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N° 2052

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 janvier 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (n°1961)

 

PAR Mme Perrine GOULET

Députée

 

 

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................ 3

commentaire des articles de la proposition de loi

Article 1er  (art. 1527 du code civil) Révocation d’un avantage matrimonial

1. L’état du droit

2. Le dispositif proposé

3. La position de la commission

Article 1er bis (nouveau) (art. 265 du code civil) Sort d’une clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation dans le cadre d’un divorce

1. L’état du droit

2. Le dispositif adopté par la commission des Lois

Article 2  (art. 1691 bis du code général des impôts) Modification des conditions d’octroi de la décharge de responsabilité solidaire

1. L’état du droit

2. Le dispositif proposé

3. La position de la commission

Article 3  Création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs

Examen en commission

PERSONNES ENTENDUES

 


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Mesdames, Messieurs,

La formation des couples est un choix intime de même que le régime sous lequel ils peuvent vivre. En conséquence, le législateur a mis en œuvre des dispositions spécifiques accompagnant les actes d’état civil que sont le mariage et le PACS. Le rôle du législateur est d’être vigilant quant aux conditions dans lesquelles les couples formés peuvent se séparer, pour s’assurer qu’aucune injustice née des contrats entre les époux ne puisse subsister.

Cette proposition de loi vise ainsi à mieux encadrer les conséquences d’une séparation au sein d’un couple.  

Le premier article concerne le sort des avantages matrimoniaux en cas de décès de l’un des époux, de la main de l’autre époux.

Le conjoint, qui vient de tuer son partenaire, est exclu de la succession de celle-ci : c’est le mécanisme de l’indignité successorale qui s’applique. Toute donation faite par son épouse à son encontre est également révoquée : c’est le dispositif de l’ingratitude qui s’applique. Mais la loi est muette aujourd’hui sur le sort à réserver aux avantages matrimoniaux, c’est-à-dire aux clauses de contrat de mariage qui bénéficient à l’époux lorsque l’autre décède. En l’absence de disposition expresse, l’époux meurtrier en conserve le bénéfice.  

C’est à cette situation injuste que l’article 1er de la présente proposition de loi entend remédier, en prévoyant expressément la révocation d’un avantage matrimonial dans les cas les plus graves d’atteintes aux personnes, notamment lorsqu’un époux a attenté à la vie de l’autre époux.

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Le deuxième article porte sur la solidarité fiscale entre époux.

Les époux, ou les personnes pacsées, forment un seul et unique foyer fiscal. À ce titre, ils sont solidairement responsables des impositions dues par ce foyer fiscal. Cette solidarité s’applique même si le couple se sépare et quel que soit le régime matrimonial sous lequel il vivait, pour les impositions dues au titre de la période d’imposition commune. L’administration fiscale peut donc réclamer indifféremment les sommes dues à l’un ou à l’autre des deux ex-conjoints.

Cette situation peut mettre en difficulté financière l’un des ex-conjoints s’il n’a pas les moyens financiers de rembourser cette dette. Il existe donc un mécanisme qui permet à l’administration fiscale de décharger la personne qui le demande de son obligation de rembourser les dettes dues au titre de la solidarité fiscale. Ce dispositif de décharge de responsabilité solidaire est accordé lorsque trois critères sont respectés : la séparation des conjoints est effective, le demandeur n’a pas bénéficié ou participé à la fraude, et il existe une disproportion marquée entre la situation financière du demandeur et le montant de la dette fiscale. Autrement dit, si le demandeur n’a pas les moyens de rembourser la dette sur une période de trois ans, alors il peut bénéficier d’une décharge de responsabilité solidaire. 

Toute personne qui se voit refuser une décharge de responsabilité solidaire peut former un recours gracieux auprès de l’administration fiscale, puis un recours devant le tribunal administratif si le premier recours a échoué.

Ce mécanisme est essentiel pour éviter de faire peser un fardeau fiscal trop lourd sur des ex-conjoints. Les chiffres de demandes accordées sont cependant encore trop faibles : ainsi, en 2022, sur 245 demandes traitées, 100 décharges avaient été octroyées et 103 avaient été rejetées.  

L’article 2 visait donc initialement à assouplir ce dispositif, en excluant certains biens de l’assiette utilisée pour apprécier la situation patrimoniale du demandeur.

Il a significativement évolué lors de l’examen du texte en commission : à l’assouplissement du dispositif de décharge de responsabilité solidaire a été préféré la possibilité laissée à l’administration fiscale de dissocier le demandeur de son foyer fiscal, laissant le conjoint à l’origine des dettes en assumer pleinement le remboursement.

*

Cette proposition de loi correspond au cœur de l’activité du législateur : après l’identification d’un vide juridique, ou le constat d’un dispositif insatisfaisant, apporter des modifications de nature à mieux protéger nos concitoyens.

 

 

 

 

 

 


   commentaire des articles de la proposition de loi

Article 1er
(art. 1527 du code civil)
Révocation d’un avantage matrimonial

Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article modifie l’article 1527 du code civil relatif aux avantages matrimoniaux tirés des clauses d’une communauté conventionnelle, pour permettre la révocation d’un avantage matrimonial dans certains cas précis, notamment lorsqu’un époux attente à la vie de l’autre époux, ou qu’il lui fait subir des sévices.

       Dernière modification intervenue

L’article 8 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a ajouté un cas d’indignité successorale facultative à l’article 727 du code civil.

1.   L’état du droit

  1.   Les régimes matrimoniaux et les avantages qui en découlent

 Les différents régimes matrimoniaux distingués par le code civil

Les époux peuvent choisir leur régime matrimonial. Les régimes matrimoniaux sont prévus par le code civil mais les époux peuvent également choisir l’un de ces régimes et y apporter des modifications. À défaut de choix, c’est le régime de communauté réduite aux acquêts qui s’applique.

Le titre V du livre III du code civil distingue trois types de régimes matrimoniaux :

– le régime de communauté : sous ce régime, certains biens deviennent les biens communs aux deux époux. Si ces derniers ne font pas de contrat de mariage, alors c’est le régime de la communauté légale qui s’applique, aussi appelé régime de communauté réduite aux acquêts : seuls les revenus et les biens acquis pendant le mariage appartiennent à la communauté. Si les époux signent un contrat de mariage pour déterminer quels types de biens relèvent de la communauté, c’est un régime de communauté conventionnelle : c’est notamment dans le cadre de ce régime que les époux peuvent opter pour un régime de communauté universelle ([1]) ;

 le régime de séparation de biens : les patrimoines de chacun des époux restent séparés ;

– le régime de participation aux acquêts : celui-ci fonctionne comme un régime de séparation de biens pendant le mariage mais permet à chacun des époux, lors de la dissolution du mariage, de participer pour moitié en valeur aux acquêts constatés dans le patrimoine de l’autre époux.

● La définition de l’avantage matrimonial

Le code civil ne définit pas précisément ce qui constitue un avantage matrimonial. Bernard Vareille, professeur de droit à l’Université de Limoges, faisait le constat en 2013 ([2]) qu’aucune définition législative n’existait et rappelait deux définitions formulées par la doctrine :

– Jean Carbonnier, dans sa thèse datée de 1932 ([3]), s’y référait comme « l’enrichissement que le seul fonctionnement du régime matrimonial procure à un époux par rapport à son conjoint » ;

–  Frédéric Lucet le définissait lui en 1987 ([4]) comme « le profit procuré, en qualité de copartageant, à l’un des époux, et résultant du fonctionnement du régime matrimonial ».

Bernard Vareille le définit lui comme « l’enrichissement que le fonctionnement d’un régime conventionnel procure à un conjoint, en comparaison de la situation patrimoniale qui eut été la sienne sous le régime légal ». Il rappelle également que le pacte civil de solidarité ne peut pas entraîner d’avantage matrimonial.

Deux articles du code civil mentionnent la notion d’avantage matrimonial. Le premier, l’article 265, règle le sort des avantages matrimoniaux en cas de divorce.

Article 265 du code civil

Le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme.

Le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l’union, sauf volonté contraire de l’époux qui les a consentis. Cette volonté est constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l’avantage ou la disposition maintenus.

Toutefois, si le contrat de mariage le prévoit, les époux pourront toujours reprendre les biens qu’ils auront apportés à la communauté.

Il établit une distinction entre les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage, et sur lesquels le divorce n’a aucune incidence, et les avantages matrimoniaux qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des deux époux et qui se voient révoqués en cas de divorce.

Le dernier alinéa, créé par l’article 43 de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, écarte l’application du premier alinéa lorsque le contrat de mariage contient une clause de reprise des apports de biens propres en cas de divorce. Elle a été ajoutée pour tirer les conséquences d’un arrêt de Cour de cassation du 17 janvier 2006 ([5]) qui estimait que cette clause ne pouvait prévaloir sur les dispositions relatives à la révocation des avantages matrimoniaux en cas de divorce.

Le second, l’article 1527, concerne uniquement les régimes en communauté.

Article 1527 du code civil

Les avantages que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes, ne sont point regardés comme des donations.

Néanmoins, au cas où il y aurait des enfants qui ne seraient pas issus des deux époux, toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l’un des époux au-delà de la portion réglée par l’article 1094-1, au titre « Des donations entre vifs et des testaments », sera sans effet pour tout l’excédent ; mais les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs quoiqu’inégaux, des deux époux, ne soient pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants d’un autre lit.

Toutefois, ces derniers peuvent, dans les formes prévues aux articles 929 à 930-1, renoncer à demander la réduction de l’avantage matrimonial excessif avant le décès de l’époux survivant. Dans ce cas, ils bénéficient de plein droit de l’hypothèque légale prévue au 4° de l’article 2402 et peuvent demander, nonobstant toute stipulation contraire, qu’il soit dressé inventaire des meubles ainsi qu’état des immeubles.

Le premier alinéa prévoit explicitement que les avantages matrimoniaux issus des clauses d’une communauté conventionnelle ou de la confusion du mobilier ou des dettes, ne peuvent être regardés comme des donations. Cela signifie qu’ils échappent au régime des libéralités, notamment en matière de succession : les avantages matrimoniaux ne peuvent pas être considérés comme une avance sur la part successorale de l’époux bénéficiaire.

Le deuxième alinéa crée une exception à ce principe lorsqu’il existe des enfants qui ne seraient pas issus des deux époux. Les héritiers peuvent alors engager une action en retranchement au moment du partage successoral : dans ce cas, l’avantage matrimonial, dès lors qu’il excède la quotité disponible entre époux prévue à l’article 1094-1 du code civil, sera sans effet à concurrence de cet excédent.

Enfin, le troisième alinéa prévoit la possibilité pour les héritiers de renoncer à demander la réduction de l’avantage matrimonial excessif avant le décès du conjoint survivant, cela afin de lui laisser la jouissance dudit avantage matrimonial jusqu’à son décès.

L’avantage matrimonial a été longtemps vu comme découlant uniquement des régimes communautaires.

La Cour de cassation définissait ainsi la notion d’avantage matrimonial dans un arrêt de 2008 ([6]) : « attendu que les avantages matrimoniaux qui résultent directement du régime matrimonial sont constitués par les seuls profits que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle ou qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes ».

La Cour de cassation a ensuite, dans plusieurs arrêts, acté que la notion d’avantage matrimonial n’était pas cantonnée aux communautés conventionnelles.

Ainsi, dans un arrêt du 29 novembre 2017 ([7]), la Cour a considéré que l’apport fait par l’un des époux d’un bien personnel à une société d’acquêts constituait bien un avantage matrimonial.

Cette position a été confirmée par une décision du 18 décembre 2019 ([8]), dans laquelle la Cour de cassation qualifie d’avantage matrimonial une clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation ([9]) en cas de dissolution du régime pour une cause autre que le décès de l’époux, insérée dans un contrat de participation aux acquêts.

La Cour de cassation a confirmé cette appréciation dans un arrêt du 31 mars 2021, considérant « qu’une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens et dettes professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d’entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial révoqué de plein droit en cas de divorce, nonobstant la qualification qu’en auraient retenue les parties dans leur contrat de mariage ».

Cette qualification revient en pratique à priver d’intérêt la clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation, qui a justement vocation à entrer en vigueur lors de la dissolution du régime. Dans un article daté du 23 janvier 2020 ([10]) et consacré à la décision de la Cour de cassation, Quentin Guiget-Schielé, maître de conférences en droit privé, constate que « la clause d’exclusion voit donc ses effets annihilés par l’article 265 du code civil ».

  1.   L’absence de dispositif spécifique pour tirer les conséquences d’une condamnation pénale d’un conjoint pour meurtre sur l’autre lors de la liquidation d’un contrat de mariage

S’il existe des dispositifs pour priver du bénéfice d’une donation ou d’une succession la personne ayant commis une infraction à l’encontre respectivement du donataire ou du défunt, rien n’est prévu pour révoquer l’avantage matrimonial dont bénéficie l’époux auteur d’une infraction vis-à-vis de l’autre époux.

 L’exclusion de la succession grâce au dispositif de l’indignité successorale

Le mécanisme de l’indignité successorale, qui existe dans le code civil depuis 1804, permet d’exclure un héritier de la succession. Il a été qualifié en 1984 ([11]) par la Cour de cassation de « peine civile, de nature personnelle et d’interprétation stricte ».

Il a été adapté et élargi par la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions du droit successoral. Alors qu’existait auparavant seulement un dispositif d’indignité successorale de plein droit ([12]), la loi de 2001 y ajoute des cas d’indignité facultative, laissés à l’appréciation du juge.

L’article 726 du code civil prévoit ainsi deux cas d’indignité de plein droit :

– en cas de condamnation, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;

– en cas de condamnation, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.

L’ancien article du code civil relatif à l’indignité successorale ne s’appliquait pas lorsque la personne visée était le complice et non l’auteur de l’infraction.

L’article 727 du code civil, dans sa version issue de la loi du 3 décembre 2001, prévoyait cinq cas pouvant conduire le juge à déclarer une personne indigne de succéder :

– une condamnation, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;

– une condamnation, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner ;

– une condamnation pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle ;

– une condamnation pour s’être volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;

– une condamnation pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.

Un cas d’indignité facultative a été ajouté par l’article 8 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt, peut lui aussi se voir exclu de la succession du défunt.

L’article 727-1 du code civil prévoit les conditions dans lesquelles l’indignité facultative peut être déclarée. La demande doit être formulée par un autre héritier au tribunal judiciaire où l’ouverture de la succession a eu lieu :

– dans un délai de six mois suivant le décès, lorsque la décision de condamnation ou la déclaration de culpabilité est antérieure à celui-ci ;

– dans un délai de six mois suivant la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité si celle-ci est postérieure au décès.

S’il n’y a pas d’autre héritier (que celui concerné par l’indignité), alors le ministère public peut formuler la demande d’indignité.

L’article 728 prévoit les conditions de relèvement de l’indignité par le défunt : celui-ci peut, postérieurement aux faits et à la connaissance qu’il a de ceux-ci, expressément mentionner qu’il souhaite maintenir son héritier dans ses droits héréditaires. L’article 728 prévoit également un cas de pardon tacite, lorsque le défunt, dans les mêmes conditions, fait au profit de son héritier une libéralité universelle ou à titre universel.

L’hériter exclu de la succession doit rendre tous les fruits et tous les revenus dont il a bénéficié depuis l’ouverture de la succession (article 729 du code civil).

● La possibilité pour le juge de formuler une révocation pour cause d’ingratitude s’agissant des donations

Le dispositif de l’ingratitude est le pendant de celui de l’indignité successorale, en matière de donation. Les trois cas dans lesquels une révocation pour cause d’ingratitude peut être prononcée sont énumérés à l’article 955 du code civil.

Article 955 du code civil

La donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d’ingratitude que dans les cas suivants :

1° Si le donataire a attenté à la vie du donateur ;

2° S’il s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ;

3° S’il lui refuse des aliments.

Pour que l’atteinte à la vie du donateur soit reconnue, il faut qu’il y ait une intention homicide établie de la part du donataire.

La notion de gravité, qui s’applique aux trois cas mentionnés au 2°, est appréciée souverainement par les juges du fond. Dans un arrêt du 25 octobre 2017 ([13]), la Cour de cassation a ainsi confirmé la révocation d’une donation pour cause d’ingratitude demandée par des héritiers pour cause d’adultère, en raison du contexte dans lequel ledit adultère avait été commis.

Comme l’exposent Ibrahim Najjar et Quentin Guiguet-Schielé ([14]), « un examen de la jurisprudence révèle que l’existence de l’ingratitude est admise plus largement que l’indignité successorale […] grâce à l’expression « injures graves » et malgré le caractère de peine privée de la révocation ». L’ingratitude se distingue également de l’indignité car aucune condamnation pénale n’est exigée pour établir la matérialité des faits.

Seuls les faits d’ingratitude commis à l’encontre d’un donateur peuvent justifier la révocation d’une donation. L’article 957 du code civil prévoit que la demande en révocation doit être formulée par le donateur, dans un délai d’un an à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire. Les héritiers du donateur ne peuvent pas exercer cette action, sauf si l’action a été intentée par le donateur avant son décès, ou s’il est décédé dans l’année du délit.

La révocation n’a pas d’effet rétroactif : l’article 958 prévoit ainsi qu’elle ne peut préjudicier aux aliénations faites par le donataire ni aux hypothèques et autres charges réelles qu’il aura pu imposer sur l’objet de la donation.

Les donations faites en faveur du mariage ne sont pas révocables pour ingratitude (article 959 du code civil). Cette exclusion ne concerne cependant que les libéralités qui émanent d’un tiers et pas les donations que les époux se font l’un à l’autre.

 Ces deux mécanismes ne s’appliquent pas aux avantages matrimoniaux

Comme évoqué supra, un avantage matrimonial ne peut pas être considéré comme une donation. La Cour de cassation a écarté cette possibilité dans un arrêt du 16 décembre 1975, qui affirme que « le choix de ce régime ne peut être regardé comme un acte secret permettant la réalisation d’une donation déguisée entre époux » ([15]) .

Il n’est donc pas possible de faire une demande en révocation d’un avantage matrimonial sur le fondement de l’article 955 du code civil, ni de faire jouer le mécanisme de l’indignité successorale, qui s’applique uniquement à la succession et non à la liquidation du régime matrimonial.

La Cour de cassation l’a confirmé en rejetant le 7 avril 1998 ([16]) le pourvoi des héritiers d’une femme assassinée par son époux : le pourvoi visait à priver ledit époux de l’avantage matrimonial né du contrat de mariage conclu avec la défunte.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article complète l’article 1527 du code civil pour créer un nouveau cas de révocation d’un avantage matrimonial.

La demande en révocation d’un avantage matrimonial sera possible dans les deux premiers cas mentionnés aux 1° et 2° de l’article 955 du code civil :

– si le donataire a attenté à la vie du donateur ;

– s’il est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves.

Le périmètre de la révocation de l’avantage matrimonial n’est donc pas cantonné aux cas de décès de l’un des deux époux.

L’alinéa ajouté par le présent article précise que la demande en révocation de l’avantage matrimonial se fera dans les mêmes conditions que la demande en révocation d’une donation entre vifs, prévues aux articles 956 et suivants, soit :

– le délai dans lequel peut s’exercer l’action en révocation sera limité à un an ;

– la révocation n’aura pas de caractère rétroactif.

La rédaction du présent article s’inspire de celle de l’article 1046 du code civil, qui prévoit la demande en révocation des dispositions testamentaires pour les mêmes causes autorisant la demande en révocation de la donation entre vifs.

3.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement de rédaction globale présenté par la rapporteure pour améliorer l’efficacité du dispositif.

L’amendement modifie l’insertion de l’article : il crée deux nouveaux articles 1399-1 et 1399-2 au sein du code civil dans le chapitre « Dispositions générales », relatif à l’ensemble des régimes matrimoniaux, alors que le texte initial s’insérait au sein du chapitre consacré aux régimes en communauté. La nouvelle insertion garantit que la disposition s’applique à l’ensemble des régimes et non uniquement aux régimes communautaires.

Il substitue à la référence aux cas d’ingratitude un renvoi aux articles qui concernent l’indignité successorale. Cette substitution resserre le dispositif sur les cas où une condamnation pénale a été prononcée à l’encontre de l’époux susceptible d’être déchu de ses avantages matrimoniaux : lier la déchéance à une sanction pénale sécurise juridiquement le dispositif.

Enfin, il distingue les cas dans lesquels l’indignité successorale sera accordée de plein droit – les cas les plus graves – de ceux où elle devra être déclarée par le juge.   

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Article 1er bis (nouveau)
(art. 265 du code civil)
Sort d’une clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation dans le cadre d’un divorce

Introduit par la commission

 

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article complète l’article 265 du code civil pour prévoir explicitement que toute clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation ne peut être considérée comme un avantage matrimonial révocable de plein droit en cas de divorce.

  1.   L’état du droit

Comme indiqué supra, l’article 265 règle le sort des avantages matrimoniaux en cas de divorce. Il prévoit notamment que les avantages matrimoniaux qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des deux époux sont révoqués de plein droit en cas de divorce.

Or, dans une décision du 18 décembre 2019 déjà mentionnée supra ([17]), la Cour de cassation a considéré qu’une clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation insérée dans un contrat de participation aux acquêts constituait un avantage matrimonial, et qu’en tant que tel il était révoqué au moment du divorce.

Cette décision neutralise ce type de clause, qui n’a de sens qu’en cas de divorce. La Cour de cassation, à plusieurs reprises, a suggéré de modifier l’article 265 du code civil pour tenir compte de cette jurisprudence ([18]).

  1.   Le dispositif adopté par la commission des Lois

La commission a adopté les amendements identiques déposés par la rapporteure et M. Hubert Ott (Modem) pour prévoir explicitement à l’article 265 que toute clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation ne constituait pas un avantage matrimonial révocable de plein droit en cas de divorce.

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Article 2
(art. 1691 bis du code général des impôts)
Modification des conditions d’octroi de la décharge de responsabilité solidaire

Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article modifie l’article 1691 bis du code général des impôts, qui encadre les conditions d’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire dans le cadre d’une imposition commune. Il restreint ainsi l’assiette du patrimoine prise en compte pour apprécier l’existence ou non d’une disproportion marquée entre la dette fiscale due par le demandeur et sa situation financière et patrimoniale.

       Dernière modification intervenue

L’article 139 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 a complété l’article 1691 bis du code général des impôts pour préciser que l’appréciation de la situation patrimoniale et financière du demandeur devait se faire sur une période n’excédant pas trois années.

  1.   L’état du droit
    1.   Le principe : la solidarité fiscale entre époux, partenaires, ex-époux et ex-partenaires

L’article 1691 bis du code général des impôts fixe le principe de solidarité fiscale entre époux et entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’agissant notamment de l’impôt sur le revenu ([19]) lorsqu’ils font l’objet d’une imposition commune.

Ce principe de solidarité fiscale s’applique quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux.

Aucune répartition préalable de la dette fiscale du foyer n’a lieu : chacun des partenaires ou des époux peut être tenu responsable du paiement de la totalité de l’imposition due.

L’imposition commune consiste à utiliser la moyenne des revenus des deux conjoints pour déterminer le niveau d’imposition de leur foyer fiscal. Ce mécanisme est avantageux lorsque les revenus des deux conjoints sont inégaux et correspondent à des tranches différentes d’imposition. Cela concernait en 2010 71 % des couples mariés ou pacsés ([20]). Le mécanisme est neutre lorsque les conjoints ont un niveau de revenus équivalent.

  1.   L’exception : la possibilité d’être déchargée de la dette fiscale

Cette solidarité fiscale cesse en même temps que se termine l’imposition commune. Elle continue néanmoins de s’appliquer dès lors que la totalité des montants dus au titre de l’imposition commune n’a pas été réglée, même lorsque les époux ou les partenaires se sont séparés et que l’imposition commune a cessé.

 L’inscription dans la loi des critères permettant d’octroyer une demande de décharge de responsabilité solidaire

L’article 1691 bis, qui prévoit les conditions dans lesquelles une décharge de responsabilité solidaire peut être octroyée, a été introduit par l’article 9 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008. L’administration disposait auparavant d’un large pouvoir d’appréciation, aucun critère n’étant fixé par voie législative.

Le II de l’article 1691 bis du code général des impôts prévoit ainsi la possibilité pour les personnes séparées ou divorcées d’être déchargées du paiement des impôts dus au titre de la solidarité fiscale. Cette demande doit être expressément formulée par la personne poursuivie en responsabilité.

Elle peut être aujourd’hui accordée par l’administration fiscale lorsque trois conditions sont remplies :

– une rupture de la vie commune (jugement de divorce ou de séparation de corps, déclaration de dissolution du pacte civil de solidarité, autorisation pour les époux d’être dans des résidences séparées, abandon par l’un des deux de la résidence commune) ;

– l’existence d’une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur. La situation financière du demandeur est appréciée sur une période de trois années ;

– un comportement fiscal impliquant, de la part du demandeur, le respect de ses obligations déclaratives depuis la rupture de la vie commune et l’absence de manœuvres frauduleuses pour se soustraire au paiement de l’impôt.

Constatant que l’appréciation de l’administration fiscale de l’évolution de la situation se faisait sur une période qui variait entre cinq et dix ans, le législateur a souhaité fixer une période dans la loi lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022.

L’article 139 de la loi de finances pour 2022 ([21]) a ainsi complété l’article 1691 bis pour prévoir que la situation patrimoniale et nette du demandeur est appréciée sur une période de trois ans.

 L’appréciation de la disproportion marquée

Des précisions sur ce que recouvre la situation patrimoniale et financière du demandeur sont apportées par une instruction fiscale ([22]).

Le patrimoine recouvre à la fois le patrimoine immobilier et le patrimoine mobilier du demandeur. Sont exclus à la fois la résidence principale du demandeur ([23]) et le patrimoine des personnes vivant habituellement avec celui-ci.

La situation financière du demandeur est appréciée au regard de l’ensemble des revenus perçus, à l’exclusion des revenus patrimoniaux.

Les deux éléments sont cumulés et la somme comparée au montant de la dette fiscale.

Si la dette fiscale est inférieure ou égale à la valeur du patrimoine, alors il n’y a pas de disproportion marquée.

Dans le cas inverse, le montant de la dette fiscale est diminué du montant de la valeur du patrimoine ; une nouvelle comparaison est alors faite, entre ce nouveau montant de dette fiscale et la situation financière nette du demandeur.

Si la situation financière permet d’envisager de recouvrir le montant de la dette fiscale (diminuée du montant du patrimoine) sur une période qui n’excède pas trois ans, alors il n’y a pas de disproportion marquée. Si ce n’est pas le cas, alors la disproportion est considérée comme marquée.

 L’évolution des demandes dans le temps

Malgré l’assouplissement des conditions d’appréciation de la situation patrimoniale et financière du demandeur en 2022, le nombre de demandes de décharges rejetées demeure important, comme l’illustre le tableau ci-dessous.

Tableau récapitulant le nombre de demandes de décharge octroyées et rejetées depuis 2014

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Demandes de décharges de solidarité reçues par la DGFIP

415

362

362

328

322

398

230

279

288

Demandes traitées

412

381

326

363

327

403

234

285

245

dont décharges octroyées

76

94

80

94

77

126

71

94

100

% de décharges octroyées/demandes traitées

18,4%

24,7%

24,5%

25,9%

23,5%

31,3%

30,3%

33,0%

40,8%

dont décharges rejetées

204

162

148

197

177

179

126

140

103

% de décharges rejetées/demandes traitées

49,5%

42,5%

45,4%

54,3%

54,1%

44,4%

53,8%

49,1%

42,0%

dont autres ([24])  

132

125

98

72

73

98

37

51

42

Source : commission des lois à partir du rapport du rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2024 modifié par le Sénat

Ainsi, en 2022, 40,8 % des demandes de décharge avaient été octroyées et 42 % des demandes rejetées.

Ce constat a poussé plusieurs groupes politiques à déposer des amendements proposant des assouplissements du dispositif de décharge de responsabilité solidaire lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024.

Les différentes initiatives parlementaires pour modifier le dispositif lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024

Au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, deux dispositifs ont été successivement adoptés par la commission des finances de l’Assemblée nationale et par le Sénat, qui visaient tous les deux à assouplir les conditions d’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire.

L’amendement CF2364, proposé par Mmes Dupont, Rilhac, Clapot et Dordain en première lecture à l’Assemblée nationale, prévoyait, comme le présent article, d’assouplir les conditions requises pour apprécier la situation patrimoniale du demandeur et l’existence ou non d’une disproportion marquée.

L’article 3 septdecies A adopté en première lecture au Sénat crée un nouveau critère justifiant d’accorder une décharge de responsabilité solidaire, alternatif du critère de disproportion marquée. Sous réserve que l’ex-conjoint n’ait pas participé directement ou indirectement à la fraude fiscale, et qu’il ne se soit pas enrichi grâce à celle-ci, alors il peut se voir attribuer une décharge de responsabilité solidaire.

Aucun de ces assouplissements n’a été retenu dans le texte définitivement adopté.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article modifie l’article 1691 bis du code général des impôts.

Il insère trois phrases dans le paragraphe qui détaille les modalités pour bénéficier d’une décharge de l’obligation de paiement. L’article exclut certains biens de l’assiette utilisée pour apprécier la situation patrimoniale du demandeur.

Certains des biens énumérés par le présent article sont déjà exclus de l’appréciation du patrimoine par l’administration fiscale. Il s’agit :

– du patrimoine détenu par les personnes vivant habituellement avec lui, ce qui est déjà appliqué par l’administration fiscale ;

– de la résidence principale, s’il en est le propriétaire ou s’il est titulaire d’un droit réel immobilier.

S’agissant de ces deux éléments, le présent article inscrit dans la loi une pratique de l’administration fiscale.

Certains, à l’inverse, sont aujourd’hui comptabilisés dans le patrimoine du donateur. Il s’agit :

– des biens et droits réels immobiliers détenus par le détenteur antérieurement à la date du mariage ou du pacte civil de solidarité ;

– du patrimoine du demandeur reçu par donation ou succession.

S’agissant de ces deux éléments, il s’agit d’un ajout par rapport à la pratique de l’administration fiscale. Cela constitue un réel assouplissement, puisque cela revient à restreindre l’assiette utilisée pour évaluer la capacité du demandeur à rembourser sa dette fiscale.

3.   La position de la commission

La commission a adopté deux amendements identiques de rédaction globale, proposés par la rapporteure et M. Hubert Ott (Modem), pour mieux protéger les ex-conjoints et ex-conjointes des abus que peut occasionner la solidarité fiscale entre époux.

L’amendement supprime la modification du dispositif de décharge de responsabilité solidaire pour la remplacer par un ajout à l’article L. 247 du livre des procédures fiscales.

Cet ajout opère une forme de dissociation du foyer fiscal : si les deux conjoints sont séparés, et qu’il est avéré que le demandeur n’avait pas connaissance de la fraude et n’en a pas bénéficié, alors il peut être déchargé par l’administration fiscale des impositions dues par le foyer fiscal formé avec l’ex-conjoint, ce dernier étant considéré comme tiers du demandeur.

Ce dispositif n’a pas vocation à remplacer celui de décharge de responsabilité solidaire mais bien à le compléter. Si la personne ne répond pas aux conditions fixées par l’article L. 247 du livre des procédures fiscales, elle peut formuler une demande de décharge de responsabilité solidaire : l’administration fiscale aura alors à apprécier si la disproportion entre la situation patrimoniale et financière et la dette est marquée ou non.

*

*     *

Article 3

Création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs

Adopté par la commission sans modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 3 prévoit un gage financier destiné à garantir la recevabilité de la proposition de loi lors de son dépôt.

 


—  1  —

 

   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 10 janvier 2024, la Commission examine la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (n°1961) (Mme Perrine Goulet, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/YpFEYj

M. le président Sacha Houlié. Cette proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille, déposée par M. Hubert Ott et plusieurs de ses collègues, est inscrite en cinquième position, le 18 janvier. Notre rapporteure est Mme Perrine Goulet à qui je donne la parole.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Tout d’abord, je vous présente mes meilleurs vœux et vous remercie de m’accueillir au sein de votre commission. Je remercie également mon collègue Hubert Ott, auteur original de la proposition de loi, qui a accepté que je le remplace dans le rôle de rapporteur d’un texte auquel il accorde une grande importance, et je lui souhaite un bon rétablissement. Ce texte comporte deux volets.

Le premier article concerne le sort des avantages matrimoniaux lorsque l’un des époux a commis une infraction vis-à-vis de l’autre, sujet mis en lumière par mon collègue Hubert Ott. Dans l’état actuel du droit, si un époux tue son conjoint ou sa conjointe, rien ne change s’agissant des avantages qu’il peut retirer du contrat de mariage conclu avec la personne défunte.

C’est plutôt une exception puisque des mécanismes existent pour faire face à ce type de situations en cas de donation ou de succession. Une donation entre vifs peut ainsi être révoquée pour cause d’ingratitude dans trois cas, dont l’attentat par le donataire à la vie du donateur – le cas est prévu par l’article 955 du code civil. En matière de succession, le mécanisme de l’indignité successorale a été créé, ce qui permet d’exclure de la succession la personne qui a attenté à la vie du défunt ou qui a commis des actes de torture et de barbarie à son encontre. Cette exclusion peut être de plein droit – c’est le cas si la personne susceptible d’hériter a volontairement donné la mort à la personne défunte. Elle peut aussi être facultative : il revient alors au juge d’apprécier si l’auteur de l’infraction doit être exclu de la succession. Contrairement à l’ingratitude, l’indignité successorale ne peut être déclarée que s’il existe une condamnation pénale de la personne susceptible d’être exclue de la succession.

Il n’existe pas d’équivalent de ces deux mécanismes s’agissant des avantages matrimoniaux. L’article 1er de la présente proposition de loi tend à y remédier. Il modifie le code civil pour permettre la révocation d’un avantage matrimonial dans des conditions similaires à celles qui existent pour révoquer une donation entre vifs, c’est-à-dire lorsque l’un des époux a attenté à la vie de l’autre ou qu’il s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves.

Le deuxième volet de cette proposition de loi concerne un dispositif fiscal : la décharge de responsabilité solidaire. L’article 2 met en œuvre une revendication du groupe Démocrate, que nous avions essayé de traduire lors de l’examen du projet de loi de finances par le biais d’un assouplissement des modalités d’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire. Les époux ou les personnes liées par un pacte civil de solidarité (Pacs) forment un seul et unique foyer fiscal, ce qui les rend solidairement responsables des impositions dues par le foyer. Cette solidarité continue d’exister même lorsque le couple se sépare : l’administration fiscale peut réclamer des impositions qui datent de la période d’imposition commune, même si ce foyer fiscal n’existe plus.

Concrètement, une personne dont l’ex-conjoint a fraudé le fisc alors qu’ils étaient ensemble, peut se voir réclamer le remboursement de l’intégralité de la dette fiscale si ledit conjoint n’est pas en mesure de le faire pour une raison ou une autre. La personne concernée peut alors demander à l’administration fiscale d’être déchargée de l’obligation du paiement de cette dette – c’est la décharge de responsabilité solidaire. L’administration fiscale doit alors apprécier s’il existe une disproportion marquée entre la situation patrimoniale et financière du demandeur et le montant total de la dette à rembourser. La disproportion avérée sera considérée comme marquée si la personne demandeuse n’est pas en mesure de rembourser la dette sur une période de trois ans. Cette situation n’est pas satisfaisante : elle conduit certains conjoints, souvent des conjointes, à se séparer de leur patrimoine propre pour rembourser une dette fiscale liée à une fraude dont elles ignoraient tout et dont elles n’ont pas bénéficié.

L’article 2, dans sa version initiale, proposait d’exclure de l’appréciation de la situation patrimoniale du demandeur les biens acquis avant le mariage ou le Pacs, ainsi que les biens reçus par le demandeur par donation ou succession. Cette restriction de l’assiette aurait conduit à accorder un plus grand nombre de décharges de responsabilité solidaire. Le dispositif reprend celui déposé par certaines de mes collègues, lors de l’examen du budget pour 2024 en commission des finances, soucieuses comme nous de ne pas laisser prospérer un dispositif qui pénalise injustement des femmes dont le seul tort est d’être tombée amoureuse d’un escroc.

Ces deux dispositifs viennent réparer des injustices de notre droit civil et de notre droit fiscal. Au cours de nos travaux, il est apparu que leur rédaction pouvait être améliorée de manière à les rendre plus efficaces. J’ai donc déposé deux amendements qui réécrivent entièrement les deux dispositifs prévus aux articles 1er et 2.

La rédaction que je vous propose pour l’article 1er vise à clarifier le dispositif de déchéance d’un avantage matrimonial. Il modifie l’insertion de l’article dans le code civil pour garantir son application à l’ensemble des régimes matrimoniaux et non uniquement aux régimes communautaires. Il se réfère aux situations entraînant l’indignité successorale plutôt que l’ingratitude, facteur d’une plus grande sécurité juridique car l’indignité est forcément prononcée après une condamnation pénale, ce qui n’est pas le cas pour l’ingratitude. Enfin, il prévoit plusieurs cas dans lesquels cette indignité matrimoniale pourra être appliquée de plein droit.

S’agissant de l’article 2, il est issu de mes échanges avec les services de l’administration fiscale qui avait émis des réserves sur le dispositif initial. Sur leur suggestion, je vous propose donc une forme de dissociation du foyer fiscal a posteriori : si la séparation des deux conjoints est effective et que la personne qui demande une décharge de responsabilité solidaire n’a pas participé à la fraude fiscale, son ex-conjoint pourra être considéré comme un tiers qui assume seul le paiement des impositions dues par leur foyer fiscal. Cette solution est moins tangible que notre proposition initiale car elle repose sur la bonne volonté de l’administration fiscale et non pas sur l’assouplissement de critères précis énoncés par la loi. Je crois néanmoins que nous souhaitons tous aller dans le même sens : ne pas faire peser un fardeau fiscal trop lourd sur des personnes de bonne foi.

Consciente que ces deux rédactions globales écrasent certains de vos amendements, j’ai souhaité les déposer en commission avant la fin du délai de dépôt, afin que nous puissions en débattre plus sereinement.

Quant à mon troisième amendement, il vient modifier l’article 265 du code civil afin de tenir compte d’une décision de la Cour de cassation datée du 18 décembre 2019, qui vide de son sens toute clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation.

Nous sommes ici au cœur de notre fonction de législateur : après avoir identifié un vide ou un dispositif juridique insatisfaisant, nous remettons l’ouvrage sur le métier pour l’améliorer.

Mme Caroline Yadan (RE). Alors que tout est prévu en droit de la famille, droit des successions, droit des libéralités, droit des assurances ou droit de la sécurité sociale pour sanctionner le comportement infamant d'un époux, il n'existe pas de tels dispositifs en matière de régimes matrimoniaux. Les épouses et les partenaires de Pacs forment un foyer fiscal et sont soumis au principe de solidarité fiscale. Pourtant, en cas de dissolution du Pacs ou du régime matrimonial, cette solidarité peut se transformer pour certains en injustice, en lésant les ex-conjoints et les héritiers. Cette injustice et bien souvent genrée puisque 80 % des dettes fiscales concernent les femmes alors que la séparation entraîne déjà une perte sensible de revenus pour une grande majorité d'entre elles.

À ce jour, un époux reconnu responsable de la mort de son conjoint peut valablement bénéficier, en vertu des dispositions de son contrat de mariage, d'un avantage matrimonial. Dans le cas d’époux ayant adopté le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale aux survivants, l'avantage matrimonial peut conduire à vider la succession de la personne assassinée et à léser ses héritiers. Comme l’a rappelé Mme la rapporteure, c’est un angle mort aussi majeur que regrettable de la législation civile, que le présent texte tend à corriger.

Le premier article de cette proposition a pour vocation de répondre à cette injustice, en empêchant l’époux coupable de meurtre ou de tentative de meurtre de bénéficier des avantages pouvant découler de son régime matrimonial. Je soutiendrai l’amendement de réécriture de la rapporteure, car il étend à l’ensemble des régimes matrimoniaux le dispositif qui ne concernait initialement que les régimes communautaires. L’amendement supprime la référence à l’ingratitude et vise les cas qui justifient une indignité successorale, notion plus sécurisante juridiquement. L’amendement permet également de distinguer, d’une part, les cas dans lesquels la déchéance matrimoniale s’applique de plein droit car un époux est reconnu coupable d’avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort à son conjoint et, d’autre part, ceux où cette déchéance est laissée à l’appréciation du juge.

L’article 2 de la proposition permet, quant à lui, aux ex-époux de se voir accorder plus facilement par l’administration fiscale une décharge de l’obligation de paiement de la dette fiscale. Même s’il existe depuis 2022 une atténuation au principe de solidarité grâce à la diminution de la période d’appréciation du patrimoine net de l’ex-conjoint, cette décharge permettra de protéger les ex-époux – et particulièrement les femmes, qui doivent souvent faire face seules au paiement des dettes fiscales du couple alors même qu’elles disposent de revenus modestes.

En définitive, cette proposition contribue à l’égalité des hommes et des femmes en revenant sur certaines injustices du droit de la famille. Elle est profondément nécessaire et corrige un vide juridique. Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance votera en faveur de ce texte et des amendements de réécriture proposés par la rapporteure.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Le titre de cette proposition de loi peut surprendre de prime abord, puisqu’elle viserait à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille sans que l’on sache vraiment ce que recouvre cette notion de justice patrimoniale. Comme si les conventions et actes passés en matière patrimoniale par-devant notaire ou avocat pouvaient aboutir à une injustice. C’est pourtant ce qui peut arriver en cas de divorce, où des situations déséquilibrées peuvent apparaître. Il est donc important de chercher à réduire ces déséquilibres. C’est aussi ce qui arrive lorsqu’un conjoint, par le biais de clauses de contrat de mariage, tire avantage de la dissolution du régime matrimonial alors qu’il a tenté de mettre fin aux jours de son conjoint.

Cette proposition de loi vise donc à remédier à trois types de situation.

Tout d’abord, il s’agit d’empêcher que le conjoint qui a attenté à la vie de son partenaire tire bénéfice des avantages matrimoniaux. C’est la moindre des choses. Nous approuverons donc non seulement l’article 1er, mais également les amendements destinés à le réécrire.

Il s’agit ensuite des situations qui aboutissent à priver un conjoint de l’exercice de sa profession en cas de divorce, en raison de la révocation automatique de la clause d’exclusion du bien professionnel figurant dans le contrat de mariage – car cette clause est considérée comme un avantage matrimonial révocable.

Enfin, le texte prend en compte le cas où la solidarité fiscale permet à un époux qui n’a pas payé ses impôts de les faire supporter par son conjoint après le divorce. Rappelons tout d’abord que le fait de se marier ou de se pacser crée une solidarité fiscale, ainsi d’ailleurs qu’une solidarité civile pour les dettes ménagères prévues par l’article 220 du code civil. La proposition traite seulement de la solidarité fiscale. Un époux divorcé ou un ancien partenaire pacsé doit régler les impôts que son conjoint n’a pas payés, et ce parfois trois ans après la séparation. Cette situation peut s’avérer dramatique. Comme l’a révélé le collectif des femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale, dans 80 % des cas ce sont les femmes qui doivent payer ces dettes fiscales. Il apparaît injuste que des femmes seules, qui ont en outre la charge des enfants, soient acculées à payer la totalité de l’impôt, y compris celui dû par leur ex-conjoint. Le principe de la solidarité s’applique alors même qu’elles sont séparées de celui-ci depuis plusieurs années.

C’est cette injustice que la proposition veut réparer, et par conséquent notre groupe votera pour les articles qui portent sur ce sujet.

Nous réservons cependant notre vote en commission en ce qui concerne certains amendements, dont la rédaction pourrait conduire en pratique à supprimer toute solidarité fiscale. Il est certes nécessaire d’atténuer les effets de cette dernière, mais il faut aussi mesurer de manière responsable les conséquences financières pour l’État.

Marine Le Pen et le Rassemblement national auront été les premiers à demander la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Cette proposition qui œuvre pour davantage de justice sociale emporte donc tout naturellement notre approbation.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Ce texte pose au fond une question féministe par le biais de celle de l’héritage – démarche que les Insoumis n’auraient pas choisie spontanément.

En résumé, il s’agit de s’assurer qu’un individu qui tue son conjoint – et le plus souvent sa conjointe – ne puisse pas en hériter. J’avoue avoir été étonné que cela soit possible et il est incroyable que la loi ne l’ait pas déjà interdit. Il est d’autant plus indispensable de corriger cette lacune du code civil que nous avons malheureusement déploré 134 féminicides en 2023 selon l’association #NousToutes, dont 72 % ont eu lieu dans le cadre conjugal.

Les associations féministes évaluent le coût des violences conjugales à 3,6 milliards par an et demandent que 3 milliards soient dégagés pour y faire face. Il faut en effet augmenter les moyens consacrés plus largement à la lutte contre les violences familiales. La proposition permet de résoudre un problème d’héritage qui apparaît quand une femme est assassinée par son mari, mais on préférerait surtout qu’un tel drame n’arrive pas. La question successorale est quelque peu secondaire, même s’il est nécessaire de corriger le code civil.

Tout cela nous ramène à la question même de l’héritage, et donc du patrimoine. Ce terme vient du latin et signifie « ce que l’on hérite du père ». Le mot a une connotation assez machiste, mais la langue française est ainsi faite. On pourrait travailler sur la question de l’héritage, y compris pour obtenir des recettes supplémentaires destinées à lutter contre les violences faites aux femmes.

En effet, 50 % des ménages français détiennent 92 % du patrimoine national. Mais les 5 % des ménages les plus riches détiennent 34 % de ce patrimoine et les 1 % des plus riches possèdent 15 % de ce dernier. Si l’on considère les chiffres, les 1 % les plus riches détiennent au moins 2,24 millions de patrimoine brut, tandis que les 10 % les plus pauvres n’ont quant à eux que 4 400 euros – et cela tombe à 3 000 euros si l’on prend en compte les prêts à rembourser.

Nous avions proposé de plafonner à 12 millions par personne le montant maximum d’un héritage – ce n’est quand même pas mal pour commencer dans la vie et cela ne concerne que 0,01 % de la population. Les sommes au-delà de ce plafond auraient été affectées à l’allocation d’autonomie pour les jeunes, mais une partie pourrait aussi être utilisée pour lutter contre les violences faites aux femmes.

Enfin, je regrette que notre amendement sur l’adoption sociale ait été déclaré irrecevable. Nous proposions une autre solution en matière d’héritage, en autorisant d’adopter une personne dont on est socialement proche mais sans avoir de lien familial.

Il y aurait donc beaucoup à dire sur les questions liées à l’héritage. Cela étant, nous regardons ce texte avec un œil tout à fait favorable.

M. Ian Boucard (LR). Je serai relativement bref, car cette proposition de loi relève du bon sens et aucune des mesures proposées ne nous pose de difficulté. Je remercie la rapporteure et l’auteur de ce texte.

Comme notre collègue Léaument, j’ai découvert en lisant l’article 1er la situation ubuesque qui fait qu’un assassin peut hériter du patrimoine de sa victime. Merci d’avoir déposé un texte mettant fin à une disposition qui fait honte à notre droit.

Nous sommes également pleinement d’accord avec l’article 2 et nous voterons l’ensemble du texte avec plaisir.

Un mot en réponse à une intervention précédente. J’ai entendu que Marine Le Pen aurait été la première à proposer de déconjugaliser l’AAH. Je rappelle que le groupe Les Républicains avait fait cette proposition dès juin 2017, avec le soutien d’un certain nombre de collègues de la majorité – contre évidemment l’immense majorité de la Macronie –, de La France insoumise, des socialistes et d’une partie du MoDem. Je sais que vous la citez beaucoup, madame Roullaud, mais je vous indique avec beaucoup de bienveillance que Marine Le Pen n’a pas créé le monde et que la France existait sans doute avant sa naissance.

M. Pascal Lecamp (Dem). Le président de la République a de nouveau fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une des grandes causes de son quinquennat. Les députés du groupe Démocrate s’étaient également saisis de cette cause, et ce particulièrement depuis le Grenelle des violences conjugales en 2019 et des mesures qui ont suivi.

Plusieurs mesures concrètes et remarquées méritent en effet être rappelées : le renforcement du déploiement des téléphones grave danger (TGD) et des bracelets antirapprochement, la levée du secret médical dans certaines situations, la création de l’infraction d’outrage sexiste et sexuel pour lutter contre le harcèlement de rue ainsi que la mise en place d’une aide d’urgence pour les victimes.

Mais la route est encore longue et la lutte contre les violences faites aux femmes est un combat de chaque instant. Nous ne pouvons nier que plusieurs pans du droit empêchent de protéger efficacement les victimes. Comment imaginer en effet qu’un époux ayant attenté à la vie de son conjoint puisse bénéficier légalement d’un avantage lui permettant d’obtenir une partie du patrimoine de celui qu’il a tué ? Le tout au détriment le plus souvent des enfants, qui sont covictimes. Vous trouvez ça révoltant ? Moi aussi, tout comme les collègues qui se sont exprimés à l’instant. C’est pourtant malheureusement la réalité actuelle du droit des régimes matrimoniaux, ce qui nous surprend tous. Cette réalité est d’autant plus bouleversante que, dans la majorité des cas, les victimes sont des femmes. Elles représentaient 81 % des victimes d’homicides conjugaux en 2022.

Je remercie notre collègue Hubert Ott d’avoir identifié cette injustice et de nous permettre de compléter notre droit. Si le dispositif proposé visait initialement à étendre au droit des régimes matrimoniaux les cas d’ingratitude qui s’appliquent en cas de donation entre vifs, afin d’empêcher la personne qui a commis un crime en tuant son conjoint d’hériter de ce dernier, les travaux préparatoires ont permis de faire évoluer la rédaction. En accord avec la rapporteure, le groupe Démocrate a ainsi déposé un amendement de réécriture qui substitue à l’ingratitude une référence aux cas justifiant une indignité successorale. Cela permettra ainsi de faire reposer cette sanction civile sur une sanction pénale prononcée au préalable. L’amendement permet en outre de distinguer les cas de déchéance de plein droit et ceux où celle-ci est laissée à l’appréciation du juge.

Je tiens à saluer le travail de la rapporteure et sa volonté constante de protéger les victimes de violences intrafamiliales.

Outre le fait qu’il ne permet pas de lutter contre les violences faites aux femmes, le droit des régimes matrimoniaux porte en pratique atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes. En effet, les époux, quel que soit leur régime matrimonial, et les partenaires d’un pacte civil de solidarité (Pacs) forment un foyer fiscal. Ils sont de ce fait soumis au principe de solidarité fiscale. Or en cas de divorce, de dissolution du Pacs ou de décès de l’un des conjoints, cette solidarité se transforme en injustice – pour les femmes dans la majorité des cas. C’est pourquoi le texte de notre collègue Hubert Ott rétablit une forme de justice fiscale dans ces cas de divorce, de séparation ou de décès.

Cette proposition de loi s’inscrit ainsi dans la lignée du travail parlementaire et gouvernemental mené depuis 2019 et elle correspond pleinement à l’ADN du groupe Démocrate, qui est fier d’avoir demandé l’inscription de ce texte dans sa niche et de voter en sa faveur.

M. Hervé Saulignac (SOC). Je remercie tout d’abord la rapporteure pour ce texte qui, s’il est adopté, constituera une avancée sensible, particulièrement en faveur des femmes.

Il est absolument indéniable que la solidarité fiscale entre conjoints, qu’ils soient mariés ou liés par un Pacs, est un principe fondamental. Néanmoins, en cas de séparation ou de décès, cette solidarité conduit parfois à des situations d’injustice particulièrement préjudiciables aux femmes. Les statistiques révèlent de manière alarmante que plus de 80 % des ex-conjoints concernés par des dettes fiscales injustes sont des femmes. Alors que leurs revenus diminuent fréquemment à la suite d’une séparation, elles supportent une charge fiscale parfois excessive qui affecte leur situation financière déjà souvent difficile. Bien que des mécanismes de décharge de solidarité fiscale existent, la complexité de leurs conditions d’application et les interprétations restrictives rendent souvent difficile leur mise en œuvre.

La situation est plus préoccupante encore lorsque des femmes qui ne sont pas indépendantes financièrement sont contraintes de rester dans un foyer toxique, ce qui constitue une forme de violence. Je rappelle à cet égard que la définition des violences conjugales qui figure dans la convention d’Istanbul comprend les violences économiques.

Ainsi, force est d’admettre que les lacunes – pour ne pas dire les incohérences – du droit des régimes matrimoniaux sont connues, puisqu’un conjoint ayant attenté à la vie de sa partenaire peut bénéficier légalement d’avantages matrimoniaux. Cette situation n’est pas acceptable et souligne l’utilité de cette proposition. En élargissant les cas d’ingratitude dans les régimes matrimoniaux, elle empêchera les auteurs de crimes conjugaux d’hériter des biens de leurs victimes. Par ailleurs, en encadrant l’appréciation de la situation patrimoniale, le texte permettra de limiter les cas de dette fiscale injuste pesant lourdement sur les ex-conjoints.

En adoptant ce texte, nous faisons un pas vers la justice et la protection des femmes dans les moments difficiles de séparation, de divorce ou de violences conjugales. Par conséquent, le groupe Socialistes et apparentés soutiendra très naturellement cette proposition.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je salue cette proposition très intéressante de notre collègue Hubert Ott. Elle apporte une réponse bienvenue à une situation d’injustice et d’inégalité.

C’est surprenant mais notre droit permet au partenaire ou époux condamné pour le meurtre de son conjoint de bénéficier des avantages matrimoniaux. C’est particulièrement choquant. Rien n’est prévu pour l’empêcher, même par la jurisprudence. Le mécanisme de l’indignité successorale existe bien, mais le code civil empêche de l’appliquer dans ce cas. Bien entendu, les dispositions de ce code qui empêchent de révoquer les avantages matrimoniaux ont une explication et il ne s’agit pas de remettre en question leur principe. Ils ont été pensés en effet pour protéger le conjoint survivant. Mais ils n’ont plus de sens lorsque c’est le conjoint lui-même qui est à l’origine du décès de son compagnon ou de sa compagne.

C’est la raison pour laquelle je suis d’accord avec l’objectif de l’article 1er, qui vise à supprimer le bénéfice des avantages matrimoniaux en cas de décès lié à des violences conjugales. Cela va permettre d’étendre aux avantages matrimoniaux les cas d’ingratitude applicables en matière de donations. Le groupe Horizons et apparentés soutient pleinement la réécriture de l’article proposée par la rapporteure.

Néanmoins, dans un souci de clarté juridique, ne serait-il pas préférable de se référer aux cas d’indignité successorale plutôt qu’à ceux d’ingratitude ? Les premiers supposent une condamnation pénale, sachant que l’objectif reste le même : protéger le patrimoine de celui qui a été victime de son conjoint.

Le deuxième article, qui prévoit de faciliter la décharge de solidarité fiscale, concerne une question un peu technique mais très importante. Le droit actuel permet déjà de mettre fin à l’imposition commune entre époux et ex-époux. On sait que les demandes de décharge émanent le plus fréquemment des femmes, qui sont souvent dépendantes économiquement de leur conjoint au sein du foyer. Avec mon collègue Philippe Gosselin, j’avais déposé en 2020 un amendement adopté à l’unanimité qui, dans les cas de violences conjugales, prévoyait la possibilité d’obtenir une aide juridictionnelle dès le dépôt d’une plainte. Nous souhaitions précisément lutter contre la situation économique défavorable subie par les femmes et cet article est animé par le même esprit. C’est important car, comme le note très bien le rapport, les demandes de décharge aboutissent rarement.

Pour pallier ces difficultés, vous proposez de restreindre l’appréciation de la situation patrimoniale en excluant un certain nombre de biens. On peut comprendre cette mesure, mais il faut veiller à encadrer l’application de cette nouvelle exception afin que le principe de solidarité fiscale ne finisse pas par disparaître. C’est un point sur lequel nous pouvons réfléchir d’ici à l’examen en séance.

Comme on le voit, il reste encore beaucoup à faire en matière de justice patrimoniale et de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales. Je sais que ce sujet vous tient à cœur, Madame la rapporteure. Vous avez fait des propositions de manière récurrente en la matière, et il est utile de parler aussi des enfants victimes.

Notre groupe votera pour ce texte.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). La justice patrimoniale est un vaste sujet, qui ne sera pas épuisé par ce texte malgré son titre fort ambitieux.

Cette proposition de loi s’attaque à deux sujets qui concernent le couple. D’une part, celui du conjoint violent que rien n’empêche à l’heure actuelle de profiter des avantages matrimoniaux, même en cas de meurtre ou de violences – dont l’épouse est le plus souvent la victime. D’autre part, celui du risque d’endettement de l’ex-conjoint tenu au paiement de la dette fiscale du foyer par application du principe de solidarité fiscale. Là encore, ce sont le plus souvent les femmes qui sont concernées.

En ce qui concerne l’article 1er, étonnamment rien dans notre droit ne permet de priver l’époux qui a tué son conjoint du bénéfice des avantages matrimoniaux. D’une certaine manière, notre législation consacre implicitement l’idée d’une communauté entre l’assassin et la victime. Cela nous amène légitimement à nous interroger et il faut mettre fin à cette anomalie.

La première version de la proposition visait à remédier à cette incohérence législative en organisant la révocation de l’avantage matrimonial par renvoi partiel au dispositif de la révocation d’une donation pour ingratitude. Mais cela ne concernait pas l’ensemble des cas et ne visait qu’un seul régime matrimonial, qui est très minoritaire. À la suite des auditions il est proposé d’améliorer très largement le dispositif proposé. Je remercie la rapporteure d’avoir choisi de renvoyer désormais au mécanisme de l’indignité successorale et non plus à celui de la révocation d’une donation pour ingratitude.

L’amendement que vous proposez permet d’avoir un dispositif beaucoup plus abouti. Il sera tout d’abord applicable à l’ensemble des régimes matrimoniaux. Ensuite, il garantira les droits, puisqu’une condamnation en justice sera nécessaire pour le rendre applicable. J’ajoute que votre dispositif est plus fin, dans la mesure où il ne s’applique pas en cas d’injure – notion incertaine qui s’éloigne de l’objet du texte et peut par exemple comprendre l’adultère. Enfin, votre amendement est plus opérationnel, car la déchéance du bénéfice de l’avantage patrimonial est de plein droit dans les cas où l’époux a été condamné à une peine criminelle pour meurtre, tentative de meurtre ou violences suivies de la mort du conjoint sans intention de la donner.

Le débat reste néanmoins ouvert en ce qui concerne certains points.

Par exemple, en cas de violences n’ayant pas entraîné la mort du conjoint, le retrait de l’avantage matrimonial est une faculté mais pas une obligation.

Par ailleurs, lorsque l’on entre dans le détail des modalités d’application du dispositif, on note que la rédaction permet potentiellement à l’époux meurtrier qui ne serait condamné qu’à une peine correctionnelle ou à celui auteur de violences de conserver le bénéfice de l’avantage matrimonial dans le cas où aucune demande d’indignité successorale n’aurait été formulée. Autrement dit : pas de déchéance du bénéfice de l’avantage matrimonial si un héritier ne fait pas le nécessaire ou s’il ne le fait pas en temps voulu.

C’est un vrai problème, qu’il faudrait résoudre en faisant en sorte que la déchéance résultant de l’indignité successorale ne dépende pas du bon vouloir ou des diligences de l’héritier. Je rappelle que le ministère public ne peut intervenir qu’en l’absence d’héritier. Il faudrait donc envisager des modalités d’application ad hoc, tant du point de vue des acteurs de la procédure que des délais.

Sur l’article 2, beaucoup de choses ont déjà été dites.

Nous soutiendrons cette proposition.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Il semble que nous allons pouvoir commencer l’année avec une belle unanimité, comme c’est souvent le cas lorsque notre assemblée aborde la question du droit des femmes – et particulièrement celle des violences faites aux femmes. Je forme le vœu pour cette nouvelle année que l’on arrive enfin à endiguer ces violences.

Comme mes collègues, je remarque que l’article 1er va enfin nous permettre de mettre fin à une anomalie de notre droit. J’ai noté que votre amendement de réécriture permettait d’affiner le dispositif en se référant non plus à l’ingratitude mais à l’indignité successorale. Cette modification bienvenue permettra de s’intéresser aux cas les plus graves. S’appuyer sur la notion d’ingratitude aurait conduit à prendre en compte un certain nombre de cas qui n’ont rien à voir avec les violences, ce qui aurait donné naissance une abondante jurisprudence.

Notre groupe est donc favorable à cet article. Il ne permettra pas de lutter contre les violences faites aux femmes mais il supprimera des dispositions juridiquement et moralement inacceptables qui figurent encore dans notre droit.

L’article 2 a pour objet de fixer des limites au principe de solidarité fiscale entre époux. Là encore, vous proposez des amendements pour étendre le dispositif à l’ensemble des régimes matrimoniaux. En effet, le problème ne concerne pas seulement le régime de la communauté réduite aux acquêts.

La perception à la source de l’impôt sur le revenu a pu limiter un peu les effets du phénomène de solidarité, mais un grand nombre de professions ne sont pas concernées par ces modalités de perception. Dans bien des cas, un des époux qui ne perçoit pas l’essentiel des revenus se retrouve contraint de payer les impôts de celui qui ne les a pas acquittés volontairement afin de mettre son conjoint en grandes difficultés financières. On touche là aux limites de la solidarité financière et cet article vient remédier au problème.

Le groupe GDR votera pour cette proposition de loi et nous saluons le travail et l’implication de la rapporteure sur ces questions.

M. Paul Molac (LIOT). Cette proposition de loi d’Hubert Ott va incontestablement dans le bon sens. C’est un pas de plus pour lutter contre les violences faites aux femmes, qui restent trop importantes : 145 morts violentes en 2022 et 134 féminicides en 2023. Il y a une forme d’indécence incompréhensible dans le fait que celui qui a assassiné sa femme ou sa compagne hérite de ses biens. La proposition permet de mettre fin à cette situation et l’on se demande pourquoi cela n’a pas déjà été fait – sans doute parce que personne n’y avait pensé.

Si notre groupe accueille très favorablement l’article 1er, il était plus réservé s’agissant du deuxième. Mais vous nous avez expliqué sa philosophie et montré que la réécriture de cet article permettrait de sécuriser la situation du conjoint – homme ou femme, car il existe aussi des escrocs féminins. On sait que certains escrocs amassent du patrimoine de manière tout à fait répréhensible, mais s’organisent pour paraître insolvables. Et c’est leur conjoint qui est obligé de payer les impôts et les dettes contractées, ce qui est inacceptable et incompréhensible.

Notre groupe est donc très favorable à ces deux articles.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Je vous remercie pour le soutien que vous apportez tous à la proposition de loi.

Messieurs Léaument et Boucard, l’héritage n’est pas visé ici puisqu’il relève déjà de l’indignité successorale. Le texte concerne les avantages matrimoniaux. Je donne un exemple : si une donation au dernier vivant a été consentie dans la cadre du régime de communauté universelle, l’époux survivant hérite de tout et ce n’est pas normal.

Madame Moutchou, l’amendement de réécriture de l’article 1er a bien pour objet de substituer à l’ingratitude la référence à l’indignité successorale.

Monsieur Iordanoff, la révocation ne s’applique pas dans les cas de violences conjugales n’ayant pas entraîné la mort puisque la personne, étant encore en vie, peut demander le divorce, lequel entraîne de facto la disparition des avantages matrimoniaux. La réponse vaut pour Mme K/Bidi.

Je vous invite à me faire part, d’ici à la séance, de vos éventuelles propositions pour compléter le dispositif dont l’objet est de combler les lacunes actuelles. Toutes les idées sont bienvenues.

Article 1er (art. 1527 du code civil) : Révocation d’un avantage matrimonial

Amendements identiques CL8 de Mme Perrine Goulet et CL15 de M. Hubert Ott.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. L’amendement vise à créer un nouvel article au sein du code civil dans lequel l’ensemble des régimes matrimoniaux sont concernés, et non les seuls régimes communautaires.

L’amendement a également pour objet de substituer à la référence à l’ingratitude une référence à l’indignité successorale. La déchéance de l’avantage s’appliquera uniquement lorsque l’un des époux est décédé, et concernera les avantages qui prennent effet au moment du décès de l’un des deux époux, et non l’ensemble des avantages matrimoniaux qui découlent d’un régime matrimonial.

Enfin, l’amendement vise à établir une distinction entre les cas susceptibles d’entraîner la révocation d’un avantage matrimonial de plein droit et ceux qui seront laissés à l’appréciation du juge.

Ces modifications resserrent légèrement le dispositif mais lui apportent une sécurité juridique.

L’adoption de l’amendement ferait tomber celui de M. Léaument qui est satisfait par la rédaction que je propose.

M. Emmanuel Mandon (Dem). La proposition de loi a pu surprendre mais elle s’impose car les situations qu’elle vise sont très choquantes et malheureusement loin d’être rares. Il convenait de corriger une anomalie et une injustice.

Nous nous réjouissons du soutien consensuel que recueille le texte et nous saluons le travail de la rapporteure. Notre amendement est identique au sien.

Mme Caroline Yadan (RE). Nous soutenons la réécriture préférant à l’ingratitude l’indignité, notion plus sûre juridiquement et d’ordre public.

Selon le code civil, l’indignité, qui peut être déclarée en cas d’homicide mais aussi de tentative d’homicide, s’accompagne de la faculté de pardon. Or la proposition de loi n’en fait pas mention.

Madame la rapporteure, pouvez-vous me confirmer que vous souhaitez ôter la possibilité de pardon au conjoint qui aurait survécu à une tentative d’homicide ?

Mme Perrine Goulet, rapporteure. La réécriture de l’article a pour conséquence de faire disparaître les dispositions qui concernent le pardon et le remboursement des avantages matrimoniaux, à l’instar de ce qui est prévu en matière d’indignité successorale. Nous travaillons sur une rédaction pour les réintroduire dans le chapitre nouvellement créé mais je n’ai pas eu le temps de la finaliser. Ce sera fait pour la séance.

La commission adopte les amendements et l’article 1er est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement CL2 de M. Antoine Léaument tombe.

Après l’article 1er

Amendements identiques CL10 de Mme Perrine Goulet et CL17 de M. Hubert Ott.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. L’amendement concerne la révocation d’un avantage matrimonial, mais cette fois lors d’un divorce.

En vertu du code civil, tous les avantages matrimoniaux, qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial, sont révoqués en cas de divorce.

Or certains contrats comportent une clause qui organise une certaine répartition des biens en cas de séparation – appelée clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation – ; autrement dit, elle a vocation à être appliquée seulement si les époux se séparent.

La Cour de cassation a considéré, dans une décision du 18 décembre 2019, que cette clause était un avantage matrimonial. Par conséquent, elle est révoquée lors d’un divorce. Cette qualification d’avantage matrimonial vide de tout intérêt l’existence de cette clause.

L’amendement prévoit donc explicitement qu’une telle clause ne peut être révoquée lors du divorce. La Cour de cassation elle-même suggère dans son rapport annuel de 2022 de modifier l’article 265 du code civil en ce sens.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Cette disposition concerne-t-elle le seul régime de participation aux acquêts ? Les contrats de communauté réduite aux acquêts peuvent aussi comporter une clause d’exclusion des biens professionnels.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. La rédaction vise le seul contrat de participation aux acquêts. C’est celui sur lequel la Cour de cassation a appelé l’attention.

La commission adopte les amendements.

Article 2 (art. 1691 bis du code général des impôts) : Modification des conditions d’octroi de la décharge de responsabilité solidaire

Amendements identiques CL9 de Mme Perrine Goulet et CL16 de M. Hubert Ott, amendements CL4, CL5, CL7 et CL6 de M. Guillaume Gouffier Valente (discussion commune).

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Il s’agit de réécrire l’article 2 qui concerne la décharge de responsabilité solidaire.

L’article initial visait à assouplir les conditions d’octroi de cette décharge en excluant les biens propres de l’évaluation de la situation patrimoniale. Un dispositif plus protecteur a émergé pendant nos travaux.

L’idée est d’opérer une dissociation a posteriori du foyer fiscal, c’est-à-dire de considérer qu’une personne séparée, qui n’a pas participé à la fraude commise par son ex-conjoint, n’est plus une partie du foyer fiscal, et n’est donc pas redevable des impositions dues par ce foyer fiscal. Ce nouveau statut sera plus protecteur : si la personne est séparée et qu’elle n’a pas participé à la fraude, alors elle n’est pas redevable de la dette contractée lors des années d’imposition commune, quels que soient son patrimoine et sa situation financière.

Le dispositif change mais l’objectif reste le même : éviter aux ex-conjointes d’avoir à se séparer de leurs biens propres pour payer une dette fiscale dont elles ne connaissaient pas l’existence et qui provient d’une fraude fiscale dont elles n’ont pas bénéficié.

Jusqu’à présent, même s’il était avéré qu’elle était extérieure à la fraude, l’ex-épouse pouvait être contrainte d’honorer les dettes de son ex-conjoint. Désormais si elle peut démontrer qu’elle est tierce par rapport à la dette, elle sera exonérée de tout paiement, pas seulement à hauteur de ses biens propres. Cette rédaction a recueilli l’approbation des services fiscaux qui étaient initialement très réticents.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Les amendements, qui ont été travaillés avec le collectif des femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale, ont été déposés avant celui de la rapporteure. On sait que les services de Bercy sont difficiles à manœuvrer sur le sujet.

Les deux premiers, visent à simplifier les conditions d’octroi de la décharge de responsabilité solidaire : le CL4 concerne l’appréciation de l’origine du montant de la dette fiscale ; le CL5, inspiré de la proposition de loi de Marie-Pierre Rixain visant à renforcer l’égalité fiscale et successorale entre les femmes et les hommes, supprime le critère de disproportion marquée entre la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale du demandeur.

Les amendements CL7 et CL6 portent sur la durée retenue pour apprécier la situation financière du demandeur de la décharge. Alors que celle-ci a été abaissée de dix à trois ans depuis la loi de finances pour 2022, le premier amendement vise à la réduire encore à un an et le second, à deux ans.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Nous partageons le même objectif : éviter à des ex-conjoints, mais surtout des ex-conjointes, de se retrouver en difficulté financière après une séparation à cause d'une fraude fiscale dont elles n'ont aucune connaissance.

Mon amendement de rédaction globale, aux termes duquel l'ex-conjoint ou conjointe qui n'est pas coupable de fraude n’est plus considéré comme faisant partie du foyer fiscal redevable de la dette fiscale, est plus protecteur, puisqu'il écarte complètement le critère de disproportion marquée. Dès lors que la position tierce aura été établie, l’ex-conjointe sera dégagée de toute responsabilité.

Je vous invite à retirer vos amendements et je suis disposée à étudier avec vous les améliorations qui pourraient encore être apportées à la rédaction que je propose.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Je retire les amendements mais je souhaite que les deux amendements relatifs à la durée soient examinés en séance. J’ai cru comprendre que les sénateurs étaient favorables à une évolution sur ce point.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. En effet, mon amendement n’exclut pas d’approfondir la réflexion sur la réduction de la durée.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Je crains que la rédaction que vous proposez ne couvre pas le cas dans lequel il n’y a pas de fraude fiscale établie par un jugement, mais où l’ex-conjoint n’a pas payé l’impôt. L’ex-épouse, car ce sont le plus souvent les femmes, resterait solidaire de la dette fiscale. Pouvez-vous préciser ?

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Le dispositif que je propose ne supprime pas le dispositif actuel. Soit vous avez les moyens de démontrer que vous êtes extérieur à la dette et l’ex-conjoint aura tout à payer ; soit vous n’en avez pas les moyens et le dispositif actuel s’applique, sous réserve de modifications que vous pourriez proposer en vue de la séance.

Je rappelle qu’il existe des possibilités de recours auprès des tribunaux administratifs mais aussi auprès de Bercy après un refus de la direction départementale des finances publiques.

Les amendements CL4, CL5, CL7 et CL6 ayant été retirés, la commission adopte les amendements identiques et l’article 2 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CL3 de M. Antoine Léaument et CL14 de M. Bryan Masson tombent.

Article 3 : Création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs

La commission adopte l’article 3 non modifié.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de d’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (n°1961) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.


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   PERSONNES ENTENDUES

   Mme Annabel-Mauve Bonnefous, présidente

   Mme Claire Berger, sous-directrice du droit civil

   Mme Raphaëlle Wach, cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille

   Mme Manon Fauvernier, adjointe à la cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille

   Mme Charlotte Robbe, vice-présidente de la commission Textes

   Mme Valérie Grimaud, membre de la commission Textes

   Pascale Lalere, membre de la commission Textes

   Mme Mona Laaroussi, chargée de mission affaires publiques

M. Laurent Martel, directeur de la législation fiscale

M. Lucas Paszkowiak, chef du bureau des principes généraux de l'impôt sur le revenu

M. Emmanuel Stasse, chef du bureau de la fiscalité directe des particuliers

   Mme Nathalie Auroy, doyenne de la section en charge du droit de la famille à la 1ère chambre civile

   Mme Dorothée Dard, conseillère à la 1ère chambre civile

   M. Eloi Buat Menard, conseiller référendaire à la 1ère chambre civile

 

 


([1])  L’ensemble des biens des deux époux, quelle que soit leur nature ou leur origine, appartiennent à la communauté.

([2])  Répertoire de droit civil – Avantage matrimonial, octobre 2013, actualisé en février 2020 par Bernard Vareille, professeur à l’Université de Limoges.

([3]) « Le régime matrimonial : sa nature juridique sous le rapport des notions de société et d’association », thèse présentée par Jean Carbonnier en 1932.

([4]) « Des rapports entre régime matrimonial et libéralités entre époux », thèse présentée par Frédéric Lucet en 1987.

([5]) Cour de cassation, première chambre civile, 17 janvier 2006 – Pourvoi n° 02-18.794.

([6]) Cour de cassation, première chambre civile, 3 décembre 2008 – Pourvoi n° 07-19.348.

([7]) Cour de cassation, première chambre civile, 29 novembre 2017 – Pourvoi n° 16-29.056.  

([8])  Cour de cassation, première chambre civile, 18 décembre 2019 – Pourvoi n° 18-26.337.

([9])  Une telle clause permet d’exclure les biens professionnels du patrimoine des époux lors du calcul de la créance de participation, créance versée par l’époux qui s’est le plus enrichi pendant la durée du mariage.

([10])  « L’avantage matrimonial révocable en participation aux acquêts », par Quentin Guichet-Schielé, le 23 janvier 2020.

([11]) Cour de cassation, première chambre civile, 18 décembre 1984 – Pourvoi n° 83-16.028.

([12]) Prononcée à l’encontre de 1° celui condamné pour avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt ; 2° celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse ; 3° l’héritier majeur qui, instruit du meurtre du défunt, ne l’aura pas dénoncé à la justice.

([13])  Cour de cassation, première chambre civile, 25 octobre 2017 – Pourvoi n° 16-21.136.

([14])  Répertoire de droit civil – Donations, conditions de validité de la donation, avril 2023, par Ibrahim Najjar, professeur à la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, actualisé par Quentin Guiguet-Schielé, maître de conférences à l’Université Toulouse 1 Capitole.

([15]) Cour de cassation, première chambre civile, 16 décembre 1975 – Pourvoi n° 74-10.254.

([16]) Cour de cassation, première chambre civile, 7 avril 1998 – Pourvoi n° 96-14.508.

([17])  Cour de cassation, première chambre civile, 18 décembre 2019 – Pourvoi n° 18-26.337.

([18]) Rapport annuel de la Cour de cassation 2019, p34 ; rapport annuel de la Cour de cassation 2020, rapport annuel de la Cour de cassation 2021 , rapport annuel de la Cour de cassation 2022, p27.

([19]) L’article 1691 bis mentionne également la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale, la taxe d’aménagement et la taxe d’archéologie préventive.

([20]) « L’imposition commune des couples mariés ou pacsés : un avantage qui n’est pas systématique », INSEE Analyses, paru le 30 mai 2013.

([21]) Cette disposition est issue d’un amendement adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, déposé par Mme Marie-Pierre Rixain, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

([22]) BOI-CTX-DRS-10 – Décharge de responsabilité solidaire – principe de solidarité fiscale et conditions à satisfaire pour l’octroi de la décharge.

([23]) Cette exclusion, qui n’est pas mentionnée dans la loi, résulte de la pratique de l’administration fiscale et est inscrite dans le bulletin officiel des finances publiques.

([24])  Renonciation à demande, demandes devenues sans objet, renseignements complémentaires non fournis.