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N° 2078

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 janvier 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
 

visant à allonger la durée de l’ordonnance de protection et à créer
l’ordonnance provisoire de protection immédiate (n° 1970)

PAR Mme Émilie CHANDLER

Députée

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................ 5

Examen des articles de la proposition de loi

Article 1er (art. 515-12 et 515-13-1 [nouveau] du code civil) Extension de la durée des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance de protection et création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate

Article 2 (art. 227-4-2-1du code pénal [nouveau]) Sanction pénale en cas de violation des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance de protection

Article 3 (art. 711-1 du code pénal) Adaptations outre-mer

Compte rendu des débats

PERSONNES ENTENDUES

 


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Mesdames, Messieurs,

Les chiffres sont connus, mais ils doivent être rappelés ici.

En 2022, 244 000 victimes de violences commises par leur conjoint ou leur ex-conjoint ont été enregistrées par les services de sécurité. 86 % de ces victimes étaient des femmes. Ces chiffres ne reflètent qu’une partie des violences commises au sein du foyer : une victime de violences conjugales sur quatre seulement porte plainte.

Ces violences sont un véritable fléau auquel les pouvoirs publics ont le devoir de répondre.

Considérées, il y a encore quelques années, comme du ressort de l’intime et du foyer conjugal, les violences conjugales sont devenues un véritable enjeu de politique publique. Le Grenelle des violences conjugales, organisé en 2019, a favorisé cette prise de conscience collective. Les moyens mis à la disposition de la justice pour protéger les victimes se sont multipliés : le téléphone grave danger, le bracelet anti-rapprochement et l’ordonnance de protection contribuent à éloigner l’agresseur de sa victime. À cela s’ajoutent les efforts réalisés en matière de formation et d’accueil des victimes, qui favorisent la libération de la parole des victimes.

Si des progrès ont été constatés, trop de femmes meurent encore sous les coups de leurs conjoints ou de leurs ex-conjoints. Nous devons mieux faire pour mieux les protéger. Dans cette optique, j’ai été chargée par la Première Ministre, avec la sénatrice Dominique Vérien, de formuler des propositions sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Le rapport issu de nos travaux présente 59 recommandations pour améliorer le parcours judiciaire des victimes.

Cette proposition de loi met en œuvre l’une de ces 59 recommandations.

L’article 1er crée ainsi un nouveau dispositif : l’ordonnance provisoire de protection immédiate, qui complète le dispositif de l’ordonnance de protection. Le juge aux affaires familiales pourra prononcer des mesures de protection en urgence, soit 24 heures après sa saisine. Il se prononcera au regard des seuls éléments présentés dans la requête. L’absence de contradictoire et le délai extrêmement court dans lequel le juge aux affaires familiales peut prononcer des mesures restrictives de liberté entraînent un encadrement très strict du dispositif, pour garantir l’équilibre entre la protection de la partie demanderesse et les atteintes aux libertés de la partie défenderesse.

Seul le procureur de la République sera en mesure de saisir le juge aux affaires familiales. Toute demande d’ordonnance provisoire de protection immédiate devra être adossée à une demande d’ordonnance de protection : ce n’est pas un dispositif autonome, mais bien une étape préalable à l’ordonnance de protection. L’ordonnance provisoire de protection immédiate sera délivrée si le juge estime qu’il y a, en plus des violences vraisemblables, un danger grave et immédiat.

Le juge aux affaires familiales pourra prononcer seulement quatre des onze mesures prévues pour l’ordonnance de protection : l’interdiction de contact, l’interdiction de paraître, l’interdiction de détenir une arme et l’obligation de la remettre aux forces de l’ordre. Les mesures prendront fin dès que le juge aux affaires familiales aura statué sur la demande d’ordonnance de protection.

Toute violation des interdictions ou des obligations édictées dans le cadre de l’ordonnance de protection sera passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende : c’est ce que prévoit l’article 2. Le quantum prévu pour l’ordonnance provisoire est supérieur d’un an à celui qui existe déjà pour violation de l’ordonnance de protection ; cette différence s’explique par la gravité et l’immédiateté du danger qu’aura constaté le juge aux affaires familiales.

Notre objectif est clair : donner au juge la possibilité de protéger les victimes de violences conjugales dès qu’elles se signalent auprès de la justice.

Enfin, l’article 1er modifie également l’un des paramètres de l’ordonnance de protection : il allonge la durée des mesures prononcées par le juge aux affaires familiales pour la fixer à douze mois, contre six mois actuellement. Cet allongement des délais permettra aux victimes qui ne sont pas mariées et qui n’ont pas d’enfant d’avoir plus de temps pour organiser leur séparation et stabiliser leur situation financière.


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   Examen des articles de la proposition de loi

Article 1er
(art. 515-12 et 515-13-1 [nouveau] du code civil)
Extension de la durée des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance de protection et création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate

Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article allonge la durée maximale pour laquelle sont prononcées les mesures prises dans le cadre d’une ordonnance de protection.

Il crée également le dispositif de l’ordonnance provisoire de protection immédiate, qui vient compléter celui de l’ordonnance de protection : le juge aux affaires familiales devra se prononcer au plus tard vingt-quatre heures après sa saisine, sur le fondement des seuls éléments joints à la requête. Les mesures ordonnées dans le cadre d’une ordonnance provisoire de protection immédiate prennent fin dès la décision statuant sur l’ordonnance de protection, soit au plus tard six jours après la fixation de la date de l’audience.

       Dernières modifications intervenues

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a réaffirmé le principe de l’éviction du conjoint violent.

La loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a modifié les modalités d’interdiction de détention et de port d’armes par le juge aux affaires familiales lorsqu’il délivre une ordonnance de protection.

  1.   L’état du droit

L’ordonnance de protection est un dispositif civil, qui permet au juge aux affaires familiales de prendre une série de mesures, dont certaines à caractère pénal, dans le but de protéger les personnes victimes de violences conjugales. Mis en place en 2010, il a été modifié à plusieurs reprises pour améliorer son efficacité. Bien que le nombre d’ordonnances de protection demandées et délivrées ait considérablement augmenté depuis 2010, le dispositif n’apparaît pas encore pleinement exploité par les personnes victimes de violences au sein de leur foyer.

  1.   L’ordonnance de protection, des prérogatives larges confiées au juge aux affaires familiales pour améliorer la protection des personnes victimes de violences conjugales

Le dispositif de l’ordonnance de protection a été créé par l’article 1er de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. La proposition de loi à l’origine du texte ([1]) était issue des travaux menés à l’Assemblée nationale par la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, dont le rapport avait été publié en juillet 2009.

Le mécanisme de l’ordonnance de protection s’inspire du mécanisme de protection existant en Espagne – l’ordonnance de protection des victimes de violence domestique –, dans lequel le juge dispose de 72 heures à compter de sa saisine pour se prononcer.

L’objectif des députés auteurs de la proposition de loi était de protéger les personnes victimes de violences conjugales en situation de danger, sans attendre le dépôt de plainte et les suites données à celle-ci. Cette protection, qui peut passer par l’éviction du conjoint violent du logement conjugal, doit permettre aux victimes d’organiser la séparation et de stabiliser leur situation financière et juridique.

● Les mesures que peut prendre le juge aux affaires familiales dans le cadre d’une ordonnance de protection

L’article 1er de la loi du 9 juillet 2010 insère ainsi un nouveau titre au sein du livre Ier du code civil, intitulé « Protection des victimes » et composé des articles 515-9 à 515-13. Il donne ainsi une nouvelle compétence au juge aux affaires familiales : ce dernier peut, pour protéger une personne qui fait état de violences la menaçant elle ou ses enfants, prendre plusieurs mesures, dont certaines plutôt réservées habituellement au juge pénal. En 2010, ces mesures étaient au nombre de sept :

– l’interdiction pour la partie défenderesse d’entrer en contact avec certaines personnes désignées par le juge (1° de l’article 515-11) ;

– l’interdiction pour la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme, et l’obligation de remettre les armes au greffe le cas échéant (2° de l’article 515-11) ;

– la possibilité pour le juge de statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des époux peut continuer à résider dans le logement conjugal et sur les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement (3° de l’article 515-11) ;

– la possibilité pour le juge d’attribuer le logement ou la résidence du couple au partenaire ou au concubin qui n’est pas l’auteur des violences (4° de l’article 515-11) ;

– la possibilité pour le juge de se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, sur la contribution aux charges du mariage, sur l’aide matérielle pour les partenaires d’un pacte civil de solidarité et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants (5° de l’article 515-11) ;

– l’autorisation pour la personne demanderesse de dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile chez l’avocat qui l’assiste ou la représente, ou auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire (6° de l’article 515-11) ;

– la possibilité pour le juge de prononcer l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle de la partie demanderesse (7° de l’article 515-11).

La compétence du juge aux affaires familiales a été progressivement élargie à d’autres mesures.

L’article 32 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ajoute ainsi la possibilité pour le juge d’autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile pour les besoins de la vie courante chez une personne morale qualifiée (6° bis de l’article 515-11).

L’article 4 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a apporté plusieurs modifications au périmètre d’intervention du juge aux affaires familiales.

Deux mesures ont été ajoutées :

– l’interdiction pour la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux désignés par le juge aux affaires familiales, dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse (1° bis de l’article 515-11) ;

– la possibilité pour le juge de proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ou un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes (2° ter de l’article 515-11).

La loi du 28 décembre 2019 précise aussi que, lorsque le juge aux affaires familiales prononce une interdiction de contact, il doit motiver la décision de ne pas ordonner l’exercice du droit de visite dans un espace de rencontre désigné ou en présence d’un tiers de confiance spécialement désigné.

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales et la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a également apporté des modifications visant notamment à clarifier certaines des mesures prises dans le cadre de l’ordonnance de protection.

L’article 515-11 énumère ainsi aujourd’hui onze mesures à la main du juge aux affaires familiales lorsqu’il prononce une ordonnance de protection, reproduite ci-dessous.

 

Les mesures que peut prononcer le juge aux affaires familiales dans le cadre de l’ordonnance de protection (extrait de l’article 515-11 du code civil)

1° Interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge aux affaires familiales, ainsi que d’entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;

1° bis Interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse ;

2° Interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme ; Lorsque l’ordonnance de protection édicte la mesure prévue au 1°, la décision de ne pas interdire la détention ou le port d’arme est spécialement motivée ;

bis Ordonner à la partie défenderesse de remettre au service de police ou de gendarmerie le plus proche du lieu de son domicile les armes dont elle est détentrice ;

ter Proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ou un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes. En cas de refus de la partie défenderesse, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République ;

3° Statuer sur la résidence séparée des époux. La jouissance du logement conjugal est attribuée, sauf ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières, au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du conjoint violent ;

4° Se prononcer sur le logement commun de partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou de concubins. La jouissance du logement commun est attribuée, sauf ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières, au partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou au concubin qui n’est pas l’auteur des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du partenaire ou concubin violent ;

5° Se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et, au sens de l’article 373-2-9, sur les modalités du droit de visite et d’hébergement, ainsi que, le cas échéant, sur la contribution aux charges du mariage pour les couples mariés, sur l’aide matérielle au sens de l’article 515-4 pour les partenaires d’un pacte civil de solidarité et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ; Lorsque l’ordonnance de protection édicte la mesure prévue au 1° du présent article, la décision de ne pas ordonner l’exercice du droit de visite dans un espace de rencontre désigné ou en présence d’un tiers de confiance est spécialement motivée ;

6° Autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile chez l’avocat qui l’assiste ou la représente ou auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire pour toutes les instances civiles dans lesquelles elle est également partie. Si, pour les besoins de l’exécution d’une décision de justice, l’huissier chargé de cette exécution doit avoir connaissance de l’adresse de cette personne, celle-ci lui est communiquée, sans qu’il puisse la révéler à son mandant ;

bis Autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile pour les besoins de la vie courante chez une personne morale qualifiée ;

7° Prononcer l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle des deux parties ou de l’une d’elles en application du premier alinéa de l’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

L’article 515-12 du code civil prévoyait initialement que les mesures prises par le juge aux affaires familiales dans le cadre d’une ordonnance de protection ne pouvaient excéder une durée de quatre mois. Cette durée a été étendue à six mois par l’article 32 de la loi n° 2014-873 du 4 août pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. L’article 1136-7 du code de procédure civile prévoit qu’en l’absence de précisions dans l’ordonnance prise par le juge, les mesures prennent fin au bout de six mois.

Ces mesures peuvent néanmoins être prolongées dans certains cas :

– si, pendant le délai de six mois, une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ;

– si le juge aux affaires familiales a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale.

Le juge a également la faculté de supprimer ou de modifier toute ou partie des mesures énoncées dans l’ordonnance de protection ou d’en décider de nouvelles, soit à la demande du ministère public, soit à la demande de l’une ou de l’autre des parties.

● Le rôle du ministère public dans le dispositif a été progressivement renforcé.

Une ordonnance de protection peut être demandée par la personne en danger ou, avec son accord, par le ministère public. Ces conditions de saisine n’ont pas évolué depuis 2010. En 2021, le ministère public était à l’origine de la demande dans 2 % des cas.

Depuis 2014 ([2]), lorsque le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection en raison de violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants, il doit en informer sans délai le procureur de la République.

Depuis 2019 ([3]), l’article 515-10 précise que le juge aux affaires familiales convoque le ministère public à fin d’avis. Une étude menée par le ministère de la justice sur les ordonnances de protection demandées entre 2019 et 2021 ([4]) montre que le ministère public, qui s’est prononcé dans 79 % des cas, a émis un avis favorable dans 60 % des cas.

● Les critères de délivrance ont peu évolué

Il a été précisé par l’article 2 de la loi de 2019, que la délivrance d’une ordonnance de protection ne pouvait être conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable. Cet ajout faisait suite au constat qu’une plainte était régulièrement réclamée par les magistrats pour accorder une ordonnance de protection, alors même que la loi n’en faisait pas un critère obligatoire.

Pour que le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection, il doit estimer qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables :

– les violences alléguées par la partie demanderesse ;

– et le danger auquel cette partie demanderesse est exposée.

L’article 32 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a ajouté le danger auquel peuvent être exposés les enfants de la partie demanderesse. À l’exception de cette modification, ces deux critères sont restés inchangés depuis 2010.

● L’inscription du délai de délivrance dans le code civil, facteur d’accélération des délais de traitement

Le texte dans la version de 2010 ne mentionnait pas de délai précis de délivrance, bien que la question se soit posée pendant les débats parlementaires : l’article 515-9 précisait simplement que le juge aux affaires familiales délivrait l’ordonnance de protection « en urgence ». En 2014 a été ajoutée à l’article 515-11 la mention d’une délivrance « dans les meilleurs délais ». Constatant, en 2019, que le délai moyen de traitement d’une ordonnance de protection s’établissait à 42 jours ([5]), le législateur a fait le choix d’imposer un délai court dans la loi, pour garantir une protection rapide des victimes de violences conjugales et de leurs enfants. L’article 4 de la loi du 28 décembre 2019 a donc fixé à six jours le délai entre la fixation de la date de l’audience et la décision sur l’ordonnance de protection.

Le juge se prononce après avoir entendu en audition la partie demanderesse, la partie défenderesse et le ministère public. Il est précisé que ces auditions peuvent avoir lieu séparément. L’article 2 de la loi du 28 décembre 2019 a complété le dispositif en précisant que lorsque c’est la partie demanderesse qui en fait la demande, les auditions se tiennent séparément.

  1.   Un dispositif que les victimes se sont progressivement approprié mais qui n’est pas encore exploité à son plein potentiel

Le dispositif est devenu progressivement un réel outil de protection des personnes victimes de violences conjugales : 6 000 demandes avaient été formulées en 2021, contre 1 600 en 2011, soit une augmentation de 275 % en dix ans. Sur la période 2019-2021, le nombre de demandes acceptées s’établissait à 66 %. 

Le service statistique ministériel de la justice, dans son étude datée de juin 2023 ([6]), présente les caractéristiques des demandes d’ordonnance de protection accordées entre 2019 et 2021 :

– 97 % des demandes sont introduites par des femmes ;

– dans 89 % des affaires, les demandeurs ont des enfants, le plus souvent mineurs ;

– dans 85 % des cas, les demandeurs déclarent ne pas vivre sous le même que le conjoint ou l’ex-conjoint au moment de la saisine.

Un comité national de l’ordonnance de protection a été instauré en 2020, avec pour mission de relever les éventuelles difficultés de mise en œuvre et d’émettre des suggestions susceptibles d’améliorer la diffusion de l’ordonnance de protection. Ce comité a publié un premier rapport en 2021 ([7]), dans lequel il présente les actions du comité sur l’année 2020-2021 et formule un certain nombre de propositions.

Si ces différents éléments sont encourageants et illustrent la prise de conscience collective de l’importance de ce sujet depuis quelques années, les violences conjugales demeurent un fléau : ainsi, en 2022, 213 000 femmes déclaraient subir des violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint.

Et, même si les chiffres de féminicides semblent se stabiliser, beaucoup reste à faire pour s’assurer qu’aucune femme ne meurt plus sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint : en 2022, 143 personnes ont été victimes d’homicides au sein du couple. 85 % d’entre elles, soit 122 personnes, étaient des femmes ([8]). Pour l’année 2023, un bilan provisoire communiqué par la Chancellerie fait état de 94 féminicides. Il est donc nécessaire de continuer à améliorer les différents dispositifs de protection des personnes victimes de violences conjugales. C’est le sens du Plan rouge VIF présenté par la sénatrice Dominique Vérien et la rapporteure du présent texte en mai 2023.

  1.   Le dispositif proposé

Le présent article procède à deux modifications au sein du titre XIV du livre Ier du code civil, relatif aux mesures de protection des victimes de violence.

En premier lieu (1°), il modifie l’article 515-12 du code civil pour allonger la durée maximale des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance de protection et la fixer à douze mois, contre six dans le droit actuel. Cet allongement doit notamment permettre aux personnes qui ne sont pas mariées et qui n’ont pas d’enfants de bénéficier d’un temps plus long pour organiser leur séparation.

Cette période de douze mois constitue un délai maximal : le juge aux affaires familiales conserve la possibilité d’édicter les mesures pour une période moins longue s’il le souhaite.

En second lieu (2°), le présent article insère un nouvel article 515-13-1 au sein du code civil, qui crée le dispositif de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

Cette ordonnance provisoire de protection immédiate complète le dispositif de l’ordonnance de protection : elle est délivrée par le juge aux affaires familiales dans un délai de vingt-quatre heures après sa saisine.

Ce n’est pas un dispositif autonome : la demande pour une ordonnance provisoire de protection immédiate ne peut être formulée indépendamment de celle d’une ordonnance de protection, afin d’éviter toute instrumentalisation de la procédure.

Le ministère public est le seul à détenir la qualité à agir : il saisit le juge aux affaires familiales avec l’accord de la personne qui demande l’ordonnance de protection.

Le juge aux affaires familiales peut accorder l’ordonnance provisoire s’il estime qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables deux éléments :

– la commission des faits de violences allégués ;

– le danger grave et immédiat auquel le demandeur et/ou ses enfants sont exposés.

Est ainsi ajoutée, par rapport aux critères de délivrance de l’ordonnance de protection, la notion d’urgence : le danger doit être caractérisé comme grave et immédiat pour justifier d’activer le dispositif de l’ordonnance provisoire.

Le juge se prononce au vu des seuls éléments joints à la requête : l’absence de contradictoire s’explique par l’urgence de la protection et le bref délai pour lequel sont prononcées les mesures. Le texte prévoit ainsi que les mesures prennent fin lorsque le juge aux affaires familiales statue sur la demande d’ordonnance de protection, soit au plus tard six jours à compter de la fixation de la date de l’audience.

La liste des mesures que le juge aux affaires familiales peut prononcer dans le cadre d’une ordonnance provisoire est plus restreinte que celle de l’ordonnance de protection. Il peut ainsi :

– interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge aux affaires familiales, ainsi que d’entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit (1° de l’article 515-11) ;

– interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse (1° bis de l’article 515-11) ;

– interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme (2° de l’article 515-11) ;

– ordonner à la partie défenderesse de remettre au service de police ou de gendarmerie le plus proche du lieu de son domicile les armes dont elle est détentrice (2° bis de l’article 515-11).

L’ordonnance provisoire de protection immédiate a ainsi vocation à protéger les personnes qui ont sollicité une ordonnance de protection pendant le délai de six jours nécessaire au juge aux affaires familiales pour se prononcer sur l’ordonnance de protection.

La décision prise d’accorder ou non une ordonnance provisoire de protection immédiate ne lie en aucun cas le juge aux affaires familiales qui statue sur l’ordonnance de protection.

  1.   La position de la commission

La commission a adopté deux amendements de la rapporteure : le premier rédactionnel (CL 31), le second supprimant la borne maximale de six jours prévue à l’alinéa 7 de l’article 1er. L’article 515-11 du code civil prévoit déjà que le juge aux affaires familiales doit se prononcer sur la demande d’ordonnance de protection dans un délai de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience : il n’apparaît pas nécessaire de le rappeler. Si ce délai est globalement respecté, la rédaction initiale aurait privé la victime de protection dans les rares cas où la décision est prise au-delà des six jours prévus par la loi.

La commission a également adopté un amendement rédactionnel de la rapporteure (CL 30), qui modifie le titre de la proposition de loi.  

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Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit une sanction pénale en cas de violation des interdictions ou de non-respect des obligations édictées par le juge aux affaires familiales dans le cadre d’une ordonnance provisoire de protection immédiate.

  1.   L’état du droit

Il a été prévu, en parallèle de la création du dispositif de l’ordonnance de protection en 2010, une sanction pénale en cas de violation des interdictions ou de non-respect des obligations édictées par le juge aux affaires familiales dans le cadre de ce dispositif. L’article 227-4-2 du code pénal prévoit ainsi une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. L’instauration d’une sanction pénale était un corollaire essentiel pour assurer l’effectivité du dispositif de l’ordonnance de protection.

En 2021, selon la lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes ([9]), 140 personnes avaient été condamnées pour le non-respect d’une ordonnance de protection.

  1.   Le dispositif proposé

Le présent article insère un nouvel article 227-4-2-1 au sein du code pénal. Celui-ci prévoit une sanction pénale en cas de violation par une personne des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance provisoire de protection immédiate, fixée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

  1.   La position de la commission

La commission a adopté deux amendements rédactionnels proposés par la rapporteure (CL 33 et CL 32).

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Article 3
(art. 711-1 du code pénal)
Adaptations outre-mer

Adopté par la commission sans modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article modifie l’article 711-1 du code pénal pour assurer l’application de l’article 2 de la présente proposition de loi dans les territoires de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. Il prévoit également l’application de l’article 1er, qui crée l’ordonnance provisoire de protection immédiate, dans les îles Wallis et Futuna et en Polynésie française. 


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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du lundi 22 janvier 2024, la Commission examine la proposition de loi visant à allonger la durée de l’ordonnance de protection et à créer l’ordonnance provisoire de protection immédiate (n° 1970) (Mme Émilie Chandler, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/RPce8A

Mme Émilie Chandler, rapporteure. L’ordonnance de protection, dispositif de protection des personnes victimes de violences conjugales, est bien connue de notre commission puisqu’elle est issue d’une proposition de loi adoptée par notre assemblée en 2010. Il s’agit d’un mécanisme de droit civil dans lequel le juge aux affaires familiales peut prendre des mesures destinées à protéger une personne victime de violences commises par son conjoint ou son ex-conjoint. Toutes les formes de violences sont concernées, pas uniquement les violences physiques.

Le juge aux affaires familiales (JAF), qui doit se prononcer dans un délai de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience, peut prononcer des interdictions de contact ou de paraître, mais aussi proposer une prise en charge sanitaire ou psychologique à la partie défenderesse.

Deux éléments doivent être réunis pour qu’une ordonnance soit délivrée : des violences vraisemblables commises sur la partie demanderesse et un danger vraisemblable auquel cette personne ou ses enfants seraient exposés. Cette notion de danger fait d’ailleurs l’objet de débats, mais je ne le détaillerai pas car nous aurons l’occasion d’y revenir en examinant les amendements.

Comme le répète souvent Ernestine Ronai, qui est à la fois présidente de l’Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et présidente du comité national de l’ordonnance de protection, cette ordonnance est la première marche de protection des femmes victimes de violences conjugales. Elle n’a pas vocation à résoudre l’ensemble des problèmes liés à ces dernières, mais elle protège la victime et lui donne l’espace et la sécurité nécessaires pour stabiliser sa situation juridique et financière.

La lutte contre les violences conjugales, considérées voilà encore quelques années comme du ressort de l’intime et du foyer conjugal, est devenue un véritable enjeu de politique publique : nous parlons désormais de violences intrafamiliales (VIF). Le Grenelle des violences conjugales, organisé dès 2019, a favorisé cette prise de conscience collective. Le foyer doit rester le lieu de la sécurité essentielle.

Dans le cadre de ma mission sur les violences intrafamiliales, menée aux côtés de la sénatrice Dominique Vérien, j’ai ainsi pu constater les progrès réalisés en matière de lutte contre les violences perpétrées au sein du foyer. Il reste néanmoins du chemin à parcourir, comme en témoigne le nombre de féminicides encore recensés en 2023.

Si le dispositif de l’ordonnance de protection est aujourd’hui maîtrisé par les principaux maillons de la chaîne judiciaire, le nombre d’ordonnances de protection demandées est encore trop faible par rapport à celui des femmes qui se déclarent victimes de violences conjugales. Mme Vérien et moi-même avons formulé cinquante-neuf recommandations, qui forment le plan Rouge vif. Cette proposition de loi met ainsi en œuvre l’une de ces recommandations : la création d’une ordonnance de protection immédiate. Les violences intrafamiliales sont un fléau que notre société ne doit jamais cesser de combattre. C’est l’affaire de chacun et de tous.

L’article 1er crée ainsi un nouveau dispositif : l’ordonnance provisoire de protection immédiate, qui complète l’ordonnance de protection. L’objectif est de permettre au juge aux affaires familiales de prononcer des mesures de protection en urgence, soit vingt-quatre heures après sa saisine.

Le juge aux affaires familiales se prononcera seulement sur les éléments présentés dans la requête : aucun élément présenté par la partie défenderesse ne sera examiné.

L’absence de contradictoire et le délai très court dans lequel le juge aux affaires familiales peut prononcer des mesures restrictives de liberté entraînent un encadrement très strict du dispositif, pour garantir l’équilibre entre la protection de la partie demanderesse et les atteintes aux libertés de la partie défenderesse.

Ainsi, seul le procureur de la République sera en mesure de saisir le juge aux affaires familiales pour demander cette ordonnance provisoire, et ne pourra le faire que si une demande d’ordonnance de protection a été formulée : l’ordonnance provisoire de protection immédiate n’est pas un dispositif autonome, mais une étape préalable avant l’ordonnance de protection. Le monopole du procureur de la République, ainsi que l’obligation de déposer une ordonnance de protection pour obtenir une ordonnance provisoire, doivent limiter les risques d’instrumentalisation de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

Autre garantie, les mesures prises dans le cadre de l’ordonnance provisoire sont limitées dans le temps : elles prennent fin dès que le juge aux affaires familiales statue sur la demande d’ordonnance de protection. L’article 1er prévoit également, dans sa rédaction actuelle, une borne maximale de six jours, que je vous proposerai de supprimer par amendement, pour garantir que la personne en danger reste protégée jusqu’à la délivrance de l’ordonnance de protection.

Les mesures à la main du juge aux affaires familiales sont aussi limitées en nombre : il pourra uniquement prononcer des interdictions ou obligations propres à faire cesser le danger immédiat constaté –  une interdiction de contact, de paraître dans certains lieux, de porter ou de détenir une arme, et l’obligation de remettre son arme aux forces de l’ordre.

Enfin, les exigences de délivrance sont renforcées par rapport à l’ordonnance de protection : en plus des violences vraisemblables, le juge devra estimer qu’il existe un danger grave et immédiat pour délivrer l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

L’article 2 prévoit que toute violation des mesures prononcées dans le cadre d’une ordonnance provisoire de protection immédiate est passible de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Cette sanction pénale est indispensable pour inciter au respect desdites mesures.

L’article 3 permet l’application en outre-mer de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

La réussite du nouveau dispositif implique une coopération forte entre parquet et juge aux affaires familiales, qui devrait être facilitée par la création des pôles spécialisés au sein de chaque tribunal judiciaire. L’objectif est bien de protéger la personne en danger en attendant que le JAF puisse analyser la situation et prononcer des mesures pour un temps plus long dans le cadre de l’ordonnance de protection.

L’article 1er modifie également les caractéristiques de l’ordonnance de protection en portant de six à douze mois la durée des mesures édictées par le JAF. Actuellement, la prolongation des mesures n’est possible que si le couple est en instance de divorce ou a des enfants. Rien n’est prévu pour les victimes non mariées et sans enfants. L’allongement du délai vient combler cette lacune.

Je souhaite saluer l’investissement sans faille des magistrats, des avocats et des associations pour protéger les victimes des violences intrafamiliales. Nous devons tous rester mobilisés pour que chaque individu, majeur ou mineur, puisse être en sécurité dans son foyer.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Pascale Bordes (RN). Le 3 août dernier, Sylvie Sanchez a été tuée par son ex-compagnon malgré une main courante déposée pour menaces de mort deux mois plus tôt. Le futur meurtrier avait quitté la gendarmerie avec une simple convocation pour une audience qui devait se tenir le 3 novembre, soit cinq mois après les faits. Ce délai est tristement habituel.

La lutte contre les violences intrafamiliales souffre d’un paradoxe entre les délais nécessaires à l’enquête et à l’audiencement, d’une part, et l’urgence à traiter la situation, d’autre part. Le temps de la procédure est souvent incompatible avec celui de la victime. Quels que soient les progrès accomplis, les féminicides ne pourront pas être éradiqués si le facteur temps n’est pas érigé en priorité absolue.

L’ordonnance de protection, créée en Espagne en 2003 et en France en 2010, est l’un des moyens de concilier deux exigences inaccordables. Toutefois, la modestie doit rester de mise. Le nombre de demandes d’ordonnance reste bien plus élevé en Espagne, pays de référence dans la lutte contre les VIF, qu’en France tandis que le nombre d’ordonnances délivrées est dix-sept fois moins important en France qu’en Espagne.

Certes, nous partons de très loin. Rien n’a été fait pendant des dizaines d’années. Là encore, le temps joue contre les victimes. Il nous faut, à tout prix, rattraper le temps perdu. Si l’ordonnance de protection est un progrès incontestable, nous devons être plus ambitieux encore.

Ainsi, lorsque l’éloignement de la victime s’avère nécessaire ou préférable au maintien dans le domicile familial ou conjugal, il convient d’accroître le nombre de places d’hébergement mises à leur disposition afin de répondre aux besoins spécifiques des femmes et des enfants victimes de violences. Seuls les hébergements spécialisés sont en mesure d’apporter le réconfort, la sécurité et l’aide indispensables à une reconstruction. Or leur nombre est trente-trois fois moins élevé qu’en Espagne alors que la population française est supérieure de 30 %. Selon les enquêtes de victimation, le nombre de places disponibles représente 15 % des besoins identifiés, sans compter les enfants, covictimes des violences conjugales.

Il nous faut également augmenter le nombre de greffiers et de juges car les ordonnances de protection viennent s’ajouter à des rôles des audiences déjà bien chargés. Dès lors que la moitié des effectifs du JAF dans un tribunal judiciaire manquent, le système connaît très rapidement des dysfonctionnements et les délais s’allongent encore.

Malgré le Grenelle des violences, malgré les campagnes de sensibilisation, malgré les progrès incontestables dans la prise en charge des victimes, malgré les avancées procédurales apportées par l’ordonnance de protection, le nombre de féminicides continue d’augmenter. Après une envolée record en 2022, je ne pense pas que les chiffres pour 2023 montrent un retour à un niveau – je ne peux pas dire acceptable car rien ne l’est en cette matière – moins élevé.

Le texte fait partie des avancées qui méritent d’être saluées. Le groupe Rassemblement national le votera.

Mme Caroline Yadan (RE). En 2022, 244 000 victimes de violences conjugales ont été enregistrées par les forces de l’ordre. Au cours des dernières années, de nombreuses mesures ont été adoptées pour lutter contre ce fléau, parmi lesquelles le bracelet anti-rapprochement, l’ordonnance de protection ou encore le téléphone grave danger.

L’ordonnance de protection apparaît comme un outil essentiel de lutte contre les violences conjugales, désormais bien connu du grand public et maîtrisé par les professionnels du droit. Elle est plébiscitée par les associations de défense des femmes victimes de violences qui y voient un dispositif rapide et efficace.

Entre 2017 et 2021, le nombre d’ordonnances délivrées a augmenté de 153 %. Néanmoins, ces résultats encourageants ne doivent pas nous démobiliser car, en comparaison de nos voisins, l’Espagne notamment, ce nombre reste insuffisant. La durée, le délai d’obtention et les conditions de prolongation peuvent être améliorés. C’est tout l’objet de la proposition de loi d’Émilie Chandler dont je salue l’engagement en faveur de cette noble cause.

L’article 1er prévoit de porter la durée initiale des mesures prononcées de six à douze mois. L’article 515-12 du code civil limite la durée à six mois à compter de la notification de l’ordonnance ; celle-ci peut être prolongée « si, durant ce délai, une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale. »

En allongeant la durée, le législateur accorde plus de temps aux victimes pour réorganiser leur vie et ouvre le bénéfice de l’ordonnance de protection aux victimes non mariées ou sans enfant.

Par ailleurs, l’article 1er crée l’ordonnance provisoire de protection immédiate, nouvel outil à la main du procureur pour protéger dans un délai de vingt-quatre heures une personne en danger sous réserve de son accord. Cette ordonnance n’est pas conçue comme une alternative à l’ordonnance de protection. Elle a vocation à protéger provisoirement la victime pendant un délai maximal de six jours entre l’audience et la décision du JAF lorsqu’il existe un risque sérieux pour la victime de se trouver en situation de vulnérabilité face à son conjoint.

L’article 2 introduit dans le code pénal une nouvelle infraction pour non-respect de l’ordonnance provisoire de protection immédiate. L’article 3 concerne l’application des dispositions en outre-mer.

Le ministère de la justice a recensé 94 féminicides en 2023. Ce chiffre marque une baisse encourageante de 20 % par rapport à 2022 mais il ne masque pas les problèmes de société structurels que posent les violences conjugales. Chaque féminicide est un meurtre de trop.

La proposition de loi dote la justice de nouveaux outils utiles pour les femmes et parfois les hommes, victimes de violences. S’il propose quelques ajustements par voie d’amendement, le groupe Renaissance la votera, résolument et avec enthousiasme.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Votre rapport « Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales » avait le mérite d’être très ambitieux, bien plus que cette simple proposition de loi. Nous attendons donc avec impatience les 58 autres propositions de loi devant le décliner.

La proposition de loi va dans le bon sens en créant un nouvel outil pour protéger en urgence les victimes de violences conjugales ou intrafamiliales. Elle pose néanmoins deux problèmes majeurs : d’une part, cet outil est créé à moyens constants. Or les tribunaux judiciaires sont déjà surchargés. Les JAF n’auront pas les moyens ni le temps d’un examen sérieux de la situation individuelle des victimes. D’autre part, le texte s’inscrit dans une fuite en avant sécuritaire et le règne du provisoire qui caractérisent votre traitement des violences sexistes et sexuelles (VSS). Il ne prend pas la mesure du problème en se contentant d’ajouter un outil provisoire. Il ne s’inscrit pas dans une politique publique plus large de prévention des violences et d’accompagnement des victimes dont l’hébergement d’urgence, le téléphone grave danger, l’éviction du domicile familial de l’auteur des violences, le bracelet antirapprochement, etc. sont des illustrations.

Le provisoire est une ruse pour cacher le manque de moyens pour l’accompagnement et la protection des victimes. Il suffit de passer une journée auprès des JAF : dix minutes par dossier et des audiencements tardifs pour une famille qui se déchire, signe d’une justice qui se désagrège et qui ne tient que par des rafistolages provisoires comme celui que vous proposez.

L’allongement de la durée de l’ordonnance de protection est une bonne mesure qui laisse le temps aux victimes de prendre les dispositions matérielles et juridiques pour se protéger. Nous défendons cependant un accompagnement des victimes jusqu’à la sortie effective et durable des violences. L’ordonnance ne se suffit pas à elle-même, elle doit se doubler d’un accompagnement des victimes, qu’il s’agisse de l’hébergement, du suivi psycho-social, pour les enfants notamment, ou de l’accès à des avocats spécialisés. En outre, il ne faut pas oublier la police qui est bien souvent le premier interlocuteur.

Bien que le Gouvernements se targue d’un budget historique pour la justice, le recrutement des magistrats – 327 postes supplémentaires en 2024 – n’est pas à la hauteur des enjeux. Le manque de greffiers et de magistrats empêchera les tribunaux de s’emparer efficacement du nouvel outil.

Enfin, nous constatons une nouvelle fois un basculement de la logique de la prévention et de la réinsertion vers celle de la répression, sans réel effet dissuasif sur la récidive. Or la solution réside dans l’accompagnement des victimes et la sensibilisation.

Je vous renvoie à une expérience nantaise, Citad’elles, un lieu ouvert depuis 2019 qui a accompagné 12 500 femmes, a traité 3 180 dossiers et a suivi 60 % des femmes dans le cadre d’un parcours de sortie des violences sur trois ans. Cela ne coûte pas plus cher que le service national universel ou l’uniforme, cela coûte moins cher que la lubie machiste du réarmement démographique.

Tous le disent – JAF, associations féministes, psychologues, avocats, syndicats de police –, il faut mettre le paquet sur les VSS et les VIF et cordonner tous les acteurs. Ils vous demandent 2 milliards d’euros pour mettre sur pied ce projet. Nous nous engageons à sortir le carnet de chèques pour la cause des femmes.

Nous voterons le texte en dépit de son effet marginal sur le contentieux familial et des VSS.

M. Erwan Balanant (Dem). « Le monde est trop dangereux pour qu’on y vive, non pas à cause de ceux qui font le mal mais à cause de ceux qui les laissent faire sans bouger. » Ces propos d’Albert Einstein sont criants de vérité pour les victimes de violences conjugales et intrafamiliales.

Pour nombre d’entre elles, la justice manque encore d’efficacité et ne les protège pas assez. Dire que nous n’avons pas agi ou que tout est résolu serait mentir. Nous devons nous féliciter des avancées des dernières années.

En faisant de la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales l’une des grandes causes de son quinquennat, le Président de la République a permis qu’un coup d’accélérateur y soit donné, notamment par le biais du Grenelle des violences conjugales. Nous avons pris la mesure de l’urgence sociétale dans ce domaine.

Le déploiement du bracelet anti-rapprochement et du téléphone grave danger, la création d’une infraction d’outrage sexiste, la suspension des droits de visite et d’hébergement de l’enfant mineur dont la personne mise en examen est titulaire sont autant d’avancées concrètes qui nous permettent aujourd’hui d’assurer une plus grande protection, une meilleure prise en charge et un meilleur suivi de l’ensemble des victimes.

Mais l’actualité nous rappelle la triste réalité : nous ne sommes que le 22 janvier et déjà neuf femmes seraient décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Force est de constater que nous n’avons pas su répondre encore à toutes les attentes de nos concitoyens.

La proposition de loi est la suite logique de la loi visant à agir contre les violences faites aux femmes du 28 décembre 2019 qui a réduit à six jours le délai maximal dans lequel les ordonnances de protection doivent être prises par le JAF. Lors du débat, j’avais insisté sur la nécessité d’agir encore plus vite – ce sont des situations d’urgence. L’année dernière, l’examen de la proposition de loi de Cécile Untermaier visant à renforcer l’ordonnance de protection a été l’occasion de plaider en faveur d’aménagements pour développer son usage, faciliter sa délivrance, et allonger la durée des mesures.

Le plan Rouge vif dont vous êtes l’une des autrices, madame la rapporteure, acte la nécessité d’une ordonnance provisoire de protection immédiate. La proposition de loi est le fruit de ce travail et nous nous félicitons de la voir examinée. Cependant, nous divergeons sur le dispositif.

Nous estimons ainsi qu’il serait préférable de laisser l’ordonnance provisoire de protection immédiate à la main du procureur en lieu et place du JAF, qui n’est pas un juge de l’urgence. À l’instar de l’ordonnance de placement provisoire des mineurs en danger, l’attribution au procureur permettrait de répondre aux impératifs d’une prise en charge rapide et effective par le biais de mesures coercitives décidées en l’absence de contradictoire, lesquelles seraient ensuite maintenues, modifiées ou rapportées par le JAF. Ce sera l’un des amendements du groupe Démocrate qui salue votre texte et le votera.

Mme Cécile Untermaier (SOC). En 2023, quatre-vingt-quatorze femmes ont été tuées. Cela représente une baisse de 20 % par rapport à 2022, année qui avait enregistré une hausse de 15 %. Chaque année, nous faisons un bilan, mais derrière les chiffres, ce sont des vies perdues et bouleversées. Nous ne pouvons pas nous en satisfaire.

La réponse judiciaire pour protéger les victimes d’un partenaire ou ancien partenaire violent qu’est l’ordonnance de protection est loin d’être parfaite, nous le savons. Certes, le nombre de demandes approuvées a augmenté de 129 % entre 2015 et 2021 mais on part de très bas. 3 852 demandes ont été acceptées en 2021 : ce chiffre est dérisoire lorsqu’il est mis en regard du nombre de personnes qui se sont déclarées victimes de violences par un partenaire ou ex-partenaire – plus de 208 000.

Nous sommes tous d’accord pour admettre que le dispositif doit être amélioré. C’était l’objet de ma proposition de loi qui avait été adoptée à l’unanimité par notre assemblée le 9 février 2023.

La mesure, qui visait à porter de six à douze mois la durée maximale des mesures, est reprise dans votre texte. Six mois, c’est très court pour organiser une séparation. L’allongement du délai permet aussi de faciliter le travail du juge.

Afin de favoriser la délivrance de l’ordonnance de protection, la proposition de loi prévoyait également – nous y tenons – la suppression du critère de danger dans l’appréciation du JAF afin que celle-ci porte uniquement sur l’existence de violences vraisemblables. Selon le Comité national de l’ordonnance de protection, le critère de danger rend plus complexe la décision du juge ; elle le conduit à établir une hiérarchie dans les violences en distinguant celles qui sont source de danger et celles qui ne le sont pas, ce qui s’apparente à une mission impossible. Nous devons vraiment travailler en vue de la séance sur ce point très important qui donnera tout son sens à votre texte.

Je rappelle que cette disposition avait été adoptée à l’unanimité après avoir été ajustée avec la Chancellerie. Pourquoi ne pourrions-nous pas la reprendre ? C’était un signal important adressé aux magistrats pour leur enjoindre de se préoccuper des violences uniquement. L’ordonnance de protection est un outil de prévention, pas une sanction. Le juge ne se prononce pas sur une culpabilité mais sur un risque potentiel. J’espère que vous apporterez votre soutien à nos amendements, comme vous l’aviez fait il y a tout juste un an.

Si l’ordonnance provisoire de protection immédiate semble être un outil pragmatique, je m’interroge néanmoins sur la capacité des JAF, qui sont déjà surchargés, à traiter les demandes. Ils sont d’ailleurs très inquiets ; les procureurs le sont aussi mais ils paraissent davantage en mesure de répondre.

M. Philippe Pradal (HOR). Nous parlons d’un sujet lourd que nous ne devons jamais considérer comme traité. Le combat contre les violences faites aux femmes s’adresse à toutes les générations et concerne tous les territoires. Il est jalonné de réussites, qui se mesurent au nombre d’actes de violence évités, mais aussi, il faut le dire, d’échecs. Chaque année, de nombreuses femmes décèdent sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint. Chacun de ces féminicides est un échec qui nous appelle à nous remettre en question et à agir pour que cessent définitivement ces violences difficiles à concevoir.

Si l’égalité entre les hommes et les femmes est la grande cause du quinquennat du Président de la République, les violences conjugales figurent parmi les plus vives de nos préoccupations. Derrière les chiffres tristement recensés chaque année, il y a des visages, des histoires intimes et des enfances brisées ; l’enfant témoin de violence est une victime.

Les autorités œuvrent jour après jour pour protéger les femmes des violences dans l’espace public comme dans la sphère privée. À la suite du Grenelle des violences conjugales, la mobilisation de tous a été requise pour faciliter le difficile chemin des victimes vers leur émancipation. De plus en plus de femmes, parfois d’hommes, osent en parler.

Nous avons une obligation de résultat. Tant qu’il restera des victimes, nous agirons pour combler les failles des dispositifs existants. C’est l’objet de la proposition de loi qui renforce l’arsenal juridique dont nous disposons pour prévenir les faits de violences conjugales et mettre les personnes qui en sont victimes en sécurité le plus rapidement possible. Elle s’appuie pour cela sur l’ordonnance de protection, dispositif créé en 2010, qui a déjà fait ses preuves.

L’article 1er double sa durée, reprenant le dispositif proposé par notre collègue Cécile Untermaier dans une précédente proposition de loi adoptée à l’unanimité. L’audition de la direction des affaires civiles et du sceau a confirmé la pertinence de cette mesure pour les situations les plus complexes, dans lesquelles aucune solution ne peut être apportée dans un délai de six mois. Le juge conserve la possibilité de fixer une durée inférieure.

L’article crée également l’ordonnance provisoire de protection immédiate qui figurait dans le rapport sur la lutte contre les violences intrafamiliales qu’ont présenté la rapporteure et Dominique Vérien. L’ordonnance serait sollicitée par le procureur de la République avec l’accord de la personne en danger ; elle serait délivrée sans contradictoire par le JAF dans un délai de vingt-quatre heures si deux conditions sont réunies : la vraisemblance de la commission de faits de violences alléguées ; le danger grave et immédiat auquel la victime ou ses enfants sont exposés ; l’ordonnance prendrait fin à compter de la décision statuant sur la demande d’ordonnance de protection, au plus tard dans un délai de six jours.

Bien que l’absence de contradictoire pose question, il s’agit, comme l’a également relevé la direction des affaires civiles et du sceau, d’un dispositif judiciaire préventif qui touche aux libertés individuelles et intervient en l’absence de toute condamnation. La garantie des libertés individuelles suppose qu’un juge du siège se prononce sur la délivrance de l’ordonnance de protection.

Le groupe Horizons soutient la proposition de loi. La violence sous toutes ses formes menace gravement notre société. Nous en faisons tous les jours l’expérience de près ou de loin. Nous devons y faire face et apporter des réponses à tous les niveaux, de la prévention par l’éducation à l’esprit civique jusqu’à la répression. Georges Clemenceau résumait notre mission collective en ces termes : « Faire que les bons citoyens soient tranquilles, que les mauvais ne le soient pas. »

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous examinons une nouvelle intervention du législateur sur l’ordonnance de protection, pourtant créée en 2010.

Le texte, qui crée une ordonnance de protection immédiate permettant l’intervention rapide d’un juge, indispensable pour protéger les personnes victimes de violences intrafamiliales, va dans le bon sens – l’enjeu est trop grave et trop sérieux pour ne pas le dire.

Néanmoins, dans un esprit constructif, nous relevons plusieurs lacunes. Nous regrettons que la victime ne puisse pas solliciter elle-même l’ordonnance de protection immédiate – seul le procureur le peut. Par ailleurs, aucun assouplissement des conditions de l’ordonnance de protection n’est proposé alors que le critère de danger reste difficile à apprécier et freine la délivrance des ordonnances.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas passer sous silence le bilan de la majorité en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences intrafamiliales. Un rapport de la Cour des comptes de septembre 2023 pointe « l’absence de politique globale, continue et coordonnée » dans ce domaine. Il n’y a pas de vision d’ensemble, pas de feuille de route claire. La preuve en est, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, c’est la quatrième fois que les dispositions relatives à l’ordonnance de protection sont modifiées, loin d’une vision holistique des violences sexistes, sexuelles et intrafamiliales. Le rapport de la Cour des comptes reconnaît quelques avancées qu’il juge néanmoins insuffisantes dans la lutte contre les violences conjugales. Il pointe du doigt un manque criant de lisibilité des moyens alloués à la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.

En dépit des lacunes, nous voterons le texte.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Vous savez que la question des violences intrafamiliales me tient à cœur, d’autant que le département de La Réunion est particulièrement touché par ce qu’on peut qualifier désormais de véritable fléau.

À La Réunion, 28 % des cas de violences concernent des violences envers les femmes. On recense sept plaintes par jour et plus de vingt et une interventions des services de police et de gendarmerie liées aux VIF. En 2023, contrairement à la tendance nationale, les choses ne s’arrangent pas : selon les associations, on recense une hausse de 30 % des violences intrafamiliales et des violences particulièrement sur les enfants. Ces chiffres sont inacceptables. On pourrait presque dire qu’ils nous font honte. Nous avons l’impérieuse nécessité d’agir.

La proposition de loi est évidemment la bienvenue, et, sans suspense, je peux vous dire que nous la voterons.

Cependant, madame la rapporteure, l’allongement de la durée de l’ordonnance de protection avait déjà été proposé il y a plus d’un an par Cécile Untermaier dans un texte qui avait été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale et qui stagne aujourd’hui au Sénat – il me semble pourtant que le Gouvernement y dispose de quelques soutiens si l’on en croit la récente actualité politique. Si le processus législatif s’était poursuivi, nous aurions gagné de précieux mois au bénéfice des victimes de violences intrafamiliales.

Votre proposition de loi comporte des avancées. L’allongement de la durée de l’ordonnance de protection est une nécessité quand on connaît les délais de la justice et les difficultés à voir les procédures aboutir.

En revanche, s’agissant de l’ordonnance de protection immédiate, je m’interroge, comme d’autres, sur le choix de ne pas confier sa délivrance au procureur de la République, qui pourrait, sur le modèle du contrôle judiciaire, interdire aux auteurs des violences d’approcher les victimes, en attendant que le JAF fasse le nécessaire pour les mesures strictement civiles dans les délais de l’ordonnance de protection. Ces délais me semblent déjà assez rapides, compte tenu de l’engorgement de la justice et du manque de moyens humains. Je m’interroge sur la possibilité de rendre une justice convenable.

Pour le reste, l’allongement de la durée de l’ordonnance est une nécessité urgente. Il y a derrière quelques querelles politiques ou juridiques de nombreuses personnes – des femmes, des enfants, des hommes – qui n’en peuvent plus d’attendre que la justice statue et que l’on prenne à bras-le-corps leurs problèmes.

Nous voterons bien évidemment le texte. Nous ne pouvons qu’enjoindre la majorité, le Gouvernement et tous ceux qui se sentent concernés à prendre le sujet à bras-le-corps et à ne pas se contenter de cette ordonnance qui est premier pas nécessaire, mais absolument pas suffisant. Quand on voit les chiffres, on ne peut pas se dire que c’est une fatalité, pas en 2024, pas dans notre pays.

Mme Émilie Chandler, rapporteure. En ce qui concerne les hébergements d’urgence, le plan Rouge vif aborde le sujet. Sachez que 1 000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires ont été mis financées en 2023. Les choses avancent, je ne connais pas les chiffres pour le futur mais je sais que le Gouvernement y travaille.

L’allongement à douze mois de la durée de l’ordonnance de protection avait pour but de mettre fin à la rupture d’égalité au détriment des couples non mariés sans enfant. C’était à mes yeux une vraie injustice de les priver d’un outil très utile, notamment en l’absence de dépôt de plainte.

Le plan Rouge vif comporte cinquante-neuf recommandations mais toutes ne requièrent pas une intervention législative. Nombre d’entre elles relèvent du domaine réglementaire. Je peux vous assurer que je suis avec une grande attention leur mise en œuvre. Je suis à votre disposition pour en parler. On avance et personne ne lâchera, j’en suis convaincue.

Enfin, s’agissant du rôle du ministère public et du contrôle judiciaire évoqué par Mme K/Bidi, ce dernier ne peut être décidé que dans le cadre d’une procédure pénale, lorsque les éléments constitutifs de l’infraction sont établis. Or l’ordonnance de protection est un outil complémentaire entre les mains des juges civils. Elle est demandée par une personne qui n’a pas forcément encore porté plainte. Puisque le dossier n’a pas encore de volet pénal, le procureur ne peut pas se saisir. Je vous propose, avec l’ordonnance provisoire de protection immédiate, de combler le vide que laisse le délai de six jours avant que l’ordonnance de protection ne soit prise, période pendant laquelle, on l’a vu, des drames peuvent se produire.

Article 1er (art. 515-12 et 515-13-1 [nouveau] du code civil) : Extension de la durée des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance de protection et création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate

Amendements CL1 et CL2 de Mme Cécile Untermaier, amendement CL17 de Mme Pascale Martin (discussion commune)

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’amendement CL1 vise à clarifier la condition de délivrance de l’ordonnance de protection en supprimant la notion de danger. L’amendement CL2 est un amendement de repli.

Même s’il n’y a pas d’autorité de la chose votée, nous avons adopté récemment une disposition mieux-disante que le texte que vous nous présentez car le magistrat a beaucoup de mal à identifier le danger potentiel sur la base des violences infligées. Va-t-il estimer qu’une claque n’est pas un signe de danger ? Le danger est-il fonction du degré de violence commise ? Les études montrent que ce n’est pas le cas.

Le Comité national de l’ordonnance de protection (Cnop), dont la compétence est évidente, indique que le juge a du mal à prendre une ordonnance de protection car il doit justifier les violences vraisemblables mais aussi le danger vraisemblable dans ses considérants. Les juges expriment cette difficulté. Il suffit d’ailleurs de lire une ordonnance de protection pour se rendre compte qu’ils essaient de contourner le problème en prenant un nombre de considérants incroyable, ce qui est contraire à notre volonté d’apporter une protection aux victimes de violences qui en font la demande. La véritable avancée du texte est de ne pas refuser la protection demandée par une personne qui a subi des violences.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Le groupe LFI-NUPES considère aussi que cette notion de danger devrait être supprimée, alors que la loi actuelle oblige le juge à apprécier séparément et cumulativement les deux critères suivants : la vraisemblance des violences ; le danger encouru par la victime. Or le danger est difficile à évaluer. Cette contrainte pousse certains juges à refuser de délivrer une ordonnance de protection, au motif que la victime n’encourrait aucun danger. Des divergences d’interprétation existent pourtant quant à l’évaluation du danger. Un juge a pu ainsi écrire : « Tout danger écarté car madame est relogée et monsieur a quitté le domicile conjugal. » Or les nombreux féminicides commis après une séparation montrent bien que la décohabitation ne supprime pas le danger pour la femme victime de violences conjugales.

Le Cnop et la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) demandent la suppression du critère de danger. Mme Chandler propose aussi cette suppression dans son rapport. Le présent texte nous offre l’occasion idéale de répondre à ces demandes.

Mme Émilie Chandler, rapporteure. Ce n’est pas tout à fait ce qui est écrit dans le rapport, mais je reconnais que l’on peut faire mieux s’agissant du nombre d’ordonnances de protection délivrées. Lors de nos auditions, il est apparu que les magistrats avaient eu besoin de temps pour s’approprier l’ordonnance de protection et que c’est désormais chose faite grâce aux efforts entrepris en matière de sensibilisation et de formation, à mobilisation de tous et à la création de pôles depuis le 1er janvier. Les magistrats sont désormais sensibilisés à la mesure.

Je comprends vos amendements qui consistent à supprimer la notion de danger comme critère de délivrance d’une ordonnance de protection, et je salue d’ailleurs le travail mené par Mme Untermaier l’année dernière ce sujet. J’ai évidemment pris connaissance des préconisations du Cnop, dont j’ai auditionné la présidente, et j’ai échangé à de nombreuses reprises avec le ministère. Toutefois, il ne me semble pas opportun à ce stade de supprimer cette notion.

Tout d’abord, ce critère de danger constitue une garantie de constitutionnalité du dispositif : l’ordonnance de protection est un mécanisme dans lequel un juge civil a la possibilité de prendre des mesures restrictives de liberté dans un délai court. Assouplir à l’excès les conditions de délivrance de l’ordonnance de protection fragiliserait l’équilibre du dispositif. Soit on rend systématique l’ordonnance de protection car le danger potentiel n’est jamais exclu, ce qui est attentatoire aux libertés individuelles ; soit on ne rend jamais d’ordonnance de protection car les magistrats ne peuvent pas prédire l’avenir. Il faut faire confiance au juge pour apprécier la dangerosité de la situation : les juges aux affaires familiales se sont emparés du dispositif, et, même s’il faut continuer nos efforts en matière de formation, beaucoup de progrès ont déjà été faits. Nous ne lâcherons pas.

C’est pourquoi j’émets un avis défavorable concernant ces amendements qui visent à supprimer ou amoindrir la notion de danger.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Je ne comprends pas trop l’argument d’inconstitutionnalité qui nous est opposé pour refuser cette amélioration du texte. Si le texte que nous avons adopté à l’unanimité il y a moins d’un an était inconstitutionnel, comment a-t-il pu passer ? Cela ne vous a d’ailleurs pas dérangé de nous proposer des dispositions parfaitement inconstitutionnelles dans le projet de loi sur l’immigration. Cet argument ne peut pas servir à tort et à travers.

L’amendement de notre collègue Cécile Untermaier a été travaillé avec des professionnels du droit. Dans le cadre de la législation actuelle, nombre de procédures d’ordonnances de protection, concernant les dangers auxquelles des victimes de violences et l’un ou plusieurs de leurs enfants sont exposés, n’aboutissent pas car il faut que le danger soit présent – ce n’est pas du conditionnel. Dès lors que la victime s’est mise à l’abri, le juge rejette systématiquement l’ordonnance de protection, comme le montre la jurisprudence. Nous avons bien sûr confiance en la justice, mais les juges ne peuvent pas statuer contra legem : ils ne font qu’appliquer la loi que nous votons. En l’occurrence, nous proposons d’améliorer la loi et de supprimer ce critère pour permettre que davantage d’ordonnances de protection soient délivrées dans des cas où il n’y a pas de danger immédiat car la victime a pu se mettre à l’abri. Il est nécessaire d’améliorer le dispositif de protection des victimes et l’argument d’inconstitutionnalité ne me semble pas opérant.

M. le président Sacha Houlié. Pour ma part je suis contre l’adoption de lois inconstitutionnelles, vous le savez…

Mme Pascale Bordes (RN). Sans reprendre l’argument – que j’estime justifié – de l’écueil constitutionnel soulevé par Mme la rapporteure, j’ajouterai que les textes sur l’ordonnance de protection sont dérogatoires au droit commun en ce sens qu’ils prévoient des mesures très restrictives. Il est donc aisé de comprendre qu’ils pourraient se révéler inconstitutionnels.

L’article 515-11 du code civil exige la réunion de ces deux conditions, mais il faut faire confiance aux magistrats qui, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, sont tout à fait à même de distinguer ce qui relève d’une ordonnance de protection de ce qui relève du droit commun. Jusqu’à présent, nous avons fait confiance aux magistrats et cela se passe relativement bien. M’étant livrée à une petite exégèse de la jurisprudence des cours d’appel du grand Sud, je peux vous dire que le nombre d’ordonnances de protection accordées est bien supérieur à celui des ordonnances rejetées.

La plupart du temps, le magistrat inclut le danger auquel la victime est exposée dans sa motivation, se fondant sur la vraisemblance des violences. Le risque de réitération des violences constatées suffit généralement à caractériser le danger. Dans certaines ordonnances de protection accordées, on retrouve la mention suivante : « La preuve des violences est rapportée et les circonstances de leur commission caractérisent le danger auquel la victime est exposée. » Estimant qu’il faut faire confiance aux magistrats, je m’opposerai donc à ces amendements.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Tout d’abord je note avec satisfaction, madame la rapporteure, que vous avez le soutien du Rassemblement national…

Madame Bordes, vos propos correspondent exactement à ce que nous souhaitons : nous faisons évidemment tous confiance aux magistrats, que nous soutenons – nous ne sommes pas en rupture par rapport à la justice. Mais les magistrats eux-mêmes nous disent qu’avoir à démontrer le caractère vraisemblable du danger dans un jugement relève d’une mission impossible. Pour ma part, je les écoute. Je sais ce que signifie être juge, avoir à rédiger un jugement qui pourra faire l’objet d’un appel, risquer d’être déconsidérée pour n’avoir pas manié le code avec le degré d’exigence requis. Ce ne sont pas les magistrats qui font le droit, ce sont les parlementaires. En tant que législateurs, nous avons le rôle important d’identifier les obstacles à la délivrance de l’ordonnance dans le texte qu’ils devront appliquer. En l’état, nous leur assignons une mission impossible : expliquer pourquoi des violences vraisemblables caractérisent un danger potentiel.

Ensuite, madame la rapporteure, j’aimerais vous faire remarquer que mon amendement de repli a été validé par les services de la chancellerie avec lesquels vous avez travaillé. Le problème n’est pas constitutionnel car le législateur n’est pas sous le couperet de la Constitution. Il ne me paraît pas inconstitutionnel de simplifier et décrire la réalité afin de permettre au juge d’utiliser un outil utile à la protection des femmes.

Mme Caroline Yadan (RE). Nous voulons tous protéger la personne victime de violences, et je voudrais apporter quelques nuances dans cet échange car tout n’est pas blanc ou noir. La position de Mme la rapporteure me paraît plutôt juste car, contrairement à ce que vous dites, madame Untermaier, ce n’est pas une mission impossible qui est confiée aux juges en matière d’ordonnance de protection. Pour avoir beaucoup plaidé pour la délivrance de cette mesure lorsque j’exerçais mon métier d’avocate spécialisée en droit de la famille, je peux vous assurer – comme le montrent d’ailleurs les chiffres – qu’elle est fréquemment prononcée par les juges. À mon avis, la notion de danger, telle que définie dans les dispositions de l’article 515-9 du code civil, permet de rassurer les juges : dès qu’il y a danger, il est nécessaire de délivrer une ordonnance de protection. Sans cette notion de danger, l’avocat de l’autre partie pourrait plaider, avec des chances de voir son analyse partagée par le juge : les violences sont anciennes et ne justifient pas de restreindre la liberté de quiconque. S’il n’était fait mention que des violences, le juge aurait une position moins confortable pour prononcer l’ordonnance de protection.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL5 de Mme Pascale Bordes

Mme Pascale Bordes (RN). Si l’ordonnance de protection est un outil efficace de lutte contre les violences conjugales, ce dispositif contient toutefois des mesures pouvant être prononcées à l’encontre de la partie défenderesse ; leur bilan est donc contrasté et elles sont perfectibles. Il en est ainsi de la simple proposition faite à la partie défenderesse d’effectuer une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique. En effet, cette mesure se heurte à la nécessité d’un accord préalable du partenaire ou ex-partenaire violent, très rarement obtenu en pratique. Ce dernier expliquant généralement qu’il n’est pas violent, c’est avec une certaine cohérence qu’il refuse ces mesures dont il peut penser que leur acceptation vaudrait presque un aveu de sa dangerosité, voire de culpabilité, au cas où il aurait à comparaître devant le tribunal correctionnel. Cet amendement a donc pour objet de rendre plus efficientes les mesures visées dans cet article en supprimant la nécessité d’obtenir l’accord préalable du partenaire violent.

Mme Émilie Chandler, rapporteure. Dans le cadre d’une procédure civile, il est très délicat de forcer la partie défenderesse à effectuer une prise en charge sociale ou psychologique puisque vous ne pouvez pas l’envoyer en détention en cas de refus. Cela doit demeurer une possibilité laissée à la partie défenderesse. En cas de refus, le JAF peut évidemment prononcer le reste des mesures pour protéger la partie demanderesse. J’émets donc un avis défavorable.

Mme Pascale Bordes (RN). La personne ne sera pas envoyée en prison si elle refuse cette prise en charge, mais le magistrat peut prononcer d’autres mesures ou transférer le dossier au procureur de la République qui, lui, prendra des dispositions adéquates.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL6 de Mme Pascale Bordes et CL23 de Mme Caroline Yadan (discussion commune)

Mme Pascale Bordes (RN). La rédaction actuelle de l’article 515-12 du code civil prévoit une prolongation des mesures visées dans l’ordonnance de protection pour les époux en instance de divorce ou de séparation de corps ou pour les partenaires liés par un pacte civil de solidarité (pacs) et les concubins en cas de demande relative à l’exercice de l’autorité parentale, ce qui suppose la présence d’enfant. En revanche, aucune prolongation des mesures n’est prévue pour les couples non mariés, ce qui est injuste puisque cela revient à traiter de manière différente des personnes qui sont dans la même situation.

L’absence de prolongation se traduit par des conséquences très concrètes. Pour la victime, c’est la fin du secret de son domicile ou de l’attribution gratuite de la jouissance du domicile conjugal. Pour l’auteur des violences, c’est l’heure de la restitution de l’arme déposée au greffe. L’absence de prolongation marque aussi la fin de l’interdiction de contact entre l’auteur et la victime des violences. Si le concubin ou le partenaire violent est propriétaire ou copropriétaire du logement, titulaire ou cotitulaire du bail d’habitation, il pourra aussi revenir dans le logement. Tout cela parce que les gens ne sont pas mariés et n’ont pas d’enfants.

Actuellement, la seule possibilité offerte à la victime dans cette situation est de solliciter une nouvelle ordonnance de protection auprès du JAF, en recommençant le processus initial, ce qui peut se révéler coûteux en temps et en argent.

Nous proposons donc de supprimer cette différence de traitement entre les victimes.

Mme Caroline Yadan (RE). En l’état actuel du droit, la prolongation de l’ordonnance de protection est réservée aux cas dans lesquels « une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale ». La prolongation est alors impossible pour les cas de violences dans les couples non mariés ou qui n’ont pas d’enfant, ce qui paraît injustifié. Pour réparer ce défaut de protection de la loi, le présent amendement vise à permettre la prolongation de l’ordonnance de protection s’il subsiste un danger auquel sont exposés la victime et ses enfants.

Mme Émilie Chandler, rapporteure. Je comprends votre préoccupation, mais je crois que la prolongation de la durée à douze mois y répond : elle permettra en effet de protéger les personnes qui ne sont pas mariées et n’ont pas d’enfant, ce qui les empêche, dans les conditions actuelles, de se voir accorder une prolongation des mesures au bout de six mois. C’est pourquoi je demande le retrait de ces amendements.

Mme Pascale Bordes (RN). J’entends vos arguments, madame la rapporteure. Il n’en demeure pas moins que ce qui a motivé l’ordonnance de protection est identique, que l’on soit marié ou pas, que l’on ait des enfants ou pas. Il me semble choquant que les mesures ayant trait à la sécurité de la victime – l’adresse tenue secrète, la confiscation de l’arme, etc. – ne puissent être prolongées dans un cas et non dans l’autre.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Mon groupe votera contre ces amendements, en accord avec la position de la rapporteure, car l’ordonnance de protection n’est pas destinée à durer indéfiniment. La durée de douze mois a été établie dans un but de simplification : il s’agit de permettre au juge de s’organiser sans avoir à revenir sur le dossier au bout de six mois et non pas de faire perdurer une situation très inconfortable et dangereuse pour la femme sous ordonnance de protection. Pour ma part, je souhaite surtout que cette mesure soit bien gérée et efficace. Or, plus le temps s’écoule, moins les forces de police ou de gendarmerie sont présentes auprès des personnes pour les protéger lorsque le conjoint violent tente de revenir dans le périmètre qui lui est interdit. Comme Mme la rapporteure, je pense qu’il est préférable d’en rester au dispositif prévu.

L’amendement CL23 est retiré.

La commission rejette l’amendement CL6.

Amendement CL26 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant (Dem). C’est une disposition que j’avais déjà proposée en 2019 lorsque nous avions commencé à travailler sur ces sujets. Un jour ou l’autre, nous en viendrons à la solution que je propose, j’en suis intimement persuadé. Je pars d’un constat : le JAF n’est pas un juge de l’urgence, contrairement au juge des référés ou au procureur de la République.

En l’occurrence, je propose de donner au procureur la possibilité de prendre une ordonnance provisoire de protection immédiate, sous réserve de saisir le JAF pour validation ou non de la mesure dans le délai de six jours, ce qui permettra l’exercice du débat contradictoire. En fait, ce dispositif est calqué sur celui existant pour les ordonnances de placement provisoire des mineurs en danger, tel que prévu par l’article 375-5 du code civil.

Cette solution permet d’agir avec la rapidité nécessaire. Depuis que nous traitons ce sujet, c’est-à-dire depuis 2010 pour certains d’entre nous, nous savons que la vitesse de réaction permet de sauver des vies. On pourra certes m’opposer que ces victimes ne sont pas des majeurs incapables, mais le rôle du procureur est de protéger la société. C’est pourquoi, étant persuadé que cette solution est la bonne, je la propose une nouvelle fois. Comme nous l’avons constaté au cours de nos auditions, c’est ce qu’attend une grande partie des acteurs concernés par le sujet. Madame la rapporteure, je suis prêt à travailler pour combiner les dispositifs en nous inspirant de l’article 375-5 du code civil.

Mme Émilie Chandler, rapporteure. Nous avons déjà échangé sur votre proposition, monsieur Balanant. Si certains professionnels vont dans votre sens, d’autres se rallient à mes propositions.

Vous souhaitez que l’ordonnance provisoire de protection immédiate soit à la main du parquet et non du JAF, ce que je comprends d’autant mieux que c’était l’une de mes premières hypothèses de travail. Néanmoins, le statut actuel du parquet n’offre pas suffisamment de garanties pour que nous lui donnions cette prérogative : contrairement aux juges du siège, les procureurs sont soumis au principe hiérarchique et ils ne sont pas inamovibles. Le représentant de la Conférence nationale des procureurs de la République, que nous avons auditionné, partageait ce point de vue.

En l’état actuel du droit, le procureur de la République peut d’ailleurs prendre des mesures visant à protéger une victime de violences conjugales, dès lors qu’une procédure pénale est enclenchée. Il est donc plus logique de conserver l’intervention du juge civil dans le dispositif de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

En outre, dans votre proposition, l’ordonnance provisoire de protection immédiate n’est plus du tout liée à l’ordonnance de protection. Dans quel cadre le procureur de la République serait-il alors amené à se prononcer, s’il n’y a ni demande d’ordonnance de protection ni procédure pénale en cours ?

Pour toutes ces raisons, je demande le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.

M. Erwan Balanant (Dem). Je ne vais pas le retirer. La voie de passage pourrait consister à travailler sur une combinaison des deux solutions, en nous inspirant de l’article 375-5 du code civil sur les mineurs en danger, que j’invite mes collègues à relire. Peut-être ce double dispositif compliquerait-il un peu les choses. Quoi qu’il en soit, je suis vraiment sûr d’une chose : le JAF n’est pas le juge de l’urgence, contrairement au juge des référés ou au procureur. Quant à votre argument sur l’allégeance du procureur à sa hiérarchie, il ne tient pas : le procureur représente, lui aussi, l’autorité judiciaire. De toute façon, je reviendrai toujours à la charge car je pense que cette solution finira par s’imposer, à la faveur de cette proposition de loi ou d’un autre texte.

Mme Pascale Bordes (RN). Les JAF font déjà de l’urgence par diverses procédures comme ils en ont fait pendant des années par le biais du référé JAF. Je vous invite à regarder le code de procédure civile. Depuis l’adoption de la loi sur l’ordonnance de protection, que font les JAF s’ils ne font pas de l’urgence ?

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL31 de la rapporteure.

Amendements CL3 et CL4 de Mme Cécile Untermaier

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il me semble encore plus nécessaire de supprimer la notion de danger quand il s’agit d’une ordonnance provisoire de protection immédiate.

Mme Émilie Chandler, rapporteure. Je me suis déjà exprimée sur la notion de danger dans l’ordonnance de protection. Ma position est la même s’agissant de l’ordonnance provisoire de protection immédiate : il me semble impératif de conserver cette notion de danger grave et immédiat, qui justifie une décision en vingt-quatre heures et une absence de contradictoire. Même la notion de danger potentiel, que vous proposez, me paraît insuffisamment précise pour garantir la constitutionnalité du dispositif. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous demanderons à la chancellerie, qui était favorable à ce que nous proposons, si elle a changé d’avis.

La commission rejette successivement les amendements CL3 et CL4.

Amendement CL34 de la rapporteure, amendements CL24 et CL25 de Mme Caroline Yadan (discussion commune)

Mme Émilie Chandler, rapporteure. Mon amendement vise à supprimer la disposition qui prévoit la fin des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance provisoire de protection immédiate au bout de six jours, même en l’absence de décision du JAF sur l’ordonnance de protection. L’objectif est d’éviter que la personne en danger soit sans protection entre la fin des mesures prononcées et la délivrance de l’ordonnance de protection, dans les rares cas où le JAF ne se prononce pas en six jours car il a accepté une demande de renvoi – à bref délai – formulée par l’une des parties. L’amendement que je propose permettrait alors de poursuivre l’ordonnance provisoire de protection immédiate jusqu’à la délivrance de l’ordonnance de protection.

Mme Caroline Yadan (RE). L’amendement de Mme la rapporteure justifie le retrait des miens. Pour éviter un trou dans la raquette, je prévoyais un délai de cinq jours ou de trois jours. Qui peut le plus peut le moins : cet amendement CL34 supprime tout délai, ce qui est encore mieux.

Mme Cécile Untermaier (SOC). L’ordonnance de protection doit être prise dans les six jours ou, dans les situations gravissimes, en vingt-quatre heures. Et l’on admet que la mesure qui va venir relayer cette ordonnance provisoire de protection immédiate, prise en vingt-quatre heures, puisse intervenir beaucoup plus tard. Peut-être ai-je mal compris, sinon cela m’ennuie.

Mme Émilie Chandler, rapporteure. Tous les magistrats interrogés nous ont indiqué que les éventuels renvois sont ordonnés à très bref délai, afin de permettre à un avocat d’apporter quelques pièces supplémentaires, notamment quand il a été saisi la veille de l’audience. Rappelons qu’en matière civile, le renvoi n’est pas de droit comme dans le cadre d’une procédure pénale où il peut être question de détention, mais il est laissé à l’appréciation du magistrat. Nous avons fixé le délai de délivrance de l’ordonnance de protection à six jours : faisons confiance aux magistrats. S’il y a un renvoi, il ne pourra se faire qu’à très bref délai.

Mme Pascale Bordes (RN). Cet amendement de Mme la rapporteure a le mérite d’éviter un trou dans la raquette tout en conjuguant l’urgence avec le respect du principe du contradictoire auquel nous sommes tous attachés. Quand un dossier est renvoyé, c’est pour permettre au défendeur, quel qu’il soit, d’avoir une défense honorable. Je voterai pour cet amendement.

Les amendements CL24 et CL25 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CL34.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 (art. 227-4-2-1 du code pénal [nouveau]) : Sanction pénale en cas de violation des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance de protection

La commission adopte successivement l’amendement rédactionnel CL33 et l’amendement de précision CL32 de la rapporteure.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

Amendements CL16 de Mme Cécile Untermaier, CL20 de M. Andy Kerbrat et CL21 de Mme Pascale Martin (discussion commune)

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). L’amendement CL20, de repli, vise à demander un rapport sur l’indemnisation des avocats concernant les ordonnances de protection. Le Cnop ainsi que le rapport intitulé « Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales », rédigé par vous-même, madame la rapporteure, et la sénatrice Dominique Vérien, préconisaient de revaloriser les indemnités des avocats en matière d’ordonnance de protection. L’avocat étant un échelon essentiel pour la protection des victimes et leur accès à la justice, il est nécessaire de revaloriser ses indemnités afin d’élargir le vivier d’avocats disponibles pour accompagner les victimes.

Quant à l’amendement CL21, il propose la remise d’un rapport sur les conditions dans lesquelles les ordonnances de protections sont délivrées au sein des juridictions. Le plan de recrutement de magistrats et de greffiers n’est pas suffisant pour remédier à la situation critique de tribunaux judiciaires surchargés. Un tel rapport permettrait aux parlementaires de disposer des données essentielles sur les conditions d’accès et de travail de la justice civile en matière d’ordonnance de protection, outil majeur de la lutte contre les violences intrafamiliales et sexistes et sexuelles.

Mme Émilie Chandler, rapporteure. L’amendement CL16 de Mme Untermaier est satisfait car les données demandées ont déjà été compilées par le ministère, qui a publié en juin dernier un document sur les ordonnances de protection délivrées entre 2019 et 2021. À cela s’ajoutent les travaux conduits par le Cnop. Avis défavorable.

L’amendement CL20 demande un rapport sur l’accès des victimes aux avocats en matière de violences intrafamiliales. Vous le dites vous-même, il existe déjà des rapports sur le sujet, notamment celui du CNOP ou celui que j’ai rédigé avec Mme Vérien. Je ne crois pas nécessaire d’en rajouter. Avis défavorable.

L’amendement CL21 demande un rapport sur les ordonnances de protection et sur les ordonnances provisoires de protection immédiate. Votre demande est satisfaite car le Cnop, dédié au suivi de l’ordonnance de protection, formule régulièrement des recommandations. Avis défavorable.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Il existe en effet des rapports sur l’intervention des avocats et il n’est peut-être pas utile d’en rajouter. Mais encore faudrait-il qu’ils soient suivis d’effet. Au barreau de Saint-Pierre de La Réunion, par exemple, il faut six mois pour obtenir l’aide juridictionnelle. Une victime met donc six mois à obtenir l’aide qui va lui permettre d’engager la procédure, délai bien trop long au regard de l’urgence et du risque auquel elle fait face. La situation s’est dégradée car, il y a encore un an, la décision d’aide juridictionnelle intervenait en quinze jours.

L’amendement CL16 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements CL20 et CL21.

Article 3 (art. 711-1 du code pénal) : Adaptations outre-mer

La commission adopte l’article 3 non modifié.

Titre

Amendement rédactionnel CL30 de la rapporteure, amendement CL18 de M. Andy Kerbrat (discussion commune)

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). L’amendement CL18 vise à modifier le titre. Il s’agit de le rendre plus conforme à l’objet réel du texte – allonger la durée de l’ordonnance de protection mais surtout renforcer cette dernière – et aux amendements déposés par notre groupe. Cet amendement nous a été suggéré par des avocats.

Mme Émilie Chandler, rapporteure. Vous souhaitez modifier le titre dans un sens qui ne correspond pas à ce que nous souhaitons faire. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission adopte d’amendement CL30.

En conséquence, l’amendement CL18 tombe.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à allonger la durée de l’ordonnance de protection et à créer l’ordonnance provisoire de protection immédiate (n° 1970) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


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   PERSONNES ENTENDUES

   Mme Nawel Oumer, présidente de la commission Égalité

   Mme Anne-Laure Casado, membre de la commission Égalité

   M. Charles Renard, responsable plaidoyer et relations institutionnelles

   M. Jérôme Bertin, directeur général

   Mme Isabelle Sadowski, directrice générale adjointe

   Mme Anne-Sophie Ho-Massat, directrice du centre Hubertine Auclert

   Mme Joan Auradon, responsable des activités du pôle justice de la Fédération Nationale Solidarité Femme

   Mme Ernestine Ronai, présidente de l’Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis, présidente du comité de pilotage national de l'ordonnance de protection

   M. Philippe Caillol, chef du service

   Mme Axelle de Laforcade, adjointe au chef du bureau de l’aide aux victimes et de la politique associative

   Mme Laure Lignères, adjointe au chef du bureau de l’aide juridictionnelle

   Monsieur Emmanuel Germain, rédacteur du bureau du droit des personnes et de la famille

   Monsieur Vincent Salafa, adjoint au chef du bureau du droit processuel et du droit social

Cour d’appel de Poitiers

   Mme Gwenola Joly-Coz, première présidente

   M. Éric Corbaux, procureur général

Cour d’appel de Versailles

   M. Jean-François Beynel, premier président

   Mme Isabelle Rome, première présidente de chambre

   Mme Jacqueline Lesbros, présidente de chambre

Tribunal judiciaire de Paris

   Mme Anne Dupuy, première vice-présidente du pôle famille et état des personnes

Tribunal judiciaire de Colmar

   Mme Ombeline Mahuzier, présidente

   Me My-Kim Yang-Paya, avocate, spécialiste en droit des sociétés

   Me Élodie Mulon, cabinets Chauveau Mulon & Associés

   Me Olivia Roche, avocate

   Me Hugues Gaston, avocat

Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ)

   Mme Danièle Churlet, présidente du tribunal judicaire de Pontoise

   Mme Emilie Rayneau, présidente du tribunal judiciaire des Sables d’Olonne

Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR)

   M. Olivier Caracotch, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dijon

   Mme Elsa Geslin, chargée de mission VIF au tribunal judiciaire de Dijon

Unité magistrats SNM-FO

   M. Michel Dutrus, délégué général

Union syndicale des magistrats

   Mme Cécile Mamelin, vice-présidente

   M. Aurélien Martini, secrétaire général adjoint

Syndicat de la magistrature

   Mme Kim Reuflet, présidente

   Mme Sarah Pibarot, secrétaire nationale


([1])  Proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2009, présentée par Mme Danielle Bousquet.

([2])  Article 32 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([3]) Article 2 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille

([4])  Infostat Justice n° 192 – Les ordonnances de protection contre les violences conjugales : près de sept demandes sur dix accordées entre 2019 et 2021, par le service statistique ministériel de la justice, publié en juin 2023

([5])  Rapport de la commission des lois sur la proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes n° 2201 (XVe législature), par Aurélien Pradié, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 2 octobre 2019.

([6])  Infostat Justice n° 192 – Les ordonnances de protection contre les violences conjugales : près de sept demandes sur dix accordées entre 2019 et 2021, par le service statistique ministériel de la justice, publié en juin 2023.

([7]) Rapport d’activité du comité national de l’ordonnance de protection sur l’exercice 2020-2021 – publié en juin 2021.  

([8])  La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes, n° 18, novembre 2022 – Les violences au sein du couple et les violences sexuelles en France en 2021.

([9])  La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes, n° 18, novembre 2022 – Les violences au sein du couple et les violences sexuelles en France en 2021.