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N° 2070

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse,

 

PAR M. Guillaume GOUFFIER VALENTE

Député

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Voir le numéro : 1983.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction................................................ 5

Présentation du projet de loi constitutionnelle

I. l’Interruption volontaire de grossesse : une liberté garantie au niveau législatif dont la protection constitutionnelle est incertaine

A. Une liberté progressivement consacrée par le législateur

1. La loi Veil de 1975 a dépénalisé l’avortement dans le prolongement de la légalisation de la contraception

2. Les avancées législatives en faveur d’un meilleur accès à l’IVG

B. une reconnaissance fragile de la liberté de recourir à une IVG par la jurisprudence constitutionnelle

II. Constitutionnaliser l’IVG pour consolider les droits des femmes en France et dans le monde

A. À l’étranger, une pression accrue contre l’accès à l’IVG

1. Aux États-Unis, un revirement brutal de la protection du droit à l’IVG

2. L’Europe entre régressions et progrès fragiles

3. Dans le reste du monde, une lutte encore en cours

B. En France, La nécessité de dépasser les réticences à la constitutionnalisation de la liberté de recourir à une IVG

1. Garantir une protection juridique qui est aujourd’hui faible aux niveaux constitutionnel et européen

2. Créer un bouclier contre une régression de la liberté de recourir à l’IVG

3. Enrichir et faire rayonner la Constitution de la Vème République

a. Poursuivre la reconnaissance des droits fondamentaux

b. Soutenir celles et ceux qui luttent pour les droits des femmes à travers le monde

COMMENTAIRE de l’article unique  du projet de loi constitutionnelle

Article unique (art. 34 de la Constitution) Garantir la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse

Compte rendu des débats

I. Audition de M. ÉRIC Dupond-moretti, garde des sceaux, ministre de la JUSTICE, ET discussion générale – Mardi 16 janvier 2024

II. Examen DU pROJET DE LOI – mercredi 17 janvier 2024

Personnes entendues

 

 


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Mesdames, Messieurs,

Après l’adoption, dans des rédactions différentes, par l’Assemblée nationale puis le Sénat d’une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, le Gouvernement soumet au Parlement un projet de loi constitutionnelle conciliant les approches des deux chambres.

En application de l’article 89 de la Constitution, les deux assemblées doivent s’accorder sur une rédaction commune avant que la révision soit soumise à référendum ou au Parlement réuni en Congrès qui devra l’adopter à la majorité des trois cinquièmes.

Depuis 2008, aucune révision constitutionnelle n’est parvenue à son terme et celle-ci est l’occasion de moderniser notre texte fondamental en l’enrichissant par une nouvelle liberté, à laquelle les Françaises et les Français sont attachés, mais qui connaît des menaces de plus en plus lourdes.

Depuis 1975, les progrès de la liberté des femmes à recourir à l’IVG sont le fruit d’une lutte de tous les instants. Or, des États-Unis à la Pologne, en passant par la Hongrie, cette liberté recule sous les attaques répétées de mouvements anti-choix toujours mieux organisés et financés. La France n’est pas immunisée contre cette menace et il apparait nécessaire, tant qu’il est encore temps, d’apporter des protections supplémentaires à cette liberté.

En l’absence de réelle protection constitutionnelle, européenne ou internationale, il revient au constituant de prendre ses responsabilités pour reconnaitre cette liberté fondamentale, indissociable de l’état de droit au XXIe siècle et dont la conformité à la Constitution repose sur l’appréciation que porte le Conseil constitutionnel sur l’équilibre entre la liberté de la femme et la sauvegarde de la dignité humaine.

En reconnaissant et en inscrivant la liberté garantie à la femme de recourir à une interruption volontaire de grossesse parmi les droits et libertés fondamentales déjà reconnues dans sa Constitution, ce projet de loi constitutionnelle protègerait la France contre toute tentative de porter atteinte à cette liberté. Conformément à sa diplomatie féministe, elle enverrait également un message de soutien à celles et ceux qui luttent pour la protection des droits des femmes en Europe et à travers le monde. La France serait le premier pays au monde à inscrire cette liberté dans sa Constitution.

La rédaction retenue, qui modifie l’article 34 de la Constitution définissant le domaine de la loi, préserve l’équilibre entre les différents principes constitutionnels dont le Conseil constitutionnel continuera de garantir le respect, ainsi que la compétence du législateur pour encadrer cette liberté. Elle n’impose en outre aucune évolution du droit existant.

Cette position d’équilibre – et malgré tout ambitieuse – a fait l’objet d’une large approbation lors de son examen en Commission. C’est cet esprit de responsabilité, qui transcende les appartenances politiques et honore le Parlement, qui doit nous permettre de faire aboutir cette révision et de faire vivre notre Constitution avec son temps en protégeant les générations futures.

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   Présentation du projet de loi constitutionnelle

I.   l’Interruption volontaire de grossesse : une liberté garantie au niveau législatif dont la protection constitutionnelle est incertaine

A.   Une liberté progressivement consacrée par le législateur

La dépénalisation de l’avortement en 1975, dans le prolongement du droit à la contraception en 1967, a été une étape fondatrice dans la longue lutte en faveur de la liberté des femmes à disposer de leur corps. Les conditions dans lesquelles les femmes peuvent recourir à l’IVG ont ensuite été progressivement étendues.

1.   La loi Veil de 1975 a dépénalisé l’avortement dans le prolongement de la légalisation de la contraception

La loi du 28 décembre 1967, dite « loi Neuwirth » du nom de l’auteur et rapporteur à l’Assemblée nationale de la proposition de loi dont elle est issue, a légalisé les méthodes de contraception hormonale ([1]) en abrogeant les dispositions réprimant la fabrication et la vente de produits anticonceptionnels ([2]). Cette loi abrogeait également le délit de propagande anticonceptionnelle qui avait été introduit par une loi du 31 juillet 1920 dans le but de soutenir la natalité.

Cet accès à la contraception est réservé aux majeures ainsi qu’aux mineures à condition qu’elles recueillent le consentement d’un parent ou d’un représentant légal.

L’autorisation de la contraception hormonale n’a pas suffi à mettre un terme au problème de santé publique causé par la pénalisation de l’avortement. Les femmes souhaitant avorter le faisait clandestinement, dans des conditions sanitaires catastrophiques, parfois au péril de leur vie, tandis que les soignants qui les accompagnaient s’exposaient à de lourdes sanctions.

L’article 317 du code pénal définissait trois infractions :

 « Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen aura procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte, qu’elle y ait consenti ou non, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans, et d’une amende de 1 800 F à 100 000 F » ;

– « Sera punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 360 F à 20 000 F la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même ou aura tenté de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet » ;

– « Les médecins, officiers de santé, sages-femmes, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, ainsi que les étudiants en médecine, les étudiants ou employés en pharmacie, herboristes, bandagistes, marchands d’instruments de chirurgie, infirmiers, infirmières, masseurs, masseuses, qui auront indiqué, favorisé ou pratiqué les moyens de procurer l’avortement seront condamnés aux peines prévues aux paragraphes premier et second du présent article. La suspension pendant cinq ans au moins ou l’incapacité absolue de l’exercice de leur profession seront, en outre, prononcées contre les coupables ».

La loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse (IVG), défendue par la ministre de la santé Simone Veil, a dépénalisé l’avortement en suspendant, d’abord pour cinq ans ([3]), l’application de l’article 317 du code pénal.

À son article premier, la loi de 1975 rappelait que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie » et qu’il « ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». Ce principe persiste encore aujourd’hui à l’article 16 du code civil, qui prévoit que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Cette loi maintenait les sanctions pénales encourues par les professionnels réalisant une IVG hors du cadre légal. Elles sont encore en vigueur aujourd’hui et s’élèvent à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende lorsque le délai pendant lequel elle est autorisée par la loi n’est pas respecté ([4]) et à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en cas de réalisation d’une IVG sans le consentement de la personne concernée ([5]). Le délit consistant à « fournir à la femme les moyens matériels de pratiquer une interruption de grossesse sur elle-même » persiste également et est puni de trois à cinq ans d’emprisonnement ([6]).

La loi Veil sanctionnait également la provocation ou la publicité en faveur de l’IVG ou des établissements les réalisant. Cette infraction a depuis été supprimée et a, au contraire, été créé un délit d’entrave à l’encontre des personnes voulant empêcher le recours à l’avortement.

Elle encadrait dans le code de la santé publique le recours à l’IVG en précisant les établissements médico-sociaux compétents, les professionnels habilités et leur droit de faire valoir une clause de conscience, l’exigence que la femme soit dans une « situation de détresse » ([7]), les différentes étapes de la démarche (information de la personne, entretien avec le médecin, délai de réflexion, recueil du consentement des parents pour les mineures) et les modalités de sa prise en charge financière par la sécurité sociale.

Enfin, la loi Veil, reconnaissait le cas spécifique de l’interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique – dite aussi interruption médicalisée de grossesse (IMG) – qui peut être réalisée à tout moment mais dans des conditions plus strictes. L’article L. 2213-1 du code de la santé publique prévoit ainsi que « l’interruption volontaire d’une grossesse peut, à tout moment, être pratiquée si deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ».

2.   Les avancées législatives en faveur d’un meilleur accès à l’IVG

L’accès à l’interruption volontaire de grossesse, plus qu’une dérogation, est devenu une composante des droits des femmes, indissociable de celui de disposer librement de son corps. Au fur et à mesure des réformes, plusieurs obstacles au recours à l’IVG ont été levés :

 La prise en charge financière. Dès la loi du 17 janvier 1975, les frais de soins et d’hospitalisation dus pour réaliser une IVG étaient pris en charge partiellement par la sécurité sociale. La prise en charge est désormais intégrale et s’étend à tous les actes précédant et suivant l’VG (consultation et analyse préalable, réalisation de l’IVG, suivi de contrôle) ([8]).

 La pénalisation des entraves à l’IVG. La loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social a introduit dans le code de la santé publique un délit d’entrave sanctionnant « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse […], notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur » ([9]). Depuis 2017, les discours hostiles en ligne([10]) entrent également dans le champ de l’infraction. À l’inverse, le délit de « publicité » pour faciliter la connaissance des conditions de recours à l’IVG a été supprimé ([11]).

La définition du délit d’entrave par l’article L. 2223-2 du code de la santé publique

« Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse :

« 1° Soit en perturbant l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ;

« 2° Soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. »

 L’assouplissement des restrictions à l’accès à l’IVG. L’IVG fait toujours l’objet d’un encadrement, notamment en ce qui concerne le délai dans lequel elle peut être réalisée. Ce délai a été porté à douze semaines en 2001 ([12]) puis à quatorze semaines en 2022 ([13]). D’autres exigences comme le consentement des parents pour les mineurs ([14]), la « situation de détresse » ([15]) ou le délai de réflexion ([16]) ont été supprimées.

 Le libre choix de la méthode abortive. Depuis la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé 2016, l’article L. 2212-1 du code de la santé publique précise que « « Toute personne a le droit d’être informée sur les méthodes abortives et d’en choisir une librement ».

● La restriction du délit de réalisation illégale d’une IVG. Une sanction pénale persiste depuis 1975 pour sanctionner les personnes qui pratiquent l’IVG en dehors du cadre légal. Depuis 2001, cette infraction ne peut plus s’appliquer qu’à l’auteur de l’acte et non à la femme concernée. La loi prévoit depuis 2001 qu’ « en aucun cas, la femme ne peut être considérée comme complice » de la réalisation illégale d’une IVG ([17]).

Statistiques du recours à l’IVG en France

En France, le nombre d’IVG est globalement stable depuis le milieu des années 2000 – fluctuant entre 220 000 et 230 000 par an – et reste proportionné à l’évolution de la population générale. Le ratio d’avortement (nombre d’avortements pour 100 naissances) reste également stable – entre 27 et 32 avortements pour 100 naissances.

55% des IVG interviennent à moins de huit semaines d’aménorrhée et 76 % à moins de dix. La part d’IVG tardives concernées par l’allongement du délai légal de recours de douze à quatorze semaine en 2022 est inférieure à 1,5 % de l’ensemble des IVG réalisées en France.

78 % des IVG se font par voie médicamenteuse. 62 % sont réalisées en établissement de santé et 38 % en ville ou en centre de santé et centre de santé sexuelle.

Source : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES)

 

Nombre d’IVG en France


Une protection accrue du droit à l’IVG

Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse

  • Suspension pour 5 ans de la pénalisation de l’IVG
  • Sanction de l’incitation à réaliser un IVG et de la publicité en faveur de l’IVG ou des établissements les réalisant
  • Définition des établissements médico-sociaux et des professionnels de santé compétents
  • Reconnaissance de la clause de conscience
  • Exigence que la femme soit dans une « situation de détresse »
  • Définition de la procédure (information de la personne, entretien avec le médecin, délai de réflexion, recueil du consentement des parents pour les mineures)
  • Prise en charge financière partielle par la sécurité sociale

Loi n°79-1204 du 31 décembre 1979 relative à l’interruption volontaire de grossesse

  • Dépénalisation définitive de l’interruption volontaire de grossesse dans le respect des conditions fixées par la loi

Loi du n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social

 

  • Reconnaissance du délit d’entrave à l’IVG, c’est-à-dire « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse […], notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur » ([18]).

Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception

  • Allongement du délai dans lequel l’IVG peut être réalisée de dix à douze semaines de grossesse ;
  • Autorisation des femmes mineures à y recourir sans le consentement d’un adulte ;
  • Suppression du délit de publicité ou de propagande en faveur l’IVG ;
  • Précision qu’« en aucun cas, la femme ne peut être considérée comme complice » ([19]) de la réalisation illégale d’une IVG.

Loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013

  • Remboursement de l’IVG à 100 %.

Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes

  • Suppression de l’exigence d’être dans une « situation de détresse » pour recourir à l’IVG.

Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

  • Suppression du délai obligatoire de réflexion avant le recours à l’IVG ;
  • Libre choix de la méthode abortive ;
  • Possibilité pour les sages-femmes de procéder aux IVG par voie médicamenteuse.

Loi n° 2017-347 du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse

  • Reconnaissance des discours hostiles sur internet dans la définition du délit d’entrave.

Loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement

  • Allongement de douze à quatorze semaines du délai pour recourir à l’IVG.
  • Possibilité pour les sages-femmes de réaliser des IVG instrumentales

B.   une reconnaissance fragile de la liberté de recourir à une IVG par la jurisprudence constitutionnelle

Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution la loi de 1975 et les différentes évolutions législatives qui s’en sont suivies selon une jurisprudence qu’il a progressivement affinée. Le Conseil n’a toutefois jamais défini de limites, ni dans le sens d’une libéralisation excessive de ce droit, ni dans le sens d’une trop grande restriction.

En 1975 ([20]), le Conseil a considéré que la loi était conforme à la Constitution dès lors qu’elle « ne porte pas atteinte au principe de liberté posé à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) » ; qu’elle « n’admet qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, rappelé dans son article 1er, qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle définit » ; et « qu’aucune des dérogations prévues par cette loi n’est, en l’état, contraire à l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ni ne méconnaît le principe énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel la nation garantit à l’enfant la protection de la santé, non plus qu’aucune des autres dispositions ayant valeur constitutionnelle édictées par le même texte ».

Tout comme le législateur, son approche revient alors à accepter l’IVG non pas comme un droit des femmes mais comme une dérogation exceptionnelle au droit pénal commun.

En 2001 ([21]), il a précisé sa position en définissant explicitement les termes de l’équilibre qui doit s’opérer entre deux principes. Il a considéré qu’ « en portant de dix à douze semaines le délai pendant lequel peut être pratiquée une interruption volontaire de grossesse lorsque la femme enceinte se trouve, du fait de son état, dans une situation de détresse, la loi n’a pas, en l’état des connaissances et des techniques, rompu l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Concernant l’exigence d’une « situation de détresse » pour autoriser le recours à l’IVG, le Conseil a estimé en 2014 que sa suppression ne méconnaissait aucune exigence constitutionnelle – bien qu’il en avait fait une condition de sa constitutionnalité en 1975 et qu’il s’était appuyé dessus en 2001 ([22]) – dès lors qu’il revient « à la femme le soin d’apprécier seule si elle se trouve dans cette situation » ([23]).

Néanmoins, si le Conseil constitutionnel a toujours considéré comme conforme à la Constitution ces avancées législatives successives, il n’a jamais reconnu le droit à l’IVG comme un principe de nature constitutionnelle, ni n’a eu à se prononcer sur des reculs.

D’où la nécessité d’aller plus loin en inscrivant dans la Constitution la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse pour lui donner un fondement textuel, et non jurisprudentiel.

II.   Constitutionnaliser l’IVG pour consolider les droits des femmes en France et dans le monde

A.   À l’étranger, une pression accrue contre l’accès à l’IVG

1.   Aux États-Unis, un revirement brutal de la protection du droit à l’IVG

Plusieurs états des États-Unis sont revenus sur la légalité de l’IVG à la suite d’un revirement de jurisprudence de la Cour suprême. Tandis que l’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973 considérait l’IVG comme un droit garanti au niveau fédéral, l’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization du 24 juin 2022 a estimé que le pouvoir d’autoriser l’avortement revenait aux États fédérés. Ce changement repose sur une interprétation « originaliste » de la Constitution américaine selon laquelle un droit qui n’est pas « profondément enraciné » dans l’histoire constitutionnelle américaine ou qui ne découle pas directement des principes inscrits dans la Constitution ne peut être protégé au niveau fédéral ([24]).

En quelques semaines, l’avortement est devenu interdit – même en cas de viol ou d’inceste – dans sept États (Alabama, Arkansas, Dakota du Sud, Kentucky, Louisiane, Missouri, Tennessee) et fortement limité dans six autres (Arizona, Idaho, Indiana, Oklahoma, Mississippi, Wisconsin). Par réaction, treize autres États ont renforcé l’accès à l’IVG, dont la Californie et celui de New (voir carte).

Sans être directement transposable dans le cadre juridique française pour des raisons relatives aux différences d’organisation administrative et juridique, l’expérience américaine démontre la fragilité de la protection d’un droit pouvant apparaître comme intangible mais qui a fini par céder sous l’effet de plusieurs dizaines d’années d’activisme juridique.

 

L’accès à l’IVG aux États-Unis en juin 2023

Source : Le Monde

2.   L’Europe entre régressions et progrès fragiles

Depuis sa légalisation par l’Irlande en 2018, l’IVG est un droit reconnu par l’ensemble des États membres de l’Union européenne (UE), à l’exception de Malte.

Toutefois, ce droit régresse davantage qu’il ne progresse sous l’effet de la montée en puissance de courants conservateurs souhaitant remettre en question certains droits fondamentaux et qui profitent de la faible protection de l’IVG par la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE et de la Cour européenne des droits de l’Homme ([25]).

Sans revenir sur la dépénalisation de l’IVG, plusieurs pays en ont restreint les conditions d’accès. Les avortements pour malformation grave du fœtus ont été interdits en Pologne après une décision du tribunal constitutionnel du 22 octobre 2020. Seuls les IVG en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère sont désormais autorisés – soit 2 % des cas. La Hongrie a inscrit dans sa Constitution le principe selon lequel « la vie humaine est protégée depuis la conception » et oblige désormais les femmes souhaitant avorter à écouter battre le cœur du fœtus.

Le droit à l’IVG fait l’objet d’attaques répétés dans les pays de tradition catholique. En 2015, l’Espagne avait rétabli l’obligation de recueillir le consentement pour les mineures souhaitant avorter, qui a été à nouveau supprimé en 2018. En 2021, le Portugal, où l’avortement n’est légal que depuis 2007, est revenu sur la gratuité des frais de santé relatifs à l’IVG et impose désormais aux femmes un examen psychologique préalable. En Italie, malgré une législation très protectrice, une grande majorité des professionnels habilités à procéder aux IVG font valoir leur clause de conscience.

3.   Dans le reste du monde, une lutte encore en cours

L’avortement reste complètement interdit dans quelques États d’Amérique latine : Suriname, Nicaragua, Honduras, Salvador et dans deux micro-États : Andorre et le Vatican. Il n’est accessible qu’en cas de danger pour la vie de la femme dans les pays suivants : Côte d’Ivoire, Libye, Ouganda, Soudan du Sud, Irak, Liban, Syrie, Afghanistan, Yémen, Bangladesh, Birmanie, Sri Lanka, Guatemala, Paraguay, Venezuela.

Au Brésil comme au Chili, les conditions restent très restrictives, uniquement en cas de viol ou de malformation fœtale. Le Chili a échoué à inscrire l’IVG dans la Constitution en 2021. Quant au Brésil, il est obligatoire depuis 2020 de porter plainte pour viol pour bénéficier du droit de réaliser une IVG.

Plusieurs États ont reconnu récemment le droit à l’IVG. L’Argentine, la Thaïlande ou encore le Bénin ont voté des lois légalisant l’avortement entre 2020 et 2022. Le Mexique, la Colombie et la Corée du Sud ont également engagé un mouvement en ce sens sous l’effet de la jurisprudence de leurs cours constitutionnelles. Ils doivent désormais en assurer l’effectivité par des mesures financières, procédurales et médicales.

B.   En France, La nécessité de dépasser les réticences à la constitutionnalisation de la liberté de recourir à une IVG

Si le contexte international invite le législateur à se prononcer sur l’opportunité de constitutionnaliser la liberté de recourir à l’avortement, il s’agit également de réaffirmer la protection des droits des femmes en France. Comme le rappelait Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ».

La constitutionnalisation de l’IVG répond à quatre objectifs.

1.   Garantir une protection juridique qui est aujourd’hui faible aux niveaux constitutionnel et européen

L’affirmation selon laquelle le Conseil constitutionnel garantit d’ores et déjà le droit à l’IVG et censurerait toute tentative de régression est plausible mais incertaine. Le Conseil constitutionnel accorde au législateur un large pouvoir d’appréciation sur les questions de société ([26]) et rien n’indique qu’il ne pourrait pas déclarer constitutionnelle un retour à l’état du droit préexistant, par exemple en matière de remboursement ou de délais.

Il n’a en effet jamais accordé à l’accès à l’IVG le rang de principe fondamental, notamment parce qu’il ne répond pas aux critères des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) ([27]).

La protection prétorienne accordée par le Conseil constitutionnel, au titre de l’équilibre entre la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et la liberté de la femme ([28]), est essentielle mais fragile. Comme l’a rappelé Mme Pauline Türk lors de son audition, « force est de constater que la garantie de pouvoir recourir à l’avortement dépend de l’interprétation extensive que fait le Conseil constitutionnel d’une disposition on ne peut plus générale de la DDHC visant les droits de l’homme ».

Or, d’autres pays occidentaux ont su s’appuyer sur leur tribunal constitutionnel ou leur cour suprême pour faire reculer la liberté des femmes de recourir à une l’IVG. En ce sens, le projet de loi constitutionnelle sécurise davantage le recours à l’IVG en modifiant la lettre même de la Constitution.

En l’absence de consensus sur la question, la protection de l’IVG en droit européen et international est limitée. Il n’est pas reconnu dans la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Dans un arrêt A,B et C contre Irlande, la CEDH a explicitement précisé que « l’article 8 [de la Convention] ne peut s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement » ([29]).

En ce qui concerne les traités et le droit dérivé de l’Union européenne, la Cour de justice se borne pour sa part à rappeler la compétence des États membres et renvoie à l’appréciation du législateur national ([30]).

Dans l’exercice de son contrôle de conventionnalité, le Conseil d’État a néanmoins conclu à l’absence d’incompatibilité entre les dispositions des lois du 17 janvier 1975 et du 31 décembre 1979 et les stipulations de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel énonce que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi » ([31]).

Comme l’ont écrit les rapporteurs de la mission d’information de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale sur la constitutionnalisation de l’IVG, « la constitutionnalisation de l’IVG ne constituerait pas un rempart intangible et infranchissable contre toute régression, mais elle rendrait son interdiction ou sa forte restriction bien plus difficiles : en France, cela impliquerait un accord entre l’Assemblée nationale, le Sénat et le peuple constituant, ou entre l’Assemblée nationale, le Sénat et le Président de la République, une majorité des trois cinquièmes du Congrès étant en outre requise dans ce dernier cas » ([32]).

2.   Créer un bouclier contre une régression de la liberté de recourir à l’IVG

Il est reproché au dispositif proposé d’importer un débat, venu des États-Unis, qui ne concernerait pas la France compte tenu de son organisation territoriale. Certes, aux États-Unis, le revirement de la jurisprudence de la Cour suprême repose principalement sur une question de répartition des compétences entre État fédéral et États fédérés. Il est également vrai que la France, compte tenu de son organisation décentralisée, ne confie pas à d’autres pouvoirs que le Parlement le soin d’encadrer le recours à l’interruption volontaire de grossesse.

Néanmoins, le débat américain, qui touche également plusieurs pays européens (voir supra), est une alerte : la remise en cause de l’IVG concerne des pays parmi les plus démocratiques et les plus développés économiquement. D’autre part, il a conduit à une libération de la parole des mouvements « anti-choix » qui désormais s’expriment et se structurent, y compris dans nos démocraties et dans les enceintes internationales.

Les travaux du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs démontrent l’ampleur et la diversité des sources de financement des organisations dites « pro-vie » en Europe. Selon son directeur exécutif, M. Neil Datta, auditionné par votre rapporteur, les montants consacrés par ces mouvements pour lutter contre l’IVG représentent environ 130 millions d’euros par an contre 20 millions en 2009.

Cette législation pourrait également être instrumentalisée en France à des fins politiques et ne sera, à ce titre, jamais pleinement garantie.

Les entraves à l’IVG prennent des formes de plus en plus pernicieuses. Comme l’a rappelé le Planning familial lors de son audition, plusieurs de ses centres ont fait l’objet d’agressions de la part des mouvements « anti-choix ». D’autres mettent en place des plateformes téléphoniques qui, sous couvert de bienveillance, incitent les femmes à poursuivre leur grossesse. Ces sites sont bien référencés sur les moteurs de recherche et essaient de donner l’illusion d’être officiels en proposant, comme le Gouvernement, des « numéros verts » ou des « chats ». Ces mouvements utilisent également les failles des algorithmes des réseaux sociaux pour diffuser leurs idées, notamment auprès de la jeunesse ([33]).

Ces pratiques, qui ont pour conséquence de tromper les femmes qui sont peu ou mal informées, sont dangereuses et difficiles à poursuivre au titre du délit d’entrave.

Le rapport de la mission d’information de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale sur la constitutionnalisation de l’IVG soulignait, en outre, que « l’absence actuelle de remise en cause du droit à l’IVG [par les principaux partis politiques] en France constitue précisément la raison pour laquelle ce droit peut et doit être inscrit dans la Constitution dès maintenant : le large consensus prévalant entre les formations politiques et parmi les citoyens sur ce sujet est la preuve que l’IVG fait partie intégrante des valeurs fondamentales de notre pays et de son pacte social et républicain tel que nous le concevons désormais » ([34]).

Les débats législatifs sur la question prouvent d’ailleurs la difficulté à faire émerger un consensus autour des questions relatives à l’IVG. En 2022, ce sont 629 amendements et sous-amendements qui avaient été déposés sur l’article unique de la proposition de loi examinée par l’Assemblée nationale ([35]), n’empêchant pas son adoption, à une large majorité (337 voix contre 32).

L’adoption par le Sénat d’une rédaction alternative en janvier 2023 ([36]) montre qu’il existe une convergence, récente, entre les deux chambres pour que la liberté de recourir à l’IVG puisse être reconnue dans la Constitution.

Votre Rapporteur rappelle l’importance de ne pas se tromper de débat. Il ne s’agit aucunement d’ouvrir un débat sur l’élargissement des modalités actuelles de recours à l’IVG, ni d’échanger sur le cadre législatif actuellement applicable, mais de se prémunir pour l’avenir contre toute tentative de porter atteinte, par tout moyen, à cette liberté. C’est sur cet objectif que les deux chambres doivent pouvoir s’accorder, en veillant à retenir une rédaction ne laissant pas d’ambigüité quant à son interprétation.

3.   Enrichir et faire rayonner la Constitution de la Vème République

a.   Poursuivre la reconnaissance des droits fondamentaux

L’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen indique que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». La Constitution a ainsi vocation à définir, outre l’organisation des relations entre les pouvoirs, les droits et libertés fondamentaux qu’elle estime intangible.

La portée constitutionnelle du préambule de la Constitution – qui renvoie explicitement à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, au Préambule de 1946 et à la Charte de l’environnement de 2005 –ne fait plus débat. Le Conseil constitutionnel a même défini le contenu des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR) mentionnés au premier alinéa du Préambule de 1946.

Par sa jurisprudence, le Conseil a considéré comme des PFRLR les droits de la défense ([37]), la liberté de l’enseignement ([38]), la recherche du relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées ([39]) ou encore l’indépendance de la juridiction administrative ([40]).

Plusieurs articles de la Constitution de 1958 protègent des droits et libertés fondamentales. Dès 1958, l’article 2 – devenu depuis l’article 1er – garantissait le caractère « indivisible, laïque, démocratique et sociale » de la République, « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » et le respect de « toutes les croyances ». La loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 a ajouté un nouvel alinéa à l’article 3 de la Constitution précisant que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Cette formule a été déplacée à l’article 1er en 2008 et complété afin de faire référence à l’égal accès « aux responsabilités professionnelles et sociales ».

La Constitution fait également référence à la libre administration des collectivités territoriales (article 34), au droit d’asile (article 53-1), à l’interdiction de la peine de mort (article 66-1) ou encore à la garantie de la liberté individuelle par la justice (article 66).

Elle remplit donc déjà ce rôle de garante de certains droits, libertés et principes fondamentaux. Or, ces derniers vivent et évoluent avec le temps. Rien ne s’oppose donc à une révision de la Constitution allant dans le sens de la reconnaissance de nouvelles libertés.

Certes, la Constitution ne doit pas être le réceptacle de règles trop précises ou de principes qui ne seraient pas stabilisés. Le comité de réflexion présidé par Simone Veil recommandait en 2008 de ne pas inscrire dans la Constitution « des principes qui peuvent apparaître intangibles, mais qui pourraient fort bien ne plus se révéler l’être demain » ([41]). Au contraire, l’IVG est un principe intangible et doit le rester, au même titre que l’interdiction de la peine de mort, par exemple.

Enfin, la portée symbolique de cette reconnaissance est essentielle. Selon Mme Stéphanie Hennette-Vauchez, auditionnée par votre Rapporteur, « le silence des textes constitutionnels sur les questions reproductives [est], bien paradoxal : alors même que le texte constitutionnel fait figure, à bien des égards, de formalisation juridique du contrat social qui donne naissance à la communauté politique, il néglige et reste muet sur les questions de reproduction et de perpétuation de ladite communauté » ([42]).

b.   Soutenir celles et ceux qui luttent pour les droits des femmes à travers le monde

Le droit à l’IVG fait encore l’objet de lutte dans de nombreux pays, y compris au sein de l’Union européenne où il tend à reculer faute de consensus pour en faire un principe international. À rebours de cette tendance, il est de la responsabilité de la France de réaffirmer ce principe et son attachement à la protection des droits des femmes et à une diplomatie féministe.

En adoptant cette révision, la France deviendrait le premier pays au monde à reconnaître la liberté de recourir à l’IVG dans sa Constitution. Cela perpétuerait l’inspiration qu’a été l’histoire constitutionnelle française pour de nombreux pays, en particulier en matière de protection des droits fondamentaux.

Il s’agirait d’un message à l’attention des gouvernements qui menacent le droit à l’IVG et un soutien manifeste aux personnes qui se battent à travers le monde pour que ce droit fondamental soit respecté.

En somme, la reconnaissance de l’IVG dans la Constitution n’est ni inutile ni contre-productive. Elle répond à des attentes élevées et assurera une protection supplémentaire de ce principe fondamental.

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   COMMENTAIRE de l’article unique
du projet de loi constitutionnelle

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article vise à reconnaître dans la Constitution la compétence du législateur pour déterminer les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG).

Comme de nombreuses autres libertés reconnues par la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette révision permettrait de prévenir d’éventuelles régressions de la liberté de recourir à l’IVG, sans porter atteinte aux pouvoir d’appréciation du législateur quant aux modalités pratiques de son exercice, ni imposer une modification du cadre législatif en vigueur.

       Dernières modifications législatives et constitutionnelles intervenues

Les règles relatives à l’interruption volontaire de grossesse ont évolué à plusieurs reprises au cours des dernières années dans le domaine législatif (voir supra).

       Modifications apportées de la Commission

La commission des Lois a adopté l’article unique du projet de loi constitutionnelle sans modification.

 

 

  1.   L’état du droit

Le droit de recourir à l’IVG, reconnu et encadré par la loi depuis 1975, a évolué progressivement pour renforcer son effectivité et faciliter son accès à toutes les femmes ([43]), sans toutefois bénéficier d’une protection constitutionnelle.

  1.   Une reconnaissance limitée aux niveaux constitutionnel et européen

D’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la conformité de l’IVG à la Constitution dépend aujourd’hui de « l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » ([44]).

Les limites de cet équilibre ont été définies de manière prétorienne ([45]), laissant planer un doute sur la position qu’adopterait le juge constitutionnel en cas de restriction des conditions d’accès à l’IVG. Le Conseil souligne par ailleurs depuis 1975 que « l’article 61 de la Constitution ne [lui] confère pas un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement » ([46]).

Le Conseil d’État rappelle dans son avis sur le présent projet de loi constitutionnelle que « la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse ne fait aujourd’hui l’objet d’aucune consécration en tant que telle dans la Constitution française, dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ses protocoles additionnels ou en droit de l’Union européenne. Elle n’est pas davantage consacrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ou de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) » ([47]).

Le Conseil d’État constate pour autant que « cette mesure [ne] placerait [pas] la France en contradiction avec ses engagements internationaux. Elle ne soulève pas davantage de difficultés d’articulation avec les dispositions constitutionnelles existantes » ([48]).

Il conclut que « le caractère réversible et limité de la protection conférée par la loi ordinaire justifie, pour le Gouvernement, que soit garantie par la Constitution la liberté de la femme de recourir à l’interruption volontaire de grossesse » ([49]).

  1.   Les modalités de révision de la Constitution à l’initiative du Gouvernement

L’article 89 de la Constitution de 1958 précise les modalités de révision de la Constitution. Elle ne fixe que deux limites quant à la portée de la révision : celle-ci ne peut porter « atteinte à l’intégrité du territoire », ni remettre en cause « la forme républicaine du Gouvernement ».

Lorsque la révision est d’initiative gouvernementale, le projet de loi constitutionnelle doit être voté par les deux assemblées dans des termes identiques. Elle doit ensuite être soumise au référendum par le Président de la République ou approuvées par le Parlement réuni en Congrès, à la majorité des trois cinquièmes. Cette seconde option semble privilégiée.

Sous la Vème République, aucune révision constitutionnelle d’initiative parlementaire n’a abouti et seulement deux révisions ont été approuvées par référendum : en 1962 pour l’élection du président de la République au suffrage universel direct – par l’utilisation de la procédure prévue à l’article 11 de la Constitution – et en 2000 pour la réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans.

Compte tenu de l’exigence de la procédure de révision de la Constitution, la protection qu’accorderait cette révision à l’IVG se trouverait considérablement renforcée par rapport à son inscription dans la loi.

  1.   Le dispositif proposé
    1.   De nombreuses options ont déjà été examinées par le Parlement, y compris récemment

Plusieurs propositions de loi constitutionnelle et amendements à des projets de loi constitutionnelle ont été déposés par le passé dans le but de constitutionnaliser le droit à l’IVG. En 2022 et 2023, le Sénat et l’Assemblée nationale ont adopté chacun une rédaction consacrant l’IVG dans la Constitution. Si cela montre qu’un large spectre politique est favorable à cette révision, aucune des rédactions n’a encore su emporter l’adhésion.

Plusieurs options ont ainsi été écartées lors de la préparation du projet de loi constitutionnelle :

 Le préambule de la Constitution, qui renvoie aux textes de 1789 et de 1946 ainsi qu’à la charte de l’environnement de 2005, ne donne pas d’accroche pour introduire un droit fondamental spécifique. Il n’apparait pas non plus souhaitable de modifier des textes qui composent le préambule ni de créer un nouveau texte à valeur constitutionnel dédié à cette seule liberté ;

 L’article 1er de la Constitution, qui rassemble plusieurs principes constitutionnels, notamment, depuis 2008 « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales », est de portée trop générale pour faire figurer une liberté aussi spécifique ([50]).

 Un nouvel article 66-2, dont la création avait été adoptée par l’Assemblée nationale en 2022 ([51]), ne semble pas bien trouver sa place dans le titre VIII consacré à l’autorité judiciaire.

D’autres propositions suggéraient de reconnaitre l’interruption volontaire de grossesse à l’article 34 de la Constitution qui définit le domaine de la loi afin de préciser que le législateur est compétent pour assurer la mise en œuvre du droit à l’interruption volontaire de grossesse. Une telle rédaction contient en creux l’impossibilité pour la loi de cesser de mettre en œuvre ce droit.

C’est cette option qui a été retenue par le Sénat en janvier 2023 dont le texte adopté en première lecture prévoit que : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse » ([52]).

Dans son exposé sommaires, le Sénateur Philippe Bas indiquait que cette rédaction « a pour effet d’interdire toute possibilité de suppression par la loi de la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ainsi que toute réforme législative qui aurait pour effet de porter gravement atteinte à cette liberté ».

Elle prend également « soin de préserver la possibilité pour le législateur de faire évoluer le régime de l’interruption volontaire de grossesse, comme il l’a fait à de nombreuses reprises depuis 1975 ». La modification de l’article 34 est justifiée « car il s’agit concrètement de définir l’étendue de la compétence du législateur en matière d’interruption volontaire de grossesse pour protéger cette liberté de rang constitutionnel » ([53]).

  1.   Le dispositif proposé et sa portée

Le projet de loi déposé par le Gouvernement prévoit d’insérer après le dix-septième alinéa de l’article 34, un alinéa ainsi rédigé : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Cette rédaction vise à concilier les deux textes adoptés successivement par l’Assemblée nationale et le Sénat fin 2022 et début 2023. Comme le souligne l’exposé des motifs : « Si les deux assemblées se sont ainsi clairement prononcées en faveur de l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, elles se sont séparées sur la manière de l’écrire ».

Pour le Gouvernement : « Cette rédaction constitue un juste équilibre entre les positions du Sénat et de l’Assemblée nationale. Le projet de loi retient les mots  interruption volontaire de grossesse  afin de ne laisser subsister aucune ambiguïté sur l’objet de la protection constitutionnelle. Il consacre l’existence d’une liberté, conformément à l’esprit de la loi du 17 janvier 1975. Par ailleurs, en constitutionnalisant l’interruption volontaire de grossesse à l’article 34 de la loi fondamentale, le texte reconnaît le rôle du Parlement dans l’établissement des conditions dans lesquelles s’exerce cette liberté, comme c’est le cas depuis 1975, mais en fondant la garantie de cette liberté dans la Constitution ellemême. De la sorte, cette liberté sera juridiquement protégée sous le contrôle du juge constitutionnel saisi, soit directement à l’issue du vote d’une loi, soit ultérieurement par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité » ([54]).

  1.   Le choix de modifier l’article 34 de la Constitution

À ce jour, l’article 34 de la Constitution délimite le domaine de la loi en énumérant des champs d’intervention, sans guider ou limiter le pouvoir d’appréciation du législateur dans ces domaines. Il peut toutefois déjà être remarqué que l’article 34 prévoit que « la loi détermine les principes fondamentaux […] de la libre administration des collectivités territoriales ». Cette formulation a été interprétée comme la consécration d’un principe à valeur constitutionnelle ([55]), ne permettant pas au législateur d’y déroger. L’article 34 ne se contente pas seulement de régir le rapport entre les pouvoirs législatif et règlementaire mais également d’énoncer des limites de nature constitutionnelle à l’exercice du pouvoir législatif dans son domaine de compétence.

 

Article 34 de la Constitution

La loi fixe les règles concernant :

-les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ;

-la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;

-la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;

-l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d’émission de la monnaie.

La loi fixe également les règles concernant :

-le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ;

-la création de catégories d’établissements publics ;

-les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État ;

-les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé.

La loi détermine les principes fondamentaux :

-de l’organisation générale de la Défense nationale ;

-de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ;

-de l’enseignement ;

-de la préservation de l’environnement ;

-du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;

-du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.

Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.

Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.

Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État.

Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques.

Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique.

Le choix de l’article 34 pour faire figurer la protection de la liberté d’interrompre volontairement sa grossesse n’entre donc pas complètement en contradiction avec l’esprit de l’article 34. Le Conseil d’État a considéré dans son avis qu’« au vu de l’évolution de l’article 34, sous l’effet des précédentes révisions constitutionnelles et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, [il] estime que le choix d’inscrire les nouvelles dispositions au sein de cet article n’est pas inadéquat et qu’aucun autre emplacement n’apparaît préférable » ([56]).

  1.   La reconnaissance d’une « liberté garantie à la femme »

Tandis que le texte adopté à l’Assemblée nationale faisait référence au « droit à l’IVG », le Sénat a préféré la formule « liberté de mettre un terme à sa grossesse ».

Dans son avis, le Conseil d’État a considéré « au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui ne retient pas, en la matière, une acception différente des termes de droit et de liberté, […] que la consécration d’un droit à recourir à l’interruption volontaire de grossesse n’aurait pas une portée différente de la proclamation d’une liberté » ([57]).

Les constitutionnalistes entendues par votre Rapporteur estiment également que le choix entre les termes « droit » et « liberté » importe peu, constatant que certaines libertés sont mieux garanties que des droits et inversement.

Le choix de renvoyer au terme « liberté » est également guidé par le fait qu’elle s’exerce dans des conditions et des limites prévues par la loi. Les deux rédactions adoptées par le Parlement se retrouvaient d’ailleurs sur le rappel de la compétence du législateur pour garantir ce droit.

Enfin, le principe de « liberté de la femme », tel qu’il découle de l’article 2 de la DDHC, est également celui avancé par le Conseil constitutionnel pour admettre aujourd’hui la constitutionnalité de l’IVG. Le singulier souligne le caractère individuel et autonome du choix de mettre fin à sa grossesse.

Cette rédaction ne doit pas être interprétée comme excluant les personnes transgenres, le Conseil d’État rappelant que « le caractère personnel de la liberté reconnue, que le Conseil constitutionnel rattache à la liberté personnelle, rend nécessaire d’en désigner le bénéficiaire, c’est-à-dire la femme. Il résulte de l’objet même de cette liberté et conformément à l’intention du Gouvernement qu’elle doit être entendue comme bénéficiant à toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil, l’âge, la nationalité et la situation au regard du séjour en France » ([58]).

  1.   Les conséquences de la révision sur l’état du droit

L’apport essentiel du projet de loi par rapport à la rédaction du Sénat, dont il reprend en grande partie la rédaction, consiste à rappeler que cette liberté est « garantie ».

L’objectif du Gouvernement, partagé par votre Rapporteur et formulé dans l’avis du Conseil d’État, est « d’encadrer l’office du législateur afin qu’il ne puisse interdire tout recours à l’interruption volontaire de grossesse, ni en restreindre les conditions d’exercice de façon telle qu’il priverait cette liberté de toute portée » ([59]).

De l’avis des constitutionnalistes auditionnées, l’absence du mot « garantie » aurait pour conséquence de limiter la révision au rappel du droit existant, à savoir la compétence du législateur pour définir le cadre applicable à l’IVG. Sa suppression rendrait la formulation imprécise et créerait une incertitude juridique sur l’intention du constituant. Pire, elle serait contre-productive car elle soulignerait la volonté du constituant de donner au législateur une plus grande marge d’appréciation au législateur en la matière qu’il s’agisse de faire progresser ou reculer cette liberté. Comme l’a souligné Mme Pauline Türk, « une renonciation à l’inscription du terme  garantie , à ce stade, prêterait à confusion, laissant croire que le pouvoir constituant n’a pas souhaité garantir, ou qu’il y a renoncé ».

Pour autant, cet objectif de non régression ne doit pas être confondu avec une volonté de faire évoluer la liberté de recourir à l’IVG. Le Gouvernement a souhaité s’assurer que la modification constitutionnelle ne placerait pas les dispositions législatives existantes en contradiction avec la Constitution, par exemple en ce qui concerne la clause de conscience des soignants.

Selon le Conseil d’État, la rédaction retenue « est libellée de telle manière qu’elle devrait pouvoir s’adapter aux évolutions de toute nature, notamment techniques, médicales ou scientifiques. Il considère que cette rédaction, comme le souhaite le Gouvernement, laisse au législateur la possibilité de faire évoluer le cadre juridique dans lequel s’exerce cette liberté, en en fixant les garanties et les limites et dans le respect des principes mentionnés au point 8, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Il souligne que la disposition examinée n’impose aucune modification des dispositions législatives existantes » ([60]).

Il considère par ailleurs que « l’inscription de la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, dans les termes que propose le Gouvernement, ne remet pas en cause les autres droits et libertés que la Constitution garantit, tels que notamment la liberté de conscience qui sous-tend la liberté des médecins et sages-femmes de ne pas pratiquer une interruption volontaire de grossesse ainsi que la liberté d’expression » ([61]).

Ainsi, la rédaction permettra au Conseil constitutionnel de continuer d’apprécier, comme il le fait aujourd’hui, l’équilibre entre la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme de dégradation, sans permettre qu’une restriction de cette liberté porte atteinte à son effectivité.

  1.   La position de la Commission

La Commission a rejeté l’ensemble des amendements et adopté l’article unique du projet de loi constitutionnelle sans modification.

Les débats ont été l’occasion de clarifier l’intention du Gouvernement et de la Commission sur la portée de la révision.

Les amendements proposant de revenir aux rédactions initiales des différentes propositions de loi constitutionnelle qui avaient été précédemment déposées ont été retirés au profit de la rédaction initiale du présent projet de loi constitutionnelle, soulignant la volonté de la majorité des députés de la Commission de trouver un consensus avec le Sénat.

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   Compte rendu des débats

I.   Audition de M. ÉRIC Dupond-moretti, garde des sceaux, ministre de la JUSTICE, ET discussion générale – Mardi 16 janvier 2024

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Lors de sa réunion du mardi 16 janvier 2023, la Commission des Lois auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et procède à la discussion générale, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (n° 1983) (M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur).

M. le président Sacha Houlié. Monsieur le garde des sceaux, nous avons le plaisir de vous accueillir pour vous entendre sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), après son adoption par le conseil des ministres le 12 décembre dernier.

La commission des lois a déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, d’exprimer son attachement à la constitutionnalisation de l’IVG. À la suite de l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022, qui a suscité une émotion certaine, de nombreuses initiatives parlementaires ont été lancées.

Notre commission a ainsi adopté, le 9 novembre 2022, la proposition de loi constitutionnelle de Mme Bergé visant à garantir le droit à l’interruption volontaire de grossesse, puis, le 16 novembre suivant, la proposition de loi constitutionnelle de Mme Panot visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Cette dernière a été adoptée par notre assemblée le 24 novembre 2022, après le retrait de la proposition de Mme Bergé, mais malheureusement réécrite de manière conséquente par le Sénat, le 1er février 2023.

Le débat a donc largement eu lieu ; le Gouvernement a pu s’appuyer sur le travail parlementaire, notamment pour avancer sur la question sémantique et juridique de la garantie du droit ou de la liberté d’avorter pour la femme, ou encore sur la place de la disposition dans la Constitution.

Nous nous réjouissons que l’exécutif ait repris l’initiative par ce projet de loi, ouvrant la voie d’un Congrès, que chacun considère comme la plus adaptée à cette révision constitutionnelle.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. J’ai l’honneur et la fierté de porter devant le Parlement le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Ce projet de loi est l’aboutissement de nombreuses initiatives parlementaires et de débats déjà approfondis. Lors du deuxième semestre de 2022, neuf propositions de loi constitutionnelles ayant pour objet d’inscrire dans la Constitution le droit de recourir à l’IVG ont été déposées devant l’une ou l’autre des deux assemblées. Je rends hommage à ces initiatives, qui auront toutes utilement contribué à la réflexion commune autour de ce projet. Je salue, en particulier, les propositions de l’ancienne présidente Aurore Bergé et de la présidente Mathilde Panot, grâce auxquelles l’Assemblée a joué un rôle moteur.

Avec ce projet, le Gouvernement donne suite à ces travaux et à l’appel qui lui a été lancé, auquel le Président de la République a répondu favorablement, le 8 mars 2023. À l’occasion de son discours prononcé en hommage à Gisèle Halimi, le Président a appelé à « changer notre Constitution afin d’y graver la liberté des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse pour assurer solennellement que rien ne pourra entraver ou défaire ce qui sera ainsi irréversible ». Ce projet de loi constitutionnelle est donc présenté au Parlement comme une rédaction d’équilibre parmi celles qui ont été votées par l’Assemblée et par le Sénat. Il vise à créer un consensus entre les deux assemblées à partir de constats et d’objectifs partagés.

Le constat me semble désormais clair, et le Conseil d’État l’a souligné dans son avis : il n’existe pas aujourd’hui de véritable protection supralégislative du droit ou de la liberté de recourir à l’IVG. La Convention européenne des droits de l’homme ne comporte pas de disposition spécifique sur l’avortement, et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considère que le droit au respect de la vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention, ne peut être regardé comme consacrant un droit à l’avortement. En conséquence, elle renvoie à la marge dont dispose chaque État pour apprécier l’équilibre entre le droit à la vie privée de la mère et la protection de l’enfant à naître. De la même manière, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se borne à rappeler, en l’absence de disposition spécifique sur ce point, la compétence des États membres et renvoie à l’appréciation du législateur national.

Quant au Conseil constitutionnel, il a jugé conformes à la Constitution les différentes lois relatives à l’IVG. Ce faisant, il a examiné l’équilibre ménagé entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme, qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789. Le juge constitutionnel n’est pas allé plus loin. Il a pris le soin de souligner, au sujet de l’IVG, qu’« il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » et qu’« il ne lui appartient donc pas de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances et des techniques, les dispositions prises par le législateur ». Ainsi la liberté des femmes de recourir à l’IVG ne bénéficie-t-elle pas à ce jour d’une véritable consécration constitutionnelle.

L’objectif du Gouvernement, qui rejoint les positions déjà exprimées à l’Assemblée nationale et au Sénat, est clair : accorder à cette liberté une protection constitutionnelle, sans toutefois figer la législation, ni créer une forme de droit absolu et sans limite. Cette protection constitutionnelle doit être suffisamment souple pour permettre au législateur de continuer son œuvre en la matière et donc ménager un équilibre satisfaisant, notamment au regard des évolutions techniques, médicales, scientifiques qui pourraient advenir. Ce qu’il s’agit d’empêcher, c’est que le législateur puisse un jour interdire tout recours à l’IVG ou en restreindre à ce point les conditions d’accès que la substance même de la liberté d’y recourir s’en trouverait atteinte.

Le Gouvernement souhaite consacrer pleinement la valeur constitutionnelle de la liberté de la femme de recourir à l’IVG, tout en reconnaissant le rôle du législateur dans l’organisation des conditions d’exercice de cette liberté. Les deux objectifs semblent pouvoir être conciliés par une rédaction qui protège la liberté ainsi reconnue, tout en préservant le rôle essentiel du Parlement. Pour y parvenir, le Gouvernement a retenu une voie médiane entre les rédactions de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le projet de loi comporte une disposition unique, ayant pour objet de modifier l’article 34 de la Constitution en y ajoutant, après le dix-septième alinéa, un alinéa ainsi rédigé : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »

Le Gouvernement a retenu l’article 34 de la Constitution, comme l’avait fait le Sénat. D’un point de vue juridique, cet emplacement paraît le plus adapté. Les diverses versions votées par le Parlement le montrent, aucun emplacement au sein de la Constitution n’est idéal. Cependant, l’article 34 semble préférable à la création, au sein du titre relatif à l’autorité judiciaire, d’un article 66-2 suivant l’article 66-1 relatif à l’abolition de la peine de mort. Le Conseil constitutionnel reconnaît que l’article 34 de la Constitution peut, contrairement à ce qu’une lecture rapide pourrait indiquer, accueillir des règles de fond et mettre des obligations positives à la charge du législateur – la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 y a ainsi inscrit que la loi fixe les règles concernant notamment la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias.

Ce projet se caractérise par ailleurs par le choix du mot « liberté » plutôt que « droit ». Ce choix a été ô combien commenté, mais sa portée ne doit pas être surestimée. De fait, le Conseil d’État l’a relevé dans son avis, il n’existe pas dans les textes, ni dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de différence établie entre ces deux termes. Si le Gouvernement a choisi ce terme, c’est dans un souci de clarté. Il s’agit, non pas de créer un droit absolu et sans limite, mais de faire référence à l’autonomie de la femme et de garantir ainsi l’exercice d’une liberté qui lui appartient, dans les conditions prévues par la loi.

Enfin, le Gouvernement a souhaité insister sur le fait que, si les conditions de la liberté de recourir à l’IVG sont déterminées par le législateur, cette liberté doit rester dans tous les cas garantie aux femmes qui en bénéficient. C’est un point essentiel. Le mot « garantie », issu des travaux menés par votre assemblée, vise, là aussi, à exprimer clairement quelle est l’intention. Il s’agit, non pas d’une simple attribution de compétences au législateur, mais bien de la création d’une obligation positive à sa charge : celle de protéger cette liberté que la Constitution garantit dans les conditions qu’il estime appropriées, afin qu’à l’avenir, aucune majorité ne puisse porter atteinte à la liberté intangible pour la femme de disposer de son corps.

J’en viens aux effets attendus de la révision constitutionnelle. Tout d’abord, c’est un point essentiel, aucune disposition législative en vigueur ne devrait être remise en cause par l’adoption du texte. Le Conseil d’État l’a très précisément constaté, et telle est bien l’intention du Gouvernement. Pour répondre par anticipation à certaines craintes exprimées ici ou là, la consécration de cette liberté n’emporte pas la remise en question d’autres libertés, notamment la liberté de conscience des médecins et des sages-femmes qui leur permet de ne pas pratiquer l’IVG si cet acte est contraire à leurs convictions. Cette liberté est évidemment préservée.

Ensuite, la rédaction proposée entend exprimer clairement que la décision d’avorter n’appartient qu’à la femme enceinte : elle ne nécessite ni l’autorisation d’un tiers, que ce soit le conjoint ou les parents, ni l’appréciation d’une autre personne. Cette liberté est reconnue à toute femme enceinte et même à toute personne enceinte, sans considération de son état civil, de son âge, de sa nationalité ou de la régularité de son séjour en France.

Enfin, j’y insiste, cette rédaction ne vise pas à créer une forme de droit opposable. Le Gouvernement n’ignore pas les difficultés matérielles, concrètes, qui peuvent encore exister dans l’accès à l’IVG, notamment dans certaines parties du territoire. Il s’agit là d’un autre sujet, qui n’est pas d’ordre constitutionnel. Nous sommes réunis aujourd’hui pour réviser notre Constitution, pas pour voter je ne sais quelle mesure relevant du périmètre du ministère de la santé, lequel ne ménage pas ses efforts pour améliorer l’accès à l’IVG partout en France – des annonces ont d’ailleurs été faites il y a quelques instants en séance lors des questions au Gouvernement concernant la revalorisation des tarifs des actes relatifs à l’IVG.

Cette révision de la Constitution ne lèvera pas toutes les difficultés, mais elle prémunira les femmes, en France, contre une éventuelle régression brutale de leur liberté de recourir à l’avortement. C’est la volonté exprimée par l’Assemblée, puis par le Sénat ; c’est l’objectif du Président de la République, visé par le Gouvernement.

Le projet de révision constitutionnelle constitue le point d’équilibre entre les nombreux travaux engagés dans les deux chambres et commencés ici même. Parce qu’elle respecte les priorités de l’Assemblée et le travail du Sénat, cette rédaction devrait nous permettre, j’en suis convaincu, de trouver une majorité dans les deux chambres, puis d’obtenir une majorité qualifiée au Congrès. Je forme le vœu que nos débats suffiront à dissiper les dernières hésitations et permettront à notre pays, par le vote de cette loi constitutionnelle, de franchir un pas historique pour les femmes. La France deviendrait alors le premier pays au monde à protéger cette liberté inaliénable de la femme dans sa Constitution.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Le texte soumis à notre examen est fortement attendu par le Parlement, qui avait pris l’initiative en la matière – des membres de la majorité présidentielle et des groupes La France insoumise, Socialistes, Écologiste et Gauche démocrate et républicaine avaient déposé des propositions de loi dès le début de la législature –, mais aussi par nos concitoyennes et nos concitoyens. On ne peut que saluer le choix du Président de la République de remettre l’ouvrage sur le métier pour permettre un aboutissement rapide et autonome de cette révision.

Le Parlement a travaillé en bonne intelligence et nous nous devons de poursuivre dans cette voie. Pour mémoire, en novembre 2022, l’Assemblée nationale a adopté, à une large majorité – 337 voix contre 32 – une rédaction, fruit d’un consensus transpartisan, qui reconnaissait la garantie de l’effectivité et de l’égal accès au droit à l’IVG. Dans la foulée, le Sénat, qui s’était jusqu’alors montré réticent à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, a également adopté un texte. Si ce dernier était moins ambitieux que celui de l’Assemblée, il n’en a pas moins constitué une avancée historique. Les deux chambres ont envoyé un message clair : elles souhaitent faire aboutir une révision constitutionnelle sur le sujet.

Nous respectons les doutes de ceux qui s’interrogent sur l’opportunité d’inscrire la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution. Réformer la Constitution est un acte fort, qui traduit la volonté des constituants que nous sommes d’inscrire le choix du peuple présent pour le peuple futur. C’est marquer le présent pour protéger l’avenir.

Je crois nécessaire de circonscrire le périmètre de nos débats. Il ne s’agit pas de discuter du cadre législatif en vigueur, ni de préparer des évolutions législatives visant à élargir la liberté de recourir à l’IVG. Nos débats seront scrutés en cas de contentieux, et les intentions du Gouvernement et du Parlement doivent être claires : la rédaction proposée n’implique nullement une évolution du droit existant et ne saurait être source d’un nouveau contentieux, par exemple par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le Conseil d’État est on ne peut plus précis sur ce point.

Le projet qui nous est soumis vise un objectif que nous partageons : rendre impossible une modification de la loi qui aurait pour objet d’interdire tout recours à l’IVG, ou d’en restreindre les conditions d’exercice de telle façon qu’elle priverait cette liberté de toute portée. Son adoption nous paraît indispensable pour renforcer la protection juridique de cette liberté. La Constitution recense déjà de nombreux droits et libertés, sans distinguer d’ailleurs ces deux notions, qui ont la même valeur, dans les préambules et les articles de la Constitution de 1958 : laïcité, égalité entre les femmes et les hommes, interdiction de la peine de mort, libre administration des collectivités territoriales, droit d’asile, pour ne citer que ceux-ci. Il n’y a donc pas d’incohérence ou de risque à reconnaître un nouveau droit. Au contraire, il appartient au législateur constituant d’en prendre la responsabilité, sans attendre que le Conseil constitutionnel reconnaisse éventuellement ce nouveau droit de manière prétorienne.

Ne croyons pas que la protection de l’IVG par la loi est suffisante pour nous prémunir contre tout risque d’atteinte à cette liberté. Certes, le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution des différentes réformes concernant l’IVG. Il a considéré que le législateur avait toujours respecté l’équilibre entre la liberté de la femme telle qu’elle découle de l’article 2 de la DDHC, et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation. Notons cependant trois limites à cette protection.

Premièrement, s’il admet sa constitutionnalité, le Conseil constitutionnel n’a jamais reconnu l’IVG comme une liberté ou un droit fondamental, contrairement à ce qu’il a décidé pour la liberté d’enseignement, par exemple. Deuxièmement, le Conseil n’ayant jamais eu à se prononcer sur une restriction du droit à l’IVG, on peut s’interroger sur sa capacité à déclarer inconstitutionnelles de telles dispositions sur le fondement de l’équilibre qu’il a défini, lequel repose sur une interprétation extensive de l’article 2 de la DDHC. Troisièmement, le Conseil reconnaît sur cette question un large pouvoir d’appréciation au législateur, ce qui est bien normal compte tenu du silence des textes constitutionnels.

C’est cette ambiguïté et cette incertitude que nous souhaitons lever, sans priver le juge constitutionnel de son office. La modification de l’article 34 renvoie explicitement à la prérogative du législateur pour encadrer cette liberté, qui ne saurait être absolue. L’ajout du mot « garantie », principale évolution par rapport à la rédaction du Sénat, qui est très largement reprise par ailleurs, doit renforcer la protection – désormais de rang constitutionnel – de cette liberté contre d’éventuelles atteintes à l’avenir. À l’inverse, la suppression du mot « garantie » rétablirait une incertitude quant à l’intention du constituant, voire indiquerait que celui-ci n’a pas souhaité garantir ce droit, ce qui serait contre-productif. C’est pourquoi nous resterons foncièrement attachés à ce mot.

Dans l’ensemble, la rédaction qui nous est proposée est la plus robuste et la plus opportune qui soit juridiquement. Au vu des auditions que j’ai menées, de l’avis du Conseil d’État – qui est très positif à l’égard de la rédaction proposée – et des travaux de nos collègues sénateurs, je considère que la formulation de l’article unique est précise et qu’elle n’est source d’aucune ambiguïté quant à l’objectif visé. L’emplacement retenu, à l’article 34 de la Constitution, a du sens au vu de notre histoire constitutionnelle et de son évolution ; il ne réduit en rien la portée de la liberté ainsi garantie. Cette rédaction est, enfin, de nature à garantir une protection qui respecte le choix de chaque personne souhaitant recourir à une IVG.

Je suis convaincu que la formulation retenue nous permettra de trouver un accord avec nos collègues sénateurs, car elle émane pour partie des travaux de qualité qu’ils ont menés au début de l’année 2023, travaux qui ont ouvert le chemin à la présentation du projet de loi constitutionnelle. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas déposé le moindre amendement et je vous inviterai à retenir la rédaction qui nous est proposée. Cela n’enlève rien à l’importance des débats que nous aurons sur les amendements : ils mettront en lumière l’objectif et les choix juridiques qui ont conduit à cette rédaction.

Cette révision intervient dans un contexte qui inquiète celles et ceux qui défendent les droits des femmes. En Europe, aux États-Unis et partout à travers le monde, ce droit est menacé. L’arrêt de la Cour suprême américaine nous a rappelé que, même dans un pays aussi développé et attaché aux libertés que les États-Unis, le recul du droit à l’avortement est possible. Sans transposer la situation juridique américaine à notre pays, force est de constater que les droits des femmes, selon la formule attribuée à Simone de Beauvoir, « ne sont jamais acquis » et qu’il « suffira d’une crise pour qu’[ils] soient remis en question ».

En Pologne, en Hongrie, les gouvernements créent des barrières à l’accès à l’IVG, comme l’obligation d’écouter le cœur du bébé ou l’interdiction d’avorter en cas de malformation du fœtus. Le droit européen ne nous apporte aucune garantie en la matière, car la CEDH et la CJUE laissent une grande marge d’appréciation aux États.

Les militants dits anti-choix sont très actifs en France et reçoivent des financements substantiels. Les entraves prennent des formes de plus en plus pernicieuses : certaines plateformes vont jusqu’à proposer un numéro vert pour se faire passer pour des organismes publics et dissuader les femmes qui les appellent. Ne croyons donc pas que la France est complètement imperméable à ce risque. C’est justement parce que ce droit est encore solidement ancré en France qu’il faut le protéger : on ne prend pas une assurance quand la maison brûle.

Enfin, par cette révision, notre pays enverrait un message fort au monde, en devenant le premier État à reconnaître l’IVG dans le texte de sa Constitution, qui a servi de modèle à tant de pays au cours de l’histoire.

En somme, ce texte est rien et tout à la fois. Il n’est rien, parce qu’il ne bouleverse pas le droit existant. Il est tout, parce qu’il crée un bouclier non régressif pour l’avenir, en érigeant la liberté de recourir à l’IVG au rang des libertés fondamentales devant être garanties par un État de droit au XXIe siècle.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Nous y sommes ! Depuis le premier jour de la législature, nombre d’entre nous, dont les membres du groupe Renaissance, se sont mobilisés pour consacrer dans notre Constitution le droit des femmes de recourir à l’IVG. Les initiatives parlementaires, parmi lesquelles celle de la ministre Aurore Bergé, alors présidente du groupe Renaissance, ont toutes fait valoir la nécessité de passer par un projet de loi constitutionnelle et appelé le Président de la République et le Gouvernement à agir. Je tiens à saluer, monsieur le garde des sceaux, votre engagement constant en faveur de l’inscription dans la Constitution du droit de recourir à l’IVG et la qualité du travail légistique que vous avez entrepris, souligné par l’avis, éclairant, du Conseil d’État, et le rapport établi par le rapporteur.

Que ceux qui craignent que la portée de la constitutionnalisation excède le cadre juridique actuel se rassurent : le juge constitutionnel a pour vocation de concilier des principes contradictoires. Ce sera le cas, demain, pour la liberté de recourir à l’IVG et la liberté de conscience, notamment. La formulation retenue et son inscription à l’article 34 de notre Constitution consacrent les prérogatives du législateur pour délimiter les contours et les modalités d’exercice de ce droit, dont la Constitution protégera le caractère effectif.

Afin que les deux chambres du Parlement puissent parvenir à un accord, et conformément aux engagements pris, le Gouvernement a proposé une rédaction de compromis. À ceux qui la jugent perfectible, je répondrai que le mieux est l’ennemi du bien, que le Conseil d’État comme notre rapporteur considèrent que la formulation proposée permet de consacrer à l’échelon constitutionnel le droit des femmes de recourir à l’IVG, et que le mot « liberté » a la même valeur que celui de « droit », le terme essentiel étant « garantie ». La protection juridique accordée sera donc équivalente à celle préconisée par les deux propositions de loi constitutionnelles de l’Assemblée nationale et du Sénat examinées l’an dernier. Il n’est plus temps d’ergoter sur une formulation plus ou moins parfaite ; il faut constater que cette rédaction de compromis atteint son objectif : une loi constitutionnelle qui protège le droit à l’avortement et installe un bouclier protecteur non régressif.

Nous n’avons jamais été aussi près de consacrer ce droit essentiel des femmes. Agissons ! D’autant plus que le Conseil d’État reconnaît, dans son avis, qu’il n’existe aucune garantie constitutionnelle ou conventionnelle qui donnerait une portée supralégislative à la liberté des femmes de recourir à l’IVG. L’humilité commande de regarder avec lucidité ce qui se passe hors du territoire français : partout, les réactionnaires, lorsqu’ils arrivent au pouvoir, portent atteinte à ce droit, car il constitue un pilier essentiel de la capacité des femmes à maîtriser leur corps, et donc leur destin. Il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir la réalité de la menace. Non, les anti-IVG, dans notre pays, n’ont pas disparu. Ils pullulent sur les réseaux sociaux et sur internet. Ils envoient des fœtus en plastique aux députés engagés sur la question. Ils défileront dans nos rues dimanche prochain. Ils sont même présents dans les rangs de notre assemblée ; certains l’assument franchement, même aujourd’hui, d’autres beaucoup moins. Mais n’oublions pas que, si la stratégie de la cravate modifie l’apparence, elle ne change rien au fond, et que Marine Le Pen défendait il y a encore quelques années le déremboursement de l’IVG – les prétendus « avortements de confort ».

C’est avec bonheur, en responsabilité, dans la perspective d’aboutir à la consécration du droit des femmes de recourir à l’IVG, et d’envoyer un message d’espoir à toutes les femmes de par le monde qui voient leurs droits reproductifs fragilisés, que le groupe Renaissance votera pour ce texte, sans modification.

Mme Pascale Bordes (RN). Dire que l’inscription dans la Constitution de la liberté de la femme de recourir à l’IVG est très éloignée des préoccupations actuelles de la grande majorité de nos concitoyens est un euphémisme, tant les esprits sont tournés vers la hausse galopante des prix de l’énergie et la baisse corrélative du pouvoir d’achat, ainsi que vers une situation internationale plus qu’inquiétante.

Ce texte est également peu utile pour des raisons conjoncturelles. Personne au sein de la classe politique française ne souhaite remettre en cause l’accès à l’IVG. Ce dernier n’est absolument pas menacé. Rappelons que 234 300 IVG ont été réalisées en 2022 et que ce chiffre, en constante augmentation ces dernières années, est deux fois plus élevé qu’en Allemagne.

Ce texte présente en outre peu d’utilité pour des raisons juridiques. La liberté de la femme de recourir à une IVG, à l’instar de toute liberté, ne peut être absolue : elle doit être conciliée avec d’autres libertés, droits et principes, comme le principe de la dignité humaine ou la liberté de conscience des personnels de santé, qui est aussi une liberté constitutionnelle. Par ailleurs, cette inscription nécessiterait la refonte d’une partie du code de la santé publique et du droit médical, ce qui, au vu de l’état de notre système de santé, n’est pas souhaitable.

D’aucuns mettent en avant l’aspect symbolique de la démarche, mais la Constitution n’est pas un texte symbolique. La Constitution de la Ve République a été adoptée en 1958 par le Peuple, par la voie du référendum – à l’époque, il n’existait pas que dans les livres. La Constitution fixe les principes essentiels et les droits fondamentaux qui régissent la vie en société. À cet égard, certains constitutionnalistes estiment qu’inscrire cette liberté dans notre Constitution n’est pas responsable, car la norme constitutionnelle doit être un point d’ancrage et notre droit un élément de stabilité, et non l’exutoire des désirs de certains.

Au demeurant, comment la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG peut-elle s’imposer comme un droit fondamental, alors que cette liberté n’est en réalité qu’une possibilité dérogatoire au droit à la vie inscrit dans la loi Veil ? Il y a là une incompatibilité absolue.

Dès lors, pourquoi ce texte, puisque la liberté en question n’est menacée par personne, et que, juridiquement, il ne s’impose pas ? Les auteurs de ce projet, tout en reconnaissant que la liberté de recourir à l’IVG n’est nullement menacée dans notre pays, dressent un inventaire à la Prévert : la France devrait entreprendre une croisade sur le continent européen et partout dans le monde – comme si nous n’avions pas assez de problèmes en France ; la France serait ainsi l’un des premiers pays au monde, et le premier en Europe, à reconnaître dans sa Constitution cette liberté ; le chef de l’État souhaiterait adresser un message universel de solidarité à toutes les femmes qui voient cette liberté bafouée. Or, la sauvegarde des droits et libertés des femmes ne se réduit pas à un sombre concours pour savoir qui sera le premier, ni à une croisade à travers le monde, et encore moins à un message universel envoyé à la terre entière, à plus forte raison lorsque ces droits et libertés ne sont pas, tant s’en faut, effectifs en France. Les femmes, où qu’elles vivent, méritent mieux que cette vulgaire course à la gloriole.

Mme Mathilde Panot (LFI-NUPES). La législation sur l’IVG n’a jamais été une évidence, comme vient de l’illustrer l’intervention de l’extrême droite. Cette législation est née d’un long processus historique d’acquisition de droits civils, sociaux et politiques au bénéfice des femmes en France. Je rends hommage aux militantes, aux associations qui, sur le terrain, dans les permanences, ont inlassablement mené ce combat et ce, de longue date. Je pense en particulier à l’Association nationale pour l’étude de l’avortement (Anea), à Choisir, au Mouvement français pour le planning familial (MFPF), au Mouvement de libération des femmes (MLF), au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (Mlac) et à beaucoup d’autres organisations, que je ne peux pas toutes citer. Je rends hommage à toutes celles et tous ceux qui, hier comme aujourd’hui, ont mené une lutte sans repos pour les droits des femmes : cette victoire, comme celle de 1975, est la leur.

Or, en 2024, quarante-neuf ans après le vote de la loi Veil, l’accès à l’IVG n’est toujours pas pleinement effectif dans notre pays. Il est toujours difficile pour certaines femmes d’accéder à un avortement sûr, sécurisé, dans des délais convenables. La double clause de conscience n’est toujours pas abrogée. Certaines femmes doivent encore parcourir des dizaines de kilomètres pour avorter. En quinze ans, 130 centres IVG ont été fermés, selon le Planning familial.

Le combat des femmes pour le droit à disposer de leur corps est plus que jamais d’actualité. Quarante-neuf ans après le vote de la loi Veil, nous restons parfois dans un « en même temps » insupportable, qui est la marque de ce gouvernement. Comment oublier que le 5 janvier, l’ancienne ministre de la santé, Agnès Firmin Le Bodo, se rendait à l’institut Lejeune, qui milite ouvertement contre l’avortement et le droit à mourir dans la dignité ?

Comment oublier que la nouvelle ministre de la santé, Catherine Vautrin, alors qu’elle était députée, membre du groupe Les Républicains, saisissait en 2017 le Conseil constitutionnel, lui demandant de censurer la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG ?

Surtout, comment oublier que le décret censé autoriser les sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales, pris il y a seulement un mois en application de la loi Gaillot, est si contraignant qu’il en arrive à contredire l’objectif même de la loi, faisant ainsi régresser le droit à l’IVG ?

Je vous le demande avec d’autant plus de force que, en France, en Italie, aux États-Unis et dans bien d’autres pays du monde, les anti-choix battent le pavé, avec à la clef, bien souvent, des victoires de l’extrême droite. À travers le monde, ils ont un seul mot d’ordre : la régression.

Demain, en Andorre – dont le Président de la République est le coprince –, sera rendu le verdict dans le procès de Vanessa Mendoza Cortés. Militante pour le droit à l’avortement dans un pays où l’IVG est considérée comme un crime, elle est jugée pour avoir dénoncé cet état de fait devant l’ONU. Il est plus qu’urgent d’inscrire la garantie du droit à l’IVG et, par-là, d’envoyer un signal aux femmes qui se battent dans le monde entier.

Le « manifeste des 343 salopes » affirmait : « L’avortement libre et gratuit n’est pas le but ultime de la lutte des femmes. Au contraire il ne correspond qu’à l’exigence la plus élémentaire, ce sans quoi le combat politique ne peut même pas commencer. » La victoire à laquelle nous aspirons est donc celle de l’humanisme qui guide l’action de mon groupe, pour la constitutionnalisation du droit à l’IVG comme pour le droit à mourir dans la dignité. Il n’y a pas de plus grande liberté, selon nous, que d’être maître de son corps tout au long de sa vie.

Bien que nous ne soyons pas d’accord avec la rédaction du projet de loi constitutionnelle, nous voterons celui-ci en l’état, parce que le besoin de consacrer ce droit humain fondamental dans la Constitution est urgent, autant pour les femmes de ce pays que pour envoyer un message d’encouragement à toutes celles qui se battent en Argentine, aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie, en Italie et dans bien d’autres pays. Nous modifierons cette rédaction dans la Constitution de la VIe République, que j’espère, en ajoutant au droit à l’IVG son corollaire : le droit à la contraception.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Avant que nous n’examinions ce projet de loi constitutionnelle, je souhaiterais rappeler la lignée dans laquelle il s’inscrit. Jusqu’en 1975, l’avortement constituait un délit pénal, sanctionné par cinq ans d’emprisonnement. Les médecins pouvaient être condamnés à une interdiction d’exercer ; les femmes concernées étaient contraintes de se rendre à l’étranger ou de recourir à des avortements clandestins, comportant tous les risques que l’on sait.

La légalisation de l’IVG est le fruit d’un long combat. Le droit à l’IVG fait désormais partie intégrante de notre patrimoine juridique fondamental, ce dont nous nous félicitons.

La question qui nous est aujourd’hui posée est de savoir si la protection constitutionnelle de l’IVG en France est suffisamment solide et durable, ou si l’inscription de cette protection dans la Constitution est nécessaire. Corollairement, nous devons nous demander si cette inscription ne risque pas de rompre l’équilibre auquel est parvenue la loi Veil entre le droit à l’avortement et le droit ou la liberté de l’enfant à naître.

Il faut le rappeler, il n’existe pas aujourd’hui en France de risque de revirement de la jurisprudence relative à l’avortement. La décision de la Cour suprême des États-Unis n’emporte aucune conséquence pour notre pays. Le droit à l’avortement tel que la loi Veil le garantit n’est pas menacé, comme l’indiquent tous les avis du Conseil constitutionnel. Il demeure l’un de nos droits fondamentaux. Nos groupes politiques, sauf exception, sont au diapason sur ce sujet. L’IVG figure ainsi dans notre droit depuis 1975, et le droit d’y avoir recours n’a cessé d’être renforcé depuis cette date. Par quatre fois, le Conseil constitutionnel s’est prononcé en faveur de sa constitutionnalité et a approuvé son élargissement : en 1975, 2001, 2014 et 2016. Ainsi, même si l’IVG n’était pas inscrite dans la Constitution, il est fort probable que le Conseil constitutionnel jugerait inconstitutionnelle une loi interdisant ou restreignant l’IVG, puisqu’elle priverait de garantie légale l’exercice de cette liberté de la femme reconnue par l’article 2 de la DDHC de 1789.

On peut donc s’interroger sur le caractère strictement symbolique de l’inscription dans la Constitution prévue par le présent projet de loi. Il est important que nous envoyions des signaux au monde ; la France a un rôle à jouer dans ce domaine. Attention, toutefois, à ne pas instrumentaliser notre loi fondamentale à des fins diplomatiques ou du moins, si nous le faisons, à ne pas nous exposer de ce fait à un risque juridique nouveau, donnant lieu à l’ouverture de contentieux.

L’exposé des motifs du projet indique que la révision constitutionnelle vise à adresser un message universel de solidarité aux femmes qui voient leur liberté bafouée. Rappelons cependant que Simone Veil elle-même, en décembre 2008, n’a pas recommandé de modifier le préambule de la Constitution, ni d’intégrer à celle-ci des droits ou libertés fondamentaux liés à la bioéthique, tels que le droit ou la liberté d’avoir recours à l’IVG. Elle s’était, en outre, déclarée contre l’inscription dans la Constitution de dispositions de portée purement symbolique.

Les députés du groupe Les Républicains sont attachés à l’équilibre de la loi Veil de 1975, qui repose sur la conciliation entre la liberté des femmes et la protection de l’enfant à naître. Nous aurons donc beaucoup de questions à poser sur l’articulation entre la garantie de la liberté de recours à l’IVG souhaitée par le Gouvernement, d’une part, et la liberté de conscience des médecins et les droits de l’enfant à naître, d’autre part.

M. Erwan Balanant (Dem). Clin d’œil de l’histoire, demain, alors que notre commission débattra du présent projet de loi, il se sera écoulé quarante-neuf ans depuis la promulgation de la loi Veil, qui donna aux femmes la liberté de disposer de leur corps et de choisir d’être mères. Depuis, plusieurs lois ont élargi et amélioré le cadre de prise en charge de l’IVG.

Malheureusement, le droit à l’IVG, que nous pensons fondamental et inaliénable, n’est pas à l’abri de régressions ou, pire, d’abrogations. Les multiples atteintes dont il a fait l’objet en Europe et outre-Atlantique sont une triste réalité. L’onde de choc provoquée par la décision historique de la Cour suprême américaine bouleverse nos convictions et brise le mouvement de progression du droit des femmes à disposer de leur corps, que l’on croyait continu.

Les paroles de Simone de Beauvoir à Claudine Monteil, diplomate et signataire du « manifeste des 343 », au lendemain de l’adoption de la loi Veil par l’Assemblée nationale, sont criantes de vérité : « Nous avons gagné, mais temporairement. Il suffira d’une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante. »

Cette vigilance est en réalité l’affaire de toutes et de tous. Il appartient aux députés de tous bords de l’exercer. Il nous faut nous interroger sur notre capacité à prévoir de tels revers en France et il est de notre devoir de protéger la liberté de recourir à l’IVG de toute crise politique, économique et religieuse.

Rappelons que si nous débattons aujourd’hui, c’est parce que le droit à l’IVG ne bénéficie pas de la protection la plus forte qui soit. Si le Conseil constitutionnel, depuis 2011, a rattaché la liberté de recourir à l’IVG à la liberté de la femme, qui découle de l’article 2 de la DDHC, il ne lui a jamais été conféré de valeur constitutionnelle.

Symbole, diront les uns, véritable protection, diront les autres. Il n’en demeure pas moins que la constitutionnalisation de l’IVG permettra de se prémunir contre toute velléité de remise en cause de cette liberté par la loi.

Alors que 82 % des Français et des Françaises se déclarent favorables à cette constitutionnalisation, elle serait par ailleurs un signal fort et utile pour le reste du monde. À ce jour, en effet, aucune Constitution ne reconnaît ce droit de façon positive.

Le 24 novembre 2022, notre assemblée adoptait, à une large majorité transpartisane, une proposition de loi constitutionnelle garantissant aux femmes l’effectivité et l’égalité de l’accès à l’IVG. Le 1er février 2023, le Sénat adoptait à son tour cette proposition de loi, dans une nouvelle rédaction.

Le texte proposé aujourd’hui est le fruit d’un équilibre entre la position de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, retenant les mots « interruption volontaire de grossesse », afin de ne laisser subsister aucune ambiguïté, consacrant l’existence d’une liberté et reconnaissant le rôle du Parlement dans l’établissement des conditions dans lesquelles s’exerce cette liberté garantie par la Constitution.

Gouvernement, politiques, élus, citoyens, je crois qu’un même élan nous entraîne tous désormais. Si nous prenons acte de notre consensus en faveur de la révision de notre Constitution, cette révision ne doit pas pour autant se faire à la légère. Le groupe Démocrate salue, à ce titre, la décision du Président de la République de recourir à un projet de loi constitutionnelle et, de ce fait, à un vote des parlementaires réunis en Congrès.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Quarante-neuf ans après l’adoption de la loi Veil, le présent texte constitutionnel, traitant d’un sujet de société qui interroge la conscience de chacun d’entre nous, est très attendu.

En 2018, déjà, nous avions présenté un amendement au projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, qui prévoyait la reconnaissance, dans le préambule de la Constitution de 1958, du droit d’accéder à une contraception adaptée et gratuite, ainsi que de recourir librement à l’IVG. En 2019, nous reprenions cet amendement sous la forme d’une proposition de loi constitutionnelle, qui n’obtint pas, alors, l’aval de la majorité.

Le présent projet de loi constitutionnelle, qui inscrit l’IVG dans notre norme fondamentale, est un acte profondément politique, qui traduit en droit la volonté de la communauté nationale d’inscrire dans les règles qui régissent son fonctionnement la possibilité pour la femme de disposer librement de son corps.

Nul doute que les propos que nous tenons aujourd’hui résonneront bien au-delà des murs de notre commission, pour des milliers de femmes à travers le monde. Le renversement de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême américaine, la mobilisation de toutes les associations féministes, le dépôt de six propositions de loi et l’adoption par les deux chambres d’une proposition visant à constitutionnaliser l’IVG ont poussé le Président de la République à s’engager en ce sens.

Bien que la rédaction du présent projet de loi constitutionnelle ne soit pas parfaite, nous nous en satisfaisons, d’abord parce que ce texte répond à un besoin politique, en créant un bouclier contre toute régression de la liberté de recourir à l’IVG. À ceux qui arguent qu’aucune menace imminente ne pèse sur le droit d’avorter en France, nous opposons les contre-exemples des sept États américains ayant interdit l’IVG même en cas de viol ou d’inceste, de la Pologne, où les IVG ne sont plus autorisées qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, de la Hongrie, qui oblige désormais toute femme souhaitant avorter à écouter battre le cœur du fœtus.

Que la France ne risque pas aujourd’hui de se trouver dans une telle situation ne saurait préjuger du maintien du statu quo, d’autant que les entraves à l’IVG prennent des formes de plus en plus pernicieuses de la part des mouvements anti-choix, qui trompent les femmes peu ou mal informées afin de les inciter à poursuivre leur grossesse.

Nous nous satisfaisons de cette rédaction, ensuite, car le texte répond à un besoin juridique, en garantissant une protection qui n’est aujourd’hui assurée ni par notre Constitution, ni par les normes européennes. La constitutionnalisation proposée créerait ainsi une base juridique robuste en droit interne, permettant la censure d’une loi régressive par le Conseil constitutionnel.

Enfin, nous nous en satisfaisons, car il répond à un besoin exprimé par notre société, en garantissant aux femmes la libre disposition de leur corps, garantie nécessaire pour assurer une égalité réelle, pleine et entière entre les femmes et les hommes.

La rédaction du projet de loi n’en demeure pas moins perfectible. Nous aurions préféré la consécration d’un véritable droit fondamental à l’IVG sans qu’il soit rattaché à la liberté personnelle. Nous n’aurions pas introduit l’IVG dans l’article 34 de la Constitution, mais plutôt dans son article 1er, écrin des droits. Nous aurions souhaité que le droit à la contraception figure également dans le projet.

Nous savons cependant que les victoires féministes ont toujours été le fruit de compromis. Sans accommodements, Simone Veil ne serait pas parvenue à faire adopter la loi sur l’avortement ; cinquante ans plus tard, c’est toujours le cas.

Nous tenons toutefois à insister sur deux points, et d’abord, sur la notion indispensable de garantie. De l’avis des constitutionnalistes que nous avons auditionnés, l’absence du mot « garantie » aurait pour conséquence de limiter la révision au rappel du droit existant, à savoir de la compétence du législateur pour définir le cadre applicable à l’IVG. Cette absence rendrait également la formulation imprécise et créerait une incertitude juridique s’agissant de l’intention initiale du législateur.

Nous soulignons, en outre, que le terme « femme » ne doit pas être interprété comme excluant les personnes transgenres du champ d’application de la loi.

Parce que nous savons que cette rédaction est le résultat d’un compromis avec le Sénat ; parce qu’il est important de faire sévèrement échec aux pro-vie et de faire progresser collectivement la protection de ce droit ; parce que des millions de femmes partout dans le monde nous attendent, nous avons choisi une position responsable, en acceptant le compromis et en ne déposant pas d’amendement.

Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Le 24 juin 2022, outre-Atlantique, la Cour suprême des États-Unis rendait une décision relative à l’interruption de grossesse, qui propagea une onde de choc à travers le monde. En mettant un terme à la célèbre jurisprudence Roe vs Wade de 1973, la Cour suprême a démontré la fragilité des droits fondamentaux qui semblaient acquis dans nos sociétés modernes.

En Europe également, certains courants tentent d’entraver la liberté des femmes d’interrompre leur grossesse. La France, fort heureusement, est dans une situation très éloignée de celle des États-Unis. Le droit à l’IVG n’y fait plus l’objet d’aucune remise en cause par les partis politiques de tous bords, même si des mouvements concentrés et relativement minoritaires portent toujours une voix pro-vie. Notre réaction à l’évolution proposée de notre droit doit donc être mesurée.

Néanmoins, face au retour en arrière que constitue la décision de la Cour suprême américaine, nous devons montrer l’exemple. Consacrer cette liberté au sommet de la hiérarchie des normes ferait de la France l’un des premiers pays au monde – et le premier en Europe – à protéger dans sa Constitution la santé physique et psychique des femmes contre les risques que présente un avortement dans la clandestinité.

En héritiers de Simone Veil, nous nous prémunirions ainsi contre la possibilité d’un retour aux faiseuses d’anges, près de cinquante ans après la loi fondatrice du 17 janvier 1975, en empêchant la remise en cause par la loi de la liberté d’avoir recours à l’IVG. C’est un message fort envoyé aux hommes et aux femmes du monde entier.

La pertinence de l’inscription de cette liberté dans notre Constitution a été confirmée par l’avis rendu par le Conseil d’État le 7 décembre 2023. Celui-ci a noté que la liberté de recourir à l’IVG ne fait aujourd’hui l’objet d’aucune consécration en tant que telle dans la Constitution française, dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou dans le droit de l’Union européenne. Elle n’est pas davantage consacrée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne, qui renvoient toutes deux à l’appréciation des États la recherche d’un équilibre entre le droit à la vie privée de la mère et la protection de l’enfant à naître.

Dans sa décision du 27 juin 2001, le Conseil constitutionnel a fait le choix d’adosser la valeur constitutionnelle de la liberté de la femme d’avoir recours à l’IVG à celle de la liberté de la femme prévue par l’article 2 de la DDHC.

Le groupe Horizons et apparentés est favorable au présent projet de loi constitutionnelle en ce qu’il insère à l’article 34 de la Constitution un alinéa précisant que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »

La rédaction choisie emporte notre approbation, car elle précise que c’est à la loi de garantir l’effectivité du droit à l’IVG et l’accès à celle-ci, en d’autres termes qu’il revient aux représentants de la nation de déterminer les conditions dans lesquelles ce droit s’exerce. Ainsi, la liberté de recourir à l’IVG sera protégée de façon pérenne, tout en continuant d’être encadrée par un processus démocratique.

Par ailleurs, l’emploi d’une formule positive permet d’assurer la constitutionnalité d’un certain nombre de dispositifs importants de notre droit, notamment la clause de conscience des médecins et des sages-femmes.

Le groupe Horizons tient, enfin, à saluer le compromis entre les textes adoptés dans les deux chambres dont résulte la rédaction retenue.

Résolument attaché à la liberté de choisir, notre groupe parlementaire sera toujours guidé par la volonté d’empêcher une quelconque remise en cause de l’équilibre défini par la loi Veil. Nous voterons donc en faveur de ce projet de loi constitutionnelle, dans la rédaction proposée.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’IVG est de ces conquêtes féministes qui ont donné aux femmes en France une liberté, un droit de disposer de leur corps, et par conséquent de leur vie. Ce n’est pas un combat récent : il a été mené par nos aînées, par ces féministes vilipendées pour avoir eu le verbe trop haut, par ces avorteuses, ces faiseuses d’anges, poursuivies par la justice et dont l’histoire, aujourd’hui, reconnaît l’apport comme la réalité des vies qu’elles ont sauvées. Ces femmes, ces féministes, étaient de tout bord mais partageaient un combat commun. Elles ont tracé le sillon qui nous a conduits au présent texte, lequel constitue une suite à leur travail, mais certainement pas son point final. Il n’est qu’une étape dans le long processus de notre « empouvoirement ».

En tout temps, nos droits peuvent être mis en danger. Ils le sont aujourd’hui, dès lors qu’ils ne sont pas institués. On pense naturellement aux États-Unis, à la Pologne, à tous ces pays où la bascule politique produit une fracture dans le socle de nos droits fondamentaux, dont les femmes sont toujours les premières victimes.

C’est aussi une réalité française : il suffit de penser aux faux sites d’aide aux femmes, qui ont pour principal objectif d’inciter ces dernières à refuser de faire usage de leurs droits et de leur liberté de choix. Je pense également à la campagne des réseaux anti-IVG qui, pour nous menacer ou nous faire peur, ont envoyé par la poste à plusieurs d’entre nous des fœtus en plastique. Que d’argent mal dépensé !

Je pense, enfin et surtout, aux déserts médicaux qui rendent l’accès à l’IVG inégalitaire et plus encore à ces médecins, ces gynécologues qui persistent à culpabiliser les femmes, à tenter de les faire revenir sur leurs choix, et sur lesquels nous butons parfois parmi nos proches ou dans nos circonscriptions, dans nos familles ou dans nos assemblées parlementaires. Leurs victimes ont été et sont encore trop nombreuses.

Ces menaces présentent un point commun, très politique : le choix que font les réactionnaires de toujours empêcher les femmes de disposer de leur corps ; de les tenir à distance et pour ainsi dire en laisse, afin qu’elles ne puissent décider de leur avenir, que nous ne puissions collectivement décider du nôtre. Certains, d’ailleurs, au sein de notre assemblée, en sont encore à légiférer sur le ventre des femmes, pour nous obliger à produire selon certains quotas. Ce sont les mêmes qui opposent les droits des femmes à ceux d’un fœtus et qui refusent de construire l’histoire de demain, celle des femmes et de la France.

Constitutionnaliser, ce n’est pas banaliser, mais bien sanctuariser un droit, celui des femmes. Ce n’est pas démultiplier les recours à l’IVG, ce n’est pas nier le choix de celles qui ne veulent pas y recourir. C’est s’assurer que, quoi qu’il arrive, l’histoire ne se déroule pas à rebours et que nos droits ne régressent pas. C’est aussi inscrire la France dans l’histoire, celle du premier pays à agir en faveur d’une constitutionnalisation partielle de ce droit.

Certes, nous aurions préféré la formulation travaillée par notre collègue Mathilde Panot, qui permettait de garantir l’accès à l’IVG et incluait dans sa version première le droit à la contraception. Nous aurions également pu envisager de constitutionnaliser le délai de recours à l’IVG et de le fixer ainsi à quatorze semaines. Nous défendrons des amendements qui nous permettront d’évoquer les raisons pour lesquelles nous ne le faisons pas et persistons ainsi à nous autolimiter.

Un seul objectif prime cependant sur tout autre : parvenir à avancer, à construire notre histoire, à constitutionnaliser, fût-ce à l’article 34, fût-ce dans une version revue à la baisse, ce droit fondamental, en France, de toutes les femmes, françaises ou non.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le groupe GDR, comme de nombreux membres de cette commission, n’estime pas que la loi en discussion est vaine ou relève uniquement de la cosmétique ou du symbole. À notre sens, elle est profondément utile sur les plans social, médical, politique et culturel, d’autant plus que nous assistons à la montée en puissance de nouveaux fascismes en Europe et ailleurs dans le monde. Il faut le rappeler, 47 000 femmes dans le monde meurent chaque année d’un avortement clandestin, soit une femme toutes les neuf minutes.

Ce projet de loi constitutionnelle est attendu de très longue date. Il faut, à cet égard, noter à quel point les luttes pour les droits des femmes sont longues et combien il faut, pour qu’elles aboutissent, toujours accepter des compromis. C’est la marque des grandes conquêtes féministes. Je tiens ici à rendre hommage à toutes celles qui se sont battues pour les mener à leur terme et à toutes celles qui persisteront à le faire en faveur de nouvelles victoires.

De très nombreuses associations continuent d’œuvrer pour le droit à l’avortement et pour son effectivité réelle en France. Je pense aussi à toutes celles et à tous ceux qui ont souhaité, au Parlement, se saisir de cette question et s’assurer de la protection absolue du droit à l’IVG, notamment depuis l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême américaine, dont la résonance a été internationale.

Je remarque d’ailleurs que le combat pour le droit à l’IVG a dans le monde un écho d’une ampleur telle qu’il semble dépasser celui de toute autre lutte. Dans certains pays – au Kenya, au Nigeria, en Éthiopie ou en Inde –, des mouvements anti-avortement ont saisi l’occasion que leur fournissait la décision de la Cour suprême des États-Unis pour arrêter des processus législatifs progressistes favorables aux droits sexuels et reproductifs. La constitutionnalisation de l’IVG en France, importante pour la défense des droits des femmes dans notre pays, aurait donc également une résonance ailleurs dans le monde. Je ne le néglige pas et j’en serais même fière.

Le séisme outre-Atlantique a rouvert en France le débat sur la constitutionnalisation en question. Suivant un sondage pour la Fondation des femmes et le Planning familial réalisé en février 2021, 93 % des Français se disent attachés au droit à l’avortement. Les associations pro-vie n’en demeurent pas moins vigoureuses et abreuvées de financements aussi opaques que nombreux. Ces associations financent des campagnes régulières à l’effet considérable, qui passent par des manifestations anti-IVG, par la diffusion de fausses informations auprès des femmes sur internet, ou encore par la mobilisation d’élus réactionnaires. Les pro-vie redoublent ainsi de créativité dans le but d’empêcher les femmes d’avorter.

Je réponds ainsi à ceux qui estiment que le droit à l’avortement en France ne court aucun danger. Je pense que ce danger existe mais, même s’il n’existait pas, il n’en serait pas moins nécessaire de le protéger absolument.

Je terminerai en indiquant que la formulation proposée ne nous convient pas. Elle est perfectible. Nous défendrons donc des amendements, car nous estimons qu’il est utile de continuer à en débattre. Néanmoins, nous voterons évidemment en faveur de la constitutionnalisation de l’IVG.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Il est important d’être constant et de rester fidèle à ses convictions. Plus d’un an après le vote de la dernière proposition de loi sur ce thème, la position de la très grande majorité de notre groupe n’a pas changé. Nous restons favorables plus que jamais à l’inscription dans notre Constitution du droit à l’IVG pour toutes les femmes.

Ce projet de loi a de réelles chances d’aboutir. Une fenêtre de tir assez inespérée s’ouvre devant nous et nous ne pouvons pas la manquer. Les avancées consacrées par la loi Veil il y a quarante-neuf ans sont désormais soutenues par une immense majorité de nos concitoyens. Il est temps d’aller plus loin.

Je commencerai par répondre à ceux de nos collègues qui considèrent que le droit actuel est suffisamment protecteur. L’optimisme est certes une qualité, mais il ne doit pas conduire à l’aveuglement. Si la loi Veil est une grande loi, elle n’en reste pas moins une loi ordinaire, susceptible de se trouver limitée par une autre loi ordinaire. À ceux qui affirment qu’il n’existe pas de risque politique réel et imminent, je répondrai que l’improbable n’est pas impossible. S’il existe dès à présent une majorité pour voter ce texte, cela doit nous conduire à renforcer la protection du droit à l’IVG, et non à l’inaction.

Nous pourrions reprocher une prudence excessive à la rédaction proposée par le garde des sceaux. L’article unique reste, selon nous, un peu timide par comparaison avec la rédaction adoptée par notre assemblée en novembre 2022. Le projet retient le terme de « liberté » et non celui de « droit ». Ce choix n’est pas anodin. Bien que le Conseil d’État considère que les deux termes sont interchangeables, il s’agit tout de même de notre Constitution et le choix des mots, le signal envoyé aux femmes sont importants. Un droit est une garantie réelle offerte à une personne qui en a besoin, et l’emploi de ce terme nous paraîtrait à cet égard plus approprié.

Nous estimons surtout qu’il faudrait aller plus loin et retenir la rédaction adoptée par notre assemblée. Pourquoi ne pas garantir dans la Constitution un droit effectif, dont l’égal accès serait assuré à tous ? Il existe encore de nombreux clivages, en particulier des fractures territoriales, dans l’accès à l’IVG. Ce texte ne doit pas se limiter aux symboles ; il doit ouvrir également la voie à des avancées concrètes pour que toutes les femmes se trouvant sur notre territoire puissent avoir accès à l’IVG dans les mêmes conditions.

Nous pensons que notre commission gagnerait à se montrer plus ambitieuse. On ne modifie pas la Constitution tous les jours, et nous devons être à la hauteur des attentes des citoyens et des citoyennes. Néanmoins, nous nous associons à l’élan de responsabilité qui anime la plupart des groupes ici présents, en insistant sur la nécessité de renforcer la protection du droit à l’IVG par l’inscription de cette dernière dans la Constitution.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je veux d’abord remercier Mme Violland d’avoir rappelé les termes employés par le Conseil d’État. Il nous indique que la liberté de recourir à l’IVG n’est garantie ni par la Constitution, ni par le Conseil constitutionnel, ni par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni par la Cour de justice de l’Union européenne. Elle n’est garantie par rien. Cela seul justifie que nous inscrivions la liberté de recourir à l’IVG et sa garantie dans la Constitution.

Madame Bordes, s’agissant du caractère symbolique de l’inscription dont nous discutons, dois-je vous rappeler que c’est dans la Constitution que la couleur du drapeau, la langue française, notre devise sont inscrites ? La Constitution a donc aussi une portée symbolique, très importante dans la période que nous traversons. Il est crucial d’affirmer, dans le texte au sommet de la hiérarchie des normes, la liberté des femmes de disposer de leur corps. Je suis toujours heureux, fier et ému quand l’universalisme de la France des Lumières éclaire le monde entier, surtout quand cela procède d’un travail transpartisan.

À ce propos, je vous remercie, madame Panot, d’avoir indiqué que vous voteriez en faveur du texte bien que vous n’aimiez pas sa formulation. Vous avez raison de le faire compte tenu de la méthode employée par le Président de la République, qui a d’abord consisté à suivre avec intérêt et bienveillance les initiatives parlementaires. Ces dernières ont abouti. J’ai moi-même soutenu le texte que vous avez présenté, et Aurore Bergé a retiré le sien. Au Sénat, votre texte s’est trouvé face à celui de Mme Vogel, et il n’y a eu qu’une discussion. Les rédactions adoptées par les deux assemblées ont beaucoup en commun, mais présentent aussi quelques divergences sémantiques avec lesquelles je suis obligé de composer. L’antériorité de ce travail parlementaire a donc eu ceci de positif qu’elle a permis au Gouvernement de présenter un texte susceptible d’être adopté par les deux assemblées.

Je rappelle qu’en vue du Congrès, le texte définitif doit être adopté par ces dernières en des termes identiques. Il est normal que l’Assemblée ne soit pas tout à fait satisfaite du texte proposé par le Sénat, de même que le Sénat n’était pas pleinement satisfait de celui que proposait l’Assemblée. Néanmoins, la rédaction à laquelle nous sommes parvenus est extrêmement équilibrée. C’est maintenant ou jamais : soit nous jouons le jeu transpartisan et menons à son terme l’œuvre collective qui a commencé et qui se terminera au Parlement ; soit nous la faisons capoter pour un mot, pour une virgule.

Je vous invite à lire l’avis limpide du Conseil d’État, en particulier sur la question de l’équilibre, madame Bonnivard. Il consacre un paragraphe à démontrer que les grands équilibres ne seront en rien modifiés par le projet. À cet égard, les choses me paraissent tout à fait claires.

Le sujet fait l’objet d’un consensus transpartisan et le projet permet de trouver un point d’équilibre. En avant toute ! C’est très important.

On nous dit qu’il ne faut pas exagérer les risques, que le droit à l’IVG ne sera jamais remis en question et que l’Atlantique nous sépare des États-Unis. Ce droit y était reconnu depuis cinquante ans, mais c’est pourtant désormais fini. Je pourrais aussi parler de la Hongrie et de la Pologne. Des gens continuent d’envoyer des fœtus en plastique aux députés. Il y a dans notre pays des forces qui n’ont aucune envie de garantir le droit à l’avortement et de protéger cette liberté pour les femmes. Je le dis sans viser quiconque. Ces personnes se trouvent essentiellement à l’extrême droite. C’est une réalité qui a été soulignée par Sarah Tanzilli.

Nous avons un grand texte de liberté. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut tous ensemble discuter d’un tel projet et le voter. Alors soit on choisit de chipoter – mais ce n’est pas ce que j’ai entendu aujourd’hui –, soit on adopte ce texte pour faire figurer ce droit dans notre Constitution. Comme l’a relevé Mme Faucillon, le Conseil d’État a cru utile de rappeler que cela serait la première fois qu’un pays inscrit cette liberté dans sa Constitution. Si j’étais familier, je dirais que ça a de la gueule ; comme je le suis moins, je dis que cela a quand même beaucoup d’allure.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Je reprends l’invitation de Sarah Tanzilli : l’humilité doit guider nos travaux à venir. Je remercie les collègues qui avaient déposé d’autres propositions de rédaction d’avoir fait preuve de retenue, en accordant la priorité à un accord avec le Sénat et en prenant en considération la qualité des apports proposés par nos collègues sénateurs. Cela nous permettra, j’en suis sûr, d’aboutir à la constitutionnalisation de la liberté de recourir à l’IVG.

Notre désaccord est en effet certain, madame Bordes. Vous estimez que le texte n’est pas utile et que le droit à l’IVG ne subit pas d’attaques. Nous considérons qu’il fait bien l’objet d’attaques – et pas seulement en Europe ou ailleurs dans le monde, mais aussi en France. Cela justifie que l’on place au niveau constitutionnel la protection du droit à l’IVG, ce qui recueille un accord de l’Assemblée et du Sénat et un fort soutien de nos concitoyennes et concitoyens. Il faut le faire le plus rapidement possible – ce qui ne signifie pas fixer une date à respecter. Si nous y arrivons en mars, cela sera très bien ; si c’est en avril, cela sera très bien aussi. L’objectif est d’aboutir, en respectant le travail réalisé par les deux chambres.

Par ailleurs, madame Bordes, à travers cette constitutionnalisation, nous allons reconnaître une liberté publique fondamentale. Le droit à l’avortement a été conçu en 1975 comme une dérogation au droit pénal qui considérait l’IVG comme un délit, et donc comme une tolérance. Ce que nous proposons, c’est de consacrer la liberté publique fondamentale, celle de disposer de son corps. C’est un message majeur en matière d’égalité des droits à destination des générations présentes et à venir, mais aussi du monde entier.

D’un point de vue technique, vous avez estimé que cette constitutionnalisation entraînerait une refonte importante du code de la santé publique. Je vous invite à lire l’alinéa 12 de l’avis du Conseil d’État, où ce dernier indique que le projet n’implique aucune modification des dispositions législatives existantes. Il ne serait donc pas nécessaire de modifier le code de la santé publique.

Je rebondis sur l’intervention de notre collègue Émilie Bonnivard pour souligner que la discussion des amendements permettra de s’interroger sur la protection accordée au droit à l’avortement par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous estimons que cette dernière ne va pas assez loin, car le Conseil n’a jamais reconnu l’avortement comme une liberté. Il existe donc une incertitude dans le cas où le Conseil serait amené à se prononcer sur un texte qui reviendrait en arrière. C’est la raison pour laquelle il convient d’apporter une réponse au niveau constitutionnel, en retenant une rédaction sans aucune ambiguïté.

Marie-Noëlle Battistel a insisté, à juste titre, sur l’importance du mot « garantie ». Nous avions été un certain nombre à considérer que nous pourrions finalement reprendre le texte du Sénat sans modification. Les travaux menés par le Gouvernement, l’avis du Conseil d’État et les auditions ont montré toute l’importance de l’emploi de ce mot. Nous ne pouvons pas revenir en arrière et le supprimer laisserait entendre que nous ne souhaiterions pas garantir cette liberté, or c’est notre objectif.

Enfin, madame Regol, constitutionnaliser ne veut en effet pas dire banaliser, mais bien sanctuariser. C’est ce but qui doit guider nos travaux.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des autres députés.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Le moment est solennel, car il est rare dans la vie d’un député d’exercer le pouvoir constituant. La démarche est toute autre que celle que nous avons habituellement. Il ne s’agit plus de faire vivre les grandes oppositions qui traversent la société mais, au contraire, comme il s’agit de la norme suprême, d’énoncer clairement la perception de la très grande majorité des Français des droits et libertés.

Je voudrais répondre à l’un des arguments de ceux qui contestent l’utilité de constitutionnaliser la liberté de recourir à l’IVG – comme François-Xavier Bellamy, tête de la liste LR pour les élections européennes. J’ai également entendu la position du RN lors de cette réunion. Selon eux, le texte ne sert à rien parce que tout le monde est d’accord sur le droit de recourir à l’IVG et qu’il n’existe pas de risque de remise en question de ce dernier. Si tout le monde est d’accord, pourquoi ce droit ne figure-t-il pas déjà dans la Constitution ?

En exerçant le pouvoir constituant, la question que nous devons nous poser est de savoir pourquoi une telle béance existe s’agissant d’un droit absolument fondamental pour les femmes. Sans lui, il ne peut pas y avoir d’égalité de droits entre les femmes et les hommes. Lorsque le Conseil constitutionnel a reconnu que le droit de recourir à l’IVG était conforme à la Constitution, il s’est appuyé sur le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui garantit à la femme des droits égaux à ceux de l’homme. Pour atteindre l’égalité, il faut pouvoir maîtriser la procréation.

Je considère qu’il faut discuter de l’emplacement à retenir pour ce droit dans la Constitution, non pas pour s’opposer au consensus, mais pour enrichir le débat constitutionnel.

M. Xavier Breton (LR). Nous aurons l’occasion de préciser la rédaction et les effets de ce texte lors de la discussion des amendements demain.

Contrairement à ce qui a pu être dit, la France ne serait pas le premier pays à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. Vous avez estimé, monsieur le garde des sceaux, que la France des Lumières pouvait éclairer le monde entier. Un autre pays l’a déjà fait : il s’agit de la Yougoslavie socialiste. L’article 191 de la Constitution de 1974 reconnaissait le droit à l’IVG. Ce texte permettait aussi au maréchal Tito de devenir président à vie…

Tout cela pour vous inciter à davantage de modestie avant l’examen de ce texte et pour que l’on n’entende plus que la France va être le premier pays à inscrire le droit à l’IVG dans sa Constitution. Cela a déjà été fait il y a maintenant cinquante ans. Chacun a les références qu’il peut.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. C’est audacieux.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre – trois hommes qui soutiennent une volonté de faire évoluer la Constitution –, en tant que femme et parlementaire, je suis vraiment ravie que nous atteignions cet objectif visé depuis très longtemps.

Comme cela a été bien dit par Marie-Noëlle Battistel, nous nous interrogeons sur plusieurs points, mais nous soutenons la démarche qui a été retenue.

Nous sommes, bien entendu, favorables à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, car il est plus difficile de modifier cette dernière. En outre, le texte proposé permettra d’éviter une interprétation de la Constitution qui porterait atteinte à ce droit.

Mais il convient aussi de rappeler que les pouvoirs publics, à tous les niveaux, doivent également accorder une priorité élevée à la protection de la santé et des droits sexuels et reproductifs des femmes. Il faut soutenir activement des politiques qui permettent un accès effectif à la contraception et garantir l’exercice réel du droit à l’IVG. Inscrire ce droit dans la Constitution est nécessaire, mais cela ne suffira pas. Il faudra aussi se préoccuper de la difficulté à trouver des praticiens, de l’absence de centres spécialisés et des problèmes liés à l’éloignement et aux disparités régionales qui perdurent. On sait que des obstacles culturels, pratiques et économiques entravent l’accès à la santé reproductive et au droit à l’IVG.

Oui, il faut garantir la liberté de recourir à l’IVG. Mais quelles mesures entendez-vous mettre en œuvre à l’échelle ministérielle et interministérielle pour aller plus loin et compléter cette constitutionnalisation ?

M. Philippe Gosselin (LR). Quelques mots pour replacer le débat dans le contexte politique qui l’a suscité, à savoir l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis. Ce contexte, on l’a transposé un peu rapidement, car le système juridique américain n’a rien à voir avec le nôtre et comparaison n’est pas raison.

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé quatre fois sur la constitutionnalité de l’IVG – et sa dernière décision est intervenue en 2016, pas en 1975. En réalité, il n’y a pas de risque d’atteinte au droit à l’avortement sur le plan constitutionnel, même en cas de changement de majorité. D’une certaine manière, ce droit fait désormais partie du bloc de constitutionnalité, dans la continuité de la décision fondatrice de 1971.

Le débat est donc davantage politique que juridique. On rappellera aussi la petite guéguerre de propositions de loi entre la présidente Panot et la présidente Bergé, qui avaient dégainé à quelques heures d’intervalle pour essayer de préempter le sujet. Il est bon aussi d’avoir cela présent à l’esprit, sans naïveté. Ce texte est une occasion de réunir quelques éléments de gauche pour faire oublier les fractures qui se sont manifestées notamment avant Noël.

Mme Mathilde Panot (LFI-NUPES). Parlons donc des LR…

M. Philippe Gosselin (LR). Rassurez-vous, les LR vont bien en ce moment. Que chacun s’occupe de ses têtes de liste aux européennes et on en reparlera, chers collègues.

Comme vous l’avez compris, nous posons, pour notre part, un certain nombre de questions de fond. C’est l’objet des amendements dont nous débattrons demain. Il ne s’agit absolument pas de faire de l’obstruction, mais d’obtenir des réponses précises à des questions précises. Une révision de la Constitution, ce n’est pas rien. Le choix qui a été fait consiste à modifier l’article 34, mais qu’entend-on par garantir la liberté de recourir à l’IVG ? Nous le verrons lors de l’examen de nos amendements.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous menons ce combat pour garantir le droit à l’IVG depuis des années. Marie-Noëlle Battistel a rappelé que notre groupe avait déposé des amendements en ce sens en 2018 et en 2019. Nous avons également déposé une proposition de loi pour inscrire ce droit à l’article 1er de la Constitution. Mais nous acceptons pleinement les avancées qui sont proposées, car c’est le compromis qui doit aboutir dans la loi fondamentale.

Première remarque : je ne comprends pas que l’on puisse s’opposer à la création d’un droit. On n’oblige personne à recourir à l’IVG. Nous demandons simplement de permettre aux personnes qui le souhaitent de pouvoir le faire. La création d’un droit est toujours un moment important et joyeux.

Deuxième remarque : si nous arrivons à une grande victoire collective en inscrivant ce droit dans la Constitution, cela engage aussi bien le législateur que le Gouvernement à s’attacher aux conditions de mise en œuvre du droit à l’IVG. Je suis d’accord avec la clause de conscience, qui permet à un médecin de refuser de pratiquer l’acte. Mais ce dernier a, dès lors, l’obligation de diriger sa patiente vers un confrère qui l’accepte. Il faut bien constater que cette obligation n’est pas toujours respectée. Il est donc essentiel de rappeler les devoirs et les responsabilités de chacun.

Je remercie le rapporteur pour son excellent propos et je suis d’accord avec lui sur le caractère indispensable du verbe « garantir ». Nous avions bataillé pour qu’il soit employé en matière d’environnement et nous serons à vos côtés sur ce sujet.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Pourquoi est-ce que cela ne se passe pas comme ça dans l’hémicycle ? Ce n’est pas moi qui pose la question aux députés, ce sont des députés qui me la posent.

M. Philippe Gosselin (LR). Sans vouloir polémiquer, on vous a parfois vu mettre de l’ambiance dans l’hémicycle.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Si vous me rappelez de mauvais souvenirs, alors…

M. Philippe Gosselin (LR). J’oserai à peine dire que nous sommes heureux de vous retrouver.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je suis, pour ma part, heureux de vous retrouver.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Madame Garrido, la question de l’emplacement dans la Constitution où doit figurer la liberté de recourir à l’IVG est en effet centrale. Un certain nombre d’amendements portent sur ce point et leur examen permettra d’expliquer en quoi le choix de modifier l’article 34 est pertinent.

L’article 66 concerne l’autorité judiciaire et le retenir ne permettrait pas de créer sans ambiguïté une véritable liberté. L’article 1er, pour sa part, renvoie à des grands principes et ne permet pas d’introduire une rédaction suffisamment précise. La solution consistant à modifier l’article 34 – qui a été trouvée par Philippe Bas – mérite d’être défendue. C’est la conséquence du fait que notre Constitution ne comprend pas d’article liminaire détaillant l’ensemble des libertés reconnues. L’article 34 remplit d’une certaine manière cette fonction.

M. Breton s’est référé à la Constitution de l’ex-Yougoslavie. Je note au passage que les États issus de son éclatement ne reconnaissent plus la liberté de recourir à l’IVG dans leur Constitution.

Il faut, par ailleurs, prendre en compte la réalité actuelle. Il y a dix ou quinze ans, nous n’aurions pas débattu de la constitutionnalisation du droit à l’avortement. Mais les attaques se sont, depuis lors, multipliées contre les droits des femmes, et tout particulièrement contre cette liberté de disposer de son corps, qui constitue un pilier de l’égalité. Trois pays mentionnent l’avortement dans leur Constitution, mais c’est pour l’interdire.

Tout ne découle pas de l’arrêt Dobbs, monsieur Gosselin, mais il a constitué un électrochoc. Nous pouvions penser en France que nous étions protégés des attaques contre l’IVG. Jamais nous n’aurions imaginé qu’un tel arrêt serait prononcé aux États-Unis, et un grand nombre de défenseurs des droits des femmes se sont alors dit que cela pourrait aussi arriver chez nous.

Par ailleurs, cet arrêt Dobbs a eu un effet négatif partout dans le monde, car il a libéré la parole de ceux qui attaquent les droits des femmes. Il importe de le contrebalancer – et peut-être est-ce la responsabilité des Français – avec un message particulièrement positif pour tous ceux qui se battent pour ces droits à travers le monde.

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II.   Examen DU pROJET DE LOI – mercredi 17 janvier 2024

Lien vidéo : https://assnat.fr/n0kan8

Lors de sa réunion du mercredi 17 janvier 2024, la Commission examine l’article unique du projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (n° 1983) (M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur).

M. le président Sacha Houlié. Nous reprenons nos débats sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). La discussion menée hier avec le garde des sceaux valait discussion générale. Nous passons à la discussion des amendements.

Article unique

Amendements de suppression CL1 de Mme Emmanuelle Ménard, CL26 de M. Xavier Breton et CL72 de M. Patrick Hetzel

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Il ne s’agit pas pour nous ce matin de nous prononcer pour ou contre l’IVG mais bien pour ou contre son inscription dans la Constitution. Or la constitutionnalisation du droit à l’IVG est inutile. Nous disposons déjà d’une législation libérale, qui n’est pas contestée. En 2022, quelque 234 000 avortements ont eu lieu, en augmentation de plus de 7 % par rapport à l’année précédente.

Il n’existe aucun risque de régression législative : quelle famille politique promouvrait aujourd’hui ou demain une telle mesure ? Prendre prétexte de la décision de la Cour suprême des États-Unis, pays dans lequel les mouvements « pro-vie » constituent une force politique considérable, c’est tout simplement tromper les Français.

Il n’existe pas davantage de risque de revirement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Depuis la loi Veil du 17 janvier 1975, il a accepté toutes les évolutions, toujours plus permissives, de la législation sur l’IVG, considérant qu’il ne lui appartenait pas, dans un tel domaine, de substituer son appréciation à celle du législateur.

Inscrire l’IVG dans la Constitution serait donc inutile, mais aussi dangereux. En effet, toucher à la Constitution s’agissant d’une question de société comme celle de l’avortement revient à ouvrir la boîte de Pandore, et la voie à toutes les surenchères. Vous voudrez demain y inscrire l’euthanasie, le changement de sexe, la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui, bref y insérer un catalogue de tous les droits que vous estimerez devoir rendre inaliénables, à un moment ou à un autre.

Pourquoi prendre l’initiative d’un tel projet de loi ? Tout simplement parce que, en France, les responsables politiques parlent de réviser la Constitution chaque fois qu’ils entendent montrer l’importance qu’ils attachent à un sujet donné.

J’ai entendu hier, pendant l’audition du ministre, qu’il s’agissait d’une mesure symbolique. Je ne suis pas opposée à traiter des symboles en politique mais en l’occurrence, il s’agit surtout de mettre la poussière sous le tapis. Au lieu de vous interroger sur les causes du recours massif à l’IVG et sur les moyens d’aider les femmes concernées, vous voulez inscrire dans le marbre constitutionnel ce que Simone Veil considérait clairement comme une situation de détresse.

M. Xavier Breton (LR). Comme tous les sujets d’ordre éthique, la question de l’avortement nous met face à la nécessité de concilier deux principes : la liberté des femmes, d’une part, et la protection de la vie à naître de l’autre. Si nous ne parvenons pas à cette conciliation, nous devrons affronter les contradictions qui en résultent.

L’équilibre actuel a été trouvé douloureusement, dans le cadre de la loi Veil et de celles qui l’ont suivie. Est-il modifié par le projet ? Soit il ne l’est pas, et il faut alors expliquer à quoi sert la modification proposée ; soit il l’est, et il faut nous indiquer jusqu’où ira le déséquilibre résultant de la seule prise en considération de la liberté des femmes, à l’exclusion de la protection de la vie à naître, et quel sera son effet.

J’ai écouté hier les orateurs des différents groupes et j’ai bien entendu que certains ne font aucune référence à la protection de la vie à naître. Le garde des sceaux, quant à lui, a parlé de « protection de l’enfant à naître » ainsi que de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine », qui sont des éléments importants. Notre discussion devra faire apparaître clairement la nécessité de concilier les deux principes plutôt que de n’en affirmer qu’un seul, après quoi il faudra nous demander si le texte va, oui ou non, modifier l’équilibre existant.

M. Patrick Hetzel (LR). La constitutionnalisation envisagée pourrait entraîner un risque juridique nouveau, plus important que les avantages susceptibles d’en être retirés.

Nous avons importé un débat né aux États-Unis. Or le contexte français est très différent. Aucun parti représenté aujourd’hui au Parlement ne fait figurer dans son programme la suppression du droit à l’IVG.

Le texte qui nous est proposé susciterait une asymétrie juridique, au contraire de la loi Veil, qui constitue une loi d’équilibre. Monsieur Breton a évoqué la protection de la vie à naître, qui est un élément constitutif de cet équilibre ; il faut aussi mentionner la clause de conscience des professionnels de santé. Constitutionnaliser une partie de la loi Veil mais non son intégralité créerait ainsi des problèmes juridiques qui, jusqu’à présent, n’existaient pas.

Les amendements que nous défendons ont pour objet de faire apparaître ces éléments juridiques.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Je ne vous surprendrai pas : mon avis sera défavorable.

L’ensemble des amendements déposés, monsieur Hetzel, nous permettront d’apporter des éléments de réponse, à la fois en droit et en opportunité.

La portée de ce texte n’est pas seulement symbolique, madame Ménard, car il permettra la reconnaissance d’une liberté fondamentale tandis que le Conseil constitutionnel se limite aujourd’hui à considérer l’IVG comme conforme à la Constitution. Nous allons ainsi lui conférer la protection juridique suprême.

Nous le faisons parce que, depuis dix ou quinze ans, le droit à l’IVG subit des attaques auparavant inimaginables, qui se multiplient dans le monde entier. Bien sûr, l’arrêt Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization, aux États-Unis, a fait fonction d’électrochoc mais, partout ailleurs, les droits des femmes sont également attaqués par l’intermédiaire du droit à l’avortement.

Ainsi le Honduras a-t-il récemment inscrit dans sa Constitution l’interdiction totale de l’avortement. D’autres assauts ont été menés en Pologne, en Hongrie, en Espagne, mais aussi en France, où des associations comme le Planning familial ont subi des dégradations de leurs locaux et où une partie du personnel soignant ne respecte pas la liberté des femmes de choisir une méthode d’IVG. Ces professionnels ne font pas jouer leur clause de conscience, mais cherchent bien plutôt à faire souffrir ou se remettre en question les femmes qui ont recours à l’avortement.

Ces attaques existent également dans le débat public, non pas toujours pour interdire l’avortement, mais souvent pour en restreindre l’accès. Toutes les propositions relatives à la réduction du délai de recours à l’IVG, à son déremboursement, à la remise en place de délais de réflexion, à la remise en question du délit d’entrave à l’IVG, contribuent à menacer l’accès à l’avortement.

Face à la réalité des attaques contre l’IVG, nous proposons de reconnaître dans la Constitution cette liberté fondamentale, dont la protection est réelle mais insuffisante, dans la mesure où elle n’est pas reconnue par les juridictions européennes et pas suffisamment par notre Conseil constitutionnel.

J’insiste sur le fait que cette constitutionnalisation ne bouleverse pas le droit existant. Elle ne modifie pas le cadre législatif qui résulte des lois votées entre 1975 et 2022. Le Conseil d’État s’est montré très clair à cet égard.

Cette loi constitutionnelle est donc à la fois rien, puisqu’elle ne touche pas au cadre législatif, et tout, puisqu’elle permet la reconnaissance d’une liberté fondamentale particulièrement importante pour les droits des femmes et pour l’égalité et qu’elle envoie un message positif aux générations présentes et futures, dans notre pays comme à travers le monde.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Inscrire dans la Constitution le droit à l’IVG pour le garantir, c’est une bonne manière de commencer l’année.

Mme Ménard tout à l’heure se demandait quel parti pourrait bien menacer le droit à l’IVG. Mais elle-même regrettait, en 2017, que l’IVG soit aujourd’hui généralisé et banalisé ! Marine Le Pen, en 2012, voulait dérembourser ce qu’elle nommait les « IVG de confort » : il semble qu’elle ait depuis changé d’avis, mais rien n’empêche qu’elle en change encore en sens opposé. La constitutionnalisation du droit à l’IVG est une protection.

Je suis d’autant plus inquiet que, lorsque nous avons voté en première lecture la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, vingt-trois membres du groupe Rassemblement national et sept membres du groupe Les Républicains s’y sont opposés.

Il faut garantir le droit à l’IVG dans la Constitution parce que ce droit est menacé partout dans le monde, dès lors que les amis de Mme Le Pen ou de M. Zemmour conquièrent le pouvoir. C’est le cas en Hongrie ; c’est le cas en Pologne, où trois femmes sont mortes depuis 2021 pour avoir essuyé un refus de recours à l’IVG ; c’est le cas en Italie, où les amis de Mme Le Pen sont au pouvoir. Mme Meloni affirme ne pas vouloir toucher à l’IVG au niveau national mais celle-ci est mise en péril à l’échelon local par toutes les coalitions auxquelles participe son parti.

Il faut donc inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, parce que protéger ce droit, c’est protéger les femmes contre la rapacité de certains. Après les discours prononcés hier dans cette commission, je suis très inquiet de l’avenir du droit à l’avortement dans notre pays.

Mme Pascale Bordes (RN). Je rappelle que nous, législateurs, faisons la loi française, et qu’il est question ici de notre Constitution et non de celles de pays plus ou moins lointains et exotiques. La Constitution n’est pas un catalogue de droits, c’est notre norme supérieure.

Vous avez indiqué, monsieur le rapporteur, que le présent texte permettrait la reconnaissance d’une liberté fondamentale. Or la liberté fondamentale des femmes d’avoir recours à l’IVG n’est pas menacée en France, nous sommes tous d’accord sur ce point. En revanche, d’autres droits et libertés sont bel et bien en péril. C’est le cas par exemple de la liberté de ne pas se faire assassiner à 17 ans, comme le jeune Thomas à Crépol, ou de celle, pour les femmes, de disposer de leur corps et de ne pas se faire violer. Ces libertés sont très sérieusement menacées, au quotidien, en France et personne ne les défend – vous préférez défendre une liberté qui n’est pas attaquée.

Ne perdons pas de vue que la difficulté réelle à laquelle fait face notre pays ne concerne pas l’IVG, que le Rassemblement national n’entend pas remettre en cause, mais réside bien plutôt dans l’état de sinistre abyssal de notre système de santé, qui empêche bon nombre de femmes, notamment en milieu rural, d’avoir recours à l’IVG dans les délais requis et dans de bonnes conditions.

Je suis très étonnée du silence qu’entretiennent à ce sujet ceux qui se prétendent grands défenseurs du droit des femmes. Le vrai danger est là et non ailleurs.

Mme Véronique Riotton (RE). C’est aujourd’hui jour pour jour l’anniversaire de la loi Veil. Je rappelle que huit personnes sur dix, en France, sont favorables à la constitutionnalisation de l’IVG.

Faut-il qu’une liberté soit menacée pour enfin travailler à son extension et à sa protection ? Ne nous y trompons pas – nous venons à l’instant de les entendre : les voix d’extrême droite, les lobbies « antichoix », œuvrent chaque jour à la restriction de la liberté d’avorter, y compris sur les réseaux sociaux et à travers les frontières.

Plutôt que des États-Unis, parlons de l’Europe : aujourd’hui, beaucoup de nos voisines italiennes, polonaises, hongroises n’ont pas la possibilité d’avorter, quelquefois même en cas d’inceste ou de viol. Cette matinée fournira à ceux qui hésitaient encore des raisons de renforcer ce droit, cette liberté d’avoir recours à l’IVG, en construisant enfin autour d’elle des remparts constitutionnels infranchissables.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). En parlant de mesure symbolique, monsieur le rapporteur, je me suis bornée à reprendre les termes employés hier par le garde des sceaux.

Je me plais à rappeler que la loi Veil de 1975, dont c’est l’anniversaire aujourd’hui, énonce en son article 1er : « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi. »

Cet article 1er institue un équilibre entre les droits de la mère et ceux de l’embryon en autorisant une dérogation au respect de tout être humain dès le commencement de la vie. En inscrivant l’IVG dans la Constitution, on supprimerait cet équilibre et l’on mettrait fin à la clause de liberté de conscience des personnels de santé. Comment s’opposeraient-ils en effet à une liberté constitutionnelle ?

Pour ceux qui l’auraient oublié, c’est sur vos bancs que l’autorisation de pratiquer une interruption médicale de grossesse jusqu’à la veille de l’accouchement pour cause de détresse psychosociale a fait l’objet d’un vote favorable, en août 2021, avant d’être retoquée.

Vous procédez toujours de la même façon, à l’envers et de façon irréversible. Plutôt que de vous attaquer aux causes des IVG, qui sont toujours plus nombreuses, plutôt que de placer dans tous les établissements scolaires des infirmières, qui peuvent jouer un rôle d’information et de conseil, vous préférez inscrire la liberté d’avorter dans la Constitution, sans vous soucier des conséquences d’un tel acte sur celles qui y ont recours. Pourquoi nous en soucier, puisqu’elles peuvent jouir de leur liberté ?

Y a-t-il urgence à constitutionnaliser l’IVG, ou plutôt à mener une véritable politique de prévention de l’avortement, notamment auprès des jeunes ? Lors de sa conférence de presse, hier, Emmanuel Macron parlait à l’envi de bon sens : voilà une occasion de le mettre en pratique !

Mme Émilie Bonnivard (LR). Je ne suis pas favorable à ces amendements de suppression car le contexte international peut à bon droit nous inquiéter. Il n’est nullement question de l’importer en France, mais on ne peut préjuger de l’avenir, par exemple de l’avis que le Conseil constitutionnel serait amené à rendre au sujet d’une loi qui restreindrait le droit à l’avortement.

La constitutionnalisation est donc pertinente, mais il est vrai qu’elle dévoie l’équilibre de la loi Veil puisqu’il manque à la rédaction proposée le pan relatif au respect de la dignité de l’enfant à naître et de la vie humaine.

Cela suscite des interrogations, qui rejoignent celles qu’a énoncées Mme Ménard. Un seul exemple : une femme qui se verrait refuser le recours à l’IVG par un professionnel de santé au motif qu’elle a dépassé le délai prévu par la loi pourrait saisir le Conseil constitutionnel, en arguant du fait qu’elle n’a pu exercer sa liberté constitutionnelle dans le temps imparti.

Inscrire dans la Constitution la liberté de recourir à l’IVG me semble néanmoins être une bonne manière de la préserver, même s’il faut garantir davantage le respect de l’équilibre auquel est parvenue la loi Veil.

M. Xavier Breton (LR). Monsieur le rapporteur, nous prenons acte de ce que ce projet de loi constitutionnelle, s’il devait être adopté, ne changerait rien au cadre législatif. Il modifierait néanmoins les conditions d’élaboration du cadre législatif futur – sans quoi il serait sans utilité. En effet, la liberté de la femme, et elle seule, se verrait conférer un poids plus important, sans qu’il soit tenu compte de l’équilibre à respecter avec la protection de la vie à naître. Votre proposition se résume à ce que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. » Vous ne vous préoccupez de rien d’autre. C’est votre choix, il faut l’assumer. De fait, vous mettez en place les conditions d’une rupture de l’équilibre atteint par la loi Veil.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je conçois que l’on se soucie de l’équilibre entre les différents droits. Néanmoins, le droit à naître n’est pas entaché par le droit à interrompre une grossesse non désirée. Je revendique quant à moi cette liberté pour les femmes, et cela ne me dérange pas que celle-ci soit attachée à leur corps.

Ayons à l’esprit qu’une femme qui ne désire pas un enfant ne le gardera pas, et faisons en sorte que le dispositif institutionnel soit au rendez-vous. Bien sûr, la contraception est préférable à l’IVG. Mais lorsque le cas se présente, cette femme doit trouver les moyens de le faire et pour cela, sans doute faut-il ériger au niveau constitutionnel cette liberté fondamentale. Cela obligera en effet le Gouvernement et le législateur à la rendre effective. Certains amendements dont nous allons débattre portent d’ailleurs sur le caractère effectif du droit à l’IVG. C’est un point sur lequel nous ne lâcherons pas.

Enfin, je ne suis pas d’accord avec les propos de nos collègues du Rassemblement national : la loi fondamentale est un écrin qui protège les droits fondamentaux. Si la liberté fondamentale d’avorter est menacée, mettant en péril la vie de certaines femmes, nous devons pouvoir l’inscrire dans la Constitution, sachant que la liberté essentielle de procréer n’est absolument pas remise en question.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Je suis opposée à ces amendements de suppression et je souligne que dans certaines circonstances, l’IVG n’est pas une liberté pour les femmes mais une obligation.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Aujourd’hui, le droit à l’avortement n’est pas reconnu comme une liberté ; il le sera grâce à ce projet de loi constitutionnelle. Le Conseil d’État considère lui-même que celui-ci ne bouleversera en aucun cas l’équilibre entre les différents droits et libertés reconnus par notre Constitution. Enfin, monsieur Breton, la protection de la vie à naître que vous évoquez ne figure pas dans notre bloc de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel, qui a eu à se prononcer à plusieurs reprises sur l’avortement, s’assure du respect de l’équilibre entre le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, d’une part, et la liberté de la femme telle qu’elle découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’autre part. Utilisons les termes reconnus par notre juge constitutionnel.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL96 de Mme Mathilde Panot, CL29 de Mme Mereana Reid Arbelot, CL48 de Mme Elsa Faucillon, CL98 de M. Jean-Félix Acquaviva ; amendements identiques CL10 de M. Xavier Breton, CL64 de M. Patrick Hetzel, CL80 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

Mme Mathilde Panot (LFI-NUPES). Nous souhaiterions que soit inscrit dans la Constitution : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne en état de grossesse qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. » Le droit à la contraception est en effet le corollaire du droit à l’IVG. En Pologne, où personne ne pensait que cela pourrait arriver, c’est avec l’interdiction de vendre la pilule du lendemain sans ordonnance qu’a commencé la remise en cause du droit à l’avortement.

J’espère que c’est la rédaction à laquelle nous parviendrons plus tard, une fois que le compromis que nous sommes prêts à accepter pour l’instant aura été acquis. Les réactionnaires de tout poil défendront alors sans doute la formulation que nous nous apprêtons à adopter, comme ils le font maintenant pour la loi Veil ! L’histoire avance, les droits des femmes aussi.

J’ajoute, madame Bordes, que ce ne sont pas des pays exotiques qui remettent en cause le droit à l’avortement : ce sont l’Italie, la Pologne, la Hongrie. Même à Andorre – dont Emmanuel Macron est coprince ! – une militante sera jugée aujourd’hui pour avoir dénoncé l’interdiction de l’avortement.

Si nous n’inscrivons pas le droit à l’avortement dans la Constitution aujourd’hui, alors que cela recueille une large majorité d’opinions favorables parmi les Français et les partis politiques, nous ne le ferons jamais.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). L’amendement CL29 a le même objet que celui de Mme Panot. Notre groupe avait d’ailleurs soutenu la proposition de loi qu’elle avait défendue en 2022 reprenant la même formulation, qui nous semble complète et permettre un meilleur ancrage dans la Constitution. La mention de la contraception est importante car il apparaît que dans certains pays, c’est par la restriction du droit à la contraception que le droit à l’interruption de grossesse est attaqué.

Quant à l’amendement CL48, il propose d’utiliser au moins le terme « droit » plutôt que celui de « liberté ».

Notre souhait est de rendre l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution la plus solide possible, afin que ce droit soit réellement garanti. J’ajoute qu’il doit l’être pour toute personne « en état de grossesse ». À nos collègues qui tiennent absolument à ce que figure le mot « femme », je voudrais rappeler que lors des débats sur l’écriture inclusive, on nous a expliqué que la dénomination « hommes » n’excluait pas du tout les femmes. Dans ce cas, pourquoi ne pas aujourd’hui utiliser aussi un terme générique, comme « personne en état de grossesse » ? Faudrait-il inscrire « les hommes en état de grossesse » pour que ce droit s’applique à tous… ?

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). L’amendement CL98 reprend lui aussi la rédaction de la proposition de loi constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale en novembre 2022, qui présente selon nous trois avantages. D’abord, introduire un article dédié renforce l’effectivité du droit, tandis qu’une inscription à l’article 34 de la Constitution n’exclut pas le risque que le législateur n’en restreigne l’exercice. Ensuite, nous privilégions la notion de droit à celle de liberté. Même si nous avons pris connaissance de l’avis du Conseil d’État, il nous semble que le choix de ce terme n’est pas anodin. Enfin, la notion d’égal accès est importante au regard des fractures entre nos territoires.

Nous adopterons néanmoins une attitude responsable : nous accepterons la première avancée qui nous est proposée.

M. Xavier Breton (LR). L’amendement CL10 est un amendement de repli, les amendements de suppression ayant été rejetés. Nous proposons une rédaction englobant la liberté de la femme et la protection de la vie à naître, autrement dit la sauvegarde de la dignité humaine : ce n’est pas la liberté qui doit être garantie constitutionnellement, mais l’interruption volontaire de grossesse elle-même. Une telle formulation permet de conserver l’équilibre existant, là où la rédaction actuelle du texte affirme le droit de la femme au détriment de la protection de la vie à naître.

M. Patrick Hetzel (LR). Si l’on constitutionnalise le droit à l’IVG, faisons-le en renvoyant vers la loi ordinaire pour lui donner un cadre juridique. Une formulation trop générique risque en effet de donner lieu à un débat juridique et de soulever des questions prioritaires de constitutionnalité : dès lors que l’IVG est un droit fondamental, les délais et clauses de conscience peuvent être remis en cause.

M. Philippe Gosselin (LR). Il faut effectivement sécuriser sur le plan juridique la constitutionnalisation du droit à l’IVG. L’inscription à l’article 34 n’est pas anodine : il est important que la capacité législative encadre et limite ce droit, afin que ne soit pas menacé l’équilibre avec l’autre principe à valeur constitutionnelle qu’est la protection de la vie.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Mme Panot a utilisé le terme de compromis ; c’est effectivement à un compromis avec nos collègues sénateurs que nous travaillons. Certains des amendements qui viennent d’être défendus proposent de revenir à la rédaction de la proposition de loi de Mme Panot, soit dans sa version initiale, soit dans celle qui avait été adoptée en commission et en séance publique. D’autres, pour reprendre les mots de M. Gosselin, soulèvent la question de la sécurisation de cette liberté.

Il me semble plus opportun et sécurisant de reconnaître cette liberté à l’article 34 de la Constitution que dans un nouvel article 66-2. Le titre VIII, au sein duquel il serait ajouté, porte en effet sur l’autorité judiciaire. Y inscrire le droit à l’avortement, ce serait le renvoyer à ce qu’il était initialement : non pas une liberté mais une dérogation dans le code pénal, autrement dit une tolérance. Dans son avis, le Conseil d’État lui-même exprime une préférence pour l’article 34.

J’en viens aux points soulevés par Mme Faucillon. Je voudrais d’abord souligner que le point de crispation majeur, s’agissant de la rédaction actuelle, concerne le maintien ou la suppression du terme « garantie ». Par ailleurs, le choix entre les termes « liberté » et « droit » ne me semble plus faire débat, dans la mesure où ils ont la même acception, comme le souligne le Conseil d’État. Enfin, je suis en désaccord s’agissant de l’emploi du mot « personne » au lieu du mot « femme » qui s’entend bien, selon moi, de façon inclusive. C’est d’ailleurs ce qu’affirme le Conseil d’État dans son avis : la liberté de recourir à l’avortement concerne « toute personne qui aurait débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil, l’âge, la nationalité et la situation au regard du séjour en France ».

Je vous invite donc à retirer l’ensemble de vos amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Erwan Balanant (Dem). L’amendement CL48 défendu par Mme Faucillon est similaire à un amendement que j’avais moi-même défendu lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Panot. Je pense néanmoins, compte tenu du travail que nous avons réalisé et des différents échanges que nous avons eus depuis, que l’inscription du droit à l’avortement dans un nouvel article 66-2 aurait été une erreur. Son inscription à l’article 34, dans la formulation actuelle, permet d’atteindre un équilibre. Je ne suis pas d’accord, à cet égard, avec les propos tenus par Patrick Hetzel : la rédaction retenue place simplement un cliquet, empêchant tout retour en arrière. Il me semble que, parmi ceux qui affirment que le présent texte ne servirait à rien, certains ne sont pas encore convaincus, en réalité, de la nécessité de défendre et de garantir la liberté de recourir à l’IVG. Quoi qu’il en soit je voterai contre l’amendement de Mme Faucillon, considérant que nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée et protectrice.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Je voudrais d’abord féliciter Mathilde Panot et Elsa Faucillon pour leur engagement sur ces questions. Je comprends leur souhait que nous débattions de la rédaction qui avait été votée par l’Assemblée nationale en novembre 2022. Néanmoins, le choix de l’article 34 me semble pertinent. Après les discussions qui se sont tenues tant à l’Assemblée qu’au Sénat, il est temps d’aboutir à une rédaction de compromis.

Sur l’utilisation du mot « femme » plutôt que « personne », l’avis du Conseil d’État est assez éclairant : il précise bien que la liberté de recourir à l’IVG pourra être acquise à toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil, l’âge, la nationalité et la situation au regard du séjour en France. Il n’existe donc aucun obstacle à ce que le terme « femme » fasse l’objet d’une acception inclusive.

Je voudrais dire enfin à notre collègue Xavier Breton que l’avis du Conseil d’État réaffirme clairement que la conciliation des différentes libertés est le rôle du juge constitutionnel. Il précise que « l’inscription de la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, dans les termes que propose le Gouvernement, ne remet pas en cause les autres droits et libertés que la Constitution garantit, tels que notamment la liberté de conscience qui sous-tend la liberté des médecins et sages-femmes de ne pas pratiquer une interruption volontaire de grossesse ». Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance votera contre ces amendements.

Mme Pascale Bordes (RN). Les amendements qui défendent l’utilisation du terme de « droit » à l’IVG renvoient invariablement à l’inconditionnalité de ce droit et à une obligation de résultat qui pèserait sur les services de l’État. Il ne faut surtout pas ouvrir cette boîte de Pandore, sans quoi tout devient possible : il y a quelques mois, certains de nos collègues ne se montraient pas choqués à l’idée qu’une IVG puisse être réalisée quasiment au terme de la grossesse. L’utilisation du mot « droit » ouvre aussi la voie à ce que l’avortement puisse être demandé non pas seulement par la femme mais aussi par son compagnon par exemple. Pour ces raisons, nous voterons contre ces amendements.

M. Paul Molac (LIOT). L’expression « dans les conditions fixées par la loi », défendue par nos collègues du groupe Les Républicains, risque d’affaiblir considérablement le droit à l’IVG. Il n’est pas exclu en effet qu’à l’avenir, la loi ordinaire encadre ce droit jusqu’à le rendre inapplicable. C’est ainsi par exemple que les collectivités locales, censées s’administrer librement dans les conditions prévues par la loi selon l’article 34 de la Constitution, ne disposent en réalité d’aucune autonomie fiscale ou administrative.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). À entendre certains discours, j’ai l’impression que ce n’est pas la constitutionnalisation de l’IVG qui est attaquée, mais l’IVG en elle-même. Les amendements qui proposent de rouvrir le débat sur la formulation qu’avait proposée Mme Panot en novembre 2022 sont importants pour bien fixer la position de chacun.

Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est une rédaction d’équilibre. Or un équilibre ne vaut que s’il est respecté des deux côtés : il ne faudrait pas que le texte issu de nos travaux soit ensuite affaibli par le Sénat. Si un compromis est trouvé, il devra faire l’objet d’un accord. Rappelons l’objectif de départ : il s’agit de garantir à toute personne le droit à l’IVG et à la contraception, et de faire en sorte qu’il ne puisse jamais y avoir de régression. En refusant un compromis, nos collègues de droite adoptent une attitude irresponsable, en contradiction avec les propos qu’ils ont tenus publiquement sur la constitutionnalisation de l’IVG.

M. Xavier Breton (LR). À quoi renvoie exactement le mot « femme » qui figure au deuxième alinéa de l’article unique du projet de loi ? On peut imaginer une définition juridique, ou affective, ou littéraire… Alors que certains veulent remettre en cause la distinction entre les sexes, il faut dire clairement que ce terme renvoie à l’état civil, lequel fournit la seule définition qui existe dans notre droit.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Ce débat est très intéressant. Nous-mêmes socialistes avons déposé en octobre 2022 une proposition de loi sénatoriale rejoignant la rédaction proposée par Mmes Panot et Faucillon. Le texte qui nous est soumis n’est pas totalement satisfaisant : nous aurions aimé que le droit soit plus clairement réaffirmé, qu’il intègre la contraception et, point essentiel, qu’il figure à l’article premier de la Constitution. Nous nous sommes cependant résolus à ne pas déposer d’amendements car nous sommes soucieux de trouver un compromis, considérant que le vote du texte doit absolument aboutir : des millions des femmes l’attendent, en France mais aussi à l’étranger.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Dans leur grande majorité, les députés et les sénateurs du groupe Les Républicains soutiennent le compromis proposé. Il ne me semble donc pas utile de soulever des problèmes là où il n’y en a pas. Il est vrai, en revanche, que nous disposons au sein de notre groupe de la liberté de vote.

J’ajoute que nos débats ont une valeur interprétative et seront lus en cas de contentieux. Il faut donc que nous puissions poser toutes les questions nécessaires, s’agissant d’un sujet aussi fondamental que la modification de notre Constitution. Le respect de l’équilibre trouvé par la loi Veil est important. Jusqu’à quatorze semaines de grossesse, le droit de la femme l’emporte ; au-delà, notre responsabilité collective est de faire en sorte que soient respectés l’enfant à naître et la dignité humaine. Ces débats ne peuvent pas être éludés.

Les amendements CL96 et CL98 sont retirés.

La commission rejette successivement les autres amendements.

Amendements identiques CL3 de M. Xavier Breton, CL57 de M. Patrick Hetzel et CL73 de M. Philippe Gosselin

M. Thibault Bazin (LR). Le terme de « garantie » que vous utilisez engendre certaines incertitudes. Cette garantie serait-elle relative ou absolue ? Cette formulation pourrait remettre en cause l’équilibre trouvé par la loi Veil, qui a prévu un encadrement éthique de cette liberté. De fait, toute liberté a ses conditions et ses limites.

Il semble donc judicieux de compléter l’alinéa 2 en prévoyant également des limites. C’est, en effet, en réglementant au quotidien l’usage des libertés que la loi peut garantir à tous le même usage des mêmes droits, et c’est précisément ce qui caractérise l’État de droit.

En l’espèce, il faut déterminer par la loi une limite temporelle et une limite liée au respect de la clause de conscience, notamment des médecins. Il faut aussi maintenir une distinction entre l’interruption volontaire et l’interruption thérapeutique de grossesse.

M. Patrick Hetzel (LR). Il faut en effet déterminer une limite temporelle, comme cela a été rappelé plusieurs fois, ainsi qu’une limite liée au respect de la clause de conscience des médecins. Il faut également maintenir la distinction entre l’interruption volontaire et l’interruption thérapeutique. Or, avec la rédaction qui nous est proposée, ces questions semblent se trouver dans un angle mort.

M. Philippe Gosselin (LR). Mêmes arguments pour l’amendement CL73. La rédaction doit être aussi complète que possible, et l’expression d’« angle mort » que vient d’employer M. Hetzel me semble très juste.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. La rédaction proposée par ces amendements apporterait plus d’ambiguïtés que de réponses. Elle pourrait amener à penser que le législateur pourrait – voire devrait – introduire demain des régressions, voire des restrictions au droit à l’avortement tel qu’il est défini par notre dispositif législatif.

Votre demande – que le législateur soit compétent pour fixer les conditions de l’exercice de cette liberté – est satisfaite par la rédaction du projet de loi. C’est du reste ce que rappelle clairement le point 12 de l’avis du Conseil d’État, selon lequel « cette rédaction, comme le souhaite le Gouvernement, laisse au législateur la possibilité de faire évoluer le cadre juridique dans lequel s’exerce cette liberté, en en fixant les garanties et les limites […], sous le contrôle du Conseil constitutionnel. »

Par ailleurs, comme cela a été dit à plusieurs reprises, cette rédaction ne remet aucunement en question la liberté de conscience ni la clause de conscience, car elle ne change rien aux autres libertés reconnues par notre Constitution ou par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ni au dispositif législatif actuel.

Je demande donc le retrait de ces amendements. À défaut, avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Pourquoi donc vouloir ajouter ce mot de « limites » ? Pourquoi inscrire dans la Constitution ce que la loi fait déjà ? L’inscription dans la Constitution du droit à l’IVG est une manière de garantir la liberté d’accès à celle-ci. Y inscrire aussi le mot « limites » alors que la loi les prévoit déjà, puisqu’elle définit le cadre qui s’applique, ne garantit plus du tout le droit à l’IVG et ouvre plutôt la porte à sa remise en cause par la loi. Nous nous opposerons donc à ces amendements.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Le terme de « conditions » qui figure dans le texte satisfait pleinement ces amendements. Par ailleurs, comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, le rôle du juge constitutionnel sera de concilier les différentes libertés. Il a, du reste, expressément indiqué qu’il n’y avait aucune difficulté pour concilier la liberté de recourir à l’IVG avec la liberté de conscience.

En outre, étant donné qu’aucune de nos libertés, même la liberté d’expression, n’est sans limites, à l’exception peut-être de la liberté de conscience, quel intérêt y aurait-il à écrire qu’il existe une limite à la liberté de recourir à l’IVG – et à elle seule ?

Mme Émilie Bonnivard (LR). Permettez-moi une question très concrète. Prenons l’exemple d’une femme qui, à douze semaines de grossesse, décide d’avorter. Elle se rend chez un médecin qui, invoquant la clause de conscience, refuse de procéder à l’IVG et l’oriente vers un autre médecin. Intervient alors un principe de réalité : il est possible que cette femme n’ait pas effectivement accès à l’IVG dans le délai légal de quatorze semaines. Peut-elle alors invoquer le fait que la liberté qui est censée lui être garantie par la Constitution n’a pas été effective et attaquer la décision de ne pas procéder à l’avortement ? Quelle sera la position du juge, si c’est une disposition légale qui l’a privée de ce droit ? Je crains la jurisprudence qui pourrait être ainsi engendrée.

M. Xavier Breton (LR). La notion de « conditions » peut assurément intégrer celle de « limites », mais l’intervention de notre collègue Léaument montre qu’il s’agit de tout autre chose : selon lui, il ne devrait y avoir aucune limite à une liberté absolue, totale, de la femme. Or, comme l’a rappelé le garde des sceaux, ce droit de la femme n’est pas absolu : il doit être concilié avec celui de la protection de la vie à naître. Comme toute liberté, celle-ci aussi est limitée et il importe de bien préciser que la notion de conditions englobe aussi celle de limites.

M. Patrick Hetzel (LR). N’oublions pas le principe de la hiérarchie des normes, qui prévaut dans notre droit : alors que l’IVG sera inscrite dans la loi fondamentale, la clause de conscience, quant à elle, relèvera de la loi ordinaire. N’y a-t-il pas là un risque en cas de contentieux, dans le cadre par exemple d’une question prioritaire de constitutionnalité ? C’est la raison pour laquelle nous voulons associer les termes de conditions et de limites.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Je souscris au sens et à l’esprit de ces amendements, mais la rédaction qu’ils proposent ne permettra pas d’atteindre l’objectif, car la loi évolue. Pourtant, il faut bien fixer des limites dans le temps car, à défaut, il pourrait devenir possible d’avorter jusqu’à neuf mois de grossesse et je ne suis pas certaine que cela soit le souhait de la plupart des gens. En outre, faute d’inscrire des limites et de rappeler la clause de conscience, certains médecins se trouveront obligés de pratiquer l’avortement.

Quoi qu’il en soit, je m’abstiendrai sur ces amendements en raison de leur rédaction. Renvoyer à la loi ne garantit en rien les autres libertés que vous voulez garantir : la liberté de conscience et la liberté du droit à naître. Une rédaction plus précise s’impose.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Ces amendements sont un exemple typique de mauvaise foi. Les libertés sont toujours limitées. La Constitution énonce des libertés, des garanties et des droits dont les limites sont les autres libertés, les autres garanties et les autres droits. Vous voudriez qu’une liberté soit limitée alors que les autres ne le sont pas ? On voit bien là votre intention de ne pas constitutionnaliser l’IVG. Ne recourez pas à des arguties qui n’ont aucune place dans ce débat, relisez plutôt la Constitution : une liberté est une liberté, et elle a pour limites les autres libertés.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Madame Bonnivard a mis très justement en avant un argument avancé hier par le garde des sceaux. Le projet de loi ne crée pas un droit opposable. Il ne change pas le cadre législatif existant, qui n’en prévoit pas. Dans le cas d’espèce qui a été évoqué, la personne concernée pourrait se retourner, le cas échéant, contre le professionnel de santé pour défaut d’information et de conseil. En effet, un professionnel invoquant sa liberté de conscience doit apporter conseil et information afin de permettre à la patiente de trouver un autre professionnel pour pratiquer l’avortement.

Par ailleurs, M. Breton a raison de souligner qu’aucune liberté n’est absolue.

Enfin, monsieur Hetzel, la clause de conscience est déjà protégée, puisqu’elle s’appuie sur une liberté reconnue par la Constitution : la liberté de conscience. Ce n’est pas le cas pour le droit à l’avortement, que nous élevons donc au niveau constitutionnel.

La commission rejette les amendements.

 

Amendements CL99 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL31 et CL30 de Mme Mereana Reid Arbelot et CL97 de Mme Mathilde Panot (discussion commune)

M. Paul Molac (LIOT). L’amendement CL99 vise à inscrire dans notre Constitution un « droit » à l’interruption volontaire de grossesse, plutôt qu’une « liberté garantie à la femme », selon la formule choisie par le Gouvernement.

Le Conseil d’État, dans son avis sur le texte, rappelle qu’il n’y a pas de différence juridique en la matière entre droit et liberté. Toutefois, lorsqu’on modifie la Constitution, le choix des mots a son importance. Un droit est une garantie réelle offerte à une personne, à la différence d’une liberté, qui renvoie à l’idée d’une faculté. Le Conseil constitutionnel a, du reste, lui-même utilisé ce terme en évoquant le « droit de recourir à une interruption volontaire de grossesse » dans sa décision du 16 mars 2017 sur la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Les amendements CL31 et CL30 tendent à remplacer le terme de « femme » par « personne en état de grossesse ». Je me satisfais de votre réponse de tout à l’heure, monsieur le rapporteur, selon laquelle aucun des mots « homme » ou « femme » n’exclut personne. Je dois même dire que j’aime bien votre monde ! Mais admettez que lorsqu’on écrit « les femmes naissent libres et égales en droits », tout le monde n’en conclut pas encore que cela concerne aussi tous les hommes. Ce monde est aujourd’hui en germe, il pousse dans toute la société, mais de nombreuses résistances et réactions s’opposent à son éclosion. Il nous semble donc important d’inscrire à cet endroit du texte qu’il s’applique à toute personne en état de grossesse.

Tous ceux qui se sont opposés à cette modification ne sont pas des réactionnaires, même si c’est le cas pour une bonne part d’entre eux : certains craignent que la disparition du mot « femme » laisse penser que des pressions pourraient s’exercer de la part de tiers sur les choix en matière d’IVG. Mais la formulation actuelle écarte cette hypothèse. Je me demande donc si la volonté de compromis qui est à l’œuvre sur ce texte ne repose pas sur un manque de transparence : ne serait-il pas préférable d’aller au bout de la démarche et d’écrire que la garantie s’applique à « toute personne en état de grossesse », plutôt qu’aux seules femmes ?

Mme Mathilde Panot (LFI-NUPES). L’amendement CL97 prendra tout son sens lors de l’examen du texte en séance publique, où il importera de rappeler l’avis du Conseil d’État selon lequel la liberté – ou le droit – que nous inscririons dans la Constitution s’appliquerait à « toute personne ayant débuté une grossesse ». Nous proposons donc de remplacer « à la femme » par « aux personnes », mais il s’agit surtout de faire entendre dans l’hémicycle une parole forte de la part du rapporteur et du ministre. Pour l’instant, je retire donc l’amendement.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Ces amendements portent sur des notions majeures. Pour ce qui est de remplacer « liberté » par « droit », comme je l’ai déjà dit, l’acception est la même. Du reste, l’article 34 renvoie souvent à des libertés : libre administration des collectivités territoriales, liberté des médias, exercice des libertés publiques…

Ensuite, le mot « garantie », évoqué lors de toutes les auditions auxquelles nous avons procédé, est un élément majeur pour créer ce bouclier protecteur non régressif que nous voulons. Il n’y a donc pas lieu de le retirer.

Pour ce qui est, enfin, du mot « femme », je pense, madame Faucillon, que nous partageons un combat pour le même monde. Mais, comme pour le mot « garantie », retirer le mot « femme » ne pourrait-il pas être considéré comme une volonté de les invisibiliser, ou de laisser penser que ce mot renvoie encore à une conception exclusive ? Je pense qu’il faut conserver ce terme qui fait entrer dans notre Constitution le corps des femmes. Il s’agirait ainsi d’actualiser notre contrat social sans retirer pour autant le moindre droit à toute personne qui entamerait une grossesse et souhaiterait recourir à l’IVG.

L’amendement de Mme la présidente Panot sera effectivement important en séance, où il permettra d’entendre, plus encore que ma propre réponse, celle du Gouvernement, qui s’appuiera sur l’avis du Conseil d’État, très clair à cet égard.

Je demande donc le retrait de ces amendements, ou l’avis sera défavorable.

Mme Véronique Riotton (RE). Monsieur le rapporteur, vous avez répondu en droit, en citant notamment l’avis du Conseil d’État. Mais l’on peut simplement affirmer sans hésiter que l’avortement s’adresse aux femmes, et que le droit que nous cherchons à rendre constitutionnel pour elles s’appliquera donc à toutes les personnes concernées.

M. Xavier Breton (LR). Il ne faut pas tourner autour du pot : le mot « femme » qui figure dans le texte renvoie-t-il, oui ou non, à la seule définition juridique qui en existe à ce jour dans notre droit, à savoir la distinction de sexe à l’état civil ? Il me semble dans votre esprit que non, mais alors donnez-nous la nouvelle définition ! Ici, nous faisons du droit et les mots que nous inscrirons dans la Constitution sont importants. Il n’y a pas de place pour le flou ou l’à-peu-près. Une femme, c’est une femme ! Si c’est le mot que vous choisissez, il répond à la seule définition connue en droit.

M. Erwan Balanant (Dem). Monsieur Breton, au risque de vous heurter, je rappelle qu’il arrive que des femmes, nées femmes, décident un jour de devenir des hommes pour l’état civil, ce qui est aujourd’hui possible. Ainsi, dans le Finistère, une femme devenue homme s’est trouvée enceinte. Un homme enceint ! Aussi bizarre que cela puisse vous paraître, c’est une réalité : cette femme biologique enceinte était un homme pour l’état civil.

Ne tournons pas autour du pot : nous parlons bien de la femme biologique. Il est physiologiquement impossible à un homme devenu femme d’être enceinte. Arrêtez donc de vous faire des nœuds au cerveau pour rien !

Lors de l’examen de l’ancienne proposition de loi, nous avions adopté une rédaction plus large, moins discriminante et peut-être plus solide sur ce point. Mais puisque nous sommes dans la perspective d’un compromis, avançons !

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Monsieur Breton, vous semblez plus attaché à la définition du mot « femme » qu’à celle du mot « homme », mais je rappelle que, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce dernier terme désigne toute personne. Il en est de même ici pour le mot « femme ». L’avis du Conseil d’État est très clair à ce propos, en son point 15 : « Il résulte de l’objet même de cette liberté et conformément à l’intention du Gouvernement qu’elle doit être entendue comme bénéficiant à toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil, l’âge, la nationalité et la situation au regard du séjour en France. » Le Conseil d’État reconnaît que la rédaction proposée est claire et sans ambiguïté, et donc protectrice.

L’amendement CL97 est retiré.

La commission rejette successivement les autres amendements.

Amendement CL28 de M. Fabien Di Filippo, amendements identiques CL11 de M. Xavier Breton, CL65 de M. Patrick Hetzel et CL81 de M. Philippe Gosselin, et amendements identiques CL9 de M. Xavier Breton, CL79 de M. Philippe Gosselin et CL63 de M. Patrick Hetzel (discussion commune)

M. Fabien Di Filippo (LR). L’amendement CL28 tend à compléter le texte en mentionnant la « liberté de consentement de la femme à l’acte de mettre fin à sa grossesse. » En effet, si la femme doit recevoir une information parfaite sur les possibilités de recourir à l’IVG dans toutes les situations, elle doit aussi recevoir une information parfaite sur les possibilités de mener à terme cette grossesse et d’être accompagnée tout du long, afin de pouvoir prendre une décision libre et éclairée, hors de toute pression familiale ou du stress ou de la détresse que peut parfois provoquer une nouvelle à laquelle elle ne s’attendait pas.

M. Xavier Breton (LR). L’amendement CL11 vise à susciter des échanges sur la notion de liberté et de consentement de la femme – liberté tant d’avorter que de ne pas avorter. En effet, si des pressions peuvent exister pour pousser les femmes à ne pas avorter, n’oublions pas, n’en déplaise à certains, qu’il arrive aussi qu’il s’en exerce – de la part du compagnon, de la belle-famille, etc. – pour les pousser à avorter alors qu’elles ne le souhaitent pas.

Nous avons le devoir, au niveau de la loi comme de la société, d’être aux côtés de ces femmes pour assurer la liberté de leur décision d’avorter ou de ne pas avorter. Il s’agit donc, avec cet amendement, de rappeler l’importance du respect de la liberté et du consentement de la femme en la matière.

M. Patrick Hetzel (LR). La question est effectivement bien de nous assurer du respect du libre consentement de la femme. Il ne faut pas être naïfs, nous savons que des pressions sont susceptibles de s’exercer. Si donc nous voulons donner des garanties, il faut le faire à 360 degrés et en tenant compte notamment de ces pressions.

M. Philippe Gosselin (LR). La pression existe bel et bien, et il importe d’assurer un consentement libre et éclairé.

M. Xavier Breton (LR). L’amendement CL9 est défendu.

Je saisis cette occasion pour revenir sur le débat à propos des mots « homme » et « femme ». M. Balanant a employé tout à l’heure la notion de « femme biologique ». Elle n’est pas employée par le Conseil d’État, qui se contente d’évoquer une situation, celle de « toute personne ayant débuté une grossesse », mais sans donner de définition juridique du mot « femme ».

Il conviendra donc de définir le mot « femme » car, si nous en restions à la seule acception qui existe actuellement dans notre droit, à savoir la distinction sexuelle enregistrée à l’état civil, les personnes ayant changé de sexe pour l’état civil seraient exclues de la garantie inscrite dans la Constitution.

M. Philippe Gosselin (LR). Un consentement libre et éclairé est nécessaire. Il convient d’éviter les pressions extérieures, dans un sens ou dans l’autre, or je ne suis pas sûr que ce soit garanti aujourd’hui. Quitte à constitutionnaliser, au moins profitons-en pour clarifier ce point.

M. Patrick Hetzel (LR). L’amendement CL63 propose une autre formulation sur le respect du principe de consentement.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. La notion de consentement est sous-jacente à l’exercice de toute liberté : à moins que vous ne fassiez pas confiance aux femmes, nul besoin de le préciser pour cette seule liberté-là. Le Conseil d’État considère d’ailleurs dans son avis sur ce projet de loi « que la rédaction proposée par le Gouvernement a pour effet de faire relever l’exercice de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse de la seule appréciation de la femme, sans autorisation d’un tiers, que ce soit le conjoint ou les titulaires de l’autorité parentale. » Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Pascale Bordes (RN). Je suis d’accord avec M. le rapporteur. J’ajoute que cette question relève du domaine de la loi et non de celui de la Constitution.

Mme Véronique Riotton (RE). Je suis extrêmement choquée. Certains veulent donc garantir la « liberté de consentement » de femmes qui « peuvent subir des pressions extérieures » ! Insinuent-ils que les femmes recourent à l’IVG par manque d’information, qu’elles ne sont pas capables de mesurer la gravité de cet acte, et encore moins de prendre une décision éclairée ? Quel mépris ! Ces amendements culpabilisent les femmes et procèdent d’une vision paternaliste et rétrograde, reprenant l’argument même qui était employé à l’époque par les adversaires du vote des femmes. Les seuls ici qui souhaitent forcer les femmes à faire un choix et qui ne respectent pas leurs décisions sont ceux qui s’opposent à la constitutionnalisation de l’IVG. C’est bien la preuve qu’elle est nécessaire.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). C’est hallucinant : le droit à l’IVG deviendrait le seul droit constitutionnel dont l’exercice serait soumis au respect du consentement de son titulaire. Cette infantilisation des femmes est réactionnaire et patriarcale.

M. Erwan Balanant (Dem). Monsieur Breton, les trois mots « interruption volontaire de grossesse » sont pourtant assez clairs ! Si l’interruption est volontaire, c’est que la personne y ayant recours est consentante. De la même façon, votre obsession à définir ce qu’est une femme est inutile puisque la grossesse est définie comme l’état d’une femme enceinte : la question est réglée, et l’état civil n’a rien à y voir. Arrêtez de vous faire des nœuds au cerveau, la formulation actuelle, validée par le Conseil d’État, est très claire. Ces débats sont plutôt révélateurs d’un certain nombre de réticences face au droit à l’IVG.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je suis sidérée par l’aveuglement de certains. La question du consentement des femmes à l’IVG se pose, même si ce n’est pas forcément dans la Constitution qu’il faut l’aborder. Je rappelle que des centaines de femmes ont subi des avortements et stérilisations sans leur consentement à La Réunion dans les années 1970, et je ne suis sans doute pas la seule à recevoir dans ma permanence des femmes se plaignant des pressions de leur conjoint pour qu’elles avortent alors qu’elles souhaitent garder l’enfant. Monsieur Balanant, le mot « volontaire » doit aussi protéger les femmes qui subissent des pressions inadmissibles.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Nous avions réussi jusqu’à présent à éviter les anathèmes et les raccourcis. Je regrette que le ton ait changé.

Le droit des femmes à disposer librement de leur corps est atteint lorsqu’elles font l’objet de pressions – qui peuvent être assimilées à une emprise – pour avorter ou pour s’en abstenir. Nous ne pouvons l’éluder.

Quant à la question du consentement éclairé, n’oublions pas que l’IVG n’est jamais un acte anodin et qu’elle est toujours un non-choix, qui s’impose parce que quelque chose a été raté auparavant. Si les femmes sont éclairées sur l’acte même de l’IVG, elles ne le sont pas toujours sur les alternatives qui leur auraient permis de l’éviter, ce que beaucoup d’entre elles auraient préféré. Il ne faut pas faire comme si toutes les femmes étaient toujours au meilleur niveau de forme et d’information ! Et même : une de mes amies, bac + 6, a eu recours quatre fois à l’avortement ! Il y a toujours des cas particuliers, mais nous devons pouvoir en débattre.

M. Xavier Breton (LR). Plus notre collègue Balanant parle de la définition du mot « femme », moins on comprend !

Les pressions sur les femmes, pour avorter ou pour s’en abstenir, existent : ce n’est pas péjoratif de le dire. Vous ne semblez pas être capables de l’entendre, ce qui est révélateur de l’idéologie qui sous-tend ce texte.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. En prévision des débats en séance publique, je souligne que la question du consentement relève du domaine législatif. L’article L. 2222-1 du code de la santé publique, reprenant l’article 223-10 du code pénal, dispose que « L’interruption de la grossesse sans le consentement de l’intéressée est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements identiques CL8 de M. Xavier Breton, CL62 de M. Patrick Hetzel et CL78 de M. Philippe Gosselin, amendements identiques CL7 de M. Xavier Breton, CL61 de M. Patrick Hetzel et CL77 de M. Philippe Gosselin, amendement CL43 de M. Thibault Bazin, amendements identiques CL6 de M. Xavier Breton, CL60 de M. Patrick Hetzel et CL76 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Monsieur le rapporteur, votre argument n’est pas recevable : le fait que le respect du consentement à l’IVG soit déjà prévu par la loi n’empêche pas de le constitutionnaliser, puisque c’est exactement la démarche que vous suivez pour l’IVG elle-même !

L’amendement CL8 propose d’introduire dans la Constitution le respect de l’équilibre entre un principe d’autonomie, qui protège ici le droit des femmes à disposer de leur corps, et un principe de vulnérabilité, qui protège la vie à naître. Comme souvent en bioéthique, il s’agit de coordonner ces deux principes, alors que la rédaction actuelle ne reconnaît que le premier.

M. Patrick Hetzel (LR). La loi Veil a déjà été modifiée à plusieurs reprises, mais sans jamais que l’équilibre entre le respect de la liberté de la femme à disposer de son corps et celui de la vie à naître n’ait été altéré. Le présent texte rompt cet équilibre en proposant de constitutionnaliser l’un sans se préoccuper de l’autre. C’est cette asymétrie que nous nous proposons de corriger.

M. Philippe Gosselin (LR). En cette date anniversaire de la promulgation de la loi Veil, n’oublions que Simone Veil avait affirmé avec force, à la tribune de l’Assemblée nationale, la nécessité de garantir l’équilibre entre la liberté de la femme et la protection de la vie à naître. Contrairement à ce qui est dit, cet équilibre n’est pas préservé par la rédaction actuelle, qui ignore complètement ce deuxième principe. Afin de se prévenir de toute interprétation abusive du Conseil constitutionnel, inscrivons les deux dans la Constitution.

M. Thibault Bazin (LR). Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juin 2001, s’est prononcé sur la question de l’équilibre entre ces deux principes en précisant que le respect de la Constitution impose « d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». L’amendement CL43 propose de reprendre ces termes.

M. Xavier Breton (LR). L’amendement CL6 a le même objet. Nous utilisons souvent l’expression de « protection de la vie à naître », mais elle n’a pas de définition juridique précise. C’est celle de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine » qui est utilisée par la jurisprudence et qui devrait donc figurer dans la Constitution.

M. Patrick Hetzel (LR). Le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé à quatre reprises sur l’IVG : en 1975, en 2001, en 2014 et en 2016. Il a rappelé l’équilibre nécessaire entre les deux principes et nous proposons par cet amendement de reprendre la formulation utilisée dans une de ces décisions.

M. Philippe Gosselin (LR). Ces décisions du Conseil constitutionnel, rendues dans des contextes politiques très différents, affirment toutes la nécessité du maintien de l’équilibre entre ces deux principes. Certains cherchent clairement à rompre cet équilibre avec la rédaction actuellement proposée.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Le projet de loi ne rompt aucun équilibre. Par ailleurs, toutes les décisions du Conseil constitutionnel sur l’IVG ont porté sur des avancées législatives. S’il devait à l’avenir se prononcer sur une loi de régression, il n’aurait plus, grâce à la constitutionnalisation du droit à l’IVG que nous proposons, à recourir à une interprétation extensive de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est source d’insécurité juridique. Avis défavorable.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Il n’existe aucune liberté absolue dans notre constitution : elles se limitent mutuellement. Pourquoi alors vouloir poser des limites au seul droit à l’IVG ? Je vous recommande la lecture de l’avis du Conseil d’État, cela vous permettra peut-être de voir que vos arguments ne correspondent pas à la réalité de l’exercice du droit dans notre pays.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements identiques CL17 de M. Xavier Breton et CL87 de M. Philippe Gosselin, amendements identiques CL19 de M. Xavier Breton et CL89 de M. Philippe Gosselin, amendements identiques CL67 de M. Patrick Hetzel, CL88 de M. Philippe Gosselin et CL18 de M. Xavier Breton, et amendements identiques CL16 de M. Xavier Breton et CL86 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Les amendements CL17, CL19, CL18 et CL16 proposent de préciser que le droit de recourir à l’IVG est soumis à un délai de réflexion – entre deux et sept jours – entre l’entretien psycho-social préalable et le recueil du consentement. Ce délai, qui existait dans la loi mais a été supprimé par une proposition de loi lors de la précédente législature, est constitutif de l’équilibre dont nous discutons puisqu’il permet de garantir la liberté des femmes d’avorter mais également de ne pas le faire, dans des cas où elles font l’objet de pressions.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. La question des délais relève du domaine législatif. Je rappelle que les délais de réflexion ont été supprimés progressivement, le dernier l’ayant été en 2022. Si une loi venait à les réinstituer, elle serait probablement jugée inconstitutionnelle. Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements identiques CL83 de M. Philippe Gosselin et CL13 de M. Xavier Breton, et amendements identiques CL12 de M. Xavier Breton et CL82 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Le respect d’un équilibre demande aussi qu’une information complète sur les alternatives à l’avortement soit garantie. C’est l’objet de mes deux amendements, car votre rédaction risque de remettre en cause cette information.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Ces questions ne relèvent même pas du domaine législatif, mais réglementaire. Avis défavorable.

Mme Véronique Riotton (RE). Sans l’assumer, vous réduisez la question de l’avortement à celle de la relation à l’argent puisque vous présupposez qu’il suffirait que les femmes soient informées des aides aux alternatives à l’avortement pour qu’elles renoncent à avorter. Quelle méprise ! Votre vision moralisatrice et culpabilisatrice réduit l’autonomie des femmes à peau de chagrin. Autant de raisons pour constitutionnaliser le droit à l’IVG.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements CL44 de M. Thibault Bazin et CL2 de Mme Emmanuelle Ménard, amendements identiques CL85 de M. Philippe Gosselin et CL15 de M. Xavier Breton, amendements identiques CL74 de M. Philippe Gosselin et CL4 de M. Xavier Breton, et amendements identiques CL5 de M. Xavier Breton et CL75 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

M. Thibault Bazin (LR). Tout le problème de votre formulation est que l’on ne sait pas si la garantie est totale ou relative. Pour préserver l’équilibre que réalise la loi Veil entre les différentes libertés, l’amendement CL44 propose d’inscrire la clause de conscience dans la Constitution.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). La clause de conscience, sanctuarisée dans la loi, est menacée par cette réforme. Simone Veil elle-même la considérait pourtant comme essentielle. Dans son discours de 1974 devant l’Assemblée nationale, elle soulignait que « l’interruption de grossesse ne peut être pratiquée que par un médecin, comme c’est la règle dans tous les pays qui ont modifié leur législation dans ce domaine. Mais il va de soi qu’aucun médecin ou auxiliaire médical ne sera jamais tenu d’y participer. » Le Comité consultatif national d’éthique a d’ailleurs à nouveau formulé un avis négatif sur sa suppression.

Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution risque d’en faire un droit absolu. Comment, dans ces conditions, des médecins pourront-ils continuer à faire valoir leur liberté de conscience afin de ne pas la pratiquer ? Aura-t-on seulement le droit de manifester son opposition à l’IVG, qui sera une liberté fondamentale ? Cette réforme, présentée comme un progrès, risque d’avoir de graves conséquences.

M. Philippe Gosselin (LR). Garantir la liberté de conscience du médecin fait partie de l’équilibre que nous recherchons. Si cette liberté, qui est la contrepartie de celle d’avorter, n’est pas inscrite dans la Constitution, elle pourra être remise en cause par la loi et deviendra un vain mot. Ce n’est pas une vue de l’esprit : une proposition de loi a déjà été défendue en ce sens et certains n’ont pas renoncé à limiter cette liberté, voire à la supprimer.

M. Xavier Breton (LR). Madame Riotton, les situations matérielles compliquées que vivent certaines femmes peuvent restreindre leurs choix. Vous en concluez qu’il faut constitutionnaliser le droit à l’IVG mais au contraire, cette constitutionnalisation supprimera toute possibilité à la fois de débattre et de garantir un choix libre, affranchi des contraintes matérielles. Votre volonté de constitutionnaliser ne marche qu’à sens unique et ignore les alternatives.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. La constitutionnalisation ne remet en cause ni les dispositifs législatifs prévoyant la double clause de conscience, ni la liberté de conscience telle qu’elle est reconnue par la Constitution. Avis défavorable.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Certains groupes politiques ont tenté de supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG au motif qu’il existe déjà une clause générale. Je rappelle d’abord que la clause spécifique s’applique à tous les soignants alors que la clause générale ne concerne que les médecins, les sages-femmes et les infirmiers. Ensuite, la clause spécifique pose un principe absolu alors que la clause générale prévoit une exception, en cas d’urgence. Enfin, la clause spécifique est prévue par la loi alors que la clause générale n’a que valeur réglementaire et pourrait donc être plus facilement supprimée.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL40 de M. Thibault Bazin et CL14 de M. Xavier Breton (discussion commune)

M. Thibault Bazin (LR). Nous avons évoqué le cadre bioéthique de la loi Veil, fondée sur l’équilibre entre la sauvegarde de la dignité et le respect de la liberté. L’amendement CL40 propose d’inscrire dans la Constitution la nécessité du respect d’un délai de réflexion pour se rapprocher de cet esprit voulu par Simone Veil.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Avis défavorable. J’ajoute à l’attention de M. Bazin que le droit à l’avortement ne relève pas de la bioéthique.

M. Thibault Bazin (LR). J’emploie le mot de « bioéthique » non dans son sens juridique, mais dans son sens philosophique de l’éthique des êtres humains. Il est important de réfléchir avec cette perspective, qui était déjà celle de Simone Veil en 1974.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL35 de M. Thibault Bazin et CL22 de M. Xavier Breton, et amendements CL23 de M. Xavier Breton et CL24 de M. Xavier Breton (discussion commune)

M. Thibault Bazin (LR). L’amendement CL35 propose de distinguer entre l’interruption volontaire et l’interruption médicale, car leurs enjeux éthiques sont différents.

M. Xavier Breton (LR). Les amendements CL22, CL23 et CL24 ont le même objet. Il est important de distinguer clairement les deux car les délais dans lesquels l’interruption de grossesse est autorisée sont différents. Certains – notamment au Planning familial, qui défriche le terrain idéologique en ce domaine et auquel les ministres ont peur de s’opposer – souhaitent en effet instaurer une liberté inconditionnelle de l’IVG, en l’autorisant jusqu’au terme de la grossesse. Nous avons donc des raisons d’être inquiets.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Avis défavorable : la constitutionnalisation ne remet pas en cause le cadre législatif, qui distingue très clairement entre interruption médicale et volontaire.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Monsieur Breton, vous pouvez être rassuré : le projet de loi prévoit d’inscrire dans la Constitution que « la loi détermine les conditions » du recours à l’IVG. Il n’y a donc aucun risque de voir le droit à l’IVG devenir inconditionnel.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL20 et CL21 de M. Xavier Breton (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Ceux qui se réclament des libertés ayant tendance à fonctionner à sens unique, il est important de préciser que le délit d’entrave ne porte pas atteinte à la liberté d’information des femmes sur les alternatives à l’avortement afin qu’elles puissent se décider en totale conscience.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Avis défavorable. Le cadre législatif ne sera pas modifié. Le Conseil constitutionnel a été très clair au sujet de la protection de la liberté d’expression à la suite de la création du délit d’entrave. Selon sa décision du 16 mars 2017, « en réprimant les expressions et manifestations perturbant l’accès ou le fonctionnement des établissements pratiquant l’interruption volontaire de grossesse » ainsi que « les pressions morales et psychologiques, menaces et actes d’intimidation », le délit d’entrave ne porte pas « à la liberté d’expression et de communication une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi ».

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’article unique non modifié.

 

Après l’article unique

Amendement CL37 de M. Thibault Bazin

M. Thibault Bazin (LR). Au contraire de l’interdiction de l’IVG, qui n’est proposée par aucun groupe parlementaire à ce jour, la question des pratiques eugénistes s’invite régulièrement lors de l’examen de divers textes, notamment en matière de bioéthique, et certaines séries ou films auxquels je ne veux pas faire écho nourrissent les inquiétudes. Il nous semblerait donc plus urgent de graver dans le marbre la ligne rouge qu’a défendue dans ce domaine Agnès Buzyn lors de l’examen du projet de loi relative à la bioéthique.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements CL25 de M. Xavier Breton et CL36 de M. Thibault Bazin (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Vous choisissez de constitutionnaliser la liberté de la femme, mais pas la protection de la vie à naître afin d’assurer un équilibre. Une autre question se pose toutefois : celle de la gestation pour autrui (GPA), pratique qui ne peut en aucun cas être éthique, puisqu’il s’agit d’une marchandisation ou d’une utilisation du corps des femmes comme un moyen. Il serait très fort que la France se place à la pointe du combat pour une abolition universelle de la gestation pour autrui, en l’inscrivant dans sa Constitution. Ce n’est pas virtuel : certains font la promotion de cette pratique sur des marchés, et on nous dira bientôt que, puisque c’est possible à l’étranger, il faut aussi que ce soit le cas chez nous, sinon seuls les riches pourront se le permettre. Nous devons, par respect de la dignité de la personne humaine et notamment des femmes, interdire la gestation pour autrui.

M. Thibault Bazin (LR). Il existe peut-être davantage de pratiques qui ne sont pas éthiques dans ce domaine qu’en matière d’IVG – le nombre d’actes pratiqués a plutôt augmenté en France, ce qui prouve qu’il n’y a pas d’entrave. Je rappelle que des salons de promotion de la GPA ont été organisés en Île-de-France. Nous devrions nous réarmer, pour reprendre un terme très entendu depuis hier, dans la lutte contre une pratique considérée comme une ligne rouge lors de l’examen du projet de loi relative à la bioéthique. Gravons les choses dans le marbre en interdisant la gestation pour autrui.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Ces deux amendements sont totalement en dehors du périmètre de ce projet de loi constitutionnelle. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Titre

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL49 de Mme Mereana Reid Arbelot.

La commission adopte l’ensemble du projet de loi constitutionnelle, non modifié.

M. le président Sacha Houlié. Je suis heureux, pour toutes les femmes concernées, que la commission soit parvenue à adopter le projet de loi constitutionnelle reconnaissant la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (n° 1983), sans modification.

*

*     *

 

 


—  1  —

   Personnes entendues

Ministères

   Mme Aurore Bergé, ministre déléguée

   Mme Delphine O, ambassadrice, secrétaire générale du forum génération égalité

Associations

   Mme Stefania Parigi, présidente

   Mme Sophie Gaudu, membre

   Mme Suzy Rojtman, porte-parole

   Mme Clémence Pajot, directrice générale

   Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques

   M. Neil Datta, directeur exécutif

   Mme Ghada Hatem, fondatrice

   Mme Sarah Durocher, présidente

   Mme Albane Gaillot, chargée de plaidoyer

Universitaires

Avocats

   M. Alexis Werl, président de la commission Textes

   Mme Nawel Oumer, présidente de la commission Égalité


([1]) La pilule contraceptive est inventée en 1956.

([2]) La contraception est aujourd’hui régie par l’article L. 5134-1 du code de la santé publique selon lequel « Toute personne a le droit d’être informée sur l’ensemble des méthodes contraceptives et d’en choisir une librement ».

([3]) Au terme de l’expérimentation, l’article 3 de la loi n°79-1204 du 31 décembre 1979 relative à l’interruption volontaire de grossesse a complété l’article 317 du code pénal par un alinéa excluant définitivement son application aux personnes recourant à l’interruption volontaire de grossesse dans le respect des conditions fixées par la loi et pérennisant ainsi les apports de la loi Veil.

([4]) Article L. 2222-2 du code de la santé publique.

([5]) Article L. 2222-1 du code de la santé publique et article 223-10 du code pénal.

([6]) Article L. 2222-4 du code de la santé publique.

([7]) Dès 1980, le Conseil d’État a estimé que l’appréciation de la situation de détresse était réservée à la femme enceinte (CE, 31 octobre 1980, n° 13028, Lahache).

([8]) Loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013.

([9]) Article L. 2223-2 du code de la santé publique.

([10]) Loi n° 2017-347 du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

([11]) Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([12]) Ibidem.

([13]) Loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement.

([14]) Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([15]) Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([16]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([17]) Article L. 2222-4 du code de la santé publique.

([18])  Article L. 2223-2 du code de la santé publique.

([19])  Article L. 2222-4 du code de la santé publique.

([20]) Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, n° 74-54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

([21]) Conseil constitutionnel, 27 juin 2001, n° 2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([22]) Le Conseil a considéré dans sa décision du 27 juin 2001 que l’IVG n’était pas une pratique eugénique et qu’en fixant l’exigence d’une situation de détresse « le législateur a entendu exclure toute fraude à la loi et, plus généralement, toute dénaturation des principes qu’il a posés, principes au nombre desquels figure, à l’article L. 2211-1 du code de la santé publique, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

([23]) Conseil constitutionnel, 31 juillet 2014, n° 2014-700 DC, Loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([24]) Yvonne-Marie Rogez, « La fin du droit constitutionnel à l’avortement aux USA », RDSS, 2022, p. 858.

([25]) Voir II. B. 1.

([26]) C’est d’ailleurs à l’occasion de sa décision du 15 janvier 1975 qu’il a indiqué que « l’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement » (Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, n° 74-54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse).

([27]) Le Conseil exige, pour reconnaître un PFRLR, que ce principe ait été inscrit dans le droit par le législateur avant 1946 dans le cadre d’un régime républicain et qu’il ait été d’application constante depuis.

([28]) Conseil constitutionnel, 27 juin 2001, n° 2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([29]) CEDH, A, B et C contre Irlande, 16 décembre 2010, n° 25579/05

([30]) CJCE, 4 octobre 1991, Society for the Protection of Unborn Children Ireland, aff. C-159/90.

([31]) Conseil d’État, 21 décembre 1990, Confédération nationale des associations familiales catholiques et autres, n° 105743.

([32]) Assemblée nationale, Rapport d’information sur la constitutionnalisation de l’IVG, Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Guillaume Gouffier Valente, 17 novembre 2022, n° 498, XVIème législature, p. 6.

([33]) Fondation des Femmes, Mobilisation anti-avortement en France : quand les réseaux sociaux menacent le droit à l’IVG, 17 janvier 2024.

([34]) Assemblée nationale, Rapport d’information sur la constitutionnalisation de l’IVG, op. cit., p. 6.

([35]) Proposition de loi constitutionnelle n° 293 visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture (TA n° 34), 24 novembre 2022 (XVIème législature)

([36]) Voir le commentaire de l’article unique.

([37]) Conseil constitutionnel, 2 décembre 1976, n° 76-70 DC, Loi relative au développement de la prévention des accidents du travail.

([38]) Conseil constitutionnel, 23 novembre 1977, n° 77-87 DC, Loi relative à la liberté de l’enseignement.

([39]) Conseil constitutionnel, 29 août 2002, n° 2002-461 DC, Loi d’orientation et de programmation pour la justice.

([40]) Conseil constitutionnel, 22 juillet 1980, n° 80-119 DC, Loi portant validation d’actes administratifs.

([41]) « Redécouvrir le Préambule de la Constitution », rapport du comité présidé par Simone Veil, 2008, p. 85.

([42]) Stéphanie Hennette-Vauchez, Diane Roman and Serge Slama, « Pourquoi et comment constitutionnaliser le droit à l’avortement », La Revue des droits de l’homme, juillet 2022.

([43]) Voir le I. A. de la présentation du projet de loi constitutionnelle.

([44]) Conseil constitutionnel, 27 juin 2001, n° 2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([45]) Voir I. B. de la présentation du projet de loi constitutionnelle.

([46]) Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, n° 74-54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse .

([47]) Avis du Conseil d’État, n° 407667, considérant 7 (voir également le II. B. 1. de la présentation du projet de loi constitutionnelle).

([48]) Avis du Conseil d’État, n° 407667, 7 décembre 2023, § 10.

([49]) Ibidem.

([50])Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Mme Mélanie Vogel, déposé au Sénat le 2 septembre 2022, n° 853, 2021-2022.

([51]) « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse » (proposition de loi constitutionnelle n° 293 visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, TA n° 34, 24 novembre 2022, XVIème législature.

([52]) Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, texte adopté par le Sénat en première lecture, n° 48, 1er février 2023 (2022-2023).

([53]) Exposé sommaire de l’amendement n° 1 rect. bis, de M. Philippe Bas à la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, n° 143, Sénat (2022-2023).

([54]) Exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle.

([55]) Décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979, Loi modifiant les modes d’élection de l’Assemblée territoriale et du Conseil de gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et définissant les règles générales de l’aide technique et financière contractuelle de l’État.

([56]) Avis du Conseil d’État, n° 407667, 7 décembre 2023, § 17.

([57]) Avis du Conseil d’État, n° 407667, 7 décembre 2023, § 13.

([58]) Avis du Conseil d’État, n° 407667, 7 décembre 2023, § 15.

([59]) Avis du Conseil d’État, n° 407667, 7 décembre 2023, § 11.

([60]) Avis du Conseil d’État, n° 407667, 7 décembre 2023, § 12.

([61]) Avis du Conseil d’État, n° 407667, 7 décembre 2023, § 14.