N° 1992

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIEME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 décembre 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

sur la libéralisation du fret ferroviaire
et ses conséquences pour l’avenir,

 

Président

M. David VALENCE

 

Rapporteur

M. Hubert WULFRANC

Députés

 

——

 

TOME I

RAPPORT

 

 

 Voir les numéros : 1321 et 1446.


La commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir est composée de : M. David Valence, président ; M. Hubert Wulfranc, rapporteur ; Mme Christine Arrighi ; Mme Sophie Blanc ; Mme Anne-Laure Blin ; Mme Pascale Bordes ; M. Guy Bricout ; Mme Danielle Brulebois ; M. Sylvain Carrière ; Mme Mireille Clapot ; M. Hendrik Davi ; Mme Mathilde Desjonquères ; M. Jocelyn Dessigny ; Mme Sylvie Ferrer ; M. Victor Habert-Dassault ; Mme Sandrine Le Feur ; Mme Marie Lebec ; M. Pascal Lecamp ; M. Gérard Leseul ; M. Matthieu Marchio ; Mme Sandra Marsaud ; M. Pierre Meurin ; M. Bruno Millienne ; M. Bertrand Petit ; M. Thomas Portes ; M. Nicolas Ray ; M. Nicolas Sansu ; M. Vincent Thiébaut ; Mme Huguette Tiegna ; M. Jean-Marc Zulesi.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première Partie : Le déclin du fret ferroviaire, commencé dans les années 1970, s’est poursuivi pendant le processus d’ouverture à la concurrence

I. Dans un contexte de désindustrialisation, le déclin du fret ferroviaire s’explique d’abord par l’essor du transport routier et par une priorité accordée au transport de voyageurs

A. La libéralisation de la politique européenne des transports à partir des années 1990 a conduit à la massification du transport routier et contribué au déclin du fret ferroviaire.

1. Une dérégulation aveugle du secteur routier dans les années 1990

a. La politique européenne de libéralisation des transports s’est concrétisée à partir des années 1990

b. La libéralisation du transport routier a été au cœur de la politique européenne des transports à partir des années 1990

2. La transposition en France des dispositions européennes : la dérégulation du secteur

3. La massification du trafic routier s’est faite aux dépens du fret ferroviaire

a. La massification du trafic routier

b. Une massification routière plurifactorielle

B. La désindustrialisation écarte le fret des nouvelles chaînes logistiques

1. La désindustrialisation française se traduit par un abaissement du volume de marchandises transportées par voie ferrée

2. La logique du zéro stock à l’œuvre dans les nouvelles chaînes logistiques limite le fret ferroviaire à certains secteurs spécifiques

C. Le fret, parent pauvre de la SNCF

1. La priorité a été progressivement accordée au transport de voyageurs dans les investissements et dans l’attribution des sillons

a. Des investissements prioritairement consacrés au transport de voyageurs

b. Une politique d’attribution des sillons défavorable au fret

c. Le wagon isolé, une activité de service public essentielle mais structurellement déficitaire

2. Les enjeux environnementaux ont donné un nouvel intérêt au fret ferroviaire :

II. Le droit européen de la concurrence a exigé une libéralisation progressive du secteur ferroviaire, qui aboutit aujourd’hui au projet de démantèlement de Fret SNCF

A. La séparation du gestionnaire de réseau et de l’opérateur : une exigence européenne de séparation comptable

1. La séparation du gestionnaire de réseau et de l’opérateur

a. La directive n° 91-440 et sa transposition par la loi du 13 février 1997

b. Un cloisonnement renforcé par l’évolution du droit européen

2. Les effets néfastes de la séparation pour le réseau et le trafic de fret ont conduit à la réintégration des activités en 2014

a. Une séparation aux effets néfastes pour le réseau et le trafic de fret

b. La réintégration en 2014

B. L’ouverture à la concurrence a eu des effets délétères sur le fret

1. L’ouverture du marché de fret à la concurrence a eu des effets délétères

a. Les directives européennes d’ouverture à la concurrence

b. Dogmatique, l’ouverture à la concurrence a eu des effets délétères sur l’activité de fret

2. L’échec de la libéralisation : des plans successifs d’affaiblissement de l’opérateur historique

C. Une évolution de la nature juridique de l’activité de fret de la SNCF et des garanties dont elle jouit, motivée par le respect du dogme européen

1. La remise en question du statut d’EPIC et de l’organisation du groupe ferroviaire

a. Un statut d’EPIC menacé par l’application du droit européen

b. Une organisation interne du groupe ferroviaire faisant l’objet d’interrogation quant au respect du droit de la concurrence

2. La réforme de 2018, le vœu pieux français d’un apaisement de la Commission européenne

a. La réforme de la gouvernance de la SNCF prévue par la réforme de 2018

b. L’illusion d’un apaisement de la Commission européenne

D. Faire payer à Fret SNCF ses dettes publiques passées : vers la « discontinuité » par le démantèlement

1. L’épée de Damoclès

a. Le risque d’une procédure formelle pousse la France à proposer des options de démantèlement

b. Après la parenthèse du covid-19, le retour du jeu de dupes à l’automne 2022

2. L’ouverture de la procédure par la Commission et la présentation officielle d’un scénario de discontinuité déjà bien établi

a. L’ouverture formelle de la procédure par la Commission européenne

b. La proposition d’un scénario de démantèlement

c. Une solution de démantèlement lourde de risques

d. Une solution brutale marquée du sceau de l’incertitude

deuxième partie : améliorer la part modale du fret ferroviaire grâce à un modèle économique viable

I. rétablir des conditions de concurrence équitables avec la route grâce à une écotaxe bien calibrée

A. Des distorsions de concurrence entre le transport routier et le fret ferroviaire

1. Le transport routier esquive les taxes et les péages

a. L’évitement des péages

b. L’évitement de la fiscalité sur le carburant par le trafic international

c. Le dumping social des transporteurs routiers étrangers

2. Le transport routier ne paye pas pour les nuisances qu’il génère

a. Les externalités négatives du transport routier sont désormais chiffrées

b. Les externalités négatives liées au train sont beaucoup moins fortes

3. Le remplacement de l’écotaxe a renforcé les distorsions de concurrence

a. L’écotaxe : une mesure mal préparée, mal expliquée et hâtivement abandonnée

b. Les transporteurs routiers étrangers gagnants de la réforme finale

4. L’Union européenne a négligé les enjeux de concurrence intermodale

a. La route a davantage bénéficié des fonds européens que le rail

b. La Commission européenne sous-estime l’importance de la concurrence routière

B. au lieu de « mesurettes » peu efficaces, adopter une écotaxe ambitieuse et une stratégie réglementaire

1. L’approche par la fiscalité du carburant ou « l’eurovignette » : de fausses bonnes idées

a. Taux réduit de TICPE sur le gazole routier : un privilège fiscal contesté mais difficile à résorber

b. Une vignette pour les poids lourds étrangers ? Un cadre européen très contraignant

2. Les écotaxes prévues (régionale et autoroutes) s’annoncent décevantes

a. La nouvelle écotaxe sur les autoroutes ne règle pas la question de la gratuité du réseau non concédé

b. La nouvelle écotaxe régionale n’aura rien d’une écotaxe

3. Nécessité d’une écotaxe nationale pour rétablir la concurrence intermodale, favoriser le report modal et financer les infrastructures

a. Le seul moyen de rétablir structurellement la compétitivité du train

b. L’absence d’écotaxe est une exception française qui pénalise la France

c. La nouvelle écotaxe devra être deux à trois fois plus élevée que la précédente

4. Des outils réglementaires insuffisamment mobilisés pour « forcer » le report modal

a. Restreindre l’autorisation de circulation des poids lourds la nuit et le week-end

b. Revenir sur l’autorisation de circulation des 44 tonnes

c. Interdire la circulation des poids lourds sur les routes les plus congestionnées

d. Privilégier le mode ferroviaire dans la commande publique

II. Consolider le modèle économique du fret ferroviaire par une articulation plus cohérente entre la politique tarifaire, les aides à l’exploitation et les investissements

A. La politique tarifaire doit être affinée pour rendre l’activité fret plus rentable

1. Des injonctions contradictoires : faut-il favoriser la compétitivité par rapport au transport routier ou par rapport au train de voyageurs ?

2. La politique tarifaire de l’infrastructure ferroviaire n’a pas vocation à compenser l’insuffisante tarification de la route

3. Une majoration des péages en fonction d’une segmentation fine du marché permettrait de valoriser l’activité fret

4. Les péages pourraient aussi être modulés en fonction de la qualité des prestations et devenir un instrument de pilotage de la performance

B. La montée en charge des aides à l’exploitation pourrait être freinée par les règles européennes d’écrêtement

1. Une montée en charge des aides à l’exploitation depuis le « plan de relance »

2. Le plafonnement des aides à l’exploitation risque de freiner la dynamique de report modal

C. Concentrer les efforts publics sur la réhabilitation et la modernisation des infrastructures

1. Les investissements du plan de relance ont été amplifiés avec la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire

2. Renforcer les investissements dans les infrastructures et les inscrire dans une loi de programmation

III. Les aides d’État sont un prétexte utilisé par la Commission européenne pour réaliser un objectif de longue date : le démantèlement de l’opérateur public

A. La Commission fonde sa procédure sur des biais d’analyse

1. La négligence des caractéristiques du marché et de la concurrence intermodale

2. Les externalités évitées n’ont pas été intégrées au bilan de Fret SNCF

3. Les aides au wagon isolé qui ont été validées ensuite n’existaient pas à l’époque

B. Le pouvoir excessif de la Commission amène à s’interroger sur l’application des principes de l’État de droit dans l’Union européenne

1. Le démantèlement de Fret SNCF : une punition ni nécessaire, ni proportionnée, contraire aux principes généraux du droit de l’Union

2. La procédure comme moyen de pression : le Gouvernement a dû accepter le démantèlement de Fret SNCF pour éviter sa liquidation

a. Des discussions sur le démantèlement bien avant le lancement de la procédure

b. Une volonté délibérée de la Commission européenne de priver Fret SNCF de ses activités rentables

3. La procédure relative aux aides d’État utilisée à des fins politiques : un « détournement de pouvoir » ?

4. L’absence de recours effectif devant la Cour de justice de l’Union européenne

conclusIon

RECOMMANDATIONS

EXAMEN EN COMMISSION

CONTRIBUTIONS des groupes politiques et des députés

1. Contribution de M. David Valence (Renaissance), président de la commission d’enquête

2. Contribution du groupe Rassemblement national

3. Contribution de M. Thomas Portes, M. Sylvain Carrière, M. Hendrik Davi et Mme Sylvie Ferrer, députés du groupe La France insoumise-NUPES

4. Contribution de M. Nicolas Ray, Mme Anne-Laure Blin et M. Victor Habert-Dassault, pour le groupe Les Républicains

5. Contribution de M. Nicolas Sansu, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine

6. Contribution de Mme Mireille Clapot (apparentée au groupe Renaissance)

7. Contribution de M. Gérard Leseul (Socialistes et apparentés)

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES – DÉPLACEMENTS

I. Liste des personnes auditionnées

II. Déplacements

Annexe 1 – Le « plan de discontinuité »

Annexe 2 – Lettre du 24 octobre 2022 adressée par M. Olivier Guersent, directeur général de la concurrence à la Commission européenne, à M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne

Annexe 3 – Note de Fret SNCF sur le caractère insécable de ses activités mutualisées

 

 


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   Introduction

La commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir a été créée et a mené ses travaux dans une période critique pour l’avenir du transport ferroviaire de marchandises en France.

Le 18 janvier 2023, la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager informe la France que la Commission décide d’ouvrir une procédure d’enquête approfondie sur des aides d’État potentiellement illégales au bénéfice de Fret SNCF ([1]).

Le 23 mai 2023, le ministre délégué aux transports, M. Clément Beaune, annonce que l’application à Fret SNCF d’un plan dit « de discontinuité » consistant à céder dès à présent des activités et des actifs à des entreprises concurrentes, à créer deux nouvelles entreprises, l’une ferroviaire, l’autre de maintenance, auxquelles seront transférées, avant le 31 décembre 2024, les activités et actifs restants, et à procéder à la dissolution de Fret SNCF. Selon le Gouvernement, la condamnation de Fret SNCF par la Commission européenne – ou le cas échéant par la Cour de justice de l’Union européenne – est quasi certaine et la discontinuité est la seule solution pour éviter à l’entreprise d’avoir à rembourser un montant pouvant atteindre 5,3 milliards d’euros, ce qui entraînerait sa liquidation immédiate.

Le paradoxe est qu’en parallèle de ce scénario lourd de menaces pour le développement du fret ferroviaire, voire pour le maintien de son activité au niveau actuel, l’Union européenne comme le gouvernement français annoncent des investissements et des aides sans précédent au bénéfice du secteur :

– la première dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe lancé en 2019, avec notamment l’adoption par la Commission, le 11 juillet 2023, d’un nouveau paquet de mesures dénommé « Écologisation du transport de marchandises pour un gain économique supplémentaire et une incidence moindre sur l’environnement ([2]) » ;

– le second dans le cadre de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire ([3]) , dont un des objectifs est de doubler la part modale du ferroviaire dans le transport de marchandises d’ici à 2030, et dans le cadre plus général du plan d’avenir pour les transports annoncé par la Première ministre à l’occasion de la remise du rapport ([4]) du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) le 24 février 2023, plan qui prévoit la mobilisation de 100 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2040.

Si des orientations aussi fortes sont annoncées, c’est bien parce que la crise climatique et le contexte international interdisent tout retard dans la décarbonation de l’économie de la France et de l’Europe et dans la réindustrialisation de leur territoire. Sur ces deux volets, le rôle du ferroviaire est central. Or, dans le même temps, l’Europe contraint la France à démanteler son principal opérateur, détenteur, en dépit de l’attrition de ses effectifs et de ses moyens depuis deux décennies, de savoir-faire sans équivalent et le seul à même d’offrir une couverture complète du territoire.

Le présent rapport, se fondant sur les auditions et les travaux de la commission d’enquête ainsi que sur les documents dont le rapporteur a eu communication, vise à contribuer à la compréhension de ce qui a conduit à une situation à ce point absurde.

Il tentera de faire le point sur les explications du déclin du transport ferroviaire de marchandises en France depuis un demi-siècle, dans un contexte de libéralisation économique mondiale et à l’aune des différentes réformes destinées à appliquer à la SNCF des schémas économiques préconçus et le plus souvent peu adaptés.

Il retracera plus précisément les enchaînements qui ont fait du transport ferroviaire de marchandises le parent pauvre des politiques publiques de transport et qui ont conduit à exposer Fret SNCF à une procédure européenne potentiellement létale.

Il analysera la manière dont l’application par la Commission européenne du principe de « concurrence libre et non faussée » au ferroviaire, déjà contestable en elle-même, s’est accompagnée d’un aveuglement stupéfiant sur la concurrence totalement déséquilibrée et inéquitable de la route au détriment du rail.

Enfin, il proposera des recommandations pour introduire davantage de cohérence et de pragmatisme dans les politiques publiques en faveur du transport ferroviaire, au niveau national comme au niveau européen, tout en invitant dans l’immédiat les autorités politiques françaises à défendre avec davantage de pugnacité, et en s’impliquant au plus haut niveau, les arguments forts qui sont opposables à la Commission européenne pour éviter le démantèlement de Fret SNCF.

 

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*     *

Avant d’entrer dans le détail des analyses, votre rapporteur souhaite partager quelques jalons qui ont marqué les quelque quatre mois de travail de la commission d’enquête.

 

Le désarroi des cheminots

« Un choc », « un coup de massue », « une injustice profonde », « on ne sait plus du tout où on va »…

« Pendant la crise du covid, les collègues du fret ferroviaire étaient les premiers de cordée parce qu’il y avait des denrées importantes à transporter. Or ils sont en train de comprendre qu’un deal a été passé avec une commissaire européenne, sans aucune trace écrite. Personne, même au plus haut niveau du Gouvernement, n’a la moindre trace écrite ([5]). »

« Les agents ne comprennent pas comment, d’un seul coup, on se transforme face à cette discontinuité. Déjà, c’est un mot que l’on n’emploie pas souvent. Les agents, au début, n’avaient pas compris ce que signifiait “discontinuité économique”. On arrivait à une discontinuité d’activité, à une discontinuité de marque. Ce mot emporte beaucoup de significations. Il y a eu une phase de stupéfaction, qui se transforme maintenant en colère. Cette décision de discontinuité est injuste et injustifiée ([6]). »

Aussi bien lors de l’audition des représentants des salariés que lors des échanges qu’elle a eus avec les cheminots à l’occasion de ses déplacements à Woippy et à Fos-sur-Mer, la commission d’enquête a constaté le désarroi profond des personnels – y compris celui de l’encadrement de terrain, dont la réaction est en totale convergence avec celle des « fretteux » –, après les annonces du 18 janvier et du 23 mai.

L’incompréhension et le sentiment d’injustice sont d’autant plus forts que, depuis 2003, l’entreprise a été soumise à d’incessantes restructurations. Ses effectifs sont passés de plus de 15 000 en 2003 à 4 800 aujourd’hui. En 2021 et 2022, enfin, elle a connu des exercices en léger excédent. Les efforts demandés aux salariés commençaient donc tout juste à porter leurs fruits lorsque l’annonce du démantèlement est intervenue.

Outre la crainte pour leur avenir professionnel, soit dans d’autres entités du groupe SNCF, soit dans une nouvelle entreprise dont rien ne garantit la viabilité, les cheminots du fret ont le sentiment qu’on met à l’encan leur mission, qu’ils conçoivent d’abord comme une mission d’intérêt général économique, et qu’on dévalorise irrémédiablement leurs savoir-faire et leur culture de la sécurité.

Le président-directeur général de la SNCF, M. Jean-Pierre Farandou, a bien résumé lors de son audition les caractéristiques de ce métier si particulier :

« Les “fretteux” constituent une famille un peu à part à la SNCF. Faire circuler des trains de marchandises est très particulier. L’activité est étroitement liée à l’économie, puisque les entreprises attendent leurs produits. Les conducteurs sont seuls à bord et responsables de leur train ; ils partent pour de longs parcours, principalement la nuit, avec régulièrement des “découchers”. Ils sont attachés au secteur, à leur entreprise et à leur métier. Ils n’ont rien demandé, mais d’un coup, alors qu’ils sont à Perpignan ou à Woippy, on leur annonce que leur activité va cesser, et dans des délais assez brefs. C’est un choc ([7]) ! »

 

La SNCF emportée par le libéralisme et la dérégulation

Si le présent rapport remonte aux années 1990 pour retracer la chute du fret ferroviaire dans notre pays, il faut rappeler que le déclin s’est amorcé au milieu des années 1970 et que sa trajectoire est corrélée à l’avènement du néolibéralisme mondial : dérégulation et mondialisation des échanges, financiarisation de l’économie, délocalisation de la production industrielle, politique du zéro stock et du juste à temps, rétrécissement du champ des services publics, court-termisme et omission systématique des externalités négatives, en particulier environnementales.

Comme l’a justement rappelé M. Jean-Claude Gayssot au cours de son audition ([8]), c’est en 1991, au plus fort de la vague néolibérale, que l’Union européenne décide l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence par la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer européens ([9]). Dès le départ, il était évident que la SNCF, entreprise intégrée, publique, dotée d’une histoire et d’une identité fortes, capable de grandes réalisations industrielles (le TGV a été mis en service en 1981), ne sortirait pas indemne du cadre qu’on allait progressivement lui imposer. La segmentation des activités de l’entreprise aura été particulièrement néfaste pour le fret, comme elle l’a d’ailleurs été pour le réseau, transformé en 1997 en société indépendante de la SNCF conformément aux exigences de l’Union européenne, puis réintégré dans le groupe en 2014 après une accumulation vertigineuse de dysfonctionnements et de pertes financières.

Pour ce qui est de la libéralisation du fret ferroviaire, le moins que l’on puisse dire est que, de 2003 au démantèlement annoncé de Fret SNCF, elle s’est opérée systématiquement à contretemps :

– contretemps dans la séquence qui va de 2003 (lancement du plan de restructuration) à 2006 (ouverture effective à la concurrence), alors que le trafic de marchandises continue de dégringoler et que tous les opérateurs, y compris ceux qui se lancent sur le marché français, sont en mauvaise santé économique ;

– contretemps aggravé par la grande crise économique de 2008-2009, qui provoque, elle, un effondrement du transport ferroviaire de marchandises pendant plusieurs années ;

– contretemps en 2023, alors que tous, y compris les entreprises concurrentes ([10]), s’accordent à considérer que le traitement infligé à Fret SNCF est néfaste pour le secteur dans son ensemble, alors que la reprise par la concurrence des activités que l’entreprise est sommée de céder n’est pas assurée, alors que les chiffres de l’activité de fret ferroviaire en 2023 sont en nette baisse par rapport aux années antérieures où l’on avait constaté un timide regain, et alors que Gouvernement prévoit un effort budgétaire conséquent pour « soutenir plus et plus vite le fret ferroviaire en France ([11]) ».

Un autre aspect de la mécanique libérale que l’on s’emploie à appliquer à la SNCF touche plus directement les salariés : la réorientation du management vers la réduction systématique des coûts, au détriment de la mise en valeur des savoir-faire et du rôle de l’encadrement de terrain, pourtant essentiel dans une activité où la sécurité est une valeur cardinale. Plusieurs intervenants ([12]) entendus par la commission d’enquête ont alerté sur la perte de sens éprouvée par les cheminots du fret. Le risque psychosocial était déjà important dans une entreprise soumise depuis vingt ans à des restructurations incessantes ; avec le plan de discontinuité, la menace est plus aiguë encore. Cette perte de sens et de repères est d’autant plus dommageable que les métiers du rail sont des métiers essentiels à la décarbonation, objectif d’intérêt général s’il en est, et devraient attirer les générations arrivant sur le marché du travail – mais comment cela pourrait-il être le cas dans une entreprise ayant perdu les deux tiers de ses effectifs en vingt ans et qui serait condamnée à disparaître ?

 

Des échanges avec la Commission européenne menés en toute discrétion

Un des apports des travaux de la commission d’enquête aura été de mettre au jour l’existence d’échanges, d’études et de tractations qui montrent que l’hypothèse du démantèlement a commencé à être très sérieusement envisagée à partir de 2018 au moins, sur les instances de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Mais tout ceci s’est fait loin des regards, à tel point qu’un rapport de la commission des finances du Sénat sur la situation de la SNCF et ses perspectives, déposé en mai 2022, ne fait pas état, probablement faute d’information de la part du Gouvernement, de la concertation qui s’est nouée depuis plusieurs années déjà autour de la discontinuité, se contentant de faire allusion à une menace future :

« À l’occasion de la réorganisation du groupe et de son changement de statut, en application de l’ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019 portant réforme ferroviaire, la dette de Fret SNCF a été intégralement reprise par la société mère. Cette décision, contestée au regard de l’encadrement des aides d’État, fait actuellement l’objet d’un recours auprès de la Commission européenne dont l’issue déterminera les perspectives financières de la société. Si cette reprise de dette venait à être considérée comme une aide d’État non conforme au droit européen de la concurrence, la viabilité et la survie même de Fret SNCF en tant que société par actions simplifiée (SAS) seraient menacées ([13]). »

Alors que plusieurs responsables auditionnés ont soutenu que les échanges dits informels avec la Commission européenne ne laissaient aucune trace écrite, il a fallu attendre l’audition du directeur général de la concurrence à la Commission européenne, M. Olivier Guersent, pour apprendre que les réunions entre la Commission et les parties tierces font l’objet de comptes rendus et que ces derniers sont envoyés pour validation à la partie tierce ([14]).

Sollicité par votre rapporteur dans une lettre du 26 octobre demandant communication de tous les comptes rendus des échanges entre les ministres successifs des transports et Mme Vestager au sujet de Fret SNCF depuis 2016, le ministre délégué aux transports a permis la consultation – mais pas la transmission – des comptes rendus des réunions auxquelles il a lui-même participé, puis, dans un deuxième temps et alors que la rédaction du rapport touchait à sa fin, d’un autre ensemble de comptes rendus.

La consultation a eu lieu au ministère des transports le 23 novembre pour comptes rendus résumant les échanges de réunions tenues sous le ministère de M. Clément Beaune et le 5 décembre pour plusieurs réunions auxquelles ont participé Mme Élisabeth Borne puis M. Jean-Baptiste Djebbari. Si ces documents sont en eux-mêmes très instructifs – ils feront l’objet de développements dans le rapport –, votre rapporteur regrette qu’ils lui aient été présentés tardivement, qu’ils comportent des lacunes – aucun compte rendu entre juillet 2021 et juillet 2022 – et qu’ils ne remontent qu’au début de l’année 2018.

À l’échelon de l’Union européenne, deux hauts fonctionnaires européens, M. Olivier Guersent, directeur général de la concurrence, et M. Kristian Schmidt, directeur des transports terrestres, ont bien voulu répondre aux questions de la commission d’enquête – mais en visioconférence et sans prestation de serment du fait de l’immunité de juridiction dont ils bénéficient. Votre rapporteur déplore que la commissaire européenne à la concurrence n’ait pas apporté elle-même des réponses aux députés français au sujet d’une affaire qui l’a mobilisée de longues années durant et qui emporte pour notre pays des questions majeures de souveraineté industrielle, alimentaire, énergétique et militaire.

De même, il est quelque peu dommageable que les députés européens se soient peu mobilisés pour répondre à la commission d’enquête. Sur les quatre députés contactés, tous spécialistes des transports, seul M. Dominique Riquet a répondu positivement. Son audition ([15]), tout à fait riche et passionnante par ailleurs, fait apparaître que la commission des transports et du tourisme du Parlement européen n’a pas débattu de la situation de Fret SNCF, considérant que l’affaire était du ressort de la commission compétente en matière de concurrence – laquelle, à la connaissance de M. Riquet, ne s’est pas plus saisie de la question.

À la lumière de ce qui précède, le rapporteur estime qu’il reste un long chemin à parcourir pour instaurer un contrôle parlementaire effectif de l’exécutif européen.

 

Ce que l’on sait du plan de discontinuité

Le plan de discontinuité a fait l’objet d’annonces ministérielles mais aucun écrit n’a été rendu public. Or il existe bel et bien un document, que le ministère des transports a rapidement communiqué à votre rapporteur et qui figure en annexe du présent rapport : il s’agit d’une lettre adressée par le ministre délégué aux transports au président-directeur général de la SNCF, lui demandant de « mettre en œuvre une transformation structurelle » de l’activité de fret du groupe et renvoyant à une annexe de deux pages détaillant un « socle de mesures de transformation économique ».

Il est précisé qu’« un expert indépendant (“monitoring trustee”) devra être désigné conjointement par les autorités françaises et la SNCF, au plus tard début 2024, afin de garantir le respect par Fret SNCF et, le cas échéant, par les autres entités du groupe SNCF, existantes ou futures, des différentes mesures ».

Les mesures à mettre en œuvre sont détaillées en sept points qu’il convient de citer.

● « Au cours de l’année 2023, création d’une entité, filiale de Rail Logistics Europe, qui a vocation à devenir, au plus tard au 31 décembre 2024, une nouvelle entreprise ferroviaire dont l’activité sera centrée sur les trains à moyens mutualisés (c’est-à-dire la gestion capacitaire). Fret SNCF puis cette filiale se retirera de l’activité des trains entiers dédiés pour une durée de dix ans à compter du 1er janvier 2024. »

● « Création en parallèle au cours de l’année 2023 d’une seconde nouvelle société au sein de Rail Logistics Europe, à laquelle seraient transférés, au plus tard au 31 décembre 2024, les actifs, dont les installations de service, et les effectifs chargés de la réalisation des opérations de maintenance des locomotives au sein de fret SNCF. »

● « Remise sur le marché de l’intégralité de l’activité de trains entiers dédiés aujourd’hui opérés par Fret SNCF (correspondant à vingt-trois flux opérés principalement pour le compte d’opérateurs de transport combiné), accompagnée de mesures favorisant leur reprise par des opérateurs tiers. »

Ces mesures sont les suivantes :

– remise à disposition du marché de soixante-deux locomotives ;

– dispositif de mobilité volontaire sécurisée et incitation financière pour les conducteurs concernés qui accepteraient de conclure un contrat de travail avec l’opérateur reprenant un des flux ;

– mise à la disposition des opérateurs repreneurs intéressés d’agents de conduite volontaires, pour une durée maximum de 36 mois à compter de la sortie du retrait de Fret SNCF des flux concernés ;

– offre d’une prestation de traction en sous-traitance (locomotive et conducteur) permettant l’exploitation intégrale par des tiers des contrats remis sur le marché, pour une durée de 36 mois également.

L’objectif posé est de mettre fin aux contrats de Fret SNCF avant la fin de 2023, avec une possibilité de prorogation de six mois si le calendrier n’est pas acceptable opérationnellement pour certains clients et « afin d’éviter tout report modal ».

● « Interdiction pour les filiales directes ou indirectes de SNCF SA (existantes ou futures) de se porter candidates aux demandes en gré à gré et aux processus de mises en concurrence organisés par les clients pour la reprise des vingt-trois flux de trains entiers dédiés […], et ce pour une durée de cinq années à compter du 1er janvier 2024. »

● « Toujours dans la même logique de répondre à une majorité des critères de discontinuité, mise en œuvre de la cession ou du transfert de la gestion d’autres actifs de Fret SNCF. »

Les actifs de la nouvelle entreprise devront être diminués de 40 % – en valeur de marché – par rapport à l’ensemble des actifs de Fret SNCF au 31 décembre 2021. Les cessions seront effectuées sous le contrôle de la Commission européenne, qui disposera d’un droit de regard, et devront privilégier le développement d’une concurrence effective dans le secteur du fret ferroviaire. Point particulier : la plateforme logistique de Fret SNCF à Saint-Priest devra être cédée avant la fin de 2024 à un opérateur tiers. Enfin, la marque « Fret SNCF » devra être abandonnée.

● « Détention majoritaire des deux nouvelles entités créées (entreprise ferroviaire et société de maintenance) par le groupe SNCF, mais ouverture de leur capital à un ou plusieurs actionnaires minoritaires.

Le document précise qu’il est envisagé « une ouverture du capital réalisée non pas au niveau de ces deux sociétés, mais au niveau de Rail Logistics Europe » et que le ou les actionnaires minoritaires « pourront être un ou des entités publiques, tout en agissant comme des investisseurs avisés en économie de marché (au sens de la jurisprudence européenne) ».

● « Lancement à partir de janvier 2025 du processus de dissolution de Fret SNCF une fois les deux nouvelles entités créées et une fois que les contrats commerciaux, les contrats des personnels et les actifs nécessaires au fonctionnement des nouvelles entités y auront été transférés et que ces sociétés seront prêtes à rentrer en exploitation. »

*

*     *

Au terme de cette introduction, votre rapporteur souhaite remercier tous les membres de la commission d’enquête qui se sont investis dans ses travaux et ont contribué à la richesse des débats.

Il salue tout particulièrement l’implication et l’énergie du président David Valence. Ancien vice-président de la région Grand Est délégué aux mobilités et aux infrastructures de transport (2016-2022), président du Conseil d’orientation des infrastructures depuis 2021 et président, depuis quelques mois, de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale, M. Valence est à la fois un grand connaisseur des systèmes de transport français et un acteur important de la conception, de la mise en œuvre et du suivi des politiques publiques en la matière. Imprimant sa marque au programme de travail de la commission d’enquête, il a partagé avec générosité ses connaissances et ses analyses avec l’ensemble de ses collègues, quelle que soit leur appartenance politique, et le présent rapport lui doit beaucoup.

Certes, des divergences de vue demeurent et il ne fait pas de doute que M. Valence ne partagera pas forcément toutes les analyses qui vont suivre. Sans doute trouvera-t-il la vision de votre rapporteur un peu trop critique et un peu trop sombre. Il est permis d’espérer que, pour avoir fait vivre pendant plusieurs mois un débat nourri mais jamais polémique, il verra aussi dans ce rapport une tentative sincère de contribuer à atteindre des objectifs qu’il partage.

 


  1  

 

   Première Partie : Le déclin du fret ferroviaire, commencé dans les années 1970, s’est poursuivi pendant le processus d’ouverture à la concurrence

Depuis la fin des Trente Glorieuses, le fret ferroviaire connaît un déclin qui s’explique par l’essor du transport routier et par une priorité accordée au transport de voyageurs, faisant de l’activité fret le parent pauvre de la SNCF. Si les pouvoirs publics semblent avoir enfin pris en compte l’importance du fret ferroviaire ces dernières années, le démantèlement de l’activité fret de l’opérateur historique, tel qu’il est prévu pour échapper à une possible sanction européenne, pourrait réduire à néant la nouvelle dynamique que le Gouvernement dit vouloir enclencher.

I.   Dans un contexte de désindustrialisation, le déclin du fret ferroviaire s’explique d’abord par l’essor du transport routier et par une priorité accordée au transport de voyageurs

Malgré un timide redressement du fret ferroviaire en France depuis 2021 établissant la part modale à 10,6 % en 2022, le fret ferroviaire connaît un déclin continu depuis la fin des Trente Glorieuses. Entre 2000 et 2019, le mode ferroviaire a connu une contraction de ses volumes de fret de plus de 43 %. Sa part de marché sur le transport intérieur de marchandises a baissé de 8 points depuis 2000 pour se stabiliser à environ 9 % au milieu des années 2010. Cette situation contraste avec la moyenne européenne, où la part du transport ferroviaire de marchandises s’établissait à 17 % en 2021. Cette moyenne recouvre des disparités entre les États européens : la part modale du fret ferroviaire atteignait 11,8 % en Belgique, 12,6 % en Italie, 19 % en Allemagne, 33,6 % en Suisse, mais seulement 9 % au Royaume‑Uni et 4,3 % en Espagne en 2021.

La part modale du fret ferroviaire dans les États européens
entre 2005 et 2021

(en %)

 

État

2005

2009

2013

2017

2021

France

11,8

10,6

10,6

11,1

10,6

Allemagne

18

17,9

19,1

18,5

19

Belgique

12,8

11

11

10,7

11,8

Italie

10

9,2

11,8

13,6

12,6

Espagne

5,2

4

5,3

5,1

4,3

Union Européenne

18,5

17,3

18,7

18,1

17

Suisse

33,6

33,5

36,1

34,8

33,6

Source : données Eurostat ([16]).

Le déclin du fret ferroviaire en France peut être attribué à plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’essor du transport routier a joué un rôle prépondérant dans la mesure où la libéralisation du secteur a favorisé son expansion, offrant une flexibilité et une accessibilité accrues aux entreprises. En parallèle, l’évolution des besoins de transport, induite par la désindustrialisation, a également nui au secteur ferroviaire. La diminution des activités industrielles, en particulier de l’industrie lourde, a entraîné une baisse de la demande de transport de marchandises par voie ferrée. Enfin, les politiques publiques ont accordé une priorité marquée au transport de voyageurs, reléguant le fret ferroviaire au second plan. Cette orientation stratégique a conduit à des investissements préférentiels dans les infrastructures dédiées au transport de passagers et contribué à la détérioration de la compétitivité du transport ferroviaire de marchandises par rapport au transport routier.

A.   La libéralisation de la politique européenne des transports à partir des années 1990 a conduit à la massification du transport routier et contribué au déclin du fret ferroviaire.

1.   Une dérégulation aveugle du secteur routier dans les années 1990

À partir des années 1990, l’Union européenne développe une politique des transports qui s’inscrit dans l’ultralibéralisme ambiant et qui se traduit par une dérégulation massive du transport routier de marchandises.

a.   La politique européenne de libéralisation des transports s’est concrétisée à partir des années 1990

Le traité de Rome ([17]) de 1957 comprenait un titre consacré aux transports au sein de la Communauté économique européenne (CEE), mais les divergences de point de vue entre les États membres empêchèrent toute concrétisation de la politique européenne des transports avant les années 1980. L’Allemagne, la France et l’Italie souhaitaient une harmonisation des prix et de la fiscalité avant de s’engager dans une déréglementation libérale. À l’inverse, les Pays-Bas et à la Belgique étaient partisans d’une libéralisation rapide permettant d’élargir l’hinterland de leurs ports de la mer du Nord. Cette divergence d’opinions entre les États membres a entravé la concrétisation d’une politique européenne des transports, faute d’unanimité.

À partir du milieu des années 1980, plusieurs événements institutionnels et politiques placent la question de la libéralisation des transports au centre des débats.

D’abord, un recours en carence du Parlement européen contre le Conseil des communautés européennes devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) pour ne pas avoir rempli les obligations en matière de politique des transports qui lui incombaient en vertu du traité de Rome conduit à la condamnation du Conseil le 22 mai 1985 ([18]). La Cour de justice condamne le Conseil pour ne pas avoir adopté, avant la fin de la période transitoire fixée au 31 décembre 1969, des dispositions relatives à la liberté de prestation de services en matière de transports internationaux et l’admission des transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans les États membres.

Ensuite, l’année 1986 marque un tournant avec l’adoption de l’Acte unique européen, dont le point 3 de l’article 16 remplace la règle de l’unanimité par celle de la majorité qualifiée du Conseil pour les mesures relatives à l’établissement du marché intérieur. Ce changement favorise la mise en place d’un marché commun des transports car la fin d’un nécessaire consensus entre États conduit l’Union européenne à développer une politique des transports fondée sur la libre concurrence.

Dans cette perspective, la Commission européenne adopte le 2 décembre 1992 le Livre blanc sur le développement futur de la politique commune des transports. Elle plaide en faveur de l’ouverture des marchés de transport et « l’achèvement du marché intérieur par élimination des obstacles réglementaires artificiels à la libre prestation de services ([19]) ». Cette stratégie d’ouverture totale à la concurrence, applicable tant à la route qu’au fer, se révélera destructrice pour le fret ferroviaire.

b.   La libéralisation du transport routier a été au cœur de la politique européenne des transports à partir des années 1990

L’Union européenne libéralise à partir des années 1990 le transport routier de marchandises. Sur le fondement de l’article 4 ([20]) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) définissant la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres, les transports sont une compétence partagée entre l’Union et les États. Les dispositions du titre IV du TFUE relatives à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux prévoient la création d’un marché commun des transports, fondé sur l’ouverture à la concurrence du secteur.

Le règlement CEE n° 881/92 du Conseil du 26 mars 1992 relatif à l’accès au marché des transports de marchandises par route ([21]) marque le début de la libéralisation du transport routier international de marchandises. Alors que les transports entre deux États membres n’étaient jusqu’alors possibles que par des accords bilatéraux et qu’ils étaient soumis à des restrictions, le règlement supprime, à partir du 1er janvier 1993, toutes les limites quantitatives et les autorisations bilatérales. Le principe de libre accès à la profession est soumis au respect de trois critères : l’honorabilité, la capacité financière et la capacité professionnelle du transporteur. L’équivalence des diplômes d’entre les différents États membres est reconnue.

Les règles applicables étant peu précises quant à l’utilisation des véhicules lors des trajets de retour entre deux pays et sur la capacité pour les transporteurs d’effectuer des opérations de fret au sein des pays traversés, le règlement CEE n° 881/92 est complété par le règlement n° 3118/93 du 25 octobre 1993 ([22]). Ce dernier permet aux entreprises titulaires d’une licence communautaire délivrée par un État membre d’assurer des services de transport de marchandises par route dans d’autres États membres à condition que ces services soient effectués à titre temporaire. S’il s’agissait d’éviter un retour à vide des camions, le règlement de 1993 ne mentionne aucun délai précis sur le caractère temporaire. Le règlement n° 1072/2009 ([23]) comble cette imprécision en encadrant la pratique du cabotage, désormais limitée à trois opérations dans les sept jours suivant la livraison intégrale des marchandises ayant motivé le transport international.

2.   La transposition en France des dispositions européennes : la dérégulation du secteur

Alors que la France avait jusque-là fait le choix de protéger le chemin de fer avec la mise en place d’un régime de contingentement et de contrôle des prix du transport, la libéralisation européenne du secteur routier conduit à sa totale dérégulation ([24]).

Dès 1934, le secteur des transports routiers de marchandises a été fortement réglementé par une législation visant la coordination entre les modes de transport. Le décret-loi du 19 avril 1934 ([25]) instaure un régime de contingentement des licences de transport afin de réguler « la concurrence désordonnée des transports », laquelle « conduit les diverses entreprises à effectuer du transport à perte ». Toute création d’entreprise de transport est soumise à autorisation gouvernementale et le nombre de véhicules exploités par chacune de ces entreprises est contingenté. Le régime varie selon que les transports concernent une zone courte (moins de 200 kilomètres) ou une zone longue. L’administration délivre une autorisation pour une durée illimitée mais sans contingentement précis. Les licences de transporteur ou de loueur délivrées pour les zones longues et concernent les véhicules de moins de 11 tonnes (classe A), de moins de 19 tonnes (classe B) et de moins de 38 tonnes (classe C). Le transport pour compte propre ou les véhicules agricoles en sont exemptés. Ce système a été assoupli en 1949 puis en 1973.

Le décret n° 86‑567 du 14 mars 1986 a modifié le dispositif en vigueur en substituant au contingentement l’attribution, au niveau régional, d’autorisations de transports en zone longue fondées sur les besoins des entreprises et les catégories de transport. L’ensemble de l’encadrement quantitatif de la délivrance des autorisations a été abandonné en 1990.

Parallèlement au contingentement, le secteur routier était encadré par une tarification spécifique depuis 1961. Les transports en zone courte, les camions de moins de 3 tonnes, les denrées périssables et les transports spécialisés n’étaient pas soumis à cette tarification. Pris en application de l’ordonnance n° 86‑1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 88‑638 du 6 mai 1988 abroge la tarification routière obligatoire au 1er janvier 1989.

Sous l’influence du droit communautaire, les conditions d’exercice de la profession sont désormais limitées à d’autres critères. Le décret du 5 juin 1992 transpose les dispositions de la directive du 9 novembre 1987 ([26]) en exigeant une attestation de capacité professionnelle délivrée sur diplôme, après examen ou après trois ans d’expérience d’encadrement ou de direction dans des entreprises de transport. Les conditions d’accès à la profession sont complétées par le décret du 3 juillet 1992 : les transporteurs doivent faire valoir leur capacité financière et leur honorabilité.

En application du règlement  3118/93 du 25 octobre 1993, le marché unique européen est effectif depuis le 1er juillet 1998, avec la libéralisation du cabotage. En conformité avec les dispositions du règlement, la loi nº 98-69 du 6 février 1998 tendant à améliorer les conditions d’exercice de la profession de transporteur routier, a supprimé tout régime de contingentement des titres administratifs de transport. L’accès au marché du transport routier de marchandises s’effectue désormais librement.

3.   La massification du trafic routier s’est faite aux dépens du fret ferroviaire

Sous l’impulsion de la politique de libéralisation de l’Union européenne, le fret routier s’est imposé comme le mode de transport prédominant, reléguant le mode ferroviaire à l’arrière-plan.

a.   La massification du trafic routier

Dans l’ensemble de l’Union européenne, le transport routier de marchandises connaît une croissance massive, à la faveur de la politique de dérégulation. Alors que le trafic routier représentait en 1970 moins de la moitié du transport de marchandises à l’échelle communautaire, il en représente plus des trois quarts aujourd’hui.

La part modale du fret routier dans les États européens entre 1970 et 2021

(en %)

 

État

1970

1989

2005

2009

2013

2017

2021

France

48,6

65,6

85,6

86,5

86,4

86,6

87,3

Allemagne

47,3

69

69,9

71,8

70,7

72,8

73,6

Belgique

39,5

58,2

73,7

76,7

73,1

73,6

76,8

Union Européenne

48,6

65,5

74,4

76,1

73,9

75,4

77,3

Source : données Conférence européenne des ministres des transports ([27]) et Eurostat ([28]).

En France, l’évolution de la part modale du fret routier suit la même dynamique. Alors qu’elle représentait 48,6 % du trafic de marchandises en 1970, elle représente 85,6 % des échanges en 2005.

Le mouvement connaît une accélération à partir des années 2000 avant de se stabiliser. Sur la période 2000‑2019, le mode routier enregistre un accroissement de ses volumes (322 milliards de tonnes-kilomètres en 2019 contre 277 milliards de tonnes-kilomètres en 2000, soit une hausse de plus de 16 %). La route assure aujourd’hui l’essentiel du transport intérieur de marchandises hors oléoducs, soit 89 % selon les données du CGDD pour 2019.

Il s’agit d’un retournement complet par rapport aux années d’après-guerre, où le train transportait deux tiers des marchandises.

b.   Une massification routière plurifactorielle

Ce passage massif vers le transport routier peut être attribué à plusieurs facteurs d’ordre économique et pratique.

La route apparaît d’abord comme une solution plus économique sur les petites et moyennes distances. À l’inverse, le rapport d’information sénatorial Avenir du fret ferroviaire : comment sortir de l’impasse ? du 20 octobre 2010 rappelait qu’« un kilomètre d’un camion de 40 tonnes en longue distance revient schématiquement à 1,2 euro en 2007 pour une distance de 500 kilomètres parcourus. Pour Fret SNCF, avec un train de 1 800 tonnes brutes et un parcours moyen de 450 kilomètres, le coût à la tonne est de 0,013 euro par kilomètre soit en équivalent camion de 40 tonnes, un coût de 0,51 euro par kilomètre ([29]). »

Il faut noter que la possibilité pour les entreprises de transport routier de proposer à leurs clients des coûts réduits est favorisée par l’élargissement, en 2004, de l’Union européenne aux pays de l’Europe de l’Est où les coûts de main-d’œuvre sont moins élevés. La libéralisation du secteur favorise ainsi le déclin de la place des entreprises françaises dans le transport routier international de marchandises. Selon un rapport du Sénat sur le dumping social dans les transports européens ([30]) , la part de marché européen du pavillon français est passée de 50 % en 1999 à 10 % une décennie plus tard – étant entendu que le périmètre a également évolué dans la période. La libéralisation du transport routier a de fait créé des conditions de concurrence de plus en plus insoutenables pour le ferroviaire.

Surtout, la route est considérée par les chargeurs comme plus souple et plus facile d’utilisation pour desservir l’ensemble du territoire. Le transport par camion permet effectivement une desserte plus fine du territoire, du fait du meilleur maillage du territoire national. En 2008, le réseau ferré national comptait un peu moins de 30 000 km de voies, tandis que les routes et autoroutes totalisaient près d’un million de kilomètres ([31]).

La densité de ce maillage confère au réseau routier une meilleure résilience aux aléas quotidiens, offrant suffisamment d’itinéraires alternatifs pour contourner les zones de travaux ou d’accident. Cette fiabilité a été régulièrement avancée par les entreprises comme une justification de leur choix de privilégier le transport routier, comme en témoignent les auditions menées par la commission d’enquête.

Le transport par camion offre également une flexibilité opérationnelle. Contrairement au fret ferroviaire, qui nécessite la présence d’un terminal dans chaque site desservi, le transport par la route est plus adaptable, chaque camion disposant de sa propre porte de chargement. C’est pourquoi les entreprises choisissent de placer les installations de leur chaîne logistique au plus près du réseau routier et autoroutier, garantissant un accès rapide aux infrastructures. Cette proximité avec les routes devient un atout majeur dans un contexte de concurrence intermodale, où le transport ferroviaire se trouve désavantagé par sa moindre flexibilité. Au cours de son audition, l’entreprise Amazon a confirmé cette tendance en indiquant qu’aucun de ses entrepôts en France, pas même les plus récents, n’était connecté au rail ([32]).

Afin de pallier le déficit d’embranchement ferroviaire, votre rapporteur recommande d’agir à la fois sur l’existant et sur l’avenir.

 

Recommandation n° 1 :  Inviter les pouvoirs publics à engager, avec les entreprises de la logistique, de la grande distribution et les marchés d’intérêt national une « revue des embranchements de fret ferroviaire » ouvrant droit à appel à projet pour les installations existantes du territoire.

 

Recommandation n° 2 : Généraliser et systématiser un volet d’étude de desserte ferroviaire pour tout projet d’entreprise stratégique, de plateforme logistique importante ou de parc d’activité d’intérêt régional ou métropolitain, notamment dans les projets éligibles au plan France 2030.

L’ensemble des chaînes logistiques s’organisant progressivement autour de la route, l’interconnexion avec les grandes infrastructures est négligée.

Les ports français sont insuffisamment reliés aux voies de chemins de fer. Comme le regrettait Mme Anne-Marie Idrac lors de son audition, les connexions des ports avec le réseau ferré sont largement déficitaires en France : « À l’heure actuelle, c’est désolant. À Hambourg la part de ce qui entre et de ce qui sort qui est acheminé par des transports lourds, ferroviaires ou fluviaux, est de l’ordre de 35 % à 40 % en France, hormis à Dunkerque, on est plutôt à 5 % ou 1 % ([33]). »

Cette situation contraste avec l’intégration observée dans d’autres États, comme le rappelle M. Jean‑Baptiste Djebbari, ancien ministre des transports : « Bien souvent, à Singapour, au Canada, dans les ports de la Baltique et même plus près de chez nous, le fret ferroviaire a été intégré d’emblée et de façon substantielle, c’est-à-dire en visant des parts de marché allant de 30 à 50 %, dans le fonctionnement du port. […] En tout cas, beaucoup de ports ont construit leur avantage compétitif en intégrant la dimension ferroviaire, le transport maritime massifié et l’interconnexion avec le mode fluvial. C’est moins vrai en France : on a beaucoup travaillé sur le système ferroviaire dans son ensemble, mais on ne l’a que très peu connecté ([34]). »

Face à ce constat, les ports français ont pris des initiatives mais celles-ci demeurent balbutiantes et ne permettent pas encore d’assurer une véritable intermodalité et d’entamer un report modal de la route vers le fer.

Le port de Marseille a engagé une stratégie de développement du ferroviaire pour étendre l’hinterland du port. Le ferroviaire, dont la part modale représente actuellement 16 %, a connu un triplement du volume des conteneurs transportés sur les trains sur ces dix dernières années. Au cours de son audition, Mme Fabienne Margail, cheffe du département solutions intermodales et passage portuaire du port de Marseille, affichait des objectifs ambitieux de développement de la part modale ferroviaire pour 2030 et 2040 : « Pour 2030, nous avons ciblé dans notre projet stratégique une part de 20 %. Pour 2040, nous avons réalisé un exercice sur la zone industrielle ou portuaire de Fos, visant un report modal ferroviaire de 25 %, globalement massifié de 35 % ([35]) ».

Le port fluvial de Strasbourg prévoit la création d’une deuxième gare de fret ferroviaire dans le partie sud d’ici 2027, en complément de la première structure qui assure 1,2 million de tonnes annuelles sur le ferroviaire.

Le port de Dunkerque, où le ferroviaire est historiquement plus développé, consacre ses prochains investissements à l’amélioration de son réseau ferroviaire portuaire en rationalisant les postes de commande, en augmentant la longueur des voies pour charger et décharger sans rupture des trains complets et en développant notamment des infrastructures permettant de capter le trafic roulier.

De même, le port du Havre affiche également très clairement son ambition stratégique de développer le fret ferroviaire dans le cadre de Haropa. Parmi les actions prévues, le port poursuit la régénération et la modernisation de son réseau ferré et la desserte ferroviaire des terminaux à conteneurs, ainsi que l’optimisation des interfaces ferroviaires sur Port 2000.

Ces actions volontaristes, favorisées par la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, doivent être saluées. Elles ne compensent toutefois pas la tendance lourde de défaut d’intermodalité, faute d’investissements en ce sens durant les dernières décennies.

 

Recommandation n° 3 : Favoriser l’harmonisation des dispositions les mieux-disantes mises en œuvre par les grands ports français, notamment dans le cadre de leurs prérogatives en matière de domanialité publique, pour développer les infrastructures ferroviaires.

 

B.   La désindustrialisation écarte le fret des nouvelles chaînes logistiques

L’évolution de la structure de l’économie affecte la nature des marchandises transportées et les impératifs auxquels elles sont soumises du fait de l’évolution des besoins des entreprises et des consommateurs. La désindustrialisation et la logique du zéro stock ont largement contribué au déclin du fret ferroviaire.

1.   La désindustrialisation française se traduit par un abaissement du volume de marchandises transportées par voie ferrée

Le processus de désindustrialisation continu depuis les années 1970 a contribué au déclin des besoins de transports de marchandises par voie ferrée.

Sous l’effet de la mondialisation et face à la concurrence des États émergents, la France, faute d’une politique industrielle ambitieuse, connaît un processus rétrécissement et de déstructuration de son tissu industriel comme le démontrent les conclusions de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale de janvier 2022 sur la désindustrialisation ([36]). La réduction des temps de transport, le développement des technologies de l’information et la mobilité des capitaux provoquent la disparition d’une partie des usines du territoire national. Le nombre d’emplois industriels et la part de la valeur ajoutée industrielle dans le produit intérieur brut (PIB) ont été divisés par deux en cinquante ans. Alors que l’emploi industriel est relativement stable jusqu’en 1974, occupant 5,4 millions d’actifs, les décennies suivantes marquent un recul continu de la part de l’industrie dans l’emploi total et un effondrement de ses effectifs. Le recul est massif : entre 1974 et 2018 les branches industrielles ont perdu 2,5 millions d’emplois, soit près de la moitié de leurs effectifs. L’industrie ne représente plus aujourd’hui que 10,3 % du total des emplois. De la même manière, l’évolution de la part de la valeur ajoutée industrielle dans la valeur ajoutée totale a fortement décru, en passant de 16,2 % du PIB en 1995, à 15,7 % en 2000, 12,7 % en 2007 et 10,1 % en 2017 ([37]).

La désindustrialisation diminue le volume de marchandises à transporter sur de longues distances au sein du territoire national. M. Louis Gallois, ancien président de la SNCF rappelait ainsi lors de son audition par la commission d’enquête que « l’industrie lourde ayant disparu, l’une des bases les plus solides du trafic de fret a elle aussi disparu. Quand je suis arrivé à la SNCF, des trains de minerai circulaient encore entre la Lorraine et Dunkerque : on transportait des brames dans les deux sens ([38]) ».

Les marchandises autrefois transportées par le train ont connu une baisse de trafic sous l’effet de la désindustrialisation, entraînant ainsi une baisse du volume du fret ferroviaire dans son ensemble. L’exemple le plus emblématique est celui du charbon. Alors que la première ligne de chemin de fer a été ouverte en 1827 en France pour assurer le transport du charbon entre Saint-Étienne et Andrézieux avec des wagons tractés par chevaux, la régression du charbon au profit d’autres énergies à partir des années 1960 puis la disparition de l’exploitation minière sonne le glas de ce flux majeur pour le fret ferroviaire.

La situation française se distingue nettement de celle de l’Allemagne, où la production de charbon perdure. La préservation des mines de charbon outre-Rhin contribue à la vitalité du fret ferroviaire allemand. Entre le début des années 2000 et 2008, le fret ferroviaire en Allemagne a augmenté de près de 50 %, passant de 70 milliards à 110 milliards de tonnes-kilomètres. Cependant, comme l’explique le professeur Yves Crozet, la croissance de 40 % du fret ferroviaire observée en Allemagne entre 2000 et 2011 s’est effectuée au détriment du transport fluvial, sur le Rhin, la Moselle et le Danube, et non au détriment de la route, ce qui conduit à relativiser le bénéfice environnemental de cette augmentation ([39]) .

En revanche, sur la même période, le trafic fret de la SNCF a connu une baisse significative, passant de 50,4 milliards de tonnes-kilomètres en 2000 à 35,9 milliards en 2008, soit une diminution de plus de 28 %. Bien que le différentiel observé entre la France et l’Allemagne ne puisse être pleinement attribué au maintien du trafic de charbon car il obéit à d’autres facteurs comme la structure du réseau ou la densité du tissu industriel, il y contribue fortement.

2.   La logique du zéro stock à l’œuvre dans les nouvelles chaînes logistiques limite le fret ferroviaire à certains secteurs spécifiques

Parallèlement à la désindustrialisation, le paysage du fret subit des mutations qualitatives, se déplaçant progressivement vers le domaine de la logistique. La logique du zéro stock, également connue sous le nom de « juste à temps », a profondément transformé les chaînes logistiques au cours des dernières décennies. Cette approche stratégique vise à réduire le plus possible, voire à éliminer, les niveaux de stockage intermédiaire entre les différentes étapes de la chaîne d’approvisionnement.

Cette nouvelle logique conduit les chargeurs à assurer un approvisionnement en flux tendu et à privilégier la route. En n’achetant que les quantités de produits strictement nécessaires juste au moment où ils sont nécessaires, la production repose sur une étroite synchronisation entre la production et la demande réelle, qui permet de réduire les niveaux de stocks inutiles. La fiabilité du camion pour assurer ce type de transport conduit les chargeurs à délaisser le ferroviaire, les trains n’étant pas adaptés pour répondre à cette nouvelle structure de l’industrie.

Cette mutation du fret a été illustrée par M. Bruno Meneret, directeur national Transport du groupe Auchan, lors de son audition : « Nous sommes distributeurs et nous livrons les magasins grand et petit format à partir de quarante-cinq entrepôts sur le territoire national. Nous effectuons cette distribution dans des délais assez courts, “A pour A” et “A pour B”, soit des livraisons en flux tendus. Environ 1 500 à 2 000 camions effectuent en moyenne 200 kilomètres tous les jours pour livrer les magasins. Notre organisation de transport fonctionne sur le principe de juste à temps, avec une exigence de ponctualité extrêmement forte vis-à-vis des magasins, la qualité de service étant prépondérante dans nos organisations, afin que l’ensemble de la chaîne logistique puisse acheminer les marchandises dans l’ordre, dans les délais, et surtout vers un certain nombre de magasins qui n’ont pas de stocks ([40]). »

Mme Anne‑Marie Idrac, actuellement présidente de France Logistique, a également évoqué cette évolution lors de son audition en mettant en exergue les exigences contemporaines de déplacements de marchandises en petits lots et à une fréquence plus élevée : « Le fret ferroviaire est une solution pertinente pour des centaines de tonnes et, le plus souvent, des centaines de kilomètres. Or nous assistons à un mouvement général de démassification, avec le “juste à temps” dans les usines, avec la diversification des gammes industrielles, automobiles par exemple, avec les réassorts permanents. L’ecommerce accentue cette évolution ([41]). »

              La SNCF n’a pas pris la mesure de cette évolution structurelle dans son organisation interne, comme l’explique Mme Sylvie Charles, ancienne directrice de Fret SNCF, lors de son audition par la commission d’enquête, ce qui pénalise fortement l’entreprise : « La SNCF n’avait pas non plus tiré les conséquences du “juste à temps”, qui est apparu dans les années 1980 et s’est généralisé au tournant du siècle. Celui-ci s’organise ainsi autour d’un nombre croissant de petits lots et d’une moindre anticipation. Sous prétexte d’une commande de sillons à réaliser dix-huit mois à l’avance, Fret SNCF avait conservé des process très datés. Les équipes de concepteurs établissaient ainsi dix mois à l’avance, pour chaque trafic, la manière dont la production serait réalisée. Puis l’équipe d’adaptateurs refaisait 60 % de ce qui avait été prévu au préalable, car les clients avaient évolué de leur côté ([42]). »

En revanche, le fer se positionne plus favorablement dans les secteurs industriels de l’acier, de la chimie et des matières dangereuses où les trafics sont réguliers, massifs et de longue distance. La part modale du fret sur les années 2015 à 2019 atteint ainsi 42 à 49 % pour les métaux et produits métalliques, près de 25 % pour les produits chimiques, en plastiques et les produits des industries nucléaires ([43]). Le ferroviaire fait ainsi partie intégrante des chaînes de transports de l’industrie nucléaire, comme l’a démontré l’audition des représentants d’Orano et d’EDF par la commission d’enquête ([44]), et seul Fret SNCF est capable d’assurer ce service.

 

Recommandation n° 4 : Consolider les flux stratégiques existants de Fret SNCF, ou de ce qui constituera sa nouvelle entité.

 

Recommandation n° 5 : Capter des flux stratégiques nouveaux, comme celui des déchets.

Parallèlement, le développement du commerce électronique conduit à une évolution de la nature des flux de marchandises transportées. La vente de produits sur les réseaux de télécommunications à destination des consommateurs finaux connaît une forte expansion avec la généralisation de l’usage de l’internet. La Fédération de l’e‑commerce et de la vente à distance (FEVAD) évaluait à 62,3 milliards d’euros le chiffre d’affaires des ventes de biens en ligne en 2022 ([45]). Le nombre de colis livrés chaque année au titre du commerce en ligne dépasse désormais le milliard, soit environ quatre millions de colis par jour, avec des pointes à dix millions en période de fête ([46]). La nature de ces marchandises, l’attente d’immédiateté du consommateur et la livraison à domicile ont logiquement conduit les entreprises à privilégier la route, excluant le fer des nouvelles chaînes de transport de marchandises.

Le fer est écarté des chaînes de transports logistiques, comme en témoigne M. Philippe François, président d’Objectif OFP : « La France possède 4 286 entrepôts et plateformes logistiques (EPL) de plus de 5 000 m², ce qui ne comprend pas les entrepôts dits du dernier kilomètre qui vont desservir le territoire où ils sont implantés. Parmi eux, seulement 41 sont embranchés, soit 1 % des plateformes logistiques raccordées au ferroviaire ([47]). »

La désindustrialisation de l’économie française et la nouvelle logique du zéro stock ont largement nui au volume de marchandises transportées par le fret. Si le déclin du fret ferroviaire est le fruit de dynamiques externes à l’opérateur historique, le déclin largement constaté peut également être imputé à la stratégie adoptée par les pouvoirs publics et par la direction du groupe envers la branche fret de la SNCF.

C.   Le fret, parent pauvre de la SNCF

Au sein de l’opérateur historique, la branche fret a été fortement négligée au profit du trafic voyageurs, plus rentable et politiquement plus valorisé.

1.   La priorité a été progressivement accordée au transport de voyageurs dans les investissements et dans l’attribution des sillons

Si le transport de marchandises était initialement l’activité principale de la SNCF, la tendance s’est progressivement inversée.

En 1938, première année d’existence de la SNCF, la part du transport de marchandises était légèrement majoritaire avec 26 milliards de tonnes-kilomètres de fret et 22 milliards de voyageurs-kilomètres ([48]). Cette situation perdure pendant les Trente Glorieuses, période durant laquelle deux tiers du transport ferroviaire sont du fret, contre un tiers de trains de voyageurs. Le pic de trafic est atteint en 1974, avec 74 milliards de tonnes-kilomètres contre 47,3 milliards de voyageurs-kilomètres. En 2000, la décroissance du fret reste limitée encore relativement limitée en valeur absolue, avec 55 milliards de tonnes-kilomètres, avant que la chute ne s’accentue dans les années suivantes. En revanche, l’évolution en valeur relative est bien plus marquée, à mesure que s’accroît le trafic voyageurs.

Évolution en volume du transport de voyageurs et du transport de marchandises en France depuis la naissance du chemin de fer

(en voyageurs-kilomètres et en tonnes-kilomètres)

Source : SNCF.

Progressivement, la SNCF accorde la priorité au transport de voyageurs et délaisse le fret, qui souffre d’une désaffection des politiques publiques malgré les plans périodiques de soutien affichant l’importance du fret. Au cours de son audition, Mme Anne‑Marie Idrac admettait qu’« il est possible que dans le passé le fret n’ait pas été la meilleure roue du carrosse ([49]) », tandis que M. Dominique Bussereau, ancien ministre des transports, rappelait que « la SNCF n’a pas toujours été amoureuse de son fret. Mon parrain était conducteur de train quand j’étais enfant. Lorsqu’il conduisait un train de marchandises, il parlait d’un “train de patachon” ([50]). »

Cette désaffection se traduit à la fois dans les choix d’investissements de la politique ferroviaire, essentiellement orientée vers le développement des lignes à grande vitesse (LGV), la politique d’attribution des sillons et la négligence, en interne pour la politique du fret. Comme le rappelle M. Gilles Dansart, directeur de Mobilettre au cours de son audition : « Les compétences de la SNCF sont plutôt dirigées vers l’activité de transport de voyageurs, notamment sur le TGV. […] En 2013, un ancien dirigeant de la SNCF haranguait ainsi les journalistes : “Cessez de faire de la réclame pour le fret ferroviaire ! Les marchandises ne votent pas. Laissons-les, comme les Chinois, emprunter la route” ([51]). »

a.   Des investissements prioritairement consacrés au transport de voyageurs

La priorité accordée au transport de voyageurs se manifeste d’abord par l’ampleur des investissements qui y sont consacrés.

Des investissements massifs sont dédiés au développement des lignes à grande vitesse. Comme le résume M. Thierry Roy, ancien administrateur du conseil d’administration et ancien membre du comité d’entreprise de la SNCF lors de son audition : « À cette époque, le TGV était la grande affaire de la SNCF ([52]). » M. Philippe Duron, co‑président de TDIE ([53]) expliquait ainsi : « À partir des années 1980, la modernisation et le salut de la SNCF sont passés par la grande vitesse, qui a mobilisé une part importante des forces vives de l’entreprise et des investissements ([54]). ».Le 22 septembre 1981, le président François Mitterrand inaugure la première ligne à grande vitesse Sud‑Est. En dix ans, le trafic annuel de la ligne passe 10 à 17 millions de voyageurs soit une progression de 70 %. La ligne à grande vitesse Atlantique est mise en service en septembre 1989 pour la branche Bretagne puis en septembre 1990 pour la branche Aquitaine. Dans les années 2000, l’ouverture de la LGV Méditerranée en 2001 puis de la LGV Est en 2007 témoigne de la priorité accordée au transport de voyageurs à grande vitesse dans les investissements. Au total, la SNCF a investi plus de 100 milliards d’euros pour le TGV depuis 1981.

En comparaison, les investissements dédiés à l’entretien du réseau, essentiels au fret ferroviaire sont largement insuffisants. Dès 2005, le rapport de l’École polytechnique de Lausanne ([55]) constate le mauvais état du réseau national. La France investit sensiblement moins dans la maintenance de son réseau ferré que la Grande-Bretagne, l’Italie ou l’Espagne, ce qui conduit à une dégradation continue de l’infrastructure, responsable d’une fragilité du réseau.

La politique d’investissement pour l’entretien et la modernisation des voies est prioritairement consacrée au transport de voyageurs. Le rapport sénatorial sur l’avenir du fret ferroviaire de 2010 constatait ainsi que l’électrification des lignes de fret était loin d’être abouti sur le réseau ferré national. Alors qu’il n’existait pas de « lignes électrifiées digne de ce nom entre le port du Havre et la région parisienne, la ligne Le Havre-Paris par Rouen est bien entendu électrifiée depuis plus de cinquante ans ([56]) ».

Par ailleurs, la vétusté de certaines lignes, notamment les lignes secondaires (groupe UIC 7 à 9) dont le fret ferroviaire est un utilisateur conséquent, pénalise particulièrement le transport ferré de marchandises. Au cours de son audition par la commission d’enquête, M. Louis Gallois le constatait sans équivoque : « Les infrastructures ferroviaires du fret n’ont pas été modernisées, […] elles étaient probablement en partie obsolètes, et […] en dehors de certains chantiers de transport combiné, elles ont bénéficié de très peu d’investissements. RFF avait une tendance naturelle – que je ne critique pas – à donner la priorité aux investissements qui pouvaient lui rapporter en péages. Or, le fret rapportant peu, RFF ne pouvait aller que vers les voyageurs, dont il devait assurer la sécurité du transport ([57]). »

Plus largement, l’ensemble du réseau est insuffisamment modernisé et digitalisé, ce qui nuit à la fréquence des trains sur le même itinéraire. M. Kristian Schmidt, directeur des transports terrestres à la Commission européenne rappelait, au cours de son audition, le retard français dans le développement du système European Rail Traffic Management System (ERTMS) : « Il faut également inclure tous les investissements nécessaires à la digitalisation du système ferroviaire, en dépit du manque d’innovation dans le secteur. Par exemple, le système européen de signalisation des trains, European Rail Traffic Management System (ERTMS) permet de ne pas changer de locomotive aux frontières, d’assurer la sécurité des opérations et d’augmenter la capacité de lignes aux systèmes de cantonnement vétustes. Alors que les entreprises françaises figurent parmi les premiers producteurs de ce système, la France accuse un retard considérable pour son déploiement sur son réseau national : le taux de déploiement en France est de 12 % seulement quand la moyenne européenne se situe à 25 %. De plus, les coûts de l’ERTMS sont beaucoup trop élevés en France, à 424 000 euros par kilomètre contre 175 000 euros par kilomètre en Allemagne  ([58]). »

b.   Une politique d’attribution des sillons défavorable au fret

Le déséquilibre en faveur du transport de voyageurs se traduit également par la priorité d’attribution des sillons au transport de personnes plutôt qu’au fret. Hormis les lignes capillaires fret où aucun service de transport de voyageurs n’est organisé, la France ne dispose pas de lignes strictement dédiées au transport de marchandises, ce qui entraîne l’emprunt des mêmes lignes pour plusieurs usages. Les trains de marchandises se retrouvent ainsi en concurrence avec les trains de voyageurs, qui sont aujourd’hui considérés comme prioritaires par SNCF Réseau.

Durant son audition, M. Marc Véron, ancien directeur général délégué fret à la SNCF de mai 2003 à 2006, présentait l’absence de réseau dédié l’une des raisons du déclin du fret : « Si l’on n’a pas un réseau dédié – comme celui qui est affecté au TGV, par exemple – cela ne peut pas marcher. Or les voies sont empruntées indistinctement par des convois de fret et des trains de transport régional de voyageurs. De 5 heures à 22 heures, cette compétition se règle très simplement : si le convoi de fret n’est pas prêt à 5 heures, il est renvoyé à la nuit suivante. C’est totalement inadmissible pour un donneur d’ordre, alors que l’industrie française fonctionne à flux tendus, avec le niveau de stocks le plus bas possible  ([59]). ». Selon lui, l’absence de réseau dédié est défavorable à la qualité du service assuré : « Autrefois, la SNCF transportait des produits réfrigérés, tels que le lait ou le yaourt, ce que l’on a peine à croire aujourd’hui. L’appauvrissement du trafic s’est considérablement accéléré du fait de l’absence de qualité, laquelle s’explique principalement par l’absence de réseau dédié ([60]) ».

La politique d’attribution des sillons opérée par le gestionnaire d’infrastructure se révèle trop rigide et implique un travail d’anticipation de la part des entreprises ferroviaires, insuffisamment compatible avec les réalités du marché du transport. L’adéquation de l’attribution des sillons aux opérateurs ferroviaires par rapport à leur demande demeure perfectible. En particulier, le taux brut de sillons-jours attribués au fret à l’horaire de service 2019 est notablement inférieur à celui du transport de voyageurs (66 % contre 89 %) et en recul de deux points par rapport à 2018 ([61]).

Sur ce point, tous les acteurs sont conscients qu’il convient de réduire le délai de réponse aux demandes de sillons effectuées par les opérateurs et de sanctuariser de sillons sur les axes structurants.

Le trafic voyageurs absorbant la quasi-intégralité des capacités de jour du réseau, les trains de fret ne peuvent circuler que la nuit, période pendant laquelle ils sont pénalisés par les travaux d’entretien du réseau. Au cours de son audition, M. Dominique Bussereau expliquait ainsi que « les travaux ferroviaires sont devenus des travaux de nuit ce qui a cassé les sillons traditionnellement utilisés pour le fret. À titre d’exemple, sur la ligne classique Paris-Bordeaux, qui passe par Orléans, Saint-Pierre-des-Corps, Poitiers et Angoulême, une seule voie est en circulation la nuit. L’organisation du système de travaux ferroviaires n’a donc pas favorisé les choses ([62]). »

L’indisponibilité des sillons liée aux travaux est accentuée par le mouvement engagé pour combler le retard de sous-investissement. Dans le cadre du contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau pour 2021-2030, la trajectoire d’investissements en régénération a été augmentée et relevée à 2,8 milliards d’euros par an. La Première ministre a également annoncé en février dernier un plan de 100 milliards d’euros d’ici à 2040 pour le transport ferroviaire. Ce rattrapage est absolument essentiel pour l’avenir de l’activité ferroviaire dans son ensemble mais contribue à raréfier les sillons disponibles pour le fret.

Il conviendra donc d’optimiser le recours aux travaux de jour sur l’infrastructure réseau grâce à des équipes dédiées afin de libérer des sillons de nuit.

La levée des freins au développement du fret ferroviaire sur ses segments de pertinence passe en effet en priorité par la disponibilité et la fiabilité des sillons ferroviaires.

La nécessité d’une amélioration de la qualité du réseau fait consensus et devrait se concrétiser du fait des financements accrus qui devraient être dédiés aux investissements. M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, le rappelle en ces termes : « La mère des batailles, pour le fret comme pour les voyageurs, c’est le réseau ! Le réseau est parfois saturé ou en mauvais état. Il faut donc investir massivement. J’ai entendu le Gouvernement annoncer une enveloppe de 4 milliards d’euros d’ici à 2032, dont 2 milliards d’ici à 2027 ([63]). »

La difficulté posée par la priorité d’attribution des sillons au trafic voyageurs et par les travaux est renforcée par la structure du réseau en étoile depuis Paris, qui favorise la congestion. Au cours de son audition, M. Jacques Rapoport, ancien président de Réseau ferré de France, rappelait cette difficulté et mettait en exergue les différences avec la situation Outre-Rhin : « Nous avons en France un réseau en étoile depuis Paris, comme cela est également le cas en Angleterre. Les autres pays européens ont un réseau maillé qui leur permet de proposer presque toujours des voies de contournement au cas où une voie ne pourrait pas être empruntée en raison de travaux. Le réseau en étoile complique le traçage des sillons fret, qui sont généralement des sillons de longue distance. Or ces sillons risquent d’être plus fréquemment confrontés à des travaux. Ce problème est essentiel, il n’existe pas en Allemagne. ([64]). »  Les conditions de circulation des trains de fret en Île‑de‑France, où les fortes densités de circulation et les besoins importants de réalisation des travaux rendent complexes la répartition des sillons, sont symptomatiques des effets de congestion constatés sur le réseau.

Afin de pallier cette difficulté, l’État et les régions, en concertation avec les métropoles, pourraient définir un schéma d’accès spécifique au transport ferroviaire fret à l’échelle de chaque département. Mme Anne‑Marie Idrac suggérait que les « contrats de plan État-région (CPER) comportent un volet relatif au fret : non seulement cela manifeste l’intérêt de l’État, mais cela mettra les régions dans le coup, y compris sur la question des sillons ([65]). »

Recommandation n° 6 : Définir un schéma d’accès spécifique au transport ferroviaire de marchandises à l’échelle de chaque département.

 

Recommandation n° 7 : Intégrer systématiquement les besoins du fret ferroviaire dans les projets de services express régionaux métropolitains.

c.   Le wagon isolé, une activité de service public essentielle mais structurellement déficitaire

L’activité de wagon isolée, essentielle au nom des missions de service public de l’opérateur ferroviaire, est devenue structurellement déficitaire. Son maintien, s’il ne peut être exclu, rend délicat l’équilibre financier de l’activité de la SNCF.

Le segment appelé « wagon isolé » repose sur la constitution de trains à partir de l’assemblage de wagons individuels « isolés » ou de groupe de wagons, les « coupons », provenant de différents clients. Ces wagons ont des origines et des destinations différentes, ce qui implique des activités de tri et d’assemblage supplémentaires.

Le fonctionnement du wagon isolé

 

Source : étude McKinsey, 2020.

Les coûts d’un transport en wagon isolé sont significativement plus élevés que ceux du train massif en raison des coûts de desserte. Pour l’opérateur ferroviaire, dans le cadre du wagon isolé, il s’agit de prendre en charge les wagons remis par les clients dans leurs installations terminales embranchées, d’assembler les différents wagons composant le convoi sur une plateforme de concentration, d’installer la locomotive en tête puis d’acheminer les wagons. En comparaison, un train complet n’implique que l’acheminement des wagons entre les plateformes de départ et d’arrivée.

Cette modalité de transport augmente les coûts supportés par l’opérateur public, comme le rappelle M. Laurent Brun, secrétaire général de la fédération CGT Cheminots : « Le principe du wagon isolé est qu’il doit être assemblé et qu’on ne peut pas isoler les marchés les uns des autres. Dès lors que vous soumettez tout à la concurrence, le transport d’un wagon isolé n’est absolument pas rentable et ne peut pas l’être dans ce système ([66]). »

L’abandon de la desserte fine du wagon isolé au fil des plans de restructuration des années 2000 et 2010 a eu des répercussions sur l’ensemble du process industriel de la SNCF : moins de wagons isolés, c’est forcément moins de trains massifiés – de même que si l’on retire à une rivière ses plus petits affluents, on réduira forcément son débit.

Le mode du wagon isolé étant par construction déficitaire, comment l’ont confirmé tous les interlocuteurs de la commission d’enquête, il ne peut s’inscrire dans une logique de concurrence et d’ouverture au privé, à moins qu’il ne soit très significativement aidé. Le Gouvernement a engagé une augmentation de ces aides mais ne prévoit de majoration avant 2025. Compte tenu des enjeux de l’année 2024, il convient de faire intervenir dès maintenant cette majoration.

 

Recommandation n° 8 : Majorer dès 2024 l’aide au wagon isolé.

Quoi qu’il en soit, le plan de discontinuité porterait un coup très dur à cette activité. Une note de Fret SNCF portée en annexe sur présent rapport démontre le caractère insécable des activités mutualisées de l’entreprise : «               Le système de gestion capacitaire repose sur une masse critique de flux et serait donc irrémédiablement remis en cause par un scénario de discontinuité », alors qu’il « est conçu pour être un outil de performance économique et de conquête modale de la route vers le rail ([67]). »

2.   Les enjeux environnementaux ont donné un nouvel intérêt au fret ferroviaire :

Si l’intérêt environnemental du fret ferroviaire a toujours été souligné, l’impératif de transition écologique a donné au train un nouvel élan en matière de politique publique. Le transport ferroviaire se révèle bien moins polluant que le transport par la route et est à même de contribuer à l’atteinte des objectifs français et européens de décarbonation des transports, qui sont aujourd’hui responsables de près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre.

Par exemple, le Grenelle de l’environnement de 2008 et le Livre blanc Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources, adopté par la Commission européenne le 28 mars 2011, mettent en exergue les vertus environnementales du fret ferroviaire.

Les bénéfices environnementaux du fret ferroviaire sont en effet majeurs. À la tonne par kilomètre transportée, par rapport à la route, le ferroviaire représente neuf fois moins d’émissions de CO2, six fois moins d’énergie consommée et huit fois moins d’émissions de particules nocives. Alors que le ferroviaire représente environ 10 % du transport intérieur de marchandises, sa contribution aux émissions de gaz à effet de serre est négligeable, de l’ordre de 0,3 % des émissions du secteur. Fort de ces performances environnementales, le fret ferroviaire est devenu un maillon essentiel de la décarbonation du transport, à mesure que l’impératif écologique prend toute sa place.

L’importance grandissante de la décarbonation s’est traduite par une inflexion de la politique menée au sein de par l’État. La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire (SNDFF), définie en application de l’article 178 de la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, et conformément aux recommandations de la convention citoyenne pour le climat (CCC), fixe l’objectif de doubler la part modale du fret ferroviaire de 9 % à 18 % d’ici à 2030, ce qui revient à porter le trafic à environ 65 milliards de tonnes-kilomètres. À plus long terme, l’État se donne l’objectif d’atteindre une part modale pour le fret ferroviaire de 25 % à l’horizon 2050.

Présentée le 13 septembre 2021 par le ministre délégué chargé des transports, M. Jean-Baptiste Djebbari, et accompagnée d’un pacte d’engagement signé avec les principaux acteurs du secteur, l’Alliance 4F – Fret ferroviaire français du futur –, SNCF Réseau et l’Association des utilisateurs de transport de fret, l’AUTF, puis approuvée par le décret n° 2022-399 du 18 mars 2022, la stratégie identifie soixante-douze mesures, qui sont déclinées autour de trois axes :

1) faire du fret ferroviaire un mode de transport attractif, fiable et compétitif : cet objectif vise l’amélioration de la qualité de la réponse au client et de la qualité de service du gestionnaire de réseau, ainsi que le développement d’innovations et de nouveaux usages dans l’objectif d’optimiser l’utilisation des véhicules et des réseaux de fret, et de décarboner davantage le secteur ;

2) agir sur tous les potentiels de croissance du fret ferroviaire : des actions spécifiques sont consacrées au développement des différents segments de marché (trains entiers, wagon isolé, transport combiné, autoroutes ferroviaires) et des synergies avec les ports maritimes et le transport fluvial ;

3) accompagner la modernisation et le développement du réseau : les mesures prévues visent l’adaptation du réseau et des infrastructures de fret.

Cette inflexion est également visible au sein du groupe SNCF, comme en témoignait M. Jean‑Pierre Farandou au cours de son audition : « Le transport de marchandises est une activité stratégique pour la SNCF, bien que son chiffre d’affaires soit modeste par rapport à celui du transport de voyageurs, qui a fortement augmenté. Je suis convaincu que le fret va se développer à court, moyen et long terme. Il contribue à la transition écologique en réduisant la part de la route et peut trouver son équilibre économique dans la durée ([68]). »

II.   Le droit européen de la concurrence a exigé une libéralisation progressive du secteur ferroviaire, qui aboutit aujourd’hui au projet de démantèlement de Fret SNCF

En application du droit européen de la concurrence, la France s’est engagée à ouvrir à la concurrence le secteur du fret ferroviaire et à organiser le démantèlement, depuis les années 1990, de son opérateur historique.

La libéralisation du secteur ne s’est traduite par aucune amélioration tangible : la part modale a continué de baisser et l’affaiblissement progressif de l’activité fret de la SNCF a contribué au déclin du transport de marchandises par le fer. La procédure engagée par la Commission européenne et le plan de discontinuité risquent d’aggraver encore ce déclin alors que la prise de conscience des bénéfices économiques et environnementaux du transport ferroviaire de marchandises est désormais générale.

A.   La séparation du gestionnaire de réseau et de l’opérateur : une exigence européenne de séparation comptable

L’impératif européen de séparation du gestionnaire de réseau et de l’opérateur, destiné à assurer les bonnes conditions d’application du dogme libéral, a conduit à plusieurs réformes successives de l’organisation interne de la SNCF. L’instauration d’un péage pour l’utilisation du réseau – à la différence de la route où le péage concerne seulement une partie du réseau autoroutier – entre en contradiction directe avec le modèle d’entreprise nationale intégrée qui prévalait à la SNCF depuis sa création.

1.   La séparation du gestionnaire de réseau et de l’opérateur

a.   La directive n° 91-440 et sa transposition par la loi du 13 février 1997

Première étape de la mise en œuvre du dogme communautaire de la concurrence libre et non faussée, la directive du Conseil des Communautés européennes n° 91-440 du 29 juillet 1991 a notamment introduit le principe de la séparation comptable et juridique des activités relatives à l’exploitation des services de transport de celles relatives à la gestion de l’infrastructure ferroviaire.

En matière de séparation comptable, la directive exigeait dans sa section III que les gestionnaires d’infrastructure tiennent une comptabilité distincte pour les activités liées à la gestion de l’infrastructure ferroviaire. La séparation comptable visait à assurer une transparence financière et à empêcher tout avantage injuste pour les entreprises ferroviaires lié à la gestion de l’infrastructure.

Conformément à l’article 6 de la directive, la séparation pouvait prendre la forme de divisions organiques distinctes au sein d’une même entreprise ou conduire à la mise en place d’entreprises totalement distinctes.

Cette séparation visait à établir des conditions d’accès équitables au réseau ferroviaire, indépendamment de la propriété ou de la gestion de ces infrastructures, jugées essentielles dans un cadre d’ouverture à la concurrence. La directive précisait ainsi que « considérant que le développement futur et une exploitation efficace du réseau ferroviaire peuvent être facilités par une séparation entre l’exploitation des services de transport et la gestion de l’infrastructure ; que, dans ces conditions, il est nécessaire que ces deux activités aient obligatoirement des comptes distincts et puissent être gérées séparément ([69]) ».

La loi n° 97‑135 du 13 février 1997 portant création de l’établissement public « Réseau ferré de France » en vue du renouveau du transport ferroviaire du 13 février 1997 transpose les dispositions de la directive n° 91‑440 en droit français.

La loi du 13 février 1997 créé un nouvel établissement public industriel et commercial (EPIC), Réseau ferré de France (RFF). Conformément à la directive, cette nouvelle structure permet d’opérer une séparation juridique entre le gestionnaire d’infrastructure et la compagnie nationale SNCF, qui relève du statut d’EPIC depuis la loi n° 82‑1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs (LOTI).

En application de la loi du 13 février 1997, à partir du 1er janvier 1997, RFF est chargé de l’entretien, de la sécurité et de la bonne utilisation du réseau ferré ferroviaire, à la place de la SNCF. RFF reçoit la propriété des infrastructures jadis remises en dotation par l’État à la SNCF et bénéficie du produit des péages pour l’usage du réseau de la part de la SNCF.

Dans les faits, conformément à l’article 7 du décret n° 97‑444, RFF « définit les objectifs et principes de gestion relatifs au fonctionnement et à l’entretien des installations techniques et de sécurité sur le réseau ferré national ainsi que ceux relatifs à la gestion du trafic et des circulations sur ce réseau ». L’exécution des tâches est déléguée à l’EPIC SNCF Infra, qui reçoit une contrepartie du coût de l’entretien et du fonctionnement des installations techniques et de sécurité.

Il convient de relever que la loi n° 97‑135 du 13 février 1997 permettait à la France, non seulement de respecter les exigences de séparation de la directive 91/440, mais aussi d’améliorer les comptes de la SNCF. En effet, elle adossait au nouvel établissement public chargé du réseau et donc des investissements, une part de la dette déjà très significative de la SNCF – quelque 20,5 milliards d’euros soit environ les deux tiers de la dette de la SNCF au 31 décembre 1996 –, en la soustrayant aux critères de Maastricht ([70]) afin de pouvoir s’intégrer comme État fondateur de la zone euro.

b.   Un cloisonnement renforcé par l’évolution du droit européen

Afin de garantir la mise en œuvre de la concurrence et de permettre un accès équitable et non-discriminatoire à l’infrastructure, le premier paquet ferroviaire a identifié quatre « fonctions essentielles » ne pouvant être exercées par des entreprises proposant elles-mêmes des services de transport ferroviaire. La directive n° 2001/12/CE du 26 février 2001 modifiant la directive n° 91/440/CE précise qu’il est impossible, pour les entreprises proposant des services de transport ferroviaires, d’assurer :

– la préparation et l’adoption des décisions concernant la délivrance de licences aux entreprises ferroviaires ;

– l’adoption des décisions concernant la répartition des sillons, y compris la définition et l’évaluation de la disponibilité ainsi que l’attribution de sillons individuels ;

– l’adoption des décisions concernant la tarification de l’infrastructure ;

– le contrôle du respect des obligations de service public requises pour la fourniture de certains services.

La directive n° 2001/14/CE du 26 février 2001 indique également que l’allocation des sillons doit être assurée par un organisme indépendant des entreprises ferroviaires sur le plan juridique, organisationnel et décisionnel.

Tirant les conséquences de cette évolution du droit européen, la France a adopté, dans la loi n° 2009‑1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, dite « loi ORTF », des mesures permettant de garantir cette indépendance. La loi ORTF prévoit le détachement de la direction de la circulation ferroviaire (DCF), qui assure la conception des horaires, la régulation du trafic et la gestion opérationnelle des circulations en toute transparence et impartialité, de SNCF Infra.

On relèvera toutefois que l’autonomie tardive de la DCF, le 1er janvier 2010, a conduit la Commission européenne à saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours en manquement sur le fondement de la directive 2001/14/CE du 26 février 2001 reprochant à la France le fait que la SNCF s’occupait de fonctions relatives à l’attribution des sillons.

La Cour de justice a donné raison à la Commission le 13 avril 2013 en estimant que la réalisation d’études techniques d’exécution nécessaires à l’instruction des demandes de sillons effectuée en amont de la prise de décision ainsi que l’attribution des sillons de dernière minute contrevenait à l’exigence de la directive.

2.   Les effets néfastes de la séparation pour le réseau et le trafic de fret ont conduit à la réintégration des activités en 2014

a.   Une séparation aux effets néfastes pour le réseau et le trafic de fret

Dans son rapport public d’avril 2008 intitulé Le réseau ferroviaire : une réforme inachevée, une stratégie incertaine, la Cour des comptes a pointé les conséquences néfastes de la mise en œuvre de la séparation entre le gestionnaire du réseau et de l’opérateur. Elle expliquait dans le communiqué de presse du rapport que « la confusion des responsabilités qui en résulte crée de sérieux dysfonctionnements, par exemple lorsqu’il s’agit d’établir les horaires, d’attribuer les droits de circulation des trains (les sillons) ou de programmer les travaux ([71]). »

La mise en œuvre de la séparation entre le gestionnaire du réseau et de l’opérateur souhaitée par l’Union européenne a eu des effets délétères pour le réseau français et les circulations de trains de fret.

D’abord, le partage du patrimoine entre SNCF et RFF et sa gestion ont donné lieu à de nombreux conflits puisque les textes ne prévoyaient pas toutes les situations rencontrées. Les zones d’ombre laissées par l’article 5 de la loi du 13 février 1997 et le décret du 5 mai 1997 ([72]) sur la répartition des actifs ont favorisé les conflits entre les deux entités, qui ont toutes deux des besoins de financement élevés et qui se disputent la valorisation et la vente du patrimoine foncier accumulé par la SNCF au fil des années. Concrètement, cette loi et son interprétation ont été fortement contestées par RFF qui a hérité d’un foncier difficilement valorisable de 108 000 ha sur un total de 115 000 ha pour l’ensemble du réseau, tandis que la SNCF a gardé le patrimoine à fort potentiel soit 90 % des 14 millions de m2 bâtis dont 450 000 m2 de bureaux dans Paris. Dans ces conditions, RFF ne pouvait compter que sur 2,3 milliards de francs de perspectives de valorisation pour 10 000 ha de friches et de délaissés, un montant faible au regard de sa mission de réduction de sa dette de près de 134,2 milliards de francs ([73]).

Ensuite, la convention de gestion de l’infrastructure, qui devait préciser la répartition des moyens et des missions entre les deux EPIC a fait l’objet d’une véritable guerre ouverte. RFF reprochait notamment à la SNCF de ne pas donner d’informations suffisantes sur le coût de la prestation qu’elle assurait au nom de sa délégation, ce qui l’empêchait de contrôler le montant de sa rémunération. Afin de répondre à cette difficulté, l’État a imposé un quasi-gel de la rémunération de la SNCF, qui est restée proche de 2,5 milliards d’euros entre 1998 et 2005. La SNCF, considérant que sa rémunération couvrait de moins en moins le coût croissant de ses services malgré ses efforts pour le réduire, a revu à la baisse ses prestations sur les lignes les moins utilisées et a imposé des ralentissements aux trains pour éviter les accidents. Cette guerre ouverte a eu des effets catastrophiques sur la qualité et l’entretien du réseau.

Enfin, la programmation des opérations de maintenance faisait l’objet de conflits récurrents entre la SNCF et RFF, ce qui entraînait des difficultés pour établir l’horaire annuel et le graphique de circulation.

Ces nombreux conflits ont eu des effets négatifs sur l’entretien du réseau et les procédures d’allocation des sillons, dont a largement pâti le fret. L’incapacité organisationnelle devient une incapacité opérationnelle : la multiplication des « sillons précaires », pouvant être annulés peu de temps avant leur utilisation, s’accorde mal avec les besoins de prévisibilité des chargeurs, et contribue à la perte de confiance dans le trafic ferroviaire de marchandises.

b.   La réintégration en 2014

Face aux limites de la division de la gestion de l’infrastructure en deux entités issue de la loi du 1er janvier 1997, la loi n° 2014‑872 du 4 août 2014 a cherché à apporter une nouvelle solution d’organisation. Cette réintégration du réseau au sein l’opérateur historique est établie dans le cadre d’un bras de fer entre les États membres – notamment la France et l’Allemagne, dont les opérateurs historiques respectifs jouent un rôle prépondérant dans le système ferroviaire – et les autorités européennes. Elle donne lieu à des concessions s’agissant de l’ouverture à la concurrence du trafic voyageurs et à l’acceptation d’un renforcement des prérogatives du régulateur nationale, l’ARAF, devenue par la suite ARAFER – Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.

La réforme de 2014 crée un groupe public ferroviaire composé de trois EPIC :

– l’EPIC SNCF, tête du groupe, qui a pour mission d’assurer le contrôle, le pilotage stratégique et la cohérence économique de ce groupe ;

– l’EPIC SNCF Réseau qui est le gestionnaire du réseau ferré national, issu de la fusion de RFF, de la DCF et de la branche Infrastructures de la SNCF ;

– l’EPIC SNCF Mobilités, qui reprend les fonctions d’exploitant des services ferroviaires de la structure SNCF antérieure à la réforme de 2014, et abrite la branche Gares & Connexions.

https://www.senat.fr/rap/l17-494/l17-4942.png

Source : ARAFER, 2017.

L’article 6 de la loi dispose que SNCF Réseau « est le propriétaire unique de l’ensemble des lignes du réseau ferré national », et qu’il « est le gestionnaire du réseau ferré national ». Réseau ferré de France était lui aussi « le gestionnaire du réseau ferré national », mais à la différence de RFF, SNCF Réseau a la plénitude de ses compétences : l’article L. 2111‑9 du code des transports modifié par la loi du 4 août 2014 ne prévoit plus de gestion déléguée d’une part de ces missions à SNCF Mobilités.

Autrement dit, cette structure permet de créer un gestionnaire d’infrastructure unifié, dans lequel les problématiques d’entretien du réseau et les contraintes d’exploitation ne sont pas systématiquement dissociées.

Conformément aux dispositions de la directive 2012/34 établissant un espace ferroviaire unique européen, le contrat pluriannuel de SNCF Réseau, « met en œuvre la politique de gestion du réseau ferroviaire et la stratégie de développement de l’infrastructure ferroviaire dont l’État définit les orientations » ([74]), dans une logique globale d’équilibre.

Afin d’assurer le respect des règles de séparation résultant du premier paquet ferroviaire, la loi n°2014‑872 du 4 août 2014 a réaffirmé l’indépendance de SNCF Réseau dans l’exercice des fonctions essentielles, la tarification et l’allocation des sillons. En parallèle, la loi du 4 août 2014 a également renforcé le rôle du régulateur, l’ARAF, afin qu’il n’existe aucun doute sur cette indépendance via l’extension de ses missions et de ses moyens.

B.   L’ouverture à la concurrence a eu des effets délétères sur le fret

Sous l’impulsion de la politique européenne libérale des transports, l’ouverture à la concurrence du marché du fret ferroviaire a conduit à l’affaiblissement de l’opérateur historique mais également à la faiblesse de l’ensemble du marché.

Les plans successifs destinés à relancer l’activité du fret ont eu pour effet principal de vider l’opérateur historique de ses forces.

1.   L’ouverture du marché de fret à la concurrence a eu des effets délétères

a.   Les directives européennes d’ouverture à la concurrence

La politique libérale d’ouverture à la concurrence du secteur des transports ferroviaires a conduit à l’adoption d’une directive en 1991 puis de trois paquets ferroviaires (2001, 2004, 2007) garantissant le libre accès au marché.

La directive 91/440 du 29 juillet 1991 relative au développement des chemins de fer communautaires évoque dans son article 20, « droit d’accès au réseau ferroviaire ». Ce droit est ouvert aux entreprises des autres États membres selon des règles spécifiques. Pour une entreprise, l’accès au réseau d’un État membre autre que celui auquel elle appartient, est conditionné à l’appartenance à un groupement international ou à la tractation d’un train de transport combiné (rail-route). En cas de regroupement international, les droits d’accès sont limités aux États dans lesquels sont installées les entreprises participant au groupement ; dans les autres États, ce groupement ne bénéficie que d’un droit de transit.

Deux directives complémentaires du 19 juin 1995 facilitent la mise en œuvre du droit d’accès au réseau ferroviaire : la directive 95/18/CE du Conseil concernant les licences des entreprises ferroviaires et la directive 95/19/CE du Conseil sur les redevances d’utilisation d’infrastructures.

Constitué de trois directives, le premier paquet ferroviaire de 2001 modifie la directive n° 91/440/CE du 29 juillet 1991 relative au développement de chemins de fer communautaires ainsi que les directives de 1995 qui l’ont complétée. La directive 2001/12/CE prévoit l’ouverture à la concurrence de l’accès aux services de fret internationaux sur le réseau transeuropéen de fret ferroviaire au 15 mars 2003 au plus tard. En contrepartie, la directive 2001/13/CE renforce les obligations en matière de licences des entreprises ferroviaires. La directive 2001/14/CE relative à la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire et la tarification de l’infrastructure ferroviaire crée l’obligation, pour le gestionnaire d’infrastructure, d’établir un « document de référence du réseau » fixant les conditions d’accès à celui-ci. Elle pose la règle de l’indépendance de l’entité chargée de l’allocation des sillons sur le plan juridique, organisationnel et décisionnel. Elle impose enfin l’instauration d’un organisme de contrôle indépendant, qui peut être le ministère chargé des transports ou tout autre organisme, chargé de veiller à l’application des dispositions énoncées par la directive.

Le deuxième paquet ferroviaire de 2004 comprend le règlement créant l’Agence ferroviaire européenne, ainsi que trois directives. La directive 2004/49/CE relative à la sécurité des chemins de fer communautaires prévoit la création d’une autorité nationale de sécurité indépendante au sein de chaque État membre. La directive 2004/50/CE modifie la réglementation européenne en matière d’interopérabilité des transports ferroviaire. Enfin, la directive 2004/51 organise l’ouverture à la concurrence du fret international sur l’ensemble du réseau ferroviaire – et non plus seulement le réseau transeuropéen de fret – au 1er janvier 2006, et de l’ensemble du fret, y compris le fret domestique, au plus tard au 1er janvier 2007.

Le troisième paquet ferroviaire de 2007 définit les modalités de l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs.

Dans le contexte de l’accord de 2005, la France a tiré les conséquences des paquets ferroviaires européens en adaptant son cadre législatif. La loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a modifié la loi n° 82‑1153 du 30 décembre 1982 d’orientation sur les transports intérieurs (LOTI) pour mettre fin au monopole de la SNCF sur le service intérieur de marchandises à partir du 31 mars 2006. La loi n° 2009‑1503 du 8 décembre 2009 dite loi « ORTF », a doté le réseau d’une instance de régulation spécifique, l’ARAF. En réponse à la procédure précontentieuse conduite par la Commission déjà évoquée, la loi « ORTF » a créé, au sein de la SNCF, le service de gestion du trafic et des circulations – la future DCF –, soumis à des règles d’indépendance spécifiques.

b.   Dogmatique, l’ouverture à la concurrence a eu des effets délétères sur l’activité de fret

De l’aveu même des partisans de la libéralisation, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire en France est très mal préparée au sein de l’opérateur historique, qui la subit sans l’accompagner. Même dans l’hypothèse où la libéralisation aurait permis d’enrayer le déclin déjà entamé, les objectifs de développement massif du fret via l’ouverture à la concurrence n’ont pas été atteints.

La dérégulation du marché n’a pas été accompagnée par les politiques publiques qui auraient été nécessaires, permettant aux nouveaux entrants de se concentrer sur l’activité qui était la plus accessible et probablement la plus rentable, c’est-à-dire les trains complets, laissant les wagons isolés à Fret SNCF.

Comme l’a rappelé M. Frédéric Cuvillier, ancien ministre, lors de son audition, la politique commerciale de Fret SNCF était insuffisante, dans ce contexte d’ouverture à la concurrence : « À l’époque, la politique commerciale de Fret SNCF était insuffisante, voire inadaptée. Les chefs d’entreprise se plaignaient des difficultés à trouver un interlocuteur et à obtenir des garanties de régularité. À l’instar de nos voisins, des représentants de la branche fret auraient dû être présents dans tous les terminaux, au plus près des acteurs économiques ([75]). »

La situation française contraste avec celle de l’Allemagne, où la Deutsche Bahn a mis en place une réelle stratégie pour faire face à l’ouverture du marché en rachetant l’opérateur hollandais NS Cargo, le 1er janvier 2000, qui opérait depuis Rotterdam, et en organisant des flux cadencés vers l’Italie. Dans ces conditions, l’ouverture à la concurrence en Allemagne, amorcée dès les années 1990, a stimulé l’activité ferroviaire de l’opérateur historique sur les flux internationaux.

Cette divergence entre la situation française et la situation d’autres États européens a été mise en exergue par le journaliste Frédéric de Kemmeter : « Il ne faut donc pas minimiser l’élan insufflé par la libéralisation, d’autant que certaines entreprises publiques, à l’instar de l’italien Mercitalia Rail, ont beaucoup profité de ce changement d’environnement. Cette société, connue autrefois sous le nom de FS Cargo, a connu un redressement spectaculaire. Elle a racheté une entreprise allemande et envoie des trains jusqu’à Hambourg.

« J’observe que les textes européens, qui conviennent à de nombreux États membres, ne satisfont manifestement pas complètement la France. Pour certains, ces textes plutôt conçus pour l’Europe du Nord – c’est-à-dire de Bruxelles à Stockholm – causent des désagréments aux autres pays. J’ignore si cette appréciation est exacte, mais force est de constater que ces textes conviennent très clairement à une moitié des pays européens, dont la Pologne, la République tchèque et la Hongrie. À l’évidence, la libéralisation a redonné du souffle au secteur ferroviaire dans ces pays. Il ne faudrait pas en conclure que la part modale y a progressé, mais le nombre de trains en circulation est tout à fait significatif ([76]). »

En France, à l’inverse, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire contribue fortement à son déclin. L’ouverture à la concurrence a conduit à l’affaiblissement de l’activité fret de la SNCF mais également à celle de l’ensemble de la filière fret.

Pour l’opérateur historique, l’ouverture à la concurrence se traduit par une réduction de ses parts de marché. La part de marché des nouveaux entrants augmente de 11 % en 2008 à 32 % en 2011, soit beaucoup plus rapidement qu’en Allemagne, où le fret a été libéralisé dès 1994.

 

 

 

 

L’arrivée des nouveaux entrants sur le marché n’a pas permis de relancer la dynamique du fret, comme cela a été régulièrement évoqué par les gouvernements. Elle a conduit à la captation des parts de marché par les nouveaux entrants, réduisant les marges de l’opérateur historique qui lui permettaient d’assurer les liaisons les moins rentables.

L’analyse faite par M. Yves Crozet, professeur émérite, de l’université Louis Lumière-Lyon 2, lors de son audition par la commission d’enquête est particulièrement éloquente : « Dans notre pays, l’ouverture à la concurrence a conduit à un déclin profond du fret ferroviaire. En 1999, le ministre Gayssot annonçait que l’objectif était de passer de 55 à 100 milliards de tonnes-kilomètres. […] Au cours de la décennie 2000-2010, les volumes transportés sont passés de 55 à 30 gigatonnes-kilomètres en France et la part assurée par la SNCF est passée de 55 à 20 gigatonnes-kilomètres ([77]). »

L’ouverture à la concurrence a en effet conduit à l’affaiblissement de l’ensemble du marché du fret ferroviaire, comme cela est reconnu la stratégie pour le développement du fret ferroviaire de 2021 : « Avec une part de marché des nouveaux entrants d’environ 45 % aujourd’hui, la libéralisation du secteur s’est ainsi révélée plus rapide et plus forte que la moyenne européenne, mais ceci s’est largement fait au détriment du développement global de la part modale du fret ferroviaire ». Pour reprendre les mots de M. Thierry Roy – ancien membre du conseil d’administration de la SNCF au titre des salariés – lors de son audition : « en résumé, l’histoire du fret est celle de l’échec de la libéralisation dans les transports ferroviaires ([78]). »

La situation délicate de l’opérateur historique est également celle de ses concurrents, signe d’un défaut de maturité du marché. Les marges opérationnelles moyennes du secteur en France sont globalement négatives, ainsi que le relève l’étude effectuée par le cabinet McKinsey à la demande du ministère des transports pour explorer les scénarios de discontinuité.

(Source : étude McKinsey, 2020)

Ces marges modestes révèlent l’immaturité du marché, pour reprendre les termes de M. Djebbari lors de son audition : il y a « les segments où la concurrence dans le secteur des transports fonctionne bien et ceux où c’est moins le cas, que ce soit lié aux normes ou aux caractéristiques de marchés locaux. […] Je ne parlais pas tant des dysfonctionnements du marché européen que de l’immaturité du marché français […] Le transport de fret ferroviaire fonctionne de manière sous-optimale. Qui plus est, à l’exception de Fret SNCF, les acteurs du secteur sont plutôt petits, peu ou pas rentables. Ainsi, non seulement le système fonctionne mal, mais en plus ses acteurs sont fragiles. Voilà pourquoi je qualifiais notre système de dysfonctionnel ([79]). »

Force est donc de constater que la libéralisation non seulement n’a pas empêché le déclin du transport ferroviaire de marchandises, mais a créé une situation qui a accentué ce déclin.

2.   L’échec de la libéralisation : des plans successifs d’affaiblissement de l’opérateur historique

Durant les années 2000, les plans de prétendu soutien au fret s’enchaînent. Alors que ces plans successifs sont présentés comme un moyen de sauver l’activité fret de l’opérateur historique, ils ne se traduisent dans les faits qu’à la destruction de ses forces.

L’opérateur historique est progressivement dépouillé de ce qui le constitue. Le processus industriel de l’activité fret de la SNCF, historiquement fondé sur la massification de petits flux via le wagon isolé, est détricoté. Comme le soulignait M. Yves Crozet lors de son audition en utilisant la métaphore de l’oignon dont on pèle une à une les couches qui le composent : « Les dirigeants du fret ferroviaire de la SNCF ont jugé qu’il n’était plus possible que leur activité demeure une source de pertes. Ils ont donc cherché à retrouver l’équilibre. Et comme on épluche un oignon, ils ont retiré les “pelures”, c’est-à-dire les activités qu’ils considéraient comme non rentables, pour ne plus garder que le noyau. Le problème est que le fret ferroviaire n’est pas un fruit à noyau ! Comme pour un oignon, au fur et à mesure que vous retirez les pelures, il finit par ne plus rien rester de votre oignon ([80])… »

Le premier plan fret 2004-2006, dit plan Véron, ouvre le bal de l’affaiblissement de l’activité fret de l’opérateur historique. Au cours de son audition, M. Thierry Roy témoigne des conséquences déplorables du plan sur le fret : « Deux objectifs étaient assignés. Le premier visait l’assainissement du trafic et l’équilibre financier autour de plusieurs axes : un gain d’efficacité de 20 % sur trois ans ; 2 500 suppressions d’emplois ; la réduction du nombre d’agences de soixante-dix à trente-six ; la fermeture de cent gares ouvertes au fret ; la réduction de l’activité de quatre triages – Lille, Toulouse, Nîmes et Clermont-Ferrand – et la fermeture de seize gares principales de fret. Le deuxième objectif avait pour objet de procéder au filtrage des marchés à travers une nouvelle gamme d’offres et la capture de 100 millions de tonnes de nouveaux flux. Dans ce plan, la SNCF recapitalisait l’activité fret à hauteur de 700 millions d’euros grâce à des cessions d’actifs. L’État apportait de son côté une aide exceptionnelle de 800 millions d’euros conditionnée à l’accord de Bruxelles ([81]). »

 

Le premier plan fret : la recapitalisation autorisée en 2005

Face aux difficultés auxquelles est confrontée l’activité fret, les autorités françaises envisagent des mesures visant à réorganiser la production, améliorer la productivité, renouveler la politique commerciale et réorganiser la structure financière de Fret SNCF. Ces mesures de soutien ont été accompagnées de financement à hauteur de 700 millions d’euros versés par la SNCF et 800 millions d’euros versés par l’État.

L’approbation des mesures d’aide par la Commission est conditionnée à la mise en œuvre, par les autorités françaises d’un calendrier anticipé d’ouverture du marché et au rapport annuel à la Commission de la mise en œuvre de la restructuration.

L’acceptation de l’aide est également conditionnée au principe de l’aide unique, en vertu de laquelle la Commission « considérera que, aussi longtemps que les activités de fret et de transport de voyageurs n’auront pas été séparées juridiquement, cette règle s’appliquera à l’entreprise dans son ensemble ».

Succèdent au plan Véron, le plan Marembaud en 2007, le plan fret en 2009 et les conférences fret en 2013 et 2016. Ces plans auront des effets délétères sur l’activité fret et ne parviennent pas à combler la dette, générée par les déficits cumulés ([82]). Comme l’explique M. Thierry Roy : « La dette du fret est donc liée à une série de mauvaises décisions politiques. Deux d’entre elles ont été particulièrement destructrices. La première décision était celle de la Commission européenne autorisant le versement de 1,4 milliard d’euros, conditionné à la réduction des activités fret. La deuxième décision émanait du gouvernement français, qui a accepté ces contreparties alors que Fret SNCF était déjà en difficulté ([83]). »

Concrètement, le déclin progressif des parts de marché fret a conduit la SNCF, dans une logique ultralibérale, à opter pour une politique aveugle de réduction des coûts.

L’abandon progressif du wagon isolé traduit la négligence de sa mission de service public. Le plan dit « Véron » abandonne les flux jugés insuffisamment rémunérateurs comme le wagon isolé, en favorisant les trains complets cadencés. Cette logique est ensuite amplifiée par le plan Marembaud (2007) qui prévoit la fermeture des trafics de wagon isolés dans 262 gares françaises. M. Olivier Marembaud, alors directeur général délégué au fret de la SNCF, est chargé d’une restructuration de l’activité et justifie sa décision par la logique de coût, qui doit conduire à privilégier la route : « aujourd’hui, en France, le transport de marchandises marche sur la tête : le projet de haut débit vise à remettre les choses à l’endroit : le ferroviaire ne doit plus mobiliser des moyens importants (locomotives, triages, aiguillages, systèmes de sécurité...) pour rassembler, aux quatre coins de territoires « désindustrialisés », des petits lots de marchandises, alors que la route assure les grands flux de fret entre Paris, Lyon, Marseille et ceux qui traversent la France d’un pays à l’autre ([84]). » Dans la continuité, le schéma directeur de 2009 comprend l’abandon de 60 % de l’activité wagon isolé, alors que cette activité représentant à l’époque 42 % du volume du fret ferroviaire.

La réduction des coûts de l’opérateur historique est également passée par une réduction des personnels de Fret SNCF, dont le nombre a été divisé par deux entre 2008 (14 933 agents) et 2015 (7 420 agents) ainsi que par la cession des actifs via la cession, dans un premier temps, d’une majeure partie de son parc de locomotives (262 engins moteurs) à sa filiale Akiem pour n’en reprendre qu’une centaine en location ([85]) puis, dans un second temps, par la cession d’Ermewa en 2021 et d’Akiem en 2022.

Les mauvais résultats du fret conduisent à une réduction des ressources de l’opérateur historique, ce qui a également obéré les possibilités d’investissement. M. Lionel Ledocq du syndicat UNSA Ferroviaire, rappelait ainsi qu’avec « l’arrivée de la concurrence, l’entreprise historique a été confrontée à une baisse logique de ses parts de marché et de la rentabilité de celles qui ont subsisté. Cela a entraîné une réduction massive des investissements de RFF et SNCF Infra dans les infrastructures ferroviaires depuis 2005 : suppression de faisceaux de triage, de voies de service dans de multiples gares, d’embranchements particuliers, de modernisation des installations terminales embranchées, des attelages automatiques, etc. Cela a produit un effet domino sur la capacité et l’efficacité du réseau. Les sillons sont peu fiables ([86]). »

Pour M. Lionel Ledocq, la libéralisation a également conduit à négliger les plus petites lignes : « La libéralisation a également accru le risque de disparition des petites lignes ferroviaires, qui sont parfois la seule voie de passage pour du fret ferroviaire. Elles étaient moins rentables pour les opérateurs privés, avec au final des conséquences négatives sur l’accessibilité des régions les plus isolées ([87]). »

C.   Une évolution de la nature juridique de l’activité de fret de la SNCF et des garanties dont elle jouit, motivée par le respect du dogme européen

1.   La remise en question du statut d’EPIC et de l’organisation du groupe ferroviaire

a.   Un statut d’EPIC menacé par l’application du droit européen

En application de la loi n° 2014‑872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, la SNCF est constituée de trois EPIC : l’EPIC SNCF, l’EPIC SNCF Réseau et l’EPIC SNCF Mobilités. Dans cette configuration, Fret SNCF est intégré à SNCF Mobilités et ne dispose pas de personnalité juridique propre et distincte de celle de SNCF Mobilités.

Un EPIC est une personne de droit public, caractérisée par le principe général du droit d’insaisissabilité des biens. Il en résulte que les voies d’exécution du droit privé, comme le redressement et la liquidation judiciaire, ne peuvent pas être appliquées à l’encontre d’un EPIC : « S’agissant des biens appartenant à des personnes publiques, même exerçant une activité industrielle et commerciale, le principe de l’insaisissabilité de ces biens ne permet pas de recouvrir aux voies d’exécution du droit privé » (Cour de Cassation, 21 décembre 1987, affaire BRGM).

Le principe d’insaisissabilité des biens ayant pour corollaire l’impossibilité de faire faillite et donc la garantie implicite de l’État de payer les créances en cas d’insolvabilité, ces caractéristiques sont présumées constitutives d’une aide d’État en droit européen, en application de l’article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

S’appuyant sur une décision du 26 janvier 2010 dans laquelle elle considérait que La Poste bénéficiait d’une garantie illimitée implicite de l’État du fait de son statut d’EPIC, la Commission européenne a tenu un raisonnement analogue pour la SNCF. Elle a estimé que la forme juridique de la SNCF étant également un EPIC, elle avait toutes les raisons de considérer que cette dernière bénéficie également, pour les raisons exposées dans les considérants de la décision de la Commission du 26 janvier 2010, d’une garantie implicite de l’État français du fait de son statut.

Dans sa décision du 3 avril 2014, la Cour de justice de l’Union européenne considère, confirmant l’interprétation de la Commission, que le statut d’EPIC a conféré à La Poste un double avantage compétitif du fait qu’elle ne pouvait pas faire faillite et que l’État se portait implicitement garant en cas de défaut. Il est à noter que l’aide d’État est réputée constituée du seul fait de l’avantage économique conféré par la statut d’EPIC et la garantie implicite associée, sans qu’il soit besoin que cette garantie soit effectivement actionnée : « Une garantie illimitée de l’État en faveur d’une entreprise dont la forme juridique exclut la possibilité d’une procédure de faillite ou d’insolvabilité procure un avantage immédiat à cette entreprise et constitue une aide d’État, en ce qu’elle est octroyée sans que le bénéficiaire de celle-ci paie la prime appropriée à la prise de risque supportée par l’État et permet aussi d’obtenir un prêt à des conditions financières plus avantageuses que celles qui sont normalement consenties sur les marchés financiers ([88]). »

La question de la conformité du statut au droit européen motivera la réforme du groupe en 2018, comme l’explique M. Jean‑Baptiste Djebbari, alors rapporteur au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire lors de l’examen de la loi : « Le statut juridique de l’EPIC pose problème au regard de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne : elle considère que cela crée une garantie financière implicite et totale de l’État, ce qui est susceptible de fausser la concurrence ([89]). »

b.   Une organisation interne du groupe ferroviaire faisant l’objet d’interrogation quant au respect du droit de la concurrence

Le 22 avril 2015, l’ARAF a adopté une décision Société nationale des chemins de fer français dans laquelle elle soulève un risque potentiel de subventions croisées au profit de Fret SNCF.

Dans son examen des règles de séparation comptable qui lui sont soumises, l’Autorité doit veiller, en application de l’article L. 2133‑4 du code des transports, « à ce que ces règles, périmètres et principes ne permettent aucune discrimination, subvention croisée ou distorsion de concurrence ».

Dans sa décision, l’ARAF relève tout d’abord un très fort déséquilibre de la structure du passif de l’activité de fret, laquelle présente des capitaux propres négatifs à hauteur de 3 275 millions d’euros au 31 décembre 2013. Elle rappelle que l’activité Fret SNCF présente une dette nette d’une valeur de 3 529 millions d’euros, entièrement interne, portée par l’EPIC SNCF. Cette situation a conduit l’ARAF à s’interroger sur la viabilité et l’indépendance financière de l’activité, considérant : « Une entité autonome opérant dans un champ concurrentiel depuis 2006 n’aurait pu être maintenue sur une si longue période en présentant des résultats aussi déficitaires et des capitaux propres aussi détériorés. La structure financière très fragile de Fret SNCF et son endettement interne rendent ainsi l’activité fortement dépendante du reste de l’EPIC SNCF. Cette situation soulève en conséquence des interrogations sur l’existence de subventions croisées au sein de l’EPIC SNCF ([90]). »

Dans sa décision, l’ARAF relève également le traitement particulier dont bénéficierait Fret SNCF pour sa dette, par rapport aux autres activités de l’EPIC SNCF, alors même que sa situation financière est dégradée. L’autorité concluait ainsi que « les frais financiers facturés par l’EPIC à Fret SNCF apparaissent a priori faibles au regard de la situation financière de l’activité et de ses perspectives et reposent la question de l’existence éventuelle d’une aide d’État  ([91]). »

Le lendemain de sa décision, le régulateur a informé les services de l’État compétents des irrégularités potentielles en matière d’aides d’État constatées. M. Jordan Cartier, secrétaire général de l’Autorité de régulation des transports, a précisé lors de son audition que trois courriers signés par le président de l’ARAF, M. Pierre Cardo, avaient été envoyés : « Le premier des courriers a été envoyé à la direction générale des infrastructures des transports et de la mer (DGITM) de l’époque, le deuxième à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et le troisième au secrétariat général des affaires européennes (SGAE). Dans ces courriers, il est indiqué que l’analyse des comptes séparés de SNCF Mobilités suscite des interrogations sur l’existence d’une aide d’État qui serait irrégulière en l’absence d’une notification à la Commission européenne ([92]). »

Pour autant, cette alerte ne provoque pas de réaction majeure de la part du Gouvernement. M. François Poupard, ancien DGITM, indique durant son audition : « Je me souviens d’un avis de l’ARAFER en 2015, portant principalement sur l’opacité des comptes de Fret SNCF. L’Autorité constatait des déficits successifs au fil des ans et se demandait comment Fret SNCF s’en sortait. Elle réclamait une transparence des comptes, qui n’étaient pas séparés à l’époque. À partir de là, la ministre des transports, Mme Élisabeth Borne, a demandé aux services de travailler avec le groupe SNCF. Il me semble cela s’est traduit par un décret sur la séparation des comptes de SNCF au sein de l’EPI  ([93]). Cette décision, quelle qu’en fût la forme, est intervenue au sein du groupe ferroviaire en 2016 ou en 2017. Il s’agissait de la publication de comptes séparés pour Fret SNCF  ([94]). »

Pourtant, c’est sur le fondement de cette décision de l’ARAF que la Commission européenne demandera des renseignements à la France concernant les mesures de financement de Fret SNCF, selon M. Olivier Guersent, directeur général de la concurrence à la Commission européenne : « La Commission a ouvert l’enquête après avoir pris connaissance d’une décision de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) en date du 22 avril 2015. Dans cette décision, l’ARAF soulève un risque potentiel de subventions croisées au sein de la SNCF, au profit de sa branche de fret ferroviaire ([95]). »

À noter, toutefois, que la première demande de renseignement à la France n’interviendra qu’à partir du 26 janvier 2017 ([96]), soit un peu moins de deux ans après la décision de l’ARAF. C’est donc davantage la première plainte, déposée le 22 décembre 2016, devant la Commission européenne, qui semble avoir été déterminante, comme le reconfirmera plus tard M. Olivier Guersent après une demande de précision du Président de la commission d’enquête : « La Commission européenne a été saisie de diverses plaintes qui ont ensuite été retirées. Dans ce cadre, elle a été informée de l’avis émis par l’ARAF, qui n’était pas confidentiel, mais public. C’est toute l’étendue de mes connaissances sur point. La Commission n’a pas été informée directement par l’ARAF ([97]). »

2.   La réforme de 2018, le vœu pieux français d’un apaisement de la Commission européenne

a.   La réforme de la gouvernance de la SNCF prévue par la réforme de 2018

S’inspirant largement des conclusions du rapport Spinetta ([98]), la loi n° 2018‑515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a renouvelé le cadre de gouvernance du groupe ferroviaire.

Conformément à l’article 5 de la loi qui habilitait le Gouvernement à légiférer par ordonnance, l’ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019 prévoit la transformation des EPIC en sociétés anonymes à capitaux publics réunies au sein d’un « groupe public unifié ». Depuis le 1er janvier 2020, la SNCF est composée de trois sociétés anonymes dont la société nationale SNCF « mère », à laquelle sont rattachées ses deux filiales SNCF Réseau et SNCF Mobilités devenu SNCF Voyageurs.

 

Source : Autorité de régulation des transports, avis n° 2019 028 du 9 mai 2019.

Dans ce nouvel ensemble, en application de l’article 18 de l’ordonnance du 3 juin 2019, Fret SNCF est devenue une société par action simplifiée, une structure assimilée aux sociétés anonymes : « L’établissement public SNCF Mobilités transfère, par voie d’apport à la valeur nette comptable, à une société dont il détient l’intégralité du capital, l’ensemble des biens, droits et obligations, attaché aux activités en France et hors de France relevant du périmètre de ses comptes dissociés relatifs aux activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de marchandises à la date du 31 décembre 2019, ainsi que les autorisations de toute nature qui y sont liées. »

Conformément à l’article 18 de l’ordonnance qui précise que « par exception, la dette financière n’est pas transférée », la nouvelle structure ne reprend pas la dette financière de Fret SNCF, qui représente 5,3 milliards d’euros.

b.   L’illusion d’un apaisement de la Commission européenne

La loi n° 2018‑515 du 27 juin 2018 est une tentative claire d’assourdir la menace d’une procédure de la Commission européenne. L’ensemble de la réforme est pensé comme un moyen de renforcer l’autonomie de l’activité fret par rapport à l’opérateur historique.

Le passage d’une personnalité de droit public à une personnalité de droit privé cherche à mettre fin à toute garantie, même implicite, de l’État. La constitution d’une société anonyme fait directement référence à l’accord de 2005 avec la Commission européenne, dans lequel cette solution était explicitement citée : « Le principe de l’aide unique s’appliquera à l’entreprise dans son ensemble aussi longtemps que les activités de fret et de transport de voyageurs n’auront pas été séparées juridiquement. À cet égard, les autorités françaises se sont engagées à ce que ce principe, qui interdit de verser de nouvelles aides à la restructuration dans les dix années suivant la fin de la période de restructuration, s’applique à l’ensemble de la SNCF tant que Fret SNCF n’aura pas été doté du statut de société anonyme. » La volonté de filialiser le fret était effectivement déjà présente dès 2005, comme l’a rappelé M. Marc Véron lors de son audition, durant laquelle il expliquait que la vice-présidente de la Commission chargée des transports plaidait pour cette solution : « Mme de Palacio était convaincue qu’il fallait filialiser le fret. Si elle n’a pas poussé plus loin sa demande, c’est parce qu’elle sentait que la direction générale de la SNCF était réticente à le faire, pour des raisons sociales que nous avons expliquées ([99]). »

Au moment de l’examen de la loi du 27 juin 2018, la volonté d’apaiser la Commission européenne est dans les esprits. Au cours de son audition. M. Jean‑Pierre Farandou l’assume pleinement : « La loi de 2018, qui a donné lieu à la réforme de 2020, rendait autonome l’activité de fret d’un point de vue économique et commercial, ce qui répondait à une demande ancienne de la Commission européenne. […] je ne doute pas que l’État et les dirigeants de la SNCF de l’époque étaient convaincus que la transformation en SAS, la reconnaissance de la dette et sa localisation transparente ou l’annonce de comptes prévisionnels dans le vert – qui se sont avérés – étaient des éléments de nature à améliorer le dossier et à permettre la poursuite des discussions en vue d’une solution à l’amiable ([100]). »

Pour autant, le Gouvernement se berce d’illusion sur la clémence de la Commission européenne, pour qui la réforme ne fait en rien évoluer les griefs reprochés. Comme le rappelle justement le PDG de la SNCF, M. Jean‑Pierre Farandou lors de son audition : « La Commission européenne n’ayant donné aucun avis, il était difficile de savoir ce qu’elle pensait […]. Toutes les informations ont été données à la Commission européenne. À l’époque, celle-ci n’a ni approuvé ni réprouvé le choix qui avait été fait. Elle en a pris acte, sans donner son avis sur le fond ([101]). »

Un élément confirmé par Mme Élisabeth Borne, Première ministre et ancienne ministre déléguée chargée des transports, lors de son audition : « Bien évidemment, la réforme ferroviaire a fait l’objet d’échanges avec la Commission européenne, qui a validé l’organisation d’ensemble avant de soulever a posteriori des questions liées aux aides d’État, du fait des plaintes qui ont été déposées en ce sens ([102]). »

D.   Faire payer à Fret SNCF ses dettes publiques passées : vers la « discontinuité » par le démantèlement

1.   L’épée de Damoclès

a.   Le risque d’une procédure formelle pousse la France à proposer des options de démantèlement

Alors que deux autres plaintes ont été déposées les 31 janvier 2018 et 6 septembre 2019, la France tente de convaincre la Commission européenne d’éviter l’ouverture d’une procédure formelle d’examen approfondi, comme l’explique Mme Sylvie Charles lors de son audition : « À l’époque, nous craignions l’ouverture d’une procédure formelle. Durant la période que j’ai mentionnée, nous nous situions dans une phase informelle de discussions entre les autorités françaises, la direction générale de la concurrence et la commissaire à la concurrence ([103]). »

Sous la pression de l’ouverture d’une procédure formelle, les échanges entre les autorités françaises et la Commission européenne se multiplient, comme en témoigne M. François Poupard, ancien directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), qui déclare lors de son audition : « Les choses ne se sont durcies avec la Commission qu’avec les premiers dépôts de plainte, fin 2017 ou début 2018. Les réunions sont devenues plus fréquentes en 2018. C’est à ce moment que le scénario de discontinuité a été évoqué pour la première fois. Je me souviens notamment d’une réunion à Bruxelles au cours de l’été 2018. Cela avait peut-être été évoqué plus tôt dans des cercles plus techniques, mais c’est remonté au DGITM en 2018 ([104]). »

Toutefois, le risque de l’effectivité de l’ouverture d’une procédure formelle a pu être minimisé au sein du Gouvernement. Lorsque le président de la commission d’enquête a interrogé Mme Élisabeth Borne, alors ministre des transports, sur son évaluation du risque contentieux après le dépôt des premières plaintes, celle-ci a répondu : « Les plaintes que vous avez mentionnées étaient effectivement déjà présentes dans le paysage lorsque j’étais ministre, mais la France n’était pas le seul pays concerné en Europe. De plus, la Commission européenne ne s’en était pas encore saisie et cet élément avait donc une moindre acuité ([105]). »

S’appuyant sur les plaintes qui ont été déposées contre la France par DB Cargo et Lineas, la Commission plaide pour une discontinuité de Fret SNCF, comme en fait état le compte rendu de l’échange du 23 mai 2018 entre la vice-présidente de la Commission, Mme Vestager, et la ministre chargée des transports Mme Élisabeth Borne, auquel le rapporteur a eu accès et qui relève que la Commissaire n’a semblé envisager, tout au long de l’échange, qu’« une seule option » : celle de la discontinuité économique.

Sous la pression de la Commission, le scénario d’un démantèlement de Fret SNCF, pudiquement nommé « discontinuité », est mis à l’étude à l’échelle nationale, comme le raconte Mme Sylvie Charles, ancienne directrice de Fret SNCF : « En 2018, les pouvoirs publics, sous la houlette du secrétariat général aux affaires européennes, m’avaient demandé d’essayer de travailler à une solution. À ce titre, nous avons étudié les éléments constitutifs d’une discontinuité : le périmètre, l’actionnariat, les actifs. S’agissant des actifs, nous disposions de réponses puisque le capital d’Akiem avait déjà été ouvert et qu’Ermewa pouvait être vendu. En matière d’actionnariat, nous avions imaginé proposer la réalisation d’un vaste ensemble avec les autres entités ferroviaires de marchandises, notamment étrangères. En effet, elles intéressaient d’autres parties. Nous aurions donc pu les rassembler et ouvrir le capital. Restait la question du périmètre. En mon âme et conscience, malgré le développement de la gestion capacitaire, je n’ai trouvé « que » 60 millions d’euros de chiffre d’affaires ([106]). »

À l’automne 2019, la DGITM et l’Agence des participations de l’État lancent une étude sur la discontinuité, qu’elle confie au cabinet McKinsey, comme a permis de l’apprendre l’audition de Mme Sylvie Charles : « En 2019, la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) du ministère des transports a lancé une étude sur la discontinuité, qui a été confiée au cabinet McKinsey. » Comme l’indiquent les documents de travail communiqués à votre rapporteur, l’étude a pour objet « d’éclairer la décision publique sur les modalités de transformation du modèle économique de Fret SNCF qui permettraient de garantir sa soutenabilité financière tout en respectant le droit de l’Union européenne en matière d’aide d’État ([107]) ».

Les résultats de l’étude confiée à McKinsey seront remis début février 2020. Dans ces travaux, le cabinet de conseil identifie trois stratégies différentes pour redresser Fret SNCF :

 une stratégie « d’optimisation de l’activité actuelle », consistant à maintenir Fret SNCF dans l’intégralité de son périmètre actuel mais en rationalisant les coûts de fonctionnement et de structure. Cette solution ne répond pas aux exigences de la Commission européenne en matière de discontinuité ;

 une stratégie de « focalisation sur le cœur rentable », qui consiste à abandonner la position d’acteur généraliste d’envergure nationale en France et à repositionner Fret SNCF sur l’activité rentable de l’entreprise. Cette nouvelle entité rentable serait conforme aux critères de la Commission européenne ;

 une stratégie de « repositionnement de Fret SNCF », prévoyant d’arrêter complètement l’activité de transports de marchandises de Fret SNCF et à repositionner l’entreprise en tant que fournisseur de services à destination des transporteurs ferroviaires,

Aucun des scénarios présentés ne sera adopté tel quel. Invoquant la confidentialité sur un dossier en cours d’instruction, M. Olivier Guersent, le directeur général de la concurrence de la Commission européenne n’a pas souhaité indiquer si ces stratégies discontinuité avaient été transmises à la Commission européenne.

b.   Après la parenthèse du covid-19, le retour du jeu de dupes à l’automne 2022

La période du covid-19 apparaît comme une parenthèse : la discontinuité n’est plus la priorité politique retenue par le Gouvernement, qui préfère s’inscrire dans un « rapport de force » avec la Commission, selon les termes de l’ancien ministre chargé des transports M. Jean‑Baptiste Djebbari, lors de son audition ([108]).

Par ailleurs, les retraits des plaintes vis-à-vis de Fret SNCF le 1er février 2021, le 24 février 2021 et le 25 octobre 2021 laisse penser aux autorités françaises que l’hypothèse d’ouverture d’une procédure formelle par la Commission européenne s’écarte. Le PDG du groupe SNCF expliquait lors de son audition : « En continuant à discuter, nous espérions réussir à faire prévaloir nos arguments. Nous étions d’autant plus convaincus d’y parvenir qu’après la constitution de la SAS Fret SNCF, les plaintes ont été levées. Cette décision pouvait laisser penser que même nos concurrents privés reconnaissaient que la situation s’était normalisée et qu’il n’y avait plus d’intervention illégale de l’État, de distorsion de marché, etc. ([109]) »

Pourtant, en dépit du retrait des plaintes, la Commission européenne, s’obstine à vouloir ouvrir une procédure formelle contre la France. Ce qui n’apparaissait initialement que comme une menace récurrente se concrétise petit à petit

À l’automne 2022, la Commission européenne accroît la pression sur la France pour la contraindre au démantèlement de l’activité fret de l’opérateur historique. Ce changement de ton surprend, comme l’explique M. Jean‑Pierre Farandou : « J’ai été surpris par le durcissement de la position de la Commission qui m’a été rapporté par l’intermédiaire de l’État français et du secrétariat général des affaires européennes (SGAE) à partir de l’automne. Je ne m’en explique pas les raisons. »

La position de la France face au durcissement de ton de la Commission européenne interroge. Le Gouvernement français a-t-il bien pris la mesure de l’imminence de l’ouverture de la procédure ? Force est de constater que l’épisode n’a vraisemblablement pas marqué la Première ministre, pour qui le sujet ne devait pas être prioritaire, tel que le laissent penser ses propos devant notre commission d’enquête : « Vous m’interrogez sur les éventuels changements d’humeur et de ton de la Commission européenne à l’automne 2022. Occupée par d’autres dossiers, j’avoue ne pas avoir suivi le détail des évolutions psychologiques de l’instance européenne ([110]). »

2.   L’ouverture de la procédure par la Commission et la présentation officielle d’un scénario de discontinuité déjà bien établi

a.   L’ouverture formelle de la procédure par la Commission européenne

Si à l’automne 2022, l’imminence de l’ouverture de la procédure ne fait plus de doute, comme en témoignent les comptes rendus de réunion entre le ministre chargé des transports et la vice-présidente de la Commission, Mme Vestager, le calendrier retenu constitue un ultime objet de pression pour pousser la France à proposer une solution de démantèlement encore plus brutale pour son fret. Alors que la date d’ouverture était fixée au 21 décembre, la Commission européenne se montre disposée à une ouverture « après le 10 janvier si des progrès étaient constatés en début de semaine prochaine ».

Dans un courrier daté du 18 janvier 2023, la Commission européenne informe officiellement la France de sa décision d’ouvrir une enquête approfondie : « La Commission informe la France que, après avoir examiné les informations fournies par les autorités françaises concernant le financement public en faveur de Fret SNCF SAS, elle a décidé d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. »

Trois points font l’objet de l’enquête de la Commission européenne : les avances de trésorerie au profit de Fret SNCF de 2007 à 2020, l’annulation de la dette financière de Fret SNCF par voie législative et l’injection de capital de 170 millions lors de la transformation de Fret SNCF en société commerciale.

En premier lieu, l’enquête de la Commission européenne porte sur le financement sous forme d’avances de trésorerie intra-groupe depuis le 27 janvier 2007. Elle estime que SNCF a continué à combler les pertes engrangées par sa filiale Fret SNCF par des prêts qui se sont ajoutés et accumulés aux dettes préexistantes de la société bénéficiaire. La Commission européenne estime ainsi que, « sur la base des informations disponibles, le financement de Fret SNCF au moyen d’avances de trésorerie semble avoir été assuré de façon automatique à hauteur du montant nécessaire pour couvrir chaque année les besoins en liquidités de Fret SNCF ([111]). » Les avances de trésorerie étant considérées comme des ressources publiques du fait de l’actionnariat et du contrôle étatique, la Commission européenne soupçonne une illégalité au regard du régime des aides d’État pour un montant estimé entre 4 et 4,3 milliards d’euros.

En deuxième lieu, la Commission européenne reproche à la France l’annulation de la dette de Fret SNCF dans le cadre de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire. En particulier, l’ordonnance du 3 juin 2019 précise à son article 18 que « la dette financière n’est pas transférée ». À ce titre, la Commission européenne juge que « l’ordonnance du 3 juin 2019 semble organiser ainsi l’annulation de la dette financière de Fret SNCF à la date du 31 décembre 2019 ([112]). »

En dernier lieu, la Commission européenne estime que Fret SNCF a bénéficié d’une augmentation de capital d’un montant de 170 millions d’euros à la fin de l’année 2019, dans le cadre de la réforme pour un nouveau pacte ferroviaire de 2018 transformant Fret SNCF en société commerciale. Dans sa décision d’ouverture de procédure formelle pour aide d’État, la Commission européenne explique ([113]) que lors l’annonce de la réforme du système ferroviaire le Premier ministre a annoncé le 16 avril 2018 que la France envisageait de filialiser Fret SNCF au sein du groupe SNCF. Le même jour, la SNCF a expliqué que ce scénario nécessitait une recapitalisation pour pérenniser l’activité de l’opérateur, et que l’assainissement de la situation financière serait soumis à l’approbation de la Commission européenne. Pourtant, cette dernière constate dans sa décision qu’elle ne s’est « vue soumettre, ni le projet d’assainissement de la situation financière de Fret SNCF, ni le plan d’affaires justifiant le retour à la viabilité de celle-ci » alors que « dans ses observations du 16 septembre 2020 envoyées à la Commission, la France a en revanche incidemment confirmé que la recapitalisation avait eu lieu, puisqu’elle indique que “les états financiers fournis font apparaître un niveau de trésorerie de 169 millions d’euros au 30 juin 2020. Celui-ci prend en compte l’apport en capital de 170 millions d’euros réalisé fin 2019 par l’ancien EPIC SNCF Mobilités.” »

Après l’annonce de l’ouverture de la procédure officielle, la France réagit aussitôt par la voix de son ministre chargé des transports, qui affirme : « Le Gouvernement aborde cette procédure avec confiance, au vu des réformes et efforts engagés. Nous sommes plus que jamais déterminés à garantir et développer la place du fret ferroviaire en France ([114]). » Pourtant, c’est bien l’abaissement définitif et programmé de l’activité fret de l’opérateur historique qui se poursuit.

b.   La proposition d’un scénario de démantèlement

Jamais la possibilité d’aller au bout de la procédure n’est réellement envisagée par les autorités françaises du fait de l’incertitude qu’elle présente et du risque financier qu’elle fait peser, comme l’explique le ministre chargé des transports M. Clément Beaune lors de son audition : « La première option consistait à aller au bout de la procédure. On ne sait jamais combien de temps cela peut durer, mais l’expérience permet d’estimer la durée entre dix-huit et vingt-quatre mois, sans compter les recours possibles. Je suis convaincu que nous aurions condamné Fret SNCF dès maintenant, car nous aurions eu, pendant dix-huit mois au moins, une incertitude sur le maintien en vie économique de notre opérateur central de fret ferroviaire. Je rappelle que la procédure a été motivée par une demande de remboursement de 5,3 milliards d’aides jugées illégales par la Commission européenne. C’est l’entreprise même, quel que soit son statut, qui doit la rembourser. Le risque vital est donc double : d’une part, l’entreprise risque de devoir rembourser tout ou partie de cette somme, ce qui est insoutenable ; d’autre part, l’incertitude est mortelle dès à présent, car l’entreprise ne peut plus garantir à ses clients qu’elle aura la capacité de transporter leurs marchandises à l’avenir  ([115]). »

Dans un courrier du 23 mai 2023 adressé au PDG du groupe SNCF, M. Jean‑Pierre Farandou, le ministre des transports Clément Beaune présente le scénario de démantèlement comme une fatalité du fait de l’issue vraisemblablement négative de la procédure : « Les échanges que j’ai eus ces dernières semaines avec la vice-présidente exécutive de la Commission font apparaître que les orientations du dossier au regard de la jurisprudence européenne en matière d’aides d’État devraient conduire la Commission à adopter une décision négative avec demande de récupération, menant de facto à la liquidation de Fret SNCF. »

Le scénario de discontinuité ([116]), présenté au président de la SNCF et aux organisations syndicales en mai 2023, après avoir été douloureusement discuté face à la Commission européenne depuis des années, organise le démantèlement de Fret SNCF.

Le plan prévoit la création au 1er janvier 2025 d’une nouvelle société, issue du démantèlement de Fret SNCF, aujourd’hui provisoirement nommée « New Fret ». La nouvelle entité ne pourrait conserver le nom « Fret SNCF ».

Pour votre rapporteur, l’aspect symbolique de cette interdiction n’est pas à négliger. Adopter une nouvelle dénomination anglo-américaine impersonnelle – comme l’est celle de Rail Logistics Europe – ou un nom commercial de fantaisie tout en abandonnant le sigle « SNCF », ce serait acter symboliquement un nouvel épisode du démembrement de la SNCF ; ce serait aussi tirer un trait sur l’histoire de la société nationale et blesser profondément les cheminots, qui tirent légitimement fierté de cette histoire et des missions d’intérêt général que remplit le groupe auquel ils appartiennent.

 

Recommandation n° 9 : Si une nouvelle entité devait être créée, conserver dans sa dénomination le sigle « SNCF ».

L’entité conserverait la gestion capacitaire, qui représente actuellement 80 % du chiffre d’affaires de la société et 70 % de son trafic, une activité qui ne peut être équilibrée que grâce aux subventions publiques.

Seraient abandonnés aux concurrents les trains dédiés, qui représentent 20 % de chiffre d’affaires et 30 % du trafic de Fret SNCF. Vingt-trois flux seraient cédés à la concurrence au 1er janvier 2024. Parmi eux, le « train des primeurs » entre Perpignan et Rungis, rouvert en octobre 2021. La nouvelle entité ne pourrait pas se repositionner sur ces contrats pour une durée de dix ans.

Cette interdiction est étendue aux autres filiales de la SNCF : « Interdiction pour les filiales directes ou indirectes de SNCF SA (existantes ou futures) de se porter candidates aux demandes en gré à gré et aux processus de mises en concurrence organisés par les clients pour la reprise des vingt-trois flux de trains entiers dédiés […], et ce pour une durée de cinq années à compter du 1er janvier 2024. »

Compte tenu de l’incertitude qui pèse sur la reprise effective des flux par la concurrence, et compte tenu de la possibilité, particulièrement surréaliste, laissée aux entreprises concurrence de sous-traiter à la nouvelle entité l’exploitation des flux repris au cas où elles ne seraient pas capables de le faire elles-mêmes – et ce pour une durée de trente-six mois –, votre rapporteur recommande, en cas de poursuite de l’application du plan de démantèlement, des assouplissements visant à ne pas écraser définitivement la nouvelle entité et à éviter un report modal massif vers la route.

 

Recommandation n° 10 : En cas de poursuite du plan de démantèlement :

– permettre à la nouvelle entité de reprendre les flux qu’elle a exploités en sous-traitance pendant trente-six mois si l’entreprise concurrente n’est pas en mesure, au bout de ce délai, d’opérer elle-même le flux ;

 ramener de dix à cinq ans le délai durant lequel la nouvelle entité ne peut revenir sur le marché des flux qui ont été cédés.

Seraient également cédées soixante-deux locomotives sur un parc de près de 730 machines ainsi que 40 % des actifs de Fret SNCF.

L’accord prévoit enfin la création d’une nouvelle société de maintenance qui serait chargée de la gestion des installations de service et de la maintenance des locomotives.

La rapidité de la présentation du plan de discontinuité, moins de six mois après l’ouverture formelle de la procédure par la Commission européenne, a pu largement surprendre, notamment au sein des organisations syndicales, qui ont largement regretté la rapidité dont a fait preuve le ministre chargé des transports, M. Clément Beaune, qualifiée de précipitation. Cet aspect a été notamment évoqué lors des déplacements d’une délégation de la commission d’enquête à Woippy et à Fos-sur-Mer, où elle a pu échanger avec les cheminots, l’encadrement local et les représentants des organisations syndicales de Fret SNCF.

Toutefois, la volonté d’agir rapidement pour donner de la visibilité aux chargeurs afin d’éviter tout report modal, comme l’avance le ministre, se comprend si l’on considère que les modalités du démantèlement de Fret SNCF étaient déjà dessinées bien en amont. Les organisations syndicales, écartées du processus de négociation informel qui s’est tenu en amont, n’ont bien sûr pas été associées aux discussions sur l’avenir de leur entreprise, avant ou après l’ouverture formelle de la procédure, comme le confirme M. Lionel Ledocq lors de son audition : « Avons-nous été associés à une solution de discontinuité ? Non. Tout comme vous, nous avons appris le 18 janvier qu’une enquête de la Commission européenne avait été ouverte pour des aides illégales ([117]). »

c.   Une solution de démantèlement lourde de risques

La solution de démantèlement proposée par le Gouvernement est désastreuse d’un point de vue de la soutenabilité économique, de la transition écologique et des conséquences sociales.

La soutenabilité économique de la nouvelle entité issue du démantèlement de Fret SNCF reste peu probable, et devrait affaiblir l’ensemble de la filière du fret. Dans la mesure où la société perd 10 % de ses effectifs et près de 30 % de son activité, la structure de coûts fixes devient plus élevée. Les travaux du cabinet Alpha montrent que le plan d’évolution de Fret SNCF se traduit par une diminution de la productivité future de l’ordre de 10 points, toutes choses égales par ailleurs Concrètement, comme le résume M. Pierre Ferraci, président du groupe Alpha : « Quels que soient les efforts consentis par l’État, ce qui est proposé est très vraisemblablement injouable […]. Je pense que les perspectives retenues sont trop optimistes. Je connais peu d’entreprises privées ou publiques capables de supporter un choc aussi brutal, surtout après les multiples restructurations qui ont déjà eu lieu lors des dernières années ([118]). »

L’analyse de M. Louis Gallois n’est pas moins critique : « J’ai compris en lisant les journaux que Fret SNCF traînait une dette de l’ordre de 5 milliards d’euros et que, pour éviter de la rembourser à la SNCF, ce qui mettrait l’activité fret en faillite, on préconisait la discontinuité. Pourquoi pas ? Mais cette discontinuité s’accompagnerait d’une importante perte de trafic – 30 % des trafics et 20 % du chiffre d’affaires. En outre, il semble que les 30 % de trafics que Fret SNCF serait obligée de rétrocéder, c’est-à-dire de transférer à la concurrence, pour au moins dix ans, soient une partie de ceux qui rapportent de l’argent. Cela ne facilitera pas la tâche de ceux qui auront à redresser l’entreprise ! J’avais pourtant compris que, sur les deux dernières années, Fret SNCF était à l’équilibre […]. Si encore cela rapportait du trafic pour le fret… Mais cela ne fera pas un camion de moins sur les routes ! J’ai donc une petite incompréhension ([119]). »

La cession des flux les plus rentables à la concurrence pose la question des ressources de la nouvelle entreprise créée, alors même que l’activité conservée est structurellement déficitaire. Cette séparation interroge ainsi la viabilité économique de la nouvelle structure, comme l’évoquait M. Marc Véron lors de son audition : « L’idée actuelle consistant, si j’ai bien compris, à séparer le fret en deux activités – les trains complets et les wagons à l’unité – ne marchera pas. Le seul bricolage auquel on pouvait se livrer était d’établir une certaine péréquation entre les deux secteurs. Dans son rapport, qui avait été transmis à M. Barnier, M. Barrot insistait à plusieurs reprises sur le fait que la seule activité compétitive du fret est l’exploitation des trains complets d’un bout à l’autre. Il est impensable qu’une entreprise spécialisée dans le tri des wagons isolés puisse être compétitive […] On ne peut pas séparer les wagons isolés des trains entiers en espérant que les premiers deviennent un jour bénéficiaires : cela n’arrivera pas, c’est une vue de l’esprit. Je ne comprends pas ce projet. Atteindre la rentabilité des trains complets transportant des marchandises d’un point à l’autre est déjà complexe et exige notamment d’alléger les coûts d’exploitation, mais une activité de wagons isolés indépendante est vouée à l’échec ([120]). »

Les craintes du président du groupe Alpha portent également sur la capacité des concurrents à prendre le relais de Fret SNCF pour les trafics cédés. Or, faute d’une reprise par la concurrence, la solution de démantèlement fait craindre un fort report modal vers la route, malgré la volonté du Gouvernement de considérer le report inversé comme une ligne rouge. M. Laurent Brun, secrétaire général de la fédération CGT Cheminots expliquait : « Ce plan est contre-productif, parce que l’abandon de 20 à 30 % des trafics risque de ne pas être repris. Pour le Perpignan-Rungis, l’appel à manifestation d’intérêt, malgré son contenu qui précisait que l’État donnerait autant d’aides que nécessaire, n’a fait l’objet que de deux candidatures, dont l’une a été considérée comme non viable en raison de la taille trop modeste de l’entreprise. L’autre candidature était celle de la SNCF. Nous pouvons considérer qu’il y a peu de chances que d’autres se positionnent, sauf évidemment à augmenter encore le niveau d’aide publique ([121]). »

Pour les chargeurs concernés par les flux cédés à la concurrence, la situation demeure incertaine à moyen terme. Au cours de son audition, M. Desmonts, responsable de la logistique multimodale Europe chez ArcelorMittal, dont le flux reliant Boulogne-sur-Mer à Dunkerque est concerné par la discontinuité, expliquait que le dialogue avec Fret SNCF avait été rapide pour la cession de la ligne mais qu’un certain flou avait persisté sur la date de retrait.

« M. le président David Valence. Monsieur Desmonts, comment avez-vous été informé de la solution de discontinuité et comment s’est déroulé le dialogue avec Fret SNCF au sujet de la réorganisation du flux qui vous concerne ?

« M. Arnaud Desmonts. Ce flux relie Boulogne-sur-Mer et Dunkerque. Il concerne un million de tonnes. Nous avons été officieusement informés au mois de mai et officiellement par un courrier qui nous est parvenu au mois de juillet. Fret SNCF a rapidement expliqué les tenants et aboutissants de cette discontinuité. En revanche, un flou subsistait sur la date du retrait, initialement évoqué pour janvier 2024, avec une extension potentielle jusqu’en juin 2024 ([122]). »

Cette possibilité d’extension de la date de retrait a été confirmée par le ministre chargé des transports M. Clément Beaune lors de son audition : « Un délai jusqu’à fin décembre 2023 a été évoqué pour assurer cette bascule ; il pourrait être prolongé sans risque juridique jusqu’au 30 juin 2024. Il y a urgence à donner de la visibilité aux chargeurs, qui la réclament ([123]). »

Si la situation semble stabilisée, au moins pour certains chargeurs, à court terme, l’incertitude demeure sur la capacité des entreprises concurrentes à assurer ces flux en se portant candidates aux appels d’offres ainsi que sur leur aptitude à assurer correctement les liaisons.

Par ailleurs, la déclinaison sociale de la solution de démantèlement demeure incertaine. Si, selon de l’aveu même du ministre en audition devant la commission d’enquête : « Des personnes devront quitter la structure actuelle », le doute se maintient sur l’avenir des agents concernés, bien que le ministre ait « demandé au PDG de la SNCF de veiller à ce qu’une solution soit trouvée pour tout le monde au sein du groupe ». Sur ce point, M. Jean‑Pierre Farandou est demeuré flou lors de son audition : « Nous avons déjà engagé des discussions à ce sujet. Les principaux mouvements devraient s’effectuer entre le fret et le TER. Dans plusieurs régions, dont l’Occitanie autour de Perpignan, nous avons commencé à étudier les différentes possibilités. Heureusement, nous avons des besoins dans le TER. Nous devrions donc réussir à trouver un poste pas trop éloigné de leur domicile à toutes les personnes concernées, en particulier les conducteurs ([124]). »

Le cadre social applicable aux nouvelles entités fait également l’objet d’une inquiétude, dans la mesure où rien n’a encore été garanti. Au cours de l’audition des organisations syndicales par la commission d’enquête, M. Lionel Ledocq expliquait : « M. le rapporteur a demandé si le cadre social était garanti. À cette heure-ci, il ne l’est pas. Tout ce que nous savons, c’est que le cadre social va être discuté pour les deux nouvelles entités et qu’il ne sera pas le même que celui qui prévaut aujourd’hui à Fret SNCF. Il sera clairement au rabais ([125]). »

 

Recommandation n° 11 : Dans l’hypothèse d’une mise en application du plan de démantèlement, clarifier et préciser les garanties sociales en jeu et apporter des réponses à la hauteur des attentes des agents de Fret SNCF dans le cadre de la concertation et la négociation avec les organisations représentatives du personnel.

Dans tous les cas, avant même la mise en œuvre de la discontinuité, l’annonce du plan a eu un impact social négatif, comme le montrait M. Stéphane Itier, directeur du groupe Alpha, lors de son audition par la commission d’enquête : « La transformation n’est pas pour le moment comprise et digérée, elle est même considérée comme injuste et injustifiée. Ce rejet mettra en difficulté l’encadrement intermédiaire, qui a vocation à décliner un certain nombre de ces mesures dans les semaines et mois prochains. Les enjeux concernent donc aussi les risques, mais également les troubles psychosociaux. De nombreux agents se trouvent fragilisés par ce qui peut être perçu comme de la précipitation ([126]). »

d.   Une solution brutale marquée du sceau de l’incertitude

Votre rapporteur tient à rappeler que la France ne dispose d’aucune garantie formelle et écrite de la part de la Commission sur l’acceptation de la solution de démantèlement proposée et sur l’abandon de la procédure formelle de la Commission européenne que cela impliquerait.

La France ne peut donc se fier qu’aux bons espoirs du ministre chargé des transports, qui expliquait devant la commission d’enquête : « Nous avons eu avec la Commission européenne des échanges oraux et écrits mais la procédure est encore en cours. Les garanties dont nous disposons doivent permettre de créer une nouvelle organisation – la fameuse discontinuité – qui, je le crois, sera validée, mais la décision de la Commission européenne ne sera formalisée qu’après ([127]). »

Cette situation provoque logiquement l’inquiétude de la filière fret SNCF, comme le rapportait M. Sébastien Mariani, secrétaire général adjoint de la CFDT Cheminots lors de l’audition des organisations syndicales : « Il existe une défiance, y compris des salariés, face à des garanties qui pourraient être données sur un scénario de discontinuité dans lequel la France serait proactive. En fait, on n’a aucune assurance formelle de la Commission européenne que ce scénario de discontinuité lui suffirait ([128]). »

 


—  1  —

 

   deuxième partie : améliorer la part modale du fret ferroviaire grâce à un modèle économique viable

La part modale du fret ferroviaire ne s’explique pas tant par le degré d’intensité de la concurrence, que par la compétitivité intrinsèque de l’activité par rapport au transport routier de marchandises. Malgré ses atouts environnementaux, le fret ferroviaire souffre de la concurrence déloyale de la route, de la dégradation des infrastructures ferroviaires et d’une qualité de services insuffisante. L’objectif de doublement de la part modale d’ici 2030 peut être atteint à condition que soit menée une stratégie économique d’ensemble, incluant :

– Un rééquilibrage de la concurrence intermodale, au moyen d’une véritable écotaxe nationale et d’une régulation du trafic routier (I) ;

– Un ajustement des incitations économiques, sans négliger le côté offre, et des investissements publics de long terme (II) ;

– Un soutien à l’opérateur public dans le contexte d’une procédure détournée de son objet qui risque de nuire à l’ensemble du secteur (III).

I.   rétablir des conditions de concurrence équitables avec la route grâce à une écotaxe bien calibrée

Le modèle économique du fret ferroviaire ne saurait être envisagé indépendamment du modèle économique du transport routier de marchandises, qui exerce une véritable concurrence déloyale et polluante. Les mesures de rééquilibrage en cours d’élaboration (écotaxe régionale, surpéage, annonces sur la fiscalité du carburant) ne seront pas suffisantes : la réalisation de l’objectif de report modal suppose une politique ambitieuse et courageuse, fondée sur une véritable écotaxe nationale et sur des mesures de réglementation du trafic routier.

A.   Des distorsions de concurrence entre le transport routier et le fret ferroviaire

Le fret ferroviaire souffre de distorsions de concurrence de la part du transport routier, un mode de transport qui a phagocyté le train grâce à un régime fiscal insuffisant et à des pratiques inéquitables : le transport routier échappe en partie aux péages et aux taxes, tout en générant « gratuitement » des externalités négatives très coûteuses pour la société.

1.   Le transport routier esquive les taxes et les péages

a.   L’évitement des péages

Alors que les opérateurs de transport ferroviaire doivent systématiquement s’acquitter de péages auprès du gestionnaire de réseau pour l’accès aux infrastructures et la circulation sur les voies ferrées, les transporteurs routiers ne s’acquittent de péages que sur une partie du réseau routier national.

En France, seules les autoroutes concédées sont soumises à péages. Ces autoroutes « payantes » ne représentent que 9 000 km de voies, contre 12 000 km de routes nationales gratuites et 380 000 km de routes départementales. De ce fait, de nombreux transporteurs routiers préfèrent contourner les autoroutes, quitte à consommer un peu plus de carburant, pour ne pas avoir à payer de péages. Il y a donc une inégalité de traitement entre les trains, qui ne peuvent se dispenser de payer de péages, et la route qui dispose d’itinéraires « gratuits ».

Au cours des auditions, M. Dominique Bussereau, ancien secrétaire d’État chargé des transports et président du conseil départemental de la Charente-Maritime, rapporte le cas de la nationale 10, « un axe gratuit – contrairement à l’autoroute – où passe un poids lourd toutes les quinze à vingt secondes » pour éviter l’autoroute A10 entre Poitiers et Bordeaux. Ce constat est partagé par une autre élue de la Charente, la sénatrice Nicole Bonnefoy qui, dans son rapport sur « le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux ([129]) » évoque un « trafic incessant de poids lourds » et des effets négatifs sur la région, sans aucune contrepartie financière.

L’entretien du réseau routier « gratuit » est censé être financé par l’affectation à l’agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT) d’une fraction ([130]) de la taxe sur le carburant, dont l’assiette est corrélée aux besoins de consommation des véhicules et donc à l’usure de la route.

Or, outre que les poids lourds bénéficient d’un taux réduit de fiscalité du carburant (voir infra), la concurrence entre le train et la route a été faussée par un transport international de plus en plus présent qui ne paye pas les taxes sur le carburant qu’il consomme en France.

b.   L’évitement de la fiscalité sur le carburant par le trafic international

Le principal prélèvement fiscal dont sont redevables les transporteurs routiers, à savoir la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE), est assis sur le volume de gazole acheté : il est donc facile pour les transporteurs étrangers de se dispenser de cette taxe et de toute contribution au financement des infrastructures en ne faisant pas le plein en France.

M. Dominique Bussereau, ancien ministre, raconte ainsi le parcours typique d’un poids lourd étranger, en provenance par exemple de l’Espagne, du Portugal ou du Maroc, qui va réussir à traverser la France en contournant à la fois les autoroutes payantes et les stations-service françaises : « Le chauffeur routier espagnol passe par le sud de mon département, la Charente-Maritime, pour rejoindre Angoulême, où il bifurque ensuite à l’est pour rejoindre l’Allemagne par la route Centre-Europe Atlantique [connue pour être majoritairement gratuite]. En France il ne fait pas un plein d’essence, il n’achète rien du tout, il ne dépense pas un centime au profit de l’économie française et ne contribue donc pas aux dépenses afférentes à l’entretien des routes ([131]). »

Ce constat est partagé par Mme Élisabeth Borne, Première ministre et ancienne ministre des transports : « Je trouve tout à fait anormal que des poids lourds puissent traverser notre pays sans contribuer au financement de nos infrastructures. Depuis plusieurs années, les camions disposent d’un réservoir leur permettant de faire le plein au Luxembourg puis en Espagne, sans dépenser en France le moindre euro permettant d’assurer l’entretien et le développement de notre réseau routier ([132]). »

Selon une analyse du service d’inspection du ministère de l’environnement ([133]), établie par comparaison des données des douanes françaises et des comptes des transports, les transports étrangers achètent en France moins de 23 % du carburant qu’ils y consomment. Autrement dit, « 75 % des poids lourds circulant en France ne se fournissent pas en carburant sur le territoire national ([134]) ».

Avec la réalisation du marché intérieur et la libéralisation du secteur des transports, la part de pavillon étranger dans le transport routier français a été multiplié par quatre en trente ans. Cette augmentation a induit des distorsions de concurrence pour l’ensemble des opérateurs de transport de marchandises, routiers comme ferroviaires.

progression de la Part de pavillon étranger dans le fret routier

Source : MEDAD/SESP (jusqu’en 2005) et SDES (à partir de 2015)

L’ouverture à la concurrence du transport international de marchandises par la route s’amorce avec un règlement européen de 1989 ([135]). On observe rapidement un premier doublement de la part de pavillon étranger, de 10 % à 20 %. Un deuxième « saut » s’opère après 2000, puis 2005, dates qui correspondent à l’introduction d’une fiscalité plus contraignante chez les pays voisins (écotaxe instaurée en Suisse en 2001, puis en Autriche et Allemagne) qui a eu un effet d’éviction du trafic vers le réseau français, en particulier vers les routes alsaciennes.

L’augmentation de la part modale du transport routier suit à peu près la trajectoire de l’augmentation de la part de pavillon étranger dans le secteur routier français. C’est donc aussi, pour l’essentiel, les transporteurs routiers sous pavillon étranger qui ont capté la part de marché que détenait auparavant le fret ferroviaire grâce à un avantage concurrentiel lié à l’évitement des péages et des taxes.

c.   Le dumping social des transporteurs routiers étrangers

Les personnes auditionnées soulignent également que les poids lourds étrangers, notamment en provenance d’Europe de l’Est, ont recours à une main-d’œuvre moins coûteuse et profitent d’un droit du travail plus souple, au détriment de leurs concurrents français directs mais aussi du secteur ferroviaire qui emploie des cheminots relevant du droit du travail français.

Selon M. Alain Vidalies, la France a perdu 20 000 emplois dans le transport routier entre 1990 et 2010 au profit des routiers polonais à la faveur d’une « politique fondée sur le dumping social validée en permanence par la Commission européenne ([136]) ».

Au cours d’une audition devant le Sénat ([137]), M. Christophe Béchu, alors président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), résumait la situation en ces termes : « Les patrons français ne comprennent pas pourquoi, alors que leurs charges sociales sont plus élevées qu’ailleurs […], que les règles du droit du travail sont parfois plus contraignantes qu’ailleurs, ils devraient en plus faire face à des concurrents étrangers qui abîment le réseau sans contribuer à son financement. C’est un peu comme si le dumping fiscal s’ajoutait au dumping social. »

2.   Le transport routier ne paye pas pour les nuisances qu’il génère

Non seulement les transporteurs routiers ne payent pas en totalité les prélèvements dont ils devraient s’acquitter, mais ils bénéficient d’un régime fiscal aveugle qui ne tient pas compte des coûts spécifiques – pollution atmosphérique, bruit, accidents, encombrement des routes – que ce mode de transport représente pour la société.

Le transport routier jouit donc d’une compétitivité artificielle qui tient au fait que la société supporte une partie des coûts générés par l’activité à la place des transporteurs et de leurs clients. Si ces coûts dits « externes » étaient internalisés dans le bilan des transporteurs, l’écart de compétitivité entre le mode routier et le mode ferroviaire se trouverait réduit.

a.   Les externalités négatives du transport routier sont désormais chiffrées

Le calcul de ces coûts externes, ou « externalités », est une condition préalable au rétablissement d’une concurrence équitable entre le rail et la route. Contrairement aux coûts internes, en effet (acquisition et entretien du véhicule, carburant…), les coûts externes ne se présentent pas sous forme monétisée, à l’exception des coûts d’usure de l’infrastructure qui peuvent être approchés en divisant les coûts annuels d’entretien par le nombre de véhicules ayant utilisé les voies.

Coûts internes et coûts externes d’un mode de transport

Coûts externes

Coûts environnementaux

Bruit

Réchauffement climatique

Pollution de l’air

Habitat (biodiversité, paysages…)

Coûts sociaux

Santé, qualité de vie

Insécurité (accidentalité)

Coûts économiques

Congestion

Entretien de l’infrastructure

Coûts internes

Coûts fixes

Construction de l’infrastructure

Amortissement du véhicule

Frais fixes d’exploitation

Coûts variables

Carburant et autres frais variables d’exploitation

Entretien du véhicule

Source : Assemblée nationale, d’après Émile Quinet, Principes d’économie des transports (1998).

Les coûts dits « marginaux », par opposition aux coûts complets, correspondent au surcoût causé par la circulation d’un véhicule ou d’une tonne supplémentaire sur une certaine distance, sans tenir compte des coûts fixes qui ne dépendent pas du volume d’activité.

Parmi les coûts marginaux d’un mode, on distingue :

– les coûts d’usure de l’infrastructure, ou « coûts marginaux d’usage » : ces coûts ne sont pas toujours présentés comme des externalités, car ils n’affectent pas les acteurs extérieurs à l’activité ; néanmoins, ces coûts ne sont pas non plus supportés par leurs auteurs, contrairement aux coûts marginaux privés (carburant, entretien du véhicule) ;

– les coûts « sociaux et externes » (insécurité, nuisances…) : ils affectent des acteurs extérieurs à l’activité et qui ne tirent aucun bénéfice de celle-ci.

Une des premières études de référence ([138]) sur le calcul du coût des externalités du transport routier a été conduite en 2003 par le ministère de l’environnement. Cette étude cherche à comparer les coûts marginaux aux prélèvements perçus pour établir un « bilan » de l’activité pour la société.

Les prélèvements marginaux sont constitués pour l’essentiel de la TICPE et, sur les autoroutes concédées, des péages. Contrairement à la TICPE, qui est d’abord un impôt universel même si une partie est de son produit est affectée à l’entretien des infrastructures de transport via l’AFIT, les péages sont une redevance perçue par le gestionnaire d’infrastructure (le concessionnaire de l’autoroute) qui ne couvre strictement que les coûts d’usage.

coûts marginaux et prélèvements acquittés par les poids lourds

(en milliards d’euros (2000))

 

Autoroutes concédées

Routes nationales

Routes départementales

Coût marginal d’usage

0,30

0,32

0,54

Coûts sociaux et environnementaux marginaux

Total, dont :

1,08

2,72

1,44

Congestion

0,10

1,05

0,15

Pollution

0,53

0,81

0,52

Effet de serre

0,26

0,33

0,16

Bruit

0,01

0,07

0,03

Insécurité

0,17

0,46

0,58

Total coûts marginaux

1,38

3,04

1,97

Prélèvements marginaux

Total

2,52

1,79

0,77

dont péages

1,30

0

0

Bilan net

1,14

-1,25

-1,2

hors péages et coûts d’infrastructure

0,14

-0,93

-0,67

Taux de couverture des coûts externes (coût d’usage compris)

183 %

59 %

39 %

hors péages et coûts d’infrastructure

113 %

66 %

53 %

Source : Assemblée nationale, à partir de l’étude de Dominique Bureau et Claude Gressier (2003).

Selon ces calculs, les poids lourds circulant sur les routes nationales non concédées auraient généré en 2000 l’équivalent de 3 milliards d’euros d’externalités négatives. Sur la même période, ils ont payé 1,8 milliard d’euros de taxes. Le « taux de couverture » des coûts externes est donc de moins de 60 % : l’activité aura « coûté » à la société environ 1,25 milliard d’euros.

Il apparaît que les coûts externes sont particulièrement forts sur les routes nationales, à cause d’effets de congestion très importants qui ont également une incidence sur la pollution et sur le taux d’accidents. Le coût marginal d’usage d’un poids lourd est relativement important : selon le CEREMA, un poids lourd de 13 tonnes produirait sur la voirie le même effet que 10 000 véhicules légers ; les accidents impliquant un poids lourd ont 13 % de risques en plus d’être mortels.

À l’inverse, les coûts externes sont relativement bien maîtrisés sur les autoroutes, qui sont conçues pour le trafic intense de poids lourds (multiplicité des voies, aires de repos, etc.).

La conjonction d’un prélèvement supplémentaire (les péages) et de coûts externes plus faibles conduit à un bilan plus favorable sur les autoroutes. Il faut néanmoins rappeler que ne sont pris en compte dans ce bilan que les coûts marginaux. Les péages autoroutiers sont conçus pour couvrir à la fois les coûts marginaux d’usage et les coûts fixes, qu’il s’agisse des investissements initiaux ou des coûts fixes d’exploitation. Si l’on en reste aux coûts externes sociaux et environnementaux, sans tenir compte des coûts d’infrastructure ni des péages afférents, le bilan des autoroutes est à peine positif (14 centimes par tonne et par kilomètre).

Ces calculs ont été actualisés par une étude plus récente du ministère de l’environnement, à partir de données de 2015. Cette nouvelle étude de référence servira de base aux estimations à plusieurs rapports publiés par la suite ([139]).

Cette fois, les coûts marginaux ont été calculés par tonne et par kilomètre supplémentaire en faisant l’hypothèse d’un poids lourd moyen de 9,73 tonnes. L’analyse a été étendue aux autres modes de transport de marchandise.

Coûts marginaux et prélèvements des différents modes de transport

(en centimes d’euros [2015] par tonne.kilomètre ; poids lourds de 9,73 tonnes)

 

Autoroutes concédées

Routes sans péages

Moyenne

routes

Rail

Fluvial

Coût marginal d’usage

0,49

0,73

0,66

0,59

0,20

Coûts sociaux et environnementaux marginaux

Total, dont :

1,70

4,01

3,26

0,33

1,06

Congestion

0,25

1,44

1,06

0,03

0,00

Pollution

0,77

1,47

1,24

0,05

0,91

Effet de serre

0,47

0,47

0,47

0,04

0,15

Bruit

0,01

0,03

0,02

0,10

0,00

Insécurité

0,2

0,46

0,47

0,11

0,00

Total coûts marginaux

2,19

4,74

3,92

0,92

1,26

Prélèvements

Total

4,79

1,54

2,54

0,43

0,10

dont péages

3,26

0

1,07

0,42

0

Bilan net

2,6

-3,2

-1,38

-0,49

-1,16

hors péages et coûts d’infrastructure

-0,17

-2,47

-1,79

-0,32

-1,06

Taux de couverture coûts marginaux

219 %

32 %

65 %

47 %

8 %

hors péages et coûts d’infrastructure

90 %

38 %

45 %

3 %

9 %

Source : Assemblée nationale, à partir des données du CGDD (2020).

Entre les deux périodes étudiées, le taux de couverture des autoroutes a progressé, mais il a diminué hors péages et coûts d’usage : le bilan global des autoroutes, qui était légèrement positif, est devenu légèrement négatif. Cela traduit une augmentation des recettes de péages et, en parallèle, une diminution de la taxation du carburant du fait de l’absence d’indexation du tarif.

De façon cohérente, le taux de couverture des routes non concédées a diminué, passant de 40 % (routes départementales) ou 60 % (routes nationales) à 32 % (toutes routes confondues).

b.   Les externalités négatives liées au train sont beaucoup moins fortes

Il ressort de ces chiffres que les poids lourds produisent entre 2,5 et 5 fois plus d’externalités négatives que le train, selon que l’on prend pour référence les routes à péages ou les routes gratuites. Une étude menée à peu près au même moment à l’échelle de l’Europe ([140]) aboutit au même ordre de grandeur (un ratio de trois à quatre) malgré une diversité de modèles de taxes et de péages.

Par rapport au transport par train, le transport routier sur les voies non concédées génère une externalité supplémentaire de 2,71 centimes par kilomètre et par tonne. Autrement dit, il faudrait une taxe de 2,71 centimes par kilomètre et par tonne sur les routes gratuites ou une subvention kilométrique équivalente ([141]) du transport ferroviaire pour rétablir des conditions de concurrence équitables.

3.   Le remplacement de l’écotaxe a renforcé les distorsions de concurrence

« Il faudrait une autre commission d’enquête sur l’écotaxe et les raisons d’un fiasco environnemental et financier ([142]). »

L’objet de cette commission d’enquête n’est pas d’étudier dans le détail les raisons de l’abandon de l’écotaxe qui fut, à l’unanimité des personnes entendues, un désastre aussi bien pour les finances publiques, pour le respect de la volonté du législateur que pour le report modal, mais de montrer comment les mesures de compensation à l’abandon du dispositif ont eu pour effet de favoriser le transport routier notamment international au détriment du fret ferroviaire, c’est-à-dire l’inverse de l’objectif initialement poursuivi.

a.   L’écotaxe : une mesure mal préparée, mal expliquée et hâtivement abandonnée

L’écotaxe avait été prévue à la suite du Grenelle de l’environnement par l’article 11 de la loi du 3 août 2009. Il s’agissait d’un prélèvement de 0,13 € en moyenne par kilomètre parcouru par les poids lourds. Elle devait s’appliquer initialement sur un réseau de 15 000 km de routes, dont 10 000 km de voies nationales (hors autoroutes concédées).

L’objectif de la taxe était de compenser les coûts d’usage et autres externalités générées par le trafic de poids lourds, et en particulier de faire contribuer les poids lourds étrangers à l’entretien des infrastructures puisqu’ils ne sont pas redevables de la taxe à l’essieu ni, en pratique, de la TICPE. L’écotaxe devait porter sur 250 000 poids lourds étrangers (sur un total de 800 000 poids lourds) et son produit devait être affecté principalement à l’AFIT ainsi que, pour les routes départementales concernées, aux conseils départementaux.

La conception, l’installation des portiques et la gestion de la taxe avaient été confiées en 2011 à Écomouv’ dans le cadre d’un partenariat public-privé. La collecte de la taxe devait commencer le 1er janvier 2024 et l’exploitation du dispositif se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2024.

À la suite de mouvements de contestation, notamment bretons, et alors que le démarrage effectif du dispositif était imminent, une première suspension fut annoncée en octobre 2013 par le Premier ministre. En juin 2014, l’écotaxe est remaniée, elle devient le « péage de transit poids lourds » et son périmètre est considérablement restreint : le réseau routier à taxation est réduit de 75 % et les recettes nettes de 70 %. Au même moment, une mission d’information de l’Assemblée nationale ([143]) préconisait le maintien du dispositif dans son périmètre initial, mais avec des exonérations ou des franchises mensuelles pour ne pas pénaliser les petites entreprises.

Mais le jeudi 9 octobre 2014, la ministre de l’écologie annonce une deuxième suspension de l’écotaxe et, dans la foulée, la résiliation du contrat. Alors ministre des transports depuis le mois d’août, M. Alain Vidalies expliquera devant la commission d’enquête : « Le mercredi matin, à la veille du mouvement social [des bonnets rouges], la ministre Ségolène Royal a annoncé à la sortie du Conseil des ministres qu’elle recevrait les transporteurs, ce qu’elle fit l’après-midi même. Au bout de quelques minutes de réunion, elle a alors annoncé la suspension de la taxe. J’ignore qui était informé de cette décision, je ne sais pas si elle avait été validée par l’Élysée, mais je suis certain que Matignon n’était pas au courant. Telle est la manière dont les événements se sont déroulés ([144]). » Trois ans plus tard, la Cour des comptes estime que « cette nouvelle décision n’a pas davantage été préparée que la précédente, un an plus tôt » ; l’État aura « laissé perdurer pendant plusieurs mois une situation qui l’a placé dans une situation juridique risquée et aux conséquences lourdes ([145]) ».

De l’avis des observateurs entendus par la commission d’enquête, l’échec de l’écotaxe s’explique par deux raisons. La première est un malentendu sur l’agent qui en supporterait le coût économique. Les transporteurs avaient accepté le principe d’une taxe, à condition qu’elle soit supportée par les clients finaux. Or le mécanisme de répercussion du coût de la taxe sur les chargeurs s’est avéré difficile à mettre en œuvre. Comme l’explique encore M. Alain Vidalies, « personne n’avait vu les difficultés qu’elle susciterait […] à l’occasion de la discussion de cette loi, chaque maillon du secteur pensait que le coût de la mesure serait imputé à un autre maillon : les chargeurs avaient compris que les transporteurs paieraient, les transporteurs croyaient que les producteurs financeraient, et ainsi de suite. Dans ces conditions, tout le monde était favorable à la loi, initialement. Mais lorsque la loi a commencé à s’appliquer, chacun s’est finalement rendu compte de ses réelles implications. »

Selon M. Frédéric Cuvillier, ministre au moment de la première annonce de suspension, il aurait fallu faire porter le coût économique de l’écotaxe sur les transporteurs, et notamment sur les petites entreprises de transport routier représentées au sein de l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), par exemple en intégrant l’écotaxe au prix de la marchandise comme cela se fait pour la TVA.

La deuxième cause des contestations de l’écotaxe est d’ordre politique, comme l’a expliqué M. Frédéric Cuvillier et confirmé M. Dominique Bussereau ([146]) : « Un mouvement de protestation a vu le jour, principalement en Bretagne, dans un contexte très particulier, marqué également par des manœuvres de “politique politicienne”. M. Le Drian a joué un rôle essentiel dans l’arrêt de l’écotaxe, à l’époque où il affrontait M. Le Fur dans le cadre des élections régionales. » ([147])

Ces mouvements de protestation locaux semblaient d’autant moins rationnels que la Bretagne devait bénéficier d’une décote de 50 %, précisément parce qu’elle n’est pas une région de transit international. Selon Dominique Bussereau, l’écotaxe n’aurait coûté que 2 centimes pour un kilo de tomates entre Paimpol (Côtes d’Armor) et Rungis, somme qui devait être répercutée – même si les modalités techniques restaient à parfaire – sur les consommateurs finaux.

La Cour des comptes pointe « un défaut d’explication et de pédagogie » qui aura causé un « gâchis patrimonial, économique, financier, industriel et social ».

b.   Les transporteurs routiers étrangers gagnants de la réforme finale

Une fois passée la difficulté juridique qui a vu l’État obligé d’indemniser le partenaire privé d’environ un milliard d’euros, il a fallu réfléchir à une solution de substitution pour financer les infrastructures. L’instauration de l’écotaxe devait en effet permettre de financer l’entretien du réseau par une affectation de ses recettes à l’AFIT ; l’abandon de la taxe n’a pas fait disparaître le besoin de financement.

L’écotaxe devait générer 900 millions d’euros de recettes par an, dont 700 millions auraient été affectés à l’AFIT pour l’entretien des infrastructures de transport. Pour la totalité de la période du contrat, les pertes pour l’État et les départements s’élèvent à presque 10 milliards d’euros, davantage mêmes si l’on intègre la baisse de la taxe à l’essieu (50 millions d’euros par an) qui avait été décidée dès 2009 pour faire accepter la future écotaxe.

Rendement prévisionnel net de l’écotaxe (2014)

 

Recettes annuelles nettes (1)

Période 2014-2024

AFIT

684

7 558

TVA

46

508

Départements

160

1 767

Total général

890

9 833

(1) Recettes brutes retranchées des frais de location et de gestion versés au partenaire privé.

Source : Assemblée nationale d’après les données du ministère de l’environnement de 2014.

Ces pertes de recettes ont été compensées par une majoration du tarif de la TICPE sur le gazole, de 2 centimes par litre pour les particuliers et de 4 centimes pour les transporteurs. Cette hausse du tarif de la TICPE génère plus d’un milliard d’euros par an de recettes fiscales depuis 2015.

Par rapport aux recettes prévisionnelles de l’écotaxe, l’augmentation de la TICPE aura dégagé un excédent de 1,5 milliard d’euros sur la période 2015-2024. La suppression de l’écotaxe aurait donc été plus que compensée, si l’on excepte la première année (l’écotaxe devait être prélevée dès 2014) et le coût de l’indemnisation du partenaire privé.

Le passage de l’écotaxe à une hausse de la TICPE, relativement neutre du point de vue du produit global, a néanmoins eu des effets redistributifs importants. Si la réforme ne change rien pour l’AFIT, puisqu’elle se voit affecter une part de TICPE équivalente à celle qu’elle aurait dû toucher de l’écotaxe, les départements sont privés des 160 millions d’euros annuels qui auraient dû leur revenir et qui seront conservés par l’État.

Recettes comparées de l’écotaxe abandonnée et de la hausse de TICPE

Véhicules

Écotaxe

Hausse TICPE

(compensation abandon écotaxe)

Recettes brutes

(millions d’euros)

Part des recettes

Recettes

(millions d’euros)

Part des recettes

Poids lourds étrangers

350

31 %

25

2 %

Poids lourds français

779

69 %

462

41 %

Autres véhicules (particuliers)

 

 

652

57 %

Total

1 129

100 %

1 139

100 %

Source : Assemblée nationale, d’après les chiffres de la Cour des comptes.

Surtout, la hausse de TICPE se fait au détriment des automobilistes – qui n’étaient pas concernés par l’écotaxe – et au bénéfice des poids lourds étrangers, qui ne paieront pas davantage la hausse de TICPE que la TICPE elle-même. Selon les estimations de la Cour des comptes, certes contestées par le Premier ministre ([148]), les poids lourds étrangers qui auraient payé 31 % de l’écotaxe, ne paient que 2 % de la hausse de TICPE.

Au lieu d’entraîner un report modal et une meilleure capacité des départements à entretenir le réseau secondaire, l’abandon de l’écotaxe aura donc accentué les distorsions fiscales qui existaient entre les transporteurs routiers français et étrangers. L’écotaxe était « un élément essentiel de rééquilibrage entre le rail et la route » et son abandon a été, selon les mots de l’ancien PDG, « un véritable coup de massue pour la SNCF ([149]). »

Si l’écotaxe a été abandonnée, le Gouvernement n’est pas revenu l’augmentation (de 40 tonnes à 44 tonnes) du tonnage autorisé des poids lourds qui avait été octroyée au secteur routier comme contrepartie. À tous égards, l’abandon de l’écotaxe représente donc une occasion ratée de renforcer la compétitivité du train.

4.   L’Union européenne a négligé les enjeux de concurrence intermodale

Loin de les juguler, l’Union européenne a plutôt eu tendance à accroître encore les distorsions de concurrence entre la route et le rail, par des critères d’allocation des fonds favorables au secteur routier et une analyse concurrentielle cloisonnant les différents modes de transports.

a.   La route a davantage bénéficié des fonds européens que le rail

Un rapport de la Cour des comptes européenne sur le fret ferroviaire ([150])  montre que les fonds européens ont peu été utilisés pour le transport ferroviaire de marchandises, pointant une contradiction entre les objectifs annoncés par la Commission européenne et la politique d’investissement qu’elle a menée : « L’allocation des fonds de l’Union européenne n’a pas toujours été cohérente par rapport à ses objectifs en matière de transfert des marchandises de la route vers le rail. »

D’une part, les fonds étaient plutôt alloués aux projets d’infrastructures routières, à cause de conditions de financement plus incitatives pour les États membres. En effet, les projets d’infrastructures routières pouvaient bénéficier d’un taux de prise en charge de 85 % dans le cadre du FEDER et du Fonds de cohésion. Le taux de cofinancement des programmes européens spécifiques au rail n’était que de 30 % au maximum. De ce fait, la route a capté plus de 70 % des fonds européens alloués aux infrastructures de transport entre 2007 et 2013.

D’autre part, les fonds malgré tout alloués au rail étaient en fait calibrés pour les voyageurs et non pour les marchandises. La Cour relève qu’ils n’ont « globalement pas été utilisés de manière à cibler les besoins spécifiques du transport ferroviaire de marchandises » tels que l’augmentation de la longueur des trains, du tonnage, les équipements nécessaires au transport combiné, les connexions vers les ports ou les contournements des goulets d’étranglement, etc.

Aussi bien les conditions de financement des fonds européens que les critères de sélection des projets ont donc fait apparaître une priorité donnée par l’Union européenne au transport terrestre plutôt qu’au train et, en ce qui concerne le train, au transport de voyageurs plutôt qu’au transport de marchandises.

b.   La Commission européenne sous-estime l’importance de la concurrence routière

L’indifférence de la Commission européenne par rapport aux déséquilibres entre le rail et la route apparaît également dans la façon dont elle analyse les relations concurrentielles entre les acteurs du secteur des transports.

Déjà dans son rapport de 2016, la Cour des comptes européenne formule une recommandation visant à « promouvoir des conditions de concurrence équitables entre les différents modes de transport en adoptant des mesures réglementaires additionnelles ou d’autres mesures destinées à soutenir le trafic de fret ferroviaire ». Sept ans plus tard, dans un nouveau rapport intitulé « L’Union européenne peine encore à restreindre le fret routier » (2023), l’institution européenne réitère son constat : « Nous arrivons à la conclusion que le soutien réglementaire et financier de l’Union européenne au transport intermodal de marchandises n’a pas été suffisamment efficace » et que « les conditions de concurrence entre ce mode de transport et le transport routier ne sont toujours pas équitables au sein de l’Union ».

De fait, la procédure menée à l’encontre de la France pour soupçons de distorsions de concurrence ne s’intéresse qu’au marché du transport de marchandises ferroviaire, sans tenir compte de la situation concurrentielle de l’ensemble du marché de transport de marchandises.

Or, selon les personnes auditionnées, les distorsions de concurrence intramodales, c’est-à-dire entre les acteurs d’un même mode, sont bien moins significatives que les distorsions de concurrence intermodales entre le fret ferroviaire et le fret routier. L’ancien PDG de la SNCF Louis Gallois remarque : « La Commission européenne se montre très vigilante concernant la concurrence entre les entreprises ferroviaires, mais je n’ai pas entendu qu’elle s’intéressait à la concurrence intermodale […] qui est infiniment plus dure pour les transporteurs ferroviaires que la concurrence intramodale ([151]). »

B.   au lieu de « mesurettes » peu efficaces, adopter une écotaxe ambitieuse et une stratégie réglementaire

Pour rétablir la concurrence entre le train et la route, et entre les opérateurs français et étrangers, il sera nécessaire de sortir de la logique de taxation du carburant au profit d’une logique de taxation kilométrique. L’objectif de report modal ne sera réalisé que par une politique ambitieuse comprenant deux volets : l’internalisation des coûts externes du routier et une réglementation de la circulation des poids lourds incitative à l’égard du transport combiné.

1.   L’approche par la fiscalité du carburant ou « l’eurovignette » : de fausses bonnes idées

La taxation des poids lourds fait face à un double écueil : la difficulté de taxer le carburant acheté en France sans pénaliser les transporteurs français et la difficulté de taxer spécifiquement les transporteurs étrangers ne faisant pas le plein en France sans contrevenir au principe européen de non-discrimination.

a.   Taux réduit de TICPE sur le gazole routier : un privilège fiscal contesté mais difficile à résorber

Avec un rendement annuel d’environ 30 milliards d’euros, la TICPE est le principal prélèvement obligatoire pesant sur les transporteurs routiers, la « taxe à l’essieu » ayant vu son tarif réduit au minimum permis par la réglementation européenne pour ne pas pénaliser la compétitivité des véhicules immatriculés en France qui en sont les seuls redevables.

Le secteur du transport routier bénéficie d’une niche fiscale particulièrement avantageuse sur le carburant. À partir de 7,5 tonnes, les poids lourds bénéficient en effet d’un tarif réduit de 45,19 euros par hectolitre ([152]) au lieu de 60,75 euros ([153]). Pour des raisons pratiques, les poids lourds paient d’abord le prix « normal » à la pompe puis se font restituer sur demande, dans des conditions définies par décret ([154]), la différence entre le taux normal et leur taux réduit, soit un taux forfaitaire pondéré ([155]) de 15,71 euros par hectolitre. Ce « remboursement » de la TICPE, comme on l’appelle souvent, a un coût annuel pour l’État de 1 350 millions d’euros qui ne sont pas investis dans le financement des infrastructures.

Le premier mécanisme de « remboursement » partiel, en 1999, avait vocation à compenser une fiscalité environnementale mal acceptée par le secteur. La suppression de cette niche fiscale, contraire au principe « pollueur-payeur » et aux objectifs de report modal, est désormais une recommandation récurrente ([156]).

Le tarif de TICPE sur le gazole routier, qui n’avait jamais évolué depuis sa création, a été rehaussé pour la première fois de quatre centimes par litre en 2015 (voir supra), puis de deux centimes supplémentaires en 2020. En réalité, comme la TICPE est un tarif fixe qui ne dépend pas des prix d’achat (il s’agit d’un droit d’accise), ces « hausses » correspondent plutôt à un rattrapage de l’inflation qu’à une hausse réelle. On constate ainsi que, malgré un rebond en 2015 consécutif à la hausse du tarif et à l’incorporation d’une « composante carbone », la TICPE n’a jamais retrouvé en part de PIB le niveau qu’elle avait jusqu’en 2004.

Source : INSEE

L’article 130 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 « climat résilience » prévoit un rapprochement progressif entre le taux réduit et le taux normal de TICPE et la disparition du taux réduit d’ici 2030.

Après avoir annoncé (juin 2023) une suppression du taux réduit de TICPE sur le gazole routier, le ministre de l’économie a finalement décidé le maintenir pendant une période provisoire mais indéterminée afin de ne pas « nuire à la compétitivité française ». Malgré l’existence d’un taux réduit, la taxation du gazole routier reste en effet plus forte que dans les pays limitrophes, à l’exception notable de la Belgique. Dans ces conditions, un rétablissement du taux normal nuirait à la compétitivité des transporteurs français sans faire contribuer davantage les transporteurs étrangers, puisqu’un poids lourd étranger sur quatre seulement paie son carburant en France.

b.   Une vignette pour les poids lourds étrangers ? Un cadre européen très contraignant

Comment renforcer la fiscalité du gazole routier sans nuire à la compétitivité française ? La solution théorique idéale serait d’instaurer une « vignette poids lourds » dont « l’essentiel du rendement serait assis sur les transporteurs étrangers », comme le préconisait M. Christophe Béchu, alors président de l’AFITF, dans son audition du 29 janvier 2019 devant le Sénat.

Une telle vignette sur les poids lourds étrangers risque toutefois d’être contraire au droit de l’Union européenne, qui interdit les mesures discriminatoires et encadre strictement les prélèvements sur le transport routier.

Un premier obstacle consiste à trouver une formule de prélèvement qui puisse peser principalement sur les transporteurs étrangers sans paraître discriminatoire. En 2014, la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’écotaxe mettait déjà en garde : « Cette vignette devrait être payée non seulement par les véhicules étrangers, mais aussi par les véhicules immatriculés en France métropolitaine : aucune discrimination n’est dans ce domaine possible. Aucun exemple européen ne fait état d’un dispositif où seuls les véhicules étrangers seraient assujettis. La non-discrimination en fonction de la nationalité et la libre circulation sont deux piliers fondamentaux de l’Union européenne. »

Désormais ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, M. Christophe Béchu croit avoir trouvé une solution satisfaisante. Comme il l’explique à Jean-Jacques Bourdin, la vignette serait obligatoire pour tous les poids lourds, y compris français, mais « on exonérerait ceux qui font le plein dans notre pays ([157]) ». Les poids lourds étrangers auraient donc le choix entre payer la TICPE ou payer la vignette.

Ce mécanisme, qui pourrait prendre la forme d’un remboursement partiel analogue à celui qui existe déjà pour le taux réduit de TICPE, pourrait néanmoins être considéré par la Commission européenne comme constitutif d’une discrimination indirecte, même s’il s’applique formellement à tous les acteurs du secteur, dans la mesure où il pèserait en pratique sur les transporteurs étrangers.

En outre, il n’est pas certain que le droit européen permette l’instauration d’une vignette pour l’accès à un réseau routier dont une partie est déjà soumise à des péages. La directive « Eurovignette » ([158]), qui fixe le cadre européen en matière de taxation des routes, donne en effet le choix entre deux modes de taxation :

– la taxation proportionnelle à la distance parcourue (péages dans la terminologie européenne, qu’il s’agisse de « péages » autoroutiers tels qu’ils existent en France ou d’une écotaxe kilométrique) ;

– ou le paiement forfaitaire d’un droit d’accès aux infrastructures, type « vignette », valable pour une certaine durée, qu’elle soit hebdomadaire, mensuelle, etc. (droit d’usage dans la terminologie européenne).

Les États membres peuvent choisir l’un ou l’autre, mais ils ne peuvent pas imposer « à la fois des péages et des droits d’usage pour une catégorie de véhicules donnée pour l’utilisation d’un même tronçon de route ([159]) ». Or la Commission tend à interpréter la notion de « tronçon de route » d’une façon extensive, qui pourrait s’opposer à ce qu’un État impose des péages sur les autoroutes et une vignette sur les autres routes, dans l’idée sans doute qu’il est nécessaire de passer par de petites routes pour accéder aux grandes – même si l’inverse n’est pas vrai.

La seule existence d’un réseau d’autoroutes concédées rendrait donc impossible la mise en place d’une vignette, même sur des routes différentes, sauf peut-être à prévoir une vignette journalière qui serait remboursée sur présentation d’un justificatif de paiement de péage. Cela pourrait prendre la forme d’un « taux super-réduit » sur la TICPE, égal au tarif réduit minoré du montant de la vignette. La vignette serait ainsi remboursée sur le montant des factures de TICPE.

Ce mécanisme serait conforme au principe de non-cumul, il aurait aussi l’avantage d’exclure les véhicules ne faisant pas le plein en France et d’inciter les poids lourds à emprunter les autoroutes plutôt que les routes congestionnées ; en revanche, sa conformité au principe de non-discrimination est douteuse. Il est incompatible, en outre, avec la généralisation d’une redevance kilométrique sur le réseau non concédé qui serait la seule façon de taxer les externalités réelles en fonction de la distance parcourue.

En tout état de cause, le choix de permettre aux régions d’imposer une écotaxe, c’est-à-dire un péage au sens du droit de l’Union, sur une partie du réseau non concédé (voir infra) semble fermer définitivement la porte à la possibilité d’instaurer un droit d’usage concurrent type vignette.

Paradoxalement, l’instauration d’une écotaxe pesant sur l’ensemble des transporteurs, et un « remboursement » partiel aux transporteurs français sous la forme d’une diminution supplémentaire de la TICPE, serait la meilleure façon d’augmenter la fiscalité du secteur routier et de faire contribuer les transporteurs étrangers sans nuire à la compétitivité des transporteurs français.

Pour cette raison, votre rapporteur ne recommande pas nécessairement la suppression du taux réduit de TICPE sur le gazole, à condition qu’une véritable écotaxe soit mise en place pour taxer les externalités du secteur (voir infra).

2.   Les écotaxes prévues (régionale et autoroutes) s’annoncent décevantes

a.   La nouvelle écotaxe sur les autoroutes ne règle pas la question de la gratuité du réseau non concédé

Depuis la révision en 2022 ([160]) de la directive Eurovignette, les autoroutes devront obligatoirement faire l’objet de deux prélèvements distincts :

– une redevance d’infrastructure, pour financer les coûts d’entretien ; il s’agit en France des « péages » autoroutiers ;

– une redevance pour coûts externes liés à la pollution atmosphérique ([161]).

La nouvelle version de la directive Eurovignette a été transposée par la création de l’article L. 119-12 du code de la voirie routière ([162]), qui dispose que les péages autoroutiers « sont majorés d’une redevance pour coûts externes liés à la pollution atmosphérique due au trafic ».

Or le projet de décret n’est pas conforme à cette exigence, ni dans l’esprit ni dans la lettre. Le projet de décret d’application ([163]) dispose en effet que « la redevance visée à l’article L. 119-12 a la même nature que le péage et est acquittée par les usagers dans les mêmes conditions ».

Alors que la directive imposait la création d’une redevance pour coûts externes distincte de la redevance d’infrastructure, le projet de décret ne prévoit donc qu’une modulation des péages existants, qui continueront d’être versés en totalité au concessionnaire privé alors la redevance pour coûts externes compense des coûts publics.

Dans son avis du 27 juillet 2023, l’Autorité de régulation des transports estime que l’écotaxe prévue par le projet de décret « ne correspond ni à ce que prévoit la directive Eurovignette, ni à ce que prévoit l’article L. 119-12 du code de la voirie routière » car elle « ne vise pas à couvrir les coûts externes liés à la pollution atmosphérique », mais « les dépenses de toute nature des percepteurs de péage » qui sont déjà couvertes en principe par la redevance d’infrastructure. Le dispositif n’engendrera « aucune recette additionnelle au péage entendu comme redevance d’infrastructure ».

Selon les chiffres du CGDD, les coûts marginaux d’infrastructure (0,49 centime par tonne et par kilomètre) sont déjà largement couverts par les péages (3,26 centimes par tonne et par kilomètre). En revanche, les coûts externes (1,7 centime) ne sont qu’imparfaitement couverts par la fiscalité du carburant (1,53 centime) qui n’est d’ailleurs pas une redevance. La redevance pour coûts externes désormais imposée par l’Union européenne reste donc à créer.

Coûts d’infrastructure et coûts externes sur autoroutes concédées

(en centimes d’euro – 2015 – par tonne et par kilomètre.)

Source : Assemblée nationale, à partir des données du CGDD (2020).

Il paraît en outre inacceptable que la nouvelle « redevance pour coûts externes » ne soit pas affectée à un organisme public, dans la mesure où les dépenses d’infrastructure du concessionnaire sont déjà financées par les péages et où les externalités négatives dues au trafic sont supportées, sur les autoroutes comme ailleurs, par l’ensemble de la société.

Votre rapporteur dénonce donc le détournement d’un financement environnemental au profit d’acteurs privés dont l’activité est déjà rentable et qui n’accomplissent aucune mission de service public.

Recommandation n° 12 : Conformément au droit européen, réviser le projet de décret d’application de l’article L. 119-12 du code de la voirie routière pour :

 créer une véritable redevance pour coûts externes, distincte de la redevance d’infrastructure, dont le montant serait proportionnel aux externalités négatives induites ;

 affecter le montant de cette redevance à l’AFIT et non aux concessionnaires privés.

La nouvelle écotaxe est également intrinsèquement limitée par son champ d’application, puisqu’elle ne concerne que les autoroutes. Or, c’est sur les routes du réseau non concédé que les externalités sont à la fois les plus importantes et les moins taxées. En l’absence de redevance pour coûts externes sur le réseau non concédé, la nouvelle écotaxe sur les autoroutes pourrait même avoir des effets contreproductifs en entraînant un report du trafic des autoroutes conçues pour accueillir des poids lourds vers des routes plus sensibles aux effets de congestion.

b.   La nouvelle écotaxe régionale n’aura rien d’une écotaxe

Afin de permettre « une meilleure prise en compte des coûts liés à l’utilisation des infrastructures routières et des externalités négatives de ce mode ([164]) », l’ordonnance du 26 juillet 2023 offre la possibilité aux régions volontaires d’instituer une écotaxe régionale sur les routes nationales qui auront été préalablement « mises à leur disposition ».

En apparence, le dispositif est séduisant et même incitatif pour les régions, puisque celles-ci conservent le produit de la taxe, sur le modèle de ce qui a également été décidé ([165]) pour la collectivité européenne d’Alsace. Mais il sera en réalité peu utilisé, à cause des conditions restrictives qui président à sa mise en œuvre. L’écotaxe régionale suppose en effet la mise à disposition préalable de routes nationales ; or, cette mise à disposition, prévue depuis peu de temps par le législateur ([166]) :

– est longue et complexe : les régions doivent candidater pour des routes spécifiques, parmi une liste limitative, fixée par décret ([167]), de routes susceptibles d’être mises à disposition ;

– n’est pas automatique : une décision ministérielle ([168]) détermine quelles routes sont mises à disposition des régions ou transférées aux départements ;

– est coûteuse : les régions sont responsables de l’entretien des routes mises à disposition ;

– est temporaire : le dispositif est expérimental et sa durée est fixée à huit ans. La question peut se poser du devenir du dispositif à la fin de cette période.

De fait, seules trois régions se sont montrées intéressées par la mise à disposition d’une portion du réseau national. Sur les trois régions, deux (Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes) ne seront pas éligibles à l’écotaxe régionale parce que les routes mises à disposition ne sont pas concernées par le trafic de poids lourds.

Au total, l’écotaxe régionale ne sera instaurée que dans une seule région, Grand Est, notamment sur des autoroutes non concédées ([169]) qui représentent des axes majeurs de transit. La convention de mise à disposition a été signée le 19 octobre 2023, pour une date d’effet au 1er janvier 2025.

Si elle peut présenter un certain intérêt, notamment dans les régions de transit, l’écotaxe régionale ne vise pas tant à compenser les externalités négatives des véhicules qu’à donner aux régions les moyens d’entretenir les routes nouvellement gérées. Ces routes seront, en quelques, « concédées aux régions » qui se comporteront comme des concessionnaires d’autoroutes.

Pour que cette écotaxe participe plus largement au financement des infrastructures de transport, réseau routier local et infrastructures ferroviaires comprises, il serait opportun d’en affecter une partie du produit à l’AFIT, comme cela était d’ailleurs prévu avec l’écotaxe abandonnée en 2014 et comme le recommande le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) dans son avis sur la stratégie de développement du fret ferroviaire : « Les recettes de toute éco-contribution du transport routier doivent être orientées vers la décarbonation du secteur des transports et en particulier vers des dépenses permettant de rattraper le retard d’investissement pour les modes alternatifs à la route. Cette affectation de ressources pérennes est dérogatoire aux principes d’universalité et de non-affectation des recettes mais est considérée par la grande majorité des membres du COI comme un gage indispensable pour en assurer l’acceptabilité ([170]). »

Recommandation n° 13 : Affecter une partie du produit de l’écotaxe régionale à l’AFIT.

De façon contestable, les départements ne pourront pas décider ([171]) de l’instauration d’une écotaxe départementale, alors même qu’ils disposent d’un domaine public routier propre – les routes départementales – et qu’ils peuvent depuis la loi « climat et résilience » se voir transférer à titre définitif les routes nationales dont les régions peuvent seulement demander la mise à disposition.

En pratique, le dispositif novateur de l’écotaxe régionale aura une portée limitée. Il ne sera effectif qu’à partir de 2025, de façon temporaire et pour au maximum huit voies situées dans une même région. Les craintes exprimées par le Sénat ([172]) relativement au risque de divergence d’assiettes et de tarifs entre différentes taxes de différentes régions ont donc peu de chances de se voir confirmées…

3.   Nécessité d’une écotaxe nationale pour rétablir la concurrence intermodale, favoriser le report modal et financer les infrastructures

a.   Le seul moyen de rétablir structurellement la compétitivité du train

L’écotaxe autoroutière (à condition d’être révisée) et l’écotaxe régionale (à condition d’être étendue) constituent deux instruments intéressants, mais qui n’ont de sens qu’à la condition qu’une taxe analogue soit également imposée sur les grandes routes de transit nationales.

D’un point de vue conceptuel, il n’y a que deux façons de rééquilibrer durablement la concurrence entre le rail et la route : subventionner le prix du rail ou renchérir le coût du transport routier par l’instauration d’une écotaxe générale.

Par facilité, les gouvernements successifs ont préféré aider le secteur ferroviaire plutôt que de pénaliser le transport routier. Comme l’explique M. Jean-Baptiste Djebbari, « il peut être politiquement difficile de modifier le signal-prix pour le secteur routier afin de corriger les déséquilibres entre les différents modes de transport. Nous avons donc abordé la question de façon pragmatique : il nous a semblé plus efficace de pallier les dysfonctionnements du marché en soutenant les entreprises ferroviaires, pendant une durée qui ne sera pas infinie, notamment par des aides aux péages qui donnent un peu de compétitivité à leur offre ([173]). »

Selon la formule de M. Frédéric Delorme, le principe « non-pollueur aidé » s’est donc substitué au principe « pollueur-payeur ». Le soutien public au fret ferroviaire n’a pourtant pas vocation à pallier l’insuffisante taxation du secteur routier. D’une part, ces aides sont coûteuses pour les finances publiques et leur efficacité limitée tant que subsistera une concurrence déloyale d’un autre mode de transport. D’autre part, les subventions au fret ferroviaire ne résolvent pas le problème de fond, à savoir la gratuité des pollutions et autres coûts externes imputables au secteur routier.

L’absence d’écotaxe générale est donc payée doublement par la collectivité : non seulement la société subit sans contrepartie les externalités négatives de la route, mais elle doit en plus financer un surcroît d’aides publiques au ferroviaire pour compenser partiellement les distorsions induites par cette absence de tarification. « En l’absence d’écotaxe », explique M. Dominique Bussereau, « le transport routier se trouve en quelque sorte subventionné ([174]). »

Au-delà de ses effets sur la concurrence intermodale, l’écotaxe serait un instrument de décarbonation de l’ensemble du secteur des transports de marchandises, à trois égards :

– en incitant à la décarbonation du transport routier, par la modulation des tarifs en fonction de la classe d’émissions du véhicule (conformément aux exigences européennes) ;

– en entraînant un report modal vers des modes de transport peu polluants (train et fluvial) ;

– en finançant les investissements dans les infrastructures et dans les technologies d’avenir (électrification, hydrogène, etc.).

b.   L’absence d’écotaxe est une exception française qui pénalise la France

En Europe, le premier pays à avoir imposé une écotaxe (2001) est la Suisse. L’écotaxe suisse, appelée « redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations » (RPLP) s’élève à 3,10 francs suisses par tonne et par kilomètre, avec un tarif réduit pour les véhicules de classe Euro 6. Cela représente en moyenne 300 euros pour la traversée du pays. Un tiers des recettes provient de véhicules étrangers.

La Suisse a été suivie par l’Autriche (2004) puis l’Allemagne (2005). Aujourd’hui, la Belgique, la Slovaquie, la Pologne, la République tchèque, le Portugal et le Royaume-Uni appliquent aussi une écotaxe ainsi que, désormais, l’Espagne (sur une base régionalisée).

Le Danemark, le Luxembourg et les Pays-Bas – des pays plus petits où l’application d’une taxe kilométrique serait certainement moins pertinente – ont fait le choix de la vignette forfaitaire.

Au total, la France est avec l’Italie le seul pays de l’ouest de l’Europe où il est possible pour un poids lourd de circuler sans aucune taxe ni redevance.

L’exemple de l’écotaxe allemande

Les principes de l’écotaxe allemande, appelée LKW-Maut, ont été présentés devant la commission d’enquête par Alexandre Gallo, PDG de DB Cargo France ([175]).

En Allemagne, la Maut a trois composantes :

- une taxe pour l’utilisation de la route (redevance d’infrastructure au sens de l’Union européenne) ;

- une taxe pour la pollution de l’air (redevance pour coûts externes)

- une taxe pour la pollution sonore.

Ces trois composantes sont calculées par kilomètre, en fonction du poids et du nombre d’essieux ([176]).

La LKW-Maut représente tous les ans 8,3 milliards d’euros qui financent les infrastructures.

L’absence de taxation de la route est d’autant plus pénalisante pour la France que les pays voisins en appliquent une. Pour les taxes pigouviennes, la concurrence fiscale fonctionne à l’envers : il ne s’agit pas d’abaisser l’imposition pour éviter la fuite de matière taxable (dumping fiscal), mais au contraire de repousser les activités nuisibles en dehors des frontières. Tant qu’elle n’a pas d’écotaxe, la France incite les transporteurs étrangers à venir polluer chez elle pour échapper à l’écotaxe des pays voisins. « Le plus scandaleux, c’est que les transporteurs allemands contournent la Suisse en utilisant le réseau français parce qu’ils n’y paient pratiquement aucune redevance ([177]). »

La France perd donc sur tous les tableaux : les poids lourds utilisent ses routes gratuites pour ne pas avoir à payer de péage, son réseau national pour ne pas avoir à payer d’écotaxe ailleurs, mais les stations-service étrangères pour ne pas avoir à payer le carburant chez elle.

c.   La nouvelle écotaxe devra être deux à trois fois plus élevée que la précédente

Selon la théorie économique, l’écotaxe devrait correspondre au coût marginal des externalités négatives générées par le transport routier. En ce qui concerne les modes de transport, ce coût peut être appréhendé de deux façons :

– La différence de coûts externes marginaux entre la route et le rail, si l’objectif est d’abord de rétablir la concurrence intermodale et de ne faire payer à la route que les coûts supplémentaires par rapport au mode de transport le moins polluant, étant entendu qu’aucun mode de transport de marchandises ne sera jamais complètement décarboné (coûts marginaux relatifs) ;

– La totalité des coûts marginaux imputables à l’activité, si l’objectif est d’abord environnemental (coûts marginaux absolus).

D’après les calculs précédents, les coûts externes marginaux d’un poids lourd de 10 tonnes circulant sur le réseau non concédé sont de 3,2 centimes d’euro par tonne et par kilomètre, contre 0,5 centime pour le fret ferroviaire.

Coûts extérieurs marginaux et taxation du rail et de la route

* hors péages et coûts d’infrastructure

Source : Assemblée nationale, à partir des données du CGDD (2020)

L’écotaxe moyenne devrait donc être comprise entre 2,7 et 3,2 centimes d’euro par tonne et par kilomètre, selon que l’on tient compte des externalités produites par le mode alternatif. Signe de leur pertinence, ces montants sont cohérents avec le montant de l’écotaxe suisse (environ 3 centimes d’euro) et avec le montant des écotaxes allemande et autrichienne ([178]).

Les autoroutes concédées, quant à elles, présentent un bilan hors coûts et redevance d’infrastructure (péages) de – 0,17 centime d’euro pour un poids lourd de 10 tonnes. La redevance pour coûts externes rendue obligatoire par la nouvelle version de la directive Eurovignette devrait donc être de l’ordre de 0,2 centime d’euro par tonne et par kilomètre et être prélevée par l’État.

Ces calculs montrent également que la tarification prévue dans le projet d’écotaxe abandonné en 2014, soit en moyenne 13 centimes par véhicule et par kilomètre, était insuffisante pour couvrir le coût réel des externalités négatives générées. L’écotaxe aurait dû être deux à trois fois supérieure pour compenser l’intégralité des coûts économiques, sociaux et environnementaux imputables au trafic de poids lourd sur les routes gratuites.

Votre rapporteur préconise donc la création d’une écotaxe nationale d’un montant de l’ordre de 0,03 euro par tonne et par kilomètre, soit 0,30 euro pour un poids lourd de 10 tonnes. Le tarif serait modulé en fonction :

– de la classe d’émissions du véhicule, pour inciter à la décarbonation du secteur ;

– du poids du véhicule, puisque le coût d’usage de la voirie n’est pas une fonction linéaire du tonnage.

Une écotaxe de 0,03 euro par tonne-kilomètre transportée par les poids lourds rapporterait 9 milliards d’euros par an.

L’acceptabilité politique de la réforme serait assurée par la demande croissante des citoyens pour des mesures environnementales ambitieuses, par l’affectation des recettes à l’AFIT et par la possibilité désormais offerte aux régions de gérer elles-mêmes les routes nationales dans le cadre d’une « mise à disposition » : les régions réticentes à la nouvelle écotaxe pourront donc faire le choix de gérer elles-mêmes les voies concernées et de choisir l’instrument de financement qui leur semble adéquat.

Recommandation n° 14 : Instaurer une écotaxe nationale sur les poids lourds, applicable sur les routes nationales non concédées ni mises à disposition des régions. Le tarif de l’écotaxe, de l’ordre de 3 centimes d’euro par tonne et par kilomètre, serait modulé en fonction des performances environnementales et du poids du véhicule et son produit serait affecté à l’entretien et à la modernisation des infrastructures de transport. Le processus de mise à disposition des voies concernées au profit des régions serait facilité pour les régions qui en feraient la demande.

Le cas échéant, élargir cette écotaxe au réseau routier géré par les départements, sur décision du conseil départemental.

4.   Des outils réglementaires insuffisamment mobilisés pour « forcer » le report modal

Si les incitations financières ne sont pas suffisantes pour changer le comportement des acteurs économiques, des mesures réglementaires pourraient permettre d’atteindre plus efficacement les objectifs de report modal en s’inspirant des « modèles » suisse et autrichien. Grâce à une réglementation stricte de la circulation des poids lourds, l’Autriche et la Suisse ont réussi à maintenir une part modale de fret ferroviaire supérieure à 30 %.

a.   Restreindre l’autorisation de circulation des poids lourds la nuit et le week-end

Un premier levier consisterait à restreindre les jours et horaires de circulation autorisée des poids lourds.

En France, les poids lourds à partir de 7,5 tonnes n’ont l’interdiction de circuler qu'à partir du samedi à 22 heures et le dimanche. En Autriche et en Suisse :

– l’interdiction de circuler le dimanche vaut à partir de 3,5 tonnes ;

– les poids lourds ont l’interdiction de circuler la nuit même en semaine.

La Commission européenne vient de présenter ([179]) une proposition de directive intéressante en ce qu’elle permettrait de moduler les interdictions de circulation des poids lourds en fonction du type de transport afin de favoriser le report modal. La Commission propose que les États membres ménagent une exception à l’interdiction de circuler le dimanche pour les poids lourds faisant du transport combiné.

La Commission fait valoir, à juste titre, qu’une telle dérogation en faveur du transport combiné donnerait à ce mode de transport un avantage compétitif par rapport au transport routier traditionnel, au prix d’externalités négatives limitées (car la distance parcourue sur la route serait par définition réduite). L’objection principale à une telle réforme tient aux modalités de contrôle (comment vérifier qu’un poids lourd circulant le dimanche s’inscrit bien dans un parcours intermodal ?).

Recommandation n° 15 : Interdire le transport routier la nuit, sauf pour le transport combiné, et permettre en outre aux camions faisant du transport combiné d’exercer le dimanche.

b.   Revenir sur l’autorisation de circulation des 44 tonnes

Par un décret du 4 décembre 2012, dans le contexte de la difficile acceptation de l’écotaxe par les transporteurs, le Gouvernement a généralisé l’autorisation de circulation des poids lourds de 44 tonnes.

À l’époque déjà, les associations de défense de l’environnement dénonçaient une mesure qui entraînerait de nombreuses externalités négatives et freinerait le report modal ; cette mesure paraît d’autant plus injustifiée après l’abandon de l’écotaxe dont elle était une contrepartie. La Cour des comptes a pu voir une contradiction entre le discours et les choix du Gouvernement : « Tout en affichant en permanence sa volonté de soutenir le fret ferroviaire, l’État a, ces dernières années, pris d’importantes initiatives qui, de fait, lui sont défavorables : décret portant à 44 tonnes la limite du PTAC des poids lourds, abandon de l’écotaxe ([180]) », etc.

La limite de 44 tonnes excède également la limite de 40 tonnes fixée par l’Union européenne ([181]) pour le trafic routier entre les États membres. Pendant dix ans, la France a laissé passer les poids lourds de 44 tonnes à la frontière avec les pays qui les autorisaient également chez eux (Belgique, Luxembourg et Italie). Ce passage de frontière n’est actuellement pas autorisé dans l’Union européenne, malgré une récente proposition visant un assouplissement temporaire ([182]).

Après une mise en demeure adressée à la France en 2020 ([183]), le Gouvernement a finalement dû interdire ([184]) l’entrée sur son territoire des poids lourds de plus de 40 tonnes en provenance d’un autre État membre, mais il n’en a pas profité pour interdire aussi leur circulation à l’intérieur du territoire national. Cela est d’autant plus incompréhensible que les autres grands pays industriels européens – l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse – n’ont jamais autorisé les poids lourds de 44 tonnes, ce qui a certainement contribué à y maintenir la part modale élevée du train.

Recommandation n° 16 : Interdire la circulation des poids lourds de 44 tonnes, sauf transport combiné et véhicules zéro émission.

c.   Interdire la circulation des poids lourds sur les routes les plus congestionnées

L’interdiction complète de la circulation des poids lourds sur certains segments constituerait une mesure réglementaire encore plus radicale en faveur du fret ferroviaire.

En France, le détenteur du pouvoir de police de la circulation, à savoir le préfet ([185]) sur les routes nationales et le président du conseil syndical pour les routes départementales, peut décider d’interdire la circulation d’une ou plusieurs catégories de véhicules pour des raisons de sécurité ou d’ordre public.

L’interdiction de la circulation des poids lourds de plus de 7,5 tonnes pourrait donc être envisagée sur les routes particulièrement congestionnées et qui subissent un report de trafic depuis les autoroutes concédées.

 

Recommandation n° 17 : Étudier l’incidence qu’aurait l’interdiction de la circulation des poids lourds sur les voies les plus congestionnées en termes de report modal vers le ferroviaire.

d.   Privilégier le mode ferroviaire dans la commande publique

La préférence au transport ferroviaire plutôt qu’au transport routier pour la commande publique est en principe déjà inscrite dans la loi. Aux termes de l’article 36 de la loi relative à la transition énergétique ([186]), « lorsque les marchés publics impliquent pour leur réalisation que des opérations de transport de marchandises soient exécutées, la préférence, à égalité de prix ou à équivalence d’offres, peut se faire au profit des offres qui favorisent l’utilisation du transport ferroviaire, du transport fluvial ou de tout mode de transport non polluant ».

Cette disposition n’est toutefois pas assez appliquée, en raison sans doute de son absence de caractère contraignant : l’article 36 de la loi offre aux pouvoirs adjudicateurs une simple faculté (« peut se faire ») dont ils disposaient déjà avant elle, puisqu’elle ne constitue pas une dérogation au principe de la meilleure offre.

La loi devrait donc imposer clairement le choix du mode ferroviaire ou fluvial à conditions tarifaires équivalentes. Cette disposition serait particulièrement utile pour certains marchés tels que le transport de déchets.

Recommandation n° 18 : Modifier l’article 36 de la loi relative à la transition énergétique (2015) pour imposer aux pouvoirs adjudicateurs le choix d’un mode de transport peu polluant (ferroviaire, fluvial ou combiné) entre plusieurs offres équivalentes par ailleurs.

 

II.   Consolider le modèle économique du fret ferroviaire par une articulation plus cohérente entre la politique tarifaire, les aides à l’exploitation et les investissements

Le fret ferroviaire ne pourra se développer qu’à la condition d’un modèle économique robuste. La politique actuelle de tarification des infrastructures et de soutien public se concentre essentiellement sur la question de la compétitivité-prix pour les chargeurs, en négligeant la compétitivité hors prix et la rentabilité de l’activité fret par rapport au transport de voyageurs pour le gestionnaire d’infrastructure. La stratégie de compétitivité du fret ferroviaire nécessite une approche globale, incluant également la tarification de la route, parallèlement à la poursuite d’un plan d’investissement ambitieux en faveur des infrastructures ferroviaires.

A.   La politique tarifaire doit être affinée pour rendre l’activité fret plus rentable

En cherchant à fixer des péages ferroviaires aussi bas que possible, l’État actionnaire a négligé l’importance de la rémunération de SNCF Réseau pour la stimulation d’une offre de services de fret de qualité.

1.   Des injonctions contradictoires : faut-il favoriser la compétitivité par rapport au transport routier ou par rapport au train de voyageurs ?

La tarification des infrastructures ferroviaires est un outil essentiel de la compétitivité du fret ferroviaire. La stratégie de tarification fait apparaître un dilemme : en fixant des péages bas, on augmente l’attrait du mode ferroviaire pour les chargeurs, mais on diminue aussi l’intérêt pour le gestionnaire de réseau d’investir dans le fret plutôt que dans les voyageurs. Le fret ne doit pas être trop coûteux pour les opérateurs, tout en restant rémunérateur pour le gestionnaire de réseau ; la double concurrence de la route et des voyageurs conduit donc à des injonctions contradictoires.

Comme les poids lourds sur les autoroutes, les entreprises ferroviaires doivent s’acquitter de péages correspondant à une redevance d’infrastructure. Ces péages sont versés au gestionnaire d’infrastructure (SNCF Réseau).

La fixation des péages est encadrée au niveau européen. L’article 31 de la directive établissant un espace ferroviaire unique européen ([187]) impose un niveau plancher pour sécuriser les revenus du gestionnaire d’infrastructure : les péages devront être supérieurs ou égaux aux coûts marginaux d’usage de l’infrastructure, appelés « coûts directement imputables ».

Pour favoriser la compétitivité du fret ferroviaire, l’État a fait le choix de fixer les péages au niveau le plus bas possible. Comme les péages touchés par le gestionnaire d’infrastructure ne peuvent pas être inférieurs aux coûts marginaux d’usage, l’État a choisi de prendre en charge une partie des péages à la place des entreprises ferroviaires. Les « péages nets » acquittés par les opérateurs sont donc inférieurs aux « péages bruts » correspondant au coût marginal d’usage, la différence entre les deux étant compensée par l’État auprès de SNCF Réseau.

Cette stratégie de minimisation des péages est justifiée par un objectif de compétitivité du train : « Sans ces aides au péage, la réduction de la part modale du fret serait sans doute très forte, avec une baisse de compétitivité du fret ferroviaire par rapport aux autres modes de transport de marchandises ([188]) ».

Mais dans le même temps, un niveau de péages bas peut affecter négativement l’offre de services de fret ferroviaire. Par construction, une tarification au coût marginal d’usage ne peut pas permettre au gestionnaire d’infrastructure de couvrir ses coûts fixes. Celui-ci doit donc se rémunérer avec d’autres activités, et notamment les activités de transport de voyageurs non conventionnées.

De manière significative, alors que les redevances applicables aux TGV couvrent 120 % de leur coût unitaire complet, les redevances fret (4,26 euros par train-kilomètre en 2024) n’en couvrent même pas le quart (17,92 euros) ([189]). Bref, l’activité voyageurs est bien plus rentable pour SNCF Réseau que l’activité fret, qui ne lui rapporte rien. De fait, le fret représente 15 % du trafic ferroviaire mais seulement 4 % des redevances perçues.

redevances perÇues par sncf rÉseau POUR LES VOYAGEURS ET POUR LE FRET

Source : Assemblée nationale, à partir des données de la DGITM (réponses au questionnaire).

Dans ces conditions, même si le gestionnaire d’infrastructure est juridiquement tenu d’offrir un égal accès au réseau à l’ensemble des entreprises ferroviaires, pour les services de fret comme pour les services de transport de voyageurs, il est économiquement incité, du fait du mode de tarification, à privilégier les sillons de voyageurs. Comme le note l’Autorité de régulation des transports dans une réponse écrite adressée à la commission d’enquête : « En pratique, aujourd’hui, en l’absence de majorations tarifaires, il est exact que les péages ferroviaires acquittés par les services de fret, auxquels s’ajoute la compensation fret versée par l’État à SNCF Réseau, permettent uniquement de couvrir les coûts de gestion de l’infrastructure générés par les circulations fret (à la marge), si bien que SNCF Réseau n’améliore pas la couverture de ses coûts complets de gestion de l’infrastructure en faisant circuler un train de fret supplémentaire par rapport à la circulation d’un train de voyageurs (conventionné ou librement organisé) et est donc structurellement, du point de vue de son modèle économique, moins incité à faire circuler des trains de fret par rapport à des trains de voyageurs ([190]). »

L’écart entre les péages fret et les péages voyageurs entraîne également une moindre incitation pour le gestionnaire de réseau à investir dans les infrastructures spécifiques au fret : « RFF avait une tendance naturelle […] à donner la priorité aux investissements qui pouvaient lui rapporter en péages. Or, le fret rapportant peu, RFF ne pouvait aller que vers les voyageurs. » ([191]) L’étude de la Cour des comptes européenne confirme : « Les faibles redevances d’accès n’ont pas incité les gestionnaires de l’infrastructure à investir dans la rénovation et l’entretien des lignes ferroviaires […] En France, les investissements dans les infrastructures de fret ferroviaire ne présentent guère d’intérêt pour le gestionnaire de l’infrastructure en raison de leur faible rentabilité. Le fret représente 15 % de l’ensemble du trafic ferroviaire, mais seulement 3 % ([192]) des redevances perçues par le gestionnaire de l’infrastructure et 7 % du revenu de celui-ci, si l’on tient compte de la compensation versée par l’État. Cette situation peut expliquer en partie pourquoi la France privilégie les investissements destinés à développer le transport ferroviaire de voyageurs plutôt que le fret ferroviaire ([193]). »

Devant la commission d’enquête, Patrick Jeantet, ancien PDG de SNCF Réseau, parle « d’injonctions contradictoires » : « L’État est actionnaire mais il tient également à développer le fret. Celui qui dirige SNCF Réseau se trouve donc systématiquement pris en étau entre des injonctions contradictoires. D’un côté, nous devons rendre le fret attractif, de l’autre nous devons contenir les dépenses » ([194]) et ne compenser que la différence entre les péages nets et le coût marginal d’usage, sans compensation de la différence entre le coût marginal et le coût complet. C’est en ce sens que M. Dominique Riquet, député européen, a pu « déplorer un très faible retour du péage sur le réseau du fret ([195]) ».

2.   La politique tarifaire de l’infrastructure ferroviaire n’a pas vocation à compenser l’insuffisante tarification de la route

Pour autant, une compensation intégrale de la différence entre les péages nets et le coût complet ne serait pas possible juridiquement (voir infra), ni souhaitable économiquement tant qu’il subsistera une distorsion première liée à la sous-tarification des infrastructures routières.

La forte intervention de l’État permet déjà à la France d’avoir des péages nets (1,29 € en 2021, 0,79 € en 2023) significativement inférieurs à la moyenne européenne (1,48 € en 2021).

Montant des péages bruts et nets pour en Europe (2021)

(en euros par train.kilomètre)

TAC from RUs (track access charge from railways undertaking) : péages nets (péages bruts moins compensation publique)

TAC from public subsidies : compensation publique.

Source : IRG-Rail

Même si plusieurs pays européens (l’Allemagne, l’Autriche) parviennent à des niveaux de péages nets plus bas encore, le Conseil d’orientation des infrastructures remarque que « des péages bas ne confèrent pas pour autant une attractivité suffisante au fret ferroviaire », puisqu’on trouve aussi bien des exemples de pays ayant à la fois des péages bas et une part modale faible (l’Espagne) que d’autres avec une part modale supérieure à 30 % (la Suisse) voire 50 % (les pays baltes) malgré des péages élevés : « Un prix faible n’a pas pour conséquence une forte demande et donc une importante part modale… et un prix fort ne "tue" pas forcément le marché ([196]). » Les facteurs déterminants de la compétitivité du fret ferroviaire dépendent davantage des conditions tarifaires et réglementaires de l’usage de la route, d’une part, et de la qualité des services ferroviaires d’autre part.

Dans le système français, les trains de voyageurs sont surtarifés pour compenser la sous-tarification des trains de marchandises elle-même due à la gratuité partielle du réseau routier. En d’autres termes, les usagers du train, notamment à grande vitesse, subventionnent les entreprises de fret ferroviaire, qui s’acquittent de redevances à la fois trop basses (par rapport au coût complet de l’infrastructure) et trop élevées (par rapport au transport routier). La correction d’une distorsion – la sous-tarification de la route – par une autre – l’abaissement des péages ferroviaires, avec une compensation à concurrence du coût marginal – n’est pas satisfaisante, car elle brouille le signal-prix de l’utilisation des infrastructures, entraîne une double dépense publique, et réduit l’attractivité du fret pour le gestionnaire du réseau.

Il faut donc distinguer deux problématiques, qui ne pourront être résolues uniquement par un renforcement de la compensation fret :

– l’écart de compétitivité entre le train et la route doit être réduit par la tarification des infrastructures routières (voir écotaxe) ;

– l’écart de rentabilité entre l’activité voyageurs et l’activité fret par une revalorisation des péages bruts au-delà du coût marginal.

3.   Une majoration des péages en fonction d’une segmentation fine du marché permettrait de valoriser l’activité fret

Le modèle de tarification des infrastructures ferroviaires donc doit évoluer pour permettre une meilleure rentabilité de l’activité fret, du point de vue du gestionnaire d’infrastructure, sans réduire l’attractivité du transport ferroviaire plutôt que du transport routier du point de vue des chargeurs.

Selon la théorie économique, un mode de tarification optimal doit tenir compte de l’élasticité-prix des clients. La fixation des péages à un niveau plancher, correspondant au coût marginal d’usage, pour toutes les activités de fret, ne permet pas de capter la capacité contributive des entreprises qui tirent de l’usage des infrastructures ferroviaires une utilité supérieure au coût marginal d’usage.

Conformément à la directive sur l’espace ferroviaire unique européen, l’article 31 du décret du 7 mars 2003 relatif à l’utilisation du réseau ferroviaire ([197])  permet au gestionnaire d’infrastructure de « percevoir des majorations des redevances d’infrastructure pour des segments particuliers de marché » en procédant « à une différenciation plus poussée des segments de marché en fonction des marchandises ou des passagers transportés ».

L’instrument de la différenciation tarifaire a pleinement été utilisé pour le transport de voyageurs : les péages sont modulés en fonction des horaires (heures creuses ou de pointe), de la part de 1re classe et de 2e classe, etc. Malheureusement, aucune différenciation tarifaire n’est appliquée aux services de fret. Seul le poids des trains, qui n’est pas directement corrélé à la valeur économique de l’activité, est pris en compte dans le calcul de la redevance kilométrique.

Comme pour les voyageurs, les péages fret devraient donc être différenciés selon les segments du marché et leurs caractéristiques économiques. L’annexe VI de la directive prévoit la possibilité d’appliquer des majorations distinctes, en fonction :

– du mode de transport (transport combiné ou transport ferroviaire conventionnel) ;

– du type de train (trains complets ou wagons isolés) ;

– des marchandises transportées.

Alors qu’il est pertinent de maintenir des péages au niveau plancher pour les activités structurellement déficitaires, comme le wagon isolé, une majoration pourrait être appliquée aux activités peu élastiques aux prix car naturellement rentables ou captives. Les redevances de base pourraient donc être majorées pour :

– le transport de marchandises longue distance ;

– le transport de marchandises qui, en raison de leur poids ou de leur caractère dangereux, ne peuvent pas circuler sur la route. Pour ces marchandises, en l’absence de mode de transport de substitution, la tarification devrait se faire au coût complet.

Il est établi que le mode ferroviaire est tendanciellement moins coûteux que le mode routier à partir d’une certaine distance. Les conditions de vérification de cette hypothèse devraient être détaillées par une étude économétrique ([198]) préalable. La majoration des péages en fonction de la distance pourrait alors être égale à la différence de coût marginal, pour l’entreprise de transport, entre la route et le rail. Du fait de son caractère dynamique, ce mode de tarification tiendrait également compte de l’augmentation prévisible du coût de la route (instauration d’une écotaxe ou internalisation du coût de la décarbonation du transport routier).

 

Recommandation n° 19 : Appliquer des majorations aux redevances d’infrastructure ferroviaire en fonction d’une segmentation fine du marché et de l’élasticité-prix de la demande. Les majorations pourront notamment porter sur :

 les trajets longue distance, au moyen par exemple d’une tarification marginale croissante en fonction du nombre de kilomètres parcourus au-delà d’un certain seuil ;

 le transport de marchandises insusceptibles d’être transportées par la route.

Le niveau plancher, correspondant au coût marginal minoré de la compensation publique, continuerait d’être appliqué pour les activités peu rentables (le wagon isolé) ou en forte concurrence intermodale.

4.   Les péages pourraient aussi être modulés en fonction de la qualité des prestations et devenir un instrument de pilotage de la performance

Jusqu’à présent, la stratégie de compétitivité du fret ferroviaire s’est concentrée essentiellement sur la question des prix, en négligeant l’incidence de péages peu rémunérateurs sur la disponibilité et la qualité de l’offre de services de fret ferroviaire.

Or, les acteurs du fret ferroviaire semblent considérer que le niveau de péages n’est pas un facteur si déterminant dans le choix du mode de transport que la qualité des prestations proposées. « Pour un client, le premier critère est la fiabilité technique, industrielle et sociale, avant même le prix, qui est le deuxième critère de choix entre les différents modes de transport ([199]). » Selon le directeur des transports terrestres à la Commission européenne, « le niveau des péages en France ne constitue pas le cœur du problème. Pour un opérateur de fret, d’autres paramètres semblent plus importants, comme la ponctualité et la fiabilité ([200]). »

Cette analyse est confirmée par le témoignage du PDG de DB Cargo France : « Un débat a lieu sur les péages voyageurs en France, qui sont effectivement élevés. Mais, dans le fret, nous n’avons pas à nous plaindre du coût des péages. Je suis prêt à payer des péages plus cher en échange d’une bonne qualité et de capacités de circulation. Je pense d’ailleurs que mes confrères partagent ce point de vue. » ([201])  De fait, lors du colloque annuel de l’association française du rail (AFRA) organisé cette année le 4 octobre, plusieurs entreprises ferroviaires ont affirmé qu’elles seraient prêtes à payer des péages supérieurs pour une qualité de service supérieure.

Une différenciation tarifaire selon les prestations offertes pourrait donc permettre d’accroître la rentabilité de l’activité sans diminuer l’utilité économique des entreprises ferroviaire. C’est ce que fait, en Allemagne, DB Netz : les entreprises ferroviaires ont la possibilité de choisir des prestations supplémentaires en contrepartie de majorations tarifaires.

Il ne s’agit pas, bien sûr, de proposer une offre tarifaire de base au rabais, mais d’adapter les prestations aux entreprises en fonction de leurs besoins et des critères qu’elles valorisent. Par exemple, le transport combiné exige des heures de départ et d’arrivée fiables, ce qui n’est pas forcément le cas du transport conventionnel, lequel pourra en revanche valoriser un temps de parcours global garanti pour éviter les coûts d’exploitation afférents à un éventuel retard (conducteur de réserve). Les options pourraient également porter sur le délai de réservation ou sur la mise à disposition de sillons avec une vitesse moyenne supérieure.

Recommandation n° 20 : Segmenter l’offre de services ferroviaire en proposant des prestations optionnelles (exemple : durée de parcours garantie ; heure de départ et heure d’arrivée garantis ; sillons rapides ; réservation de sillons avec préavis court) qui viendraient majorer la redevance de base.

Selon l’ART, la tarification pourrait également être un instrument d’incitation à la performance. Devant la commission d’enquête, reprenant une recommandation du régulateur allemand ([202]), le président par intérim de l’ART a proposé de « [conditionner] la mise en œuvre de hausses de redevances à l’atteinte de seuils minimaux pour certains indicateurs de qualité de service bien choisis, par exemple le taux de conformité des réponses aux demandes des candidats ([203]) ».

Concrètement, le gestionnaire de réseau serait autorisé à augmenter les péages globaux d’un cycle de tarification ([204]) à l’autre en fonction de l’évolution d’indicateurs de performance sur le cycle en cours, par exemple le taux de ponctualité. Dans l’objectif de favoriser le report modal, l’un des indicateurs pourrait porter sur le taux de sillons effectivement attribué au fret.

 

Recommandation n° 21 : Inscrire dans la loi le principe d’une corrélation entre l’évolution de la tarification globale des infrastructures ferroviaires et l’amélioration de la qualité de service.

B.   La montée en charge des aides à l’exploitation pourrait être freinée par les règles européennes d’écrêtement

Le fait de remplacer les majorations de péages par une compensation publique est d’autant moins soutenable que les règles européennes imposent un écrêtement du cumul des aides à l’exploitation. La logique du soutien par les aides à l’exploitation mise en œuvre depuis le plan de relance atteint donc une limite.

1.   Une montée en charge des aides à l’exploitation depuis le « plan de relance »

Il existe trois aides à l’exploitation en faveur du fret ferroviaire, une aide transversale et deux aides spécifiques :

– la compensation fret, qui a été décrite plus haut, couvre auprès de SNCF Réseau la différence entre le coût marginal d’utilisation de l’infrastructure et les redevances facturées aux opérateurs. L’aide bénéficie à l’ensemble des entreprises de fret ferroviaire.

– l’aide au transport combiné, ou « aide à la pince », est la plus ancienne des aides en faveur des modes de transport massifiés (2003). Son objectif est de compenser une partie du coût lié à l’interruption du transport (appelée « rupture de charge ») au moment du chargement et du déchargement des marchandises d’un mode de transport à l’autre (camions d’un côté, train ou barge de l’autre). Il s’agit d’une aide fixe octroyée pour chaque transbordement d’une unité de transport intermodale (conteneurs maritimes, semi-remorques…) effectué en France. L’aide est donc versée une ou deux fois pour une même unité transportée, selon que l’une des deux opérations est effectuée à l’étranger. En 2022 l’aide s’élevait à 27 euros par transbordement, soit environ 70 % du coût réel de l’opération ;

– l’aide au wagon isolée est relativement nouvelle (2021). Son objectif est de compenser une partie des ruptures de charge liées aux opérations de regroupement et de dégroupement des wagons. L’aide est forfaitaire (environ 1 700 euros par desserte).

Dans le cadre de la stratégie nationale pour le fret ferroviaire, les aides à l’exploitation, qui connaissaient déjà une dynamique de progression ont été considérablement renforcées en 2021 :

– la compensation fret a été augmentée d’un « complément » remboursé directement aux entreprises ferroviaires, portant l’ensemble de la compensation des péages de 154 à 183 millions d’euros ;

– l’aide au transport combiné est passée de 27 à 47 millions d’euros ;

– l’aide au wagon isolé est créée, avec une enveloppe initiale de 60 millions d’euros.

Évolution des aides à l’exploitation depuis 2017

Source : Assemblée nationale, à partir des données transmises à la commission d’enquête par la DGITM.

L’ensemble des aides à l’exploitation est donc passé d’environ 80 millions d’euros en 2017 à 300 millions d’euros en 2022, soit une augmentation de 285 % en cinq ans. Le ministre des transports a annoncé que la montée en charge se poursuivrait à partir de 2025 : « Ces aides s’élèvent déjà à 300 millions par an. Dès que possible, d’ici à la fin de 2024 et le PLF pour 2025, nous les porterons à 330 millions ([205]). » D’après les échanges de la commission d’enquête avec la DGITM, cette hausse sera d’abord portée par celle de l’aide au wagon isolé, qui passerait à 100 millions d’euros par an en 2025.

Le triplement de la compensation fret depuis 2017 s’est traduit par une baisse significative des péages nets. Depuis 2019, le taux de prise en charge des péages par l’État est passé de 39 % à 80 %.

Évolution des péages moyens bruts et des péages nets depuis 2019

(en euros par train et par kilomètre)

Source : Assemblée nationale, à partir des données transmises à la commission d’enquête par l’ART.

Les chiffres donnés par l’IRG-Rail (1,29 euro en 2021) ne coïncident pas tout à fait avec les chiffres donnés par l’ART, car le montant moyen des péages dépend n’est pas connu directement. Il dépend en partie du poids des trains circulants

2.   Le plafonnement des aides à l’exploitation risque de freiner la dynamique de report modal

La progression des aides à l’exploitation ne pourra pas se poursuivre indéfiniment, malgré leur caractère vertueux pour le report modal.

Les lignes directrices de la Commission européenne ([206]) fixent en effet des seuils à partir desquels les aides ne sont plus présumées conformes aux règles du marché intérieur. Les aides à l’exploitation du fret ferroviaire ne devront dépasser :

– ni 30 % du coût unitaire complet ;

– ni 50 % des externalités évitées par rapport au transport routier.

Comme les aides aux péages se cumulent avec les aides spécifiques, il y a une règle d’écrêtement des aides entre l’aide aux péages et l’aide au transport combiné ou l’aide au wagon isolé.

D’après les échanges avec la DGTIM, le plafond de 30 % du coût complet du service pourrait être atteint en 2025 avec la hausse à 100 millions d’euros de l’aide au wagon isolé.

L’aide au transport combiné, mode de transport moins polluant que la route mais plus polluant que le train seul, pourrait quant à elle être gênée par le plafonnement à 50 % des externalités évitées.

La Commission européenne a annoncé une révision des lignes directrices relatives aux aides d’État en faveur des entreprises ferroviaires. Cette révision devrait être l’occasion de prendre acte des objectifs nouveaux en termes de report modal et plus largement des objectifs du Pacte vert.

En parallèle, faisant le constat que « la route domine toujours le transport de marchandises dans l’Union européenne parce que le transport intermodal n’est souvent pas compétitif par rapport au transport exclusivement routier », la Commission a présenté ([207]) le 7 novembre 2023 une proposition de révision de la directive transport combiné. La Commission souhaite autoriser plus clairement les aides au transport combiné, dès lors que ces aides permettraient « une réduction d’au moins 40 % des externalités négatives par rapport aux opérations exclusivement routières entre les points de départ et d’arrivée ».

 

Recommandation n° 22 : Augmenter les seuils de présomption de compatibilité des aides à 50 % du coût complet du service et à 100 % des externalités négatives évitées, dans le cadre de la révision annoncée des lignes directrices relatives aux aides d’État en faveur des entreprises ferroviaires.

En tout état de cause, l’esprit de la réglementation européenne est clair : les aides à l’exploitation n’ont pas vocation à résorber la totalité de l’écart de compétitivité entre le rail et la route ou à neutraliser tous les coûts d’utilisation pour les entreprises ferroviaires. Il est d’autant plus nécessaire d’instaurer une écotaxe sur les infrastructures routières pour rééquilibrer la concurrence intermodale.

C.   Concentrer les efforts publics sur la réhabilitation et la modernisation des infrastructures

Aussi bien du fait des règles européennes que pour des raisons de logique économique, les hausses futures des aides au secteur ferroviaire pourront être dirigées vers les infrastructures plutôt que vers les opérateurs, conformément d’ailleurs à une recommandation du Conseil d’orientation des infrastructures. Les efforts fournis depuis le plan de relance sont à cet égard encourageants, même si les investissements prévisionnels gagneraient à être ajustés et inscrits dans une loi de programmation.

1.   Les investissements du plan de relance ont été amplifiés avec la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire

D’abord dans le cadre du « plan de relance », dans un contexte commandé par le besoin d’un soutien massif et immédiat à l’économie, le Gouvernement a engagé 250 millions d’euros en faveur du fret ferroviaire sur la période 2021-2022. Grâce à un effet de levier, ces 250 millions d’euros budgétaires ont permis de mobiliser 250 millions d’euros supplémentaires auprès des cofinanceurs publics (régions, SNCF Réseau, Union européenne) et des entreprises ferroviaires.

Ces 250 (plus exactement 248) millions d’euros pour la période 2021-2022 se décomposent ainsi, par ordre d’importance décroissant :

– les voies de service (70 millions d’euros). Les voies de service du réseau français, notoirement en mauvais état, sont des outils essentiels au fret ferroviaire : elles permettent de réaliser des opérations de garage et de remisage des rames, de recomposition et de tri de wagons, et de changement de locomotives. Le gestionnaire d’infrastructure est en première ligne pour financer l’entretien de ces infrastructures (suppression des voies de service inutiles, restauration des autres). Depuis 2019, SNCF Réseau y alloue 20 millions d’euros par an. Dans le cadre du plan de relance, l’État a investi directement 70 millions d’euros, plus 22 millions d’euros en 2023 (soit 92 millions d’euros en trois ans) ;

– la régénération des lignes capillaires fret (63 millions d’euros). L’État allouait déjà 10 millions d’euros par an à la régénération des capillaires fret. Ces investissements n’étaient pas suffisants, même s’ils avaient permis la remise en état de plus de mille kilomètres de voies. En 2021-2022, 63 millions d’euros ont été ajoutés aux 10 millions d’euros annuels ;

– la digitalisation (50 millions d’euros) ;

– les infrastructures de transport combiné (26 millions d’euros). À cause d’un déficit d’investissement récurrent depuis quinze ans, les terminaux multimodaux, qui font l’interface entre le rail et la route, sont saturés ou vieillissants. Cet état de fait nuit au développement du transport combiné. En 2023, l’État a poursuivi les investissements et financé la création d’un nouveau terminal à Orléans et la modernisation du terminal de Lyon-Vénissieux ;

– la modernisation des sites de tri à la gravité (23 millions d’euros). Il s’agit d’un maillon essentiel à l’activité de wagon isolé. Par rapport à des sites de tri à plat, les sites de tri à la gravité permettent de raccourcir les délais de transbordement. Les montants engagés en 2021 et 2022 ont été renouvelés en 2023, en faveur des sites de Woippy, Sibelin et Le Bourget.

Les installations terminales embranchées (ITE) (10 millions d’euros). Elles permettent la desserte ferroviaire directe d’un site, sans rupture de charge.

L’adaptation du réseau à la circulation de trains plus longs et plus lourds, pour accroître les capacités de massification (6 millions d’euros).

Dans une perspective de réflexion stratégique de plus long terme, la « stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire », officiellement approuvée ([208]) en mars 2022 à la suite de l’inscription dans la loi ([209]) d’un objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030, a choisi de pérenniser le renforcement des aides à l’exploitation décidé en 2021 et de poursuivre la dynamique des investissements dans les infrastructures.

2.   Renforcer les investissements dans les infrastructures et les inscrire dans une loi de programmation

En mai 2023, le ministre des transports a annoncé un plan d’investissement de 2 milliards d’euros sur la période 2023-2032. Sur ces 2 milliards d’euros, 900 millions seront investis par l’État d’ici 2027 dans le cadre de la prochaine génération de contrats de plan État-région 2024-2027.

Comme dans le cas du plan de relance, les investissements de l’État devraient permettre de déployer des investissements équivalents de la part des partenaires, soit un total de 4 milliards d’euros d’investissements en dix ans. Le ministre des transports expliquait en septembre devant la commission d’enquête : « Comme toujours dans ce cadre-là, l’État investit un peu moins de la moitié de la somme globale et les régions et les autres collectivités, un peu plus. Nous pouvons donc espérer 1,1 milliard de la part des collectivités et, ainsi, atteindre l’objectif de 2 milliards » ([210]) d’ici 2027 et de quatre milliards d’euros d’ici 2032.

Ces nouveaux investissements porteront sur les mêmes items que les investissements fret dans le cadre du plan de relance. Le ciblage précis fait l’objet de discussions entre la DGITM, SNCF Réseau et l’Alliance 4F. Selon les informations données par le ministre, ils permettront notamment de rénover les gares de triage en partenariat avec les régions concernées :

– la région Grand Est avec la gare de triage de Woippy. 80 millions d’euros sont prévus pour sa rénovation, dont la moitié prise en charge par l’État ;

– la région Provence-Alpes-Côte d’Azur avec la gare de triage de Miramas. 40 millions supplémentaires seront nécessaires pour achever sa rénovation.

Outre les voies de service et de triage, plusieurs catégories d’investissements ont été évoquées durant les auditions comme particulièrement nécessaires :

– la désaturation des nœuds ferroviaires (Lyon, le sillon lorrain entre Metz et Strasbourg, les goulots d’étranglement en Île-de-France) ;

– l’adaptation du réseau à des trains longs (plus de 850 mètres) ;

– la mise au gabarit P400, sur au moins trois axes : Forbach-Paris-Hendaye, Luxembourg-Suisse, Paris-Dijon. Selon M. Patrick Jeantet, le coût de ces investissements serait relativement contenu : « Contrairement à ce que l’on dit, il ne s’agit pas d’investissements semblables à ceux faits pour les lignes LGV, qui se chiffrent en milliards. Il s’agit là de centaines de millions d’euros – peut-être 1 ou 2 milliards pour la totalité du réseau ([211]). »

À condition qu’elles soient effectivement réalisées, les dépenses budgétaires (2 milliards d’euros) spécifiquement prévues pour les infrastructures de fret d’ici 2032 semblent bien calibrées. Encore faut-il que l’État respecte sa feuille de route et que les partenaires – principalement les régions – « jouent le jeu ». Ainsi, le rapport spécial sur le programme budgétaire 203 pour 2024 note qu’à ce stade, aucun des investissements annoncés n’a pris la forme d’un engagement contraignant : « Les rapporteures spéciales saluent cette annonce, mais attendent de voir les crédits effectivement budgétés et versés avant de s’en réjouir ([212]). »

Votre rapporteur recommande donc d’inscrire ces annonces d’investissements dans une loi de programmation, sur le modèle de la « loi d’orientation des mobilités » (pour le transport de particuliers), afin de sécuriser les investissements et de donner de la visibilité au secteur.

Aussi, la somme globale de 4 milliards d’euros pourrait ne pas être suffisante pour réaliser l’objectif de doublement de la part modale. Selon un rapport du Sénat, qui semble s’appuyer sur le rapport Altermind ([213]), les investissements nécessaires seraient de plus de 10 milliards d’euros sur la période : « Des investissements considérables, évalués à plus de 10 milliards d’euros en dix ans, seraient nécessaires pour pouvoir espérer atteindre l’objectif de développement de la filière fixé à horizon 2030. » ([214])

Le surcroît d’investissements nécessaire pourrait être puisé dans les recettes de l’écotaxe proposée par votre rapporteur (recommandation n° 14), dont le produit global serait de 9 milliards d’euros ([215]). Si l’on affecte au ferroviaire une part du produit de l’écotaxe proportionnelle à sa part modale projetée, soit 18 %, cela constituerait une source de financement de plus d’1,5 milliard d’euros par an pour l’ensemble des infrastructures ferroviaires.

 

Recommandation n° 23 : Inscrire dans une loi de programmation les investissements en faveur du fret ferroviaire prévus dans les deux prochaines générations de CPER, en précisant les montants prévisionnels investis, les projets, et la répartition des financements entre les différentes parties prenantes.

Tenir compte, le cas échéant, des financements issus d’une partie du produit de l’écotaxe (par exemple 18 %, en cohérence avec l’objectif de part modale du ferroviaire).

Prévoir dans cette loi de programmation un volet consacré à la formation aux métiers du ferroviaire et un volet sur la production industrielle de matériel roulant.

 

III.   Les aides d’État sont un prétexte utilisé par la Commission européenne pour réaliser un objectif de longue date : le démantèlement de l’opérateur public

La Commission européenne demandait depuis plusieurs années le démantèlement de l’opérateur public et tout indique que la question des aides d’État n’était qu’un moyen de pression pour faire céder le Gouvernement. L’absence de démonstration de distorsions effectives de concurrence, l’ancienneté des avances de trésorerie (antérieures au changement de statut), le retrait des plaintes des entreprises concurrentes, rendent difficile la justification d’une procédure qui n’aurait d’autre effet que la liquidation de l’entreprise, avec des conséquences disproportionnées par rapport à ses objectifs et dommageables pour l’ensemble du secteur.

A.   La Commission fonde sa procédure sur des biais d’analyse

Les arguments techniques fournis par la Commission sont eux-mêmes contestables : l’existence de distorsions de concurrence est présupposée, sans être démontrée, la valeur non monétaire générée par l’entreprise pour son actionnaire a été négligée et les spécificités du cadre réglementaire de l’époque (projet d’écotaxe mais absence d’aide au wagon isolé) n’ont pas été prises en compte.

1.   La négligence des caractéristiques du marché et de la concurrence intermodale

L’analyse économique de la Commission ne prend pas en compte l’ensemble des caractéristiques du marché, à commencer par la concurrence intermodale, qui s’exerce notamment sur des segments d’activité structurellement déficitaires et néanmoins vertueux.

La Commission « limite son approche à la seule concurrence intramodale en ignorant la concurrence intermodale », véritable problème dont « souffre ([216]) » le secteur du fret ferroviaire. Les services de transport de marchandises par le train et sur la route sont quasi substituables, en tout cas sur les distances inférieures à 500 km, et Fret SNCF n’a de position dominante que sur un segment – le wagon isolé – de moins en moins compétitif et qui subit au sein même de la SNCF la concurrence du transport routier (Geodis).

La concurrence intermodale n’est mentionnée qu’une seule fois dans la décision d’ouvrir une procédure à l’encontre de la France, dans le paragraphe qui vise à démontrer qu’il existe une concurrence potentiellement lésée par des aides d’État. « L’entreprise se trouve en outre en concurrence intermodale, notamment avec le transport routier ([217]) ». Au lieu d’analyser les distorsions de concurrence que subit le fret ferroviaire, la Commission considère au contraire que les aides d’État potentielles sont nuisibles en ce qu’elles sont susceptibles de menacer la concurrence déloyale du transport routier !

La Commission ne tient pas compte, non plus, des caractéristiques propres au transport ferroviaire par rapport au transport routier, à savoir l’importance des coûts fixes et la durée de vie des actifs, qui nécessitent de programmer les investissements à long terme, indépendamment des fluctuations du marché, y compris si cela suppose d’accepter et de financer un déficit pendant une période prolongée. Elle conteste, de ce fait, que l’État se fût comporté en « investisseur avisé », étant entendu qu’un investisseur n’est indubitablement « avisé » que s’il raisonne à court terme.

La Commission ne conteste pas qu’un soutien financier à Fret SNCF était nécessaire à la survie de l’entreprise, mais elle ne cherche pas à démontrer qu’il aurait eu pour objectif de fausser les prix ou d’augmenter la part de marché de l’entreprise au détriment de ses concurrents. En fait, la Commission considère que la survie de l’entreprise est en soi une distorsion de concurrence : « Les autorités françaises considèrent […] que la décision de maintenir l’activité de Fret SNCF est toujours apparue comme étant la meilleure des options, comparée à d’autres, en particulier celle de sa liquidation. La France n’a cependant fourni aucune indication […] permettant de justifier le bien-fondé d’une telle affirmation ([218]). »

La logique de l’investisseur avisé aurait donc dû conduire à la liquidation pure et simple de Fret SNCF : « Un actionnaire avisé aurait probablement réexaminé très régulièrement l’opportunité de financements supplémentaires à Fret SNCF par rapport à l’alternative d’un démantèlement ou d’une cession ([219]). »

Le choix de faire perdurer l’entreprise Fret SNCF était en soi, en raison de son caractère structurellement déficitaire, une atteinte aux règles du marché intérieur. L’analyse de la Commission, étroitement restreinte à celle d’un investisseur privé, ne prend pas en compte le fait que l’État, en tant qu’investisseur public, devait intégrer le coût total pour la collectivité d’une liquidation de l’entreprise, avec ses conséquences économiques, sociales et environnementales.

2.   Les externalités évitées n’ont pas été intégrées au bilan de Fret SNCF

Le seul coût environnemental d’une liquidation de la SNCF aurait été bien supérieur aux montants des avances de trésorerie critiquées par la Commission.

Selon la Commission européenne, les autorités françaises « n’ont aucunement démontré que les mesures litigieuses examinées soient adéquates, nécessaires et proportionnées à la poursuite d’un objectif environnementa([220]) ». Or il suffit de consulter les documents de référence émis par la Commission pour établir le coût environnemental évité grâce au soutien du groupe SNCF à ses activités de fret.

La dernière version du Handbook on the external costs of transport, qui a valeur normative, met en évidence un écart de coûts externes de 2,9 centimes d’euro par tonne et par kilomètre entre les poids lourds (HGV) et le train (Rail).

Coûts externes marginaux comparés des modes de transport en europe

(en centimes d’euro par tonne et par kilomètre)

Source : Handbook on the external costs of transport (2019), tableau n° 69.

En France, selon les chiffres officiels de la Commission, la différence de coûts externes entre les deux modes de transport est de 2,2 centimes par tonne-kilomètre hors coûts de congestion, soit 3 centimes en intégrant un coût de congestion moyen de 0,8.

Coûts externes marginaux des modes de transport en France

(en centimes d’euro par tonne et par kilomètre)

Source : Handbook on the external costs of transport (2019), tableau n° 73.

Selon les chiffres donnés par le régulateur, l’activité de wagon isolé de Fret SNCF est d’environ 6,5 milliards de tonnes-kilomètres par an. Cela représente donc 195 millions d’euros de coûts externes évités.

Sur la période 2007-2019, si l’on fait l’hypothèse que la cessation de l’activité de wagon isolé aurait entraîné un contre-report modal intégral, sans tenir compte des reports d’activité sur le train complet et le train combiné (dont la rentabilité aurait permis une reprise plus aisée par les concurrents ferroviaires), le choix de soutenir plutôt que de liquider Fret SNCF a entraîné un bénéfice économique et environnemental de plus de 2,5 milliards d’euros.

Le coût du contre-report modal évité n’est à aucun moment pris en compte par la Commission européenne dans l’évaluation du caractère « avisé » des choix de l’État comme investisseur.

3.   Les aides au wagon isolé qui ont été validées ensuite n’existaient pas à l’époque

Le wagon isolé est un segment de l’activité de fret structurellement déficitaire, ce qui explique aussi que l’ouverture à la concurrence ne l’ait pas fondamentalement affecté. Fret SNCF dispose sur ce segment de plus de 80 % des parts de marché.

En 2021, après le changement de statut, une aide au wagon isolée a été mise en place pour soutenir cette activité qui ne pouvait pas être rentable sinon. Fret SNCF en est le principal bénéficiaire, à hauteur de 80 %. La Commission a validé cette aide pour un montant annuel de 90 millions d’euros et pour une durée de cinq ans (2021-2025).

Rétrospectivement, il est possible de considérer que l’absence d’aide spécifique au wagon isolé sur la période 2007-2019 rendait nécessaires des subventions intra-groupe pour compenser les déficits de l’activité. L’enveloppe annuelle de 90 millions d’euros pour le secteur correspond à environ 70 millions d’euros pour Fret SNCF. Si l’aide au wagon isolé avait été mise en place dès le début, c’est presque un milliard d’euros de subventions autorisées que Fret SNCF aurait touché sur la période.

Jusqu’en 2014 au moins, le groupe SNCF pouvait également légitimement penser que l’instauration d’une écotaxe sur les poids lourds aurait un effet positif sur la demande de fret ferroviaire. Il était donc économiquement rationnel de financer les pertes provisoires de Fret SNCF en attendant l’augmentation de la part modale.

La Commission européenne ne tient pas compte de ce paramètre, peut-être parce qu’elle ne considère pas l’écotaxe comme un moyen de soutien au fret ferroviaire : « La Commission doute à ce stade que le groupe SNCF puisse avoir fondé (même partiellement) un hypothétique retour à l’équilibre sur la base des annonces de l’État au sujet d’un soutien financier en faveur du fret ferroviaire. En effet, la Commission n’est à ce stade en mesure d’identifier précisément, ni la nature des mesures de soutien public invoquées, ni leur capacité à restaurer l’équilibre financier de Fret SNCF. » Pourtant, l’inscription de l’écotaxe dans la loi en 2009, avec un objectif clair de report modal, le financement et l’installation des infrastructures jusqu’en 2013 étaient des éléments suffisamment probants pour justifier qu’un investisseur avisé fondât sa stratégie sur une anticipation de hausse de l’activité de fret ferroviaire.

La somme des coûts externes évités et des subventions dont aurait pu bénéficier Fret SNCF en appliquant le cadre actuellement en vigueur s’élève donc à environ 3,5 milliards d’euros en treize ans. Ce montant est proche du montant évalué des avances de trésorerie reprochées par la Commission sur la période, entre 3,9 et 4,4 milliards d’euros.

B.   Le pouvoir excessif de la Commission amène à s’interroger sur l’application des principes de l’État de droit dans l’Union européenne

La conformité même de la procédure lancée par la Commission aux principes supérieurs du droit de l’Union européenne est contestable. L’absence de proportionnalité entre l’infraction constatée et les conséquences d’une décision de liquidation, l’emploi insidieux de la procédure comme moyen de pression pour réaliser un projet politique qui sort du champ de ses prérogatives, suffiraient à caractériser un détournement de pouvoir d’autant plus problématique que les négociations du « plan de discontinuité » échappent à tout contrôle juridictionnel.

1.   Le démantèlement de Fret SNCF : une punition ni nécessaire, ni proportionnée, contraire aux principes généraux du droit de l’Union

Même si des aides d’État illégales étaient avérées, sans doute pour un montant inférieur à ce que prétend la Commission, compte tenu des externalités évitées et de l’absence à l’époque d’aide spécifique au wagon isolé, la solution d’un démantèlement, plusieurs années après la fin des pratiques critiquées, ne paraît ni nécessaire ni proportionnée.

Dans les traités, rien n’indique que la correction des aides d’État puisse avoir pour effet de liquider une entreprise de dimension systémique. Le paragraphe 2 de l’article 108 du TFUE, sur lequel la Commission fonde sa procédure formelle d’examen, dispose seulement qu’en cas d’aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur, la Commission « décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine ». La Commission doit seulement rétablir la concurrence pour l’avenir, sans caractère nécessairement rétroactif.

C’est le droit dérivé et la jurisprudence qui ont introduit l’obligation de récupération des aides d’État, à titre rétroactif et dans une limite de dix ans. L’article 16 du règlement 2015/1589 du Conseil sur l’application de l’article 108 TFUE ajoute en effet : « En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire » à moins que, « ce faisant, elle [aille] à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union ».

La jurisprudence de la Cour de justice a précisé que, dans l’hypothèse où l’entreprise ne serait pas en capacité de rembourser, l’État doit engager une procédure de mise en faillite à l’encontre de l’entreprise ([221]), aboutissant à la récupération de la totalité des aides octroyées ou, à défaut, à la liquidation de l’entreprise, « c’est-à-dire à la cessation définitive de son activité ([222]) », soit par sa liquidation complète, soit par le constat d’une « discontinuité économique » à la suite d’un démantèlement.

Mais, dans tous les cas, la décision de récupération des aides d’État est subordonnée au respect de principes juridiques supérieurs, appelés « principes généraux du droit de l’Union européenne », comme le rappelle d’ailleurs le règlement de 2015. Figurent parmi ces principes :

– le principe de coopération loyale, en vertu duquel les institutions et les États membres « se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités ([223]) » ;

– le principe de proportionnalité, qui limite l’intervention de l’Union européenne au strict nécessaire : « le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités ([224]) ».

Selon l’article 108 du TFUE, les prérogatives de la Commission relatives aux aides d’État ont pour objectif le « fonctionnement du marché intérieur ». La récupération des aides d’État n’est donc justifiée que dans la mesure où elle concourt effectivement à un meilleur fonctionnement du marché intérieur. La décision de récupérer les aides d’État n’a pas le caractère d’une sanction. La Commission peut demander la récupération des aides, intérêts compris, mais sans adjoindre des amendes ou pénalités.

Or, le démantèlement de Fret SNCF ne paraît pas être une solution nécessaire, adaptée et proportionnée aux distorsions de concurrence visées par la Commission. En effet :

– les aides d’État alléguées couvrent une période révolue (2007-2019) ;

– le changement de statut de l’entreprise en 2020 constitue un remède structurel prémunissant à l’avenir contre les pratiques critiquées ;

– toutes les plaintes à l’encontre de Fret SNCF ont été retirées en 2021 ;

– vu la situation financière de l’entreprise, la liquidation de Fret SNCF ne permettrait pas de récupérer, même en partie, les aides alléguées. L’efficacité de l’opération, au regard de l’exigence de récupération des aides, est donc nulle.

La solution d’une liquidation ou d’un démantèlement de Fret SNCF entraînerait donc sur le marché un déséquilibre bien plus significatif que les distorsions passées qu’elle est censée corriger, sans que le sens de cette décision, plusieurs années après le versement des dernières « aides », ne soit manifeste.

Dans ces conditions, d’autres solutions plus adaptées auraient pu être envisagées, telles qu’un échelonnement du remboursement pour éviter une faillite, un versement rétroactif de l’aide wagon isolé aux entreprises concurrentes (s’il s’agit de protéger les intérêts des concurrents) ou une condamnation de l’État à verser une amende à l’Union européenne pour défaut de notification des aides.

Mais l’acharnement de la Commission contre le bénéficiaire des aides supposées relève davantage d’une volonté de « punir » que d’une volonté de rétablir la concurrence et de protéger les intérêts économiques du secteur, ce qui pose la question de savoir si la procédure formelle d’examen n’a pas été détournée de son objectif et de l’esprit des traités.

 

Recommandation n° 24 : Modifier le règlement 2015/1589 du Conseil pour donner la possibilité à la Commission de proposer des solutions alternatives à la récupération des aides (par exemple : la conversion de l’aide à récupérer en une amende imposée à l’État) à chaque fois que la procédure de récupération des aides aurait des conséquences disproportionnées pour l’entreprise bénéficiaire et pour le marché.

2.   La procédure comme moyen de pression : le Gouvernement a dû accepter le démantèlement de Fret SNCF pour éviter sa liquidation

a.   Des discussions sur le démantèlement bien avant le lancement de la procédure

Contrairement à ce qu’il a été laissé entendre au cours des auditions, les négociations relatives au « plan de discontinuité » ont commencé bien avant le lancement officiel de la procédure, qui n’était une surprise pour aucune des parties prenantes.

L’existence de négociations en dehors du cadre prévu par les textes européens a été reconnue à demi-mot par le directeur général de la concurrence ([225]) et par le secrétaire général des affaires européennes, qui explique de façon alambiquée qu’il n’était pas surpris ([226]) par l’ouverture brutale de l’enquête et croit savoir que celle-ci se conclurait certainement, après dix-huit mois de suspense, de manière défavorable ([227]).

Dans le cadre de ses prérogatives tenant à une commission d’enquête, le rapporteur a pu consulter sur place, dans les bureaux du ministère des transports, les comptes rendus des échanges entre le ministre et la commissaire européenne en charge de la concurrence.

Il ressort de ces échanges que la commissaire européenne exige au moins depuis 2018 le démantèlement de Fret SNCF, en s’appuyant à l’époque sur des plaintes qui ont été retirées depuis. La menace d’une procédure d’examen pour aides d’État illégales n’était, semble-t-il, qu’un moyen de pression pour faire céder le gouvernement français. À partir de l’été 2022, la commissaire rappelle à chaque échange qu’elle s’apprête à lancer une procédure qui, faute d’accord sur un « plan de discontinuité », aboutirait nécessairement à une liquidation complète de Fret SNCF, avec des conséquences sociales bien plus difficiles à assumer pour le Gouvernement que le « compromis » qu’elle lui propose d’accepter.

Au moment du lancement formel de la procédure, le 18 janvier 2023, toutes les modalités du « plan de discontinuité » avaient été discutées en amont, jusqu’au calendrier des annonces publiques relatives au démantèlement de l’entreprise ; le moment du lancement officiel de la procédure et sa durée avaient également fait l’objet d’une entente préalable.

b.   Une volonté délibérée de la Commission européenne de priver Fret SNCF de ses activités rentables

Le rapporteur n’a pu qu’être choqué du caractère déséquilibré de ces négociations. Non seulement Fret SNCF devait être démantelé, mais il ne fallait laisser aucune chance à la future entreprise de prospérer. La commissaire à la concurrence insistait ainsi pour que :

– la nouvelle entreprise soit créée dès l’année 2023 ;

– les activités les plus rentables de Fret SNCF soient laissées à la concurrence.

Dans une lettre du 24 octobre 2022 (portée en annexe du présent rapport), le directeur général de la concurrence demande au Gouvernement de lui démontrer que les activités pressenties pour être cédées, dans le cadre du démantèlement, correspondent aux activités les plus rentables de l’entreprise amenée à disparaître.

Vu la situation financière déjà fragile de Fret SNCF, il ne faisait aucun doute que la nouvelle entreprise ne serait pas viable économiquement si elle n’en conservait que les activités déficitaires ou peu rentables. Les conséquences alarmantes des exigences de la Commission pour la future entreprise, et pour le secteur en général, qui ne pourra pas forcément assumer la reprise de la totalité des flux que Fret SNCF aura été contraint de céder, ont bien été décrites par le ministre des transports, sans que cela ne permette d’infléchir la position de la Commission.

M. Alain Vidalies résume ainsi la posture de la Commission : « La décision de la direction générale de la concurrence n’est pas surprenante. Elle est malheureusement l’expression d’un dogmatisme qui s’exprime particulièrement contre les anciens monopoles devenus entreprises publiques. Pour la direction générale de la concurrence, peu importe que le bateau coule, pourvu que la concurrence soit respectée ([228]). »

En imposant une discontinuité économique dans des conditions qui ne permettront pas à la nouvelle entreprise d’être viable, la Commission condamne celle-ci à être dans une situation de déficit permanent qui ne pourra qu’être compensé par des aides d’État bien plus massives que celles dont l’ancienne entreprise avait bénéficié. Il n’est donc pas impossible que la Commission exige, dans quelques années, la liquidation de l’entreprise dont elle avait dicté les conditions économiques de la création. Ce scénario préoccupant, d’autant moins invraisemblable que la commissaire Margrethe Vestager a refusé de fournir à Clément Beaune un accord écrit sur les termes de la discontinuité, n’est pas sans rappeler celui de la SNCM, dont le plan de privatisation (2006) puis la recapitalisation (2008) ont d’abord été validés par la Commission avant que celle-ci ne décide en 2013 qu’il s’agissait en fait d’aides d’État devant donner lieu à récupération. La société sera mise en redressement judiciaire en 2015.

Rétrospectivement, il est même permis de se demander si la préférence marquée de la Commission pour un changement de statut de la SNCF n’avait pas précisément pour objectif de soustraire l’entreprise à la protection juridique conférée par son ancien statut d’EPIC et à organiser les conditions de sa future faillabilité, la rendant ainsi vulnérable à des procédures qui pourraient aboutir à sa liquidation.

3.   La procédure relative aux aides d’État utilisée à des fins politiques : un « détournement de pouvoir » ?

Le fait de se servir d’une procédure pour contraindre un gouvernement à démanteler une entreprise, et à exiger que ce démantèlement ait lieu avant les résultats de la procédure en question, qui n’a pas pour but – mais seulement parfois, pour effet – d’entraîner la faillite d’une entreprise, peut être considéré comme un « détournement de pouvoir ».

Le « détournement de pouvoir » est l’un des moyens énumérés à l’article 263 du TFUE, invocables devant la Cour de justice pour contester une décision de la Commission ou d’une autre institution européenne. Il est défini par la jurisprudence comme « le fait, pour une autorité administrative, d’avoir usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés ».

En principe, l’objet d’une procédure formelle d’examen est de « déterminer si [telle mesure] présente le caractère d’une aide ([229]) » afin de demander, le cas échéant, la récupération des aides qui auront été considérées à l’issue de la procédure comme contraires au marché intérieur. Cette procédure « offre le meilleur moyen de garantir les droits des parties intéressées ([230]) ».

Comme l’explique M. Olivier Guersent, directeur général de la concurrence : « Le fait d’ouvrir la procédure n’implique pas par avance une condamnation de l’État membre. Au préalable, une enquête approfondie est menée, qui permet de déterminer si les soupçons initiaux d’infraction au traité sont fondés ([231]). » Ou encore le secrétaire général des affaires européennes, M. Emmanuel Puisais-Jauvin : « La Commission européenne n’a pas dit, dans ses écritures, qu’il s’agissait d’une aide d’État, que celle-ci était illégale et qu’il fallait la récupérer : elle a fait état des craintes sérieuses qu’elle avait à ce sujet. L’objet de l’enquête approfondie est précisément de vérifier si ces craintes sont fondées ou non ([232]). »

Cette façon théorique de procéder est toutefois démentie par la réalité des négociations. Mme Margrethe Vestager insistait en effet pour que le démantèlement de l’entreprise ait lieu dès 2023, ce qui revenait à exclure, de fait, l’hypothèse que l’examen conclue à une absence d’aides d’État contraires au marché intérieur. Et quand bien même : en exigeant que le démantèlement ait lieu le plus tôt possible, sous peine d’annuler ses promesses, la Commission rend ce démantèlement irréversible quel que soit le résultat de l’enquête et élimine ainsi a priori toutes les solutions que cet examen devrait permettre d’envisager.

La procédure d’examen a donc été vidée de sa substance, voire détournée de son objet. La possibilité d’un accord transactionnel avec la Commission n’est pas prévue par les traités ; ce processus, en l’absence de caractère officiel, prive l’État membre de toute garantie et de tout recours. Les négociations n’ont pas de caractère public et, de ce fait, leur conformité aux traités ne peut pas être vérifiée, ni la validité de certaines exigences, d’ailleurs imposées dans des conditions peu compatibles avec le principe de « coopération loyale » et dont les conséquences semblent contraires aux objectifs pour lesquels la procédure d’examen a été instituée. C’est le cas, notamment, des exigences contradictoires conduisant à la création d’une entreprise en situation concurrentielle mais sans viabilité économique et à la cession forcée d’activités qui ne trouveront pas de repreneur.

À la lecture des échanges entre la commissaire Vestager et le ministre Clément Beaune, on ne peut qu’être frappé du fait qu’à aucun moment il n’est question du fond du dossier, à savoir la nature des aides, leur montant et leur incidence sur le marché intérieur. Les discussions portaient uniquement sur les conditions du démantèlement de l’opérateur public.

La question des aides d’État n’était donc qu’un prétexte visant d’abord la réalisation d’un objectif politique. Dans un échange téléphonique avec Jean-Baptiste Djebbari du 26 octobre 2020, la commissaire en charge de la concurrence assume son projet de démantèlement systématique des opérateurs publics ferroviaires européens. La discontinuité de Fret SNCF, dit-elle, devrait pouvoir servir de « modèle » dans d’autres pays, à commencer par l’Allemagne. Cela signifie que cet objectif serait réalisé par un détournement de la procédure relative aux aides d’État.

La position de la Commission, à la fois juge et procureur, lui permet de conduire l’instruction en fonction du résultat recherché ; en droit interne, cette ambivalence serait contraire au principe à valeur constitutionnelle de séparation des fonctions de poursuite et de jugement qui impose notamment aux autorités administratives indépendantes de se doter de formations de poursuites de sanction distinctes ([233]).

Dans ces conditions, votre rapporteur ne peut que regretter que l’option d’attendre la conclusion de la procédure d’examen, quitte à en contester les conclusions devant la Cour de justice, ait été trop rapidement abandonnée au profit d’une solution dont les effets seront bientôt irréversibles et qui n’était peut-être pas inévitable. Votre rapporteur demande donc un moratoire sur l’application du processus de démantèlement qui, quoi qu’en dise la Commission, ne revêt aucun caractère urgent, afin de prendre le temps d’examiner les aides d’État litigieuses et d’y trouver le remède le plus approprié, dans le respect du principe européen de proportionnalité et des nouvelles priorités européennes en matière environnementale.

 

Recommandation n° 25 : Soumettre à l’avis consultatif d’un organisme indépendant, par exemple le Conseil économique et social européen (CESE), les solutions proposées par la Commission pour remédier aux distorsions de concurrence causées par des aides d’État, à chaque fois que l’entreprise bénéficiaire d’une aide d’État n’est pas en capacité de la rembourser.

4.   L’absence de recours effectif devant la Cour de justice de l’Union européenne

Les conditions de contestation d’une décision de récupération des aides d’État devant la Cour de justice de l’Union européenne sont elles-mêmes peu protectrices pour les États membres. En théorie, les États membres peuvent bien sûr former un recours contre une décision défavorable de la Commission européenne. Sauf que la décision de la Commission est immédiatement exécutoire, alors que les recours juridictionnels, eux, « n’ont pas d’effet suspensif ([234]) ».

L’absence d’effet suspensif du recours n’est en soi pas gênante quand la décision de récupération des aides illégales n’implique que leur remboursement. C’est d’ailleurs, en principe, le seul effet de la procédure de l’article 108 du TFUE. Mais quand l’entreprise est en incapacité de rembourser, sa faillite doit être organisée, et ce dans un délai de quatre mois ([235]). Les États membres doivent donc procéder à la liquidation de l’entreprise, puis demander au juge d’examiner si la décision de la Commission était bien conforme au droit européen… En pratique, la décision du juge intervient trop tard pour avoir un effet utile. « Quand bien même nous obtiendrions gain de cause devant le juge, dans un délai qui est en moyenne d’un an et demi, le mal aurait été fait ([236]). »

Pour s’assurer d’un « droit à un recours effectif », conformément à l’exigence inscrite à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, il faudrait donc que le recours devant la Cour de justice soit suspensif de droit si la décision de la Commission ne peut pas être directement appliquée ou peut entraîner sur des effets déstabilisateurs et irréversibles sur le marché.

 

Recommandation n° 26 : Modifier le règlement 2015/1589 du Conseil pour que les décisions de la Commission relatives à la récupération des aides d’État ne soient pas exécutoires avant l’issue du délai de recours et, le cas échéant, avant la fin de la procédure juridictionnelle, à chaque fois que l’application immédiate de la décision aurait des effets irréversibles sur l’économie.

 

 

 


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   conclusIon

Le présent rapport sera publié, s’il est adopté par la commission d’enquête, dans la deuxième quinzaine de décembre 2023, c’est-à-dire à un moment où certains processus inhérents au plan de démantèlement de Fret SNCF sont déjà engagés.

En particulier, des perspectives de reclassement des personnels sont en cours d’examen. Or il est loin d’être certain que les garanties sociales que les cheminots sont en droit d’exiger offriront un cadre équivalent en matière de rémunération, de formation ou de droits sociaux.

Par ailleurs, la première vague de discussions entre clients et opérateurs privés pour la reprise des vingt-trois flux opérés par Fret SNCF devrait être en cours d’achèvement, puisque le plan de discontinuité fixe comme objectif qu’il soit mis fin aux contrats de Fret SNCF au 31 décembre 2023 – avec cependant une possibilité de prorogation de six mois sous certaines conditions. À l’heure actuelle, on ignore encore quels flux seront repris, par quels opérateurs et selon quelles modalités.

Enfin, il était prévu que soient créées avant la fin de l’année les deux nouvelles entités – les « NewCo », dans le jargon de l’étude du cabinet McKinsey – auxquelles sera transféré en 2024 ce qui reste des activités de Fret SNCF dans le transport de marchandises d’une part, la maintenance d’autre part.

Une position consiste à considérer que le plan de discontinuité est « la moins mauvaise solution possible ([237]) » pour parer aux menaces exogènes pesant sur Fret SNCF, que le processus est déjà engagé et qu’il convient de le mener à son terme aussi rapidement et aussi « proprement ([238]) » que possible.

C’est la position du Gouvernement et, bien entendu, celle que la Commission européenne a soutenue devant la commission d’enquête.

Une autre position consiste à considérer :

– que si certains éléments du plan de discontinuité sont en effet mis en route, rien n’est irréversible ;

– qu’il faut continuer à travailler pour convaincre la Commission européenne à la fois du caractère erroné de nombre de ses analyses au sujet de Fret SNCF et des graves dangers que ce plan largement guidé par elle fait courir à l’activité de fret ferroviaire en France et, au-delà, à la politique de relance du ferroviaire et de verdissement du transport de marchandises engagée par les pouvoirs publics ;

– que mettre à exécution la menace d’enjoindre à Fret SNCF de rembourser 5,3 milliards d’euros d’aides considérées comme illégales reviendrait à détruire l’ensemble du secteur – on voit mal comment celui-ci pourrait survivre à la liquidation d’un opérateur représentant presque 50 % du marché et qui est le seul à offrir une couverture complète du territoire – et provoquerait un report massif du transport de marchandises vers la route.

C’est la position de votre rapporteur, qui souhaite que le présent rapport serve d’outil aux protagonistes – cheminots, SNCF et autres opérateurs ferroviaires de fret, chargeurs, Gouvernement, Commission européenne… – pour parvenir à une révision du processus en cours.

Ont notamment été mis en lumière :

● le caractère contestable du montant de 5,3 milliards d’euros à « rembourser », qui ne tient compte ni des nombreuses cessions d’actifs effectuées par la SNCF (emprises foncières, matériels, sociétés Akiem et Emerwa...) ni des externalités positives chiffrables de l’activité de Fret SNCF durant la période incriminée ;

● les graves incertitudes :

– quant à la viabilité des entités mises en place pour loger les activités restantes après le démantèlement de SNCF Réseau, nonobstant le renforcement des aides publiques au wagon isolé ;

– quant à la santé économique du secteur aujourd’hui – l’année 2023 sera sans nul doute marquée par une contraction importante de l’activité ([239]) – et demain ([240]) – on l’a vu en 2006, une libéralisation imposée dans des conditions d’attrition du marché est vouée à l’échec ;

● le risque que cette procédure de démantèlement ne retire aux aides mises en place leur efficience et ne mette en échec les politiques publiques volontaristes en faveur du fret ferroviaire, tant au niveau national qu’au niveau européen ;

● le caractère juridiquement contestable des pressions exercées depuis de longues années par le commissariat européen à la concurrence sur les autorités françaises pour que celles-ci fassent disparaître par discontinuité l’opérateur historique de fret ferroviaire ;

● l’inanité de la sanction encourue, totalement disproportionnée au regard du possible préjudice causé à des plaignants qui, du reste, ont retiré leurs plaintes et au regard de la modestie des marges qu’il est possible de dégager dans l’activité concernée ;

● l’absence de prise en compte par la Commission européenne de la concurrence faite par la route au rail ;

● l’absence de prise en compte par la Commission européenne de la nécessité d’intégrer les exigences de la protection de l’environnement dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union (article 11 du TFUE) ;

● la nécessité de conserver un opérateur public fort compte tenu des enjeux de souveraineté qu’emporte le transport ferroviaire de marchandises dans le domaine de l’énergie, notamment nucléaire, dans celui de l’industrie, dans le domaine militaire et dans la gestion de crises graves comme celle qu’a traversée notre pays en 2020 et 2021.

 

Recommandation n° 27 : Fixer un moratoire sur le plan de discontinuité proposé par le gouvernement français afin de réviser le processus de démantèlement de Fret SNCF à la lumière des travaux de la commission d’enquête.

Les travaux de la commission d’enquête mettent également en lumière la nécessité d’inscrire le développement du fret ferroviaire dans une politique publique coordonnée en matière de transports.

Des auditions des fédérations professionnelles des transporteurs routiers, des représentants du transport combiné, des responsables des grands ports français, ou encore de différentes entreprises de transport, on peut conclure que les acteurs souhaitent mettre fin à la guerre concurrentielle sauvage et mortifère entre le rail et la route engagée dans les années 1980-1990. Le transport routier est lui-même face à des enjeux de financement considérables pour la décarbonation de son activité. Ses représentants considèrent la complémentarité avec le rail comme essentielle à la mutation du secteur.

Privilégier le ferroviaire pour les acheminements sur de longues distances, notamment internationaux présente un avantage économique certain et un avantage environnemental considérable. Mais c’est aussi un facteur de progrès social : en réservant le transport routier aux trajets courts, on préserve le marché national de la concurrence des transporteurs est-européens à bas coûts salariaux et on rend plus attractif le métier de chauffeur routier – qui connaît actuellement une pénurie de main-d’œuvre –, puisque l’on permet au salarié de rentrer chez lui après sa journée de travail.

Le présent rapport explore les pistes de rétablissement, après le fiasco de 2014, d’une taxe poids lourds, ou écotaxe, pour restaurer notamment un équilibre avec le rail et dégager des financements pour la décarbonation des transports de marchandises en général.

Il formule également des recommandations pour améliorer l’environnement économique dans lequel évolue le transport ferroviaire de marchandises en France, notamment s’agissant des péages, dont le dispositif pourrait être modifié pour inciter le gestionnaire du réseau à améliorer la qualité de service et à laisser davantage de place aux circulations de fret.

Il préconise enfin un travail sur l’articulation fine entre les différents modes de transports et sur les conflits d’usage entre transport de voyageurs et transport de marchandises. Ce travail est souvent mené avec volontarisme par les collectivités locales, principalement les régions. L’accompagnement et la coordination au niveau national doivent impérativement se hisser au niveau des enjeux, au-delà de certains progrès constatés et de la volonté exprimée dans les annonces du Gouvernement.

 

Recommandation n° 28 : L’État stratège se doit de formaliser une politique de coordination des transports terrestres de marchandises intégrant un schéma national de transport logistique.

C’est pourquoi les propositions de programmation formulées par le Conseil d’orientation des infrastructures doivent rapidement trouver une traduction législative et financière. Tout comme le président David Valence, votre rapporteur appelle de ses vœux une planification robuste et de long terme, validée par le Parlement, de notre politique de transport – le premier acte en faveur d’une coordination des transports, en 1934, et la création d’une entreprise publique intégrée, la Société nationale des chemins de fer français, en 1937, montrent à quel point ces enjeux s’inscrivent dans un temps long. Une telle démarche suppose, on l’aura compris, de renforcer l’outil régalien qu’est la SNCF.

C’est dans le cadre d’une telle programmation que la concurrence entre les opérateurs doit être définie et régulée au service de l’intérêt général économique et environnemental. Un des enseignements que votre rapporteur tire des travaux de la commission d’enquête est que le processus de libéralisation du fret ferroviaire engagé au milieu des années 2000 ne s’est nullement accompagné d’une amélioration de la part modale du ferroviaire dans le transport de marchandises. Le déclin s’est poursuivi, fortement accentué par la crise de 2008-2009, et aucun des problèmes structurels du fret ferroviaire n’a été résolu. L’hypothèse, parfois entendue, selon laquelle la libéralisation aurait évité un effondrement complet de la part modale ne repose sur aucun argument sérieux.

En tout état de cause, une nouvelle étape de la libéralisation consistant à démanteler Fret SNCF conformément au vœu du commissariat européen à la concurrence aurait, elle, des conséquences particulièrement néfastes pour le transport ferroviaire de marchandises dans notre pays.

 

 


  1  

 

   RECOMMANDATIONS

 

Recommandation n° 1 : Inviter les pouvoirs publics à engager, avec les entreprises de la logistique, de la grande distribution et les marchés d’intérêt national une « revue des embranchements de fret ferroviaire » ouvrant droit à appel à projet pour les installations existantes du territoire.

 

Recommandation n° 2 : Généraliser et systématiser un volet d’étude de desserte ferroviaire pour tout projet d’entreprise stratégique, de plateforme logistique importante ou de parc d’activité d’intérêt régional ou métropolitain, notamment dans les projets éligibles au plan France 2030.

 

Recommandation n° 3 : Favoriser l’harmonisation des dispositions les mieux-disantes mises en œuvre par les grands ports français, notamment dans le cadre de leurs prérogatives en matière de domanialité publique, pour développer les infrastructures ferroviaires.

 

Recommandation n° 4 : Consolider les flux stratégiques existants de Fret SNCF, ou de ce qui constituera sa nouvelle entité.

 

Recommandation n° 5 : Capter des flux stratégiques nouveaux, comme celui des déchets.

 

Recommandation n° 6 : Définir un schéma d’accès spécifique au transport ferroviaire de marchandises à l’échelle de chaque département.

 

Recommandation n° 7 : Intégrer systématiquement les besoins du fret ferroviaire dans les projets de services express régionaux métropolitains.

 

Recommandation n° 8 : Majorer dès 2024 l’aide au wagon isolé.

 

Recommandation n° 9 : Si une nouvelle entité devait être créée, conserver dans sa dénomination le sigle « SNCF ».

 

Recommandation n° 10 : En cas de poursuite du plan de démantèlement :

 permettre à la nouvelle entité de reprendre les flux qu’elle a exploités en sous-traitance pendant trente-six mois si l’entreprise concurrente n’est pas en mesure, au bout de ce délai, d’opérer elle-même le flux ;

 ramener de dix à cinq ans le délai durant lequel la nouvelle entité ne peut revenir sur le marché des flux qui ont été cédés.

 

Recommandation n° 11 : Dans l’hypothèse d’une mise en application du plan de démantèlement, clarifier et préciser les garanties sociales en jeu et apporter des réponses à la hauteur des attentes des agents de Fret SNCF dans le cadre de la concertation et la négociation avec les organisations représentatives du personnel.

 

Recommandation n° 12 : Conformément au droit européen, réviser le projet de décret d’application de l’article L. 119-12 du code de la voirie routière pour :

 créer une véritable redevance pour coûts externes, distincte de la redevance d’infrastructure, dont le montant serait proportionnel aux externalités négatives induites ;

 affecter le montant de cette redevance à l’AFIT et non aux concessionnaires privés.

 

Recommandation n° 13 : Affecter une partie du produit de l’écotaxe régionale à l’AFIT.

 

Recommandation n° 14 : Instaurer une écotaxe nationale sur les poids lourds, applicable sur les routes nationales non concédées ni mises à disposition des régions. Le tarif de l’écotaxe, de l’ordre de 3 centimes d’euro par tonne et par kilomètre, serait modulé en fonction des performances environnementales et du poids du véhicule et son produit serait affecté à l’entretien et à la modernisation des infrastructures de transport. Le processus de mise à disposition des voies concernées au profit des régions serait facilité pour les régions qui en feraient la demande.

Le cas échéant, élargir cette écotaxe au réseau routier géré par les départements, sur décision du conseil départemental.

 

Recommandation n° 15 : Interdire le transport routier la nuit, sauf pour le transport combiné, et permettre en outre aux camions faisant du transport combiné d’exercer le dimanche.

 

Recommandation n° 16 : Interdire la circulation des poids lourds de 44 tonnes, sauf transport combiné et véhicules zéro émission.

 

Recommandation n° 17 : Étudier l’incidence qu’aurait l’interdiction de la circulation des poids lourds sur les voies les plus congestionnées en termes de report modal vers le ferroviaire.

 

Recommandation n° 18 : Modifier l’article 36 de la loi relative à la transition énergétique (2015) pour imposer aux pouvoirs adjudicateurs le choix d’un mode de transport peu polluant (ferroviaire, fluvial ou combiné) entre plusieurs offres équivalentes par ailleurs.

 

Recommandation n° 19 : Appliquer des majorations aux redevances d’infrastructure ferroviaire en fonction d’une segmentation fine du marché et de l’élasticité-prix de la demande. Les majorations pourront notamment porter sur :

 les trajets longue distance, au moyen par exemple d’une tarification marginale croissante en fonction du nombre de kilomètres parcourus au-delà d’un certain seuil ;

 le transport de marchandises insusceptibles d’être transportées par la route.

Le niveau plancher, correspondant au coût marginal minoré de la compensation publique, continuerait d’être appliqué pour les activités peu rentables (le wagon isolé) ou en forte concurrence intermodale.

 

Recommandation n° 20 : Segmenter l’offre de services ferroviaire en proposant des prestations optionnelles (exemple : durée de parcours garantie ; heure de départ et heure d’arrivée garantis ; sillons rapides ; réservation de sillons avec préavis court) qui viendraient majorer la redevance de base.

 

Recommandation n° 21 : Inscrire dans la loi le principe d’une corrélation entre l’évolution de la tarification globale des infrastructures ferroviaires et l’amélioration de la qualité de service.

 

Recommandation n° 22 : Augmenter les seuils de présomption de compatibilité des aides à 50 % du coût complet du service et à 100 % des externalités négatives évitées, dans le cadre de la révision annoncée des lignes directrices relatives aux aides d’État en faveur des entreprises ferroviaires.

 

Recommandation  23 : Inscrire dans une loi de programmation les investissements en faveur du fret ferroviaire prévus dans les deux prochaines générations de CPER, en précisant les montants prévisionnels investis, les projets, et la répartition des financements entre les différentes parties prenantes.

Tenir compte, le cas échéant, des financements issus d’une partie du produit de l’écotaxe (par exemple 18 %, en cohérence avec l’objectif de part modale du ferroviaire).

Prévoir dans cette loi de programmation un volet consacré à la formation aux métiers du ferroviaire et un volet sur la production industrielle de matériel roulant.

 

Recommandation n° 24 : Modifier le règlement 2015/1589 du Conseil pour donner la possibilité à la Commission de proposer des solutions alternatives à la récupération des aides (par exemple : la conversion de l’aide à récupérer en une amende imposée à l’État) à chaque fois que la procédure de récupération des aides aurait des conséquences disproportionnées pour l’entreprise bénéficiaire et pour le marché.

 

Recommandation n° 25 : Soumettre à l’avis consultatif d’un organisme indépendant, par exemple le Conseil économique et social européen (CESE), les solutions proposées par la Commission pour remédier aux distorsions de concurrence causées par des aides d’État, à chaque fois que l’entreprise bénéficiaire d’une aide d’État n’est pas en capacité de la rembourser.

 

Recommandation n° 26 : Modifier le règlement 2015/1589 du Conseil pour que les décisions de la Commission relatives à la récupération des aides d’État ne soient pas exécutoires avant l’issue du délai de recours et, le cas échéant, avant la fin de la procédure juridictionnelle, à chaque fois que l’application immédiate de la décision aurait des effets irréversibles sur l’économie.

 

Recommandation n° 27 : Fixer un moratoire sur le plan de discontinuité proposé par le gouvernement français afin de réviser le processus de démantèlement de Fret SNCF à la lumière des travaux de la commission d’enquête.

 

Recommandation n° 28 : L’État stratège se doit de formaliser une politique de coordination des transports terrestres de marchandises intégrant un schéma national de transport logistique.

 

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 13 décembre 2023, la commission a procédé, à huis clos, à l’examen du projet de rapport.

M. le président David Valence. Cette dernière réunion de notre commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir est consacrée à l’examen du projet de rapport et au vote sur son adoption. Je rappelle que la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a accepté, à la fin du mois de juin, la constitution de cette commission d’enquête, à la demande du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES et de notre collègue Hubert Wulfranc.

Notre réunion constitutive s’est tenue le 11 juillet dernier, mais nos travaux n’ont réellement débuté qu’en septembre. Entre le 12 septembre et le 14 novembre, soit en l’espace de deux mois, nous avons procédé à cinquante-cinq auditions et tables rondes représentant près de soixante-seize heures de réunion, au cours desquelles nous avons entendu cent sept personnes. Nous avons notamment auditionné tous les ministres chargés des transports depuis 1995 et tous les présidents de la SNCF depuis 1996, ce qui donne à nos travaux, un intérêt historique tout particulier.

Je rappelle également que des délégations de la commission d’enquête ont effectué des déplacements à la gare de triage de Woippy et à Fos-sur-Mer, où elles ont pu s’entretenir avec des cheminots, des cadres de terrain, des clients de Fret SNCF et des élus locaux.

Je tiens à remercier l’ensemble des membres de la commission d’enquête qui se sont investis dans nos travaux ; quelles que soient nos différences, nous sommes tous attachés à la pérennité d’une solution de fret ferroviaire publique, à même d’assurer une mission d’intérêt général à caractère économique. Je salue tout particulièrement le travail conduit par M. le rapporteur, qui a fait montre de qualités humaines exceptionnelles et d’une modestie dans le travail qui lui a permis de devenir, en quelques semaines, un réel expert du sujet – je me permets de le dire puisque j’ai beaucoup travaillé sur les transports ces dernières années ; je tiens à dire tout le plaisir que j’ai eu à travailler avec lui, même si – cela ne surprendra personne – je suis en profond désaccord avec certains points de son rapport.

Je vous propose d’organiser ainsi notre réunion : M. le rapporteur exposera tout d’abord les grandes lignes de son rapport et ses conclusions ; puis, je lancerai le débat par quelques remarques que m’inspire le rapport avant que nous n’entendions les commissaires qui souhaiteront s’exprimer ; à l’issue de cette séquence, M. le rapporteur pourra, s’il le veut bien, apporter les réponses et les précisions qu’il jugera nécessaires ; nous passerons enfin au vote sur l’adoption du projet de rapport.

La procédure s’inscrit dans un cadre précis.

En cas d’adoption, l’article 144‑2 du règlement dispose que le rapport « est remis au président de l’Assemblée. Le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret dans les conditions prévues à l’article 51, le rapport est imprimé et distribué. Il peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique. La demande de constitution de l’Assemblée en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, doit être présentée dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt au Journal officiel. » Pour respecter ce délai et compte tenu du fait que le dépôt sera, le cas échéant, publié au Journal officiel de demain, le rapport ne pourra être rendu public que le mercredi 20 décembre. Dans l’intervalle, aucune communication ne devra être faite des conclusions du rapport et du contenu non public de nos travaux.

En cas de rejet, le projet de rapport n’est pas publié et sa divulgation est passible de sanctions pénales. Le dernier alinéa de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 dispose que : « Sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l’article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information. »

J’indique d’ores et déjà que je m’abstiendrai lors du scrutin portant sur la publication du rapport, cette position pouvant évoluer selon les discussions que nous aurons avec M. le rapporteur. Les travaux sont suffisamment nourris pour qu’ils soient portés à la connaissance de l’Assemblée nationale et du public ; j’exprimerai, le cas échéant et dans une annexe, mes divergences avec les positions du rapporteur – ceux qui souhaitent apporter une contribution peuvent le faire jusqu’à vendredi 15 décembre, dix-huit heures.

M. Hubert Wulfranc, rapporteur. À mon tour de vous remercier, monsieur le président, pour l’animation efficace de nos travaux et, surtout, pour votre contribution, assise sur votre connaissance fine des questions relatives aux transports, à notre réflexion. Nous avons travaillé dans le respect des uns et des autres et avec sérieux, même si, comme vous l’avez indiqué, nous nous séparons sur les conclusions. Je tiens à remercier l’ensemble des collègues de la commission, dont la plupart, de toutes sensibilités, ont activement participé à nos auditions ainsi que les administrateurs qui nous ont accompagnés.

Je ne vais pas me livrer à un commentaire du rapport qui vous a été distribué. Je me contenterai de mettre en lumière trois points.

Nous nous sommes penchés sur une matière très complexe, largement méconnue voire volontairement ignorée, alors qu’elle se révèle stratégique comme la crise du covid l’a montré. La technicité industrielle du fret ferroviaire est extrêmement spécifique, tout comme son champ lexical – « radio ballast », « fretteux », « ITE », « wagon isolé », etc. La particularité industrielle du fret ferroviaire a été au centre de notre débat portant sur le modèle économique de cette activité.

Le deuxième enjeu a trait à l’empreinte écologique et sociale : la question de la participation du fret ferroviaire à la restauration des équilibres climatiques et de la biodiversité est très étudiée. Autour de ce thème, nous avons échangé sur la fiscalité et sur l’aspect économique du choix du mode de transport des marchandises à l’échelle européenne.

Enfin, la gestion du fret ferroviaire illustre, dans un temps long, les rapports d’un gouvernement d’un État membre, en l’occurrence celui de la France, avec la Commission européenne. Cette observation nous incite à interroger le bien-fondé des principes de l’Union européenne et du rôle de la Commission.

Voilà une présentation assez neutre du rapport ; vous en connaissez l’orientation politique, mais ces trois aspects – matière particulière, enjeu écologique et rapport institutionnel entre le gouvernement français et la Commission européenne – ont servi de fondement à notre réflexion. Chacun livrera, selon sa sensibilité politique, son appréciation des conclusions qui vous sont présentées aujourd’hui après trois mois et demi de travail intense, celles-ci n’ayant bien entendu pas vocation à répondre à l’ensemble des questions relatives au transport de marchandises dans notre pays et en Europe.

M. le président David Valence. Je me joins évidemment aux félicitations que vous avez adressées aux administrateurs de l’Assemblée nationale.

Nous avons travaillé dans le cadre des interrogations que M. le rapporteur avait soulevées au nom du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES.

La première question visait à déterminer si la libéralisation du fret ferroviaire à partir de 2005 avait eu un effet, négatif ou positif, sur l’évolution de la part modale du fret ferroviaire dans le transport de marchandises dans notre pays. Les facteurs de régression de la part du fret tenaient, d’abord, à la désindustrialisation de notre pays, qui a induit une contraction du volume des marchandises pondéreuses à transporter, à la concurrence avec la route, dont l’iniquité n’a été prise en compte qu’en 2010 par le législateur avec la création de l’écotaxe, et à la qualité du service fourni par l’opérateur public de fret ferroviaire – malgré toute l’affection que je porte à M. le rapporteur et le respect que son travail m’inspire, je regrette que cette question ne soit pas suffisamment mise en avant alors que de nombreuses personnes auditionnées en ont fait état ; soulever ce point ne revient absolument pas à remettre en cause l’attachement des salariés de Fret SNCF à leur travail et à leur mission de service public d’intérêt économique.

La libéralisation du fret ferroviaire n’a pas eu d’effet bénéfique sur l’évolution de la part modale en France, celle-ci s’étant maintenue dans une fourchette comprise entre 9 % et 12 %. Le tonnage transporté a fortement diminué, mais cette baisse a touché tous les modes de transport de marchandises. Ceux qui prônaient la libéralisation pour stimuler la demande de fret ferroviaire seront nécessairement déçus en lisant le rapport, mais ceux qui voyaient dans la libéralisation l’explication de tous les maux du secteur éprouveront la même frustration – on sent d’ailleurs un grand embarras sur ce point à la lecture du rapport.

Le fret a souffert, jusqu’à une date relativement récente, d’un défaut de priorisation au sein du groupe public ferroviaire, lequel n’a pas apporté suffisamment de soin, affecté suffisamment de cadres de bon niveau et développé de stratégie autre que malthusienne. Il a également souffert des lacunes des politiques publiques dans ce domaine pendant des décennies. Le rapport le note, mais il faut le dire avec plus de force : jusqu’en 2021, il n’y avait aucune aide au wagon isolé en France, contrairement à d’autres pays européens ; jusqu’à cette date, l’aide au transport combiné, dite « aide à la pince », et l’aide au péage étaient notoirement plus faibles en France que chez nos voisins.

Jusqu’à 2009 et le premier plan de relance non pas de Fret SNCF mais du fret, conçu par Jean-Louis Borloo, le lien entre la transition écologique et le fret ferroviaire n’occupait pas le cœur des politiques publiques du secteur. Ce plan n’a pas produit beaucoup d’effets, mais il fut la première tentative de déploiement d’une stratégie globale qui ne soit pas une simple tentative de relancer Fret SNCF.

Les réorganisations et les repositionnements stratégiques successifs ainsi que le changement de nom ont été de nature à déstabiliser les salariés et le secteur du fret : les mêmes causes auraient produit les mêmes effets dans n’importe quelle autre entreprise, publique comme privée.

Le deuxième grand thème concerne le tournant de 2021. Je pense avoir présidé les travaux de la commission d’enquête avec impartialité, mais il faut reconnaître – comme l’ont fait l’ensemble des acteurs de l’Alliance fret ferroviaire français du futur (4F) auditionnés – qu’il s’est passé quelque chose d’important cette année-là, même si d’autres chemins auraient pu être empruntés, même s’il y avait des assurances à donner et même si une temporalité plus longue devait être dessinée. Le Gouvernement a choisi, en mai 2023, l’option de la discontinuité pour répondre à l’enquête publique approfondie lancée par la Commission européenne au début de cette année.

Les gouvernements français successifs avaient-ils sous-estimé la menace avant janvier 2023 ? Les documents auxquels vous avez eu accès, monsieur le rapporteur, montrent que l’on peut répondre par la négative à cette question. En effet, des échanges réguliers – parfois plus denses que ce dont les acteurs se souvenaient – se sont tissés entre la Commission européenne et les gouvernements pendant de nombreuses années. Le comblement régulier des déficits de Fret SNCF à partir de 2006 était bien de nature à constituer une aide d’État ; en outre, le statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC) pouvait apparaître comme une structure d’aide d’État ; enfin, aucune aide d’État n’a été notifiée par les gouvernements français jusqu’à une date relativement récente. Les États membres ayant conduit des politiques de soutien à leurs opérateurs publics de fret ferroviaire comparables ont systématiquement notifié leurs aides ; dans le cas français, le directeur de la concurrence a constaté l’absence de notification. Il y a lieu de s’interroger sur l’effet produit par un tel choix : le regard particulièrement sévère posé par la Commission européenne sur la situation de Fret SNCF peut en partie s’expliquer par cette orientation.

Je ne m’étendrai pas sur les arguments que vous faites valoir, monsieur le rapporteur, pour défendre le soutien apporté à Fret SNCF pendant de nombreuses années. Ils reprennent pour partie, avec un ton nécessairement différent, ceux que le Gouvernement a produits. Nos travaux l’ont montré et vous l’écrivez dans le rapport, le Gouvernement a défendu de manière répétée, dès 2018, l’opérateur public de fret ferroviaire. Le covid a suspendu les échanges entre 2020 et 2021 : il est donc difficile de défendre la thèse d’un bras de fer entre le Gouvernement et la Commission durant cette période.

Un point n’a pas été complètement éclairci par nos travaux, malgré la ténacité de notre rapporteur : nous ne savons pas vraiment quel rôle a joué, dans la transformation du groupe public ferroviaire en société anonyme (SA), et donc de Fret SNCF en société par actions simplifiée (SAS), la volonté de répondre au reproche relatif au statut d’EPIC au regard de sa conformité au droit européen.

La décision prise en mai 2023 par le Gouvernement est-elle la bonne ? C’est une question d’appréciation du risque. Lorsque la Commission européenne a entamé une procédure, au mois de janvier, les chargeurs, et singulièrement les chargeurs captifs, ceux qui font rouler beaucoup de wagons isolés, pour lesquels Fret SNCF reste l’opérateur de référence même s’il n’est plus seul, se sont inquiétés. L’incertitude des clients de Fret SNCF a été exprimée avec force et il faut l’entendre. Je me souviens notamment de notre échange avec ArcelorMittal.

Le rapport détaille les contours du plan de discontinuité : création de deux entreprises distinctes, cession de vingt-trois flux, interdiction faite à la SNCF de candidater pendant dix ans sur ces marchés... C’est un crève-cœur pour l’entreprise publique, le ministre délégué aux transports l’a dit. Ce plan est toutefois moins brutal que d’autres subis par le passé, en ce qui concerne tant les cessions de volume d’activité que le chiffre d’affaires.

Le marché du fret ferroviaire va être profondément ébranlé. Toutes les solutions ne sont pas trouvées ; la part de sous-traitance sera sans doute importante pendant les premiers mois, voire les premières années. Mais nous avons aussi établi que beaucoup des flux cédés sont captifs : on ne transporte pas du jour au lendemain des substances chimiques, des matières dangereuses, des bobines chaudes ou des céréales sur la route quand on les transportait par le rail. Nous sommes dans une situation difficile, voire inextricable, mais il est nécessaire d’organiser ces cessions et ces sous-traitances dans les meilleures conditions possible au cours des mois qui viennent.

Encore une fois, chacun ici a la liberté de se prononcer comme il l’entend. Ce qui nous sépare, c’est l’évaluation du risque réel qui pesait sur Fret SNCF. Personne ne dit que le Gouvernement n’a pas fait preuve d’une volonté signalée de préserver un opérateur public de fret ferroviaire.

Nous pouvons nous retrouver sur l’interrogation concernant l’évolution du droit européen, encore très marqué par le respect du droit de la concurrence et pas encore suffisamment par l’attention à la transition écologique, préoccupation majeure de nos générations.

L’une de vos recommandations, monsieur le rapporteur, est de modifier le plan de discontinuité : vous espérez que des pressions de la France pourraient permettre de ramener de dix à cinq ans le délai après lequel Fret SNCF pourra reprendre des flux.

Vous revenez aussi sur les limites, à l’avenir, du soutien public au secteur du fret ferroviaire : il pourra être de l’ordre de 30 % de l’activité constatée ; au-delà, nous risquerions une nouvelle procédure de la Commission européenne.

Vous insistez sur la nécessité de rétablir une concurrence plus juste avec la route. J’ai peur que vous ne vous berciez d’illusions sur les effets d’une écoredevance sur le report modal – écoredevance à laquelle je suis par ailleurs favorable, et pas seulement à une échelle régionale.

Vous insistez – peut-être pas assez à mon goût – sur le caractère exceptionnel de l’investissement de 930 millions annoncé dans les lettres de mission envoyées aux préfets de région. Ce sera la première fois que tous les contrats de plan État-régions (CPER) comprendront un volet consacré au fret ferroviaire. Vous vous réjouissez que les collectivités territoriales s’emparent de ce sujet, ce qui n’était pas le cas pendant longtemps : là encore, vous pourriez à mon sens insister davantage.

Vous vous interrogez sur la nécessité de mobiliser d’autres marchés, d’autres crédits. Ainsi, les certificats d’économie d’énergie (C2E) sont très mobilisés sur des enjeux énergétiques, peu sur des enjeux de transport. Ils pourraient pourtant être utiles, notamment pour l’équipement et le matériel. Ce sont des entreprises ferroviaires qui nous l’ont dit.

Je terminerai sur un sujet moins consensuel : celui de la concurrence intramodale. Les salaires chez Fret SNCF sont significativement différents de ceux versés par les autres opérateurs de fret ferroviaire, ce qui l’affaiblit par rapport à ses concurrents.

Je redis tout le plaisir que j’ai eu à travailler avec vous, monsieur le rapporteur, et tout ce que vous m’avez appris.

M. Gérard Leseul (SOC). Merci pour ce beau rapport. Le fret ferroviaire est en déclin depuis un demi-siècle, c’est-à-dire depuis les années 1970 et la fermeture des industries lourdes, mais il a aussi subi des politiques souvent erratiques : nous partageons le diagnostic du rapporteur, qui souligne à juste titre que les discussions avec la Commission européenne, qui place la libre concurrence au cœur de son action, sont souvent difficiles.

L’activité de fret ferroviaire a pu devenir la caricature d’un service public abandonné sans orientation politique, privé d’aides, avec des wagons égarés et des retards fréquents. Les industriels ont alors privilégié la route. Le fret ferroviaire a été ouvert à la concurrence alors que la SNCF n’y était pas prête. Les défauts de Fret SNCF ont contribué au succès de plusieurs de ses concurrents.

Le rapport analyse la façon dont l’application par la Commission européenne du principe de concurrence libre et non faussée s’est accompagnée d’un aveuglement environnemental : la concurrence entre rail et route est déséquilibrée.

Des facteurs de tous ordres ont abîmé la performance de Fret SNCF. Le climat social a été difficile. L’intermodalité entre le rail et la mer, entre le rail et les fleuves, est trop faible ; le réseau ferré est peu adapté aux conteneurs maritimes. L’aide à la pince est aléatoire, les aides au wagon isolé inexistantes, le ferroutage balbutiant.

Je ne reviens pas sur le bras de fer – un peu mou – entre la France et la Commission européenne. Il nous faut une véritable vision stratégique : la part du fret ferroviaire dans notre trafic de marchandises est trop faible : 11 %, contre 13 % en Italie, 19 % en Allemagne, 22 % en Pologne. Le Gouvernement s’est engagé à faire passer la part du fret ferroviaire à 18 %, mais je ne suis pas certain que cet objectif puisse être atteint dans les conditions actuelles.

Je partage l’essentiel des recommandations, en particulier la dernière : l’État doit formaliser une politique de coordination des transports terrestres de marchandises et élaborer un schéma national des transports logistiques.

Nous soutiendrons aussi l’idée d’un moratoire sur le plan de discontinuité, afin de réviser le processus de démantèlement de Fret SNCF, eu égard à la responsabilité environnementale du Gouvernement.

M. le président David Valence. Le terme de « démantèlement » est l’un de mes points de désaccord majeurs avec le rapport. Nos travaux montrent au contraire, je crois, que le Gouvernement a défendu l’existence d’un opérateur public de fret ferroviaire. La densité des échanges avec la Commission avant 2023 en a surpris certains ici. C’est pour préserver une solution publique que le plan de discontinuité a été élaboré : personne n’a pu apporter la preuve du contraire.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Je m’associe aux remerciements adressés au rapporteur et au président. J’ai beaucoup apprécié le climat apaisé, la qualité du travail de la commission et la diversité des personnes auditionnées. Moi-même ancien cheminot, j’ai beaucoup appris. J’ai aussi pris du plaisir à entendre mes anciens patrons de la SNCF venir dire que la concurrence n’était finalement pas un remède miracle, comme ils l’ont longtemps prétendu.

Nous soutiendrons la proposition de moratoire sur la discontinuité formulée par le rapporteur.

Ce rapport met en évidence l’envie qui existe chez les chargeurs de notre pays d’utiliser le fret ferroviaire. La question écologique est désormais mieux prise en considération. Nos travaux ont montré la responsabilité de la SNCF dans l’impréparation de Fret SNCF lors de l’ouverture à la concurrence : rappelons que Fret SNCF était passé de 12 000 à 5 000 cheminots et que les plans de restructuration, qui consistaient essentiellement à diminuer les moyens, se sont succédé. L’ancien patron de la SNCF, M. Guillaume Pepy a reconnu que l’achat de Geodis était un échec.

Nos travaux ont aussi permis de constater que le développement du fret ferroviaire doit s’inscrire dans un schéma global qui embrasse aussi les marchés d’intérêt national, les ports, l’aménagement du territoire, la stratégie économique… Nous considérons, nous, qu’il est dès lors indispensable de disposer d’un acteur entièrement public, libéré des logiques de la concurrence et des marchés, et que cette stratégie globale doit être pilotée au niveau national.

Le fret ferroviaire doit être une priorité : c’est un moyen de redynamiser les territoires, de faire baisser nos émissions de gaz à effet de serre et de relancer une dynamique économique. La discontinuité met au contraire en difficulté l’opérateur public. Vous avez parlé de flux captifs, monsieur le président ; nous nourrissons tout de même de grandes inquiétudes à ce sujet. Par ailleurs, en enlevant vingt-trois flux parmi les plus rentables et 500 cheminots à l’opérateur et en l’empêchant de candidater sur ces marchés pendant dix ans, on fait partir le nouvel opérateur avec un boulet au pied, alors qu’il était déjà très fragile. Nous regrettons que le Gouvernement ne se soit pas opposé plus fermement à la Commission, d’autant que nous n’avons aucune garantie sur le fait que la procédure proposée par M. Beaune écarte toute demande de remboursement. Le risque d’une liquidation totale de Fret SNCF existe, et ce serait catastrophique.

Nous voterons pour l’adoption du rapport.

M. Nicolas Ray (LR). Je souligne à mon tour l’intérêt du rapport, comme de l’ensemble des travaux de la commission d’enquête. Il dégage des pistes pour améliorer la part du rail dans le transport de nos marchandises. Nous nous retrouvons dans nombre des recommandations que vous formulez, notamment celle d’un État stratège en matière de transports terrestres de marchandises, dans le respect d’une vision gaulliste que défend le groupe Les Républicains, et celle qui demande l’inscription dans une loi de programmation des investissements prévus dans les CPER pour le développement du fret ferroviaire. D’autres nous paraissent plus contestables, notamment celles relatives au transport routier. Ainsi, vous proposez d’interdire le transport routier de nuit. Or les opérateurs nous l’ont tous dit : les modes de transport sont complémentaires. L’incitation nous paraît préférable à l’interdiction.

Quant au plan de discontinuité, le rapport rend bien compte de l’idéologie de la Commission européenne et de ses méthodes. Vous allez jusqu’à parler de « détournement de pouvoir », un terme fort, qui doit nous inquiéter. Je partage aussi le constat d’une absence de proportionnalité entre le manquement d’une part – une simple absence de notification –, la sanction et ses conséquences d’autre part. Je regrette enfin, comme vous, qu’un recours ne soit pas suspensif : cela paraît aberrant quand l’Union européenne se veut un espace de droit et de justice.

Je nourris des doutes sur la faisabilité du moratoire que vous proposez. Mais la discontinuité est en effet une décision lourde : il est indispensable d’explorer toutes les voies qui permettraient de préserver l’opérateur public, et plus généralement le fret ferroviaire.

M. Nicolas Sansu (GDR-NUPES). Je félicite à mon tour le rapporteur, qui a mis ce sujet à l’ordre du jour. Nous voulons tous réussir la transition écologique, et pour cela il nous faut nous intéresser aux modes de transport que nous utilisons. Le Gouvernement affiche un objectif de 18 % pour le fret ferroviaire, conformément à la loi « climat et résilience » : nous en sommes très loin, et les investissements dans les infrastructures comme dans les matériels ne seront pas suffisants, on le sait déjà. Ce rapport fera date : il établit l’ampleur des efforts qui doivent être consentis.

Ce rapport montre que le fret a été le parent pauvre de la SNCF comme de l’État, qui a abandonné des lignes et préféré développer la très grande vitesse. Il nous éclaire de manière remarquable sur des décennies de libéralisation du fret. Je souscris aux propos du président Valence : on ne peut que regretter que le prisme de la concurrence prime sur celui de la transition écologique dans les décisions de la Commission européenne – je résume à grands traits, monsieur le président !

Pour passer de 10 % à 18 %, un opérateur public fort n’est-il pas indispensable ? Non seulement il laisserait de la place à d’autres, mais il soutiendrait la demande. Le risque du plan de discontinuité, c’est d’affaiblir l’opérateur public et d’empêcher finalement l’ensemble du secteur du fret ferroviaire de se développer. Croire que les opérateurs privés remplaceront l’opérateur public est un non-sens et, sans opérateur public, des services comme le wagon isolé seront en grande difficulté.

En réalité, il y a toujours eu des aides au wagon isolé, mais elles passaient par un remboursement de l’EPIC de tête à l’EPIC chargé du fret. Elles n’étaient pas notifiées comme telles, mais c’est bien de cela qu’il s’agissait. Il est dommage que la Commission européenne n’accepte pas les réponses du Gouvernement.

Nous avons fini par comprendre que, depuis 2018, le Gouvernement a échangé avec la Commission sur l’idée d’une discontinuité. On peut s’en étonner : au cours des auditions, certaines des personnalités les plus importantes et les plus influentes de notre pays nous ont dit qu’il y avait eu très peu de rapports entre le Gouvernement et la Commission ; or il s’avère que ces discussions ont bien lieu. Il y a dès 2018 un problème de transparence vis-à-vis de la représentation nationale, des cheminots et des chargeurs. Il est dommage d’en arriver là. Le Gouvernement aurait été plus fort avec le soutien de la représentation nationale, et aurait pu amortir les effets du plan de discontinuité sur les cheminots et sur Fret SNCF.

Le groupe GDR souscrit évidemment aux recommandations du rapporteur, que je félicite à nouveau, juste avant son prochain départ de l’Assemblée nationale. Ce rapport relancera la dynamique autour d’une réforme de l’organisation des transports dans notre pays.

M. le président David Valence. Avant 2021, l’État français n’apportait aucune aide au wagon isolé à l’entreprise ferroviaire, qui devait se débrouiller seule. C’est un fait établi. La Commission européenne considérait certes qu’il y avait des aides d’État, mais je m’étonne que vous adoptiez son point de vue...

Mme Mathilde Desjonquères (Dem). Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous remercie tous les deux pour la qualité de nos échanges lors des auditions.

Je ne répéterai pas ce qui a déjà été dit car je souscris entièrement à l’analyse de M. le président.

La libéralisation du fret a-t-elle eu des effets négatifs ? Le rapport fait de ce phénomène un point névralgique, un problème, la cause du manque de développement du fret, ce qui me semble un peu réducteur. L’Allemagne et l’Italie ont connu une évolution différente.

Vous évoquez également, monsieur le rapporteur, le « démantèlement » d’un opérateur public. Ce terme, extrêmement fort, me semble parfois décalé par rapport aux auditions auxquelles j’ai assisté.

Cette commission d’enquête aura eu le mérite de mettre en lumière l’importance du développement du fret ferroviaire dans le cadre d’une politique publique coordonnée. Les attentes du terrain sont fortes. J’ai récemment échangé avec Axéréal, une entreprise de mon territoire, qui déplore l’annulation régulière de sillons.

M. le président David Valence. Les données européennes publiées dans le rapport montrent qu’en Allemagne, la part de la route dans le transport de marchandises a augmenté ces quinze dernières années. La part du chemin de fer ne s’est pas trop dégradée : elle a diminué à certains moments, augmenté à d’autres, mais elle est restée élevée. C’est en réalité le transport fluvial qui a perdu du terrain. Si l’on analyse l’évolution des parts modales à l’échelle européenne depuis 2005 ou 2006, on s’aperçoit que la situation de la France n’est pas très différente de celle de ses voisins : malgré de légères évolutions, la part modale du fret ferroviaire stagne plus ou moins.

M. Jean-Marc Zulesi (RE). Permettez-moi d’exprimer ma satisfaction devant le travail réalisé par cette commission d’enquête et de souligner le lien fort que nous avons tissé avec un parlementaire qui a marqué l’histoire de notre assemblée. Cela fait six ans que nous travaillons avec Hubert Wulfranc. Lors de l’examen de la loi d’orientation des mobilités, nous avons mené ensemble le combat pour faire comprendre au Gouvernement la nécessité d’élaborer une stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire. Vous restez, monsieur le rapporteur, constant dans votre engagement, que ce soit à l’Assemblée nationale ou sur le terrain, bien au-delà de votre circonscription – j’en ai été témoin lors de votre visite à Fos-sur-Mer.

Ce rapport n’est pas une fin en soi. Nous avons la responsabilité d’assurer ce que j’appelle souvent le « service après-vote ». La question de la libéralisation a été très bien résumée par le président Valence : cette évolution n’a été ni néfaste ni bénéfique au fret ferroviaire. Je rejoins les interventions de mes collègues s’agissant de l’approche européenne du sujet.

La majorité présente le plan de discontinuité comme une solution, certains parlant de « moins mauvaise solution », d’autres de « mauvaise solution ». M. le rapporteur relevait lors de notre déplacement à Fos-sur-Mer que le terme commun à ces deux expressions est l’adjectif « mauvais ». Nous avons aujourd’hui le devoir de convaincre du bien-fondé de cette solution.

Pour ce faire, nous devons traiter deux sujets essentiels : le volet social, qui me paraît prioritaire, et le sujet du report modal. Le rapport, au-delà de la question de la libéralisation, propose un certain nombre de mesures tout à fait intéressantes. Je n’arriverai malheureusement pas à vous convaincre, monsieur le rapporteur, de rester quelques mois supplémentaires avec nous pour défendre ces propositions dans le cadre de ce qui pourrait être une stratégie nationale revisitée pour le développement du fret ferroviaire. Le rapport met en avant certaines marges de manœuvre intéressantes, s’agissant notamment des C2E, ou encore du potentiel exceptionnel que représente le fret ferroviaire pour l’industrie du déchet.

J’aimerais appeler votre attention sur la question du financement. Lors de la discussion de la loi « climat et résilience », dont j’étais rapporteur pour le volet transports, j’ai assumé de remettre sur la table le sujet de la création d’une contribution spécifique au transport routier. Dans le cadre du débat parlementaire, nous avons décidé de laisser cette responsabilité aux régions, considérant que si ces dernières prenaient le risque politique d’instaurer une telle contribution, il serait logique que le produit de la redevance leur revienne. Il était hors de question que l’État récupère les recettes de cette redevance par le biais de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France), comme vous le proposez. Je tiens à ce principe, dont nous étions convenus à l’époque, et je continuerai de le défendre. Notre responsabilité est d’inviter les régions à suivre l’exemple du Grand Est, qui s’est engagé dans cette dynamique.

Voilà ce que je voulais vous dire, avec beaucoup d’humilité. J’espère vous avoir convaincu, monsieur le rapporteur, d’annoncer mardi prochain votre décision non de quitter l’Assemblée nationale, mais d’y rester quelques mois supplémentaires pour assurer le service après-vote de votre rapport !

Mme Mireille Clapot (RE). Je salue à mon tour la qualité du travail de cette commission d’enquête. J’ai été assez assidue pour apprécier le respect qui a prévalu lors de nos travaux, y compris entre députés ne partageant pas forcément les mêmes opinions.

Ce travail apporte un certain nombre de clarifications. La technicité ferroviaire est bien expliquée dans le rapport. Nous sommes tous favorables au fret ferroviaire, non seulement du fait de son empreinte écologique, mais aussi parce que nous soutenons les cheminots et les « fretteux » – pour reprendre un terme utilisé lors de nos travaux –, dont nous ne voulons pas que le savoir-faire se perde.

Nous regrettons tous la dissymétrie constatée entre le chemin de fer et la route. Si M. le président a relevé tout à l’heure que la part modale du fret ferroviaire était finalement assez stable – autour de 10,6 % ou 11 % –, on constate une tendance lourde et continue à la baisse du tonnage transporté. Cette évolution s’explique par des facteurs endogènes, tels qu’un défaut de priorisation par rapport à l’activité voyageurs, et exogènes, comme la désindustrialisation. Nous pouvons cependant tous saluer la politique significative de soutien à ce mode de transport menée depuis quelques années, dans le cadre de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, qui se traduit par des aides financières à hauteur de 330 millions d’euros. Je voulais souligner ces faits, qui sont mentionnés dans le rapport.

Au vu des auditions auxquelles j’ai assisté, le risque financier est réel et nous pouvons tous convenir que l’exécutif a cherché à le réduire le plus possible en faisant le choix de la discontinuité. J’entends les contestations mais, s’agissant des autres options possibles, je reste sur ma faim – c’est le principal problème que me pose ce rapport. On peut critiquer ce qui a été décidé, mais à condition de formuler d’autres propositions. Ne rien faire n’est pas une solution.

J’en viens à des remarques plus ciblées sur ce rapport, dont je redis la qualité. Je déplore qu’il comporte autant de termes négatifs, comme celui de « démantèlement », qui revient tout le temps. Je me suis amusée à chercher des synonymes, et j’ai trouvé « démolition », « destruction », « abolition », « désorganisation », « déconstruction », « extinction », « disparition » – je vous épargnerai « dissolution ». Tous ces synonymes sont très négatifs : je ne peux donc pas cautionner un emploi aussi systématique de ce terme dans le rapport.

En outre, certaines relations de cause à effet me semblent abusives. Vous écrivez ainsi que « le droit européen de la concurrence a exigé une libéralisation progressive du secteur ferroviaire, qui aboutit aujourd’hui au projet de démantèlement de Fret SNCF » : vous refaites a posteriori un enchaînement qui n’est pas démontré. Vous prétendez également que « les aides d’État sont un prétexte utilisé par la Commission européenne pour réaliser un objectif de longue date : le démantèlement de l’opérateur public ». On est quasiment dans le complotisme : je ne peux absolument pas m’associer à une telle affirmation. C’est dommage ; les titres des parties sont un peu excessifs par rapport à leur contenu.

À l’instar de M. le président, je regrette l’absence de focus sur la qualité de service. J’ai bien sûr ma propre grille de lecture, que je garde de l’époque où je faisais des achats, y compris dans le secteur de la logistique. Quand on est chargeur, on n’a pas de présupposés idéologiques : ce qu’on cherche, c’est la confiance, la ponctualité, la fiabilité, la qualité de service, l’absence d’annulation des transports. Je n’ai pas lu grand-chose là-dessus, excepté une mention lorsqu’est évoquée l’éventualité d’une modulation des péages en fonction de la qualité de service.

Je regrette également que vous consacriez tant de pages à l’écotaxe et que vous insistiez autant sur cette proposition assortie de modalités pas très satisfaisantes.

Je déplore en outre que vous parliez autant des investissements relatifs aux infrastructures. Il est aussi possible d’investir pour améliorer la qualité de service que je viens d’évoquer.

La structure des coûts du fret ferroviaire, qui diffère de celle d’autres modes de transport, aurait pu faire l’objet de développements plus importants. Cela nous aurait peut-être amenés à aborder la question des différences de coût du travail évoquée par M. le président.

En dépit de toutes les qualités que je reconnais à ce rapport, je ferai comme M. le président : je m’abstiendrai.

M. le président David Valence. On peut effectivement considérer que le terme « démantèlement » ne traduit pas exactement la volonté du Gouvernement de préserver ou de recréer une solution de fret ferroviaire public – c’est pourtant bien ce qui va arriver.

M. Hubert Wulfranc, rapporteur. M. le président de la commission du développement durable a dit tout à l’heure que ce rapport n’était pas une fin en soi. Effectivement, il ne l’est ni par son diagnostic idéologiquement orienté – il vient d’être commenté par des parlementaires d’autres sensibilités avec d’autres clés de compréhension –, ni par les préconisations qu’il comporte et qui continueront d’être débattues. L’élaboration d’un plan de cohérence des transports terrestres, qui s’avère particulièrement nécessaire, mériterait notamment d’être précisée. Sans revenir à l’aménagement du territoire mis en œuvre par la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR), chère à mon cœur, dans les années 1970 et 1980, en dehors de tout contexte de concurrence, cette préconisation, à laquelle a réagi un collègue tout à l’heure, pourrait sans doute retenir l’attention.

Je souscris aux propos du président Zulesi : ce rapport est mis à votre disposition pour que vous l’utilisiez. Un travail est entamé, comme nous avons encore pu le voir ce matin lors de l’audition par la commission du développement durable du candidat à la présidence du conseil d’administration d’AFIT France. Sont posées la question du vote d’une loi de programmation pluriannuelle, ainsi que celle des recettes, qu’il conviendrait de consolider afin de favoriser sur le long terme les modes de transport les plus vertueux du point de vue écologique. Je le répète, ce rapport comporte des propositions qui ne sont pas cloisonnées mais sur lesquelles tout un chacun pourra travailler, en fonction de sa sensibilité.

Je ne peux nier qu’en déposant ce rapport, j’honore une commande politiquement orientée qui consiste à décrire, en observant notamment la trajectoire de l’Union européenne, une volonté ancienne, jamais démentie et sans cesse réaffirmée, de mettre à genoux les opérateurs historiques des industries de réseaux – les « opérateurs protégés », pour reprendre l’expression utilisée dans l’accord conclu en 2005 entre la France et l’Union européenne, lequel a autorisé une première et unique aide d’État qui, depuis, a fait couler beaucoup d’encre. Cette affirmation n’est en rien complotiste. On m’en a pourtant fait le reproche : au début de nos travaux, un administrateur des services de l’Assemblée nationale a voulu me dissuader de bâtir un rapport sur cette idée ! Au fur et à mesure, pourtant, nous avons décortiqué cette trajectoire et avons pu vérifier, tranquillement, que cette idée correspondait souvent à la stricte réalité des faits. On ne s’inscrit même plus dans la concurrence libre et non faussée : la concurrence intermodale avec la route a détruit le fret ferroviaire. Il n’en demeure pas moins que l’objectif ultime de la Commission européenne est bien de banaliser l’opérateur public de fret ferroviaire, considéré comme une entreprise privée, ce qu’il n’est pas encore.

Ce rapport est donc à vous. Faites-en bon usage !

M. le président David Valence. Avant de passer au vote, je vous indique que Mme Christine Arrighi, contrainte de quitter notre réunion, m’a fait savoir que le groupe Écologiste-NUPES était favorable à l’adoption du rapport.

La commission adopte le rapport.

M. le président David Valence. Mes chers collègues, je vous invite à respecter la confidentialité de ce rapport jusqu’au 20 décembre, ce qui permettra à M. le rapporteur de présenter lui-même ses conclusions devant la presse.

Je vous remercie de votre implication dans nos travaux, qui font honneur au Parlement.

La réunion s’achève à dix-huit heures vingt.

 


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   CONTRIBUTIONS des groupes politiques et des députés

 


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1.   Contribution de M. David Valence (Renaissance), président de la commission d’enquête

 

             

La création d’une commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir a été validée le 27 juin 2023 par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale.

 

C’est au groupe de la Gauche démocratique et républicaine, dans le cadre de son « droit de tirage », que revient l’initiative du dépôt de la proposition de résolution à l’origine de cette création – le 2 juin 2023. Et c’est en toute logique qu’un membre de ce groupe, notre collègue Hubert Wulfranc, a été désigné comme rapporteur lors de la première réunion de la commission d’enquête, le 4 juillet 2023.

 

À cette occasion, les grands principes d’organisations de nos travaux ont été posés, après concertation préalable entre le rapporteur et le président jusqu’alors pressentis.

 

Deux axes se sont vite dégagés. Il s’agissait d’abord de déterminer si la libéralisation du marché du fret ferroviaire en France avait joué un rôle – à partir de 2005-2006 – dans le déclin de la part modale du fer pour le transport de marchandises en France jusqu’à une date récente. Les travaux de la commission d’enquête devaient ensuite interroger la décision du Gouvernement (mai 2023) de retenir une solution de discontinuité pour protéger l’opérateur public de fret ferroviaire d’une condamnation par les institutions européennes pour des aides d’État récurrentes et non notifiées.

 

Les auditions ont débuté le 12 septembre 2023 avec l’ancien ministre Jean-Claude Gayssot et l’ancien dirigeant de Fret-SNCF Francis Rol-Tanguy. Elles se sont achevées 2 mois plus tard, le 14 novembre 2023, par des échanges avec des représentants du transport routier de marchandises. Entre ces deux dates, la commission d’enquête a réalisé plus de 75 heures d’auditions avec 107 intervenants différents, venus d’horizons très variés et ayant exercé des responsabilités depuis 1995.

 

Deux déplacements sur le terrain ont été réalisés, à la gare de triage de Woippy (Moselle), le 13 novembre, puis à Fos-Coussoul (Bouches-du-Rhône), le 27 novembre.

 

Lors de l’ultime réunion de la commission d’enquête, le 13 décembre 2023, tous les parlementaires qui se sont exprimés ont souligné la bonne tenue des débats. Sur un sujet moins technique, plus politique et infiniment plus sensible socialement que ce que son traitement médiatique pourrait laisser à penser, les députés des différents groupes ont montré que les différences d’analyse n’avaient pas toujours vocation, au Parlement, à se traduire en invectives et autres noms d’oiseaux.

 

Par ses qualités humaines exceptionnelles et la sincérité de son attachement au groupe public ferroviaire, le rapporteur Hubert Wulfranc a beaucoup contribué à cette qualité des échanges. Le président de cette commission d’enquête a apprécié ces mois de travail à ses côtés et beaucoup appris à son contact. Il tient également à remercier l’équipe des trois administrateurs qui ont organisé les auditions, préparé les travaux puis mis en mots les conclusions du rapporteur à l’issue de nos travaux : Xavier Tallon, Clémence Van Thuan et Guillaume Caulet.

 

Si nombre de ses constats peuvent être partagés, le présent rapport n’en témoigne pas moins d’une lecture très engagée. Il prend parfois des libertés significatives avec certaines des informations recueillies, en particulier sur la solution de discontinuité présentée par le Gouvernement français en mai 2023 pour préserver la possibilité d’un opérateur public de fret ferroviaire.

 

À ce titre, il ne pouvait que susciter de profondes réticences chez nombre de députés. Respectueux toutefois du travail déployé et de la bonne foi signalée du rapporteur, tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale ont choisi de s’abstenir sur la publication de ce rapport, à l’exception de ceux qui formaient la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (NUPES) lors des élections législatives des 12 et 19 juin 2022.

 

La présente contribution a donc pour objectif de nuancer le rapport sur ceux de ses aspects qui s’écartent le plus de la lettre comme de l’esprit des travaux de la commission d’enquête.

 

 

***

 

I – La libéralisation a-t-elle nui au fret ferroviaire ?

 

La commission d’enquête a eu l’opportunité d’auditionner les onze ministres qui ont porté les politiques de transport depuis 1995. Elle a aussi entendu et dialogué avec les quatre « patrons » de la Société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F) depuis 1996. À ce titre, ce rapport présente un indéniable intérêt historique. Il décrit assez précisément les évolutions des politiques publiques quant au transport de marchandises, des caractéristiques du marché du fret ferroviaire et les réorganisations successives de la branche fret de la SNCF.

 

L’idée que le déclin du fret ferroviaire s’expliquerait principalement par sa libéralisation ne résiste pas à l’analyse. Il faut pour la soutenir occulter volontairement les évolutions à l’œuvre depuis le milieu des années 1970 dans le monde de la logistique.

 

Les personnalités auditionnées l’ont presque toutes souligné : le point haut de la part modale du fret ferroviaire est atteint en 1974. Et son attrition jusqu’à la fin des années 1990 est particulièrement spectaculaire. Le rapport ne conteste pas cet état de fait et y avance deux facteurs explicatifs bien connus : une désindustrialisation beaucoup plus marquée en France qu’en Allemagne et une concurrence intermodale féroce avec la route.

 

 En revanche, les auditions ont éclairé d’un jour cru d’autres aspects de ce déclin qui ne se retrouvent que fugacement dans les conclusions du rapporteur.

 

La qualité de service est ainsi la principale préoccupation d’un chargeur ; et c’est d’abord lui qui décide de la manière dont ses marchandises sont transportées. Or, hier comme aujourd’hui, il lui importe avant tout que ses produits soient livrés ou réceptionnés dans les temps et dans de bonnes conditions. Le « juste à temps », conséquence de la transformation des modes de consommation, a encore accru l’exigence de fiabilité et de ponctualité des chargeurs.

 

Or, beaucoup de personnalités auditionnées ont déploré l’insuffisante modernisation (commande de sillons, politique commerciale, digitalisation) de l’activité fret au sein de la SNCF avant la libéralisation, comme du reste du mode de gestion des infrastructures dédiées fret par le gestionnaire (RFF puis SNCF Réseau) jusqu’à une date récente.

 

La perte de qualité des sillons ferroviaires dans les années 1990 et 2000 a tenu à une priorité progressivement accordée aux circulations voyageurs ou aux travaux par le gestionnaire d’infrastructures. Mais si les perturbations occasionnées par les mouvements sociaux ont été mises en avant par de nombreux interlocuteurs comme un facteur de perte de confiance dans la solution du rail, le rapport passe totalement cet aspect sous silence.

 

Les auditions conduites par la commission d’enquête ont aussi montré que le fer avait souffert du manque d’une stratégie claire pour la logistique en France dans les années 1990 et 2000. L’examen attentif des débats parlementaires et des articles de la presse généraliste comme spécialisée de cette époque en offre un début d’explication.

 

Le rôle bénéfique que le transport par le train des marchandises pouvait jouer pour l’environnement n’y était en effet pas vraiment explicité ni envisagé de façon claire. De nombreux interlocuteurs de la commission d’enquête l’ont reconnu de manière spontanée : la transition écologique n’ayant pas dans le débat public des années 1990 et 2000 l’importance qu’elle y prend aujourd’hui, le fret ferroviaire était plus volontiers considéré sous l’angle de ses pertes que de ses opportunités.

 

Aussi, l’affirmation selon laquelle « l’intérêt environnemental du fret ferroviaire a toujours été souligné par les dirigeants de la SNCF et les responsables politiques »[241] ne reflète-t-elle que très imparfaitement les propos tenus par les personnalités auditionnées devant la commission d’enquête.

 

Le premier plan qui mentionne explicitement des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la logistique semble bien être « l’engagement national pour le fret ferroviaire » dévoilé par Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau en 2009. Et jusqu’à une date récente, l’État et les collectivités territoriales ne mobilisaient que peu de crédits, sauf rares exceptions, pour la décarbonation du transport de marchandises par le rail : peu d’aides à l’exploitation (pas d’aide au wagon isolé, une timide compensation fret et une aide au transport combiné très limitée) et des investissements dédiés fret insuffisants.

 

C’est donc dans ce contexte de déclin modal très engagé du fer dans le transport de marchandises et de dysfonctionnements récurrents liés à la séparation entre le gestionnaire d’infrastructures (RFF depuis 1997) et les activités de l’entreprise ferroviaire publique (SNCF) que la libéralisation de ce marché est devenue effective (2005-2006).

 

Contrairement à une idée reçue, le rail n’a pas connu d’effondrement de sa part modale en France ou en Europe à partir de 2005-2006 au profit de la route. Ce qui frappe sur l’ensemble de la période, c’est au contraire une forme de stabilité à des valeurs comprises entre 9% et 12% sur l’ensemble de la période. Ces chiffres sont comparables à ceux de la Belgique, autre pays de travail et légèrement inférieurs à ceux de l’Italie (10-13%).

 

Entre 2005 et 2021, la route a gagné plus de part modale (+5,3%) en Allemagne qu’en France (+2%). La singularité française tient plus à la rapidité avec laquelle le modèle du fret ferroviaire s’est réorganisé avec la captation de marchés par les nouveaux entrants dès les premières années d’ouverture à la concurrence (2006-2010).

 

Si les tonnages ont régressé pendant la période considérée, cela a correspondu souvent à des baisses globales du volume de marchandises transportées, tous modes confondus. Ce fut le cas en 2008-2009, puis en 2014[242], en période de crises.

 

Si le rapport avance à juste titre que la branche Fret de la SNCF a souffert de manque d’une stratégie globale pour son activité, sa rédaction est embarrassée quant à l’évolution globale du secteur après 2005-2006. Il établit parfois un lien causal entre la libéralisation et le déclin du fret ferroviaire, avant d’opter quelques lignes plus loin pour une formulation plus prudente.

 

Ce balancement argumentatif, pas plus que la raideur artificielle de certains titres ne rendent justice au sérieux des investigations menées par le rapporteur, le président et les membres de la commission. Au total, la libéralisation du fret ferroviaire aura déçu ses partisans sans vérifier totalement les craintes de ses contempteurs. Elle est venue bousculer une branche fret de la SNCF qui y avait été insuffisamment préparée, sans exercer d’effet spectaculaire sur la part modale du rail pour le transport de marchandises. 

 

II – La discontinuité à contre-courant

 

Le vrai objet de cette commission d’enquête était pourtant d’éclairer la décision du Gouvernement français de proposer à la Commission européenne un plan de discontinuité pour éviter à Fret-SNCF de rembourser 5,3 milliards d’euros d’aides d’État.

 

La menace d’une enquête approfondie n’avait-elle pas été sous-estimée par le Gouvernement français et Fret-SNCF jusqu’à l’ouverture de l’enquête par la Commission européenne (janvier 2023) ?

 

Le Gouvernement français avait-il vraiment produit des arguments visant à mettre en balance le risque pour la transition écologique ouvert par la liquidation d’une entreprise publique de fret ferroviaire, contre celui de contrevenir un peu plus longtemps aux règles de la concurrence ?

 

Le choix de ne pas attendre que l’enquête approfondie arrive au terme des 18 ou 24 mois d’instruction pour proposer une voie de sortie à Fret-SNCF et à la Commission était-il fondé sur des craintes raisonnables et une évaluation crédible du risque ?

 

S’agissant de la première question, le rapporteur a eu accès à de nombreuses pièces qui établissent que le Gouvernement français et le ministère des Transports ont bien échangé avec la Commission européenne au sujet des plaintes à l’encontre de l’activité fret de la SNCF dès 2019-2020 au moins.

 

Si rapidement, la solution de discontinuité semble avoir été avancée par la Commission européenne, le Gouvernement français a fait montre, en 2019-2020 puis 2022 en particulier, de sa volonté de préserver absolument un opérateur public de fret ferroviaire. Parler de « sous-estimation » du risque est donc inexact à cet égard, comme le montre le rapport de façon implicite.

 

La mesure du risque ouvert pour Fret-SNCF par l’ouverture de l’enquête approfondie de janvier 2023 est une question plus délicate. Un ancien ministre des Transports n’a-t-il pas exprimé son regret d’un « bras de fer » trop vite abandonné avec la Commission européenne ?

 

Les échanges avec les clients de Fret-SNCF que la commission d’enquête a pu nouer ont révélé la vive inquiétude qu’avait suscitée chez eux l’enquête approfondie de janvier 2023. Pour un chargeur, savoir que l’entreprise ou plutôt une des entreprises avec laquelle il travaille pour sa logistique court le risque d’une condamnation à payer une amende de 5,3 milliards d’euros n’est pas rassurant. Il est même raisonnable de penser que le risque eût été élevé d’un report modal vers la route de flux transférables (céréales, granulats) en cas d’incertitude sur l’avenir de Fret-SNCF jusqu’en juin ou décembre 2024.

 

Le Gouvernement français a fait montre dans cette affaire d’une volonté claire de préserver le principe d’un opérateur public de fret ferroviaire, fût-ce au prix d’une disparition de la SAS Fret-SNCF au bénéfice de deux entités (entreprise ferroviaire et maintenance) nouvelles, dont le capital serait ouvert à des actionnaires publics ou privés minoritaires.

 

Les formulations du présent rapport se caractérisent pourtant là aussi par leur ambiguïté.

 

Le risque d’une condamnation de Fret-SNCF par la Commission européenne en juin ou décembre 2024 n’y est jamais envisagé comme une hypothèse sérieuse, alors que par ailleurs la détermination des autorités de la concurrence est présentée comme inflexible.

 

De même, le terme de « démantèlement » à propos de l’avenir de Fret-SNCF nous paraît-il inspiré par une volonté de durcir artificiellement le propos, après des analyses qui rendent plutôt justice à la détermination du Gouvernement français. La même instabilité du propos se retrouve dans l’évaluation de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire (SNDFF).

 

Saluée en introduction comme un vrai changement de paradigme (aides au fonctionnement nouvelles et pérennisées), elle est ensuite qualifiée un peu plus loin dans le rapport d’assemblage de « mesurettes ». Ce terme ne traduit pas le sentiment qu’ont exprimé devant la commission d’enquête l’ensemble des acteurs de l’alliance 4F. De même, l’évaluation par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire (2021) n’est-elle pas mentionnée par le rapport. Elle a pourtant été rendue publique quelques semaines après le lancement de la SNDFF par le Gouvernement.

 

Au moment de refermer les travaux de la commission d’enquête, votre président est d’abord plein de compréhension pour le véritable « choc » que vivent nombre de salariés de Fret-SNCF aujourd’hui. Attachés à la spécificité de leurs métiers, rageant souvent de constater un déficit criant d’investissements jusqu’en 2021, ils doivent aujourd’hui « faire avec » l’annonce d’une nouvelle transformation de leur entreprise, plus profonde encore que les précédentes. Qu’ils trouvent dans cette contribution l’expression d’un profond respect pour leur engagement dans ce service public d’intérêt économique.

 

Dans l’état actuel du droit européen, le choix du Gouvernement apparaît au président de la commission d’enquête et après plus de 70 heures d’auditions comme « la moins mauvaise des solutions à défaut d’être une bonne solution ». Elle présente surtout la possibilité d’un opérateur public de fret ferroviaire en France. Le niveau de soutiens au fonctionnement mais aussi des investissements dédiés au fret n’a jamais été aussi élevé. Le rapport le reconnaît plus sans y insister peut-être suffisamment. Plus encore, « l’envie du fer » est bien présente dans un monde logistique où elle était très discrète du moins jusqu’en 2019-2020. Des entreprises se posent la question du rail pour leurs productions ou approvisionnements, souvent sur des flux européens et de longue distance, avec transport combiné.

 

Si le secteur du fret ferroviaire sera profondément ébranlé par la transformation de Fret-SNCF, le fer est bien regardé comme une solution d’avenir par de nombreuses entreprises. Il devra nécessairement trouver sa place comme solution de décarbonation du trafic de marchandises dans cette planification écologique dont de nombreux groupes politiques de l’Assemblée nationale estiment qu’elle doit s’incarner dans une loi de programmation.

 

 

2.   Contribution du groupe Rassemblement national

 


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3.   Contribution de M. Thomas Portes, M. Sylvain Carrière, M. Hendrik Davi et Mme Sylvie Ferrer, députés du groupe La France insoumise-NUPES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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4.   Contribution de M. Nicolas Ray, Mme Anne-Laure Blin et M. Victor Habert-Dassault, pour le groupe Les Républicains

 

Commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir

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Contribution des députés Nicolas Ray, Vice-Président de la commission d’enquête, d’Anne-Laure Blin, secrétaire de la commission d’enquête,

et de Victor Habert-Dassault, pour le groupe « Les Républicains »

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Cette commission d’enquête proposée par le groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) visait à identifier les raisons de l’échec du développement de la part modale du fret en France.

 

Le ferroviaire a représenté 80 % du transport de marchandises en France au début du XXe siècle, avant de chuter à 65 % en 1950, 46 % en 1974 (mais 72,4 milliards de tonnes-km transportés), 17 % en 2000 et 9 % en 2010 (32 milliards de tonnes-km contre 317 pour la route). Depuis, la part modale du fret ferroviaire n’a que très légèrement augmenté pour atteindre 10,7 % en 2021.

 

L’exposé des motifs ciblait notamment l’ouverture à la concurrence du secteur réalisée dans les années 2000 et le possible manque d’investissement des gouvernements successifs depuis 2003.

 

À l’issue des nombreuses auditions réalisées dans le cadre de cette commission d’enquête, il nous semble que l’impasse actuelle du développement du fret ferroviaire en France provient davantage d’évolutions économiques de fond défavorables, ainsi que d’orientations stratégiques récentes inadaptées qui ont été un facteur aggravant à cette crise.

 

L’enquête récemment lancée par la Commission européenne contre le groupe public Fret SNCF va rendre désormais inatteignable l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire, de 9 à 18 % d’ici 2030, inscrit par la majorité actuelle dans la loi Climat et résilience de 2021.

 

I. Les évolutions économiques de fond : « La France n’est pas un pays de fret ferroviaire »

 

1. Une décadence du fret directement liée au déclin de l’industrie et à l’avènement de la route

 

La plupart des auditionnés ont mis en avant trois mêmes raisons de fond pour expliquer le recul du fret : la désindustrialisation, l’attractivité de la route et les évolutions de la logistique.

 

La désindustrialisation liée au choc pétrolier de 1973 a amorcé un déclin du fret dès après 1974 : « La désindustrialisation de la France a entraîné la disparition d’une partie des gros trafics. Les points de massification du trafic n’existent plus dans notre pays. […] L’industrie lourde ayant disparu, l’une des bases les plus solides du trafic de fret a elle aussi disparu. […] En somme, la massification du trafic n’existe plus car le tissu industriel français ne l’apporte plus ».

(Louis Gallois, ancien PDG de la SNCF, audition du 18 septembre 2023).

 

Vient ensuite la compétitivité plus importante de la route et du transport de marchandises par camion : « La route offre beaucoup plus de souplesse. Il faut trois ou quatre jours pour remplir un wagon, l’incorporer dans un train, passer un ou deux triages et effectuer la livraison des marchandises. Pendant ce temps, le camion a déjà fait plusieurs allers-retours ».

(Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, audition du 18 septembre 2023).

 

Et enfin l’évolution de la logistique et de la demande des chargeurs : « Le fret ferroviaire est une solution pertinente pour des centaines de tonnes et, le plus souvent, des centaines de kilomètres. Or nous assistons à un mouvement général de démassification, avec le « juste à temps » dans les usines, avec la diversification des gammes industrielles, automobiles par exemple, avec les réassorts permanents. L’e-commerce accentue cette évolution ».

(Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique, audition du 13 septembre 2023).

 

En réalité, le léger frémissement de la part modale du fret observé en 2021 (10,7 % contre 9 %) est très conjoncturel et largement dû à l’arrêt forcé du transport routier lors de la crise sanitaire. Depuis, comme constaté par l’Autorité de régulation des transports (ART) dans un récent rapport, « l’activité fret s’est à nouveau contractée en 2022, sous le niveau observé de 2017 ».

 

2. La libéralisation n’est pas coupable du déclin du fret… mais elle ne l’a pas non plus enrayé !

 

Comme expliqué par de nombreux auditionnés, la libéralisation n’est pas à l’origine du déclin du fret. Les chiffres démontrent que la perte d’attractivité du rail avait débuté bien avant l’entrée en vigueur de l’ouverture à la concurrence et des divers paquets ferroviaires européens.

 

C’est ce que rappelle d’ailleurs lui-même le ministre : « Le résultat d’exploitation de Fret SNCF était de - 200 millions d’euros en 2001, de - 300 millions en 2002, il s’est donc dégradé avant la libéralisation, puis de - 400 millions en 2003 et - 325 millions en 2004. [...] Même si vous pensez que la libéralisation a eu un mauvais effet, ce n’est pas l’ouverture à la concurrence qui a causé le déficit de Fret SNCF, car cette situation était bien antérieure, de même que le recul massif de la part modale […]. Par ailleurs, dans certains des autres pays européens soumis aux mêmes règles, la part du fret ferroviaire n’a pas décroché, elle a même augmenté ».

(Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, audition du 13 septembre 2023).

 

Il est même possible que sans ces réformes, le déclin de la part du rail aurait été plus importante : « Je crois profondément que, sans la concurrence, la part du fret serait tombée à 5 ou 6 %. La concurrence a réveillé l’activité de fret ferroviaire et a permis à la SNCF de réaliser des progrès de compétitivité dans tous les domaines [...] Sans l’ouverture à la concurrence, le fret se serait probablement écroulé. [...] La concurrence a donc permis de développer de nouveaux marchés ».

(Dominique Bussereau, ancien ministre des transports, audition du 19 septembre 2023).

 

Il est cependant clair que la libéralisation n’a pas permis au fret de regagner des parts de marché significatives et n’a fait que les redistribuer à de nouveaux entrants, au détriment de Fret SNCF :

« Il est possible d’estimer que la concurrence a été un échec puisqu’elle n’a pas déclenché la croissance espérée, mais on peut aussi considérer qu’elle a permis d’enrayer le déclin du fret ».

(Michel Savy, président du conseil scientifique de TDIE, audition du 20 septembre 2023).

 

Les auditions de l’ancien ministre Jean-Baptiste Djebbari et des syndicalistes ont ainsi souligné que les vertus de la concurrence ne se manifestaient pas toujours sur un marché « immature » ou « en décroissance ». Comme l’a dit la Cour des comptes européenne dans un récent rapport, ce n’est pas en créant une diversité factice d’acteurs dans le fret qu’on allait redresser ce marché.

 

 

 

 

 

3. Le soutien au fret apporté par l’État a toujours été important depuis le début des années 2000

 

La qualité du réseau et des équipements est souvent mise en cause pour expliquer les difficultés du fret en France, conduisant à faire le procès des politiques engagées depuis 20 ans. Pourtant les financements ont été conséquents, mais devaient être conciliés avec d’autres impératifs.

 

L’idée d’un manque de soutien au secteur au cours des années 2000 mérite ainsi d’être nuancée : « Les aides à l’exploitation et au fonctionnement successivement créées montrent bien que le problème n’était pas une forme d’abandon par l’État de l’opérateur Fret SNCF, qui était très soutenu - mais cela n’a pas permis d’augmenter la part modale, ce qui montre que ce n’était pas là le seul problème. [...] Tous les gouvernements ont aidé ce secteur ».

(Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, audition du 13 septembre 2023).

 

Il en est de même s’agissant d’un prétendu sous-investissement : « Le secteur du fret connaît des difficultés structurelles. On estime souvent que celles-ci remontent aux années 2000. Étant un vieux cheminot, je pense que l’inversion de tendance est plus ancienne. […] Le fret a été victime d’un alignement négatif des planètes qui l’a rendu de moins en moins pertinent et l’a précipité dans une phase de déclin ».

(Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, audition du 18 septembre 2023).

 

Les gouvernements successifs et le gestionnaire d’infrastructure ont également dû concilier ces efforts avec de nécessaires travaux de sécurisation du réseau notamment pour le trafic voyageurs : « Le niveau des investissements dans le fret ferroviaire n’était pas suffisant en valeur absolue. Mais la situation est moins simple en réalité. […] Je reconnais avoir proposé au conseil d’administration de différer des investissements très importants parce que nous devions donner la priorité aux investissements sur la voie, sur la caténaire et les ouvrages d’art. […] Nous ne pouvions pas faire autrement que de donner la priorité aux investissements ayant un impact immédiat sur la sécurité ».

(Jacques Rapoport, président de RFF de 2012 à 2014, audition du 18 septembre 2023).

 

Nous partageons toutefois l’impératif de régénérer rapidement le réseau que devra permettre le plan de relance du ferroviaire annoncé par la Première ministre. Nous restons cependant plus réservés sur l’efficacité structurelle de plans d’aides ou de relance du fret déployés à plus court terme.

 

La France n’a en effet pas su développer de modèle d’exploitation rentable, le secteur ne devant sa survie qu’à la perfusion ponctuelle de divers plans de soutien et annulations de dette, ce qui a abouti à l’impasse actuelle.

 

II. Les orientations stratégiques récentes : « Contraints de faire du report modal inversé »

 

1. La relance du fret bute sur le manque de sillons mais aussi sur le faible déploiement de l’offre

 

Il ressort que les trains de fret n’ont pas été prioritaires par rapport au trafic de passagers voire aux travaux, ce qui relève clairement de choix stratégiques du gestionnaire d’infrastructure.

 

Le fret est ainsi souvent le dernier servi dans les choix d’attribution de sillons par la SNCF : « En France, la qualité des sillons est également un problème. Les trains de fret ne circulent pratiquement plus le jour, car le trafic de voyageurs absorbe toutes les capacités du réseau. Ils ne peuvent donc circuler que la nuit et sont pénalisés par les travaux. […] Ils sont obligés de s’arrêter tout au long de leur parcours, souvent pour une ou deux heures ».

(Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, audition du 18 septembre 2023).

 

Cette situation est certes liée à la configuration historique du réseau : « Nous avons en France un réseau en étoile depuis Paris. […] Le réseau en étoile complique le traçage des sillons fret, qui sont généralement des sillons de longue distance. Or ces sillons risquent d’être plus fréquemment confrontés à des travaux. Ce problème est essentiel, il n’existe pas en Allemagne ».

(Jacques Rapoport, ancien président de RFF, audition du 18 septembre 2023).

 

Mais elle a été aggravée par l’approche malthusienne de l’opérateur historique, qui a privilégié le train long au wagon isolé qui lui apportait pourtant les volumes nécessaires pour être rentable :

« Cette décroissance est un immense gâchis. Elle est aussi le reflet de la désindustrialisation de la France. Le plan Véron, qui ouvre la voie à une SNCF sans fret ferroviaire, fait écho à la fameuse déclaration de Serge Tchuruk : "Alcatel doit devenir une entreprise sans usines" ».

(Vincent Doumayrou, journaliste, audition du 20 septembre 2023).

 

Il est à craindre qu’avec le déploiement des services express régionaux métropolitains (SERM), la demande de sillons va augmenter et aggraver la difficulté à faire passer des trains de fret. Nous regrettons par ailleurs de n’avoir pu interroger Marc Véron et Olivier Marembaud, anciens directeurs généraux délégués au fret de la SNCF au moment des plans fret dans les années 2000.

 

2. Le service proposé par le gestionnaire d’infrastructure est jugé insatisfaisant par les chargeurs

 

De nombreux clients ont dénoncé devant notre commission d’enquête la qualité de service insuffisante du fret. Ils soulèvent autant la difficulté à obtenir des sillons auprès du gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau que le manque de fiabilité et de ponctualité de l’offre proposée, liée à des incidents et travaux (35 % de retards soit deux fois plus que pour le trafic voyageurs d’après l’ART, dont 20 % sont imputables à SNCF Réseau et 50 % aux entreprises ferroviaires).

 

Ce constat est semble-t-il ancien à la SNCF : « La qualité du service, qui était vraiment très médiocre, ce qui m’obligeait à m’excuser auprès de grands chargeurs, céréaliers, sidérurgistes ou industriels du secteur agroalimentaire [...] À l’époque, j’étais confrontée à la colère des chargeurs et je parcourais la France pour essayer de les calmer. [...] Les grèves font partie des raisons qu’évoquent les chargeurs pour expliquer leurs doutes quant à la fiabilité du fret ».

(Anne-Marie Idrac, ancienne ministre et PDG de la SNCF, audition du 13 septembre 2023).

 

Les témoignages d’opérateurs et de chargeurs abondent pour critiquer la qualité du service rendu par le gestionnaire d’infrastructure national SNCF Réseau, notamment en raison du manque de communication : « On apprend donc la veille, voire le matin même, qu’il n’y a pas de personnel en poste et que le terminal ne fonctionne pas. Depuis le mois de mai, nous avons été confrontés à une quinzaine d’interruptions ».

(Jean-Claude Brunier, PDG du groupe Open Modal, audition du 28 septembre 2023).

 

« En juillet, je n’ai obtenu que 17 % de sillons valables sur la totalité de mes demandes. Aujourd’hui, à cause de SNCF Réseau, des infrastructures ferroviaires et des terminaux, il est impossible de développer cette activité. […] L’organisation interne de SNCF Réseau est déplorable et marquée par une absence de communication entre les services.».

(Rémy Crochet, PDG de Froidcombi, audition du 28 septembre 2023).

 

« Nos clients connaissent les mérites du ferroviaire mais ils ne veulent pas prendre le risque de voir leurs usines bloquées. Dès lors, ils préfèrent le transport routier, qui présente l’avantage d’être plus rapide et plus souple. […] Je souscris aux propos sur l’incidence catastrophique des travaux. Nous ne sommes jamais prévenus de leur réalisation, de leur arrêt ou de leur poursuite ».

(Philippe Millet, président du groupe Millet, audition du 28 septembre 2023).

 

Les pesanteurs du gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau et de l’opérateur Fret SNCF sont ainsi largement reconnues, posant la question de la gestion du système ferroviaire en France. 

 

La fiabilité du service plombe encore plus la compétitivité d’un secteur déjà ultra-concurrencé par la route, et « contraint à faire du report modal inversé » (Rémy Crochet) des acteurs qui seraient pourtant prêts à choisir le train voire à payer plus cher si la qualité était au rendez-vous.

 

 

3. Et maintenant ? L’enquête Fret SNCF et la fin de l’objectif d’un doublement de la part modale

 

La Commission européenne a lancé en janvier 2023 une procédure visant des aides illégales de la France à la société publique Fret SNCF entre 2007 et 2020, via une annulation de dette de 5,3 milliards d’euros, des avances de trésorerie à hauteur de 4 à 4,3 milliards d’euros, et une injection annuelle de 170 millions d’euros, car contraires aux règles de la concurrence de l’UE.

 

L’État semble réduit à choisir entre une amende record de 5,3 milliards d’euros qui conduirait à la liquidation de notre n°1 du fret, et une solution dite de « discontinuité » qui scinderait en deux sociétés distinctes la gestion capacitaire et la maintenance du matériel et aboutirait à la cession de 20 % du capital et 30 % des marchés à ses concurrents.

 

Cette enquête est d’abord le résultat de plusieurs années de sous-rentabilité du groupe public : « La dette a eu un effet boule de neige qui n’était plus contrôlable. Parvenue à ce niveau, elle a engendré des charges financières que les résultats d’exploitation ne pouvaient pas couvrir. Cette dette est ainsi devenue non remboursable à partir des années 2017 et 2018. Il a donc fallu prendre un certain nombre de décisions, qui sont intervenues dans un contexte où nous savions que la direction de la concurrence de la Commission européenne interviendrait à un moment ou un autre, d’autant que des plaintes avaient été déposées au cours des exercices 2016-2018 ».

(Alain Picard, ancien directeur général de SNCF Logistics, audition du 28 septembre 2023).

 

Elle donne toutefois l’impression que l’opinion de la Commission européenne est déjà faite, avec l’objectif de séparer les activités fret de l’opérateur historique, ce à quoi n’avait pu aboutir la loi « Pacte ferroviaire » de 2018 :

 

« L’objectif de la Commission est d’amener Fret SNCF à être faillible, comme toutes les entreprises de fret. La direction générale de la concurrence considère que toutes les entreprises de fret doivent être à égalité, qu’elles soient françaises ou étrangères. Pour ma part, je suis persuadé qu’il n’y aurait pas eu de validation de la loi de 2018 sans la filialisation des activités de fret. C’était vraiment une condition sine qua none à l’époque. La Commission considérait qu’on ne pouvait pas continuer avec une garantie d’État sur des activités de fret ».

(François Poupard, ancien DGITM, audition du 19 octobre 2023).

 

Le groupe « Les Républicains » dénonce ce chantage odieux de l’Union européenne, inspiré par une vision dévoyée de l’économie libérale. Comme la commission d’enquête l’a démontré, le secteur du fret ne peut fonctionner sans aides à ses opérateurs publics. La scission acceptée est d’autant plus absurde que ce n’est pas parce que Fret SNCF aura été amputé de ses marchés que ses rivaux en profiteront, puisqu’ils doutent eux-mêmes de leur capacité à assurer le service.

 

Nous nous interrogeons sur la pertinence d’appliquer les règles européennes de la concurrence à un secteur ayant des difficultés structurelles à être rentable, et alertons sur le danger de limiter notre approche du secteur des transports à une vision purement juridique et pas assez politique :

« Les règles régissant les aides d’État sont l’une des garanties que les États membres ont mutuellement souscrites lors de la création du projet européen. […] La Commission est la gardienne de ces règles et se doit d’être un arbitre impartial. La solution de discontinuité permet d’assurer la continuité du service tout en faisant disparaître l’entreprise concernée. C’est donc un moindre mal par rapport à l’application directe du traité ».

(Olivier Guersent, DG concurrence Commission européenne, audition du 24 octobre 2023).

 

Car Fret SNCF va perdre une partie de ses marchés les plus rentables, aggravant sa situation déjà fragile : « Il semble que les 30 % de trafics que Fret SNCF serait obligée de rétrocéder, c’est-à-dire de transférer à la concurrence pour au moins dix ans, soient une partie de ceux qui rapportent de l’argent. Cela ne facilitera pas la tâche de ceux qui auront à redresser l’entreprise ! La situation deviendra donc relativement difficile du fait des trafics qui auront été enlevés ».

(Louis Gallois, ancien PDG de la SNCF, audition du 18 septembre 2023).

 

Le fait que le Gouvernement ait renoncé un peu trop facilement à engager un bras de fer avec la Commission européenne, malgré le poids de la France au sein de l’UE, nourrit cette frustration :

« Je ne comprends pas une telle précipitation : nous rendons les armes avant même d’avoir combattu ! Dès lors, on peut y voir un effet d’aubaine, la situation actuelle fournissant une occasion de se débarrasser du fret ferroviaire ».

(Thierry Roy, ancien membre du CA de la SNCF, audition du 28 septembre 2023).

 

« Nous n’avons été associés à rien, ce qui nous étonne énormément. Nous aurions aimé débattre. […] D’ailleurs, nous avons eu des échanges avec la commissaire européenne, qui nous a fait part […] de son étonnement devant la précipitation du gouvernement français ».

(Laurent Brun, secrétaire général de la CGT Cheminots, audition du 19 septembre 2023).

 

La commission d’enquête a ainsi permis de révéler que le Gouvernement avait déjà en tête un plan de discontinuité depuis 2019, préparé avec l’aide du cabinet de conseil McKinsey : « En 2018, les pouvoirs publics, sous la houlette du SGAE, m’avaient demandé d’essayer de travailler à une solution. À ce titre, nous avons étudié les éléments constitutifs d’une discontinuité. [...] En 2019, la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités du ministère des transports a lancé une étude sur la discontinuité, qui a été confiée au cabinet McKinsey. L’étude de McKinsey ne garantissait ni la viabilité ni le report modal. Dans leur scénario B, la part modale du fret ferroviaire de marchandises tombait d’ailleurs à 7 % ».

(Sylvie Charles, ancienne directrice de Fret SNCF, audition du 28 septembre 2023).

 

La commission d’enquête aura enfin mis en évidence le risque bien réel que cette procédure contre Fret SNCF n’aboutisse à un report modal inversé, avec le transfert de ses marchés vers la route :

 

« L’entreprise va perdre un tiers de son chiffre d’affaires alors qu’elle a déjà beaucoup réduit ses effectifs et ses coûts. [...] Je connais peu d’entreprises privées ou publiques capables de supporter un choc aussi brutal […]. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que les concurrents dans le rail soient prêts à prendre le relais. À mon avis, cette logique finira par affaiblir ces modes de transport par rapport à d’autres ».

(Pierre Ferracci, président du groupe Alpha (SECAFI), audition du 20 septembre 2023).

 

Le présent rapport recommande ainsi un moratoire dans la mise en œuvre du plan de discontinuité proposé par le Gouvernement, compte-tenu de ses effets majeurs sur l’opérateur public et plus largement sur l’organisation du fret ferroviaire en France. Si les délais le permettent, les députés Les Républicains membres de la Commission d’enquête considèrent qu’il est nécessaire d’étudier toutes les solutions alternatives de manière objective et documentée. Ces solutions devraient d’ailleurs faire l’objet d’une présentation formelle par le Gouvernement devant le Parlement.

 

Le rapport accuse par ailleurs la Commission européenne de « détournement de pouvoir », considérant que l'objectif de « démantèlement » de l’opérateur public était clairement affiché, avant même le déclanchement de la procédure. Nous considérons que cette accusation grave devra faire l’objet d’un droit de suite. Le gouvernement doit préciser s’il partage ce constat et le cas échéant de faire connaître les actions qu’il compte mener pour faire sanctionner ce détournement.

Les députés « Les Républicains » partagent également le constat fait par le rapport sur l’absence de proportionnalité entre la réalité de l’infraction constatée, à savoir l’absence de notification d’aides publiques, et la sanction prononcée dont l’application va entraîner le « démantèlement » de l’opérateur historique et des conséquences majeurs sur le fret ferroviaire en France. Le principe de proportionnalité, qui fait pourtant partie des principes généraux du droit européen, devrait être prévu plus clairement dans les traités et appliqué par la Commission européenne. Un recours sur cette base devrait être envisagé.

Enfin, comme le rapporteur, les députés « Les Républicains » considèrent totalement anormale, dans un état de droit tel que l’Union européenne, l’absence d’effet suspensif des recours que pourrait intenter la France contre la décision de la Commission européenne. Dans le cas présent, sans effet suspensif, l’application de la sanction aura un effet irréversible, quand bien même la France gagnerait son recours juridictionnel. Là encore, une modification des Traités doit être prévue.

 

Conclusion :

 

Un des grands enseignements de cette commission d’enquête est donc que le démantèlement de la société Fret SNCF qui se dessine risque d’entériner la fin de l’objectif de doubler la part modale du fret dans le transport de marchandises, comme l’a récemment mis en évidence l’Alliance 4F.

 

Une réflexion s’impose aussi pour repenser la complémentarité entre le rail et la route, alors que l’essor de l’un aux dépens de l’autre a aussi apporté des gains de croissance et de bien-être pour la société. Doubler la part du fret obligerait à l’augmenter de 120 % si en même temps la demande globale du secteur des transports gagnait 10 %. Tout miser sur le fret dans le seul but de faire du report modal, c’est donc condamner à limiter la demande de transport de marchandises alors qu’il serait sans doute plus efficace de commencer par décarboner la route.

 

De même le retour de l’écotaxe poids-lourds, dont l’idée peut sembler séduisante, risque d’aboutir à une perte de compétitivité pour les entreprises et à un manque d’acceptabilité de la part des transporteurs, particulièrement dans un contexte de forte inflation et d’augmentation des coûts des hydrocarbures : « Notre conviction est qu’à force de souligner la concurrence, on n’encourage pas une politique publique d’articulation des deux modes. Il ne s’agit pas d’aider plus le rail ou de plus taxer les routes : si l’on veut vraiment relancer une politique multimodale, il faut que les deux travaillent ensemble. [...] Si l’on atteint 22 % pour le rail et 6 % pour le fluvial, la route restera majoritaire à plus de 70 % : beaucoup de marchandises continueront de voyager par cette voie ».

(Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR, audition du 14 novembre 2023).

 

Viser un report modal uniquement par la fiscalité est sans doute une impasse. La réglementation (scopes d’émissions) pourrait ainsi être un meilleur incitatif, notamment dans la logistique : « Les logisticiens sont la clef du marché. Tant que les grands logisticiens ne proposeront pas à leurs clients le mode ferroviaire, le report modal ne décollera pas ».

(Louis Gallois, ancien PDG de la SNCF, audition du 18 septembre 2023).

 

Par ailleurs, le groupe « Les Républicains » ne souscrit pas à la recommandation du rapporteur d’interdire aux poids-lourds de circuler la nuit afin d’inciter au report modal en faveur du rail. Ces restrictions de circulation entraineraient une congestion des grands axes routiers durant la journée, dégradant ainsi la fluidité du trafic pour les automobilistes utilisant quotidiennement la route pour les trajets domicile-travail. De plus, en réduisant la fluidité du trafic routier pour l’ensemble de ses usagers et en l’absence de mesures d’accompagnement du secteur du transport routier pour accélérer sa décarbonation, cette mesure risque d’avoir un impact négatif sur les émissions de gaz à effet de serre et de particules fines accentuant in fine les nuisances environnementales du transport routier. 

 

Ensuite, si le plan de relance du ferroviaire qui s’annonce est une bonne nouvelle pour le rail en général et pour le fret en particulier, il faudra éviter certains écueils dans le choix des travaux : « Au-delà des investissements de modernisation, de régénération, de développement des branches voyageurs et fret, il manque sans doute des investissements de désaturation. Des pays ont des installations permanentes de contresens sur toutes leurs voies. Qu’en est-il des investissements de désaturation du nœud lyonnais ou de l’Ile-de-France ? Ils doivent absolument être inscrits dans la loi de programmation ».

(Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe, audition du 18 septembre 2023).

 

D’autre part, le développement de plateformes multimodales facilitant le passage de marchandises de la route vers le rail ou du rail vers la route est un élément central dans le redressement de la part modale du fret ferroviaire. Compte tenu du manque de flexibilité du rail, le transport combiné demeure la solution logistique la plus adaptée aux enjeux de transition énergétique pour le transport de marchandises sur de longues distances. Il convient donc de multiplier les nœuds intermodaux pour permettre une meilleure complémentarité entre les différents modes de transport.

 

Enfin, nous invitons le Gouvernement à déployer plus d’imagination sur le cas Fret SNCF : « Sur la question des alternatives, il faut se demander si, directement ou indirectement, le groupe SNCF aurait pu rembourser à l’État ces 5 milliards d’euros grâce à un montage différent ? Factuellement, il s’agit d’une dette de Fret SNCF, mais en réalité, elle est logée dans le groupe. Dès lors, on peut considérer que la SNCF pourrait l’honorer directement ou indirectement. […] Le statu quo coûterait sans doute moins cher que l’application de ce plan de transformation, ce qui n’est pas neutre du point de vue environnemental, économique et social ».

(Stéphane Itier, directeur du groupe Alpha (SECAFI), audition du 20 septembre 2023).

 

Ce dossier montre en effet que le marché ne saurait commander de manière absolue, quand un État considère que ses intérêts stratégiques sont en jeu. Ainsi, attaché à la vision gaulliste de l’État stratège, le groupe « Les Républicains » estime qu’à l’image de l’exception culturelle, il devrait être autorisé d’adapter les préceptes de la concurrence pour apporter des aides spécifiques aux acteurs économiques chargés d’assumer des missions de service public et qui sont souvent par nature déficitaires.

 

Nos messages et recommandations :

 

1 - Engager dès que possible le plan de relance ferroviaire et miser sur la désaturation du réseau

2 - Le trafic de fret ne pourra être durablement relancé qu’avec une réindustrialisation du pays et un accompagnement des pouvoirs publics permettant aux industriels de réaliser les investissements importants nécessaires à la connexion de leurs sites au réseau ferroviaire.

3 - Réviser le fonctionnement de SNCF Réseau pour garantir une meilleure qualité de service en améliorant notamment la communication interne et externe

4 - Encourager les chargeurs et logisticiens à recourir au fret ou à un usage décarboné de la route en préférant des leviers incitatifs plutôt que des mesures coercitives.

5 - Invoquer la clause de sauvegarde en cas de décision dysfonctionnelle au niveau européen.

6- Etudier toutes les solutions alternatives au plan de discontinuité proposé par le Gouvernement et les présenter devant le Parlement.

7 – Modifier les Traités européens pour introduire un effet suspensif des recours et rendre effectif le principe de proportionnalité.

8 – Demander au gouvernement de s’exprimer sur les accusations de « détournement de pouvoir » de la Commission européenne avancées par le rapporteur.

 

 

 

 

5.   Contribution de M. Nicolas Sansu, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine

6.   Contribution de Mme Mireille Clapot (apparentée au groupe Renaissance)

 


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7.   Contribution de M. Gérard Leseul (Socialistes et apparentés)

 

Nous remercions Hubert Wulfranc et ses collègues du groupe GDR d’avoir pris l’initiative de cette commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, créée par la conférence des présidents du 4 juillet 2023.

Cette mission, présidée par David Valence et dont Hubert Wulfranc a été rapporteur, a mené plus de 70 heures d’auditions dans un climat constructif et serein. L’ensemble des ministres des transports en fonction depuis 1995, d’anciens dirigeants du groupe public ferroviaire depuis 1996, des directeurs du fret ferroviaire, de nombreux responsables de chargeurs, d’entreprises qui font du fret ferroviaire ou du fret routier ainsi que des utilisateurs ont permis de proposer des explications au déclin du transport ferroviaire de marchandises en France depuis un demi-siècle dans un contexte de libéralisation économique mondiale et à l'aune des différentes réformes de la SNCF et de la construction européenne.

Depuis plusieurs années, l’activité de fret ferroviaire semblait devenue la caricature d’un service public parfois esseulé, sans grandes orientations et objectifs politiques, avec des wagons égarés, des retards fréquents, des tensions sociales…  Les difficultés, les défauts structurels ou stratégiques parfois de Fret SNCF ont par ailleurs contribué au succès de plusieurs de ses concurrents. Les industriels ont alors privilégié la route. L’effondrement progressif de la part modale du fret ferroviaire en France depuis le milieu des années 1990, a cependant été légèrement enrayé ces dernières années, notamment à la faveur de soutiens publics accrus et de réorganisations de l’entreprise.

Nous partageons l'analyse du rapporteur sur le déclin du fret ferroviaire qui remonte à la crise des années 1970, à la fermeture des industries lourdes et des mines, à des politiques publiques nationales un peu erratiques, à une discussion compliquée avec une Commission européenne qui a mis la libre concurrence au cœur de sa politique. Les auditions ont ainsi cherché à comprendre les effets de l’ouverture à la concurrence sur l’évolution de cette part modale et sur la santé économique de Fret SNCF alors que la SNCF n’y était pas prête et avait accumulé les pertes.

Le principal opérateur de fret ferroviaire, Fret SNCF est aujourd’hui sérieusement menacé, en raison de ce qui est considéré comme des aides d'Etat perçues par la filiale de l’entreprise publique entre 2007 et 2019, jugées illégales par la Commission européenne. Le gouvernement a ainsi présenté un plan de « discontinuité économique » comme la contrepartie de l’arrêt de l’enquête lancée par la Commission européenne pour infraction au régime des aides d’Etat.

En 2016, des concurrents avaient en effet déposé une plainte auprès de la Commission européenne arguant que, du fait du statut public de la SNCF, son soutien à une branche déficitaire constituait une aide d’État abusive. La plainte a été retirée depuis, mais une enquête a été ouverte en janvier 2023. La sanction maximale pourrait contraindre la filiale à rembourser à sa maison-mère les années de déficit, soit 5,3 milliards d’euros.

Ce rapport analyse la manière dont l'application par la CE du principe de concurrence libre et non faussée au ferroviaire s'est accompagnée d'un aveuglement sur la concurrence totalement déséquilibrée et inéquitable de la route au détriment du rail.

La restructuration en cours de Fret SNCF que le gouvernement, impose à la filiale de la SNCF sous la forme d’un plan de « discontinuité économique » au nom de l’Europe est loin d’être un sujet technique : c’est un enjeu politique. Fret Sncf et plus globalement le ferroviaire ont été le parent pauvre des politiques publiques nationales.

Le climat social et la trop faible intermodalité mer-rail et mer-fleuve, la faible adaptation du réseau ferré au gabarit des conteneurs maritimes, une prime à la pince aléatoire, l’absence d’une aide au wagon isolé, un ferroutage qui reste balbutiant ont abimé la performance de Fret SNCF.

Suite au « bras de fer un peu mou entre la France et la CE» le plan du gouvernement prévoit que Fret SNCF n’opère plus sous le nom de la société publique et se sépare de 10 % de son personnel (500 cheminots réintégrés dans le groupe). Fret SNCF va céder 23 contrats (20 % de son chiffre d’affaires) qui concernent des trains dédiés (sans arrêt du départ à l’arrivée), alors qu’ils sont pourtant plus rentables, en raison de leur prévisibilité par rapport aux trains composés de wagons chargés et déchargés en cours de trajet. La société publique va céder une partie de son patrimoine immobilier et 62 locomotives (8 % de son parc) à ses concurrents … qui pourront les louer à la SNCF.

Aujourd’hui, nous avons besoin d’une vraie vision stratégique et de traductions concrètes. Le fret ferroviaire représente en France 11 % du trafic, contre 13% en Italie, 19% en Allemagne et 22% en Pologne. Le gouvernement s’est engagé auprès de la Commission à augmenter la part nationale à 18 % en 2030 je doute que l’objectif soit tenable dans les conditions actuelles.

Les mesures qui se sont empilées parfois sans cohérence sur le moyen long terme : ouverture à la concurrence, régionalisation, plan de 100 milliards, etc. Tout cela n’est pas très lisible en termes économiques et industriels et la concurrence du transport routier est sans doute l’explication principale de l’attrition du fret ferroviaire ces dernières années. Cependant, les enjeux de décarbonation doivent pousser à revoir les stratégies collectives du transport terrestre.

Selon les chiffres du Haut Conseil pour le Climat le fret tient une part importante des émissions de Gaz à effet de serre dans notre pays. Pour tenir nos engagements de réduction des émissions de Gaz à effet de serre, il est primordial de décarboner le secteur du transport de marchandises. Pourtant, nous devons regretter une diminution ces dernières années de la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises en France. Alors même que le fret ferroviaire est une solution décarbonée ou faiblement émettrice. Il y a là un paradoxe qui doit nous interroger. La décarbonation du fret ne pourra pas se faire sans que le fret ferroviaire prenne une place importante dans les échanges. Il n’est pas question de créer une concurrence entre les modes de transport de marchandise mais bien de créer les conditions d’une forte multimodalité entre le transport routier décarboné, le transport fluvial et le transport ferré. Pour décarboner le transport de marchandises le fret ferroviaire doit être un allié majeur.

Alors, je partage de très nombreuses recommandations proposées par le rapporteur et notamment la dernière que j’aurais volontiers mis en 1er : L’Etat doit formaliser une politique de coordination des transports terrestres de marchandises intégrant un schéma national de transport logistique. Pour ce faire nous soutiendrons l’idée d’un moratoire sur le plan de discontinuité proposé par le gouvernement afin de réviser le processus de démantèlement de fret SNCF à l’aune de la responsabilité environnementale de nos gouvernements. De même, il conviendrait comme le propose le rapporteur de ne pas rendre exécutoires les décisions de la Commission relatives à la récupération des aides d'Etat avant l'issue du délai de recours et le cas échéant avant la fin de la procédure juridictionnelle.

Gérard Leseul

 


–  1 

 

   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES – DÉPLACEMENTS

I.   Liste des personnes auditionnées

Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-liberalisation-fret-ferroviaire/documents?typeDocument=crc

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.

12 septembre 2023

 M. Jean-Claude Gayssot, ancien ministre, et de M. Francis Rol-Tanguy, ancien directeur de cabinet

 M. Patrick Jeantet, ancien président-directeur général de SNCF Réseau

 M. François Goulard, ancien ministre

13 septembre 2023

 M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports

 Mme Anne-Marie Idrac, ancienne ministre, ancienne présidente de la SNCF

 M. Dominique Perben, ancien ministre

14 septembre 2023

 M. Frédéric Cuvillier, ancien ministre

 M. Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre

18 septembre 2023

 M. Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe et M. Jérôme Leborgne, directeur général de Fret SNCF *

 M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF *

 M. Louis Gallois, ancien président de la SNCF

 M. Guillaume Pepy, ancien président de la SNCF

19 septembre 2023

 M. Dominique Bussereau, ancien ministre

 M. Luc Lallemand, ancien président-directeur général de SNCF Réseau

 M. Jacques Rapoport, ancien président de RFF

 Mme Élisabeth Borne, Première ministre

 Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les organisations syndicales représentatives de la SNCF

- M. Laurent Brun, secrétaire général de la fédération CGT Cheminots

- M. Hervé Gomet, expert CGT

- MM. Fabrice Charrière et Lionel Ledocq, UNSA Ferroviaire

- M. Julien Troccaz, secrétaire fédéral et M. Guillaume Bouslah-Sellier, SUD Rail

- MM. Pascal Couturier, Florent Malaise, Sébastien Mariani, CFDT et M. Fabrice Chambelland, secrétaire national de la CFDT Cheminots

20 septembre 2023

– M. Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha (SECAFI), et de M. Stéphane Itier, directeur

 MM. Philippe Duron et M. Louis Nègre, maire de Cagnes-sur-Mer, co-présidents de TDIE (Transport, Développement, Intermodalité, Environnement), et M. Michel Savy, président du conseil scientifique

 Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des journalistes spécialisés

- M. Gilles Dansart, directeur de Mobilettre

- Mme Camille Selosse, journaliste à Contexte

- M. Frédéric de Kemmeter, Mediarail

- M. Vincent Doumayrou

 M. Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État

 M. Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau *

28 septembre 2023

 M. Thierry Roy, ancien membre du conseil d’administration et ancien membre du comité d’entreprise de la SNCF

 M. Alain Picard, ancien directeur général de SNCF Logistics et de Mme Sylvie Charles, ancienne directrice de Fret SNCF

 M. Alexandre Gallo, président-directeur général de DB Cargo France * et président de l’Association française du rail * (AFRA)

 Table ronde réunissant des opérateurs de fret ferroviaire en France

- M. Tristan Ziegler, directeur général de Lineas France ;

- M. Philippe Millet, président du groupe Millet ;

- M. Jean-Claude Brunier, président-directeur général du groupe Open Modal ;

- M. Rémy Crochet, président-directeur général de Froidcombi.

 Table ronde réunissant des responsables de grands ports français :

- M. Florian Weyer, directeur général du port du Havre ;

- M. Maurice Georges, président du directoire du port de Dunkerque ;

- Mme Fabienne Margail, cheffe du département solutions intermodales et passage portuaire du port de Marseille ;

- Mme Anne-Marie Jean, présidente du conseil d’administration du groupe Ports de Strasbourg.

5 octobre 2023

 M. Alain Vidalies, ancien ministre

 MM. Philippe Richert, président par intérim de l’Autorité de régulation des transports, et Jordan Cartier, secrétaire général

 Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des représentants de grands comptes chargeurs du fret ferroviaire en France

- M. Olivier Clyti, directeur Stratégie, RSE et digital du groupe InVivo *

- Mme Nathalie Debaisieux, responsable achats et transports du groupe Roquette *

- M. Guy Sidos, président-directeur général de la société des ciments Vicat *

- M. Stéphane Delpeyroux, directeur des affaires publiques d’ArcelorMittal France * et M. Arnaud Desmonts, responsable des projets stratégiques Supply chain, ArcelorMittal Europe

- M. Olivier Galisson, responsable Transports et logistique à France Chimie *

16 octobre 2023

 M. Thierry Mariani, ancien ministre

 M. Thierry Coquil, directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM, ministère de la transition écologique)

 M. Didier Le Reste, président de Convergence nationale rail, et M. Philippe Denolle, vice-président

 M. François Poupard, ancien DGITM

17 octobre 2023

 Table ronde réunissant des associations professionnelles :

- M. Ivan Stempezynski, président du Groupement national des transports combinés * (GNTC)

- M. Philippe François, président d’Objectif OFP (opérateurs français de proximité)

- M. Igor Bilimoff, délégué général de la Fédération des industries ferroviaires * (FIF)

- M. Denis Choumert, président de l’Association des utilisateurs de transport de fret * (AUTF)

- M. Raphaël Doutrebente, président de Fret ferroviaire français du futur (4F)

19 octobre 2023

 M. Jonathan Sebbane, directeur général de la SOGARIS *

 Mme Isabelle Besse et M. Julien Kubiak, réseau de recherche Ferinter

 M. Yves Crozet, professeur à l’Université de Lyon

 M. Luc Nadal, ancien directeur général de Fret SNCF, ancien président du directoire de GEFCO, directeur Europe de CEVA logistics (groupe CMA CGM *)

 M. Marc Papinutti, président de la Commission nationale du débat public, ancien directeur général des infrastructures, des transports et de la mer

 M. Daniel Bursaux, président du Tunnel euralpin Lyon-Turin, ancien directeur général des infrastructures, des transports et de la mer

24 octobre 2023

 M. Olivier Guersent, directeur général de la concurrence, Commission européenne

26 octobre 2023

 Table ronde sur la place du fret ferroviaire dans la logistique de grands acteurs économiques :

- M. Philippe Dorge, directeur général adjoint, en charge de la branche Services, courrier et colis du groupe La Poste *, et M. Christophe Baboin, directeur Transport et livraison

- M. Bruno Meneret, directeur national Transport, groupe Auchan * (en visioconférence)

- M. Yohan Benard, directeur des affaires publiques France et Europe, et Mme Claire Scharwatt, directrice des affaires publiques France, Amazon *

 M. Jean-Luc Gibelin, vice-président du conseil régional d’Occitanie, pour Régions de France (en visioconférence)

 M. Nicolas Debaisieux, président-directeur général de Railcoop *

 M. Kristian Schmidt, directeur des transports terrestres, Commission européenne (en visioconférence)

 M. Dominique Riquet, député européen (en visioconférence)

9 novembre 2023

 M. Emmanuel Puisais-Jauvin, secrétaire général des affaires européennes

 M. Matthias Emmerich, ancien directeur général adjoint de la branche fret de la SNCF et M. Alain Krakovitch, ancien coordonnateur du plan de restructuration du fret de la SNCF, directeur général de Voyages SNCF

 M. Jonathan Delisle, président des transports Delisle et M. Aurélien Baehl, directeur général du groupe Mauffrey

 M. Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris

14 novembre 2023

 Général Thierry Poulette, commandant du centre du soutien aux opérations et des acheminements (CSOA), et du lieutenant-colonel Yves Lamaty, commissaire militaire aux chemins de fer

 M. Jean-François Elie-Lefebvre, responsable à la division combustible nucléaire de la direction de la production nucléaire et thermique d’EDF *, Mme Jessica Boutteau, directrice des transports et services à Orano NPS *, et M. Thibault Louvet, directeur général délégué à Orano NPS.

 M. Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS *

 Mme Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers * (FNTR), et M. Jean-Marc Rivéra, délégué général de l’Organisation des transporteurs routiers européens * (OTRE)

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

II.   Déplacements

13 novembre 2023

Déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à la gare de triage de Woippy (Moselle)

 

Composition de la délégation :

 

M. David Valence, président

M. Hubert Wulfranc, rapporteur

M. Sylvain Carrière

Mm Mireille Clapot

M. Matthieu Marchio

M. Thomas Portes,

Mme Huguette Tiegna

 

M. Belkhir Belhaddad, député de la Moselle

 

Élus locaux :

 

M. Thibaud Philipps, vice-président aux transports et mobilités durables de la région Grand Est, et M. Frédéric Doisy, chargé de mission transports

M. Cédric Gouth, maire de Woippy, vice-président de Metz Métropole et conseiller régional

 

SNCF :

 

M. Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe

Mme Stéphanie Dommange, coordinatrice régionale SNCF Grand Est

Mme Cécile Gourdon, directrice des ressources humaines de Fret SNCF et de Rail Logistics Europe

Mme Anne-Laure Demory, directrice de la communication de Fret SNCF et de Rail Logistics Europe

M. Julien Kauffmann, responsable communication externe et relations médias

M. Romain Lagarde, responsable relations institutionnelles et territoriales de Rail Logistics Europe

Mme Shéhérazade Méliani, directrice usine Grand Est et du site de Woippy

M. Philippe Aradas, infrapôle Lorraine SNCF Réseau

M. Alan Bordebeure, directeur production, directeur d’établissement adjoint SNCF Réseau infrapôle Lorraine

M. Gilles Campion, directeur usine ligne nationale

M. Laurent Wolfer, adjoint DU et responsable de la transformation

M. Marc Fabbroni, dirigeant d’atelier tri relais Woippy

Mme Marion Houpin, responsable des ressources humaines

M. Pascal Collignon, responsable territorial des relations sociales

M. Paul Fricot, responsable territorial d’affaires (ingénierie)

M. Serge Vigneule, responsable sécurité

M. Hazin Mekherbeche, référent méthode territorial

Délégués des instances représentatives du personnel

 

27 novembre 2023

Déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône)

 

Composition de la délégation :

 

M. Hubert Wulfranc, rapporteur

M. Hendrik Davi

M. Jean-Marc Zulesi

 

M. Pierre Dharréville, député des Bouches-du-Rhône

 

SNCF :

 

M. Jérôme Leborgne, président de Rail Logistics Europe

Mme Cécile Gourdon, directrice des ressources humaines de Fret SNCF et de Rail Logistics Europe

M. Karim Touati, directeur territorial de SNCF Réseau région Sud

M. Thierry Jacquinod, directeur commercial de SNCF Réseau région Sud

M. Christophe Girerd-Chanel, directeur usine Méditerranée

M. David Escobio, délégué territorial RLE région Sud

M.  Bertrand Richard, dirigeant de proximité du golfe de Fos

M. Romain Gonzalez, chef de chantier Fos Coussoul

Délégués des instances représentatives du personnel

 

 


–  1 

Annexe 1 – Le « plan de discontinuité »

 

 

 Lettre du 23 mai 2023 adressée par M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, à M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

 Annexe technique : socle de mesures de transformation économique

 


–  1 

 


–  1 

   Annexe 2 – Lettre du 24 octobre 2022 adressée par M. Olivier Guersent, directeur général de la concurrence à la Commission européenne, à M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne


 


–  1 

   Annexe 3 – Note de Fret SNCF sur le caractère insécable de ses activités mutualisées

 


 


([1]) Décision du 18 janvier 2023 notifiée à Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangère, Journal officiel de l’Union européenne du 4 avril 2023.

([2]) Communiqué de presse du 11 juillet 2023.

([3]) Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, septembre 2021

([4]) Investir plus et mieux dans les mobilités pour réussir leur transition, rapport de synthèse : stratégie 2023-2042 et propositions de programmation, décembre 2022

([5]) M. Julien Troccaz, secrétaire fédéral de SUD Rail, compte rendu n°8 du 19 septembre 2023.

([6]) M. Pascal Couturier, secrétaire général de la CFDT Cheminots, ibid.

([7])  Compte rendu n° 6 du 18 septembre 2023.

([8]) Compte rendu n° 2 du 12 septembre 2023.

([9]) Directive 91/440/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au développement de chemins de fer communautaires.

([10]) V. l’audition de M. Alexandre Gallo, président-directeur général de DB Cargo France et président de l’Association française du rail (AFRA), et la table ronde réunissant des opérateurs de fret ferroviaire en France, compte rendu n° 12 du 28 septembre 2023.

([11]) Dossier de presse du ministère chargé des transports, mai 2023.

([12]) V. en particulier la table ronde réunissant les organisations syndicales représentatives de la SNCF (compte rendu n° 8 du 18 septembre 2023), l’audition de MM. Pierre Ferracci et Stéphane Itier, cabinet SECAFI (compte rendu n° 9 du 20 septembre 2023), et l’audition de Mme Isabelle Besse et de M. Julien Kubiak, docteurs en sociologie (compte rendu n° 18 du 19 octobre 2023).

([13]) Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur la situation de la SNCF et ses perspectives, par MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautanel, sénateurs, n° 570, 9 mars 2022.

([14]) Compte rendu n° 20 du 24 octobre 2023.

([15]) V. compte rendu n°22 du 26 octobre 2023.

([16])  Données Eurostat, part modale du fret ferroviaire.

([17])  Traité instituant la Communauté économique européenne, 25 mars 1957.

([18])  Cour de justice des communautés européennes, arrêt du 22 mai 1985 dans l’affaire 13/83, Parlement c/ Conseil.

([19])  Livre blanc de la Commission européenne : Le Développement futur de la politique commune des transports, 2 décembre 1992.

([20])  Article 4, paragraphe 2, point g).

([21])  Règlement (CEE) n° 881/92 du Conseil, du 26 mars 1992, concernant l’accès au marché des transports de marchandises par route dans la Communauté exécutés au départ ou à destination du territoire d’un État membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres/

([22])  Règlement (CEE) n° 3118/93 du Conseil, du 25 octobre 1993, fixant les conditions de l’admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux de marchandises par route dans un État membre.

([23])  Règlement (CE) n° 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route.

([24])  « L’État du droit dans le transport routier de marchandises : une réglementation en trompe-l’œil », Stéphane Carré, Droit et Société, 46‑2000.

([25])  Décret-loi du 19 avril 1934, coordination des transports ferroviaires et routiers.

([26])  Directive européenne n° 87-540 du 9 novembre 1987 relative à l’accès à la profession de transporteur de marchandises par voie navigable dans le domaine des transports nationaux et visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres concernant cette profession.

([27])  « Le transport routier de marchandises à la veille de l’échéance européenne », Michel Braibant, Économie et Statistique n° 239, janvier 1991.

([28])  Données Eurostat, part modale du fret routier.

([29])  Rapport sénatorial d’information n° 55 (2010‑2011), Avenir du fret ferroviaire : comment sortir de l’impasse ?, déposé le 20 octobre 2010.

([30]) Rapport d’information de M. Éric Bocquet, fait au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, sur le dumping social dans les transports européens, 10 avril 2014.

([31])  Ibid.

([32])  Compte rendu n° 21 du 26 octobre 2023.

([33])  Compte rendu n°3 du 13 septembre 2023.

([34])  Compte rendu n°4 du 14 septembre 2023.

([35]) Compte rendu n° 12 du 28 septembre 2023.

([36])  Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, chargée d’identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l’industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l’industrie et notamment celle du médicament, 19 janvier 2022.

([37])  Chiffres rappelés dans la Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, septembre 2021.

([38])  Compte rendu n°6 du 18 septembre 2023.

([39]) Compte rendu n° 18 du 19 octobre 2023.

([40]) Compte rendu n° 21 du 26 octobre 2023.

([41])  Compte rendu n° 3 du 13 septembre 2023.

([42])  Compte rendu n° 11 du 28 septembre 2023.

([43])  Stratégie nationale de développement du fret ferroviaire, septembre 2021.

([44])  Compte rendu n° 25 du 14 novembre 2023.

([45])  Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance, Chiffres clés e-commerce 2023.

([46])  Rapport de l’inspection générale des finances, Pour un développement durable du commerce en ligne, février 2021

([47])  Compte rendu n°17 du 17 octobre 2023.

([48])  Compte rendu n°10 du 20 septembre 2023.

([49])  Compte rendu n°3 du 13 septembre 2023.

([50])  Compte rendu n°7 du 19 septembre 2023.

([51]) Compte rendu n°10 du 20 septembre 2023.

([52]) Compte rendu n°11, du 28 septembre 2023.

([53]) Cercle de réflexion Transport développement intermodalité environnement.

([54])  Compte rendu n°11, du 28 septembre 2023.

([55]) Audit sur l’état du réseau ferré national français (« rapport Rivier »), 2005.

([56])  Rapport sénatorial d’information n° 55 (2010‑2011), Avenir du fret ferroviaire : comment sortir de l’impasse ? déposé le 20 octobre 2010.

([57])  Compte rendu n°6 du 18 septembre 2023.

([58]) Compte rendu n° 22 du 26 octobre 2023.

([59]) Compte rendu n° 24 du 9 novembre 2023.

([60]) Ibid.

([61])  Stratégie nationale de développement du fret ferroviaire, septembre 2021.

([62])  Compte rendu n°7 du 19 septembre 2023.

([63])  Compte rendu n° 6 du 18 septembre 2023.

([64])  Compte rendu n°7 du 19 septembre 2023.

([65])  Compte rendu n°3 du 13 septembre 2023.

([66]) Compte-rendu n° 8 du 19 septembre 2023.

([67]) V. annexe 3.

([68])  Compte rendu n°6 du 18 septembre 2023.

([69]) Directive du Conseil des Communautés européennes n° 91-440 du 29 juillet 1991 relative au développement des chemins de fer communautaires.

([70]) La dette dite « Maastrichtienne » est constituée de l’ensemble des encours d’emprunt d’un État, de ses établissements publics et de ses collectivités locales, souscrit pour leur propre fonctionnement. Elle ne peut dépasser 60 % du PIB au titre des critères de Maastricht, définis par le Pacte de stabilité et de croissance adopté lors du Conseil européen d’Amsterdam en 1997.

([71]) Cour des comptes, communiqué de presse : Le réseau ferroviaire : une réforme inachevée, une stratégie incertaine, 16 avril 2008.

([72]) Décret n° 97-444 du 5 mai 1997.

([73]) Anne Galitzine, « SNCF/RFF : La bataille du foncier », Le Moniteur, 17 décembre 1999.

([74]) Article L. 2111-10 du code des transports.

([75])  Compte rendu n°4 du 14 septembre 2023.

([76]) Compte rendu n°10 du 20 septembre 2023.

([77]) Compte rendu n° 18 du 19 octobre 2023.

([78]) Compte rendu n°11 du jeudi 28 septembre 2023.

([79]) Compte rendu n°4 du 14 septembre 2023.

([80]) Compte rendu n° 18 du 19 octobre 2023.

([81]) Compte rendu n°11 du jeudi 28 septembre 2023.

([82]) La dette de Fret SNCF n’est pas comptable puisqu’il n’existait pas de société indépendante mais elle est analytique.

([83]) Compte rendu n°11 du jeudi 28 septembre 2023.

([84]) Rapport sénatorial d’information n° 92 (2013‑2014) : Le service public ferroviaire et les collectivités territoriales, 22 octobre 2013, Edmond Hervé.

([85]) Cour des comptes, référé « La situation du transport de marchandises par le groupe SNCF Mobilités », 3 juillet 2017.

([86]) Compte rendu n°8 du 19 septembre 2023.

([87]) Ibid.

([88]) Cour de justice de l’Union européenne, France c/ Commission, 3 avril 2014.

([89]) Compte rendu des débats lors de l’examen en commission.

([90]) Décision de l’ARAF du 22 avril 2015.

([91]) Décision de l’ARAF du 22 avril 2015.

([92]) Compte rendu n° 13 du 5 octobre 2023.

([93]) À la suite de son refus d’approuver les règles de séparation comptable de Fret SNCF le 22 avril 2015, l’Autorité a demandé à SNCF Mobilités, de lui soumettre de nouvelles règles de séparation comptable prenant en compte la nouvelle organisation du groupe public ferroviaire issue de la loi portant réforme ferroviaire du 4 août 2014. Après une première décision en décembre 2016 par laquelle l’Autorité a refusé d’approuver les règles de séparation comptable soumises fin 2015, elle a finalement approuvé le 31 janvier 2019 les nouvelles règles de séparation comptable de SNCF Mobilités soumises en octobre 2018.

([94]) Compte rendu n° 16 du 16 octobre 2023.

([95]) Compte rendu n° 20 du 24 octobre 2023.

([96]) Commission européenne, décision du 18 janvier 2023 d’ouverture d’une procédure pour aide d’État.

([97]) Compte rendu n° 20 du 24 octobre 2023.

([98]) Jean-Cyril Spinetta, Rapport sur l’avenir du transport ferroviaire, 15 février 2018.

([99]) Compte rendu n° 24 du 9 novembre 2023.

([100]) Compte rendu n°11 du 28 septembre 2023.

([101]) Compte rendu n°11 du jeudi 28 septembre 2023.

([102]) Compte rendu n° 8 du mardi 19 septembre 2023.

([103]) Compte rendu n°11 du jeudi 28 septembre 2023.

([104]) Compte rendu n° 16 du lundi 16 octobre 2023.

([105]) Compte rendu n° 8 du 19 septembre 2023.

([106]) Compte rendu n°11 du  28 septembre 2023.

([107]) Proposition d’accompagnement DGITM/APE « projet Horizon », McKinsey&Company.

([108]) Compte rendu n°4du 14 septembre 2023.

([109]) Compte rendu n° 6 du 18 septembre 2023.

([110]) Compte rendu n° 8 du 19 septembre 2023.

([111]) Commission européenne, décision du 18 janvier 2023 d’ouverture d’une procédure pour aide d’État.

([112]) Ibid.

([113]) Considérant 53.

([114]) Déclaration du ministre du 18 janvier 2023.

([115] Compte rendu n° 3 du 13 septembre 2023.

([116]) V. annexe 1.

([117]) Compte rendu n°8 du 19 septembre 2023.

([118]) Compte rendu n° 9 du 20 septembre 2023.

([119]) Compte rendu n° 6 du 18 septembre 2023.

([120]) Compte rendu n° 24 du 9 novembre 2023.

([121]) Compte rendu n°8 du 19 septembre 2023.

([122]) Compte rendu n° 13 du jeudi 5 octobre 2023.

([123]) Compte rendu n° 3 du 13 septembre 2023.

([124]) Compte rendu n°11 du jeudi 28 septembre 2023.

([125]) Compte rendu n°8 du 19 septembre 2023.

([126]) Compte rendu n° 9 du 20 septembre 2020.

([127]) Compte rendu n° 3 du 13 septembre 2023.

([128]) Compte rendu n° 8 du 19 septembre 2023.

([129]) Rapport d’information de Nicole Bonnefoy et Rémy Pointreau fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat (2021).

([130])  La loi de finances pour 2023 a augmenté la part de TICPE affectée à l’AFIT. Celle-ci s’élève désormais à presque 2 milliards d’euros.

([131])  Compte rendu n° 7 du 19 septembre 2023.

([132])  Compte rendu n° 8 du 19 septembre 2023.

([133])  Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), « Participation du transport routier au financement des infrastructures » (2015).

([134])  Estimation de l’ADEME, « Analyses des conditions de reprise d’une valeur équitable du carbone » (2021), à partir des chiffres de la DGDDI.

([135]) Règlement 4059/89/CEE.

([136])      Compte rendu n° 13 du 5 octobre 2023.

([137]) Audition du 29 janvier 2019 devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

([138])  Dominique Bureau, Claude Gressier, « Couverture des coûts des infrastructures routières », Ministère de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer et ministère de l’écologie et du développement durable, 2003.

([139]) Voir par exemple Antoine Bergerot, Gabriel Comolet, Thomas Salez, « Les usagers de la route paient-ils le juste prix de leurs circulations », Trésor-Éco n° 283, 2021.

([140])  CE Delft, « State of play of Internalisation in the European Transport Sector », 2019.

([141])  En toute rigueur, une subvention kilométrique au fret ferroviaire devrait être inférieure au différentiel d’externalités avec le transport routier sur le réseau non concédé, puisque le transport routier sur réseau non concédé ne représente qu’une partie du transport routier total.

([142]) Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports de mai 2012 à août 2014, compte rendu n° 4 du  14 septembre 2023.

([143]) Rapport de la mission d’information de la conférence des présidents sur l’écotaxe poids lourds, M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur, Assemblée nationale, 14 mai 2014.

([144])  Compte rendu n° 13 du 5 octobre 2023.

([145])  Cour des comptes, « L’écotaxe poids lourds : un échec stratégique, un abandon coûteux » (rapport annuel 2017).

([146])  « Son abandon est dû aux protestations des Bretons, notamment d’un grand ministre breton à quelques mois des élections régionales […] la démagogie de certains élus locaux, de certains acteurs économiques et du transport routier a fait son œuvre » (compte rendu n° 7 du 19 septembre 2023).

([147])  Compte rendu n° 4 du 14 septembre 2023.

([148])  Dans sa réponse au rapport de la Cour des comptes, le Premier ministre affirme que les recettes issues de la hausse de TICPE s’élèveraient à 42 millions d’euros en 2015 pour les poids lourds sous pavillon étranger (au lieu de 25 millions d’euros selon la Cour des comptes), ce qui représenterait « 15 % » du produit de la hausse de TICPE. Cette présentation est faussée, car le Premier ministre ne prend en compte que la hausse de la TICPE sur les poids lourds, qui supportent moins de la moitié de la hausse de TICPE.

([149]) Audition de M. Guillaume Pepy, compte rendu ° 4 du 18 septembre 2023.

([150]) Cour des comptes européenne, rapport spécial « Le transport ferroviaire de marchandises dans l’UE : toujours pas sur la bonne voie » (2016).

([151]) Compte rendu n° 6 du 18 septembre 2023.

([152])  Article L. 312-48 du code des impositions sur les biens et services.

([153])  Le tarif de 60,75 euros correspond au taux normal majoré d’une fraction régionale facultative de 1,35 euro. Toutes les régions ont choisi d’appliquer cette majoration sauf la région Auvergne-Rhône-Alpes et la Corse, où le tarif global de TICPE est légèrement inférieur.

([154]) Décret n° 2014-1395 du 24 novembre 2014.

([155])  Ce taux forfaitaire est actuellement fixé par une circulaire du ministre en charge des comptes publics du 5 janvier 2023. Ce taux tient compte des disparités de tarif qui peuvent exister entre les régions.

([156])  Voir par exemple les rapports du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) de 2018 et 2021.

([157])  Interview du 31 août 2023 à Sud Radio. Retranscrite sur le site vie-publique.fr : https://www.vie-publique.fr/discours/291015-christophe-bechu-31082023-politique-economique

([158])  Directive 1999/62/CE du 17 juin 1999 révisée par la directive 2022/362 du 24 février 2022. Les dispositions de la directive sont codifiées aux articles L. 199-5 à L. 199-8 du code de la voirie routière.

([159])  Article 7 quater de la directive Eurovignette.

([160])  Par une directive du 24 février 2022.

([161]) La redevance obligatoire (article 7 quater bis de la directive) couvre les coûts de pollution atmosphérique. La pollution sonore et les effets de congestion peuvent faire l’objet d’un autre prélèvement facultatif.

([162]) Loi n° 2023-171 du 9 mars 2023.

([163])  Décret prévu à l’article L. 119-13 du code de la voirie routière. Un projet de décret a été mis en consultation du 16 octobre au 10 novembre 2023.

([164])  Article 137 de la loi d’habilitation (loi « climat et résilience » du 22 août 2021).

([165]) L’ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 prévoit également la possibilité pour la collectivité européenne d’Alsace d’instituer une écotaxe sur son réseau routier. L’écotaxe alsacienne sera effective en 2025.

([166])  Article 40 de la loi « 3DS » du 21 février 2022.

([167]) Décret n° 2022-459 du 30 mars 2022 pris en application de l’article 38 de la loi 3DS.

([168]) Décision du 4 janvier 2023 signée du ministre des transports.

([169])  Autoroutes A30, A31, A33, A313. La région récupérera aussi la gestion de quatre routes nationales affectées par le trafic transfrontalier.

([170]) Avis du COI sur la stratégie de développement du fret ferroviaire (2021), recommandation n° 1.

([171])  Plus exactement, les départements pourront décider de l’extension à une route département d’une taxe régionale qui aurait pour effet de reporter une part importante du trafic vers cette route. Mais les textes ne prévoient pas que les départements puissent prendre l’initiative d’une telle taxe, même en cas de report de trafic en provenance d’une autoroute concédée.

([172])  Rapport d’information précité de Mme Nicole Bonnefoy et M. Rémy Pointreau (2021).

([173])  Compte rendu n° 4 du 14 septembre 2023.

([174])  Compte rendu n° 7 du 19 septembre 2023.

([175])  Compte rendu n° 12 du 28 septembre 2023.

([176])  La composante sonore fait actuellement l’objet d’une taxation forfaitaire de 2 centimes par kilomètre, sans tenir compte des caractéristiques du véhicule. Son mode de calcul va être harmonisé avec les deux autres composantes.

([177])  M. Philippe Denolle, vice-président de Convergence nationale rail, compte rendu n° 15 du 16 octobre 2023.

([178]) En moyenne 23 centimes d’euro par véhicule et par kilomètre selon M. Philippe Denolle, ibid..

([179])  Proposition de directive COM (2023) 702, révisant la directive « transport combiné » 92/106/CEE. La proposition de directive a été présentée le 7 novembre 2023.

([180])  Référé du 3 juillet 2017.

([181])  Directive 96/53/CE révisée par la directive 2015/719.

([182])  Dans sa proposition de directive 2023/0265 (COD) modifiant la directive 96/53/EC, présentée le 11 juillet 2023, la Commission propose d’autoriser jusqu’en 2035 la circulation des poids lourds de 44 tonnes entre les États membres qui l’ont déjà autorisée sur leur territoire. À partir de 2035, les poids lourds de plus de 40 tonnes ne pourront plus circuler entre les États membres sauf transport combiné ou véhicules « zéro émission » (électricité ou hydrogène).

([183]) Lettre de mise en demeure de la Commission européenne du 30 octobre 2020.

([184]) Décret n° 2021-1006 du 29 juillet 2021.

([185])  L’interdiction définitive de circulation d’une ou plusieurs catégories de véhicules ne peut toutefois être décidée que par arrêté du ministre de l’intérieur et du ministre des transports (article R. 411-18 du code de la route).

([186]) Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte – nous soulignons.

([187])  Directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012.

([188])  M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, compte rendu n° 3 du 13 septembre 2023.

([189]) Chiffres communiqués au rapporteur par l’Autorité de régulation des transports. Calculé selon la méthode de Moriarity.

([190]) Nous soulignons.

([191]) M. Louis Gallois, compte rendu n° 6 du 18 septembre 2023.

([192])  Dans la période sur laquelle porte le rapport (en date de 2016). Ce chiffre (hors compensation publique) est aujourd’hui de 4 %.

([193]) Rapport précité de la Cour des comptes européenne (2016) – nous soulignons.

([194])  Compte rendu n° 2 du 12 septembre 2023.

([195]) Compte rendu n° 22 du 26 octobre 2023.

([196])  Avis du COI sur le projet de stratégie nationale de développement du fret ferroviaire.

([197])  Décret n° 2003-194 du 7 mars 2003. L’article 31 a subi plusieurs modifications, dont la dernière par le décret n° 2018-462 du 7 juin 2018.

([198])  L’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection du ministère de l’environnement sont précisément en train de conduire une étude sur l’évolution du modèle de tarification des péages ferroviaires. Au moment où la commission d’enquête menait ses travaux, la mission conjointe n’avait pas encore commencé à travailler sur la question spécifique des péages fret.

([199]) M. Stéphane Itier, directeur du groupe Alpha, compte rendu n° 9 du 20 septembre 2023.

([200]) Compte rendu n° 22 du 26 octobre 2023.

([201]) Compte rendu n° 12 du 28 septembre 2023.

([202])  Voir le 9e rapport sectoriel de la Bundesnetzagentur sur le rail (juillet 2023).

([203])  Compte rendu n° 13 du 5 octobre 2023.

([204])  L’ordonnance n° 2019-183 du 11 mars 2019 a fixé un cadre de tarification pluriannuel (trois ans). Le prochain cycle couvrira la période 2027-2029.

([205])  Compte rendu n° 3 du 13 septembre 2023.

([206])  Voir la communication 2008/C 184/07 du 22 juillet 2008.

([207])  Proposition de directive COM (2023) 702 révisant la directive 92/106/CEE.

([208])  Par le décret n° 2022-399 du 18 mars 2022. Le document avait en réalité déjà été publié en septembre 2021, juste après l’adoption de la loi « climat et résilience ».

([209])  Article 131 de la loi « climat et résilience ».

([210]) Compte rendu n° 3 du 13 septembre 2023.

([211]) Compte rendu n° 2 du 12 septembre 2023.

([212])  Annexe 15 au rapport sur le projet de loi de finances pour 2024, Assemblée nationale, XVIe législature, n° 1745.

([213])  « Les co-bénéfices du fret ferroviaire », rapport écrit pour l’alliance 4F (2021). Selon cette étude, les investissements de long terme nécessaires pour un doublement de la part modale s’élèvent à 12 milliards d’euros.

([214]) Rapport d’information de MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel sur « la situation de la SNCF et ses perspectives » (2022)

([215]) Soit 3 centimes d’euro par tonne.km appliqués à 300 milliards de tonnes.km par an de transport routier de marchandises.

([216]) M. Alain Vidalies, compte rendu n° 13 du 5 octobre 2023.

([217])  Point 122 de la décision du 18 janvier 2023.

([218]) Point 90 de la décision du 18 janvier 2023.

([219]) Point 91 de la décision du 18 janvier 2023.

([220]) Point 91 de la décision du 18 janvier 2023.

([221])  CJUE, 21 mars 1990, Belgique c/ Commission, « Tubemeuse ».

([222])  CJUE, 13 octobre 2011, Commission c/ Italie.

([223])  « En vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités » (article 4 paragraphe 3 du TUE).

([224])  Article 5 paragraphe 4 du TUE.

([225])  « Dans ce type de cas, les États membres prennent donc très rapidement l’attache de la Commission pour évaluer la probabilité d’une décision négative et organiser la solution de discontinuité la moins défavorable possible. » Compte rendu n° 20 du 24 octobre 2023.

([226])  « La décision du 18 janvier a constitué, je l’ai dit, une rupture, mais nous n’en avons pas été étonnés. » Compte rendu n° 23 du 9 novembre 2023.

([227])  « Il semblerait qu’il y ait un risque sérieux – je le dis avec prudence, puisque tel est l’objet de l’enquête – que la Commission considère in fine qu’il s’agit bien d’aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur. » Ibid.

([228]) Compte rendu n° 13 du 5 octobre 2023.

([229])  Article 16 du règlement de 2015.

([230])  Considérant 8 du règlement de 2015.

([231])  Compte rendu n° 20 du 24 octobre 2023.

([232])  Compte rendu n° 23 du 9 novembre 2023.

([233])  Conseil constitutionnel, décision QPC du 12 octobre 2012 « Canal Plus ».

([234])  Article 278 du TFUE. Il existe la possibilité d’un sursis à exécution, mais ce sursis n’est pas de droit.

([235])  Voir le point 72 de la communication de la Commission sur la récupération des aides d’État du 23 juillet 2019.

([236])  Emmanuel Puisais-Jauvin, secrétaire général des affaires européennes, compte rendu n° 23 du 9 novembre 2023.

([237]) V. l’audition de M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, compte rendu n° 3 du 13 septembre 2023.

([238])  C’est-à-dire en respectant les « lignes rouges » présentées par le ministre délégué chargé des transports à la commission d’enquête : préserver l’emploi au sein d’un opérateur ferroviaire public ; « garder un opérateur ferroviaire public, non pas dans sa structure actuelle – d’où le terme de “discontinuité” –, mais dans le sens où son capital restera très majoritairement public » ; éviter le report modal inversé (ibid.). Voir aussi les propos de M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF : « Nous ne pouvons pas prendre le risque de faire trancher ce litige par la Cour de justice. Il faut accepter la discontinuité et la mettre en place de la manière la plus propre possible. » (Compte rendu n° 6 du 18 septembre 2023.)

([239])  La chute qu’a connue le seul transport combiné est de 22 % au premier semestre 2023 et de 10 % au troisième trimestre (Contexte, 22 novembre 2023).

([240]) Plusieurs des personnes entendues par la commission d’enquête ont exprimé des doutes quant à la capacité de la France à atteindre l’objectif de 18 % de part du ferroviaire dans le transport de marchandises en 2030. M. Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe, a lui-même exprimé son inquiétude le 15 novembre 2023 devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat et a estimé plus « réaliste » de penser que le fret ferroviaire pourra atteindre 15 % de part de marché d’ici à 2030, et non 18 %, comme le prévoit la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire (ibid.).

[241] Cf. page 38 du rapport.

[242] Cf. chiffres-clés du transport ; service de l’observation et des statistiques du Commissariat général du développement durable, mars 2016.