivre, allant jusqu’à une perte de sens ;

– éloignement des usagers (mise à distance et dépersonnalisation) ;

– diminution du nombre d’agents et non-remplacements ;

– remise en cause des statuts et des droits conquis ;

– introduction de méthodes de management et de modes d’organisation du travail issus de l’entreprise (type « Lean »), modification du rôle de l’encadrement, pressions hiérarchiques ;

– intensification et complexification du travail, non-respect du droit à la déconnexion ;

– insuffisance, voire absence de formation ;

– fiabilité très variable de l’équipement (matériel, logiciels, poste de travail) et de sa maintenance.

Les représentantes et représentants syndicaux reçus par votre rapporteure ont d’ailleurs témoigné d’un profond mal-être des agents et agentes vis-à-vis de ces évolutions. Si certaines d’entre elles sont assurément porteuses de progrès, ces évolutions ont pour souvent pour conséquence un accroissement de la charge de travail des agents et de la pression subie, les conduisant régulièrement à moins bien prendre en charge les usagers et usagères qu’ils reçoivent. En vue d’optimiser les processus d’accueil et d’orientation, certaines administrations imposeraient à leurs agents et agentes des consignes drastiques pour « désintoxiquer l’usager de l’accueil physique », consignes bien souvent contreproductives ne permettant ni aux agents et agentes de s’épanouir dans leur mission, ni aux usagers et usagères de trouver réponse à leur situation.

c.   Le report du besoin d’accompagnement vers les structures associatives

Lorsqu’un usager ou une usagère ne trouve plus d’interlocuteur ou d’interlocutrice dans l’administration pour résoudre son problème, il va se tourner logiquement vers les structures qui demeurent, elles, physiquement accessibles sur le territoire : les associations. Ce sont ainsi ces structures, leurs salariés et leurs bénévoles qui supportent les conséquences du désengagement de l’État.

Ce phénomène de report des missions de service public vers le secteur associatif est dénoncé par de nombreux acteurs et actrices de terrain, comme Mme Chloé Tinguy, membre du collectif « Bouge ta pref » et chargée de projets migrants et accès aux droits au CEDRE (Centre d’entraide pour les demandeurs d’asile et les réfugiés). Celle-ci dénonce aussi un autre phénomène, peut-être plus inquiétant encore : le développement d’intermédiaires peu scrupuleux, qui proposent d’aider les personnes en difficulté, contre rémunération de leur service. Certaines personnes étrangères déboursent plusieurs centaines d’euros auprès de pseudo-intermédiaires pour obtenir un rendez-vous en préfecture.

Votre rapporteure tient à alerter sur ce type de pratiques frauduleuses, qui profitent de la vulnérabilité de certains publics et illustrent les conséquences du désengagement de l’État du champ des services publics.

Au-delà des grandes associations spécialisées dans l’accès au droit ou la lutte contre la pauvreté, qui alertent les autorités depuis plusieurs années sur le sujet, c’est aujourd’hui l’ensemble du tissu associatif qui « met la main à la pâte » pour compenser le manque d’accès aux services publics. Centres sociaux, associations d’aide aux devoirs, cafés sociaux… Toutes ces structures nous indiquent ouvrir des permanences sociales et délaisser leurs activités socio culturelles pour s’improviser tant bien que mal agents d’accueil, dans un glissement qui s’apparente presque à de la délégation de service public.

C’est notamment le cas des associations membres du collectif « Retraite Île-de-France », qui confirment assumer cet abandon étatique en tentant d’accompagner les personnes laissées sur le carreau, et ce sans moyens supplémentaires ou presque : « ces défaillances institutionnelles pèsent depuis plusieurs années sur un secteur associatif essoufflé, sans appui, sans soutien, ni reconnaissance de l’Assurance Retraite, qui ne parvient plus à répondre aux demandes du public » ([10]).

Le report se fait donc en cascade : les administrations aux portes closes renvoient vers des structures sociales locales (type points d’information médiation multi services - PIMMS) elles-mêmes débordées et en manque de personnel, qui renvoient vers les structures associatives, dont ce n’est pas directement l’objet et qui sont elles-mêmes à bout de souffle et en incapacité de répondre à toutes les demandes. Pour celles et ceux qui n’ont pas trouvé d’écoute, il ne reste plus qu’à se tourner vers des proches ou à baisser les bras, allongeant la liste des non recours à des droits qui sont pourtant les leurs.

II.   LE « TOUT NUMéRIQUE » : unE DéMARCHE DANS LA CONTINUITé Du « new public management » NéOLIBERAL

1.   Les politiques néolibérales de réduction du champ de l’État social

Comme l’a expliqué le président du CNLE, M. Nicolas Duvoux, lors de son audition, la dématérialisation est à inscrire dans la perspective du « new public management » appliquée en France depuis une trentaine d’années.  Il s’agit, selon lui, « d’un processus de longue portée qui a intégré la dématérialisation comme un instrument qui permet de poursuivre la rationalisation [des services publics] ».

La réduction du champ de l’État social, son imprégnation par les méthodes de fonctionnement du secteur privé et par les logiques de marché, est en effet inscrite de longue date à l’agenda de nombreux courants politiques qui ont dominé au cours des dernières années. Sa réalisation est un travail de longue haleine, qui ne prend pas des atours spectaculaires. Elle se pratique dans l’ombre de réformes techniques, peu médiatisées, moins susceptibles de susciter des résistances dans une population extrêmement attachée à ses services publics et à son système de sécurité sociale.

Cette tendance de fond s’appuie sur un discours de « modernisation de l’action publique » et passe principalement par deux types de méthodes : 

– d’une part, des réformes ponctuelles de transformation de l’action publique, qui peuvent prendre des prétextes différents (décentralisation, dématérialisation…) mais qui aboutissent systématiquement à des réductions d’effectifs dans la fonction publique : sous Nicolas Sarkozy, la « révision générale des politiques publiques » (RGPP) de 2007 à 2012, et la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) en 2010 ; sous François Hollande, la « modernisation de l’action publique » (MAP) de 2012 à 2017 ; sous Emmanuel Macron, le plan « Action publique 2022 » lancé par Édouard Philippe dès 2017 qui se proposait d’interroger « en profondeur les métiers et les moyens d’action publique au regard de la révolution numérique qui redéfinit les contours de notre société » ;

– d’autre part, des conventions d’objectifs et de gestion (COG), signées tous les 5 ans, qui permettent de mettre au pas les organismes de protection sociale via des objectifs de « productivité » et qui justifient de réduire le nombre et la disponibilité des agents et agentes.

2.   Les limites vite atteintes d’une approche trop technocratique

Aujourd’hui, les limites de cette approche productiviste de l’action publique sont notamment pointées par la Défenseure des droits : « souvent pensées par le prisme de l’optimisation, de l’efficience ou de la simplification, les politiques de modernisation ou de transformation publique ont incontestablement eu des effets sur l’accès aux droits de toutes et tous, dont le Défenseur des droits est un témoin direct » ([11]).

Le collectif « Nos services publics » montre également que les moyens consacrés aux services publics augmentent moins rapidement que les besoins sociaux : la part des fonctionnaires dans l’emploi total est passée de 16,3 % en 2006 à 14,6 % en 2021, et la rémunération moyenne réelle dans la fonction publique a diminué de 0,9 % depuis 2009, alors que dans le privé elle a augmenté de 13,1 % ([12]). Selon la Cour des comptes, les effectifs de l’administration territoriale de l’État sont passés de 82 429 équivalents temps pleins annuels travaillés (ETPT) à 70 666 entre 2012 et 2020, soit une réduction de 14 % ([13]).

La dématérialisation doit donc être comprise comme un instrument supplémentaire de la réduction du champ de l’État social et de son imprégnation par les méthodes de fonctionnement néolibérales du secteur privé. Ce qu’a parfaitement résumé le sociologue Pierre Mazet lors des auditions : « si la dématérialisation ne permettait pas d’économie de coût de gestion, elle ne serait pas présentée comme moderne ».

III.   Le maintien de l’accueil physique dans les services publics, une nécessité pour notre administration et l’ensemble des usagers et usagères

1.   Le maintien d’accueils physiques : une nécessité juridique et humaine

a.   Une nécessité humaine pour garantir le respect des principes et des objectifs du service public

L’ensemble des personnes auditionnées par votre rapporteure partage le même constat : les procédures administratives dématérialisées sont pertinentes dès lors que les situations des usagers et usagères sont simples et claires. Dès qu’un problème particulier se pose, le service numérique s’avère insuffisant pour répondre à leurs demandes, les conduisant parfois dans un labyrinthe administratif dont il peut être difficile de s’extraire indemne. Beaucoup n’arrivent d’ailleurs pas au bout et finissent par renoncer à leurs droits.

En imposant une forme d’autonomie numérique, la dématérialisation conduit à reporter la responsabilité du non-accès aux droits sur les usagers eux‑mêmes et usagères elles‑mêmes. Certains publics se retrouvent démunis, sans interlocuteur adéquat pour leur fournir l’information et l’accompagnement nécessaires. Ce désengagement de l’État est ainsi vecteur d’inégalités.

Or, comme le rappelle d’ailleurs la Défenseure des droits, « La mise en œuvre des politiques publiques de dématérialisation se doit […] de respecter les principes fondateurs du service public : l’adaptabilité, la continuité et l’égalité devant le service public » ([14]).

Les principes fondateurs du service public

Le principe de continuité du service public : ce principe constitue l’un des aspects de la continuité de l’État et a été qualifié de principe de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision 79-105 DC du 25 juillet 1979. Il repose sur la nécessité de répondre aux besoins d’intérêt général sans interruption.

Le principe de l’égalité devant le service public : corollaire du principe d’égalité devant la loi ou devant les charges publiques consacré par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 27 août 1789, ce principe implique que les personnes se trouvant dans une situation identique à l’égard du service public doivent être régies par les mêmes règles.

Le principe d’adaptabilité ou de mutabilité : à la lumière de ce principe, l’autorité administrative doit prendre les mesures d’adaptation du service public, afin d’assurer un accès « normal » de l’usager au service public ; elle ne saurait adapter le service public avec pour conséquence que soit compromis cet accès « normal ».

Source : Défenseur des droits, Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, 2019.

Pour répondre aux difficultés des usagers et usagères et pour garantir le respect des principes fondateurs du service public, il apparaît nécessaire d’assurer la possibilité, pour toutes et tous, d’accéder, facilement et rapidement, à un accueil physique. C’est d’ailleurs le sens de la première des recommandations formulées en 2019 par la Défenseure des droits sur ce sujet :

« Adopter une disposition législative au sein du code des relations entre les usagers et l’administration imposant de préserver plusieurs modalités d’accès aux services publics pour qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée. » ([15])

b.   L’accompagnement des usagers et usagères dans leurs démarches dématérialisées : les insuffisances des espaces France services et des points d’accueil numérique

Il serait erroné d’affirmer que rien n’a été fait pour accompagner les usagers et usagères face à la dématérialisation des procédures administratives. Cependant, force est de constater que les dispositions mises en œuvre ont été insuffisantes et accusent encore un retard certain face aux besoins de nos concitoyennes et concitoyens.

● Les maisons France services, anciennement Maisons de services au public (MSAP), ont été créées par la loi « NOTRe » ([16]). Animées et coordonnées par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ces maisons, renommées aujourd’hui espaces, constituent des points de contact utiles, répondant à une demande et à un besoin des citoyens et citoyennes.

Plus concrètement, il s’agit d’un label de l’État pouvant être octroyé aux structures respectant l’ensemble des critères du cahier des charges. En 2022, les espaces France services sont gérés par : les collectivités territoriales (67 % des structures), les associations (14 %), les points de contact de La Poste, les préfectures ou sous-préfectures et les caisses de la MSA (la Mutualité sociale agricole).

Comme l’a expliqué Guillaume Clédière, directeur du programme France services à l’ANCT, à votre rapporteure, il existe aujourd’hui 2 601 espaces France services et ils seront 2 750 à la fin de l’année 2023. Ainsi, plus de 99 % des Françaises et Français sont à moins de 30 minutes d’un tel espace et 95 % à moins de 20 minutes. 450 d’entre eux sont installés au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ce maillage étant aujourd’hui considéré par le Gouvernement comme satisfaisant, une démarche de solidification de ce réseau est aujourd’hui en cours, organisée autour de plusieurs objectifs :

– la consolidation du financement, avec l’augmentation de la subvention annuelle financée par l’État : aujourd’hui de 30 000 euros par structure, celle-ci sera portée à 35 000 euros en 2023, puis 40 000 en 2024, 45 000 en 2025 et, enfin, 50 000 en 2026 ;

– la consolidation des capacités de pilotage et de coordination de ce programme, avec la mise en place d’un système d’animation du réseau à l’échelle départementale ; en 2023, un poste à temps plein sera financé pour chaque département ;

– l’augmentation du nombre d’usagers et d’usagères des espaces France services, avec un objectif d’un million de démarches accompagnées par mois d’ici 2026 ;

– le suivi de la qualité du service proposé dans les espaces ;

– l’approfondissement de la formation initiale des conseillers France services – sa durée a ainsi été allongée d’une à deux semaines – et la structuration de la formation continue.

● Si votre rapporteure salue évidemment ces efforts et ces ambitions, elle tient toutefois à rappeler que ces évolutions ne changeront pas le fait que ces espaces ne permettent aujourd’hui qu’un accueil dit « de niveau 1 » et ne peut donc pas remplacer l’accueil « de niveau 2 » nécessaire pour certaines procédures, souvent les plus complexes, qui touchent principalement les publics les plus précaires. Ces espaces France services ont certes leurs intérêts, mais ils ne peuvent pas remplacer l’accueil physique dans les administrations spécialisées.

La formation des agents et agentes de ces services, d’une durée actuelle de 5 jours et demi, s’avère d’ailleurs insuffisante. Dans son premier bilan sur les Maisons France service de juillet 2022, le Sénat a jugé ce temps de formation « très limité et insuffisamment opérationnel » ([17]). La sociologue Clara Deville partage d’ailleurs ce constat, considérant que le manque de connaissances techniques des agents France services limite leur possibilité de prendre en charge concrètement certaines situations. Lors de son audition par votre rapporteure, M. Guillaume Clédière a d’ailleurs reconnu cette insuffisance de la formation, en indiquant que le temps de formation serait prochainement doublé.

Ces structures sont également sous-financées. En 2022, le reste à charge moyen pour les porteurs de projet, une fois décompté le forfait de 30 000 euros octroyé par l’État par structure, était de 80 000 euros par an et par maison France services selon le Sénat. Si l’augmentation du forfait annuellement accordé par l’État annoncée par la DITP est une bonne nouvelle, il n’en demeure pas moins que le coût pour les collectivités restera important. Le rapport du sénat évoquait déjà les difficultés du modèle financier en 2022 : « Ce modèle financier n’est plus soutenable pour les porteurs de projet, notamment pour les collectivités rurales qui assurent parfois le fonctionnement et le financement de plusieurs maisons en raison de la faible densité de population et de l’étendue de leur territoire » ([18]).

Par ailleurs, de l’aveu même de la DITP, le dispositif souffre pour le moment d’un manque de notoriété. C’est ce que relevait également le rapport du Sénat, qui pointait un dispositif « confidentiel en volume », reprenant l’exemple de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) dont 3 % des assurés interrogés seulement connaissaient l’existence des espaces France Services. Le délégué interministériel de la transformation publique, M. Thierry Lambert, a indiqué qu’une prochaine campagne nationale serait mise en œuvre pour faire connaître dispositif.

● Sur le plan opérationnel, les conseillers et conseillères France services n’appartiennent pas aux administrations auxquelles les usagers et usagères souhaitent avoir accès. Elles et ils n’ont pas accès aux applications numériques nécessaires et ne sont parfois pas formés pour répondre à certaines requêtes des usagers et usagères.

N’ayant pas accès aux logiciels des organismes concernés par les demandes d’usagers et d’usagères, les agents et agentes sont parfois amenés à essayer de joindre les différents services par téléphone et à rencontrer les mêmes difficultés que les usagers et usagères. La Défenseure des droits a ainsi rapporté que tous les espaces France services n’avaient pas de lignes directes avec les différentes administrations, alors qu’il s’agit d’une des obligations en application du cahier des charges établi par l’ANCT. Lorsque cette ligne directe existe, des difficultés demeurent :

« Il y a des endroits où la CAF elle-même est en difficulté, parce que pas suffisamment d’agent·es – je vous cite la CAF mais je pourrais vous citer la CPAM, les impôts, ce que vous voulez – et qui du coup n’arrivent pas non plus à répondre aux espaces France services. Et les agent·es dans ces espaces France services peuvent passer une heure avant de réussir à joindre quelqu’un de la CPAM » ([19]).

Autre difficulté : le manque d’accessibilité de certains de ces espaces en transport public, notamment pour les publics précaires, vivant sur des territoires péri-urbains ou ruraux. Dans son rapport de juillet 2022, le rapporteur du Sénat estime en effet que cette question a été « insuffisamment prise en compte », insistant sur le fait « que l’objectif d’une maison accessible à moins de 30 minutes, […] peut cependant devenir rédhibitoire faute de moyens de transport suffisants » ([20]).

Enfin, on peut s’interroger sur le dimensionnement du dispositif France services : comment ces espaces France services, dotés de deux agents et agentes chacun, peuvent-ils être en mesure d’accompagner efficacement les usagers et usagères dans leurs procédures concernant pas moins de 9 services publics ? D’autant plus que deux nouveaux opérateurs vont intégrer le système France services à partir de janvier prochain : l’Agence nationale de l’habitat, notamment pour le dispositif « Ma priv’renov », et le ministère de la transition énergétique pour la gestion des chèques énergie. Comment les agents et agentes de France services vont-ils et vont-elles pouvoir absorber l’affluence de nouveaux usagers et usagères qui pourrait en résulter ?

● Par ailleurs, pour accompagner les usagers et usagères peu à l’aise avec le numérique ou ne disposant pas des outils nécessaires, certains dispositifs spécifiques sont déployés en parallèle.

D’une part, des points d’accueil numérique (PAN) ont été mis en place dans le cadre des préfectures et sous-préfectures. Ils sont occupés par des agents de la préfecture, soit fonctionnaires, soit contractuels – parfois aussi vacataires.

Ils disposent d’ordinateurs, d’imprimantes et de scanners, et sont animés par des médiateurs qui ont pour mission de guider les usagers dans la réalisation de leurs démarches relevant du ministère de l’Intérieur. Cet accompagnement constitue surtout une « aide au clic », qui peut certes répondre à certains besoins, mais ne permet pas de résoudre de véritables problèmes administratifs.

D’autre part, dans le cadre du plan de relance, a été lancé un programme de conseillères et conseillers numériques pour les collectivités territoriales. L’État a financé entre 20 et 30 000 postes pour renforcer l’accompagnement des citoyens et des citoyennes dans ce domaine. Certains de ces conseillers et conseillères ont d’ailleurs été affectés au sein des espaces France services, ce qui brouille peut-être un peu plus la clarté du dispositif.

c.   La nécessité de prévoir des solutions de substitution à l’accès en ligne pour certaines démarches administratives

Dès 2019, le Conseil d’État, a estimé que les dispositions du code des relations entre le public et l’administration ([21]) « créent, sauf lorsqu’y font obstacle des considérations tenant à l’ordre public, la défense et la sécurité nationale ou la bonne administration ou lorsque la présence personnelle du demandeur est nécessaire, un droit, pour les usagers, à saisir l’administration par voie électronique. Elles ne prévoient en revanche aucune obligation de saisine électronique » ([22]).

Par définition, le développement des services publics numériques ne peut donc se faire au prix de la fermeture des services publics physiques.

D’ailleurs, saisi en 2021 d’un recours pour excès de pouvoir contre le décret relatif à la mise en place d’un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour ([23]), le Conseil d’État a estimé indispensable qu’une voie alternative à la dématérialisation reste ouverte :

« Eu égard aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences qu’a sur la situation d’un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, l’enregistrement de sa demande, il incombe au pouvoir règlementaire, lorsqu’il impose le recours à un téléservice pour l’obtention de certains titres de séjour, de prévoir les dispositions nécessaires pour que bénéficient d’un accompagnement les personnes qui ne disposent pas d’un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés soit dans leur utilisation, soit dans l’accomplissement des démarches administratives. Il lui incombe, en outre, pour les mêmes motifs, de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution, pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l’impossibilité de recourir au téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement » ([24]).

Par cette décision relative au cas particulier des demandes de titre de séjour des étrangers, la juridiction suprême administrative fixe en réalité un cadre général aux démarches administratives en ligne. Il reconnaît que l’obligation d’avoir recours à un téléservice pour l’accomplissement de démarches administratives peut être instaurée par le Gouvernement, mais uniquement assortie de cette obligation de garanties. Il précise ainsi que l’administration doit tenir compte de la nature de la démarche et de son degré de complexité, des caractéristiques de l’outil numérique proposé, ainsi que de celles du public concerné. Pour certaines démarches particulièrement complexes et sensibles, le Conseil d’État impose que soit prévue une solution d’accès de substitution à la voie numérique.

La solution de substitution s’agissant des demandes de titre de séjour

- Une solution de substitution, prenant la forme d’un accueil physique permettant l’enregistrement de la demande, est mise en place pour l’étranger qui, ayant accompli toutes les diligences qui lui incombent, notamment en ayant fait appel au dispositif d’accueil et d’accompagnement prévu à l’alinéa précédent, se trouve dans l’impossibilité constatée d’utiliser le téléservice, pour des raisons tenant à la conception ou au mode de fonctionnement de celui-ci.

Le ministre chargé de l’immigration fixe par arrêté les modalités de l’accueil et de l’accompagnement mentionnés au deuxième alinéa ainsi que les conditions de recours et modalités de mise en œuvre de la solution de substitution prévue au troisième alinéa (1).

- La solution de substitution mentionnée à l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est réservée aux usagers n’ayant pu déposer leur demande via le téléservice mentionné au même article, malgré leur recours au dispositif d’accueil et d’accompagnement décrit à l’article 2 du présent arrêté. Les modalités de mise en œuvre de cette solution de substitution sont fixées par le présent arrêté.

Le dossier n’est recevable que si l’usager est invité par la préfecture territorialement compétente à bénéficier de la solution de substitution, après constat de l’impossibilité technique du dépôt de sa demande via le téléservice. Par exception, l’usager peut bénéficier de la solution de substitution s’il produit, à l’appui de sa demande, un document du centre de contact citoyens attestant de l’impossibilité de déposer sa demande en ligne.

La demande de titre est alors effectuée auprès de la préfecture ou d’une sous-préfecture du département de résidence, ou, à Paris, de la préfecture de police de Paris. Un rendez-vous physique individuel est systématiquement proposé à l’étranger autorisé à déposer sa demande de titre selon cette modalité. Les modalités de prise de rendez-vous, qui comprennent au moins deux vecteurs, dont l’un n’est pas numérique, sont déterminées par le préfet.

Le préfet peut également prévoir, si l’étranger en fait la demande, le recours à un dépôt par voie postale ou par une adresse électronique destinée à recevoir les envois du public (2).

(1)    Décret n° 2023-191 du 22 mars 2023 créant une solution de substitution au téléservice mentionné à l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

(2)    Article 4 de l’arrêté du 1er août 2023 pris pour l’application de l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fixant les modalités d’accueil et d’accompagnement et les conditions de recours à la solution de substitution des usagers du téléservice « ANEF ».

2.   Une proposition de loi simple et claire qui vise à apporter des garanties législatives au maintien de ces accueils physiques dans les services publics

Les services publics représentent notre patrimoine collectif. Ils incarnent le rôle de l’État au service de l’intérêt général et assurent l’accès aux droits essentiels aux citoyens. Ils sont aussi notre futur, face aux défis civilisationnels que représente le dérèglement climatique. Protéger, renforcer et développer ces services publics sont des garanties essentielles pour maintenir notre cohésion sociale.

S’inscrivant dans la continuité des recommandations formulées par la Défenseure des droits et des récentes jurisprudences du Conseil d’État portant sur l’accès physique aux services publics, cette proposition de loi vise à apporter des garanties législatives au maintien des accueils physiques dans les services publics.

Le dispositif propose ainsi de clarifier, dans le code des relations entre le public et l’administration, l’obligation qui pèse sur cette dernière de proposer diverses modalités d’accès aux services publics. L’objectif poursuivi est simple : garantir la possibilité d’un accompagnement humain adapté tout au long des démarches administratives.

Cette mesure permettra de remédier à une approche exclusivement dématérialisée et assurera ainsi un accès effectif aux services publics pour tous les usagers et toutes les usagères, quelle que soit leur situation ou leurs difficultés.

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   Commentaire de la proposition de loi

Article 1er
Garanties apportées à la possibilité pour l’usager et l’usagère de réaliser ses démarches administratives par voie non dématérialisée

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Cet article pose un principe selon lequel toute démarche administrative doit pouvoir être réalisée de manière non dématérialisée si l’usager ou l’usagère le souhaite. Pour garantir l’application de ce principe, il propose en outre trois garanties : le maintien de plusieurs modalités d’accès aux services publics, la possibilité de saisine par courrier et de suivi physique à tout moment de la procédure, ainsi que le maintien d’une possibilité d’accès physique lorsqu’un téléservice est mis en place.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article L. 112-9, créé en 2005 ([25]), a été modifié en 2014 par l’ordonnance relative au droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique ([26]) pour prévoir certaines règles s’appliquant en cas de création d’un téléservice. Ces dispositions ont été codifiées en 2016 ([27]).

       Position de la Commission

La Commission a rejeté le présent article.

1.   L’état du droit

a.   Les règles générales relatives aux demandes du public et à leur traitement

En l’état du droit, trois règles générales sont prévues par le chapitre Ier du Titre Ier du Livre Ier du code des relations entre le public et l’administration :

– l’usage de la langue française est prescrit dans les échanges entre le public et l’administration ([28]) ;

– toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administratives de l’agent chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l’anonymat de l’agent est respecté ([29]) ;

– les correspondances de l’administration sont adressées aux personnes concernées sous leur nom de famille, sauf demande expresse de ces dernières de voir figurer leur nom d’usage sur les correspondances qui leur sont adressées ([30]).

b.   Les règles particulières à la saisine et aux échanges par voie électronique

La section 2 du chapitre II du Titre Ier du Livre Ier du code des relations entre le public et l’administration prévoit, en outre, plusieurs règles particulières relatives à la saisine et aux échanges par voie électronique entre l’administration et le public.

Cette section définit notamment un droit de saisine d’une administration par voie électronique ([31]). Pour cela, plusieurs dispositions relatives à l’identification des personnes sont précisées. La saisine par voie électronique est considérée comme régulière, et l’administration ne peut demander la confirmation ou la répétition de la demande sous une autre forme.

Toutefois, lorsqu’un téléservice est mis en place par une administration, la saisine électronique de celle-ci doit nécessairement être effectuée par cette voie ([32]). L’administration doit informer le public des téléservices qu’elle met en place et rendre accessibles leurs modalités d’utilisation, notamment les modes de communication possibles. À défaut d’information sur le ou les téléservices, le public peut saisir l’administration par tout type d’envoi électronique ([33]).

Qu’est-ce qu’un téléservice ?

L’article 1er de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives définit le téléservice comme « tout système d’information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives ».

Un téléservice constitue le « guichet d’accueil » numérique proposé par une administration, une collectivité ou un organisme en charge d’un service public, permettant aux usagers d’accomplir certaines démarches ou formalités administratives.

Il doit ainsi permettre à un usager d’obtenir une prestation, de faire valoir un droit, de satisfaire une obligation légale ou de demander un document (demande de permis de construire, inscription au ramassage scolaire, demande de logement social, demande d’attestation, paiement de droits, etc.).

Ne constituent pas un téléservice : un simple accès à des ressources documentaires numériques, un site internet diffusant des informations généralistes sur l’organisation des services administratifs (horaires d’ouverture, modalités de contact, actualités diverses, etc.), l’inscription à une lettre d’information ou à un bulletin municipal, ou encore un service permettant aux usagers d’utiliser un réseau social.

Source : CNIL

2.   Le dispositif proposé

a.   L’insertion d’une nouvelle règle générale relative aux demandes du public et à leur traitement

Le 1° de l’article 1er de la proposition de loi insère au sein du chapitre Ier du Titre Ier du Livre Ier du code des relations entre le public et l’administration un nouvel article L. 111-4, qui crée de nouvelles règles générales s’appliquant aux demandes du public et à leur traitement par l’administration.

Premièrement, ce nouvel article pose un principe selon lequel toute démarche doit pouvoir être réalisée de manière non dématérialisée si l’usager le souhaite.

Deuxièmement, il fixe deux garanties qui découlent de ce droit :

– d’une part, l’administration est tenue de maintenir plusieurs modalités d’accès aux services publics, et non pas seulement une voie dématérialisée ;

– d’autre part, elle doit assurer, à chaque étape de toute démarche administrative, la possibilité pour l’usager de demander un traitement par courrier de ses démarches, ainsi que d’être reçu et pris en charge par une personne physique dans les sites d’accueil des administrations.

b.   La garantie du maintien d’un accueil physique en parallèle de la mise en place d’un téléservice

Le 2° de l’article 1er modifie l’avant-dernier alinéa de l’article L. 112-9 du code des relations entre le public et l’administration.

Il supprime la rédaction actuelle, en application de laquelle la saisine d’une administration par voie électronique doit être effectuée par l’usage du téléservice lorsqu’il a été mis en place.

Il prévoit d’y substituer une nouvelle règle, selon laquelle lorsqu’un téléservice est mis en place, l’administration doit maintenir et garantir une possibilité d’accès physique au service correspondant.

3.   La position de la Commission

La Commission a rejeté cet article.

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Article 2
Gage financier

Rejeté par la Commission

Le présent article prévoit, pour des raisons procédurales, un gage financier afin de compenser par une recette d’un montant équivalent la charge pour l’État, pour les collectivités territoriales et pour les organismes de sécurité sociale, qui résulterait de l’application de la présente proposition de loi.

Il est proposé que cette compensation soit effectuée par une majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services, ainsi que par la création d’une taxe additionnelle à cette accise.

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Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 22 novembre à 9 heures, la commission examine la proposition de loi tendant à la réouverture des accueils physiques dans les services publics (n° 1773) (Mme Danièle Obono, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/n7V6Vi

M. le président Sacha Houlié. Nous examinons les propositions de loi relevant de la commission des lois et inscrites à l’ordre du jour de la journée réservée du groupe La France insoumise le 30 novembre.

Le groupe La France insoumise a retiré de son ordre du jour l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi constitutionnelle, modifiée par le Sénat, visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, après que le Président de la République a annoncé la présentation d’un projet de loi constitutionnelle du Gouvernement au Conseil des ministres du 11 décembre et s’est engagé à l’inscrire à l’ordre du jour d’un Congrès en mars 2024. Nous ne l’examinerons donc pas ce matin.

Mme Danièle Obono, rapporteure. « Je crois qu’il nous faut continuer d’avoir une administration et une action publique à portée de femmes et d’hommes. […] Ce qui est demandé, ce sont des visages familiers, humains, qui portent ces décisions en responsabilité aux côtés de nos concitoyens. » Au printemps 2021, dans une France encore en confinement et marquée par les revendications des gilets jaunes, cette déclaration du Président de la République ne pouvait qu’emporter une adhésion unanime, cette vision du service public étant largement partagée.

Mais, dans le quotidien des habitants, fonctionnaires, bénévoles et salariés d’associations que j’ai rencontrés partout en France ces six derniers mois, il est moins question de visages familiers ou d’action publique à portée de femmes et d’hommes que de portes closes, de boîtes vocales saturées, d’impossibilité d’obtenir un rendez-vous, de délais de traitement déraisonnables et d’obligation de passer par le numérique. Il existe un décalage parfois abyssal entre les paroles et une certaine réalité, que résume la coordinatrice de l’association Zy’Va à Nanterre, Houria Rahmouni Benahmed : « On parle de dématérialisation, moi je parle de déshumanisation du système. On ne met plus personne devant les gens. On les laisse se débrouiller, avec des moyens auxquels ils n’ont pas accès. » J’ai entendu des propos du même type à Auxerre, à Lure, à Toulouse, au Mans, à Forcalquier, à Marseille, à Saffré, à Tarbes, à Pamiers, à Villeurbanne et à Vénissieux, à Vaulx-en-Velin, à Lille et à Roubaix, ou encore à Tours, et je suis sûre que de nombreux collègues aussi, dans leur circonscription.

La numérisation et la dématérialisation apportent de nombreux progrès. Ces canaux d’interaction facilitent le quotidien et comportent des bénéfices incontestables pour quiconque est à l’aise avec le numérique et se trouve dans une situation administrative simple. Ils permettent d’alléger le travail des agents et des agentes, et de leur dégager du temps pour un accompagnement plus attentif et personnalisé.

Mais, pour un nombre significatif de nos concitoyens et de nos concitoyennes, la dématérialisation – qui s’accompagne souvent de la fermeture de guichets de proximité, donc de la suppression de tout contact humain – se traduit par un grave recul de l’accès à leurs droits. Ce constat n’est pas l’expression du ressenti de Français et de Françaises nostalgiques, qui n’accepteraient pas de voir le service public évoluer avec son temps. Il est objectif et documenté, en premier lieu par la Défenseure des droits, qui a étudié les effets de la dématérialisation des procédures administratives entre 2019 et 2022, dates de publication de deux rapports consacrés au sujet. L’institution y pointe la gravité d’une situation de rupture d’accès aux droits pour des millions de personnes. La qualité des sites et des procédures dématérialisées souffre de lacunes considérables. Des millions d’usagers et d’usagères n’ont tout simplement pas accès aux procédures dématérialisées, par défaut de couverture internet, d’un débit suffisant, d’équipement ou de connexion, par manque d’aisance avec les outils informatiques ou par manque de compréhension de ce qu’attend la machine. Certaines personnes qui étaient en mesure d’effectuer leurs démarches seules ne le sont plus.

Les récents travaux consacrés à l’exclusion numérique estiment à 13 millions le nombre de personnes en difficulté avec le numérique dans notre pays. Selon le baromètre du numérique 2022, la part des personnes peinant à effectuer des démarches en ligne a augmenté : 54 % des personnes, soit une hausse de 19 points, éprouvent au moins une forme de difficulté qui les empêche d’effectuer des démarches en ligne. Différentes sortes de personnes sont concernées. On pense souvent, en premier lieu, aux personnes âgées. Mais les jeunes sont moins à l’aise qu’on ne le croit avec l’administration dématérialisée. Les moins de 25 ans sont même plus en difficulté que le reste de la population pour effectuer des démarches administratives sur internet. En 2020, année de crise sanitaire, un quart des 18-24 ans indiquait rencontrer des difficultés pour effectuer seul des démarches en ligne, soit 14 points de plus que la moyenne nationale. Les personnes détenues n’ont pas vu leur situation s’améliorer. Les personnes étrangères sont encore plus massivement empêchées d’accomplir des démarches pourtant nécessaires à leur vie quotidienne et au respect de leurs droits fondamentaux. Les personnes handicapées, qui n’ont toujours pas affaire à des services publics accessibles, restent structurellement pénalisées par le développement de l’administration numérique. Enfin, les démarches numériques apparaissent parfois comme un obstacle insurmontable pour les personnes en situation de précarité sociale, alors même que l’accès aux droits sociaux et aux services publics revêt pour elles un caractère essentiel. Si les plus éloignés du numérique souffrent le plus, tout le monde peut être ponctuellement concerné. Se trouver en difficulté pour mener à son terme une procédure administrative dématérialisée, qu’il s’agisse d’obtenir des documents administratifs – passeport, carte grise… – ou des prestations sociales, de mobiliser des dispositifs fiscaux ou de respecter certaines obligations, est devenu une réalité assez banale.

Des centres urbains denses aux campagnes désertifiées, la dématérialisation à marche forcée met à mal les fondements de notre service public. Continuité, égalité, adaptabilité : ces grands principes, censés guider les services publics, sont de plus en plus bafoués. Quelle continuité, quand les usagers et les usagères se retrouvent face aux guichets fermés de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) d’Île-de-France ou quand, à Lille, un appel à la caisse d’allocations familiales (CAF) a moins d’une chance sur deux d’aboutir ? Quelle égalité, quand 22 % de la population ne disposent ni d’un ordinateur, ni d’une tablette à domicile, et quand 15 % n’ont pas de connexion internet ? Quelle adaptabilité, quand il revient désormais à l’usager ou à l’usagère de se substituer à l’administration et de trouver les moyens de se former, de se faire aider, de faire, d’être capable ?

Cette situation n’est pas une « erreur système », mais le résultat de choix politiques. Après trois décennies de transformation numérique de l’action publique, ces effets délétères sont de plus en plus marqués. Sous couvert de modernisation, le logiciel néolibéral a fait de la dématérialisation un outil de démantèlement, de désorganisation et de réduction des services publics. Les suppressions brutales de postes lors de la révision générale des politiques publiques et de la réforme de l’administration territoriale de l’État sous Nicolas Sarkozy ont été suivies par celles liées à la modernisation de l’action publique de François Hollande. La politique d’Emmanuel Macron poursuit ce travail. Selon la Cour des comptes, les effectifs de l’administration territoriale de l’État sont passés de 82 429 équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT) à 70 666 entre 2012 et 2020, soit une réduction de 14 %.

Sur le terrain, les agents et les agentes ont bien perçu l’effet de ces réductions de postes, mais peinent à voir les gains de productivité pour leur travail quotidien. Les guichets ferment, certes. Mais les dossiers restent, avec une fâcheuse tendance à l’accumulation. C’est ce que nous ont rapporté les agents et les agentes chargés de l’indemnisation à Pôle emploi Île‑de‑France, où une baisse de charge de travail importante avait été anticipée du fait de la dématérialisation, de l’automatisation et de l’externalisation de certaines tâches. Entre 2015 et 2018, la baisse planifiée était de l’ordre de 39 %. En revanche, il n’avait pas été envisagé qu’à défaut de se rendre au guichet, les usagers et les usagères passeraient en plus grand nombre par les canaux numériques. Le résultat a été une hausse de 287 % des flux de mails, de 157 % des flux téléphoniques entrants et de 1 227 % des flux sortants pendant cette période.

Les témoignages sont les mêmes s’agissant des agentes et des agentes d’accueil physique de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), qui sont passés en « tout rendez-vous ». Malgré des critères restrictifs d’obtention d’un rendez-vous et des directives incitant à privilégier les appels téléphoniques, les délais sont de trois semaines à Paris, faute de personnel suffisant. Ce temps d’attente est insupportable pour des assurés, dont le versement des indemnités dépend souvent de l’issue de ce rendez-vous. Les 1 700 suppressions de postes annoncées dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion de l’assurance maladie pour 2023-2027 n’amélioreront pas la situation.

Pôle emploi, l’assurance maladie, les préfectures, la CAF, les finances publiques, les caisses de retraite, la répression des fraudes : la liste des services publics dans lesquels les agents et les agentes sonnent l’alarme est un indicateur de l’ampleur du problème. Tous font état des mêmes problématiques – surcharge de travail, perte de sens, manque de formation, augmentation du stress et des burn-out, difficultés de recrutement.

La dématérialisation à marche forcée comme elle est conduite depuis trente ans est aussi une maltraitance des agents et des agentes de la fonction publique. La violence n’est pas moins grande de l’autre côté du guichet. L’éloignement des usagers et des usagères de leurs services publics approfondit des fractures sociales déjà béantes. L’augmentation des non‑recours, la quasi-impossibilité de contester une suspension de droits, ou l’augmentation des délais de traitement des dossiers accroissent les difficultés financières, sanitaires, ou d’insertion professionnelle des personnes qui les subissent – généralement, les plus précaires.

Par ce désengagement, l’État envoie un message clair aux citoyens et aux citoyennes : débrouillez-vous, auto-administrez-vous ! Dans ce contexte, les réseaux de solidarité prennent le relais et apportent un soutien aux personnes qui n’obtiennent pas de réponse ou ne sont pas en mesure de suivre le train de la numérisation. Celles-ci s’appuient sur les familles, sur les amis, sur les associations ou sur les travailleurs et les travailleuses sociales. Le report se fait en cascade. Les administrations aux portes closes renvoient vers les structures sociales locales, lesquelles, débordées et en manque de personnel, renvoient vers les structures associatives, à bout de souffle et en incapacité de répondre à toutes les demandes. Pour les personnes qui n’ont pas trouvé d’écoute, il ne reste plus qu’à se tourner vers des proches, à baisser les bras ou à se débrouiller comme elles peuvent.

Des agents et agentes des services publics à la Défenseure des droits, des médias aux petites structures associatives locales, ils sont nombreux à alerter depuis un certain temps sur ces problématiques. « Depuis 2017 », répondait en juin la Première ministre Élisabeth Borne, « nous avons agi pour la cohésion de nos territoires, pour revitaliser les centres-bourgs et les centres-villes, pour le retour des services publics avec les espaces France Services. » La création de ces 2 600 guichets uniques dits de proximité confirme l’existence d’un manque structurel, qui n’est que partiellement comblé par ce dispositif.

D’abord, le réseau France Services est sous-dimensionné compte tenu des réductions d’effectifs et des fermetures de services opérées depuis trente ans. On voit mal, en effet, comment la présence d’un espace France Services par canton, avec deux conseillers ou conseillères vingt-quatre heures par semaine, pourrait compenser la suppression des sites physiques des opérateurs de la protection sociale, de l’ordre de 27 % pour la branche famille, 39 % pour la branche maladie et 50 % pour la branche vieillesse entre 2014 et 2018.

Ensuite, la direction interministérielle de la transformation publique reconnaît que le dispositif France Services souffre d’un manque de notoriété. Gageons que la récente campagne de communication le fera mieux connaître. Mais comment envisager que ces structures, qui doivent accompagner les usagers et les usagères auprès d’un minimum de neuf services publics avec les moyens qui sont les leurs, puissent absorber les besoins énoncés plus haut ?

Le dispositif est également sous-financé. Le Gouvernement a pris l’engagement de relever la part des financements de l’État dans les espaces France Services, mais elle devrait difficilement atteindre 50 % d’ici à 2026. Comment ne pas voir, dans ce modèle de financement, la volonté de l’État d’utiliser ce dispositif pour se décharger de sa responsabilité financière en matière de services publics auprès de collectivités locales déjà en difficulté financière ?

Enfin et surtout, ce service est peu efficace pour les cas les plus complexes. Les conseillers et conseillères, qui ne bénéficient que d’une formation de cinq jours – bientôt allongée à dix jours –, accomplissent un travail important et apprécié d’orientation et de levée des appréhensions. C’est un peu le niveau 1 de la réponse publique. Mais cela ne peut combler les milliers de postes de techniciens et de techniciennes de chaque administration qui font défaut. Cela ne permet pas non plus de résoudre les dossiers les plus complexes, qui concernent les publics les plus précaires. Plus l’on est précaire, plus l’on a de démarches administratives à faire et plus il faut fournir des papiers et remplir des dossiers pour justifier de sa situation. Or, les conseillers et les conseillères de France Services n’ont pas la capacité de répondre à ces demandes, qui sont plutôt de niveau 2 et 3.

En somme, la création de ces espaces ne constitue pas une réponse suffisante aux besoins énoncés non seulement par les associations et par la Défenseure des droits, mais aussi par le Conseil d’État. Le 3 juin 2022, saisi par des associations d’aide aux étrangers et aux étrangères au sujet de l’imposition du numérique pour l’accès à des titres des séjours, il a ainsi estimé indispensable qu’une voie alternative à la dématérialisation reste ouverte. Un an plus tard, dans son rapport annuel, il mettait solennellement en garde contre « le fossé qui s’est creusé entre l’action publique et les usagers ».

Les services publics représentent notre patrimoine collectif. Ils incarnent le rôle de l’État au service de l’intérêt général. Ils assurent l’accès aux droits essentiels pour les citoyens et les citoyennes. Ils marquent, par leur présence physique, l’expression directe des principes fondateurs de la République. Protéger, renforcer et développer ces services est essentiel pour maintenir notre capacité à vivre en communauté.

S’inscrivant dans la continuité des recommandations formulées par la Défenseure des droits et des récentes jurisprudences du Conseil d’État, la présente proposition de loi vise à apporter des garanties législatives au maintien des accueils physiques dans les services publics. L’objectif poursuivi est simple : garantir la possibilité d’un accompagnement humain adapté tout au long des démarches administratives. Cette mesure permettra de remédier à une approche souvent exclusivement dématérialisée. Elle assurera ainsi un accès effectif aux services publics pour tous les usagers et toutes les usagères, quelles que soient leur situation ou leurs difficultés. Alors que 91 % des Français et des Françaises y sont favorables, en votant pour cette proposition de loi, nous répondrons aux besoins de la population, nous ferons œuvre commune en consolidant le ciment fondamental de notre République et, ainsi, nous œuvrerons à l’intérêt général.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Cette proposition de loi tendant à la réouverture des accueils physiques dans les services publics prévoit que toute démarche administrative doit pouvoir être effectuée de manière non dématérialisée si l’usager le souhaite, l’administration devant y garantir un accès physique.

Concernant l’importance de maintenir plusieurs modalités d’accès aux services publics, nous partageons votre constat. C’est d’ailleurs pour cela que nous agissons depuis 2017. Nous ne le découvrons pas avec cette proposition de loi. L’accélération de la transformation numérique de l’administration et de la dématérialisation des services publics représente une révolution pour les mentalités et les pratiques. Ces phénomènes conjoints de la modernisation de l’État entraînent une évolution profonde de la relation à l’usager.

Comme vous le soulignez, une part de nos concitoyennes et de nos concitoyens rencontre des difficultés dans l’utilisation des outils numériques. L’illectronisme concernerait 15 % de la population. Le rapport de la Défenseure des droits, que vous citez une dizaine de fois dans votre proposition de loi, en souligne les risques en matière d’accès aux droits. Nous ne pouvons accepter que certaines personnes entretiennent une relation subie avec le numérique. Aussi continuons-nous à agir contre la fracture numérique et considérons-nous le numérique comme un moyen de simplification pour l’accès aux services publics, qui ne remplace pas un guichet physique, mais va de pair avec lui..

Vous évoquez également les espaces France Services. Afin d’assurer à toutes et à tous un accès aux services publics à moins de trente minutes, avec un accompagnement personnalisé pour les démarches de la vie quotidienne, le Président de la République a annoncé la généralisation de ce dispositif en avril 2019. Vous indiquez que les objectifs fixés sont loin d’être atteints et vous parlez d’une « arnaque de ce service public dégradé ». Pourtant, l’objectif affiché en 2019 était de 2 500 labellisations, avec l’implantation d’une maison France Services par canton d’ici à la fin de 2022. D’après le rapport annuel du Conseil d’État de septembre 2023 consacré à l’usager du premier au dernier kilomètre, que vous ne citez pas dans la proposition de loi, l’objectif est atteint. Avec 2 543 espaces France Services, 99 % des Français se trouvent à moins de trente minutes d’une maison France Services.
Le Conseil d’État précise qu’il s’agit d’un succès à consolider, et que les usagers des maisons en sortent satisfaits à 93 %, loin de la déshumanisation du système que vous évoquiez.
Ces maisons France Services assurent une proximité et une accessibilité des services publics partout dans le territoire, pour nos concitoyennes et nos concitoyens les plus éloignés.
Par ailleurs, des bus France Services constituent une sorte d’administration itinérante au plus près des habitants, dans la logique du « aller vers ».

Vous expliquez, dans l’exposé des motifs, que la numérisation sert une politique de casse du service public. Nous y voyons, au contraire, un progrès vers un meilleur accès aux services publics et pour garantir l’effectivité des droits. C’est le sens de la solidarité à la source que prévoit le versement automatique des prestations sociales. Cette promesse de campagne d’Emmanuel Macron se décline à travers l’expérimentation des Territoires zéro non-recours et par l’affichage, sur la fiche de paie, du montant social net. En outre, le dispositif Dites-le nous une fois s’inscrit dans cette même logique de lutte contre le non-recours aux prestations et de simplification des démarches, pour que les usagers ne soient pas dans l’obligation de donner plusieurs fois les mêmes informations à l’administration.
Il facilite l’échange de données entre les différents services. L’an dernier, pourtant, votre groupe a voté contre la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS, visant à accélérer ces démarches de simplification pour nos concitoyennes et nos concitoyens.

Enfin, vous observez à juste titre que la couverture numérique des territoires n’est pas homogène. C’est la raison pour laquelle le déploiement de la fibre optique est amplifié et s’accélère grâce au plan France très haut débit, avec un objectif de généralisation en 2025.

La numérisation des services publics n’étant pas synonyme de dématérialisation intégrale, encore moins de cache-misère de la destruction du service public, mais plutôt de simplification d’accès, notre groupe votera contre votre proposition de loi.

Mme Géraldine Grangier (RN). La réouverture des accueils physiques dans les services publics est une priorité que nous partageons, au Rassemblement national. Oui, il faut rouvrir les accueils physiques dans les services publics. Oui, dans l’ensemble de nos départements, les Français pleurent leurs services publics. Ils en ont assez de la dématérialisation et des services vocaux. Ils veulent retrouver un accueil physique, dans lequel ils seront traités en citoyens.

Nous partageons votre constat, madame le rapporteur. Les gouvernements successifs ont fermé tous les guichets de service public – la poste, la gendarmerie, les impôts, les points d’accueil des CAF et des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), etc. Pour optimiser les ressources et obéir à des logiques comptables, ils ont remplacé l’accueil physique du public à des guichets par des alternatives comme l’accueil téléphonique et les sites internet.
Ils ont oublié les grands principes du vrai service public, celui auquel nous sommes attachés et qui a pour valeurs la continuité, l’égalité, l’adaptabilité et l’accessibilité. Celles-ci ont été remplacées par l’optimisation, la modernisation et la transformation. Nous en voyons les résultats désastreux. Le Défenseur des droits en a témoigné, l’accès aux droits des usagers s’effondre. On découvre régulièrement, dans les journaux ou à la radio, des situations ubuesques de rupture de droits : des retraités ne bénéficiant pas de leur retraite, des services publics injoignables. Bref ! L’objectif de cette République en déclin est de proposer à nos compatriotes, souvent les plus fragiles, les plus âgés, de la ruralité et des cités, un service public à bas coût. Ici, pas d’accueil personnalisé, juste un robot au bout du fil – au mieux, un centre d’appel avec lequel on passe des heures à articuler des mots et à taper 1, 2 ou 3. Il y a bien le recours à internet, mais là encore, le Défenseur des droits dénonçait en 2022 la gravité de la situation, la dématérialisation étant responsable des ruptures de droits.

Certes, les maisons France Services devaient apporter une solution à l’éloignement des services publics, mais le rapport du Sénat que vous citez est éloquent : ce service public, vanté aux élus désespérés par la disparition des administrations, est inadapté et sous-financé par l’État. Ses moyens sont dérisoires. C’est, là encore, une solution illusoire créée pour des territoires qui se sentent méprisés et déclassés. Les mesures alternatives ne peuvent être présentées comme un progrès, mais comme une régression. En ce sens, nous vous rejoignons, madame le rapporteur. Rappelons-nous que le président Emmanuel Macron avait déclaré, la main sur le cœur, que « nos services publics devront apporter l’espérance d’une vie meilleure ». Mais, comme l’écrit Julie Gervais, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, « la fermeture des services publics crée une sous-France de zones désertées où les habitants se sentent hors-jeu, humiliés ». Je le crois fermement, et pense avec elle que le new public management a produit les mécanismes de dégradation des services publics.

L’accès aux services publics, c’est l’accès aux droits des citoyens à être aidés et défendus. C’est la proximité d’un guichet, sans logique comptable et gestionnaire. La seule solution est donc la réouverture des accueils physiques. Pour notre groupe, il n’existe pas de sous-citoyen et les maisons France Services ne peuvent pas légitimer la fermeture des services publics avec du personnel dédié et spécialisé.

Nous soutiendrons ce texte.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il n’y a pas de République sans service public. Ce n’est pas un slogan, mais un principe simple et essentiel. Bien qu’au cœur des préoccupations de nos concitoyennes et de nos concitoyens, il est mis à mal par la politique de dématérialisation des services publics adoptée par les gouvernements successifs depuis plusieurs années. Cette tendance à la dématérialisation s’est même accélérée avec l’épidémie de covid-19, au moment même où l’isolement des personnes était le plus cruellement ressenti.

L’article 1er de la Constitution consacre la France comme « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». J’insiste sur ce dernier adjectif, car il ne s’agit pas simplement de consacrer un droit formel, mais d’affirmer que les droits doivent être effectifs. Le service public est, précisément, la concrétisation des droits.

Nous sommes égaux en droits. D’aucuns ajouteraient en théorie, mais nous ne vivons pas en théorie. Nous devons être égaux, en fait et à tout le moins, devant nos droits. En tout point du territoire, les citoyens doivent avoir accès à leurs droits. C’est cela, le service public. Mais aujourd’hui, en France, cet accès est synonyme de galère et même de désespoir pour beaucoup d’entre nous. Comment se nourrir quand on n’a plus accès à sa pension de retraite ? Comment se loger quand on n’a plus accès à ses aides au logement ? Comment trouver un emploi quand on ne peut plus renouveler son titre de séjour ? Comment rester digne quand l’accès aux droits est abîmé et quand le seul interlocuteur qui reste est un formulaire en ligne ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Entre 2014 et en 2018, les sites physiques des opérateurs de la protection sociale ont été réduits de 27 % pour la branche famille, de 39 % pour la branche maladie et de 50 % pour la branche vieillesse. Les représentants des agents de ces organismes sonnent l’alarme depuis longtemps, et décrivent le même procédé : on coupe dans les effectifs, on mutualise les services, on met les agents en échec, on sous-traite.
Pas besoin d’être devin pour comprendre que la dernière étape est la privatisation pure et simple, par l’externalisation du service. « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. »

La qualité et la rapidité de service qu’offre la dématérialisation ne sont qu’un prétexte à l’importation de la logique marchande dans nos services publics, laquelle est par essence le contraire du principe d’égalité. Elle distingue les usagers selon leurs ressources, leur lieu de vie et leur agenda. Elle engendre aussi de la souffrance chez les salariés et les fonctionnaires de ces organismes, à qui l’on dit de faire le contraire de ce pour quoi ils sont salariés. Ce ne sont pas les maisons France Services actuelles qui pourront, à elles seules, résoudre ces problèmes, pour les raisons énoncées par Danièle Obono, mais aussi parce qu’il s’agit d’une sous-traitance du service public à peine déguisée. Certaines maisons sont pilotées par des associations et par des collectivités locales et d’autres, par des sociétés privées comme La Poste, elle-même privatisée naguère. La manœuvre est grossière ! Certains employés des maisons France Services ont, certes, le statut d’agent de la fonction publique territoriale, mais ils sont le plus souvent salariés de droit privé. On organise la rupture d’égalité entre les agents, comme on prend acte du renoncement à servir le public à égalité.

Par cette proposition de loi, dont le principe est validé par plus de 90 % de la population, nous proposons de revenir au fondement de la République sociale : garantir un accueil physique obligatoire pour tous les services publics, une présence humaine à la hauteur des besoins pour tous les guichets – assurance vieillesse, allocations familiales, assurance maladie, préfecture, finances publiques et bien d’autres. En juin 2022, le Conseil d’État a tranché en faveur de cette idée s’agissant des préfectures. Bien sûr, l’usage de télé-services par l’administration est légal. Toutefois, il ne peut être obligatoire. Une solution de substitution effective et crédible doit toujours être proposée. Cette décision a été confirmée depuis par d’autres jugements, mais n’est toujours pas respectée partout – raison pour laquelle le législateur doit assumer sa responsabilité.

La réouverture des accueils physiques est seule à même de garantir un service public de qualité. Comme l’a martelé la Défenseure des droits, le seul moyen de respecter les droits des usagers est de garantir « principe de double entrée dans les services publics » soit, tout simplement, la réouverture des accueils physiques.

M. Raphaël Schellenberger (LR). L’objet de cette proposition de loi, intéressant, constitue un vrai sujet de travail pour notre commission, mais je suis mal à l’aise avec le chemin que prennent certaines interventions, qui tentent de tout critiquer sans distinction.
Cet objet, c’est celui de l’accessibilité de nos services publics. Il ne s’agit pas de faire le procès du numérique. Je ne l’espère pas, en tout cas, car la numérisation de notre administration était nécessaire. Quand de nouveaux outils apparaissent, l’État doit s’en saisir et les utiliser pour améliorer l’efficacité de son action. Nous espérons tous un État efficace et opérant, et le numérique l’y aide. Il peut aussi l’aider à être plus accessible. Pour nombre de nos concitoyens, c’est un moyen d’accès à l’administration plus facile que le guichet physique ou le téléphone. C’est aussi une réalité. Il faut l’affirmer : certains services publics sont plus facilement rendus et plus faciles d’accès grâce au numérique.

Cependant il existe un impensé, celui de l’alphabétisation numérique de notre pays. Quand un nouveau média apparaît, il faut du temps pour que chacun puisse se l’approprier. Il faut aussi du temps pour approcher ce qu’il est, avec ses atouts et ses carences. Or, nous avons voulu aller trop vite dans la numérisation de la relation entre l’administration et ses administrés. De ce point de vue, il est bon que le législateur se prononce sur le principe du maintien en toutes circonstances de la possibilité d’accès, pour les administrés, à un conseil physique humain et direct.

Chez Les Républicains, nous sommes favorables à ce principe, que nous avons d’ailleurs toujours défendu. Prenons garde à ce que ces débats ne fassent pas le procès du numérique, qu’on accuserait de tous les maux, y compris celui de vouloir démanteler le service public. Au contraire, nous avons besoin de la modernité de nos administrations pour améliorer l’efficacité de son action.

Mme Mathilde Desjonquères (Dem). Depuis la crise sanitaire, l’État a accéléré la transformation des services publics pour que chacun puisse y accéder depuis chez soi. La dématérialisation des services publics permet d’effectuer des démarches administratives et d’avoir accès aux informations quand on le souhaite. Dans notre société de l’immédiateté, cela répond aux attentes de nos concitoyens. Même si le mode d’accès privilégié reste le guichet, la proportion d’usagers utilisant internet augmente chaque année. En 2018, la répartition des accès était de 57 % par un guichet et de 36 % par un site internet, en augmentation de 12 points entre 2014 et 2018.

L’objectif de cette évolution technologique est aussi de renforcer la sécurité et d’apporter des services plus avancés. Dans cette optique, la question de la couverture numérique est capitale, notamment dans les territoires ruraux, comme le souligne le rapport d’évaluation des services publics en ruralité que j’ai rendu début avril avec Pierre Morel-À-L’Huissier. Le plan France très haut débit a incontestablement permis d’accélérer cet état de fait, s’il est encore en cours de finalisation. Optimisation, efficacité, simplicité : tel est le triptyque que nous avons tous à l’esprit lorsque nous parlons de services publics. La dématérialisation présente de nombreux avantages, comme la simplification des démarches administratives, la possibilité d’accomplir ces démarches à tout moment, un accès simplifié à la formation, ou la rapidité des échanges.

Néanmoins, dans un rapport de 2019, la Défenseure des droits avait alerté les pouvoirs publics quant aux risques d’une transformation numérique à marche forcée. En effet, la dématérialisation croissante des services publics présente deux risques majeurs : donner le sentiment que l’administration se déshumanise et s’éloigne des citoyens de certains territoires ; éloigner davantage du service public les usagers rencontrant des difficultés dans l’utilisation des outils numériques – parce qu’ils n’ont pas accès aux équipements, parce qu’ils peinent à s’en servir, parce que leur zone est mal couverte par le réseau internet ou parce qu’ils maîtrisent mal la langue française.

Le groupe Démocrate partage la préoccupation de garantir l’accès de chacun et chacune aux services publics, mais s’oppose à l’idée selon laquelle la numérisation se fait nécessairement au détriment l’usager.

En avril 2019, à l’issue du grand débat national, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé la création de maisons France Services dans chaque canton d’ici la fin de son quinquennat, soit environ 2 000 structures. Au 1er février 2021, plus de 1 123 maisons France Services ont ouvert. Elles permettent aux usagers d’accéder à un bouquet de services dans un même lieu. L’objectif est de rapprocher les services publics des citoyens, en particulier dans les zones rurales et dans les quartiers prioritaires, mais aussi d’accompagner les personnes en difficulté dans leurs démarches en ligne et de les former à l’utilisation de l’outil numérique.

La dématérialisation vise à permettre aux usagers d’être autonomes et aux agents de se dégager du temps pour aider les usagers qui ont besoin d’être accompagnés dans leurs démarches administratives. Elle ne remplace pas l’humain, mais elle réoriente les missions des agents comme les lignes budgétaires. Derrière internet, il y a nécessairement la main de l’homme. Réduire la dématérialisation à la casse du service public est un leurre. L’administration s’oblige déjà à proposer un accès aux services publics par plusieurs canaux – physiques, numériques et téléphoniques – partout en France. Chaque usager peut donc choisir l’accès qui lui convient le mieux sans qu’il soit déboussolé. Cette proposition de loi ne faciliterait pas la vie des Français. La faciliter, c’est garantir une adaptabilité pour l’égalité de chacun dans l’accès aux services publics.

D’ici à décembre, plus de 2 700 maisons France Services seront ouvertes dans tout le territoire. De ce fait, le dispositif proposé est déjà satisfait. Évoquer son amélioration et son développement est autre chose. De la même façon, le renoncement au service au numérique constituerait un net retour en arrière pour la grande majorité des Français qui privilégie le canal numérique pour effectuer ses démarches administratives. Au retour en arrière, privilégions plutôt une vision généreuse, ambitieuse et optimiste pour nos concitoyens.

Le groupe Démocrate ne votera pas ce texte.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Vous identifiez un problème récurrent, maintes fois dénoncé. Les réponses apportées, car elles existent, ne suffisent pas à réduire la fracture numérique. Ce n’est pas la dématérialisation qui pose problème. La culture du numérique est avec nous et devant nous. Elle n’est sans doute pas suffisamment diffusée et nous n’avons pas mesuré toutes ses conséquences pour les usagers, mais aussi pour les consommateurs – car le secteur privé n’a pas su non plus apporter les bonnes réponses.

Un service présentiel doit être proposé aux côtés d’un service numérique, nous n’avons cessé de le répéter. Les agences France Services ne répondent à cette exigence que de manière imparfaite. Nous devons envisager des cités administratives de la ruralité. Il n’est pas question que les métropoles puissent bénéficier de l’ensemble des services, tandis que dans la ruralité, les sous-préfectures ferment ou se vident de leurs agents. Cela pose aussi la question de l’attractivité pour la fonction publique, et de ce qu’est devenu le service public. Dans quelques années, le service public sera-t-il la dématérialisation ? La perte de l’esprit du service public est préoccupante. L’usager n’exige même plus le service public. Il en a fait son deuil dans certains domaines. Le texte relatif à l’immigration et à l’accueil des étrangers dans les préfectures est symptomatique. Les permanences voient arriver des étrangers qui ne savent pas à quelle porte frapper et qui sont dans l’impossibilité d’effectuer une démarche numérique. Il s’agit de garantir la dignité du citoyen. Quel qu’il soit, il doit pouvoir faire valoir ses droits, ou à tout le moins obtenir une réponse quant à un droit auquel il pourrait prétendre.

On observe une dérive inquiétante. Moins il y a d’accueils physiques, plus des réseaux se créent. On m’a parlé de pots-de-vin versés pour obtenir un rendez-vous. J’ignore ce qu’il en est, mais cette question est majeure, comme est majeur le maintien de la notion de service public. Ce n’est ni une opposition aussi farouche que celle qui s’est exprimée ce matin, ni une accusation qui permettra d’avancer dans ce dossier. Au contraire, un travail d’accompagnement est nécessaire.

Mon groupe votera ce texte.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). J’entends, ici ou là, le fameux « c’était mieux avant ». Mais où était-ce mieux avant, dans quel monde ? Avant, où un guichet unique donnait-il accès à la CAF ou à Pôle emploi ? Peut-être dans des lieux privilégiés. En milieu rural, en revanche, nous n’en avons jamais eu. Dans quelles communes retirées, un bus permettait-il d’avoir accès à des services publics ? On peut tout brosser en noir, mais nous avons la responsabilité de regarder la réalité telle qu’elle est, de constater les progrès et d’identifier ce qu’il reste à faire, notamment pour le dernier kilomètre.

Comment affirmer que la situation est catastrophique, alors que jamais autant d’efforts n’ont été consentis pour l’accompagnement numérique et pour la collaboration entre l’État et les collectivités locales. Le fait est que l’on essaie de réparer ce qui a été fait depuis trente ans, territoire par territoire. Les élus locaux et les services de l’État sont convaincus qu’il est nécessaire d’accompagner les personnes âgées, mais aussi les jeunes qui savent utiliser un téléphone portable, mais pas effectuer des démarches en ligne.

Affirmer que rien n’a été fait et que tout était mieux avant n’a pas de sens et n’est pas constructif. Pourquoi remettre des personnes physiques partout où elles étaient, alors que des améliorations ont été permises par la dématérialisation ? Pour certains, c’est une vraie avancée. On n’est ainsi plus obligé de faire la queue, contrairement à ce qui se passait auparavant. On peut aussi répondre à des attentes plus précises.

Mieux travailler, c’est aussi faire en sorte que non seulement nos opérateurs, mais aussi les entreprises publiques, devenues privées, soient accessibles.

Dans le cadre de la mission que m’a confiée la Première ministre et en lien avec Bernard Delcros, sénateur du Cantal, j’ai visité le Pimms – point d’information médiation multiservices – d’Évry, qui rassemble tous les opérateurs, y compris d’énergie. Cela fonctionne bien mieux qu’avant ! J’accueille avec enthousiasme la prise de conscience de l’État, des collectivités locales et de ces entreprises quant à la nécessité de travailler ensemble et de progresser afin de répondre aux attentes de nos concitoyens.

Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Ce texte introduit des dispositions qui obligent l’administration à maintenir plusieurs modalités d’accès aux services publics, afin qu’aucune démarche administrative ne soit accessible que par voie dématérialisée.

Nos concitoyens nous adressent régulièrement leurs sollicitations, que nous relayons à l’Assemblée nationale – en vain –, notamment lors de l’examen des projets de loi de finances (PLF). Face à la fracture numérique qui aggrave la fracture administrative résultant de disparités sociales ou générationnelles, assurer à tous les usagers la possibilité de demander un traitement par courrier de ses démarches et d’être reçus et pris en charge par une personne physique dans les sites d’accueil des administrations est la base d’un service public digne de ce nom, au service de tous les publics. C’est la meilleure façon de garantir les principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité, triptyque qui définit le service public français.

C’est d’ailleurs par souci d’égalité et d’adaptabilité que ce texte propose la concomitance d’un téléservice et du droit des usagers à s’adresser et à être reçu par une personne physique pour effectuer leurs démarches administratives, avec ou sans rendez-vous. Il ne faut pas réduire ce texte comme certains ont pu le faire : nous ne rejetons pas la possibilité d’effectuer des démarches administratives par voie numérique. Dans nombre de cas, cette voie suffit et permet de rapprocher nos concitoyens des services. Mais nous demandons une alternative au tout-numérique. Elle permettra aux Françaises et aux Français, ainsi qu’à celles et ceux qui ont choisi notre pays d’effectuer leurs démarches administratives en toute sérénité, dans tous les services de la République et sans attendre plusieurs semaines – voire plusieurs mois comme à la préfecture de Haute-Garonne – qu’un créneau se libère.
Les personnes qui souhaitent vivre en France pourront ainsi régulariser leur situation. Maintenir des guichets physiques pour tous les services publics, c’est garantir et améliorer les possibilités de recours. C’est assurer la continuité du service public. C’est maintenir le lien social, qui permet d’éviter les dégâts causés par le retrait des services de l’État dans les territoires avec, le plus souvent, un sentiment de relégation ou d’exclusion.

Le PLF pour 2023 annonce un renforcement des effectifs de l’administration territoriale de l’État, avec une majoration du plafond d’emplois au programme 354, Administration territoriale de l’État, de 25,75 ETP, quand la Cour des comptes chiffre à 11 763 ETP le nombre d’emplois supprimés entre 2012 et 2020, soit 14 % de l’effectif initial des services placés sous l’autorité des préfets, tous ministères confondus ! Sont bien sûr exclues de ces chiffres les agences régionales de santé (ARS) et les finances publiques. Le Gouvernement s’était également engagé, lors de l’examen du PLF pour 2023, à une hausse du schéma d’emplois triennal de plus de 210 ETP des effectifs de l’administration territoriale de l’État. Or, en 2024, cet engagement se matérialisera par une augmentation de 48 ETP ! Voyez où nous en sommes par rapport aux 12 000 ETP qui ont été supprimés en huit ans. Ces augmentations sont insuffisantes. Qui plus est, elles ne sont pas proportionnelles au nombre d’habitants par département.

Notre groupe votera pour ce texte, qui devrait emporter notre adhésion collective.

M. Paul Molac (LIOT). La dématérialisation est une bonne chose pour beaucoup de nos concitoyens, qui n’ont pas à se déplacer pour effectuer des démarches administratives. Pour autant, elle ne doit pas devenir l’alpha et l’oméga. Ainsi, les 15 % de nos concitoyens touchés par l’illectronisme ne peuvent pas se servir d’un ordinateur. Souvent, d’ailleurs, ils n’en ont pas. Ces publics fragiles, pas toujours âgés, vivent dans des territoires ruraux ou des banlieues, en marge des grands centres. Leur difficulté à avoir accès à une personne qui puisse leur expliquer la procédure et les accompagner nourrit parfois un sentiment de colère et de relégation.

Au début de la dématérialisation, il y a eu des bugs, certaines procédures n’étaient pas claires et des guichets ont fermé. Notre baromètre était le nombre de personnes qui viennent dans nos permanences dire qu’elles n’y arrivent pas. Depuis, la situation s’est un peu améliorée. Des réouvertures ont eu lieu et des maisons France Services ont été implantées. Souvent, ce sont les fonctionnaires territoriaux des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui s’en occupent. Cela reste toujours le service public, qu’il soit local ou central. Les administrations ont commencé à faire des permanences dans ces maisons de service public. Les impôts et la CAF y viennent régulièrement. Il faut prendre rendez-vous, mais une personne physique est présente pour accueillir le public. Cette proposition de loi est donc quasiment satisfaite. Elle ne l’est toutefois pas totalement, raison pour laquelle je la voterai.

Nos concitoyens en situation de délicatesse, qui sont des publics fragiles, ont le droit d’avoir quelqu’un en présentiel, ne serait-ce que pour comprendre le fonctionnement. Ce serait un progrès, qui ne remet pas en cause la dématérialisation pour les 70 ou 80 % de nos concitoyens qui sont satisfaits de pouvoir effectuer leurs démarches depuis chez eux.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Votre proposition de loi a au moins trois ans de retard ! Au fond, c’est un superbe hommage, madame Obono, pour France Services. Je vous en remercie. C’est peut-être le plus bel hommage que vous rendrez jamais à la majorité.

Entre 2010 et 2020, nous avons connu la situation que vous décrivez, à savoir une numérisation mal conduite. Quand ma belle-mère appelait la préfecture, un répondeur lui disait de taper http//www. La rupture de communication était totale ! Heureusement, les choses se sont largement améliorées avec France Services qui, en plus de permettre la démarche administrative, forme les personnes à l’accès au numérique. C’est un outil remarquable. Je rends hommage aux équipes de ce réseau pour le travail qu’elles effectuent dans les territoires pour l’accès aux services publics. Il faut encore améliorer la communication. Le répondeur de ma préfecture ne renvoie pas vers France Services, mais toujours vers http//www. C’est illisible et incompréhensible. Les services d’État doivent se mettre en mode France Services et informer sur les accès possibles au numérique dans les différents territoires.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Si vous pensez que la proposition de loi est déjà satisfaite, votez-la ! Cela créera un principe pour que toute démarche administrative puisse bénéficier d’un accueil physique. Si vous pensez que les maisons France Services remplissent cette fonction, ce qu’elles font en partie, allez-y !

Notre proposition de loi aborde aussi la démarche dématérialisée du point de vue de l’usager. Personne n’est opposé à ce que l’administration utilise les outils numériques pour obtenir des gains de productivité, supprimer les tâches annexes, pénibles et répétitives que personne n’a envie de faire. Tout comme personne n’est opposé à la dématérialisation en soi. Quand elle fonctionne et quand on arrive à y avoir accès, c’est génial ! J’en suis un consommateur régulier et cela me va très bien. Mais, en matière d’accès aux droits, on ne peut pas avoir ni d’objectif ni de résultat inférieur à 100 %. Il faut atteindre 100 %, point. Pour cela, il faut en faire un droit, car la tentation existe de ne pas prévoir d’accueil physique avec les nouvelles démarches dématérialisées comme l’Anef, l’administration numérique pour les étrangers en France. Au motif que cette plateforme existe, on ne vous reçoit plus en rendez-vous physique. Le problème est la dématérialisation contrainte, pas la dématérialisation choisie. Nous devons à chacun d’avoir accès aux démarches. Tout le monde peut être concerné par des difficultés d’accès. Nous avons l’occasion d’écrire un droit. Faisons-le !

M. Philippe Gosselin (LR). La dématérialisation de nos services publics est un sujet important. Les services d’entreprises privées sont également concernés. Prenons garde à ne pas faire le procès de la modernisation de l’administration et de son adaptation. Il faut vivre avec son temps. Le numérique permet un accès aux services à toute heure et dans tous les territoires. Il ne s’agit pas de revenir en arrière.

Mais, pour une fois, je partage le diagnostic de nos collègues insoumis, même si je ne suis pas entièrement d’accord avec le remède proposé. Combien de nos compatriotes sont empêchés d’accéder aux services publics, en milieu rural, mais pas seulement ? Tous les milieux et tous les âges sont concernés. On estime à environ 8 millions le nombre de nos concitoyens sans accès facile à la dématérialisation et au numérique. Ce n’est pas rien ! Il faut revenir à un terme largement utilisé depuis le covid, le « présentiel », et prévoir un mode d’accès alternatif. Il ne s’agit pas de revenir en arrière et de supprimer le numérique, qui peut être intéressant, mais de systématiquement proposer un mode alternatif, ce qui veut dire un service avec quelqu’un en face à qui l’on peut expliquer ses difficultés. Les maisons France Services se sont bien développées, et c’est très bien. Mais cela ne suffit pas.

Comme le dit le proverbe, « il faut tâter pour voir ». Il faut, en effet, avoir quelqu’un en face de soi pour pouvoir s’exprimer et défendre son dossier.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je ne comprends pas la nécessité de faire le procès du numérique en 2023. Même s’il est vrai qu’une partie de la population reste éloignée du monde numérique et que le service public privilégie désormais l’ère numérique, on ne peut pas nier que les services publics accessibles par le numérique permettent un gain de temps et sont plus pratiques pour la majorité des Français.

Heureusement, le numérique n’est pas la seule solution offerte aux usagers français. L’alternative que vous préconisez existe déjà avec les maisons France Services, qui ont été créées pour rapprocher le service public des usagers. Partant de ce constat, je voudrais proposer le renforcement de leurs missions. Ces maisons pourraient solliciter des jeunes en emploi civique pour renforcer leur capacité d’accueil physique. L’observation que je viens d’entendre hors micro, selon laquelle les jeunes n’auraient pas de compétences, est ridicule !

Par ailleurs, je regrette la disparition – dont vous ne parlez pas – de certains services de l’État désormais centralisés dans les métropoles, au détriment des villes moyennes.
Je pense notamment aux services d’évaluation domaniale, regroupés dans les préfectures au détriment des sous-préfectures et qui travaillent le plus souvent à distance, ce qui est préjudiciable à nos collectivités locales, notamment les villes moyennes et les petites communes.

Mme Danièle Obono, rapporteure. Merci pour vos interventions, qui confirment l’importance et l’intérêt du sujet.

Il ne s’agit ni de faire le procès du numérique, ni de chanter les louanges d’un passé glorieux. Comme je l’ai indiqué au début de mon propos, la numérisation apporte de nombreux avantages et bénéfices pour une majorité de personnes. L’objet de cette proposition de loi n’est pas d’améliorer l’existant, ce dont nous pourrions discuter lors de l’examen des projets de loi budgétaire ou dans les débats consacrés à la cohésion des territoires. Il est d’aborder un sujet identifié comme structurel dans les travaux d’évaluation conduits durant trois ans par la Défenseure des droits et sur lesquels je m’appuie.

Dans son premier rapport, celle-ci dressait un état de lieux et lançait des alertes, confirmées dans son second rapport publié en 2022. Ces éléments sont donc récents. Par ailleurs, même s’il n’est pas cité dans l’exposé des motifs du texte de loi, nous nous sommes aussi appuyés sur le dernier rapport du Conseil d’État, lequel souligne la nécessité d’assurer l’accès de tous les usagers aux services publics par une diversification des canaux et estime qu’il est « indispensable de sortir du 100 % numérique et de remettre de l’humain au contact des usagers ». Compte tenu des problèmes identifiés, il est nécessaire d’opérer non pas une régression, mais une forme de réparation, et d’assurer une garantie. C’est l’objet de ce texte, qui donne de la force à un principe qui paraît évident, mais qui n’est pas respecté et engendre des difficultés pour de nombreuses personnes.

Il ne s’agit pas d’un problème résiduel qui serait résolu par l’extension du champ du numérique et de l’installation d’internet. Le problème n’est pas conjoncturel et il concerne les publics qui, pour différentes raisons, peinent à accéder au numérique et à effectuer des démarches administratives par ce biais. Ce n’est ni une vision réactionnaire et fantasmée du passé, ni une volonté de revenir à l’âge de pierre et à la bougie, ni de l’impressionnisme. Le constat est objectivé. Dans notre pays, des millions de personnes éprouvent des difficultés qui les incitent à ne plus avoir recours à des droits pourtant essentiels.

Le public le plus vulnérable et le plus précaire est celui pour lequel les démarches sont les plus complexes. Les espaces France Services ne peuvent donc pas répondre à leurs demandes. Constater cela ne signifie pas que les conseillers de ce réseau ne font pas du bon travail. Au contraire, celui-ci est très apprécié et ces espaces ont remis de l’humain. Mais, dans un certain nombre de cas, qui ne sont pas insignifiants, ce n’est pas suffisant. Le principe de ces espaces est de garantir la présence de deux personnes pour aider et accompagner les usagers auprès de neuf services publics et opérateurs. Cela montre la difficulté à embrasser les spécificités de chacun des services publics concernés. Les personnels ne sont pas suffisamment formés et le dispositif sera structurellement sous-dimensionné, puisqu’il ne compense pas les fermetures de postes et de sites. C’est donc une bonne chose que les espaces France Services se développent et soient renforcés, mais cela ne répond que partiellement à la question.

Il ne s’agit pas d’opposer les centres urbains et les campagnes ou les territoires périphériques. La fracture numérique est partout, y compris dans ma circonscription du 18e arrondissement de Paris, où les services publics sont censés être accessibles, mais où des dizaines de personnes n’y ont pas accès. Il ne s’agit pas non plus seulement d’un problème d’alphabétisation au numérique. Les particularités des procédures administratives peuvent poser des difficultés même à des personnes qui se débrouillent bien avec internet. L’accompagnement au numérique ne suffit donc pas.

Mon rapport insiste aussi sur l’autre côté du guichet. Les agents indiquent que la numérisation n’a pas permis d’alléger leur charge de travail. Il faudrait l’évaluer plus précisément, mais la dématérialisation a plutôt augmenté les flux à traiter, en plus des dossiers à suivre. Plusieurs institutions, et non des moindres puisqu’il s’agit de la Défenseure des droits et du Conseil d’État, font le même constat. Une partie de la population interpelle les pouvoirs publics depuis plusieurs années.

Nous avons la possibilité, en tant que législateur, d’entériner un principe qui ne répondra pas à tous les problèmes de l’illectronisme, de la désertification territoriale et des difficultés sociales, mais qui garantira un accès à la fois numérique et physique à toutes les procédures administratives.

Il n’y a là aucune régression technique ou politique, mais l’ouverture d’un nouveau droit dans l’ère du numérique, qui permettra à l’ensemble de nos concitoyens, où qu’ils vivent et quels que soient leurs moyens économiques et leur capital culturel, d’accéder à leurs droits et de bénéficier des services de l’État. C’est notre responsabilité. Cette proposition consolidera ce qui a été déjà fait et ce qui le sera dans des dispositifs comme le réseau France Services. Aussi avons-nous tout intérêt à aller dans ce sens et à voter en faveur de cette proposition de loi.

Je répondrai à la proposition de Mme Ménard lorsque nous examinerons son amendement.

Nous discuterons plus avant de l’accueil des étrangers, y compris dans le débat autour du projet de loi « immigration », parce que c’est dans ce secteur que ces politiques ont été expérimentées avant d’être généralisées aux autres publics.

Je le répète, il convient d’agir dans l’intérêt général de la population et de répondre à des situations qui peuvent s’avérer dramatiques pour nos concitoyens, notamment les plus précaires et les plus vulnérables. C’est le propre de ce type de proposition de loi de se centrer sur les situations difficiles. Il est de notre responsabilité d’y répondre. Tout n’est pas à jeter dans le numérique, au contraire. Mais le tout-numérique ne peut pas être l’horizon que nous défendons. Ce n’est pas notre vision des services publics et, de manière générale, de la société dans laquelle nous vivons. Voilà pourquoi cette proposition de loi peut et devrait être votée par tous et toutes.

Article 1er : Garanties apportées à la possibilité pour l’usager et l’usagère de réaliser ses démarches administratives par voie non dématérialisée

Amendement CL6 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono, rapporteure. Cet amendement de précision vise à prendre en compte la problématique du délai dans le traitement des dossiers. Comme cela a été démontré par plusieurs rapports institutionnels et confirmé dans le cadre des auditions avec des représentants et représentantes d’organisations syndicales, la fermeture de guichets et la restriction des horaires d’ouverture ont entraîné un recours accru aux rencontres sur rendez‑vous. Dans de nombreux services, le délai d’obtention des rendez-vous est devenu problématique et plonge parfois les personnes dans des situations tragiques. Je ne reviens pas sur la situation des préfectures, de l’assurance maladie ou de l’assurance vieillesse, exemples que j’ai précédemment développés. Cet amendement vise à garantir à l’usager ou l’usagère l’accès à une prise en charge par une personne physique dans un délai d’attente raisonnable, c’est-à-dire qui ne remette pas en question la garantie de ses droits et de ses conditions de vie. Il permettrait de renforcer le dispositif que nous proposons à l’article 1er.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL4 de M. Davy Rimane.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Cet amendement vise à sensibiliser les administrations au plurilinguisme, dans nos territoires ultramarins où des dizaines de langues sont parlées. Il est important de prévoir cette sensibilisation, tout en garantissant que le français est la langue officielle, pour que nos concitoyens qui ne le maîtrisent pas ne soient pas exclus de leurs droits.

Mme Danièle Obono, rapporteure. Cet amendement, qui se saisit de la situation dans les territoires d’outre-mer, illustre un point que j’ai souhaité mettre en avant dans cette proposition de loi. Lors de toutes nos rencontres avec les acteurs et les actrices de terrain, la question de la maîtrise de la langue a été systématiquement soulevée, car une maîtrise imparfaite engendre des difficultés qui constituent parfois une véritable barrière à l’accès aux droits. Des procédures administratives peuvent être compliquées quand on est très lettré ; elles le sont plus encore en cas de maîtrise imparfaite de la langue. J’émets un avis favorable à cet amendement qui enrichirait le dispositif.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Cet amendement devrait être un principe général. Nous avons énoncé les grandes lois du service public, notamment celles de mutabilité et d’adaptabilité. Il faut aller au bout de la démarche. Quand on se fixe comme objectif et comme résultat 100 % d’accès aux droits, on voit les choses avec un prisme différent et l’on considère qu’il est nécessaire que chaque personne comprenne la démarche qu’elle va effectuer. La barrière linguistique est réelle. Même pour qui parle français correctement, la langue administrative est encore autre chose. Pour ceux qui s’intéressent aux sujets de justice, le vocabulaire et le champ lexical sont hermétiques aux communs des mortels, quand bien même ils maîtrisent la langue de leur pays. Pour toutes ces raisons, l’accueil physique, l’accompagnement et la possibilité d’une procédure dématérialisée ou non sont indispensables.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL5 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono, rapporteure. Cet amendement vise à permettre aux personnes chargées de l’accueil physique de bénéficier de formations pour approfondir leurs connaissances et leur capacité à répondre aux multiples demandes. L’une des difficultés, y compris dans des dispositifs comme les espaces France Services, consiste à guider les personnes dans des démarches compliquées. Pour mémoire, ces espaces concernent neuf services ou opérateurs différents. Or, les conseillers et les conseillères ne sont aujourd’hui formés que durant cinq jours, ce qui est largement insuffisant pour maîtriser le système administratif, ses procédures et les spécificités de chaque service. Ajouter une mention selon laquelle il est nécessaire qu’une personne physique bénéficie de parcours de formation convenablement dimensionnés, financés et adaptés aux impératifs et aux périmètres de son exercice enrichirait le dispositif.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL2 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). L’objet de cet amendement est de rapprocher le service public des usagers en favorisant le recours au service civique, afin de pallier les éventuels manques de personnel physique. Cela rejoindrait l’objet du service civique, qui est de renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale et d’offrir à toute personne volontaire l’opportunité de servir les valeurs de la République et de s’engager en faveur d’un projet collectif, en effectuant une mission d’intérêt général auprès d’une personne morale agréée. Si votre proposition de loi avait un petit intérêt, ce pourrait être celui-là.

Mme Danièle Obono, rapporteure. Votre amendement confirme la nécessité d’un accueil physique, puisque vous évoquez la nécessité de pallier un manque de présence physique. Ainsi, contrairement à ce que vous indiquiez dans votre intervention, il y a bien un problème. En revanche, la solution que vous proposez est précisément ce qu’il ne faut pas faire. C’est l’une des leçons à tirer du déploiement des dispositifs de type France Services. Combler les trous pas des dispositifs comme le service civique est ce qu’il ne faut surtout pas faire. Vous mettrez en difficulté les personnes en service civique, car elles seront encore moins formées que les conseillers et les conseillères de France Services, et ne pourront pas répondre aux demandes. Les usagers ne bénéficieront pas de l’accompagnement dont ils auront besoin. L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) considère d’ailleurs qu’il faut doubler le temps de formation de ses agents. Cet amendement est une fausse bonne idée. Avis défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’enfer est pavé de bonnes intentions ! J’imagine que Mme Ménard a de bonnes intentions, mais sa proposition est proprement infernale, pour trois raisons. D’abord, si elle était appliquée, elle dégraderait le service public, puisque des jeunes en service civique n’ont pas la formation des agents des services publics. Ensuite, elle organiserait une forme de dumping social : si l’on peut faire appel à des jeunes en service civique, inutile de payer de vrais salariés et de vrais agents. Enfin, elle serait illégale. Quand on est en service civique, on ne peut accomplir des missions exercées par un salarié ou un agent du service public.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). D’une part, un certain nombre de jeunes en service civique œuvrent déjà en préfecture. Pourquoi serait-ce autorisé en préfecture et illégal en maisons France Services ? D’autre part, vos propos sont assez méprisants pour les jeunes en service civique, que vous semblez prendre pour des imbéciles incapables de faire du service d’accueil auprès des personnes. (Exclamations.) Puis-je m’exprimer ? Je remercie La France insoumise pour son ouverture d’esprit…

Quant au fait qu’en amendant votre texte, madame Obono, j’acquiescerais à votre idée sous-jacente selon laquelle la présence physique n’est pas suffisante, je répète ce que j’ai dit : je ne suis pas là pour faire le procès du numérique. La numérisation de l’administration apporte énormément d’avantages aux citoyens français. (Nouvelles exclamations.)

Cela devient insupportable ! On ne peut plus déposer un amendement et défendre une idée contradictoire sans se faire ramasser, voire insulter. Pardon d’exister ! Je suis députée comme vous, et j’ai le grand bonheur de ne pas faire partie de votre groupe.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 1er.

Après l’article 1er

Amendement CL1 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho (RN). L’accueil physique des Français pour l’opération des tâches administratives est une condition de la bonne marche de notre service public. Or, pour l’année 2021, l’Insee indique que seuls 26,6 % des 75 ans ou plus ont effectué une démarche en ligne au cours de l’année. Ce faible taux laisse penser que nombre de nos compatriotes, notamment âgés, peinent à entreprendre des démarches administratives en ligne. Cet amendement, qui propose la remise d’un rapport par le Gouvernement au Parlement visant à mesurer l’état de l’accès des Français aux démarches administratives en ligne, permettra d’évaluer la teneur des dysfonctionnements relatifs à l’accès aux services dématérialisés.

Mme Danièle Obono, rapporteure. Les difficultés numériques que vous évoquez sont l’un des éléments qui expliquent le non-recours aux démarches administratives en ligne. Je me suis appuyée sur les travaux existants, notamment les deux rapports de la Défenseure des droits, et sur le baromètre annuel du numérique. Je considère donc que votre amendement est satisfait. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

L’article 1er de la proposition de loi ayant été rejeté, l’article 2 est sans objet.

La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

En conséquence, en application de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique se déroulera sur la base du texte dont l’Assemblée a été saisie.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi tendant à la réouverture des accueils physiques dans les services publics.

 


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Personnes entendues

     Mme Nora Nidam, secrétaire générale FO - CPAM de Paris

     M. Jean-Marie Dehayes, délégué FO - Pôle emploi Île-de-France

     M. Stéphane Langlois, délégué CGT - Finances publiques Paris

     Collectif « Retraite Île-de-France » : M. François Baroni, membre du collectif

     Collectif « Bouge ta pref » : Mme Chloé Tinguy, chargée de projets migrants et accès aux droits - région Île-de-France - Centre d’entraide pour les demandeurs d’asile et les réfugiés (CEDRE)

     Collectif « Convergence des services publics » : M. Patrick Hallinger, secrétaire national

      Collectif « Pacte du pouvoir de vivre » : M. Daniel Verger, responsable département « Accès digne aux revenus - travail et prestations sociales »

     M. Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique

     M. Ghislain Deriano, chef de service expérience usagers

     Mme Sarah Allix, directrice de projets accès aux services publics

     Mme Camille Menart, cheffe de projet inclusion et accessibilité

     M. Pierre Mazet, chercheur en sciences sociales, programme LabAccès

     Mme Clara Deville, sociologue, chargée de recherche en sociologie à l’INRAE

      Alex, représentant de la Quadrature du net

     M. Guillaume Clédière, directeur du programme France services

     M. Alexandre Carlier, coordinateur qualité de service et animation

     M. Nicolas Duvoux, président du CNLE

      M. Mathieu Weill, directeur de la transformation numérique, secrétaire général adjoint chargé du numérique


([1]) Intérêt général, « Services publics, les biens communs de la République. Episode I : la République en actes », note #5, mai 2020.

([2]) Collectif « Nos services publics », Rapport sur l’état des services publics, septembre 2023.

([3]) Défenseur des droits, Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, janvier 2019, et Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, février 2022.

Conseil d’État, L’usager, du premier au dernier kilomètre : un enjeu d’efficacité de l’action publique et une exigence démocratique, septembre 2023.

([4]) Ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives.

([5]) Circulaire n° 5574/SG, du Premier ministre, 16 février 2012.

([6]) Défenseur des droits, Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, 2019.

([7]) Défenseur des droits, Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, 2022.

([8]) Cour des comptes, Observations définitives sur les effectifs de l’administration territoriale de l’État (2010-2021), n° S2022-0494, 14 avril 2022, p. 6.

([9]) Assemblée nationale, Ugo Bernalicis, rapport pour avis n° 341 sur le projet de loi de finances pour 2023, 17 octobre 2022.

([10]) Mediapart, « Retraite, le rendez-vous manqué de la CNAV », 13 octobre 2022.

([11]) Défenseur des droits, Rapport annuel d’activité 2021, juin 2022.

([12]) Collectif « Nos services publics », Rapport sur l’état des services publics, septembre 2023.

([13]) Cour des comptes, Observations définitives sur les effectifs de l’administration territoriale de l’État (20102021), n° S2022-0494, 14 avril 2022.

([14]) Défenseur des droits, op. cit., 2019.

([15]) Ibid.

([16]) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

([17]) Sénat, Premier bilan du financement des maisons France services, du rapporteur spécial des crédits de la politique des territoires au Sénat, p.7, juillet 2022.

([18]) Idem, p. 10.

([19]) Audition de Claire Hédon, Défenseure des droits, par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, le 4 octobre 2022.

([20]) Sénat, Premier bilan du financement des maisons France services, op cit, p. 64.

([21]) Articles L. 112-8 à 112-10 du code des relations entre le public et l’administration.

([22]) Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 27/11/2019, 422516.

([23]) Décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d’un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour.

([24]) Conseil d’État, 3 juin 2022, n° 452798, cons. 10.

([25]) Ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives.

([26]) Ordonnance n° 2014-1330 du 6 novembre 2014 relative au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique.

([27]) Ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l'administration.

([28]) Article L. 111-1 du code des relations entre le public et l’administration.

([29]) Article L. 111-2 du même code.

([30]) Article L. 111-3 du même code.

([31]) Article L. 112-8 du même code.

([32]) Article L. 112-9 du même code.

([33]) Article R. 112-9-2 du même code.