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N° 1909

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 novembre 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
 

visant à abroger l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure (n°1553)
 

 

PAR M. Thomas PORTES

Député

——

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

___

Pages

introduction................................................ 5

présentation de la proposition de loi

I. Adoptée dans un contexte sécuritaire, la loi du 28 février 2017 a élargi de façon inopportune et dangereuse les conditions d’usage des armes par les policiers

A. L’unification d’un régime dérogatoire au droit commun : la création de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure

B. une réforme perçue comme la délivrance d’un « permis de tuer »

II. une évolution législative aux conséquenceS dramatiqueS : la hausse implacable du nombre de tirs mortels à la suite de refus d’obtempérer

A. L’augmentation subséquente du nombre de tirs et de décès

B. uNE SITUATION AGGRAVée par les dérives multiples qui affectent l’institution policière

III. L’objectif de la proposition de loi : mettre fin à un engrenage délètère de violences pour restaurer la confiance entre la police et la population

A. La suppression DE règles scélérates dérogeant au droit commun de la légitime défense

B. uN PREMIER PAS vers une réforme indispensable de la police

Commentaire de L’article unique de la proposition de loi

Article unique (Art. L. 435-1 et L. 511-5-11 [abrogés] du code de la sécurité intérieure, art. L. 227-1 du code pénitentiaire) Suppression du cadre régissant les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent faire usage de leurs armes

Examen en commission

Personnes entendues

 


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Mesdames, Messieurs,

Conformément à l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, « la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». La loi du 9 octobre 1981 a aboli la peine de mort. La loi constitutionnelle du 23 février 2007 a inscrit son interdiction à l’article 66-1 de la Constitution. Pourtant, un permis de tuer existe encore en France. Nahel M., abattu à 17 ans le 27 juin dernier à Nanterre pour avoir refusé d’obtempérer à un ordre d’arrêt de la police, en a été l’une des victimes. En 2022, 13 personnes ont perdu la vie au volant de leur véhicule, touchées par des tirs de la police ([1]).

L’augmentation des tirs mortels des forces de l’ordre sur les véhicules en mouvement n’est pas le fruit du hasard. Elle est la conséquence dramatique d’un choix opéré par le législateur en 2017 et impulsé par le gouvernement dirigé par M. Bernard Cazeneuve, ancien ministre de l’intérieur ([2]). Sous la pression des syndicats représentatifs de la police et dans un contexte alors marqué par les attaques terroristes survenues le 13 novembre 2015 puis le 14 juillet 2016 à Nice, la loi du 28 février 2017 a créé l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure dont l’ambition alléguée visait à clarifier et à harmoniser les règles applicables à l’usage des armes par l’ensemble des forces de l’ordre, qu’elles relèvent de la gendarmerie ou de la police.

Si cette réforme n’a pas substantiellement modifié le régime juridique auquel les gendarmes sont assujettis depuis plus d’un siècle ([3]), elle a, en revanche, considérablement assoupli les conditions dans lesquelles les agents de la police nationale peuvent ouvrir le feu, au-delà des règles de droit commun prévues par l’article 122-5 du code pénal régissant l’état de légitime défense. En dépit des garanties d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité théoriquement requises par son premier alinéa, l’article L. 435-1 a facilité le recours aux armes létales, en autorisant les forces de l’ordre à tirer selon leur interprétation prédictive, par essence subjective, d’un danger potentiel et non avéré. Il constitue à ce titre l’une des dérives qui caractérisent aujourd’hui l’institution policière, à rebours des valeurs démocratiques et de l’intérêt général qu’elle est pourtant censée servir.

Ayant pour effet, sinon pour objet, de « désinhiber » les policiers quant à l’usage de leur arme, ce texte aussi inutile qu’inopportun a nourri un engrenage de violences au risque de porter atteinte à la vie des citoyennes et des citoyens comme à celle des forces de l’ordre. Celles-ci sont implicitement encouragées à ouvrir le feu dans des situations qui ne le justifient pourtant aucunement. La montée des tensions qui en résulte entre la police et une partie de la population est l’aboutissement prévisible d’une stratégie délibérée et préjudiciable tant aux droits fondamentaux qu’à la sécurité publique : sacrifier les premiers ne permettra jamais de renforcer la seconde.

Face à la dangerosité et à l’inefficacité de ce cadre juridique, il convient d’abroger l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. La protection du droit à la vie de toutes les citoyennes et tous les citoyens justifie de mettre un terme à une fuite en avant sécuritaire qui n’a que trop duré. C’est précisément le sens de cette proposition de loi.


   présentation de la proposition de loi

Issu de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017, l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure est la cause d’une augmentation brutale des tirs mortels à l’encontre des conducteurs et passagers de véhicules constatée au cours des sept dernières années. Favorisée par les multiples dysfonctionnements qui affectent l’institution policière, cette situation inacceptable nécessite d’abroger l’article L. 435-1, ce que prévoit la présente proposition de loi.

I.   Adoptée dans un contexte sécuritaire, la loi du 28 février 2017 a élargi de façon inopportune et dangereuse les conditions d’usage des armes par les policiers

Le contexte sécuritaire dans lequel l’article L. 435-1 a été créé a débouché sur un assouplissement inconsidéré de l’usage des armes par les forces de l’ordre.

A.   L’unification d’un régime dérogatoire au droit commun : la création de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure

Jusqu’à la loi du 28 février 2017, les conditions d’usage des armes par les forces de l’ordre étaient régies par des dispositions distinctes selon qu’elles s’appliquent aux gendarmes ou aux policiers. Si les gendarmes bénéficiaient d’un régime juridique spécifique depuis le décret du 20 mai 1903 eu égard aux spécificités de leur statut militaire, les policiers étaient uniquement assujettis au respect des règles de droit commun découlant de la légitime défense, sur le fondement de l’article 122-5 du code pénal.

Pour autant, le contexte lié aux attaques terroristes ayant notamment frappé Paris le 13 novembre 2015 et Nice le 14 juillet 2016 a fait émerger des revendications émanant des syndicats représentatifs de la police nationale ([4]). Cette forte pression syndicale afin d’aligner le régime d’ouverture du feu des policiers sur celui des gendarmes a conduit le ministre de l’intérieur, M. Bernard Cazeneuve, à commander, en urgence, un rapport confié à un groupe de travail présidé par Mme Hélène Cazaux-Charles, alors directrice de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).

Muet sur la littérature scientifique relative sur l’usage des armes par les forces de l’ordre, rendu en moins d’un mois, le rapport de ce groupe de travail a été présenté au Gouvernement en novembre 2016. S’il préconise une évolution du cadre légal, le rapport dit « Cazaux-Charles » a fait l’objet d’une instrumentalisation visant à légitimer, sans véritable débat, l’harmonisation des règles applicables à l’ouverture du feu entre les gendarmes et les policiers.

Auditionnée par votre rapporteur, Mme Hélène Cazaux-Charles a déploré la prise de distance opérée par le législateur vis-à-vis des conclusions figurant dans son rapport. Celui-ci rappelait en effet la nécessité d’encadrer strictement les conditions d’usage des armes au regard des conséquences potentiellement extrêmes qu’elles étaient susceptibles d’engendrer pour la vie des citoyennes et des citoyens, notamment à la suite de refus d’obtempérer :

« L’usage de la force n’est donc légitime, en pareil cas, que s’il est démontré, non pas subjectivement mais par des raisons réelles et objectives, que le fugitif est un individu dangereux, susceptible de porter atteinte, en s’enfuyant, à la vie ou à l’intégrité physique des forces de l’ordre ou de tiers.

La mission estime donc que c’est seulement dans l’hypothèse où les forces de l’ordre ont acquis la conviction, par des faits réellement objectivés, que l’individu sous leur garde ou qu’elles cherchent à interpeller va, en s’enfuyant, commettre un tel acte, qu’elles peuvent faire usage de leur arme, après sommations.

Toute autre interprétation, et notamment celle qui consisterait à permettre un usage de l’arme pour seulement empêcher la fuite d’un individu, y compris s’il est soupçonné de meurtre mais dont rien ne permet de penser qu’il va réitérer son acte, ne serait pas compatible avec l’exigence de nécessité posée par la Cour européenne des droits de l’Homme ([5]) .

Plus fondamentalement, une telle conception de l’usage des armes n’est pas compatible avec une conception démocratique et républicaine de l’ordre, les armes ne pouvant parler à la place de la loi, expression de la souveraineté populaire ». ([6])

Consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation ([7]) et de la Cour européenne des droits de l’Homme ([8]), la notion de « raisons réelles et objectives » dont le rapport Cazaux-Charles proposait l’inscription dans la loi pour caractériser la dangerosité des fugitifs a été substituée par une formulation beaucoup plus floue, relative au comportement putatif de ces derniers. Ainsi, les 3° et 4° de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure autorisent l’usage des armes dès lors que les récalcitrants sont « susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

Il en résulte une incertitude juridique majeure qui, sous couvert d’harmoniser et de clarifier le régime applicable aux gendarmes et aux policiers, ouvre la voie à des interprétations purement subjectives, décorrélées de la réalité des menaces auxquelles les forces de l’ordre sont confrontées. Le rapport Cazaux-Charles rejetait fermement cette hypothèse : « […] il ne saurait être question pour les forces de l’ordre, même avec l’autorisation de la loi, de faire usage de leur arme pour contraindre un véhicule à s’arrêter, en l’absence de toute dangerosité de ses occupants ». ([9])

Votre rapporteur considère que la surenchère politique et syndicale a conduit le Parlement à légiférer « à l’aveugle », sans prendre en compte les conséquences induites par cette évolution législative, au point de délivrer, volontairement ou non, un véritable « permis de tuer » dans les mains des policiers.

B.   une réforme perçue comme la délivrance d’un « permis de tuer »

Les auditions conduites par votre rapporteur ont fait état du laxisme qui caractérise, dans les mots et dans les faits, l’application des règles prévues par l’article L. 435-1. Ces dispositions s’assimilent à une forme inédite de « légitime défense anticipative » qui revient concrètement à pronostiquer le comportement ultérieur des individus refusant d’obtempérer aux ordres de la police et de la gendarmerie. Ainsi, tout refus d’obtempérer peut justifier l’ouverture du feu, dès lors que les forces de l’ordre estiment que le fugitif représente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui ([10]) .

Dans son avis rendu le 17 janvier 2017 sur le projet de loi, le Défenseur des droits s’est opposé à l’évolution de la législation ainsi opérée :

« […] le projet de loi complexifie le régime juridique de l’usage des armes, en donnant le sentiment d’une plus grande liberté pour les forces de l’ordre, au risque d’augmenter leur utilisation, alors que les cas prévus sont couverts par le régime général de la légitime défense et de l’état de nécessité, dès lors que l’usage de la force doit être nécessaire et proportionné, conformément aux exigences de l’article 2 la Convention européenne des droits de l’Homme ». ([11])

La doctrine juridique a également émis des critiques sévères. Mme Catherine Tzutzuiano, maîtresse de conférences à l’Université de Toulon, estime ainsi qu’« il y a là une importante marge d’appréciation laissée à la charge de l’agent, laquelle est de nature à priver les fonctionnaires de la sécurité juridique indispensable en ce domaine ». ([12])

La loi du 28 février 2017 a ainsi envoyé un signal dangereux aux policiers : l’ouverture du feu n’a plus vocation à être réservée à des cas extrêmes mettant en péril leur vie ou celle d’autrui. Cette orientation s’inscrit en contradiction flagrante avec la protection du droit à la vie garantie par la jurisprudence européenne, la Cour européenne des droits de l’Homme ayant par ailleurs condamné la France à la suite d’un tir mortel effectué sur un véhicule en l’absence de tout danger caractérisé ([13]).

Dans son arrêt rendu le 24 mars 2011, la Cour européenne des droits de l’Homme explicite sa position : « le non-encadrement par des règles et l’abandon à l’arbitraire de l’action des agents de l’Etat sont incompatibles avec un respect effectif des droits de l’homme […] Un cadre juridique et adminsitratif doit définir les conditions limitées dans lesquelles les responsables de l’application des lois peuvent recourir à la force et faire usage d’armes à feu […] ». ([14])

Alors même que les sanctions réprimant les refus d’obtempérer se sont durcies ([15]), un blanc-seing a été délivré aux forces de l’ordre pour ouvrir le feu, en méconnaissance des standards européens. Si le premier alinéa de l’article L. 435-1 mentionne le respect des exigences d’« absolue nécessité » et de « stricte proportionnalité », le chercheur Sebastian Roché, auditionné par votre rapporteur, a souligné le caractère illusoire de ces prescriptions eu égard à la rédaction retenue des 3° et 4° de l’article L. 435-1 :

« Peut-être les élus croyaient-ils que les principes supérieurs de proportionnalité et d’absolue nécessité allaient prévaloir et encadrer cette liberté plus grande de tirer ? Si tel est le cas, ils se sont trompés, et c’est la règle la moins haute dans la hiérarchie des normes qui a finalement prévalu ». ([16])

Inéluctablement, le bilan humain de cette réforme s’est avéré particulièrement lourd.

II.   une évolution législative aux conséquenceS dramatiqueS : la hausse implacable du nombre de tirs mortels à la suite de refus d’obtempérer

L’entrée en vigueur de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure a provoqué immédiatement une augmentation indiscutable du nombre de tirs mortels. Cette situation dramatique est également la conséquence d’une pluralité de dérives structurelles qui affectent la police depuis de nombreuses années.

A.   L’augmentation subséquente du nombre de tirs et de décès

Déjà analysés par la recherche scientifique américaine ([17]), les effets de la modification du cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre sur le nombre de tirs se sont matérialisés par une forte hausse des ouverture du feu par les agents de la police nationale, notamment sur les véhicules en mouvements.

Évolution de l’usage des armes par la police contre des véhicules en mouvement entre 2012 et 2022

Année

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2012/2022

Nombre de tirs

116

111

110

131

140

205

172

153

155

158

140

+ 20,7 %

Source : rapport de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) sur l’année 2022

Le pic constaté en 2017 témoigne de la rupture opérée lors de la promulgation de la loi du 28 février 2017. Ce tournant est d’autant plus significatif que les données relatives au nombre de tirs par la gendarmerie présentent une stabilité sur la même période. Bénéficiant de longue date d’un régime spécifique et ainsi accoutumés à une maîtrise très stricte de l’usage des armes, les gendarmes n’ont pas fait évoluer leur pratique depuis 2017. Les conséquences humaines sont sans appel : si la gendarmerie se félicite de ne déplorer aucun mort à la suite des 60 tirs effectués en 2022 sur des véhicules refusant d’obtempérer aux ordres d’arrêt, la police constate que 13 personnes sont décédées la même année dans des circonstances similaires.

L’augmentation concomitante du nombre de refus d’obtempérer recensée par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), s’agissant notamment du nombre de refus d’obtempérer considérés comme « dangereux », est régulièrement avancée pour expliquer cette évolution.

Évolution du nombre de refus d’obtempérer, dont les refus d’obtempérer dangereux, entre 2012 et 2022, selon l’ONISR

Année

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Nombre de refus d’obtempérer « simples »

19 174

19 769

20 925

21 788

21 515

22 792

21 860

22 817

26 589

27 206

25 641

Nombre de refus d’obtempérer « dangereux »

2 520

2 294

2 323

2 776

3 047

3 459

3 185

3 987

4 543

5 247

5 011

En réalité, ces données ([18]) montrent que le nombre de refus d’obtempérer simples et dangereux est resté relativement stable entre 2015 et 2018 ([19]), alors même que le nombre de tirs par la police sur les véhicules en mouvement a fortement augmenté sur la même période, témoignant de l’impact décisif, et meurtrier, de la loi du 28 février 2017.

La hausse du nombre de tirs mortels depuis 2017, essentiellement imputable à la police, est indubitable. L’étude statistique réalisée par les chercheurs Sebastian Roché, Paul Le Derff et Simon Varaine objective très clairement ce phénomène.

Source : Revue Esprit, septembre 2022.

Les trois chercheurs explicitent leur méthode et les résultats obtenus :

« D’une part, nous avons vérifié que les tirs mortels sur les occupants des véhicules en mouvement étaient plus fréquents après la réforme de février 2017 (0.32 décès par mois à l’issue d’un tir sur un véhicule, contre 0.06 avant la réforme), tout en nous assurant que ce n’était pas le cas des autres tirs policiers mortels (0.52 décès après la loi, contre 0.59 avant) ; d’autre part, nous avons confirmé que cette élévation ne se produisait pas dans les pays voisins, ce qui permet d’exclure l’hypothèse d’une évolution plus générale des modes d’action policiers parfois qualifiée de “ militarisation […]

Sur la base des analyses réalisées à partir des données disponibles, portant sur les homicides policiers commis par tirs sur les occupants de véhicules en mouvement, il apparaît que la loi de 2017 a eu pour effet de plus fréquentes atteintes à la vie des citoyens par la police. Sur la base des séries mensuelles de décès disponibles, il est démontré que cet effet est significatif ». ([20])

La multiplication par cinq des tirs mortels réalisés par la police à la suite de refus d’obtempérer constatée entre, d’une part, 2012-2017 et, d’autre part, 2017-2022, est la conséquence directe de l’entrée en vigueur de l’article L. 435-1. Ce bilan dramatique contraste avec la situation observée en Allemagne, où seule une personne a été tuée par les forces de l’ordre à la suite d’un refus d’obtempérer au cours de la dernière décennie. ([21])

S’il procède de l’évolution législative opérée en 2017, ce bilan dramatique est également le produit d’un ensemble de dysfonctionnements de l’institution policière dont les auditions conduites par votre rapporteur ont pu faire état.

B.   uNE SITUATION AGGRAVée par les dérives multiples qui affectent l’institution policière

Le corporatisme acharné des syndicats représentatifs de la police nationale ne parvient pas à dissimuler les défaillances systémiques de l’institution. L’assouplissement des conditions d’usage des armes présente ainsi un danger d’autant plus fort que la formation au tir est très largement déficiente dans la police. En effet, la Cour des comptes a récemment relevé que « la formation des professionnels est contrariée […] En 2017, la majorité des policiers (51 %) n’avait pas bénéficié de ces trois séances réglementaires, ce qui traduit une dégradation ([22]) par rapport aux années récentes ». ([23])

Lors de son audition par votre rapporteur, la CGT-Police a témoigné du très faible nombre de stands de tirs en région parisienne, ce qui fragilise les entraînements des agents et affecte leur maîtrise des armes au point d’aboutir, selon la CGT-Police, à une forme de « non-formation continue ». Soulignant la sélectivité déclinante du recrutement dans les écoles de police, les chercheurs Sebastien Roché, Paul Le Derff et Simon Varaine complètent cette analyse, au regard du profil des gardiens de la paix ayant ouvert mortellement le feu à la suite de refus d’obtempérer en 2022 :

« Il serait également souhaitable de prendre en considération la sélection et la formation des agents. Le policier qui a tiré à Lyon avait vingt-trois ans ; celui qui a tiré au Pont-Neuf, à Paris, en avait vingt-quatre. Or nous savons que le niveau des agents recrutés a été diminué pour atteindre les objectifs politiques de recrutement en un temps court de 10 000 agents supplémentaires assignés lors du premier mandat d’Emmanuel Macron : près d’un candidat sur cinq est désormais admis dans les rangs de la police, contre un sur cinquante il y a dix ans ». ([24])

À l’inverse de la police, la sensibilisation des gendarmes à l’usage des armes semble faire l’objet d’une attention particulière de la part de la hiérarchie militaire, comme l’a souligné le général Alain Pidoux, ancien chef de l’inspection générale de la gendarmerie nationale, lors de son audition devant la commission des lois le 12 juillet dernier :

« Si je suis fier de dire que nous n’avons aucun mort à la suite d’un refus d’obtempérer, c’est qu’il y a une sensibilité sur ce sujet. Nous avons diffusé l’an dernier un kit pédagogique dédié : il est arrivé dans toutes les brigades et a servi à rappeler à tous les conditions d’usage des armes. Avec le Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier, qui s’occupe de l’intervention professionnelle comme du maintien de l’ordre, nous avons conçu une infographie sur les meilleures façons d’arrêter un véhicule en mouvement. Il y a donc une démarche pédagogique d’ensemble ». ([25])

Outre la formation des agents, d’autres problèmes majeurs affectent le fonctionnement de la police nationale. Les auditions des familles de victimes de tirs mortels commis par les forces de l’ordre ont unanimement souligné les très nombreuses difficultés procédurales auxquelles elles ont été toutes été confrontées afin d’établir la vérité des faits. Les obstacles posés par la police à l’encontre des demandes d’actes formulées par les familles de victimes, à l’instar du visionnage des images de vidéosurveillance ou la réalisation de contre-expertises et reconstitutions, interroge sur le traitement judiciaire des violences policières, couvertes par une omerta et un entre-soi devant lesquels la justice reste le plus souvent impuissante.

Enfin, les travaux universitaires ont mis en relief l’influence des biais discriminatoires dans le comportement des forces de l’ordre ([26]). En janvier 2017, le Défenseur des droits a rendu publique une « enquête sur les relations police-population » ([27]) qui confirme que la pratique policière des contrôles d’identité cible principalement les jeunes hommes issus des minorités visibles. Selon les résultats, « 80 % des personnes correspondant au profil de “ jeune homme perçu comme noir ou arabe ” déclarent avoir été contrôlés dans les cinq dernières années, comparé à seulement 16 % pour le reste des enquêtés ». Ces profils présentent ainsi « vingt fois plus » ([28]) de probabilités d’être soumis à des contrôles. En décembre 2022, le comité de l’Organisation des nations unies (ONU) pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a exprimé son inquiétude quant aux « interpellations discriminatoires […] ciblant de manière disproportionnée certaines minorités » ([29])  par les forces de l’ordre françaises. Déploré par l’ONU ([30]), le poids des préjugés racistes dans l’institution policière alimente un cercle vicieux qui aboutit à faire des personnes racisées des cibles, au risque désormais de porter atteinte à leur vie.

III.   L’objectif de la proposition de loi : mettre fin à un engrenage délètère de violences pour restaurer la confiance entre la police et la population

La proposition de loi a pour objet d’abroger l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Si cette évolution législative est indispensable, elle doit s’inscrire dans une réflexion plus vaste afin de remettre de l’ordre dans la police, conformément à la tradition républicaine.

A.   La suppression DE règles scélérates dérogeant au droit commun de la légitime défense

L’article unique de la proposition de loi poursuit un objectif simple : abroger les dispositions prévues par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure créé par la loi du 28 février 2017. Près de sept ans après son entrée en vigueur, ce cadre juridique a été interprété, en pratique, comme le fondement permettant aux policiers d’ouvrir le feu sur tout véhicule refusant d’obtempérer à leurs ordres, indépendamment de la réalité des risques pesant sur leur intégrité physique ou sur celle d’autrui.

Ces règles ont directement provoqué un recours décomplexé à l’usage des armes. Lors de son audition par la commission des lois du Sénat le 5 juillet 2023, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a affirmé que « ce n’est pas parce qu’un policier enfreint la loi que celle-ci doit être changée », accusant ainsi les policiers de commettre des erreurs. À l’inverse, votre rapporteur considère que c’est le législateur qui, en 2017, a commis non pas une erreur, mais une faute, en ouvrant la voie à un emploi des armes injustifié et donc abusif.

Le cadre légal et jurisprudentiel de la légitime défense suffit à protéger les policiers dans l’exercice de leurs missions. Il s’agit du droit commun applicable à toute citoyenne et tout citoyen : rien ne saurait justifier que la police puisse s’affranchir de la règle générale, alors même que les armes dont elle dispose peuvent s’avérer dangereuses en cas d’usage inapproprié.

Soutenue par la Ligue des droits de l’Homme ([31]), cette proposition de loi constitue le prolongement de plusieurs initiatives récentes afin de sensibiliser l’opinion à ce sujet crucial. Nos collègues du groupe Écologiste – NUPES ont ainsi déposé une proposition de loi visant à modifier l’article L. 435-1 ([32]). Le groupe La France Insoumise – NUPES a également déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur  les conditions d’intervention des effectifs de la police et de la gendarmerie lors des opérations de contrôles routiers ([33]).

Si elle contribue à mettre un terme à la spirale de violences ayant coûté la vie à de trop nombreuses victimes, la présente proposition de loi s’inscrit dans un cadre plus large de réforme de la police visant à enrayer les dérives qui caractérisent aujourd’hui son fonctionnement.

B.   uN PREMIER PAS vers une réforme indispensable de la police

Réformer l’institution policière suppose de combattre efficacement son « repli clanique » pertinemment évoqué par M. Paul Rocher lors de son audition par votre rapporteur. Il convient d’exercer un contrôle véritablement effectif et indépendant de son activité si importante pour protéger le droit à la sûreté mentionné par les articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Alors que l’IGPN n’est, en l’état du droit, qu’un service actif de la police nationale placé sous l’autorité hiérarchique directe du directeur général de la police nationale ([34]), il est indispensable de procéder à la création d’un organe de contrôle externe doté de moyens suffisants pour investiguer, en toute indépendance, les cas de violences policières commis contre les citoyennes et les citoyens. Cette évolution rejoint les préconisations régulièrement émises par les travaux parlementaires afin de renforcer l’efficacité et l’impartialité des corps d’inspection, formant ainsi un large consensus qui transcende les divergences politiques ([35]).

Lors de l’audition des chefs des inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales par la commission des lois le 12 juillet 2023, notre collègue Jean-François Coulomme présentait un constat accablant : « En 2021, 836 personnes dépositaires de l’autorité publique ont été mises en cause dans une affaire de violences volontaires ; parmi elles, cinq sur six ont bénéficié d’un classement sans suite. C’est deux fois plus que pour l’ensemble de la population générale, alors que leur statut constitue une circonstance aggravante en cas de violences, et non une circonstance atténuante comme cela semble être le cas en pratique ». ([36])

Un volet procédural doit donc être envisagé, afin de garantir l’impartialité des enquêtes judiciaires menées à l’encontre des représentants des forces de l’ordre suspectés d’avoir commis des violences illégitimes. Préconisé par le Syndicat de la magistrature et la Ligue des Droits de l’Homme lors de leurs auditions, le dépaysement systématique des affaires délictuelles ou criminelles impliquant les policiers et les gendarmes favoriserait l’objectivité des investigations judiciaires. Le traitement pénal de ces violences fait l’objet de critiques légitimes au regard de l’évidente proximité relationnelle et géographique qui existe entre, d’une part, le parquet local – voire le juge d’instruction – et, d’autre part, les agents de police travaillant habituellement sous leurs ordres.

Il apparaît également nécessaire de revoir les règles relatives à l’armement de la police, au moment où les conditions d’autorisation du port d’arme hors service ont été récemment étendues dans les trains ([37]) et les lieux recevant du public ([38]). Conjugué aux défaillances de la formation continue au tir dans la police nationale, la généralisation du port d’arme accentue en effet les risques d’accidents au quotidien.

Enfin, une lutte déterminée doit être menée pour éradiquer le racisme systémique qui gangrène aujourd’hui l’institution policière. La remise de récépissés lors des contrôles d’identité est l’un des moyens susceptibles de combattre ces dérives qui altèrent profondément la relation qu’entretiennent les populations racisées avec la police.

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   Commentaire de L’article unique de la proposition de loi

Article unique
(Art. L. 435-1 et L. 511-5-11 [abrogés] du code de la sécurité intérieure, art. L. 227-1 du code pénitentiaire)
Suppression du cadre régissant les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent faire usage de leurs armes

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

La proposition de loi a pour objet d’abroger l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure qui régit les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre sont autorisées à faire usage de leurs armes.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a créé l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure.

       Position de la Commission

La Commission a supprimé le présent article.

1.   L’état du droit

a.   L’hétérogénéité des régimes juridiques avant la loi du 28 février 2017

Jusqu’à la loi du 28 février 2017, les policiers et les gendarmes étaient assujettis à des règles d’usage des armes distinctes. D’une part, l’article L. 2338-3 du code de la défense, dont les dispositions sont issues du décret du 20 mai 1903, énumérait les cas dans lesquels les gendarmes étaient autorisés à « déployer la force armée » ([39])  :

– lorsque des violences ou des voies de fait étaient exercées contre eux ou lorsqu’ils étaient menacés par des individus armés ;

– lorsqu’ils ne pouvaient défendre autrement le terrain qu’ils occupaient, les postes ou les personnes qui leur étaient confiés ou, enfin, si la résistance était telle qu’elle ne pût être vaincue que par la force des armes ;

– lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte gendarmerie » faits à haute voix cherchaient à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne pouvaient être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;

– lorsqu’ils ne pouvaient immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempéraient pas à l’ordre d’arrêt.

Ne relevant pas de ce cadre légal ad hoc dont la spécificité s’appuyait sur le caractère militaire des fonctions exercées par la gendarmerie, l’usage des armes par les policiers dans l’exercice de leurs missions s’inscrivait principalement ([40]) dans les conditions fixées par l’article 122-5 du code pénal relatif à la légitime défense.

b.   Les règles de droit commun relevant de l’état de légitime défense

Applicable à tous les citoyens, le cadre prévu par l’article 122-5 exige la réunion d’une triple condition de nécessité, de proportionnalité et de simultanéité afin de déclarer pénalement irresponsable une personne ayant recouru à la force devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui.

Article 122-5 du code pénal

N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction.

Les conditions cumulatives précitées garantissent le nécessaire équilibre entre, d’une part, la riposte autorisée en cas de menace réelle pour sa vie ou celle d’autrui et, d’autre part, le principe du droit à la vie, notamment garanti par l’article 2 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La jurisprudence appréhende strictement le concept de légitime défense en contrôlant de manière approfondie la condition de nécessité : elle exige notamment que l’atteinte ayant justifié la riposte soit avérée ([41]). La Cour de cassation vérifie également la proportionnalité des actes défensifs réalisés : l’état de légitime défense a par exemple été refusé à une personne ayant frappé à l’aide d’un bâton un individu l’ayant préalablement agressée avec un gaz lacrymogène ([42]).

Conformément à la jurisprudence européenne ([43]), le contrôle opéré par le juge judiciaire est tout aussi minutieux lorsqu’il s’agit d’évaluer le comportement d’un policier ou d’un gendarme ayant ouvert le feu dans l’exercice de ses fonctions. À titre illustratif, en 2000, la Cour de cassation n’a pas reconnu la légitime défense d’un gardien de la paix dont les tirs ont provoqué la mort du conducteur d’un véhicule qui avait tenté de se soustraire à un contrôle de police sans pour autant entrer en contact avec les forces de l’ordre. ([44])

c.   La création de l’article L. 435-1 par la loi du 28 février 2017

Depuis l’entrée en vigueur de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure créé par la loi du 28 février 2017, l’unification des règles applicables à l’usage des armes par les forces de l’ordre a considérablement étendu les conditions dans lesquelles les policiers peuvent ouvrir le feu.

À la condition d’être revêtus de leur uniforme ([45]), les policiers et les gendarmes sont ainsi autorisés à faire de l’usage de leurs armes, en cas d’absolue nécessité et de stricte nécessité :

– lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;

– lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;

– lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;

– lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;

– dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes.

En application de l’article 122-4 du code pénal, la responsabilité pénale des policiers et des gendarmes n’est donc pas engagée dès lors que l’acte qu’ils ont accompli est prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou règlementaires. Ainsi, l’article L. 435-1 constitue le fondement légal de l’irresponsabilité pénale des membres des forces de l’ordre ([46]). S’agissant spécifiquement de cas de refus d’obtempérer à la suite desquels les conducteurs des véhicules ont été tués, la Cour de cassation ([47]) a reconnu l’irresponsabilité pénale des gendarmes ayant ouvert le feu conformément au 4° de l’article L. 2338-3 du code de la défense, dont les dispositions figurent, en l’état du droit, au 4° de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure.

La volonté de clarifier et d’uniformiser le cadre légal d’ouverture du feu par les forces de l’ordre a débouché, en pratique, sur une extension non-maîtrisée des cas dans lesquels les policiers sont désormais autorisés à faire usage de leurs armes. La rédaction des 3° et 4° de l’article L. 435-1 pose un problème particulier : ces dispositions rendent possible l’ouverture du feu dès lors que les policiers et gendarmes considèrent que les individus sont « susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». La difficulté d’appréhender ce paramètre ouvre la voie à des interprétations nécessairement subjectives de la dangerosité que représentent les véhicules et les individus refusant d’obtempérer aux ordres des policiers et des gendarmes.

Face à l’impossibilité pratique de prédire, en quelques fractions de secondes, le comportement futur des conducteurs refusant d’obtempérer, les forces de l’ordre peuvent, de bonne foi, se croire autorisées à faire usage de leurs armes, indépendamment du risque réel et actuel auquel elles sont effectivement confrontées. Bien que mentionnées au premier alinéa de l’article L. 435-1, les conditions de « stricte nécessité » et « d’absolue nécessité » restent alors lettres mortes, au regard de l’anticipation par les policiers et les gendarmes d’éventuelles atteintes à leur intégrité physique ou à celle d’autrui, quand bien même ces atteintes étaient pourtant impossibles à démontrer au moment où ils ont décidé de tirer sur le véhicule.

La réforme adoptée en 2017 s’écarte ainsi délibérément du régime historique de droit commun auquel correspond l’exception de légitime défense prévue par l’article 122-5 du code pénal. Elle favorise mécaniquement une spirale de la violence dans laquelle les citoyens et les forces de l’ordre elles-mêmes sont directement mis en danger.

2.   Le dispositif proposé

La proposition de loi abroge l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure régissant les conditions d’usage des armes par les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale. Dans un objectif de coordination, la proposition de loi modifie l’article L. 227-1 du code pénitentiaire applicable aux agents de l’administration pénitentiaire en supprimant les renvois opérés par son dernier alinéa à l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Elle abroge également l’article L. 511-5-1 du même code qui autorise les agents de police municipale à faire usage de leurs armes dans les conditions prévues par les deux premiers alinéas de l’article L. 435-1.

L’évolution proposée a pour but de mettre un terme à la multiplication des dérives constatées depuis la promulgation de la loi du 28 février 2017 qui se sont soldées par une hausse inacceptable des décès résultant de l’usage accru des armes par les policiers.

L’abrogation de l’article L. 435-1 ne prive pas les forces de l’ordre de la possibilité d’ouvrir le feu dès lors que sont réunies les conditions de la légitime défense, régies par l’article 122-5 du code pénal et applicables sans distinction à tous les citoyens. Il s’agit ainsi d’assujettir l’action des forces de l’ordre aux seules règles de droit commun, afin de garantir aussi bien leur protection face aux risques auxquels elles sont exposées que de préserver l’intégrité physique des citoyens, dans le respect effectif du droit à la vie consacré par l’article 2 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

  1.   La position de la Commission

La Commission a adopté les amendements CL5 du Président  Sacha Houlié, CL10 de M. Thomas Rudigoz, CL3 de M. Fabien Di Filippo, CL4 de M.  Timothée Houssin, CL2 de M. Antoine Villedieu et CL1 de Mme Emmanuelle Ménard tendant à supprimer le présent article.

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   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 22 novembre à 9 heures, la commission examine la proposition de loi visant à abroger l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure (n° 1553) (M. Thomas Portes, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/DWUpqU

M. Thomas Portes, rapporteur. La peine de mort est abolie en France depuis 1981. Bien que son interdiction figure dans la Constitution depuis 2007, elle existe encore. Jean-Paul, Fadjigui, Boubacar, Rayana, Omar, Adam, Ryan, Amine, Zyed, Inès, Alhoussein, Nahel : ce ne sont pas des personnes condamnées par la justice qui ont perdu la vie, mais des conducteurs ou des passagers de véhicules qui n’auront jamais l’occasion de défendre leurs droits devant un juge. Ils ont été abattus par la police après un refus d’obtempérer.

Certains de ces drames sont hélas inévitables : les forces de l’ordre étant en état de légitime défense dès lors que la voiture fonce sur eux ou sur autrui. Mais la plupart de ces morts tragiques ne se justifient pas au nom de la légitime défense invoquée par les policiers. Elles s’expliquent par la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, dite loi Cazeneuve.

Présentée comme une simple harmonisation des règles applicables à l’usage des armes par les gendarmes et par les policiers, cette réforme a créé l’article L. 435-1 du code de sécurité intérieure (CSI). Elle est l’aboutissement de plusieurs mois de surenchère politique, alimentée par la pression constante des syndicats policiers. Il faut se rappeler que le rapport ayant inspiré la loi a été rédigé par la magistrate Hélène Cazaux-Charles. Nous l’avons auditionnée : elle a dénoncé la prise de distance du législateur vis-à-vis de ses conclusions.

Déjà, à l’époque, de nombreux chercheurs, de nombreux sociologues alertaient sur la dangerosité de cette loi. Dans un avis sur le projet de loi rendu le 17 janvier 2017, le Défenseur des Droits s’est opposé à l’évolution de la législation ainsi opérée, dans les termes suivants : « Le projet de loi relatif à la sécurité publique complexifie le régime juridique de l’usage des armes, en donnant le sentiment d’une plus grande liberté pour les forces de l’ordre, au risque d’augmenter leur utilisation, alors que les cas prévus sont couverts par le régime général de la légitime défense et l’état de nécessité, dès lors que l’usage de la force doit être nécessaire et proportionné, conformément aux exigences de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme ».

La doctrine juridique a également émis des critiques sévères. Mme Catherine Tzutzuiano, maître de conférences à l’université de Toulon, a estimé qu’une importante marge d’appréciation est laissée à la charge de l’agent, laquelle est de nature à priver les fonctionnaires de la sécurité juridique indispensable en ce domaine.

En tant que rapporteur de la proposition de loi déposée dans le cadre de la niche parlementaire du groupe La France insoumise, j’ai souhaité auditionner les syndicats de policiers. Je regrette que seule la CGT-Police ait répondu à ma demande d’audition. Cela en dit long sur le mépris flagrant pour le Parlement. C’est inquiétant pour notre démocratie.

En dépit des garanties d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité rappelées par son premier alinéa, l’article L. 435-1 du CSI a considérablement assoupli le recours aux armes à feu, en autorisant les forces de l’ordre à tirer dans des conditions où elles doivent diagnostiquer, en une fraction de seconde, le comportement futur de conducteurs comme un refus d’obtempérer. L’ouverture du feu dépend d’une interprétation prédictive, par essence subjective, d’un danger potentiel et non avéré. Il s’agit d’une forme de légitime défense anticipative, pour laquelle l’existence d’un danger objectif, réel et actuel n’est plus requise.

Cette évolution législative constitue une dérive, qui caractérise l’institution policière. Elle va à l’encontre des valeurs démocratiques et de l’intérêt général que celle-ci est pourtant censée servir. Le bilan humain qui en découle est particulièrement lourd – j’ai rappelé en introduction des noms de victimes.

Si la gendarmerie peut se féliciter de ne dénombrer aucune victime à la suite de tirs réalisés sur des véhicules en mouvement, les chiffres explosent en zone police. Non seulement le nombre de tirs a sensiblement augmenté entre les années 2012-2017 et 2017-2022, mais le nombre de tirs mortels a été multiplié par près de cinq depuis la promulgation de la loi Cazeneuve. En 2022, treize personnes ont été tuées par la police à la suite d’un refus d’obtempérer. Par comparaison, l’Allemagne, souvent citée en exemple dès qu’il s’agit de justifier n’importe quelle réforme néolibérale, ne compte qu’une seule personne décédée pour un refus d’obtempérer au cours de la dernière décennie.

Cette stratégie sécuritaire est aussi inefficace que meurtrière. Elle est inefficace, car elle est impuissante à juguler la hausse du nombre de refus d’obtempérer constatée au cours des dernières années, quand bien même plus de quatre refus d’obtempérer sur cinq ne présentent aucun caractère dangereux, d’après les chiffres de la sécurité routière. Elle est meurtrière, car elle laisse la possibilité à des agents de police, souvent jeunes, insuffisamment formés et entraînés au tir, d’ouvrir le feu dans des conditions qui ne sont pas celles de la légitime défense, prévues par l’article L. 122-5 du code pénal et interprétées strictement par la jurisprudence.

Sacrifier le droit à la vie, protégé par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, ne permettra jamais de renforcer la sécurité. C’est une illusion, dont nous devons sortir avant qu’il ne soit trop tard, à l’heure où la fracture entre la police et une partie de la population, notamment les jeunes issus des quartiers populaires, ne cesse de s’accroître chaque jour un peu plus.

La proposition de loi déposée par le groupe La France insoumise vise un objectif simple : abroger l’article L. 435-1 du CSI. Ce texte, contrairement à ce que j’ai entendu dire, ne privera aucunement les forces de l’ordre des moyens de se défendre si elles sont agressées. Elles agiront ainsi dans le respect de la légitime défense, comme elles l’ont toujours fait avant la loi du 28 février 2017, comme chaque citoyenne et chaque citoyen, sous le contrôle de la justice.

Députés de la République, nous devons mettre un terme à cette spirale de violence qui a coûté la vie à de trop nombreuses personnes. En tant que rapporteur de la proposition de loi, j’ai auditionné les familles de victimes des tirs mortels commis par la police. J’ai été frappé par leur dignité, leur courage et leur détermination à porter une parole qui ne trouve pas la place qu’elle mérite dans le traitement médiatique de ces drames. Le texte est aussi l’occasion de leur rendre hommage et de continuer un combat auquel se rallient de nombreux collectifs citoyens et associations de défense des droits de l’Homme.

Il vise aussi à restaurer la fonction première d’une police républicaine, conformément à l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, que vous me permettrez de citer : « La force publique est instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Plus de deux siècles plus tard, nous devons rester fidèles aux idéaux de la Révolution française, à l’heure où les forces réactionnaires sont prêtes à écarter nos libertés publiques pour assouvir des fantasmes sécuritaires et racistes. La proposition de loi est aussi l’occasion de défendre nos principes et les droits fondamentaux que nous devons garantir à chacune et chacun d’entre nous : 65 % des Françaises et des Français sont favorables à l’abrogation de la loi Cazeneuve.

À rebours des caricatures qui en sont faites, notre objectif n’est pas de désarmer la police, ni d’empêcher les policiers d’exercer leur droit à la légitime défense. Il s’agit de dire que la légitime défense, pour les policiers, doit être la même que pour les autres citoyens. Il n’y a pas de justiciables différents les uns des autres. À l’heure où certains groupes politiques veulent étendre la présomption de légitime défense pour donner aux policiers l’occasion de tirer dans toutes circonstances tout en étant protégés par la loi, nous défendons l’idée simple que la légitime défense existe et que les policiers doivent être protégés, mais comme tout citoyen, afin que la légitime défense protège tous les citoyens de ce pays.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Thomas Rudigoz (RE). Monsieur le rapporteur, il y a quelques mois, votre camarade de groupe Louis Boyard lançait le « blocus challenge » pour encourager les lycéens à bloquer leur établissement, avec peu de succès. Ce que nous ne savions pas, c’est qu’il était un précurseur. S’il fallait résumer la stratégie, ou plutôt la tactique du groupe La France insoumise, je dirais que c’est d’abord celle des coups, des challenges. Nous avons ainsi eu droit, au cours des seize derniers mois, à l’« obstruction challenge » – des milliers d’amendements pour bloquer notre Parlement – puis au « désordre challenge » – à qui perturbera le plus nos séances –, dont vous occupiez la tête du classement.

Celui qui nous occupe aujourd’hui est l’« antiflics challenge ». Sans doute récompensez-vous la personnalité politique qui aura le mot le plus dur et le plus insultant à l’égard de nos forces de l’ordre – les policiers ont « tué » en vertu d’un « permis de tuer », ce qui vaut rétablissement de « la peine de mort » par des policiers dépeints comme des barbares coupables de « dérives meurtrières », d’après votre exposé des motifs. Les mots que vous et certains de vos amis utilisez sont violents, outranciers, inutilement insultants et totalement irrespectueux du travail de milliers de policiers et de gendarmes qui, chaque jour, mettent leur vie en péril pour assurer la sécurité de nos concitoyens, de notre pays, de certains élus – dont certains Insoumis – et de nos institutions.

Cette commission a lancé il y a quelques semaines, à l’initiative du président Houlié, une mission d’information sur la hausse du nombre de refus d’obtempérer et les conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre, dont Roger Vicot et moi-même sommes rapporteurs. Vous proposez, avec vos présupposés et vos stéréotypes sur la police, de légiférer sans que le bilan de la loi Cazeneuve n’ait été tiré. À en juger par vos mots et par votre proposition de loi, vous cherchez non à travailler sur le fond, mais à provoquer le conflit et à désigner des cibles. Décidément, votre groupe n’a pas grand-chose à envier au Rassemblement national : leurs cibles sont les migrants, les vôtres les policiers. Il vous faut des boucs émissaires à désigner à la vindicte populaire.

Les travaux de notre mission d’information ont débuté il y a seulement un mois. Votre proposition de loi est une manière peu élégante de vous asseoir une nouvelle fois sur le Parlement. Alors même que vous passez vos journées à donner des leçons de respect de l’Assemblée nationale, vous n’avez même pas celui d’attendre nos conclusions.

Parmi les nombreuses auditions que Roger Vicot et moi-même menons, nous avons auditionné des syndicats de policiers, des gendarmes, des magistrats, des chercheurs, des universitaires, des avocats et des organisations de défense des droits de l’homme. Personne n’a utilisé les mots que vous employez, pas même les plus farouches opposants à la loi Cazeneuve, au sujet de laquelle je n’ouvrirai pas le débat sur le fond, dans l’attente de nos conclusions.

Au nom du groupe Renaissance, j’ai déposé un amendement de suppression de l’article unique de la proposition de loi. Cette démarche ne nous est pas coutumière, car nous avons pour habitude de laisser prospérer les propositions de loi déposées dans le cadre des niches parlementaires, comme l’a rappelé récemment notre président de groupe, Sylvain Maillard ; mais nous n’oublions pas que l’évaluation parlementaire est l’un des piliers du travail parlementaire, et qu’il faut la respecter. Nous sommes totalement opposés à votre texte.

M. Timothée Houssin (RN). Chers collègues du groupe La France insoumise, vous qui manifestez aux côtés du comité Adama, au milieu de manifestants scandant « Tout le monde déteste la police ! », vous instrumentalisez ici avec une rare malhonnêteté des drames pour faire le procès, uniquement à charge, du travail de nos policiers. Ainsi, le groupe La France insoumise nous rappelle la mort, terrible, des jeunes Nahel Merzouk à Nanterre et Alhoussein Camara en Charente, tous deux décédés à la suite de refus d’obtempérer ayant entraîné des tirs de la police. Pourtant, jamais il n’est précisé qu’à seulement 17 ans, et par nature sans permis, Nahel, qui conduisait de façon très dangereuse en pleine ville, était déjà l’auteur de cinq refus d’obtempérer ayant entraîné deux arrestations. Jamais il n’est rappelé que le policier ayant ouvert le feu sur Alhoussein Camara a été percuté et blessé par le véhicule de ce dernier lors du refus d’obtempérer.

Jamais, ni dans votre texte, ni dans vos discours, vous n’avez un mot pour les forces de l’ordre, ni pour les trois policiers blessés samedi dans l’Essonne, après qu’un délinquant a délibérément foncé sur leur véhicule, ni pour ceux renversés délibérément par le conducteur d’une voiture volée dimanche en Seine-et-Marne, ni pour le policier traîné sur dix mètres mercredi dernier dans les Yvelines par le chauffeur d’un véhicule refusant un contrôle routier, contre lequel son collègue a dû utiliser son arme. Mardi, c’est dans le Val-d’Oise qu’un policier a été percuté et traîné par une voiture. Mais pour eux, vous ne manifestez pas et vous ne faites pas de propositions de loi.

Aucune réaction de votre part au jugement survenu lundi dernier à Nantes : un jeune de 16 ans qui, au volant d’une voiture volée, a projeté un policier au sol et l’a traîné sur une vingtaine de mètres – ce qui a entraîné une perte de connaissance et des séquelles graves – a été condamné à seulement 35 heures de travaux d’intérêt général. Jamais vous ne parlez de la valeur de la vie des policiers. Jamais vous ne parlez de ce trentenaire tué à Paris ou de ces deux femmes de 20 ans tuées en Gironde par les conducteurs de véhicules qui venaient de refuser de s’arrêter pour un contrôle de police.

Si nos policiers en viennent parfois à ouvrir le feu sur des véhicules dont les conducteurs refusent d’obtempérer, c’est parce qu’ils sont un danger mortel pour nos fonctionnaires comme pour les populations. Jamais vous ne rappelez que nos policiers subissent plus de 27 000 refus d’obtempérer par an, ni que c’est cela qui entraîne 161 coups de feu, soit un pour 170 refus d’obtempérer, et malheureusement un mort tous les 6 750 refus d’obtempérer. En dépit de ces réalités, au cours des vingt dernières années, un seul policier a été condamné à de la prison en raison d’un tir mortel injustifié visant un véhicule, celui d’un trafiquant de drogue armé mais ne mettant pas immédiatement en danger les policiers ou les citoyens.

Certes, le nombre de morts suite à des tirs de policiers liés à un refus d’obtempérer augmente, mais c’est la conséquence directe de l’explosion du nombre de refus d’obtempérer auxquels font face nos policiers et nos gendarmes. Face à cette situation alarmante, vous ne proposez pas de lutter contre l’explosion du nombre de refus d’obtempérer, mais de désarmer la police, et pas uniquement pour les refus d’obtempérer. Votre texte supprime l’article L. 435-1 du CSI, qui autorise les policiers à faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée, notamment si des personnes armées menacent leur vie ou celle d’autrui, si, après deux sommations, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées et s’ils ne peuvent empêcher autrement la réitération de meurtres ou de tentatives de meurtres.

Votre exposé des motifs le dit clairement : pour vous, les policiers doivent être « soumis, comme tout autre citoyen, au principe de légitime défense prévu à l’article L. 122-5 du code pénal ». Contrairement à vous, nous ne voulons pas aligner le statut des policiers, en matière d’usage des armes, sur celui des citoyens. Au Rassemblement national, nous ne détestons pas la police. Contrairement à ce que vous affirmez, la police ne tue pas ; elle nous protège. Contrairement à vous, nous ne voulons pas interdire à nos policiers d’utiliser leur arme si une personne au volant d’un véhicule menace leur vie ou celle de nos concitoyens. Nous ne voulons pas non plus supprimer les dispositions de l’article L. 435-1 du CSI permettant à nos policiers de faire usage de leur arme si cela est nécessaire pour leur protection et celle d’autrui.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). La République peut se prévaloir d’avoir aboli la peine de mort. Dès lors, pourquoi continue-t-elle de fermer les yeux et de cautionner, sinon d’encourager, les exécutions extrajudiciaires commises par ses fonctionnaires dans l’exercice de leur mission ? Les situations se ressemblent presque toutes : une nuit, un véhicule en mouvement, trois agents entreprenant un contrôle d’identité auprès d’un automobiliste arrêté sur le bas-côté ; un refus d’obtempérer identifié par les agents, des tirs non réglementaires par des fonctionnaires mal formés, épuisés, stressés et victimes du syndrome de la citadelle assiégée ; un mort dans des circonstances troubles, que les familles des victimes mettent de longues années à éclaircir dans le cadre de procédures épuisantes et interminables ; une vérité écrasée par un appareil judiciaire qui protège, dès l’enquête et de manière flagrante, les fonctionnaires mis en cause ; un système qui nourrit un sentiment d’impunité et trahit la promesse d’égalité républicaine qui constitue le fondement de notre contrat social.

En cinq ans, le nombre de personnes tuées par des policiers a été multiplié par cinq. D’où vient cette inflation létale que les travaux du chercheur Sebastian Roché documentent minutieusement depuis plusieurs années ? Au début de l’année 2017, le Premier ministre Cazeneuve a tenu à modifier le CSI. Il a aligné le régime d’emploi de la force des agents de la police nationale, supposément sans défense, sur celui de la gendarmerie. Des années plus tard, nous déplorons, tous les deux mois en moyenne, la mort d’un homme, tué par la police à l’occasion d’un refus d’obtempérer.

Les rapports annuels de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) font état d’une certaine stabilité du nombre de tirs chez les gendarmes au cours de la dernière décennie. Dans la police, ce chiffre augmente de 12 % de 2012 à 2021 ; 60 % des usages d’armes individuelles se rapportent à des tirs sur véhicule. En 2022, douze personnes ont trouvé la mort dans des conditions similaires. Et puis il y a eu Nahel, celui dont l’exécution était si évidente, si violemment injuste qu’elle a mis le feu aux poudres de la révolte partout en France. Le Gouvernement a choisi de la réprimer brutalement. Nous, nous choisissons d’apporter la justice pour qu’advienne la paix, et nous voulons rendre leur dignité à Angelo, à Souleimane, à Souheil, à Olivia, à Olivio, Gaye, Bakaré, Amine, Nordine et aux autres, ainsi qu’à leurs proches.

La loi Cazeneuve a provoqué une confusion mortelle dans l’appréciation des conditions de la légitime défense par les personnels disposant de l’exercice de la violence légitime. Elle portait en elle un effet psychologique de désinhibition en matière d’utilisation de l’arme à feu individuelle. En introduisant un dispositif d’usage de la force permissif en contradiction radicale avec le droit international, elle a envoyé un signal à des fonctionnaires de police peu formés, soumis à des biais comportementaux dans l’appréhension d’une clientèle policière – ou d’un « gibier de police », pour reprendre l’expression de sociologues – constituée d’une population racialisée et jugée par essence dangereuse, qui concentre l’essentiel de leur attention en matière de contrôle d’identité et de répression physique, en allant des mutilations aux exécutions.

Cette loi a envoyé un signal mortel aux éléments les plus dangereux qui se cachent parmi nos forces de l’ordre, et qui l’ont comprise comme un permis de tuer. Son abrogation relève de la salubrité publique. Elle est approuvée par deux tiers de la population, selon notre sondage. Elle enverra le signal contraire, en attendant la nécessaire réforme de la doctrine d’emploi de nos forces de l’ordre, dont la formation doit être revue et renforcée pour privilégier la désescalade dans chacune de leurs interventions.

Mme Mathilde Desjonquères (Dem). Après plusieurs drames survenus à l’occasion de refus d’obtempérer, la question de l’usage des armes par les forces de l’ordre suscite une nouvelle fois de lourds débats. La loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, qui a modifié les règles d’usage de leur arme de service par les policiers, est spécifiquement visée.

Notre groupe est particulièrement attaché aux valeurs cardinales d’un État de droit, d’une démocratie moderne, donc à la légitimité dont bénéficient les forces de l’ordre pour y concourir. L’article 435-1 du CSI, issu de la loi du 28 février 2017, prévoit que les forces de sécurité intérieure (FSI) sont autorisées à faire usage de leurs armes dans l’exercice de leurs fonctions et dans des situations très précises. Il précise que l’usage de l’arme doit obéir à des critères d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité, appréciées in concreto par le juge.

Les dispositions en vigueur ne sauraient affranchir les FSI de l’absolue nécessité et de la stricte proportionnalité dans l’usage de leurs armes. Le cadre d’utilisation des armes fixé par le CSI prévoit que, dès lors que l’utilisation d’une arme est justifiée par la légitime défense ou par l’autorisation de la loi, son recours est régi par les mêmes principes d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité, tels qu’ils découlent de la CEDH.

Comme l’indique le rapport du Sénat sur la loi du 28 février 2017, la Cour de cassation a estimé, pour admettre la conventionnalité de l’ancien article L. 23-38-3 du code de la défense – lequel posait, avant l’unification des régimes de 2017, le cadre juridique d’usage des armes par les gendarmes –, que faire usage des armes dans le cadre fixé par la loi ne dispense pas les juges de déterminer si l’usage de la force était absolument nécessaire en l’état des circonstances, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) exigeant un contrôle in concreto.

Si solide que soit ce cadre, il faut bien constater que la recrudescence des refus d’obtempérer a une incidence sur les modalités d’utilisation des armes par les forces de l’ordre. De la même façon, le degré et le volume de formation dont bénéficient les forces de l’ordre ont soulevé des questions au sein de la représentation nationale. C’est pourquoi notre commission a lancé, le mois dernier, une mission d’information sur la hausse du nombre de refus d’obtempérer et les conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre. Compte tenu de l’importance du sujet abordé par la proposition de loi, il semble sage d’attendre la publication du rapport de cette mission d’information avant de modifier la législation en vigueur.

Par ailleurs, je déplore que ce texte n’ait d’autre objectif que d’installer l’idée pernicieuse que les forces de l’ordre bénéficieraient d’un permis de tuer. Par l’utilisation d’un champ lexical accusatoire – « permis de tuer », « peine de mort » – aux fins d’établir l’existence d’une présomption d’illégitimité des prérogatives des forces de l’ordre, vous contribuez à asseoir un climat délétère et non apaisé. Or, notre groupe entend veiller à ce que les relations entre nos concitoyens et nos fonctionnaires de police demeurent apaisées.

Le groupe Démocrate ne votera pas le texte.

M. Roger Vicot (SOC). La temporalité choisie pour la présentation de ce texte m’étonne un peu, dans la mesure où notre commission a décidé de créer en son sein une mission d’information sur la hausse du nombre de refus d’obtempérer et les conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre, qui a déjà commencé ses travaux. Nous prévoyons, avec M. Rudigoz, de conduire nos auditions jusqu’à fin janvier ou début février. Nous allons entendre les gens du métier et les spécialistes de ces questions. La pire manière d’évaluer une loi, à mon sens, est de s’envoyer des faits divers à la tête. Il nous faut continuer sereinement nos travaux, afin d’améliorer notre compréhension de ces problématiques.

Monsieur Portes, je voudrais rectifier un propos que vous avez tenu : si l’article L. 435-1 était supprimé, les policiers seraient certes à nouveau soumis au droit commun de la légitime défense, mais pas comme n’importe quel Français. En effet, la loi Cazeneuve a aligné le régime juridique des policiers sur celui des gendarmes et des douaniers, qui présente un caractère dérogatoire.

À ce stade, notre groupe ne juge pas opportun de supprimer cette disposition. Laissons la mission d’information travailler et attendons ses conclusions – peut-être proposera-t-elle de réécrire ou de supprimer l’article en question... Nous ne prendrons pas part au vote.

M. Didier Lemaire (HOR). La proposition de loi que vous présentez dans le cadre de votre niche vise à supprimer les dispositions législatives encadrant l’utilisation des armes à feu par les membres de la police nationale, les gendarmes, les policiers municipaux et les surveillants pénitentiaires, et à soumettre ces derniers au régime de droit commun de la légitime défense. Je me permets de rappeler à toutes fins utiles que les dispositions que vous souhaitez voir abrogées ont été adoptées, sous l’impulsion de Bernard Cazeneuve et de la majorité parlementaire socialiste, à la suite des attentats de 2015 et de l’attaque au cocktail Molotov de policiers à Viry-Châtillon en 2016. À l’époque, le gouvernement Cazeneuve avait considéré que les conditions de la légitime défense étaient inadaptées à l’action des forces de police et notamment à leur mission de sécurité publique. En conséquence, il avait décidé de faire évoluer le cadre juridique de l’usage de leurs armes.

Il résulte des dispositions législatives actuelles que, dans les cas légalement prévus et sous réserve d’une absolue nécessité et du strict respect de la proportionnalité, les forces de sécurité intérieure, « dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité », sont autorisés à recourir à la force armée. Lorsque l’ensemble des conditions sont remplies, et uniquement à ces conditions, les forces de l’ordre bénéficient d’une irresponsabilité pénale. Hors ces cas, l’ensemble des forces de l’ordre retombent dans le régime de droit commun de la légitime défense.

Le régime prévu par la loi n’est pas très éloigné des conditions devant être réunies pour prouver qu’il a été fait usage d’une arme en situation de légitime défense. En outre, ce régime s’inscrit dans le cadre juridique défini par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière exige en effet qu’un cadre juridique et administratif strict définisse les conditions dans lesquelles les responsables de l’application de la loi peuvent recourir à la force et faire usage d’armes à feu. Les États doivent instituer des garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire et l’abus de la force.

Le groupe Horizons et apparentés est profondément attaché au principe selon lequel il faut protéger ceux qui nous protègent. Il est en effet inconcevable que les forces de l’ordre, lorsqu’elles agissent dans le cadre de leur mission et dans le respect du cadre légal, puissent voir leur honneur et celui de toute leur profession salis par des suspicions et des positions navrantes telles que « la police tue ».

Contrairement à ce que votre proposition de loi sous-entend, l’usage des armes à feu par les forces de sécurité intérieure est strictement encadré et ne conduit en aucun cas à l’impunité, sous quelque forme que ce soit. Au contraire, la loi traite de manière différente des personnes placées dans une situation différente. Les policiers et les gendarmes n’exercent pas une profession normale. Ils constituent le cœur de l’État. Ces femmes et ces hommes s’engagent en faveur de la protection de nos concitoyens et ce, souvent au détriment de leur vie personnelle.

Convaincu de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions en cause, le groupe Horizons et apparentés votera contre la proposition de loi.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Comme je le craignais, le débat a commencé sur des bases un peu dévoyées et factices, qui conduisent à se demander qui serait pro ou anti-police. Telle n’est pas la question, car nous partageons tous, ici, me semble-t-il, quelle que soit la façon dont on l’exprime, un même objectif : assurer la sécurité de chacune et de chacun, comme nos textes fondamentaux nous l’imposent, et offrir un égal accès au droit sur l’ensemble du territoire.

Vous êtes nombreux, chers collègues, à vouloir rejeter le texte. Les écologistes, pour leur part, souhaitent l’amender, en partant du principe que nous voulons toutes et tous un cadre cohérent et partagé, facile d’accès pour les agents chargés de l’appliquer comme pour la population, et offrant une complète sécurité.

Or, force est de constater que la rédaction retenue par la loi Cazeneuve sur le refus d’obtempérer reste floue. Il semble urgent de la clarifier, pour les agents comme pour les citoyens. La vie de nos agents et de nos militaires ne doit plus être mise en danger par les refus d’obtempérer.

Les politiques actuelles ne marchent pas. Les refus d’obtempérer, comme le nombre de personnes blessées et de victimes de tir ne diminuent pas. Il faut donc réfléchir autrement, comme y invite la proposition de loi. Ces drames endeuillent trop de familles. Sabrina Sebaihi, élue à Nanterre, peut témoigner de la douleur ressentie par la mère de Nahel d’avoir vu son fils mourir ainsi. On compte, hélas, beaucoup trop de mères dans la même situation. Cela abîme aussi, il faut le rappeler, la vie des agents qui ont tiré. Aucun d’entre eux ou d’entre elles ne se lève le matin, je pense, en se disant : je vais tuer quelqu’un. Cela ne fait pas partie de ce pour quoi ils ont signé, et ça devient pourtant une réalité qu’ils ont à assumer.

Les effets de ces drames dépassent très largement le cadre de la loi et de l’organisation de la police. Ils s’étendent à l’ensemble de la société, provoquant parfois manifestations et émeutes. Ce sujet, qui nous préoccupe toutes et tous, a partie liée à la démocratie.

Enfin, il faut changer parce qu’on peut faire autrement, comme le montrent ceux qui assurent la sécurité de 52 % de la population française sur 80 % du territoire, à savoir les gendarmes. Ceux-ci suivent en effet des formations pour apprendre à agir d’une manière différente et disposent de kits pour les aider à atteindre cet objectif. Les chiffres indiquent – et l’IGGN l’a démontré lors d’une audition – que l’on ne déplore aucun décès à la suite d’un refus d’obtempérer dans les rangs de la gendarmerie ou des personnes contrôlées. On sait donc faire autrement ; nous avons des textes et des formations adaptés. Des agents et des militaires, qui font correctement leur travail, bénéficient en retour de la reconnaissance de la population. Dès lors, pourquoi n’est-on pas capable de généraliser ces modalités d’intervention, d’offrir le même cadre de travail, d’emploi et de sécurité aux agents et aux citoyens ?

Cela implique un entraînement adapté et permanent, objet de l’amendement CL12 qui, je l’espère, pourra être examiné. Cela passe aussi par la définition d’un cadre cohérent et partagé, deux conditions qui sécurisent les militaires aujourd’hui et qui pourraient sécuriser les agents de police demain, deux principes qui sont de nature à réparer le lien entre police et population. L’amendement CL11 vise ainsi à supprimer le 4° de l’article L. 435-1 du CSI. Cette évolution nous rendrait fiers de nos institutions, que l’on porte ou non l’uniforme. Il me semble que c’est une proposition pragmatique et de droit.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La mort de Nahel, le 27 juin à Nanterre, la vision des images, presque en direct, de la mort d’un jeune homme de 17 ans à la suite d’un refus d’obtempérer a créé, me semble-t-il, une onde de choc dans le pays. On a constaté, immédiatement, une grande émotion dans la population, et on a vu des villes populaires, en milieu urbain comme en zone rurale, s’enflammer dans les jours qui ont suivi. Nahel, c’est évidemment un mort de trop, mais c’est aussi un mort de plus. Ce drame devrait toutes et tous nous alerter et nous inviter à agir. Il est important que nous puissions débattre de la proposition de loi de La France insoumise car le sentiment assez général – et justifié – dans le pays, c’est que rien n’a été fait en la matière depuis le décès de ce jeune homme.

La loi relative à la sécurité publique, votée en 2017, a modifié l’article L. 435-1 du CSI afin d’élargir les conditions d’usage, par les policiers, de leur arme à feu, les faisant ainsi bénéficier d’un régime assez semblable à celui des gendarmes. Toutefois, on constate que des changements doivent être effectués en termes de culture, de pratique et de formation. Le texte présenté par Thomas Portes pourrait être une occasion de le faire.

La rédaction introduite en 2017 a pour effet de délivrer un permis d’ouvrir le feu lorsque le refus d’obtempérer d’un automobiliste est susceptible de menacer physiquement les policiers ou des passants dans sa fuite. Dès lors, un chauffard qui refuse de s’arrêter ou démarre en trombe peut être neutralisé dans sa fuite, sans que le policier auteur du tir ne soit mis en cause. Cela amène des députés d’extrême droite à nous proposer d’instaurer un permis de tuer par le biais de la reconnaissance d’office de la légitime défense pour les policiers. Voyez dans quoi nous sombrerions si nous glissions vers cela.

L’évolution de 2017 a gravement fragilisé les deux conditions légales d’ouverture du feu, à savoir l’absolue nécessité et la stricte proportionnalité. Pis, cette loi a ouvert la voie à la multiplication des tirs mortels pour refus d’obtempérer. Depuis la réforme, les tirs sur des véhicules en mouvement, qui représentent environ 60 % du total des tirs effectués par la police française chaque année, ont augmenté. En 2017, leur nombre a même bondi de 47 % par rapport à 2016, et en 2022, en moins de sept mois, dix personnes âgées de 20 à 35 ans sont mortes, tuées par balles par des policiers à la suite d’un refus d’obtempérer. Et nous ne devrions rien faire, nous, en notre qualité de législateurs, face au décès de jeunes ou de moins jeunes, la plupart du temps issus de milieux populaires et, disons-le, racisés – Noirs, Arabes ou identifiés comme tels.

Ces chiffres, d’ailleurs, ont inquiété jusqu’au cœur de la police. Un haut fonctionnaire de cette institution a affirmé : « Le nombre de personnes décédées depuis le début de l’année ne peut pas nous laisser indifférents. » Voilà le message que mon groupe souhaite faire passer : nous ne pouvons pas rester indifférents. La mort de Nahel comme celles qui l’ont précédée, et les mots prononcés au lendemain du drame par sa mère, nous invitent à agir. Il ne s’agit pas que d’un fait divers, mais, plus largement, d’un fait de société.

M. Paul Molac (LIOT). Je commencerai par un retour en arrière. Il y a un an, notre assemblée discutait d’une proposition de loi du groupe Rassemblement national qui visait à instituer une présomption de légitime défense pour les membres des forces de l’ordre. Aujourd’hui, voilà une proposition de loi qui, à l’inverse, vise à supprimer le cadre légal du recours aux armes de ces mêmes forces de l’ordre. Ces deux textes, bien qu’opposés, pèchent par leur excès, alors que nous avons besoin d’un peu d’apaisement et de stabilité. Notre groupe ne soutiendra donc pas cette proposition de loi.

Le droit actuel repose sur un équilibre. Le modifier sous le coup de l’émotion n’aurait que des effets négatifs. Notre groupe réfute l’idée selon laquelle les policiers seraient détenteurs d’un permis de tuer. Contrairement à ce que prétendent les auteurs de la proposition de loi, les forces de l’ordre ne peuvent utiliser leurs armes à feu que dans un cadre très strict. La loi Cazeneuve n’a pas remis en cause ce cadre. Policiers et gendarmes ne peuvent utiliser leurs armes qu’en cas d’absolue nécessité, en respectant le principe de proportionnalité. L’article L. 435-1 du CSI énumère limitativement les cas d’usage des armes : je mentionnerai en particulier la défense face à une atteinte à la vie, ou l’action menée dans le but exclusif d’éviter la réitération d’un meurtre. Qui pourrait considérer que ces cas ne justifient pas le recours par les forces de l’ordre à leurs armes ? Supprimer cet article du code de la sécurité intérieure, ce serait effacer ce cadre.

L’actualité, aussi difficile soit-elle, ne doit pas guider la plume du législateur, même si les chiffres nous interpellent. En 2022, treize personnes seraient mortes après un tir de police lié à un refus d’obtempérer, contre deux en 2020 et une en 2021. Or, cette proposition de loi, déposée juste après la mort de Nahel, a été écrite sous le coup de l’émotion, comme en témoigne le fait qu’elle n’entend pas seulement supprimer les cas de recours aux armes face à un refus d’obtempérer, mais vise également à abroger l’article dans son intégralité.

En tout état de cause, lorsqu’un agent des forces de l’ordre fait usage de son arme en l’absence de nécessité et de légitime défense, et sans respecter le principe de proportionnalité, il doit être sanctionné. À la suite de la mort du jeune Nahel, le policier auteur du tir a d’ailleurs été placé en détention, et une information judiciaire pour homicide volontaire a été ouverte. Il faut laisser notre justice apprécier ces affaires au cas par cas, pour éviter tout abus. Si un débat doit avoir lieu sur l’évolution du cadre de la légitime défense, il doit être guidé par la raison et non par l’émotion.

En conclusion, chers collègues, je crains que le remède que vous nous proposiez soit pire que le mal.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Après avoir affirmé que « la police tue », La France insoumise ose l’amalgame entre la peine de mort et les décès de personnes consécutifs à des refus d’obtempérer, induisant ainsi que la police serait détentrice d’un « permis de tuer » – ce sont vos mots. Selon vous, ce permis de tuer pour refus d’obtempérer aurait pour fondement l’article L. 435-1 du CSI, créé par la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Votre proposition de loi demande donc, selon vos propres termes, l’abrogation de ce « permis de tuer ». Or, laisser croire que la police tue, c’est nier qu’un distinguo doive être fait entre une éventuelle faute d’un policier – cela arrive, personne ne le nie ici, et chaque fois que cela se produit, les agents concernés sont poursuivis – et un pouvoir général de tuer.

Cette absence de distinction est non seulement fausse, mais aussi dangereuse car, faut-il le rappeler, les forces de l’ordre assurent notre sécurité au quotidien avec courage et dévouement. Lorsqu’on sait qu’un refus d’obtempérer se produit toutes les trente minutes en moyenne en France, je suis plutôt étonnée qu’il n’y ait pas plus d’accidents, et je tire mon chapeau au sang-froid de nos forces de sécurité. Cette proposition de loi est une véritable insulte au travail de nos forces de l’ordre. Je pense au contraire qu’il serait urgent de rétablir l’autorité morale de nos forces de sécurité en leur manifestant clairement le soutien plein et entier de l’État dès lors qu’elles agissent pour assurer la sécurité des Français mais aussi leur propre sécurité comme celle de leurs équipiers. C’est pourquoi je voterai évidemment contre ce texte de La France insoumise.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des autres députés, en l’occurrence à celle de M. Léaument.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). La question des refus d’obtempérer, de la manière dont les policiers traitent ces cas tient tout entier dans nos textes constitutionnels. L’article 66 de la Constitution dispose que « nul ne peut être arbitrairement détenu ». À plus forte raison, nul ne peut être arbitrairement tué. Aux termes de l’article 66-1 de la Constitution, « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Or c’est ce qui se passe quand une personne refuse d’obtempérer et qu’elle en meurt. Une telle infraction est punie de deux ans d’emprisonnement, ce qui est tout de même un petit peu moins que la peine de mort.

L’article 2 de notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ». Parmi ces droits figurent la sûreté et la résistance à l’oppression. La sûreté signifie, par exemple, ne pas se faire tuer par les forces de police.

L’article 7 de la même Déclaration est finalement le seul que vous souhaiteriez conserver. Il dispose, je cite : « […] tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. » En effet, normalement, on ne doit pas refuser d’obtempérer lorsqu’on est arrêté.

Vous ne voulez pas non plus de l’article 8 de ce même texte, aux termes duquel « […] nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit […] ». Expliquez-moi en quoi la peine de mort est une punition qui serait appliquée en fonction d’une loi promulguée antérieurement au délit… Ça n’est pas possible, puisque la peine de mort a été abolie dans notre pays.

L’article 9 de la même Déclaration dispose que « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il faudrait donc sévèrement réprimer ces actes par la loi à chaque fois qu’ils se produisent, et non pas faire preuve d’indulgence parce que, lorsqu’on porte un uniforme, on est responsable.

Enfin, aux termes de l’article 12 du même texte, « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Si vous voulez appliquer cette Déclaration et notre Constitution, il vous faut accepter la proposition de loi présentée par Thomas Portes.

M. Thomas Portes, rapporteur. Monsieur Rudigoz, vous avez évoqué la mission d’information qui est en cours. Vous entendre parler de démocratie et de respect du débat, quand vous soutenez un Gouvernement qui utilise le 49.3 tous les quatre jours pour nous empêcher de débattre, me fait doucement sourire. Nous n’avons pas besoin d’une mission d’information, car les chiffres sont déjà sur la table : quinze décès ont eu lieu depuis le 1er janvier 2022. Par ailleurs, on a compté 596 tirs sur des véhicules en mouvement entre 2012 et 2016, soit 119 par an, contre 967 entre 2017 et 2022, ce qui en fait désormais 161 par an.
Et ce ne sont pas mes chiffres, mais ceux de l’IGPN, selon qui la hausse est de 35 %. En ce qui concerne la police, l’augmentation a même été de 47 % entre 2016 et 2017. Autre chiffre, le nombre mensuel de décès après des tirs sur des véhicules en mouvement est passé de 0,06 de 2011 à 2017 à 0,32 entre 2017 et 2022. Voilà la réalité de la loi adoptée en 2017 à la demande de Bernard Cazeneuve.

Ce n’est pas la foire à celui qui aura la proposition la plus radicale : ce que je souhaite, c’est que plus aucun jeune ou aucune jeune, plus aucun passager ou aucune passagère ne décède après un refus d’obtempérer et que plus aucun policier ou aucune policière, plus aucun gendarme ou aucune gendarme ne soit blessé après un refus d’obtempérer. La loi de 2017 n’a rien réglé. Elle entraîne simplement la mort de davantage de personnes. Trop de familles sont endeuillées, trop de gens ont perdu la vie pour un refus d’obtempérer : c’est absolument inacceptable.

Les amendements de suppression qui ont été déposés montrent qu’il existe une coalition entre la droite, l’extrême droite et la Macronie pour faire tomber cette proposition de loi et, partant, faire en sorte que des policiers continuent à faire usage de leur arme dans un cadre qui n’est pas celui de la légitime défense et qui entraîne des morts. Car oui, des gens sont tués par des policiers, c’est une réalité que les chiffres établissent d’une manière incontestable.

Le collègue qui s’est exprimé au nom du Rassemblement national a rappelé des faits absolument dramatiques, dans lesquels on a attenté à la vie de policiers ou de gendarmes, mais je ne vois pas en quoi la légitime défense, telle qu’elle est prévue par le code pénal, n’aurait pas permis à des policiers ou à des gendarmes d’intervenir.

Vous dites, par ailleurs, que nous sommes anti-police et que nous ne proposons rien pour elle. Je rappelle pourtant que mon collègue Alexis Corbière a demandé, durant la précédente législature, la création d’une commission d’enquête sur les suicides dans la police. Aujourd’hui, la principale cause de décès des fonctionnaires de police est en effet le suicide par arme à feu. Le nombre de policiers qui décèdent dans l’exercice de leurs fonctions est, en revanche, plus faible qu’il y a vingt ans, ce qui est tout à fait heureux et il faut continuer à faire baisser ce chiffre. Évitez de caricaturer nos positions. Personne n’a dit, s’agissant de ce texte, qu’il fallait désarmer la police. Si nous posons cette question, c’est dans le cadre du schéma national du maintien de l’ordre, qui est un sujet différent. Nous constatons en l’occurrence, selon les chiffres de l’IGPN, je le répète, une hausse du nombre de tirs et de décès.

Je ne reviendrai pas, en réponse à notre collègue socialiste, sur la question de la mission d’information, sinon pour redire que les chiffres sont là. Il faut abroger la loi de 2017 : on ne peut plus accepter que des gens décèdent dans ces conditions. Si un nouveau décès a lieu, malheureusement, dans les prochaines semaines après un refus d’obtempérer, vous expliquerez sans doute à la famille qu’il existait une mission d’information mais qu’on attendait ses conclusions. Ce n’est pas sérieux ! Je comprends que vous soyez mal à l’aise, car la majorité qui était la vôtre, à l’époque, a voté le texte dont nous parlons, mais vous devez faire face à vos choix politiques.

Vous avez également parlé de faits divers : je m’inscris en faux contre l’usage de ces termes. Les décès en cause ne sont pas des faits divers, ce sont des familles endeuillées et des jeunes qui sont morts à la suite de tirs de policiers. Cela nous impose de mener une réflexion politique sur la manière d’éviter que des jeunes continuent à être tués après un refus d’obtempérer. Les statistiques le montrent, et ce ne sont pas, encore une fois, les chiffres de La France insoumise ou d’organisations syndicales, mais ceux d’instances qui dépendent du ministère de l’intérieur : l’usage des armes à feu a augmenté après l’adoption de la loi de 2017.

Il s’agit aussi, pour nous, de sécuriser les fonctionnaires de police. Un avocat qui n’est pas connu pour avoir des accointances avec la gauche, et encore moins avec La France insoumise, Thibault de Montbrial, a dénoncé cette loi dès 2017, en expliquant qu’elle placerait le policier dans une forme d’insécurité parce qu’il ne saurait pas s’il peut réellement utiliser son arme. Ce qui nous pose un problème dans cette loi, c’est qu’il s’agit, comme plusieurs organisations syndicales le soulignent, d’une légitime défense anticipative : il est question de situations dans lesquelles les policiers font face à des personnes « susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». On demande ainsi aux fonctionnaires de police d’imaginer ce qui pourrait ensuite se passer, ce qui diffère de la légitime défense, laquelle prévoit une concomitance, une riposte proportionnée et nécessaire. C’est précisément l’anticipation de ce qui pourrait ensuite se passer qui a occasionné une augmentation du nombre de tirs.

L’orateur du groupe LIOT a dit que cette proposition de loi pourrait conduire à une situation plus grave que celle d’aujourd’hui. Je suis évidemment en désaccord avec cette idée. Par ailleurs, nous ne cédons pas à l’émotion : nous partons des quinze décès qui se sont produits depuis le 1er janvier 2022. Quand on regarde ce qui se passe en Allemagne, il y a aussi de quoi s’interroger : en dix ans, un seul décès s’est produit à la suite d’un refus d’obtempérer.

Nous souhaitons, nous aussi, une amélioration de la relation entre la police et la population, car il y a eu une dégradation en la matière, notamment dans un certain nombre de quartiers populaires. C’est un sujet qui va néanmoins au-delà de la disposition du code de la sécurité intérieure dont nous demandons l’abrogation : il est lié à la question de la police de proximité, que nous défendons depuis des années, à la question du schéma national du maintien de l’ordre, que nous souhaiterions différent – notamment en ce qui concerne le commandement – et à la question de la défiance qui existe aujourd’hui, en particulier dans les quartiers populaires.

Comme Elsa Faucillon l’a dit, il faut regarder le profil – le nom, la couleur de peau – des jeunes décédés : ce sont des personnes racisées, noires ou arabes. Il y a un biais lors des refus d’obtempérer. Quand il s’agit de personnes à la peau blanche qui ont deux grammes d’alcool dans le sang, il n’y a jamais de tirs – c’est très concret.

Madame Ménard, vous avez évoqué un refus d’obtempérer toutes les trente minutes, mais on peut tout mettre derrière cette expression. Quand on vous demande vos papiers devant la gare du Nord et que vous partez en courant, c’est un refus d’obtempérer. Un policier est-il alors en danger ? Certainement pas. Vous englobez dans une seule statistique des refus d’obtempérer qui ne mettent pas en danger des policiers ou des gendarmes. C’est vrai, je l’ai dit dans mon propos liminaire, pour quatre refus d’obtempérer sur cinq.

Les gendarmes avaient effectivement, avant 2017, un système qui différait de celui de la légitime défense prévue par le code pénal, mais ils bénéficiaient d’une formation différente – et elle le reste –, et la culture n’était pas la même. Les ordres et le commandement sont différents. On a donné aux policiers le même droit qu’aux gendarmes, mais sans l’assortir de formations, et les ordres ne sont pas à la hauteur. Les directives sont extrêmement floues en ce qui concerne l’utilisation de cette disposition.

Nous ne demandons pas son abrogation, j’insiste sur ce point, pour désarmer la police ou l’empêcher de faire son travail. L’article du code pénal relatif à la légitime défense, si on veut bien le lire dans son intégralité, permettra toujours à un policier ou à un gendarme d’utiliser son arme lorsque sa vie, ou celle d’un tiers, est en danger. En revanche, je le répète, des faits sont là. J’ai une pensée pour les familles qui ont perdu un enfant, un proche, un de leurs membres, et qui ne sont pas entendues. La question du traitement judiciaire de ces affaires a été évoquée, mais il faudrait aussi parler de leur dépaysement. Les refus d’obtempérer et les décès consécutifs aux tirs des policiers font l’objet d’une omerta.

Cette proposition de loi a pour objectifs, tout à la fois, de sécuriser les forces de l’ordre lors de l’utilisation de leurs armes, comme c’était le cas avant 2017, et d’éviter d’avoir à débattre au sein de cette commission, dans les prochaines semaines ou les prochains mois, d’un nouveau décès à la suite d’un refus d’obtempérer. Il est urgent d’abroger cet article, qui a endeuillé trop de familles.

Article unique (Art. L. 435-1 et L. 511-5-11 [abrogés] du code de la sécurité intérieure, art. L. 227-1 du code pénitentiaire) : Suppression du cadre régissant les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent faire usage de leurs armes

Amendements de suppression CL5 de M. Sacha Houlié, CL1 de Mme Emmanuelle Ménard, CL2 de M. Antoine Villedieu, CL3 de M. Fabien Di Filippo, CL4 de M. Timothée Houssin et CL10 de M. Thomas Rudigoz.

M. le président Sacha Houlié. J’aurais pu déposer mon amendement de suppression parce que je trouvais profondément choquants l’exposé des motifs de la proposition de loi et vos propos, qui participent, monsieur le rapporteur, à une fragmentation de la société en opposant les jeunes, que vous décrivez comme racisés, et le reste du pays, alors que vous dénoncez parfois de tels discours dans cette commission ou dans l’hémicycle.

J’aurais également pu déposer mon amendement de suppression parce que vous avez fait une présentation des refus d’obtempérer très minimaliste par rapport à la réalité – ils se multiplient, du fait de jeunes des quartiers populaires, comme vous l’avez dit, mais aussi et surtout de la population générale. Un très grand nombre de personnes âgées, violant les lois de notre pays, renversent et blessent des policiers ou des gendarmes, ce qui justifie l’attention que l’Assemblée nationale porte à cette question.

J’aurais pu déposer mon amendement de suppression parce que vous évoquez l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) sans être allé voir ce qu’elle fait, contrairement à M. Rudigoz ou à moi-même. Je rappelle en outre que nous avons convoqué l’IGPN pour qu’elle rende compte de son action.

J’aurais pu déposer mon amendement de suppression pour encore bien des raisons mais, si je l’ai fait, c’est parce qu’une mission d’information relative à la hausse du nombre de refus d’obtempérer et aux conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre a été confiée à deux collègues, MM. Vicot et Rudigoz, comme vous aviez été nombreux à le demander au sein du bureau de la commission, lequel s’est prononcé à l’unanimité. C’est quelque part faire offense au bureau de la commission des lois que de vouloir légiférer avant même que la mission d’information ait pu présenter ses conclusions, et c’est même quasiment un procès en défiance à l’égard de vos représentants au sein du bureau, qui ont avalisé cette décision.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Sans revenir sur ce que j’ai dit lors de la discussion générale, je trouve que cette proposition dénote une vraie fracture dans notre société : il n’y a pas seulement une différence d’approche, mais presque un conflit de civilisation.

Avant la loi adoptée en 2017, l’usage des armes par les policiers n’était régi par aucun texte particulier : cela relevait uniquement du droit commun. En cas d’usage de son arme, un agent de police devait démontrer qu’il était en situation de légitime défense. L’article L. 435-1 du CSI permet désormais aux agents de la police nationale, comme aux militaires de la gendarmerie nationale – je ne comprends donc pas très bien l’opposition qui est faite – d’utiliser leurs armes dans différentes situations, au-delà de la dispersion des attroupements.

Je rappelle par ailleurs qu’une enquête est ouverte, de manière générale, en cas de tir par un agent de police et qu’une investigation est également menée par la police des polices. Vous ne pouvez donc pas prétexter, me semble-t-il, une pseudo-impunité des forces de l’ordre.

Cette proposition de loi est une offense à nos forces de sécurité qui, dans leur grande majorité, font évidemment leur travail en faisant preuve, au quotidien, d’un courage exceptionnel.

M. Antoine Villedieu (RN). Je veux tout d’abord rendre hommage – puisque vous avez oublié de le faire, je m’en charge – aux hommes et aux femmes qui, dans une société où la violence est devenue endémique, risquent leur vie à chaque intervention.

« La police tue », voilà le message qu’envoie aux Français votre proposition de loi. On vous entend beaucoup moins lorsqu’il s’agit de condamner les morts causés par les règlements de comptes ou les refus d’obtempérer. Soyons clairs : je ne connais personne qui se soit engagé dans la police ou la gendarmerie pour tuer. Le seul objectif des policiers et des gendarmes est de protéger et de servir. Tout comme une majorité de Français, j’ai confiance en nos forces de l’ordre, que je remercie de veiller sur nous.

Mais que pouvons-nous attendre d’un parti qui a fait de la haine de la police son fonds de commerce ? Chers collègues de la NUPES, je vous invite à aller explorer le monde. Cela vous permettra de sortir de votre enfermement idéologique et de constater, aisément, une série de réalités qui vous échappent. Dans votre ignorance en béton des dossiers qui concernent la sécurité intérieure – et cette ignorance, croyez-moi, me fait de la peine – vous ignorez sans doute que les forces de l’ordre exercent leur métier dans des conditions de plus en plus difficiles. C’est une réalité qui ne s’apprend visiblement pas dans les manifestations où l’on sème le chaos.

Happés par votre aveuglement idéologique, vous demeurez imperméables et aphones à l’égard des inquiétudes des Français. Il est pourtant difficile de faire l’impasse sur la progression de l’insécurité dans notre pays. Ces considérations, hélas, ne trouveront probablement pas grâce aux yeux de ceux qui appliquent avec rigueur la doctrine de la bordélisation permanente.

J’invite l’ensemble de nos collègues à repousser ce texte purement idéologique, dogmatique et clientéliste du premier parti anti-flics de France.

M. Fabien Di Filippo (LR). Par cette proposition de loi, nos collègues Insoumis veulent priver d’armement les policiers, les gendarmes et les surveillants pénitentiaires. Nos collègues vont même jusqu’à qualifier de « peine de mort sans jugement » l’usage qui pourrait être fait de ces armes.

C’est faire fi de la violence et de l’armement croissants auxquels ont à faire face en toute situation les forces de l’ordre qui nous protègent, y compris les surveillants pénitentiaires. Elles sont confrontées à une complexité de fait, notamment une criminalité endémique qui se développe dans certaines parties du territoire.

La statistique que vous avez citée est très intéressante : vous nous dites que quatre refus d’obtempérer sur cinq ne donnent pas lieu à une mise en danger de la vie des policiers. Quand on sait qu’il y en a un toutes les vingt minutes, cela fait quand même un refus d’obtempérer mettant en péril la vie des forces de l’ordre chaque heure quarante. Je rappelle aussi que les policiers n’utilisent leurs armes que dans un but de légitime défense, pour sauver leur vie ou celle d’un citoyen qui pourrait être mis en danger.

Le 14 novembre, il y a donc à peine huit jours, nous avons eu à déplorer un mort et deux blessés graves suite à un refus d’obtempérer. Le 3 septembre, un piéton avait été mortellement renversé, là aussi suite à un refus d’obtempérer. Le 12 novembre, à Dunkerque, un policier était grièvement blessé par un automobiliste suite à un refus d’obtempérer. Toutes les semaines, ce scénario se répète. Vous nous demandez ce que nous dirons à la famille lorsqu’un jeune sera abattu dans de telles circonstances, mais que dites-vous aux familles des victimes de délinquants qui ont commis des refus d’obtempérer et n’ont pas été stoppés suffisamment tôt ? Ce sont aussi des vies volées, et c’est sans doute beaucoup grave.

M. Timothée Houssin (RN). Les forces de l’ordre sont confrontées à 27 000 refus d’obtempérer par an, soit un toutes les vingt minutes. Le nombre de refus d’obtempérer explose, de même que celui des personnes et des policiers blessés ou tués par des fuyards, ce qui entraîne une hausse de l’utilisation par les policiers, dans ce type de situation, de leur arme.

La loi que les Insoumis veulent supprimer autorise simplement les policiers en uniforme à utiliser leur arme en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée, lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement des véhicules dont les conducteurs n’obtempèrent pas à un ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles d’atteindre à leur vie, à leur intégrité physique ou à celles d’autrui.

En vingt ans, un seul policier a été condamné à une peine de prison ferme pour un tir mortel injustifié sur un véhicule. La police tue uniquement dans les discours de l’extrême gauche. Plutôt que de lutter contre la délinquance, la récidive et l’explosion des refus d’obtempérer, LFI propose d’interdire à nos policiers d’utiliser leur arme en cas de refus d’obtempérer et dans d’autres situations menaçant leur vie ou celle de nos concitoyens. Tous les groupes politiques doivent refuser clairement et dès à présent cette proposition de loi en adoptant l’amendement de suppression que nous proposons.

Chers collègues, rappelons aux forces de l’ordre, qui nous regardent, que seuls Mélenchon et Panot détestent la police. Nous qui appartenons aux autres groupes de l’Assemblée, nous disons unanimement aux députés de La France insoumise, au nom des Français, que tout le monde déteste leurs propositions pour la police.

M. Thomas Rudigoz (RE). Vous l’avez très bien dit, monsieur le président, cette façon de procéder de La France insoumise est un camouflet pour le travail parlementaire en cours. Nous sommes en train de mener assidûment, Roger Vicot et moi, une mission d’information qui se déroule en toute sérénité. Cette proposition de loi n’est donc absolument pas appropriée.

Je tiens aussi rappeler au rapporteur, qui fait des rapprochements entre la droite, l’extrême droite et la Macronie, qu’il devrait aller plus loin : le groupe LIOT est également opposé à ce texte. Ne le citez donc pas uniquement lorsque cela vous arrange. J’ajoute que vous n’avez pas fait preuve de pudeurs de gazelle quand vous avez accepté les voix du RN en faveur de la proposition de loi de Mme Obono. Gardez donc vos leçons pour vous, monsieur le rapporteur.

M. Thomas Portes, rapporteur. L’objectif de cette proposition de loi est d’empêcher que des personnes refusant d’obtempérer soient tuées ; une telle politique contribuerait à retisser les liens entre la police et la population, puisque trop de tirs et trop de décès ont suivi l’entrée en vigueur de la loi de 2017. Quant à la fragmentation de la société, monsieur le président, vous allez défendre dans quelques jours un texte sur l’immigration qui y contribuera grandement.

Monsieur Villedieu, vous dites que la proposition de loi serait « anti-flics », qu’elle désarmerait la police et qu’elle empêcherait policiers et gendarmes d’intervenir face à des refus d’obtempérer, mais rien, dans le texte, ne mérite ce jugement. Nous souhaitons simplement revenir au cadre de la légitime défense des policiers, fixé par le code pénal jusqu’en 2017. Vous exprimez-vous en tant que parlementaire, ou en tant que porte-parole d’un syndicat dans lequel vous avez exercé des responsabilités, la Fédération professionnelle indépendante de la police (FPIP), qui avait écrit une chanson, dont les paroles étaient les suivantes « Alignés en phalange entière / Forts et virils, raides et trapus / Tant trahis par Gaston Defferre / Les policiers sont tous déçus » ? Quand on parle de phalange, on sait où on est : hors du champ de la République.

La très grande majorité des surveillants pénitentiaires ne sont pas armés : l’exposé sommaire de votre amendement, monsieur M. Di Filippo, indique qu’il est difficile de recruter des gardiens de prison et que les personnels manquent, mais il ne me semble pas que la question de l’usage des armes en soit la cause ; le salaire et les conditions de travail dissuadent bien davantage ceux qui envisagent de rejoindre l’administration pénitentiaire.

Vous nous accusez de n’avoir jamais de mots de compassion lorsque des drames humains se produisent, mais rien n’est plus faux. La circonscription de mon collègue des Bouches-du-Rhône Sébastien Delogu est endeuillée chaque semaine par des décès violents liés au trafic de stupéfiants ; il ne cesse d’interpeller le ministre de l’intérieur et prononce à chaque fois des mots de condoléances pour les proches de ces personnes, mortes, souvent jeunes, à cause du trafic de drogue.

Vous nous voyez déconnectés de la société, mais 65 % des Françaises et des Français sont favorables à l’abrogation de la loi de Bernard Cazeneuve de 2017, dont 69 % des électeurs du Rassemblement national.

Je suis évidemment défavorable aux amendements de suppression.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’argument selon lequel nous ne pourrions pas légiférer avant la fin des travaux de la mission d’information sur la hausse du nombre de refus d’obtempérer et les conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre est spécieux, car il laisse à penser que votre majorité a augmenté la peine d’un an à deux ans de prison en cas de refus d’obtempérer sans avoir effectué d’étude d’impact ni analysé le phénomène, qu’elle a simplement réagi à des tracts syndicaux. Je ne peux vous soupçonner d’avoir légiféré à l’aveugle, je pense au contraire que vous savez ce que vous faites et que vous menez une politique de fermeté – de virilité, comme le disent apparemment certaines organisations syndicales auxquelles appartiennent des députés –, mais que celle-ci est un échec.

En effet, vous avez justifié l’augmentation du quantum de la peine par la crainte des gens d’aller en prison, cette peur les conduisant à obtempérer, mais cette conviction s’est révélée fausse. La justification de l’article L. 435-1 du CSI était d’encadrer l’usage des armes, mais les policiers utilisent davantage leurs armes et davantage de personnes meurent. L’échec est accablant, qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?

Les gendarmes refusent d’utiliser l’amplitude du droit, que leur donne la loi, à se servir de leur arme ; ils pourraient utiliser davantage leur arme à feu, mais ils y renoncent car ils connaissent les conséquences d’un usage trop répandu, notamment pour leurs relations avec la population – il faut dire qu’eux habitent là où ils travaillent. Néanmoins, il faudrait peut-être réduire le cadre d’usage de leur arme par les gendarmes, parce que celui-ci est lié à leur statut militaire ; or lorsqu’ils effectuent des opérations de police, ils n’exercent pas de compétences militaires, donc une révision du cadre est peut-être nécessaire.

M. le président Sacha Houlié. J’avais qualifié un amendement du Sénat au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, devenu la Lopmi du 24 janvier 2023, sur le refus d’obtempérer, de cavalier législatif ; le Conseil constitutionnel a estimé que l’aggravation des peines en cas de refus d’obtempérer constituait bien un cavalier législatif. Voilà qui éclairera la commission sur vos intentions lors de l’examen de volumineux projets de loi, comme celui sur lequel nous aurons à nous prononcer dans les prochains jours.

M. Fabien Di Filippo (LR). Monsieur le rapporteur, la priorité est de désarmer les délinquants. Des personnes possèdent, dans certains territoires, des arsenaux et des armes de guerre, et vous voudriez laisser les policiers sans moyens d’intervention ou de défense… Cela nuirait à leur crédibilité et laisserait la place à une autre loi que celle de la République. Force doit rester à la loi. La violence légitime n’appartient qu’aux forces de l’ordre, que nous ne devons surtout pas désarmer.

M. Thomas Portes, rapporteur. Quel est le lien entre l’armement des délinquants et la légitime défense en cas de refus d’obtempérer ? Je n’en vois pas. Les personnes mortes dans leur véhicule après avoir refusé d’obtempérer n’étaient pas armées. Je suppose que nous sommes en revanche tous favorables au désarmement des délinquants et à la lutte contre la circulation des armes, qui est un fléau.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article unique est supprimé et l’amendement CL11 de Mme Sandra Regol tombe.

Après l’article unique

Amendement CL12 de Mme Sandra Regol

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’objet de cet amendement de repli est d’alerter sur le défaut de formation au tir des policiers, et de proposer une solution. Si les agents doivent suivre trois sessions de formation au tir par an, cette obligation réglementaire est rarement remplie. D’après un rapport d’information sénatorial sur la formation initiale et continue des forces de l’ordre, 37 % des agents n’ont suivi aucune session en 2021.

Les syndicats de police défendent l’amélioration de la formation et souhaitent s’inspirer du système qui existe dans la gendarmerie ; nous vous proposons d’imposer quatre sessions de formation au tir par an, ainsi qu’un moratoire sur l’utilisation de leur arme par les agents n’étant pas formés – une arme à feu n’est pas un jouet, son maniement requiert beaucoup d’entraînement. Les policiers souhaitent se former, comme les gendarmes, avec des stress tests et pas uniquement avec des tirs sur cibles fixes : je ne comprends pas qu’il n’y ait pas de diffusion des meilleures pratiques entre les deux institutions sœurs qui se partagent la responsabilité d’assurer la sécurité dans le territoire national.

M. Thomas Portes, rapporteur. L’avis est favorable, car l’amendement répond à une préoccupation des policiers. Lors de leur audition, les représentants de la CGT-Police ont regretté la disparition presque totale des stands de tir pour la police à Paris. Nous soutenons le renforcement de la formation des policiers à l’usage des armes, car il réduira le nombre de tirs mortels.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL6 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je suis favorable à la présomption de légitime défense des forces de l’ordre. En effet, les policiers et les gendarmes ne sont pas des citoyens comme les autres : ils ont plus de devoirs et plus de responsabilités, et ils sont assermentés : nous devons leur assurer une protection plus large. Mon objectif n’est pas de favoriser leur impunité, puisque la présomption de légitime défense n’empêcherait évidemment pas leur mise en examen ; elle leur épargnerait en revanche la garde à vue, qui est, aux yeux du grand public, synonyme de culpabilité.

Ce serait un mauvais signal envoyé à la société, surtout aux voyous, que de faire peser sur le policier qui fait usage de son arme une présomption de culpabilité.

M. Thomas Portes, rapporteur. L’avis est défavorable. Vous assumez votre orientation politique, qui est de permettre aux policiers de tirer tout le temps et partout. Nous sommes au contraire favorables à l’encadrement de l’autorisation d’usage de leur arme par les forces de l’ordre et nous défendons la notion de légitime défense. Les policiers, dites-vous, ont un statut particulier, mais ils ont également une responsabilité particulière. La légitime défense, notion présente dans le code pénal, doit s’appliquer de la même façon à tous, car il ne saurait y avoir de hiérarchie entre les citoyens ; or les policiers ont des droits et des devoirs comme tout le monde.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Madame Ménard, le port de l’uniforme peut être une circonstance atténuante mais aussi aggravante d’un incident. Le fait de s’en prendre à une personne dépositaire de l’autorité publique est une circonstance aggravante d’une agression, pour laquelle est prévue une peine particulière ; à l’inverse, un policier ou un gendarme a une responsabilité spéciale, qui découle du port d’un uniforme sur lequel figure le drapeau tricolore : l’article 222-13 du code pénal dispose que s’en prendre à un membre des forces de l’ordre est une circonstance aggravante, comme l’est le fait qu’un policier ou un gendarme violente un citoyen.

Votre amendement vise à rompre cet équilibre, puisque la seule qualité d’être un membre des forces de l’ordre délivrerait son titulaire de toute responsabilité en matière de violence – l’amendement étend même cette dispense au port ou non de l’uniforme, puisqu’on y lit les mots : « […] qu’il soit habillé en civil ou revêtu d’un uniforme […]. » Un policier ou un gendarme qui descend ses poubelles en t-shirt serait considéré en état de légitime défense s’il tuait quelqu’un, sous prétexte qu’il est membre des forces de l’ordre. Nous dénonçons ce type d’amendement, qui s’apparente à un permis de tuer général.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Monsieur Léaument, lisez bien mon amendement, qui dispose que la présomption de légitime défense d’un policier ou d’un gendarme ne s’applique que « dans l’exercice de ses fonctions ». Il me semble que descendre des poubelles n’entre pas dans les fonctions des forces de l’ordre. En revanche, j’ai précisé que le principe s’appliquait qu’il soit « habillé en civil ou revêtu d’un uniforme », parce qu’un policier de la brigade anticriminalité (BAC), par exemple, ne porte pas d’uniforme.

La commission rejette l’amendement.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à abroger l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure.

 


—  1  —

   Personnes entendues

   Mme Agnès Thibault Lecuivre, cheffe de l’IGPN

   M. Jean-Michel Gentil, chef de l’IGGN

   Mme Nathalie Tehio, membre du bureau national

   Mme Domitille Nicolet, chargée de plaidoyer

   M. Anthony Caillé, secrétaire général

   M. François Dalbignat, membre de la direction

   M. Thomas Fourrey, secrétaire général

   Mme Kim Reuflet, présidente

   Mme Sarah Pibarot, secrétaire nationale

   Mme Samia Belhadj

   M. Leonel Gomes

   Mme Aurélie Garand

   M. Mahamadou Camara

   Mme Diamana Camara

   Mme Mama Meité

   Mme Henda Niakaté

   Mme Marie-Margareth Benjamin

   M. Paul Benjamin

   Mme Amalia Nabbo

   Mme Amal Bentounsi

   M. Nordine Ali-Benyahia

   Mme Valérie Goncalves

 

 

 


([1]) La gendarmerie n’a procédé à aucun tir mortel sur des véhicules en mouvement au cours de l’année 2022.

([2]) Sollicité par votre rapporteur afin d’être auditionné, M. Bernard Cazeneuve n’a pas répondu à son invitation.

([3]) Décret du 20 mai 1903.

([4]) « Mouvement des policiers en colère » à la suite de l’agression contre deux policiers à Viry-Châtillon en octobre 2016.

([5]) Cour européenne des droits de l’Homme Guerdner et autres c. France rendu le 17 avril 2014.

([6]) Rapport de la mission relative au cadre légal de l’usage des armes par les forces de sécurité, novembre 2016, p. 60.

([7]) Cour de cassation, chambre criminelle, 27 mars 2007.

([8]) Cour européenne des droits de l’Homme, Natchova et autres c. Bulgarie, 6 juillet 2005 et Finogenov c. Russie, 20 décembre 2011.

([9]) Rapport de la mission relative au cadre légal de l’usage des armes par les forces de sécurité, novembre 2016, p. 61.

([10]) Les consignes délivrées par la circulaire de la direction générale de la police nationale publiée le 1er mars 2017 s’inscrivent dans cette perspective.

([11]) Défenseur des droits, avis n° 17-01 du 16 janvier 2017.

([12]) Catherine Tzutzuiano, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, L’usage des armes par les forces de l’ordre, avril 2017.

([13]) Cour européenne des droits de l’Homme, Toubache c. France, 7 juin 2018.

([14]) Cour européenne des droits de l’Homme, Giulani et Gaggio c. Italie, 24 mars 2011.

([15]) La loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a doublé le quantum de la peine applicable qui s’élève ainsi à deux ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

([16]) Sebastian Roché, Paul Le Derff et Simon Varaine, Revue Esprit, Refus d’obtempérer, septembre 2022.

([17]) James J. Fyfe, Blind justice: Police shootings in Memphis. Journal of Criminal Law and Criminology, 1982.

([18]) Le nombre de refus d’obtempérer recensés relève de la seule appréciation des forces de l’ordre. La matérialité d’un refus d’obtempérer, difficile à objectiver contrairement à d’autres infractions (cambriolage, atteinte aux personnes…), doit conduire à une certaine prudence quant à l’interprétation de ces données.

([19]) Tant en zone gendarmerie qu’en zone police.

([20]) Sebastian Roché, Paul Le Derff et Simon Varaine, Revue Esprit, Refus d’obtempérer, septembre 2022.

([21]) https://www.liberation.fr/checknews/tirs-mortels-apres-refus-dobtemperer-un-mort-en-dix-ans-en-allemagne-un-mort-chaque-mois-en-france-20230630_MSGVXPGFVFGE5ITJAIPXEESMW4/ .

([22]) Ces pourcentages étaient de 36 % en 2015 et 41 % en 2016.

([23]) Cour des comptes, L’équipement des forces de l’ordre : un effort de mutualisation à poursuivre, mai 2018, p. 117.

([24]) Sebastian Roché, Paul Le Derff et Simon Varaine, Revue Esprit, Refus d’obtempérer, septembre 2022.

([25]) Compte rendu de la réunion de la commission des lois du 12 juillet 2023.

([26]) Fabien Jobard, Revue Pouvoirs, Police et racisme, n° 181, 2022, pp. 85 à 96.

([27])https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=16064#:~:text=Le%20questionnaire%20de%20l%27enquête%20comprend%20une%20série%20de%20questions,d%27identité%20ou%20de%20véhicule  

([28]) Ibid.

([29]) https://www.francetvinfo.fr/societe/racisme/un-comite-de-l-onu-s-inquiete-de-l-ampleur-des-discours-racistes-en-france_5518428.html  

([30]) À la suite de la mort de Nahel le 27 juin 2023 à Nanterre, Mme Ravina Shamdassani, porte-parole de la Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, a estimé que « la France doit s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre ».

([31]) Ligue des Droits de l’Homme, note d’analyse et proposition sur l’usage des armes, novembre 2023.

([32]) Proposition de loi n° 660 déposée à l’Assemblée nationale le 15 décembre 2022 visant à mieux encadrer l’ouverture du feu par les forces de l’ordre en cas de refus d’obtempérer.

([33]) Proposition de résolution n° 667 déposée à l’Assemblée nationale le 22 décembre 2022.

([34]) Article 1er du décret n° 2013-784 du 28 août 2013.

([35]) Voir notamment le rapport n° 1824 de notre collègue Florent Boudié publié le 7 novembre 2023 au nom de la commission d’enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements.

([36]) Compte rendu de la réunion de la commission des lois du 12 juillet 2023.

([37]) Dispositif « Voyager et protéger » applicable depuis le 1er janvier 2022.

([38]) Décret n° 2023-984 du 25 octobre 2023.

([39]) Selon les termes du premier alinéa de l’article L. 2338-3 du code de défense en vigueur jusqu’au 1er mars 2017.

([40])Seules la répression des délits d’attroupement prévue par les articles L. 211-9 du code de la sécurité intérieure et 431-3 du code pénal et l’interruption d’un « périple meurtrier » prévue par la loi n° 2016-731 du 7 3 juin 2016 prévoyaient l’existence de règles communes et spécifiques à la police et à la gendarmerie en matière d’usage des armes

([41]) Cour de cassation, chambre criminelle, 27 juin 1927 et 11 octobre 1956.

([42]) Cour de cassation, chambre criminelle, 26 juin 2012.

([43]) Cour européenne des droits de l’homme, Mc Cann et al. c/ Royaume-Uni, 27 septembre 1995.

([44]) Cour de cassation, chambre criminelle, 26 juillet 2000.

([45]) Ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité.

([46]) L’article L. 511-5-1 du code de la sécurité intérieure applique les deux premiers alinéas de l’article L. 435-1 aux policiers municipaux. Les agents des douanes peuvent également faire usage de leurs armes dans les conditions prévues par l’article L. 435-1 auquel renvoie l’article 56 du code des douanes. Selon le dernier alinéa de l’article L. 227-1 du code pénitentiaire, les agents de l’administration pénitentiaire bénéficient aussi des prérogatives prévues par les trois premiers alinéas de l’article L. 435-1.

([47]) Cour de cassation, chambre criminelle, 21 octobre 2014 et 12 mars 2013.