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N° 2000

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur
les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire,

 

 

Président

M. Frédéric DESCROZAILLE

 

Rapporteur

M. Dominique POTIER

Députés

 

——

 

 

TOME I

RAPPORT

 

 

 

 Voir les numéros : 1310 et 1360.

 


La commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire, est composée de : M. Frédéric Descrozaille, président ; M. Dominique Potier, rapporteur ; Mme AnneLaure Babault ; M. Jean-Luc Fugit ;
Mme Marie Pochon ; M. Michel Sala ; Mme Françoise Buffet ; M. André Chassaigne ; Mme Laurence Heydel Grillere ; M. Yannick Neuder ; M. Dominique Potier ; M. Christophe Barthès ; M. Benoît Bordat ; M. Jean-Luc Bourgeaux ; M. Guy Bricout ; M. Aymeric Caron ; M. Paul Christophe ; Mme Claire Colomb-Pitollat ; M. Grégoire de Fournas ; Mme Marine Hamelet ; Mme Mathilde Hignet ; M. Timothée Houssin ; M. Pascal Lavergne ; Mme Sandrine Le Feur ; Mme Nicole Le Peih ; M. Éric Martineau ; M. Loïc Prud’homme ; M. Alexandre Sabatou (à compter du 14 décembre 2023) ; M. Jean-Philippe Tanguy (jusqu’au 13 décembre 2023) ; Mme Mélanie Thomin ; M. Nicolas Turquois ; M. Pierre Vatin.

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

2013-2023 une décennie (presque) perdue ; les conditions de la réussite pour 2030

résumé

I. réduire les risques et usages des produits phytosanitaires, un impératif qui ne peut plus faire débat aujourd’hui

A. définition et état des lieux des usages au sein de la ferme France

1. Que sont les produits phytosanitaires ?

a. Un moyen de protection des cultures qui s’est imposé après la deuxième guerre mondiale

b. Effort de définition

2. Quels en sont les usages au sein de la ferme France ?

a. De la difficulté de mesurer les usages et leur évolution

b. Des usages qui situent l’agriculture française dans la moyenne européenne

c. Des volumes très variables selon les catégories de produits

d. …et selon les cultures

e. Une évolution des usages peu convergente avec la trajectoire de réduction annoncée

f. Les usages dans les Outre-mer

3. Mieux connaître et mesurer les usages à l’échelle des exploitations et de la ferme France

a. Progresser sur l’enregistrement des pratiques agricoles

b. À la recherche d’un bon indicateur pour mesurer l’évolution des usages

B. des impacts indésirables aujourd’hui largement documentés et incontestables

1. Les produits phytopharmaceutiques ont largement contaminé l’environnement

a. Les études scientifiques révèlent que tous les compartiments de l’environnement sont contaminés

b. La qualité de l’eau, un sujet de préoccupation majeur aujourd’hui, qui met largement en cause les produits phytopharmaceutiques

c. Il est urgent de progresser sur la connaissance de l’impact de ces produits sur la qualité de l’air

d. L’impact des pesticides sur la qualité des sols est également avéré et doit être davantage documenté

2. Un impact massif sur la biodiversité animale et végétale

a. Les pesticides, une cause majeure du déclin de la biodiversité

b. Des impacts directs et graves sur les écosystèmes

c. Des impacts indirects multiples, encore partiellement appréhendés

d. Une dégradation des services écosystémiques

3. Un impact prouvé sur la santé humaine

a. Un impact établi avec un niveau de preuve fort par les expertises collectives de l’INSERM

b. Encore de nombreux axes de recherche à explorer

c. Les travailleurs de la terre en sont les premières victimes et doivent être davantage protégés

II. consolider les rÉgimes d’autorisation des produits phytopharmaceutiques

A. Des produits dangereux, soumis À autorisation de longue date

1. Les produits phytopharmaceutiques ont, en raison de leur nature, toujours été encadrés

a. Dès 1943, la puissance publique régule la commercialisation des produits phytopharmaceutiques

b. La loi du 22 décembre 1972 renforce l’évaluation des risques et précise leurs conditions d’utilisation

2. Avec la mise en place du marché unique, cet encadrement est progressivement devenu européen

a. La directive de 1991 se fonde sur la reconnaissance mutuelle des AMM entre États membres

b. Le règlement 1107/2009 pose les bases du régime actuel d’autorisation des produits

c. La directive 2009/128 introduit l’objectif d’une réduction des risques et des usages

3. En France, l’évaluation des risques et les décisions d’autorisation ont été progressivement transférées du ministère de l’agriculture à l’Anses

a. 2006 : transfert de l’évaluation des risques à l’Afssa, devenue Anses

b. 2014 : une décision historique de transfert des décisions d’AMM à l’Anses

4. Entre remise en cause de la procédure d’autorisation et échec des ambitions européennes, un contexte peu porteur

a. Vers une remise en cause du rôle de l’Anses ?

b. L’échec des négociations relatives au règlement européen SUR

B. examen de la procédure d’autorisation des produits phytopharmaceutiques

1. L’homologation des substances actives, une compétence européenne

a. Un préalable : l’évaluation de la dangerosité des substances par l’Echa

b. La procédure d’évaluation par l’Efsa est largement conduite en coopération avec les États membres

c. La gestion du risque est laissée à la Commission européenne et aux États membres

2. L’autorisation de mise sur le marché des produits relève des États membres

a. La philosophie de cette répartition : les produits doivent être adaptés aux conditions locales

b. L’évaluation des risques est conduite par l’Anses

c. La décision d’autorisation de mise sur le marché relève également de l’Anses

d. Le ministère de l’agriculture conserve un pouvoir de dérogation restreint

3. Le suivi ex-post de l’impact des produits en vie réelle et les éventuels réexamens

4. La procédure réglementaire d’autorisation a été le principal facteur d’évolution des usages des produits phytopharmaceutiques

a. L’interdiction de molécules toujours plus nombreuses au niveau européen

b. Les décisions de l’Anses sont venues restreindre les usages et interdire d’autres produits

C. pour la consolidation d’un rÉgime d’autorisation fondÉ sur les donnÉes scientifiques et harmonisÉ à l’Échelle europÉenne

1. Les décisions d’autorisation de mise sur le marché des produits doivent rester à l’autorité scientifique

a. Le transfert des AMM à l’Anses, une clarification salutaire du caractère incontournable de l’évaluation scientifique

b. La responsabilité politique réside dans la définition du niveau de risque acceptable

c. Le travail des agences sanitaires n’est pas contesté en tant que tel

d. Conforter l’Anses dans ses missions actuelles d’évaluation et d’octroi des AMM

2. La capacité des agences sanitaires à produire des évaluations exhaustives doit être renforcée

a. Renforcer le cadre méthodologique des évaluations pour mieux prendre en compte les données issues de la recherche

b. Des limites méthodologiques et délais liés à un manque de ressources

3. Le processus d’amélioration de la déontologie et de la transparence de ces agences doit être entretenu

a. L’Efsa observe des règles de déontologie strictes

b. Le règlement 2019/1381 contribue largement à améliorer la transparence des évaluations

c. Au sein de l’Anses, un réel effort de questionnement des processus internes

4. L’évaluation en vie réelle des produits doit être renforcée via le dispositif de phytopharmacovilance

a. Accroître le financement du dispositif et développer la phyto-pharmaco-épidémiologie

b. Et aller vers une phytopharmacovigilance à l’échelle européenne

5. Les décisions de mise sur le marché doivent être harmonisées à l’échelle européenne afin de gommer les situations de concurrence déloyale

III. réparer le continuum recherche-développement pour massifier les pratiques

A. recherche fondamentale et appliquée : des efforts à structurer, des liens à renforcer encore

1. Les acteurs de la recherche

a. La recherche fondamentale

b. La recherche appliquée et le développement : instituts techniques, firmes et filières

2. Un renouveau de la recherche, tant dans les technosolutions que dans les systèmes

a. L’innovation technique suscite des espoirs importants

b. Un renouveau de la recherche en agronomie

3. Des innovations qui viennent aussi des agriculteurs

4. Mais des difficultés dans le transfert de la recherche et des solutions

5. Les efforts de recherche doivent être mieux structurés pour embrasser quatre grandes priorités

a. L’agronomie, les paysages, les territoires et la sociologie

b. Le développement d’une approche prophylactique

c. Les filières sur l’ensemble de la chaîne de valeur

d. À plus court terme, l’anticipation des retraits de molécules

B. Le réseau des FERMES DEPHY : laboratoire grandeur nature des transitions attendues

1. Un réseau d’agriculteurs pionniers bénéficiant d’un accompagnement renforcé

2. Des résultats plutôt encourageants

3. GIEE et 30 000 fermes, l’échec de la massification

a. Les GIEE

b. Le réseau des 30 000 fermes

C. Le conseil aux agriculteurs : un impensé du plan Écophyto

1. Les CEPP, un mécanisme de régulation innovant et prometteur

2. La séparation du conseil et de la vente de produits phytopharmaceutiques : chronique d’un échec annoncé

a. Une réforme louable dans son objet initial

b. Un échec unanimement reconnu

3. Vers une refonte globale du conseil aux agriculteurs

a. Remettre dans le jeu les techniciens des coopératives et du négoce

b. Généraliser le déploiement d’un conseil stratégique global à destination de tous les agriculteurs

c. Renforcer la formation des conseillers et expérimenter un ordre professionnel

IV. les aides publiques comme levier de la transition agroécologique

A. Transition agro-Écologique : le rendez-vous manquÉ de la nouvelle PAC et du Plan stratÉgique national français

1. La nouvelle PAC, un tournant vers la transition agroécologique ?

2. Le PSN français, un rendez-vous manqué

a. Analyse des grands équilibres du PSN

b. Un premier pilier peu exigeant sur le plan environnemental

c. Un second pilier trop faiblement doté

B. réformer le psn dès 2024

1. Différencier les aides en tenant compte des actifs

2. Réformer le cahier des charges de la certification HVE

3. Soutenir le potentiel de développement de l’agriculture biologique

4. Conforter la dynamique des Maec

5. Expérimenter un système assurantiel destiné à couvrir le risque des changements de pratiques

C. Pour un fonds permanent d’innovation agroécologique au service des agriculteurs

V. des règles de marché loyales au service de l’agroécologie

A. L’agriculture française en situation de perte de compétitivité

B. instaurer une relation commerciale équitable avec les pays tiers

1. Des importations extra-UE qui ne sont pas soumises aux normes phytosanitaires européennes

a. Les limites du contrôle des limites maximales de résidus

b. Une solution transitoire : la clause de sauvegarde

c. Le recours à l’indication de l’origine

d. Des enjeux particulièrement complexes Outre-mer

2. Mettre en place des règles équitables

a. Supprimer les tolérances à l’importation pour tous les produits interdits dans l’UE

b. Mettre en place des mesures miroir, une nécessité et un défi

c. La contrepartie : aller jusqu’au bout de l’interdiction d’export des produits interdits dans l’UE

C. mettre un terme aux distorsions internes à l’union européenne

1. Des distorsions de concurrence difficiles à objectiver

a. Un travail hétérogène de la part des agences sanitaires ?

b. Un inégal recours aux dérogations de l’article 53 ?

c. Des situations de distorsion bien réelles

2. Parachever l’harmonisation européenne

a. Un objectif de réduction commun, un prérequis

b. Travailler sur les écarts de réglementation observés entre États

c. Aller vers une harmonisation complète de la procédure d’autorisation à l’échelle de l’UE

D. créer les conditions de l’agroécologie par le marché en France

1. Une situation de verrouillage par le marché à l’origine de blocages profonds

a. Une demande de produits standardisés de la part des transformateurs et distributeurs

b. Une difficulté à valoriser les espèces de diversification

c. Un consommateur qui peine à hiérarchiser les enjeux

2. Accompagner les évolutions du marché

a. Utiliser pleinement le levier de la commande publique

b. Comment embarquer le consommateur ?

c. Relancer le bio

d. Responsabiliser l’aval de la chaîne

e. Faire évoluer les cahiers des charges de l’alimentation animale

f. Poser la question de la chaîne de valeur dans l’agro-fourniture

VI. L’urgence d’un véritable pilotage politique et stratégique de la réduction des produits phyto

A. Une politique publique actuellement sans pilote, sans vision d’ensemble

1. Des actions éclatées, sans vision d’ensemble possible

a. Les crédits dédiés à la réduction des produits phytosanitaires ne font l’objet d’aucun pilotage global

b. Une forme de saupoudrage, un ciblage insuffisant sur les actions à fort levier

c. Des actions trop déliées de la grande enveloppe de la PAC

2. Une gouvernance largement perfectible

a. Une gouvernance interministérielle peu opérationnelle

b. Une rupture entre l’échelon national et l’échelon territorial

c. Des acteurs clé jugés insuffisamment mobilisés

3. Une architecture complexe, des canaux de financement peu lisibles

B. Pour une vraie politique de réduction des produits phytosanitaires à la gouvernance rénovée

1. La politique de réduction des produits phytosanitaires doit être portée pour un temps au niveau interministériel par Matignon et le SGPE

2. Elle doit être articulée au niveau territorial par les Draaf, en lien avec l’échelon national

3. La maquette du plan Écophyto doit être simplifiée et retracer l’ensemble des financements déployés

4. Passer d’une politique de moyens à une politique de résultats

5. Calibrer les moyens investis dans les politiques préventives en fonction des coûts de réparation prévisionnels

6. Éléments de réflexion en vue d’une nouvelle maquette budgétaire

C. Inscrire écophyto dans un horizon politique partagé

VII. une urgence : la sanctuarisation des captages pour l’alimentation en eau potable

A. La pollution des captages pour l’AEP : un enjeu d’ores et déjà très prégnant

B. Une approche curative privilégiée, des dispositifs préventifs mous ou peu utilisés

1. La mise en place de dispositifs dédiés à la prévention des pollutions diffuses

a. Des périmètres de protection plutôt établis pour lutter contre les pollutions accidentelles

b. La prise en compte des pollutions diffuses au sein des aires d’alimentation des captages : les ZSCE

c. Les obligations réelles environnementales (ORE)

d. Le droit de préemption sur les surfaces agricoles

e. Les plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE)

2. Des dispositifs globalement insuffisants ou peu utilisés

a. Des actions incitatives privilégiées

b. Des dispositifs réglementaires inégalement utilisés

c. Un constat globalement très mitigé

3. Une approche curative de plus en plus intenable

C. Se donner les moyens d’une suppression des pesticides dans les aires d’alimentation, une urgence

1. Le plan « Eau » du Gouvernement : l’amorce d’une réponse

2. Aller plus loin encore dans l’obligation de résultats

pour conclure : plaidoyer pour l’agronomie comme science du vivant

Liste des recommandations

Examen en commission

Contributions des groupes politiques et des députés

1. Contribution de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission d’enquête, député du Val-de-marne, M. Jean-Luc Fugit, vice-président de la commission d’enquête, député du Rhône, M. Pascal Lavergne, député de Gironde, Mme Nicole Le Peih, députée du Morbihan, et M. Nicolas Turquois, député de la Vienne

2. Contribution de M. Grégoire de Fournas, député de Gironde, au nom du groupe Rassemblement National

3. Contribution du groupe La France insoumise – NUPES

4. Contribution de Mme Marie Pochon, vice-présidente de la commission d’enquête, députée de la Drôme, au nom du groupe Écologistes – NUPES

5. Contribution de M. André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme, au nom du Groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES

6. Contribution de Mme Laurence Heydel Grillere, députée de l’Ardèche

7. Contribution de Mme Anne-Laure Babault, vice-présidente de la commission d’enquête, députée de Charente-Maritime

8. Contribution de M. Éric Martineau, député de la Sarthe

PERSONNES AUDITIONNÉES

personnes rencontrées lors des déplacements

ANNEXES

Annexe n° 1 : Bouclage biomasse – document de travail du sgpe

Annexe n° 2 : introduction du rapport « Pesticides et agro-écologie – LES CHAMPS DU POSSIBLE » de 2014

Annexe n° 3 : « AGRIBASHING »

Annexe n° 4 : Conclusion des états généraux de l’alimentation de 2017

Annexe n° 5 : « One Health » - 2021

Annexe n° 6 : CGAAER/CGEDD/IGF - évaluation des actions financières du programme Ecophyto (2021 - résumé

Annexe n° 7 : CGAAER - bilan de la séparation vente-conseil (2023) - résumé et propositions

 


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   introduction

   2013-2023 une décennie (presque) perdue ;
les conditions de la réussite pour 2030

 

Nourrir et prendre soin !

Nourrir tous les Français – y compris les plus pauvres – avec une alimentation de qualité́, contribuer par un juste échange à nourrir 10 milliards d’êtres humains à l’horizon 2050. Prendre soin de notre santé et, par là même, de celle de l’eau, de l’air, du sol et de la biodiversité́. Prendre soin de notre terre afin qu’elle demeure nourricière. Une seule terre, une seule santé !

Une immense majorité́ de nos concitoyens partage cette visée. Et c’est dans cet état d’esprit que nous avons, avec le Président Frédéric Descrozaille, animé les travaux de notre commission d’enquête, proposée par le groupe Socialistes et apparentés.

L’exposé des motifs de la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d’enquête souligne qu’elle « visera à identifier les causes structurelles et conjoncturelles de l’incapacité à atteindre les objectifs du plan de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale, en particulier depuis une décennie et le rapport de l’INSERM.

Elle s’attachera notamment à mesurer la pertinence du pilotage interministériel des priorités d’actions dans les filières et les territoires.

Elle visera à rendre visible le jeu des acteurs incarnant la puissance publique et des représentants des intérêts privés dans la définition des objectifs opérationnels et la mise en œuvre des moyens afférents.

Elle portera un regard singulier sur les enjeux propres au statut et à la mission des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire et de la recherche. Elle évaluera la performance de l’allocation des crédits publics affectés et la cohérence budgétaire et réglementaire avec l’ensemble des politiques publiques incidentes (…).

Elle observera comment est pratiquement intégrée l’approche One Health afin de permettre un déverrouillage systémique de ce qui fait encore aujourd’hui obstacle à la réussite du plan Ecophyto.

 

Enfin, la Commission d’enquête sera attentive à la capacité de la France à être à la hauteur du triple défi de la garantie de la souveraineté alimentaire et du revenu des agriculteurs, de l’impact du dérèglement climatique sur le plan phytosanitaire et de l’adéquation à l’ambition du Règlement européen dit "SUR".

Cette commission d’enquête visera à identifier le plus clairement possible les facteurs qui conduisent à la persistance d’une forme d’incurie déjà identifiée dans le diagnostic posé en 2014. Face au risque propre aux seules dynamiques de l’opinion et du marché, elle esquissera une politique publique renouvelée capable de réconcilier science et démocratie, souveraineté alimentaire, santé des sols et santé des hommes. »

Le plan Écophyto et son objectif de réduction des usages et des risques des produits phytopharmaceutiques doivent être replacés dans la chronologie d’une lente prise de conscience des dangers : premières réglementations portant sur la commercialisation de ces produits il y a 80 ans, premiers lanceurs d’alerte sur les effets sur la santé environnementale dans les années 70.

Il faut également resituer ce programme parmi d’autres, visant à maîtriser les pollutions d’origine agricole : la déclinaison de la directive nitrates est, par exemple, sans commune mesure, en termes de moyens publics déployés. 

Il convient enfin et surtout de rappeler que l’agriculture est loin d’être la seule activité́ où sont en jeu les risques liés à la chimie : la plupart des analyses et recommandations que nous formulons ici pourraient et devraient ainsi être étendues à l’ensemble des produits biocides utilisés dans notre vie quotidienne.

Il n’empêche que la question de la phytopharmacie a symboliquement une place singulière : elle est liée à notre rapport intime à la nourriture, elle est présente de façon diffuse sur l’ensemble de nos territoires ; et nos concitoyens ont, avec le monde paysan, une relation passionnelle... Sur le plan psychologique, tout fonctionne comme si le rejet sociétal des "pesticides" n’avait d’égale que l’énergie déployée en retour pour les justifier... 

Nous avons écarté dans notre approche le double écueil d’une dictature du marché́ et celle de l’opinion. Nous avons refusé la polarisation d’un débat public qui essentialiserait les « pesticides ». Nous avons choisi de placer nos pas dans ceux de la science et de la démocratie. C’est, nous en sommes convaincus, le seul chemin pour réconcilier agriculture, nourriture et santé. 

Essayer de comprendre les raisons d’une décennie (presque) perdue dans notre dépendance à la phytopharmacie, c’est entreprendre un voyage initiatique au cœur de l’État, de la science et de l’économie. 

Le plan Écophyto a été conçu dans la dynamique du Grenelle de l’Environnement qui, en 2007, a été le creuset de nombreuses politiques publiques. Lancé en même temps que les plans Ambition Bio et Haute valeur environnementale (HVE), le plan Écophyto, présenté lors du Conseil des Ministres du 10 septembre 2008, ambitionne une baisse de 50 % de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à l’horizon 2018. Le « si possible » ajouté à l’époque par le Président de la République introduit une ambiguïté qui demeure aujourd’hui.

Trois grandes étapes peuvent être identifiées dans le fil politique de cette promesse non tenue du Grenelle de l’Environnement.

En 2014, un bilan d’étape du plan Écophyto prend la forme d’un rapport de mission parlementaire au Gouvernement. Il acte l’absence de résultats et dessine les axes d’un nouveau plan Écophyto 2.

L’ensemble du mandat présidentiel – sous l’impulsion du ministre de l’agriculture – est guidé par le choix de l’agroécologie, dont la définition est inscrite à l’article premier de la loi d’orientation agricole de 2014. Au-delà de l’inflexion de la PAC en 2013, un faisceau de dispositions législatives iront dans ce sens : loi Labbé de 2014, avec l’interdiction des produits phytopharmaceutiques dans les jardins et espaces publics, création de nouveaux outils (GIEE, CEPP, biocontrôle) et lancement de programmes de recherche.

Dans le même esprit, est actée la décision de confier à l’Anses l’autorisation de mise sur le marché des produits, inscrite à l’article L. 1313-1 du code de la santé publique, ainsi que le déploiement d’une innovation majeure : la phytopharmacovigilance.

Cette période, marquée par un certain volontarisme, s’achève par deux épisodes qui illustrent le rapport de forces qui structure encore aujourd’hui le débat : la trajectoire de redistribution des aides européennes en fonction des actifs est stoppée sous la pression professionnelle et un recours des distributeurs de produits phytopharmaceutiques devant le Conseil d’État retarde la mise en œuvre de l’expérimentation des CEPP. 

L’année 2017 a marqué un nouveau temps fort avec le discours du Président de la République à Rungis, qui annonce la tenue des États généraux de l’alimentation (EGA). Ce processus réunissant l’ensemble des parties prenantes est fécond. Il contraste avec les conclusions politiques qui en seront tirées. Un plan Ecophyto 2 + est institué alors même que le déploiement du précédent a été « empêché ». Le catalogue des propositions retenues à l’issue des EGA se traduit dans la loi Egalim en 2018. En dehors du volet « partage de la valeur », les dispositions propres à la transition écologique apparaissent faibles à l’ensemble des observateurs.

Plus grave, la décision de séparer la vente et le conseil est l’archétype de la « fausse bonne idée ». Accomplissement d’une promesse de la campagne présidentielle, cette disposition législative, adoptée au milieu de mesures artisanales, produit l’effet d’un accident industriel. Non seulement la mesure n’est pas effective, mais elle réduit à néant la tentative de remobiliser le conseil agricole, un des impensés majeurs du plan Écophyto depuis son origine.

En 2023, la Première ministre prend l’initiative d’une stratégie Écophyto 2030, dans la dynamique de la planification écologique. Annoncée au salon de l’agriculture, un projet publié cet automne fait actuellement l’objet d’une concertation, avant un lancement prévu début 2024.

Par sa temporalité, le rapport de notre commission d’enquête se positionne donc idéalement, comme une contribution utile au débat public, en amont d’un quatrième plan dont nous ne doutons pas que les auteurs sont sincères.

D’ailleurs, s’agissant d’Écophyto, la question, depuis 2009, n’est pas tant celle de l’intention, mais plutôt de la cohérence entre les moyens mis en œuvre et la fin telle qu’elle est affichée.

En effet, comment expliquer, alors qu’il y a urgence à agir, la persistance d’une forme d’incurie de l’action publique ? L’horizon des – 50% a d’ores et déjà été reculé de douze ans. Ce rapport aurait pu s’intituler : « Comment ne pas retomber dans les mêmes ornières que par le passé » ?

Notre enquête repose pour l’essentiel sur l’expertise de plusieurs rapports officiels dont le diagnostic est implacable, notamment deux rapports d’inspection dont nous avons obtenu communication en recourant aux pouvoirs propres au rapporteur d’une commission d’enquête. Le plus frappant est que ces documents de grande qualité sont restés lettre morte.

Avant de partager les conclusions de nos recherches, il est utile de revenir à la source de ce rapport.

Nous avons choisi d’enquêter sur une décennie de politiques publiques, en prenant comme point de départ la publication de l’expertise collective publiée par l’Inserm en 2013. Ses alertes majeures en termes de santé publique ont été confirmées par l’actualisation de cette même expertise en 2021. Grâce aux nouveaux éclairages sur les effets « cocktail » et la notion d’« exposome », les produits phytosanitaires sont notamment identifiés comme l’une des causes possibles de plusieurs maladies neurodégénératives. Nombre de nos auditions – dont le compte rendu figure en annexe – confirment « la mise en évidence de présomptions fortes de liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides », lesquelles « doivent orienter les actions publiques vers une meilleure protection des populations ».

Deux autres points d’alerte ont été relevés dans la proposition de résolution qui a donné naissance à cette commission d’enquête.

Le premier concerne divers rapports et publications – notamment de l’IGEDD – qui ont récemment alerté sur la dégradation de la qualité des eaux superficielles et des nappes phréatiques, dans un contexte d’accélération du dérèglement climatique.

Le second fait écho à l’étude du Proceedings of the National Academy of Sciences qui a été publiée le 15 mai dernier. Elle révèle la disparition de 60 % des oiseaux des milieux agricoles depuis quarante ans. L’un des auteurs de l’étude, Richard Gregory, alerte dans Le Monde : « Jusqu’à présent, beaucoup de personnes minimisaient l’impact des pesticides sur la perte de biodiversité. Ces travaux disent de manière claire et catégorique que nous devons transformer profondément la façon dont nous produisons notre alimentation et gérons la Terre. Nous ne pouvons pas continuer comme ça ».

Face à ces périls, nous ne pouvons que faire le constat d’un échec collectif à réduire notre empreinte chimique et les chiffres, dans une lecture objective, sont sans appel.

Évoquer une décennie « presque » perdue, c’est une façon de saluer les avancées très positives qui sont autant de points d’appui pour Écophyto 2030 :

– Le retrait de la grande majorité des molécules les plus toxiques (CMR 1 et 2), grâce à la mission dévolue à l’ANSES et au processus continu de phytopharmacovigilance ;

– Le déploiement des solutions dites de biocontrôle et un effort de recherche inédit en réponse à un retard signalé dans le rapport susmentionné de 2014. On notera en particulier, au niveau national, le Programme Prioritaire de Recherche « Cultiver et Protéger Autrement » et, au niveau européen, différents projets majeurs aujourd’hui en cours, comme par exemple l’Alliance Européenne de Recherche « Towards a chemical pesticide‐free agriculture », qui rassemble aujourd’hui 37 organismes de 20 pays européens ;

– La réussite du réseau des fermes Dephy, un laboratoire vivant qui a démontré la possibilité de diminuer la pression pesticide de 26 %. Le bilan de ce réseau, dix ans plus tard, suggère que les baisses observées sont sans incidence significative sur le rendement et sur le revenu agricole, tout en confortant d’autres performances environnementales (nitrates, émissions de gaz à effet de serre...) ; 

– La mise en œuvre, à travers le programme Certiphyto, d’un effort de formation et de prévention massif pour protéger les utilisateurs, ainsi que la création du Fonds PhytoVictimes en 2019.

En faisant le constat que, malgré ces avancées, les résultats obtenus demeurent très éloignés des objectifs fixés, la proposition de résolution à l’origine de cette commission d’enquête alertait par ailleurs sur le fait que plusieurs dynamiques à l’œuvre constituaient une forme de revirement :

– Faute d’instruments de mesure partagés scientifiquement et démocratiquement, notre société est régulièrement minée par des controverses récurrentes, comme celles sur le glyphosate ou sur les zones de non traitement ;

– La révolution culturelle qui semblait s’être opérée quant à la nécessité de s’affranchir de notre dépendance aux produits phytosanitaires est remise en cause dans le contexte des tensions consécutives à la guerre en Ukraine et des concurrences déloyales sur le marché mondial ;

– Le choix politique majeur du système d’autorisation de mise sur le marché (AMM) confié à l’Anses est aujourd’hui publiquement remis en cause. Ainsi, le 11 mai 2023, l’Assemblée nationale a adopté une résolution relative aux “surtranspositions” de directives européennes en matière agricole fragilisant de fait le règlement de 2009.

Dans le même temps, la proposition de loi “Ferme France” portée par le Sénateur Laurent Duplomb autorise le ministre de l’agriculture à passer outre les décisions de l’Anses en matière d’AMM. Il s’agirait d’un recul sans précédent pour notre sécurité sanitaire et pour l’indépendance de l’expertise scientifique.

Discernant une tonalité “illibérale” dans cette offensive, la proposition de résolution déposée par votre rapporteur justifiait le recours aux pouvoirs spécifiques des commissions d’enquête afin d’éclairer le débat public sur des fondements les plus objectifs possibles.

L’une des grandes questions qui a habité nos travaux est celle du lien entre l’autorité scientifique et la responsabilité politique. Profondément attachés l’un et l’autre au dessein européen et aux principes républicains, le président et le rapporteur de la commission d’enquête ont cherché une voie de conciliation qui protège les décisions scientifiques des pressions économiques, tout en évitant un discrédit de la fonction politique. À défaut d’avoir trouvé la martingale, nos esquisses de réponses contribueront, nous l’espérons, à nourrir la réflexion sur ce sujet sensible.

La commission a par ailleurs été frappée par le sentiment d’une forme d’impuissance publique. Écophyto est comme un véhicule avec un tableau de bord défectueux, qui roulerait sur une route sans radar. Un véhicule sans pilote dont les passagers feraient de la destination même un sujet de controverse. Signe de ce désarroi, le comité d’orientation stratégique (COS) du plan Écophyto lui-même ne s’est pratiquement pas réuni au niveau politique au cours des dernières années.

Il y a eu des engagements et des réussites enthousiasmantes, des agriculteurs, des techniciens, des fonctionnaires, des chercheurs des filières et des territoires qui ont tenu la lumière allumée. Mais globalement, les auditions de responsables politiques nous ont convaincus du besoin d’un pilotage interministériel puissant, pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Nous pressentons ici, comme pour d’autres politiques publiques, le besoin d’un récit politique qui ferait ici de l’agroécologie une odyssée partagée. Le besoin également d’une nouvelle comptabilité mettant en valeur l’investissement de prévention au regard du coût phénoménal de la réparation des impacts sur la santé environnementale et la fertilité des sols.

Enfin et surtout, trois grandes interrogations ont traversé nos auditions. Elles sont de nature à fragiliser l’atteinte de l’objectif si nous n’y apportons pas de réponse claire.

– La trajectoire Écophyto est-elle compatible avec les deux autres grands objectifs de la nation que sont la souveraineté alimentaire et l’atténuation – adaptation au dérèglement climatique ?

– Est-elle techniquement réaliste ?

– Est-elle, enfin, économiquement soutenable pour les agriculteurs ?

Sur ces enjeux capitaux, la controverse scientifique est vive et chacun peut prendre appui sur telle ou telle étude pour soutenir ses propres convictions et intérêts. Sollicité, le SGPE admet avec humilité́ que le bouclage des besoins en biomasse pour l’alimentation et l’énergie ainsi que celui des cycles minéraux garants de la fertilité demeurent des exercices en construction.

Une seule certitude est apparue : on observe une perte d’efficacité des substances actives et une faible production de nouvelles solutions chimiques, alors même que le réchauffement climatique va augmenter la pression des bioagresseurs. Dans ce contexte, tout miser sur la chimie est une voie sans issue.

Par sa puissance scientifique et éthique, ainsi que sa portée planétaire, la prospective Agri Terra Monde guide la réponse de votre rapporteur. Dans le même esprit, le GIEC, dans son sixième rapport (2021), met en évidence que tout est lié : nous ne sauverons pas séparément le climat, l’eau et la biodiversité, qui sont notre assurance-vie.

Oui, les objectifs de diminution de 50 % de pesticide sont conciliables avec les autres attendus – sécurité alimentaire et climatique – mais à la condition sine qua non d’une reconception profonde des systèmes agricoles. Une vision prophylactique de la santé du végétal qui rompt avec l’illusion techno-solutionniste. L’expérience montre que cette reconception est techniquement possible. Le mot clé de cette reconception est diversité ! Diversité dans le temps par l’allongement des rotations, diversité au sein de la parcelle, diversité de la mosaïque paysagère.

Elle suppose une relève générationnelle qu’évoquait déjà Edgard Pisani : « Pour nourrir le monde, nous aurons besoin de tous les agriculteurs du monde ». Dans cette perspective, l’accès à un revenu digne pour l’ensemble des agriculteurs suppose une régulation du marché foncier, un partage de la valeur, un commerce équitable, une réallocation des aides publiques et une forte mutation des filières agro-alimentaires, en lien avec une évolution de nos régimes alimentaires.

Cette transition avait été esquissée par la société civile en 2017, à travers les conclusions de l’atelier onze des EGA :

« Les pouvoirs publics, les entreprises et les filières, les territoires constituent les trois piliers de l’action à conduire, qui impose un dialogue permanent entre eux. Il faut un contrat de long terme, c’est-à-dire des objectifs partagés et vérifiables. Il faudra s’y tenir, ce qui signifie de la stabilité dans le temps et la cohérence des politiques publiques, et leur mise en synergie avec les dynamiques privées et les actions territoriales. Pour réussir, l’action doit être systémique : il faut agir à tous les niveaux, de façon coordonnée, cohérente, en complémentarité. Le verrouillage étant systémique, le déverrouillage doit l’être aussi. »

Lors de notre déplacement à Bruxelles, nous avons découvert la force du processus engagé autour du règlement SUR et, notamment, sa portée en termes d’harmonisation. Le jour de notre dernière audition, le Parlement européen rejetait ce projet de règlement, donnant ainsi un signal politique majeur. Le Green deal serait-il une parenthèse ?

Déjà, certains acteurs économiques et politiques saisissent ce moment pour remettre en cause l’ambition française. À ce titre, il faut sortir de l’ambiguïté du slogan « pas d’interdiction sans solution ». Les bénéfices que les uns tirent du maintien des produits actuels ne sauraient justifier les risques que cela fait peser sur la collectivité dans son ensemble.

Cette clarté est vitale pour que nous nous engagions collectivement à trouver des solutions qui soient au bénéfice de tous.

Dans la dynamique des « jours heureux », le monde paysan, au prix d’une audace inouïe, a été le premier acteur d’une révolution de la productivité qui répondait aux attentes de l’après-guerre. La démonstration a été faite de la force de l’alliance de la puissance publique et de l’esprit d’entreprise, de celle de l’innovation techno-scientifique avec des mécanismes de régulation fondés sur la solidarité et pour partie portés par la profession elle-même.

Nous affirmons aujourd’hui, à travers les conclusions de notre commission d’enquête, qu’il y a un chemin pour une nouvelle révolution verte réconciliant écologie et économie. Elle suppose un nouveau contrat social entre l’État et la société civile.

Nous avons fait le choix de ne pas nourrir la conflictualité mais de poser les jalons d’un débat public serein. Nous espérons que nos 26 propositions seront utiles pour la réussite du plan Écophyto 2030 et pour reconstruire une législation européenne qui prenne avec réalisme la mesure du péril. Puisse ce rapport nous aider à tenir le cap : nourrir et prendre soin procèdent d’une même humanité.


   résumé

Notre rapport est composé de 7 parties.

● La première partie est un état des lieux.

Elle analyse l’évolution des usages des produits phytopharmaceutiques, au regard de l’objectif de réduction de 50 %. Globalement, nous observons que les indicateurs sont au même niveau qu’en 2009. La seule avancé notable est liée au retrait des molécules les plus dangereuses (CMR 1, CMR 2). Il faut souligner que ces retraits ne sont pas dus à la dynamique Écophyto mais au cadre réglementaire des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.

Par ailleurs, cette première partie fait le point sur les connaissances scientifiques que nous avons de l’impact des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et sur la santé humaine. Au-delà des controverses, l’analyse de la littérature scientifique fait apparaître très clairement plusieurs constats forts qui ne font plus l’objet de débats aujourd’hui :

– Tous les compartiments de l’environnement sont contaminés ;

– Sur au moins sur un tiers du territoire national, les pesticides et leurs métabolites constituent une menace majeure pour la ressource en eau potable, a fortiori dans le contexte de réchauffement climatique que nous connaissons, les problèmes de quantité venant aggraver les problèmes de qualité ;

– Pour l’air, nous avons mis à jour l’absence de politique de surveillance nationale et l’absence totale de doctrine quant aux risques toxicologiques s’agissant de l’impact d’une exposition aux produits phytopharmaceutiques par voie inhalée.

– La pollution chimique est le troisième facteur responsable du déclin de la biodiversité animale et végétale, au même niveau que le changement climatique. L’imprégnation générale de l’ensemble des milieux impacte la biodiversité fonctionnelle et les services écosystémiques dont nous sommes directement tributaires (comme la pollinisation).

– Concernant la santé humaine, la mise à jour en 2021 de l’expertise collective de l’Inserm ([1]) renforce les présomptions de liens qui avaient été identifiées en 2013 avec la maladie de Parkinson, certains troubles cognitifs, la maladie d’Alzheimer, les lymphomes non hodgkiniens et le cancer de la prostate.

– Pour les enfants, elle établit des liens avec certaines leucémies, des tumeurs du système nerveux central mais également des troubles du développement neuropsychologique et moteur.

Les travailleurs de la terre sont les premiers concernés : le Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (FIVP) est porteur de progrès, comme la prise en charge de l’exposition in-utero. Ce Fonds doit être rendu plus visible afin d’atteindre une population cible de l’ordre de 10 000 personnes, d’après les estimations de l’IGAS (contre 650 dossiers traités aujourd’hui).

Notre rapport souligne que, s’agissant des connaissances sur les impacts en santé humaine, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Nous soulignons des enjeux très forts de recherche sur les effets cocktails et épigénétiques, sur la prise en compte de l’exposome, dans une approche « One health ».

● La seconde partie est consacrée au régime d’autorisation, qui a été́ le principal levier de progrès au cours de la dernière décennie pour la réduction de l’usage de certains produits phytopharmaceutiques.

Nous observons que l’expertise scientifique, qui est au cœur de ce régime, fait l’objet d’une certaine défiance. Elle est soupçonnée par les uns, d’être sous influence, tandis que certains milieux économiques lui prêtent un pouvoir exorbitant, sur lequel il faudrait revenir.

Par un travail fin retraçant l’historique des réglementations françaises et européennes, nous avons tiré la conclusion qu’il fallait nous inscrire dans le continuum législatif initié il y a deux décennies : la crédibilité de l’autorité scientifique doit être confortée. Cela suppose de la protéger de l’influence des lobbys, notamment dans la phase d’élaboration des lignes directrices qui encadrent les évaluations des produits phytopharmaceutiques. Cela passe également, a minima, par le transfert de principes déontologiques du monde du médicament à celui de la phytopharmacie. Cela suppose enfin une actualisation permanente de la science réglementaire, pour qu’elle soit en phase avec la science académique.

La France a développé un savoir-faire pionnier dans la phytopharmacovigilance, qui permet de prendre en compte les effets à long terme des produits, après leur autorisation de mise sur le marché. Ce mécanisme doit être consolidé. Cela implique de rehausser la taxe sur les ventes des produits phytopharmaceutiques qui la finance depuis 2014.

Nous pensons que les agences doivent aussi être confortées sur le plan matériel pour mener à bien leurs missions. Actuellement, les évaluations sont trop lentes, et les agences n’ont pas les moyens d’explorer de nouveaux champs comme ceux de l’exposome ou de l’épigénétique. Nous recommandons des moyens supplémentaires qui doivent notamment permettre d’accélérer la mise sur le marché de solutions attendues par les agriculteurs, comme le biocontrôle et les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP).

● Face au constat de l’échec de la massification des changements de pratiques, la troisième partie énonce des recommandations propres à réparer le continuum recherche – développement et à réarmer le conseil agricole.

Portés par des programmes français et européens, les progrès de la recherche publique (Inrae, Anses et instituts techniques) sont la grande réussite de cette dernière décennie. Ils concernent aussi bien les solutions technologiques (génétique, numérique, robotique) que les agro-systèmes. Sur ce deuxième volet, un approfondissement doit être apporté sur l’agronomie et les paysages, les territoires et la sociologie.

Nous identifions parfois un manque de coordination entre acteurs de la recherche et un défaut de ciblage des programmes, lesquels nuisent à notre capacité à apporter des solutions aux agriculteurs, en amont des retraits de molécules ou de produits.

Le réseau des fermes Dephy, comme les groupes de développement, sont des laboratoires vivants qui démontrent qu’il est techniquement et économiquement possible de produire en s’affranchissant de la dépendance aux produits phytopharmaceutiques. Dans ce contexte, il paraît incompréhensible que les pouvoirs publics aient décidé d’amputer d’un tiers les moyens du réseau Dephy. Par ailleurs, le programme des « 30 000 fermes » décidé en 2014, dans le but de diffuser les changements de pratiques à partir du réseau Dephy, plafonne aujourd’hui à 10 % de cet objectif. Les GIEE, qui ont été créés dans le même esprit, n’ont pas non plus connu le développement espéré.

Le conseil agricole est le grand impensé et le principal échec de cette décennie. La séparation du conseil et de la vente des produits phytopharmaceutiques a dévitalisé le processus prometteur des certificats d’économie des produits phytopharmaceutiques (CEPP). Sur le terrain, on est réduit à un double constat d’échec : le conseil commercial perdure officieusement, ce qui engendre une insécurité juridique pour les agriculteurs ; et le conseil stratégique, cinq ans après sa mise en œuvre, n’atteint pas 20 % des agriculteurs cibles, lesquels pourraient se voir privés de leur Certiphyto.

 La quatrième partie pose le constat d’un rendez-vous manqué avec le Plan stratégique national (PSN), qui aurait pu marquer le tournant agroécologique de l’agriculture française. Ce tournant est indispensable si l’on veut réussir à réduire notre dépendance à la chimie. Le choix d’avoir des éco-régimes faibles, accessibles à tous, sans changement significatif dans les pratiques agricoles ; un cahier des charges de la Haute Valeur Environnementale (HVE) qui rate la cible d’un alignement avec le plan Écophyto… Autant d’orientations qui traduisent, comme dans d’autres pays européens – mais pas dans tous ! – un manque d’ambition. 100 % des exploitations agricoles atteignent actuellement le niveau 1 de l’éco-régime à pratiques égales, et 85 % le niveau 2.

Avec la panne des financements pour accompagner la traversée de la crise de l’agriculture bio, et l’incapacité à soutenir la croissance de la demande en contrats de mesures agro-environnementales et climatiques (Maec), deux moteurs essentiels pour la diminution de l’usage des produits phytopharmaceutiques se trouvent grippés.

Globalement, les aides de la Politique agricole commune (Pac) continuent à être réparties de façon inégalitaires. Faute de régulation, elles encouragent un agrandissement et une spécialisation des exploitations, qui fragilisent l’élevage et, par là même, l’agroécologie. En 2021, 20 % des exploitations agricoles concentrent 55,7 % du total des aides Pac octroyées.

● La cinquième partie analyse ce qui, dans le fonctionnement du marché, constitue un frein à la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques. Face au constat d’une perte de compétitivité de l’agriculture française, nous dénonçons les concurrences déloyales dont nos agriculteurs sont victimes. Ces concurrences viennent trop souvent de nos voisins européens, qui n’appliquent pas la réglementation européenne en matière de recours à la phytopharmacie avec la même rigueur. Mais elles résultent aussi des pays tiers, qui n’ont pas du tout les mêmes exigences sanitaires que nous. Dans ce contexte, les contrôles sont insuffisants et lacunaires et les mesures-miroirs demeurent incantatoires.

Les pratiques vertueuses peuvent être aussi découragées sur le marché intérieur. Cinq ans après la loi Egalim, qui devait favoriser l’agroécologie à travers les marchés publics, le taux de produits locaux et de qualité dans la restauration collective n’est que de 20 %, au lieu des 50 % attendus. Et les mécanismes d’intervention sur les marchés publics prévus par la loi Climat ne sont pas activés.

Globalement, nous constatons une situation de verrouillage généralisé. Le poids de la publicité agro-alimentaire représente 1 000 fois celui de l’information publique sur l’alimentation. Les deux tiers de la surface agricole sont consacrés à l’alimentation animale, sans que nous ayons pu reconquérir notre souveraineté en matière de protéines. Une reconception des systèmes de production est impossible sans une réforme structurelle des filières agroalimentaires et une évolution de nos régimes alimentaires.

● La sixième partie traite de la gouvernance des différents plans Écophyto. Elle pose le constat de l’échec du pilotage interministériel et de l’incapacité à articuler les 71 millions d’euros du plan Écophyto avec les 643 millions d’euros consacrés à l’agroécologie et, plus encore, avec les 16 milliards d’euros des concours publics à l’agriculture (aides publiques françaises et européennes et aides fiscales).

Entre 2019 et 2023, le Conseil d’orientation stratégique (COS) du plan Écophyto ne s’est pas réuni une seule fois au niveau politique. Nous avons constaté le caractère clairement indigent du portage interministériel, en raison, d’une part, d’un manque d’investissement des différents ministres concernés et d’un manque d’impulsion de la part de Matignon ; d’autre part, de l’absence de pilotage opérationnel de cette politique, faute de responsable identifié.

Il faut ajouter à tout cela l’impression générale d’un manque de redevabilité sur l’emploi des aides publiques dispensées. Les moyens financiers sont saupoudrés, les actions sont mises en œuvre par des opérateurs mal coordonnés et, au total, les résultats sont peu évalués.

Nous avons également observé une rupture entre l’échelon national et territorial et la trop faible mobilisation de certains acteurs clé comme les Draaf et les chambres d’agriculture.

 Le septième et dernier chapitre porte sur un enjeu que nous avons identifié comme étant l’un des plus sensibles : la contamination des aires de captage pour l’alimentation en eau potable.

Le dérèglement climatique n’aura pas seulement des conséquences sur l’émergence de nouveaux bioagresseurs : il impactera directement nos ressources hydriques. Il induira une concentration des pollutions dans les masses d’eau, alors même que les problèmes de qualité sont déjà massifs. Entre 1980 et 2019, 4 300 captages ont dû être fermés pour cause de pollution, principalement aux nitrates et aux pesticides. Une instruction du Gouvernement datée de 2020 souligne que, du fait de ces pollutions, le coût estimé du traitement pour rendre l’eau potable est compris entre 500 millions et 1 milliard d’euros par an.

Les outils disponibles – déclarations d’utilité publique, zones soumises à contrainte environnemental (ZSCE), obligations réelles environnementales (ORE) – sont, faute d’autorité publique, trop peu mobilisés pour stopper la contamination des captages. L’extension du droit de préemption des collectivités territoriales par les lois « Engagements et proximité » (2019) et « 3DS » (2022) apparaît d’ores et déjà insuffisant. Une évolution du droit du sol semble indispensable afin de protéger l’eau comme un bien commun.


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I.   réduire les risques et usages des produits phytosanitaires, un impératif qui ne peut plus faire débat aujourd’hui

Après avoir défini les produits phytopharmaceutiques et précisé leurs usages au sein de la ferme France (A), votre rapporteur fournira un état des lieux des données de la science, lesquelles ne permettent plus, aujourd’hui, de douter de leurs impacts indésirables et graves en termes de santé environnementale (B).

Il en ressortira la pertinence – et même l’urgence – d’une réduction de l’usage de ces produits à hauteur de 50 %, conformément à l’objectif que la Nation s’est donné dès 2008.

A.   définition et état des lieux des usages au sein de la ferme France

1.   Que sont les produits phytosanitaires ?

a.   Un moyen de protection des cultures qui s’est imposé après la deuxième guerre mondiale

Les cultures sont toutes soumises à des contraintes environnementales et à des agressions biologiques extérieures qui les fragilisent.

Ces attaques sont le fait d’organismes de natures très diverses, qui entravent le développement des cultures soit en les attaquant (bioagresseurs), soit en constituant une concurrence néfaste pour l’accès aux ressources – lumière, eau, aliments (compétiteurs). Il s’agit notamment :

– de champignons, virus et bactéries qui provoquent des maladies ;

– d’espèces végétales qui concurrencent les plantes cultivées, communément appelées adventices ;

– et d’animaux dits ravageurs, comme les insectes.

Quelles que soient les méthodes utilisées, la protection des cultures est nécessaire pour garantir la production agricole. Selon le type d’attaque, la culture peut être quasi entièrement perdue en l’absence de moyen de lutte. L’histoire regorge ainsi d’épisodes tragiques causés par des ravageurs, que l’on pense à la grande famine irlandaise de 1845, causée par un champignon, le mildiou, sur les pommes de terre, ou encore au phylloxera qui, à la fin du XIXème siècle, a attaqué les vignes en France. Beaucoup plus récemment, on peut citer l’exemple de la chrysomèle du maïs, qui a détruit les racines du maïs aux États-Unis et au Canada en particulier.

L’absence de protection des cultures peut aussi poser des problèmes en termes de sécurité sanitaire, les denrées issues des cultures attaquées devenant dangereuses pour la santé. C’est ainsi que des solutions ont été mises au point pour lutter contre des toxines développées naturellement par des champignons attaquant les cultures. Si elles ne sont pas élimées, ces mycotoxines, à l’instar de l’ergot du seigle, peuvent s’avérer nocives pour la santé humaine.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’apparition d’un nouveau type de produits phytosanitaires synthétisés par l’homme a accompagné des transformations très importantes dans le monde agricole.

L’utilisation de produits, mélanges ou techniques pour protéger les cultures est très ancienne. Jusqu’au milieu du XXème siècle, les produits utilisés étaient fabriqués ou obtenus naturellement. Le développement de produits chimiques – autrement dit de synthèse – pouvant cibler les bioagresseurs de manière certaine pour les éliminer ou réduire leurs effets néfastes a permis de sécuriser les rendements dans des proportions inédites.

Cela explique le succès rencontré par ces produits, qui ont été adoptés dans le monde entier. Cet essor repose également sur leur prix très abordable regard du rendement qu’ils garantissent, sur l’amélioration des conditions de travail permise au sein des exploitations agricoles du fait, notamment, de la réduction du travail mécanique, et sur une certaine simplicité d’utilisation – laquelle a cependant eu pour contrepartie un étiolement des compétences agronomiques.

Combiné à d’autres évolutions de l’agriculture, comme l’usage des engrais chimiques, le recours aux produits phytosanitaires de synthèse a contribué à la forte croissance de la production agricole végétale et animale.

Au niveau mondial une véritable révolution agricole s’est opérée, qui a conduit à la multiplication par 3,4 de la production végétale agricole, de 2 588 millions de tonnes en 1960 à 8 923 millions de tonnes en 2016 ([2]). En France, par exemple, la production de blé est passée de 7,6 millions de tonnes en 1950 à 32,9 millions en 1997. Cette croissance résulte d’une amélioration notable des rendements. Ainsi, par exemple, entre 1945 et 1995, le rendement moyen des blés français a été multiplié par 4,5, pour atteindre 70 quintaux à l’hectare, avant de se stabiliser à ce niveau ([3]).

évolution du rendement moyen annuel du blé

En 2019, le chiffre d’affaires de la production agricole française s’élevait à 77 milliards d’euros, soit 18 % de la production agricole de l’Union européenne en valeur ; cela fait de la France le premier pays en termes de production agricole dans l’Union Européenne. La même année, la valeur dégagée par l’ensemble des activités agricoles et agroalimentaires représentait 3,4 % du PIB français :

– 1,6 % pour la production primaire issue de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche ;

– 1,8 % pour les activités de transformation réalisées par les industries agroalimentaires.

La valeur de la production agricole s’élevait à 81,6 milliards d’euros en 2021 et à 96 milliards d’euros en 2022, selon les estimations de l’Insee ([4]).

L’augmentation de l’usage des pesticides a été une tendance mondiale. Les ventes ont ainsi été multipliées par 20 à 30 à l’échelle de la planète entre les années 1960 et 1990.

Cette montée en charge des traitements de synthèse est allée de pair avec la mise en place d’un système agricole de plus en plus spécialisé. En effet, comme l’a expliqué M. Jean-Marc Meynard lors de son audition ([5]), la France s’est, de manière croissante, sous l’influence du commerce international, spécialisée dans certaines cultures pour lesquelles elle dispose d’un avantage comparatif : blé, colza, maïs – spécialisation qui a induit des rotations de plus en plus courtes. Par ailleurs, le travail du sol a été réduit, sous l’influence de plusieurs facteurs.

L’ensemble de ces éléments, associés à la recherche de rendements élevés, ont contribué à accroître le besoin de traitements et donc, la dépendance aux pesticides de synthèse : les rotations courtes et la diminution du travail du sol favorisent les bioagresseurs et les adventices. Ainsi, une interdépendance s’est forgée entre ce système agricole de plus en plus intensif et spécialisé et le recours aux traitements phytosanitaires.

Il convient de noter que ce mouvement de spécialisation est allé de pair avec l’agrandissement des exploitations. La taille moyenne des exploitations est ainsi passée de 19 hectares en 1970 à 42 hectares en 2000 et à 69 hectares en 2020 ([6]). La part des exploitations de plus de 200 hectares a augmenté d’un tiers entre 2010 et 2020, alors que la part des exploitations de moins de 20 hectares diminue nettement ([7]).

Ainsi, en 2020, on comptait 389 900 exploitations agricoles en France, soit 100 000 de moins qu’en 2010, tandis que la surface agricole utile (SAU) se maintient à 26,7 millions d’hectares ([8]).

Les entreprises productrices de produits phytopharmaceutiques

Les produits phytopharmaceutiques de synthèse ont été historiquement développés par des entreprises spécialisées dans la chimie qui ont développé des branches spécifiques pour la production et la commercialisation de pesticides et, plus récemment, de semences.

●Aujourd’hui, quatre entreprises multinationales – Syngenta Group, Bayer, Corteva et BASF – contrôlent environ 70 % du marché mondial des pesticides (statistiques 2018). Des regroupements et rachats intervenus entre les années 1990 et 2010 ont conduit à une concentration importante du marché (cf. tableau ci-dessous). En 2018, l’entreprise Monsanto a ainsi été rachetée par le groupe allemand Bayer qui a ensuite cédé une partie de ses activités à BASF. En 2019, deux grandes entreprises américaines, DuPont et Dow Chemical, ont fusionné pour créer Corteva Agriscience. Enfin l’entreprise suisse Syngenta a été rachetée par un groupe chinois et s’est agrandie pour former une entreprise appelée Syngenta Group.

Ces mêmes entreprises représentaient, en 2018, 57 % du marché mondial des semences.

En 2018, le chiffre d’affaires du marché mondial de la protection des cultures s’élevait à 53,7 milliards de dollars soit 47,6 milliards d’euros (+ 7,6 % par rapport à 2017) ([9])

●D’après les chiffres rendus publics par l’union, en 2019, le chiffre d’affaires des entreprises françaises de protection des plantes adhérentes à Phyteis s’élevait à 1,87 milliard d’euros et captait 96 % du marché. En 2022, il était estimé à 2,5 milliards d’euros ([10]). En 2019, 205 millions d’euros, soit 11 % du chiffre d’affaires de ces entreprises, sont consacrés à la recherche et au développement.

Au sein de Phyteis, on trouve des filiales françaises des groupes internationaux tels que Bayer, BASF ou encore Corteva, mais également des ETI et quelques PME.

● À l’occasion d’une saisie sur pièce et sur place – réalisée jeudi 23 novembre 2023 au ministère de l’économie – et des éléments que votre rapporteur a pu consulter, il est en mesure de préciser les éléments suivants :

– Les entreprises dont une partie de l’activité est consacrée à la phytopharmacie en France ont globalement connu entre 2009 et 2022 une croissance de leur chiffre d’affaires ([11]) de l’ordre de 280 %, sur l’ensemble de leur champ d’activité. Il atteint 8,816 milliards d’euros, contre 2,3 milliards d’euros en 2009. Si l’on excepte les cinq « majors » réalisant plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires chaque année et les sociétés qui sont entrées sur ce marché après 2009, la croissance du CA global est de 40 % sur la période.

Le chiffre d’affaires total sur les seules ventes de produits phytopharmaceutiques, déclarées au 31 octobre 2023, est de 2,408 milliards d’euros ([12]).

– Sur le plan fiscal, le fait que ces sociétés ne paient peu ou pas d’impôt sur les sociétés ne peut que nous interroger. En effet, le total du montant de l’impôt sur les sociétés dû par les cinq plus grosses entreprises ([13]) est de 110 millions d’euros en 2022. Ce montant apparaît faible en comparaison avec leur chiffre d’affaires qui couvre l’essentiel du secteur concerné. Deux hypothèses se présentent : soit ces entreprises sont faiblement rentables, soit il existe un phénomène de transfert de coûts à l’échelle internationale.

– Enfin, parmi ces cinq entreprises, trois d’entre elles bénéficient du crédit d’impôt recherche (CIR) à hauteur de 56,1 millions d’euros pour l’année 2021. Il convient de noter que cela représente plus de 50 % de l’impôt sur les sociétés acquittées par l’ensemble de ces « majors ».

Concentration du secteur des entreprises de phytopharmacie

Source : BASIC, d’après IPES Food (Too big to feed: Exploring the impacts of mega-mergers, consolidation and concentration of power in the agri-food sector, 2017) et Umetsu & Shirai (Development of Novel Pesticides in the 21st Century. J. Pestic. Sci. 45, 2020).

b.   Effort de définition

Votre rapporteur emploiera indifféremment le terme « produit phytopharmaceutique » utilisé dans la réglementation française et européenne, et le terme « produit phytosanitaire », qui porte le même sens. Par souci de précision, il évitera en revanche le terme « pesticide », dont la définition est sensiblement différente.

Le terme « pesticide », fréquemment employé pour qualifier les produits phytosanitaires, se réfère en réalité à une catégorie plus large incluant également les produits biocides. Il est dérivé du mot anglais « pest » qui signifie ravageurs. Il désigne, de manière générale, les produits utilisés pour la prévention, le contrôle ou l’élimination d’organismes indésirables, qu’il s’agisse de plantes, d’animaux (insectes, acariens, mollusques, etc.), de champignons ou de bactéries.

Inclus dans les pesticides, les produits biocides visent à détruire, repousser ou rendre inoffensif un organisme nuisible par le moyen d’une action chimique ou biologique. Ils ne visent pas particulièrement les organismes nuisibles aux végétaux et sont plutôt destinés à un usage domestique, professionnel ou industriel. On trouve dans cette catégorie aussi bien des produits désinfectants à usage domestique ou médical, que des produits de protection des matériaux et des peintures de protection.

Ces produits font l’objet d’une réglementation distincte, en vertu du règlement européen n° 528/2012 ([14]). Les substances actives contenues dans ces produits doivent être approuvées ou inscrites à l’annexe I du règlement précité, après évaluation par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa).

Il convient de noter que certains insecticides ou herbicides sont à la fois considérés comme des produits biocides et des produits phytopharmaceutiques. Par exemple, les produits mis sur le marché visant à lutter contre les chenilles processionnaires lorsqu’elles représentent un danger pour les végétaux sont des produits phytopharmaceutiques. Mais ils prennent le statut de biocides dès lors qu’ils servent à prévenir un danger contre les populations. La même molécule peut donc avoir, selon l’usage, un statut de biocide ou de phytosanitaire.

Si ce point met en lumière le fait que les produits biocides sont susceptibles de présenter la même dangerosité que les produits phytosanitaires, le présent rapport se concentrera sur les seconds, en raison des enjeux spécifiques associés à leur usage dans l’agriculture.

L’article L. 2531 du code rural et de la pêche maritime définit les produits phytopharmaceutiques comme « les préparations contenant une ou plusieurs substances actives et les produits composés en tout ou partie d’organismes génétiquement modifiés présentés sous la forme dans laquelle ils sont livrés à l’utilisateur final, destinés à :

a) Protéger les végétaux ou produits végétaux contre tous les organismes nuisibles ou à prévenir leur action ;

b) Exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, dans la mesure où il ne s’agit pas de substances nutritives ;

c) Assurer la conservation des produits végétaux, à l’exception des substances et produits faisant l’objet d’une réglementation communautaire particulière relative aux agents conservateurs ;

d) Détruire les végétaux indésirables ;

e) Détruire des parties de végétaux, freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux »

Les produits phytosanitaires visent ainsi tout aussi bien à protéger les végétaux cultivés contre les agressions qu’à détruire les végétaux indésirables et à entraver le fonctionnement vital des bioagresseurs pour réduire la pression sur les cultures. Ils neutralisent le plus souvent une fonction métabolique au sein du bioagresseur, ce qui a pour effet d’empêcher son développement ou son fonctionnement. C’est, par exemple, le cas du glyphosate, qui vient s’insérer dans une enzyme assurant la synthèse d’un certain nombre d’acides aminés, ce qui a pour effet ultime de tuer l’organisme indésirable. Un grand nombre de familles de produits phytopharmaceutiques agissent sur le système nerveux et les neurotransmetteurs des organismes ravageurs.

Les produits phytopharmaceutiques sont toujours composés d’une substance active et d’éléments dits de co‑formulation qui contribuent à l’efficacité du produit. On trouve en particulier :

– des substances ou préparations dites « phytoprotectrices » qui sont ajoutées à un produit phytopharmaceutique pour annihiler ou réduire les effets phytotoxiques du produit sur certaines plantes ;

– des substances ou préparations dites « synergistes » qui, bien que n’étant pas assimilables à une substance active, peuvent renforcer l’activité de la ou des substances actives présentes dans un produit phytopharmaceutique ;

– et enfin des substances ou préparations dénommées « coformulants » qui sont utilisées ou destinées à être utilisées dans un produit phytopharmaceutique ou un adjuvant, mais qui ne sont ni des substances actives ni des phytoprotecteurs ou synergistes.

Les produits phytosanitaires sont également utilisés avec des adjuvants qui renforcent leurs propriétés physiques, chimiques et biologiques ([15]). En France, les adjuvants sont autorisés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ([16]).

2.   Quels en sont les usages au sein de la ferme France ?

Avant d’envisager une politique de réduction de la phytopharmacie, il convient d’avoir une vision claire des usages qui en sont faits et de leur évolution. Cela pose d’emblée la question de la mesure de ces usages.

a.   De la difficulté de mesurer les usages et leur évolution

Dès le début des plans Écophyto, s’est posée la question des indicateurs auxquels il serait possible de recourir pour mesurer l’évolution des usages de produits phytopharmaceutiques au sein de la ferme France. Cela a conduit à l’utilisation simultanée de plusieurs indicateurs.

L’IFT est l’un des trois indicateurs les plus fréquemment utilisés pour suivre l’utilisation des produits phytosanitaires. Il correspond au nombre de doses appliquées par an ou par campagne culturale sur une surface donnée. Il est calculé au niveau de chaque parcelle, puis au niveau de chaque exploitation, à partir des informations fournies par l’exploitant.

C’est ainsi un indicateur qui mesure l’évolution des usages à une échelle plutôt « micro », en partant des données d’usage réel. Il permet de mesurer le degré de dépendance des pratiques agricoles à l’utilisation des produits. Chaque agriculteur peut ainsi connaître son IFT. En multipliant ces données par la superficie des surfaces cultivées, on peut avoir des informations sur les usages par type de culture, et effectuer des comparaisons dans le temps.

Modalités de calcul de l’IFT

                        Dose appliquée   x     surface traitée  

 IFT =                    _______________________                         

                      Dose de référence  x  surface de la parcelle

Si l’IFT est supérieur à 1, le traitement appliqué est supérieur en quantité, pour une cible ou une culture donnée, à l’IFT calculé pour la dose de référence. Un IFT égal à 1 peut correspondre à l’application d’une dose, donc d’un traitement, sur une parcelle, ou bien à deux demi-traitements sur la même parcelle.

La dose de référence est une valeur fixe, indépendante des pratiques de l’agriculteur, déterminée à partir de la dose homologuée d’usage, elle-même définie comme la dose efficace d’application d’un produit sur une culture et pour un organisme cible (un bioagresseur) donné. L’IFT d’une parcelle correspond à la somme des IFT par type de produits phytosanitaires utilisés sur la parcelle.

La QSA est l’indicateur historique et l’un des indicateurs de référence du plan Écophyto. Elle correspond au volume annuellement vendu de substances actives contenues dans les produits phytosanitaires. Elle est déterminée en s’appuyant sur les ventes de produits phytopharmaceutiques enregistrées dans la banque nationale des ventes des distributeurs de produits phytopharmaceutiques (BNV-D), lesquelles servent de base au calcul de la redevance pour pollutions diffuses (RPD).

Exprimé en tonnages, il s’agit de l’indicateur le plus simple. Il facilite les comparaisons internationales, dans la mesure où tous les pays utilisent les tonnages.

Cependant, il ne permet pas d’apprécier finement les évolutions des usages. En effet, il ne mesure pas l’intensité des traitements appliqués sur une culture en termes de substances actives. Or, un certain nombre de nouveaux produits sont efficaces à des doses plus faibles, grâce aux progrès de la recherche. Ainsi, une baisse de la QSA ne traduit pas toujours une réduction de la pression chimique.

Pour compléter l’analyse permise par la QSA, dans le cadre du premier plan Écophyto a été mis au point un nouvel indicateur visant à déterminer le nombre de doses-unité (Nodu).

Également fondé sur les données des ventes issues de la BNV-D, le Nodu additionne les quantités de substances actives vendues, pondérées par leur dose « de référence » (dose unité propre à chaque substance active). Cette technique de normalisation des substances actives permet de sommer des substances employées à des doses très différentes.

Il existe aujourd’hui un Nodu agricole, un Nodu non agricole et un Nodu global. Le Nodu n’intègre pas les produits de biocontrôle, mais l’on calcule par ailleurs un Nodu « Vert Biocontrôle » qui permet de suivre le recours aux produits de biocontrôle soumis à autorisation ne contenant pas de substance active classée comme dangereuse ([17]).

Le Nodu présente l’intérêt d’être moins sujet que la QSA à des confusions d’effet liées à l’augmentation des concentrations et/ou de l’efficacité des produits (cf. supra). Il permet ainsi d’avoir une vision plus précise de l’évolution de la pression chimique.

Mais le Nodu – comme l’IFT – présente l’inconvénient de ne pas retracer les efforts réalisés par les agriculteurs – sous l’impulsion de la règlementation – pour recourir à des produits moins nocifs pour la santé et pour l’environnement. Ainsi, la réduction importante des substances CMR depuis 10 ans (cf. supra) est sans effet sur l’évolution globale du Nodu. Pire, les choses pourraient même jouer parfois en sens inverse. En effet, lorsque l’on retire un produit classé CMR, très efficace pour lutter contre les bioagresseurs, pour lui substituer un produit moins agressif mais moins efficace, qu’il va falloir appliquer en quantités plus importantes, et/ou à doses répétées, cela dégrade mécaniquement l’IFT et le Nodu.

Le Nodu est ainsi inopérant s’il s’agit de rendre compte des risques induits par les produits utilisés pour l’environnement et la santé. Il ne faut pas négliger le côté décourageant que peut avoir un tel indicateur, pour les producteurs qui estiment faire des efforts pour réduire les risques liés aux pesticides.

En outre, le Nodu est un indicateur spécifiquement français, qui ne permet donc pas les comparaisons à l’échelle européenne et internationale. Comme le souligne M. Christian Huyghe, directeur scientifique à l’Inrae, « en matière de pilotage du recours aux pesticides, tous les pays européens ont fait preuve de créativité et, mis à part le tonnage, il n’y a pas deux pays qui aient recours aux mêmes indicateurs. » ([18])

b.   Des usages qui situent l’agriculture française dans la moyenne européenne

Entre 2011 et 2021, les quantités de substances actives contenues dans des produits phytosanitaires vendus dans l’Union européenne ont connu une relative stabilité, autour de 350 000 tonnes par an. Selon les statistiques de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en 2021, l’Union européenne avait utilisé 354 082 tonnes de substances actives dans l’agriculture, les États-Unis 457 385 et la France seule 69 602 tonnes, sur le même périmètre. La France était ainsi le 9ème consommateur mondial de substances actives en 2021.

La France se classe depuis longtemps dans la moyenne des pays de l’UE en ce qui concerne les QSA utilisées ramenées à l’hectare. Ainsi, selon la FAO, ce sont les Pays-Bas qui utilisent le plus de pesticides dans l’UE, avec 10,82 kilogrammes par hectare de terres cultivées en 2020 ; viennent ensuite Chypre (9,24 kg/ha) et l’Irlande (6,66 kg/ha). L’Allemagne (4,05 kg/ha) et la France (3,44 kg/ha) se situent dans la moyenne européenne (3,3 kg/ha), tandis que l’Italie (6,11 kg/ha) se situe au-delà ([19]) .

c.   Des volumes très variables selon les catégories de produits

En 2021, les herbicides représentent 44 % des substances actives vendues en France, les fongicides et bactéricides 41 %, les insecticides et acaricides 11 %, les 4 % restant étant constitués d’autres produits, comme les régulateurs de croissance ([20]). Les graphiques ci-dessous illustrent cette répartition des ventes, ainsi que leur évolution par catégorie depuis 2008.

              Évolution annuelle des quantités de substances actives vendues en France, par fonction

Source : Infographie annuelle de la BNVD 2021 – OFB.

Il s’agit des premiers produits phytopharmaceutiques de synthèse qui ont été développés par l’industrie chimique, et aussi de la catégorie la plus utilisée en volume dans le monde. Les herbicides visent à lutter contre les adventices, qui constituent des compétiteurs pour les cultures.

Le glyphosate était, en 2014, l’herbicide le plus utilisé dans le monde avec plus de 800 000 tonnes vendues. En 2021, les ventes totales de glyphosate à travers l’UE étaient estimées à près de 45 000 tonnes, en recul cependant par rapport à 2017 (plus de 46 000 tonnes).

En France, en 2021, les herbicides représentaient 30 000 tonnes de substances actives vendues, dont 7 900 tonnes de glyphosate. Le glyphosate représente ainsi la deuxième substance active la plus utilisée en France (12 % du total annuel des ventes de pesticides sur la période 2016-2021) ([21]).

Les fongicides sont des produits qui permettent de lutter contre les maladies cryptogamiques (champignons), notamment contre le mildiou, l’oïdium ou encore les moisissures.

En 2021, 29 000 tonnes de substances actives fongicides ont été vendues en France. Les fongicides ont la particularité d’être appliqués à la fois de façon prophylactique (en prévention) et curative.

Les insecticides ciblent les insectes adultes ou les larves et visent à les éliminer par des modes d’actions divers. La plupart des produits sont des neurotoxiques qui endommagent le système nerveux de l’insecte pour aboutir à sa mort. En 2021, 8 000 tonnes de substances actives insecticides ont été vendues en France.

Globalement, on constate, au niveau mondial, une baisse importante des quantités d’insecticides utilisées au cours des dernières décennies, qui s’explique notamment par la mise sur le marché de substances actives utilisées à des doses plus faibles. C’est le cas des pyrèthrerinoïdes de synthèse, par exemple, qui peuvent être homologués à seulement 7,5 grammes par hectare.

Parallèlement, certaines substances ont été́ interdites, en particulier les organochlorés, utilisés à de plus fortes doses, comme le lindane. Les substances organochlorées spécifiques, qui sont des insecticides à large spectre, ont été parmi les premiers pesticides de synthèse utilisés à grande échelle en agriculture. Aujourd’hui, la plupart de ces produits sont interdits en vertu de la Convention internationale sur les polluants organiques persistants et des règlements européens liés ([22]), étant considérés comme fortement persistants, bioaccumulables et toxiques.

Il existe d’autres catégories de pesticides comme les molluscicides, qui permettent de lutter contre certaines espèces animales comme les limaces ou les escargots. Les traitements des semences ([23]) constituent également des produits phytopharmaceutiques, à l’inverse des engrais chimiques qui sont considérés comme des matières fertilisantes. Ils représentent moins de 1 % des ventes.


Quelques familles chimiques de pesticides et leurs cibles principales

Familles chimiques

Exemples de substances actives

Classement selon cible

Organochlorés

DDT, Chlordane, Lindane,

Dieldrine, Heptachlore

Insecticides

Organophosphorés

Malathion, Parathion,

Chlorpyrifos, Diazinon

Insecticides

Pyréthrinoïdes

Perméthrine, Deltaméthrine

Insecticides

Carbamates

Aldicarbe, Carbaryl,

Carbofuran, Méthomyl

Insecticides

Carbamates

Asulame, Diallate,

Terbucarbe, Triallate

Herbicides

Carbamates

Benthiavalicarbe

Fongicides

Dithiocarbamates

Mancozèbe, Manèbe,

Thirame, Zinèbe

Fongicides

Phtalimides

Folpel, Captane, Captafol

Fongicides

Triazines

Atrazine, Simazine,

Terbutylazine

Herbicides

Phénoxyherbicides

MCPA, 2,4-D, 2,4,5-T

Herbicides

Chloroacétamides

Alachlore, Métolachlore

Herbicides

Pyridines-bipyridiliums

Paraquat, Diquat

Herbicides

Aminophosphonates glycine

Glyphosate

Herbicides

Source : Pesticides, effets sur la santé, Expertise collective, Inserm, 2013.

Le biocontrôle désigne un ensemble d’agents, de solutions et de techniques considérés comme naturels pour protéger les végétaux. Les solutions de biocontrôle ont été définies à l’article L. 2536 du code rural et de la pêche maritime comme « des agents et produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures, [comprenant] en particulier :

1° Les macro-organismes ;

2° Les produits phytopharmaceutiques comprenant des micro-organismes, des médiateurs chimiques comme les phéromones et les kairomones et des substances naturelles d’origine végétale, animale ou minérale. » ([24]).

Le biocontrôle désigne également des techniques visant à protéger les cultures, consistant par exemple à introduire des males stériles au sein d’une population de ravageurs afin de limiter la reproduction de l’espèce, ainsi que l’introduction d’espèces ou d’organismes qui sont les prédateurs naturels de certains bioagresseurs et qu’on ne trouve pas naturellement en France.

Il convient de noter que seuls les produits définis au 2° de l’article L.253-6 comptent parmi les produits phytosanitaires. Ce n’est pas le cas des autres solutions de biocontrôle.

Mme Céline Barthet, présidente de l’Association française des produits de biocontrôle, a souligné, lors de son audition, que le chiffre d’affaires global du marché des produits de biocontrôle s’établissait à 278 millions d’euros en 2022, ce qui représente environ 10 % du chiffre d’affaires global généré par la vente de produits de protection des plantes, contre 5 % en 2012 ([25]).

d.   …et selon les cultures

Toutes les cultures ne nécessitent pas le même type ni la même intensité de traitements. Par ailleurs, si l’on considère la surface agricole française dans son ensemble, il convient de souligner le cas particulier des surfaces toujours en herbe (prairies permanentes, alpages), qui représentent le tiers de la SAU française et ne sont traitées que de manière résiduelle.

Le reste de la SAU est occupé par les terres arables (environ 62 %) et les cultures pérennes (4 %). Les intensités de traitements des différentes espèces cultivées sur ces terres sont appréciées au moyen de l’IFT.

Votre rapporteur estime que les IFT des cultures ne peuvent être appréhendés indépendamment de la surface cultivée, pour chacune d’entre elle, dans la sole française. Il convient ainsi de chercher à rapprocher les IFT des cultures de la surface agricole utile cultivée en France. Le graphique ci-après juxtapose ces deux données, ce qui permet de mieux appréhender le poids de chaque culture dans les QSA utilisées en France.

mise en perspective des IFT des cultures avec la SAU cultivée en france

Source : données des enquêtes « pratiques culturales » du ministère de l’agriculture (grandes cultures : campagne 2017 ; légumes et arboriculture : campagne 2018 ; viticulture : campagne 2019).

Cet examen fait apparaître le poids relatif des grandes cultures – blé, pommes de terre, colza, betteraves, pois – ainsi que celui de la vigne. S’il n’est pas possible d’obtenir un chiffrage précis du volume global de produits phytosanitaires utilisé pour chaque culture ([26]), on peut en obtenir un ordre de grandeur en multipliant les IFT des cultures par la SAU occupée en France.

Votre rapporteur estime ainsi que les grandes cultures représentent grosso modo 70 % des volumes de produits phytosanitaires utilisés, la vigne un peu moins de 20 %, les autres cultures représentant les 10 % restants (principalement les fruits et légumes).

Le poids relatif des produits phytosanitaires peut aussi être apprécié, à l’échelle des exploitations, par les dépenses phytosanitaires rapportées à l’ensemble des charges d’exploitation, voire à l’excédent brut d’exploitation (EBE). Le tableau ci-après donne un aperçu de ces proportions pour différents types d’exploitations.

Poids des achats de produits phytosanitaires dans l’EBE et dans les charges des exploitations

Selon la taille d’exploitation

Dimension économique des exploitations agricoles

(Mesurée par la production brute standard - PBS)

 

Catégorie 1 :

PBS de 25 000 à

à 100 000 

Catégorie 2 :

PBS de 100 000

à 250 000 

Catégorie 3 :

PBS de 250 000 

ou plus

Toute taille d’exploitations confondues*

Moyenne des charges courantes par exploitation en 2020

(en millier d’euros)

76,67

169,67

429,54

199,79

Part des charges constituées par l’achat de produits phytosanitaires

 

3,7 %

5,2 %

4,5 %

4,6 %

Excédent brut d’exploitation (EBE) moyen

(en millier d’euros)

 

31,02

65,29

141, 06

71,42

Dépenses de produits phytosanitaires en proportion de l’EBE

9 %

13,5 %

13,8 %

13 %

Selon le type d’exploitation

 

Type de culture/ élevage

 

Moyenne des charges courantes toute taille d’exploitations en 2020 *

(en millier d’euros)

Part des charges constituées par l’achat de produits phytosanitaires

 

Excédent brut d’exploitation (EBE) moyen

(en millier d’euros)

 

Dépenses de produits phytosanitaires en proportion de l’EBE

 

Céréales et oléoprotéagineux

151,53

11 %

50,54

32,7 %

Viticulture

189,15

5 %

81,09

11,8 %

Fruits et cultures permanentes

188,14

5,2 %

68,26

14,4 %

Élevage Bovin - viande

110,89

1,2 %

43,21

3 %

* PBS supérieure à 25 000 € et à 15 000 € dans les outre-mer

Source : Résultats économiques des exploitations agricoles – France, Chiffres clés 2020 - Réseau d’information comptable agricole (Rica).

En France, en 2021, 10 % de la surface agricole utile (SAU) était cultivée en agriculture biologique, représentant 13,4 % des exploitations ([27]). Cette forme d’agriculture a connu une forte croissance au cours des douze dernières années ; en 2010, seule 3 % de la SAU était en agriculture biologique.

L’agriculture biologique répond à un cahier des charges strict, défini aujourd’hui au niveau européen dans le cadre du règlement (UE) 2018/848 ([28]), qui impose en particulier :

– la non-utilisation de produits chimiques de synthèse (pesticides, engrais, désherbants...) ;

– la non-utilisation d’OGM ;

 le respect du bien-être animal (transport, conditions d’élevage, abattage…) ;

– pour les produits transformés, une quantité de 95 % au moins des ingrédients issus de l’agriculture biologique.

Si elle bannit les pesticides de synthèse, l’agriculture biologique admet l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives autorisées ([29]) qui ne peuvent être que d’origine naturelle.

Il convient de noter que certaines substances d’origine naturelle sont considérées comme potentiellement dangereuses du fait de leur accumulation dans l’environnement et font l’objet d’une surveillance et de restrictions particulières, à l’image du cuivre, pour lequel une quantité limite d’utilisation a été définie dans l’ensemble de l’UE (4 kg/ha/an).

Les produits utilisables en bio représentent néanmoins une faible part de l’ensemble des produits phytopharmaceutiques commercialisés en France. L’Anses a indiqué à la commission d’enquête qu’en novembre 2023, 394 produits phytopharmaceutiques commercialisés étaient autorisés en agriculture biologique, sur plus de 1 500 autorisés au total en France.

En contrepartie, l’agriculture biologique repose davantage sur des solutions de biocontrôle et sur la prévention, afin de réduire la pression sur les cultures et donc le besoin de solutions de traitement. Le passage à l’agriculture biologique représente ainsi un changement à tous les niveaux de la gestion des exploitations agricoles.

 

 


e.   Une évolution des usages peu convergente avec la trajectoire de réduction annoncée

Selon les données de la banque nationale des ventes des distributeurs de produits phytopharmaceutiques (dite BNV–D), en 2021, le tonnage de substances actives vendues s’établissait à 67 999 tonnes, dont 24 896 tonnes pour les substances actives utilisables en agriculture biologique et les solutions de biocontrôle et 43 103 tonnes pour le reste ([30]). Entre la période biennale 2009‑2010 et la période biennale 2020-2021, on observe ainsi une baisse de 17 % des tonnages de substances actives utilisées dans l’agriculture conventionnelle.

L’évolution au cours des quantités de substances actives (QSA) est retracée dans le tableau suivant, élaboré par l’Office français de la biodiversité :

 

Évolution des ventes de substances actives (QSA)

% : variation par rapport à la moyenne 2015-2017

Source : Stratégie Écophyto 2030, Données issues de la BNV‑D,

UAB : utilisées en agriculture biologique.

Pour les années 2022 et 2023, les données ne sont pas consolidées, mais le ministre de l’agriculture a, lors de son audition ([31]), indiqué qu’elles étaient stables – autour de 43 000 tonnes pour l’agriculture conventionnelle.

Si l’on considère le Nodu, on constate que son niveau est en légère hausse depuis 2009, avec des variations annuelles très importantes. Alors qu’en 2009, il s’établissait à 82 millions d’hectares (Mha) traités, le Nodu a ainsi atteint 88,5 Mha en 2020 et 85,7 Mha en 2021, hors produits de biocontrôle. Les prévisions pour 2022 font état d’une augmentation, pour atteindre 89,4 Mha.

Pour lisser les évolutions interannuelles qui peuvent être substantielles, le Nodu est également présenté en moyenne triennale (cf. graphique).

Il convient de noter des évolutions particulièrement heurtées en 2018 et 2019 : après avoir crû de 23 % en 2018, le Nodu a baissé de 37 % en 2019. Cela s’explique par une combinaison de facteurs : conditions climatiques favorables aux maladies fongiques et aux insectes en 2018 ; hausse de la redevance portant sur les produits phytosanitaires ayant induit un effet de stockage à la fin de l’année, puis de déstockage en 2019.

Dans le cadre de la stratégie Écophyto 2030, le Gouvernement a annoncé son intention de maintenir l’objectif d’une réduction de 50 % du Nodu agricole d’ici 2030, comme pour le plan Écophyto 2+, à une nuance près : la moyenne triennale de référence ne sera plus la moyenne triennale 2009-2011, mais la moyenne triennale 2015-2017. Votre rapporteur note que ce rebasage est de nature à réviser l’objectif notoirement à la baisse, la moyenne triennale 2015-2017 étant substantiellement plus élevée (environ 100 millions d’hectares) que la moyenne triennale 2009-2011 (83 millions d’hectares).

Évolution du NODU agricole

% : variation par rapport à la moyenne 2015-2017

              Source : Stratégie Écophyto 2030.

Les données globales d’évolution de la QSA et du Nodu ne permettent pas d’apprécier pleinement un changement important dans la nature des produits utilisés depuis le début des plans Écophyto.

En effet, sous l’impulsion de la procédure réglementaire d’autorisation des produits phytosanitaires qui sera détaillée en seconde partie, les QSA des substances actives les plus dangereuses pour la santé ont nettement diminué. Il s’agit en particulier des substances classées cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) en vertu de la réglementation européenne.

Entre 2009 et 2021, la part des quantités de substances actives vendues classées CMR a ainsi diminué de moitié, passant de 29,2 % à 11,3 %. Pour les substances classées CMR 1 – les plus dangereuses, les ventes sont passées de 5 000 tonnes en 2018 à 780 tonnes en 2021, soit une baisse de 85 % sur une période de 4 ans.

ÉVOLUTION DE LA QSA – FOCUS SUR LES SUBSTANCES CMR (cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques)

Source : Stratégie Écophyto 2030 - Données issues de la BNVD - extraites le 02/06/2023 (data 2020 à 2022) et extraites le 27/11/2020 (data 2009 à 2019). Traitements : OFB, MTECT/SDES, 2023.

On note également une forte baisse du Nodu non agricole depuis 10 ans, qui s’explique par les restrictions d’usage des produits phytopharmaceutiques dans les zones non agricoles, intervenues avec la loi Labbé de 2014 ([32]) (cf. encadré). En effet, le Nodu non-agricole a diminué de 86 % entre la période 2009‑2011 et la période 2018‑2020. En termes de quantité de substances actives, les usages non agricoles sont ainsi devenus négligeables.

Les zones où l’application de produits phytosanitaires est interdite :
loi Labbé et zones de non-traitement

● En vertu de la loi Labbé du 6 février 2014 ([33]), les usages non agricoles des produits phytosanitaires ont été fortement restreints, hors produits de biocontrôle, à faible risque et utilisés en agriculture biologique :

Pour les particuliers : Depuis le 1er janvier 2019, la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention de produits phytosanitaires chimiques sont interdites pour les particuliers et jardiniers amateurs.

Pour l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics : Depuis le 1er janvier 2017, il est interdit d’utiliser ou de faire utiliser des produits phytosanitaires sur : 

– les espaces verts, forêts, voiries, promenades accessibles ou ouverts au public et relevant de leur domaine public ou privé ;

– les lieux récréatifs ou sportifs pour les enfants.

La liste des lieux privés comme publics qui ne peuvent plus recevoir de traitements phytopharmaceutiques, à l’exception de ceux mentionnés ci-dessus, a été considérablement élargie par un arrêté du 15 janvier 2021 ([34]).

Les zones de non-traitement : Cette réglementation a été introduite par un arrêté du 4 mai 2017 ([35]) qui impose une zone non traitée d’une largeur minimale de 5 mètres pour l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants à proximité des « points d’eau » sans préjudice de mention plus restrictive figurant dans les autorisations de mise sur le marché des produits.


f.   Les usages dans les Outre-mer

Comme le souligne un rapport de la délégation sénatoriale aux Outre-mer ([36]), hormis Saint-Pierre-et-Miquelon, « toutes les collectivités ultramarines connaissent un climat chaud et humide, tropical ou équatorial, qui se traduit par des températures moyennes plus élevées, des saisons moins marquées, l’absence de période de gel, des précipitations plus importantes qu’en milieu tempéré. Ces facteurs jouent non seulement sur la nature des espèces exploitables, mais aussi sur les modes de culture, parce qu’ils entretiennent la forte pression des ravageurs, des parasites, des maladies, des champignons et des plantes adventices qui se multiplient à des rythmes inconnus en Europe. »

● La prédominance des cultures tropicales

Plus d’un quart de la SAU des départements et régions d’outre-mer est occupée par la canne à sucre, tandis que les cultures permanentes – vergers et bananeraies – représentent près de 20 % de la SAU. Il faut distinguer entre les territoires où dominent les grandes cultures d’exportation, que sont la canne à sucre et la banane, dont les filières sont bien structurées, et ceux ont sont principalement développées « les filières de diversification végétale et animale, dont les marchés sont locaux, les volumes restreints et les interprofessions assez peu structurées » ([37]).

La culture de la canne à sucre, cultivée à la Réunion, en Guadeloupe et à la Martinique, est la plus consommatrice d’herbicides. La Réunion est ainsi l’un des premiers territoires utilisateurs de glyphosate en France, employé principalement dans cette culture. Le produit est pulvérisé sur le pourtour des champs ou directement sur la canne avant la replantation. La culture de la banane – principalement dans les Antilles – est en revanche la principale consommatrice de fongicides.

Sur d’autres territoires d’outre-mer, les cultures destinées à l’exportation sont pratiquement absentes – Guyane, Mayotte, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie – et l’agriculture pratiquée est plutôt maraichère ou vivrière. M. Fabrice Le Bellec, chercheur au Cirad ([38]), souligne que l’on dispose de très peu de données sur le recours aux produits phytopharmaceutiques pour ces cultures.

● Des conditions qui accroissent le besoin de traitement

Les conditions climatiques tropicales induisent une utilisation accrue de produits phytosanitaires pour protéger les cultures contre des bioagresseurs et compétiteurs qui sont présents toute l’année. M. Le Bellec souligne que « les adventices constituent probablement une des plus fortes contraintes à laquelle les agriculteurs des DROM doivent faire face et ce, quel que soit le système de culture ».

Paradoxalement, ces territoires apparaissent moins bien armés que les régions métropolitaines pour faire face à ces attaques. En effet, dans la mesure où de nombreux bioagresseurs sont propres à ces territoires et concernent ainsi des surfaces cultivées relativement réduites à l’échelle de la France, il n’existe pas nécessairement de solution de traitement adaptée, d’autant que l’effort de recherche est nécessairement plus réduit pour des filières moins importantes en volume.

En outre, comme le souligne M. Le Bellec, les reliefs généralement très marqués, sauf en Guyane, limitent « les possibilités de mécanisation des parcelles mais où les risques érosifs sont prégnants. Pour exemples, 30 % des bananeraies de Guadeloupe et de Martinique sont inaccessibles aux tracteurs et 20 % des parcelles de canne à sucre à La Réunion ne peuvent accueillir un tracteur muni d’une rampe pour l’épandage d’herbicides ».

● Une réduction globale des QSA

Selon les données fournies par M. Le Bellec, « en 2019, entre 68 et 80 % des quantités de substances actives (QSA) vendues en Guadeloupe, à la Réunion, en Martinique ou en Guyane (données de 2018) étaient des herbicides suivis par des fongicides (entre 13,5 et 21 % selon le DOM) et des insecticides (entre 1 et 7 %). Parmi les produits phytopharmaceutiques les plus vendues viennent en tête le glyphosate (entre 30 et 76 % des ventes totales), des herbicides principalement utilisés en canne-à-sucre (2,4-d, S-métolachlore, metribuzine, pendimethaline) dont les pourcentages de vente dépendent du DOM, puis le mancozèbe (fongicide) pouvant représenter près de 7 % des ventes totales à la Réunion et en Guadeloupe ».

D’après les éléments transmis à la commission d’enquête par M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des Outre-mer ([39]), les QSA vendues Outre-mer ont globalement baissé depuis 2010, exception faite de la Guyane, où l’agriculture a plutôt tendance à se développer (cf. tableau ci-dessous).

En particulier, on observe que les quantités de glyphosate utilisées à la Réunion ont fortement diminué, passant de 55 000 kilos en 2009 à 45 000 kilos en 2022. Il convient également de noter que les insecticides ont pu être progressivement supprimés sur la culture de la banane ; le chlordécone et le paraquat, un insecticide et un herbicide particulièrement toxiques auparavant utilisés pour cette culture, ont été interdits en 1993 dans les DOM-TOM (cf. encadré dans le B).

On note par ailleurs une relative stabilité de la QSA en Guyane : 12 000 kilos étaient utilisés en 2010 ; après une réduction à 10 000 kilos en 2019, une hausse a été enregistrée en 2020, dans un contexte où l’agriculture a plutôt tendance à se développer.

 

Évolution des QSA dans plusieurs départements d’outre-mer

Quantité de substances actives en kg

Martinique

Guadeloupe

Réunion

2010

80 000

100 000

200 000

2022

46 000

(données 2020) ([40])

60 000

160 000

3.   Mieux connaître et mesurer les usages à l’échelle des exploitations et de la ferme France

L’effort réalisé ici pour décrire les usages de produits phytopharmaceutiques au sein de la ferme France fait apparaître, en filigrane, une carence importante dans la capacité que nous avons d’apprécier finement les usages et leurs évolutions. Des marges de progrès importantes sont à portée de main sur l’enregistrement des pratiques agricoles et sur les indicateurs disponibles pour suivre globalement les usages.

a.   Progresser sur l’enregistrement des pratiques agricoles

Tout agriculteur est tenu d’enregistrer les applications phytosanitaires effectuées sur son exploitation afin d’assurer la traçabilité des produits et d’en faciliter le contrôle, en vertu d’un arrêté du 16 juin 2009 ([41]). C’est ce que l’on appelle le « registre phytosanitaire ». Réalisé sur support libre, ce registre doit être tenu à la disposition des autorités compétentes qui doivent pouvoir contrôler ces informations au moins pendant cinq ans. Dans les faits, dans beaucoup d’exploitations, il s’agit encore de registres tenus sur papier.

En l’état, il n’est pas possible de capitaliser sur ces registres pour avoir une connaissance actualisée des usages réels, les données n’étant pas centralisées.

Or, le règlement d’exécution (UE) 2023/564 ([42]) a instauré l’obligation pour les exploitants de tenir un recueil sous format numérique des produits utilisés et des traitements effectués à compter du 1er janvier 2026.

Il était envisagé dans le cadre des négociations européennes en vue d’un règlement sur l’utilisation durable des pesticides (dit « SUR ») une centralisation des données de ces recueils. La centralisation permettrait d’utiliser ces données afin d’améliorer les connaissances sur les pratiques au niveau de chaque parcelle et dans chaque exploitation et éventuellement de les consolider localement par produit phytopharmaceutique. Ces données pourraient ainsi être utilisées pour renforcer les études épidémiologiques, et constitueraient une source d’information beaucoup plus complète que les enquêtes Agreste sur les pratiques culturales.

Votre rapporteur estime ainsi qu’il convient d’accélérer la mise en œuvre des registres sous format numérique d’ores et déjà prévue dans le droit européen, et de reprendre, le cas échéant à l’échelle française, le projet d’une centralisation des données de ces recueils.

À cet égard, il se réjouit que cet objectif soit également porté par le Gouvernement qui, dans le cadre de la stratégie Écophyto 2030, envisage de constituer « un registre centralisé et anonymisé des données relatives à l’utilisation des produits ».

Recommandation n° 1 – Mettre en place un registre électronique centralisé agrégeant les informations des registres phytosanitaires de l’ensemble des utilisateurs de ces produits

b.   À la recherche d’un bon indicateur pour mesurer l’évolution des usages

Votre rapporteur a souligné les apports et limites des indicateurs actuellement utilisés pour suivre les usages de produits phytopharmaceutiques : QSA, Nodu, IFT.

Il est convaincu qu’il n’existe pas d’indicateur parfait, mais estime néanmoins que des améliorations pourraient être apportées pour prendre en compte des critiques revenues fréquemment lors des auditions conduites par la commission d’enquête.

Il apparaît ainsi souhaitable d’établir un indicateur qui soit commun à tous les pays de l’UE et permette d’apprécier le risque attaché aux produits utilisés.

Le projet de règlement SUR, malheureusement rejeté par le Parlement européen le 22 novembre 2023, prévoyait la création d’un indicateur européen harmonisé HRI, (Harmonised risk indicator for pesticides). Les modalités de calcul de cet indicateur sont précisées dans l’encadré ci-après.

Votre rapporteur juge très souhaitable de chercher à reprendre cet indicateur HRI sans délai. Il incite le Gouvernement à œuvrer en ce sens auprès des institutions européennes.

Par ailleurs, votre rapporteur déplore la durée nécessaire pour consolider le Nodu actuellement – deux ans ! – et juge que cet indicateur est disponible bien trop tardivement. Il en va de même pour les IFT. Il estime que l’on doit travailler à raccourcir le délai de traitement des données de la BNV‑D, le cas échéant en instaurant plusieurs traitements informatiques au cours d’une même année, afin que les QSA puissent être déterminées plus rapidement. L’objectif serait que les données puissent être consolidées et connues avec certitude en n+1.

Recommandation n° 2 – Améliorer la pertinence et la réactivité des indicateurs de mesure des usages de produits phytopharmaceutiques :

– Soutenir l’adoption d’un indicateur européen de mesure des utilisations de produits phytopharmaceutiques qui soit pondéré par le risque

– À plus court terme, accélérer le traitement des données de la BNV-D pour parvenir à consolider le Nodu dès l’année n+1

 

L’indicateur HRI prend en compte la pondération du risque

Dans le cadre de la proposition de règlement européen pour une utilisation durable des pesticides (règlement « SUR »), la Commission suggérait d’utiliser l’indicateur HRI, qui combine les tonnages et les impacts. Les produits utilisés pour la protection des cultures seraient ainsi classés en quatre catégories :

– classe 1 (coefficient 1) : les produits peu préoccupants ou produits de biocontrôle, avec un impact sur le milieu jugé faible ;

– classe 2 (coefficient 8) : les produits de synthèse homologués en raison d’un impact soutenable sur le milieu, mais qui présentent plus d’incidences que les produits de biocontrôle car ils tuent ;

– classe 3 (coefficient 16) : les produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), qui se divisent en une classe 1, plus préoccupante, et une classe 2, sachant que les produits peuvent passer de la classe 2 à la classe 1 au fil des évaluations qui sont réalisées. S’y ajoutent les perturbateurs endocriniens, dont une grande partie sont reprotoxiques ;

– classe 4 (coefficient 64) : les produits autorisés à titre dérogatoire, en vertu de l’article 53 du règlement européen.

En appliquant les coefficients susmentionnés aux tonnages des produits achetés, on obtient une valeur HRI. Cet indicateur serait applicable à l’échelle d’un État mais pas d’une exploitation agricole. Il ne pourrait donc être utilisé pour piloter une exploitation.


B.   des impacts indésirables aujourd’hui largement documentés et incontestables

Si la science doit encore nous apporter beaucoup d’informations sur les impacts – cumulés et à long terme – des substances phytopharmaceutiques sur le plan de la santé environnementale, en particulier dans le contexte de réchauffement climatique que nous connaissons, il existe aujourd’hui un consensus scientifique sur le caractère délétère et massif de ces impacts.

1.   Les produits phytopharmaceutiques ont largement contaminé l’environnement

a.   Les études scientifiques révèlent que tous les compartiments de l’environnement sont contaminés

L’une des particularités des produits phytopharmaceutiques de synthèse est de persister et de s’accumuler dans l’environnement. Cette persistance est un problème en tant que tel parce qu’elle peut accroitre la dangerosité des substances autorisées. Si, dans les conditions dans lesquelles leur usage est autorisé, les dangers pour l’environnement et les écosystèmes sont normalement limités, le risque d’accumulation et donc de contamination à long terme est trop peu pris en compte.

Les études sur la contamination de l’environnement par les produits phytopharmaceutiques de synthèse sont assez récentes. En 2022, l’Inrae et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ont produit une synthèse ([43]) se fondant sur plus de 4 000 études scientifiques relatives à la présence de pesticides dans l’environnement et de leurs effets, Cette démarche d’expertise scientifique collective, menée entre 2020 et 2022 par les deux instituts, fournit des résultats solides et convergents. Ils montrent que tous les milieux présentent des traces ou résidus de produits phytopharmaceutiques ou de leurs métabolites ([44]), y compris des milieux très éloignés des lieux d’usage des produits phytosanitaires comme les fonds marins. Un des intérêts de cette synthèse est de mettre en lumière à la fois les mécanismes et les voies de contamination et la persistance dans les milieux de traces de produits phytosanitaires interdits à la vente et d’utilisation depuis de nombreuses années, à l’image du chlordécone aux Antilles (cf. encadré).


L’exemple de la contamination durable par le chlordécone aux Antilles

Le chlordécone a été utilisé par pulvérisation dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique de 1972 à 1993 pour éliminer le charençon du bananier, un insecte qui s’attaque aux racines.

En 1979, l’OMS a classé le chlordécone comme cancérogène possible, neurotoxique et reprotoxique. La fabrication et l’usage de ce produit ont été interdits en 1977 aux États‑Unis et en 1990 dans l’Hexagone ; cependant son usage a été autorisé à titre dérogatoire dans les Antilles jusqu’en 1993.

Il s’agit d’un produit très persistant qui a contaminé les sols, l’eau des rivières et le milieu marin à proximité – et, en conséquence, les cultures et un grand nombre d’aliments. En Guadeloupe et en Martinique, le chlordécone est retrouvé dans les sols, les eaux de surface et les sédiments des cours d’eau et des zones marines, mais aussi dans les organismes qui y vivent.

Ainsi, la cartographie de la pollution des sols par le chlordécone réalisée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) mettait en évidence en 2020 qu’en Martinique, sur 11 349 hectares analysés, 52 % présentent une concentration de chlordécone détectable ([45]). Néanmoins, les données les plus récentes recueillies par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) indiquent que la substance a tendance à se dégrader avec le temps, ouvrant la possibilité d’une disparition complète à terme ([46]).

Des études de l’Anses, Santé publique France et de l’Inserm ont permis de mesurer l’exposition au chlordécone de la population des Antilles – des agriculteurs en particulier, l’incidence de certaines maladies dans cette population et les liens entre certaines maladies ou problèmes de développement et la contamination par le chlordécone. La substance est éliminée par l’organisme en quelques années mais l’ingestion permanente de chlordécone via les aliments ne permet pas de diminuer l’exposition.

b.   La qualité de l’eau, un sujet de préoccupation majeur aujourd’hui, qui met largement en cause les produits phytopharmaceutiques

L’eau est le milieu le mieux et le plus anciennement surveillé sur le plan de la qualité chimique. La contamination des masses d’eau par les pesticides est en grande partie due à la contamination de la partie superficielle du sol et au ruissellement de l’eau de pluie sur ces sols, qui alimente les eaux de surface. Les eaux souterraines sont également contaminées par infiltration directe des substances actives contenues dans le sol et le sous-sol.

Dans la foulée de l’entrée en vigueur de la directive cadre sur l’eau (DCE) 2000/60/EC en décembre 2000 ([47]), a été défini un cadre juridique visant à surveiller le « bon état » des masses d’eau, expression qui qualifie à la fois le bon état chimique, le bon état écologique et le bon état quantitatif. Cet état est apprécié en fonction de critères distincts selon que l’on considère les eaux de surface ou les eaux souterraines (cf. infra).

Le cadre réglementaire européen ([48]) organise une surveillance approfondie de la qualité chimique des masses d’eau pour le paramètre « pesticides ». Dans les faits, ce sont essentiellement des substances actives de produits phytosanitaires qui sont recherchées et quelques-uns de leurs produits de transformation – ou métabolites.

Pour mettre en œuvre la directive DCE et mesurer les concentrations en substances, la France a mis en place un réseau de stations de mesure de la qualité de l’eau superficielle et souterraine, géré par les agences de l’eau, les autorités locales, le BRGM et d’autres organismes de surveillance environnementale. Ce réseau couvre les rivières, les lacs, les réservoirs, les nappes phréatiques et d’autres sources d’eau continentale.

Au niveau de chaque bassin, ce réseau surveille obligatoirement les molécules listées au niveau européen en vue de qualifier l’état chimique des eaux. Cependant, les agences de l’eau et le BRGM peuvent aussi ajouter à leur programme de surveillance d’autres substances pertinentes au vu du contexte local. Cette aptitude est essentielle pour détecter des molécules nouvelles, via des méthodes de détection non ciblées, et parvenir à les quantifier.

La qualité des eaux souterraines est un élément critique à surveiller pour l’ensemble des usages de l’eau qui en découlent : alimentation en eau potable (67 % des usages), usage agricole, milieux aquatiques.

Le bon état des masses d’eau souterraines est apprécié en fonction de deux critères :

– leur bon état chimique, obtenu quand la concentration mesurée ou prévue de nitrates ne dépasse pas 50 mg/l et celle des pesticides, de leurs métabolites et de produits de réaction ne dépasse pas 0,1 µg/l par pesticide détecté – 0,03 μg/L pour l’aldrine, la dieldrine, l’heptachlore et l’heptachloroépoxyde – et 0,5 µg/l pour le total de tous les pesticides mesurés ;

– leur bon état quantitatif, qui est notamment caractérisé par le fait qu’il y a un équilibre entre les prélèvements dans la nappe et sa recharge naturelle.

La qualité des eaux de surface est appréciée selon les critères suivants :

– Le bon état chimique est obtenu lorsqu’aucune des 45 substances listées comme prioritaires pour la surveillance des eaux de surface, dont des substances issues de produits phytopharmaceutiques ([49]), n’est détectée à un niveau de concentration supérieur à des normes établies pour chacune de ces substances au niveau européen ;

– Le bon état écologique est considéré comme acquis lorsque l’on retrouve dans la masse d’eau les espèces animales et végétales (poissons, invertébrés, plantes, algues) qui devraient s’y trouver, et qu’elles résistent aux pressions humaines qui s’exercent sur le milieu.

Lorsque l’un des paramètres susmentionnés déterminant l’état chimique, écologique et quantitatif des eaux s’écarte de la norme, cela aboutit au déclassement de la masse d’eau considérée.

Dans le cadre de la directive européenne précitée (DCE), les États membres sont tenus de rendre compte du respect des exigences posées par ce texte selon une périodicité maximale de six ans. Dans le cadre de l’état des lieux réalisé par la France en 2019 ([50]), il ressort ainsi que :

– 43% des 11 407 masses d’eau de surface sont au moins en bon état écologique, et 44,7 % d’entre elles sont en bon état chimique. Cependant, l’examen des substances les plus déclassantes pour les 55 % de masses d’eau qui ne sont pas en bon état chimique fait apparaître la responsabilité principale du benzo(a)pyrene, lequel déclasse 77,4 % des masses d’eau, et n’est pas attribuable à l’agriculture.

Cette moindre contribution des pesticides à la pollution des eaux de surface ressort également de l’évolution de l’indice IPCE (Indice de Pesticides dans les Cours d’Eau), élaboré spécifiquement pour suivre ce paramètre. Selon le commissariat général au développement durable, la présence de pesticides baisserait ainsi de 19 % en France métropolitaine et de 21 % en Outre-mer sur la période 2008‑2017 ([51]) au regard de cet indice.

– En revanche, s’agissant des masses d’eau souterraines, si 70,7 % d’entre elles sont en bon état chimique, les pesticides et les nitrates sont les paramètres les plus déclassants pour les 30 % restants: respectivement 83,1 % et 43,3 % des 201 masses d’eau souterraine qui n’atteignent pas le bon état chimique sont en effet déclassées par un ou plusieurs de ces polluants.

Ces données rejoignent les constats effectués par les directeurs généraux des agences de l’eau lors de leur audition ([52]), à l’instar de Mme Sandrine Rocard, de l’agence Seine – Normandie :

« La contribution de l’agriculture à la dégradation de la qualité de l’eau ne fait pas de doute : le résultat de la surveillance que l’on effectue sur nos cours d’eau et nos nappes souterraines montre que 26 % de nos cours d’eau sont déclassés, c’est-à-dire considérés comme en mauvais état au sens de la réglementation européenne, du fait de la présence de pesticides. C’est également le cas pour 61 % de nos nappes souterraines, sachant que la moitié de l’eau potable sur le bassin provient de ces nappes. Un enjeu particulier se dessine ainsi au sujet des nappes souterraines. » ([53])

L’eau distribuée au robinet fait l’objet d’un suivi qualitatif régulier par les personnes responsables de la production et de la distribution de l’eau (PRPDE) et par les agences régionales de santé (ARS), notamment pour évaluer la présence de traces de pesticides. Celles-ci doivent effectuer des contrôles à la sortie des zones de captage de l’eau potable, au sein du réseau de distribution et à la sortie du robinet.

Il n’existe pas de liste de pesticides à rechercher définie au niveau national dans le cadre de ce contrôle sanitaire. En effet, compte tenu du nombre élevé́ de pesticides autorisés (ou ayant été́ autorisés par le passé) et du coût des analyses, il est nécessaire de cibler les recherches de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine, en fonction de la probabilité́ de retrouver ces substances et des risques pour la santé humaine. Le choix des molécules à rechercher est donc laissé à chaque ARS, en fonction notamment des activités agricoles locales, des surfaces cultivées, des quantités de pesticides vendues ainsi que des pratiques locales d’approvisionnement des utilisateurs professionnels ([54]).

Parallèlement, l’Anses réalise régulièrement des campagnes nationales de détection et de mesures de certaines substances, pour déterminer si des substances actives ou leurs métabolites sont préoccupants lorsqu’ils sont détectés dans l’eau potable (cf. encadré ci-après sur le chlorothalonil).

Les limites de qualité des eaux destinées à la consommation humaine sont celles établies pour qualifier le bon état chimique des eaux souterraines ([55]) (cf. supra). Comme le souligne l’Anses, cette limite réglementaire n’est pas une norme sanitaire mais « un indicateur de qualité : lorsque que ce seuil est dépassé, cela veut dire que la qualité de l’eau distribuée au robinet se dégrade. En revanche, la limite de qualité de l’eau pour les pesticides ne constitue en aucun cas un seuil de risque pour la santé des consommateurs car elle n’est pas élaborée sur la base de la toxicité des substances » ([56]).

M. Gwenaël Imfeld a ainsi souligné lors de son audition ([57]) qu’au moins une fois en 2018, 9,4 % de la population – soit plus de 6 millions d’habitants – a été́ alimentée par une eau non conforme aux limites de qualité́ autorisées pour les pesticides.

Quand la limite de qualité de l’eau est dépassée, l’Anses établit à la demande de la direction générale de la santé des valeurs sanitaires maximales dérogatoires (Vmax) pour garantir la santé du consommateur même en situation de dépassement des limites de qualité. Elles « sont déterminées à partir des valeurs toxicologiques de référence (VTR) s’appliquant aux substances actives ou métabolites, en considérant que l’exposition d’une personne par l’eau qu’elle consomme ne doit pas dépasser 10 % de la VTR » ([58]).

Sur la base des critères toxicologiques retenus et en l’état actuel des connaissances, on considère que la consommation, pendant une vie entière, d’une eau contenant un pesticide à une concentration inférieure ou égale à la Vmax n’entraîne aucun effet néfaste pour la santé. Si la concentration en pesticides est supérieure à la Vmax, des restrictions de consommation sont prononcées. Cependant, l’établissement d’une Vmax n’est possible que lorsque des données toxicologiques solides sont disponibles, ce qui n’est pas toujours le cas.

 

Un métabolite de pesticide très fréquemment retrouvé : le chlorothalonil R471811

En 2019, l’Anses a mené une campagne nationale d’occurrence des composés émergents dans l’eau – elle en effectue en moyenne tous les trois ans.

Dans ce cadre, elle a recherché 157 pesticides et métabolites de pesticides. 89 d’entre eux ont été détectés au moins une fois dans les eaux brutes et 77 dans les eaux traitées.

Parmi les sept composés « émergents » ayant conduit à des dépassements de la limite de qualité de 0,1 µg/litre, un cas ressort en particulier : le métabolite du chlorothalonil R471811. D’une part, c’est le métabolite de pesticide le plus fréquemment retrouvé (dans plus d’un prélèvement sur deux) et, d’autre part, il conduit à des dépassements de la limite de qualité dans plus d’un prélèvement sur trois.

Ce métabolite était recherché après la publication, en 2019, de données indiquant qu’il était très fréquemment retrouvé dans les eaux de consommation en Suisse. Il est issu de la dégradation dans l’environnement du chlorothalonil, un fongicide interdit en France depuis 2020. Ces résultats attestent qu’en fonction de leurs propriétés, certains métabolites de pesticides peuvent rester présents dans l’environnement plusieurs années après l’interdiction de la substance active dont ils sont issus.

De nouvelles mesures ont ainsi été prises pour mesurer la concentration de ce métabolite dans l’eau potable ; un grand nombre d’ARS l’ont intégré dans leur programme de contrôle pour le quantifier.

Au bénéfice de l’ensemble des constats, votre rapporteur estime qu’il est indispensable d’améliorer encore nos connaissances et nos capacités de détection sur les substances phytopharmaceutiques présentes dans l’eau. Cela vaut également pour d’autres substances qui ne sont pas spécifiquement d’origine agricole, à l’image des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), ou « polluants éternels ». Ces substances, dotées de propriétés antiadhésives, imperméabilisantes, résistantes aux fortes chaleurs ont été largement utilisées depuis les années 1950 dans divers domaines industriels et produits de consommation courante (textiles, emballages alimentaires, mousses anti-incendie, revêtements antiadhésifs, cosmétiques, produits phytosanitaires, etc.) et sont encore largement en dehors des radars de la réglementation, bien qu’on les retrouve dans les eaux et qu’on les sache potentiellement dangereuses.

Il importe ainsi d’améliorer nos capacités de détection, mais aussi d’analyse des substances détectées. Il est par ailleurs essentiel d’incorporer la problématique du changement climatique dans l’analyse prospective de ces pollutions, dans la mesure où l’on sait que les évènements climatiques extrêmes – sécheresses, fortes précipitations – seront susceptibles d’avoir un impact très important sur la qualité de l’eau. Cet aspect a également été souligné par Mme Sandrine Rocard ([59]) lors de son audition :

« D’après les scénarios futurs, nous aurons une baisse tendancielle du débit des cours d’eau de 10 à 30 %. Ce sont les projections pour le bassin à l’horizon 2070-2100. Cette situation réduira la capacité de dilution des polluants dans les cours d’eau. Ce seront autant d’eaux brutes qui seront potentiellement plus polluées, y compris par les produits phytosanitaires. »

De même, M. Nicolas Chantepy, directeur général adjoint de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, a indiqué :

« Il faut mentionner l’effet des modes de précipitation, de plus en plus violents, avec beaucoup de ruissellement. Ce ruissellement induit des relargages beaucoup plus importants de produits phytosanitaires. On peut donc avoir des « flashs » de phytosanitaires emmenés par des précipitations alors qu’auparavant, ils tombaient beaucoup plus lentement, percolaient et ruisselaient beaucoup moins. Ces phénomènes peuvent extraire des polluants de sols agricoles qui n’ont pas été traités depuis longtemps. »

Recommandation n° 3 – Renforcer la connaissance sur la présence des produits phytopharmaceutiques dans l’eau en développant les capacités de surveillance et d’analyse des molécules nouvelles et réaliser une étude prospective sur l’évolution de la quantité, de la qualité et du coût des eaux destinées à la consommation

c.   Il est urgent de progresser sur la connaissance de l’impact de ces produits sur la qualité de l’air

En comparaison de l’eau, la présence des pesticides dans l’air est en réalité très peu mesurée.

Les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa) présentes au niveau de chaque région ([60]) ont pour mission de surveiller et de prévoir la qualité de l’air, par des mesures et des modélisations, pour une douzaine de polluants réglementés. Si les pesticides n’en font pas partie, les Aasqa peuvent aussi surveiller d’autres polluants qui ne sont pas encore réglementés dans le but de contribuer à améliorer les connaissances sur la qualité de l’air.

C’est à ce titre qu’elles ont entamé, à partir de 2001, une surveillance des résidus de pesticides présents dans l’air, souvent en réponse aux préoccupations exprimées par les acteurs locaux. Elles réalisent ainsi des mesures annuelles sur 176 points du territoire français ; en moyenne, entre 75 et 100 substances actives sont recherchées, en fonction des moyens de l’Aasqa et des enjeux locaux.

Pour diffuser les résultats de ces campagnes, l’association Atmo France a mis en ligne la base de données « phyt’Atmo » qui permet d’accéder gratuitement aux données collectées depuis le début des relevés. Elle comprend les résultats de plus de 10 000 prélèvements sur 176 sites et répertorie 361 substances actives détectées.

En 2018-2019, l’Anses a piloté une campagne nationale exploratoire des pesticides dans l’air (Cnep), fondée sur un point de mesure par région. Sur les 75 substances actives recherchées, 70 ont été détectées au moins une fois au cours de la campagne. Comme le souligne M. Ohri Yamada, chef de l’unité phytopharmacovigilance et observatoire des résidus de pesticides à l’Anses ([61]), cette campagne a constitué une première forme d’harmonisation nationale de la surveillance des pesticides dans l’air :

« Depuis presque vingt ans, certaines Aasqa mesurent les pesticides dans l’air, selon des protocoles variables. La Cnep nous a permis de disposer d’une image représentative et homogène sur l’ensemble du territoire national, y compris les territoires ultramarins, avec les mêmes méthodes et la recherche des mêmes substances actives sur une année entière. Nous avons aussi pu capter les variations saisonnières et la variabilité de l’occupation des sols. »

Dans la foulée de cette campagne exploratoire, un suivi pérenne a été mis en place dans le cadre du plan de réduction des polluants atmosphériques (Prepa) publié en 2022, toujours sur la base d’un point de mesure par région. Cependant, ce dispositif reste pour le moins léger, comme le souligne Mme Charlotte Lepitre, responsable projet et plaidoyer à Atmo France :

« Aujourd’hui, les travaux de suivi des pesticides dans l’air ne sont guidés que par un groupe de travail et par ce qui est écrit dans le Prepa. Il n’y a donc pas de politique publique établissant la surveillance nationale des pesticides dans l’air, ni d’objectifs sur lesquels nous pourrions nous appuyer. »

Il y a là une différence majeure avec le système de surveillance obligatoire mis en place pour l’eau, assorti de seuils à ne pas dépasser. Lorsqu’un pesticide est détecté dans l’air, il n’existe, en effet, pas de seuil réglementaire au-delà duquel une alerte serait donnée. Il n’existe pas non plus de modélisation permettant, à partir des données propres à un territoire, de faire des prévisions d’évolution dans le temps ou d’extrapoler à un territoire plus grand.

Plus de 20 ans de mesures réalisées par les Aasqa ont permis d’établir quelques traits constants :

– Certaines substances actives sont présentes dans l’air dans un laps de temps court après leur utilisation à des concentrations importantes tandis que d’autres persistent, mais à des concentrations plus faibles.

– Une certaine saisonnalité est également observée, les concentrations étant en général plus importantes à l’automne – période d’épandage des herbicides.

– Les substances actives fongicides et herbicides sont les plus fréquemment détectées, c’est plus rare pour les insecticides.

– Plus une substance est volatile, plus on a de chances de la retrouver dans l’air, de sorte que l’herbicide « prosulfocarbe est très présent dans l’ensemble des régions et présente les niveaux de concentration les plus élevés dans beaucoup de situations » ([62]) ;

– Les différents milieux sont tous également contaminés – milieux agricoles, urbains, péri-urbains.

Pour le reste, une grande variabilité est observée, comme le souligne Mme Emmanuelle Drab-Sommesous ([63]), référente « pesticides » pour Atmo France :

« Nous observons une variabilité spatiale et temporelle extrêmement importante des pesticides dans l’air. Nous observons des comportements différents entre les sites, entre les années et entre les saisons. Ces différences sont liées au caractère multifactoriel des concentrations en pesticides dans l’air : l’occupation du sol ; le type de cultures ; la nature du sol les pratiques agricoles ; le type d’équipements utilisé ; la météorologie, qui impacte de manière directe et indirecte les émissions dans l’atmosphère ; et les propriétés physico-chimiques de la substance. »

S’agissant des impacts sanitaires de ces molécules présentes dans l’air, très peu de données sont disponibles. M. Ohri Yamada a souligné qu’il n’existait, en particulier, aucune donnée toxicologique sur l’impact d’une exposition aux pesticides par voie inhalée. Il a ainsi expliqué que, sur la base d’extrapolations de données toxicologiques obtenues par ingestion, l’Anses estimait qu’il n’y avait, à ce jour, pas d’indication que l’exposition par inhalation aux substances actives de produits phytosanitaires présentait un risque pour la santé.

Votre rapporteur estime indispensable et urgent de lever ces incertitudes trop nombreuses sur les effets de cette exposition. En effet, l’Anses reconnaît elle-même que le caractère transférable à la voie inhalée des résultats obtenus par voie orale est très hypothétique. Une action publique est nécessaire pour se donner les moyens de mesurer les risques dans le milieu aérien, à l’image de ce qui est fait pour l’eau. Interrogés par votre rapporteur, les responsables d’Atmo France estiment qu’un budget annuel d’environ 3 millions d’euros serait nécessaire pour mettre en place une surveillance des pesticides dans l’air.

Recommandation n° 4 Mettre en œuvre un plan de surveillance national des pesticides dans l’air et élaborer des valeurs réglementaires sur la contamination par les pesticides dans les différents milieux aériens

d.   L’impact des pesticides sur la qualité des sols est également avéré et doit être davantage documenté

Avant de contaminer l’eau, les produits phytosanitaires ont en général pénétré le sol voire le sous-sol. Les substances des produits phytopharmaceutiques qui pénètrent dans le sol sont persistantes et s’accumulent dans les organismes avec le temps – on parle alors de bioaccumulation ([64]).

La détection et la quantification des produits phytopharmaceutiques présentes dans le sol sont assez récentes. À partir du réseau de mesures de la qualité des sols (RMQS), l’Inrae a réalisé en 2019, à la demande de l’Anses, une étude sur des échantillons prélevés sur 47 sites du RMQS, correspondant majoritairement à des terres cultivées, des prairies et des forêts ([65]). 111 molécules spécifiques aux produits phytopharmaceutiques étaient recherchées et 67 ont été identifiées dans les échantillons ; 98 % des échantillons contenaient au moins une des molécules ([66]). Des études récentes menées dans d’autres pays, en Suisse par exemple, aboutissent au même type de résultats, qui indiquent une contamination importante du sol par des substances qui, en théorie, ne devraient pas persister très longtemps après leur utilisation, et ce dans tous les types de sol ([67]).

La richesse du sol et du sous-sol, pour la biodiversité en général et pour l’agriculture en particulier, est primordiale. Or, les produits phytopharmaceutiques, en pénétrant les organismes vivant dans les sols et la matière organique, dégradent la biodiversité. Cela affecte des invertébrés comme les vers de terre et les nématodes, mais aussi la diversité et la qualité de microorganismes comme les microbes, champignons ou bactéries, qui remplissent diverses fonctions écologiques ([68]).

En 2016, au sud de Niort, des chercheurs de l’Inrae et leurs collègues ont analysé la teneur en pesticides des sols et des vers de terre qu’ils abritent, dans la zone atelier Plaine et Val de Sèvre. Comme l’a expliqué Mme Céline Pelosi, directrice de recherche en agroécologie des sols à l’Inrae, coordinatrice de l’étude, tous les échantillons prélevés contenaient des molécules présentes dans les produits phytopharmaceutiques et, sur les 155 vers de terre analysés, 92 % étaient contaminés par en moyenne 4 molécules ([69]). Mme Céline Pelosi a ainsi expliqué à la commission d’enquête ([70]) :

« Nous avons fait une analyse de risques sur la base des concentrations dans les sols, que nous avons comparées aux valeurs de référence utilisées dans les procédures d’homologation avant l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des pesticides. Nous avons constaté que dans un cas sur deux (46 %), il y avait un risque élevé pour la reproduction des vers de terre, ce qui signifie que ces concentrations aux doses résiduelles menacent la reproduction des vers de terre. Or, si les vers ne se reproduisent plus, ils ne peuvent plus assurer aussi bien leurs fonctions, qui sont absolument nécessaires pour la durabilité des agrosystèmes. »

Au-delà, les spécialistes auditionnés par la commission d’enquête ont souligné que de nombreux champs restaient inexplorés s’agissant de l’impact des pesticides sur les sols.

2.   Un impact massif sur la biodiversité animale et végétale

a.   Les pesticides, une cause majeure du déclin de la biodiversité

L’imprégnation générale de l’ensemble des milieux – eau, air, sols – par les substances phytosanitaires a des impacts très lourds sur la biodiversité entendue au sens large. M. Stéphane Pesce, de l’Inrae, a en effet souligné, lors de son audition ([71]), qu’au-delà de la biodiversité structurelle, consistant à répertorier les espèces présentes ou absentes, l’impact doit être apprécié sur la biodiversité fonctionnelle, c’est-à-dire sur « le fonctionnement des écosystèmes, le rôle écologique des organismes présents dans l’environnement – en allant jusqu’aux services écosystémiques, c’est-à-dire aux avantages de cet écosystème dont nous tirons parti ».

M. Stéphane Pesce a indiqué que les produits phytosanitaires comptaient parmi les grandes causes identifiées de réduction de la biodiversité :

« L’IPBES (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), qui est à peu près l’équivalent du Giec pour la biodiversité, estime dans son dernier rapport que la pollution chimique est le troisième facteur responsable du déclin de la diversité et de la dégradation des écosystèmes, à peu près au même niveau que le changement climatique. »

b.   Des impacts directs et graves sur les écosystèmes

Ces effets négatifs découlent du fait que les produits phytosanitaires ont des effets sur des cibles proches de celles pour lesquelles ils ont été conçus – comme par exemple les insecticides sur les populations d’insectes non considérés comme des ravageurs – et qu’ils persistent dans les milieux. Ils peuvent ainsi être ingérés, persister dans la chaine trophique et provoquer des maladies ou une surmortalité.

Certains produits comme les néonicotinoïdes sont des insecticides dits systémiques, c’est-à-dire qu’ils se diffusent dans toute la plante pour la protéger des ravageurs. Ils sont à l’origine d’effets toxiques sublétaux ou létaux sur les pollinisateurs. De nombreuses études ont ainsi mis en lumière des effets négatifs sur la reproduction des abeilles, par désorientation et atteinte de leur système nerveux ou immunitaire. La surmortalité de la population d’abeilles qui en résulte affecte la pollinisation et donc la reproduction des cultures et la diversité végétale. C’est pourquoi les différents produits de la classe des néonicotinoïdes ont été interdits en France en 2016 et ensuite plus largement en 2018, avant que ces mêmes produits ne soient réautorisés par dérogation jusqu’en 2023, pour traiter les cultures de betteraves sucrières contre un puceron ravageur porteur de la jaunisse ([72]).

De manière générale, en dégradant un élément dans un écosystème, les pesticides induisent des déséquilibres beaucoup plus importants sur la faune et la flore des paysages agricoles. La diminution des populations d’insectes atteints directement ou indirectement par certains produits phytopharmaceutiques peut conduire à une baisse de la population d’oiseaux. Cette baisse de la population d’oiseaux réduit d’autant la population de proies pour des prédateurs de plus grande taille et ainsi, la chaine alimentaire dans son ensemble se trouve déstabilisée.

Une étude du Proceedings of the National Academy of Sciences, publiée le 15 mai 2023, a ainsi révélé qu’en Europe, 60 % des espèces d’oiseaux des milieux agricoles avaient disparu depuis quarante ans. Cette étude montre que l’agriculture intensive est la principale pression associée à ce déclin ([73]).

Une histoire d’abeilles et de bourdons
Retour sur les premiers résultats du programme PoshBee publiés dans la revue Nature

Financé par l’UE dans le cadre d’Horizon 2020, le programme PoshBee, qui regroupait plus de 40 partenaires de 14 pays européens dont l’Anses, vient de s’achever. Une première étape de valorisation des données a été concrétisée récemment par une importante publication dans la revue Nature, portant sur les conséquences de l’usage des pesticides sur les bourdons.

Cette publication présente les résultats d’une série de mesures réalisées sur 106 sites dans 8 pays différents. Pour chaque site, les produits phytopharmaceutiques contenus dans le pollen ramené au nid par les bourdons ont été identifiés et quantifiés. Parmi ces produits, ceux présentant le plus de risques pour ces insectes sont des pesticides.

Il est observé que les colonies implantées dans les sites les moins exposés aux pesticides produisent 50 % de descendants de plus que les autres.

Par ailleurs, 60 % des colonies de bourdons étudiées ont perdu plus de 10 % de leur poids. Or, la valeur de 10 % de perte avait été proposée comme seuil par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) dans le cadre de la révision du document guide européen pour la protection des pollinisateurs exposés aux produits phytopharmaceutiques. Elle considérait en effet que les colonies de bourdons ne devaient pas perdre plus de 10 % de leur poids pour que leur développement ne soit pas en danger.

L’Anses a apporté des moyens complémentaires sur ses fonds propres pour développer de nouvelles méthodes de traitement des données afin d’explorer les interactions complexes entre les différents facteurs d’expositions – chimiques, infectieuses, climatiques, nutritionnelles, zootechniques – qui constituent les déterminants de la santé des abeilles.

En effet, si certains pathogènes majeurs sont capables à eux seuls de détruire les colonies d’abeilles, la plupart d’entre eux expriment un pouvoir pathogène en présence d’autres facteurs d’affaiblissement. Ces interactions complexes, sortes « d’associations de malfaiteurs », doivent absolument être décryptées pour mieux comprendre ce qui affecte la santé de nos abeilles et des insectes pollinisateurs en général.

Cette compréhension est essentielle pour améliorer l’évaluation réglementaire des produits phytopharmaceutiques.

Si l’apport de nouvelles méthodologies dans les dossiers d’autorisation de ces produits prend du temps, il faut rappeler que l’Anses a été pionnière dans le domaine de l’évaluation multifactorielle des causes d’affaiblissement des abeilles avec son rapport de 2015, initié dès 2012, sur la co-exposition des abeilles aux facteurs de stress.

Source : Anses.

c.   Des impacts indirects multiples, encore partiellement appréhendés

Beaucoup d’effets sont plus indirects encore. La spécialisation par culture entraine une réduction de la biodiversité, de même que l’agrandissement des parcelles, qui diminue les zones intermédiaires ou zones refuges pour la faune. La diminution de la population de prédateurs qui en résulte peut ainsi conduire à une augmentation de la population d’insectes, lesquels s’attaquent aux cultures, entrainant ainsi une hausse de l’usage de produits phytopharmaceutiques.

M. Stéphane Pesce a insisté, lors de son audition, sur les effets variés et de long terme des produits phytopharmaceutiques : « La science met de plus en plus en évidence des effets sublétaux, sur le long terme. Il peut exister par exemple des immunodéficiences (les organismes seront plus vulnérables à certaines maladies) ou des déficiences comportementales (les abeilles n’arrivent plus à retrouver leur ruche, les oiseaux prennent du retard dans leur migration), des dysfonctionnements en matière de reproduction. Ces effets ne sont pas forcément visibles de manière simple mais les conséquences de long terme sont réelles, entraînant un déclin des populations. »

d.   Une dégradation des services écosystémiques

Cette perte de biodiversité animale ou végétale conduit in fine à une dégradation des services rendus par la biodiversité à l’agriculture – les services écosystémiques. Les produits phytopharmaceutiques, en fragilisant les écosytèmes, diminuent les services que ces derniers rendent. La dégradation de la qualité du sol nuit à la diversité animale mais également aux fonctions remplies par les micro-organismes et macro-organismes du sol pour les cultures et le cycle de l’eau. Le cas des abeilles fait apparaître très clairement le caractère potentiellement très grave de cette perte de services écosystémiques pour les cultures, du fait de la diminution de la pollinisation naturelle.

À l’inverse, les bénéfices de l’agriculture biologique sur la biodiversité sont largement démontrés. Elle permet de préserver la biodiversité au sein des exploitations en épargnant la faune qui est moins en contact avec des produits toxiques, en conservant davantage d’éléments du paysage, comme les haies, favorables à la diversité de la faune et de la flore, etc.

Votre rapporteur estime que les constats scientifiques convergents quant à l’impact considérable des pesticides sur la biodiversité doivent nous inciter à une surveillance particulièrement étroite de ce qui constitue un capital naturel primordial, notamment si l’on veut pouvoir continuer à produire. Il appelle ainsi à la mise en place d’une surveillance permanente et spécifique des sols et de la biodiversité.

Recommandation n° 5 Mettre en place un plan de surveillance du sol et de la biodiversité en vue d’améliorer et de maximiser ce capital naturel

3.   Un impact prouvé sur la santé humaine

a.   Un impact établi avec un niveau de preuve fort par les expertises collectives de l’INSERM

Depuis les années 1980, des enquêtes épidémiologiques s’appuyant sur des observations réalisées au sein de cohortes de sujets exposés professionnellement ont évoqué l’implication des pesticides dans plusieurs pathologies, en particulier des pathologies cancéreuses, des maladies neurologiques et des troubles de la reproduction. Par ailleurs, des travaux de recherche ont attiré l’attention sur les effets éventuels d’une exposition, même à faible intensité, lors de périodes sensibles du développement humain (in utero et pendant l’enfance).

En 2013, une première expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a été réalisée ([74]) à la demande de la direction générale de la santé pour dresser un bilan des connaissances sur les liens entre certaines pathologies – parfois mortelles – et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques.

Cette première expertise collective s’est fondée, entre autres, sur des études épidémiologiques déjà nombreuses, qui permettent d’établir des associations entre des facteurs d’exposition et le risque de survenue d’une maladie. Elles ne peuvent pas apporter la preuve absolue de la nature causale de la relation entre le facteur de risque et la survenue de la maladie, mais elles indiquent dans quelle mesure et avec quelle probabilité la prévalence ou l’incidence d’une pathologie peuvent être liées à l’exposition.

Une trentaine de pathologies ont été étudiées : des pathologies cancéreuses, des maladies neurologiques, les effets sur la fertilité ainsi que les effets sur le développement du fœtus et de l’enfant. Différentes sous-catégories de populations ont été distinguées : nourrissons, enfants et adultes. Les conclusions de l’expertise ont mis en évidence des liens entre l’exposition et les différentes pathologies avec des niveaux de présomption faibles, moyens ou forts.

                            Cette expertise a été mise à jour en 2021, à la demande de cinq directions générales ministérielles ([75]). Dans l’ensemble, les résultats de cette seconde expertise viennent renforcer les résultats de 2013.

De la même manière, les liens ont été étudiés entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides. Plusieurs types d’exposition ont été étudiées : l’exposition des femmes enceintes et des fœtus, l’exposition professionnelle, l’exposition des riverains de zones agricoles et l’exposition de la population générale.

Les résultats de l’expertise mettent en lumière certains liens entre des pathologies infantiles et l’exposition aux pesticides. Parmi les résultats les plus marquants, on retient :

– une présomption de lien forte entre l’exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse – exposition professionnelle ou par utilisation domestique – ou de l’enfant et le risque de développer certains cancers, en particulier les leucémies et les tumeurs du système nerveux central.

– une présomption de lien forte entre l’exposition des mères pendant la grossesse à certaines familles chimiques de pesticides (organophosphorés, pyréthrinoïdes) et des troubles du développement neuropsychologique et moteur de l’enfant.

Chez les adultes, on note :

– une présomption de lien forte entre la maladie de Parkinson et l’exposition professionnelle aux pesticides, en particulier les herbicides et les insecticides – notamment les organochlorés.

– une présomption de lien moyenne entre l’exposition professionnelle à deux substances, le paraquat et le roténone, et la maladie de Parkinson, ainsi qu’entre l’exposition professionnelle aux pesticides en général et la maladie d’Alzheimer.

– un lien nouveau entre certains troubles cognitifs et l’exposition professionnelle et environnementale aux organophosphorés notamment.

– un lien avec une présomption forte entre certaines hémopathies malignes, notamment les lymphomes non hodgkiniens, et l’exposition professionnelle aux pesticides en général,

– un lien avec une présomption forte entre l’exposition professionnelle aux pesticides et le risque de myélomes multiples ;

– un lien avec un niveau de présomption fort, entre le cancer de la prostate et les expositions professionnelles aux pesticides, ainsi qu’un lien, avec un niveau de présomption moyen, entre cette pathologie et l’exposition au chlordécone en population générale.

Enfin, il existe un certain nombre d’autres pathologies pour lesquelles il n’y a pas de présomption forte de lien avec l’exposition aux pesticides, mais suffisamment de preuves pour conclure à un lien avec une exposition professionnelle avec une présomption moyenne.

Comme l’ont rappelé les personnes auditionnées, des liens ont été établis entre des pathologies et l’exposition à des pesticides dont certains sont interdits depuis longtemps. La rémanence des produits phytosanitaires, ainsi que le temps que peuvent mettre ces pathologies à se développer, expliquent que ces effets puissent apparaître tardivement. Par ailleurs, c’est souvent sur ces produits que les études sont les plus robustes, car elles bénéficient d’observations réalisées sur longue durée.

Le tableau ci-après, extrait d’une publication réalisée par l’ONG Le Basic, résume les différents liens de présomption mis en évidence par l’expertise collective :

liens de présomption mis en évidence par l’inserm
entre pesticides et maladies

b.   Encore de nombreux axes de recherche à explorer

L’évaluation réglementaire des dangers présentés par les pesticides repose principalement sur des données de toxicologie expérimentale. Ces données visent à établir pour chaque substance active une dose acceptable d’exposition humaine, et à déterminer les conditions d’utilisation permettant un usage contrôlé des préparations commerciales qui les contiennent.

La recherche médicale et plus généralement scientifique sur les produits phytopharmaceutiques s’intéresse également prioritairement à l’exposition à un produit en particulier parce qu’il est plus difficile de quantifier les effets potentiels de l’exposition à plusieurs substances actives. Les effets dits « cocktail » sont donc encore assez peu étudiés par les laboratoires, même sur des populations de mammifères sur lesquels des études sont réalisées.

Néanmoins, les travaux qui existent déjà sur les effets cocktail permettent d’évaluer les éventuels effets synergiques ou antagonistes. L’effet de l’exposition à deux doses ou deux substances peut dans certains cas, dans l’organisme, produire un effet qui n’est pas équivalent à la somme des effets de chaque substance individuelle à la même dose. Cependant, comme l’a indiqué M. Rémy Slama, directeur de l’Institut thématique santé publique de l’Inserm, les travaux disponibles suggèrent que les effets synergiques ne sont pas les plus fréquents et que, par défaut, la situation la plus probable est celle de l’effet additif des substances ([76]) : les effets des substances qui agissent sur une même cible ont tendance à se cumuler.

Comme l’a également souligné M. Rémy Slama ([77]), « c’est une situation préoccupante du point de vue de la santé, dans le contexte des multi-expositions. En effet, on ne peut pas ignorer une situation de multi-expositions sous prétexte que chacune des expositions est faible. Imaginons que je sois exposé à 100 substances, chacune à une dose considérée faible. Si ces substances ciblent le même organe ou la même pathologie, il est probable que cela revienne plus ou moins, pour moi, à être exposé à une dose de 100 d’une seule de ces substances. »

L’exposome peut être décrit comme la mesure de la totalité des expositions à des éléments présents dans son environnement – comme des substances chimiques, des polluants, le tabac, etc. – auxquelles un individu est soumis de la conception à la mort.

Les difficultés à mesurer l’ensemble des expositions à des substances chimiques auxquelles les êtres humains sont exposés dans l’environnement et à produire des mesures synthétiques qui pourraient ensuite permettre d’établir des corrélations entre exposition et apparition de pathologie sont encore grandes. Il faut non seulement réussir à identifier et mesurer les substances chimiques en interaction avec une population, mais aussi la nature des expositions – aiguë, ponctuelle, chronique...

Ce nouveau champ constitue néanmoins un axe de recherche parallèle à celui qui vise à comprendre les ressorts génétiques des pathologies humaines. Il met l’accent sur les interactions entre les êtres humains et l’environnement.

Entre les recherches sur les causes purement génétiques et les effets de substances présentes dans l’environnement apparait également un autre champ de recherche, à savoir l’épigénétique, qui constitue l’étude des effets d’éléments extérieurs au corps humain, présents dans l’environnement, sur l’expression des gènes, expression qui peut être modifiée et induire des maladies. L’Inserm définit l’épigénétique comme « l’étude des changements dans l’activité des gènes, n’impliquant pas de modification de la séquence d’ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires. Contrairement aux mutations qui affectent la séquence d’ADN, les modifications épigénétiques sont réversibles. »

La démarche dite une seule santé, ou One health, est soutenue et promue au niveau international par l’Organisation mondiale de la santé ([78]). Il s’agit de développer une approche de la santé humaine en interaction avec l’environnement et la santé des autres organismes vivants, donc à promouvoir une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires.

Le sujet de l’exposition aux produits phytopharmaceutiques s’intègre entièrement dans cette démarche à la fois scientifique et de politique publique. S’il s’agit d’un concept international, la France comme l’Union européenne s’approprient cette nouvelle vision de la santé, comme l’a expliqué la ministre, Mme Sylvie Retailleau lors de son audition ([79]) (cf. encadré). L’Union européenne a ainsi financé le programme European Joint programme on Foodborne Zoonoses « One Health EJP » qui a commencé en 2018 et s’arrête à la fin de l’année 2023 ([80]). En France, un programme de recherche proche concerne les zoonoses : le programme Prézone. Au titre du programme cadre de l’UE « Horizon Europe » ont également été mises en place des missions pour promouvoir des programmes de recherche transversaux et thématiques qui dépassent le cadre habituel des projets de recherche. Au nombre de cinq aujourd’hui, ces missions procèdent d’une démarche qui est celle du concept « une seule santé » ([81]).

Par ailleurs, en France, dans le cadre du plan gouvernemental Écophyto sur la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques, un appel à projet national a été lancé en 2021 appelé « Produits phytopharmaceutiques : de l’exposition aux impacts sur la santé humaine et les écosystèmes vers une approche intégrée “une seule santé”» ([82]).

Les études conduites par le ministère de la santé et Santé Publique France
Les impacts sanitaires des pesticides

À l’occasion d’une saisie sur pièces et sur place réalisée par votre rapporteur, le ministère de la santé a recensé les études suivantes :

– L’étude PestiRiv dont le but est d’identifier une éventuelle surexposition aux pesticides des personnes vivant près des vignes par rapport à celles vivant loin de toutes cultures ;

– L’étude Géocap-Agri – menée par Santé publique France, en partenariat avec l’Inserm et avec le financement de l’Anses – dont l’objectif est d’étudier le risque d’apparition de cancers chez l’enfant au regard de la proximité de certaines familles de cultures ;

– L’étude Esteban (et la prochaine Étude Albane qui va la prolonger), qui vise à mesurer notre exposition à certaines substances de l’environnement, notre alimentation, notre activité physique et l’importance des maladies chroniques dans la population ;

– L’expertise collective de l’Inserm « Pesticides et effets sur la santé : nouvelles données » (2013 et 2021) ;

– La cohorte AGRICAN, financée par la MSA, dont l’objectif est de fournir des données visant à évaluer les liens possibles entre l’exposition professionnelle aux pesticides et le développement de pathologies.

Les études Géocap-Agri et PestiRiv ont été lancées afin d’améliorer la connaissance sur le lien entre pesticides et santé dans le contexte, notamment, du signalement, en 2015, d’un cluster de cancers pédiatriques par le maire de Preignac.

Par ailleurs, la direction générale de la santé pilote un comité de suivi des études nationales sur les pesticides, qui rassemble les parties prenantes impliquées sur le sujet afin de suivre et partager l’avancement des travaux sur ces études nationales. Ce comité de suivi a vocation à intégrer la gouvernance de la future stratégie Écophyto 2030.

Avec le ministère chargé de la recherche, le ministère de la santé est co-pilote de l’axe 2 du plan Ecophyto 2+ visant à amplifier les efforts de recherche, développement et innovation.

Pour appréciable qu’elle soit, cette démarche doit être entreprise à une échelle bien plus importante. Votre rapporteur estime qu’elle devrait se déployer dans le cadre d’une mission transversale spécifique intégrée au programme Horizon Europe, qui serait centrée sur le développement d’une approche One health des impacts des pesticides et permettrait d’approcher la question de l’effet cumulé des impacts sur l’exposome de l’ensemble des expositions, notamment chimiques, auxquelles nous sommes confrontés.

Cette mission ferait écho aux travaux entrepris depuis plus d’une décennie à l’échelle de l’ONU, par une collaboration renforcée entre l’organisation mondiale de la santé (OMS), l’organisation mondiale de la santé animale (OMSA) et l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Recommandation n° 6 – Concevoir et promouvoir au niveau de l’Union européenne une mission transversale spécifique, intégrée au programme Horizon Europe, centrée sur le développement d’une approche One health des impacts des pesticides et permettant d’en analyser les impacts sur l’exposome, avec une déclinaison nationale ambitieuse

c.   Les travailleurs de la terre en sont les premières victimes et doivent être davantage protégés

Pour des raisons évidentes, les agriculteurs et salariés agricoles sont les plus directement exposés aux produits phytopharmaceutiques et donc à leurs effets. Les résultats de l’expertise collective de l’Inserm présentés ci-dessus ne laissent aucun doute sur le fait qu’ils sont les premières victimes de cette exposition, avec des conséquences souvent graves.

L’étude épidémiologique Agrican

Des études épidémiologiques en cours depuis longtemps déjà corroborent ces résultats.

C’est le cas de l’étude Agrican, qui concerne, depuis fin 2005, plus de 180 000 personnes affiliées à la Mutualité sociale agricole, répartis dans onze départements français métropolitains. Elle a été mise en place afin de répondre spécifiquement à la question du lien entre les expositions professionnelles agricoles et le risque de survenue de cancers. Il s’agit de l’étude la plus importante en France sur les liens entre exposition aux pesticides en milieu professionnel et cancers.

L’étude Agrican fournit des résultats intermédiaires sur la cohorte suivie qui vont dans le sens des constats exposés par l’expertise scientifique collective de l’Inserm. Ainsi, selon les résultats présentés en 2020, parmi les 43 cancers étudiés, six sont apparus plus fréquents dans la cohorte Agrican qu’en population générale, dont le mélanome de la peau, le myélome multiple et le cancer de la prostate ([83]).

C’est l’une des raisons pour lesquelles on cherche à développer des substances actives moins nocives, a minima plus concentrées et donc pouvant être utilisées en plus petite quantité.

C’est aussi dans ce but qu’a été mise en place une réglementation sur l’usage des produits phytosanitaires, dans une optique de réduction des risques. Cette réglementation concerne les notices des produits commercialisés, les équipements permettant d’appliquer ou de diffuser les traitements, les vêtements de protection, les distances à respecter entre les zones d’épandage et les habitations (cf. encadré), etc ([84]).

La question des zones d’épandage n’avait pas du tout été prise en compte dans le cadre du rapport remis au Premier ministre en 2014 ([85]). Même si une réglementation a été établie, le sujet reste très sensible dans la majorité des territoires. Votre rapporteur considère qu’il est utile de mieux associer les collectivités territoriales aux décisions concernant ce zonage, aux côtés des chambres consulaires et sous l’autorité du préfet.

La réduction des risques passe également par les instruments d’application eux‑mêmes, comme les pulvérisateurs, qui sont maintenant équipés de systèmes pour limiter la dérive des produits dans l’environnement (cf. encadré). Au regard des enjeux, il apparaît indispensable que ces équipements soient largement diffusés dans les exploitations et entretenus de façon à garantir l’atteinte de l’objectif de protection poursuivi.

Le Contrôle des pulvérisateurs - des carences majeures à combler

Le contrôle des pulvérisateurs est obligatoire en France depuis le 1er janvier 2009 ; il doit être obligatoirement réalisé une première fois cinq ans après l’acquisition du matériel. À cette fin, le Gouvernement a mis en place un plan national de contrôle. Depuis le 1er janvier 2021, le contrôle technique des pulvérisateurs doit être réalisé tous les trois ans, par des organismes d’inspection agréés par l’État.

Selon M. Laurent de Buyer, directeur général de l’Union des industriels de l’agroéquipement, une part très importante du parc des pulvérisateurs n’est pas contrôlée comme elle le devrait en vertu de la réglementation :

« Aujourd’hui, il existe un parc d’environ 285 000 pulvérisateurs recensés, selon une estimation Agreste de 2014. Sur ce total, l’organisme en charge du contrôle, OTC Pulvé, estime à environ 100 000 le nombre de pulvérisateurs qui n’ont jamais été contrôlés, alors que la réglementation impose un premier passage dans les cinq ans. Or, on sait qu’environ 20 % des appareils qui passent le contrôle doivent repasser une deuxième visite parce qu’un défaut majeur a été détecté sur la machine. » ([86]).

Votre rapporteur estime par ailleurs que les actions de prévention pourraient être encore renforcées en s’inspirant des dispositions prévues par la loi Évin ([87]) s’agissant des messages à caractère sanitaire en matière de tabagisme et d’alcoolisme. En effet, si la publicité pour les produits phytosanitaires est interdite à destination du grand public, elle demeure autorisée dans la presse professionnelle, à destination des agriculteurs qui sont les premiers concernés mais aussi les premiers exposés. Votre rapporteur juge nécessaire de rééquilibrer les messages véhiculés au sein de cette presse, au sujet des produits phytosanitaires, de façon à ce que les risques associés à l’usage de ces produits apparaissent clairement.

Les distances d’épandage près des zones sensibles et des zones habitées riveraines

● Concernant les zones sensibles et les personnes vulnérables

L’article L. 2537 du code rural de la pêche maritime dispose que des mesures sont prises pour protéger de l’exposition aux pesticides des zones sensibles et des populations vulnérables. En application d’arrêtés pris en 2011 puis en 2016, il est interdit :

– d’utiliser des produits toxiques sur et à proximité des espaces fréquentés par les personnes sensibles (enfants, personnes malades, personnes âgées ...) ;

– d’utiliser des produits issus de la synthèse chimique sur les sites appartenant à des structures publiques, ouverts au public.

La population doit être prévenue en cas de traitement phytosanitaire et des mesures de protection doivent être mises en place sur les sites traités ([88]).

● Concernant les zones habitées riveraines des zones de culture

La loi Egalim 1 d’octobre 2018 a modifié le cadre législatif existant pour permettre au pouvoir réglementaire de réduire de l’exposition des populations riveraines aux produits phytosanitaires ([89]).

L’arrêté du 27 décembre 2019 fixe des distances minimales d’épandage de produits phytosanitaires à proximité des lieux d’habitation, en fonction de la culture cible et de la hauteur des cultures ([90]). Il prévoit qu’en l’absence de distance de sécurité spécifique fixée par l’autorisation de mise sur le marché du produit concerné, l’utilisateur de produits phytopharmaceutiques doit respecter :

– une distance minimale de 20 mètres qui ne peut être réduite, pour les produits contenant les substances les plus dangereuses (substances classées CMR, avérées ou présumées) ;

– une distance de sécurité minimale de dix mètres, non réductible, lors de l’utilisation de certains produits phytopharmaceutiques comportant une substance suspectée d’être cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction ;

– une distance de 10 mètres ou de 5 mètres, suivant les cultures concernées, pour les autres produits, ces dernières distances pouvant être réduites, respectivement à 5 mètres et 3 mètres, lorsque des mesures apportant des garanties équivalentes en matière d’exposition des résidents par rapport aux conditions normales d’application des produits sont mises en œuvre, conformément à des chartes d’engagements approuvées par le préfet du département concerné.

L’ensemble de ces limites de distance a été étendu par arrêté du 25 janvier 2022 aux lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière autour des zones d’épandage.

Les constats épidémiologistes et la mobilisation d’agriculteurs, de parlementaires et d’associations comme Phyto-victimes ont permis la mise en place d’un fonds public spécifique pour indemniser les maladies professionnelles des travailleurs du monde agricole.

Cette victoire résulte d’un long combat qui a connu plusieurs épisodes au sein de l’Assemblée nationale. Ainsi, en 2018, la sénatrice Nicole Bonnefoy avait déposé et fait adopter au sein de la Haute Assemblée une proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Ce texte avait également été adopté par la commission des affaires sociales de l’Assemblée en 2019 – il avait alors été confié à votre rapporteur – mais il n’avait pu être totalement examiné en séance publique dans le cadre de la niche socialiste, faute de temps. La ministre de la santé de l’époque, Mme Agnès Buzyn, avait alors pris l’engagement de reprendre ce dispositif dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Cette promesse a été tenue, avec l’adoption de l’article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 ([91]), qui a donné naissance au Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP).

              L’objectif de ce Fonds est de simplifier et de compléter les modalités de reconnaissance des pathologies liées à une exposition professionnelle aux pesticides faisant ou ayant fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché pour les assurés relevant du régime général ou du régime agricole. Il permet d’élargir le périmètre des personnes couvertes, de centraliser et d’homogénéiser l’instruction des demandes et, pour les non-salariés agricoles, d’améliorer le niveau de réparation.

              Le Fonds s’inscrit dans le cadre existant de la reconnaissance et de l’indemnisation des maladies professionnelles : il permet d’harmoniser au niveau national les décisions rendues – reconnaissance des maladies professionnelles et détermination du taux d’incapacité permanente et du niveau d’indemnisation – grâce à la mise en place d’un comité de reconnaissance des maladies professionnelles national et unique. Les règles de droit commun du régime des accidents du travail et maladies professionnelles s’appliquent. C’est la Mutualité sociale agricole (MSA) qui s’occupe de traiter les dossiers pour l’ensemble des régimes.

              On observe une montée en charge progressive du FIVP, qui a reçu 650 dossiers en 2022, contre 326 en 2021 et 226 en 2020. D’ici la fin de l’année 2023, le nombre de dossiers déposés devrait atteindre le millier. 80 % des demandes émanent d’assurés du régime social agricole – parmi eux, 80 % sont non‑salariés et 20 % salariés. En un peu plus de deux ans de fonctionnement, les gestionnaires du fonds ont constaté un nombre important de demandes pour la reconnaissance et la prise en charge du cancer de la prostate comme maladie professionnelle. Ces demandes représentaient 20 % des dossiers à la création du fonds et 40 % en 2023. Cela résulte notamment de l’inscription, en 2021, de ce cancer au tableau des maladies professionnelles à raison d’activités agricoles ([92]).

Votre rapporteur se réjouit de la montée en puissance du Fonds ; il était indispensable qu’une telle structure voie le jour, au regard de l’importance de l’enjeu et des difficultés très importantes rencontrées par les agriculteurs pour faire reconnaître leur maladie professionnelle.

Il estime cependant que cette montée en charge est encore beaucoup trop timide ; globalement, l’information des agriculteurs et la communication relative à l’existence du Fonds lui semblent largement perfectibles. Ce point a d’ailleurs été relevé par les représentants de Phyto-victimes lors de leur audition ; ils ont souligné que les actions d’information et de sensibilisation de la MSA auprès des agriculteurs devraient être renforcées ([93]). Le rapporteur ne peut qu’y souscrire.

En effet, l’activité du FIVP reste largement en deçà des estimations qui avaient été réalisées dans le cadre d’un rapport de l’IGAS préfigurant la création de ce Fonds ([94]) :

« La mission a estimé, avec de grandes difficultés méthodologiques et un nombre réduit de sources, que le risque d’exposition aux produits chimiques de la population agricole concernerait actuellement 100 000 personnes. Le nombre de victimes potentielles pour lesquelles il y a une présomption forte de causalité entre la maladie et l’exposition est évalué de l’ordre de 10 000 personnes, dont deux tiers pour la maladie de Parkinson et un tiers pour les hémopathies malignes. »

Recommandation n° 7  Renforcer la prévention et la prise en charge des victimes de pesticides :

– Prévoir que toute publicité en faveur des produits phytopharmaceutiques doit être assortie d’un message à caractère sanitaire rappelant les risques liés à l’application de ces produits

– Accroître la visibilité et les moyens du FIVP et étudier la possibilité de l’ouvrir à d’autres populations exposées

*

L’ensemble des constats exposés ci-avant conduit à réaffirmer l’ambition portée par la France depuis 2008 – celle d’une réduction de 50 % de l’usage des produits phytopharmaceutiques, désormais à l’horizon 2030. De nombreuses raisons doivent nous conduire à nous mobiliser de manière urgente pour mettre en œuvre cet objectif. Votre rapporteur souhaite ici les rappeler :

– Premièrement, nous l’avons vu, les conséquences de l’usage des produits phytopharmaceutiques apparaissent intolérables sur le plan de la santé environnementale. Au-delà des incertitudes scientifiques qui doivent être comblées par la recherche, nous en savons déjà suffisamment pour comprendre que ces produits mettent en jeu des vies humaines, qu’ils fragilisent la pérennité de nos exploitations agricoles et, au-delà, de notre cadre de vie.

– Deuxièmement, il est indispensable de réduire l’usage de ces substances chimiques si nous voulons pouvoir continuer à produire. Une majorité d’agriculteur en a vivement conscience : en l’absence de transition agroécologique, la terre qu’ils légueront à leurs enfants ne sera plus fertile.

– Troisièmement, nous n’avons pas d’autre choix que de chercher à réduire notre dépendance aux produits phytopharmaceutiques car cette solution va s’épuiser d’elle-même. Ainsi que l’a souligné Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture de l’Inrae, lors de son audition ([95]), l’ère où l’industrie chimique était en capacité de synthétiser en permanence des molécules nouvelles est désormais révolue. Or, l’efficacité des molécules existantes est par nature limitée dans le temps, du fait du développement de résistances. Cela signifie que les solutions chimiques vont naturellement – inexorablement – s’éteindre.  

L’objectif des – 50% en 2030 n’est donc pas – ne peut donc pas être – une utopie ou un vœu pieux. C’est un chemin, exigeant mais pragmatique, que l’agriculture, l’agro-alimentaire – et, bien au-delà, nos politiques publiques et notre société – doivent choisir de manière urgente et résolue, non seulement par souci de l’intérêt général, mais pour ne pas se retrouver dans une impasse. C’est d’ailleurs le choix réaffirmé par le Gouvernement dans le cadre de sa stratégie Écophyto 2030, qui devrait voir le jour début 2024.

 


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II.   consolider les rÉgimes d’autorisation des produits phytopharmaceutiques

Si les produits phytopharmaceutiques ont toujours, en raison de leur dangerosité intrinsèque, fait l’objet d’une régulation (A), la mise en place de procédures d’évaluation et d’autorisation renforcées à l’échelle européenne et française (B) a vraisemblablement été le principal facteur d’évolution de leurs usages au cours des quinze dernières années. Ces procédures doivent donc être encore améliorées, de façon à garantir une évaluation fondée sur l’ensemble des données scientifiques disponibles, indépendante, suffisamment rapide pour répondre aux besoins des filières et de nature à renforcer la confiance (C).

A.   Des produits dangereux, soumis À autorisation de longue date

1.   Les produits phytopharmaceutiques ont, en raison de leur nature, toujours été encadrés

Les produits phytopharmaceutiques ont comme but principal de détruire des organismes vivants qui menacent les produits agricoles. Ils ont d’emblée été régulés par l’État afin de garantir l’atteinte de cet objectif, puis de réduire les risques d’effets indésirables.

a.   Dès 1943, la puissance publique régule la commercialisation des produits phytopharmaceutiques

La loi du 2 novembre 1943 relative à l’organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole ([96]) règlemente, pour la première fois, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans le domaine agricole.

Elle interdit par principe l’utilisation des produits qui ne bénéficient pas d’une homologation, sauf dérogation accordée par l’autorité administrative. La liste des produits non soumis à homologation est fixée par arrêtés du secrétaire d’État à l’agriculture et de celui au ravitaillement et à la production industrielle et aux communications ([97]).

Une commission des produits antiparasitaires à usage agricole est instituée, au sein du ministère de l’agriculture, afin de déterminer l’efficacité de ces produits en vue de leur homologation ([98]).

Un comité d’études des produits antiparasitaires est également créé, toujours au ministère de l’agriculture, pour évaluer les méthodes de contrôle de la composition et de l’efficacité des produits soumis à homologation.

L’évaluation des risques et la gestion du risque relèvent donc de la même autorité, le ministère de l’agriculture. La liste des produits autorisés est consignée dans un registre par le ministère de l’agriculture.

La loi de 1943 met surtout l’accent sur la gestion du risque et l’efficacité des produits, d              avantage que sur l’évaluation de leurs conséquences pour la santé. Néanmoins, des précautions d’usage doivent figurer sur l’étiquetage et la publicité sur les produits non homologués est proscrite.

b.   La loi du 22 décembre 1972 renforce l’évaluation des risques et précise leurs conditions d’utilisation

La loi du 22 décembre 1972 conserve les principes posés par la loi de 1943 mais les modalités d’évaluation du risque sont substantiellement améliorées. Ainsi, l’homologation ne peut être accordée qu’après un examen des produits destiné à vérifier « leur efficacité et leur innocuité à l’égard de la santé publique, des utilisateurs, des cultures et des animaux dans les conditions d’emploi prescrites » ([99]).

Surtout, l’homologation peut être retirée si elle ne satisfait plus les conditions d’efficacité et d’innocuité. Le ministre de l’agriculture peut également limiter les usages des produits homologués.

La publicité est régulée ; elle doit prendre en compte la spécificité des usages et les réserves apportées à leurs conditions d’utilisation ([100]).

L’étiquetage des produits doit également porter un avertissement et définir les conditions expresses de leur utilisation. ([101])

                            L’accent est mis sur l’évaluation des risques pour les agriculteurs. Concomitamment, se développe une politique de prévention pour les utilisateurs avec, notamment, le port de vêtements spécifiques.

Dès lors, en 1972, les principes généraux qui règlementent encore aujourd’hui l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sont posés :

– autorisation de mise sur le marché accordée par l’autorité administrative ;

– évaluation des risques au regard de la santé humaine, animale et environnementale ;

– évaluation des conditions d’emploi du produit ;

– possibilité de retrait de l’autorisation après une nouvelle évaluation ;

– possibilité accordée à l’autorité administrative de pouvoir déroger à la règle édictée.

Cependant, la gestion et l’évaluation du risque sont encore confiées à une même autorité, le ministère de l’agriculture.

2.   Avec la mise en place du marché unique, cet encadrement est progressivement devenu européen

La circulation des marchandises doit se faire sans entraves, notamment juridiques ([102]), au sein du marché unique, ce qui implique une harmonisation des règles entre États membres. Les prémices de la régulation européenne répondent ainsi davantage à une logique économique que prophylactique.

a.   La directive de 1991 se fonde sur la reconnaissance mutuelle des AMM entre États membres

Pour répondre aux enjeux du marché unique ([103]), la directive du 15 juillet 1991 ([104]) instaure une première harmonisation à l’échelle européenne de l’encadrement de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Cette directive pose le principe d’une reconnaissance mutuelle des autorisations de mises sur le marché prises par chaque État membre ([105]). Elle prévoit des autorisations pour une durée de douze ans, potentiellement renouvelables, sous réserve de l’évolution des connaissances scientifiques.

Toutefois, un État membre peut interdire une substance autorisée par un autre État s’il constate un danger pour la santé humaine, animale ou environnementale([106]) Chaque État membre conserve donc une part de souveraineté en matière de régulation des autorisations de mise sur le marché.

La directive prévoit également la possibilité d’une dérogation au régime d’autorisation de mise sur le marché. Les États membres peuvent ainsi utiliser un produit non autorisé, dans des conditions limitativement énumérées, pour répondre à un événement inattendu pour lequel il n’existe pas de solution alternative, pour une durée limitée à 120 jours.

Cette dérogation, utile en réponse à des situations d’épidémie pour lesquelles il n’existe pas de solutions de traitement alternative, a été conservée dans le règlement 1107/2009.

b.   Le règlement 1107/2009 pose les bases du régime actuel d’autorisation des produits

La décision de substituer à la directive de 1991 un nouveau règlement, répond à un double enjeu :

– améliorer l’évaluation des risques des substances actives à l’échelle européenne en la confiant à une agence européenne indépendante, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ;

– renforcer l’harmonisation des autorisations de mise sur le marché dans chaque État membre, au regard des nouvelles connaissances scientifiques et techniques.

Pour rappel, l’Efsa a été créée, en 2002, par un règlement de la Commission européenne ([107]), en réponse aux scandales sanitaires de la vache folle et de la présence de dioxine dans les aliments pour la volaille. Les retours d’expérience de ces crises sanitaires ont soulevé la nécessité de séparer évaluation et gestion des risques en matière alimentaire. L’évaluation sera désormais confiée à une agence indépendante.

Le règlement 1107/2009 opère également un partage des compétences entre la Commission européenne et les États membres pour la gestion des risques : pour les substances actives, elle est confiée à la Commission européenne ; pour les produits commercialisés, elle relève des États membres.

Il limite également la durée d’autorisation à 10 ans pour une substance active, au lieu de 12 au préalable.

c.   La directive 2009/128 introduit l’objectif d’une réduction des risques et des usages

La directive 2009/128/CE ([108]) – dite directive SUD (pour sustainable use of pesticides) – instaure un cadre commun « pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec un développement durable ».

En particulier, elle impose aux États membres de se doter de plans d’actions nationaux « en vue de réduire les risques et les effets de l’utilisation des pesticides sur la santé humaine et l’environnement et d’encourager l’élaboration et l’introduction de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures et de méthodes ou de techniques de substitution en vue de réduire la dépendance à l’égard de l’utilisation des pesticides » ([109]).

Cette directive laisse ainsi une marge de manœuvre importante aux États membres pour atteindre les objectifs fixés et donne la priorité à la réduction des risques, l’objectif de réduction des usages n’étant mentionné que de manière indirecte, à travers l’incitation à réduire la dépendance aux produits phytosanitaires.

En France, la mise en œuvre de cette directive sera assurée par le premier plan Écophyto, adopté dès 2008 (cf. encadré), lequel fixe d’emblée un objectif de réduction de l’usage de ces produits à hauteur de 50 % en 2020 – objectif cependant tempéré par l’ajout du vocable « si possible ».

Il convient de noter que cette directive interdit par ailleurs les traitements aériens, sauf dérogations, ainsi que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les zones sensibles (présence du public, de personnes vulnérables).

 

Les plans Écophyto

Il s’agit d’un dispositif public novateur qui permet d’activer différents instruments de politique publique dans le but de réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques dans l’agriculture.

● Le premier plan Écophyto a été élaboré en 2008 pour une période de dix ans environ. Il fixe un objectif général de diminution de 50 % « si possible » de l’utilisation des produits phytosanitaires à horizon 2018 et prévoit des financements spécifiques. Il repose notamment sur :

– une politique de réduction des substances actives les plus préoccupantes pour la santé et l’environnement ;

– un réseau de fermes expérimentales dites Dephy pour tester sur le long terme les effets d’une réduction des usages ;

– la diffusion de bonnes pratiques et d’information, notamment via la diffusion du bulletin de santé du végétal ;

– la mobilisation des différentes filières pour atteindre l’objectif de réduction ;

– le renforcement du conseil aux agriculteurs ;

– la promotion de l’agriculture biologique.

– Il a également instauré un nouvel indicateur qui permet de mesurer l’utilisation des produits phytosanitaires en termes d’intensité des doses utilisées, le Nodu (cf. supra).

En 2015 a été lancé le plan Écophyto II, sur la base d’une évaluation remise au Premier ministre par votre rapporteur ([110]). L’objectif de réduction de 50 % est repoussé à 2025, avec un objectif intermédiaire de 25 % en 2020. Écophyto II reprend les orientations du premier plan, en misant sur plusieurs innovations :

–  l’expérimentation des certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP) ;

– la promotion du biocontrôle ;

– un effort accru sur la recherche publique, notamment sur les alternatives.

● En 2018, le plan Ecophyto II + repousse l’objectif de réduction de 50 % à 2030, et celui de 25 % à 2025. Il comporte un volet relatif au plan de sortie du glyphosate.

Pour financer les différents axes des plans, une partie du produit de la redevance pour pollution diffuse (RPD) qui pèse sur les produits phytosanitaires est prélevée. Depuis quelques années, la part du produit prélevée s’élève à 71 millions d’euros qui sont consacrés au financement des actions du plan Écophyto.

 

3.   En France, l’évaluation des risques et les décisions d’autorisation ont été progressivement transférées du ministère de l’agriculture à l’Anses

a.   2006 : transfert de l’évaluation des risques à l’Afssa, devenue Anses

Le souci d’avoir une évaluation du risque plus indépendante, fondée sur les données scientifiques, s’est traduit, en 2006, par le transfert des compétences de la Commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés, des matières fertilisantes et des supports de culture, à l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation (Afssa([111]).

Pour mémoire, cette agence avait été créée le 1er avril 1999 ([112]) en réponse au scandale de la « vache folle », avec pour mission d’évaluer la sécurité sanitaire des aliments sur l’ensemble de la chaîne alimentaire.

La philosophie sous-jacente à cette décision était qu’en séparant l’évaluation de la gestion, la gestion serait plus objective et moins biaisée en faveur des intérêts pesant sur le ministère – intérêts agricoles en l’occurrence.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), créée 1er juillet 2010 ([113]), a repris les missions dévolues à l’Afssa ainsi qu’à l’Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail). L’Anses s’est ainsi trouvée chargée de l’évaluation des risques en vue de l’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.

b.   2014 : une décision historique de transfert des décisions d’AMM à l’Anses

Afin de parachever cette évolution, la France a, en 2014, fait le choix de transférer également les décisions d’autorisation de mise sur le marché à l’Anses, dans le but d’éviter tout soupçon de conflits d’intérêts.

Ce transfert a été acté par la loi du 13 octobre 2014 ([114]), qui a modifié en conséquence l’article L. 13131 du code de la santé publique relatif aux compétences de l’Anses, laquelle exerce désormais, « pour les produits phytopharmaceutiques et les adjuvants mentionnés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, des missions relatives à la délivrance, à la modification et au retrait des différentes autorisations préalables à la mise sur le marché et à l’expérimentation ».

À noter que ce transfert s’est traduit par une réorganisation des directions et des procédures au sein de l’Anses, afin de séparer l’évaluation du risque de la prise de décision d’autorisation, lesquelles relèvent de deux directions distinctes.

Pour votre rapporteur, ce transfert de compétence a représenté une révolution copernicienne. Il a permis de couper le cordon ombilical entre le ministère de l’agriculture et la régulation du secteur des produits phytopharmaceutiques.

Il permet de renforcer le caractère scientifique de la décision prise, qui ne peut que reposer sur les résultats de l’évaluation scientifique faite en amont.

4.   Entre remise en cause de la procédure d’autorisation et échec des ambitions européennes, un contexte peu porteur

Votre rapporteur a décrit le continuum législatif français et européen visant à renforcer l’expertise scientifique et à la protéger des pressions économiques.

Aujourd’hui, cet édifice est remis en cause en France. Au même moment, le Parlement européen a rejeté le règlement SUR dont la vocation était d’harmoniser les politiques européennes en matière de maîtrise des produits phytopharmaceutiques.

Ainsi, les évolutions récentes ne peuvent que renforcer l’inquiétude qui a motivé la création de cette commission d’enquête. Il apparaît nécessaire de prendre du recul pour bien analyser les dynamiques à l’œuvre et leurs implications.

a.   Vers une remise en cause du rôle de l’Anses ?

– Le 11 mai 2023, l’Assemblée nationale a adopté, avec les voix de la majorité, des Républicains et du Rassemblement National, une résolution relative aux « surtranspositions » de directives européennes en matière agricole ([115]).

Le texte de la résolution dénonce la mise en œuvre par la France du règlement européen de 2009 et appelle à « conditionner toute interdiction de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques, qu’elle émane d’une autorité nationale ou européenne, à l’existence de solutions alternatives efficaces ».

Même si l’Anses n’est pas mentionnée explicitement dans le texte de la résolution, il va de soi que l’appel à une conditionnalité des autorisations constitue une remise en cause du principe d’AMM fondées sur l’évaluation scientifique, et donc des prérogatives de l’agence dans ce domaine.

– Quelques jours plus tard, le 16 mai 2023, le sénateur Laurent Duplomb a fait adopter au sein de la Haute Assemblée une proposition de loi dite « Ferme France » ([116]).

L’article 13 de cette proposition de loi ouvre au ministre la possibilité de « suspendre une décision du directeur général prise en application du onzième alinéa de l’article L. 13131, après avoir réalisé une balance détaillée des risques sanitaires, environnementaux et de distorsion de concurrence avec un autre État membre de l’Union européenne, et évalué l’efficience de solutions alternatives ».

Il s’agit là d’une remise en cause très profonde. Le texte de la proposition de loi suggère qu’une analyse bénéfice – risque pourrait être réalisée entre, d’une part, les bénéfices du maintien d’un produit pour une filière agricole, et, d’autre part, les risques sanitaires et environnementaux que cela implique pour tous. Cette logique est profondément biaisée. En effet, une analyse bénéfices – risques n’est concevable que dans la situation où les bénéfices et les risques sont supportés par la même entité.

La remise en cause autour de l’Anses est aussi le fait d’organisations environnementales ou de certaines personnalités militantes, qui – en sens inverse des initiatives politiques susmentionnées – critiquent l’insuffisance des évaluations réalisées par l’Anses, lesquelles aboutiraient à mettre sur le marché des produits dangereux pour la santé et pour l’environnement. Ces insuffisances résulteraient d’un manque d’expertise scientifique, voire d’un manque d’indépendance de l’agence.

Ce point de vue a été clairement formulé par l’ensemble des ONG auditionnées par la commission d’enquête ([117]), qui ont fait de la révision de la procédure d’autorisation le cœur de leur combat. Par exemple, M. Dominique Masset, co-président de Secrets toxiques, souligne :

« Les agriculteurs tombent malades, la santé des populations est atteinte, la biodiversité s’effondre, et les pesticides sont clairement identifiés comme un facteur majeur de ces phénomènes. Un an d’enquête auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et d’autres agences européennes nous a amenés à constater le manque d’évaluation de la toxicité des produits tels qu’ils sont commercialisés. »

Et M. Philippe Piard, également co-président de Secrets toxiques, abonde dans ce sens :

« Nous avons saisi la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (CNDASPE). Elle a confirmé que ce qui est produit aujourd’hui par l’Efsa et par l’Anses n’est pas suffisant pour pouvoir garantir la non-dangerosité des produits. »

La commission d’enquête a également reçu Mme Laurence Huc ([118]), toxicologue à l’Inrae, qui tient un discours particulièrement critique et médiatisé sur les carences des agences sanitaires, à l’image de l’Efsa et de l’Anses. De son point de vue, les méthodologies d’évaluation employées par ces agences sanitaires sont lacunaires, et l’Anses ne parvient pas toujours, sur la question des pesticides en particulier, à agréger toute l’expertise scientifique nécessaire :

« La communauté des scientifiques est malheureusement plus pauvre sur certains pesticides. Il n’y a pas autant d’endocrinologues que de toxicologues. Par conséquent, l’apport externe des scientifiques académiques est moins fort dans certains domaines. (…) En l’occurrence, pour une expertise sur des pesticides qui bloquent la respiration cellulaire, la présence de scientifiques académiques en France est relativement éparse et éclatée. Le comité en a recruté certains, mais la plupart d’entre eux ont fini par démissionner parce qu’ils n’étaient pas entendus. (…) Lorsque les scientifiques qui interviennent à l’Anses et produisent des publications ne sont pas entendus, ça démontre véritablement un échec de notre démocratie sanitaire. »

Par ailleurs, si l’indépendance de l’Anses n’est pas directement mise en cause, celle des méthodologies européennes auxquelles elle recourt dans ses évaluations l’est clairement :

« Ils répondent à des lignes directrices. Là encore, des sociologues des sciences et des politistes ont bien établi le fait que ces lignes directrices étaient négociées en amont entre les scientifiques et les industriels. Et ce, notamment sous l’influence des think tanks. Je pense en particulier à l’International life sciences institute (ILSI), une société à but non lucratif qui rassemble à la fois des industriels, des régulateurs et des académiques pour négocier les normes et la manière dont elles vont être appliquées. »

De manière générale, un rapport publié par l’OPESCT en 2019 ([119]) relève que « la contestation de la qualité des évaluations peut se développer d’autant plus facilement dans le contexte de controverses scientifiques », soulignant que « des avis divergents peuvent apparaître lorsqu’il existe des preuves limitées d’effets adverses pour la santé et l’environnement de substances, produits ou pratiques, ou lorsque l’interprétation des données n’est pas aisée ».

Cette analyse trouve à s’appliquer de manière particulièrement pertinente sur le sujet des évaluations de pesticides par l’Anses.

L’ILSI, un exemple de lobbying par la science

« L’ILSI est un organisme à but non lucratif créé en 1978 aux États-Unis, et financé par des entreprises de l’industrie alimentaire, agricole, chimique ou pétrochimique, pour centraliser l’expertise de ces industries en matière de réglementation de leurs produits. L’ILSI est basé à Washington, mais dispose depuis les années 1980 de bureaux régionaux en Europe, Asie, Amérique du Sud, ainsi que de branches thématiques.

Le mode d’action visible de l’ILSI est de travailler à l’organisation de comités d’experts et de conférences sur des sujets intéressant la perception des bénéfices ou des risques des produits, et leur réglementation. Les groupes de travail impliquent toujours un ou plusieurs chercheurs issus d’universités ou d’instituts publics – quoique presque toujours en moins grand nombre que des chercheurs industriels. Les responsables de l’organisation la présentent publiquement comme un « forum neutre » accueillant sans biaiser leurs points de vue et leurs discussions les représentants de ces trois mondes.

Les activités publiques de l’organisme sont difficiles à classer dans la catégorie du lobbying, si l’on retient pour définir ce dernier des critères de directionnalité – influencer une cible donnée parmi des décideurs en dernier ressort.

En Europe, l’ILSI a commencé à être connu et dénoncé comme organisme de lobbying de fait de l’industrie agrochimique et alimentaire à partir du milieu des années 2000.

ILSI Europe est plutôt connu comme un organisme permettant de promouvoir des méthodes de science réglementaire avantageuses pour les industriels. L’organisme crédibilise des normes d’évaluation qui apparaissent plus lâches que ce que la recherche de risques émergents ou d’effets sanitaires incertains pourrait requérir.

L’ILSI a ainsi fonctionné comme laboratoire pour des notions comme le threshold of toxicological concern (concept selon lequel si une molécule appartient à un groupe de molécules qui produisent, de par leur structure, un niveau de toxicité donné, ce niveau de toxicité peut être pris comme référence et éviter une évaluation individuelle de cette nouvelle molécule) ou la notion de margin of exposure (selon laquelle l’usage d’une substance est acceptable s’il existe une marge suffisante entre le niveau auquel des effets cancérigènes apparaissent, et le niveau auquel les individus sont effectivement exposés à la substance).

Dans le débat sur la qualification juridique des perturbateurs endocriniens, l’ILSI Europe, par l’intermédiaire d’un de ses vice-présidents, le toxicologue Alan Boobis, a défendu l’idée selon laquelle une substance ne pouvait avoir d’effet de type perturbation endocrinienne, qu’à partir d’un certain seuil de puissance (potency).

Ces concepts réglementaires – des démarches employant des données scientifiques, mais incorporant des critères de décision – tendent à minimiser les risques révélés, ou limitent la quantité de tests et le degré d’investigation de ces risques. Ils sont bénéfiques pour les industriels, qui cherchent à modérer le niveau de contrôle sur leurs produits. Ils ont souvent été mis à l’agenda des discussions d’agences d’expertise par la suite.

Pendant les premières années de la European Food Safety Authority, son conseil scientifique principal comptait des chercheurs qui avaient participé aux travaux de l’un ou l’autre des groupes experts mis sur pied par l’institut. L’agenda de l’EFSA incluait de fait, nombre des concepts qui avaient pris forme, et gagné une crédibilité, grâce à l’ILSI. »

Source : « Le lobbying par la science, L’enrôlement des scientifiques et de la connaissance scientifique dans la représentation des intérêts », extraits, David Demortain.

Au-delà, la remise en cause de l’indépendance et de la qualité de l’expertise de l’Anses s’inscrit dans un climat de défiance généralisée vis-à-vis de la parole scientifique.

Ce constat est clairement posé dans le cadre du rapport sur la crédibilité de l’expertise scientifique de l’Anses ([120]), qui met en évidence une défiance généralisée du public, non pas vis-à-vis de la science en elle-même, mais vis-à-vis des autorités publiques qui, à l’image des agences, doivent prendre des décisions en s’appuyant sur les données scientifiques. Le schéma présenté ci-dessous, issu de ce rapport, illustre bien cette défiance généralisée, qui s’exprime particulièrement sur des sujets fortement liés à la question des pesticides (pollution des milieux, perturbation endocrinienne, etc.).

Mme Gabrielle Bouleau, présidente du comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts de l’Anses ([121]), estime que cette défiance résulte notamment d’une médiatisation et d’une instrumentalisation de l’expertise scientifique par les parties prenantes :

« La crédibilité de l’expertise scientifique est mise en doute lorsque les sujets sont politisés. Si le sujet n’est pas politique et, ainsi, pas porté par les médias, l’expertise n’est pas questionnée. Mais à chaque fois qu’un sujet sera médiatique, la crédibilité de l’expertise scientifique sera remise en cause. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

niveau de confiance exprimé dans les autorités publiques
selon les familles de risques

Source : IRSN, baromètre 2021, la perception des risques et de la sécurité par les Français.

b.   L’échec des négociations relatives au règlement européen SUR

En 2019, la Commission européenne a proposé un programme d’envergure, le « Green Deal » (Pacte Vert), qui a pour objectif de faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone d’ici 2050. Une trentaine d’initiatives législatives ont alors été mises sur la table, dont une proposition de règlement sur l’utilisation durable des produits phytopharmaceutiques – dit règlement « SUR » – ayant vocation à se substituer à l’actuelle directive SUD (cf. supra).

Ce projet de règlement était porteur d’une ambition forte en matière de réduction des produits phytopharmaceutiques.

Le choix de passer par un règlement était en soi le signal d’une ambition. En effet, un règlement s’applique directement en droit interne, là où la directive SUD laissait une marge de manœuvre importante aux États membres, pour définir les moyens de réduire leur dépendance aux pesticides.

Le projet de règlement prévoyait ainsi une harmonisation dans un sens mieux-disant. Le texte prévoyait notamment :

– de réduire de 50 %, avec des objectifs contraignants, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ;

– d’interdire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les zones dites sensibles ;

– de faciliter l’homologation des produits de bio contrôle ;

– de mettre en place un registre centralisé des données relatives à l’usage et à la localisation des produits phytopharmaceutiques ;

 de présenter des indicateurs harmonisés pour calculer la diminution des produits phytopharmaceutiques à une échelle européenne commune (HRI 1 et HRI 2).

Lors du déplacement de la commission d’enquête à Bruxelles, le 4 octobre, les interlocuteurs rencontrés avaient déjà fait part de leurs doutes quant à l’adoption du texte avant la fin de la mandature, au regard de la difficulté à trouver un consensus sur un texte aussi ambitieux.

En effet, certains États membres avaient demandé à la Commission européenne de fournir une étude d’impact complémentaire sur les effets sur la production agricole en cas d’adoption du texte. Cette étude a ainsi été produite par la Commission le 5 juillet ([122]). Mais certains États membres l’avaient jugée à nouveau incomplète, arguant d’un manque de données chiffrées, notamment filière par filière.

Malgré de nombreuses alertes quant au possible rejet du texte, le vote, certes serré ([123]), en commission ENVI, saisie au fond, avait maintenu l’espoir d’un dénouement heureux. Cependant, le rejet du texte en session plénière par la droite et l’extrême droite, au Parlement européen, le 22 novembre – dernier jour des auditions de la présente commission d’enquête – a sonné le glas des ambitions européennes pour cette mandature.

Votre rapporteur déplore ce vote, qui obère les chances d’une réduction effective de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques en Europe. Cet évènement marque un tournant dans les ambitions environnementales européennes portées dans le cadre du « Green Deal », ce qui est particulièrement inquiétant au regard de l’importance des enjeux exposés en première partie.


B.   examen de la procédure d’autorisation des produits phytopharmaceutiques

En vertu du règlement 1107/2009 présenté ci-avant, la procédure actuelle d’autorisation des produits phytopharmaceutiques dans l’Union européenne distingue ainsi :

– l’évaluation et la gestion du risque liées aux substances actives, harmonisées à l’échelle européenne (1) ;

– et l’évaluation et la gestion du risque pour les produits formulés destinés à être commercialisés, laissées aux États membres (2), en maintenant le principe d’une reconnaissance mutuelle des décisions entre eux.

1.   L’homologation des substances actives, une compétence européenne

Le règlement de 2009 pose un principe essentiel, à l’échelle de l’Union européenne, celui de la séparation entre l’évaluation du risque lié aux substances actives, confiée à l’Efsa, et la gestion du risque, déléguée à la Commission européenne et aux États membres.

M. Guilhem de Sèze, chef du département « production des évaluations du risque » au sein de l’Efsa, a en effet rappelé lors de son audition ([124]), à la lumière des enseignements des crises alimentaires des années 1990, qu’« une proximité trop importante entre les fonctions d’évaluation et de gestion des risques » pouvait avoir « pour effet de créer des interférences et des pressions qui [nuisent] à l’objectivité ».

a.   Un préalable : l’évaluation de la dangerosité des substances par l’Echa

Au préalable, il convient de rappeler que deux agences européennes indépendantes évaluent les substances actives, en vertu de deux règlements européens différents.

L’agence européenne des produits chimiques (Echa) évalue le danger que représente la substance active pour la santé humaine et l’environnement, en vertu du règlement n° 1907/2006, dit « Reach » ([125])

Il convient, pour bien comprendre les rôles respectifs de l’Echa et de l’Efsa, d’avoir en tête la différence entre danger et risque, bien résumée par l’illustration qui en est faite par l’Institut national de recherche et de sécurité au travail (INRS) (cf. encadré). Comme l’a rappelé M. Benoît Vallet, directeur de l’Anses, « la distinction entre le danger et le risque, c’est que le danger existe dans l’absolu tandis que le risque existe lorsque l’exposition intervient. » ([126])

distinction entre danger et risque

Source : INRS.

Si l’Echa évalue le danger, il revient à l’Efsa d’évaluer le risque.

L’Echa opère un classement des substances en fonction de trois critères : cancérogénicité, mutagénicité, toxicité pour la reproduction. Si la substance candidate est classée CMR 1, elle ne pourra pas être utilisée comme produit phytopharmaceutique ; si elle est classée CMR 2, elle est considérée comme préoccupante et doit faire l’objet d’une attention particulière. C’est par exemple le cas du S-métolachlore ; comme le formule M. Mathieu Schuler, de l’Anses, « cela veut dire que nous disposons de données, notamment sur des animaux, qui laissent penser que ce produit est potentiellement cancérogène. »  ([127])

Il convient de noter qu’en vertu du règlement 1107/2009, est également exclue l’homologation des produits classés comme perturbateurs endocriniens et comme polluants organiques persistants.

Les catégories de produits toxiques en termes de dangers pour la santé

L’Union européenne a déterminé le cadre des obligations imposées aux fabricants de substances chimiques en adoptant le règlement CLP. C’est ce règlement qui conduit les fabricants à classer et étiqueter leurs produits, notamment en fonction de leurs éventuelles caractéristiques CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques). Le règlement fait une distinction entre deux catégories de produits CMR : les CMR 1 et les CMR 2.

Deux catégories sont à nouveau distinguées au sein des CMR1 : les CMR 1A et les CMR 1B. Les caractères CMR sont avérés pour les substances de catégorie de 1A, et pour la catégorie 1B, les présomptions d’effets CMR sont fortes (et les effets avérés sur les animaux). Pour les substances de catégorie CMR2, le caractère CMR est suspecté.

Un certain nombre de susbtances actives contenues dans les produits phytopharmaceutiques sont considérées comme CMR1 ou CMR2. Si la substance candidate est classée CMR 1, elle ne peut être utilisée comme produit phytopharmaceutique, si elle est classée CMR 2, elle est considérée comme préoccupante, et doit faire l’objet d’une attention particulière.

Le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) applique lui une autre grille de classification. Cette classification n’a pas de visée réglementaire.

Groupe 1 : cancérogène pour l’homme.

Groupe 2A : cancérogène probable pour l’homme.

Groupe 2B : cancérogène possible pour l’homme.

Groupe 3 : ne peut être classé du point de vue de son pouvoir cancérogène éventuel chez l’homme.

Groupe 4 : probablement non cancérogène pour l’homme.

b.   La procédure d’évaluation par l’Efsa est largement conduite en coopération avec les États membres

L’Efsa a la compétence :

– pour évaluer les risques des substances actives dont l’autorisation est demandée au sein de l’Union européenne ;

– pour les demandes de renouvellement des substances actives, telles que le glyphosate, une fois leur autorisation d’utilisation au sein de l’Union européenne devenue obsolète.

En vertu du règlement 1107/2009, si la substance n’a pas été classée comme dangereuse pour l’homme ou l’environnement, l’Efsa évalue le risque lié à l’exposition à la substance dans les conditions d’emploi proposées. L’Efsa reprend alors l’avis scientifique de l’Echa pour ensuite conduire sa propre évaluation, non plus du danger, mais du risque lié à une utilisation du produit dans certaines conditions.

L’Echa et l’Efsa, deux agences européennes complémentaires pour évaluer scientifiquement l’utilisation d’une substance active à l’échelle de l’Union européenne

M. Guilhem de Sèze (Efsa) ([128]) a précisé la complémentarité de l’évaluation scientifique des substances actives au sein de l’Union européenne.

« Nos deux agences sont effectivement complémentaires (…) la dangerosité et les risques sont deux concepts différents, et cette dualité pas toujours bien comprise par nos concitoyens. (…) Une substance dangereuse peut être utilisée avec un risque gérable si l’exposition est limitée et contrôlée. Ce n’est pas toujours évident à faire comprendre.

Dans le cas des pesticides, la coopération avec l’Echa est plus en avance que dans d’autres domaines. Lorsqu’un État membre prépare un rapport d’évaluation en vue du processus d’évaluation par les pairs de l’Efsa, il lui est demandé de proposer simultanément un dossier de classification de la substance pour l’Echa. Cela évite de mener des travaux redondants.

La dangerosité, et notamment la cancérogénicité, est donc étudiée par l’Echa. Ses conclusions sont reprises telles quelles dans les nôtres.

Il est possible que l’évaluation par l’Echa ait pour effet de classer le pesticide candidat de telle manière que son utilisation devient impossible. La dangerosité des pesticides est évaluée au regard de leur cancérogénicité, de leur mutagénicité et de leur toxicité pour la reproduction. S’ils sont classés à un certain niveau, on considère que le risque ne peut plus être géré de manière adéquate, ce qui exclut d’emblée leur utilisation comme pesticide. »

Concrètement, une demande d’autorisation, accompagnée d’un dossier à l’appui, est d’abord introduite par le producteur de la substance active – soit un industriel – à un ou plusieurs États membres rapporteurs (EMR) désignés.

Pour chaque substance active, un rapport d’évaluation initial est produit par l’EMR qui réalise la première évaluation des risques. Une évaluation parallèle du risque est également réalisée par l’Efsa ([129]).

L’évaluation des risques réalisée par l’EMR est examinée par des pairs de l’Efsa (« peer review »), en coopération avec tous les États membres.

L’Efsa rédige alors une conclusion sur la substance active concernée.

              Toutefois, cette évaluation du risque peut comporter des réserves, qu’il appartiendra au gestionnaire du risque de prendre en compte. M. Guilhem de Sèze, précise ainsi, s’agissant en particulier du glyphosate, que « lorsque nous concluons à l’absence de « critical area of concern » (élément de préoccupation critique), c’est sur la base des données que nous avons étudiées. Mais dans la conclusion, l’Efsa rappelle quelles sont les données manquantes pour pouvoir achever l’évaluation du risque. La conclusion doit donc être considérée dans son intégralité. Sur la base de cette conclusion, il appartient au gestionnaire du risque d’apprécier si le produit peut être autorisé et, le cas échéant, dans quelles conditions. » ([130])

c.   La gestion du risque est laissée à la Commission européenne et aux États membres

La décision d’homologuer une substance active relève de la Commission et des États membres. Cependant, dans l’acte réglementaire qu’elle adopte pour proposer l’homologation, la Commission ne peut pas s’abstraire de l’évaluation conduite par l’Efsa.

Dans le détail, une fois les résultats de l’évaluation publiés, la Commission enclenche la procédure dite de « comitologie » ([131]) :

– Elle prend un règlement pour autoriser l’utilisation de la substance active au sein de l’Union européenne ;

– Des représentants des États membres se réunissent au sein d’un comité technique, le comité permanent des végétaux (SCOPAFF), qui se prononce à la règle de la majorité qualifiée ([132]) sur cette proposition.

– Si la majorité qualifiée n’est pas atteinte, un comité d’appel peut se réunir.

– En l’absence de majorité, la Commission européenne dispose du dernier mot, et décide d’autoriser l’utilisation de la substance active au sein de l’Union européenne.

 

Une application récente des principes posés par le règlement 1107/2009 : le renouvellement de la substance active glyphosate

 

Le 15 décembre l’autorisation d’utiliser la substance active glyphosate au sein de l’Union européenne arrivait à échéance. Une nouvelle étude d’évaluation du risque a donc été conduite à la demande de la Commission européenne.

En amont, l’Echa s’est prononcée sur la dangerosité du produit par un avis du 30 mai 2022, dans lequel elle ne considère pas la substance comme probablement cancérigène.

L’évaluation du risque relatif à la substance active glyphosate a ainsi été confiée à la France, aux Pays-Bas, à la Hongrie ainsi qu’à la Suède en tant que groupe d’États membres rapporteurs. L’Anses a donc contribué avec les trois agences des autres États membres à l’évaluation des risques de la substance active sous l’égide de l’Efsa.

L’Efsa a coordonné ce travail d’évaluation et conduit le « peer review » (voir supra) du projet des États membres rapporteurs, à savoir la critique de l’évaluation des risques par les autres États membres. Elle a également organisé la consultation publique de ce document et préparé le document d’évaluation final, qui a donné lieu à la production d’un avis, le 6 juillet dernier ([133]), concluant à l’innocuité de la substance sous certaines réserves.

Le 26 juillet, l’Efsa a publié l’ensemble des conclusions de l’examen par les pairs du glyphosate dans le journal de l’Efsa. Ce document a été remis à la Commission.

La Commission européenne a suivi cet avis en proposant un règlement d’exécution autorisant le renouvellement de l’autorisation d’utiliser la substance active pour dix ans, le 19 septembre dernier. Si l’avis de l’Efsa avait été négatif, la Commission n’aurait pas pu proposer de reconduire l’homologation de la substance au niveau européen.

La majorité qualifiée n’ayant pas été atteinte au sein du comité permanent des végétaux (SCOPAFF) représentant les États membres, lors du vote du 13 octobre, un comité d’appel s’est réuni le 16 novembre sans qu’une majorité qualifiée ne se dégage non plus.

La Commission européenne, qui dispose du dernier mot, a ainsi tranché en faveur du renouvellement de l’autorisation le 16 novembre.

Toutefois, il importe de préciser que ce règlement d’exécution qui autorise le renouvellement de la substance active comporte des restrictions d’utilisation, telle que l’interdiction de la « dessication » qui consiste à utiliser l’herbicide sur les cultures à des fins de maturation. En annexe, le règlement précise également les doses maximales d’application par hectare et par année en raison des risques pour les petits mammifères herbivores.


Agriculture de conservation et glyphosate : illustration d’un dilemme climat/produits phytosanitaires

L’agriculture de conservation est un ensemble de techniques culturales destinées à maintenir et améliorer le potentiel agronomique des sols, tout en conservant une production régulière et performante sur les plans technique et économique.

Cette agriculture se fonde sur l’organisation naturelle des sols – non travaillés et toujours couverts – en recherchant la production d’un maximum de biomasse végétale de manière permanente afin d’en augmenter la fertilité physique, chimique et biologique. Dans ce cadre, le glyphosate permet d’exercer un contrôle de cette biomasse sans toucher au sol.

Or, comme l’indique l’Anses dans un rapport publié en 2020 ([134]), « les leviers permettant d’atteindre les services écosystémiques permis par la diversité de cultures, la couverture permanente, la perturbation minimale du sol, sans recours à l’usage d’un pesticide systémique sont encore à identifier ».

Dans ce contexte, le rapport d’information de nos collègues Jean-Luc Fugit et Jean-Baptiste Moreau sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate ([135]) conclut que « les services écosystémiques de l’agriculture de conservation des sols justifient l’utilisation du glyphosate » et que « l’usage minime de l’herbicide ne doit pas remettre en question cette pratique vertueuse pour l’environnement ».

2.   L’autorisation de mise sur le marché des produits relève des États membres

a.   La philosophie de cette répartition : les produits doivent être adaptés aux conditions locales

Si les substances actives sont autorisées, ou non, par l’Union européenne, la décision d’autorisation de mise sur le marché des produits formulés continue à relever des États membres.

Cette répartition entre compétences communautaires et compétences nationales serait justifiée par les différences agro-pédoclimatiques entre les régions agricoles européennes, dans l’ensemble très diverses.

En effet, les produits formulés comprennent la substance active (qui porte l’action herbicide, fongicide, insecticide, etc..) ainsi que des co-formulants, qui déterminent certaines propriétés du produit (stabilité, fluidité, etc.). Or, les compositions de ces produits diffèrent selon les conditions pédoclimatiques, telles que le climat, l’hygrométrie et la nature des sols.

M. Guilhem de Sèze, a ainsi expliqué que « les produits finis sont conçus de manière à s’adapter aux contraintes de la production agricole dans chaque pays. Un principe actif peut ainsi être décliné en poudre ou en liquide par exemple. Il peut aussi être adapté aux méthodes d’épandage utilisées » ([136]).

Ces différences sont censées être appréciées par grande zone géographique. Ainsi, l’Europe est divisée trois zones, la zone Sud, la zone Nord et la zone Centre. La France appartient à la zone Sud, dans laquelle se trouvent également la Bulgarie, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, Chypre, Malte, la Croatie et le Portugal.

Toujours, selon M. Guilhem de Sèze, « lorsqu’un État membre délivre une autorisation pour un produit donné, elle est valable dans les autres pays de la zone. On considère que les conditions agricoles et climatiques sont relativement similaires entre les pays d’une même zone. » ([137])

Il existe ainsi théoriquement une forme d’harmonisation à l’intérieur de ces grandes zones. La procédure de reconnaissance d’autorisation en leur sein est détaillée dans l’encadré ci-après.

L’évaluation zonale des produits phytopharmaceutiques

Lorsque l’autorisation de mise sur le marché est demandée pour un produit formulé au sein d’une zone, Un État membre rapporteur zonal est désigné, soit par le pétitionnaire soit par concertation des États de sa zone, pour évaluer le produit, les autres États pouvant ensuite commenter cette évaluation.

Une fois le dossier d’évaluation finalisé, le rapport final est transmis au pétitionnaire et aux autres États membres. Si une décision de mise sur le marché est prise par l’État membre rapporteur, les autres États de la zone auprès desquels une demande d’autorisation de mise sur le marché a été soumise sont en mesure de prendre leur décision sur la base de la partie correspondante du dossier de l’État membre rapporteur.

Dans certains cas (produits destinés à traiter les cultures sous serres, au traitement des semences ou au traitement des récoltes), l’évaluation des produits est interzonale. L’État membre évaluant le produit est appelé État membre rapporteur interzonal. L’évaluation interzonale se fait selon les mêmes phases que l’évaluation zonale.

Source : Rapport d’activité de l’Anses, 2021.

b.   L’évaluation des risques est conduite par l’Anses

L’évaluation des risques des produits formulés est, en France, conduite par l’Anses. Pour éviter des distorsions de concurrence dans la manière dont sont évalués les produits, des lignes directrices sont établies par l’Efsa ; les agences européennes participent à leur édification.

Comme l’a souligné Mme Charlotte Grastilleur « nous revendiquons l’utilisation des méthodologies européennes et nous contribuons largement à leur édification. Celles-ci sont de toute façon tout à fait évolutives. Nous ne sommes pas suspendus à une prise de position de l’Efsa et à des appréciations qui en découleraient en France, nous nous situons vraiment dans un travail coopératif (…) »

Les industriels qui souhaitent mettre sur le marché un nouveau produit ou obtenir le renouvellement de l’autorisation d’un produit doivent ainsi déposer un dossier auprès de l’Anses. Celui-ci est évalué selon les modalités décrites ci-après (cf. encadré).

Le processus d’évaluation des autorisations
de mise sur le marché au sein de l’Anses

La démarche est structurée en trois étapes :

1. L’Anses vérifie tout d’abord la validité scientifique des données fournies par les industriels, et leur conformité aux exigences règlementaires,

2. Elle évalue ensuite l’efficacité des produits et les risques liés à leur utilisation et en fait la synthèse. L’évaluation des risques concerne la sécurité pour l’homme (applicateurs, travailleurs, personnes présentes près des lieux d’épandage, mais aussi les consommateurs au travers des résidus dans les aliments et l’eau), l’environnement (eaux de surface et eaux souterraines, air, sol), la faune et la flore.

3. Elle formule enfin des conclusions, qui présentent une synthèse des risques identifiés et des intérêts agronomiques pour les usages revendiqués. Le cas échéant, elle peut introduire des restrictions d’usage.

Elle fait intervenir :

 les équipes d’évaluateurs scientifiques de l’Agence : multidisciplinaires, elles réunissent des compétences variées et complémentaires (chercheurs, agronomes, chimistes, pharmaciens, ingénieurs environnement, vétérinaires) ;

 les experts des autres États membres ;

 deux comités d’experts spécialisés (produits phytopharmaceutiques chimiques ; micro-organismes et macro-organismes utiles aux végétaux). Ces comités sont composés de personnalités scientifiques, de professeurs de l’enseignement public et de chercheurs extérieurs à l’Agence qui interviennent intuitu personae sur la base de critères de compétence et d’indépendance, dans le cadre d’appels à candidature publics.

Chaque expert interne ou externe intervenant dans l’évaluation des dossiers remplit une déclaration publique d’intérêt (DPI) publiée sur le site internet de l’Agence.

Source : site internet de l’Anses – novembre 2023.

c.   La décision d’autorisation de mise sur le marché relève également de l’Anses

Comme cela a été expliqué, la loi du 13 octobre 2014 a confié à l’Anses la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, unifiant ainsi au sein de l’Anses l’ensemble de la procédure d’autorisation.

Ce transfert des décisions d’autorisation de mise sur le marché à l’Anses a une conséquence forte, soulignée par Mme Grastilleur lors de son audition ([138]) : L’Anses n’a « pas de latitude politique pour aménager la décision », notamment en fonction des besoins des filières. La décision est située dans le prolongement direct de l’évaluation ; elle ne s’effectue qu’au regard des critères prévus par le législateur européen pour cette évaluation : l’efficacité et les risques pour la santé et pour l’environnement.

d.   Le ministère de l’agriculture conserve un pouvoir de dérogation restreint

En vertu de l’article 53 du règlement 1107/2009, le ministre de l’agriculture conserve un pouvoir de dérogation.

Dans le contexte d’un besoin urgent de lutte contre un danger pour les cultures, il peut accorder une autorisation dérogatoire permettant d’utiliser un produit qui ne bénéficie pas d’une AMM pour une durée de 120 jours, correspondant à la durée d’épandage de ce produit pour une période de culture annuelle, « lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ». Cela permet, par exemple, d’utiliser un produit pour un usage n’ayant pas fait l’objet d’une demande d’AMM.

Toutefois, ce pouvoir de dérogation est encadré par le règlement 1007/2009 et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, 19 janvier 2023 la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE) ([139]) a exclu le droit de déroger à l’interdiction européenne de certaines substances néonicotinoïdes dans le cadre de l’article 53 (cf. encadré), dans la mesure où ces substances avaient été expressément interdites par l’Union européenne.

Arrêt du 19 janvier 2023

« La Cour relève en outre que le législateur de l’Union a bien envisagé, dans le cadre de la dérogation prévue à l’article 53, paragraphe 1, du règlement n° 1107/2009, la possibilité que les États membres, dans des circonstances exceptionnelles, à savoir lorsqu’un danger ou une menace compromettant la production végétale ou les écosystèmes ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables, puissent autoriser des produits phytopharmaceutiques ne satisfaisant pas aux conditions prévues par le règlement en question. Toutefois, s’agissant des semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des substances interdites expressément, elle considère que, par cette disposition, le législateur n’a pas entendu permettre aux États membres de déroger à une telle interdiction expresse. »

Source : Arrêt de la Cour dans l’affaire C-162/21 | Pesticide Action Network Europe e.a

Hormis ce pouvoir de dérogation restreint, le ministre a la possibilité d’adopter un arrêté motivé demandant au directeur général de l’Anses de procéder à un nouvel examen du dossier, mais en aucun cas de s’opposer à une décision prise par l’Anses, comme l’a précisé Mme Charlotte Grastilleur : « En vertu du code rural, le ministre peut demander à ce que nous revérifiions notre évaluation mais il ne peut en aucun cas nous intimer l’ordre de modifier notre décision. » ([140])

3.   Le suivi ex-post de l’impact des produits en vie réelle et les éventuels réexamens

La compétence en matière de phytopharmacovigilance a été transférée à l’Anses en vertu de l’article 50 de la loi du 13 octobre 2014 ([141]).

M. Mathieu Schuler, directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise à l’Anses ([142]), explique que, dans la mesure où l’Anses était chargée de la délivrance des AMM, il devenait logique que « la phytopharmacovigilance, qui est un outil essentiel de tout dispositif de gestion et de gouvernance des risques, en complément des évaluations menées en amont », lui revienne. Par ailleurs, depuis le début des années deux mille, l’Anses coordonnait l’observatoire des résidus des pesticides ; elle exerçait donc déjà une mission de suivi des effets des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine et l’environnement.

Pour mettre en œuvre cette mission, l’Anses s’appuie à la fois sur un réseau d’organismes de surveillance ou de vigilance, limitativement énumérés par l’arrêté du 16 février 2017 ([143]) – notamment Santé publique France, les associations de surveillance de qualité de l’air (Aasqa), la mutualité sociale agricole (MSA) – mais aussi sur le recueil de signalements spontanés ainsi que sur des études ad hoc.

Toujours selon M. Mathieu Schuler, pour être efficace ce dispositif de surveillance doit être « très transversal », pour prendre en compte la surveillance « non seulement [de] l’eau, mais aussi [de] l’air ainsi que [des] effets indésirables sur l’homme et les animaux. » ([144])

Si des soupçons existent quant aux effets indésirables d’un produit phytopharmaceutique mis sur le marché, la saisine de l’Anses est largement ouverte.

Les utilisateurs d’un produit phytopharmaceutique et les détenteurs d’une autorisation de mise sur le marché ont l’obligation d’effectuer un signalement à l’Anses s’ils constatent tout effet indésirable lors de l’utilisation du produit. Par ailleurs, la saisine de l’Anses est également ouverte à toute personne qui constaterait de tels effets. Un portail de signalement est disponible à cet effet.

Le ministre de l’agriculture dispose également d’un pouvoir de saisine de l’agence. Lors de son audition, M. Marc Fesneau a rappelé en avoir fait usage à deux reprises, pour deux produits phytopharmaceutiques pour lesquels des effets indésirables avaient été signalés, le S-métolachlore et le prosulfocarbe (cf. encadré).

Dans le cadre de son pouvoir de réévaluation des risques liés à l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique, l’Anses peut notamment :

– restreindre l’usage du produit afin de limiter les risques liés à son utilisation en attendant une réévaluation plus précise des risques constatés ex post (prosulfocarbe) ;

– retirer l’AMM avec effet immédiat, comme cela a été le cas pour les produits contenant du S-métolachlore, la procédure de phytopharmacovigilance ayant permis d’observer le risque que ces produits représentaient pour les nappes phréatiques et l’eau potable.

Un exemple récent de restrictions des usages dû à la phytopharmacovigilance : l’avis de l’Anses du 3 octobre 2023 relatif à l’utilisation du prosulfocarbe

Actualisation de l’évaluation des risques pour les riverains

L’Anses a procédé à une nouvelle évaluation des risques pour les riverains en prenant en compte les évolutions méthodologiques les plus récentes relatives à l’exposition lors de l’application des produits. Cette actualisation s’inscrit dans le cadre d’une saisine du ministère de chargé de l’agriculture au sujet du prosulfocarbe.

Pour estimer ces expositions, l’Agence s’est basée sur les méthodes d’estimation de l’exposition réactualisées en 2022 par l’Efsa pour renforcer davantage la protection des résidents et des personnes présentes.

L’Anses ne peut pas exclure, pour une exposition par voie cutanée principalement, le dépassement des seuils de sécurité pour des enfants se trouvant à moins de 10 mètres de distance de la culture lors des traitements. Elle a donc décidé d’imposer de nouvelles conditions d’utilisation des produits à effet immédiat :

– réduction des doses maximales de prosulfocarbe autorisées à l’hectare, d’au moins 40 % ;

– obligation d’utiliser du matériel agricole d’application des produits (buses) permettant une réduction de 90 % de la dérive de pulvérisation et de respecter une distance de sécurité de 10 mètres avec les zones d’habitation, ou application d’une distance de sécurité de 20 mètres le temps de s’équiper de ces buses plus performantes.

D’ici au 30 juin 2024, les détenteurs d’une autorisation de mise sur le marché de ces produits devront impérativement transmettre des données relatives à l’impact de ces nouvelles conditions d’emploi sur la réduction des expositions des riverains. En l’absence de démonstration probante, les autorisations seront retirées sans aucun délai.

Source : site internet de l’Anses, novembre 2023.

L’étude scientifique GEOCAP-AGRI : une étude financée par l’Anses dans le cadre de son dispositif de phytopharmacovigilance

Comprendre les conséquences d’une exposition environnementale aux pesticides, et notamment l’impact sur la santé, est actuellement un enjeu de santé publique.

L’exposition aux pesticides est suspectée d’être un facteur de risque de cancers pédiatriques, et plus particulièrement de leucémies. La plupart des études réalisées en France et à l’international se sont intéressées au lien entre le risque pour les enfants de développer cette maladie et l’usage de pesticides par la mère au domicile, pendant et après la grossesse.

Le risque d’une exposition environnementale aux pesticides, du fait d’une proximité géographique avec des parcelles agricoles, a en revanche été moins documenté. Les travaux disponibles jusqu’ici ont donné lieu à des résultats hétérogènes du fait notamment de la difficulté à obtenir des données fiables sur la localisation exacte de la résidence des enfants, l’étendue et la localisation des parcelles agricoles, le type de culture cultivée sur ces parcelles, l’utilisation de pesticides et le cas échéant la quantité et le type de pesticides utilisés.

Une nouvelle étude de l’Inserm, menée par des scientifiques au sein du laboratoire CRESS (Inserm/Université Paris Cité) en collaboration avec Santé publique France, et avec le soutien financier de l’Anses et de l’INCa, apporte un nouvel éclairage, en se penchant sur le risque de leucémies pour les enfants résidant près de parcelles viticoles. L’équipe de recherche montre que le risque de leucémie n’augmente pas avec la simple présence de vignes à moins de 1 000 m de l’adresse de résidence. Cependant, elle met en évidence une légère augmentation de ce risque en fonction de la surface totale des vignes présentes dans ce périmètre. L’ensemble des résultats est décrit dans le journal Environmental Health Perspectives.

Source : site internet de l’INSERM. ([145])


4.   La procédure réglementaire d’autorisation a été le principal facteur d’évolution des usages des produits phytopharmaceutiques

En première partie a été présentée l’évolution des volumes des produits utilisés en France (QSA et Nodu) depuis 2009. Si cette évolution n’est globalement ni très nette, ni très marquée, elle fait ressortir, en filigrane, l’influence déterminante du paramètre réglementaire, lequel a, à travers les interdictions de molécules et de produits, largement façonné l’évolution des usages.

Comme M. Hervé Durand l’a rappelé à la commission d’enquête, « les politiques publiques menées ces dernières années ont essentiellement reposé sur l’encadrement réglementaire de l’utilisation de ces produits, qui a fortement fait évoluer les pratiques. » ([146]) 

a.   L’interdiction de molécules toujours plus nombreuses au niveau européen

Au titre du premier bilan du règlement 1107/2009 réalisé en 2020, la Commission européenne ([147]) note que :

– les exigences réglementaires dans l’UE sont parmi les plus strictes au monde, sinon les plus strictes ;

– le nombre de substances actives avait déjà diminué de plus de 50 % dans le cadre de la directive 91/414/CEE ;

– la proportion de substances actives présentant des profils de risque élevés est faible (2 %) et continuera à diminuer à l’avenir ;

– la proportion de substances actives présentant des profils moins problématiques est relativement importante (37 %) et est en augmentation. En fait, ces dernières années, environ la moitié des demandes d’approbation de nouvelles substances actives (en moyenne 10 par an) concernent des micro-organismes (non chimiques) ou des substances qui sont supposées répondre aux critères des substances à faible risque ;

– de 2011 à 2018, ont été prises les décisions de refus d’approbation, de non-renouvellement d’approbation ou de retrait de 22 substances actives en raison de préoccupations liées à la santé ou à l’environnement ;

– cette tendance est appelée à s’accentuer au cours des années suivantes, dans la mesure où l’UE devra avoir achevé un réexamen de toutes les autorisations existantes d’ici 2025.

– les critères d’exclusion liés à la santé humaine [dont CMR 1] introduits dans le règlement ont favorisé le retrait du marché des substances actives les plus dangereuses, principalement en raison du fait que, pour la plupart des substances dont les demandeurs s’attendent à ce qu’elles répondent aux critères, aucune demande de renouvellement d’approbation n’a été présentée ;

– certaines molécules préoccupantes sont néanmoins toujours en circulation, faute d’avoir pu être réévaluées dans les temps réglementaires. La Commission a donc procédé à une prolongation de leur autorisation en attendant que leur réévaluation soit possible.

D’après les chiffres transmis par l’Anses, depuis l’application de la directive 91/414/CEE, sur les 640 substances phytopharmaceutiques issues de la synthèse chimique autorisées à un moment dans l’Union européenne, 78 % ont été retirées du marché :

– 50 % n’ont pas fait l’objet d’une nouvelle demande d’approbation par l’industriel ;

– 28 % ont été retirées à l’issue d’une évaluation européenne défavorable.

L’interdiction règlementaire des substances actives au niveau européen représente ainsi un levier puissant pour façonner les usages de produits phytopharmaceutiques.

b.   Les décisions de l’Anses sont venues restreindre les usages et interdire d’autres produits

Par le filtre des autorisations de mise sur le marché ou par l’interdiction de produits rattrapés dans le cadre de la procédure de phytopharmacovigilance, l’Anses a été conduite à supprimer l’autorisation d’un nombre substantiel de produits au cours de la dernière décennie.

D’après les données transmises par l’Anses, au total 2 866 produits ont été retirés du marché français depuis dix ans (dont 560 permis de commerce parallèle). Début 2022, 1 615 produits disposent d’une autorisation en France, ce qui traduit une baisse du nombre de produits autorisés de 37 % en 10 ans. Au 28 février 2023, 309 substances actives entrent dans la composition d’au moins un produit autorisé en France, sur les 453 substances actives approuvées au sein de l’Union européenne.

 

En 2022, l’Anses a prononcé 91 décisions de retraits de produits du marché. Les principaux motifs de retrait sont les suivants :

– retrait de produits à la suite de la fin d’approbation ou du non renouvellement de l’approbation de 4 substances actives au niveau européen : Indoxacarbe, phosmet, azimsulfuron et famoxadone ;

– absence de demande de renouvellement d’AMM pour des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants à la suite du renouvellement de l’approbation des substances actives qu’ils contiennent ;

– retrait du marché à la demande du détenteur de l’autorisation ;

– décisions défavorables après l’évaluation de demandes de renouvellement d’AMM.

Par ailleurs, outre l’interdiction pure et simple du produit, l’Anses peut proposer une autorisation conditionnée à la restriction de certains usages, ainsi que l’illustre l’exemple récent du prosulfocarbe (cf. supra).

La France a récemment mis en œuvre un processus original afin de restreindre les usages : une évaluation comparative pour l’utilisation du glyphosate, qui a servi de fondement à la révision des autorisations de mise sur le marché pour les produits contenant cette substance active. L’expérience montre que cette méthode permet d’obtenir des résultats très sensibles sur l’utilisation d’un produit (cf. encadré).

Cette évaluation comparative se fonde sur l’article 50 du règlement 1107/2009, qui prévoit des clauses de substitution de certains usages. Pour rappel, un usage correspond à la lutte contre un danger donné sur une espèce végétale ou un groupe d’espèces végétales donné, pour une voie de traitement donnée (par exemple, le traitement par « aspersion foliaire de la cercosporiose noire sur bananier »).

Le 1° de l’article 50 rend obligatoire l’évaluation comparative dans le cas de produits contenant une substance active candidate à la substitution. Le 2° de l’article 50 est quant à lui mobilisable de façon exceptionnelle pour des produits contenant toute substance active, dès lors que des alternatives « non chimiques d’usage courant » existent.

Il est ainsi possible, au titre du 2° de l’article 50, de recourir à l’évaluation comparative à condition de disposer d’un bon niveau de documentation sur la faisabilité d’emploi sur le terrain et sur les performances économiques des alternatives.

Faute d’alternatives suffisantes, l’impact de ces dispositions sur la substitution ont toutefois été minimes jusqu’à aujourd’hui. L’Anses souligne qu’elles génèrent une charge de travail très importante, du fait du caractère obligatoire de l’évaluation comparative pour les produits à base de substances actives candidates à la substitution.

Dans le cadre d’échanges avec votre rapporteur, l’Anses a souligné le caractère chronophage (deux ETP mobilisés sur l’évaluation comparative du glyphosate pendant deux ans) et nécessairement limité de ces évaluations comparatives si la recherche n’est pas par ailleurs mobilisée pour mettre au point et développer des méthodes de traitement alternatives – dimension qui n’entre pas dans le champ de compétences de l’Anses.

 

L’évaluation comparative de l’usage du glyphosate : un exemple parlant pour réduire les usages

« La France est le premier État membre à avoir mobilisé l’évaluation comparative. Celle-ci est particulièrement intéressante : grâce à la mobilisation de l’Inrae et des instituts techniques, nous avons passé en revue les différents usages du glyphosate. En étudiant chacun de ces usages, nous avons cherché à définir des alternatives à la fois crédibles sur le plan économique et efficaces. Certaines ont ainsi pu être trouvées, ce qui nous a permis de réduire les usages du glyphosate. Aujourd’hui, un agriculteur qui laboure ses terres ne peut pas l’utiliser. En revanche, un agriculteur engagé dans des techniques de conservation des sols et de couvert permanent peut les utiliser car il n’existe pas d’alternatives.

S’agissant du glyphosate, nous avons été pragmatiques et le resserrement des utilisations et usages de ce produit a des conséquences pratiques : une diminution de 30 % de son utilisation en 2022. Ce résultat est assez notable. »

Source : Audition du 12 juillet 2023 de M. Hervé Durand, délégué ministériel pour les alternatives aux produits phytopharmaceutiques dans les filières végétales, CR n° 3.


C.   pour la consolidation d’un rÉgime d’autorisation fondÉ sur les donnÉes scientifiques et harmonisÉ à l’Échelle europÉenne

Prenant acte du rôle central des agences sanitaires dans le processus d’autorisation des produits phytopharmaceutiques, et préoccupée par les controverses autour de la valeur scientifique, voire de l’indépendance des travaux effectués en leur sein, la commission d’enquête a auditionné – à deux reprises – l’Efsa et l’Anses.

Votre rapporteur en retire l’intime conviction – étayée par de nombreux éléments concrets qui seront détaillés ci-après – que ces agences sont très compétentes sur le plan scientifique et intègres sur le plan de la déontologie. Il plaidera donc pour qu’elles soient confortées dans leur rôle en matière d’autorisation des substances et produits (1).

Cela ne signifie pas qu’elles ne doivent pas encore être renforcées dans leur capacité à produire des évaluations exhaustives en temps voulu (2). En outre, le processus d’amélioration de la déontologie et de la transparence d’ores et déjà déployé par ces agences doit être poursuivi (3). En effet, renforcer l’indépendance des agences et la crédibilité de leur expertise scientifique est un enjeu essentiel pour renouer la confiance entre la science et les citoyens.

Au-delà du fonctionnement interne de ces agences, votre rapporteur estime que l’articulation globale du processus réglementaire à l’échelle européenne doit être interrogée, s’agissant en particulier du partage effectué entre compétences européennes et nationales. Il plaidera pour une plus grande harmonisation de cette procédure à l’échelle européenne (4).

1.   Les décisions d’autorisation de mise sur le marché des produits doivent rester à l’autorité scientifique

a.   Le transfert des AMM à l’Anses, une clarification salutaire du caractère incontournable de l’évaluation scientifique

Lors de son audition, l’ancien ministre de l’Agriculture, M. Stéphane Le Foll, a rappelé les raisons qui l’ont amené à transférer, à compter de 2015, les décisions d’autorisation de mise sur le marché de la direction générale du ministère à l’Anses. Il s’agissait de mettre un terme à une situation ambigüe et de rétablir une forme d’honnêteté sur la nature de la décision d’AMM :

« Laisser croire que toutes les AMM traitées annuellement par l’Anses pourraient l’être par le responsable politique, laisser croire que le ministre de l’agriculture évaluerait scientifiquement ces AMM est ridicule. Je ne regrette pas d’avoir transféré les AMM à l’Anses ! » ([148])

Il s’agissait ainsi d’acter le fait qu’en vertu des textes européens, le pouvoir politique est de facto lié par les résultats de l’évaluation scientifique, les critères scientifiques – efficacité et évaluation des risques – étant les seuls reconnus pour fonder une décision d’autorisation sur le marché.

Si l’on considère le texte du règlement européen de 2009, on constate qu’il n’y a en réalité aucune marge de manœuvre laissée au politique pour s’emparer, ou non, des résultats de l’évaluation scientifique. Le 2° de l’article 36 du règlement dispose ainsi que « les États membres concernés accordent ou refusent les autorisations sur la base des conclusions de l’évaluation réalisée par l’État membre examinant la demande ».

Ainsi, sur le plan juridique, peu importe que l’autorisation soit délivrée par le directeur général de l’Anses ou par le ministre de l’agriculture. De même que la Commission européenne n’a pas la possibilité de faire abstraction d’une évaluation réalisée par l’Efsa, le ministre de l’agriculture n’a jamais eu la possibilité de ne pas tenir compte d’une évaluation réalisée par l’Anses. S’il s’est, par le passé, arrogé cette possibilité, c’est contre l’esprit et contre la lettre du règlement européen de 2009.

Lorsque le ministre signait les AMM, cela pouvait donner l’impression qu’il avait un pouvoir de décision autonome en la matière, alors que ce n’était pas le cas. Il était ainsi indispensable de clarifier la situation en donnant également la responsabilité des AMM à l’Anses.

Certains estiment qu’il faudrait redonner au ministre le pouvoir de prendre les décisions d’AMM en lui ouvrant la possibilité de ne pas tenir compte d’une évaluation de l’Anses, pour des motifs tenant par exemple à la souveraineté alimentaire de la France. Votre rapporteur souligne que cette possibilité n’existe pas dans le cadre du règlement européen de 2009. Cela conduirait donc la France à se mettre en situation de non-conformité avec le droit européen, d’application directe en droit interne.

b.   La responsabilité politique réside dans la définition du niveau de risque acceptable

S’il n’existe pas réellement de marge de manœuvre pour le politique sur les décisions d’AMM, qui dépendent des résultats de l’évaluation scientifique, le politique ne se trouve pas, pour autant, déchargé de sa responsabilité. Il lui revient de définir le niveau de risque acceptable, voire d’interdire des produits encore autorisés.

c.   Le travail des agences sanitaires n’est pas contesté en tant que tel

Votre rapporteur observe que les associations de défense de l’environnement, tout en étant critiques vis-à-vis de l’Anses et de l’Efsa, ne remettent pas en cause le rôle de ces agences.

Ainsi M. Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous, indique : « Nous n’allons pas vous dire que l’Anses fait un travail indiscutable à nos yeux. En revanche, l’existence d’une autorité indépendante à même de procéder à ces évaluations est une condition sine qua non pour que le système tienne la route. » ([149])

Pour M. François Veillerette, porte-parole de Générations futures, il en est de même : « Si ce n’est pas une agence indépendante qui prend la décision finale, qui sera-ce ? […] Le système qui prévalait il y a une dizaine d’années a changé. À l’époque, l’Anses se plaignait auprès du ministre de l’agriculture que ses alertes sur un certain nombre de produits ne soient pas prises en compte – Générations futures a publié des documents qui en attestent. M. Stéphane Le Foll, alors ministre de l’agriculture, a décidé de changer le système et de transférer l’octroi des autorisations à l’agence. Nous considérons que c’est une bonne chose. Nous sommes très critiques vis-à-vis du système actuel, mais au moins existe-t-il un système indépendant du monde agricole. » ([150])

Mme Barbara Berardi, responsable de la recherche et du plaidoyer de Pollinis, ne dit pas autre chose : « nous sommes d’accord pour dire qu’avoir une agence réglementaire forte – ou plusieurs agences réglementaires fortes – est la base d’une bonne évaluation des risques. Les agences doivent être fortes mais aussi indépendantes. » ([151])

Quant à Mme Laurence Huc, toxicologue directrice de recherche de l’Inrae, particulièrement critique sur les protocoles de recherche en vigueur, tant à l’Anses qu’à l’Efsa, elle admet que confier à des agences indépendantes le contrôle des autorisations de mise sur le marché « a tout de même permis d’en sortir des substances très dangereuses » et n’entend pas « nier l’utilité de l’Efsa et de l’Anses. » ([152])

Il existe donc une forme de consensus autour de la nécessité de conforter ces agences dans leurs missions actuelles, tout en renforçant leur capacité à produire des évaluations indépendantes et de qualité.

d.   Conforter l’Anses dans ses missions actuelles d’évaluation et d’octroi des AMM

Votre rapporteur estime que l’équilibre ainsi trouvé doit être préservé. Le politique fixe les grandes orientations, les agences les mettent en œuvre en garantissant que les enjeux de court-moyen terme – les intérêts économiques – ne l’emportent pas sur les enjeux de plus long terme que constituent la préservation de la biodiversité et de la santé publique.

Si les intentions du ministre actuel de l’agriculture sur ce sujet ont pu, un temps, paraître peu claires, notamment en raison de l’affirmation du mantra « pas d’interdiction sans solution », lors de son audition M. Marc Fesneau a affirmé sans ambiguïté son attachement à la préservation des missions actuelles de l’Anses, soulignant, au sujet d’un éventuel retour à la situation d’avant 2014 :

« Ce serait prendre un risque énorme que de s’aventurer dans cette voie : celui de relativiser les faits scientifiques à l’aune de nos croyances ou de nos convictions. Il faut veiller à étayer scientifiquement les décisions. » ([153])

Votre rapporteur ne peut que partager ce point de vue. Il se réjouit de la clarification apportée à l’occasion de cette audition.

2.   La capacité des agences sanitaires à produire des évaluations exhaustives doit être renforcée

Votre rapporteur ne remet pas en cause la compétence des agences sanitaires, telles l’Anses et l’Efsa. L’Anses apparaît ainsi comme un modèle au sein de l’ensemble des agences européennes en termes d’excellence de la recherche et de sûreté de l’expertise, au point que les demandeurs d’autorisation de mise sur le marché ont pour motto : « quand je suis passé par l’Anses, au moins, tout a été vérifié et je suis tranquille », car l’Anses conduit « une revue très exhaustive du dossier, au plus près des méthodologies d’évaluation européennes » ([154]), comme le souligne Mme Charlotte Grastilleur. Votre rapporteur a récolté des échos similaires de la part du monde agricole, qui tend à considérer que les évaluations de l’Anses sont particulièrement rigoureuses, par rapport notamment à ses homologues européennes.

Sans contester ce haut niveau d’expertise, votre rapporteur estime qu’il est possible d’améliorer encore l’exhaustivité et le rythme des évaluations, de façon à mieux répondre aux préoccupations des citoyens et des organisations de défense de l’environnement, mais aussi aux attentes du monde agricole, qui a besoin que les solutions alternatives arrivent rapidement sur le marché.

  1.   Renforcer le cadre méthodologique des évaluations pour mieux prendre en compte les données issues de la recherche

Pour les associations de défense de l’environnement, il existe trois écueils dans la manière dont l’évaluation des risques est effectuée par l’Efsa :

– un poids insuffisant donné à la recherche publique au regard de la recherche règlementaire ;

– un cadre méthodologique défectueux ou incomplet ;

– des lignes directrices insuffisamment protectrices de la santé humaine, animale et environnementale.

Votre rapporteur estime qu’il faut entendre ces critiques – l’Efsa et l’Anses se montrent d’ailleurs ouvertes à améliorer leurs méthodologies – tout en réintroduisant plus d’objectivité dans certains débats.

Beaucoup d’associations ou de figures militantes estiment que le travail conduit par les agences sanitaires est déconnecté des données de la recherche publique. C’est notamment le point de vue soulevé par Mme Laurence Huc lors de son audition ([155]).

Votre rapporteur estime qu’il convient d’emblée de mettre de la raison dans ce débat. En réalité, il ressort des auditions conduites par la commission d’enquête que la science réglementaire – l’expertise de l’Anses, de l’Efsa et des autres agences européennes – puise très largement dans la science académique, dont elle est même dépendante. Seulement, elle le fait selon une temporalité et avec des contraintes qui lui sont propres, ce qui donne parfois l’impression d’une déconnexion.

Concrètement, dans le cadre des évaluations conduites par l’Efsa, l’ensemble des études disponibles – publiques et privées – sont prises en compte avec un facteur de pondération attribué en fonction « de sa valeur scientifique intrinsèque, de la qualité de l’échantillon statistique et de sa pertinence vis-à-vis de la question posée », ainsi que l’a expliqué M. Guilhem de Sèze, le chef du département de la production des évaluations de risques de l’Efsa, lors de son audition (cf. encadré).

Par ailleurs, les agences sanitaires font très largement appel à l’expertise scientifique des chercheurs, appelés à participer aux différents comités constitués pour évaluer les produits. Lors de son audition, Mme Laurence Huc a ainsi rappelé la nécessité pour les chercheurs académiques de s’investir dans la science règlementaire s’ils souhaitent la faire progresser. « Le message d’espoir que je porte consiste à faire appel aux scientifiques afin que ces derniers s’investissent dans l’expertise. Pour cela, ils doivent également être reconnus par les agences réglementaires. » ([156])

Au total, s’il ne faut pas opposer science réglementaire et science académique, il faut comprendre et admettre qu’elles répondent à des objectifs différents, tout en cherchant à incorporer au maximum les données de la seconde dans la première. Dans un rapport publié en 2019 sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) ([157]) notait ainsi que « le travail des agences ne [répondait] pas à un objectif de connaissance pure mais se [plaçait] dans le cadre limité fixé par leurs missions », en vue « d’éclairer la décision en fournissant une évaluation des risques sanitaires et environnementaux la plus juste possible », adoptée en fonction de « méthodes réglementaires de production des savoirs ». L’OPECST concluait :

« Au final, les évaluations présentent un tableau des risques effectué avec sérieux et selon des méthodologies éprouvées, mais ne cadrant pas toujours avec la réalité des risques tels qu’ils sont encourus ».

M. François Veillerette, le porte-parole de Générations futures, souligne que « s’agissant de la science réglementaire, la question des lignes directrices est essentielle. Comment évaluez-vous les critères de prise en compte de telle ou telle étude, l’exposition des riverains, les effets sur tel ou tel secteur de l’environnement ? Ce sont souvent ces lignes directrices qui empêchent les agences de bien travailler, par exemple parce qu’elles sous-estiment l’exposition de certaines catégories de riverains. Les lignes directrices sont des documents techniques qui servent de guide et s’imposent aux agences nationales. Elles manquent parfois d’ambition ou occultent toute une série d’effets. La question est largement européenne. Il faut améliorer ce cadre pour mieux appliquer la réglementation. » ([158])

Lors de leurs auditions, l’Anses et l’Efsa ont néanmoins souligné que ces lignes directrices n’étaient pas figées, qu’elles évoluaient en permanence, notamment dans le cadre d’un dialogue constant entre l’Efsa et les agences nationales. M. Guihem de Sèze a précisé, lors de son audition, que l’Efsa travaillait « non seulement avec des documents guides que nous avons élaborés, mais aussi avec des documents guides internationaux réalisés par d’autres instances, en particulier l’OCDE » ([159]), documents adoptés avec toutes les garanties d’indépendance nécessaires.

Votre rapporteur partage l’avis que ces lignes directrices doivent être en permanence questionnées au regard des avancées de la science. Elles doivent évoluer pour incorporer, aussi vite que possible, les nouveaux risques émergents. Cela implique une capacité pour les agences d’intégrer sans délai les résultats issus de la recherche académique.

La pondération des études

« L’un des grands principes de l’évaluation des produits chimiques et des pesticides est l’évaluation pondérée de toutes les études disponibles. Lorsque l’Efsa cherche à évaluer un risque potentiel, elle consulte toutes les études disponibles, c’estàdire à la fois les études réglementaires – que les industriels doivent mener tout en respectant un protocole précis – et les études publiées par les instituts de recherche.

Un coefficient de pondération est attribué à chaque étude en fonction de sa valeur scientifique intrinsèque, de la qualité de l’échantillon statistique et de sa pertinence vis-à-vis de la question posée. Là encore, la science avance grâce à l’évaluation collective de l’ensemble des résultats disponibles.

Les études menées en dehors du cadre réglementaire répondent parfois à des objectifs différents. Il est alors compréhensible qu’elles soient prises considération avec une pondération inférieure par rapport à des études spécialement réalisées pour répondre à une question d’évaluation réglementaire. De nombreuses études reprises dans le débat public sont par exemple réalisées avec des formulations. Or, il est assez difficile d’en tirer des conclusions pour le principe actif. La formulation afférente aux scénarios d’utilisation du principe actif est mentionnée dans le dossier soumis à l’Efsa mais toutes les autres formulations possibles sont à examiner par les États membres dans le cadre des autorisations de mise sur le marché au niveau national.

Avec la centaine d’experts des différents États membres, nous avons consulté deux mille quatre cents études sur le glyphosate dont sept cents étaient produites par des instituts publics de recherche et des universités. Les études publiques ont donc bien été prises en compte par l’Echa et par l’Efsa.

Comprenez bien que la méthodologie réglementaire imposée aux industriels qui doivent prouver que l’utilisation de leur substance présente des risques raisonnables est très précise. Cette méthodologie est le fruit d’années d’expérience en matière d’évaluation réglementaire des risques. Elles ont été mises en place par des comités d’experts souvent internationaux. Les laboratoires qui réalisent ces études sont eux-mêmes audités afin de garantir le respect des bonnes pratiques de laboratoire.

Cette question nous renvoie à celle de l’évaluation pondérée de toutes les études disponibles. En d’autres termes, dans quelle mesure une seule étude est-elle susceptible de faire évoluer le consensus scientifique ? Dans le cas du bisphénol A, il y a quelques années, les Américains ont dépensé 300 millions de dollars dans un programme de recherche. Cependant, les conclusions des études commandées dans ce cadre auprès des organismes de recherche et des universités n’étaient guère divergentes par rapport aux données déjà disponibles. Il serait donc illusoire de penser qu’une seule étude réalisée par un institut public conduirait à une évolution du consensus scientifique.» ([160])

Mme Barbara Berardi, responsable de la recherche et du plaidoyer de Pollinis, a précisé que « le problème de l’évaluation des risques ne se trouve pas à l’intérieur de l’Anses ou de l’Efsa. C’est un problème de protocole. L’Anses ne réalise pas les tests elle-même, ni ne décide des tests à réaliser. Les documents d’orientation sont au centre du problème, qui est si compliqué que nous perdons une partie importante de la dynamique. C’est la liste des tests, qui est obsolète et n’est plus en phase avec la science académique. L’effet cocktail est l’un des grands absents de cette liste. (…)

Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle de l’Anses mais d’essayer de mettre en phase la liste des tests demandés avec les connaissances scientifiques actuelles. L’Anses peut maintenant demander des tests additionnels. Nous espérons que ces tests seront intégrés. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prend quinze à vingt ans pour valider chaque test. Si nous attendons aussi longtemps pour ajouter de nouveaux tests cruciaux, il n’y aura peut-être bientôt plus de biodiversité à tester. Notre demande est d’intégrer dès à présent des tests ayant fait leurs preuves. » ([161])

M. Guilhem de Sèze en a convenu partiellement, l’évaluation du glyphosate conduite par l’Efsa « a révélé le fait que le cadre réglementaire, sur l’évaluation des questions de biodiversité, est partiel. Il faudrait pouvoir développer des méthodologies plus complètes, plus systématiques. » ([162])

Votre rapporteur estime que c’est là une priorité. Dans la mesure où les connaissances scientifiques sont disponibles, la science réglementaire doit tout mettre en œuvre pour faire évoluer ses méthodologies et outils afin d’incorporer ces nouvelles connaissances, sous peine de voir son expertise remise en cause. Il y a, en particulier, un enjeu urgent à développer la capacité des agences à prendre en compte, dans leurs méthodologies, les effets cumulés des substances.

Recommandation n° 8 – Améliorer la méthodologie des évaluations de risques conduites par les agences sanitaires en vue de l’autorisation d’une substance/d’un produit phytopharmaceutique :

– Intégrer plus rapidement les études académiques récentes dans la base documentaire des évaluations

– Prévoir une adaptation continue des lignes directrices encadrant ces évaluations

– Développer et intégrer dans les évaluations de risque des substances actives phytopharmaceutiques et de leurs coformulants des approches combinées, portant sur les mélanges. Développer les méthodologies associées sous l’égide de l’Efsa

 

b.   Des limites méthodologiques et délais liés à un manque de ressources

M. Guilhem de Sèze a souligné, s’agissant en particulier de l’expertise sur le glyphosate, que la question des ressources de l’Efsa était clairement un facteur limitant : « Nous n’avons pas de méthodologie réglementaire qui arrive à suivre les développements scientifiques en cours. Je peux aussi citer des exemples sur la toxicité humaine, les maladies neurodégénératives. Il y a beaucoup d’avancées en ce moment au niveau mécanistique, mais nous avons besoin de ressources pour intégrer ces sujets dans un cadre réglementaire formel. » ([163])

Il a estimé que la question des ressources était aussi un paramètre déterminant pour l’aptitude de l’Efsa à produire des évaluations dans des délais raisonnables au regard des besoins et attentes du monde agricole. Du fait de la masse immense de documents à traiter, d’études à prendre en considération, l’évaluation du glyphosate a duré trois années au total. Si, en l’occurrence, l’autorisation du glyphosate a pu être prolongée à titre provisoire, cette possibilité n’existe pas pour les nouvelles molécules, notamment de biocontrôle, qui pourraient s’avérer très utiles dans les exploitations.

L’Efsa dispose de moyens limités. Dotée d’un budget de 150 millions d’euros, elle doit couvrir dix domaines de compétences, dont les pesticides. Si l’on compare aux moyens dont dispose l’Agence du médicament, dotée d’un budget de 450 millions d’euros, c’est peu. M. Guilhem de Sèze relève ainsi que « la santé humaine est ainsi très diversement valorisée, selon qu’il s’agit des médicaments ou des aliments. Il en va de même pour la santé environnementale : la PAC est dotée de 50 milliards d’euros par an, dont seulement 15 millions sont reversés à l’Efsa [ndlr : part du budget dédié aux pesticides] pour l’étude des risques induits par les produits phytopharmaceutiques. » ([164])

Interrogée par votre rapporteur, l’Efsa dit avoir besoin, pour faire évoluer ses méthodologies dans le sens attendu, de doubler ses personnels dédiés à l’évaluation des pesticides ; cela représente un budget annuel supplémentaire de 14,25 millions d’euros, pour recruter 52 personnels. Ce supplémentaire lui permettrait également de traiter plus vite les évaluations qui lui sont soumises.


– Financer au juste niveau l’accélération des solutions de traitement moins agressives

Lors de son audition, M. Benoît Vallet a estimé que le modèle de financement de la procédure d’autorisation des AMM, qui repose sur une taxe fiscale affectée à l’Anses pour la mise sur le marché des produits (cf. encadré), était dans l’ensemble équilibré et permettait à l’Anses de s’acquitter de sa mission dans de bonnes conditions. Il a néanmoins souligné une tension sur le modèle de financement du biocontrôle, du fait de la taxe réduite dont bénéficient ces produits, laquelle ne permet pas de financer les coûts afférents à ces autorisations que l’on souhaite faciliter. Dans les documents transmis à votre rapporteur, l’Anses souligne ainsi une insuffisance globale du barème arrêté pour la taxe fiscale associée aux demandes d’AMM, qui est particulièrement problématique s’agissant des dossiers de biocontrôle :

« La dernière refonte du barème date de 2017 et un déséquilibre croissant est constaté entre les coûts complets résultant de cette activité et les recettes fiscales perçues à ce titre : de l’ordre de 3,3 millions d’euros en 2017, le déficit s’élève en 2022 à 8,1 millions d’euros. Ce déséquilibre résulte (…) [notamment] du barème incitatif applicable aux produits de biocontrôle, dont résulte une perte de recettes de plus de 2 millions d’euros en 2022 et en 2023, dont l’impact ne fait actuellement l’objet d’aucune compensation. »

Votre rapporteur estime qu’il convient de compenser, pour l’Anses, les coûts liés aux mesures prises en vue de l’accélération du biocontrôle. Il pense par ailleurs qu’il convient également d’accélérer encore la mise sur le marché d’autres produits avec un impact réduit sur l’environnement, à l’image des préparations naturelles peu préoccupantes (cf. encadré suivant).

De même, il juge indispensable de prévoir des modalités d’instruction accélérées pour les dossiers de demande d’autorisation de produits ayant vocation à constituer des solutions pour des usages dits orphelins, c’est-à-dire sans solution de traitement (cf. encadré).

 

Un statut spécial pour le biocontrôle dans la réglementation française

La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, a introduit, en 2014, une définition du biocontrôle au sein du code rural et de la pêche maritime, complétée par loi de 2017 relative à l’accaparement des terres agricoles. En outre, la loi Egalim de 2018 a prévu la mise en place d’une stratégie nationale de déploiement du biocontrôle, publiée en novembre 2020.

Cet ancrage législatif du biocontrôle a permis de faciliter le déploiement de ces solutions par l’édification d’un statut spécifique et favorable. En particulier :

– Les dossiers de demande d’AMM pour les produits de biocontrôle bénéficient d’une double priorité : il n’est pas nécessaire de réserver un créneau de dépôt pour le dossier et l’évaluation est ensuite accélérée ;

– La taxe fiscale affectée à l’Anses pour la mise sur le marché de ces produits est réduite :

Source : arrêté du 15 décembre 2022 fixant le barème de la taxe fiscale affectée perçue par l’Anses - EMR : État membre rapporteur

– La taxe sur les ventes de produits phytosanitaires, affectée au financement du dispositif de phytopharmacovigilance, est réduite de 0,9 % à 0,1 % du chiffre d’affaires pour les produits de biocontrôle.

Cette stratégie a porté ses fruits, ainsi que l’illustre le tableau ci-après, qui retrace l’évolution des délais de traitement des AMM pour le biocontrôle au sein de l’Anses.

Source : stratégie Écophyto 2030 et Anses

 

Les usages orphelins

Les couples culture/organisme nuisible ou groupe de cultures/ensemble d’organismes nuisibles ou catégorie de traitement/organisme nuisible sont considérés comme orphelins, dès lors qu’il n’existe pas de produit phytopharmaceutique bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM). Le règlement européen 1107/2009 distingue des utilisations majeures et mineures.

Quelles sont les causes des usages orphelins ? cela peut être le retrait de substances ou de produits, l’apparition d’un nouveau bioagresseur, l’apparition de résistances aux bioagresseurs ou de contournement de résistances, ou encore la circulation accélérée de bioagresseurs liée aux échanges multilatéraux et aux effets du changement climatique.

Les cultures légumières et fruitières apparaissent comme les plus concernées par les 840 usages jugés prioritaires en France. 38 % des usages n’étaient pas pourvus en 2019, soit 25 % d’usages mineurs et 13 % d’usages majeurs.

Les préparations naturelles peu préoccupantes

Les préparations naturelles peu préoccupantes, ou PNPP, sont une catégorie de produits de protection des plantes dont le statut n’a cessé d’évoluer depuis leur création. Aujourd’hui, elles sont définies par l’article L.253-1 du code rural, modifié par l’article 50 de la loi d’avenir pour l’agriculture, comme composées exclusivement :

– soit de substances de base (produit de protection des plantes) : cette notion est définie à l’art. 23 du réglement (CE) n° 1107/2009. Elle correspond à des substances non initialement élaborées pour être utilisées en protection des plantes mais qui peuvent avoir un intérêt pour celle-ci (denrées alimentaires ...) et qui sont sans impact négatif sur la santé humaine ou l’environnement. Ces substances sont une catégorie de produits de protection des plantes distinctes des produits phytosanitaires. Leur utilisation est autorisée dans les conditions indiquées par la réglementation.

– soit de substances naturelles à usage biostimulant ou SNUB (matières fertilisantes) : à l’heure actuelle, la liste inclut uniquement les plantes médicinales vendues librement (article L. 4211-1 du Code de la Santé Publique, d’après arrêté du 27/04/16), telles que l’ortie. Après évaluation, d’autres extraits d’origine naturelle pourront venir compléter cette liste. Ces substances doivent être produites et utilisées uniquement dans les conditions prévues par la réglementation (décret n° 2016-532, décret n° 2019-329).

Les PNPP sont soumises à une évaluation de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), afin de garantir de manière scientifique leur efficacité et l’absence de risque pour l’environnement et la santé. Ces substances bénéficient cependant d’une procédure simplifiée fixée par décret depuis le 25 juin 2009.

– Développer la capacité de l’Anses à orienter la recherche pour répondre aux besoins de la science réglementaire

L’Anses coordonne et met en œuvre le programme national de recherche environnement-santé-travail (PNR-EST), qui vise à soutenir la production de connaissances nouvelles, destinées à nourrir l’expertise de demain, mais aussi à animer la communauté scientifique en confortant les équipes déjà présentes et en attirant de nouveaux acteurs, diversifiant ainsi le vivier d’experts potentiels.

Ce programme se traduit par le lancement annuel d’appels à projets, pour un montant global d’environ 8 millions d’euros par an.

Il connaît néanmoins une baisse d’attractivité face aux appels à projets de l’ANR, dont le budget global et le taux de sélection ont été largement augmentés.

Dans ce contexte, l’Anses souligne le risque de ne plus pouvoir satisfaire à la production de connaissances nécessaires sur la thématique santé‑environnement/santé-travail.

Votre rapporteur estime ainsi qu’il convient d’augmenter les moyens dévolus à l’Anses dans le cadre de ce PNR-EST, de façon à soutenir la capacité de l’agence à orienter la recherche pour répondre aux besoins de la science réglementaire.

Recommandation n° 9 – Augmenter le budget des agences sanitaires de façon à leur permettre de remplir de manière satisfaisante leur mission d’évaluation des pesticides :

– Accroître le budget de l’Efsa de 14,25 millions d’euros pour lui permettre de procéder à des évaluations plus complètes, plus rapidement

– Accroître le budget de l’Anses de 10 millions d’euros pour financer la montée en puissance de l’évaluation des solutions de biocontrôle, des solutions destinées aux cultures orphelines et des préparations naturelles peu préoccupantes ; et pour renforcer les moyens du programme national de recherche environnement-santé-travail (PNR-EST)


3.   Le processus d’amélioration de la déontologie et de la transparence de ces agences doit être entretenu

Votre rapporteur considère que les agences sanitaires Efsa et Anses présentent des garanties très importantes en matière d’indépendance, de transparence, de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts, avec des exigences qui sont probablement parmi les plus élevées au monde, et qui ont été très nettement renforcées au cours des dernières années, souvent de leur propre initiative. Ce processus est appelé à se poursuivre, tant il est important de ne jamais relâcher la vigilance dans ce domaine particulièrement exposé qu’est la phytopharmacie.

  1.   L’Efsa observe des règles de déontologie strictes

L’Efsa avait déjà mis en œuvre une réforme interne, au sein de l’agence, en 2017, pour se prémunir de tout conflit d’intérêts, en adoptant, le 21 juin 2017, un document intitulé « La politique de l’Efsa en matière d’indépendance ».

Définition du conflit d’intérêts selon l’Efsa

L’EFSA définit un conflit d’intérêts comme toute situation dans laquelle une personne a un intérêt qui peut compromettre ou être raisonnablement perçu comme compromettant sa capacité à agir de manière indépendante et dans l’intérêt public en ce qui concerne, l’objet du travail effectué à l’EFSA.

Source : La politique de l’Efsa en matière d’indépendance ([165])

Ce document pose des règles exigeantes relatives aux membres de l’agence et au recrutement des experts amenés à évaluer les risques des substances actives, pour prévenir tout conflit d’intérêts. Outre le dépôt d’une déclaration d’intérêts, figure notamment la nécessité, pour les experts venant de la recherche publique, que leur laboratoire de recherche ne soit pas financé à plus de 25 % par le privé. L’ensemble de ces règles est synthétisé dans l’encadré ci-après.

M. Guilhem de Sèze a rappelé avec précision le système strict de gestion des conflits d’intérêts au sein de l’agence européenne : « L’Efsa s’appuie sur un système de gestion des conflits d’intérêts mis en place il y a une douzaine d’années et qui s’est renforcé avec le temps. Il est évalué par de nombreuses autorités compétentes, dont le médiateur européen, le Parlement européen, la Cour des auditeurs européens. Tous les signaux nous disent que nous avons l’un des systèmes les plus stricts de gestion des conflits d’intérêts. Un expert indépendant ne peut pas travailler avec l’Efsa s’il déclare des intérêts concurrents. Quelqu’un qui travaillerait pour l’industrie, même en tant que consultant, ne pourrait pas travailler avec l’Efsa. Un chercheur d’un institut public qui aurait une partie de son budget trop élevé, qui viendrait de fonds publics et privés, ne pourrait pas travailler avec l’Efsa. Il n’y a pas du tout de risque de conflit d’intérêts sur les méthodologies que l’Efsa développe. » ([166])

La déclaration d’intérêts des acteurs de l’Efsa

Les acteurs de l’Efsa déclarent tous les intérêts qui se sont superposés aux attributions de l’Efsa au cours des cinq années précédentes et qui appartiennent aux domaines suivants : investissements financiers, rôles de direction, rôles de conseil scientifique, emploi ou travail indépendant, conseil, financement de la recherche, droits de propriété intellectuelle, déclarations sous serment, adhésions à des sociétés professionnelles ou savantes, et intérêts non pris en compte par ce qui précède. ([167])

Les règles s’appliquant au recrutement des experts pour prévenir tout conflit d’intérêts

Les investissements financiers et les emplois dans des entreprises directement ou indirectement concernées par les résultats de l’Efsa sont incompatibles avec la qualité de membre d’un comité scientifique, d’un groupe scientifique ou d’un groupe de travail.

L’Efsa applique un délai de réflexion de deux ans pour les activités de gestion, d’emploi, de conseil et d’adhésion à des organes consultatifs scientifiques menées par ses experts avec des entités juridiques poursuivant des intérêts privés ou commerciaux, ou pour le financement de la recherche.

Le financement de la recherche par le secteur privé au profit des experts de l’Efsa ne doit pas dépasser 25 % du budget total de la recherche.

À l’exception des fonctions de gestion des risques, les activités des experts auprès des autorités nationales et internationales, l’enseignement ou la recherche sont compatibles avec tous les rôles au sein des groupes scientifiques de l’Efsa.

L’Autorité applique cette politique au moyen d’un système de contrôles de conformité associé à des sanctions proportionnées, efficaces et dissuasives en cas d’action ou d’omission, allant d’une lettre de réprimande au renvoi de l’organisme ou du groupe scientifique concerné, en passant par un suivi auprès des organismes chargés de faire respecter la loi. ([168])

La désignation des experts nationaux est laissée à la responsabilité de chaque État membre

M. Guilhem de Sèze explique que « s’agissant des produits phytosanitaires, il est de la responsabilité de chaque État membre de s’assurer de la déontologie de ses experts et nous leur faisons confiance. Les déclarations d’intérêt des experts sont rendues publiques sur le site internet de l’Efsa, tant et si bien que même si nous n’évaluons pas l’indépendance de ces experts à notre niveau, ces choix peuvent être critiqués publiquement. Par ailleurs, la procédure d’examen par les pairs nous préserve du risque d’une décision qui serait prise par un seul État membre faisant fi de l’opinion des autres ».

 

Il convient de noter que ces règles exigeantes ont une contrepartie : elles réduisent d’autant le vivier de recrutement pour les experts exerçant dans des disciplines parfois très pointues. Un équilibre doit donc être trouvé entre indépendance des experts et qualité scientifique de l’expertise disponible.

Un équilibre entre vivier de recrutement et exigences déontologiques des experts externes à l’agence

« L’Efsa a beaucoup travaillé sur le sujet, pour arriver à une situation jugée aujourd’hui relativement satisfaisante par l’ensemble des parties prenantes. Les règles de prévention des conflits d’intérêts doivent permettre d’atteindre un équilibre subtil qui n’aboutisse pas à nous priver d’une expertise dont nous avons besoin.

Pour pouvoir bénéficier des subventions liées aux programmes cadres de recherche de direction générale Environnement de la Commission européenne, les scientifiques doivent souvent démontrer leur capacité à travailler avec des industriels, l’objectif étant de s’assurer que leurs travaux puissent déboucher sur des applications concrètes qui répondent à des besoins réels de la société.

Il existe donc une sorte de « schizophrénie » entre la volonté que les experts travaillent avec des industriels et celle que ces mêmes experts soient indépendants lorsqu’ils participent aux travaux de l’Efsa. Nous pensons avoir trouvé cet équilibre dans notre politique d’indépendance. »

Source : Audition de M. Guilhem de Sèze, le 20 septembre 2023, CR n° 10.

b.   Le règlement 2019/1381 contribue largement à améliorer la transparence des évaluations

Le secret industriel derrière lequel pouvaient se retrancher les porteurs d’intérêts pour que les études règlementaires qu’ils produisaient ne soient pas publiées a longtemps nourri le soupçon sur les procédures d’évaluation des produits phytopharmaceutiques.

Les critiques se sont cristallisées sur l’évaluation du glyphosate, après les révélations parues dans les Monsanto Papers, qui remettaient en cause le processus d’évaluation des risques au sein de l’Efsa. Ils révélaient que des passages entiers des conclusions de l’évaluation relative au glyphosate reprenaient une partie des études règlementaires fournies par les industriels. L’absence de transparence sur ces études faisait planer le soupçon sur le processus d’évaluation dans son ensemble.

Or, la législation alors en vigueur interdisait à l’Efsa, au nom du secret des affaires, de publier les études règlementaires fournies par les industriels pour permettre une homologation de la substance. Après la révélation des Monsanto Papers, une initiative citoyenne européenne (ICE), intitulée « Stop Glyphosate » a recueilli plus d’un million de signatures dans 22 États membres, en 2017. La Commission, qui l’a jugée recevable, a ainsi proposé dans le cadre de l’initiative REFIT (révision de la législation en vigueur) un projet de règlement pour améliorer la transparence relative au processus d’évaluation du risque au sein de l’Efsa, et par ricochet au sein des autres agences d’évaluation du risque.

Le règlement (UE) 2019/1381 sur la transparence et la pérennité de l’évaluation des risques de l’Union dans la chaîne alimentaire a ainsi changé la règle relative à la transparence en rendant obligatoire la publication des études règlementaires, les éléments relatifs au secret industriel étant « caviardés » afin de ne pas les dévoiler. Le règlement ouvre également la possibilité, pour la Commission, de demander des études complémentaires, voire d’enquêter dans les laboratoires dans lesquels les études sont menées.

Entré en vigueur le 21 février 2022, ce règlement est porteur de progrès significatifs quant à la transparence de la procédure d’évaluation des substances et à l’indépendance de l’Efsa par rapport aux données fournies par les industriels.

Cette évolution juridique permettra également d’apporter un élément de réponse à la controverse soulevée par la divergence de conclusions entre l’Echa et le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) quant à la cancérogénicité du glyphosate. Le Circ n’a pu s’appuyer que sur des études publiques, là où l’Echa avait également eu accès aux études règlementaires. Désormais, les organismes de recherche publics peuvent également avoir accès aux études des industriels.

 

Principales dispositions du règlement 2019/1381 pour assurer la transparence en matière d’évaluation des risques

 

Le règlement (UE) 2019/1381 sur la transparence et la pérennité de l’évaluation des risques de l’Union dans la chaîne alimentaire a pour objectifs de :

Garantir davantage de transparence : le public aura automatiquement accès à toutes les études et informations soumises pour étayer une demande d’autorisation adressée à l’Efsa, par exemple toutes les études étayant une demande d’autorisation provenant d’un exploitant du secteur alimentaire, remises au début du processus d’évaluation des risques.

Les informations dont le caractère confidentiel a été dûment justifié ne seront pas divulguées. Les parties intéressées et le grand public seront également consultés sur les études soumises. Les commentaires soumis permettront à l’Efsa de se fonder sur un ensemble de preuves le plus large possible avant de formuler son avis scientifique.

Renforcer l’indépendance et la solidité des études scientifiques soumises : l’Efsa sera informée de toutes les études, lorsqu’elles sont commandées en vue d’une future procédure de demande, au cours de la phase préalable à la soumission. Cela garantira que les entreprises qui déposent une demande d’autorisation soumettent bien toutes les informations requises et ne dissimulent pas d’études défavorables. L’Efsa dispensera des conseils généraux aux demandeurs, en particulier aux petites et moyennes entreprises, avant la soumission de leur dossier. La Commission pourra demander à l’Efsa de commander des études supplémentaires à des fins de vérification, dans des circonstances exceptionnelles en cas de graves controverses ou de résultats contradictoires. La Commission pourra également effectuer des missions d’enquête afin de vérifier la conformité des laboratoires aux standards applicables en matière de réalisation d’études soumises à l’Efsa. Les conclusions de ces missions d’enquête seront présentées dans un rapport de synthèse.

Renforcer la gouvernance et la coopération scientifique : les pays de l’UE, la société civile et le Parlement européen participeront à la gouvernance de l’Efsa, en étant dûment représentés au sein de son conseil d’administration. Les pays de l’UE encourageront le développement de la capacité scientifique de l’Efsa, par exemple au moyen de projets conjoints et du partage des meilleures pratiques, et assureront la promotion d’activités conclusions.

c.   Au sein de l’Anses, un réel effort de questionnement des processus internes

Selon Mme Gabrielle Bouleau, présidente du comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts de l’Anses ([169]), le niveau d’indépendance de l’Anses par rapport aux autres agences en Europe est sans équivalent, notamment en raison de la mise en place de ce comité de déontologie qui constitue une originalité française.

Créé en 2010, en même temps que l’Anses, le comité de déontologie est composé de cinq à huit membres nommés pour cinq ans par arrêté des ministres de tutelle, sur proposition du conseil d’administration, et qui n’appartiennent pas à l’Anses.

Le comité de déontologie à vocation à édicter « des règles générales pour s’assurer des règles de déontologie qui s’appliquent à l’ensemble du processus, pour garantir l’impartialité des experts et donc de l’expertise – c’est-à-dire leur indépendance, leur intégrité et leur probité –, mais aussi le respect de la transparence, de la pluralité et du contradictoire » ([170]) . Il se réunit une fois par mois et ses avis sont publiés sur le site de l’agence. Ses recommandations doivent être mises en œuvre par le directeur de l’agence.

Mme Bouleau décrit le rôle du comité de déontologie comme un « irritant » qui vient en permanence interroger les procédures et les habitudes, donnant lieu à des adaptations salutaires. Il a, par exemple, permis d’encadrer les relations avec les porteurs d’intérêts dans le cadre de la procédure d’AMM :

« Une charte avait en effet été établie au sein de l’Anses, demandant la réalisation d’un registre de l’ensemble des visites des porteurs d’intérêts ; l’analyse de ce registre avait montré que 95 % des visites étaient liées au secteur agricole et associé, ce qui n’était pas de nature à garantir l’équité d’accès à l’agence. En 2019, le comité de déontologie a donc recommandé à l’Anses de limiter au maximum les rencontres avec les porteurs d’intérêts. Des rencontres peuvent être organisées pour expliciter une décision prise mais, en dehors de ce cas, il est préférable que l’Anses rencontre les parties prenantes dans des dispositifs pluralistes de type plateforme, où toutes les parties prenantes peuvent être invitées. »

Au-delà de l’action de ce comité, votre rapporteur note la remarquable aptitude de l’Anses à questionner son fonctionnement interne. En témoigne, le rapport du conseil scientifique de l’Anses sur la « crédibilité de l’expertise scientifique » ([171]). Ce rapport examine avec beaucoup de lucidité et sans concession les difficultés auxquelles l’agence est confrontée pour asseoir la confiance dans son expertise scientifique, et formule des recommandations visant à améliorer les procédures, à mieux éclairer le processus de décision, à intensifier les interactions avec les parties prenantes et à renforcer la séparation de l’évaluation et de la gestion des risques au sein de l’Anses.

Comme l’a rappelé Mme Charlotte Grastilleur, le processus de transparence est un processus continu : « la crédibilité est engendrée par la transparence et par la qualité de l’expertise. La déontologie fait également l’objet de beaucoup de questionnements. Nous nous devons donc de donner des garanties, d’ouvrir nos portes et nos dossiers – ce que nous faisons déjà largement – pour expliquer nos relations – ou d’ailleurs nos non-relations – avec les porteurs d’intérêts. » ([172])

Votre rapporteur est confiant dans l’aptitude de l’Anses à faire évoluer son fonctionnement pour satisfaire aux attentes des citoyens en matière de déontologie et de transparence. Il juge remarquable le travail réalisé par le conseil scientifique dans le cadre du rapport susmentionné et estime que la priorité dans ce domaine doit être de poursuivre la mise en œuvre des recommandations issues de ce rapport.

Il estime qu’une autre piste mériterait d’être creusée, en s’inspirant de la base Transparence-santé renseignée par l’industrie pharmaceutique, qui permet de connaître les montants dont bénéficient les experts dans le cadre de leurs collaborations avec ces laboratoires, et de croiser ces montants avec les propres déclarations des experts. Cette évolution serait de nature à réduire les soupçons pesant encore trop souvent sur la science réglementaire.

Recommandation n° 10 – Poursuivre le processus d’amélioration de la déontologie et de la transparence des évaluations des agences sanitaires

– Mettre en œuvre les recommandations du Conseil scientifique de l’Anses, issues du rapport du groupe de travail « Crédibilité de l’expertise scientifique » 

– Mettre en place, sur le modèle de la base Transparence – santé, un portail sur lequel les industriels demandant l’homologation d’une substance (Efsa) ou la mise sur le marché d’un produit (Anses) déclarent l’ensemble des financements versés à des experts scientifiques

4.   L’évaluation en vie réelle des produits doit être renforcée via le dispositif de phytopharmacovilance

Votre rapporteur a décrit le dispositif de phyto-pharmacovigilance mis en place, au sein de l’Anses, pour évaluer les impacts des produits en vie réelle, après leur mise sur le marché.

Il tient à souligner le caractère fondamental de cette vigilance, qui vient en réalité répondre à bon nombre de critiques de la part des associations, quant à l’absence de prise en compte des effets à long terme des produits dans le cadre des procédures d’évaluation ex-ante. Le long terme s’entend, en matière de pesticides, sur 10, 20, 30 ans. S’il n’est pas envisageable de l’étudier ex-ante, sauf à empêcher la commercialisation de toute nouvelle solution, c’est bien dans le cadre de la phytopharmacovigilance que le long terme a vocation à être étudié.

Votre rapporteur plaide ainsi pour un renforcement très important des moyens de la phytopharmacovigilance actuelle et pour son extension à l’échelle européenne, tant cette dimension est fondamentale pour bien mesurer les impacts des produits et renforcer la recherche sur le plan épidémiologique.

  1.   Accroître le financement du dispositif et développer la phyto-pharmaco-épidémiologie

Si le retrait des produits présentant du S-métolachlore et la limitation des usages pour le prosulfocarbe apparaissent comme les marques d’un fonctionnement satisfaisant du dispositif de phytopharmacovigilance de l’agence, ces deux récents exemples ne doivent pas masquer l’impérieuse nécessité de déployer beaucoup plus largement ce dispositif.

En effet, la phytopharmacovigilance apparaît aujourd’hui comme le maillon faible de l’évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques, en raison d’un financement trop faible et du manque de données collectées par ce dispositif.

Mme Gabrielle Bouleau, présidente du comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts de l’Anses, a rappelé le manque de moyens dont pâtit ce dispositif. « Le comité de déontologie a souligné, dans son avis sur les maladies professionnelles, que le dispositif de pharmacovigilance était très peu financé, seulement via une taxe de 0,9 % sur les demandes d’autorisation de mise sur le marché. Nous avons donc peu de moyens pour assurer cette pharmacovigilance, dont nous savons par ailleurs qu’elle remonte peu d’alertes. » ([173])

Le modèle de financement de la phytopharmacovigilance

La loi de finances rectificative n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 a créé, via l’adoption d’un amendement présenté par votre rapporteur, l’article L. 253- 8-2 du code rural et de la pêche maritime qui institue une taxe sur les ventes des produits phytopharmaceutiques. L’assiette de la taxe, les modalités de recouvrement et son affectation à l’ANSES sont définies dans l’article précité.

Le taux d’imposition a été fixé par l’arrêté du 27 février 2020 à 0,9 % du chiffre d’affaire hors taxes réalisé sur les ventes de produits phytopharmaceutiques. Toutefois, par dérogation, le taux de la taxe pour les produits de biocontrôle est de 0,1 %.

Le titulaire d’autorisation de mise sur le marché (AMM) doit déclarer l’ensemble de ses ventes y compris pour les AMM dont la taxe s’avère inférieure au seuil de recouvrement de 100 € prévu par les textes précités.

Votre rapporteur estime donc qu’il conviendra de rehausser le financement de la phytopharmacovigilance. Ce sera d’autant plus nécessaire que son champ est appelé à s’étendre aussi.

Selon M. Benoît Vallet, directeur de l’Anses, il est essentiel aujourd’hui de « saisir le concept de phyto-pharmaco-épidémiologie ». ([174])

Dans le domaine du médicament, la pharmaco-épidémiologie est l’étude de l’utilisation et des effets bénéfiques et indésirables des médicaments en population destinée, à favoriser leur bon usage et ainsi permettre d’améliorer la santé publique. L’intérêt de la pharmaco-épidémiologie consiste à « renseigner des bruits très faibles » ([175]) sur l’émergence des pathologies induites par un produit de santé, à condition d’avoir un ensemble très important de données.

Transposée au domaine des produits phytopharmaceutiques, cette surveillance des bruits très faibles permettrait de croiser l’utilisation des produits phytopharmaceutiques avec les données épidémiologiques. Pour cela, il faudrait installer une traçabilité des produits phytopharmaceutiques utilisés à la parcelle, ce qui rejoint la nécessité d’un enregistrement dématérialisé des pratiques phytosanitaires des agriculteurs, évoquée en première partie par votre rapporteur. Ce recensement ne serait opérant que sur un temps long, car les effets indésirables d’une exposition aux produits phytopharmaceutiques peuvent ne se manifester qu’au bout de quinze à vingt ans.

b.   Et aller vers une phytopharmacovigilance à l’échelle européenne

Pour votre rapporteur, l’intérêt de la phyto-pharmacovigilance est tel qu’il est indispensable de la déployer à l’échelle européenne, d’une part pour harmoniser les pratiques, mais surtout pour construire une culture scientifique de l’évaluation des risques ex post.

M. Guilhem de Sèze a reconnu la pertinence qu’il y aurait à mettre en place un tel dispositif à l’échelle de l’Union européenne. En effet, si « la législation européenne prévoit que les risques inhérents aux pesticides sont évalués avant que la substance ne soit mise sur le marché. Aucune évaluation a posteriori n’est organisée et ce point pourrait effectivement être amélioré. (…) Nous cherchons actuellement à améliorer le cadre d’évaluation des risques environnementaux, qui permette d’avoir une vision réaliste des risques induits par les pesticides après leur arrivée sur le marché. » ([176])

Recommandation n° 11 – Plaider pour l’adoption à l’échelle européenne de trois innovations françaises :

– La phytopharmacovigilance post autorisation de mise sur le marché des produits ; aller vers une phyto-épidémiovigilance dans le but de développer les connaissances sur les effets épigénétiques des substances et leurs impacts sur l’exposome

– La méthode comparative pour la restriction des usages des substances considérées comme préoccupantes

– Une réglementation spécifique pour le biocontrôle, permettant de faciliter l’accès des solutions aux marchés

 

5.   Les décisions de mise sur le marché doivent être harmonisées à l’échelle européenne afin de gommer les situations de concurrence déloyale

Comme l’a rappelé Mme Charlotte Grastilleur : « L’AMM est un verrou parmi d’autres de gestion des produits phytosanitaires et c’est une règle de loyauté d’accès au marché pour les produits ». ([177])

En effet, dans le cadre d’un marché unique, il semble légitime et même indispensable que l’ensemble des produits commercialisés obéissent aux mêmes exigences, sous peine de voir se développer des distorsions de concurrence.

Or, l’évaluation des produits phytopharmaceutiques par les différents États membres ne permet pas vraiment de répondre à cette nécessité ; ce point a été reconnu à plusieurs reprises au fil des auditions de la commission d’enquête.

M. Guilhem de Sèze a en effet souligné que les pratiques entre États membres n’étaient pas forcément les mêmes alors que les conditions agropédoclimatiques étaient similaires. « Nous avions un mandat de la Commission européenne pour étudier les autorisations d’urgence sur certains pesticides interdits. Certains États membres, pour des raisons d’urgence quand il n’y a pas d’autre solution, les autorisent quand même. Dans le cas présent, il s’agissait des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave. Nous avons constaté que des États membres, quelquefois frontaliers, adoptaient des approches différentes. Des autorisations d’urgence étaient accordées dans un État membre alors que dans la région voisine, qui a toutes les mêmes caractéristiques de l’autre côté de la frontière, ces autorisations n’étaient pas accordées. » ([178])

Votre rapporteur aura l’occasion de revenir sur la question des distorsions de concurrence qui viennent miner les efforts des producteurs pour réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques en cinquième partie. Dans le cadre de l’examen de la procédure d’autorisation de ces produits, il souhaite mettre en avant la nécessité d’une harmonisation effective des règles et des pratiques au sein des différents États membres.

Aller dans le sens d’une plus grande harmonisation serait aussi un gage d’efficacité dans la conduite de ces procédures, dans le sens où cela éviterait de réaliser plusieurs fois des évaluations similaires pour un même produit. Ce point de vue a également été exprimé par M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture, lors de son audition :

« En ce qui concerne le processus d’autorisation de mise sur le marché de nouvelles molécules, chimiques ou non chimiques, les délais ne peuvent pas varier autant d’un pays à l’autre. On pourrait considérer que, si la France ou l’Allemagne, par exemple, a déjà procédé aux investigations nécessaires, le processus dans les autres pays européens peut être accéléré, d’autant que le sérieux et la qualité des agences nationales et européennes sont mondialement reconnus. Plus ces questions seront traitées au niveau européen, mieux ce sera, y compris pour trouver des alternatives. » ([179])

Votre rapporteur note que ce souci n’est pas nouveau. Ainsi, l’OPECST notait déjà, dans le rapport précité sur l’évaluation des risques par les agences ([180]) :

« Si la réglementation européenne prévoit que les produits formulés soient ensuite évalués au niveau national, l’existence de ce double niveau est considéré aujourd’hui comme problématique, et les experts scientifiques placés auprès de la Commission européenne, à travers leur opinion n° 5/2018 publiée en juin 2018, ont reconnu qu’il existait actuellement une fragmentation des données et méthodes d’évaluation des risques, avec des problèmes de duplication des travaux ou encore des différences dans la qualité et la compréhension des évaluations. Ils ont ouvert la voie à une évaluation des risques pour chaque produit à l’échelle européenne, à travers le cas échéant des évaluations groupées (bulk evaluations) pour les produits utilisant les mêmes substances actives. »

Recommandation n° 12 – Lancer une réflexion en vue d’une harmonisation complète du régime d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques dans le cadre du prochain mandat européen. À plus court terme, établir un état des lieux des écarts non justifiés dans les produits autorisés pour chaque État et mettre en place un mécanisme de résorption.

 

 


—  1  —

III.   réparer le continuum recherche-développement pour massifier les pratiques

Derrière la non-atteinte de l’objectif de réduction de 50 % des produits phytosanitaires, se trouve l’absence de massification des changements de pratiques agricoles.

Si, dans son rapport remis au Premier ministre en 2014 ([181]), votre rapporteur faisait le constat d’« un certain sous-investissement dans les domaines de recherche et d’innovation correspondant [à la problématique des pesticides], dont résulte aujourd’hui un déficit de connaissances et de technologies disponibles », on a depuis assisté à une réelle mobilisation de la recherche.

M. Jean Boiffin, qui avait étroitement participé aux travaux préparatoires au plan Écophyto 2, a clairement souligné ce progrès lors de son audition ([182]) :

« En matière de recherche, des collègues chercheurs (...) m’ont confirmé que les montants des financements destinés à la recherche et au développement visant à la réduction de l’usage des phytosanitaires avaient encore progressé d’un facteur 10 grâce au plan Écophyto et à son retentissement sur l’Agence nationale de la recherche, laquelle a pris des initiatives en la matière, et sur les organismes tels que l’Inrae. De fait, la quantité et l’intérêt des travaux menés à l’Inrae depuis que j’en suis sorti ont énormément évolué dans le sens de ces orientations. »

Aujourd’hui, des outils existent, des références sont disponibles pour réduire très substantiellement l’usage des produits phytopharmaceutiques.

Pourtant, cette réduction reste le fait d’une minorité d’agriculteurs pionniers, à l’image de ceux qui se sont convertis au bio, ou de ceux qui se sont engagés dans les fermes Dephy. Le phénomène, observé par le passé, de transmission des pratiques « par-dessus la haie », semble ne plus fonctionner. Les agriculteurs n’adoptent pas massivement des pratiques agroécologiques, économes en produits phytosanitaires.

Votre rapporteur estime que cette absence de massification révèle une certaine faillite du continuum qui va du chercheur à l’agriculteur et de l’agriculteur au chercheur, en passant par les multiples acteurs que sont les instituts techniques, les chambres d’agriculture, les vendeurs, les conseillers, les collectifs. Ce continuum devrait permettre de faire en sorte que les avancées de la recherche se répercutent dans les pratiques, et que les besoins des agriculteurs orientent la recherche.

Il importe ainsi d’examiner ce qui, au sein de ce continuum, dysfonctionne aujourd’hui. Après               avoir examiné les enjeux propres à la recherche fondamentale et appliquée (A), votre rapporteur reviendra sur les enseignements du dispositif Dephy, qui constitue l’un des piliers des plans Écophyto successifs (B), et sur l’échec de la tentative de massification opérée avec le dispositif des 30 000 fermes. Il analysera enfin les enjeux particulièrement prégnants en termes d’accompagnement des agriculteurs (C).

Le financement de la recherche publique autour de la réduction
des produits phytosanitaires

L’axe 2 du plan Écophyto II+ est consacré à la recherche et à l’innovation. Il est mis en œuvre par le comité scientifique d’orientation Recherche et innovation, composé de quarante experts, qui guide la recherche, supervise des projets cohérents et favorise la valorisation des résultats.

Il est financé par un budget annuel de 7 millions d’euros.

Pendant la durée d’Écophyto II+, dix appels à projets ont financé quarante-et-un projets de recherche.

L’ANR est un autre financeur important. De 2008 à 2022, elle a financé 251 projets de recherche sur les pesticides pour 108,6 millions d’euros, soit une moyenne de dix-sept projets par an avec un budget annuel d’environ 7,2 millions d’euros. Une hausse significative a été observée en 2022, en raison de l’appel à projets spécifique sur le chlordécone.

Le plan de relance France 2030 est également un levier important pour atteindre les objectifs fixés par le plan Écophyto. L’objectif « Investir dans une alimentation saine, durable et traçable » inclut ainsi diverses initiatives visant à réduire l’utilisation des pesticides :

– le grand défi biocontrôle et biostimulant ;

– le grand défi robotique agricole ;

– le programme d’équipement prioritaire de recherche (PEPR) Agroécologie et numérique ;

– le programme prioritaire de recherche (PPR) Sélection végétale avancée ;

– le PPR Cultiver et protéger autrement ;

– le PPR Outre-mer.

Ces programmes, pilotés par l’Inrae et d’autres partenaires, couvrent des domaines tels que le biocontrôle, la robotique agricole, la transition agroécologique, la sélection végétale et l’agriculture sans pesticides. Le financement total est de 204 millions d’euros sur 7 à 8 ans. Des dispositifs tels qu’Astragal, financé dans le cadre de l’appel à projets maturation/prématuration de France 2030, favorisent également le volet « maturation » des résultats de la recherche.

En parallèle, d’autres programmes de France 2030, tels que PEPR One Water, le PPR Océan & climat ou le futur PEPR Santé des femmes, santé des couples financent des recherches sur les effets des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine et l’environnement même s’ils n’en constituent pas l’axe principal.

Au total, le financement des actions de recherche liées à la stratégie Écophyto s’élève à 45 millions d’euros par an environ. Toutefois, ce montant ne prend pas en compte le coût complet, estimé à quelque 135 millions d’euros par an si l’on inclut les salaires des chercheurs.

Source : audition de Mme Sylvie Retailleau, 22 novembre 2023.

 

A.   recherche fondamentale et appliquée : des efforts à structurer, des liens à renforcer encore

La recherche dans le domaine de l’agronomie et des alternatives aux produits phytosanitaires a beaucoup progressé depuis une décennie, grâce à un réinvestissement de la puissance publique (cf. encadré ci-avant). Ce champ s’est également largement structuré, les différents acteurs apprenant progressivement à travailler les uns avec les autres. Pour autant, la situation n’est toujours pas satisfaisante aujourd’hui, que l’on considère le chaînage recherche-développement pris dans son ensemble, ou chacun de ses maillons isolément.

1.   Les acteurs de la recherche

Il importe, au préalable, de dresser un bref panorama des acteurs de la recherche dans les domaines de l’agriculture et de l’agronomie.

a.   La recherche fondamentale

L’acteur pivot de la recherche fondamentale en agronomie est l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), issu de la fusion, en 2020, de l’Institut national de la recherche agricole (Inra) et de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea). Ce rapprochement a permis d’allier les compétences de l’Inra dans le domaine de l’élevage et des cultures à celles de l’Irstea, plus portées sur le machinisme agricole et les phénomènes naturels liés à l’eau. Il fait de l’Inrae le plus gros organisme scientifique au monde dédié aux relations entre agriculture, environnement et alimentation.

Beaucoup d’autres organismes de recherche collaborent avec l’Inrae et développent des programmes de recherche sur l’agriculture et les méthodes alternatives à l’usage de produits phytosanitaires. On peut mentionner :

– le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui axe ses recherches sur l’agronomie et le développement durable dans les systèmes tropicaux et méditerranéens et s’intéresse plus particulièrement aux Outre-mer français ;

 l’Institut pour la recherche et le développement (IRD), qui effectue des recherches en matière de développement durable, en partenariat avec les pays en développement ;

– l’Ifremer, institut dédié à la connaissance des océans ;

– les laboratoires du centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;

– l’ensemble des laboratoires d’université qui font des recherches sur les cultures et les systèmes agricoles, la génétique végétale, l’eau, etc. C’est le c              as, par exemple, d’AgroParisTech, qui collabore avec l’Inrae dans différentes unités de recherche ([183]) ;

– ainsi que des établissements publics et des agences qui participent aussi à la recherche fondamentale, comme le BRGM, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et bien sûr l’Anses.

Preuve que ce réseau est actif dans le champ qui intéresse la commission d’enquête, celle-ci a été amenée à côtoyer l’ensemble de ces instituts au fil de ses investigations, selon les thématiques abordées, même si l’Inrae est restée un interlocuteur central.

Il convient de noter que la recherche fondamentale est de plus en plus pratiquée à travers des programmes de recherche pluriannuels qui réunissent différents instituts et universités. On peut aussi citer les études sur les écosystèmes menées dans les zones atelier qui permettent de mesurer en pratique les effets de la présence humaine et de l’exploitation des espaces naturels ([184]).

Le cadre européen est également de plus en plus structurant. Depuis longtemps déjà, l’Inrae participe à des programmes de recherche et alliances entre partenaires européens. Depuis 2004, l’Institut est membre du réseau européen d’excellence de recherche sur les écosystèmes (Alter-Net) qui réunit 21 États membres. L’Inrae préside notamment l’alliance européenne pour une agriculture sans pesticide (Towards chemical pesticide free agriculture), créée en 2020, qui agrège 35 instituts de recherche européens. L’Inrae et l’Anses participent par ailleurs à un programme ambitieux de recherche ouvert à tous les pays de l’Union européenne appelé PARC (Partnership for the assessment of risks in chemicals) dans le cadre du programme Horizon – Europe 2021-2027.

Votre rapporteur apprécie l’apport indéniable que constitue ce réseau d’instituts, lequel agrège des scientifiques reconnus dans leur domaine et fait la fierté de la France. Il partage l’avis de M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture, que « l’Inrae et le Cirad font partie des instituts les plus puissants du monde en matière de recherche et d’innovation » ([185]).

Il souligne cependant l’intérêt de soutenir une recherche tournée non seulement vers la compréhension des phénomènes chimiques et écologiques, mais aussi vers le développement de solutions pour une agriculture moins consommatrice de substances chimiques. En effet, il est ressorti des auditions que malgré les progrès accomplis, les connaissances produites par les instituts de recherche ne sont pas toujours en phase avec les besoins exprimés sur le terrain. Cette critique est notamment émise par les filières et les instituts techniques, acteurs de la recherche appliquée (cf. infra). M. Gilles Robillard, président de l’institut Terres Inovia, souligne ainsi ([186]) :

« L’Inrae fait des recherches sur les sujets de son choix ; nous sommes obligés de travailler avec ce qu’il nous donne. Un maillon manque, peut-être sous la forme d’une instance auprès de laquelle nous pourrions faire valoir nos besoins de recherche. (…) Il existe un net déficit d’interaction, notamment du point de vue de la prescription, entre la recherche fondamentale, qui elle aussi exige du temps, et la recherche appliquée. »

Votre rapporteur estime qu’un équilibre doit être trouvé. La recherche ne peut être entièrement orientée vers des solutions pragmatiques, sinon elle passera à côté des sujets de demain, mais il y a urgence à répondre aux besoins qui remontent du terrain.

b.   La recherche appliquée et le développement : instituts techniques, firmes et filières

La recherche appliquée se saisit des résultats apportés par la recherche fondamentale, dans des laboratoires ou des fermes expérimentales, pour en faire des solutions utilisables par les agriculteurs. Ce chaînon du continuum rassemble plusieurs catégories d’acteurs.

On compte aujourd’hui 19 instituts techniques agricoles (ITA), organismes professionnels de recherche appliquée et de transfert technologique vers les agriculteurs, spécialisés par filière de production. Ils ont été qualifiés par le ministère de l’agriculture pour une période de 5 ans (2023-2027) :

– l’Association réunionnaise pour la modernisation de l’économie fruitière, maraîchère et horticole (ARMEFLHOR) ;

– Arvalis-Institut du végétal ;

– l’Institut technique de l’horticulture (Astredhor) ;

– le Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA) ;

– le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) ;

– la Fédération nationale des producteurs de plants de pommes de terre (FN3PT) ;

– l’Institut pour le développement forestier (IDF) ;

– Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) ;

– l’IFIP-Institut du porc ;

– l’Institut français des productions cidricoles (IFPC) ;

– l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) ;

– l’Institut de l’élevage ;

– l’Institut technique tropical (IT2) ;

– l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB) ;

– l’Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole (ITAVI) ;

– l’Institut technique de la betterave (ITB) ;

– l’Institut technique interprofessionnel des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles (ITEIPMAI) ;

– Terres Inovia (huiles et protéines végétales, chanvre) ;

– L’Institut de l’abeille (Itsap)

Regroupés au sein de l’association de coordination technique agricole (Acta), ces instituts ont pour missions de conduire des travaux de recherche appliquée et de développement pour apporter des solutions opérationnelles aux agriculteurs, d’éclairer les pouvoirs publics et de produire et transférer des références fiables.

Les près de 2 000 chercheurs et ingénieurs des instituts techniques participent aux projets de recherche nationaux et européens, notamment au travers des outils de partenariat scientifique et technique que sont les réseaux et unités mixtes technologiques (RMT et UMT), lesquels rassemblent des instituts techniques, des organismes de recherche, des établissements d’enseignement supérieur voire des organismes de développement agricole.

Le tableau ci-après recense plusieurs programmes de recherche en rapport avec la réduction des produits phytosanitaires auxquels sont associés les instituts techniques, dans le cadre de ces RMT et UMT :


exemples de programmes de recherche auxquels sont
associés les instituts techniques

RMT/ Intitulé

Thème

Gestionnaires et Partenaires

Périodes

Bestim

Stimuler la santé de la plante dans des systèmes agroécologiques

Arvalis

2021‑2025

BioReg

Biodiversité pour la régulation naturelle des bioagresseurs

Astredhor

2020‑2024

GAFAd

Gestion agroécologique de la flore adventice

ACTA

2021‑2025

UMT/ Intitulé

Thème

Gestionnaires et Partenaires

Périodes

BAT

Biocontrôle en agronomie tropicale

Armeflhor

(+ Cirad La Réunion,

La Coccinelle)

2020‑2024

ECOTECH

Accélérer la transition agro-écologique des cultures pérennes et légumières par la conception et l’évaluation d’équipements, de systèmes technologiques et de procédés de protection des plantes

IFV

(+ INRAE,

Montpellier

SupAgro)

2023‑2027

PACTOLE

Pour une agriculture diversifiée valorisant les oléagineux et les légumineuses à graines

Terres Inovia

(INRAE, ENSAT, Purpan, Univ. Toulouse III)

2019‑2023

La commission d’enquête a auditionné l’Acta, ainsi que deux instituts techniques, Arvalis et Terres Inovia, qui représentent, à travers les surfaces cultivées des filières concernées, 75 % de la surface agricole utile de la France. Ces instituts techniques ont affirmé leur engagement pour trouver des solutions permettant de réduire l’usage de produits phytosanitaires. Ainsi, Mme Anne-Claire Vial, présidente d’Arvalis, a souligné ([187]) :

« Nous sommes très concernés par les alternatives aux phytosanitaires. Depuis longtemps, nous avons introduit dans notre dossier de qualification un arbre de décision présentant les produits phytosanitaires comme un dernier recours. Notre recherche vise ainsi en premier lieu à expliquer comment les éviter, comment faire différemment, et à ne les utiliser qu’en dernier recours. Il est utopique de penser que l’on n’a pas besoin de se préoccuper de la santé du végétal : on aura toujours cette préoccupation. Évidemment, nous voulons nous en occuper d’une manière qui limite autant que possible son impact. »

Elle a donné un exemple du type d’outils que les instituts techniques peuvent être amenés à mettre en place, qui sont susceptibles d’avoir un impact concret sur les pratiques :

« Nous avons très récemment mis en ligne un outil d’aide à la décision pour le traitement de la pomme de terre. Il couvre à présent 70 % de la superficie emblavée en France et a conduit à une réduction de 20 % des produits fongicides. C’est déjà une belle réussite. Quand on apporte une solution à l’agriculteur, il s’en saisit. »

Elle a cependant estimé que le budget de recherche qui est alloué à son institut dans le cadre du plan Écophyto (1,5 million d’euros sur 10 ans) est insuffisant pour répondre au besoin. Elle a également relevé que les instituts techniques n’avaient pas la taille critique pour répondre aux grands appels à projet nationaux qui supposent une part importante de cofinancements.

Votre rapporteur apprécie l’effort déployé par les instituts techniques au cours des dernières années pour orienter davantage leurs travaux sur la réduction de l’usage des produits phytosanitaires, et décloisonner leurs approches, en développant notamment le travail inter-institut. Il estime que cette tendance est appelée à se poursuivre et à s’amplifier.

Les entreprises de la phytopharmacie, du biocontrôle, de l’agroéquipement ou encore des semences sont des acteurs importants de la recherche appliquée en France.

– C’est particulièrement le cas dans le secteur des agroéquipements, comme le souligne M. Laurent de Buyer, directeur général de l’Union des industriels de l’agroéquipements :

« La recherche amont et aval est essentiellement faite par les fabricants eux-mêmes. Les techniques de pulvérisation mises sur le marché aujourd’hui, qu’elles fassent appel à l’intelligence artificielle ou à de la vision artificielle, ont été développées par les fabricants. Certaines briques ont pu être développées dans des centres de recherche ou ailleurs mais elles sont assemblées par les fabricants. » ([188]).

D’après M. de Buyer, cette recherche n’est pas réalisée, à titre principal, en France :

« Ces centres de recherche sont plutôt répartis à travers le monde. Il existe un concurrent américain très important, qui fait 35 % de part de marché dans le monde. Il y en a ainsi une partie aux États-Unis, une bonne partie en Allemagne et un peu en France, parce qu’il y a quelques fabricants malgré tout, même s’ils n’ont pas l’importance qu’ils pourraient avoir. Nous ne sommes pas leaders en termes de recherche. Contrairement à d’autres pays, nous n’avons pas de recherche universitaire fondamentale sur certains phénomènes physiques ; sur la goutte, entre autres. »

– Dans le secteur de la semence, la dimension « recherche et développement » est particulièrement importante, en lien avec l’activité de sélection variétale qui sera explicitée un peu plus loin. La recherche privée française se positionne en leader sur ce secteur, comme l’a expliqué M. Didier Nury, président de l’Union française des semenciers (UFS) ([189]) :

« Ce qu’il faut dire, c’est que c’est un métier extrêmement innovant, puisque nous investissons 13 % de notre chiffre d’affaires dans la recherche. La France occupe vraiment une position de leader sur ce secteur : nous sommes le premier exportateur mondial et le premier producteur européen. »

Votre rapporteur a néanmoins eu l’occasion de souligner, en première partie, la forte concentration capitalistique observée, à l’échelle internationale, entre les secteurs des semences et de la phytopharmacie.

– Dans le secteur du biocontrôle, M. Thibault Malausa, chercheur à l’Inrae, estime que l’effort de recherche est porté à peu près à parts égales par le public et par le privé :

« J’avais réalisé une étude sur une base de données de la direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) entre 2017 et 2021. Elle révélait un niveau de subventions sur projets situé entre 5 et 10 millions d’euros par an, sans doute de l’ordre de 20 millions d’euros si l’on inclut les cofinancements, les coûts complets, les salaires publics et privés. On serait donc à peu près à 20 millions d’euros, avec un ratio qui serait de 50/50 entre recherche académique et recherche appliquée, ce qui fait environ 10 millions d’euros par an d’efforts d’innovation et à peu près l’équivalent en développement de méthodes. »

Mme Céline Barthet, présidente d’IBMA France, l’association française des produits de biocontrôle, souligne néanmoins un défaut de chaînage entre recherche fondamentale et recherche appliquée ([190])  :

« L’innovation qui sort d’un laboratoire de recherche public est encore généralement très loin d’être utilisable, transférable à un utilisateur. Il reste beaucoup de développements à faire. Cela induit de la déperdition : tout ce qui sort d’un laboratoire ne donnera pas un produit. Il manque peut-être un maillon dans la chaîne. »

– Enfin, s’agissant du secteur phytopharmaceutique, en 2019, les entreprises regroupées dans Phyteis consacraient 205 millions d’euros, soit 11 % de leur chiffre d’affaires, à la recherche et au développement.

D’après une étude du Basic, au niveau mondial, les dépenses totales de recherche et développement (R&D) des acteurs privés du secteur des pesticides – principalement les fabricants intégrés – ont doublé entre 2002 et 2014, passant de 2 à 4 milliards de dollars d’investissement annuel ([191]).

Par ailleurs, Phyteis affirme avoir l’intention d’investir, à l’échelle du consortium européen Croplife Europe, à l’horizon 2030, « 10 milliards d’euros dans le développement et le déploiement de solutions d’agronomie digitale et 4 milliards d’euros pour le développement et le déploiement de solutions de bioprotection. »

– Votre rapporteur tient à souligner que les dépenses de R&D réalisées par les firmes sont largement subventionnées par le crédit impôt recherche (CIR). Ainsi, comme l’a exposé votre r              apporteur en première partie, les documents qu’il a obtenus à l’occasion d’un contrôle sur pièces et sur place à Bercy révèlent que les trois plus grosses entreprises phytopharmaceutiques bénéficiant du CIR ont touché à ce titre 56,1 millions d’euros en 2021, ce qui représente plus de la moitié de ce qu’elles ont payé en impôt sur les sociétés. Au-delà, votre rapporteur relève qu’il n’existe aucune conditionnalité du CIR, quant aux orientations de la recherche ainsi subventionnée par la puissance publique. Cette absence de conditionnalité, confirmée par le rapport d’information réalisé en 2021 par Francis Chouat et Christine Pirès Beaune pour la commission des finances ([192]), fait débat aujourd’hui.

2.   Un renouveau de la recherche, tant dans les technosolutions que dans les systèmes

Lors de son audition, M. Jean Boiffin a distingué trois niveaux d’action pour réduire l’usage des produits phytosanitaires ([193]) :

« Il y a tout d’abord l’accroissement de l’efficience des produits appliqués, qui n’est pas très difficile. Typiquement, au lieu de traiter de façon systématique, on suit des avertissements et on utilise des outils d’aide à la décision. Cela ne conduit pas toujours à une réduction de l’usage des pesticides, mais c’est possible, dans l’ensemble, et c’est une des voies suivies dans le réseau Dephy.

Le deuxième niveau, un peu plus difficile, consiste à substituer un produit de biocontrôle à un pesticide chimique.

Le troisième niveau est ce qu’on appelle la reconception : on s’engage dans un changement profond du système de culture, par exemple par l’allongement de la rotation grâce à l’introduction d’une nouvelle culture. »

Il s’agit bien ici, à travers les recherches qui sont conduites, de fournir des solutions pour agir sur ces différents niveaux, en alliant la recherche sur l’agronomie à la recherche sur les technosolutions.

a.   L’innovation technique suscite des espoirs importants

La filière des agroéquipements couvre un spectre large allant des machines agricoles mécaniques, intelligentes, automatisées ou autonomes (tracteurs, machines à vendanger, pulvérisateurs, robots, etc.) aux technologies numériques appliquées à l’agriculture (intelligence artificielle, drones, capteurs, logiciels, exploitation d’images satellitaires, objets connectés, outils de diagnostic et d’aide à la décision).

Ils sont porteurs de progrès importants en matière de réduction des risques et des impacts des produits phytosanitaires, en particulier :

– via la réduction des risques lors de l’application des produits. Dans le domaine des pulvérisateurs en particulier, des progrès importants ont été réalisés pour réduire la dérive (buses anti-dérives). Ces outils, utilisés depuis longtemps, sont de plus en plus intégrés à des solutions numériques d’aide à la décision qui permettent d’optimiser les quantités et la localisation de l’application et, au-delà, d’anticiper les traitements et de gérer différemment les moments auxquels ils sont appliqués ;

– via la définition d’alternatives mécaniques au désherbage. En effet, les herbicides, qui représentent près de la moitié des produits utilisés en France, sont aussi ceux qui sont les moins aisément substituables : les semences améliorées et le biocontrôle (cf. infra) ne sont pratiquement d’aucun secours face aux adventices. La principale alternative est ainsi le désherbage mécanique. Des outils sophistiqués sont conçus à cette fin, pour désherber sans endommager les cultures.

La principale limite aux agroéquipements, largement soulignée lors des auditions conduites par la commission d’enquête, est celle de leur coût. Ainsi, comme l’indique M. de Buyer ([194]) :

« Aujourd’hui, nous avons l’ensemble des technologies nécessaires pour diminuer de 70 à 85 % les doses d’herbicides. (…) Ce qui est délicat, c’est de réaliser des technologies qui sont accessibles aux agriculteurs, en termes de mise sur le marché, de réparations, de formations, etc. Avec ce critère, tout devient beaucoup plus complexe. Quand on regarde aujourd’hui un appareil de dernière technologie, (…), ce sont des appareils automoteurs par exemple, qui valent 350, 400 000 euros. »

La question du machinisme illustre à l’envi un dilemme non tranché au sein d’Écophyto, quant à l’orientation des crédits publics. Faut-il financer une petite partie des producteurs sur des technologies de pointe (numériques et robotiques) ou plutôt les besoins d’accompagnement massifs pour le renouvellement de pulvérisateurs hors normes pour le plus grand nombre ?

Le coût des agroéquipements
quelques ordres de grandeur donnés par la FNSEA

Un robot semeur et désherbage sur betteraves coûte 100 000 € et permet seulement de gérer 20 hectares par an. Or notre surface actuelle en betterave est actuellement de 385 000 hectares (400 000 en 2022). En outre, ce robot ne gère pas toutes les adventices autour du plan et ne fonctionne correctement que si le climat est adapté. Le coût pour la filière betterave seule est de l’ordre de 2 milliards d’euros.

Une bineuse à maïs auto-guidée coûte entre 50 et 60 000 €.

Les lits de désherbage, c’est-à-dire les machines permettant de transporter jusqu’à 9 personnes en position assise ras-de-sol ou allongées pour faciliter le travail manuel de désherbage en plantes de pépinières ou légumes coûtent 20 000 € pour 10 hectares par an.

Source : contribution adressée au rapporteur par la FNSEA

Comme le rappelle M. Laurent Guerreiro ([195]), administrateur de l’Union française des semenciers, la sélection variétale vise, « par le croisement de parents complémentaires, à obtenir des descendants qui vont cumuler les caractéristiques favorables des parents que vous avez choisis ». C’est une activité qui se déroule sur le temps long ; ainsi, il faut compter environ 6 – pour le maïs – à 15 ans – pour les graminées fourragères – pour obtenir une variété améliorée.

Par variété améliorée, l’on entend, par exemple, une variété plus productive, ou qui sera plus résistante aux bioagresseurs.

Les nouvelles variétés ainsi obtenues doivent, pour être commercialisées dans l’Union européenne, être inscrites au catalogue. Pour cela, il faut pouvoir prouver que la nouvelle variété présente une valeur ajoutée par rapport aux variétés déjà inscrites, appréciée selon un critère de valeur agronomique et technologique (VTAE).

L’inscription au catalogue est sanctionnée par l’obtention, pour le sélectionneur, d’un certificat d’obtention végétale (Cov), qui constitue une forme de propriété intellectuelle sur la nouvelle variété qu’il a créée. M. Laurent Guerreiro a précisé la spécificité de ce mode de propriété intellectuelle qui se distingue du brevet, en ce qu’il ne bloque pas l’innovation en laissant la possibilité à des tiers d’utiliser la nouvelle variété créée :

« [Le certificat d’obtention végétale] est attaché à une description des caractéristiques de la variété pour éviter le vol pur et simple d’une innovation variétale, mais n’empêche pas l’utilisation par un tiers. On donne tout droit à ce qu’un autre obtenteur puisse venir utiliser cette variété pour la croiser avec d’autres variétés et en créer quelque chose qui doit, à la fin, être différent, et constituer une amélioration par rapport à la variété de départ. »

Si l’activité de sélectionneur existe depuis le tout début de l’agriculture, elle pourrait être révolutionnée par l’apparition des nouvelles techniques génomiques (NGT, pour new genomic techniques). M. Laurent Guerreiro explique que « cette technologie permet de générer des mutations ciblées dans le génome. Si vous avez la connaissance d’une séquence d’ADN, vous avez la capacité d’effectuer une mutation ponctuelle ciblée et de regarder la conséquence de cette mutation. »

Par exemple, si l’on considère la « septoriose du blé, extrêmement dommageable actuellement en France. On connaît aujourd’hui douze gènes de résistance à la septoriose, qui sont utilisés dans quasiment tous les programmes de sélection des obtenteurs de blé en France. Grâce aux NGT, demain, vous aurez la capacité, dans chacun de ces douze gènes, de venir changer quelques bases et de regarder si le nouveau gène, avec cette mutation, devient encore plus résistant à la maladie que ne l’était le gène primaire. »

Ces manipulations génétiques permettront « d’aller beaucoup plus vite, de façon beaucoup plus ciblée dans ce travail de sélection » ; et ainsi, d’obtenir des variétés substantiellement améliorées bien plus rapidement.

Il convient de noter qu’à la différence des OGM, les NGT ne reposent pas sur la transgénèse (introduction de matériel génétique provenant d’espèces non compatibles) mais sur la mutagénèse (mutation du génome sans introduction de gènes) ou sur la cisgénèse (insertion de matériel génétique d’une plante sexuellement compatible).

Dans le but de définir le cadre juridique applicable à ces NGT, un projet de règlement a été présenté au Parlement européen et au Conseil en juillet 2023 ([196]). Il soulève de nombreuses questions quant à l’intérêt de ces nouvelles techniques, à leur brevetabilité et aux précautions dont il faudrait s’entourer pour permettre leur utilisation (cf. encadré).

Le règlement sur les nouvelles techniques génomiques (NTG)

Le 5 juillet 2023, la Commission a présenté une proposition de règlement sur les nouvelles techniques génomiques. Dans l’exposé des motifs, elle rappelle l’évaluation des risques faite par l’Efsa, qui conclut que la mutagenèse ciblée ou la cisgenèse ne présentent pas de dangers particuliers pour la santé humaine et animale et pour l’environnement. Elle précise également que les NTG offrent une potentielle alternative à l’utilisation des produits phytosanitaires. Au regard tant des avancées de la recherche que de la brevetabilité du vivant, la nouvelle législation sur les NTG présente également un enjeu en termes de propriété intellectuelle.

Les végétaux NTG relèvent, actuellement, du champ d’application de la législation actuelle de l’Union sur les OGM ([197]). En effet, dans son arrêt dans l’affaire C-528/16, Confédération paysanne e.a.12 ([198]), la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que les OGM obtenus au moyen de nouvelles techniques/méthodes de mutagenèse apparues ou s’étant développées pour l’essentiel depuis l’adoption de la directive 2001/18/CE ne pouvaient être considérés comme exclus du champ d’application de la directive OGM.

Dans sa proposition de règlement, la Commission distingue deux types de végétaux NTG :

NTG de catégorie 1 : végétaux qui peuvent apparaître naturellement ou produits au moyen de techniques d’obtention conventionnelles, à savoir ne comprenant pas plus de 20 modifications génétiques (appréciés au moyen de « critères d’équivalence ») ;

NTG de catégorie 2 : végétaux qui ne remplissent pas les critères permettant de considérer qu’ils pourraient également être obtenus naturellement ou conventionnellement.

Les NTG de catégorie 1 sont exemptés de la législation propre aux OGM et restent soumis aux dispositions applicables aux végétaux conventionnels. Ils restent interdits dans la production biologique. La transparence est assurée par la mise en place d’une base de données publiques ainsi que par l’étiquetage des semences.

Les NTG de catégorie 2 restent soumis à la législation sur les OGM. Toutefois la possibilité pour les États membres de restreindre ou d’interdire la culture d’OGM sur leur territoire, conformément à la directive 2001/18, ne s’appliquera pas à ces végétaux NTG. Les États membres seront tenus d’adopter des mesures de coexistence pour éviter la présence involontaire de ces végétaux NTG dans les cultures biologiques et conventionnelles.

L’« approche générale » proposée par la présidence espagnole consistait :

–  à inclure parmi les « critères d’équivalence » la non tolérance aux herbicides parmi les caractéristiques transmises par la modification génétique ;

– à inclure des possibilités « d’opt out » sur les plantes NGT qui ne sont pas considérées comme « semblables au conventionnel », mais aussi à mettre en place des mesures de coexistence, censées éviter la contamination accidentelle de cultures qu n’utilisent pas de NGT (notamment en agriculture biologique) ;

– renforcer les conditions de la brevetabilité des plantes obtenues par NTG, afin d’éviter un monopole sur les semences notamment.

Cependant, les ministres de l’agriculture de l’UE ne sont pas parvenus à une position commune le 11 décembre dernier sur la base de cette approche générale.

La France est globalement favorable au règlement NTG mais attend des précisions sur les critères d’équivalence, le rôle de l’Efsa et la brevetabilité des NTG.

Votre rapporteur a eu l’occasion de s’exprimer sur cet enjeu des NTG à la lumière du texte proposé par la Commission européenne. Il estime qu’un débat démocratique est nécessaire pour déterminer les conditions d’utilisation de ces techniques, en évitant deux écueils : celui de refuser par principe ces technologies, en se privant des progrès qu’elles pourraient permettre ; et celui d’en attendre des miracles pour la protection des cultures.

Votre rapporteur met fortement en garde contre l’effet observé pour les OGM, dont l’utilisation n’a servi qu’à créer des plantes résistantes aux pesticides, justifiant l’utilisation sans limites de ces derniers. Il avertit, à cet égard, contre une réglementation qui aboutirait à renforcer le quasi-monopole de quelques multinationales de la phytopharmacie sur le secteur stratégique de la semence.

Votre rapporteur appelle ainsi à réguler ces NTG en posant trois conditions intangibles :

– un conditionnement de l’autorisation de cette technique à une évaluation systémique prenant en compte leurs effets – sur l’environnement et la santé, économiques et sociaux – dans le temps et dans l’espace, y compris au-delà de leur mise sur le marché ;

– un régime de propriété intellectuelle exclusivement fondé sur le certificat d’obtention végétale (Cov), à l’exclusion du brevet, qui aboutirait à privatiser les traits génétiques édités ;

– la garantie de la traçabilité de ces NTG auprès des consommateurs, de façon à préserver leur liberté de choix et à permettre aux filières qui refusent l’usage de cette technique de valoriser ce choix sur le marché.

Votre rapporteur ne reviendra pas dans le détail sur la définition du biocontrôle, qui a déjà été abordée en première partie. Pour mémoire, il s’agit de méthodes de protection des végétaux basées sur l’utilisation de mécanismes naturels (micro-organismes, macro-organismes, plantes, substances jouant le rôle de médiateurs chimiques, etc.).

Ce champ de recherche est important car il ouvre la possibilité d’assurer la protection des plantes sans recourir à la chimie. D’ores et déjà déployées dans les exploitations (insectes stériles, kairomones, phéromones, etc.), ces techniques permettent de limiter la pression des ravageurs – contrairement aux pesticides, qui visent à les détruire.

Actuellement, le marché du biocontrôle reste globalement limité, même s’il a nettement crû au cours des dernières années. Ainsi, selon Mme Céline Barthet, présidente d’IBMA France ([199]), « il y a dix ans, on était en valeur à environ 5 % du marché français de la protection des plantes. Dans notre dernier baromètre, portant sur les chiffres de 2022, nous avions atteint 10 %. L’objectif fixé est d’atteindre les 30 % d’ici 2030. En valeur, nous sommes à 278 millions d’euros en 2022. »

D’après M. Thibault Malausa ([200]), « sur le plan technique, le biocontrôle a le potentiel pour remplacer tout ce qui est insecticides et mollusquicides, même si ce n’est pas forcément à très court terme. Cela devient un peu plus compliqué pour les fongicides et surtout pour les herbicides. »

Cependant, à l’image de nombreux interlocuteurs de la commission d’enquête, M. Malausa insiste sur le fait que les solutions de biocontrôle ne sauraient être envisagées que dans le cadre plus large d’une évolution du système de cultures. En effet, ces solutions n’ont ni le même objectif ni la même efficacité que les solutions chimiques. Elles doivent donc être utilisées en combinatoire avec d’autres solutions. Il est ainsi illusoire d’envisager y recourir dans une logique de substitution, comme le souligne M. Malausa :

« Non, on ne va pas pouvoir remplacer un ou deux produits à large spectre par quinze produits de biocontrôle, dont chacun est individuellement plus cher que le produit antérieur ».

M. Didier Reboud, chercheur à l’Inrae, a porté à la connaissance du rapporteur un exemple prometteur d’application du biocontrôle :

« L’Ontario produit la majorité des pommes consommées au Canada. Ils ont fait le choix de retenir la technique de l’insecte stérile pour gérer les carpocapses. La mobilisation de cette approche alternative a permis de baisser de 96 % les quantités d’insecticide appliquées. Aucun élément ne vient contredire la possibilité de suivre cet exemple dans la situation française. L’approche présente un caractère générique et pourrait couvrir d’autres situations problématiques comme celle générée par Drosophila suzukii. »

M. Reboud estime ainsi qu’« une aide à l’investissement pour une infrastructure dédiée à la montée en industrialisation du processus de production des insectes en grand nombre, de tri et de stérilisation serait plus que bienvenue ».

Votre rapporteur ne peut que partager ce point de vue. Il a, de longue date, plaidé, avec succès, pour la mise en place d’une réglementation favorable au biocontrôle (cf. deuxième partie : taxes réduites, délais de traitement des AMM accélérés). Il estime que les efforts en ce sens doivent être poursuivis, pour faire en sorte que les normes et les infrastructures soient propices aux solutions de biocontrôle.

b.   Un renouveau de la recherche en agronomie

Incontestablement, les instituts de recherche se sont mobilisés depuis une dizaine d’années autour de la question d’une agriculture économe voire exempte de pesticides de synthèse.

Comme l’exprime Mme Frédérique Vidal, alors ministre de la recherche, dans la préface de l’ouvrage Zéro pesticide ([201]), « le choix d’un horizon ambitieux « zéro pesticide » permet que soient explorés des fronts de science porteurs d’innovations de rupture, mobilisant des approches systémiques et des leviers multiples, à savoir biotechniques, mais aussi organisationnels et sociétaux ».

Ainsi l’Inrae porte le programme prioritaire de recherche « Cultiver et protéger autrement » ([202]), qui a « pour mission d’identifier des voies alternatives à l’emploi des pesticides en mobilisant les leviers de l’agroécologie, du biocontrôle, de la génétique, de la prophylaxie, afin de « cultiver et de protéger autrement » ».

Comme le rappelle Mme Laure Latruffe, pilote scientifique de ce PPR : « Son ambition peut être ramenée à une formule simple : zéro pesticide en agriculture. Il s’agit donc d’une ambition de rupture, l’objectif étant de développer des connaissances nouvelles sur des fonds de sciences n’ayant pas été réellement explorés jusqu’à présent, et de rendre possible l’émergence d’une agriculture sans pesticides de synthèse, mais performante à l’horizon des décennies 2030 et 2040. » ([203])

L’Inrae a également réalisé une étude prospective intitulée : « Agriculture européenne sans pesticides chimiques » ([204]), qui analyse trois scénarios théoriques, dans lesquels l’usage de produits phytopharmaceutiques de synthèse est exclu.

Enfin, il convient de mentionner aussi l’étude « Ten Years For Agroecology in Europe » (TYFA), réalisée en 2018 par l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI) avec d’autres partenaires, qui étudie les conséquences potentielles d’une agriculture européenne exempte de produits phytopharmaceutiques de synthèse. Elle conclut qu’une Europe entièrement agroécologique, affranchie des intrants de synthèses, pourrait, moyennant un redéploiement des prairies naturelles et une extension des infrastructures agroécologiques (haies, arbres, mares, habitats pierreux), nourrir durablement 530 millions d’Européens en 2050 ([205]) et contribuer à la sécurité collective alimentaire en maintenant une part d’exportation autour de la Méditerranée.

Au regard de l’ensemble de ces travaux, on constate ainsi que la recherche est largement engagée dans une réflexion globale, agronomique, sur les évolutions de systèmes qui sont nécessaires si l’on veut réduire l’usage des produits phytosanitaires à la mesure de ce qui est nécessaire.

3.   Des innovations qui viennent aussi des agriculteurs

Si, dans la vision traditionnelle, l’agriculteur représente le « dernier kilomètre », le destinataire et l’utilisateur final des innovations, on peut aussi le considérer comme le premier kilomètre de la recherche. Cette idée a été formulée par M. Chapuis, chargé de mission agroéquipements à la Fédération nationale des coopératives d’utilisation du matériel agricole (FNCuma) ([206]) :

« Je pense aussi qu’on aurait intérêt à favoriser les initiatives remarquables. Les agriculteurs n’attendent pas forcément qu’on leur amène une solution clé en main. Certains innovent parce qu’ils n’ont pas le choix. Les agriculteurs biologiques ont fait le choix de se passer d’un produit et ils ont trouvé certaines solutions. Elles mériteraient peut-être d’être connues ailleurs. Même hors cahier des charges biologique, on voit des agriculteurs leaders et innovants, qui mettent en œuvre des solutions très accessibles puisqu’ils l’ont fait sans l’aide d’un centre de recherche ou d’une technologie de pointe. »

Cette capacité des agriculteurs à innover semble être largement facilitée par la voie d’échanges entre pairs, dans le cadre de collectifs divers.

Parmi ces collectifs, constitués pour favoriser les échanges et les partages de bonnes pratiques entre agriculteurs, on trouve le réseau associatif pour le développement agricole et rural, fédéré au sein de la Trame, ou encore les centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam).

Dans une contribution adressée à votre rapporteur, la Civam met en avant la valeur ajoutée forte de cette dimension collective pour générer de l’innovation et faciliter sa diffusion au sein du monde agricole :

« De manière générale, les appels à projets permettant le financement de démarche collective d’accompagnement de la transition des exploitations vers des systèmes plus économes en pesticides rencontrent toujours un franc succès, pour preuve la consommation systématique des enveloppes de financement allouées à ces dispositifs. »

La Civam souligne cependant le caractère insuffisant de ce soutien aux collectifs, et le risque d’un essoufflement de cette dynamique :

« La mise en place d’un dispositif d’accompagnement de l’émergence de ces collectifs s’est révélée particulièrement pertinente et a relancé une dynamique qui pouvait commencer à s’essouffler dans certaines régions. (…) Chaque année certains collectifs ne sont pas soutenus faute de financement suffisant. »

Votre rapporteur estime en effet que les collectifs jouent un rôle clé dans le continuum recherche-développement. Il ne peut ainsi que déplorer de les voir s’affaiblir.

4.   Mais des difficultés dans le transfert de la recherche et des solutions

Ces collectifs sont également des acteurs du transfert des innovations en direction des agriculteurs. M. Stéphane Chapuis a ainsi souligné, au sujet des Cuma :

« On est facilitateurs de l’atterrissage des technologies, qu’elles soient liées aux produits phytosanitaires ou portent sur d’autres sujets de la mécanisation. Entre autres, nous créons des références, nous faisons des démonstrations au champ, dans la parcelle d’un agriculteur, nous faisons de la formation, en action et en salle. Nous provoquons des échanges aussi ; et c’est presque dans ce domaine-là que l’on voit que cela fonctionne le mieux. Il n’y a pas mieux qu’un agriculteur pour parler à un autre agriculteur. On essaye d’avoir des gens expérimentés qui présentent à leurs collègues ce qu’ils ont fait, ce qui a marché, ce qui n’a pas marché, les points de vigilance. » ([207]).

Si le rôle des Cuma est incontestablement appréciable dans le domaine des agroéquipements, il persiste un déficit important dans le transfert et la diffusion des innovations, souligné par la FNSEA, dans une contribution adressée à votre rapporteur :

« Nous soulignons le besoin de moyens humains pour l’animation de collectifs d’agriculteurs dans les territoires pour permettre la diffusion de solutions et la réassurance entre pairs. Nous croyons en effet à l’effet levier des groupes d’échanges d’agriculteurs. (…) Les démarches interactives et transversales ont de multiples intérêts, notamment : déployer les innovations, tester l’intérêt au quotidien des technologies dans le changement des pratiques et diffuser les résultats obtenus. »

Ainsi, la question du transfert des innovations aux agriculteurs demeure actuellement un défi, que reconnaît sans fard Mme Anne-Claire Vial, présidente d’Arvalis ([208])  :

« La question du transfert technologique est un véritable casse-tête. Nous ignorons, malgré nos années d’expérience, si la solution du problème est philosophique, scientifique ou sociologique. Que faire pour qu’un agriculteur adopte une solution ? »

Mme Vial met en avant les outils déployés par les instituts techniques pour répondre à cet enjeu du transfert :

« Nous offrons, en accès libre, des outils d’aide à la décision et une documentation présentant les résultats de nos recherches, s’agissant notamment des choix variétaux. Nous avons créé une application pour les jeunes agriculteurs (...). Plutôt que rédiger des textes, nous produisons des vidéos, car la plupart des jeunes préfèrent une vidéo de trois minutes à un article de cinquante lignes. Nous faisons de nombreuses démonstrations aux champs. Nous participons à la création d’événements, notamment Tech&Bio et Les Culturales. (…) Depuis quelques semaines, nous envoyons des SMS aux agriculteurs, qui obtiennent ainsi des informations complémentaires au bulletin de santé du végétal (BSV) sans même les avoir demandées. »

Lors de son audition ([209]), M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture entre 2012 et 2017, a reconnu qu’il ne pouvait « que constater le défaut d’une réflexion initiale sur le développement agricole » pour accompagner les changements.

Votre rapporteur partage ce constat. Les solutions existent, elles sont à portée de main, mais les agriculteurs ne s’en emparent pas. Il faudra en tirer les conclusions nécessaires sur l’orientation de la recherche et les modalités de l’accompagnement des agriculteurs (cf. infra).

5.   Les efforts de recherche doivent être mieux structurés pour embrasser quatre grandes priorités

Votre rapporteur a salué les progrès accomplis par la recherche au cours de la dernière décennie. Des programmes structurants ont été lancés, les différents acteurs de la recherche fondamentale et appliqués se sont, à divers degrés mais de manière croissante, emparés de la problématique de la réduction des produits phytosanitaires. Il faut poursuivre ce chemin de progrès en embrassant certaines priorités trop délaissées jusqu’à aujourd’hui.

a.   L’agronomie, les paysages, les territoires et la sociologie

La recherche en agronomie a retrouvé ses lettres de noblesse au cours de la dernière décennie, et elle s’est pleinement investie sur la question de la reconception des systèmes agricoles dans une optique de transition agroécologique.

Votre rapporteur estime que cette approche doit être poursuivie et complétée pour embrasser de nouveaux champs.

Comme le soulève notamment l’Inrae, il faut, pour pouvoir évaluer et proposer de nouveaux modèles, mieux connaitre les interactions entre les espèces végétales cultivées, entre agriculture et biodiversité, entre différents écosystèmes et l’évolution des paysages agricoles. Dans ces domaines, les recherches sont de plus en plus nombreuses mais elles nécessitent de s’appuyer sur plusieurs disciplines, dans des approches qui ne concernent pas un seul compartiment de l’environnement ou de l’agriculture, mais davantage les territoires et les dynamiques entre différents territoires.

En outre, il semble indispensable de compléter cet effort de transdisciplinarité en intégrant une approche en sciences humaines et sociales. En effet, il nous faut mieux comprendre les raisons qui poussent les agriculteurs à changer de pratiques ou, au contraire, à refuser le changement. Il existe des critères objectifs qui expliquent l’échec du transfert des innovations – le coût, la complexité des techniques à mettre en œuvre, le risque économique – mais ces critères n’expliquent pas tout. Les sciences sociales peuvent nous aider à mieux comprendre les incitations au changement des agriculteurs et à identifier le rôle des organisations collectives. Elles peuvent aussi nous apporter des éléments de compréhension sur les intérêts d’autres acteurs, à l’image des entreprises de la phytopharmacie.

La recherche fondamentale comme appliquée est également incitée à mieux évaluer les conséquences d’une diminution de l’usage des pesticides pour l’agriculture en termes de rendement et de modèles économiques pour les exploitations. Les craintes les plus fréquemment exprimées par les agriculteurs et les filières de production concernent les incertitudes pesant sur les récoltes liées à l’utilisation de techniques alternatives aux produits phytopharmaceutiques. Plus les effets d’une diminution des intrants chimiques en agriculture pourront être documentés, plus la transition agroécologique pourra être une démarche choisie par les agriculteurs avec un plus haut niveau de confiance.

C’est pourquoi votre rapporteur plaide, au-delà d’un approfondissement souhaitable de tous les champs de recherche déjà ouverts, pour une meilleure articulation entre disciplines scientifiques et avec les sciences sociales et l’économie, dans la mesure où les changements de modèles agricoles impliqueront des transformations économiques et sociales importantes.

b.   Le développement d’une approche prophylactique

La prophylaxie est au cœur de la protection intégrée, et pourtant elle est trop peu mobilisée dans le champ de la santé et de la protection des cultures, à la différence du champ de la santé animale.

La prophylaxie consiste à mettre en œuvre des pratiques permettant de réduire la pression des bioagresseurs et éviter les développements épidémiques. Si la pression de bioagresseurs est maintenue sous le seuil de nuisibilité, alors il n’est pas nécessaire d’intervenir à l’aide de produits phytopharmaceutiques. Ainsi la prophylaxie permet de maintenir la production et sa qualité, en réduisant l’usage et le coût des pesticides. Elle est donc facteur de performance économique.

Les pratiques prophylactiques reposent largement sur les principes de l’agroécologie et vont inclure des mesures mises en œuvre soit au moment de la culture, soit en amont. Au moment de la culture, ceci comprend le choix de variétés résistantes aux bioagresseurs, les cultures intégrant des mélanges de variétés ayant différentes résistances ou des mélanges d’espèces. Légèrement en amont de la culture, ces mesures vont inclure la réduction des réservoirs d’inoculum (virus, ou champignons) comme ceci peut être fait pour limiter l’inoculum du mildiou de la pomme de terre ou les virus de la jaunisse chez la betterave.

Encore plus en amont, ceci intègre l’allongement des rotations ou encore la gestion des paysages pour réduire les tailles des ilots cultivés ou augmenter la présence d’éléments fixes du paysage.

Ainsi, certaines pratiques prophylactiques relèvent de choix individuels de l’agriculteur, alors que d’autres sont efficaces dans le cadre d’une mise en œuvre collective.

Ceci montre bien certaines spécificités des démarches prophylactiques qui ne facilitent pas leur mise en œuvre (besoin d’anticiper, besoin d’action collective) ; pour autant ces spécificités sont au cœur du fonctionnement de l’agriculture.

Pour faciliter l’adoption de la prophylaxie, il faut pouvoir disposer d’indicateurs précis du niveau de pression de bioagresseurs et du risque agronomique et économique encouru. C’est sans doute ce point qui est le maillon faible de la chaîne. Il faut donc veiller au développement d’outils d’épidémiosurveillance adaptés et à la formation et l’accompagnement des agriculteurs pour une mise en œuvre large de ce principe, certes ancien, mais d’une brulante actualité. De ce point de vue, la réforme du bulletin de santé du végétal (BVS), mis en œuvre depuis 2009, apparaît plus que nécessaire (cf. encadré).

Renforcer l’épidémiosurveillance pour moins traiter :
le bulletin de santé du végétal (BSV)

Le premier plan gouvernemental Écophyto instaure et finance la diffusion d’un bulletin de santé du végétal (BSV) afin que tous les agriculteurs puissent consulter gratuitement un support d’information objectif sur la santé des cultures, dans le but de limiter les traitements préventifs et de renforcer leur pertinence. Créé en 2009, le BSV constitue ainsi un instrument d’épidémiosurveillance des végétaux.

Le BSV est établi au niveau régional avec des données recueillies sur le terrain par des observateurs qui collectent des informations sur des parcelles fixes représentatives de la diversité des cultures régionale.

Les chambres régionales d’agriculture sont les coordinatrices du réseau de recueil des informations. Des animateurs sont désignés, essentiellement issus des chambres d’agriculture, des instituts techniques agricoles et des fédérations régionales de lutte et de défense contre les organismes nuisibles (Fredon), pour chacune des filières culturales. Ils sont « chefs de file » dans l’organisation du réseau et la rédaction du bulletin pour leur domaine de compétences.

Les bulletins régionaux sont mis à jour toutes les semaines. Chaque bulletin répertorie les maladies et les ravageurs, ainsi que les conditions favorables à leur développement et indique les seuils de risques en dessous desquels il n’est pas nécessaire d’intervenir sur les cultures.

En 2022, les crédits transférés aux chambres régionales d’agriculture pour l’établissement des BSV s’élevaient à 6,2 millions d’euros pris sur le budget du plan Ecophyto.

En décembre 2019, le CGAAER et le CGEDD ont produit un rapport sans concession sur le BSV ([210]), qui critique une gouvernance inadaptée et un défaut de soutien méthodologique et technique, des financements répartis de manière homothétique sans tenir compte de la complexité des systèmes de culture, et globalement insuffisants, des coûts mal connus, un défaut de centralisation des données et d’animation à l’échelle nationale, un manque de représentativité des parcelles observées et d’association des agriculteurs aux observations…

Des recommandations multiples en ressortent pour réorienter le BSV, dont certaines ont déjà été mises en œuvre. Ces améliorations doivent être résolument poursuivies.

c.   Les filières sur l’ensemble de la chaîne de valeur

Comme le souligne le réseau Civam dans la contribution adressée à votre rapporteur, « une transition pérenne des systèmes de production vers une moindre consommation de pesticides ne peut se faire sans les filières. Cela passe notamment par le développement de filières à bas niveaux d’intrants territorialisées, ce qui nécessite la mise en place de politiques publiques spécifiques favorisant leur émergence et leur consolidation ».

Votre rapporteur partage cet avis et estime que l’accent doit, à cette fin, être mis sur la recherche sur l’ensemble de la chaîne de valeur des filières. Actuellement, l’approche est trop partielle. Les instituts techniques, par exemple, ne relèvent que d’interprofessions courtes, jusqu’à la première transformation. Ainsi, tous les enjeux relatifs à l’aval des filières constituent pratiquement un angle mort de la recherche.

● Or, votre rapporteur aura l’occasion de revenir sur cette question en cinquième partie, l’aval des filières est porteur d’enjeux très importants si l’on veut réussir à réduire la phytopharmacie, s’agissant par exemple des circuits de collecte ou des cahiers des charges de l’agro-alimentaire.

Ainsi, il est capital de stimuler l’innovation aussi sur l’aval des filières, pour inciter les acteurs de l’agro-alimentaire à trouver des solutions destinées à réduire les contraintes pesant sur les agriculteurs, lesquelles bloquent les changements de pratiques. En cinquième partie, votre rapporteur proposera qu’un fonds spécifique soit créé à cet effet, doté à hauteur de 250 millions d’euros.

● À l’extrême inverse, l’accent devra également être mis sur la problématique des semences. La filière des protéagineux se trouve actuellement contrainte dans son développement – alors même qu’elle constitue une filière de diversification jugée intéressante – par un manquement d’investissement dans la sélection variétale, lié à un manque de rentabilité. L’initiative récente évoquée par M. Gilles Robillard, de Terres Inovia, illustre le genre de démarches qui pourraient être développées, y compris pour d’autres petites filières qui pâtissent d’un manque d’investissement :

« La création d’un collectif de semenciers sous l’égide de la filière oléoprotéagineuse peut être considérée comme une lueur d’espoir. Cette filière souffre d’un déficit génétique (…). Pour résorber ce déficit génétique, les acteurs français de la recherche et de la sélection de semences de plantes protéagineuses créent un collectif, animé par la filière, financé en partie par elle et en partie par l’État, visant à mettre en commun le matériel génétique au profit de l’innovation variétale ».

d.   À plus court terme, l’anticipation des retraits de molécules

Votre rapporteur partage l’avis, largement exprimé, qu’il y a urgence à apporter des solutions alternatives aux agriculteurs, alors que l’Union européenne a déjà interdit de nombreuses substances actives, et que ces interdictions devraient se multiplier au cours des prochaines années, en raison du plan de révision arrêté par la Commission européenne à l’horizon 2025 (cf. deuxième partie).

Le Gouvernement a, dans ce contexte, présenté un plan d’anticipation du retrait de certaines substances actives qui a, dans l’ensemble, été bien reçu par les filières, bien que souvent jugé trop tardif. Mme Maud Faipoux, directrice générale de l’alimentation au ministère de l’agriculture, en a présenté les principes lors de son audition ([211]) :

« Au niveau européen, dans les cinq prochaines années, 250 substances actives seront réévaluées. Nous savons qu’il existe un risque assez fort pour qu’une partie d’entre elles ne satisfassent pas les critères pour voir leur autorisation renouvelée. Dès lors, soit nous subirons ces interdictions sans solutions alternatives, soit nous nous y préparons. Si une molécule risque de ne pas être renouvelée à l’horizon de trois, quatre ou cinq ans, il faut dès aujourd’hui rechercher une alternative, que ce soit par la recherche fondamentale, la recherche appliquée ou par le déploiement d’une alternative déjà existante. Nous devons anticiper pour ne pas être obligés de subir des interdictions sans solution de protection pour nos cultures. »

Concrètement, 75 molécules ont été identifiées comme étant susceptibles de faire l’objet d’un retrait à plus ou moins brève échéance. Le ministère de l’agriculture a constitué des groupes de travail par filière pour cibler les usages menacés, identifier l’éventail des alternatives possibles, analyser leur degré de maturité, les déployer ou accentuer les actions de recherche et d’innovation.

Le Gouvernement met en avant le modèle le plan national de recherche et d’innovation (PNRI) mis en place en 2020 pour trouver des alternatives à l’utilisation des néonicotinoïdes d’ici à 2024. Ce plan s’appuie en particulier sur la coopération entre l’Institut technique de la betterave (ITB) et l’Inrae, en mobilisant également l’enseignement agricole et plusieurs fermes pilotes. Il finance une vingtaine de projets sur trois ans avec un budget de 20 millions d’euros, dont sept millions d’euros venant du budget de l’État. Au-delà des qualités propres à ce plan, votre rapporteur estime que l’action publique dans le contexte de l’interdiction des néonicotinoïdes votée en 2016 témoigne surtout d’une faillite à anticiper des retraits pourtant annoncés et inéluctables, au péril de certaines productions (cf. encadré).

Les étapes de l’interdiction des produits néonicotinoïdes

Au terme de longs débats parlementaires, les différents produits de la classe des néonicotinoïdes ont été interdits en France en 2016 et en 2018 :

– En 2016, l’article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité ([212]) interdit l’usage des produits à base de néonicotinoïdes, et l’usage des semences traitées à base de ces mêmes produits, à compter du 1er septembre 2018. Des dérogations peuvent être accordées jusqu’au 1er juillet 2020 sur le fondement d’un bilan établi par l’Anses, comparant les bénéfices et les risques liés aux usages de ces produits avec ceux de produits de substitution ou de méthodes alternatives.

– En 2018, cette interdiction a été étendue aux produits contenant une ou des substances actives présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes par l’article 83 de la loi Egalim 1 ([213]).

– En 2018, l’Anses publie son premier rapport sur les alternatives chimiques et non chimiques des néonicotinoïdes. Des dérogations sont accordées en France, par l’arrêté du 7 mai 2019, pour l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à base d’acétamipride pour les cultures de la noisette, de figuiers et de navets. Elles correspondent à des situations d’impasse technique identifiées par l’Anses dans le cadre de son rapport.

– Parallèlement, en 2018, dans la foulée d’un avis de l’Efsa, la Commission européenne interdit l’usage de trois substances néonicotinoïdes (clothianidine, imidaclopride et thiaméthoxame) au niveau européen, sauf pour les usages sous serre. En 2019, après sa réévaluation, la thiaclopride est interdite. Les demandes de renouvellement des substances clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride n’ont pas été déposées par les soumissionnaires.

Ainsi, aujourd’hui, seule demeure autorisée au niveau européen l’acétamipride, jugée moins dangereuse par les autorités sanitaires – mais aussi moins efficace et moins simple d’utilisation par la filière, selon les professionnels.

– Face à une forte recrudescence de la jaunisse attaquant les cultures de betterave constatée en 2020, la promulgation de loi du 14 décembre 2020 ([214]) réautorise des produits de la famille néonicotinoïdes par dérogation jusqu’au 1er juillet 2023 pour traiter les cultures de betteraves sucrières contre le puceron ravageur porteur de la maladie.

Il convient de noter qu’au cours des débats, votre rapporteur avait proposé une stratégie alternative dans le cadre d’un « plan B comme betterave » ([215]) qui expliquait l’ensemble des mécanismes socio-économiques et agronomiques permettant de ne pas réintroduire les néonicotinoïdes.

– C’est seulement en janvier 2021 qu’est lancé le Plan National de Recherche et Innovation (PNRI) vise à identifier d’ici 2023 des solutions alternatives aux néonicotinoïdes opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière.

– Deux arrêtés du ministre de l’agriculture et de l’alimentation et de la ministre de la transition écologique, en date du 5 février 2021 et du 31 janvier 2022, réautorisent provisoirement l’emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiaméthoxame.

– Dans un arrêt du 19 janvier 2023, la CJUE estime que l’article 53 du règlement de 2009 ne peut être entendu comme permettant aux États membres de déroger à l’interdiction expresse de substances prévue par un règlement d’exécution de la Commission européenne. Le Conseil d’État français a tiré les conséquences de cet arrêt dans une décision du 3 mai 2023, annulant les arrêtés du 5 février 2021 et du 31 janvier 2022.

 

 

Le défaut d’anticipation sur le retrait de ces molécules néonicotinoïdes, voté par le législateur français dès 2016 et en germe dès 2013 au sein de l’UE, est patent. Votre rapporteur a interrogé le ministre de l’agriculture sur les travaux qui ont été conduits en interministériel pour anticiper ce retrait. Il ressort qu’aucune réunion n’a été convoquée au niveau politique à ce sujet entre 2016 et 2020. On n’observe pas non plus de mobilisation technique en ce sens ayant permis de lever la résistance des acteurs de la filière, lesquels concentrent alors leur énergie sur le plaidoyer en faveur d’une dérogation. L’action publique dans le contexte de l’interdiction des néonicotinoïdes – imprévision, déni et focalisation sur les dérogations – apparait ainsi comme le contre-exemple de la conduite à tenir face aux perspectives de retrait.

Au total, votre rapporteur estime que l’approche d’anticipation des retraits est indispensable à court terme, au regard de la nécessité de maintenir certaines productions. En revanche, elle ne saurait résumer l’effort de recherche et développement sur la question des produits phytosanitaires. Il importe, à l’évidence, de maintenir une approche systémique, axée sur la reconception des systèmes, laquelle constitue la seule solution, à terme, pour atteindre l’objectif de réduction de 50 %.

*

Au bénéfice de l’ensemble des observations formulées ci-dessus, votre rapporteur formule la recommandation suivante, englobant l’ensemble du champ de la recherche. Il estime que sa bonne mise en œuvre impliquera l’allocation de 10 millions d’euros supplémentaires sur le champ de la recherche fondamentale et appliquée, en complément des 10 millions d’euros demandés pour l’Anses en seconde partie. Il s’agira, notamment, d’accroître certains financements pérennes à destination des instituts, en compléments des appels à projets.

Recommandation n° 13 – Développer une vision partagée et planifiée des enjeux de recherche fondamentale et appliquée, en mettant l’accent sur une approche prophylactique, avec un travail par groupes de substance, et une meilleure articulation entre filières et territoires

 

 

La recherche sur les alternatives dans les Outre-mer

●Les réseaux d’innovation et de transfert agricole (Rita), actifs depuis 2010, contribuent à la promotion des méthodes alternatives aux produits phytosanitaires. Ils associent l’ensemble des acteurs à même de transposer les techniques innovantes, de la recherche aux planteurs : les établissements d’enseignement agricole, les chambres d’agriculture, l’Association de coordination technique agricole (Acta), le Cirad et l’Inrae.

Auparavant, les Rita étaient pilotés par l’Acta et le Cirad. Mais une étude récente du CGAAER a mis en évidence un défaut d’évaluation de la réalité du transfert dans les Rita. Ces derniers ne sauraient être évalués sur le seul critère des financements obtenus. Il convient de prendre en compte le nombre de transferts opérés. C’est la raison pour laquelle les chambres d’agriculture ont été intégrées à la gouvernance des Rita.

●Des crédits ont aussi été attribués dans le cadre du plan France relance et du plan France 2030. Le plan France relance prévoit ainsi une enveloppe de 10 millions d’euros dédiée aux Outre-mer pour l’achat d’agroéquipemements, en vue de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires, et une seconde enveloppe de 10 millions d’euros destinée à l’acquisition d’équipements nécessaires à la transition agroécologique.

●Enfin, une task force Outre-mer a été constituée en juillet 2023. Elle a pour mission de trouver des alternatives au retrait des produits phytosanitaires Outre-mer, afin de ne pas laisser les agriculteurs sans solution. À cet effet, la task force établit un calendrier des retraits prévisibles et identifie, culture par culture et couple par couple – culture/maladie – ces solutions alternatives.

En dépit des investissements accordés à la recherche et de la volonté de trouver des alternatives, la situation actuelle ne peut pas être jugée satisfaisante. Le fait est qu’il n’existe pas de solutions alternatives permettant, pour un même coût, de se passer entièrement des produits phytosanitaires Outre-mer.

Audition de M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, 5 octobre 2023.

 

 

 

 

 


B.   Le réseau des FERMES DEPHY : laboratoire grandeur nature des transitions attendues

En 2010 a été mis en place, dans le cadre du premier plan Écophyto, le réseau des fermes Dephy (pour « démonstration, expérimentation et production de références dans les systèmes économes en phytosanitaires »).

1.   Un réseau d’agriculteurs pionniers bénéficiant d’un accompagnement renforcé

Ce réseau fonctionne depuis le départ sur le principe de l’adhésion volontaire des agriculteurs, qui répondent à un appel à candidature. La démarche repose ainsi sur l’engagement d’agriculteurs désireux de réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques. Ces derniers constituent des groupes de 10 à 12 agriculteurs, chacun conservant sa propre exploitation.

Il convient de noter que la taille du réseau a évolué – sans qu’aucun ministre ne soit en mesure de nous le justifier : si l’on était passé de 2 000 fermes initialement à 3 000 fermes dans le cadre du plan Écophyto 2, le réseau a en effet été réduit à 2 000 fermes en 2021, désormais réunies en 180 groupes.

L’objectif principal du dispositif Dephy est de permettre aux agriculteurs de réduire l’usage de produits phytosanitaires sur leurs exploitations, tout en observant les effets à court et moyen terme de cette réduction. Sont également analysés les effets sur l’environnement et sur les paysages agricoles.

Ces observations permettent par ailleurs de produire des fiches de références sur les produits et les techniques alternatives dans un but de synthèse et de diffusion.

La spécificité du réseau des fermes Dephy tient à l’accompagnement dont bénéficient les agriculteurs engagés, sur plusieurs années. Des ingénieurs réseau Dephy, issus de divers instituts et organismes, accompagnent ainsi en permanence les groupes d’agriculteurs, à raison d’un conseiller animateur à mi-temps par groupe de 12.

Les moyens humains et financiers du réseau Dephy

Le réseau dispose d’un budget annuel de 12 millions d’euros :

–               5,7 millions d’euros financent les 180 conseillers agricoles accompagnant les 180 groupes d’agriculteur.

–               3,5 millions d’euros financent les 40 projets d’expérimentation du réseau.

– 2,4 millions d’euros financent la CAN, l’animation territoriale et les actions d’animation et de communication proposées au niveau national.

–               300 000 euros financent le développement et la maintenance de l’outil d’enregistrement des données « Agrosyst ».

Les moyens humains mobilisés représentent environ 120 équivalents temps plein (ETP), dont une centaine pour l’animation et l’accompagnement sur le terrain et une vingtaine pour la valorisation et la communication sur les actions conduites par le réseau ([216]).

L’accompagnement des agriculteurs repose sur un diagnostic de l’exploitation et des systèmes de culture (assolement, itinéraires techniques...) et sur la construction du projet de réduction de l’usage des produits phytosanitaires sur trois ans, défini par l’agriculteur et par l’ingénieur réseau. Ce projet combine des techniques (désherbage mécanique, lutte biologique...) et des stratégies (assolement, travail du sol, etc.) compatibles avec les contraintes de l’exploitation et de l’agriculteur. L’accompagnement implique également des rencontres individuelles et collectives pour suivre l’évolution de l’exploitation avec l’ingénieur réseau et des échanges sur les pratiques avec d’autres groupes d’agriculteurs.

Le réseau Dephy est un lieu de transmission entre l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle. En effet, des agriculteurs en bio et en conventionnel y participent et échangent sur leurs pratiques. Néanmoins, la part des agriculteurs en bio a eu tendance à s’accroître au fil du temps (60 % aujourd’hui), dans le contexte d’une « montée en gamme » du dispositif qui a coïncidé avec la réduction du réseau de 3 000 à 2 000 fermes. Le réseau est ainsi moins représentatif de l’agriculture conventionnelle aujourd’hui.

Le tableau ci-après illustre la diversité des cultures représentées au sein de ce réseau.

Répartition des groupes de fermes DEPHY par filière en 2023

Grandes cultures Polyculture-élevage

93 groupes (52 %)

Viticulture

36 groupes (20 %)

Légumes

23 groupes (13 %)

Arboriculture

15 groupes (8 %)

Cultures tropicales

7 groupes (4 %)

Horticulture

6 groupes (3 %)

Source : « Fermes du réseau Dephy : 10 ans de résultats », document réalisé par la Cellule d’Animation Nationale DEPHY dans le cadre du Plan Ecophyto.

Au-delà du réseau des fermes, il convient de noter que le dispositif Dephy s’appuie également sur le réseau « Dephy Expe », mis en place à partir de 2011. Il réunit 41 porteurs de projets répartis sur environ 200 sites expérimentaux, dans le but de concevoir, tester et évaluer des systèmes de culture visant une forte réduction de l’usage de produits phytosanitaires (– 50%, voire suppression de l’usage des produits phytosanitaires).

2.   Des résultats plutôt encourageants

Un bilan des fermes Dephy 10 ans après le lancement du réseau a été réalisé ([217]), dans le but d’apprécier les résultats obtenus en termes de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques. Les mesures ont été effectuées par système de culture et ont ensuite été agrégées pour déterminer un IFT moyen par filière au sein du réseau Dephy.

Il ressort qu’en moyenne, l’usage de ces produits a été réduit de 26 % sur l’ensemble du réseau. Les exploitations engagées ont donc atteint l’objectif intermédiaire du plan Écophyto.

Dans la filière « grandes cultures – polyculture‑élevage », on observe une réduction de 26 % entre 2012 et la moyenne triennale 2018/2019/2020. Si l’on se concentre sur les 63 % d’exploitations qui ont effectivement réduit leur IFT, la diminution est de 43 %.

Dans la filière arboriculture, la baisse de l’IFT moyen, hors produits de biocontrôle, est de 35 % sur la même période. Le recours aux produits phytosanitaires les plus préoccupants a aussi fortement diminué. Le recours aux produits de biocontrôle a augmenté de 30 %, ce qui témoigne d’une substitution partielle des usages par ces produits ([218]).

Les baisses observées pour l’ensemble des filières concernent également toutes les familles de produits phytosanitaires (herbicides, fongicides, insecticides). Les deux tableaux ci-dessous retracent d’une part l’évolution de l’IFT moyen par grande filière, et d’autre part l’évolution des quantités de substances actives concernant les seules substances actives classées CMR 1 et CMR 2.

 

Évolution de l’IFT moyen dans les fermes du réseau (hors biocontrôle)

Entrée dans le réseau de l’exploitation ‑ 2020

Filière Grandes cultures -Polyculture‑élevage

– 33 %

Filière Viticulture

– 29 %

Filière Légumes

– 37 %

Filière Arboriculture

– 40 %

Filières Cultures tropicales

– 32 %

Filières Horticulture

– 46 %

 

 

 

Évolution de la quantité de substances actives utilisées classées CMR dans les fermes du réseau (hors biocontrôle)

Entrée dans le réseau de l’exploitation – Moyenne triennale 2018/2019/2020

Filière Grandes cultures -Polyculture‑élevage

– 47 %

Filière Viticulture

– 71 %

Filière Légumes

– 43 %

Filière Arboriculture

– 39 %

 

Source : Données communiquées au rapporteur par le réseau Dephy dans le cadre des travaux.

Si les résultats diffèrent selon les types de culture, tous les acteurs s’accordent à dire que le bilan est dans l’ensemble encourageant. Le bilan réalisé sur la grande culture et le poly-élevage montre que la rentabilité économique, mesurée par l’évolution des marges semi-nettes, des exploitations diminue légèrement avec la diminution du recours aux produits phytopharmaceutiques, mais pour toutes les filières les charges d’exploitation diminuent.

Par ailleurs, une étude menée par l’Inrae sur un échantillon de 946 fermes de grandes cultures et de polyculture-élevage dans le réseau Dephy a cherché à mesurer la relation entre d’une part le niveau d’usage de pesticides mesuré par l’indice de fréquence de traitement (IFT) et, d’autre part, la productivité et la rentabilité de la ferme ([219]). Ainsi, sans autre changement, les rendements de la culture du blé diminuent lorsqu’une baisse de l’usage des produits est constatée, mais dans d’autres cultures les rendements restent stables – par exemple dans le cas de la culture de la betterave sucrière.

Les auteurs du document insistent sur le fait que la baisse des IFT dans les fermes étudiées s’est souvent accompagnée de la mise en place d’autres changements importants comme l’introduction de prairies temporaires, la rotation des cultures qui améliore notamment la fertilité du sol et limite son érosion, la diversification des familles de culture, l’utilisation de variétés peu sensibles aux maladies, etc.

Le réseau Dephy a été conçu comme un réseau expérimental et de démonstration. En ce sens, après plus de dix ans de fonctionnement, il s’agit plutôt d’un succès.

Le réseau est à l’origine d’une production documentaire – notamment de références – abondante. Comme l’a précisé Mme Virginie Brun : « Le réseau Dephy a également produit une quantité impressionnante de ressources et d’analyses visant à disséminer largement les résultats obtenus, en vue d’inspirer d’autres agriculteurs et d’appuyer les structures de conseil et de développement dans ces démarches d’accompagnement au changement. Ainsi, près de 500 fiches techniques ont été réalisées par les ingénieurs du réseau Dephy. Elles apportent des éléments d’explication et de contextualisation des trajectoires et pratiques remarquables mises en œuvre sur les fermes du réseau. […] En complément, la CAN a réalisé de nombreuses publications techniques à partir des données du réseau. S’y ajoutent les multiples travaux de valorisation par la recherche des informations collectées par le réseau, qui ont été publiés dans des revues scientifiques. » ([220]).

Mais – et c’est une déception de taille – le réseau n’a pas essaimé autant qu’on aurait pu le souhaiter. Il n’a pas été le point de départ d’un mouvement de massification des changements de pratiques. Par ailleurs, les ressources documentaires produites demeurent sous-utilisées à l’extérieur du réseau. Les pilotes de Dephy ont regretté un manque d’appropriation par les structures porteuses : chambres d’agriculture et instituts techniques.

Au regard des résultats obtenus, et de la nécessité de cheminer désormais vers une réduction de 50 % des usages, votre rapporteur juge nécessaire que le réseau des fermes Dephy soit amplifié. Cependant, il estime qu’il faudrait rétablir l’ambition d’une expérimentation qui soit duplicable. Il plaide ainsi pour un élargissement du réseau des fermes afin de revenir au périmètre de départ et conserver une certaine représentativité du réseau. Il appelle les chambres et institutions à s’approprier et diffuser pleinement les résultats obtenus par ce réseau.

Recommandation n° 14  Consolider le réseau des fermes Dephy et revenir au périmètre de 3 000 fermes engagées

3.   GIEE et 30 000 fermes, l’échec de la massification

a.   Les GIEE

Les groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) ont été instaurés par la loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014 ([221]). Ils visaient à créer des collectifs d’agriculteurs qui s’engagent dans un projet pluriannuel de modification ou de consolidation pour atteindre de meilleures performances économiques, environnementales et sociales.

En 2021, le ministère de l’agriculture signalait que 753 GIEE avaient été reconnus depuis 2015 ([222]).

Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture entre 2012 et 2017, a reconnu que le dispositif n’avait pas connu le succès escompté. Il a estimé que dans les faits, le dispositif avait souffert d’un manque d’accompagnement :

« De la même manière que nous avons pu mettre en commun le matériel agricole avec les Cuma nous mettons en commun les grands objectifs environnementaux et économiques. Voilà l’enjeu et sur ce point, je ne peux que constater le défaut d’une réflexion initiale sur le développement agricole pour accompagner ces changements » ([223]).

b.   Le réseau des 30 000 fermes

Dans le cadre du plan Écophyto 2, a été conçu un dispositif de massification du modèle Dephy fondé sur 30 000 fermes – chaque ferme Dephy devant en entraîner 10 dans son sillage. Le réseau Dephy a ainsi été conçu comme le point de départ d’un mouvement plus spontané qui conduirait d’autres agriculteurs à se regrouper et à changer de pratiques. Cette idée du « facteur 10 » était issue du rapport remis au Premier ministre par votre rapporteur en 2014 ([224]). Il s’agissait de toucher ainsi 15 % des exploitations concernées, un seuil au-delà duquel la diffusion « par-dessus la haie » serait naturelle.

Dans le cadre des groupes ainsi constitués, les agriculteurs membres devaient bénéficier d’un accompagnement technique, d’un transfert de connaissances acquises par d’autres groupes et d’échanges d’expériences entre pairs, facilitant la mise en œuvre de nouvelles pratiques.

Il est difficile de savoir avec précision aujourd’hui le nombre de groupes 30 000 qui ont été créés, les structures étant enregistrées par les Draaf et financées par les agences de l’eau. Cette difficulté est accrue par le fait que les Draaf procèdent de plus en plus par des appels à projet communs pour les deux dispositifs, GIEE et groupes 30 000.

Si un site internet permet de visualiser l’existence des GIEE et des groupes 30 000 par région, aucune donnée actualisée n’est disponible auprès du ministre de l’agriculture. Il apparaît ainsi que ces dispositifs, qui n’ont pas connu le succès escompté, souffrent en outre d’un manque de structuration nationale. En tout état de cause, le graphique ci-dessous fait apparaître la faible dynamique des deux dispositifs, que l’on ne peut que regretter.

Lors de ses auditions, votre rapporteur n’a pu que constater l’absence totale de pilotage et de mobilisation des différents acteurs autour de ce dispositif des 30 000 fermes, aucun d’entre eux n’étant en mesure de fournir un état des lieux précis ou un bilan des actions accomplies et des résultats obtenus à ce sujet.

Évolution du nombre d’agriculteurs engagés

Source : ministère de l’agriculture.

*

Au total, l’échec de la tentative de massification faite à partir des groupes Dephy, et via les GIEE et les fermes 30 000, nous ramène à l’« impensé du développement agricole » évoqué par Stéphane Le Foll. Si les dynamiques collectives sont nécessaires, elles ne peuvent suffire pour entrainer l’ensemble des agriculteurs. Votre rapporteur fait sienne l’analyse effectuée à ce sujet par M. Sébastien Windsor ([225]), président de Chambres d’agriculture France, à propos des groupes Dephy :

« L’idée que l’on pourrait en faire un outil pour entraîner d’autres agriculteurs, au sein d’un processus collectif, était un peu une chimère. Pour accompagner les agriculteurs plus réfractaires au changement, il ne faut pas les inclure dans un groupe où l’on commence par mettre leurs pratiques sur la table pour les comparer à celles de leurs voisins. Nous pourrons procéder ainsi à terme, quand nous aurons réussi à les embarquer. Dans les premières étapes, en revanche, c’est le tête-à-tête qui permettra de les embarquer et de les inciter à réfléchir à un changement de pratiques, plus qu’une dynamique de groupe dans laquelle ils auront l’impression d’être jugés. »

 


C.   Le conseil aux agriculteurs : un impensé du plan Écophyto 

Le conseil agricole, qu’il porte sur une aide opérationnelle à la décision ou sur un accompagnement stratégique sur l’ensemble de l’exploitation, a longtemps été dispensé par deux acteurs principaux, les vendeurs – coopératives ou négoce agricole – et les chambres d’agriculture.

Dans les décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale, il a largement pris appui sur la dynamique des groupes de vulgarisation et de développement.

Au début des années 2010, le paysage a beaucoup évolué. D’une part, le conseil s’est « balkanisé », avec une plus grande diversité d’acteurs privés et publics proposant leurs services aux agriculteurs. Par ailleurs, le mouvement associatif et mutualiste qui prévalait dans les collectifs d’agriculteurs est devenu un modèle de développement minoritaire, au profit de démarches plus individuelles.

C’est dans ce contexte sociologique et institutionnel que sont intervenues deux réformes majeures visant la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques :

– En 2014, la création des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) ;

– En 2018, la séparation du conseil et de la vente de ces produits.

Le caractère incompatible de ces deux politiques publiques aura pour conséquence d’annihiler le levier du conseil dans l’effort de massification des changements de pratiques.

Votre rapporteur va s’employer à décrire ce rendez-vous raté en s’appuyant sur les conclusions des travaux de la mission flash conduite en juillet 2013 par votre rapporteur avec le député Stéphane Travert ([226])

Auparavant, votre rapporteur relève que l’impact des engrais azotés sur l’eau et sur le bilan carbone de l’agriculture ne fait pas aujourd’hui l’objet d’une politique publique au niveau des enjeux. Une dynamique de type certificat d’économie mériterait d’être étudiée, y compris dans son couplage avec les CEPP, tant ces deux intrants interagissent dans la plupart des itinéraires techniques. Faute de telles initiatives de transition, le choc prévisible de mesures fiscales ou réglementaires pourrait lourdement pénaliser la production agricole.

 

1.   Les CEPP, un mécanisme de régulation innovant et prometteur

Les certificats d’économie des produits phytosanitaires (CEPP) constituent un moyen d’accélérer la diffusion des techniques de réduction des usages des produits phytopharmaceutiques et un instrument majeur de la transition agroécologique engagée par notre pays.

Ce dispositif innovant est inspiré des contrats d’économie d’énergie (CEE) qui ont démontré leur efficacité comme levier de la transition énergétique. Il crée une obligation pour les distributeurs de produits phytopharmaceutiques de mettre en œuvre des solutions permettant aux agriculteurs de s’affranchir progressivement de leur dépendance à l’usage excessif de la phytopharmacie. L’innovation repose sur le caractère progressif de la mesure et la capacité pour les parties prenantes d’inventer des solutions au sein des filières et des territoires.

La recommandation de créer des CEPP résulte d’un rapport remis par Mme Marion Guillou au ministre de l’agriculture au printemps 2013 ([227]). Mais c’est également l’une des mesures phares du rapport remis au Premier ministre par votre rapporteur en novembre 2014 ([228]) .

Le mécanisme du CEPP vise à impliquer le plus directement possible les agriculteurs, les filières et les territoires dans une utilisation plus économe des produits phytopharmaceutiques. Les distributeurs doivent inciter les agriculteurs à adopter des pratiques économes en produits phytosanitaires transcrites dans des « fiches actions standardisées », validées par le ministre en charge de l’agriculture et qui jouent sur différents leviers. Ces actions standardisées font l’objet d’une évaluation par une commission indépendante présidée par un directeur scientifique de l’Inrae.

Comme votre rapporteur a eu l’occasion de le formuler dans un courrier adressé au Premier Ministre en 2019, « la stratégie de création puis de déploiement des CEPP a été pensée comme une alternative à une taxation massive et aux controverses picrocholines qui accompagnent l’interdiction des molécules en dehors des procédures-cadres de l’Anses : la volonté politique est alors délibérément de rendre les forces économiques alliées d’un changement systémique. » ([229])

Il faut noter le caractère novateur de cette action publique qui fixe un cap mais renonce à une vision normative ex-ante, au profit d’une validation ex-post de la créativité entrepreneuriale.

Source : Fonctionnement du dispositif des CEPP, Valentin Bellassen, Les certificats d’économie de produits phytosanitaires : quelle contrainte et pour qui ? 2015, pp.17

 

Un exemple de dispositif CEPP

Les actions standardisées sont diverses ; au fur et à mesure des années, des actions de plus en plus structurantes ont été élaborées. Par exemple, les fiches sur la protection intégrée au stockage (2020-061, 2020-062, 2020-063, 2020-064, 2020-065, 2020-066, 2020-078) concernent 4 axes :

– Prévenir l’arrivée des insectes dans le lot de grain,

– Surveiller le grain lorsqu’il est stocké,

– Lutter contre les insectes s’il y en dans le lot de grain,

– Être accompagné dans la mise en place de cette stratégie.

Le total des déclarations sur ces fiches est monté à plus de 30 000 certificats pour l’année 2021 (elles sont à 7 600 pour les premières estimations de 2022). 

Un autre exemple ambitieux a été publié en 2022 (fiche 2022-120). Il concerne le rôle de collecteur que jouent nombre de distributeurs. Cette fiche récompense l’effort de mise à disposition de débouchés pour des filières mineures (création d’une filière ou augmentation des capacités de stockage pour une espèce mineure). Cette fiche repose sur des données de FranceAgriMer sur les quantités collectées par chaque collecteur (État 2). En 2022, cette fiche a permis la distribution de plus de 2,5 millions de certificats selon les premières estimations. Environ ⅓ des distributeurs ont pu déclarer sur cette fiche, ce qui est possible uniquement dans le cas où leur collecte s’est diversifiée au cours des dernières années. Cette fiche a pour ambition d’encourager les collecteurs à créer de nouvelles filières (lentille, pois chiche, méteil…) ou à amplifier leur collecte (en quantité collectée) sur de petites filières.

Source : informations transmises par Maud Blanck, responsable de l’animation de la commission CEPP – Inrae.

Le dispositif des CEPP a connu un cheminement législatif singulier. Adopté à l’article 55 de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ([230]) de 2014 et mis en œuvre par l’ordonnance du 7 octobre 2015 ([231]), il a fait l’objet d’une saisine du Conseil d’État qui a annulé le dispositif pour motif de procédure ([232]). La ratification de cette ordonnance sera reprise – in extremis – dans la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle ([233]), mars 2017 – à l’initiative de votre rapporteur ([234]). Après trois ans de péripéties réglementaires et législatives, les CEPP peuvent enfin se déployer.

Mais ce déploiement sera interrompu dès 2018, avec la loi « Egalim » ([235]).

2.   La séparation du conseil et de la vente de produits phytopharmaceutiques : chronique d’un échec annoncé

a.   Une réforme louable dans son objet initial

La séparation de la vente et du conseil résulte d’un engagement pris par le Président de la République, alors candidat à l’élection présidentielle de 2017, lors de sa campagne, et réaffirmé à l’occasion d’un discours de Rungis le 11 octobre 2017 :

« (…) J’ai pris un engagement, il sera là aussi dans la loi, c’est de séparer le conseil de la vente. Sur beaucoup de produits phytosanitaires il y a encore une vente liée qui fait que le conseil n’est pas indépendant et la loi séparera la vente du conseil. »

Concrétisé dans la loi Egalim – et dans l’ordonnance n° 2019-361 ([236]) – la séparation de la vente et du conseil des produits phytopharmaceutiques est effective depuis le 1er janvier 2021.

Malgré les mises en garde du CGAAER et du CGEDD sur les « conséquences de la séparation des activités de conseil et de vente de produits phytopharmaceutiques » ([237]), le choix a été fait de maintenir l’écriture et l’application de cette ordonnance n° 2019-361.

 

Rappel : le conseil dans la loi avant la réforme de 2018

Dans le cadre juridique préalable à la réforme de 2018, les activités de vente et de conseil n’étaient pas séparées, ce qui justifiait l’existence de garde-fous : outre les obligations générales d’agrément et de certification, une certification spécifique prévalait pour les activités de conseil (« Certiphyto conseil ») ainsi que certaines règles particulières, telles que l’interdiction d’indexation de la rémunération des conseillers sur le volume ou le chiffre d’affaires de vente de ces produits. Les distributeurs de produits phytopharmaceutiques devaient formuler une fois par un an, au minimum, un conseil individualisé ([238]). Ce cadre juridique avait été établi conformément à la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du conseil du 21 octobre 2009, fixant des exigences en termes de formation des acteurs (utilisateurs professionnels, distributeurs, conseillers) et d’information des utilisateurs.

Or, dans le même temps, cette ordonnance a supprimé la sanction qui était attachée au dispositif des CEPP ([239]), dans la situation où les distributeurs ne mettaient pas en œuvre les mesures attendues. Cette mesure a été décidée sans que cela ait fait l’objet d’un débat au Parlement, et en dépit des réponses qui avaient été apportées dans l’hémicycle par le ministre à ceux qui s’inquiétaient d’une dévitalisation du dispositif des CEPP. Votre rapporteur a ainsi, en mai 2019, pris l’initiative de saisir le Conseil d’État ([240]) d’un recours en excès de pouvoir contre le Gouvernement sur les délibérations du Parlement.

La séparation du conseil et de la vente orchestrée par l’ordonnance de 2019 repose sur quatre piliers :

Des règles de séparation capitalistique ont été fixées entre les activités de vente et de conseil ([241]). Cette séparation concerne toutes les utilisations de produits phytopharmaceutiques (agricoles ou non). Le droit fixe ainsi des limites en termes de participation au capital et de droits de vote au sein des organes d’administration ([242]) et des règles strictes relatives à la compositions des organes de surveillance, d’administration et de direction. Le respect de la séparation capitalistique est vérifié à l’occasion de la délivrance de l’agrément nécessaire à l’exercice des activités de conseil.

L’ordonnance prévoit que toute personne qui décide des traitements phytopharmaceutiques doit être en mesure de justifier s’être fait délivrer des conseils stratégiques selon une périodicité définie par voie réglementaire, dans la limite maximale de trois ans entre deux conseils. Le décret du 16 octobre 2020 ([243]) prévoit que deux conseils stratégiques au moins sont délivrés par période de cinq ans, cette temporalité ayant pour objectif de concevoir le deuxième conseil stratégique comme une façon d’établir un premier bilan du premier.

L’attestation de conseil stratégique est nécessaire pour le renouvellement du Certiphyto ; en pratique, l’agriculteur doit présenter, en appui à sa demande de renouvellement, une attestation de délivrance de conseil stratégique de moins de trois ans. Le respect de cette obligation peut également être contrôlé par les services régionaux de l’alimentation (SRAL) et des rappels à la loi peuvent être prononcés.

Le contenu du conseil stratégique est précisé par le décret précité et fait l’objet de référentiels élaborés par l’administration. Il est fondé sur un diagnostic tenant compte des spécificités externes et internes à l’exploitation. Il doit permettre d’élaborer un plan d’action définissant, par ordre de priorité, les actions nécessaires pour : la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, les réponses à apporter face aux situations d’impasse technique et les leviers pour limiter le risque d’apparition ou de développement de résistances aux produits phytopharmaceutiques. Les objectifs de réduction de l’utilisation et des impacts des produits phytopharmaceutiques sont aussi mentionnés. Le plan d’action précise les conditions de mise en œuvre de ce conseil, définies avec les décideurs de l’entreprise, notamment le calendrier, les moyens humains, le matériel, les équipements de protection ainsi que les modalités de suivi.

Les dérogations et allègements prévus à l’obligation de conseil stratégique

Pour les petites exploitations ([244]), le contrôle stratégique est allégé : son formalisme est réduit et seul un conseil tous les cinq ans est obligatoire.

Certaines exploitations agricoles sont exemptées de l’obligation de réaliser un conseil stratégique : exploitations en agriculture biologique ou en cours de conversion sur la totalité de leur surface, exploitations certifiées haute valeur environnementale (HVE) niveau 3, exploitations n’utilisant que des produits de biocontrôle, à faible risque ou des substances de base ou nécessaires aux traitements obligatoires.

Le conseil spécifique est un conseil facultatif qui, par voie de conséquence, ne peut plus être délivré par les vendeurs, comme c’était le cas auparavant. Il correspond au conseil ponctuel dont les agriculteurs ont besoin pour réagir efficacement en matière de protection des cultures. Facultatif, le contenu du conseil spécifique n’en est pas moins encadré par le droit. En vertu de l’article L. 254-6-3 du code rural et de la pêche maritime, il « comporte une recommandation d’utilisation de produits phytopharmaceutiques », est formalisé par écrit et indique la substance active ou la spécialité́ recommandée, la cible, la ou les parcelles concernées, la superficie à traiter, la dose recommandée et les conditions d’utilisation. Ce document est conservé par l’utilisateur et par la personne qui l’a délivré pendant une durée fixée par décret, dans la limite de dix ans. Il convient de noter que ce conseil diffère du devoir d’information qui incombe au vendeur en vertu de l’article L. 254-7 du même code.

b.   Un échec unanimement reconnu

Entrée en vigueur au 1er janvier 2021, la réforme fait depuis l’objet de critiques importantes, formulées par le monde agricole et par un certain nombre de parties prenantes attachées aux questions de santé et de protection de l’environnement.

En premier lieu, évaluer la réforme de la séparation de la vente et du conseil suppose de tenter d’analyser son impact en termes de réduction de l’usage des produits phytosanitaires. Or, cet exercice s’avère périlleux. Si cet impact ne peut être précisément évalué, les auditions conduites par votre rapporteur laissent penser qu’il est faible, en raison des effets contreproductifs que la réforme a pu produire mais aussi de sa faible application (cf. infra).

Seules deux coopératives ont choisi le conseil plutôt que la vente de produits phytopharmaceutiques ([245]). Cette situation n’avait pas été anticipée par les pouvoirs publics, le rapport du CGAAER et du CGDD élaboré en amont de la réforme tablant sur un effet inverse : « les grands groupes coopératifs, soucieux de répondre à la demande de l’aval et des consommateurs de moins de produits phytopharmaceutiques, choisiront probablement de garder le conseil, laissant à des "groupements d’achats" ou à des plates-formes spécialisées le soin de mettre à disposition les produits, a priori à un prix moindre ([246]) ». Notons d’ailleurs qu’en parallèle, alors que le rapport précité anticipait un développement important des ventes sur internet et une uberisation progressive du secteur, cette dynamique paraît encore limitée, les acteurs du négoce et les coopératives ayant massivement gardé leur activité de vente.

Le conseil indépendant, qui existait avant la réforme, a continué ses activités et de nouvelles structures ont également obtenu l’agrément pour l’activité de conseil stratégique. Si ces acteurs jouent un rôle significatif, ils ne sont pas en situation, à eux seuls, de répondre à l’ensemble de la demande. Les centres d’économie rurale (CerFrance) et d’autres opérateurs à l’instar du contrôle laitier, ont pris des parts de marché sur cette nouvelle mission.

Au total, l’offre de conseil indépendant s’est développée dans des proportions encore très insuffisantes à l’heure actuelle pour répondre à l’ensemble des besoins.

Un nombre important d’acteurs (coopératives et négociants), bien qu’ayant choisi la vente, continuent de prodiguer des conseils oraux tout en étant vendeurs de produits phytopharmaceutiques. Cette situation est connue de l’administration, qui a souligné la difficulté à contrôler ce type de comportements lors des auditions du groupe de travail sur la séparation du conseil et de la vente ([247]) : « des distributeurs continuent, malgré la réforme, à délivrer oralement des conseils via leurs commerciaux. L’absence de documents écrits ne permet pas aux organismes de certification ou aux inspecteurs des DRAAF de relever ce type de manquements à la réglementation ».

Dans le même temps, les agriculteurs semblent s’être très peu tournés vers le conseil spécifique fourni par le conseil indépendant – sauf pour ceux qui y avaient recours avant la réforme. Ainsi, les chambres ont réalisé́ 8 336 conseils spécifiques en 2021, ce qui paraît relativement faible dans un contexte où 235 000 exploitations sont potentiellement concernées. Le faible développement du conseil spécifique semble imputable à son coût – entre 500 et 1 500 euros pour un suivi annuel selon le ministère –, au manque de conseillers disponibles, mais surtout au fait qu’un conseil spécifique informel continue d’être délivré par les vendeurs. De fait, le négociant ou la coopérative font souvent figure d’interlocuteur naturel vers qui l’agriculteur se tourne en cas de problème ponctuel.

 Une insécurité juridique

Cette situation, outre le fait qu’elle est contraire à l’intention du législateur, est également source d’insécurité juridique, pour les vendeurs comme pour les acheteurs, et pose des difficultés du point de vue assurantiel. Lorsque l’agriculteur se retourne contre le vendeur en cas de mauvais conseil, celui-ci n’est plus couvert par son assurance, étant donné que le conseil délivré n’a pas d’existence juridique. De même, l’issue de l’action en justice de l’agriculteur est incertaine lorsque le fondement du conseil est oral. Les coopératives agricoles dénoncent une insécurité juridique forte, qu’elles imputent aussi à la difficulté de distinguer le conseil spécifique, interdit au vendeur, du devoir d’information, qui lui incombe. Notons que ces difficultés avaient été anticipées par le CGAAER et le CGDD dans le rapport précité : « Les coopératives et négoces, dont le chiffre d’affaires repose pour l’essentiel sur les approvisionnements, seront tentées de maintenir la vente de produits ; pour ces entreprises, dont le modèle économique repose souvent sur une adaptation fine aux demandes des filières territorialisées, se posera la fragilité juridique résultant de l’interdiction de prodiguer des conseils (au-delà des informations relevant de la stricte sécurité) ».

 Des effets contreproductifs

Le passage d’un conseil formalisé formulé par les vendeurs, à une absence de conseil ou à un conseil oral et informel, paraît avoir diminué la qualité du conseil délivré et laissé un certain nombre d’agriculteurs « orphelins ». Les vendeurs considèrent que la réforme produit des effets contreproductifs en matière de transition agroécologique. D’autres soulignent que cette réforme freine le développement de solutions combinatoires, puisque le vendeur ne peut plus légalement conseiller à l’agriculteur la combinaison de produits phytopharmaceutiques avec des produits de biocontrôle, des outils d’aide à la décision agricole (OAD), des solutions mécaniques ou génétiques, etc.

Il convient de noter que ce point de vue est aussi celui de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui note, dans une contribution adressée à votre rapporteur, que « la séparation vente conseil (…) conduit à moins d’accompagnement humain des agriculteurs, quand, en période de transition, il importe de rassurer et d’appuyer. »

 Une absence de baisse des coûts des produits phytopharmaceutiques

La réforme ne semble pas s’être traduite par une baisse du coût des produits phytopharmaceutiques vendus, ce qui soulève la question du coût du conseil et de sa transparence avant l’entrée en vigueur de la séparation de la vente et du conseil.

Le nombre d’agriculteurs ayant bénéficié d’un conseil stratégique phytosanitaire (CSP) est très inférieur à ce qu’il devrait être. Au total, 9 280 conseils stratégiques ont été délivrés par les chambres d’agriculture au 22 mai 2023. Si le nombre de CSP délivrés par les chambres est en croissance exponentielle depuis 2021 – 398 conseils en 2021, 3 738 conseils en 2022, 5 144 conseils en 2023 –, ces chiffres restent très en-deçà des besoins globaux, puisqu’à terme 235 000 exploitations sont concernées. Votre rapporteur en déduit que plus de deux‑cent‑mille exploitations n’ont pas réalisé de CSP à ce jour et risquent de se retrouver dans l’impasse en janvier 2024, au moment du renouvellement des Certiphyto.

Si les organismes certificateurs et les SRAL contrôlent les pratiques des conseillers et vérifient leur conformité aux référentiels existants, les retours de terrain montrent que le conseil stratégique, tel qu’il est aujourd’hui délivré, est dans la majorité des cas inadapté aux besoins des agriculteurs. Son format souvent collectif est considéré comme peu efficace, dans la mesure où il est censé garantir un conseil sur mesure à l’échelle de l’exploitation. Son coût est par ailleurs estimé entre 400 et 700 euros et représente donc entre 800 et 1 400 euros pour les agriculteurs, à raison de deux conseils stratégiques par période de cinq ans. Les forfaits collectifs proposés par les chambres d’agriculture sont globalement les moins chers. Dans certaines structures, le prix du conseil stratégique est compris dans l’accompagnement annuel ou dans l’adhésion à la structure ; c’est notamment le cas pour les centres d’études techniques agricoles (CETA).

Fort de ce constat, un éventail de solutions doit permettre d’une part, de réformer le conseil spécifique en le rendant effectif et efficace et, d’autre part, de bâtir un conseil stratégique à la hauteur des enjeux afin d’accompagner le monde agricole vers les transitions nécessaires.

3.   Vers une refonte globale du conseil aux agriculteurs

Les difficultés pressenties par votre rapporteur en 2017 se sont confirmées : non seulement la pression commerciale perdure mais elle est juridiquement périlleuse. Quant à l’offre de conseil indépendant, elle stagne à un niveau très faible en quantité et en qualité, très loin des objectifs fixés par la loi Egalim : seuls un quart des agriculteurs concernés devraient – au mieux – être en mesure d’avoir réalisé leur premier CSP au 31 décembre 2023 ([248]).

Dans le même temps, les CEPP, considérés comme l’un des leviers les plus prometteurs car faisant appel à l’inventivité propre aux filières et aux territoires, voient leur dynamique enrayée et n’atteignent pas les objectifs attendus !

Dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés en tant que rapporteur d’une commission d’enquête, votre rapporteur s’est procuré un rapport réalisé par le CGAAER en février 2023, qui établit un bilan de cette réforme, et dont les éléments principaux figurent en annexe. Votre rapporteur regrette que ce document précieux n’ait pas été mis à la disposition du Parlement à l’occasion de la mission conduite avec M. Stéphane Travert sur ce sujet précis, en juillet 2023. Il éprouve le même regret que ce document ne lui ait pas été signalé en réponse à une question posée à ce propos par votre rapporteur lors d’une audition des services du ministère de l’agriculture au début des travaux de la présente commission d’enquête.

Il y avait au final deux écoles pour réformer le conseil : non seulement la seconde a échoué, mais en annihilant la première, elle a privé le plan Écophyto de son seul dispositif contraignant.

Le statu quo est impossible. Il est nécessaire de revenir sur ce principe de la séparation et de la vente pour combler l’une des faiblesses essentielles du plan Écophyto : son incapacité à entraîner l’ensemble des agriculteurs dans la trajectoire attendue.

a.   Remettre dans le jeu les techniciens des coopératives et du négoce

Une remise en question des dispositions de l’ordonnance de 2019 semble nécessaire. Votre rapporteur estime que les garanties entourant les pratiques des vendeurs avant la réforme issue de la loi Egalim (cf. encadré supra) devraient être maintenues, mais que l’interdiction formelle pour les personnes travaillant pour des structures autorisées à distribuer des produits phytopharmaceutiques de faire du conseil devrait être levée.

En parallèle, il conviendrait de renouveler le soutien apporté aux CEPP, qui sont un moyen efficace de faire participer les entreprises distributrices de ces produits à la politique de réduction des usages des produits de synthèse et au développement de solutions plus durables. Une sanction doit ainsi être rétablie en cas de non atteinte des objectifs fixés aux distributeurs en termes de CEPP, en revoyant le cas échéant le niveau des objectifs fixés.

 

Recommandation n° 15  Responsabiliser les acteurs de la vente de produits phytopharmaceutiques avec des objectifs clairs en matière d’obtention de certificats d’économie de produits phytosanitaires, en rétablissant une sanction, en contrepartie de l’abrogation de la séparation vente/conseil

b.   Généraliser le déploiement d’un conseil stratégique global à destination de tous les agriculteurs

Votre rapporteur, nourri par l’ensemble des auditions, a la conviction que le conseil stratégique est un élément capital pour l’évolution des exploitations agricoles vers des modes d’exploitation plus durables. Ce conseil doit être renforcé mais aussi aménagé. Des efforts importants seront nécessaires pour développer ce conseil et accélérer les premiers diagnostics, quitte à reculer de façon pragmatique la date à laquelle un premier conseil stratégique devrait avoir été reçu de manière obligatoire.

Le conseil stratégique doit être envisagé comme dépassant la seule question des produits phytopharmaceutiques. Il doit être conçu comme un conseil « pour produire et protéger autrement ». Prenant appui sur la pratique des agriculteurs, il doit prendre en compte l’ensemble des déterminants propres aux transitions : rapport à la consommation d’énergie et aux émissions de gaz à effet de serre, gestion de la ressource en eau, maîtrise de la fertilisation, qualité des sols. Ce conseil stratégique serait en fait un conseil agronomique qui pourrait s’inspirer de celui effectué par les ingénieurs réseau mis à disposition des groupes dans le réseau des fermes Dephy.

La fréquence de deux demi-journées de conseil en cinq ans n’est pas pertinente. Seul un volume horaire annuel de l’ordre d’une journée (ou de deux demi-journées) semble être à la hauteur de l’enjeu. Les démarches collectives – par filière et/ou par territoire – doivent être articulées avec une approche systémique par exploitation.

Votre rapporteur considère que les résultats obtenus par les démarches GIEE et « 30 000 fermes » ne sont pas à la hauteur des défis. Compte-tenu du temps perdu, nous devons déployer un dispositif pouvant atteindre l’ensemble des quelque 200 000 agriculteurs concernés par les produits phytosanitaires, leurs usages et leurs risques.

Par leur statut d’établissements publics, les chambres d’agriculture ont vocation à porter l’intérêt général, notamment en matière de santé environnementale et de protection de nos intérêts communs écologiques. Seule une maîtrise de ce conseil agronomique par les chambres consulaires semble être de nature à éviter les effets d’éviction et à permettre une connexion avec les avancées de la recherche publique. Cette autorité – qui suppose des moyens publics et une redevabilité – ne signifie pas forcément un monopole du conseil agronomique mais la capacité à répondre de la qualité du service dès lors qu’il serait opéré par des tiers comme les conseils indépendants représentés au sein du Pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA).

Il convient de souligner que, par cette proposition, votre rapporteur écarte vigoureusement l’hypothèse d’un « chèque conseil » qui risquerait d’amplifier le phénomène de fragmentation du conseil observé actuellement.

Il faudrait ainsi que cette nouvelle mission des chambres soit explicitement inscrite dans le cadre du contrat d’objectifs et de performance (COP) qui les lie à l’État, et que les financements afférents soient conditionnés à l’atteinte de résultats chiffrés.

Ce conseil cible 200 000 agriculteurs. À raison de deux demi-journées de conseil par an pour chacun d’entre eux, une première estimation sommaire fait apparaître le besoin de recruter environ 1 000 ingénieurs pour accomplir cette mission, ce qui coûterait au total environ 70 millions d’euros par an.

Ce montant devra être pris en charge par la puissance publique, afin que ce conseil soit accessible à tous. Pour convaincre, le conseiller devra mettre en valeur l’intérêt général, mais également les bénéfices économiques immédiatement accessibles pour les agriculteurs, du fait de la baisse des charges d’exploitation induite par la réduction du recours à la phytopharmacie.

Recommandation n° 16  Mettre en place un conseil agronomique global annuel et universel sous l’autorité des chambres d’agriculture et inscrire la conditionnalité des financements liés à cette mission dans le cadre du contrat d’objectifs et de performance conclu avec l’État

Pour pouvoir déployer ce conseil agronomique à grande échelle, en garantissant un haut niveau de compétences des conseillers, le développement du vivier des agronomes apparaît indispensable. Votre rapporteur estime que c’est un chantier à aborder prioritairement en lien avec les établissements d’enseignement. Il pourra avec profit être étendu au développement d’autres professions qui s’avèrent indispensable pour la réussite de la transition agroécologique.

Recommandation n° 17 – Former et recruter massivement des agronomes ainsi que d’autres spécialistes essentiels à la transition agroécologique (épidémiologistes, entomologistes…)

c.   Renforcer la formation des conseillers et expérimenter un ordre professionnel

Votre rapporteur préconise l’expérimentation d’un ordre des conseillers sur le modèle québécois (cf. encadré), pour garantir le respect des règles déontologiques de la profession et lutter contre les conflits d’intérêts.

L’ordre des agronomes du Québec

L’ordre des agronomes du Québec a été créé en 1974 et compte aujourd’hui environ 3 300 membres. Il est la seule instance à pouvoir délivrer, après la réussite à un examen, un permis aux personnes ayant une formation en agronomie pour qu’ils puissent exercer la profession d’agronome. L’ordre s’assure de la qualité des services rendus par ses membres et fait appliquer la loi sur les agronomes et le code de déontologie de cette profession. Les agriculteurs ne peuvent utiliser certains produits phytosanitaires que sur prescription d’un agronome appartenant à l’ordre.

Cette dynamique pourrait favoriser le développement de la profession de phytiatre. Il s’agit d’un expert en biologie végétale chargé de diagnostiquer et traiter les maladies du végétal. Cet ordre aurait comme avantage de créer une communauté professionnelle entre des salariés d’entreprises commerciales, d’instituts techniques et de chambres consulaires, qui font le même métier dans des univers différents.

Recommandation n° 18 :  Expérimenter un ordre professionnel des conseillers en phytopharmarcie, ce qui permettra de structurer l’activité, de définir des règles déontologiques communes et de développer la profession de phytiatre

 

 

 

 

 

 

 


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IV.   les aides publiques comme levier de la transition agroécologique

La transition agroécologique n’est pas concevable sans une réallocation des ressources de la PAC, qui constitue, avec le marché, le déterminant essentiel des pratiques agricoles. Déplorant, à cet égard, le rendez-vous manqué de la nouvelle PAC et du plan stratégique national français (A), votre rapporteur appellera à remobiliser les aides publiques pour accompagner les premiers acteurs de la transition agroécologique que sont les agriculteurs (B).

A.   Transition agro-Écologique : le rendez-vous manquÉ de la nouvelle PAC et du Plan stratÉgique national français

La nouvelle PAC aurait dû permettre une transition agroécologique d’ampleur. Or, par manque de volonté politique, le plan stratégique national français faillit à l’objectif d’engager l’agriculture française dans la voie de l’agroécologie.

1.   La nouvelle PAC, un tournant vers la transition agroécologique ?

Largement réformée en 1992, avec le remplacement des prix d’intervention sur les marchés agricoles par des aides à l’hectare, la PAC a alors entamé un long cheminement vers une agriculture tenant compte des impératifs conjoints de production et de protection de l’environnement.

– Progressivement, une conditionnalité des aides directes a été imposée, qui a pris la forme de bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE).

– Pour compléter ces aides, un second pilier, composé de crédits budgétaires d’accompagnement – aides au développement rural et mesures agro‑environnementales – a été introduit en 1999.

– En 2003, le « verdissement » de la PAC, avec la réforme dite « Fischer », a rendu obligatoire la conditionnalité environnementale pour pouvoir bénéficier du paiement direct des aides. Ce verdissement s’est poursuivi, en 2013, avec l’obligation de pratiquer plusieurs cultures sur 30 % de la surface de chaque exploitation.

– La nouvelle programmation budgétaire 2023-2027 prévoit un budget global de 387 milliards d’euros, ce qui représente le tiers des dépenses d’intervention de l’Union européenne. Elle a eu pour objectif de répondre aux ambitions portées par le Pacte vert (Green Deal), lequel marque un tournant vers l’agroécologie.

Dans ce cadre, la Commission a obligé chaque État membre à se doter d’un document de planification stratégique pour cinq ans (PSN), dont elle vérifie la cohérence avec les stratégies « De la Ferme à la Table » (Farm to Fork) et « Biodiversité », avant validation. Pour rappel, la stratégie « De la Ferme à la Table » envisage de consacrer 25 % de la SAU à l’agriculture biologique, et le règlement « SUR », déclinaison de la stratégie biodiversité, prévoyait un objectif de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques de 50 % d’ici 2030.

Ainsi, selon le règlement européen instaurant les plans stratégiques nationaux ([249]), « la perception intégrale des aides de la PAC [est subordonnée] au respect, par les agriculteurs et les autres bénéficiaires, de normes de base en matière d’environnement, de changement climatique, de santé publique, de santé végétale et de bien-être animal ».

Même si, selon Mme Cécile Détang-Dessendre ([250]), directrice scientifique adjointe agriculture à l’Inrae, la PAC n’est pas « une politique environnementale », mais « une politique de redistribution, une politique d’aide aux revenus, dans laquelle, au fil des années, une architecture verte a été introduite », votre rapporteur estime que celle-ci aurait pu constituer le socle sur lequel arrimer la transition agroécologique.

2.   Le PSN français, un rendez-vous manqué

a.   Analyse des grands équilibres du PSN

Le PSN français porte sur une enveloppe de 9,1 milliards d’euros par an pour la période 2023-2027. Son élaboration a été confiée à la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l’agriculture. Il devait ensuite être approuvé par la Commission européenne. Le PSN peut être révisé chaque année, sous réserve d’une validation de la Commission européenne.

La nouvelle PAC conserve une structure en deux piliers mais offre une flexibilité accrue pour les transferts entre ces deux piliers.

En effet, depuis le règlement 2021/2115 du 2 décembre 2021 ([251]), un transfert à hauteur de 25 % des aides du premier pilier vers le second, et du second pilier vers le premier, est autorisé, ce qui offre une certaine souplesse pour renforcer le caractère environnemental de la PAC au sein des PSN nationaux. Chaque État membre est libre de fixer le montant du taux de transfert.

La France a fait le choix d’un taux de transfert de 7,53 % du premier pilier vers le second, ce qui représente un montant de 548, 745 millions d’euros par an. Ce choix a été entériné par la Commission, par l’acte délégué du 15 février 2022 ([252]).

Le premier pilier, financé par le Fonds européen agricole de garantie annuel (Feaga), représente, après transfert vers le second pilier, 6,740 milliards d’euros (paiements directs uniquement), auxquels s’ajoutent 352 millions d’euros pour les programmes sectoriels.

Ce pilier répond toujours à l’objectif de maintenir un niveau de « rémunération équitable aux agriculteurs », ([253]) sous la forme principale de paiements directs.

Profondément remanié pour renforcer la conditionnalité des aides, le premier pilier comprend une innovation, « l’éco-régime », qui représente 25 % des paiements directs, soit environ 1,8 milliard d’euros.

Pour renforcer l’équité entre les petites et grandes exploitations, le règlement européen permet un plafonnement des aides directes que la France n’a pas activé.

Le deuxième pilier, financé par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), représente, après transfert, 2,008 milliards d’euros en moyenne – ce montant est variable parce que les interventions sont pluriannuelles et qu’il reste encore des fonds disponibles au titre de la programmation 2014-2022.

Il porte la politique de développement rural, cofinancée par l’Union européenne, les États membres et les régions. Pour ce qui concerne la politique agro-environnementale, il comprend notamment les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) ainsi que les aides à la conversion.

Ainsi, au sein du PSN, trois mesures permettent d’asseoir une véritable transition agro-écologique :

– la conditionnalité des aides ;

 les éco-régimes (premier pilier) ;

– le développement rural (second pilier) qui comporte les aides à la conversion vers l’agriculture biologique ainsi que les MAEC.

Si l’on adopte une vision macro-économique, le second pilier, davantage tourné vers la transition agroécologique, se trouve en réalité sous-doté, et le taux de transfert adopté entre les deux piliers ne permet pas de corriger cette insuffisance.

Comparaison entre la PAC 2014-2020 et la PAC 2023-2027

Source : Document adressé à la commission d’enquête par MM. Hervé Guyomard et Jean-Christophe Bureau.

L’ambition environnementale portée par la PAC au niveau européen se trouve en réalité minorée dans sa déclinaison française au sein du PSN.

Christophe Clergeau, député européen, note en effet que « la Commission et l’Autorité environnementale ont souligné [le] manque d’ambition du [PSN français], avec un faible engagement pour l’agriculture biologique – une faiblesse récemment confirmée par les réductions de niveaux de soutien –, un système d’éco-régime particulièrement laxiste – la grande majorité des agriculteurs peut accéder au premier niveau sans faire évoluer ses pratiques – et des mesures agri-environnementales insuffisantes et ne permettant pas de répondre aux demandes. » ([254])

Mme Cécile Détang-Dessendre, de l’Inrae, confirme que « la France, comme d’autres pays membres de l’Union européenne, a fait le choix d’une programmation accessible au plus grand nombre au détriment d’une ambition environnementale plus élevée. » ([255])

La Commission a demandé à la France de revoir sa copie du PSN ([256]) pour lui donner une plus grande ambition environnementale. La deuxième version proposée par le Gouvernement français a finalement été validée le 31 août 2022.

Le graphique ci-dessous décrit l’organisation du PSN français, en fonction des deux piliers de la PAC ainsi que les choix opérés par le ministre de l’agriculture.

Le plan stratégique national français

Source : Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire ([257])

Votre rapporteur déplore ce manque d’ambition. Comme l’a très justement rappelé M. Thibault Malausa, chercheur à l’Inrae, « nous sommes dans une situation de déni qui concerne l’ensemble des leviers de l’agroécologie. Si on regarde les moyens investis à l’après-guerre pour installer et établir les modèles agrochimiques, cela doit être au moins deux à trois supérieur à ce que l’on déploie aujourd’hui en faveur des leviers de l’agroécologie. » ([258])

b.   Un premier pilier peu exigeant sur le plan environnemental

La conditionnalité pour recevoir les aides directes du premier pilier, introduite en 2003, a été renforcée pour l’exercice budgétaire 2023-2027.

Cette conditionnalité renforcée implique que les agriculteurs doivent satisfaire à deux critères, les EMRG (exigences règlementaires en matière de gestion) portant sur le secteur de l’environnement, de la santé publique, de la santé végétale et du bien-être animal, ainsi que les BCAE (bonnes conditions agricoles et environnementales), critères définis dans le règlement instaurant les plans stratégiques nationaux.

Les BCAE comprennent dorénavant neuf items. On observe que seuls deux items sur neuf ont une incidence directe en termes de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques : le 7 (rotation des cultures) et le 8 (maintien des éléments du paysage).

Les items 1 (obligation du maintien des prairies permanentes), 9 (interdiction de convertir ou de labourer les prairies permanentes dans les sites Natura 2000) et 4 (bandes tampons le long des cours d’eau), en instaurant « des zones de non traitement » pour le bord des fossés et les canaux d’irrigation, y participent également, mais plus indirectement.

Dans la pratique, Mme Céline d’Etang-Dessendre estime que « la conditionnalité n’est pas suffisamment contraignante puisque, concrètement, 97 ou 98 % des agriculteurs la satisfont, notamment grâce à une multitude de dérogations possibles. ([259]) ». À titre d’exemple, les conséquences géopolitiques sur les marchés de la guerre en Ukraine ont permis à la France de demander à l’UE une dérogation relative à la mise en jachère ainsi qu’à la rotation des cultures (BCEA 7 et 8).

 

Les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE)

BCAE 1 Obligation du maintien des prairies permanentes.

BCAE 2 Protection des zones humides et des tourbières.

BCAE 3 Interdiction de brûlage.

BCAE 4 Bandes tampons le long des cours d’eau.

BCAE 5 Gestion du labour réduisant les risques de dégradation des sols.

BCAE 6 Interdiction de sols nus durant les périodes sensibles.

BCAE 7 Rotation des cultures.

BCAE 8 Maintien des éléments du paysage.

BCAE 9 Interdiction de convertir ou de labourer les prairies permanentes dans les sites Natura 2000.

Source : Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire ([260])

                                                        Pour M. Loïc Madeline, représentant de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB), « la rotation est l’un des points faibles des BCAE » ; « les systèmes spécialisés cherchant la performance à n’importe quel prix ne pratiquent pas la rotation. » ([261])

Votre rapporteur estime que la conditionnalité des aides directes doit donc être renforcée, en prenant expressément en compte l’objectif de réduction des produits phytopharmaceutiques.

Les « éco-régimes » représentent environ 1,8 milliard d’euros. Selon M. Jean-Christophe Bureau, président du département de sciences économiques à AgroParisTech, qui a été auditionné par la commission, il s’agit d’un engagement financier fort pour des contreparties qui sont en réalité faibles.

Le PSN prévoyait initialement deux niveaux de rémunération pour les éco-régimes, avec un montant différentié en fonction du niveau de base (60 euros par hectare) ou d’un niveau supérieur (80 euros par hectare). Pour obtenir cette rémunération, toutes les exigences relatives à la voie d’accès choisie doivent être respectées.

Un niveau spécifique pour l’agriculture biologique avait également été institué, rémunéré à hauteur de 110 euros par hectare. Un plafond de 144 euros est prévu par le PSN.

Or, depuis le 3 octobre 2023, le ministre de l’agriculture a uniformément baissé les trois niveaux d’éco-régimes ([262]) par arrêté. Leur montant a finalement été légèrement rehaussé par un arrêté du 8 décembre 2023 ([263]), pour atteindre 46,69 euros pour le niveau de base, 63,72 euros pour le niveau supérieur, et 93,72 euros pour le montant spécifique à l’agriculture biologique.

Le succès des éco-régimes (cf. infra), dû à un faible niveau d’exigences, a ainsi conduit le ministre à décider d’une baisse homogène des trois niveaux de rémunération, alors que la révision des montants de rémunération aurait pu conduire à une différenciation entre les pratiques les moins vertueuses et celles qui impliquent le plus d’efforts, telles que la conversion vers l’agriculture biologique.

Pour pouvoir bénéficier d’un éco-régime, il existe trois voies : la voie « pratiques agricoles », la voie « certification environnementale » et la voie « éléments favorables à la biodiversité ». Un « bonus haies » est également accessible en complément.

Les trois voies d’accès à l’éco-régime

La voie des pratiques

L’écorégime est accordé à tout agriculteur actif pratiquant une diversification des cultures sur ses terres arables, le non-labour d’au moins 80 % de ses prairies permanentes ainsi qu’une couverture d’au moins 75 % des inter-rangs de ses surfaces en cultures permanentes. Si l’une des catégories de culture (terres arables, prairies permanentes, cultures permanentes) représente moins de 5 % de la surface admissible de l’exploitation, l’agriculteur est exempté de l’application des exigences prévues pour cette catégorie.

Certaines cultures permanentes sont assimilées à des terres arables au titre de l’éco-régime pour cette voie d’accès (par exemple le houblon, le miscanthus, les plantes à parfum…).

La voie de la certification

L’écorégime est accordé à tout agriculteur actif engageant l’ensemble de son exploitation à titre individuel dans l’un des trois types de certification suivants : le cahier des charges de l’agriculture biologique (AB), la certification haute valeur environnementale rénovée (HVE rénovée) ou une certification environnementale privée dite de niveau 2+ (CE2+) répondant a minima aux critères définis dans le plan stratégique national.

La voie des éléments favorables à la biodiversité

L’écorégime est accordé à tout agriculteur actif justifiant sur son exploitation d’au moins 7 % d’infrastructures agroécologiques ou de terres en jachères sur sa surface agricole utile (SAU)

Source : Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.

Deux critiques principales visent les éco-régimes tels que présentés dans le PSN français :

– M. Christian Huyghe souligne que « 100 % des exploitations agricoles atteignent le niveau 1 de l’éco-régime sans fournir aucun effort, et 85 % le niveau 2 de la même façon. ([264]) »

– En outre, « si un exploitant n’est pas au niveau sur l’usage des pesticides, il lui reste d’autres voies d’accès à l’éco-régime. » ([265])

Seule la voie de la certification comporte une exigence en termes de réduction d’utilisation des produits phytopharmaceutiques : la certification HVE, de façon minimale, et l’agriculture biologique, de façon maximale.

Les autres voies d’accès ne portent pas véritablement d’exigences en la matière, même si les jachères, les prairies permanentes et la couverture inter-rangs peuvent avoir un effet positif sur la réduction des produits phytopharmaceutiques, sans que celui-ci soit véritablement mesurable.

En outre, l’incitation financière est trop faible pour constituer un levier de changement. Il n’y a que 20 euros (17 euros après l’arrêté du 8 décembre) de différence entre le niveau de base (niveau 1) et le niveau supérieur (niveau 2). Et l’écart entre le niveau supérieur et l’aide à la conversion n’est que de 30 euros. Comme l’a souligné M. Guyomard, « cet écart est largement insuffisant pour encourager de tels changements de pratiques. » ([266])

Voies d’accès et montant des écorégimes

Source : Document adressé à la commission d’enquête par MM. Hervé Guyomar et Jean-Christophe Bureau.

La certification HVE donnant accès au niveau 2 de l’éco-régime, il importe de s’arrêter un instant sur ce cahier des charges (cf. encadré). À l’image de nombreuses personnes auditionnés par la commission d’enquête, votre rapporteur considère que malgré la réforme, il est très insuffisamment exigeant au regard de l’objectif.

Avant sa réforme, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, la certification HVE pouvait s’obtenir de deux manières :

– Voie A : en fonction des indicateurs environnementaux ;

– Voie B : en fonction des indicateurs économiques, sur la base d’un pourcentage maximum de produits phytopharmaceutiques dans le chiffre d’affaires.

La réforme du système de certification HVE a supprimé la voie B et impose un nouveau cahier des charges pour la voie A.

La voie A exige désormais l’absence d’utilisation de produits CMR 1, elle incite à supprimer les produits CMR 2 et à réduire la fréquence de traitement (IFT).

Cette réforme récente est difficile à évaluer. Le nouveau référentiel a néanmoins fait l’objet de nombreuses critiques lors des auditions, qui se concentrent sur trois aspects principaux :

– La faible exigence en matière de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques et la capacité à la contourner en mobilisant d’autres leviers de bonification ;

– Le cahier des charges global de HVE, qui n’induit pas réellement un changement systémique propre à favoriser une moindre dépendance à la phytopharmacie ;

– Conséquence des deux premiers points, la relativement faible différence de rémunération avec le label AB, laquelle apparaît inéquitable, dans la mesure où l’AB implique un niveau d’exigences incomparable.

Votre rapporteur a opéré une saisie sur pièces auprès du ministère de l’agriculture concernant le processus de réforme de la certification HVE. Il ne ressort aucune trace de réunions d’arbitrage interministérielles au niveau politique sur cette question sensible. Les décisions finales semblent ainsi avoir été établies uniquement au niveau technique, au sein de la Commission Nationale de la Certification Environnementale (CNCE).

 

La certification Haute Valeur Environnementale (HVE)

La Haute Valeur Environnementale (HVE) est le 3e niveau (le plus élevé) de la certification environnementale des exploitations agricoles (article L. 611-6 du Code rural et de la pêche maritime). Cette mention valorisante, prévue par l’article L. 640-2 du CRPM au même titre que les labels « produit de montagne » ou encore « produit à la ferme », résulte d’une démarche volontaire.

La certification environnementale est construite en trois niveaux permettant aux exploitants de s’engager dans une démarche de progrès de leurs pratiques agricoles sur le plan du respect de la biodiversité, de la stratégie phytosanitaire, de la gestion de la fertilisation et de la gestion de la ressource en eau :

1er niveau : sensibilisation aux prérequis règlementaires et autodiagnostic de leur exploitation au regard du 2e et /ou du 3e niveau ;

2e niveau : mise en œuvre de bonnes pratiques agroécologiques répondant à des objectifs de moyens ; c’est dans ce cadre que des démarches environnementales privées peuvent être reconnues si le niveau des exigences environnementales de leur cahier des charges et le niveau des exigences de leur système de contrôle sont jugés équivalents au dispositif de certification environnementale de niveau 2 ;

3e niveau (Haute Valeur Environnementale) : atteinte d’une combinaison d’objectifs de résultats mesurés grâce à des indicateurs de performance environnementale.

La Haute Valeur Environnementale (HVE) garantit que les pratiques agricoles mises en œuvre sur l’ensemble de l’exploitation préservent les écosystèmes et limitent les pressions sur l’environnement (sol, eau, biodiversité...).

Au 1er janvier 2023, 36 225 exploitations françaises bénéficient de la mention « Haute Valeur Environnementale ». Les exploitations certifiées Haute Valeur Environnementale peuvent apposer le logo « Haute Valeur Environnementale » sur leurs produits (issus d’une exploitation HVE).

Source : Site internet du ministère de l’agriculture.

*

Lors de son audition ([267]), le ministre Marc Fesneau a reconnu que l’accessibilité des éco-régimes au plus grand nombre avait été recherchée, afin de permettre une acculturation des pratiques vers une transition agro-écologique.

Votre rapporteur estime qu’il s’agit là d’une erreur stratégique, et que cette ligne de conduite est incompatible avec les objectifs que la France s’est fixés en termes de réduction de l’usage des produits phytosanitaires.


c.   Un second pilier trop faiblement doté

Le second pilier de la PAC, consacré au développement rural, porte par essence les leviers pour favoriser la transition agroécologique.

Les mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) représentent, du point de vue de nombreux observateurs, l’une des voies les efficaces pour induire une évolution de l’ensemble du système d’exploitation.

Souscrites pour une durée de cinq ans, elles permettent aux agriculteurs de bénéficier d’une aide financière en contrepartie de pratiques agricoles vertueuses pour l’environnement.

Il convient de noter que la France est l’État membre de l’Union européenne qui alloue la plus faible part du second pilier aux Maec (22 %), soit moins de 500 millions d’euros par an, avec comme objectif 5,9 % de SAU couverte par ces Maec, contre 6 % en 2020.

Malgré la complexité de ces dispositifs, les Maec ont suscité un engouement important, à l’origine d’une impasse budgétaire. Plusieurs présidents de régions, parlementaires et élus professionnels et territoriaux ont en effet alerté sur un manque de crédits pour honorer les demandes de Maec formulées par les agriculteurs lors de leur déclaration PAC.

Depuis le mois de mai 2023, certains agriculteurs risquent de voir leurs demandes de Maec rejetées – ou diminuées concernant les contrats en cours – alors qu’ils respectent le cahier des charges (assolements, réalisation de diagnostics…). Dans de nombreuses régions, leur rémunération ne sera probablement pas à la hauteur de leur engagement agroécologique.

En Bretagne, à titre d’exemple, les demandes d’engagement MAEC s’élèvent à 148 millions d’euros pour la campagne 2023, selon les données de la Draaf. Or, l’enveloppe budgétaire s’élève à 95,2 millions d’euros, avec un financement qui repose à 75 % sur des crédits de la PAC et à 25 % sur des contreparties nationales apportées par l’État, l’agence de l’eau et la région. Il manque donc environ 53 millions d’euros pour satisfaire les 4 545 Maec demandées par près de 2 900 exploitations agricoles dans cette région.

À ce jour, une forte incertitude domine. Selon une estimation de Régions de France, il manquerait entre 250 et 300 millions d’euros à l’échelle nationale pour financer ces MAEC. Malgré ses demandes, votre rapporteur n’a pas pu obtenir de précisions de part du Gouvernement concernant le besoin de financement global non couvert pour ces Maec. Il semble que des arbitrages budgétaires soient en cours sur cette question.

 

La Maec « zones intermédiaires » : Grandes cultures ou polyculture élevage

Les mêmes critères transversaux s’appliquent pour les deux types de Maec :

Sur au moins 90 % des terres arables, avoir au cours des cinq ans au moins : soit une culture d’hiver, une culture de printemps, une culture à bas niveau d’impact (BNI) ou légumineuses ; soit deux années de légumineuses pluriannuelles ou de prairies temporaires

Sur au moins 90 % des terres arables, interdiction de retour d’une même culture deux années de suite, sauf pour les légumineuses pluriannuelles et PT (prairies temporaires)

Localiser de façon pertinente les infrastructures agroécologiques et les jachères mellifères dès la deuxième année

Dès la deuxième année d’engagement, a minima avoir 1 % de couverts favorables aux pollinisateurs et dès la quatrième année, avoir au minimum 2 % de haies

Absence d’intervention sur les haies entre le 15 mars et le 31 août

Absence d’intrants sur les infrastructures agroécologiques et les terres en jachère

Participer aux réunions d’échanges de pratiques entre agriculteurs

Enregistrer ses pratiques et ses interventions

Réaliser une formation au cours des deux premières années d’engagement

Réaliser un diagnostic agroécologique de l’exploitation

Sur la polyculture-élevage :

Avoir, au maximum, 80 % de la SAU en grandes cultures la première année

Avoir au moins 30 % des terres arables en culture à bas niveau d’impact (sarrasin, chanvre, sorgho, tournesol, soja…) ou en associations légumineuses-céréales, et toutes cultures certifiées bio ou en légumineuses

Avoir au moins 15 % des terres arables en prairies temporaires

Le montant unitaire sera de 69 euros/hectare avec un plafond de 12 000 euros par exploitation et par an.

Sur les grandes cultures :

Avoir au moins 80 % de la SAU en grandes cultures la première année

Avoir au moins 20 % des terres arables en cultures à bas niveau d’impact ou en légumineuses

Le montant unitaire sera de 92 euros/hectare avec un plafond de 12 000 euros par exploitation et par an.

 

Source : ministère de l’agriculture

 

 

Alors que la stratégie de la « Ferme à la table » affiche un objectif de conversion à l’agriculture biologique de 25 % de la surface agricole européenne d’ici à 2030, le PSN vise 18 % de la surface agricole française en AB en 2027, ce qui représente un quasi-doublement des surfaces en bio actuelles.

Dans le cadre du PSN, les soutiens à la conversion sont financés à hauteur de 340 millions d’euros par an.

Le renforcement des aides à la conversion à l’agriculture biologique sur la période 2014-2020 a eu un impact non négligeable sur le nombre de conversions, ce qui a permis d’atteindre 10 % de la SAU en bio. Toutefois, le graphique ci-dessous, publié par la Commission européenne, montre que malgré une hausse continue, la SAU en agriculture biologique demeure inférieure en France à celle de la moyenne des États membres de l’Union européenne.

Le Gouvernement met en avant un soutien important au bio dans le cadre du PSN, du fait de l’augmentation du budget alloué aux aides à la conversion de 250 à 240 millions d’euros et de la rémunération des services environnementaux qui serait permise par le PSN (cf. schéma ci-dessous).

Votre rapporteur estime néanmoins que le relai prévu dans le PSN est largement inadapté au vu de la conjoncture économique extrêmement difficile que traverse l’agriculture biologique.

                            Lors de son audition M. Loïc Madeline a estimé que l’agriculture biologique devait être « reconnue comme un élément clé de la transition » ([268]), soulignant au passage que « la conversion ne serait-ce que de 30 % des agriculteurs en conventionnel serait déjà une réussite et offrirait une réelle plus-value concernant l’objectif de réduction des pesticides. » ([269])

Source : Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, DGPE.


B.   réformer le psn dès 2024

Au bénéfice des observations formulées ci-avant, il apparaît indispensable de réviser le PSN dès 2024 pour en faire le levier d’un transition agroécologique d’envergure. Les aides publiques doivent être remobilisées à cette fin.

1.   Différencier les aides en tenant compte des actifs

La taille des exploitations détermine en grande partie les systèmes agronomiques. Les spécialisations induites par l’agrandissement augmentent la dépendance à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Ce phénomène d’agrandissement est actuellement encouragé par la PAC. Comme l’illustrent le tableau et le graphique ci-après, la majorité des aides PAC sont concentrées sur une minorité d’exploitations (20 % des exploitations touchent 55 % des aides), tandis que près de 20 % des exploitations ne touchent pratiquement aucune aide ; et les exploitations plus importantes touchent davantage d’aides en moyenne que les plus petites.

Le seul mécanisme redistributif tenant compte du nombre d’actifs est le paiement redistributif, instauré en 2013, qui attribue une aide supplémentaire de 10 % aux 52 premiers hectares. Ce plafond a été fixé en fonction de la taille moyenne des exploitations par actif en France. La trajectoire qui devait progressivement faire passer le taux de sur-rémunération de 10 % à 20 % a été interrompue sous la pression syndicale.

Votre rapporteur considère que nous devons à nouveau envisager une augmentation du paiement redistributif, afin d’encourager la relève générationnelle et de conforter par la même occasion les systèmes fondés sur la polyculture-élevage et, plus largement, sur l’agroécologie.

Dans cette perspective, il faudrait prendre en compte la surface moyenne par actif actuelle, qui est de 69 hectares en France métropolitaine et 5 hectares dans les Outre-mer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

courbe de distribution des aides PAc (courbe de lorenz)

Lecture : 20 % des agriculteurs touchent environ 55 % des aides PAC.

Source : ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

 

moyenne des aides Pac selon les exploitations

 

Source : ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

2.   Réformer le cahier des charges de la certification HVE

Votre rapporteur estime qu’il conviendrait de rehausser très substantiellement le niveau d’exigences en termes de réduction de l’usage des produits phytosanitaires dans le cahier des charges de la certification HVE.

Outre une différenciation des niveaux de rémunération plus équitable avec l’AB dans le cadre des éco-régimes, votre rapporteur plaide ainsi pour que le cahier des charges de la certification HVE inclue l’objectif d’une réduction de 50 % des usages des produits phytopharmaceutiques dans les exploitations concernées, conformément à l’objectif du plan Écophyto.

3.   Soutenir le potentiel de développement de l’agriculture biologique

La crise de marché que connaît l’agriculture biologique a stoppé le mouvement de conversion. Elle porte la menace de « déconversions », avec un vrai risque de fragilisation des filières patiemment construites.

Il de relancer le processus sans tarder, pour atteindre l’objectif fixé par le Gouvernement de 18 % de la SAU en bio en 2027.

● L’urgence est de soutenir l’existant, pour préserver les chances d’un retour à la croissance des deux dernières décennies.

– À cette fin, votre rapporteur appelle à recourir aux instruments d’intervention européens sur les marchés (gestion de crise ([270]) et stabilisation de marché ([271])).

– Il appelle aussi à mobiliser des financements dédiés de l’État et des interprofessions et à prolonger l’expérimentation des paiements pour services environnementaux (PSE).

Pour mémoire, ce dernier dispositif a été mis en place depuis 2020 par le ministère de la transition écologique et les agences de l’eau sous forme d’une expérimentation destinée à rémunérer les services environnementaux rendus par les agriculteurs, pour des actions portant sur :

– la gestion des structures paysagères non agricoles : haies, mares, etc. ;

– la gestion des systèmes de production agricole : couverts végétaux (couverture des sols, allongement des rotations, prairies permanentes…), gestion des ressources de l’agroécosystème (gestion de l’azote, du carbone…).

Le montant de la rémunération est proportionné à l’importance des services environnementaux rendus par l’agriculteur chaque année. La rémunération moyenne d’un PSE est estimée entre 100 et 120 euros par hectare et par an.

Lors de leur audition, les directeurs généraux des agences de l’eau ont, à l’image de M. Guillaume Choisy, directeur général de l’agence Adour-Garonne, reconnu l’utilité de ce dispositif pour rémunérer les pratiques vertueuses :

« Quand on fait des paiements pour services environnementaux (PSE), on reconnaît aux agriculteurs des pratiques qui vont dans le sens de la préservation de l’environnement sur des critères de qualité ayant trait à l’indice de fréquence de traitement (IFT), à l’assolement, au développement de l’agroécologie. Nous avons fait 900 PSE en Adour-Garonne. Ils ont cinq ans maintenant et nous sommes capables d’en mesurer la qualité. » 

● Il ne nous appartient pas ici de trancher sur ces dispositifs de façon précise, mais de mesurer l’effort minimum qu’il faut opérer, via le PSN, afin d’atteindre 144 euros à l’hectare pour le montant de l’éco-régime – au lieu des 92 euros actuellement en vigueur – destinés aux 3 millions d’hectares en AB.

Les hypothèses pour mobiliser ces crédits se heurtent toutes à des problèmes techniques et politiques :

– transfert du premier au second pilier avec un taux de 10 % au lieu de 7,53 % pour abonder une ligne spéciale compatible avec le bénéfice du crédit d’impôt AB ;

– mouvement financier au sein des éco-régimes en hiérarchisant mieux l’effort environnemental ;

– mobilisation temporaire des crédits de conversion à l’agriculture biologique pour aider au maintien…

Un effort de l’ordre de 160 millions d’euros doit, en tout état de cause, être opéré en faveur de l’agriculture biologique au sein du PSN dès 2024.

4.   Conforter la dynamique des Maec

Au regard du constat exprimé ci-avant sur les besoins de financement des MAEC, votre rapporteur estime qu’il est indispensable de prévoir un abondement de leur budget façon à honorer les contrats d’ores et déjà engagés avec les agriculteurs.

5.   Expérimenter un système assurantiel destiné à couvrir le risque des changements de pratiques

Le risque lié aux changements de pratiques, lorsqu’ils ne sont pas couverts par le marché ou par une aide à la conversion, comme pour l’agriculture biologique, est un véritable frein au changement. La commission d’enquête a été conduite à s’interroger sur les mécanismes assurantiels qui pourraient permettre de couvrir ce type de risques, mais elle n’a pas eu le temps d’approfondir cette piste.

Pour cette raison, votre rapporteur estime qu’une mission pourrait être confiée au CGAAER sur cette question. Dans un premier temps, des expérimentations pourraient être proposées à des filières ou des territoires volontaires.

Recommandation n° 19 – Anticiper la révision du PSN :

– Offrir une nouvelle trajectoire d’aides différenciées selon la taille des exploitations pour accompagner la relève générationnelle

– Réformer le cahier des charges de la HVE pour qu’il porte l’exigence d’une diminution de 50 % de réduction des produits phytopharmaceutiques

– Dans l’attente d’une révision des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) – notamment sur les rotations – étudier la marche environnementale la plus utile pour le niveau 1 des éco-régimes

– Soutenir le potentiel de développement de l’agriculture biologique et la dynamique des Maec

– Expérimenter un système assurantiel destiné à couvrir le risque des changements de pratiques

C.   Pour un fonds permanent d’innovation agroécologique au service des agriculteurs

Le rapporteur propose de créer un fonds permanent permettant d’accompagner financièrement les mutations permettant d’atteindre les objectifs attendus par le plan Écophyto. Ce fonds national pourrait évidemment être abondé par des fonds régionaux et soutenu par l’Europe.

Ce fonds pourrait s’appuyer sur la réussite du Fonds avenir bio, mis en place pour 2008, qui a permis de stimuler et de soutenir des projets de développement des filières biologiques françaises. Via des appels à projets spécifiques, ce fonds accompagne financièrement sur trois ans des opérateurs économiques qui ont des projets collectifs impliquant plusieurs partenaires à tous les stades de la filière. Renforcé en 2021 dans le cadre du plan de relance, il est doté à hauteur de 13 millions d’euros pour 2023.

En s’appuyant sur cet exemple et en nous fondant sur le volume affecté dans le budget 2024 au titre de la planification écologique, nous retenons l’hypothèse de 250 millions d’euros dédiés chaque année à ce nouveau fonds.

Votre rapporteur attire l’attention sur le ciblage de ces aides publiques. Elles doivent être engagées dans le respect de quatre principes de priorisation :

– La réduction des impacts de santé environnementale les plus significatifs ;

– Le soutien aux filières qui jouent un rôle clé dans notre souveraineté alimentaire et pour qui la baisse de l’usage des produits phytopharmaceutiques représente une prise de risque importante ;

– Une reconnaissance équitable des efforts économiques que doivent consentir les agriculteurs ;

– Une reconnaissance équitable de la charge de travail supplémentaire que pourra impliquer la transition.

 

 

 


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  1.   des règles de marché loyales au service de l’agroécologie

Les producteurs qui font l’effort de faire évoluer leurs pratiques pour réduire leur dépendance à la chimie ne doivent pas se trouver pénalisés sur les marchés. Or – cela a été un constat récurrent lors des auditions de la commission d’enquête – les règles de marché leur sont trop souvent défavorables.

En économie, une situation de distorsion de concurrence a lieu lorsqu’un facteur exogène interfère dans un équilibre concurrentiel. Le constat est posé d’une dégradation relative de la compétitivité des produits agricoles français (A). Or, l’adoption de règles environnementales plus contraignantes, dans l’Union européenne (B) voire en France (C), aurait pour effet de dégrader la compétitivité de nos producteurs. Il importe d’objectiver ces situations de distorsion de concurrence.

Il importe également d’identifier les verrouillages (D) qui, sur le marché français, tendent à défavoriser les producteurs qui adoptent des pratiques vertueuses.

Votre rapporteur recommandera d’actionner plusieurs leviers pour mettre en place des règles de marché loyales au service de l’agroécologie.

A.   L’agriculture française en situation de perte de compétitivité

En premier lieu, la perception de distorsions de concurrence défavorables aux producteurs français est assise sur un constat, celui de la perte de compétitivité des productions françaises, avec un accroissement des importations dans de nombreux secteurs. Un rapport du Haut-commissariat au plan daté de juillet 2021 ([272]) relève ainsi que « les importations agricoles et agroalimentaires de la France représentent au total environ 20 % de l’alimentation nationale ; elles ont doublé entre 2000 et 2019, passant de 28 à 56 milliards d’euros, essentiellement en provenance de pays de l’Union européenne. Dans le même temps les exportations augmentaient d’un peu plus de 70 %. Sur les 26 millions d’hectares mobilisés pour l’alimentation des Français, soit pratiquement le même ordre de grandeur que la SAU française (28,6 millions d’hectares en 2019), presque 10 millions d’hectares se trouvent hors de France ».

Si l’on observe ainsi une très nette dégradation du taux de couverture des importations par les exportations dans le domaine agroalimentaire (cf. graphique ci-dessous), cette évolution recouvre des réalités très différentes selon les filières. Il apparaît ainsi que l’excédent commercial et agroalimentaire de la France repose essentiellement sur deux catégories de produits, les vins et spiritueux (1er exportateur mondial) et les céréales (3ème exportateur mondial).

Le rapport du Haut-Commissariat souligne ainsi que, « à côté de ces étendards bien identifiés, et donc derrière l’excédent commercial agricole et agroalimentaire, se trouve une myriade de déficits plus ou moins importants, révélant l’érosion, la faiblesse sectorielle ou le déficit de compétitivité de pans entiers de l’agriculture française. »

 

              Dans le détail, le rapport révèle ainsi que la France importe :

– le tiers de la viande de volaille et le quart de la viande de porc consommée, ainsi que 50 % de la viande de bœuf consommée dans la restauration (en revanche, 93 % de celle vendue en grande distribution est française) ;

– les deux tiers des poissons consommés ;

– 70% des légumineuses destinées à l’alimentation humaine ;

– 40% des matières riches en protéines destinées l’élevage ;

– Plus de la moitié des fruits et légumes consommés.

Il convient de noter que les importations agroalimentaires françaises sont majoritairement issues de pays européens, exception faite du soja pour l’alimentation animale, massivement importé du Brésil, ainsi que l’illustrent les graphiques ci-après, issus d’une note d’analyse des chambres d’agriculture ([273]).

production de soja dans l’Ue, en France et au brésil

10 principaux exportateurs en France

Pour les viandes et abats

Pour les légumes, racines et tubercules

Pour les fruits

B.   instaurer une relation commerciale équitable avec les pays tiers

1.   Des importations extra-UE qui ne sont pas soumises aux normes phytosanitaires européennes

Il ressort de ce qui précède que l’agriculture française n’est pas concurrencée, à titre principal, par des importations issues de pays tiers, mais plutôt par des importations européennes.

Il n’en demeure pas moins que l’on observe, avec ces pays tiers, un différentiel en matière de normes environnementales et sanitaires parfois considérable. Ce différentiel pose problème non seulement parce qu’il dégrade la compétitivité relative de notre production, mais aussi parce qu’il nous conduit à importer des produits qui ont été cultivés dans des conditions que la France et l’Union européenne ont jugées néfastes pour la santé et pour l’environnement.

Or, les mesures adoptées pour protéger l’agriculture et le consommateur européen apparaissent globalement insuffisantes au regard des enjeux.

a.   Les limites du contrôle des limites maximales de résidus

Outre la procédure d’autorisation des substances actives et produits phytopharmaceutiques, explicitée en seconde partie, la politique de l’Union européenne en matière de réduction des risques liés aux pesticides repose sur le contrôle des limites maximales de résidus (LMR) dans les aliments.

En vertu du règlement (CE) 396/2005 ([274]), les LMR sont les niveaux supérieurs de résidus de pesticides légalement admis dans ou sur les aliments destinés à l’alimentation humaine ou animale, sur la base des bonnes pratiques agricoles et de la plus faible exposition nécessaire pour protéger les consommateurs vulnérables.

Elles sont établies après une évaluation complète des propriétés de la substance active et des utilisations prévues du pesticide concerné par l’Efsa, en étroite collaboration avec les États membres – comme pour l’évaluation des substances actives, un État membre rapporteur est chargé de l’instruction du dossier. Pour établir ces LMR, l’exposition alimentaire chronique (à long terme) et aiguë (à court terme) des consommateurs aux résidus de pesticides est estimée à l’aide d’un modèle de calcul développé par l’Efsa (cf. encadré). Sur la base de l’opinion de l’Efsa, la Commission publie un règlement pour établir une nouvelle LMR ou modifier ou supprimer une LMR existante.

En principe, les LMR s’appliquent de manière indifférente aux denrées produites dans l’Union européenne et à celles qui sont importées de pays tiers. Par ce moyen, l’UE cherche à assurer un niveau de protection équivalent vis-à-vis des aliments mis sur le marché, quelle que soit leur origine.

Concrètement, pour les produits phytopharmaceutiques autorisés au sein de l’Union européenne, la LMR s’appliquant aux produits importés est similaire à celle prévue au sein de l’UE. S’agissant des pesticides interdits ou pour lesquels aucune demande d’autorisation n’a été introduite au sein de l’Union européenne, la LMR est abaissée à la limite de quantification, qui correspond généralement à l’absence de résidu détectable par les méthodes d’analyse courantes (valeur par défaut de 0,01 mg/kg).

Critères d’établissement des limites maximales de résidus (LMR) par l’Efsa

Pour s’assurer que les LMR définies pour un pesticide respectent la sécurité du consommateur, l’Efsa considère que chaque fruit, légume et céréale pour lesquels une autorisation de mise sur le marché du pesticide a été délivrée, contient la teneur maximale autorisée en résidu de pesticide.

Elle fait la somme de ces résidus potentiels en prenant en compte le régime alimentaire de toutes les catégories de populations y compris sensibles comme les bébés de quatre mois et les enfants.

La quantité de pesticide théorique ingérée est alors comparée à la dose journalière admissible (DJA) qui correspond à la dose sans effet (ne provoquant pas de maladie), obtenue après études de toxicité sur animaux (métabolisme, cancérogénèse, mutagénèse...).

On ajoute des facteurs de sécurité pour tenir compte des variations de comportement possibles entre les hommes et les animaux et entre les divers groupes de population.

Dans tous les cas les LMR sont établies de façon à rester bien en deçà des seuils toxicologiques, c’est-à-dire de manière à ce que les quantités de résidus qu’un individu est susceptible de retrouver quotidiennement dans son alimentation ne soient en aucun cas toxiques, à court et à long terme.

Les études conduites par l’Efsa et l’Anses indiquent par ailleurs que l’ingestion de résidus de produits phytopharmaceutiques reste nettement en dessous de la dose journalière admissible et qu’il n’y a donc pas de risque de toxicité pour le consommateur.

Cependant, on note d’emblée deux limites dans le recours aux LMR pour évaluer la conformité des produits importés aux normes environnementales et sanitaires européennes :

– tous les produits phytosanitaires utilisés dans la production végétale ou animale ne produisent pas de résidus dans les denrées qui sont commercialisées. La LMR ne rend ainsi que très partiellement compte des normes phytosanitaires appliquées à la production ;

– certains importateurs recourraient à des produits « masquants » qui permettraient de faire en sorte que les résidus ne soient pas détectés lorsque les produits sont testés. La députée européenne Anne Sander a évoqué, à ce titre, lors de son audition ([275]), l’exemple des néonicotinoïdes utilisés dans la culture de la betterave : « Lorsque le sucre arrive en Europe, nous ne parvenons pas à en retrouver la trace ».

Comme nous l’avons vu, lorsqu’une substance phytopharmaceutique n’est pas/plus approuvée au niveau européen, la LMR est normalement abaissée à la limite de quantification.

Toutefois, la Commission européenne peut ensuite relever cette LMR au titre d’une tolérance à l’importation, « afin de répondre aux besoins du commerce international » ([276]), et après une évaluation des risques concluant à l’absence d’effet inacceptable pour l’exposition alimentaire.

En principe, ces tolérances à l’importation s’appliquent uniquement dans les cas où la substance n’est pas autorisée « pour des raisons autres que de santé publique », ce qui signifie que l’impact environnemental avéré d’une substance ne fait pas obstacle à l’établissement de tolérances à l’importation.

Par ailleurs, pour éviter que leurs molécules ne soient interdites pour des raisons sanitaires (classification CMR), les fabricants de pesticides laisseraient souvent expirer leurs homologations au sein de l’UE, dans l’espoir d’obtenir une tolérance à l’importation sur la LMR applicable à leur substance ensuite.

Dans le cadre de la stratégie « de la ferme à la table », l’UE s’est néanmoins engagée à tenir compte des aspects environnementaux lors de l’évaluation des demandes de tolérances à l’importation pour les pesticides qui ne sont plus autorisés dans l’Union. En février 2023, un règlement interdisant l’importation de produits contenant des traces de deux néonicotinoïdes, le thiaméthoxame et la clothianidine, a ainsi été adopté. La Commission européenne propose d’abaisser les LMR au seuil de quantification pour ces deux substances d’ici le 7 mars 2026.

Si ce règlement envoie un message important, en prenant en compte, pour la première fois, des critères environnementaux pour refuser des tolérances à l’importation, force est de constater qu’il ne porte que sur deux substances.

Les produits importés dans l’Union européenne font l’objet de contrôles aux frontières, dans le cadre d’un programme de contrôle pluriannuel et coordonné de l’UE qui, chaque année, exige que les États membres prélèvent des échantillons, effectuent des analyses et mènent des essais sur un éventail convenu de produits – pertinent par rapport au régime alimentaire – pour un éventail convenu de pesticides. Par ailleurs, les États membres disposent de leurs propres programmes nationaux fondés sur l’évaluation des risques. En France, ce contrôle relève désormais de la compétence de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) (cf. encadré ci-après).

Cependant, ces contrôles apparaissent d’autant plus limités en ampleur que les non-conformités détectées sont assez importantes. Ainsi, sur les 907 substances actives interdites en Europe, le plan de surveillance de l’UE n’impose d’en tester que 176.

Le dernier rapport de l’Efsa sur les résidus de pesticides dans les aliments ([277]) révèle ainsi que, dans le cadre du programme de contrôle coordonné par l’UE, le taux global de résidus dépassant les LMR a augmenté de 1,4 % en 2018 à 2,1 % en 2021, avec une alerte particulière sur les pamplemousses (cf. graphique).

résidus de pesticides détectés dans le cadre du programme annuel de contrôle de l’UE

NB : les résidus détectés sont soit en deçà de la limite de détection (below LOQ), soit entre la limite de détection et la limite maximale de résidus (LMR) autorisée (between LOQ and MRL), soit au-delà de la LMR autorisée (above MRL).

Source : Efsa.

Le contrôle du respect des LMR aux frontières en France

La DGDDI est progressivement devenue l’autorité compétente pour la réalisation des contrôles à l’importation avant-dédouanement sur les denrées alimentaires d’origine non‑animale soumises à contrôles renforcés et à mesures d’urgence – notamment les produits concernés par un risque de contamination aux résidus de pesticides – et sur les produits d’origine biologique. Ces missions ont été transférées de la DGCCRF à la DGDDI entre le 1er janvier 2020 jusqu’au 1er juin 2023.

La DGDDI effectue des contrôles à l’importation avant-dédouanement sur deux types de marchandises concernées par un risque de contamination par des résidus de pesticides.

-          Contrôle des denrées alimentaires d’origine non animale soumises à contrôles renforcés et mesures d’urgence

La réglementation européenne prévoit des contrôles aux postes de contrôle frontaliers pour les biens en provenance de certains pays tiers pour lesquels la Commission a décidé qu’une mesure imposant un renforcement temporaire des contrôles officiels à l’entrée dans l’Union était nécessaire en raison d’un risque connu ou émergent.

Une liste de couples pays/produit à risque chacun associés à un danger est pour ce faire défini au niveau européen. Le danger consiste en la présence d’un ou plusieurs contaminants spécifiques, parmi lesquels figurent les résidus de pesticides. Le risque est estimé sur le fondement des non-conformités relevées par l’ensemble des États membres et révisé tous les semestres.

Les marchandises importées figurant sur cette liste doivent ainsi obligatoirement faire l’objet d’une notification préalable et d’un contrôle avant-dédouanement au poste de contrôle frontalier (PCF) du premier point d’arrivée dans l’Union européenne.

Les PCF réalisent des contrôles documentaires sur l’ensemble des envois notifiés, et des contrôles d’identité et physiques selon les fréquences prescrites au niveau européen. Ces fréquences peuvent varier de 5 % à 50 % en fonction du niveau de risque présenté par le triptyque pays/produit/contaminant.

La fixation de ces taux dépend donc de l’analyse du risque effectuée par la Commission européenne. Cette mesure est basée sur la probabilité de dépassement en fonction des résultats qui avaient été obtenus précédemment. Les taux sont modulés tous les six mois.

En 2023, trente-neuf triptyques concernent des produits exigeant un contrôle renforcé et vingt-cinq triptyques relèvent de mesures d’urgence en lien avec des résidus de pesticides. À titre d’exemple, l’arachide originaire du Brésil se voit imposer un taux de contrôle physique de 30 %, ce qui signifie que des analyses doivent être effectuées sur 30 % des flux.

Le contrôle physique donne lieu à un prélèvement d’échantillons transmis à un laboratoire du Service commun des laboratoires (SCL). Le laboratoire rend ses conclusions au PCF. Si la contamination dépasse les limites maximales de résidus (LMR) prévues par la réglementation européenne, l’envoi ne peut pas être importé dans l’Union européenne.


-          Contrôle des produits issus de l’agriculture biologique

Les produits issus de l’agriculture biologique font l’objet de contrôles à l’importation afin de vérifier le respect des règles de production biologique. Les contrôles sont effectués, au choix de l’opérateur, au PCF du premier point d’arrivée dans l’Union européenne ou bien dans un PCF situé en un autre point du territoire français ou de l’Union européenne. Le contrôle de la qualité biologique conditionne la mise en libre pratique de la marchandise.

Les services réalisent des contrôles documentaires sur l’ensemble des envois notifiés, et des contrôles d’identité et physiques sur 5 % de ces envois selon une fréquence fixée au niveau national par la DGDDI. La direction générale de l’agriculture et du développement rural (DG-AGRI) de la Commission européenne prévoit par ailleurs des fréquences de contrôles plus élevées sur certains couples pays/produits, sur le fondement d’une analyse de risque mise à jour chaque année.

Si la contamination aux résidus de pesticides mesurée lors des contrôles physiques dépasse les LMR, la marchandise ne peut alors pas être mise en libre pratique. L’opérateur peut toutefois décider d’une mise en libre pratique en tant que produit conventionnel si les LMR ne sont pas dépassées, à condition de supprimer toutes les mentions relatives à la nature biologique de la marchandise sur les étiquetages.

Source : DGDDI

Cependant, les résultats des contrôles effectués par la DGDDI révèlent des non-conformités plus importantes. Ainsi en 2022, des contrôles documentaires ont été effectués sur 17 000 lots. Des contrôles physiques ont ensuite été effectués sur certains de ces lots, en fonction du pourcentage approprié décidé au niveau européen (cf. encadré). 860 lots ont donné lieu à des analyses en résidus de pesticides. Un peu moins de 80 % d’entre elles ne contenaient pas de traces détectables. En revanche, 89 lots révélaient des non-conformités qui ont été remontées à la Commission européenne, soit plus de 10 % des lots analysés.

Lors de son audition ([278]), M. Simonneau, chef de bureau « Restrictions et sécurisations des échanges » à la DGDDI, a néanmoins souligné que ce taux élevé de non-conformités devait être mis en relation avec le caractère ciblé des contrôles, qui ne portent que sur les tryptiques pays/produit/contaminant les plus sensibles.

Votre rapporteur estime qu’il serait souhaitable d’étendre les moyens alloués à ces contrôles. Il note en effet que la fréquence maximale des contrôles physiques, y compris sur les triptyques pays/produit/contaminant considérés comme à risques, est de 50 %, ce qui peut sembler insuffisant au regard de l’ampleur des non-conformités constatées. Il importe en outre de préserver un taux suffisant de contrôles non ciblés, afin de détecter l’émergence de nouveaux triptyques « à risques ».

b.   Une solution transitoire : la clause de sauvegarde

Le règlement européen 178/2002 ([279]) prévoit des mesures d’urgence permettant de bloquer l’entrée sur le territoire de l’UE de produits qui présenteraient « un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ».

Au titre de l’article 53 de ce règlement, la Commission européenne est ainsi fondée à suspendre les importations en provenance d’un pays tiers « lorsqu’il est évident que des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les États membres concernés », de sa propre initiative ou à la demande d’un État membre.

L’article 54 dispose par ailleurs que « lorsqu’un État membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et que la Commission n’a pris aucune mesure conformément à l’article 53, cet État membre peut prendre des mesures conservatoires », après en avoir informé la Commission et les autres États membres.

La France a déjà eu recours à ce type de mesure pour bloquer certaines importations de pays utilisant, dans leur production, des produits interdits sur son territoire. Ainsi, depuis 2016, elle a reconduit chaque année une clause de sauvegarde visant à bloquer les importations de cerises en provenance de pays qui utilisent l’insecticide diméthoate dans leur production. À noter que l’interdiction du diméthoate, qui était initialement française, a été généralisée à l’échelle européenne en 2019.

Par ailleurs, en mars dernier, une autre clause de sauvegarde a été adoptée pour bloquer les importations de pays utilisant un autre insecticide, le phosmet, dans la production de cerises, après que l’Union européenne a interdit cette substance, en janvier 2022. Dans les visas de l’arrêté du 16 mars 2023 ([280]) qui procède à l’activation de cette clause de sauvegarde, cette démarche est notamment justifiée par le fait que la Commission européenne n’a pas abaissé à la limite de quantification la LMR sur ce produit pourtant interdit.

Si ces clauses de sauvegarde peuvent ainsi être une solution d’urgence pour éviter l’importation de denrées produites avec des pesticides considérés comme trop risqués au sein de l’UE, elles ne peuvent être que transitoires, dans l’attente d’une « redéfinition des conditions d’acceptabilité des produits qui entrent sur le marché européen », ainsi que l’a souligné lors de son audition M. Éric Dumoulin, sous-directeur de la sécurité sanitaire des aliments au sein de la direction générale de l’alimentation du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ([281]).

c.   Le recours à l’indication de l’origine

Un autre moyen pour protéger les productions françaises et européennes, face aux productions de pays tiers qui ne répondraient pas aux mêmes exigences sanitaires et environnementales, notamment en matière de produits phytosanitaires, consiste à miser sur l’étiquetage des produits et la segmentation du marché qui en découle. Cette stratégie repose sur le fait que le consommateur sera sensible à cet étiquetage, qui constituera une incitation à acheter le produit qui, de cette manière, se révélera être celui qui répond aux meilleurs standards.

Il s’avère en effet que les consommateurs sont assez sensibles à l’indication de l’origine géographique, privilégiant le « made in France ». Cependant, cette indication de l’origine n’est, à l’heure actuelle, obligatoire que pour un nombre restreint de produits, en particulier les fruits et légumes frais, le miel, la viande, le poisson, les œufs, l’huile d’olive et les vins et spiritueux.

En outre, depuis le 1er avril 2020, lorsque l’étiquetage d’un produit transformé fait apparaître l’origine d’une denrée alimentaire et que celle-ci diffère de celle de son ingrédient primaire, l’indication de l’origine de l’ingrédient en question devient obligatoire ([282]).

Il apparaît que ces exigences en matière d’indication de l’origine pourraient être précisées et renforcées, notamment en faisant en sorte que le pays soit précisément mentionné, à la place de l’indication « UE » ou « non UE ». Cependant, ces évolutions sous soumises à une modification du règlement européen INCO qui régit l’étiquetage des denrées alimentaires ([283]).

d.   Des enjeux particulièrement complexes Outre-mer

Votre rapporteur tient à s’arrêter plus spécifiquement sur les distorsions de concurrence auxquelles sont confrontés les producteurs ultramarins, lesquels, tout en respectant les normes de production de l’Union européenne, notamment en matière phytosanitaire, se trouvent entourés de pays tiers avec lesquels ils sont directement en concurrence, et dont les normes de production sont sans commune mesure.

Ces distorsions ont notamment été soulignées par M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom, lors de son audition ([284]). Il a relevé que les cultures tropicales issues des départements d’Outre-mer (DOM) étaient directement en concurrence, sur le marché européen, avec les cultures tropicales de pays tiers. Or, ces dernières bénéficient souvent déjà de coûts de main-d’œuvre nettement moindres, ce qui constitue un peu premier avantage compétitif. Les exigences européennes en matière de normes de production, notamment phytosanitaires, constituent un second désavantage compétitif qui n’est nullement compensé par le contrôle des LMR à l’entrée dans l’Union européenne :

« Les LMR visent à s’assurer que le consommateur ne risque pas d’absorber un niveau excessif de produits phytosanitaires. Or, il faut savoir que la banane ne synthétise pas les produits vaporisés dessus. Le fruit commercialisé peut donc respecter les valeurs des LMR tout en ayant une empreinte désastreuse pour la planète. Les standards communautaires nous imposent des modes de production vertueux et c’est un grand avantage de notre agriculture tropicale pour le consommateur. En revanche, les fruits et légumes importés, même s’ils satisfont les LMR, causent des dégâts profonds à la planète. Nous sommes fréquemment amenés à nous déplacer dans [les pays tiers producteurs], nous voyons qu’ils font un usage très intensif des produits phytosanitaires ».

M. Lombrière a noté une situation particulièrement complexe pour l’agriculture bio ultramarine, du fait de ces distorsions de concurrence avec les pays tiers environnants :

« Il faut savoir que la législation communautaire distingue deux catégories de produits bio. La première regroupe les productions issues des pays de l’Union européenne, qui sont assujetties au cahier des charges communautaire. Il existe une deuxième catégorie de produits autorisés à porter le label bio : dès lors qu’un pays tiers considère que tel produit satisfait au cahier des charges communautaire, ce dernier se voit décerner une équivalence lui permettant d’être introduit sur le marché européen avec le label bio.

Ainsi, de nombreux produits cultivés dans les Drom ne peuvent pas afficher le label bio parce que leurs producteurs sont respectueux du cadre réglementaire européen. A contrario, des produits arrivant de pays tiers sont vendus avec l’étiquette bio alors qu’ils ont été produits dans des conditions moins vertueuses, y compris en matière d’usage de produits phytosanitaires. »

Ces divergences entre le cahier des charges bio de l’Union européenne et les équivalences décernées aux productions bio des pays tiers, avec un niveau de contrôles sans commune mesure, constituent une difficulté majeure pour des productions qui se trouvent directement en concurrence sur le marché européen. La possibilité de différencier ces produits est alors réduite : l’étiquette portera simplement la mention « UE » ou « non UE ». M. Lombrière souligne avoir « demandé à la Commission européenne d’adopter deux couleurs différentes pour que le consommateur puisse distinguer aisément les produits bio conformes des produits bio équivalents », sans succès à ce jour.

2.   Mettre en place des règles équitables

a.   Supprimer les tolérances à l’importation pour tous les produits interdits dans l’UE

Votre rapporteur estime qu’il est indispensable que les mesures applicables aux aliments importés soient les mêmes que celles qui s’appliquent aux produits européens s’agissant des LMR. C’est une nécessité pour éviter des distorsions de concurrence au détriment des producteurs européens, mais aussi et surtout pour prévenir des risques pour le consommateur européen. Il n’est pas justifiable que les LMR jugées adaptées pour les productions européennes puissent faire l’objet de tolérances pour les productions importées, dans la mesure où le critère pour l’établissement de ces valeurs est bien un critère sanitaire, qui ne saurait faire l’objet d’aménagements (cf. supra). Les intérêts du commerce international ne sauraient être mis en balance avec la santé des consommateurs européens.

Ainsi, votre rapporteur appelle à la suppression des tolérances à l’importation. Cela implique, pour l’ensemble des substances interdites au sein de l’Union européenne, l’abaissement des LMR au seuil de quantification. C’est également la position portée par le Gouvernement français auprès des institutions européennes.

Par ailleurs, il importe de poursuivre le développement des méthodes de détection afin d’abaisser encore les limites de quantification des résidus. Comme l’a souligné M. Dumoulin, de la DGAL, lors de son audition ([285]), « nous sommes convaincus que nous devons nous efforcer d’améliorer les performances dans les techniques analytiques pour identifier les produits masquants. C’est une lutte identique à celle contre le dopage à l’égard duquel une véritable course se joue pour anticiper les stratégies de triches. Il conviendra d’effectuer un effort concernant le travail des laboratoires nationaux de référence, têtes de proue en charge de l’évolution des techniques de détection et de dépistage. »

b.   Mettre en place des mesures miroir, une nécessité et un défi

Comme cela a été démontré, les LMR ne sont pas suffisantes pour garantir que les denrées importées ont été produites avec des normes similaires à celles de l’Union européenne en matière phytosanitaire. S’en tenir aux LMR ne permet pas d’assurer une protection suffisante des producteurs européens, qui sont, dès lors, confrontés à des distorsions de concurrence très préjudiciables.

En outre, si les LMR peuvent être jugées relativement protectrices pour la santé des consommateurs européens, elles ne le sont pas pour celle de la population des pays exportateurs, ni pour l’environnement. Or, les enjeux environnementaux sont, à l’évidence, des enjeux globaux.

Il importe donc d’aller vers la définition de clauses miroir dans le droit européen, de nature à garantir que les produits importés respectent des normes de production conformes aux exigences européennes.

Face aux débats sémantiques autour de cette question, votre rapporteur propose de s’en tenir à la distinction opérée par le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger lors d’une audition par la commission des affaires étrangères, en mai dernier :

« Nous insérons dans les accords des clauses miroir, quoique nous privilégiions les mesures miroir. Les premières sont introduites dans l’accord commercial : la signature de l’accord avec le Mercosur, par exemple, supposerait qu’elles y soient incluses. Tel pays pourra importer du bœuf sur le sol européen mais celui-ci devra avoir été élevé conformément aux préconisations de l’Union européenne, imposées à nos propres producteurs. Les secondes ne sont pas introduites dans l’accord commercial mais dans la législation européenne, règlements et directives : ce que nous imposons à nos producteurs européens s’applique à tout importateur. Les mesures miroir s’appliqueront à tous les traités de commerce, y compris à ceux qui ont été antérieurement conclus, dont le CETA. Toutefois, elles ne seront pas à proprement parler rétroactives en ce qu’elles ne s’appliqueront pas aux importations déjà réalisées mais à celles qui le seront dès que ces mesures seront effectives. Elles seront également valables pour les importations en provenance de pays avec lesquels nous n’aurions pas d’accord de commerce, comme c’est le cas avec les États-Unis. Nous restaurons ainsi un équilibre des échanges. Nous privilégions une telle stratégie parce qu’elle est la plus efficace : nul besoin de faire des concessions. Une clause miroir, en effet, est négociée dans le cadre d’un accord de commerce. Un importateur, si une contrainte lui est imposée, peut demander en échange une augmentation des quotas. Une mesure miroir présente les mêmes avantages qu’une clause miroir mais il n’y a rien à négocier en contrepartie ».

Dans le secteur de l’élevage, l’Union européenne met déjà en œuvre des dispositifs qui s’apparentent à des mesures-miroir, en ce qu’elles conditionnent l’accès au marché européen au respect de normes sanitaires et environnementales spécifiques.

C’est le cas, en particulier, de l’interdiction des hormones de croissance. Les pays qui souhaitent exporter des produits animaux vers l’UE doivent se conformer à cette interdiction en mettant en place un système spécifique, placé sous la responsabilité des autorités du pays producteur, qui contrôle les procédés au niveau de la chaîne de production. La réglementation européenne impose également un système de traçabilité des animaux et une accréditation des abattoirs. La Commission européenne peut effectuer des audits dans les pays producteurs. Un audit conduit en 2019 au Canada a cependant révélé de nombreuses carences dans la mise en place de ces obligations, au point que le respect de l’interdiction de traitement aux hormones n’apparaissait pas effectif.

Par ailleurs, l’article 118 du règlement (UE) n° 2019/6 ([286]) interdit l’utilisation de certains antimicrobiens ou certains usages d’antibiotiques, par exemple en tant qu’activateurs de croissance, pour les animaux élevés dans les pays tiers dont les produits seraient importés dans l’Union européenne. Cet article est entré en application le 28 janvier 2022. Il convient de noter que l’interdiction des traitements aux hormones était applicable au sein de l’UE depuis 2006.

Néanmoins, plusieurs actes juridiques doivent encore être adoptés par la Commission européenne, pour que soient clairement établies les modalités du contrôle sanitaire à l’importation des produits d’origine animale aux frontières de l’Union européenne.

Face à l’inertie européenne, M. Julien Denormandie, alors ministre de l’agriculture, a décidé d’              appliquer cette mesure-miroir à l’échelle nationale. L’arrêté ministériel du 21 février 2022 ([287]) prévoit ainsi qu’à partir du 22 avril 2022, l’importation et la mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viandes issus d’animaux ayant reçu des antibiotiques facteurs de croissance sont interdites en France.

Votre rapporteur estime, à l’unisson avec le Gouvernement français, qu’il convient de porter l’ambition d’inscrire des mesures miroir dans les directives et règlements européens, obligeant les exportateurs vers l’Union européenne à respecter les cahiers des charges européens en matière de recours aux produits phytosanitaires.

Il s’agit là d’une ambition forte, qui ne fait pas consensus à l’échelle européenne, ainsi que l’ont souligné les parlementaires européens auditionnés par la commission d’enquête, à l’image d’Anne Sander :

« Le sujet des clauses miroirs, sur lequel la France est particulièrement mobilisée, pourrait nous occuper longuement. Nous sommes d’accord pour considérer qu’elles sont nécessaires. À cet égard, il faut saluer le changement d’état d’esprit du Parlement européen – ce n’est pas encore tout à fait le cas au Conseil et à la Commission ; le chemin qu’il a parcouru depuis quelques années est impressionnant. Au cours de la législature précédente, lorsque nous parlions de clauses miroirs, nous étions très isolés. Désormais, cette idée est acceptée. Mais la question de leur mise en œuvre reste posée. Ainsi, s’agissant de l’interdiction d’importer des viandes dont la croissance a été stimulée par des antibiotiques, nous attendons toujours l’acte d’exécution de la Commission européenne ».

Il y a ainsi un travail important de persuasion à conduire à l’échelle européenne – travail d’autant plus exigeant dans le contexte du rejet par le Parlement européen du projet de règlement SUR.

Au-delà, il importe d’avancer sur la question des modalités de contrôle envisageables pour ces clauses miroir. L’interdiction des hormones de croissance (cf. supra) montre qu’une chose est de voter la mesure miroir, c’en est une autre d’en assurer le respect.

Or, comme le souligne la Fondation pour la nature et pour l’homme ([288]), « vérifier l’application de ces normes impliquerait des contrôles au sein des exploitations ou des abattoirs des autres pays, qui ne disposent pas des mêmes outils de traçabilité. Un travail titanesque, alors que l’UE ne parvient déjà même pas à contrôler toutes les LMR en vigueur, ni à faire appliquer correctement les LMR qui font l’objet de contrôles ».

Pour surmonter cette difficulté, votre rapporteur estime qu’il conviendrait d’inverser la charge de la preuve au moment de l’entrée des produits dans l’Union européenne : dans la situation où une mesure miroir est prévue dans le droit européen, il incomberait à l’exportateur d’apporter la preuve, au moyen d’un certificat délivré par un tiers agréé par l’Union européenne, que ses denrées ont été produites dans des conditions conformes aux normes européennes en matière de recours aux produits phytosanitaires. Cette disposition serait de nature à alléger la charge sur les services de contrôle européens et nationaux, lesquels devraient tout de même être considérablement renforcés.

c.   La contrepartie : aller jusqu’au bout de l’interdiction d’export des produits interdits dans l’UE

Votre rapporteur estime que la suppression des tolérances à l’importation sur les LMR et l’inscription de clauses miroir dans le droit européen a une contrepartie indispensable. Si l’UE ne veut plus des denrées issues de pays tiers ayant été produites dans des conditions non conformes à ses principes en matière phytosanitaire, elle ne peut plus laisser les industriels européens exporter massivement vers les pays tiers des produits jugés inacceptables pour la santé et pour l’environnement en Europe.

Comme le souligne la note précitée de la FNH, « la possibilité pour les entreprises européennes de produire et d’exporter des pesticides interdits sur son territoire est injustifiable sur le plan éthique. Elle renforce en outre la probabilité d’importer - par effet boomerang - des produits contenant ces mêmes pesticides sur le marché européen ».

La loi Egalim ([289]) prévoit dans son article 83 l’ajout d’une nouvelle interdiction relative à la production, au stockage et à la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement.

Concrètement, cette disposition interdit la production, la circulation et l’exportation depuis le territoire national de produits phytopharmaceutiques contenant des substances interdites dans l’Union européenne compte tenu de leur dangerosité pour la santé et l’environnement.

Par ailleurs, les produits qui contiennent des substances ayant fait l’objet d’une approbation à l’échelle européenne qui est arrivée à échéance et dont la demande de renouvellement d’approbation n’a pas été soumise aux autorités européennes pour des raisons relatives à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement entrent également dans le champ de l’interdiction de l’article 83 de la loi Egalim.

L’article 83 est finalement entré en vigueur le 1er janvier 2022, après plusieurs rebondissements qui ont, pendant un temps, semblé pouvoir remettre en cause le contenu (cf. encadré).

Le parcours mouvementé de l’article 83 de la loi Egalim

– Dans le cadre des débats sur la loi PACTE, en 2019 ([290]), le Sénat adopte un amendement, devenu l’article 18, qui supprime la disposition prévue à l’article 83 de la loi Égalim. Il est à noter que le Gouvernement, représenté par Mme Agnès Pannier-Runacher, n’a pas fait obstacle à cette suppression :

« Vous le savez, le Gouvernement soutient l’objectif de réduction dans le monde de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques interdits à la consommation au sein de l’Union européenne. La question soulevée par le Sénat concernant l’emploi industriel – plus de 1 000 emplois directs et, potentiellement, jusqu’à 3 000 emplois au total – est néanmoins importante, et n’avait pas fait l’objet d’une étude d’impact lors de l’adoption de cette mesure à l’Assemblée nationale dans le cadre de la loi ÉGALIM. Dès lors, la discussion doit pouvoir se poursuivre sur cette mesure, afin d’en adapter la portée et les conséquences sur l’économie française. Vous proposez l’abrogation de cette disposition ; je m’en remets à la sagesse du Sénat, dans l’attente d’échanges complémentaires lors de la réunion de la commission mixte paritaire. » ([291])

– Cependant, cet article 18 est par la suite censuré par le Conseil constitutionnel ([292]) au motif que c’est un « cavalier législatif », dépourvu de lien, même indirect, avec le texte en discussion.

– Le 7 novembre 2019, le Conseil d’État saisit le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant l’article 83 de la loi Egalim. Le Conseil d’État a lui-même été saisi par Phyteis, qui soutient d’une part que l’interdiction d’exportation porte une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre et, d’autre part, qu’elle est sans lien avec la protection de l’environnement, puisque les pays importateurs des substances interdites dans l’Union européenne iront de toute façon s’approvisionner ailleurs.

– Cependant, dans sa décision du 31 janvier 2020 ([293]), le Conseil constitutionnel juge qu’« en faisant ainsi obstacle à ce que des entreprises établies en France participent à la vente de tels produits partout dans le monde et donc, indirectement, aux atteintes qui peuvent en résulter pour la santé humaine et l’environnement et quand bien même, en dehors de l’Union européenne, la production et la commercialisation de tels produits seraient susceptibles d’être autorisées, le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte qui est bien en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement poursuivis ».

– Le 30 juin 2023, la Présidente de l’Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet, met Phyteis en demeure « de respecter les obligations déontologiques auxquelles les représentants d’intérêts sont assujettis », après que le déontologue de l’Assemblée nationale a, dans la foulée d’un signalement effectué par votre rapporteur et quatre associations, estimé que l’organisation a « manqué de prudence et de rigueur dans ses contacts avec les députés ». En effet, Phyteis n’a pas été mesure de justifier son affirmation que 2 700 emplois directs et 1 000 emplois indirects seraient menacés par l’interdiction de la loi Egalim – affirmation qui a été reprise à l’époque par plusieurs députés et ministres au banc, et ne s’est pas vérifiée.

– Il convient de noter que le Président du Sénat, M. Gérard Larcher, a également procédé à la mise en demeure de Phyteis, pour les mêmes motifs, le 3 mai 2023.

 

L’article 83 de la loi Egalim comporte des failles qui ont été soulignées par les organisations de défense de l’environnement.

En premier lieu, l’interdiction de l’exportation de produits phytosanitaires contenant des substances interdites ne s’applique ainsi pas aux substances actives elles-mêmes, ce qui permet aux industriels de continuer à produire ces substances et de les commercialiser à l’étranger dans leur forme pure.

En outre, le décret d’application de cet article a ajourné l’interdiction d’export des produits qui contiennent des substances ayant fait l’objet d’une approbation à l’échelle européenne arrivée à échéance et dont la demande de renouvellement d’approbation n’a pas été soumise aux autorités européennes, pourtant clairement mentionnée à l’article 83.

L’entrée en vigueur de la loi, au 1er janvier 2022, n’a donc pas mis fin aux exportations. Selon l’ONG Public eye ([294]), au cours des neuf premiers mois de l’année, « les autorités françaises ont approuvé 155 demandes d’exportation pour des pesticides interdits en France et dans toute l’Union européenne ». Ces exportations représentent 7 475 tonnes de substances et produits phytosanitaires interdits, le Brésil étant la première destination. La picoxystrobine, interdite en 2017, représenterait près de 40 % de ce volume.

En outre, même si les exportations de substances interdites depuis la France ont globalement diminué avec l’entrée en vigueur de la loi Egalim ([295]), cette baisse dissimulerait en réalité une relocalisation de la production sur le territoire d’autres pays européens. D’après Public Eye, le Suisse Syngenta, qui n’avait exporté que 4,6 tonnes de produits depuis la France sur les neuf premiers mois de 2022, contre 1 941 tonnes en 2021, aurait ainsi transféré ces exportations à partir de ses unités de production en Allemagne. Ce fait souligne la nécessité absolue d’une interdiction qui soit généralisée à l’échelle européenne.

 

La Belgique et l’Allemagne se sont ainsi engagées à interdire aussi l’exportation des pesticides interdits en Europe. En Belgique, cette démarche s’est concrétisée par l’adoption d’un arrêté royal le 29 juin 2023, qui interdit de produire et d’exporter des pesticides interdits ou strictement réglementés dans l’UE vers d’autres continents.

L’interdiction d’exporter des substances interdites en Europe était par ailleurs inscrite dans le cadre du projet de règlement SUR, lequel n’a malheureusement pas prospéré.

Au regard des problématiques évoquées ci-dessus, votre rapporteur est ainsi amené à formuler plusieurs propositions visant à faire prévaloir des règles équitables dans le commerce avec les pays tiers.

 

Recommandation  20 – Faire prévaloir des règles fondées sur la réciprocité pour le commerce avec les pays tiers

–  Supprimer les tolérances à l’importation sur les LMR pour toutes les substances interdites dans l’Union européenne et accentuer les efforts de recherche pour faire tendre la limite de quantification de ces substances vers zéro 

– Inscrire dans le droit européen des mesures miroir imposant le respect des règles européennes en matière d’usage des produits phytopharmaceutiques pour l’ensemble des produits importés ; et inverser la charge de la preuve pour le contrôle du respect de ces mesures miroir à l’entrée des produits sur le territoire de l’UE 

– Interdire l’exportation vers les pays tiers de substances interdites au sein de l’UE


C.   mettre un terme aux distorsions internes à l’union européenne

1.   Des distorsions de concurrence difficiles à objectiver

Votre rapporteur a plaidé, en seconde partie, pour une harmonisation des régimes d’autorisation de mise sur le marché au sein de l’Union européenne, dans le but de remédier aux distorsions de concurrence induites par d’éventuels écarts de réglementation, s’agissant des produits autorisés.

Il semble utile de revenir ici sur ce que recouvrent ces distorsions de concurrence internes à l’Union européenne, qui ont souvent été mises en avant lors des auditions de la commission d’enquête. C’est d’autant plus utile que, comme nous l’avons vu, les productions européennes sont les premières concurrentes des productions françaises.

Les distorsions liées à des divergences dans les autorisations de pesticides selon les États membres sont perçues comme massives par les filières et par les syndicats agricoles. Interrogée sur ce point par votre rapporteur, l’Anses considère, quant à elle, qu’elles sont limitées, dans la mesure où le règlement européen de 2009 laisse en réalité assez peu de marges de manœuvre aux États membres.

Comme cela a été expliqué en seconde partie, le fait que les décisions d’AMM soient prises en France par l’agence sanitaire et non par le ministre de l’agriculture, comme c’est le cas dans d’autres, ne peut pas être considéré comme le facteur explicatif des différences entre États membres. En effet, dans tous les cas, le règlement de 2009 oblige les États membres à se conformer aux résultats de l’évaluation des risques conduite par l’agence sanitaire. Quels peuvent donc être les facteurs des distorsions invoquées ? Il sera utile, pour répondre à cette question, de se référer à une étude réalisée sur cette question par deux chercheuses de l’Inrae ([296]).

a.   Un travail hétérogène de la part des agences sanitaires ?

Le premier facteur à prendre en compte est celui d’un différentiel de rigueur et de compétences au sein des différentes agences sanitaires des États membres, qui aboutirait à des évaluations plus strictes, plus exhaustives, plus réactives dans certains pays, et donc, à des interdictions plus précoces de produits, lorsqu’un risque pour la santé ou pour l’environnement se fait jour. De ce point de vue, force est de constater que l’Anses a, à plusieurs reprises, été en avance de phase sur l’Europe pour interdire certains produits, ce qui a pu induire des distorsions pour les producteurs français.

On peut penser, notamment, à l’exemple du diméthoate, interdit en France dès 2015, alors qu’il ne l’a été en Europe qu’en 2019, ou encore à celui, plus récent, du S-métolachlore, dont les principaux usages sont désormais interdits en France, alors que cette interdiction ne prendra effet, au sein de l’Union européenne, que le 15 novembre 2024.

La responsabilité des agences dans ces divergences entre États peut aussi découler des délais observés pour conduire les évaluations. Les articles 30 et 81 du règlement 1107/2009 autorisent ainsi les États membres à octroyer une autorisation provisoire de cinq ans maximum dans le cas où la procédure d’autorisation prendrait plus de temps que prévu.

Elle peut enfin résulter d’une faible mise en œuvre, par l’              agence sanitaire, de la procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations au sein des zones. Au lieu de simplement retranscrire l’autorisation accordée par un autre État membre, l’agence referait en tout ou partie le travail d’évaluation, ce qui induirait à la fois des délais et des disparités. Ce point ressort très clairement d’un rapport d’évaluation publié par la Commission européenne en 2020 ([297]) :

« L’utilisation effective de la reconnaissance mutuelle pour l’autorisation des PPP varie fortement d’un État membre à l’autre et d’une zone à l’autre. Les principales raisons en sont les exigences nationales spécifiques (ou supplémentaires), le manque d’harmonisation des méthodes utilisées pour la réalisation des évaluations, le manque de coopération et de coordination, ainsi que les efforts sous-optimaux consacrés à la formulation d’observations sur les travaux effectués par d’autres au cours du processus d’évaluation par zone – autant de facteurs qui sont la cause de travaux redondants et de retards. Un recours accru aux autorisations par zone et à la reconnaissance mutuelle des autorisations permettrait de réduire la redondance des travaux, de libérer des ressources et d’accélérer l’accès au marché pour les PPP ».

b.   Un inégal recours aux dérogations de l’article 53 ?

Pour mémoire, les dérogations de l’article 53 du règlement européen 1107/2009 permettent à un État membre, faisant face à une menace critique compromettant la production, d’utiliser exceptionnellement, spécifiquement sur la culture en péril, et pour une durée limitée (maximum 120 jours, renouvelable), un produit ne satisfaisant pas les conditions de son autorisation au niveau européen.

S’il est difficile de comparer directement les produits ayant fait l’objet de dérogations – celles-ci étant liées aux conditions particulières propres à un territoire – on peut se demander si certains États sont particulièrement utilisateurs de cette procédure. Le tableau ci-après, extrait de l’étude précitée, met en perspective les demandes de dérogation effectuées par les différents États membres sur la période 2016-2021.

Les auteurs de l’étude concluent que « le nombre de dérogations demandées semble en lien avec la taille du pays et l’importance de son agriculture. Sont en tête la France, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, puis l’Autriche, la Belgique et le Portugal. Selon ce critère de « grand pays agricole », on peut noter que le Royaume-Uni ou la Pologne sont plutôt en retrait en matière de demande de dérogation, tandis que la Belgique, le Portugal et l’Autriche sont au contraire de gros utilisateurs de l’article 53 ».

c.   Des situations de distorsion bien réelles

À la demande de votre rapporteur, les filières ont été invitées à transmettre des exemples de précis de situations de distorsion de concurrence.

Les filières pommes de terre (UNPT) et céréales (AGPB) ont apporté leur contribution qui ne mentionne pas d’exemple précis de produits qui feraient défaut aux producteurs français, mais évoquent plus généralement une réglementation française qui serait plus stricte autour des produits phytosanitaires (conditions d’utilisation, taxes, interdiction des remises, etc.). La FNSEA fait également allusion, dans une contribution transmise à votre rapporteur, à ces règles françaises plus strictes : distances d’épandage pour protéger les riverains, zones de non-traitement supérieures le long des cours d’eau, horaires de traitement pour protéger les pollinisateurs.

La filière pommes-poires a de son côté apporté des éléments s’agissant notamment de la lutte contre le puceron cendré. Les producteurs français ne disposent pas de deux produits utilisés chez plusieurs de nos voisins, l’acétamipride et le flupyradifurone. Ils disposent d’autres produits, mais certains commencent à présenter des résistances. La filière explique ainsi :

« À très brève échéance (2025) les spécialités à base de spirotétramate vont disparaître car le renouvellement n’a pas été sollicité par la firme productrice. Ainsi, et alors que nous connaissons déjà des résistances – par exemple sur le flonicamide – nos possibilités d’intervention vont être réduites. Nous serons obligés de gérer les pics d’infestation avec les solutions large spectre (notamment pyréthrinoïdes) qui viennent détruire une partie des auxiliaires installés. »

La FNSEA mentionne également, dans sa contribution, plusieurs produits autorisés dans d’autres pays de l’UE, mais pas en France :

« En betterave, trois produits sont interdits en France : Acétamipride (insecticide néonicotinoïde utilisable en pulvérisation), Sulfloxaflor (usage autorisé sous serre en Europe, mais dérogation pour usage en pulvérisation) et Flupyradifurone (en traitement de semences). En légumes, différentes substances sont autorisées dans l’Union européennes, mais pas en France : des désinfectants de sol (anti pithiacés, nématicides : dazomet), le Sulfoxaflor et le Flupyradifurone. Sur les oléoprotéagineux, Acétamipride, Sulfoxaflor, Flupyradifurone sont interdits en France, et Chlorantraniliprole n’est pas homologué pour la culture d’oléoprotéagineux. »

Il apparaît ainsi qu’en effet, face à un ravageur donné, les producteurs français peuvent se retrouver avec moins de solutions de traitement que leurs concurrents européens.

Cette situation peut devenir très problématique pour assurer le maintien d’une filière sur le territoire, lorsque le manque de solutions de traitement disponibles engendre l’apparition de résistances et, par voie de conséquence, l’épuisement des possibilités de traitement, conduisant la production dans une impasse. C’est la situation dans laquelle se sont trouvés les producteurs de cerises, après l’interdiction du diméthoate et du phosmet.

Parfois, sans mettre en péril la production, ces distorsions ont plutôt pour effet d’en rehausser le coût relatif. En effet, les producteurs doivent utiliser des alternatives qui s’avèrent plus coûteuses que le produit interdit en France et encore utilisé par leurs concurrents. Il serait envisageable, dans cette situation, de réfléchir à des mesures de compensation des pertes pour les producteurs, à l’image de ce qui a été fait dans le cadre de la restriction des usages du glyphosate.

2.   Parachever l’harmonisation européenne

Il importe de remédier aux distorsions évoquées ci-dessus, qui ont un impact très prégnant sur les producteurs français, lesquels évoluent dans un marché unique européen où les productions de l’ensemble des pays circulent librement et sans contrainte aucune. Dans ce contexte, toute contrainte supplémentaire sur la production, tout décalage temporel dans ces contraintes est source de distorsions de concurrence.

a.   Un objectif de réduction commun, un prérequis

Votre rapporteur déplore le rejet par le Parlement européen, le 22 novembre dernier, du projet de règlement pour une utilisation durable des pesticides (SUR). Ce projet était porteur d’une réelle ambition européenne, alors que les institutions européennes et de plus en plus d’États membres semblaient sensibles aux enjeux urgents de la transition agroécologique.

Ce vote négatif du Parlement européen est ainsi une déconvenue très importante. Il faut pourtant reprendre le flambeau, même s’il faudra sans doute, pour cela, attendre la prochaine législature du Parlement européen. L’échelle de l’Union européenne est en effet celle qui est pertinente pour porter une véritable ambition de réduction des produits phytosanitaires.

Votre rapporteur appelle ainsi le Gouvernement à poursuivre le travail de sensibilisation effectué auprès des institutions européennes et des autres États membres. Une certaine exemplarité dans la mise en œuvre de la stratégie Écophyto 2030 en cours de négociation, avec la prise en compte concrète des besoins des filières et un réel effort de gouvernance, de recherche et d’anticipation, sera une force pour emporter l’adhésion de nos voisins européens.

b.   Travailler sur les écarts de réglementation observés entre États

Votre rapporteur estime que la question des distorsions de concurrence induites par des écarts de réglementation entre les États membres mérite d’être clarifiée, objectivée et traitée en tant que telle. À ce jour, il semble ne pas exister de panorama global des procédures d’autorisation conduites au sein des États membres, des exigences supplémentaires éventuellement appliquées, des différences de délais, des dérogations et autorisations temporaires adoptées, avec les conséquences que cela induit.

Pourtant, les États membres sont tenus de notifier à la Commission européenne tout écart au texte réglementaire. Celle-ci est donc la destinataire de nombreuses notifications en ce sens, dont elle ne se saisit pas dans un but d’harmonisation.

Il importe ainsi, à court terme, de documenter les écarts entre les réglementations adoptées dans les différents États membres, afin de chercher à les réduire.

c.   Aller vers une harmonisation complète de la procédure d’autorisation à l’échelle de l’UE

À plus long terme, dans le cadre de la prochaine mandature du Parlement européen, votre rapporteur estime que la question d’une unification totale des procédures d’autorisation de mise sur le marché au sein de l’Union européenne devra être mise sur la table. Cela ne signifie pas que les AMM données seraient uniformes sur tout le territoire de l’Union : les décisions d’AMM préciseraient exactement les usages et les conditions pédoclimatiques justifiant le recours à un produit. Mais le processus de décision serait transparent et unifié à l’échelle de l’Union européenne. Du reste, cette procédure pourrait être mise en place dans le cadre du réseau que constitue l’Efsa avec les agences sanitaires nationales. Elle n’impliquerait pas nécessairement une recentralisation intégrale des moyens au sein de l’Efsa.

Au bénéfice de l’ensemble de ces observations, votre rapporteur rappelle la recommandation qui a été formulée en première partie :

Recommandation n° 12 – Lancer une réflexion en vue d’une harmonisation complète du régime d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques dans le cadre du prochain mandat européen. À plus court terme, établir un état des lieux des écarts non justifiés dans les produits autorisés pour chaque État et mettre en place un mécanisme de résorption.

D.   créer les conditions de l’agroécologie par le marché en France

À l’heure actuelle, les logiques de marché ne sont pas favorables à la réduction des produits phytosanitaires et à la transition agroécologique qui la sous-tend. De nombreuses études documentent parfaitement la situation de « verrouillage sociotechnique » qui en résulte : aucun acteur de chaîne agroalimentaire n’a d’incitation réelle à changer de situation ; ce constat vaut évidemment pour les producteurs.

Votre rapporteur s’appliquera à décrire et illustrer ce verrouillage (1), avant de proposer plusieurs leviers d’action susceptibles d’accompagner une évolution du marché français (2).

1.   Une situation de verrouillage par le marché à l’origine de blocages profonds

M. Jean-Marc Meynard, directeur de recherche à l’Inrae auditionné par la commission, estime l’échec des plans Écophyto successifs s’explique essentiellement par une situation de « verrouillage sociotechnique » ainsi résumée :

« La diffusion des solutions alternatives bute sur les stratégies et l’organisation des acteurs de l’amont et de l’aval. Les systèmes de production actuels, fortement utilisateurs de pesticides, sont totalement cohérents avec l’organisation des filières. Dans un système socio-technique verrouillé, seules les innovations qui ne remettent pas en question les stratégies des acteurs, leurs réseaux et leurs organisations ont une chance de se développer. Ce sont par exemple les outils d’aide à la décision. Il ne faut pas chercher un bouc émissaire. Tous les acteurs sont solidairement responsables. ([298]) » 

un verrouillage socio-technique autour de la solution des phytos

Cette situation de verrouillage concerne l’ensemble de la chaîne agroalimentaire, de la recherche et de la sélection variétale au consommateur, de l’amont à l’aval de la production. Or, les efforts en faveur de la réduction des produits phytosanitaires et de la transition agro-écologique se sont surtout concentrés sur les producteurs.

Votre rapporteur abordera ici essentiellement la problématique du verrouillage en aval de la production – c’est-à-dire par le marché.

Les acteurs de ce verrouillage par le marché sont les transformateurs – c’est-à-dire l’industrie agroalimentaire –, les distributeurs et les consommateurs. Plusieurs exemples peuvent être pris pour décrire cette situation de verrouillage.

a.   Une demande de produits standardisés de la part des transformateurs et distributeurs

Un point de blocage majeur pour les producteurs qui s’engagent dans une démarche agroécologique concerne les demandes de l’aval, c’est-à-dire des transformateurs et des distributeurs.

Les producteurs se trouvent en effet dans un rapport de forces défavorable avec l’industrie agroalimentaire, qui leur impose ses cahiers des charges quant aux caractéristiques attendues pour leurs produits agricoles. Or, il se trouve que les attentes exprimées par ces cahiers des charges – souvent des produits standardisés, sans défaut, voire parfois même d’un nombre donné de traitements phytosanitaires – sont peu compatibles avec un objectif de réduction de la phytopharmacie. M. Thierry Vatin, directeur général de l’agence de l’eau Artois-Picardie, a souligné cette difficulté lors de son audition ([299]) :

« Les industries agroalimentaires imposent des cahiers des charges assez stricts aux agriculteurs. Elles leur imposent notamment pour cela des quantités de nitrate, de pesticides et d’eau. »

Une étude réalisée par M. Benoît Grimonprez ([300]) a récemment cherché à objectiver l’impact des cahiers des charges des filières sur le recours aux produits phytosanitaires. Il note, pour plusieurs filières, des règles incluses dans les cahiers des charges qui induisent, plus ou moins directement, un recours accru à ces produits. M. Grimonprez souligne par exemple qu’« on peut observer que l’objectif de réduction des produits phytopharmaceutiques est bien secondaire par rapport à celui de conservation d’un bon état sanitaire et cultural de la vigne ».

Il est aussi fréquent de prendre l’exemple des pommes. Pour être acceptées par les distributeurs, les pommes doivent avoir un certain calibre, ne pas être tâchées, sans quoi les producteurs ne pourront pas les vendre. Or, ces caractéristiques ne peuvent être obtenues qu’au moyen de traitements phytosanitaires supplémentaires. Ainsi, de nombreux traitements utilisés ne le sont pas pour protéger la pomme mais pour la rendre esthétiquement belle, et répondre ainsi à la demande de la grande distribution.

Un autre exemple est celui des pommes de terre. M. Jean-Marc Meynard souligne que des variétés de pommes de terre résistantes au mildiou ont été mises au point, lesquelles sont, en conséquence, nettement moins gourmandes en pesticides. Cependant, ces variétés sont peu cultivées par les producteurs car elles ne correspondent pas aux cahiers des charges des industries de transformation.

De fait, un produit moins traité est un produit qui a des caractéristiques différentes, plus variables, parfois moins « beau » selon les représentations dominantes. Il est ainsi impératif de parvenir à modifier ces attentes qui enferment les agriculteurs dans la nécessité de recourir aux produits phytosanitaires.

b.   Une difficulté à valoriser les espèces de diversification

La transition agroécologique suppose un effort de diversification des cultures qui est en réalité difficile à valoriser sur les marchés à l’heure actuelle. Cet état de fait résulte de mécanismes d’auto-renforcement, qui conduisent à améliorer la compétitivité relative des cultures dominantes, en dégradant celle des nouvelles cultures qui pourraient constituer des espèces de diversification.

Pour les espèces cultivées sur des petites surfaces, il y a ainsi peu de sélection variétale, des coûts de logistique et de transaction plus élevés, des références agronomiques rares, qui viennent dégrader leur rentabilité. En conséquence, cette rentabilité diminuée vient encore réduire les surfaces cultivées, etc.

À l’inverse, pour les espèces cultivées sur des grandes surfaces, il y a du progrès génétique, des innovations en matière de protection des plantes et en technologies de transformation, des références agronomiques nombreuses ; en conséquence, leur compétitivité est renforcée, et les producteurs sont incités à étendre encore les surfaces cultivées.

Ces mécanismes d’auto-renforcement contribuent à expliquer les difficultés que nous avons à développer une filière de protéagineux pour l’alimentation animale, bien explicitées par M. Pierre-Marie Aubert, directeur du programme politiques agricoles et alimentaires à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), lors de son audition ([301]) :

« Quand, en 2020, nous avons enquêté pour le ministère de l’agriculture sur les conditions de succès du plan France relance, et notamment de son volet protéines végétales, nous avons interviewé une dizaine de coopératives impliquées dans le développement des protéagineux. Elles nous ont expliqué qu’elles n’avaient pas d’acheteur. Les industriels de la volaille, qui fournissent, dans le cadre d’une filière intégrée, le feed à leurs éleveurs, ne sont pas intéressés, car les protéagineux sont moins compétitifs et moins efficaces pour la croissance des animaux. On ne fait pas un poulet de 28 jours avec des pois protéagineux ! Il faut du soja, ou alors il faut compléter, notamment avec des acides aminés, et c’est beaucoup plus cher. La question de la reconquête de l’autonomie protéique est principalement économique ».

c.   Un consommateur qui peine à hiérarchiser les enjeux

Lorsqu’on s’interroge sur les logiques de marché, on doit aussi considérer les choix du consommateur.

La situation actuelle de la filière bio illustre bien l’importance considérable de ce levier, pour porter une dynamique de changement. Le développement important du bio pendant une décennie a en effet largement été permis par le fait que cette démarche était soutenue par une catégorie importante de consommateurs, qui mettait du sens sur la démarche proposée par le bio, et acceptait de payer un peu plus cher des produits un peu différents.

Le retournement observé depuis quelques années, avec la crise ukrainienne et la survenue d’une inflation importante, illustre a contrario à quel point le soutien du consommateur peut être fragile. À l’évidence, la problématique du prix est un paramètre de première importance pour de nombreux consommateurs. Au-delà, la bio a pu souffrir d’une certaine dégradation de son image, en raison notamment de messages contrastés sur son caractère durable, au regard des enjeux liés au changement climatique.

Cependant, sous réserve que les enjeux soient convenablement expliqués, et que le prix soit contenu dans des limites acceptables, le changement des habitudes de consommation ne semble pas être un facteur de blocage majeur. Les travaux de M. Mathieu Saujot, chercheur à l’IDDRI, mettent ainsi en évidence une certaine malléabilité des préférences des consommateurs, qui seraient notamment prêts à accepter une plus grande sobriété. Ce point de vue est partagé par M. Pierre-Marie Aubert, qui considère que le blocage ne se situe par vraiment au niveau des consommateurs :

« (…) L’acceptabilité n’est pas un frein majeur du côté des consommateurs – je pense que c’est beaucoup plus vrai du côté des marques. Pour les entreprises avec lesquelles nous échangeons, la question de l’identité des marques, le fait qu’elles soient reconnues, dans toutes les dimensions, y compris le goût, est au cœur des stratégies de marketing. L’enjeu est énorme du côté des industriels. »

En effet, des produits moins standardisés, plus variables, risquent de remettre en question l’image de marque forgée auprès des consommateurs pour les différents produits, en altérant leur goût, voire leur apparence. Cette perspective serait source de beaucoup de frilosité du côté des industriels de l’agroalimentaire.

2.   Accompagner les évolutions du marché

Votre rapporteur a pleinement conscience du fait les logiques de marché revêtent une dimension éminemment internationale. Cependant, à l’échelle nationale, plusieurs petits leviers existent, qui n’ont pour le moment été que timidement déployés. Votre rapporteur plaidera donc pour la pleine activation de ces leviers susceptibles de déverrouiller certaines des situations évoquées ci-dessus.

a.   Utiliser pleinement le levier de la commande publique

La loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite Egalim, a porté une ambition réelle pour agir sur les logiques de marché, en faveur de la transition agro-écologique.

Elle a notamment cherché à encourager cette transition par le levier de la restauration collective. Ce secteur constitue un levier d’action essentiel du nouveau Programme national pour l’alimentation (PNA) 2019-2023, afin de favoriser l’accès de tous à une alimentation plus saine, sûre et durable. En effet, la restauration collective repose sur environ 80 000 restaurants qui servent chaque année près de 4 milliards de repas.

La loi Egalim prévoit ainsi que l’approvisionnement de la restauration collective devra comprendre, en 2022, 50 % de produits bio, sous autres signes de qualité ou locaux, dont 20 % de produits issus de l’agriculture biologique. La formation des acheteurs publics aux règles des marchés publics doit être renforcée, pour favoriser l’atteinte de ces objectifs.

Les produits entrant dans le décompte des 50 % sont divers. On y trouve notamment :

– les produits issus de l’agriculture biologique à hauteur de 20 % minimum,

– les produits bénéficiant des autres signes officiels de qualité et d’origine (SIQO) : le label rouge, les appellations d’origine AOC/AOP, l’indication géographique (IGP), la spécialité traditionnelle garantie (STG),

– les produits « issus d’une exploitation Haute Valeur Environnementale (HVE) » et ceux issus d’une exploitation certifiée de niveau 2 jusqu’en 2029,

– certains produits « fermiers » ou « produits de la ferme » ou « produits à la ferme »

– les produits bénéficiant de l’écolabel Pêche durable

– les produits bénéficiant du logo « Région ultrapériphérique » (RUP)

Un premier bilan de la mise en œuvre de ces dispositions a été réalisé à partir de la collecte des données de l’année 2021, dont les résultats sont synthétisés dans une note d’analyse du centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture ([302]).

Retranscrits dans le tableau ci-après, ces résultats résultent de déclarations volontaires des acteurs ; en cela, ils ne peuvent être considérés comme parfaitement représentatifs, dans la mesure où l’on peut supposer que les acteurs les plus investis sur ce sujet seront les plus prompts à répondre.

Ces résultats donnent une idée de la mise en œuvre encore très partielle et hétérogène de ces dispositions, cinq ans après leur adoption. Seuls les établissements scolaires publics maternelles et élémentaires semblent en passe de remplir leurs objectifs. Certains secteurs, comme la santé et le médico-social, sont particulièrement en retard.

Source : centre d’analyse et de prospective du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

La loi Climat et résilience ([303]) du 22 août 2021 introduit les objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale, dans les principes fondamentaux de la commande publique, de valeur constitutionnelle, à côté des principes d’égalité de traitement, de liberté d’accès et de transparence des procédures.

En particulier, elle introduit une telle obligation dans les marchés publics et les concessions : les acheteurs publics ou les autorités concédantes sont tenus de retenir au moins un critère d’attribution prenant en compte les caractéristiques environnementales de l’offre.

Cette nouvelle obligation ne permet ainsi plus de ne retenir que le seul critère du prix. Le décret d’application du 2 mai 2022 ([304]) supprime dans la partie réglementaire du code de la commande publique toute possibilité de critère d’attribution uniquement fondé sur le prix. Si le donneur d’ordre choisit de recourir à un seul critère d’attribution, il doit s’agir du coût global (cycle de vie) intégrant nécessairement des considérations environnementales.

Votre rapporteur estime que la loi Egalim et la loi Climat et résilience sont porteuses d’avancées législatives réelles, pour activer le levier de la commande publique au service de la réduction des produits phytosanitaires et de l’agroécologie. Ce levier étant loin d’être négligeable, il importe de mettre en œuvre pleinement ces dispositions. Une révolution culturelle s’impose dans l’achat public. Pour ce qui concerne la restauration collective, cela impliquera peut-être un soutien supplémentaire aux acheteurs publics, pour qu’ils soient en mesure de remplir leurs objectifs.

Recommandation n° 21 – Accélérer la mise en œuvre des dispositions législatives nationales visant à faire des marchés publics un levier vers l’agroécologie :

– Loi Egalim du 20 octobre 2018 : tenir les objectifs d’approvisionnement dans la restauration collective (50% de produits « durables » dont 20 % de bio)

– Loi Climat et résilience du 22 août 2021 : donner la priorité à la mise en œuvre des dispositions portant sur la commande publique dans le domaine de l’alimentation.

b.   Comment embarquer le consommateur ?

Pour accompagner une évolution du marché français vers l’agroécologie, se posera la question des moyens que nous avons d’agir sur les comportements de consommation. En effet, comme le souligne M. Pierre-Marie Aubert ([305]), l’une des clés de cette transition est l’évolution des régimes alimentaires, qui devraient être moins riches en protéines animales :

« La quantité de protéines animales ingérées par personne et par jour en France atteint aujourd’hui le double des besoins. La production de protéines animales absorbe, bon an mal an, 60 % à 70 % de la biomasse prélevée sur le territoire français ; autrement dit, la baisse de volume de biomasse peut se conjuguer avec la souveraineté alimentaire à condition qu’une part moindre de la biomasse soit utilisée pour la production animale et que la quantité de produits animaux dans l’assiette diminue. Je suis très conscient de la complexité économique, sociale et culturelle de ce changement, mais on ne peut pas se payer le luxe de ne pas l’affronter, compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons. La science est claire sur les régimes alimentaires vers lesquels nous devons aller. »

M. Aubert a souligné, lors de son audition, que les données de recherche faisaient apparaître des comportements de consommation largement déterminés par des facteurs exogènes :

« La sociologie et les sciences comportementales sont claires sur le fait que l’acte d’achat alimentaire n’est pas le produit d’une liberté idéalisée du consommateur, mais celui d’un environnement alimentaire façonné par la puissance publique et les normes qu’elle impose comme par les opérateurs de la distribution et de l’industrie agroalimentaire. Ceux-ci veulent encourager la consommation des produits à plus forte valeur ajoutée et à plus forte marge pour les distributeurs comme pour les industriels ; or, dans le panier moyen d’un consommateur qui sort du supermarché, le plus gros poste de dépense, c’est la viande, et le plus gros taux de marge du distributeur, c’est également elle. On comprend donc que c’est la consommation de ces produits-là qui est encouragée, au mépris des enjeux de la biodiversité et du climat, mais aussi de la santé humaine ».

Il importera donc de réfléchir aux moyens d’agir sur les comportements de consommation pour qu’ils soient davantage compatibles avec nos objectifs en matière de réduction des produits phytosanitaires.

C’est le sens du travail très innovant engagé entre la fédération nationale bovine (FNB) et la FNH autour de la notion de « flexitarien », « un consommateur éclairé, qui mange de tout : des aliments d’origine animale aussi bien que végétale. Libre de choisir son alimentation, il mange en conscience, c’est-à-dire en quantité raisonnée et privilégie autant le plaisir que la qualité, mais aussi l’équilibre et la variété, le local et la durabilité. » ([306])

Mais il n’y aura pas de consensus sur ce sujet tant que la diminution de la production française sera compensée par des importations venant de pays ne respectant pas nos règles sociales et environnementales. C’est tout l’enjeu du débat actuel sur les menaces du traité Mercosur.

c.   Relancer le bio

La croissance de l’agriculture biologique constitue un levier évident pour atteindre nos objectifs en matière de réduction des produits phytosanitaires, dans la mesure où le bio est sans pesticides de synthèse. Le soutien à cette filière a d’ailleurs été l’un des axes majeurs des actions conduites dans le cadre des plans Écophyto.

La panne actuelle du bio est préoccupante à cet égard (cf. graphique ci‑dessous), et il convient d’examiner les leviers de marché qui pourraient être activés en vue de relancer cette filière. Le levier de la commande publique, déjà évoqué (cf. supra), est évidemment prioritaire et doit être mis en œuvre dans les meilleurs délais, de même qu’une politique de communication continue valorisant les bénéfices de cette agriculture pour la santé environnementale.

Source : L’Agence Bio.

Au-delà, il convient de restaurer l’image de l’AB auprès des consommateurs. À cet égard, votre rapporteur estime qu’il serait intéressant d’étudier la possibilité de compléter le cahier des charges du label AB français pour intégrer des exigences relatives au climat. Cette idée est d’ailleurs portée par M. Philippe Henry, vice-président de l’Agence Bio ([307]) :

« J’étais favorable au fait de compléter le cahier des charges, qui doit être vivant et s’adapter. C’était effectivement pertinent sur les enjeux de stockage du carbone, d’équité et sur la dimension sociale. L’idée était donc de renforcer le cahier des charges par l’utilisation du logo AB, qui est connu de tout le monde, et qui dirait aux consommateurs : « Vous achetez un produit bio. En même temps, vous respectez les gens qui travaillent dans ces filières-là et vous contribuez au stockage du carbone ». »

Votre rapporteur estime que cette option serait de nature à renforcer la clarté du message autour de l’agriculture biologique.

Il importe également d’apporter une réponse à la problématique des productions bio qui se trouvent déclassées sur les marchés, parce qu’elles ont été contaminées par des résidus de pesticides – en particulier le prosulfocarbe, qui est particulièrement volatil et « semble pouvoir parcourir de longues distances, de l’ordre de plusieurs kilomètres, voire dizaines ou centaines de kilomètres », selon un rapport publié par l’Anses en 2017 ([308])

Depuis cinq ans, les pouvoirs publics reçoivent des alertes de la part des maraîchers, arboriculteurs, céréaliers bio, dont les productions se retrouvent contaminées par le prosulfocarbe, entraînant des pertes financières importantes – les récoltes contaminées sont presque systématiquement détruites car impropres à la consommation. Certaines filières, notamment le sarrasin bio, sont aujourd’hui dans l’impasse. En 2022, pour cette seule filière, la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) a recensé 410 tonnes détruites représentant 423 000 euros de pertes, pour environ 80 producteurs touchés.

Or, aucun dispositif d’assurance ne permet à ce jour de prendre en charge le risque de contamination au prosulfocarbe. En effet, le seul dispositif existant est l’assurance responsabilité civile, qui ne peut être mobilisée que si le responsable de la contamination est clairement identifié, ce qui est impossible dans le cas de molécules aussi volatiles.

d.   Responsabiliser l’aval de la chaîne

Il n’est pas possible de continuer à faire peser l’effort de réduction des produits phytosanitaires sur les seuls producteurs. Ce point de vue a été défendu avec force par les organisations professionnelles de producteurs auditionnées, à l’image de la Coordination rurale ([309]) :

« Est-ce toujours à l’agriculteur de fournir les efforts ? C’est d’ailleurs toujours lui qui est sanctionné en cas d’échec. Est-il possible de mettre en place une approche, grâce au réseau Écophyto, qui proposerait des solutions aux agriculteurs sans qu’ils portent les risques ? »

La situation de verrouillage décrite ci-dessus montre à quel point les agriculteurs ne détiennent pas toutes les clés du changement. Le verrouillage est tel que les producteurs les plus vertueux, qui se risquent à changer complètement de pratiques, peuvent se retrouver dans de grandes difficultés.

L’on peut penser aux producteurs bio, qui ont fait l’effort de convertir leur exploitation et de changer de pratiques, mais doivent parfois accepter de voir leur production déclassée, car elle n’est commercialisable en tant que telle sur les marchés.

On peut également songer à tous les producteurs qui ont fait l’effort d’introduire des protéines végétales dans leurs rotations, et se trouvent dans l’impossibilité de vendre leur production sur les marchés.

Il est indispensable que cet effort de réduction des produits phytosanitaires soit porté par les filières dans leur ensemble. Si l’amont semble déjà englobé à travers l’effort réalisé par le Gouvernement dans le cadre du plan d’anticipation du retrait de substances actives (cf. troisième partie), votre rapporteur estime que tout reste à faire pour associer et responsabiliser l’aval des filières, en particulier l’industrie agroalimentaire et la grande distribution.

Comme cela a été évoqué en troisième partie, cela suppose de déplacer l’effort de recherche, actuellement très concentré sur le haut de la chaîne, pour qu’il englobe également la problématique de l’aval. Nous avons aussi besoin d’innovation en matière agroalimentaire, par exemple pour savoir comment valoriser les cultures de diversification.

Au-delà, votre rapporteur estime que, par souci d’équité et d’efficacité, des objectifs contraignants devraient être fixés à l’industrie agroalimentaire et à la grande distribution, pour qu’ils deviennent acteurs de la transition.

Il est donc essentiel d’agir sur ce maillon de la chaîne, qui constitue un angle mort des politiques actuelles. Votre rapporteur estime qu’une disposition législative devrait être adoptée pour réglementer le contenu des cahiers des charges de la grande distribution et faire en sorte que ces derniers ne puissent pas être en tous points contradictoires avec les objectifs que la Nation s’est fixés en matière de réduction de l’usage des produits phytosanitaires.

Par ailleurs, votre rapporteur estime qu’il est essentiel de rééquilibrer les messages envoyés aux consommateurs sur l’alimentation, pour mieux valoriser les produits économes en pesticides. Cet effort, destiné à contrebalancer la communication publicitaire des marques, pourrait valablement être financé par une taxe spécifique sur les dépenses en publicité des entreprises de l’agroalimentaire.

Pour évaluer le taux de taxation à appliquer sur ces dépenses, votre rapporteur propose de considérer l’ensemble des dépenses consacrées à la publicité, qui se montent à environ 30 milliards d’euros annuels. Si l’on prend l’hypothèse que la publicité sur l’alimentation représente 10 % de ce total, on peut estimer le budget de la publicité agro-alimentaire à 3 milliards d’euros environ.

Face à cela, le budget de communication publique sur la nutrition apparaît bien réduit. Interrogée par votre rapporteur, Santé Publique France indique avoir consacré au maximum 3,7 millions d’euros annuels à ce type de communication, tout en soulignant que d’autres acteurs (Ademe, direction générale de l’alimentation…) interviennent également dans ce domaine. Si l’on considère une fourchette haute de 10 millions d’euros de communication institutionnelle actuellement financée, votre rapporteur estime qu’on pourrait appliquer un facteur 10 à ce budget, pour viser 100 millions d’euros annuels. Cela impliquerait de récupérer 90 millions d’euros sur les 3 milliards d’euros estimés de dépenses publicitaires de l’agro-alimentaire. Même si ces calculs ne sont que des ordres de grandeur qui demandent à être précisés, cela donnerait, à titre indicatif, une taxation de l’ordre de 3 %.

À l’heure actuelle, exception faite du label AB, les signes d’origine et de qualité (SIQO) – indication géographique protégée (IGP), appellation d’origine protégée (AOP), appellation d’origine contrôlée (AOC), label rouge – n’incorporent pas d’exigences relative à la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires.  Votre rapporteur estime que le message envoyé au consommateur – qui renvoie à une exigence de qualité – s’en trouve brouillé. L’exigence de qualité ne peut aujourd’hui plus faire l’impasse sur la question de l’empreinte sanitaire et environnementale de la production.

Recommandation n° 22 – Rééquilibrer l’effort de réduction des produits phytosanitaires en le faisant davantage peser sur les entreprises agroalimentaires et la grande distribution :

– Créer un fonds innovation – agro-alimentaire pour stimuler la recherche de solutions pour la valorisation des cultures de diversification 

–  Prévoir une disposition législative interdisant aux industries agroalimentaires et à la distribution d’imposer aux producteurs des cahiers des charges incompatibles avec les règlementations relatives aux usages des produits phytopharmaceutiques

– Intégrer des exigences relatives à la réduction des produits phytosanitaires dans les cahiers des charges des différents SIQO

– Instaurer une taxe sur les dépenses en publicité des entreprises agroalimentaires, destinée à financer la montée en puissance de la communication publique sur une alimentation saine et économe en produits phytosanitaires

e.   Faire évoluer les cahiers des charges de l’alimentation animale

Un rapport de l’Inra publié en 2018 ([310])  établit « que 64 % de la SAU française est destinée à l’alimentation animale », soit 12,7 millions d’hectares de prairies et parcours, 1,7 million d’hectares de fourrages issus de plantes annuelles et 4,2 millions d’hectares de céréales, oléagineux et protéagineux.

La règle générale en matière d’alimentation animale est la recherche du moindre coût, y compris en mobilisant des ressources à l’échelle planétaire. L’enjeu majeur d’une relocalisation massive des protéines aurait un double effet positif. En premier lieu, en limitant la déforestation dans l’hémisphère sud ; et en permettant une diversification des cultures propice à la moindre utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Cette « relocalisation » des protéines sous toutes leurs formes – prairies, légumineuses, oléagineux, protéagineux – est de nature à combler un déficit commercial majeur. Cela supposerait non seulement un plan d’accompagnement des productions déjà engagé par la PAC et en France, mais aussi une adaptation des filières majeures. S’agissant des oléagineux et protéagineux, leur culture sous la forme de méteils (mélanges) est une piste prometteuse. Cela implique une adaptation de l’appareil de collecte et de première transformation. La diversification doit être accompagnée d’un bout à l’autre de la filière.

Interrogé par votre rapporteur, M. Pierre-Marie Aubert, de l’IDDRI, a estimé que, pour développer la filière des protéines végétales issues de légumineuses, 1,1 milliard d’euros d’investissements seraient nécessaires, pour l’achat des nouveaux outils pour la transformation de la production agricole. La répartition de ces investissements est précisée dans les graphiques ci-après.

investissements physiques nécessaires pour développer une
filière protéines végétales issues des légumineuses

Source : IDDRI.

Dès lors, votre rapporteur estime qu’une évolution des cahiers des charges de l’alimentation animale, pour favoriser des productions économes en pesticides, serait un levier particulièrement puissant pour parvenir à réduire l’usage de ces produits.

Cette évolution doit être organisée en concertation avec la filière. Elle pourra s’appuyer sur les ressources du Fonds innovation – agroalimentaire dont votre rapporteur a recommandé la création (cf. supra).

f.   Poser la question de la chaîne de valeur dans l’agro-fourniture

Le monde agricole porte au long cours un combat pour un prix rémunérateur. Depuis 2016, l’on observe une forme de continuum législatif et un relatif consensus pour répondre à cette attente, avec la loi Sapin 2 ([311]), puis avec les lois Egalim ([312]) successives, même si, dans les faits, les résultats sont encore modestes.

Étonnamment, la question du partage de la valeur pour l’agro-fourniture – machinisme et les intrants chimiques pour l’essentiel – est un angle mort. Or tout laisse à penser que, par différents biais, ce secteur n’est pas exempt de marges indécentes et de profits d’opportunité.

Ainsi la politique fiscale massive d’exonération sur l’amortissement des investissements ou d’effacement des plus-values contribue-t-elle à un marché artificiel, sans rapport avec les coûts de production de l’industrie, ni avec les besoins objectifs de l’agriculture.

Même étonnement concernant les intrants chimiques (engrais, produits phytopharmaceutiques). Disposons-nous de données fiables pour justifier, dans les hausses des deux dernières saisons, ce qui relève d’un report du coût de l’énergie et ce qui serait des marges indues ? Le paradoxe, s’agissant de ces intrants chimiques, c’est que toute contribution à la réparation des impacts sur l’environnement via une hausse de la RPD est considérée comme devant être répercutée sur le prix de vente, sans que ne soient interrogés ni le niveau de profit des firmes ni leur contribution fiscale.

Il semble utile, pour éclairer le débat public, de rendre plus transparente la construction des coûts de production, qui est l’un des facteurs majeurs de construction du revenu agricole.

Recommandation n° 23 – Lancer une mission d’information parlementaire sur la chaîne de valeur de l’agro-fourniture ; ajouter aux missions de l’Observatoire des prix et des marges l’analyse du secteur amont de l’agriculture et modifier en conséquence les articles L.682‑1 et L.621-8 du code rural.

 

 

 


VI.   L’urgence d’un véritable pilotage politique et stratégique de la réduction des produits phyto

Après avoir passé en revue les quatre leviers sur lesquels il faut agir pour parvenir aux objectifs que la Nation s’est fixés en termes de réduction des produits phytosanitaires – le régime d’autorisation, le continuum recherche-développement, l’agroécologie par les aides publiques, l’agroécologie par le marché –, votre rapporteur juge indispensable d’aborder la question du pilotage d’ensemble de cette politique publique.

En effet, se dégage de l’examen des actions conduites dans l’ensemble de ces champs le sentiment d’un gâchis. Des moyens ont été mis sur la table, des acteurs se sont mobilisés, des initiatives intéressantes – à l’image de Dephy – ont été conduites, mais les résultats n’ont pas été au rendez-vous. Il en résulte, aujourd’hui, un certain découragement.

Votre rapporteur pense qu’au-delà des failles et des marges d’amélioration soulignées dans les parties qui précèdent, la politique Écophyto a pâti d’un manque de pilotage politique et stratégique. Une dynamique interministérielle était indispensable ; elle ne s’est pas manifestée. Alors qu’il aurait fallu concentrer l’effort sur certains enjeux particulièrement prégnants, les moyens ont été saupoudrés sur des actions à faible impact.

Après avoir analysé ce pilotage défaillant (A), votre rapporteur plaidera pour la mise en place d’une vraie politique globale de réduction des produits phytosanitaires (B). Il insistera sur l’importance d’inscrire Écophyto dans un nouvel horizon politique partagé (C).

A.   Une politique publique actuellement sans pilote, sans vision d’ensemble

Les constats figurant dans ce chapitre sont principalement issus d’un rapport d’inspection interministériel réalisé en 2021 sur l’évaluation des actions financières du programme Écophyto ([313]). Ce rapport dresse un bilan précis et sans concession sur la gouvernance, le financement et l’évaluation des actions conduites dans le cadre du programme Écophyto, au regard de l’objectif affiché d’une réduction de 50 % des usages.

Votre rapporteur fait siennes les principales conclusions des inspecteurs, qui ont été présentées à la commission d’enquête ([314]). Il juge regrettable que le contenu de ce rapport n’ait été rendu public qu’au commencement des travaux de la commission d’enquête, deux et demi après sa finalisation. Ces années auraient pu être mises à profit pour corriger les nombreux dysfonctionnements qui y sont détaillés.

1.   Des actions éclatées, sans vision d’ensemble possible

a.   Les crédits dédiés à la réduction des produits phytosanitaires ne font l’objet d’aucun pilotage global

Les débats autour de la politique de réduction des produits phytosanitaires de la France se focalisent généralement sur le plan Écophyto, mis en œuvre à compter de 2008, et converti en plan Écophyto 2, puis Écophyto 2+.

Or, ces plans Écophyto ne mobilisent qu’une faible partie des crédits dédiés à la réduction de ces produits. Le rapport d’inspection interministériel susmentionné souligne que si le plan Écophyto est financé à hauteur de 71 millions d’euros annuels, dont 41 millions d’euros pour le volet national et 30 millions d’euros délégués aux agences de l’eau, le montant total alloué à la réduction des pesticides avoisine plutôt les 643 millions d’euros en 2019, selon un calcul effectué par M. Pierre-Etienne Bisch, coordinateur interministériel pour le plan Écophyto. Votre rapporteur appelle ainsi à mettre à distance l’effet lampadaire produit par la focalisation du plan Écophyto sur une enveloppe en réalité très réduite.

Le détail précis des financeurs de ces 643 millions d’euros, qui représentent ainsi près de dix fois le montant global du plan Écophyto, figure dans les tableaux ci-après. Il en ressort que les principaux financeurs sont :

– les agences de l’eau, à hauteur d’environ 229 millions d’euros ;

– l’Union européenne (financements du 2nd pilier), pour environ 178 millions d’euros ;

– le ministère de l’agriculture : 105 millions d’euros environ.

Votre rapporteur souligne le caractère très problématique du périmètre retenu pour le plan Écophyto, qui ne permet nullement d’avoir une vision d’ensemble sur les actions conduites en matière de réduction des usages. Les discussions dans le cadre du comité d’orientation stratégique (COS) Écophyto portent sur 41 millions d’euros – 30 millions étant délégués aux agences de l’eau. Aucun pilotage global, aucune vision stratégique ne s’applique à l’enveloppe globale de 643 millions d’euros recensée par le coordinateur interministériel.

Il apparaît ainsi d’emblée que l’échelle retenue pour ce qui a vocation à incarner la politique de réduction des produits phytosanitaires de la France, dans le but d’atteindre un objectif de réduction de 50 % des usages, est manifestement inadaptée. Le plan Écophyto, tel qu’il est conçu, ne saurait constituer le bras armé de cette politique.

 

 

Pourtant, M. Pierre-Etienne Bisch a indiqué, lors de son audition ([315]), avoir fait des propositions aux ministères concernés pour établir un outil de pilotage des 643 millions d’euros :

« J’ai consacré plusieurs mois à la préparation d’un outil de pilotage des crédits alloués aux produits phytosanitaires. Cet outil avait pour but de retracer avec précision ces 640 millions d’euros, qui pouvaient être entre les mains des directions régionales de l’agriculture ou encore des régions. À plusieurs reprises, j’ai soumis des propositions à tous les ministères concernés sur cette question. Cependant, ces propositions n’ont été ni commentées, ni acceptées, ni même rejetées, car elles sont restées sans réponse. La principale critique à l’encontre de cette initiative était le travail considérable que cela impliquerait pour les directions régionales de l’agriculture, qui disposent de peu de moyens humains pour effectuer un examen minutieux des lignes de crédit afin d’extraire la part consacrée à la réduction des produits phytosanitaires, puis de l’agréger dans une maquette nationale. »

Votre rapporteur juge regrettable que cet effort, qui contribuerait à la lisibilité et à la cohérence d’ensemble de la politique de réduction des pesticides, n’ait pas été mené à son terme.

 


recensement des financements dédiés à la réduction des produits phytosanitaires

À l’échelon national

À l’échelon territorial

Source : documents transmis par M. Pierre-Etienne Bisch.

b.   Une forme de saupoudrage, un ciblage insuffisant sur les actions à fort levier

Votre rapporteur se refusera ainsi à analyser la mise en œuvre des 71 millions d’euros du plan Écophyto, au regard du caractère non pertinent du périmètre retenu, pour se concentrer sur l’enveloppe globale de 643 millions d’euros.

Lorsque l’on considère l’ensemble de ces dépenses, on constate, comme l’ont souligné les inspecteurs lors de leur audition ([316]), que « les moyens sont concentrés sur un nombre limité d’actions. En effet, 90 % des crédits sont concentrés sur cinq actions et les 10 % restants financent une multitude de petites actions, ce qui est une forme de saupoudrage ».

Comme on le voit sur les diagrammes présentés ci-après, les cinq principales actions financées sont l’agriculture biologique (50 %), les agroéquipements (12 %), les mesures agro-environnementales (9 %), le soutien aux collectifs d’agriculteurs (9 %) et les groupes 30 000 (1 %).

Les inspecteurs soulignent que « le seul financement orienté vers la massification est celui qui concerne l’agriculture biologique. Tout le reste porte sur des expérimentations permettant de démontrer que des résultats sont possibles, mais pas de massifier ».

Si votre rapporteur juge le soutien au bio pleinement pertinent, puisqu’il s’agit d’un levier efficace pour atteindre l’objectif de réduction des produits phytosanitaires, il déplore que les financements affectés à cette réduction n’aient pas, pour le reste, été davantage ciblés sur quelques secteurs et enjeux très forts en la matière. Il regrette que l’on n’ait pas appuyé bien davantage le déploiement des groupes 30 000, qui devaient constituer une étape vers la massification du modèle Dephy (cf. troisième partie).


décomposition des 643 millions d’euros de financements publics contribuant directement à la réduction des produits phytosanitaires

Par destination

Par origine

Source : Rapport sur l’évaluation des actions financières du programme Écophyto, 2021.

c.   Des actions trop déliées de la grande enveloppe de la PAC

Le rapport d’inspection souligne que les ressources mobilisées pour la réduction des produits phytosanitaires « ne peuvent à elles seules contrebalancer certaines orientations des politiques agricoles nationales et européennes ».

En effet, même lorsque l’on considère l’enveloppe élargie de 643 millions d’euros, elle pèse peu face aux 9 milliards d’euros dont bénéficient les agriculteurs français au titre de la PAC.

Source : Évaluation des actions financières du programme Écophyto, 2021.

Elle pèse d’autant moins si l’on considère le soutien global apporté par la France à ses agriculteurs, résumé dans le tableau ci-après. Il se monte, selon le périmètre considéré, à 16 milliards, voire à 26 milliards d’euros.

Le rapport entre le montant global des aides apportées aux agriculteurs et les montants investis dans la réduction des produits phytosanitaires n’est, à l’évidence, pas sans incidence sur l’efficacité de cette politique.

La politique de maîtrise de la phytopharmacie ne se réduit pas au plan Écophyto, même en considérant son enveloppe élargie. Il n’y a pas de politique publique de maîtrise de la phytopharmacie qui ne soit pas intriquée dans d’autres politiques publiques. Or, aucun plan ne permet actuellement de combiner la « petite enveloppe » du plan Écophyto avec la « grande enveloppe » de la PAC et ses grands déterminants, ni d’intégrer la politique phytosanitaire dans une politique plus globale.

 

 

2.   Une gouvernance largement perfectible

a.   Une gouvernance interministérielle peu opérationnelle

Initialement portée uniquement par le ministre en charge de l’agriculture, la politique de réduction des produits phytosanitaires a progressivement revêtu une dimension interministérielle, en intégrant d’abord le ministre chargé de l’écologie (2015), puis les ministres en charge de la recherche et de la santé (2018).

Cependant, la dimension interministérielle de cette politique semble avoir revêtu, au cours des dernières années, un caractère largement théorique. Votre rapporteur a obtenu la communication de tous les documents ayant trait aux réunions du conseil d’orientation stratégique (COS) du plan Écophyto depuis la mise en place du plan Écophyto 2, en 2015. Il s’avère qu’entre 2019 et 2023, le COS ne s’est pas réuni une seule fois au niveau politique. Les ministres susmentionnés ont à nouveau participé au COS, pour la première depuis quatre ans, le 11 juillet 2023. Entretemps, ce sont les directeurs d’administration centrale des ministères concernés qui ont animé ces comités – au demeurant peu nombreux.

Il apparaît ainsi clairement que la politique de réduction des produits phytosanitaires, notamment sa dimension interministérielle, ne figurait pas très haut dans l’agenda des ministres concernés.

En décembre 2018, un coordinateur interministériel, M. Pierre-Etienne Bisch, a été nommé pour assurer le suivi du plan de sortie du glyphosate d’abord, puis du plan Écophyto également.

Auditionné par la commission d’enquête, M. Bisch a souligné que la fonction de coordination lui avait été dévolue, avec une feuille de route associée, sous les gouvernements d’Édouard Philippe puis de Jean Castex ; « elles ne m’ont été ni renouvelées ni retirées par le gouvernement d’Élisabeth Borne. La raison en est simple : on a plutôt mis l’accent, ces derniers temps, sur la planification écologique » ([317]).

M. Bisch a ainsi expliqué à la commission d’enquête que le coordinateur interministériel n’avait aucune légitimité ni aucun levier réel pour intervenir en l’absence de feuille de route : « pour que cette mission fonctionne, il faut que le délégué dispose d’une feuille de route ; cela avait été le cas pour le glyphosate en 2017-2018. À l’époque, le directeur général de l’alimentation avait proposé un plan interministériel comprenant une quarantaine de mesures concernant les quatre ministères, avec des projets de recherche et de formation, des actions liées à la santé des travailleurs. Il y avait donc un travail conceptuel interministériel, avec une feuille de route détaillée. (…) Sans feuille de route, le délégué interministériel n’a pas de compétences ministérielles et ne peut donc pas avancer. La feuille de route est donc centrale et elle ne peut émaner que du Premier ministre ».

Ce constat rejoint celui du rapport d’inspection interministériel précité, qui relève que la fonction de coordinateur interministériel ne s’apparente que de très loin à celle de chef de projet opérationnel dont la création avait été recommandée dans le cadre du rapport au Premier ministre de 2014 ([318]) :

« [Le rapport de 2014] avait conduit à des propositions structurantes en matière de pilotage du projet Écophyto, à commencer par la désignation « d’un chef de projet garant de la cohérence d’ensemble ayant le statut de délégué interministériel » et « d’une instance chargée de prendre les décisions sur les actions à mener, le comité de pilotage opérationnel (CPO) ».

Les pouvoirs publics ont nommé, en décembre 2018, un coordinateur interministériel du plan de sortie du glyphosate et de réduction des produits phytopharmaceutiques, intégré́ au plan Écophyto II+. Pour autant, le coordinateur interministériel n’est pas « un chef de projet » –  il n’en a d’ailleurs pas le mandat – car il n’anime pas au quotidien le comité de pilotage opérationnel constitué des responsables de chaque action du programme. Il n’assure donc pas les arbitrages courants et ne joue aucun rôle officiel aujourd’hui dans l’élaboration de la maquette budgétaire annuelle. Si elle reste nécessaire, cette fonction de « chef de projet » fait donc toujours défaut. »

Votre rapporteur ne peut ainsi que constater le caractère clairement déficient de l’interministériel dans le cadre d’Écophyto au cours des dernières années, d’une part en raison d’un manque d’investissement des différents ministres concernés et d’un manque d’impulsion de la part de Matignon ; d’autre part, du fait de l’absence de pilotage opérationnel de cette politique, faute de responsable désigné.

Il en résulte une situation peu productive, où chaque ministère gère jalousement les crédits qui sont dans son périmètre, tandis que l’interministériel s’épuise dans des discussions sur la « petite enveloppe » de 41 millions euros, et alors qu’aucune gouvernance ne permet d’articuler cette petite enveloppe avec les grands déterminants de la réduction des produits phytosanitaires que sont la PAC, les logiques de marché, etc.

Si, au sein du ministère de l’agriculture, la direction générale de l’alimentation (DGAL) et la direction générale de la performance des entreprises (DGPE) semblent désormais travailler en bonne intelligence, votre rapporteur considère que la logique de coopération est encore trop réduite entre les ministères de l’agriculture et de l’écologie, tandis que le ministère de la santé demeure très en retrait. Lors de son audition par la commission d’enquête ([319]), la ministre déléguée Agnès Firmin Le Bodo a ainsi signifié la volonté de son ministère de se réinvestir pleinement sur ce sujet :

« Le ministère de la santé a été le grand absent, dites-vous. Dorénavant, pour la première fois au ministère de la santé, les enjeux en matière de santé environnementale sont clairement mis au nombre des attributions d’un ministre. Ils figurent dans ma feuille de route (…) Mon ministère est systématiquement présent à toutes les réunions qui ont lieu dans ce domaine, avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ou le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. (…) La volonté est là de considérer la santé comme un enjeu primordial dans ces questions. »

b.   Une rupture entre l’échelon national et l’échelon territorial

Le rapport d’inspection souligne une déconnexion totale entre l’échelon territorial, où sont déployés l’essentiel des 643 millions d’euros (cf. tableau ci-avant : 561 millions d’euros au total), et l’échelon national :

« Les agences de l’eau ne sont pas pilotées par le niveau national du plan, qui ne fournit pas de vision globale du programme, dans ses deux dimensions, nationale et régionale. La DRAAF n’est pas le pilote du plan Écophyto au niveau régional, mais le coordonnateur du comité des financeurs. À l’inverse, les agences de l’eau n’ont plus aucun rôle dans la stratégie nationale et les 41 millions d’euros. Il n’y a pas de retour sur les actions nationales, ni au niveau des agences de l’eau, ni au comité régional. On constate une réelle déconnexion entre le niveau régional et le niveau national. »

c.   Des acteurs clé jugés insuffisamment mobilisés

Le rapport d’inspection souligne également le fait que plusieurs acteurs clé pour la réussite de la politique de réduction des produits phytosanitaires sont insuffisamment impliqués à travers le plan Écophyto. C’est le cas notamment des directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf), qui n’ont pratiquement pas de moyens dédiés, et des chambres d’agriculture :

« Les acteurs clés du programme annuel ne sont pas mobilisés à la hauteur des enjeux. L’OFB comme les agences de l’eau participent à la réalisation du programme, mais cette activité n’est que l’un des axes de leur mission, la biodiversité pour le premier, la gestion de la ressource en eau et de sa qualité pour les secondes.

Les Draaf disposent de très faibles moyens consacrés au plan Écophyto, et cette mission ne transparaît pas dans les organigrammes. Le positionnement du chargé de mission Écophyto au sein d’un service (généralement le service régional de l’alimentation- SRAL), ne confère pas toujours à ce « chef de projet » la transversalité et l’autorité au sein de la direction, et encore moins vis-à-vis des autres intervenants du programme et du plan Écophyto.

De même, les chambres d’agriculture n’ont pas intégré dans les faits l’objectif de réduire pour tous les agriculteurs l’usage des produits phytopharmaceutiques, et proposent aux agriculteurs un réseau de conseillers agricoles non adaptés à l’enjeu. L’absence de contrat d’objectif et de performance ne permet pas à l’État de fixer des objectifs clairs et contraignants dans ce domaine aux chambres d’agriculture, pourtant indispensables à la mise en œuvre du plan. »

Lors de son audition ([320]), M. Sébastien Windsor, président de Chambres d’agriculture France, a souligné que la situation évoluait favorablement sur ce plan :

« Globalement je pense que le réseau est monté en puissance et a mieux admis son rôle en matière de transitions. Dans le projet stratégique des chambres, établi en 2021, le sujet de la réduction des produits phytosanitaires est inscrit noir sur blanc. Je ne vais pas vous dire que l’engagement est rigoureusement identique partout, mais plus aucune chambre ne refuse d’accompagner l’objectif de la réduction des produits phytosanitaires. Dans les DOM, le sujet est un peu plus complexe sur quelques territoires, comme Mayotte ou en Guyane, les chambres étant très faibles. En métropole, je n’ai aucun problème à dire que toutes les chambres sont engagées. »

Par ailleurs, en novembre 2021, un contrat d’objectifs et de performance a été signé entre l’État et les chambres d’agriculture pour la période 2021-2025, venant ainsi remédier à une critique énoncée ci-dessus. Selon les termes de ce contrat, les chambres ont pour mission première « d’accompagner l’agriculture dans ses transitions économiques, sociétales et climatiques ».

3.   Une architecture complexe, des canaux de financement peu lisibles

Votre rapporteur a déjà exprimé sa volonté de ne pas s’attarder outre mesure sur le périmètre strict du volet national du plan Écophyto, en ce qu’il n’est pas pertinent pour avoir une vision d’ensemble de la politique de réduction des produits phytosanitaires.

A fortiori, il considère que l’existence d’une maquette excessivement détaillée pour ce volet national, débattue chaque année, sans vision pluriannuelle, dans le cadre de longues discussions interministérielles, constitue une dérive à laquelle il faut remédier. Il partage ainsi la vision exprimée par M. Olivier Thibault, directeur général de l’Office français de la biodiversité, lors de son audition ([321]) :

« Il y a quatre ministères et nous avons une maquette de répartition très fine des 41 millions d’euros, selon cinq axes. La maquette de l’année arrive généralement très tard, c’est-à-dire à l’automne. (…) Je pense que c’est d’ailleurs l’une des difficultés que cette maquette annuelle. Une discussion annuelle sur des actions qui sont évidemment pluriannuelles pose bon nombre de difficultés. On repose les bases de la répartition de la maquette tous les ans, ce qui donne lieu à des débats interministériels compliqués. On en parle depuis quinze ans, mais ça n’a globalement pas évolué. Nous avons grand besoin d’une vision pluriannuelle. »

Par ailleurs, votre rapporteur est dubitatif s’agissant des canaux financiers adoptés pour la mise en œuvre de cette politique : elle passe essentiellement par une taxe affectée, la redevance pour pollution diffuse (RPD), dont une fraction est attribuée à l’OFB, l’autre aux agences de l’eau (cf. encadré). L’intervention de l’OFB en particulier, qui n’est pas un acteur central de la mise en œuvre de la politique de réduction des produits phytosanitaires, est jugée superflue par le rapport interministériel :

« Certes, le recours à un opérateur national a permis de mobiliser une taxe affectée et d’alléger la charge de travail des administrations centrales. Mais, dans la mesure où la majorité des conventions annuelles lient l’AFB/OFB et les chambres régionales d’agriculture pour la mise en œuvre de la surveillance biologique du territoire ainsi que l’assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) pour la mise en œuvre du dispositif Dephy, il est permis de s’interroger sur la nécessité de passer par un opérateur tiers pour contractualiser avec d’autres opérateurs de l’État. »

La redevance pour pollution diffuse, une taxe affectée multi-usages

La redevance pour pollutions diffuses (RPD) constitue l’une des taxes affectées perçues par les agences de l’eau. Son montant annuel était, en 2023, de l’ordre de 188 millions d’euros.

● Elle a été instaurée par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, pour taxer les produits phytopharmaceutiques. Les distributeurs de produits phytopharmaceutiques sont tenus de transmettre à l’agence de l’eau une déclaration annuelle de leurs ventes de produits au titre de la redevance pour pollutions diffuses. Le bilan des achats effectués à l’étranger doit également être déclaré par les utilisateurs professionnels.

●L’élargissement, en 2016, de l’assiette de la RPD à l’ensemble des substances actives classées cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de catégorie 2 (CMR2) a permis d’accroître les recettes de la taxe et de consacrer une enveloppe complémentaire de 30 M€ annuels à l’accompagnement financier des agriculteurs, dite « enveloppe régionale ».

●La loi de finances pour 2019 a modifié le régime de la redevance, dans un objectif de transparence sur le niveau de dangerosité des différentes substances au travers d’une plus grande discrimination des taux incluant un renforcement de ceux portant sur les substances qui seront à terme interdites en Europe, conformément au règlement 1107/2009 en ce qui concerne les substances candidates à substitution ou exclusion. Cette seconde augmentation devait permettre de dégager 50 M€ annuels supplémentaires consacrés au financement de l’agriculture biologique.

● Une modification a été introduite par la loi de finances pour 2021 (article 82). Le produit de la taxe (41 M€) revient aux agences et, en contrepartie, celle-ci verse une contribution plus importante à l’OFB, chacune selon la clé de répartition fixée annuellement (arrêté interministériel du 28 janvier 2021). Dans le même temps, le plafond des redevances perçues par les agences a été augmenté en proportion. Ce dernier s’élèvera ainsi à 2,197 milliards d’euros en 2021. Ainsi la part de la RPD réservée au programme Écophyto est-elle désormais soumise au plafond comme les autres redevances.

Le produit annuel de la RPD a donc trois destinations :

– la part reversée à l’OFB (L. 213-10-8 du code de l’environnement, issu de la loi n° 2006‑1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques) pour financer le programme national de 41 M€ ;

– la répartition entre les agences de l’eau à hauteur de 30 M€, depuis 2016, constituant l’enveloppe régionale du plan Écophyto ;

– le reliquat est réparti entre les agences de l’eau et contribue au financement de leur programme pluriannuel d’intervention.

● Il convient de noter que dans le cadre du PLF pour 2024, le Gouvernement prévoyait d’augmenter les taux de la RPD de 20 % en moyenne, dans le but de dégager 37 millions d’euros en plus. Cette augmentation a été abandonnée sous la pression syndicale.

Source : Évaluation des actions financières du programme Ecophyto, CGED, CGAAER, IGF, 2020.

 


              Tarifs applicables pour la redevance pour pollutions diffuses 

Substances

Tarifs en euros/kg

Cancérogénicité, mutagénicité sur les cellules germinales ou toxicité pour la reproduction

9,0

Toxicité aiguë de catégorie 1, 2 ou 3, ou toxicité spécifique pour certains organes cibles, de catégorie 1, ou effets sur ou via l’allaitement

5,1

Toxicité aiguë pour le milieu aquatique de catégorie 1 ou toxicité chronique pour le milieu aquatique de catégories 1 ou 2

3,0

Toxicité chronique pour le milieu aquatique de catégories 3 ou 4

0,9

Qui ne répondent pas aux critères des paragraphes 3.6 (incidence sur la santé humaine) et 3.7 (devenir dans l’environnement) de l’annexe II du règlement européen n° 1107/2009 du 21 octobre 2009

5,0

Dont on envisage la substitution au sens de l’article 24 du règlement précité

2,5

Source : commission des finances de l’Assemblée nationale, d’après l’article L.213-10-8 du code de l’environnement.


B.   Pour une vraie politique de réduction des produits phytosanitaires à la gouvernance rénovée

1.   La politique de réduction des produits phytosanitaires doit être portée pour un temps au niveau interministériel par Matignon et le SGPE

Votre rapporteur estime qu’au regard des enjeux présentés en première partie, et du fait de la nécessaire connexion avec d’autres grandes politiques publiques transversales, il importe que l’objectif de réduction des produits phytosanitaires soit, pour un temps, porté au plus haut niveau, par Matignon, afin de relancer une dynamique et de mettre un terme à l’incurie qui a trop longtemps prévalu sur ce sujet. À cet égard, le secrétariat général pour la planification écologique (SGPE) pourrait probablement jouer un rôle pour articuler efficacement la politique de réduction des produits phytosanitaires dans une politique globale qui inclurait la maîtrise du cycle de l’azote, la problématique de l’eau, etc, et pour intégrer les enjeux agricoles dans l’ensemble des enjeux de biomasse (cf. annexe).

Ce portage par la Première ministre est de nature à remédier à une critique relevée par les inspecteurs lors de leur audition ([322]) : « cette absence de vision globale ne permettait pas de mettre en cohérence des politiques publiques qui, malgré des objectifs quelque peu différents, pouvaient converger. Un pilotage stratégique était donc réellement difficile ».

Votre rapporteur se réjouit ainsi de constater que la nouvelle stratégie Écophyto 2030 qui doit être lancée à compter de début 2024 a été initiée sous l’égide de Matignon.

Il est par ailleurs indispensable que les ministres de l’écologie, de la recherche, de la santé, mais peut-être aussi de l’économie, voire de l’industrie, se sentent pleinement concernés par cet enjeu. La ministre déléguée auprès du ministre de la santé, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Mme Firmin Le Bodo, a plaidé, lors de son audition ([323]), pour la mise en place d’une instance interministérielle qui traiterait globalement des enjeux « une seule santé » (One health). Votre rapporteur estime que c’est une idée à creuser pour développer une vision globale et articulée des grandes politiques publiques en matière de santé environnementale.

Pour la mise en œuvre opérationnelle de la politique de réduction des produits sanitaires, le ministère de l’agriculture a vocation à rester chef de file. Il lui appartiendra ainsi de garantir la mise en œuvre effective de tous les moyens nécessaires à l’atteinte de l’objectif de réduction de 50 % porté au niveau interministériel.

2.   Elle doit être articulée au niveau territorial par les Draaf, en lien avec l’échelon national

La réduction des produits phytosanitaires revêt une dimension éminemment territoriale. Les problématiques en termes d’usage des produits phytosanitaires sont très variables selon les conditions agro-pédoclimatiques, le type de cultures, les problématiques du territoire dans lequel elles s’insèrent, la proximité éventuelle de zones sensibles, etc.

Les crédits actuellement déployés pour réduire l’usage des pesticides transitent d’ailleurs d’ores et déjà, actuellement, par les acteurs du territoire. Cependant, il n’y a pas véritablement de chef de file territorial pour coordonner l’ensemble de ces actions. Les agences de l’eau jouent un rôle de premier plan, mais cette mission de coordination territoriale dépasse le cadre de leurs compétences, centrées autour de la préservation de la ressource en eau.

Votre rapporteur estime qu’en lien avec le rôle de chef de file reconnu au ministère de l’agriculture sur la politique nationale de réduction des produits phytosanitaires, il serait logique de reconnaître aux Draaf un rôle d’animation territoriale. Comme le souligne le rapport d’inspection interministériel, « les principales actions et cibles (évolution des pratiques des agriculteurs et des filières) étant sous la responsabilité du ministère de l’agriculture, le succès du plan Écophyto dépend largement de sa capacité à conduire le projet. Il importe donc que ce ministère soit en capacité de piloter efficacement ses opérateurs et ses services déconcentrés ». Les inspecteurs soulignent que l’on pourrait alors envisager de réinternaliser une partie du budget de la réduction des pesticides dans le budget de l’État, afin que les Draaf deviennent le principal financeur au niveau régional.

Votre rapporteur estime que ces options devront être examinées dans le cadre d’une refonte globale du périmètre et du contenu du plan Écophyto.

3.   La maquette du plan Écophyto doit être simplifiée et retracer l’ensemble des financements déployés

Votre rapporteur estime qu’il n’est plus possible de concentrer les discussions interministérielles sur le « démonstrateur » Écophyto, c’est-à-dire sur l’enveloppe nationale de 41 millions d’euros, pour reprendre les termes de M. Olivier Thibault lors de son audition ([324])  :

« Le plan Écophyto et les 41 ou 70 millions d’euros sont des démonstrateurs, non des massificateurs. Ce plan a bien fonctionné en termes de démonstration, mais il ne fonctionne pas du tout en termes de massification. Il ne peut pas répondre à cet enjeu-là parce qu’il n’a pas été conçu pour cela. »

Comme le souligne Mme Sylvie Colas, secrétaire générale de la Confédération paysanne ([325]), « le plan Écophyto est souvent présenté de manière positive mais, dans la pratique, il touche seulement 3 000 agriculteurs sur un total de près de 400 000 ». 

Désormais, le plan Écophyto sur lequel se concertent les différents ministères doit être le massificateur ; il doit ainsi porter sur l’ensemble des crédits déployés, et être directement articulé aux grands déterminants que sont la PAC, le PSN et les règles de marché.

Il faudra pour cela qu’un nouvel outil de pilotage soit élaboré, en reprenant le travail de recensement et de compilation qui avait été effectué en 2020 par M. Pierre-Étienne Bisch.

4.   Passer d’une politique de moyens à une politique de résultats

L’examen des différentes actions conduites dans le cadre des plans Écophyto donne le sentiment que des moyens non négligeables ont été mis sur la table, pour des résultats parfois particulièrement discrets. L’impression générale d’un manque de redevabilité sur l’emploi des aides publiques reçues s’en dégage.

Le manque global d’évaluation des actions conduites dans le cadre de la politique de réduction des pesticides est un constat récurrent du rapport d’inspection interministériel précité, au point que ce dernier fait de la structuration de l’évaluation un axe majeur pour la suite du plan Écophyto : « le choix des cibles, l’analyse des indicateurs et l’évaluation des actions devraient constituer un axe particulier du plan Écophyto, autonome et animé par des acteurs indépendants, capables de conseiller les décisions politiques et d’évaluer leur mise en œuvre ».

À titre d’exemple, une certaine opacité a ainsi pu régner autour des financements dont ont bénéficié les chambres d’agriculture au titre du bulletin de santé du végétal (BSV). Le directeur général de l’OFB, M. Olivier Thibault, a souligné devant la commission d’enquête se préoccuper de cette question, en tant que financeur : « concernant par exemple le Bulletin de santé du végétal (BSV), il n’est pas choquant de savoir qui récupère l’argent versé dans le cadre du plan Écophyto. Et c’est compliqué, car beaucoup de gens surveillent les végétaux. Aujourd’hui, il est difficile pour les chambres d’agriculture de rapporter l’ensemble des intervenants de cette chaîne ».

M. Sébastien Windsor, président de Chambres d’agriculture France, a néanmoins expliqué que les règles de financement étaient en train d’évoluer, tout en avertissant contre une surcharge administrative qui serait associée à un niveau de justification trop important :

« Nous en avons débattu avec l’OFB. Je veux bien que nous enregistrions le temps exact passé par chaque conseiller, la parcelle qu’il a vue, l’heure à laquelle il est parti, le nombre de kilomètres qu’il a parcourus, le temps qu’il a passé sur la parcelle, le temps qu’il a mis pour revenir, etc. Pour chaque BSV régional, une trentaine d’acteurs réalise des observations. Si nous entrons dans ce niveau de justification, nous remettrons des documents de 3 000 pages et nous dépenserons plus d’argent public à comptabiliser qu’à réaliser. »

Si un juste équilibre doit être trouvé, il importe néanmoins que cette logique de redevabilité soit généralisée. Vis-à-vis de tous les acteurs en responsabilité pour le déploiement de la politique de réduction des produits phytosanitaires, il importe d’ajouter aux obligations de moyens des obligations de résultats. Ce point de vue est également exprimé dans le rapport d’inspection interministériel :

« Il est nécessaire de veiller à bien contractualiser avec les opérateurs choisis comme avec les principaux relais, les résultats attendus au regard des budgets alloués, ainsi que les éléments d’un reporting infra-annuel. À cet égard, les contrats d’objectifs et de moyens pourraient intégrer la conditionnalité des financements aux contributions des acteurs les plus importants, notamment pour le réseau des chambres d’agriculture et des instituts techniques. »

Le rapport d’inspection va même plus loin en suggérant d’imposer un principe d’additionnalité de nature à garantir l’engagement des acteurs :

« Le programme devrait financer des acteurs qui font la preuve par la mobilisation de leurs autres ressources que la réduction des PPP est leur priorité. Ce point vise à éviter l’effet de guichet : les bénéficiaires se refinancent grâce au programme, qui paie désormais des services ou des actions auparavant financées sur leurs ressources. Ce point concerne en particulier les chambres d’agriculture et les instituts techniques : leur mobilisation sur les objectifs Écophyto devrait être assurée à titre principal par leur stratégie, leurs projets d’établissements et leurs financements ordinaires. Mais aussi les ministères qui font financer des actions auparavant prises sur leur budget, tels les « avertissements agricoles » désormais remplacés par le BSV ».

Votre rapporteur ne peut qu’être favorable à la généralisation de ce principe, lequel s’inscrit logiquement dans le cadre d’une politique de réduction des produits phytosanitaires résolument tournée vers la massification, ce qui doit être aujourd’hui notre préoccupation.

5.   Calibrer les moyens investis dans les politiques préventives en fonction des coûts de réparation prévisionnels

En quatrième partie, votre rapporteur a abordé la question des moyens à mobiliser pour impulser la transition écologique, via le déploiement des aides existantes et via la mobilisation de nouvelles sources de financement.

Il n’ignore pas que l’ampleur de la transition à opérer est telle que son coût est difficile à supporter si l’on raisonne « toutes choses égales par ailleurs ». Ce point a été très clairement souligné par M. Pierre-Marie Aubert, de l’IDDRI, lors de son audition ([326])  :

« Nous avons essayé d’évaluer les fonds supplémentaires qu’il faudrait mobiliser pour engager le monde agricole, en France, dans une transition bas-carbone et comportant moins de phytos. (…) Bon an, mal an, on arrive à 800 millions d’euros supplémentaires en Opex (dépenses d’exploitation), pour faire fonctionner les exploitations agricoles, indépendamment des investissements, et à 1 000 millions de plus en investissements annualisés. (…) À dépenses publiques constantes et à coûts constants pour le consommateur hors inflation, la possibilité d’engager la transition est assez faible. »  

Votre rapporteur pense qu’il faut donc cesser de raisonner « toutes choses égales par ailleurs », en occultant complètement les coûts – environnementaux, sanitaires – des externalités négatives associées au recours massif aux produits phytosanitaires.

Il conviendrait d’instaurer une nouvelle comptabilité des dépenses publiques investies en faveur de la réduction des produits phytosanitaires en réintégrant dans les dépenses de prévention l’économie estimée sur les dépenses de réparation des externalités négatives de ces produits. Cela impliquerait, à l’évidence, de développer notre capacité à évaluer ces coûts indirects.

Une étude coréalisée par Le Basic en 2021 ([327]) illustre la difficulté à estimer les coûts de réparation :

« En France, d’après nos calculs, les différentes dépenses publiques induites par l’utilisation des pesticides – fonctionnement de la réglementation, dépollution de l’eau, soins des maladies du travail – dépassaient les 372 millions d’euros en 2017. Ce calcul a minima ne prend pas en compte certains impacts importants en partie liés aux pesticides, en raison de l’impossibilité de proratiser les causes de ces impacts, et donc les coûts associés : autres dépenses sanitaires que celles relatives aux maladies officiellement reconnues comme causées par les pesticides, dépenses liées à la protection et à l’érosion de la biodiversité, mesures palliatives de traitement de l’eau…sans oublier les soutiens publics à l’agriculture, qui permettent indirectement aux agriculteurs de financer leurs achats d’intrants. L’ensemble de ces dépenses s’élevait à 18,7 milliards d’euros en France en 2017. »

Votre rapporteur note que le caractère à la fois massif et difficile à apprécier des coûts globaux des pesticides était déjà souligné par le rapport d’inspection interministériel de 2021 (cf. encadré ci-dessous).

Votre rapporteur estime que l’investissement massif dans la transition qui pourra résulter de la mise en œuvre de cette nouvelle logique comptable devra, à l’évidence, s’accompagner d’une redevabilité de la part du monde agricole.

Recommandation n° 24 – Adopter pour la mise en œuvre des politiques de réduction des produits phytosanitaires une nouvelle logique comptable établissant les dépenses de prévention en fonction des coûts de réparation des externalités négatives

 

Quelques ordres de grandeurs monétaires sur les risques liés aux pesticides :   extrait du rapport d’inspection interministériel de 2021

« Pour la France, une étude souvent citée de 20111 a estimé les coûts liés à la seule pollution de l’eau potable par les pesticides « entre 260 et 360M€ par an » soit le même ordre de grandeur que celui de la pollution de l’eau par les engrais azotés. Un deuxième ordre de grandeur est fixé par cette étude : le coût de traitement des apports annuels de pesticides aux eaux de surface et côtières se situerait dans une fourchette de 4,4 à 14,8 milliards d’euros, alors que la mise aux normes de potabilité des eaux souterraines est estimée entre 32 et 105 milliards d’€. Ces montants sont très importants, mais ils concernent seulement le traitement de l’eau. Ils n’intègrent pas l’impact des pesticides sur la biodiversité. L’étude dirigée par Bernard Chevassus-au-Louis il y a déjà plus de dix ans (2009) a donné des ordres de grandeur de la valeur de la biodiversité, notamment emblématique, et celle des « services écosystémiques » qu’elle permet. Alors que la biodiversité s’effondre, on peut penser que sa valeur augmente. Le coût des maladies et de la diminution de l’espérance de vie lié aux PPP ne semble pas non plus avoir été estimé, d’autant que certains effets de PPP, notamment les effets perturbateurs endocriniens et toxiques de la reproduction, sont diffus et à long terme. Mais là encore, on dispose de quelques ordres de grandeur. Ainsi, Bayer a annoncé 10,9 Md$, près de 5 fois le chiffre d’affaires annuel des PPP en France, pour indemniser les plaignants américains dans 100.000 litiges relatifs au Roundup©, soit environ 100.000 € d’indemnité par plaignant. »

Source : Évaluation des actions financières du programme Écophyto, CGAAER, CGEDD, IGF, 2021. 


6.   Éléments de réflexion en vue d’une nouvelle maquette budgétaire

Notre commission n’a pas eu le temps d’évaluer l’ensemble des moyens utiles à un véritable "déverrouillage systémique". Votre rapporteur se risque néanmoins à un exercice prospectif dont la vocation est de susciter des propositions plus construites.

La conclusion provisoire est qu’en « bonne économie », le financement de la transition est réaliste: il est essentiellement une question de volonté et de justice dans la distribution des fonds publics et d’intégration d’une logique comptable novatrice par l’État : prévenir est plus économique que de réparer.

Nous avons, au fil de l’eau, identifié un certain nombre de besoins financiers dont le chiffrage doit être considéré comme indicatif.

 

Recommandation

Coût estimé (en M€)

Création d’un fonds d’innovation              agro-alimentaire

250

Création d’un fonds d’innovation                production agricole

250

Consolidation des MAEC

140

Consolidation de l’agriculture biologique

160

Création d’un conseil agronomique         universel

70

Effort de recherche (Atmo France, Anses, Inrae et instituts techniques agricoles)

20

Renforcement des contrôles douanes et DGCCRF

10

Expérimentation d’un fonds assurantiel pour les agriculteurs

?

Besoin de financement total estimé

Entre 900 et 1 000

Il convient de noter que ce tableau ne rend pas compte de l’effort redistributif lié à la différenciation des aides directes en fonction du nombre d’actifs.

Le coût total de la transition, au vu de la nature des estimations et de la difficulté à calibrer les besoins d’une expérimentation d’un système assurantiel, peut être évalué dans une fourchette comprise entre 900 millions et 1 milliard d’euros de crédits annuels.

Si nous formons l’hypothèse d’un coût partagé de façon égale entre la collectivité et le monde agricole, nous pouvons explorer les pistes de ressources mobilisables pour chacune de ces parties.

Pour le monde agricole, cela représenterait, à périmètre budgétaire constant, une réallocation de moins de 3 % des crédits totaux consacrés à l’agriculture:

Les pistes à explorer sont de trois ordres:

– Rééquilibrage du PSN (réformes des éco-régimes et du second pilier de la PAC) ;

– Mobilisation d’une part des crédits de défiscalisation, en ciblant les plus contre-productifs, comme ceux créant un mécanisme de surinvestissement massif dans la mécanisation et ne profitant qu’au décile le plus élevé des entreprises agricoles ;

– Augmentation de la RPD sous la réserve d’un retour à 100 % au bénéfice direct des agriculteurs.

De nombreux chercheurs, à l’image de M. Guyomard, que la commission d’enquête a auditionné, étudient l’option d’une taxation à 100 % des produits phytopharmaceutiques avec une redistribution organisée suivant différentes hypothèses (aide à l’hectare, ciblage sur les pratiques plus vertueuses…). Cela fait partie des hypothèses qui avaient été écartées en 2014 au profit de stratégies moins radicales. Mais en cas d’échec répétitif des problèmes publiques en matière de réduction des produits phytosanitaires, ce type d’options, visant à utiliser la taxation pour donner un signal-prix, reviendrait immanquablement dans le débat.

● Pour la part assumée par la collectivité, la moitié du chemin a été fait avec l’inscription d’un budget nouveau de 250 millions d’euros au titre de la planification écologique dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014.

Votre rapporteur estime que les 250 millions d’euros restants pourraient sans peine être trouvés au moyen d’un ciblage des mécanismes d’optimisation fiscale dans l’agro-fourniture et la grande distribution. Ce qui serait, somme toute, en cohérence avec la philosophie de notre rapport, d’embarquer l’ensemble de la chaîne de valeur dans le financement de la transition.

Cet effort peut par ailleurs être considéré comme un bon investissement de prévention au vu des coûts de réparation sans commune mesure qui incombent à l’État.

Au total, il apparaît que l’effort à fournir pour cette transition n’est pas hors de portée : 3 % de rééquilibrage social écologique au sein des crédits déjà dévolus à l’agriculture et le choix d’un investissement préventif supplémentaire par la collectivité.


C.   Inscrire écophyto dans un horizon politique partagé

Le plan Écophyto 2030 doit s’inscrire dans un horizon politique. Votre rapporteur identifie pour cela trois engagements qui donnent force et cohérence à l’effort de réduction des usages et des impacts des produits phytopharmaceutiques.

Le premier est celui d’une grande loi foncière. Sans régulation, la poursuite du mouvement actuel de libération des terres qui résultera de la falaise démographique de l’agriculture au cours de la prochaine décennie ruinera tout espoir de transition agroécologique. L’accaparement des terres induit un appauvrissement social, économique et écologique. Sans justice foncière, il n’y aura pas de renouvellement des générations, il n’y aura pas de transition.

Au-delà des aménagements que nous suggérons dans le cadre du PSN, nous devons dès maintenant travailler à la nouvelle génération de la PAC. L’innovation majeure serait d’y associer une politique alimentaire. Une façon d’embarquer amont et aval de la production dans la mutation attendue, et de fixer des règles plus équitables en termes de partage de la valeur. Un moyen également de promouvoir une politique alimentaire centrée sur la santé publique. Un levier pour lutter contre la pauvreté, avec une politique alimentaire qui serait accessible à tous.  

Enfin, la révolution agricole d’après-guerre a été une épopée moderniste et humaniste. Nous manquons encore aujourd’hui d’un récit culturel capable d’entraîner ensemble producteurs et consommateurs, urbains et ruraux. La question culturelle est trop méprisée par les politiques publiques. Ainsi la perception de ce qui est beau dans un champ ou un paysage est aussi importante que celle de ce qui est bon sur le plan culinaire. La chimie aura été une parenthèse d’un siècle, entre 1950 et 2050. Elle aura contribué à façonner un imaginaire de ce qui beau dans un champ et dans nos assiettes. De l’agronomie à la gastronomie, nous devons aujourd’hui raconter une nouvelle odyssée inclusive et pacifique.

Recommandation  25  Inscrire Écophyto dans un horizon politique partagé :

– Une grande loi foncière au service du renouvellement des générations 

– Une politique agricole et alimentaire commune (PAAC)

– Un récit qui fasse de la transition agroécologique une odyssée partagée

VII.   une urgence : la sanctuarisation des captages pour l’alimentation en eau potable

Votre rapporteur pense qu’il est indispensable de fournir un effort beaucoup plus important pour réduire voire supprimer l’usage des produits phytosanitaires dans certaines zones particulièrement sensibles. Il souhaite ainsi s’attarder plus longuement sur la question des captages pour l’alimentation en eau potable (AEP).

Le caractère préoccupant de la contamination des milieux aquatiques par les pesticides a été longuement exposé en première partie. Cette contamination a un impact direct sur l’accès à l’eau potable, qui est un enjeu de souveraineté absolument majeur. Les politiques publiques n’ont pas, à ce jour, pris la mesure de cet enjeu.

Comme le formule M. Olivier Thibault, « aujourd’hui, nous transmettons ou agrandissons des fermes dans des périmètres de captage avec des modèles agricoles qui ne sont pas compatibles avec la qualité de l’eau bue. Nous acculons collectivement les agriculteurs en n’assumant pas l’enjeu sanitaire et environnemental propre à certains secteurs ».

Il importe de changer résolument de braquet pour garantir la préservation de ces zones qui représentent environ 5 % de la surface agricole utile de la France.

A.   La pollution des captages pour l’AEP : un enjeu d’ores et déjà très prégnant

Les captages d’eau sont les ouvrages de prélèvement qui exploitent une ressource en eau, superficielle – rivière, lac – ou souterraine – nappe phréatique. L’eau prélevée – appelée eau brute – sert notamment à la production d’eau potable après une étape de purification. On compte actuellement environ 35 000 captages utilisés pour l’alimentation en eau potable en France.

Cependant, comme le souligne un rapport réalisé par l’Office français de la biodiversité ([328]), « ce patrimoine se réduit du fait de l’abandon de certains équipements. Ainsi, sur la période 1980-2019, près de 12 500 captages d’eau potable ont été fermés. La première cause d’abandon incombe à la dégradation de la qualité de la ressource en eau (34 % des situations). »

Ainsi, sur cette période, 4 300 captages ont été fermés pour cause de pollution, avec une accélération très nette au fil du temps. Or, « parmi les captages abandonnés (...), 41 % le sont du fait de teneurs excessives en nitrates et pesticides.»

Il convient, à cet égard, de distinguer deux types de pollutions susceptibles d’affecter la qualité de l’eau des captages :

– Certaines sources de pollution peuvent être localisées dans l’espace, lorsque les rejets de substance ou de matière sont générés directement dans l’eau ou les milieux : c’est le cas par exemple des rejets directs d’une usine dans un cours d’eau, mais aussi lors d’un déversement accidentel et involontaire. La pollution générée par ces rejets est qualifiée de pollution ponctuelle ou accidentelle.

– La pollution diffuse : il s’agit d’une contamination des eaux par une substance indésirable dont l’origine n’est pas ponctuelle (comme le déversement accidentel d’hydrocarbures) mais issue d’une multitude de sources dispersées dans l’espace et dans le temps, difficilement identifiables. Ce type de contamination est par ailleurs susceptible de persister dans le milieu sur une période plus ou moins prolongée.

Si la problématique de la pollution de l’eau était initialement principalement appréhendée au regard des pollutions accidentelles, il existe aujourd’hui une préoccupation croissante au sujet des pollutions diffuses qui, à l’image des pesticides, sont bien plus difficiles à prévenir, dans la mesure où la source n’est pas clairement identifiée. Les statistiques rapportées ci-dessus montrent d’ailleurs qu’il s’agit du principal motif de fermeture des captages.

Si la fermeture des captages pollués a, pendant un temps, pu constituer une stratégie efficace pour maintenir la qualité de l’eau destinée à l’AEP, cette stratégie trouve ses limites en raison du réchauffement climatique, qui induit une réduction des masses d’eau disponibles. L’ensemble des directeurs des agences de l’eau auditionnés par la commission d’enquête ont souligné ce problème :

« Nous avons ce problème d’abandon régulier de captages d’eau potable. Je peux vous donner quelques chiffres pour le bassin Seine-Normandie. Nous avons plus de 6 800 points de prélèvement destinés à l’alimentation en eau potable. En 2022, plus de 1 700 de ces points de prélèvement avaient dû être abandonnés. Environ 40 % des abandons sont liés à des pollutions diffuses d’origine agricole. Tous ces abandons de captage nous privent de ressources en eau pour l’alimentation en eau potable, alors que l’eau sera de moins en moins disponible, notamment en période estivale, pour les différents usages » ([329]).

« Premièrement, l’outil des fermetures de captages pour des problèmes de qualité est aujourd’hui fragile en raison de cette question des quantités. J’ai en tête quelques communes en rupture d’alimentation potable en 2022, parce qu’on avait dû abandonner quelques années auparavant des captages qui n’étaient pas disponibles. La facilité que nous pouvions avoir il y a cinq ou dix ans à fermer les captages pollués ne sera plus la règle à l’avenir, parce qu’on se heurte aux limites de notre capacité à fournir l’eau en quantité suffisante » ([330]).

B.   Une approche curative privilégiée, des dispositifs préventifs mous ou peu utilisés

1.   La mise en place de dispositifs dédiés à la prévention des pollutions diffuses

Au fil des années, de nombreux outils ont été mis en place pour protéger les captages pour l’alimentation en eau potable.

a.   Des périmètres de protection plutôt établis pour lutter contre les pollutions accidentelles

Le plus ancien des dispositifs réglementaires de protection des captages pour l’AEP est celui des périmètres de protection du captage (PPC) rendu obligatoire par la loi du 16 décembre 1964 ([331]) pour tous les nouveaux captages et étendu à l’ensemble des captages existants par la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 ([332]), via l’article L. 13212 du code de la santé publique).

Ces périmètres sont principalement destinés à assurer la protection de la ressource prélevée vis-à-vis de pollutions ponctuelles et accidentelles susceptibles de survenir dans le voisinage immédiat du captage, à assurer un contrôle des activités, notamment celles classées au titre d’ICPE (installations classées protection de l’environnement). Dans certains cas, ils peuvent aussi comporter des dispositions pour se prémunir contre les pollutions diffuses menaçant directement le captage.

Sur la base d’une étude du contexte hydrogéologique (et/ou hydrologique) fournie par la collectivité, les périmètres de protection sont délimités après avis d’un hydrogéologue agréé en matière d’hygiène publique. La délimitation de ces périmètres et les prescriptions adoptées, afférentes aux différents périmètres, sont fixées après enquête publique dans un arrêté préfectoral de déclaration d’utilité publique (DUP). L’instruction administrative de cette procédure est assurée par les agences régionales de santé (ARS).

Différents périmètres de protection sont mis en place :

– le périmètre de protection immédiat (PPI) : il correspond à l’environnement proche du point d’eau. Il est acquis par la collectivité en pleine propriété, est clôturé et toute activité autre que celle de l’entretien de l’ouvrage y est interdite.

– le périmètre de protection rapprochée (PPR) : il correspond à la zone qui influence le plus la qualité des eaux captées. Son but est de protéger le captage des risques de pollution de proximité. Les différentes activités sont réglementées voire interdites dans ce périmètre.

– le périmètre de protection éloignée (PPE) : ce périmètre est facultatif. Il peut renforcer la protection du captage notamment vis-à-vis des substances chimiques. Les activités ou les stockages à risque peuvent être réglementés à l’intérieur de ce périmètre.

b.   La prise en compte des pollutions diffuses au sein des aires d’alimentation des captages : les ZSCE

Pour protéger les captages d’eau potable des pollutions diffuses, il est souvent nécessaire de compléter les périmètres de protection délimités au titre du code de la santé publique par des actions de prévention, censées maintenir un coût du service public d’alimentation en eau potable raisonnable, en limitant les traitements de l’eau pour la rendre potable et les travaux supplémentaires d’interconnexion ou de recherche de nouvelles ressources.

À partir de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 ([333]), la prise en compte des problématiques de pollutions diffuses s’est ainsi traduite par la mise en place de mesures de protection sur un nouveau périmètre dénommé l’aire d’alimentation du captage (AAC).

Sous cette appellation sont alors considérées l’ensemble des surfaces contribuant à l’alimentation du captage ou, autrement dit, l’ensemble des surfaces où toute goutte d’eau tombée au sol est susceptible de parvenir jusqu’au captage, que ce soit par infiltration ou par ruissellement. En vertu de cette définition, la délimitation de l’AAC doit a minima inclure les différents niveaux de périmètres de protection et venir s’articuler avec les dispositifs de protection déjà existants de manière cohérente et complémentaire – des actions de lutte contre les pollutions diffuses étant parfois déjà incluses dans les prescriptions du PPR. L’articulation de ces différents périmètres est bien illustrée par le schéma ci-dessous :

Source : conseil départemental de Côte d’Or.

Pour agir contre ces pollutions diffuses au sein des aires d’alimentation des captages, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques susmentionnée instaure le dispositif des zones soumises à contrainte environnementale (ZSCE).

Concrètement, sur une partie de l’aire d’alimentation du captage considérée comme sensible, une ZSCE peut être mise en place par le préfet, à la demande de la collectivité gestionnaire. Elle implique l’élaboration d’un programme d’actions visant à limiter les engrais et pesticides dans cette zone, avec des objectifs précis. Fondé sur des actions volontaires, ce programme est mis en œuvre par la collectivité gestionnaire, sous le contrôle des services de l’État, pendant trois ans. Si, au terme de cette période, le bilan n’est pas concluant, certaines actions peuvent devenir obligatoires.

Il convient de noter qu’en application de la directive cadre sur l’Eau (DCE) et du code de l’environnement, les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) comprennent, pour chaque bassin hydrographique, une liste des captages dont la qualité est dégradée par les pollutions diffuses. On en compte actuellement environ 1100, qui sont considérés comme prioritaires pour la mise en œuvre d’un plan d’action à l’échelle de l’aire d’alimentation, au regard des critères suivants :

– Qualité de la ressource (concentration en nitrates supérieure à 40 mg/l ; concentration en pesticides est supérieure à 0,05 µg/l) ;

– Caractère stratégique de la ressource (ressources de substitution, population desservie, aménagements envisagés) ;

– Opportunité (existence d’un plan d’action, capacités de la collectivité, etc.).

 

c.   Les obligations réelles environnementales (ORE)

L’article 72 de la loi pour la reconquête de la biodiversité ([334]) de 2016 a créé un nouvel outil juridique, codifié à l’article L. 132-3 du code de l’environnement, les obligations réelles environnementales (ORE). Dans le cadre d’un contrat conclu avec une collectivité, le propriétaire d’un bien immobilier met en place une protection environnementale attachée à son bien, pour une durée pouvant aller jusqu’à 99 ans. Dans la mesure où les obligations sont attachées au bien, elles perdurent même en cas de changement de propriétaire. La finalité du contrat doit être le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de services écosystémiques.

Concrètement, dans le cadre de ces ORE, la collectivité peut contractualiser avec le propriétaire d’un terrain situé au sein d’une aire d’alimentation de captage, pour décider de la gestion de ce bien, en particulier sur le plan agricole, en contrepartie d’une indemnisation.

d.   Le droit de préemption sur les surfaces agricoles

Le droit de préemption en vue d’assurer la protection de la ressource en eau potable existe sur le fondement de l’article L. 1321-2 du code de la santé publique depuis 2004. L’article L. 211-1 du code de l’urbanisme prévoit ainsi un droit de préemption urbain dans les zones urbaines situées dans le périmètre de protection rapprochée d’un captage.

Les lois « Engagement et proximité » de 2019 ([335])  et « 3DS » de 2022 ([336])  sont venues compléter cet arsenal en créant un droit de préemption sur les surfaces agricoles, sur tout ou partie d’une aire d’alimentation des captages.

En vertu des articles L. 218‑1 à L. 218‑14 du code de l’urbanisme, le droit de préemption est instauré par arrêté préfectoral à la demande des communes ou EPCI compétents pour la gestion de la ressource en eau destinée à la consommation humaine. Dans cette situation, en cas de vente d’un terrain agricole dans la zone concernée, la collectivité aura deux mois pour décider d’acquérir le terrain. Une fois propriétaire, elle devra rédiger un cahier des charges et faire un avis d’appel à candidatures pour vendre ou louer la parcelle préemptée.

e.   Les plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE)

La nouvelle directive européenne eau potable adoptée en 2020 ([337]) introduit de nouvelles obligations pour développer les actions préventives en vue de préserver la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine. En particulier, elle impose la mise en place, par la collectivité, de plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE), au plus tard en juillet 2027, voire en janvier 2029, selon le périmètre couvert.

Le PGSSE est une démarche globale d’amélioration continue de la qualité des eaux, qui se nourrit de toutes les connaissances actuelles ou à venir dont dispose un exploitant sur ses réseaux et installations. Outre les exigences réglementaires actuelles, l’exploitant d’un service d’eau potable doit en effet prendre en compte l’ensemble des éléments susceptibles de conduire à une dégradation du service. Par exemple, dans le contexte de changement climatique, les épisodes de sécheresse ou de fortes précipitations doivent être appréciés afin d’en atténuer les impacts. De même, la vulnérabilité des installations vis-à-vis des actes de malveillance doit être évaluée et prise en compte dans les modalités de surveillance des installations.

L’élaboration de ces PGSSE suppose un travail technique important, ce qui justifie que des délais assez larges aient été laissés aux collectivités.

2.   Des dispositifs globalement insuffisants ou peu utilisés

Il ressort des deux auditions des agences de l’eau conduites par la commission d’enquête ([338]) qu’en dépit de cette variété d’outils réglementaires, la protection des captages est insuffisante aujourd’hui, s’agissant en particulier des pollutions agricoles.

a.   Des actions incitatives privilégiées

Il convient en premier lieu d’insister sur le fait que les agences de l’eau et les collectivités en charge de ces captages privilégient souvent des actions incitatives à destination des agriculteurs de la zone (Maec, PSE, etc.). M. Marc Hoeltzel, directeur général de l’agence de l’eau Rhin-Meuse, a bien souligné qu’il s’agissait de la modalité d’intervention première :

« Je pense que notre premier axe d’intervention est commun à l’ensemble des agences de l’eau. Nous développons des plans d’action sous l’égide des collectivités, qui sont au centre du jeu, en ce qu’elles ont la responsabilité de la protection et de la gestion de leurs captages. Il s’agit de faire en sorte qu’elles puissent être dotées de moyens d’animation afin d’aller au-devant des acteurs agricoles et de mettre en place des changements de pratiques pour garantir la protection préventive des captages. C’est un premier volet purement incitatif. Nous accompagnons par ailleurs les acteurs agricoles dans les changements de pratiques. »

b.   Des dispositifs réglementaires inégalement utilisés

– Les périmètres de protection des captages sont loin d’être systématiquement définis, comme l’atteste le rapport de l’OFB ([339]) :

« En 2019, 76,5 % des captages actifs (représentant près de 85 % des débits autorisés) sont protégés et une procédure administrative d’instauration d’une protection est engagée pour 13 % des captages (12 % des débits). 77 % des captages en eaux souterraines font l’objet d’une protection, contre 64 % pour les captages en eaux de surface. La majorité des captages non protégés ou à abandonner se situe dans le sud, le centre-ouest et le pourtour sud de l’Île-de-France. »

Par ailleurs, M. Marc Hoetzl met en avant des difficultés avec les agences régionales de santé pour mettre en place ces périmètres de protection, dans la mesure où ils ont plutôt été conçus pour lutter contre les pollutions diffuses :

« Sur le périmètre rapproché (…), nous rencontrons déjà des difficultés avec l’ARS, rien que pour imposer la couverture des sols. Ça tient simplement à la manière dont le code de la santé publique est libellé. On parle de « pollution accidentelle » pour édicter les périmètres de DUP. D’ailleurs, c’est l’acception qui est mise en œuvre par les hydrologues agréés lorsqu’ils définissent un périmètre. On peut tout à fait se rejoindre sur le fait qu’on est plutôt sur de la prévention de la pollution diffuse agricole. Dans l’absolu, ce sont deux notions radicalement différentes. Les périmètres ne sont pas définis de la même manière. »

– L’outil de la ZSCE repose sur une initiative du préfet ; l’expérience montre qu’il n’est pas toujours enclin à le mobiliser, en particulier lorsque d’autres enjeux, notamment économiques, entrent en ligne de compte, comme le souligne M. Thierry Vatin :

« On pourrait très bien définir une zone soumise à contraintes environnementales avec un cahier des charges très ambitieux et très exigeant. Pour autant, les préfets ne l’ont pas fait à ce jour. (…) Les collectivités et les préfets essaient d’aider et d’inciter depuis des années, mais n’osent pas faire pression sur les revenus agricoles en appliquant les outils de la ZSCE. D’ailleurs, il faudrait un cahier des charges très ambitieux pour passer à un très bas niveau d’intrants. Sur un secteur de 500 à 1 000 hectares, le rendement agricole chuterait énormément. Le sujet est donc aussi celui de l’impact économique. D’où l’hésitation des préfets. »

D’ailleurs, pour mettre en place une ZSCE, encore faut-il, au préalable, avoir défini l’aire d’alimentation du captage à laquelle elle a vocation à s’appliquer. Or, c’est loin d’être le cas général, comme le souligne également M. Vatin :

« Il faut savoir que la moitié [des captages] n’ont toujours pas de définition de périmètre d’alimentation. Pour ceux qui en ont une, la moitié d’entre eux n’ont pas de plan de gestion. Pour ceux qui en ont un, la plupart de ces plans de gestion ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Je pense qu’il s’agit maintenant de prendre les choses un peu plus au sérieux. Ce sont les collectivités qui sont compétentes et responsables de la protection des captages. »

Enfin, le cadre réglementaire de la ZSCE est probablement trop faible pour répondre pleinement à l’enjeu sur certaines zones, comme le souligne M. Guillaume Choisy, directeur général de l’agence de l’eau Adour-Garonne :

« Le système ZSCE n’est probablement pas assez contraignant pour permettre une adéquation entre le régalien et les politiques d’intervention des agences. Je ne suis pas certain qu’une augmentation importante de nos aides apporterait plus de résultats. Ce n’est pas une question d’aides, mais d’ambition du cadre réglementaire pour limiter les impacts des produits phytosanitaires. »

– Les ORE sont des outils intéressants mais encore faiblement déployés, comme en témoigne M. Marc Hoetzl :

« Cela se développe de plus en plus avec les collectivités et ça répond à un frein qu’on rencontre souvent dans le monde agricole, qui est la maîtrise du foncier. Je pense qu’une incitation fiscale pourrait être pensée afin que les collectivités utilisent cet outil ORE plus naturellement. »

– Le droit de préemption sur les terres agricoles semble n’avoir encore jamais été mis en œuvre. Il ne peut être activé que lorsqu’un producteur situé sur l’aire d’alimentation décide de vendre son terrain, ce qui constitue une limite importante.

c.   Un constat globalement très mitigé

Le constat d’échec est clairement posé par M. Thierry Vatin, qui est confronté, sur son territoire, à des grandes cultures intensives qui occupent 85 % de la SAU :

« Malgré les politiques Écophyto, qui datent de 2008, nous constatons une augmentation assez forte des quantités de pesticides dans le bassin. Le plus inquiétant, c’est que c’est aussi le cas pour des substances CMR. J’en veux pour preuve que les recettes de la redevance pour pollution diffuse (RPD) sont passées de 2 à 8 millions d’euros, soit une augmentation de 300 %.

L’agence de l’eau mène depuis une quinzaine d’années une politique très engagée sur les captages. Il s’agit de faire de l’accompagnement. Les aides de l’agence sont très conséquentes. Nous avons même payé la délimitation des périmètres des aires d’alimentation de captage afin que tous ces périmètres soient définis. Nous avons payé tous les diagnostics multi-pression, tous les animateurs ainsi que les chambres d’agriculture, pour faire de l’accompagnement de groupes d’agriculteurs, dans le cadre de groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE). Nous finançons également toutes les mesures agro-environnementales (Maec).

Je pourrai vous communiquer un rapport d’évaluation. Sur les dix dernières années, l’agence de l’eau a dépensé 50 millions d’euros. Pour autant, le résultat est quasi nul. Au mieux, ça a permis de maintenir le niveau de pollution de certains captages. En revanche, on note une aggravation de la pollution en nitrates et en pesticides dans d’autres captages. »

M. Guillaume Choisy partage ce constat : « En fait, on n’a quasiment rien fait. Les captages les plus urgents sont ceux du Grenelle de l’environnement. Parfois, la délimitation du périmètre a à peine été faite. Dans la plupart des cas, il n’y a pas eu de plan d’action. Voilà la situation au niveau national. Certes, ça s’est énormément accéléré depuis trois ou quatre ans. Mais je ne suis même pas certain qu’on soit à la hauteur du débat. »

Des résultats plus sensibles ont néanmoins pu être atteints sur certains territoires avec des enjeux différents, à l’image du bassin Adour-Garonne, où l’on « constate des baisses assez significatives, d’environ 7 % au total, et de près de 45 % pour les CMR1 », grâce à une conditionnalité des aides à l’établissement de ZSCE – « autrement dit, il n’y a pas d’aides publiques de l’agence si le système ZSCE n’est pas activé par l’État ». Mais M. Choisy souligne que ces résultats demeurent très en-deçà des enjeux.

3.   Une approche curative de plus en plus intenable

Si les actions de prévention restent largement en-deçà de ce qui serait nécessaire, c’est aussi parce que l’approche curative a, jusqu’à aujourd’hui, été considérée comme un moyen valable de gérer les pollutions diffuses. Il ne serait pas indispensable de prévenir les pollutions, dans la mesure où nous avons les moyens de dépolluer. Les excès de cette approche curative, portée notamment par les ARS, ont été bien décrits par les directeurs généraux des agences de l’eau, lors des auditions. M. Guillaume Choisy alerte ainsi :

« Je voudrais revenir sur une alerte que j’ai déjà eu l’occasion de faire. Nous avons tendance à tout miser sur le traitement de l’eau – en particulier les ARS. En Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie, les ARS se rendent bien compte des limites du traitement et défendent aujourd’hui des mesures préventives. Même avec les systèmes de traitement les plus avancés technologiquement, on ne parvient plus à traiter de manière satisfaisante ou à des coûts satisfaisants les molécules chimiques dans l’eau potable. »

L’approche curative a ainsi d’ores et déjà trouvé ses limites. Elles sont techniques – on n’arrive plus systématiquement à dépolluer de manière satisfaisante – mais aussi économiques. En effet, les traitements pour dépolluer l’eau coûtent cher, et se traduisent, très directement, par une augmentation du prix facturé aux consommateurs. Les installations de dépollutions représentent des investissements considérables, notamment en zone rurale, et elles supposent en outre des coûts de fonctionnement d’autant plus substantiels que les pollutions sont importantes.

Une instruction du Gouvernement datée de 2020 ([340]) souligne ainsi que « si l’eau distribuée pour la consommation humaine est globalement de bonne qualité en France, grâce notamment aux traitements mis en place, les ressources en eau des captages sont encore trop souvent contaminées par les pollutions diffuses. Fermer des captages contaminés ou traiter l’eau ne constituent pas des solutions pertinentes. Le coût estimé du traitement induit par ces pollutions pour rendre l’eau potable est en effet compris entre 500 millions d’euros et 1 milliard d’euros par an. La priorité doit donc être donnée à la protection des captages. »

En réponse à une demande de votre rapporteur, M. Nicolas Chantepy a apporté les éléments de précision suivants :

« Les traitements préconisés par la Direction Générale de la Santé sont ceux permettant la rétention physique des produits : adsorption sur filtre à charbon actif ou filtration membranaire. Au vu des travaux conduits ces dix dernières années sur le coût de tels traitements, on peut dire que ce traitement des pesticides représente un surcoût du prix du m3 de l’ordre de 30 à 45 % ».

M. Guillaume Choisy souligne ainsi que malgré des aides aux investissements assez importantes, « pour des systèmes d’osmose inversée, de filtrage charbon, d’ultraviolets, etc., (…) nous ne parvenons pas à maîtriser le prix de l’eau. L’enjeu pour les collectivités locales est d’avoir de l’eau, mais aussi un prix qui reste convenable. Le problème, c’est que le coût de fonctionnement est rédhibitoire, notamment pour les zones rurales. En ne traitant pas le problème à la source, mais seulement par les traitements, on crée un problème d’équité d’accès à l’eau potable. »

Votre rapporteur estime que toutes ces alertes sont suffisamment claires et fortes pour qu’un niveau de priorité très important soit accordé à la réduction drastique, à court terme, de l’usage des pesticides dans les aides d’alimentations des captages.

C.   Se donner les moyens d’une suppression des pesticides dans les aires d’alimentation, une urgence

Face à ces constats alarmants, votre rapporteur estime qu’il est urgent de changer de méthode. Il partage en cela l’avis de M. Thierry Vatin : « il s’agit de passer d’une politique de moyens, d’incitation et d’accompagnement à une politique de résultat. Nous disons clairement aux collectivités responsables des captages : « S’il n’y a pas de baisse de pression significative, l’agence de l’eau ne paiera pas le curatif. »

M. Guillaume Choisy a également exprimé ce sentiment d’urgence : « Il existe un certain nombre d’outils, mais qui restent sur le volontariat avec une activation au cas par cas. Or, il convient d’avoir une massification compte-tenu des enjeux. »

La situation actuelle ne peut en effet pas perdurer car elle deviendra rapidement insoutenable : la pression chimique sur les masses d’eau ne faiblit pas et le changement climatique va inéluctablement aggraver cette problématique.

1.   Le plan « Eau » du Gouvernement : l’amorce d’une réponse

Dans le cadre de la planification écologique, le Gouvernement a présenté le 30 mars dernier un « plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau ». Ses 53 mesures visent à répondre à trois enjeux majeurs : sobriété des usages, qualité et disponibilité de la ressource.

La protection des aires d’alimentation des captages contre les pollutions diffuses est présentée comme un axe important de ce plan. Pour atteindre cet objectif, le Gouvernement met en avant les mesures suivantes :

– généralisation des plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE ; cf. supra) d’ici juillet 2027 ;

–  dans le cadre de la loi d’orientation et d’avenir agricole à venir, priorisation de l’installation des agriculteurs s’inscrivant dans une démarche agro-écologique ;

– limitation des usages des intrants dans ces aires dans le cadre de la stratégie Écophyto 2030 ;

– revalorisation des MAEC et des aides à la bio financées par les agences de l’eau à hauteur de 50 millions d’euros par an ;

– prolongation de l’expérimentation des paiements pour services environnementaux (PSE) à hauteur de 30 millions d’euros par an ;

– aide à l’acquisition foncière des collectivités à hauteur de 20 millions d’euros par an ;

– automaticité des mesures de gestion mises en place par le préfet en cas de dépassement des exigences de qualité sur l’eau potable ;

– aide à la mise aux normes des stations d’épuration à hauteur de 50 millions d’euros par an.

2.   Aller plus loin encore dans l’obligation de résultats

Votre rapporteur estime que l’ensemble de ces mesures vont dans le bon sens ; il appelle à leur mise en œuvre sans délai.

Il estime néanmoins que la logique incitative continue à irriguer ce plan de manière principale. L’État met des moyens sur la table, c’est nécessaire et utile, mais comment garantir que nous allons sortir du constat d’échec actuel, que ces moyens vont enfin permettre de changer la donne ? Il ne s’agit pas seulement d’améliorer la situation actuelle, mais de la transformer.

Les aires d’alimentation des captages doivent devenir, à court terme, des zones sanctuarisées de la pollution               aux pesticides, où seules sont permises des cultures à bas intrants. Pour être plus précis, et après concertation avec plusieurs acteurs directement concernés par ces enjeux, votre rapporteur estime que la zone « sanctuarisée » devrait correspondre à l’ensemble des périmètres de protection rapprochée (PPR), qu’il conviendrait dès lors de généraliser, ainsi qu’aux aires d’alimentation des captages portant sur des nappes d’eau souterraines – lesquelles sont nettement plus limitées en superficie que celles des cours d’eau. Cela représente, au total, environ 5 % de la surface agricole utile de la France.

Pour parvenir à cet objectif, votre rapporteur estime que l’arsenal réglementaire à la disposition des acteurs locaux doit être encore complété et affermi. Il conviendrait en particulier :

– d’imposer la généralisation des ZSCE en rehaussant le niveau d’exigences des plans d’action qui leur sont associés. Votre rapporteur estime que la logique « pas d’aides publiques sans ZCSE », qui prévaut déjà dans certains bassins, doit être généralisée. Cela implique, à l’évidence, que l’ensemble des périmètres des aires d’alimentation de captages soient définis dans un délai très bref. Il conviendra, le cas échéant, d’apporter un appui en ce sens aux collectivités.

Votre rapporteur rejoint en cela M. Thierry Vatin, directeur général de l’agence de l’eau Artois-Picardie : « Je pense qu’il faudrait avant tout imposer les aides SCE partout. Ça dissiperait les éventuelles hésitations des préfets. On pourrait mettre en place des zones soumises à contraintes environnementales de façon obligatoire et sur des périmètres assez larges, c’est-à-dire des périmètres de zones vulnérables, et pas simplement sur le périmètre rapproché. Et ce, avec une obligation de très forte baisse d’intrants. Ça ne laisserait plus matière à discussion (…). »

Il conviendrait probablement, dans ce contexte, de réfléchir à un dispositif d’indemnisation des pertes d’exploitations induites par le changement de pratiques dans le cadre de la ZSCE. M. Vatin indique avoir débuté ce travail au niveau de son bassin : « Avec le préfet de bassin, celui de la région et la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf), nous avons engagé un travail qui devrait aboutir à des mesures de compensation de pertes d’exploitation à très haut niveau. »

– d’inscrire systématiquement la problématique de la prévention des pollutions liées aux produits phytosanitaires au sein des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) ;

– d’accentuer le travail en commun, au niveau local, entre le ministère de la santé (ARS) et celui de l’écologie (agences de l’eau) pour garantir une convergence de vues sur les enjeux liés à la prévention des pollutions diffuses ;

– de compléter le droit de préemption sur les terres agricoles mis en place en 2019 et 2022 par un droit d’expropriation, mobilisable dans la situation où l’ensemble des autres dispositifs disponibles (incitations, ZSCE, etc.) n’auraient pas produit les résultats escomptés.

Recommandation n° 26 – Compléter et affermir l’arsenal réglementaire visant à prévenir les pollutions diffuses dans les aires d’alimentation des captages pour l’eau potable :

– Imposer la généralisation des ZSCE en rehaussant le niveau d’exigences des plans d’action qui leur sont associés 

– Inscrire systématiquement la problématique de la prévention des pollutions diffuses liées aux pesticides au sein des SDAGE

– Procéder aux adaptations réglementaires qui s’imposent pour garantir une convergence de vues entre les ARS et les agences de l’eau sur la priorité à accorder à la prévention des pollutions diffuses

– Compléter le droit de préemption des terres agricoles par un droit d’expropriation mobilisable dans la situation où l’ensemble des autres dispositifs disponibles n’auraient pas produit les résultats attendus

 

 


   pour conclure : plaidoyer pour l’agronomie comme science du vivant

 

En guise de conclusion, votre rapporteur souhaite laisser la parole à Jean Boiffin, agronome, qui a été un des co-auteurs du rapport Agroécologie et pesticides, les champs du possible remis au Premier ministre en 2014.

Il a par ailleurs contribué à un ouvrage intitulé La fabrique de l’agronomie, de 1945 à nos jours ([341]), publié en 2023, dont voici un extrait de la conclusion, que votre rapporteur fait entièrement sienne :

« L’agronomie du futur est en soi le sujet d’un autre ouvrage, et nous n’avons pas prétention à l’aborder ici de façon substantielle. L’exercice de réflexion prospective s’est d’ailleurs beaucoup développé ces dernières années dans les sphères de recherche-développement, tout particulièrement en ce qui concerne l’agronomie. Nous ne pouvons cependant éluder la question de savoir si les processus d’évolution que nous avons mis en lumière dans cet ouvrage sont de nature à favoriser l’avènement de cette agronomie du futur, ou s’ils doivent être complétés ou abandonnés au profit d’autres dynamiques scientifiques et techniques. Par exemple, l’« écologisation de l’agriculture », dont la nécessité est proclamée de toutes parts, implique-t-elle une refondation de l’agronomie ? Du fait même de l’étendue qu’elle a acquise, et en raison des diverses transitions auxquelles est confrontée l’agriculture – climatique, alimentaire, écologique, mais aussi numérique, énergétique, démographique, sans oublier la transition dans les habitats et modes de vie –, l’agronomie est aujourd’hui en chantier sur de nombreux fronts de recherche et d’innovation. Pour ne prendre qu’un seul exemple, elle est encore loin d’avoir apporté une contribution suffisamment étendue, consistante et précise du point de vue technique, à la protection intégrée des cultures. Plus globalement, et sans doute avant tout, faute d’un ancrage encore suffisamment puissant au sein du développement agricole, l’agronomie reste déséquilibrée, avec une composante technologique encore sous-développée par rapport à l’étendue des connaissances acquises et aux capacités de compréhension et de prédiction du fonctionnement des agroécosystèmes auxquelles les agronomes sont parvenus. En corollaire, l’agronomie apparaît en retard sur d’autres disciplines technologiques – par exemple le génie agro-alimentaire – sur la voie de l’ingénierie réverse, qui part des objectifs à atteindre pour concevoir les systèmes, itinéraires et processus de production. Nul doute qu’une partie de ce retard soit due à la complexité infiniment plus grande de la démarche lorsqu’elle porte sur un espace cultivé plutôt que sur une usine. Se conjuguant à d’autres facteurs (facilité apparente des démarches de test comparatif, tendance des chercheurs au repli académique, « verrouillage » des processus d’innovation qui focalise l’appareil de recherche- développement vers le recours aux intrants industriels plutôt que les systèmes de culture alternatifs, etc.), cette difficulté a induit un certain attentisme des agronomes en matière d’innovation technique. L’émergence de nouveaux régimes d’innovation est à cet égard un facteur de revitalisation, à condition qu’il soit irrigué par une véritable ambition scientifique et explicative, et ne favorise pas le recours à des solutions toutes faites – agriculture de conservation, permaculture, agroforesterie, etc. Malgré les idéaux agroécologiques dont ils se réclament, ces « paquets techniques » plus ou moins normatifs auraient vis-à-vis du développement de l’agronomie un caractère tout aussi nocif que l’approche phytotechnique sur laquelle ont été fondées la Révolution verte, puis l’intensification forcenée du début des années 1980.

Si on se réfère à l’état de l’art de l’agronomie tel qu’il a pu être établi dans les articles et ouvrages de synthèse récents, l’écologisation de l’agronomie apparaît principalement comme une nouvelle avancée, avec son lot de remises en cause de paradigmes dépassés et d’assimilation de notions inédites, notamment en provenance de l’écologie, plutôt que comme une remise en cause radicale des acquis. En tout état de cause, elle ne suffira pas à doter l’agronomie de toutes les capacités nouvelles d’analyse, de prédiction et d’innovation que requièrent les défis auxquels elle est confrontée. Sans tenter d’en faire l’inventaire, nous ferons ici état de deux aspects qui nous semblent nécessiter de véritables sauts qualitatifs, tant sur le plan des méthodes que des connaissances.

Le premier concerne la spatialisation de l’agronomie, qui va jusqu’à considérer le territoire comme objet d’étude et niveau d’organisation privilégiés. Plusieurs chapitres de cet ouvrage ont fait état de la prise en compte des processus spatiaux comme avancée majeure de l’agronomie, intervenue à partir de la fin des années 1980, et concomitante de la prise en charge des enjeux environnementaux. Par la suite, cet impératif n’a cessé de se confirmer, en s’appliquant à des thèmes de plus en plus nombreux, en particulier à l’analyse et à la prévention de la propagation des bioagresseurs dans le cadre de la protection intégrée des cultures. Aujourd’hui, il apparaît que la répartition spatiale des systèmes de culture, et plus généralement l’agencement spatial de l’ensemble des composantes de l’espace rural est, quel que soit le thème environnemental considéré, un déterminant majeur à prendre en compte. Mais une part importante de ses effets et de leurs interactions est insuffisamment connue – si ce n’est sur des points particuliers comme l’érosion des sols et la préservation de la ressource en eau, bénéficiant d’une longue accumulation de travaux – pour en faire un levier global de gestion et d’aménagement multifonctionnels de l’espace, par exemple pour fournir les bases d’un raisonnement agroécologique de l’aménagement agricole et forestier, qui s’est substitué au remembrement. La conséquence en est que l’agronomie est quasi absente de la plupart des procédures relevant du développement territorial, au profit d’injonctions globales et approximatives quant à leurs impacts : mise en œuvre de l’agriculture biologique, replantation des haies, promotion des circuits courts, etc. La difficulté à insérer un raisonnement agronomique dans ces projets est liée à leur caractère multifonctionnel, puisqu’il faut appréhender simultanément divers types d’activités, dont les impacts ne répondent pas nécessairement de la même façon à la configuration spatiale des systèmes de culture. L’avènement d’une agronomie « du paysage », capable d’apporter une contribution reconnue et sollicitée au développement territorial, nous semble impliquer un investissement cognitif et technologique inédit, sur toutes les interactions spatiales que met en jeu le fonctionnement des agroécosystèmes, sur les méthodes qui permettent de les appréhender, sur les modèles à utiliser pour les comprendre et les prévoir, sur les systèmes collectifs qui en assurent la plus ou moins bonne gestion sociale et politique – y compris la coordination des innombrables réglementations sectorielles qui encadrent désormais l’activité agricole –, enfin sur les démarches d’accompagnement appropriées. On entrevoit ainsi des interactions inédites entre agronomie et sciences économiques, juridiques et politiques.

Le deuxième aspect procède plus spécifiquement de la conjonction entre enjeux environnementaux et enjeux alimentaires, elle-même liée à la concomitance entre changement climatique, crise de biodiversité, croissance démographique et transition des régimes alimentaires. En tant que premier maillon de la chaîne alimentaire humaine, du fait de son emprise spatiale, et en raison de l’intensité des impacts écologiques et environnementaux qu’elle exerce et qu’elle subit, l’agriculture est à la charnière de ces enjeux, notamment à travers les activités de production végétale et les systèmes de culture mis en œuvre. Or les solutions à trouver ne consistent pas seulement en une intensification écologique vertueuse, mais aussi en une colocalisation optimisée à diverses échelles, du local au planétaire, des productions végétales, des systèmes de production, des lieux de consommation, des régimes alimentaires des populations concernées, des systèmes de transformation agroalimentaires et de commercialisation, et des réseaux et infrastructures de transport et de recyclage des déchets. Pour s’en tenir à un seul aspect du problème, la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne doit pas se limiter à juxtaposer des mesures sectorielles relatives à la production primaire, au transport et à la transformation des produits végétaux et alimentaires, aux modes de fabrication et de répartition des intrants, au devenir des sous-produits ou déchets : ces différents aspects doivent être considérés de façon conjointe en tenant compte de leurs interactions. C’est donc à une optimisation géographique globale qu’il faut parvenir, et à laquelle l’agronomie doit apporter sa contribution. Pour devenir à la fois multifonctionnelle et planétaire dans ses applications – et ainsi, faire fructifier la perspective d’agronomie globale –, elle doit, là encore, s’articuler avec les disciplines qui traitent des autres aspects du fonctionnement des socio-écosystèmes agroalimentaires régionaux. Là encore, le développement de coopérations inter-, voire transdisciplinaires avec l’économie est à considérer, à la fois comme condition et signe de progrès vers une agronomie plus globale non seulement au sens géographique du terme, mais aussi du point de vue des problématiques abordées. L’anomalie que constitue le déficit de collaboration historique entre agronomie et économie, malgré un suffixe commun qui devrait les y prédisposer, est sans doute due en partie aux différences de positionnement des deux disciplines par rapport aux enjeux, échelles et sujets globaux.

En accolant au terme « agronomie » le qualificatif de global, nous faisons référence à des approches inédites, qui correspondent à un saut qualitatif dans la capacité d’analyse et d’application de l’agronomie. Notre intention n’est pas d’identifier une nouvelle branche de la discipline, ni a fortiori de reléguer au second plan les champs thématiques préexistants au profit d’un courant en vogue. Au contraire, en donnant une nouvelle dimension aux thèmes et aux compétences de base axés sur le fonctionnement des agroécosystèmes et les systèmes de culture, cette augmentation de capacité est de nature à renforcer l’unité de la discipline. »

 

 

 

 

 


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   Liste des recommandations

  1.   Éclairer la réalité

Recommandation n° 1 : Mettre en place un registre électronique centralisé agrégeant les informations des registres phytosanitaires de l’ensemble des utilisateurs de ces produits 

Recommandation n° 2 : Améliorer la pertinence et la réactivité des indicateurs de mesure des usages de produits phytopharmaceutiques :

– Soutenir l’adoption d’un indicateur européen de mesure des utilisations de produits phytopharmaceutiques qui soit pondéré par le risque

– À plus court terme, accélérer le traitement des données de la BNV-D pour parvenir à consolider le Nodu dès l’année n+1

Recommandation n° 3 : Renforcer la connaissance sur la présence des produits phytopharmaceutiques dans l’eau en développant les capacités de surveillance et d’analyse des molécules nouvelles et réaliser une étude prospective sur l’évolution de la quantité, de la qualité et du coût des eaux destinées à la consommation  

Recommandation n° 4 : Mettre en œuvre un plan de surveillance national des pesticides dans l’air et élaborer des valeurs réglementaires sur la contamination par les pesticides dans les différents milieux aériens

Recommandation n° 5 : Mettre en place un plan de surveillance du sol et de la biodiversité en vue d’améliorer et de maximiser ce capital naturel

Recommandation  6 : Concevoir et promouvoir au niveau de l’Union européenne une mission transversale spécifique, intégrée au programme Horizon Europe, centrée sur le développement d’une approche One health des impacts des pesticides et permettant d’en analyser les impacts sur l’exposome, avec une déclinaison nationale ambitieuse

Recommandation  7 : Renforcer la prévention et la prise en charge des victimes de pesticides :

– Prévoir que toute publicité en faveur des produits phytopharmaceutiques doit être assortie d’un message à caractère sanitaire rappelant les risques liés à l’application de ces produits

– Accroître la visibilité et les moyens du FIVP et étudier la possibilité de l’ouvrir à d’autres populations exposées


  1.   Consolider le régime d’autorisation

Recommandation  8 : Améliorer la méthodologie des évaluations de risques conduites par les agences sanitaires en vue de l’autorisation d’une substance/d’un produit phytopharmaceutique :

– Intégrer plus rapidement les études académiques récentes dans la base documentaire des évaluations

– Prévoir une adaptation continue des lignes directrices encadrant ces évaluations

– Développer et intégrer dans les évaluations de risque des substances actives phytopharmaceutiques et de leurs coformulants des approches combinées, portant sur les mélanges. Développer les méthodologies associées sous l’égide de l’Efsa

Recommandation  9 : Augmenter le budget des agences sanitaires de façon à leur permettre de remplir de manière satisfaisante leur mission d’évaluation des pesticides :

– Accroître le budget de l’Efsa de 14,25 millions d’euros pour lui permettre de procéder à des évaluations plus complètes, plus rapidement

– Accroître le budget de l’Anses de 10 millions d’euros pour financer la montée en puissance de l’évaluation des solutions de biocontrôle, des solutions destinées aux cultures orphelines et des préparations naturelles peu préoccupantes ; et pour renforcer les moyens du programme national de recherche environnement-santé-travail (PNR-EST)

Recommandation  10 : Poursuivre le processus d’amélioration de la déontologie et de la transparence des évaluations des agences sanitaires

– Mettre en œuvre les recommandations du Conseil scientifique de l’Anses, issues du rapport du groupe de travail « Crédibilité de l’expertise scientifique » 

– Mettre en place, sur le modèle de la base Transparence – santé, un portail sur lequel les industriels demandant l’homologation d’une substance (Efsa) ou la mise sur le marché d’un produit (Anses) déclarent l’ensemble des financements versés à des experts scientifiques

Recommandation  11 : Plaider pour l’adoption à l’échelle européenne de trois innovations françaises :

– La phytopharmacovigilance post autorisation de mise sur le marché des produits ; aller vers une phyto-épidémiovigilance dans le but de développer les connaissances sur les effets épigénétiques des substances et leurs impacts sur l’exposome 

– La méthode comparative pour la restriction des usages des substances considérées comme préoccupantes

– Une réglementation spécifique pour le biocontrôle, permettant de faciliter l’accès des solutions aux marchés

Recommandation  12 : Lancer une réflexion en vue d’une harmonisation complète du régime d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques dans le cadre du prochain mandat européen. À plus court terme, établir un état des lieux des écarts non justifiés dans les produits autorisés pour chaque État et mettre en place un mécanisme de résorption.

  1.   réparer le continuum recherche-développement

Recommandation  13 : Développer une vision partagée et planifiée des enjeux de recherche fondamentale et appliquée, en mettant l’accent sur une approche prophylactique, avec un travail par groupes de substance, et une meilleure articulation entre filières et territoires

Recommandation  14 : Consolider le réseau des fermes Dephy et revenir au périmètre de 3 000 fermes engagées

Recommandation  15 : Responsabiliser les acteurs de la vente de produits phytopharmaceutiques avec des objectifs clairs en matière d’obtention de certificats d’économie de produits phytosanitaires, en rétablissant une sanction, en contrepartie de l’abrogation de la séparation vente/conseil

Recommandation  16 : Mettre en place un conseil agronomique global annuel et universel sous l’autorité des chambres d’agriculture et inscrire la conditionnalité des financements liés à cette mission dans le cadre du contrat d’objectifs et de performance conclu avec l’État

Recommandation  17 : Former et recruter massivement des agronomes ainsi que d’autres spécialistes essentiels à la transition agroécologique (épidémiologistes, entomologistes…)

Recommandation  18 : Expérimenter un ordre professionnel des conseillers en phytopharmarcie, ce qui permettra de structurer l’activité, de définir des règles déontologiques communes et de développer la profession de phytiatre

  1.   Promouvoir les politiques publiques en faveur de l’agroécologie

Recommandation  19 : Anticiper la révision du PSN :

– Offrir une nouvelle trajectoire d’aides différenciées selon la taille des exploitations pour accompagner la relève générationnelle

– Réformer le cahier des charges de la HVE pour qu’il porte l’exigence d’une diminution de 50 % de réduction des produits phytopharmaceutiques

– Dans l’attente d’une révision des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) – notamment sur les rotations – étudier la marche environnementale la plus utile pour le niveau 1 des éco-régimes

– Soutenir le potentiel de développement de l’agriculture biologique et la dynamique des Maec

– Expérimenter un système assurantiel destiné à couvrir le risque des changements de pratiques


  1.   Instaurer des règles de marché loyales au service de l’agroécologie

Recommandation  20 : Faire prévaloir des règles fondées sur la réciprocité pour le commerce avec les pays tiers

–  Supprimer les tolérances à l’importation sur les LMR pour toutes les substances interdites dans l’Union européenne et accentuer les efforts de recherche pour faire tendre la limite de quantification de ces substances vers zéro 

– Inscrire dans le droit européen des mesures miroir imposant le respect des règles européennes en matière d’usage des produits phytopharmaceutiques pour l’ensemble des produits importés ; et inverser la charge de la preuve pour le contrôle du respect de ces mesures miroir à l’entrée des produits sur le territoire de l’UE 

– Interdire l’exportation vers les pays tiers de substances interdites au sein de l’UE

Recommandation  21 :  Accélérer la mise en œuvre des dispositions législatives nationales visant à faire des marchés publics un levier vers l’agroécologie :

– Loi Egalim du 20 octobre 2018 : tenir les objectifs d’approvisionnement dans la restauration collective (50% de produits « durables » dont 20 % de bio)

– Loi Climat et résilience du 22 août 2021 : donner la priorité à la mise en œuvre des dispositions portant sur la commande publique dans le domaine de l’alimentation.

Recommandation  22 :  Rééquilibrer l’effort de réduction des produits phytosanitaires en le faisant davantage peser sur les entreprises agroalimentaires et la grande distribution :

– Créer un fonds innovation – agro-alimentaire pour stimuler la recherche de solutions pour la valorisation des cultures de diversification 

–  Prévoir une disposition législative interdisant aux industries agroalimentaires et à la distribution d’imposer aux producteurs des cahiers des charges incompatibles avec les règlementations relatives aux usages des produits phytopharmaceutiques

– Intégrer des exigences relatives à la réduction des produits phytosanitaires dans les cahiers des charges des différents SIQO

– Instaurer une taxe sur les dépenses en publicité des entreprises agroalimentaires, destinée à financer la montée en puissance de la communication publique sur une alimentation saine et économe en produits phytosanitaires

Recommandation  23 : Lancer une mission d’information parlementaire sur la chaîne de valeur de l’agro-fourniture ; ajouter aux missions de l’observatoire des prix et des marges l’analyse du secteur amont de l’agriculture et modifier en conséquence les articles L.682‑1 et L.621-8 du code rural

 

  1.   Améliorer le pilotage public

Recommandation  24 : Adopter pour la mise en œuvre des politiques de réduction des produits phytosanitaires une nouvelle logique comptable établissant les dépenses de prévention en fonction des coûts de réparation des externalités négatives

Recommandation  25 : Inscrire Écophyto dans un horizon politique partagé :

– Une grande loi foncière au service du renouvellement des générations 

– Une politique agricole et alimentaire commune (PAAC)

– Un récit qui fasse de la transition agroécologique une odyssée partagée

  1.   Sanctuariser les captages pour l’alimentation en eau potable

Recommandation  26 : Compléter et affermir l’arsenal réglementaire visant à prévenir les pollutions diffuses dans les aires d’alimentation des captages pour l’eau potable :

– Imposer la généralisation des ZSCE en rehaussant le niveau d’exigences des plans d’action qui leur sont associés 

– Inscrire systématiquement la problématique de la prévention des pollutions diffuses liées aux pesticides au sein des SDAGE

– Procéder aux adaptations réglementaires qui s’imposent pour garantir une convergence de vues entre les ARS et les agences de l’eau sur la priorité à accorder à la prévention des pollutions diffuses

– Compléter le droit de préemption des terres agricoles par un droit d’expropriation mobilisable dans la situation où l’ensemble des autres dispositifs disponibles n’auraient pas produit les résultats attendus


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   Examen en commission

Au cours de sa réunion du 14 décembre 2023, la commission a procédé, à huis clos, à l’examen du projet de rapport.

M. le président Frédéric Descrozaille. Mes chers collègues, cette dernière réunion sera consacrée à la discussion sur le projet de rapport que va nous présenter notre rapporteur. Elle n’est pas retransmise, ni ouverte à la presse. Je souhaite laisser toute la souplesse nécessaire au débat et vous invite à prendre le temps de l’échange, compte tenu de la complexité du sujet.

La commission d’enquête est l’outil le plus puissant du Parlement et nous sommes tenus aux règles très strictes énoncées par l’ordonnance du 17 novembre 1958 et par le règlement de l’Assemblée.

Notre réunion constitutive s’est tenue le 5 juillet. Entre le 12 juillet et le 22 novembre, nous avons tenu cinquante-sept auditions et tables rondes, qui ont représenté une durée totale de près de quatre-vingt-douze heures d’échanges avec pas moins de cent cinquante-sept personnes. Je remercie vivement celles et ceux qui, par leur assiduité, ont enrichi nos travaux. Ceux-ci se sont déroulés dans un très bon esprit, sans polémique ni instrumentalisation, ce dont je remercie les commissaires et en premier lieu le rapporteur, qui a beaucoup contribué à ce climat. Je tiens à saluer le travail considérable qu’il a effectué, animé par la passion qu’on lui connaît.

En cas d’adoption, l’article 144-2 du règlement dispose que le rapport « est remis au Président de l’Assemblée. Le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret dans les conditions prévues à l’article 51, le rapport est imprimé et distribué. Il peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique. La demande de constitution de l’Assemblée en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, doit être présentée dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt au Journal officiel. »

Pour respecter ce délai, et compte tenu du fait que le dépôt sera, le cas échéant, publié au Journal officiel de demain, le rapport ne pourra être rendu public que jeudi 21 décembre. Dans l’intervalle, aucune communication sur les conclusions du rapport ni le contenu non public de nos travaux ne devra être faite. La nature de nos travaux ne devrait pas, a priori, justifier la constitution d’un comité secret, puisque nous ne traitons pas de questions couvertes par le secret défense ou de sujets de cet ordre, mais il faut respecter ce délai.

En cas de rejet du rapport, celui-ci n’est pas publié et sa divulgation est passible de sanctions pénales. Nous portons donc une lourde responsabilité. Selon le dernier alinéa de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, « Sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l’article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information. »

Quel que soit notre vote, il vous sera demandé, à la fin de la réunion, de remettre aux administrateurs l’exemplaire du projet de rapport qui vous a été remis.

En réponse aux questions des journalistes qui ne devraient pas manquer de nous être posées dès aujourd’hui, il ne nous est pas interdit de les informer de l’issue du vote et de leur faire part oralement des champs qui ont été explorés par la commission. On peut indiquer que le rapport, qui sera publié le 21 décembre, fera des recommandations dans tel ou tel domaine, mais sans être trop précis. Nous ne pouvons pas commenter le contenu du rapport. Nous devons respecter le délai de cinq jours, qui engage notre responsabilité.

M. Grégoire de Fournas (RN). Quand se tiendra la conférence de presse ? N’allez‑vous pas y évoquer le contenu du rapport ?

M. le président Frédéric Descrozaille. Elle aura lieu à la sortie de cette réunion. Nous allons évoquer l’ampleur des travaux que nous avons menés et mettre en relief la complexité du sujet traité. Le rapporteur évoquera certainement un certain nombre de pistes et de recommandations, mais sans entrer dans le détail ni toutes les énumérer. Les propos tenus seront fidèles à nos débats. La presse ne disposera pas du rapport.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). La date limite pour livrer nos contributions écrites est fixée au 19 décembre à midi. Nous ne disposerons donc pas du projet de rapport pour les écrire, ni même de la liste des recommandations ?

M. le président Frédéric Descrozaille. En effet. Cela étant, l’objet d’une contribution est de dire ce que l’on retient des travaux qui ont été menés ; elle n’a pas pour finalité de compléter, d’amender ou de contredire le rapport.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Sera-t-il possible de consulter à nouveau le rapport avant la remise de la contribution ?

M. le président Frédéric Descrozaille. En notre qualité de membres de la commission, nous avons accès au rapport, mais je ne sais pas exactement quelle forme pourra prendre cette consultation.

M. Dominique Potier, rapporteur. J’ai réalisé un fascicule contenant l’introduction du rapport, le résumé des chapitres et la liste des propositions, que je mets à votre disposition. Je comprends que le rapport intégral doive rester au secret pendant ces cinq jours, mais pour le reste, ce sont des secrets de Polichinelle. Au cours de la conférence de presse, nous n’allons pas parler que de l’esprit et de la méthode ! Nous évoquerons nos pistes de réflexion, qui ne sont guère éloignées des propositions du rapport. On se souvient d’ailleurs de leaders de la majorité qui se sont rendus sur les plateaux de télévision dans les minutes qui ont suivi la fin d’une commission d’enquête – on a même vu des gens dans les médias avant l’adoption du rapport de la commission d’enquête sur le nucléaire, qui touchait pourtant à la défense nationale ! Le président est dans son rôle lorsqu’il rappelle les règles mais en pratique, le rapport, dès lors qu’il est adopté, devient un objet de communication publique. Personne n’intentera un procès à celui qui en communique des éléments synthétiques, encore moins dans un domaine comme le nôtre, qui ne touche pas vraiment à la sécurité nationale. Le délai de cinq jours, dans les faits, n’est pas respecté.

M. le président Frédéric Descrozaille. Ces dispositions liées au secret couvrent toutes les commissions d’enquête, mais s’entendent plutôt pour celles qui touchent à des enjeux de sécurité nationale. Il faut simplement avoir conscience des règles textuelles auxquelles nous sommes tenus.

M. Jean-Luc Fugit (RE). La conférence de presse portera évidemment sur votre analyse et vos recommandations. Ce ne sont pas le nombre de personnes auditionnées et la méthodologie suivie qui retiendront l’attention des journalistes !

M. le président Frédéric Descrozaille. Je précise tout de même que les journalistes réagiront à ce que nous leur dirons et qu’ils n’auront pas le rapport sous les yeux.

Je laisse maintenant le rapporteur nous présenter son travail.

M. Dominique Potier, rapporteur. Monsieur le président, je me félicite de la qualité de la collaboration que nous avons nouée au cours de ces six mois. Nous avons eu le souci commun de ne pas faire le buzz ni chercher à alimenter des débats conflictuels. Nous nous sommes efforcés de mettre au jour tous les aspects de la question afin de nourrir le débat public de manière apaisée. Je salue les commissaires, qui ont été particulièrement présents au sein de cette commission d’enquête – ce fut un véritable marathon, tant au regard du nombre des auditions que de leur durée. Je salue cet exercice démocratique, consciencieux, au service de la recherche de la vérité et de l’intérêt général.

Tout député d’opposition que je suis, j’ai examiné avec un regard bienveillant et un a priori positif le lancement par le Gouvernement des consultations sur le quatrième plan Écophyto, en lui faisant crédit de sa sincérité. Le rapport n’est pas dépourvu d’esprit critique mais se veut une contribution utile à cette concertation, qui doit être menée jusqu’en janvier prochain. Grâce à ce calendrier particulièrement heureux, le débat sera nourri par nos travaux et nos différentes contributions. Je salue l’engagement parfois héroïque de l’administration de l’Assemblée, qui nous a permis de terminer notre ouvrage, dense et ambitieux, dans les délais impartis.

Le choix d’un rapporteur, c’est d’abord celui d’un plan, pour organiser et hiérarchiser la connaissance acquise. Je vais donc vous présenter de manière synthétique les différentes parties du rapport.

La volonté du groupe Socialistes de créer cette commission d’enquête reposait sur un double constat. Le premier est le décalage entre les objectifs affichés – une diminution de 50 % de l’usage des produits phytosanitaires, proclamée en 2009 et réaffirmée en 2014, 2018 et 2023 – et les résultats obtenus – une légère baisse de la quantité des substances actives et une légère hausse du nombre de doses unité (Nodu). La seule victoire que l’on a remportée est la diminution de la toxicité des produits mis sur le marché, avec une baisse phénoménale de l’usage des CMR (substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction) de catégorie 1, qui sont les plus toxiques, et une diminution significative de l’emploi des CMR 2. Ces deux succès ne sont pas dus aux plans Écophyto mais au régime d’autorisation que nous avons adopté et renforcé notamment en 2014. C’est ce dernier qui nous a permis d’avancer, pas le plan Écophyto.

Le deuxième constat est le fait que le système européen et français, fondé sur l’interdiction de la diffusion de molécules toxiques dans l’environnement et le respect par les pouvoirs publics de l’évaluation des autorités scientifiques, fait l’objet de débats au sein de la société civile et du monde politique. Ce système est, sinon en danger, du moins questionné.

Nous avons mené nos travaux dans plusieurs directions. Nous avons documenté les effets des produits phytosanitaires sur les différents compartiments de l’environnement et de la santé. Nous avons autopsié le régime d’autorisation français et européen, afin d’identifier les moyens de l’améliorer et de renforcer sa crédibilité. Nous nous sommes livrés à une analyse pour ainsi dire clinique de l’action de la puissance publique, mettant en lumière son incurie – des dizaines, voire des centaines de millions ont été dépensés depuis 2009, pour des résultats qui ne sont absolument pas à la hauteur des espérances. Nous nous sommes interrogés sur les raisons de cette impuissance. Enfin, au-delà de la puissance publique, nous avons cherché à identifier les déterminants de l’économie agricole qui créent la dépendance à la phytopharmacie. Nous nous sommes penchés sur la chaîne de valeur de la phytopharmacie ainsi que sur l’économie agricole et les leviers de marché.

L’originalité du rapport réside surtout, à mes yeux, dans l’étude des marges de manœuvre permises par les leviers de marché, en tant qu’ils peuvent influer sur l’agroécologie, et l’analyse approfondie – y compris d’un point de vue scientifique et philosophique – des régimes d’autorisation.

La première partie dresse un état des lieux des effets des produits phytosanitaires. Le rapport de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) de 2021, qui constitue la principale arme scientifique – et l’une des seules – déployée par le ministère de la santé, confirme les liens de causalité entre un certain nombre de maladies, notamment neurodégénératives, qui affectent les adultes comme les enfants, et l’exposition aux pesticides.

Les alertes sur l’eau sont sans doute celles qui nous ont le plus impressionnés. Il n’y a pas vraiment davantage de pollution diffuse agricole, mais l’effet cumulé des stress hydriques crée un phénomène de concentration. Quelque 4 300 captages ont été fermés au cours des vingt dernières années, et des milliers sont menacés dans les années à venir en raison de cette absence de dilution. Nous avons entendu à deux reprises les agences de l’eau, et les scientifiques nous l’ont réaffirmé : il s’agit sans doute de la menace principale sur l’eau.

La pollution diffuse crée deux types de problèmes. Le premier est le coût de la réparation, évalué entre 500 millions et 1 milliard d’euros annuels. Cela représente un surcoût estimé entre 0,5 et 1 euro par mètre cube sur les territoires exposés à des pratiques critiques conduisant à de la pollution diffuse, dont les ressources en eau sont fragiles. Cela concerne environ un tiers de la France. M. le ministre Christophe Béchu nous a indiqué qu’il allait demander notamment à l’Inspection générale des affaires sociales de réaliser une étude pour mieux chiffrer cet impact sur l’eau.

Le deuxième problème, celui qui m’a le plus impressionné, tient aux conséquences pratiques considérables de ce phénomène en termes d’aménagement du territoire. Les communautés urbaines ou autres établissements publics de coopération intercommunale d’une dimension importante, qui assurent la gestion d’un grand volume d’eau, pourront organiser un système de traitement des eaux, même si le financement posera une difficulté. En revanche, comme me l’ont confirmé les agences de l’eau, ce traitement sera inaccessible aux communautés rurales, y compris en cas de compétences partagées et même lorsque la population concernée atteint 10 000 ou 20 000 habitants, car il sera tout simplement impossible d’implanter des usines de potabilisation. Les territoires ruraux pourraient ainsi devenir dépendants pour leur eau potable d’autres territoires, pas nécessairement urbains, au prix d’infrastructures onéreuses et surtout d’un problème culturel majeur.

Ce sujet de l’eau potable, que l’on ne peut pas occulter, fait l’objet d’un septième chapitre du rapport, qui recommande d’accélérer notamment en matière de protection des captages. On ne peut pas continuer comme cela. Nous transmettrons nos documents à la mission d’information qui se penche actuellement sur le sujet.

Les effets des produits phytosanitaires sur l’air sont ceux qui ont été les moins étudiés. Il est difficile d’obtenir des données et d’élaborer une doctrine sur ce sujet comme on l’a fait sur l’eau : dans le domaine de l’air, nous sommes quasiment dans l’inconnu. Il est de notre devoir d’acquérir progressivement, méthodiquement, des données et de concevoir une doctrine équivalente à celle de l’eau. Il serait bon de lancer ce chantier durant la législature. Le sujet ne mérite peut-être pas d’être diabolisé mais, pour l’heure, nous n’en savons rien.

Concernant le sol et la biodiversité, il n’y a pas de contradiction, à nos yeux, entre la diminution de l’usage des produits phytosanitaires et la lutte contre le dérèglement climatique. Les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) comme les autres études scientifiques et les personnes que nous avons auditionnées indiquent que la santé des sols est une des solutions à la crise climatique, par le biais de la captation du carbone ; elle est également une garantie de fertilité à terme. Des sols érodés et dégradés ne jouent pas le même rôle de puits de carbone d’une part, et deviennent moins productifs et plus dépendants aux intrants chimiques d’autre part. La santé des sols et la biodiversité sont donc non seulement une assurance climat mais aussi une assurance sécurité alimentaire pour ceux qui viendront après nous.

Concernant les propositions, nous nous sommes focalisés sur le fonds Phyto Victimes, dont nous saluons tous le déploiement, tout en regrettant la lenteur du processus. Des mesures s’imposent pour renforcer sa visibilité et permettre, autant que faire se peut, la réparation des dommages de la phytopharmacie. Par ailleurs, nous recommandons qu’un effort permanent soit engagé pour que les travailleurs de la terre exposés à ces produits – dans les coopératives, le négoce, l’agroalimentaire… – soient mieux protégés à l’avenir.

La deuxième partie du rapport est consacrée au régime d’autorisation, qui est l’objet de deux types de critiques. Le premier vient de l’écologie politique au sens large, qui estime que ce système est sous influence, de l’agrochimie en particulier. Le deuxième type de critiques émane des secteurs économiques qui subissent les conséquences du retrait des molécules. Ceux-ci considèrent que l’analyse bénéfice-risque ne peut être faite par celui qui a évalué le risque et que la gestion de ce dernier revient au politique, qui doit arbitrer entre souveraineté alimentaire et risque environnemental et sanitaire. Ces critiques portent sur le régime d’autorisation que nous connaissons, largement confié à l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) et à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail).

Au passage, le transfert de la décision d’autorisation de mise sur le marché des produits du ministre au directeur de l’Anses n’a pas changé grand-chose, comme Stéphane Le Foll l’avait d’ailleurs indiqué. En effet, dès lors que l’évaluation scientifique a conclu à la dangerosité du produit, il est impossible, en vertu du droit européen, de le laisser en circulation. Le ministre a la faculté de réinterroger l’Anses, comme il l’a fait récemment à propos du S-métolachlore, et il peut, en application de l’article 53 du règlement européen concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, autoriser une dérogation de 120 jours. Rien d’autre ne serait conforme au droit européen.

Le débat qui a lieu sur la question aboutit donc, in fine, à remettre en cause le droit européen et la capacité de décision de l’autorité scientifique. C’est un sujet passionnant. À mes yeux, la mission première du politique est de définir le cahier des charges de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas. Il s’agit de savoir à quel prix on est prêt à maintenir une pratique agricole ou à sauver un élément de souveraineté alimentaire, autrement dit quels effets sanitaires sur la communauté on est disposé à accepter. Il faut fournir un cahier des charges aux agences sanitaires. Mais si, à l’occasion de l’examen de chaque molécule, de chaque produit, l’intérêt économique d’une filière est opposé à celui des victimes indirectes ou indirectes, on ne s’en sortira pas. La décision politique qui fixe le niveau du risque acceptable ne doit pas être prise en opportunité mais reposer sur des principes applicables à l’ensemble des molécules et des produits.

En attendant, nous avons proposé plusieurs pistes d’amélioration à court terme. La première a trait aux interactions entre les sciences réglementaires, celles qui s’imposent aux industriels présentant une molécule ou un produit, et les sciences académiques, plus fondamentales et exploratoires. Nous recommandons que les lignes directrices de la science réglementaire soient révisées de manière continue en fonction des avancées des sciences académiques et que ces dernières soient mieux prises en compte dans l’évaluation des risques.

La science réglementaire, c’est l’application à l’instant T de la science académique. Cette dernière évolue, par exemple s’agissant des effets des mélanges entre coformulants et molécules, ou encore du concept d’exposome selon lequel nous ne sommes pas seulement soumis aux effets d’une molécule ou d’un produit mais à une multitude d’expositions – qui ne sont pas toutes d’origine agricole : par exemple, des biocides entrent en ligne de compte, qui n’ont rien à voir avec le milieu agricole. L’exposome constitue une nouvelle approche scientifique de la multi-influence de la chimie sur le corps humain tout au long de la vie. La science réglementaire doit évoluer en conséquence. Une autre piste d’amélioration a trait à la prise en compte des mélanges et des coformulants.

Par ailleurs, le soupçon relatif à l’existence de conflits d’intérêts concernant certains chercheurs ou scientifiques est un poison. Je ne vous dirai pas que l’ILSI (International Life Sciences Institute), qui représente l’industrie agroalimentaire et agrochimique, n’est pas influente à l’échelle européenne : divers comités scientifiques ou parascientifiques, qui en émanent, établissent des normes, des taux de soutenabilité, etc. L’influence des lobbies est incontestable, et des chercheurs sont parfois confrontés à des conflits d’intérêts.

Le système actuel est déclaratif : les chercheurs doivent faire part des collaborations qu’ils ont nouées avec une industrie privée. Nous proposons d’étendre à la phytopharmacie la règle applicable au médicament, à savoir l’obligation, pour les industriels, de déclarer tous les experts avec lesquels ils ont travaillé. Ce double fichier permettrait au comité de déontologie de l’Anses et de l’Efsa de s’assurer que tel ou tel scientifique dont le recrutement est envisagé pour examiner une molécule ou un produit n’a pas été en relation avec une firme phytopharmaceutique ayant des intérêts en la matière. Ce renforcement de la transparence compléterait les efforts remarquables déjà accomplis par l’Anses – je souhaite à toutes nos institutions d’être capables du niveau d’exigence de vérité dont elle a fait preuve dans son rapport sur la crédibilité de l’expertise scientifique, où elle s’est autocritiquée de façon cinglante et a reconnu des erreurs manifestes. La mesure que nous proposons pourrait être facilement introduite en droit français par la voie réglementaire, et nous appelons de nos vœux son institution à l’échelle européenne.

La troisième partie aborde la question de la recherche et développement et met en évidence une sorte de grande fracture. Dans le rapport que j’avais eu l’honneur de rendre au Premier ministre en 2014, nous mettions l’accent sur le déficit de recherche : cinq ans après le Grenelle de l’environnement, la machine à fabriquer des idées et à explorer des solutions n’était pas en route. Nous constatons qu’un véritable effort a été entrepris depuis, avec constance et quelles que soient les tendances politiques. Antoine Herth, par exemple, avait rendu au Premier ministre un rapport très documenté sur le biocontrôle et les biotechnologies.

Sous l’effet de cette mobilisation, la recherche actuelle est puissante. Elle explore des champs nouveaux dans les technosolutions : la robotique, le numérique, les sciences de la génétique qui sont très prometteuses, à condition que nous prenions quelques précautions. Il y a aussi une recherche sur les agrosystèmes, effectuée par des laboratoires d’idées et aussi par des organismes scientifiques, en premier lieu l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Nous proposons de l’élargir vers la science du paysage et des mosaïques paysagères, ou vers la sociologie agricole – peu utilisée alors que ce sont bien des hommes qui vont trouver les solutions et les appliquer selon des modalités qui réclament des connaissances en la matière. Il reste encore des manques dans deux ou trois domaines, qui pourraient être facilement comblés.

Globalement, l’effort de recherche a donc été produit. Les instituts techniques agricoles jouent leur rôle. Nous proposons d’accroître un peu leurs dotations – il ressort de mes échanges fructueux avec Arvalis-Institut du végétal et Terres Inovia qu’avec quelques millions de plus par an, ils pourraient mieux coopérer avec la science fondamentale et préparer la concrétisation des solutions, dans la vigne, dans la betterave ou ailleurs. L’exemple de la betterave illustre d’ailleurs parfaitement l’efficacité d’un plan national de recherche et d’innovation dans la recherche appliquée.

Le problème est que tout cela n’arrive pas jusqu’aux agriculteurs. Ils n’ont même pas à arbitrer avec les autres injonctions économiques et pratiques auxquelles ils sont soumis : ces propositions ne leur parviennent tout simplement pas. Le continuum recherche-développement est complètement raté.

Au cours de la période 2014-2017, le législateur avait inventé le certificat d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), à l’époque où Stéphane Le Foll était ministre de l’agriculture. Vous remarquerez au passage que dans le rapport, mis à part pour les auditions, je ne nomme aucun ministre ou Président de la République, afin de neutraliser l’effet politicien : je me contente de la fonction – chacun pourra y accoler les noms correspondants ; moi, je n’ai pas voulu aller sur ce terrain. Mais ici, à huis clos, je me permets de donner la position de Stéphane Le Foll, en 2014, face à l’échec du plan Écophyto.

Deux ou trois solutions très lourdes étaient alors sur la table. La première était une taxation signal prix, consistant à taxer à 100 % les produits phytosanitaires, ce qui reviendrait à en doubler le prix. Aujourd’hui, cela les ferait passer de 2,2 à 4,4 milliards d’euros, la différence étant reversée aux agriculteurs selon des modalités diverses. Cette taxation massive visait à décourager par le prix afin de changer les pratiques, tout en maintenant le revenu des paysans. Stéphane Le Foll avait écarté cette mesure brutale et radicale, psychologiquement difficile à accepter.

Deuxième solution : une ordonnance obligatoire pour délivrer un produit phytosanitaire, comme il en existe pour les produits vétérinaires, le prescripteur s’engageant à indiquer les doses adéquates et les moments opportuns pour en faire usage. Cette mesure avait également été écartée, pour les mêmes raisons.

Troisième solution : une méthode d’« empowerment » consistant à demander aux vendeurs de produits phytosanitaires de trouver eux-mêmes des solutions alternatives, qui a conduit à créer les CEPP. Contrée d’abord par un recours contentieux, cette solution a été ensuite remplacée par une autre, qui figurait dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron : la séparation du conseil et de la vente, idée qui vient du monde de l’écologie, de France nature environnement. Ce fut un véritable accident industriel – nous l’avons documenté avec Stéphane Travert, et nul ne le conteste plus.

Avec la séparation du conseil et de la vente, les pratiques ont continué comme avant, avec l’insécurité juridique en plus. En outre, cette initiative a tué les CEPP puisque les vendeurs de produits phytosanitaires ne pouvaient plus donner de conseils pour trouver des méthodes alternatives. Enfin, le conseil stratégique, antidote au conseil privé, a été aussi été un échec : cinq ans après l’adoption de la loi Egalim (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), on n’atteint pas les 20 % de paysans ayant suivi ce conseil et nous allons devoir reculer l’échéance prévue. Nous avons été incapables de créer un conseil stratégique qui vienne rééquilibrer le conseil des vendeurs.

Bref, il y avait un début de solution, qui a été ruiné. Nous proposons donc d’en finir avec la séparation du conseil et de la vente et de responsabiliser les acteurs en restaurant le régime de sanctions prévu initialement pour les CEPP – le vendeur ayant l’obligation de trouver des solutions alternatives à la phytopharmacie. Nous proposons aussi de créer un service public universel d’agronomie, financé notamment par une taxation des produits phytopharmaceutiques. Il faudrait déployer quelque 1 000 ingénieurs agronomes sur le territoire pour que les agriculteurs puissent avoir accès à ce conseil pendant deux demi-journées par an – le rythme de deux fois tous les cinq ans paraissant insuffisant. L’agriculteur bénéficiera ainsi à la fois d’un conseil privé, mais responsabilisé et redevable – il vaut mieux miser sur la responsabilité puisque ce conseil existe de toute façon et qu’il est impossible de mettre un gendarme derrière chaque vendeur – et d’un conseil agronomique public, déployé massivement par les chambres d’agriculture. À raison de deux demi-journées par an et par agriculteur, le coût de ce service est estimé à 70 millions d’euros.

En quatrième partie, nous nous sommes demandé comment les aides publiques pouvaient constituer un levier de la transition agroécologique et participer à la baisse de l’usage des produits phytopharmaceutiques. Nous suggérons une révision du plan stratégique national (PSN), déclinaison française de la PAC, partant de différentes hypothèses. Un transfert de 500 millions d’euros permettrait de soutenir les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), d’apporter les 160 millions qui manquent à l’agriculture biologique et de réformer le cahier des charges de la certification HVE (haute valeur environnementale) pour qu’il réponde à l’exigence d’une diminution de 50 % de l’usage de produits phytopharmaceutiques – il est d’ailleurs parfaitement incohérent que ce ne soit pas déjà le cas.

En jouant sur tous ces dispositifs du PSN, on mobilise environ 3 % des crédits publics totaux de l’agriculture. Vous trouverez le détail dans le rapport, où nous revenons sur les objectifs des premier et second piliers de la PAC. Rappelons cependant que trois mesures permettent d’asseoir une véritable transition agroécologique : la conditionnalité des aides ; les écorégimes du premier pilier ; le développement rural du second pilier, qui comporte les aides à la conversion vers l’agriculture biologique ainsi que les Maec. Ces 3 % de réorientations de crédits permettent de dégager les moyens attendus par ceux que nous avons auditionnés afin de préserver les systèmes vertueux et économes en produits phytosanitaires. C’est un minimum.

Nous proposons aussi de reprendre le fil d’une aide différenciée de la PAC en fonction de la taille des exploitations afin d’accompagner la relève générationnelle. Interrompu en 2013 sous la pression syndicale, ce processus nous paraît vertueux car de nature à favoriser une politique d’installation : l’agroécologie ne peut exister sans hommes et femmes nombreux sur nos territoires pour la mettre en pratique, sachant que tous les systèmes d’agrandissement conduisent à des spécialisations absolument contraires au dessein que nous poursuivons.

J’en viens à notre cinquième partie, qui traite des leviers privés – les leviers de marché. Nos principaux concurrents sont européens, espagnols pour l’essentiel. Il existe des distorsions de concurrence, souvent exagérées, mais réelles. À court terme, nous proposons une méthode de résolution des écarts à l’échelle européenne. Pour le moyen terme, nous avons l’audace de penser qu’une harmonisation européenne de l’autorisation des molécules mais aussi des produits serait de nature à radicalement réduire nos distorsions de concurrence avec nos voisins européens dans un marché unique. Sans cette harmonisation complète du marché et du droit, il n’y a plus de marché européen.

S’agissant des concurrences internationales, qui pourraient être amplifiées par le Mercosur (Marché commun du Sud), nous faisons deux propositions originales. La première, qui nous a été soufflée lors des auditions, vise à refuser toute présence résiduelle d’un pesticide interdit en Europe dans un produit importé. On n’importe pas des pesticides interdits en Europe, même à dose résiduelle. C’est une tolérance zéro, une barrière claire posée à l’échelle de l’Union européenne pour protéger nos producteurs et nos consommateurs.

La deuxième, qui est de mon initiative, tend à inscrire des mesures miroir dans le droit européen selon une modalité originale. Tout le monde parle de ces mesures miroir, sans trop savoir ce que cela veut dire ni comment cela peut fonctionner. La question est la suivante : dans les faits, quel inspecteur français ou européen peut aller contrôler en Amérique du Sud, en Océanie ou à Singapour les conditions de production, de transformation et de commercialisation d’un produit ? Ce que nous proposons, c’est d’inverser la charge de la preuve : c’est à l’importateur de prouver, par le biais d’un certificateur agréé par l’Union européenne, que le produit respecte des conditions de production sociales et écologiques conformes au droit européen.

Qu’en est-il des leviers sur le marché intérieur ? Citons les marchés publics : le marché de la restauration hors domicile avec la loi Egalim, la loi « climat et résilience – autant d’outils qu’il faut réactiver. De manière plus originale, nous proposons d’explorer l’amont de l’agriculture – le machinisme agricole et les intrants chimiques. Grâce à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, nous sommes tous capables de nous faire une idée des marges bénéficiaires de distributeurs tels que Leclerc ou Carrefour ou de groupes industriels tels que Lactalis ou Coca-Cola. Sur ce sujet, s’est instauré un débat politique nourri par des statistiques. En revanche, l’amont de l’agriculture reste une boîte noire, que nous proposons d’ouvrir en élargissant les compétences de l’Observatoire dans ce domaine. Peut-être découvrirons-nous que le surcoût d’un produit alimentaire s’explique par les marges indécentes réalisées par les fabricants de machines agricoles ou d’intrants chimiques.

À cet égard, les contrôles sur pièces que j’ai effectués à Bercy concernant les majors de l’agrochimie m’ont laissé pantois : payer 110 millions d’euros d’impôt sur les sociétés pour 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires suppose soit une très faible rentabilité, soit un transfert de coûts massif. Je vous laisse imaginer l’hypothèse qui est la mienne. En outre, la moitié de ces impôts est récupérée sous forme de crédit d’impôt recherche (CIR) dont l’usage n’est pas orienté – on ignore s’il va être consacré à des molécules douteuses ou vraiment intéressantes d’un point de vue technoscientifique. Outre le débat plus général sur le CIR, on peut tout de même s’interroger sur les marges bénéficiaires et la fiscalité des grands groupes qui réalisent 90 % du commerce de la phytopharmacie dans notre pays, quand on voit qu’ils ne paient en définitive qu’un peu moins de 60 millions d’impôt sur les sociétés. Avant de hurler contre la redevance pour pollutions diffuses, on pourrait s’intéresser aux marges indécentes dégagées par ces opérateurs. Le chantier est ouvert.

La sixième partie touche à la gouvernance du plan Écophyto. Sans exagérer, je l’ai décrit comme un véhicule sans pilote, sans radar et sans tableau de bord. Les données relatives aux usages arrivent avec un an ou deux de retard et sont peu analysées ; les actions sont peu évaluées ; nombre de projets ne vont pas à leur terme ; la gouvernance interministérielle est peu opérationnelle. Ces critiques ne sont pas exagérées : les rapports d’inspection dressent le même constat, avec des mots parfois plus cruels. Il faut lire le rapport rédigé notamment par Anne Dufour, « Évaluation des actions financières du programme Écophyto », ou les rapports dressant le bilan de la séparation du conseil et de la vente : ils sont accablants pour la puissance publique. Le plan Écophyto n’est pas piloté et l’utilisation de ses crédits – quelque 70 millions d’euros – n’est pas coordonnée avec celle des montants alloués à la réduction des pesticides – environ 600 millions – et encore moins avec celle des 16 milliards dévolus à l’agriculture. Il y a un manque d’alignement, de redevabilité, d’efficience des politiques publiques.

Pour libérer le ministère de l’agriculture des réseaux d’influence, nous proposons que ces politiques soient placées, au moins à titre provisoire, sous l’égide du secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et donc de Matignon. Cela permettra de se confronter à un réel défi – car la question demeure : la sécurité alimentaire sera-t-elle garantie si l’on atteint l’objectif de réduction de 50 % de l’utilisation de produits phytosanitaires ? Ce pilotage permettra d’envisager la question de manière globale et sous tous ses aspects – souveraineté alimentaire, utilisation de la biomasse pour l’énergie et pour d’autres fonctions – alors que les différents ministères ont actuellement tendance à tirer à hue et à dia.

Quels montants faudrait-il mobiliser pour engager cette transition écologique qui permettra de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires ? L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et nombre de chercheurs – y compris les plus audacieux – citent le chiffre de 1 milliard d’euros. Pour compléter les 250 millions prévus par Marc Fesneau dans le budget pour 2024 afin d’accompagner les producteurs dans cette transition, nous proposons de créer un fonds miroir pour l’agroalimentaire. On ne peut atteindre l’autonomie en protéines – qu’elles proviennent de céréales, d’oléagineux ou de protéagineux – si l’on ne développe pas toute la filière, de la collecte à la valorisation.

Il faut donc que le secteur agroalimentaire change. Pourquoi les paysans ne produisent-ils pas ces sources de protéines alors qu’elles sont un élément clef de l’allongement des rotations et de la diversification des cultures de nos territoires ? D’une part, ils n’ont pas de commande pour l’alimentation du bétail présent dans les deux tiers du pays : les producteurs de lait et de viande achètent du soja le moins cher possible mais pas les protéines que l’on pourrait produire en France. D’autre part, il n’y a pas de circuit organisé concernant les protéines destinées à l’alimentation humaine – on ne sait pas, par exemple, collecter, trier et valoriser le méteil. Il faut aider les paysans et tout le secteur agroalimentaire à évoluer, en créant deux fonds de 500 millions, qui s’ajoutent au budget supplémentaire que l’on préconise de déployer sur le PSN. Cette somme de 1 milliard peut apparaître impressionnante à première vue, mais beaucoup moins si on la compare aux 16 milliards consacrés à l’agriculture. Il s’agit donc de faire bouger 6 % du budget national dédié à l’agriculture.

Venons-en à l’eau et aux questions de captage. L’arsenal législatif comporte deux mesures importantes : les obligations réelles environnementales et les zones soumises à contrainte environnementale. Or elles sont peu appliquées car elles relèvent des préfets, dont la main a tendance à trembler : soumis à des pressions locales contradictoires, ils ont du mal à trancher. À un moment où il n’est plus possible de tergiverser, il faut un processus de décision plus vertical qui permette de protéger les captages. Il ne s’agit pas d’exclure les paysans ; mais il est possible de compenser la perte éventuelle de terres en redistribuant une part des 10 millions d’hectares qui vont se libérer dans les années à venir.

Quoi qu’il en soit, il n’est plus possible d’accepter que les périmètres de captage soient soumis à la capacité de négociation d’un propriétaire ou d’un exploitant. Nous avons même l’audace de dire qu’il faut aller au-delà du droit de préemption, qui a déjà été renforcé dans l’arsenal législatif, afin d’assurer la protection de la ressource en eau potable. Nous préconisons d’instaurer un droit d’expropriation, vu comme une arme de négociation ou de dissuasion, concernant des périmètres sensibles où la sécurité de notre alimentation en eau potable pourrait être menacée.

Rappelons que personne n’a jamais été privé de sa terre sans recevoir de larges compensations permettant le cas échéant de continuer à être paysan. Le caractère sacré de la propriété est reconnu dans notre Constitution, mais celui de nos biens communs doit aussi être pris en compte. Sur une partie des sols français, c’est l’intérêt général qui doit prévaloir sur le droit à la propriété privée. L’expropriation doit donc être envisagée comme une arme dissuasive quand toutes les autres voies de négociation sur une compensation ou une contractualisation ont été épuisées. Il ne s’agit pas de racheter des terres à tout-va, mais de prévoir un moyen de sortir des situations d’impasse et d’éviter que des populations se retrouvent privées d’eau potable à l’avenir.

Pardon pour cette présentation un peu longue, monsieur le président.

M. le président Frédéric Descrozaille. L’exercice n’était pas facile, la matière étant très dense.

Avant de lancer les échanges, je souhaiterais évoquer un point particulier, celui du régime d’autorisation, qui conduit à distinguer analyse et gestion du risque. La gestion du risque est une prérogative des États membres : l’Efsa n’a qu’une mission d’analyse et d’évaluation. Lorsque l’Efsa approuve – et non pas autorise – une molécule, elle considère que l’exposition au danger est gérable par les États membres, sans nier que le principe actif peut être dangereux. Il revient ensuite aux États membres d’interdire ou d’autoriser les produits contenant cette molécule approuvée.

En France, cas unique, il a été décidé de fusionner l’analyse et la gestion du risque au sein d’une agence indépendante, l’Anses. L’indépendance de cette instance permet de renforcer la confiance des citoyens dans les décisions qu’elle prend. Le revers de la médaille est que cette décision peut renforcer le discrédit du politique.

Il faut garder à l’esprit la séparation des deux missions, évaluation et gestion du risque. Prenons l’exemple de la cancérogénicité, que j’ai trouvé particulièrement riche d’enseignements. Sur le plan académique, la cancérogénicité ne fait pas l’objet d’un consensus scientifique international. D’après les lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), est admise comme cancérigène, une molécule qui altère l’ADN du noyau des cellules. La perturbation du métabolisme cytoplasmique, c’est-à-dire le fonctionnement de la cellule, n’est pas jugée comme une preuve suffisante de cancérogénicité. Mais nous avons auditionné Laurence Huc, toxicologue et directrice de recherche à l’Inrae, qui, elle, prétend le contraire : elle affirme que des produits sans effet sur l’ADN mais qui perturbent le fonctionnement de la cellule sont cancérigènes. Voilà qui fait l’objet d’une controverse scientifique, et non politique.

L’une des recommandations du rapporteur vise à réduire l’écart entre toxicologie réglementaire et toxicologie académique. Il s’agit de faire en sorte que les lignes directrices, qui s’appliquent en particulier aux études demandées aux industriels, intègrent plus rapidement la recherche académique et l’avis de toxicologues comme Laurence Huc qui apportent la contradiction – en l’espèce, une contradiction qui porte sur la définition même du danger. Certaines personnes auditionnées contestent la définition du danger par l’Efsa, d’où le débat sur l’écart entre la réglementation et la recherche académique.

La gestion du risque, c’est encore autre chose. Elle doit répondre à d’autres questions : qu’est-ce qui est acceptable ? L’exposition au danger est-elle gérable, et si c’est le cas, de quelle manière ? Au passage, je remercie le rapporteur d’avoir soulevé ce débat sur lequel nous n’étions pas forcément en phase au départ. J’ignore d’ailleurs la manière dont les groupes se positionnent par rapport à cette question compliquée. Que va-t-on juger opportun de tolérer comme exposition au danger, en fonction de paramètres nombreux et variés – souveraineté agricole, revenu des agriculteurs, compétitivité économique, dangers pour la santé humaine ou les sols ?

Cette décision politique engage la responsabilité du décisionnaire. Devant qui cette responsabilité est-elle assumée ? Une telle décision peut-elle être prise par un organisme à ce point indépendant qu’il n’est responsable devant personne ? La question se pose et, à titre personnel, je trouve que les termes dans lesquels elle est posée sont très corrects, compte tenu de la grande complexité du sujet.

Revenons un instant sur l’exemple du glyphosate, qui est très emblématique. Le principe actif est une petite molécule de dix-huit atomes, dont on connaît bien le mécanisme d’intervention sur une enzyme qui s’appelle l’EPSP synthase, présente uniquement dans les chloroplastes, c’est-à-dire dans le règne végétal. Les chloroplastes n’existent pas dans les cellules animales, mais des recherches portent sur une possible intervention de cette molécule dans le métabolisme des cellules animales – pas l’ADN, le métabolisme. Il y aurait donc un lien possible avec des cancers rares, donc une cancérogénicité classée comme probable par le Centre international de recherche sur le cancer. Or, concernant l’exposition à ce danger, nous manquons de connaissances sur la prévalence des cancers en question. Grâce à Laurence Huc, j’ai appris qu’il n’y a pas en France de consolidation de tous les traitements par chimiothérapie. Certains cancers sont connus et très suivis, d’autres pas du tout.

L’exposition à ce danger est donc à questionner, ce qui implique une décision politique. En attendant, la SNCF a remplacé le glyphosate par l’acide pélargonique, ce qui a fait passer le coût du désherbage de 110 à 270 millions d’euros, sachant que le nouveau produit est plus nocif pour les sols que l’ancien – ça, c’est avéré. Cette décision a été prise en raison d’une possible exposition à un danger sanitaire pour la santé humaine, mal documenté car on ne connaît pas bien la prévalence des cancers rares possiblement liés au glyphosate, et sur la base d’une preuve qui fait l’objet d’une controverse à l’intérieur même du milieu scientifique, puisque tous ne s’accordent pas sur le caractère cancérogène du glyphosate sachant qu’il n’intervient pas directement sur l’ADN des cellules animales.

Le but de mon propos un peu technique est de rendre compte de la complexité du sujet et d’expliquer la prudence avec laquelle nous interrogeons le modèle français de fusion entre analyse et gestion du risque. Comme l’a dit le rapporteur, la gestion du risque, qui implique de décider ce qui acceptable ou non, autrement dit de définir ce qu’est l’intérêt général, est une décision par nature politique. Le fait de poser cette question de manière ouverte, sans plus de préconisations, est le gage du sérieux de notre approche.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je me permets de vous recommander la lecture du rapport sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux produit par notre collègue Philippe Bolo et d’autres pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Il s’agit de travaux ardus mais remarquables, qui ne sont pas centrés sur l’agriculture mais étendus à tous les polluants chimiques.

M. Grégoire de Fournas (RN). D’après son titre, notre commission d’enquête portait « sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire. »

Sans revenir en détail sur la controverse concernant les indicateurs, je rappelle que le ministre et vous-même, monsieur le rapporteur, avez admis les limites de deux outils, la quantité de substances actives et le Nodu. Malgré cela, vous avez fait état dans votre présentation d’une absence de résultats probants et la page 36 de votre rapport titre : « Une évolution des usages peu convergente avec la trajectoire de réduction annoncée ».

Le défaut de ces indicateurs, pour faire court, est d’avoir une approche quantitative et non pas qualitative. Page 38, vous écrivez : « Entre 2009 et 2021, la part des quantités de substances actives vendues classées CMR a ainsi diminué de moitié, passant de 29,2 % à 11,3 %. Pour les substances classées CMR 1 – les plus dangereuses, les ventes sont passées de 5 000 tonnes en 2018 à 780 tonnes en 2021, soit une baisse de 85 % sur une période de 4 ans. » Le ministre nous a même indiqué que la baisse était de 93 % depuis 2016.

Malgré cela donc, vous concluez à une absence de résultats probants. C’est un premier élément qui rend difficile notre soutien au rapport : tout ce qu’on va en retenir, c’est que les efforts de réduction de l’usage de produits phytosanitaires ont conduit à un échec, alors que l’agriculture française a accompli la performance de réduire de 93 % l’usage des substances classées CMR 1 – à l’effet cancérigène avéré – depuis 2016. Ces efforts et ces sacrifices considérables vont être occultés par les conclusions de votre rapport.

Les plans Écophyto n’ont pas permis la réduction de l’usage des substances classées CMR 1, dites-vous. C’est parce que ces plans, comme le Grenelle de l’environnement, se réfèrent à un indicateur, le Nodu, qui ne prend pas en compte l’aspect qualitatif, la problématique particulière de certains produits. Dans le rapport, vous répétez l’erreur qui consiste à englober tous les produits chimiques, quelle que soit leur problématique, dans cet objectif de réduction de 50 % de l’usage des produits phytosanitaires, sans faire cas de leur éventuelle appartenance à la liste des substances classées CMR. Prenons le problème dans l’autre sens : si nous n’avions gardé que les produits classés CMR et supprimé tous les autres, l’objectif de baisse de 50 % aurait été atteint, ce qui signifie que nous aurions gagné la bataille en gardant les produits les plus dangereux. Après six mois de débats durant lesquels nous n’avons cessé de soulever ce problème, je regrette qu’on aboutisse à un rapport qui cite ces éléments tout en concluant à une absence de résultats probants.

Comme le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire d’ailleurs, je me suis demandé pourquoi l’agriculture serait le seul secteur d’activité à ne pas pouvoir utiliser de produits chimiques. À l’instar d’une certaine gauche, vous avez, vous, pris le parti de sortir du chimique, même s’il n’est pas dangereux. Au cours des auditions, nous avons entendu des interventions assez surprenantes. Le représentant de la Fondation pour la nature et l’homme a déclaré qu’il n’était pas question d’aller vers des substances chimiques, même si elles sont plus vertueuses, ni vers des biocontrôles. Benoît Biteau, député européen écologiste, nous a dit qu’il était hors de question de remplacer le chimique par la robotique. Bref nous sommes confrontés à une certaine gauche, suivie par une part de la majorité, qui est hostile au progrès technique et veut en revenir à une agriculture assez précaire, niant le défi considérable de la souveraineté alimentaire. La capacité de notre pays à assurer l’alimentation de sa population semble secondaire. C’est pourtant une question fondamentale, à laquelle vous refusez de répondre.

En revanche, vous abordez les distorsions de concurrence de façon intéressante, en faisant l’effort de proposer des solutions. Leur application semble utopique sans une remise en cause du système européen actuel, mais elles ont le mérite d’exister.

S’agissant de l’Anses, nous sommes en total désaccord. Page 81, vous écrivez : « Le principe même d’une évaluation bénéfices-risques suppose que les deux dimensions soient évaluées au sein d’une même entité. » Vous défendez ici la double compétence de l’Anses. Or le principe même d’une évaluation bénéfices-risques est de conduire à une décision de nature politique. Mme Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée du pôle Produits réglementés à l’Anses, nous a clairement indiqué n’avoir pas la marge de manœuvre pour faire une telle évaluation. Contrairement à ce que vient de dire le président, j’estime que vous fermez la porte à une remise en cause du statut actuel de l’Anses, que vous ne voulez pas voir évoluer. Vous citez même, pour la contester, la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, adoptée en première lecture au Sénat, prévoyant une récupération de la décision par l’autorité politique. Dites-nous si vous êtes prêt, oui ou non, à une quelconque remise en cause du statut de l’Anses. Ce point peut rendre difficile l’approbation du rapport.

M. Dominique Potier, rapporteur. Même si nous y passions l’après-midi, je ne suis pas sûr de réussir à vous convaincre. Cela étant, je salue votre assiduité à nos travaux et votre lecture attentive du rapport, ce qui m’oblige à vous apporter des réponses précises.

S’agissant des indicateurs, je suis partisan de l’indicateur de risque harmonisé européen, le HRI-1 (Harmonised risk indicator for pesticides), qui intègre quantité et risque. Le défaut des indicateurs français est de mal intégrer le risque. La proposition de règlement sur l’usage durable des pesticides (SUR), abandonnée dans les derniers jours de nos auditions, prévoyait l’indicateur commun quantité-risque qui nous manque. Fautil l’inventer ? En tout cas, je propose non pas de l’inventer au niveau français mais de soutenir sa création au niveau européen, ce qui nous permettra de nous comparer à nos voisins européens et d’engager un débat interactif. Nous sommes donc d’accord sur la nécessité d’avoir un indicateur européen des quantités et du risque.

En revanche, nous sommes en désaccord profond et peut-être irréductible sur les substances classées CMR : cet indicateur mesure les effets des produits sur la santé – auteur de la proposition de loi relative à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques, je vous assure que ce sujet me tient à cœur – mais ne prend pas en compte les conséquences sur l’environnement. Or les atteintes à l’environnement, la dégradation de la biodiversité et du climat, ont des répercussions sur la santé humaine. Il est donc impossible de dissocier santé et environnement.

Monsieur de Fournas, qui critiquez le pouvoir de l’Anses, je vous signale qu’elle a joué un rôle dans le retrait de substances classées CMR 1 ou CMR 2, qui peut être considéré comme une victoire. Cela ne tient pas au courage politique de l’un ou de l’autre, ni au fait que le milieu agricole et le monde de l’agroalimentaire auraient entamé une mutation : ces substances ont été déclarées toxiques par une autorité scientifique qui a réclamé leur retrait, en conformité au droit européen. S’affranchir de cette autorité scientifique reviendrait à sortir du droit européen qui se prononce contre la mise en circulation de produits dangereux.

C’est pourquoi, comme le Gouvernement, je veux poursuivre l’objectif d’une réduction de 50 % de l’usage des produits phytosanitaires, dont l’effet sur l’environnement se répercute sur la santé de la population même lorsqu’ils ne sont pas classés CMR.

À cela j’ajouterai un argument agronomique et économique auquel vous devriez être très sensible : à terme, les pesticides entraîneront une baisse de la fertilité des sols et une dégradation des écosystèmes qui pèseront sur la productivité. Notre souveraineté alimentaire dépend de la qualité des agrosystèmes, laquelle est assurée par l’agroécologie et par elle seule. La course à l’armement chimique est vouée à l’échec. Tous les scientifiques nous alertent sur l’efficacité déclinante des molécules, à l’instar de l’antibiorésistance dans le monde animal. Face aux impasses actuelles, l’industrie chimique admet qu’elle n’a pas à ce jour de solutions de rechange. La solution réside donc dans l’agroécologie et non dans la chimie.

Enfin, s’agissant des bénéfices-risques, mes propos ont peut-être été mal interprétés. Ce que j’écris, c’est que leur évaluation n’a de sens que si elle concerne une seule et même entité – par exemple, une personne qui doit choisir de suivre un traitement ou pas après en avoir mesuré les avantages et les inconvénients pour elle-même, ou alors un même village qui décide d’avoir une fiscalité forte pour garantir un bon niveau de service public : c’est lui qui assume en même temps le coût et le bénéfice. Vous, vous mettez en avant des bénéfices tout à fait légitimes pour une filière agroalimentaire et pour une catégorie d’agriculteurs, mais en oubliant que les risques sont supportés par tous. Cela ne peut pas fonctionner.

La gestion du risque consiste précisément à éviter que la prise de risque ne profite qu’à quelques-uns. Les agences sont les gardiennes de l’intérêt général. Elles évaluent les bénéfices et les risques en considérant la collectivité dans son ensemble.

Votre principal argument tient à la sécurité alimentaire – ou souveraineté alimentaire si vous préférez, mais les échanges avec la Méditerranée sont précieux ; je suis partisan du juste-échange, non du libre-échange. Or les solutions agroécologiques donnent aujourd’hui plus d’espoirs de productivité que les solutions agrochimiques. Les industries elles-mêmes reconnaissent l’impasse dans laquelle nous sommes. Nous devons d’urgence repenser nos agrosystèmes. Il n’y a pas de solution sans reconception des systèmes agricoles et agroalimentaires.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Le rapport s’interroge sur l’ambition de l’État de réduire de 50 % l’usage des produits phytosanitaires et plus généralement sur la volonté politique pour mettre en œuvre une politique publique dans ce domaine. Force est de constater que la trajectoire fixée il y a dix ans n’a pas été respectée.

Monsieur de Fournas, il y a en France certains territoires ruraux ou agricoles particulièrement sensibles. Il n’est pas question d’abandonner les agriculteurs en rase campagne mais de trouver les moyens de les accompagner. Dans ce genre de politiques publiques, les intérêts économiques et environnementaux cèdent le pas à l’intérêt général. Le rapport pointe le fait que certains constats soient mis sous le tapis, autrement dit le manque de visibilité des politiques publiques en matière de préservation des sols ou de l’air ainsi que la difficulté qu’il y a à exploiter les travaux scientifiques au service de ces politiques. Il a le grand mérite de présenter un panorama de l’ensemble des travaux scientifiques et de proposer des orientations.

Les pollutions diffuses sont un enjeu central. Comment mieux traiter cette question dans les territoires ruraux ? Il faut sans doute que nos politiques publiques s’orientent fortement vers la préservation de la ressource en eau pour mieux accompagner les transformations dans le monde agricole. La responsabilité politique est aussi de pointer le coût des pollutions diffuses et notamment le fait que le traitement des eaux polluées est plus coûteux que les solutions pour mieux accompagner les agriculteurs dans leurs pratiques.

Il est donc impératif de donner plus de moyens à l’État pour développer des outils de préservation de la qualité des eaux et des sols. L’exploitation agricole doit être garantie pour préserver l’avenir des territoires ruraux et la souveraineté alimentaire. Le rapport présente des préconisations bienvenues pour sortir de la logique du curatif – traiter des eaux déjà polluées – qui est un non-sens pour nos politiques publiques.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Le reproche que certains pourraient adresser au rapport est, à mes yeux, l’une de ses vertus. Certains attendaient sans doute des formules spectaculaires, destinées à faire la une des médias. Or, loin de donner dans la communication médiatique, qui risquerait de nuire à la réflexion, le rapport présente un faisceau de pistes qui forment un ensemble cohérent.

Par exemple, les propositions faites s’agissant du régime des autorisations vont dans le bon sens, notamment à propos du rapprochement entre sciences académiques et sciences réglementaires, en particulier pour le pôle de l’Anses qui travaille sur les autorisations de mise sur le marché. Autre exemple, les propositions qui visent à faire passer concrètement les politiques publiques en faveur de l’agroécologie au stade supérieur. À cet égard, le PSN peut être un outil pour encourager des pratiques différentes. Enfin, je salue les propositions sur les clauses miroir.

Le point fort de cette commission d’enquête est son approche presque scientifique, dénuée d’artifices de communication.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je n’ai effectivement pas cherché à alimenter la conflictualité – certains me le reprocheront peut-être – mais à trouver la voie d’un compromis pour avancer.

Je l’ai dit au ministre de l’agriculture : quel est l’intérêt d’afficher un objectif de réduction de 50 % sans se donner les moyens de l’atteindre ? Dans ce cas, mieux vaut y renoncer. La sincérité de l’objectif s’apprécie à l’aune des moyens qui lui sont dédiés. Le rapport liste les conditions à remplir pour parvenir à l’objectif, qu’il s’agisse de faire évoluer le PSN ou de donner plus de poids à l’autorité scientifique. Sans ces prérequis, je suis prêt à parier qu’en 2030, on dira qu’il faut un plan pour 2040 !

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Merci pour le travail qui a été réalisé pour ce rapport, dont je regrette de ne pas avoir pu prendre connaissance avant aujourd’hui. Je salue votre tentative d’aboutir à un document que nous pourrions soutenir.

J’ai cependant plusieurs interrogations et regrets, notamment sur la partie consacrée aux impacts sur l’environnement.

À la lecture du rapport, on a l’impression que les pratiques agricoles sont les seules responsables de la dégradation. C’est totalement faux. Nous savons tous, et les scientifiques que nous avons auditionnés en juillet l’ont dit, que l’état de l’environnement est le résultat des divers usages des trente ou quarante dernières années, lesquels n’étaient pas tous agricoles – pensons aux particuliers, à Réseau ferré de France, aux sociétés d’autoroute, ou encore aux collectivités. Je regrette donc la mise en cause implicite et exclusive du monde agricole.

Ensuite, je déplore que l’usage de produits phytosanitaires par d’autres secteurs d’activité ne soit pas davantage mis en avant. Je suis intervenue à plusieurs reprises sur le sujet et je connais d’avance votre réponse. Je sais bien que l’objet de la commission était la réduction de l’usage des produits phytosanitaires par le monde agricole. Cependant, dès lors que l’on fait le lien entre la qualité de l’environnement et la santé, on ne peut pas s’en tenir au monde agricole. Le président l’a dit, le remplacement du glyphosate par la SNCF n’a aucun effet positif, ni sur l’environnement, ni sur la santé.

Ce parti pris du rapport, qui peut sans doute être atténué, me dérange fortement car cela revient à pointer du doigt une partie de la population qui ne mérite pas d’être traitée ainsi. Nous partageons tous l’objectif de réduire la pollution de l’environnement et ses impacts sur la santé, mais il ne peut pas être circonscrit au monde agricole. Il est impératif de prendre conscience que les actes passés de tout un chacun sont à l’origine de la dégradation de l’environnement.

Quant aux propositions, la taxation doit-elle s’appliquer à l’ensemble des produits concernés ? Le rapporteur emploie tantôt le terme de « produits phytosanitaires », tantôt celui de « pesticides ». Or, contrairement à ce que croit le grand public, ce ne sont pas des termes équivalents : les pesticides mêlent produits phytosanitaires et biocides. Cette différence subtile a de lourdes implications dans le rapport : envisage-t-on la taxation des biocides ou des produits phytosanitaires utilisés dans les campagnes de désinsectisation ou dératisation ? Le rapport ne répond pas à ces questions. Il faut absolument préciser les produits visés pour aller au bout du raisonnement.

Par ailleurs, peut-être le mot apparaît-il dans le rapport mais dans l’ensemble des interventions de ce matin, à aucun moment je n’ai entendu parler du consommateur. C’est pourtant lui qui décide de ses achats. Chacun est-il sûr d’avoir mangé au petit-déjeuner des produits qui ne contenaient aucun phytosanitaire ? Il est très regrettable qu’un rapport qui s’intéresse à la protection de la santé et à la maîtrise des pollutions de l’environnement passe sous silence la responsabilité du consommateur dans le choix des produits qu’il achète.

Je déplore que ce rapport ait été écrit à charge. Peut-être n’était-ce pas le but, mais c’est comme cela qu’il m’apparaît.

Dominique Potier, rapporteur. Ce que vous qualifiez de rapport à charge est fondé exclusivement sur les rapports d’inspection de l’État et les travaux de ses autorités scientifiques – j’ai été d’une très grande rigueur sur ce point. Je n’ai rien inventé, je n’ai pas crié au loup. L’État ne peut pas se trouver d’excuses puisqu’il est parfaitement informé par ses administrations.

Votre préoccupation, que vous avez exprimée à l’envi tout au long des auditions, est prise en compte dans l’introduction du rapport. Il est écrit noir sur blanc : « l’agriculture n’est pas la seule activité où se jouent les dangers liés à la chimie : la plupart des analyses et recommandations que nous formulons pourraient et devraient ainsi être étendues à l’ensemble des produits biocides utilisés dans notre vie quotidienne ». Je rappelle qu’il s’agit d’un rapport sur la phytopharmacie, pas sur les biocides, mais j’ai toutefois tenu à relayer dès l’introduction le souci que vous avez tant répété.

Quant à la responsabilité des consommateurs, elle dépend aussi de leur culture et de leur pouvoir d’achat. Le rapport y consacre un chapitre entier – c’est peut-être la première fois que, dans un rapport consacré aux pesticides, la question du marché est aussi approfondie. Il apparaît que pour 1 000 euros consacrés par le secteur privé à la publicité, 1 euro est dépensé pour l’information publique sur l’alimentation. Nous proposons donc une taxe de 3 % sur la publicité agrolimentaire afin de ramener ce ratio de 1 pour 1 000 à 1 pour 100. Toutes les mesures concernant l’agroalimentaire concourent au même objectif : permettre au consommateur de choisir en connaissance de cause. Soyez rassurée, la mobilisation du consommateur est largement évoquée dans le rapport.

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Reste que vous imputez exclusivement la responsabilité de la contamination de l’environnement au monde agricole, sans rappeler qu’elle est le résultat de l’ensemble des usages.

M. Dominique Potier, rapporteur. S’agissant des sols et de la biodiversité, il n’y a pas beaucoup d’autres impacts que celui de l’agriculture, il faut être honnête. Et quand on fait le total des autres usages, que je condamne totalement comme vous, dont ceux de la SNCF que le président a évoqués, on aboutit à 2 ou 3 % de la pollution. Le rapport portait sur l’agriculture, mais j’ai néanmoins évoqué le reste du sujet, je ne l’ai jamais occulté. Soyez tranquille sur ce point.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Nous soutenons les orientations générales et la plupart des propositions du rapport, qui couvre un champ très vaste. Je regrette néanmoins qu’il se refuse à pointer les responsabilités. C’est le rôle d’une commission d’enquête que d’établir les responsabilités, notamment celle de l’État, dans le dysfonctionnement d’une politique publique.

Le constat est unanimement partagé : les plans Écophyto ont été un échec – d’autres mesures ont marché. Il est important de rechercher les responsabilités et de souligner le manque de volonté politique. J’ai été marquée par l’audition de l’ancien ministre de l’agriculture Didier Guillaume : c’est justement par cette volonté politique qu’il a expliqué la réussite de la conversion au bio – avec 30 % de surface agricole utile –  dans mon département de la Drôme. C’est tout simple, mais c’est indispensable.

J’entends votre volonté de fédérer pour avancer ensemble vers des solutions partagées, mais cela n’empêche pas d’établir les responsabilités politiques et de réfléchir de manière plus générale à la définition de l’intérêt général et à l’allocation de l’argent public.

Nous avons besoin d’une reconception profonde des systèmes agricoles. C’est évoqué dans le rapport, mais les Écologistes insistent sur la nécessité d’un changement complet de modèle, qui suppose non seulement d’encourager des pratiques nouvelles mais aussi de freiner celles qui portent atteinte aux écosystèmes et à la santé humaine. Or les politiques actuelles maintiennent un statu quo plutôt que de soutenir la transition radicale nécessaire.

J’en conviens, le rapport aurait pu insister davantage sur les politiques alimentaires ainsi que sur le rôle des modes de consommation et de la grande distribution. Il me paraît toutefois malvenu d’insister sur la responsabilité individuelle des consommateurs alors que l’inflation ne leur laisse qu’une marge de choix très réduite. Et puisqu’il a été question de petit‑déjeuner, je note au passage que la restauration collective à l’Assemblée nationale n’est pas forcément exemplaire !

La responsabilité de la grande distribution et des industriels, elle, peut être pointée du doigt. Le rapport relève notamment la faible contribution aux politiques publiques des industriels du phytosanitaire, qui ne sont redevables que d’un impôt très faible. C’est sans doute un sujet à approfondir.

Il est nécessaire d’organiser un débat sur nos politiques alimentaires et agricoles ainsi que sur leur gouvernance. Ce sont des sujets sur lesquels la conflictualité est si forte – la réunion d’aujourd’hui en atteste – qu’il faut de nouveaux outils démocratiques. On pourrait ainsi imaginer une convention citoyenne pour définir nos orientations. Aujourd’hui, on fait porter beaucoup de poids aux agriculteurs, mais c’est à la société tout entière de s’engager. Ce serait aussi une manière de contraindre la volonté politique qui manque depuis quinze ans.

M. Dominique Potier, rapporteur. S’agissant des responsabilités, elles se lisent en filigrane tout au long du rapport, puisque les dates sont citées. Je n’ai pas voulu citer les noms des ministres – mais il y a finalement peu de différences entre les uns et les autres.

En revanche, je fais un reproche : en 2018, la principale innovation d’Écophyto II+ était l’interministérialité. Or il n’y a pas de réunion politique des ministres concernés entre 2009 et 2023. Les ministres disent qu’ils vont faire et ils ne font pas. Il y a un défaut flagrant d’interministérialité – des rapports d’inspection le disent avec cruauté ; ils parlent d’argent gaspillé, d’actions pas évaluées, de maquette financière réalisée en novembre pour l’année en cours… Les chambres d’agriculture et l’État se renvoient la balle sur la mise en place du conseil stratégique ! Qui décide ? Qui pilote ? L’absence de pilotage est manifeste et les échecs sont massifs. Je n’ai pas voulu désigner nommément certains mais je renvoie à des rapports qui sont sans équivoque.

Quant à la reconception des systèmes, je l’écris, elle est impérative pour éviter un nouvel échec. C’est bien la difficulté qui est devant nous. Il ne faut pas se mentir : il est impossible de réussir Ecophyto 2030 avec la même PAC et les mêmes règles de marché et en faisant tout payer aux paysans. Il faut aussi que la société se mette en mouvement.

M. le président Frédéric Descrozaille. Il me semble important à ce stade de dire le travail énorme effectué par le rapporteur et l’écart avec celui des autres membres de la commission – moi le premier. Je découvre, comme vous, au dernier moment l’épaisseur et la densité du document qui nous est soumis. Je n’en ferai évidemment pas le reproche au rapporteur, mais l’exercice consistant à se prononcer dans un délai aussi court est très difficile. Si d’aventure je présidais une autre commission d’enquête, je veillerais dès le début à sanctuariser un mois et demi entre la fin des auditions et l’examen du rapport. La densité des auditions, ajoutée à la pause estivale, nous place dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes, et je reconnais humblement ma part de responsabilité.

Malgré cela, je vous invite à continuer à dialoguer en tenant compte de la complexité du sujet et en ayant, autant que possible, une vue d’ensemble.

À titre personnel, il y a des recommandations que je ne soutiens pas, en particulier sur la PAC. Je suis depuis longtemps partisan de la création d’un troisième pilier. Je ne suis favorable à une modification des équilibres entre premier et second pilier qui est inacceptable pour les agriculteurs, sans lesquels rien ne pourra être fait. Cela ne m’empêche pas d’adhérer à l’esprit général du rapport.

M. Dominique Potier, rapporteur. Chacun avait tout de même quelques jours pour consulter le rapport.

Le transfert d’un pilier à un autre est d’une complexité infinie. J’en suis partisan mais il ne fait pas l’objet d’une recommandation, car il est loin de faire consensus. Le rapport se borne à présenter des hypothèses d’évolution sans arbitrer – c’est le casse-tête que doit résoudre le ministre en ce moment.

M. Pascal Lavergne (RE). Je salue le travail et la ténacité du rapporteur. Je lui reconnais une constance et une technicité dont témoigne le rapport.

Je ne dirai pas que c’est un document à charge. Il répond aux attentes légitimes du citoyen. En revanche, je ne suis pas sûr qu’il réponde à celles du consommateur et, pour moi, c’est là que le bât blesse.

Alors que nombre d’exploitations disparaissent et que notre souveraineté alimentaire s’amenuise, le rapport fera sans doute l’effet d’un coup de massue pour le monde agricole. Les recommandations vont dans le bon sens pour protéger l’environnement ainsi que la santé humaine et animale. Je suis toutefois gêné pour l’approuver car je crains qu’il soit mal reçu par le monde agricole.

En effet, le rapport ne lui apporte pas de solutions pour assurer sa pérennité. On sait pertinemment que les pays qui sont nos concurrents en matière agricole n’adopteront pas de telles recommandations. Notre monde agricole sera mis en difficulté alors que personne ne doute de sa volonté de répondre aux exigences environnementales et sanitaires, tant il souffre d’être constamment pointé du doigt et taxé de pollueur, quand ce n’est pas d’assassin. L’ambition première du monde agricole est de nourrir les gens, pas de les tuer.

Ce n’était pas l’objet du rapport mais un volet est complètement occulté : la conciliation entre les exigences du citoyen et celles du consommateur, qui sont d’abord dictées par des considérations financières – le consommateur a un budget pour remplir son caddie. Cela pose indirectement la question du financement des évolutions que vous préconisez.

En tant qu’agriculteur, j’ai beaucoup de difficultés avec ce rapport même si je salue sa qualité et son objectivité.

M. Dominique Potier, rapporteur. J’ai peu de distance avec le monde paysan, j’en fais partie. Je ne peux pas avoir rédigé un rapport à charge.

J’ai essayé de déterminer les conditions dans lesquelles le monde paysan doit être accompagné pour mener la transition et répondre à la double injonction de nourrir et prendre soin – je ne connais pas d’agriculteurs qui n’aient pas cette double ambition, à laquelle s’ajoute celle de vivre de son métier.

Des efforts sont nécessaires. Un débat interne à la profession doit se tenir sur la répartition des aides et sur les modèles. Ma proposition de réformer la séparation du conseil et de la vente, que tous les agriculteurs qualifient de catastrophe, répond à leurs attentes, et c’est le cas aussi de bien d’autres recommandations. Le rapport comporte de nombreuses mesures d’accompagnement : le conseil agronomique global, sous l’autorité des chambres d’agriculture, serait une véritable avancée. Il faut aussi impliquer l’aval, qui ne peut rester indifférent à ces évolutions.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Merci au rapporteur de son travail. Compte tenu de la complexité du sujet, serait-il possible d’avoir davantage de temps pour échanger ?

J’ai lu l’introduction et les recommandations, partant du principe que la partie centrale était très factuelle. L’introduction me semble être le passage le plus susceptible d’être lu, donc repris dans les médias.

Les faits scientifiques, notamment l’impact des produits phytosanitaires sur la biodiversité et la santé, ne sont pas à remettre en question. Un autre constat est clair : nous ne sommes pas au rendez-vous des plans Écophyto. En revanche, je ne dirais pas qu’on en reste au statu quo : le Gouvernement exprime une volonté d’avancer.

Je suis dans l’ensemble d’accord avec les recommandations ; je le suis beaucoup moins avec l’introduction. Je regrette l’absence de vision globale concernant l’aspect soulevé par notre collègue Lavergne – le fait que les avancées du monde agricole soient peu valorisées, la non-prise en compte des contraintes économiques et d’investissement qui pèsent sur les agriculteurs – on aurait pu rappeler l’histoire de la construction, après-guerre, de ce modèle dont on veut désormais sortir. Il manque aussi cette impression que nous avons eue à Bruxelles – il est dommage que nous ayons été peu nombreux à nous y rendre – que la France est plutôt le bon élève de l’Europe sur ce sujet. En faire état éviterait de diviser et nous permettrait d’avancer tous dans le même sens. C’est important étant donné l’impact médiatique qu’aura le rapport.

Je trouve un peu violent le titre de l’introduction : « une décennie (presque) perdue ». Quant à la conception de l’exposome, elle est très orientée « phyto » alors que la notion est loin de se réduire à ce champ. Enfin, malgré une phrase mal formulée, le ministre a bien dit qu’il ne remettait pas l’Anses en cause ; pourtant, le rapport laisse planer l’ambiguïté sur ce point.

En diminuant de 50 % le recours aux phyto, peut-on continuer de nourrir et d’exporter dans des proportions comparables à celles d’aujourd’hui ? C’est la question majeure, que le rapporteur a rappelée d’ailleurs dans son introduction. Or le rapport n’y répond pas. Pourtant, les enjeux sont aussi géopolitiques, on l’a vu avec la guerre en Ukraine.

M. Dominique Potier, rapporteur. Ne me reprochez pas de ne pas répondre à cette question quand le Gouvernement ne le fait pas non plus : il engage la réduction de 50 % alors que le SGPE – j’en ai longuement discuté avec Antoine Pellion – reconnaît lui-même ne pas avoir toutes les données et ne pas pouvoir garantir que cela n’affectera pas la fertilité et la prospérité alimentaire.

En ce qui concerne la phrase du ministre de l’agriculture au congrès de la FNSEA, je ne l’ai même pas citée. D’autres, à ma place, se seraient amusés à le faire. Ne me faites pas ce reproche, je ne suis pas allé sur ce terrain. J’ai simplement parlé, objectivement, sans jugement moral, de remises en cause de la part de certaines forces politiques – avec par exemple la proposition de loi Duplomb au Sénat, ou certaines déclarations. Je n’ai même pas dit que c’étaient la droite et l’extrême droite qui avaient tapé sur le règlement SUR au Parlement européen… Ah, je l’ai dit, monsieur de Fournas ? Eh bien j’en suis fier, parce que c’est la vérité ! En tout cas, je ne suis allé sur ce terrain qu’à la marge et par souci de précision.

S’agissant de l’exposome, vous verrez que, dans le cœur du rapport, il est bien expliqué qu’il s’agit de prendre en compte l’ensemble des facteurs et non les seuls facteurs agricoles. Ne me faites pas le reproche de n’avoir pas étudié les biocides ou les cycles de la biomasse à l’échelle mondiale : nous n’en avions ni la capacité ni la prétention.

Pour le reste – et là, ce n’est plus le rapporteur qui parle, mais le militant politique – les scénarios que je fais miens sont ceux de l’Iddri : continuer à boire du vin, à manger un peu de viande et à exporter des céréales au Caire. Il ne s’agit pas d’arrêter de commercer avec le Maghreb, mais de mettre fin à d’autres échanges internationaux moins pertinents.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Il n’y avait aucun reproche dans mes propos. Vous avez fait un énorme travail. Il s’agit de notre responsabilité collective quant aux messages qui sont envoyés, notamment vis-à-vis des agriculteurs. Il faut vraiment arrêter de diviser si l’on veut avancer.

Le rapport évoque-t-il les impasses concernant le glyphosate et la nécessité de l’utiliser pour l’agriculture de conservation des sols ?

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous citons le rapport d’information Fugit-Moreau sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. Un encart expose le dilemme, bien posé par l’Insee et tranché par la mission d’information en question. Nous avons rajouté cet élément parce qu’il est massif : le glyphosate est le plus utilisé des herbicides, catégorie de produits phytopharmaceutiques la plus répandue. L’agriculture de conservation des sols fait partie des pratiques qui justifient son usage.

M. Jean-Luc Fugit (RE). Nos échanges sont à l’image du rapport : riches et denses. Je félicite le rapporteur et le président. Cent cinquante-sept personnes rencontrées, en six mois seulement, c’est remarquable.

J’ai simplement une crainte concernant la réception médiatique du rapport. Nous vivons sous la dictature du ressenti ; j’ai peur que certaines parties du rapport, très engagées, soient interprétées comme étant contre le monde agricole et que ce ressenti soit véhiculé par des acteurs médiatiques qui ne sont pas toujours bienveillants.

Je ne suis pas d’accord avec l’idée exprimée tout à l’heure que l’on en resterait au statu quo. Le monde agricole a beaucoup évolué ces vingt ou trente dernières années, et dans le bon sens, même si cela ne fait pas plaisir à tout le monde, notamment au niveau politique. Par rapport à celle d’autres pays, notre trajectoire est plutôt pertinente – en tout cas, plus engagée et engageante.

Concernant le glyphosate, je sais que beaucoup ici ne seront pas d’accord avec moi, mais nous sommes le seul grand pays européen, quelles que soient les coalitions gouvernementales au pouvoir, qui ait entrepris de se doter d’une stratégie pour en utiliser moins. Nous n’allons peut-être pas assez vite pour certains, mais 27 % de moins depuis 2017, c’est toujours ça de pris. Voyons le côté positif. Il faut sûrement aller plus loin et plus vite, mais il faut aussi que le monde agricole puisse suivre.

Merci d’avoir pointé le problème de la qualité de l’air. Le suivi permanent et la recherche des pesticides dans l’air figuraient dans une proposition de loi que j’avais déposée dès fin 2021 ; malheureusement, les travaux parlementaires ayant dû s’arrêter fin février 2022, elle n’a jamais pu être examinée. Mais elle reviendra, et votre rapport me donnera un argument de plus. J’espère qu’elle trouvera un écho favorable et que nous pourrons dépasser certains clivages pour la voter ensemble.

J’aimerais avoir des précisions sur la manière dont la recommandation n° 9, sur le budget des agences sanitaires, a été élaborée, car les chiffres m’ont étonné : pourquoi 14,25 millions d’euros ? Je ne cherche pas du tout à polémiquer, seulement à comprendre.

J’aimerais aussi en savoir plus sur le modèle qui sous-tend la recommandation n° 19, « Expérimenter un ordre professionnel des conseillers en phytopharmarcie ».

La recommandation n° 24, « Adopter pour la mise en œuvre des politiques de réduction des produits phytosanitaires une nouvelle logique comptable établissant les dépenses de prévention en fonction des coûts de réparation des externalités négatives liées à ces produits », est intéressante, mais est-elle étayée par un début d’étude d’impact, de la part d’organismes ou d’associations par exemple ?

Une proposition enfin, toujours sans polémique et pour apaiser les esprits : supprimer le titre de l’introduction : « 2013-2023, une décennie (presque) perdue ; les conditions de la réussite en 2030 ». C’est un titre qui peut être mal reçu et qui semble donner d’emblée la conclusion. Le supprimer ne changerait rien ni à l’introduction elle-même, qui est très bien, ni au reste du rapport.

M. Dominique Potier, rapporteur. En ce qui concerne l’ordre des conseillers en phytopharmacie, la référence est le Québec. Nous restons très prudents : il n’est pas question de prescrire sur ordonnance. Mais un ordre offrirait aux commerciaux et aux salariés des chambres et des instituts un lieu collégial où ils se retrouveraient deux fois par an et pourraient se corriger mutuellement en cas de dérapage – car l’État ne peut pas tout.

La recommandation n° 24 est une ouverture. L’idée est que 1 euro investi, qui en économisera 10 en réparation, soit comptabilisé comme un investissement plutôt que comme une charge. Il faudrait mettre beaucoup plus d’argent dans l’agriculture pour qu’elle produise des externalités positives : cela représente un coût à court terme, mais dix ou cent fois moins élevé que celui de la réparation future si on n’investit pas. Il existe de nombreux travaux d’économistes sur le sujet, des réflexions sur la taxonomie comptable, mais pas de propositions très concrètes. Je dis simplement que nous devons adopter cette philosophie.

S’agissant de la recommandation n° 9, quand André Chassaigne a demandé aux représentants de l’Efsa s’ils avaient assez de moyens, ils ont très humblement répondu qu’avec 15 millions et cinquante-deux postes supplémentaires, ils trouveraient plus vite des solutions alternatives à la phytopharmacie. Ce n’est rien, à l’échelle de l’Europe : des centimes ! Les représentants de l’Anses n’ont pas demandé des centaines de millions non plus, et les instituts nous ont dit qu’ils ne sauraient pas quoi faire de 30 millions, que 3 millions suffiraient. Je me suis fondé sur ce que demandait Arvalis pour l’attribuer aux différentes filières. Cela donne une estimation, un ordre d’idées ; je reste très prudent.

Quant à l’introduction, j’aurais pu écrire « une décennie perdue », en me passant du « presque ». Je mets beaucoup plus en valeur que vous ne semblez le dire tous ceux qui ont réussi, les pionniers, les fermes Dephy, les groupes de développement et autres. J’ajoute que, sans vouloir faire de surenchère, la compassion pour le monde paysan, je l’éprouve intimement. Mais je considère la situation globalement, compte tenu d’alertes scientifiques majeures qu’on ne peut occulter. De ce point de vue, on ne peut pas dire que nous ayons été au rendez-vous de l’histoire. Le « presque » montre cependant qu’il y a des réussites et des promesses pour demain.

Ce point de vue relève de la liberté du rapporteur, mais ne vous inquiétez pas : dans les médias, je ne présenterai pas un rapport à charge. Mon objectif est de consolider ce qui doit l’être. J’en parlais hier encore avec les responsables du ministère de l’agriculture.

M. Jean-Luc Fugit (RE). Bien sûr, le rapporteur est libre, et heureusement. Ce qui me gêne dans cette formule, c’est qu’elle figure au début de l’introduction : on donne la conclusion au lecteur avant même qu’il ait commencé. André Chassaigne saluait un rapport sans formules spectaculaires, mais cette phrase me paraît en être une, qui dessert un peu le rapport. Sans en faire une affaire d’État, je ne l’aurais pas placée à cet endroit – en fait, je ne l’aurais pas mise du tout dans le rapport : celui qui lit est assez malin pour comprendre.

Mme Nicole Le Peih (RE). Félicitations pour ce gros travail. Je mesure sa complexité et je suis très fière d’avoir fait partie de la commission d’enquête.

Le but est d’essayer de dépasser le triangle de l’inaction – « c’est la faute de l’État », « c’est la faute de l’Anses », « c’est la faute des entreprises ». J’ai travaillé pendant des années, dans le Morbihan, au sein d’une commission sur les pollutions diffuses qui était novatrice à l’époque. On s’est rendu compte que l’ensemble du territoire était en cause – les collectivités, la station d’épuration avec ses boues : mes terres sont souillées par les boues d’épuration des villes environnantes, cela nous met en difficulté ! J’aimerais un engagement, une prise de responsabilité de l’ensemble des territoires et des collectivités.

Ce rapport doit porter, cela a été dit, sur la mission des autorités. J’appelle à ce que ce soit vraiment le cas. Je citerai simplement l’exemple du Voltarène, une vraie bombe à retardement compte tenu de ses effets cardiovasculaires.

Je voudrais que cette responsabilité collective soit soulignée dans le rapport, car il va servir dans toute la France. Nous pourrons d’ailleurs y ajouter nos réflexions à ce sujet.

M. Éric Martineau (Dem). Merci, monsieur le rapporteur, pour votre travail. À mon sens, il manque dans l’introduction la contextualisation de l’utilisation des pesticides. J’ai l’impression qu’on laisse croire qu’en la réduisant de 50 %, nous produirons toujours autant et au même prix. On a complètement oublié que, jusqu’à cinq ans après la guerre, il y avait encore des tickets de rationnement. Produire différemment demain, c’est possible, mais pas au même prix. On peut réduire notre production de 80 %, mais il faudra augmenter le prix qui rémunère les agriculteurs, et la société n’en est pas consciente parce qu’on lui laisse penser que l’agriculture biologique et les nouvelles techniques permettront de nourrir la planète pour pas cher. Cet élément fait défaut dans le rapport. Si nous voulons réduire vraiment notre consommation de pesticides, chacun doit prendre ses responsabilités.

M. Dominique Potier, rapporteur. Le rapport fait déjà 250 pages : nous avons dû faire des choix. Je comprends votre regret concernant la question de l’incidence sur le pouvoir d’achat, mais elle nous aurait obligés à nous intéresser à ce qui, dans la construction du prix agricole, va à John Deere ou à Monsanto, à Leclerc, à Carrefour, à Lactalis, à Nestlé. Dire que produire avec moins de phyto va coûter plus cher au consommateur, c’est faire abstraction des profits indus de certains, en amont et en aval. La reconstruction d’un prix juste suppose de ne pas occulter l’amont – le rapport propose de le prendre en compte, ce qui est une innovation – et d’aller jusqu’au bout de l’aval.

Après, on peut débattre du poids de l’alimentation dans le budget des ménages. Sur ce point, je suis d’accord avec vous, on a été désinvolte ; on demande tout et son contraire, manger pour pas cher, une planète propre, une bonne santé : ce n’est pas possible, et il faut le dire ! Tout ne doit pas peser sur les paysans, il faut considérer l’amont et l’aval. Nous ne sommes pas allés au bout de cette étude macroéconomique.

Madame Le Peih, on pourrait en effet réintroduire la notion de coresponsabilité, que j’ai mentionnée à propos des biocides. Nous verrons sous quelle forme nous sommes autorisés à le faire. Les facteurs d’exposition sont multiples. S’agissant des terres, l’essentiel vient tout de même de l’agriculture, mais la ville et d’autres éléments jouent aussi. Le monde paysan n’est pas responsable de tous les malheurs du monde, j’en suis entièrement d’accord.

Le débat a été très riche du début à la fin. Un rapport ouvre des pistes de travail, notamment législatif et réglementaire. Puisque le mien n’est ni un plaidoyer univoque, ni un travail fade occultant les vraies discussions, puisse-t-il continuer à susciter le débat sur le pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricoles, la politique de l’air, le partage de la valeur, la responsabilité des multinationales. Il est fait pour alimenter un débat public qui ne se termine pas avec cette commission d’enquête. J’ai en tout cas essayé de poser les termes du sujet de la manière la plus juste possible. Cela ne vous paraît pas parfaitement équilibré, mais j’ai tenté de faire pour le mieux. Ce travail restera pour moi un extraordinaire souvenir d’exercice démocratique et de recherche exigeante, en commun, de la vérité, au-delà de nos différences.

M. le président Frédéric Descrozaille. Avant de passer au vote, je vous rappelle que chaque groupe et chaque membre de la commission a toute latitude pour produire d’ici à mardi une contribution qui sera publiée en même temps que le rapport, en annexe. Cela a particulièrement du sens s’agissant d’un objet aussi complexe et d’un rapport aussi dense.

M. Dominique Potier, rapporteur. Loïc Prud’homme ne s’est pas exprimé, mais il a des idées très précises sur la réforme du régime d’autorisation ; c’est le moment de les inscrire dans un document qui va durer. J’ai fait ce que j’ai pu, mais plus il y aura de contributions en annexe – et j’aimerais que la mise en page fasse apparaître nommément leurs auteurs dans le sommaire – mieux ce sera.

M. le président Frédéric Descrozaille. Le rapport est mis aux voix moyennant la modification de l’introduction qui a fait l’objet d’un échange entre le rapporteur et les membres de la commission.

La commission adopte le rapport.

 

 

 


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   Contributions des groupes politiques et des députés

 


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1.   Contribution de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission d’enquête, député du Val-de-marne, M. Jean-Luc Fugit, vice-président de la commission d’enquête, député du Rhône, M. Pascal Lavergne, député de Gironde, Mme Nicole Le Peih, députée du Morbihan, et M. Nicolas Turquois, député de la Vienne

La réduction de moitié du recours aux Produits Phytopharmaceutiques (PPP) en agriculture apparaît, depuis le Grenelle de l’Environnement en 2008, comme un objectif simple : peu de politiques publiques sont orientées vers un résultat à atteindre aussi précis et clair. Pourtant, cet objectif relève d’une complexité absolument considérable que la Commission d’enquête a été l’occasion de sonder par l’audition de plus de 150 personnalités sur plus de 90 heures de réunions.

En premier lieu, cet objectif chiffré de réduction interroge car il laisse croire que la quantité utilisée serait le seul facteur déterminant des impacts sur la santé humaine et environnementale, quels que soient les produits phytosanitaires utilisés. Pourtant, la maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale implique de tenir compte de leur toxicité et de leur comportement dans l’environnement. Ainsi, il en ressort des débats sans fins sur la bonne unité de mesure.

En effet, cette quantité n’est vérifiable que par le recours à des critères critiquables : qu’il s’agisse des QSA, de l’IFT ou du Nodu, les mesures qui permettent de la chiffrer sont strictement quantitatives et ne sont pas pondérées d’un coefficient qui permette d’évaluer la toxicité et / ou l’impact sur l’environnement, même si le classement en CMR1 ou CMR2 introduit une dimension qualitative objective.

En second lieu, il convient de rappeler que la faisabilité d’une réduction de moitié n’a pas fait l’objet d’évaluation : il n’est pas établi qu’une telle réduction permettra, en soi, une maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale.

Mais, surtout, cet objectif renvoie à un ensemble d’acteurs, d’enjeux, de situations de terrain et de filières économiques d’une densité inédite.

Il implique un nombre d’institutions et d’organismes publics exceptionnellement élevé : quatre Administrations centrales (les Ministères de l’Agriculture, de la Santé, de l’Environnement, de la Recherche et de l’Enseignement supérieur), trois agences publiques (l’Office français de la Biodiversité, l’ensemble des Agences de l’eau, l’Anses), plusieurs Instituts de recherche (l’Inrae, les Instituts techniques agricoles) et un très grand nombre d’organismes publics et institutionnels (de nombreux services déconcentrés, les Chambres consulaires agricoles, les syndicats agricoles, les coopératives agricoles…).

Il conjugue également plusieurs enjeux relatifs à la transition agroécologique dont relèvent les pratiques agricoles : l’usage de l’eau, la décarbonation des filières, la protection de la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation audit changement, la protection de la santé humaine, la lutte contre la pollution de l’air, de l’eau et des sols, la maîtrise du cycle de l’azote et l’autonomie dans la production de protéines végétales, la souveraineté alimentaire et la protection du revenu agricole.

Or, cette conjugaison d’enjeux variés et de natures différentes demande à être précisée par une vision qui permette de caractériser l’intérêt général, de la Nation, à défendre. En outre, la déclinaison d’une telle vision devrait tenir compte de spécificités très différentes selon les bassins de production et les filières : tandis que les plantes annuelles dépendent beaucoup des herbicides, l’arboriculture et la viticulture dépendent plus particulièrement des fongicides et des insecticides et les solutions susceptibles d’être efficaces pour un type de système d’exploitation ne sont pas transposables à un autre. S’il peut être admis que la diversification des systèmes d’exploitation est en soi une orientation à soutenir, elle implique des niveaux d’investissements, de prises de risques, de remodelage des circuits de commercialisation et de distribution extrêmement variables d’une région ou d’un bassin à un autre.

Il en résulte une imprécision dans le résultat à atteindre (un « changement de modèle », ou bien « de système », ou encore « une reconception des systèmes de production ») qui aboutit à faire passer l’indicateur de réussite (la réduction de l’usage et des impacts des PPP) pour la réussite elle-même (une agriculture affranchie de sa dépendance aux produits phytopharmaceutiques pour protéger les plantes).

Face à cette complexité non maîtrisée, les Commissaires des Groupes Renaissance et Modem préconisent de retenir en priorité quelques recommandations pour redéfinir les contours d’une politique publique renouvelée.

Créer une méthode interministérielle qui permette d’ordonnancer et de hiérarchiser les enjeux à partir d’une vision de notre agriculture à 20 ans.

La dimension interministérielle de la politique publique des réductions de l’usage des PPP ne doit pas être réduite à une coordination des administrations centrales concernées. Il est incontournable de définir une vision globale qui rompe avec le traditionnel fonctionnement « en silos » de nos politiques publiques.

Le cas des usages et de la protection des ressources en eau est particulièrement emblématique de cette nécessité de coordonner tous les acteurs autour d’une vision globale, qu’il s’agisse des acteurs publics (ARS, Agences de l’eau…) ou privés (agriculteurs, entreprises, collectivités), notamment sur la question de la protection des périmètres de captage et des pollutions liées à l’épandage des boues de station d’épuration et non seulement aux résidus de produits phytopharmaceutiques.

Interroger le modèle français de la fusion des missions d’analyse et de gestion du risque au sein d’une agence indépendante.

L’analyse du risque ne saurait être soumise à la moindre défense d’intérêts catégoriels ni à aucune forme de pression politique car elle relève strictement de la connaissance : la caractérisation du danger et des conditions de l’exposition au danger doit être confiée à un organisme parfaitement indépendant afin de n’être entachée d’aucun soupçon.

La gestion du risque relève quant à elle d’une approche de la notion de risque acceptable : il peut être politiquement jugé que les conditions et le degré d’exposition au danger sont gérables dans le cadre d’une réglementation d’usage adaptée. Cette dimension politique devrait alors relever de l’exercice d’une responsabilité devant les représentants de la Nation (les commissions compétentes du sénat et de l’assemblée nationale, mais aussi l’OPECST).

En cela, un débat semble nécessaire sur l’indépendance indispensable à la confiance des citoyens dans l’évaluation du risque et sur la responsabilité de l’appréciation de son caractère acceptable, car y soustraire totalement le politique peut ajouter à son discrédit.

Faire évoluer l’outil des Programmes alimentaires territoriaux (PAT) pour en faire le levier principal de la transformation de notre agriculture à l’échelle des grands bassins de production.

Les PAT doivent être labellisés à une échelle qui permette d’atteindre les effets de seuils indispensables à une transformation significative des bassins de production.

Procéder à une extension verticale de l’objectif de réduction des PPP : par l’implication de l’aval des filières et particulièrement des acheteurs (publics et privés).

Il est vain de continuer à se focaliser sur les pratiques agricoles sans impliquer leurs acheteurs et les acteurs de l’aval des filières. La formulation des cahiers des charges, les enjeux de sourcing et de sécurisation des approvisionnements, la saturation des équipements logistiques et de stockage doivent devenir des enjeux centraux pris en compte en amont des changements attendus dans les pratiques agricoles et permettre une meilleure répartition de la charge de la prise de risques.

Procéder à une extension horizontale par la prise en compte de la globalité des usages de pesticides.

Le terme "pesticides" couvre par définition deux catégories de produits : les biocides et les produits phytopharmaceutiques. Les impacts sanitaires et environnementaux sont le résultat de l’ensemble des usages de ces produits, quels que soient les utilisateurs concernés, depuis la désinsectisation en passant par les revêtements de matériaux, l’entretien des voies ferrées, les produits antisalissures, la conservation des produits… Ils ne sauraient être le résultat exclusif des usages agricoles.

Adopter une approche internationale pour harmoniser les régimes d’autorisations et consolider le rôle de l’Efsa.

La France doit proposer une harmonisation progressive au niveau européen des mécanismes de gestion des risques par les États membres, et proposer une réduction de l’écart entre toxicologie règlementaire et toxicologie académique par une meilleure prise en compte au niveau de l’Efsa de toutes les recherches de nature à faire évoluer la réglementation qui préside à l’analyse du risque.

 


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2.   Contribution de M. Grégoire de Fournas, député de Gironde, au nom du groupe Rassemblement National

La charge de ce rapport est lourde : « l’évolution des usages est peu convergente avec la trajectoire de réduction annoncée », celle de la diminution de moitié des produits phytosanitaires lancée en 2008 lors du Grenelle de l’environnement, le rapporteur socialiste Dominique Potier n’hésitant pas à pointer « l’absence de résultats probants ».

Si le critère de mesure de l’utilisation des produits phytosanitaires retenu par les plans Ecophyto, le NODU, indique en effet une légère hausse, le rapporteur occulte dans sa conclusion que cet indicateur, basé sur le nombre de traitements moyens appliqués annuellement sur l’ensemble des cultures, ne fait pas de distinction entre les produits toxiques et ceux qui ne le sont pas.

En réalité, entre 2009 et 2021, la part des quantités de substances actives vendues classées CMR (cancérigène, mutagène ou reprotoxique) utilisées a diminué de plus de la moitié, passant de 29,2 % à 11,3 %. Pour les substances classées CMR1, les plus dangereuses, les ventes sont passées de 5000 tonnes à 780 tonnes en 2021, soit une baisse considérable de 85 % sur une période de 4 ans (93 % depuis 2016).

Ces chiffres traduisent de lourds efforts pour l’agriculture française. Chaque interdiction de substance est un défi parfois insurmontable pour les agriculteurs, les obligeant à investir dans de nouvelles solutions, quand elles existent, et qui sont par ailleurs plus coûteuses en temps de travail ou en carburant. Elles aboutissent à des pertes de compétitivité pour les exploitations agricoles, voire à l’effondrement de certaines filières, celle de la cerise par exemple, remplacées par des importations contenant des substances chimiques interdites aux agriculteurs français.

Cette commission d’enquête se sera ostensiblement désintéressée de l’enjeu fondamental de la souveraineté alimentaire. « C’est par l’interdiction qu’on trouve des solutions » aura répété à de multiples reprises le rapporteur lors des auditions, cela contre les alertes maintes fois répétées par les représentants agricoles des impasses techniques dans lesquelles ils se trouvent.

Une commission d’enquête qui n’aura fait AUCUN déplacement sur le terrain pour aller constater la vie réelle des agriculteurs et leurs difficultés à assumer cette transition qui leur est imposée. Pas même un déplacement pour constater les conséquences du ravage spectaculaire et très médiatisé du Mildiou dans le vignoble du Bordelais. Ce rapport s’est en revanche très largement inspiré des nombreuses auditions d’ONG à l’expertise scientifique contestable mais à l’engagement militant certain.

Le rapport de cette commission d’enquête ne rend pas hommage à notre agriculture qui, sommée de s’adapter au pas de charge, tout en étant déjà l’une des plus vertueuses au monde, voit le résultat de ses efforts inestimables qualifiés scandaleusement par le rapporteur de « peu probants ».

Par ailleurs, en confondant sciemment les produits CMR de ceux qui ne le sont pas, le rapporteur Potier s’attaque au principe même de l’utilisation d’un produit chimique de synthèse quand bien même sa nocivité ne serait pas démontrée. Lors de son audition par la commission d’enquête le 16 novembre, le ministre de l’Agriculture posait cette question : « Pourquoi l’agriculture serait le seul secteur d’activité qui ne pourrait pas utiliser de produits chimiques ? » sans avoir le courage d’apporter une réponse.

A plusieurs moments des auditions de cette commission d’enquête, nous aurons vu une gauche et des ONG ostensiblement hostiles au progrès technique. Le 27 septembre, M. Thomas Uthayakumar, directeur Programmes & Plaidoyer de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) a déclaré qu’« il ne faut pas aller vers des substances chimiques même si elles étaient plus vertueuses, ni vers des biocontrôles ». Le 25 octobre, Benoît Biteau, député européen EELV estimait qu’« il ne faut pas déplacer la dépendance des pesticides vers une dépendance numérique ou robotique ».

En réalité, les savants fous de la gauche veulent nous ramener à l’agriculture de 1950 : celle capable de ne produire qu’une tonne de blé à l’hectare contre 8 aujourd’hui. Ce sont les mêmes qui nous ont privé de la souveraineté énergétique en sacrifiant notre parc nucléaire pour l’utopie du renouvelable. Ce sont les mêmes qui mettent aujourd’hui au second plan de leurs préoccupations l’impératif pourtant vital de la souveraineté alimentaire.

Après avoir fermé la centrale de Fessenheim et fait voter la fermeture de 14 réacteurs nucléaires, le Gouvernement s’est tardivement ressaisi pour nous éviter un désastre énergétique. Quand compte-t-il s’affranchir des mensonges de la gauche pour éviter à la France un désastre agricole ?

 

 

 


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3.   Contribution du groupe La France insoumise – NUPES

 

La création d’une commission d’enquête sur l’incapacité de la France à maitriser les impacts des produits phytosanitaires était une nécessité et nous saluons cette initiative. Le déclin de la biodiversité, la multiplication des clusters de cancers, les scandales liés aux pollutions de l’eau, de l’air et des sols, et l’impasse de la dépendance de notre agriculture aux intrants chimiques imposait que la représentation nationale fasse le point et explique cette situation, afin de mieux en sortir. 

Les auditions menées ont été révélatrices de situations particulièrement graves, et de grandes lacunes dans l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire. 

  1.   UNE GRANDE MANSUÉTUDE VIS À VIS DES PESTICIDES 

 

Il est apparu de façon claire au cours des auditions que les autorités sanitaires européennes et françaises (EFSA / ANSES) ne protègent pas suffisamment les populations et l’environnement, notamment au regard des objectifs que les textes réglementaires leur fixent. Les agences interviennent en réalité le plus souvent en aval pour corriger, quand c’est possible, les dégâts à posteriori. On retrouve d’ailleurs systématiquement cet argument dans la bouche des promoteurs de l’utilisation des pesticides : "voyez, de nombreux pesticides ont été retirés, cela prouve bien que les mécanismes de régulation fonctionnent". De la même façon un titre de § dans ce rapport (p.102) est ainsi libellé : "L’ANSES a interdit un nombre important de substances". Pourtant les résidus de pesticides interdits il y a des années se retrouvent encore en quantité importante dans l’environnement et ont déjà causé leurs effets toxiques sur la santé. Il est bien entendu impossible de se satisfaire de cette situation, les dégâts étant souvent irréversibles.

Cette mansuétude s’illustre particulièrement concernant la présence des pesticides dans l’air. L’audition de Mr Yamada, responsable du pôle pharmacovigilance de l’ANSES est sur ce point révélatrice : il n’existe tout simplement pas de VR (valeur réglementaire) pour les pesticides dans l’air. Comment imaginer que les autorités sanitaires ignorent, de manière consciente, tout un pan de l’exposition humaine aux molécules épandues sous prétexte qu’il n’existe pas de test réglementaires pour évaluer l’absorption par voie aérienne des pesticides par l’humain (entre autres êtres vivants) ? 

Les associations de victimes alertent sur ce sujet de manière répétée depuis longtemps : le collectif "Avenir Santé Environnement", auditionné le 07/09/23 nous a par exemple livré un témoignage sur le constat d’un excès de risques de cancers pédiatriques dans la plaine d’Aunis, autour de La Rochelle, lié à des facteurs environnementaux, en l’occurrence des polluants agricoles. Des études ATMO révèlent en effet la présence de près de 41 molécules pesticides dans l’air, faisant de ce territoire le détenteur d’un triste record de France (connu) sur ce sujet. Le message de l’association est clair et mérite d’être entendu : Nous ne pouvons plus nous contenter d’accompagner la baisse de l’usage des pesticides, mais il faut maintenant se fixer un objectif, même lointain, de sortie des pesticides. 

Pourtant, il y a pour le moment une absence de décision sur ce sujet des pesticides dans l’air. L’action de l’État se résume pour l’instant à commander plus d’études. Mr Yamada déclare à ce sujet : "c’est au pôle produits réglementés (ndr : de L’ANSES) de prendre des décisions". Il est impératif que l’ANSES entende ce message et considère les effets des pesticides présents dans l’air. Des mesures immédiates de préservation de la santé doivent donc être prises pour stopper la catastrophe sanitaire probablement en cours.

Au niveau européen, la mansuétude n’est pas moins grande : L’EFSA, par la voix de Mr De Seze, chef du département « production des évaluations du risque" auditionné le 8/11/23, avoue des défaillances dans l’évaluation de la toxicité à long terme des pesticides. 

Il indique la non prise en compte des avancées scientifiques sur les études mécanistiques dans le processus d’évaluation des pesticides, et ce, faute de moyens...  Sur les études universitaires il dit : « Nous ne donnons pas un poids suffisant à ces études dans l’évaluation des risques », parlant même ‘ de fossé entre le monde scientifique et le monde règlementaire ». 

Laurence Huc, toxicologue directrice de recherche de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), auditionnée le 19/10, nous dit à ce sujet que sur 14 mécanismes réels de cancérogénicité, un seul est pris en compte en toxicologie réglementaire. Les failles dans l’évaluation sont donc béantes. « La façon dont aujourd’hui le cadre règlementaire évalue les questions de biodiversité est partiel…il faudrait pouvoir développer des méthodologies plus complètes… » complète Mr De Seze. 

Là encore c’est en toute connaissance de cause que les agences réglementaires acceptent que nous soyons les cobayes des évaluations de toxicité qui ne sont pas sérieusement faites en amont, avec toute l’impartialité indispensable.

  1.   REDUIRE L’USAGE DES PESTICIDES, ALLER VERS LEUR ABANDON 

Malgré les nombreux constats posés sur la trop grande tolérance vis à vis des produits phytosanitaires et leurs effets, les recommandations du présent rapport pointent la bonne direction, mais ne prennent pas la mesure de l’urgence de la situation. Des mesures fermes et immédiates ainsi que des politiques publiques ambitieuses et massivement financées sont nécessaires. 

En effet aujourd’hui les acteurs agricoles arbitrent les choix de leurs pratiques avant tout sur des critères économiques. C’est la problématique du revenu paysan bien trop bas qui est ici en cause et cela nous a été exposé en audition par les exploitants agricoles eux-mêmes. L’Impact de l’abandon des pesticides est estimé en moyenne à -13 % sur l’excédent brut d’exploitation, un obstacle économique difficile à surmonter pour la majorité des agriculteurs qui peinent toujours à tirer un revenu décent de leur activité.

Face à cela, les politiques publiques sont trop peu volontaires pour contraindre à la diminution de l’utilisation des pesticides, et pour accompagner financièrement cette transition. De leur côté les représentants des agriculteurs tirent argument de cette situation pour refuser toute mesure ambitieuse. Chambres d’Agriculture France, auditionnée le 11/10/23, demande ainsi des objectifs plus bas que ceux portés aujourd’hui : "Il faut aussi que le monde agricole sente que l’objectif est atteignable. Or, je ne suis pas certain que le fait d’afficher d’entrée de jeu l’objectif de 50 % de réduction constitue un grand facteur de motivation du monde agricole. [...]. Je pense qu’il vaut mieux avoir un indicateur qui ne soit pas trop élevé, atteindre le résultat et revoir l’objectif ensuite, plutôt que fixer une barre très haut que tout le monde considère comme inatteignable et qui ne génère pas de motivation. Je suis demandeur d’objectifs réalistes […]  "

De la même façon le label HVE a été promu pour donner l’illusion d’une action résolue en faveur de la diminution des pesticides. Ce label ne contient pourtant dans son cahier des charges aucune ambition sur ce volet : élevé en concurrence notamment du label AB il crée de la confusion auprès des consommateurs mais permet aussi un siphonnage des maigres aides publiques dédiées à l’agriculture biologique. 

De son côté le "BASIC" (Bureau d’Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne) nous apprend que seul 1 % des financements publics qui vont à l’agriculture sont dédiés à la baisse de l’utilisation des pesticides. Cela donne un ordre de grandeur de l’effort fait et à faire. Par ailleurs ces financements visent l’ensemble des pratiques sans ciblage précis alors que l’analyse fine des données révèle que seuls 20 % des exploitations sont responsables de la quasi-totalité de l’augmentation des usages des pesticides. Là où l’État impute l’impasse et l’échec de la baisse de l’utilisation des pesticides sur l’agriculture tout entière, il y a en fait un problème de modèle qui est nié par les responsables politiques en charge aujourd’hui de l’orientation des politiques publiques agricoles.

Par ailleurs au regard des informations récentes qui révèlent une pollution massive et presque systématique de nos masses d’eau par des pesticides et leurs métabolites il est urgent que la puissance publique propose un plan de protection de notre eau de boisson et donc des captages : recherche systématique et uniformisée sur le territoire français (a minima métropolitain) d’un spectre large des pesticides et de leurs métabolites dans l’eau "potable", généralisation des aires de protection de captage, mise en place d’un fond de paiement pour services environnementaux (FPSE, géré par les agences de l’eau) abondé par des redevances relevées. A terme les coûts de dépollution a posteriori ainsi économisés seront réorientés vers ce FPSE.

 

CONCLUSION 

 

En conclusion nous, députés du groupe parlementaire LFI-NUPES membres de la commission, tenons à redire l’importance de contraindre par loi et d’accompagner collectivement les pratiques vertueuses, à la hauteur de l’enjeu qui est posé. 

Cela ne semble pas être la direction donnée par le gouvernement, à l’instar des annonces de la première ministre qui dans la soirée du 5 décembre 2023, a confirmé le renoncement à la hausse de la redevance pour pollution diffuse (RPD), perçue sur les ventes de pesticides, ainsi que celle de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau pour l’irrigation. Ce renoncement s’inscrit dans la longue lignée des gages donnés à l’agriculture industrielle et au modèle intensif. Il est d’autant plus grave qu’il revient sur une hausse qui avait été votée dans le projet de loi finances. Le gouvernement négocie donc directement avec les syndicats agricoles plutôt qu’avec les parlementaires dont il passe outre les décisions. 

 Nous recommandons en priorité : 

- De réglementer immédiatement les rejets de pesticides dans l’air : nous sommes très en retard en ce qui concerne la surveillance de l’air par rapport à ce qui est prévu pour les sols ou pour l’eau. Les pesticides ne font pas partie des quelques polluants dont la concentration dans l’air est mesurée et réglementée. Des mesures conservatoires doivent être prises sans délai pour préserver la santé des populations.

- De faire payer les firmes pour les études académiques indépendantes, longues et coûteuses, nécessaires à la délivrance des AMM qu’elles demandent, afin que ces dossiers réglementaires ne soient pas uniquement documentés par les études scientifiques réalisées par ces mêmes firmes.

- De relever très fortement le taux de redevance pour pollution diffuse et rééquilibrer fortement la contribution des usagers au financement des agences de l’eau, aujourd’hui principalement supporté par les particuliers pourtant consommateurs minoritaires en volume.

- De supprimer le label HVE ou d’envisager une refonte complète de son cahier des charges pour en faire un véritable tremplin vers la transition vers l’agriculture biologique;

-  De créer une caisse de défaisance pour reprendre la dette agricole de celles et ceux qui s’engagent au travers d’un contrat de transition à passer au 100 % bio, les auditions ayant confirmé que la dimension économique constitue l’un des principaux freins à la réduction des pesticides.

Pour le groupe LFI-Nupes,

Aymeric Caron

Mathilde Hignet

Loïc Prud’homme

Michel Sala

 

 

 

 


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4.   Contribution de Mme Marie Pochon, vice-présidente de la commission d’enquête, députée de la Drôme, au nom du groupe Écologistes – NUPES

Ecophyto : anatomie d’un fiasco

Décembre 2023

Avant-propos

Cette contribution au rapport de la commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire a été rédigée par Marie Pochon au nom du groupe Écologiste - NUPES.

Les député·es du groupe saluent le travail important d’auditions réalisé par le président et le rapporteur de la commission d’enquête. Ils saluent également la très grande majorité des constats et préconisations établies et espèrent que celles-ci seront suivies d’actions concrètes, rapides et fortes pour mettre un terme aux pollutions majeures qui menacent la survie de notre agriculture et de notre environnement.

Depuis 2008, la France a échoué à atteindre les objectifs de réduction de l’usage des produits phytosanitaires prévus par les plans Ecophyto. Nous, Écologistes, le regrettons ardemment. Certes, quelques avancées ont eu lieu, en matière de prise de conscience et d’initiatives prometteuses, telles que les fermes Dephy. Mais l’utilisation des pesticides continue de se maintenir à un niveau beaucoup trop élevé, et avec elle, ses impacts sanitaires et environnementaux vertigineux. L’incapacité de la France à se mettre en ordre de marche pour effectivement réduire l’usage des pesticides est coûteuse, en matière de santé publique et pour nos écosystèmes.

Les Écologistes le rappellent : la réduction de l’usage global de produits phytopharmaceutiques est non seulement possible, mais aussi souhaitable et nécessaire, à la fois en matière de protection du vivant, de santé des Françaises et des Français, mais également en matière d’efficacité de la dépense publique, et de souveraineté alimentaire.

Aussi, nous appelons à ce que la Stratégie Ecophyto 2030, qui doit prochainement être présentée par le gouvernement, tire véritablement les leçons des quinze années de ce qu’on peut appeler un fiasco, pour mettre en œuvre les actions nécessaires.

  1. Plans Ecophyto : quinze ans de fiasco

Des promesses du Grenelle de l’environnement sur les pesticides, il ne reste plus grand chose. Depuis 15 ans, l’Etat gaspille des milliards d’euros d’argent public dans des politiques inefficaces. Les plans Ecophyto (1, 2, 2+), qui prévoyaient notamment de réduire les usages de produits phytopharmaceutiques de 50 % d’ici 2018, puis 2025 et de sortir du glyphosate d’ici fin 2020 pour les principaux usages et au plus tard d’ici 2022 pour l’ensemble des usages, ont manifestement échoué. C’est le constat alarmant posé par ce rapport de commission d’enquête, qui reprend, comme dans l’intention de son rapporteur, les nombreux éléments étayés dans nombre de rapports sur les échecs de ces plans successifs. Rien n’est nouveau. En revanche, qu’aucune réaction n’ait été engagée est peut-être le fait le plus accablant.

La Cour des comptes a par exemple réalisé une enquête sur le bilan des plans Ecophyto et formulé des recommandations dès 2019, où elle constatait les points suivants.

 

Le bilan des plans Ecophyto - Cour des Comptes - 27/11/2019

Mis en œuvre depuis 2008, les plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits « plans Écophyto », devaient permettre à la France de réduire les risques et les effets de ces produits (communément appelés « pesticides ») sur la santé humaine et sur l’environnement, et d’encourager le recours à des méthodes de substitution. Dix ans après, malgré des actions mobilisant des fonds publics importants, ces plans n’ont pas atteint leurs objectifs.

L’objectif initial de diminution du recours aux produits phytopharmaceutiques de 50 % en dix ans, reporté en 2016 à l’échéance 2025 et confirmé en avril 2019, assorti d’un objectif intermédiaire de - 25 % en 2020, est loin d’être atteint : l’utilisation des produits mesurée par l’indicateur NODU a, au contraire, progressé de 12 % entre 2009 et 2016.

Les objectifs clés fixés en 2009 sont très loin d’être atteints : en regard d’un objectif de 50 %, seulement 12 % des exploitations sont engagées dans des projets labellisés économes en intrants (dont 2 272 certifiées « haute valeur environnementale ») ; la cible de 20 % de surface agricole utile (SAU) en agriculture biologique pour 2020 est loin d’être atteinte (7,5 % en 2018).

Au-delà d’un besoin de simplification et de visibilité accrue pour les plans Écophyto, l’État pourrait davantage influer sur les modes de production agricole et les filières par l’exercice de ses compétences normatives, de régulation et d’information.

Aussi, nous recommandons de rendre les objectifs Ecophyto juridiquement contraignants et y associer un système de pénalité :

Inscrire dans la Loi pour le renouvellement des générations agricoles l’objectif de 50 % réduction des pesticides d’ici à 2030

Étudier la mise en œuvre d’un système de pénalités financières en cas de non-respect des objectifs de réduction sur le même principe que les Certificats d’Economie d’Energie (CEE). Ce système consisterait en la mise en place de sanctions financières associées au mécanisme des CEPP (Certificats d’Economie Produits Phytosanitaires) : en fin de période, les vendeurs de produits phytopharmaceutiques (PPP) doivent justifier de l’accomplissement de leurs obligations par la détention d’un montant de certificats équivalents à ces obligations. En cas de non-respect de leurs obligations, les vendeurs sont tenus de verser une pénalité pour chaque volume de PPP manquant. Le montant de cette pénalité doit être suffisamment élevé.

En juillet 2020, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie missionnait ses propres experts, ceux du ministère de l’Agriculture (CGAAER), du ministère de l’Ecologie (CGEDD) et de l’Inspection Générale des Finances (IGF), pour analyser l’efficience des fonds publics dédiés à la réduction de l’usage des pesticides. Ce rapport, concluant, comme les précédents, à l’échec des plans Ecophyto, soulignait par ailleurs que 643 millions d’euros avaient été mobilisés chaque année par la France pour atteindre ses objectifs, alors que l’Etat affichait jusqu’ici un montant annuel de 71 millions d’euros. Le rapport sera caché du grand public, mais sera finalement publié par la fédération France Nature Environnement[342].

Ce n’est pas en mettant la réalité sous cloche que l’on peut y dénicher des solutions. Il nous faut faire face, collectivement, à celle-ci. Ne pas l’esquiver, derrière des formules creuses, de “cohabitation des modèles”, ou de “responsabilisation des consommateurs”. Nous l’affirmons : tous les systèmes agricoles ne se valent pas pour parvenir à réduire l’usage des pesticides. D’après les résultats d’une étude, publiés dans l’Atlas des pesticides, la quantité de pucerons est 5 fois plus élevée dans les champs en agriculture conventionnelle[343]. L’agriculture industrielle s’est aujourd’hui rendue intrinsèquement dépendante des pesticides. A l’inverse, le même rapport du CGAAER, de l’IGF et de l’IGEDD estime que si 25 % de la surface agricole française passait du conventionnel à l’agriculture biologique, près de la moitié de l’objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides serait atteint.

Après plus de 15 ans d’échec, il est donc crucial d’assumer pleinement que l’usage des pesticides est inhérent à certains modèles agricoles et que ceux-ci, si l’objectif est bien celui poursuivi par les gouvernements, doivent être freinés, au profit des systèmes économes et autonomes tels que l’agriculture biologique.

Par ailleurs, certaines faiblesses du régime d’autorisation ont également contribué à nous éloigner des objectifs d’Ecophyto. Lors de son audition par la Commission d’enquête, M. Guilhem de Sèze, chef du département “production des évaluations du risque” de l’EFSA, a confirmé le manque d’intégration de la littérature scientifique universitaire. Les procédures d’évaluation européennes et françaises sont trop souples : les entreprises doivent fournir elles-mêmes les informations jugées pertinentes pour l’évaluation. Il s’avère également, comme l’a rappelé Benoît Biteau lors de son audition, que l’EFSA n’a pas les moyens de faire appliquer scrupuleusement la réglementation en vigueur.

Aussi, en complément des préconisations du rapporteur, nous proposons de consolider le régime d’autorisation :

En intégrant pleinement la littérature scientifique universitaire dans la procédure d’évaluation

En augmentant le budget de l’EFSA et de l’ANSES pour leur permettre d’appliquer la réglementation

En se rapprochant du droit américain pour que ce soit à la puissance publique de définir quelles informations sont pertinentes pour l’évaluation et que les industries soient dans l’obligation de les fournir, notamment :

- la totalité des co-formulants ;

- les effets à long terme : la CNDASPE (Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement) a estimé dans un avis que pour deux exemples d’autorisation, les exigences du règlement européen en matière d’évaluation de la toxicité à long terme des pesticides n’étaient pas satisfaites ;

- les effets cocktails, l’EFSA ayant reconnu en novembre 2022 devant le Parlement européen ne pas avoir de méthode pour l’étude des effets synergiques ;

- les propriétés toxiques des métabolites des PFAS ;

- les effets du glyphosate sur la biodiversité.

En outre, concernant la séparation de la vente et du conseil, les Écologistes soutiennent le constat et les recommandations formulées par le rapporteur. Il soulignent par ailleurs le besoin de maintenir une régulation stricte de la séparation de la vente et du conseil, en conservant notamment les deux agréments “conseil spécifique” inscrits dans la loi, dans le référentiel :

Le conseil spécifique séparé de la vente de produits phytosanitaires ;

Le conseil spécifique indépendance élargie : conseil séparé de la vente et de l’application de tous les intrants (production végétale et animale), de tout machinisme agricole et de subventions de fonctionnements (C15 et C16 du référentiel conseil / disponible de manière volontaire pour les entreprises de conseil qui le souhaitent).

Dans ce contexte, il s’avère donc que l’échec des plans Ecophyto était prévisible. Comme le rappelle l’Atlas des pesticides en reprenant les constats formulés par l’INRAE[344] : “l’échec d’Ecophyto était prévisible. En se concentrant uniquement sur les pratiques des agriculteurs et des conseillers, ce plan a ignoré les effets plus larges des stratégies économiques et techniques déjà mises en place par l’ensemble des acteurs concernés, qui maintiennent des systèmes agricoles au sein desquels les pesticides jouent un rôle central. Il s’agit d’un véritable verrouillage sociotechnique, construit autour d’un réseau d’acteurs, de normes et de pratiques qui s’entretiennent mutuellement. Sans prise en compte de cette dimension systémique incluant les intérêts des divers acteurs, aucune évolution significative ne pourra s’enclencher.”

  1. Engager une transition systémique vers l’agroécologie

La transition agroécologique est tout autant possible que nécessaire.

Plusieurs scénarios l’affirment, une agriculture sans pesticides est tout à fait réaliste à condition d’engager une réelle transition systémique. Ceci a été largement étudié et validé par le CNRS dans son étude “Une Europe sans pesticides en 2050”, par l’IDDRI (scénario Ten Years For Agroecology) ou encore Solagro dans le scénario Afterres. Ce constat est également appuyé empiriquement par le réseau de fermes DEPHY.

Il existe ainsi un consensus scientifique sur le fait qu’une transition systémique vers l’agroécologie est la façon la plus sûre de sortir des pesticides. Au contraire, les techniques d’optimisation de l’utilisation des phytos maintiennent les agriculteurs dans une dépendance aux pesticides. Pourtant, les Contrats de Solutions créés par la FNSEA et censés accompagner les professionnels vers la réduction et la sortie des pesticides, ne proposent quasiment que des solutions d’optimisation.

Si cette transition est techniquement possible, elle est même nécessaire. En effet, 50 % de la production agricole dépend directement des services écosystémiques. La destruction des écosystèmes par les pesticides met donc en péril notre résilience et notre souveraineté alimentaire. Les produits phytosanitaires peuvent également nuire aux cultures, en modifiant la régulation de leur système de défense contre les maladies et les champignons nocifs du sol. La stagnation des niveaux de rendements depuis 30 ans témoignent également de l’efficacité décroissante des produits phytosanitaires, en raison du phénomène croissant de résistance des plantes aux pesticides et de la dégradation des sols et de la biodiversité[345]. Il est donc grand temps de sortir de l’idée reçue selon laquelle notre agriculture ne fonctionnerait pas sans produits phytosanitaires.

Par ailleurs, les pesticides contaminent l’eau et les sols sur le long terme. Des analyses effectuées en Europe, ont montré que sur 317 couches arables agricoles testées, plus de 80 % contenaient des résidus de pesticides. Cette contamination est pérenne : selon une étude[346], après 20 ans d’agriculture biologique, jusqu’à 16 résidus de pesticides ont été retrouvés dans les échantillons de sols prélevés sur 60 sites agricoles à travers toute la Suisse. Cette contamination a lieu même à très petite dose, c’est pourquoi la simple réduction de l’usage des pesticides n’est pas satisfaisante et qu’il nous faut viser une sortie totale de l’usage des pesticides.

Par ailleurs, cela doit nous alerter sur la nécessité de préserver drastiquement les ressources en eau. L’État doit s’engager à définir les points de prélèvement sensibles, fixer un calendrier d’établissement de cette définition, et les conditions d’élaboration des plans de gestion de la sécurité sanitaire en eau. Les écologistes recommandent la mise en place d’un plan de sortie des pesticides de synthèse, accompagné des moyens nécessaires, sur les Aires d’Alimentation de Captage. De même, à la “sécurisation” et l’”accélération” des projets de stockage d’eau de grande ampleur, et de captation dans les nappes phréatiques, promues par le Gouvernement, nous devons opposer l’efficacité de l’argent public, le respect du droit commun, le dialogue démocratique. Force est de constater qu’en la matière, nous n’y sommes pas : un rapport du bureau d’études missionné par le comité de bassin Loire-Bretagne, pointait le 11 décembre 2023 le manque de transparence, la baisse des pesticides a minima, les conversions bio au compte-gouttes des agriculteurs engagés dans le protocole d’accord entérinant le projet de création de seize réserves de substitution sur le bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon, cinq ans plus tard. Nous demandons un moratoire sur ces projets. Tant que celui-ci n’est pas appliqué, nous préconisons la conditionnalité stricte de tout engagement d’argent public au respect strict d’exigences en matière d’utilisation des pesticides, à la conversion en bio, avec des sanctions fortes et l’annulation des protocoles en cas de non-respect.

Malheureusement, les politiques publiques actuelles ne sont pas alignées sur ces constats scientifiques et les soutiens à la transition agroécologique sont bien trop faibles pour engager un réel changement de système.

Globalement, comme l’ont rappelé Hervé Guyomard et Jean-Christophe Bureau au cours de leur audition par la commission d’enquête, les politiques publiques soutiennent un système qui maintient une dépendance aux pesticides. D’après la Fondation pour la Nature et l’Homme, seulement 1 % des financements publics contribuerait véritablement à la réduction des phytos[347].

La Politique Agricole Commune (PAC), dans son fonctionnement même, contribue au maintien, voire à l’augmentation de l’utilisation des pesticides : les paiements directs à l’hectare, en stimulant l’agrandissement des exploitations, avec peu de rotation des cultures ou de diversification des assolements poussent à développer les modèles agricoles qui sont justement les plus dépendants au produits phytosanitaires. Ces grandes exploitations captent ainsi la grande majorité des aides PAC : en 2021, 20 % des exploitations agricoles concentraient 55,7 % du total des aides PAC octroyées.

Par ailleurs, les politiques publiques destinées à limiter l’utilisation des produits phytosanitaires et qui soutiennent la transition sont inefficaces. Le Plan Stratégique National (PSN) français, est en l’occurrence trop peu ambitieux et ne permet pas dans sa configuration actuelle de réduire leur utilisation :

-          Les éco-régimes sont beaucoup trop accessibles et n’incitent pas au changement de pratique. Actuellement, la quasi-totalité des exploitations agricoles auraient accès au premier niveau sans changer de pratiques[348].

-          Les Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) sont sous-dotées budgétairement : d’après Jean-Christophe Bureau, auditionné par la commission d’enquête, leur budget s’élève à 550 millions d’euros. Ceci est bien peu au regard du budget total des concours publics à l’agriculture qui s’élèvent quant à eux à 14 milliards d’euros, soit 40 000 euros par exploitation en moyenne. Ainsi, il manque 250 à 350 millions d’euros au budget des MAEC au niveau national pour répondre aux contrats engagés sur la période 2023-2027.

-          Enfin, la conditionnalité des aides n’est pas assez forte et pas assez orientée sur les produits phytosanitaires. Enfin, le label Haute Valeur Environnementale (HVE), n’incitant pas au changement de pratique, continue de bénéficier de soutiens publics.

Aussi, il est urgent de transformer en profondeur nos politiques publiques, d’une logique curative à une logique préventive, en réorientant les financements vers l’agroécologie. Cela nécessite de :

    Dresser un panorama de toutes les dépenses publiques qui encouragent directement ou indirectement au maintien des pesticides et l’associer à un plan de sortie. Ce rapport doit être rendu pour la révision du PSN à l’été 2024, ou pour le PLF2025 a minima et avoir un impact direct sur le budget vert.

● Renforcer les mécanismes contraignants sur l’utilisation des pesticides, notamment en :

- Augmentant le niveau des redevances pour pollution diffuse, pour qu’elles atteignent le même niveau que la taxation des produits pétroliers, soit 60 % du prix final des produits ;

- Augmentant la taxe sur les ventes des produits phytopharmaceutiques avec un effet redistributif pour les agriculteurs ;

- Renforçant les obligations en matière de pesticides dans les labels : label rouge, AOP, IGP.

Réviser le PSN dès 2024 pour :

- Transformer l’aide à l’hectare en aide à l’actif ;

- Réhausser la conditionnalité des paiement directs de la PAC (notamment BCAE 4 et BCAE 7) ;

- Réhausser le budget alloué au MAEC pour la période 2023-2027 à hauteur de 350 millions d’euros ;

- Revoir le barème de l’éco-régime pour augmenter significativement l’écart entre niveau standard et niveau supérieur et garantir que le niveau standard prévoit déjà des actions concrètes et réelles pour l’environnement

- Rétablir l’aide au maintien en bio.

Soutenir et promouvoir l’agriculture biologique, notamment via la révision du PSN, le rétablissement de l’aide au maintien, la mise en place d’outils de régulation des marchés, et le soutien à la demande (communication et commande publique)

Développer les Paiement pour Services Environnementaux, notamment pour les exploitations à proximité des Aires d’alimentation de captages (AAC), pour rémunérer les agriculteurs qui contribuent à l’effort de réduction des pesticides

Soutenir les filières protéines végétales, afin de promouvoir la végétalisation de l’alimentation, et la sortie des engrais de synthèse grâce à la fixation de l’azote dans le sol par les légumineuses

Supprimer le label HVE et réorienter ses soutiens publics vers l’agriculture biologique

Mettre en cohérence les autres politiques et stratégies pour qu’elles contribuent à la sortie des pesticides : installation, foncier, projets alimentaires territoriaux, plan eau, SNANC etc.

Faire respecter les objectifs de la loi Egalim sur la restauration collective (50 % de produits de qualité et durables dont 20 % issus de l’agriculture biologique, repas végétariens) en soutenant financièrement et accompagnant les collectivités locales et acteurs publics concernés

Sortir l’agriculture des accords de libre-échange et interdire les importations de produits alimentaires qui ne respectent pas les règles sanitaires, sociales et environnementales appliquées à l’agriculture européenne, notamment via la mise en place de clauses miroirs

Pour nourrir cette transition, il est également nécessaire d’orienter la recherche vers l’agroécologie, en :

Facilitant l’accès aux données pour les chercheurs, notamment dans un but d’évaluer les incitations fiscales aux pesticides. Actuellement, le manque d’accès aux données contraint les travaux, notamment pour coupler économie et environnement.

Réorientant les financements de la recherche prévus pour la robotique - génétique - numérique vers la recherche agronomique

 

  1. Une condition préalable : en finir avec les lobbies et les marchands de doute et engager un démocratisation de notre système agricole et alimentaire

“Cela fait des années qu’on sait mais rien ne bouge”. Combien de fois avons-nous entendu ces mots ? De la part de scientifiques, journalistes, agriculteurs, médecins, élus, citoyens… Des centaines de rapports, de campagnes, de témoignages, de livres, de films, mais rien ne bouge. Pourquoi continue-t-on de gaspiller l’argent public dans un modèle qui précarise et rend malade nos agriculteurs, tue nos sols, détruit le vivant ? Pourquoi empêche-t-on la généralisation des innovations agroécologiques, vertueuses pour l’environnement et les humains ?

Nous connaissons le problème. Nous devons le nommer et le combattre clairement : le verrouillage de notre système agricole par les tenants de l’agriculture industrielle, qui en sont les principaux bénéficiaires. En tête, le lobby de l’agrochimie, l’un des plus puissants, a construit ses relais patiemment mais sûrement depuis des années, des chambres d’agriculture aux plateaux de chaînes d’information.

Dénoncer le rôle du lobbying de l’agrochimie semble être une lapalissade tant il a été documenté, notamment sur le dossier du glyphosate où il avait par exemple été révélé que l’Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques avait recopié des pages entières des dossiers présentés par les industriels, dont Monsanto[349]. En France, le syndicat majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), impose régulièrement ses vues au gouvernement comme il l’a de nouveau démontré il y a quelques jours avec l’abandon par le gouvernement de la hausse de la redevance pour pollutions diffuses, en dépit du principe, constitutionnel, de pollueur-payeur et des alertes des Agences de l’eau.

Néanmoins, si nous ne disons pas cela, si nous ne comprenons pas que tout se joue ici, nous continuerons de regretter années après années, auditions après auditions, rapports après rapports, l’échec de notre politique de réduction de l’usage des pesticides.

Notre faillite à réduire l’usage des pesticides vient d’une forme d’impuissance politique que les gouvernements successifs ont construit eux-mêmes, en laissant les rênes de la décision politique en matière d’utilisation des pesticides à d’autres qu’aux citoyennes et citoyens. Ces autres, ce sont les nombreux think tanks, journalistes ou célébrités qui désinforment afin de bloquer la transition et maintenir le statu quo. Aussi, les Écologistes soutiennent la proposition du rapporteur visant à instaurer une taxe sur les dépenses en publicité des entreprises agroalimentaires, destinée à financer la montée en puissance de la communication publique sur une alimentation saine et économe en produits phytosanitaires.

Ces nouvelles stratégies de manipulation des marchands de doute, qui tentent de s’emparer du marché de l’information scientifique, sont décrites dans l’enquête “Les gardiens de la raison” de Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens. Ils y évoquent par exemple des sites internet se réclamant du fact-checking, sur l’actualité agricole.

Extraits de l’enquête :

 

Pour sortir de l’opacité dans la prise de décision, et du verrouillage de notre système agricole et alimentaire par les tenants de l’agriculture industrielle, il nous faut donc engager un véritable processus de démocratisation, à toutes les échelles. Les Écologistes recommandent pour cela, de :

Soutenir les réseaux d’agriculteurs et agricultrices (ONVAR, GIEE…) qui mettent en place des innovations et animent des dynamiques de transition sur les territoires

Réformer la gouvernance agricole pour renforcer le pluralisme syndical, et mettre fin au verrouillage par le syndicalisme majoritaire :

- Mettre en place la proportionnelle intégrale dans les élections aux chambres d’agriculture

- Octroyer des financements publics aux syndicats agricoles avec une répartition fondée intégralement sur le nombre de voix reçues aux élections

Lancer une convention citoyenne sur l’agriculture et l’alimentation, permettant le rétablissement d’un dialogue et d’une concertation démocratique sur les enjeux de transition agricole et alimentaire, sur des enjeux qui concernent tout le monde

Dans la même logique, les Écologistes appellent à bâtir de la démocratie autour des enjeux alimentaires et agricoles, et ainsi à soutenir et multiplier les expérimentations de Sécurité sociale de l’alimentation, mises en œuvre via une allocation universelle versée à tous les citoyens et citoyennes et permettant d’accéder à des aliments locaux et de qualité en garantissant des prix rémunérateurs pour les producteurs.

Conclusion

“L’obligation de subir nous donne le droit de savoir”. Ces mots de Rachel Carson auraient pu être le sous-titre de cette commission d’enquête. Après 15 ans d’échec, de multiples rapports - tous, nous l’espérons, rendus publics - et désormais une Commission d’enquête parlementaire, nous ne pouvons plus dire que nous ne savons pas. Nous savons les impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine. Nous connaissons leurs impacts sur la biodiversité, sur les sols et sur l’eau et par conséquent, sur la résilience de notre agriculture. Nous savons, également, que le système agricole dominant est perfusé aux intrants chimiques et que pour sortir de cette dépendance, il faut changer de modèle. Nous savons que les modèles agroécologiques fonctionnent et qu’il est possible d’avoir une agriculture sans pesticides. Nous savons qu’il s’agit d’un choix politique. Nous sommes convaincus que ce choix doit être concerté, approprié par l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens : il s’agit là de ce que nous mangeons, de l’aménagement de nos territoires, de notre sécurité alimentaire, de notre santé, de la préservation de la biodiversité et de nos conditions de vie. Dans ce contexte, nous, Écologistes, l’affirmons : l’obligation de subir n’est plus entendable. Le temps doit désormais être celui de l’action, pour démocratiser notre système agricole et alimentaire et nous engager en tant que société, vers l’agroécologie.

 

 

 

 

 


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5.   Contribution de M. André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme, au nom du Groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES

S’il est une commission d’enquête qui tombe à pic pour répondre à des attentes légitimes du monde agricole et des citoyens, c’est bien celle qui fait l’objet de ce rapport à l’initiative du groupe socialiste et porté par Dominique Potier. Elle est au cœur de l’actualité, avec notamment la polémique engendrée par le renouvellement pour dix ans, par la Commission européenne, de la substance active glyphosate sans qu’il y ait un consensus scientifique issu de la recherche académique. La France s’est abstenue tout en souhaitant que soient seulement autorisés les usages pour lesquels il n’y aurait pas d’alternative. Encore faut-il que l’instruction des dossiers d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) soit suffisamment complète pour ne pas être, comme c’est de plus en plus le cas, retoquée par les tribunaux administratifs.

Les travaux de cette commission d’enquête se sont déroulés dans d’excellentes conditions malgré un contexte de tensions et controverses, en France comme en Europe, sur les effets des pesticides sur la santé humaine et la biodiversité alors que leur usage a doublé tous les dix ans entre 1945 et 1985, faisant de la France, avec 85 000 tonnes de pesticides utilisés chaque année, le premier consommateur européen et le troisième mondial. 

Dans l’écriture de ce rapport, un écueil a été évité : alimenter la conflictualité.

Un objectif a été atteint : appeler à sortir de l’inaction en présentant des recommandations comme autant de moyens à mettre en œuvre.

Un risque subsiste : qu’une partie du monde agricole se considère mis en cause alors que des efforts non négligeables ont déjà été effectués.

Les constats et conclusions de cette commission d’enquête permettront, je l’espère, d’éclairer nos citoyens pris en tenaille entre les dires souvent contradictoires des experts scientifiques, le poids des lobbys de toute obédience et la pression économique imposée aux agriculteurs. Reste à mesurer l’effet de ce travail, plus particulièrement sur les orientations des organisations agricoles, sur les prises de position des partis politiques et associations environnementales, et surtout sur les décisions des pouvoirs publics. J’appelle donc à une appropriation de ces travaux en se dégageant des a priori, postures et instrumentalisations politiciennes.

Plus particulièrement, le gouvernement prendra-t-il en compte l’urgence à mettre en œuvre un « véritable pilotage politique et stratégique de la réduction des produits phyto », comme le propose le rapport ? Aujourd’hui, l’absence de vision d’ensemble, une gouvernance « sans pilote » et le saupoudrage d’actions révèlent une forme d’incurie de la puissance publique, ne permettant pas à notre pays d’être à la hauteur des enjeux qui n’exigent pas seulement des moyens, mais doivent conduire à des résultats probants dont le rapport fait le constat de l’insuffisance.

Aussi, nous faut-il tirer toutes les conséquences de l’échec des plans écophyto qui se sont succédés ces dix dernières années. Cela nécessite notamment, comme cela est proposé par le rapporteur, que l’objectif de réduction des produits phytosanitaires soit porté au plus haut niveau avec un pilotage confié à Matignon, le ministère de l’Agriculture étant le chef de file pour la mise en œuvre opérationnelle.

Dans cette contribution qui ne peut être exhaustive, je développerai seulement quelques éléments qui me paraissent prioritaires.

Le rapport fait apparaître, à juste raison, comme un « rendez-vous manqué » la nouvelle PAC et le PSN français. Ils ne permettent pas une mobilisation pertinente des aides publiques « pour accompagner les premiers acteurs de la transition écologique que sont les agriculteurs ». L’appréciation est d’autant plus sévère que l’ambition environnementale portée par la PAC au niveau européen se trouve, selon le rapport, « minorée dans sa déclinaison française au sein du PSN », la France ayant « fait le choix d’une programmation accessible au plus grand nombre au détriment d’une ambition environnementale plus élevée ». Cela apparaît en premier lieu sur le manque d’exigences pour accéder aux éco-régimes, qui fait que « 100 % des exploitations agricoles atteignent le niveau 1 de l’éco-régime sans fournir aucun effort et 85 % le niveau deux de la même façon ». Pis encore, « si un exploitant n’est pas au niveau sur l’usage des pesticides, il lui reste d’autres voies d’accès à l’éco-régime ».

Cette situation est aggravée d’une part par une conditionnalité des aides directes du premier pilier avec des critères insuffisants en termes de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, d’autre part par l’insuffisance des budgets consacrés aux MAEC, mais aussi par la faiblesse des aides à la conversion en agriculture biologique. La loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, prévoyait d’atteindre 20 % de la Surface agricole utile (SAU) en agriculture biologique en 2020. Sur fond de suppression des aides au maintien, nous en sommes toujours aujourd’hui à 8 %, malgré le plan Ambition Bio 2018-2022 qui fixait un objectif de 15 % de la SAU en 2022.

Tout engage donc à réformer le PSN français avec la série de propositions que développe le rapporteur.

À cette situation s’ajoute la distorsion de concurrence qui défavorise les producteurs qui adoptent des pratiques vertueuses. En effet, des produits sont importés sans respecter les normes phytosanitaires européennes au regard de l’insuffisance des contrôles, tant sur les critères employés que sur leur ampleur. De plus, la charge de la preuve n’incombe pas au fournisseur, mais relève du contrôle du respect de la réglementation à l’entrée des produits sur le territoire de l’Union européenne. Quant à la clause de sauvegarde qui permet de bloquer l’entrée d’un produit sur le territoire de l’UE, elle n’est que rarement utilisée et, quoi qu’il en soit, elle ne peut être que transitoire dans l’attente de règles strictes et opérationnelles sur les clauses miroirs dont l’application concrète reste aujourd’hui un simple miroir aux alouettes. Des mesures précises sont proposées par le rapporteur pour remédier à cette situation. Elles ont mon approbation.

Il aurait pu cependant être opportun de faire un rapprochement entre l’exigence d’un plan d’action contre le réchauffement climatique, avec notamment la capacité des sols à capter le carbone, et celle de faire évoluer les pratiques agricoles pour maîtriser l’impact des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale. Cette double exigence nécessite de reconcevoir en profondeur les systèmes de production agricole pour répondre aux besoins alimentaires en quantité et qualité tout en limitant les effets négatifs des pratiques de production.

À titre d’exemple, certaines pratiques agricoles comme l’agriculture dite « de conservation », de « régénération » ou « du vivant » attachent une importance prépondérante à l’amélioration de la fertilité des sols, avec le maintien de couverts végétaux permanents et la limitation stricte, voire l’absence, de travail du sol. Les apports indéniables de ces modèles portent à la fois sur des critères environnementaux et agronomiques : stockage de carbone et amélioration des taux de matière organique, limitation de l’érosion, amélioration de la réserve utile en eau des sols et de leur fonctionnement biologique, préservation de la biodiversité, limitation des apports d’engrais minéraux, baisse des charges de mécanisation et d’irrigation… Pour autant, la grande majorité des exploitants engagés sur ces modèles soulignent le besoin de maintenir parallèlement, même à des doses limitées, l’usage d’herbicides, de fongicides ou d’insecticides dans leurs itinéraires techniques.

Il est selon moi extrêmement important de pouvoir dégager pour ces modèles vertueux sur le plan environnemental et agronomique une évaluation scientifique claire de leurs bénéfices et inconvénients, afin de définir des politiques publiques éclairées et adaptées, comprenant des dispositifs de soutiens spécifiques, ainsi qu’une valorisation économique de ces productions.

De la même façon, l’agriculture biologique, qui restreint strictement l’utilisation des produits chimiques de synthèse et limite le recours aux intrants dans son cahier des charges, doit pouvoir bénéficier de soutiens spécifiques non seulement à la conversion, mais aussi au maintien et à l’accompagnement. Ces soutiens sont d’autant plus nécessaires que cette agriculture connaît aujourd’hui une crise sans précédent en lien avec l’érosion du pouvoir d’achat d’une majorité de la population.

Enfin, un levier essentiel de la transformation des pratiques pour faire baisser l’usage des produits phytosanitaires est l’indispensable déspécialisation des territoires agricoles. La spécialisation et la concentration régionale des productions – dynamiques toujours à l’œuvre aujourd’hui ! — ont engendré de graves déséquilibres dans le fonctionnement des agrosystèmes, qu’il s’agisse des régions céréalières ou des zones de forte concentration de productions animales comme l’Ouest de la France. Cette situation résulte de soixante-dix ans d’évolutions agraires marquées par la chimisation, la grande motomécanisation et une sélection génétique pour atteindre le maximum de rendement avec en ligne de mire la mise en concurrence des agricultures sur des marchés mondialisés.

Incités par les politiques agricoles et de marché, les agriculteurs se sont détournés des grands principes de l’agroécologie reposant sur les complémentarités entre productions animales et végétales. En effet, le fumier produit par les animaux amende et fertilise la terre avec un rapport carbone/azote très intéressant. En retour, les cultures sont pour partie destinées à l’alimentation des animaux d’élevage, dont les déjections iront de nouveau sur les cultures. C’est ce type de relations circulaires qui caractérisaient les agroécosystèmes des années 1950 où l’on retrouvait sur la même exploitation agricole différentes productions animales et plusieurs espèces végétales. En basant la reproduction de la fertilité de la terre sur l’incorporation de fumier, la polyculture-élevage permettait de réduire les émissions de protoxyde d’azote engendrées par la fertilisation minérale, tout comme celles de dioxyde de carbone liées à la fabrication des engrais. L’introduction de cultures fourragères dans les rotations — type prairies temporaires d’association graminées/légumineuses — contribue à allonger les rotations, donc à limiter la concurrence des adventices et la pression des pathogènes et ravageurs des cultures. Ainsi, les quantités de produits phytosanitaires peuvent être considérablement amoindries. Ces systèmes de production diversifiés peuvent permettre également de lisser les risques et de ne pas « mettre tous ses œufs dans le même panier » en cas d’aléa climatique, sanitaire ou économique sur une production donnée.

De nombreux travaux de recherche soulignent que les modèles de polyculture-élevage, d’une très grande diversité, sont nécessaires pour assurer la transformation agroécologique et pour faire baisser notre dépendance aux produits phytosanitaires. Ils doivent être, là aussi, bien mieux pris en compte, et surtout, déboucher sur des politiques publiques cohérentes et à la hauteur, même s’ils impliquent des réorientations très profondes des soutiens et des agrosystèmes français et européens.

Au fond, en matière d’utilisation des produits phytosanitaires, nous ne saurions en rabattre sur nos ambitions ni favoriser, comme le veut le gouvernement, une forme de statu quo européen. Il s’agit au contraire de nous donner les moyens de protéger notre agriculture des logiques mortifères de la mondialisation libérale. Cet objectif nécessite d’accélérer la transition agroécologique en accompagnant techniquement et financièrement les agriculteurs, en soutenant les programmes de recherche de l’Inrae, en développant des formations… tout en garantissant du même mouvement des revenus décents à nos paysans.  

 


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6.   Contribution de Mme Laurence Heydel Grillere, députée de l’Ardèche

En 2008, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, la France a fait le choix de se fixer un objectif qui se voulait à la fois ambitieux dans la réduction de l’usage des pesticides - ou produits phytosanitaires, mais aussi simple et facilement compréhensible par tous, en divisant les quantités utilisées par 2. Dans la pratique, la poursuite de cet objectif s’est révélée bien plus complexe que prévu, c’est ce que la commission d’enquête a pu constater avec les auditions de plus de 150 personnalités sur plus de 90 heures de réunions.

Factuellement, 15 ans après l’annonce, il apparaît légitime de s’interroger sur l’évaluation qui avait été faite à l’occasion du Grenelle, sur l’objectif : était-il tenable ? Ambitieux ? Réaliste ? En tout état de cause, il serait vain de conclure dogmatiquement ou de façon manichéenne que notre pays échoue sur le sujet des phytosanitaires et de leur réduction.

Dans un premier temps, l’objectif appelle plusieurs interrogations car il laisse encore substituer l’idée que la quantité utilisée serait le seul facteur déterminant sur les impacts sur la santé humaine et environnementale, quels que soient les substances utilisées, ce qui, de facto, conclut à une approche simpliste de l’enjeu. En effet, la maitrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale nécessite une approche qui puisse à la fois examiner leur toxicité ad hoc et leur comportement dans l’environnement, tout en tenant compte de l’historique des usages et les éventuelles interactions entre produits.

Si l’on s’en tient à une approche « qualitative », peut-être apparaît-il utile de rappeler la trajectoire de la France concernant les CMR (substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques) qui elles, ont reculé. En 2019, elles étaient de 63 % inférieures à celles recensées en 2018 pour CMR1 (effet avéré chez l’homme) et de 49 % pour les CMR 2 (effet probable chez l’homme).

Plus encore, deux points pourtant essentiels, sont trop absents des conclusions faites par le rapporteur : non seulement la dynamique engagée peut s’avérer, pour certaines substances, encourageante. En effet les pratiques de nos agriculteurs ont largement évolué depuis 2008. Prétendre le contraire revient à nier l’adaptation permanente de nos agriculteurs aux multiples enjeux auxquels ils font face depuis les exigences qualitatives aux exigences environnementales tout en optimisant chaque jour un peu plus les coûts de production et ce malgré des aléas climatiques de plus en plus fréquent.

Mais aussi, la finalité de l’usage des produits phytosanitaires pourrait être également étayée. Si l’on peut souhaiter collectivement la réduction de la dépendance de nos agriculteurs à ces intrants, il semblerait nécessaire, dans une approche globale, de pouvoir également en étayer les usages et les bénéfices.

D’autre part, l’enjeu de la réduction de l’usage des phytosanitaires dans leur ensemble implique de pouvoir conjuguer plusieurs enjeux à la transition agroécologique dont relèvent les pratiques agricoles : l’usage de l’eau, la décarbonation des filières, la protection de la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation audit changement, la protection de la santé humaine, la lutte contre la pollution de l’air, de l’eau et des sols, la maîtrise du cycle de l’azote et l’autonomie dans la production de protéines végétales, la souveraineté alimentaire et la protection du revenu agricole.

Or, cette conjugaison d’enjeux variés et de natures différentes demande à être précisée par une vision qui permette de caractériser l’intérêt général, de la Nation, à défendre. En outre, la déclinaison d’une telle vision devrait tenir compte de spécificités très différentes selon les bassins de production et les filières : tandis que les plantes annuelles dépendent beaucoup des herbicides, l’arboriculture et la viticulture dépendent plus particulièrement des fongicides et des insecticides et les solutions susceptibles d’être efficaces pour un type de système d’exploitation ne sont pas transposables à un autre. S’il peut être admis que la diversification des systèmes d’exploitation est en soi une orientation à soutenir, elle implique des niveaux d’investissements, de prises de risques, de remodelage des circuits de commercialisation et de distribution extrêmement variables d’une région ou d’un bassin à un autre.

Il en résulte une imprécision dans le résultat à atteindre (un « changement de modèle », ou bien « de système », ou encore « une reconception des systèmes de production ») qui aboutit à faire passer l’indicateur de réussite (la réduction de l’usage et des impacts des pesticides) pour la réussite elle-même (une agriculture affranchie de sa dépendance aux pesticides pour protéger les plantes).

Face à cette complexité non maîtrisée, les recommandations suivantes devraient permettent de redéfinir les contours d’une politique publique renouvelée.

  1. Procéder à une extension horizontale par la prise en compte de la globalité des usages de pesticides.

Le terme "pesticides" couvre par définition deux catégories de produits : les biocides et les produits phytopharmaceutiques. Les impacts sanitaires et environnementaux sont le résultat de l’ensemble des usages de ces produits, quels que soient les utilisateurs concernés, depuis la désinsectisation en passant par les revêtements de matériaux, l’entretien des voies ferrées, les produits antisalissures, la conservation des produits… Ils ne sauraient être le résultat exclusif des usages agricoles.

  1. Procéder à une extension verticale de l’objectif de réduction des pesticides : par l’implication de l’aval des filières et particulièrement des acheteurs (publics et privés).

Il est vain de continuer à se focaliser sur les pratiques agricoles sans impliquer leurs acheteurs et les acteurs de l’aval des filières. La formulation des cahiers des charges, les enjeux de sourcing et de sécurisation des approvisionnements doivent devenir des enjeux centraux pris en compte en amont des changements attendus dans les pratiques agricoles et permettre une meilleure répartition de la charge de la prise de risques.

  1. Créer une méthode interministérielle qui permette d’ordonnancer et de hiérarchiser les enjeux à partir d’une vision de notre agriculture à 20 ans.

La dimension interministérielle de la politique publique des réductions de l’usage des produits phytopharmaceutiques ne doit pas être réduite à une coordination des administrations centrales concernées. Il est incontournable de définir une vision globale qui rompe avec le traditionnel fonctionnement « en silos » de nos politiques publiques.

Le cas des usages et de la protection des ressources en eau est particulièrement emblématique de cette nécessité de coordonner tous les acteurs autour d’une vision globale, qu’il s’agisse des acteurs publics (ARS, Agences de l’eau, collectivités…) ou privés (agriculteurs, entreprises, particuliers), notamment sur la question de la protection des périmètres de captage. Une réelle protection de ces derniers impliquerait de dépasser la focalisation sur les produits phytosanitaires et de prendre en compte l’ensemble des pollutions générées par les activités humaines dont par exemple les épandages de boues de station d’épuration.

  1. Adopter une approche internationale pour harmoniser les régimes d’autorisations et consolider le rôle de l’Efsa.

La France doit proposer une harmonisation progressive au niveau européen des mécanismes de gestion des risques par les États membres, et proposer une réduction de l’écart entre toxicologie règlementaire et toxicologie académique par une meilleure prise en compte au niveau de l’Efsa de toutes les recherches de nature à faire évoluer la réglementation qui préside à l’analyse du risque.

 


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7.   Contribution de Mme Anne-Laure Babault, vice-présidente de la commission d’enquête, députée de Charente-Maritime

Pendant six mois, notre Commission a auditionné plus de 150 personnes durant près d’une centaine d’heures ; un travail approfondi qui nous permet aujourd’hui de donner un avis argumenté sur ce sujet complexe, en perpétuelle évolution.

Les auditions ont démontré, à nouveau, que le recours massif aux produits phytosanitaires a un impact direct sur la biodiversité et la santé humaine, et les agriculteurs en sont les premières victimes. En effet, les travaux de l’Inserm ont conclu que les produits phytosanitaires étaient la cause de certaines maladies, notamment neurodégénératives, reconnues comme maladies professionnelles. C’est un fait scientifique incontestable qui doit nous amener à une utilisation raisonnée de ces produits.

Le premier pas de cette Commission d’enquête était de reconnaître que les plans Ecophyto successifs ne nous ont pas permis d’être au rendez-vous des objectifs qui avaient été fixés, en 2007, à l’occasion du Grenelle de l’Environnement. Pour autant, la France ne s’est pas contentée du statu quo. Des avancées majeures ont été obtenues, notamment par le retrait de la grande majorité des molécules les plus toxiques (CMR), conduisant à une réduction importante du nombre de produits phytosanitaires autorisés.

Si je partage la majeure partie des recommandations formulées par le Rapporteur, j’aimerais néanmoins émettre quelques remarques complémentaires.

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I. Les recommandations formulées s’inscrivent insuffisamment dans le contexte global de notre agriculture

              Tout d’abord, j’aimerais souligner quelques regrets quant aux recommandations formulées par le Rapporteur, qui nécessitent une meilleure prise en compte du contexte dans lequel évolue notre agriculture.

  1. D’une part, je déplore que les efforts déployés par les agriculteurs n’aient pas été davantage mis en exergue.

Les politiques publiques orientent les pratiques mais ce sont bien les agriculteurs qui doivent s’adapter. Ceux-ci héritent ainsi d’un modèle conçu pour répondre aux enjeux d’après-guerre, dans un contexte de reconstruction du pays, de mondialisation et d’absence de contraintes écologiques. Les produits phytosanitaires ont été une solution duplicable à grande échelle pour maximiser les rendements et garantir une alimentation suffisante en France et à l’étranger.

Durant plusieurs générations, nos agriculteurs se sont construits sur ce modèle, à la fois financièrement et culturellement. Cet héritage apparaît comme un frein majeur à la nécessaire transition agroécologique que j’appelle de mes vœux. Cette question ne transparaît pas dans l’introduction du rapporteur. C’est à mon sens un manque.

  1.  D’autre part, je regrette, bien que cela soit inhérent au travail parlementaire national, que la place de l’Europe ne soit pas davantage mise en avant.

En effet, dans le cadre des auditions réalisées auprès des différentes directions de la Commission européenne lors d’un déplacement à Bruxelles, j’ai pu constater à quel point la France était précurseure sur ce sujet face aux autres pays européens, contrairement à la vision que nous en avons parfois en tant que Français.

Cette avance prise par la France est souvent soulignée par les représentants du monde agricole français qui regrettent une forme de concurrence déloyale. Il est donc souhaitable que l’Union Européenne prenne la mesure des enjeux et suive les avancées de la France en la matière.

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II. Des recommandations innovantes qu’il faudra approfondir en 2024

Ensuite, j’aimerais attirer l’attention du lecteur sur certaines recommandations du Rapporteur, sur lesquelles je m’attarderai dans le cadre de mes prochains travaux.

  1. Le Rapporteur a proposé de renforcer le rôle des agences sanitaires française et européenne dans la procédure d’autorisation des produits phytosanitaires.

Face à cela, des critiques montent contre l’attribution, à l’Anses, du pouvoir de décision d’autorisation des produits phytosanitaires. Pour ma part, je reste persuadée que le rôle de l’Agence doit être préservé. Cela n’empêche cependant pas une discussion entre l’autorité sanitaire et les autorités politiques, notamment sur les conséquences de ces décisions sur le milieu agricole. Le Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Marc Fesneau, s’est notamment exprimé en ce sens lors d’une audition de la Commission.

L’Anses a valeur d’exemple au niveau européen. Elle est notamment reconnue pour sa spécificité en matière de phytopharmacovigilance, véritable procédure de surveillance des produits autorisés.

  1. Pour être complet, ce travail de l’Anses nécessite une connaissance approfondie de la présence des produits phytopharmaceutiques dans l’air et dans l’eau.

Le rapporteur propose ainsi de développer des capacités de surveillance et d’analyse des molécules nouvelles. Cela permettra également de nourrir le travail des chercheurs, notamment de l’Inserm, sur les questions d’effet cocktail et d’exposome, qui dépassent la question des produits phytosanitaires pour englober une grande variété de polluants. Cette recommandation répond à une véritable attente des Françaises et des Français, notamment dans ma circonscription.

  1. Le Rapporteur évoque également la nécessité de rééquilibrer l’effort de réduction des produits phytosanitaires en le faisant davantage peser sur l’ensemble de la chaîne agroalimentaire.

La transition agroécologique ne se fera qu’à condition d’une juste rémunération de l’ensemble de ses acteurs et notamment des agriculteurs. Cela suppose aussi que le consommateur accepte de payer le juste prix d’une alimentation durable, débarrassée de toutes externalités négatives sur l’environnement et la santé.

Outre les enjeux liés à la précarité alimentaire, la part de la consommation des ménages dédiée à l’alimentation doit être revalorisée. Elle est un puissant levier de transition pour notre agriculture et pour la chaîne agroalimentaire en général. Néanmoins, cette évolution des modes de consommation suppose une meilleure information du consommateur. La prise en compte du recours aux produits phytosanitaires dans les affichages environnementaux en préparation est une nécessité.

4. Par conséquent, la transition agroécologique, notamment la réduction du recours aux produits phytosanitaires, doit se penser par systèmes agroalimentaires, de l’amont à l’aval de la chaîne de production. En cela, les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont de formidables outils qu’il nous faut développer. Je soumettrai prochainement des propositions en ce sens.

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              En conclusion, je tiens à remercier le Rapporteur ainsi que les administratrices pour le travail effectué dans le cadre de ce rapport. Je tiens également à saluer l’esprit d’écoute et de respect mutuel dont l’ensemble des commissaires ont fait preuve durant cette commission, malgré parfois nos divergences d’opinion. Je regrette cependant le vote contre des Députés du Rassemblement national qui sous-estiment les conséquences de ces produits sur la santé humaine et sur l’environnement. Je regrette également l’absence totale des Députés Les Républicains, tant durant les auditions que lors du vote du rapport ; ce qui montre leur désintérêt sur le sujet. Enfin, je regrette l’abstention incompréhensible des Députés de la France insoumise, qui montre une position dogmatique face à un rapport compatible avec leurs engagements.

Alors que le Gouvernement travaille aujourd’hui à un nouveau plan Ecophyto 2030, une question se pose encore. Nous n’avons pas pu appréhender précisément les conséquences d’une réduction de 50 % de notre consommation de produits phytosanitaires sur nos exportations, qui garantissent la sécurité alimentaire de nombreux pays. Il nous appartiendra, lors de nos prochains débats, de prendre en compte ces enjeux géopolitiques.

 

 

 

 


8.   Contribution de M. Éric Martineau, député de la Sarthe

Lors des auditions, je suis souvent intervenu sur le même sujet, à savoir la motivation de l’utilisation des pesticides. Non pas par plaisir, mais par nécessité.

En effet, certaines filières comme les filières fruitières, qui sont pressurisées au niveau des tarifs à l’achat chez les producteurs et les organisations de producteurs utilisent le moins possible de pesticides, afin de réduire les coûts de production… Mais avec la difficulté de répondre aux différents cahiers des charges des acheteurs… Sans oublier la normalisation qui est une contrainte normative indépendante des cahiers des charges puisque règlementaire.

Il ne s’agit pas de remettre en cause la normalisation, mais on est quand même en droit de s’interroger : il est possible d’utiliser moins de pesticides à condition que les acheteurs acceptent certains défauts visuels, défauts qui peuvent être naturels. 

De plus, il est malvenu de faire croire que l’on pourrait faire beaucoup mieux, avec moins de pesticides et au même prix pour l’agriculteur : c’est impossible. Se passer des pesticides, c’est plus de perte, moins de conservation, donc moins de produits, végétaux commercialisables en l’état actuel des productions. Les agriculteurs devront être rémunérés en conséquence. Quid de la répartition des marges ?  Le poids de ce changement, de cette transition écologique ne doit pas être supporté uniquement par les agriculteurs. Il s’agit d’un changement de paradigme que la société doit intégrer et se partager.

 

             

 

 

 


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   PERSONNES AUDITIONNÉES

Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-maitrise-impacts-produits-phytosanitaires/documents?typeDocument=crc

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.

Mercredi 12 juillet 2023

 Table ronde sur l’évolution de la connaissance sur le cycle de développement des plantes et sur la nature et le fonctionnement des pesticides réunissant :

       M. Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture à l’Institut National de Recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae)

       M. Jean-Marc Meynard, directeur de recherche en agronomie à l’Inrae

       M. Robert Tessier, ingénieur agronome et des ponts des eaux et forêts, spécialiste de la filière semences et de la protection des plantes

Jeudi 13 juillet 2023

– Table ronde table ronde sur l’histoire des politiques publiques en matière de pesticides en France et en Europe réunissant :

       M. Jean-Noël Jouzel, sociologue, directeur de recherche au CNRS

       M. Hervé Durand, délégué ministériel pour les alternatives aux produits phytopharmaceutiques dans les filières végétales, Conseil Général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

– M. Stéphane Pesce, directeur de recherche, animateur de l’équipe « Écotoxicologie microbienne aquatique » (EMA) à l’Inrae, sur les conclusions de l’expertise collective Inrae/Ifremer de 2022 sur l’impact des pesticides sur la biodiversité et les services écosystémiques

Jeudi 20 juillet 2023

– Table ronde sur la contamination des sols par les pesticides réunissant :

       M. Antonio Bispo, directeur de l’unité « Info&sols » à l’Inrae

       M. Christian Mougin, directeur de recherche en écotoxicologie des sols à l’Inrae

       Mme Céline Pelosi, directeur de recherche en agroécologie et écotoxicologie des sols à l’Inrae

– Table ronde sur l’impact des pesticides sur la santé humaine réunissant :

       M. Laurent Fleury, responsable du pôle « Expertises collectives » de l’Inserm

       Mme Stéphanie Goujon, ingénieure de recherche, Épidémiologie des cancers de l’enfant et de l’adolescent, à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

       M. Rémy Slama, directeur de l’Institut thématique « Santé publique » de l’Inserm

Mercredi 6 septembre 2023

– Table ronde sur l’impact des pesticides sur la qualité de l’eau réunissant :

       Mme Agathe Euzen, directrice adjointe de l’Institut « Écologie et environnement » du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de la cellule Eau du CNRS et co-directrice du programme et équipement prioritaire de recherche « OneWater », et M. Gwenaël Imfeld, directeur de recherche CNRS au sein de l’Institut « Terre Environnement » de Strasbourg

       Mme Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique « Eaux souterraines et changement global », Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM)

– Audition sur l’impact des pesticides sur la qualité de l’eau réunissant M. Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle « Sciences pour l’expertise » à l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses), et M. Christophe Rosin, adjoint à la directrice du Laboratoire d’hydrologie de Nancy (Anses)

– Table ronde sur l’impact des pesticides sur la qualité de l’air réunissant :

       M. Ohri Yamada, chef de l’unité phytopharmacovigilance et observatoire des résidus de pesticides à l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

       Mme Anne Laborie, déléguée générale de la Fédération Atmo France (*), réseau des Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa), Mme Emmanuelle Drab-Sommesous, directrice « Accompagnement et Développement » à Atmo Grand Est, référente Pesticides pour Atmo France, et Mme Charlotte Lepitre, responsable « Projet et Plaidoyer » à Atmo France

– Audition de M. Jean Boiffin, ingénieur agronome, directeur de recherche honoraire à l’Inrae

Jeudi 7 septembre 2023

– Audition des auteurs du rapport interministériel de 2021 (Évaluation des actions financières du programme Ecophyto) :

       M. Pierre Deprost, Inspection générale des finances (IGF)

       Mme Anne Dufour et M. Claude Ronceray du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER)

– Table ronde réunissant des associations de défense de l’environnement :

       M. Dominique Masset et M. Philippe Piard, co-présidents de Secrets toxiques

       M. François Veillerette, porte-parole de Générations futures (*)

       M. Nicolas Laarman, délégué général et Mme Barbara Berardi, responsable de la recherche et du plaidoyer de Pollinis (*)

       M. Franck Rinchet-Girollet, co-président, et Mme Laura Savarino, secrétaire d’Avenir Santé Environnement

       Mme Justine Ripoll, responsable de campagnes et M. Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous

       M. Christophe Alliot et M. Sylvain Ly, co-fondateurs de Le Basic

Mercredi 20 septembre 2023

 M. Guilhem de Sèze, chef du département « production des évaluations du risque » et Mme Chloé de Lentdecker, coordinatrice scientifique unité « Pesticides peer review » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa)

Jeudi 21 septembre 2023

– Audition de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) :

       Mme Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée du pôle « Produits réglementés »

       Mme Gabrielle Bouleau, présidente du Comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts de l’Anses

       M. Jean-Luc Volatier, adjoint au directeur de l’évaluation des risques « Observatoires, données et méthodes » (je ne sais pas comment les deux s’articulent)

– Table ronde réunissant des agences de l’eau :

       M. Guillaume Choisy, directeur général de l’Agence de l’eau Adour‑Garonne

       M. Martin Gutton, directeur général de l’Agence de l’eau Loire‑Bretagne

       Mme Sandrine Rocard, directrice générale de l’Agence de l’eau Seine‑Normandie

       M. Nicolas Chantepy, directeur général adjoint de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse

Mercredi 27 septembre 2023

– Audition de Mme Maud Faipoux, directrice générale de l’alimentation (DGAL) au ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

– Table ronde de plusieurs associations :

       Mme Maureen Jorand, coordinatrice du Collectif Nourrir (*)

       Mme Cécile Claveirole, vice-présidente de France Nature Environnement (FNE) (*)

       M. Thomas Uthayakumar, directeur Programmes & Plaidoyer de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) (*)

       M. Olivier Andrault, chargé de mission Alimentation et nutrition de UFC-Que Choisir (*)

Jeudi 28 septembre 2023

– Table ronde sur l’agriculture biologique et les pesticides :

       M. Philippe Henry, vice-président de L’Agence Bio, accompagné de Mme Jocelyne Fouassier, chargée des relations institutionnelles de l’Agence Bio

       M. Vincent Bretagnolle, directeur de recherche au CNRS

 Audition de M. Olivier Thibault, directeur général et Mme Gaël Thevenot, directrice adjointe « Acteurs et citoyens » de l’Office français de la biodiversité (OFB)

Jeudi 5 octobre 2023

– Table ronde sur l’analyse des enjeux spécifiques à l’outre-mer concernant le recours aux produits phytosanitaires, réunissant :

       M. Luc Multigner, docteur en médecine, épidémiologiste et chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

       M. Fabrice Le Bellec, directeur de recherche au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) (*)

– Table-ronde sur l’analyse des politiques publiques de réduction des produits phytosanitaires outre-mer :

       M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer

       M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom (*)

Mardi 10 octobre 2023

– Audition de Mme Sandrine Hallot, directrice du pôle « Produits, marché et services » de la Fédération du négoce agricole (FNA), M. Bernard Perret, membre du conseil d’administration de la FNA, négociant agricole et M. Nicolas Charpentier, membre de la commission Agrofourniture de la FNA, négociant agricole (*)

– Table ronde réunissant des acteurs du conseil agricole :

       M. Hervé Tertrais, président du Pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA), M. Lilian Bachellerie, trésorier, et Mme Julie Coulerot, secrétaire

       M. Jean-Paul Bordes, directeur général de l’Association de coordination technique agricole (ACTA)

Mercredi 11 octobre 2023

– M. Sébastien Windsor, président de Chambres d’agriculture France (ex Assemblée permanente des chambres d’agriculture – APCA), accompagné de M. Frédéric Ernou, responsable du service « Agroenvironnement », de M. Étienne Bertin, chargé d’affaires publiques et de M. Lucien Gillet, chargé de mission réglementation phytosanitaire

Jeudi 12 octobre 2023

– Audition de M. Pierre-Étienne Bisch, coordonnateur interministériel du Comité d’orientation stratégique du plan Ecophyto

– Table ronde réunissant des organisations professionnelles d’agriculteurs :

       M. Hervé Lapie, secrétaire général de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de Mme Nelly Le Corre, cheffe du service « Environnement »

       Mme Sylvie Colas, secrétaire nationale en charge du dossier pesticides de la Confédération paysanne (*)

       Mme Véronique Le Floc’h, présidente et M. Patrick Legras, membre de la Coordination rurale (*)

       M. Quentin Le Guillous, secrétaire général adjoint des Jeunes agriculteurs, accompagné de M. Thomas Debrix, responsable du service « Communication et affaires publiques »

Mercredi 18 octobre 2023

– Table ronde sur le machinisme réunissant :

       M. Xavier Reboud, directeur de recherche, chargé de mission auprès de la direction scientifique Agriculture de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et vice‑président de RobAgri

       Mme Anne Fradier, secrétaire générale du Syndicat national des entreprises de services et distribution du machinisme agricole, d’espaces verts et des métiers spécialisés (SEDIMA) (*)

       M. Philippe Martinot, secrétaire général de Fédération nationale des coopératives d’utilisation du matériel agricole (FNCuma) (*), accompagné de M. Stéphane Chapuis, responsable du service « AGroEcoTech », en charge des questions environnement, agroéquipement et économie

       M. Laurent de Buyer, directeur général de l’Union des industriels de l’agro-équipement (AXEMA) (*)

– Table ronde réunissant des industriels de la filière semences :

       M. Didier Nury, président de l’Union française des semenciers (UFS) (*) accompagné de M. Laurent Guerreiro, administrateur

       M. Pierre Pages, président de l’Interprofession des semences et plants (Semae) (*) et M. Jean-Marc Bournigal, directeur général

– Table ronde sur le biocontrôle :

       Mme Céline Barthet, présidente de l’Association française des produits de biocontrôle (IBMA France) (*) et M. Denis Longevialle, directeur général

       M. Thibault Malausa, directeur de recherche à l’Inrae

Jeudi 19 octobre 2023

– M. Yves Picquet, président de Phyteis (*), M. Philippe Michel, directeur des affaires réglementaires et juridiques, et M. Julien Durand-Réville, responsable « Santé et agronomie digitale »

 Mme Pascale Croc et M. Francis Claudepierre, co-présidents de la TRAME (tête de réseaux associatifs pour le développement agricole et rural)

– Mme Laurence Huc, toxicologue, directrice de recherche à l’Inrae

Mardi 24 octobre 2023

– Table ronde avec des représentants des filières agricoles :

       M. Geoffroy d’Évry, président de l’Union Nationale des Producteurs de Pommes de Terre (UNPT) (*), et M. Guillaume Lidon, directeur

       M. Robert Pierre Cecchetti, président de la commission technique de l’Association nationale pommes poires (ANPP), et M. Pierre Venteau, directeur

       M. Benoit Piètrement, vice-président de l’Association Générale des Producteurs de Blé et autres céréales (AGPB) (*), et M. Théo Bouchardeau, responsable RSE et Transitions

       M. Laurent Grandin, président de l’Interprofession des fruits et légumes frais (Interfel) (*), M. Jean-Michel Delannoy, vice-président d’Interfel et M. Ludovic Guinard, directeur général adjoint d’Interfel et directeur général délégué du CTIFL (Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes)

– Table-ronde sur le réseau DEPHY :

       Mme Virginie Brun, cheffe de projet DEPHY Ecophyto, responsable de la Cellule d’Animation Nationale du projet Dephy

       M. Nicolas Chartier, responsable du traitement et de la valorisation des données du réseau DEPHY auprès de la cellule d’animation nationale – salarié de l’Institut de l’élevage

       M. Emeric Emonet, responsable du dispositif DEPHY EXPE auprès de la cellule d’animation nationale – salarié de l’ACTA – les Instituts techniques agricoles

       M. Nicolas Munier-Jolain, ingénieur de recherche à l’Inrae, coordinateur du projet européen IPMWORKS, anciennement membre la cellule d’animation nationale DEPHY

Mercredi 25 octobre 2023

 Audition de M. Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole, M. Antoine Hacard, président de La Coopération Agricole Métiers du grain, M. Joël Boueilh, président de La Coopération Agricole ‑ Vignerons Coopérateurs et Mme Pauline Bodin, responsable « Intrants et environnement » de La Coopération Agricole Métiers du grain.

– Table ronde réunissant des parlementaires européens :

       M. Pascal Canfin, président de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire

       M. Benoît Biteau, vice-président de la Commission de l’agriculture et du développement rural

– Audition de M. Jean-Yves Le Déaut, coprésident d’un groupe de travail sur le thème « agriculture et pesticides : en réduire l’usage et l’impact, est-ce possible et si oui, comment ? » à l’Académie d’agriculture de France, accompagné de M. Jean François Molle, secrétaire du groupe de travail.

Jeudi 26 octobre 2023

– Audition conjointe avec des agences de l’eau sur la problématique de la sanctuarisation des zones de captages :

       M. Guillaume Choisy, directeur général de l’Agence de l’eau Adour‑Garonne

       M. Thierry Vatin, directeur général de l’Agence de l’eau ArtoisPicardie

       M. Marc Hoeltzel, directeur général de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse

– Audition de M. Benoît Vallet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), accompagné de Mme Jovana Deravel, chargée de mission auprès de la directrice du pôle « Produits réglementés » de l’Anses

Jeudi 2 novembre 2023

– Table ronde sur la prise en charge et l’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires :

       Mme Christine Dechesne-Ceard, directrice de la réglementation de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) (*) et le docteur David Mussard, médecin technique national de la CCMSA, en charge du risque chimique

       M. Philippe Sanson, président du Conseil de Gestion du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP)

       M. Antoine Lambert, président de l’Association phyto-victimes, et Mme Aline Fournet, directrice générale

– Table-ronde avec la filière vigne : M. Stéphane Héraud, président de l’Association générale de la production viticole (AGPV), M. Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine et à indication géographique (CNIV) (*), M. Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France, et Mme Anne Haller, directrice des Vignerons Coopérateurs

Mardi 7 novembre 2023

– Audition de M. Philippe Duclaud, directeur général de la performance économique et environnementale des entreprises au ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, et M. Serge Lhermitte, directeur général adjoint.

– Table-ronde dédiée à la prospective :

       M. Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture à l’Inrae

       Mme Maud Blanck, ingénieur agronome à l’Inrae, responsable du dispositif des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP)

       Mme Laure Latruffe, pilote scientifique du programme prioritaire de recherche « Cultiver et Protéger Autrement » 

       Mme Cécile Détang-Dessendre, directrice scientifique adjointe Agriculture à l’Inrae

Mercredi 8 novembre 2023

– M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture entre 2018 et 2020

– M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture entre 2017 et 2018

– M. Guilhem de Sèze, chef du département « production des évaluations du risque » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa)

Jeudi 9 novembre 2023

– Table ronde sur le contrôle des produits phytopharmaceutiques dans l’alimentation :

       M. Éric Dumoulin, sous-directeur de la sécurité sanitaire des aliments, M. Gabriel Caraballo, chargé de mission au bureau d’appui à la maitrise des risques alimentaires, et Mme Marie Brunet, chargée de mission au bureau de la gestion intégrée du risque, Direction générale de l’Alimentation, ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

       Mme Odile Cluzel, sous-directrice des produits et marchés agroalimentaires à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

       M. Florian Simonneau, chef de bureau « Restrictions et sécurisations des échanges » à la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Mme Céline Thiriot, cheffe de bureau « Politique des contrôles »

– Table ronde avec des chercheurs sur l’objectif de réduction des produits phytosanitaires au regard du Plan stratégique national 2023-2027 :

       M. Hervé Guyomard, directeur de recherche en agronomie à l’Inrae

       M. Jean-Christophe Bureau, économiste

– Audition de M. Loïc Madeline, représentant de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) au conseil d’administration du Collectif Nourrir (*), sur l’objectif de réduction des produits phytosanitaires au regard du Plan stratégique national 2023-2027

Mardi 14 novembre 2023

– Table ronde réunissant des parlementaires européens :

       Mme Anne Sander, membre de la commission de l’agriculture et du développement rural (PPE)

       M. Christophe Clergeau, membre de la commission de l’agriculture et du développement durable (S&D)

– M. Pierre-Marie Aubert, directeur du programme politiques agricoles et alimentaires à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)

Mercredi 15 novembre 2023

– Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé

– M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture entre 2020 et 2022

– Table ronde réunissant :

       Mme Anne-Claire Vial, présidente d’Arvalis, et M. Norbert Benamou, directeur général

       M. Gilles Robillard, président de Terres Inovia et M. Laurent Rosso, directeur général

Jeudi 16 novembre 2023

 M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

– M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture entre 2012 et 2017

Mardi 21 novembre 2023

– M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Mercredi 22 novembre 2023

– Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


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   personnes rencontrées lors des déplacements

 

 

 

 

 

Mercredi 4 octobre 2023

Déplacement d’une délégation de la Commission d’enquête à Bruxelles

 

        Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

        M. Frédéric Michel, délégué pour les Affaires agricoles

        Mme Claire Morlot, conseillère au Pôle Affaires agricoles

        M. Davy Liger, conseiller au Pôle Affaires agricoles.

        COPA-COGECA (Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne et Confédération générale des coopératives agricoles, ex-Comité général de la coopération agricole de l’Union européenne)  (*)

        M. Pekka Pesonen, Secrétaire général

        Mme Marina Antonova, conseillère 

        Commission européenne, direction générale de l’agriculture et du développement rural

       M. Mario Milouchev, directeur chargé des plans stratégiques de la PAC

       M. Petr Lapka, responsable du programme de développement rural de France

       Mme Louise Bogey, responsable de programme

       M. Aymeric Berling, expert

       M. Jean Ferriere, analyste politique 

        Pesticides Action Network (PAN) - Fédération d’ONG  (*)

        Mme Salomé Roynel analyste politique

        Commission européenne, direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire

       M. Klaus Berend, directeur chargé de la sécurité alimentaire, de la durabilité et de l’innovation

       M. Andrew Owen-Griffiths, chef de l’unité chargée des végétaux et de la production biologique

       Mme Orla Ni Chuilleanain, unité chargée des végétaux et de la production biologique

 

   ANNEXES

Annexe n° 1 : Bouclage biomasse – document de travail du sgpe

Annexe n° 2 : introduction du rapport « Pesticides et agro-écologie – LES CHAMPS DU POSSIBLE » de 2014

Annexe n° 3 : « AGRIBASHING »

 

Annexe n° 4 : Conclusion des états généraux de l’alimentation de 2017


 

Annexe n° 5 : « One Health » - 2021


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Annexe n° 6 : CGAAER/CGEDD/IGF - évaluation des actions financières du programme Ecophyto (2021 - résumé


Annexe n° 7 : CGAAER - bilan de la séparation vente-conseil (2023) - résumé et propositions

 

 

 


([1])  Expertise collective « Pesticides et santé : nouvelles données », Inserm, juin 2021.

([2]) Evolution of the Crop Protection Industry since 1960, novembre 2018, Phillips McDougall.

([3]) En 2021, le rendement à l’hectare s’établit à 71,3 quintaux à l’hectare pour le blé tendre.

([4]) La progression en valeur de la production agricole s’explique en grande partie par l’inflation constatée ces deux dernières années. « Le compte prévisionnel de l’agriculture pour 2022 », Insee, statistiques et études.

([5]) Audition du 13 juillet 2023, CR n° 2.  

([6]) Selon la dernière enquête du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.  

([7]) https://vizagreste.agriculture.gouv.fr/la-superficie-agricole-utilisee.html : compilation des données du dernier recensement agricole – 2020. Les exploitations de moins de 20 hectares représentent 38 % des exploitations en 2020 alors qu’elles représentaient 58 % des exploitations en 1958.

([8]) statistiques Agreste.  

([9]) Selon les données réunies par une société d’analyse de marché anglaise, Phillips McDougall.

([10]) Selon les propos du directeur de Phyteis, M. Yves Picquet, devant la commission d’enquête le 19 septembre 2023.

([11]) Le chiffre d’affaires correspond aux produits déclarés augmentés des produits financiers pour les entreprises financières, d’après leur code activité.  

([12]) Taxe annuelle sur les ventes de produits phytopharmaceutiques souscrites entre le 1er janvier 2022 et le 31 octobre 2023.  

([13]) Si l’on compare les chiffres d’affaires des entreprises ayant déclaré de la taxe annuelle sur les produits phytopharmaceutiques.

([14]) Règlement n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides.  

([15]) Voir l’article 2 du règlement (CE) 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009.

([16]) Cf. Art.253‑5 et suivants du code rural et de la pêche maritime.

([17]) Il existe des substances actives autorisées dans les produits de biocontrôle qui sont classées toxiques ou éco‑toxiques dans l’arrêté relatif à la redevance pour pollutions diffuses le plus récent, les produits en contenant sont exclus du calcul du NODU Vert biocontrôle.

([18]) Audition du 12 juillet 2023, CR n° 2.

([19]) FAOSTAT, Pesticides utilisation.  

([20]) Ministre de la transition écologie, « État des lieux des ventes et des achats de produits phytopharmaceutiques en France en 2021 ».

([21]) Commissariat général au développement durable, « État des lieux des ventes et des achats de produits phytosanitaires en France en 2021 »

([22]) Règlement (UE) 2019/1021 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant les polluants organiques persistants.

([23]) Préparation des graines destinées aux semis, notamment au moyen de pesticides les protégeant des germes pathogènes et des parasites animaux.

([24]) Cf. Article 50 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et article 80 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

([25]) Audition du mercredi 18 octobre 2023, CR n° 19.

([26]) Les QSA sont des données de vente, qui ne renseignent pas sur la destination, et donc les usages précis des produits achetés.  

([27]) Cour des comptes, « Le soutien à l’agriculture biologique », rapport public thématique, juin 2022.

([28]) Règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, et abrogeant le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil.

([29]) Les substances actives contenues dans les produits doivent être autorisées conformément au règlement d’exécution (UE) 2021/1165 de la Commission du 15 juillet 2021 autorisant l’utilisation de certains produits et substances dans la production biologique et établissant la liste de ces produits et substances pris pour l’application du règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 précité.  

([30]) Commissariat général au développement durable, « État des lieux des ventes et des achats de produits phytosanitaires en France en 2021 », avril 2023 et « Publication des données provisoires des ventes de produits phytopharmaceutiques en 2021 », ministère de l’agriculture.

([31]) Audition du 16 novembre 2023, CR n° 33.  

([32]) Loi n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national.  

 

([33]) Cf. Loi n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national. L’entrée en vigueur de l’interdiction pour les particuliers a été avancée par la loi relative à la transition énergétique pour à la croissance verte du 17 août 2015 au 1er janvier 2019, et pour les personnes publiques au 1er janvier 2017.

([34]) Arrêté du 15 janvier 2021 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les propriétés privées, les lieux fréquentés par le public et dans les lieux à usage collectif.

([35]) Arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants.  

([36])  « Agricultures des outre-mer : Pas d’avenir sans acclimatation du cadre normatif », rapport d’information n° 775 (2015-2016), déposé le 7 juillet 2016, MM. Doligé et Gillot, Mme Procaccia.

([37]) cf. ibid.  

([38]) Audition du 5 octobre 2023, CR n°14.  

([39]) Voir l’audition du jeudi 5 octobre 2023, CR n° 15.

([40]) Le chiffre est beaucoup plus élevé depuis 2021. Cela s’explique par l’enregistrement dans les bases de ventes de produits phytosanitaires de l’huile minérale de paraffine qui n’était pas comptabilisé auparavant.

([41]) Arrêté du 16 juin 2009 relatif aux conditions dans lesquelles les exploitants mentionnés à l’article L. 257-1 tiennent le registre mentionné à l’article L. 257-3 du code rural.

([42]) Règlement d’exécution (UE) 2023/564 de la Commission du 10 mars 2023 en ce qui concerne le contenu et le format des registres des produits phytopharmaceutiques tenus par les utilisateurs professionnels en application du règlement (CE) n°  1107/2009 du Parlement européen et du Conseil (pris en application de l’article 67 du règlement (CE) n° 1107/2009).

([43]) « Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques : résultats de l’expertise scientifique collective INRAE-Ifremer », mai 2022.

([44]) Les métabolites de pesticides se forment via des processus de dégradation ou de transformation des molécules actives de pesticides, dans l’environnement ou à certaines étapes des filières de traitement de potabilisation de l’eau.

([45]) W. Sanchez et al, « Chlordécone et biodiversité antillaise : une contamination aux effets encore trop méconnus », The Conversation, 2022.

([46]) L’impact de l’utilisation de la chlordécone aux Antilles françaises, Rapport n° 360 (2022-2023) de Mme Catherine Proccaccia, sénatrice, fait au nom de l’OPESCT, déposé le 16 février 2023.

([47]) Directive n° 2000/60/CE du 23/10/00 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau.

([48]) La directive-cadre sur l’eau précitée, sa directive fille - eaux souterraines 2006/118/EC et la directive NQE 2008/105/CE établissant des normes de qualité environnementale dans le domaine de la politique de l’eau, complétée en 2013, ainsi que la directive 2020/2184/EC relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH),  

([49]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:02008L0105-20130913 et voir Annexe I pour les substances prioritaires et dangereuses.

([50]) Bulletin n°4 : synthèse 2019 des états des lieux des bassins, Eau France, février 2022.  

([51]) Ministère de la transition écologique, Eau et milieux aquatiques – Les chiffres clés – Édition 2020.

([52]) Audition du 21 septembre 2023.  

([53]) Audition du jeudi 21 septembre 2023, CR n° 11.

([54]) Par exemple, début 2021, la liste des pesticides et métabolites a été mise à jour et unifiée pour la région Normandie. La liste du contrôle sanitaire en Normandie comporte dorénavant 330 substances actives et métabolites.

([55]) Pour mémoire, 0,01 µg/L par pesticide, et 0,05 µg/L pour l’ensemble des pesticides, sous réserve des exceptions susmentionnées.  

([56])  Site Internet de l’Anses : https://www.anses.fr/fr/content/pesticides-dans-l%E2%80%99eau-du-robinet

([57]) Audition du 6 septembre 2023, CR n° 6.  

([58]) Cf. ibid., site Internet de l’Anses.  

([59]) cf Ibid. audition du 21 septembre 2023, CR n°11.  

([60]) Les Aasqa sont financées par l’État, les collectivités territoriales et les entreprises ; elles sont fédérées au niveau national au sein de l’association Atmo France.  

([61]) Audition du 6 septembre 2023, CR n° 7.  

([62]) Mme Drab-Sommesous, audition du 6 septembre 2023, CR n° 7.  

([63]) Ibid.  

([64])  Pour donner un ordre de grandeur, la rapidité de dégradation de quelques substances actives à 90 jours suivant leur application est ainsi définie en théorie : glyphosate 170 jours ; AMPA (dégradation du glyphosate) : 1 000 jours ; époxiconazole 2 960 jours ; téfluthrine 160 jours.

([65]) Le RMQS est soutenu par le Groupement d’intérêt scientifique (GIS) dit « SOL » qui réunit les ministères de l’agriculture et de la transition écologique, l’Office français de la biodiversité, l’Ademe, le Bureau de recherches géologiques et minières, l’Inrae, l’Institut national de l’information géographique et forestière et l’Institut pour la recherche et le développement.

([66]) Froger C., Jolivet C., Budzinski H. et al. (2023). Pesticide Residues in French Soils: Occurrence, Risks, and Persistence. Environmental Science & Technology.

([67]) Judith Riedo, Felix E. Wettstein et al (2021), Widespread Occurrence of Pesticides in Organically Managed Agricultural Soils—the Ghost of a Conventional Agricultural Past? Environmental Science & Technology.

([68]) Les nématodes sont des vers ronds et effilés, constituent un embranchement de vers non segmentés. Ils sont microscopiques. Il existe de très nombreuses espèces de nématodes (plus de 27 000 espèces). Certains sont considérés comme des ravageurs des cultures alors que d’autres remplissent des fonctions essentielles dans le sol.

([69]) Pelosi C. et al. (2020). Residues of currently used pesticides in soils and earthworms: A silent threat? Agriculture, Ecosystems & Environment 305, 1 January 2021.

([70]) Audition du 20 juillet 2023, CR n° 4.

([71]) Audition du 13 juillet 2023, CR n° 3.  

([72]) Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, et loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

([73]) Farmland practices are driving bird populations decline across Europe. Rigal, S et al. PNAS, la semaine du 15 mai 2023. Des données ont été collectées pendant 37 ans sur 20 000 sites de suivi écologique dans 28 pays européens, pour 170 espèces d’oiseaux différentes.

([74]) Pesticides. Effets sur la santé, Inserm, Expertise collective, octobre 2013.

([75]) Pesticides et effets sur la santé, nouvelles données, Inserm, expertise collective, 2021.  Cette deuxième expertise collective a été réalisée en se fondant sur 5 300 documents publiés scientifiques depuis 2013 analysés par un groupe d’experts multidisciplinaires, notamment sur des études épidémiologiques et éco-toxicologiques.

([76])  Audition du jeudi 20 juillet 2023 (CR n° 5)

([77])  Audition du jeudi 20 juillet 2023 (CR n° 5).

([78]) L’approche « One health »  a notamment fait l’objet d’un accord tripartite signé en 2010 entre l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’organisation mondiale de la santé animale (OMSA) et l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO).

([79]) Audition du 22 novembre 2023, CR n° 35.

([80]) Programme de recherche conjoint sur les zoonoses causées par l’alimentation et la consommation d’eau.

([81]) Les cinq missions déjà mises en place concernent : le climat et l’adaptation au changement climatique, les cancers, les villes de demain, l’eau, et la santé des sols et l’alimentation.

([82]) L’appel à projet dispose d’un budget de 2 millions d’euros.

([83])  « Enquête Agrican, Agriculture et cancer », novembre 2020 et publication transmise au rapporteur du laboratoire Anticipe de l’Inserm et du laboratoire Epicene pour Epidemiology of cancer and environnemental exposures. 6 novembre 2023.

([84]) Pour certains produits, le port d’équipements de protection individuelle est prescrit et prévu par l’autorisation de mise sur le marché.

([85]) « Agroécologie et pesticides, les champs du possible », Dominique Potier, novembre 2014.  

([86]) Audition du 18 octobre 2023, CR n° 19.

([87]) Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme.

([88]) Arrêté du 27 juin 2011 relatif à l’interdiction d’utilisation de certains produits mentionnés à l’article L. 2531 du code rural et de la pêche maritime dans des lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables et arrêté du 10 mars 2016 déterminant les phrases de risque visées au premier alinéa de l’article L. 25371 du code rural et de la pêche maritime.

([89]) III de l’article L. 253 8 du code rural et de la pêche maritime prévoit que : « […] l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d’agrément contiguës à ces bâtiments est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux. […] ».

([90]) Arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants. Cet arrêté a été partiellement annulé par le Conseil d’État dans un arrêt rendu le 26 juillet 2021, n° 437815.

([91]) Loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.  

([92]) Décret n° 2021-1724 du 20 décembre 2021 révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du code rural et de la pêche maritime.

([93]) Audition du 2 novembre 2023, CR n° 24.

([94] « La création d’un fonds d’aide aux victimes de produits phytopharmaceutiques », IGAS, janvier 2018.

([95]) Audition du 7 novembre 2023, CR n° 26.  

([96]) Loi n° 525 du 2 novembre 1943 relative à l’organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole.

([97]) Article 2 de la loi n° 525 du 2 novembre 1943 relative à l’organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole.

([98]) Article 3 de la loi n° 525 du 2 novembre 1943 relative à l’organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole.

([99]) Loi du n° 72-1139 du 22 décembre 1972 étendant le champ d’application de la loi validée et modifiée du 2 novembre 1943 relative à l’organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole, article 3.

([100]) Ibid., article 2.

([101]) Ibid., article 7.

([102]) Arrêt dit « Cassis de Dijon ».

([103]) Considérants 5 et 6.

([104]) Directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.

([105]) Ibid., article 10.  

([106]) Ibid., article 11.  

([107]) Règlement n° 178/2002 du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.

([108]) Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

([109]) Ibid., article 4.

([110]) « Agroécologie et pesticides, les champs du possible », rapport au Premier ministre, Dominique Potier, novembre 2014.

([111]) Article 12 du décret n° 2006-1177 du 22 septembre 2006 relatif à l’évaluation par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments des produits phytopharmaceutiques, matières fertilisantes et supports de culture.

([112]) Loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme.

([113]) Ordonnance n° 2010–18 du 7 janvier 2010 complétée par les décrets d’application n° 2010–688 du 23 juin 2010 et n° 2010–719 du 29 juin 2010, publiés au Journal officiel du 25 et 30 juin 2010.

([114]) Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

([115]) Proposition de résolution n° 905 visant à lutter contre les surtranspositions en matière agricole.

([116]) Proposition de loi n° 308 de M. le sénateur Laurent Duplomb, pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, enregistré au Sénat le 14 février 2023.

([117]) Tables rondes du 7 et du 27 septembre 2023, CR n° 9 et 12.

([118]) Audition du 19 octobre 2023, CR n° 20.

([119]) « Évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance », M. Philippe Bolo et Mme Anne Genetet, députés ; MM. Pierre Médeveille et Pierre Ouzoulias, sénateurs, 2 mai 2019.  

([120]) « La crédibilité de l’expertise scientifique, enjeux et recommandations », Rapport du groupe de travail du Conseil scientifique de l’Anses, novembre 2022.

([121]) Audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([122]) Réponse de la Commission européenne à la décision du Conseil de l’Union européenne du 19 décembre 2022, relative aux conséquences de la mise en œuvre du règlement SUR, 5 juillet 2023.

([123]) Vote du 24 octobre en Commission ENVI.

([124]) Audition du 20 septembre 2023, CR n° 10.

([125]) Règlement n° 1907/2006 Reach pour Registration, Evaluation, Authorisation and restriction of CHemicals (enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques ainsi que restriction d’utilisation applicable à ces substances).

([126]) Audition du 26 octobre 2023, CR n° 23.

([127]) Audition du 6 septembre 2023, CR n° 6.

([128]) Audition du 20 septembre, CR n° 10.

([129]) Règlement 1107/2009, considérant 12.

([130]) Audition du 20 septembre 2023, CR n° 10.

([131]) Conformément au règlement n° 180/2011 du 16 février 2011, dit règlement « comitologie ».

([132]) La majorité qualifiée représente le vote de 15 États membres sur 27, représentant au moins 65 % de la population européenne.

([133]) https://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/2023-08/glyphosate-factsheet-fr.pdf

([134]) « Rapport d’évaluation comparative – cas des produits à base de glyphosate – examen des alternatives en grandes cultures », Anses, 15 septembre 2020.  

([135]) Rapport de la mission d’information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate, Jean-Luc Fugit, Jean-Baptiste Moreau, 16 décembre 2020.  

([136]) Audition du 20 septembre 2023, CR n° 10.

([137]) Audition du 20 septembre 2023, CR n° 10.

([138]) Audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([139]) Arrêt du 19 janvier 2023, Affaire C‑162/21, Pesticide Action Network Europe ASBL, Nature et Progrès Belgique ASBL,TN contre État belge.

([140]) Audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([141]) Lequel a créé l’article L. 253-8-1 du code rural et de la pêche maritime.

([142]) Audition du 6 septembre 2023, CR n° 6.

([143]) Arrêté du 16 février 2017 modifié relatif aux organismes participant à la phyto-pharmacovigilance.

([144]) Audition du 6 septembre 2023, CR n° 6.

([145]) Consulté le 17 novembre 2023.

([146]) Audition du 13 juillet 2023, CR n° 3.

([147]) Évaluation du règlement (CE) nº 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et du règlement (CE) nº 396/2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides.   {SWD (2020) 87 final}

([148]) Audition du 16 novembre 2023, CR n° 33.

([149]) Audition du 7 septembre 2023, CR n° 9.

([150]) Audition du 7 septembre 2023, CR n° 9.

([151]) Audition du 7 septembre 2023, CR n° 9

([152]) Audition du 19 octobre 2023, CR n° 20.

([153]) Audition du 16 novembre 2023, CR n° 33.

([154]) Idem.

([155]) Audition du 19 octobre 2023, CR n° 20.

([156]) Audition du 19 octobre 2023, CR n° 20.

([157]) « Évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance », M. Philippe Bolo et Mme Anne Genetet, députés ; MM. Pierre Médeveille et Pierre Ouzoulias, sénateurs, 2 mai 2019.  

([158]) Audition du 7 septembre 2023, CR n° 9.

([159]) Audition du 20 septembre, CR n° 10.

([160]) M. Guilhem de Sèze, Efsa, audition du 20 septembre 2023, CR n° 10.

([161]) Audition du 7 septembre 2023, CR n° 9.

([162]) Audition du 7 novembre 2023, CR n° 23.

([163]) Audition du 7 septembre 2023, CR n° 9.

([164]) Audition du 20 septembre 2023, CR n° 10.

([165]) La politique de l’Efsa en matière d’indépendance, document mb170621-a2. Adopté à Parme par le conseil d’administration de l’Efsa, le 21 juin 2017.

([166]) Audition du 8 novembre 2023, CR n° 28.

([167]) La politique de l’Efsa en matière d’indépendance, document mb170621-a2.

Adopté à Parme par le conseil d’administration de l’Efsa, le 21 juin 2017.

([168]) La politique de l’Efsa en matière d’indépendance, document mb170621-a2. Adopté à Parme par le conseil d’administration de l’Efsa, le 21 juin 2017.

([169]) Audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([170]) Audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([171]) https://www.anses.fr/fr/system/files/AVIS-et-RAPPORT-CS-GT-Credibilite-de-lexpertise.pdf

([172]) Audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([173]) Audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([174]) Audition du 26 octobre 2023, CR n° 23.

([175]) Audition du 26 octobre 2023, CR n° 23.

([176]) Audition du 20 septembre 2023, CR n° 10.

([177]) Audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([178]) Audition du 8 novembre 2023, CR n° 28.

([179]) Audition du 16 novembre 2023, CR n° 33.

([180]) « Évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance », M. Philippe Bolo et Mme Anne Genetet, députés ; MM. Pierre Médeveille et Pierre Ouzoulias, sénateurs, 2 mai 2019.  

([181]) « Agroécologie et pesticides : les champs du possible », Dominique Potier, 2014.

([182]) Audition du 6 septembre 2023, CR n° 7.

([183]) Agro Paris tech, nom pris par l’Institut national des sciences et industries du vivant et de l’environnement, est l’une des composantes de l’Université Paris Saclay. Il dépend du ministère de l’agriculture et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

([184]) Les zones atelier au nombre de 15 réparties dans l’hexagone et dans les outre-mer sont des espaces de recherche gérés par le CNRS et d’autres instituts. La zone atelier Plaine & Val de Sèvre étendue sur 24 communes et réunit 435 exploitations agricoles pour étudier notamment les effets des usages des produits phytosanitaires et les potentialités de réduction des usages.

([185]) Audition du 16 novembre 2023, CR n° 33.

([186]) Audition du 15 novembre 2023, CR n° 32.

([187]) Audition du 15 novembre 2023, CR n° 32.

([188]) Audition du mercredi 18 octobre 2023, CR n° 19.

([189]) Ibid.

([190]) Ibid.

([191]) Les chiffres sont issus de l’étude publiée en novembre 2021 par le Basic, société coopérative d’intérêt collectif, et intitulé : « Analyse de la création de valeur et des coûts cachés des pesticides de synthèse ».

([192]) Rapport d’information sur l’application des mesures fiscales, groupe de travail « crédit d’impôt en faveur des dépenses de recherche », M. Francis Chouat, Mme Christine Pirès Beaune, 21 juillet 2021.  

([193]) Audition du 6 septembre 2023, CR n° 7.

([194]) Audition du 18 octobre 2023, CR n° 19.

([195]) Ibid.

([196]) Proposition de règlement concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625.

([197]) directive 2001/18/CE, règlement (CE) nº 1829/2003, règlement (CE) nº 1830/2003, directive 2009/41/CE.

([198]) CJUE, 25 juillet 2018, n°C-528/16, (voir §38).

([199]) Audition du 18 octobre 2023, CR n° 19.

([200]) Ibid.

([201]) « Zéro pesticide, un nouveau paradigme de recherche pour une agriculture durable », F. Jacquet, M.H. Jeuffroy, J. Jouan, E. Le Cadre, T. Malausa, X. Reboud, C. Huyghe, éditions Quae, 2022.

([202]) Le PPR « cultiver et protéger autrement » s’inscrit dans le troisième programme d’investissements d’avenir (PIA3) et dans le plan France 2030. Il s’est vu ainsi doté de 30 millions d’euros.

([203]) Audition du mardi 7 novembre 2023, CR n° 26.

([204]) Olivier Mora, Jeanne-Alix Berne, Jean-Louis Drouet, Chantal Le Mouël, Claire Meunier, et al.. European Chemical Pesticide-Free Agriculture in 2050. Foresight Report, INRAE DEPE. 2023.

([205]) Une Europe agroécologique en 2050 : une agriculture multifonctionnelle pour une alimentation saine, IDRRI, Xavier Poux et Pierre-Marie Aubert.

([206]) Audition du 18 octobre 2023, CR n° 19.

([207]) Audition du 18 octobre 2023, CR n° 19.

([208]) Audition du 15 novembre 2023, CR n° 32.

([209]) Audition du 16 novembre 2023, CR n° 33.

([210]) « Le réseau d’épidémiosurveillance financé par le plan Ecophyto, Réorientations à opérer », CGEDD, CGAAER, décembre 2019.

([211])  Audition du 27 septembre 2023, CR n° 12.

([212]) Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

([213]) Cf. Article L. 253‑8 du code rural et de la pêche maritime.

([214]) Loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

([215]) « Un plan B comme betterave : une stratégie de filière pour une transition économique, sociale et écologique », Assemblée nationale, 5 octobre 2020 : https://www.parti-socialiste.fr/un_plan_b_comme_betterave_une_strategie_de_filiere_pour_une_transition_economique_sociale_et_ecologique    

([216]) Données communiquées par Mme Virginie Brun et ses collègues lors de l’audition du 24 octobre 2023, CR  21.

([217]) « Fermes du réseau Dephy : 10 ans de résultats », document réalisé par la Cellule d’Animation Nationale DEPHY dans le cadre du Plan Ecophyto.

([218]) « Fermes du réseau Dephy : 10 ans de résultats », document réalisé par la Cellule d’Animation Nationale DEPHY dans le cadre du Plan Ecophyto.

([219]) « Réduire l’usage des pesticides sans dégrader la productivité Une analyse des systèmes d’exploitation de 946 fermes du réseau Dephy permet d’objectiver le débat sur la réduction des pesticides », M. Lechenet, Guillaume Py, Fabrice Dessaint, David Makowski et Nicolas Munier-Jolain..

([220])  Audition du 24 octobre 2023, CR n° 21.

([221]) Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

([222])  https://agriculture.gouv.fr/plus-de-12-000-exploitations-agricoles-engagees-dans-les-groupements-dinteret-economique-et

([223]) Audition du 16 novembre 2023, CR n° 33.

([224]) « Pesticides et agro-écologie, les champs du possible », Dominique Potier, novembre 2014.

([225])  Audition du 11 octobre 2023, CR n°17.

([226]) « Bilan de la séparation des activités de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques », communication du 12 juillet 2023, Dominique Potier et Stéphane Travert.

([227]) rapport CGAAER-CGEDD-IGF sur la fiscalité des produits phytosanitaires, juillet 2013.

([228]) « Pesticides et agroécologie, les champs du possible », Dominique Potier, novembre 2014.

([229]) Courrier de votre Rapporteur au Premier ministre Édouard Philippe, le 11 février 2019.

([230]) Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

([231]) Ordonnance n° 2015-1244 du 7 octobre 2015 relative au dispositif expérimental de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques.

([232]) CE 3° et 8° ch.-r., 28 décembre 2016, n° 394696.

([233]) Loi n° 2017-348 du 20 mars 2017 relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle.

([234]) Cf. ibid. article 55.

([235]) Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible (article 88).

([236]) Ordonnance n° 2019-361 du 24 avril 2019 relative à l’indépendance des activités de conseil à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et au dispositif de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques.

([237]) « Conséquences de la séparation des activités de conseil et de vente de produits phytopharmaceutiques », CGAAER et CGEDD, octobre 2018.  

([238]) Sauf dans le cas où le client a bénéficié du conseil d’un autre conseiller ou distributeur (article L. 254-7 du CRPM).

([239]) Article 2-I-5 de l’ordonnance 2019-361 du 24 avril 2019.

([240]) Requête n° 430925 déposée le 21 mai 2019.

([241]) Article L. 254-1-1 du code rural et de la pêche maritime.

([242]) 10 % en part de capital détenu et de droit de vote, 32 % en capital cumulé.

([243]) Décret n° 2020-1265 relatif au conseil à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et à la certification de leurs distributeurs et utilisateurs professionnels.

([244]) Exploitations de moins de deux hectares en arboriculture, viticulture, horticulture ou cultures maraîchères, de moins de dix hectares pour les autres cultures ainsi que pour les autres exploitations agricoles.

([245]) Les coopératives représentent 60 % des parts de marché des produits phytopharmaceutiques, les 40 % restant correspondant aux activités du négoce agricole.

([246]) cf ibid., rapport CGAAER-CGEDD d’octobre 2018, consultable en ligne sur https://agriculture.gouv.fr/consequences-de-la- separation-des-activites-de-conseil-et-de-vente-de- produits-phytopharmaceutiques.

([247]) Communication du 12 juillet 2023, MM. Dominique Potier et Stéphane Travert, rapporteurs « Bilan de la séparation des activités de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques », Commission des affaires économiques.

([248]) « Séparation de la vente et du conseil des produits phytopharmaceutiques », CGAAER, février 2023.

([249]) Règlement (UE) n° 2021/2115 relatif aux plans stratégiques relevant de la PAC.

([250]) Audition du 7 novembre, CR n° 26.

([251]) Article 103 du règlement 2021/2115 du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant les règlements (UE) n° 1305/2013 et (UE) n° 1307/2013.

([252]) Règlement délégué (UE) 2022/648 de la Commission du 15 février 2022 modifiant l’annexe XI du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le montant de l’aide de l’Union destinée aux types d’intervention en faveur du développement rural pour l’exercice 2023.

([253]) Article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

([254]) Audition du 14 novembre, CR n° 30.

([255]) Audition du 7 novembre, CR n° 26.

([256]) Recommandations de la Commission en ce qui concerne le plan stratégique relevant de la PAC de la France SDW(2020) 379 final.

([257]) Site du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, consulté le 23 novembre 2023.

([258]) Audition du 18 octobre 2023, CR n° 19.

([259]) Audition du 7 novembre, CR n° 26.

([260]) Site internet consulté le 25 novembre 2023.

([261]) Audition du 9 novembre, CR n° 29.

([262]) Arrêté du 3 octobre 2023 fixant le montant unitaire du programme volontaire pour le climat et le bien-être animal dit « éco-régime » pour la campagne 2023.

([263]) Arrêté du 8 décembre 2023 fixant le montant unitaire du programme volontaire pour le climat et le bien-être animal dit « écorégime » pour le solde de la campagne 2023.

([264]) Audition du 7 novembre, CR n° 26.

([265]) Audition du 7 novembre, CR n° 26.

([266]) Audition du 7 novembre, CR n° 26.

([267]) Audition du 16 novembre 2023, CR n° 33.

([268]) Audition du 9 novembre 2023, CR n° 29.

([269]) Audition du 9 novembre 2023, CR n° 29.

([270]) articles 219 à 222 de l’organisation commune des marchés agricoles (OCM).

([271]) articles 8 à 19 de l’OCM.

([272]) « La France est-elle une grande puissance agricole et alimentaire ? », Haut-Commissariat ay Plan, 9 juillet 2021.

([273]) « L’impact des clauses/mesures miroir sur la compétitivité de l’agriculture française », Analyses et perspectives, Agricultures et territoires, mars 2022.

([274]) Règlement (CE) n° 396/2005 du Parlement européen et du Conseil du 23 février 2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d’origine végétale et animale et modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil.

([275]) Audition du 14 novembre 2023, CR n° 30.

([276])  cf. ibid., règlement (CE) n° 396/2005.

([277]) « The 2021 European Union report on pesticide residues in food », Efsa, avril 2023.

([278]) Audition du 9 novembre 2023, CR n° 29.

([279]) Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.

([280]) Arrêté du 16 mars 2023 portant suspension d’introduction, d’importation et de mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux en France de cerises fraîches destinées à l’alimentation produites dans un pays autorisant le traitement des cerisiers avec des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active phosmet.

([281]) Audition du 9 novembre 2023, CR n° 29.

([282]) L’ingrédient primaire est défini comme l’ingrédient entrant pour 50 % ou plus dans la composition d’une denrée ou le/les ingrédients qui sont habituellement associés à la dénomination de cette denrée par le consommateur. Ex : l’étiquetage d’un gâteau revendiquant une origine française alors que la farine mise en œuvre dans sa fabrication ne serait pas produite en France devrait renseigner le consommateur sur l’origine de la farine.

([283]) Règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information sur les denrées alimentaires.

([284]) Audition du 5 octobre 2023, CR n° 15.

([285]) Audition du 9 novembre 2023, CR n° 29.

([286]) Règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires et abrogeant la directive 2001/82/CE.

([287]) Arrêté du 21 février 2022 portant suspension d’introduction, d’importation et de mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d’animaux provenant de pays tiers à l’Union européenne ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement.

([288]) « Pesticides néonicotinoïdes : comment donner de l’ambition aux mesures miroirs européennes ? », juin 2023, FNH.

([289]) loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

([290]) Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

([291]) Compte-rendu intégral de la séance publique du 30 janvier 2019, Sénat.

([292])  Décision n° 2019-781 DC 16 mai 2019.

([293]) Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020.

([294]) « La France continue d’exporter des pesticides interdits », Public eye, 30 novembre 2022.

([295]) D’après les données susmentionnées de Public eye, sur les neuf premiers mois de 2022, 7 475 tonnes de substances interdites ont été approuvées pour l’exportation, bien moins que les 28 479 tonnes exportées pour la totalité de l’année 2021.

([296]) « Distorsion de concurrence sur le marché européen : un frein à la sortie des pesticides en Europe ? le cas des néonicotinoïdes », Catherine Laroche-Dupraz, Carole Ropars-Collet, Journées de Rechercheen Sciences Sociales (JRSS), Société française d’économie rurale (SFER) ; INRAe ; CIRAD, Dec 2022.

([297])  Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil : Évaluation du règlement (CE) nº 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et du règlement (CE) nº 396/2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides, 20 mai 2020.

([298]) "Les solutions alternatives aux phyto ne pourront se développer que si tous les acteurs réagissent", Jean-Marc Meynard, Cultivar, 18 octobre 2019.

([299]) Audition du 26 octobre 2023, CR n° 23.

([300]) « Évaluer l’impact des cahiers des charges des filières agroalimentaires sur la consommation des produits phytopharmaceutiques », Bznoît Grimonpez, mai 2023.

([301]) Audition du 14 novembre 2023, CR n° 31.

([302]) « Amélioration de la qualité des repas en restauration collective : mobilisation des acteurs et premiers résultats », centre d’analyse et de prospective, analyse n° 189, juin 2023.

([303])  Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

([304]) Décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique.

([305]) Audition du 14 novembre 2023, CR n° 31.

([306]) Voir le site Internet : https://www.naturellement-flexitariens.fr  

([307])  Audition du 28 septembre 2023, CR n° 13.

([308]) Extrait de la note d’appui scientifique et technique de l’Anses du 16 novembre 2017 relatif à « La contamination de certaines cultures par la substance active phytopharmaceutique prosulfocarbe ».

([309]) M. Patrick Legras, membre de la Coordination rurale, audition du 12 octobre 2023, CR n°18.  

([310]) « Quels équilibres végétal/animal en France métropolitaine, aux échelles nationale et “petite région agricole”? », Magali Jouven, Laurence Puillet, Christophe Perrot, Thomas Poméon, Joao-Pedro Dominguez, et al, INRA Productions Animales, 2018.

([311]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.  

([312]) Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous et loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

([313]) « Évaluation des actions financières du programme Écophyto », Anne Dufour et Claude Ronceray (CGEDD), Mireille Gravier-Bardet et Louis Hubert (CGAAER), Pierre Deprost (IGF), mars 2021.

([314]) Audition du 7 septembre 2023, CR n° 8.

([315]) Audition du 12 octobre 2021, CR n° 18.

([316]) cf. ibid, audition du 7 septembre 2023.

([317]) Audition du 12 octobre 2023, CR n° 18.

([318]) « Pesticides et agroécologie, les champs du possible », Dominique Potier, rapport du Premier ministre, novembre 2014.

([319]) Audition du 15 novembre 2023, CR n° 32.

([320]) Audition du 11 octobre 2023, CR n° 17.

([321]) Audition du 28 septembre 2023, CR n° 13.

([322]) Audition du 7 septembre 2023, CR n° 8.

([323]) Audition du 15 novembre 2023, CR n° 32

([324]) Audition du 28 septembre 2023, CR n° 13.

([325]) Audition du 12 octobre 2023, CR n°18.  

([326]) Audition du 14 novembre 2023, CR n°31.  

([327]) « Pesticides : un modèle qui nous est cher »,  le Basic, le CCFD – Terre Solidaire et Pollinis, novembre 2021.

([328]) « Eau et milieu aquatique, les chiffres clé, édition 2020 », OFB et ministère de la transition écologique, décembre 2020.

([329])  Mme Sandrine Rocard, directrice générale de l’agence de l’eau Seine-Normandie, audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([330]) M. Nicolas Chantepy, directeur général adjoint de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, audition du 21 septembre 2023, CR n° 11.

([331]) Loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre la pollution.

([332]) Loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau.

([333]) Loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques.

([334]) Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

([335]) Article 118 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

([336]) Article 191 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

([337]) Directive (UE) du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

([338]) Auditions du 21 septembre et du 26 octobre 2023, CR n° 13 et 23.

([339]) « Eau et milieux aquatiques, les chiffres clés – édition 2020 », OFB, décembre 2020.

([340]) Instruction du Gouvernement du 5 février 2020 relative à la protection des ressources en eau des captages prioritaires utilisés pour la production d’eau destinée à la consommation humaine.

([341]) « La fabrique de l’agronomie, de 1945 à nos jours », J. Boiffin, T. Doré,F. Kochmann, F. Papy, P. Prévost, éditions Quae, 2022.  

[342]https://fne.asso.fr/actualites/don-t-look-up-quand-le-ministre-de-l-agriculture-enterre-un-rapport-derangeant-sur-les

[343] Krauss J, Gallenberger I, Steffan-Dewenter I (2011) Decreased Functional Diversity and Biological Pest Control in Conventional Compared to Organic Crop Fields. PLoS ONE 6(5): e19502. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0019502

[344] Le plan Ecophyto de réduction d’usage des pesticides en France : décryptage d’un échec et raisons d’espérer - L. Guichard et al., publié par EDP Sciences 2017

[345]https://lebasic.com/wp-content/uploads/2021/11/Pesticides-un-modele-qui-nous-est-cher_FR-Synthese.pdf

[346] Judith Riedo et al., Widespread Occurrence of Pesticides in Organically Managed Agricultural Soils – the Ghost of a Conventional Agricultural Past?, 2021

[347] https://www.fnh.org/reduction-des-pesticides-1-des-financements-publics-est-reellement-efficace/

[348] Lassalas, Marie, et al. « L’accès à l’éco-régime français de la PAC par la voie de la certification environnementale », Économie rurale, vol. 384, no. 2, 2023, pp. 59-76.

[349]https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/09/16/glyphosate-l-expertise-europeenne-truffee-de-copies-colles-de-documents-de-monsanto_5186522_3244.html