N° 1943

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 décembre 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,

 

pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration

PAR M. Florent BOUDIÉ, Mme Élodie JACQUIER-LAFORGE,
MM. Ludovic MENDES, Philippe PRADAL, Olivier SERVA

Députés

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AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

PAR M. Benjamin HADDAD

Député

——

TOME II

COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION DES LOIS
 

 

 

 Voir les numéros :

 Sénat :  304, 433, 434 rect. (2022-2023) et T.A. 19 (20232024).

 Assemblée nationale :  1855.


 


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SOMMAIRE

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Pages

travaux de la commission DES LOIS

I. Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, et discussion générale

Première réunion du mardi 21 novembre 2023 à 17 heures

II. Examen DES ARTICLES

Première réunion du lundi 27 novembre 2023 à 16 heures

Deuxième réunion du lundi 27 novembre 2023 à 21 heures 30

Première réunion du mardi 28 novembre 2023 à 16 heures 30

Deuxième réunion du mardi 28 novembre 2023 à 21 heures 30

Deuxième réunion du mercredi 29 novembre 2023 à 14 heures 45

Troisième réunion du mercredi 29 novembre 2023 à 21 heures 30

 


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   travaux de la commission DES LOIS

I.   Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, et discussion générale

Lors de sa première réunion du mardi 21 novembre 2023, la Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, et procède à la discussion générale sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (n° 1855) (M. Florent Boudié, rapporteur général ; Mme Elodie Jacquier-Laforge, M. Ludovic Mendes, M. Philippe Pradal, M. Olivier Serva, rapporteurs).

Première réunion du mardi 21 novembre 2023 à 17 heures

Lien vidéo : https://assnat.fr/gNRESk

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

M. le président Sacha Houlié. Monsieur le ministre de l’intérieur et des outre-mer, nous allons procéder à votre audition, préalable à l’examen du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Ce texte joufflu – et sans doute excessif – a déjà été examiné par le Sénat : certaines de ses boursouflures ne résisteront sans doute pas à l’œil juridique du Conseil constitutionnel ou à l’examen par la commission des lois. Je renvoie d’ailleurs les sceptiques et les critiques aux décisions du Conseil constitutionnel sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) – les ajouts sénatoriaux avaient notamment été censurés – ou, plus récemment, sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ), dont les articles 2, 4, 8, 10 et 20 ont été considérés comme des cavaliers législatifs.

J’invite aussi chacun à constater que certains ajouts sont politiquement regrettables, s’agissant de la politique de santé publique, des mineurs non accompagnés ou du code de la nationalité française. De toute évidence, les arguments juridiques ne se suffisent pas à eux-mêmes. J’espère que la commission des lois retrouvera l’ambition initiale du Gouvernement et sa lucidité en matière d’immigration.

Comme souvent, la partie du projet de loi la plus utile aux Français sera sans doute la moins commentée : cela a été le cas pour la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi « séparatisme », concernant la police des cultes, puisque la territorialisation et l’accélération des procédures d’asile – qui s’appliquera à près de 300 000 personnes – seront certainement étudiées dans le plus grand des consensus par cette commission. À cet égard, il serait utile que M. le ministre puisse préciser, en introduction, la liberté de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) à s’organiser, pour la formation de jugement, en juge unique ou en collégialité. La simplification des procédures – de douze à trois, voire à deux – sera également très profitable à tous les requérants ; viennent ensuite les dispositions qui ont été largement débattues avant que nous ne réunissions cette commission.

Tout d’abord, le texte comporte des mesures en matière de fermeté, et je suis curieux de savoir qui s’y opposera. Elles concernent l’expulsion des étrangers délinquants et la fin des excuses, notamment les levées des réserves d’ordre public ; les mineurs ne pourront plus être enfermés dans les centres de rétention administrative – que j’invite chacun d’entre vous à aller visiter, comme je l’ai fait, pour en connaître la réalité.

J’appelle enfin l’attention de la commission sur le volet de l’intégration, très débattu avant même son arrivée au Parlement. Je ne regrette pas que ce soient cette majorité, et ce ministre, qui aient permis de parler positivement de l’immigration pour la première fois depuis vingt ans. Bien que la rédaction proposée ne me semble pas satisfaisante, je tiens à saluer le fait que la droite sénatoriale, après avoir longtemps critiqué le caractère législatif des mesures en matière de régularisation, ait elle-même pris l’initiative d’introduire des dispositions en ce domaine.

J’appelle également votre attention sur les obligations nouvellement créées : formation des salariés, régularisation dans les métiers en tension, autorisation de travail aux demandeurs d’asile, fin de l’exploitation des personnes en situation d’activité libérale, sanction administrative pesant sur les employeurs ou sur les logeurs, qui ne sont que le miroir de la criminalisation des réseaux de passeurs.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Je suis heureux de vous retrouver pour discuter d’un texte annoncé depuis un an. Il découle directement du programme du Président de la République et reprend, dans ses trois grands axes, le projet de loi initial du Gouvernement, déposé en premier lieu, et pour la première fois, devant le Sénat.

Le premier sujet est celui de la simplification drastique des procédures. Dans la continuité de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb, les juridictions administratives, entre autres, rencontrent beaucoup de difficultés pour informer rapidement – selon les règles que nous avons définies – une personne de sa possibilité de rester ou non sur le sol de la République.

Le deuxième point concerne bien sûr les exigences et les moyens en termes d’intégration. Ce volet très important permet de toucher l’intégralité du champ de l’intégration et fait suite à l’augmentation de 25 % du budget dédié, résultant de la LOPMI et trouvant une traduction budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2024.

Le troisième axe est la fermeté vis-à-vis des étrangers, qu’il s’agisse de leur éloignement ou de leur expulsion, lorsqu’ils commettent des actes graves de délinquance ou de criminalité. Nous y reviendrons.

Je concentrerai mon propos sur la présentation du projet initial du Gouvernement – d’autres dispositions ayant ensuite été introduites, par le Gouvernement, à la suite des drames survenus à Annecy et à Arras, ou par les différents groupes politiques du Sénat. Je partage votre vision du débat parlementaire : des cavaliers législatifs figurent dans ce texte ; ce serait mentir aux Français que de leur faire croire que les questions, certes importantes, parfois abordées par les sénateurs sont recevables, puisqu’elles seront, à coup sûr, censurées par le Conseil constitutionnel. Le sujet de l’immigration est particulièrement complexe, en ce qu’il touche des femmes, des hommes, des enfants et, bien sûr, les personnes chargées d’appliquer les règles de la République, si bien qu’il n’est pas utile d’y introduire des contrevérités. Ne faisons pas croire aux Français que nous avons trouvé la martingale, alors que ce texte ne prévoit pas d’autres dispositions que celles figurant dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, telles qu’initialement prévues par le Gouvernement.

Je reviens sur les trois grands axes qui sous-tendent ce projet de loi. Notre écosystème permet malheureusement une immigration irrégulière, quand notre travail collectif consiste à prévoir une immigration régulière, avec des critères définis par le Parlement, et à lutter contre l’immigration irrégulière. Celle-ci est toujours source de difficultés, non seulement pour l’État, mais aussi pour les femmes et les hommes qui la subissent. Il existe un écosystème irrégulier, allant des passeurs – des marchands de misère –, qui organisent le trafic des êtres humains contre des sommes d’argent, à ceux qui les logent dans des conditions inacceptables, écosystème contre lequel ce projet de loi vise à lutter. Je suis ouvert aux amendements et aux discussions sur ce point.

Tout d’abord, le fait d’être passeur ne sera plus un délit, mais un crime. Actuellement il s’agit d’un délit, puni d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison – davantage en cas de décès d’une personne. Nous pensons tous à ce drame qui a eu lieu dans la Manche, où vingt-neuf migrants – des femmes enceintes, des enfants – sont morts dans les eaux froides, dans des conditions ignobles. Malheureusement, les très nombreux passeurs que nous interpellons ne sont pas punis à la hauteur des drames qu’ils font naître, parce que les tribunaux appliquent la règle de la République, laquelle ne prévoit pas le même quantum de peine que pour un criminel de haut rang, un trafiquant de stupéfiants ou un membre du grand banditisme. Le garde des Sceaux – puisque la mesure relève du code pénal – et moi-même vous proposons que le fait d’être un passeur devienne un crime passible de quinze ans de prison, ou de vingt ans en cas de passage ayant entraîné la mort.

Deuxièmement, se pose la question des personnes qui se trouvent en situation d’irrégularité dès leur arrivée sur le sol de la République, en raison de ce que nous pourrions qualifier de difficultés administratives de notre pays. En effet, il est possible, en France, de créer une auto-entreprise en ligne, sans que jamais que quelqu’un ne vérifie la régularité du séjour de la personne concernée. Ainsi, les étrangers irréguliers qui créent des auto-entreprises travaillent souvent pour des entreprises qui les exploitent, du fait du statut d’auto-entrepreneur. Ils paient des impôts et des cotisations sociales, sans jamais bénéficier de protection sociale. Au bout de quelques années, ils demandent à la préfecture de les régulariser, justifiant des impôts et cotisations dont ils s’acquittent ainsi que d’un papier du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique attestant leur droit de créer une auto-entreprise.

Il est compliqué de les régulariser, puisqu’il s’agit manifestement d’une filière d’immigration irrégulière, créée par l’État français : ils rentrent donc dans la catégorie des personnes qui ne sont ni régularisables – ils sont en situation irrégulière –, ni expulsables – aucun juge n’accédera à la demande d’expulsion d’une personne sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) alors que l’État français lui a permis d’avoir une entreprise en France.

Je me réjouis donc que le débat en séance publique au Sénat ait permis de rétablir un article qui avait été supprimé par sa commission des lois : nous proposons qu’il ne soit plus possible de créer une entreprise – ou une auto-entreprise – en France sans que la régularité du séjour ne fasse l’objet d’une vérification par les services de l’État. Il suffit d’ailleurs de se balader dans les rues des grandes villes pour s’apercevoir que de nombreuses personnes se trouvent dans de telles situations irrégulières ou clandestines.

Le troisième sujet est celui des employeurs que l’on peut qualifier de voyous, puisqu’ils embauchent sciemment des personnes qui ne sont pas en règle au titre du droit au séjour. Attention toutefois, certaines entreprises embauchent involontairement des étrangers en situation irrégulière. Les personnes visées par le nouveau dispositif ne sont pas celles qui, embauchées par une entreprise et disposant d’un titre de séjour de travail ou d’apprentissage, basculent dans l’irrégularité pour des raisons diverses – soit la personne cache son statut administratif au bout d’un certain temps, soit la préfecture n’ose pas ou n’a pas pu lui donner à temps un rendez-vous visant à la régulariser. Leurs employeurs sont en effet généralement d’accord pour les régulariser.

Les personnes visées ne sont pas non plus celles qui embauchent des personnes en étant trompées par un alias : il faudra bien sûr distinguer ce qui relève de la véritable tromperie, ou de celle organisée, comportant un état civil défectueux – cela relève notamment de l’inspection du travail.

Les employeurs concernés sont ceux qui embauchent des personnes irrégulières, sans papiers, sur le territoire national : elles font des horaires extrêmement difficiles, sans disposer d’un contrat de travail, ni de droit syndical ou de protection sociale. Il est toutefois impossible de sanctionner leurs patrons voyous, qui les exploitent et tirent un avantage concurrentiel par rapport à ceux qui respectent les règles de la République.

Si des procédures judiciaires existent, elles sont très peu utilisées, malgré les demandes de l’inspection du travail et du ministère de l’intérieur et des outre-mer : 15 000 contrôles sont effectués chaque année, pour seulement 500 procédures et moins de quelques dizaines de condamnations. Nous constatons pourtant l’existence de cette économie parallèle dans chacun de nos départements et de nos territoires. La moitié de ces personnes sont d’ailleurs elles-mêmes des étrangers, parfois en situation irrégulière, notamment dans les secteurs du bâtiment et travaux publics (BTP) ou de l’agriculture.

Il s’agit donc de prévoir des sanctions administratives extrêmement fortes, pour compléter les sanctions judiciaires – sans les remplacer – ainsi que des amendes très élevées pour ceux qui, sciemment, embauchent des travailleurs irréguliers et les exploitent sans leur donner le droit syndical ou le droit de la protection du travail.

L’écosystème est également irrégulier pour les marchands de sommeil. Nous connaissons tous des étrangers en situation irrégulière, dont des propriétaires véreux tirent profit, se faisant payer en liquide, parfois sans quittance de loyer. Les femmes, les enfants, les personnes vulnérables sont exploitées, parfois dans des conditions extrêmement difficiles – mérules, sorties de secours qui n’existent pas, froid en hiver, extrême chaleur en été : parce qu’elles sont vulnérables et en situation irrégulière, elles subissant ce système d’exploitation, souvent en lien avec le travail irrégulier. Nous devons lutter fortement contre cet écosystème de personnes véreuses, qui travaillent parfois avec les passeurs, notamment dans l’habitat ancien dégradé.

Le Gouvernement avait pris une disposition forte pour lutter contre les « marchands de sommeil ». J’ai accepté un amendement du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste – de M. Ian Brossat –, adopté par le Sénat, visant à permettre le titre de séjour temporaire à une personne qui dénoncerait son marchand de sommeil, sur le modèle de la personne prostituée et irrégulière qui dénonce son proxénète, une disposition qui fonctionne bien. Lors de la précédente législature, j’avais accepté un amendement de Marie-George Buffet permettant à une femme victime de violences conjugales et en situation irrégulière de disposer d’un titre de séjour provisoire : ce dispositif fonctionne et il contribue à sécuriser ces personnes. Grâce à l’accès à un titre de séjour temporaire en échange du dépôt de plainte, nous lutterons contre les marchands de sommeil et les trafiquants de misère.

Ces dispositions, extrêmement importantes, figuraient dans la première partie du texte avant l’examen par le Sénat : il s’agit des articles 2, 5 et 8 du projet de loi. Les mesures en matière d’intégration viennent les compléter, notamment celle supprimée par la commission des lois du Sénat, mais rétablie en séance : l’employeur devra désormais permettre à la personne embauchée de prendre des cours de français – voire des cours portant sur les valeurs de la République – sur son temps de travail, en vue de la passation de l’examen requis.

En effet, l’étranger doit actuellement accéder à des cours, donnés par les préfectures, par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ou par des associations, en dehors de ses heures de travail. Or, nous le savons tous, la plupart des étrangers qui entrent dans ce cadre ont un travail difficile, beaucoup de transports en commun et n’ont pas toujours le loisir de prendre ces cours.

Le dispositif que nous proposons s’apparente à un pourcent intégration, sur le modèle de ce qui se pratique en matière de logement. Les employeurs ont désormais aussi une vocation sociale et ne sont pas uniquement là pour faire un profit : ils doivent libérer quelques heures de travail dans la semaine, pour donner à la personne le temps de prendre les cours de français, afin qu’elle puisse s’intégrer au mieux. Je me réjouis que le Sénat ait finalement compris les intentions du Gouvernement sur ce point.

Ces mesures de lutte contre l’immigration irrégulière – les passeurs, les employeurs patrons, les difficultés administratives que nous avons créées, les marchands de sommeil – nous permettent d’avoir des exigences d’intégration plus fortes. J’en viens ainsi à ce qui est sans doute la mesure la plus importante de ce projet de loi. Jusqu’à présent, en matière de cours de français, il y avait une obligation de moyens, mais pas de résultat. Il y aura désormais une obligation de résultat : pour avoir un titre de séjour pluriannuel – les courts séjours ne sont pas concernés –, comme le demandent la plupart des pays autour de nous – à l’exception de deux d’entre eux, dont la France –, les étrangers devront demain désormais passer un examen de français de niveau A2, selon la qualification du Sénat et conformément à la moyenne européenne. En cas de réussite, il donnera droit au titre de séjour pluriannuel, mais s’il est raté, le titre de séjour ne sera pas accordé.

La contrepartie de cette exigence de la compréhension et de l’expression dans la langue, qui peut s’avérer difficile pour un certain nombre d’étrangers, est celle de la gratuité des cours. Elle résulte d’un autre amendement que nous avons accepté, en séance, au Sénat. Nous avons débloqué les moyens nécessaires, soit plus de 100 millions d’euros par an, notamment pour les cours de français mis en place avec la LOPMI.

Cette exigence d’intégration autour de la langue et des valeurs de la République – notion ajoutée par le Sénat – est très importante. Nous savons que 25 % à 40 % des étrangers disposant de titres de séjour parlent et écrivent mal – voire très mal – le français. Plus de la moitié des personnes concernées sont des femmes : elles sont particulièrement vulnérables, notamment en matière de communautarisme.

Le deuxième point est celui de la simplification administrative – les titres III, IV et V –, sujet très important puisqu’il vise à lutter contre le mal français qui consiste à multiplier les procédures, donc le temps de traitement de la demande : lorsque la réponse est négative, l’éloignement de la personne – la fameuse OQTF – est rendu quasiment impossible ; l’intégration n’est pas non plus facilitée puisque, pendant ce délai, la personne ne peut pas travailler et vivre correctement au sein de sa famille.

Cette simplification procédurale s’inspire du rapport de François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat, adopté à l’unanimité des groupes politiques il y a plus de deux ans et résultant lui-même du rapport Stahl du Conseil d’État. L’objectif est de passer de douze à trois procédures – j’entends que certains souhaitent les réduire jusqu’à deux, nous en discuterons –, soit une division par trois ou quatre. Pour la première fois, le Gouvernement ne vous propose pas de changer les règles en matière d’asile, avec des critères différents et des pays sûrs, dont nous débattrons pour savoir lesquels méritent de figurer ou pas sur la liste.

Nous avons fait un choix radicalement différent, celui de ne pas toucher aux règles de l’asile, mais de modifier la rapidité avec laquelle nous répondons à une personne. La loi Collomb a permis de passer le délai de traitement par de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) à cinq mois en moyenne, soit deux fois plus rapidement qu’avant, où il était d’un an. Ce délai est raisonnable, si l’on considère qu’il faut laisser le temps aux personnes qui arrivent sur le sol national pour demander l’asile de reprendre leurs esprits, parfois de se soigner ou d’être accompagnées. Il ne peut donc pas être réduit à zéro.

En revanche, le temps de l’action juridique des tribunaux administratifs, et parfois des tribunaux judiciaires, est beaucoup trop long. Quand un demandeur d’asile arrive en France, l’Ofpra lui répond en moyenne en cinq mois. Dans 70 % des cas, la réponse est négative, la France étant l’un des pays qui refusent le plus l’asile en Europe : contrairement aux idées reçues, nous ne sommes donc pas laxistes, mais trop longs. L’objet du projet de loi est de lutter contre cette lenteur.

En cas de refus, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est saisie, et les choses se compliquent : neuf à dix mois viennent s’ajouter au délai de cinq mois de l’Ofpra. On arrive donc à un total d’un an et trois mois en moyenne. Lorsque la demande d’asile se solde par un refus de la CNDA en appel, la personne fait l’objet d’une OQTF, laquelle est susceptible d’un recours suspensif ; dès lors l’État, les policiers ou les préfets ne peuvent agir. Ainsi, seules 15 % à 20 % des OQTF sont appliquées, les 80 % restantes étant suspensives.

Lorsque la personne conteste l’OQTF, il faut ajouter six mois à un an au délai initial, selon le tribunal administratif – 50 % de l’activité des tribunaux administratifs relèvent du droit des étrangers, et cela représente 60 % du contentieux des cours d’appel. Pendant ce temps-là, la justice administrative – qui fait partie du service public – est mal rendue, notamment en matière d’urbanisme, en réponse aux demandes des maires, en raison de cette embolie liée au droit des étrangers.

L’appel pour l’OQTF amène donc le délai à deux ans et trois mois. Lorsque la décision du tribunal administratif est négative, elle fait généralement l’objet d’un appel devant une cour administrative d’appel ou devant le Conseil d’État, ce qui augmente à nouveau le délai d’une année. Au final, quelqu’un qui arrive en France obtient une réponse au bout de deux ans et demi à trois ans. Durant cette période, la personne a peut-être fait des enfants ou s’est mariée. Elle a peut-être inscrit ses enfants à l’école, eu l’occasion de travailler ou de créer son auto-entreprise, voire a travaillé dans une entreprise qui l’a embauchée, soit par alias, soit illégalement. Quand bien même nous voudrions appliquer l’OQTF, beaucoup de juges, au nom de la vie privée et familiale et de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), nous indiquent que l’expulsion n’est pas possible.

Tel est le nœud gordien que nous devons trancher : nous devons être en mesure de donner une réponse rapide. Si elle est positive, mais qu’elle survient seulement au bout de trois ans, la personne concernée aura, durant cette période, vécu de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), de l’aide médicale de l’État (AME), de difficultés dans le dispositif national d’accueil (DNA) pour les demandeurs d’asile et les réfugiés ainsi qu’en matière administrative, sans compter le sentiment d’insécurité lié à l’OQTF, alors qu’elle aurait pu vivre de ses cotisations sociales, de son salaire et être respectée sur le territoire national, en tant que femme ou homme.

Nous souhaitons donc simplifier drastiquement ces délais, en passant des deux à trois ans actuels, à moins de neuf mois. Ainsi, nous aurons bien travaillé, puisque, depuis longtemps, le Conseil d’État, la CNDA et le Parlement réclament une telle simplification, conforme au droit européen.

Le troisième sujet est celui de l’expulsion et de l’éloignement des étrangers qui ne respectent pas les règles de la République. mesdames et messieurs les députés, il m’est actuellement impossible d’expulser ou d’éloigner énormément de personnes sous OQTF, surtout lorsqu’elles ont commis des crimes et des délits, en raison des réserves d’ordre public inventées par le législateur au début des années 2000, dans un contexte sans doute très différent. Elles sont propres à la France et ne sont garanties ni par la Constitution, ni par la CEDH, ni par les traités européens, comme l’a indiqué le Conseil d’État dans son avis sur ce texte. Elles empêchent – c’est la loi de la République – d’expulser une personne arrivée sur le territoire national avant l’âge de 13 ans, même si elle a commis des méfaits, par exemple à l’âge de 18 ans et demi.

Prenons le cas d’une personne arrivée à l’âge de 13 ans et demi, âgée de 19 ans, qui n’est pas française et n’a pas demandé la nationalité française, ni n’est régulièrement sur le territoire national : j’ai le droit de l’éloigner, avec une OQTF. En revanche je n’ai pas le droit d’expulser une personne arrivée à l’âge 12 ans et demi et qui, à 18 ans et demi, commet des crimes : la loi de la République empêche de l’éloigner.

Il en va de même pour les personnes mariées en France, présentes depuis plus de vingt ans sur le territoire national, ou qui ont eu des enfants, même lorsque les crimes ou les délits sont en rapport avec les enfants. Je pense à un cas extrêmement précis, où la vie privée et familiale a été caractérisée et évoquée, où la loi française m’a été opposée, cette personne – qui se livrait pourtant à des attouchements sexuels sur ses propres enfants – ne pouvant pas être expulsée en raison de la présence d’enfants sur le territoire national. Cette décision a été très difficile à comprendre, mais conforme à la législation.

Je vous propose, avec les articles 9 et 10, de lever ces réserves d’ordre public. Il y a toutefois une difficulté très forte, sur laquelle nous reviendrons : le régime de l’expulsion et le régime de l’éloignement ne sont pas les mêmes, le Conseil d’État ayant insisté pour que figurent deux articles différents. Le ministre peut prendre un arrêté ministériel d’expulsion (AME), y compris pour les étrangers réguliers sur le territoire national qui ont commis des crimes et des délits. Il faut en effet qu’une personne encourant des peines importantes, de cinq à dix ans de prison, puisse être expulsée, même si elle est en situation régulière. L’éloignement vise un étranger en situation irrégulière : lorsqu’il commet les mêmes méfaits, il ne peut actuellement pas être éloigné en raison des réserves d’ordre public.

Nous souhaitons donc supprimer les réserves d’ordre public, à l’exception de celle concernant les personnes de moins de 18 ans qui commettent des actes de délinquance avant l’âge de 18 ans – les mineurs étrangers ne relèvent pas du ministre de l’intérieur et des outre-mer, mais du garde des Sceaux –, interdite par la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants, sauf décision expresse du juge. Je propose de supprimer toutes les autres réserves d’ordre public, lorsque les étrangers ont commis des actes qui menacent l’ordre public, des violences conjugales, des atteintes contre les policiers, du trafic de stupéfiants ou tout autre crime. Ainsi, nous pourrons expulser ou éloigner tous les étrangers, non pas par rapport à leur statut d’arrivée sur le territoire national, mais en raison de ce qu’ils font contre la nation.

S’ajoute à cela l’article 13, nouveau et assez puissant : il prévoit le retrait du titre de séjour des étrangers qui commettent des actes de délinquance ou qui ne respectent pas les valeurs de la République au sens de la loi sur le séparatisme. Par exemple, si les policiers ou les gendarmes découvrent, dans le téléphone d’une personne, des vidéos répétées de décapitation, en l’absence de transfert de ces messages, il n’est actuellement pas possible de considérer que cette personne tombe sous le coup de la loi, mais simplement qu’elle adhère à une idéologie radicale. Si, grâce à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), cette personne peut être fichée administrativement, je ne peux pas lui retirer son titre de séjour, ce qui est incompréhensible pour les Français. L’article 13 prévoit notamment l’adhésion aux valeurs de la République, telles que définies par la loi sur le séparatisme et validées par le Conseil constitutionnel. Si ce concept a pu sembler flou lors de son adoption, il nous est bien utile ; validé par le Conseil d’État et par le Conseil constitutionnel, il est très efficace pour nous protéger contre tout signe d’atteinte contre la République.

Simplification drastique des procédures, exigence d’intégration, notamment par la langue, travail de fermeté extrêmement fort contre les délinquants étrangers : telle est l’ossature du projet de loi. S’y sont ajoutées les dispositions que vous avez évoquées, monsieur le président, qui ne sont pas de l’ordre de l’irrecevabilité et sur lesquelles je ne reviendrai pas, mais aussi des dispositions voulues par le Gouvernement, notamment la question du travail du juge des libertés et de la détention (JLD). J’ai décidé de placer dans les centres de rétention administrative des personnes dangereuses, et non plus des étrangers qui n’ont commis aucun acte de délinquance, ce qui change la nature de ces centres et permet au JLD d’avoir un œil particulier sur les personnes qui représentent une dangerosité.

Certaines dispositions visent à l’identification des personnes. Lorsque l’on interpelle des personnes en situation irrégulière en vue d’une OQTF, il n’est aujourd’hui pas possible de rechercher, dans l’appartement ou dans la voiture, la pièce d’identité où se trouve mentionnée la nationalité de la personne, afin de la reconduire dans son pays d’origine. Nous demandons que ce soit désormais possible.

D’autres dispositions nous paraissent intéressantes, comme le conditionnement des laissez-passer consulaires vis-à-vis des visas imaginés par le Sénat – à titre personnel, j’y suis favorable –, ou d’autres dispositions nous permettant d’être plus efficaces. Prenons l’exemple du drame d’Annecy : il n’est pas possible de traiter très rapidement la demande d’asile d’une personne qui avait déjà obtenu celui-ci dans un pays européen ; nous proposons donc de lui indiquer, si elle se trouve dans ce cas, qu’elle n’obtiendra pas l’asile en France, étant désormais protégée, même si elle dispose évidemment de la possibilité d’avoir un pays de refuge – la Suède, dans le cas de l’auteur des attaques des bébés à Annecy.

Ce sujet suscite bien évidemment l’incompréhension des Français, tout comme ils ne comprennent pas que des personnes ayant obtenu le statut de réfugiés en France – je pense à des citoyens russes d’origine tchétchène –, à qui l’on aurait ensuite retiré le droit d’asile en raison de leur retour, chaque été, dans leur pays d’origine, où ils sont supposés être pourchassés, puissent conserver, en vertu du droit actuel, une qualité pour rester sur le territoire national. Avec ce texte, cette qualité leur sera retirée afin de pouvoir les expulser du territoire national : il n’est pas concevable d’avoir une résidence secondaire dans le pays qui est censé vous persécuter.

Vous l’aurez compris, beaucoup de dispositions ont été ajoutées dans ce texte, y compris par le Gouvernement. Il ne sera pas sans présenter de difficultés juridiques, puisque le droit des étrangers est extrêmement encadré. À cet égard, je m’enorgueillis de l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi initial du Gouvernement. Je regrette d’ailleurs que les présidents des assemblées, notamment celui du Sénat, n’aient pas saisi le Conseil d’État sur des dispositions, certes très intéressantes mais difficiles, en raison du contrôle de constitutionnalité. Ce projet de loi n’épuise pas tous les débats, notamment ceux de nature constitutionnelle et conventionnelle. Il ne m’appartient pas d’en faire un texte constitutionnel ou conventionnel – les deux se complètent, selon la nature des opinions de chacun.

J’évoquerai pour finir les articles 3 et 4. L’article 3 a été supprimé par le Sénat. Ses dispositions ont été réécrites à l’article 4 bis, qui conserve la possibilité de régulariser dans les métiers en tension, ce qui est une bonne chose. Je crois savoir que M. le rapporteur général souhaite travailler à une nouvelle rédaction de cet article.

Ce qui importe, c’est de rompre le lien entre l’employeur et l’employé dans la régularisation. À l’heure actuelle, il est impossible de régulariser une personne si son employeur s’y oppose. C’est un droit de servage. Si une personne vient me voir pour être régularisée, je ne peux pas la régulariser – la loi, en l’espèce le code du travail, m’en empêche, et non le règlement – dès lors que son employeur refuse de signer le formulaire de demande d’autorisation de travail pour embaucher un étranger résidant en France.

Deux raisons incitent généralement les employeurs à ne pas les signer : ils ne veulent pas reconnaître qu’ils embauchent des travailleurs sans-papiers, ce qui est un délit, ni verser la taxe pour l’emploi d’un travailleur étranger, dite taxe OFII. Placée dans cette situation, une femme, pour être régularisée, doit faire un enfant ou se marier sur le territoire national, aux termes de la circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dite circulaire Valls.

Nous sommes dans un monde très particulier où, même si nous savons très bien que la personne que nous avons devant nous travaille, nous ne pouvons pas la régulariser parce que l’employeur ne veut pas signer le formulaire de demande d’autorisation de travail pour embaucher un étranger résidant en France.

L’objectif premier de l’article 3, indépendamment des régularisations qu’il fait naître dans les métiers et les zones géographiques en tension – systématiquement oubliées par les commentateurs –, est de faire sauter ce lien entre employeur et employé, pour permettre la régularisation de ce dernier dans les conditions que définira le Parlement.

Quant à l’article 4, relatif à l’accès au travail de certains demandeurs d’asile, lesquels – contrairement à ce que l’on entend souvent dire – ont le droit de travailler en France six mois après y être arrivés, il vise à annuler ce délai pour ceux dont la nationalité les rend les plus susceptibles d’être protégés par la France. Cet article est le seul que le Sénat a supprimé sur les vingt-sept que compte le texte initial, ce qui prouve que celui-ci, indépendamment des ajouts introduits par le Sénat, est non seulement bien vivant, mais a été approuvé par une large majorité de sénateurs.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je rappellerai les principales orientations du texte initial du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, adopté par le Sénat le 14 novembre dernier.

Premièrement, nous voulons déployer des stratégies supplémentaires et des voies nouvelles d’intégration, notamment par l’apprentissage du français. Cette mesure, de nombreux gouvernements ne l’ont pas prise par le passé. Nous voulons aussi mettre un terme à des situations de maltraitance à l’égard de bon nombre d’étrangers présents sur notre sol, notamment par le biais de l’interdiction de la rétention administrative des mineurs. Tel est aussi l’objectif de la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension – tous les employeurs n’étant pas de bonne foi –, de la lutte contre les passeurs et de la lutte contre les marchands de sommeil, qui maintiennent des étrangers dans des conditions de logement inhumaines.

Deuxièmement, nous voulons renforcer l’efficacité de l’expulsion des étrangers délinquants, considérant que leur place n’est pas sur le sol de la République. Tel est notamment le sens de la levée des protections contre l’éloignement pour motif d’ordre public dont bénéficient parfois les auteurs de délits, voire de crimes, ainsi que certains multirécidivistes.

Dans ce contexte, le Sénat a fait son travail et nous ferons le nôtre. Certaines dispositions adoptées par le Sénat méritent d’être approfondies, car elles vont dans le bon sens. Tel est notamment le cas de l’amélioration de l’encadrement du titre de séjour pour raisons de santé, du renforcement du contrôle caractère réel et sérieux des études justifiant la délivrance d’un visa étudiant et de la justification d’une connaissance minimale de la langue française pour bénéficier du regroupement familial.

D’autres modifications sont contestables sur le fond ou sur la forme. Tel est notamment le cas de la suppression de l’AME, qui constitue un colossal cavalier législatif. Le rapport à ce sujet commandé à MM. Patrick Stefanini et Claude Évin sera remis le 4 décembre. Il permettra d’éclairer le débat, voire de le prolonger. La dernière modification de l’AME a eu lieu dans le cadre d’un projet de loi de finances, à l’initiative de la ministre de la santé d’alors. Il s’agit à la fois d’une question de santé publique et d’une question budgétaire. Au demeurant, ce débat n’entre pas dans le cadre du projet de loi dont nous sommes saisis – peut-être sa place est-elle dans une campagne présidentielle –, pas davantage que celui sur la réforme des dispositions du code civil relatives à la nationalité.

Nous débattrons en revanche de la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension, envisagée dans l’article 3 du texte initial comme ciblée et bornée dans le temps, en l’espèce au 31 décembre 2026. Peut-être pourrons-nous l’adapter. Je constate que la majorité sénatoriale, qui, il y a quelques jours, avait pour slogan « zéro régularisation », a finalement validé la nécessité, pour notre pays, d’une politique raisonnée de régularisations, dans l’intérêt de notre économie comme de l’intégration des personnes concernées. Je proposerai à notre commission, avec l’assentiment de la rapporteure Jacquier-Laforge, d’élaborer une solution à mi-chemin du droit automatique, général et absolu à la régularisation, qui soulève de réelles difficultés, et du recours au pouvoir discrétionnaire du préfet pour lequel a opté le Sénat.

S’agissant du renforcement du rôle du Parlement en matière migratoire et de la mise en œuvre d’une politique de quotas, le texte du Sénat se heurte à deux sérieux obstacles constitutionnels : aucun Parlement ne peut contraindre son futur ordre du jour ; le Parlement n’a pas pour rôle de déterminer les chiffres de l’immigration. Par conséquent, une réforme de la Constitution serait nécessaire. Certains la souhaitent ; nous aurons ce débat en séance publique.

En revanche, un débat sur les objectifs annuels d’immigration, sur la base des chiffres communiqués par le Gouvernement en matière de visas de travail et de visas étudiants, est envisageable. Au demeurant, il offrira à la majorité présidentielle l’occasion de rappeler ses ambitions. Je rappelle que l’immigration pour études est plus nombreuse que l’immigration pour motif familial – 108 000 titres de séjour délivrés, contre 90 000.

J’espère que nos débats seront non seulement de la plus grande courtoisie républicaine – je n’en doute pas –, mais aussi précis et exigeants. L’immigration est une question sensible et délicate, qui engage une part de notre avenir. Je veillerai, dans mon rôle, à la bonne tonalité de nos débats.

J’espère aussi que nous prendrons le temps d’accorder l’attention qu’ils méritent aux deux titres essentiels que sont les titres IV et V, relatifs respectivement à la réforme structurelle du système de l’asile et à la simplification des règles du contentieux relatif à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers. L’actualité médiatique ne doit pas nous faire renoncer à accorder aux sujets exigeants l’attention qu’ils méritent.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour le titre Ier. Le titre Ier du projet de loi a pour ambition d’assurer une meilleure intégration des étrangers par la langue et par le travail.

S’agissant de l’intégration par la langue, elle suit les deux axes du projet de loi initial. L’article 1er vise à rendre obligatoire la maîtrise d’un niveau minimal de français pour l’obtention d’une carte de séjour pluriannuelle. L’article 2 prévoit des formations au bénéfice des salariés allophones afin de favoriser leur intégration dans le monde du travail.

Nos auditions ont fait ressortir la maîtrise de la langue comme un facteur essentiel de l’intégration dans notre société. Comment accéder au marché de l’emploi, se faire comprendre et comprendre les autres si on ne maîtrise pas la langue ? En dépit de la suppression de l’article 2 en commission, le Sénat a maintenu ces deux dispositions, ce dont je me félicite. Toutefois, nous ne sommes pas favorables à tous les amendements à l’article 1er qui ont été adoptés.

Le Sénat a ajouté de nombreuses dispositions au chapitre Ier, ce qui a fait passer le nombre d’articles qui le composent de deux à douze. La plupart des nouveaux articles sont relatifs à l’acquisition de la nationalité française par des étrangers et au droit du sol. Leur insertion dans ce chapitre et dans le projet de loi en général ne me semble pas pertinente.

S’agissant de l’intégration par le travail, celui-ci non seulement offre une voie vers l’autonomie financière, mais en outre permet de pratiquer la langue et de tisser des liens sociaux. Les chapitres II et III du projet de loi, porteurs d’ambitions inédites, lui sont consacrés.

L’examen de l’article 4 bis par notre assemblée doit être l’occasion de travailler à une rédaction opératoire des dispositions initialement contenues dans l’article 3. L’impératif est triple : humaniste, car les situations de travail illégal sont trop souvent le cadre d’atteintes à la dignité humaine ; de justice, ce qui impose notamment de mettre un terme à la nécessité de la coopération de l’employeur ; économique, si l’on se souvient que notre pays, d’après les derniers chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), compte environ 350 000 emplois vacants. Si la rédaction du Sénat nous semble devoir être retravaillée, rétablir la rédaction initiale de l’article n’est peut-être pas le chemin à suivre. Nous devons élaborer une rédaction nouvelle.

S’agissant de l’article 4, qui tend à donner un accès immédiat au marché du travail aux demandeurs d’asile les plus susceptibles de faire l’objet d’une protection internationale, j’en proposerai le rétablissement. Ces étrangers ayant de fortes chances de rester sur notre territoire, autant qu’ils s’intègrent rapidement, notamment en bénéficiant d’un accès rapide à l’autonomie financière, d’autant qu’ils le souhaitent.

Par ailleurs, je suis favorable à la rédaction de l’article 8 adoptée par le Sénat, qui remplace par une amende administrative la contribution spéciale sanctionnant les employeurs d’étrangers ne détenant pas un titre les autorisant à travailler. L’enjeu est triple : il y va du contrôle du travail illégal, de la prévention de l’exploitation d’autrui et de l’équité économique.

Je me réjouis que nos travaux sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration débutent. Je sais pouvoir compter sur beaucoup d’entre vous pour donner au titre Ier, consacré à l’intégration des étrangers par la langue et par le travail, sa pleine portée.

M. Philippe Pradal, rapporteur pour le titre II. Les sujets qui m’échoient sont particulièrement sensibles : le titre II vise à améliorer le dispositif d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public et à mieux tirer les conséquences des actes des étrangers en matière de droit au séjour ; le titre II bis, entièrement constitué d’articles issus du Sénat, comporte des dispositions visant à agir pour la mise en œuvre effective des décisions d’éloignement.

Même si nous avons mené de nombreuses auditions et eu des échanges avec les services du ministère, notre discussion générale intervient relativement tôt. Elle me paraît donc être l’occasion de faire part des convictions qui sont les miennes, des sujets sur lesquels mon opinion n’est pas arrêtée et des questions sur lesquelles M. le ministre pourra peut-être nous éclairer. C’est donc avec beaucoup de prudence et de modestie que je formule ces premières analyses.

Le titre II comporte des dispositions ambitieuses abordant des questions sensibles et engageantes pour notre société. Les articles 9 et 10 prévoient d’assouplir le régime de protection dont bénéficient certaines catégories de ressortissants étrangers en raison des liens d’attachement qu’ils entretiennent avec la France. Cette mesure est conçue pour faciliter les décisions d’expulsion et le prononcé de la peine d’interdiction du territoire français (ITF). Ces dispositions ont subi des modifications significatives au Sénat. Notre responsabilité est de travailler ensemble à établir un équilibre, en accord avec les principes constitutionnels et conventionnels qui guident notre démarche.

L’article 11 permet le relevé signalétique des étrangers sans leur consentement. S’y refuser est un délit. Cette mesure me semble proportionnée à l’enjeu. Le Sénat l’a encadrée de garanties, dont il faudra s’assurer qu’elles ne nuisent pas à son caractère opérationnel.

L’article 12, qui interdit la présence de mineurs de moins de 16 ans en centre de rétention administrative (CRA), est une avancée majeure. Je suis convaincu que nous poursuivrons la réflexion à ce sujet au cours de nos travaux.

L’article 13 prévoit d’encadrer la délivrance, le renouvellement et le retrait de titres de séjour, selon des critères sur lesquels nous devrions tomber d’accord. Ne pas laisser se maintenir sur notre territoire des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public et exiger des titulaires d’un titre de séjour de longue durée une résidence habituelle en France sont des mesures de bon sens, qui ne devraient pas susciter de vaines polémiques. Tel est aussi le cas du respect des principes de la République, cette fois précisément définis, contrairement à la tentative législative de 2021. Cette mesure ne fait qu’étendre le champ d’une disposition en vigueur. Elle est de nature à favoriser l’intégration des étrangers. Le Sénat a renforcé ses dispositions selon des modalités dont l’opportunité n’est pas pleinement assurée, ce dont nous aurons tout loisir de débattre.

Le titre II bis comporte diverses mesures, dont certaines ne sont pas dénuées de sens et d’autres soulèvent des interrogations. L’article 14 A permet de faire dépendre de la bonne coopération migratoire la délivrance de visas de long séjour et le montant de l’aide publique au développement (APD). Cette disposition, qui n’est pas sans intérêt, peut être améliorée pour en accroître l’efficacité. Tel est aussi le cas de l’article 14 B, qui rend obligatoire l’information par les préfets des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi sur les décisions d’OQTF et crée une obligation de radiation une fois la décision devenue définitive. Des améliorations visant à rendre cette disposition plus opérationnelle sont possibles. De même, les dispositions de l’article 14 C visant à allonger la durée maximale d’assignation à résidence d’un étranger faisant l’objet d’une OQTF paraissent de nature à améliorer la mise en œuvre effective des mesures d’éloignement.

L’opportunité de l’article 14 D est douteuse, dans la mesure où le versement en une fois de l’aide au retour est d’ores et déjà garanti par un texte réglementaire. L’article 14 E m’inspire la même prudence, dans la mesure où il réintroduit dans la loi une disposition qui en avait été supprimée, à raison, par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

J’espère que nous débattrons de ces questions avec l’exigence, la précision et le sérieux qu’elles exigent, dans un climat serein et constructif.

M. Ludovic Mendes, rapporteur pour les titres III, IV et V. Le titre III comporte des dispositions dont j’ose espérer qu’elles feront consensus.

L’article 14 renforce la sanction contre les réseaux de passeurs, en criminalisant l’infraction d’aide à l’entrée, au séjour et à la circulation des étrangers si elle est commise en bande organisée et présente un danger pour les personnes concernées. Par ailleurs, il cible les dirigeants des réseaux afin de lutter contre les filières d’immigration clandestine, dont les premières victimes sont des enfants, des femmes et des hommes souvent exploités, qui ont besoin de protection.

Dans le même esprit, l’article 15 durcit la répression contre les marchands de sommeil, afin de lutter le plus efficacement possible contre ceux qui exploitent la vulnérabilité des étrangers. Loin des polémiques politiciennes, je pense que nous pouvons tous nous retrouver non seulement sur les objectifs de cet article, mais aussi sur les modalités proposées pour l’atteindre.

Le titre III garantit le renforcement des contrôles aux frontières, en prévoyant le contrôle par les transporteurs de l’autorisation de voyage Etias – European Travel Information and Authorisation System, ou Système européen d’autorisation et d’information concernant les voyages – et en permettant la visite sommaire des voitures particulières pour éviter les contournements. Ces dispositions complètent celles que nous avons adoptées lors de la récente modification du code des douanes. Par ailleurs, le titre III permet de refuser un visa à une personne ne pouvant justifier du respect d’une OQTF préalable.

Le titre IV prévoit une réforme ambitieuse et structurelle de notre système d’asile. Deux de ses articles figuraient dans le texte initial.

L’article 19 prévoit la création de pôles territoriaux « France asile » visant à renforcer les guichets uniques de demande d’asile (Guda), au sein desquels le demandeur pourra non seulement faire enregistrer sa demande par la préfecture et bénéficier de conditions matérielles d’accueil dans le cadre de l’OFII, mais aussi avoir un premier contact avec un agent de l’Ofpra pour l’introduction de sa demande d’asile.

Cette réforme est bénéfique pour le demandeur, qui sera accompagné par un agent mieux armé pour le guider dans ses premières formalités, s’agissant notamment du choix de la langue d’entretien, qui est un vrai casse-tête dans certains territoires. Elle permettra d’accélérer le délai de traitement des demandes. Je suis donc convaincu que l’expérimentation prévue par le Sénat n’est pas nécessaire. J’espère que nous parviendrons à convaincre qu’un déploiement progressif des pôles territoriaux, à partir de sites pilotes, est la meilleure solution.

L’article 20, adopté par le Sénat dans sa version initiale, prévoit une réforme de la CNDA destinée à rapprocher le demandeur d’asile et le juge de l’asile. Il vise à créer des chambres territoriales de la CNDA, qui siège à Montreuil, ville assez difficile à rallier si l’on se trouve à Tarbes, par exemple. Par ailleurs, l’article 20 prévoit la généralisation du principe du juge unique, qui n’est appliqué que dans un nombre de cas restreints.

Le titre V constitue une avancée majeure en matière de modernisation et de simplification du contentieux des étrangers. Au cœur de cette réforme des règlements contentieux, l’article 21, qui a fait l’objet d’ajustements significatifs par le Sénat, vise à réduire à trois le nombre de procédures applicables, en lieu et place de la douzaine dénombrée par le Conseil d’État. Cette simplification facilitera le travail des acteurs concernés et garantira aux justiciables un accès à la justice plus rapide et équitable.

Les articles 21 et 24 prévoient des mesures concrètes pour améliorer le fonctionnement de la justice rendue dans ce cadre. La délocalisation des audiences dans des salles spécialement aménagées, situées à proximité des lieux de rétention ou des zones d’attente, offre une réponse adaptée à l’exigence de rapidité et d’efficacité du traitement judiciaire de ce type de contentieux. La facilitation de la vidéo-audience, devant le juge administratif et devant le JLD, participe aussi à l’objectif de bonne administration de la justice. Notre responsabilité est de trouver le juste équilibre entre efficacité et protection des droits de l’étranger en tant que justiciable.

L’article 25 tient compte, de façon très concrète, de l’évolution du contentieux des étrangers. Il vise à adapter les règles procédurales du contentieux. Cette disposition tire les leçons de l’expérience du traitement judiciaire des migrants arrivés à bord de l’Ocean Viking à Toulon en novembre 2022. Ce débat, nous devons l’avoir ; nous ne pouvons plus le repousser ; nous devons l’accepter tel qu’il est. Certaines dispositions ajoutées au Sénat sont utiles à notre pays. Les supprimer toutes serait une erreur.

Je ne doute pas que nous aurons un débat apaisé sur les dispositions des titres III, IV et V, ni que nous trouverons un accord constructif et utile pour les Français, pour les ressortissants étrangers et pour le Gouvernement.

M. Olivier Serva, rapporteur pour le titre VI. Chargé du titre VI, dont les deux articles traitent d’enjeux majeurs, je serai la voix des territoires ultramarins. L’article 26 a vocation à déterminer l’application spécifique aux outre-mer des dispositions du projet de loi, et l’article 27 détermine les modalités d’entrée en vigueur de certaines d’entre elles.

Je salue la démarche du Gouvernement, qui a pris l’engagement devant le Sénat d’inscrire directement dans la loi les dispositions applicables à certains territoires d’outre-mer plutôt que de recourir à une mise en œuvre par ordonnance. L’adoption par le Sénat d’un amendement du Gouvernement à l’article 26 a permis d’exclure du champ de l’habilitation à légiférer par ordonnances la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous aurons, pour ces territoires, la possibilité de déterminer directement dans le projet de loi les mesures dont nous souhaitons qu’elles s’y appliquent.

En revanche, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie feront l’objet d’ordonnances. La situation de ces collectivités mérite entièrement de faire l’objet d’un débat parlementaire devant la représentation nationale. Je me réjouis que nous ayons ce débat.

Toutefois, si ces territoires ultramarins justifient pleinement l’attention du législateur, ils ne peuvent faire l’objet d’une approche monolithique. Les onze territoires d’outre-mer habités présentent une diversité d’enjeux, qui ne peuvent être abordés sous le prisme d’une norme unique. La situation de la Guyane, qui compte 35 % de personnes étrangères sur son sol, n’est pas comparable à celle de la Guadeloupe, où la proportion d’étrangers en situation irrégulière est estimée à 4 % de la population. La Guyane, qui partage des centaines de kilomètres de frontière terrestre avec le Surinam et avec le Brésil, ne présente pas les mêmes difficultés que les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon, situées au large de l’Amérique du Nord et ne comptant que quatre-vingts étrangers sur leur sol.

Certaines de ces collectivités font face à des flux importants d’entrées irrégulières. Le cas de Mayotte est emblématique : un tiers de la population y serait en situation irrégulière. D’autres collectivités, Saint-Pierre-et-Miquelon par exemple, peinent au contraire à attirer la main-d’œuvre suffisante pour répondre aux besoins du marché du travail.

En tant que rapporteur, j’ai choisi de mener une concertation avec les onze territoires situés en outre-mer. À chaque audition, j’ai associé tous les représentants du territoire – services de l’État déconcentrés, élus locaux, parlementaires et associations – afin de recueillir tous les points de vue et de bâtir des propositions faisant l’objet d’un consensus.

J’ai la profonde conviction qu’aucune mesure ne doit être adoptée sans une très large adhésion des territoires concernés. Cette conviction guidera mon travail lors de nos discussions. J’indique d’emblée qu’il me semble nécessaire de réfléchir à des mécanismes de territorialisation des métiers en tension, tels qu’ils sont définis par le projet de loi. Leur liste ne saurait être établie de façon uniforme et unilatérale pour les territoires d’outre-mer, qui présentent de fortes particularités en matière d’emploi et de besoins de main-d’œuvre.

Le besoin d’un mécanisme de consultation des acteurs locaux a été exprimé à plusieurs reprises par les acteurs des territoires que j’ai auditionnés. Dans le même esprit, la durée des titres de séjour délivrés dans le cadre du mécanisme de régularisation prévu à l’article 4 bis devrait pouvoir être modulé afin de tenir compte de l’éloignement et des délais de traitement de la délivrance des titres de séjour dans certains territoires ultramarins.

Le travail de concertation que je mène a vocation à se poursuivre dans les prochains jours. À l’issue de ce travail, je proposerai des solutions sur mesure pour chaque territoire ultramarin, le cas échéant en fonction des souhaits que leurs représentants auront exprimés et des besoins que ces auditions auront permis d’identifier. Le cadre constitutionnel nous permet de procéder à ces adaptations, afin de tenir compte des caractéristiques et des contraintes particulières de ces collectivités. Je formule le souhait que nos travaux en commission nous permettent de nous saisir pleinement de cette opportunité, afin d’accorder à ces territoires toute l’attention qu’ils méritent. Dans cet esprit, que pensez-vous, monsieur le ministre, de la démarche permettant de consacrer un article à chaque territoire ?

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Au nom du groupe Renaissance, je salue le travail et la clarté des propos des rapporteurs, qui nous éclairent sur les enjeux du projet de loi, sur sa philosophie et sur la façon dont sont envisagées ses évolutions après son adoption au Sénat le 14 novembre dernier.

Les sujets migratoires sont l’un des enjeux de notre époque. Nous sommes confrontés à un défi humain, sur lequel nous savons les attentes de nos concitoyens fortes. Nous sommes confrontés à un sujet qui reviendra certainement de façon régulière devant notre assemblée. Aussi, il importe d’aborder l’examen du texte avec une certaine humilité et un réel sens des responsabilités. Il importe de l’aborder en sachant de quoi nous parlons exactement.

Premièrement – tâchons de ne jamais l’oublier –, nous parlons d’hommes, de femmes et d’enfants amenés, bien souvent contre leur gré, à quitter leur territoire, le plus souvent en raison des conséquences du dérèglement climatique, de conflits et de guerres, ou pour des raisons économiques, sociales ou politiques. En 2023, près de 130 millions de personnes étaient considérées comme déplacées. La pression migratoire se fait de plus en plus forte sur les pays de l’Union européenne (UE), dont les pays les plus vulnérables accueillent la majorité des personnes déplacées.

Parler de l’immigration, c’est aussi parler des valeurs de notre pays, de notre modèle républicain et social. C’est également parler de notre souveraineté et de nos politiques d’intégration. Parler d’immigration, c’est parler de notre cohésion sociale et de notre avenir. C’est parler d’Europe et du monde dans lequel nous vivons, qui, au fond, est un village où chaque événement peut avoir des conséquences sur notre société.

Les réponses apportées par le projet de loi présenté par le Gouvernement sont de nature à répondre à ces enjeux, dans le respect de nos valeurs et des attentes de nos concitoyens ; d’abord en renforçant considérablement nos politiques d’intégration, en facilitant l’apprentissage de la langue, en revoyant à la hausse nos attentes en la matière, et en assumant de renforcer l’intégration par l’accès au travail, condition sine qua non d’une bonne intégration ; ensuite en facilitant les règles d’expulsion, grâce à la réintroduction de la double peine pour celles et ceux qui ne respectent pas les règles de notre société, et en alourdissant les sanctions à l’encontre des réseaux mafieux de traite humaine, qui organisent en partie l’immigration irrégulière. Il s’agit, selon les mots de M. le ministre, d’être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants. Par ailleurs, le texte vise à simplifier davantage certaines procédures, afin de traiter plus rapidement les demandes de séjour ou d’obtention du statut de réfugié.

Nous n’oublions pas que le texte ne se suffit pas à lui-même. Il s’inscrit dans la continuité de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, laquelle a permis de diviser par deux le délai de traitement des demandes d’asile par l’Ofpra. Il s’inscrit aussi dans la continuité de la LOPMI, qui a permis d’augmenter de 25 % les crédits dédiés à l’intégration et d’ouvrir un travail de refonte importante des préfectures. Les travaux essentiels menés à l’échelon européen, qui doivent fonder une grande partie des réponses à ce défi, complètent ce contexte législatif.

Le texte adopté par le Sénat a été âprement discuté et amendé. Le sujet est difficile, mais je forme le vœu que nos débats se déroulent dans le même état d’esprit républicain que celui qui a présidé à ceux du Palais du Luxembourg. Si nous saluons le compromis obtenu au Sénat, grâce auquel le texte a été adopté, en conservant la quasi-totalité des dispositions initiales, nos désaccords avec certains ajouts sont réels. Il est notamment exclu que nous acceptions les dispositions relatives à l’AME, au droit de la nationalité, aux mineurs non accompagnés (MNA) et à la restriction de l’accès aux prestations sociales.

Forts de la volonté de répondre aux enjeux du texte et d’adopter les dispositions les plus claires et efficaces possibles, nous examinerons avec attention certaines dispositions introduites par le Sénat, qui sont de nature à améliorer l’efficacité du projet de loi, dans le respect des valeurs auxquelles nous sommes attachés.

M. Yoann Gillet (RN). En matière d’immigration, nous devons nous poser deux questions : quel est l’impact de l’immigration sur la vie de nos compatriotes et sur notre pays ? Que veulent nos compatriotes ?

Si je ne nie nullement les quelques améliorations que comporte le texte, je sais aussi que la gauche et une partie de la majorité tenteront de le modifier pour accentuer le laxisme migratoire. Au demeurant, tel qu’il a été adopté par le Sénat, le texte ne répond pas à toutes les attentes des Français, ni à l’urgence de la situation. Chers collègues de la majorité, vous affichez dans les médias la volonté de lutter contre l’immigration irrégulière et, en même temps, vous souhaitez la régularisation des travailleurs clandestins : sévérité affichée et, en même temps, laxisme migratoire.

En réalité, comme vos prédécesseurs, vous organisez les appels d’air. Sur le droit du sol, rien d’efficace n’est prévu. Sur la politique d’immigration régulière, rien non plus. Or, depuis qu’Emmanuel Macron est Président de la République, la France a délivré 1,6 million de premiers titres de séjour à des immigrés extraeuropéens – un record. Rien non plus sur l’immigration irrégulière. Monsieur le ministre, vous estimiez devant notre commission, le 2 novembre dernier, qu’entre 600 000 et 900 000 étrangers sont en situation irrégulière sur le territoire national. Votre incapacité et votre manque de volonté à maîtriser nos frontières sont malheureusement évidents.

Pire, vous ne prévoyez rien pour couper les pompes aspirantes de l’immigration. Le nombre de bénéficiaires de l’AME était de 400 000 en 2022. Ce dispositif coûte 1,2 milliard d’euros aux Français chaque année. Les sénateurs ont eu la sagesse d’adopter la mesure préconisée par Marine Le Pen consistant à remplacer l’AME par une aide médicale d’urgence, mais la Première ministre exige que vous réintroduisiez dans le texte ce dispositif coûteux et injuste pour les Français.

En ce qui concerne la demande d’asile, qui a triplé en dix ans, votre projet ne durcit aucunement la procédure malgré son dévoiement permanent. Les étrangers obtiennent chez nous plus facilement le statut de réfugié qu’en Allemagne, en Suède, en Norvège, en Autriche ou au Danemark. Car c’est bien là le sujet : le dévoiement du droit d’asile a non seulement un impact sur l’économie du pays, mais exerce aussi un effet sur ceux qui peuvent réellement y prétendre.

Que dire, également, de l’expulsion des étrangers en situation irrégulière et de l’absence totale du principe de priorité nationale dans le projet de loi ? De la même façon, vous êtes muet sur le problème de l’hébergement inconditionnel des migrants clandestins, alors que tant de Français n’arrivent pas à se loger correctement.

Ensuite, et c’est peut-être plus grave encore, vous proposez, derrière la prétendue fermeté affichée pour asseoir vos ambitions personnelles, d’adopter un article qui aboutira à la vague de régularisation de clandestins la plus massive de l’histoire de notre pays. Oui, l’article 3 a été supprimé par le Sénat, en séance publique, après avoir été approuvé en commission – y compris par les membres du groupe Les Républicains, d’ailleurs. Toutefois, cette disposition a simplement pris une autre forme, en devenant l’article 4 bis. En outre, votre majorité va tenter de le réintroduire dans sa rédaction initiale. Sous une forme ou sous une autre, le résultat est le même : vous souhaitez donner une prime à la clandestinité. Alors que la surreprésentation des étrangers dans la délinquance est une réalité et que 5 millions de Français sont sans emploi, votre projet accentuera les avantages au profit d’étrangers clandestins, clandestins donc délinquants.

Vous ignorez les problèmes de notre pays, les failles pour notre sécurité collective, pour les comptes publics, pour les salaires des Français et pour l’économie. Monsieur le ministre, l’heure est grave, c’est pour cela que les Français sont 83 % à demander un référendum, comme le propose Marine Le Pen, et qu’ils veulent une politique migratoire ferme. C’est pour cette raison que les députés du Rassemblement national amenderont ce texte afin de rendre plus strictes les conditions de séjour des étrangers, en finir avec l’AME et le droit du sol, refonder la politique française de l’asile, lutter profondément contre l’immigration irrégulière, redonner enfin à la France la maîtrise de ses instruments juridiques.

François Mitterrand disait, en 1988 : « Ceux qui sont clandestins […], il faut qu’ils rentrent chez eux ». Comme quoi, même ceux qui ont une responsabilité dans le déclin de notre pays peuvent avoir des instants de lucidité.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La liberté, c’est l’esclavage, l’ignorance, c’est la force : tel est l’esprit de votre loi, monsieur Darmanin. Que ce soit La France insoumise, la gauche, les associations, les collectifs, les syndicats, les institutions ou les avocats, personne n’est dupe ! Dans le contexte de l’attaque d’Arras, vous avez défendu votre loi comme étant la plus dure et la plus ferme qui ait été présentée depuis trente ans et comme une réponse au terrorisme. En quoi une dégradation majeure des droits permettrait-elle de lutter contre le terrorisme ?

Votre projet est mensonger. Il est fondé sur le postulat selon lequel notre pays serait submergé par une prétendue vague migratoire. Or, notre pays se trouve à la vingtième place, au sein de l’Union européenne, pour le nombre de réfugiés accueillis rapporté à la population, ce qui va à contre-courant des mythes que vous vous plaisez à alimenter.

Votre projet est superflu. C’est le vingt-neuvième texte sur l’immigration depuis 1983. Il s’agit toujours de courir inlassablement derrière la politique du chiffre.

Votre politique et votre projet sont trompeurs. L’inflation législative n’a aucunement pour but de développer une politique digne pour tous, comme nous le demandons. Elle vise au contraire à rendre notre pays de plus en plus hostile à celles et ceux qui pourraient espérer y trouver des conditions d’existence dignes, et même aux personnes qui, d’une façon légitime, au sens premier du terme, devraient pouvoir y trouver protection et asile. Le démantèlement du système d’asile que votre texte entérinerait est représentatif de cette tendance.

Votre texte est dangereux. En effet, nous assistons, du fait d’une dégradation inédite des droits des étrangers et du droit d’asile, à une insupportable inversion de la hiérarchie des normes. Le droit humain, le droit de l’enfant, tout cela est passé par-dessus bord – comme d’autres droits, comme des humains.

Votre projet est inhumain. Vous avez recours à des concepts malléables à souhait pour justifier le durcissement des mesures d’éloignement et la prétendue augmentation des taux d’exécution au détriment des personnes malades et des enfants, en méconnaissance de la réalité de la procédure en matière de droit des étrangers et de son application.

Votre projet est un projet de division entre les uns et les autres, entre ceux qui sont ici et ceux qui voudraient pouvoir s’y installer. Dans votre vision, étranger rime avec criminel, migrant avec humain aux moindres droits, alors même que les sciences humaines s’accordent unanimement sur l’absence de lien entre l’immigration et la délinquance.

Vous avez ouvert la porte à toutes les régressions. Évidemment, et vous le saviez, la droite sénatoriale s’y est engouffrée, reprenant et adoptant les pires dispositions : retrait du titre de séjour pour motif d’adhésion au djihadisme – alors que les dispositions de la loi séparatisme à ce sujet ont été censurées par le Conseil constitutionnel –, allongement de la durée de rétention administrative maximale de trois à dix-huit mois, comme dans l’Italie de Meloni, suppression de l’AME, alors même que huit personnes éligibles sur dix n’y ont pas recours, selon les données de Médecins du monde.

Vous prétendez être juste au motif que votre projet de loi vise à régulariser les travailleurs étrangers dans les métiers en tension. Nous n’accepterons pas cette vision utilitariste et hypocrite des travailleurs.

Vous entendez réformer nos institutions, en particulier la procédure d’asile, dont la France pourrait être fière, sous prétexte de vouloir réduire les délais et rapprocher les demandeurs des structures. Nous n’accepterons pas que vous mettiez définitivement à bas l’impartialité de la CNDA, pas plus que nous n’admettrons la fin de l’indépendance de l’Ofpra. Au pays des droits de l’homme, tous les humains sont égaux, mais selon vous, il y en a qui sont plus égaux que d’autres.

Mme Annie Genevard (LR). Permettez-moi tout d’abord de vous exprimer le plaisir que j’éprouve à rejoindre votre commission pour l’examen des textes de loi sur l’immigration, à savoir le projet de loi issu des travaux du Sénat et la proposition de loi constitutionnelle des Républicains, pour lesquels j’ai l’honneur d’être oratrice au nom de mon groupe.

Monsieur le ministre, nous vous auditionnons aujourd’hui en préalable à l’examen de votre projet de loi destiné à contrôler l’immigration et améliorer l’intégration. Initialement composé de vingt-sept articles, le texte en comporte désormais quatre-vingt-seize : c’est dire combien les travaux menés par nos collègues sénateurs l’ont transformé en profondeur.

La fermeté des sénateurs est à nos yeux justifiée face à une situation migratoire hors de contrôle. Chacun connaît les chiffres : ils sont plus qu’alarmants. Comment s’étonner, dès lors, que 74 % des Français rejettent la politique du Gouvernement en matière migratoire ? Cette opinion est un fait qui nous met en face de nos responsabilités. Je dirais même que c’est l’heure de vérité. Notre pays est à la fois laxiste et impuissant. C’est donc du côté de la fermeté qu’il faut aller car en matière d’ouverture, nous sommes, si j’ose dire, largement pourvus. Les chiffres disent une réalité dont nous n’avons pas le droit d’ignorer les conséquences en matière d’insécurité, de perte de souveraineté, de perte de cohésion nationale, de déséquilibres financiers et sociaux. Assouplir et durcir : « l’impossible oxymore », pour reprendre l’expression de Pierre Brochand.

Ce texte permettra-t-il de remédier au problème ? Le Sénat s’y est employé et a produit un texte qui, mesure après mesure, corrige l’existant – nous aurons matière à le corriger encore –, mais qu’en ferez-vous ? Les premières déclarations de membres de votre majorité, ce soir encore, conduisent à nourrir bien des inquiétudes. Concernant les métiers en tension, certains veulent revenir à la rédaction initiale, qui crée une nouvelle filière d’immigration et de nouvelles sources de contentieux, alors que le taux de chômage des immigrés s’élève à 16 % et que le taux de chômage en catégorie A augmente – funeste « en même temps ». Si les régularisations, que la France conduit massivement depuis 1981, avaient résolu les problèmes et tari les flux, ça se saurait. « Régulariser les clandestins dans les métiers en tension, c’est amorcer une pompe inépuisable », nous dit encore l’ancien directeur général de la sécurité extérieure.

Quant à l’AME, qui n’est que l’un des onze dispositifs existants en matière de santé des étrangers, certains, dans votre majorité ou au Gouvernement, exigent sa restauration en caricaturant le dispositif que nous proposons de lui substituer, lequel garantit pourtant la protection de la santé publique.

La principale raison qui nourrit nos doutes quant à l’efficacité de ce texte est qu’il ignore délibérément les freins à son application. Exécuter les OQTF ou les expulsions, instituer des plafonds migratoires ou durcir les conditions d’accès au regroupement familial, pour ne citer que ces exemples, sont autant de mesures qui se heurteront au droit conventionnel et à sa jurisprudence, ainsi qu’aux cours souveraines nationales. La gestion de l’immigration de notre pays est largement dictée par des dispositions supranationales. Seule une réforme de la Constitution assurera donc la pleine effectivité de ce texte et redonnera à la France le droit d’accueillir sur son sol qui elle veut et la possibilité de se protéger d’une immigration massive et subie qui porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Vous le savez pertinemment, monsieur le ministre, tout comme le Président de la République.

En conséquence, nous avons déposé une proposition de loi constitutionnelle qui, seule, nous permettra de reprendre le contrôle. Nous verrons bien, lors de son examen, le 7 décembre prochain, ce que le Parlement souverain en dira. Monsieur le ministre, comprenez bien que les Républicains, parfaitement conscients des enjeux, entendent éviter que cette loi soit la quarantième d’une longue liste de textes inutiles ou inefficaces. Nous voulons un vrai changement de paradigme : non pas gérer les flux migratoires, mais en finir avec l’immigration de masse.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le groupe Démocrate aborde l’examen de ce projet de loi animé d’une double préoccupation : d’une part, bien comprendre l’attente de réforme de l’opinion publique, à laquelle il entend répondre et, d’autre part, être fidèle aux valeurs humanistes qui fondent notre conception de la démocratie, où toutes les réconciliations doivent être possibles. Le législateur a pour devoir de garantir le respect de ces valeurs et des principes républicains.

Le projet initial s’efforce à l’équilibre entre deux impératifs : l’intégration réussie pour les étrangers en situation régulière et la maîtrise efficace de l’immigration irrégulière. La réussite de l’intégration, d’abord, passe par la maîtrise de la langue, qui est la garantie première de la volonté de participer à un pays et d’adopter son mode de vie, et par l’engagement dans le travail, pour gagner sa vie.

S’agissant de la maîtrise de l’immigration irrégulière, le projet du Gouvernement vise, dans sa rédaction d’origine, à supprimer un certain nombre de facilités, qui sont autant de brèches dans la protection de notre pays contre l’immigration clandestine. Il raccourcit opportunément les délais nécessaires à l’examen initial des demandes d’asile et des recours ; en particulier, il réforme la CNDA. Nous déplorons que, dans sa volonté de dissuader à toute force l’immigration clandestine et de limiter l’immigration illégale, le Sénat ait péché par esprit de système. En raccourcissant à l’excès les délais au détriment du droit au recours effectif, en imposant des exigences sans doute excessives aux étudiants étrangers, ou encore en définissant trop étroitement les conditions du regroupement familial, le Sénat a porté des atteintes qui nous paraissent disproportionnées aux libertés constitutives des principes de la République.

Sur tous ces points, le groupe Démocrate soutiendra des amendements de suppression. Tout d’abord, il faudra revenir sur la suppression pure et simple de l’AME et supprimer les dispositions relatives à la nationalité, qui sont manifestement sans lien avec le projet initial. Il convient de définir des règles claires pour l’entrée et le séjour des étrangers, en particulier des mineurs non accompagnés, faire respecter notre souveraineté, lutter avec vigueur contre les passeurs et les marchands de sommeil, empêcher le dévoiement du droit d’asile. À cet égard, nous saluons la volonté de réduire les délais de traitement des demandes.

Sur la question des métiers en tension, le compromis trouvé au Sénat sous l’impulsion de notre partenaire, l’Union centriste, ouvre un chemin. En laissant la main aux préfets, il inscrit dans la loi ce que l’on constate toujours dans la réalité. Nous comprenons l’esprit de cette disposition, mais nous nous interrogeons sur son impact réel sur le nombre de régularisations et les métiers concernés. En outre, le groupe Démocrate souhaite une clarification des responsabilités respectives du maire et de l’administration dans la vérification des conditions de vie des étrangers. Il est également attaché à la reconnaissance explicite par la loi du rôle des associations. Enfin, notre groupe s’interroge sur l’application de ces dispositions et la capacité de l’administration à s’y adapter. La question se pose particulièrement à propos du traitement expérimental dit à 360 degrés des demandes de titre de séjour.

Vous l’aurez compris, nous souhaitons parvenir à un texte équilibré. Nous devons nous donner toutes les chances de réussir la réforme par un travail de fond, en responsabilité, en faisant preuve de pragmatisme et d’humanisme.

M. Hervé Saulignac (SOC). Monsieur le ministre, il y a un an, vous présentiez un texte, avec le ministre du travail, dans un duo assez bien rodé. Ce texte initial, je dois le confesser, constituait une base de discussion intéressante, s’agissant notamment de l’intégration par le travail, qui demeure, de notre point de vue, le moyen le plus opérant d’accueillir dignement un étranger dans la communauté nationale.

À cet égard, Olivier Dussopt déclarait : « C’est une forme d’absurdité du système. On enferme certains étrangers dans l’inactivité et d’autres dans l’illégalité. » Vous-même, monsieur le ministre, avez enfoncé le clou, en affirmant : « Nous ne donnons peut-être pas assez de titres de séjour aux gens qui travaillent et qu’un certain patronat utilise comme une armée de réserve […] ». Alors, on s’interroge : entre le texte présenté il y a un an et celui qui nous arrive du Sénat, que s’est-il passé ? On devait examiner un texte méchant avec les méchants et gentil avec les gentils, on se retrouve avec un texte méchant avec tout le monde. Ce projet de loi désintègre plus qu’il n’intègre ; il accroît les contraintes et multiplie les motifs de contentieux.

Au fond, on se demande qui est le vrai Gérald Darmanin : celui qui présente un texte en Conseil des ministres, dont on a le sentiment qu’il s’inscrit dans un cadre républicain, ou bien celui qui donne des avis de sagesse coupables au Sénat parce que la fin justifie les moyens ?

Venons-en au fond. À ce stade, le droit des étrangers va poursuivre sa vie en absurdie et dans le royaume de l’hypocrisie. De ce point de vue, la liste est longue. On peut par exemple, dans notre pays, travailler, avoir le devoir de payer des cotisations et ne pas se voir reconnaître de droit en retour. Plusieurs centaines de milliers de travailleurs irréguliers subissent cette situation profondément injuste. Quant à celui qui ne travaille pas, parfois sous le coup d’une OQTF absurde parce qu’inapplicable, il restera soumis à la clandestinité et à une épreuve terrible pendant des années avant que la République ne consente à l’accueillir en son sein.

Par ce texte, vous cédez au mythe de l’appel d’air, selon lequel, si on traite trop bien les populations étrangères qui arrivent sur notre sol, on fera face à une submersion. Au nom de ce mythe, on dégrade l’accueil de ces populations, en pensant que l’on va tarir la source – ce n’est pas la lutte contre les passeurs ou les marchands de sommeil qui changera cette réalité.

Chacun sait que notre politique migratoire n’est ni généreuse, ni ferme : elle est brouillonne, confuse et souvent illisible. La France accueille mal, protège mal, intègre mal et même reconduit mal. Les Français doivent comprendre que ce texte, en l’état, c’est plus de précarité, plus de travail dissimulé, plus de contentieux, plus de gens malades : en un mot, c’est plus de désordre.

Le groupe Socialistes défendra une politique de l’ordre républicain fondée sur des critères d’admission clairs, une véritable politique d’accueil et d’inclusion, notamment par le travail mais aussi par l’éducation, l’enseignement du français comme des valeurs de la République, l’accès à la santé, bien entendu, une répartition organisée et solidaire chez nos voisins européens comme sur le territoire national, ainsi que des moyens pour instruire correctement les droits des étrangers ou protéger les mineurs non accompagnés.

Nous voulons croire qu’il existe une majorité de députés pour faire revenir ce texte dans le champ de la République et de ses principes, en particulier sur la suppression de l’AME, les conditions de maîtrise de la langue française, la terrible franchise de cinq ans introduite par le Sénat pour accéder aux allocations sociales, les quotas ou bien encore la remise en cause du droit du sol. Sachez que le groupe Socialistes, sans idéologie mais non sans idéal, se battra pied à pied sur chacun de ces points et bien d’autres encore, pour ramener le texte dans le champ de la République dont il est malheureusement sorti.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Au cours des dernières décennies, de nombreux textes ont traité de la politique migratoire, sujet qui nous touche toutes et tous profondément, pour d’innombrables raisons. C’est une question sensible, car elle est au cœur de ce qui fait la France, de ce qui l’a faite et de ce qui la fera. Depuis des décennies, nous souffrons d’une incapacité à nous projeter, à définir une trajectoire en la matière. Cela conduit parfois à des largesses, des mesures permissives mais aussi à des injustices, que les Français, à juste titre, n’acceptent plus. La réponse à la question migratoire inquiète légitimement nos compatriotes. Elle suppose de la nuance, qui n’empêche en rien la fermeté et, surtout, le réalisme. C’est un sujet bien trop sérieux pour que le débat public se limite à la petite phrase, n’en déplaise à certains.

Il faut le reconnaître et ne pas avoir peur de le dire : notre pays connaît parfois des tensions exacerbées, en raison d’une immigration que certains de nos compatriotes considèrent comme subie. Notre modèle social et nos services publics sont soumis à une forte tension, ce qui pousse nos capacités d’intégration à leurs limites extrêmes. D’un point de vue économique, l’immigration est un moteur, mais entraîne aussi, parfois, la paupérisation de nos travailleurs. Enfin, nous ferons face, au cours des décennies à venir, à un vertige démographique.

Il est donc grand temps de changer de braquet et de porter une véritable vision de la politique migratoire française. Le système actuel est trop fragile et doit être adapté pour préserver la cohésion nationale. Je ne crois pas que le projet de loi réglera toutes les difficultés, mais il n’en demeure pas moins indispensable, car il vise à instituer un système dans lequel nous ne subirons plus ou, en tout cas, nous subirons moins, notamment grâce au resserrement des conditions de regroupement et de réunification familiale et à la limitation du renouvellement des cartes de séjour temporaires.

Ce texte est indispensable aussi parce qu’il est grand temps de muscler notre stratégie d’éloignement. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, nous partageons avec vous la volonté de lever un certain nombre de protections à l’égard des étrangers qui constituent une menace pour l’ordre public. Il faut donner aux préfets les moyens de refuser ou de retirer le titre de séjour à ces personnes. Soyons très clairs : un étranger qui ne se conforme pas aux principes républicains et constitue une menace pour l’ordre public doit être éloigné ou expulsé.

Le projet de loi est indispensable, enfin, car il replace les valeurs de la République, la langue, le travail au cœur de l’intégration. Cette exigence républicaine n’est pas même une condition, c’est un préalable. L’immigration ne saurait conduire à un délitement de nos valeurs fondamentales, dont le travail fait partie. C’est une condition incontournable de l’intégration et de la nécessaire contribution de chacun à notre pays.

Néanmoins, ce texte ne suffira pas car, depuis la création de l’espace Schengen, agir seul n’a pas grand sens. Une action collective européenne doit se déployer au côté, bien sûr, d’une stratégie nationale de protection de nos frontières. À ce titre, nous espérons que le pacte sur la migration et l’asile aboutira avant l’échéance de juin 2024.

Il est une autre raison pour laquelle le texte ne suffira pas : en matière d’éloignement, ce n’est pas seulement notre arsenal juridique qui manque d’efficience, mais bien notre capacité réelle à éloigner les intéressés. Nous n’avons qu’une option crédible : agir sur les pays source, en conditionnant l’attribution de l’aide au développement à la coopération en matière de réadmission et en limitant drastiquement le taux et la durée de délivrance des visas. Nous ne pouvons pas continuer à financer massivement des projets structurants dans ces pays sans exiger une coopération efficace en matière de réadmission.

Monsieur le ministre, est-il possible de concilier la politique d’attractivité internationale menée par la France et une politique de réduction rationnelle de nos flux migratoires ?

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Le passage à la caisse du supermarché est un véritable calvaire pour le porte-monnaie de nos concitoyens. Nos enseignants sont à bout et les inégalités scolaires demeurent parmi les plus élevés de l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques. Quelque 3 millions d’enfants ne partent jamais en vacances. Des milliers de gens crèvent de froid dans la rue ou dans des passoires thermiques. L’ONU nous alerte sur l’accélération du grand réchauffement. La France est régulièrement condamnée pour ses régressions en matière de libertés ou de droits humains.

Mais vous, vous paralysez le débat public, déjà suffisamment englouti sous les thèmes et les termes de l’extrême droite, avec une question : comment durcir encore les conditions d’accès et d’accueil dans notre pays ? Quel cadeau fait à Marine Le Pen !

Peu importe que vous sachiez, au fond, que vous ne pouvez rien faire, en réalité, contre un phénomène humain – la migration – qui existait avant vous et qui continuera à exister après vous. Vous ne pouvez et vous ne pourrez rien de plus que vos vingt-neuf prédécesseurs, qui ont produit vingt-neuf lois sur le sujet en quarante ans. Ces vingt-neuf lois, monsieur le ministre de l’intérieur – la trentième ne fera pas exception – n’auront eu que deux effets : plus d’argent dans la poche des passeurs, qui indexent leurs tarifs sur les difficultés à passer nos frontières, et plus de cadavres qui flottent en mer Méditerranée ou qui gèlent dans les Alpes.

Peu importe, pour vous, que la majorité des migrations aient lieu entre pays du Sud, ce qui anéantit le grand délire de la submersion migratoire.

Peu importe, pour vous, qu’aucune étude statistique, aucune réalité historique, aucun fait n’accrédite l’hypothèse de potentiels appels d’air liés à des politiques plus inclusives.

Peu importe, pour vous, que la part des étrangers en France soit globalement stable depuis des années.

Peu importe, pour vous, que des milliers de gens honnêtes vivent, travaillent, aiment, enrichissent notre pays chaque jour sans papiers – ne parlez pas de votre article 3, qui est mieux que rien, mais presque rien.

Peu importent, pour vous, les valeurs qui fondent la République et sa devise, qui consacrent la fraternité.

Peu importe, pour vous, notre histoire, faite de transformations et de migrations.

Peu importe, pour vous, que, par ce texte, vous abîmiez l’image de la France dans le monde, son rayonnement, en envoyant un signal de repli et de rabougrissement.

Peu importe, pour vous, que les étudiants étrangers repartent quasiment tous dans leur pays d’origine après leurs études et n’aient rien à faire dans les statistiques de l’immigration.

Peu importe, pour vous, que la véritable urgence consiste à engager des moyens en faveur de l’inclusion, de l’hébergement, de la protection des mineurs pour garantir la dignité de toutes et de tous.

Tout cela vous importe peu, car vous voulez votre loi, à tel point que vous sacrifiez votre promesse d’équilibre, mal en point dès le texte initial, sur l’autel de toutes les compromissions avec la droite radicalisée, donnant votre blanc-seing pour faire entrer par pans entiers le programme de Marine Le Pen et de son père dans la loi – on l’a vu avec l’avis de sagesse, mal nommée, donné par le Gouvernement sur la suppression de l’AME.

Monsieur le ministre de l’intérieur, vous pouvez encore, je le crois, éteindre l’incendie que vous avez vous-même allumé, puisque vous nous promettiez, il y a plus d’un an – ce texte a connu un parcours chaotique – un équilibre et une majorité. L’équilibre n’est visiblement pas au rendez-vous : vous avez entendu comme moi les uns et les autres s’exprimer. La majorité n’existe pas davantage, ce qui vous a contraint à vous rallier sur bien des aspects aux positions de la droite radicalisée au Sénat, et que vous serez obligé, compte tenu de cette absence de majorité, d’entamer avec elle, ici, un marchandage mortifère sur le dos de l’État de droit, des droits des exilés et de nos principes les plus fondamentaux.

Vous pouvez encore, monsieur le ministre de l’intérieur, apaiser notre pays, arrêter cette folle surenchère vers l’abîme, en suspendant l’examen de ce texte et en nous permettant de débattre sur les véritables préoccupations des Françaises et des Français – pour leur pouvoir d’achat, la dignité, l’inclusion et l’intégration. Voilà ce que sera la boussole des écologistes dans ce débat, pour faire des exilés autre chose que des menaces ou des variables d’ajustement économiques.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je veux commencer par dire combien les débats au Sénat, les mots choisis pour parler des personnes exilées marquent, ou peut-être d’ailleurs confirment un basculement. De très nombreuses propositions tournent le dos, ni plus ni moins, à toute volonté d’intégration dans notre pays de personnes étrangères. Elles se rapprochent finalement du principe de la préférence nationale et je crois qu’elles ne font pas que flirter avec de grands poncifs racistes. Elles illustrent en fait assez bien les propos, que je trouve très inquiétants, de Pierre Brochand, qui expliquait il y a peu que nous sommes ligotés par notre État de droit. Je pense profondément le contraire et je crois que le laisser-faire du Gouvernement au cours des débats au Sénat est particulièrement coupable, en ce qu’il légitime une vision suspecte de l’étranger. Cela n’a rien d’étonnant, finalement, puisque vous avez ouvert un boulevard à ces idées, dans un contexte politique hystérisé par les mythes de l’appel d’air et du grand remplacement. Pourtant, je le rappelle, la France n’est pas le plus grand pays d’immigration en Europe, tant s’en faut, ni celui qui y accueille le plus de réfugiés. Notre pays n’a jamais accueilli de grandes vagues de réfugiés dans des proportions correspondant à sa population ou même à sa richesse.

Sous couvert de la lutte contre ce chimérique appel d’air, ce sont les droits des personnes qui sont bafoués. Certes, cette réforme accélère ou cherche à accélérer les procédures d’examen des demandes d’asile, mais elle le fait au détriment des droits individuels. Elle accentue la mise sous contrôle des demandeurs d’asile, facilite les expulsions, durcit les conditions d’accès aux titres de séjour, affaiblit les droits et garanties des personnes étrangères.

Le projet de loi s’inscrit dans un récit aux racines xénophobes qui cherche à établir un trait d’union abject entre immigration et délinquance – un discours que vous relayez volontiers, monsieur le ministre, en usant de vocables manichéens désignant les gentils et les méchants. Heureusement, de merveilleux auteurs pour la jeunesse, comme Tomi Ungerer, sont passés par là pour expliquer à nos enfants que le monde est un tout petit peu plus compliqué que cela. Vous véhiculez ce discours par des tweets quotidiens et des circulaires invitant à multiplier les OQTF – tout en sachant que, dans bien des cas, elles ne sont pas possibles – et le placement en rétention des auteurs de troubles à l’ordre public – une notion très large et arbitraire. Le volet « méchants » est donc bien présent ; il se traduit par une véritable criminalisation des migrants et, au passage, des assauts de solidarité, au mépris de nos engagements conventionnels.

À côté de cela, le projet de loi comporte des lacunes fondamentales : je pense notamment à la question de l’hébergement immédiat, de l’accueil inconditionnel. Ce qui est en jeu, ici, ce n’est pas tant le laxisme ou la fermeté de vos politiques migratoires, mais le désordre qu’elles provoquent. Personne ne peut accepter que des personnes exilées se retrouvent à la rue, dans des campements : ni les intéressés, ni nous-mêmes, ni les riverains. La seule réponse possible est évidemment de faire en sorte que ces personnes soient hébergées, qu’elles puissent travailler et que les enfants soient scolarisés. L’accueil est bon non seulement pour le respect des droits, mais aussi pour notre cohésion sociale.

La régularisation des travailleurs sans papiers a visiblement été réduite, dès le projet de loi initial, à une approche utilitariste limitée aux seuls métiers en tension. Nous combattrons évidemment cette idée, en défendant une régularisation de toutes et tous par le travail.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Au cours du mois à venir, nous aurons l’occasion d’échanger sur ce qu’est notre immigration, notre façon d’intégrer et sur ce qu’elle devrait être. Si l’on regarde dans le détail le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), on constate que la partie législative n’est pas la plus importante, en comparaison des dispositions de nature réglementaire et d’origine européenne. Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que nos moyens sont limités. Nous devons être lucides et prendre en considération le principe de réalité. La recherche du pragmatisme et de l’équilibre doit nous guider tout au long de l’étude du texte.

On peut se demander, par exemple, si l’AMU – aide médicale urgente – figure à la bonne place dans le texte et, le cas échéant, si elle ne risque pas d’aggraver la surcharge de nos hôpitaux et des services d’urgence. Nous devons nous poser cette question, car elle renvoie à des problèmes réels, comme nous devons nous interroger sur l’opportunité de revoir le panier de soins, qui, par son ampleur, peut interpeller nos concitoyens.

Il en va de même pour l’article 3. D’une part, il faut définir des critères stricts qui ne laissent aucun doute sur l’objectif recherché, à savoir l’intégration par le travail en cohérence avec les besoins des territoires et des entreprises qui y sont implantées. D’autre part, il faut des critères clairs, afin d’éviter de créer des pompes d’aspiration, mais il serait incohérent d’occulter la réalité de la main-d’œuvre étrangère en France. Il faut donc trouver une voie de passage sur les métiers en tension, qui sont une réalité, afin de répondre à une demande de nos entreprises au sein de la grande majorité, voire de la totalité de nos territoires. Il serait aberrant d’occulter cette demande économique. Dans le même temps, il convient de prévoir des sanctions fortes contre les entreprises qui profitent du système et qui exploitent des personnes en situation difficile.

Il existe également un réel besoin de réformes administratives. Nous devons repenser notre façon de faire, non seulement pour réduire, autant que possible, les délais, mais aussi pour gagner en efficacité. Cela nécessite un investissement massif dans nos services, d’autant plus que, comme le montre un rapport récent, les services des étrangers, au sein des préfectures, ont subi une diminution considérable de leurs moyens. Il faut également accroître la départementalisation des services, en lien, notamment, avec l’OFII et la CNDA, car cela aiderait à résoudre un certain nombre de difficultés.

Enfin, il est essentiel d’éloigner les étrangers menaçant l’ordre public. Il faut le faire de manière plus rigoureuse, plus rapide, plus exigeante, et ne faire preuve d’aucune faiblesse face à des obstacles que nous avons parfois nous-mêmes créés.

Ce texte doit conduire à un résultat que les vingt-neuf précédents n’ont pas su atteindre : offrir un accueil sans doute moindre pour assurer une meilleure intégration et répondre aux difficultés présentes et à venir.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). « L’augmentation rapide du nombre d’étrangers en France participe à l’embolie de beaucoup de nos services publics. » Cette citation n’est pas de moi, mais d’un ancien Premier ministre : Édouard Philippe. L’exercice du pouvoir permet, semble-t-il, d’ouvrir les yeux sur la réalité !

La politique d’immigration de la France est un échec, avec plus de 320 000 titres délivrés en 2022, contre 277 000 en 2019, et une immigration clandestine que nous ne parvenons toujours pas à maîtriser – sans même songer à la juguler. Ce n’est malheureusement pas nouveau, mais M. Macron n’a rien résolu. Victime de son « en même temps » permanent, il explique qu’il veut être ferme sur les expulsions, mais qu’il faut, en même temps, encourager l’intégration et l’installation d’immigrés dans les campagnes. Il dénonce une politique absurde, fois inefficace et inhumaine, mais il oublie que c’est sa propre majorité qui a élargi la réunification familiale aux frères et sœurs de réfugiés, et que le regroupement familial a grimpé d’environ 18 % en 2021, après avoir augmenté de 28 % en 2020.

Je refuse cependant le fatalisme en matière d’immigration. Une grande diversité de solutions existe chez nos voisins européens, qu’il s’agisse du Royaume-Uni, de l’Allemagne ou du Danemark, dont nous pourrions nous inspirer, à condition d’y mettre le prix : il faudrait notamment adopter de bonnes pratiques dénuées d’idéologie, dans le cadre d’une réelle vision stratégique, éviter les appels d’air, renforcer l’assimilation et les conditions d’acquisition de la nationalité française, et être fermes avec les délinquants étrangers. J’y ajouterai quelques mesures toutes simples, consistant par exemple à supprimer le droit du sol, à refuser automatiquement l’asile à une personne faisant l’objet d’une OQTF, à faire en sorte que le droit d’asile ne soit pas détourné chaque jour avec l’aide d’associations qui jouent contre notre pays et contre ceux qu’elles prétendent défendre, et à refuser de marier un clandestin faisant l’objet d’une OQTF.

Monsieur le ministre, j’espère simplement, mais sincèrement, que le petit jeu parlementaire du détricotage ne donnera pas, une fois encore, une image catastrophique de notre pays, car les Français nous attendent avec des mesures efficaces et de bon sens afin de redonner à la France le droit d’accueillir sur son sol qui elle veut.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je remercie les rapporteurs de leurs observations et de leur positionnement, qui se situent dans l’esprit du texte du Gouvernement et des modifications que lui a apportées le Sénat. Je souscris à la plupart de leurs remarques.

Monsieur Serva, je suis favorable aux articles visant, territoire par territoire, les outre-mer. Le procédé est original, mais il permettra que chaque territoire ultramarin se sente respecté. De fait, les difficultés n’étant pas les mêmes à Mayotte qu’en Guyane ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, il serait absurde de tout englober dans des dispositions générales sous un titre ultramarin, et insultant de renvoyer ces dispositions à une ordonnance. La situation est, en outre, différente à cet égard pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, où le droit ne s’applique pas de la même manière que dans les territoires régis par l’article 73 de la Constitution. Menons ensemble, si les territoires le souhaitent, des consultations article par article pour aboutir à des dispositions particulières adaptées aux difficultés de chacun d’entre eux.

Le texte fait l’objet de nombreuses critiques, mais heureusement pas de la part de tous les députés. Je remercie tous ceux qui le soutiennent, notamment les députés du groupe LIOT, qui expriment des réserves que je suis prêt à entendre. Je constate toutefois que les plus critiques ne formulent pas beaucoup de propositions, et c’est un peu dommage. Mieux vaudrait en effet parler du texte de loi tel qu’il existe, modifié par le Sénat, plutôt que d’une version inventée où on ne le retrouve pas toujours. Ainsi, une durée de rétention de dix-huit mois n’y figure pas – mais peut-être les choses seront-elles plus simples quand nous examinerons le texte article par article et amendement par amendement, avec moins de suivi médiatique.

Je tiens à souligner, à l’intention des députés du groupe Rassemblement national, que le texte ne vise évidemment pas l’immigration régulière, mais l’immigration irrégulière. Du reste, à moins d’être purement et simplement opposé à l’immigration – ce qui ne me semble pas être ce qui ressort de vos propos, ni de ceux de votre candidate à l’élection présidentielle –, mieux vaut une immigration régulière qu’une immigration irrégulière. L’immigration régulière devrait faire l’objet d’un débat – c’est ce que nous souhaitons et ce qui se fait dans tous les pays au monde : qu’ils choisissent de l’organiser par quotas, par objectifs, par métiers ou par zones géographiques, les grands pays démocratiques ont toujours une immigration régulière. Évoquer le nombre de titres de séjour que nous délivrons n’a, ainsi, pas beaucoup de sens, car ce qui compte est de savoir si nous sommes capables de lutter contre l’immigration irrégulière.

Par ailleurs, vous faites semblant de ne pas voir que vos dispositions n’empêcheront en aucun cas les demandes d’asile, car ni votre programme, ni les politiques de nos voisins européens qui s’inspirent parfois de la vôtre ne démontrent leur efficacité. La comparaison avec d’autres pays européens qui connaissent à peu près les mêmes difficultés que la France est à cet égard intéressante.

D’abord, c’est une contrevérité flagrante que de dire que la France est le pays qui offre le meilleur taux de protection. En effet, ce taux est d’environ 25 % à l’Ofpra et, par des mesures de justice administrative, en première instance ou en appel, de 40 % après passage devant la CNDA, contre 46 % en Allemagne et de 62 % chez vos amis Italiens. Parmi les trois grands pays comparables, la France est donc celui qui présente le moindre taux de protection accordée aux demandeurs d’asile – en d’autres termes, c’est en France qu’on a le moins de chances de l’obtenir, alors que nous avons à peu près le même nombre de demandeurs. La situation est donc assez difficile, monsieur le député, pour que vous puissiez vous abstenir de dire des idioties qui sont des contrevérités flagrantes, sans quoi nous ne parviendrons pas même à nous entendre sur le constat.

Ce qui est inquiétant, c’est que nous ne disposons d’aucune possibilité de trouver d’autres solutions que celles que nous poursuivons, à savoir une simplification drastique des procédures.

En Grande-Bretagne, M. Boris Johnson a été élu sur un programme politique qui est grosso modo le vôtre – à savoir le Frexit. Vous êtes en effet favorables à ce que la France sorte de l’Union européenne et des traités européens, et même, à ce que j’entends dire, de la Convention européenne des droits de l’homme – peut-être cela fait-il désormais débat dans vos rangs, mais ce n’est pas grave. Toujours est-il que, depuis qu’il est sorti des traités européens, le Royaume-Uni n’a jamais connu autant d’immigration irrégulière, ni aussi peu d’expulsions du territoire britannique – 5 000 expulsions par an, pour 1 million d’étrangers irréguliers, contre 20 000 à 22 000 en France, avec environ deux fois moins d’immigration irrégulière.

La Cour suprême du Royaume-Uni – ce pays qui, selon les partisans du Brexit, a retrouvé sa souveraineté – vient de dire au gouvernement de ce pauvre M. Sunak, qui doit désormais assumer l’héritage de M. Johnson, que non seulement le projet d’expulser les immigrés au Rwanda ne tenait pas debout – de fait, ni le Danemark, ni la Grande-Bretagne, ni personne n’a jamais envoyé un réfugié au Rwanda –, mais qu’il resterait impossible à appliquer même si la Grande-Bretagne sortait de la CEDH. Pour appliquer votre programme, monsieur le député, ce n’est pas de la CEDH ou de l’Europe qu’il faudait sortir, mais bel et bien du monde – ce qui est évidemment difficile. À en croire la Cour suprême britannique, vous jetez de la poudre de perlimpinpin, car vous savez que c’est trompeur.

En Italie, où Mme Meloni applique une autre solution en promettant un blocus naval – que nous ne voyons pas venir – et la fin de l’immigration irrégulière grâce à un projet de loi, il n’y a jamais eu autant d’immigration irrégulière que depuis cinq ans, au point que Mme Meloni, fort raisonnablement, a appelé à son secours la Commission européenne et Mme von der Leyen.

La solution anglaise et la solution italienne sont toutes deux des échecs. De fait, la question de l’immigration est très difficile et, en la matière, nos voisins ne réussissent pas mieux que nous – ils font même parfois bien pire. Mme Meloni, après avoir appelé à l’aide Mme von der Leyen, qui s’est rendue à Lampedusa, a voté, sur proposition de la France, notre pacte migratoire fondé sur Eurodac et le règlement « screening » – j’y suis particulièrement attentif en tant que représentant la France depuis trois ans et demi aux conseils des ministres de l’intérieur européens.

Les éléments de comparaison dont nous disposons quant à l’application du programme du Rassemblement national à l’étranger montrent bien que ce sont des mensonges à l’intention des Français. Si vous avez des contre-exemples, je suis preneur, mais vous n’êtes capables de citer aucun pays où l’arrivée de populistes tels que vous se serait traduite, dans le domaine de l’immigration, par des résultats en termes de protection de la population. En revanche, nous en connaissons deux qui ont essayé d’appliquer une partie de vos présupposés et qui en ont retiré des échecs flagrants.

Vous pourriez au moins vous en rendre compte et reconnaître que le texte – dont vous n’avez pas parlé, mais dont j’espère que nous parlerons au cours du débat – offre des avancées en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, de pénalisation des passeurs ou de simplification administrative. J’observe, à cet égard, un décalage entre les propos de votre candidate et présidente de votre groupe, d’une part, et ceux que vous tenez désormais, d’autre part.

Madame Martin, j’ai entendu répéter plusieurs fois que vingt-neuf textes avaient été consacrés à l’immigration depuis 1983. La belle affaire ! Ce n’est pas parce qu’un argument est répété qu’il est vrai. Ceux qui, comme M. Saulignac ou M. Lucas, ont participé à des majorités soutenant les gouvernements de M. Hollande se souviennent que trois textes sur l’immigration ont été adoptés en quatre ans sous ce président, tandis qu’un seul l’a été en six ans de mandat de M. Macron. Monsieur Lucas, M. le président de la commission des lois m’indique que vous avez été président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), mais si vous émettez une critique, c’est à la gauche qu’elle s’applique. Toujours est-il que je ne fais pas grief à M. Hollande de ces mesures, car il faut, par définition, adapter notre législation au mouvement des hommes et aux difficultés.

Voilà quinze ou vingt ans, les ministres de l’intérieur qui m’ont précédé avaient des relations diplomatiques avec le Sahel, le Mali, la Libye, l’Irak et l’Afghanistan, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Les réfugiés climatiques sont un phénomène assez nouveau et il n’y a que quatre ou cinq ans que 25 à 30 millions de personnes sont déplacées dans le monde, soit 60 000 personnes par jour : ce n’était pas le cas voilà vingt ans. La question de la pénalisation des relations sexuelles et la situation des personnes transgenres sont elles aussi des questions très nouvelles, du moins pour les gouvernants, qui ne se posent que depuis quelques années, et certainement pas depuis vingt-cinq ou trente ans. Face aux actes de terrorisme de Daech ou de l’État islamique et à des difficultés très fortes, il était normal que le président Hollande propose des dispositions. Évitons donc les arguments populistes. Je m’adresse aux partis de gouvernement : vous qui avez fait trois lois en quatre ans, laissez-nous en faire une durant un quinquennat. La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ou loi Collomb, a ses inconvénients, mais aussi des avantages certains. Ainsi, la réduction d’un an à cinq mois de la durée d’examen des dossiers des demandeurs d’asile a changé la vie de dizaines de milliers de personnes. Je n’ai rien contre les comparaisons mais, monsieur Lucas, si nous étions aussi durs que vous le dites, pourquoi, en Allemagne, le gouvernement des Verts et des socialistes prend-il des dispositions bien plus dures que les nôtres ? Regardez donc ce qui se passe à côté de chez nous : si je vous parais trop dur, il est urgent d’exclure de l’internationale verte vos collègues Verts allemands ! Vous en riez vous-même, car il s’agissait là d’un argument de tribune auquel ne croyez certainement pas.

Monsieur Saulignac, monsieur Lucas, vous parvenez, à vous deux – pour m’en tenir aux partis de gouvernement et sans compter les interventions de La France insoumise ou du parti communiste –, à parler huit minutes sans évoquer un seul instant les progrès sociaux qu’apporte ce texte et que vous avez pourtant réclamés depuis cinquante ans lorsque vous étiez dans l’opposition, sans jamais les réaliser lorsque vous étiez dans la majorité.

Ainsi, vous n’avez pas parlé de la fin de la présence des mineurs dans les centres de rétention administrative, belle idée de gauche que tout le monde réclame depuis cinquante ans – qu’il s’agisse du Défenseur des droits ou du Défenseur des enfants, de la Cour européenne des droits de l’homme et ou de l’ensemble des associations. C’est nous qui le faisons, et vous avez préféré caricaturer le propos, parce que cela vous servait. C’est tout de même incroyable !

Au Sénat, j’ai donné un avis favorable à la proposition du groupe socialiste de fixer la limite à 18 ans. Le Sénat ne l’a pas voulu, mais j’ai annoncé que je recommencerai ici. Or, vous n’avez pas eu un mot pour dire que c’est nous qui faisons en sorte qu’il n’y ait plus de mineurs dans les centres de rétention administrative, car vous préférez camper sur des positions idéologiques. Nous devrions pourtant tous être satisfaits de constater que, ce que le gouvernement socialiste n’a jamais fait, ni sous M. Jospin, ni sous M. Hollande, ni sous M. Mitterrand, nous le faisons.

Les cours gratuits pour les étrangers, réclamés à chaque instant par toutes les associations, c’est nous qui le faisons. On peut désormais apprendre le français pendant ses heures de travail, payé par l’employeur. C’est un magnifique progrès social, qui évitera à la femme de ménage qui fait une heure et demie de RER pour venir travailler à quatre heures du matin, puis une autre heure et demie pour rentrer, d’aller reprendre des cours à quinze heures, au moment où elle doit s’occuper de ses enfants, de sa famille ou, tout simplement, de sa vie.

Le titre de séjour accordé aux personnes exploitées est une idée formidable, développée en co-construction avec le groupe communiste au Sénat – lequel n’a manifestement pas la même position que Mme Faucillon, mais c’est un autre sujet que je vous laisserai trancher entre communistes. C’est très cohérent, mais cela ne vous fait pas réagir, car vous avez une vision très théorique de l’immigration et de l’exploitation des personnes, et vous n’osez pas dire que des progrès importants ont été réalisés. Que tout ne vous satisfasse pas, je l’entends bien, car cette loi n’est évidemment pas celle de La France soumise ou du parti communiste, et je mesure la différence abyssale qui nous sépare sur certains points, mais vous pourriez au moins dire que, pour certaines de ses dispositions, ce texte n’est pas voué aux gémonies.

Madame Genevard, qui peut le plus peut le moins. J’entends les arguments constitutionnels et conventionnels, mais le cas de la Grande-Bretagne a démontré que, même en sortant des traités européens – ce qui n’est certes pas exactement ce que vous prônez, mais nous en reparlerons lors de l’examen de votre proposition de loi constitutionnelle –, et même en écrasant les règles de la CEDH, il y aura toujours des dispositions qui s’imposeront et il y aura toujours des juges qui rendront un avis, y compris au nom de principes qu’ils créeront eux-mêmes.

Je sais que vous ne souhaitez pas remettre en cause la séparation des pouvoirs. La question est donc de savoir quelles adaptations nous pouvons apporter dans le cadre de notre Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit là d’un débat constitutionnel. Nous pensons que nous pouvons largement améliorer les choses avec la loi ordinaire, sans renier nos principes ni tourner le dos aux engagements européens de la France et à tous les traités européens poussés par tous les présidents de la République qui appartenaient à votre famille politique, du général De Gaulle à Nicolas Sarkozy. Une fois donc écartée cette approche constitutionnelle et conventionnelle, et sachant que nous aurons un jour ce débat, reste tout ce qui ne relève pas de la Constitution ni de la CEDH, mais du pouvoir souverain de la France et du pouvoir du législateur.

Êtes-vous pour ou contre le fait d’imposer, comme le font tous les pays européens sauf deux, un examen de français pour obtenir un titre de séjour long ? Pour ou contre l’augmentation de la durée d’assignation à résidence pour les personnes dangereuses, comme le prévoit le texte ? Pour ou contre la possibilité de la coercition pour prendre les empreintes des étrangers afin de savoir s’ils sont mineurs ou majeurs et de connaître leur identité – mesure que nous ne sommes, là encore, que deux pays à ne pas appliquer ? Pour ou contre la criminalisation des passeurs, dont l’activité est un délit chez nous, alors que, partout ailleurs, c’est un crime ? Pour ou contre le retrait du titre de séjour pour adhésion à une idéologie radicale ? J’entends dire, en effet, que vous êtes favorables au retrait des titres de séjour et à l’expulsion, par exemple, des salafistes ou des Frères musulmans, alors qu’il n’existe aucune disposition en ce sens. Pour ou contre la simplification des procédures proposée par M. Buffet lui-même, dont nous reprenons in extenso le rapport ? Pour ou contre la suppression des dispositions qui empêchent aujourd’hui le ministre de l’intérieur d’expulser des étrangers délinquants, par exemple parce qu’ils sont arrivés sur le territoire national avant l’âge de 13 ans – restriction adoptée au début des années 2000 et que la France est seule à appliquer, et sur laquelle le Conseil d’État a expressément déclaré que le législateur pouvait revenir à son gré ? Pour ou contre une application de droits particuliers à Mayotte ou en Guyane, comme l’ont fait voter les sénateurs mahorais ou guyanais ? Ce sont là autant de dispositions qui ne dépendent ni de la CEDH, ni de la Constitution.

Il existe évidemment, madame Genevard, des points sur lesquels nous avons des désaccords mais, sans revenir sur les dispositions que vous avez évoquées au début de votre intervention, et à propos desquelles le président de la commission des lois avait invoqué avant votre arrivée le principe d’irrecevabilité, je répète que certaines choses qui figurent dans ce texte ne relèvent pas d’une réforme constitutionnelle.

Ce serait laisser penser que nous ne voulons pas avancer que de ne pas donner à nos policiers des choses aussi simples que, par exemple, les moyens de contrôler les véhicules de moins de neuf places à la frontière italienne. De même, aujourd’hui, dans la bande des 20 kilomètres, les policiers ne peuvent pas arrêter des passeurs qui transportent des moteurs de bateau entre le Nord et la Belgique pour traverser la Manche. Avons-nous besoin, pour leur donner ces moyens, d’une réforme constitutionnelle ?

Il y a certes des débats de nature européenne et constitutionnelle, que je ne veux pas trancher ici, et il peut y voir des désaccords, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi il faut absolument changer la Constitution ou la Convention européenne des droits de l’homme pour adopter pour des choses aussi bêtes que chou qui empêchent concrètement nos policiers, nos gendarmes et nos préfets de faire leur travail et d’améliorer l’intégration. Je forme donc le vœu que nous puissions y réfléchir ensemble.

Enfin, je suis très favorable au lien qui devrait être établi, comme l’a souligné notamment M. Marcangeli, entre les visas et les laissez-passer consulaires (LPC). Il faut aider le Gouvernement à dire aux pays qui ne délivrent pas de LPC qu’il ne peut pas y avoir de visas sans discussions diplomatiques ni, parfois, de contraintes. Le Sénat a imaginé des dispositions en ce sens, mais je dois dire à la majorité qu’elles figuraient dès 2019 parmi les propositions du comité interministériel, et que le Président de la République a évoqué lui-même la difficile question de la conditionnalité de l’aide au développement pour certains pays qui ne jouent pas le jeu des laissez-passer consulaires ou qui persécutent une partie de leur population pour des raisons sexuelles ou religieuses. Ce débat est original et compliqué, mais il mériterait que nous l’ayons.

Enfin, il n’est pas tout à fait exact de dire que tous les ajouts qui ont fait passer le texte de vingt-sept à quatre-vingt-dix articles auraient été rédigés par le Sénat. Une vingtaine d’articles ont en effet été ajoutés par le fait du Gouvernement, avec vingt-six amendements que j’ai des moi-même proposés. On peut donc dire qu’il y a eu co-construction à 50-50, avec de nombreuses dispositions irrecevables, vingt-six amendements adoptés par le Sénat ayant créé autant d’articles qui introduisent notamment des dispositions difficiles intéressant tout le monde, comme l’asile en rétention, dont c’est la première apparition, la prolongation de la durée maximale de l’assignation à résidence, le raccourcissement des délais entre déplacement et rétention, ou la réforme du juge des libertés et de la détention (JLD), qui n’est pas non plus de nature constitutionnelle.

Il est évident qu’il est difficile de gérer le ministère de l’intérieur et de mener une politique migratoire, et qu’il y a, en la matière, des échecs. Ce que je viens demander au Parlement, ce sont des moyens supplémentaires pour être plus efficace.

Ce texte ne règle pas tout, et il faut trouver un équilibre, que chacun, dans son groupe politique, placera où il le souhaite. Cependant, le ministre de l’intérieur que je suis et tous les services placés sous son autorité – quel que soit le ministre – font le maximum de ce qu’ils peuvent avec les moyens dont ils disposent, puisqu’ils respectent les règles de la République.

À cet égard, un exemple très intéressant est celui de M. Iquioussen, qui se trouve depuis plus de cinquante ans sur le territoire de la République, a quatre enfants majeurs nés en France, est propriétaire et s’est marié en France, qui n’a rien fait et n’a aucun casier judiciaire, mais qui est un imam radical, que nous surveillons comme tel et qui est fiché S : depuis des années, l’État se demande comment se débarrasser de ce nauséabond Monsieur. J’entends les exclamations des députés du groupe La France insoumise – heureusement que vous n’avez jamais été à la tête de l’État !

La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, que vous avez votée, fixe un principe général : pour lutter contre le séparatisme, qui se situe entre la vie normale et la radicalisation ou le passage à l’acte terroriste, nous avons défini une disposition permettant d’écarter les gens qui touchent profondément le fonctionnement de notre nation. Fort de cette loi, j’ai fait procéder par le préfet du Nord à l’expulsion de M. Iquioussen, dans des conditions très difficiles. Au bout du compte, il n’est plus sur le territoire national, ayant appliqué lui-même cette décision de ne plus rester et de ne plus revenir sur le territoire national, ce qui est une très bonne chose.

Il est vrai que le tribunal administratif m’a donné tort, parce que ce Monsieur s’était marié et avait eu quatre enfants en France mais, à la fin des fins, le Conseil d’État me donne raison. C’est cela, être ministre de l’intérieur : on a parfois les mains dans le cambouis. Parfois on réussit, et parfois on ne réussit pas. Parfois, on va montrer au juge que telle personne est dangereuse et mortifère, en s’éclairant à la lumière de l’esprit du législateur, et au bout du compte, on vous donne raison. Je n’en tire aucune gloriole particulière, mais encore faut-il pouvoir aller devant le juge. De fait, il y a chaque année 4 000 délinquants étrangers dont je ne peux même pas demander l’expulsion, car vous ne m’y autorisez pas, en vertu d’une loi que vous avez votée voilà vingt ans. Je ne suis pas un ministre-dictateur tout-puissant.

Les ricanements de La France insoumise n’apportent rien en la matière, et la démocratie gagnerait à ce que nous ayons un débat digne. Il ne suffit pas d’avoir un discours humaniste à l’extérieur : il faut aussi traiter sérieusement les personnes. Il est ici question de l’intérêt général et de la sécurité des personnes. Je pourrais, je le répète, expulser 4 000 personnes de plus par an si la loi m’y autorisait.

Sur plus de 3 000 demandes d’expulsion que j’ai formulées, 2 500 personnes ont été expulsées en 2023. La justice, que je respecte profondément, m’a refusé 500 expulsions et il y en a 4 000 supplémentaires que je ne peux pas effectuer parce que vous n’avez pas voté cette disposition. Il faudra donc que nous en parlions – et que nous en parlions à nos électeurs.

M. Thomas Rudigoz (RE). L’intégration est un pilier fondamental pour faire nation et représente une part très importante de ce projet de loi. Cela concerne bien évidemment l’apprentissage de la langue, dont le groupe Renaissance fera un point crucial durant les débats. Pouvez-vous préciser, même si vous avez déjà beaucoup développé ce thème, les mesures consacrées à l’apprentissage du français ?

L’intégration englobera également l’accès à l’éducation, les soins de santé et tout ce qui permet de créer du commun. Là encore, la recherche d’un équilibre sera nécessaire et nous nous y emploierons.

Le volet relatif au travail est, lui aussi, essentiel. Il est primordial que nos politiques comblent les besoins du marché du travail et valorisent les compétences des personnes qui se trouvent sur nos territoires et qui ont envie de s’intégrer. Je ne compte plus le nombre d’entrepreneurs, d’artisans et de commerçants qui nous font remonter des situations incompréhensibles dans lesquelles des formalités administratives contraignantes empêchent des personnes étrangères de travailler sur des postes qu’ils ne parviennent par ailleurs pas à pourvoir. Encourager l’accès à l’emploi dans des secteurs en demande tout en garantissant des conditions équitables est une approche nécessaire, que nous soutiendrons lors des débats.

À ce titre, j’appelle votre attention sur les délais de traitement des dossiers en préfecture, qui sont encore bien trop longs et enkystent nombre de situations, surtout dans certaines grandes métropoles comme Lyon et le Rhône. Quelles sont les mesures que vous envisagez de prendre pour réduire les délais dans les services concernés ?

Mme Edwige Diaz (RN). Ce projet de loi fait éclater au grand jour la discorde qui règne au sein de la majorité macroniste. Tout d’abord, notre attention a été attirée par les modifications calendaires de ce texte, annoncé à l’été 2022, puis remplacé par un débat sans vote dans l’hémicycle en décembre 2022. Voyant que ça coinçait dans la majorité, le Président de la République a envisagé, en mars 2023, de le saucissonner en deux projets distincts, l’un sur l’immigration, que vous défendez, monsieur le ministre, et l’autre sur le travail, porté par M. Dussopt – qui, soit dit en passant, a disparu des radars. Puis, un mois plus tard, le Président de la République s’est rétracté.

Monsieur le ministre, lorsque le président de la commission des lois annonce qu’il veut élargir les droits des étrangers extra-européens, notamment en leur octroyant le droit de vote et l’éligibilité aux élections municipales, et qu’il cosigne avec l’extrême gauche une tribune dans Libération soutenant la régularisation des clandestins, on se dit que, dans vos réunions de la majorité, il doit y avoir de l’ambiance !

Plus grave encore que cette instabilité de calendrier et ces petites peaux de banane que vous vous envoyez les uns aux autres, vous n’êtes pas d’accord entre vous sur le fond du texte. Un exemple : la transformation de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence (AMU). En octobre, monsieur le ministre, vous vous êtes dit favorable à cette évolution. Depuis lors, vos collègues Olivier Véran et Aurélien Rousseau, ainsi que Mme Borne, ont exprimé leur opposition à vos propos. Quant à Mme Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux professions de santé, on ne sait pas trop ce qu’elle pense de tout cela. Vous avez alors dû sortir les rames pour essayer d’expliquer pourquoi vous avez changé d’avis à propos de l’AME. On vous a ainsi vu arguer qu’une suppression de l’AME serait censurée par le Conseil constitutionnel… Ce n’est pas très sérieux, quand on est ministre de l’intérieur, de n’en prendre conscience que maintenant.

Alors que près de trois quarts des Français souhaitent une transformation de l’AME en AMU, peuvent-ils nourrir l’espoir que vous retourniez encore votre veste sur ce sujet ? Si vous ne le faites pas, les 78 % de Français qui ont une mauvaise opinion de la politique migratoire de votre gouvernement n’ont aucune raison de changer d’avis.

M. le président Sacha Houlié. Madame Diaz, la démocratie, c’est compliqué. Vous devriez peut-être essayer au Rassemblement national : ça vous changerait.

Par ailleurs, la défense du texte du Gouvernement dans une tribune peut aussi vous changer : vous devriez la lire, au lieu de raconter des choses erronées, même si, en tant que soutien inconditionnel de la Russie, vous avez l’habitude de recourir aux fausses informations.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, comme vous l’avez dit dans Le Parisien, vous rêvez de supprimer l’AME. Le Sénat l’a fait pour vous.

Contrairement à ce que vous avez dit en introduction, on ne peut pas vivre de l’AME. Depuis 1893, l’aide médicale gratuite, dont l’aide médicale de l’État est l’héritière, résiste aux assauts démagogiques, xénophobes et racistes. Depuis 1893, elle subit des attaques à répétition, dont la dernière en date est la réforme de 2021, qui complique déjà le recours à l’aide médicale de l’État. Les exilés, confrontés au stress du statut migratoire et à sa précarité, aux expériences traumatisantes et aux obstacles sociaux et institutionnels, doivent être, au nom de nos valeurs humanistes, une population prioritaire en matière de santé publique.

Au lieu de cela, dans la France de l’égalité et de la fraternité, dans la France de 2023, dans la France dont vous rêvez, vous nous proposez de supprimer l’AME, qui est un dispositif élémentaire, garant du respect des droits de l’homme et des principes éthiques en matière de santé. L’AME, instaurée voilà 130 ans pour des enjeux de santé publique, repose sur des fondements essentiels. Des milliers de soignants et de médecins vous ont rappelé à l’ordre dans une tribune. Vous manipulez les Français avec de faux arguments économiques, vous agitez des peurs, vous alimentez les haines. Agiter le mythe de l’appel d’air est une diversion cynique – comme si un exilé prenait le temps de lire notre code de l’action sociale et des familles avant d’embarquer sur un bateau de fortune !

L’AME, c’est 0,4 % des dépenses d’assurance maladie, sur un total de 242 milliards d’euros. Il y a les grandes phrases, et il y a la réalité. Curieusement, vous n’évoquez jamais ce budget largement sous-utilisé. Plutôt que de vous attaquer aux délinquants financiers, vous préférez priver délibérément toute une population d’accès aux soins, prenant alors consciemment le risque de propager des maladies transmissibles.

En 2018, les prétendues fraudes à l’AME ont représenté 38 cas pour un montant équivalent à 500 000 euros, soit, 0,06 % des dépenses d’assurance maladie, c’est-à-dire 200 000 fois moins que les 100 milliards d’euros d’évasion fiscale.

Pourtant, monsieur le ministre, je ne vous ai jamais entendu prétendre à la suppression de l’évasion fiscale. Fort avec les faibles et faible avec les puissants, allez-vous laisser votre nom dans l’histoire comme celui qui mettra fin à 130 ans de solidarité ?

M. Éric Pauget (LR). Monsieur le ministre, je vous poserai deux questions précises. Pour ce qui concerne l’AME, tout d’abord, vous avez émis au Sénat un avis de sagesse à propos de la transformation de l’AME en aide médicale d’urgence. Or, au vu de vos différentes interventions médiatiques, votre avis semble plus nuancé. Au moment d’examiner le texte qui arrive à l’Assemblée nationale, êtes-vous toujours favorable à cette mesure, qui respecterait le cadre européen en nous mettant au niveau des autres pays de l’Union ?

Par ailleurs, vous avez évoqué à plusieurs reprises la future inscription des étrangers sous OQTF au fichier des personnes recherchées (FPR). J’avais moi-même déposé au printemps dernier des amendements en ce sens, mais ils n’ont pas abouti. Êtes-vous toujours favorable à cette inscription, qui serait un outil supplémentaire pour nos policiers ? Le texte que nous allons examiner sera-t-il une occasion d’avancer dans ce domaine ?

Mme Marietta Karamanli (SOC). Monsieur le ministre, à la suite de la première partie de vos réponses, j’aurai trois interrogations.

Tout d’abord, l’article 1er nouveau pose pour principe que la première délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant », évoquée à l’article 422-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), est subordonnée au dépôt d’une caution par l’étranger. Quel est le montant de cette caution estimé a priori par vos services comme étant juste ou raisonnable, et quel en sera le mode de calcul ? Sera-t-elle appréciée en fonction du coût de la vie en France ou d’autres éléments, comme le coût de formation ou l’existence même de bourses ou d’aides ?

Ensuite, l’article 12 prévoit initialement d’interdire le placement en centre de rétention de mineurs de 16 ans et entend aussi compléter les dispositions du Ceseda en modifiant l’article 741. La France a ainsi été condamnée à neuf reprises par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui confère une protection à toutes les personnes de moins de 18 ans, sans distinction. Je souhaiterais vous entendre confirmer que vous êtes ouvert à la possibilité de fixer l’âge minimum à 18 ans.

Enfin, l’article 20 prévoit que le jugement à juge unique devant la CNDA devient la règle de droit commun, en précisant que les décisions de cette Cour seront rendues, sauf exception, par le président de la formation de jugement statuant seul.

En réduisant les jugements en formation collégiale, le Gouvernement exclut de fait de la formation de jugement le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui est souvent le seul à connaître la situation politique du pays d’origine. La volonté du Gouvernement n’est donc pas, a priori, d’améliorer le traitement du contentieux. Pouvez-vous nous préciser votre raisonnement à propos de cette évolution ?

M. Michel Castellani (LIOT). Nous sommes face à un problème complexe à double titre : parce qu’il s’inscrit dans une longue histoire et une succession de situations complexes, et parce qu’il engage l’avenir. La démographie nous enseigne que la pression migratoire ne pourra que croître avec le temps.

Deux impératifs s’imposent à nous : l’humanisme et le réalisme. Au nom du premier, n’oublions jamais qu’il est question du destin d’êtres humains, qui ont des devoirs mais aussi des droits, y compris le droit à la santé. Au nom du second, nous ne pouvons pas ignorer la vie économique et les besoins des entreprises des secteurs tendus, ni la vie sociale et des conditions de vie, de travail et logement parfois inhumaines. Il faut concilier la nécessité d’intégrer, donc de maîtriser la langue, et l’impératif de sécurité et de respect de l’ordre public, qui dépasse la réalité migratoire.

Nombre de questions ayant déjà été posées, je me contenterai de rappeler que l’élaboration de la loi doit être guidée par les deux principes que je viens d’énoncer. C’est ce que nous défendrons par le biais de nos amendements.

Mme Stella Dupont (RE). Je reste dubitative, si ce n’est interloquée, sur la teneur du texte voté par le Sénat, dans lequel les marqueurs d’extrême droite sont nombreux. N’étant pas membre de la commission des lois, je compte sur sa sagesse pour corriger tout ce qui mérite de l’être.

Ainsi, je suis très attachée à la réintroduction d’un titre de séjour mention « travail dans des métiers en tension » de plein droit, à l’initiative des salariés et sans décision discrétionnaire du préfet, qui verrait là son travail quotidien alourdi, ne l’oublions pas.

Je suis également très soucieuse de l’anticipation de l’accès au travail des demandeurs d’asile, plus particulièrement pour ceux dont le pays d’origine ouvre droit à une protection forte, afin de faciliter leur intégration.

De-ci de-là, parmi les quatre-vingt-seize articles, je note quelques mesures intéressantes, telles que l’expérimentation des espaces France Asile, afin d’évaluer leur efficacité avant d’envisager leur généralisation. En tant que rapporteure spéciale de la commission des finances sur la mission Immigration, asile et intégration, il me semble plus urgent de renforcer le maillage territorial de l’OFII.

Enfin, monsieur le ministre, pouvez-vous préciser les moyens consacrés dans les préfectures à la délivrance des titres, alors que les crédits de l’action 02, Réglementation générale, garantie de l’identité et de la nationalité et délivrance des titres, de la mission Administration générale et territoriale de l’État diminuent en 2024.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, tous les jours entre dix heures et midi, votre compte X – anciennement Twitter – s’active ; vous y publiez une liste d’expulsions réalisées par vos services ; vous y pratiquez le name and shame –  nommer et couvrir de honte – avec des motifs de plus en plus flous. Votre fil devient un mur de la honte où sont montrés du doigt les étrangers, des anonymes que vous exhibez comme des trophées de chasse. À quoi servent ces publications ?

Plutôt que d’essayer de mettre en valeur vos résultats en matière d’expulsion qui ne convainquent personne, pourquoi ne pas exposer la violence aveugle du patriarcat dont sont victimes les femmes, en mettant des visages sur les féminicides qui endeuillent chaque jour notre pays ? Au lieu de jouer les gros bras sur la dalle d’Argenteuil et d’affirmer vouloir nettoyer la France au Kärcher comme votre mentor, vous faites des pavés sur Twitter.

À vouloir démontrer que vous êtes ferme, vous attisez la haine des racistes en les abreuvant de faits divers. Avons-nous face à nous un ministre de la République ou un chroniqueur de CNews ? Vous cherchez tellement à occuper l’espace médiatique que vous révélez chaque jour un peu plus votre incompétence. Vous avez expulsé un prétendu délinquant qui s’avère être la victime d’un vol à l’arraché, qui plus est conjoint de Français ; un enfant français a été envoyé dans les Comores sur un délit de faciès ; un homme expulsé a dû être rapatrié en France parce que vous n’aviez pas daigné attendre le sort de son recours, et la justice vous a donné tort.

Quand allez-vous respecter et faire respecter le droit, plutôt que de draguer la droite ? Que ce soit le parti Les Républicains (LR) ou ses électeurs, ils ont déjà repoussé vos avances assez lourdes. Monsieur le ministre, il est temps d’arrêter les frais. Pour annoncer cette trentième loi sécuritaire, vous publiez une série de tweets pour exciter la pensée de droite. Vous usez de rhétoriques chères à M. Ciotti, Mme Le Pen ou M. Zemmour. Vous nourrissez les lubies xénophobes. Nous ne pouvons que constater l’échec au fil des ans de la stratégie consistant à faire un lien entre immigration et délinquance. L’immigration est un phénomène aussi vieux que l’humanité, qui connaît une crise d’accueil et de solidarité. Cessons son instrumentalisation permanente à des fins populistes.

M. Mansour Kamardine (LR). Quand, sur le territoire hexagonal, l’immigration plafonne à 10 %, tout le monde a peur. À Mayotte, elle dépasse 60 % sur un territoire de 374 kilomètres carrés, de plus de 450 000 habitants – population réelle ; 190 000 dossiers sont en cours d’instruction, des gens toujours plus nombreux demandent à venir à Mayotte. Plus de 100 000 titres de séjour sont enfermés dans une cocotte-minute. Dans les écoles, plus de 80 % des enfants ont des parents d’origine étrangère ; à 70 kilomètres de là, aux Comores, plus de 200 000 enfants attendent d’aller à l’école à Mayotte ; les financements de l’État n’arrivent plus à suivre ; 11 000 naissances ont lieu chaque année dont 75 % de parents d’origine étrangère.

La question migratoire ne peut pas être traitée à Mayotte comme elle l’est à Paris ou dans je ne sais quelle région de l’Hexagone. Nous avons besoin de mesures spécifiques et fortes pour endiguer l’immigration et permettre aux Mahorais de revenir sur leur île. Nous ferons des propositions, mais je voudrais, d’ores et déjà, soumettre à votre sagacité le principe suivant : pas de régularisation pour ceux qui arrivent clandestinement à Mayotte, quelle que soit l’ancienneté de leur présence sur l’île. Lorsque je demande à mes collègues de laisser les étrangers venir en métropole, tout le monde refuse. Nous ne pouvons pas davantage les accepter.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Ma première question porte sur la dignité de l’accueil des étrangers. Si les files devant les préfectures ont disparu, l’accès au droit reste pour eux une gageure. Peut-être faudrait-il apporter des garanties en la matière dans le texte.

Ma deuxième question concerne la CNDA. La réforme, dont je comprends l’objectif de raccourcir les délais d’instruction, suscite de nombreuses inquiétudes. Peut-on envisager un moratoire ? La Cour ne fonctionne pas si mal, il n’y a pas d’embolie : elle rend un nombre de décisions supérieur à celui des recours dont elle est saisie.

Je doute que le recours au juge unique garantisse un examen serein de dossiers complexes, au cours duquel il faut notamment évaluer la dangerosité des étrangers désireux d’entrer sur le territoire français – je rejoins en cela vos préoccupations. Enfin, les questions sur la formation, insuffisante, des juges de l’asile et le cadre déontologique applicable aux présidents et assesseurs vacataires restent posées.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je tiens à saluer le travail des forces de l’ordre et des enquêteurs, qui ont procédé à un vaste coup de filet à Nîmes pour arrêter les auteurs présumés du meurtre de Fayed, un petit Mahorais de dix ans tué par le narcotrafic. Je veux aussi vous alerter sur la vague de violence qui sème la terreur à Mayotte depuis plusieurs semaines : à Sada, à Bandraboua, à Mamoudzou et à Ouangani, des bandes de barbares pillent, vandalisent, incendient, agressent et sèment la mort nuit et jour.

À Mayotte, l’immigration pose des questions de sécurité, mais surtout elle provoque une crise hors du commun. Plus de la moitié de la population est étrangère, le plus souvent en situation irrégulière. Notre territoire implose : les services publics sont saturés ; notre seul hôpital soigne d’abord les étrangers qui arrivent en grande détresse. Il n’y a point d’AME à Mayotte, en conséquence de quoi les étrangers sont actuellement soignés aux dépens de la santé des Mahorais, car les financements ne suffisent pas à couvrir les dépenses.

Mayotte, territoire le plus pauvre de France, accueille le plus grand nombre d’étrangers et nous n’en pouvons plus. Les règles d’acquisition de la nationalité peuvent être modifiées, ainsi que l’avait proposé le sénateur Thani Mohamed Soilihi il y a plusieurs années, sans révision de la Constitution. Mayotte ne peut plus entendre l’argument erroné de l’inconstitutionnalité pour défendre l’inertie, pas plus qu’elle n’accepte le refus de mettre fin aux visas territorialisés qui fixent les étrangers à Mayotte et transforment notre île en cocotte-minute. L’argument de l’appel d’air ne tient pas, puisque Mayotte implose déjà sous la pression migratoire. Nous avons besoin de la solidarité nationale pour faire face.

Monsieur le ministre, que prévoit le texte pour Mayotte ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). La France insoumise se fait aujourd’hui le porte-voix des agents de l’Ofpra, rejoints par ceux de la CNDA, qui ont été en grève et le seront de nouveau prochainement. Ils alertent sur leurs conditions de travail désastreuses, qu’aggrave le projet de loi, demandent le retrait du chapitre IV et dénoncent votre politique du chiffre.

Cette politique du chiffre que vous chérissez tant, au détriment des salariés, des demandeurs d’asile, des droits humains et du bon sens, est de plus en plus poussée – des procédures de plus en plus complexes, des délais de plus en plus courts, avec pour maîtres mots la régulation et les économies.

Est-ce pour mieux accompagner les demandeurs que vous voulez créer des pôles France Asile territorialisés ? En soumettant ainsi l’Ofpra à la tutelle politique et administrative des préfets, vous mettriez fin à son indépendance. Quant à la CNDA, vous voulez territorialiser son activité, supprimer la collégialité ainsi que la présence du Haut-commissariat aux réfugiés. En faisant fi d’un principe fondamental, vous menacez l’équité et l’impartialité dans l’examen des recours.

Ces constats ne sont pas les nôtres, ce sont ceux de plus de 200 professionnels travaillant à la CNDA, de représentants des avocats et de très nombreuses associations humanitaires. Monsieur le ministre, pourquoi voulez-vous mettre fin à l’indépendance et à l’impartialité de l’Ofpra et de la CNDA ?

M. Fabien Di Filippo (LR). Ma première question concerne les délais administratifs de traitement des demandes. Face à l’embolie des juridictions et aux délais que nous constatons tous dans les préfectures, vous entendez donner la priorité aux primo-demandeurs. Les services des étrangers disposent-ils aujourd’hui des capacités nécessaires pour absorber les flux de demandes ? Vous l’avez dit, plus longtemps on se maintient sur le territoire, plus l’expulsion devient impossible.

S’agissant de l’aide médicale d’urgence, que les sénateurs LR ont souhaité substituer à l’AME, nous sommes loin des caricatures faites par la gauche. Il ne s’agit pas de ne plus soigner les personnes atteintes de maladies graves ou très contagieuses. Si j’en crois le site de l’assurance maladie, l’aide médicale d’État prend en charge, au terme d’un délai de neuf mois, pour des personnes qui ont violé nos lois : le recollement des oreilles, les prothèses d’épaule, la pose d’anneaux gastriques et le traitement du canal carpien. Le contribuable français ne comprend plus pourquoi il devrait financer de tels frais de santé pour des personnes qui ne respectent pas nos lois. Quelle est votre position, monsieur le ministre ?

M. Arthur Delaporte (SOC). Vous avez reproché à la gauche son manque de propositions. Pourtant nos déclarations sont très claires, et je vous renvoie au projet du parti socialiste.

À la lecture du projet de loi, on note ce qui y figure – et il y a des horreurs, encore plus nombreuses après l’examen au Sénat – mais surtout ce qui n’y figure pas. À cet égard, notre rôle est de faire le droit, mais aussi de lutter contre le non-droit.

Je vais prendre deux exemples sur lesquels j’aimerais connaître votre avis. Le premier concerne la frontière franco-italienne, où sont utilisés ce que l’on appelle les locaux de mise à l’abri, qui ne sont pas définis juridiquement – le texte ne pallie pas cette lacune. Or, ces locaux s’apparentent à des lieux de privation de la liberté, sans qu’un accueil digne et l’exercice des droits fondamentaux y soient garantis.

Ensuite, il existe deux campements importants dans le Calvados, l’un à Caen, qui compte une centaine d’Afghans, et l’autre à Ouistreham, où environ 200 Soudanais sont rassemblés. Ces deux pays sont en guerre. La plupart des personnes, notamment à Ouistreham, ont déposé une demande d’asile. Pour autant, elles n’ont pas accès à l’hébergement d’urgence. Monsieur le ministre, je ne vois rien dans le texte pour améliorer l’accès au droit des demandeurs d’asile.

M. Jordan Guitton (RN). Selon les données de votre ministère, en 2022, plus de 320 000 premiers titres de séjour ont été délivrés ; plus de 160 000 personnes ont demandé l’asile. Lors de votre audition au Sénat, vous avez estimé entre 600 000 et 900 000 le nombre de personnes présentes irrégulièrement sur le territoire national, appelées clandestins.

Vous vantez régulièrement la « fermeté » d’un texte d’intérêt général. Sachant qu’en 2022 nous avons accueilli un peu moins de 500 000 personnes dans notre pays, envisagez-vous une baisse réelle de l’immigration légale si votre texte est adopté, ? Comptez-vous éloigner plus de clandestins que vous n’en régulariserez ? Nos compatriotes sont en droit de savoir alors que, selon plusieurs sondages, ils sont plus de 71 % à souhaiter une diminution des flux migratoires sur le territoire national. Ils sont aussi partisans d’un référendum sur l’immigration, que votre majorité refuse. Pouvez-vous nous assurer que le taux d’exécution des OQTF va enfin augmenter ? Allez-vous exclure les 4 000 personnes étrangères suivies pour radicalisation ?

Pouvez-vous garantir que les flux migratoires, légaux et illégaux, vont enfin baisser, comme le réclament nos compatriotes, ou allez-vous malheureusement faire l’inverse ? Je vous demande de répondre à ces questions, qui sont d’intérêt national, tant on connaît les conséquences néfastes de l’immigration pour notre pays, que nous dénonçons depuis des années.

M. Gérald Darmanin, ministre. En ce qui concerne les préfectures évoquées par M. Rudigoz, M. Di Filippo et Mme Dupont, je suis parfaitement conscient du mauvais service public rendu.

Madame Untermaier, je serai évidemment favorable à un amendement visant à préciser les conditions de l’accès au droit, d’autant que l’exercice de leurs droits par les étrangers est parfois rendu difficile par la faible maîtrise du français, l’illettrisme ou le traumatisme des violences subies. La garantie de l’accès au droit et la fermeté ne sont pas antinomiques. Si les conditions légales sont réunies, la République française doit garantir l’exercice d’un droit.

Pour améliorer le service rendu, nous comptons d’abord sur la numérisation des procédures pour ce qu’on appelle le back office. Grâce à l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef) – pour schématiser, l’impôt à la source appliqué aux préfectures –, on passe du tout-papier, qui complique le suivi des étrangers changeant de préfecture pour leurs démarches, au numérique. Ainsi, au 1er janvier 2024, 60 % des procédures seront dématérialisées. En 2025, l’Anef sera généralisée à toutes les procédures.

Madame Dupont, en ce qui concerne la baisse des crédits, on peut évidemment attendre des économies de la numérisation. En vertu de la hausse des effectifs inscrite dans la LOPMI, 400 personnes supplémentaires seront affectées dans les préfectures. Celles-ci emploient 20 % de vacataires, du fait du manque d’attractivité de certains métiers, mais aussi de l’urgence à répondre à un besoin criant, dont le coût n’est pas le même que celui d’un fonctionnaire. Voilà ce qui explique la baisse de 8 % des crédits.

Outre la numérisation des procédures, il est prévu que les effectifs – nouveaux ou redéployés – se consacrent aux primo-demandes. Dès lors que la personne a réussi son examen de français, que son casier judiciaire et son état civil ont été vérifiés, il faut rendre le renouvellement des titres automatique – cela concerne aujourd’hui 100 000 titres en flux et 400 000 titres en stock, lequel est concentré dans les régions urbaines. C’est énorme. Pour les départements ruraux, c’est la double peine : les démarches se sont multipliées, tandis que les effectifs des préfectures ont diminué.

C’est la révolution copernicienne que nous voulons mener dans les préfectures : s’occuper des primo-demandeurs et rendre automatique le renouvellement des titres de séjour sur lesquels la République s’est déjà prononcée et qui ne posent aucun problème. Il est prévu une procédure d’information du préfet lorsqu’une personne est arrêtée par la police ou condamnée par la justice. Celui-ci pourra alors s’opposer au renouvellement automatique du titre, ou le retirer.

Aujourd’hui, nous plaçons nous-mêmes des personnes en situation d’irrégularité faute de pouvoir leur proposer un rendez-vous en préfecture dans les délais impartis – c’est la faute de l’État français et non de l’étranger. Nous avons mené une expérimentation avec certains publics. Je pense aux Chibanis, ces citoyens algériens qui ont combattu dans l’armée française – et parfois même ont été décorés – et ont choisi de conserver la nationalité algérienne tout en restant sur notre sol. Pourquoi les embêter en les obligeant à se rendre en préfecture à 80, 90, voire 100 ans ? Nous avons mis un terme à cette obligation.

Je réitère mes profonds remerciements aux agents des préfectures qui, malgré les difficultés administratives et le public compliqué auquel ils s’adressent, font preuve de calme et de professionnalisme. Le projet de loi les servira, j’en suis convaincu. Je suis disposé à présenter à la commission des lois – je l’ai dit au président – les détails de la réforme des préfectures.

En ce qui concerne l’AME, elle ne figurait pas dans le projet de loi initial parce que je voulais m’en tenir aux dispositions, déjà fort compliquées, du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le débat sur l’AME relève d’abord du budget – il est évoqué chaque année dans le cadre du projet de loi de finances – ou de la santé publique.

Cela peut paraître paradoxal, mais Mme Youssouffa réclame l’AME à Mayotte. Pourquoi ? Non pas pour avoir davantage d’étrangers à l’hôpital de Mayotte, mais pour que les dépenses de santé des étrangers en situation irrégulière puissent être tracées. J’imagine que c’est aussi une manière de comptabiliser précisément le nombre d’étrangers à Mayotte ; à cet égard, la vérité sur leur part dans la population à Mayotte est quelque part entre les 30 % de M. Serva et les 60 % de M. Kamardine.

En vertu de l’AME, l’État compense à la sécurité sociale les dépenses de santé des étrangers en situation irrégulière qui ne paient pas de cotisation. L’AME pose avant tout une question budgétaire. Il s’agit de savoir qui paie, puisqu’à la fin des fins, les personnes sont soignées. Est-ce l’État ou la sécurité sociale ? À Mayotte, le fait que ce soit la sécurité sociale pèse sur le fonctionnement de l’hôpital.

Mon avis sur l’AME est le suivant : d’abord, je l’ai dit depuis le début, l’AME n’a pas sa place dans le texte. C’est un cavalier législatif évident, qui sera censuré par le Conseil constitutionnel – tout le monde le sait, y compris le Sénat. Ensuite, j’ai dit, à titre personnel, qu’on pouvait se poser des questions sur l’AME. Je ne fais pas partie de ceux qui contestent l’AME à cause de son panier de soins. C’est ouvrir un débat interminable sans remédier à l’embolie de l’hôpital public, et les médecins soigneront en tout état de cause.

Un quart des bénéficiaires de l’AME étant des enfants, il faut envisager les modifications avec prudence. 75 % d’entre eux sont des personnes présentes depuis plus de trois ans sur le territoire national. C’est sur ce point qu’il convient de s’interroger. Sachez qu’un étranger en situation irrégulière – par exemple, un demandeur d’asile qui n’a pas encore déposé sa demande – n’a pas droit à l’AME dans les trois premiers mois de sa présence sur le territoire national. En revanche, à l’issue d’un délai de neuf mois, il peut bénéficier de l’intégralité du panier de soins – notamment la consultation chez le généraliste prise en charge à 100 %. Pourtant, à mon sens, c’est pendant cette période de neuf mois, dans l’attente des réponses aux démarches engagées, que nous devrions être attentifs aux conditions de sa présence sur le sol national.

La couverture médicale pendant les procédures que le projet de loi vise à accélérer me semble une évidence. En revanche, nous devrions tous nous demander pourquoi 75 % des gens sont depuis plus de trois ans sur le territoire national, alors que nous leur avons dit non – trois ans, c’est quand même la fourchette haute des délais pour les décisions de justice.

Comme toute politique publique, l’AME mérite d’être questionnée. Le Gouvernement ne le nie pas, puisque la Première ministre a commandé à MM. Stefanini et Évin, deux personnalités incontestables, un rapport qui sera remis le 4 décembre. Vous le voyez, nous n’avons rien à cacher, puisqu’il sera rendu public avant le débat en séance publique. Nous verrons les conséquences qu’il conviendra d’en tirer sur le panier de soins ou sur le statut des personnes.

Voilà ma position personnelle : je suis favorable à une réflexion pour modifier l’AME, en jouant non pas sur le panier de soins, mais sur le statut de ses bénéficiaires. J’admets tout à fait que d’autres membres du Gouvernement et que d’autres personnes, appartenant ou pas à ma famille politique, aient un avis contraire. Cela s’appelle la démocratie. Je rappelle que l’AME a été modifiée par le gouvernement d’Édouard Philippe, en l’occurrence par Mme Buzyn et moi-même, en tant que ministre des comptes publics.

En ce qui concerne les OQTF, les personnes qui en font l’objet sont inscrites au FPR depuis une instruction du 17 novembre 2022, qui a été validée par le Conseil d’État. Toutefois, l’inscription peut être retardée du fait du caractère suspensif des recours. Le fichier comprend plusieurs catégories, et l’étranger en situation irrégulière qui n’a commis aucun crime et délit n’entre pas dans la même case que les criminels.

Le délit de séjour irrégulier a été supprimé par la loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, ainsi que par une directive européenne élaborée par le parti populaire européen (PPE). Cependant, le délit de maintien sur le territoire existe toujours, ce qui permet aux forces de l’ordre d’agir. C’est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur général, le débat sur le délit de séjour irrégulier me paraît un peu ésotérique pour les policiers et les gendarmes. Monsieur Pauget, une intervention législative n’est donc pas nécessaire. Il est toutefois possible que les OQTF prononcées avant l’instruction ministérielle – le stock – ne figurent pas dans le fichier.

Madame Karamanli, je ne suis pas favorable à l’article 1er, je l’ai dit au Sénat. Il y a sans doute des dispositions à prendre s’agissant des étudiants. Je veux ainsi appeler l’attention des parlementaires sur un point : le budget des universités publiques étant défini en fonction du nombre d’étudiants qui s’y inscrivent, il peut y avoir une tentation d’inscrire de nombreux étudiants, qui ne suivent pas vraiment des études.

Je suis favorable à la vérification de « l’assiduité de l’étranger et [du] sérieux de sa participation aux formations » qu’a introduite le Sénat, sous réserve de s’entendre sur la forme qu’elle prendra. En revanche, la caution me paraît une bizarrerie contre-productive. Notre souci est d’accueillir pour leurs études non pas des gens riches, mais des gens talentueux – il n’y a pas, me semble-t-il, de lien entre talent et richesse. L’idée d’une caution me paraît contraire à la méritocratie française que nous essayons de défendre. Aujourd’hui, les étudiants doivent s’acquitter, lors de la validation de leur visa, d’une taxe dont le montant n’est pas dirimant. J’espère que vous modifierez l’article.

S’agissant de l’article 12, je souhaite qu’il soit mis fin à la présence des mineurs dans les centres de rétention administrative (CRA) dès la publication de la loi. Une exception vous est demandée pour Mayotte. Plus de la moitié des reconduites à la frontière de France se font à Mayotte depuis le seul CRA qui existe sur Petite-Terre – un deuxième sera construit sur Grande-Terre. Il faut laisser quelques années au ministère de l’intérieur pour créer des unités familiales pour pouvoir éloigner les personnes. Le fait de supprimer la rétention des mineurs ne doit pas empêcher d’éloigner des familles. Entendons-nous bien, je souhaite que nous puissions éloigner des familles sans avoir à placer des bébés ou des adolescents dans des CRA qui accueillent des personnes radicalisées et des délinquants, autrement dit des personnes dangereuses pour la société. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

En ce qui concerne l’article 20, je n’ai pas du tout la même lecture que vous du juge unique. D’abord, le juge unique existe déjà, et cela représente 50 % de l’activité de la CNDA. Ensuite, la protection est la même, que la Cour siège en formation collégiale ou à juge unique. En outre, je cite l’article : « À moins que, de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le président de la Cour nationale du droit d’asile ou le président de formation de jugement désigné à cette fin ne décide, à tout moment de la procédure, d’inscrire l’affaire devant une formation collégiale ou de la lui renvoyer s’il estime qu’elle pose une question qui le justifie, les décisions de la Cour nationale du droit d’asile sont rendues par le président de la formation de jugement statuant seul. » Contrairement aux idioties que j’ai entendues, ce n’est pas l’État ou l’Ofpra qui impose le recours au juge unique. Toutes les parties doivent être d’accord et ce choix peut être remis en cause à tout moment de la procédure.

Pourquoi cet article ? La CNDA le dit elle-même, certaines décisions doivent être prises de manière collégiale parce qu’il s’agit de décisions de principe. La jurisprudence dite Kaboul, qui permettait à une majorité de demandeurs d’asile afghans d’obtenir une protection internationale, a été remise en cause avant l’arrivée des talibans. Certains événements géopolitiques ou certaines persécutions particulières – contre des personnes transgenres ou homosexuelles – peuvent poser des questions de principe qui méritent d’être examinées par une formation collégiale.

Il est plus facile pour un Afghan pourchassé par les talibans d’obtenir l’asile devant le juge unique – le taux de protection est très élevé. En revanche, il n’y a aucune raison d’accorder l’asile par principe à des Ivoiriens ou des Sénégalais, à moins que ce soient des opposants politiques notoires ou des personnes persécutées en raison de leur sexe – le taux de protection est très faible.

On est loin de la mise sous tutelle de la CNDA que certains dénoncent dans une lecture très éloignée du texte lui-même.

À l’orateur de La France insoumise, qui n’est plus là, et qui nous a accusés de faire monter les extrêmes, je répondrai que sa posture idéologique est bien plus responsable de la montée de l’extrême droite – je note que les extrêmes se rejoignent dans l’outrance – et, plus inquiétant encore, ne protège pas les étrangers eux-mêmes. Je le constate, notamment dans ma ville, les étrangers sont les premiers à demander de la fermeté à l’encontre de ceux qui se comportent mal. En donnant une mauvaise image des étrangers, ces derniers nourrissent le racisme et les discriminations. Ce n’est pas en laissant agir des criminels et des délinquants qu’on fera mieux comprendre et accepter l’immigration dans notre pays. Je ne comprends pas cette interpellation qui semble surtout destinée à alimenter les réseaux sociaux.

Madame Youssouffa, le débat sur l’AME à Mayotte est très intéressant ; il n’a pas sa place ici, mais il peut se tenir dans un autre cadre – il semble qu’ait lieu en ce moment une discussion budgétaire ouverte et nourrie avec le Gouvernement.

Je suis très favorable à une révision des règles, comme le propose votre collègue Thani Mohamed Soilihi. Aujourd’hui, à Mayotte, pour être régularisé, il faut avoir l’un des deux parents qui est en situation régulière ou français, depuis au moins trois mois avant la naissance de l’enfant. Je souhaite que nous travaillions sur la modification de deux critères : les deux parents devraient être en situation régulière et depuis plus de neuf mois – pourquoi pas un an ? – sur le territoire national.

Ensuite, monsieur Kamardine, j’approuve l’idée selon laquelle, à Mayotte, une personne ne peut pas être régularisée si elle est arrivée irrégulièrement – l’étranger conserve le droit d’être régularisé ailleurs en France.

Je ne suis pas de ceux qui vous disent d’emblée que ces mesures ne sont pas constitutionnelles. Nous verrons bien ce que le juge constitutionnel dira. La future loi sur Mayotte nous permettra de prendre en considération d’éventuelles remarques du Conseil constitutionnel. La révision constitutionnelle que le Président de la République a annoncée pourrait aussi être l’occasion d’adopter des dispositions particulières à Mayotte. On ne peut pas gouverner Mayotte, me semble-t-il, comme on gouverne le reste du pays en matière d’acquisition de la nationalité. C’est mon avis personnel. Les conditions sont déjà différentes du droit commun. Qui peut le plus peut le moins. Je suis tout à fait prêt à y travailler et nous verrons ce que dira le Conseil constitutionnel.

Évidemment, ni l’Ofpra ni l’OFII, et encore moins la CNDA, ne voient leur indépendance remise en cause.

S’agissant des demandeurs d’asile dans le Calvados, je vais examiner la situation de Ouistreham que, je l’avoue, je connais moins bien que celle du Nord-Pas-de-Calais. Il me semble que nous avons affaire au même public, désireux de passer en Angleterre.

M. Arthur Delaporte (SOC). Pas forcément.

M. Gérald Darmanin, ministre. Certes, on peut avoir envie d’aller à Calais et à Boulogne-sur-Mer – j’y vais en vacances et j’y ai ma maison de famille – mais on y va surtout parce qu’on a envie de traverser la Manche pour aller en Angleterre.

À Grande-Synthe, Calais ou Boulogne-sur-Mer, où il y a quinze fois moins de migrants aujourd’hui qu’il y a dix ans, grâce à l’action très forte de M. Cazeneuve – on peut le remercier d’avoir lutté vigoureusement contre l’immigration irrégulière et démantelé les camps de migrants ; vous soutenez moins de telles actions aujourd’hui, mais il faut rappeler l’attitude très ferme contre l’immigration irrégulière d’un gouvernement socialiste dans les traces duquel nous nous inscrivons –, moins de 5 % des migrants demandent l’asile sur le territoire de la République, parce qu’ils veulent aller en Angleterre.

Notre souci est de faire comprendre à la Grande-Bretagne la nécessité, comme dans n’importe quel autre pays au monde, de rétablir une voie d’immigration légale et d’autoriser le dépôt de demandes d’asile. Tant que la Grande-Bretagne reste dans les lunes du Brexit sur les questions migratoires, elle s’interdit d’appliquer les accords de Dublin et de procéder à des reconduites à la frontière. Elle oblige les migrants, puisque le tunnel est complètement bloqué désormais, à emprunter des bateaux pour rejoindre son sol. Elle ne comprend pas qu’elle doit changer de paradigme. Monsieur Delaporte, je vous promets de vous répondre avec précision sur la situation du Calvados. Dans le Nord-Pas-de-Calais, souvent les migrants refusent les hébergements qui leur sont proposés, soit parce qu’ils veulent être prêts à prendre le prochain bateau, soit parce qu’ils sont aux mains des passeurs.

Il y a dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais plus de 800 chambres libres. Il n’y en a pas moins des camps de migrants, auxquels ces chambres sont proposées. Ils les refusent car ils veulent passer en Angleterre, même dans les conditions affreuses que vous avez décrites, monsieur Delaporte. Il convient d’abord de remercier les gendarmes et les policiers de leur travail. Ils plongent dans des eaux difficiles pour sauver des bébés, des femmes, des enfants et des hommes qui veulent traverser la Manche sur des bateaux de fortune. Quoi qu’il en soit, les choses ne sont pas aussi manichéennes que vous les présentez.

Monsieur Guitton, nous n’allons pas opposer les sondages aux sondages. Je constate que 80 % des Français sont favorables au projet de loi, et que 60 % des Français sont favorables à la régularisation des travailleurs étrangers dans les métiers en tension. Au demeurant, des gens de toutes tendances me demandent des régularisations, ce qui n’a rien de surprenant : les gens qui travaillent, tout un chacun souhaite leur régularisation.

Être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils est une attitude que tout le monde comprend. Les gens qui ne respectent pas les lois de la République, nous voulons tous nous en séparer. Il faut donc prendre les sondages avec précaution. À leur aune, vous êtes favorables comme un seul homme au texte que nous proposons, très largement soutenu par les Français.

Il n’en résulte pas que les Français ne sont pas favorables à une politique plus ferme en matière d’immigration, voire à un référendum. Celui-ci suppose toutefois une modification de la Constitution. Cette solution est peut-être intéressante, mais elle n’est pas immédiate. Ce que je propose a, au moins, le mérite de l’être.

J’évoquerai pour finir le taux d’application des OQTF, qui pourrit le débat médiatique. Le ministère de l’intérieur n’a jamais diffusé, dans aucun document, budgétaire ou non, le pourcentage d’OQTF appliquées. Lorsque vous en évoquez un, vous prenez le nombre de mesures administratives – qui ne sont pas toutes des OQTF, certaines par exemple sont des interdictions du territoire français (ITF) –, vous le divisez par le nombre de personnes qui ont quitté le territoire français, et vous annoncez un taux de 10 %, 15 % ou 20 %.

Cela ne fonctionne pas ainsi. Je sais que c’est difficile à admettre, mais telle est l’absurdité de notre mode de fonctionnement. Parmi les 120 000 mesures administratives prises chaque année, dont la plupart sont des OQTF, 80 % sont susceptibles de faire l’objet d’un recours suspensif. Ne pas le dire est malhonnête.

À ma place, même armés de votre bonne volonté et du programme de Mme Le Pen, vous n’obtiendrez pas un meilleur taux d’exécution des OQTF que moi. Dire, pour l’année 2023, que 120 000 mesures ont été prises et que 20 000 personnes ont quitté le territoire est malhonnête, car les mesures appliquées en 2023 ont été prises deux ou trois ans plus tôt et ont fait l’objet d’un recours. Les deux chiffres ne sont pas du même ordre.

Je suis le premier à dire que nous ne sommes pas efficaces en matière de reconduite à la frontière. C’est précisément pour cela que je présente un projet de loi. Par ailleurs, les autres pays ne font pas mieux. Nous sommes tous tributaires de la délivrance de laissez-passer consulaires et de lenteurs administratives, que j’essaie de combattre. Je n’atteindrai pas le taux de 100 % d’OQTF exécutées, mais je l’améliorerai. Pour le reste, donner des taux de 7 %, de 10 % et de 20 % ne repose sur aucune réalité administrative. Il serait intéressant de mesurer le temps moyen d’application d’une OQTF.

Par ailleurs, la majorité des départs sont volontaires. Comme tels, ils ne sont pas comptabilisés. Les départs au titre de l’aide au retour volontaire, versée en une fois par l’OFII après le départ, représentent 20 % des départs, les départs forcés 7 %. J’ignore si ce système est le bon, mais c’est le nôtre. Les Allemands ont ce qu’ils appellent une tolérance, qui offre une protection temporaire ne créant aucun droit, valable jusqu’à l’expiration du recours. Peut-être est-ce le bon calcul, mais, si j’étais venu devant vous pour vous annoncer que nous mettons un terme au régime des OQTF, vous m’auriez dit « Monsieur le ministre, vous cassez le thermomètre ! ». Ce que je propose, c’est la simplification drastique des procédures, pour améliorer fortement le taux d’application des OQTF. J’espère vous avoir démontré que cette façon de procéder est la bonne.

Quant aux 4 000 personnes étrangères suivies pour radicalisation, les articles 9, 10 et 13 du projet de loi me permettront de procéder à leur expulsion. À l’heure actuelle, je ne peux ni les interner dans un CRA, ni les mettre dans un avion. Toutes seront concernées. C’est pourquoi j’aurai du mal à comprendre que vous ne votiez pas ce texte de loi, qui offre aux Français une sécurité contre les multirécidivistes.

 

II.   Examen DES ARTICLES

Lors de réunions tenues les lundi 27, mardi 28, mercredi 29, jeudi 30 novembre et vendredi 1er décembre 2023, la Commission examine les articles du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (n° 1855) (M. Florent Boudié, rapporteur général ; Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Ludovic Mendes, M. Philippe Pradal, M. Olivier Serva, rapporteurs).

Première réunion du lundi 27 novembre 2023 à 16 heures

Lien vidéo : https://assnat.fr/LqOrB5

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

M. le président Sacha Houlié. Après avoir procédé, mardi dernier, à l’audition du ministre de l’intérieur et des outre-mer et à la discussion générale sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, nous entamons l’examen des articles et des amendements. Je vous précise, à cet égard, que 1 675 amendements ont été déposés : j’ai déclaré irrecevables 225 d’entre eux pour défaut de lien avec le texte, tandis que 35 l’ont été par mon collègue, président de la commission des finances, au titre de l’article 40 de la Constitution. Ce ratio est habituel ; il est même presque moins sévère que lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi).

J’ai répondu aux collègues qui ont contesté mes décisions d’irrecevabilité. J’exerce parfois ce contrôle avec trop de souplesse. Ainsi, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (Lopji), j’avais accepté des amendements modifiant le code de procédure pénale, dont un article prévoyait la ratification par ordonnance : le Conseil constitutionnel – dont je vous invite à lire la décision – a très largement censuré plusieurs articles de ce texte. En l’occurrence, pour le projet de loi que nous examinons, modifier le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) ne suffisait pas à rendre recevable un amendement.

Je le redis, le lien ne s’apprécie pas en fonction du titre du projet de loi – en l’espèce, il est très large – mais du contenu du projet de loi initial du Gouvernement. Il ne s’apprécie pas davantage par rapport aux articles additionnels du Sénat. La jurisprudence du Conseil constitutionnel exige en effet que l’amendement ait un lien avec les articles du projet de loi adopté en Conseil des ministres. Il est vrai que le Sénat en a largement élargi le périmètre ; aussi ai-je tenu compte des modifications qu’il a apportées, en incluant les amendements qui se rattachent aux nouveaux articles ainsi introduits. En revanche, j’ai exclu tous les amendements portant article additionnel sans lien avec le texte.

Pour plus de précisions sur la jurisprudence relative à l’application de l’article 45 de la Constitution, je vous renvoie à la note éditée par notre commission – une coutume prise par ma prédécesseure, Mme Yaël Braun-Pivet –, qui est systématiquement diffusée aux commissaires avant l’examen de chaque texte.

Titre Ier A (NOUVEAU)
MaÎtriser les voies d’accÈs au sÉjour et lutter contre l’immigration irrÉguliÈre

Article 1er A (nouveau) : (art. L. 123-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Débat annuel au Parlement sur les orientations de la politique d’immigration et d’intégration, extension des indicateurs contenus dans le rapport remis annuellement par le Gouvernement au Parlement, et détermination, par le Parlement, d’un nombre d’étrangers admis au séjour

Amendements de suppression CL609 de Mme Danièle Obono, CL1040 de M. Benjamin Lucas, CL1143 de Mme Elsa Faucillon et CL1265 de Mme Blandine Brocard

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Notre amendement vise à supprimer l’article 1er A, dont les fondements nous semblent revêtir un caractère xénophobe. La figure de l’étranger y est en effet présentée comme celle de l’autre, se confondant avec celle du délinquant, voire du terroriste. Cela n’a aucun sens. La réalité des chiffres n’est pas celle d’une arrivée importante de personnes étrangères sur le sol français.

Comme nous l’avons indiqué depuis le mois d’août, il n’est, par principe, pas acceptable de stigmatiser ces personnes pour des raisons politiciennes. Selon nous, le texte devrait aborder les deux points suivants : la coopération à l’échelle européenne et la création de conditions d’accueil dignes. Par ailleurs, il serait également pertinent d’analyser les raisons pour lesquelles ces migrations existent, car elles ne vont pas s’éteindre.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous contestons, pour notre part, le principe de quotas ou de quantification, aussi bien que l’idée, farfelue et absurde, d’avoir, chaque année, un débat parlementaire sur le sujet de l’immigration. Si l’on peut débattre de l’accueil, de l’intégration ou de l’inclusion, il n’en est rien sur les migrations, qui sont un phénomène humain, social, et, de plus en plus, climatique : rien ne s’opposera à la volonté de femmes et d’hommes de fuir la guerre, la misère, ou le désordre climatique.

Avec trente lois en quarante ans, les gouvernements successifs n’ont fait qu’enrichir les passeurs, qui indexent leurs tarifs sur la difficulté à passer les frontières, et augmenter le nombre de cadavres qui flottent dans la Méditerranée ou gèlent dans les Alpes. Je conteste l’idée selon laquelle il y aurait une juste part de la misère du monde à accueillir : des questions aussi importantes ne sauraient être traitées par des tableaux comptables, mais par des principes et des valeurs.

L’article 1er A procède de l’idée que nous vivrions sous la menace d’une submersion migratoire, faisant fi du fait que l’essentiel des migrations dans le monde ont lieu entre pays du Sud. Toute la misère du monde n’est, en réalité, pas du tout à nos portes Cet article fait perdre du temps au débat public et il convient de le supprimer dans de brefs délais.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je rejoins les arguments évoqués par mes deux collègues. Les propositions visant à mettre en place des quotas migratoires reviennent dans le débat environ tous les dix ans, pas toujours dans les meilleures périodes politiques, sociales ou climatiques. Leur objectif est de faire croire à une submersion, à un trop-plein d’immigrés.

Le groupe GDR, comme les autres groupes de gauche, veut proposer un autre récit que celui de ce projet de loi, redoutable pour les exilés et pour celles et ceux qui sont à leurs côtés. Rationnel, il s’appuie sur la réalité des parcours migratoires et sur la nécessité d’un accueil digne. Lorsque, en 2008, Nicolas Sarkozy a tenté d’impulser à nouveau l’idée de politiques de quotas migratoires, une commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration, présidée par Pierre Mazeaud, a tranché la question : selon elle, les quotas seraient irréalisables ou sans intérêt. Le seul objectif de cet article est d’expliquer que tous les problèmes seraient le fruit de l’immigration. Nous contestons absolument cette logique.

M. Erwan Balanant (Dem). Le groupe Démocrate souhaite également supprimer l’article 1er A, dont la rédaction ne nous semble pas satisfaisante et qui nous pose un certain nombre de problèmes philosophiques et politiques. Je ne m’exprimerai pas de la même façon que mes collègues, n’étant pas complètement en accord avec eux. Sur la question de l’accueil de la misère du monde, il ne faut pas tout confondre. Notre pays reconnaît le droit inaliénable à l’asile, ce dispositif découlant de nos accords internationaux, notamment la convention de Genève, en 1951 : il ne faut pas y toucher.

Nous ne discutons jamais de la politique migratoire que nous voulons : qui accueillir, comment, en quel nombre ? En ce sens, la perspective d’un débat pourrait être intéressante, mais la prise de décision ne revient pas au Parlement. L’objectif n’est pas de définir des quotas, mais d’avoir une politique migratoire juste, qui réponde à des problématiques économiques et humaines – en matière d’asile notamment. La rédaction de cet article laisse penser que notre pays connaît une vague migratoire, ce qui n’est pas le cas.

M. Florent Boudié, rapporteur général, rapporteur pour le titre Ier A. L’article 1er A ne mérite pas les excès d’indignation et les mots que j’ai pu entendre il y a quelques minutes. Nous ne refusons pas le débat sur la question migratoire ; au contraire, il me semble tout à fait normal que nous puissions discuter de ce sujet. En revanche, deux dispositions introduites par le Sénat ne sont pas conformes à la Constitution. Le rapport Mazeaud de juillet 2008 – évoqué à l’instant par Elsa Faucillon – a lui même indiqué que l’Assemblée nationale ne pouvait pas s’imposer à elle-même de débattre, pour demain ou pour après-demain, ni sur la question migratoire, ni, de façon générale, sur aucune autre question. L’alinéa 2 de l’article 1er A n’est donc pas correct, puisqu’il dispose que « les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration font l’objet d’un débat annuel au Parlement ». De la même façon, le rapport Mazeaud a souligné que l’Assemblée nationale ne saurait déterminer les chiffres de l’immigration, comme y tend pourtant l’alinéa 28 de l’article. Il faudrait pour cela réviser l’article 34 de la Constitution, ce que certains d’entre nous souhaitent, mais c’est un autre sujet.

Je vous proposerai, dans les prochaines minutes, des amendements visant à ouvrir une possibilité de débat qui s’inscrive dans le respect notre Constitution : le Parlement ne déterminera pas les chiffres, mais discutera d’objectifs chiffrés et indicatifs. La logique de l’article 1er A est de débattre sur les orientations du Gouvernement et sur des objectifs quantifiés. Il connaît toutefois deux limites extrêmement fortes : nous ne pouvons pas débattre de chiffres concernant l’asile, car cela serait contraire à nos engagements conventionnels, ni d’objectifs fermés – mais seulement indicatifs – sur le regroupement familial, en raison de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Il est cependant possible de discuter des titres de séjour et des visas étudiants, ou de l’immigration économique, ce qui permettra au Gouvernement et à la majorité présidentielle d’assumer leurs ambitions. Nous l’avons dit à plusieurs reprises, nous sommes favorables à l’immigration économique – 51 000 titres de séjour délivrés l’année dernière – et à des visas étudiants, car ils représentent une force d’attractivité, la capacité de notre pays à rayonner et l’avenir de la francophonie – 108 000 titres de séjour ont été délivrés l’année dernière, sous forme de visas étudiants. J’émets donc un avis défavorable à ces amendements de suppression. Si nous n’en avons pas l’obligation, nous pouvons débattre dans le cadre des règles constitutionnelles qui s’imposent à nous.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Si l’alinéa 28 de cet article détermine des quotas, tel n’est pas le cas des vingt-sept premiers alinéas. En fin de compte, l’article 1er A permet d’obtenir énormément d’informations utiles, comme le type de visas accordés. Son objectif n’est pas de dévaloriser le Parlement, mais au contraire de le mettre en valeur. Il permet au Parlement d’obtenir du Gouvernement des informations claires et précises, pour être en capacité de légiférer demain. Les alinéas 26 et 27 visent d’ailleurs à joindre au rapport du Gouvernement les recommandations et les observations de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui sont les références dans ce domaine. Pourquoi supprimer des dispositions permettant aux parlementaires que nous sommes d’avoir des informations supplémentaires ?

Mme Annie Genevard (LR). L’instauration de plafonds migratoires est une demande constante du groupe Les Républicains. Nous sommes parfaitement conscients des contraintes en matière constitutionnelle. C’est la raison pour laquelle, le 7 décembre prochain, nous examinerons en séance notre proposition de loi constitutionnelle. Cet article me semble néanmoins être des plus utiles, parce que la France a tout à fait loisir de choisir qui elle veut accueillir sur son sol : cela est parfaitement légitime. Elle veut passer d’une immigration subie à une immigration choisie.

Nous voulons réduire la pression migratoire. Le groupe Les Républicains affiche très clairement cet objectif et estime donc cette demande de rapport tout à fait pertinente. Il s’agit de rappeler notre intransigeance dans la lutte contre l’immigration irrégulière, et notre volonté d’avoir une procédure d’asile efficace. C’est la raison pour laquelle la demande de suppression de cet article nous paraît tout à fait infondée, et même regrettable. Demander des informations sur les procédures, sur les titres de séjour délivrés ou sur le nombre d’étrangers admis au titre des différentes procédures nous semble être tout à fait normal : il faut savoir de quoi nous parlons. Lorsque nous débattons sur la question de l’immigration, il faut connaître les chiffres et les éléments objectifs, afin de déterminer des politiques pertinentes et efficaces.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Les chiffres communiqués par le Gouvernement sont remis en cause par ceux qui émanent des chercheurs. Nous connaissons les éléments factuels, mais vous refusez de les entendre. Vous préférez inventer un mirage, celui de la submersion migratoire – pour certains, c’est le grand remplacement –, alors qu’il a été prouvé que les quotas étaient inutiles, par le gaulliste Pierre Mazeaud. Je tiens à cet égard à rappeler à mes collègues macronistes que Christophe Castaner, alors ministre de l’intérieur, en 2019, avait lui-même appuyé le rapport Mazeaud. Celui-ci estimait qu’établir des quotas par nationalité ou par région du monde pourrait contredire le principe d’égalité entre tous les citoyens et citoyennes, quelle que soit leur nationalité, selon un principe garanti par la Constitution ; il concluait que les quotas sont contraires à nos engagements internationaux et à nos principes constitutionnels.

Il n’est nul besoin de créer de faux débats, puisqu’au final vous contesterez les chiffres, chers collègues de la droite et de l’extrême droite. Vous prétendrez que ces chiffres sont faux, qu’il y a toujours une part cachée. Vous refusez d’écouter les scientifiques, les associations, les chercheurs : François Héran ne cesse de répéter que la submersion migratoire est un mensonge. Menons le débat sur des bases saines et sortons des faux chiffres que vous nous communiquez, comme le fait de dire que 7 % d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont exécutées chaque année, soit moins qu’en Allemagne – la réalité est de 16 000 OQTF exécutées en France, pour 26 000 en Allemagne. Les statistiques sont comme les fleurs, on leur fait dire ce que l’on veut. Chers collègues de la Macronie, faites un effort pour respecter ce que disait votre ancien ministre de l’intérieur, Christophe Castaner.

M. Boris Vallaud (SOC). Beaucoup de choses ont déjà été dites. Il existe des obstacles constitutionnels et conventionnels à l’établissement de quotas, et ils valent pour le droit d’asile. Pour reprendre les mots de Mme Genevard, un droit d’asile efficace est celui qui protège les populations suppliciées et menacées dans un certain nombre d’autres pays. Qu’adviendrait-il des afghans – première nationalité accueillie au titre de l’asile – si nous devions établir des quotas et renvoyer ceux qui en sortiraient dans des pays où ils seraient soumis aux pires sévices – je pense en particulier aux femmes afghanes ? Que dirions-nous, au titre du droit constitutionnel et du droit conventionnel, de l’atteinte au regroupement familial ?

Je me référerai également au rapport Mazeaud – peut-être pas à M. Castaner – pour appuyer ma démonstration, ainsi qu’à François Héran, qui, préalablement à ce débat, a rendu les chiffres de l’immigration disponibles. Comme Mme Genevard le disait, il est important de savoir de quoi l’on parle et je lui recommande vivement cette lecture. Par ailleurs, je me suis intéressé aux politiques menées dans d’autres pays – en Allemagne, au Canada, au Danemark, au Royaume-Uni, en Suède : en réalité, il n’existe, nulle part, de quotas de portée générale et juridiquement contraignante. Des objectifs sont parfois fixés, comme au Canada : ils sont régulièrement dépassés.

Vous avez indiqué, monsieur le rapporteur général, votre volonté de proposer une sorte d’amendement de repli : je dirais que c’est un amendement de jésuite, dans le respect du principe de laïcité bien sûr. Je mesure parfaitement le point d’équilibre entre les uns et les autres auquel vous essayez de parvenir. Vous avez raison de dire que l’Assemblée nationale peut débattre de tout sujet dont elle se saisit, ou dont le Gouvernement la saisirait au titre de l’article 50-1 de la Constitution, comme nous l’avons fait en octobre 2022. Tous les chiffres que nous demandons sont en réalité parfaitement disponibles : ces statistiques sont publiques ; il est loisible à chacune et à chacun de les demander, en particulier au ministre de l’intérieur.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). J’ai le sentiment, monsieur le rapporteur général, que nous passons notre temps à débattre de l’immigration : il s’agit de la trentième loi sur ce sujet en quarante ans. Le débat public est englouti sous les thèmes de l’extrême droite, depuis des décennies. En entendant Mme Genevard et en lisant les ajouts du Sénat, je considère que nous avons davantage besoin d’un plancher humaniste que d’un plafond migratoire.

En quoi la discussion est-elle sincère ? D’après les différentes enquêtes d’opinion, les Françaises et les Français surestiment considérablement le nombre d’étrangers vivant dans notre pays. Le débat public est noyé sous les contre-vérités, les mensonges, les peurs, les fantasmes de l’extrême droite : cela génère de la peur, alors qu’aucun fait ne peut en attester. Comme je l’ai indiqué, l’essentiel des migrations se fait entre les pays du Sud. Quant au supposé appel d’air qui résulterait d’une politique plus inclusive et plus fraternelle, aucune réalité statistique, historiques ou géographique ne l’a démontré.

Il est louable de votre part, monsieur le rapporteur général, de souhaiter avoir de grands débats à l’Assemblée nationale. Peut-être même remettez-vous en cause l’usage compulsif du 49.3 par le Gouvernement. S’il faut discuter des vrais sujets, alors faisons-le, ayons un grand débat, chaque année, sur l’école de la République, sur les services publics, sur la réalité climatique et sur la façon dont nous affrontons le plus grand péril de notre histoire et de l’humanité. Tels sont les sujets qui mériteraient notre attention. Je fais confiance aux successeurs de M. Darmanin – peut être y en a-t-il dans cette salle –, qui, chaque année, proposerons, comme cela est le cas depuis quarante ans, une loi sur l’immigration, de façon à ce que chacun puisse avoir son texte, portant son nom, dénonçant les mêmes fausses causes et produisant les mêmes effets.

Mme Edwige Diaz (RN). Voici la première des surprises que nous réserve ce texte : des amendements identiques déposés par les groupes de la NUPES et par le groupe Démocrate. Nous sommes totalement opposés à la suppression de l’article 1er A, qui vise à instaurer un débat annuel. Comme 75 % des Français, je considère en effet que la question de l’immigration doit faire l’objet d’un débat : il faut donner la parole au peuple. Si tel n’est pas le cas, permettons au moins au Parlement d’en discuter. Le rapport du Gouvernement aurait pour mérite de préciser certaines données que l’on nous cache ou qui demeurent floues. Auditionnée il y a quelques jours, Mme la secrétaire d’État Charlotte Caubel a indiqué que le coût d’un mineur non accompagné pouvait varier entre 60 000 euros et 100 000 euros, alors que l’on nous disait, encore récemment, qu’il se situait entre 40 000 euros et 50 000 euros. Nous avons besoin d’obtenir des précisions sur ce point.

Par ailleurs, nous contestons l’idée d’une obsession politique permanente anti-migrants de la droite dans notre pays – y compris la Macronie. Je rappellerai simplement quelques chiffres qui démontrent que, loin d’être anti-immigration, la Macronie y est au contraire favorable. Ainsi, 316 000 titres de séjour ont été délivrés l’année dernière et 1,6 million l’ont été entre 2017 et 2022 : c’est considérable. De même, les demandes d’asile connaissent une augmentation exponentielle, sans compter les coûts engendrés par l’aide médicale de l’État (AME). Nous considérons donc que la Macronie est profondément immigrationniste. C’est la raison pour laquelle nous combattrons ce texte de toutes nos forces.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Le groupe Renaissance votera contre ces amendements de suppression. Le débat ne nous fait pas peur ; nous souhaitons qu’il soit structuré. Je suis surpris du fait que certains des collègues, qui ont déposé des amendements de suppression, en défendent d’autres visant à structurer le débat et le rapport qui lui donnerait naissance.

Par ailleurs, monsieur Lucas, le nombre de lois sur ce sujet au cours des dernières années s’explique par la nécessité de traiter des questions de régularisation, de porter à 18 ans l’âge de l’interdiction de la présence de mineurs dans les centres de rétention administrative (CRA), de prendre en charge des cours de français, c’est-à-dire par l’amélioration de nos politiques d’intégration. Peut-être faudra-t-il, dans les années qui viennent, prendre de nouvelles dispositions législatives visant à améliorer encore nos politiques d’accueil et d’intégration, ou à revoir certains dispositifs de sanction des personnes qui contreviennent au respect des règles de notre République.

Enfin, j’invite le groupe du Rassemblement national à éviter toute confusion entre migrations régulières et irrégulières, comme vous venez de le faire.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Le groupe Horizons et apparentés votera contre ces amendements de suppression. Je vois mal en quoi la tenue d’un débat parlementaire serait choquante. De nombreuses démocraties discutent de ces questions au sein du Parlement – comme nos amis canadiens – sans que cela soit la marque d’un système antidémocratique et raciste, bien au contraire. De plus, l’amendement que le rapporteur général va nous proposer nous éloignera du risque de censure constitutionnelle. Nous pouvons donc sans problème avoir un débat parlementaire raisonné et raisonnable sur l’immigration, et sur tout autre sujet.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Je me range à la proposition de modification de l’article 1er A faite par le rapporteur général, et j’émets par conséquent un avis défavorable aux amendements de suppression. Tout d’abord, de nombreux pays fixent des quotas indicatifs. Par ailleurs, monsieur Vallaud, nous avons veillé à exclure l’immigration familiale et l’asile du champ des quotas. Il s’agit de quotas économiques ou étudiants, qui correspondent à la politique menée par le Gouvernement depuis le comité interministériel sur l’immigration et l’intégration du 6 novembre 2019, sous la présidence d’Édouard Philippe et rapporté par mon collègue Christophe Castaner : il avait approuvé le principe d’un débat annuel au Parlement, permettant de fixer annuellement des cibles et des quotas non limitatifs, conformément à l’engagement pris par le Président de la République il y a quatre ans. Cela prouve également que nous ne faisons pas, sur l’immigration, une loi par an, mais une tous les six ans. C’est lorsque vous étiez en responsabilité, monsieur Lucas, qu’une nouvelle loi sur l’immigration était adoptée chaque année – tous les un an et demi sous M. Hollande, contre six ans pour M. Macron, la dernière étant celle de Gérard Collomb, pour qui j’ai une pensée.

Deuxièmement – je le dis au groupe du Rassemblement national et à Mme Diaz –, aucun pays au monde n’a instauré de quotas prescriptifs, lesquels contribuent à augmenter l’immigration légale. Ainsi, votre amie Mme Meloni vient de prendre un décret visant à augmenter les quotas d’immigrés légaux admis sur le territoire italien, soit 136 000 personnes acceptées en 2023, 151 000 en 2024 et 165 000 en 2025. Mme Meloni ne confond pas, comme vous le faites, immigration légale et illégale, ainsi que M. Gouffier Valente l’a rappelé.

Madame Genevard, à notre connaissance, aucun pays n’a instauré de quotas prescriptifs, au sens d’un plafond, mais nous entendons ce que vous dites. Le Gouvernement n’a rien à cacher et pourrait fixer des quotas chaque année, voire sur trois années, à titre indicatif et afin de créer une dynamique, mais aussi afin de comprendre pourquoi ils ont été atteints ou pas.

Le professeur Mazeaud ayant effectivement alerté sur le caractère inconstitutionnel d’un débat obligatoire, je prends l’engagement, au nom du Gouvernement et tant que nous serons en responsabilités, que nous répondions chaque année, devant le Parlement, de notre politique migratoire : le ou la Première ministre demandera la tenue d’un débat au Parlement. Nous pourrons ainsi justifier du nombre de visas accordés. J’espère que l’amendement du rapporteur général sera adopté, mais même s’il ne l’est pas, cet engagement sera tenu.

Enfin, le 7 décembre prochain, nous débattrons, madame Genevard, de l’hypothèse d’une révision constitutionnelle. En tout état de cause, elle ne saurait s’appliquer à la question de l’asile, puisque cela supposerait aussi de modifier le préambule de 1946, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la CEDH. Si la question se pose sans doute différemment sur l’immigration familiale, l’asile ne peut, par nature, pas être soumis à des quotas.

Je réponds également au député du groupe la France insoumise – en quête de statistiques sur les OQTF –, qui a évoqué des chiffres assez étonnants. Les derniers chiffres, les seuls disponibles pour les comparaisons de reconduites à la frontière, sont publics et connus ; provenant d’Eurostat, ils ne souffrent pas de contestation. En 2022, 14 235 éloignements ont eu lieu en France, pour 13 135 en Allemagne, soit 1 000 reconduites en moins, alors que ce pays connaît une immigration irrégulière deux fois plus importante : j’ignore donc d’où provient le chiffre de 26 000 que vous avez mentionné et je vous invite à faire preuve du souci d’exactitude que vous attendez des autres. Les chiffres sont de 10 490 pour la Suède, 4 515 pour l’Espagne et 2 915 pour l’Italie. S’il est exact que notre taux d’application des OQTF est faible, il est, malgré tout, le plus fort d’Europe.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques CL1657 de M. Florent Boudié et CL1541 de M. Guillaume Gouffier Valente

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’amendement CL1657, que j’évoquais il y a quelques instants, vise à supprimer le caractère obligatoire du débat annuel au Parlement, cette disposition n’étant pas conforme à la Constitution.

M. Arthur Delaporte (SOC). Ces amendements dévitalisent l’article 1er A en rendant le débat seulement facultatif, et demandent la remise d’un rapport au Parlement comportant un certain nombre d’indicateurs, comme le nombre de personnes ayant eu des autorisations de travail ou ayant été admises au titre du regroupement familial. En quoi cette disposition diffère-t-elle du droit récent ? Jusqu’en 2021 en effet, l’article L. 111-10 du Ceseda, modifié par l’article 2 de la loi du 1er mars 2019, prévoyait que le Gouvernement déposerait chaque année devant le Parlement un rapport comportant exactement les mêmes données – le nombre d’étrangers admis au titre du regroupement familial ou ayant obtenu le statut de réfugié.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Il aura fallu un peu plus d’une demi-heure de débat pour que tombent les masques et que soit validé un article, provenant du Sénat, qui vise à introduire une foultitude de dispositions sur l’immigration, notamment des quotas. Monsieur le ministre, en évoquant Mme Meloni et en assurant que vous ferez mieux qu’elle en matière d’immigration, vous concourez avec le Rassemblement national. Vous avez ainsi dévoilé votre stratégie de concessions à la droite et à l’extrême droite, qui divise votre propre majorité, où il n’y a pas d’unanimité sur cet article.

Alors que vous prétendez que nous ne débattons pas suffisamment de l’immigration, nous allons en discuter durant des jours et des jours, afin de savoir qui fera le mieux pour lutter contre elle. Vous ne voyez en effet l’immigration que comme quelque chose à combattre, mais pas comme un apport potentiel pour notre pays. Pourtant, un certain nombre d’entre nous dans cette salle, qui ont des parents ou des grands-parents nés ailleurs que sur le territoire hexagonal, sont devenus de magnifiques députés de la République française – du moins pour ceux qui continuent à défendre ses valeurs car, hélas, certains s’en écartent déjà énormément.

M. Éric Ciotti (LR). Ces amendements visent à modifier en profondeur les dispositions introduites par le Sénat : alors que leur caractère obligatoire permettait au Parlement de reprendre possession de notre destin migratoire, vous en faites une simple faculté, dépendant du bon vouloir de l’exécutif.

Plus que jamais, les chiffres démontrent la nécessité de limiter l’immigration et d’instaurer des quotas migratoires. Je rappelle qu’en 2012, lorsque Nicolas Sarkozy a quitté l’Élysée, il y avait 2,61 millions de titres de séjour ; il y en a actuellement 3,83 millions, soit, en une décennie, une augmentation de 70 % du nombre d’étrangers présents en France de façon légale, et presque le double en y ajoutant les chiffres de l’année 2023. Cela est sans compter ceux qui sont en situation illégale, pour lesquels vous avez vous-même évoqué un chiffre avoisinant 700 000 personnes – sans doute plutôt autour de 1 million.

Par ailleurs, vous avez évoqué le rapport Mazeaud, qui pointe légitimement la question de la constitutionnalité : nous nous apprêtons à débattre, sur ce sujet, d’une proposition de loi constitutionnelle dont je serai le rapporteur, afin de contourner cet obstacle.

Mme Edwige Diaz (RN). Les Français sont 74 % à rejeter la politique du Gouvernement en matière d’immigration. L’adoption de ces amendements signifierait que la majorité dispose de la liberté d’organiser ou pas un débat sur sujet éminemment important, créant plus que 74 % de mécontents, peut-être 80 % ou 90 %. Nous considérons que ces amendements sont dangereux, car ils reviennent à prendre le risque de ne pas débattre. Les Français se demanderont ce qu’on leur cache, si les chiffres sont mauvais et doivent les alerter, si le coût de l’immigration est à ce point élevé : la suspicion sera entretenue. Le groupe du Rassemblement national considère que les Français ont le droit de savoir, parce qu’il s’agit de leur pays et de leur argent. Nous vous demandons de ne pas vous fâcher avec le débat, ni avec la démocratie, ni avec le Parlement. Nous voterons contre ces amendements identiques.

M. Erwan Balanant (Dem). Vous avez raison, monsieur Léaument, certains masques tombent, mais il ne faut pas tout mélanger. La présence de voix divergentes au sein de la majorité ne signifie pas que nous ne devons pas avoir ce débat, car il est nécessaire. Si 74 % des Français tendent à rejeter la politique migratoire en France, peut-être est-ce en raison du fait qu’aucun cadre ne lui a jamais été fixé.

Vous voulez, Monsieur Ciotti, fixer des quotas, mais admettez dans ce cas que nous avons également besoin que des étrangers s’installent dans notre pays : certains d’entre eux deviendront peut-être des citoyens qui embrasseront le destin de la France, tandis que d’autres retourneront dans leur pays, après avoir travaillé durant de nombreuses années.

Nous devons effectivement avoir ce débat, mais discutons sereinement. Or, entre les outrances de l’extrême droite et celles l’extrême gauche, nous sommes mal partis. Contrairement à ce que nous pensons, les Français ont une vision bien différente de celle que vous indiquez, madame Diaz. Ainsi, ils acceptent parfaitement que des personnes viennent travailler dans notre pays. Oui, sans doute nous faut-il revoir complètement la façon dont nous gérons ces sujets, ce qui est l’objet du texte.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Pour un État, quel qu’il soit, choisir sa politique migratoire est un acte de souveraineté. Pourquoi le contester, mes chers collègues ? Et la souveraineté n’empêche pas la solidarité, puisqu’il y a le droit d’asile. Vous citez des statistiques, madame Diaz, mais nous ne sommes pas la Sofres : nous sommes des responsables politiques. Du reste, d’après les enquêtes d’opinion, nombre de Français semblent partager les objectifs de ce projet de loi.

Monsieur Ciotti, vous dites dans la même phrase que vous êtes contre mon amendement et que vous reconnaissez l’inconstitutionnalité de l’article dans sa rédaction actuelle – vous évoquez vous-même le rapport Mazeaud. Je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 20 novembre 2003, selon laquelle il n’appartient pas au législateur d’imposer par avance au Gouvernement, ni aux instances parlementaires compétentes, de contrainte relative à l’ordre du jour de chaque assemblée.

Cet amendement ne remet pas en cause la nécessité de débattre – et je réponds ainsi à M. Delaporte. Le débat aura lieu dans les conditions prévues par l’article 50‑1 de la Constitution. Ce qui va changer, avec l’innovation proposée par le Sénat, c’est que nous débattrons désormais d’objectifs chiffrés. Il ne paraît pas inconcevable qu’un gouvernement présente ses objectifs devant le Parlement et que celui-ci en débatte, voire, le cas échéant, qu’il vote.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement s’engage à discuter chaque année d’immigration avec le Parlement. La grande nouveauté, c’est que le Gouvernement donnera désormais ses objectifs pluriannuels.

Partout où il y a des quotas, on constate une augmentation des objectifs en matière d’immigration, y compris dans l’Italie de Mme Meloni. Monsieur Ciotti, j’ai rappelé tout à l’heure que pas un pays au monde n’a fixé des quotas prescriptifs, au sens où il ne faudrait pas les dépasser. En revanche, il me paraît tout à fait sain que le Gouvernement présente devant le Parlement des quotas indicatifs, notamment dans le domaine économique et en matière de visas étudiants. Le Parlement ne peut pas s’imposer des débats à lui-même, mais le Gouvernement organisera ce débat chaque année.

La commission adopte les amendements

(Exclamations.)

Amendement CL1016 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Monsieur le président, je ne peux pas m’exprimer, à cause du brouhaha. Il y a manifestement un doute sur le résultat du vote précédent. Je suggère que nous revotions sur les deux amendements identiques.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je suis assez favorable à votre amendement, mais il pose un problème rédactionnel. Vous voulez écrire que « le débat au Parlement ne peut avoir lieu sans restitution préalable du rapport mentionné à l’alinéa précédent ». De la même façon qu’il ne peut pas s’obliger à débattre, le Parlement ne peut pas s’interdire de débattre. Je vous invite donc à retirer votre amendement et à le retravailler en vue de la séance.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Monsieur le président, j’ai levé la main pour m’exprimer sur les amendements précédents, mais vous m’avez fait signe que cinq personnes avaient déjà demandé la parole. Si j’avais pu parler, j’aurais expliqué que les députés du groupe LIOT étaient contre ces amendements. Je ne pourrai voter dans cette commission qu’à partir de demain, mais Olivier Serva et Michel Castellani ont bien voté contre.

M. le président Sacha Houlié. Je suis désolé, mais ils ont levé la main quand je demandais qui était pour.

M. Boris Vallaud (SOC). Monsieur le rapporteur général, vous dites qu’on ne peut pas exiger la transmission préalable du rapport au Parlement. Il ne vous aura pourtant pas échappé que, pour examiner certains textes financiers, il faut que des rapports aient été remis préalablement au Parlement, dans des délais très précis. On n’examine pas le projet de loi de financement de la sécurité sociale sans que l’annexe 9 ait été transmise au Parlement le vendredi précédent. Il me paraît donc tout à fait fondé en droit que le Parlement se voie remettre, avant le débat, le rapport demandé par M. Lucas.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Monsieur le président, lorsque nous avons auditionné le ministre la semaine dernière, il a fait allusion à notre passé commun dans des organisations de jeunesse. Je regrette que vous utilisiez des méthodes qui nous étaient habituelles dans les conseils nationaux quand nous voulions éviter des votes potentiellement gênants. Je pense qu’il faudrait revoter dans la transparence et le calme sur les amendements identiques. Pour ma part, j’ai tourné la page et laissé derrière moi ces pratiques, assez peu compatibles avec le nouveau monde que vous défendez.

M. le président Sacha Houlié. Monsieur Lucas, je vous félicite de reconnaître, même si c’est un peu tardif, vos tricheries au sein du Mouvement des jeunes socialistes. En ce qui me concerne, j’ai recompté deux fois et constaté que les amendements étaient adoptés.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL537 de M. Timothée Houssin

M. Timothée Houssin (RN). Je ne sais pas si je dois défendre cet amendement, compte tenu de l’incertitude qui entoure le vote sur les amendements identiques. Il se peut que nos collègues du groupe LIOT n’aient pas voté au bon moment, mais il se trouve que l’on entend très mal au fond de la salle. Dès la fin du scrutin, ils ont demandé que leur vote soit pris en compte et je regrette que cela n’ait pas été le cas. Ces députés ont été élus, tout comme vous.

Aux termes de l’article L. 123-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « chaque année avant le 1er octobre, le Gouvernement dépose devant le Parlement un rapport sur les orientations pluriannuelles de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration ». Les rapports de 2022 et 2023 n’ont pas été remis à la représentation nationale, alors qu’ils pourraient utilement éclairer nos débats.

Nombre d’amendements déposés sur l’article 1er A demandent de nouveaux rapports ou de nouvelles informations. Pour notre part, nous aimerions que les rapports annuels déjà inscrits dans la loi soient remis à la représentation nationale.

M. Florent Boudié, rapporteur général. J’émettrai un avis défavorable sur votre amendement. Le rapport de 2021 a été communiqué au Parlement. Quant au rapport de 2022, le ministre a indiqué devant le Sénat que sa publication était imminente : peut-être pourra-t-il nous en dire un mot. Je ne peux qu’inviter l’exécutif à respecter les délais de publication.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Afin de calmer les esprits, j’ai une proposition à vous faire, qui me semble de nature à mettre tout le monde d’accord. L’article 44 de notre règlement dispose que le vote par scrutin est de droit lorsqu’il est demandé par un dixième au moins des membres d’une commission. Je pense que plus d’un dixième des membres de notre commission souhaiterait que nous ayons un vote par scrutin sur les amendements identiques CL1657 et CL1541.

M. Timothée Houssin (RN). Il me semblerait effectivement utile de clarifier ce vote.

S’agissant de mon amendement, la loi dispose que le rapport annuel doit être remis au mois d’octobre. Or nous n’avons toujours pas le rapport sur 2022, alors que nous sommes en novembre 2023 ! Les rapports de 2022 et 2023 auraient dû servir de base à nos débats : il est problématique qu’ils soient publiés après l’examen du projet de loi.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ne confondons pas tout : nous ne pouvons pas vous rendre un rapport sur 2023, puisque l’année n’est même pas finie. Pour avoir des chiffres complets et validés par l’Insee, le ministère de l’intérieur doit attendre neuf mois et demi. Ce n’est pas moi qui ai fixé la date du débat sur ce projet de loi : ce sont vos assemblées. Je me suis engagé devant le Sénat à publier ce rapport avant l’examen du texte en séance publique à l’Assemblée nationale. Comme chaque année, vous l’aurez donc au plus tard le 1er décembre. Je déplore comme vous que nous n’ayons pas pu vous transmettre ces chiffres plus tôt mais, s’ils n’étaient pas validés par l’Insee, j’imagine que vous les contesteriez.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL593 de M. Olivier Serva

M. Olivier Serva (LIOT). Cet amendement est rédactionnel, mais il est important symboliquement. Le mot « métropole » désigne un État considéré par rapport à ses colonies, ses territoires extérieurs. Or les départements d’outre-mer français ne sont plus des colonies depuis 1946. Lire le mot « métropole » dans la loi ou dans des textes produits par l’Assemblée nationale est chaque fois une piqûre douloureuse, qui nous rappelle une histoire qui reste sensible. Je vous propose donc de substituer au mot « métropole » le mot « Hexagone ».

M. Florent Boudié, rapporteur général. M. le rapporteur Serva avait déposé un amendement du même ordre en mai 2023 sur la loi de programmation militaire, qui avait été adopté à l’unanimité. Avis favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable. Dans un texte qui concernera soit l’outre-mer, soit la simplification des procédures législatives, nous essaierons de remplacer le mot « métropole » par « Hexagone » dans tous les codes.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1537 de M. Philippe Brun

M. Philippe Brun (SOC). Les tribunaux administratifs sont engorgés par des référés « mesures utiles », consistant en des demandes de rendez-vous en préfecture de la part d’étrangers qui n’arrivent pas à en obtenir. Nous proposons d’inciter les préfets à augmenter le nombre de créneaux disponibles, en conditionnant leur prime de fin d’année à la capacité de leur préfecture à accorder des rendez-vous aux étrangers qui en ont besoin.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je suis favorable à votre amendement sur le fond, mais je préfère le CL971 de Mme Cécile Untermaier, dont la rédaction me paraît plus claire. Je vous invite donc à retirer votre amendement au profit du sien.

M. Boris Vallaud (SOC). Les deux amendements sont complémentaires. Nous sommes en pleine absurdie : il est plus facile de rencontrer son député que le chef de bureau du service des étrangers dans les préfectures, si bien que de nombreuses personnes saisissent les tribunaux administratifs à ce sujet.

Ce gouvernement est attaché au pilotage par les objectifs et la performance et à l’évaluation des politiques publiques. Il se trouve que, dans le corps préfectoral, une part de la rémunération de fin d’année est liée à la réalisation de certains objectifs. Nous proposons d’y ajouter le délai d’attente au service des étrangers. Je suis sûr que l’introduction de ce bonus-malus va susciter des tas de nouvelles idées organisationnelles.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Vallaud, vous avez parfaitement raison et cette donnée est déjà prise en compte dans leur rémunération. Je souligne que ce service public se porterait mieux si vous n’aviez pas supprimé 4 000 équivalents temps plein (ETP) dans les préfectures en cinq ans. N’hésitez pas à soutenir les augmentations d’effectifs que nous avons décidées pour la première fois en vingt ans.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le groupe GDR votera cet amendement, qui est beaucoup plus incitatif que le CL971, puisqu’il concerne la prime des préfets.

Le temps d’attente dans les préfectures est indigne, particulièrement dans les services réservés aux étrangers. Au moment de la crise sanitaire, des gens qui étaient régularisés depuis des années ont perdu leur travail ou leurs prestations sociales pendant plusieurs mois, parce qu’ils n’ont pas pu avoir de rendez-vous. Ces situations sont moins nombreuses qu’à la fin de la crise sanitaire, mais il y en a toujours. Dans certains départements, il faut attendre deux, trois, voire quatre ans pour qu’un dossier de naturalisation commence à être instruit. Ce n’est pas acceptable, ne serait-ce que du point de vue de l’efficacité de nos services publics. Conditionner la prime de fin d’année des préfets à l’obtention de résultats en la matière est une bonne idée.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il fallait voter la Lopmi ! Nous y avons voté des crédits pour l’administration territoriale et les préfectures comme jamais depuis vingt-cinq ans – près de 900 millions d’euros. Rien que pour les services des étrangers, 400 ETP vont être créés et ces créations de postes sont la première réponse au problème.

La deuxième, c’est l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef), qui a été créée en 2021 et corrigée à la suite d’une décision du Conseil d’État.

La troisième nous vient du Sénat : c’est l’instruction à 360 degrés. L’idée est d’examiner, dès la première demande, tous les titres de séjour auxquels une personne peut prétendre, compte tenu de sa situation.

Nous ne négligeons pas le problème soulevé par votre amendement, mais je répète que l’amendement de Cécile Untermaier me semble préférable.

La commission rejette l’amendement.

M. Yoann Gillet (RN). Je demande la parole pour un point de règlement.

M. le président Sacha Houlié. Vous pouvez prendre la parole pour défendre l’amendement CL325 de Mme Diaz.

M. Yoann Gillet (RN). Je demande que l’on applique l’article 44 de notre règlement sur l’ensemble des amendements de ce projet de loi.

M. le président Sacha Houlié. Je ne reviendrai pas sur ce vote. Je vous invite à défendre votre amendement. Sinon, il sera considéré comme non soutenu.

Mme Edwige Diaz (RN). Monsieur le président, je ne comprends pas pourquoi vous refusez d’appliquer l’article 44.

M. le président Sacha Houlié. Je vous invite à défendre votre amendement et à cesser de contester les règles en permanence.

Mme Edwige Diaz (RN). C’est vous qui les violez, monsieur le président !

M. le président Sacha Houlié. Très bien, l’amendement CL325 n’est donc pas défendu.

Amendement CL223 de Mme Sophie Blanc

Mme Sophie Blanc (RN). Nos collègues ont demandé l’application de l’article 44, qui dispose que le vote par scrutin est de droit lorsqu’il est demandé par un dixième au moins des membres d’une commission.

M. le président Sacha Houlié. Les membres du groupe Rassemblent national sont cinq : ils ne représentent pas 10 % des membres de la commission. Du reste, il faut demander un vote par scrutin avant l’examen des amendements. Je ne reviendrai pas sur le vote qui a déjà eu lieu.

M. Yoann Gillet (RN). Nous demandons un vote par scrutin sur l’ensemble des amendements du texte !

M. le président Sacha Houlié. Vous n’êtes pas assez nombreux.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CL223.

Amendement CL348 de Mme Olga Givernet

Mme Caroline Abadie (RE). Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements CL349, CL350 et CL351 de ma collègue Olga Givernet, qui se soucie du fait que trop de femmes dans le monde soient privées du droit à l’éducation. Alors que l’éducation est essentielle pour la construction et l’émancipation de chacun, les restrictions d’accès que subissent les femmes dans certains pays, comme l’Afghanistan ou le Niger, ont un impact dramatique sur leur vie et entraînent souvent une assignation à domicile, voire un mariage forcé.

Avec l’amendement CL348, nous demandons que le rapport intègre des chiffres sur les demandes de visas étudiants accordés ou refusés en fonction du genre, et qu’il précise si les demandeurs subissent des discriminations d’accès à l’enseignement dans leur pays ; avec le CL349, qu’il précise le nombre de réfugiés ayant repris une formation scolaire ou accédé au marché du travail, selon leur genre ; avec le CL350, qu’il indique le nombre de mineurs isolés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), en fonction du genre ; avec le CL351, qu’il intègre, globalement, la dimension éducative et l’égalité des genres.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Lorsqu’il dépose sa demande de visa, l’étudiant ne mentionne, comme seul motif, que sa volonté d’entamer des études à l’étranger. Il ne détaille pas les raisons, éventuellement intimes, qui le poussent à faire ce choix. Pour cette raison – et pas sur le fond –, j’émettrai un avis défavorable sur votre amendement CL348.

Quant aux trois autres, qui concernent tous la question du genre, je vous invite à les retirer, au bénéfice de l’amendement CL1108 de notre collègue Céline Calvez, qui, mieux placé au sein de l’article 1er A, demande de détailler, pour chacune des dispositions du rapport, le nombre d’hommes et de femmes concernés.

Les amendements CL348, CL349, CL350 et CL351 de Mme Olga Givernet sont retirés.

Amendement CL971 de Mme Cécile Untermaier

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’amendement de Philippe Brun est différent du mien. Pour que notre débat annuel soit intéressant, il importe que le rapport ne contienne pas seulement des chiffres, mais aussi des données qualitatives. Il faut que nous sachions précisément ce que fait l’État et quelles sont les capacités d’accueil des préfectures. Lorsque les étrangères trouvent porte close, cela a évidemment un impact sur le nombre de dossiers déposés. Par ailleurs, la dématérialisation des démarches peut créer des difficultés. La Défenseure des droits indique qu’un recours contentieux est parfois nécessaire pour obtenir l’accès au guichet préfectoral. Qu’il soit dématérialisé ou non, il importe que le guichet préfectoral soit en mesure de répondre à la demande de personnes qui ont besoin de faire valoir leurs droits.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis favorable. Peut-être pourrons-nous encore améliorer cet amendement d’ici la séance.

M. Erwan Balanant (Dem). Le groupe Démocrate soutiendra cet amendement. Chacun sait qu’il est compliqué d’obtenir un rendez-vous en préfecture : cette difficulté augmente les délais, les contentieux et, finalement, le malheur des gens, qui n’obtiennent pas leurs papiers dans les temps.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cet amendement est très intéressant. Il montrera que le discours officiel, selon lequel les étrangers sont accueillis dignement en France, est démenti par la réalité. Il montrera aussi que la philosophie de ce projet de loi, surtout depuis son passage au Sénat, est bien de rendre la vie absolument impossible aux étrangers qui auraient l’idée de venir en France. Les délais très longs et le manque de moyens d’accueil créent, de facto, des sans-papiers.

Mme Annie Genevard (LR). Je trouve que ces amendements remettent implicitement en cause le préfet et les services préfectoraux, qui font pourtant leur travail avec le plus grand sérieux. Plutôt que d’augmenter sans cesse les moyens dédiés à l’accueil des étrangers, peut-être faudrait-il changer de paradigme et réduire l’immigration dans notre pays.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’aimerais dire un mot du fonctionnement des préfectures, qui est une question essentielle, même si elle est d’ordre réglementaire. Les difficultés que nous constatons toutes et tous, et qui peuvent effectivement placer des personnes en situation irrégulière, ont plusieurs causes. Il y a d’abord la baisse des moyens accordés aux préfectures, que nous commençons à rattraper. Mais comme nous ne sommes que dans la première année d’application de la Lopmi, il faudra un peu de temps. La deuxième difficulté, c’est la complexité du droit des étrangers, qui compte plus de 180 titres de séjour. Pour l’agent de préfecture, ce n’est pas facile de s’y retrouver. C’est pourquoi je vous invite par avance à soutenir l’excellente mesure adoptée au Sénat, sur une proposition du président Buffet, d’instruction à 360 degrés.

Aujourd’hui, lorsqu’un étranger se voit refuser un titre de séjour dans une préfecture, il peut déposer une nouvelle demande dans le même bureau pour un autre titre de séjour. Cela retarde le moment de son expulsion ou de son éloignement, mais aussi, le cas échéant, la délivrance de son titre de séjour. Si vous votez la disposition proposée par M. Buffet, l’agent de la préfecture pourra désormais examiner d’un seul coup tous les titres de séjour auxquels l’étranger peut prétendre. Cela va beaucoup fluidifier les choses.

Ce texte, et certains des amendements dont il fait l’objet, prévoient d’autres mesures de simplification, notamment sur le lien entre autorisation de travail et carte de travail. En ne dissociant plus ces deux actes administratifs, on gagnera aussi du temps.

Enfin, à partir de l’année prochaine, nous changerons de paradigme dans les préfectures. Nous privilégierons désormais le titre pluriannuel : une personne qui remplira toutes les conditions –  réussite à son examen de français, casier judiciaire vierge, engagement à respecter les valeurs de la République – se verra remettre un titre pluriannuel, renouvelable automatiquement – sauf s’il a un problème judiciaire, ce dont le préfet sera informé. À l’heure actuelle, on accorde peu de titres pluriannuels et beaucoup de titres qu’il faut renouveler régulièrement, y compris à des gens qui sont là depuis vingt ou trente ans et qui ne posent aucun problème. Je reconnais qu’il y a un manque de moyens, notamment dans les préfectures les plus rurales, mais il y a aussi un problème d’organisation, même si l’Anef a déjà beaucoup fluidifié les choses. Je suis favorable à votre amendement, qui pourra effectivement être amélioré en séance.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL513 de M. Timothée Houssin

M. Timothée Houssin (RN). Nous demandons que le rapport précise le nombre estimé de personnes se maintenant sur le territoire après le rejet ou le non-renouvellement de leur titre de séjour.

L’arrivée illégale de migrants en France et en Europe, souvent par bateau, est très médiatisée – même si l’on manque à son sujet de données précises. Mais l’immigration illégale ne se résume pas à cela. En 2005, déjà, une commission a mis en avant la part des étrangers qui se maintenaient sur le territoire français après expiration de leur titre de séjour. Un certain nombre d’étrangers présents en France y sont entrés grâce à des visas et à des titres de séjour de courte durée et y sont restés, malgré le non-renouvellement de ces titres.

Par définition, un titre de séjour est temporaire. Depuis six ans, la Macronie a délivré 1,6 million de premiers titres de séjour : que sont devenues les personnes qui en ont bénéficié ? Ce pan de l’immigration illégale est assez peu documenté. Or il nous intéresse, comme il intéresse les Français.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Le Gouvernement et la majorité n’ont rien à cacher. On ne peut effectivement qu’estimer le nombre de personnes en situation irrégulière, et cette estimation figurera dans le rapport. Nous disposerons, dans quelques jours, d’un rapport sur l’aide médicale de l’État, dont on estime qu’elle n’est utilisée que par 50 % environ de ses bénéficiaires potentiels : cela nous donnera une idée du nombre de personnes en situation irrégulière. Je suis défavorable à votre amendement, non pas parce que je pense que cette estimation devrait être masquée, mais parce qu’il me paraît inutile. Et cet avis vaudra pour d’autres amendements demandant davantage de précisions dans le rapport : à ce rythme, il va bientôt falloir créer des ETP pour rédiger le rapport qui sera remis au Parlement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Votre demande, bien que légitime, est impossible à satisfaire. Et, lorsqu’elle le sera en partie, ce ne sera pas grâce à vous.

Vous demandez que l’on compte les gens qui quittent le territoire national, soit volontairement, soit parce qu’ils en ont été refoulés. Or c’est impossible, puisqu’il n’y a plus de frontières dans l’espace Schengen : lorsque des gens qui font l’objet d’une OQTF quittent la France et entrent en Belgique ou en Allemagne, on ne les comptabilise pas.

Ce que nous avons introduit, dans le cadre du pacte migratoire européen, c’est le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (Etias). Désormais, tous les étrangers qui arriveront en Europe seront enregistrés dans un fichier interconnecté, auquel toutes les polices de l’Union européenne auront accès. Il se trouve que le Rassemblement national, au Parlement européen, a voté à la fois contre Eurodac, la base de données qui recense toutes les personnes étrangères sur le territoire européen, et contre Etias, qui donnera les moyens à nos polices européennes d’identifier ces personnes. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Le groupe Renaissance votera contre cet amendement. À notre collègue Houssin, je rappelle que c’est l’État français – et non la Macronie – qui délivre les titres de séjour, dans le respect des lois qui régissent notre République. Nous avons manifestement une différence d’approche sur le fonctionnement de notre État : le Président de la République et les membres de la majorité n’ont pas le pouvoir de répondre par oui ou par non à telle ou telle demande, ce que, visiblement vous aimeriez pouvoir faire en dehors de tout respect de l’État de droit

M. Timothée Houssin (RN). Vous confirmez deux informations importantes que nous avions déjà : vous êtes favorables au pacte migratoire européen ; vous ne remettez pas en cause les évaluations récentes du nombre de clandestins, bien supérieures aux précédentes qui étaient élaborées à partir de l’aide médicale de l’État (AME).

Contrairement à vous, nous sommes contre ce pacte migratoire qui consiste à répartir dans nos campagnes et dans celles d’autres pays européens, des migrants arrivés ailleurs. À l’occasion des élections européennes, les électeurs auront la possibilité de dire s’ils sont favorables ou non à ce texte.

S’agissant des statistiques, le rapporteur général estime notre demande légitime, tout en expliquant qu’il est inutile de préciser dans le texte que ces chiffres seraient fournis. Il ne faudrait pas que les chiffres soient facultatifs dans le rapport, tout comme le débat vient d’être rendu facultatif à l’Assemblée à la faveur d’un amendement adopté il y a quelques minutes. Pour notre part, nous préférons que ce soit mentionné explicitement. Cela étant, vous avez raison sur un point, monsieur le ministre : il ne s’agira que d’estimations, ce qui est d’ailleurs problématique.

M. Gérald Darmanin, ministre. Rappelons que Mme Meloni, votre amie, est favorable au pacte migratoire européen. (Exclamations.)

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL551 de Mme Béatrice Roullaud

Mme Edwige Diaz (RN). Pour enrichir le rapport annuel sur l’immigration remis au Parlement, nous demandons d’y ajouter le nombre des demandes formées au titre des procédures de réunification familiale et de regroupement familial.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet amendement est satisfait : ces chiffres figurent déjà dans le rapport annuel remis au Parlement, ainsi que dans le rapport d’activité de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL175 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Même si j’aurai du mal à vous convaincre au vu de nos présupposés respectifs – il est d’ailleurs sain, dans une démocratie, de confronter des points de vue et des idées –, il me semble que la Défenseure des droits, autorité institutionnelle, devrait vous inspirer.

Dans l’avis qu’elle nous a transmis il y a quelques jours, on peut lire : « Ces quotas ne seraient pas contraignants concernant l’immigration familiale, mais définir des objectifs chiffrés concernant ce motif d’immigration pourrait inciter les administrations à opposer des refus illégaux pour remplir lesdits objectifs. […] Une telle mesure ne paraît pas être de nature à lutter contre l’immigration illégale. » C’est peut-être plus simple quand c’est Mme Meloni et non pas la Défenseure des droits qui le dit. Cette dernière ajoute : « Au contraire, limiter l’accès aux voies régulières d’immigration ne peut que favoriser le développement des voies illégales contre lesquelles le projet de loi entend lutter, ainsi que le détournement des visas de court séjour. Par ailleurs, ces quotas seraient contraignants concernant les autres motifs d’admission en France. Cela concernerait notamment les travailleurs, les étudiants, et les personnes sollicitant un visa à titre humanitaire, à l’exception des demandeurs d’asile ». Et de mettre en garde contre cette « politique du chiffre » qui « risque de produire des effets inverses à ceux qui sont affichés ».

M. Florent Boudié, rapporteur général. Même si j’aime beaucoup votre argumentation, je vais m’en tenir à l’amendement qui tend à supprimer l’alinéa 7, c’est-à-dire l’indicateur du nombre d’étrangers admis aux fins d’immigration de travail. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL358 Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Nous souhaitons savoir combien de personnes, arrivées régulièrement sur le territoire national lorsqu’elles ont été recrutées par un employeur, s’y maintiennent à l’expiration de leur titre de séjour.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Généralement, quand une personne se maintient sur le territoire à l’issue de son contrat de travail, elle n’appelle pas la préfecture pour le signaler. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL221 de Mme Sophie Blanc

Mme Sophie Blanc (RN). Si l’accueil et la formation d’étudiants étrangers font partie de la politique de rayonnement international de la France, lesdits étudiants ont vocation à retourner dans leurs pays respectifs à l’issue de leurs études. Il est par conséquent nécessaire d’ajouter aux données figurant dans le rapport mentionné dans cet article, un indicateur permettant de s’assurer que les refus de renouvellement de visas et titres de séjour « étudiant » ne sont pas suivis de la délivrance d’un visa ou d’un titre de séjour fondé sur un autre motif.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Votre demande est légitime, mais redondante avec l’alinéa 4 tel que précisé par le groupe socialiste du Sénat. Demande de retrait.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Ces étudiants viennent pour étudier et ressortent de l’université avec un diplôme. Alors que vous voulez une immigration choisie assortie de quotas, vous voulez vous assurer que ces gens formés repartent ! Où est-on ? Manifestement, Mme Meloni est très molle, mais, même selon vos principes abjects, la mesure proposée est d’une irrationalité totale.

M. Arthur Delaporte (SOC). Merci de rappeler que le groupe socialiste a fait adopter au Sénat un amendement visant notamment à mettre en lumière la situation d’étudiants dont le visa a été accordé, puis rejeté en raison de votre politique consistant à leur faire payer les frais de scolarité. Il en résulte une inégalité croissante entre les étudiants : seuls ceux qui peuvent payer des frais de scolarité exorbitants sont désormais accueillis, ce que nous déplorons. Contrairement à vous, monsieur le rapporteur général, j’estime que l’amendement de nos collègues du Rassemblement national est illégitime car il postule que les étudiants accueillis n’ont pas vocation à rester en France à la fin de leurs études – ce que vient de souligner Mme Rousseau. Or, certains d’entre eux souhaitent rester et devraient pouvoir le faire, ne serait-ce qu’au nom de la stratégie gouvernementale baptisée « Bienvenue en France. ».

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’amendement portait sur les refus de renouvellement du visa étudiant, une demande tellement légitime qu’elle est identique à celle des sénateurs socialistes. De grâce, monsieur Delaporte, attendez la séance pour les arguments politiciens : il n’a jamais été délivré autant de visas étudiant que sous notre majorité. Au cours des débats à venir, nous aurons d’ailleurs souvent à répondre à l’extrême droite que les études sont désormais le premier motif d’immigration en France. Nous en sommes très fiers, et notre objectif ambitieux, rappelé par le Président de la République, est d’octroyer quelque 500 000 visas étudiant à l’horizon de 2027, contre 108 000 en 2022. Ces étudiants sont une chance pour notre pays.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL354 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Toujours dans le même registre, nous voulons que le rapport mentionne la durée moyenne des études réalisées en France par des étrangers. Est-ce qu’ils redoublent ou triplent une année ? Quand ils ont redoublé deux fois la première année, se dirigent-ils vers une autre filière ? Sortent-ils avec un diplôme ? Il n’y a pas lieu d’être gêné par le sujet. Il est normal que la représentation nationale connaisse ces informations sur le parcours des étrangers qui ont la chance de venir étudier dans notre pays parce que les cours y sont de qualité.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Relisez l’alinéa 4, chère collègue, il comporte déjà la donnée que vous demandez d’ajouter. S’agissant du redoublement, il existe des dispositions dans le Ceseda. Les ignorez-vous ? On regarde évidemment si l’étudiant poursuit ses études avec une certaine assiduité – nous aurons d’ailleurs à débattre des propositions du Sénat qui souhaiterait des vérifications plus poussées. Reportez-vous aux textes existants et n’assimilez pas les visas étudiant à une trappe à irrégularités, ce qu’ils ne sont pas du tout.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Madame Diaz, quand on aime la France et l’université française, on aime les étudiants internationaux, qui sont une source de rayonnement considérable pour notre pays. Nous devrions être fiers que la France soit choisie en dépit de l’image que donne à travers le monde la progression de Mme Le Pen, votre présence en nombre à l’Assemblée nationale et les défilés de néonazis dans nos rues. Malgré cela, il reste des gens qui aiment la France au point de vouloir venir y étudier. C’est une fierté pour nous, un facteur favorable à notre rayonnement et à notre influence à travers le monde.

Fichez donc la paix à ces étudiants étrangers qui réussissent mieux que les autres, comme le montrent des études sérieuses. Si on s’en tient à des critères économiques et à vos petits tableaux comptables, on voit qu’ils rapportent même de l’argent. Pour une fois, vous n’avez pas demandé : combien ça coûte ? Les étudiants internationaux rapportent 1,35 milliard d’euros de bénéfice net à notre pays chaque année. Même vous, vous devriez comprendre qu’ils sont formidables !

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Pourquoi le Rassemblement national demande-t-il tous ces chiffres sur les étudiants étrangers ? Ce n’est sûrement pas pour alimenter un débat rationnel et apaisé sur l’immigration. Quels que soient ces chiffres, il cherchera à les instrumentaliser et à les dévoyer.

Tous ces amendements sous-entendent de manière évidente que ces personnes ne viennent pas pour étudier, mais pour profiter du système français, comme ils disent. Cette suspicion généralisée vis-à-vis des étrangers qui viennent sur notre territoire révèle une vision très triste de l’histoire humaine qu’est l’immigration et aussi de l’université, lieu de rencontres internationales. Comme mon collègue Lucas, je pense que de très nombreux étudiants étrangers ont plutôt tendance à vouloir défier les étudiants français, qu’ils sont une chance pour l’université. Nombre d’universitaires pourraient vous le confirmer. Mais, décidément, les universitaires et les chercheurs, ce n’est pas votre truc.

Mme Edwige Diaz (RN). Les étrangers qui rentrent dans leur pays après avoir étudié dans nos universités contribuent évidemment au rayonnement de notre pays, et nous en sommes fiers. Vous semblez cependant ignorer que ce statut peut être dévoyé. Si vous êtes aussi sûrs qu’il ne l’est pas, chers collègues d’extrême gauche, votez pour cet amendement : cela évitera d’entretenir une suspicion. En disant que les étudiants étrangers réussissent mieux que les étudiants français, vous faites aussi preuve d’un mépris incroyable envers ces derniers, qui se débattent dans des conditions très difficiles de précarité grandissante. Vos propos sont particulièrement déplacés. Enfin, je m’étonne que vous ne voyiez les étudiants que par le prisme économique, en calculant ce qu’ils rapportent aux universités. Il est assez surprenant d’entendre l’extrême gauche se compromettre en avançant des arguments capitalistes.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1225 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert

M. Guillaume Vuilletet (RE). Il y a vingt ans, j’avais rédigé un rapport pour le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur la mobilité internationale des étudiants. À l’époque, rue de Fleurus, il y avait une agence, financée par les industries nord-américaines, qui essayait de recruter les nouveaux diplômés étrangers auxquels nous demandions de rentrer dans leur pays. Les gens de cette agence guettaient les fins d’année et les remises de diplômes de master, afin de trouver des salariés pour les industriels américains et canadiens. Même à cette époque, je me disais que nous étions bien bêtes de subventionner les industries nord-américaines, en leur fournissant des salariés dont la formation avait coûté 60 000 euros et dont nous aurions pu avoir besoin. Le raisonnement est toujours valable. Qui, par exemple, pourrait faire fonctionner notre système de santé sans étudiants étrangers ? Ni moi, ni personne.

En l’occurrence, l’amendement de notre collègue Meynier-Millefert tend à faire en sorte que ce fameux rapport, destiné à orienter nos politiques migratoires, puisse aussi nous renseigner sur les conséquences des catastrophes naturelles et climatiques sur les flux de demandeurs de visa.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je comprends l’idée, mais il n’existe pas de titre de séjour correspondant aux cas que vous visez : le changement climatique et les catastrophes naturelles. Dans quelques instants, j’émettrai un avis favorable à un autre amendement notre collègue Meynier-Millefert, visant à nous inciter à définir les migrations climatiques, le cas échéant issues de catastrophes naturelles. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable pour le présent amendement.

L’amendement est retiré.

Amendement CL482 de M. Sébastien Chenu

M. Yoann Gillet (RN). Cet amendement concerne les mineurs non accompagnés (MNA). Outre qu’ils ne sont pas toujours mineurs – c’est même loin d’être toujours le cas –, ils sont surreprésentés dans les faits de délinquance – en 2020, ils sont à l’origine de 80 % des déferrements de mineurs à Paris –, et ils coûtent un pognon de dingue, comme dirait l’autre, au contribuable – quelque 50 000 euros par an et par personne aux conseils départementaux. Cet amendement vise à dire les choses telles qu’elles sont : les renommer « clandestins mineurs », tout en sachant qu’ils ne sont pas toujours mineurs.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Quand j’ai pris connaissance de cet amendement hier soir, j’ai pensé que vous vouliez manier l’humour – une forme de tradition, si j’ose dire, dans votre organisation politique. Vous assimilez tous les mineurs étrangers à des clandestins. Or nous devons protection aux mineurs : la question de la régularité de leur présence sur le territoire ne se pose pas ; ils ne peuvent pas être clandestins. Il peut y avoir des personnes majeures, se prétendant mineures, qui sont en situation irrégulière sur notre territoire. Nous aurons à revenir sur ce type de cas. Mais un mineur clandestin, cela n’existe pas. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La lecture de cet amendement a de quoi heurter, et le mot est faible : on n’a pas beaucoup mieux dans le genre crasse. Pour vous, députés du Rassemblement national, les enfants étrangers ne sont pas avant tout des enfants. Vous voyez d’abord l’étranger avant de voir l’être humain ou l’enfant à protéger. Je pourrais vous citer la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), les traités internationaux que nous avons signés, le droit d’asile et la Convention européenne des droits de l’homme. Vous vous en fichez complètement, estimant que tout cela est à bazarder. Pourtant, c’est ce qui nous permet de tenir bon sur certains principes et sur notre humanité – encore un terme un peu compliqué pour vous.

Si nous les appelons MNA, c’est parce que nous les voyons d’abord comme des enfants à protéger. Non, il n’y a pas de mineurs clandestins : à partir du moment où ils sont mineurs, la question de leur régularité ou de leur irrégularité ne se pose pas ; ils sont à protéger, comme tous les enfants. Vous ne cessez de revenir à la charge pour savoir combien ces enfants coûtent à l’État français. Pour ma part, je ne me demande même pas combien vos enfants coûtent à l’État français. Il ne faut pas envisager les choses de cette manière, mais faire en sorte d’emmener les enfants, même les vôtres, vers le meilleur.

M. Erwan Balanant (Dem). J’aimerais rester modéré et ne pas qualifier cet amendement d’abject, mais il est tout simplement ignoble. Il serait plus juste de parler d’enfants non accompagnés pour signifier ce que nous voulons sur le plan humain, mais nous perdrions en précision juridique. Dans notre pays, on protège les enfants. Le rôle des adultes et de la puissance publique est de protéger les plus faibles, catégorie dont font partie nos enfants. Votre amendement est inique, et tellement révélateur… Vous ne vous posez même pas la question de savoir ce qu’est un mineur, comme l’a souligné Mme Faucillon, vous le voyez comme un clandestin, un étranger. Dès lors il est mauvais, c’est ontologique à sa qualité d’étranger. Nous voterons évidemment contre cet amendement abject.

M. Charles de Courson (LIOT). Dans mon département, nous avons actuellement 240 MNA, dont 80 % ne seraient pas mineurs si l’on en juge par les tests osseux effectués. En fait, nous sommes confrontés à un problème d’organisation administrative, puisque les départements ne sont responsables que des mineurs, l’État étant compétent pour les autres. Il faut unifier tout cela, et, en toute logique, faire en sorte que l’État soit compétent pour tous, ce qui éviterait les bisbilles avec les départements. L’État pourrait passer des conventions avec les départements pour la prise en charge de ces jeunes. Je vous rappelle qu’un département comme la Marne, qui représente environ 1 % de la population française, accueille 240 MNA. Le prix de journée dans les foyers de l’enfance s’élevant à 171 euros, cet accueil coûte donc environ 5 000 euros par mois et 60 000 euros par an pour chaque mineur. Lorsqu’on découvre qu’un mineur est majeur, l’État rembourse un montant qui n’est pas du tout représentatif du coût pour le département. Pour sortir de cette mauvaise organisation administrative, nous devrions adopter un amendement donnant à l’État la responsabilité de l’ensemble, mineurs comme majeurs. Nous aurions alors une unité de commandement, si je puis dire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL107 de M. Grégoire de Fournas

Mme Edwige Diaz (RN). Le coût de prise en charge des MNA explose, allant de 40 000 à 100 000 euros par an, selon les estimations. Le statut de MNA étant particulièrement avantageux, il est souvent dévoyé, comme l’expliquait récemment un député LR, ancien président du conseil départemental de Seine-et-Marne : « Des étrangers en situation irrégulière se prétendent souvent mineurs et isolés afin de bénéficier de ce statut très protecteur. »

Soucieux de la préservation de l’argent du contribuable, nous vous avons proposé, il y a quelques semaines, de rendre obligatoire un test radiologique pour distinguer entre les mineurs qui doivent bénéficier de l’aide sociale à l’enfance et les fraudeurs qui doivent en être exclus. Nous vous demandons d’être respectueux de l’argent des Français et de faire apparaître dans ce rapport les départements qui ne souhaitent pas faire évaluer la minorité des prétendus MNA. Rappelons qu’en 2021, la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine avait suspecté des prises en charge indues en assistance éducative dans le département de la Gironde. J’espère que votre souci de l’argent du contribuable vous conduira à voter pour cet amendement de bon sens.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Les données que vous demandez sont déjà connues, tout comme le coût de la prise en charge des MNA qui fait l’objet de votre amendement suivant. J’émets donc un avis défavorable aux amendements CL107 et CL108.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous voterons évidemment contre cet amendement, le premier d’une longue série d’amendements racistes et révélateurs de ce qu’est l’extrême droite. Vous ne voyez ces enfants que comme des étrangers, alors qu’ils doivent être avant tout protégés en vertu des lois de ce pays. Quand il s’agit d’exploiter, le signataire de cet amendement ne regarde d’ailleurs pas s’il a affaire à des adultes, des mineurs ou des étrangers. M. de Fournas ferait mieux de s’occuper des travailleurs qu’il a exploités sur son exploitation viticole en Gironde, plutôt que de s’attaquer à ces enfants qui ont subi des catastrophes et qui demandent à être protégé par l’État.

M. Ludovic Mendes (RE). Il est assez drôle de voir les députés du Rassemblement national revenir sur ce thème, après avoir essayé de systématiser les tests osseux dans une proposition de loi déposée dans le cadre de leur niche parlementaire. Nous avions tous rejeté cette idée, d’autant que la fiabilité de ces tests est contestée par le corps médical et les experts internationaux.

Vous citez la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine, madame Diaz, mais vous oubliez de faire état d’une recommandation de la Cour des comptes : tous les départements devraient utiliser le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM), créé par l’État pour éviter qu’un faux mineur ne s’adresse à un deuxième département une fois qu’il a été débouté dans le premier. Vous pourriez nous aider à faire en sorte que soient appliquées les mesures adoptées pour que le système ne soit pas dévoyé, pour le bien des mineurs et des départements. Vous ne le faites pas, tout à votre volonté de faire croire que tout MNA est un danger potentiel et n’est pas un mineur. Le fichier AEM tend à contrer vos arguments essentiellement financiers. La Cour des comptes doute d’ailleurs de la fiabilité de ses propres chiffres, puisqu’il est impossible de démontrer que la majorité de ces MNA sont en réalité majeurs.

Tous vos arguments peuvent être retournés contre vous, comme ils l’ont été lors des débats que nous avons eus sur les textes présentés dans le cadre de votre niche parlementaire. Puisque vous revenez à la charge, nous continuerons à démonter vos arguments un par un, sans pour autant vous traiter de raciste. Nous voulons montrer que votre démagogie ne sert strictement à rien.

M. Éric Ciotti (LR). Chers collègues de la majorité, je mesure à quel point ce débat vous gêne, le Gouvernement faisant preuve d’une totale passivité face à une situation qui ne cesse de s’amplifier. Il y a sans doute 40 000, voire 50 000 personnes pudiquement qualifiées de MNA, au mépris de la réalité, dans notre pays. Dans mon département des Alpes-Maritimes, le nombre d’arrivées de ces pseudo-mineurs – dont beaucoup sont majeurs – a augmenté de 50 % en 2023. Quelque 1 000 mineurs supposés sont placés dans des structures de protection de l’enfance, au risque d’asphyxier ces dernières, ce qui va coûter 40 millions d’euros au département en 2023.

Ce sujet devrait relever de la politique migratoire et donc de l’État, du Gouvernement. Lors du congrès de l’Assemblée des départements de France (ADF), la Première ministre a donné quelques signes en faveur d’une meilleure prise en charge financière, mais on ne mesure pas de la gravité de la situation.

Soyons lucides : nous avons affaire à des filières migratoires, aux mains de passeurs, qui dévoient la protection des mineurs comme elles ont déjà dévoyé la notion d’asile. De nouvelles filières de traite d’êtres humains s’organisent pour exploiter ce filon de la protection de l’enfance. Pourquoi, monsieur le ministre, n’y a-t-il pas une action diplomatique ? Dans le département des Alpes-Maritimes, les MNA les plus nombreux viennent de Côte d’Ivoire. Pourquoi ce pays, organisé et structuré, ne prend-il pas en charge ces enfants ? Pourquoi ces enfants ne sont-ils pas immédiatement reconduits vers leur famille depuis leur pays de destination ? Voilà ce qui serait faire preuve d’humanité.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous avons un devoir d’humanité et de protection à l’égard des MNA, ce qui ne doit pas nous empêcher de nous poser la question de la réalité de leur minorité et celle du coût de leur prise en charge.

Cela étant, nous sommes face à un cavalier législatif, comme l’a admis le Sénat et comme vous le savez parfaitement, monsieur Ciotti : c’est l’autorité judiciaire et non la préfecture qui peut reconduire des mineurs dans leur pays d’origine ; c’est le juge judiciaire qui ordonne le placement de MNA. Le préfet, quant à lui, peut faire des mises à l’abri. Il n’en demeure pas moins que nous devons nous pencher sur l’efficacité de notre politique judiciaro-diplomatique. Un mineur peut, en effet, retourner dans son pays d’origine quand une décision de justice établit qu’il y a de la famille et qu’il peut y être éduqué. Le Gouvernement marocain a signé une convention avec le ministre de la justice au sujet des MNA marocains. Vous citez d’autres pays que ceux du Maghreb, ce qui incite à penser que des améliorations peuvent être apportées par tel ou tel pays.

Ceux qui se prétendent mineurs le sont-ils réellement ? En bon connaisseur de cette question, monsieur Ciotti, vous savez que personne n’a trouvé la martingale, pas même les gouvernements de votre tendance politique. Puisque les tests osseux ne permettent pas toutes les identifications, je ne saurais trop vous recommander d’adopter ce texte, qui prévoit la coercition pour les prises d’empreintes, ce qui ouvre un possible accès à un état civil. Vous nous expliquez que les plus nombreux MNA arrivant dans votre département sont des Ivoiriens. En réalité, les migrants qui passent par Lampedusa, avant de traverser l’Italie pour arriver à Menton, revendiquent une nationalité qui n’est pas vérifiée. Ce sont des nationalités revendiquées et non vérifiées. La première chose à faire est donc de vérifier l’identité, sachant qu’un pays – et a fortiori un juge – ne renverra pas une personne vers un pays dont elle n’aurait pas la nationalité. Pour la première fois, nous proposons d’utiliser la coercition pour les prises d’empreintes, afin de vérifier l’identité des personnes étrangères, sachant que les tests osseux ne sont pas totalement fiables, même s’ils devraient être généralisés.

En ce qui concerne la vérification de la minorité, le ministère de la justice conduit des expérimentations intéressantes en Gironde – d’aucuns ont évoqué les difficultés que ce département rencontre dans ce domaine, mais il n’est pas le seul. Les policiers et les gendarmes dressent ce que l’on appelle des procès-verbaux de majorité ou de minorité, lesquels ne sont pas contestés par le procureur de la République dans 97 % des cas. Pourquoi est-ce aussi important ? Si la personne est considérée comme majeure, elle dépend de l’autorité du préfet et peut faire l’objet d’une reconduite administrative. S’il s’agit d’un mineur, son cas relève de l’autorité judiciaire.

J’en viens aux responsabilités financières respectives de l’État et des départements, question soulevée par MM. Ciotti et de Courson. Sans remettre en cause l’accueil des MNA, monsieur de Courson, vous estimez que ce n’est pas aux départements mais à l’État de le financer. Il est vrai qu’un grand débat se profile entre les collectivités locales et l’État. Rappelons que de nombreux départements n’ont pas joué le jeu pendant très longtemps. Il aura fallu attendre la loi relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, pour obliger la moitié des départements – et non des moindres – à adopter le fichier AEM. Je pense ici à la ville de Paris, par exemple, qui a pourtant beaucoup de MNA sur son territoire. Quatre-vingt-six départements disposent désormais de ce fichier, ce qui permet une plus grande efficacité de l’État. Les quelques départements qui refusent encore d’y recourir pour des raisons idéologiques y seront prochainement contraints par décret.

Combien y a-t-il de MNA sur notre territoire ? Entre 40 000 et 50 000, dites-vous, monsieur Ciotti. D’après les données des quatre-vingt-six collectivités qui disposent désormais d’un fichier AEM, il y aurait 14 782 mineurs accueillis par les conseils départementaux en 2022 et jusqu’au mois de septembre de 2023. Ce chiffre vous semble sous-estimé, monsieur Ciotti, au vu de la situation de votre département ? C’est parce que vous êtes particulièrement accueillant, c’est bien connu. Plus sérieusement, il n’est pas anormal que les chiffres soient plus élevés dans les zones frontalières. Les collectivités, qui nous ont servi de repère, n’ont d’ailleurs pas intérêt à minimiser la situation puisqu’elles sont dans une relation financière avec l’État.

Le vrai sujet est celui du lien entre MNA et protection de l’enfance. Les faux mineurs, dont je suis incapable d’évaluer le nombre, prennent effectivement la place d’enfants, français ou étrangers, qui doivent être protégés parce qu’ils sont orphelins ou parce que leurs parents ont perdu l’autorité parentale pour des raisons de violences sexuelles ou autres. Dans mon département, où nous sommes très accueillants, de faux mineurs placés d’office prennent la place d’enfants – français ou étrangers – dépendant de l’ASE. Le rôle des départements n’est pas de distinguer les étrangers des Français, mais de distinguer les enfants qui doivent être sous protection de l’ASE des personnes qui sont dans un autre parcours de vie et dont l’éventuel accueil ne sera pas financé de la même manière.

Votre question, monsieur Ciotti, ne me concerne pas directement, mais les échanges que nous avons eus au sein du Gouvernement lors de la préparation de ce texte me permettent de vous apporter des réponses. Tout d’abord, la Première ministre a annoncé une amélioration du financement pour les départements. François Sauvadet, président de l’ADF, en a pris acte même s’il considère peut-être que c’est insuffisant. Ensuite, Charlotte Caubel prépare un texte sur les mineurs, en concertation avec la Première ministre et le garde des Sceaux. Un comité interministériel à l’enfance s’est tenu la semaine dernière. Au cours des prochains mois, vous aurez donc à débattre de cette question qui, je le répète, relève de la justice et de la petite enfance, et non pas des préfectures et de mon ministère. C’est alors qu’il faudra se prononcer sur l’éventuelle recentralisation de cette compétence et sur son financement, sachant que tous les départements ne demandent pas la même chose. Il faudra aussi débattre de l’amélioration de notre politique diplomatico-judiciaire concernant les reconduites.

Quoi qu’il en soit, le Gouvernement ne fuit pas un débat qui n’a pas forcément sa place dans ce texte, notamment quand il s’agit des sommes avancées par les départements en raison de décisions judiciaires. Le préfet intervient pour les mises à l’abri et les évaluations. Sur ce dernier point, monsieur Ciotti, je rappelle que le Sénat a pour l’instant refusé la prise contrainte des empreintes pour les mineurs. Nous en discuterons lorsque nous en viendrons à l’article concerné.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL108 de M. Grégoire de Fournas

Mme Edwige Diaz (RN). Nous souhaitons que le rapport mentionne le coût de la prise en charge des MNA pour chaque département, afin de mettre fin à l’opacité qui entoure ce sujet.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il n’y a pas d’opacité : les chiffres sont tout à fait connus et ont d’ailleurs permis d’alimenter la discussion entre M. Ciotti et M. le ministre. Avis défavorable.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). On assiste, comme on pouvait s’y attendre, à l’expression décomplexée de propos racistes et xénophobes. Beaucoup, ici, semblent oublier ou ignorer que notre humanité s’est construite à partir de parcours migratoires. Dès l’Antiquité, l’hospitalité était une vertu sacrée ; on se demande ce qu’il en reste. Le débat sur les MNA me fait penser au poème de Jacques Prévert intitulé « La Chasse à l’enfant ». Je veux souligner l’hypocrisie d’un certain nombre de membres de la majorité qui jugent les amendements du Rassemblement national abjects sans oser les traiter de racistes, alors même que le projet de loi déroule le tapis rouge à ce qu’il y a de plus raciste et de plus xénophobe au sein du Parlement. Arrêtons cette hypocrisie : cessez de dire que ces amendements sont abjects alors que vous favorisez le dépôt de ce type de propositions.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je voudrais vous alerter sur la situation des MNA à Mayotte, qui sont, au bas mot, 6 000 à 9 000, et qui ne sont pas pris en charge dans leur totalité, faute de moyens suffisants. La protection des mineurs étrangers – dont certains sont manifestement majeurs – coûte à Mayotte 74 millions, soit 20 % du budget du département, qui s’élève à 357 millions. On ne peut pas nier qu’en abandonnant leurs enfants, certains parents cherchent à leur faire obtenir des papiers une fois devenus majeurs – et j’ajoute que Mayotte n’a aucune leçon à recevoir en matière d’humanité.

Sans chiffres, sans rapport, il est impossible d’appliquer des solutions humaines et protectrices des mineurs. Continuer, sous couvert d’humanité, à nier la réalité ne fait pas avancer les choses. À titre dérogatoire, les familles d’accueil peuvent prendre en charge neuf enfants, contre quatre dans l’Hexagone. On manque de formations et de moyens. Il existe des routes migratoires réservées aux mineurs, qui sont en danger. Des personnes majeures se font passer pour des enfants et ont un comportement brutal au sein des familles et en classe. S’assurer de la minorité d’un individu n’est pas un luxe, mais une nécessité pour la protection des plus vulnérables.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL442 de Mme Michèle Martinez

M. Jordan Guitton (RN). Nous demandons à connaître le nombre d’étrangers qui se sont déclaré MNA à leur arrivée et qui, après vérification par les autorités compétentes, ne le sont pas. Si on s’en tient aux chiffres qui ont été communiqués tout à l’heure, on peut estimer que 80 % des personnes qui se déclarent MNA ne le sont pas. En publiant ces données dans le rapport annuel, on clarifierait le débat et on aiderait les véritables mineurs.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Là encore, ces chiffres sont connus et figureront dans le rapport. Il n’est nul besoin de le préciser. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). À écouter les débats sur les MNA, on pourrait croire qu’une majorité d’entre eux sont en réalité des majeurs. M. de Courson a indiqué tout à l’heure que, dans son département, 40 % de ces personnes n’étaient pas reconnues comme mineures…

M. Charles de Courson (LIOT). 80 % !

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). …mais il a oublié de parler des recours en justice. À l’issue de l’examen des tribunaux judiciaires, entre 50 et 80 % de ces personnes voient leur minorité finalement reconnue. Pendant la durée des recours, ils ne sont, dans la plupart des départements, pas mis à l’abri. Ils doivent dormir dans la rue et, parfois, appeler le 115 ; leurs interlocuteurs les considérant comme des majeurs, ils dorment avec des majeurs. Peu de monde, au sein de cette commission, s’inquiète du fait que des mômes dorment avec des majeurs, pour la simple raison que nous n’appliquons pas la présomption de minorité qui les protégerait.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je suis surpris par le peu de différence qu’il y a entre les discours du Rassemblement national et des Républicains. M. Ciotti et le Rassemblement national font semblant de ne pas voir la réalité. Je me suis rendu à Menton, auprès de la police aux frontières (PAF), où j’ai vu des mineurs se déclarer majeurs parce qu’ils ne souhaitent pas être pris en charge par l’ASE : cela existe aussi, mais vous n’en parlez jamais. Ils sont enfermés avec des majeurs dans des conditions indignes. Cela étant, le traitement réservé aux mineurs n’est pas plus acceptable.

Le département des Alpes-Maritimes a institué un entretien d’évaluation de minorité préalable, qui ne correspond pas à l’évaluation qui doit être faite, laquelle obéit à des règles particulières. À l’issue de cet entretien très court, il peut être décidé que telle ou telle personne n’est pas mineure. Monsieur Ciotti, vous semblez vouloir généraliser la pratique suivie dans les Alpes-Maritimes, qui n’est pas conforme au droit et que nous refusons.

Enfin, même si on peut penser qu’elle pourrait être assumée par l’État, la dépense de 40 millions d’euros ne me paraît pas insoutenable pour un département dont le budget s’élève à 1,7 milliard.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’État aide le département des Alpes-Maritimes, comme d’autres départements, quelle que soit leur sensibilité politique. L’évaluation de minorité est importante, pour une raison simple : la police ne peut empêcher un mineur d’entrer sur le territoire national. Les majeurs, quant à eux, peuvent être renvoyés vers des pays comme l’Espagne ou l’Italie, qui ne sont pas, que je sache, des dictatures. L’entretien d’évaluation de la minorité à la frontière correspond à ce que doit faire la France, comme tout État souverain. Il donne lieu à une collaboration entre le conseil départemental et l’État, sous l’autorité des magistrats.

Je me suis rendu de très nombreuses fois à Menton, auprès des policiers et des gendarmes, et je n’y ai pas rencontré de mineurs se faisant passer pour des majeurs. J’ai vu, en revanche, des personnes qui se déclaraient mineures et qui, selon toute vraisemblance, ne l’étaient pas. Cela empêche les départements de bien accueillir les mineurs, faute de moyens financiers.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL494 de M. Andy Kerbrat

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). On sort d’une séquence dure et légèrement complotiste. En effet, selon Mme Diaz, les étudiants ne sont pas des étudiants. Selon Mme Le Pen, les familles sont de fausses familles. Selon M. Gillet et M. Ciotti, les mineurs ne sont pas mineurs. On en vient à se demander si les étrangers le sont vraiment.

S’agissant des MNA, nous demandons que l’interdiction de l’enfermement des mineurs dans des centres de rétention administrative, qui semble faire l’objet d’un accord entre la majorité et la gauche, s’applique aux personnes de moins de 18 ans – ce qui m’a semblé être la position de M. le ministre – et non pas, comme l’a défendu le Sénat, seulement aux moins de 16 ans. Le projet de loi prévoit toutefois une exception pour Mayotte, où il est possible d’expulser les mineurs, même lorsqu’ils sont isolés. Il y a quelques années, je vous avais alerté sur le fait qu’un enfant français avait été envoyé vers les Comores. La question centrale est celle du traitement des mineurs dans le cadre de l’ASE. Il nous paraît nécessaire de revoir la politique menée en la matière pour que l’ASE pèse sur l’État et non sur le département mahorais. Le ministère de l’enfance doit prendre en charge l’intégralité de l’ASE en France pour éviter son éclatement entre départements, ce qui induit une forte hétérogénéité et, de façon générale, la maltraitance des enfants.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis de sagesse. Obtenir ces chiffres permettra de démontrer que le Gouvernement – et, en particulier, le ministre de l’intérieur – a fait le choix de ne plus placer les enfants dans les CRA. Nous voterons, je l’espère, l’article 12 dans sa rédaction initiale, en prévoyant l’extension jusqu’à 18 ans de l’interdiction de la rétention.

M. Éric Ciotti (LR). M. Delaporte, qui ne connaît pas le sujet, a tenu des propos caricaturaux sur le département des Alpes-Maritimes. Aucun mineur ne veut se faire passer pour un majeur : cela relève du fantasme. Par ailleurs, aucun majeur ni aucun mineur n’est enfermé, puisque les structures de placement ne sont pas privatives de liberté. La plupart des mineurs – ou non mineurs – qui y sont placés fuguent d’ailleurs au cours des premières heures ou des premiers jours. Quelque 7 000 MNA sont arrivés en 2023 dans les Alpes-Maritimes. Nous en avons 1 000 dans nos structures de placement mais, du fait de l’embolie qui affecte ces institutions, certains sont hélas placés dans des hôtels.

Monsieur le ministre, vous avez parlé de 14 000 MNA dans 86 départements. Quels sont les départements non recensés ? Manifestement, Mayotte ne l’était pas. Faut-il ajouter la Seine-Saint-Denis, Paris, et des départements – essentiellement de gauche – qui ont refusé l’enregistrement ? Il faut dire la vérité des chiffres, car on fait face à l’amorce d’une filière migratoire qui ne va cesser de croître et qui prospère sur l’exploitation des êtres humains.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Monsieur Ciotti, les gens ne partent pas de chez eux parce qu’il y a un appel d’air quelque part, mais parce que cela se passe mal dans leur pays. On impute aux MNA, et aux majeurs qui se présentent comme tels, les difficultés de l’ASE, mais ces personnes ont bon dos. Le fait que le département du Nord éprouve de grandes difficultés dans la mise en œuvre de l’ASE n’a rien à voir avec les MNA : c’est dû aux violences que subissent des gamins, jour après jour, au sein de leur famille – et dont tout le monde se moque. Arrêtez de faire croire que, parce qu’on s’occuperait plus mal des MNA ou des majeurs se déclarant mineurs, on réglerait le problème de tous les enfants dans ce pays. Si on accueillait dignement les majeurs, peut-être n’y aurait-il pas une course effrénée pour se déclarer mineur, afin de sauver sa peau ! Les gens font tout ce qui est en leur pouvoir pour survivre, pour être reconnus comme des êtres humains.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je vous communiquerai ce soir la liste desdits départements, monsieur Ciotti, qui sont au nombre d’une dizaine. Mayotte n’y figure pas, comme la plupart des territoires ultramarins, car ils n’ont pas encore totalement mis en place le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité.

Monsieur Bernalicis, vos propos sont inexacts. J’ai été conseiller départemental et maire de la deuxième commune du département du Nord, ce qui m’a amené à traiter ce sujet. N’ayant pas eu cette expérience locale, vous êtes, me semble-t-il, un peu décalé par rapport à la réalité. Dans les foyers départementaux, des personnes placées par la justice, qui sont en fait majeures, prennent la place de mineurs, sur un territoire très affecté par les problèmes sociaux. Des centaines, peut-être des milliers de gamins, étrangers ou français, ne peuvent pas être accueillis par l’aide sociale. Je vous invite à avoir un discours de vérité sur le sujet.

Mme Faucillon a parfaitement raison : nous éprouvons des difficultés en raison de notre mauvaise organisation générale, qui est due notamment à des problèmes de financement. C’est pourquoi le Gouvernement présentera, au début de l’année prochaine, un texte sur l’accueil des mineurs.

Ne mélangeons pas les choses. Si les majeurs se font passer pour des mineurs, ce n’est pas simplement pour être accueillis par les départements, mais aussi parce que c’est l’autorité judiciaire qui décide de leur sort. Or, les décisions de justice prescrivant la reconduite d’un mineur dans son pays d’origine se comptent, me semble-t-il, sur les doigts d’une main. Tel n’est pas le cas des décisions préfectorales. Il nous revient, comme tous les États européens, d’évaluer la minorité ou la majorité des personnes qui arrivent dans notre pays.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL484 de M. Frédéric Falcon

M. Yoann Gillet (RN). Cet amendement vise à ajouter, dans le rapport du Gouvernement, un indicateur sur le nombre de places occupées dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), la fréquence du recours aux solutions provisoires telles que les structures collectives ou les hôtels, ainsi que la durée d’occupation. Il est essentiel de disposer d’une information complète pour évaluer au mieux les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration lors du débat annuel. Il convient de s’assurer de l’application des règles sur l’occupation des Cada, d’évaluer l’ampleur du recours aux solutions provisoires et de mesurer les abus dans ces différents domaines.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable. Le nombre de places occupées en Cada est connu et public.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Non seulement on accueille mal, mais on héberge des gens dans des hôtels qui sont parfois miteux et qui ont un coût élevé. Mieux vaudrait avoir de véritables structures d’accueil, d’autant plus que le mauvais accueil entraîne la pagaille. M. Sarkozy avait fait fermer en grande pompe le centre de Sangatte, pensant dissuader les gens de se rendre sur place. Or ils ont continué à venir, ont été mal accueillis et ont subi une précarité encore plus grande, provoquant des nuisances alentour. On a abouti à la jungle de Calais. La situation actuelle est inique et scandaleuse, puisqu’on disperse les personnes réfugiées et exilées, en espérant qu’elles restent invisibles et en interdisant la distribution de repas en centre-ville. Tout cela parce qu’on a fermé un centre d’accueil !

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Bernalicis, vos propos sont à nouveau inexacts. On ne peut pas dire qu’il y a plus de migrants aujourd’hui qu’il n’y en avait avant la fermeture de Sangatte, puisqu’on en compte vingt fois moins que lorsque M. Sarkozy a fermé Sangatte et quinze fois moins que lorsque M. Cazeneuve a mis fin à la jungle de Grande-Synthe et de Sangatte. Vous savez cela pertinemment. L’action des ministres de l’intérieur, de droite comme de gauche, montre son efficacité.

Vous dites que les migrants sont dispersés, mais je rappelle que le Nord-Pas-de-Calais, en particulier son littoral, compte plus de 1 000 places d’accueil. Ces personnes veulent se rendre en Angleterre, et non rester dans la région. Elles ne souhaitent pas rester dans les centres d’hébergement. Moins de 4 % d’entre elles déposent une demande d’asile, aidées par des associations qui le leur proposent, parallèlement aux efforts engagés en ce sens par l’État, en lien avec les collectivités locales. Le problème ne réside donc pas dans leur accueil sur le littoral.

Par ailleurs, vous savez fort bien que l’interdiction de la distribution des repas a été demandée par les élus locaux et validée par tous les tribunaux. Vous avez vous-même été verbalisé.

On peut reconnaître la réussite de la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment sur le littoral. Vous ne citez jamais les policiers et les gendarmes qui, courageusement, plongent dans une mer à 5 degrés pour sauver des bébés, des femmes et des hommes, préférant attaquer les forces de l’ordre.

Il faut conclure un traité avec le Royaume-Uni pour définir une route migratoire ayant pour finalité la demande d’asile.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). À entendre M. Bernalicis, on pourrait croire que le camp de Sangatte et la jungle de Calais étaient la panacée. Étant député de Calais et ayant été maire d’une commune limitrophe, je peux vous dire que nous avions là le plus grand bidonville d’Europe, qui était peuplé de 10 000 personnes, abritait de la prostitution et était le théâtre de rixes et de meurtres. Comme l’a dit M. le ministre, les migrants qui se trouvent aujourd’hui à Calais ou le long du littoral ne veulent pas rester en France ; leur seul objectif est de traverser. Certaines associations, proches de vos idées politiques, passent derrière les agents de l’État et incitent ces personnes à ne pas déposer l’asile et à essayer de faire la traversée, quitte à y laisser la vie. C’est ainsi que des bébés érythréens, des Afghans, des Kurdes meurent dans la Manche et la mer du Nord. Je ne peux pas vous laisser dire que les élus locaux et nationaux font tout pour ne pas accueillir ces gens : c’est absolument faux.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL345 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Nous souhaitons enrichir le rapport en y faisant figurer le lieu d’installation effective des travailleurs en situation irrégulière ayant obtenu le titre de séjour défini à l’article 4 bis du projet de loi. L’amendement vise à prévenir d’éventuels détournements ou dévoiements du dispositif.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne sais pas ce que vous entendez exactement par « lieu d’installation effective » : s’agit-il du lieu de travail, du lieu d’habitation, de la résidence secondaire ? Votre amendement revient à demander que le rapport du Gouvernement égrène toutes les communes concernées. Ce n’est pas très sérieux. Avis défavorable.

Mme Edwige Diaz (RN). C’est votre réponse qui n’est pas très sérieuse, monsieur le rapporteur général. Une personne en situation irrégulière pourrait venir s’installer dans une zone signalée pour ses difficultés de recrutement, afin d’y occuper un métier en tension, tout en résidant en réalité dans une autre zone. Ne faites pas mine de ne pas comprendre la portée de l’amendement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Le titre de séjour « travailleur temporaire » ne concernera pas simplement les personnes qui seraient régularisées en application de l’article 4 bis. Ce sera un titre général. Par ailleurs, vous parlez de personnes en situation irrégulière, mais l’amendement fait référence aux « bénéficiaires d’un titre de séjour ».

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). M. Ciotti s’alarmait tout à l’heure du fait qu’un grand nombre d’Ivoiriens arrivent en France. Rappelons que notre relation commerciale avec la Côte d’Ivoire est excédentaire de 325 millions d’euros : il s’agit, autrement dit, de la somme que nous leur volons chaque année. (Exclamations.) Lorsqu’on le dit comme cela, ça vous choque ! Le groupe Total tire profit des ressources de ce pays. M. Bolloré, qui est votre ami, y a exploité des infrastructures des années durant. Nous avons participé au pillage économique de la Côte d’Ivoire, mais vous voulez à présent repousser leurs ressortissants. Même chose pour l’Érythrée : proposez-vous de renvoyer les gens vers un pays dictatorial, où le PIB par habitant n’excède pas 971 euros ?

On est en train de parler de situations humaines, de pauvreté, de gens qui quittent leur pays pour venir en aide à leur famille. La famille, ça devrait vous parler, à droite, mais quand c’est la famille des autres, quand les gens ont une couleur de peau différente de la vôtre, vous ne comprenez plus. On reconnaît le racisme au fait de ne pas voir dans l’autre un être humain, autrement dit notre semblable. Il faut prendre en compte la situation des gens de manière globale.

Enfin, il faut cesser d’être les   du Royaume-Uni.

M. le président Sacha Houlié. Chacun appréciera, je l’espère, le débat sur tous ces cavaliers législatifs.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL357 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Nous souhaitons faire apparaître dans le rapport des précisions relatives à la nationalité des individus concernés par des mesures d’éloignement et des décisions prononcées en ce sens. Si vous refusez notre amendement, on en déduira que vous n’assumez pas votre politique internationale catastrophique et l’échec de vos relations diplomatiques avec des pays tiers. En 2021, 21 452 mesures d’éloignement ont été prononcées à l’égard d’individus de nationalité algérienne, mais seules 754 ont été exécutées. À l’échelle du pays, pas plus de 13 000 des 143 000 mesures d’éloignement prononcées ont été exécutées. En raison de votre politique, la France perd toute crédibilité en la matière. Nous ne souhaitons pas que notre politique migratoire dépende du bon vouloir des autres États. Nous vous demandons, en conséquence, de vous ressaisir et de changer rapidement de paradigme.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Les chiffres relatifs au délai moyen d’exécution d’une mesure d’éloignement étant connus, cette précision est inutile. Avis défavorable.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Puisque vous voulez manifestement tout savoir sur eux, pourquoi ne pas demander leur pointure, leur taille de vêtements ou des statistiques de genre ? Plus sérieusement, votre objectif est-il maintenant d’établir des quotas par pays et de négocier avec chacun d’eux ? Vous rendez-vous compte du ridicule dans lequel ce débat nous fait sombrer ? En outre, vous favoriseriez, par cette mesure, l’orgie administrative que vous dénoncez. Rien n’a de sens dans vos amendements.

Mme Edwige Diaz (RN). Madame Rousseau, vos propos sont absolument caricaturaux, ce qui n’étonnera personne. Nous souhaitons connaître la nationalité des personnes qui font l’objet d’une mesure d’éloignement afin que la France puisse retrouver une marge de manœuvre diplomatique. Je ne vois pas ce qui vous choque dans cette mesure, si ce n’est votre aveuglement, votre déni ou votre appétence pour cette idéologie immigrationniste qui fait si mal aux Français.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL387 de M. Romain Baubry

M. Yoann Gillet (RN). Selon les données du ministère de l’intérieur, rapportées dans un document du Sénat de 2020, seules 7 % des OQTF ont été effectivement exécutées. Un tel échec, qui est aussi celui du ministre de l’intérieur, ne peut pas rester sans réponse. Si les OQTF étaient respectées, une fillette n’aurait pas été violée le 10 février 2022 à Vénissieux par un Marocain, Lola serait toujours en vie, à l’instar de Dominique Bernard. Le 24 novembre 2023, un jeune homme de 18 ans n’aurait pas été agressé au couteau à Brest. Claire, qui a témoigné longuement au cours des dernières semaines, n’aurait pas été violée et étranglée dans le hall de son immeuble par un sans-abri, également sous OQTF. Il importe de rappeler la réalité des faits. Des dizaines de Français, chaque jour, sont victimes d’étrangers objets d’une OQTF en raison de leur dangerosité, qu’il convient d’expulser.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous aurons l’occasion de vous répondre lorsque nous étudierons les articles 9 et suivants, qui visent à lever un certain nombre de protections. Dans l’immédiat, sans m’attarder sur l’outrance de certains de vos propos, je rappelle que nous disposons déjà des données en matière d’éloignement, ainsi que sur un certain nombre de sujets que vous évoquez dans vos prochains amendements.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Il est difficile de répondre après cette litanie récitée par des charognards. Vous instrumentalisez les faits contre l’avis des familles elles-mêmes. Vous vous moquez des victimes, que vous n’utilisez qu’au service de votre agenda ! Ce n’est plus du racisme, ni même de l’ignominie : c’est la preuve que vous êtes déshumanisés ! Votre amendement est d’une bêtise sans nom, collègues. M. le ministre a reconnu qu’à l’heure actuelle, 7 % des OQTF sont exécutées. Je rappelle qu’il y a un an, il nous avait expliqué que l’on produisait de l’OQTF en masse dans notre pays ! Il faudra un jour que nous revoyions notre politique en la matière, car elle ne correspond à aucune réalité.

La moitié au moins des OQTF sont d’ailleurs contestées devant les tribunaux et, heureusement, annulées. Notre pays réalise 14 000 renvois par an. Les personnes renvoyées sont parfois dangereuses, mais il arrive aussi qu’elles soient victimes d’erreurs : récemment, l’une d’entre elles est revenue, car le ministre, irrespectueux du droit, n’avait pas attendu le jugement pour la faire expulser. Les chiffres sont à peu près identiques dans les autres pays européens : l’Allemagne renvoie 13 000 personnes en moyenne par an, l’Italie 10 000. Il n’y a donc pas d’excès en France. En revanche, il y a bien un ciblage de populations. Comme l’indique le criminologue Alain Bauer, les étrangers ne sont pas surreprésentés parmi les criminels, ce sont les Français et les Françaises qui le sont ! Arrêtez d’instrumentaliser des peurs et des morts, cela dessert toute la nation et cela montre votre vrai visage !

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Puisque vous voulez absolument instrumentaliser les faits divers, faisons-le jusqu’au bout ! L’un des dix plus grands pédocriminels au monde, dont le procès a commencé aujourd’hui, est un cantonnier arrêté en France dont la famille est sans doute française depuis dix générations. Si tous les violeurs étaient des immigrés, cela se saurait ! Vous utilisez des faits divers pour essayer de retourner l’opinion publique, mais nous ne sommes pas dupes et nous résisterons à cela !

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL353 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). L’immigration coûte cher, même s’il est difficile d’en connaître les coûts exacts au regard des données qui sont disponibles et compte tenu du sort que vous réservez à nos amendements. Au nom de la bonne information que l’État doit aux Français, nous souhaiterions que soient explicités, dans le rapport remis au Parlement, les coûts indirects et indirects liés à la prise en charge juridictionnelle des étrangers. Au coût de l’immigration, il faut en effet ajouter le coût des contentieux dans lequel ils sont impliqués, dans l’ordre judiciaire comme dans l’ordre administratif.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Ce qui coûte cher, madame Diaz, c’est la politique brutale et répressive de la France, qui croit encore qu’elle peut interrompre le phénomène humain qu’est la migration.

À Briançon, des gendarmes de l’escadron de Toulouse, que l’on a fait venir spécialement, m’ont expliqué eux-mêmes qu’ils passaient leur temps à courser dans la neige des gens qui tentent de survivre et qui, après avoir été arrêtés et remis aux autorités italiennes, reviendront et finiront par passer ! Eux-mêmes disent qu’ils freinent mais n’arrêtent rien.

Ce qui coûte cher, c’est la politique que vous prônez ! L’expulsion de tous ceux que vous voulez renvoyer coûterait extrêmement cher – bien plus cher que l’inclusion, bien plus cher que de les laisser travailler et élever leurs enfants ici dans de bonnes conditions, bien plus cher que l’AME ! En réalité, la politique raciste et xénophobe que vous proposez serait une gabegie scandaleuse en termes de finances publiques ! Vous avez raison, il y a des politiques qui coûtent cher en matière migratoire : les politiques brutales et de fermeture.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL366 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Nous souhaitons connaître les montants d’AME accordés à ceux qui ne devraient pas en bénéficier.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Par définition, aucune personne qui bénéficie de l’AME ne devrait en être privée. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Ce qui complique notre débat, c’est qu’une partie des députés, en particulier ceux du Rassemblement national, font fi des raisons pour lesquelles les gens partent de chez eux, comme si c’était facile et anodin. Ils considèrent au fond que ces personnes viennent pour « profiter » du système.

L’an dernier, on a considéré que le bénéfice de l’AME était discutable pour trente-huit bénéficiaires seulement. En revanche, un bénéficiaire potentiel sur deux ne demande pas l’AME ! J’ajoute que l’Espagne, qui avait supprimé l’équivalent de l’AME, l’a rétabli au bout de deux ans pour des raisons de santé publique notamment. Enfin, l’AME n’existe pas à Mayotte, et cela n’empêche pas les migrants d’arriver ! Arrêtez de croire que les gens partent de chez eux pour profiter d’un système qui, entre nous, est devenu bien chiche à mesure que les gouvernements libéraux se sont succédé.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Effectivement, il n’y a pas d’aide médicale de l’État à Mayotte. Le seul hôpital de notre désert médical est géré par une enveloppe unique, et la moitié de la patientèle de Mayotte est étrangère : cela signifie qu’elle ne contribue pas et, par dérogation, ne paye pas les soins et les accouchements. La situation y est si grave que le service des urgences s’est totalement effondré – et vous êtes en train de dire, madame Martin, que cette situation n’a rien à voir avec la population qu’il accueille ? Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que les hôpitaux de Moroni et Domoni envoient des kwassas médicaux. L’hôpital de Mayotte doit ensuite dépêcher un hélicoptère et mobiliser l’une de ses ambulances – peu nombreuses – pour prendre en charge des étrangers qui ont organisé leur voyage pour être soignés gratuitement à Mayotte !

Allez-vous expliquer à vos compatriotes de Mayotte que cette situation est normale, madame, alors qu’ils vivent dans un désert médical et qu’ils ont une espérance de vie inférieure de dix ans à celle des Français de métropole ? Un système n’est tenable que si chacun y contribue ! C’est une aberration d’utiliser la situation de Mayotte pour justifier l’injustifiable ! Nous, Mahorais, payons dans notre chair votre générosité. Vous nous refusez la solidarité nationale – nous n’avons ni AME, ni circulaire Taubira pour prendre en charge les mineurs – et vous osez parler de Mayotte ? Venez constater notre situation, avant de parler !

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1106 de M. Timothée Houssin

M. Timothée Houssin (RN). Cet amendement vise à faire figurer dans le rapport le nombre d’étrangers ayant fait l’objet, après condamnation définitive pour un crime ou un délit commis sur le sol français, d’une décision d’éloignement qui n’a pas été exécutée. On sait que les taux d’exécution des mesures d’interdiction du territoire ou des OQTF sont très faibles. Il s’agit d’informer les Français, mais aussi de faire en sorte que le Gouvernement fasse de l’expulsion de ces personnes une priorité.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Le chiffre est connu, et il figurera bien sûr dans le rapport qui sera remis au Parlement. Le ministre de l’intérieur l’a dit à plusieurs reprises : il y a actuellement sur le sol national 4 000 personnes qui ne sont pas expulsables, en raison de la protection dont elles disposent suite à la suppression de la double peine. Avis défavorable.

M. le président Sacha Houlié. C’est même l’objet des articles 9 et 10 du projet de loi.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Ce qui me surprend, c’est que nos collègues du Rassemblement national demandent l’intégration dans le rapport d’informations qui existent déjà. Je ne voudrais pas que le rejet de leurs amendements soit interprété comme un refus de la transparence. Si nous les rejetons, c’est parce que les chiffres sont déjà disponibles dans les rapports ; il suffit d’aller les chercher.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL516 de Mme Sarah Tanzilli

Mme Sarah Tanzilli (RE). Cet amendement va dans le même sens que l’amendement CL971 de Mme Untermaier, que nous venons d’adopter. Je vous propose que soient ajoutés, dans le rapport que le Gouvernement présentera au Parlement, des éléments d’information essentiels au débat sur les moyens financiers et humains dévolus aux bureaux des étrangers au sein des préfectures, ainsi que sur les délais de traitement des demandes qu’ils ont à instruire. En effet, malgré une augmentation des effectifs concernés de 56 % en dix ans, les services demeurent engorgés. Cette situation suscite des frustrations parmi le personnel comme parmi les demandeurs, et a des conséquences juridictionnelles importantes. Comme l’indique le Conseil d’État, les demandeurs saisissent régulièrement le juge administratif pour faire constater la carence de l’État.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis favorable. Il faudra simplement, dans la perspective de l’examen du texte en séance, réunir votre amendement et celui de Mme Untermaier.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Nous avons abordé ce sujet il y a quelques instants, en évoquant la nécessité de flécher les fonds là où ils sont nécessaires. Or M. le rapporteur général nous a expliqué que tous les moyens nécessaires avaient déjà été votés dans la Lopmi et que nous n’avions rien compris. Je suis ravie de voir qu’il est favorable à cet amendement, qui souligne justement que l’argent n’est pas là où il faut.

M. Charles de Courson (LIOT). Vous avez certainement lu, chers collègues, le rapport sur les préfectures que j’ai rédigé en tant que rapporteur spécial pour la mission Administration générale et territoriale de l’État, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Contrairement à ce qu’indique l’exposé sommaire de cet amendement – auquel je suis néanmoins favorable –, les effectifs des préfectures ont baissé de près de 25 % en quinze ans, et ce sont le contrôle de légalité et les procédures liées aux étrangers qui ont le plus pâti de cette baisse. Lors de l’examen de cette mission par la commission des finances, le ministre de l’intérieur s’était engagé à remédier à cette situation – j’ai d’ailleurs fait adopter un amendement en ce sens.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Vous avez évoqué, chère Sandra Regol, le débat que nous avons eu au sujet de l’amendement de Philippe Brun tout à l’heure. Je ne pouvais pas y donner un avis favorable, car il comportait une facétie, s’agissant des primes accordées aux préfets, que nous ne pouvions accepter. Quoi qu’il en soit, les effectifs n’ont pas augmenté de 56 % : ils ont au contraire diminué au cours des vingt-cinq dernières années. La Lopmi met cependant fin à cette baisse, et 400 à 500 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires vont être affectés dans les préfectures.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL397 de Mme Marine Hamelet

Mme Pascale Bordes (RN). L’indicateur de performance relatif à l’efficience de la formation linguistique dispensée dans le cadre du contrat d’intégration républicaine (CIR) affiche un taux de conformité aux exigences de la grille d’évaluation de 63,9 %. Prenant acte de ce mauvais résultat, le présent amendement vise à permettre au Parlement de disposer d’informations fiables sur l’évolution du niveau en langue française des étrangers admis au séjour en France – étant entendu qu’il s’agit d’un facteur clé pour leur intégration.

Il paraît primordial, en effet, que les personnes désireuses de venir sur le territoire national français parlent au moins quelques mots de notre langue afin de pouvoir s’exprimer dans le cadre de leur travail ou de leur vie quotidienne. Il n’est pas pensable qu’elles ne fassent pas ce petit effort.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Votre intervention prouve que des données publiques existent. Le CIR est une excellente mesure, que j’ai votée lors de la précédente législature. Avec le présent texte, nous allons renforcer l’obligation de résultat relative à l’apprentissage du français.

Nous serons également très vigilants s’agissant du regroupement familial, comme l’a proposé le Sénat. Je vous invite, madame Bordes, à consulter le rapport de l’Ofii, qui contient l’ensemble des éléments que vous souhaitez voir portés à la connaissance du Parlement. J’émets de ce fait un avis défavorable à cet amendement CL397 ainsi que, pour les mêmes raisons, à l’amendement suivant, le CL992.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). On voit bien que ce texte de la Macronie et du Gouvernement déroule le tapis rouge au Rassemblement national : s’ils l’avaient lu, nos collègues sauraient qu’il prévoit un examen de français. Nous pensons quant à nous que l’apprentissage du français est important, mais nous n’estimons pas que l’obtention d’un titre de séjour doive être conditionnée au résultat à un examen. Pour que les gens puissent parler français, il faut qu’ils soient bien installés en France et qu’ils aient des conditions de vie sereines, avec un logement bien sûr et, si possible, un travail.

Combien, parmi nous, ont des origines étrangères ? Lorsqu’elle est arrivée en France, ma grand-mère espagnole ne savait ni lire, ni écrire l’espagnol. Comme nombre de personnes, y compris parmi celles qui arrivent aujourd’hui, elle n’avait en effet pas été scolarisée. À sa mort, elle ne savait ni lire, ni écrire le français. Je vous invite à lire le livre de Lydie Salvayre, qui est écrit dans une langue qu’elle appelle le « fragnol », mélange de français et d’espagnol. Essayez de comprendre ce qu’est le métissage ! Nous sommes issus de migrations depuis des millénaires.

Mme Pascale Bordes (RN). Lorsque l’on va faire du tourisme, on peut ne pas parler la langue du pays que l’on visite. Quand on est censé aller travailler dans un pays, mieux vaut connaître la langue – sinon, c’est que l’on n’y va pas pour travailler.

J’entends que les chiffres existent, mais il serait préférable qu’ils soient intégrés dans le rapport. J’ai bien compris enfin que, s’agissant de Mayotte, le nombre de MNA annoncé par le ministre ne correspond manifestement pas à la réalité, puisqu’il ne comprend ni ceux de Mayotte, ni ceux de l’outre-mer. Les chiffres que l’on trouve à droite ou à gauche posent une difficulté ; s’ils étaient dans le rapport, ils pourraient au moins être considérés comme officiels entre guillemets.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Inutile d’en faire des tonnes, madame la députée ! L’alinéa 26 de l’article 1er A prévoit que le rapport de l’Ofii est joint au rapport du Gouvernement pour le débat ayant lieu au Parlement. Vous aurez bien tous les éléments.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL992 de Mme Pascale Bordes

Mme Pascale Bordes (RN). Cet amendement prévoit l’intégration au rapport du nombre d’étrangers ayant refusé de signer le contrat d’intégration républicaine. Le CIR n’est en effet pas obligatoire : il ne l’est que pour les personnes souhaitant demander une carte de séjour pluriannuelle – dont certaines échappent à cette obligation. Une telle information permettrait de connaître la part d’étrangers qui, dès leur arrivée, expriment leur volonté de ne pas s’intégrer à la République française. Si ces personnes ne veulent pas s’intégrer, elles n’ont rien à faire sur notre sol, que cela vous plaise ou non. Nous n’avons pas vocation à accueillir tout le monde.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL297 de M. Philippe Schreck

Mme Sophie Blanc (RN). Cet amendement vise à intégrer dans le rapport le coût précis de l’aide juridictionnelle allouée pour la défense des étrangers – notamment de ceux qui ne remplissent pas les conditions de résidence habituelle et régulière en France. Ce coût comprend les frais d’avocat, mais aussi des frais d’interprétariat, lorsque ces personnes sont assistées au tribunal. Il est indispensable en effet d’identifier l’impact budgétaire de la défense des étrangers extracommunautaires en France.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Après avoir mis les étrangers dans des cases, vous voulez maintenant savoir combien ils coûtent à chaque instant de leur vie ! La question qui nous est posée est celle de la responsabilité de la France dans les mouvements de population actuels, qui vont s’accroître en raison notamment du réchauffement climatique.

Il ne s’agit pas de savoir combien coûte un interprète dans le cadre de l’aide juridictionnelle : poser cette question, c’est considérer que les étrangers ne seraient pas des justiciables comme les autres et qu’ils n’auraient pas les mêmes droits que les autres. Or, à partir du moment où ils sont en France, ils ont des droits. À force de les déshumaniser, à force de les priver de tout droit et de toute aide, vous en faites des citoyens de seconde zone, contre lesquels la violence et les actions haineuses s’exercent plus facilement. J’entends votre idéologie raciste, mais il y a une limite : les étrangers ont des droits sur notre sol.

Mme Edwige Diaz (RN). Je suis perplexe. Chaque fois que nous vous demandons de nous éclairer, vous nous dites que les données existent déjà, monsieur le rapporteur. Ce que nous vous demandons, c’est de les mettre à jour et de les joindre au rapport, afin qu’elles ne soient pas contestables. Il est important, en l’occurrence, d’ajouter l’impact budgétaire de la défense des étrangers extracommunautaires en France. Vous avez émis un avis défavorable sans même le justifier. Expliquez-nous la raison pour laquelle la réponse ne vous intéresse pas.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL310 de M. Aurélien Lopez-Liguori

Mme Pascale Bordes (RN). Le présent amendement vise à compléter l’alinéa 19 avec les mots « et leur nationalité ».

Une politique ambitieuse de contrôle de l’immigration se fonde sur une connaissance précise du phénomène migratoire. On a compté au niveau européen, en 2022, 331 400 franchissements irréguliers de frontières – un chiffre en hausse de 66 % par rapport à 2021. Les personnes sommées de quitter le territoire de l’Union européenne étaient essentiellement originaires d’Algérie, du Maroc et du Pakistan, mais les données n’offrent pas la vision précise de la situation en France dont nous avons besoin. Pour que notre pays puisse prendre des mesures adéquates de contrôle de l’immigration illégale, il est nécessaire d’identifier les pays d’origine des migrants qui sont présents de façon illégale sur notre territoire.

Avant d’entendre l’extrême gauche dire que cet amendement serait raciste, j’ajoute que nos débats semblent opposer les prétendus humanistes – qui veulent tout donner à tout le monde, sans limites ni contrôles, sur fonds publics – aux racistes rétrogrades. Vous n’êtes pourtant pas, chers collègues de l’extrême gauche, des parangons de vertu. Vous avez notamment une vision très sélective du racisme, car vous ne parlez jamais du racisme anti-blancs, qui existe pourtant ! De même, vos combats sont sélectifs : alors que vous marchez pour les droits des femmes – une cause à laquelle je souscris totalement –, on ne vous a jamais vus ni entendus défendre les droits des jeunes filles et des femmes violées par vos amis du Hamas !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Toutes les demandes que vous faites, collègues du RN, montrent simplement que vous n’avez pas travaillé ! Vous ne vous intéressez pas aux travaux de chercheurs comme François Héran, et ne croyez ni les chiffres du ministère de l’intérieur et des outre-mer, ni ceux avancés par votre propre camp. On en vient à se demander si des chiffres vous seraient réellement utiles, puisque vous les contesterez.

Par ailleurs, en vous attaquant au droit, vous démontrez que vous êtes opposés à l’État de droit, aux droits des étrangers, au droit conventionnel. Vous voulez que la France sorte des traités relatifs aux droits des personnes, mais pas de ceux qui concernent la finance ! Vous parlez d’efficience dans la maîtrise de la langue mais, dans le patelin où j’ai grandi, les paysans disaient que les étrangers parlaient mieux français que nous ! D’ailleurs, quand on lit certaines de vos propositions de loi, on se dit qu’il y a des étrangers qui feraient bien mieux !

Je reviens, plus sérieusement, à votre amendement : les chiffres relatifs à la nationalité des étrangers existent. Tout ce que vous voulez, c’est montrer que ce sont des Algériens, des Marocains ou des Pakistanais. Bref, vous faites preuve d’une islamophobie pure et dure, mais nous n’en sommes pas étonnés ! Notre groupe votera contre votre amendement.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Il y a là un vrai débat. Sans nécessairement adopter cet amendement, peut-être faut-il envisager l’élaboration de statistiques par nationalité, qui pourraient nous être utiles. Le fait de connaître de nombre d’étrangers en situation irrégulière venant des différents pays pourrait nous éclairer par exemple au moment de prendre certaines décisions diplomatiques. Ces informations pourraient aussi balayer certains stéréotypes existants. Ainsi, dans une prison que j’ai visitée récemment, la majorité des délinquants en situation irrégulière venaient de pays européens et non de pays subsahariens ou africains comme certains auraient pu le prétendre. Il me semble important d’avoir une connaissance plus approfondie de la nationalité des migrants illégaux, sans aucune arrière-pensée raciste.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous disposons déjà d’une série de données. Lorsqu’une personne en situation irrégulière demande l’aide médicale de l’État par exemple, sa nationalité est connue.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL326 de Mme Hedwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Nous aimerions que soit ajoutée, dans le rapport, une information sur le nombre de personnes en situation irrégulière par département. Je sais qu’il n’est pas facile d’obtenir cette information, puisque l’on a déjà du mal à connaître le nombre de personnes en situation irrégulière sur l’ensemble du territoire national.

Selon le ministère de l’intérieur et l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, leur nombre oscillerait entre 600 000 et 900 000. Nous aimerions que vous vous efforciez de nous donner leur répartition par département. En votant cet amendement, vous manifesterez votre volonté de connaître la réalité. Si vous nous répondez que l’on ne peut pas en savoir plus, nous considérerons qu’il s’agit d’une fatalité dont vous vous accommodez fort bien.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Nous sommes au milieu d’une série d’amendements obsessionnels ! Pour parler sérieusement de chiffres, parlons de ceux des patrons du bâtiment et travaux publics (BTP) et de la restauration – de ces patrons en général qui rappellent qu’ils ont besoin de trouver des travailleurs compétents, quelle que soit leur nationalité. Vos obsessions, collègues, mettent sur la paille des milliers d’entreprises. Le ministre délégué chargé de l’industrie a lui-même rappelé que nous avions besoin de personnes compétentes, venant de partout. Ce qui a fait la grandeur de la France, c’est d’avoir fait venir des intellectuels et des savants. Voilà tout ce que vous rejetez aujourd’hui.

Enfin, nous sommes nombreux à dénoncer les violences faites aux femmes, en tous lieux. Nous sommes nombreux à nous battre pour qu’elles cessent dans nos rangs, au sein de nos assemblées, et même à demander des sanctions. Au Rassemblement national, en revanche, de nombreuses affaires concernant des pédophiles et des violeurs n’ont jamais été prises en compte. (Exclamations parmi les députés du groupe RN.) Voulez-vous que je donne les noms ? Il s’agit d’élus ! Ces affaires sont publiques. Quand on donne des leçons, on essaye au moins d’être propre ! Chez vous, c’est la saleté qui prédomine ! Il est scandaleux d’instrumentaliser ainsi le combat contre les violences faites aux femmes, alors que vous n’avez jamais sanctionné les personnes condamnées dans vos rangs.

Mme Edwige Diaz (RN). Nous sommes indignés par les propos que nous venons d’entendre : une collègue accuse le Rassemblement national de faits absolument abjects ! J’ajoute qu’elle manque de courage, puisqu’elle refuse de donner les noms des personnes mises en cause ! Nous sommes particulièrement surpris de la tournure que prend cette réunion de commission, monsieur le président. On peut s’attendre à tout de la part de la NUPES, mais les propos que nous venons d’entendre dépassent les bornes !

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL280 de Mme Annick Cousin

Mme Annick Cousin (RN). Nous souhaiterions que soient publiés dans ce rapport des indicateurs permettant d’évaluer la qualification des étrangers demandant un visa de travail – ceux dont Mme Regol considère qu’ils sont une chance pour la France. Il s’agit de vérifier que nous avons effectivement besoin de ces personnes venant exercer un métier en tension, et qu’elles seront utiles à la nation.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Ces éléments sont évidemment connus, madame la députée. Avis défavorable.

M. Hervé Saulignac (SOC). Ce long tunnel d’amendements du Rassemblement national nous apprend deux choses. La première, c’est qu’il peut faire de l’obstruction quand il s’agit de servir son idéologie. La deuxième, encore plus savoureuse, c’est qu’il ne sait rien des étrangers dont il se nourrit pourtant à longueur de journée.

Plutôt que d’aligner des demandes d’informations supplémentaires, nos collègues auraient dû proposer un article additionnel en arguant qu’ils souhaitaient simplement tout savoir des étrangers pour mieux alimenter les fantasmes et faciliter leur traque – car c’est ce dont il s’agit ! Le but du Rassemblement national, avec tous ces amendements, c’est précisément de pouvoir stigmatiser l’ensemble des étrangers pour, tôt ou tard, organiser leur traque. Voilà la réalité !

Vous qui vous targuez de ne jamais faire d’obstruction, chers amis du Rassemblement national, et d’être constructifs et républicains, vous venez de vous nous prouver que vous êtes exactement l’inverse de ce que vous prétendez être.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Une question se pose, celle du type d’immigration de travail que nous voulons. Il y a aujourd’hui en France des immigrés qui travaillent, mais dont le plus grand nombre est arrivé avec un titre de séjour délivré pour raisons familiales. Il s’agit, de ce fait, d’une immigration sous-qualifiée et généralement subie.

D’après les chiffres de l’Insee, 40 % des immigrés ont un niveau brevet des collèges ou inférieur, contre 20 % de la population globale. Pour moi, ce projet de loi doit nous permettre d’accueillir une immigration de travail beaucoup plus qualifiée, d’augmenter le nombre de titres de séjour liés au travail et de réduire drastiquement le nombre de ceux qui sont liés à la famille. Le rapport que l’on observe en France dans ce domaine est en effet inverse à celui que l’on observe dans d’autres pays, comme le Canada et l’Allemagne. Il en résulte que, contrairement à ce qui se passe dans l’ensemble des autres pays du monde, où l’immigration est un bénéfice, elle représente en France un coût pour les finances publiques.

La question n’est pas tant de connaître les données – ce qui est effectivement important –, mais de savoir quoi en faire. Malheureusement, le présent projet de loi a plutôt tendance à ouvrir les vannes d’une immigration du travail sous-qualifiée et exploitée, pour multiplier les livreurs Uber Eats, plutôt qu’à aller chercher des ingénieurs.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne peux pas vous laisser dire que le premier motif d’immigration en France serait familial. Je rappelle qu’en 2022, 108 000 titres ont été délivrés à des détenteurs d’un visa étudiant, que 51 000 personnes d’origine étrangère se vont vu délivrer un titre pour motif économique et que, sur 330 000 titres délivrés à des ressortissants étrangers, 14 000 l’ont été au titre du regroupement familial. Au total, ce sont 90 000 étrangers qui sont arrivés dans le cadre de l’immigration familiale, dont la moitié est venue rejoindre son conjoint français. Essayons, monsieur Dumont, de nous appuyer sur des chiffres précis et rationnels.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL521 de M. Jordan Guitton

M. Jordan Guitton (RN). Nous devons disposer du chiffre exact des OQTF exécutées. Depuis dix-huit mois que siège cette assemblée, qui compte de nombreux nouveaux, ce débat ressurgit à chaque audition du ministre de l’intérieur, M. Darmanin, lequel nous dit parfois qu’il n’y en a pas de chiffre exact, parfois qu’il veut les appliquer strictement. Quant au garde des Sceaux, il dit qu’exécuter toutes les OQTF est impossible. À ce sujet, on entend cinquante nuances de macronisme !

La semaine dernière, lors de la discussion générale, M. Darmanin a contesté nos chiffres, affirmant que le nombre d’OQTF exécutées était bien supérieur. En 2022, le taux d’exécution était de 6,9 %, d’après le rapport d’activité de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL).

Nous devons disposer de ce chiffre pour éclairer les débats de notre assemblée. Cela permettra de faire taire les contestations que l’on nous oppose dès que nous donnons un chiffre. Le ministre de l’intérieur avance des arguments parfois techniques, parfois politiques, parfois statistiques, et jongle avec les mots, les statistiques et même les arguments. Il ne dit jamais deux fois la même chose sur cette question, qui est pourtant claire : quel est le nombre d’OQTF exécutées chaque année ?

Sans revenir sur les faits de délinquance avérés, je rappelle que certaines personnes sous OQTF sont, selon les mots de Marine Le Pen, des bombes humaines. Nous devons connaître le nombre d’OQTF réellement exécutées. À défaut, nous continuerons de mettre en danger nos compatriotes. Les faits de délinquance et les actes criminels commis par des personnes sous OQTF sont insupportables aux yeux de nos concitoyens.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Ne laissez pas croire que les chiffres n’existeraient pas et qu’ils ne seraient pas clairs, ou que le débat ne serait pas transparent ! Le ministre vient de vous répondre. Chaque année, 14 000 éloignements ont lieu et 140 000 OQTF sont prononcées – il faut distinguer le flux et le stock. C’est plus qu’en Allemagne. Quant au taux que vous avez indiqué, il est exact. Il figurera dans le rapport remis par le Gouvernement au Parlement et figure d’ores et déjà dans tous les rapports publics. Avis défavorable.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). On a parfois l’impression, en écoutant les membres du groupe Rassemblement national défendre leurs amendements, d’être sur le plateau de CNews. Les propos de ce genre sont un peu dérangeants.

Sur les OQTF et les expulsions, allez au bout de votre logique, chers collègues ! Vos amis d’extrême droite autrichiens ont fait un déplacement en Afghanistan pour que leur gouvernement puisse continuer à en expulser les ressortissants. Ce que vous souhaitez faire, c’est expulser des gens pour les envoyer à la mort, ce qui, de votre part, n’a rien de surprenant.

Julien Odoul, auquel un journaliste demandait s’il fallait laisser mourir de froid les migrants bloqués à la frontière biélorusse, a répondu « Bien sûr que oui ! ». Une députée du Rassemblement national a dit dans l’hémicycle, à propos de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), qu’elle « n’a pas vocation à devenir SOS Méditerranée ». Assumez-le : votre position est l’expulsion des gens, même dans un pays où leur vie est menacée, par exemple en Afghanistan ou en Syrie !

Vous êtes hors de toute humanité. Les débats qui précèdent le prouvent : vous êtes animés par une haine viscérale des étrangers, surtout s’ils n’ont pas la peau blanche et s’ils ne correspondent pas à votre idéal de société.

M. Thomas Ménagé (RN). Madame Regol, vous avez proféré des accusations abjectes. Vous salissez chaque jour un peu plus la politique, à la NUPES ! On a beau s’attendre à tout, vous vous permettez, chaque jour un peu plus, des choses indignes des Français qui nous regardent.

Le combat politique n’autorise pas tout. Il n’autorise pas à proférer de tels mensonges. Vous n’avez pas souhaité citer de noms, je vais vous en donner un, celui de M. Quatennens, votre collègue de la NUPES, qui a été condamné, lui, pour violences conjugales. Qu’avez-vous à en dire ? On ne peut pas continuellement insulter ses collègues et ne pas assumer ses propos !

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Les vôtres, qui fondent votre vision immigrationniste de la France, font du quotidien des Français un enfer. Cela fait plus de trois heures que vous donnez des leçons de morale, rappelant que l’hospitalité est une vertu sacrée, dégoulinant de bons sentiments. C’est tellement plus facile de se regarder dans la glace le matin en se disant que l’on est généreux ! Mais combien de MNA et d’immigrés accueillez-vous chez vous ? Comme chacun ici, vous êtes protégés. Vous avez un bon salaire, vous vous déplacez en taxi, vous vivez bien. Ailleurs, les Français vivent en face de la délinquance et de l’immigration de masse.

Vous vous dites généreux, mais vous êtes responsables des morts en Méditerranée. Si les migrants s’y aventurent et y meurent, c’est parce que vous leur laissez croire que notre pays est un eldorado. Assumez le fait que votre fausse générosité crée ces morts et ces drames ! Notre générosité est véritable : elle consiste à accueillir ceux que nous pouvons accueillir, soit, malheureusement, les seuls bénéficiaires du droit d’asile, qu’il faut préserver. Pour les autres, il faut dire « Stop ! ». C’est ce que les Français, dans leur grande majorité, attendent.

M. le président Sacha Houlié. Ce soir, ce sera une minute de temps de parole pour tout le monde.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL331 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Le rapport du Gouvernement doit aussi préciser la nationalité des personnes ayant fait l’objet d’une mesure d’assignation à résidence ou de placement en rétention.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous recevons de nombreuses leçons de féminisme du groupe Rassemblement national. Je demande à ses membres ceci : approuvez-vous les propos suivants, récemment tenus par le président de votre parti, M. Bardella : « Je ne vois pas la plus-value pour la société française d’accueillir des gens de Tchétchénie ou des gens d’Afghanistan » ? Je veux bien recevoir toutes les leçons de féminisme du monde, mais, si vous considérez les femmes sous l’angle de la plus-value et non du respect du droit, il me semble que leur protection est de notre côté et pas du vôtre.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL355 de Mme Edwige Diaz, CL403 de M. Pierrick Berteloot, CL518 de M. Jordan Guitton et CL1104 de M. Timothée Houssin (discussion commune)

Mme Edwige Diaz (RN). L’amendement CL355 vise à éclairer la représentation nationale et les Français sur le lien entre la délinquance et la criminalité, d’une part, et l’immigration d’autre part. N’en déplaise à nos collègues du groupe La France insoumise, 63 % des Français sont inquiets pour leur sécurité et 81 % d’entre eux le sont pour celle de leurs enfants. Sept Français sur 10 considèrent, comme Marine Le Pen, qu’il existe un ensauvagement de notre société.

Les derniers chiffres dont nous disposons datent de 2019. D’après l’Insee, parmi les auteurs de crimes et de délits commis en France, un peu plus de 20 % proviennent de l’Afrique hors Maghreb et un peu plus de 37 % du Maghreb. Autrement dit, 58 % des étrangers mis en cause en 2019 viennent d’Afrique. Nous souhaitons que ces précisions figurent dans le rapport. Les Français ont le droit de savoir s’il existe un lien entre l’insécurité et l’immigration massive et anarchique que nous subissons.

Mme Stéphanie Galzy (RN). L’amendement CL403 vise à permettre au Parlement de prendre connaissance du nombre de crimes et de délits commis par les étrangers sous OQTF, ainsi que du nombre de cas de récidive. L’actualité tragique récente rappelle que de nombreux crimes sont commis par des personnes sous OQTF. Pire encore, plusieurs sont commis par des étrangers sous OQTF n’hésitant pas à récidiver.

Que des personnes devant être expulsées du territoire commettent des crimes ou des délits est insupportable ; qu’elles soient en état de récidive rend la situation encore plus épouvantable. Apprendre qu’une personne sous OQTF, donc ne devant pas se trouver sur notre territoire, est condamnée pour viol et récidive, voire fait pire, est totalement insupportable pour les Français.

Mesurer précisément l’état de la criminalité des étrangers sous OQTF présente un intérêt certain pour les parlementaires. Par ailleurs, cela permet d’apaiser le débat. Disposer d’un chiffre clair, précis et indiscutable écartera de facto les approximations et permettra d’avoir le débat sans tabou sur des points concrets qu’attendent les Français.

M. Jordan Guitton (RN). Monsieur le rapporteur général, les amendements du groupe Rassemblement national visant à enrichir le rapport du Gouvernement prévu par votre texte ne sont pas si nombreux, compte tenu de l’ampleur de ce dernier.

L’amendement CL518 vise à faire connaître au Parlement le nombre et le taux d’étrangers qui peuplent nos prisons. Comme le montre ce débat, chaque fois que nous évoquons le lien entre l’immigration et la délinquance, notamment celle des MNA qui fraudent et contournent le système, vous êtes gêné, affirmant que les chiffres existent ici ou là. Nous voulons de la clarté. Vous défendez un grand texte sur l’immigration. Vous voulez, selon les mots du ministre de l’intérieur, faire preuve de fermeté en la matière.

La fermeté commence par le constat, dont le rapport prévu à l’article 1er A tiendra lieu. Nous voulons l’enrichir autant que possible, pour que la représentation nationale et nos compatriotes disposent de chiffres précis. Un quart des détenus sont des étrangers. Ce chiffre doit figurer dans le rapport et être connu de nos compatriotes.

L’amendement vise aussi à résoudre le problème de la surpopulation carcérale, ce qui suppose certes de construire davantage de prisons, mais aussi d’exclure de nos prisons les délinquants et criminels étrangers, ce qui libérerait un quart de leur capacité opérationnelle.

M. Timothée Houssin (RN). Il s’agit de faire figurer dans le rapport le nombre d’étrangers inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Les derniers chiffres datent de 2018 ; il y en avait alors 613. Encore ne s’agissait-il que de ceux qui étaient identifiés comme étant ou ayant été en situation irrégulière. Nous aimerions connaître aussi le nombre d’étrangers en situation régulière qui y figurent et qui, comme tels, doivent être surveillés et n’ont pas vocation à rester sur notre territoire.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Guitton, il ne s’agit pas de notre texte. Le texte que nous étudions est celui du Sénat. Ce dernier a introduit l’article 1er A, sur lequel j’ai déposé des amendements permettant, me semble-t-il, de l’améliorer.

J’émets un avis défavorable aux amendements. Les chiffres sont connus. Le ministre de l’Intérieur a très régulièrement l’occasion de communiquer le nombre d’étrangers inscrits au FSPRT. Le préfet de police de Paris, lors de son audition, en a donné le nombre pour la juridiction qui est de son ressort.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur général, le texte que nous étudions a certes été adopté par le Sénat, mais avec de nombreux avis de sagesse de M. le ministre de l’intérieur.

Je comprends la difficulté à laquelle se heurte le groupe Rassemblement national : le texte est déjà tellement xénophobe, il véhicule tant de préjugés et dégrade tellement les droits des étrangers, qu’il ne vous reste pas grand-chose à vous mettre sous la dent ! Nous assistons donc à une surenchère sans fin.

Sur le lien que vous vous obstinez à établir entre délinquance et présence des étrangers, le plus simple est de vous renvoyer au rapport publié en avril dernier par Arnaud Philippe et Jérôme Valette, chercheurs au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). Cet organisme étant rattaché à Matignon, le moins que l’on puisse en dire est qu’il n’a rien à voir avec nous. Après avoir fait la synthèse de nombreuses recherches à ce sujet, menées depuis plusieurs décennies, ils concluent qu’il n’existe aucun lien entre délinquance et immigration.

M. Jordan Guitton (RN). Monsieur le rapporteur général, nous étudions peut-être le texte du Sénat, mais vous avez déposé un amendement visant à supprimer l’article 1er A qui a bizarrement disparu. Si vous ne déposez aucun amendement visant à supprimer l’article ni ne votez ceux de l’extrême gauche qui sont identiques, il devient le vôtre, d’autant que vous supprimerez d’autres articles également introduits par le Sénat, avec les voix de l’extrême gauche.

Ou bien ce texte est le vôtre et vous devez l’assumer, ou bien il ne l’est pas et vous en supprimerez les articles que vous n’approuvez pas. Votre argument est de mauvaise foi, à moins qu’il ne soit le signe de la difficulté des cinquante nuances de macronisme à s’accorder !

M. le président Sacha Houlié. Avant de mettre un article aux voix, il faut examiner tous les amendements dont il fait l’objet.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Il faut vite sortir de ce tunnel des horreurs, même si nous y reviendrons sans doute rapidement et régulièrement ! Nous entendons le narratif xénophobe consistant à mettre un signe d’équivalence entre étrangers d’un côté, délinquants et terroristes de l’autre. La politique du bouc émissaire est le fonds de commerce du Rassemblement national, inscrite en permanence dans un récit xénophobe.

À force de voir l’humain uniquement sous le prisme de l’étranger, il ne voit même pas que, pour la plupart des délits et des crimes, il parle d’abord d’hommes. Parce que 97 % des places de prison sont occupées par des hommes, faut-il expulser tous les hommes de ce pays ? Ou faut-il se préoccuper du virilisme ambiant ? Faut-il ou non condamner « Gros lardon », qui explique que les étrangers volent leurs femmes aux Blancs ? Regardez de ce côté, celui du machisme et du virilisme, plutôt que du côté de l’étranger, cela permettra de régler quelques problèmes de notre société !

M. Timothée Houssin (RN). M. le rapporteur général dit que tel ou tel chiffre a été donné, lors d’une audition à telle date lointaine, en visioconférence. Nous ne contestons pas l’existence des chiffres. Nous voulons qu’ils soient rassemblés dans le rapport annuel prévu par le texte, ce qui permettra notamment d’établir des comparaisons.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Élisa Martin, vous avez dit que le projet de loi du Gouvernement est xénophobe. Lutter contre l’écosystème consistant à exploiter des ressortissants de nationalité étrangère, est-ce xénophobe ? Criminaliser les passeurs, est-ce xénophobe ? Lutter contre les marchands de sommeil, est-ce xénophobe ? Infliger des sanctions administratives aux employeurs voyous, est-ce xénophobe ? Délivrer un titre de séjour à toute personne victime de proxénétisme, est-ce xénophobe ?

Si nous voulons avoir des débats approfondis, quelles que soient nos divergences, qui sont tout à fait naturelles entre formations politiques n’ayant pas tout à fait la même sensibilité, il faut éviter ce genre d’anathèmes. Je ne les accepte pas.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL496 de Mme Andrée Taurinya

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Depuis plus de trois heures, nous sommes dans un tunnel d’ignominie et de propos abjects. Nous n’avions pas besoin d’une énième réforme de l’asile et de la migration. La Macronie l’a voulue, la voici ! Elle a été durcie par le Sénat, qui a notamment introduit l’article 1er A. Nous avons échoué à le supprimer, ce qui permet au Rassemblement national et à la droite de donner libre cours à leurs fantasmes.

Les mots ont un sens. Nous réifions des êtres humains, arrivés sur notre territoire après des parcours dramatiques, voire tragiques, effectués dans des conditions terribles. Il est question d’en faire l’inventaire, comme s’il s’agissait des stocks d’un magasin ! C’est terrible !

L’amendement CL496 est un amendement de repli, visant à comptabiliser les personnes, notamment les enfants, qui dorment à la rue. Chers collègues du groupe Rassemblement national, il va falloir prouver que vous aimez les enfants, et que vous ne faites pas de distinction raciste entre eux ! Le mois dernier, 2 822 d’entre eux étaient dépourvus de solution d’hébergement faute de mise à l’abri disponible, d’après un constat alarmant de l’Unicef. Le 115 n’a pas de solution d’hébergement pour tout le monde.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Taurinya, nous n’avons pas peur du débat, ni sur l’immigration, ni sur aucun autre sujet. Nous avons accepté la proposition du Sénat consistant à débattre chaque année de la question migratoire. Nous n’en avons pas moins des divergences profondes avec lui.

Il souhaite fixer un plafond annuel d’entrées sur notre territoire ; nous considérons que cela n’est pas souhaitable. Il souhaite contraindre l’ordre du jour à venir du Parlement ; cela n’est pas constitutionnel. Il souhaite que le Parlement détermine les chiffres de la politique migratoire ; cela ne l’est pas davantage.

Le nombre de personnes contraintes de dormir dans la rue ne peut être connu avec précision. Le dispositif d’hébergement d’urgence n’en a pas moins été considérablement renforcé. J’espère que vous voterez notre amendement visant à supprimer une disposition introduite par le Sénat consistant à réserver l’hébergement d’urgence aux personnes en situation régulière.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Cet amendement vise les gens qui dorment à la rue. Nous ne devrions pas devoir en parler. En 2017, lorsqu’il a été élu, M. Macron a déclaré que plus personne ne dormirait dans la rue « d’ici la fin de l’année ». Le problème devrait être réglé depuis six ans. S’il ne l’est toujours pas, c’est parce que la majorité a opté pour une politique de cadeaux fiscaux systématiques aux riches, qui ne répartit pas l’argent pour que nos compatriotes les plus pauvres soient mis à l’abri.

Tout à l’heure, un collègue du Rassemblement national nous a dit : « C’est tellement plus facile de se regarder dans la glace le matin en se disant que l’on est généreux ! ». La question est de savoir non si l’on est généreux, mais ce qui fait de nous des Français.

La devise de notre pays est « Liberté, égalité, fraternité ». Nous considérons chaque être humain à égalité des autres, « sans distinction d’origine, de race ou de religion », comme l’indique l’article 1er de la Constitution, que vous devriez consulter plus souvent, chers collègues. Quant à la fraternité, elle nous enjoint de nous occuper des autres. Être français, c’est être généreux et ressentir une fraternité avec l’humanité.

Vous dites en substance que nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde. Commençons par partager la richesse de celles et de ceux qui ont beaucoup et qui s’enrichissent sur le dos des Françaises et des Français qui travaillent, ainsi que sur celui des personnes immigrées, qui travaillent dans des conditions parfois déplorables sous la contrainte de patrons voyous ! Commençons par nous occuper de ceux qui ont le moins en prenant à ceux qui ont le plus ! Vous verrez, il y a bien assez d’argent pour que tout le monde vive heureux.

M. Arthur Delaporte (SOC). L’amendement a le mérite de mettre l’accent sur une situation réelle, à laquelle nous sommes tous confrontés dans nos circonscriptions, qui est l’impossibilité de loger des familles. À Caen, la situation est horrible. Il est difficile d’entendre l’État dire son incapacité à loger des familles, dont les enfants ont parfois 3, 5 ou 8 ans, et qui doivent dormir dans des tentes par zéro degré dehors.

Nous devons en mesurer l’effectif, sans nous en tenir aux appels au 115 refusés, car certaines familles n’appellent plus. Au moins 3 000 enfants dorment dans la rue, sans doute deux, voire trois fois plus. Certaines familles vivent dans des squats, dont certains n’ont plus de gaz. Dans mon département, on coupe le gaz à des enfants.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1001 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Les membres du groupe Rassemblement national cherchent à faire entrer des éditoriaux entiers de CNews dans le rapport du Gouvernement prévu par la loi. Ils prennent le risque de jeter sa rédaction au chômage !

Depuis plus de trois heures, j’entends dire que nous sommes généreux, partisans de la morale humaniste, droit-de-l’hommistes, bien-pensants, angéliques. Je vous le dis très clairement, mesdames et messieurs du Rassemblement national : je préfère être généreux qu’égoïste, humaniste que raciste, moral qu’immoral, droit-de-l’hommiste qu’opposé aux droits de l’homme, bien-pensant que pensant à mal, ange plutôt que démon.

Le présent amendement vise à reconnaître la situation particulière des travailleurs saisonniers, de celles et ceux à qui vous déniez des droits et leur dignité, qui travaillent et sont, autant sinon plus que les autres, victimes de la précarité, des accidents du travail et de la souffrance au travail. Voilà ce dont il faudrait parler, plutôt que vos fantasmes et de vos délires !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je comprends le fond de l’amendement, mais je m’interroge sur son intérêt. Pourquoi viser spécifiquement les ressortissants de nationalité étrangère ? Les accidents du travail et les décès au travail doivent nous préoccuper pour chacun et pour chacune. Avis défavorable.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Les travailleurs saisonniers sont exploités. Plusieurs d’entre eux ont récemment péri lors d’accidents du travail dans les vignes de Champagne. La plupart d’entre eux, qui sont environ 100 000, sont originaires de Pologne et de Bulgarie. Leurs semaines de travail explosent. Dès lors que des travailleurs sont exploités, il faut en tenir compte et lutter contre. Tel est l’objet de l’amendement.

Lorsqu’il s’agit de déposer des amendements pour cibler les étrangers, établir des liens odieux entre immigration, délinquance et insécurité, ou demander l’inscription d’indicateurs de contrôle supplémentaires dans la loi, l’extrême droite répond présent ! Sur les gens exploités, dont la situation est catastrophique, elle a proposé de décaler les jours de repos dans les vignes de Champagne ! L’extrême droite est toujours la même : lorsqu’il s’agit de savoir si elle est ou non du côté du capital et du patronat, elle se range toujours du côté de celles et ceux qui exploitent la misère du monde.

M. Arthur Delaporte (SOC). Il sera bientôt l’heure de la pause, et nous irons dîner, éventuellement dans des restaurants où travaillent, en cuisine, des travailleurs étrangers. L’Assemblée nationale n’est pas au-dessus de tout reproche : certains de ses sous-traitants emploient de la main-d’œuvre étrangère. Il y a un an, un accident du travail mortel y a eu lieu.

Malheureusement, les statistiques de la précarité tiennent insuffisamment compte de la nationalité. L’amendement a le mérite de rappeler cette triste réalité et de mettre en avant celles et ceux que nous exploitons et que nous refusons de voir.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Delaporte, vos propos m’incitent à penser que vous voterez l’article 4 bis.

M. Boris Vallaud (SOC). Ce n’est pas gagné !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Ce qui ce qui me gêne, c’est que l’amendement cible uniquement les décès au travail et les accidents du travail. Une vision plus globale, tenant compte de la situation socioéconomique et des besoins sociaux dans leur ensemble, me semble préférable, d’autant qu’elle n’est pas prévue dans le rapport.

L’amendement CL1582 de M. Gouffier Valente vise à y introduire une évaluation des bénéfices de l’immigration en matière économique et sociale. J’imagine que vous le voterez, chers collègues de la NUPES. Quoi qu’il en soit, nous devons réfléchir, d’ici à l’examen du texte en séance, à la situation socioéconomique des migrants dans une perspective élargie, qui serait utile pour éclairer le Parlement.

La commission rejette l’amendement.

Deuxième réunion du lundi 27 novembre 2023 à 21 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/0PAV23

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Article 1er A (nouveau) (suite)

Amendement CL1007 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). La liste des métiers en tension est contestable, car de nombreux corps de métiers n’y figurent pas, alors que les professionnels concernés se plaignent de ne pouvoir recruter. Dès la version initiale de votre projet de loi, cette pseudo-compensation humaniste à sa brutalité ne nous paraissait pas satisfaisante.

L’amendement vise à évaluer l’impact qu’aurait l’inscription de nouveaux métiers sur cette liste, tant sur le secteur économique que sur l’accueil des étrangers en France.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne vois pas l’intérêt d’ajouter ces indications dans le rapport. En revanche, nous aurons sur l’article 4 bis un débat qui sera, je l’espère, long et approfondi et pour lequel j’ai déposé un amendement. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1008 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Il vise à appeler l’attention du Gouvernement sur le manque criant de moyens octroyés aux préfectures pour le traitement des demandes qu’elles doivent instruire – c’est une réalité que nous connaissons tous – en intégrant ces données dans un rapport destiné à soutenir une réflexion globale sur la politique migratoire de la France. Il faut en effet savoir si nous avons les moyens d’appliquer une telle politique.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Cette critique de M. Lucas est essentielle. De fait, la légère augmentation du nombre de fonctionnaires à la faveur de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) n’est pas suffisante par rapport aux besoins des services publics. Un autre moyen serait de libéraliser le traitement de l’octroi des titres de séjour au nom du droit d’asile.

À côté de la logique de simplification – terme qui plaît beaucoup à M. le ministre –, il faut aussi tenir compte d’une logique de service public, qui est vraiment mise à mal. Le grand défi du XXIe siècle consiste à réinvestir intégralement le service public, mais 400 fonctionnaires supplémentaires n’y suffiront pas : peut-être faudrait-il rétablir les 4 000 qui ont été supprimés à l’époque de M. Hollande – ce dont, il est vrai, vous n’êtes pas comptables.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1009 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). S’il est – pour employer une expression qu’utilisent souvent nos collègues du Rassemblement national – un « grand remplacement » qui est bien réel, c’est celui des agents du service public et des fonctionnaires – des êtres humains, en somme – par des machines. Cet amendement vise à ce que le rapport remis au Parlement soit l’occasion d’une réflexion sur les conséquences délétères d’une dématérialisation des démarches de demande de titre de séjour. Tout le monde, en effet, n’a pas un accès stable à une connexion internet, et notre souci fait d’ailleurs écho à l’avis émis par notamment par la Défenseure des droits à propos de la dématérialisation. « L’humain d’abord », formule chère à Mme Faucillon, pourrait être aussi un beau slogan pour le service public et pour éclairer les questions dont nous traitons ce soir.

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est bien ce que prévoit le droit existant. Il faut à la fois un accompagnement et des solutions alternatives, comme l’a rappelé le Conseil d’État voilà déjà quelques années. L’amendement est donc tout à fait satisfait.

Par ailleurs, le rapport qui sera présenté au Parlement n’est pas un rapport d’évaluation et l’amendement n’a donc pas sa place ici. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Pendant des années, j’ai vu, devant la préfecture de mon département des Hauts-de-Seine, très tôt et dans le froid, de longues files d’attente et, dans ces files, des gens qui profitaient de cette misère pour revendre leur place. La dématérialisation a pour une part réglé ces difficultés, mais elle a aussi rendu invisible l’attente de beaucoup de demandeurs et n’a pas effacé pour autant les trafics car, pendant un certain temps, de très nombreuses personnes ont profité de ce système informatique pour continuer à vendre des créneaux de rendez-vous.

Comme le dit la Défenseure des droits, la dématérialisation éloigne les plus vulnérables, et cette procédure les met en grande difficulté. La dématérialisation a des avantages pour un grand nombre de citoyens, mais quand elle devient un désagrément, il faut un accompagnement humain. C’est du reste ce que dit aussi la Défenseure des droits. On nous a annoncé un accueil en préfecture mais, dans mon département, il faut déjà avoir un rendez-vous pour pouvoir accéder à l’informatique et, même alors, on ne vous aide pas dans vos démarches. Finalement, le traitement des étrangers est à l’image de celui que l’on inflige à bon nombre de personnes vivant dans notre pays, en particulier les plus âgés et les plus pauvres.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1015 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nos collègues du Rassemblement national ont rappelé force chiffres et sondages et, de fait, l’opinion telle qu’on la fabrique semble effectivement adhérer à certains fantasmes et contrevérités sur les questions migratoires. Nous croyons, quant à nous, qu’un débat éclairé, apaisé et fondé, comme le suggérait M. Kerbrat, sur d’excellentes lectures, notamment des travaux de M. François Héran, nourris des réalités statistiques, ferait apparaître les présupposés de ce texte et montrerait aux Français qu’il n’y a pas de « submersion migratoire » et que « l’appel d’air » dont il a beaucoup été question ici n’existe pas.

L’amendement, qui est une sorte d’invitation ou d’appel, vise donc à étudier l’impact qu’aurait sur l’immigration une convention citoyenne, que proposent de nombreuses associations.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Pour l’immigration comme pour d’autres sujets, on peut débattre de l’intérêt d’une convention citoyenne, mais ce n’est pas ce que propose votre amendement, qui demande au Gouvernement de rendre compte des conséquences éventuelles qu’aurait sur le débat parlementaire une telle convention citoyenne sur l’immigration. Qui plus est, cette convention n’existe pas.

Par ailleurs, je rappelle que la convention sur le climat a été créée, à l’initiative du Président de la République, par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), et non pas par le Gouvernement, et je ne pense pas qu’il revienne au Parlement de prévoir qu’un tiers des participants au débat, si légitimes soient-ils, lui soient imposés dans son propre débat préalable. Ce n’est pas très cohérent. Avis défavorable.

Mme Edwige Diaz (RN). Nos collègues de la NUPES sont bien naïfs d’appeler de leurs vœux une convention citoyenne, car nous avons déjà vu que ni la convention citoyenne sur le climat, ni le grand débat n’ont rien donné, et que les rencontres de Saint-Denis ne donnent rien non plus. Plutôt donc que d’invoquer un énième gadget, nous les invitons à soutenir la proposition de Marine Le Pen de proposer aux Français de s’exprimer par référendum à ce propos. Vous aurez déjà un avis sur la question le 9 juin prochain, lorsqu’ils seront consultés à l’occasion des élections européennes : s’ils considèrent qu’il y a trop d’immigration en France, ils voteront pour la liste de Jordan Bardella.

Mme Annie Genevard (LR). Je suis, moi aussi, très réservée quant à l’appel à cette convention citoyenne, mais permettez-moi surtout de dire à nos collègues de La France insoumise que je trouve assez savoureuse leur invitation à un débat apaisé.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous sommes tout à fait apaisés et je ne comprends pas cette provocation inutile.

Monsieur le rapporteur général, vous dites vous-même que mon amendement est très timide, voire timoré. Cela prouve que nous pouvons être constructifs : ma proposition de voir quelles pourraient être les conséquences d’une telle convention est un premier pas. C’est une forme de coconstruction et vous seriez donc bien inspirés de saisir la main qui vous est tendue.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL462 et CL463 de M. Timothée Houssin

M. Timothée Houssin (RN). L’amendement CL462 propose de comparer le coût moyen d’une demande d’asile, selon qu’elle est déposée à l’étranger ou sur le territoire français. Le droit d’asile, auquel nous sommes attachés, est quelque peu dévoyé et devient une filière d’immigration illégale en raison du nombre des personnes déboutées de leur demande d’asile qui restent sur le territoire français.

Dans la très grande majorité des cas, le traitement des demandes d’asile doit être organisé dans les ambassades et les consulats des pays d’origine ou des pays limitrophes, ce qui nous éviterait un problème important. Les chiffres datent un peu, mais en 2015, la Cour des comptes estimait que 96 % des déboutés du droit d’asile restaient en France, ce qui est considérable.

Quant à l’amendement CL463, il vise à ce que le rapport indique, avec des chiffres actualisés et sur un total de 150 000 demandes d’asile par an, le nombre total des déboutés et, surtout, la proportion de ceux-ci qui quittent effectivement le territoire français. Puisque la Cour des comptes a pu produire ces chiffres en 2015, cela montre bien qu’il y a moyen de les obtenir.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Voilà quelques heures, notre collègue Saulignac s’étonnait de votre totale méconnaissance des phénomènes migratoires. De fait, aucune demande d’asile n’est jamais enregistrée à l’étranger. Le cas échéant, des visas sont délivrés par nos services consulaires pour que les demandeurs puissent venir enregistrer leurs demandes en France, où elles seront analysées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), mais ce que vous décrivez n’existe pas. Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Une femme afghane qui, sous le régime des talibans, voudrait faire une demande d’asile en France en raison des violences contre les femmes perpétrées en Afghanistan ne le pourrait pas, malgré tout ce que peut nous dire le Rassemblement national. De même, une personne homosexuelle ou LGBTI ne pourrait pas davantage déposer en Iran une demande d’asile pour être protégée en France.

Je le répète, vous n’êtes pas crédibles à propos du droit d’asile quand le président de votre parti, M. Bardella, déclare qu’il ne voit pas quelle plus-value il y aurait à accueillir les femmes afghanes. Il s’agit là de droit international relatif à la protection des personnes, et nous ne gérons pas le droit d’asile en fonction d’une plus-value, mais en fonction d’un régime de protection des droits. La proposition est absurde.

Les demandes d’asile en France doivent être organisées, au moyen de visas. Nous proposerons d’établir des couloirs humanitaires, pratique qui du reste existe déjà, certaines associations étant agréées par le ministère de l’intérieur et les consulats. C’est beaucoup plus logique que d’obliger à déposer des demandes d’asile dans des pays dont les ressortissants doivent précisément faire l’objet des protections offertes.

M. Erwan Balanant (Dem). Nous avons déjà eu ce débat en commission des lois à propos de je ne sais plus quel texte du Rassemblement national, sur lequel vous aviez formulé cette même proposition. Ce soir, ma réponse ira dans le sens de celle de M. Kerbrat.

En effet, un opposant politique aux talibans qui voudrait demander l’asile à la France devrait, selon vous, se rendre au consulat, or il n’y a plus de consulat de France, précisément parce que les talibans sont au pouvoir. Cette personne devrait donc aller à Islamabad, où le grand nombre de demandes d’asile se traduit par une longue queue devant le consulat : les talibans et leurs amis n’auront plus qu’à regarder qui est dans cette queue et à ramener ces personnes au pays. C’est stupide, et c’est tout le contraire de l’asile, qui est l’accueil de gens que nous devons protéger dans notre pays au titre de la Convention de Genève de 1951, rédigée au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Vous êtes ridicules.

M. Timothée Houssin (RN). Pour reprendre votre exemple, pour quitter l’Iran ou l’Afghanistan, il est plutôt plus facile pour un Iranien ou un Afghan d’enregistrer sa demande d’asile dans son pays d’origine ou dans les pays limitrophes sur sa route de migration que de venir jusqu’en France.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Houssin, ce que demande votre amendement, c’est le coût moyen des demandes d’asile formulées à l’étranger, or cette procédure n’existe pas.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL266 de la commission des affaires étrangères, CL499 de M. Thomas Portes et CL1012 de M. Benjamin Lucas (discussion commune)

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Cet amendement, que la commission des affaires étrangères a adopté la semaine dernière, propose d’ajouter au rapport une évaluation de la dimension externe des migrations, notamment des causes structurelles qui sont à l’origine des mouvements migratoires. On pense, bien sûr, aux questions sécuritaires, économiques et climatiques, ainsi qu’à l’utilisation des migrations comme instrument hybride par des régimes autoritaires, comme la Biélorussie. Cette évaluation permettra de continuer à éclairer le travail de transparence et de contrôle démocratique que permet ce rapport annuel remis au Parlement, et de montrer qu’il n’y a pas de réponse à la question migratoire dans le repli nationaliste, mais que toute solution passe nécessairement par la coopération européenne et internationale.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). L’amendement CL499 vise à inclure dans le rapport des éléments permettant d’évaluer la situation des réfugiés climatiques et les répercussions du réchauffement climatique sur les causes des migrations. Je sais que, dans cette salle, certains nient le changement climatique, mais il s’agit pourtant de l’une des données majeures des migrations de demain. Ainsi, en 2022, on a compté dans le monde 32 millions de déplacés climatiques. Le réchauffement climatique entraîne des migrations qu’il faut anticiper.

Il faut également anticiper l’accueil, car nous aurons à accueillir des gens. Or j’ai l’impression que, depuis le début de nos débats, le mot d’accueil est un gros mot pour certains.

Ces éléments nous permettront peut-être également de disposer d’informations sur les causes de ce réchauffement climatique et de remettre en cause le système capitaliste, qui crée des inégalités. En effet, 84 % de l’économie mondiale est localisée dans vingt pays, notamment le nôtre, où certains alimentent des thèses racistes, tel Vincent Bolloré, qui va piller les pays d’Afrique, avant de dénoncer la venue en France de gens qu’il a exploités et privés de toute ressource.

Nous avons donc bien besoin d’une étude sur l’impact du réchauffement climatique et sur les causes des migrations.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’amendement CL1012 vise, lui aussi, à ce que cette réalité soit prise en compte. Voilà quelques heures, le secrétaire général des Nations unies a appelé à briser le « cycle meurtrier » du réchauffement – ce grand réchauffement bien réel qui bouleversera le monde que nous connaissons – et qui, d’ailleurs, le bouleverse déjà. Cette donnée, absente des réflexions d’un grand nombre des groupes de notre assemblée, doit être au cœur du débat sur notre place dans le monde, sur notre capacité à accueillir et sur le rôle que nous pouvons jouer face à ce grand dérangement du monde.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Parmi ces amendements, je préfère celui de la commission des affaires étrangères, qui a rendu son avis après en avoir débattu. Il est plus large que les deux autres, car il s’intéresse aux causes structurelles et à l’origine des mouvements migratoires, dont la cause climatique. Avis favorable donc à l’amendement CL266 et défavorables aux deux autres.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. J’ajouterai trois éléments, qui font écho au débat que nous avons eu au Sénat.

Premièrement, il est incontestable que les réfugiés climatiques sont nombreux et le seront de plus en plus – entre 24 et 30 millions de personnes par an, soit entre 60 000 et 100 000 par jour. Ce phénomène frappe d’abord les pays du Sud entre eux, comme vous l’avez dit dans le débat introductif et dans la discussion qui a accompagné l’audition à laquelle vous m’avez invité la semaine dernière. Ce sera ensuite le tour de la France, notamment dans ses territoires ultramarins, en particulier ceux qui touchent l’Océanie.

La question de l’accueil des réfugiés climatiques se pose donc déjà – le deuxième pays d’où nous proviennent des demandes d’asile est le Bangladesh, pour des motifs en partie centrés sur les problèmes climatiques – et cette thématique prendra une importance croissante.

Deuxièmement, à ma connaissance, à part l’Australie, aucun pays au monde n’a réfléchi à l’accueil de ces réfugiés en définissant une sorte de droit d’asile climatique. Les grands cadres internationaux, comme l’ONU ou la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh), ayant été conçus au lendemain de la seconde guerre mondiale, et la Cedh en pensant particulièrement aux réfugiés politiques, il conviendrait d’adapter notre droit d’asile occidental pour tenir compte des réfugiés religieux et de ceux qui le sont en raison de leur orientation sexuelle, ainsi que des réfugiés climatiques. Nous pouvons certes faire ce travail à l’échelle de notre nation, mais les engagements internationaux de la France devraient l’inviter à porter ces questions à l’échelle internationale.

Troisièmement, si nous voulons des critères efficaces, ils doivent être au minimum à l’échelle d’un continent, car même si l’Australie, qui est un continent-île, ne connaît pas les mêmes difficultés que la France, nous pourrions nous enrichir de sa réflexion et de celle de certaines associations et de certains membres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et de l’Ofpra. Sur la base de la jurisprudence de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et du débat que peut susciter notre projet de loi, nous pourrions mener cette action internationale.

Sur l’amendement, je me range à l’avis du rapporteur général. Quant aux questions plus précises portant sur le réchauffement climatique, qui concernent aussi bien l’Assemblée nationale que le Sénat, nous les évoquerons sans doute lors de l’examen du texte dans l’hémicycle.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il est incontestable que nous devons examiner les problèmes externes qui font que la question migratoire se pose chez nous.

L’amendement de la commission des affaires étrangères est intéressant, mais un peu désincarné. Il gagnerait, d’ici à la séance publique, à être réécrit en le mixant avec celui de M. Lucas ou de M. Portes, qui évoquent expressément le réchauffement climatique.

M. Charles de Courson (LIOT). C’est un très bon amendement, qu’il conviendrait toutefois de sous-amender en supprimant le mot : « notamment ».

M. le président Sacha Houlié. Nous verrons certainement cela en séance.

Mme Annie Genevard (LR). Les propos de M. le ministre me laissent interrogative, car ils me semblent ouvrir la voie à la reconnaissance de la notion de réfugié climatique. Les chiffres cités dans l’exposé sommaire qui accompagne l’amendement de M. Lucas sont considérables, car des populations entières sont concernées. Nul ne peut ignorer que l’évolution est à venir, mais n’est-ce pas nous donner bonne conscience que d’adopter cet amendement tout en sachant que nous ne serons jamais en mesure d’accueillir des réfugiés climatiques aussi massivement que ce phénomène le demanderait ?

Monsieur le ministre, lorsque vous dites que la CEDH pourrait utilement revoir sa doctrine en la matière, est-ce à dire que vous ouvrez la porte à la reconnaissance de la notion de réfugié climatique ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Notre pays est l’un des premiers concernés. En effet, 70 % des habitants de la Nouvelle-Calédonie habitent sur le trait de côte et seront touchés dans les trente ans qui viennent. Cet exemple de déplacement de population pourrait s’appliquer aussi à la Polynésie française.

Ensuite, mieux vaut que nous définissions dans des traités internationaux les critères en matière de déplacements de populations, de proximité et d’accueil, voire de dédommagement, plutôt que de laisser la CNDA faire sa propre jurisprudence, laquelle entérinerait sans doute une définition assez large des flux de réfugiés climatiques. Je le répète, seule l’Australie a fait ce travail de construction. Je rappelle aussi que, pour ce qui concerne la France, que le deuxième pays d’origine des demandes d’asile que nous recevons est, après l’Afghanistan, le Bangladesh, où les raisons politiques de ces demandes ne sont pas évidentes.

La commission adopte l’amendement CL266.

En conséquence, les amendements CL499 et CL1012 tombent.

Amendement CL501 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il conviendrait d’intégrer à la définition des « pays sûrs » des éléments liés à la démocratie et à la réalité de l’État de droit. La question n’est pas mineure, car la qualification de pays sûr peut faire accélérer l’examen des demandes d’asile des ressortissants de ces pays et réduire leurs droits. L’asile est une notion politique, qui permet, en creux, de caractériser les pays d’origine de ses bénéficiaires. Nous proposons donc d’objectiver la notion de pays sûr.

M. Florent Boudié, rapporteur général. La liste des pays d’origine sûrs (POS) n’est pas établie par le pouvoir politique, mais par l’Ofpra. Du reste, cette liste peut donner lieu à des recours. Ainsi, après un recours de la Cimade en ce sens, le Conseil d’État avait retiré plusieurs pays de la liste des POS, notamment le Sénégal, en raison de risques importants de discrimination à l’encontre notamment des personnes LGBT. La liste est évidemment établie en tenant compte de la situation démocratique et des caractéristiques propres à chaque État de droit, notamment en termes de libertés publiques. Avis défavorable, donc, car l’amendement est satisfait.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL523 de M. Timothée Houssin

M. Timothée Houssin (RN). Il vise à connaître le taux d’activité des étrangers arrivés en France au titre du regroupement familial. Dans la population de ces étrangers en âge de travailler, quel est le taux de personnes qui travaillent ou qui sont au chômage après avoir cotisé ?

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Le discours du Rassemblement national exprime une véritable obsession du regroupement familial, comme si une masse de gens venaient profiter du système. Or le regroupement familial concerne entre 12 000 et 14 000 personnes par an. La présentation du professeur François Héran montre du reste que la migration familiale n’est pour rien dans la hausse du nombre de délivrances de titre de séjour, et même qu’elle recule de 3 % depuis 2005. Il serait donc de bonne méthode de retirer cet amendement, qui procède uniquement de cette obsession sans fondement du Rassemblement national.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Ces attaques systématiques contre le regroupement familial sont étonnantes. Il n’est que la possibilité offerte à des gens en situation régulière de se rassembler parce qu’ils s’aiment, puisqu’il s’agit de faire venir quelqu’un avec qui vous êtes marié, un enfant ou un membre de votre famille. Mais qu’avez-vous donc contre l’amour ? Vous avez l’impression que la haine est toujours une valeur positive. D’ailleurs, votre parti s’appelle RN, et la deuxième lettre de ce nom dit bien ce que vous faites : la haine.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1370 de M. Lionel Vuibert

Mme Constance Le Grip (RE). Il vise à introduire dans le rapport qui sera remis par le Gouvernement au Parlement une évaluation des moyens financiers et humains des bureaux du droit des étrangers au sein des préfectures. On sait en effet que les délais observés sont très longs, ce qui peut engendrer de réelles difficultés.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous avons adopté voilà quelques heures un amendement quasiment identique de Mme Sarah Tanzili, qui recoupait en partie un amendement de Mme Untermaier. Je vous prie donc de bien vouloir retirer celui-ci.

L’amendement est retiré.

Amendement CL 1582 de M. Guillaume Gouffier Valente

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Il vise à introduire dans le rapport une évaluation des bénéfices de l’immigration en matière économique et sociale, qui pourrait nous servir pour l’organisation des débats. En 2019 déjà, un rapport de France Stratégie sur l’impact de l’immigration sur le marché du travail, les finances publiques et la croissance présentait les principales tendances de l’immigration en France, assorties de comparaisons internationales, ainsi qu’une revue dudit impact, reconnaissant les effets positifs de l’immigration sur la croissance par habitant. Une telle évaluation serait nécessaire pour mesurer pleinement les apports de l’immigration à notre pays.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis favorable à cet amendement qui redonne un peu de hauteur au futur rapport qui sera déposé devant le Parlement. Il vise en effet à insister sur les apports des migrations et les enrichissements qu’elles ont permis à notre pays.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Quelle est la méthode de calcul et quel type d’immigration prend-on en compte ? Quels sont les titres en vertu desquels ces personnes se trouvent en France ? S’agit-il de migrants irréguliers avec titre ou sans titre, et comment, dans ce cas-là, calcule-t-on ? Cet amendement intéressant s’inscrit parmi ceux qui visent à obtenir toujours plus de précisions, et j’y suis donc très favorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Cet amendement très intéressant permettrait peut-être de mettre à jour les données. Il existe en effet d’autres données qui vont dans le sens de votre amendement. Ainsi, la grande étude menée par l’université de Lille 3 en 2009 et l’audit réalisé par l’Assemblée nationale en 2011 ont démontré que, si l’immigration coûtait autour de 45 à 47 milliards d’euros, elle rapporterait 60 milliards, c’est-à-dire beaucoup plus. Selon l’étude réalisée en 2014 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), chaque personne rapporte.

Chers collègues du groupe LIOT, peu importe que ces immigrés aient des papiers ou qu’ils n’en aient pas encore, puisque tout le monde paie la TVA et des impôts, et que le travail effectué rapporte à l’ensemble de la société. En un mot, il est évident que l’immigration nous rapporte à tous.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1325 de M. Mathieu Lefèvre

Mme Caroline Yadan (RE). L’amendement de notre collègue Mathieu Lefèvre vise à compléter le contenu du rapport remis chaque année au Parlement par l’Ofii. Si le Parlement est informé de manière exhaustive sur le nombre, la nature et les caractéristiques des demandes d’admission au séjour pour soins, il ne connaît pas la suite qui leur est réservée : ni le nombre de titres de séjour accordés sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ni les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre ne sont connus. Il s’agit que le rapport précise notamment les suites données par l’autorité administrative aux avis rendus par son service médical.

Les dispositions entreraient en vigueur le 1er juin 2026, afin que l’Ofii et le ministère de l’intérieur puissent préparer les transferts d’information requis.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Certaines données manquent en effet dans le rapport de l’Ofii. C’est la raison pour laquelle je donne un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CL336 et CL342 de Mme Edwige Diaz, CL391 et CL393 de Mme Marie-France Lorho, CL395 de Mme Marine Hamelet, CL443 de Mme Pascale Bordes, CL504 de Mme Danièle Obono, CL545 de M. Andy Kerbrat, CL1010 de M. Benjamin Lucas et CL1326 de M. Mathieu Lefèvre (discussion commune)

Mme Edwige Diaz (RN). Dans le même objectif d’enrichir le rapport qui serait remis annuellement au Parlement, nous souhaitons donner la parole à tous les acteurs des politiques en matière d’immigration. L’amendement CL336 tend ainsi à intégrer les observations de la direction nationale de la police aux frontières. Ces forces de l’ordre sont en première ligne dans la lutte contre l’immigration clandestine et les réseaux de passeurs : elles ont une vision globale et éclairée des situations. Leur retour d’expérience en matière de contrôle aux frontières, de lutte contre l’immigration irrégulière, ainsi que de gestion des centres de rétention administrative paraît pertinent.

De même, l’amendement CL342 a pour objet d’intégrer les remarques des agents de la direction nationale de la sécurité publique, qui luttent contre la délinquance et viennent au secours des victimes de violences commises dans les transports en commun.

Mme Marie-France Lorho (RN). L’amendement CL391 a pour but de faire valoir l’importance d’informer le Parlement sur la proportion d’étrangers parmi les prisonniers des établissements pénitentiaires français. En 2022, un peu plus de 18 000 détenus sur les 72 000 que compte notre pays étaient étrangers : au 1er juillet, la population carcérale comportait ainsi 25 % d’étrangers. La surpopulation carcérale légitime cette demande d’information : la France ne dispose que d’environ 60 000 places de prison opérationnelles. Un dénombrement permettrait notamment d’émettre quelques prétentions de retour auprès des pays dont dépendent ces personnes incarcérées. Il s’agit aussi d’évaluer la part d’étrangers incarcérés par rapport à la population étrangère totale en France, de manière à adapter notre législation selon les résultats obtenus tant en matière de politique d’immigration que de politique pénale.

Quant à l’amendement CL393, il a pour objet d’intégrer au rapport annuel des observations émanant du ministère du travail quant à la proportion de personnes étrangères dans les statistiques du chômage en France. Ces données ne sont pas connues alors que toute personne bénéficiant d’une carte de séjour en cours de validité ou d’une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « salarié » peut s’inscrire au chômage. Le taux de chômage des immigrés hors Union européenne s’élevait à 18,4 % en 2020 : le Parlement doit en être informé.

Mme Pascale Bordes (RN). L’amendement CL395 de notre collègue Hamelet vise à permettre au Parlement de disposer d’informations fiables sur les évolutions du niveau de français des étrangers admis au séjour en France, lequel est un facteur clé de leur intégration. Selon l’Ofii, en 2022, 47,5 % des signataires du contrat d’intégration républicain sont orientés vers une action de formation linguistique. Cela semble peu étant donné que le niveau de français retenu pour délivrer une dispense de formation est le plus faible du cadre européen commun de référence pour les langues.

L’amendement CL443 prévoit d’intégrer aux annexes du rapport annuel des observations émanant du ministère de l’intérieur et des outre-mer, afin d’informer le Parlement sur la représentation de la population étrangère disposant d’un titre de séjour dans les statistiques de la délinquance et de la criminalité en France. Cette information permettra à la représentation nationale de mesurer le lien entre insécurité et immigration et d’en connaître les proportions.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Dans un registre radicalement différent, nous proposons d’inclure dans le rapport annuel les observations de la Défenseure des droits, puisqu’un quart des saisines émane d’étrangers dont les droits fondamentaux sont bafoués. Outre la dématérialisation, les délais posent un problème à ces personnes dans la mesure où ils recréent des sans-papiers et empêchent le recours aux droits.

Par ailleurs, nous attendons toujours des réponses de la part du ministre concernant les lieux dits de mise à l’abri, où les personnes sont retenues sans droit ni titre.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Par l’amendement CL545, nous proposons d’intégrer les observations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). De nombreux députés de la majorité et de la NUPES ont visité des centres de rétention administrative : sans ces rapports, nous ne pouvons pas avoir accès à la réalité de la maltraitance, qui est institutionnalisée dans ces centres, notamment ceux de Vincennes et du Mesnil-Amelot. Avant de pouvoir réduire le nombre de centre de rétention administrative (CRA) dans ce pays – vous avez succombé aux sirènes de M. Ciotti lors de la Lopmi (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur) –, il faut intégrer au rapport les remarques de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui donnent une vision à chaud de l’état des lieux de rétention administrative.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). L’amendement CL1010 de M. Lucas vise à intégrer les remarques du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, afin d’avoir la certitude que nous respectons les droits humains qui sont au fondement de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pour ce qui est des propositions du Rassemblement national concernant la proportion d’étrangers dans la population au chômage ou la population carcérale, je suggère que l’on instaure également des statistiques ethniques : elles montrent que les enfants de ces étrangers sont parfaitement intégrés, qu’ils obtiennent des diplômes et un emploi. La France aura été une chance pour ces familles.

Mme Constance Le Grip (RE). L’amendement CL1326 de notre collègue Mathieu Lefèvre vise à confier à l’opérateur France Travail le soin de fournir des données sur l’intégration professionnelle des étrangers. Le code du travail prévoit que les autorisations de travail accordées aux étrangers sont délivrées par l’autorité administrative lorsque la demande remplit notamment une condition de publication non satisfaite d’une offre d’emploi pendant un délai de trois semaines. Certaines statistiques sur la nature de ces offres d’emploi, leur répartition géographique ou l’issue de ces demandes pourraient être utilement portées à la connaissance du Parlement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Les différentes directions de l’administration publique dont il est proposé d’intégrer les observations relèvent du ministère de l’intérieur et, par conséquent, du Gouvernement : elles seront donc consultées, lorsque le Gouvernement présentera son rapport annuel. La même remarque vaut pour les conclusions du ministère du travail ou pour celles du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Le Gouvernement diffusera un rapport appuyant les orientations qu’il proposera sous la forme d’objectifs chiffrés et indicatifs concernant l’immigration.

Quant aux propositions d’intégrer les remarques du Défenseur des droits ou du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la question n’est pas celle de l’intérêt de leurs observations. Je ne doute pas que ces instances en feront part, le moment venu, mais nous ne pouvons pas demander à une autorité administrative indépendante (AAI) de diffuser ses observations dans le rapport du Gouvernement : cela serait contraire à son statut.

En conséquence, avis défavorable à l’ensemble des amendements.

M. le président Sacha Houlié. Nous auditionnons chaque année les AAI comme la Défenseure des droits ou la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Mme Annie Genevard (LR). Je retiendrai d’abord la proposition de Mme Diaz d’intégrer au rapport les observations de la direction nationale de la police aux frontières. Le ministère de tutelle ne les ignore pas, naturellement, mais elles seraient utilement portées à la connaissance du Parlement. En particulier, la police aux frontières souligne que la dématérialisation entraîne de nombreuses fraudes documentaires, qu’il est difficile de vérifier.

De manière surprenante, je souscris aussi à la suggestion de Mme Rousseau de valider le principe de statistiques ethniques : on n’a jamais à craindre de la réalité.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Votre réponse selon laquelle nous auditionnons une fois par an la Défenseure des droits et la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ne nous satisfait pas.

Nous reposons notre question : quel est le statut de ces lieux de « mise à l’abri », intégrés aux locaux de la police aux frontières, qui, à Menton, retiennent femmes, enfants, majeurs et mineurs, en attendant que la frontière italienne soit ouverte sur le plan administratif ? J’ai lu que vous prévoyez de les agrandir pour recevoir davantage de personnes.

Vous nous devez une réponse en commission, puisque vous ne la donnez pas par écrit.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL493 de Mme Danièle Obono, CL1374 de M. Hervé Saulignac, CL1419 de Mme Stella Dupont et CL418 de M. Yoann Gillet

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Il s’agit de supprimer l’alinéa 28, qui prévoit d’instaurer des quotas en matière de politique migratoire. Serpent de mer de la droite sénatoriale, la mesure illustre l’inutilité et l’incongruité du projet de loi. Cette politique a été testée : avant de la reproduire, il serait bon d’établir le bilan de la politique d’immigration choisie de Nicolas Sarkozy. Dans la mesure où elle engloberait un ensemble de procédures d’admission comme le regroupement familial, pour lequel il ne saurait être question de quotas, elle va à l’encontre des droits fondamentaux des personnes concernées.

M. Hervé Saulignac (SOC). Les quotas ou objectifs chiffrés – c’est la même chose – sont dangereux et ne servent à rien, car l’immigration est liée à de nombreux aléas, impossibles à chiffrer. Inopérants, les quotas sont responsables d’un grand désordre. Le Président de la République lui-même a dit : « Cela n’est pas réaliste, on ne saurait pas les tenir ». En 2009, Pierre Mazeaud indiquait qu’ils pouvaient créer un appel d’air pour satisfaire les contingents fixés par les pouvoirs publics. Ceux qui prétendent se prémunir des appels d’air risquent donc de les créer. C’est pourquoi nous voulons supprimer l’alinéa 28.

Mme Fanta Berete (RE). L’instauration de quotas en matière de politique migratoire n’est ni souhaitable, ni réalisable. Elle ne permettra pas de satisfaire les besoins de notre pays, car il est illusoire d’identifier en amont les personnes qu’il est souhaitable de laisser entrer ou le nombre de proches pouvant rejoindre leur famille. L’amendement de Stella Dupont vise donc à supprimer l’alinéa 28.

M. Yoann Gillet (RN). Alors que 80 % des Français réclament que l’on prenne des décisions fermes en matière d’immigration, l’alinéa 28 n’est qu’un faux-semblant, visant à faire croire à nos compatriotes que le Gouvernement a conscience de la situation migratoire et agit. Il n’en est rien. Pire encore, la détermination du nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, s’inscrit dans le cadre d’une politique favorable à l’immigration. La mesure va à l’encontre de ce que souhaitent le Rassemblement national et les Français. Qui peut croire qu’instaurer des quotas reviendrait à limiter l’immigration, alors que l’Assemblée nationale est composée de partis de gauche, du centre et d’une prétendue droite, qui ont tous été au pouvoir et sont responsables de l’immigration massive.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Vos propos sont en contradiction avec une intervention précédente qui défendait les quotas. Nous lirons attentivement le compte rendu avant d’en reparler en séance.

La politique des quotas n’est pas celle que nous voulons. C’est la raison pour laquelle nous avons amendé l’article 1er A une première fois – je soutiendrai bientôt un amendement de M. Castellani pour modifier l’alinéa 28. Comme le Sénat, nous souhaitons que le Gouvernement définisse ses orientations, en s’appuyant sur un rapport. Nous voulons que celui-ci vienne devant le Parlement avec des objectifs chiffrés indicatifs, car un plafond fixé de manière rigide ne permet pas de traiter convenablement les personnes, une fois l’objectif atteint.

Contrairement à ce que disait M. Saulignac, il existe certains domaines migratoires sur lesquels nous pouvons agir, de façon maîtrisée. C’est le cas pour les visas étudiants, où l’État peut décider d’objectifs sans aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel. Pour l’immigration économique, c’est au fond déjà le cas, car l’ensemble des titres de séjour délivrés au titre de l’activité économique le sont sur la base de critères maîtrisés. En revanche, l’asile constitue un interdit absolu. De même, s’agissant du regroupement familial, il ne peut y avoir d’objectifs plafonnés, en raison d’engagements conventionnels. D’une certaine façon, nous partageons donc la vision exprimée par certains de nos collègues.

Il est en revanche impossible que le Parlement détermine ces objectifs chiffrés. Pour qu’une telle mission relève de sa compétence, il faudrait réviser l’article 34 de la Constitution – nous aurons l’occasion d’en discuter le 7 décembre, lors de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l’immigration et à l’asile. À droit constant, il faut simplement modifier l’alinéa 28 pour que le Parlement débatte.

M. Erwan Balanant (Dem). Je ne comprends pas l’amendement du Rassemblement national, qui défendait précédemment l’idée même des quotas. Peut-être faites-vous l’aveu que, quota ou pas, c’est l’idée même de l’étranger qui vous choque. Même si notre pays a des besoins en main-d’œuvre étrangère – je n’aime guère le mot –, le fait qu’elle soit étrangère vous hérisse.

Pour ce qui me concerne, je reste dubitatif sur le terme de quotas. En revanche, il me semble pertinent de disposer d’une politique migratoire définie avec des objectifs et répondant à des réalités économiques et humaines – le regroupement familial, par exemple.

Mme Annie Genevard (LR). Vous avez modifié l’alinéa 2 et vous vous apprêtez à modifier l’alinéa 28. Je vous rejoins sur la possibilité d’établir des objectifs chiffrés pour les étudiants. Quant à l’éventualité d’objectifs en matière d’immigration économique, elle préfigure le débat que nous aurons à l’article 4 bis. Je partage aussi votre opinion selon laquelle il est impossible d’établir des objectifs chiffrés pour l’asile. S’agissant du regroupement familial, il y a en revanche matière à discuter, car l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) n’est pas un totem absolu.

M. Yoann Gillet (RN). Nous n’avons jamais défendu les quotas, pour la simple raison qu’ils sont une manière par laquelle ceux qui sont au pouvoir font semblant de sortir les gros bras, alors qu’ils font tout l’inverse. Vous voulez que les quotas soient définis par le Gouvernement : les députés ne serviraient à rien. Une fois encore, vous méprisez la représentation nationale. Si certains se satisfont d’être des députés moutons – M. Balanant, en particulier, maîtrise parfaitement ce rôle –, nous ne l’acceptons pas. Il revient au peuple de décider de sa politique migratoire, certainement pas aux membres du Gouvernement, qui ne sont pas élus.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Finalement, la suppression de l’alinéa 28 fait l’unanimité : nous sommes tous d’accord pour remettre en cause le principe qui fonde l’article 1er A. Tout le débat que nous avons eu pour ajouter des éléments au rapport découle de l’idée du Sénat d’établir de tels quotas – ou objectifs chiffrés. Je propose donc aux collègues de la Macronie de réfléchir à supprimer l’alinéa 28, pour débattre de l’article 1er B, plus intéressant et plus utile pour notre travail. En réalité, toutes les informations que nous avons demandées peuvent être obtenues auprès des chercheurs, et il serait bon parfois que la recherche prime la politique.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Dès que l’on entre dans la politique du chiffre, il n’y a plus de politique humaine possible, puisque tout répond à des objectifs chiffrés. Au début de l’après-midi, la commission discutait d’instaurer des quotas par pays, pour servir une politique diplomatique. Finalement, on se dit que l’on ne doit pas instaurer de quotas. Mieux vaut en effet ne pas aller dans les chiffres, car la politique migratoire est avant tout de l’humain. Abandonnons les chiffres, supprimons l’alinéa 28 et tout ira mieux.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Je suis outré que le qualificatif de « mouton » ait été adressé à une partie des membres de cette commission. Notre collègue Erwan Balanant, en particulier, exprime sa position, y compris sur des sujets complexes, au terme d’un vrai travail de fond. Au nom du groupe Renaissance, je lui apporte tout notre soutien. Ces propos sont odieux, abjects : le jour n’est pas arrivé où l’on verra des parlementaires RN s’affranchir de la ligne directrice du Politburo.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Reprenant les propos de mon collègue Saulignac et du Président de la République, selon lequel les quotas ne sont pas réalistes, je m’interroge sur une disposition visant à instaurer des objectifs sans préciser comment on les tiendra. Il revient au législateur de vérifier comment ces quotas seront comptabilisés. De toute évidence, le dispositif n’est pas mûr.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous avons déjà eu en partie cette conversation. Votre collègue du Rassemblement national a défendu avec vigueur les quotas, s’entendant répondre que Mme Meloni elle-même en avait relevé certains. Vous avez donc réussi à vous contredire dans la même journée. Les comptes rendus en feront foi.

Nous proposons en effet des quotas, des objectifs chiffrés, indicatifs, non prescriptifs – pour des raisons constitutionnelles, mais pas seulement –, qui seront pluriannuels. Nous souscrivons en effet à la plus-value apportée par le Sénat, celle d’objectifs chiffrés sur trois ans, comme les prévisions économiques, qui sont modulées sur plusieurs années. Il s’agira pour l’essentiel de visas étudiants et de visas économiques.

Pour ce qui est de l’asile, de telles dispositions se heurtent non seulement à la CEDH, mais aussi à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dont le Conseil constitutionnel a depuis longtemps déclaré qu’il faisait partie de notre bloc de constitutionnalité.

Concernant l’immigration familiale, l’alinéa 10 du préambule de la Constitution de 1946, antérieur à la CEDH, prévoit que la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Une modification constitutionnelle n’empêcherait pas les jurisprudences futures du Conseil constitutionnel, fondées sur ces textes. Nous en discuterons certainement lors de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle.

M. le président Sacha Houlié. J’ai reçu de la part de membres des groupes LFI-NUPES, Ecolo-NUPES et GDR-NUPES représentant au moins 10 % de la commission une demande de scrutin sur ces amendements CL493 et identiques en application de l’article 44, alinéa 2 du Règlement. Je constate que les députés demandeurs sont effectivement présents, je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

Mme Fanta Berete, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, Mme Clara Chassaniol, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, M. Yoann Gillet, M. Jordan Guitton, M. Timothée Houssin, M. Andy Kerbrat, M. Antoine Léaument, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, Mme Elisa Martin, M. Thomas Ménagé, Mme Danièle Obono, M. Thomas Portes, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sandrine Rousseau, M. Hervé Saulignac, Mme Andrée Taurinya, Mme Cécile Untermaier et M. Boris Vallaud.

Votent contre :

Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Florent Boudié, M. Michel Castellani, Mme Émilie Chandler, Mme Annie Genevard, M. Guillaume Gouffier-Valente, Mme Marie Guévenoux, Mme Claire Guichard, M. Sacha Houlié, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, Mme Constance Le Grip, Mme Marie Lebec, M. Emmanuel Mandon, M. Laurent Marcangeli, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, Mme Naïma Moutchou, M. Éric Pauget, M. Emmanuel Pellerin, Mme Michèle Peyron, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, M. Guillaume Vuilletet et Mme Caroline Yadan.

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 53

Pour l’adoption des amendements : 24

Contre l’adoption des amendements : 29

Abstention : 0

La commission rejette donc les amendements.

Amendements CL268 de la commission des affaires étrangères, CL598 de M. Michel Castellani, sous-amendements CL1664 de M. Florent Boudié, et CL1746 de M. Boris Vallaud, amendements CL594 de M. Michel Castellani, CL595 de M. Christophe Naegelen et CL1025 de M. Benjamin Lucas (discussion commune)

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. L’instauration de quotas constituerait une rupture d’égalité devant la loi et poserait un problème pratique de mise en œuvre. Cet amendement propose donc l’instauration pour une période de trois ans d’objectifs et de résultats chiffrés, présentés par le Gouvernement chaque année devant le Parlement, permettant ainsi à ce dernier d’exercer sa mission de contrôle de la politique migratoire.

M. Michel Castellani (LIOT). L’amendement CL598 propose une rédaction alternative plus équilibrée, avec la fixation par le Gouvernement d’objectifs chiffrés du nombre d’étrangers admis au séjour, qui devront être présentés au Parlement.

Cette rédaction répond à la double exigence d’humanité et de réalisme, qui doit guider, selon nous, la rédaction de ce projet de loi.

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’alinéa 28, dans sa rédaction actuelle, demanderait une modification de l’article 34 de la Constitution, ce qu’il nous ne revient pas de faire. Les amendements CL268 et CL598 proposent de modifier cet alinéa dans un sens qui ne contrevient pas à notre constitution. Toutefois, le premier ne maintient pas la deuxième phrase de l’alinéa 28 – « L’objectif en matière d'immigration familiale est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit. » – qui fait référence aux engagements conventionnels de la France ainsi qu’au préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante du bloc de constitutionnalité. Je donnerais donc un avis défavorable à l’amendement CL268 et favorable à l’amendement CL598, sous réserve de l’adoption du sous-amendement CL1664 qui y apporte deux précisions : une énumération des titres de séjour concernés par les objectifs chiffrés, afin d’en exclure notamment l’asile, et l’obligation pour le Gouvernement, afin d’éclairer la représentation nationale, d’indiquer les raisons des écarts observés entre les objectifs fixés et les résultats atteints.

M. Boris Vallaud (SOC). L’article 1er A a été ajouté par le Sénat au texte du Gouvernement : il était donc inutile au magnifique équilibre que le Gouvernement disait avoir trouvé. Votre rôle, monsieur le rapporteur général, est d’agiter des hochets au nez de la droite afin de vous assurer ses voix et de faire approuver les objectifs chiffrés de votre politique migratoire.

Vous pouvez tourner l’expression « objectifs chiffrés » dans tous les sens et utiliser des méthodes de jésuite, mais elle désigne bien des chiffres à ne pas dépasser qui, s’ils le sont, obligent le Gouvernement à justifier les raisons de cet éventuel écart et à prendre des mesures correctives pour atteindre ces objectifs de politique publique. Il s’agit donc bien de quotas, que le président de la commission de lois juge inutiles. Je partage son avis : les quotas – ou, si vous préférez des objectifs chiffrés – sont plus qu’une ligne rouge, ils sont bel et bien inutiles. En réalité, vous approuvez le durcissement du texte par le Sénat et continuez de faire, bien maladroitement, du « en même temps ».

M. Michel Castellani (LIOT). L’amendement CL594 exclut des objectifs chiffrés les titres de séjour délivrés pour motif familial, car la rédaction actuelle est contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Il ne sert à rien de voter un texte qui ne sera pas applicable. Le meilleur moyen pour contrôler l’immigration familiale est de fixer des critères stricts.

M. Christophe Naegelen (LIOT). L’amendement CL595 propose que les objectifs chiffrés soient fixés de manière réaliste, en tenant compte des « capacités d’accueil de la nation ».

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). La politique des quotas est inepte. L’amendement CL1025 est un cri du cœur : il vise à exclure les étudiants des chiffres de l’immigration. La situation des étudiants étrangers en France pourrait être résumée par quatre « R » : ils repartent, ils rapportent, ils réussissent et ils rayonnent.

Ils repartent, car la plupart des étudiants étrangers aspirent à retourner dans leur pays une fois leurs études achevées. Qu’ils repartent ou qu’ils restent, c’est une fierté pour la France de les accueillir. Ils rapportent – 1,35 milliard d’euros par an – et il y a peut-être là un argument qui pourra vous convaincre, vous qui maniez les arguments utilitaristes et comptables. Ils réussissent, car il faut avoir beaucoup de volonté pour étudier dans un pays qui n’est pas le sien. Ils contribuent au rayonnement de la France.

J’ai d’ailleurs été très choqué par les propos du rapporteur général, qui a dit qu’il était possible d’attribuer des quotas aux étudiants étrangers, alors que nous devrions nous battre pour les attirer et non pour les mettre dehors.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Lucas, je n’ai pas dit que nous allions appliquer des quotas aux étudiants. J’ai souligné qu’il existait deux catégories de titres sur lesquels l’exécutif avait la main – davantage que l’immigration familiale et davantage encore que les demandes d’asile : les visas d’étudiants, ainsi que tous les titres relevant de l'immigration économique. Je le répète : les quotas sont des plafonds chiffrés, qui ne peuvent être dépassés, même d’une unité. Mes propos sont donc conformes à ceux de M. le président de la commission. Vous essayez de nous opposer, en vain.

Monsieur Castellani, l’amendement CL594 est inutile, puisque le regroupement familial est déjà exclu du champ d’application de l’article 1er A par l’alinéa 28 dans sa rédaction actuelle. J’y suis donc défavorable.

Je suis en revanche favorable à l’amendement CL595 : la limite de la capacité d’accueil de la nation est une évidence républicaine qui doit être mentionnée dans la loi.

Je suis défavorable à l’amendement CL1025.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Vous feignez de tourner le dos à la politique des quotas, mais, en réalité, vous faites preuve d’une forme de relâchement coupable : subrepticement, sous prétexte de trouver un équilibre, vous validez de vieilles revendications liées à la préférence nationale. Je rappelle que des quotas ont été instaurés en France dans les années 1930 et que, à cette époque, des étudiants en médecine revendiquaient les quotas pour exclure les Juifs de la pratique médicale. En votant un tel article, vous validez des thèses abjectes.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Quel bazar idéologique ! Vous semblez être orientés d’abord par le souci de plaire aux Républicains pour qu’ils votent votre texte et vous faites donc n’importe quoi. Le camp de la Macronie semble divisé : certains sont pour les quotas alors que d’autres sont contre. Je ne comprends plus rien : le MODEM, qui s’est déclaré en faveur des quotas, a soutenu un amendement en faisant valoir que l’application de quotas triennaux pour chaque catégorie de séjour ne semblait pas pertinente.

Vos votes se font au gré de ce qui vous semble opportun pour faire passer votre texte plutôt qu’au nom de l’intérêt général. Votre texte finira ainsi par ressembler à une pâle copie du Rassemblement national.

M. Thomas Ménagé (RN). Certains députés semblent voter au titre d’un mandat impératif alors que l’article 27 de la Constitution l’interdit. C’est très grave ! On les a en effet vu voter contre leurs propres amendements sous la pression d’un groupe. Ces députés ne sont pas des moutons, mais des playmobils qui lèvent la main en fonction des intérêts du Gouvernement et de la Macronie. Je les invite à défendre les intérêts des Français, qui attendent une diminution très nette de l’immigration.

M. le président Sacha Houlié. Monsieur Ménagé, je me permets de vous faire remarquer, d’une part, qu’un écart de cinq voix sur cinquante-quatre est significatif, d’autre part, que ce ne sont pas les collègues de la majorité qui ont été empêchés par leur groupe de déposer des amendements.

M. Hervé Saulignac (SOC). Votre numéro « les quotas c’est sale, les objectifs chiffrés c’est propre » ne va pas pouvoir durer : les Français ne sont pas dupes de votre hypocrisie. Un objectif chiffré, qui est une cible à atteindre, c’est rigoureusement la même chose qu’un quota ! En effet, pourquoi vouloir observer les écarts entre les objectifs fixés et les résultats atteints si ce n’est pour les réduire et démontrer que le Gouvernement a atteint des objectifs qu’il avait gravés dans le marbre ? Tout cela n’est qu’une opération de communication en direction de la droite sénatoriale, mais vous allez vous prendre les pieds dans le tapis en mettant en route cette mécanique infernale qui vous obligera à fixer des chiffres et à justifier vos résultats.

M. Erwan Balanant (Dem). Monsieur Léaument, je vous rappelle que notre groupe avait déposé un amendement de suppression de cet article car nous sommes opposés aux quotas. Notre vote contre l’un des amendements ne préjuge en rien de notre position d’abstention sur cet article.

Mme Annie Genevard (LR). Il y a beaucoup d’hypocrisie : les objectifs chiffrés sont devenus purement indicatifs, puisque leur dépassement ne fera pas obstacle à la délivrance de titres. Il n’y a donc plus de quotas.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous constatons que la fameuse aile gauche du camp présidentiel a renoncé à tous ses combats afin de laisser libre champ à M. le ministre et à M. le rapporteur général pour engager une négociation mortifère avec la droite radicalisée et avec l’extrême droite sur les quotas, même si vous essayez de faire passer des vessies pour des lanternes en parlant d’objectifs chiffrés.

C’est extrêmement grave, car Emmanuel Macron a été élu, à deux reprises, par les voix de millions de citoyens souhaitant faire barrage à l’extrême droite, alors que, avec ce texte, vous cédez à cette vieille revendication des quotas et validez l’idée d’une submersion migratoire. Vous allez même plus loin que Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux ! Je vous invite donc à réveiller votre humanisme pour éviter de dérouler le tapis rouge à l’extrême droite et à la droite radicalisée.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Revenons à la raison : je rappelle que ce texte contient des dispositions sur l’intégration, qu’il prévoit la régularisation de certains salariés et qu’il interdit le placement en CRA des mineurs de 16 ans ce qui n’avait jamais été proposé par un gouvernement ou par un candidat de gauche.

Monsieur Vallaud, vous nous avez accusés d’accepter le durcissement du texte par le Sénat. Vous semblez oublier que nous avons déposé, en conformité avec nos valeurs, des amendements visant à supprimer certaines des dispositions qu’il a introduites, notamment sur l’aide médicale de l’État, sur la nationalité, sur les mineurs non accompagnés (MNA), sur l’hébergement d'urgence ou sur les prestations sociales. Il ne s’agit donc pas d’un durcissement. En revanche, – nous l’avons dit dès le début – nous sommes ouverts à la discussion, notamment sur cet article qui permet l’établissement d’un rapport présentant des données objectives et circonstanciées sur les chiffres de l’immigration.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai un peu de mal à comprendre le débat à cette heure tardive et je vais essayer de remettre les choses en perspective. Le texte initial du Gouvernement ne faisait pas mention de quotas ou d’objectifs chiffrés, mais cet ajout de la majorité sénatoriale ne contredit pas les engagements du Président de la République, qu’il a exprimés lors d’une déclaration en janvier 2019, puis en novembre de la même année lors d’un comité interministériel sur l’immigration. Le cadre constitutionnel interdit des quotas prescriptifs pour l’asile et l’immigration familiale, mais il n’interdit pas que le Gouvernement fixe des objectifs chiffrés ou des quotas – appelez-les comme vous voulez, bien que les deux termes aient une acception juridique légèrement différente – pour cadrer ce qu’il veut ou doit faire sur plusieurs années. Nous reprenons bien volontiers à notre compte cet ajout du Sénat.

J’observe que le Canada et la plupart de nos voisins, dirigés par des socialistes comme par des centristes, pratiquent une politique de quotas. Le Danemark, dirigés par d’excellents socialistes, en est un exemple.

M. Arthur Delaporte (SOC). Ils ne sont pas si excellents que cela !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je constate qu’ils font partie de l’Internationale socialiste, vous ne les avez pas encore exclus ! Et puis s’ils sont au pouvoir, c’est qu’ils n’ont pas fait l’impasse sur la question migratoire. C’est une grande différence avec vous.

Le groupe La France insoumise nous accuse de singer l’extrême droite. C’est un peu fort de café : Mme Le Pen a toujours défendu son rejet des quotas migratoires.

Je ne vois pas en quoi fixer des objectifs chiffrés d’immigration vous dérange, puisque ces objectifs dépendent de la capacité d’accueil du marché du travail pour l’immigration économique et de celle des universités pour les étudiants étrangers. Ils peuvent être ajustés à la baisse en cas de crise économique ou à la hausse en cas de manque de main-d’œuvre. Je suis, comme le rapporteur général, favorable à ce que nous accueillions le plus possible d’étudiants étrangers, pourvu qu’ils fassent leurs études en France de façon réelle et sérieuse, ainsi que le propose le Sénat – je suis en revanche défavorable à sa proposition de subordonner la délivrance du visa au versement d’une caution. Je ne vois aucun mal à instaurer cette condition d’études réelles et sérieuses, d’autant que des subventions publiques sont versées aux étudiants sous condition de leur simple inscription dans une université publique, sans nécessité de prouver leur réussite à des examens.

Fixer des objectifs chiffrés, pourvu qu’ils ne soient pas prescriptifs et ne concernent pas l’asile et l’immigration familiale, permettrait notamment d’avoir chaque année un débat au Parlement sur la politique migratoire du Gouvernement. Ce débat pourrait être l’occasion d’évaluer le nombre de titres de séjour délivrés et de constater qu’un nombre élevé n’est pas nécessairement subi, mais peut, au contraire, être voulu. Il permettrait également au Gouvernement de présenter par exemple des objectifs de délivrance de visas de travail jusqu’à la fin du quinquennat, afin notamment d’anticiper les discussions avec les branches professionnelles.

La commission rejette l’amendement CL268.

Elle adopte successivement le sous-amendement CL1664 et l’amendement CL598. En conséquence, le sous-amendement CL1746 et les amendements CL594, CL595 et CL1025 tombent.

M. le président Sacha Houlié. J’ai reçu de la part de membres des groupes LFI-NUPES, Ecolo-NUPES et GDR-NUPES représentant au moins 10 % de la commission une demande de scrutin sur le vote de l’article 1er A, en application de l’article 44, alinéa 2 du Règlement. Je constate que les députés demandeurs sont effectivement présents, je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

Mme Caroline Abadie, Mme Fanta Berete, M. Florent Boudié, M. Michel Castellani, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Guillaume Gouffier-Valente, Mme Marie Guévenoux, Mme Claire Guichard, M. Sacha Houlié, M. Philippe Latombe, Mme Constance Le Grip, Mme Marie Lebec, M. Laurent Marcangeli, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, Mme Naïma Moutchou, M. Emmanuel Pellerin, Mme Michèle Peyron, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, M. Guillaume Vuilletet et Mme Caroline Yadan.

Votent contre :

M. Ugo Bernalicis, M. Ian Boucard, Mme Elsa Faucillon, Mme Annie Genevard, M. Andy Kerbrat, M. Antoine Léaument, M. Benjamin Lucas, Mme Elisa Martin, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Thomas Portes, Mme Sandra Regol, Mme Sandrine Rousseau, M. Hervé Saulignac, Mme Andrée Taurinya, Mme Cécile Untermaier et M. Boris Vallaud.

S’abstiennent :

M. Erwan Balanant, Mme Pascale Bordes, Mme Edwige Diaz, M. Yoann Gillet, M. Jordan Guitton, M. Timothée Houssin, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Gilles Le Gendre, Mme Marie-France Lorho, M. Emmanuel Mandon, M. Thomas Ménagé et Mme Béatrice Roullaud.

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 54

Pour l’adoption des amendements : 25

Contre l’adoption des amendements : 17

Abstention : 12

La commission adopte donc l’article 1er A.

Article 1er BA (nouveau) : (art. L. 333‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Préciser que seules les autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière peuvent contraindre un étranger à son réacheminement en cas de refus d’entrée

Amendements de suppression CL1658 du rapporteur général, CL1643 de M. Sacha Houlié, CL1267 de Mme Blandine Brocard et CL1542 de M. Guillaume Gouffier Valente

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je vous propose de supprimer cet article, qui se trouve satisfait par la législation en vigueur : le réacheminement d’une personne arrivée illégalement sur le territoire national est effectué par la police aux frontières ; si elle ne le peut pas, par exemple parce que l’entreprise de transport refuse les agents armés dans son avion, l’État fait appel soit à un prestataire, soit à sa propre flotte.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Le groupe Renaissance fait la même proposition.

La commission adopte l’amendement. En conséquence, l’amendement CL 433 tombe et l’article 1er BA est supprimé.

Article 1er BB (nouveau) : Demande de rapport étudiant la possibilité de mettre en place des visas « travailleur » et « entrepreneur » pour les ressortissants d’un pays membre de l’Organisation internationale de la francophonie

Amendements de suppression CL464 de M. Kévin Pfeffer et CL1271 de Mme Blandine Brocard

M. Jordan Guitton (RN). La création de visas francophones « travailleur » et « entrepreneur » ouverts aux pays membre de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) constituerait une nouvelle source d’immigration pour des motifs économiques, alors que la France compte 2,28 millions de demandeurs d’emploi et que le taux de chômage est de 7,4 % au troisième trimestre de 2023.

Suivant l’avis favorable du rapporteur général, la commission adopte l’amendement. En conséquence, les autres amendements tombent et l’article 1er BB est supprimé.

Après l’article 1er BB

Amendement CL1086 de Mme Caroline Abadie

Mme Caroline Abadie (RE). Demander un titre de séjour peut être laborieux dans un département comme l’Isère, où un demandeur habitant à Vienne doit se rendre plusieurs fois à la préfecture de Grenoble, à une heure trente de voiture – il n’y a pas de train –, pour compléter son dossier. On nous rapporte qu’il arrive fréquemment d’apprendre au gré des rendez-vous que le dossier n’est pas complet, alors que l’article L. 114‑5 du code des relations entre le public et l’administration indique que celle-ci, recevant un dossier incomplet, doit dresser une liste exhaustive des pièces manquantes.

Cet amendement vise donc à obliger l’autorité administrative compétente à transmettre au demandeur une liste exhaustive des pièces et informations exigées.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il s’agit d’un amendement d’appel, puisque vous demandez l’inscription dans la loi de dispositions qui y figurent déjà. Vous soulignez un problème que nous avons déjà rencontré plusieurs fois : celui du traitement des dossiers de titre de séjour par les préfectures. M. le ministre a apporté des éclairages sur ce point.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Avons-nous déjà parlé de l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef) ? Cela ne va pas simplifier les choses ; il faudrait déjà qu’elle fonctionne comme il est prévu qu’elle fonctionne, ce qui n’est pas gagné d’avance. Contrairement à d’autres types de procédures pour lesquelles il existe des imprimés en plusieurs langues, pour l’Anef seuls le français et l’anglais sont prévus – ensuite, débrouillez-vous : si vous ne parlez ni l’un ni l’autre, évitez d’être étranger.

Cet amendement est intéressant, car il pointe du doigt que si toutes les préfectures et les sous-préfectures organisaient un accueil physique qui permette d’obtenir des réponses, bien des difficultés seraient levées. Une proposition de loi à cet effet sera examinée jeudi prochain en séance publique sur ce sujet, je vous invite à être présents.

La commission adopte l’amendement. L’article 1er BC est ainsi rédigé.

Article 1er B (nouveau) (art. L. 434-2, art. L 434-7 et art. L. 434-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Durcissement des conditions permettant à l’étranger de demander à bénéficier du regroupement familial

Amendements de suppression CL549 de M. Thomas Portes, CL851 de M. Boris Vallaud, CL1060 de Mme Francesca Pasquini, CL1144 de Mme Emeline K/Bidi, CL1272 de M. Erwan Balanant, CL1420 de Mme Stella Dupont et CL1624 de M. Sacha Houlié

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous demandons la suppression de cet article qui durcit les conditions du regroupement familial, par exemple en repoussant l’âge minimal nécessaire pour bénéficier de cette procédure.

Les gens de droite nous bassinent sans arrêt avec la famille. Ici, il s’agit de regrouper des familles dont la nationalité est certes différente : d’un coup, vous n’aimez plus la famille et vous ne voulez plus permettre qu’elle soit regroupée. Je voudrais vous entendre : pourquoi avez-vous un problème avec la famille quand elle n’est pas purement française ? L’histoire de notre pays est faite de familles qui se sont mélangées pour donner, à la fin, des Français magnifiques.

M. Boris Vallaud (SOC). Notre proposition de suppression se fonde d’abord sur la réalité des chiffres, tels qu’ils ont été exposés notamment par François Héran : le regroupement familial est stable, contrairement à ce que prétendent la droite et l’extrême droite.

Les conditions posées ici sont indignes, comme le report de l’âge auquel il est possible de demander le regroupement familial. Nous reviendrons sur les conditions de langue – on imagine quelles seraient les clauses de réciprocité. Certaines n’ont simplement pas de sens : pourquoi demander qu’un étranger en situation régulière, donc affilié à la sécurité sociale, dispose d’une assurance maladie ?

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Le parcours d’immigration est émaillé de séparations, de son compagnon ou de sa compagne, de ses enfants… Parfois pendant des années, on travaille dans un pays quand ses enfants grandissent dans un autre. À plusieurs reprises, nous avons assisté à des tentatives d’interdiction du regroupement familial, qui ont heureusement échoué : ce serait contraire au droit de vivre en famille, reconnu par la Constitution.

La droite cherche donc des contournements : on durcit les critères, au point de rendre le regroupement familial impossible. Nous demandons que, conformément à nos valeurs, une personne vivant en France ait le droit de faire venir sa famille pour vivre avec elle.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Celles et ceux qui cherchent à limiter le regroupement familial savent très bien qu’avec quelque 12 000 titres annuels, il ne représente qu’une part réduite des titres de séjour, et qu’il est plutôt en baisse. Mais ils font une fixation obsessionnelle, car le regroupement familial permet de décliner tous les poncifs racistes, notamment sur le nombre d’enfants qu’ont les femmes venues de l’étranger. Il permet aussi de déployer la théorie du grand remplacement : il ne faudrait pas que les enfants venus d’ailleurs se mélangent à celles et ceux qui ne sont pas issus de l’immigration.

M. Erwan Balanant (Dem). Nous demandons également la suppression de l’article, pour des raisons à la fois constitutionnelles, conventionnelles et opérationnelles.

L’exigence d’un niveau de français contrevient aux exigences de la directive européenne du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée. Nous sommes également opposés à la condition relative à l’assurance maladie.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet article a été ajouté au texte par nos collègues sénateurs. Nous devons nous montrer précis dans l’évaluation de ce qu’ils nous proposent.

Le Sénat appelle notre attention sur les 14 000 ressortissants de nationalité étrangère acceptés au titre du regroupement familial, pour 29 000 demandes. Il souhaite que la durée de séjour pour demander le regroupement familial soit portée de dix-huit à vingt-quatre mois et que l’âge de l’étranger et de son conjoint soit au minimum de 21 ans, contre 18 ans aujourd’hui. Il propose ensuite d’exclure les aides personnelles au logement de l’évaluation des ressources. Il ajoute enfin que ces ressources doivent être non seulement « stables et suffisantes », mais « régulières », et que l’étranger doit disposer d’une assurance maladie pour lui et sa famille.

En ce qui concerne la durée de séjour, la demande peut aujourd’hui être adressée à l’autorité administrative après dix-huit mois ; celle-ci répond dans les six mois. La durée réelle est donc de vingt-quatre mois, si tout va bien : nous considérons qu’il est inutile de porter la durée de séjour minimale à vingt-quatre mois. La France a déjà été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour des délais excessifs, supérieurs à vingt-quatre mois. L’Allemagne a également été condamnée pour ce motif, avec des durées de trente à trente-six mois, ce qui serait notre situation si nous adoptions la proposition du Sénat.

S’agissant de l’âge, je ne vois pas l’intérêt de séparer plus longtemps un enfant de ses parents. Nous proposons donc de ne pas accepter le relèvement de l’âge.

Quant aux aides personnelles au logement, je souhaite qu’elles continuent d’être prises en considération. L’évaluation des ressources exclut déjà les prestations familiales, le minimum vieillesse… Mais, pour s’intégrer, la question du logement est essentielle.

En revanche, l’ajout d’une condition de ressources « régulières » me paraît cohérent. Cela n’interdirait pas à un intermittent du spectacle, par exemple, d’être accepté.

Quant à la condition d’assurance maladie, il me paraît justifié de demander que les personnes regroupées soient couvertes par l’assurance maladie du demandeur : là encore, c’est une question d’intégration. Les conditions de vie sur le territoire national doivent être satisfaisantes.

Je suis donc défavorable aux amendements de suppression, mais je proposerai un amendement qui conservera la condition de régularité des ressources et celle d’assurance maladie.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne reviens pas sur ce qu’a dit le rapporteur général. Je précise que les conditions de ressources ne comprennent pas les prestations sociales, quelles qu’elles soient. La précision est donc superflue, si les élus font leur travail correctement. Je rappelle en effet que la vérification des ressources relève des maires : ceux-ci donnent un avis au préfet ; ils ne savent d’ailleurs pas toujours qu’ils ont la faculté de ne pas laisser leurs services gérer cette procédure. Nous aurons l’occasion d’en débattre, puisque des amendements de simplification ont été déposés.

S’agissant des conditions de langue, que certains ont jugées contraires à la Constitution et aux conventions internationales, je précise qu’elles existent dans de nombreux pays européens. Le gouvernement de M. Scholz a imposé une condition de cours de langue, avec un test qui doit être passé trois fois – il n’y a pas de condition de réussite, le regroupement familial étant accordé même en cas d’échecs répétés. Le gouvernement de M. Rutte a adopté une disposition similaire. Il ne s’agit pas d’imposer la réussite à un test pour avoir droit au regroupement familial ; cela, nous allons le prévoir pour le titre pluriannuel. Il s’agit simplement d’obliger à prendre des cours de français dans la perspective d’un regroupement familial. Cela a déjà existé dans notre pays, notamment entre 2007 et 2012, puis pendant les deux premières années du quinquennat de M. Hollande. C’est une disposition essentielle pour le droit des femmes, qui pourront ainsi vivre dans des conditions qui ne soient pas celles d’un communautarisme ou d’un enfermement dans une société qui ne serait pas celle que nous souhaitons pour la République.

Le regroupement familial concerne en effet entre 12 000 et 14 000 personnes par an ; il est juste de dire qu’il est en baisse, notamment depuis cinq ans. Il est tout aussi vrai que l’immigration reste majoritairement familiale, alors que nous cherchons plutôt une immigration de travail.

Même si les volumes sont peu importants, il est essentiel de prévoir des conditions qui permettent l’intégration.

Je suis donc défavorable aux amendements de suppression.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Le regroupement familial est une obsession raciste et infondée : il est utilisé pour cibler des étrangers, alors que le nombre de visas en cause est en baisse permanente – une diminution de 10 % depuis 2005. La limitation du regroupement familial serait contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Vous évoquez la question des ressources : finalement, l’immigration familiale est aussi une immigration choisie, puisque celles et ceux qui ont de l’argent pourront faire venir leur famille, mais pas les autres. C’est abject, dans la droite ligne de ce qui est sorti du Sénat. On voit qu’il existe un accord tacite entre la Macronie et la droite sur ce projet qui non seulement n’est pas à la hauteur des enjeux, mais en outre devient le concours Lépine du plus raciste et du plus xénophobe.

M. Boris Vallaud (SOC). J’appelle à la cohérence celles et ceux qui ont déposé des amendements de suppression, et j’espère qu’ils ne se rallieront pas à l’amendement du rapporteur général.

Je m’interroge sur la faisabilité des dispositions relatives à la langue. Comment une femme afghane pourrait-elle prendre des cours de français à Kaboul avant de venir en France dans le cadre du regroupement familial, alors qu’elle n’a pas le droit d’être scolarisée ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Elle relève de l’asile !

M. Boris Vallaud (SOC). Pas forcément ! Cela suppose que son mari bénéficie de ce statut, ce qui n’est pas systématique, vous le savez.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Cet article est l’illustration de la droite Tartuffe : on proclame son amour de la valeur travail et on refuse les régularisations par le travail ; on proclame son amour de la famille, allant jusqu’à en défendre les conceptions les plus archaïques, mais on refuse que la France permette à des familles d’être réunies.

Les valeurs familiales ne peuvent pas changer en fonction de l’origine ou de la nationalité. Il n’y a pas d’inclusion dans la société si l’on ne peut y vivre avec sa famille : voir grandir ses enfants dans le pays où l’on vit est essentiel, c’est là une évidence qui devrait nous rassembler.

Enfin, le droit au regroupement familial est déjà très restreint : dix-huit mois, c’est déjà bien au-delà de ce que prévoient nombre de nos voisins. Les conditions de logement et de ressources existent déjà.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Le groupe Les Républicains votera contre ces amendements.

Il est nécessaire de réguler le regroupement familial. Ce n’est certes pas la principale source d’entrée dans notre pays, mais les chiffres restent importants. Plus de 1,3 million de titres de séjour pour motif familial sont en circulation, soit plus d’un tiers des titres existants. Il faut s’interroger sur les conditions d’accueil : est-il normal qu’un étranger en situation régulière, qui peut faire venir cinq personnes de sa famille, doive justifier seulement d’un revenu de 1 500 euros et d’un appartement ? Peut-on faire vivre une famille de six personnes dignement dans ces conditions, sans faire appel à la solidarité nationale ? C’est évidemment impossible.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Le groupe Horizons et apparentés votera contre ces amendements. J’entends parler d’obsession : c’est un terme tout à fait excessif ! Il est question ici de capacité à accueillir et à loger une famille ; pour cela, il faut des ressources régulières et stables. Ces dispositions me paraissent justifiées. L’accueil de ces personnes ne doit pas reposer sur la solidarité nationale.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Le groupe Renaissance votera contre ces amendements. Nous rejoignons le rapporteur général, qui proposera d’écarter certaines des conditions prévues par le Sénat. Nous estimons que l’ajout relatif à l’assurance maladie de l’ensemble du foyer, qui s’appuie sur la directive européenne du 22 septembre 2003, doit être conservé.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Une ressortissante afghane viendrait en France au titre de la demande d’asile de son conjoint déjà présent ! Elle bénéficiera, à son arrivée, de toutes les garanties de protection nécessaires.

Si la régularité des ressources et la couverture maladie nous paraissent indispensables, c’est que ce sont des mesures de protection et d’intégration. M. Marcangeli a raison, nous devons être vigilants sur les conditions d’accueil : est-il superfétatoire de s’inquiéter de la façon dont une conjointe, dont des enfants arrivant sur le territoire national seront couverts en cas de maladie ? Pour le cas où vous ne l’accepteriez pas, je précise que la directive de 2003 le prévoit.

Je redis que je proposerai un amendement qui supprimera certaines des nouvelles conditions proposées par le Sénat – relèvement de l’âge des conjoints, allongement de la durée de séjour pour établir une demande, exclusion des APL des ressources – pour conserver seulement la nécessité de ressources régulières et la couverture par une assurance maladie.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Vallaud, une femme afghane, si elle est en Afghanistan, ne peut pas faire de demande de regroupement familial : il n’y a plus de consulat, plus d’ambassade, plus de relations diplomatiques, plus de vols entre Kaboul et Paris. Si elle formule cette demande, c’est qu’elle a quitté l’Afghanistan ; elle est donc dans un pays où elle peut prendre des cours de français. Je redis qu’elle n’a pas besoin de réussir un examen. C’est incroyable, que la gauche ne veuille pas que l’on donne des cours de français gratuits, sans obligation de réussite, à des femmes pour qu’elles viennent sur notre sol ! Comment voulez-vous lutter contre le communautarisme ? Votre exemple est nul et non avenu : il ne peut pas y avoir de regroupement familial venant d’Afghanistan ; je m’étonne que quelqu’un d’aussi intelligent que vous l’utilise. (M. Boris Vallaud proteste.) Vous avez le droit d’être contre cette disposition, mais pas en racontant n’importe quoi à la représentation nationale et aux gens qui nous regardent !

Si la famille de cette femme afghane a obtenu l’asile en France, elle bénéficiera de la réunification familiale, pour laquelle il n’y a pas de conditions. Elle peut aussi demander l’asile : le taux de protection des Afghans est de 80 %, et jusqu’à 90 % pour les Afghanes. Si jamais elle se trouve dans un autre pays et qu’elle demande le regroupement familial, elle prendra des cours de français. Nous ne proposons pas, comme le gouvernement de M. Scholz – qui ne doit pas être si inhumain que cela, puisque les Verts font partie de sa coalition – un examen en vue du regroupement familial. Il s’agit de donner des notions de la langue du pays dans lequel les gens arrivent. C’est une possibilité d’émancipation, notamment pour les femmes, et je ne vois pas pourquoi cela vous gêne tant. Sinon, vous accélérerez un communautarisme que vous refusez par ailleurs, en tout cas en paroles !

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1659 du rapporteur général, CL994 de M. Benjamin Lucas et CL1543 de M. Guillaume Gouffier Valente (discussion commune)

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est l’amendement que j’ai déjà présenté.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je reviens sur le débat précédent : on pouvait avoir l’impression que vous proposiez d’établir des conditions au regroupement familial, comme s’il n’en existait pas aujourd’hui ! La loi dispose déjà qu’il faut disposer de « ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille », et « à la date d’arrivée de sa famille en France, d’un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique » ; il faut aussi se conformer « aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d’accueil ». Le risque de communautarisme paraît écarté. Pourriez-vous arrêter d’essayer de faire croire que l’on réforme pour la première fois le droit de l’accueil en France ?

Il aurait vraiment fallu supprimer cet article. Nous demandons à tout le moins la suppression des alinéas 2 à 6.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). J’ai également présenté cet amendement tout à l’heure : il s’agit de resserrer le dispositif en conservant seulement l’ajout relatif à l’assurance maladie.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable à l’amendement CL994.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). J’ai souvenir de macronistes qui disaient, il y a un an et demi, qu’il fallait voter pour eux pour faire barrage au Rassemblement national. Cet article a été ajouté par le groupe Les Républicains du Sénat pour attenter au regroupement familial, c’est-à-dire au fait que les gens puissent s’aimer et vivre ensemble quand ils s’aiment. Le président de notre commission, donc un macroniste, mais aussi des membres du groupe Démocrate, donc des macronistes, et même certains de nos collègues du groupe Renaissance, macronistes, en demandaient la suppression, fidèles à l’idée de faire barrage aux idées du Rassemblement national. Mais il y a eu un vote, du rapporteur général et de certains macronistes, sous le regard de M. Darmanin qui ne vote pas mais qui est d’accord, avec le Rassemblement national et le groupe Les Républicains. Mettez-vous d’accord ! Essayez-vous de faire des choses utiles à la patrie ou d’adopter les objectifs et les arguments du Rassemblement national pour les faire progresser ?

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je termine ma démonstration : le regroupement familial a déjà fait l’objet de nombreuses modifications, qui visent toujours à le restreindre. Nous nous opposons à cette logique. Quand j’écoute les arguments du Rassemblement national, des députés Les Républicains ou même des députés Renaissance, je me demande qui pourra faire venir sa famille. Ce droit sera-t-il réservé aux plus riches ? Cela ne me paraît pas souhaitable, surtout dans une société où la précarité et la pauvreté s’accroissent, où se loger devient de plus en plus difficile. Il est inacceptable qu’il faille être riche pour vivre en famille.

M. Arthur Delaporte (SOC). Monsieur le rapporteur général, vous qui venez d’une région viticole, vous êtes en train de boire le calice jusqu’à la lie.

Vous avez commencé par voter des quotas ; avec votre rhétorique jésuitique, vous les avez rebaptisés « objectifs chiffrés ». Et comment les appliquer, une fois votés ? Eh bien en durcissant les conditions du regroupement familial. Vous parlez d’assurance maladie, parce que vous pensez déjà à durcir les conditions de l’aide médicale d’État… C’est un système.

Qu’entendez-vous par « assurance maladie » ? Je pense à une médecin, praticienne à diplôme hors Union européenne (Padhue) dans ma circonscription, qui demande le regroupement familial : les personnes qu’elle souhaite faire venir doivent-elles disposer d’une assurance maladie au Maroc, ou devront-elles seulement en disposer en France ?

Mme Annie Genevard (LR). Le groupe Les Républicains considère que le droit au regroupement familial n’est pas inconditionnel. C’est la raison pour laquelle le Sénat a souhaité imposer des conditions. Vous en retenez fort peu, et le compte n’y est pas, en particulier parce que vous ne retenez pas les mesures d’âge et que vous refusez d’exclure les aides personnelles au logement, alors que ce sont des ressources non contributives.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Je retire l’amendement du groupe Renaissance, CL1543.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Il faut arrêter les excès ! Ce texte demande seulement des ressources régulières et une assurance maladie pour toute la famille. Depuis tout à l’heure, nous nous faisons traiter de racistes et de xénophobes, alors que ce sont des conditions légitimes pour accueillir quelqu’un dans notre pays. Le Canada n’est ni une dictature, ni un pays raciste, vous me l’accorderez : on y demande une assurance maladie pour toute la famille.

L’amendement CL1543 est retiré.

La commission adopte l’amendement CL1659. En conséquence, l’amendement CL994 tombe, de même que les amendements CL550 de Mme Élisa Martin, CL1142 de Mme Sandrine Rousseau, CL459 de M. Michel Guiniot, CL466 de M. Éric Ciotti, CL1132 de M. Alexandre Portier, CL225 de Mme Cyrielle Chatelain et CL1133 de M. Alexandre Portier.

Amendement CL255 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). En 1974, le Gouvernement a mis fin à l’immigration pour motif économique en raison de l’augmentation du chômage et, deux ans plus tard, il a pris un décret autorisant le regroupement familial. Depuis cette date, l’immigration a échappé à toute régulation et les Français ont subi, faute de volonté politique pour la maîtriser, une immigration hors de contrôle, et en paient chaque jour un prix toujours plus fort.

Après la loi de 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, qui porte très mal son nom, le cadre juridique permettant une immigration légale n’a cessé d’être de plus en plus favorable à une immigration incontrôlée. Devenu un véritable outil pour l’immigration de peuplement, le regroupement familial doit être repris en main et mieux encadré. En 2021, l’Insee estimait à 5,1 millions le nombre d’étrangers résidant en France, soit 7,6 % de la population. À un tel rythme, en 2025, ils représenteront plus d’un quart de la population totale.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). C’est là un argumentaire typique du Rassemblement national et de son obsession. Selon ce discours, l’immigration serait incontrôlée – ce qui n’est pas le cas, comme cela a été dit à plusieurs reprises aujourd’hui. Par ailleurs, sous l’idée d’« immigration de peuplement » se cache le fantasme du « grand emplacement ».

Ce soir, dans les rues de Lyon, 100 à 150 militants d’extrême droite, habillés tout de noir, criaient « Islam hors d’Europe ! » et « L’immigration tue ! » Ce sont les mêmes qui, voilà quelques semaines, dans cette même ville, attaquaient la Maison des Passages.

Monsieur le ministre, quand allez-vous dissoudre ces regroupements et vous montrer très ferme contre l’extrême droite ? Allez-vous attendre que nous subissions des attentats, comme en Norvège, où Anders Breivik, le 22 juin 2011, a tué 77 personnes et en a blessé 150 autres en se réclamant de textes fondés sur l’idéologie complotiste d’Eurabia, que l’on retrouve dans cette logique du remplacement ? Brendon Tarrant a tué cinquante personnes…

M. Erwan Balanant (Dem). Je suis assez choqué, mais ce n’est pas la première fois de la journée, par les propos de ce qu’il ne faut pas même appeler Rassemblement national, mais Front National, car ce sont concrètement les mêmes arguties que celles que proférait M. Le Pen père dans les années 1980. Vous avez ainsi parlé d’immigration de peuplement, qui renvoie à l’idée de grand remplacement. Il y a là une terrible confusion des genres.

Le regroupement familial est une mesure purement humaine. Il s’agissait de permettre à des gens venus travailler dans notre pays, par exemple dans les usines Citroën de Rennes, et que nous étions contents d’avoir dans les années 1970 pour produire pour la France, de faire venir leur famille.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL601 de M. Christophe Naegelen

M. Christophe Naegelen (LIOT). Il complète l’article 434-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) en y ajoutant un quatrième alinéa, qui exclut du regroupement familial le membre de la famille dont le comportement serait contraire aux principes de la République qui régissent la vie familiale en France. En effet, si la menace à l’ordre public figure aujourd’hui parmi les critères d’exclusion, la menace pour les principes républicains renvoie à des situations différentes. L’égalité hommes-femmes, par exemple, est un principe de la République, et une personne qui vient en France au titre du regroupement familial doit donc souscrire à ce principe républicain simple. On pourrait citer d’autres exemples en ce sens.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Chatelain, il est faux de dire que nous créons un regroupement familial réservé aux riches. En effet, la condition de ressources fixées par voie de décret n’est pas modifiée et sera toujours de 1 300 euros pour deux à trois personnes et de 1 400 euros pour trois à cinq personnes. Ne dites pas des choses que vous ne savez pas.

Monsieur Naegelen, j’aurais voulu soutenir votre amendement, mais la mesure que vous proposez d’ajouter à l’article 434-6 du Ceseda figure déjà au troisième alinéa de l’article L. 434-7 de ce code, qui prescrit que le bénéficiaire du regroupement familial « se conforme aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d’accueil. » Je demande donc le retrait de l’amendement. À défaut, avis défavorable.

M. Christophe Naegelen (LIOT). L’article 434-7 dispose que « l’étranger qui en fait la demande est autorisé à être rejoint », tandis que l’article L. 434-6 vise l’étranger qui veut le rejoindre, ce qui pas tout à fait la même chose.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Vous avez raison et je vous présente mes excuses. Il n’en demeure pas moins que l’article 13, que nous examinerons dans quelques jours, satisfera votre amendement.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Superposer à la perception de l’étranger la notion de délinquance, voire – pourquoi pas ? –, au gré des faits divers ou des événements, celle de terrorisme relève d’une vision xénophobe. En six heures et demie de débats, vous avez réussi à introduire la notion de quotas, quitte à lui donner un autre nom, et vous vous employez maintenant à réduire le regroupement familial en l’attaquant sous divers aspects.

Le respect des principes républicains, que vous invoquez, paraît très vague. Non seulement votre loi n’est que régression en termes de droits, y compris de droits fondamentaux pour les exilés en général, mais vous y introduisez aussi des choses qui permettront…

Mme le président Sacha Houlié. Merci !

La commission rejette l’amendement.

Première réunion du mardi 28 novembre 2023 à 16 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/cVjWXb

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Article 1er B (nouveau) (suite) (art. L. 434-2, art. L 434-7 et art. L. 434-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Durcissement des conditions permettant à l’étranger de demander à bénéficier du regroupement familial

Amendement CL984 de M. Éric Ciotti

M. Éric Ciotti (LR). Le Sénat a opportunément souhaité restreindre les conditions d’octroi des titres de séjour pour motif familial. Le présent amendement participe d’une volonté de poser des limites à une dérive qui se traduit par l’octroi de 100 000 titres de séjour au titre de l’immigration familiale chaque année. Notre groupe défendra demain une limitation constitutionnelle de celle-ci, au travers de la mise en place de plafonds migratoires. Dans l’attente de ces dispositions, et en complément des mesures adoptées par le Sénat, nous souhaitons limiter le regroupement familial aux mineurs de moins de16 ans.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne voudrais pas que nous dégradions le texte du Sénat, où un amendement similaire déposé par M. Tabarot a été rejeté. Aucun État membre de l’Union européenne ne fixe une limite à 16 ans. Une telle mesure serait contraire à la directive européenne de 2003, à nos engagements conventionnels ainsi qu’à l’alinéa 10 du préambule de la Constitution de 1946. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1283 de M. Lionel Tivoli

M. Jordan Guitton (RN). Le Rassemblement national souhaite supprimer totalement, par référendum, le regroupement familial. En attendant, si ce texte propose de réduire le regroupement familial et d’en durcir les conditions, nous sommes preneurs. C’est la raison pour laquelle nous avons voté hier contre les amendements de suppression de l’article. Le présent amendement est très important, et de bon sens : il propose de rendre systématique l’exclusion du regroupement familial d’un membre de la famille du demandeur dont la présence en France constituerait une menace pour l’ordre public. On sait en effet qu’il y a sur notre territoire des personnes qui sont des bombes humaines, comme le dit très souvent Marine Le Pen.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il n’a pas fallu trente secondes, cher collègue, pour que vous prononciez le nom de Marine Le Pen ! Le droit existant permet déjà d'exclure du regroupement familial toute personne qui menacerait l’ordre public ou qui contreviendrait aux principes essentiels de la vie familiale. Avis défavorable.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Cela ne fait que quelques secondes que nous avons commencé nos travaux, et nous retrouvons le racisme d’atmosphère des propos du Rassemblement national. Encore une fois, voilà où nous mènent ce débat absurde et votre complaisance avec un texte issu du Sénat, qui va au-delà de ce qu’avaient envisagé Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux à l’époque du ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Peut-être faudrait-il, monsieur le ministre de l’intérieur et des outre-mer, lancer un avis de recherche des humanistes de la Macronie car ils manquent à l’appel pour faire barrage à ce que nous entendons de plus rance. J’espère que toute la réunion ne sera pas de la même teneur, car cela devient insupportable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous savons au moins ce que pensent nos collègues du groupe Rassemblement national : ils souhaiteraient supprimer totalement le regroupement familial, c’est-à-dire empêcher les gens qui s’aiment de se retrouver. Le Rassemblement national n’est pas le parti de l’amour mais de la haine, et il en fait chaque jour la démonstration. Je voudrais tout de même que nos collègues nous expliquent les raisons pour lesquelles ils souhaitent supprimer le regroupement familial, afin que nous mesurions le racisme sous-jacent à cette proposition.

M. le président Sacha Houlié. Je vous ai entendu dire « rentre chez toi » à un collègue, monsieur Gillet. Je vous rappelle qu’ici, tous les députés sont chez eux.

M. Yoann Gillet (RN). Vous êtes toujours dans la caricature et dans l’insulte, chers collègues. Nous, nous ne stigmatisons personne. Nous faisons simplement des propositions de bon sens, dont je vous rappelle qu’elles sont réclamées par plus de 80 % des Français. Ceux-ci ont le droit de choisir leur politique migratoire, et nous nous faisons leurs porte-parole. Ne vous en déplaise, la France subit depuis des décennies une immigration massive dont nos concitoyens ne veulent plus. Nous réclamons donc plus de fermeté en la matière. Ce n’est ni du repli sur soi ni de la haine de l’autre, mais simplement des mesures de bon sens que de nombreux pays appliquent.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL576 de Mme Estelle Youssouffa

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Cet amendement vise à préciser les conditions de ressources légales nécessaires pour bénéficier du régime de regroupement familial. En effet, l’état actuel du droit exige seulement des ressources stables et suffisantes, sans déterminer leur nature. Dans certains départements comme le mien, celui de Mayotte, des étrangers bénéficient du regroupement familial alors que les ressources des membres de leur famille sont issues d'activités illégales. Il nous semble que, pour lutter sérieusement contre l’économie clandestine, contre les trafics et contre l’exploitation des êtres humains, les services de l’État doivent contrôler l’origine des revenus des étrangers.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cette précision me semble tout à fait utile. Nous avons hier ajouté la condition de régularité des ressources. Le dispositif proposé par le Sénat prévoit la possibilité pour l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) de saisir le maire, afin qu’il puisse vérifier certaines situations suspectées d’être frauduleuses. Quoi qu’il en soit, il me semble important de rappeler le caractère nécessairement licite des ressources. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1013 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Les députés de notre groupe souhaitent supprimer les alinéas 7 et 8. Nous considérons en effet que le conditionnement du droit au regroupement familial à l’inscription de la famille au régime de l’assurance maladie est une entrave grave au droit à une vie familiale tel que défini à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Je sais que, par les temps qui courent, la CEDH n'est pas ce qui parle le plus à certains de nos collègues. Je crois pourtant que la France se doit de respecter un certain nombre d'obligations morales, juridiques et conventionnelles, qui font partie de notre bloc de constitutionnalité. Les principes de l’état de droit et les droits de l’homme me paraissent une bonne boussole pour les législateurs.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Lorsque nous avons eu ce débat hier soir, j'ai souhaité que nous conservions la condition de couverture par l’assurance maladie, y compris pour les futurs regroupés. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL110, CL111, CL112 et CL113 de M. Éric Pauget

M. Éric Pauget (LR). Ces quatre amendements s’inspirent du modèle canadien. Le Canada s’est exclusivement construit sur l’immigration, qui y est aujourd’hui choisie, maîtrisée et contrôlée. L’amendement CL110 propose que, pour démontrer qu’il possède les ressources suffisantes pour favoriser son installation dans notre pays, le demandeur soit tenu de disposer d’un fonds d’installation dont le montant dépendra de la taille de la famille. L’amendement CL111 propose, pour prévenir tout risque sanitaire, que le demandeur présente pour chaque membre de sa famille, avant toute demande de regroupement familial, les résultats d’un examen médical préalable. L’amendement CL112 prévoit que soit demandé aux futurs regroupés, comme c’est le cas aux Pays-Bas, un certificat de situation judiciaire délivré par le pays d’origine, afin de prévenir tout risque sécuritaire en France. Enfin, l’amendement CL113 vise à rendre obligatoire la présentation des empreintes digitales et de la photographie des bénéficiaires du regroupement familial, préalablement à la délivrance d’un éventuel titre de séjour, et à autoriser la transmission de ces données biométriques depuis l’étranger.

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’amendement CL110 est similaire à celui déposé par Valérie Boyer au Sénat, qui a été rejeté. Je voudrais préciser que le présent texte ne change rien s’agissant du niveau de ressources : pour une famille de deux ou trois personnes, il faut avoir perçu 1 383 euros par mois au cours de l’année écoulée, hors prestations familiales, RSA ou allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Ce montant passe à 1 500 euros pour une famille de quatre à cinq personnes et à 1 637 euros pour une famille de six personnes, avec une majoration de 10 % par personne supplémentaire le cas échéant. Je ne vois pas ce qu’apporterait le fonds d'installation que vous proposez. Pour cette raison, je suis défavorable à ce premier amendement.

Je suis en revanche favorable à l’amendement CL112, relatif au casier judiciaire, qui est évidemment très pertinent.

J’aurais aimé donner un avis favorable à l’amendement CL111, concernant l’examen médical, mais il est satisfait. Dans les sept pays où l’Ofii, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, est présent, cet examen peut se faire sur place. Pour les migrants venant d’autres pays, l’examen doit avoir lieu à l’arrivée en France, ce dont l’Ofii est chargé de s’assurer. Si l’examen devait avoir lieu au préalable, il y aurait d’ailleurs des risques de falsification. Pour cette seule raison, je suis défavorable à l’amendement.

Enfin, l’amendement CL133 est lui aussi satisfait : tous les éléments d’identification sont évidemment recueillis de façon systématique. En outre, il faut dans la mesure du possible que le recueil des empreintes et la prise de photographie soient réalisés sur le territoire national. S’ils étaient transmis depuis le pays d’origine, le risque de fraude documentaire serait très important. Avis défavorable à ce dernier amendement.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Il n’est pas certain qu’un étranger souhaitant faire venir cinq ou six personnes de sa famille soit en mesure, avec 1 500 euros de revenu, de les héberger dans des conditions dignes et de pourvoir à leurs besoins en matière d'alimentation, d’habillement et de loisirs. La création d’un fonds, telle que proposée à l’amendement CL110, garantirait que la famille vit bien grâce au fruit du labeur du demandeur et non grâce à la solidarité nationale. Nous nous inscrivons dans la même logique que le Canada, qui considère que chaque étranger peut évidemment faire venir une ou plusieurs personnes de sa famille mais que ce n’est pas à la solidarité du pays d’accueil de les prendre en charge tant qu’elles ne travaillent pas. Ce principe est cohérent avec la suppression des aides sociales non contributives qu’ont votée nos collègues et amis sénateurs.

Mme Annie Genevard (LR). Vous l’avez compris, nous souhaitons encadrer davantage les demandes faites au titre du regroupement familial. Je rappelle, comme l’a souligné le ministre de l’intérieur hier, qu’un tiers des titres de séjour en cours dans notre pays ont été délivrés pour ce motif, ce qui est considérable. Les quatre amendements de notre collègue Éric Pauget s’inscrivent précisément dans cette volonté d'être plus regardants sur les conditions d'accès au regroupement familial. Vous avez dit, monsieur le rapporteur général, que trois de ces amendements, concernant le fonds d'installation, le certificat de santé et la situation judiciaire, étaient déjà satisfaits par des vérifications réalisées par la France une fois que l’étranger se trouve sur le territoire national. Que se passe-t-il si le demandeur ne satisfait pas à ces obligations ? Repart-il dans son pays ? Pourquoi les réserves que vous avez évoquées quant à la transmission de documents depuis l’étranger seraient-elles valables pour la France et pas pour le Canada, qui est pourtant un pays précautionneux en matière de délivrance de titres de séjour ? Enfin, je n’ai pas bien compris votre avis concernant l’amendement CL113, qui porte sur la nécessité de présenter les empreintes digitales et la photographie en vue de la délivrance d’un titre biométrique.

M. Philippe Brun (SOC). L’amendement CL110 de nos collègues du groupe LR est déjà satisfait. Je rappelle que les conditions de revenu et de logement pour bénéficier du regroupement familial sont drastiques. L’idée qu’il faudrait disposer d’un patrimoine important pour pouvoir accueillir sa famille est tout à fait discriminatoire et masque la réalité actuelle de notre droit au regroupement familial, particulièrement restrictif. Seules les personnes bien insérées socialement, disposant d’un niveau de rémunération supérieur au Smic et d’un logement suffisamment grand pour accueillir leur famille, peuvent faire venir celle-ci. Pour toutes ces raisons, il n’y a aucune raison de voter la création d’un fonds qui serait nécessaire à l’établissement en France.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Je vous prie de m’excuser, madame Genevard, j’ai dû mal m’exprimer hier : ce ne sont pas un tiers des titres de séjour qui sont délivrés au titre du regroupement familial, mais 12 000 à 14 000 titres par an. Ce qui est certain, c’est que l’immigration familiale représente encore plus de la moitié de l’immigration dans notre pays. J’espère que notre travail collectif permettra de faire en sorte que l’immigration familiale devienne moins importante que l’immigration de travail, comme c’est le cas en Allemagne – c’est en tout cas la volonté du Gouvernement. Aux personnes venues au titre du regroupement familial, il faut ajouter celles qui viennent pour le motif de réunification familiale, mais leur nombre total n’est pas si important. Il a même tendance à diminuer année après année, grâce au travail que nous menons.

Par ailleurs, le fonds proposé par M. Pauget me paraît compliqué à mettre en place. De surcroît, le problème n’est pas lié à des exigences qui seraient trop basses en matière de revenu ou de logement : la France est en effet le deuxième pays le plus exigeant de l’Union européenne s’agissant des conditions permettant de bénéficier du regroupement familial. Ce qui nous pose difficulté, c’est la vérification des informations. Vous savez tous que ce sont les maires qui certifient la surface des logements et le montant des rémunérations, après quoi le préfet donne son avis définitif. Ayant été moi-même maire, je sais que cette vérification prend du temps, que tous les maires ne regardent pas forcément les dossiers et que tous ne les font pas vérifier par les services municipaux comme je le faisais moi-même. Dans les plus grandes villes de France notamment, ce sont les services qui font les constatations, et aucune vérification n’est effectuée. Souhaitant remédier à cette situation, nous avons beaucoup discuté avec les sénateurs de la façon d’accroître les moyens pour permettre de meilleures vérifications.

De ce fait, la question des exigences en termes de rémunération et de surface du logement est finalement assez peu dirimante. De la même façon que certains maires n'assurent pas les vérifications, on pourrait imaginer que d’autres refusent de délivrer des avis aux demandeurs alors qu'ils sont censés, en la matière, agir en tant qu’agent de l’État et non en tant que président de leur conseil municipal. C’est au niveau réglementaire désormais qu’il faut agir. En permettant aux préfectures de se concentrer sur la délivrance des premiers titres de séjour – l’automaticité étant ensuite la règle pour les titres pluriannuels –, on leur offrira la possibilité de vérifier si le travail du maire a été bien fait, si j’ose dire, et si les informations concernant la rémunération et le logement sont exactes. Au Canada, le fonctionnement est différent. C’est directement l’État qui émet un avis, et non pas les maires – qui, en France, sont jaloux de ce pouvoir et souhaitent le conserver.

Je vous rejoins en revanche sur la transmission des documents d’identité et voudrais préciser, à cet égard, que le Canada ne permet pas – à ma connaissance – la fraude documentaire. Comme nous, il a des accords avec certains pays dont l’état civil est de confiance. En revanche, lorsque les migrants viennent de pays dont l’état civil a disparu ou dans lesquels la fraude est importante, le Canada ne fait pas confiance aux documents d’origine et les vérifie une fois que les personnes sont arrivées sur son sol. Sur ce point précis, le système est exactement le même qu’en France.

J’émettrai un avis favorable également à l’amendement CL112 relatif à la transmission du casier judiciaire. Il me semble en effet très cohérent avec le reste du projet de loi, qui empêche la délivrance d’un titre de séjour après une condamnation. Le texte initial ne prévoyait pas cette restriction pour le regroupement familial. Les préfectures l’auraient mise en œuvre en opportunité, mais il est préférable de l’inscrire dans la loi.

M. Éric Pauget (LR). S’agissant du certificat médical, je vous appelle à bien réfléchir chers collègues. À la lumière de la crise covid et du développement des grandes épidémies, n’aurions-nous pas intérêt à demander un certificat médical qui serait complémentaire de la visite médicale assurée par l’Ofii ?

La commission rejette successivement les amendements CL110 et CL111.

Elle adopte l’amendement CL112.

Puis elle rejette l’amendement CL113.

Amendements CL487 de M. Antoine Villedieu et CL1126 de M. Alexandre Portier (discussion commune)

M. Antoine Villedieu (RN). Selon les chiffres de votre ministère, monsieur Darmanin, 126 470 titres de séjour ont été accordés dans le cadre du regroupement familial l’an dernier, soit l’équivalent de la population de la ville de Metz. Le regroupement familial doit être mieux encadré par la loi, car les conditions d'obtention sont aujourd'hui bien trop souples. L’amendement CL487 vise à ajouter aux critères existants l’exigence de n’avoir jamais fait l’objet d’une condamnation pour un crime ou un délit puni de plus de deux ans d’emprisonnement.

Je rappelle que le regroupement familial est un privilège accordé à un étranger vivant sur le territoire français. Il ne s'agit en aucun cas d'un droit que l’on acquiert de façon automatique. Il est donc naturel de considérer qu'un étranger résidant en France et ne respectant pas nos lois ne saurait garantir la constitution d'un foyer d'accueil sain pour recevoir sa famille et permettre son intégration. Nous souhaitons, au travers de cet amendement, montrer aux personnes qui souhaitent faire venir leurs proches dans notre pays qu’elles n’ont pas seulement des droits mais aussi des devoirs – dont le premier est de respecter les règles permettant de vivre dans notre société. En sollicitant la bienveillance et la générosité de la France, le demandeur doit démontrer en retour sa capacité à respecter nos lois. Ce n’est en aucun cas une mesure trop exigeante, démagogique ou discriminatoire. C'est au contraire une mesure de bon sens qui permettra de satisfaire les attentes de nos concitoyens en matière d'accueil des étrangers sur notre territoire.

M. Alexandre Portier (LR). L’amendement CL1126 propose qu’un étranger condamné définitivement pour un délit ou un crime ne puisse être rejoint au titre du regroupement familial. Il est en effet inacceptable qu’une personne ayant trahi les devoirs lui incombant, en ne respectant ni le pacte social ni les valeurs de la République, bénéficie des avantages liés au droit au regroupement familial.

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’amendement CL112 d’Éric Pauget que nous avons adopté répond à une partie de vos préoccupations, monsieur Portier. Vous proposez cependant, quant à vous, d’étendre de façon très large le champ des condamnations rendant impossible le regroupement familial – par exemple aux délits de conduite à grande vitesse ou en état d’ivresse. Or je ne suis pas certain qu’une condamnation pour ces motifs soit suffisante pour interdire une demande de regroupement familial. Pour cette raison, je suis défavorable à votre amendement.

Quant à l’amendement CL487 d’Antoine Villedieu, il pose de graves problèmes. D’abord, une condamnation pénale constitue déjà un motif de non-renouvellement de carte de séjour et empêche de demander un regroupement familial. Je vous rappelle par ailleurs que lors de l’examen des articles 9 et 10 du texte, nous débattrons de la levée de certaines protections dans le but, précisément, d’élargir les possibilités d’éloignement d’un étranger ayant été condamné pour certains crimes ou délits.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Le regroupement familial n’est pas un privilège, c’est un droit consacré par l’article 8 de la CEDH. De nouveau, je constate que nous n’abordons pas la question de la migration par le bon bout, c’est-à-dire en nous interrogeant sur les raisons des migrations à l’échelle planétaire et en organisant correctement l’accueil d’un certain nombre de personnes dans notre pays. Nous n’envisageons les choses que dans une optique que nous osons quant à nous qualifier de xénophobe : sans cesse, l’étranger est considéré comme délinquant voire terroriste – même si l’on entend moins parler de cet aspect ces jours-ci, sans doute parce que les faits divers sont d’une autre nature. Ce texte ne servira à rien, sinon – et c’est son objectif politique – à rendre infernale la vie des étrangers dans notre pays.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Il est grave d’entendre dire que le regroupement familial serait un privilège : c’est un droit humain fondamental, consacré par l’article 8 de la CEDH. Depuis le début de l’examen de ce projet de loi, vous essentialisez les étrangers en considérant qu’ils sont par nature profiteurs, manipulateurs ou délinquants potentiels, alors qu’ils sont simplement des êtres humains. Ils ont le droit à une vie de famille et ce n’est pas à vous, Rassemblement national, de décider que leur famille est malvenue en France. Au nom de quoi en serait-il ainsi, lorsqu’il s’agit d’enfants mineurs et de conjoints ? Les enfants mineurs ont absolument besoin de leurs parents, et les parents d’être avec leurs enfants. C’est évident ! Nous nous opposerons donc à ces amendements.

M. Christophe Naegelen (LIOT). On sait que, pour obtenir la régularisation d’un titre de séjour, il faut respecter les principes républicains et ne pas causer de troubles à l’ordre public ici, en France. Mais est-il aussi procédé à des vérifications dans le pays d’origine de l’étranger afin de s’assurer qu’il n’a pas commis de crimes ou délits dans son pays d’origine ?

M. Ian Boucard (LR). Je suis choqué par ce que viennent de dire nos deux collègues de gauche. Les amendements dont nous discutons sont en effet de bon sens. Le fait que vous défendiez les étrangers ne doit pas vous conduire à défendre tous les étrangers. Vous seriez au contraire beaucoup plus efficaces en défendant ceux qui respectent les lois de la République plutôt que ceux qui y contreviennent. Je suis perturbé que vous fassiez une confusion entre les étrangers et les personnes qui ne respectent pas la loi, et que vous essentialisez ainsi la question. Au groupe Les Républicains, nous ne faisons pas cette confusion.

Quant au regroupement familial, je suis d’accord avec vous pour dire qu’il s’agit d’un droit inaliénable. Rien ne dit cependant qu’il doit se faire sur le sol français.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je voudrais préciser à l’attention de M. Naegelen que l’amendement CL112 de notre collègue Éric Pauget, prévoyant l’examen du casier judificaire au moment de la demande de regroupement familial, répond à sa préoccupation.

M. Gérald Darmanin, ministre. Effectivement, monsieur Naegelen, ces vérifications sont faites. Il faut distinguer à cet égard les crimes et les délits. Les auteurs des crimes sont le plus souvent fichés à Interpol ou Europol, ce qui facilite la tâche des services des préfectures. Nous faisons aussi des demandes dans les pays d’origine, sachant que les étrangers viennent pour la plupart de pays avec lesquels nous entretenons des relations et avons des coopérations judiciaires. Pour les délits, la possibilité de vérification dépend des pays, car tous ne les inscrivent pas nécessairement dans un casier judiciaire, qu’il s’agisse de délits routiers ou de délits plus graves.

Je voudrais revenir rapidement sur l’intérêt des dispositions de ce projet de loi. Nous accueillons et gardons sur le sol national les étrangers qui respectent les règles de la République et nous nous séparons de ceux qui ne les respectent pas. Or le respect des valeurs de la République, au sens large, implique de ne pas adhérer à une idéologie radicale, mais aussi de ne pas avoir été condamné pour des crimes et délits importants. Nous ne pouvons pas accepter que restent sur notre sol des personnes ayant commis des actes graves et contraires aux règles de la République.

Je rejoins ce qu’a dit le député Boucard. Il me semble, parce que je suis issu de l’immigration et que j’ai été maire d’une ville où une grande partie de la population l’est aussi, que les personnes d’origine étrangère sont les premières à demander l’ordre et le respect des règles de la République. Elles sont les premières à dénoncer ceux qui, très minoritaires, ne respectent pas ces règles, suscitant racisme et discrimination et empêchant finalement l’arrivée de nouveaux immigrés. Dans leur immense majorité, les étrangers veulent simplement vivre dans un pays qu’ils ont choisi, en respectant des règles qu’ils ont acceptées. Ils ne souhaitent pas que d’autres les insultent – sans doute avez-vous déjà entendu l’une de ces personnes dire « Ils nous font honte ». En étant très durs à l’encontre des étrangers délinquants ou criminels, ou bien qui s’enfoncent dans le séparatisme ou la radicalisation, nous protégeons les étrangers qui se comportent bien dans notre pays – c’est bien la moindre des choses dans un pays comme le nôtre.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL525 de M. Timothée Houssin

M. Timothée Houssin (RN). Cet amendement propose que soit demandé, pour les personnes faisant l’objet d’une demande de regroupement familial, un examen médical datant de moins de trois mois et réalisé dans le pays d'origine. En cas de non-réalisation de cet examen, la demande pourrait être rejetée – sans que ce soit automatique ou obligatoire. Quant aux modalités de l’examen, elles seraient fixées par décret en Conseil d’État ; ainsi, les exigences pourraient être modulées en fonction des circonstances. Cette mesure permettrait une meilleure application de l’article L. 434-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), qui dispose qu’un membre de la famille atteint d'une maladie inscrite au règlement sanitaire international peut être exclu du regroupement familial. Encore faut-il, en effet, que nous sachions que la personne est atteinte de cette maladie. L’objectif du règlement sanitaire international – qui est aussi le nôtre – est d’assurer une protection maximale contre la propagation internationale des maladies contagieuses, qui sont des menaces sanitaires. C'est la raison pour laquelle nous préférons que l’examen soit réalisé à l’étranger.

Je précise que l’amendement rendrait toutefois obligatoire l’examen médical dans certaines circonstances. Enfin, ce n’est pas son résultat qui compterait : l’important est surtout que nous soyons informés de la situation médicale des personnes demandant à bénéficier un regroupement familial.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Même réponse que celle que j’ai faite il y a quelques instants à M. Pauget. Je précise toutefois qu’il n’y a pas d’obligation d’examen médical dans le pays d’origine, mais que cet examen est pratiqué dans tous les pays où l’Ofii est présent, c’est-à-dire au Maroc, au Cameroun, au Canada, au Mali, au Sénégal, en Tunisie, en Turquie et en Roumanie, certains de ces pays étant des pays de transit pour de futurs regroupements familiaux. Nous évoquions ainsi hier le cas d’une femme afghane qui n’a aucune possibilité de demander depuis son pays de rejoindre la France. Il est donc possible de demander un examen médical dans ces pays, qui fournissent des contingents importants de migration.

Savoir s’il faut déployer l’Ofii dans d’autres pays est une question de charges publiques qu’il ne nous revient pas de trancher ici, même si nous pouvons en débattre. La loi d'orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) a donné 9 millions d’euros de moyens supplémentaires à l’Ofii.

Les examens médicaux hors Ofii doivent-ils être délégués à des tiers – administrations locales ou centres hospitaliers – et comment nous assurer de leur crédibilité ? Cela ne risque-t-il pas, au contraire, de favoriser des examens médicaux de complaisance ?

L’amendement ne répond donc en rien à la préoccupation exprimée. Il faut bien qu’à son arrivée en France, l’Ofii vérifie l’état de santé de la personne, d’abord parce que c’est la meilleure façon de l’accueillir, et parce que notre système de soins pourra ainsi, le cas échéant, prendre en compte les difficultés qu’elle pourrait rencontrer. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Sur un peu plus de 12 000 regroupements familiaux en 2022 – c’est le dernier chiffre dont je dispose –, 9 865 visites médicales pour regroupement familial ont été pratiquées par l’Ofii, couvrant ainsi 80 % des demandes à ce titre – ces chiffres figurent dans le rapport de l’Ofii remis au Parlement et que vous pouvez donc consulter. Les examens médicaux ne sont donc pas oubliés, même s’il est possible que certains enfants n’en fassent pas l’objet, puisqu’ils ne sont obligatoires que pour les adultes. En outre, des conventions permettent qu’en l’absence de médecins de l’Ofii, ces examens puissent être réalisés à l’hôpital ou chez des médecins français à l’arrivée sur le territoire national, mais ce cas ne concerne que très peu de gens.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). À force de déposer des amendements contre le regroupement familial, le Rassemblement national vise bel et bien à rendre ce dernier totalement impossible. Or votre réponse, monsieur le rapporteur général, se borne à évoquer le risque d’examens de complaisance ! On ne peut décidément pas compter sur vous pour lutter contre les obsessions racistes du Rassemblement national.

Nous tentons de lutter contre la désertification médicale, qui touche aujourd’hui 80 % de la population de notre pays, mais j’invite nos collègues du Rassemblement national à aller voir en Érythrée ou au Soudan s’il est facile de faire procéder à un examen médical dans de bonnes conditions pour avoir accès au regroupement familial. Monsieur le rapporteur, votre réponse n’est pas sérieuse.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Faucillon, c’est la deuxième fois en quelques heures que vous m’attaquez directement. J’ai entendu ce que vous m’avez dit hier, même si j’ai fait comme si je ne l’avais pas entendu : vous avez comparé mes propos et mon amendement à la politique d’exclusion des Juifs en France dans les années 1930, comme en témoignera le compte rendu de nos débats. Je n’ai toutefois pas relevé ces propos, dont j’imaginais qu’ils avaient dépassé votre pensée.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je parlais des quotas !

M. Florent Boudié, rapporteur général. D’une manière générale, je ne suis pas partisan des outrances et je ne prends donc aucun plaisir à y répondre, mais vous m’attaquez en m’accusant de conforter des politiques raciales.

Lorsque nous accueillons une personne en France, il est tout à fait normal que nous soyons vigilants, tant pour la santé de cette personne – nous aurons ce débat à propos de l’aide médicale de l’État (AME), et je vous rappelle que nous déposons à cet égard un amendement de suppression de la suppression de ce dispositif par le Sénat – que pour la santé collective. Si nous ne sommes pas en mesure de garantir, dans le pays d’origine, la véracité des examens médicaux effectués hors de l’Ofii dans des conditions que nous ignorons, nous pourrions être confrontés à des examens médicaux de complaisance, ce qui ne répondrait ni à l’enjeu de la santé des personnes concernées ni à celui de la santé collective. Il s’agit là d’une logique non pas raciste, mais d’accueil et d’intégration.

M. Jordan Guitton (RN). Mme Faucillon est, comme toujours, caricaturale. Sait-elle que nous voyons revenir sur notre territoire des maladies telles que la rougeole, la tuberculose ou la gale, en provenance de l’étranger et, bien souvent, les personnes qui en sont victimes sont les plus précaires, que vous êtes supposés défendre ? Nous avons connu récemment une pandémie dont vous n’ignorez pas les conséquences.

Notre amendement demande simplement qu’en complément d’examens pratiqués en France, on sache, au moment où une personne quitte son pays d’origine, si elle est ou non porteuse de maladies que nous aurions visées. Nous ne demandons même pas que l’entrée sur le territoire national soit conditionnée aux résultats de ces examens, mais seulement que ceux-ci aient lieu, pour en être informés. Il s’agit d’une question de santé publique qui n’est aucunement discriminatoire.

La commission rejette l’amendement.

En conséquence de l’adoption de l’amendement CL1659 du rapporteur général, les amendements CL 225 de Mme Cyrielle Chatelain et CL1133 de M. Alexandre Portier tombent.

Amendement CL756 de Mme Estelle Youssouffa

M. Christophe Naegelen (LIOT). Il vise à modifier les conditions de logement applicables pour bénéficier du regroupement familial. Y est aujourd’hui éligible l’étranger qui dispose ou disposera à la date l’arrivée de sa famille d’un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique.

Cet amendement tend à préciser l’article L. 434-7 du Ceseda pour éviter un nivellement vers le bas de certains territoires lié à un développement du regroupement familial dans des bidonvilles et des logements insalubres.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Peut-être Mme Faucillon considérera-t-elle encore une fois que le fait de s’intéresser aux conditions de logement des personnes arrivées sur le territoire national au titre du regroupement familial témoigne d’une politique d’exclusion ou d’une politique raciale ?

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Vous faites semblant de ne pas comprendre !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il s’agit de nous assurer que le logement correspond à la possibilité d’accueil de la famille. C’est tout à fait normal. Nous aurons ce débat à propos du pouvoir de contrôle des maires, qui n’est d’ailleurs pas nouveau, puisqu’il remonte à 2008.

Il est tout à fait intéressant de préciser dans le texte que la décence, la salubrité – ou l’insalubrité – d’un logement est une condition qui doit être prise en compte, et qui devrait même être rédhibitoire si elle n’était pas remplie. C’est du reste tout à fait conforme à l’esprit du texte tel qu’il s’exprime, dans d’autres articles, avec d’autres dispositions, visant par exemple à criminaliser les passeurs ou à améliorer l’efficacité de la lutte contre les marchands de sommeil.

Il faut lutter contre l’écosystème de l’irrégularité, de l’exploitation humaine et de la maltraitance envers les ressortissants étrangers. Il me semble que l’amendement de Mme Youssouffa permet de le faire. Avis favorable. Des améliorations légistiques seront néanmoins nécessaires. Sa rédaction pourrait être retravaillée d’ici à la séance publique.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Faucillon, l’examen médical créé par l’Office national de l’immigration (Oni), puis par l’Ofii, remonte à 1945, date où le gouvernement de la République a décidé de soumettre les étrangers à un examen médical, quelles que fussent les raisons de leur venue en France, afin de pouvoir les accompagner dans leurs pathologies ou pour pouvoir les empêcher de venir, ou encore pour les soigner avant qu’ils ne viennent en France. Il me semble qu’il y avait à l’époque des ministres communistes dans le gouvernement.

J’émets moi aussi un avis favorable, tout en appelant également à une réécriture de cet amendement en vue de son examen en séance. Il s’agit en effet de soustraire ces personnes aux logements insalubres, ce qui n’est pas sans lien avec les dispositions que nous voulons introduire un peu plus tard dans le texte pour lutter contre l’exploitation par des marchands de sommeil. Cette mesure est donc importante et bienvenue.

M. Philippe Brun (SOC). Il ne faut pas faire croire que les conditions qui régissent le logement seraient vagues, car les préfectures et les tribunaux administratifs appliquent en la matière, avec une grande constance, l’article 2 du décret du 30 janvier 2002, qui exclut de quelque location que ce soit les logements insalubres.

Je comprends donc que, pour faire adopter le texte, vous optiez, pour des raisons politiques, pour une forme de sur-législation en écrivant des articles déjà satisfaits par le droit constant, mais personne ne peut aujourd’hui demander un regroupement familial avec un logement insalubre au sens des articles cités du code de la santé publique. C’est très clair tant dans le Ceseda que dans le décret que je viens de citer. Il n’y a donc aucun intérêt à voter cet amendement, qui ne fait qu’inscrire dans la loi des dispositions réglementaires déjà appliquées par tous les fonctionnaires de la République.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je souscris à cette analyse juridique. De fait, ces mesures existent mais, comme vous l’avez dit vous-même, elles sont de niveau réglementaire. Il me semble donc intéressant de pouvoir les inscrire dans la loi.

Les conditions sont en effet très exigeantes et très précises. Je tiens toutefois à les rappeler en vue du débat que nous aurons sur les pouvoirs du maire en matière de contrôle des conditions de logement. Ainsi, en zone A et A bis, comme à Paris ou à Bordeaux, le minimum est de 22 mètres carrés pour un ménage sans enfants, avec 10 mètres carrés de plus par personne, selon la composition de la famille. Vous avez donc raison de dire que les exigences sont fortes, mais les faire figurer dans la loi ne me paraît pas superfétatoire.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Les conditions d’accès au regroupement familial qui figurent dans les textes sont déjà très limitatives et contraignantes, avec pour effet que le nombre de titres délivrés au nom du regroupement familial est assez peu élevé, et même en baisse.

Monsieur le rapporteur, j’ai simplement dit que, devant des amendements qui n’ont pas l’ambition d’apporter à la loi de bonnes modifications, mais visent uniquement à faire valoir que le regroupement familial participerait à ce que certains ici appellent le « grand remplacement », votre réponse technique – du reste bien faite de ce point de vue – ne semblait guère vouloir s’attaquer à l’idéologie ainsi déclinée par le Rassemblement national. Voilà ce que j’ai dit.

Quant à mes propos d’hier, relatifs aux quotas migratoires, il s’agissait de dire que lorsque de telles mesures ont été instaurées dans notre pays, ce n’était bon pour personne, que cela s’est plutôt produit dans les heures sombres de notre histoire et qu’il était dangereux de prêter le flanc s’agissant de ces théories. Il me semblait aussi qu’en fixant des objectifs chiffrés plutôt qu’en vous y attaquant, vous validiez une partie des thèses que défendent les droites ici présentes.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CL597 de Mme Estelle Youssouffa

M. Christophe Naegelen (LIOT). Il vise à compléter le premier alinéa de l’article L. 434-8 du Ceseda en précisant que les ressources considérées doivent être d’origine licite et acquises conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur. Un amendement comparable a certes déjà été adopté à propos de l’article L. 434-7, et nous le retirerons s’il est superfétatoire, mais il nous a semblé opportun d’intégrer une écriture similaire dans l’article L. 434-8.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet amendement étant satisfait par celui que nous avons adopté voilà quelques instants, j’en propose le retrait.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 1er B modifié.

Après l’article 1er B

Amendement CL1532 de Mme Annie Genevard

Mme Annie Genevard (LR). Il vise à revenir à l’esprit initial de la Convention européenne des droits de l’homme en inscrivant dans la loi que l’article 8 de cette convention n’est pas applicable aux droits des étrangers.

Cet article 8, dont nous avons beaucoup parlé hier et qui garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, est progressivement devenu la clé de voûte de la jurisprudence du droit des étrangers en France, ainsi qu’au fil des jurisprudences du Conseil d’État. Pourtant, à plusieurs reprises, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé qu’un État a le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour lui des traités, de contrôler l’entrée et le séjour des non-nationaux sur son sol. C’est le sens des arrêts de la CEDH Abdulaziz, Cabales et Balkandali contre Royaume-Uni de 1985 et Slivenko contre Lettonie de 2023.

Dans la même ligne, l’article 3 de notre proposition de loi constitutionnelle qui sera examinée le 7 décembre prochain proposera d’instaurer un bouclier constitutionnel pour protéger notre souveraineté nationale, qui ne pourra pas, à ce titre, être contredite par le droit international.

M. le président Sacha Houlié. Cet amendement est certes recevable puisqu’il a un lien avec l’article 9, mais je vous invite à considérer le fait qu’un amendement de nature législative contraire à nos dispositions constitutionnelles n’a, en soi, pas beaucoup de sens.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet amendement soulève d’immenses difficultés et Hans Kelsen, l’auteur autrichien de la Théorie pure du droit en 1934, doit se retourner dans sa tombe. En effet, nous ne pouvons évidemment pas, par la loi ordinaire, faire fi d’un engagement conventionnel ni remettre en cause l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution promulguée le 27 octobre 1946 par Georges Bidault, président du Conseil national de la résistance (CNR) et grand résistant. Si le débat porte sur une modification de la Constitution, nous l’aurons le 7 décembre – et nous l’attendons avec impatience, car il est promis depuis de très nombreux mois.

S’il faut engager des négociations européennes pour réviser la Convention européenne des droits de l’homme, il faut prendre le pouvoir et envoyer le ministre de l’intérieur négocier avec ses homologues, mais nous ne pouvons pas décider ici de remettre en cause l’adhésion de la France à cette convention. Avis défavorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Il est étonnant de voir Les Républicains, parti qui se fait apôtre et défenseur du droit, en remettre sans cesse en cause le fondement et la logique mêmes, selon lesquels les traités internationaux imposent à notre législation une adéquation. Prôner ainsi des exceptions revient à rendre notre droit et ce texte inapplicables.

Ce n’est peut-être pas si étonnant, du reste, car ces articles sont une série de redites de ce qui existe déjà dans nos textes, et une certaine complaisance s’exprime pour les accepter dès lors qu’ils sont issus du groupe Les Républicains, dans l’attente probablement d’un vote positif sur l’ensemble du projet de loi.

Il est assez amusant de constater que de telles répétitions sont huées lorsqu’elles viennent des bancs de la NUPES, mais que lorsqu’elles viennent de chez Les Républicains, cela devient magnifique de rendre notre droit encore plus complexe, au risque de difficultés pour le législateur. Je m’interroge donc sur cette répétition du même qui va toujours dans le même sens, car ce n’est pas dans le bon – celui qui encadre le droit.

Mme Annie Genevard (LR). Monsieur le rapporteur général, votre réponse montre une fois de plus qu’une révision de la Constitution est indispensable si nous voulons mettre un frein à une application systématique du droit à la vie privée et familiale. C’est là, du reste, une bonne introduction à notre proposition de loi constitutionnelle.

Le ministre de l’intérieur lui-même a déclaré qu’il assumait d’être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, en août 2022, la France a été condamnée par la CEDH pour avoir expulsé en Russie un ressortissant tchétchène, alors qu’elle n’était pas autorisée à renvoyer dans son pays un étranger qui y serait soumis à des traitements inhumains et dégradants, au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. On peut donc s’opposer à une disposition conventionnelle garantie par la CEDH lorsque la France estime être dans son bon droit.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Genevard, nous aurons l’occasion de revenir sur ce point dans le débat sur votre proposition de loi constitutionnelle, car j’ai bien compris qu’il s’agissait d’une forme d’amendement d’appel. Vous savez en effet fort bien que ce n’est pas par la loi que l’on peut réviser la Constitution ou modifier la CEDH : ce débat en prépare d’autres.

En tout cas, je ne sais pas ce que vous imaginez, mais il ne suffira pas de modifier la CEDH : il faudra aussi modifier le Préambule de la Constitution de 1946, et en particulier ses alinéas 10 et 11, car c’est avec ce texte – et non pas avec la CEDH – qu’est né le regroupement familial, qui concerne l’individu et la famille et qui a été reconnu dans notre bloc de constitutionnalité.

Cela est tellement vrai qu’en Grande-Bretagne, où s’applique, non pas le Préambule de 1946, mais, en matière internationale, un droit mou de 1946 qui assure notamment les liens avec l’ONU, la Cour suprême a déclaré que, si le gouvernement britannique sortait de la CEDH pour appliquer des mesures relevant de la vie privée et familiale, elle casserait ces dispositions, ainsi que celles qui viseraient à accueillir les réfugiés dans un autre pays – le Rwanda.

La question dépasse donc la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme et le champ du Préambule de1946, ainsi même que, pour certains aspects, celui de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Deuxièmement, il est tout à fait faux de dire que le juge donne systématiquement raison aux arguments fondés sur la vie privée et familiale. À ma connaissance, moins de 10 % des décisions proposées par les préfets sont cassées au nom de l’article 8 et de l’article 3 de la CEDH.

Troisièmement, quand je dis que je ne suis pas la CEDH, je ne parle pas de la Convention européenne des droits de l’homme, mais de la Cour européenne des droits de l’homme, qui ne prévoit pas le caractère suspensif de ses décisions. Contrairement, donc, à d’autres ministres de l’intérieur, lorsque des personnes sont très dangereuses – j’ai bien conscience qu’il ne s’agit plus de votre amendement, qui concerne l’article 8 de la CEDH, alors que je parle ici de l’article 3, qui vise des gens qui seraient condamnés à mort ou subiraient dans leur pays d’origine des traitements inhumains et dégradants –, sans attendre un jugement qui, par nature, n’a pas été prévu comme suspensif, j’applique la jurisprudence de la CEDH et j’attends la condamnation, plutôt que de garder dans notre pays ces personnes dangereuses.

Ne confondons pas la CEDH-convention avec la CEDH-cour. Le ministre de l’intérieur respecte les règles de la République, les conventions internationales et les jugements rendus. La question n’est pas que nous n’appliquerions pas les dispositions relatives à la vie privée et familiale pour les étrangers, mais que nous voulons pouvoir éloigner des personnes qui ne respectent pas les règles de la République. Il ne faut pas regarder les étrangers pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font. Ce qui doit nous intéresser n’est ni leur prénom, ni leur origine, ni leur couleur de peau, ni leur religion ou le fait même qu’ils soient étrangers, mais leur comportement. C’est sur leur comportement qu’il faut juger les gens, et ce n’est pas en modifiant la CEDH ou en en sortant que nous y parviendrons. L’argument n’est donc pas recevable.

Nous aurons l’occasion de parler de votre proposition de loi constitutionnelle, qui toutefois, comme nous venons de le voir, ne réglera pas votre problème.

La commission rejette l’amendement.

La réunion est suspendue de dix-sept heures quarante à dix-huit heures.

Article 1er C(nouveau) (art. L. 434-7-1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Conditionner l’entrée sur le territoire au titre du regroupement familial à la justification d’un niveau de langue

Amendements de suppression CL552 de Mme Andrée Taurinya, CL853 de M. Boris Vallaud, CL1061 de Mme Francesca Pasquini, CL1145 de M. Davy Rimane, CL1275 de M. Erwan Balanant et CL1421 de Mme Stella Dupont

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous l’avons compris, le regroupement familial est insupportable à la droite et à l’extrême droite. L’article 1er C, dont nous demandons la suppression, exige que le conjoint ou la conjointe qui devrait pouvoir retrouver son conjoint ou sa conjointe parle français, or cette condition est absurde car on ne peut pas arriver en France en parlant déjà le français si on n’a pas suivi de cours de français à l’étranger. Cette proposition est lourde de toutes les discriminations et tous les fantasmes qui s’expriment depuis hier. Comme l’a dit mon collègue Léaument, nous sommes pour l’amour et pour que les gens puissent se retrouver, pas pour la haine.

M. Hervé Saulignac (SOC). Vous avez recyclé dans ce texte tous les vieux poncifs qui dominent l’opinion, notamment ceux relatifs à la maîtrise de la langue française. Cette dernière est assurément un moyen de favoriser l’intégration, mais elle ne doit pas être un critère a priori pour décider du regroupement familial. Je rappelle du reste que les bénéficiaires de ce dispositif sont déjà soumis à des obligations d’apprentissage de la langue française. On ferait donc mieux de se poser la question des moyens à mettre en œuvre, notamment du nombre d’heures de formation et des organismes qui les dispensent.

Vous voulez réguler – pour ne pas dire « entraver » – ce droit fondamental des étrangers de mener une vie familiale, et vous allez pouvoir vous en donner à cœur joie. Pendant ce temps, nous continuerons à recevoir dans nos permanences des femmes et des hommes qui pleurent de ne pas pouvoir retrouver un père, une mère ou un frère, parce que vous aurez considérablement durci les conditions du regroupement familial.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). On voit là toute l’hypocrisie de la droite sénatoriale – et pas seulement sénatoriale – qui, voilà quelques années, défilait en scandant « Un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants » et défendait tout ce qu’il y a de plus archaïque dans les valeurs familiales. Vous-même étiez présent dans ces cortèges, monsieur le ministre, ou vous les souteniez.

Il est toutefois une valeur, la plus archaïque qui soit et qui devrait rassembler : celle qui veut qu’on ne sépare pas les familles. Je ne vous parlerai pas d’amour, car c’est un argument auquel vous semblez insensible, mais de ce principe essentiel. Nous devrions tous nous entendre sur le droit de chacun, quelle que soit son origine ou sa nationalité, à une vie privée et familiale, alors que la condition que fixe cet article rendra concrètement impossible pour un enfant mineur de retrouver ses parents.

Nous sommes au-delà des arguments et d’un débat partisan : il s’agit là de l’humanité première, des principes premiers de la vie familiale. Je vous invite donc à défendre toutes les familles, quels que soient leur origine ou leur parcours de migration ou de vie. Pas besoin pour cela de banderoles ni de Frigide Barjot et de chansons ridicules, mais simplement d’un peu de bon sens et d’humanité

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Ce nouvel article visant à supprimer le regroupement familial exprime une fixette, une obsession qui, depuis des années, agite le récit de la droite et de l’extrême droite et exprime une volonté de tourner le dos presque intégralement à notre ambition d’intégration républicaine.

L’acquisition de la langue française, à l’écrit comme à l’oral, est indispensable à cette fin et elle doit se faire tout au long du parcours de ces personnes sur notre territoire. Il faut d’ailleurs y mettre des moyens – mais encore faut-il pour cela choisir qu’elle soit un chemin, et non pas une injonction ou une manière de trier les individus.

Or, en réalité, les amendements et les articles, tels qu’ils sont rédigés, n’expriment par une volonté de mieux intégrer ou de partager notre belle langue, mais de savoir comment trier, expulser et mieux rejeter. C’est la raison pour laquelle nous voulons supprimer cet article, afin que notre langue soit un atout et un accompagnement. Elle est importante et ne peut pas devenir un instrument de tri.

M. Erwan Balanant (Dem). Demander comme un prérequis au regroupement familial qu’une personne étrangère parfois éloignée de la France, dans une culture ou une communauté linguistique complètement différente de la nôtre, parle français, me semble être une drôle d’idée. En revanche, il est intéressant de permettre qu’une personne qui rejoint son conjoint apprenne notre langue.

L’idée exprimée par les sénateurs n’est pas du tout logique ; elle est complètement inadéquate à la plupart des situations – d’où cet amendement de suppression. Je note toutefois que l’amendement CL1660 du rapporteur général prescrira une obligation, non de résultat, mais de moyens : une personne qui arrivera dans notre pays aura la possibilité de suivre des cours et sera incitée à apprendre le français. Cela semble logique car, lorsqu’un homme qui se trouve en France est rejoint par sa femme et ses enfants, le fait que la femme parle français comme son mari serait l’un des meilleurs atouts d’intégration.

Certains de nos collègues ont parlé d’amour et, de fait, l’amour de la langue française peut devenir un moyen de s’intégrer dans notre pays.

Mme Stella Dupont (RE). L’apprentissage du français est bien évidemment essentiel pour une bonne installation et une bonne intégration dans notre pays, mais il ne doit pas devenir un critère préalable au regroupement familial. Ne nous y trompons pas : le tableau impressionniste du Rassemblement national et des Républicains au Sénat vise, en définitive, une stigmatisation généralisée des étrangers, allant même jusqu’à exclure des prestations sociales pendant cinq ans les étrangers en situation régulière présents dans notre pays. Votre appropriation des thèses du grand remplacement est claire, et je le regrette.

Pour avoir accompagné à plusieurs reprises des familles dans leur regroupement, je peux confirmer que c’est un long et difficile parcours d’obstacles, qui ouvre d’ailleurs la voie à très peu d’arrivées, puisque 12 000 personnes seulement ont pu bénéficier du regroupement familial en 2022, soit moins de 0,02 % de la population : c’est infime.

Face à ce parcours du combattant et compte tenu du niveau d’exigence déjà élevé prévu dans notre législation – que je ne conteste pas –, je ne suis pas favorable aux évolutions proposées et ai donc déposé, comme d’autres collègues, cet amendement de suppression.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Malgré les propos tenus par un certain nombre de collègues, je crois que la question de l’apprentissage du français ne mérite pas un tel excès d’indignité. Quels sont le gouvernement et la majorité qui ont introduit la systématisation de l’apprentissage de notre langue pour toute personne primo-arrivante ? C’était un gouvernement de François Hollande, issu du parti socialiste, auquel j’ai appartenu comme M. Lucas. Par ailleurs, l’objectif de donner des chances d’intégration supplémentaires grâce à l’apprentissage du français devrait tous nous réunir, quelles que soient les familles politiques auxquelles nous appartenons.

Ce que le Sénat a proposé, c’est de dire qu’il faut se donner les moyens de faire en sorte qu’on puisse accéder, dans son pays d’origine, à l’apprentissage du français. C’est un système acceptable, puisqu’il a été appliqué sans aucune difficulté jusqu’en 2016, dans le cadre du précontrat d’accueil et d’intégration, dans le but d’assurer une sensibilisation à la langue française.

S’il y a une chose que nous ne pouvons pas faire, en revanche, et nous rejoignons là le débat que nous venons d’avoir au sujet de la Convention européenne des droits de l’homme, c’est de poser une condition générale, définitive et absolue : il n’est pas possible de refuser le regroupement familial en France au motif qu’il n’y aurait pas eu au préalable un apprentissage du français. Mais se donner les moyens de faire en sorte qu’une personne puisse aller vers l’apprentissage du français dans son pays d’origine, cela ne veut pas dire qu’il y aura un test ou une obligation immédiate de résultat.

Comment pouvons-nous procéder ? Nous pouvons nous y prendre exactement comme à l’époque où le précontrat d’accueil et d’intégration s’appliquait, ce qui n’était pas une mauvaise option, c’est-à-dire en s’appuyant sur le réseau de l’Ofii, même s’il est faible – sept implantations à l’étranger, c’est peu – et en impliquant nos 834 Alliances françaises, présentes dans 128 pays.

Certains pensent qu’il faudrait refuser cette mesure parce qu’elle a été adoptée par le Sénat ou parce qu’ils craignent qu’elle devienne une condition générale et absolue. Ce que je vous propose, c’est de considérer que le parcours d’intégration de la personne qui sera admise à bénéficier du regroupement familial commence dans son pays d’origine, avec les moyens que les Alliances françaises et l’Ofii pourront mettre en place. Cela veut dire, encore une fois, qu’il n’y aura pas de test qui pourrait ensuite justifier un refus. La Convention européenne des droits de l’homme et le dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 nous interdisent de le faire. Je vais retirer, pour des raisons rédactionnelles, l’amendement CL1660 que j’ai déposé, mais je vous en proposerai un autre en séance afin de sécuriser ce que je viens de vous dire, à savoir qu’il ne s’agira pas d’une condition rédhibitoire pour le regroupement familial.

Par ailleurs, il faut replacer en perspective le parcours d’intégration. On ne peut demander le regroupement familial pour ses proches, son conjoint ou sa conjointe et ses enfants, qu’après dix-huit mois de présence en France – nous n’avons pas souhaité étendre cette durée à vingt-quatre mois – et à cela s’ajoute un délai de réponse, par l’autorité administrative, qui est de six mois. Il n’est pas extravagant de faire en sorte, pour les conjoints – mais pas pour les mineurs –, que ces vingt-quatre mois soient mis à profit pour engager un parcours d’apprentissage de la langue française.

Je le redis : il ne s’agira pas d’une condition générale et absolue et il n’y aura ni test dans le pays d’origine ni obligation de résultat : ce sera une simple obligation de moyens, conforme à ce que j’ai voté en 2016, dans le cadre du contrat d’intégration républicaine, et au contrat d’engagement républicain que nous vous proposerons à l’article 13, même si nous poserons en la matière, pour l’accès à la carte de séjour pluriannuelle, une condition de résultat.

J’émets, pour résumer, un avis défavorable à l’ensemble des amendements de suppression. Je ne comprendrais pas que l’on considère que le parcours d’intégration ne peut pas commencer dès le pays d’origine. Sous réserve des clarifications que j’apporterai en séance, c’est une avancée qu’il serait tout à fait néfaste de refuser purement et simplement.

M. Yoann Gillet (RN). Il faut rappeler que c’est une chance, un privilège accordé par la nation d’être admis en France quand on est un étranger. Le présent article ne fait que subordonner le bénéfice du regroupement familial à une connaissance minimale de la langue française. Ce qui sera demandé à un étranger est, en effet, « une connaissance de la langue française lui permettant au moins de communiquer de façon élémentaire, au moyen d’énoncés très simples visant à satisfaire des besoins concrets et d’expressions familières et quotidiennes. »

Je suis surpris par les amendements déposés par la gauche. Vous voudriez, en fait, qu’il n’y ait aucun critère à respecter pour venir en France. Ce qui est prévu n’est pourtant pas sorcier. L’amendement déposé par LFI demande, qui plus est, une régularisation automatique pour les conjoints : on pourrait donc venir chez nous sans aucun critère ni aucun contrôle, les portes seraient grandes ouvertes. J’invite nos collègues qui font preuve de générosité avec l’argent des autres à ouvrir les portes de chez eux pour accueillir tout le monde.

Ce que nous proposons, pour notre part, c’est de limiter drastiquement les critères du regroupement familial. C’est en effet la source d’une immigration importante, alors que les Français réclament une politique migratoire plus ferme. Nous avons besoin de critères simples, comme ceux proposés par cet article du projet de loi : il faudrait être capable de communiquer de façon élémentaire. Tout le monde comprend bien qu’il faut faire des efforts, savoir dire quelques mots pour se faire entendre lorsqu’on vient en France.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous pensons évidemment qu’il est intéressant, et nécessaire, de parler français quand on vit en France. Avons-nous dit le contraire ? Seulement, cet article vise à faire de cet apprentissage une condition et nous entendons dire, en plus, qu’il faudrait commencer son intégration à l’étranger. Vous ne savez donc pas ce que sont les parcours d’exil – car c’est bien de cela qu’il s’agit quand on rejoint celui ou celle qu’on aime.

Vous pensez que l’apprentissage de la langue française pourrait se faire à l’étranger, mais j’aimerais que vous nous disiez quels sont les budgets alloués aux Alliances françaises. Elles se trouvent toutes dans un état de décrépitude avancé, et beaucoup ferment. Par ailleurs, elles ne sont pas présentes partout : en Turquie, il n’y a pas une Alliance française dans chaque grande ville. Cela veut-il dire que le conjoint ou la conjointe devra vivre dans la capitale ou s’y rendre pour suivre des cours ? Cela coûte cher ! Il faut laisser venir le conjoint et la conjointe puis lui donner en France la possibilité d’apprendre notre langue – nous ne sommes évidemment pas contre.

Mme Annie Genevard (LR). Ce débat me stupéfie. La maîtrise de la langue française est vraiment la première condition pour l’intégration des étrangers. Il faut donc tout faire pour l’encourager.

Je voudrais vous faire part d’une réalité que je connais bien pour avoir été maire pendant plus de dix ans et pour avoir mis en place, dans ce cadre, des formations de français langue étrangère. L’exigence d’une maîtrise minimale de la langue française se heurte à beaucoup de résistance de la part de certaines personnes. Il faut donc exiger un minimum avant l’arrivée sur le territoire national. Il est question, dans ce texte, de maîtriser des expressions simples, familières et quotidiennes pour satisfaire des besoins concrets : on ne demande pas de maîtriser la langue de Racine, mais le minimum pour pouvoir s’intégrer.

Il y a, je vous le dis, des étrangers pour lesquels on n’a pas exigé ce niveau de maîtrise minimale de la langue française et qui ne l’atteindront jamais, parce qu’ils n’y sont pas fermement invités. Je crois donc que l’article 1er C est très utile.

Si le Sénat a retenu l’expression « par tout moyen », c’est parce que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a retoqué des pays qui avaient eu la même idée, notamment l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark. Nous ne sommes pas les seuls à souhaiter qu’on maîtrise la langue du pays où l’on va s’installer.

Monsieur le rapporteur général, vous avez évoqué l’Ofii et les Alliances françaises, mais on peut aussi faire appel à des ressources numériques. On peut apprendre ainsi un certain nombre d’expressions élémentaires.

Mme Marie Guévenoux (RE). Le groupe Renaissance rejettera les amendements de suppression et soutient la proposition du rapporteur général.

Ce débat ne mérite pas d’être caricaturé. Il ne s’agit pas de parcours d’exil, mais de personnes rejoignant un conjoint qui vit en France, ni d’un regroupement familial débridé, sans aucune condition. Nos discussions précédentes ont permis de rappeler les conditions posées en matière de régularité et de durée du séjour, de ressources et de respect des principes et des valeurs de la République.

Ce que nous propose le rapporteur général, c’est de faire en sorte que l’apprentissage du français puisse démarrer dans le pays d’origine de la personne, car la maîtrise du français est un facteur d’intégration très important. Dès lors qu’il ne s’agira pas d’une condition absolue, mais d’une incitation, je ne vois pas en quoi nous pourrions refuser cette évolution.

J’ajoute que l’Ofii a souligné, par la voix de Didier Leschi, que le fait de pouvoir commencer à apprendre le français dans son pays d’origine était une mesure de protection pour des femmes qui se retrouvent absorbées par des tâches domestiques lorsqu’elles rejoignent leur conjoint résidant dans notre pays. C’est aussi un point important pour le groupe Renaissance, qui souhaite favoriser une meilleure intégration des femmes.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Monsieur le rapporteur général, j’ai fréquenté comme vous, c’est vrai, le parti de Jaurès et d’Emmanuelli. J’en ai gardé quelques principes, tandis que vous choisissez de finir en roue de secours de la droite radicalisée, dans un grand numéro d’hypocrisie en tant que rapporteur général d’un texte présenté par un ancien porte-parole de Nicolas Sarkozy. Chacun a sa trajectoire, et ce qui compte n’est pas la dérive par rapport au point de départ, mais le point d’arrivée. Il est néanmoins précieux que vous ayez rappelé ce passé commun : cela montre bien les principes que vous avez abandonnés en chemin. Quant à moi, je souscris aux arguments de ceux qui ont dit que faire de la langue un critère restrictif était extrêmement stigmatisant.

Monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, chers collègues de LR et de toutes les droites coalisées pour l’occasion, connaissez-vous une seule personne qui souhaite ne pas être comprise quand elle va faire des courses dans un supermarché de notre pays ou que ses enfants ne soient pas compris dans la cour de récréation ? Connaissez-vous une seule personne aspirant à vivre sur notre territoire qui souhaite ne pas parler notre langue ? Je n’en ai jamais rencontré.

M. Boris Vallaud (SOC). Nous examinons des amendements de suppression d’une disposition qui prévoit l’obligation d’atteindre un certain niveau de langue pour pouvoir bénéficier du regroupement familial. C’est une mesure encore plus dure ce que celle qui était prévue par la loi Hortefeux, abrogée en 2016. La Halde, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, avait fait part, en 2007, de son appréciation extrêmement défavorable, parce qu’elle y voyait, précisément, un facteur de discrimination. La Défenseure des droits a aujourd’hui la même position : elle a dit avec beaucoup de netteté dans son avis qu’il existe un risque discriminatoire pour les personnes originaires de pays non-francophones, résidant dans des pays où des centres de formation à la langue française n’existent pas, dont les ressources ne permettent pas de financer une formation ou non ou peu scolarisées, c’est-à-dire au premier chef, dans un certain nombre de pays, les femmes.

Le Conseil constitutionnel a précisé, dans une décision du 20 juillet 2006, ce qui pouvait constituer une limitation constitutionnelle du regroupement familial. Il a considéré que ne pouvaient être pris en compte que des éléments intrinsèques à la vie de famille, en particulier le logement et la santé, ce qui exclut les crimes et délits, par exemple. Le niveau de langue ne peut donc pas être retenu.

Nous sommes également favorables à l’intégration par la langue, mais dans le pays d’accueil, une fois le regroupement familial réalisé. Vous avez dit qu’il n’y avait pas de problème avec le regroupement familial. Alors pourquoi voulez-vous en durcir les conditions si ce n’est pour le contingenter et, en réalité, faire obstacle à des droits conventionnels et constitutionnels ?

Mme Stella Dupont (RE). Le rapporteur général a dit qu’il retirait un amendement proposant une rédaction alternative de cet article. Il me semble que la commission des lois ne peut pas l’adopter tel qu’il est issu du Sénat puisqu’il est contraire à nos engagements conventionnels. Il serait donc assez logique de supprimer cette disposition dans l’attente de la réécriture annoncée par le rapporteur général.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce projet de loi repose sur plusieurs principes. Le premier est que l’intégration par la langue doit être valorisée. Pourquoi ? Depuis plus de vingt ans, malheureusement, quels que soient les gouvernements, 20 % des primo-arrivants se trouvent dans une situation d’extrême difficulté en matière de compréhension orale et écrite, et 25 % ont des difficultés importantes. Près de 50 % des étrangers primo-arrivants ont donc du mal ou beaucoup de mal à s’exprimer oralement ou à l’écrit. La seule période où on a constaté une baisse de ces chiffres, de 10 points, c’était durant l’application du contrat créé en 2007.

On doit pouvoir parler un minimum français pour pouvoir s’intégrer. C’est notamment vrai, comme l’a dit Mme Guévenoux, pour les femmes. Elles ont encore plus de difficultés que les hommes – les chiffres que j’ai cités sont supérieurs, les concernant, de 20 points. C’est un argument auquel tous les républicains devraient être sensibles. Je rappelle en effet que notre Constitution fait du français, presque dès son article 1er, la langue de la République.

La disposition qui vous est proposée me paraît d’autant moins anormale que le taux de chômage des étrangers est plus élevé que celui des Français. Le taux de chômage des étrangers primo-arrivants est, par ailleurs, trois plus élevé que celui des étrangers en général.

Demander une maîtrise de notre langue me paraît assez normal si on ne veut pas que les gens se retrouvent entre les mains de marchands de sommeil, mais qu’ils puissent, au contraire, connaître et faire appliquer leurs droits, lire leur contrat de travail et avoir un minimum d’échanges en société.

C’est tellement normal et évident que plus de la moitié des pays de l’Union européenne le demandent, comme Chypre, l’Italie, la Lituanie, les Pays-Bas, le Portugal, l’Autriche, la Croatie, l’Estonie et l’Allemagne. Je souligne, au passage, que plus de la moitié de ces pays ont des gouvernements socio-démocrates ou reposant sur une coalition avec les Verts. Cela prouve bien qu’il ne s’agit pas d’une dérive d’extrême droite, comme l’affirme M. Lucas, qui ferait bien de faire attention à sa propre dérive, car on se demande jusqu’où il ira.

Par ailleurs, cette disposition est tout à fait conforme à nos engagements internationaux. La CJUE, évoquée par Mme Genevard, a considéré à de nombreuses reprises que les États membres avaient le droit d’exiger un niveau minimum d’intégration, notamment en matière de langue. Tous les arrêts rendus depuis le 9 juillet 2015 sont allés dans ce sens, notamment le dernier en date, relatif à une loi néerlandaise prévoyant l’acquisition de connaissances concernant la langue et la société du pays d’accueil, ce qui, selon la CJUE, ne peut qu’aider à l’insertion dans la société.

La Cour a considéré que le paiement de frais n’avait pas pour effet ni pour objet de rendre impossible ou excessivement difficile le regroupement familial. La question des moyens ayant été posée, je précise néanmoins que le dispositif sera gratuit, à la suite d’un amendement du sénateur communiste Brossat, que nous avons bien voulu accepter parce qu’il était frappé au coin du bon sens. Il est d’ores et déjà possible de faire appel aux Alliances françaises, à l’Ofii et à la plateforme FUN (France Université Numérique), qui permet depuis plus de dix ans de suivre des cours gratuits, dans dix langues différentes, pour accéder au niveau A2 ou B1, et propose des sous-titres dans la plupart des langues parlées dans le monde.

Je voudrais dire à Mme Taurinya, qui a confondu tout à l’heure le regroupement familial et la situation des réfugiés, qu’il ne s’agit pas de conditionner la réunification familiale. Le regroupement familial, ce n’est pas l’exil : cela concerne des gens qui ont un titre de séjour parce qu’ils travaillent en France et qui y font venir leur époux, leur épouse et leurs enfants. Ils ne le font pas parce qu’ils se sont exilés dans notre pays, mais parce qu’ils ont décidé, par exemple, d’y vivre une aventure professionnelle. Ils ne sont pas pourchassés pour des raisons politiques, religieuses ou sexuelles : ils se trouvent de leur plein gré en France, qui les accueille bien volontiers. La réunification familiale, qui concerne des personnes ayant obtenu le droit d’asile, n’est pas soumise à une condition de langue. Ne confondons pas tout.

Cet article plein de bon sens qui a été adopté par le Sénat correspond exactement à ce que nous voudrions faire grâce à ce texte.

La commission rejette les amendements.

L’amendement CL1660 de M. Florent Boudié est retiré.

Amendement CL412 de M. Laurent Jacobelli

Mme Edwige Diaz (RN). Le Sénat veut imposer aux bénéficiaires du regroupement familial d’avoir une connaissance de la langue française. Le Rassemblement national se réjouit de cet ajout. Un article publié par le magazine Marianne en janvier 2023 soulignait que l’immigration familiale était totalement absente du texte proposé par le Gouvernement. M. le ministre justifiait alors cette absence en expliquant que le regroupement familial représentait une part infinitésimale des arrivées. Je laisse chacun apprécier l’opportunité de ce terme, sachant que plus de 85 000 personnes ont bénéficié du regroupement familial en 2021.

Notre amendement propose de rehausser le niveau de français requis pour bénéficier de ce dispositif. Les primo-arrivants devront passer le Dilf (diplôme initial de langue française) et ceux qui demandent une carte de séjour pluriannuelle le Delf (diplôme d’études en langue française). Nous considérons que c’est la moindre des choses pour une intégration réussie.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je n’ai pas bien compris vos chiffres. Le regroupement familial concerne 14 000 personnes par an.

On voit bien la différence entre la proposition faite par le Sénat, que nous pourrons encore corriger en séance, et votre position, qui consiste à surélever le niveau d’apprentissage du français requis, pour rendre impossible, en réalité, le regroupement familial, ce qui n’est pas du tout notre souhait, comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur. Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Il est loin le temps où il s’agissait d’être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants – « Sois gentil, pas méchant, c’est pas gentil d’être méchant »… Ce projet de loi est en train de dériver vers quelque chose d’extrêmement nauséabond, mais la Macronie laisse faire, et le ministre adresse même ses vives félicitations.

Vous avez peut-être mal lu l’article adopté par le Sénat, monsieur le rapporteur général, car il faudra justifier de sa connaissance de la langue française pour avoir accès au regroupement familial. Cette lente dérive vise sûrement à plaire aux membres de LR, alors qu’ils viennent de dire qu’ils voteraient unanimement contre le texte. La Macronie souffre vraiment d’une perte de sens et, disons-le, de républicanisme.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL114 de M. Éric Pauget

M. Éric Pauget (LR). Cet article, introduit par le Sénat, va dans le bon sens. Pour bien s’intégrer, il faut maîtriser la langue française. Néanmoins, il manque une normalisation du niveau attendu. Un cadre européen existe en la matière : nos amis allemands imposent, pour s’installer, pour avoir le statut de résident, le niveau B1.

D’une certaine façon, le regroupement familial permet aussi de s’installer, de devenir résident. Je vous propose de retenir le niveau A2, moins élevé, qui est un des premiers niveaux de connaissance de la langue. On pourra très bien obtenir le diplôme à l’étranger par l’intermédiaire des Alliances françaises ou d’internet, et ce sera le meilleur gage d’une bonne intégration pour une famille qui souhaite s’installer en France.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

Vous souhaitez porter le niveau attendu à A2, ce qui serait très exigeant pour une personne qui ne se trouve pas encore en France et ne fait que démarrer son parcours d’intégration. Ce ne serait pas du tout acceptable, car cette disposition aurait un effet très limitatif. C’est sans doute votre souhait, mais ce n’est pas le nôtre en la matière.

Je vous proposerai, parmi les corrections à apporter à la rédaction adoptée par le Sénat, de ne pas inscrire un niveau de langue dans la loi. Il existe effectivement un cadre européen de référence, mais il relève nécessairement du domaine réglementaire.

M. Gérald Darmanin, ministre. On peut inscrire des objectifs dans la loi, mais cette question relève totalement du domaine réglementaire – je l’ai rappelé au Sénat en ce qui concerne le titre de séjour pluriannuel. Et de même qu’au Sénat, je m’engage à vous présenter les décrets ou les règlements que je prendrai en application de ce texte s’il est adopté, afin que vous puissiez les approuver – je rappelle qu’un tel suivi a déjà eu lieu pour la Lopmi (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur).

Monsieur Pauget, ce que vous avez dit au sujet de l’Allemagne est faux – vous avez d’ailleurs corrigé ce que vous disiez. Nos voisins ont prévu un niveau minimum correspondant à ce qui figure dans la rédaction adoptée par le Sénat, mais si on n’atteint pas ce niveau au bout de trois tests, on obtient quand même le bénéfice du regroupement familial.

La présentation qui a été faite peut valoir pour le titre de séjour pluriannuel, et vous verrez que nous avons une exigence très forte en la matière, mais pas pour le regroupement familial – ce serait dirimant et à coup sûr contraire à nos engagements internationaux.

Mme Annie Genevard (LR). J’entends les objections du rapporteur général et du ministre. Néanmoins, l’amendement de notre collègue Éric Pauget a un avantage : on pourra produire un diplôme, ce qui permettra de vérifier aisément la maîtrise d’un niveau minimum de langue. Sinon, comment s’y prendra-t-on ? Par un examen ? Il faudrait que le rapporteur général le précise dans la nouvelle rédaction qu’il nous présentera.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il pourra s’agir d’un test ou d’un examen, sur la base du niveau A1 ou A2. C’est ainsi que font d’autres pays. Je pourrai le préciser en séance afin que cela figure au compte rendu, mais cela relève clairement du domaine réglementaire.

M. Éric Pauget (LR). Ce qui manque, c’est une référence à un cadre précis afin d’évaluer les demandes. Le référentiel européen va de A1 à C2 : le niveau A2 que je propose de retenir correspond à des échanges simples portant sur des sujets familiers et habituels, c’est-à-dire aux premières notions à maîtriser pour arriver à s’intégrer.

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’article 1er C précise, en des termes littéraires, qu’il s’agit du niveau A1 – ce terme n’est pas directement employé, mais c’est bien de cela qu’il s’agit, et je pense que cela ne doit pas figurer dans la loi.

Un cadre européen de référence existe, en effet. En Allemagne, c’est le niveau A1 qui est exigé dans le cadre du regroupement familial.

Nous avons, par ailleurs, une divergence d’interprétation : on peut aller jusqu’à une évaluation, pour attester le niveau, mais cela ne devra jamais servir de condition exclusive, pouvant conduire, à elle seule, à repousser la demande de regroupement familial.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL218 de Mme Danielle Brulebois

Mme Danielle Brulebois (RE). M. le ministre venant d’expliquer que la question relève du domaine réglementaire, je retire cet amendement.

L’amendement est retiré.

Amendement CL419 de M. Frank Giletti

Mme Marie-France Lorho (RN). L’apprentissage et la compréhension d’une langue étrangère, en l’occurrence la nôtre, requièrent, c’est vrai, du temps et de la patience, et il serait donc invraisemblable de conditionner l’autorisation de séjourner en France au titre du regroupement familial à une parfaite maîtrise du français.

Si le projet de loi prétend durcir la législation actuelle, le caractère apparemment restrictif du deuxième alinéa de l’article 1er C dissimule un certain laxisme qui contribuera au déclin linguistique que nous connaissons déjà. L’intégration d’un ressortissant étranger dans un pays qui n’est pas le sien et dans lequel il a vocation à s’établir pour une durée plus ou moins longue passe nécessairement par l’acquisition de la langue du peuple qui l’accueille. S’il n’est évidemment pas question de rendre la condition relative à la maîtrise du français inatteignable à ce stade du processus, il ne faut pas se limiter à des exigences minimales. Le présent amendement vise ainsi à supprimer des termes qui rendraient trop simple le respect des conditions de séjour fixées par la loi.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Je vais essayer d’être gentil avec vous, monsieur le ministre, même si ce n’est pas dans mes habitudes. Vous avez dit que 20 % des primo-arrivants avaient des difficultés aiguës avec la langue française et 25 % des difficultés moins prononcées mais tout de même réelles. Or cela ne concerne que les primo-arrivants. La vraie question est de savoir ce qui se passe au bout d’un, deux ou trois ans. Je crois me souvenir qu’il y a eu d’autres vagues d’immigration en France, notamment en provenance d’Italie et d’Espagne… Par ailleurs, contrairement à ce qu’on pourrait croire en vous écoutant, le processus d’apprentissage d’une langue commune ne se limite pas à savoir dire à « bonjour », « baguette » et « au revoir », ce qui ne permet pas d’aller très loin.

Un accompagnement gratuit ne nous pose pas de problème, qu’il soit délivré dans le cadre des Alliances françaises ou de l’Ofii, même si nous préférons que cela se passe sur le territoire français, pour le regroupement familial, car c’est plus sûr que dans un pays étranger. Cela étant, il ne faut pas oublier le rôle de l’acculturation : elle aide beaucoup à apprendre la langue, quel que soit le pays concerné. Un étudiant français qui part au Japon a ainsi une base de Japonais au bout d’un an : il peut se faire comprendre. Arrêtons de prendre les étrangers pour des imbéciles, et sortons de la logique baguette-bonjour-au revoir. Faisons quelque chose de beaucoup plus précis et de beaucoup volontaire, par exemple en assurant l’intégration par le travail, au-delà des métiers sous tension.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL210 de M. Fabrice Brun

M. Fabrice Brun (LR). Dans ce débat, qui vise à nous permettre de reprendre le contrôle de l’immigration dans notre pays, plusieurs questions se posent. Qui accueille-t-on ? Comment le fait-on ? Comment la personne accueillie trouve-t-elle sa place dans notre société ? Un sésame est pour cela indispensable : la maîtrise de la langue française. Le présent amendement vise à préciser le degré de connaissance requis en visant le niveau A1 du cadre européen de référence pour les langues.

M. Florent Boudié, rapporteur général. J’estime, comme je l’ai déjà dit en réponse à notre collègue Éric Pauget, qui proposait le niveau A2, que cela ne relève pas de la loi, mais du pouvoir réglementaire. Par conséquent, demande de retrait ou avis défavorable.

M. Fabrice Brun (LR). Étant député, je suis là pour graver des dispositions dans le marbre de la loi. La référence que nous proposons s’inscrit bien, par ailleurs, dans le cadre de l’obligation de moyens que vous avez évoquée tout à l’heure. Il s’agit, concrètement, de comprendre et d’utiliser des expressions familières et quotidiennes, de savoir se présenter ou présenter quelqu’un, de pouvoir poser à une personne des questions la concernant et répondre au même type de questions et de communiquer de façon simple si l’interlocuteur parle lentement et distinctement, en se montrant coopératif. Ce n’est que du bon sens : tout un chacun pourra comprendre et admettre cela, en particulier à la CJUE, car nous renvoyons à un référentiel européen.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Il nous est répondu que cette question relève du domaine réglementaire et non de la loi. Les dispositions de l’article L. 434-7 du Ceseda peuvent faire l’objet de précisions réglementaires, qu’il s’agisse de la stabilité des ressources ou de la salubrité. Puisque le Sénat propose de créer, au sein de cet article, un nouvel alinéa relatif à la maîtrise du français, si l’on acte le fait que cela relève, là encore, du pouvoir réglementaire, qu’est-ce que le Gouvernement compte mettre en place ?

M. Ludovic Mendes (RE). L’amendement de notre collègue Fabrice Brun paraît cohérent avec la manière dont cet article est déjà écrit. Le problème, s’agissant du domaine de la loi et du domaine du règlement, c’est que nous ne pouvons pas tout modifier.

J’aurais aimé que ma grand-mère, qui a vécu cinquante ans sur le territoire national mais n’a jamais pu parler le français, ait pu avoir le prérequis minimum qui est demandé par cet article. Pendant des années, en réalité, les personnes accueillies sur notre territoire ont parfois été abandonnées. Ma grand-mère était espagnole : elle parlait une langue plutôt facile à cet égard.

Pour la majorité des personnes qui demandent le regroupement familial, la procédure dure entre dix-huit et vingt-quatre mois, ce qui leur laissera le temps de se former pour atteindre le minimum requis en matière de langue française. De plus, je rappelle que la majorité de ceux qui demandent le regroupement familial sont issus de la francophonie. Nous avons les moyens de faire des choses.

Dans le pire des cas, laissons le pouvoir réglementaire se prononcer, mais réécrivons l’article avec le rapporteur général. Nous trouverons ainsi un accord.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je pourrai peut-être apporter des précisions en séance : nous pourrions trouver une formulation permettant de satisfaire ceux qui, par nature, n’auraient pas confiance en ma parole ou qui craindraient un changement de ministre de l’intérieur dans les jours qui viennent, personne n’étant propriétaire de sa charge. Nous avions pris l’engagement dans le cadre de la Lopmi que tout ce qui relevait du domaine réglementaire serait non seulement présenté devant la commission des lois mais ferait aussi l’objet d’un suivi, et je pense avoir tenu ma parole.

Même si la loi ne doit pas être bavarde, je vous propose de trouver une phrase permettant d’évoquer la façon dont le Gouvernement procédera, tout en laissant au pouvoir réglementaire ce qui relève de lui, surtout s’il s’agit de créer un référentiel qui n’existe pas encore – je pense à un futur entretien ou à un futur test.

Faut-il viser le niveau A1 ou le niveau A2 ? La rédaction du Sénat renvoie, d’une manière assez simple, à une communication « élémentaire ».

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL800 de Mme Annie Genevard

Mme Annie Genevard (LR). Pour ma part, je souhaiterais que l’on enrichisse cet article en faisant référence aux enfants. Il s’agit d’inviter les étrangers, qui rejoignent notre pays au titre du regroupement familial, à maîtriser la langue pas tant pour eux-mêmes que pour être capables, à terme, d’accompagner leurs enfants dans ce même apprentissage.

Actuellement corapporteure d’une mission d’information sur l’apprentissage de la lecture, je constate que nombre de nos élèves ont du mal à maîtriser la langue française, et aussi que les enfants allophones sont particulièrement exposés à l’échec scolaire car, contrairement aux autres, ils n’ont pas la chance de bénéficier d’un bain linguistique à la maison, ce qui fait une réelle différence. Puisque vous allez nous proposer une nouvelle rédaction de cet article, monsieur le rapporteur général, je souhaiterais qu’y figure cette exigence de maîtrise à terme – cela ne se fera évidemment pas dès l’arrivée – de la langue française, dans une optique de transmission aux enfants.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je m'engage, madame la députée, à ce que nous puissions mettre en cohérence l’amendement que je déposerai et le vôtre, que vous pourrez représenter.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 1er C non modifié.

La réunion est suspendue de dix-huit heures cinquante-cinq à dix-neuf heures cinq.

Article 1er D (nouveau) (art. L. 434-10-1 et. L. 434-11-1 [nouveaux] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Renforcer le contrôle, par le maire, du respect des conditions de logement et de ressources dans le cadre de l’instruction des demandes de regroupement familial

Amendements de suppression CL553 de M. Thomas Portes, CL855 de M. Boris Vallaud, CL1146 de Mme Elsa Faucillon et CL1422 de Mme Stella Dupont.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous voulons supprimer cet article qui donne un pouvoir exorbitant au maire, en mettant entre ses mains le sort des personnes désireuses de venir dans le cadre du regroupement familial. Alors qu’une absence de contrôle et d’avis du maire équivaut actuellement à un avis favorable, vous voulez qu’elle soit considérée à l’avenir comme un avis défavorable.

Vous voyez le regroupement familial comme une porte d’entrée pour des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, conduisant au grand remplacement, mais, nous ne cesserons de le répéter, la procédure ne concerne que 12 000 personnes par an. Votre proposition fait porter une charge supplémentaire sur les épaules des maires, mais elle encourage aussi une dérive arbitraire pour ceux qui ne voudront pas accueillir des personnes dans le cadre du regroupement familial : il leur suffira de ne pas effectuer de contrôle pour que leur avis soit considéré comme défavorable.

M. Boris Vallaud (SOC). Certains maires ne seront pas en mesure de répondre dans les délais requis ou organiseront leur silence pour que leur avis soit réputé défavorable. J’ai une idée du profil de ces maires : ceux qui ne respectent déjà pas les critères de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), par exemple, pourraient trouver avantage au silence synonyme d’avis défavorable. Nous pensons qu'il n'y a pas lieu de modifier le droit existant, prévoyant un avis simple. Nous proposons donc de supprimer cet article.

Mme Stella Dupont (RE). Véritable parcours du combattant, le regroupement familial est déjà long et complexe. Il ne convient pas d'alourdir les contraintes imposées pour de tels regroupements, dans l’intérêt de ceux qui sont en situation régulière dans notre pays. Je suis défavorable à cette évolution, le maire ayant d'ores et déjà l’obligation d'intervenir en la matière.

M. Florent Boudié, rapporteur général. D’après vous, monsieur Portes, le Sénat aurait créé une disposition supplémentaire accentuant la responsabilité du maire. Ce n’est pas le cas. La loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration a donné des prérogatives très claires au maire, représentant de l’État. Ces dispositions figurent à l’article L.434-10 du Ceseda : « L’autorisation d'entrer en France dans le cadre de la procédure du regroupement familial est donnée par l’autorité administrative compétente après vérification des conditions de logement et de ressources par le maire de la commune de résidence de l’étranger ou le maire de la commune où il envisage de s'établir. »

La difficulté vient plutôt du fait que nombre de maires ne se sont pas emparés de cette responsabilité. Si vous en discutez avec ceux de vos circonscriptions respectives, vous vous rendrez compte qu’ils sont mêmes nombreux, y compris dans des villes de taille moyenne ou grande, à ne pas savoir qu’ils ont cette responsabilité depuis 2006. Dans le respect de l’esprit du législateur de 2006, nous voulons les impliquer davantage pour que toutes les conditions d'accueil soient requises, afin que les personnes concernées puissent continuer leur parcours d'intégration en France.

Quand un maire n’effectue pas ces vérifications et ne répond pas dans un délai de deux mois, son avis est réputé favorable. Or le logement peut être inadapté, indigne voire insalubre. Le silence systématique de la part d’un maire peut contribuer à la création d’un écosystème où la personne étrangère est traitée comme une bête de somme, pourrais-je dire, au regard de ses conditions de travail et de logement. Nous y reviendrons lorsque nous aborderons l’article 4 bis sur la régularisation de personnes qui travaillent et résident depuis trois ans sur notre territoire. Le Sénat propose donc que le silence vaille avis défavorable. Précisons qu’il ne s’agit pas d’un avis conforme qui conditionnerait à lui seul la décision de regroupement familial, mais d’un avis consultatif destiné à éclairer la décision du préfet. Ce dernier dispose aussi de l’instruction du dossier de regroupement, réalisé par l’Ofii.

Le Sénat propose une autre mesure qui me semble acceptable : si, au cours du traitement du dossier, l’Offi suspecte une situation frauduleuse, le maire serait chargé d’aller vérifier sur place que les conditions de logement sont dignes et décentes pour la famille concernée. Pour ma part, il me semble qu’il faudrait aussi prévoir une sorte de sanction pour les maires qui refusent systématiquement d’effectuer ces vérifications concernant les conditions de ressources et de logement. Je vous soumets cette idée pour que nous puissions en discuter dans la perspective de la séance. Réfléchissons ensemble à un dispositif qui dissuaderait le maire de se défausser systématiquement d’une responsabilité qu’il détient en tant que représentant de l’État. Contrairement à ce que demande l’auteur d’un amendement, il est inutile de préciser dans le texte que le maire agit en qualité de représentant de l’État en la matière, car c’est déjà fait.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à la suppression de cet article qui améliore le dispositif existant sur les conditions d'accueil et donc d'intégration des familles concernées.

M. Fabien Di Filippo (LR). Il m’est toujours difficile de lire des exposés des motifs où des collègues qualifient nos apports concrets de répressifs et d'inhumains. Rappelons que l’immigration familiale est supérieure à l’immigration de travail en France – il n’y a pas beaucoup de pays où c’est le cas. Que voulez-vous ? Que l’on cesse de contrôler les conditions de ressources et de logement ? Qu'on laisse des familles s’entasser à huit dans un deux-pièces en vivant des aides sociales ? Nous voulons que ces personnes soient capables de vivre de leur travail, de s'assumer, de prendre en charge et de loger dans des conditions dignes les membres de leur famille qu’elles vont accueillir. Pour ma part, j’estime que ce n’est pas toujours à la France de s'adapter à la langue ou à la situation familiale de l’immigré. Avec vos amendements et vos argumentaires, vous battez en brèche toutes les conditions sine qua non de l’intégration dans notre pays. Vos positions ne peuvent conduire qu’à la ghettoïsation des étrangers qui nous rejoignent, avec les risques de drames inhérents à une telle situation.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Le collègue Portes a parlé de « dérive arbitraire », comme si le maire était seul à prendre la décision de regroupement. Or, comme l’a rappelé le rapporteur général, le maire ne donne qu’un avis consultatif. Et Dieu sait que les avis des élus locaux ne sont malheureusement pas assez pris en compte dans notre pays ! Il ne serait pas bon de laisser les élus locaux en dehors de ces décisions. Notre groupe et le rapporteur général vont d’ailleurs proposer d’amender ce dispositif afin de le rendre plus efficace.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). L’article ne crée pas une charge supplémentaire pour le maire, vous avez raison sur ce point. En revanche, son avis sera réputé défavorable et non plus favorable s’il ne répond pas dans les délais. Les élus locaux n’ont jamais demandé à exercer ce contrôle. Le collègue Di Filippo nous demande si nous voulons laisser les gens vivre dans des logements indécents ou à huit dans un deux-pièces. Si vous voulez vous attaquer aux logements insalubres, aux passoires thermiques et au manque de logements, il faut lancer une grande politique publique du logement. Pour que les personnes puissent vivre dignement, il faut augmenter les salaires – nous avons déposé une proposition de loi en ce sens. Vous partez du présupposé que ces gens-là sont les seuls à vivre dans des logements indécents, mais ce n’est pas le cas. Vous allez stigmatiser et viser une certaine catégorie de la population parce que vous refusez le regroupement familial sans nous expliquer pourquoi. En fait, vous avez le fantasme d’une subversion migratoire qui n'existe pas – 12 000 personnes par an sont accueillies au titre du regroupement familial.

Mme Edwige Diaz (RN). Ce débat est parfaitement révélateur du peu de confiance que la gauche et une partie de la majorité accordent à nos maires. On ne donne pas des moyens disproportionnés au maire. Dans l’exposé sommaire de l’amendement de suppression socialiste, je lis que cet article « place le sort des étrangers concernés entre les mains des maires et de leur bon vouloir » et qu’il « ouvre la voie à des dérives arbitraires. » Ces propos sont particulièrement graves. Au Rassemblement national, nous avons confiance en nos élus locaux qui auront à contrôler le respect des conditions de ressources et de logement. Nous ne voyons aucune dérive arbitraire dans cet article qui poursuit deux objectifs : lutter contre la fraude, qui existe même si vous ne souhaitez pas la voir ; prévenir les hébergements dans des logements insalubres.

M. Hervé Saulignac (SOC). Pourquoi vouloir à tout prix faire peser sur les maires des responsabilités qui ne leur reviennent pas de droit ? En effet, monsieur le rapporteur général, ils ont déjà cette compétence qu’ils peuvent même déléguer à l’Ofii. Pour notre part, nous considérons que le dispositif actuel est équilibré. Comment cet article sera-t-il interprété ? On en déduira que la règle ne sera pas la même partout sur le territoire national, qu’on aura plus de chances de voir sa demande acceptée si on la fait à Nantes plutôt qu'à Béziers. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Rassemblement national vient de faire un vigoureux plaidoyer pour que les maires puissent avoir la main sur ces questions, de sorte qu’il leur soit permis de ne pas répondre aux demandes de logement et que leurs avis soient défavorables.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Nous avons confiance en nos maires, comme toutes les Françaises et les tous les Français dont ils sont les élus préférés. Mais les maires ont besoin de soutien. Vous avez dit, monsieur le rapporteur général, que les maires ne se sont pas emparés de cette responsabilité et que certains ne savent même pas que ces dispositifs existent. Si nos maires n’ont pas assez de moyens, peut-être pourrions-nous les former, leur rappeler qu'ils peuvent avoir le soutien de l’Ofii, et les aider dans cette démarche au lieu d'accroître la charge qui pèse sur eux, un peu comme si on leur refilait la patate chaude d’une inégalité territoriale croissante. Le contrôle des logements indignes est évidemment important, et même une priorité. C'est l’objet de l’article 15 que nous aborderons peut-être un jour dans cette commission. Nous nous perdrions à faire peser la pression sur les maires au lieu de répondre sur le fond.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL202 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). En matière de regroupement familial, les maires ne donnent qu’un avis consultatif, alors que ce sont eux qui doivent gérer au quotidien les conséquences de l’immigration dans leur commune. Que le rapporteur général puisse nous faire cette proposition inacceptable de sanctionner les maires refusant les regroupements, montre bien qu’il n’a jamais été maire. Visiblement, il ne le deviendra jamais. Sa proposition est tout aussi inacceptable que le vocabulaire des socialistes qui parlent de dérives arbitraires de la part des maires. On voit qu’il n’y a plus beaucoup de maires socialistes ! Pour ma part, je propose que l’avis des maires soit conforme et non plus seulement consultatif car, je le répète, ce sont eux qui subissent au quotidien les effets de l’immigration et qui ont à gérer les flux migratoires.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne savais pas que nous allions étudier mon parcours de ces quinze dernières années durant lesquelles j’ai exercé pendant cinq ans les fonctions de directeur de cabinet de Gilbert Mitterrand, maire de Libourne. À l’époque, ce dernier ignorait qu’il avait la compétence de vérifier les conditions de ressources et de logement des candidats au regroupement familial. Ses services le faisaient évidemment pour son compte.

Vous voulez faire d'un avis consultatif, un avis conforme. Imaginez la responsabilité particulièrement lourde que vous feriez peser sur les maires, vous qui prétendez mieux les connaître que moi. Ils devraient donc décider à la place du préfet du sort des demandeurs. C'est bien cela que vous voulez ? Ils seront très heureux d'apprendre que vous souhaitez leur confier ces immenses responsabilités.

Pour ma part, je souhaite que nous puissions les accompagner dans l’exercice de ce pouvoir qu’ils détiennent depuis 2006. C’est pourquoi, dans quelques instants, je vais vous proposer de faire en sorte qu’ils puissent passer des conventions avec l’Ofii. C’est un peu l’esprit d’un amendement à venir du président Marcangeli, auquel je ne pourrai pas donner un avis favorable pour des raisons purement rédactionnelles. L’idée est de favoriser une forme de conventionnement avec l’autorité administrative pour aider les maires à exercer cette mission de contrôle qu’ils ne parviennent pas toujours à assumer – ce que vous semblez méconnaître.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Nous en sommes donc là : à nous demander sérieusement si l’accueil des étrangers en France – matière régalienne s’il en est – doit être contrôlé par les maires. Les mêmes, qui défendent en permanence la force de l’État et le caractère éternel de la France, nous proposent de donner au maire le contrôle des nouveaux arrivants. Il n’a que ça à faire, le maire : charger ses équipes municipales d'aller contrôler la salubrité d’un logement ! Pour ma part, je préférerais qu'il le fasse dans l’optique de s’assurer que l’immeuble ne va pas s'effondrer sur les habitants de sa commune plutôt que pour vérifier des titres de séjours. Ces amendements ne sont pas sérieux, même pour des gens qui s’accordent des brevets de respectabilité en matière de régulation des flux migratoires. Par pitié, si vous voulez garder un peu de crédibilité auprès des électeurs, ne demandez pas aux maires de faire cela ! Qu’allez-vous leur demander ensuite ? De battre monnaie, d’organiser des armées municipales, des polices municipales ? L’immigration est un sujet éminemment régalien.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Restons zen, monsieur Taché.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Alors restons sérieux !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Vous pourriez vous adresser à vous-même l’invite à faire preuve de sérieux car vos propos en manquent singulièrement. Nous ne faisons, je le répète, que renforcer une disposition qui existe depuis 2006. Contrairement à ce que vous affirmez, il n'est absolument pas question de demander aux maires de vérifier les titres de séjour en recourant à une police municipale armée. C’est le préfet qui délivre l’autorisation de regroupement familial, en se fondant notamment sur les conditions de ressources et de logement vérifiées par le maire, point barre. Nous voulons donner aux maires les moyens d’assumer cette disposition qui existe depuis 2006, éventuellement par le biais d’un conventionnement avec l’Ofii, voire avec l’autorité administrative. Actuellement, certaines dispositions réglementaires permettent des délégations à l’Ofii mais pas des conventionnements tels que je le propose. Alors, monsieur Taché, on reste zen et on ne raconte pas n'importe quoi devant la commission des lois, ce sera mieux pour la suite de nos débats.

M. Philippe Brun (SOC). Les maires peuvent déjà passer des conventions avec l’Ofii, en application de l’article R. 434-20 du Ceseda, qui dispose : « Le recours du maire aux services de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, mentionné à l’article R. 434-19, peut faire l’objet d'une convention d'organisation conclue avec le directeur général de l’office. »

Ce conventionnement s'applique, par exemple, à tout le département de Seine-Saint-Denis. Les communes ne contrôlent pas elles-mêmes les conditions de ressources et de logements, mais délèguent cette mission à l’Ofii qui dispose d’effectifs importants dans ce département. Dans d'autres départements, où il n’y a pas ce type de conventionnement, les contrôles sont beaucoup moins effectifs.

Nous devrions donc plutôt discuter de la généralisation du contrôle par l’Ofii. Il n’est pas normal que les contrôles soient plus « sévères » en Seine-Saint-Denis que dans d'autres départements comme celui que j'ai l’honneur de représenter, l’Eure, où les conditions de ressources et de logement ne sont, en fait, pas contrôlées par les maires. Soyons précis : le conventionnement existe et il faudrait le généraliser, voire le rendre obligatoire pour toutes les communes.

M. Gérald Darmanin, ministre. Si le maire détient ce pouvoir, c’est parce qu'il agit en la matière comme agent de l’État. Le maire est à la fois un élu qui préside son conseil municipal, mais aussi un agent de l’État qui tient l’état civil, prend un arrêté d’interdiction de rassemblement ou marie des gens. Il est d’ailleurs le seul à porter l’écharpe tricolore dans le sens bleu blanc rouge – alors que les parlementaires doivent la porter à l’envers –, afin de montrer qu’il agit au nom de l’État comme le commissaire de police. Il n’y a rien d’anormal à ce qu’il se retrouve ici en agent de l’État car c’est même le prolongement de sa fonction de maire.

Faisons un peu d'archéologie législative : en 2006, c’est à la demande de l’Association des maires de France (AMF) que cette disposition a été imaginée. Certains d’entre vous ont été maires et d’autres pas. Pour ma part, je l’ai été dans une ville de 100 000 habitants où se posent des questions migratoires. Quand vous êtes maire, on vous demande de vérifier ces conditions de ressources et de logement, éventuellement en faisant des inspections avec l’Ofii ou en envoyant sur place votre police municipale ou vos agents chargés des questions de salubrité, mais aussi en consultant les documents d’urbanisme dont vous disposez. Le maire – ou son adjoint à l’urbanisme – a d’emblée les moyens de vérifier sur pièces la concordance entre le nombre de mètres carrés annoncés et les documents d’urbanisme dont il dispose. Il n’est pas nécessaire d’envoyer des gens sur place, partout et tout le temps. Ce n’est heureusement pas comme cela que ça fonctionne ! En cas de doute, il peut envoyer quelqu’un sur place. Comment fait-il pour contrôler les ressources, comme j’ai eu à le faire pendant plus de huit ans dans ma mairie ? Il regarde les bulletins de salaire fournis, et, en cas de doute, il le signale au préfet.

Si je ne suis pas d’accord avec votre proposition, monsieur Gillet, ce n’est pas par principe mais parce que, contrairement à vous, je ne pense pas que le maire subisse les conséquences de l’immigration. S’il la subit, c’est de manière transitoire puisque la famille accueillie n’est pas assignée à résidence et peut très bien aller ensuite s’installer dans une autre commune. Il est donc normal que le préfet ait le dernier mot pour pouvoir agir au nom de l’État, l’intérêt général étant garanti par les communes prises dans leur ensemble.

Pour résumer, le maire se retrouve dans cette position pour trois bonnes raisons : il est le seul élu à agir aussi au nom de l’État ; il a accès aux documents d'urbanisme ; l’AMF était demandeuse de la disposition adoptée en 2006.

Qu’en est-il des maires qui donneraient systématiquement un avis défavorable ? Tout d’abord, cet avis – seulement consultatif – est attaquable comme tout document administratif. Ensuite, le préfet saura prendre ses responsabilités, au besoin par le bais d’une procédure de carence. À l’inverse, certains maires refusent d'utiliser ce pouvoir et donnent des avis systématiquement favorables au préfet. Il y a des extrêmes sur les deux côtés de l’échiquier politique. Fort heureusement, dans leur immense majorité, les maires font correctement leur travail, sans idéologie, en remplissant des documents que la loi leur demande de remplir.

M. Charles de Courson (LIOT). Pour ma part, je comprends parfaitement que l’on demande au maire d’apprécier l’adéquation entre le logement et la taille de la famille, d’autant qu’il dispose des outils pour le faire. En revanche, je m’étonne qu’on lui demande de porter une appréciation sur les ressources alors qu’il n’a pas, à ma connaissance, accès aux déclarations fiscales. Pourriez-vous, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur général, nous dire comment le maire pourrait accéder aux ressources d’une personne ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le député de Courson, il peut le faire de la même manière que lorsqu’il vérifie les ressources pour veiller au respect des modalités concernant le paiement de la cantine ou du centre aéré, par exemple : il demande une copie des bulletins de salaire ou de la déclaration fiscale. S’il a un doute sur la véracité des documents fournis, il peut s’en ouvrir au préfet – ce qui m’est arrivé lorsque j’étais maire.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne voudrais pas que M. de Courson croie que nous créons cette disposition sur le contrôle des ressources : elle est en vigueur depuis 2006 et le Sénat ne l’a d’ailleurs pas modifiée.

La commission rejette l’amendement.

Amendement 996 de M. Benjamin Lucas

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Avec cet amendement de repli, nous proposons de supprimer les alinéas 2 à 4. Certes le dispositif existe, mais la modification apportée ne sera pas sans conséquences alors que nos élus ne sont pas suffisamment soutenus et que nous ne répondons pas à leurs demandes réelles. L’avis sera réputé défavorable en cas de non-réponse dans les temps. Dès lors, on ferme globalement toutes les portes du regroupement familial dans les petites communes qui ne pourront pas traiter ces demandes faute de moyens ou d’information. Dans les grandes villes, ce sera peut-être un peu plus simple. En définitive, cet article accentue des inégalités territoriales exacerbées et assumées. Vous ajoutez un poids supplémentaire aux maires qui sont déjà essorés, particulièrement dans les petites communes. Pour avoir bien écouté vos interventions au Sénat, monsieur le ministre, et vous avoir entendu implorer les sénateurs et les sénatrices de s’intéresser particulièrement à cette mesure, je me dis qu'il y a peut-être anguille sous roche.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). En vous entendant discuter de la vérification des conditions de logement des personnes qui font des demandes de titre de séjour, j’ai pensé à un maire de ma circonscription : Philippe Rio, maire de Grigny, ville la plus pauvre de France. Il a bien d'autres soucis que ce dont vous êtes en train de parler. Il essaie, par exemple, de lutter contre les marchands de sommeil – un combat pour la dignité des personnes, qu'elles soient de nationalité française, en situation régulière et en attente d’un titre de séjour, ou même en situation irrégulière. Sachez que certains maires tentent déjà de défendre la dignité et l’humanité. Quand je vous écoute, je vous trouve bien loin des besoins des maires des villes populaires de notre pays.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, elle rejette l’amendement CL360 de Mme Edwige Diaz.

Amendement CL519 de Mme Sarah Tanzilli, amendements identiques CL1573 de Mme Marie Pochon et CL1268 de Mme Blandine Brocard (discussion commune)

Mme Sarah Tanzilli (RE). Le texte qui nous est soumis prévoit que l’avis du maire de la commune où le demandeur réside ou envisage de s'installer est défavorable au-delà d'un délai fixé par décret. Je crains que certains maires ne laissent délibérément s'écouler le délai en question, afin de détourner le droit au regroupement familial et empêcher l’accueil de personnes étrangères sur le territoire de leur commune. Je comprends que la situation actuelle, où le silence du maire vaut avis favorable, peut aussi présenter des difficultés et entraîner des dérives idéologiques. C’est pourquoi je propose que, passé le délai prévu, l’avis soit réputé rendu sans présumer de son caractère favorable ou défavorable. Cela évitera qu'un maire s'abstienne délibérément pour des raisons idéologiques, tout en le poussant à réaliser le contrôle dont il a la charge afin que son avis puisse être pris en compte.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Faute d’avoir pu supprimer les alinéas 2 à 4, nous proposons de rétablir la présomption d'acceptation lorsque la commune dépasse les délais pour rendre son avis. Nous proposons donc de remplacer « défavorable » par « favorable » à la fin de l’alinéa 4. Alors que les collectivités locales sont très nombreuses à ne pas pouvoir respecter les délais, l’acceptation implicite leur permet d'accueillir tout en gagnant du temps. Vous allez donc donner plus de travail aux élus locaux, comme nous l’avons déjà dit. Transformer une non-réponse dans les délais en refus implicite revient aussi à considérer que les communes – piliers de l’application des valeurs de la France et notamment celle de fraternité –, n'accueilleraient pas, n'accueilleraient plus, n'assumeraient plus la devise de notre pays. Par défaut, les valeurs de la République conduiraient à refuser une aide à des personnes vulnérables, tout l’inverse de ce que nous promouvons. Ce n'est pas digne des valeurs de la France, auxquelles les écologistes tiennent beaucoup. Il semblerait que nous soyons un peu seuls à continuer à croire en notre devise républicaine Liberté, Égalité, Fraternité.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le groupe Démocrate n’approuve pas la solution retenue par le Sénat, considérant que si l’avis du maire n’est pas rendu dans les délais, il doit être réputé favorable. C’est aussi une manière de garantir aux étrangers qui font une demande de regroupement familial, l’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au respect de la vie privée et familiale.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je suis défavorable aux amendements identiques, mais je m’interroge sur la rédaction de celui présenté par Sarah Tanzilli : il ne me semble pas qu’il soit possible d’écrire dans la loi qu’un avis est réputé rendu. Je vous propose de retirer votre amendement, madame Tanzilli, et de le retravailler dans la perspective de la séance.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous allons soutenir les amendements du groupe Écologiste et du groupe Démocrate, qui nous semblent frappés au coin du bon sens : absence de réponse vaut avis favorable.

Après deux jours passés avec vous, je commence tout de même à voir ce qui se passe. Hier, vous ne parliez pas de quotas, mais d’objectifs chiffrés ; aujourd'hui vous ne parlez pas de conditions au regroupement familial familiale, mais d’avis. À quoi bon cumuler des avis qui existent déjà et ajouter à l’inflation législative ? Je vous soupçonne de continuer, petit à petit, à durcir un projet de loi qui l’est déjà suffisamment. Le ministre prétend vouloir être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants. En fait, avec de telles dispositions, on est méchant avec les gentils. Essayons de revenir au bon sens en gardant une présomption de favorabilité en cessant d'embêter des gens qui s’aiment.

M. Philippe Brun (SOC). Au rapporteur général, qui s'interroge sur la rédaction de l’amendement notre collègue Tanzilli et la possibilité d’écrire dans la loi qu'un avis est réputé rendu, je répondrai par l’affirmative. Il peut se reporter à l’article L. 434-10 du Ceseda : « Le maire, saisi par l’autorité administrative, peut émettre un avis sur la condition mentionnée au 3° de l’article L. 434-7. Cet avis est réputé rendu à l’expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication du dossier par l’autorité administrative. » Actuellement, l’avis du maire est réputé favorable et aussi réputé rendu. L’amendement de Mme Tanzilli est satisfait par la législation en vigueur, mais il est aussi tout à fait correct sur le plan juridique.

Mme Marie Guévenoux (RE). J’aimerais revenir sur les propos de certains députés qui ont qualifié la démarche d’arbitraire. En fait, il n’y a aucun arbitraire, mais des critères objectifs clairement définis que ce soit pour les ressources ou pour le logement : il faut un logement de 20 mètres carrés pour deux personnes, de 30 mètres carrés pour trois personnes, etc.

Voici ce que je comprends de l’amendement de Sarah Tanzilli : elle sait que l’avis des maires est consultatif et attaquable, mais craint que le fait qu’il soit réputé défavorable quand le délai est dépassé n’incite certains maires à se soustraire à leurs obligations en ne rendant pas d’avis.

Le rapporteur général a formulé à ce sujet une proposition très intéressante à laquelle nous pourrions travailler en vue de la séance. Cela devrait conduire notre collègue à retirer son amendement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Brun, vous ne dites pas tout : à l’article L. 434-10 du Ceseda, il s’agit d’avis facultatifs ; c’est pourquoi je m’interrogeais.

Si la commission, dans sa sagesse, adopte l’amendement de Mme Tanzilli, quitte à ce que nous en retravaillions des aspects juridiques pour la séance, j’y suis tout à fait favorable.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Merci, monsieur le rapporteur général. Dans la mesure où il s’agit d’un avis consultatif obligatoire, on peut tout à fait considérer qu’à l’expiration du délai, on ne donne pas d’orientation, favorable ou défavorable, à l’avis. Il me semble que cela existe déjà. Mais je suis tout à fait prête à ce que nous retravaillions l’amendement pour aboutir à une solution qui permette de n’orienter ni dans un sens ni dans l’autre le silence du maire.

La commission adopte l’amendement CL519.

En conséquence, les amendements CL1573 et CL1268 tombent, ainsi que l’amendement CL26 de M. Guy Bricout.

Amendements CL1235 de M. Laurent Marcangeli, CL1666 de M. Florent Boudié et CL115 de M. Éric Pauget (discussion commune)

M. Laurent Marcangeli (HOR). Mon amendement a pour but d’aider les maires, qui doivent traiter une quantité importante de demandes sans toujours en avoir les moyens opérationnels. L’État doit être au rendez-vous et prévoir des dispositifs de soutien, notamment par l’intermédiaire de l’Ofii.

Mais cet amendement est moins bon que celui du rapporteur général, que nous soutiendrons.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Mon amendement concerne la possibilité de conventionnement entre les maires et l’Ofii, là où celui-ci est présent – c’est toute la difficulté, car il n’y a pas de direction territoriale de l’Ofii dans chaque département.

M. Éric Pauget (LR). Mon amendement est le plus complet. Le regroupement familial est une mission régalienne dont les maires s’occupent depuis 2006. L’article adopté par le Sénat va dans le bon sens. Je propose que les maires puissent conventionner soit avec l’Ofii, soit avec une autorité administrative pour être accompagnés dans l’exercice de cette mission.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je suis favorable à ce que l’on trouve des moyens de faire accompagner les maires par l’autorité administrative. Mais il convient d’expertiser cette possibilité. Serait-ce un simple conventionnement ? En a-t-on les moyens au sein des préfectures ? Quelle charge cela représenterait-il ? Je rappelle le chiffre de 29 000 demandes de regroupement familial par an. Pour l’Offi, c’est jouable, du moins là où il est présent. Pour l’autorité administrative, réfléchissons-y en vue de la séance. Je souhaite que nous aboutissions – je parle sous le contrôle de M. le ministre, qui connaît mon point de vue.

Avis défavorable.

M. Christophe Naegelen (LIOT). J’avais déposé deux sous-amendements à l’amendement du rapporteur, mais ils ont été déclarés irrecevables. Ils visaient à appeler votre attention sur les territoires ruraux, où certaines petites communes n’ont pas l’habitude de traiter avec l’Ofii, mais font confiance à la préfecture, avec laquelle elles travaillent quotidiennement. Il s’agissait que ces communes puissent demander à être accompagnées par la préfecture dans leurs échanges avec l’Ofii. J’aurais aimé avoir l’avis du rapporteur général à ce sujet.

M. le président Sacha Houlié. Nous n’avons pas reçu trop tardivement vos sous-amendements pour qu’ils puissent être pris en compte.

La commission rejette l’amendement CL1235.

Elle adopte l’amendement CL1666.

La commission rejette l’amendement CL115.

Amendement CL1600 de Mme Marie Pochon

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. le président Sacha Houlié. J’ai reçu de la part de membres du groupe Rassemblement national représentant au moins 10 % de la commission une demande de scrutin sur cet amendement en application de l’article 44, alinéa 2 du Règlement. Je constate que les députés demandeurs sont effectivement présents, je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

M. Ugo Bernalicis, M. Philippe Brun, M. Jean-François Coulomme, Mme Elsa Faucillon, M. Andy Kerbrat, M. Antoine Léaument, Mme Murielle Lepvraud, M. Benjamin Lucas, Mme Élisa Martin, Mme Danièle Obono, M. Thomas Portes, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, Mme Sandrine Rousseau, M. Hervé Saulignac, Mme Andrée Taurinya et M. Boris Vallaud.

Votent contre :

Mme Caroline Abadie, M. Romain Baubry, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Edwige Diaz, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Philippe Latombe, Mme Marie Lebec, Mme Marie-France Lorho, Mme Laure Miller, Mme Naïma Moutchou, M. Christophe Naegelen, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Stéphane Rambaud, Mme Béatrice Roullaud, M. Olivier Serva, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier et Mme Caroline Yadan.

S’abstiennent :

Mme Élodie Jacquier-Laforge et M. Emmanuel Mandon,

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 47

Pour l’adoption des amendements : 17

Contre l’adoption des amendements : 28

Abstention : 2

La commission rejette donc l’amendement.

Elle adopte l’article 1er D modifié.

Après l’article 1er D

Amendement CL240 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Nous demandons l’ouverture du regroupement familial aux travailleurs et travailleuses d’origine étrangère bénéficiant d’une carte de séjour accordée sur le fondement de l’exercice d’une activité professionnelle en France.

La mesure leur permettrait de mieux s’intégrer dans notre pays, de combattre l’isolement et garantirait l’effectivité de leur droit à une vie privée et familiale. Surtout, elle faciliterait l’extension du regroupement familial aux couples homosexuels qui ne sont pas nécessairement enregistrés comme tels dans leur pays d’origine, où ces couples peuvent être victimes de persécutions. C’est très important.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Les couples homosexuels ne sont pas l’objet de l’amendement CL240, qui vise à ouvrir le regroupement familial aux personnes titulaires d’une carte de séjour temporaire, et auquel je suis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). C’est un amendement très important. Ce n’est pas parce qu’il ne mentionne pas les termes « homosexuel » ou « LGBTI » qu’il ne s’applique pas aux personnes concernées et ne permet pas de défendre leurs droits. Plus loin, nous proposerons de simplifier l’octroi de l’asile aux personnes LGBTI, mais, ici, il s’agit de travailleurs qui auraient du mal à avoir une vie familiale, en particulier les personnes LGBTI, que la discrimination dans leur pays d’origine peut empêcher de faire reconnaître leur couple.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Une personne titulaire d’une carte de séjour temporaire accordée sur le fondement de l’exercice d’une activité professionnelle, cela n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle ni avec le regroupement familial. Plus loin, il y aura des amendements sur la prise en compte des couples homosexuels dans le regroupement familial ; j’apporterai alors des éléments.

Par ailleurs, pour bénéficier du regroupement familial, par définition, il faut ne pas être présent sur le territoire national. C’est aussi pour cette raison que la mesure n’est pas envisageable.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Les Padhue (praticiens à diplôme hors Union européenne) ont des cartes de séjour temporaires en raison de leur travail, arrivent sur le territoire et demandent ensuite le regroupement familial qui, généralement, leur est accordé. C’est un contre-exemple.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Rousseau, nous allons bientôt en venir à des dispositions concernant le regroupement familial pour les personnes LGBT, travaillées au Sénat à partir de propositions du groupe socialiste de la Haute Assemblée. Elles correspondent à la situation dont vous parlez.

Dans le cas précis que vous évoquez, celui d’une union ou d’un mariage entre personnes homosexuelles qui ne serait pas reconnu dans le pays d’origine, les personnes pourraient tout à fait se marier ou se pacser en France, puisque c’est possible même quand on est en situation irrégulière. Ensuite, il faut dix-huit mois avant de pouvoir prétendre au regroupement familial, comme pour toute personne et dans les mêmes conditions que si le mariage avait eu lieu dans le pays d’origine. Le fait que le mariage homosexuel ne soit pas reconnu dans le pays d’origine n’empêche donc pas le regroupement familial, et la situation à laquelle vous faites référence n’a rien à voir avec l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Article 1er EA (nouveau) (art. L. 423-1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Durcissement des conditions permettant à un étranger marié avec un ressortissant français de se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale »

Amendements de suppression CL1661 de M. Florent Boudié, CL554 de Mme Élisa Martin, CL603 de M. Michel Castellani, CL856 de M. Boris Vallaud, CL1042 de M. Benjamin Lucas et CL1147 de Mme Emeline K/Bidi

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’article 1er EA, introduit par le Sénat, vise à ce que les conditions du regroupement familial soient appliquées au rapprochement familial, par lequel une personne étrangère peut rejoindre en France son conjoint de nationalité française. C’est une disposition qui n’est pas acceptable, pour plusieurs raisons, et d’abord en vertu du principe d’égalité entre ressortissants français.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Le Gouvernement a voulu un énième texte sur l’immigration. Depuis hier, nous examinons des articles ajoutés par le Sénat du fait de la compétition permise par le Gouvernement entre la droite, l’extrême droite et lui-même pour parvenir à un texte qui stigmatise, discrimine, qui est raciste et xénophobe.

En outre, l’article est flou : que veut dire « un logement considéré comme normal » ? Voilà le résultat de cette course à l’échalote dans le racisme.

M. Michel Castellani (LIOT). Nous non plus, nous ne souhaitons pas que l’on durcisse les conditions auxquelles un citoyen français peut faire venir son conjoint étranger sur le territoire.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je voudrais lire à nos collègues LR, dont les homologues ont ajouté cet article au Sénat, une citation d’un auteur important. « L’immigration familiale s’impose tout à la fois pour des raisons humanitaires et par souci d’intégration […], car comment réussir l’intégration paisible d’un homme vivant à des milliers de kilomètres de sa femme et de ses enfants ? Les étrangers voulus et acceptés devront l’être avec leur famille, au moins au sens de l’épouse et des enfants […]. » Qui a écrit cela ? Nicolas Sarkozy, en 2001, dans Libre.

L’article que vous voulez introduire va discriminer d’abord les Français : des Européens ayant recours au regroupement familial auront plus de droits que des Français en couple avec une personne extérieure à l’Union européenne.

Nous sommes contre les obstacles au regroupement familial que vous avez ajoutés dans le texte depuis le début de son examen.

M. Karim Ben Cheikh (Ecolo-NUPES). J’ajoute que l’article témoigne d’une méconnaissance de la question. Prenons un couple mixte vivant à l’étranger, qui a des enfants et décide de venir s’installer en France. Ce que prévoit l’article, c’est qu’au moment de cette installation, on sépare les enfants de l’un des deux parents, un seul parent étant autorisé à s’installer. Par exemple, pour nos compatriotes évacués du Niger, un seul des deux parents aurait pu partir avec les enfants pendant que l’autre serait resté au Niger. C’est cela que vous proposez, chers collègues ! Les conjoints de Français ne sont pas concernés par le regroupement familial.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Toutes ces conditions, ça va faire un peu long, sur un profil Tinder…

Sérieusement, il s’agit d’une restriction inédite du droit des Français à une vie familiale. J’espère que celles et ceux qui ont suivi nos débats précédents, quand ils verront ce que donne cette restriction pour des Français et Françaises, seront sensibilisés à ce qu’elle a d’injuste dans le cas du regroupement familial.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). J’avais la certitude que, dans ce débat sur l’immigration, on finirait par parler de la France, de la République et de ce qui fait le sel de notre patrie. Depuis 1793, l’époque où nous avons inventé la notion de citoyenneté et, avec elle, celle de nationalité, il était prévu que, lorsqu’on épouse un Français, on peut devenir français au bout d’un an. Mais comment voulez-vous que les gens deviennent français s’ils ne peuvent pas se regrouper quand ils s’aiment ?

Par cet article, le parti Les Républicains – il faudrait encadrer ce nom de gros guillemets – nous montre sa logique contre-républicaine si on se réfère aux principes qui fondent notre patrie depuis la Ire République, laquelle va de pair avec le drapeau tricolore, La Marseillaise et la devise Liberté, Égalité, Fraternité, inventée, ne vous en déplaise, par Maximilien Robespierre.

M. le président Sacha Houlié. J’ai reçu de la part de membres du groupe Rassemblement national représentant au moins 10 % de la commission une demande de scrutin sur ces amendements de suppression en application de l’article 44, alinéa 2 du Règlement. Je constate que les députés demandeurs sont effectivement présents, je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

Mme Caroline Abadie, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, M. Philippe Brun, Mme Émilie Chandler, M. Jean-François Coulomme, Mme Elsa Faucillon, M. Guillaume Gouffier-Valente, M. Sacha Houlié, M. Andy Kerbrat, M. Antoine Léaument, M. Emmanuel Mandon, Mme Elisa Martin, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, Mme Sandrine Rousseau, M. Olivier Serva, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Boris Vallaud et Mme Caroline Yadan.

Votent contre :

M. Romain Baubry, Mme Pascale Bordes, Mme Edwige Diaz, M. Yoann Gillet, M. Jordan Guitton, M. Timothée Houssin, Mme Marie-France Lorho, M. Éric Pauget, M. Stéphane Rambaud et Mme Béatrice Roullaud.

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 40

Pour l’adoption des amendements : 30

Contre l’adoption des amendements : 10

Abstention : 0

La commission adopte donc les amendements.

En conséquence, l’article 1erEA est supprimé et les amendements CL555 de Mme Danièle Obono, CL72 de Mme Françoise Buffet, CL226 de Mme Cyrielle Chatelain, CL295 de Mme Béatrice Roullaud et CL362 de Mme Edwige Diaz tombent.

Deuxième réunion du mardi 28 novembre 2023 à 21 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/kcpBZc

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Article 1er EB (nouveau) (art. L. 432-1-1 [nouveau], 421-5-1 [nouveau] et 432‑6‑1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Élargissement des conditions permettant, par décision motivée de l’autorité administrative, de refuser la délivrance ou le renouvellement de certains titres de séjour ou de les retirer

Amendements de suppression CL177 de M. Benjamin Lucas, CL560 de M. Andy Kerbrat, CL857 de M. Boris Vallaud et CL1148 de M. Davy Rimane

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Nous demandons la suppression de cet article, car nous sommes contre la double peine. Il doit y avoir une égalité de droits sur le territoire français entre les personnes françaises et les personnes étrangères, quelle que soit leur situation administrative. Les étrangers sont des justiciables comme les autres ; aggraver leurs peines parce qu’ils sont étrangers est attentatoire au droit et au principe même de la justice.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous contestons la logique purement répressive de la politique d’asile et d’immigration que défend la majorité sénatoriale – et que semble faire sienne la majorité gouvernementale – avec cet article qui durcit les conditions de délivrance et de renouvellement des titres de séjour. Sont visées par ces restrictions les cartes de séjour temporelles et pluriannuelles, y compris lorsqu’elles ont été délivrées pour un motif familial. La délivrance ou le renouvellement d’une de ces cartes peuvent être refusés à tout étranger : n’ayant pas respecté une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ; ayant commis des faits de fraude documentaire ; ayant commis des faits pour lesquels le retrait de titre peut déjà être prononcé.

Je tiens à préciser que 80 % des délits commis par des étrangers en France sont liés au fait qu’ils sont étrangers : ils les commettent parce que leur survie est en jeu et pour obtenir leur titre de séjour.

M. Arthur Delaporte (SOC). Le ministre de l’intérieur a reconnu que certaines des dispositions prévues par cet article sont déjà inscrites dans le droit, mais en ajoutant qu’il était inutile d’ergoter. Il est dommage qu’il ne soit pas là ce soir, nous aurions aimé l’entendre sur ce point.

Cet article dispose que l’on pourra refuser une carte de séjour temporaire à une personne ayant commis une fraude documentaire. Or chacun sait que les personnes en situation irrégulière, pour produire les bulletins de salaire qu’on leur demande par ailleurs, ont souvent dû utiliser une fausse identité. Cet article va donc empêcher 95 % des travailleurs en situation irrégulière de s’inscrire dans un processus de régularisation. Parce qu’il est totalement absurde, nous demandons sa suppression.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Les personnes qui demandent la délivrance ou le renouvellement de leur titre de séjour peuvent déjà essuyer un refus pour de très nombreuses raisons, notamment pour « menace à l’ordre public ». Or cette notion peut être interprétée très diversement par les préfets. Dans un centre de rétention, j’ai rencontré à la fois des gens condamnés pour avoir conduit sans permis et d’autres qui avaient fait l’apologie du terrorisme. Non seulement cet article multiplie les motifs de refuser un titre de séjour, mais il va jusqu’à rétablir la double peine.

M. Florent Boudié, rapporteur général, rapporteur pour le titre Ier A. Je suis étonné que certains d’entre vous parlent de double peine, car il ne s’agit pas de cela. Madame Rousseau, il n’est pas non plus question de retirer son titre de séjour à quelqu’un, ni de renforcer les peines des étrangers parce qu’ils sont étrangers.

Ce que prévoit l’article, c’est que le préfet peut, sur décision motivée, refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle à une personne déjà condamnée pénalement. C’est une possibilité – certains voudraient en faire une obligation mais je n’y suis pas favorable – et cela ne constitue en rien une double peine.

Le problème que pose cet article n’est pas celui que vous pointez, madame Rousseau. Le problème, c’est qu’il recoupe des dispositions de l’article 13, ce qui crée des incohérences, et que certaines de ses dispositions existent déjà dans notre droit, comme l’a rappelé M. Delaporte, citant le ministre.

Je vais donc vous proposer, avec mon amendement CL1662, de nettoyer cet article pour le recentrer sur les seules atteintes aux élus, qu’il est légitime de mentionner. Sur ces amendements de suppression, j’émettrai un avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo (LR). Je suis estomaqué que l’on considère que des personnes qui se sont maintenues illégalement sur le territoire français ou qui y ont commis des délits ou des crimes ont vocation à y demeurer. Je ne vois pas en quoi des personnes coupables de faux, d’usage de faux ou d’extorsion seraient de bons candidats à l’intégration. Certains collègues arrivent à trouver une excuse sociale à ces délits, parce qu’ils serviraient à « subsister », mais on parle aussi de trafic de stupéfiants, de réduction en esclavage, de proxénétisme et de traite d’êtres humains. Des personnes qui ne respectent pas les OQTF dont elles font l’objet et qui prospèrent par des trafics en tout genre n’ont pas vocation à rester dans notre pays : elles ne s’y intégreront pas. Quand on bénéficie de l’accueil et de la générosité de la France, la moindre des choses est d’en respecter les lois.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Il y a une logique derrière tout cela : c’est la logique sur-répressive de ce projet de loi, qui entend être « méchant avec les méchants ». En tout cas, ajouter une expulsion à une sanction pénale, par exemple une peine de prison, c’est bien appliquer une double peine, monsieur le rapporteur général.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Non.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Si, l’expulsion est une peine. En outre, cet article ne se contente pas de sanctionner les délits, il présuppose que les étrangers vont en commettre.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je voudrais revenir sur l’argument de mon collègue Delaporte : en faisant ce millefeuille juridique, où les dispositions se répètent, mais avec de petites variations, on va créer des failles dans ce texte, qui risquent de le rendre inapplicable. Pourquoi réécrire ce qui est déjà prévu dans la loi ? Notre travail de législateur est de faire des textes compréhensibles, qui ne laissent aucune place à des mésinterprétations.

Mme Edwige Diaz (RN). Au Rassemblement national, nous sommes médusés et horrifiés par ces amendements de nos collègues d’extrême gauche, qui font preuve d’une bienveillance inouïe à l’égard d’étrangers en situation d’infraction – qui se sont rendus coupables de fraude documentaire ou n’ont pas respecté une OQTF par exemple.

Je ne comprends pas votre mansuétude à l’égard de personnes qui violent nos lois et qui se maintiennent illégalement sur le territoire national. Que cherchez-vous ? Nous avons déjà un taux d’exécution des OQTF parmi les plus faibles en Europe ! Au Rassemblement national, on considère qu’un étranger qui a été généreusement accueilli sur le territoire national doit bien se comporter et respecter les lois. Au Rassemblement national, on ne légitimera jamais la fraude et on n’excusera jamais la violation de la loi.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1662 de M. Florent Boudié

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Di Filippo, toutes les infractions pénales que vous avez évoquées – proxénétisme, fraude documentaire, trafic de stupéfiants – sont déjà des cas justifiant le refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour. Nous ne supprimons pas ces dispositions, nous clarifions un article qui les reprenait inutilement. Avec cet amendement, je propose de ne retenir de cet article que ce qu’il contient de nouveau, à savoir les atteintes aux élus, qui faisaient défaut dans le droit existant.

M. Philippe Pradal (HOR). Le groupe Horizons et apparentés votera l’amendement du rapporteur général. J’aimerais toutefois dire un mot de nos amendements CL1236, CL1237, CL1238 et CL1239, qui vont tomber et qui visaient, pour des infractions particulièrement graves, à rendre obligatoire le rejet, par le préfet, de la demande de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). J’ai une question toute simple : combien d’étrangers se sont-ils rendus coupables de violences contre des élus ?

M. Éric Pauget (LR). L’adoption de cet amendement va faire tomber tous les autres. Or nous étions favorables à ceux de nos collègues du groupe Horizons et j’avais, pour ma part, également déposé des amendements tendant à rendre le rejet obligatoire pour tout étranger condamné pour acte de terrorisme.

Mme Edwige Diaz (RN). Il nous paraît tout à fait normal qu’un étranger coupable de fraude documentaire, de production ou fabrication illicite de stupéfiants ou de proxénétisme se voie retirer son titre de séjour. Pour nous, l’article ne va pas assez loin et il faudrait interdire automatiquement la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour dans ces cas-là.

L’attention que vous portez au statut de l’élu est tout à fait pertinente, quand on voit que de plus en plus de maires sont la cible d’insultes, d’incivilités, voire de violences physiques qui les poussent à la démission. Il faut protéger les élus : ils nous le demandent.

La commission adopte l’amendement et l’article 1er EB est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements sur l’article tombent.

Article 1er EC (nouveau) (art. L. 423‑6, L. 423‑10 et L. 423‑16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Allongement de plusieurs délais conditionnant l’octroi de la carte de résident d’une durée de dix ans pour certains motifs familiaux

Amendements de suppression CL1663 de M. Florent Boudié, CL1644 de M. Sacha Houlié, CL178 de M. Benjamin Lucas, CL563 de Mme Andrée Taurinya, CL858 de M. Boris Vallaud, CL1149 de Mme Emeline K/Bidi, CL1277 de M. Erwan Balanant et CL1545 de M. Guillaume Gouffier Valente

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’article 1er EC concerne trois articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui ouvrent le bénéfice d’une carte de résident pour une durée de dix ans, par exemple aux personnes mariées à un résident français ou qui ont des enfants français depuis plus de trois ans. Il porte les durées minimales requises dans ces trois articles de trois à cinq ans, ce qui ne me paraît pas justifié.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Cet article réussit l’exploit de s’en prendre à la fois aux étrangers en situation régulière ou irrégulière et aux Françaises et Français qui ont un conjoint ou une conjointe venue d’un autre pays. La Défenseure des droits a estimé qu’il s’agit d’« une restriction inédite portée au droit des Français de mener une vie familiale normale ». Aucune raison valable ne justifie de porter cette durée de trois à cinq ans. Cet article va par ailleurs créer une insécurité juridique considérable. C’est une horreur de plus dans ce texte.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je ne vois effectivement pas l’intérêt de cet allongement. Par ailleurs, je note qu’après huit ou neuf heures de débat, nous n’avons toujours pas commencé à examiner le texte en tant que tel : nous sommes toujours en train de discuter des articles qui ont été ajoutés par le Sénat, où il n’est question que de répression et de limitation du droit des étrangers. Les députés du Rassemblement national nous parlent des étrangers qui sont « généreusement accueillis ». en France, mais il n’a pas encore été question d’accueil !

Mme Marietta Karamanli (SOC). Cet article va encore aggraver la précarité administrative des couples et des conjoints étrangers. Je n’ai pas de mots pour qualifier cette mesure. Je regrette que le ministre, lors de l’examen du texte au Sénat, n’ait pas réagi et ait laissé faire. Je suis moi-même mariée à un Français et j’ai obtenu la nationalité française par mariage. À l’époque, il n’y avait même aucune condition de durée. Cette disposition n’a aucun sens et n’a pas sa place dans ce texte.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La question du regroupement familial et des conjoints étrangers semble vous obséder et nous y consacrons beaucoup de temps, alors qu’elle ne représente que 12 000 à 14 000 titres de séjour par an. Cet article vise clairement à entraver l’accès au séjour et à précariser les familles franco-étrangères. J’ajoute qu’il risque d’aggraver l’engorgement des services préfectoraux. Au-delà de l’impact financier de cette mesure, qui imposera aux personnes concernées de payer des taxes à chaque renouvellement de leur titre, la Défenseure des droits estime qu’elle « concourt à maintenir les étrangers régulièrement établis sur le territoire dans une forme d’insécurité administrative permanente ».

M. Florent Boudié, rapporteur général. Ce qui doit nous préoccuper, c’est le parcours d’intégration. Or cette disposition introduite par le Sénat va y ajouter un nouvel obstacle.

M. Yoann Gillet (RN). Vous voudriez supprimer les mesures propres à limiter la délivrance des titres de séjour, dont vous vous demandez pourquoi elles figurent dans ce texte.

Mais tout de même, 80 % des Français réclament que l’on prenne des décisions fermes en matière d’immigration ; 63 % estiment qu’il y a trop d’immigrés en France ; 73 % considèrent que la politique migratoire française est trop laxiste ; 83 % sont favorables à l’organisation d’un référendum sur le sujet. Tout cela devrait vous parler !

Nous sommes les représentants du peuple français. Alors pourquoi, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les élus de gauche, voulez-vous gauchiser ce texte, alors même que les Français réclament de la fermeté en matière d’immigration ?

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Ces chiffres n’ont aucun sens. Pour ma part, je voudrais évoquer des témoignages de couples binationaux, à qui l’association Les amoureux au ban public apporte son soutien. Ces couples disent que tout est fait pour les décourager, qu’ils subissent des moqueries de la part des représentants des institutions françaises, qu’aimer un étranger est interdit en France et qu’ils sont contraints d’oublier le rêve de fonder une famille et de devenir parents. Je vous invite à aller à la rencontre de cette association et de ces couples binationaux qui font la force de notre pays. Étant moi-même un enfant binational, je trouve profondément dégueulasse tout ce que vous dites depuis deux jours.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Pour répondre à la question d’Élisa Martin tout à l’heure, je voudrais témoigner des violences que nous subissons en tant qu’élus, à Mayotte, de la part d’étrangers, parce que nous clamons notre attachement à la France. Ces deux dernières années, trois bâtiments publics de l’intercommunalité de Petite-Terre et l’hôtel de ville de Koungou ont été incendiés. Ce deuxième incident a eu lieu après l’opération de destruction du bidonville de Wuambushu, où se trouvaient des habitations clandestines occupées majoritairement par des étrangers, sur des propriétés privées ou publiques.

Nombre de mes collègues élus à Mayotte ont été attaqués physiquement. Certains ont été blessés à l’arme blanche et, pour ma part, j’ai terminé ma campagne sous protection militaire, parce que je défends Mayotte française. Offrir une protection spéciale aux élus n’est pas superfétatoire.

Mme Annie Genevard (LR). Certains de nos collègues brossent un tableau absolument idyllique de la situation, mais nul ne peut ignorer qu’il y a des mariages de complaisance et que certaines unions servent à régulariser des immigrés en situation irrégulière. Cet article a l’intérêt de déjouer des manœuvres qui visent tout autre chose que la réalisation d’une union fondée sur des sentiments et le désir d’une vie commune.

En tant que maire, j’ai dû prononcer le mariage d’un étranger en situation irrégulière, parce que la loi ne me permettait pas de l’empêcher. Cela m’a profondément dérangée, car je m’interrogeais sur la fiabilité de cette union.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Heureusement, madame Genevard, que vous respectez la loi et que vous ne pouvez pas décider de qui peut ou non se marier ! Un Français ou une Française a le droit d’aimer un étranger et de l’épouser.

Le Rassemblement national vit dans un monde où il y a, d’un côté, les étrangers, et de l’autre les Français. Mais cet article ne va pas compliquer uniquement la vie des personnes dont la seule faute est de n’être pas nées en France : il va compliquer aussi celle des Françaises et des Français qui sont nés ici et qui ont fait le choix de s’unir et de fonder une famille avec quelqu’un qui n’est pas né en France. Nous vivons dans un pays mélangé et multiculturel et nous en sommes fiers.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Genevard, dans la loi « séparatisme », dont j’ai également eu l’honneur d’être rapporteur général, nous avons déjà renforcé la capacité du maire de s’opposer aux mariages qu’il jugerait frauduleux. Dans le présent texte, l’article 7 bis, introduit par le Sénat, permet en outre au procureur de la République d’intervenir. Je partage votre souci de lutter contre les mariages frauduleux, mais porter un délai de trois à cinq ans n’y contribuera nullement. En revanche, cela va multiplier les obstacles à l’intégration des gens mariés à un Français, ou parents d’enfants français.

La commission adopte les amendements et l’article 1er EC est supprimé.

En conséquence, l’amendement CL568 de M. Thomas Portes tombe.

Article 1er E (nouveau) (art. L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Restriction des conditions d’obtention du titre de séjour « étranger malade »

Amendements de suppression CL198 de M. Benjamin Lucas, CL573 de Mme Élisa Martin, CL859 de M. Boris Vallaud, CL1150 de Mme Elsa Faucillon, CL1253 de Mme Clara Chassaniol, CL1423 de Mme Stella Dupont et CL1605 de M. Sacha Houlié

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Les restrictions introduites par le Sénat dans cet article rendraient le droit au séjour pour raisons médicales inopérant.

Aujourd’hui, une personne étrangère gravement malade résidant en France peut solliciter un droit au séjour pour raisons de santé si elle ne peut pas bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine. Cette notion d’effectivité est essentielle : elle permet de prendre en compte les éventuelles difficultés d’accès aux soins, qu’elles soient de nature économique – coût du traitement, absence de couverture maladie… – ou géographique, ou encore liées à des situations de discrimination.

Cet article remplace le critère d’effectivité par celui de disponibilité : il suffirait que le traitement soit formellement disponible dans le pays d’origine, même s’il n’est pas accessible à l’ensemble de la population, pour priver la personne concernée d’un titre de séjour en France et l’expulser, malgré le risque d’aggravation de sa maladie.

Cet article mettrait en danger la vie de plusieurs milliers de personnes : c’est une horreur de plus, qu’il faut absolument supprimer.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous continuons, brique après brique, à rendre impossible la vie ou la venue des étrangers chez nous. Cette affaire ne repose pas sur la raison mais sur l’idéologie, dans la mesure où les situations visées sont rares et en diminution. Il serait plus simple et plus efficace de se dire les choses comme elles sont : nous avons décidé que la France n’est plus le pays des droits de l’homme. Cela a d’ailleurs été dit : « Il faut sortir de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) » : je n’ai jamais rien entendu de si incroyable, du point de vue du droit et de ce que la France représente.

M. Boris Vallaud (SOC). L’article 1er E remet en question, de façon inconsidérée, ni justifiée ni souhaitée, le droit au séjour des étrangers malades, qui est un acquis des grandes luttes des années 1990, au moment de l’épidémie de sida. Il opère un retour à une disposition adoptée par la droite en 2011 dans le cadre de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dite loi Besson, et abrogée par notre majorité en 2016, qui permet de ne plus se préoccuper de l’effectivité de l’accès aux traitements et aux médicaments dans le pays d’origine mais de se contenter de leur existence.

Conservons à l’esprit que le titre de séjour « étranger malade » est accordé à des gens qui sont d’ores et déjà présents en France. Il ne doit pas être confondu avec le visa délivré pour motif médical.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je rappelle à mon tour que le titre de séjour « étranger malade » n’est pas un visa délivré pour motif de soins. Il est accordé à des personnes d’ores et déjà présentes en France. J’ai suivi les débats du Sénat : honnêtement, je n’ai entendu aucun argument un tant soit peu solide justifiant sa remise en cause, sinon la volonté générale de limiter la délivrance de titres de séjour.

La notion d’effectivité de l’accès aux soins est essentielle. Elle permet de tenir compte des éventuelles difficultés d’accès aux soins de nature économique ou géographique, ou liées à des situations de discrimination. Supprimée par la loi Besson, elle a été réintroduite dans la législation en mars 2016. Elle est un élément fondamental d’appréciation du besoin de prise en charge en France d’une personne gravement malade.

Mme Clara Chassaniol (RE). L’article 1er E restreint l’accès au titre de séjour « étranger malade », dont je rappelle à mon tour qu’il est accordé à des étrangers résidant en France et ayant besoin d’un traitement dont le défaut pourrait avoir des conséquences graves. Les sénateurs ont rétabli le critère restrictif, qui prévalait jusqu’en 2016, de l’absence d’un traitement approprié dans le pays d’origine. Or un traitement peut être disponible mais non accessible, pour des raisons de coût, de distance ou de conditions matérielles.

Cette restriction priverait de soins des personnes gravement malades sous prétexte qu’un traitement existe dans leur pays d’origine, même si elles n’y ont pas accès. La proportion de titres octroyés pour ce motif, au sein des titres délivrés pour motif humanitaire, est faible. Près d’un tiers des bénéficiaires y ont recours pour soigner des maladies infectieuses telles que le VIH ou l’hépatite B ou C. Mettre un terme à la solidarité nuirait donc bien sûr à leur santé, mais aussi à notre système de soins et à la santé mondiale.

Mme Stella Dupont (RE). Cette nouvelle attaque contre les étrangers est plus symbolique qu’effective, dès lors que 3 000 malades étrangers seulement sont concernés chaque année. Cet article relève de l’agitation symbolique. Nous en demandons la suppression.

M. le président Sacha Houlié. J’ai déposé le même amendement de suppression, pour plusieurs raisons : la faiblesse du stock, évoquée par Mme Chassaniol ; le risque de rupture d’accès au droit, évoqué par la Défenseure des droits lors de son audition ; la diminution du nombre de bénéficiaires, qui étaient plus de 5 000 en 2019 et 3 900 en 2021. Il n’est pas nécessaire de restreindre davantage l’accès à ce titre de séjour.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Le titre de séjour « étranger malade » n’a aucunement pour objet, contrairement à ce qu’a suggéré la directrice générale de Sidaction, d’accompagner sur le plan médical des personnes vivant hors du territoire national. Il s’agit d’accompagner des gens justifiant de leur résidence habituelle en France depuis au moins un an, donc bénéficiaires d’un visa ou demandeurs d’asile.

La directrice générale de Sidaction m’accuse d’accélérer la diffusion du VIH dans des pays tels que le Cameroun – 10 000 morts en 2021 –, le Nigeria – 50 000 morts – ou l’Afrique du Sud – 85 000 morts –, en oubliant au passage le Sénégal, que je connais particulièrement bien, et son millier de morts du VIH en 2021. Ces décès, hélas, sont indépendants de l’octroi de titres de séjour « étranger malade ». Je tiens à dissiper ce qui semble être une confusion. Tous les malades du VIH ne peuvent obtenir un titre de séjour « étranger malade », ni être systématiquement soignés dans un pays dont l’offre de soins est supérieure à celle du leur.

En 2021, le titre de séjour « étranger malade » a été octroyé à 3 750 personnes. Il s’agit donc d’un dispositif très étroit. En analysant cet article introduit par le Sénat, je ne m’attache pas au symbole, mais aux éventuelles possibilités d’amélioration du dispositif. De ce point de vue, plusieurs situations méritent d’être prises en considération, si marginales soient-elles.

Ce titre est inaccessible aux ressortissants d’un État membre de l’Union européenne (UE), ce qui n’a rien de surprenant, s’agissant de pays bénéficiant de systèmes de soins appropriés pour le traitement des pathologies concernées. Toutefois, un ressortissant d’un pays tiers vivant dans l’un de ces États, l’Allemagne par exemple, peut accéder au titre de séjour « étranger malade » en France – l’un des deux seuls pays de l’Union, avec la Belgique, à le proposer. Pourtant, le système de soins allemand est tout à fait performant, mais il n’y a pas de titre « étranger malade » en Allemagne. Il s’agit à mes yeux d’une incohérence, voire d’une injustice, à tout le moins d’une disposition que je ne m’explique pas.

Autre cas – il s’agit de situations marginales, je le répète : des personnes de nationalité américaine ou géorgienne – 3 000 Géorgiens sont dialysés en France – peuvent obtenir un titre de séjour « étranger malade », alors même que le système de soins de leur pays d’origine permet d’accéder aux soins concernés, gratuitement et dans le cadre d’un système d’assurance maladie s’agissant des Géorgiens. Cela pose problème. J’encourage chacun à demander au directeur général de l’AP-HP des précisions sur cette situation.

Le dernier cas que je livre à votre réflexion est celui du ressortissant d’un pays tiers obtenant le titre de séjour « étranger malade » pour réaliser une procréation médicalement assistée (PMA). Je crois sincèrement qu’il s’agit d’un dévoiement.

Le titre de séjour « étranger malade » a été créé en 1998 pour aider et accompagner les malades du VIH. Dans la plupart des pays du monde en effet, ils ne pouvaient pas bénéficier de trithérapies : la France a donc pris ses responsabilités. Depuis, aucune explosion du nombre de titres de séjour « étranger malade » n’a été constatée. Toutefois, certaines situations sont incompréhensibles, même pour le législateur.

Mais je tiens dès à présent à rassurer Clara Chassaniol : les malades du VIH éligibles à ce titre de séjour continueront à l’être. Nul n’imagine qu’une personne souffrant du VIH résidant habituellement en France soit obligée de rentrer dans son pays d’origine, où l’offre de soins adéquate n’est peut-être pas disponible.

Pour améliorer ce dispositif donc, je propose de conserver une partie des dispositions introduites par le Sénat dans cet article.

Le Sénat a rétabli la législation qui était en vigueur avant 2016 – ce qui montre qu’elle n’a rien d’inacceptable – consistant à prendre en considération non l’accès effectif à une offre de soins mais la simple existence de cette dernière, appréciée bien sûr en tenant compte de la situation nationale. Je propose de reprendre cette disposition en ajoutant une réserve d’interprétation, tenant à une circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par le préfet après avis de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).

Par ailleurs, le Sénat a exclu le remboursement par l’assurance maladie des soins prodigués aux bénéficiaires d’un titre de séjour « étranger malade ». Cela me semble non seulement inacceptable, mais contraire au dispositif de la Puma (protection universelle maladie) adopté par la représentation nationale il y a quelques années. Je propose donc de supprimer cette disposition.

Enfin, par l’article 1er F, le Sénat a modifié la définition des « conséquences d’une exceptionnelle gravité » qu’aurait un défaut de prise en charge médicale sur l’état de santé d’un étranger, qui est une des conditions pour accéder au titre « étranger malade ». En reprenant les dispositions de l’arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l’exercice par les médecins de l’Ofii de leurs missions, il a durci cette définition. Je souhaite que la rédaction s’en tienne strictement aux dispositions prévues par l’arrêté, lesquelles sont cohérentes et permettent une souplesse offrant la possibilité de compléter la législation par des dispositions de nature réglementaire.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Pour nourrir le débat, j’évoquerai la situation de Mayotte. Dans notre désert médical, un patient sur deux que reçoit notre hôpital est étranger. Or je rappelle à la représentation nationale que le texte que nous adopterons ne s’appliquera pas à Mayotte, où, nous dit-on, il vaut mieux ne pas développer les services de santé pour éviter tout appel d’air, compte tenu du fait que nous sommes cernés de pays très pauvres. Oui, on prive nos compatriotes de santé parce qu’il y a trop de pauvreté autour.

Monsieur le rapporteur général, les principes que vous énoncez trouvent leur limite dans la réalité, notamment celle de la dépense publique. Lorsque vous dépensez 1 euro pour la santé à Mayotte, dans le cadre d’un système dérogatoire à enveloppe unique dont la sécurité sociale est absente pour ne pas encourager davantage l’immigration clandestine, 50 centimes sont dépensés pour des étrangers.

Mme Véronique Louwagie (LR). En qualité de rapporteure spéciale de la mission Santé, dont les crédits sont essentiellement dédiés au financement de l’aide médicale de l’État (AME), je me suis penchée sur le titre de séjour pour soins. Lors de sa création, dans les années 1990, il ciblait les étrangers en situation irrégulière atteints du sida, qui étaient pour la plupart africains ou haïtiens.

Vingt-cinq ans plus tard, ce titre est devenu, d’après les réponses que m’a faites l’Ofii, soit un moyen de migration médicale avec une prise en charge assurée par la France, comme le souligne le rapport conjoint de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales sur l’AME, soit une opportunité pour obtenir un titre de séjour régulier.

En restreindre l’accès, comme l’a prévu le Sénat, va dans le bon sens, d’autant que ce dispositif est une exception en Europe et dans le monde.

M. Arthur Delaporte (SOC). Sur un tel sujet, il faut rester calme. Je déduis de l’exposé long et un peu fumeux du rapporteur général qu’il conserve la suppression par le Sénat du critère d’effectivité des soins pour accéder au titre de séjour « étranger malade ». Il ne sera donc plus tenu compte de l’inaccessibilité socio-économique des soins ni des circonstances exceptionnelles liées à la situation personnelle du demandeur.

Par ailleurs, je suis représentant de l’Assemblée nationale au Conseil national du sida et des hépatites virales. Monsieur le rapporteur général, vous avez tenu des propos assez déplaisants au sujet d’une personne intervenant dans ce domaine. La nationalité des porteurs de titres de séjour « étranger malade », je ne la connais pas et vous non plus, l’Ofii n’ayant pas publié son rapport annuel obligatoire sur l’accès aux soins depuis 2021. En outre, le transfert de la gestion des demandes à l’Ofii a eu pour effet de diviser par deux le nombre de titres de séjour pour soins délivrés. Il s’agit d’un véritable problème, qu’il faudra résoudre.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Nous voterons contre ces amendements. Le titre de séjour « étranger malade » est sans équivalent dans le monde, hormis en Belgique. D’après plusieurs études, les bénéficiaires viennent essentiellement de pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) dont la qualité des systèmes de soins n’est pas à démontrer. Il nous semble pertinent de réserver ce titre aux ressortissants de pays où le traitement concerné n’existe tout simplement pas. Nous défendrons un amendement à cet effet.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). L’exposé du rapporteur général ne modifie pas notre position : nous demandons toujours la suppression de l’article.

Par ailleurs, j’appelle l’attention de la représentation nationale sur le traitement inacceptable et inadmissible dont Mayotte fait l’objet. En tant que Français, les raisons pour lesquelles le département de Mayotte n’est pas logé à la même enseigne que les autres m’échappent.

Monsieur le rapporteur général, les dispositions législatives dont nous débattons posent un problème de fond. Cette situation n’est pas normale. J’attends de vous que vous révisiez votre position. En tant que Français ultramarin, je n’accepte pas que Mayotte soit laissé de côté en matière de dispositifs sociaux.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Plusieurs points mis à la suite forment une ligne. La vôtre, monsieur le rapporteur général, est plus hypocrite qu’Hippocrate. Elle présente des aspects qui ne peuvent que nous effarer, de l’avis de sagesse du Gouvernement donné au Sénat sur la suppression de l’AME à votre remise en cause du critère de l’effectivité des soins, dont nous sommes plusieurs, sur la plupart des bancs, à avoir démontré qu’elle provoquerait d’énormes difficultés sanitaires.

L’alerte lancée par de nombreuses associations, dont Médecins du monde, qui a rédigé un plaidoyer que j’ai sous les yeux, ne vous émeut pas. Comment pouvez-vous envisager de nous endormir par un exposé fumeux ? Vous ne proposez pas un compromis, vous vous alignez sur la droite radicalisée et l’extrême droite s’agissant d’un sujet aussi essentiel, celui de la santé publique.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). L’exposé du rapporteur général n’a rien de fumeux. Au contraire, il présente clairement l’histoire du dispositif, qui existait avant 2016 et qui n’était pas élaboré par l’extrême droite, et aussi ses incohérences et les dévoiements dont il fait l’objet. Rien ne nous interdit d’y travailler, comme le propose M. le rapporteur général, afin d’en rétablir l’efficacité. Le groupe Renaissance votera contre les amendements visant à supprimer l’article.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). En Guinée, le traitement du VIH par trithérapie existe, mais il n’est pas accessible financièrement aux personnes atteintes. Il en est de même à Haïti. L’article 1er E affaiblit le principe de solidarité qui, en tant que sixième puissance économique mondiale, devrait nous guider, d’autant que nous avons pris, dans le cadre de l’Onusida (Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida), l’engagement de lutter contre l’épidémie de VIH jusqu’à son éradication. Monsieur le rapporteur général, vous avez évoqué le durcissement opéré par le Sénat sur la base du décret du 5 janvier 2017, mais la France renvoie d’ores et déjà dans leur pays des gens atteints du VIH et qui ne peuvent pas y être traités !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Kerbrat, le titre de séjour « étranger malade » ne peut ni ne pourra remédier aux situations que vous évoquez, et il ne l’a jamais pu. Un ressortissant souffrant, dans son pays d’origine, d’une pathologie particulière nécessitant un accompagnement, telle que le VIH, ne peut pas prétendre au titre de séjour « étranger malade », qui n’est accessible qu’à un ressortissant de nationalité étrangère présent sur le territoire national depuis au moins un an. L’idée est de ne pas l’obliger à rentrer dans son pays pour être soigné, compte tenu du système de soins de ce dernier, et de prendre en charge le coût de son traitement. Il s’inscrit dans l’approche humanitaire des migrations dont la France fait preuve. Si tel n’était pas le cas, nous devrions en délivrer des dizaines de milliers chaque année.

Les ressortissants étrangers ont trois voies d’accès à notre système de soins : l’AME ; la prise en charge au titre des soins urgents, utilisée notamment à Mayotte, où les hôpitaux prennent en charge les soins puis bénéficient de transferts de charges du budget de l’État ; et le titre de séjour « étranger malade ».

En tant que législateur, nous devons identifier les cas dans lesquels ce titre est octroyé alors qu’il ne devrait pas l’être, si marginaux soient-ils – les ressortissants américains que j’évoquais tout à l’heure sont vingt-huit. De même, un ressortissant d’un pays tiers vivant en Allemagne, dès lors qu’il a accès à un système de soins tout à fait acceptable, ne devrait pas avoir accès au titre de séjour « étranger malade ». Ce que je n’accepte pas, dans le texte du Sénat, c’est l’imputation du coût des soins au demandeur, donc à une assurance privée, et non à l’assurance maladie. Cela me semble particulièrement injuste. Il n’y a rien de fumeux dans tout cela.

Quant à ma proposition de tenir compte de circonstances humanitaires exceptionnelles, elle ne mérite pas d’excès d’injures. Elle était applicable jusqu’en 2016 et depuis, le nombre de titres « étranger malade » délivré chaque année est stable – environ 4 000. Et je rappelle que nous avons vécu pendant cinq ans de présidence Hollande avec ce dispositif, qui ne posait aucune difficulté.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL860 de M. Boris Vallaud et CL1526 de Mme Véronique Louwagie (discussion commune)

M. Boris Vallaud (SOC). Il s’agit d’élargir le droit au titre de séjour « étranger malade » en tenant compte des traumatismes physiques et psychologiques liés au parcours migratoire. La revue The Lancet a publié en septembre dernier une grande enquête, menée à Marseille sur 273 demandeuses d’asile. Le tableau qu’elle dépeint, dont Le Monde s’est fait l’écho, est apocalyptique.

Ces femmes garderont de leur parcours migratoire des cicatrices physiques et psychologiques indélébiles. Nous proposons de leur attribuer le bénéfice du titre de séjour « étranger malade » dans l’attente de la décision sur leur demande d’asile. Souvent, le viol a commandé leur départ. Il a accompagné leur parcours migratoire. Et malheureusement, il épouse souvent leur arrivée sur notre territoire.

Mme Véronique Louwagie (LR). Si le nombre de primo-accédants au titre de séjour « étranger malade » est d’environ 4 000 par an, le stock s’élève à 30 000 titres. Ce titre a été détourné de son objectif initial. L’amendement CL1526 vise à y remédier sur trois points.

D’abord, le critère de résidence habituelle en France est trop souple : certains étrangers bénéficient d’un titre de séjour pour soins alors même qu’ils viennent d’arriver sur le sol français.

Par ailleurs, le critère des conséquences d’une exceptionnelle gravité n’a plus la portée qu’il devrait avoir. D’après le dernier rapport d’activité de l’Ofii, certains étrangers obtiennent un titre de séjour pour soins alors même que leur pathologie n’est pas d’une exceptionnelle gravité

Enfin, il faut rendre le critère de l’existence de soins dans le pays d’origine plus opérant. D’après l’Ofii, des Suisses, des Américains et des Canadiens bénéficient chaque année d’un titre de séjour pour soins.

Je rappelle que certaines personnes bénéficient de traitements coûteux, parfois de l’ordre de 1 million d’euros par an et par personne.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable. Madame Louwagie, l’augmentation du temps de résidence à deux ans aurait pour effet de casser le dispositif. Tel est peut-être votre souhait ; tel n’est pas le nôtre. Monsieur Vallaud, l’Ofii se penche d’ores et déjà, évidemment, sur le passé des demandeurs et les traumatismes qu’ils ont subis lors de leur parcours migratoire.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Peut-être l’Ofii se penche-t-il sur ces traumatismes à l’heure actuelle, mais ce ne sera plus le cas quand vos modifications auront été introduites dans la loi.

Cet après-midi, lors de la séance de questions au Gouvernement, la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations s’est livrée à une vibrante dénonciation de l’utilisation du viol comme arme de guerre et de la façon dont le corps des femmes est toujours utilisé pour les faire souffrir un peu plus que les autres êtres humains. Elle répondait à une question poignante posée par une députée Renaissance. Dès lors, la moindre des choses pour la majorité, si tant est qu’elle soit un peu cohérente et qu’elle ne joue pas avec les sentiments, est de voter l’amendement CL860.

Mme Edwige Diaz (RN). Cet amendement CL860 est faussement humaniste. On nous propose de tenir compte des traumatismes physiques et psychologiques causés par le parcours migratoire dans l’obtention du titre de séjour « étranger malade ». Mais la question est de savoir pourquoi ces traumatismes psychologiques ont été infligés.

Une partie de la réponse réside peut-être dans le fait que nos collègues d’extrême gauche et les associations immigrationnistes vendent du rêve à des populations désœuvrées et contribuent à les inciter à traverser la Méditerranée dans des conditions absolument déplorables. Chers collègues de gauche, vous essayez de vous donner bonne conscience et d’éteindre le drame que vous avez contribué à allumer. La seule politique humaniste est celle du Rassemblement national. Elle consiste à tenir un discours de vérité et à dire à ces gens que nous n’avons rien à leur offrir.

Mme Annie Genevard (LR). Le rapport budgétaire de Mme Louwagie est très éclairant. De quoi parlons-nous ? D’étrangers malades ne disposant pas dans leur pays de certains traitements, par exemple basés sur des molécules très innovantes, qui viennent se faire soigner en France à un coût considérable. Certains traitements avoisinent le million d’euros par an et par personne. Le dispositif coûte près de 100 millions par an. Le stock de titres de séjour « étranger malade » est de 30 000. Monsieur le rapporteur général plaide en faveur de la prise en charge de ce coût par l’assurance maladie. Songeons à nos compatriotes qui n’ont pas les moyens de se soigner !

M. Arthur Delaporte (SOC). Je viens de me livrer à un rapide calcul : le coût moyen des soins prodigués est de 3 000 euros par bénéficiaire et par an, soit deux fois moins que les dépenses moyennes de santé d’un Français malade. Il faut arrêter de dire que les étrangers coûtent plus cher que les Français en matière de santé. Ils coûtent même moins cher, comme le prouvent les études sur l’AME.

S’agissant de la prise en compte des traumatismes psychologiques des demandeurs, on observe que depuis le transfert à l’Ofii de l’évaluation des demandes, elle est passée de la première à la quatrième position. Pourtant, les demandeurs sont toujours autant traumatisés par ce qu’ils ont vécu lors du parcours migratoire et dans leur pays d’origine. Ce facteur est donc de moins en moins pris en compte, et l’amendement de Boris Vallaud a le mérite de rendre à ce sujet son importance.

S’agissant de la proportion de personnes ayant contracté le VIH en France parmi les demandeurs, elle oscille entre 30 % et 50 %.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL116 de M. Éric Pauget

M. Éric Pauget (LR). La France est le seul pays au monde à délivrer des cartes de séjour pour soins à des étrangers avec si peu de conditions. Ce dispositif généreux, financé par la solidarité nationale alors même que de nombreux Français ont de plus en plus de mal à se soigner, s’est progressivement transformé en un simulacre de titre de séjour pour tourisme médical. Mon amendement reprend l’une des préconisations du rapport établi par Véronique Louwagie, en posant comme condition à l’obtention de ce titre une période de résidence de deux années sur le territoire national.

M. Florent Boudié, rapporteur général. J’ai donné tout à l’heure les raisons pour lesquelles j’y suis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Outre le fait que le système n’est pas si généreux que cela, êtes-vous vraiment certains que les Français aient des difficultés d’accès aux soins à cause de la présence d’étrangers sur notre territoire ? Ne croyez-vous pas plutôt que cela soit dû à la logique d’austérité, à la diminution des moyens donnés à l’hôpital et à la recherche, à la façon terrible dont sont traités nos étudiants en médecine, dont un se suicide tous les dix-huit jours ? Le problème vient plutôt de là que des étrangers, et vous y avez une responsabilité très particulière.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). J’ai un peu l’impression que l’on tourne en rond. Les chiffres sont très clairs : 3 200 personnes ont bénéficié l’année dernière de ces titres de séjour. Et à écouter nos collègues, on a l’impression qu’on ferait le tour du monde pour les distribuer !

Madame Diaz, vos propos sont une affabulation scandaleuse. Ils témoignent d’une insensibilité totale face au calvaire que vivent ces femmes dans leur parcours migratoire et d’une méconnaissance complète des raisons pour lesquelles elles migreraient. Ce n’est pas parce qu’on leur fait croire qu’elles seront bien accueillies ! Le professeur François Héran expose les deux premières causes de migration : la première, c’est la mondialisation des études supérieures ; la deuxième, ce sont les conflits, les guerres civiles, les interventions militaires, les persécutions. Les femmes fuient ces violences. Un peu de respect dans vos propos s’il vous plaît.

Mme Véronique Louwagie (LR). Le titre de séjour pour soins est bien une exception en Europe et dans le monde. En Belgique et au Luxembourg, il existe un dispositif apparenté, dont la procédure d’instruction est beaucoup plus restrictive. Le critère de l’existence du soin dans le pays d’origine n’est pas opérant : l’Ofii fait état que des Suisses, des Américains et des Canadiens bénéficient chaque année de ce titre. Le bénéficiaire n’est soumis à aucune condition de ressources. Quand bien même ces cas restent marginaux, ils témoignent d’une défaillance du système. Entre 2017 et 2022, 5 598 ressortissants des pays du G20 ont déposé une demande de titre de séjour pour soins ! Le dispositif ne répond plus du tout à son objectif initial.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL574 de Mme Danièle Obono

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous souhaitons que la gestion de la procédure « étranger malade » revienne aux agences régionales de santé, comme c’était le cas avant 2016. Avant d’être des étrangers, ce sont des personnes malades. Mettre cette procédure sous la tutelle du ministère de l’intérieur en dit long sur le Gouvernement. Vous voyez ces personnes comme des problèmes, alors que ce sont avant tout des êtres humains.

Quant aux députés du Rassemblement national, ils devraient dire merci aux étrangers, car ce sont les très nombreux médecins étrangers qui tiennent l’hôpital debout pour assurer la santé publique dans notre pays !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Madame Louwagie, je n’ai pas les mêmes chiffres que vous. J’ai trouvé trois Canadiens en 2021, ce qui représente moins de 2 % des demandeurs. Le débat est donc purement idéologique. La dépense au titre du séjour pour soins est de 1 000 euros inférieure à la dépense moyenne par habitant en France. Il faut arrêter de nous raconter des fadaises, qui conduisent aux affabulations racistes du Rassemblement national.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur Portes, vos attaques contre les agents du ministère de l’intérieur ne sont pas dignes. Les policiers, les gendarmes sauvent tous les jours la vie de personnes, quel que soit leur statut, par exemple en plongeant dans les eaux à 5 degrés de la Manche pour sauver des bébés. Les agents de l’Ofii, qui font un travail essentiel, sont des agents du ministère de l’intérieur, comme ceux de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Vous insultez quotidiennement les agents du ministère de l’intérieur, expliquant qu’ils auraient beaucoup moins d’humanité que ceux des autres ministères. Il faudrait peut-être changer d’antienne, car ce sont des gens qui sauvent plus de vies que ce que vous pensez. Vous devriez les rencontrer et les en remercier.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). On atteint le sommet du racisme et de l’ignominie ! Si les gens viennent en France se faire soigner, pourriez-vous m’expliquer pourquoi 27 000 personnes en neuf ans ont pris le risque de traverser la Méditerranée et y sont mortes ? Pensez-vous qu’ils étaient venus se faire soigner ?

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1649 de M. Florian Boudié

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est l’amendement dont je parlais qui ajoute un critère relevant des circonstances humanitaires exceptionnelles pour couvrir certaines situations.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Vous avez bien compris que nous nous opposions de façon générale à cet article. Mais, monsieur le ministre, vous pouvez faire de la communication pour plaire à je ne sais qui – vu que le groupe LR a déjà annoncé qu’il n’allait pas voter votre texte – il n’empêche que demain, l’Ofpra sera en grève contre votre projet de loi. Les agents eux‑mêmes disent que ce que vous faites, c’est mal, et vous ne les écoutez pas ! Revoyez votre copie.

M. Arthur Delaporte (SOC). Monsieur le ministre, pourquoi, depuis deux ans, l’Ofii n’a-t-il toujours pas remis son rapport sur la procédure d’admission au séjour pour soins ? Cela nous aurait permis d’avoir un débat plus éclairé et moins démagogique.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1240 de M. Laurent Marcangeli

M. Laurent Marcangeli (HOR). Il s’agit des pathologies justifiant la délivrance du titre de séjour pour soins. Alors que le Sénat s’est borné à inscrire dans la loi l’appréciation actuellement faite par les tribunaux administratifs, l’amendement vise à restreindre la délivrance aux seuls cas dans lesquels le défaut de prise en charge pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité « de par leur caractère vital et immédiat ».

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je souhaiterais que l’on conserve toute la cohérence de l’article 1er F, où le Sénat a introduit une définition précise des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Or votre amendement utilise cette notion dès l’article 1er E, en y ajoutant un critère d’immédiateté. Je vous propose de le retirer pour que nous puissions y retravailler d’ici à la séance.

L’amendement est retiré.

Amendement CL199 de M. Benjamin Lucas

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Monsieur le rapporteur général, vous avez refusé de supprimer un article entièrement fondé sur un fantasme idéologique qui vient nourrir l’idée que l’hôpital français serait fragilisé à cause des étrangers, et non d’un manque de moyens. Écoutez la sagesse du président de la commission, qui avait déposé un amendement de suppression ! Il vous reste quelques jours pour vous dire qu’aider 4 000 personnes qui résident habituellement sur notre territoire à avoir des soins, c’est juste le minimum d’humanité.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Je soutiens cet amendement, qui tente une dernière fois de vous rappeler à la raison avant la bataille dans l’hémicycle contre ce texte scandaleux.

Par ailleurs, monsieur le ministre, ce ne sont évidemment pas les agents de l’Ofii que je visais, mais celui qui donne les ordres ! Quel manque de courage de vous cacher derrière vos agents pour ne pas assumer vos responsabilités !

M. Philippe Brun (SOC). L’amendement vise à rétablir un beau principe, reconnu par le Conseil constitutionnel : le secret médical, que le Sénat propose de pas appliquer aux étrangers malades. Le Conseil constitutionnel, qui a rappelé ce principe dans une décision du 11 juin 2021 en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, ne pourra que censurer une telle disposition.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 1er E modifié.

Article 1er F (nouveau) (art. L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Restriction des conditions d’obtention du titre de séjour étranger malade

Amendements de suppression CL577 de M. Andy Kerbrat, CL861 de M. Boris Vallaud, CL986 de Mme Sandrine Rousseau, CL1004 de M. Benjamin Lucas, CL1151 de M. Davy Rimane et CL1424 de Mme Stella Dupont

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer cet article introduit par la droite sénatoriale, qui vise à restreindre les possibilités d’octroi d’un titre de séjour aux personnes gravement malades.

Je souhaite éclairer le débat sur ce qu’est le soin des autres. Un étudiant avait demandé à la chercheuse Margaret Mead ce qu’était la première trace de civilisation : pour elle, ce n’était pas un outil, ni l’échange de monnaie, ni l’agriculture, mais le premier fémur ressoudé trouvé dans une tombe, révélant que la personne avait reçu un soin de la part de sa communauté. Voilà : cet article est tout simplement anticivilisationnel.

M. Hervé Saulignac (SOC). Cet article est en effet terrifiant : seuls ceux qui sont vraiment sur le point de mourir ou qui verraient leur pronostic vital engagé à défaut de soins seraient soignés. C’est un recul considérable et un signal terrible. L’image de la France s’en trouverait abîmée. Il y a, dans l’esprit de cet article, une renonciation totale à toute considération humanitaire.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Cet article inhumain déroge à tous nos principes humanitaires : il dit tout simplement à des personnes qu’elles ne sont pas suffisamment mourantes et qu’elles peuvent repartir. Mais il est également dangereux et inefficace puisque nous savons, surtout après l’épidémie de covid, que les virus ne respectent pas les frontières. Si vous ne soignez pas les gens d’un côté de la frontière, le problème finira par passer de l’autre côté. Même ceux qui admettent votre logique de murs et de barbelés savent qu’elle n’a pas d’efficacité.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). La peine de mort a été abolie en 1981, mais certains cherchent des moyens détournés de la réhabiliter dans les faits. Car, oui, c’est bien de vie et de mort qu’il s’agit et certains collègues de la majorité ont, contrairement au rapporteur général, déposé des amendements de suppression. Je nous exhorte collectivement, parce que nous sommes en France, en 2023, à entendre les chercheurs et les médecins, à prendre connaissance des chiffres, à être un peu fidèles à nos valeurs. Il ne s’agit pas de savoir ou déplacer le curseur à définir pour entrer ou non sur notre territoire, mais d’un débat qui touche à ce que nous avons de plus essentiel. Nous n’avons même pas le droit, en tant que parlementaires, de prendre une telle décision.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Les mesures actuelles sont déjà très restrictives. Il y a quelques années, j’avais dans ma circonscription une maman dont les deux enfants souffraient d’une maladie dégénérative. Pour l’un, c’était la fin. Deux semaines avant qu’il ne meure, elle a donc reçu une OQTF : les médecins ayant dit qu’il était condamné, le motif d’extrême gravité n’était plus valide, puisqu’il n’y avait plus de soins possibles ! Il a fallu que j’intervienne pour que cette maman reste en France voir son premier enfant mourir et faire soigner le deuxième. Je ne cite pas cet exemple pour faire pleurer dans les chaumières, mais pour illustrer le principe d’humanité : un enfant qui va peut-être mourir, et qui peut être soigné en France, j’espère que cela parle à quelques-uns !

Mme Stella Dupont (RE). Le titre de séjour « étranger malade » permet à un étranger n’ayant pas d’accès effectif aux soins dont il a besoin dans son pays d’origine d’être soigné en France. L’article en restreint les conditions d’accès : « Les conséquences d’une exceptionnelle gravité, au sens du premier alinéa du présent article, s’apprécient compte tenu du risque que le défaut de prise en charge médicale fait peser sur le pronostic vital de l’étranger ou l’altération significative de l’une de ses fonctions importantes, mais également de la probabilité et du délai présumé de survenance de ces conséquences. » Autrement dit, cette modification limiterait l’accès aux soins aux seuls malades dont la maladie est suffisamment avancée pour engager le pronostic vital. Ce n’est pas compatible avec la pratique de la France en matière de santé.

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’article 1er F reprend un arrêté de 2017, qui définit ce que sont les conséquences d’une exceptionnelle gravité. Il n’y a donc rien de nouveau dans ce que le Sénat propose. Il souhaite seulement faire remonter au niveau législatif des éléments de définition qui appartiennent à un arrêté. Enfin, ce serait le cas à une nuance près : l’un des mots a été changé pour durcir la disposition. Le Sénat a parlé de « l’altération significative » de l’une des fonctions vitales du malade étranger, quand l’arrêté mentionne une « détérioration », ce qui permet une interprétation beaucoup plus souple. Je souhaite donc en revenir à la définition originelle, ce qui fait l’objet de mon amendement CL1650. Avis défavorable aux amendements de suppression.

M. Philippe Latombe (Dem). Nous sommes favorables à l’article amendé par le rapporteur général. En faisant passer l’arrêté au niveau législatif, il lui offre une protection supplémentaire, afin d’éviter qu’une majorité malintentionnée ne puisse le modifier par un simple règlement plus tard.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Nous avons un peu l’impression que vous vous moquez de nous, monsieur le rapporteur général. Assumez ! Tous les articles que nous sommes en train d’examiner ont un seul objectif : restreindre l’accès aux droits des personnes étrangères. Vous voulez remplacer une altération significative par une détérioration. Pensez-vous à toutes ces personnes qui verront les portes d’un hôpital se fermer devant elles parce que vous vous serez joué de mots ?

Monsieur le ministre, lors des débats au Sénat, vous vous étiez engagé à nous donner davantage d’informations sur la compatibilité de cette rédaction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous serions très intéressés de les avoir avant de voter.

M. Arthur Delaporte (SOC). À l’occasion d’un amendement de suppression de nos collègues communistes au Sénat, le ministre s’était engagé à apporter des réponses sur les conséquences de l’introduction de l’article 1er F. Nous les attendons. Soit il s’agit de redire le droit existant, comme l’avance le rapporteur général, et c’est inutile ; soit il s’agit de modifier le droit et d’envoyer un message, et c’est une tartufferie.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Chaque fois que l’on pense que le pire est atteint surgit quelque chose d’encore plus horrible.

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est le droit existant !

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). On parle de santé ! Va-t-on encore réduire l’accès aux soins pour que des gens qui sont dans une extrême difficulté ne puissent pas être soignés ? Combien vont mourir du fait des décisions politiques votées aujourd’hui ? Revenez à la raison ! Il n’y a pas d’étrangers ou de non-étrangers, il y a des malades et la responsabilité et l’honneur de la France est de les soigner.

Mme Véronique Louwagie (LR). L’appréciation des conséquences d’une exceptionnelle gravité est très difficile. Elle se fait aujourd’hui selon trois critères : leur degré de gravité, leur probabilité et leur délai de survenue. Dans son dernier rapport, l’Ofii évoque la banalisation de ce critère. La rédaction du Sénat permet d’y répondre. La vôtre, monsieur le rapporteur général, qui substitue « la détérioration » à « l’altération significative », n’apporte pas de réponse : la définition de l’exceptionnelle gravité reste floue. Une demandeuse peut obtenir gain de cause au motif que la PMA par micro-injection intracytoplasmique n’est pas réalisable dans son pays d’origine. Voyez à quelles aberrations nous sommes arrivés !

M. Gérald Darmanin, ministre. Comme je l’ai dit au Sénat, ce dispositif est compatible avec la jurisprudence de la CEDH puisque nous sommes le seul pays avec la Belgique à l’avoir instauré et qu’il serait étonnant que la Cour censure un dispositif déjà existant. Il a d’ailleurs été défini sous François Hollande, avec des socialistes et des Verts au gouvernement : il ne doit donc pas être totalement inhumain.

Vous devriez vous réjouir que des sujets réglementaires soient fixés au niveau législatif. D’habitude, c’est plutôt l’inverse qui se produit : on demande au Gouvernement de légiférer sur des mesures qui relèvent de son pouvoir… Cette garantie permettra peut-être également d’éviter les dérives qu’évoque Mme Louwagie : ce sont des cas très particuliers et peu nombreux, mais il n’était effectivement pas prévu que le titre de séjour « étranger malade » soit utilisé pour des PMA, sauf cas médical vraiment exceptionnel. L’inscrire dans la loi permettra d’éviter les interprétations aussi extensives – les tribunaux ont produit deux jurisprudences à la suite, en s’appuyant sur le fait qu’il n’y ait pas de disposition législative mais seulement réglementaire.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1650 de M. Florent Boudié

M. Florent Boudié, rapporteur général. Si certains me traitent de criminel et les autres de laxiste, la vérité doit être au milieu du chemin. Madame Louwagie, j’ai souhaité prendre le Sénat au mot près, puisque les rapporteurs voulaient mettre au niveau législatif la définition contenue dans l’arrêté. Il se trouve que ce sont eux qui n’ont pas mis la bonne, au mot près.

Comme le dit M. Latombe, c’est une protection supplémentaire, puisque nous hissons au niveau législatif des éléments qui seront l’objet d’une appréciation quotidienne dans l’évaluation de l’accès au titre de séjour pour les étrangers malades.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Monsieur le rapporteur général, vous me faites penser au coyote de Tex Avery, qui court après une petite bête avant de tomber de la falaise. À force de courir après la droite radicalisée et l’extrême droite, manifestement sans aucun succès puisque ni vous, ni le ministre de l’intérieur n’obtenez de majorité sur ce texte, vous emmenez votre groupe, qui vous suit presque aveuglément, au bord du précipice, pour peu que certaines dispositions ne vous y aient pas déjà fait tomber. Il est temps d’arrêter les frais ! Quant au passé socialiste, vous avez visiblement bien compris ce qu’étaient les synthèses molles et l’art d’écrire des textes qui ne servent pas à grand-chose sinon à vous aligner sur la droite dure. Vous êtes vraiment un digne héritier de Manuel Valls.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je ne sais si M. Darmanin est un digne héritier de M. Sarkozy ou de M. Besson, mais il avait dit au Sénat : « J’écrirai également aux présidents de groupe de la Haute Assemblée afin de leur présenter les conséquences, selon le Gouvernement et l’Ofii, de ce qui est décidé ici. » Monsieur le ministre, quel est le contenu de ce courrier ?

Mme Annie Genevard (LR). Notre rapporteur général propose de substituer aux mots « altération significative » le mot « détérioration ». Cela ne me semble pas du tout convenir à l’« exceptionnelle gravité » de la pathologie. La détérioration est un terme plus faible, qui va élargir le dispositif alors même qu’il mérite d’être recentré pour lutter contre les excès dont a témoigné Mme Louwagie. Cette extension n’est pas du tout souhaitable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Genevard, je ne partage pas votre analyse. J’ai plutôt l’impression que l’amendement du rapporteur général sécurise ce qui existe et évite les jurisprudences. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans l’hémicycle.

Monsieur Delaporte, puisque la transmission des informations avec M. Kanner n’est pas très au point, je vais vous lire le courrier que je lui ai adressé, comme je m’y étais engagé, ainsi qu’à l’ensemble des présidents de groupe du Sénat.

« Le Sénat a adopté, lors de la séance publique consacrée à l’examen du projet de loi “ Contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ”, des dispositions nouvelles relatives au titre de séjour étranger délivré à l’étranger qui se prévaut de son état de santé.

En l’état actuel du droit, tout étranger, résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qui ne peut bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine, se voit délivrer un titre de séjour pour soins. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est chargé de rendre un avis sur ces trois critères.

Les modalités d’appréciation du critère de gravité de la pathologie ne sont actuellement pas définies dans la loi, mais par un arrêté du 5 janvier 2017 qui fixe les orientations générales destinées aux médecins de l’OFII. Selon cet arrêté, la gravité se mesure par la mise en cause du pronostic vital de l’étranger ou la détérioration de l’une de ses fonctions importantes.

L’absence, dans le domaine législatif, empêche les tribunaux de juger favorablement les décisions prises par les médecins de l’OFII.

Le Sénat a adopté l’article 1er F qui vise à consacrer, au niveau législatif, la définition de ces modalités d’appréciation afin de sécuriser le travail des agents de l’OFII.

Comme suite à mon engagement pris au banc de faire part aux groupes politiques des deux assemblées de mon analyse sur ces dispositions, celles-ci apparaissent conformes à nos obligations constitutionnelles et conventionnelles. La Cour européenne des droits de l’homme, en particulier, limite très souvent l’application de l’article 3 de sa propre convention, interdisant les traitements et peines inhumains et dégradants, aux cas d’éloignements d’étrangers malades dont le pronostic vital est engagé fortement ou qui justifient de “ considérations humanitaires impérieuses ” dans des “ cas très exceptionnels ”.

Si la Cour ne limite plus sa protection aux étrangers qui font face au risque imminent de mourir, elle exige a minima que soit prouvé un risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de l’état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de l’espérance de vie.

Conférer une valeur juridique plus importante à ces modalités d’appréciation permettra à l’administration de disposer d’outils juridiques renforcés pour limiter les abus constatés sur les demandes de bénéfice à ce titre de séjour. À titre d’illustration de ces demandes abusives, le dernier rapport de l’OFII s’agissant des données de 2021, indique que depuis 2017, ce sont 234 demandes qui ont été présentées par des étrangers qui souhaitaient entrer, en France, dans un parcours de procréation médicalement assistée. Dans le même sens, ce sont, en 2022, 45 demandes déposées, pour des cas d’obésité non morbide, 218 pour des motifs liés à l’apnée du sommeil et 39 pour des cas de varices. »

La lettre fait également mention du fait que le Sénat a adopté l’article 1er E concernant les étrangers pouvant bénéficier d’un traitement adapté à leur pathologie dans leur pays d’origine. Elle se poursuit ainsi : « Si la mise en œuvre adaptée au cas d’espèce de ces dispositions par les préfets, s’exercera sous le contrôle du juge administratif, conformément à la jurisprudence constante du Conseil d’État et de la CEDH, selon le principe d’une appréciation in concreto de la situation des intéressés, il importera dès lors dans les décisions prises, de porter une attention particulière au caractère adéquat et suffisant […] des soins disponibles dans le pays d’origine de l’étranger. »

Les dispositions ainsi votées par le Sénat, si elles étaient validées par l’Assemblée nationale et promulguées par le Président de la République, permettraient, avec la même réglementation élevée au niveau de la loi, de lutter contre des jurisprudences qui vont à l’encontre de l’esprit voulu par le législateur dès 2017.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 1er F modifié.

Article 1er GA (nouveau) (Art. L. 412-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Dépôt d’une caution pour l’obtention d’une carte de séjour temporaire « étudiant »

Amendements de suppression CL1651 de M. Florent Boudié, CL1607 de M. Sacha Houlié, CL227 de Mme Cyrielle Chatelain, CL575 de Mme Andrée Taurinya, CL606 de M. Michel Castellani, CL863 de M. Boris Vallaud, CL1037 de M. Benjamin Lucas, CL1152 de Mme Elsa Faucillon, CL1282 de M. Erwan Balanant, CL1459 de M. Aurélien Taché et CL1546 de M. Guillaume Gouffier Valente

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous estimons qu’il n’est pas utile d’imposer le versement d’une caution aux étrangers qui souhaitent venir étudier en France. La stratégie de notre pays est même exactement inverse : elle est fondée, conformément à l’esprit de la République, sur le mérite. Le nombre de visas que nous délivrons aux étudiants a connu une croissance significative, pour atteindre 108 000 l’année dernière. Les études constituent la première cause de migration en France. Il serait néfaste de privilégier, comme le Sénat semble le souhaiter, les jeunes en situation aisée.

M. le président Sacha Houlié. Je souhaite également supprimer cette caution estudiantine qui ne se justifie pas et qui est contraire à l’objectif d’attractivité de l’université française.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cette caution ne se justifie pas et va à l’encontre de la mission de l’université, qui est d’accueillir tous les étudiants qui souhaitent apprendre, d’où qu’ils viennent. Certains, originaires de pays au niveau de vie élevé, auraient les moyens de payer la caution. D’autres, en revanche, viennent de pays plus pauvres, de familles qui ont économisé pendant des années pour les envoyer en France. Ceux-là effectuent leurs études dans des conditions difficiles ; ils n’ont pas toujours de logement, sont hébergés chez les uns et les autres. Ils arrivent à s’en sortir par leurs efforts académiques et le travail qu’ils accomplissent en dehors des études. C’est une fierté que de les accueillir.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je pensais qu’à l’occasion de l’examen de cette disposition, on allait enfin parler d’accueil. Lors du lancement de la stratégie Bienvenue en France, Édouard Philippe, alors Premier ministre, n’avait-il pas affirmé que, face à une concurrence internationale de plus en plus vive, la France devait rester l’un des acteurs majeurs de la mondialisation des études supérieures ?

Mais non : il est toujours question d’être suspicieux à l’égard des étrangers. À vous entendre, ils viennent soit parce qu’ils veulent se faire soigner – seule raison pour subir un parcours migratoire terrible, tragique, mortel – soit parce qu’ils entendent rester en France à l’issue de leurs études.

Il faut absolument supprimer cet article. La France doit retrouver l’attractivité intellectuelle qu’elle a exercée des siècles durant.

M. Michel Castellani (LIOT). Imposer le paiement d’une caution préalablement à la délivrance d’un titre de séjour aux étudiants étrangers n’a pas de sens. Cette mesure est contraire au principe de la méritocratie française. Notre pays souhaite que son système universitaire soit accessible aux étudiants, y compris étrangers, qui le méritent et qui souhaitent réussir.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Les étudiants étrangers sont toujours une richesse pour notre pays. N’oublions pas qu’ils deviendront des ambassadeurs de la francophonie. On parle souvent de cette dernière en termes généraux mais, lorsqu’il s’agit d’engager des moyens, les actes ne suivent pas. En accueillant les étudiants étrangers, on contribuerait de manière très concrète à l’attractivité de notre pays.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Même ceux qui ont un problème pathologique avec les étrangers et la migration devraient aimer les étudiants internationaux. Premièrement, parce que l’essentiel d’entre eux aspirent à repartir dans leur pays d’origine à l’issue de leurs études. Deuxièmement, parce qu’ils rapportent 1,35 milliard net par an à l’économie française. ! Troisièmement, parce que, comme les chiffres le montrent, ils réussissent mieux que les étudiants français. Quatrièmement, parce qu’ils rayonnent, forment des ambassadeurs de la France, de ses cultures, de son patrimoine, de son économie, à travers le monde. Nous devrions donc être unanimes à souhaiter la bienvenue en France aux étudiants internationaux.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous sommes toujours dans une logique de suspicion à l’égard des étudiants extracommunautaires. Le programme Bienvenue en France a ouvert la voie à ce type de propositions. Je me félicite que le rapporteur général comme le président de la commission souhaitent supprimer cette disposition qui aurait été préjudiciable aux étudiants étrangers. Je pense en particulier aux mineurs non accompagnés qui, quand ils ne relèvent plus de l’aide sociale à l’enfance, se voient parfois remettre un titre de séjour étudiant : ils connaissent souvent, à ce moment-là, une grande précarité et le fait de devoir payer une caution réduirait leurs chances de réussite et d’émancipation.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le groupe Démocrate se réjouit du dépôt de l’ensemble de ces amendements de suppression.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Cette caution estudiantine va sans doute être supprimée et c’est très bien, mais n’oublions pas que les étudiants étrangers continueront à devoir payer 7 000 euros pour une année d’études en France.

Qui les paye ? Par exemple un étudiant venant de Mauritanie – pays classé à la cent cinquante-neuvième place de l’indice du développement humain, qui préside le G5 Sahel –, du Sénégal ou encore du Maroc – pays avec lequel nous entretenons tant de liens et où les gens disent avoir plus de facilité à envoyer leurs enfants étudier aux États-Unis qu’en France. Peut-être devrions-nous nous demander si ces 7 000 euros par an, pour tous ces étudiants issus de pays francophones si proches, sont encore justifiés.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). L’institution d’un cautionnement pour la première délivrance d’une carte de séjour temporaire étudiant, introduite en séance publique au Sénat, ne paraît pas du tout opportune. D’abord, elle entraînerait une rupture d’égalité entre les étudiants. Ensuite, elle risque de fragiliser encore plus les étudiants internationaux, qui subissent, eux aussi, le phénomène de la précarité étudiante. Enfin, ce dispositif fortement désincitatif s’inscrit à rebours des objectifs d’attractivité de la France, en particulier de la stratégie Bienvenue en France à destination des étudiants internationaux, et compliquerait l’instruction des dossiers de demande de titres par nos postes diplomatiques. Pour ces raisons, notre groupe souhaite la suppression de l’article.

M. Florent Boudié, rapporteur général. J’ajoute simplement que la France est le quatrième pays le plus attractif au monde pour les étudiants, et le premier non anglophone. Elle doit le rester. Nous aurons d’ailleurs le même débat sur les droits universitaires.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Les Républicains s’opposeront aux amendements de suppression. En effet, cette caution nous paraît nécessaire. Le premier motif de délivrance d’un titre de séjour chaque année, à hauteur d’un tiers d’entre eux, est la réalisation d’études en France. Les titres de séjour étudiant ont connu une augmentation de 20 % entre 2019 et 2022, ce qui témoigne de la volonté du Gouvernement d’accroître leur nombre. Or il faut savoir que la première source d’immigration illégale en France est l’immigration légale. Il est donc impératif de savoir si l’étudiant venu en France a quitté le pays à l’issue de ses études. Le seul moyen de s’en assurer est malheureusement d’instituer ce cautionnement.

En outre, la France prenant en charge les trois quarts du coût de la scolarité d’un étudiant étranger, il nous faut être certain que les demandeurs viennent bien en France pour étudier. Peut-être faudrait-il suspendre le titre de séjour d’un étudiant multiredoublant ou bloqueur de fac, par exemple.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). On a eu droit aux familles, aux malades, maintenant c’est le tour des étudiants. Sans répéter les arguments liés à l’accès au savoir et à l’émancipation, je rappellerai que l’accueil d’étudiants étrangers en France est un des facteurs de développement de la francophonie et du rayonnement de la France. Il serait intéressant de savoir combien de prix Nobel et de médailles Fields ont étudié dans notre pays : en effet, c’est un critère pris en compte par le classement de Shanghai. Or vous ne cessez de regretter que les universités françaises ne figurent pas dans les dix premières de ce classement. Réfléchissez-y !

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Ce texte organise de bout en bout le rétrécissement, le rabougrissement de la France. Toutes les universités du monde essaient d’attirer les étudiants étrangers, sauf nous. Par l’institution d’une caution, qui s’ajouterait aux frais d’inscription de Bienvenue en France, vous incitez à la souscription d’emprunts étudiants. Vous allez paupériser cette population, ce qui est franchement scandaleux !

Mme Edwige Diaz (RN). L’attribution d’une carte de séjour temporaire étudiant constitue le premier motif de primodélivrance, devant le regroupement familial, avec 87 000 titres en 2021. Au sein du groupe Rassemblement national, nous sommes favorables à l’instauration de cette caution, qui, je vous rassure, sera restituée à l’étudiant lorsqu’il quittera le territoire national. Nous devons nous prémunir contre le dévoiement de cette filière particulièrement avantageuse que nous proposons aux Français.

Vous évoquez, dans vos amendements, la précarité étudiante, mais c’est vous qui l’organisez ! Si, aujourd’hui, 56 % des étudiants ne mangent pas à leur faim, c’est peut-être parce qu’il y a quelques mois, les députés de la Macronie mais aussi de l’extrême gauche, qui n’étaient pas présents dans l’hémicycle, ont refusé de généraliser le repas à 1 euro. Au Rassemblement national, nous voulons lutter contre la précarité étudiante, en commençant par soutenir les étudiants français. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons leur accorder la priorité de l’accès au logement étudiant.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Je voudrais rassurer Mme Rousseau. Non seulement nous appelons à supprimer l’article, mais nous ne l’avons pas attendue pour le faire : nous l’avons déclaré immédiatement. C’est la position claire de la majorité.

La commission adopte les amendements et l’article 1er GA est supprimé.

En conséquence, les autres amendements sur l’article tombent.

Deuxième réunion du mercredi 29 novembre 2023 à 14 heures 45

Lien vidéo : https://assnat.fr/DO8FzI

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Article 1er G (nouveau) (art. L. 411-4 et L. 432-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Renforcement du contrôle du caractère réel et sérieux des études des bénéficiaires d’une carte de séjour pluriannuelle « étudiant »

Amendements de suppression CL864 de M. Boris Vallaud, CL1098 de M. Gilles Le Gendre, CL1250 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert, CL1307 de M. Jean-Claude Raux et CL1460 de M. Aurélien Taché

M. Boris Vallaud (SOC). Cet article a pour objet de durcir le contrôle du caractère réel et sérieux des études des étrangers. Or non seulement ces critères sont déjà examinés pour l’obtention du titre de séjour « étudiant » mais le nombre de titres pluriannuels, visés par l’article, est très faible. Il vous est donc proposé de supprimer cet article superfétatoire et de s’en tenir à l’application du droit en vigueur.

M. Gilles Le Gendre (RE). Cet article fait partie de la longue série que le ministre de l’intérieur avait eu la sagesse de ne pas inscrire dans son texte initial.

En tant que représentant d’une circonscription riche en établissements d’enseignement supérieur, je pourrais invoquer le caractère très illusoire des contrôles. Mais là n’est pas l’essentiel. Ce dispositif révèle une philosophie en vertu de laquelle il faudrait rendre la vie des étrangers la plus difficile possible pour diminuer la prétendue attractivité de notre territoire. Je ne partage pas cette philosophie.

Depuis lundi, il nous est proposé d’atténuer les dérives de la copie du Sénat. Nous avons hier supprimé l’exigence de caution – c’est une bonne nouvelle ; peut-être allons-nous aussi rejeter l’augmentation des frais de scolarité – ce serait une bonne nouvelle aussi. Cependant, la moitié ou même le tiers d’une mauvaise idée ne fait pas une bonne idée, ni une idée juste. C’est la raison pour laquelle je vous demande de supprimer cet article.

Mme Stella Dupont (RE). Je souscris pleinement aux propos de Gilles Le Gendre. L’intention qui se dégage de ces articles successifs consiste à compliquer toujours plus le parcours d’obstacles des étrangers dans notre pays, ici pour les étudiants.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). Le contrôle annuel de la carte de séjour est en contradiction avec le principe de pluriannualité, laquelle a pour but de garantir une sécurité aux étudiants pour la durée de leur cursus.

En outre, cette mesure est inutile puisque la loi donne déjà la possibilité de retirer la carte de séjour en cas de changement de statut. Elle est également contre-productive pour les services administratifs, qui verraient leur charge de travail s’alourdir considérablement alors que la pluriannualité des titres de séjour a précisément pour but d’alléger les démarches aussi bien pour les préfectures que pour les demandeurs.

Nous défendons la stabilité et la sécurisation des parcours par l’octroi automatique d’une carte de séjour, raison pour laquelle nous proposons de supprimer le contrôle annuel.

M. Florent Boudié, rapporteur général, rapporteur pour le titre Ier A. Boris Vallaud l’a dit, le caractère réel et sérieux des études est déjà examiné lors de la demande de titre de séjour. Ce que le Sénat souhaite instaurer, c’est une obligation annuelle de présenter des éléments attestant de ce caractère réel et sérieux, au vu desquels le représentant de l’État pourrait, le cas échéant, retirer le titre de séjour « étudiant ». Les critères d’appréciation, qui sont aujourd’hui définis par une circulaire, le seraient demain par décret.

La position de l’exécutif et de la majorité présidentielle est très claire : il s’agit de renforcer la dynamique d’accueil d’étudiants étrangers dans nos universités. Je le rappelle, les études sont désormais le premier motif de migration en France, loin devant l’immigration familiale : en 2022, 108 000 titres de séjour ont été délivrés à des étudiants, 90 000 au titre de l’immigration familiale dont 14 000 seulement pour le regroupement familial, et 50 000 au titre de l’immigration économique.

En contrepartie de la politique d’hyperattractivité que mène la France – l’objectif étant de délivrer 500 000 titres « étudiant » en 2027 – il ne me semble pas incohérent d’examiner de manière plus précise le caractère réel et sérieux des études suivies.

Aujourd’hui, l’étudiant étranger, depuis son pays, doit apporter à l’appui de sa demande tous les éléments qui démontrent la véracité des études qu’il entend suivre. Il dépose son dossier sur la plateforme Campus France et, après examen en lien avec les autorités consulaires, le visa « étudiant » est délivré ou non. Un contrôle strict est exercé à cette étape.

Le visa est délivré le plus souvent pour une année. La demande de renouvellement, qui ouvre la voie à une carte pluriannuelle, donne lieu à un nouveau contrôle strict. En revanche, une fois la carte pluriannuelle accordée, il n’y a plus aucun contrôle.

Je considère que nous pouvons exiger des étudiants étrangers ce que nous demandons à d’autres, aux étudiants boursiers par exemple. J’ai été boursier et j’ai dû, chaque année, prouver que je poursuivais mes études avec assiduité et que je me présentais aux examens. Tous ceux qui ont été boursiers ont connu cette situation. C’est exactement ce que le Sénat demande, à juste titre selon moi.

Il n’est pas question de solliciter chaque semestre les universités, comme elles le sont pour transmettre au Crous (centre régional des œuvres universitaires et scolaires) des informations sur l’assiduité des boursiers. Un décret précisera les éléments que l’étudiant devra fournir pour démontrer le caractère réel et sérieux de ses études – l’assiduité, la présentation aux examens, le diplôme obtenu. La réussite ne sera pas un critère car les étudiants, qu’ils soient étrangers ou pas, doivent être placés sur un pied d’égalité. Je rappelle d’ailleurs que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) comporte des dispositions pour les cas de redoublement.

Je propose donc d’aller dans le sens du Sénat. Avis donc défavorable aux amendements de suppression.

Mme Edwige Diaz (RN). En quoi consistera le contrôle ? À vérifier que l’étudiant dispose bien d’une attestation d’inscription et d’un relevé de notes et qu’il suit bien les cours. Je ne comprends pas pourquoi vous vous y opposez.

Vous n’ignorez pas qu’en 2021, plus de 87 000 titres de séjour portant la mention « étudiant » ont été accordés. Le risque de détournement est manifeste tant cette filière d’immigration est attractive.

Vous proposez une solution irresponsable : la régularisation de tous les étudiants sans-papiers. C’est à cause de ce genre de politique que les restaurants universitaires et les logements étudiants sont saturés. Plutôt que de lutter contre la précarité étudiante, comme vous le prétendez, vous l’organisez.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Autant le groupe Renaissance juge injustifiés l’instauration d’un cautionnement et le rehaussement des frais d’inscription, autant il rejoint l’avis du rapporteur général sur le contrôle annuel de la réalité et du sérieux des études. Celui-ci ne nous paraît pas anormal, qui est plus est dans une période où les objectifs d’accueil d’étudiants étrangers sont revus à la hausse. Aussi nous voterons contre les amendements de suppression.

Mme Annie Genevard (LR). Je souscris aux propos du rapporteur général : il ne faut pas supprimer cet article utile.

En dix ans, le nombre d’étudiants étrangers dans notre pays a quasiment doublé. On ne peut donc pas dire que la France manque d’attractivité, ni même qu’elle mette des freins à l’accueil des étudiants.

Alors que le coût moyen d’un étudiant en France s’élève à plus de 13 000 euros, les frais d’inscription demeurent assez modestes – moins de 200 euros par an en licence. Dès lors que notre pays consent un effort financier substantiel en faveur des étudiants, français et étrangers, il me paraît normal que le caractère réel et sérieux des études, qui est d’ailleurs mentionné au huitième alinéa de l’article L. 411-4 du Ceseda, puisse être avéré, faute de quoi le titre de séjour pourrait être retiré.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Monsieur le rapporteur, à force d’user du « en même temps », votre position devient difficile à comprendre. D’un côté, vous souhaitez que la France soit attractive pour les étudiants étrangers. De l’autre, vous défendez un flicage intensif.

Des contrôles réguliers ont déjà lieu. J’ai enseigné à l’université et on me demandait régulièrement des attestations. Les étudiants viennent en France pour faire des études, pas pour autre chose. Si vous voulez qu’ils soient bien accueillis, vous ne pouvez pas faire planer la suspicion sur eux ! Les étudiants ne présentent aucun risque migratoire, si ce n’est celui de nous doter de personnels très qualifiés ; ceux-là, vous souhaiterez peut-être les garder ?

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Premiers amendements de l’après-midi et première convergence entre la macronie et la droite sénatoriale.

Nous avons entendu parler d’une vague d’étudiants incontrôlée, alors que tous les chiffres disent le contraire. En outre, Benjamin Lucas l’a rappelé, ces derniers rapportent plus qu’ils ne coûtent.

Aux députés du Rassemblement national qui pointent la saturation des logements étudiants, je rappelle que la responsabilité en incombe à Emmanuel Macron, qui n’a pas tenu sa grande promesse de construire 80 000 logements étudiants dont 60 000 gérés par le Crous.

Pour terminer, je citerai Alexis Michel, président de la commission International et développement de la conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, pour qui cet article est un non-sens : les étudiants sont responsables et doivent déjà rendre compte de leurs présences et de leurs absences, étrangers ou non.

Encore une fois, vous courez derrière la droite et l’extrême droite.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous sommes défavorables aux amendements de suppression pour plusieurs raisons. L’assiduité des étudiants boursiers français est aujourd’hui contrôlée, le rapporteur général l’a rappelé. Tous les jours, on impose aux Français des contrôles qui s’apparentent parfois à de l’« administrocratie ». Il est incohérent de ne pas demander aux étudiants étrangers ce que nous attendons de nos concitoyens.

Cet article est aussi une réponse à ceux qui voulaient, dans l’article 1er A, préciser la durée des études à laquelle ouvrait droit le titre de séjour : il permettra de s’assurer que les étudiants présents sur notre territoire répondent à toutes les exigences.

Enfin, je suppose que l’article 13 couvre cette hypothèse, mais le non-renouvellement du titre de séjour est-il bien prévu en cas de délit ?

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Lorsque les étudiants ont des difficultés à renouveler leur titre de séjour, on demande aux enseignants d’attester de leur présence en cours. On envoie déjà tout un tas de confirmations de ce genre.

J’appelle votre attention sur la très forte pression que subissent les étudiants venant en France de la part de leur famille : ils ne sont pas lâchés dans la nature ! Par ailleurs, nombre d’entre eux sont contraints de travailler puisqu’ils n’ont pas droit aux bourses françaises pour financer leurs études. Pourquoi ajouter une pression administrative supplémentaire pour des vérifications qui existent déjà alors qu’on ne leur demande qu’une seule chose, réussir leurs études ?

M. Erwan Balanant (Dem). Je suis gêné par le manque de précision de la rédaction de l’article. Comment prouver le caractère réel et sérieux des études : par l’assiduité ou la présentation aux examens certes, mais qui sait, un jour peut-être, la réussite ? Il suffirait d’un décret en Conseil d’État pour décider de sanctionner les élèves qui auraient des mauvaises notes. Or on a le droit de rater une année scolaire ou universitaire – c’est arrivé aux meilleurs.

Tous les étudiants français sont contrôlés : si vous ne venez pas aux examens, vous avez parfois du mal à vous réinscrire dans certaines unités de valeur. Je souhaite que l’on travaille à une rédaction plus précise et plus protectrice pour les étudiants étrangers.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La suspicion à l’égard des étudiants étrangers va accroître la précarité de leur situation. L’épée de Damoclès qui sera au-dessus de leur tête chaque année accentuera la pression que leur famille exerce déjà sur eux pour qu’ils réussissent, Sandrine Rousseau le disait, et à laquelle s’ajoute l’emploi qu’ils sont souvent obligés d’occuper pour mener à bien leurs études.

Le filtrage existe déjà. Avec cette disposition, vous allez engorger un peu plus les préfectures, qui, disons-le, n’en n’ont vraiment pas besoin, et vous allez les inciter à être plus strictes dans l’appréciation du caractère réel et sérieux.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Hier, nous avons, à une large majorité, repoussé le dépôt d’une caution et je ne doute pas que nous convergerons également pour refuser la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires.

En revanche, je ne saisis pas ce qui justifie les amendements de suppression. Il s’agit simplement de s’assurer du caractère réel et sérieux des études, par le biais d’une attestation d’inscription ou d’un relevé de notes. Cela ne semble pas si terrible. Nous voterons donc contre ces amendements.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL794 et CL795 de Mme Eva Sas, CL1581 de M. Aurélien Taché et CL1308 de M. Jean-Claude Raux (discussion commune)

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). J’ai souvenir d’un tweet du président du groupe Renaissance, M. Maillard, empreint de sagesse, disant « Choose France ». Il s’adressait aux entrepreneurs et visiblement, cela ne s’applique pas aux étudiants.

Mme Genevard nous parle, avec une assurance tranquille, de ce que coûtent les étudiants internationaux. Sachez que les dépenses publiques à leur profit s’élèvent à 3,7 milliards d’euros et qu’ils rapportent 5 milliards. Le bénéfice net pour notre économie est de 1,35 milliard : pas de quoi avoir peur.

Les étudiants font les frais d’une négociation mortifère entre la droite radicalisée et le rapporteur général, malgré les arguments de bon sens et de sagesse avancés par nos collègues issus de la majorité.

Si l’on appliquait aux députés Les Républicains les mêmes critères d’assiduité et de réussite pour les séances publiques, il y aurait sans doute beaucoup à dire.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). Que signifie donc « faire des études réelles et sérieuses » ? À moins de voir le mal partout, un étranger qui vient étudier en France n’a aucune autre raison de venir que de faire des études sérieuses et réelles. Certains le font pour s’offrir un avenir qu’ils n’auraient pas dans leur pays, d’autres parce qu’ils apprécient la qualité de notre enseignement. Ils n’ont pas d’autre choix que de réussir leurs études.

Parmi les critères posés par la circulaire de 2008 pour apprécier le caractère réel et sérieux figure la progression des études ou la présence aux examens. Cela constitue une discrimination. Doit-on juger plus grave qu’un étudiant étranger redouble plutôt qu’un étudiant français ? Vous l’avez reconnu, monsieur le rapporteur, ce serait une erreur réelle et sérieuse.

M. Florent Boudié, rapporteur général. J’ai du mal à comprendre les arguments de certains de nos collègues : parce que cela existe déjà, il ne faudrait pas l’inscrire dans la loi ? Il y a tout de même une contradiction.

La loi consacre déjà la nécessité du caractère réel et sérieux des études. En revanche, elle n’impose pas de contrôle annuel obligatoire. Madame Keloua Hachi, c’est vrai, les universités le font déjà, mais seulement à l’issue de la première année. Une fois que la carte de séjour pluriannuelle est accordée, il n’y a plus aucun contrôle.

Le « en même temps » n’a rien à voir là-dedans. Nous considérons que le renforcement de la vigilance est la contrepartie de l’attractivité très forte que nous voulons continuer à développer.

Le parallèle avec les boursiers me semble très convaincant : lorsqu’un enfant de la République bénéficie d’une bourse d’étude, il doit chaque année attester de son assiduité – et tout le monde trouve cela normal ; lorsque la France donne un titre de séjour pour étudier sur son territoire, il n’est donc pas du tout anormal qu’elle exerce le même contrôle. Est-ce vraiment une épée de Damoclès que de demander à l’étudiant de transmettre des éléments qui attestent de son travail dans l’année, indépendamment de ses résultats ou du diplôme obtenu ? Il n’est pas question de demander à un étudiant étranger de réussir mieux qu’un ressortissant de nationalité française ! Je l’ai dit, le redoublement est inscrit dans le Ceseda, et l’appréciation est très large.

Quant au caractère réel et sérieux, monsieur Balanant, il est défini dans la circulaire de 2008, signée par le ministre de l’intérieur et le ministre de l’enseignement supérieur. Il y est question de l’assiduité et de la présentation aux examens ainsi que de la progression des études suivies dans un même cursus ; du changement d’orientation après l’obtention d’un diplôme ou à la suite d’un échec dans son parcours – dans les deux cas, il s’agit de s’assurer de la cohérence des choix. Il n’y a là rien d’anormal.

Le Sénat instaure une obligation de contrôle pendant toute la durée de la détention d’une carte de séjour pluriannuelle et confie à un décret en Conseil d’État, au lieu d’une circulaire, le soin d’en préciser les contours. Je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que les initiatives sénatoriales sont par nature mauvaises. Je suis vigilant, j’analyse, je ne fais pas table rase. En l’occurrence, cette disposition me paraît de bon sens.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Comment nos débats seront-ils perçus par des millions de gens hors de nos frontières ? Ils y verront un rabougrissement, un repli de la France. Ils penseront que la France ne doit pas s’aimer elle-même pour avoir si peur de s’ouvrir.

C’est d’une ringardise et d’une frilosité incroyable. Vous n’aimez pas la France, pour refuser à ce point qu’elle accueille ! En ce moment ont lieu dans de nombreuses universités de par le monde des campagnes de recrutement d’étudiants internationaux très offensives. Nous perdons du terrain avec ce genre de débat et de politique. Vous envoyez un message de fermeture aux étudiants étrangers. Je le répète, les étudiants repartent dans leur pays d’origine ; ils rapportent de l’argent, n’en déplaise à Mme Genevard ; ils réussissent leurs études, notamment parce qu’ils sont soumis à la pression familiale ; ils font rayonner notre pays.

M. Emmanuel Pellerin (RE). Je ne crois pas que nous fermions les portes aux étudiants étrangers. Lorsque j’étais étudiant en doctorat, j’ai dû justifier du sérieux de mon travail pour bénéficier d’une dérogation pour poursuivre au-delà des trois années autorisées. C’est parfaitement normal.

M. Erwan Balanant (Dem). Monsieur Lucas, arrêtez les caricatures, cela nuit à la qualité de nos débats. Depuis ce matin, vous donnez des leçons à tout le monde. Vous parlez de France rabougrie qui n’accepterait pas les étudiants, mais jamais le nombre d’étudiants étrangers accueillis dans notre pays n’a autant augmenté que sous le précédent quinquennat.

Je ne partage pas tous les choix du Sénat mais cessons d’être dans la caricature.

M. Ian Boucard (LR). Je suis stupéfait des arguments avancés par M. Lucas depuis lundi. Ceux qui ne sont pas d’accord avec lui n’aimeraient pas la France ! Au contraire, un pays qui fait respecter les études qui sont proposées sur son sol est un pays qui s’aime.

Beaucoup d’étudiants français veulent aller étudier au Canada tous les ans. Pourtant, c’est extraordinairement compliqué. Si les jeunes Français sont de plus en plus nombreux à vouloir y aller, c’est aussi parce que la difficulté donne leur valeur aux choses. Je ne veux pas de cette société où rien n’a de prix, où rien ne coûte, où tout est toujours ouvert, monsieur Lucas. C’est vous qui avez un rapport problématique à notre pays.

Vos leçons de morale permanentes commencent à être fatigantes pour l’ensemble de la commission. Je suis en complet désaccord avec ce que vous proposez, mais cela ne m’empêche pas de respecter ce que vous dites.

M. Yoann Gillet (RN). Pourquoi la gauche s’énerve-t-elle ainsi ? Pourquoi est-elle autant dans la caricature ?

Que la France soit attractive pour les étudiants, tout le monde s’en félicite. Elle pourrait l’être plus encore en luttant contre pour la fraude, pourquoi la gauche le refuse-t-elle ? Je ne comprends pas, c’est pourtant du bon sens. Certains veulent peut-être l’anarchie, nous voulons des contrôles. Des abus, il y en a, peut-être pas énormément, mais le contrôle n’en est pas moins nécessaire.

Contrairement à ce que vous avez affirmé, je peux citer un exemple de fraude, très connu : Dahbia B, accusée du meurtre de Lola, arrivée en France en 2016 avec un visa « étudiant » avant de glisser dans l’illégalité et de faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

M. Hervé Saulignac (SOC). Personne n’est dupe, c’est d’abord le texte du Sénat que nous examinons ici. J’ai la faiblesse de penser que si cette disposition ne figurait pas dans le texte initial, c’est parce que vous n’y souscrivez pas. Pour des raisons que l’on comprend, vous êtes obligés de la conserver.

Je suis assez stupéfait de votre capacité à fabriquer de la bureaucratie, et étonné que ni Les Républicains ni le Rassemblement national ne l’aient relevé. Cette disposition créera du contentieux et de l’embolie dans les préfectures. Avec quels moyens comptez-vous procéder à ce type de contrôle ? Vous êtes en perpétuelle contradiction, vous faites le grand écart permanent. Monsieur le rapporteur général, je suppute que vous n’êtes pas d’accord avec cette disposition mais, comme vous êtes un bon débatteur, vous la défendrez quand même.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL117 et CL171 de M. Éric Pauget

M. Éric Pauget (LR). Je ne comprends pas la méfiance coutumière de la gauche envers les contrôles ou la vigilance. Lorsqu’un étudiant français va à l’étranger et bénéficie d’un dispositif d’accueil, il est contrôlé. C’est normal, et il est normal que nous fassions de même. Cela me semble du bon sens. L’un de mes fils est parti dans le cadre du programme Erasmus : il était contrôlé tous les trois mois ! On ne vit pas forcément comme une brimade le fait de devoir justifier que le cursus se déroule bien.

En outre, on connaît l’existence de fraudes, on sait que certains étudiants utilisent ce biais pour rester sur le territoire. Il est normal de se doter d’outils pour lutter contre cette fraude, alors que les titres de séjour « étudiant » sont les plus nombreux. Les amendements visent à ce qu’ils ne soient pas délivrés après 30 ans pour le premier et 35 ans pour le second.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je suis défavorable à ces amendements, parce que dans des cas de reconversion, de formation complémentaire ou encore de poursuite d’études très longues – je pense à des chercheurs doctorants – cette limite d’âge peut être un obstacle. Le contrôle systématique proposé par le Sénat me semble un outil plus approprié pour lutter contre la fraude.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Il est savoureux d’entendre LR, qui, sur le plan économique, ne cesse d’appeler à libérer les énergies et de dénoncer les contraintes qui pèsent sur l’entreprise – les offrandes fiscales ne doivent souffrir d’aucune contrepartie, d’aucune forme de contrôle ! – nourrir ici une passion compulsive pour le contrôle et la traque des étudiants étrangers. Je ne m’étendrai pas sur les leçons en matière de rapport à la fraude de la part de ceux qui ont soutenu François Fillon dans sa campagne présidentielle.

M. Erwan Balanant (Dem). Ces amendements ne fonctionnent pas. Un chercheur qui vient finir son doctorat en France dans le cadre d’un programme de recherche aura probablement dépassé les 30 ans. On se priverait d’accueillir ceux qui vont participer à la création de savoir et de connaissance sous prétexte qu’ils ont plus d’un certain âge ? Je n’ai jamais compris les limites d’âge pour l’inscription dans les écoles. Il y a des reconversions, des parcours de vie. Peut-être que certains d’entre nous reprendront des études à l’issue de leur mandat ! Je suis défavorable à ces amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL445 de Mme Michèle Martinez

M. Timothée Houssin (RN). Aux termes de l’amendement, deux redoublements par cycle d’études remettent en cause le caractère sérieux des études d’un étranger.

On peut comprendre qu’on rate une année, mais l’objectif reste d’assister aux cours et d’en tirer des connaissances qui sont sanctionnées par des diplômes. L’amendement vise à éviter les abus de la part de personnes qui ne suivent pas réellement les cours. Lorsqu’on bénéficie de subventions publiques pour étudier à l’étranger, comme je l’ai fait, on est relativement contrôlé. Au cours de mes études, j’ai côtoyé des étudiants étrangers dont certains étaient présents quotidiennement et d’autres n’assistaient jamais aux cours. Il y a des abus.

M. Florent Boudié, rapporteur général. La circulaire de 2008 qui définit le caractère réel et sérieux des études autorise le redoublement : chacun a le droit à l’échec, c’est une évidence. Elle comporte des éléments d’appréciation très précis. Je ne vois pas ce qu’apporte votre amendement qui est de surcroît très restrictif, sans considération aucune pour les parcours de vie compliqués. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL608 de M. Michel Castellani

M. Michel Castellani (LIOT). Cet amendement vise à préciser les éléments permettant d’apprécier le caractère réel et sérieux des études. Sont mentionnées l’assiduité et la présentation aux examens : c’est tout de même la base.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je réfléchis, après les propos d’Erwan Balanant tout à l’heure, sur la nécessité de mieux définir le caractère réel et sérieux. Votre proposition est plutôt intéressante. Je lui donne un avis favorable et propose de la retravailler pour la séance.

M. Boris Vallaud (SOC). Il serait bon d’éviter les lois bavardes. Chaque établissement a ses propres règles d’assiduité, pour les travaux dirigés et pour les cours d’amphithéâtre. Avons-nous tous été assidus aux cours d’amphithéâtre qui n’étaient pas obligatoires ?

La commission adopte l’amendement.

Amendements identiques CL176 de M. Benjamin Lucas et CL1310 de M. Jean-Claude Raux

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Il s’agit de supprimer les alinéas 5 à 8. Vous faites peser sur tous les étudiants étrangers un soupçon universel : ils seraient là pour profiter et pour frauder, pas pour faire des études. Pourtant, dans la réalité, les étudiants étrangers sont plutôt perdus dans les universités françaises, au milieu de cursus qui sont compliqués y compris pour les étudiants français. À force de les contrôler et de les obliger à réussir immédiatement sans leur assurer des conditions économiques et de logement satisfaisantes, ils se trouvent pris dans un étau inhumain qui affecte leur santé mentale et physique. Tous ceux qui fréquentent les universités ont vu de mille et une manières des étudiants décliner parce qu’ils ne parvenaient plus à faire face à toutes les contraintes.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). Je rejoins les propos de ma collègue. Loin d’améliorer l’intégration comme le prétend le titre du projet de loi, l’article choisit la voie de l’insécurité constante en ouvrant la possibilité de retirer la carte de séjour « étudiant » pour non-respect de l’obligation de justifier du caractère réel et sérieux des études. Cette notion floue peut donner lieu à des évaluations arbitraires, alors que nous parlons de parcours de vie.

Cette disposition est en outre superflue parce que le retrait du titre est déjà possible lorsque son titulaire ne remplit plus les conditions exigées pour son obtention. Chaque étudiant devrait disposer d’une carte de séjour de plein droit lors de son cursus de formation pour échapper à l’incertitude permanente ainsi qu’au soupçon universel et pouvoir ainsi pleinement se consacrer à ses études.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). À force d’entretenir le soupçon, vous allez créer un système kafkaïen dans lequel les étudiants subiront une précarité juridique et émotionnelle très forte, qui ne sera pas sans conséquence sur leurs études.

En outre, qui examinera les éléments fournis pour justifier du caractère réel et sérieux alors que les fonctionnaires manquent déjà ? Quelle charge de travail supplémentaire allez-vous leur imposer ? Vous êtes pris dans un cercle vicieux : pour lever les soupçons que vous créez, il faut toujours plus de contrôle. Vous instaurez un système maltraitant pour tout le monde. Vous ne mesurez pas l’insécurité dans laquelle vous placez non seulement les personnes étrangères, mais aussi l’ensemble des fonctionnaires qui sont amenés à fliquer les gens alors ce n’est pas pour cela qu’ils ont choisi ce métier.

Mme Marie Guévenoux (RE). Si nous pouvions éviter les caricatures, nos débats y gagneraient. La France s’enorgueillit d’accueillir plus de 100 000 étudiants étrangers par an. L’article leur demande de justifier, par la production d’une attestation d’inscription ou d’un relevé de notes, du caractère réel et sérieux leurs études, comme le font tous les étudiants boursiers. Cela n’a rien d’inhumain.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL447 de Mme Pascale Bordes

Mme Pascale Bordes (RN). L’amendement vise à rendre systématique le retrait du titre de séjour des étudiants qui ne justifient pas du caractère réel et sérieux de leurs études.

Il ne s’agit pas de se demander s’il est utile pour la France d’accueillir des étudiants étrangers – ça l’est, comme il est utile pour les étudiants français d’aller à l’étranger – mais de respecter l’équité entre étudiants français et étrangers. Les étudiants français boursiers qui ne sont pas en mesure de justifier du caractère réel et sérieux de leurs études perdent ipso facto la bourse qui leur est dévolue, voire doivent en rembourser une partie. Pourquoi les étudiants étrangers seraient-ils mieux traités ? Il faut rendre le retrait du titre automatique sous peine de créer deux régimes sur notre territoire.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Nous sommes au cœur du débat. Deux modèles de société s’affrontent. Vous voulez contrôler tout le monde, les étudiants boursiers, qui pourraient frauder, et les étudiants étrangers, qui pourraient ne rien faire. À la société du contrôle et du soupçon, nous opposons la confiance et la sécurité. Nous connaissons les étudiants boursiers : ils travaillent, ils travaillent même énormément, et ils ont le plus souvent un boulot en plus de leurs études. Nous décidons donc de leur faire confiance, pour les aider à bâtir leur vie.

Flicage et contrôle d’un côté, confiance et émancipation de l’autre : pour nous, le choix est clair.

M. Florent Boudié, rapporteur général. La loi prévoit déjà le contrôle du caractère réel et sérieux des études, ce n’est pas une innovation. Lorsqu’un étudiant étranger veut venir en France, il doit prouver, par tous les moyens, que ce sera bien pour étudier. Les démarches sur la plateforme Campus France sont très exigeantes. On lui délivre d’abord un titre de séjour d’un an, puis, après un nouveau contrôle très vigilant, une carte de séjour pluriannuelle de trois, quatre ou cinq ans selon la durée probable de ses études. C’est là qu’il n’y a plus aucun contrôle.

Nous assumons une forte dynamique des visas étudiants ; en contrepartie, nous estimons normal d’établir un contrôle annuel. L’étudiant devra simplement prouver son assiduité, notamment sa présence aux examens – c’est pourquoi j’ai donné un avis favorable à l’amendement CL608 de M. Castellani. Pas de grands mots s’il vous plaît, madame Chatelain, votre analyse va trop loin.

M. Yoann Gillet (RN). La confiance n’exclut pas le contrôle. Dire, comme Mme Chatelain, qu’il faut avoir confiance ne rime à rien ; ou alors, déclarons l’anarchie ! Oui, il y a des fraudes. Certes, la majorité des étudiants étrangers se comportent bien et respectent les règles – encore heureux ! Mais c’est soi-disant pour faire un CAP (certificat d’aptitude professionnelle) restauration que Dahbia B, inculpée du meurtre de la petite Lola, est arrivée sur le sol français et en réalité, elle a fait tout sauf un CAP restauration.

En écoutant le débat, j’ai effectué une recherche sur les réseaux sociaux : j’ai trouvé des groupes d’étudiants étrangers qui s’échangent des combines pour mieux frauder. Il faut réaliser qu’à côté des étrangers qui viennent suivre des études, il y en a qui déclarent en faire juste pour obtenir un titre de séjour et demeurer illégalement sur le territoire. Voilà la réalité.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL298 de Mme Stéphanie Galzy

Mme Stéphanie Galzy (RN). Par tradition, la France forme des étudiants venus d’autres nations. Elle transmet un savoir à de jeunes étrangers qui, à leur retour, pourront l’utiliser dans leur pays d’origine. En échange, ces personnes ont l’obligation morale de respecter nos lois. Nous pouvons accepter des étudiants étrangers, pas des délinquants étrangers. Aussi le présent amendement vise-t-il à retirer la carte de séjour « étudiant » à ceux ayant fait l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou un délit puni d’au moins deux ans d’emprisonnement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est déjà le cas, cela va de soi. L’article 9 renforcera cette possibilité. Avis défavorable.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Vous êtes bien laxistes, chers collègues du Rassemblement national – à la limite de l’angélisme : vous présentez le respect des lois comme une contrepartie à l’autorisation d’étudier en France, mais sur le territoire de la République, tout le monde doit respecter la loi, sans condition ! C’est bien pour cela qu’en écrivant la loi, nous prévoyons des sanctions en cas de manquement.

Encore une fois, votre discours visant à stigmatiser les étudiants étrangers est choquant, en particulier lorsqu’on sait qu’ils réussissent mieux, qu’un sur deux déclare avoir travaillé pendant ses études, qu’ils sont souvent poussés par leur famille. Votre grand charabia de stigmatisation vire au farfelu.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL460 de M. Michel Guiniot

M. Romain Baubry (RN). Il vise à retirer les cartes de séjour pluriannuelles « étudiant » aux étrangers faisant l’objet d’une mesure d’exclusion d’un établissement public d’enseignement supérieur. Il s’agit d’une mesure logique : si leurs études ne sont plus d’actualité, les conditions de leur titre de séjour ne sont plus remplies.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Satisfait. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Beaucoup dressent des comparaisons entre les étudiants étrangers et les étudiants boursiers. Pour ces derniers, la procédure se fait au sein de l’université : leur unité de formation transmet les documents au service compétent, qui apprécie leur assiduité et juge de leur sérieux. Pour les étrangers, le texte prévoit une procédure tout à fait différente : les documents doivent être transmis – par qui, l’université ou l’étudiant ? – à la préfecture, qui n’a aucune compétence académique pour juger du caractère réel et sérieux de la formation. Le parallèle est bancal.

La commission rejette l'amendement.

Elle adopte l’article 1er G modifié.

Article 1er HA (nouveau) (Art. L. 719-4 du code de l’éducation) : Majoration des frais de scolarité des étudiants étrangers en mobilité internationale

Amendements de suppression CL1652 de M. Florent Boudié, CL1608 de M. Sacha Houlié, CL865 de M. Boris Vallaud, CL1154 de Mme Elsa Faucillon, CL1286 de M. Erwan Balanant, CL1312 de M. Jean-Claude Raux, CL1461 de M. Aurélien Taché, CL1547 de M. Guillaume Gouffier Valente et CL579 de Mme Élisa Martin

M. Florent Boudié, rapporteur général. Le Sénat a introduit cet article qui prévoit de majorer les droits universitaires pour les étudiants étrangers. Cette mesure est contraire à nos objectifs : nous voulons maintenir la dynamique d’accueil d’étudiants étrangers.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). Mardi 7 novembre, la droite sénatoriale a fait adopter un amendement pour inscrire dans la loi la majoration des frais d’inscription universitaires pour les étrangers extraeuropéens, comme le prévoyait le mal nommé plan Bienvenue en France. Jusqu’alors, cela relevait d’un arrêté. Comme nombre d’universités résistent à cette mesure qui contrevient au principe de leur autonomie – trente ne l’appliquent pas du tout, dix-huit partiellement – le Sénat veut les contraindre à l’appliquer.

Le groupe Écologiste-NUPES demande la suppression de cette disposition inique et rappelle son opposition au plan Bienvenue en France, qui a fait chuter l’influence de la France puisque depuis 2018, nous sommes passés du troisième au sixième rang des pays d’accueil.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Cet article est contraire à l’objectif de renforcer l’attractivité de la France pour les étudiants. Il porte aussi atteinte au principe d’autonomie des universités. Vous ajoutez une étape bureaucratique peu propice à libérer les énergies et à faire croire qu’on est « bienvenu en France ». Là aussi, il faudrait mettre en adéquation vos slogans et vos pratiques.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). La France est le pays des droits de l’homme, qui a pour devise Liberté, Égalité, Fraternité. L’arrêté de 2019 prévoyant des droits d’inscription différenciés pour les étudiants étrangers contredisait déjà la devise républicaine. L’inscrire dans la loi serait lui faire offense, en considérant que les étudiants étrangers ne sont pas égaux aux étudiants français.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Raux, ce que vous affirmez est inexact. La France est le quatrième pays au monde le plus attractif pour les étudiants, et le premier non anglophone : elle n’a pas régressé. Le nombre de visas délivrés aux étudiants est inédit. C’est le résultat de la dynamique que nous avons impulsée dès 2017.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous discutons régulièrement de la francophonie, des relations que nous devons entretenir avec nos partenaires africains, de notre rayonnement, et voilà que la droite veut augmenter les droits d’inscription des étudiants étrangers, après que les macronistes les ont déjà rehaussés pendant le précédent quinquennat. Il faut savoir : quels efforts sommes-nous prêts à consentir pour accueillir le plus grand nombre possible d’étudiants, et pourquoi ? Quels partenariats voulons-nous bâtir avec des pays qui ne sont pas remplis d’enfants de milliardaires ? Si pour vous, la grandeur de la France consiste à accueillir les enfants des riches, vous vous trompez. L’intérêt de la France est d’accueillir tous les meilleurs étudiants, dans les meilleures conditions.

M. Erwan Balanant (Dem). Pendant le précédent quinquennat, nous n’avons certainement pas augmenté les droits d’inscription, c’est complètement faux. Nous avons fortement diminué les frais d’entrée à l’université. Nous avons supprimé la mutuelle, qui coûtait très cher. Dans votre vignette Instagram, collez mon intervention après la vôtre, pour rétablir les faits.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Je regrette un peu le silence du ministre. Toutefois, il ne s’agit pas de sécurité, ni même d’immigration. Lors de l’examen en séance, la présence de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères et de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche nous serait utile. Les décisions que nous prenons affecteront l’influence et le rayonnement de notre pays, ainsi que la vitalité de notre modèle universitaire et de notre recherche.

La commission adopte les amendements et l’article 1er HA est supprimé.

En conséquence, les amendements suivants sur l’article tombent.

Article 1er H (nouveau) : Expérimentation d’une instruction « à 360 degrés » des demandes de titres de séjour

Amendement de suppression CL365 de Mme Edwige Diaz

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable, car le dispositif dit d’instruction à 360 degrés qu’introduit cet article est très intéressant. À la suite de deux rapports du Conseil d’État et du Sénat de 2020 et 2022, le Sénat prévoit de l’expérimenter, en vertu de l’article 37-1 de la Constitution. Dès la première demande de titre de séjour, l’ensemble des motifs de délivrance possibles seront examinés : il s’agit de statuer sur le droit au séjour en général plutôt que sur le droit à un titre de séjour particulier. En contrepartie de cette avancée, aucune autre demande ne sera recevable sans présentation d’éléments nouveaux. Le Sénat a aussi prévu que le demandeur devait donner son consentement si le motif du titre de séjour proposé n’était pas celui initialement demandé.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Je suis également très favorable à ce dispositif proposé par le président de la commission des lois du Sénat François-Noël Buffet. Il est directement issu de son rapport d’information sur la question migratoire de 2022, lui-même inspiré du rapport Stahl du Conseil d’État « 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous ».

Il existe quelque 180 titres de séjour différents, ce qui rend complexes autant les démarches des demandeurs que le travail des agents des préfectures chargés de l’instruction, ainsi que celui des services de l’État puisqu’en cas de refus, la personne peut déposer un recours tout en déposant une autre demande pour un autre motif, ce qui retarde d’autant l’application d’une mesure éventuelle de reconduite à la frontière.

Le rapport Buffet, qui avait été adopté à l’unanimité, veut rendre le service public plus efficace. Lorsque l’examen d’un titre de séjour aboutit à un refus, la préfecture doit effectuer une instruction à 360 degrés, c’est-à-dire examiner tous les motifs possibles pour délivrer un titre. Ainsi, tout refus sera définitif, faisant gagner énormément de temps aux préfectures et pour les reconduites à la frontière.

Ce changement de méthode d’instruction rend l’application du dispositif complexe, ce qui justifie une expérimentation. Il s’agit d’une mesure moderne, préparée avant même l’examen au Sénat et qui s'inscrira dans la réforme des préfectures.

Mme Stella Dupont (RE). Le département de Maine-et-Loire a déjà expérimenté ce dispositif. Je n’y suis pas opposée mais le résultat a été décevant : la systématisation de l’instruction a alourdi le travail de services administratifs déjà très encombrés. Quels moyens humains prévoyez-vous pour pouvoir réellement assurer cet examen à 360 degrés ? Par ailleurs, il me semble pertinent pour les délivrances mais peu pour les renouvellements.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Notre groupe nourrit également des doutes. L’instruction à 360 degrés paraît séduisante, en particulier pour les demandeurs, qui ne seront pas obligés de revenir plusieurs fois en apportant de nouvelles pièces à chaque fois. Néanmoins, cela implique de fournir dès la première démarche un nombre de documents plus élevé que pour une demande précise. Si vous demandez un titre pour travailler, devrez-vous donner des documents relatifs à tous les aspects de votre vie ?

Par ailleurs, l’instruction à 360 degrés exigera des agents des préfectures des compétences très transversales, alors que le personnel est composé de nombreux contractuels et connaît un fort taux de renouvellement.

Enfin, on ne pourra présenter de nouvelle demande sans éléments nouveaux : selon quels critères la nouveauté sera-t-elle appréciée ?

Mme Marie Guévenoux (RE). Nous soutenons cet article, ainsi que l’amendement du rapporteur général qui va suivre. L’évaluation à 360 degrés permet d’examiner globalement le droit au séjour. La mesure est favorable au demandeur, confronté à 180 titres possibles ; à l’efficacité de l’instruction ; aux agents chargés de l’examen des dossiers ; et à l’application des mesures d’éloignement.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’expérience menée en Maine-et-Loire est assez différente car le département ne disposait alors pas de l’Anef (administration numérique pour les étrangers en France). Depuis, 60 % des démarches sont dématérialisées. De plus, l’expérience n’a concerné que quelques dizaines de cas. Elle était toutefois intéressante et je vous rejoins sur les conclusions : il faut former les agents et augmenter les moyens. Ce sera l’objet de la réforme des préfectures que je vous présenterai de manière détaillée dès que le président de la commission le voudra.

Dans un premier temps, le dispositif ne concernera que trois plateformes régionales, en Normandie, en Occitanie et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, et un territoire ultramarin, comme le demandent M. Serva et Mme Youssouffa.

La commission rejette l'amendement.

Amendements CL1723 de M. Florent Boudié et CL613 de Mme Danièle Obono (discussion commune)

M. Florent Boudié, rapporteur général. Mon amendement vise à élargir l’expérimentation à tous les titres de séjour. Je note d’ailleurs que la proposition de M. Buffet revient en fait à pallier la sédimentation des 187 titres existants, à laquelle nous devrons tôt ou tard nous attaquer. M. le ministre a du reste suggéré au Sénat que les parlementaires examinent les clarifications possibles.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Les pratiques d’instruction sont unanimement déclarées insatisfaisantes. Un examen à 360 degrés pourrait aller dans le bon sens, à deux conditions. Premièrement, tous les titres doivent être pris en considération : une personne demandant un regroupement familial est aussi susceptible d’être victime de traite des êtres humains. Ensuite, le rapport que le Gouvernement remettra au Parlement à la suite de l’expérience devra analyser la qualité de l’accueil offert aux étrangers dont les demandes auront été examinées selon cette procédure : le nombre de demandes et de recours contentieux ne peut suffire à estimer si l'expérimentation a porté ses fruits, une analyse qualitative de la suite du parcours des étrangers dans le labyrinthe administratif de l’accès au séjour est nécessaire.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Erwan Balanant (Dem). Depuis le début de l’examen du titre Ier A, je m’interroge. Il est le fruit du travail sénatorial, parfait, mais, contrairement au reste du projet de loi, nous ne disposons ni d’une étude d’impact, ni de l’avis du Conseil d’État. Pour un texte de cette importance, c’est regrettable. Pourquoi les sénateurs auraient-ils le droit de légiférer ainsi alors que nous appliquons strictement l’article 45 de la Constitution ?

M. le président Sacha Houlié. Le rapport Stahl du Conseil d’État fait objet d’étude d’impact. J’ajoute que l’amendement qui a introduit cet article avait un lien direct avec le texte, puisqu’il concernait la délivrance des titres de séjour. Ce n’était certes pas le cas de tous les amendements adoptés au Sénat.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Fernandes, l’expérimentation concernera tous les titres. Une prochaine intervention du rapporteur général vous éclairera sur les suites du parcours.

Je comprends mal ce qui justifie l’amendement de suppression du groupe Rassemblement national. Peut-être ses membres ont-ils compris qu’ils avaient fait une erreur, puisqu’ils n’ont pas pris la parole pour le soutenir. Ils proposent de supprimer un dispositif qui permettra de répondre plus vite aux demandes des étrangers, d’appliquer plus fermement les décisions d’OQTF et de simplifier la vie des agents préfectoraux : ce n’est pas très cohérent de leur part.

Mme Cécile Untermaier (SOC). On ne peut qu’approuver l’idéal poursuivi : que l’autorité compétente examine toutes les possibilités et délivre le titre de séjour qui correspond le mieux à chaque situation, épuisant la procédure. Néanmoins, comme législateur, je nourris les mêmes regrets que M. Balanant : sans étude d’impact, nous ne connaissons pas les détails pratiques. Y aura-t-il une plateforme ? Des algorithmes ? Comment procéderont les agents ?

Par ailleurs, l’expérimentation est intéressante, mais cela implique de dresser un bilan et c’est la loi qui doit en prévoir les modalités.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous pouvons préciser la nature du bilan d’ici à la séance si vous le souhaitez. Pour le reste, le Conseil d’État a publié deux rapports sur la question, en 2020 et 2022, auxquels s’ajoute le rapport Buffet. Et au bout de trois ans, nous disposerons donc du bilan de l’expérience.

L’instruction à 360 degrés et l’Anef sont deux dispositifs à même de répondre à un grand nombre des questions que vous avez soulevées à propos de l’article 1er A, sur l’engorgement des préfectures par exemple ou les allers-retours et demandes complémentaires imposés aux ressortissants étrangers.

La commission adopte l’amendement CL1723.

En conséquence, l’amendement CL613 tombe.

Amendements CL610 de M. Olivier Serva et CL832 de Mme Estelle Youssouffa (discussion commune)

M. Christophe Naegelen (LIOT). Notre groupe est favorable à l’article. L’instruction à 360 degrés sera certainement bénéfique à long terme, en particulier pour gagner du temps. Le présent amendement vise à déployer l’expérimentation dans au moins un département ultramarin. J’y ajouterais volontiers les Vosges.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). D’abord Mayotte ! Les territoires insulaires connaissent une réalité migratoire spécifique. Saint-Pierre-et-Miquelon manque de migrants et cherche de la main-d’œuvre ; les Antilles reçoivent une immigration de proximité différente de celle de Mayotte, où plus de la moitié de la population est étrangère. Mon département doit relever un défi migratoire considérable et j’espère qu’il pourra participer à l’expérimentation.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je donne un avis favorable à l’amendement CL610 et défavorable au CL832, qui précise le département ultramarin choisi.

M. Ian Boucard (LR). Je soutiens l’amendement CL610 : pour que l’expérimentation soit complète et fructueuse, il faut qu’un département ultramarin au moins y participe. Que ce soit Mayotte serait pertinent : elle est malheureusement tellement concernée par l’immigration illégale que si l’expérience y était réussie, nous pourrions considérer que le dispositif fonctionnerait partout ailleurs. Toutefois, je ne m’engage pas davantage, parce que j’ignore quels moyens il faudrait mobiliser.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous pourrions préciser la rédaction d’ici à la séance afin d’inclure « au moins » un territoire ultramarin, car la Guyane par exemple connaît une immigration aussi forte que Mayotte, même si elle est différente.

Pour ce qui est de Mayotte, nous avons doublé les effectifs de la préfecture affectés aux demandes d’étrangers : les moyens devraient donc être suffisants.

La commission adopte l’amendement CL610.

En conséquence, l’amendement CL832 tombe.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL1729 et CL1730 de M. Florent Boudié, rapporteur général.

Amendement CL408 de Mme Emeline K/Bidi, amendements CL1731 et CL1732 de M. Florent Boudié (discussion commune)

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le dispositif étant encore un peu flou, l’amendement CL408 propose de supprimer, dans un premier temps, l’interdiction de déposer une demande supplémentaire. En effet, la demande initiale pourrait-elle être requalifiée pour aboutir à la délivrance d’un titre moins protecteur ? Quelqu’un qui demanderait une carte de séjour « vie privée et familiale » pourrait-il se retrouver avec une carte de séjour temporaire « salarié » ou « travailleur temporaire » ? Cela arrive, même si c’est illégal. Des enquêtes ont montré que les demandes parfois ne concernent pas les bons titres, parce que les gens ne disposent pas des bonnes informations.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable. Il faut mener l’expérimentation avec tous les aspects du dispositif.

Si le titre de séjour proposé n’est pas celui demandé par le ressortissant étranger, l’alinéa 4 prévoit que la délivrance nécessite son accord.

Mes deux amendements apportent des précisions sur les éléments nouveaux qui peuvent justifier une nouvelle demande si la première est rejetée. Actuellement, une personne faisant l’objet d’une décision d’OQTF peut bloquer la procédure en présentant des éléments nouveaux dans un but clairement dilatoire, ce qui explique beaucoup de difficultés en matière d’éloignement.

La commission rejette l'amendement CL408 et adopte successivement les amendements CL1731 et CL1732.

Amendement CL1603 de Mme Danièle Obono

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’évaluation de l’expérience doit aussi prendre en considération la qualité et la dignité de l’accueil. La ligne gouvernementale consiste à gagner toujours du temps, par exemple avec la dématérialisation – qui fabrique des sans-papiers – ou avec le raccourcissement des délais d’instruction des demandes d’asile. Cependant, le temps gagné ne peut constituer le seul critère d’évaluation. Le présent amendement tend à donner au rapport du Gouvernement une dimension plus qualitative, car les personnes ne sont pas des dossiers mais sont faites de chair et d’os.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable. Le rapport évaluera les effets de l'expérience notamment à partir des recours introduits, mesurant ainsi la qualité des procédures.

La commission rejette l'amendement.

Elle adopte l’article 1er H modifié.

Après l’article 1er H

Amendement CL432 de M. Fabien Di Filippo

M. Fabien Di Filippo (LR). Il vise à demander à chaque étranger de payer une contribution financière pour l’instruction de ses demandes de titre, selon des modalités prévues par décret. En effet, on assiste à la multiplication des demandes, qui représentent un coût de temps et d’argent croissant pour les services de l’État. Il serait donc légitime que le demandeur participe même symboliquement, par exemple à hauteur de quelques dizaines d’euros.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette successivement les amendements CL1465 de M. Aurélien Taché et CL1049 de M. Benjamin Lucas.

Amendements CL1088 et CL1091 de Mme Caroline Abadie

Mme Caroline Abadie (RE). Dans les très grands départements, il faudrait davantage de lieux où déposer les dossiers. L’amendement CL1088 visait à utiliser les maisons France Services en ce sens ; le CL1091 tend à installer des guichets d’accueil dans les sous-préfectures.

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’instruction des demandes relève de la préfecture, or France Services n’est pas une autorité administrative. Cela pose de réelles difficultés. Demande de retrait ou avis défavorable.

Les amendements sont retirés.

Amendement CL998 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Afin de faciliter les démarches de régularisation et pour empêcher l’administration de jouer l’inertie pour reporter la délivrance d’un titre, il vise à instaurer un délai d’instruction de quatre mois à l’issue duquel l’absence de réponse vaudrait acceptation.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur général, elle rejette l’amendement CL999 de M. Benjamin Lucas.

Article 1er I (nouveau) (Titre V du livre II du code de l’action sociale et des familles) : Remplacement de l’aide médicale d’État par une aide médicale d’urgence

Amendements de suppression CL1653 de M. Florent Boudié, CL1609 de M. Sacha Houlié, CL1 de M. Michel Castellani, CL89 de Mme Françoise Buffet, CL621 de M. Andy Kerbrat, CL 868 de M. Boris Vallaud, CL1137 de M. Sébastien Peytavie, CL1155 de Mme Elsa Faucillon, CL1249 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, CL1257 de Mme Clara Chassaniol, CL1260 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert, CL1288 de M. Erwan Balanant, CL1425 de Mme Stella Dupont et CL1548 de M. Guillaume Gouffier Valente

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous en venons à l’article 1er I, ajouté par le Sénat et qui prévoit la suppression de l’aide médicale de l’État (AME).

Sans préjuger des débats à venir, je pense que la question ne concerne pas seulement la santé des individus, qui est essentielle, mais aussi la santé collective. Il y a trois ans, nous avons traversé une pandémie qui nous a fait mesurer combien la santé des uns dépendait de celle des autres. L’enjeu est collectif et l’AME apporte une réponse.

Il n’est pas question de fermer le débat sur l’AME, qui a fait à juste titre l’objet de nombreux commentaires ces dernières semaines : lorsque quelque 350 000 personnes bénéficient d’un dispositif, il est normal que le législateur soit attentif à son fonctionnement, aux modalités pour y accéder et à son effectivité, car tous ceux qui y sont éligibles n’en bénéficient pas. Le 4 décembre, le préfet Patrick Stefanini et M. Claude Evin remettront leur rapport sur la question. Nous les auditionnerons mercredi prochain pour entendre leurs conclusions. En attendant de poursuivre donc le débat, je souhaite supprimer cet article.

M. le président Sacha Houlié. La suppression de l’AME n’a en effet rien à faire dans ce texte, ni dans aucun autre.

M. Michel Castellani (LIOT). La suppression de l’AME n’éliminerait pas le besoin de se soigner et aggraverait la pression sur les services d’urgences. Elle ne serait pas non plus sans conséquences sur la santé publique. Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qu’il faut se demander surtout, c’est comment ne pas soigner ? Comment laisser un être humain se débattre seul avec la maladie ?

Mme Françoise Buffet (RE). L’AME ne doit pas être un instrument de la politique migratoire : c’est avant tout un outil de santé publique. La réduction du panier des soins est contreproductive. Elle retarderait les prises en charge et conduirait à l’aggravation des pathologies, ce qui pose un problème à la fois éthique et économique.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Aux arguments déjà présentés, nous ajoutons qu’il y a ici des enjeux d’humanité et de santé publique qui ne peuvent pas être l’objet d’une instrumentalisation politique. Seuls trente-huit cas de fraude ont été identifiés. Le coût de l’AME est extrêmement faible, puisqu’elle représente 0,4 % des quelque 204 milliards d’euros de dépenses en matière de soins. Et puis l’Espagne, qui avait supprimé l’AME pour les mêmes raisons malsaines que le Sénat, l’a rétablie deux ans plus tard, notamment parce que la mortalité des exilés était en forte augmentation.

M. Boris Vallaud (SOC). Heureux d’entendre que beaucoup se sont ralliés à l’idée qu’il ne fallait pas supprimer l’AME ! Néanmoins, entre le rapporteur général qui invite à la réflexion et le président de la commission pour lequel il n’y a pas de débat, le message est un peu troublé. Au Sénat, lorsque la majorité présidentielle a voté la proposition de suppression, le Gouvernement a émis un avis de sagesse, ce qui conduit à considérer, dans la meilleure des hypothèses, qu’il n’a pas d’avis sur le bien-fondé du maintien ou de la suppression de l’AME. Pour notre part, nous continuerons de défendre le dispositif, parce que le supprimer est dangereux médicalement, absurde économiquement et indigne moralement.

M. Sébastien Peytavie (Écolo-NUPES). Le groupe écologiste ne peut que s’opposer à cet article qui remet gravement en cause ce droit fondamental qu’est l’accès à la santé pour toutes et tous. Cette restriction sans précédent de l’AME est en totale contradiction avec ce que nous a enseigné l’épidémie de covid-19. Les maladies et les virus ne s’arrêtent pas aux frontières et les titres de séjour leur importent peu. Conditionner l’accès aux soins à l’un de ces critères, en plus de faire preuve d’un déni manifeste d’humanité, relève d’une totale inconscience sanitaire, car l’AME n’est ni une faveur ni de la charité mais une nécessité et un droit pour préserver la santé de l’intégralité de la population. En éloignant des soins les personnes qui devraient bénéficier de l’AME, vous retardez leur prise en charge médicale et prenez le risque d’une aggravation des pathologies existantes. Ce n’est pas notre constat mais celui de l’intégralité des médecins, du personnel soignant et du ministre de la santé lui-même.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). C’est franchement terrifiée que j’ai suivi les débats du Sénat, où nombre de sénateurs et de sénatrices ont voulu supprimer ou limiter l’aide médicale pour les étrangers. Face à l’avis de sagesse du Gouvernement qui leur donnait toute liberté, les sénateurs de droite, y compris ceux de la majorité, se sont jetés sur cet amendement. C’est proprement scandaleux. Tout montre que nous en avons besoin, pour des raisons éthiques et humanistes, mais aussi pour des raisons de santé publique et économiques. L’AME ne peut en aucun cas être un instrument de la politique migratoire.

Mme Michèle Peyron (RE). L’amendement CL1249 a été cosigné par les députés Renaissance de la commission des affaires sociales, qui souhaitent rétablir l’aide médicale de l’État que la droite sénatoriale a transformée en aide médicale d’urgence (AMU).

La disposition introduite par les sénateurs n’a pas de lien avec les objectifs du projet de loi et constitue, à ce titre, un cavalier législatif. En effet, en offrant une protection aux étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français, l’AME relève avant tout d’un enjeu de santé publique qu’il convient de traiter comme tel. La supprimer, c’est prendre le risque d’augmenter le renoncement aux soins de populations déjà précaires et de dégrader leur état de santé mais aussi celui de la population française tout entière. C’est aussi renforcer le risque de propagation de maladies infectieuses et de retards de diagnostic, entraînant des prises en charge plus coûteuses. C’est enfin envoyer les étrangers en situation irrégulière vers les services d’urgences, qui connaissent déjà une pression importante.

Mme Clara Chassaniol (RE). Cet article est un cavalier législatif ; il fait courir un risque à la santé publique et à notre hôpital ; enfin, l’AME ne crée pas d’appel d’air, puisque le non-recours est massif – jusqu’à 50 % selon le rapport d’étape de Patrick Stefanini et Claude Évin. Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte avec le président de la commission des lois, en échangeant avec des médecins du centre de rétention administrative de Vincennes, qu’il y avait une forte méconnaissance du dispositif chez ceux qui pourraient en bénéficier.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le Sénat a péché une fois de plus par esprit de système. On ne peut se prononcer sur la question de l’AME en écartant, comme il l’a fait, l’aspect humanitaire d’un revers de main et en sous-estimant les importantes questions de santé publique qu’elle soulève. Néanmoins, il y a là un sujet de réflexion important qui justifie la mission confiée à MM. Évin et Stefanini, dont nous attendons les conclusions définitives. S’il y a lieu, il sera toujours temps d’aménager le système existant, qui paraît convenable.

Mme Stella Dupont (RE). L’aide médicale de l’État est scrutée de près. De nombreux rapports et des évaluations plus nombreuses encore font l’actualité. Elle a déjà été resserrée en 2019. Les médecins et les professionnels de santé sont nombreux à nous dire toute l’importance de cette politique de santé publique pour les étrangers mais aussi pour les Français, le caractère contagieux de certaines pathologies devant nous amener à prendre soin de tous ceux qui sont présents sur notre territoire. Retarder l’accès aux soins est dangereux pour les personnes concernées mais aussi pour la santé publique et représente un coût pour nos finances, car la prise en charge curative est plus coûteuse que la préventive. C’est un non-sens sanitaire et financier.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Comme l’a dit Elsa Faucillon, l’AME ne peut pas être un élément de la politique migratoire. C’est une bombe à retardement pour notre service public de santé, qui fait courir un risque d’engorgement des urgences. C’est enfin un cavalier législatif : nous avons des règles, il serait bon que, dans sa grande sagesse, le Sénat les respecte.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Cet article introduit par les sénateurs de manière cavalière a fait grandement parler depuis son adoption. Notre groupe s’oppose avec clarté et fermeté à la suppression de l’AME telle qu’elle est proposée par le Sénat. L’AME, qui ne représente que 0,5 % de nos dépenses de santé, repose sur un principe fondamental : protéger la population, en évitant la propagation de maladies infectieuses, et protéger notre système de santé, en prévenant une sursollicitation des services d’urgences. Elle est essentielle aussi bien sur le plan humain que sanitaire et financier.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Tout a été dit. Monsieur Vallaud, vous avez essayé de nous séparer, le président et moi, voire de nous opposer. Cela se voyait, c’était un peu grossier ! Je vais vous donner quelques éléments pour la réflexion des mois à venir.

Lorsque l’AME a été réformée, elle l’a été dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale, pas dans un texte sur l’immigration. Il est indispensable qu’elle soit maintenue, pour les raisons que j’ai données. Mais cela ne nous interdit pas d’examiner certaines questions particulières. Ainsi, on peut s’interroger sur la liste des soins concernés : est-elle complète ? Il y a peut-être des choses à retirer et d’autres à ajouter. Se pose aussi la question de l’entrée dans le dispositif. S’il y a vraiment des enjeux de santé publique, de prophylaxie, de vaccination, trois mois, c’est très long.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Vallaud, le groupe RDPI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) n’a pas voté pour l’amendement sénatorial déposé par les centristes et par le groupe LR : il veut sa suppression.

Sur le fond, comme beaucoup l’ont dit, la disposition est un cavalier législatif évident, puisqu’elle ne relève pas du code des étrangers. D’ailleurs, c’est dans le cadre des textes budgétaires que l’on parle de l’AME. Le Gouvernement a toujours dit qu’il ne souhaitait pas inscrire dans le texte initial une telle disposition, qui est irrecevable et que le Conseil constitutionnel ne pourrait que censurer. Autant être le plus sincère possible. Au contraire, le titre de séjour pour étranger malade a le droit d’y figurer.

Lundi matin, je recevrai avec Aurélien Rousseau M. Stefanini et M. Évin pour la remise de leur rapport, qui sera rendu public, conformément à la déclaration de Mme la Première ministre. Ils seront auditionnés à l’Assemblée nationale, ce qui montre que le Gouvernement n’a rien à cacher. M. Stefanini est bien connu des députés qui viennent de la droite de l’hémicycle, secrétaire général du ministère de l’immigration, grand préfet, par deux fois directeur de campagne d’un candidat à la présidentielle ; M. Évin, ancien ministre de la santé, patron d’une agence régionale de santé, est connu de ceux qui viennent de la gauche. Je crois savoir qu’il n’y a pas de divergences entre eux ni sur le constat, ni sur d’éventuelles propositions.

Le rapport sera donc rendu public avant le passage en séance du présent texte. Si certaines dispositions ne pouvaient être modifiées à cette occasion, elles pourraient l’être dans d’autres textes, relatifs au budget ou à la santé, comme l’a dit Mme la Première ministre aux questions d’actualité.

Je ne suis pas certain que ce soit la modification du panier de soins qui pose le plus de difficultés. Si la députée de Mayotte réclame l’AME pour son territoire, ce n’est pas parce qu’elle souhaite provoquer un appel d’air migratoire mais pour des raisons de franchise : il faut savoir combien il y a d’étrangers en situation irrégulière et ce que cela coûte à la sécurité sociale. Car l’AME est en premier lieu une question comptable ; sans AME, il n’y a pas de compensation par l’État. L’intention première n’était pas d’en faire un dispositif de santé publique, puisque les médecins soignent tous ceux qui se présentent – avec les conséquences que l’on connaît aux urgences – mais de connaître la vérité sur ce que ces soins coûtent, ce qui nous permet d’avoir ce débat sain et démocratique. En supprimant l’AME, on supprime le thermomètre, ce qui ferait naître encore plus de fantasmes.

Si le montant de l’AME croît, ce n’est pas parce que chaque personne coûte plus cher en soins mais parce qu’il y a plus d’immigrés en situation irrégulière sur notre sol. L’AME, je le répète, n’est que le thermomètre du nombre de personnes en situation irrégulière qui ne repartent pas de notre territoire. Ainsi, pour faire diminuer son coût, il faut faire diminuer le nombre de personnes en situation irrégulière, ce qui est le but du projet de loi – limiter l’immigration irrégulière, en luttant notamment contre la lenteur des procédures administratives. En un mot, si vous voulez réduire le coût de l’AME, n’hésitez pas à voter les articles des titres III, IV et V, concernant la simplification drastique des procédures.

Je veux souligner l’extrême difficulté du sujet puisque, parmi les bénéficiaires de l’AME, 25 % sont des enfants et plus de 50 % sont depuis plus de trois ans sur le territoire national. Comme l’a dit le rapporteur général, le fait que l’AME s’applique à des gens qui sont là depuis plus de trois mois, voire plus de neuf mois pour une part de la couverture, est assez paradoxal : il faudrait plutôt que l’AME soit complète au premier jour de leur arrivée, pour accompagner toutes les pathologies que nous évoquions et éviter d’emboliser les services d’urgences. En revanche, arrive une période où certains doivent quitter le territoire national, après avoir épuisé tous les recours. N’est-ce pas une faillite de notre système de gestion de l’immigration que plus de 50 % des bénéficiaires soient là depuis plus de trois ans ? La réponse est oui, et c’est pourquoi nous présentons ce projet de loi.

Sur le fond comme sur la forme, cette discussion est intéressante. Je ne pense pas qu’il y ait de sujet tabou en soi, et beaucoup de dispositions européennes correspondent à une sorte d’AME, contrairement à ce que j’entends. Nous avons demandé, au bénéfice de la mission de M. Évin et de M. Stefanini, des comparaisons internationales à toutes nos ambassades – je proposerai que l’on annexe les comptes rendus diplomatiques. Cela permettrait de voir la grande variété des situations. Ce travail, forcément complexe, pourra voir le jour si la Première ministre en décide ainsi à la suite de la remise du rapport.

M. Yoann Gillet (RN). Quand on parle d’AME, il faut rappeler quelques points : un tiers des Français ont déjà renoncé à des soins faute de moyens ; un Français sur deux déclare peiner à se soigner ; le Gouvernement a continué ces dernières années à diminuer le remboursement des soins pour les Français. Pendant ce temps, le nombre de bénéficiaires de l’AME augmente à proportion de l’immigration : 82 % ces dix dernières années ! En 2024, l’AME coûtera 1,2 milliard aux Français. Ce régime est une exception en Europe. Je me suis félicité que le Sénat supprime l’AME au profit d’une aide médicale d’urgence, comme le propose Marine Le Pen depuis de très nombreuses années, et je regrette que la majorité et la gauche tentent ici de la réintroduire.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Comme les collègues du Rassemblement national adorent les sondages, j’en ai un très sérieux : 74 % des Français sont pour le maintien de l’aide médicale de l’État, quand ils sont bien informés. On ne peut pas utiliser les sondages d’opinion seulement quand ils nous arrangent.

L’aide médicale de l’État, c’est 0,5 % du budget de la sécurité sociale. Vous parlez de la goutte d’eau dans l’océan et vous réquisitionnez pour cela des heures de débat, mais l’aide médicale de l’État, c’est le strict minimum. Monsieur le ministre, nous n’avons pas vraiment compris votre avis mais je me réjouis d’entendre la sagesse de nos collègues de la majorité qui veulent revenir sur cette disposition – sagesse qui, au Sénat, avait manqué au Gouvernement, dont l’avis n’avait jamais aussi mal porté son nom. Alors que le groupe des sénateurs macronistes a voté pour ce texte et donc pour la suppression de l’aide médicale de l’État, je me réjouis du rétablissement du dispositif, même si les propos du rapporteur général m’inquiètent pour la suite.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Qu’il est doux, qu’il est plaisant et agréable d’entendre chanter les louanges de l’AME ! Mais à Mayotte, d’AME il n’y a pas. Et il n’y a pas d’amendement ici sur l’AME à Mayotte, pas de rapport Évin ou Stefanini lundi qui envisagerait une quelconque possibilité d’AME à Mayotte. Mayotte était dans l’angle mort, elle le demeure et notre unique hôpital continuera à traiter ses patients, dont un sur deux est étranger et ne paie rien. Bravo !

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Personne ici ne demande la suppression pure et simple de l’AME et personne ne laissera sans soins un clandestin qui souffre de la tuberculose ou une femme enceinte sur le point d’accoucher. D’ailleurs, c’est bien ce qui est prévu dans la transformation de l’AME en AMU.

Environ 350 000 personnes bénéficient de l’aide médicale de l’État, qui ouvre droit à la prise en charge à 100 % du coût des soins avec dispense de l’avance des frais. Ses bénéficiaires ne sont pas soumis au dispositif du médecin traitant, donc au parcours de soins coordonnés.

Parmi les soins prévus par l’AME, il y a effectivement les rhinoplasties, les anneaux gastriques et les interventions pour oreilles décollées – ce n’est pas un mythe. Vous avouerez que, comme situation d’urgence, il y a pire. Beaucoup d’entre vous expliquent que la migration pour soins n’existe pas, au prétexte que le taux de non-recours pourrait atteindre 49 %. Mais c’est le principe même qui choque : certains Français, dont la situation financière est difficile, rognent en premier lieu sur leurs dépenses de santé !

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Je salue moi aussi ce retour à la sagesse, en regrettant seulement qu’il n’ait pas eu lieu sur les autres amendements relatifs aux questions de santé publique. Qui peut croire que les gens traversent la Méditerranée en comptant sur l’AME pour se faire recoller l’oreille ? Ils ne regardent pas la liste de soins avant de partir !

Puisque vous évoquez souvent un appel d’air et des abus, un chiffre : en 2018, il y a eu trente-huit cas de fraude à l’AME, pour 500 000 euros. J’aurais aimé que les collègues soient plus offensifs pour mettre un coup d’arrêt à l’évasion fiscale, qui fait les poches de nos concitoyens et casse les services publics, que pour s’attaquer aux plus fragiles.

Mme Véronique Louwagie (LR). C’est vrai, monsieur le ministre, l’AME relève bien de la loi de finances, mais le 49.3 ne nous a pas donné l’occasion d’examiner la mission Santé dans l’hémicycle…

Puisque l’argument de la contagion est parfois avancé, je rappelle que le rapport de 2019 de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales, qui cite le dispositif français comme le plus généreux d’Europe, le compare à celui de huit pays européens et que dans aucun de ces pays il n’a été constaté d’épidémies, de risque contagieux accru ni de coût plus important.

Par ailleurs, le décret du 30 octobre 2020 a permis de définir un certain nombre d’actes – exactement seize prestations et deux actes – soumis à un délai de carence de neuf mois entre l’admission à l’AME et leur réalisation. Cela revient à dire qu’il est possible de définir la nature des soins urgents.

Enfin, comment comprendre que nous ne puissions pas écarter des interventions du type recollement d’oreilles, gastroplasties ou interventions liées à l’obésité ? Cela n’est plus compris par nos concitoyens.

M. Laurent Marcangeli (HOR). L’honnêteté me commande de dire que je parle ici à titre personnel : le groupe Horizons et apparentés est traversé par des courants divers sur la question de l’AME et de sa transformation en AMU.

Ce n’est pas dans le cadre du texte sur l’immigration que nous avons à discuter de l’AME. Un rapport serait prochainement rendu par MM. Évin et Stefanini. Je demande que la Première ministre fixe rapidement les conditions d’un débat, qui pourrait se tenir à l’occasion d’une loi de finances rectificative. Nous pourrions alors échanger sereinement et d’une manière un peu plus réaliste, alors que j’entends beaucoup d’approximations. Je voterai les amendements de suppression.

La commission adopte les amendements et l’article 1er I est supprimé.

En conséquence, les autres amendements sur l’article tombent.

Article 1er J (nouveau) (art. L. 1113-1 du code des transports) : Suppression des réductions tarifaires dans les transports en commun pour les étrangers en situation irrégulière

Amendements de suppression CL181 de M. Benjamin Lucas, CL639 de M. Andy Kerbrat, CL869 de M. Boris Vallaud, CL1102 de M. Gilles Le Gendre, CL1156 de Mme Emeline K/Bidi, CL1255 de Mme Clara Chassaniol et CL1426 de Mme Stella Dupont

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Il convient de supprimer la disposition introduite au Sénat sous la dictée de Mme Pécresse, qui réglait ainsi ses comptes avec le tribunal administratif qui l’avait empêchée d’appliquer une mesure discriminatoire dans les transports en commun franciliens en privant les étrangers en situation irrégulière de réductions tarifaires, ce qui est d’une mesquinerie absolue.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Encore une fois, il s’agit de rendre infernale la vie des étrangers, en partant du principe qu’ils profiteraient d’un système auquel les Français eux-mêmes n’auraient pas accès. D’une certaine manière, c’est aussi cela qui explique l’ire tout à fait fondée des représentants de Mayotte : il y a une forme de mise en concurrence très malsaine. Indépendamment de la question de la place des étrangers, celle de l’égalité réelle sur l’ensemble du territoire se pose cruellement.

M. Hervé Saulignac (SOC). Cette disposition Pécresse est tout simplement cynique et mesquine. La réduction tarifaire est de droit : elle est inscrite dans le code des transports et il n’y a pas lieu de ne pas l’appliquer. Cette mesure est cynique parce qu’elle ne fera qu’éloigner les étrangers des soins médicaux et qu’elle les contraindra à prendre les transports sans titre, ce qui viendra alimenter l’idée qu’ils sont de patentés fraudeurs.

M. Gilles Le Gendre (RE). Je ne suis pas opposé aux articles du Sénat parce qu’ils viennent du Sénat, mais quand ils déséquilibrent de façon majeure le texte du Gouvernement. En cette matière comme en beaucoup d’autres, mais particulièrement sur la question migratoire, nous ne pouvons pas apprécier la portée politique du texte dispositif par dispositif : si certains se justifient individuellement, leur somme bouscule gravement les équilibres politiques initiaux.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cet article est effectivement particulièrement mesquin, visant à exclure des conditions tarifaires les plus favorables les étrangers en situation irrégulière, alors que ce sont des conditions de ressources qui prévalent. Qui pense que les étrangers fuiront le territoire parce que le prix du ticket de métro sera passé à 2 euros ? Personne : le but est donc bien de les priver du droit de circuler à l’intérieur du territoire où ils vivent, pour accéder à la santé et au travail – car tout le monde sait qu’ils sont une grande majorité à travailler – et aussi de les exposer aux amendes, afin de faire un lien entre délinquance et étrangers.

Mme Clara Chassaniol (RE). Je comprends l’intention des sénateurs : des personnes en situation irrégulière ne devraient pas bénéficier de certains avantages. Mais, à mon sens, la question est mal posée. Si l’on empêche des personnes de circuler à cause de leur situation administrative, comment feront-elles ? Comment feront celui qui part travailler dans un restaurant parisien alors qu’il est encore sans titre de séjour, celle qui est enceinte et doit se rendre à la maternité, celui qui attend un rendez-vous en préfecture, jusqu’à un an parfois ? Ils n’achèteront pas un passe Navigo plein tarif ! Beaucoup frauderont.

Nous devons mieux accueillir les personnes, et leur refuser de circuler pour un motif administratif n’est pas correct. Par ailleurs se pose une question juridique puisqu’une décision similaire à l’article ajouté par les sénateurs, prise par la région Île-de-France en février 2016, a été annulée par le tribunal administratif en 2018 pour son caractère discriminatoire.

Mme Stella Dupont (RE). Les personnes en situation irrégulière sont particulièrement vulnérables. Ces tarifs adaptés leur permettent de se déplacer, par exemple pour aller à l’école, en préfecture ou se faire soigner. J’ai le sentiment que la suppression de ces réductions relève d’une forme de traque potentielle des personnes en situation irrégulière. Les mesures, les unes après les autres, peignent une sorte de tableau impressionniste des stigmatisations systématiques des étrangers. Je suis en profond désaccord avec cette proposition du Sénat.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Chacun ici est d’accord pour considérer que bénéficier d’une tarification sociale pour se rendre à l’hôpital, lorsque l’on est enceinte ou que l’on souffre d’une pathologie, est une évidence. Il serait inconcevable de priver des personnes vulnérables du bénéfice d’une tarification spécifique. Il n’est pas exclu non plus, si l’article 4 bis est adopté, que les personnes en situation irrégulière qui demanderont leur régularisation aient besoin d’aller en préfecture. La réduction tarifaire doit donc être maintenue.

Ce qui fait débat, me semble-t-il, c’est l’obligation faite aux autorités organisatrices de transports d’appliquer systématiquement la tarification sociale à la seule condition de ressources. Je pense que l’on peut accepter la proposition du Sénat d’intégrer la condition de régularité dans la tarification sociale. En l’état, je vous proposerai donc de maintenir l’article.

Pour la séance, puisque cela nécessite des consultations sur la faisabilité, sur les données techniques et sur le renvoi à un décret d’application complexe, je vous proposerai de maintenir la tarification sociale pour les personnes en situation de vulnérabilité, pour que le ressortissant de nationalité étrangère puisse se rendre à son rendez-vous préfectoral ou suivre les procédures juridictionnelles dont il ferait l’objet.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Pour changer, je vais parodier Michel Sardou, ça parlera à certains d’entre vous : Dans un voyage en absurdie / Où je pensais à Sarkozy / J’ai imaginé sans complexe / Qu’un matin on avait élu Pécresse / Et qu’on vivait l’étrange drame / De perdre notre âme / Âme des années 2020 / Moins humaniste qu’un chiraquien / Ayant réussi l’amalgame / De l’inutilité et des larmes / Âme des années 2020 / Moins humaniste que le ministre Darmanin / Sachant voter et c’est le drame / C’qui va produire un beau vacarme / Et des députés aux idées noires / Démagogiques comme autrefois les politicards / Être un caporal de Lepénie / Préférer l’audiovisuel de Christine Kelly / Empreinte jusqu’au fond des yeux / D’une idéologie, et adieu !

M. Laurent Marcangeli (HOR). Il y a des gens qui ont raté leur vocation ! Mais nous allons voter contre ces amendements de suppression. Nous n’avons pas à accepter qu’une personne en situation irrégulière bénéficie d’un tarif préférentiel. C’est le bon sens. Nos compatriotes ne comprennent pas ce type de mesures.

Mme Edwige Diaz (RN). La NUPES et une partie des macronistes ne sont pas d’accord avec le fait que l’on refuse à des clandestins des réductions d’au moins 50 % dans les transports. Vous voulez que les clandestins, qui sont des personnes arrivées illégalement sur le territoire national ou qui s’y maintiennent malgré une OQTF, en bénéficient. Une fois de plus, vous faites la promotion de l’illégalité. Une fois de plus, vous donnez des droits à des personnes qui n’ont rien à faire là. Cette situation crée une injustice sociale à l’égard des Français soumis au rythme du « métro, boulot, dodo », qui eux paient plein pot leurs titres de transport, notamment grâce à Mme Pécresse, qui a annoncé qu’elle allait encore augmenter le prix du passe Navigo. C’est regrettable quand on sait que 63 % des agressions sexuelles commises dans les transports en commun d’Île-de-France sont le fait d’étrangers. Cette prime à l’illégalité est particulièrement indécente.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Je regrette que le rapporteur général n’ait pas étendu son avis de sagesse aux présents amendements. Les idées de la droite radicalisée lui sont vite revenues à la tête.

Ce n’est pas un tarif préférentiel, c’est une tarification sociale, ce qui n’est absolument pas la même chose. La police va organiser une traque aux étrangers dans les transports : ce n’est pas sérieux ! Le seul objectif de Valérie Pécresse, c’est de pourrir la vie de ces gens. Au contraire, il faut leur permettre de prendre les transports, pour des rendez-vous médicaux, pour chercher du travail, pour aller en préfecture. Demain, vous viendrez nous montrer des statistiques en disant qu’ils sont surreprésentés dans les infractions alors que ce sera l’effet de votre politique antisociale !

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Un terme est revenu dans la défense de ces amendements, qui m’a un peu choquée : « mesquin ». Demandez à n’importe quel Français ou étranger en situation régulière s’il trouve normal qu’un clandestin bénéficie de tarifs sur les transports, vous n’obtiendrez pas beaucoup de réponses positives ! Cette réduction tarifaire s’apparente à une forme de prime à l’illégalité, une fois encore. Allons plus loin : elle peut aussi s’apparenter à un délit d’aide à la circulation d’étrangers en situation irrégulière, en vertu de l’article L. 622-1 du Ceseda.

M. Fabien Di Filippo (LR). C’est dur, de supporter vos caricatures. La gauche s’évertue à mettre sur le même plan des réfugiés en situation légale et des personnes présentes irrégulièrement en France, qui ont violé nos lois pour se maintenir sur le territoire. Quand j’entends qu’elles doivent aller travailler, je me demande bien comment c’est possible puisqu’elles n’ont pas de titre de séjour ! De la même manière, l’AMU n’était pas une volonté de ne plus soigner mais de remettre en cause le panier de soins, dont les excès ont été très bien décrits par Mme Louwagie. Il faut rétablir certaines valeurs. Je reprends tout à fait à mon compte l’expression de « prime à la clandestinité ». Comment une personne française qui va travailler et ne peut pas bénéficier de réductions parce que ses revenus sont supérieurs à un certain plafond peut-elle comprendre qu’un étranger qui viole nos lois bénéficie d’une réduction de 50 % ? Il faut remettre les pieds sur Terre !

M. Boris Vallaud (SOC). Madame Ménard, à ce stade de l’examen du texte, il n’y a pas de délit de séjour irrégulier. Par ailleurs, il est impératif de voter cette suppression dans la perspective d’un billet à 4 euros pour se déplacer à Paris pendant les Jeux olympiques. Enfin, la proposition du rapporteur général, c’est, comme disait Foucault, Ubu rond de cuir : le grotesque bureaucratique, la chose absolument impossible à mettre en œuvre. Vous pouvez faire preuve d’imagination et de fantaisie administrative, ça ne marchera pas.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Ce sujet fait débat depuis plusieurs années au sein de notre groupe. Monsieur le rapporteur général, vous nous suggérez de travailler à un compromis et à un aménagement que vous aviez déjà proposés lors de la loi d’orientation des mobilités. Nous préférons cette solution à une suppression pure et sèche du dispositif. Aussi, nous voterons contre ces amendements, en vous demandant de bien vouloir en reparler d’ici à la séance pour voir à quel dispositif exact nous pourrions aboutir.

M. Florent Boudié, rapporteur général. La difficulté du dispositif actuel, c’est l’automaticité et l’obligation faite aux autorités organisatrices de transports. Vous dites, monsieur Vallaud, qu’on ne pourra pas ajouter de conditions. Si nous posons la régularité de la situation administrative comme condition et que nous ajoutons qu’il faut tenir compte de la situation individuelle au-delà des ressources, notamment de la question de la santé – encore que les déplacements sanitaires soient déjà pris en charge par l’AME au titre des actes médicaux non urgents au bout de neuf mois – nous pourrons resserrer le dispositif pour tenir compte de la réalité de chacune de ces personnes. C’est une disposition équilibrée.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL33 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je profite de cet amendement rédactionnel pour revenir sur un argument qui a été souvent repris, selon lequel on empêcherait les étrangers de circuler. Personne n’empêche les étrangers de circuler ! On leur demande simplement de payer leur billet comme n’importe qui. Encore une fois, demandez autour de vous, personne ne comprend pourquoi un étranger clandestin devrait et pourrait bénéficier de tarifs réduits.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). L’accès à un tarif social sur le réseau de transport d’Île-de-France est soumis à des conditions de ressources : il faut arrêter de prétendre que c’est open bar. L’AME donne droit à une réduction de 50 % ; pour en bénéficier, il faut gagner moins de 800 euros par mois. Le tarif « solidarité gratuité » est quant à lui ouvert aux personnes gagnant moins de 777 euros par mois : si les plafonds sont équivalents, il s’agit de deux dispositifs distincts. En inventant une usine à gaz pour ajouter des conditions aux conditions, vous allez restreindre la mobilité de personnes dont les ressources financières sont déjà insuffisantes. Vous voulez adopter une disposition inapplicable dans le seul but d’offrir un cadeau à la droite et à l’extrême droite.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Chers collègues de la majorité, vous déraillez complètement ! C’est une mesquinerie absurde ! Une politique tarifaire est fondée sur les ressources et non sur la nationalité ou sur la possession de papiers. Nous pourrions partager certaines convictions car vous avez été élus à deux reprises pour faire barrage à l’extrême droite, afin d’empêcher que s’appliquent dans ce pays les idées nauséabondes de Mme Le Pen et de la droite radicalisée. Or vous vous alignez sur le programme de Mme Pécresse, qui n’a obtenu que 4 % à l’élection présidentielle. Le rapporteur général et le ministre cèdent en rase campagne à toutes les revendications de la droite radicalisée et de l’extrême droite : ce sont Mmes Pécresse et Le Pen qui font le texte sur l’immigration.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL844 de Mme Estelle Youssouffa

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Il s’agit de définir de manière plus stricte l’éligibilité au tarif de solidarité dans les transports en commun – je tiens à contribuer au débat, même s’il n’y a quasiment pas de transports en commun à Mayotte. On nous demande de parier sur la solidarité générale alors qu’il n’y a pas la moindre dépense en faveur des transports publics à Mayotte. Peut-on au moins nous épargner l’argument selon lequel il faudrait accueillir encore plus ? Définir des critères est une question de principe et d’équité : dans un territoire très pauvre, où il n’y a quasiment plus de service public, demander plus à ceux qui ont moins érodé le consentement à l’impôt.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous avons un débat sur le resserrement du dispositif, avec le maintien d’une exception pour les personnes vulnérables et pour celles devant effectuer des démarches administratives et judiciaires. La limite que vous proposez serait excessive. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 1er J non modifié.

La réunion est suspendue de dix-sept heures quinze à dix-sept heures trente-cinq.

Article 1er K (nouveau) (Art. L. 312-4-1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Délivrance d’un visa long séjour de plein droit aux ressortissants britanniques propriétaires d’une résidence secondaire en France

Amendements de suppression CL616 de M. Christophe Naegelen et CL1294 de Mme Blandine Brocard

M. Michel Castellani (LIOT). L’amendement CL616 vise à exclure du dispositif les Britanniques qui possèdent une résidence secondaire en France.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Les Britanniques sont ressortissants d’un pays qui a fait le choix de s’éloigner de l’Union européenne. On comprend bien les raisons qui ont poussé certains sénateurs à convaincre le Sénat de leur accorder cette faveur mais nous nous interrogeons sur la place de cet article dans un projet de loi aux enjeux autrement plus importants, d’autant que des dispositions ont déjà été adoptées après le Brexit. Il y a donc lieu de supprimer cet article.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je retire mon amendement CL1654 qui proposait une réécriture de l’article, car je suis convaincu par les amendements de suppression, auxquels je donne un avis favorable.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Les citoyens britanniques possédant une résidence secondaire en France sont obligés de renouveler leur titre de séjour très régulièrement. Ils ne peuvent pas le faire sans repartir au Royaume-Uni alors que, pour la plupart, ils passent plus de six mois par an en France. Les sénateurs, dans leur sagesse, ont jugé bon de soulager les services des préfectures qui consacrent beaucoup de temps à renouveler ces titres de séjour, lesquels ne sont pas très problématiques.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Pour bénéficier de la bienveillance de l’extrême droite et de la droite radicalisée, un étranger doit posséder une résidence secondaire. En fait, avec les riches, vous êtes no border !

Mme Annie Genevard (LR). Il ne faut pas supprimer cet article. Depuis le Brexit, les séjours des citoyens britanniques dans l’Union européenne ne peuvent plus dépasser 90 jours sur une période de 180 jours. Ceux qui désirent effectuer un long séjour en France doivent désormais solliciter un permis de séjour ou un visa, procédure longue et complexe. Or nombre de ressortissants britanniques participent activement au dynamisme de l’économie locale dans nos territoires et sont soumis, au même titre que tous les habitants, à l’imposition foncière. Ainsi, au regard des liens uniques qui existent entre nos deux pays et de l’importance de ce public dans l’économie française, il est proposé, par dérogation, d’alléger les modalités d’entrée sur le territoire français des citoyens britanniques propriétaires de résidences secondaires en France.

L’amendement CL1654 est retiré.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er K est supprimé et l’amendement CL371 de M. Alexandre Holroyd tombe.

Article 1er L (nouveau) (Art. L. 822-1 A [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Délit de séjour irrégulier

Amendements de suppression CL1655 de M. Florent Boudié, CL1611 de M. Sacha Houlié, CL43 de M. Benjamin Lucas, CL90 de Mme Françoise Buffet, CL642 de M. Thomas Portes, CL870 de M. Boris Vallaud, CL1103 de M. Gilles Le Gendre, CL1256 de Mme Clara Chassaniol, CL1270 de Mme Blandine Brocard et CL1427 de Mme Stella Dupont

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’article 1er L crée un délit de séjour irrégulier dans le Ceseda, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Jusqu’en 2012, il existait un délit de séjour irrégulier passible d’une peine d’emprisonnement, ce qu’interdisent nos engagements conventionnels. Nous avions été sanctionnés à l’époque et la loi du 31 décembre 2012 était revenue sur ce dispositif. De plus, l’interpellation aboutissait à une garde à vue et à une judiciarisation qui posaient de grandes difficultés opérationnelles. Le Sénat en a tenu compte puisqu’il ne prévoit pas de peine d’emprisonnement. En outre, en cas d’interpellation, les éléments d’identité et de séjour seraient vérifiés dans le cadre non pas d’une garde à vue mais de la retenue pour vérification du droit au séjour de quatre heures. On peut toutefois douter de l’efficacité du dispositif proposé par le Sénat, raison pour laquelle je vous propose sa suppression.

M. le président Sacha Houlié. J’ai également déposé un amendement de suppression du délit de séjour irrégulier pour les raisons de non-conformité au droit européen qui viennent d’être rappelées. Je crois aussi à l’inefficacité du dispositif pour remédier à la surcharge des services de police pour une infraction qui ne devrait pas être caractérisée.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Je suis pour une fois en accord avec votre position et avec celle du rapporteur général : supprimons ensemble cet article.

Mme Françoise Buffet (RE). La suppression du délit de séjour irrégulier, qui permettait de placer les contrevenants en garde à vue, est allée de pair avec la création d’une retenue administrative qui permettait de vérifier la régularité du séjour. Cette dernière s’est révélée bien plus efficace que les gardes à vue : 70 000 interpellations sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, 90 000 lors du mandat de François Hollande et quelque 120 000 retenues depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Il n’apparaît donc pas judicieux de rétablir un délit de séjour irrégulier. Nous proposons de supprimer cet article.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Même si la France a pris l’habitude d’être en non-conformité avec les principes de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui me choque le plus, c’est que le ministre Darmanin a donné un avis favorable au Sénat pour le retour du délit de séjour irrégulier – tout est dit !

M. Hervé Saulignac (SOC). Le délit de séjour irrégulier a été supprimé par le droit européen, en application d’une directive votée par le groupe PPE au Parlement européen. La mise en œuvre d’un tel délit serait illusoire, inutile et infondée, d’où la nécessité de supprimer cet article.

M. Gilles Le Gendre (RE). L’amendement a été très bien défendu par le président et par le rapporteur général – pas mieux !

Mme Clara Chassaniol (RE). Il est proposé de supprimer cet article rétablissant le délit de séjour irrégulier, lui-même supprimé en 2012 car il ne respectait pas la directive européenne de 2008. Celle-ci recommandant aux États membres de privilégier les mesures d’éloignement aux peines d’emprisonnement, l’astuce des sénateurs a consisté à ne prévoir qu’une peine d’amende de 3 750 euros. Or ce ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau car nombre de personnes en situation irrégulière sont également insolvables. De plus, certaines d’entre elles peuvent se trouver dans une situation administrative d’irrégularité sans que cela soit de leur fait, par exemple lorsque leur titre de séjour prend fin alors qu’elles sont dans l’attente de son renouvellement, parce qu’elles ne parviennent pas à obtenir un rendez-vous en préfecture ou encore en raison d’un retard dans l’obtention de documents administratifs. Alors qu’elles sont ainsi déjà pénalisées, ces personnes devraient de surcroît payer une amende : cela semble particulièrement injuste.

Mme Stella Dupont (RE). Je rejoins les arguments du rapporteur général.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je veux dire mon soutien à la disposition votée par le Sénat, même si je pense qu’elle n’est pas révolutionnaire. Il est important de rappeler que le délit de séjour irrégulier a été supprimé par une loi de décembre 2012 qui fait suite à une directive européenne promue par le Parti populaire européen (PPE) pour des raisons d’efficacité et pas seulement de conformité à la Convention européenne des droits de l’homme.

D’autres délits de séjour irrégulier existent dans le droit : le délit d’entrée irrégulière à une frontière extérieure de l’espace Schengen, y compris en outre-mer, le délit de maintien irrégulier sur le territoire et le délit de retour non autorisé sur le territoire français. Si le président Hollande et sa majorité ont supprimé le délit de séjour irrégulier, ils ont maintenu le délit de maintien irrégulier sur le territoire, passible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende, ainsi que le placement en garde à vue en cas de non-respect d’une OQTF – obligation de quitter le territoire français. Le rétablissement du délit de séjour irrégulier ne revient donc pas à délictualiser le droit des étrangers en France puisqu’il l’est déjà. D’autres pays, comme la Belgique et l’Espagne, ont adopté un délit comparable, sanctionné par une amende et non par une peine de prison.

Le dispositif imaginé en 2012 a démontré son efficacité : 80 000 interpellations en moyenne entre 2007 et 2012, 92 000 entre 2012 et 2017, sous le gouvernement de M. Hollande, et plus de 120 000 depuis 2017. L’absence d’un délit de séjour irrégulier n’empêche donc pas la police de procéder à des retenues ni de renvoyer les personnes dans leur pays.

Toutefois, le rétablissement de ce délit permettrait de prendre des mesures supplémentaires. Tout d’abord, le juge judiciaire pourrait prendre la décision d’éloigner la personne du territoire. L’intervention du juge judiciaire dans le contentieux de la présence sur le territoire national est sans doute plus protectrice pour les étrangers, soumis jusque-là aux décisions du préfet, contrôlées par le juge administratif.

Ensuite, cela permettrait d’inscrire les personnes que nous recherchons, notamment celles que nous soupçonnons d’avoir commis des actes délictuels ou criminels, dans le Faed, le fichier automatisé des empreintes digitales. Actuellement, les personnes soumises à une OQTF peuvent seulement être inscrites dans le FPR, le fichier des personnes recherchées – l’instruction que j’ai prise à ce sujet a été jugée conforme au droit par le Conseil d’État.

Enfin, et c’est le plus important, cela permettrait de procéder à des fouilles et à des perquisitions dans le but de trouver des papiers d’identité. Si vous adoptez le présent article, c’est une demande que nous pourrons formuler directement auprès du JLD – juge des libertés et de la détention – pour les personnes placées en CRA – centre de rétention administrative.

Certes, le rétablissement de ce délit alourdira la tâche des policiers, qui devront rédiger des procès-verbaux et transmettre des documents à la justice. Toutefois, si la retenue administrative est plus rapide et sans doute plus efficace, elle ne permet pas de lutter contre l’immigration irrégulière avec toute la sévérité requise. Je propose donc que nous en débattions plus en détail en séance, en posant des conditions et en définissant des garanties si nécessaire.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Selon les agents de la PAF, la suppression du délit de séjour irrégulier en 2012 est la principale raison de la complexification de leur travail. L’intérêt de l’article proposé par le Sénat réside essentiellement dans la peine complémentaire de trois ans d’interdiction du territoire français, sans compter l’inscription dans les fichiers que vous avez mentionnés, monsieur le ministre, notamment le Faed.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Sur ce sujet, qui fait débat au sein de notre groupe, nous rejoignons la position du président de la commission et du rapporteur général. En raison des divers risques que fait courir cet article – non-conformité au droit européen, inefficacité du dispositif, alourdissement du travail des services de police –, nous voterons pour sa suppression.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Chaque article de ce projet de loi est porteur d’une forme de maltraitance administrative à l’encontre des personnes migrantes et étrangères en France. Jusqu’où cela ira-t-il ? Si l’on peut vouloir réguler l’immigration, on n’a pas le droit de ne pas traiter les personnes dignement. Nous soutiendrons évidemment les amendements de suppression.

M. Jean-Pierre Pont (RE). Le délit de séjour irrégulier touchera tous les migrants de la Côte d’Opale qui attendent de passer en Angleterre. Ils subiront ainsi une double peine, d’abord en payant le passeur, puis en payant une amende. Ce n’est pas ainsi que vous réglerez le problème.

Mme Annie Genevard (LR). Nous sommes très attachés au maintien de la disposition adoptée au Sénat, qui vise à rétablir le délit de séjour irrégulier. C’est un marqueur essentiel, alors que 700 000 à 900 000 personnes sont en situation irrégulière dans notre pays.

Il est un peu facile d’invoquer le caractère non conventionnel de ce délit car l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) n’est pas si clair que cela. La Cour n’a pas écarté la possibilité pour un État membre de conserver un délit de séjour irrégulier et de le sanctionner par une amende pouvant être remplacée par une peine d’expulsion ou d’assignation à résidence, sous réserve que cette dernière soit encadrée par la garantie que son exécution prend fin dès que le transfert physique de l’intéressé hors de l’État membre est possible.

Mme Edwige Diaz (RN). Il est toujours drôle de voir la droite essayer de rétablir un dispositif qu’elle a elle-même contribué à supprimer au Parlement européen. Quoi qu’il en soit, au Rassemblement national, nous sommes favorables au rétablissement du délit de séjour irrégulier sanctionné par une amende, une peine d’emprisonnement et une peine complémentaire d’interdiction du territoire français, qui devra inévitablement être suivie d’une expulsion du territoire national.

Il est également surprenant de voir qu’à l’approche des élections européennes, une partie de la NUPES, qui n’a pas de mots suffisamment durs pour critiquer l’Union européenne, se satisfait tout à fait des règles idéologiques de cette dernière quand il s’agit d’invoquer une prétendue non-conventionnalité. C’est donc l’occasion pour nous de rappeler qu’un référendum est nécessaire afin que les Français reprennent en main la politique migratoire.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Si nous saluons le fait que de nombreux amendements visent à supprimer le rétablissement d’un délit pour séjour irrégulier, les membres de la majorité ont une responsabilité importante dans la rédaction de nombre d’articles qui sont en fait des fabriques de clandestinité, destinés à placer les étrangers dans des situations irrégulières. Le délit de séjour irrégulier est extrêmement cruel pour toutes les personnes qui se retrouvent dans cette position alors qu’elles aspirent à la régularité. De plus, si elles sont victimes d’agression ou de viol, comment pourraient-elles en confiance se rendre auprès de la police pour déposer plainte ?

M. Laurent Marcangeli (HOR). Le groupe Horizons et apparentés votera contre les amendements de suppression. En effet, la rédaction proposée par nos collègues sénateurs ne vise pas à rétablir le délit de séjour irrégulier, tel qu’il a été supprimé par la loi du 31 décembre 2012. Le dispositif est en tout point conforme à la jurisprudence de la CJUE et à son interprétation de la directive de 2008. Nous sommes convaincus qu’une personne restant sur notre territoire à l’expiration de son visa commet une infraction et mérite d’être sanctionnée par une peine d’amende, conformément à nos engagements conventionnels.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er L est supprimé et les autres amendements tombent.

Article 1er M (nouveau) (Art. L. 823-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Aggravation de l’amende encourue en cas de mariage de complaisance ou de reconnaissance frauduleuse de paternité

Amendements de suppression CL1158 de M. Davy Rimane, CL644 de Mme Élisa Martin et CL871 de M. Boris Vallaud

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). L’article 1er M durcit les sanctions applicables aux reconnaissances frauduleuses de paternité en fixant notamment à 75 000 euros le montant de l’amende encourue par l’auteur. Nous voulons la suppression de cet article d’affichage qui vise à stigmatiser les personnes étrangères et s’inscrit dans un mouvement inquiétant de pénalisation croissante des étrangers.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’affaire de la paternité frauduleuse cumule tous les fantasmes. Il faut arrêter de traiter le sujet des migrations sous l’angle le plus mesquin, en tirant une règle générale de ce qui n’est qu’une exception. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.

M. Boris Vallaud (SOC). Loi bavarde et dispositif inutile.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Martin, vous n’avez aucune considération pour nos compatriotes mahorais. Il faut vraiment n’avoir jamais mis les pieds à Mayotte, il faut vraiment n’avoir jamais eu à gérer une quelconque crise migratoire pour ne pas mesurer à quel point ce dispositif est important. Abritée derrière vos certitudes, vous observez les Mahorais de loin, la main sur le cœur, sans jamais partager leurs difficultés.

Plus de la moitié des reconduites aux frontières de la France se déroulent sur l’île de Mayotte : ce n’est donc pas un petit sujet. Pour être régularisé à Mayotte, il faut que l’un des deux parents soit français ou bien étranger en situation régulière depuis au moins trois mois avant la naissance de l’enfant. Cela fait naître évidemment de très nombreuses fraudes documentaires et des fraudes à la reconnaissance de paternité – des milliers chaque année ! Madame Martin, vous parlez d’un sujet que vous ne connaissez pas, avec beaucoup de mépris pour les Mahorais, donc pour des Français. La police judiciaire de la République a procédé à cinquante interpellations dans la dernière affaire de fraude à la paternité, avec des pères qui ont reconnu jusqu’à 120 enfants dans les cinq années qui ont précédé. Vous pouvez toujours vous moquer ; c’est la vérité des faits. Vous devriez abandonner vos certitudes : un peu moins d’idéologie, un peu plus de pratique !

Si l’on veut empêcher l’immigration irrégulière, il faut continuer à lutter contre ceux, Français ou étrangers en situation régulière, qui établissent de faux certificats de paternité. Je souscris donc pleinement à cette disposition, qui n’a rien de risible. Elle est extrêmement importante dans tout le territoire de la République, singulièrement à Mayotte. Nos compatriotes mahorais ont besoin qu’on les aide : je refuse de les voir moquer alors qu’ils vivent dans des conditions très difficiles sur cette magnifique terre française.

M. Fabien Di Filippo (LR). Il est quand même incroyable que l’idéologie de l’extrême gauche l’amène à traiter avec dérision des faits avérés et des statistiques officielles. Dans votre monde, il n’existe pas de mariage blanc, pas de reconnaissance frauduleuse de paternité. Vous n’imaginez pas à quel point vous aggravez la situation en agissant ainsi, alors que nos capacités d’intégration sont saturées. Rétablir des règles justes et fermes permet de favoriser l’intégration de ceux qui respectent pleinement les règles de la République. En vous inscrivant dans une logique anarchiste, qui vise à balayer toutes les règles et à supprimer toutes les frontières, c’est contre les immigrés eux-mêmes que vous jouez.

M. Boris Vallaud (SOC). J’aimerais qu’il nous soit précisé en quoi le fait d’augmenter l’amende de 15 000 à 75 000 euros produirait un effet. En l’absence d’étude d’impact, sur quels éléments vous fondez-vous pour affirmer que cela permettrait de prévenir ces délits de façon drastique ?

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cette loi est fondée non pas sur une volonté d’organiser les migrations et l’accueil des exilés mais sur une logique xénophobe, qui assimile l’étranger au délinquant. Tout votre texte est axé sur des faits qui, certes, ont une réalité mais qui ne sont que des situations particulières. Parlons de la crise de l’accueil dans le pays : cela aurait plus de sens. Parlons également de l’inefficacité du dispositif : ce n’est pas en augmentant le montant des amendes que vous réduirez le nombre de délits. Tout cela n’est que de la xénophobie et de la démagogie.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Il faut arrêter de croire à l’immaculée conception : pour faire des enfants, il faut être deux – il y a donc nécessairement un papa quelque part. Quand des Comoriennes enceintes arrivent à Mayotte par bateau, on imagine mal qu’elles aient fait un aller-retour pour trouver un papa à Mayotte, puis repartir aux Comores avant de revenir accoucher. C’est donc un faux papa qui est à Mayotte, et il touche en moyenne entre 3 000 et 5 000 euros. La reconnaissance de paternité frauduleuse ouvrant des droits, des enfants et des femmes arrivent à Mayotte avec un certificat de mariage dont on sait qu’il est faux, pour exiger la propriété, les terres et la succession de celui qui a fait son deal en douce. On voit alors apparaître dix ou vingt héritiers, qui ont tous payé 2 000 ou 3 000 euros : voilà la réalité.

M. Ludovic Mendes (RE). Il y a une vraie incompréhension. L’objectif de ce texte est de limiter les filières exploitées par les passeurs, afin de lutter contre la traite humaine. Vous devriez nous soutenir sur ces sujets. Vous affirmez que cela ne concerne qu’une minorité de personnes – et alors ? Faisons en sorte que cette minorité ne puisse plus agir. Il s’agit de protéger des êtres humains, non seulement des enfants mais aussi des femmes. Quand on est féministe, on défend ce genre de combat ; or ce n’est pas le cas. Vous mélangez tous les sujets : il n’y a pas de xénophobie ni de racisme, mais simplement la volonté de lutter contre les dérives de certaines lois sur l’asile et sur l’immigration, afin de mieux accueillir, mieux protéger et mieux intégrer les Français. Nous sommes ouverts à la discussion avec vous sur ce sujet.

Mme Edwige Diaz (RN). Nos collègues de la NUPES et une partie de la majorité veulent supprimer l’augmentation des sanctions dans le cadre d’une reconnaissance frauduleuse de paternité. Les arguments invoqués par la NUPES sont tout à fait lunaires. Selon eux, les contrevenants sont dans une grande précarité, donc ils ne pourront pas payer : c’est la fatalité. Puis ils nous disent que s’ils en sont arrivés là, c’est parce qu’ils sont en détresse psychologique : c’est une excuse qui n’est pas recevable. On ne peut pas légitimer la fraude. Avec ces amendements, vous ne dissuadez pas la commission d’infractions. Pire, vous l’encouragez : c’est irresponsable et c’est abject parce que vous soutenez qu’on se serve d’un enfant pour obtenir un titre de séjour. On peut apparenter cela à un trafic d’êtres humains. En matière d’humanisme, nos collègues de la NUPES repasseront !

M. le président Sacha Houlié. Aucun collègue de la majorité n’a soutenu la suppression de ce dispositif, madame Diaz.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ajoute que c’est à un amendement du groupe RDPI au Sénat, c’est-à-dire Renaissance, que l’on doit cet article. Ne dites donc pas n’importe quoi. Si la NUPES veut supprimer cet article, la majorité veut l’adopter.

Pour donner quelques chiffres, 20 % des fraudes reconnues par les tribunaux sont liées à des fraudes à la paternité en France, ce chiffre montant même à 60 % à Mayotte. Trois quarts des décisions de refus de séjour prises par les préfets sont motivés par la fraude confirmée par les tribunaux. Quand le préfet refuse un titre de séjour, il le fait essentiellement en raison de documents frauduleux, dont on sait qu’un cinquième concerne la reconnaissance de paternité.

Le problème, c’est que moins de 15 % des dossiers entraînent une sanction d’emprisonnement. L’article L. 823-11 du Ceseda, qui punit ce délit de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, est peu efficace puisque seules les peines d’amende sont prononcées.

Nous proposons donc d’augmenter le montant de l’amende afin de casser le modèle économique de la fraude à la paternité. Si de tels délits continuent à se développer à Mayotte alors que l’amende est de 15 000 euros, cela prouve que le jeu en vaut la chandelle. Fixer l’amende à 75 000 euros – nous ne souhaitons pas alourdir la peine de prison puisqu’elle n’est pas appliquée – nous semble de nature à contrarier fortement cette activité économique, qui constitue la première source d’immigration irrégulière à Mayotte. Il est donc très important d’adopter cette disposition.

Contrairement à ce que l’on peut entendre, ce texte vise à lutter contre l’écosystème irrégulier, c’est-à-dire le patron voyou, le dévoiement du régime d’autoentrepreneur, le marchand de sommeil, le passeur qui extorque de l’argent, la vente de faux documents. Cela ne concerne pas qu’un seul cas : je suis prêt à fournir en séance toutes les informations dont je dispose au ministère de l’intérieur. Il y a des pères qui reconnaissent des centaines d’enfants par an sur l’île de Mayotte. Cela ne méritait donc ni vos rires, ni vos insultes, madame Martin. Vous ne connaissez manifestement pas le sujet et je suis très heureux que cette conversation ait permis de mettre au jour votre idéologie.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 1er M non modifié.

Article 1er N (nouveau) (art. L. 300-1 du code de la construction et de l’habitation, L. 512-2 du code de la sécurité sociale, L. 232-1 et L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles) : Instauration d’une condition de résidence de cinq ans pour le versement de certaines prestations non contributives

Amendements de suppression CL1656 de M. Florent Boudié, CL1612 de M. Sacha Houlié, CL646 de Mme Danièle Obono, CL872 de M. Boris Vallaud, CL1159 de Mme Elsa Faucillon, CL1251 de Mme Clara Chassaniol, CL1296 de M. Erwan Balanant et CL1313 de M. Jean-Claude Raux

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet article prive de la quasi-totalité des prestations sociales non contributives les étrangers en situation régulière en introduisant une obligation de résidence de cinq ans en France pour en bénéficier.

Qu’il y ait un délai de carence avant que des étrangers puissent bénéficier de certaines prestations sociales non contributives n’est pas une hérésie en soi. Le gouvernement de Michel Rocard, lorsqu’il a créé le revenu minimum d’insertion (RMI), l’a réservé aux personnes résidant sur le territoire français depuis au moins trois ans et ce délai a été porté à cinq ans pour le RSA. Pour toucher la prestation de compensation du handicap (PCH), il faut résider en France depuis trois mois et, pour bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), résider en France au moins neuf mois par an.

Toutefois, ce que propose le Sénat n’est pas équilibré puisque cela revient à supprimer totalement les allocations familiales, l’aide personnalisée au logement (APL), le droit au logement opposable, la PCH et l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Ce dispositif introduirait des trappes à pauvreté et à précarité et multiplierait les obstacles sur le parcours d’intégration.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Cet article conditionne l’ouverture des droits à certaines prestations sociales à cinq années de résidence stable et régulière en France. C’est un nouveau supplice que les sénateurs du groupe LR souhaitent infliger aux étrangers. Cette disposition va les plonger dans la plus grande précarité, en les privant de tout moyen de subsistance, y compris les personnes en situation de handicap.

Par ailleurs, les familles en situation régulière devront cotiser pour des prestations sociales auxquelles elles n’auront pas droit pendant cinq ans. Les prestations visées sont celles à destination des enfants et des personnes porteuses de handicap et celles destinées à lutter contre le mal-logement. Le maintien de cet article serait indigne et honteux et aurait des conséquences dramatiques, notamment pour les enfants et les mères isolées.

M. Arthur Delaporte (SOC). Cette disposition est l’une des plus indignes de ce projet de loi ; espérons que la majorité va recouvrer la raison et voter sa suppression. Demander à des gens qui ont cotisé d’attendre cinq ans avant de toucher des aides sociales est absurde et discriminatoire. Certaines personnes, notamment au Rassemblement national, veulent conditionner l’ensemble des aides sociales à la nationalité, mais il y a certaines aides auxquelles on a droit parce qu’on paie des impôts : or c’est ce que font les personnes étrangères présentes sur notre territoire.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Conditionner le versement de prestations sociales à cinq ans de résidence sur le territoire national va à coup sûr accroître la pauvreté, qui touche déjà énormément de personnes, dont certaines glissent même vers la grande pauvreté. Les associations sont submergées, les gens ne mangent pas à leur faim, les enfants sont particulièrement touchés. Cet article repose sur la théorie fumante et abjecte de l’appel d’air ou du shopping social, qui est sans fondement. Il ne ferait qu’aggraver une situation déjà très préoccupante ; il faut absolument le supprimer.

Mme Clara Chassaniol (RE). Cet article est discriminatoire puisqu’il conditionne l’accès aux prestations sociales à l’origine et au statut administratif des gens. Il risque de plonger dans la précarité des étrangers en situation régulière et des personnes vulnérables, puisque les prestations concernent les enfants, les personnes en situation de handicap, les familles monoparentales qui travaillent et les gens qui ont du mal à payer leur loyer. Cet article risque de multiplier les sans-abri, ce qui est inacceptable.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Cette disposition introduite par le Sénat ne correspond absolument pas aux objectifs et aux priorités du projet de loi. Nous voulons un texte équilibré, par un texte qui crée de la précarité et des difficultés.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). Fragiliser encore, paupériser toujours : que ce soit pour le logement, les prestations familiales ou même les aides aux personnes en situation de handicap, certains parlementaires n’ont pas honte d’introduire des conditions qui excluent des gens en raison de leurs origines. Conditionner l’accès à ces prestations à cinq ans de résidence sur notre territoire, c’est une façon d’appauvrir les gens et c’est indécent.

On ne parle pas, cette fois, d’une baisse de 5 euros par mois de l’APL, mais de sa disparition pure et simple pour de nombreuses personnes, dont les étudiantes et les étudiants. C’est une mesure injuste et inhumaine pour les étrangers extracommunautaires ; c’est une mesure contraire à l’égalité de traitement entre toutes et tous ; c’est une mesure brutale et xénophobe. Ne laissons pas passer le programme de l’extrême droite.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je suis évidemment favorable à ces amendements de suppression.

Mme Annie Genevard (LR). Monsieur le rapporteur général, il n’y a pas d’un côté le camp du bien et de l’autre celui du mal. Nous nous sommes rendus au Danemark pour voir comment les Danois découragent l’immigration irrégulière et le détournement du droit d’asile. Nous avons constaté qu’ils sont attachés à deux choses : l’unité culturelle de leur population et le système de solidarité. Or le gouvernement danois est social-démocrate : il n’est pas de droite.

Je rappellerai par ailleurs à nos collègues qu’une prestation non contributive n’est pas liée à une cotisation. Il ne me paraît pas choquant qu’un étranger attende cinq ans avant de bénéficier de la solidarité nationale.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Je devais, au nom du groupe Renaissance, déposer un amendement de suppression de cet article, mais je l’ai déposé au mauvais endroit. Nous voterons les amendements de suppression de nos collègues car cet article, en privant les étrangers de prestations sociales d’une manière disproportionnée et injuste, va les plonger dans la plus grande pauvreté.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Cet article met bien en lumière la dimension raciste de ce projet de loi, puisqu’il fait une différence entre les étrangers européens et les étrangers non européens, autrement dit entre les blancs et ceux qui viennent de l’autre côté de la Méditerranée et qui sont un peu plus bronzés. Ce texte est raciste et inscrit dans la loi l’inégalité, alors que le deuxième terme de notre devise républicaine est l’égalité.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Elle vaut pour les citoyens !

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Notre collègue du Rassemblement national vient de dire que la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » ne s’appliquait qu’aux citoyens français. Non, madame, les valeurs de la République s’appliquent sur le territoire national de façon indistincte, et elles sont belles ! Quand on se proclame universaliste, encore faut-il avoir le souci de l’universel. Je suis effaré de cet acharnement obscène contre les étrangers. Vous voulez, de la manière la plus mesquine qui soit, leur retirer des aides pourtant essentielles – y compris pour leur intégration, qui vous importe tant. Qu’est-ce qui justifie cet acharnement, sinon le racisme d’atmosphère qui a envahi notre débat ?

M. Jordan Guitton (RN). Il n’y a aucune raison d’accorder à des personnes qui viennent d’arriver sur notre sol des minima sociaux, des aides au logement et des allocations familiales qui, selon l’OCDE, représenteraient 20 milliards par an. Le Rassemblement national est favorable à cet article et souhaite même aller plus loin : selon nous, il ne faudrait pas seulement vivre en France depuis cinq ans, mais y travailler, pour bénéficier des minima sociaux, des aides au logement et des allocations familiales, car ce que nous voulons, c’est une immigration de travail et sélective. L’argent des Français doit d’abord aider nos compatriotes – c’est la priorité nationale – et ensuite, peut-être, des étrangers qui travaillent légalement en France depuis au moins cinq ans.

M. Arthur Delaporte (SOC). Monsieur le ministre, lors de l’examen du texte au Sénat, vous vous en êtes remis, sur cet article, à la sagesse des sénateurs. De mon point de vue, vous auriez dû vous y montrer hostile, car il contrevient à notre droit. Votre position m’a stupéfié. Nos collègues du groupe Les Républicains doivent, en théorie, respecter les valeurs de la République : je leur rappelle donc que le Conseil d’État a estimé que ces délais étaient disproportionnés et placeraient les personnes concernées dans une situation de misère terrible.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Genevard, je n’ai pas prétendu que vous apparteniez au camp du mal et moi au camp du bien. Ce n’est pas de cette façon que je conçois la politique. J’ai même rappelé que c’est un gouvernement socialiste qui a introduit un délai de carence de trois ans au moment de la création du RMI. Ce qui me gêne, dans cet article, c’est le caractère général et absolu de la position du Sénat qui, en portant ce délai à cinq ans pour toutes les aides, traduit une volonté de précarisation des parcours d’intégration qui me paraît grave.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je trouve les députés socialistes bien durs avec François Hollande. Je rappelle en effet que c’est le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 qui a conditionné le versement des prestations de sécurité sociale à une résidence stable et régulière et qui a inscrit dans la loi des mesures qui étaient auparavant du domaine réglementaire, notamment la nécessité de résider six mois par an en France pour bénéficier des allocations familiales et d’y vivre depuis cinq ans pour toucher le RSA. Manifestement, quand on est dans l’opposition, on est humaniste, et quand on est dans la majorité, on est pragmatique...

Si Bernard Cazeneuve, Manuel Valls, Jean-Marc Ayrault et vous-mêmes, lorsque vous étiez dans la majorité, avez estimé qu’il fallait attendre cinq ans avant de verser le RSA à des étrangers non communautaires et trois ans à des étrangers communautaires – une façon de rappeler à Mme Taurinya que cette distinction existait déjà à l’époque –, c’est que vous l’avez jugé utile. C’est vous aussi qui avez décidé que ce délai serait de dix ans à Mayotte : c’est bien que vous avez pensé que ce serait utile pour la République et je ne vous fais pas de procès en inhumanité. De même, pour bénéficier des APL, il faut résider au moins huit mois par an sur le territoire national et y résider depuis dix ans pour toucher l’Aspa. La distinction qui est faite entre les Français, les Européens et les étrangers extra-européens n’est pas scandaleuse en soi, comme l’a rappelé le rapporteur général.

L’article du Sénat me semble toutefois poser trois problèmes. Premièrement, il s’agit d’un cavalier législatif ; il traite des prestations sociales, alors que ce projet de loi vise à réécrire le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. C’est déjà assez compliqué comme cela. Deuxièmement, les délais introduits par les sénateurs sont incohérents et nous avons essayé de le leur dire : faire passer de six mois à dix ans la durée minimale de résidence en France pour bénéficier de certaines prestations n’a pas de sens. Troisièmement, il importe évidemment de faire une différence entre les prestations contributives et les prestations non contributives.

D’une manière générale, nous privilégions toujours le travail aux prestations sociales. C’est pourquoi j’invite les membres du groupe Les Républicains à voter le rétablissement de l’article 4, qui doit permettre aux demandeurs d’asile de vivre des revenus de leur travail, plutôt que de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA). On ne peut pas à la fois réduire les prestations sociales pour pousser les gens à travailler et leur refuser de travailler quand ils pourraient le faire. Il faudra faire preuve de cohérence de ce point de vue et je regrette que le Sénat en ait manqué.

En résumé, il n’est pas choquant que les conditions d’accès aux prestations sociales varient selon que l’on est Français, étranger communautaire ou extracommunautaire. C’est tellement vrai que c’est la position qu’ont défendue les gouvernements successifs, y compris les gouvernements socialistes que vous avez soutenus. Il importe par ailleurs de distinguer entre les allocations contributives et celles qui ne le sont pas. Enfin, cette disposition n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact et, si le législateur estime qu’il faut revoir les conditions d’attribution des prestations sociales aux étrangers, cela devra se faire dans un autre texte.

M. le président Sacha Houlié. Le vote sur les amendements de suppression aura lieu par scrutin en application de l’article 44, alinéa 2 du Règlement. Je constate que les députés demandeurs sont effectivement présents, je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Clara Chassaniol, M. Jean-François Coulomme, Mme Christine Decodts, Mme Elsa Faucillon, M. Emmanuel Fernandes, M. Guillaume Gouffier-Valente, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, Mme Marie Lebec, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, Mme Élisa Martin, M. Ludovic Mendes, Mme Naïma Moutchou, M. Emmanuel Pellerin, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, Mme Sandrine Rousseau, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, M. Boris Vallaud et M. Guillaume Vuilletet.

Votent contre :

M. Romain Baubry, Mme Pascale Bordes, Mme Edwige Diaz, Mme Annie Genevard, M. Yoann Gillet, M. Jordan Guitton, M. Timothée Houssin, Mme Marie-France Lorho, Mme Emmanuelle Ménard, M. Éric Pauget, M. Stéphane Rambaud, Mme Béatrice Roullaud et M. Philippe Schreck.

S’abstient :

M. Christophe Naegelen.

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 48

Pour l’adoption des amendements : 34

Contre l’adoption des amendements : 13

Abstention : 1

La commission adopte donc les amendements.

En conséquence, l’article 1er N est supprimé et les autres amendements tombent.

Titre Ier
Assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue

Chapitre Ier
Mieux intégrer par la langue

Avant l’article 1er

Amendement CL190 de Mme Julie Lechanteux

Mme Julie Lechanteux (RN). Nous proposons, dans l’intitulé du titre Ier, de remplacer le mot « intégration » par le mot « assimilation ».

La notion d’intégration est trop limitée et insuffisante pour décrire le processus d’entrée dans la communauté nationale. Le groupe Rassemblement national propose d’utiliser à la place le terme « assimilation », car il implique une adhésion totale aux valeurs fondamentales de notre pays et à sa culture.

Le mot « intégration » suggère une incorporation partielle à la communauté nationale, sans nécessairement viser une homogénéité culturelle. L’assimilation, au contraire, implique un engagement réciproque entre l’individu et la communauté nationale. Elle va au-delà de l’incorporation partielle et nécessite une adhésion complète aux valeurs qui fondent notre identité nationale. La cohésion de notre société exige le partage de valeurs communes. En optant pour le terme « assimilation », nous affirmons clairement notre volonté de promouvoir une société unie autour de fondements culturels et de valeurs partagées.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’assimilation consiste à gommer toutes les différences, à considérer qu’une prétendue culture française originelle est supérieure et que tous doivent s’y rallier. Cela n’a aucun sens et ne correspond pas à l’histoire de la France. Le peuple français s’est constitué par créolisation : chaque arrivant a apporté sa pierre à l’édifice et contribué à modifier un peu la culture française. Nous sommes convaincus que c’est cette créolisation qui fait du peuple français un grand peuple.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). L’assimilation n’a rien à voir avec l’intégration. L’assimilation, c’est l’effacement de l’autre et le remplacement de son histoire et de sa culture par une autre histoire et une autre culture. Ce que vous faites est très grave : on ne peut pas parler d’assimilation aujourd’hui quand on connaît l’histoire de France. Je suis issu d’un territoire d’outre-mer ; nous avons subi l’assimilation. Vous ne pouvez pas demander à inscrire cette notion dans ce texte : ce que vous faites est ignoble et vous ne mesurez pas l’impact de vos propos, notamment sur tous les peuples qui ne sont pas dans l’Hexagone.

Mme Julie Lechanteux (RN). Je vous invite tout simplement à consulter le dictionnaire. Vos mensonges sont honteux.

La commission rejette l’amendement.

Article 1er (art. L. 6321-1, L. 6321-3 [nouveau] et L. 6323-17 du code du travail) : Conditionner la première délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d’un niveau minimal de français

Amendements de suppression CL244 de Mme Cyrielle Chatelain, CL279 de M. Benjamin Lucas, CL873 de M. Boris Vallaud et CL1160 de Mme Elsa Faucillon

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous refusons de conditionner la première délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle à la réussite d’un examen de français.

D’une part, le fait de devoir réussir un examen ne permet pas d’apprendre mieux. C’est avec un accompagnement et des formations linguistiques de qualité que les étrangers allophones s’approprieront pleinement la langue française.

D’autre part, nous partons du postulat maintes fois vérifié que les étrangers mettent déjà tout en œuvre pour apprendre le français. Personne ne souhaite ne pas être compris lorsqu’il va au supermarché ou qu’il achète un titre de transport.

M. Boris Vallaud (SOC). Pour revenir sur le débat entre assimilation et intégration, il me semble que la relation entre le particulier et l’universel est l’impensé de l’extrême droite. Et nous serons toujours du côté d’Aimé Césaire, plutôt que du côté de Jean-Marie Le Pen.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous sommes convaincus que la connaissance du français est indispensable pour s’intégrer. De nombreuses personnes venues de l’étranger souhaitent pouvoir continuer à apprendre le français tout au long de leur parcours, car les cours qui sont dispensés au départ, dans le cadre du contrat d’intégration républicaine, ne suffisent pas pour maîtriser la langue française. Il faudrait d’ailleurs donner davantage de moyens aux associations et aux centres sociaux qui proposent des cours, car la demande est énorme. Dans un centre social près de chez moi, 300 personnes sont sur liste d’attente. Les étrangers ont envie d’apprendre notre langue et il faut les y aider en y mettant les moyens, mais conditionner la délivrance d’une carte de séjour à la réussite à un examen n’a aucun sens.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je rappelle que c’est durant le quinquennat de François Hollande, en 2016, que le Gouvernement a considéré qu’il fallait faire de l’apprentissage du français l’une des conditions de l’intégration dans notre pays. Les mêmes qui, aujourd’hui, reprochent à la majorité de vouloir renforcer le parcours d’intégration par la langue, ont voté en 2016, quand ils étaient députés, la même disposition dans le contrat d’intégration républicaine. La différence, c’est que nous voulons passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultat.

J’appelle votre attention sur un point : la disposition introduite à l’article 1er, qui comporte cette obligation de résultat, concerne la délivrance des cartes de séjour pluriannuelles. Avant cela, les étrangers auront bénéficié de cours de français dans le cadre du contrat d’intégration républicaine, où il y a une obligation de moyens. Le Sénat propose d’ailleurs de renforcer la formation civique, en insistant sur l’histoire et la culture françaises et un amendement du groupe Renaissance proposera d’aller plus loin en faisant explicitement référence aux valeurs de la République. La volonté de faire de la langue le ciment de notre communauté devrait tous nous réunir et je ne comprends pas votre position. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je me réjouis que l’on arrive enfin au premier article du texte proposé par le Gouvernement. Ce n’est pas pour rien que l’article 1er du projet de loi concerne la langue : connaître la langue du pays qui vous accueille, c’est la condition pour pouvoir y vivre, y travaille et s’y intégrer.

Cet article est très important car il va révolutionner le droit, tout en réalisant ce que d’autres gouvernements ont essayé de faire par le passé. Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur général, de rappeler la loi Cazeneuve de 2016, dont l’article 1er faisait déjà de la connaissance du français une exigence. Il fixait deux objectifs : la validation du niveau A1 au bout d’un an de résidence et du niveau A2 au terme des cinq années suivant l’arrivée en France. Toutefois, la loi ne prévoyait pas de moyens pour vérifier si ces objectifs étaient atteints.

Ce que prévoit cet article, c’est de conditionner la délivrance d’un titre de séjour pluriannuel à la réussite d’un examen de français. Le Conseil d’État, qui a validé cet article, a aussi rappelé que la définition du niveau de langue exigé relève du pouvoir réglementaire. Aujourd’hui, un tiers des étrangers qui sont en situation régulière sur le territoire national parlent très mal le français. Cela accroît le communautarisme, l’exclusion et le chômage.

Je précise que les étudiants ne sont pas concernés par cette mesure, pas plus que les saisonniers, qui viennent travailler en France pour quelques mois. Elle concerne les personnes qui souhaitent demeurer en France plusieurs années de suite, c’est-à-dire les 70 000 personnes qui arrivent chaque année et les 400 000 étrangers en situation régulière qui sont actuellement en France. Lorsqu’ils auront à renouveler leur titre pluriannuel, ils devront passer cet examen. D’ici la fin du quinquennat, tous les étrangers en situation régulière ayant un titre pluriannuel auront donc passé cet examen de français.

Mme Faucillon posait la question des moyens. La Lopmi a augmenté de 25 % les crédits destinés à l’intégration, qui représenteront 100 millions sur les quatre dernières années du quinquennat. J’ai par ailleurs accepté au Sénat un amendement de M. Ian Brossat qui, je l’espère, ne sera pas remis en cause à l’Assemblée nationale, prévoyant la gratuité totale des cours pour tous.

Enfin, je souligne que l’article 1er va avec l’article 2, lequel prévoit que les employeurs qui embauchent des étrangers primo-arrivants devront leur laisser, sur leur temps de travail, celui de prendre des cours. Actuellement, les étrangers, qui veulent effectivement apprendre le français, le font en dehors de leurs heures de travail, dans des conditions très difficiles. Le titre Ier est très cohérent : il garantit la gratuité des cours et est exigeant avec les étrangers, mais aussi avec leurs patrons. Quant à l’article 1er, il nous permettra de mieux maîtriser notre immigration et donnera les moyens à ceux qui sont acceptés de s’en sortir ; il fera de l’intégration par la langue une obligation de résultat, et plus seulement de moyens.

M. Fabien Di Filippo (LR). Il est incroyable de voir cet article remis en cause, sous prétexte qu’il stigmatiserait les étrangers. Encore une fois, ceux qui veulent le supprimer ne rendent pas service aux immigrés. Cet article ne concerne pas les demandeurs d’asile, ni les personnes qui demandent un titre de séjour temporaire, mais les personnes qui demandent une carte de séjour pluriannuelle. Si les étrangers veulent s’intégrer et s’ils souhaitent que leurs enfants aient une chance de réussir à l’école, il est essentiel qu’ils maîtrisent la langue française.

Nos collègues de gauche et d’extrême gauche considèrent que le mot « assimilation » est un gros mot et qu’il a une connotation raciste. Il figure pourtant à l’article 21-24 du code civil, qui dispose que « nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française ». Une circulaire du ministère de l’intérieur a par ailleurs précisé que l’assimilation « suppose une adhésion aux règles de fonctionnement et aux valeurs de tolérance, de laïcité, de liberté et d’égalité de la société française ». Si vous trouvez cela raciste, il va être difficile de continuer à débattre.

M. Boris Vallaud (SOC). Nous sommes absolument convaincus que la connaissance du français est un vecteur d’intégration essentiel. Ce dont nous doutons, en revanche, c’est de l’intérêt de cette obligation de résultat. D’après l’étude d’impact, 15 000 à 20 000 étrangers pourraient se voir refuser leur carte de séjour pluriannuelle, faute d’avoir réussi cet examen. La Cimade précise par ailleurs que certains territoires sont totalement dépourvus de centres de formation et que les délais d’attente sont parfois considérables. Le risque, c’est que le niveau de français que vous exigez ne soit pas un vecteur d’intégration, mais un facteur de précarisation des travailleurs étrangers. Nous avons tous étudié notre première langue étrangère de la sixième à la terminale et je ne suis pas certain que nous serions tous capables de réussir un test de niveau A2.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Je ne suis pas sûr que l’État marocain exige de nos compatriotes qui vivent à Marrakech un niveau d’arabe minimal, mais il est vrai qu’on appelle ces gens des expatriés, et non des immigrés.

Il est évident que la langue est un facteur d’inclusion et c’est la raison pour laquelle nous devons mettre des moyens massifs pour que chacune et chacun puisse parler le français et le comprendre. Si cette mesure est stigmatisante et s’il est évident qu’elle vise à faire du tri, c’est parce que personne ne souhaite ne pas être compris là où il vit, travaille et élève ses enfants. Cet article, je le répète, témoigne du racisme d’atmosphère qui caractérise l’ensemble de ce texte.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). J’étais enseignante jusqu’à mon élection et je peux vous dire que ce n’est pas parce que vous allez leur faire passer un examen que les gens maîtriseront mieux le français : c’est absurde. Et c’est tout à fait hypocrite à un moment où le ministre de l’éducation nationale est en train de saccager l’enseignement du français langue étrangère (FLE). Les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), qui ont été territorialisées, sont submergées par les demandes. Si vous voulez vraiment que les étrangers apprennent le français, il faut que vous travailliez avec votre collègue de l’éducation nationale.

M. Christophe Naegelen (LIOT). La connaissance de la langue française est un vecteur d’intégration essentiel et il est important d’introduire une obligation de résultat. Nous croyons profondément à l’intégration et à l’émancipation par le travail. Or, quand des étrangers ne connaissent pas la langue française, ils s’empêchent d’accéder à certains métiers. Pour qu’ils s’intègrent et qu’ils participent à la communauté nationale, il est essentiel qu’ils aient une connaissance, voire une maîtrise de notre langue, sanctionnée par un examen. Cet article est l’un des piliers de ce projet de loi et nous voterons contre ces amendements de suppression.

Mme Pascale Bordes (RN). Je souscris tout à fait aux propos de mon collègue Christophe Naegelen : il est effectivement fondamental que les nouveaux arrivants maîtrisent la langue française. Pour proposer la suppression de cet article, il faut vraiment ne jamais être sorti de sa circonscription... Allez à l’étranger, demandez à séjourner en Colombie-Britannique ou en Ontario et vous verrez le niveau de langue que l’on vous demande. On y exige aussi des connaissances poussées sur la culture et l’histoire du pays. Quand vous maîtrisez la langue, la culture et l’histoire d’un pays, vous pouvez effectivement faire nation avec les personnes qui l’habitent. Exiger un niveau minimal de français ne me semble pas suffisant pour que notre pays fasse nation avec les nouveaux arrivants.

Mme Marie Guévenoux (RE). Le groupe Renaissance votera cet article, dont le ministre a rappelé qu’il est fondamental pour le projet de loi. L’intégration par la langue est essentielle ; la maîtrise de la langue permet d’accomplir des formalités administratives, de faire société et de s’établir à long terme. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, qu’un tiers des étrangers en situation régulière ne maîtrisent pas le français. Cet examen aura une vertu incitative, dès lors que des moyens suffisants seront consacrés à l’enseignement du français. Or vous nous avez rappelé que ce seront 100 millions d’euros sur quatre ans.

M. Gérald Darmanin, ministre. Certains d’entre vous me demandent ce que deviendront les étrangers qui auront raté cet examen. C’est tout simple, ils le repasseront, comme c’est le cas dans d’autres pays. Il ne s’agit pas de les expulser. Si, au bout d’un certain temps, il s’avère que quelqu’un ne suit pas ses cours ou ne passe pas l’examen, la question du renouvellement du titre pourra se poser, mais les gens qui ont un titre de séjour annuel pourront évidemment repasser l’examen.

Du reste, nous ne demandons pas que les étrangers parlent un français parfait. Le niveau A2 n’est pas très élevé ; l’Autriche, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Slovénie, l’Italie, Chypre, la République tchèque, Malte, la Lettonie, la Lituanie, le Portugal et la Croatie, demandent un niveau au moins équivalent. Je rappelle que le gouvernement allemand est dirigé par une coalition verte : je ne pense pas que vous le jugiez inhumain.

J’ai du mal à comprendre les enjeux de ce débat. Vous dites que les étrangers veulent apprendre le français. Or, avec ce texte, on garantit la gratuité des cours et on oblige les employeurs à laisser aux étrangers le temps d’apprendre le français, sur leur temps de travail. Il est vrai qu’il y a des listes d’attente pour apprendre le français dans des associations, mais ce problème sera en grande partie réglé par ce texte. Je suis étonné que cette disposition ne suscite pas l’unanimité.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL876 de M. Hervé Saulignac et CL874 de M. Philippe Brun (discussion commune)

M. Hervé Saulignac (SOC). Nous souhaitons appeler votre attention sur la situation particulière des femmes qui, plus souvent que les hommes, sont victimes d’analphabétisme ou manquent de qualifications. L’amendement CL876 vise à renforcer les mesures d’intégration qui leur sont destinées en facilitant leur accès à l’apprentissage de la langue, à l’information sur les droits, à la formation et à l’emploi.

Quant à l’amendement CL874, il demande la remise au Parlement d’un rapport sur l’intérêt que pourrait présenter une réforme des méthodes d’apprentissage de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Orientée essentiellement sur l’écrit, la formation actuelle n’est pas forcément adaptée dans la mesure où c’est la dimension orale de l’apprentissage qui doit être développée.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne peux évidemment pas donner un avis favorable à l’amendement CL874, amendement de suppression masqué dont l’adoption réécrirait totalement l’article 1er.

S’agissant de l’amendement CL876, je constate des contradictions dans vos propos, cher collègue Saulignac. Lorsque nous avons évoqué l’apprentissage du français destiné aux femmes arrivées dans le cadre du regroupement familial, en soulignant la nécessité de favoriser leur émancipation, vous étiez défavorable aux mesures que nous proposions. J’ajoute qu’il existe déjà, dans le contrat d’intégration républicaine (CIR), des formations visant à souligner le principe d’égalité entre les hommes et les femmes. De ce point de vue, votre amendement est satisfait. Avis défavorable.

M. Ludovic Mendes (RE). Lorsque nous avons eu ce débat hier, cher collègue Saulignac, vous étiez opposé à la formation à la langue française des familles dans la perspective de leur regroupement sur le sol français. Aujourd’hui, vous proposez d’établir une distinction entre les hommes et les femmes, alors que le titre de séjour est bien délivré à chaque personne individuellement et que toutes ont les mêmes droits. L’une de mes grands-mères a passé cinquante ans en France sans pouvoir parler français : seule, elle ne pouvait ni aller chez le médecin ni demander une baguette de pain. Les mesures que nous proposons à l’article 1er visent justement à mieux intégrer les étrangers afin de leur permettre de rester durablement sur notre territoire. Contester l’accompagnement à l’apprentissage de la langue française, c’est aller à l’encontre d’une bonne intégration – ce qui est contraire aux positions que vous défendez depuis le début de l’examen du texte.

M. Hervé Saulignac (SOC). Je ne voudrais pas que l’on travestisse mes propos pour m’accuser de me contredire. Je dis simplement qu’il existe malheureusement une inégalité incontestable entre les hommes et les femmes s’agissant de la maîtrise de la langue et du niveau de qualification, et que notre pays s’honorerait à prendre en considération les difficultés des femmes pour mieux adapter encore les formations qui leur sont proposées.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Alors il vous faut à l’évidence voter l’article 1er ! Nous souhaitons renforcer le niveau de langue française nécessaire pour obtenir un titre de séjour pluriannuel, aux conditions présentées à l’instant par M. le ministre. Je le répète, les formations dispensées dans le cadre du contrat d’intégration républicaine, pour la délivrance des premiers titres, abordent déjà le sujet de l’égalité entre les hommes et les femmes ; votre amendement est donc redondant avec le droit existant.

Quant à l’effort supplémentaire demandé pour la délivrance des titres pluriannuels, qui se traduit par une obligation de résultat, il vise l’émancipation ! Je ne peux qu’être en désaccord avec vous, et je me permets en effet de souligner vos contradictions.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL875 de M. Boris Vallaud

M. Boris Vallaud (SOC). Par cet amendement je demande la remise d’un rapport au Parlement évaluant l’intérêt que pourrait présenter l’accès à la formation professionnelle des primo-arrivants. Nous sommes convaincus, peut-être autant que vous, que l’intégration par le travail est évidemment fondamentale. Or, pour accéder au travail, rien ne vaut l’accès à une formation professionnelle dès que possible.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Vous auriez pu glisser cette demande à l’article 1er A, monsieur Vallaud, car un tel rapport aurait pu enrichir le débat sur les objectifs chiffrés de la politique migratoire. L’adoption de votre amendement supprimerait l’article 1er dans sa version actuelle. J’y suis par conséquent défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission adopte l’amendement CL401 de Mme Natalia Pouzyreff.

Amendement CL659 de M. Thomas Portes

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Notre groupe propose de supprimer l’alinéa 2, ajouté par le Sénat, car il est maximaliste, soupçonneux et superfétatoire.

Il est maximaliste, d’abord, parce qu’il entend imposer des obligations aux seuls parents immigrés. Il est soupçonneux car il postule que les étrangers ne sont pas capables de bien élever leurs enfants dans le respect des lois. Il est superfétatoire, enfin, parce que dispenser une bonne éducation, c’est d’abord aimer ses enfants et s’assurer qu’ils respecteront les lois. Or il n’y a aucune raison de pointer du doigt les familles d’origine étrangère en soupçonnant qu’elles ne seraient pas respectueuses des valeurs et des principes de la République. Chacun est tenu de l’être, en réalité. Le fait est cependant que vous ne l’êtes pas toujours car, en stigmatisant les étrangers, vous contrevenez à un principe élémentaire de l’universalisme républicain.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Considérer qu’il est important que les parents participent à l’éducation de leurs enfants, s’agissant notamment de l’apprentissage des valeurs et des principes de la République, ne relève aucunement de la stigmatisation. Avis défavorable.

M. Yoann Gillet (RN). Je cite l’exposé sommaire de l’amendement de nos collègues de La France insoumise : « Notre groupe entend supprimer la disposition qui impose à l’étranger, en tant que parent, l’engagement à assurer à son enfant une éducation respectueuse des valeurs et des principes de la République, ainsi qu’à l’accompagner dans sa démarche d’intégration, notamment à travers l’acquisition de la langue française. »

J’ai du mal à comprendre, collègues : si vous êtes opposés à ce que les parents assurent à leurs enfants une éducation respectueuse des valeurs et des principes de la République, expliquez-nous ce que vous voulez qu’ils fassent ! Encore une fois, cela donne l’impression que vous voulez lutter contre les valeurs de la République.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je crains que notre collègue ne se fasse moins intelligent qu’il ne l’est. Nous ne souhaitons pas que les parents élèvent mal leurs enfants : nous souhaitons simplement qu’il ne soit pas précisé que les étrangers ont une obligation spécifique de bien élever les leurs. Tous les enfants, qu’ils soient d’origine étrangère ou non, ont le même droit à une bonne éducation. L’alinéa 2 est donc stigmatisant.

Il est également flou d’un point de vue juridique : vous seriez bien en peine de nous expliquer en quoi une éducation ne respecterait pas les valeurs et principes de la République, sinon qu’elle n’enseignerait pas le respect des lois. Les exemples que vous pourriez nous fournir à cet égard tombent déjà sous le coup de la loi.

M. Ian Boucard (LR). M. Saintoul devrait savoir que, lors d’un mariage, l’officier d’état civil donne lecture d’articles du code civil rappelant aux futurs mariés qu’ils devront donner une éducation convenable à leurs enfants. Il n’y a donc rien de discriminatoire à ajouter cette mention dans le présent texte, bien au contraire : il est bon de rappeler que chaque parent doit donner à ses enfants une éducation convenable et conforme aux valeurs de la République. Quant à l’acquisition de la langue française, nous devrions tous être d’accord pour dire qu’elle est un prérequis minimal à l’intégration et à l’assimilation – même si les débats de lundi ont montré que nos collègues ne partageaient pas ce point de vue.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL200 de M. Roger Chudeau

Mme Julie Lechanteux (RN). Le titre Ier du projet de loi vise à « assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue ». Nous proposons de réhabiliter l’exigence d’assimilation, dès lors qu’il s’agit d’accueillir en France des étrangers qui désirent s’y installer durablement ou définitivement. Pendant longtemps a prévalu une tradition d’assimilation des étrangers. Fernand Braudel écrivait ainsi « Assimilation possible, acceptée, c’est bien, je crois, le critère des critères pour l’immigration sans douleur. »

L’accueil des étrangers supposait qu’ils adoptent la culture française. Il convient donc de réaffirmer l’exigence d’assimilation à la culture française comme condition sine qua non pour être admis à résider durablement sur le territoire national.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL802 de Mme Annie Genevard

Mme Annie Genevard (LR). À l’alinéa 2, après les mots : « d’intégration », je propose d’ajouter les mots : « et de réussite scolaire ». Il est question d’éducation et de responsabilité des parents. Les spécialistes que nous avons auditionnés dans le cadre de la mission parlementaire que nous menons actuellement, avec Fabrice Le Vigoureux, attestent l’importance du bain linguistique pour la réussite scolaire des enfants. Songez qu’à leur arrivée à l’école maternelle, certains enfants connaissent 400 mots quand d’autres en connaissent 1 400. C’est la raison pour laquelle cet amendement vise à intégrer l’objectif de réussite scolaire dans la démarche des parents en faveur de l’acquisition de la langue.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je pense, Madame Genevard, que chacun partage votre point de vue. De la même façon, chacun partage l’avis du Sénat quant au rôle des parents dans l’acquisition de la langue française. Je crains cependant que votre amendement, en créant une obligation de réussite scolaire, n’aboutisse à une situation d’insécurité juridique majeure. L’amendement suivant, que Mme la rapporteure du titre Ier défendra d’ici à quelques instants, propose d’ailleurs de supprimer la mention du rôle des parents dans l’acquisition de la langue française. Cette fonction est en effet celle de l’école républicaine. Il me semble important d’être exigeant à l’égard de tout ressortissant étranger – comme à l’égard de tout citoyen français – quant aux respects des principes et valeurs de la République. S’agissant de la réussite scolaire et de l’apprentissage du français, je crains en revanche que nous ne fassions porter une responsabilité trop lourde sur le plan juridique aux parents, quelle que soit leur nationalité. Pour cette raison, je suis défavorable à votre amendement.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Mme Genevard nous explique que, parce que les enfants d’étrangers naissent ou grandissent dans un milieu dans lequel on ne maîtrise pas toujours parfaitement la langue française, il faut leur imposer un objectif de réussite scolaire plus élevé. C’est confondre les moyens et les fins ! Nous savons tous que la richesse du vocabulaire des enfants est liée au bain de langue dans lequel ils évoluent. L’inscription d’un objectif de réussite scolaire dans un texte ne changera rien à cet état de fait. L’amendement inverse totalement les moyens, les faits et les causes. Nous ne pourrons donc pas le voter.

Mme Annie Genevard (LR). L’amendement ne prévoit pas une obligation de réussite scolaire mais un engagement des parents à accompagner leur enfant dans la voie de l’intégration et de la réussite scolaire. Tous les spécialistes de l’éducation expliquent que l’appropriation de la langue est un déterminant fondamental de la réussite. Il ne s’agit pas de stigmatiser, mais d’aider. Vous méconnaissez totalement le sujet, en réalité.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne remets pas en cause l’objectif que vous visez au travers de cet amendement, madame Genevard. Je m’engage à ce que, d’ici à l’examen du texte en séance, nous travaillions sur ce point précis pour trouver une formulation qui ne soit pas source d’insécurité juridique, comme le sont aujourd’hui votre amendement et l’alinéa proposé par le Sénat.

L’amendement est retiré.

Amendement CL1700 de Mme Élodie Jacquier-Laforge

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour le titre Ier. Cet amendement vise à supprimer la mention du rôle des parents étrangers dans l’acquisition de la langue française. C’est en effet l’école de la République qui accueille et accompagne les enfants arrivés sur le territoire afin qu’ils puissent rapidement apprendre le français et poursuivre leur scolarité.

Si je suis favorable à l’alinéa introduit par le Sénat et au principe selon lequel les parents doivent accompagner la scolarité de leurs enfants, je ne souhaite pas les rendre responsables de cet enseignement de la langue française car ce serait source d’insécurité juridique ; aussi je vous propose de supprimer les mots : « à travers notamment l’acquisition de la langue française ».

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Il faut effectivement supprimer ces mots.

J’ai été effaré par les propos de Mme Genevard. Sans doute y a-t-il des parents indignes, mais on n’est pas forcé d’avoir une suspicion particulière à l’égard des étrangers. Il est vrai que tout le monde ne peut pas avoir François Fillon comme père et trouver ainsi facilement un stage de collaborateur parlementaire ! Quoi qu’il en soit, tous les parents ou presque veulent que leurs enfants réussissent et la stigmatisation que vous faites des parents étrangers est particulièrement indigne. Elle contribue au racisme d’atmosphère dont j’essaye de démontrer, depuis tout à l’heure, la prégnance dans ce texte et dans vos propos.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Sur ce sujet important, nous pourrions nous passer des effets de manche et des propos de caniveau qui ne grandissent pas le travail de notre commission. Je vous rejoins, madame la rapporteure : l’apprentissage de la langue française est l’objet de l’école de la République. Néanmoins, si la famille rejette cet apprentissage, l’école seule ne pourra pas faire le travail. Il me semble donc important de conserver les termes « à travers notamment l’acquisition de la langue française ».

M. Boris Vallaud (SOC). Dans les familles dont nous parlons, ce sont bien souvent les enfants qui apprennent aux parents à parler, à lire et à écrire le français. Si le nombre de mots entendus par un enfant est différent selon le niveau social de ses parents et selon leur maîtrise de la langue, c’est à la crèche et à l’école qu’il revient de compenser cet écart – c’est d’ailleurs l’objet de l’expérimentation Parler bambin, née à Lyon et à Grenoble. L’amélioration de l’apprentissage de la langue par les enfants doit faire l’objet d’une politique publique. Le désir ardent de tout parent venant en France est précisément que ses enfants fréquentent l’école de la République et s’intègrent parfaitement.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement CL75 de Mme Emmanuelle Ménard tombe.

Amendement CL1585 de Mme Marie Guévenoux

Mme Marie Guévenoux (RE). Cet amendement vise à renforcer la formation civique dispensée aux personnes arrivant en France, en s’inspirant des mesures que nous avons votées dans la loi confortant le respect des principes de la République. Il prévoit d’expliciter clairement dans le texte ce que sont les valeurs de la République : la liberté, l’égalité – notamment entre les hommes et les femmes –, la fraternité, la laïcité, l’état de droit, les libertés fondamentales. La formation civique devra également inclure une présentation de l’histoire de la France, de ses principales caractéristiques géographiques et de la société française.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Tant pour des raisons d’intelligibilité de la loi que pour le symbole, je suis favorable à cet amendement qui précise dans la loi le contenu de la formation civique tout en laissant la latitude nécessaire au niveau réglementaire.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cet amendement soulève plusieurs difficultés. D’abord, les programmes actuels ne sont pas si mal faits que cela. Certains des enseignements évoqués sont déjà dispensés, notamment dans le domaine de l’histoire et de la géographie. D’autres sujets ne sont pas enseignés – par exemple les démarches d’accès à l’emploi, à la formation, aux services publics ou au logement. Je m’interroge sur la capacité des enseignants – de surcroît trop peu nombreux, puisque vous les faites fuir – à enseigner ces sujets qu’ils ne maîtrisent pas.

M. Boris Vallaud (SOC). Je suis défavorable à cette proposition. Le Conseil supérieur des programmes (CSP), qui jouit de garanties d’indépendance, a été créé pour éviter l’instauration d’une histoire officielle et les récits nationaux fantasmés. La méthode fondée sur l’étude du Tour de la France par deux enfants n’est plus d’actualité. Il existe par ailleurs un enseignement moral et civique, et même si beaucoup de retard a été pris depuis six ans, les enseignants sont théoriquement formés à la pédagogie des valeurs de la République et de la laïcité. Ils cherchent non pas seulement à enseigner ces valeurs comme un catéchisme mais à les partager, en les rattachant à ce que les gens vivent au quotidien. Les précisions qu’il est proposé d’apporter n’ont donc pas leur place dans un texte de loi.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1472 de M. Aurélien Taché

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Cet amendement s’inspire du rapport rédigé par Aurélien Taché en 2018, « 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France ». Il est toujours préférable, en effet, de tenir compte du travail déjà effectué, d’autant que les mesures que le rapport suggère visent une meilleure efficacité de la pédagogie dans l’apprentissage de la langue – objectif que nous partageons, je crois.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je partage votre avis sur l’importance de la formation linguistique et sur le niveau qu’il est nécessaire d’atteindre. Mais plutôt que d’être inscrit dans la loi, le niveau de maîtrise de la langue doit selon moi être précisé par décret.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1701 de Mme Élodie Jacquier-Laforge

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Nous en sommes tous d’accord, l’accès à l’emploi est l’un des facteurs clés de l’intégration pleine et entière des étrangers primo-arrivants. La quatrième journée de la formation civique est d’ailleurs consacrée à l’emploi : sont présentés à cette occasion le fonctionnement du marché du travail, les structures d’accompagnement, les codes de la vie au travail et les outils de la formation professionnelle.

Pour que les étrangers primo-arrivants soient plus rapidement employables, des expérimentations sont en cours sur des parcours de formation à visée professionnelle, notamment dans les filières des métiers en tension. Enfin, les signataires du CIR sont tous titulaires d’un titre les autorisant à travailler et peuvent de droit – je tiens à le rappeler – s’inscrire à Pôle emploi. Près de 15 % d’entre eux arrivent d’ailleurs au titre de l’immigration économique et ont déjà un contrat de travail au moment où ils signent leur contrat d’intégration républicaine.

La disposition visant à conditionner l’accompagnement professionnel des étrangers signataires d’un CIR à leur suivi avec sérieux et assiduité des formations civiques et linguistiques aurait pour conséquence de retarder leur entrée en emploi. C’est pourquoi je vous propose de supprimer l’alinéa 5.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1698 de Mme Élodie Jacquier-Laforge

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer l’obligation de passer l’examen dès la fin de la formation civique, pour des raisons d’organisation. La direction générale des étrangers en France (DGEF) nous a en effet indiqué que l’organisation d’un examen obligatoire clôturant la formation civique poserait des difficultés pratiques et aurait pour conséquence de réduire le temps passé à expliciter les contenus obligatoires de la formation. La réussite à l’examen resterait néanmoins une condition de la délivrance des titres pluriannuels.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CL468 de M. Éric Ciotti et CL420 de M. Frank Giletti tombent.

Amendement CL1699 de Mme Élodie Jacquier-Laforge

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Cet amendement apporte une correction légistique : en l’état de la rédaction, l’attribution de la carte de séjour pluriannuelle n’est possible que si l’étranger a bénéficié de cours de français gratuits dans son département. Il me semble que ce n’était pas l’objectif poursuivi par nos collègues sénateurs.

La commission adopte l’amendement.

Amendements identiques CL1688 de Mme Élodie Jacquier-Laforge et CL1549 de Mme Marie Guévenoux, sous-amendement CL1754 de M. Benjamin Saint-Huile, amendement CL655 de Mme Danièle Obono (discussion commune)

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’amendement CL1688 renvoie à un décret en Conseil d’État la détermination des niveaux de langue exigés, comme c’est déjà le cas pour l’obtention d’une carte de résident et pour la naturalisation, et comme le prévoyait initialement le texte avant son passage au Sénat.

Je souhaite éviter autant que possible l’intrusion du réglementaire dans la loi, qu’il fragilise s’il vient à évoluer ; reste que le renvoi au règlement, plus pertinent en l’espèce, offre également davantage de souplesse et de précision. Peut-être le ministre souhaitera-t-il nous apporter un éclairage.

M. Benjamin Saint-Huile (LIOT). Même si tout ne doit pas figurer dans la loi, nous considérons qu’elle doit fixer certains principes. Pour nous, l’intégration passe d’abord par la capacité à échanger, donc, surtout, par la pratique orale du français. L’oral est d’ailleurs plus utilisé que l’écrit dans les métiers en tension, au sujet desquels nous allons débattre de l’opportunité de régulariser des travailleurs. D’une manière générale, enfin, ce texte nous semble intéressant à la condition qui ne fige pas les choses.

Nous proposons de sous-amender les amendements identiques dans le but de préciser que la capacité des requérants à s’intégrer sera vérifiée sur la base de leur maîtrise orale de la langue. Soyons pragmatiques.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Notre groupe est opposé à la fixation d’un niveau de langue qui conditionnerait l’obtention d’une première carte de résident ou d’une carte pluriannuelle. Si l’on veut réellement favoriser l’apprentissage du français, il faut s’en donner les moyens. Or ce n’est pas ce qui est fait. L’État étant défaillant, l’enseignement du français repose sur le bénévolat et les associations. Faites en sorte, pour commencer, d’améliorer l’apprentissage du français au sein de l’éducation nationale.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je comprends la nécessité de tenir compte de la maîtrise orale de la langue. Le fait d’être analphabète n’empêche pas certains arrivants de maîtriser la langue orale et de bien s’intégrer. Je partage votre préoccupation sur ce sujet, monsieur Saint-Huile. Il me semble néanmoins que cette précision ne doit pas figurer dans le texte de la loi. Je vous invite donc à retirer votre amendement, cher collègue. Peut-être M. le ministre pourrait-il nous indiquer la façon dont il envisage le contenu des cours et les modes d’évaluation.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai proposé de soumettre aux commissions des lois des deux chambres parlementaires les textes réglementaires qui encadreront les exigences en matière de maîtrise du français et de connaissance des valeurs de la République. Il est effectivement préférable de renvoyer ces éléments au niveau réglementaire. En moyenne, les pays européens qui nous entourent ont fixé l’objectif au niveau de langue A2, celui qu’avaient choisi les sénateurs dans leur première version du texte. C’est ce vers quoi nous nous orientons, mais je consulterai évidemment les deux commissions des lois.

J’en viens au sous-amendement de M. Saint-Huile. Je voudrais d’abord souligner que le texte ne doit pas être pensé article par article mais comme un tout cohérent. L’article 2 prévoit notamment la création de ce que je qualifierais de « 1 % intégration », qui entraîne l’obligation pour les employeurs d’accorder du temps à leurs employés pour qu’ils puissent suivre des cours de français. Conformément à ce que vous avez voté dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), les crédits alloués à l’intégration connaîtront une hausse importante de 25 % : ce sont ainsi 100 millions d’euros qui seront consacrés aux cours de français.

Je vous propose, si le texte est adopté par le Parlement, de revenir vers vous rapidement après sa promulgation pour vous soumettre, à titre consultatif, les dispositions réglementaires, comme je l’ai fait pour la Lopmi. Celles-ci tiendront compte des contraintes du ministère de l’intérieur et des partenaires – associations, préfectures et employeurs – ainsi que de la nécessité de moyens supplémentaires le cas échéant, dans le respect de l’esprit du législateur.

Mme Stella Dupont (RE). Je suis favorable au sous-amendement de M. Saint-Huile ; j’ai d’ailleurs déposé moi-même un amendement similaire. Nous nous accordons tous sur l’importance de la maîtrise du français pour s’intégrer. Il convient cependant d’être prudent lorsque l’on conditionne des décisions à un niveau de langue. Certains étrangers n’utilisent pas l’alphabet latin, d’autres sont non-scripteurs ou non-lecteurs dans leur propre langue : le niveau A2 est donc exigeant pour eux. Ils peuvent, tout en ayant un niveau satisfaisant à l’oral, rencontrer des difficultés à l’écrit.

Alors que les examens portent essentiellement sur l’écrit aujourd’hui, il me semble important que nous inscrivions dans la loi que le niveau exigé concerne en priorité la maîtrise orale de la langue.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le niveau A2 est incontestablement exigeant. S’il ne rend pas plus contraignant l’accès au territoire français, cet article rend plus contraignante l’obtention d’un titre pluriannuel – ce qui est cohérent avec les premiers articles du texte et les dispositions relatives au regroupement familial. Les étrangers qui ne réussiront pas l’examen pourront le passer plusieurs fois et se verront délivrer des titres de séjour pour un an ou dix-huit mois.

J’entends ce que vous dites au sujet de l’oralité. Disons-le franchement, néanmoins : en n’exigeant qu’une maîtrise orale de la langue, nous ne donnerions pas toutes leurs chances aux étrangers. Nous savons tous en effet que ceux qui ne lisent pas le français rencontrent de graves difficultés. Certains n’ouvrent plus les courriers administratifs par peur de leur contenu. Or le non-recours aux droits – que vous dénoncez parfois à juste titre – est beaucoup plus important chez les personnes qui ne sont pas capables de décrypter une lettre administrative.

Bien sûr, il est difficile d’apprendre le français. C’est évidemment un effort que personne ne sous-estime ici, mais qui ne me paraît pas insurmontable dans la perspective d’une bonne intégration au territoire national. Ce n’est pas parce que l’examen est difficile que nous ne devons pas exiger des candidats qu’ils le réussissent – la question est celle des moyens que nous leur donnerons pour cela.

J’ai bien compris que les commissaires aux lois souhaitaient insister sur la maîtrise orale de la langue, et je suis sensible à cette demande. Mais l’analphabétisme empêche de réaliser des actes banals de la vie quotidienne, d’accéder à des services publics en mairie ou encore d’accomplir des démarches administratives sur son téléphone portable. Une maîtrise minimale de la lecture et de l’écrire reste incontournable pour une intégration réussie.

Je ne rejette pas le sous-amendement de M. Saint-Huile ; mais, s’il est adopté, il faudra le corriger pour le mettre en cohérence avec ce que nous nous efforçons de faire collectivement. S’il ne l’est pas, je propose que nous le retravaillions, afin de mettre l’accent sur l’oralité, sans toutefois omettre la lecture et l’écriture, et que nous revenions sur le sujet en séance publique.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Je suis, moi aussi, favorable au sous-amendement de mon collègue Saint-Huile. Nous sommes d’accord sur la nécessité, pour bien s’intégrer, d’avoir un certain niveau de langue à l’écrit et à l’oral. Nous sommes d’accord aussi, néanmoins, pour reconnaître que l’oral est beaucoup plus important que l’écrit dans notre vie quotidienne. Il l’est aussi dans les métiers du service. En outre, soyons honnêtes : nous ne pouvons pas demander à un étranger un niveau de français écrit plus élevé que celui que l’on observe parfois dans les échanges par SMS ou sur les réseaux sociaux ! Il me semble donc que l’examen devrait porter davantage sur la maîtrise de la langue orale que sur la maîtrise de l’écrit, qu’il ne faut néanmoins pas négliger.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Cette question de la place de l’oralité dans l’apprentissage du français est très importante. Notre souci est de faire en sorte que des étrangers puissent mieux vivre avec nous et mieux s’intégrer grâce à l’apprentissage du français. Cependant, en nous focalisant sur l’écrit, nous allons mettre de côté des étrangers parfaitement intégrés mais qui échouent chaque année à l’exercice proposé. J’ai en tête l’exemple d’un Turc qui vit en France depuis quarante ans, qui est marié à une femme française, qui a des enfants français, qui manie l’oral parfaitement, qui gère un petit commerce de réparation de machines à coudre et que tout le monde vient voir tant il est adorable. Or cet homme ne peut pas obtenir la nationalité française et en ressent une frustration très importante.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Tout d’abord, je serais curieuse de savoir combien de Français obtiendraient ce niveau A2 que l’on demande à des étrangers. C’est complètement aberrant. Ensuite, pour bien apprendre le français, il faut prendre des cours qui ne peuvent pas être dispensés par n’importe qui : l’enseignement du français langue étrangère (FLE) requiert une formation spéciale. Puisque vous ne cessez de parler de moyens, monsieur le ministre, je vous repose la question : vous êtes-vous rapproché de votre collègue de l’éducation nationale pour faire en sorte que des professeurs qualifiés et spécialisés dans cet enseignement très particulier puissent intervenir dans l’apprentissage du français auprès des étrangers ? L’apprentissage sera voué à l’échec s’il repose sur des gens du milieu associatif qui peuvent être de très bonne volonté mais qui n’ont pas forcément cette spécialisation.

Mme Marie Guévenoux (RE). Christophe Naegelen a raison de dire que l’oral prend le pas sur l’écrit au cours de nos journées : en général, on parle plus que l’on écrit. Il ne faut cependant pas oublier que les étrangers dont il est question, ceux qui vont bénéficier de cartes de séjour pluriannuelles parce qu’ils sont là pour un long séjour, vont aussi se trouver confrontés à l’écrit lorsqu’ils devront remplir des formalités administratives, prendre un abonnement d’électricité, signer un contrat de travail, etc. Il faut donc avoir une certaine exigence en matière d’écrit. On ne demande pas aux gens de passer une thèse en lettres classiques, mais de valider le niveau A2, qui reste atteignable. Pour ma part, je me range au point de vue du ministre qui nous invite à retravailler ce sous-amendement en vue de la séance.

M. Benjamin Saint-Huile (LIOT). Merci, monsieur le ministre, pour vos propos. Nous pouvons discuter de votre idée de vérifier la capacité à écrire le français en fin de parcours, une fois le titre pluriannuel obtenu. Mais je pense que la règle doit être de privilégier l’oral à l’écrit pour l’obtention du titre, sinon de nombreuses personnes ne vont pas franchir l’obstacle. On ne demande pas à un cuistot ou à un ouvrier du bâtiment de maîtriser l’écrit. On a besoin de l’écrit pour s’intégrer de manière définitive, je vous l’accorde, mais l’oral doit primer en début de processus. Et si les détails peuvent être renvoyés au décret, il faudrait que cette précision figure dans la loi.

M. Florent Boudié, rapporteur général. La pratique du français ne présente pas la même difficulté pour tous les étrangers : ceux qui viennent d’un pays francophone comme le Sénégal s’exprimeront facilement à l’oral ; en revanche, il y a fort à parier que les ressortissants de pays tels que la Chine auront de meilleurs résultats à l’écrit. Dans certains cas, l’oralité peut devenir un élément de discrimination. Quoi qu’il en soit, la connaissance de la langue écrite est très importante pour un travailleur qui prétend à une carte de séjour pluriannuelle, ne serait-ce que pour lire les consignes de sécurité. Comme je comprends votre préoccupation de privilégier l’oral, je vous propose de « sous-amender votre sous-amendement » pour faire apparaître ce verbe, même si cela ne résoudra pas le problème que je viens de soulever.

M. Gérald Darmanin, ministre. Si le rapporteur général est d’accord, je propose que l’on prenne ce sous-amendement en l’état, et que l’on apporte des modifications en séance.

Pour bien faire comprendre l’objectif du Gouvernement, j’aimerais cependant revenir sur le sujet. J’entends bien que l’on peut être maçon, serveur ou cuisinier sans savoir écrire, mais nous ne sommes pas en train de faire une loi pour les entrepreneurs en maçonnerie et les restaurateurs – métiers éminemment respectables. Pour ma part, j’essaie de faire avec vous un texte dans l’intérêt général de la République, ce qui ne consiste pas à seulement répondre aux interrogations du patronat, aussi compréhensibles soient-elles. Dans l’intérêt général de la République, nous devons faire en sorte que l’étranger, que nous allons accueillir sur notre sol, puisse vivre sa vie d’homme, qu’il puisse lire l’essentiel de son contrat de travail ou le carnet scolaire de son enfant, comprendre la convocation qu’il reçoit, répondre à un SMS envoyé par un collègue.

On peut se concentrer sur l’oral quand on a une vision utilitariste de l’étranger – je ne vous fais pas ce procès, monsieur Saint-Huile –, mais ce n’est pas notre façon d’envisager le texte. Nous ne devons pas avoir une vision seulement utilitaire, mais penser aussi à la vie de la personne qui va nous rejoindre et deviendra peut-être un citoyen français un jour. Au-delà du motif concret de sa venue, nous devons aussi nous préoccuper de la manière dont il pourra se débrouiller dans la vie de tous les jours.

En attendant de trouver un compromis dans la perspective de la séance, j’émets un avis favorable au sous-amendement.

La commission adopte successivement le sous-amendement et les amendements sous-amendés.

En conséquence, les amendements CL655 à CL1378 tombent, de même que les amendements CL284 à CL620.

Amendement CL990 de Mme Estelle Youssouffa

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Nous voulons que le niveau de compétences linguistiques exigé des candidats souhaitant obtenir une carte de séjour pluriannuelle pour motif familial et professionnel soit aligné sur celui qui est exigé pour les détenteurs de cartes de résident. Nous estimons en effet qu’à Mayotte comme ailleurs dans le pays, c’est mieux de parler français pour travailler et s’intégrer.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. En cohérence avec le vote précédent, je préfère que nous nous en tenions au niveau de français du régime de droit commun pour l’ensemble des cartes de séjour pluriannuelles. À défaut d’un retrait, j’émettrais un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Troisième réunion du mercredi 29 novembre 2023 à 21 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/yIuvDx

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Après l’article 1er

Amendement CL652 de M. Thomas Portes

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous demandons que les formations linguistiques soient adaptées pour répondre aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour le titre Ier. Votre amendement est satisfait dans les faits. L’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) prend en compte les situations individuelles. C’est d’ailleurs pour cela qu’un entretien individualisé, qui évalue globalement la situation de chaque personne, est mené en début de parcours. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Vous ne répondez pas vraiment à ma question. Des enseignants spécialisés sont-ils prévus ? On lit que l’enseignement sera prodigué par des associations, mais toutes n’en disposent pas.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). L’accompagnement individualisé permet d’orienter les personnes qui ont des besoins spécifiques.

M. Philippe Pradal (HOR). Nous partageons votre souhait de pouvoir offrir aux personnes porteuses de handicap l’accès à l’enseignement du français. J’ai une grande confiance dans la capacité d’adaptation. Il faudra accepter d’apprendre à marcher en avançant. Les gens qui dispensent ces formations et les associations sauront très certainement proposer des adaptations.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1469 de M. Aurélien Taché

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’amendement vise à ce que tous les demandeurs d’asile bénéficient équitablement de l’accès à l’apprentissage de la langue française.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Le but de l’article 1er est de renforcer la formation linguistique des étrangers signataires d’un CIR (contrat d’intégration républicaine). Or ne peuvent le signer que les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire, mais pas les personnes ayant seulement déposé une demande d’asile. Il n’est donc pas pertinent que des personnes qui ne peuvent pas signer le CIR bénéficient de l’une de ses composantes. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). En quoi serait-il embêtant que quelqu’un qui demande l’asile commence à apprendre le français ? Au pire, il parlera mieux français ! Peut-être même que cela lui permettra de mieux faire ses démarches. Je ne comprends pas votre sectarisme : vous faites entrer les gens dans des cases pour leur donner l’accès à la langue française qui serait pourtant, à vous écouter, un préalable. On a l’impression qu’à force de dédales administratifs vous faites tout pour que le moins de gens possible remplissent les critères nécessaires, y compris de langue. On va finir par croire que vous êtes xénophobes !

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1470 de M. Aurélien Taché

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). La présentation à la certification en fin de cursus doit être réinstaurée et prise en charge par l’État.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Elle est déjà prise en charge. Je me permets de vous renvoyer à l’avant-dernier alinéa de l’article R. 413-13 du Ceseda (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : « Lorsque l’étranger obtient au test mentionné à l’article R. 413-9 des résultats supérieurs au niveau déterminé par l’arrêté mentionné au même article, ou qu’il est constaté lors de l’évaluation intermédiaire ou au terme de sa formation qu’il a atteint le niveau linguistique visé, il lui est proposé de faire certifier son niveau de français. Les frais de cette certification sont à la charge de l’État. » Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je serais tenté de dire que vous ne manquez pas d’air ! Si je ne dis pas de bêtise, « R. » c’est pour « réglementaire ». Il faut inscrire cette prise en charge au niveau législatif pour éviter qu’un ministre ne décide brusquement de modifier le dispositif. Déjà que le Gouvernement n’applique pas toujours la loi, alors le règlement…

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1302 de Mme Jean-Claude Raux

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’amendement vise à dispenser du contrat d’intégration républicaine les majeurs étrangers ayant effectué une année de scolarité, au lieu des trois années actuelles. Ne pas l’adopter reviendrait à considérer que l’école n’a aucune valeur d’intégration et de transmission.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Bien évidemment que l’école a une valeur d’intégration ! Mais un an d’études suffit rarement à offrir une maîtrise linguistique nécessaire à une intégration complète. Les trois années offrent une perspective plus réaliste. Par ailleurs, trois ans d’études dans un environnement francophone permettent de s’immerger dans notre culture et nos valeurs. Enfin, dans le cadre européen commun de référence pour les langues, atteindre un niveau de compétence linguistique adéquat nécessite généralement plus d’un an d’apprentissage. Avis défavorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Si après une année d’études la personne ne parle pas français, comment font nos élèves en Erasmus ou en année de césure ? Leur année ne servirait à rien ?

Mme Edwige Diaz (RN). L’amendement ne nous paraît pas raisonnable. Son exposé des motifs mentionne la transmission des valeurs. Mais est-ce qu’une année suffit à les assimiler ? On ne peut pas transiger sur les précautions à adopter au regard de l’explosion du nombre d’atteintes à la laïcité. Cette augmentation est constante depuis l’assassinat de Samuel Paty. Rien que pour l’année scolaire 2022-2023, on a atteint un record avec 4 710 atteintes à la laïcité. Pour assurer une meilleure intégration républicaine, ainsi qu’une meilleure familiarisation avec nos codes culturels, et éviter tout séparatisme, il ne faut pas assouplir le dispositif.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Diaz, vous passez en dix-huit secondes à peu près de l’apprentissage du français à l’assassinat de Samuel Paty, ce qui constitue un raccourci mental assez significatif.

La personne n’a pas l’obligation d’apprendre le français pendant trois ans ; si elle l’a acquis avant, tant mieux. Nous parlons bien de l’enseignement secondaire français, alors que vos exemples étaient tirés de l’enseignement supérieur. Pour l’enseignement supérieur, la règle habituelle est d’un an. Cela me semble assez équilibré.

Mme Marietta Karamanli (SOC). J’entends bien ce que vous dites, monsieur le rapporteur général, mais la réalité est complètement différente. Un grand nombre d’étudiants ne peuvent s’inscrire qu’en cours d’année, parce qu’ils n’ont pas leurs papiers.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Karamanli, si vous avez souvent raison, le sujet ici concerne la signature du contrat d’intégration républicaine et pas du tout l’attribution d’un titre de séjour.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette l’amendement CL651 de M. Thomas Portes.

Article 1er bis (nouveau) (Art. L. 433-1-1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Limitation à trois renouvellements consécutifs des cartes de séjour temporaires portant une mention identique

Amendements de suppression CL1689 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL1614 de M. Sacha Houlié, CL44 de M. Benjamin Lucas, CL622 de M. Michel Castellani, CL675 de M. Thomas Portes, CL877 de M. Boris Vallaud, CL1161 de M. Davy Rimane, CL1269 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert, CL1273 de Mme Blandine Brocard et CL1550 de Mme Marie Guévenoux

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’article limite à trois renouvellements consécutifs les cartes de séjour temporaire portant une mention identique, ce qui est fortement attentatoire au droit au séjour. C’est un facteur d’insécurité juridique injuste pour les étrangers, en contradiction avec nos objectifs d’intégration. Il crée artificiellement des barrières supplémentaires à leur intégration, à rebours des intentions du projet de loi. Une telle mesure risque, par ailleurs, d’accroître significativement la charge de travail des préfectures, les étrangers concernés devant engager des procédures alternatives pour maintenir leur statut légal en France.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). On avait entendu dire qu’il s’agissait d’être gentil avec les gentils, méchant avec les méchants. Cet article revient quand même à être méchant avec les gentils et pas réglo avec les réguliers.

M. Michel Castellani (LIOT). Le projet de loi initial durcit déjà suffisamment les critères d’accès à chaque titre.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Aux arguments humanitaires qui ne semblent pas émouvoir grand monde, je vais préférer l’argument utilitariste. Beaucoup parmi vous prétendent défendre les intérêts des petites entreprises – pas du CAC40, encore qu’un camp les défende bien ; mais l’article leur poserait problème. Les vignerons, par exemple, nous disent que des gens veulent venir faire les vendanges mais qu’ils ont du mal à régulariser leur situation.

M. Hervé Saulignac (SOC). Alors que le projet de loi prétend améliorer l’intégration, jusque-là on l’a plutôt dégradée, et cet article porterait quasiment le coup fatal, en introduisant une nouvelle insécurité juridique. Il consisterait à dire à ces étrangers : « On vous soumet à des épreuves supplémentaires et, si vous échouez, vous perdez votre droit au séjour. »

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je rejoins la Défenseure des droits et la rapporteure : cet article aux exigences disproportionnées représenterait une attaque inédite contre le droit au séjour, bien loin de la belle ambition de notre pays de partager nos valeurs et d’intégrer des gens venus d’ailleurs.

Mme Stella Dupont (RE). Cet ajout du Sénat est malheureusement en cohérence avec beaucoup d’autres. Il stigmatise les étrangers présents sur notre territoire.

Mme Blandine Brocard (Dem). Si nous sommes un certain nombre à partager la même volonté d’intégration, il faut qu’elle fonctionne et donc prendre en compte tous les facteurs. Les étrangers en territoire rural, par exemple, doivent faire de nombreux kilomètres pour accéder aux cours de français. Nous devons donner les moyens pour que tous les étrangers y aient accès, où qu’ils se situent.

Mme Marie Guévenoux (RE). En réalité, nous ne comprenons pas très bien la logique de l’article. Un étranger qui disposerait d’un titre de séjour de travail ne pourrait pas le renouveler plus de trois fois et devrait soit demander une carte de séjour pluriannuelle, ce qui n’est pas forcément son choix, soit trouver un autre motif de présence, soit être dans l’irrégularité.

M. Yoann Gillet (RN). Replaçons les choses dans leur contexte ! En 2022, 316 174 premiers titres de séjour ont été accordés à des immigrés extra-européens – un record. Vous caricaturez les choses. En réalité, cette mesure permet de limiter l’installation prolongée des étrangers qui ne remplissent pas les conditions pour bénéficier d’un titre de séjour permanent, ce qui veut bien dire qu’ils n’ont pas vocation à rester sur le territoire national. Vous piétinez la volonté des Français, qui réclament la diminution de l’immigration en France.

Mme Annie Genevard (LR). Vous vous méprenez sur les intentions du Sénat. Dans l’article 1er, nous avons adopté des dispositions visant à permettre aux étrangers de maîtriser la langue française, qui est un facteur majeur d’intégration – point sur lequel, par extraordinaire, nous étions à peu près tous d’accord. Ne pas permettre d’aller au-delà de trois cartes de séjour temporaire a pour but d’encourager l’étranger à obtenir une carte pluriannuelle et, pour ce faire, à maîtriser la langue française, ce qui lui laisse quatre ans. S’il ne remplit pas cette condition, il peut solliciter la délivrance d’une carte de séjour temporaire pour un autre motif.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La rapporteure ne suit malheureusement pas la Défenseure des droits sur la totalité de ses avis… L’octroi des cartes de séjour temporaire serait limité et les critères pour obtenir des cartes pluriannuelles durcis. Notre collègue disait que, si l’on ne peut accéder à une carte pluriannuelle, il n’y a pas de raison d’obtenir une carte temporaire. Mais c’est le raisonnement exactement inverse qu’il faut avoir : c’est parce qu’on ne leur délivre pas de cartes pluriannuelles que les gens sont obligés de faire faire des cartes chaque année. Vous régleriez un grand problème d’engorgement des préfectures en facilitant l’accès à la carte pluriannuelle.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Genevard, notre objectif est d’éloigner celles et ceux qui ne respectent pas nos principes et nos règles et de punir celles et ceux qui exploitent l’immigration à des fins capitalistiques – les marchands de sommeil, les employeurs voyous –, pas de multiplier les situations d’irrégularité pour les personnes en situation régulière. Si l’article entre en vigueur, soit la personne devra repartir dans son pays, alors qu’elle pourrait rester, parce que le motif de son séjour sera le même, soit elle devra basculer dans l’irrégularité. Et nous devrions alors la « récupérer » par le biais de la circulaire Valls ou de l’article 4 bis ?

Monsieur Coulomme, le titre de séjour saisonnier n’est pas concerné par la disposition.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Mme Genevard disait que nous nous méprenions sur ce qu’avait voulu faire le Sénat. La vraie méprise, me semble-t-il, concerne, tant à gauche qu’à droite, le volume des titres concernés par la politique migratoire. Il y a 3,5 millions de titres de séjour mais seulement 380 000 titres de moins d’un an, soit 10 % de l’ensemble. Nous donnons bien des titres pluriannuels, monsieur Saintoul : 350 000, soit un chiffre proche de celui des titres de moins d’un an.

À l’article 1er, nous avons conditionné l’obtention du titre pluriannuel à un examen de français. La question est de savoir si l’on doit refuser des titres de court séjour au-delà d’un certain nombre. Je vous donnerai des chiffres plus précis en séance, mais, à ma connaissance, le taux de titres d’un an renouvelés plus de trois fois ne dépasse pas 20 % des 10 % du total.

J’entends l’argument du Sénat, mais je ne pense pas qu’il faille inscrire sa proposition dans la loi. Dans la mesure où le mécanisme change et que l’obtention du titre pluriannuel dépend de l’examen de français, est-ce que ceux qui ne l’ont pas ont raté l’examen trois fois ou n’ont pas pris de cours ou est-ce parce qu’ils veulent des titres de court séjour et ne pas forcément faire venir leur famille ? Une parenthèse : privilégier le titre pluriannuel, c’est inciter au regroupement familial. Le Sénat a voulu dire que les gens qui veulent rester longtemps sur le territoire national ne doivent pas déroger à l’esprit du législateur en multipliant les titres de court séjour sans passer l’examen de français. Mais on ne va pas refuser par principe des titres de court séjour à des gens qui ne veulent pas s’installer durablement, parce qu’ils ont une mission ou un projet précis.

Soit on récrit l’article, soit je m’engage à prendre au banc une disposition d’instruction pour distinguer les différents cas. Je soutiens donc la suppression de l’article, dont j’avais dit au Sénat que je comprenais l’esprit mais qui me paraissait mal rédigé.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er bis est supprimé et les amendements CL624 de M. Bertrand Pancher et CL306 de Mme Stéphanie Galzy tombent.

Article 1er ter (nouveau) (Art. L. 811-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Légalisation des actes publics et décisions de justice étrangers relatifs à l’état civil

Amendements de suppression CL183 de M. Benjamin Lucas, CL680 de Mme Danièle Obono, CL878 de M. Boris Vallaud, CL1162 de M. Davy Rimane et CL1276 de Mme Mathilde Desjonquères

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Notre groupe s’oppose à l’exclusion de la présomption de validité des actes publics étrangers en cas de non-légalisation desdits actes. Cette mesure va compliquer encore plus les démarches administratives des étrangers et limiter encore plus l’accès au séjour des personnes les plus précaires, comme l’a rappelé la Défenseure des Droits, à l’occasion de son audition par notre commission.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer l’obligation de légalisation des actes publics étrangers relatifs à l’état civil. Comme d’habitude, l’étranger est considéré comme fraudeur a priori. De surcroît, ça n’est pas si simple : il faut des traducteurs habilités. Et s’il y a en plus une exigence de double légalisation, qui contraint à passer par les autorités françaises dans le pays d’origine, cela devient extrêmement compliqué. C’est comme sur la question de la langue : un point plus un point, ça finit par faire une ligne. En additionnant les exigences, on crée les conditions pour que les étrangers ne puissent ni séjourner ni s’installer dans le pays.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Il convient en effet de supprimer l’article 1er ter, introduit par un amendement du Gouvernement lors de l’examen du texte au Sénat, afin de lutter contre la fraude documentaire dans les demandes de regroupement familial. Cette mesure remet en cause une jurisprudence constante, puisque le juge admet toujours la force probante des actes d’état civil étrangers, même lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’une légalisation. Injuste, elle compliquera encore la vie des étrangers dans notre pays.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). J’ajoute que notre droit régit déjà la validité des actes étrangers, notamment dans le code civil. La légalisation n’est pas toujours obligatoire pour les faire valoir ; il s’agit d’une procédure longue de plus de trois mois, qui demande d’engager des frais de traduction. Introduire cette obligation vise uniquement à allonger les délais et à compliquer encore les démarches des étrangers.

Encore une fois, l’avis de la Défenseure des droits nous invite à supprimer cet article.

Mme Blandine Brocard (Dem). Le Sénat a introduit une disposition qui exclut la validité des actes d’état civils étrangers non légalisés.

Dans son avis du 21 juin 2022, le Conseil d’État affirme que même lorsque la légalisation est obligatoire, son absence ne fait pas obstacle à la présentation d’un document aux autorités administratives pour qu’elles prennent en considération les énonciations qu’il contient, en particulier relatives à l’identité et à l’âge.

Cette disposition est donc superfétatoire.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’article 1er ter conditionne l’opposabilité des documents d’état civil à leur légalisation. Cette disposition a été introduite par un amendement du Gouvernement lors de l’examen du texte au Sénat, en séance publique. Je laisse donc le ministre répondre sur le fond.

Le droit prévoit que les actes publics étrangers sont présumés valides, toutefois les administrations sont confrontées à des fraudes à l’état civil. Pour les combattre, l’obligation de légalisation, certes contraignante, apparaît proportionnée et justifiée.

J’émets donc un avis défavorable sur les amendements de suppression, mais je ferai de même sur les amendements visant à renforcer encore le dispositif.

M. Gérald Darmanin. Le Gouvernement a souhaité introduire cette disposition, déjà présente dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Dans son avis consultatif du 3 mai 2023, le Conseil d’État a considéré que « s’il est loisible au législateur de qualifier la valeur probante d’une production devant un juge [ou devant l’autorité préfectorale], il ne peut, à moins de méconnaître les règles de valeur constitutionnelle gouvernant le déroulement du procès équitable, interdire la production de quelque pièce que ce soit devant une autorité juridictionnelle. » Il s’agit donc de limiter le dispositif à l’instruction préfectorale, sans remettre en cause le principe de validité dont disposent par principe les actes d’état civil en droit français, en vertu de l’article 47 du code civil.

On observe de nombreux cas de fraude à l’état civil dans le cadre de procédures de regroupement familial : 5 900 requêtes concernaient des fraudes, sur 12 000 à 14 000 demandes. S’agissant de certains pays, la proportion de faux documents en circulation est énorme, en raison d’un état civil défectueux ou corrompu : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) estime que 90 % des documents en provenance de Guinée sont frauduleux. Cela empêche d’accorder aux documents concernés une présomption de validité. Il faut pouvoir recourir à cet outil pour les documents en provenance d’états civils disparus, dans des pays en guerre, ou corrompus.

La disposition est proportionnée, et suffisamment ferme : il est inutile d’en élargir le champ d’application.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Je m’étonne qu’on veuille supprimer cet article : il ne s’agit que de demander la preuve de l’authenticité des documents. Continuer à fonder des procédures sur des documents en provenance d’États défaillants reviendrait à considérer la défaillance de l’État comme un motif d’asile. Cet article est bienvenu.

M. Yoann Gillet (RN). Les auteurs des amendements de suppression affirment que le dispositif ferait obstacle au séjour des personnes les plus précaires. La légalisation est un instrument de lutte contre la fraude à l’état civil, qui est massive. Les acteurs de terrain la réclament depuis longtemps. Certes, les députés d’extrême gauche sont pro-immigration, mais de là à être pro-fraude…

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). M. le ministre nous explique qu’il faut vérifier les actes de certains pays, parce que leur état civil est moins développé que le nôtre. Il est difficile d’y obtenir des actes, justement parce que l’état civil est défaillant, qu’il manque de personnel, parfois parce que le bureau concerné a brûlé. Dans ce cadre, la légalisation est une mission impossible. Je suis élue de La Réunion : même si le demandeur est de bonne foi, il faut parfois attendre un an pour obtenir un acte délivré par un petit bureau d’état civil au fin fond de Madagascar. Il arrive que les mentions apposées sur le document présenté ne soient pas celles attendues, mais on sait qu’on a affaire à une personne étrangère. Si elle était française, elle produirait son titre d’identité français. On met des bâtons dans les roues à des gens qui n’ont déjà pas les moyens de fournir les documents demandés.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). C’est le bon sens : si on n’est pas étranger, on fournit un document prouvant la nationalité française. Le dispositif est absurde. La faiblesse d’un État, son incapacité à organiser un état civil compétent, est précisément une cause d’exil. On fait porter la responsabilité de cette défaillance aux personnes qui cherchent à faire valoir leurs droits en France. C’est injuste : les ressortissants d’un pays dont l’état civil fonctionne bien n’ont pas de raison de le quitter.

Mme Marie Guévenoux (RE). Les membres du groupe Renaissance voteront contre la suppression de l’article car celui-ci crée un outil utile pour lutter contre les nombreuses fraudes à l’état civil. Le droit confère une présomption de validité aux actes d’état civil, y compris lorsqu’ils émanent d’États notoirement défaillants, comme la Guinée. Mme Karamanli a fait état de la jurisprudence constante du Conseil d’État, mais la mesure est fondée sur la dernière décision de la Cour de cassation.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL124 de M. Éric Pauget

M. Éric Pauget (LR). Cet article va dans le bon sens, étant donné le nombre de fraudes à l’état civil. Le présent amendement tend à sécuriser encore la procédure, en faisant authentifier les documents concernés, par exemple par un commissaire de justice. Cela facilitera le travail des administrations.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je ne suis pas favorable à l’élargissement du dispositif, que l’administration ne demande pas. Pour être légalisés, les actes administratifs étrangers doivent déjà être traduits par un traducteur habilité. Enfin, la mesure que vous proposez serait très contraignante et difficile à appliquer.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CL106 de Mme Marine Hamelet.

La commission adopte l’article 1er ter non modifié.

Article 2 (art. L. 6321-1, L. 6321-3 [nouveau] et L. 6323-17 du code du travail) : Contribution des employeurs à la formation en français des travailleurs étrangers allophones

Amendement de suppression CL368 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). L’article 2 prévoit que les employeurs devront prendre en charge la formation en français de leurs salariés étrangers qui ne parlent pas notre langue. Dans le contexte économique que subissent nos entreprises, c’est inacceptable, et complètement déconnecté de la réalité. Les chefs des TPE et PME (très petites, petites et moyennes entreprises) notamment expriment leur désarroi : les normes explosent, les charges et l’inflation les écrasent, comme le coût exorbitant de l’électricité, que vous ne voulez pas réduire. Ils n’ont pas assez de trésorerie pour augmenter leurs salariés. Entre juillet 2021 et juin 2022, 33 000 entreprises ont fait faillite ; 50 000 entre 2022 et 2023. Pour protéger leur compétitivité, il faut alléger leurs charges, non les alourdir.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’article organise la contribution des employeurs à la formation linguistique des travailleurs étrangers allophones, afin de favoriser leur insertion.

Une étude de l’Insee parue en 2016 montre que la maîtrise du français n’est pas indispensable pour obtenir un premier emploi mais que la méconnaissance de la langue est un obstacle à l’obtention d’un poste en adéquation avec le profil des personnes. Nous devons donc trouver des remèdes justes et efficaces à cette difficulté.

Dans le cadre du plan de développement des compétences, les employeurs pourront proposer à tous les salariés allophones des formations en français langue étrangère (FLE). Ceux qui signeront un contrat d’intégration républicaine (CIR) pourront comptabiliser le temps de formation comme du temps de travail effectif. Les formations seront suivies sur le temps de travail, avec un maintien de la rémunération. Enfin, l’autorisation d’absence sera de droit. Un décret déterminera le plafond du nombre d’heures concernées.

Le Sénat avait supprimé cet article lors de son examen en commission, craignant de trop alourdir les charges, en particulier des plus petites entreprises ; il l’a rétabli en séance publique.

Pour les entreprises de moins de cinquante salariés, il existe un fonds mutualisé pour financer le plan de développement des compétences. En revanche, la rédaction n’est pas adaptée pour l’emploi à domicile et les particuliers employeurs ; je défendrai un amendement visant à y remédier.

Ainsi, l’article 2 renforcera notre politique d’intégration.

M. Gérald Darmanin. Selon nous, l’employeur qui fait venir une personne étrangère en France ne peut en avoir une vision uniquement capitalistique. Il est responsable des conséquences pour la société : cette personne va se loger, se déplacer, assister au culte, organiser sa vie de famille, inscrire ses enfants à l’école. Je m’étonne que le groupe Rassemblement national accepte l’idée que les entreprises concernées restent libres de toute contrainte.

Les entreprises qui emploient des personnes étrangères versent une contribution à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). C’est la solution habituelle : on laisse la puissance publique organiser les cours de français et la formation aux valeurs de la République, et on applique une taxe.

Or c’est une astuce de garçon de bains : l’étranger qu’une entreprise fait venir pour occuper un emploi pénible, alors qu’il ne parle pas français et n’est pas intégré, a une heure ou une heure et demie de transport pour aller travailler : il est illusoire de penser qu’à quatorze heures, il aura le temps d’aller à la préfecture suivre un cours de français.

Nous avons donc inventé le 1 % intégration, sur le modèle du 1 % logement. Le temps de travail doit permettre l’épanouissement du salarié. Nous donnons des obligations supplémentaires à ceux qui embauchent des étrangers qui ne parlent pas français, et nous rendons ce choix moins compétitif que celui d’employer un Français ou un étranger qui dispose d’une autorisation de travail, puisque le salarié devra suivre 600 heures de formation sur son temps de travail.

À moins d’être ultralibéral, on ne peut être opposé à ce dispositif, social et patriote, qui imposera aux entreprises d’intégrer les personnes qu’elles font venir. Les petites entreprises disposeront des opérateurs de compétences (Opco). La mesure gêne aux entournures une partie du patronat, raison pour laquelle sans doute la commission des lois du Sénat avait supprimé l’article. Dans sa grande sagesse, le Sénat l’a rétabli quasiment à l’unanimité après avoir entendu nos arguments. Je ne vois pas comment le groupe Rassemblement national pourrait s’y opposer, sauf pour ne pas résoudre les problèmes.

Mme Edwige Diaz (RN). Je reste dubitative. Si certains employeurs ne parviennent pas à recruter, la solution ne consiste pas à aller chercher du personnel à l’étranger. Notre pays compte 5 millions de chômeurs, qui ne sont pas 5 millions de feignants. Les chefs d’entreprise nous l’ont dit lors des auditions : on peut aller chercher les jeunes éloignés de l’emploi, les bénéficiaires du RSA et des seniors, puisque vous les obligez à travailler jusqu’à 64 ans.

Vos arguments sont douteux, mais vous expliquez que l’article vise à dissuader d’embaucher des travailleurs étrangers : nous allons vous faire confiance.

L’amendement est retiré.

M. le président Sacha Houlié. Peut-être aussi le retirez-vous parce que vous admettez que l’article impose de nouvelles obligations aux employeurs qui embauchent des salariés étrangers ; il contraindra ceux qui parfois ont longtemps exploité les travailleurs étrangers à les humaniser. En tout cas, je vous en remercie.

Amendements identiques CL803 de Mme Annie Genevard et CL819 de Mme Sandra Regol, et amendement CL686 de M. Thomas Portes (discussion commune)

Mme Annie Genevard (LR). Il faut rendre cette formation obligatoire : les entreprises de moins de cinquante salariés et les particuliers employeurs en sont exonérés alors qu’elle est essentielle pour les salariés : la maîtrise de la langue est indispensable pour progresser professionnellement.

Il s’agit d’un devoir moral pour les entreprises. C’est encore plus vrai pour les salariés qui sont parents : il est primordial que les enfants entendent parler français à la maison. Beaucoup de salariés allophones vivent depuis longtemps dans notre pays mais ne pratiquent pas sa langue, donc leur femme et leurs enfants ne la pratiquent pas non plus.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Inspiré par le Conseil national des barreaux (CNB), il est similaire. Dans leur grande sagesse, les sénateurs ont réintégré l’article 2, à la faveur d’un amendement de Mme Mélanie Vogel, du groupe Écologiste.

Faire de cette mesure une simple possibilité peut créer des inégalités.

Madame Diaz, les emplois concernés ne sont pris à personne : ils sont à prendre. Les employeurs vont chercher les compétences là où elles se trouvent, en France ou ailleurs – il n’y a pas d’opposition.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il vise également à garantir que les employeurs organiseront les formations à la langue française. Les obligations de la maîtriser croissent ; les moyens mis à disposition des étrangers pour l’apprendre doivent suivre. Nous proposons d’en faire porter la responsabilité aux entreprises.

Pour le groupe Rassemblement national, seuls les individus doivent supporter des obligations, jamais les entreprises.

J’ajoute qu’il y va de la sécurité au travail.

Enfin, je suis taquin : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer d’où vient l’expression « astuce de garçon de bains ». Je ne suis pas certain qu’elle soit attestée, or nous débattons de la langue française !

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Avis favorable aux amendements CL803 et CL819, dont l’adoption favorisera l’intégration par le travail.

M. Hervé Saulignac (SOC). La mesure est intéressante. S’agit-il d’une obligation pour les employeurs ? Si c’est une simple possibilité, à combien estimez-vous le nombre d’étrangers qui se verront proposer des cours de français – plus ou moins de 1 % ?

M. le président Sacha Houlié. Le taux de 1 % est celui de la participation de l’entreprise au financement du dispositif. L’article 2 prévoit que l’employeur « peut […] proposer » ; les amendements CL803 et CL819 tendent à écrire « Il propose » : leur adoption rendrait la mesure obligatoire.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous allons nous rallier aux amendements de Mme Genevard et de Mme Regol. J’espère que le groupe Renaissance participera à une belle unanimité – on observe des différences dans les votes de la majorité. La langue est au nombre des meilleurs outils pour favoriser l’intégration.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Je voterai contre ces amendements. M. le ministre évoque les flux ; on peut comprendre que les entreprises qui font venir des étrangers financent leur formation, mais la question se pose pour les entreprises qui recruteraient des étrangers en situation irrégulière. Elles le font faute de pouvoir trouver de la main-d’œuvre française, donc dans l’intérêt de l’entreprise, mais aussi de ses autres salariés, qui se trouveraient en difficulté si personne n’était recruté. Le Gouvernement devrait donc prendre sa responsabilité et financer pour partie cette formation, pour qu’elle ne soit pas uniquement à la charge des entreprises.

M. Florent Boudié, rapporteur général. M. Léaument demande si le rapporteur général, du groupe Renaissance, est d’accord avec la rapporteure, du groupe Démocrate : je le rassure. La majorité Les Républicains du Sénat n’a pas souhaité rendre cette formation obligatoire. Nous considérons au contraire que les amendements de Mme Genevard et de Mme Regol sont opportuns.

Par ailleurs, l’État s’engage en faveur de l’apprentissage du français. La gratuité était acquise dès l’examen au Sénat. Reste la responsabilité de l’employeur : nous sommes à peu près tous convaincus que la mesure peut devenir obligatoire.

M. Gérald Darmanin. Sauf erreur de ma part, l’article 2 a été rétabli au Sénat par l’adoption d’un amendement du Gouvernement, puisqu’il figurait déjà dans le projet de loi initial. Certes, Mme Vogel a recopié l’article du Gouvernement, déposé au Conseil d’État il y a quelques mois, et proposé un amendement identique, mais respectons les droits d’auteur. Il ne vous est pas interdit de dire que le Gouvernement fait parfois bien les choses ; je trouve d’ailleurs formidable que vous défendiez un amendement similaire à un amendement de Mme Genevard.

Monsieur Naegelen, vous soulevez une question différente. La mesure consiste à laisser du temps de travail à des salariés que l’on fait venir de l’étranger, ou qui ne sont pas intégrés, pour qu’ils apprennent le français. Certes, cette obligation pèsera sur l’entreprise, mais nous estimons que celle-ci a également une vocation sociale. Un étranger qu’une entreprise fait venir peut en changer, ou changer de département ; à son arrivée, la société prend en charge une personne supplémentaire : il n’est pas anormal que l’entreprise y contribue. Nous avons choisi de ne pas instaurer une taxe.

Monsieur Saintoul, vous trouverez sur le site mots-surannes.fr l’origine des expressions mettant en scène le garçon de bains, avec des exemples de ses plaisanteries : « on ne peut pas dire que ce roman de Tolstoï ne soit guère épais » ; « [des] plaisanteries que le garçon de bains tire probablement de l’almanach Vermot, ouvrage de référence en matière de calendrier lunaire, horoscope, ornithologie, agriculture et jeux de mots faciles. » L’astuce en dérive, par parallélisme des formes : « La plaisanterie de garçon de bains est en effet à l’esprit léger ce que les gaz du pétomane sont à la parfumerie. »

La commission adopte les amendements identiques CL803 et CL819.

En conséquence, l’amendement CL686 tombe.

Amendement CL997 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Avant d’avoir appris la langue française, on doit pouvoir se faire comprendre et comprendre soi-même ses droits et obligations. Pour garantir l’accueil adéquat des étrangers qui trouvent un emploi dans notre pays, nous souhaitons que le contrat de travail qu’ils s’apprêtent à signer soit traduit dans leur langue maternelle. Cet amendement devrait nous rassembler et nous permettre de coconstruire au moins une petite partie du texte.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Votre amendement est satisfait. Pour le prouver, je ne citerai pas la définition de « garçon de bains », mais, même si c’est moins drôle, l’article L. 1221-3 du code du travail : « Lorsque le salarié est étranger et le contrat constaté par écrit, une traduction du contrat est rédigée, à la demande du salarié, dans la langue de ce dernier. »

Demande de retrait ; sinon, avis défavorable.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). De même que la confiance n’exclut pas le contrôle, la satisfaction n’exclut pas l’inscription dans la loi. Comme on dit chez moi, il y a les diseux et les faiseux ; là, il faut faire. Je maintiens mon amendement.

M. le président Sacha Houlié. C’est dans la loi, la rapporteure vient de le dire.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Ce n’est pas parce que c’est déjà inscrit dans un autre texte qu’il ne faut pas le préciser ici. Ne jetez pas le bébé de M. Lucas avec l’eau du bain !

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1702 de Mme Élodie Jacquier-Laforge

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Il s’agit d’adapter les dispositions de l’alinéa 3 au secteur des particuliers employeurs en prévoyant un régime particulier fixé par décret.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1278 de Mme Blandine Brocard

Mme Blandine Brocard (Dem). Il s’agit également de la spécificité des particuliers employeurs. Nous proposons une proratisation du maintien de rémunération pendant les cours de langue : si une aide à domicile qui suit des cours le lundi a un employeur le lundi et le mercredi et un autre le mardi et le jeudi, il serait inéquitable que l’employeur du lundi paie l’intégralité de la rémunération due.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je vous invite à retirer l’amendement, car il est satisfait à la fois par ce qui existe pour les PME et par les amendements que je propose concernant le secteur de l’emploi à domicile. À défaut, défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendements CL1734 et CL1733 de Mme Élodie Jacquier-Laforge

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Ils complètent mon amendement CL1702 : pour des raisons légistiques, j’ai dû découper en trois l’amendement initial.

La commission adopte successivement les amendements.

Amendement CL703 de Mme Danièle Obono

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Encore une complication pour ces gens qui, pleins d’espoir, imaginent pouvoir s’installer chez nous : les formations en langue, indispensables – sur ce point, nous sommes d’accord –, devraient être financées par les salariés eux-mêmes par l’intermédiaire du compte personnel de formation. Mais pour cela, il faut que le CPF soit alimenté. Comment ? Cela suppose que l’on ait travaillé suffisamment longtemps. Et comment fait-on si on n’a pas eu le droit de travailler ?

Vous faites perdre beaucoup de temps au Parlement. Mieux vaudrait trouver une formule simple et ramassée qui signifie que la France est un pays fermé, qu’on ne veut plus être un peuple mélangé, qu’on ne veut plus accueillir personne sauf ceux qui ont la même couleur de peau que nous. Ce serait beaucoup plus simple !

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Ce que vous dites est faux : les formations en FLE peuvent aussi être financées par les employeurs. En outre, la rédaction de votre amendement empêcherait en réalité de prendre en compte la formation financée par le CPF dans le temps de travail effectif. J’imagine que ce n’est pas le but recherché.

Avis défavorable.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Je ne comprends pas bien. Cette partie de l’article concerne l’étranger qui fait preuve d’une volonté personnelle de suivre des formations supplémentaires. Pourquoi les auteurs de l’amendement s’opposent-ils à la possibilité de bénéficier d’une autorisation d’absence que nous offrons à ces étrangers particulièrement désireux de s’intégrer ?

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CL1473 de M. Aurélien Taché.

Amendement CL696 de M. Thomas Portes

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous proposons l’instauration d’une procédure de mise en demeure permettant aux employés de solliciter de leurs employeurs des formations en FLE. En cas de non-réponse de l’employeur dans un délai d’un mois, la condition de maîtrise du français ne pourra être opposée au salarié pour lui refuser son titre de séjour ou le renouvellement de celui-ci.

Contrairement à ce que disent certains, nous pensons que l’apprentissage et la maîtrise du français sont importants, mais il est également important de donner aux employés tous les moyens d’y parvenir.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’article 2 établit une procédure à la fois simple et opérante pour tous les étrangers qui souhaitent s’insérer par le travail et se former. En revanche, je ne suis vraiment pas convaincue par le dispositif que vous présentez, très complexe sur le plan administratif. Si le salarié souhaite une formation en FLE, que son employeur lui dit que ce ne serait pas pertinent, par exemple vu son niveau de français, et refuse de l’inscrire dans le plan de développement des compétences, il pourra toujours la solliciter dans le cadre de son CPF.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 bis A (nouveau) (art. 25 du code civil) : Déchéance de nationalité en cas de condamnation pour homicide ou tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique

Amendements de suppression CL1690 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL1616 de M. Sacha Houlié, CL96 de Mme Françoise Buffet, CL182 de M. Benjamin Lucas, CL689 de Mme Élisa Martin, CL879 de M. Boris Vallaud, CL1163 de Mme Emeline K/Bidi, CL1281 de M. Emmanuel Mandon et CL1551 de Mme Marie Guévenoux

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’article 2 bis A porte sur un sujet particulièrement grave : la nationalité française. De nombreux amendements, outre le mien, proposent de le supprimer. J’ai lu avec attention les vôtres, mes chers collègues. D’aucuns dénoncent un amalgame entre immigration et délinquance, d’autres une mesure d’affichage politique. La déchéance de nationalité est une sanction éminemment lourde qui n’a par ailleurs pas sa place dans ce projet de loi. Le sujet mérite un débat apaisé et complet.

M. le président Sacha Houlié. J’ai moi aussi déposé un amendement de suppression, car le code de la nationalité n’a rien à voir avec cette partie du projet de loi. L’article est donc un cavalier. Pour la même raison, j’ai déposé des amendements de suppression sur tous les articles qui suivent et qui ont trait au code civil et à l’établissement de l’état civil.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Madame la rapporteure, il est difficile d’avoir un débat apaisé sur ce sujet. Je me réjouis des amendements de suppression déposés par le président de la commission des lois et par vous-même.

M. Retailleau s’est sans doute pris pour une sorte de François Hollande discount en voulant remettre la déchéance de nationalité au cœur du débat public ; je lui souhaite le même destin électoral et démocratique que son modèle.

Plus sérieusement, nous avons des lois, qui prévoient des punitions. La déchéance de nationalité est un symbole, et plus que cela, qui abîme les valeurs de la République. Le précédent auquel je viens de faire allusion avait suscité beaucoup d’émotion, à juste titre. Un tel article abîmerait aussi notre image dans le monde, celle de la patrie des droits de l’homme. Vous revendiquez l’universalisme, mais si on se soucie de l’universel, on défend certaines valeurs fondamentales et on ne propose pas la déchéance de nationalité.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). J’ajouterai simplement que la déchéance de nationalité est une sanction qui ne permet pas la réparation, contrairement à l’objectif que visent les magistrats en prononçant une peine.

M. Roger Vicot (SOC). Outre que la déchéance de nationalité est une sanction très lourde, il y a derrière cet article l’idée qu’il faut lier l’immigration et la délinquance ou la criminalité. Nous soutenons les mesures de lutte contre la criminalité lorsqu’elles sont pertinentes, légitimes, argumentées et bien pesées et lorsqu’elles respectent les droits et libertés constitutionnels. Mais cet affichage politique du lien supposé entre immigration et délinquance ou criminalité nous déplaît fortement.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cet article est l’un des ajouts les plus honteux du Sénat au texte de loi, et pourtant, il y a le choix ! Après avoir tenté d’introduire dans le débat public l’idée qu’il y aurait des Français de souche, droite et extrême droite essayent désormais d’y intégrer le concept d’étranger de souche. C’est une attaque contre nos principes fondamentaux, notamment contre le droit du sol. On retrouve là les vieilles rengaines racistes et xénophobes. Ces propositions faisaient partie du programme de Jean-Marie Le Pen en 2007 ; elles ont malheureusement été reprises par Sarkozy en 2010 et, encore plus malheureusement, ont réapparu sous d’autres formes pendant l’ère Hollande. Il faut lutter contre ces amalgames et cette suspicion. Pas plus que les étrangers ou les Français ayant acquis leur nationalité par le droit du sol, les binationaux ne sont des suspects par nature.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Pour le groupe Démocrate, les dispositions portant sur le droit de la nationalité n’ont pas leur place dans le projet de loi. Une telle réforme ne peut être abordée au détour d’un texte, mais doit être traitée pour elle-même. Il faut savoir circonscrire nos débats parlementaires. Il s’agit tout simplement de cavaliers législatifs.

Mme Marie Guévenoux (RE). Le groupe Renaissance a lui aussi déposé un amendement de suppression de cet article, qui est à l’évidence un cavalier législatif et pose en outre des problèmes de constitutionnalité.

M. Gérald Darmanin, ministre. Les articles qui concernent le code de la nationalité – en fait, le code civil, puisque le code de la nationalité a été fondu dans le code civil par Pierre Méhaignerie en 1993 – n’ont rien à faire dans ce texte. Je l’ai redit au Sénat, et le président de la commission des lois du Sénat l’a lui-même admis. Le but, de la part de la droite sénatoriale, était uniquement de créer ce débat. Ces dispositions seraient, à coup sûr, censurées par le Conseil constitutionnel. Nous avons choisi le code des étrangers et non le code civil. D’ailleurs, aucun texte sur les étrangers, y compris lorsque la droite gouvernait, n’a jamais porté en même temps sur le code de la nationalité et sur le code des étrangers : il faut toujours distinguer les deux, à la demande du Conseil d’État. Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas procéder ici ou là à des modifications concernant la nationalité ; mais, je le répète, elles n’ont rien à faire dans le présent texte.

Sur le fond, l’article 2 bis A est totalement inutile. Depuis 1996, ainsi qu’en a décidé le gouvernement de Jacques Chirac à la suite des attentats de 1995, le ministre de l’intérieur peut, sous le contrôle du Conseil d’État, prononcer une déchéance de nationalité en raison d’actes de terrorisme ou d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, comme les actions au profit d’un État étranger. Et c’est ce que je fais lorsqu’on attente à la vie des policiers ou des gendarmes.

Pour tous les articles touchant au code de la nationalité ou au code civil, qui ne peuvent relever que d’un autre texte, mon avis sera défavorable dans le cadre du présent projet de loi.

M. Philippe Gosselin (LR). Je voudrais répondre aux accusations de suspicion envers les étrangers. Il ne s’agit pas ici de suspects, mais de personnes qui ont été reconnues coupables à la suite d’un jugement. Et à ceux qui ont regretté que ces préoccupations soient réapparues du temps de Hollande, je répondrai que c’était le temps où il y avait une gauche de gouvernement, qui savait faire preuve de bon sens.

M. Thomas Ménagé (RN). Comme Marine Le Pen l’a dit à plusieurs reprises, nous assumerons les erreurs de nos prédécesseurs ; nous souhaitons donc conserver le caractère exceptionnel de la déchéance de nationalité.

Je suis néanmoins surpris de l’exposé sommaire de votre amendement, monsieur le président : vous y expliquez que si vous êtes contre cette mesure pour les personnes binationales condamnées pour homicide ou tentative d’homicide contre un policier ou un gendarme, c’est parce qu’il s’agirait d’« une sanction particulièrement grave ». Mais attenter à la vie d’un policier, d’un gendarme, d’une personne dépositaire de l’autorité publique est un acte particulièrement grave qui doit être condamné de la manière la plus ferme.

Je lis dans ce texte la marque de la soumission de la Macronie à La France insoumise, à l’extrême gauche, à la pensée mélenchoniste selon laquelle la police tue et qui ne cesse de salir l’image de nos forces de l’ordre dans le pays. J’en suis très choqué. Il est possible que la disposition en discussion soit un cavalier ou qu’elle soit déjà satisfaite ; mais, sur le fond, cela en dit long sur votre position vis-à-vis des forces de l’ordre.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Je veux soutenir le président de la commission contre ces accusations ignobles. Ce n’est pas parce que l’on rappelle les principes de l’état de droit et parce que l’on est attaché à la justice que l’on déteste les fonctionnaires de police ou les gendarmes. Je me réjouis que, sur ce sujet, la digue républicaine soit rétablie face à vous, qui avez malheureusement absorbé une droite radicalisée que l’on pourra bientôt qualifier d’extrême droite. Cela nous protège de la division et de la haine, principal projet du Front national.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 2 bis A est supprimé et les amendements CL558 et CL557 de M. Éric Pauget tombent.

Article 2 bis (nouveau) (art. 21-7 du code civil) : Restriction des critères d’obtention de la nationalité par le droit du sol

Amendements de suppression CL1691 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL1617 de M. Sacha Houlié, CL708 de Mme Élisa Martin, CL880 de M. Boris Vallaud, CL1062 de Mme Francesca Pasquini, CL1164 de Mme Emeline K/Bidi, CL1284 de Mme Blandine Brocard et CL1552 de Mme Marie Guévenoux

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Nous en arrivons aux dispositions qui concernent le droit du sol. Elles ne figuraient pas dans le texte initial ; c’est le Sénat qui les a introduites, en commission puis en séance. Elles constituent une remise en cause inédite de notre droit du sol ; leurs implications sont telles qu’elles méritent un débat apaisé – je me réjouis que nous puissions l’avoir ce soir. Le présent projet de loi n’est pas le véhicule législatif adéquat pour ces mesures, qui sont donc des cavaliers.

Sur le fond, il s’agit de subordonner la naturalisation par droit du sol à une manifestation effective de volonté de la part des enfants étrangers nés en France. L’article créerait ainsi de la complexité et une incertitude majeure pour ces jeunes. La nécessité de manifester activement sa volonté pourrait créer des obstacles administratifs nouveaux et susciter l’incompréhension de ceux qui, à ce moment-là, n’auraient pas pleinement conscience de cette exigence et de ses implications.

Par ailleurs, l’article contrevient à l’objectif d’intégration des enfants nés sur notre territoire, qui est l’honneur de notre modèle républicain.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Prenons un garçon de 14 ou 15 ans, né en France. Prenons un autre garçon du même âge dont les parents se sont installés en France il y a quelques années. Qu’est-ce qui les différencie ? Rien du tout. Pourquoi ? Parce que la République reconnaît chacun des deux comme son enfant. Leur égalité de droits en est la marque. En théorie – bien sûr, cela dépend de qui dirige le pays –, ils sont traités de la même manière. Pourquoi dégrader encore le droit du sol ?

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous saluons l’unanimité, sur les bancs républicains, de l’opposition à une mesure qui dégrade l’automaticité du droit du sol et n’est confortée par aucun motif sérieux. C’est, en outre, un cavalier législatif.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Tout a été dit, qu’il s’agisse de l’inégalité que crée l’article entre les personnes informées et celles qui ne le seraient pas, de la difficulté à informer un jeune public ou du danger dont le dispositif proposé est porteur. J’espère que nous serons très nombreux à vouloir exclure du texte tous les articles issus du Sénat qui n’ont rien à y faire.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). On est passé d’un droit qui s’acquiert à un droit qui se mérite, puis qui se demande. En outre, le délai prévu, entre les âges de 16 et 18 ans, est bien trop bref. À cet âge-là, connaît-on suffisamment notre droit ? A-t-on les clés pour comprendre ce que tout cela représente ? Si on voulait supprimer le droit du sol, on ne s’y prendrait pas autrement.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Il conviendrait de ne pas polluer le débat en s’appesantissant sur un sujet qui n’a pas sa place dans ce texte.

Mme Marie Guévenoux (RE). Le groupe Renaissance s’oppose à cet article parce qu’il s’agit d’un cavalier et, sur le fond, parce qu’il serait source de complexité et d’incertitude pour les jeunes étrangers nés en France ; il pourrait créer des obstacles administratifs et susciter de l’incompréhension chez ceux qui n’auraient pas pleinement conscience de l’exigence de manifester activement leur volonté d’être français. Cela nuirait à l’objectif d’intégration de ces enfants nés sur notre territoire.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable aux amendements de suppression.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Je suis toujours étonné que des gens qui disent aimer notre pays ne souhaitent pas que des étrangers deviennent français, alors que cela fait grandir notre peuple. Lors du débat sur la réforme des retraites, le Rassemblement national disait qu’il fallait faire des enfants pour financer le système de retraite ; mais quand il s’agit d’enfants étrangers qui deviendraient français, ils ont un problème.

D’où vient cette incohérence ? D’un truc qui s’appelle la xénophobie, la peur des étrangers. Souvent, le Rassemblement national nous dit : « Vous nous accusez d’être racistes, mais vous êtes incapables de le prouver. » Là, il en a fait la démonstration.

M. Yoann Gillet (RN). Sur le droit du sol, je vous rappelle la position du Rassemblement national : comme 74 % des Français, nous souhaitons qu’il soit supprimé. Face à des délinquants, des casseurs, qui attaquent la police, à des gens qui ne respectent pas les lois de la République, que devrions-nous faire ? Leur accorder la nationalité française ? Certainement pas ! Le fait d’être né en France ne doit pas donner automatiquement la nationalité française. Être français s’hérite ou se mérite.

M. le président Sacha Houlié. La réalité parallèle à laquelle vous empruntez ces sondages, est-ce aussi celle dans laquelle vous avez lu l’exposé sommaire de mon amendement tout à l’heure ?

Mme Emmanuelle Ménard (NI). De nombreux enfants étrangers nés en France désirent sincèrement devenir français. Un quart des 110 000 étrangers qui deviennent français chaque année sont nés en France de parents étrangers. Dans cet article, il n’est pas du tout question d’empêcher l’octroi de la nationalité française, seulement de se soucier de la façon dont elle est transmise, acquise et reçue. L’acquisition de la nationalité serait soumise à une manifestation de volonté : cela me semble un minimum pour l’unité de la France et pour notre nationalité, ce bien précieux qu’il ne faut pas brader.

M. Philippe Gosselin (LR). Nous n’avons aucun problème avec le fait d’accueillir dans la nationalité et la citoyenneté – à 18 ans, les deux vont de pair – un nombre important d’étrangers établis ou nés en France. Mais je ne vois pas en quoi leur demander un acte de volonté serait antidémocratique. De nombreux États en Europe, comme outre-Atlantique, appliquent des règles différentes des nôtres en matière de droit de la nationalité, sans être moins démocratiques que nous. Il ne suffit pas de répéter un verdict définitif de xénophobie ou de racisme pour en faire une vérité. Être français est un honneur ; demander à l’être n’est pas un déshonneur. La nation est grande quand elle sait accueillir, mais elle l’est aussi quand elle accueille des gens qui veulent vraiment lui appartenir.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Notre collègue RN a démontré avec brio ce qu’exposait Antoine Léaument au sujet du racisme et de la xénophobie du Front national. Être français s’hérite ou se mérite ? Avec vous, pas grand-monde ne le mérite. Surtout, vous, vous ne méritez pas la France, parce que vous ne l’aimez pas, parce que vous la voyez frileuse, repliée sur elle-même, fermée aux autres, belliqueuse, divisée, oubliant la belle devise Liberté, Égalité, Fraternité. Vous ne la méritez pas quand vous demandez de choisir à des enfants de 16 à 18 ans qui sont peut-être en conflit affectif avec leurs parents, quand vous voulez fermer la porte après 18 ans à des gens qui ont envie de devenir français, de contribuer à rendre notre nation bien plus forte que ce que vous voulez en faire et que ce que vous en dites.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Je voudrais revenir à des arguments plus juridiques. Dans les actions en filiation – un aspect de la construction de l’identité, comme la nationalité –, on a jusqu’à dix ans à compter de sa majorité, donc jusqu’à 28 ans, pour lancer une procédure. Ici, on demande à des jeunes, presque des enfants, de décider entre 16 et 18 ans s’ils veulent être ou ne pas être français. Ce délai beaucoup trop court ne permet pas une décision éclairée. En plus d’être fondé sur de mauvaises raisons et dicté par une idéologie que nous combattons, cet article est juridiquement aberrant.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 2 bis est supprimé et les autres amendements tombent.

Article 2 ter A (nouveau) (Art. 21‑2 du code civil) : Allongement des délais à partir desquels l’étranger peut acquérir la nationalité française par mariage

Amendements CL1692 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure, CL185 de M. Benjamin Lucas, CL713 de M. Andy Kerbrat, CL881 de M. Boris Vallaud, CL1165 de M. Davy Rimane, CL1287 de Mme Blandine Brocard, CL1553 de Mme Marie Guévenoux et CL1618 de M. Sacha Houlié

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Cet article, introduit par le Sénat en séance publique, durcit les modalités d’accès à la nationalité par mariage. J’y suis défavorable pour les mêmes raisons que celles qui motivaient la suppression de l’article 2 bis.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Il s’agit ici de l’acquisition de la nationalité par l’amour. Là encore, c’est une histoire profondément républicaine : depuis 1793 et la Constitution de la Première République, un étranger peut devenir français s’il épouse quelqu’un qui possède notre nationalité. C’est encore une fois de notre côté qu’est la défense de la tradition républicaine : celle du droit du sol, celle de la possibilité de devenir français quand on s’aime.

Ce débat révèle une fracture entre deux visions de la France – je parle bien de la France, car il n’y a qu’une vision de la République, celle du droit du sol et de la possibilité de devenir français par les liens affectifs et amoureux. Le Rassemblement national, et le groupe Les Républicains qui porte bien mal son nom, sont sortis de cette tradition. Ils défendent, je suis désolé de le répéter, une logique xénophobe.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Les délais de naturalisation sont déjà très anormalement longs. En cinq ans, plus de 5 000 personnes ont saisi le Défenseur des droits à la suite de difficultés d’accès au service public de naturalisation. Je vois dans mon département l’allongement des délais d’instruction : des dossiers déposés depuis deux ans sont toujours en attente. Ce n’est pas possible !

M. Emmanuel Mandon (Dem). Cet article n’a pas sa place dans ce texte.

Mme Pascale Bordes (RN). On a bien compris dans quelle société vous voulez nous faire vivre : une société où il n’y a plus de frontières, où les gens font ce qu’ils veulent, où tout est open bar, où l’on acquiert la nationalité française très rapidement. Et pourquoi pas sans délai ? Allons-y !

Il n’est pas xénophobe de dire que la nationalité française se mérite. Elle n’a pas à être dévaluée ni dévalorisée, ce que vous ne cessez de faire : manifestement, la nationalité française n’est rien à vos yeux. L’arc républicain que nous représentons est très attaché à la nationalité française, et que cela vous plaise ou non nous continuerons à la défendre.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). C’est incroyable ! Je viens de vous parler de la Première République de notre pays, celle de 1792-1793, en rappelant les règles qu’elle avait instaurées. C’est nous qui défendons une République désuète, celle du drapeau tricolore, de La Marseillaise et de la devise Liberté, égalité, fraternité !

Je suis assez content qu’il demeure des digues républicaines entre ceux qui défendent le droit du sol et vous, qui défendez une politique xénophobe.

Quant aux frontières, non seulement nous n’avons jamais dit que nous voulions les faire disparaître, mais nous sommes ceux qui proposons un protectionnisme solidaire. Nous souhaitons contrôler davantage les marchandises et les capitaux, mais aussi accueillir plus dignement les gens qui arrivent dans notre pays.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Il est difficile de ne pas réagir : vous parlez, madame Bordes, comme si toutes les personnes qui ne reprennent pas la phraséologie et la mythologie de l’extrême droite devenaient des anti-France. La France est riche de ses diversités, de ses accents, de ses langues régionales, de ses territoires si différents les uns des autres, de toutes les vagues d’immigration qui l’ont composée : vous détestez cette vraie France. Vous voulez imposer une vision normée, normalisante, de la France quand le pays tout entier vous renvoie l’inverse et quand les grandes heures de notre pays ont été celles où nous avons accueilli le plus de monde. Un pays qui est grand, qui est sûr, qu’on aime, c’est un pays qui n’a pas peur d’être contaminé parce qu’il sait que sa culture s’étend. Je suis fière de parler français, j’ai envie que beaucoup de gens parlent ma langue ; j’ai l’impression que vous voulez au contraire garder cette langue et ce pays seulement pour vous, enfermés entre les quatre murs de votre petit parti – et ça commence à bien faire.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). En tant qu’Ultramarine, portant un nom à forte consonance bretonne et avec du sang d’esclave, je veux dire qu’il n’y a pas qu’une seule conception de ce qu’est un Français. Les notions de Français de souche, de Français historiquement français n’ont pas de sens : on pourrait faire des prises de sang à tout le monde ici, je ne suis pas sûre que beaucoup auraient la nationalité.

En revanche, il y a un droit de la nationalité et nous estimons qu’il est suffisamment contraignant. Les règles ne permettent certainement pas de donner la nationalité à tout le monde, et surtout pas dans des délais très brefs. Ce droit ne doit pas être encore alourdi. Nous ne sommes pas pour un monde sans frontières ; nous vivons dans un monde difficile, nous en sommes tout à fait conscients, mais nous ne sommes pas d’accord pour construire le monde tel que vous le souhaitez.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Bordes, je ne sais pas de quoi vous avez parlé, mais en tout cas pas du projet de loi. Celui-ci réforme le droit des étrangers ; les dispositions ajoutées par le Sénat, outre que ce sont des cavaliers législatifs – si l’on est honnête, il faut donc dire aux Français qu’elles ne seront pas retenues par le Conseil constitutionnel –, alourdissent l’accès à la nationalité. En supprimant cet article, nous ne faisons que nous en tenir au droit existant. Personne, et surtout pas le Gouvernement ni la majorité, ne veut faciliter l’accès à la nationalité ; c’est nous qui, en instaurant des entretiens d’assimilation, avons fait baisser de 30 % à 40 % le nombre de naturalisations par rapport à l’époque des présidents Sarkozy et Hollande.

Nous modifions ici le code des étrangers : le confondre avec le droit civil de la nationalité, c’est créer une confusion, ce que nous voulons éviter. Depuis que la République existe, tous les textes distinguent le droit des étrangers du droit civil.

Peut-être votre intervention visait-elle seulement la NUPES : c’est alors un débat que vous aurez entre vous. Si vous parliez du texte du Gouvernement, vous commettez une grave erreur puisque nous nous en restons au droit existant.

Le droit des étrangers est assez compliqué pour provoquer des discussions fortes : tenons-nous-en à ce sujet.

La commission adopte les amendements. En conséquence, l’article 2 ter A est supprimé.

Article 2 ter B (nouveau) (Article 21-11-1 [nouveau] du code civil) : Opposition à l’acquisition de la nationalité par le droit du sol en cas de défaut d’assimilation à la communauté française

Amendements de suppression CL1693 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure, CL1619 de M. Sacha Houlié, CL714 de Mme Andrée Taurinya, CL882 de M. Philippe Brun, CL1063 de Mme Francesca Pasquini, CL1166 de M. Davy Rimane, CL1289 de Mme Blandine Brocard et CL1554 de Mme Marie Guévenoux

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Là encore, cet article ajouté par le Sénat en séance publique constitue une remise en cause inédite du droit du sol. Il manque en outre de clarté et de précision ; la notion d’« assimilation manifeste » est vague et subjective. La Défenseure des droits estime qu’il pourrait contrevenir à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

Plus symboliquement, cette disposition représenterait une entrave à l’intégration des jeunes étrangers nés en France.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). L’assimilation oblige l’étranger à abandonner complètement sa culture : c’est une vision dans laquelle se complaisent la droite et l’extrême droite, une vision colonialiste, raciste et xénophobe – il n’y a pas d’autres mots. Nous croyons au contraire possible de faire République, de faire nation avec toutes nos différences et avec toutes les cultures.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Nous demandons également la suppression de cet article. L’assimilation n’a jamais été une condition de l’accès à la nationalité – je peux en parler personnellement. L’intégration a toujours été considérée comme l’élément essentiel pour accorder la nationalité à des gens qui ont choisi de vivre ici, d’y étudier, de s’y marier, d’y fonder une famille, d’y travailler.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). J’ajoute à ces propos, auxquels je souscris évidemment, que l’expression « manifestement pas assimilé à la communauté française » est intéressante : que veut-elle dire ? Qui détermine ce qu’est l’assimilation ? Je mange à la fois du très bon foie gras de chez M. Vallaud dans les Landes et le tikourbabine de ma grand-mère par alliance, donc un plat landais et un plat kabyle, dans la même journée quand j’ai de la chance : suis-je convenablement assimilé ? J’ai cité Michel Sardou, j’aurais pu citer Khaled : la musique que j’écoute me permet-elle d’être convenablement assimilé ?

Ces questions montrent par l’absurde que le concept d’assimilation à la culture française est risible. J’aimerais que l’on aille voir comment vous vivez et si vous êtes vraiment assimilés à la culture française que vous prétendez défendre.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Au-delà de ces arguments, il y a un problème de sécurité juridique : ces notions n’ont aucun ancrage juridique et mettraient l’administration dans des situations très compliquées. Je ne suis même pas sûre que cet article passe la censure du Conseil constitutionnel.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Comme les précédents, cet article n’a pas sa place dans ce texte. Inutile de perdre notre temps en nous demandant ce qu’est l’assimilation ; concentrons-nous sur le sujet du texte.

Mme Marie Guévenoux (RE). Cet article est un cavalier législatif ; nous demandons sa suppression.

M. Jordan Guitton (RN). Le texte issu du Sénat est très mou. Et lorsque les sénateurs proposent que l’étranger perde le droit de devenir français s’il n’est pas assimilé à la communauté française, vous rejetez cette disposition la main dans la main ! C’est hallucinant. Nous avons proposé de durcir le droit du sol et les modalités du regroupement familial, mais nous voudrions surtout supprimer ces dispositions. Il y a aujourd’hui des individus qui sont devenus français mais qui ne respectent ni la communauté française ni ses valeurs. Certains jeunes étrangers, arrivés à l’âge adulte, sont physiquement d’ici, incontestablement, mais leur âme est malheureusement d’ailleurs, pour paraphraser Max Gallo.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Comme on pouvait s’y attendre, le Rassemblement national se dévoile petit à petit et montre qu’il ne connaît ni notre pays, ni notre histoire.

Notre drapeau est né d’une grève antiraciste de marins bretons qui ont, en 1790, refusé de se rendre en Haïti pour mater des révoltes d’esclaves, au nom de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ces marins bretons refusaient aussi le drapeau blanc qu’arboraient leurs bateaux. Cette histoire a fait tellement de bruit qu’elle a fini par arriver à l’Assemblée nationale ; c’est Mirabeau qui, défendant le drapeau tricolore, proclame qu’il est temps de remplacer le drapeau de la gloire par la guerre par celui qui sera « celui de la sainte confraternité des amis de la liberté sur toute la Terre, et comme la terreur des conspirateurs et des tyrans ». L’Assemblée nationale, le 21 septembre 1790, décide pour la première fois de faire du drapeau rouge, blanc, bleu – dans cet ordre à l’époque – celui des navires français.

L’histoire de notre drapeau, celui d’un pays que vous dites tant chérir mais que vous ne connaissez pas, est celle d’une grève antiraciste. Avalez-vous-le, c’est l’histoire de la France !

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Notre collègue du Rassemblement national dit que les gens sont ici mais que leur âme est ailleurs. Je ne sais pas où est votre âme, ni même si vous en avez une, mais je sais que vos sous sont chez M. Poutine, qui finance abondamment vos campagnes électorales, que les ballerines de Mme Le Pen quand elle danse avec un néonazi sont à Vienne, et que vos fondateurs étaient à Sigmaringen !

La commission adopte les amendements. En conséquence, l’article 2 ter B est supprimé.

Article 2 ter C (nouveau) (Art. 2493 et 2535, 2536, 2537, 2544, 2545 et 2546 [nouveaux] du code civil) : Restriction des conditions d’acquisition de la nationalité par le droit du sol dans certains territoires ultramarins

Amendements de suppression CL1694 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure, CL716 de Mme Élisa Martin, CL883 de M. Boris Vallaud, CL1229 de M. Davy Rimane et CL1291 de Mme Blandine Brocard

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je propose de supprimer cet article pour le déplacer au sein du titre consacré à l’outre-mer.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Les propos du Rassemblement national font écho à ceux de M. Darmanin qui reprochait à Mme Le Pen d’être trop molle en matière d’immigration.

Nous demandons la suppression de cet article car nous refusons ces dérogations au droit du sol en Guyane et à Saint-Martin. La République reconnaît tous ses enfants : le droit du sol doit valoir sur l’ensemble du territoire.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Cet article rend plus difficile l’acquisition de la nationalité pour les mineurs étrangers nés dans certains territoires ultramarins de parents étrangers. Ces dispositions visent notamment à appliquer à Saint-Martin le régime juridique d’acquisition de la nationalité actuellement en vigueur à Mayotte.

Cet article qui porte atteinte au droit du sol n’a pas sa place dans cette loi.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Avis favorable. Nous en reparlerons lors de la discussion du volet consacré aux outre-mer, dont M. Serva est le rapporteur.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous comprenons les raisons de cet amendement de suppression. Néanmoins, son adoption fera tomber un amendement de Mme Youssouffa, CL1069, tendant à modifier les règles en vigueur à Mayotte : il s’agit de prévoir que les deux parents, et non un seul comme c’est le cas aujourd’hui, doivent vivre régulièrement depuis trois mois à Mayotte pour que l’enfant puisse prétendre au bénéfice du droit du sol. En outre, l’article 2 ter C porte ce délai à un an. Ces dispositions sont essentielles aux yeux de nos collègues mahorais.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Le groupe Renaissance suivra la rapporteure, tout en se montrant très attentif aux demandes du groupe LIOT concernant Mayotte.

La commission adopte les amendements. En conséquence, l’article 2 ter C est supprimé.

Article 2 ter (nouveau) (Article 21-27 du code civil) : Resserrement des critères d’obtention de la nationalité par le droit du sol

Amendements de suppression CL1697 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure, CL1620 de M. Sacha Houlié, CL719 de M. Andy Kerbrat, CL884 de M. Boris Vallaud, CL1167 de Mme Elsa Faucillon, CL1293 de Mme Blandine Brocard et CL1555 de Mme Marie Guévenoux

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Cet article rend impossible la naturalisation des mineurs nés en France ayant fait l’objet d’une condamnation pour des infractions graves, d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction de territoire avant leur majorité. Je suis défavorable à cette remise en cause du droit du sol. Une telle disposition rendrait plus difficile l’intégration des enfants nés sur le territoire français.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Le droit du sol est indépassable. J’ai entendu que la nationalité française se méritait : encore une fois, je ne vois pas de différence entre quelqu’un qui est né en France de parents français ou de parents étrangers. Nous devons tous être traités de la même manière. Un tiers des Français ont au moins un grand-parent qui n’est pas né en France : il faudrait s’interroger sur les conséquences de ce type de disposition si l’on remontait d’une génération. Même au sein de l’Assemblée nationale, nous ne serions peut-être plus très nombreux… Trêve de plaisanteries. Un enfant né ici est un enfant français.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cet article vise encore à stigmatiser les personnes nées étrangères. Le nombre de personnes concernées par cet article serait dérisoire : il s’agit seulement d’amalgamer étrangers et délinquance. Le droit du sol est un principe qui remonte à plusieurs siècles ; il existait avant même la République. Beaucoup se réclament de l’histoire française et prétendent la défendre, mais on voit combien ils n’en retiennent que ce qui les arrange pour défendre un projet d’exclusion.

Mme Marie Guévenoux (RE). Nous demandons la suppression de cet article, mais le groupe Renaissance ne néglige pas les questions liées aux territoires ultramarins.

M. Romain Baubry (RN). L’acquisition de la nationalité française ne peut être proposée à ceux, même mineurs, qui ont fait le choix de ne pas respecter nos lois républicaines. Ceux que l’on appelle Français aujourd’hui car l’accès à notre nationalité a été bradé sont surreprésentés parmi les délinquants et les criminels, c’est un fait. Jusqu’à quand les Français vont-ils payer par leur sang cette immigration que vous leur imposez ? Jusqu’à quand allons-nous offrir l’hospitalité à ceux qui bafouent nos lois et qui malgré tout peuvent se voir offrir la nationalité française ? Jusqu’à quand entendez-vous faire de ces individus des Français alors qu’ils ont clairement démontré n’avoir aucun respect pour notre pays ? Avec les étrangers, il faut être clair et leur dire : ne comptez pas devenir Français si vous avez décidé de piétiner nos lois.

Si l’extrême gauche y trouve à redire, c’est certainement par souci électoraliste : ne pouvant pour le moment s’assurer les voix du Hamas dans notre pays, ils s’assurent celles des délinquants qui le chérissent dans les quartiers.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le principe du droit du sol est d’une beauté splendide. Il postule que, selon les mots de Jean Jaurès, « la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace ». Nous proposons aux étrangers de faire le choix d’adhérer à la France. La position du Rassemblement national est contraire au génie de notre pays. Le Figaro de Beaumarchais disait des aristocrates qu’ils n’avaient fait que se donner la peine de naître. Eh bien, ces Français du Rassemblement national sont tout pleins de la fierté de s’être donné la peine de naître ; ils se croient de grands génies, pour reprendre les mots de Figaro, et revendiquent le privilège d’être français. Nous considérons, nous, qu’être français est une chance dont nous ne voulons pas priver ceux qui ont eu la chance de naître sur notre sol.

La commission adopte les amendements. En conséquence, l’article 2 ter est supprimé.

Article 2 quater (nouveau) (Art. 21-17 du code civil) : Allongement du délai de résidence de l’étranger de cinq à dix ans avant de pouvoir solliciter une naturalisation

Amendements de suppression CL1695 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure, CL1626 de M. Sacha Houlié, CL720 de Mme Andrée Taurinya, CL885 de M. Philippe Brun, CL1052 de M. Benjamin Lucas, CL1168 de Mme Elsa Faucillon, CL1295 de Mme Blandine Brocard, CL1333 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert et CL1556 de Mme Marie Guévenoux

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Cet article allonge les délais à partir desquels un étranger peut solliciter une naturalisation par décret. Cette disposition constitue une barrière injustifiée à l’intégration. Elle est aussi un cavalier législatif, que je vous invite à supprimer.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Nous nous opposons à cet allongement de cinq à dix ans du délai pour demander la naturalisation, et non pour l’obtenir.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Encore un article qui modifie le code civil et n’a aucun lien avec le sujet du texte. Cet allongement de délai n’a aucune justification : dix ans, pourquoi pas cent ?

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous nous opposons évidemment à ce durcissement de l’accès à la nationalité. C’est une mesure d’affichage, évidemment, mais aussi une façon de plus de tourner le dos à toute ambition d’intégration.

L’instruction des demandes de naturalisation par les préfectures est déjà si longue qu’elle repousse considérablement le moment où l’on peut prétendre à cette naturalisation. Cette mesure est donc disproportionnée et injuste.

Mme Blandine Brocard (Dem). Une procédure de naturalisation va bien au-delà d’un critère de durée de résidence. Il faut montrer sa volonté de s’intégrer à la nation française, avec une connaissance approfondie de notre langue, de notre histoire, de notre culture.

Mme Edwige Diaz (RN). Encore une fois, une partie des macronistes et la NUPES s’allient pour assouplir le texte issu du Sénat. Ce qui ne vous plaît pas, c’est que la durée de résidence nécessaire sur le territoire pour solliciter sa naturalisation passe de cinq à dix ans. Mais une naturalisation, ce n’est pas un acte anodin ! Cela change votre vie et celle de vos enfants. Le Rassemblement national est favorable au maintien de ce délai de dix ans : c’est une durée suffisante pour apprécier les liens que l’étranger entretient avec la France. C’est aussi le délai de validité d’une carte de résident, et c’est cohérent avec les règles adoptées par certains de nos voisins européens, comme l’Espagne, dont le gouvernement est socialiste. Il n’y a rien d’affreux dans cette proposition.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Je ne comprends vraiment pas comment on peut, tout en prétendant aimer notre pays, vouloir que des gens qui ont envie de devenir français ne le puissent pas. C’est vraiment sidérant ! Quand on aime son pays et son peuple, le fait que des gens veuillent appartenir à notre nation doit paraître positif : tiens, un Français de plus, bienvenue dans la communauté nationale ! Le délai est aujourd’hui de cinq ans. Le passer à dix ans, ce serait vraiment n’importe quoi. Dans l’histoire républicaine de notre pays, il y a eu des délais de toute sorte : en 1793, c’était un an. En 1848, on a naturalisé les étrangers qui avaient participé à la révolution : vous voyez à quel point vous vous éloignez de l’histoire républicaine de notre pays.

Apprenez l’histoire de France, si vous voulez être utiles à la patrie.

La commission adopte les amendements. En conséquence, l’article 2 quater est supprimé.

Article 2 quinquies (nouveau) (Art. 958 du code général des impôts) : Augmentation du droit de timbre requis pour le dépôt d’une demande de naturalisation

Amendements de suppression CL1696 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure, CL1627 de M. Sacha Houlié, CL722 de M. Thomas Portes, CL886 de M. Boris Vallaud, CL1169 de Mme Emeline K/Bidi, CL1297 de Mme Blandine Brocard et CL1557 de Mme Marie Guévenoux

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je vous propose de supprimer cet article ajouté par le Sénat, qui augmente le droit de timbre des demandes de naturalisation et de réintégration dans la société française.

Sur le fond, la somme demandée représente une barrière financière. Sur la forme, cette disposition est, comme les précédentes, un cavalier législatif.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Le Sénat a imaginé toutes les barrières possibles, nous en arrivons à celle de l’argent, avec une multiplication des frais par presque cinq. Nous suivrons la rapporteure.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Ce droit de timbre requis dans le cadre d’une demande de naturalisation passerait de 55 à 250 euros : belle inflation. On comprend mal l’intérêt d’une telle mesure qui discrimine sur le fondement de l’aisance financière : la somme de 250 euros peut être dissuasive pour un grand nombre de personnes qui désirent acquérir la nationalité française.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Le Sénat voulait restreindre la nationalité à ceux qui la méritaient, à ceux qui en faisaient expressément la demande… Voilà maintenant qu’il faut en outre avoir les moyens de payer un timbre de 250 euros !

Il est rare de voir arriver des textes comportant autant de cavaliers législatifs, qui plus est aussi incroyables.

Acquérir la nationalité française ne doit jamais être une question financière. Il y va des valeurs de la République.

Mme Blandine Brocard (Dem). Il serait vraiment dommage de limiter l’intégration pour des raisons de timbre fiscal ! Cela n’a aucun sens.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Le passage de 55 à 250 euros est sans doute trop brutal. Je signale néanmoins que ce prix n’a pas changé depuis 2011, alors que le timbre fiscal pour un passeport est récemment passé de 60 à 86 euros. Une revalorisation cohérente ne serait pas forcément inutile.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). J’avoue que c’est l’article qui m’a fait le plus rire. Il n’y avait que la droite pour inventer un truc pareil ! Il y a longtemps, la droite avait inventé le suffrage censitaire : il fallait avoir du fric pour voter. Maintenant, ils inventent la nationalité censitaire ! Heureusement que nous allons repousser cette horreur.

La commission adopte les amendements. En conséquence, l’article 2 quinquies est supprimé.