N° 2161

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 février 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 2075),
DE Mme DANIELLE SIMONNET ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES,


visant à soutenir l’accord trouvé en trilogue le 13 décembre 2023 concernant la directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (2021/0414),

PAR Mme Danielle SIMONNET

Députée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  1.     La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, M. Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL secrétaires ; M. David AMIEL, Mme Lisa BELLUCO, MM Pierrick BERTELOOT, Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Fabien DI FILIPPO, Grégoire DE FOURNAS, Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Mmes Brigitte KLINKERT, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, Béatrice PIRON, MM. Christophe PLASSARD, Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, François RUFFIN, Alexandre SABATOU, Mme Laetitia SAINT-PAUL, MM. Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Danielle SIMONNET, Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Aurélie TROUVÉ, Estelle YOUSSOUFFA, M. Frédéric ZGAINSKI.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. Face à la montée en puissance des plateformes la proposition de directive de 2021 était protectrice et ambitieuse

A. La nécessité de réguler les plateformes à l’échelle européenne

1. L’essor inquiétant des plateformes numériques d’emploi et du détournement du statut de travailleur indépendant

2. L’absence de réglementation : un coût considérable pour les comptes publics, un préjudice pour les travailleurs et une concurrence déloyale des États et des entreprises

B. La proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail via une plateforme : une concrétisation de l’Europe sociale

1. Une proposition de directive pour l’amélioration des conditions de travail des travailleurs via une plateforme a été présentée par la Commission européenne le 9 décembre 2021

2. Les positions du Parlement européen et du Conseil étaient initialement très éloignées

II. En l’état actuel des négociations, le risque est grand d’adopter un texte inopérant, voire dangereux

A. L’accord obtenu en trilogue le 13 décembre 2023 proposait un texte équilibré mais la négociation est au point mort

1. L’accord obtenu en trilogue le 13 décembre 2023 proposait un texte équilibré

2. De nombreux points de blocage demeurent et la France tente d’imposer une « dérogation généralisée »

B. La France doit faire évoluer sa position et cesser de faire obstacle à l’adoption d’un texte protecteur pour les travailleurs

1. Depuis 2021, le gouvernement français fait obstacle à l’adoption d’un texte véritablement contraignant pour les plateformes : « la dérogation française »

2. La position française sur cette directive est hélas le reflet d’un biais étonnamment favorable aux plateformes au niveau national

3. Contre la tentative de vider la directive de son contenu : la proposition de résolution invite le gouvernement français à soutenir l’accord du 13 décembre 2023

TRAVAUX DE LA COMMISSION

proposition de résolution européenne initiale

amendements examinés par la commission

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par lA rapporteurE

 

 

 


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   introduction

Mesdames, Messieurs,

Depuis une quinzaine d’années, l’essor des plateformes numériques d’emploi est considérable et touche un nombre croissant de travailleurs à l’échelle européenne (43 millions de personnes en 2025 selon les prévisions). Cette situation emporte des conséquences négatives au plan économique (manque à gagner pour les comptes publics et concurrence déloyale), environnemental et social. Non seulement les plateformes détournent le statut d’indépendant afin d’échapper à leurs obligations d’employeur, mais les travailleurs subissent les conséquences néfastes de ces pratiques dérogatoires au droit commun (absence de protection sociale, précarisation,  rémunération à la tâche, management algorithmique).

C’est pourquoi la Commission européenne a présenté le 8 décembre 2021 une directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, dont l’objectif est notamment de créer une présomption de salariat. Au terme de longues discussions, le Conseil est revenu en grande partie dans son accord du 12 juin 2023 sur les avancées proposées par la Commission. Le Parlement européen a fait, quant à lui, de nombreuses concessions afin de parvenir à un accord équilibré bien que très éloigné des ambitions initiales du texte.

Un accord a été trouvé lors du trilogue du 13 décembre 2023 permettant d’établir un texte équilibré. Celui-ci a été salué par un grand nombre d’acteurs, dont les membres du groupe Renew Europe. Or à la surprise générale, cet accord n’a pas été validé au sein du Comité des représentants permanents (COREPER) et depuis décembre 2023, les négociations ne parviennent pas à aboutir, notamment du fait de l’opposition du gouvernement français.

Au terme de deux ans de discussions et alors que la fin de la législature se profile, deux scénarii catastrophes pourraient advenir. Soit une absence d’accord, du fait des positions du Conseil incompatibles avec les objets initiaux de la directive. Soit l’adoption d’un accord plus défavorable aux travailleurs que ne le serait le maintien du statu quo actuel. Tout le monde serait alors perdant à l’exception des grandes plateformes.

La France a ici une lourde responsabilité : le gouvernement s’oppose à l’adoption d’un texte protecteur et cherche à substituer à la présomption de salariat un dialogue social dominé par les plateformes. Cette position au niveau européen reflète l’étonnant biais favorable des pouvoirs publics à l’égard des grandes plateformes. L’enjeu est bel et bien la crédibilité de la France, en tant qu'État membre fondateur de l'Union européenne, à agir non plus en faveur de la réalisation du marché, mais pour l'amélioration des droits des travailleurs. C’est pourquoi cette proposition de résolution européenne invite le Gouvernement français à soutenir l’accord trouvé en trilogue le 13 décembre 2024.

 

 


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I.   Face à la montée en puissance des plateformes la proposition de directive de 2021 était protectrice et ambitieuse

A.   La nécessité de réguler les plateformes à l’échelle européenne

1.   L’essor inquiétant des plateformes numériques d’emploi et du détournement du statut de travailleur indépendant

Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à l’essor rapide des plateformes numériques d’emploi. Nous les connaissons couramment dans les secteurs du transport et de la livraison sous les noms d’Uber ou de Deliveroo, mais un nombre croissant de secteurs, allant de l'hôtellerie et de la restauration à l’aviation civile en passant par le secteur funéraire ou encore la santé, sont concernés par l’émergence de ces plateformes numériques.

L’ampleur du phénomène est tel qu’il est entré dans le langage courant sous le vocable “d’ubérisation” du marché de l’emploi. L’Union européenne estime aujourd’hui que 28 millions de personnes travaillant dans l’UE le feraient via une ou plusieurs plateformes et que ce chiffre pourrait passer à 43 millions dès 2025. Ce développement éclair des plateformes et des nouvelles formes d’emploi qu’elles produisent n’est pas sans entrer en contradiction avec les législations en vigueur dans les États membres, en particulier en ce qui concerne le statut des travailleurs des plateformes.

Le modèle des plateformes repose sur une « mise en relation » entre des clients et des travailleurs indépendants. Or, plus de 300 décisions administratives et judiciaires concernant le statut des travailleurs des plateformes ont été rendues en Europe : la majorité des juridictions, y compris la Cour de cassation en France, ont statué en faveur d’une requalification des travailleurs en salariés. L’insécurité juridique du statut actuel de ces travailleurs repose sur l’invisibilisation du lien de subordination exercé par les plateformes, qui ont la capacité de donner des ordres et des directives aux travailleurs, d'en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements.

Dans son arrêt Uber du 4 mars 2020, la Cour de cassation a ainsi reconnu l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme et un chauffeur VTC, par les indices suivants : impossibilité de fixer librement ses tarifs, de choisir son itinéraire, ou encore déconnexion du compte par la plateforme. Depuis, la jurisprudence concernant le statut de ces travailleurs est de plus en plus cohérente et converge vers la reconnaissance d’un lien de subordination et donc à la requalification en salarié. La détermination du statut par cette jurisprudence s’effectue sur des circonstances factuelles dans lesquelles l’activité professionnelle est exercée et non sur la volonté exprimée par les parties.

Or, la grande majorité des plateformes continuent d’estimer qu’elles n’emploient aucun salarié mais travaillent avec des indépendants en recourant le plus souvent à des contrats commerciaux. Pour d’évidentes raisons de coûts financiers et d’organisation, les plateformes détournent le statut d’indépendant afin d’échapper à leurs obligations d’employeur : non-paiement de cotisations sociales patronales, gestion extrêmement flexible de la force de travail et absence d’obligation liée au licenciement.

2.    L’absence de réglementation : un coût considérable pour les comptes publics, un préjudice pour les travailleurs et une concurrence déloyale des États et des entreprises

Cette situation entraîne un manque à gagner direct et extrêmement conséquent pour les comptes publics. Ainsi, une enquête menée par le journal L’Humanité a montré qu’avec un barème moyen de cotisations patronales (34,06 %) et la requalification des travailleurs en salariés, 3,4 milliards d’euros de cotisations sociales supplémentaires seraient affectés aux comptes de la sécurité sociale. S’y ajoutent les pratiques d’optimisation et d’évasion fiscales des plateformes. Le montant du manque à recouvrer pour l’administration fiscale française, lié au non-paiement de l’impôt sur les sociétés, est sans nul doute considérable et mériterait d’ailleurs d’être rendu public.

Pour les travailleurs des plateformes, les préjudices liés au statut fictif d’indépendant sont considérables : ils ne bénéficient pas des garanties protections accordées aux salariés par le droit du travail, de la protection sociale et de l’assurance chômage, des congés payés, mais cotisent pourtant aux caisses de retraite. En France, cette précarisation des travailleurs des plateformes est exacerbée par le fait qu’ils sont majoritairement sous statut d’auto-entrepreneur dont les revenus sont nettement inférieurs à la moyenne des indépendants. Selon l’Insee, 90 % des auto-entrepreneurs touchent un revenu inférieur au SMIC au titre de leur activité non-salariée au bout de trois ans.

Dans son livre #UberUsés, le capitalisme racial de plateformes ([1]), la sociologue Sophie Bernard souligne que les livreurs et les chauffeurs VTC doivent travailler entre douze et quatorze heures par jour pour toucher un salaire décent, avec des courses payées en général moins de cinq euros, les temps d’attente pour réceptionner une commande dans un restaurant n’étant pas rémunérés. Dans le cadre du salariat, ce paiement à la course est strictement interdit puisqu’il s’apparente à un travail à la tâche. Leurs conditions de travail constituent ainsi un véritable retour au tâcheronnat du XIXe siècle.


Le management algorithmique des plateformes, qui attribue les commandes, évalue la réactivité des travailleurs, calcule leurs parcours et leurs temps de trajet et ajoute à la paupérisation une pression particulièrement accidentogène. Auditionné par la commission d’enquête relative aux révélations des Uber files ([2]), M. Brahim Ben Ali, secrétaire général du syndicat INV VTC témoignait ainsi : « Je vous parlerai aussi de Serge, à Toulouse, qui est mort d’un AVC – il se trouvait malheureusement seul à bord de son véhicule et n’a pas pu appeler les secours. Il y a tant de personnes qui meurent en exerçant cette profession. Doit-on en vivre ou en mourir ? Telle est la question ». Cette situation est directement liée à leur statut puisqu’il n’existe pas de contrôle de la durée de travail des indépendants (durée maximale quotidienne et hebdomadaire, durée de repos quotidien et hebdomadaire, travail de nuit, heures supplémentaires, travail des jours fériés), ni de contrôle régulier de leur aptitude médicale. Ces travailleurs ubérisés cumulent ainsi les inconvénients du salariat et de l’indépendance, la subordination et la fragilité statutaire, sans bénéficier de leurs contreparties en termes de protection sociale et d’autonomie.

Enfin, la plateformisation du travail entraîne une concurrence déloyale généralisée des travailleurs entre eux, pénalisant les professions réglementées et les artisans. Car contrairement aux entreprises qui officient dans les mêmes secteurs et qui emploient des salariés, les plateformes numériques faisant appel à des travailleurs indépendants ne versent pas de cotisations sociales au titre de leurs rémunérations. Parce qu’elles ne respectent pas les règles auxquelles ces professions sont tenues de se plier, notamment en termes de réglementations sectorielles, de qualifications ou de régime fiscal, les plateformes contribuent à niveler par le bas les prix des marchés dans lesquels elles s’inscrivent. À titre d’exemple, la concurrence déloyale des VTC a provoqué une chute brutale des revenus des taxis et la plateforme Uber a délibérément orchestré des violences entre taxis et VTC ([3]).

Outre l’insécurité juridique qui résulte de l’absence de réglementation pour les plateformes de travail numériques et leurs travailleurs, le nombre élevé d’affaires portées devant les tribunaux souligne le caractère particulièrement fraudogène du modèle des plateformes usurpant le statut d’indépendant afin d’organiser le travail dissimulé à grande échelle. Les révélations des Uber files ont ainsi permis de démontrer que l'illégalité est une stratégie volontaire des plateformes afin de forcer les réglementations à s’adapter à leur modèle, nivelant par le bas les normes et les conditions de travail. Les États étant pris à revers par l’essor rapide des nouvelles technologies encourageant la « plateformisation de l'emploi », une réglementation à l'échelle européenne s'imposait.

B.   La proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail via une plateforme : une concrétisation de l’Europe sociale

1.   Une proposition de directive pour l’amélioration des conditions de travail des travailleurs via une plateforme a été présentée par la Commission européenne le 9 décembre 2021

Une proposition de directive pour l’amélioration des conditions de travail des travailleurs via une plateforme a été présentée par la Commission européenne le 9 décembre 2021.

Comme le souligne la Commission européenne, une réglementation à l’échelle européenne s’impose. En effet si les États membres font partie d’un marché unique, ils divergent sur la réponse à apporter à la question de savoir s’il faut réglementer le travail via une plateforme et, si oui, sur la manière de le faire. Une action uniquement nationale ne permettrait pas d’atteindre les objectifs fondamentaux de l’Union fondés sur les traités, à savoir les objectifs relatifs à la promotion de la croissance économique durable et du progrès social, car les États membres risquent de se montrer réticents à adopter des règles plus strictes ou à faire respecter strictement les normes du travail existantes, étant donné qu’ils sont en concurrence pour attirer les investissements des plateformes de travail numériques.

La proposition de directive de la Commission s’est largement inspirée de la résolution européenne portée par Mme Sylvie Brunet (Renew/MODEM) adoptée par le Parlement européen le 16 septembre 2021. Cette résolution souligne que « les cas de classification erronée surviennent le plus souvent s’agissant de plateformes de travail numériques qui organisent fortement, directement ou au moyen d’un algorithme, les conditions et la rémunération du travail », et invite la Commission à introduire « une présomption réfragable d’une relation de travail dans le cas des travailleurs de plateformes {...} conjuguée à un renversement de la charge de la preuve ».

La proposition de directive vise à :

– améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes en facilitant la détermination correcte de leur statut professionnel au moyen d'une présomption légale réfragable (chapitre II) ;

– améliorer la protection des données à caractère personnel des personnes exécutant un travail via une plateforme en améliorant la transparence, l'équité et la responsabilité dans l'utilisation de systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés (chapitre III) ;

– améliorer la transparence du travail via une plateforme (chapitre IV) et mettre en place certaines voies de recours et mesures d'application (chapitre V).

Le texte initial prévoit que les autorités nationales appliquent une présomption de salariat pour les travailleurs d’une plateforme numérique dès lors que deux critères sur cinq préalablement définis sont remplis. Si une plateforme réfute le statut de salarié d’un travailleur, il lui incombera de prouver qu’elle n’a pas de relation de salariat avec celui-ci. Les critères proposés par la Commission sont les suivants :

        la rémunération ou des plafonds de rémunération sont déterminés par les plateformes ;

        le travail est supervisé par voie électronique ;

        les horaires de travail sont peu flexibles ou la possibilité de refuser des tâches est limitée, tout comme avoir recours à des sous-traitants ou des remplaçants ;

        des règles en matière d’apparence, de conduite avec les clients ou encore d’exécution des tâches sont imposées ;

        les possibilités pour le travailleur de constituer une clientèle ou de réaliser des missions pour un tiers sont limitées.

La proposition de la Commission vise également à accroître la transparence concernant la gestion du travail par des algorithmes, omniprésents dans l’économie des plateformes. Les travailleurs des plateformes devront être informés de la manière dont fonctionnent la supervision, la surveillance et l’évaluation de leurs tâches, que ce soit par les plateformes ou les clients.

2.   Les positions du Parlement européen et du Conseil étaient initialement très éloignées

Le 2 février 2023, la plénière du Parlement européen a confirmé la décision de la commission de l’emploi et des affaires sociales (EMPL) d'engager des négociations sur la base du rapport d’Elisabetta Gualmini, adopté par la commission de l’emploi et des affaires sociales (EMPL) le 12 décembre 2022.

Le Parlement européen s’est prononcé en faveur d’une présomption générale de salariat pour les travailleurs des plateformes, sans critères obligatoires à remplir pour que ces derniers soient considérés comme salariés par les autorités nationales. Le Parlement européen a également approuvé le principe qu’en cas de litige, il reviendra aux plateformes et non aux travailleurs de prouver que leurs relations ne relèvent pas du salariat.

Les parlementaires ont également proposé des améliorations aux dispositions relatives à l’encadrement de la gestion algorithmique du travail. Le Parlement a établi qu’aucune décision importante ne pouvait être prise par des systèmes automatisés et a appelé à la mise en place d’un contrôle humain sur toute action des algorithmes affectant les conditions de travail.

L’obtention d’un compromis au Conseil a été particulièrement longue et laborieuse. Le 8 décembre 2022, la présidence tchèque du Conseil a présenté au Conseil EPSCO une proposition de compromis visant à dégager une orientation générale du Conseil. Si la majeure partie du texte a obtenu l’appui des délégations (notamment les chapitres III à V), il subsistait de fortes divergences de vues, en particulier en ce qui concerne le chapitre II, relatif au statut professionnel.

La présidence suédoise a poursuivi les travaux sur ce texte avant d’atteindre la majorité qualifiée sur une orientation générale au Conseil EPSCO le 12 juin 2023. Les divergences ont principalement porté sur les dispositions relatives à la présomption de salariat. L’orientation générale du Conseil prévoit que les travailleurs seront légalement présumés être des salariés d’une plateforme numérique (et non des travailleurs indépendants) si leur relation avec cette plateforme remplit au moins trois des critères énoncés dans la directive (contre deux sur cinq pour la Commission). Les critères relatifs aux horaires de travail, au choix des tâches et au recours aux sous-traitants et remplaçants sont divisés en trois critères distincts. Il est également prévu que la présomption légale ne s’applique pas aux procédures fiscales, pénales et de sécurité sociale. Par ailleurs, les règles relatives à la surveillance algorithmique sont moins strictes, notamment pour la surveillance des décisions importantes. Seules certaines, à l’instar de la suspension du compte d’un travailleur sur une plateforme, seront concernées.

II.   En l’état actuel des négociations, le risque est grand d’adopter un texte inopérant, voire dangereux

A.   L’accord obtenu en trilogue le 13 décembre 2023 proposait un texte équilibré mais la négociation est au point mort

1.   L’accord obtenu en trilogue le 13 décembre 2023 proposait un texte équilibré

Le Conseil, la Commission et le Parlement européen sont parvenus à un accord final (trilogue), le 13 décembre 2023, sur la directive relative aux travailleurs des plateformes.

Celui-ci n’aurait pas été possible sans les concessions faites par le Parlement européen qui s’était pourtant positionné en faveur d’une directive d’application de la présomption de salariat sans critères. Cette position du Parlement européen a trouvé une majorité relativement large (376 voix pour et 212 contre) en réunissant les voix de la gauche et des écologistes (La Gauche, Socialistes & Démocrates, Les Verts/ALE), mais aussi celles du groupe Renew Europe auquel appartiennent les eurodéputés de la majorité présidentielle. Madame Nathalie Loiseau, tête de liste Renaissance aux élections européennes de 2019, ainsi que Monsieur Stéphane Séjourné, ex-président du groupe Renew et actuel ministre de l'Europe et des affaires étrangères se sont ainsi prononcés pour. Enfin, une partie significative du Parti Populaire Européen auquel appartiennent les eurodéputés Les Républicains se sont aussi fortement mobilisés en faveur d'une directive ambitieuse.

Dans sa lettre du 19 janvier 2024 à la présidence belge de l’Union européenne, la Confédération européenne des syndicats - qui représente 45 millions de travailleurs dans 39 pays - estime que cet accord de trilogue est « la meilleure base de travail possible pour améliorer les conditions des travailleurs des plateformes dans tous les secteurs. » Désormais, si un travailleur satisfait à deux indicateurs de subordination sur cinq, ce dernier sera présumé salarié, et il reviendra à la plateforme d’apporter la preuve qu’elle n’est pas son employeur.

Cette directive permet ainsi de protéger les travailleurs des plateformes qui sont de faux-indépendants, tout en permettant aux véritables plateformes de mise en relation de continuer à opérer avec des indépendants. Surtout, les inspections du travail des États membres devront, en cas de requalification d’un travailleur via une plateforme en salarié, examiner obligatoirement la situation de l’ensemble de ses collègues travaillant pour la même plateforme afin de vérifier s’ils ne devraient pas être eux aussi reclassés. L’accord prévoit enfin une plus grande transparence des algorithmes utilisés.

Le compromis prévoit que les États peuvent ajouter d’autres indicateurs à la liste prévue par l’accord. Si la présomption de salariat est établie et que la plateforme la conteste, ce sera à elle de démontrer qu’il n’existe pas de relation de travail. Le texte régule aussi les usages d’algorithmes dans la gestion des ressources humaines.

2.   De nombreux points de blocage demeurent et la France tente d’imposer une « dérogation généralisée »

L’accord obtenu en trilogue le 13 décembre 2023 permettait d’aboutir à un texte équilibré. Pourtant, il n’a pas été approuvé en COREPER le 22 décembre 2023.

La Présidence belge du Conseil de l’Union européenne a transmis aux États membres le 20 janvier 2024 un nouveau document de compromis sur les travailleurs des plateformes numériques afin de solliciter un mandat au Coreper le 24 janvier et de reprendre les discussions en trilogue avec le Parlement européen le 30 janvier. Le dernier compromis proposé par la Présidence belge revient en grande partie sur les avancées portées par la Commission et le Parlement européen pour non seulement revenir à l’orientation générale du Conseil de juin 2023, mais aussi vider le texte de tout contenu normatif.

Ainsi, le critère portant sur la supervision de l’exécution du travail selon la terminologie reprise par la Présidence belge, a été réécrit de manière plus stricte, avec l’ajout de l’adjectif de supervision « étroite » des performances du travailleur par « des moyens électroniques ». Le nouveau texte précise l’obligation d’inclure des éléments concrets montrant que la plateforme numérique de travail « supervise étroitement, par des moyens électroniques, l’exécution du travail ».

Surtout, le texte proposé prévoit qu’une plateforme déjà soumise à des obligations en droit national, notamment en vertu d’accords collectifs, ne sera pas considérée comme remplissant un critère/indicateur au titre de la directive. Il a notamment été précisé que « les conventions collectives applicables aux véritables travailleurs indépendants solitaires font partie des obligations légales auxquelles les plateformes numériques de main-d’œuvre pourraient devoir se conformer et qui ne doivent donc pas être considérées entant que telles comme remplissant un ou plusieurs indicateurs de contrôle et de direction pour le déclenchement de la présomption légale », explique ainsi la Présidence dans une note accompagnant ce nouveau compromis.

Le texte du 20 janvier précise encore les dispositions relatives à l’exclusion de la procédure de présomption légale des autorités fiscales, pénales ou de sécurité sociale. Il assouplit enfin le volet relatif aux sanctions contre les plateformes.

Ce texte est très en deçà de l’accord provisoire trouvé sous la Présidence espagnole et il semble difficile à ce stade de parvenir à un accord avec le Parlement européen et entre États membres. Déjà lors du Conseil EPSCO du 12 juin 2023, la Belgique, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie et l’Espagne ont estimé que la présomption de salariat était très affaiblie dans le texte. Quatre autres États se sont abstenus outre l’Espagne : l’Allemagne, la Grèce, l’Estonie et la Lettonie.

Comme l’a rappelé le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, M. Nicolas Schmit, auditionné par la rapporteure, le texte issu du trilogue du 13 décembre était déjà une position de compromis entre les positions du Conseil et du Parlement européen, qui avait consenti de nombreuses concessions.

À ce stade de la négociation, « on se heurte à des demandes inacceptables pour le Parlement mais aussi pour la Commission, telle que la demande de dérogation générale, soutenue par la France. » Non seulement parce que cette disposition rendrait la directive inopérante, mais parce qu’elle créerait un terrible précédent. Selon M. Schmit, « il serait particulièrement grave qu’un accord collectif dont la représentativité est discutable puisse déroger à des règles européennes. Ce serait affaiblir la législation sociale européenne dans son ensemble. Jusqu’ici la Commission européenne s’y est toujours refusée. »


B.   La France doit faire évoluer sa position et cesser de faire obstacle à l’adoption d’un texte protecteur pour les travailleurs

1.   Depuis 2021, le gouvernement français fait obstacle à l’adoption d’un texte véritablement contraignant pour les plateformes : « la dérogation française »

Depuis 2021, le gouvernement n’a cessé de remettre en cause les avancées prévues par la proposition initiale de la Commission et les compromis obtenus lors de sa discussion.

Le texte de la Commission poserait les trois difficultés suivantes à la France ([4]) :

« – En distinguant les “personnes exerçant sur les plateformes” et les “travailleurs des plateformes”, pour lesquels elle instaure une présomption de salariat, la proposition de directive introduit un risque vis-à-vis de notre cadre juridique national, au sein duquel les termes “travailleurs des plateformes” sont utilisés sans préjuger des relations contractuelles entre travailleurs et plateformes ;

« – Le champ des plateformes concernées, incluant le travail sur plateformes donnant lieu à des prestations tant physiques que dématérialisées, dépasserait celui des plateformes ayant une responsabilité sociale telle que prévu dans le code du travail pour concerner des entreprises qui ne sont pas considérées comme des plateformes dans le droit national, mais comme de simples sous-traitants ;

« – Le mécanisme proposé par la Commission (cumul de deux critères vérifiés entraînant de facto une présomption de salariat) rend l’approche de la Commission plus stricte que celle du juge français qui utilise, compte tenu de l’absence de définition légale du contrat de travail en droit français, la théorie du faisceau d’indices dont la qualification est une construction jurisprudentielle.

« Les plateformes ayant une responsabilité sociale, présentes sur les secteurs de la mobilité, entreraient ainsi de facto dans le champ de la présomption de salariat car elles remplissent les critères de détermination du prix et de supervision de la performance du travail, qui, pourtant, ne constituent pas à eux seuls des indices suffisants de l’existence d’un lien de subordination, mais font partie intégrante des relations contractuelles. »


Les médias s’étaient fait l’écho d’une lettre de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne adressée à la Commission européenne ([5]), le 16 septembre 2021, dans laquelle on apprenait que « les autorités françaises “ne sont […] pas favorables à une présomption de salariat” […]. Cette présomption irait à l’encontre de la législation française, adoptée pour préserver “des modèles reposant sur un degré d’autonomie et de flexibilité pour les travailleurs, coïncidant avec le modèle économique principalement mis en œuvre par les plateformes” ». La lettre soutenait également le dialogue social comme un moyen de « concilier ces nouvelles activités économiques avec une amélioration des droits sociaux et des conditions de travail des travailleurs » et encourageait la Commission « à “tenir compte de l’hétérogénéité du groupe des travailleurs recourant aux plateformes numériques” [avec] “des critères partagés” pour distinguer les travailleurs fortement dépendants économiquement des plateformes de ceux “pour lesquels le dialogue social peut suffire afin d’en améliorer les conditions de travail” ». Enfin, elle s’inquiétait « du renversement de la charge de la preuve, qui entraînerait une “multiplication des contentieux”, alors que 5,5 millions de travailleurs pourraient être requalifiés à la suite de cette directive, selon les estimations de la Commission ».

Devant la commission d’enquête précitée, Mme Leïla Chaibi a confirmé l’opposition de la France au projet de directive ainsi que la proximité de la position française avec celle défendue par les plateformes : « les lobbys d’Uber et de Deliveroo, que j’ai rencontrés en décembre 2019 puis en janvier 2020 pour échanger avec eux au sujet de cette proposition législative, m’ont confié que la démarche d’Emmanuel Macron représentait pour eux un modèle en Europe. Nous étions alors au lendemain de l’adoption de la loi d’orientation des mobilités (LOM) en France. »

Lors du Conseil EPSCO du 12 juin 2023, la France a soutenu l’orientation générale présentée par la présidence suédoise et a indiqué aux futures présidences chargées du trilogue que toute modification de l’orientation générale qui éloignerait le texte de la position du Conseil ne serait pas acceptable.

Sous la présidence tchèque, la France a porté un certain nombre d’amendements durant les négociations portant sur les modalités d’application des critères proposés par la directive en vue de limiter la présomption de salariat. La France a ainsi proposé de modifier le seuil de déclenchement des critères de présomption de salariat ainsi que la définition de ces critères (en particulier le critère de la supervision de l’exécution du travail) et d’introduire la possibilité d’une dérogation à l’application de ces critères quand leur mise en œuvre découle d’un accord collectif.

Durant la présidence suédoise, la France a poursuivi le démantèlement de la proposition initiale. La France a ainsi porté des amendements demandant la réintroduction de la disposition prévoyait que le respect d’obligations spécifiques prévues par le droit européen, le droit national et les conventions collectives ne peut être pris en compte pour évaluer si les critères de présomption sont remplis.

Dans la dernière version du texte présentée en trilogue le 26 janvier, la France a soutenu le maintien du considérant 31, qui prévoit qu’une plateforme déjà soumise à des obligations en droit national, notamment en vertu d’accords collectifs, ne sera pas considérée comme remplissant un critère/indicateur au titre de la directive. La députée européenne Mme Leila Chaibi a d’ailleurs indiqué en audition à votre rapporteure que cette disposition avait été surnommée par ses détracteurs la « dérogation française ».

2.   La position française sur cette directive est hélas le reflet d’un biais étonnamment favorable aux plateformes au niveau national

La rapporteure regrette que le gouvernement ait non seulement refusé d’approuver l’accord approuvé en trilogue le 13 décembre 2023 mais fasse courir le risque soit d’une absence d’accord, soit d’un texte qui serait attentatoire aux droits des travailleurs des plateformes. Ce, alors même que les députés européens du groupe Renew, comme Sylvie Brunet, vice-présidente du groupe Renew Europe, avaient publiquement salué l’accord trouvé le 13 décembre 2023 en trilogue.

Cette position assumée par la France au niveau européen est en réalité le reflet du positionnement étonnamment favorable aux plateformes des pouvoirs publics que l’on constate au niveau national. Le dialogue social dominé par les plateformes y est préféré à la présomption de salariat.

Pour mémoire, la mission confiée à M. Jean-Yves Frouin sur la régulation des plateformes ([6]) n’a pas eu la possibilité d’approfondir la solution d’une présomption réfragable de salariat pour l’ensemble des travailleurs des plateformes, bien qu’elle ait semblé souhaitable et aurait codifié l’évolution de la jurisprudence. Le rapport indique que « [l] a reconnaissance d’un statut de salarié à tous les travailleurs des plateformes est une deuxième option. Elle aurait pour avantage de régler immédiatement les questions de sécurité juridique en éteignant les contentieux en requalification. Elle aurait également pour effet d’étendre aux travailleurs des plateformes les droits et protections des salariés. Cette option techniquement aisée à mettre en œuvre amènerait enfin de la clarification. Ce n’est, cependant, pas l’hypothèse de travail des pouvoirs publics ayant initié cette mission. »

Le rapport de la Commission d’enquête précité ([7]) montre toute l’influence qu’a pu exercer l’entreprise Uber sur l’organisation du dialogue social entre les plateformes et les travailleurs en France. Ce dialogue social est encadré par deux ordonnances. La première du 21 avril 202  ([8]) instaure le principe d’un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs dans le secteur des VTC et dans le secteur de la livraison, organise la représentation des travailleurs à travers une élection nationale et crée une Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) chargée de piloter ce nouveau dispositif. La seconde du 6 avril 2022 ([9]) détermine les modalités de représentation des organisations de plateformes et complète les missions de l’ARPE, organe peu représentatif, dont la présidence a été confiée à une personnalité dont le conflit d’intérêts avec les plateformes n’est pas réglé. De fait, le fonctionnement de l’ARPE permet à Uber de verrouiller les accords et limiter les avancées sociales.

3.   Contre la tentative de vider la directive de son contenu : la proposition de résolution invite le gouvernement français à soutenir l’accord du 13 décembre 2023

L’Allemagne a annoncé s’abstenir en raison de l’absence d’accord au sein de la coalition gouvernementale, et ne participe que peu aux discussions, ce qui modifie l’équilibre des voix au sein du Conseil. Dès lors le poids de la France, et sa responsabilité, sont centrales dans l’adoption de la directive.

La présente proposition de résolution européenne invite le Gouvernement de la République française à soutenir l’accord trouvé par le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne lors de la réunion de trilogue du 13 décembre 2023 sur la directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.

En l’état actuel des négociations un accord moins disant aurait des conséquences désastreuses pour les travailleurs, mais aussi les plateformes et les États où le droit du travail est respecté. Seule la présomption de salariat, d’ores et déjà pratiquée par certains États membres comme l’Espagne, peut permettre de rétablir l’équilibre dans nos relations avec les grandes plateformes et mettre fin à leurs effets néfastes sur le plan social, économique et environnemental. Il s’agit d’un moment historique pour l’Europe sociale, la France doit prendre ses responsabilités.

 

 


 

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 7 février 2024, sous la présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Notre premier point à l'ordre du jour est la proposition de résolution européenne visant à soutenir l’accord trouvé en trilogue le 13 décembre 2023 concernant la directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme. Je donne la parole à sa rapporteure.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. J’aimerais dédier cette proposition de résolution européenne à Frank, coursier Uber eats de 18 ans, fauché par un camion pendant une course à Pessac. Tant de livreurs travaillent 12 heures par jour, 7 jours sur 7 pour des courses à moins de 5 euros. Je voudrais la dédier également aux chauffeurs VTC, dont Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, avait expliqué qu’il valait mieux être chauffeur Uber plutôt que de vendre de la drogue à Stains et qui se retrouvent endettés car sous-payés et épuisés. Je voudrais la dédier également aux artisans taxis qui, eux aussi, sont victimes de cette concurrence déloyale. Je pense à Mohamed, taxi parisien, qui m’avait adressé un courrier poignant en 2017 m’alertant sur la faillite de nombre de ses collègues, plongeant certains dans la détresse et d’autres jusqu’au suicide. Je souhaite la dédier à celles et ceux qui, dans beaucoup d’autres secteurs, n’ont plus droit à un CDI ni même à un CDD et à qui on demande de se créer un statut d’auto-entrepreneur pour aller travailler en tant que caissière à Monoprix, aide-soignante dans un EHPAD, agent de nettoyage. Je souhaite la dédier aux chefs d’entreprise, de la livraison et d’autres secteurs, qui ne peuvent plus suivre cette concurrence déloyale à moins de plonger eux-mêmes dans l’illégalité et de ne plus déclarer leurs salariés.

Je souhaite, mes chers collègues, que tous ensemble nous puissions la dédier à tous les députés européens français, tous groupes confondus, qui depuis 2021 travaillent sur ce sujet et ont réussi à s’accorder ensemble en février dernier sur une directive en faveur de la présomption de salariat, à l’instar de l’actuel ministre Stéphane Séjourné alors président du groupe Renew. Je souhaite tout particulièrement dédier cette résolution à Mme Sylvie Brunet, députée européenne du MODEM, auteure du premier rapport à l’origine de cette bataille politique et bien évidemment à ma collègue insoumise, Mme Leïla Chaibi, qui n’a pas ménagé ses efforts pour la voir aboutir, ainsi qu’au commissaire européen à l’emploi, Nicolas Schmit, qui attend beaucoup du vote de cette résolution.

Depuis une quinzaine d’années, l’essor des plateformes numériques d’emploi est exponentiel. Il touchera plus de 45 millions de personnes en 2025 et ne cesse de s’étendre à de nouveaux secteurs. Les conséquences de cette « ubérisation » de l’économie sont désastreuses et hélas bien documentées.

Elles sont économiques : le manque à gagner est considérable pour nos comptes sociaux, estimés à plusieurs milliards d’euros, autant d’argent qui ne bénéficie pas à notre système de santé et de protection sociale – sans compter les formes d’optimisation voire d’évasion fiscale pratiquées par ces plateformes. Les professions réglementées, les artisans, sont également les premiers à souffrir de cette concurrence déloyale.

Les conséquences sont aussi et surtout sociales. Non seulement les plateformes détournent le statut d’indépendant afin d’échapper à leurs obligations d’employeur, mais les travailleurs subissent les conséquences néfastes de ces pratiques dérogatoires au droit commun : absence de protection sociale, précarisation, management algorithmique dangereux. Leurs conditions de travail constituent ainsi un véritable retour au tâcheronnat du XIXe siècle.

Aujourd’hui les seuls gagnants de l’absence de régulation sont les grandes plateformes, notamment américaines. C’est pourquoi la Commission européenne a présenté le 9 décembre 2021 une directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme. Son objectif est notamment de créer une présomption de salariat et une régulation du management par algorithmes. Le Parlement européen a également proposé des mesures protectrices pour les travailleurs.

Au terme d’âpres discussions entre les États membres, le Conseil est revenu en grande partie dans son accord du 12 juin 2023 sur les avancées proposées par la Commission. Le Parlement européen a de son côté consenti de nombreuses concessions afin de parvenir à un accord équilibré bien que très éloigné des ambitions initiales du texte.

Un accord a enfin été trouvé lors du trilogue du 13 décembre 2023, permettant d’établir un texte équilibré. Celui-ci a été salué par un grand nombre d’acteurs, dont les membres de la majorité présidentielle du groupe Renew Europe au Parlement européen. Cet accord prévoit que si un travailleur satisfait à deux indicateurs de subordination sur cinq, ce dernier sera présumé salarié, et il reviendra à la plateforme d’apporter la preuve qu’elle n’est pas son employeur.

Or, à la surprise générale, cet accord n’a pas été validé en COREPER et depuis décembre 2023, les négociations ne parviennent pas à aboutir, notamment du fait de l’opposition du gouvernement français, qui ne cesse depuis 2021 de proposer des amendements vidant le texte de son contenu normatif ou établissant des exceptions le rendant inopérant.

Où en est-on aujourd’hui ?

Nous sommes à la veille du trilogue qui va réunir les trois institutions européennes et décider du texte.

Selon le commissaire européen Nicolas Schmit, à ce stade de la négociation, « on se heurte à des demandes inacceptables pour le Parlement mais aussi pour la Commission, telle que la demande de dérogation générale, soutenue par la France. » Non seulement parce que cette disposition rendrait la directive inopérante, mais parce qu’elle créerait un terrible précédent. Selon M. Schmit, « il serait particulièrement grave qu’un accord collectif dont la représentativité est discutable puisse déroger à des règles européennes. Ce serait affaiblir la législation sociale européenne dans son ensemble. Jusqu’ici la Commission européenne s’y est toujours refusée. »

Pour résumer, au terme de deux ans de discussions et alors que la fin de la législature se profile, deux scénarii catastrophes pourraient se produire. Soit une absence d’accord, du fait des positions irréconciliables du Conseil et du Parlement européen. Soit l’adoption d’un accord a minima qui serait moins protecteur pour les travailleurs des plateformes.

Dans les deux cas tout le monde serait perdant : les travailleurs bien sûr, mais aussi les vrais indépendants, les professions réglementées, les comptes de la sécurité sociale, les États qui tenteraient d’adopter une réglementation protectrice et les plateformes qui accordent des droits à leurs travailleurs.

En réalité les seuls gagnants seraient les plus grandes plateformes. Cela en dit long sur les capacités de lobbying de certaines d’entre elles. Le sujet n’est pas nouveau, notre Assemblée y a consacré une commission d’enquête dont j’ai été la rapporteure. La question était alors : comment Uber, une multinationale américaine qui a érigé l’illégalité en principe de fonctionnement, a-t-elle pu bénéficier d’un soutien direct et opaque d’un ministre contre l’avis même de son Gouvernement pour s’implanter en France ? À l’approche des élections européennes, la question est : quels sont les intérêts que défend aujourd’hui la majorité présidentielle ?

Nous sommes à la veille d’une décision historique. Soit un texte ambitieux est adopté, qui respecte notre modèle social européen, soit c’est le modèle des grandes plateformes américaines de dérégulation sociale sauvage qui s’impose. C’est une question de politique majeure. Veut-on casser le salariat et rétablir une nouvelle forme d’exploitation ? L’Allemagne avait annoncé s’abstenir en raison de l’absence d’accord au sein de la coalition gouvernementale, et ne participe que peu aux discussions, ce qui modifie l’équilibre des voix au sein du Conseil. Dès lors le poids de la France et sa responsabilité sont centraux dans l’adoption de la directive.

Hélas, aucun débat n’a été proposé à l’Assemblée nationale sur ce texte pourtant capital. Nous pensons que la représentation nationale doit se saisir du sujet et qu’il faut absolument revenir à l’accord trouvé en trilogue le 13 décembre 2023 sous présidence espagnole.

C’est ce que propose ce projet de résolution européenne. Soutenir cette résolution c’est soutenir l’accord européen qui pourra changer la vie de million de travailleurs et travailleuses. Soutenir cette résolution, c’est aussi soutenir un travail européen transpartisan, mené et voté par l’ensemble des députés européens français, tous groupes confondus.

L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.

M. Benjamin Haddad (RE). Nous allons rejeter cette proposition de résolution pour différentes raisons. Madame la rapporteure, vous êtes ici atteinte de « surtranspositionnite » aiguë. La négociation européenne n’est pas terminée et vous voudriez nous faire adopter une version qui n’a pas encore fait l’objet d’un accord au Conseil.

Votre résolution est complotiste. Vous affirmez que c’est la France qui bloque l’accord au Conseil, mais cela est faux. Le 13 décembre, l’Estonie, la Bulgarie, l’Irlande, la Grèce, l’Italie n’ont pas soutenu la position de la présidence espagnole. Puis la France a soutenu les textes présentés par la présidence belge, mais ceux-ci n’ont pas trouvé de majorité. Naturellement, notre groupe soutiendra l’accord qui sera trouvé au sein du trilogue.

Pour satisfaire votre vision dogmatique de l’économie, vous êtes prête à sacrifier des centaines de milliers d’emplois et à aller contre la volonté même de ces travailleurs qui souhaitent être indépendants des plateformes. L’adoption trop hâtive de la directive pourrait remettre en cause l’existence de ces nouveaux acteurs économiques, ce qui est peut-être votre objectif, et menacer l’existence du statut d’indépendant, cher à notre pays.

La France a choisi une voie unique et innovante pour accompagner les acteurs économiques via la création d’un dialogue social entre plateformes et représentants des travailleurs. Ce dialogue fonctionne, il a obtenu des avancées sur le revenu minimal, les modalités de rupture, la liberté de choix des courses pour le chauffeur, même s’il reste du travail. La justice de notre pays a déjà procédé à de nombreuses requalifications lorsqu’elle constate un lien de subordination. La France joue ainsi depuis le début un rôle moteur pour que la directive soit rédigée de façon à ce qu’elle respecte les différents équilibres : pas de sur transposition, pas de dogme économique, mais la volonté de réguler les nouveaux usages économiques dans l’intérêt des travailleurs, de l’économie et des usagers.

Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons à cette proposition de résolution européenne.

M. Thibaut François (RN). La proposition de directive visant à améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques est une avancée en faveur des droits des travailleurs en Europe. Les négociations en trilogue, qui ont eu lieu mi-décembre 2023, ont été confrontées à un blocage de la part de douze États membres, parmi lesquels se trouvent la France et l’Italie, les pays baltes et les pays scandinaves. La Présidence belge du Conseil de l’Union européenne a récemment présenté un texte de compromis. Ce texte vise à défendre les droits fondamentaux de millions de travailleurs. Cependant, malgré ces quelques avancées, plusieurs questions ne sont pas abordées par la proposition de directive, notamment la présence de travailleurs illégaux au sein de certaines plateformes de livraison. Quelles mesures sont envisagées par l'Union européenne pour lutter contre l'emploi des travailleurs illégaux ?

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Il faut mesurer la situation absurde et scandaleuse dans laquelle nous nous trouvons. L’Union européenne propose un progrès social pour les travailleurs des plateformes, mais qui s'y oppose ? La France. Le président Macron entretient avec les plateformes une relation de grande proximité et même de complicité. Au-delà de cette corruption au sommet de l’État, c'est une certaine conception de l’emploi qui s’impose, un emploi sans droit. Depuis l’arrivée d'Emmanuel Macron à l'Élysée, les droits des salariés et leur nombre reculent pour la première fois dans notre histoire. Face à la diminution des CDI, l’auto-entrepreneuriat explose. Leur nombre a plus que doublé depuis 2017. Le message que nous voulons porter est donc le suivant : est-ce que nous sommes au service d’Uber ou au service de l'intérêt général ?

M. Frédéric Zgainski (Dem). Nous nous interrogeons sur la pertinence d’examiner cette résolution qui porte sur un accord provisoire alors qu’un nouveau trilogue aura lieu demain sur la base d’une proposition révisée. Au fond, vous nous parlez ici d'un texte qui n'existe plus et dont tous les acteurs s'entendent à dire qu'il doit évoluer.

Nous devons être prudents quant au risque de requalification massive des indépendants. La France est l'un des pays parmi les plus avancés sur le sujet de la protection des travailleurs indépendants. En effet, la jurisprudence française permet une présomption de salariat sur le fondement de trois critères cumulatifs que sont la rémunération, la prestation et le lien de subordination. De même, je dois ici citer les dernières avancées nationales relatives au dialogue social. Des accords entre plateformes et travailleurs ont été signés, fixant par exemple l'instauration d'un revenu minimum horaire garanti à 7,65 euros net par course ou la liberté du chauffeur de refuser des courses en deçà d'un montant qu'il a lui-même fixé. Tous ces accords sont la preuve de l'engagement de la France sur le sujet.

Si le groupe démocrate votera contre votre proposition de résolution européenne, nous restons convaincus que le dialogue social entre les plateformes et les travailleurs doit se poursuivre et que les conditions de travail de ces derniers doivent être améliorées au niveau européen. Nous faisons confiance à nos institutions européennes pour trouver le meilleur accord possible qui sera adopté je l’espère par une majorité d'États.

Mme Félicie Gérard (HOR). Il est nécessaire de trouver un accord au niveau européen pour les travailleurs des plateformes. Nous ne pouvons pas nous contenter d'une situation où les différences de régime juridique créent d'un pays à l’autre des injustices quant à leurs droits. Cependant, dans un secteur qui valorise la flexibilité et l'indépendance des travailleurs, la généralisation du salariat ne peut constituer une solution viable.

En France, la protection des travailleurs passe par des accords par secteurs d'activité. Des accords ont d'ailleurs d'ores et déjà été signés, notamment dans les secteurs des VTC et de la livraison, afin de fixer le cadre du dialogue social, de garantir un revenu minimum et de permettre une liberté dans le choix des courses. Nous abordons ce débat dans la double perspective suivante : renforcer la cohérence du statut des travailleurs européens des plateformes et préserver au maximum leur indépendance.

La position de la France au Conseil est parfaitement cohérente. Le seuil à partir duquel s'applique la présomption de salariat doit rester suffisamment élevé pour éviter de pénaliser les travailleurs indépendants. Le groupe Horizon et apparentés votera donc contre cette proposition de résolution européenne.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Les travailleurs des plateformes sont bien dépendants de ces dernières, tant dans leurs horaires de travail, la nature de leurs prestations que dans le prix de leurs services. Ces plateformes font appel à des algorithmes pour assigner les tâches, surveiller et évaluer les travailleurs. J’ajoute que les stéréotypes sexistes et discriminatoires véhiculés par la gestion algorithmique amplifient les inégalités entre les hommes et les femmes.

Le projet de directive vise à établir des droits minimaux pour toute personne exécutant un travail sur une plateforme, proposer une définition commune de ce type de travail, garantir le droit des États de requalifier le statut des travailleurs, affirmer le caractère précaire de ces relations de travail et admettre la possibilité de contester cette requalification via une procédure juridictionnelle. Dans ces conditions, nous apportons notre accord à cette proposition de résolution européenne.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Avant même que ne soit présentée la directive visant l'amélioration des conditions de travail pour les travailleurs des plateformes, la France a fait pression auprès de la Commission européenne. Pourquoi ? Pour qu'elle abandonne le principe de présomption de salariat pour les travailleurs. La proximité du gouvernement avec les lobbies des plateformes a été révélée par le scandale des Uber files en juillet 2022.

Quel est le résultat de ce soutien inconditionnel aux plateformes ? Les travailleurs des plateformes sont 28 millions en Europe, dont 300 000 en France. Parmi eux, près de 5,5 millions seraient considérés à tort comme des travailleurs indépendants. Leurs conditions de travail sont intolérables entre la durée du travail à rallonge, les accidents mortels liés au travail de nuit, les salaires de misère, les violences multiples de la part des clients et les absences de mission. En plus de cela, les travailleurs des plateformes n’ont pas accès au chômage et à la retraite.

Dans le même temps, les bénéfices sont records pour les employeurs, comme en témoignent les 3 millions d'euros saisis sur un compte de la plateforme Deliveroo. Malgré de nombreuses décisions de justice depuis 2016, qui vont toutes dans le sens de la reconnaissance du statut de salarié pour certains travailleurs des plateformes, le gouvernement français s'obstine à maintenir leur statut fictif de travailleur indépendant.

L'accord en trilogue européen, qui permet la reconnaissance de la présomption de salariat en revenant aux fondamentaux de ce qu'est le lien de subordination et en inversant la charge de la preuve, est nécessaire et équilibré. Refuser cet accord, c'est favoriser le délitement du sens du travail et nourrir la précarisation de l'ensemble des travailleurs. Pour toutes ces raisons, les députés communistes et ultramarins du groupe GDR soutiendront cette proposition de résolution.

Mme Joëlle Mélin (RN). Je tiens à exprimer notre ferme soutien à la proposition de résolution relative à la directive sur les travailleurs des plateformes. Cette proposition cruciale pour l'avenir du travail en Europe a été mûrement réfléchie et longuement discutée puisque les premiers travaux datent d’il y a plus de 10 ans. Dans un contexte d'évolution rapide du marché du travail numérique, nous avons décidé de soutenir ce texte pour plusieurs raisons politiques essentielles.

Tout d'abord, il respecte les souverainetés nationales en permettant aux tribunaux de chaque pays de statuer sur une requalification contractuelle. De plus, le refus de la création d’un tiers statut, entre auto-entrepreneur et salarié, qui aurait pu créer une confusion supplémentaire et empiéter sur le droit national, est une victoire significative. Cela démontre notre détermination à protéger notre législation nationale contre les innovations législatives, selon nous, inappropriées de la part de Bruxelles.

Nous souhaiterions aussi que soient abordés des sujets cruciaux comme le travail illégal, que nous voudrions voir figurer dans cette proposition de résolution et l’utilisation d’algorithmes, soulignant notre préoccupation constante pour le droit des travailleurs et la transparence dans le numérique.

En soutenant cette proposition de résolution, nous manifestons notre volonté de lutter contre l’exploitation humaine et d’assurer des conditions de travail équitables pour tous. Je suis ravie de voir autant de monde aujourd’hui et j’ose espérer que le nombre fera apparaître un vote positif pour cette proposition.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous appelons à soutenir cette proposition de résolution. Elle s’inscrit d’abord pleinement dans les travaux de notre commission, puisque dès janvier 2021, nous avions présenté avec Carole Grandjean, alors députée LaREM un rapport sur la protection sociale des travailleurs et travailleuses des plateformes numériques. Nous constations la nécessité de produire une régulation efficace du secteur du fait du déséquilibre de la relation de travail et de l’incertitude de leur statut.

Outre les effets négatifs sur la santé et le manque de protection sociale, « l’uberisation » de l’économie accroît le risque de pauvreté et d’instabilité économique. Nous avions plaidé pour l’adoption d’une directive relative au travail sur les plateformes, afin de clarifier les règles, de stabiliser le fonctionnement du secteur et de consolider le socle européen des droits sociaux.

Cette directive et le soutien que la représentation nationale y apporte, participent du processus de conquête de nouveaux droits sociaux, étape essentielle pour construire une citoyenneté sociale européenne qui offre des droits et des garanties à tous les travailleurs. Ce point est souligné par les travaux interdisciplinaires menés en Europe, notamment par le projet CEPASSOC sur la protection sociale des travailleurs.

Enfin, on ne peut déplorer le manque d’adhésion de certaines catégories de la population au projet européen et ne pas saisir l’opportunité de concrétiser la citoyenneté sociale européenne grâce à ce type de directive.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Monsieur Haddad, avoir pour seul argument la thèse complotiste ferait rire si le sujet n’était pas sérieux. Vous avez déjà utilisé cet argument dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire que vous avez présidée. Un consortium de journalistes se saisissant d’une quantité importante de données relèverait donc du complotisme ? Mais voir du complot là où il n’y en a pas, c’est cela, le complotisme.

En revanche, ce qui est vrai et nous a été confirmé par le commissaire Nicolas Schmit nous a confirmé que la France jouait un rôle déterminant dans le torpillage de cette directive. La France essaie en effet d’imposer une dérogation générale qui permettrait aux États membres organisant un dialogue social entre les travailleurs des plateformes et ces dernières de se soustraire aux obligations prévues par la directive. Le précédent ainsi créé aurait pour effet que tout progrès social instauré au niveau européen pourrait faire l’objet d’une dérogation dès lors qu’un État membre affirmerait mener un dialogue social sur le sujet.

Le projet de directive établit qu’un travailleur est considéré comme salarié s’il remplit deux critères révélateurs d’un lien de subordination sur cinq. Par exemple, si le travailleur ne fixe pas lui-même ses tarifs, c’est qu’il n’est pas indépendant. Mais pour la France, si un accord sur un tarif minimum a été passé dans le secteur concerné entre les plateformes et les représentations des travailleurs, alors le critère du tarif ne peut pas être invoqué. Avec la dérogation française, il serait encore plus difficile pour un travailleur de faire reconnaître son lien de subordination et d’obtenir sa requalification. La position française est alignée sur les plateformes et « roule » pour Uber. L’exécutif français ne s’oppose pas aux accords de libre-échange de la même façon qu’il se range du côté des plateformes et s’oppose au progrès social. Par conséquent, qui, ici, est dogmatique ? C’est vous qui incarnez le dogmatisme de l’ultralibéralisme.

Un autre de vos arguments est intéressant : celui de la préservation des vrais indépendants. Je suis cette fois d’accord avec vous, mais le meilleur moyen de les protéger est de requalifier les faux indépendants en salariés, de ne pas appeler faussement « indépendants » ceux qui sont en réalité dans un rapport de subordination et qui organisent ainsi une concurrence déloyale vis-à-vis des vrais indépendants.

J’ai parlé du nombre de petites entreprises et d’artisans subissant actuellement une concurrence déloyale de la part de ces plateformes. Selon la directive dans son état du 13 décembre, c’est à ces dernières de démontrer qu’elles ont affaire à de vrais indépendants.

J’entends également dire qu’il n’y a pas lieu aujourd’hui de voter car il n’y aurait pas encore d’accord signé. Mais c’est « le serpent qui se mord la queue ». En réalité, il y a un accord provisoire - et votre députée européenne Mme Sylvie Brunet s’en est félicitée - mais les négociations qui doivent reprendre demain ne reprendront pas sur la base de cet accord, sauf si nous prenons ici nos responsabilités en votant pour cette proposition de résolution et en faisant pression pour que l’exécutif français, non seulement respecte la représentation nationale, mais respecte la représentation européenne. Sans cela, la France imposera sa ligne et sa dérogation générale, dont nous n’avons jamais discuté à l’Assemblée nationale et qui n’a jamais été débattue par le Parlement européen.

Les collègues du Rassemblement national m’ont également opposé les mesures européennes envisagées sur les travailleurs illégaux, mais ne nous trompons pas de débat : nous parlons ici des travailleurs des plateformes. Dès lors que le statut de travailleurs salarié est reconnu, cette question se pose dans le cadre du salariat et la circulaire Valls s’applique en matière de régularisation. Mais la situation n’est pas la même dans chaque pays.

Je souhaite remercier mes collègues des groupes, GDR, écologistes et socialistes pour leurs interventions. Nous partageons cette volonté de participer à l’histoire de l’Europe sociale.

Pour les collègues du groupe Démocrate, attention à ce que votre vote ne défasse pas ce qu’ont fait vos collègues au niveau européen ! C’est la première fois, non seulement que l’Union européenne peut porter un tel progrès social, mais aussi que nous pouvons être fiers de l’œuvre accomplie collectivement. Voter contre cette résolution, c’est voter contre le travail accompli par Mme Brunet. Il est essentiel de soutenir cet accord et que ce travail puisse se poursuivre dans l’hémicycle.

Amendement n° 1 de Mme Joëlle Mélin

Mme Joëlle Mélin (RN). Si les plateformes de livraison de repas contrôlaient la régularité des livreurs, ils auraient 80 % de coursiers en moins. Ce n’est pas nous qui le disons, mais Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes.

L'angle mort de la directive concerne les travailleurs illégaux. À Bruxelles, une enquête judiciaire a permis d'établir que 55 % des coursiers contrôlés n'avaient pas de papiers. Malgré ce scandale révélé par les Uber files, les plateformes ont fermé les yeux.

La France s’en était emparée et plusieurs pistes avaient été mises sur la table pour lutter contre les fraudes et la sous-location de comptes, ce que l’on retrouvait en partie dans le Plan national de lutte contre le travail illégal (2023-2027). Il faut dire qu'au niveau européen, cette question a été balayée.

Vous avez dit, Madame la rapporteure, que nous avions en France la circulaire Valls. Or, sauf erreur de ma part, ni la loi Hortefeux de 2007, ni la circulaire Valls de 2012 ne tiennent compte des autoentrepreneurs.

Il s'agit donc d'un sujet politique essentiel qui ne figure pas dans votre proposition. Nous demandons à tous nos collègues de bien vouloir l’y inclure.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Je donnerai un avis défavorable à cet amendement pour les raisons suivantes.

D’abord, la sous-location frauduleuse des comptes est en réalité assez marginale, puisqu’elle concernerait 2 500 cas sur 60 000 livreurs Uber actifs, pour prendre cet exemple.

Il y a un vrai problème concernant la révision de la circulaire Valls de 2012, qui ne prend pas en compte les travailleurs indépendants. Or, l’effet de la directive, par la requalification en salariat du statut des livreurs en situation de subordination – vis-à-vis de l’application et de son algorithme – est justement de les faire rentrer dans le cadre de la circulaire Valls.

L’amendement est rejeté.

Amendement n° 2 de Mme Joëlle Mélin

Mme Joëlle Mélin (RN). Il s’agit d’un amendement de précision qui vise à ajouter après l'alinéa 21 l'alinéa suivant : « Considérant que de nombreux États européens réagissent, et que la justice donne raison à de nombreux travailleurs des plateformes dont le statut d'autoentrepreneur ne correspond pas à la réalité, que le lien de subordination est progressivement reconnu, imposant de fait aux plateformes une requalification progressive des contrats ». Cette réalité juridique qui concerne beaucoup de pays devrait, selon nous, en devenir également une dans cette directive.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Sur le fond, je dirais qu’un nombre croissant d’États plaident pour une réglementation européenne dont la France cherche à diluer les effets. Votre amendement est cependant satisfait par l’alinéa 22 de la proposition de résolution, avec la référence à l’accord issu du trilogue, qui était équilibré, ainsi que par la référence à la jurisprudence aux alinéas 12, 13, 19 et 20

L’amendement est retiré.

Amendement n° 3 de Mme Constance Le Grip

Mme Constance Le Grip (RE). Par cet amendement, nous souhaitons supprimer l’alinéa 22 de la proposition de résolution européenne portée par le groupe LFI. En effet, l’accord provisoire auxquels les colégislateurs étaient parvenus sous présidence espagnole en décembre 2023 a été remis en cause. Le 22 décembre, la présidence espagnole a officiellement constaté que la majorité requise concernant cet accord provisoire entre les représentants permanents des États membres n’avait pas pu être atteinte. La présidence belge a repris les négociations avec les représentants du Parlement européen afin de parvenir à un nouvel accord sur la forme définitive de la directive. Il ne saurait être question d’inviter le gouvernement français à soutenir un accord qui est loin d’être abouti, et n’existe donc pas encore formellement.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Je donnerai un avis défavorable à cet amendement visant à vider la proposition de résolution européenne de son contenu. Comme nous l’a rappelé le Commissaire européen à l'emploi et aux droits sociaux, M. Nicolas Schmit lors de son audition, le texte issu du trilogue du 13 décembre est un compromis équilibré entre les positions du Conseil et du Parlement européen, lequel avait consenti à de nombreuses concessions. Cet accord provisoire du 13 décembre a été rompu, principalement par le gouvernement français entraînant avec lui, la Bulgarie, la République tchèque, la Grèce, la Hongrie. L'Irlande, l'Italie et les pays baltes. Ce, sur la ligne de défense des lobbies d’Uber.

Le Commissaire européen, inquiet lors de son audition, affirmait « nous nous heurtons à des demandes inacceptables pour le Parlement européen et la Commission, telle que la demande de dérogation générale soutenue par la France. […] Il serait particulièrement grave qu'un accord collectif, dont la représentativité est discutable, puisse déroger à des règles européennes ». Seules les grandes plateformes sont gagnantes avec la dernière version du texte. Nous invitons donc le gouvernement à revenir sur un texte qui serait plus protecteur pour les travailleurs des plateformes.

Par ailleurs, en supprimant l’alinéa 22, vous supprimez le contenu de la résolution. Une réécriture aurait pu être proposée afin qu’un débat ait lieu dans l'hémicycle de l’Assemblée nationale. Nous aimerions, de manière transparente, que l'exécutif partage ses positions. Nous connaissons les attentes des différents groupes au Parlement européen – dont le groupe Renew, qui ont su converger. L’exécutif peut-il indiquer devant l'ensemble de la représentation nationale s’il défend les intérêts d'Uber ou l'intérêt général ?

Je donne un avis défavorable à cet amendement, qui vise d’une part à s’opposer à l'accord du 13 décembre, et d’autre part, à empêcher notre représentation nationale d'avoir un débat en toute transparence sur nos attentes concernant la directive européenne.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Notre commission a été saisie à plusieurs reprises de propositions de résolutions européennes ou de rapports dont les recommandations ou les propositions étaient préalables aux décisions du Parlement européen ou du Conseil et pour lesquelles elle exprimait un soutien ou une demande vis-à-vis de l'exécutif. Les avis sur la réforme budgétaire de l’Union européenne, sur les instruments du marché unique ou sur la zone euro ont été rendus avant ou pendant des négociations. Je ne vois pas d'inconvénient à soutenir cette proposition de résolution européenne. Il est important d'afficher une volonté collective.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). L’Europe propose un progrès sur la question des travailleurs des plateformes. Cependant, le Président de la République et les députés de la majorité enlisent le débat et alimentent le dégoût de l’Europe, qui va être présentée comme responsable. Aujourd’hui, c'est la faute de la France, du Président de la République. Ce n’est pas première fois que la France bloque des progrès sociaux. Le congé parental, projet sur lequel le Parlement européen et la Commission européenne avaient fait part de leur volonté d'avancer ensemble, en est un exemple. La France a également fait partie des États ayant freiné le processus en cours sur la taxe sur les transactions financières. Est-on au service d’Uber comme le laissent penser les documents parus sur les liens entre Emmanuel Macron et la République en marche et les lobbyistes d'Uber ? S’agit-il de soutenir les parlementaires européens qui, ensemble, ont pensé ce progrès ou l’objectif est-il de soutenir, par servilité, un Président de la République isolé sur le sujet ?

M. André Chassaigne (GDR - NUPES). L’exposé des motifs de cet amendement impliquerait que nous ne puissions plus introduire de propositions de résolution européenne au sein de cette commission des affaires européennes. L’objectif d’une proposition de résolution est de donner l'avis de l'Assemblée nationale sur une discussion ayant lieu au Parlement européen, au Conseil ou à la Commission européenne. Or, cet amendement vise à supprimer l’objet même de la résolution en indiquant qu’il faudrait une autre base de travail que l’accord du trilogue. Suivant la logique de l’amendement proposé, le pouvoir législatif ne pourrait plus s'exprimer sur des politiques qui sont définies au niveau de l'Union européenne.

Mme Joëlle Mélin (RN). Nous sommes opposés à cet amendement qui met à mal notre souveraineté. Depuis dix ans, l’Union européenne travaille à trouver une solution à ce phénomène problématique qui doit être régulé.

Mme Constance Le Grip (RE). Comme l'a dit Benjamin Haddad, notre pays est engagé à travers ses représentants au sein du Conseil de l'Union européenne à trouver un texte qui serait le fruit d’un compromis. Nous défendrons l’accord trouvé en trilogue.

L’amendement est rejeté.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. J’en reviens donc à la mise aux voix de l’article unique de la proposition de résolution européenne.

La proposition de résolution européenne est rejetée.

 

 

 

 


 

   proposition de résolution européenne initiale

Article unique

 

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment son article 153,

Vu la résolution du Parlement européen 2019/2186 (INI) de Mme Sylvie Brunet, fait au nom de la commission emploi et affaires sociales, intitulée » Des conditions de travail, des droits et une protection sociale justes pour les travailleurs des plateformes - nouvelles formes d’emploi liées au développement numérique », adoptée le 16 septembre 2021,

Vu l’accord trouvé en trilogue le 13 décembre 2023 concernant la directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (2021/0414),

Vu le rapport de M. Jean‑Yves Frouini, avec le concours de M. Jean‑Baptiste Barfety, intitulé « Réguler les plateformes numériques de travail », remis à M. le Premier ministre Jean Castex le 1er décembre 2020,

Vu le rapport d’information du Sénat n° 867 (2020‑2021) de M. Pascal Savoldelli, fait au nom de la mission d’information ubérisation, intitulé « Plateformisation du travail : agir contre la dépendance économique et sociale », déposé le 29 septembre 2021,

Vu le rapport d’information de l’Assemblée nationale n° 1182 (2022‑2023), de Mmes Maud Gatel et Anaïs Sabatini, fait au nom de la commission des affaires économiques, intitulé « Quick commerce », déposé le 3 mai 2023,

Vu le rapport de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber files, l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences, de Mme Danielle Simonnet, adopté le 11 juillet 2023,


Vu le vote du Parlement européen du 2 février 2023 en faveur de la décision d’engager des négociations interinstitutionnelles sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (2021/0414),

Vu les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation sur le pourvoi n° 17‑20.079 du 28 novembre 2018 (Take Eat Easy) et n° 19‑13.316 du 4 mars 2020 (Uber),

Vu le jugement du conseil des prud’hommes de Lyon du 20 janvier 2023 condamnant la société Uber à requalifier les contrats de partenariats de 139 chauffeurs en contrats de travail et à leur verser 17 millions d’euros,

Constatant l’expansion continue de l’ubérisation à d’autres secteurs d’activités que celui de la mobilité et de la livraison de repas, ;

Constatant les pratiques illégales des plateformes numériques d’emploi (fraudes aux cotisations sociales, aux réglementations sectorielles, fraudes fiscales, etc.) et à l’organisation à grande échelle du travail dissimulé par celles‑ci ;

Constatant le manque à gagner pour les caisses de la Sécurité sociale et de l’État que ce phénomène produit ;

Considérant que le statut d’auto‑entrepreneur ne permet pas de protéger les travailleurs des plateformes, ni de leur accorder une rémunération décente ainsi qu’une protection sociale ;

Constatant les mobilisations successives des travailleurs des plateformes dénonçant leurs conditions de travail et leur exploitation par les plateformes, et soutenant une réponse communautaire en faveur de l’amélioration de leurs droits sociaux ;

Constatant un nombre croissant d’actions en justice intentée par des travailleurs de plateformes pour obtenir leur requalification en salariés et faire valoir leurs droits en France et dans de nombreux pays ;

Constatant la construction d’une jurisprudence de plus en plus cohérente et convergente vers la reconnaissance d’un lien de subordination entre les travailleurs et les plateformes pour lesquels ils opèrent et leur requalification en salariés ;

Considérant l’évolution du cadre législatif espagnol supprimant la présomption d’indépendance et son remplacement par une présomption de salariat ;

Invite le Gouvernement de la République française à soutenir l’accord trouvé par le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne lors de la réunion de trilogue du 13 décembre 2023 sur la directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (2021/0414).

 

 

 

 

 


 

   amendements examinés par la commission

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

7 février 2024


Proposition de résolution européenne visant à soutenir l’accord trouve en trilogie le 13 décembre 2023 concernant la directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (2021/0414) (n° 2075)

 

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

Joëlle Mélin

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 21, insérer l’alinéa suivant : « Considérant que certaines plateformes profitent d’une main d’œuvre à bas coût, laissant même l’utilisation de nombreux comptes à des personnes en situation irrégulière sur le territoire, provoquant un dumping social et une concurrence déloyale à l’égard d’autres entreprises »

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

« Si les plateformes de livraison de repas contrôlaient la régularité des livreurs,

elles auraient 80 % de coursiers en moins ! »

Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes.

 

L’angle mort de la directive concerne les travailleurs illégaux. À Bruxelles, une enquête judiciaire a permis d’établir que 55 % des coursiers contrôlés n’avaient pas de papier. Il n’apparait pas dans le texte malgré notre demande. En effet, ce point et ces inquiétudes faisaient partie de notre argumentaire.

Non seulement Uber jetait le flou sur notre Code du Travail, laissant planer le flou sur la classification hasardeuse des travailleurs qui étaient embauchés, mais on se retrouve aussi face à un phénomène de comptes prêtés à des sans-papier. Le scandale a éclaté à l’époque, et les conclusions étaient relativement claires : les plateformes ont fermé les yeux de manière assez évidente.

En France aussi, le retentissement face à l’ampleur de la fraude est tel que des gages furent donnés afin de limiter ces pratiques problématiques. Il y a plus d’un an, on apprenait que plusieurs pistes ont été mises sur la table pour lutter contre les fraudes et la sous-location de comptes

On retrouve effectivement dans le Plan national de lutte contre le travail illégal (2023-2027)[10] les mesures que l’État compte mettre en place pour lutter contre ces dérives. Il faut dire qu’au niveau européen, cette question a été balayée.

 

Ce qui est intéressant, c’est que les livreurs sans-papiers continuent à pédaler dans l’angle mort de la Loi immigration. Ils sont entièrement occultés du volet dédié à la régularisation par le travail. « Le seul mécanisme de régularisation par le travail est celui qui vient de la loi Hortefeux en 2007 puis de la circulaire Valls en 2012, qui ne prévoyaient évidemment pas le cas des autoentrepreneurs » (Source : 20 minutes)

Pour prétendre à une régularisation, il faut donc justifier d’un travail salarié et la loi immigration réclamerait huit fiches de paie. Or les livreurs, indépendants, sont payés en facture.

 

Il s’agit donc d’un sujet politique essentiel qui ne figure pas dans la proposition de la LFI sur les plateformes. Il faut toutefois s’attendre à ce que le sujet arrive.

 

C’est la double peine car l’ouverture d’une voie supplémentaire pour la régularisation des sans-papiers actifs sans l’économie des plateformes serait un vrai problème. Or, une description honnête du milieu ne faire l’impasse sur ce problème majeur.

 

 

 

 

 

Cet amendement a été rejeté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

7 février 2024


Proposition de résolution européenne visant à soutenir l’accord trouve en trilogie le 13 décembre 2023 concernant la directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (2021/0414) (n° 2075)

 

 

AMENDEMENT

No 2

 

présenté par

Joëlle Mélin

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 21, insérer l’alinéa suivant : « Considérant que de nombreux États européens réagissent, et que la justice donne raison à de nombreux travailleurs des plateformes dont le statut d’autoentrepreneur ne correspond pas à la réalité, que le lien de subordination est progressivement reconnu, imposant de fait aux plateformes une requalification progressive des contrats ;

EXPOSÉ SOMMAIRE

Il s’agit avec cet amendement de souligner que cette directive vient en réalité encadrer une pratique juridique de plus en plus répandue en Europe.

 

 

 

 

 

Cet amendement a été rejeté.

 


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

7 février 2024


Proposition de résolution européenne visant à soutenir l’accord trouve en trilogie le 13 décembre 2023 concernant la directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (2021/0414) (n° 2075)

 

 

AMENDEMENT

No 3

 

présenté par

Constance LE GRIP

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ARTICLE UNIQUE

 

Supprimer l’alinéa 22.

EXPOSÉ SOMMAIRE

Si, le 13 décembre 2023, sous présidence espagnole, réunies en trilogue, les équipes de négociation du Parlement, de la Commission et du Conseil, étaient parvenues à un accord sur la proposition de directive visant à améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes, cet accord n’est que provisoire et a été depuis remis en cause.

En effet, le 22 décembre 2023, la Présidence espagnole a officiellement constaté que la majorité requise concernant cet accord provisoire entre les représentants permanents des États membres (Coreper) n’avait pu être atteinte. La Présidence belge reprend donc les négociations avec les représentants du Parlement européen afin de parvenir à un nouvel accord sur la forme définitive de la directive.

Ce n’est qu’à l’issue de ces nouvelles négociations et de la conclusion d’un nouvel accord politique en trilogue, que pourront être soumis aux votes du Parlement européen, d’abord en commission parlementaire puis en séance publique, les termes d’un accord sur la proposition de directive.

Il ne saurait donc être question d’inviter le Gouvernement français à soutenir un accord qui est loin d’être abouti, et n’existe donc pas encore formellement.

 

 

Cet amendement a été rejeté.

 

 


 

   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par lA rapporteurE

 

 

 

 

 


(1) Sophie Bernard, « UberUsés », Presses universitaires de France, mai 2023.

([2])  Rapport n° 1521 du 11 juillet 2023, fait au nom de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber files : l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences, Président M. Benjamin Haddad, rapporteure, Mme Danielle Simonnet.

([3])  Rapport n° 1521 du 11 juillet 2023, fait au nom de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber files : l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences, Président M. Benjamin Haddad, rapporteure, Mme Danielle Simonnet.

([4])  Annexe VIII : Notes du secrétariat général des affaires européennes, note interne intitulée « Travailleurs des plateformes », présidence suédoise, janvier 2023 (pièce n° 66).

([5])  « Travailleurs des plateformes : comment la France a fait pression contre la proposition de la Commission européenne », Euractif.fr, 20 septembre 2022.

([6])  Jean-Yves Frouin, avec le concours de Jean-Baptiste Barfety, Réguler les plateformes numériques de travail, rapport au Premier ministre, 1er décembre 2020.

([7])  Rapport n° 1521 du 11 juillet 2023, fait au nom de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber files : l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences, Président M. benjamin Haddad, rapporteure, Mme Danielle Simonnet.

([8])  Ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation.

([9])  Ordonnance n° 2022-492 du 6 avril 2022 renforçant l’autonomie des travailleurs indépendants des plateformes de mobilité, portant organisation du dialogue social de secteur et complétant les missions de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi.

[10] Ministère du travail, Plan national de lutte contre le travail illégal (2023-2027) - https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/pnlti_23_27.pdf  (Consulté le 2 février 2024)