N° 2067

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2024

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales,

(Procédure accélérée)

 

PAR Mme Delphine Lingemann,

Députée

——

AVEC

EN ANNEXE

LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 

 

Voir le numéro : 1817


 

SOMMAIRE

___

Pages

introduction

I. Les relations entre la France et la Moldavie, en nette INTENSIFICATION, ne pouvaient faire l’impasse sur le nécessaire volet fiscal

A. La Moldavie, un partenaire important au flanc oriental de l’Union européenne

1. La Moldavie est un État jeune tiraillé entre plusieurs sphères d’influence

2. La Moldavie est un État qui dispose désormais de perspectives tangibles d’intégration à l’Union européenne

B. L’actuel vide conventionnel fiscal devait être comblé

1. Le vide conventionnel fiscal existant depuis 1998 créé des risques de double imposition et freine les investissements croisés entre la France et la Moldavie

2. Une convention rapidement négociée

II. La convention franco-moldave du 15 juin 2022 constitue un enrichissement bienvenu de notre réseau conventionnel

A. la convention franco-moldave du 15 juin 2022

1. Une répartition des droits à imposer qui est conforme à notre pratique conventionnelle

2. Une intégration opportune des derniers standards internationaux en matière de coopération fiscale et de garantie des droits des contribuables

B. Des conséquences économiques et budgétaires mal maitrisées par l’administration

1. D’indéniables avancées en matière de simplification et de sécurité juridique

a. Le cas des particuliers

b. Le cas des entreprises

2. Les analyses économique et budgétaire de l’impact des conventions fiscales bilatérales pourraient être utilement renforcées

a. Ex ante, l’étude d’impact transmise au Parlement est fragmentaire en ce qui concerne l’incidence des conventions sur les recettes fiscales

b. Ex post, il est souhaitable que les conventions fiscales bilatérales fassent l’objet d’un suivi plus sérieux

EXAMEN EN COMMISSION

ANNEXE 1 :  TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES auditionnÉes PAR La RAPPORTEURe

 


 

   introduction

 

La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale est saisie du projet de loi n° 1817 autorisant l’approbation de la convention entre la République française et la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales.

Cette convention, signée à Chisinau le 15 juin 2022, a vocation à régir les relations fiscales entre la France et la Moldavie, actuellement marquées par l’absence de cadre en la matière.

Le texte, très largement conforme au modèle de convention fiscale établi par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), intègre les derniers standards internationaux en matière de lutte contre l’érosion des bases fiscales et de coopération administrative.

La convention du 15 juin 2022, déjà ratifiée par le Parlement moldave, constitue une actualisation bienvenue de notre ensemble conventionnel dans le domaine fiscal. Elle doit contribuer au développement de nos relations commerciales avec la République de Moldavie, en croissance depuis quelques années en lien avec les réformes engagées par la Présidente Sandu pour amener ce pays au niveau des standards européens, tant sur le plan économique que sur le plan de l’État de droit.

 

 


I.   Les relations entre la France et la Moldavie, en nette INTENSIFICATION, ne pouvaient faire l’impasse sur le nécessaire volet fiscal

A.   La Moldavie, un partenaire important au flanc oriental de l’Union européenne

1.   La Moldavie est un État jeune tiraillé entre plusieurs sphères d’influence

La République de Moldavie est un État d’Europe orientale de
33 700 kilomètres carrés, indépendant depuis 1991, peuplé par 2,6 millions d’habitants. Plus petite des quinze Républiques de l’ancienne Union soviétique, elle possède néanmoins 939 kilomètres de frontières communes avec l’Ukraine et
691 autres avec la Roumanie.

Le nom de Moldavie désigne à l’origine un État médiéval qui exista du XIVème au XVIIIème siècles sur les terres des Daces, ancêtres mythiques des Roumains. Au XVIème siècle, cet État tombe sous le joug de l’Empire Ottoman, qui en délègue le gouvernement au gouverneur local, le gospodar.

En 1775, l’Empire des Habsbourg s’empare de la partie septentrionale de l’État moldave, la Bucovine. 

À la suite de la guerre russo-turque de 1806-1812, l’Empire russe démembre l’État de Moldavie et en annexe sa partie comprise entre le Prut et le Dniestr : il la baptise Bessarabie. Ce territoire correspond globalement à l’actuelle Moldavie, sans la Transnistrie.

À l’issue de la Première Guerre mondiale, la fin des Empires russe et
austro-hongrois permet à la Bessarabie et à la Bucovine de réaliser leur droit à l’autodétermination.

Le Parlement de la République moldave déclare son indépendance le 14 janvier 1918 mais, compte tenu de l’impossibilité de maintenir cette indépendance, vote l’union de la Bessarabie avec la Roumanie.

Aux termes du protocole additionnel secret – « Molotov-Ribbentrop » – du traité soviéto-allemand de non-agression, signé le 23 août 1939, l’URSS et l’Allemagne s’arrogent le droit de décider du sort de la Roumanie.  Le troisième point du Protocole fait état de l’intérêt soviétique à l’égard de la Bessarabie. La République socialiste soviétique (RSS) de Moldavie est proclamée le 2 août 1940 et un tiers de son territoire est rattaché à la RSS d’Ukraine.

Le gouvernement soviétique encourage alors le développement d’une culture moldave la plus distincte possible de la culture roumaine, pays non-membre de l’URSS. Plus d’un million et demi de personnes d’origines russe, ukrainienne et biélorusse ont été implantées, après cette intégration, pour industrialiser la région
– notamment à l’Est du Dniestr – et nombre de roumanophones déportés.

La République de Moldavie proclame son indépendance le 27 août 1991 mais, en décembre 1991, la région située à l’Est du Dniestr – la Transnistrie, qui avait été rattachée à la RSS de Bessarabie en 1944 –, désormais majoritairement peuplée de russophones, fait sécession. S’ensuivra une brève mais meurtrière guerre civile (mars – juillet 1992) et un conflit gelé, toujours actuel.

La région séparatiste de Transnistrie

Le territoire transnistrien, occupé par des forces russes héritières de la
14ème armée de la garde soviétique1, est une zone de non-droit dont l’indépendance n’est pas reconnue par la communauté internationale. Cette région réunit 17 % de la population moldave, assure 36 % de la production industrielle et 24 % du produit intérieur brut (PIB) du pays.

Des négociations en vue d’un règlement du conflit se tiennent sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dans un format dit
« 5+2 », à savoir les deux parties litigieuses, trois médiateurs – OSCE, Russie, Ukraine – et deux observateurs, Union européenne et États-Unis. Elles ont permis d’obtenir des avancées sur certains dossiers socio-économiques contribuant à rapprocher les populations des deux rives. Néanmoins, elles n’ont jamais été en mesure d’amener les parties à s’engager sur une discussion du fond s’agissant du règlement politique du conflit et notamment de l’octroi d’un statut spécial à la Transnistrie dans le cadre d’une Moldavie réunifiée. Depuis la fin de l’année 2019, aucune réunion n’a pu se tenir dans ce format.  

1 Ces forces, réorganisées en « groupe opérationnel des forces russes en Transnistrie », comptent environ 1 500 hommes et contrôlent un important stock de munitions – évalué jusqu’à 100 000 tonnes –, notamment situé au sein de l’arsenal de Cobasna.

2.   La Moldavie est un État qui dispose désormais de perspectives tangibles d’intégration à l’Union européenne

Située aux limites des sphères d’influence de l’Europe et de la Russie, la Moldavie est à la fois partie de la Communauté des États indépendants (CEI) et membre du partenariat pour la paix de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis le 16 mars 1994.

Depuis la fin des années 2000, et plus particulièrement après les élections législatives d’avril 2009, la République de Moldavie s’est néanmoins rapprochée de l’Union européenne (UE).

Le 1er septembre 2014, l’Union européenne et la Moldavie ont signé un accord d’association qui comprend un programme de réforme – des institutions, de la justice, de l’administration et de lutte contre la corruption – ainsi que la mise en œuvre d’une zone de libre-échange éliminant progressivement les droits de douane dans le commerce entre les deux parties.

L’UE est désormais le 1er partenaire commercial, 1er investisseur étranger et le 1er donateur d’aide pour la Moldavie. Désormais, 80 % du commerce extérieur moldave est réalisé en direction de l’Union européenne.

La libéralisation des visas de court séjour, permettant aux Moldaves de circuler librement dans l’espace Schengen pour une période de trois mois, est effective depuis avril 2014. Ces relations s’inscrivent dans le cadre du « Partenariat Oriental », qui structure la politique de voisinage de l’Union européenne (PEV) à l’égard des pays d’Europe de l’Est et du Caucase.

Après une demande déposée le 3 mars 2022, la Moldavie a obtenu le statut officiel de candidat à l’adhésion à l’Union européenne le 23 juin 2022.

La mise en œuvre du processus d’adhésion a permis de donner une nouvelle impulsion en matière de réformes, notamment dans les domaines de l'État de droit, de la justice et des droits fondamentaux. La complexe réforme de la justice doit amener la Moldavie à renforcer l’efficacité et la qualité des tribunaux ainsi que le système d’exécution des décisions judiciaires.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Commission européenne a annoncé le 7 juillet 2022 la création d’un hub de soutien pour la sécurité intérieure et la gestion des frontières en Moldavie. La 7ème réunion du conseil d’association UE-Moldavie s’est tenue le 7 février 2023.

L’Union européenne a adopté le 24 avril 2023 un nouveau cadre de sanctions à l’encontre de personnes conduisant des actions qui « compromettent ou menacent l’indépendance et la souveraineté » de la Moldavie, notamment en faisant obstacle au processus politique démocratique ou en tentant de renverser l’ordre constitutionnel. Sur cette base, ainsi que dans le cadre du régime de sanctions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, le Conseil de l’Union a pris le 30 mai 2023 des mesures restrictives à l’encontre de 7 individus de nationalités russe et moldave impliqués dans des actions de déstabilisations de la démocratie moldave que la Russie assume mener sous le label de « guerre hybride ».

La présidente moldave, Maïa Sandu, a participé au sommet inaugural de la Communauté politique européenne (CPE) à Prague, le 6 octobre. Le second sommet s’est déroulé le 1er juin 2023 à Bulboaca, en Moldavie.

La Moldavie a lancé le 15 mai 2023 la procédure pour se retirer de l’accord sur l’Assemblée interparlementaire de la CEI. Le président du Parlement moldave, Igor Grosu, a justifié ce retrait en soulignant que la présence de la Moldavie dans la CEI ne l’avait aidé en rien à résoudre le conflit transnistrien, ni à se prémunir du « chantage énergétique » de la Russie.

Avec l’Allemagne et la Roumanie, la France co-préside la Plateforme de soutien à la Moldavie, créée au printemps 2022 pour aider le pays à faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine. Les conférences de Berlin (5 avril 2022) et de Bucarest (15 juillet 2022) ont permis le déblocage de près de 800 millions d’euros d’aide.

La troisième conférence ministérielle de la Plateforme de soutien à la Moldavie s’est tenue à Paris le 21 novembre 2022. À cette occasion, le président de la République et la ministre de l’Europe et des affaires étrangères ont annoncé une nouvelle enveloppe de 100 millions d’euros en faveur du pays, dont 10 millions ont été déployés fin 2022, sous la forme de subventions au
Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), au Programme alimentaire mondial (PAM) et Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (Unicef).  

S’inscrivant dans cet arrimage progressif de la Moldavie à l’Union européenne, les relations franco-moldaves se renforcent nettement. Ce renforcement est illustré par les visites officielles de la présidence moldave en France, en février 2021 et mars 2022, mais également celle du Président de la République en Moldavie en juin 2022 celle de la présidente de l’Assemblée nationale accompagnée par la présidente du groupe d’amitié France-Moldavie, par ailleurs rapporteure de la présente convention en juin 2023.

Les échanges franco-moldaves ont atteint 131,4 millions d’euros en 2021 et 154,6 millions d’euros sur douze mois glissants jusqu’à juin 2022.

Au cours des six premiers mois de 2022, les exportations françaises ont très fortement progressé par rapport à la même période de l’année précédente (+ 52 %). La France occupe de solides positions dans le segment des produits agricoles et agro-alimentaires, des machines, des automobiles et des produits chimiques, parfums et cosmétiques. Elle achète principalement des produits alimentaires et textiles.

Notre pays est le 9ème fournisseur de la Moldavie ; les trois principaux étant la Chine, la Roumanie et la Russie. En 2021, la France a été le 4ème investisseur étranger en Moldavie, comptant pour plus de 4 000 emplois directs. Elle s’appuie notamment sur la présence de 240 sociétés françaises, dont Orange, Sanofi, Lafarge et Lactalis. La Moldavie a déposé une demande de prêt du Trésor pour soutenir la rénovation de la ligne de chemin de fer Chisinau-Ungheni, liaison essentielle avec l’UE : des entreprises françaises y participent (Alstom, Geismar, Systra et L3G).

L’Agence française de développement (AFD) a vu son mandat étendu à la Moldavie en juin 2021. Son périmètre d’intervention concerne des domaines identifiés comme prioritaires par les autorités moldaves : la gestion forestière, l’irrigation, l’eau potable et l’assainissement, ou encore la modernisation énergétique et du réseau ferroviaire. Ainsi, l’AFD accompagne les réformes moldaves initiées en la matière. En matière de défense, l’entreprise Thalès a été retenue pour moderniser la défense sol-air du pays.

À la suite de l’ouverture du bureau de l’AFD, des conventions ont été signées avec le ministère des infrastructures et du développement régional afin de lancer les premières opérations dans le pays. Le 15 juin 2022, un accord intergouvernemental sur les activités de l’AFD en Moldavie a été signé à l’occasion de la visite à Chisinau du président de la République et de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.

Par ailleurs, les échanges culturels et l’enseignement de la langue française en Moldavie ont nourri de nombreuses générations de culture française. En dépit des conflits, des divisions, des ruptures qui ont marqué l’histoire de l’Europe au cours des siècles, les moldaves ont su garder un lien spécial avec la France, sa culture et sa langue, latine.

L’Alliance française de Moldavie a été inaugurée en décembre 1995 à Chisinau. Depuis 1996, la Moldavie est membre de l’Organisation internationale de la francophonie. En marge du dernier sommet de la Francophonie à Erevan en octobre 2018, la Moldavie a signé un pacte linguistique destiné à renforcer la place du français dans son système éducatif. Aujourd’hui, 40 % des écoliers du secondaire apprennent le français. Avec près de 3 500 élèves, l’Alliance française de Moldavie est l’une des plus importantes d’Europe.

B.   L’actuel vide conventionnel fiscal devait être comblé

1.   Le vide conventionnel fiscal existant depuis 1998 créé des risques de double imposition et freine les investissements croisés entre la France et la Moldavie

La convention fiscale du 4 octobre 1985 en vigueur entre la France et l’Union soviétique a été dénoncée par la Moldavie le 2 mars 1998. L’opportunité de conclure une nouvelle convention fiscale bilatérale a été examinée à compter de cette date. En effet, l’absence de convention fiscale bilatérale est susceptible de créer des situations de doubles impositions, préjudiciables aux acteurs économiques et donc aux échanges entre la France et la Moldavie.

Un projet de convention fiscale avait été signé le 30 octobre 2006 mais la procédure d’approbation du texte a été interrompue par la France suite à l’introduction, dans le droit fiscal moldave, d’un taux nul d’impôt sur les sociétés, pouvant conduire à une situation de double non-imposition au sens de l’OCDE.

Les deux prérequis fixés par la France pour envisager la reprise des négociations étaient, dès lors, le rétablissement d’un impôt sur les sociétés à un taux raisonnable et des efforts en matière de transparence fiscale réalisés par la partie moldave.

En 2012, la Moldavie a rétabli un taux facial d’impôt sur les sociétés positif, fixé à 12 %, avant de rejoindre le Forum global de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements ; la Moldavie a, en outre, adhéré en 2011 à la convention mutuelle d’assistance administrative en matière fiscale élaborée par l’OCDE et le Conseil de l’Europe.

Au demeurant, la conclusion d’un accord d’association avec l’Union européenne a incité la Moldavie à entreprendre des réformes administratives nécessaires à la mise en place d’un climat d’affaires adéquat.

2.   Une convention rapidement négociée

La France et la Moldavie ont engagé, à l’été 2019, les négociations en vue de conclure une convention fiscale. Les conditions sanitaires liées à l’épidémie de Covid-19 ont conduit à des négociations se déroulant par visioconférences, les 30 juillet 2020 et 1er février 2021.

De l’avis des négociateurs français interrogés par la rapporteure, ces négociations ont été constructives, efficaces et rapides, malgré les conditions techniques singulières de leur déroulé.

La convention a été signée à Chisinau le 15 juin 2022 par Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères et par Nicolae Popescu, vice-premier ministre, ministre des affaires étrangères et de l’intégration européenne.

La convention a ensuite été ratifiée par le Parlement monocaméral de la République de Moldavie en session plénière, le 15 juillet 2022.

La France est actuellement l’un des rares États européens – avec la Suède et le Danemark – à ne pas disposer de convention fiscale bilatérale avec la Moldavie, et il revient donc au Parlement français d’examiner dans les meilleurs délais le projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales.

 


II.   La convention franco-moldave du 15 juin 2022 constitue un enrichissement bienvenu de notre réseau conventionnel

A.   la convention franco-moldave du 15 juin 2022

La convention franco-moldave signée à Chisinau le 15 juin 2022 comprend un titre, un préambule, trente articles et une annexe. Ses dispositions sont très largement conformes au modèle de convention fiscale de l’OCDE.

1.    Une répartition des droits à imposer qui est conforme à notre pratique conventionnelle 

L’article 1er précise que la convention s’applique aux résidents d’un État contractant ou des deux États contractants.

L’article 2 énumère les impôts sur le revenu couverts par la convention, à savoir, pour la France, l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, les contributions sur l’impôt sur les sociétés, la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). L’impôt sur la fortune immobilière n’est pas couvert ; tout risque de double imposition est à ce sujet écarté, la Moldavie ne disposant pas d’un tel impôt.

L’article 3 apporte les définitions nécessaires à l’interprétation de certains termes utilisés par la convention.

L’article 4 définit la notion de résidence, qui constitue un critère essentiel pour bénéficier des avantages prévus par la convention mais également pour déterminer la ventilation des droits d’imposer entre les États. Cet article, ainsi que l’article 5 qui définit la notion d’établissement stable, sont conformes tant au modèle de l’OCDE ([1]) qu’à la politique conventionnelle de la France issue de l’instrument multilatéral.

L’instrument multilatéral

L’utilisation abusive des conventions fiscales est à l’origine de nombreuses pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices. L’instrument multilatéral, signé le 7 juin 2017 par 68 juridictions, est un outil contraignant ayant pour objet la mise en œuvre rapide des mesures proposées dans le cadre du plan BEPS (base erosion & profit shifting). Cet instrument, qui s’apparente à une convention fiscale multilatérale, offre la possibilité de mettre en œuvre des mesures visant à limiter les pratiques abusives des conventions bilatérales en évitant aux États d’avoir à renégocier une à une l’ensemble de leurs conventions fiscales. Il a été ratifié par la France le 26 septembre 2018, après autorisation législative figurant dans la loi n° 2018-604 du 12 juillet 2018.

L’article 5 comporte une clause anti-fragmentation qui permet d’empêcher une entreprise ou un groupe d’entreprises étroitement liées de fragmenter un ensemble cohérent d’activités en plusieurs opérations afin de se prévaloir du caractère préparatoire ou auxiliaire de chacune d’entre elles et, ainsi, de faire obstacle à la caractérisation d’un établissement stable. Il comporte également des dispositions reprenant la nouvelle définition du modèle de l’OCDE de l’agent dépendent, de sorte à faire échec aux schémas visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable.

L’article 6 définit la notion de biens immobiliers et prévoit l’imposition des revenus desdits biens au lieu de situation de ces derniers, conformément au modèle OCDE.

L’article 7 précise les règles d’attribution et de détermination des bénéfices des entreprises qui seront imposables uniquement dans l’État de résidence de l’entreprise qui les réalise, exception faite des bénéfices rattachables à un établissement stable, conformément au modèle OCDE.

L’article 8 prévoit que les bénéfices provenant de l’exploitation, en trafic international, de navires et aéronefs ne sont imposables, conformément à la pratique conventionnelle française, que dans l’État contractant du siège de direction effective de l’entreprise.

L’article 9 règle, conformément au principe de pleine concurrence et au modèle de l’OCDE, le cas des transferts de bénéfices entre entreprises associées.

L’article 10 pose le principe d’une imposition partagée des dividendes dans l’État de résidence de leur bénéficiaire et dans l’État de leur source. Le plafond conventionnel de l’impôt pouvant être prélevé à la source est fixé à 10 % du montant brut des dividendes ; ce taux est ramené à 5 % en cas de participation d’au moins 10 % détenue sur une période continue de 365 jours.

L’article 11 pose le principe d’une imposition partagée des intérêts mais limite l’imposition dans l’État de source à hauteur de 5 % de leur montant brut.

L’article 12 prévoit une imposition partagée des redevances mais limite l’imposition dans l’État de source à hauteur de 6 % de leur montant brut.

L’article 13 définit le régime applicable aux gains en capital, imposés dans l’État de réalisation de l’aliénation.

Les articles 14 à 16 reprennent les règles fixées dans le modèle de l’OCDE en retenant le principe de l’imposition exclusive des salaires dans l’État d’exercice de l’activité ou l’État de résidence de la société pour les membres de son conseil d’administration ou de surveillance.

L’article 18 définit le régime d’imposition des rémunérations et pensions des agents publics en prévoyant, conformément à la pratique française, un principe d’imposition exclusif dans l’État qui verse de tels revenus.

L’article 21 règle les modalités de la double imposition. Classiquement, la France prévoit l’octroi d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français. Ce dernier est égal soit à l’impôt étranger plafonné à l’impôt français, soit à l’impôt français. Cette méthode, retenue depuis 1990, permet d’éviter les cas de double exonération tout en permettant l’application des dispositifs anti-abus du droit interne. La Moldavie, quant à elle, élimine la double imposition en retenant la méthode du crédit d’impôt égal à l’impôt français lorsque la convention prévoit que le revenu peut être taxé en France. Ce crédit d’impôt est imputable sur l’impôt moldave correspondant et plafonné à sa hauteur. S’agissant des revenus pour lesquels la convention prévoit une taxation exclusive en France – et en l’absence de stipulation spécifique –, la Moldavie accorde une exemption totale d’impôt.

2.   Une intégration opportune des derniers standards internationaux en matière de coopération fiscale et de garantie des droits des contribuables

Tout comme pour ses dispositions portant sur la répartition du droit à imposer le texte de la convention est, pour ce qui concerne les dispositions touchant à la coopération fiscale et à la garantie des droits des contribuables, largement issu du modèle de convention fiscale de l’OCDE. 

Ainsi, l’article 23 reprend les procédures amiables de règlement des différends du standard minimum issu du projet BEPS et déclinées au sein du modèle de convention fiscale de l’OCDE. Selon cet article, le contribuable a la possibilité de saisir l’autorité compétente de l’un ou l’autre État, dans les trois ans de la taxation dont il a fait l’objet. Une procédure d’arbitrage est prévue par la convention en cas de désaccord persistant entre les autorités compétentes de chaque État.

Cette procédure amiable – qui ne se borne néanmoins à mettre à la charge des parties qu’une obligation de moyens – est également conforme à la procédure européenne qui figure à l’article 16 de la directive du 10 octobre 2017 ([2]), transposée aux articles L. 251 B à L. 251 ZH du livre des procédures fiscales.

L’article 24 reprend les derniers standards en matière d’échange de renseignements quand l’article 25 organise l’assistance en matière de recouvrement des créances fiscales : cet article permet, par exemple, d’écarter des limites pouvant exister dans le droit interne de l’État requis afin de lui permettre d’accéder aux demandes de l’État requérant.

La convention franco-moldave contient également, de manière nouvelle, une clause anti-abus.

La rédaction de cette clause, qui figure en son article 27, est à la fois conforme au modèle OCDE et à la définition contenue au sein de l’instrument multilatéral. Rappelons que cette clause a pour objet de permettre à l’administration fiscale de refuser l’octroi d’un avantage conventionnel en présence d’un montage ou d’une transaction dont l’un des objets principaux est justement d’obtenir cet avantage, sauf à établir que l’octroi de cet avantage est conforme à l’objet de la convention. Cette stipulation permet à l’administration fiscale de mener une analyse casuelle des montages présentant des risques d’évitement fiscal.

B.   Des conséquences économiques et budgétaires mal maitrisées par l’administration

1.   D’indéniables avancées en matière de simplification et de sécurité juridique

a.   Le cas des particuliers

Le réseau de conventions fiscales de la France est irrigué par la volonté de protéger les contribuables au moyen de mécanismes d’élimination de la double imposition, lorsqu’il existe un risque que les revenus d’un particulier soient imposés à la fois dans l’État de source et dans l’État de résidence. De fait, l’existence d’une convention fiscale bilatérale est un élément de sécurisation juridique et fiscale, tant pour les ressortissants étrangers établis en France que pour les Français établis à l’étranger.

L’entrée en vigueur de la convention franco-moldave du 15 juin 2022 doit ainsi permettre de sécuriser la situation fiscale des contribuables moldaves installés en France, dont le nombre est estimé à 90 000 personnes par l’ambassade de Moldavie à Paris, ainsi que celle des 65 ressortissants français installés en Moldavie.

b.   Le cas des entreprises

Si les Républiques française et de Moldavie ont tous les deux ratifié l’instrument multilatéral de l’OCDE, l’entrée en vigueur de la convention bilatérale du 15 juin 2022 est un facteur de modernisation de la lutte contre l’évitement fiscal et de simplification qui doit concourir au développement des relations d’affaires entre la France et la Moldavie.

Si peu d’entreprises dont le siège social se trouve en Moldavie opèrent en France, de nombreux ressortissants moldaves établis dans notre pays possèdent des entreprises, notamment dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics ou des services.

Surtout, la convention fiscale franco-moldave permettra de renforcer les investissements français en Moldavie : la France est actuellement l’un des tout premiers pays investisseurs dans le pays, avec 124 millions d’euros de stocks d’investissements ([3]) , montant en hausse croissante. De plus, plusieurs projets d’envergure sont actuellement engagés en matière d’infrastructures destinées au désenclavement ferroviaire et routier du pays.

2.   Les analyses économique et budgétaire de l’impact des conventions fiscales bilatérales pourraient être utilement renforcées

a.   Ex ante, l’étude d’impact transmise au Parlement est fragmentaire en ce qui concerne l’incidence des conventions sur les recettes fiscales

L’étude d’impact annexée au projet de loi contient des développements étoffés concernant les relations économiques et commerciales entre la France et la Moldavie, fruits d’une compilation de données économiques.

Toutefois, cette même étude d’impact n’apporte pas d’éléments sur les conséquences de la mise en œuvre de la convention faisant l’objet de ratification. Se bornant à considérer que celle-ci doit permettre de « renforcer les échanges économiques et les investissements entre la France et la Moldavie », l’étude d’impact n’évalue pas, quantitativement, le renforcement qu’elle évoque – qui dépend certes, pour partie, d’effets comportementaux difficiles à prédire. De même, l’impact budgétaire de la convention, même s’il devrait être minime, n’est pas abordé.

Cet état de fait est d’autant plus surprenant que la direction générale des finances publiques (DGFiP) est la direction « métier » du texte ; or, la DGFiP possède l’intégralité des données fiscales permettant de réaliser de telles simulations. Interrogés sur ce point, les services ont mis en évidence l’absence d’outil permettant d’agréger l’exhaustivité des revenus par contribuable. 

Dans le sillage du constat similaire dressé par une autre rapporteure de la commission des affaires étrangères à l’occasion du projet de loi autorisant la ratification de conventions fiscales avec le Danemark et la Grèce ([4]) , la rapporteure considère que cette absence de chiffrage constitue un axe d'amélioration.

Il sera rappelé que la Cour des comptes relevait, dans un référé relatif aux conventions fiscales internationales ([5]), que l’expertise économique consacrée aux négociations en la matière pouvait être renforcée pour conforter notre capacité de négociation et enrichir les dossiers législatifs transmis aux parlementaires. La Cour des comptes soulignait, déjà, qu’avancer « sans évaluation solide de l’impact économique des négociations, donc quasiment à l’aveugle, est de nature à porter atteinte à la défense de nos intérêts. » Elle recommandait, à cet égard, qu’une telle mission d’évaluation économique pourrait être confiée à une cellule de haut niveau associant des spécialistes de la DGFiP, de la direction générale du Trésor, de la Banque de France, voire de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

Cette proposition de cellule de haut niveau avait été favorablement accueillie par le ministre de l’économie et des finances, ainsi que par celui des comptes publics, dans leur réponse commune au référé de la Cour, en date du 29 juillet 2019. Si les synergies entre les différents services de l’État ont depuis été renforcées, un renforcement du pilotage en la matière pourrait s’avérer digne d’intérêt. 

b.   Ex post, il est souhaitable que les conventions fiscales bilatérales fassent l’objet d’un suivi plus sérieux                           

Si l’évaluation préalable des conséquences économiques et budgétaires des négociations fiscales internationales est fondamentale, il convient également de ne pas faire l’impasse sur leur évaluation empirique.

En effet, pour déterminer l’efficacité de la politique fiscale française, un travail de suivi dans le temps de l’application des conventions bilatérales apparaît nécessaire. Une telle évaluation permettrait d’alimenter l’élaboration de notre politique fiscale dans les négociations à venir, constituant en cela un chaînage vertueux.

Nonobstant ces observations, la rapporteure juge que l’Assemblée nationale se doit s’approuver le projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale du 15 juin 2022 entre la France et la Moldavie. Ce vote est attendu comme un signal favorable en faveur de la poursuite du rapprochement économique entre nos deux pays.  

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   EXAMEN EN COMMISSION

Le 17 janvier 2024, la commission examine le projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. En cette première réunion de commission de 2024, je vous adresse à toutes et à tous mes vœux de bonne année.

Notre ordre du jour appelle l’examen du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales (n° 1817). Sans plus attendre, afin de ne pas déflorer son travail, je laisse la parole à notre rapporteure.

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. La convention visée par le projet de loi a été signée le 15 juin 2022 à Chisinau. Elle tend à combler le vide juridique – unique en Europe, à l’exception du Danemark et de la Suède – caractérisant les relations fiscales entre la France et la Moldavie. Depuis la dénonciation par la Moldavie, en 1998, de la convention fiscale conclue entre la France et l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), les acteurs du commerce entre les deux pays et les contribuables intéressés sont exposés à un risque de double imposition. D’après les négociateurs de la convention, que j’ai auditionnés, les discussions ayant présidé à sa rédaction ont été menées dans un esprit constructif et efficace.

La convention comprend un titre, un préambule, trente articles et une annexe. Ses dispositions sont très largement conformes au modèle de convention fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La répartition des droits à imposer est également conforme à notre pratique conventionnelle.

L’article 21 règle les modalités de la double imposition : 65 Français sont inscrits sur les listes consulaires en Moldavie et environ 90 000 Moldaves résident en France.

Classiquement, la France prévoit l’octroi d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français égal soit à l’impôt étranger plafonné à l’impôt français, soit à l’impôt français. Cette méthode, retenue depuis 1990, permet d’éviter les cas de double exonération tout en appliquant les dispositions anti-abus du droit interne. La Moldavie, quant à elle, élimine la double imposition en retenant la méthode du crédit d’impôt égal à l’impôt français dès lors que la convention prévoit que le revenu peut être taxé en France. Ce crédit impôt est imputable sur l’impôt moldave correspondant et plafonné à sa hauteur. S’agissant des revenus pour lesquels la convention prévoit une taxation exclusive en France, en l’absence de stipulations spécifiques, la Moldavie peut accorder une exemption totale d’impôt.

Cette convention fiscale moderne intègre de façon opportune les derniers standards de l’OCDE en matière de coopération fiscale et de garantie des droits des contribuables. Elle offre d’indéniables avancées en matière de simplification et de sécurité juridique, pour les particuliers et pour les entreprises. Elle doit avant tout permettre de renforcer les investissements français en Moldavie. La France est le quatrième investisseur étranger du pays. Son stock d’investissement s’élève à 124 millions d’euros et augmente constamment. Le montant des exportations françaises en Moldavie a augmenté de plus de 50 % au premier semestre 2022 par rapport à celui de l’année précédente.

Par ailleurs, plusieurs projets d’envergure sont engagés en matière d’infrastructures destinées au désenclavement ferroviaire et routier du pays, et aussi pour renforcer la sécurité énergétique de la Moldavie, qui malheureusement dépend encore beaucoup de la Russie. Les entreprises françaises sont engagées dans ce pays, notamment pour y développer des projets dans le domaine des énergies renouvelables (EnR). Au printemps 2024, une délégation du Mouvement des entreprises de France International (Medef International) formée de nombreux représentants d’entreprises se rendra en Moldavie pour y conclure des contrats.

Sur le plan politique, je rappelle, en tant que présidente du groupe d’amitié France-Moldavie, que notre vote ce matin s’inscrit dans la poursuite du rapprochement de ce pays avec les États membres de l’Union européenne (UE). Située aux limites des sphères d’influence de l’Europe et de la Russie, la Moldavie s’est nettement rapprochée de l’UE dans les années récentes, et plus encore depuis l’arrivée au pouvoir de la présidente Maïa Sandu et l’invasion de l’Ukraine.

La Moldavie est signataire d’un accord d’association avec l’UE, entré en vigueur le 1er septembre 2014. Elle a obtenu le statut officiel de candidat à l’adhésion le 23 juin 2022. Les efforts de la Moldavie pour moderniser ses standards de gouvernance sont, de l’avis de tous les observateurs, à saluer. En outre, un lien particulier nous unit à ce pays majoritairement de langue latine. Près de 40 % des écoliers du secondaire y apprennent le français. L’Alliance française de Moldavie, où je me suis rendue, compte 3 500 élèves, ce qui en fait l’une des plus importantes d’Europe.

Si la convention fiscale du 15 juin 2022 doit renforcer les investissements croisés entre nos deux pays, elle participe aussi d’un dessein plus large visant à arrimer la République de Moldavie à la famille démocratique européenne, et singulièrement à renforcer ses liens économiques et culturels avec la France.

Aussi, chers collègues, je vous invite à approuver ce projet de loi.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. S’agissant de l’arrière-plan politique de cette convention technique, j’ajoute que notre assemblée a noué des relations étroites avec la présidente moldave, Mme Maïa Sandu, que nous avons reçue à deux reprises. Son programme politique, très difficile à mettre en œuvre, illustre sa détermination. Il tient en trois points : la défense de la souveraineté de son pays, dont le moins que l’on puisse en dire est qu’elle est menacée ; l’affirmation des libertés démocratiques dans un pays qui en a été privé pendant longtemps ; la lutte contre la corruption, qui est sans doute la tâche la plus ardue et le combat qu’elle mène avec le plus de détermination. Sur ces trois points, la France soutient véritablement les ambitions de la présidente moldave. Nous ne pouvons pas faire abstraction de ce contexte politique.

S’agissant de la proximité des Moldaves avec la francophonie, ils parlent le roumain, qui est une langue latine. Lors de la révolution démocratique de la Roumanie, je me trouvais à Timisoara, où j’ai été invité à m’exprimer à la télévision. Les questions que l’on me posait en roumain étaient parfaitement compréhensibles pour un Français, de sorte que je n’ai pas eu recours à l’interprète, tant et si bien qu’il a refusé ensuite de traduire mes propos que j’étais bien incapable de tenir en roumain ! Lorsque l’on entend parler des Moldaves ou des Roumains parler entre eux, on se sent en étroite familiarité linguistique.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Brigitte Klinkert (RE). Au nom du groupe Renaissance, je salue le travail de Delphine Lingemann visant à renforcer les relations entre la France et la Moldavie. La convention fiscale dont nous sommes saisis témoigne de notre volonté commune d’approfondir la coopération entre nos deux pays et de créer un cadre fiscal propice au développement des affaires pour les citoyens et pour les acteurs économiques. Elle s’inscrit clairement dans l’engagement de la majorité pour la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.

Depuis la dénonciation par les autorités moldaves, en mars 1998, du traité qui liait la France et l’Union soviétique, la France est l’un des rares États européens à ne pas disposer de convention fiscale avec la Moldavie, ce qui a malheureusement des conséquences préjudiciables au développement de nos échanges bilatéraux. En éliminant la double imposition, la convention fiscale du 15 juin 2022 favorisera un climat d’investissement stable et encouragera les échanges économiques.

Depuis l’élection de Maïa Sandu à la présidence de la République moldave en 2020, ce pays fait preuve d’une forte volonté de se rapprocher de l’Europe, s’agissant notamment de la lutte contre la corruption, et de satisfaire aux critères d’adhésion à l’UE. Des négociations d’adhésion ont été ouvertes en décembre dernier. À l’occasion d’un déplacement en Moldavie avec Laurence Boone, en mars 2023, j’ai constaté à quel point la présidente, son premier ministre et son gouvernement, ainsi que les Moldaves avec eux, sont tournés vers l’Europe. Tous ont un profond désir d’Europe et de France : près de 30 % des Moldaves apprennent ainsi le français à un moment ou à un autre de leur cursus scolaire.

La convention fiscale que nous examinons est une avancée majeure dans le renforcement de nos relations bilatérales. Elle établira des normes claires en matière d’imposition, alignées sur les standards de l’OCDE. Le groupe Renaissance l’approuve des deux mains et votera le projet de loi, qui va dans le sens d’un approfondissement des relations entre la France et la Moldavie.

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. Je salue l’engagement européen de Brigitte Klinkert. La convention fiscale que nous examinons s’inscrit dans cette perspective.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). D’après son intitulé, la convention fiscale que nous examinons prévoit une lutte contre l’évasion fiscale. D’après le texte, nous ne savons pas comment. Nous sommes censés approuver une convention édulcorée qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

En 2019, près de la moitié des profits détournés vers les paradis fiscaux ont atterri dans des pays de l’UE. Nous ne parlons pas des miettes économisées par le Gouvernement sur le dos des aides personnalisées au logement (APL), à la suite de la suppression de postes dans la fonction publique ou des aides sociales aux étrangers. Nous parlons de 9 milliards de budget amputé à l’État français ! L’UE abrite de nombreux paradis fiscaux – que l’on songe à l’Irlande, aux Pays-Bas ou au Luxembourg – mais notre Gouvernement préfère fermer les yeux. S’il était mû par la volonté de lutter contre l’évasion fiscale, il n’aurait pas supprimé, depuis 2017, 1 600 emplois à la direction générale des finances publiques (DGFIP), déjà bien attaquée au cours de la législature antérieure, et il aurait supprimé le verrou de Bercy.

Ce projet de loi a une portée plutôt symbolique. Il vise à soigner les contours de la candidature de la Moldavie à l’UE, que nous considérons comme inquiétante si nous n’obtenons pas des garanties fiscales claires. Nous voulons une Europe sociale. En cette année d’élections européennes, nous ne pouvons accepter le risque d’alimenter une Europe de la dérégulation. La politique internationale, ce n’est pas seulement des symboles et de la communication, comme semble le croire la majorité. Ce que nous faisons ici aura des conséquences. Nous risquons de créer une nouvelle niche d’évasion fiscale et, par ricochet, d’alimenter l’extrême-droite déjà florissante ; à ce sujet, on ne remercie pas la Macronie !

Même si ce Gouvernement fait preuve de rigueur uniquement avec les pauvres et les étrangers, ce n’est pas trop demander que ne pas aider, a minima, les riches à échapper à la loi. Cette politique de force avec les faibles et de faiblesse avec les forts ne peut pas continuer, d’autant que les chantiers du logement, de la santé et des services publics sont laissés en friche.

Ce texte aurait pu être l’occasion de montrer autre chose, d’imposer des conditions strictes de fiscalité. Concrètement, nous demandons au Gouvernement de ne pas nous enfumer avec les symboles et de nous proposer du fond. Mais nous avons bien compris que le culte du vide est dans l’ADN de la Macronie.

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. On ne peut pas dire que la Moldavie soit un paradis fiscal. Si vous connaissiez un peu ce pays, vous sauriez qu’il en est loin.

Par ailleurs, il est gênant que vous utilisiez l’examen de ce projet de loi pour développer une tribune politique. Ce n’est ni le lieu, ni le moment.

Nous examinons, au sein de la commission des affaires étrangères, une convention fiscale qui permet de supprimer la double imposition pour nos entreprises et pour nos ressortissants. L’article 24 comporte des dispositions visant à améliorer la transparence en matière d’évasion fiscale. Je vous invite à le lire ou à le relire. Par ailleurs, des fonctionnaires étrangers, dont des Français, ont été envoyés en Moldavie pour participer à la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Le groupe Les Républicains est favorable au projet de loi. La convention fiscale que nous examinons permet de résorber quelques rares cas de double imposition et s’inscrit dans la démarche d’intégration européenne de la Moldavie. La marche vers l’Europe de ce pays soulève plusieurs questions de géopolitique régionale, parmi lesquelles celle de l’intégrité territoriale de la Moldavie, qui n’est pas assurée en Transnistrie. À égard, et ma question relève de l’hypothèse d’école, la convention fiscale y est-elle applicable ?

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. La Transnistrie est une zone grise collectant l’impôt de façon autonome. La convention fiscale ne s’y applique malheureusement pas. En tout cas, le gouvernement moldave ne ménage pas sa peine pour clarifier la situation de la Transnistrie, dont un ministre est spécialement chargé.

Mme Marine Hamelet (RN). Au Rassemblement national, nous pensons que le bilatéralisme doit être encouragé, surtout si les relations sont anciennes. Nous échangeons depuis longtemps avec la Moldavie, même si notre relation politique avec ce pays date de 1992. Cela étant, être favorable aux relations bilatérales avec les pays voisins de l’UE ne signifie pas souhaiter leur intégration en son sein. Nous voterons le projet de loi mais nous sommes opposés à l’intégration de la Moldavie à l’UE.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Je vous remercie de votre soutien au projet de loi. S’agissant de l’intégration de la Moldavie à l’UE, elle relève pour l’heure de l’extrapolation. La Moldavie est à l’orée d’un long chemin, dont l’horizon est l’année 2030, et qui compte plusieurs étapes, dont l’échelonnement permettra de déterminer si le pays progresse dans la démocratisation de ses institutions et dans l’amélioration de sa gouvernance. Plusieurs réformes en ce sens ont été engagées, notamment en matière de lutte contre la corruption.

Quoi qu’il en soit, nous devons soutenir cet État qui, comme l’a si bien dit Brigitte Klinkert, a envie d’Europe et de France. Contribuer à sa stabilisation importe d’autant plus qu’il est à 50 kilomètres d’Odessa, partage près de 1 000 kilomètres de frontière avec l’Ukraine et inclut la Transnistrie, qui est une zone de transit importante. Tel est le sens de la mission de l’Union européenne d’assistance à la surveillance aux frontières de Moldavie et d’Ukraine (EUBAM). Il importe d’aider la Moldavie à progresser vers des pratiques démocratiques et d’en faire un pôle de stabilité régionale en l’intégrant dans le processus d’adhésion à l’UE.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous sommes nombreux à vouloir analyser les résultats du Conseil européen de décembre dernier, qui pose autant de problèmes qu’il n’en résout, sinon davantage. Nous aurons l’occasion de nous poser la question de l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Moldavie, de l’octroi à la Géorgie du statut de candidat à l’adhésion et des problèmes généraux en rapport avec les demandes d’adhésion, qui traînent depuis de nombreuses années, des pays balkaniques. Tout cela forme un tout sur lequel nous devrons réfléchir comme tel.

M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). Je tenais tout d’abord à remercier la rapporteure pour son travail, qui nous livre une analyse éclairée des partenariats qu’entretient la France avec la Moldavie sur les questions d’imposition et de prévention de l’évasion et de la fraude fiscales.

La politique est faite d’actes et de symboles et ce texte en est une belle illustration. La convention fiscale dont il est question vient combler un vide juridique qui était dommageable à nos finances publiques, à nos entreprises et surtout aux expatriés français et moldaves domiciliés dans nos pays respectifs. En négociation depuis 2006, après moult péripéties et une reprise franche du dialogue en 2019, ce texte est enfin là. Avec les conséquences très concrètes qu’il aura pour les personnes concernées, il permettra d’éviter les doubles impositions, de renforcer les échanges économiques et les investissements entre la France et la Moldavie, mais aussi d’approfondir la lutte contre la fraude fiscale. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Il convient d’ailleurs de souligner les efforts réalisés ces dernières années en matière de transparence fiscale par la partie moldave, dont les différentes réformes administratives ont permis de réunir les conditions favorables à la formalisation du texte. Cette convention nous permettra de développer et d’assurer la sécurité juridique des opérateurs économiques et des personnes physiques.

Vous l’aurez compris, le groupe Démocrate votera en faveur de ce projet de loi de ratification.

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. Je remercie le groupe Démocrate et en particulier Laurent Esquenet-Goxes pour son implication au sein du groupe d’amitié France-Moldavie.

M. Guillaume Garot (SOC). Cet accord est une bonne nouvelle car il contribuera au rapprochement entre la Moldavie et la France sur deux points très importants : la double imposition et la lutte contre la fraude fiscale. Nous considérons donc que c’est un progrès. Néanmoins, je rejoins les préoccupations de Pierre-Henri Dumont. La Moldavie reste l’un des points chauds de l’Europe de l’Est : dans la région de Transnistrie, une partie de la population s’est engagée dans un mouvement sécessionniste pro-russe. Nous devons obtenir des éclaircissements et je serais intéressé de connaître votre avis sur ce point.

Plus largement, je voudrais aborder la question de la double imposition qui frappe les « Américains accidentels ». Certes, il ne s’agit plus de la Moldavie, ni même de l’Europe, mais la double imposition pose un véritable problème à ceux qui sont nés sur le sol américain : possédant la nationalité américaine, ils doivent s’acquitter de l’impôt aux États-Unis alors qu’ils n’ont jamais vécu dans ce pays. Vous me direz qu’ils n’ont qu’à renoncer à leur nationalité américaine : or cela s’avère compliqué et onéreux. Cela fait des années que j’alerte sur cette double imposition parfaitement illégitime. J’aimerais savoir si la rapporteure a des informations sur cette question qui concerne 300 000 citoyens européens, dont 40 000 Français.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La commission des finances s’est à plusieurs reprises saisie de la question très importante des Américains accidentels. C’est vraiment une iniquité profonde pour ceux qui sont illusoirement bénéficiaires et réellement victimes de ce statut. Ce sujet relève plutôt de la compétence de la commission des finances, même si cela nous intéresse. Nous pourrons nous rapprocher d’elle à cet égard.

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. Cette question s’éloigne en effet un peu de la convention fiscale avec la Moldavie. Des travaux sont menés au sein de la commission des finances, même si la commission des affaires étrangères suit ce dossier avec une grande vigilance. Un rapport a également été rédigé, sous la précédente législature, par Marc Le Fur et Laurent Saint-Martin.

M. Guillaume Garot (SOC). Ce que vous dites est parfaitement juste et connu de ceux qui s’intéressent à cette question. Cependant, cela n’avance pas, raison pour laquelle je remets le sujet sur le tapis. Je voulais donc savoir si vous aviez des informations nouvelles sur ce sujet.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est plutôt moi que cette balle vise… (Sourires). Pour répondre à votre légitime curiosité, je vais solliciter le président de la commission des finances pour savoir comment tout cela marine et mijote.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). Madame la rapporteure, vous soulignez que cette convention permet d’indéniables avancées en matière de sécurité juridique et de simplification. Mais vous écrivez aussi que ses conséquences économiques, financières et budgétaires sont mal maîtrisées par l’administration. Vous semblez regretter l’absence d’un suivi plus sérieux des conventions fiscales bilatérales et vous pointez la faiblesse de l’étude d’impact. Vous faites même référence à un référé de la Cour des comptes du 31 mai 2019 qui recommande la mise en place d’une mission d’évaluation confiée à une cellule de haut niveau : pouvez-vous nous détailler un peu plus ce dernier point ?

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. Quelle que soit la convention fiscale internationale que nous signons, nous ne disposons que de très peu d’éclairages budgétaires en matière de recettes fiscales et de retombées économiques. L’étude d’impact contient certes des données économiques agrégées mais il est difficile de se projeter en raison tant du comportement des entreprises et des consommateurs que du contexte géopolitique du pays, lequel a besoin de stabilité.

Je tiens à souligner que les 90 000 Moldaves en France, les 65 Français inscrits sur les listes consulaires en Moldavie, ainsi que les 200 entreprises françaises installées dans ce pays seront tous concernés par cette convention. Toutefois, lorsque nous l’avons auditionnée, la DGFIP a eu du mal à nous communiquer des éléments chiffrés sur les retombées fiscales. Elle a justifié cela par l’absence d’outils informatiques permettant de croiser tous les tableaux dont elle disposait. Dans son excellent rapport sur le projet de loi autorisant la ratification des conventions fiscales avec le Danemark et la Grèce, Béatrice Piron avait déjà souligné ce manque de projection concernant les recettes fiscales.

En 2019, la Cour des comptes a en effet demandé que soit installée une cellule experte regroupant la Banque de France, le Trésor, la DGFIP et l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), afin d’agréger toutes les données statistiques. Bien que cette proposition ait reçu une réponse positive de Bercy en 2019, la cellule n’a toujours pas formellement vu le jour, les services de Bercy ayant eu d’autres dossiers prioritaires à gérer. Je compte, après la rédaction de ce rapport, leur envoyer un courrier pour leur rappeler ce point de vigilance dans l’établissement de conventions fiscales internationales.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Ma vie politique a commencé dans cette région, lorsque j’étais allé manifester devant des bases américaines et même soviétiques pour exiger « Ni Pershing, ni SS-20 ». Souvenez-vous : c’était le moment où se faisaient face les missiles nucléaires. À l’époque, j’étais un doux rêveur de la Jeunesse communiste : j’imaginais que les Balkans pouvaient être une zone dépourvue de missiles nucléaires, d’un côté comme de l’autre. Ce combat est aujourd’hui, plus que jamais, d’actualité, comme le démontre ce qu’il se passe en Ukraine. Je rêve qu’un jour, à côté des traités de non-imposition, on signe également des traités pour éviter la militarisation à outrance de cette région. La Moldavie se rapproche à petits pas de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ; ce n’est pas ce qui me plaît le plus. Je pense que ces petits pas ne doivent pas aller trop loin.

Concernant la double imposition, je connais beaucoup d’entreprises dans notre pays qui ont la tentation de payer leurs impôts là où l’on en paye le moins. Avec mon groupe, je me bats pour que l’on paye les impôts là où l’on produit les richesses et là où l’on les exploite, donc dans les pays où les entreprises françaises travaillent. J’espère que ce traité permettra une juste rémunération de la Moldavie et qu’elle pourra se développer sur cette base.

Enfin, j’en viens à la question de la corruption. Si des fonctionnaires se sont rendus sur place, comme vous l’avez rappelé, c’est que cette question n’est toujours pas réglée. La constitution de la commission de contrôle et de suivi devrait être une priorité pour Bercy. Je trouve dommage que l’on signe un traité alors que, dans l’immédiat, on ne dispose pas d’un outil de contrôle.

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. La présidente de la Moldavie et le gouvernement moldave s’inscrivent complètement dans vos propos. L’article 7 de la convention devrait vous rassurer puisqu’il vise à imposer les entreprises là où les bénéfices sont réalisés. S’agissant du contrôle a posteriori, nous pouvons en effet mener collectivement des actions dans ce domaine ; je suis à votre écoute sur ces questions.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons à présent aux questions posées à titre individuel par les autres députés.

M. Frédéric Zgainski (Dem). Cette convention couvrant divers aspects fiscaux – tels que l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) – et définissant des éléments cruciaux – tels que la résidence et l’établissement stable – est un pas significatif vers le renforcement des relations économiques entre nos deux nations. La Moldavie, candidate à l’adhésion à l’Union européenne depuis juin 2022, entreprend des réformes ambitieuses dans les domaines de l’État de droit et de la justice. En parallèle, les échanges économiques entre la France et la Moldavie ont connu une croissance notable, avec des exportations françaises en augmentation de plus de 52 % en 2022, atteignant 154,6 millions d’euros sur douze mois glissants jusqu’à juin de la même année. Ma question est donc la suivante : quel impact envisagez-vous sur le renforcement des relations d’affaires et d’investissement dans nos deux pays ? Ces relations vont-elles se développer ?

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. Les retombées sont difficilement quantifiables. Des groupes français comme Lafarge, Lactalis et Orange sont présents en Moldavie. Je l’ai dit, une mission du Medef International se rendra à Chisinau au printemps 2024. Un fromager français, suivi par le député Frédéric Petit, y fait de l’aide humanitaire. Plusieurs entreprises françaises sont intéressées pour investir en Moldavie : Eco-Delta dans le domaine de l’énergie ; Alstom, L3G et Geismar dans le domaine des infrastructures ferroviaires. Concernant les infrastructures aéroportuaires, Bouygues International et Lagardère Travel Retail envisagent de s’installer en Moldavie, et des discussions sont menées avec Meridiam, Vinci, Aéroports de Paris (ADP). La Moldavie est donc prise au sérieux par les investisseurs français. Cette convention permettra de simplifier et de sécuriser sur le plan juridique les relations avec ce pays.

M. Frédéric Petit (Dem). Je souhaite tout d’abord rendre hommage à Benoît Mayrand, élu à l’Assemblée des Français de l’étranger pour la Roumanie et la Moldavie. Il ne manquera pas d’être soulagé, lui qui se bat depuis très longtemps sur ce sujet, en constatant que ce vieux dossier prend enfin tournure.

La double imposition des Français installés à l’étranger – je ne parle pas ici de grandes entreprises – est un véritable cauchemar. Le manque de suivi des effets de la double imposition est un problème général, qui existe par exemple avec l’Allemagne : on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé, on ne sait pas à qui s’adresser. Le retard dans l’installation de la structure de suivi à Bercy, apparemment dû en partie au Covid, est catastrophique pour les Français de l’étranger.

Mme Delphine Lingemann, rapporteure. Je remercie Frédéric Petit, lui aussi très investi dans le groupe d’amitié France-Moldavie. Le manque de suivi correspond à un manque de moyens, Bercy ayant mis en place une toute petite cellule, qui n’a pas les moyens humains et financiers de suivre correctement le déploiement de toutes les conventions fiscales internationales. Cela vaudrait la peine que l’on agisse collectivement pour renforcer les moyens humains et financiers de ce service.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie, madame la rapporteure. Nous avons beaucoup apprécié le fait que, au-delà de cette convention, vous ayez une connaissance aussi précise et documentée de la situation de la Moldavie et de ses relations avec la France. Votre culture politique sur ce dossier est un apport très précieux pour la commission des affaires étrangères.

*

Article unique (approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales, signée à Chisinau le 15 juin 2022)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 

 


ANNEXE 1 :
TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

Article unique

Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et pour la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales, signée à Chisinau le 15 juin 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                

N.B. : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1817)


ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES auditionnÉes PAR
La RAPPORTEURe

   SE. Mme Corina Călugăru, ambassadrice de Moldavie en France.  

Pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères

   Mme Julie Fort, cheffe du pôle conventions à la mission des conventions et de l’entraide judiciaire, service des conventions, des affaires civiles et de l'entraide judiciaire de la direction des français de l'étranger et de l'administration consulaire ;

   M. Alexandre Joao, rédacteur Moldavie à la direction de l'Europe continentale ;

   Mme Claire Giroir, conseillère juridique à la direction des affaires juridiques. 

 

Pour le ministère de l'économie et des finances

   Mme Nathalie Gossement, adjointe au chef du bureau E1 à la direction de la législation fiscale ;

   M. Quentin Feuga, chef de section à la direction de la législation fiscale.

 


([1]) OECD, Model tax convention on income and on capital 2017.

([2])  Directive (UE) 2017/1852 du Conseil du 10 octobre 2017 concernant les mécanismes de règlement des différends fiscaux dans l’Union européenne.

([3]) Chiffres de 2019.

([4]) Voir à ce sujet le rapport n° 1979 de Mme béatrice Piron, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2023.

([5]) Cour des comptes, référé, 31 mai 2019, Les conventions fiscales internationales.