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N° 2214

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 février 2024.

 

 

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à lutter contre les pénuries de médicaments,

 

 

Par Mme Valérie RABAULT,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 2062.

 

 

 


—  1  —

SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

I. lA pÉnurie de mÉdicaments est Un phÉnomÈne mondial À l’importance croissante

1. La pénurie de médicaments est un phénomène mondial difficile à évaluer

2. En France, la pénurie de médicaments s’est fortement aggravée

II. le phÉnomÈne de pÉnurie rÉsulte d’une combinaison de facteurs

1. La capacité industrielle insuffisante et la vulnérabilité des chaînes de production ne permettent pas de couvrir toute la demande mondiale

2. Les règles de détermination du prix des médicaments entraînent une polarisation du marché et une éviction des médicaments matures.

a. L’accès au marché et la détermination du prix facial de vente

b. La détermination du prix des médicaments innovants

c. La relation discutée entre prix et pénurie

III. À partir de 2016, les pouvoirs publics ont dÉployÉ des premiÈres actions face aux pÉnuries, sans toutefois parvenir À enrayer leur aggravation

1. Un renforcement inachevé du cadre légal et réglementaire, qui reste inégalement appliqué

a. Les exploitants et distributeurs sont soumis à de nouvelles obligations depuis le début des années 2010

b. Des obligations inégalement mises en œuvre et obérées par les limites de l’anticipation des risques de pénurie par les entreprises et les pouvoirs publics

2. La lutte contre les causes structurelles des pénuries reste insuffisante

IV. L’augmentation des stocks de sÉcuritÉ et le renforcement des pouvoirs de sanction de l’ANSM : deux leviers dans le cadre d’une action globale contre les pÉnuries

1. L’augmentation des stocks de sécurité : une réponse à la fragilité des chaînes d’approvisionnement et aux défaillances constatées dans l’anticipation des besoins

2. Accroître le montant des sanctions financières : un ajustement nécessaire à la gravité des manquements et à la réalité économique du secteur pharmaceutique

Commentaire des articles

Article 1er Augmenter le niveau des stocks de sécurité obligatoires destinés au marché national

Article 1er bis (nouveau) Rapport du Gouvernement au Parlement portant sur la création d’une liste restrictive de molécules pour lesquelles les obligations de stockage seraient renforcées

Article 1er ter (nouveau) Rapport du Gouvernement au Parlement sur la création d’une plateforme unique pour le suivi des stocks de médicaments

Article 2 Renforcer les sanctions financières que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut prononcer en cas de manquement des exploitants à leurs obligations

Article 3 (nouveau) Interdiction de la publicité pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur en cas de risque de rupture ou de rupture de stock

Travaux de la commission

ANNEXE  1 : Liste des personnes entendues par la rapporteure

ANNEXE  2 : Contributions écrites

Annexe n° 3 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la Proposition de loi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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   Avant-propos

Cette proposition de loi est le premier texte consacré spécifiquement à lutter contre les pénuries de médicaments qui est examiné par l’Assemblée nationale, hors projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Pour beaucoup de nos concitoyens, les pénuries de médicament ressemblent à une crise sans fin. Selon France Assos Santé, 37% des Français ont été confrontés à une pénurie de médicaments en pharmacie en 2023, contre 25 % l’année précédente. Le nombre de ruptures et de risques de rupture de stock déclarés à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a été multiplié par dix en 10 ans : 4925 déclarations en 2023 contre 404 déclarations en 2013. Pour la seule année 2023, on observe une hausse de plus de 30% du nombre de médicaments en rupture (3721 en 2022, 4925 en 2023). Pour les patients, cette situation se transforme en angoisse de ne pas trouver le traitement prescrit parfois vital ou en « perte de chance » faute de ne pouvoir bénéficier d’un traitement complet comme ce fut le cas par exemple pour le cancer de la vessie. Pour les pharmacies de ville ou dans les établissements de santé, cette situation se traduit par la recherche de solutions alternatives qui entraîne une charge supplémentaire de travail importante (estimée à 10 heures par semaine et par pharmacien). Quant aux médecins, ils déplorent le manque d’information, ce qui les amène à prescrire des médicaments dont ils ignorent qu’ils sont en rupture. 

L’ampleur des pénuries de médicament est telle parce qu’elle résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : une hausse de la demande mondiale en médicaments sans que les capacités de production aient augmenté à due proportion ; une chaîne de production fragilisée par sa fragmentation ; des prix que certains industriels jugent trop bas sur les médicaments matures qui représentent la quasi-totalité des ruptures au point qu’ils envisagent de ne plus assurer leur production ; une connaissance des stocks insuffisante pour assurer un pilotage agile et efficace.

Cette proposition de loi se concentre sur la question des stocks de médicaments pour en sécuriser l’approvisionnement. Son objectif est de privilégier les actions qui peuvent avoir un effet positif à court et moyen termes. En effet, le droit actuel prévoit une obligation de stock allant d’une semaine pour les médicaments du quotidien comme le paracétamol, à 2 mois pour les médicaments essentiels, c’est-à-dire ceux pour lesquels une pénurie induit un risque vital pour le patient. Clairement, dans bien des situations, cette durée ne laisse pas le temps de « se retourner », en cas de difficulté de production, comme l’ont indiqué la plupart des acteurs. C’est pourquoi, nous proposons d’augmenter la durée obligatoire des stocks des industriels, notamment pour les médicaments les plus essentiels. En parallèle, le texte vise à permettre à l’ANSM de devenir une véritable « tour de contrôle » avec une meilleure connaissance des stocks de médicaments chez les industriels, les grossistes-répartiteurs et les officines, avec un pouvoir renforcé pour permettre le déstockage si nécessaire et un stockage renforcé en cas d’information en amont de difficultés à venir sur la production d’un médicament donné.

Bien entendu, endiguer totalement les pénuries de médicament supposera des actions de moyen et long terme qui porteront sur la sécurisation de la chaîne de production, par exemple en adoptant une stratégie de production européenne – éventuellement via un pôle public – qui permette de couvrir tous les besoins en médicaments matures qui sont ceux qui concentrent la plupart des pénuries; en abordant la question du prix des médicaments matures ; en rediscutant la clause de sauvegarde (1,6 milliard € prélevés en 2023) qui depuis 2019 s’applique aussi aux médicaments génériques au point que certains industriels veulent en abandonner la production. Ces actions pourraient utilement être inscrites dans un prochain texte de loi.

Le préambule de la Constitution de 1946 dispose que la Nation garantit à toutes et tous la protection de la santé. Clairement les pénuries actuelles de médicaments entravent l’effectivité de ce droit. Cette proposition de loi marque une première étape pour rendre effectif le droit à la protection de la santé.

I.    lA pÉnurie de mÉdicaments est Un phÉnomÈne mondial À l’importance croissante

1.   La pénurie de médicaments est un phénomène mondial difficile à évaluer

Dès 2016, l’Organisation mondiale de la santé a adopté une résolution tendant à « lutter contre la pénurie mondiale de médicaments et de vaccins » ([1]), reconnaissant ainsi l’ampleur globale et la portée du phénomène de pénurie.

Plus récemment, la dernière enquête annuelle du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE), réalisée fin 2023, révèle que tous les répondants ont enregistré des pénuries au cours de l’année écoulée et 65 % estiment que la situation s’est aggravée par rapport à l’année précédente.

La pénurie de médicaments est également une source de préoccupation majeure aux États-Unis puisque, selon une étude internationale parue en 2019 dans la revue Decision Sciences, 56 % des hôpitaux américains avaient indiqué avoir adapté des protocoles de prise en charge, et près de 37 % avoir reprogrammé ou reporté des soins aux patients en raison de tensions d’approvisionnement.

Les comparaisons internationales ne permettent pas d’établir précisément la prévalence de la pénurie par pays, par molécule ou présentation ([2]). La pénurie de médicaments est une notion plurielle recouvrant des situations allant de la rupture d’approvisionnement, ou l’incapacité pour une pharmacie de se procurer un médicament dans un délai donné après avoir mis en œuvre certaines démarches auprès de différents fournisseurs, jusqu’à la rupture de stock ou l’impossibilité pour le fabricant ou l’exploitant de fabriquer ou d’exploiter un médicament entraînant nécessairement une rupture d’approvisionnement si aucune alternative thérapeutique n’est disponible.

En l’absence de définition internationale des notions de rupture d’approvisionnement et de rupture de stock, les méthodes de recueil de données sur la pénurie divergent, renseignant tantôt la molécule, tantôt la présentation et ne retiennent pas les mêmes critères quant au délai de réassort ou à l’existence d’alternatives thérapeutiques, empêchant une comparaison fiable. Par ailleurs, la comparaison internationale par molécule en tension se heurte aux différences dans les habitudes de prescription pour une même pathologie selon les pays, faussant ainsi les données d’un recueil global par molécule.

2.   En France, la pénurie de médicaments s’est fortement aggravée

● La pénurie de médicaments est en hausse constante en France depuis une dizaine d’années. En 2023, plus de 4 925 médicaments ont été signalés en tension ou en rupture d’approvisionnement auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à rapporter aux 700 signalements en 2018 et moins de 200 en 2012. Les classes thérapeutiques les plus touchées concernent le système cardiovasculaire (28 %), le système nerveux (21 %) et les anti-infectieux (14 %), mais aussi les traitements anti-cancéreux. Il n’y a pas de corrélation directe avec les parts de marché associées ou les baisses de prix éventuellement pratiquées sur ces médicaments. Les médicaments les plus anciens dits « médicaments matures » sont les plus touchés puisque 70 % des déclarations de rupture concernent des médicaments dont l’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été octroyée il y a plus de dix ans. En 2023, 37 % des Français déclaraient avoir été confrontés à des pénuries de médicaments. L’ANSM ne parvient pas à identifier de cause précise de la rupture d’approvisionnement pour 30 % des ruptures. Les trois principaux motifs de rupture documentés par l’Agence sont l’insuffisance de la capacité de production pour 27 %, l’augmentation du volume de vente pour 20 % et les défauts d’approvisionnement en matière première pour 8 % d’entre elles ([3]).

Nombre de déclarations de ruptures de stock et de risques de rupture de stock (2014-2022)

Source : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Ces pénuries restreignent l’accès aux médicaments des patients, induisent des retards de prise en charge et des pertes de chances. France Assos Santé indique qu’une étude portant sur plus de 400 personnes soignées pour un cancer de la vessie entre 2011 et 2016 à l’hôpital Édouard Herriot de Lyon a établi une recrudescence de la récidive en cas de pénurie, associée à une augmentation de la mortalité à cinq ans. Elles induisent également une charge de gestion importante pour les professionnels du secteur dans la recherche de solutions alternatives, cette charge supplémentaire est estimée à près de 10 heures par semaine et par pharmacien selon le Conseil national de l’ordre des pharmaciens.

● Sans être atypique, la situation de la France au regard de la pénurie de médicaments présente certaines spécificités.

La France est un pays culturellement très consommateur de médicaments, malgré une diminution ces dernières années, ce qui engendre une plus grande exposition des patients français aux ruptures d’approvisionnement. Historiquement très élevée, la consommation de médicaments par habitant a néanmoins baissé de 16 % en France entre 2004 et 2019, alors qu’elle a augmenté de 27 % sur la période en Allemagne. La France reste la première consommatrice d’antibiotiques oraux en Europe, en dépit d’une baisse de la consommation de 10 % depuis 2014 ([4]). Un tiers des Français aurait déjà donné des antibiotiques à un proche pour un traitement hors prescription, et 62 % des 18-34 ans consommeraient des antibiotiques sans prescription ([5]).

● Malgré les pénuries, la dépense de médicaments est en constante hausse en France. La consommation de médicaments onéreux représente une part croissante de la consommation globale, exerçant une pression inflationniste sur la dépense totale de médicaments. Les dépenses de médicaments remboursés augmentent d’année en année, atteignant 32,1 milliards d’euros en 2022, dont 23,2 milliards d’euros correspondant aux médicaments du circuit de ville, soit environ 10 % de hausse en un an. À l’hôpital, hors liste en sus ([6]), les dépenses de médicament sont en hausse de 9 % pour un montant de 8,9 milliards d’euros ([7]). Le marché français représente environ 2,8 % du marché mondial, ce qui est proportionnel à la part de la France dans le produit intérieur brut mondial. La France est un acteur majeur du secteur pharmaceutique au sein de l’union européenne où elle occupe la troisième place des pays producteurs après l’Allemagne et l’Italie, ainsi que pour la recherche et développement après l’Allemagne et la Belgique. Elle est le deuxième pays européen par le nombre d’emplois dans le secteur et la consommation de produits ([8]).

La France est également l’un des pays au monde où le reste à charge des ménages en santé est le plus faible. En 2021, le reste à charge des ménages par rapport à la dépense courante de santé au sens international (DCSi) s’élève à 8,7 %, soit le taux le plus faible au sein des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

● Compte tenu du poids des médicaments dans la dépense publique, plusieurs outils de régulation sont utilisés en France, à la fois dans le but de maîtriser l’évolution de la dépense publique de médicaments, de sécuriser les approvisionnements mais aussi soutenir l’innovation.

La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) détermine une fois par an les conditions nécessaires à l’équilibre financier de la sécurité sociale et détermine chaque année depuis 1996 l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), qui permet notamment de piloter les dépenses de médicament, bien qu’il ne s’agisse pas d’une enveloppe fermée. La clause de sauvegarde du médicament s’ajoute à ce premier outil de régulation. Elle a été créée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 ([9]) pour assurer la régulation des dépenses d’assurance maladie consacrées aux médicaments. Son mécanisme repose sur la fixation annuelle d’un montant – dit « montant M » – censé représenter le chiffre d’affaires global hors taxes dégagé par les entreprises pharmaceutiques sur les médicaments remboursables compatibles avec le respect de l’Ondam. Enfin, depuis plusieurs années les lois de financement de la sécurité sociale contiennent des mesures visant à éviter la surconsommation de médicaments (on parle de « maîtrise médicalisée ») qui permettent de limiter l’inflation du volume de médicaments consommés. À ces actions de maîtrise des volumes, s’ajoutent des outils de régulation des prix à la main du Comité économique des produits de santé (Ceps) qui peut d’une part négocier ou imposer la baisse du prix facial de vente d’un médicament sur le marché et d’autre part négocier des remises conventionnelles que l’exploitant est tenu de verser à l’assurance maladie sur le chiffre d’affaires réalisé par la commercialisation de son produit.

Dans un contexte de maîtrise budgétaire de la dépense de médicaments, la dynamique de forte rentabilité des produits innovants se construit aujourd’hui au détriment du prix de vente des produits matures.

« Les produits du répertoire, où l’on trouve les médicaments génériques aux plus faibles marges, sont les plus exposés aux pénuries. L’inclusion de ces produits dans le champ de la clause de sauvegarde est une part importante du problème. » (audition du Ceps)

II.   le phÉnomÈne de pÉnurie rÉsulte d’une combinaison de facteurs

Les causes structurelles avancées pour expliquer l’importance croissante des ruptures sont diverses mais sont principalement liées à deux facteurs : une capacité industrielle insuffisante et fragmentée d’une part, et d’autre part, une éviction progressive des médicaments matures du marché en raison de règles de détermination du prix qui induisent une forte rentabilité des produits innovants, au détriment des produits matures.

1.   La capacité industrielle insuffisante et la vulnérabilité des chaînes de production ne permettent pas de couvrir toute la demande mondiale

La capacité industrielle de production est insuffisante pour couvrir la demande mondiale. La demande mondiale de médicaments dépasse aujourd’hui les capacités de production. Cette tendance est portée par la croissance de la population mondiale et par la mise en place et le renforcement des systèmes de protection sociale nationaux. La consommation mondiale de médicaments a ainsi connu une hausse de 36 % entre 2012 et 2020.

Le marché du médicament est aujourd’hui financiarisé et la production industrielle fragmentée. La financiarisation du secteur a émergé au tournant des années 1990 sous l’effet conjugué de la multiplication des dépôts de brevets sur les médicaments ([10]), de l’entrée des médicaments comme bien de consommation dans l’économie de marché issue des accords de libre-échange européens et internationaux. Ce tournant a également entraîné une mutation du secteur de la production de médicaments d’un modèle de production local par les pharmacies d’officine, vers une production industrielle par les entreprises de l’industrie chimique. Les entreprises du secteur pharmaceutique ont été conduites à développer des stratégies tournées vers l’optimisation de leur gain marginal, à l’origine de modèles de productions en flux tendu limitant les stocks, ainsi qu’une fragmentation des chaînes de valeur traduites dans des délocalisations de sites de production. Ces choix impliquent en contrepartie une plus forte exposition du processus industriel aux aléas et accidents et à des arrêts de production, en particulier pour les produits matures. Cette vulnérabilité de la chaîne de production est aggravée par une concentration des unités de production sur un faible nombre de sites, afin de réaliser des économies d’échelle, notamment pour la matière première.

Une part croissante de la production, française de médicaments est destinée au marché international, ce qui constitue un autre facteur aggravant. Les exportations de l’industrie pharmaceutique française ont augmenté de 160 % entre 2000 et 2018 en volume, et près de la moitié du chiffre d’affaires du secteur est aujourd’hui réalisé à l’export, pour environ 31 milliards d’euros contre 9 milliards d’euros en 2000 ([11]). Ces exportations réduisent elles aussi la disponibilité de médicaments sur le marché français.

« La Chine et l’Inde produisent ensemble 90 % de la matière première à usage pharmaceutique pour la production mondiale de pénicilline. » (audition de la Cour des comptes)

2.   Les règles de détermination du prix des médicaments entraînent une polarisation du marché et une éviction des médicaments matures.

a.   L’accès au marché et la détermination du prix facial de vente

Le Comité économique des produits de santé (Ceps) est un organisme interministériel chargé de réguler le marché du médicament en application de priorités gouvernementales. Le Ceps est chargé de la tarification et de la régulation des prix des médicaments et produits de santé. Les lettres d’orientation ministérielles adressées au président du Ceps fixent ainsi les principes généraux sur la façon dont le Comité doit réaliser ses missions de tarification et de régulation. L’accord-cadre 2021-2024 entre le Ceps et les entreprises du médicament (Leem) établit trois priorités : accélérer les délais et simplifier les procédures, mieux reconnaître l’innovation, et intégrer la dimension industrielle du médicament notamment dans une logique de sécurité d’approvisionnement.

Pour être commercialisé, un médicament doit préalablement obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette autorisation est délivrée, selon le médicament, par l’Agence européenne du médicament (EMA) ou par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Après avoir obtenu une AMM, pour être pris en charge par la sécurité sociale, le titulaire de l’AMM doit déposer une demande à la Haute Autorité de santé (HAS). L’article R. 163-5 du code de la sécurité sociale précise que « les médicaments qui n’apportent ni amélioration du service médical rendu [...] ni économie dans le coût du traitement médicamenteux » ne peuvent être inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables (LPP).

Chaque avis rendu par la HAS inclut deux éléments : le service médical rendu (SMR) et l’amélioration du service médical rendu (ASMR). Le service médical rendu (SMR) évalue l’intérêt clinique du médicament qui peut être majeur, modéré ou insuffisant. L’amélioration du service médical rendu (ASMR) évalue le progrès médico-économique apporté par le médicament par rapport aux autres médicaments à même visée thérapeutique sur une échelle allant de l’ASMR I signifiant un progrès majeur à l’ASMR V, signifiant une absence de progrès. Le SMR permet de décider du taux de remboursement et l’ASMR contribue à la fixation de son prix.

Sur la base de cette évaluation, une négociation s’engage entre les industriels et le Ceps. Cette négociation doit ensuite aboutir à la fixation d’un prix facial, mais aussi à des remises conventionnelles ([12]) dont le montant est protégé par le secret des affaires. À défaut d’accord, le Ceps peut fixer le prix unilatéralement, sauf opposition conjointe des ministres concernés qui arrêtent dans ce cas le prix dans un délai de quinze jours après la décision du comité.

Le prix de vente peut être baissé, par convention ou, à défaut, par décision du Ceps en fonction notamment de critères d’ancienneté de l’inscription au remboursement ; au moment de l’expiration des droits de propriété intellectuelle ou encore si le prix net ou le prix d’achat constaté est inférieur dans d’autres pays européens présentant une taille totale de marché comparable.

Lorsque le médicament n’est plus protégé par les droits de propriété intellectuelle, un exploitant autre que le titulaire historique du brevet est autorisé à en exploiter la formule sous forme générique. Le prix des médicaments génériques est en principe inférieur de 60 % au prix du médicament original dit « princeps ». Au moment de la commercialisation du générique, le prix du princeps est quant à lui diminué de 20 %.

« Compte tenu des très faibles marges réalisées par les industriels sur les médicaments anciens, la qualité de service est dégradée : la continuité de l’approvisionnement c’est un service. » (audition de la FHF)

b.   La détermination du prix des médicaments innovants

L’article 78 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 a réformé le système dérogatoire d’accès et de prise en charge des médicaments faisant l’objet d’autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et de recommandations temporaires d’utilisation (RTU). Cette réforme permet de simplifier et d’harmoniser les procédures, de garantir un accès et une prise en charge immédiats aux patients tout en assurant la soutenabilité financière du dispositif. À cette fin, deux nouveaux dispositifs d’accès et de prise en charge par l’assurance maladie sont entrés en vigueur le 1er juillet 2021 :

– l’accès précoce qui vise les médicaments répondant à un besoin thérapeutique non couvert, susceptibles d’être innovants et pour lesquels le laboratoire s’engage à déposer une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou une demande de remboursement de droit commun ;

– l’accès compassionnel qui vise les médicaments non nécessairement innovants, qui ne sont pas destinés à obtenir une AMM mais qui répondent de façon satisfaisante à un besoin thérapeutique non couvert.

Les médicaments bénéficiant d’un accès précoce ou compassionnel sont fournis par le laboratoire titulaire des droits d’exploitation à l’établissement de santé qui les délivre, soit à titre gracieux, soit moyennant une indemnité dont le montant est librement fixé par le laboratoire, ou au prix fixé par le Ceps. Ces médicaments bénéficient d’une prise en charge intégrale et automatique par l’assurance maladie dès l’octroi de l’autorisation par l’ANSM. Le financement se fait en sus du tarif appliqué au séjour du patient, dans le cadre de la liste en sus. Le montant remboursé est le prix d’achat par l’établissement au laboratoire, toutes taxes comprises.

« Pour un certain nombre de références il n’y a qu’une seule réponse aux appels d’offre hospitaliers ce qui induit une situation de dépendance. En général sur les produits de la liste en sus on constate une remise de 40 % juste avant la chute du brevet et de 30 % après : ce qui montre bien que le prix facial est très surestimé pour les médicaments innovants. » (audition de la FHF)

Les médicaments innovants se caractérisent par des thérapies plus ciblées, concernant un nombre de patient potentiels plus faible que les médicaments remboursés, et par des prix très élevés, librement fixés par les titulaires des droits de propriété intellectuelle. Le prix moyen d’un traitement anticancéreux innovant de la liste en sus entre 2010 et 2016 était de 12 318 euros. Les médicaments innovants présentent donc une marge plus intéressante pour les exploitants ainsi que des contraintes industrielles plus faibles concernant les volumes de production et la localisation de la chaîne de production. Les laboratoires pharmaceutiques priorisent donc les médicaments innovants dans leur portefeuille de produits au détriment des médicaments matures.

« Il n’y a pas de pénurie pour les produits innovants et coûteux. D’ailleurs, à leur sujet, les industriels se plaignent de la clause de sauvegarde, mais ils la payent. » (audition du Ceps)

c.   La relation discutée entre prix et pénurie

● Les règles de détermination du prix facial de vente renforcent l’éviction des médicaments matures du marché du médicament, aggravant la pénurie.

« Le prix de vente moyen d’un comprimé est de 10 centimes [...] sur plusieurs centaines de références une boîte commercialisée fait perdre de l’argent. » (audition du Gemme)

« Pour traiter des pathologies infectieuses graves à enjeu vital, on prescrit un produit qui coûte 1 euro, 2 euros incluant la livraison. Probablement que ce prix ne reflète pas la valeur du service rendu. » (audition de la FHF)

Le prix de vente étant déterminé par comparaison avec le prix facial de vente des autres médicaments comparables (ASMR), les baisses de prix sur les médicaments matures induisent un nivellement des prix par le bas. À l’inverse, l’accès précoce qui est accordé au prix fixé par le titulaire des droits de propriété intellectuelle, induit une forte inflation du prix facial de vente des médicaments innovants. Il en résulte une polarisation du marché du médicament entre médicaments anciens à faible rentabilité et médicaments innovants à forte rentabilité. Le Gemme indiquait lors de son audition que le secteur du médicament générique avait enregistré une profitabilité négative sur l’exercice 2022-2023, alors que celle-ci était de 3 % en 2021-2022.

« Il n’y a pas de lien direct et formel entre pénuries et niveaux de prix. » (audition du Ceps)

Néanmoins, les pays où le prix des médicaments n’est pas régulé et est bien plus élevé qu’en France connaissent des ruptures d’approvisionnement comparables, comme en atteste la situation aux États-Unis, premier marché mondial, ou en Suisse, un petit marché. Au printemps 2022, les pédiatres suisses ont alerté aux côtés de cinq autres pays européens sur les pénuries persistantes de médicaments pédiatriques et appelé à une réponse urgente et coordonnée. Aux États-Unis, en mars 2023, un rapport du Sénat a documenté l’ampleur croissante des pénuries : plus nombreuses, plus durables, aux conséquences plus graves pour les patients. Entre 2021 et 2022, les médicaments en pénuries ont augmenté de 30 %, les pénuries imputables pour beaucoup à des ruptures de stock étaient d’une durée moyenne d’un an et demi et plus de quinze « médicaments critiques » étaient en pénurie depuis plus de dix ans.

En France, les règles de détermination du prix des médicaments anciens permettent par ailleurs au Ceps d’atténuer les effets induits par la méthode de fixation du prix sur le modèle économique des médicaments matures afin de sécuriser leur approvisionnement sur le marché français. Ainsi, le Ceps valorise outre le SMR et l’ASMR, les volumes de vente prévus ou constatés ainsi que les conditions prévisibles et réelles d’utilisation du médicament. Il peut également tenir compte de la sécurité d’approvisionnement du marché français que garantit l’implantation des sites de production depuis l’entrée en vigueur de l’article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Le Ceps a par ailleurs précisé lors de son audition que certaines dispositions de l’accord-cadre permettent aujourd’hui de revaloriser le prix de certains produits, classes de produit, ou d’éviter des baisses de prix. À titre d’illustration, l’article 24 de l’accord-cadre permet de déroger à la décote de 60 % sur les génériques pour les produits dont le coût de production serait trop élevé, induisant un risque de marge trop faible. L’article 28 fonde certaines hausses de prix lorsqu’il y a un risque de retrait du marché en cas de choc économique, lié à une envolée du prix de la matière première par exemple. Ces mesures favorables sont généralement consenties en contrepartie d’engagements relatifs à la continuité d’approvisionnement des médicaments concernés. Le Ceps a également mis en place un moratoire sur les baisses de prix de certains médicaments génériques, qu’il estime entre 15 et 20 millions d’euros de baisses évitées. Il a également pu décider de revalorisations de classes thérapeutiques en cas de choc entre l’offre et la demande, comme ce fut le cas de la pénurie d’immunoglobulines où tous les produits de la classe thérapeutique ont été revalorisés sous condition d’approvisionnement du marché français, pour un montant estimé à 100 millions d’euros par le Ceps.

III.   À partir de 2016, les pouvoirs publics ont dÉployÉ des premiÈres actions face aux pÉnuries, sans toutefois parvenir À enrayer leur aggravation

1.   Un renforcement inachevé du cadre légal et réglementaire, qui reste inégalement appliqué

Face à l’amplification du phénomène des pénuries, les dernières années ont vu l’instauration d’un ensemble de mesures tendant à prévenir leur survenance et à maîtriser leurs effets.

a.   Les exploitants et distributeurs sont soumis à de nouvelles obligations depuis le début des années 2010

● S’agissant des exploitants, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a prévu l’élaboration, par ceux-ci, d’un plan de gestion des pénuries (PGP) pour chacun des produits relevant de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) ([13]). Ces derniers sont définis comme l’ensemble des médicaments pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour ces derniers au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie ([14]). L’obligation d’élaborer un plan de gestion de pénuries était initialement limitée aux seuls MITM pour lesquels, du fait de leurs caractéristiques, une rupture ou un risque de rupture présenteraient pour les patients un risque grave et immédiat. La loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité pour 2020 a supprimé cette restriction et, ce faisant, étendu le champ d’application de l’obligation de produire un PGP à l’ensemble des MITM. Elle a, de surcroît, prévu la transmission annuelle de ces plans à l’ANSM, qui peut également en obtenir communication à tout moment, à sa demande ([15]).

En outre, les obligations déclaratives des exploitants ont été renforcées afin de garantir la détection précoce des tensions et ruptures. En particulier, ceux-ci sont désormais tenus d’informer l’ANSM, dès qu’ils en ont connaissance, de toute rupture ou risque de rupture de stock pour les MITM qu’ils exploitent, en faisant état des délais de survenue, des stocks disponibles, des modalités de disponibilité, des délais prévisionnels de remise à disposition ainsi que, le cas échéant, les spécialités susceptibles d’être substituées à la spécialité en défaut ([16]). Ces informations sont publiées sur le site internet de l’ANSM. Les exploitants doivent par ailleurs informer cette dernière, deux mois à l’avance, de tout arrêt ou suspension de commercialisation d’un médicament, ce délai étant porté à un an lorsque le médicament concerné est utilisé pour le traitement d’une pathologie grave pour lequel il n’existe pas d’alternative thérapeutique disponible sur le marché français. La loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 a complété cette obligation en prévoyant que l’exploitant précise, dans la déclaration qu’il transmet à l’ANSM, les conséquences prévisibles sur la population française, selon le cas, de la suspension ou de la cessation de la commercialisation. En outre, l’exploitant d’un MITM qui n’est plus sous brevet et dont l’arrêt de la commercialisation est prévu est tenu de trouver un repreneur dès lors que les alternatives thérapeutiques disponibles ne permettent pas de couvrir le besoin de manière pérenne ([17]).

De manière analogue, les obligations imposées aux exploitants au titre de la gestion des pénuries ont été renforcées. On peut notamment souligner l’obligation qui leur est faite de mettre en œuvre, lorsque survient une rupture ou un risque de rupture, les mesures prévues par les PGP, en coordination avec l’ANSM. En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a introduit la possibilité, pour le pouvoir réglementaire, d’imposer la constitution de stocks de sécurité destinés au marché national, dans une limite ne pouvant excéder quatre mois de couverture des besoins en médicament. Le décret n° 2019-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national a ainsi fixé le stock minimal à des niveaux qui, pour la plupart des médicaments, sont très inférieurs au plafond introduit par le législateur. En effet, les MITM faisant l’objet de ruptures ou de risques de ruptures de stock réguliers dans les deux années civiles précédentes constituent la seule catégorie de médicaments pour laquelle le plafond de quatre mois de stock peut être atteint, la mise en œuvre de cette possibilité ne pouvant de surcroît intervenir que sur décision du directeur général de l’ANSM. Pour les autres MITM, le stock de sécurité est fixé à deux mois de couverture des besoins, avec possibilité de diminuer ce seuil. Enfin, les médicaments qui ne relèvent pas de cette catégorie sont soumis à une obligation de stockage à hauteur d’une semaine de couverture des besoins, cette durée étant portée à un mois pour les médicaments contribuant à une politique de santé publique ([18]).

En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a prévu la possibilité, pour le directeur général de l’ANSM, en cas de rupture d’un MITM pour lequel la situation présente pour les patients un risque grave et immédiat, et lorsque ni les alternatives disponibles, ni les mesures proposées par l’entreprise ne permettent de répondre aux besoins, de faire procéder par l’entreprise défaillante à l’importation de toute alternative médicamenteuse à proportion de sa part dans la couverture des besoins et dans la limite de la durée de la rupture de stock. L’entreprise pharmaceutique défaillante doit alors verser à la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) la différence entre les montants remboursés au titre de la prise en charge de l’alternative importée et ceux qui auraient résulté de la prise en charge au titre du médicament initial ([19]).

● Les obligations des distributeurs de médicaments ont également connu un élargissement depuis le début des années 2010. On peut notamment citer l’obligation qui leur est faite de participer, sur leur territoire, à un système d’astreinte visant à répondre aux besoins urgents en médicaments en dehors des jours d’ouverture habituels, ainsi que l’introduction d’obligations de service public définies par voie réglementaire ([20]). Les distributeurs sont aussi tenus de disposer d’un assortiment de médicaments comportant au moins neuf dixièmes des présentations de spécialités pharmaceutiques effectivement commercialisées en France, et d’être en mesure de satisfaire la consommation de leur clientèle durant au moins deux semaines et à tout moment ([21]). En outre, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 7 octobre 2016, les grossistes-répartiteurs ne peuvent exporter de MITM pour lesquels une rupture ou un risque de rupture de stock est mis en évidence ou déclaré à l’ANSM. Dans le cas des autres médicaments, l’exportation n’est possible qu’à condition, pour le grossiste-répartiteur concerné, d’avoir rempli ses obligations de service public ([22]).

b.   Des obligations inégalement mises en œuvre et obérées par les limites de l’anticipation des risques de pénurie par les entreprises et les pouvoirs publics

● L’ensemble de ces mesures n’a pas fait l’objet, de la part des exploitants, d’une application suffisamment diligente et complète pour réduire les pénuries.

Les défaillances des entreprises pharmaceutiques et les insuffisances des contrôles mis en œuvre par les pouvoirs publics ont été soulignées à plusieurs reprises au cours des dernières années. À cet égard, la rapporteure tient à saluer le travail accompli par la commission d’enquête du Sénat relative à la pénurie de médicaments et aux choix de l’industrie pharmaceutique française, dont le rapport constitue à ce jour la présentation la plus complète des causes de ce phénomène et des limites des actions entreprises pour y remédier. S’agissant en particulier des plans de gestion des pénuries, la commission a mis en évidence leur grande hétérogénéité, sur la base notamment d’un contrôle sur pièce portant sur plusieurs dizaines de PGP. Les constats de la commission corroborent ainsi ceux formulés par la Cour des comptes en 2022, à l’issue d’une analyse portant sur un échantillon de 122 PGP ([23]).

Il convient de rapporter les défaillances de certains exploitants dans la mise en œuvre des obligations des exploitants aux sanctions financières prononcées à l’encontre de ces derniers, lesquelles restent insuffisantes en montant comme en nombre. Ainsi, malgré l’augmentation du nombre de ruptures de stock déclarées à l’ANSM, cette dernière n’a prononcé que huit décisions de sanction financière entre 2018 et 2022, pour un montant total de 922 000 euros. En 2023, six décisions ont été rendues, dont trois au titre de la réglementation relative aux stocks de sécurité. Cette progression mesurée du recours de l’agence à son pouvoir de sanction doit cependant être mise en regard de l’augmentation, à hauteur de 30 %, du nombre de ruptures par rapport à l’année précédente. De surcroît, aucune sanction financière n’a jusqu’à présent été prononcée au titre d’un manquement aux règles applicables à l’élaboration et au contenu des PGP, malgré les insuffisances mises en œuvre par les travaux de contrôle susmentionnés.

Au-delà de la seule mise en œuvre des obligations édictées par le législateur et le pouvoir réglementaire, un défaut d’anticipation des risques de pénuries par les entreprises pharmaceutiques a pu être signalé. À titre d’exemple, l’augmentation des besoins en amoxicilline au cours de l’hiver 2022-2023 était prévisible après deux saisons hivernales caractérisées, dans le contexte des confinements successifs, par une moindre circulation des agents infectieux. Or, la consommation attendue a manifestement été sous-estimée par une partie des acteurs, les laboratoires ayant dû ensuite adapter leur production, sans parvenir à répondre à l’ensemble des besoins ([24]). S’agissant des pouvoirs publics, le caractère très entendu de la catégorie des MITM comporte un risque de saturation des capacités de suivi et d’anticipation des risques de tensions par l’ANSM, à laquelle la récente définition d’une liste plus resserrée de médicaments prioritaires ne permettra pas de remédier si elle n’est pas assortie de mesures de sécurisation et d’obligations spécifiques. Au surplus, si la liste des classes thérapeutiques contenant des MITM est définie par un arrêté du ministre chargé de la santé, il appartient aux titulaires des AMM et aux exploitants de déclarer à l’ANSM la liste des médicaments qu’ils considèrent comme des MITM et pour lesquels ils élaborent des PGP. Alors même que l’ANSM peut compléter cette liste au terme d’une procédure contradictoire, il n’en reste pas moins que son élaboration incombe au premier chef aux exploitants, au risque d’empêcher l’établissement d’une liste de médicaments prioritaires dans le cadre d’une approche fondée sur le risque de tension d’approvisionnement.

En outre, la disponibilité de l’information sur l’état et la localisation des stocks des entreprises reste limitée, les initiatives mises en œuvre par l’industrie pharmaceutique en lien avec l’ANSM demeurant, sur ce point, insuffisantes. Ainsi, la plateforme TRACStocks, élaborée par le Leem avec le concours de l’ANSM afin de permettre le partage de données sur les stocks et les prévisions d’approvisionnement des laboratoires pharmaceutiques, n’est utilisée pour l’instant que par 37 % des entreprises du médicament et ne concerne 1 227 spécialités pharmaceutiques ([25]).

2.   La lutte contre les causes structurelles des pénuries reste insuffisante

Parmi les actions susceptibles de favoriser la sécurité des approvisionnements figurent notamment, d’une part, la relocalisation d’unités de production et, d’autre part, le renforcement du modèle économique des médicaments matures, lequel peut reposer sur des hausses de prix. La pertinence des mesures mises en œuvre au cours des dernières années pour atteindre ces deux objectifs apparaît incertaine.

● Sur le premier point, la pandémie de covid-19 a amplifié la prise de conscience, de la part des pouvoirs publics et de la société, de la vulnérabilité de l’approvisionnement en produits de santé. La fragmentation croissante des chaînes de valeur appelait des mesures de relocalisation de la production, notamment celle des principes actifs des médicaments essentiels ([26]). Or, la commission d’enquête du Sénat a montré que les dispositifs d’aide à la relocalisation instaurés au sortir de la crise pandémique sont globalement inadaptés, qu’ils manquent de transparence quant aux critères de sélection des projets et qu’ils ne sont pas suffisamment ciblés sur les médicaments essentiels. Ainsi, sur les 106 projets financés par les plans France Relance et France 2030, seuls 18 concernent une réelle relocalisation et 5 des médicaments stratégiques.

De manière analogue, la Cour des comptes ([27]) a mis en évidence un défaut dans le ciblage du dispositif de relocalisations sectorielle du plan de relance, et relève que :

– moins d’une dizaine de projets comportent une forte part d’innovation ;

– parmi ceux qui concernent des solutions thérapeutiques plus matures, le degré de criticité est parfois insuffisant. À titre d’exemple, un projet portant sur la production de bio-cosmétiques a bénéficié de financements ;

– certains projets ayant reçu une notation défavorable de Bpifrance lors de la phase d’évaluation ont été retenus in fine, en particulier des investissements portant l’extraction de produits naturels et leur transformation en poudre à des fins pharmaceutiques.

Aussi, alors même que la relocalisation de la production des principes actifs de médicaments essentiels en Europe apparaît comme le principal levier de long terme pour prévenir les pénuries, les efforts entrepris en faveur de la reconstruction d’un outil industriel adapté à la sécurisation de l’approvisionnement en produits mature demeurent insuffisants.

● D’autre part, s’il n’existe pas de relation directe entre le prix des médicaments et la fréquence des pénuries, la poursuite des baisses de prix dans le cadre fixé par les lois de financement de la sécurité sociale successives a pu constituer un facteur aggravant dans le cas de molécules vendues avec de faibles marges et qui, pour certaines d’entre elles, ont pu connaître une hausse de leur coût de revient. Ainsi, les dernières années ont vu une concentration de l’augmentation des dépenses de médicaments remboursés sur les produits innovants, en particulier ceux inscrits sur la liste des solutions thérapeutiques prises en charge en sus des forfaits hospitaliers (« liste en sus »). Tandis que le montant des dépenses de médicaments pris en charge à ce titre est passé de 2,8 à 6,0 milliards d’euros entre 2012 et 2022 – dont une hausse de 1,5 milliard d’euros entre 2020 et 2022 –, des baisses de prix des médicaments remboursés par l’assurance maladie ont été mises en œuvre et concentrées sur les médicaments matures à plus faible rentabilité.

Économies liées aux baisses de prix bruts des médicaments (2010-2022)
(en millions d’euros)

 Source : Ceps, rapport d’activité 2022.

L’augmentation des prix peut constituer, dès lors qu’elle implique des contreparties de la part des entreprises pharmaceutiques, un levier de sécurisation des approvisionnements. À cet égard, la politique de baisse des prix des médicaments remboursés apparaît comme un facteur de déstabilisation du modèle économique des produits matures, en incitant les entreprises qui produisent à la fois des spécialités innovantes et des médicaments plus anciens à concentrer leur activité sur les premiers, au détriment des secondes. Une réorganisation du soutien public au secteur pharmaceutique pourrait être entreprise afin d’introduire une plus forte conditionnalité des aides budgétaires et fiscales accordées aux exploitants et un renforcement des obligations pour ces derniers, en contrepartie d’une hausse des prix ciblée sur certaines molécules.

IV.   L’augmentation des stocks de sÉcuritÉ et le renforcement des pouvoirs de sanction de l’ANSM : deux leviers dans le cadre d’une action globale contre les pÉnuries

La présente proposition de loi comprend deux mesures qui, dans le cadre d’une action d’ensemble devant porter sur l’ensemble des vulnérabilités et dysfonctionnements de la chaîne du médicament, permettront de pallier certaines insuffisances du cadre légal et réglementaire en vigueur et, ce faisant, de mieux prévenir et maîtriser le risque de pénurie.

1.   L’augmentation des stocks de sécurité : une réponse à la fragilité des chaînes d’approvisionnement et aux défaillances constatées dans l’anticipation des besoins

● L’article 1er tend à inscrire dans la loi un niveau plancher de stock de sécurité obligatoire et à relever le plafond introduit par le législateur en 2019. Il prévoit ainsi que la fixation, par voie réglementaire, d’un stock minimum compris entre deux et quatre mois, ces seuils étant portés respectivement à quatre et huit mois dans le cas des MITM. Il conforte la portée de l’obligation introduite par la loi de financement de la sécurité pour 2020.

Le choix d’une approche fondée sur les stocks est justifié à plusieurs titres. Il répond d’abord à l’objectif de prémunir la population des aléas inhérents à l’organisation de chaînes d’approvisionnement fragmentées et mondialisées, structurées selon une logique de flux tendu. Il répond également à la fluctuation des besoins en médicaments, liée à la variabilité des courbes épidémiologiques, qui n’est pas toujours correctement anticipée par l’industrie pharmaceutique ([28]). En outre, dans la mesure où les entreprises disposent des informations relatives aux volumes de consommation des médicaments qu’elles commercialisent, il paraît opportun de leur attribuer la responsabilité, sous le contrôle des pouvoirs publics et singulièrement de l’ANSM, de constituer des stocks dont le niveau est établi au regard de cette consommation.

2.   Accroître le montant des sanctions financières : un ajustement nécessaire à la gravité des manquements et à la réalité économique du secteur pharmaceutique

● L’article 2 vise à renforcer les sanctions financières établies par le législateur pour répondre aux manquements à certaines des obligations imposées aux exploitants, et plus particulièrement à celles qui relèvent de la réglementation relative aux pénuries.

Ainsi, il tend à augmenter le plafond des sanctions financières que l’ANSM peut prononcer en cas de manquement à ces obligations. Celui-ci est actuellement fixé à 30 % du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise pour le produit ou le groupe de produits concerné par le manquement, dans la limite d’un montant de 1 million d’euros. L’article 2 prévoit de porter respectivement ces plafonds à 50 % du chiffre d’affaires et 5 millions d’euros. Le relèvement du niveau des sanctions tend à garantir l’effectivité des obligations édictées par le législateur et le pouvoir réglementaire pour protéger la santé publique. Il vise en particulier à mieux tenir compte, dans la détermination des sanctions, des caractéristiques du marché du médicament, en remédiant à la disproportion entre le plafond en vigueur et le chiffre d’affaires réalisé pour certains produits et groupes de produits, notamment les plus onéreux, et à l’écart entre ce montant maximum et le chiffre d’affaires des entreprises les plus importantes. Le relèvement du quantum des sanctions contribuerait également à dissuader les exploitants de privilégier le paiement de sanctions financières au respect des obligations qui leur incombent.

 

 

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   Commentaire des articles

Adopté avec modifications

Le présent article renforce les obligations des titulaires d’autorisation de mise sur le marché (AMM) et exploitants de médicaments en matière de constitution de stocks de sécurité destinés au marché national.

À cette fin, il introduit un niveau plancher de stock de sécurité destiné au marché national, tout en relevant le plafond en vigueur. Une distinction est opérée entre les médicaments de droit commun et les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM).

  1.   LE DROIT EXISTANT : La constitution de stocks de sÉcuritÉ est l’un des outils de lutte contre la pÉnurie de mÉdicaments
    1.   Les obligations des exploitants de mÉdicaments en matiÈre d’approvisionnement sont Étendues
      1.   Une obligation générale d’approvisionnement « approprié et continu » repose sur les exploitants de médicaments depuis 2001

La prévention et la gestion des risques de ruptures d’approvisionnement de médicaments s’inscrivent dans un cadre réglementaire européen instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain : la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ([29]).

Une obligation générale d’approvisionnement approprié et continu a été créée. Elle prévoit que « le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament ainsi que les distributeurs de ce médicament mis sur le marché de façon effective dans un État membre assurent, dans la limite de leur responsabilité respective, un approvisionnement approprié et continu de ce médicament pour les pharmacies et les personnes autorisées à délivrer des médicaments de manière à couvrir les besoins des patients de l’État membre concerné » ([30]).

  1.   Cette obligation a été complétée de mesures plus spécifiques relatives à la gestion des stocks de médicaments, en particulier pour les MITM

Le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) doit également prévenir l’autorité compétente de chaque État membre concerné des risques de ruptures d’approvisionnement temporaires ou permanentes. Cette notification doit avoir lieu, hormis dans des circonstances exceptionnelles, au plus tard deux mois avant l’interruption de la mise sur le marché du médicament ([31]).

Le cadre légal des obligations des exploitants et titulaires d’AMM en matière de prévention des ruptures d’approvisionnement et de gestion des pénuries s’est progressivement enrichi, avec notamment :

– l’obligation de constituer un stock de sécurité destiné au marché national ne pouvant « excéder quatre mois de couverture des besoins » depuis l’adoption de l’article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, codifié à l’article L. 5121-29 du code de la santé publique. Le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national, pris en application de ces dispositions précise que le stock de sécurité minimal correspond « pour tout médicament d’intérêt thérapeutique majeur [...] à au moins deux mois de couverture des besoins [...] pour tout autre médicament [...] à une semaine de couverture des besoins » ([32]). Le décret prévoit également la possibilité pour le directeur général de l’ANSM d’imposer des niveaux de stocks renforcés pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur « lorsque la spécialité fait l’objet de risques de ruptures ou de ruptures de stock réguliers dans les deux années civiles précédentes nécessitant ainsi qu’un stock supérieur à deux mois soit constitué, sans excéder quatre mois de couverture des besoins »([33]) ;

– l’obligation d’élaborer des plans de gestion des pénuries dont l’objet est de prévenir et pallier toute rupture ;

– l’obligation de signalement à l’ANSM des risques de ruptures et l’obligation de disposer de centres d’appel d’urgence permettant un contact direct en permanence avec les pharmaciens d’officine, hospitaliers et les grossistes répartiteurs ([34]) ;

– l’interdiction faite aux grossistes-répartiteurs d’exporter hors du territoire national ou de vendre à des distributeurs en gros à l’exportation des MITM en rupture ou risque de rupture, cette interdiction devant être appliquée jusqu’à la remise à disposition normale du médicament sur le territoire national ([35]).

 

Les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM)

Créée en 2016, la catégorie des médicaments ou classes de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur désigne, aux termes de l’article L. 5111-4 du code de la santé publique, ceux pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie.

D’après l’ANSM, les MITM représentent aujourd’hui près de 6 000 médicaments sur les 12 000 spécialités commercialisées sur le marché français, soit environ la moitié de l’offre de médicaments disponibles.

 

Les plans de gestion des pénuries ([36])

Les plans de gestion des pénuries (PGP) sont obligatoires pour tous les MITM en application de l’article L. 5121-31 du code de la santé publique. Ils sont établis par les titulaires des autorisations de mise sur le marché (AMM) et les entreprises pharmaceutiques exploitantes et sous leur responsabilité. Ils doivent être conformes aux lignes directrices définies par décision du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Les PGP sont des documents contenant des informations relatives aux MITM recensant les risques relatifs à leur approvisionnement, les moyens de maîtrise de ces risques ainsi que la méthode de revue et de suivi des risques. Les PGP sont censés répertorier les points de fragilité de la chaîne de fabrication, les actions de prévention des ruptures de stock mises en œuvre, et le cas échéant les mesures prises par l’exploitant pour limiter les conséquences sur la santé publique en cas de pénurie. Le degré de formalisation et de documentation de chaque PGP est proportionné au niveau de risque et tient compte de la part de marché que représente la spécialité.

  1.   L’arsenal lÉgislatif ne parvient pas À enrayer le phÉnomène de pÉnurie
    1.   La gestion des stocks de sécurité est au cœur de récentes mesures nationales et européennes de lutte contre les pénuries

● La notion de stock de sécurité a été introduite par l’article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, codifié à l’article L. 5121‑29 du code de la santé publique, dans le but de lutter contre les ruptures d’approvisionnement mais cet article n’impose aucun stock minimum.

Le rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l’Assemblée nationale affirmait à l’époque, au soutien de cet article : « C’est un article très important [...] Imposer des stocks aux laboratoires pour des médicaments d’intérêt thérapeutique est une bonne façon de procéder [...] Le délai de quatre mois est raisonnable, juste, avéré scientifiquement et surtout suffisant pour assurer la continuité de l’accès aux médicaments pour le marché français. » ([37])

● L’article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 ([38]) a en outre introduit une possibilité pour le directeur général de l’ANSM d’imposer aux titulaires d’AMM et entreprises exploitant des MITM de procéder à des importations de stocks à leur frais, pour garantir l’approvisionnement du marché national dans certaines circonstances. Cette possibilité est consacrée à l’article L. 5121-33 du code de la santé publique qui dispose :

« I.  Hors les cas de force majeure, en cas de rupture de stock d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur pour lequel une rupture ou un risque de rupture de stock présente pour les patients un risque grave et immédiat [...] et lorsque ni les alternatives médicamenteuses éventuellement disponibles sur le territoire national, ni les mesures communiquées par l’entreprise pharmaceutique exploitante ne permettent de couvrir les besoins nationaux, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut, après mise en œuvre d’une procédure contradictoire, faire procéder par l’entreprise pharmaceutique défaillante à l’importation de toute alternative médicamenteuse à proportion de sa part dans la couverture des besoins au cours des six mois précédant la rupture de stock, selon les modalités prévues à l’article L. 512413 et dans la limite de la durée de la rupture de stock.

« L’entreprise pharmaceutique défaillante verse à la Caisse nationale de l’assurance maladie la différence entre les montants remboursés par l’assurance maladie au titre de la prise en charge de l’alternative importée et ceux qui auraient résulté de la prise en charge au titre du médicament initial pendant la période de rupture mentionnée au premier alinéa du présent I dans la limite de sa part dans la couverture des besoins au cours des six mois précédant la rupture de stock. »

Interrogée lors de son audition sur la pertinence de ce levier législatif, l’ANSM a indiqué ne pas faire usage de cette faculté entrée en vigueur fin 2019, en l’absence de décret d’application encore à ce jour.

● La Commission européenne a adopté le 24 octobre 2023 une communication ([39]) relative aux pénuries de médicaments dans l’Union européenne.

La Commission européenne a notamment prévu :

– d’instaurer un mécanisme européen volontaire permettant aux États membres de se venir en aide mutuellement par des stocks de médicaments qui seraient en rupture dans certains États mais disponibles dans d’autres ;

– de publier une liste de 100 à 300 médicaments critiques, à l’instar de la liste de 450 « médicaments essentiels », également appelés médicaments stratégiques au plan industriel et sanitaire (MSIS), qui a été publiée par le Gouvernement en juin 2023. L’articulation entre ces nouvelles listes de médicaments prioritaires et les MITM, seule catégorie définie à ce jour dans le code de la santé publique, reste à préciser ;

– de créer début 2024 une « alliance des médicaments critiques » ayant pour objectif de s’engager dans la diversification de ses chaînes d’approvisionnement ainsi que le renforcement de sa capacité de production de médicaments et de fourniture de principes actifs.

Les États membres vont pouvoir recourir à des dérogations réglementaires pour assurer l’accès aux produits pharmaceutiques, par exemple en prolongeant les durées de conservation de médicaments stockés, ou par l’autorisation d’alternatives thérapeutiques qui seront déployées de manière coordonnée en 2024.

Ces mesures seront prochainement complétées d’un paquet « pharma » en avril 2024.

  1.   Si toutes les classes de médicament ont subi des ruptures d’approvisionnement, les médicaments matures sont les plus concernés et 70 % des ruptures constatées chaque année concernent des médicaments dont l’AMM a été octroyée il y a plus de dix ans ([40])

Ces mesures n’ont toutefois pas permis de réduire les tensions dans l’approvisionnement en MITM ces dernières années. Le nombre de signalements transmis à l’ANSM a continué d’augmenter, pour s’établir 4 925 en 2023, à rapporter aux 700 signalements en 2018 et moins de 200 en 2012. Cette situation dépasse les frontières nationales : ainsi, une récente enquête du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE) montre que les pénuries de produits de santé étaient en hausse en 2023 ([41]). Le nombre de ruptures d’approvisionnement a augmenté pour 65 % des répondants, 23 % indiquaient une situation inchangée et 12 % ont connu une amélioration par rapport à la situation en 2022. Pour 42 % des répondants, plus de 500 médicaments étaient en rupture au moment de l’étude, et parmi ceux-ci, 27 % connaissaient des ruptures pour plus de 600 médicaments. Toutes les classes thérapeutiques sont concernées : les médicaments du système cardiovasculaire, du système nerveux central et les anti-infectieux (antibiotiques compris) étant les plus recherchés.

Le temps pris par l’équipe officinale pour résoudre ces problèmes est estimé à 9,30 heures/semaine en 2023, soit 3 heures de plus qu’en 2022 ([42]).

Les mesures mises en place pour répondre à ces fortes tensions d’approvisionnement sont globalement convergentes entre les États européens :

– le recours aux génériques est largement plébiscité comme première solution en cas de rupture pour 92 % des répondants ;

– la recherche d’approvisionnement alternatif ou le recours aux préparations magistrales (pour 50 % des répondants) ;

– et le recours à un dosage différent en ajustant la posologie (pour 50 % des répondants) constituent les deux autres leviers les plus fréquemment mobilisés en réponse à ces ruptures ([43]).

Différentes catégories de ruptures ou « pénurie »

La rupture d’approvisionnement est l’incapacité pour une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur hospitalière de dispenser un médicament à un patient dans un délai donné, qui peut être réduit à l’initiative du pharmacien lorsque la poursuite optimale du traitement l’impose. Ce délai et les diligences que le pharmacien doit accomplir pour dispenser le médicament sont définis par décret en Conseil d’État ([44]).

La rupture de stock se définit comme l’impossibilité pour le fabricant ou l’exploitant de fabriquer ou d’exploiter un médicament.

L’arrêt de commercialisation est une décision de l’exploitant du médicament qui implique d’interrompre la commercialisation du médicament.

  1.   Le dispositif proposÉ confÈre une portÉe législative aux obligations minimales de stockage et en rehausse les seuils

Le présent article confère d’une part une portée législative aux obligations minimales de stockage de sécurité à destination du marché national, il procède d’autre part à un renforcement des obligations de stockage existantes, avec une attention particulière portée aux stocks de MITM.

  1.   L’article dÉfinit un seuil minimal de stock de sÉcuritÉ dans un texte lÉgislatif

● L’article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a instauré un plafond, sans fixer de niveau plancher de stock de sécurité destiné au marché national. En effet, l’article L. 5121-29 du code de la santé publique dispose uniquement que ce stock ne peut excéder quatre mois de couverture des besoins en médicament, calculés sur la base du volume des ventes de la spécialité au cours des douze derniers mois glissants. Les seuils minimums de sécurité ont bien été définis, mais par voie réglementaire uniquement, dans le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national.

Ce décret, codifié à l’article R. 5124-49-4 du code de la santé publique, définit la notion de stock de sécurité comme « le stockage du nombre d’unités de produit fini d’une spécialité prêtes à être distribuées sur le territoire français, au moins équivalent à la durée de couverture des besoins fixée ci-après, calculée sur la base du volume des ventes en France de la spécialité au cours des douze derniers mois glissants hors situations exceptionnelles ».

Plusieurs seuils de stock de sécurité sont prévus par le décret, en fonction de la catégorie auquel le médicament se rattache :

– au moins deux mois de couverture des besoins pour les MITM ;

– un mois pour les médicaments contribuant à une politique de santé publique définie par le ministre chargé de la santé et ne relevant pas de la catégorie MITM ;

– une semaine de couverture des besoins pour les autres médicaments.

Pour les MITM, le niveau de stock de sécurité, fixé à deux mois, peut être augmenté ou abaissé sous certaines conditions.

– Le seuil minimal de stock de sécurité des MITM peut être abaissé par une décision du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), prise suite à une demande formulée en ce sens par l’industriel exploitant le médicament. Les motifs pouvant justifier d’un tel abaissement sont d’ordre technique (durée de conservation, saisonnalité, forme galénique inadaptée).

– Le seuil minimal de stock de sécurité des MITM peut être augmenté par une décision du directeur général de l’ANSM dans le cas où la spécialité fait l’objet de risques de ruptures ou de ruptures de stock réguliers dans les deux années civiles, la notion de rupture de stock étant définie au II de l’article R. 5124-49-1 comme « l’impossibilité de fabriquer ou d’exploiter un médicament ».

En établissant, par défaut, un stock de sécurité minimal à deux mois pour les MITM, au lieu des quatre mois défendus par le rapporteur général lors de l’examen de l’article 48 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, il n’est pas surprenant de constater que seuls 422 MITM sont aujourd’hui soumis à l’obligation renforcée de quatre mois de stock ([45]), sur les plus de 6 000 MITM commercialisés en France, soit moins de 1 sur 10.

● Le présent article permet donc de conférer une portée législative aux obligations minimales de stock qui ne figurent à ce jour que dans la partie réglementaire du code, renforçant ainsi la portée de ces obligations pour les exploitants. Il inscrit par ailleurs pour la première fois un niveau minimal de stockage dans la loi, qui ne comporte en l’état actuel du droit qu’un plafond. L’adoption de cet article aurait pour effet d’entraîner la caducité des dispositions du décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national.

  1.   Un renforcement des obligations de stockage pour l’ensemble des mÉdicaments et singuliÈrement les MITM

● Le présent article rehausse les niveaux des stocks de sécurité destinés au marché national, par rapport aux dispositions réglementaires prévues par le décret du 30 mars 2021. Cet article vise ainsi à renforcer l’efficacité de ce levier pour lutter contre les ruptures d’approvisionnement, conformément à l’intention initialement exprimée par le rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, lors de l’examen de l’article 48 relatif aux stocks de sécurité destinés au marché national.

● Ainsi, l’article aligne les obligations de stockage de l’ensemble des médicaments sur le niveau prévu pour les MITM dans le décret du 30 mars 2021, soit deux mois de stock. Le plafond de stockage est quant à lui relevé de quatre à six mois pour l’ensemble des médicaments.

Ce stock minimal de deux mois correspond ainsi à la durée médiane des ruptures d’approvisionnement estimée à deux mois ([46]), le stock de sécurité permettra ainsi de couvrir la demande de médicament pendant la recherche d’un fournisseur alternatif.

● Les obligations de stockage sont également renforcées pour les MITM, dont le niveau maximal de stockage en l’état actuel du droit, soit quatre mois, devient le niveau minimal de stockage dans le droit proposé. Le plafond de stockage pour les MITM est, quant à lui, relevé de quatre à huit mois.

Ce stock minimal de quatre mois semble plus adapté à la situation des MITM qui connaissent un nombre croissant de ruptures de stock, en lien avec la vulnérabilité de la chaîne de production industrielle, notamment concernant la fourniture des principes actifs. Dans les situations de rupture de stock, la durée de la rupture n’est pas seulement liée à la recherche d’un fournisseur alternatif, mais à la reprise d’un processus industriel complexe de fabrication, ce qui nécessite de prévoir une couverture par des stocks de sécurité adaptée.

  1.   LES Modifications apportÉes par la commission

L’article 1er adopté par la commission résulte d’un amendement de réaction globale de la rapporteure, sous amendé par un amendement de Mme Stéphanie Rist. L’article ainsi modifié confère une portée législative à l’obligation d’un stockage de sécurité minimal et il procède à un renforcement des obligations existantes (A). Il instaure également un régime de dérogation à cette règle et aux sanctions prévues en cas de manquement sur décision du directeur général de l’ANSM (B) et étend une mesure d’épargne de médicaments en cas de rupture aux situations de risque de rupture (C).

  1.   L’article consacre un seuil minimal de stock de sÉcuritÉ rehaussÉ pour l’ensemble des mÉdicaments

L’article 1er a fait l’objet d’un amendement de rédaction globale de la rapporteure (AS53 rect.) visant à harmoniser le plafond de stockage à six mois pour l’ensemble des médicaments tout en maintenant un plancher distinct entre le seuil minimal de deux mois de stock pour l’ensemble des médicaments et le seuil renforcé de quatre mois pour les MITM.

Cet amendement de rédaction globale a été adopté dans une version modifiée par un sous-amendement (AS64) de Mme Stéphanie Rist, qui supprime la référence au plafond de stockage de six mois, rétablissant ainsi le plafond actuellement prévu à l’article L. 5121-29 à quatre mois pour l’ensemble des médicaments.

L’article 1er ainsi modifié par la commission consacre à l’article L. 5121-29 l’existence d’un stock minimal de sécurité établi à deux mois pour tous les médicaments, et maintient le plafond législatif à quatre mois.

L’article 1er adopté par la commission n’opère plus de distinction entre les MITM et les autres médicaments : tous les stocks de sécurité devant être compris entre deux et quatre mois de couverture des besoins.

L’article 1er ainsi modifié induit un renforcement significatif des obligations minimales de stockage résultant des dispositions du décret du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national. En effet, le stock de sécurité minimal des médicaments ne relevant pas de la catégorie des MITM est aujourd’hui fixé à une semaine, alors qu’il ne peut être inférieur à deux mois en application de l’article 1er adopté par la commission.

 

 

 

Évolution des seuils de stockage lors de l’examen en commission

 

Catégorie de médicament

Type de seuil

Actuelle rédaction de l’article L. 5121-29

Décret du 30 mars 2021

Amendement AS53 rect. de Mme Rabault

Sous-amendement AS64 de Mme Rist

Texte adopté en commission

Non essentiel

Minimal

-           

1 semaine

2 mois

2 mois

2 mois

Maximal

4 mois

4 mois

6 mois

4 mois

4 mois

MITM

Minimal

-           

2 mois

4 mois

2 mois

2 mois

Maximal

4 mois

4 mois

6 mois

4 mois

4 mois

 

  1.   Le directeur gÉnÉral de l’ANSM peut autoriser des dÉrogations À cette obligation pour en garantir la pertinence

L’amendement de rédaction globale de la rapporteure a également introduit une nouvelle possibilité pour le directeur général de l’ANSM d’autoriser les titulaires d’AMM ou entreprises pharmaceutiques à constituer un stock de sécurité inférieur au niveau plancher, lorsque ces exigences sont incompatibles avec un approvisionnement approprié et continu du marché. Ce niveau plancher qui était de quatre mois dans l’amendement de rédaction globale défendu par la rapporteure, a été ramené à deux mois par le sous amendement adopté par la commission. La souplesse introduite par cette dérogation permet de renforcer la pertinence des stocks de sécurité comme outil à la main du directeur général de l’agence, pour garantir l’approvisionnement du marché. Lors de son audition, l’ANSM a fait état de certaines résistances des entreprises à libérer les stocks de sécurité pour approvisionner le marché en période de tension, par crainte de sanctions pour non-respect des obligations relatives au stock minimal en pareille circonstance. Une gestion plus dynamique des stocks est néanmoins souhaitable, pour amortir les tensions d’approvisionnement du marché et garantir aux patients l’accès à leur traitement. Cette pratique se trouve désormais sécurisée pour l’ensemble des acteurs.

En conséquence, l’amendement introduit à l’article L. 5423-9 une dérogation au régime de sanctions prévues pour les manquements aux obligations de stockage, lorsque l’obligation de stockage minimal n’est pas respectée conformément à une autorisation du directeur général de l’agence.

  1.   Une mesure d’Épargne de mÉdicaments en cas de rupture est Étendue aux risques de rupture

L’article 1er adopté par la commission a été modifié par une disposition du sous amendement AS64 à l’amendement de rédaction globale AS53. Cette disposition complète celles de l’article L. 5121‑33‑1, créé par l’article 72 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 ([47]), qui permet au ministre chargé de la santé, en cas de rupture d’approvisionnement, de rendre obligatoire le recours aux ordonnances de dispensation conditionnelle ou encore la délivrance de médicaments à l’unité. Ces mesures sont étendues aux situations de risque de rupture. Il s’agit de mesures d’épargne de médicaments, permettant dans le cas des ordonnances de dispensation conditionnelle, de conditionner la délivrance d’un médicament à la réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique (Trod) qui confirme l’indication, ou de limiter la délivrance au nombre de comprimés effectivement prescrits dans le cas de la délivrance à l’unité. Cette faculté initialement prévue pour les seules situations de rupture est désormais étendue aux situations de risque de rupture par l’alinéa 5 de l’article 1er adopté par la commission.

L’article 1er adopté par la commission dans sa version modifiée par l’amendement de rédaction globale de la rapporteure et le sous‑amendement de Mme Stéphanie Rist consacre l’existence d’un seuil de stockage minimal dans le code, dont le niveau est renforcé par rapport au cadre réglementaire actuel passant d’une semaine de couverture des besoins à deux mois pour l’ensemble des médicaments. L’article n’opère en revanche aucune distinction entre les niveaux de stock de l’ensemble des médicaments et ceux relevant de la catégorie des MITM, ce qui peut sembler contraire à l’esprit de l’article 1er.

La rapporteure déposera donc plusieurs amendements visant à rétablir la cohérence d’ensemble dans la rédaction de l’article 1er et à rapprocher les seuils de stockage de ceux prévus dans le dispositif initial de l’article 1er.

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*     *

 

 

 

Introduit par la commission

Le présent article prévoit la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement évaluant la pertinence de créer une liste restrictive de molécules pour lesquelles les obligations de stockage seraient renforcées.

 

Le présent article est issu d’un amendement (AS17) de M. Philippe Juvin et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains. Il prévoit la remise au Parlement, avant le 31 décembre 2024, d’un rapport du Gouvernement évaluant la pertinence de définir une « liste restrictive de molécules thérapeutiques, de l’ordre d’une ou de deux par classe thérapeutique ». Ce rapport présenterait notamment les contreparties dont les titulaires d’autorisation de mise sur le marché et les exploitants de ces médicaments pourraient bénéficier au titre des obligations renforcées qui s’imposeraient à eux. En particulier, l’article mentionne la possibilité d’augmenter le niveau du stock de sécurité pour ces médicaments.

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Introduit par la commission

Le présent article prévoit la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement sur la création d’une plateforme unique pour le suivi des stocks de médicaments.

Le présent article est issu d’un amendement (AS61) de la rapporteure. Il prévoit la remise au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, d’un rapport du Gouvernement évaluant la possibilité de créer une plateforme de suivi des stocks de médicaments ou, à défaut, d’établir une connexion entre les plateformes qui rassemblent les données nécessaires à ce suivi. Trois outils de suivi sont actuellement utilisés par les acteurs de la chaîne du médicament :

– Trustmed, plateforme gérée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui permet la déclaration des ruptures de stock des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ;

– DP-Ruptures, mis en œuvre par le Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP), qui permet notamment le suivi des ruptures et tensions d’approvisionnement ;

– TRACStock, instrument de suivi des stocks développé par le Leem et dont les données sont mises à disposition de l’ANSM.

Le rapport prévu par le présent article envisagerait notamment la création d’un système unique, accessible aux différents acteurs de la chaîne du médicament.

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Adopté avec modifications

Le présent article tend à relever le plafond des sanctions financières que le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) peut prononcer à l’encontre des entreprises pharmaceutiques en cas de manquement aux obligations qui leur incombent notamment au titre de la prévention et de la maîtrise du risque de pénurie de médicaments. Ainsi, il prévoit d’augmenter le montant maximum des sanctions infligées aux personnes morales à 50 % du chiffre d’affaires, dans la limite de 5 millions d’euros, au lieu de 30 % du chiffre d’affaires, dans la limite de 1 million d’euros.

La modification proposée permettrait à l’ANSM d’adopter une échelle de sanctions mieux adaptée à la réalité économique du secteur pharmaceutique et proportionnée à la gravité des manquements constatés, au regard notamment de leur incidence sur la santé publique.

  1.   Le droit existant : Des sanctions financiÈres insuffisamment dissuasives et peu mobilisÉes
    1.   Un pouvoir de sanction censÉ garantir l’effectivitÉ des obligations ÉdictÉes par le lÉgislateur
      1.   Un champ d’application qui inclut notamment les obligations imposées aux exploitants au titre de la lutte contre les pénuries

● La mise en œuvre de la réglementation des médicaments comprend la faculté, pour le directeur général de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), de prononcer des sanctions à caractère financier, éventuellement assorties d’astreintes.

Introduite par l’article 5 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire et des produits de santé, cette prérogative s’exerce à l’égard des personnes physiques ou morales produisant ou commercialisant les produits de santé soumis au contrôle de l’agence ou assurant les prestations associées à ces produits ([48]). Aussi, suivant la présentation qu’en fournit l’ANSM, l’utilisation de cette faculté s’inscrit-elle dans « la volonté du législateur de doter l’autorité administrative chargée de la surveillance de la sécurité sanitaire, d’une compétence lui permettant d’infliger des sanctions administratives renforcées afin de prévenir et sanctionner de manière réactive les agissements des opérateurs qui manquement aux obligations qui leur incombent » ([49]).

Son champ d’application, défini par les articles L. 5471-1 et R. 5471-1 du code de la santé publique, reflète l’étendue des matières soumises au contrôle de l’agence et ne se limite donc pas aux seules obligations relevant de la lutte contre les pénuries ([50]).

Les principales missions de l’ANSM

Créée par la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (dite « loi Médicament »), l’ANSM est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé.

Aux termes de l’article L. 5311-1 du code de la santé publique, elle a notamment pour missions :

– d’évaluer les bénéfices et les risques liés à l’utilisation des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme ;

– de garantir la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie ;

– de participer à l’application des dispositions relatives aux recherches impliquant la personne humaine ;

– d’assurer la mise en œuvre des systèmes de vigilance pour la plupart des produits de santé ;

– de contrôler la publicité en faveur de tous les produits, objets, appareils et méthodes revendiquant une finalité sanitaire ;

– de prendre ou de demander aux autorités compétentes de prendre les mesures de police sanitaire nécessaires lorsque la santé de la population est menacée.

En 2022, l’Agence disposait d’un budget de 154,8 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 142,4 millions d’euros en crédits de paiement. Les autorisations d’emplois au titre du même exercice s’élevaient à 977 équivalents temps plein travaillé (ETPT) (1).

(1) Source : ANSM, rapport d’activité 2022.

● Les manquements aux obligations des exploitants au titre de la lutte contre les pénuries qui sont susceptibles de faire l’objet de sanctions financières ont été progressivement étendus au gré de l’édiction, par le législateur et le pouvoir réglementaire, de nouvelles règles imposées aux exploitants.

À cet égard, l’adoption de l’article 48 de la loi n° 2019-446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 a constitué une étape significative du renforcement du cadre légal et réglementaire en matière de lutte contre les pénuries, cette disposition ayant notamment introduit la possibilité, pour le Gouvernement, d’imposer la constitution de stocks de sécurité, tout en permettant à l’ANSM de prononcer des astreintes en cas de manquement à cette obligation.

Ainsi, en l’état du droit, peuvent notamment donner lieu à une sanction :

– le fait, pour un titulaire d’autorisation de mise sur le marché ou une entreprise pharmaceutique exploitant un médicament, de ne pas constituer le stock de sécurité obligatoire destiné au marché national (1° de l’article L. 5423-9) ;

– le fait de ne pas informer l’ANSM de la suspension ou de la cessation de la commercialisation d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) au moins un an avant la date envisagée ou prévisible de cette suspension ou de cette cessation, lorsqu’il n’existe pas d’alternatives disponibles sur le marché français (2° du même article) ;

– le fait de cesser la commercialisation d’un MITM avant la fin du délai nécessaire pour mettre en place les solutions alternatives permettant de couvrir ce besoin (3°) ;

– le fait, pour l’exploitant d’un MITM ou de l’un des vaccins pour lesquels l’élaboration d’un plan de gestion des pénuries (PGP) est obligatoire, de ne pas élaborer ce dernier, ou de ne pas prévoir dans celui-ci des mesures suffisantes permettant de faire face à une situation de rupture de stock ou encore de ne pas déclarer à l’ANSM la liste des médicaments pour lesquels il élabore un PGP (5°) ;

– le fait, dans le cas d’un MITM ou de l’un des vaccins pour lesquels un PGP doit être élaboré, de ne pas procéder à l’importation d’une alternative au médicament en rupture de stock exigée par l’ANSM (6°) ;

– le fait, s’agissant d’un MITM, de ne pas informer l’ANSM immédiatement de tout risque de rupture ou de toute rupture de stock pour ce médicament, ou de ne pas mettre en œuvre les mesures prévues par le PGP, ou de pas appliquer les mesures d’accompagnement et d’information des professionnels de santé ainsi que les mesures permettant l’information des patients, ces dernières pouvant notamment impliquer les associations de patients (7°).

En outre, la loi n° 2023-1250 du 28 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 a complété la liste de ces manquements afin d’y inclure :

– le fait, dans le cas d’un MITM, de ne pas mettre en œuvre les mesures de police sanitaire nécessaires à la garantie d’un approvisionnement approprié prises par le directeur général de l’ANSM ;

– le fait, s’agissant des MITM qui ne font plus l’objet d’une protection au titre de la propriété intellectuelle ou industrielle, de ne pas rechercher une entreprise pharmaceutique afin d’assurer la reprise effective de l’exploitation du médicament, en absence d’alternative thérapeutique satisfaisante.

  1.   Des montants plafonnés par la loi et soumis à un principe général de proportionnalité

● La loi définit le montant maximum des sanctions financières que le directeur général de l’ANSM est susceptible de prononcer.

Ainsi, aux termes du deuxième alinéa du III de l’article L. 5471-1 du code de la santé publique, ces sanctions ne peuvent être supérieures, dans le cas des manquements précités :

– à 150 000 euros lorsqu’ils sont commis par une personne physique ;

– à 30 % du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le produit ou le groupe de produits concerné, dans la limite de 1 million d’euros, quand ils sont imputables à une personne morale.

Dans ses lignes directrices relatives à la détermination des sanctions financières, l’agence précise que leur montant est assis sur le chiffre d’affaires hors taxe réalisé en France et qu’il exclut, à ce titre, les exportations.

Une exception est cependant prévue pour les entreprises dont l’activité est principalement ou exclusivement consacrée à l’exportation, pour lesquelles il est « tenu compte du chiffre d’affaires réalisé à l’exportation et, le cas échéant, de celui réalisé en France ».

De surcroît, l’article L. 5471-1 du code de la santé publique prévoit que, pour les manquements mentionnés à l’article L. 5423-9 – lesquels comprennent l’ensemble des manquements susmentionnés –, l’agence peut assortir la sanction financière d’une astreinte journalière due pour chaque jour de rupture d’approvisionnement constaté. Par analogie avec le plafond applicable aux sanctions, cette astreinte ne peut excéder 30 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé en France par l’entreprise au titre du dernier exercice clos pour le produit considéré.

Enfin, le dernier alinéa du même article permet à l’ANSM de publier les décisions de sanction financière sur son site internet pour une durée qui, en application de l’article R. 5312-2 du code de la santé publique, ne peut excéder un mois.

● En outre, le pouvoir de sanction du directeur général de l’ANSM est soumis à un principe général de proportionnalité et d’adaptation du quantum des pénalités aux manquements sanctionnés.

Ainsi, l’article L. 5312-4-1 du code de la santé publique dispose :

– d’une part, que « les montants de la sanction financière et de l’astreinte sont proportionnés à la gravité des manquements constatés » ;

– d’autre part, qu’ils « tiennent compte, le cas échéant, de la réitération des manquements sanctionnés dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ».

  1.   Une méthode de détermination du quantum des sanctions précisée par l’ANSM dans des lignes directrices

● Afin de respecter les critères généraux et les plafonds définis par le législateur, les lignes directrices édictées par l’agence précisent les modalités d’exercice de cette faculté, dans le cadre d’une approche forfaitaire visant à assurer la lisibilité et la prévisibilité des sanctions.

La dernière actualisation de ce document, qui date de l’été 2022, visait à tirer les conséquences des modifications apportées au dispositif de lutte contre les pénuries par l’article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. En particulier la méthode de détermination et le barème des sanctions relatives aux ruptures de stock sont présentés dans une annexe spécifique, entrée en vigueur le 1er octobre 2022 ([51]).

Pour l’ensemble des sanctions que l’ANSM est susceptible de prononcer, ces lignes directrices prévoient cinq étapes :

– la fixation d’un montant de base, fondée sur un système de cotation des manquements, qui distingue trois niveaux. Il convient de relever que, conformément à la logique qui sous-tend la rédaction du deuxième alinéa du III de l’article L. 5312‑4 du code de la santé publique – qui prévoit d’appliquer, aux auteurs de manquements aux obligations en matière de lutte contre les pénuries, les sanctions les plus élevées que l’agence est habilitée à prononcer –, le montant de base des sanctions prises sur ce fondement correspond systématiquement à la cotation la plus élevée, fixée à 20 % du chiffre d’affaires ;

– l’adaptation à la gravité des faits et à leur durée. L’agence tient ainsi compte de l’impact du manquement sur la santé publique, eu égard en particulier à la gravité des effets indésirables survenus, de la criticité des événements entraînés par la réalisation du manquement ou encore, s’agissant des ruptures de stock, des possibilités de report vers une autre spécialité pharmaceutique. Lorsque le manquement a empêché l’ANSM de prendre en temps utile des mesures dans l’intérêt de la santé publique, cette circonstance est également prise en compte. Une majoration de 2 % est alors appliquée à la sanction ([52]). De manière analogue, la durée du manquement est prise en compte dans le calcul de cette dernière au moyen d’un barème ;

– l’adaptation au comportement de l’opérateur, dans le cadre de la « phase de personnalisation » de la sanction qui suit la caractérisation du manquement et qui tient aussi bien compte des éléments de nature à constituer des circonstances aggravantes que de ceux susceptibles d’atténuer la sanction finale. Les faits pris en considération sont répartis dans un barème qui établit, respectivement, le taux de majoration ou de minoration de la sanction finale ;

– la prise en compte, le cas échéant, de la réitération du manquement, ce critère étant le seul, parmi ceux mobilisés par l’agence, qui soit expressément prévu par l’article L. 5312-4-1 précité – les autres étapes de la détermination de la sanction constituant autant d’applications du principe général de proportionnalité établi par le même article. S’agissant des ruptures de stock, le montant de la sanction est ainsi majoré de 3 % lorsque les manquements constatés ont été préalablement sanctionnés dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision est devenue définitive ;

– l’adaptation à la situation individuelle de l’opérateur, et notamment à sa capacité contributive. À cet égard, si les lignes directrices édictées par l’ANSM prévoient que « les difficultés rencontrées par l’entreprise [...] peuvent être prises en compte dans le cadre de la détermination du montant de la sanction », elles attribuent à celle-ci la charge d’apporter, par écrit et de manière motivée, la preuve de ses difficultés contributives.

Dans le cas des ruptures de stock, l’astreinte journalière que l’ANSM est habilitée à prononcer est fixée, pour un premier manquement, à 20 % du chiffre d’affaires journalier moyen et, en cas de récidive, à 30 % de ce dernier – ce niveau correspondant au plafond instauré par le législateur.

Majoration du montant de la sanction financiÈre selon la durÉe du manquement

Durée du manquement

Taux de majoration du montant de base

Inférieure à 2 mois

+ 0,25 %

2 mois à 6 mois

+ 0,5 %

6 mois à 12 mois

+ 1,5%

Supérieure à 12 mois

+ 2 %

Source : ANSM, « Lignes directrices relatives à la détermination des sanctions financières », annexe 3.

ModalitÉs de prise en compte du compte du comportement de l’entreprise dans le calcul de la sanction

Éléments pris en compte

Taux de majoration ou de minoration du montant de base

Coopération et diligence pour faire cesser le manquement ou se mettre en conformité

– 2 %

Ignorance des faits démontrée/Bonne foi

– 1 %

Absence de coopération et de diligence (y compris non transmission du chiffre d’affaires), obstacle à la détection du manquement, manque de diligence pour le faire cesser ou se mettre en conformité

+ 1,5 %

Manquement intentionnel, mauvaise foi

+ 2 %

Caractère répétitif de l’infraction

+ 2 %

Source : Ibid.

La fonction dissuasive des sanctions financières est pleinement reconnue par l’ANSM qui relève, dans ses lignes directrices relatives à ces dernières, que « si le prononcé d’une sanction financière répond effectivement au double objectif d’effectivité et de répression, ce dernier lui confère également un caractère dissuasif à la fois individuel et général, vis-à-vis de l’ensemble des opérateurs ».

À cet égard, la rapporteure observe un décalage entre le nombre de sanctions prononcées par l’agence, le montant des sanctions financières et le nombre croissant des ruptures constatées.

  1.   Une utilisation limitÉe malgrÉ l’ampleur des pÉnuries
    1.   Un nombre de sanctions particulièrement faible dans un contexte de hausse du nombre de ruptures

● Entre 2018 et 2022, l’ANSM a prononcé n’a prononcé que huit sanctions au titre de la réglementation relative aux pénuries, pour un montant total de 922 000 euros.

Nombre et montant des sanctions financières prononcées par l’ANSM (20182022)

https://www.senat.fr/rap/r22-828-1/r22-828-132.png

Source : Rapport de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française, données transmises par l’ANSM.

De surcroît, ces sanctions n’ont porté que sur des manquements à l’obligation, pour les industriels, d’informer l’ANSM d’un risque de rupture ou d’une rupture de stock. En particulier, les manquements aux obligations ayant trait à l’établissement et l’exhaustivité des plans de gestion des pénuries n’ont donné lieu à aucune sanction au cours de cette période, alors même que des insuffisances dans la mise en œuvre de ces plans ont été mises en évidence à plusieurs reprises au cours des dernières années, en particulier par la récente commission d’enquête du Sénat et par la Cour des comptes ([53]). L’ANSM a elle-même indiqué à la commission d’enquête que « la qualité des analyses de risque et des mesures [des PGP était] inégale » ([54]). Comme le relève la commission dans son rapport, « alors que les PGP doivent, en principe, être d’autant plus documentés et formalisés que le niveau de risque est élevé, certains médicaments pourtant essentiels à la prise en charge des patients ne font, manifestement, pas l’objet d’une analyse suffisante de la part de leur exploitant » ([55]).

Selon les informations communiquées à la rapporteure par la direction générale de la santé, l’année 2023 a été marquée par une augmentation du nombre de recours de l’ANSM à son pouvoir de sanction, qu’elle a utilisé à six reprises pour un montant global de 560 000 euros. Pour la première fois, trois de ces décisions ont concerné des manquements aux obligations en matière de stocks de sécurité ([56]).

● Cette augmentation du nombre de sanctions financières n’en demeure pas moins limitée. Elle doit, de surcroît, être relativisée :

– d’une part, il convient de la comparer à la hausse de 30 % du nombre de ruptures de stock et de risques de ruptures déclarés à l’ANSM par rapport à l’année précédente, dont on peut penser qu’elle est imputable, au moins partiellement, à des manquements antérieurs des industriels tant à la réglementation en vigueur qu’aux exigences d’anticipation et la gestion des risques ;

– d’autre part, il est difficile, sur la base des décisions rendues au cours d’une seule année, de conclure à une évolution pérenne de la manière dont l’ANSM met en œuvre ses prérogatives.

● Le recours limité aux sanctions tient d’abord à la « logique d’accompagnement » privilégiée par l’ANSM à l’égard des exploitants au cours des dernières années, dans le cadre d’une période d’adaptation aux nouvelles obligations introduites par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et le décret « Stock » du 30 mars 2021 ([57]).

En outre, cette situation semble partiellement imputable au caractère limité des ressources dont dispose l’ANSM pour contrôler le respect de l’ensemble des obligations édictées par le législateur et le pouvoir réglementaire depuis le début des années 2010. À cet égard, il convient de rappeler que l’amplification du recours à son pouvoir de sanction pour réprimer les manquements aux obligations en matière de stocks de sécurité constitue l’un des buts assignés à l’ANSM par sa dernière convention d’objectifs et de performance (COP), qui couvre les années 2019 à 2023. Or, dans son dernier rapport d’activité, l’agence fait état de résultats inférieurs à la cible définie par le COP concernant le taux de dossiers pour lesquels une mesure de réduction du risque de rupture a été proposée dans les délais : alors qu’elle s’était donné pour objectif de traiter l’ensemble de ces dossiers, elle n’y est parvenue que pour les deux tiers d’entre eux. L’ANSM situe l’origine de cette situation dans l’augmentation – à hauteur de 70 % – du nombre des signalements de risques de pénuries ou de pénuries par rapport à l’année précédente.

Aussi la rapporteure tient-elle à souligner que l’adaptation des moyens de l’ANSM à l’élargissement des obligations que le législateur la charge de faire appliquer constitue le corollaire indispensable du renforcement du dispositif légal et réglementaire de lutte contre les pénuries de médicaments.

  1.   Des montants de sanctions financières qui représentaient, en 2022, 0,001 % du chiffre d’affaires des médicaments remboursés

● En 2022, le montant total des sanctions prononcées au titre de la réglementation relative à la lutte contre les pénuries s’est élevé à 361 094 euros. Pour apprécier ce montant, il convient de rappeler qu’entre 2000 et 2022, le chiffre d’affaires hors taxe des médicaments pris en charge par l’assurance maladie est passé de 15,3 milliards d’euros à 33,4 milliards d’euros. Par ailleurs, selon le Leem, le chiffre d’affaires total de l’industrie pharmaceutique en France atteignait 63,1 milliards d’euros en 2021 ([58]).

évolution du chiffre d’affaires hors taxe et de la Répartition des ventes des médicaments pris en charge (2000-2022)

Source : Comité économique des produits de santé, Rapport d’activité 2022 et réponses aux questions écrites de la rapporteure. Le chiffre d’affaires hors taxe est établi sur la base du prix facial hors taxe, avant imputation des remises conventionnelles et des contributions dues au titre de la clause de sauvegarde.

  1.   Le dispositif proposÉ : adapter le plafond des sanctions financiÈres À la rÉalitÉ Économique du secteur pharmaceutique et À l’impact sanitaire des manquements

● Le présent article tend à relever le plafond des sanctions financières que le directeur général de l’ANSM peut prononcer à l’encontre des exploitants en cas de manquement aux obligations qui leur incombent notamment au titre de la réglementation visant à lutter contre les pénuries de médicaments.

À cette fin, il apporte deux modifications au deuxième alinéa du III de l’article L. 5471-1 du même code, lesquelles tendent à :

– porter le montant maximum de la sanction que l’ANSM peut prononcer de 30 % du chiffre d’affaires réalisé pour le produit ou le groupe de produits concerné par le manquement à 50 % de celui-ci () ;

– fixer à 5 millions d’euros, au lieu de 1 million d’euros, la limite de ce montant (2°).

● L’augmentation de ces plafonds tend à permettre à l’ANSM de relever le quantum des sanctions financières pour l’ensemble des manquements, en adaptant au nouveau plafond les barèmes utilisés pour déterminer le montant de ces pénalités.

Le relèvement du niveau des sanctions tend à garantir l’effectivité des obligations édictées par le législateur et le pouvoir réglementaire pour protéger la santé publique. Il répond ainsi au caractère critique, pour la santé publique, du respect de l’ensemble de ces obligations.

Il vise également à mieux tenir compte, dans la détermination de chaque sanction, des caractéristiques du marché du médicament. À cet égard, le présent article tend à remédier :

– à la disproportion entre le plafond en vigueur et le chiffre d’affaires réalisé pour certains produits et groupes de produits, notamment les plus onéreux ;

– à l’écart entre ce montant maximum et le chiffre d’affaires des entreprises pour lesquelles le chiffre d’affaires réalisé pour le produit ou le groupe de produits concerné par le manquement représente une part limitée de son chiffre d’affaires global.

● De façon plus spécifique, le relèvement du quantum des sanctions contribuerait également à dissuader les exploitants de privilégier le paiement de pénalités financières au respect des obligations définies par le législateur et le pouvoir réglementaire. Une telle mesure revêt une importance particulière au regard de l’augmentation des stocks de sécurité prévue par l’article 2.

  1.   LES Modifications apportÉes par la commission

La commission a adopté un amendement (AS57) de rédaction globale de l’article, déposé par la rapporteure. Tout en confirmant l’augmentation du plafond des sanctions financières prévue par la proposition de loi au stade de son dépôt, cet amendement a introduit deux nouvelles dispositions tendant à conforter l’effectivité du pouvoir de sanction que détient le directeur général de l’ANSM.

En premier lieu, l’amendement adopté par la commission précise que les manquements à la réglementation relative à la lutte contre les pénuries peuvent être établis par l’ANSM au moyen de ses prérogatives de contrôle sur pièces et sur place.

En outre, l’article 2 prévoit désormais que les décisions de sanction financière sont publiées sur le site de l’ANSM durant une période d’un an à compter de leur édiction. Il confère également un caractère systématique à cette publication actuellement facultative. Pour mémoire, en l’état du droit, l’article R. 5312-2 du code de la santé publique prévoit que ces décisions de sanction financière sont susceptibles d’être publiées sur le site internet de l’agence pendant une durée qui ne peut excéder un mois ou, le cas échéant, jusqu’à la régularisation de la situation, si celle-ci n’est pas intervenue à l’issue de cette durée.

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Introduit par la commission

Le présent article vise à interdire toute forme de publicité pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) en cas de risque de rupture ou de rupture de stock.

Le présent article est issu d’un amendement (AS52) de Mme Stéphanie Rist et plusieurs de ses collègues du groupe Renaissance. Il vise à interdire toute forme de publicité pour les exploitants de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) pour lesquels une rupture ou un risque de rupture de stock est mis en évidence ou a été déclaré à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), en application des obligations déclaratives qui pèsent sur les titulaires d’autorisation de mise sur le marché et les exploitants de ces médicaments. Il prévoit aussi la possibilité, pour l’ANSM, d’accorder des dérogations à cette interdiction.

Ainsi, le présent article tend à éviter la mise en œuvre de mesures publicitaires susceptibles d’entraîner une demande accrue et non nécessaire pour des médicaments pour lesquels des tensions d’approvisionnement sont constatées.

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   Travaux de la commission

Lors de sa première réunion du mercredi 14 février 2024 ([59]), la commission examine la proposition de loi visant à lutter contre les pénuries de médicaments (n° 2062) (Mme Valérie Rabault, rapporteure).

Mme Valérie Rabault, rapporteure. Chacun d’entre nous et chacun des habitants de nos circonscriptions, qu’il s’agisse de patients ou de pharmaciens, a été confronté aux pénuries de médicaments.

« Imposer des stocks au laboratoire pour des médicaments d’intérêt thérapeutique est une bonne façon de procéder. [...] Le délai de quatre mois est raisonnable, juste, avéré scientifiquement et surtout suffisant pour assurer la continuité de l’accès aux médicaments pour le marché français. » Ces mots ont été prononcés en séance publique le 25 octobre 2019 par Olivier Véran, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020.

Je ne peux que faire mienne son affirmation, qui a d’ailleurs inspiré l’article 1er de cette proposition de loi. L’article de ce PLFSS qui imposait aux entreprises pharmaceutiques de constituer un stock de sécurité destiné au marché national avait d’ailleurs été adopté à l’unanimité.

La proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter trouve son origine dans cette ambition partagée de garantir la disponibilité des médicaments destinés à répondre aux besoins de nos concitoyens. C’est la première fois qu’une proposition aborde la question des pénuries de médicaments – même si des dispositions ont été présentées dans le cadre du PLFSS.

Son inscription à l’ordre du jour vise à répondre à une conjoncture très difficile puisque, selon France Assos Santé, 37 % des Français ont été confrontés à au moins une pénurie de médicaments en 2023, contre 25 % l’année précédente.

Le nombre de ruptures et de risques de rupture de stock déclarés à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a été multiplié par dix au cours de la dernière décennie. Nous sommes passés de 404 déclarations en 2013 à 4 925 en 2023. Il est important de rappeler que cela peut donner lieu à des mesures de limitation de la quantité de médicaments délivrés ou encore de restriction d’accès à certaines molécules  y compris à certaines qui sont absolument essentielles. L’ANSM a indiqué qu’un quart des déclarations de rupture ou de risque de rupture d’approvisionnement ont donné lieu à de telles restrictions en 2019. Cette proportion atteint désormais environ 40 %. Notre pays manque encore d’antibiotiques, d’amoxicilline, de salbutamol contre l’asthme, de Corgard  un bêtabloquant essentiel –, de Creon  prescrit à ceux qui n’ont plus de pancréas  et de bien d’autres médicaments d’importance vitale.

Je pense que notre responsabilité première de députés est de faire en sorte que le droit effectif à la protection de la santé, qui figure dans le Préambule de la Constitution de 1946, soit défendu par tous les moyens.

Il est également important de rappeler l’augmentation exponentielle du temps passé par les professionnels de santé pour faire face aux conséquences de ces pénuries, que ce soit dans les officines ou à l’hôpital. On nous a indiqué que dix heures par semaine y étaient en moyenne consacrées dans une petite officine, tandis que le nombre d’équivalents temps plein (ETP) affectés dans les hôpitaux à la gestion des pénuries est en augmentation croissante.

Cette proposition de loi me tient à cœur. J’ai interpellé le Gouvernement sur ce sujet à plusieurs reprises depuis 2017. Lors des questions au Gouvernement, j’ai interrogé Agnès Buzyn, puis le Premier ministre Édouard Philippe en juin 2019. À la suite de cela, ce dernier a demandé un rapport à Jacques Biot et l’obligation pour les industriels de constituer des stocks a été inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020. J’ai rappelé que cette disposition avait été adoptée à l’unanimité.

Il était prévu que ces stocks couvrent quatre mois de besoins, mais cette ambition a été amoindrie par le décret du 30 mars 2021 – dont la parution a été attendue pendant deux ans. Ce dernier a fixé, pour chaque catégorie de médicaments, le niveau de stock nécessaire que tout exploitant ou titulaire d’autorisation de mise sur le marché est tenu de constituer afin d’assurer l’approvisionnement du système de santé. En outre, pour la plupart des médicaments, les niveaux de stocks établis par ce décret se sont avérés inférieurs à ce qui avait été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale lors de l’examen du PLFSS 2020. Ainsi, pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), le stock de sécurité doit correspondre à deux mois de besoins. Il est exact qu’une marge de manœuvre est accordée à l’ANSM, qui peut porter ce plafond à quatre mois. Mais elle peut le faire seulement lorsque le médicament concerné a connu une pénurie au cours des deux années précédentes.

En pratique, cela signifie que si l’ANSM est alertée par un industriel ou un laboratoire sur un risque de pénurie de médicament, elle ne peut pas leur enjoindre de passer tout de suite à un stock de quatre mois si une telle pénurie ne s’est pas déjà manifestée pendant ces deux années passées. L’obligation de stocks de quatre mois concerne actuellement 400 médicaments. Les niveaux de stocks ne paraissent pas suffisants pour prévenir le risque de pénurie.

Nous avons mené dix-neuf auditions dans le cadre de l’examen de cette proposition. L’ANSM, France Assos Santé, l’UFC-Que choisir, le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine ont tous souligné la nécessité de disposer d’un stock minimal pour être capable de faire face aux tensions en matière d’approvisionnement – c’est-à-dire de pouvoir faire varier la durée des stocks en fonction des informations disponibles sur des difficultés éventuelles de production.

L’ANSM a insisté sur la nécessité de recueillir l’information de manière précoce, dès que se manifeste un risque de tension, et de rehausser la durée minimale de stocks afin de se donner du temps et de pouvoir réagir. Le président de la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique – qui représente les grossistes répartiteurs – a confirmé ce point lors de son audition. Lorsque je lui ai demandé comment éviter la pénurie, il a apporté la réponse suivante : « Il faut qu’on soit livré de nos stocks. Il faut que les stocks existent en quantité suffisante. »

Les auditions ont montré que les stocks sont indispensables pour faire face aux augmentations imprévues des besoins, comme on a pu le constater lors des hivers 2022 et 2023.

Ils sont également nécessaires pour nous protéger des vulnérabilités inhérentes à la fragmentation et à la mondialisation des chaînes de production. On sait que les médicaments dits « princeps » sont fabriqués à 80 % en Chine et en Inde, tandis qu’entre 70 et 80 % des médicaments génériques que nous consommons proviennent d’Europe – une grosse usine située en Autriche a d’ailleurs connu quelques difficultés. Il faut évidemment traiter la question de cette vulnérabilité à l’échelle européenne, mais tel n’est pas l’objet de cette proposition.

Pour nous prémunir des risques de rupture d’approvisionnement de certains médicaments, nous devons donner à l’ANSM la possibilité d’enjoindre de constituer des stocks plus importants.

L’article 1er prévoit donc de renforcer l’obligation de constituer un stock de sécurité, introduite dans la LFSS 2020. Comme je l’ai rappelé, le décret ne correspond pas à l’objectif que nous avions voté à l’unanimité.

L’article 2 prévoit de relever le plafond des sanctions. Je veux bien entendre tous les arguments sur la proportionnalité des sanctions, notamment par rapport au niveau de rentabilité de certains médicaments génériques. Mais je signale que de nombreuses personnes auditionnées ont indiqué que le dispositif que je propose leur convenait. C’est le cas de Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie – qui était précédemment le directeur de cabinet adjoint du Premier ministre Édouard Philippe – et des représentants de la direction générale de la santé (DGS) et de l’ANSM. Pour Thomas Fatôme : « L’article 2 va totalement dans le bon sens. Je ne crois pas que les mécanismes actuels de sanctions jouent suffisamment leur rôle. » Et pour la DGS : « L’article 2 est OK pour nous. » Cela pourra être confirmé par tous ceux qui ont assisté aux auditions. Les sanctions doivent en effet être un peu dissuasives.

J’ai travaillé sur cette proposition de loi avec pour but que nous puissions aboutir à un texte qui suscite l’adhésion collective, car nous sommes tous concernés par les pénuries de médicaments. C’est ce qui m’a amené à proposer un amendement de réécriture de l’article 1er, afin de donner de la flexibilité à l’ANSM dans l’exercice des missions que nous lui confions. Il ne faut pas que les industriels, obligés par la loi de constituer des stocks, refusent d’y puiser à la demande de l’ANSM en cas de sévère pénurie par crainte d’être sanctionnés. J’ai conscience que cette ligne de crête est étroite, mais le principe de réalité doit primer. Il serait irresponsable qu’on en vienne à refuser d’utiliser des stocks de médicaments dont nos concitoyens ont besoin.

J’en viens à une question qui ne relève pas de cette proposition mais qui pourrait faire l’objet d’une mesure dans le cadre d’un PLFSS : qui connaît les stocks de médicament en France ? Leur gestion relève de trois systèmes d’information qui fonctionnent en tuyaux d’orgue : Trustmed, TRACStocks et DP-Ruptures. L’ANSM emploie dix ETP pour agréger leurs données afin de connaître l’état et la localisation des stocks. Il serait nécessaire d’aider l’ANSM à mettre en place un système d’information partagé, qui lui permette de disposer en permanence d’une vision d’ensemble et d’être en mesure d’agir. Elle pourrait ainsi assurer un pilotage global, à la manière d’une tour de contrôle.

L’Assemblée nationale doit être capable de répondre à ces pénuries de médicaments, qui constituent une source d’angoisse constante pour nos concitoyens – en particulier quand on habite un territoire rural, qu’on est très âgé et que l’on ne peut pas faire 200 kilomètres pour essayer de trouver une pharmacie qui dispose des médicaments dont on a besoin. Cette angoisse est partagée par les pharmaciens d’officine, qui subissent les réactions d’incompréhension des patients – lesquelles prennent parfois une forme de violence inacceptable. Sans sous-estimer les difficultés, il faut donc trouver un mode de fonctionnement qui permette d’alléger la pénurie de médicaments.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale (RE). Chacun d’entre nous a en effet pu être confronté à des problèmes de pénurie de médicaments. Notre groupe a donc regardé avec intérêt cette proposition de loi.

La première feuille de route destinée à lutter contre ces pénuries a été publiée en 2019 et une nouvelle version devrait être présentée prochainement. De nombreuses actions ont été mises en place ces dernières années. Je tiens à rappeler que c’est notre majorité qui a prévu en 2019 une obligation de constitution de stocks pour les industriels. Conformément aux recommandations de l’ANSM, nous avons aussi donné aux pharmaciens la possibilité de substituer un médicament à un autre en cas de rupture de stock. Nous avons posé dans la LFSS 2024 les bases d’un nouveau pacte entre les pouvoirs publics et les industriels pour réguler les médicaments. En effet, diverses mesures ont été prises pour économiser des médicaments en cas de rupture de stock, comme leur délivrance à l’unité, la réalisation préalable d’un test diagnostic avant l’utilisation d’antibiotiques et le renforcement des pouvoirs de police de l’ANSM.

Notre majorité fera des propositions constructives pour enrichir ce texte, mais nous ne sommes pas favorables à l’augmentation de la durée des stocks obligatoires prévue par l’article 1er. En effet, élargir cette mesure à l’ensemble du marché des médicaments aurait des conséquences contreproductives. C’est une fausse bonne idée et notre groupe recherche l’efficacité plutôt que les effets d’annonce.

Le groupe Renaissance espère que nos débats aboutiront à des propositions efficaces qui permettront de diminuer la pénurie de médicaments, ce qui constitue une réelle attente de nos concitoyens.

Mme Joëlle Mélin (RN). Les auditions ont permis de révéler la complexité des rouages de la distribution des médicaments en France, tout particulièrement pour le dernier kilomètre. De très nombreuses causes en amont sont à l’origine des pénuries constatées : production des principes actifs au bout du monde, contrôle de qualité, façonnage, conditionnement, acheminement, blocages administratifs, règles commerciales contradictoires tant au niveau mondial qu’européen – le tout dans un contexte géopolitique tendu.

Une fois les produits arrivés sur notre sol, tout reste à faire. L’opacité et les règles commerciales de concurrence dans un domaine de délégation de service public, la pénurie de prescripteurs, le désarroi des officines et des hôpitaux plongés dans un nouveau dédale administratif : tout est stupéfiant et source de nouvelles pénuries.

Il existe déjà une obligation de constituer un stock national, dont la taille varie selon les types de médicaments. Comme nous en 2020, vous proposez d’augmenter leur plancher. Nous soutenons bien entendu votre proposition, indispensable pour protéger les Français.

Pour autant, lorsque des pénuries en amont menacent des produits gérés à flux tendus ou s’il n’existe pas d’alternative, l’ANSM doit disposer de pouvoirs dérogatoires et être en mesure, grâce à l’article 1er, d’enjoindre de constituer des stocks avec un préavis adapté. Nous savons que ces derniers ont un coût : ils doivent être situés dans des lieux spécifiques et dépendent de lignes de production qui sont déjà saturées, tant en France qu’en Europe.

Leur gestion doit être aussi transparente que possible et l’ensemble des acteurs doit transmettre les données dont ils disposent. Celles-ci devraient être centralisées par un seul acteur sur une plateforme unique, ce qui contribuerait à une meilleure répartition des médicaments sur le plan national, voire internationale en cas de pandémie.

Cela remettra forcément en question la gestion à flux tendu de certains producteurs. Le stockage ne doit pas être un outil à double tranchant qui serait une cause secondaire de pénurie. C’est la raison pour laquelle j’espère que l’article 1er sera très sérieusement amendé, comme l’a proposé la rapporteure générale.

M. Hendrik Davi (LFI - NUPES). Certains chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2017, l’ANSM recensait 530 MITM en rupture de stock ou sur le point de l’être. Ces signalements se sont élevés à 1 500 en 2022 et à presque 5 000 en 2023, soit une multiplication par dix. Où va-t-on ?

Derrière ces chiffres, il y a l’épuisement des patients qui errent en vain de pharmacie en pharmacie en quête de médicaments parfois vitaux. Il y a l’épuisement et l’impuissance des parents, qui ne parviennent pas à soigner leurs enfants alors que des traitements existent. C’est vraiment rageant. Une pénurie de traitements contre la bronchiolite a été constatée. Il y a aussi le désespoir des personnes âgées, réduites à prendre leur mal en patience, mais aussi les burn‑out des soignants qui se démènent pour pallier les pénuries avec les moyens du bord.

Comment en est-on arrivé là ? C’est le résultat de décennies de marchandisation de la santé et de cadeaux faits aux multinationales du médicament – dont le seul objectif est de verser plus de dividendes à leurs actionnaires. C’est aussi le résultat d’un quinquennat d’inaction.

La proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés va donc dans le bon sens. Les laboratoires pharmaceutiques ont l’obligation d’assurer un approvisionnement pérenne pour les médicaments qu’ils commercialisent. Ce texte propose de fixer un seuil minimal de réserves que devront constituer des industriels pour anticiper les périodes de forte demande. Il a aussi le mérite d’augmenter les sanctions à l’encontre des laboratoires qui ne respectent pas leurs obligations. Nous voterons donc pour.

Mais est-ce suffisant ? Non : le manque de stocks n’est pas la seule raison des pénuries. Il faut un grand plan d’urgence pour sécuriser l’approvisionnement en médicaments.

Cela passe évidemment par la création d’un pôle public du médicament ayant vocation à assurer l’approvisionnement, notamment en médicaments stratégiques. Tel est le sens de la proposition de loi déposée par mon collègue Damien Maudet, qui est soutenue par 90 % des Français.

Cela suppose aussi de conditionner les aides aux multinationales du médicament, notamment le crédit d’impôt recherche (CIR). Tel est l’objet d’un amendement que nous avons déposé. Comment l’entreprise Sanofi a pu supprimer encore 400 postes en 2021, alors qu’elle a bénéficié en dix ans de plus de 1 milliard d’euros d’exonérations d’impôts au titre du CIR ? Il faut rendre plus transparentes les aides publiques dont bénéficient les multinationales, mais aussi revoir les modalités de fixation des prix. Hélas, nos amendements sur ce dernier sujet ont été déclarés irrecevables.

M. Philippe Juvin (LR). L’inscription de cette proposition à l’ordre du jour est bienvenue.

Les pénuries de médicaments touchent la médecine de ville et il a été fait état de nombreux cas de pharmacies qui n’ont pas été en mesure de fournir des médicaments pourtant indispensables à nos concitoyens. Ces pénuries concernent également l’hôpital. Les ruptures ont été multipliées par dix-neuf en une dizaine d’années. La situation est donc extrêmement préoccupante.

L’article 1er propose tout d’abord de fixer le seuil plancher de quatre mois de stocks pour les MITM et de deux mois pour les autres. La question des stocks est évidemment clef, mais on voit que la politique actuelle en la matière ne fonctionne pas. Si elle fonctionnait, il n’y aurait pas de pénuries.

Ensuite, la gestion des stocks peut produire le meilleur comme le pire. Si les obligations sont très dures, on risque d’inciter un certain nombre d’acteurs du marché à aller voir ailleurs. C’est une affaire extrêmement subtile.

Je partage l’avis de la rapporteure : la libération des stocks est un élément fondamental.

Est-il pertinent de cibler une catégorie aussi large que celle des MITM ? Elle comprend plusieurs milliers de médicaments. Ne faudrait‑il pas prévoir une catégorie plus réduite de médicaments de souveraineté, ou bien retenir deux médicaments par classe thérapeutique importante – un per os et un par voie parentérale ? Cela doit faire l’objet d’une réflexion et nous la menons au sein du groupe LR.

Où en sommes-nous en matière de surveillance de l’état des stocks ?

Nous sommes globalement favorables à l’article 2.

Nous sommes nombreux à penser qu’il est nécessaire d’utiliser la clause de sauvegarde pour répondre à des objectifs de santé publique, mais aussi pour lutter contre les pénuries de médicaments.

Enfin, cette proposition n’aborde malheureusement pas la question fondamentale de la stratégie de relocalisation durable de la production de médicaments en Europe.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Tous les Français sont confrontés aux ruptures de stocks de médicaments et je n’y reviendrai pas.

Cette situation est le fruit d’un problème de production industrielle mais aussi de gestion des stocks. Ces derniers sont dispersés – chez les grossistes, les pharmaciens et les Français – et tout le monde est un peu responsable. On produit ainsi plus de Clamoxyl qu’il en est prescrit, mais les stocks sont mal répartis et certains de nos compatriotes font des stocks excessifs.

La proposition de loi cible les producteurs, alors même qu’ils sont peu nombreux, que la demande est forte et que la rentabilité est faible. J’insiste sur ce point : les produits matures rapportent très peu. On impose à leurs producteurs un faible prix. Je rappelle que la clause de sauvegarde que nous votons chaque année dans le cadre de la LFSS représente désormais 1 milliard d’euros d’économies. Et l’on voudrait en plus leur faire financer la constitution de stocks, c’est-à-dire des coûts d’immobilisation et logistiques.

Cette proposition est intéressante, mais elle est selon moi malheureusement contreproductive. Si l’on fait pression sur les industriels, ils seront de moins en moins nombreux et leurs marges seront encore plus réduites. Si l’on prévoit de surcroît des pénalités accrues, ils vont tous se retirer du marché. Cela m’inquiète.

Il faut une stratégie européenne de long terme pour relocaliser la production.

Il convient également de s’interroger au sujet de la surconsommation de médicaments en France, ce que l’on ne fait jamais alors que c’est un point important.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Bravo, madame la rapporteure, pour votre persévérance et votre détermination dans ce combat urgent.

Le 13 décembre dernier, nous avons eu l’occasion d’interpeller la directrice générale de l’ANSM à propos du bilan de son premier mandat, notamment en ce qui concerne les pénuries de médicaments. Il est plus que temps de légiférer de manière décidée sur ce sujet. Pas une semaine ne passe sans qu’un article de presse ou un message provenant de nos circonscriptions ne fasse état d’une nouvelle situation intenable. Chaque année, le nombre de déclarations de rupture et de risque de rupture de stock grimpe. En 2014, on en comptait 330 ; en 2022, elles s’élevaient à 3 800 ; l’année dernière, il y a eu 5 000 déclarations de ce type. Selon France Assos Santé, 37 % des Français ont été confrontés à une pénurie de médicaments en pharmacie en 2023, soit une augmentation de 8 points par rapport au niveau déjà très élevé enregistré en 2022.

Cet état de fait donne lieu à des situations ubuesques et dangereuses, avec des personnes qui déclarent disposer d’un an de Levothyrox chez eux, par peur de manquer. On peut aussi mentionner le cas de cette mère désespérée qui, devant l’état de son nourrisson, a témoigné dans les médias avoir dû se procurer du Gaviscon pédiatrique sur un groupe Facebook d’entraide locale.

Il est évidemment encore plus nécessaire d’agir s’agissant des MITM. Les pénuries entraînent des reports de traitement, des changements de médicaments et des situations de stress chronique. Elles conduisent donc directement à une détérioration de la santé des patients et à une baisse de leur espérance de vie.

À travers les deux articles de ce texte nous souhaitons, d’une part, responsabiliser davantage l’industrie pharmaceutique en matière de gestion des stocks et, d’autre part, nous donner les moyens de faire respecter les obligations – car l’efficacité d’un système contraignant repose sur la réalité des sanctions qu’il prévoit.

M. Paul Christophe (HOR). L’enjeu des pénuries de médicaments n’est pas nouveau. Il est d’ailleurs à l’origine de la création de l’ANSM à l’occasion de la LFSS 2012. Le dispositif alors adopté a permis d’instaurer des obligations à l’ensemble des acteurs de la chaîne du médicament, des industriels aux pharmaciens.

Malgré cela, il est indéniable que les ruptures de stock augmentent de manière tendancielle, et ce depuis plusieurs années. Les 4 900 déclarations de rupture de stock ont nécessité, dans 40 % des cas, de prendre des mesures pour garantir la couverture des besoins des patients.

Rappelons que, conscients des risques que cela fait peser sur nos concitoyens, le Gouvernement a décidé d’accroître la capacité d’action des autorités sanitaires lors de l’examen du PLFSS 2024. Je pense notamment au renforcement des pouvoirs de police sanitaire de l’ANSM ou encore à la faculté qui lui est confiée de requalifier un médicament en MITM.

Selon la directrice de l’ANSM, depuis l’entrée en vigueur en 2021 du dispositif de constitution de stocks de sécurité, le stockage n’est plus le principal frein au bon approvisionnement – contrairement à ce que laisse entendre la proposition. Il faut plutôt s’interroger sur la gestion des stocks et sur leur répartition sur le territoire national, comme la rapporteure l’a reconnu dans son propos liminaire.

Plus encore, nous devons soutenir la réindustrialisation, et donc la production sur notre territoire ou au sein de l’Union européenne.

La Commission européenne a par ailleurs dévoilé à la fin de 2023 son plan pour remédier aux pénuries, annonçant notamment le lancement d’un mécanisme européen de solidarité volontaire en matière de médicaments. Parmi les mesures figure l’acquisition de stocks conjoints à l’échelle européenne pour l’hiver prochain.

Si le groupe Horizons et apparentés partage la volonté d’agir sur ce sujet qui affecte très directement le quotidien et la santé de nos concitoyens, nous ne pensons pas qu’en l’état la proposition permette d’atteindre sa cible. Votre amendement de réécriture de l’article 1er nous encourage d’ailleurs à discuter des risques liés à la constitution de stocks exagérés. Cela pourrait décourager les industriels d’investir en France.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Paracétamol, antibiotiques, traitements anticancéreux ou hormonaux, corticoïdes, insuline, anesthésiants : jamais notre pays n’avait connu autant de ruptures de stock. Et pourtant les industries pharmaceutiques n’ont jamais fait autant de profits. Cherchez l’erreur.

Cette proposition de loi fait écho au véritable chantage que nous subissons depuis plus de quinze ans de la part d’industries pharmaceutiques prédatrices, auxquelles les politiques néolibérales successives ont déroulé le tapis rouge pour faire systématiquement passer le profit devant l’intérêt général.

Si notre groupe salue l’initiative du groupe Socialistes et apparentés, il insiste sur la nécessité d’aborder les causes structurelles qui ont mené à la perte de souveraineté de notre pays sur les médicaments. Elle s’explique notamment par la délocalisation massive de la production en Asie au cours des quarante dernières années. Le rapport de force extrêmement favorable aux industriels leur a laissé le champ libre pour exiger des prix exorbitants pour les thérapies innovantes tout en abandonnant les médicaments les moins rentables.

L’examen de cette proposition doit être l’occasion de rappeler que la course aux profits ne sera jamais compatible avec la planification sociale et écologique, dont notre système de santé a terriblement besoin. Le groupe Écologiste souhaite, d’une part, mettre en lumière les stratégies de dumping fiscal, social et écologique à laquelle se livrent les entreprises pharmaceutiques et, d’autre part, renforcer drastiquement leurs obligations environnementales. Nous proposerons également d’envisager la création d’un pôle public du médicament, seule structure à même de garantir notre souveraineté sanitaire.

Cette proposition doit être l’occasion de tirer les leçons de l’extrême vulnérabilité de la nation de Pierre et Marie Curie, mise en évidence lors du covid‑19. Car nul besoin d’être devin pour savoir avec certitude que de nouvelles crises sanitaires auront lieu. Alors, soyons prêts.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française – créée à l’initiative du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – a été publié au printemps dernier. Rédigé par Laurence Cohen, ce rapport est riche en données objectives et il nous apprend qu’en 2022 plus de 3 700 médicaments ont été signalés en rupture ou à risque de rupture de stock, soit trois fois plus qu’en 2019.

Il indique aussi que l’ANSM use peu de son pouvoir de sanction. Entre 2018 et 2022, elle n’a prononcé que huit pénalités financières, pour un montant total de 922 000 euros. Et aucune d’entre elles n’avait pour motif une violation des obligations d’élaboration d’un plan de gestion de pénurie ou de constitution d’un stock de sécurité – ce qui est pour le moins étonnant en période de pénurie avérée.

Cette proposition prévoit à juste titre, d’une part, de renforcer les stocks de sécurité en allongeant la durée de réponse aux besoins qu’ils doivent assurer et, d’autre part, de renforcer les sanctions financières.

Il nous semble néanmoins nécessaire de rendre obligatoires ces dernières et de les assortir d’un montant plancher. Les pénuries trouvent leur origine dans le choix du Gouvernement de s’en remettre à une logique marchande, au détriment de l’intérêt général.

Le rapport du Sénat pointe ainsi l’insuffisance des mesures prises pour contraindre les entreprises pharmaceutiques en matière de prévention, de déclaration et de gestion des pénuries dans un contexte de dépendance croissante aux importations, venues notamment d’Asie. Il évoque un chantage aux prix encouragé par la financiarisation des laboratoires et souligne le problème que constitue l’augmentation du pouvoir de laboratoires qui développent des médicaments en monopole. Cela pose la question des brevets et de l’organisation de l’ensemble de la chaîne de production. Un pilotage par une politique publique plus forte est nécessaire. Il faut aussi mettre en place un service public du médicament, afin d’instaurer un rapport de force différent.

Par ailleurs le secteur pharmaceutique est le deuxième bénéficiaire du CIR, avec 710 millions d’euros en 2020 – sans aucune contrepartie puisqu’il ferme des sites de recherche et de production. Le rapport du Sénat ne manque pas de propositions sur ce point, afin que les entreprises pharmaceutiques rendent des comptes à l’État et aux patients.

Je remercie la rapporteure d’avoir mis ce sujet sur la table.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Le phénomène des pénuries de médicaments s’est dangereusement accru et s’est durablement installé. L’an passé, plus d’un tiers de la population y a été confronté. Les pénuries de l’hiver 2023-2024 n’ont été anticipées ni par les industriels, ni par les pouvoirs publics. Tous les médicaments sont touchés. Il ne s’agit plus seulement des antibiotiques mais également des médicaments destinés à traiter le diabète ou les pathologies cardiovasculaires.

Cela pose un problème majeur en matière d’accès aux soins. C’est avant tout un risque accru de perte de chance pour les malades. Mais ces pénuries entraînent aussi une surcharge de travail pour les médecins et les pharmaciens, qui cherchent des alternatives pour leurs patients.

Notre responsabilité est en premier lieu de nous assurer que l’industriel s’acquitte de ses obligations. C’est la contrepartie de l’autorisation de mise sur le marché : il doit s’engager à fournir les volumes nécessaires et attendus. Or le système industriel favorise désormais les médicaments les plus rentables, au détriment des plus anciens pourtant souvent plus efficaces.

Nous soutiendrons donc ce texte qui prévoit de renforcer les obligations de constitution de stocks de sécurité applicables aux industriels. Nous avions proposé des mesures similaires lors de la discussion du précédent PLFSS.

Une attention particulière doit être portée aux médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, qui sont vitaux pour les patients concernés. Nous proposons par exemple de reprendre la recommandation de la commission d’enquête du Sénat qui consiste à mettre à jour chaque année la liste de ces médicaments, qui font l’objet d’une obligation de constitution de stocks.

D’autres pistes qui ne sont pas abordées par cette proposition mériteraient également d’être étudiées, comme la relocalisation de la production de matières premières – rappelons que 80 % des principes actifs des médicaments sont fabriqués en Inde ou en Chine. La France est tombée de la première à la cinquième place parmi les producteurs européens. Les industriels pharmaceutiques français envisagent d’abandonner la production de 700 médicaments, dont des MITM.

Il est donc urgent de proposer des solutions adaptées.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Isabelle Valentin (LR). Les difficultés d’approvisionnement en médicaments ont continué de s’aggraver en 2023 : 4 925 signalements de rupture de stock ou de risque de rupture ont été enregistrés ces douze derniers mois, soit une augmentation de 30,9 % par rapport à 2022. Les pénuries provoquent des pertes de chance et les médicaments concernés sont de tous types.

Les causes sont conjoncturelles : explosion de la demande mondiale et guerre en Ukraine, laquelle a affecté la chaîne du médicament ; elles sont également structurelles, comme le montrent notamment les délocalisations massives. La Chine et l’Inde produisent désormais 80 % des principes actifs : cette dépendance est très dangereuse.

La financiarisation du secteur a joué un rôle crucial. Les prix des MITM, souvent anciens et déclinés en génériques, ne sont pas suffisamment attractifs pour les fabricants.

Ainsi, la pénurie de médicaments concerne aussi bien la souveraineté que la santé publique. Or le présent texte ne prévoit pas de solution pérenne pour garantir la première. Nous n’atteindrons pas l’indépendance sanitaire en appliquant des sanctions qui aggraveront davantage la fuite des entreprises pharmaceutiques.

Il serait plus opportun de réformer le mode de fixation des prix des médicaments, autrefois administré par l’État au regard des coûts de production, et de réfléchir à des solutions durables pour relocaliser les productions de médicaments dans le territoire hexagonal.

M. Damien Maudet (LFI - NUPES). En matière de médicaments, nous avons manqué de tout, tout le temps, partout. À Ambazac, dans les services pédiatriques d’Île‑de‑France ou dans le salon d’Apolline de Malherbe, tout le monde se plaint des pénuries qui mettent en danger la santé des patients.

Depuis qu’Emmanuel Macron a été élu, peu de choses ont augmenté. C’est le cas de ces pénuries, multipliées par neuf depuis 2017. La raison en est simple : on a délocalisé pour faire des profits, 80 % des principes actifs sont fabriqués en Asie et 40 % des médicaments proviennent de pays hors de l’Union européenne. Le covid aurait dû être un tournant. À l’époque, on parlait du bien public mondial et de la nécessaire souveraineté. Au lieu de les rechercher, on a assisté à un grand renoncement des gouvernements, y compris de celui de la France. On a laissé se produire un grand gavage, avec pour résultat quarante nouveaux milliardaires. Sanofi va même coter le Doliprane en bourse, nous faisant risquer une nouvelle perte de souveraineté. Le laisser-faire du Gouvernement est insupportable.

Cette proposition de loi va dans le bon sens, en particulier s’agissant des stocks. Toutefois, il faut aller plus loin. M. Cyrille Isaac-Sibille a souligné que certains médicaments ne sont pas rentables. Mais les Français ne peuvent accepter d’être privés de médicaments parce que leur production n’est pas rentable ! Si c’est le cas, il faut instaurer une production publique des médicaments matures. Certains pays le font. Nous devons également améliorer la transparence et la régulation de l’industrie pharmaceutique : elle fait partie de celles qui engendrent le plus de profit, sans que le service rendu aux Français soit à la hauteur.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Il y a quinze jours, j’avais un bon gros rhume. La médecin de l’Assemblée m’a expliqué que j’avais besoin d’amoxicilline mais que la pharmacie d’à côté n’en avait plus ; elle a ajouté qu’elle n’aurait jamais cru que notre pays en viendrait là. Les pharmaciennes n’avaient effectivement pas le médicament prescrit. Elles ont cherché un produit de remplacement, mais elles m’ont surtout demandé de faire quelque chose pour elles.

Ce petit témoignage corrobore la multiplication par neuf ou dix des pénuries de médicaments depuis 2017, puisque nous sommes passés de 500 à 5 000 ruptures. La première cause, c’est que le marché ne marche plus. Il faut donc le réguler, peut-être en sortir. Nous ne sommes pas près de rapatrier les médicaments : le rapport d’information du Sénat indique que seuls 17 % des 106 projets de rapatriement ont réellement abouti.

Pour assurer le « réarmement » de la France dans ce domaine, Sanofi devrait être en première position. Il va céder le Doliprane à Lisieux, après avoir fermé les sites d’Alfortville et de Chilly-Mazarin et cédé Vertolaye, Saint-Aubin-lès-Elbeuf et le site de Strasbourg – le massacre continue.

Mme la rapporteure propose donc de renforcer les stocks pour disposer d’un tampon, au moins pour les 422 MITM. La loi en vigueur est bizarre puisqu’elle interdit aux industriels d’avoir plus de quatre mois de stock. Le texte tend à transformer ce plafond en plancher.

M. Éric Alauzet (RE). Pour l’anecdote, monsieur Ruffin, le manque d’antibiotiques n’était pas grave dans votre cas, puisqu’ils ne sont pas nécessaires pour soigner un rhume. Vous avez donc évité de contribuer à l’antibiorésistance.

Le débat permet notamment d’éliminer les fausses bonnes solutions. L’application du présent texte entraînerait inévitablement une surchauffe de la production de médicaments. Les entreprises devraient construire de nouvelles unités de fabrication alors qu’elles connaissent déjà des problèmes de recrutement, il s’écoulerait donc au moins un an avant d’en percevoir les effets.

Il faut éviter que l’augmentation des contraintes ne conduise les fabricants à se retirer du marché. Surtout, il faut réduire le nombre de médicaments concernés, peut-être à une centaine de molécules, en appliquant plusieurs critères : quand une classe de médicaments n’a qu’un seul fabriquant par exemple, la situation est plus délicate. Ne pas restreindre la liste entraînerait des effets pervers.

Mme Angélique Ranc (RN). Pendant la précédente législature, Mme Marine Le Pen avait déposé un amendement visant à obliger les entreprises pharmaceutiques à constituer un stock de sécurité minimal de quatre mois pour les MITM. C’est précisément ce que prévoit l’article 1er. Nous y sommes donc favorables.

J’avais également déposé un amendement en ce sens lors de l’examen du PLFSS 2024. Bien qu’il ait été adopté, le Gouvernement n’a malheureusement pas jugé nécessaire de l’intégrer au texte pour lequel il a recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution – peut-être le problème ne lui a-t-il pas semblé assez grave.

Il est vrai qu’une augmentation de 606 % des ruptures et risques de ruptures de stock entre 2017 et 2022 constitue un bilan rassurant. Après tout, seuls 37 % des Français déclarent avoir été confrontés à une pénurie de médicaments en 2023 !

Nous n’avons pas encore évoqué un point pourtant crucial : l’emplacement des stocks. En vertu de la loi, ils peuvent se trouver éparpillés dans trente pays européens différents. Le limiter au territoire national faciliterait l’information des professionnels de santé et du public sur leur état à chaque étape du circuit et permettrait d’en améliorer la gestion et la distribution.

 

Article 1er : Augmenter le niveau des stocks de sécurité obligatoires destinés au marché national

Amendement AS53 rectifié de Mme Valérie Rabault et sous-amendement AS64 de Mme Stéphanie Rist, amendement AS49 de Mme Stéphanie Rist (discussion commune)

Mme la rapporteure. Mon amendement tend à réécrire l’article 1er. Le texte ne concerne pas les aspects industriels, qui sont cruciaux ; déposé dans le cadre d’une niche, il vise à résoudre certains problèmes urgents. Aujourd’hui, 80 % des principes actifs sont produits en Chine et en Inde, mais les médicaments utilisant ces principes sont fabriqués en Europe. Par exemple, trois entreprises en Europe fabriquent de l’amoxicilline ; l’une, située en Autriche, a connu des difficultés de production, entraînant les problèmes d’approvisionnement que M. Ruffin a évoqués. Nous sommes d’accord, il faut réfléchir à un plan industriel, mais ce n’est pas l’objet du texte.

S’agissant de la clause de sauvegarde, j’estime, en tant qu’ancienne rapporteure générale de la commission des finances, que les aspects budgétaires et financiers relèvent exclusivement des lois de financement de la sécurité sociale. Le droit prévoit un plafond de stocks mais pas de plancher ; le texte tend à en créer un. Olivier Véran avait défendu la mesure lorsqu’il était rapporteur général de la commission des affaires sociales et elle avait été approuvée à l’unanimité.

L’introduction d’un tel plancher pourrait être financée, le cas échéant, par une clause spécifique dans la clause de sauvegarde de la LFSS. La proposition de loi vise à instaurer un plancher en matière de stocks, car il s’agit de la condition même de leur existence.

Le second volet est celui d’une gestion fluide des médicaments et des stocks. À cet égard, l’ANSM a indiqué, lors de son audition, qu’une dérogation à quatre mois serait nécessaire lorsqu’il n’existe qu’un seul façonnier pour le médicament. Sa vision globale de la chaîne de production lui a permis de constater l’existence d’un risque lié à la présence d’un seul producteur et d’un seul façonnier, d’où l’importance d’avoir un deuxième façonnier ou de constituer un stock.

L’ANSM signale également que la législation actuelle ne permet pas de répondre à la problématique des médicaments ne disposant pas d’alternative : le législateur doit accorder davantage de sécurité et d’agilité à l’ANSM. À l’aune des auditions, j’ai donc réécrit l’article 1er, afin d’inscrire dans la loi une obligation de détenir un stock de sécurité plancher. Il vise également à donner une plus grande flexibilité à l’ANSM, qui pourra autoriser un industriel à déstocker en cas de besoins constatés en France, sans qu’il ne paie de sanction financière. Tel est l’objet de cet amendement de réécriture de l’article 1er.

Mme la rapporteure générale. Dans une visée constructive, le sous-amendement AS64 a pour objet de maintenir le principe d’un plancher, sans toutefois en rehausser la durée, et conserve la possibilité, pour l’ANSM, de libérer les stocks dormants. Il réintroduit également des dispositions d’économie du médicament figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale.

Par ailleurs, je considère que l’amendement AS49 est déjà défendu.

Mme la rapporteure. Le sous-amendement vise à maintenir le plafond à quatre mois au maximum et à introduire – je vous en remercie – la notion de plancher, toutefois réduit à deux mois au lieu de quatre. Or, comme l’a demandé l’ANSM, ce plancher devrait être d’au moins quatre mois pour la liste des MITM, qui sera bientôt publiée par le Gouvernement – la liste actuelle, comportant 450 produits, est trop longue, j’en conviens. Le délai nécessaire à l’ANSM pour importer des médicaments étant d’au moins deux mois, il est souhaitable de lui laisser un temps suffisamment long. Enfin, je suis d’accord avec la disposition autorisant les ordonnances conditionnelles. Je ferai toutefois remarquer que, bien que la France soit considérée comme une grande consommatrice de médicaments, de gros efforts ont été faits dans ce domaine : le volume des médicaments consommés a baissé de 16 % entre 2004 et 2019.

Avis défavorable.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). J’interviendrai sur le sous-amendement. Le plancher de deux mois existe déjà, mais d’un point de vue réglementaire. Je partage votre avis, madame la rapporteure générale, il est préférable qu’il figure dans la loi. Toutefois, vous avez indiqué que certaines filières ne comptent qu’un seul façonnier, un seul producteur qui met la molécule sur le marché. Quelle en est la raison ? Les médicaments concernés sont généralement matures et très peu rentables : si le seul producteur restant se voit imposer une contrainte supplémentaire, ne risque-t-il pas de se retirer du marché, conduisant à sa disparition pure et simple ? Ne craignez-vous pas que la France n’en soit réduite à créer un service public du médicament, comme à Cuba ?

Mme la rapporteure générale. Je le redis, lorsque le décret relatif au plancher des stocks a été publié, la Commission européenne a fortement réagi, car la France est le seul pays qui encadre les stocks, tant en matière de durée – une disposition à caractère législatif – que de plancher – par la voie réglementaire. La Commission européenne considère qu’il peut s’agir d’une entrave à la liberté de circulation des produits. Nos concitoyens attendent des mesures efficaces et nous ne voulons pas prendre le risque que cette proposition de loi n’aboutisse pas, en raison d’un blocage au niveau européen. En l’absence d’adoption du sous-amendement, nous ne voterons donc pas en faveur de l’amendement AS53 rectifié.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Notre groupe est fermement attaché à l’instauration d’un stock minimal d’une durée de quatre mois. En effet, l’ANSM a indiqué avoir besoin de plus de deux mois pour reconstituer les stocks d’un certain nombre de médicaments. De plus, la simple reproduction dans la loi de la disposition – deux mois au minimum – qui figure actuellement dans le décret n’est pas à la hauteur de l’enjeu – une multiplication par dix des pénuries dans le pays, des pharmacies et des médecins ne sachant plus comment faire. Faut‑il se contenter de faire du bricolage, en vendant des médicaments à l’unité ou en décidant que les pharmaciens peuvent remplacer un médicament par un autre ? Des mesures permettant une véritable régulation doivent être instaurées.

Par ailleurs, je rejette les arguments évoqués par la majorité pour refuser un stock d’une durée minimale de quatre mois. Prétendre que Bruxelles n’en voudrait pas, au motif d’une entrave à la liberté de circulation des produits, n’est franchement pas un moyen de faire apprécier l’Europe ! L’autre argument, consistant à dire que cela ferait chauffer l’industrie et qu’il faudrait construire des unités de fabrication, avec des problèmes de recrutement, est tout aussi faux : les médicaments ne seront sans doute pas produits en France, mais continueront à l’être, à 80 %, en Inde ou en Chine. Enfin, c’est une erreur de présumer que les industriels – qui touchent des milliards d’euros de dividendes – vont fuir et se retirer du marché.

Mme Joëlle Mélin (RN). Il ne nous revient pas de faire ce que visaient les quatre ou cinq derniers textes européens sur la santé : faire tomber l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui tend à protéger la subsidiarité des États en matière de santé – chaque État peut encore gérer ses stocks de médicaments comme il l’entend. On peut certes blâmer les pratiques commerciales des industriels, mais on peut surtout critiquer le marché européen du médicament qui fait que l’on trouve de l’amoxicilline à Vintimille mais pas à Menton. En l’occurrence, l’Europe n’a pas à s’en mêler. Oui, il faut faire des stocks, au moins de médicaments qui ont encore des substituts et dont la production n’est pas à flux tendu au point de provoquer les effets pervers d’un surstockage. Dans ces conditions, je ne comprends pas du tout la position de la majorité, dont le bricolage est sous-dimensionné par rapport à la réalité du problème mondial, européen et français.

Mme la rapporteure. Madame Rist, je vous signale que certains pays ont des stocks, ceux de l’Allemagne étant de six mois. Certes, ce n’est pas écrit dans la loi fédérale car le système de santé dépend largement des Länder pour son organisation. Dans votre amendement, vous proposez de prévoir deux mois de stocks pour le Doliprane, ce qui est déjà bien puisque nous n’avons actuellement que quinze jours de réserves. Mais il serait préférable de prévoir quatre mois de stocks pour certains médicaments dont la liste serait définie par le Gouvernement. Ce serait une manière de lui donner la liberté et l’agilité qui manquent actuellement à l’ANSM.

La commission adopte le sous-amendement AS64 puis l’amendement AS53 rectifié sous-amendé.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les amendements AS49 de Mme Stéphanie Rist, AS6 de Mme Sylvie Bonnet, AS13 de Mme Angélique Ranc, AS8 de Mme Sylvie Bonnet, AS22 de M. Pierre Cordier, AS3 de M. Fabien Di Filippo, AS48 de Mme Joëlle Mélin, AS7 de Mme Sylvie Bonnet, AS4 de M. Fabien Di Filippo, AS21 de M. Pierre Cordier et AS47 de Mme Joëlle Mélin tombent.


Lors de sa seconde réunion du mercredi 14 février 2024 ([60]), la commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les pénuries de médicaments (n° 2062) (Mme Valérie Rabault, rapporteure).

 

Après l’article 1er

Amendement AS42 de M. Sébastien Peytavie

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Le présent amendement du groupe Écologiste propose d’exiger des titulaires d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour un médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) qu’ils publient chaque année la liste de ceux qu’ils exploitent.

Depuis plusieurs années, les pénuries de médicaments s’accélèrent et placent notre pays en situation de tension sanitaire permanente. Il peut s’agir aussi bien de l’amoxicilline que des pilules abortives ou des traitements de pathologies cardiovasculaires. Les industriels pharmaceutiques sont les premiers responsables de ces pénuries.

En 2020, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) répertoriait 3 200 signalements de risque de rupture ou de rupture d’approvisionnement pour des MITM. Afin de sécuriser l’approvisionnent de ces médicaments essentiels et d’anticiper au mieux les risques de pénurie, nous proposons de favoriser la transparence de leur distribution.

Mme Valérie Rabault, rapporteure. Je comprends votre objectif et votre souci de transparence, mais je pense que votre système est compliqué à manier pour les patients. Alors qu’il existe 6 000 MITM, vous proposez que chaque laboratoire publie sur son site la liste de ceux qu’il produit. Pour s’informer sur les risques de rupture, les patients devront donc faire le tour des sites des laboratoires. L’ANSM publie déjà la liste des quelque 400 références de médicaments pour lesquels elle impose une durée de stockage de quatre mois minimum. C’est une liste certes réduite, mais plus facile à consulter puisque tout est centralisé.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS19 de M. Philippe Juvin

M. Philippe Juvin (LR). Il s’agit de créer une catégorie de molécules indispensables aux patients français plus restreinte que la liste des MITM. La constitution de stocks, à laquelle nous sommes tous favorables, est plus facile à réaliser quand le nombre de produits concernés est raisonnable. Il y a quelque 6 000 MITM, parmi lesquels l’ANSM cible déjà 400. L’amendement propose de retenir un à deux médicaments par classe thérapeutique majeure, l’un à administrer per os et l’autre par voie parentérale. Les autorités pourront alors se payer le luxe d’avoir des stocks très importants sur ces médicaments.

Mme la rapporteure. Comme je l’ai indiqué ce matin, j’y suis favorable. Le Gouvernement a retenu une liste de 450 médicaments dits essentiels, tandis que la Commission européenne travaille sur une liste de 300. Il serait bon de se mettre d’accord sur une liste unique, sur laquelle faire porter nos objectifs de production et de stockage. Le Gouvernement devrait pouvoir parvenir à une harmonisation.

M. Hendrik Davi (LFI - NUPES). Pour que nous puissions enfin disposer de cette liste restreinte, il faut consulter toutes les sociétés savantes. Or cela ne semble pas avoir été le cas. La Société française de pharmacologie et de thérapeutique, en particulier, s’est étonnée de pas avoir été consultée pour l’élaboration de la liste des 450 médicaments. Or certains médicaments retenus sont contestés alors que d’autres sont absents, comme certaines pilules contraceptives pourtant nécessaires dans certains cas. Tout le monde soit se mettre autour de la table une bonne fois pour toutes, pour que l’on ait enfin une liste des médicaments essentiels pour lesquels il faut des réserves.

Mme la rapporteure. Je partage cette vision des choses : il nous faut une liste bien faite, pas plusieurs qui se juxtaposent.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Pour ma part, je pense que la liste doit être élaborée à l’échelon européen car nous ne serons pas efficaces dans la lutte contre les pénuries si nous la menons à l’échelle française. En agissant au niveau de l’Europe, l’efficacité sera exponentielle puisque les points de stockage seront plus nombreux et les stocks cumulés plus importants. Nous devons continuer à travailler à partir du plan européen annoncé en avril dernier et de la liste qui va avec. N’oublions pas que les laboratoires pharmaceutiques peuvent aller dans n’importe quel pays. Le principe de réalité doit s’appliquer.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS29 de Mme Caroline Fiat et sous-amendement AS62 de Mme Valérie Rabault

M. Damien Maudet (LFI - NUPES). Cet amendement vise à encadrer les pouvoirs de dérogation du directeur de l’ANSM en matière de détermination des seuils de stocks de sécurité, en y mettant des conditions précises.

Mme la rapporteure. L’article 1er ayant été réécrit ce matin, je vais retirer mon sous-amendement et j’émets un avis favorable sur l’amendement.

Le sous-amendement est retiré.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS11 de Mme Angélique Ranc

M. Thierry Frappé (RN). Pour chaque MITM, les entreprises pharmaceutiques ont l’obligation d’élaborer et mettre en œuvre un plan de gestion des pénuries (PGP). Tout manquement est susceptible de faire l’objet d’une sanction financière de la part de l’ANSM. Or, d’après les dires de sa directrice générale, l’agence n’a pas la capacité de vérifier l’ensemble des PGP. Selon le rapport d’information de la commission d’enquête du Sénat sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française, adopté le 4 juillet 2023, les manquements liés à l’établissement et l’exhaustivité des PGP n’ont même fait l’objet d’aucune sanction. Nous proposons de rendre les PGP accessibles à tous les Français sur le site internet de l’ANSM. Cette transparence permettra de renforcer l’information relative aux pénuries de médicaments et de concourir à leur résorption.

Mme la rapporteure. Les PGP contiennent des informations détaillées sur le processus industriel, qui sont couvertes par le secret des affaires. Cela n’a pas empêché nos collègues du Sénat d’y avoir accès, en raison des pouvoirs qui leur sont conférés par la Constitution et les règlements de nos assemblées, afin d’émettre un avis. Les sénateurs constatent d’ailleurs la grande hétérogénéité de ces plans. Reste qu’il n’est pas possible de les publier.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS2 de Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes) et AS14 de Mme Angélique Ranc (discussion commune)

M. Philippe Juvin (LR). La coexistence de plusieurs plateformes de suivi de la disponibilité des médicaments nuit à la compréhension et à la gestion des pénuries. Nous proposons par l’amendement AS2 d’harmoniser les systèmes d’information en regroupant tous les acteurs de la filière du médicament sur une seule plateforme incluant les grossistes-répartiteurs ainsi que les dépositaires et les pharmaciens, afin d’assurer ainsi la fluidité des échanges entre les différents intervenants.

M. Thierry Frappé (RN). L’amendement AS14 est défendu.

Mme la rapporteure. Ces amendements relèvent plus du règlement que de la loi. Il existe actuellement trois plateformes – TRACStocks, Trustmed et DP-Ruptures – qui avancent en tuyaux d’orgue, sans aucune convergence, au point que l’ANSM doive employer dix équivalent temps plein (ETP) pour faire les recoupements et fusionner des centaines de milliers de lignes d’information. C’est tout à fait inefficace.

Faut-il organiser la collecte autour de DP-Ruptures, comme vous le proposez ? Je n’en sais rien. En tout état de cause, il faut que l’ANSM choisisse le système d’information qu’elle trouve le meilleur, qu’on lui donne une équipe d’informaticiens correspondant à ses besoins et que l’on en finisse avec ces trois systèmes pour n’en garder qu’un seul.

Étant d’accord avec un système unique, mais pas forcément pour choisir DP‑Ruptures et encore moins pour le faire par la loi, je vais opter pour une demande de retrait. Nous pourrions peut-être tomber d’accord d’ici à la séance sur une rédaction qui prévoie un système unique.

M. Philippe Juvin (LR). Nous avons proposé DP-Ruptures parce que 93 % des officines et quelque 80 % des fabricants y sont déjà connectés. Mais effectivement, pourquoi ne pas tenter de rédiger ensemble une proposition en vue de la séance ? Je retire l’amendement.

Les amendements sont retirés.

Amendement AS51 de Mme Stéphanie Rist

Mme la rapporteure générale. Actuellement, en cas de rupture de stock d’un MITM, le pharmacien est autorisé à remplacer le médicament prescrit par un autre, conformément à la recommandation établie par l’ANSM, après consultation des professionnels de santé et des associations d’usagers du système de santé agréées. Le présent amendement vise à enrichir ce dispositif en élargissant la possibilité de remplacement du médicament prescrit à une situation de risque de pénurie d’un MITM, et non plus seulement au cas de pénurie avérée.

Mme la rapporteure. Nous en avons longuement débattu, notamment lors de l’audition des représentants du Conseil national de l’Ordre des médecins et de celui des pharmaciens. Les médecins préféreraient que l’information passe par le logiciel d’aide à la prescription auquel ils ont accès : on leur indiquerait d’emblée que la molécule A, qu’ils veulent prescrire, n’est pas disponible, mais qu’ils peuvent la remplacer par la molécule B. Ils tiennent à ce que la décision relève du médecin.

Les pharmaciens, eux, sont d’ores et déjà autorisés à remplacer une molécule par une autre à l’intérieur d’une même classe thérapeutique. Dans l’amendement de Mme la rapporteure générale, il est question de substitution hors de la classe thérapeutique.

Mme la rapporteure générale. Dans le cadre très contraint qui existe en cas de pénurie, sur la liste de l’ANSM.

Mme la rapporteure. Mais le changement de classe thérapeutique sera possible, ce qui peut entraîner des contre-indications que seul le médecin peut apprécier. Vous voulez étendre les possibilités qui existent en cas de pénurie aux cas où la pénurie n’est pas avérée mais en risque. Pour ma part, je pense qu’il vaut mieux intervenir en amont par le biais du logiciel d’aide à la prescription, afin que le médecin garde ses prérogatives en la matière. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Quand on échange sur la substitution de médicaments avec les pharmaciens, ils évoquent toujours le risque de surdosage ou d’erreur de prescription. Il faut faire preuve d’une grande vigilance sur ce point, ce qui devrait nous inciter à travailler sur les stocks plutôt qu’à faire du bricolage avec les médicaments prescrits aux patients.

Mme la rapporteure générale Cela m’ennuie d’entendre parler de bricolage ; personne ici n’a envie que les malades soient mal soignés. Ce que vous appelez du bricolage existe déjà : des changements de prescription effectués en cas de pénurie, en se référant à une liste définie par l’ANSM, après consultation des professionnels de santé. Cette ordonnance particulière est faite avec les médecins et en concertation avec les associations d’usagers afin que les patients ne soient pas perturbés par le changement de piqûres à comprimés ou inversement. J’entends vos réserves, mais nous voulons aussi éviter au patient d’avoir à retourner chez son médecin en cas de rupture d’approvisionnement.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous devons avoir une vraie discussion sur la possibilité de changement de classe thérapeutique. Faut-il étendre cette possibilité, qui n’est pas anodine, en situation de pré-crise, quand la pénurie n’est pas encore avérée ? Et qui sera responsable ?

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Plutôt que d’agir en aval, il vaudrait mieux intervenir en amont pour éviter les pénuries – j’avais l’impression que c’était l’objectif de la rapporteure en nous présentant ce texte. Nous sommes en train de déborder du cadre initial de la discussion. Si nous prenions des mesures plus fortes pour éviter les pénuries, nous n’aurions pas à envisager ces changements d’ordonnance.

M. Yannick Neuder (LR). Si je comprends bien, le changement de classe thérapeutique ne peut pas être automatique en situation de pré-crise. Il faudrait donc que le médecin soit informé de la situation par son logiciel d’aide à la prescription pour qu’il puisse d’emblée faire la substitution. Sinon, le patient devra revoir son médecin pour obtenir un autre traitement. Est-ce bien cela ?

Mme la rapporteure. Actuellement, quand un médicament n’est pas disponible, le pharmacien peut lui substituer un autre de la même classe thérapeutique. Si aucune molécule n’est disponible dans la même classe thérapeutique, le pharmacien rappelle le médecin – d’après mon expérience, c’est ce qui se fait – car il n’est pas si simple d’éviter les erreurs et les problèmes de dosage dans ce cas de figure.

Partant de cette situation insatisfaisante, nous préconisons la création d’une sorte de tour de contrôle des stocks : une seule liste de médicaments, gérée par l’ANSM, permettant d’intégrer toutes les informations en provenance des laboratoires, des grossistes et des officines sur la disponibilité des produits. Ces informations, reprises dans un logiciel d’aide à la prescription du médecin, permettraient d’alerter ce dernier sur le fait que la molécule A, qu’il s’apprête à prescrire, ne sera pas disponible avant trois mois, et qu’il peut se reporter sur la molécule B. Cette interactivité fait actuellement défaut parce que l’ANSM gère les remontées de trois systèmes d’information, ce qui l’oblige à employer dix ETP pour faire la synthèse. Il faut que cela cesse et que l’ANSM ait les moyens d’avoir accès à un seul système robuste.

En situation de pré-crise, ce n’est peut-être pas la peine d’ajouter des difficultés aux médecins et aux pharmaciens. Essayons de trouver les moyens de corriger la situation en amont, pour ne pas leur imposer des changements de classe thérapeutique.

Mme Joëlle Mélin (RN). C’est extraordinaire. On franchit une nouvelle étape de la balkanisation de la profession de médecin. Crise ou pré-crise, supprimons les médecins ! Les pharmaciens n’auront qu’à prescrire, à consulter au milieu des officines, hors de tout secret professionnel !

Vouloir anticiper pendant la pré-crise, sans attendre la rupture effective, est tout à fait légitime. Mais la solution n’est pas de transférer aux pharmaciens les prérogatives des médecins. Je sais qu’il existe désormais des tests rapides d’orientation diagnostique, d’ailleurs très imparfaits, mais ne continuons pas à mettre la profession de médecin en lambeaux. Sinon, à l’instar des industriels dont il a été question précédemment, les médecins aussi pourraient décider de ne pas rester en France !

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS39 de M. Sébastien Peytavie

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Les industriels justifient le prix élevé des médicaments par le coût de la recherche et développement (R&D) nécessaire pour développer un nouveau produit. En fait, l’opacité est une aubaine pour eux : au nom du secret industriel, il est impossible de savoir quelles sommes ont été investies dans la recherche, les essais cliniques, la mise sur le marché ou encore le marketing. Ils imposent ainsi des prix très élevés sans que la représentation nationale et la société civile puissent avoir une idée de leur mode de calcul. Comme le rappelle le rapport du Sénat « Pénurie de médicaments : trouver d’urgence le bon remède » de juillet 2023, l’explosion injustifiée des prix des thérapies innovantes a mené à une baisse des prix des produits matures, dans un contexte d’enveloppe dédiée aux médicaments contrainte.

Nous proposons d’obliger les laboratoires à transmettre au Comité économique des produits de santé (CEPS) un certain nombre d’informations clefs portant notamment sur les sources de financement, le montant des dépenses annuelles en R&D, les prix pratiqués ou encore le volume des ventes à l’étranger. Ce n’est qu’en disposant d’informations précises sur la généalogie et le financement des médicaments que nous pourrons non seulement fixer un prix juste pour chacun mais aussi sécuriser l’approvisionnement et lutter contre les pénuries.

Mme la rapporteure. Vous souhaitez rendre obligatoire ce qui est déjà possible : l’article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 permet déjà au CEPS de tenir compte de la sécurité d’approvisionnement du marché français que garantit l’implantation des sites de production. Transformer cette possibilité en obligation serait assimilable à une aide d’État contraire au droit de l’Union européenne. Lorsque nous les avons reçus en audition, les responsables du CEPS nous ont confirmé qu’ils tenaient déjà compte de la sécurité d’approvisionnement lors des discussions sur les prix.

Demande de retrait.

M. Damien Maudet (LFI - NUPES). Nous allons soutenir cet amendement car une plus grande transparence permettrait de mieux négocier les prix. Dans un rapport de 2017, la Cour des comptes expliquait que les laboratoires avaient modifié leur approche des prix : s’ils cherchaient auparavant le retour sur investissement de leur R&D, ils ont désormais tendance à fixer les prix en fonction de la capacité à payer des acheteurs publics. Alors qu’il est de plus en plus difficile d’évaluer le mode de calcul des prix, cet amendement améliorerait la transparence et l’information du public sur le coût des médicaments.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS15 de Mme Angélique Ranc

Mme Angélique Ranc (RN). En 2022, il y a eu 3 761 ruptures et risques de rupture de stocks, contre 533 en 2017, ce qui représente une augmentation de 606 %. Il est donc urgent d’agir. À la faveur des auditions, nous avons aussi réalisé à quel point les informations dont nous disposions étaient lacunaires, sinon insuffisantes. Cet amendement entend y remédier en demandant au Gouvernement de remettre chaque année au Parlement un rapport indiquant le nombre de ruptures et risques de rupture de stocks de médicaments, donnant la liste détaillée des médicaments répondant à la définition des MITM ainsi que le nombre et le montant des manquements ayant fait l’objet de sanctions financières par l’ANSM.

Mme la rapporteure. Les ruptures et les sanctions sont déjà sur le site de l’ANSM. En revanche, le nombre de prescriptions par département n’est pas disponible. D’après les responsables de la Caisse nationale de l’assurance maladie, que nous avons auditionnés lundi dernier, cette information sera publiée sur le site en 2025. Votre amendement étant en passe d’être totalement satisfait, j’en demande le retrait.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 1er bis (nouveau) : Rapport du Gouvernement au Parlement portant sur la création d’une liste restreinte de molécules pour lesquelles les obligations de stockage seraient renforcées

Amendement AS17 de M. Philippe Juvin

M. Philippe Juvin (LR). Comme je l’ai déjà dit, quand il y a 6 000 médicaments prioritaires, aucun ne l’est vraiment. Il serait intéressant de réfléchir, dans le cadre d’un rapport, à la création d’une liste de médicaments de souveraineté – un à deux par classe thérapeutique – afin de définir de vraies priorités.

Mme la rapporteure. Je préférais votre amendement sur la liste à celui qui demande un rapport sur la liste... Mais de toute façon, avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Article 1er ter (nouveau) : Rapport du Gouvernement au Parlement sur la création d’une plateforme unique pour le suivi des stocks de médicaments

Amendement AS61 de Mme Valérie Rabault

Mme la rapporteure. C’est l’amendement qui traite de la fusion des trois systèmes précités : Trustmed, celui de l’ANSM ; DP-Ruptures, celui du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens ; TRACStocks, créé par Les Entreprises du médicament et mis à la disposition de l’ANSM. C’est aussi une demande de rapport – je suis soumise comme tout le monde à l’article 40 de la Constitution – mais l’idée est bien de créer une plateforme unique de suivi des stocks, gérée par l’ANSM.

M. Thibault Bazin (LR). Madame la rapporteure, votre idée est si pertinente que l’on s’étonne qu’une telle plateforme, clef de la réussite de la gestion des stocks, n’ait pas encore été créée. Nous soutenons votre proposition.

Mme Joëlle Mélin (RN). Nous approuvons cet amendement, qui tombe sous le sens. C’est d’ailleurs l’objet des travaux que notre groupe avait conduits au niveau du Parlement européen – j’étais rapporteure de trois des quatre dossiers. Nous avions demandé que ce genre de système soit créé dans tous les pays d’Europe, afin que chaque nation puisse communiquer avec les autres par le biais d’informations centralisées.

La commission adopte l’amendement.

 

Article 2 : Renforcer les sanctions financières que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut prononcer en cas de manquement des exploitants à leurs obligations

Amendements AS57 de Mme Valérie Rabault et AS50 de Mme Stéphanie Rist (discussion commune)

Mme la rapporteure. Je propose une rédaction globale de cet article afin de tenir compte des observations recueillies dans le cadre des dix-neuf auditions que nous avons menées. Outre le relèvement du plafond des sanctions financières que l’ANSM peut prononcer, les décisions de sanction seraient publiées sur le site de l’agence durant un an, contre un mois actuellement – rappelons que les décisions prises par l’Autorité de la concurrence restent cinq ans sur son site.

Mme la rapporteure générale Mon amendement vise à garantir la pleine effectivité des sanctions financières prévues en cas de manquement aux mesures législatives de prévention et de gestion des risques de rupture. Il complète les prérogatives de l’ANSM en lui donnant un pouvoir de contrôle sur place et sur pièces des documents ou impératifs imposés aux exploitants.

Mme la rapporteure. Je suis très favorable aux contrôles sur place et sur pièces, qui figurent dans la nouvelle rédaction que je propose. Mais, comme je l’ai indiqué, j’ai aussi accédé à la demande de l’ANSM de publier les décisions de sanction sur son site durant un an au lieu d’un mois.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). L’adoption de ces amendements risque de faire tomber les suivants, dont deux que j’avais déposés. Le premier vise à rendre les sanctions plus systématiques et plus dissuasives. Seulement huit sanctions ont été prononcées par l’ANSM en quatre ans, ce qui est relativement peu au regard de l’ampleur des pénuries constatées. Le second propose d’instaurer un plancher pour les sanctions. Ce sont des propositions auxquelles nous tenons.

Mme la rapporteure. Vous proposez des sanctions automatiques. Je pense qu’il est nécessaire de laisser des marges de manœuvre à l’ANSM. On a pu constater l’année dernière que certains industriels ont refusé de déstocker de l’amoxicilline de peur de se voir infliger une amende. Or un stock ne doit pas être dormant ; il faut qu’il serve. Si un besoin se fait sentir, il faut pouvoir déstocker au maximum. L’ANSM doit alors jouer pleinement son rôle de police sanitaire. Rendre la sanction automatique réduirait ses marges de manœuvre.

Pour la clarté de nos débats, je tiens à préciser que la rédaction que propose la rapporteure générale supprime l’augmentation des sanctions, laquelle répond à une demande de l’ANSM et de la direction générale de la santé.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Nous sommes évidemment favorables au relèvement des sanctions et à la publication pendant un an des sanctions financières prononcées par l’ANSM.

Cela étant, la principale mesure du texte initial était d’augmenter le stock des médicaments les plus essentiels pour pouvoir couvrir quatre mois de besoins. Dès lors qu’on y renonce, on fait du bricolage ; on n’est plus au cœur du sujet.

Je le répète : pour le médicament, le marché ne marche plus. Quand en cinq ans on multiplie par dix les ruptures de stock, c’est que cela ne fonctionne plus. Au fond, nous sommes face à un grand choix de société : faut-il malgré tout laisser faire le marché, ou le réguler, voire lui substituer un pôle public du médicament ?

Le même choix s’impose à nous beaucoup plus généralement dans la société.

Pour faire face à la crise de l’agriculture, nous avions proposé il y a sept ans déjà d’instaurer des prix planchers. Le Gouvernement avait refusé, car cela aurait porté atteinte à la logique de marché. Qu’a-t-on fait à la place ? Des accords-cadres et des états généraux de l’alimentation qui ont abouti à des trucs incompréhensibles et difficiles à mettre en œuvre.

Le même débat existe pour le marché de l’électricité. Faut-il en sortir, ou bien maintenir l’électricité dans un marché qui est devenu complètement fou, avec des prix régulés qui ont augmenté de 45 % en deux ans – sans parler des prix non régulés, qui peuvent être multipliés par dix ?

De la même manière, pense-t-on que l’on va sortir de la crise du logement en confiant ce dernier au marché, ou considère-t-on qu’il est du ressort de l’action publique de construire là où c’est le plus essentiel ?

Le débat que nous avons sur les médicaments et sur les stocks planchers est en fait le symptôme d’un marché beaucoup plus général qui ne marche plus. Deux réponses opposées peuvent y être apportées.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Monsieur Ruffin, il n’y a en effet plus de marché pour certains médicaments, car il ne reste plus qu’un seul fournisseur.

Comment en est-on arrivé là ? Parce que la clause de sauvegarde qui figure dans les lois de financement de la sécurité sociale aboutit à faire baisser chaque année le prix des médicaments : lorsqu’ils ne sont plus rentables, on ne les fabrique plus, il n’y a plus de marché et il ne sert à rien de taper sur le seul producteur restant.

Par ailleurs, à quoi doit-on le nombre relativement bas des contrôles : l’ANSM manque-t-elle de moyens ? Pourquoi seulement huit sanctions, alors que les ruptures de stocks sont manifestes ?

Mme la rapporteure générale Compte tenu des observations de la rapporteure, je retire l’amendement AS50.

L’amendement AS50 est retiré.

La commission adopte l’amendement AS57 et l’article 2 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AS25 de M. Pierre Dharréville, AS31 de Mme Caroline Fiat, AS27 de M. Yannick Monnet, AS25 de M. Pierre Dharréville, AS28 de M. Yannick Monnet et AS44 de M. Sébastien Peytavie tombent.

La réunion est suspendue de quinze heures quarante à dix-sept heures.

 

Après l’article 2

Amendement AS35 de M. Hendrik Davi

M. Hendrik Davi (LFI - NUPES). Cet amendement vise à renforcer la sécurité d’approvisionnement des MITM en posant comme conditions aux financements publics de la recherche pharmaceutique l’approvisionnement du marché français et le respect des obligations incombant aux industriels en matière de gestion des stocks.

Si les laboratoires pharmaceutiques bénéficient de dizaines de milliards d’aides, sous forme de subventions à la recherche et à l’innovation mais aussi sous forme de crédit d’impôt, comme le crédit d’impôt recherche (CIR), il n’existe aucune condition portant sur les médicaments développés grâce à ces aides. Les industriels sont donc parfaitement libres de privilégier la rentabilité sur l’efficacité. Comme le souligne le rapport de la commission d’enquête du Sénat « Pénurie de médicaments : trouver d’urgence le bon remède », en refusant de poser de telles conditions, le CIR finance « la recherche pharmaceutique indispensable à des médicaments dont la production est ensuite délocalisée ».

Nous en avons la preuve puisque Sanofi, qui a bénéficié de 150 millions par an pendant plus de dix ans grâce au CIR, a supprimé 135 postes sur les sites d’Aramon et de Sisteron et arrêté la production de treize principes actifs depuis l’été 2023. En 2021, Sanofi avait déjà supprimé 350 postes dans la R&D, en pleine crise du covid.

Il n’est pas tolérable qu’autant d’argent public profite à des groupes principalement préoccupés par les dividendes versés à leurs actionnaires sans que l’État n’exige des comptes.

Cet amendement contraint donc les bénéficiaires du CIR à rembourser les aides perçues pour la recherche, le développement et la fabrication de médicaments dès lors qu’ils n’assurent pas un approvisionnement du marché français répondant aux besoins de la population.

Mme la rapporteure. Je suis favorable à l’idée de conditionner le CIR et je l’ai défendue à plusieurs occasions. Lorsque j’étais rapporteure générale de la commission des finances, j’avais même procédé à des contrôles sur pièces et sur place pour obtenir des précisions entreprise par entreprise, puisque ces informations sont couvertes par le secret fiscal.

En revanche, en l’espèce, je ne suis pas certaine que l’on puisse relier le recours au CIR à la question des stocks ou à la sécurité des approvisionnements : le CIR finance la recherche, alors que les pénuries touchent essentiellement des médicaments matures.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 3 (nouveau) : Interdiction de la publicité pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur en cas de risque de rupture ou de rupture de stock

Amendement AS52 de Mme Stéphanie Rist

Mme la rapporteure générale Cet amendement vise à interdire la publicité pour les médicaments lorsqu’ils sont en rupture ou en risque de rupture de stock.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.


Après l’article 2

Amendement AS30 de Mme Caroline Fiat

M. Hendrik Davi (LFI - NUPES). L’amendement est défendu.

Mme la rapporteure. Cet amendement demande un rapport au Gouvernement sur les moyens humains dont dispose l’ANSM. Nous en avons déjà largement parlé. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

 

*

*     *

 

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de loi figurant dans le document annexé au présent rapport.

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2214_texte-adopte-commission#

 

 

 

 


—  1  —

   ANNEXE n° 1 :
Liste des personnes entendues par la rapporteure

(par ordre chronologique)

 

       Fédération de l’hospitalisation privée (FHP)*  M. Lamine Gharbi, président, et M. Thierry Béchu, délégué général FHP-MCO (Médecine, chirurgie et obstétrique)

       Les entreprises du médicaments (Leem)*  M. Thomas Borel, directeur Recherche, Innovation, Santé Publique et Engagement sociétal, Mme Céline Kauv, directrice des Affaires pharmaceutiques, et M. Laurent Gainza, directeur des Affaires publiques

       Fédération hospitalière de France (FHF)* – Mme Cécile Chevance, responsable du pôle Offres, M. Jean-François Husson, pharmacien des hôpitaux, chargé de mission produits de santé, pôle Offres, et M. Augustin Viard, chargé de mission

       France Assos Santé* – Mme Catherine Simonin, bureau de France Assos Santé, Ligue contre le Cancer, et M. Yann Mazens, chargé de mission

       Cour des comptes – M. François de La Gueronnière, conseiller maître, et M. Sébastien Gallée, conseiller référendaire

       Comité économique des produits de santé  M. Philippe Bouyoux, président, et M. Jean-Patrick Sales, vice-président en charge du médicament

       Générique Même Médicament (Gemme)*  M. Jérôme Wirotius, vice-président en charge des affaires économiques, M. Sébastien Michel, vice-président en charge des affaires publiques et juridiques et de la communication, M. Laurent Borel-Giraud, directeur exécutif des opérations pharmaceutiques et commerciales de Téva Santé, et M. Sébastien Trinquard, directeur général

       Direction générale de la santé  M. Grégory Emery, directeur général, et Mme Sarah Sauneron, directrice générale adjointe

       Conseil national de l’Ordre des pharmaciens  Mme Carine Wolf-Thal, présidente, et M. Philippe Coatanea, vice-président

       Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom)  Dr Claire Siret, présidente de la section Santé publique, et Mme Cécile Bissonnier, conseillère juridique de la section Santé publique

       Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) – M. Thomas Fatôme, directeur général, Mme Véronika Levendof, responsable des relations avec le Parlement, et Mme Nina Vassilief, responsable adjointe du département des produits de santé

       Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique*  M. Emmanuel Déchin, délégué général

       Amgen*  Mme Cassandre Sergent, directrice des affaires publiques, et Mme Anne-Sophie Malinowski, directrice qualité et pharmacienne responsable

       Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament – M. Jérôme Martin, cofondateur

       Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)  Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale, Mme Carole Le Saulnier, directrice de la direction Réglementation et déontologie, M. Pierre-Olivier Farenq, responsable du Centre d’appui aux situations d’urgence et gestion des risques, et M. Guillaume Renaud, directeur de la direction de l’inspection

       Agence européenne du médicament  M. Emmanuel Cormier, responsable du secteur Science et innovation, Mme Monica Dias, responsable de l’approvisionnement en médicaments et dispositifs médicaux, et M. Siofradh McMahon, directeur de l’approvisionnement en médicaments et dispositifs médicaux

       Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO)*  Mme Bénédicte Bertholom, déléguée générale

       UFC-Que choisir*  Mme Maria Roubtsova, chargée de mission Santé, et M. Benjamin Recher, chargé des relations institutionnelles

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


—  1  —

   ANNEXE N° 2 :
Contributions écrites

(Par ordre chronologique) ([61])

– Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) *

– Les entreprises du médicaments (Leem) *

– Fédération hospitalière de France (FHF) *

– France Assos Santé

– Cour des comptes

– Générique Même Médicaments (Gemme) *

– Direction générale de la santé

– Conseil national de l’Ordre des pharmaciens *

– Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) *

– Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam)

– Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique

– Amgen

– Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament

– Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

– Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO)

– UFC-Que choisir *

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

Fédération de l’hospitalisation privée (FHP)

 

  1. À quels facteurs attribuez-vous la hausse du nombre de ruptures d’approvisionnement en médicaments depuis plusieurs années ? La situation en France est-elle spécifique par rapport à d’autres pays ?

 

Il s’agit d’une situation qui ne date pas d’hier, mais qui s’aggrave. Parmi les principaux facteurs :

 

-          La rentabilité : la grande majorité des pénuries concerne des médicaments dits matures, ceux dont les brevets sont libres, ce qui les rend moins chers donc moins rentables et attractifs pour l’industrie pharmaceutique.

-          Peu de producteurs mais beaucoup de demandes (40% des médicaments génériques sont produits par deux laboratoires dans le monde).

-          Un contexte géopolitique tendu : guerre en Ukraine.

-          En post-crise Covid, reprise des épidémies hivernales (grippe, bronchiolite) avec une consommations de médicaments en hausse.

-          Délocalisations (Chine, Inde... produisent 80% des principes actifs) en Asie, dans des pays qui deviennent eux-mêmes très consommateurs.

-          Défaut globale de vision prospective sur la demande, manque d’anticipation, productions à flux tendu.

La France n’est pas le seul pays concerné et les autres pays européens ou encore les USA et le Canada ont connu des tensions d’approvisionnement. Mais la France a pour particularité d’être une importante consommatrice de médicaments par rapport à l’Allemagne ou l’Italie notamment, en ce qui concerne l’amoxicilline par exemple.

 

  1. Quelles sont les conséquences de ces ruptures d’approvisionnement pour vos établissements et les patients pris en charge ?

Les pénuries sont un sujet important pour les établissements de santé, qui occupent une part conséquente de leur temps à les gérer.

Source - enquête de la FHP-MCO de décembre 2023 sur le fonctionnement des Pharmacies à Usage Intérieur :

 

Nos établissements trouvent toujours des solutions alternatives et il n’y a pas eu de déprogrammation en raison de ces pénuries. Mais cela met l’ensemble du système sous tension, et l’impression d’être en permanence sur un fil : car trouver une alternative suppose évidemment d’adapter les protocoles, d’informer les professionnels, de paramétrer les systèmes d’information et d’éviter toute erreur.

 

  1. Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments (création de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, instauration de stocks de sécurité destinés au marché national, élaboration de plans de gestion des pénuries, pouvoir de sanction de l’ANSM, nouvelle définition des ruptures d’approvisionnement, mesures anti-pénuries et mesures de soutien aux médicaments matures prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024…) ?

Ces mesures vont dans le bon sens. Il est à noter que l’ANSM nous permet une appréciation juste de la situation, puisque l’Agence communique de manière transparente sur les difficultés, et met régulièrement à jour son site avec des indicateurs de suivi (médicaments marqueurs).

Dans le cadre du plan ANSM de préparation et de gestion des tensions en produits de santé au cours des épidémies hivernales, nous avions été concertés en mai 2023 dans le cadre d’une logique de co-construction de la feuille de route ANSM, et avions mis l’accent sur deux points :

-Sur la veille et le dispositif de surveillance des signaux de tension, nos établissements soulignent l’intérêt d’utiliser les outils déjà existants tel qu’e-dispostock qui recense les stocks des établissements de santé sur une liste ciblée et en fonction des problématiques de pénuries actuelles.

Les indicateurs « approvisionnement » et « terrain » décrits ne concernent que l’aval et permettent le constat de la pénurie déjà installée. Il serait intéressant de travailler un indicateur amont, c’est-à-dire au niveau des laboratoires (début de la chaine d’approvisionnement), à savoir connaitre leur niveau de stocks totaux pour tous les pays. Cette disposition clarifierait les volumes que les laboratoires attribuent à chacun des pays en fonction de leur rentabilité économique.

-L’ANSM a listé un ensemble de mesures activables en cas de tensions et qu’elle met déjà en œuvre dans la gestion courante des tensions d’approvisionnement. Ces mesures sont désactivables en cas de normalisation de la situation. Nos établissements soulignent que les mesures sont pertinentes mais insuffisantes aujourd’hui car trop ciblées sur l’aval de la chaîne qui subit plutôt que de travailler à la source / cause des ruptures.

Un travail au niveau des laboratoires (début de la chaine d’approvisionnement) parait inévitable pour avoir les informations par anticipation quant à la pérennité de production des molécules/dosages/formes.

Certaines ruptures sont dues à des actions/décisions des laboratoires que nous subissons. Exemples : arrêt de production de poches de 3L en dialyse, hors un seul labo sur le marché en produit ; ou arrêt d’une forme type ampoule pour passage en forme seringue du jour au lendemain).

 

  1. Quel regard portez-vous sur le renforcement des obligations en matière de stocks de sécurité, prévu par l’article 1er de la présente proposition de loi ?

 

  1. De manière analogue, que pensez-vous du relèvement, prévu par l’article 2, du plafond des pénalités que l’ANSM est habilitée à prononcer en cas de manquement à l’obligation de constituer des stocks de sécurité ?

Réponses aux questions 4 et 5 –

Depuis 2021, les entreprises du médicament doivent disposer d’un stock de deux mois des médicaments essentiels (à intérêt thérapeutique majeur) et de quatre mois pour ceux ayant connu des ruptures les deux années précédentes. L’obligation n’est pas toujours respectée, et les sanctions de l’agence du médicament assez rares.

La PPL propose notamment de rehausser les stocks plancher (de deux à quatre mois pour les MITM) et de durcir les sanctions. Si l’intention est louable, il faut prendre garde aux contre-effets, avec un marché français qui serait de moins en moins attractif pour l’industrie pharmaceutique.

Une voie pourrait être la hausse des prix de certains médicaments « matures » (type Amoxicilline), conditionnée à des obligations de production pour les industriels.

Mais au-delà, les éléments de solution se trouvent certainement surtout en Europe, avec une nécessaire vision commune des exigences réglementaires et une entente sur les prix pour éviter le dumping, avec deux pistes :

Alors que les élections européennes se profilent, ces enjeux de rétablissement de pans de souveraineté sanitaire à l’échelle européenne doivent être au cœur des réflexions pour bâtir l’Europe de la santé et redonner aux citoyens des motifs de confiance en l’idéal européen.


Les entreprises du médicaments (Leem)

 

  1. À quels facteurs attribuez-vous la hausse du nombre des ruptures et tensions d’approvisionnement en médicaments au cours des dernières années, notamment pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM)?

Le phénomène des pénuries, on le sait, s’amplifie depuis plusieurs années.

Il touche principalement les produits matures - le plus souvent génériqués. Ces ruptures d’approvisionnement ont des causes multifactorielles et ont une dimension internationale, d’où la difficulté de pouvoir les combattre efficacement :

 

 

      L’industrie du médicament est caractérisée par des techniques de production de plus en plus complexes, notamment avec l’essor des biotechnologies.

      Les médicaments injectables ou stériles nécessitent ainsi des infrastructures très sophistiquées, avec des conditions de production très strictes : contrôle de l’environnement, stérilité des matières premières, des produits finis et du matériel, protection des personnels... Ainsi, la moitié des MITM déclarés à l’ANSM en 2017 pour tension d’approvisionnement ou rupture sont des formes injectables. Toute perturbation liée soit à un problème industriel soit à une fluctuation inattendue des besoins du marché ne peut être compensée dans des délais brefs.

      D’une manière générale, le temps de cycle d’un médicament (durée de fabrication des principes actifs, durée de production du médicament, durée du contrôle) s’est fortement allongé, rendant impossible l’adaptation rapide de la fabrication en fonction de fluctuations imprévues du marché (il faut prévoir de quelques semaines à 4 voire 6 mois pour produire un produit pharmaceutique « classique »).

      Le planning d’approvisionnement au sein d’un laboratoire est prévu par anticipation plusieurs mois à l’avance, notamment du fait de productions pour plusieurs pays sur une même site de fabrication, rendant là encore difficile l’adaptation rapide de la fabrication en fonction de fluctuations imprévues du marché.

      Les fabricants ont également mis en place des systèmes d’assurance qualité pharmaceutique extrêmement exigeants, capables de détecter toute anomalie en cours de production.

      Enfin, la fabrication est soumise à des normes européennes de qualité et de sécurité (Bonnes Pratiques de Fabrication, normes RSE et HSE...) très exigeantes qui augmentent les risques de non-conformité des médicaments et rendent ainsi impossible leur commercialisation.

 

Sans oublier que, dans une activité industrielle, nous ne sommes jamais à l’abri d’un arrêt de production lié à un problème de qualité, un défaut de personnel, un accident industriel… Chaque fois qu’un fabricant est à l’arrêt quelque part dans le monde, il met en tension l’ensemble de la chaine.

 

  1. La France se distingue-t-elle des autres pays de l’OCDE par la fréquence et l’ampleur des pénuries de médicaments ?

La France est particulièrement exposée à ce phénomène pour plusieurs raisons :

    Notre pays présente les prix parmi les plus bas d’Europe (- 37 % par rapport à l’Allemagne[62]), ce qui encourage l’exportation parallèle des produits disponibles sur notre territoire, avec un système d’achat-revente par les short-liners vers des marchés étrangers plus attractifs.

    Deuxième raison, qui fait écho au contenu de cette proposition de loi, les obligations de stockage en particulier sur les Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur (MITM) à faible marge, que la France a été la première en Europe à imposer, et qui nécessitent une approche européenne harmonisée, et de la flexibilité sur la constitution de ces stocks. En effet, les conditionnements en France comportent de nombreuses spécificités françaises (exemple des blisters avec des mentions en rouge obligatoires, des étuis avec nombreux pictogrammes grossesse, conduite d’un véhicule, logos recyclage …), tant de spécificités qui ne permettent pas une réallocation facile des stocks entre les pays de l’Union Européenne et défavorisent la France.

   A ces difficultés spécifiques s’ajoute l’explosion des coûts de production, qu’il s’agisse des matières premières, des intrants, ou encore de l’énergie. Les médicaments sont des produits à prix administrés. Nous n’avons donc pas la possibilité de répercuter ces augmentations sur le prix de nos produits à la différence de la quasi-totalité des autres secteurs producteurs de biens de consommation. À titre d’exemple, citons un soluté courant à l’hôpital, le bicarbonate de sodium, dont le flacon d’un demi-litre est vendu 1,40 €. En 2014, le fabricant, une PME française, gagnait 13 centimes par flacon. Aujourd’hui il en perd 17. Notons enfin que la marge des produits génériqués est de 0,3 % en moyenne

 

  1. Est-il possible d’établir un lien entre les baisses de prix et les ruptures d’approvisionnement, dès lors que les pénuries concernent des pays (États membres de l’Union européenne, États-Unis, Suisse…) dans lesquels le niveau et les méthodes de fixation des prix des médicaments sont très différents ?

Diverses études publiques montrent des prix en moyenne inférieurs en France par rapport aux autres pays européens, notamment les études de comparaison internationales des prix publiées en 2020 et 2021 par l’agence suédoise The Dental and Pharmaceutical Benefits Agency (TLV) (cf. note bas de page question 2), l’étude sur la comparaison internationale des prix réalisée en 2021 par la corporation RAND aux Etats-Unis. En outre, une étude réalisée pour le Leem par le cabinet SKP en 2023 montre que ce constat est particulièrement appuyé pour les médicaments dont le prix est faible (inférieur à 0,25 centimes par unité de médicament).

Par ailleurs, un working paper de la Toulouse School of Economics, mis en ligne en 2023, constate l’influence des prix français et des écarts par rapport aux prix internationaux sur l’occurrence et la sévérité des épisodes de ruptures d’approvisionnement (Drug shortages : empirical evidence from France, Pierre Dubois, Gosia Majewska et Valentina Reig).

La politique de prix des médicaments en France est dans un certain nombre de situations un élément aggravant des pénuries.

Des augmentations de prix pour certains MITM ont d’ores et déjà été décidées dans d’autres pays européens comme l’Allemagne et le Portugal, ou encore la Suède afin de lutter contre les ruptures d’approvisionnement.

En Allemagne : Un ensemble de mesures, législatives et non législatives, ciblant particulièrement les médicaments pédiatriques, les anticancéreux, les antibiotiques et les antipyrétiques, ont été mises en place en 2023, pour les médicaments pour lesquels peu de fournisseurs sont présents sur le marché et pour lesquels l’offre risque de se raréfier jusqu’à 50 % (seuls les médicaments génériques seraient concernés).

De nouveaux critères s’inscriront dans les contrats de remises pour valoriser l’implantation industrielle dans l’UE (concernerait aussi bien la production de principes actifs que les différentes étapes de fabrication médicament).

Au Portugal : Le ministre de la Santé du Portugal a annoncé en 2023 une série de mesures pour lutter contre les pénuries de médicaments dont une augmentation de 5 % du prix des médicaments dont le prix est inférieur à 10 euros ; et une augmentation du 2 % pour les médicaments dont le prix est compris entre 10 et 15 euros. Cette mesure concerne tous les médicaments remboursables, princeps et génériques.

En France, outre des prix moyens plus bas que la moyenne européenne, certaines situations au cours du cycle de vie du produit peuvent conduire à ce que le prix régulé devienne inférieur au prix de revient, par exemple :

Le Leem est régulièrement alerté par des entreprises devant le risque de devoir arrêter la commercialisation de leur médicament face à l’augmentation substantielle du prix de revient, le poids croissant des mécanismes de régulation du médicament (notamment la clause de sauvegarde) et l’impossibilité pour ces entreprises de pratiquer des hausses de prix pour préserver un niveau rentabilité permettant l’exploitation des médicaments.

Des premières situations d’arrêt de commercialisation de produits matures sans alternative thérapeutique ont d’ores et déjà été constatées. On peut citer notamment le cas d’un antibiotique commercialisé depuis le début des années 1980 et dont l’arrêt de commercialisation a été annoncé en début d’année 2023.

Il convient enfin de noter que l’article 28 de l’accord-cadre conclu avec le Comité économique des produits de santé permet à une entreprise, faisant état d’un risque impactant la production ou la commercialisation d’un produit sans alternative thérapeutique, de déposer une demande de hausse de prix. Les entreprises ont très largement sollicité l’application de cet article pour faire face aux conséquences de l’inflation et de l’augmentation des coûts des matières premières (principes actifs ou excipients) et articles de conditionnements ces deux dernières années. Une large part des demandes s’est vue rejetée par le CEPS au motif que la vocation de l’article 28 était de permettre des hausses de prix en cas de « choc économique » sur un poste de dépense spécifique et ne pouvait constituer une réponse à la situation inflationniste. De nombreuses autres demandes se sont vu accorder une hausse de prix minime et insuffisante pour répondre à la problématique de viabilité du produit, du fait de l’exclusion par le CEPS de l’ensemble des motifs sollicités par l’entreprise (inflation, coût de l’énergie, hausse graduelle des coûts d’exploitation au cours du temps…) à l’exclusion des critères apparentés à un choc sur un poste de dépense spécifique ou du fait de l’existence d’alternatives thérapeutiques.

Pour le Leem, trois mesures peuvent être prises sans délai pour prendre en compte le modèle économique contraint par la commande publique du médicament :

 

  1. Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments instaurées au cours des dernières années (création de la catégorie de MITM, instauration d’une obligation de constituer des stocks de sécurité destinés au marché national, élaboration de plans de gestion des pénuries…) ? Ces mesures vous semblent-elles appropriées et correctement mises en œuvre ?

Toutes les situations de tensions ne sont pas à risque de ruptures de prise en charge sur le plan sanitaire, et la loi de santé 2016 a ainsi défini les Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur (MITM) pour mettre en place des mesures spécifiques pour ces « médicaments dont l’indisponibilité transitoire, totale ou partielle est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients ».

Cette définition très large a pour effet d’englober jusqu’à la moitié des médicaments commercialisés, ce qui reste un nombre trop élevé pour agir efficacement sur leurs éventuelles ruptures et les nouvelles contraintes réglementaires imposées aux industriels par la LFSS en 2021 sur ces MITM ne peuvent être considérées comme une réponse satisfaisante à la gestion de la situation.

Pour cibler les efforts à conduire, le Leem a proposé d’introduire la notion de MISS (médicaments d’intérêt sanitaire stratégique), des médicaments parmi les plus indispensables et irremplaçables et dont la dépendance en matière de production à d’autres zones géographiques que l’Europe doit être limitée. Cette mesure faisait partie des propositions émises dès février 2019 par le Leem pour limiter et maîtriser au mieux ces risques de tensions et ruptures d’approvisionnement.

Concernant les Plans de Gestion des Pénuries, il s’agit de documents préparés en amont (et non pas dans l’urgence) par les entreprises du médicament, en prévision d’une éventuelle rupture de stock. Ils contiennent de nombreuses informations très utiles : informations détaillées sur le médicament et sa fabrication, niveaux de stocks prévus, modalités de prévention des pénuries, alternatives pour assurer la poursuite du traitement du patient en cas de rupture ainsi que les modalités de gestion en cas d’alerte de tensions. Ils permettent de faire un plan de gestion des risques de pénurie et de mettre en place les mesure pour anticiper au mieux la rupture. Mais comme évoqué précédemment, les causes amenant à une rupture sont tellement complexes, que tous les scenario et risques ne peuvent pas être identifiés et donc anticipés.

Enfin, concernant les obligations de stockage, rappelons que le décret du 30 mars 2021 relatif aux stocks de sécurité a prévu le renforcement de l’obligation de stockage des médicaments à 2 mois de couverture des besoins du marché pour tous les MITM, soit pour près de la moitié de la pharmacopée, et jusqu’à quatre mois pour certains MITM. Cette obligation s’applique depuis le 1er septembre 2021. Des stocks de sécurité étaient déjà constitués par les industriels dans la pratique, cependant cette mesure impose une approche normée en termes de niveaux de stock disponibles pour le seul marché français. Concernant les médicaments dont le stock de sécurité a été fixé à 4 mois de couverture des besoins du marché, une liste de 422 médicaments a été publiée sur le site de l’ANSM pour la période 2022-2023.

Dans le cadre des travaux d’élaboration de la liste 2024-2025 des MITM dont le stock de sécurité sera fixé à 4 mois (en cours de finalisation par l’ANSM), aucune mesure d’impact de son efficacité n’a été réalisé. Au contraire, le critère d’« éligibilité » pour augmenter le stock de sécurité à 4 mois est la déclaration par l’entreprise à l’ANSM d’un risque de rupture et d’une rupture au titre des 2 années précédentes.

Les 422 MITM précédemment cités sont issus d’une base qui concernait 3700 déclarations sur 2029-2020. La nouvelle « campagne » utilise une base de 5900 déclarations au titre des années 2021-2022. Ainsi, en respectant la même proportion, la publication d’une liste d’environ 700 MITM est attendue, sans réelle certitude ni confirmation de l’efficacité de cette mesure.

 

  1. S’agissant plus particulièrement des stocks de sécurité, les niveaux fixés par le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 vous semblent-ils suffisants pour prévenir les pénuries ? Quel regard portez-vous sur l’inscription d’une durée plancher dans la loi et le relèvement du plafond introduit par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, que prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi ?

Les délais actuels sont jugés raisonnables selon la commission européenne (cf. avis rendu dans le cadre de la procédure TRIS). La Commission a par ailleurs rappelé dans ses recommandations publiées en avril 2020, que toute mesure de stockage prise unilatéralement par un pays risquerait d’entraîner une surenchère délétère dans laquelle chaque pays tentera de sécuriser un haut niveau de stocks, ce qui aurait pour effet d’aggraver dramatiquement les problématiques d’approvisionnement pour la France.

Par ailleurs, la LFSS 2024 promulguée le 26 décembre 2023 contient plusieurs mesures visant à lutter contre les pénuries de médicament : généralisation de la délivrance à l’unité (article 53), utilisation des préparations officinales spéciales dans le cadre du plan blanc (article 71), renforcement des leviers d’épargne de médicament en cas de ruptures d’approvisionnement (article 72), maintien sur le marché des médicaments matures dite mesure « Florange » (article 77)

Il nous apparaît donc que la mesure proposée dans cette PPL serait contre-productive et discriminante par rapport au reste de l’Europe :

Enfin, il convient de prendre en compte les contraintes pharmaceutiques et industrielles :

La question des obligations de stockage doit prendre en compte certains fondamentaux, si l’on ne veut pas aggraver les risques de ruptures :

      Que les quantités de stockage obligatoire (stock de sécurité) pour les entreprises titulaires des AMM soient compatibles (en termes de durée) avec les impératifs et les pratiques industriels.

      Que les stocks de sécurité obligatoires ne concernent que les produits les plus critiques, avec une flexibilité totale.

      Que la méthodologie de calcul des stocks de sécurité soit revue pour se caler au plus près des besoins réels.

      Que l’obligation de stock soit calculée sur la base de la demande européenne.

      Que la durée de stockage obligatoire inclue bien le stock des grossistes répartiteurs et des pharmacies.

      Que cela s’accompagne d’une souplesse réglementaire permettant de déplacer les stocks d’un pays à l’autre dans l’UE pour les titulaires au cas où ces derniers décideraient ou auraient besoin de conserver des stocks au niveau des produits finis.

      Qu’à ce jour aucune liste commune UE avec des critères identiques n’est disponible, ce qui reste un facteur contraignant avec des spécificités et exigences différentes entre pays de l’UE.

 

Les déterminants clés sont donc :

      La flexibilité pour stocker et déplacer les stocks à travers le pays et l’Europe

      La flexibilité d’utiliser ces stocks de sécurité pour leur véritable objectif, à savoir amortir la variabilité de la demande et de l’offre. Il ne devrait pas y avoir de pénalités pour les diminutions justifiées des stocks.

      Tirer parti des accords de reconnaissance mutuelle : Autoriser les stocks de sécurité dans les pays qui ont des accords de reconnaissance mutuelle avec l’Europe (Exemple : Suisse)

      L’obligation européenne de stockage doit impérativement être accompagnée d’une garantie politique qu’aucune autre exigence ne sera introduite au niveau national (statu quo sur les procédures nationales).

 

Autres éléments clés à définir (à fort impact) :

      Définition des médicaments critiques

      Définition de la demande au niveau européen

      Définition du stock de sécurité

 

  1. Les sanctions financières encourues en cas de manquement aux obligations en matière de stocks de sécurité vous semblent-elles adaptées ? Aussi, quel regard portez-vous sur l’élévation du plafond de ces astreintes et pénalités, prévue par l’article 2 de la présente proposition de loi ?

Par principe, le Leem est opposé à toute nouvelle sanction ou renforcement de celles déjà existantes car l’effet produit pourrait être contraire à celui recherché, notamment la suppression de commercialisation de produits dits « matures », mais essentiels, sur le marché français

L’aspect financier étant déjà identifié dans certains cas comme une cause de certaines ruptures, il ne faudrait pas l’aggraver, en dégradant les conditions d’exploitation d’entreprises – souvent des PME – déjà fragilisées dans leur économie.

De plus le système réglementaire français dispose déjà d’un arsenal assez complet de pressions sur les industriels, et l’augmentation des sanctions n’ayant pas démontré d’effet, c’est une mesure qui parait contreproductive.


Fédération hospitalière de France (FHF)

 

Les hôpitaux et les établissements sociaux et médico-sociaux publics sont très fortement touchés par les pénuries de produits de santé, médicaments et dispositifs médicaux (entre 5 et 10% des médicaments sont en rupture de stock de manière chronique).

Paradoxalement, l’hôpital public est la fois plus exposé à des situations critiques de pénuries compte-tenu des soins techniques qui y sont pratiqués (exemples : ruptures de stock d’anesthésiques et de curares pour les soins en réanimation en période Covid, pénuries d’antibiotiques injectables de première intention, de paracétamol pédiatrique), et à la fois mieux armé pour faire face aux pénuries en recourant aux substitutions pour les soins courants, grâce à la centralisation de toutes les compétences pour les prises en charge des patients (pharmaciens, médecins, IDE etc..), et à son habitude de travailler sur un livret du médicament avec des équivalences thérapeutiques.

Les dysfonctionnements majeurs engendrés par les tensions d’approvisionnement sont mal connues des patients hospitalisés et des pouvoirs publics puisque les professionnels de santé compensent donc au mieux ces pénuries par leur expertise pour permettre aux malades de bénéficier des meilleurs soins possibles.

Les difficultés d’approvisionnement handicapent pourtant lourdement le fonctionnement hospitalier : impact sur la prise en charge des patients, iatrogénie médicamenteuse ou mésusage des dispositifs médicaux par changement de protocoles de soins, impact financier du fait d’acquisition de produits de substitution moins cout efficace, impact logistique par réorganisation des chaines d’approvisionnement…

 

  1. À quels facteurs attribuez-vous la hausse du nombre de ruptures d’approvisionnement en médicaments depuis plusieurs années ?

La FHF partage les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur les pénuries de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française de juillet 2023 :

  1.      La part des médicaments produits sur le territoire français ne dépasse pas aujourd’hui un tiers de la consommation : les besoins de la population sont non couverts par la production nationale.
  2.      La concentration de la production, notamment de principes actifs, autour de quelques fournisseurs asiatiques dont dépendent les laboratoires et façonniers du monde entier, qui rend difficile la substitution en cas de rupture (les différents fabricants se fournissent chez les mêmes sous-traitants).
  3.      La production en flux tendu, vulnérable aux arrêts de production.
  4.      Une stratégie commerciale et financière portée vers les médicaments innovants et onéreux, au détriment des médicaments dits matures.

En synthèse, il s’agit avant tout d’une problématique industrielle et commerciale non spécifique à la France, qui provoque une inadéquation entre l’offre et la demande, et un niveau de service dégradé. (note : problème également signalé Finlande cité dans la PPL: 800 médicaments en pénuries en février 2024)

Cette problématique est en réalité internationale, et notamment européenne, comme le montre les enquêtes de l’EAHP (dernière publication période 2019-2020).

 

  1. Êtes-vous en mesure d’évaluer l’impact des pénuries de médicaments sur les patients pris en charge, notamment en termes de perte de chance ?

Les impacts des pénuries sont multiples :

 

  1. De manière analogue, comment les établissements de santé ainsi que les groupements et centrales d’achats hospitaliers s’adaptent-ils aux pénuries ? En particulier, comment celles-ci affectent-elles la gestion des pharmacies à usage intérieur (PUI) ainsi que la définition de la « liste en sus » ?

Au niveau des groupements, il existe peu de solutions si ce n’est l’existence de mandats pour contractualiser des marchés de substitution en cas de pénuries pour le compte de leurs adhérents. Au-delà, les techniques d’achats ne peuvent compenser des situations de pénuries généralisées.

Des initiatives intéressantes d’UniHAppro (en développement : gestion centralisée des stocks des adhérents– ne couvrent pas tout le périmètre des médicaments en rupture mais une liste restreinte de médicaments critiques) et GEB Resah / Groupements régionaux sur la logistique, sont à noter.

Concernant les plateformes territoriales pharmaceutiques, elles restent peu développées pour l’instant, car nécessitant de lourds investissements. Enfin, se développent des outils de communication partagés sur les pénuries (industriels – groupements – PUI) pour informer les professionnels de santé, anticiper les situations de santé et mieux coordonner les substitutions.

Au niveau des PUI : les achats sont aux frais et risques du fournisseur défaillant selon le CCAG-FCS (art. 45), avec une difficulté d’accès à des produits de substitution qui peuvent également manquer.

Le problème est également financier puisque les circulaires Borne de septembre 2022 ( SI302722092917470 (economie.gouv.fr) et Castex du 30 mars 2022 (Circulaire n° 6338-SG du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières - Légifrance (legifrance.gouv.fr)) incitaient à une certaine mansuétude pour l’application de pénalités et d’achats aux frais et risques pour les fournisseurs défaillants (contexte post Covid, relance de l’économie). On notera également les contestations de plus en plus nombreuses pour faire payer les surcouts liés à l’achat de produits de substitution aux fournisseurs en rupture.

Pour les PUI, cette situation provoque également un impact RH conséquent (environ 1 ETP PH pour la gestion des pénuries médicaments et DM en CH selon enquête EAHP), non compensé, non valorisé. Ces pénuries entrainent une désorganisation à tous les niveaux pour les PUI : approvisionnement, bon usage (protocole, information), sécurisation de la dispensation.

On rappelle la structuration en réseau des PUI de CHU pour des fabrications en urgence de médicaments critiques sous le statut de Préparations Hospitalières Spéciales (LFSS 2022), avec une possibilité de fabrication in situ ou de constitution de dossiers de préparation pour des sous-traitants.

Il reste enfin et avant tout une solidarité entre PUI pour un partage des stocks à l’échelle territoriale et régionale, le regroupement des achats à l’échelle territoriale (a minima) facilite ces échanges entre établissements qui partagent pour partie le même livret du médicament.

Les médicaments de la liste en sus ne sont a contrario pas particulièrement concernés par les pénuries, compte-tenu de leur coût d’achat.

 

  1. Le rapport de la mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments (« rapport Biot », 2020) formulait plusieurs constats et recommandations concernant les politiques d’achats hospitaliers. Il y est notamment fait état du point de vue d’acteurs industriels qui affirment que la variabilité des volumes à la hausse prévue par certains appels d’offres constitue un frein aux candidatures des fournisseurs de taille moyenne ou modérée (cf. p. 40). Partagez-vous ce diagnostic ?

Concernant la sincérité des quantités de médicaments publiées dans les appels d’offres, c’est un sujet de travail constant des acheteurs hospitaliers : la professionnalisation des achats avec la constitution de groupements mieux dotés en personnel et compétences est un facteur favorisant la plus juste expression des besoins. Parallèlement, le plan PHARe conduit par la DGOS insiste désormais davantage sur cette dimension contrôle de gestion achats et suivi d’exécution des marchés qui n’était pas très développée au mitant des années 2010. Il est donc judicieux de soutenir ces démarches de mutualisation avec les ressources ad hoc.

La massification poussée des achats de produits concurrentiels a également été identifiée comme étant un facteur aggravant pour les pénuries (rapport Biot, académie nationale de Pharmacie 2023). Des solutions sont mises en place pour contrer cet effet : achats régionaux ou infranationaux et multi-attribution notamment. Il est toutefois à noter que les pénuries restent avant tout un problème industriel et commercial, la dimension « achats » (fiabilisation des besoins des établissements dans les appels d’offres pour un prévisionnel industriel optimisé, amélioration des approvisionnements) permettant seulement d’atténuer partiellement ces difficultés.

 

  1. Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments mises en œuvre au cours des dernières années (création de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, instauration de stocks de sécurité destinés au marché national, élaboration de plans de gestion des pénuries, pouvoir de sanction de l’ANSM, nouvelles définition des ruptures d’approvisionnement et mesures anti-pénuries prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024) ? Ces mesures vous semblent-elles appropriées et correctement mises en œuvre ?

Force est de constater que ces mesures sont insuffisantes : les stocks de MITM et les plans de gestion des risques sont imposés aux industriels depuis octobre 2021, et entre 2022 et 2023 le nombre de ruptures déclarées à l’ANSM est passé de moins de 4 000 à presque 5 000 par an, en cohérence avec la croissance continue des pénuries depuis 10 ans. A

Il est par ailleurs à noter que certains médicaments en situation de pénuries à plusieurs reprises en 2023 font partie de la liste des 422 médicaments catégorie MITM dont le niveau de stock imposé est passé de 2 mois à 4 mois réglementairement. Il s’agit désormais de déterminer si les mesures prises antérieurement sont inefficaces ou non-appliquées.

  1. Quel regard portez-vous sur le renforcement des obligations en matière de stocks de sécurité, prévu par l’article 1er de la présente proposition de loi ?

Au regard du peu de résultats sur les mesures précédentes, il est peu probable que leur renforcement permettra de limiter effectivement le nombre de pénuries de produits de santé.

Ces contraintes sur l’industrie peuvent donc augmenter sans forcément avoir des résultats sur la disponibilité des médicaments avec un risque de raréfaction de l’offre (effet repoussoir de cette exigence de stocks) à mesurer. Ce sujet est une crainte pour les hospitaliers avec des situations quasi monopolistiques avec un renchérissement des prix et une fragilité sur les approvisionnements (ex : antibiotiques injectables).

La raréfaction des propositions constatée depuis une dizaine d’années dans les appels d’offres hospitaliers a déjà été objectivée (voir « Groupement Garonne, évolution des appels d’offres », Rolland L et al dans Gestions Hospitalières, sept 2018). A titre d’illustration, lors de l’appel d’offres médicaments de la région Centre Val de Loire de 2023 sur des médicaments a priori concurrentiels (brevet échu, connaissance a priori d’un marché fournisseur concurrentiel), ¼ des lots n’ont reçu qu’une seule réponse, ¼ des lots deux réponses seulement.

S’il s’agit de travailler le niveau des stocks, il faut s’intéresser aux médicaments critiques (cf. liste UE Availability of critical medicines | European Medicines Agency), avec toutes les marques de princeps et génériques, une rupture d’un génériqueur provoquant en cascade celles de ses concurrents.

Il s’agit enfin de s’intéresser à la répartition des stocks : l’ANSM a mis en évidence que les couvertures de stocks étaient parfois respectées mais que ces stocks étaient inégalement répartis, avec notamment une très faible disponibilité chez les grossistes. Un travail sur une meilleure répartition de ces 2 à 4 mois de stocks entre industrie/ répartition pharmaceutique et officines ou PUI pourrait être mené.

  1. De manière analogue, que pensez-vous du relèvement, prévu par l’article 2, du plafond des sanctions financières que l’ANSM est habilitée à prononcer en cas de manquement à l’obligation de constituer des stocks de sécurité ?

 

Il est nécessaire de rappeler que les ruptures les plus fréquentes touchent les médicaments matures, courants et génériqués, et que ces pénalités toucheront donc principalement les entreprises du générique dont le modèle économique et le niveau de rentabilité n’est pas comparable aux entreprises de biotechnologie qui portent l’essentiel de la croissance des 24 Mds d’euros des dépenses de médicament.

D’autres mesures doivent être développées en complément pour travailler plus globalement sur les ruptures d’approvisionnement :

  1.      L’information et l’anticipation : manque d’information par l’ANSM, « DP – ruptures » peu utilisé à l’hôpital. Une information plus ouverte et plus facilement accessible pour les professionnels libéraux ou hospitaliers est nécessaire, notamment pour les prescripteurs.

 

  1.      Une réflexion un peu plus globale dans les mesures de restriction au marché en cas de pénuries. Les hôpitaux peuvent avoir des conditions d’accès au médicament un peu plus favorables que la ville mais cela ne résout en aucun cas les prises en charge médicamenteuses des patients en sortie d’hospitalisation pour la poursuite de leur traitement. Les situations de pénuries en ville sur les antibiotiques notamment doivent être clairement exposées aux prescripteurs hospitaliers.

 

 

  1.      Toutes les mesures d’épargne des médicaments doivent être mises en œuvre avec les ressources et les compétences ad hoc : pertinence des soins, bon usage, sobriété dans la prescription ou déprescription, dispensation de médicaments ajustées à la durée de traitement - y compris dispensation unitaire des médicaments. Ce sont des mesures à très forte valeur ajoutée qui contribueront non seulement à la réduction des pénuries en évitant le gaspillage ou le mésusage, mais aussi à des économies et à la réduction de l’impact environnemental du système de santé. Cette mesure fait partie des 50 propositions de la FHF pour la transformation écologique du système de santé.

 

  1.      Un investissement dans la gestion des ruptures à l’échelle territoriale doit être réalisé, soit en finançant des plateformes pharmaceutiques hospitalières territoriales, soit en développant les SIH pour partager dans les établissements les niveaux de stocks et permettre plus simplement aux établissements de se dépanner entre eux.

 

  1.      Un partage des compétences pour trouver des solutions alternatives et des protocoles d’équivalences validés médicalement doit être impérativement orchestré. La situation actuelle consistant à ce que chaque professionnel de santé détermine de lui-même les alternatives aux médicaments en rupture de stock est très peu efficiente et très chronophage dans le secteur de la santé sous tension pour ses ressources humaines.

 

En conclusion, nous rappelons que cette situation est une problématique mondiale, avec des ruptures toujours moindres dans les pays les plus offrants. A titre d’exemple, le médicament qui génère à la fois le plus de dépenses ( > 1Mds d’euros) et la plus grosse croissance (> 20%) à l’hôpital n’a jamais été en rupture depuis 10 ans.

 

On se souviendra également que la pénurie majeure d’immunoglobulines polyvalentes en 2021 a été résolue sur cette période par une réévaluation de leurs prix de remboursement.

 

La notion de rentabilité industrielle pour garantir un certain niveau de service dont la disponibilité continue du médicament est à intégrer dans cette réflexion.

France Assos Santé

 

Nos suggestions dans le cadre de cette proposition de loi

  1. Inscrire le « name and shame » dans la loi (en l’état : réglementaire)

        Publication sans limite de durée des sanctions ainsi qu’un tableau récapitulatif des laboratoires concernés. A date les décisions de sanction financière de l’ANSM peuvent être publiées sur le site internet de l’agence pendant une durée qui ne peut excéder un mois (décret de 2014).[[1]]

  1. Inciter les industriels qui disposent de produits remboursés matures et de produits plus récents à maintenir l’accès à leurs médicaments anciens

      Cette mesure a été proposée par l’exécutif dans le texte initial du PLFSS 2023 puis retirée sous la pression des industriels (elle reste visible dans l’étude d’impact).[[2]]

      Elle propose de rééquilibrer le traitement en matière de prix entre les anciens et les nouveaux produits d’un même exploitant en exigeant des industriels, lors de la prise en charge d’un nouveau produit.

  1. Introduire des sanctions en cas de défaut de déclaration des entreprises du montant des investissements publics de recherche et développement dont elles ont bénéficié pour le développement des médicaments

      Adaptation de l’article L-162-17-4-3 du code de la sécurité sociale

      En 2022, le montant total des investissements publics de R&D déclaré par les entreprises du médicament atteignait 194 202 Euros[[3]] !

 

Nos recommandations complémentaires afin de lutter efficacement contre les pénuries de médicaments

Recommandation 1 : Mettre en place une production publique ou à intérêt non lucratif

      La France pourrait reprendre le modèle développé aux Etats Unis (CIVICA) sur un nombre limité de spécialités courantes faisant l’objet de ruptures.

      Cette demande rejoint la recommandation n°14 du rapport de l’IGAS « vulnérabilité d’approvisionnement des produits de santé » qui stipule « Constitution d’un groupement de coopération sanitaire à l’initiative des établissements hospitaliers concernés ».[[4]]

Recommandation 2 : Lutte contre le mésusage-encadrement des prescriptions

      Au regard des comparaisons internationales, le volume de prescriptions de médicaments en France est particulièrement alarmant, expliquant en partie que notre pays soit particulièrement impacté par les pénuries (étude de l’ECDC sur les sur-prescriptions d’antibiotiques par exemple).

      Cette sur-prescription engendre de sérieux risques iatrogènes et entraîne un gâchis d’argent public. Nous considérons inutile de pénaliser les personnes malades, les prescripteurs sont responsables de leurs prescriptions et sont donc responsables de ces dépenses inutiles et de la iatrogénie qui en découle.

 

 

Recommandation 3 : Augmenter les moyens nécessaires à l’ANSM

      Il est urgent d’augmenter les moyens de l’Agence pour assurer ses activités de lutte contre les pénuries de produits de santé et son rôle pivot en termes d’information (état des stocks, signalements)

 Recommandation 4 : Porter une voix forte au niveau Européen

      Il est aujourd’hui urgemment nécessaire d’harmoniser les critères et les listes de médicaments critiques ou essentiels, sans remettre en cause les acquis établis en France

      La révision de la stratégie pharmaceutique actuellement proposée par la commission constitue sans aucun doute une avancée notable par rapport à la situation actuelle,

      Nous ne constatons pas de traduction concrète de la volonté de la France d’être motrice dans ces travaux (

 


Cour des comptes

 

  1. Pour expliquer les tensions d’approvisionnement de médicaments, le rapport souligne que « la principale difficulté est d’ordre industriel », et qu’elle réside dans les mutations du secteur pharmaceutique et la fragilisation des circuits d’approvisionnement qu’entraîne le recours des entreprises pharmaceutiques à la sous-traitance. Comment expliquez-vous ces évolutions ?

 

Alors que les entreprises pharmaceutiques ont fait évoluer radicalement leur modèle économique, en ce qui concerne en particulier les modalités selon lesquelles elles inventent des médicaments innovants, elles ont cherché à réduire leurs coûts, notamment en se séparant d’une part grandissante de leur production, qui est aujourd’hui de plus en plus sous-traitée et à flux tendus. Dans ce contexte, le moindre grain de sable a des répercussions en chaîne et qui peuvent être d’autant moins maîtrisables qu’une partie importante de la production dépend de fournisseurs étrangers, situés le plus souvent en Asie.

 

Dans le rapport public annuel de 2022, la Cour a fait état de mesures politiques industrielle, en particulier pour inciter les entreprises à relocaliser leur production dans le cadre du plan France relance. Elle a aussi, alors, souligné que les effets de telles mesures restaient incertains.

 

Des travaux plus récents de la première chambre de la Cour[63] ont fait ressortir que, dans le secteur de la santé, les projets de relocation soutenus par ce dispositif avaient majoritairement concerné la production de dispositifs médicaux. D’une manière globale, les effets de ce dispositif sur la souveraineté économique et la sécurisation des approvisionnements critiques seront très difficiles à mesurer puisqu’aucun indicateur ou outil de suivi n’a été mis en place.

 

  1. La France se distingue-t-elle des autres États membres de l’Union européenne et de l’OCDE par la fréquence et l’ampleur des tensions d’approvisionnement auxquelles elle est confrontée ?

 

Les travaux de la Cour n’ont pas permis d’investiguer ce point.

 

Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments mentionne une étude effectuée en décembre 2022 du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE, association représentant les pharmaciens d’officine de l’Union européenne) faisant ressortir que de pénuries sont bien ressenties dans l’ensemble des autres pays de l’Union européenne.

 

  1. Certains acteurs industriels affirment que les baisses de prix des médicaments remboursés aggraveraient les risques de ruptures d’approvisionnement. Partagez-vous ce diagnostic ?

 

La Cour n’est pas compétente pour examiner la gestion des industries pharmaceutiques et n’est donc pas en mesure, par ses contrôles, de confirmer ce point.

 

Il est néanmoins constaté que ce facteur explicatif est bien mentionné notamment dans le rapport de la mission sur la régulation des produits de santé d’août 2023. Par ailleurs, l’accord cadre conclu en 2021 entre le CEPS et les représentants de l’industrie pharmaceutique a prévu des hauses de tarifs en vue de favoriser les investissements et les exportations.

 

  1. Quelle appréciation portez-vous sur la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) ? Dans quelle mesure sa création a-t-elle permis de renforcer le dispositif de lutte contre les pénuries de médicaments critiques ?

 

Dans le rapport public annuel pour 2022, la Cour a relevé que la détermination du périmètre des MITM relevait en fait des exploitants (donc, dans la plupart des cas, les firmes pharmaceutiques détentrices de l’autorisation de mise sur le marché) et non du ministère de la santé ou de l’ANSM (hormis concernant certains vaccins, qui font l’objet d’un arrêté ad hoc). Il en résulte des incohérences, relevées par la Cour en 2022 : des médicaments dont les génériques sont déclarés par leur exploitant comme MITM mais pas leur princeps (Moduretic©, Pharmorubicine©, Novatrex©, Tazocilline©).

 

De telles incohérences sont problématiques, dans la mesure où elles affectent l’efficacité du dispositif : en effet plusieurs conséquences (obligation d’élaborer un plan de gestion du risque, de déclarer à l’ANSM toute rupture de stock ou risque de rupture de stock, durée de stockage de sécurité, découlant de cette qualification) s’attachent à cette qualification.

 

La Cour a donc recommandé de préciser la définition des MITM, en confiant explicitement à l’ANSM la possibilité de réviser le choix des exploitants d’y répertorier, ou non, leurs médicaments.

 

Il est constaté que l’article 77 de la LFSS 2024, en modifiant la rédaction de l’article L. 5121-31 du code de la santé publique, permet désormais à l’ANSM de le faire, ceci après une procédure contradictoire.

 

  1. Dans le cadre de la préparation de cette partie du RPA 2022, 112 plans de gestion des pénuries (PGP) ont été étudiés. Quel regard portez-vous sur ce dispositif ?

 

Sur la base de l’examen de ces 112 plans, le rapport public annuel a relevé que leur apport s’avérait alors limité. En effet, faute de précisions, leur contenu était très variable d’un exploitant à l’autre et les solutions apportées répondaient rarement aux points de fragilité les plus fréquemment relevés.

 

Ultérieurement, l’ANSM a adopté des lignes directrices destinées à encadrer le contenu de ces plans. Il incombe désormais à l’ANSM de s’assurer par ses contrôles de la bonne prise en compte de ces lignes directrices. Cela étant, dans un rapport récent du Sénat[64], le caractère hétérogène du contenu des plans de gestion des pénuries a été, de nouveau, souligné.

 

  1. S’agissant des stocks de sécurité, les niveaux fixés par le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 vous semblent-ils adaptés ? L’inscription d’une durée plancher dans la loi et le relèvement du plafond introduit par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 vous semblent-ils de nature à réduire le risque de pénuries ?

 

Ce décret étant entré en vigueur postérieurement à l’achèvement de l’enquête ayant conduit à la publication dans le rapport public annuel, la Cour n’a pas pu constater les effets de ce dispositif.

 

Pour se prononcer sur ce point, il conviendrait probablement d’examiner les cas dans lesquels l’ANSM a décidé de porter jusqu’à 4 mois le seuil du stock de sécurité[65] et d’observer s’il en est effectivement résulté une diminution significative des ruptures de stock des MITM concernés.

 

  1. Quels enseignements tirez-vous de la comparaison que vous avec réalisée entre l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et six agences de sécurité des médicaments d’autres pays de l’Union européenne ?

 

La Cour avait comparé les attributions respectives de l’ANSM et de ses homologues de six autres pays. Mais il n’en n’est pas ressorti d’enseignement significatif quant à la fréquence des ruptures d’approvisionnement, faute pour la Cour d’avoir pu comparer la situation des différents Etats face à ce phénomène.

 

  1. En particulier, quel regard portez-vous sur l’utilisation faite par l’ANSM de ses pouvoirs de contrôle et de sanction, notamment en cas de manquement aux obligations en matière de stocks de sécurité ?

 

Il est constaté que des sanctions en la matière sont bien intervenues de la part de l’ANSM, en particulier à propos de l’amoxicilline – certaines de ces sanctions ayant suscité des recours contentieux, non encore tranchés à ce jour.

 

Mais dans la mesure où ces sanctions sont intervenues postérieurement à l’achèvement de l’enquête ayant conduit à la publication dans le rapport public annuel de 2022, la Cour n’a pu en examiner la portée ou l’effet.

 

  1. Pouvez-vous revenir sur les principales recommandations du rapport visant à lutter contre les pénuries de médicaments ? Ont-elles fait l’objet d’un suivi ?

 

Un peu moins de deux ans après la publication de ces recommandations, il est encore trop tôt pour en effectuer un suivi selon les procédures en vigueur.

 

En première analyse, les observations qui pourraient être faites à ce jour sont les suivantes :

 

Recommandation 1 : exploiter les différentes sources d’information disponibles pour mieux objectiver l’évolution des ruptures d’approvisionnement

 

Il apparaît encore trop tôt pour apprécier si le ministère chargé de la santé et l’ANSM ont procéder à ces travaux. Mais il peut être constaté que l’article 72 de la LFSS 2024 a introduit une définition de la rupture d’approvisionnement (distincte de la rupture de stock), qui contribuera certainement à en améliorer le suivi.

 

 

Recommandation 2 : mettre en place un dispositif de remontée d’information sur les ruptures d’approvisionnement affectant les DM pour lesquels un tel événement aurait des conséquences graves pour les patients

 

Il est encore trop tôt pour constater ce qu’il en est.

 

Recommandation 3 : préciser la définition des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), en donnant à l’ANSM la compétence d’y inclure des médicaments qui le justifieraient

 

Il est constaté que l’article 77 de la LFSS 2024 (en modifiant l’article L. 5121-31 du code de la santé publique) permet désormais à l’ANSM de le faire, ceci après une procédure contradictoire

 

Recommandation 4 : pour les MITM les plus indispensables, réaliser une analyse approfondie des risques de rupture et mettre en place les types de mesures qui apparaîtront les plus adéquats pour prévenir au mieux les tensions d’approvisionnement, en s’appuyant si nécessaire sur l’échelon européen

 

Il est encore trop tôt pour constater ce qu’il en est. Si une liste des médicaments essentiels, portant sur 450 spécialités, a été diffusée par le ministère de la santé en juin 2023, il reste à cerner si elle pourra constituer pour l’ANSM un support adéquat pour ce type d’analyse.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Direction générale de la santé

 

Quelques éléments de contexte pour propos introductif :

Le nombre de déclarations de ruptures ou de risques de ruptures de stock de médicaments dits d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) n’a cessé d’augmenter ces dernières années et a été multiplié par 9 entre 2016 (405) et 2022 (3 761).

Les risques de rupture et les ruptures de stock touchent essentiellement des médicaments commercialisés depuis longtemps (médicaments matures), beaucoup moins les derniers médicaments mis sur le marché.

Parmi les signalements de ruptures ou risques de ruptures, les classes thérapeutiques les plus touchées sont en 2022 le système cardiovasculaire (environ 28 %), le système nerveux (21 %) et les anti-infectieux (14 %).

  1. À quels facteurs attribuez-vous l’augmentation du nombre de pénuries de médicaments au cours des dernières années ?

Tout d’abord, sans remettre en cause la réalité de l’augmentation du nombre de tensions ou de pénuries sur le terrain, il est important de préciser que la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 soumet en effet à sanction financière le non-respect de l’obligation pour les industriels de signaler les risques de rupture le plus en amont possible. Ainsi, on a probablement une meilleure déclaration qu’avant 2020 qui explique la dynamique rapide ces dernières années ?

Cependant, entre 2022 et 2023, la tendance de croissance des pénuries demeure forte et confirme le ressenti terrain.

Le schéma ci-dessous reprend les causes renseignées par les industriels dans les déclarations de ruptures et de risques de ruptures, sachant que ces proportions varient peu d’une année sur l’autre (chiffres ANSM 2022, https://data.ansm.sante.fr/ruptures) :

Les pénuries sont très liées à la mondialisation de la production de médicaments, qui entraîne une fragmentation et une complexité accrue de la chaîne de fabrication et d’approvisionnement.

Le nombre de ruptures et risques de ruptures est par ailleurs fortement accentué par des phénomènes conjoncturels successifs : pandémie de Covid 19 (notamment les confinements, accroissement des besoins en certains médicaments et baisses des activités industrielles et de transport), puis en 2022 par les événements géopolitiques, la crise énergétique et les taux d’inflation élevés ainsi que la difficile remise en route des usines de production post-Covid et l’augmentation de la demande en médicaments dans certains domaines, notamment anti-infectieux.

De façon structurelle, la progression de la consommation en produits de santé de marchés émergents peut avoir un impact sur un certain nombre de produits au niveau mondial d’autant qu’elle ne s’accompagne pas nécessairement d’investissements industriels de la part des entreprises afin d’ajuster leurs capacités de production mondiales.

Le caractère ancien du médicament et sa rentabilité peuvent enfin expliquer une partie des pénuries, notamment parce que les procédés de fabrication ne sont pas maintenus ou que les investissements financiers, pour se conformer aux bonnes pratiques de fabrication, ne sont pas réalisés. Cela peut entrainer l’émission de « non-compliance statement » (équivalent des suspensions d’autorisation d’ouverture de l’établissement pharmaceutique en France) lors d’une inspection par les autorités compétentes européennes, pouvant entrainer un arrêt transitoire ou définitif des productions et des pénuries. Des systèmes vieillissants de production peuvent également entrainer des problèmes qualité sur les lots de ces produits entrainant des rappels de lots plus ou moins étendus, qui créent une pénurie brutale.

  1. Est-il possible d’évaluer l’impact des pénuries de médicaments sur la santé publique ?

Le suivi des conséquences sanitaires des pénuries est particulièrement complexe, pour deux raisons principales :

-          Il y a une sous notification de la iatrogénie rupture. Les effets indésirables dans un contexte de rupture de stock sont difficiles à identifier dans la base de déclaration ;

-          Le lien de causalité entre les pénuries et l’état de santé des patients n’est pas évident à reconstruire.

La littérature scientifique rapporte un certain nombre d’informations sur les conséquences sanitaires des pénuries.

L’étude exploratoire de La Ligue contre le cancer auprès de personnes malades et de professionnels de santé en 2019 relève que :

-          75 % des professionnels soignants sont d’accord pour dire que les pénuries de médicaments utilisés contre le cancer entrainent des pertes de chances chez les personnes malades.

-          45 % des professionnels spécialistes du cancer indiquent un impact sur la survie à 5 ans de leurs patients. Ils sont 68 % parmi les oncologues médicaux.

Le rapport de l’Académie de Pharmacie (2018), qui cite des publications pertinentes sur le sujet, souligne que la stratégie de substitution ne doit pas être hâtive car elle peut conduire à l’utilisation d’alternatives moins efficaces, plus toxiques, voire à des erreurs médicamenteuses. Cette stratégie d’alternatives peut nécessiter des protocoles approuvés par des guidelines nationales.

L’étude rétrospective réalisée aux Hospices Civils de Lyon (Eur Urol Focus, 2019, Apr 17) démontre la perte de chances des patients avec une augmentation du taux de récidive tumoral (multiplié par deux) et de progression de cancer de la vessie, une augmentation du nombre de patients ayant une cystectomie (multiplié par quatre), lors la pénurie de BCG intravésical en France.

L’étude CIRUPT (cf. annexe), publiée en septembre 2022 et réalisée par le Réseau français de centres régionaux de pharmacovigilance, a colligé entre 1985 et 2019les effets indésirables ou d’erreurs médicamenteuses entraînés par les ruptures d’approvisionnement et déclarés par les professionnels de santé et les patients. Ainsi cette étude montre que :

-          Les classes thérapeutiques les plus touchées concernaient principalement des médicaments du système nerveux, avec essentiellement des médicaments antiépileptiques à marge thérapeutique étroite (22,1 %), du système cardiovasculaire (16,4 %) et des anti-infectieux à usage systémique (14,3 %) des classes ATC.

-          La plupart des cas ont rapporté un effet indésirable médicamenteux appartenant au système nerveux central (21 %), à la peau et au système sous-cutané (14 %), aux troubles généraux (13 %) et aux troubles gastro-intestinaux (8 %).

-          Une aggravation de la maladie a été observée dans 15,9 % des cas, principalement liée à une moindre efficacité du médicament de remplacement. La moitié des cas ont été considérés comme graves. L’évolution a été favorable dans 79,4 % des cas. Des décès et/ou des situations mettant en jeu le pronostic vital ont été rapportés dans 5,8 % des cas.

Comme précédemment indiqué, il peut être difficile dans certains cas de tirer une relation de causalité directe entre la situation de pénurie d’un médicament, les effets indésirables observés ou le décès d’un patient.

Les conclusions de l’étude montrent la nécessité de renforcer l’information fournie aux patients et aux professionnels de santé dans un contexte de pénurie de médicaments afin de limiter les risques d’erreurs médicamenteuses, qui est un axe identifié dans le cadre de la future feuille de route 2024-2027 pour garantir la disponibilité des médicaments et assurer à plus long terme une souveraineté industrielle. Par ailleurs, afin d’identifier les risques de la iatrogénie liée aux ruptures de médicaments pour mieux les prévenir et limiter les pertes de chances pour les patients, une action spécifique de la FDR permettra de renforcer et mieux identifier la déclaration de la iatrogénie liée aux ruptures de médicaments sur le portail Signalement des évènements sanitaires indésirables et des études d’évaluation de pertes de chances seront menées, notamment la suite de l’étude CIRUPT (recueil prospectif).

  1. Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments instaurées au cours des dernières années (création de la catégorie de MITM, instauration d’une obligation de constituer des stocks de sécurité destinés au marché national, élaboration de plans de gestion des pénuries…) ? Ces mesures vous semblent-elles adaptées et correctement mises en œuvre ?

La feuille de route 2019-2022 a permis la mise en place des mesures pour renforcer la prévention de pénuries pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), comme la rénovation du cadre relatif aux plans de gestion de pénuries (PGP), et l’obligation pour les industriels de constituer des stocks de sécurité de leurs produits pour le marché national.

Ainsi, les MITM permettent de fixer un cadre d’obligation pour les industriels (élaboration d’un PGP, obligation d’un niveau minimal de stock, information anticipée de l’ANSM en cas de tensions anticipées) associé à des sanctions si celles-ci ne sont pas respectées. Nous estimons à environ 6 000 le nombre de spécialités qui répondent à la définition de MITM (soit la moitié des spécialités commercialisées).

 

Par ailleurs, les stocks de sécurité, fixé à 2 mois, ont pour vocation à minimiser l’impact d’un risque de rupture ou de rupture, le temps de mettre en place les mesures appropriées, notamment en cas d’importation d’une alternative. Certaines spécialités (422) ont vu leur stock de sécurité porté à 4 mois en raison d’un historique de signalements de ruptures ou de risques de ruptures au cours des deux dernières années civiles.

 

Enfin, le PGP est un outil innovant en France permettant de sécuriser la chaîne d’approvisionnement. Tout MITM doit faire l’objet d’un PGP, un PGP déposé par spécialité, période de dépôt entre le 1er et le 31 décembre, élaboré selon des lignes directrices ANSM (PGP renforcé).

 

L’analyse des plans de gestion des pénuries par l’ANSM montre que :

-          les laboratoires respectent la trame de ces lignes directrices ;

-          la qualité des analyses de risque et des mesures est inégale:

o       Analyse de risque sur la fabrication et les approvisionnements : plus ou moins de critères pris en compte ;

o       Analyse du risque patient pour une même substance active : laboratoire-dépendante ;

o       Manque de précisions pratiques sur les mesures prévues et leur mise en œuvre ;

o       Des informations parfois peu pertinentes dans le cadre d’une analyse de risque et de la prévention des risques de rupture.

Malgré ces avancées notables, il est nécessaire de compléter ces actions et de bâtir une nouvelle feuille de route 2024-2027 pour garantir la disponibilité des médicaments et assurer à plus long terme une souveraineté industrielle, dans un cadre marqué par une demande croissante au niveau mondial et des chaînes de production qui peuvent être fragmentées ou mal dimensionnées pour répondre à de fortes variations de la demande.

La situation appelle en effet des réponses dans la durée qui soit adaptables aux contexte très évolutif.

Une des solutions réside notamment dans la détection le plus précocement possible des signaux de tension et le développement de nouveaux canaux d’information auprès des professionnels de santé et des patients. Des outils adaptés devront être construits.

Par ailleurs, sans remettre en cause les obligations pour les industriels attachées à la notion de MITM, il est important de centrer l’action d’anticipation et de suivi renforcé des autorités sanitaires sur une liste de médicaments plus limitée. C’est dans ce cadre que mes services ont travaillé pour constituer une liste des médicaments « essentiels » pour la santé de nos concitoyens sur la base de recommandations des représentants de prescripteurs.

Ces médicaments feront l’objet d’un suivi renforcé de la part des autorités sanitaires. Une partie de ces médicaments dits « essentiels » présentent des critères de vulnérabilité industrielle, notamment de par la dépendance du marché français aux importations extra-européennes, ce qui permet de les identifier et ainsi guider la stratégie de réindustrialisation. Cette ambition de relocalisation fait aussi l’objet de nombreux échanges au niveau européen pour coordonner les actions entre les différents Etats membres.

Pour faire le point sur ces travaux, une réunion se tiendra le 13 février avec l’ensemble des acteurs concernés afin de lancer la mise en œuvre de la nouvelle feuille de route pluriannuelle 2024-2027 autour de quatre axes :

-          AXE I – Détection du signal et plan d’actions gradué face aux tensions d’approvisionnement et aux pénuries

-          AXE II – Nouvelles actions de santé publique pour améliorer la disponibilité des médicaments

-          AXE III – Nouvelles actions économiques pour améliorer la disponibilité des médicaments

-          AXE IV –Transparence de la chaîne d’approvisionnement : l’information jusqu’au patient

De nombreuses mesures ont déjà une traduction concrète dans la LFSS 2024 qu’il s’agisse par exemple de la mise en œuvre de mesures d’épargne des médicaments (dispensation à l’unité obligatoire, obligation d’ordonnance conditionnée à la réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique, encadrement des modalités de recours aux préparations pharmaceutiques ), des mesuresde mise en œuvre de préparations spéciales en cas de pénurie, ou des mesures visant à maintenir sur le marché certains médicaments matures (afin de faciliter la reprise de droit de production, les entreprises détentrices ou exploitantes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) arrêtant la commercialisation de médicaments matures auront l’obligation de mettre tous leurs moyens en œuvre pour trouver un repreneur).

Enfin, en complémentarité, les travaux relatifs à la modification de la réglementation pharmaceutique européenne permettront de consolider certaines de ces mesures.

Il convient de noter que la proposition de texte de la Commission européenne reprend déjà certaines mesures françaises, telles que le renforcement des obligations d’approvisionnement et de transparence, l’élaboration d’un plan de gestion des pénuries et la cartographie européenne des chaînes d’approvisionnement.

Prévention et gestion amélioration

 

  1. Pour quelle raison l’article L. 5121-29 du code de la santé publique relatif aux stocks de sécurité destinés au marché national fixe-t-il un plafond et non pas un plancher ? Comment ce plafond a-t-il été déterminé ?

L’instauration de cette obligation de stock a pour objectif de sécuriser l’approvisionnement en France de toutes les spécialités pharmaceutiques et particulièrement celui des MITM.

En pratique, les titulaires d’autorisation de mise sur le marché ou les exploitants constituaient déjà des stocks de sécurité de médicaments. Toutefois, de manière courante, les stocks des laboratoires faisaient apparaître au mieux des volumes moyens correspondant à 15 jours ou 1 mois de consommation. Cette organisation en flux tendus ne permettait pas de garantir la couverture des besoins en cas de gestion de pénurie.

La solution que nous avons retenue - à savoir un niveau de stock ne pouvant excéder quatre mois pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) - est une solution équilibrée, concertée avec l’ensemble des parties prenantes et tenant compte des contraintes opérationnelles pour les entreprises pharmaceutiques.

Le caractère proportionné de cette solution est fondamental car la Commission européenne demande à la France de prouver qu’elle ne lèse pas les autres Etats membres par une mesure disproportionnée de stockage des médicaments destinés au seul marché national.

  1. De manière analogue, comment les niveaux fixés par le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 ont-ils été définis ? Vous semblent-ils suffisants pour prévenir les pénuries ?

Sur la base des éléments transmis par l’ANSM, la durée médiane d’une rupture de stock d’un MITM est autour de 2 mois environ. L’ANSM estime à environ deux mois le temps moyen nécessaire à la gestion du risque de rupture et à la mobilisation des alternatives pour assurer la continuité de traitement des patients.

  1. Quel regard portez-vous sur l’introduction d’une durée plancher et le relèvement du plafond issu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, que prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi ?

Il faut préciser que l’obligation de stock de sécurité minimal est certes fixée à deux mois pour les MITM mais une hausse du niveau de stock attendu à quatre mois est possible en cas de risques de ruptures ou de ruptures de stock constatés dans les deux années civiles précédentes.

L’intérêt de ce dispositif est d’inscrire un plancher commun opposable aux industriels tout en veillant à la fois à la libre concurrence industrielle, aux contraintes économiques et au maintien de l’attractivité des laboratoires pharmaceutiques pour la France et l’Union européenne.

Le texte a en effet fait l’objet de vifs échanges au niveau européen et d’un avis circonstancié de la part de la Commission européenne. Il a ainsi été retenu des niveaux de stock proportionnés et différenciés en fonction des particularités de chaque spécialité et sur la base d’une analyse de risque. L’instauration d’une durée plancher plus importante ainsi que le relèvement du plafond tel que proposés auraient le risque d’apparaître comme disproportionnés par la Commission européenne au regard à la libre circulation des marchandises.

Par ailleurs, instaurer un niveau systématique de stock de quatre mois de couverture des besoins en médicaments pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché, en ce sens qu’il ne peut être exclu que certains laboratoires, devant cette obligation nationale, arrêtent de commercialiser leurs médicaments en France.

Enfin, le meilleur rempart aux pénuries reste la diversification des sources d’approvisionnement pour un industriel donné et pas nécessairement la détention d’un stock plus important. C’est dans ce cadre que des premières actions ont été engagées dans le cadre de France Relance, qui ont permis de renforcer la chaîne de valeur de certains de ces médicaments et de relocaliser des premiers médicaments. De nouveaux projets seront soutenus au travers du volet « Relocalisation ou renforcement de la chaîne de valeur des médicaments essentiels » de l’appel à projets « Industrialisation et Capacités Santé 2030 » de France 2030.

  1. Les sanctions financières encourues en cas de manquement aux obligations en matière de stocks de sécurité vous semblent-elles adaptées ? Aussi, quelle est votre appréciation sur le relèvement du plafond de ces pénalités, prévu par l’article 2 de la présente proposition de loi ?

Afin de lutter contre les ruptures de stock de médicaments, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a instauré de nouvelles obligations pour les titulaires d’AMM et les exploitants, assorties de sanctions.

Dans ce cadre, l’ANSM, et après consultation des parties prenantes, a publié des lignes directrices visant à exposer la façon dont elle détermine le montant des sanctions financières prononcées en cas de violation de cette réglementation. Celles-ci sont entrées en vigueur en octobre 2022.

Il est encore tôt pour voir les effets du renforcement des sanctions, mais nous pouvons attendre une amélioration sur l’anticipation des pénuries par les industriels. Il est ainsi prématuré de revoir le cadre des sanctions à ce stade. Par ailleurs, et de la même manière qu’un doublement des niveaux de stocks obligatoires pour les industriels, un tel renforcement pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché, en ce sens qu’il ne peut être exclu que certains laboratoires, devant ces risques de sanctions, arrêtent de commercialiser leurs médicaments en France.

  1. Quel regard portez-vous sur l’utilisation faite par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de ses pouvoirs de contrôle et de sanction ?

Jusqu’ici, l’ANSM faisait une application modérée de son pouvoir de sanction. L’Agence n’a, en effet, pris que huit décisions de sanctions financières entre 2018 et 2022, pour un montant total d’environ 922 000 euros. Au contraire, l’ANSM faisait preuve d’une volonté d’accompagner les industriels dans la prévention et la gestion des ruptures de stock.

L’ANSM évolue dans son approche et renforce ses sanctions en cas de non-respect des obligations des industriels en matière de lutte contre les ruptures (stock de sécurité, PGP…) : 6 sanctions prononcées en 2023 pour un montant de 560 000 euros. Cette tendance mériterait d’être confirmée, sous réserve de doter à l’ANSM de moyens humains et matériels supplémentaires. Par ailleurs, il convient de noter que l’article 71 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 prévoit qu’en cas de rupture ou de risque de rupture d’approvisionnement d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur ou d’un vaccin mentionné au b du 6° de l’article L. 5121-1, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut, après mise en œuvre d’une procédure contradictoire, prendre les mesures de police sanitaire nécessaires pour garantir un approvisionnement approprié et continu par les titulaires et les exploitants d’autorisations de mise sur le marché.

Cette disposition permet notamment à l’ANSM de demander aux industriels de limiter le canal de la vente directe aux officines au bénéfice du canal d’approvisionnement via les Grossistes-répartiteur en vue de garantir une harmonisation de l’approvisionnement sur l’ensemble du territoire national.

Une sanction est à ce titre prévue en cas de non mise en œuvre de cette mesure.

 

Annexe : La prévision des niveaux de stock en Allemagne, conformément aux directives régionales (Länder), et l’identification des sanctions potentielles liées.

 

Obligation de stock côté industriels

La demande stock concerne les antibiotiques génériques ou des médicaments dont le brevet a expiré et qui concentre le marché. Plus que des stocks il s’agit de sécurisations d’approvisionnement dans la cadre d’appels d’offre réalisés par les caisses d’assurance maladie pour garantir la sécurité d’approvisionnement.

 

Obligations de stocks pour les pharmacies

Officine : Nouvelle loi : Les médicaments faisant l’objet d’une concentration imminente ou existante du marché en matière d’approvisionnement à partir desquels une pharmacie prépare des préparations cytostatiques prêtes à l’emploi doivent être gardés en stock dans une quantité correspondant au moins aux besoins moyens pour quatre semaines.

PUI : Les pharmacies fournisseurs d’hôpitaux et les pharmacies d’hôpitaux doivent détenir en stock les médicaments nécessaires pour assurer la bonne délivrance des médicaments aux patients de l’hôpital, soit une quantité correspondant à des besoins moyens de deux semaines. Cette durée a été récemment augmentée à six semaines pour les médicaments administrés par voie parentérale pour les soins intensifs et les antibiotiques. - Les médicaments faisant l’objet d’une concentration du marché imminente ou existante et à partir desquels une pharmacie prépare des préparations cytostatiques prêtes à l’emploi doivent être stockés dans une quantité correspondant au moins à la demande moyenne pendant quatre semaines.

 

Cas particulier des médicaments pédiatriques

Les médicaments nécessaires au traitement des enfants, en raison des formes posologiques et des dosages approuvés, doivent être stockés en quantités suffisantes pour répondre aux besoins moyens sur quatre semaines.

 

Sanctions

Informations obtenues de nos homologues allemands :

-          Pour les grossistes répartiteurs : aucune sanction

-          Pour les pharmaciens : amendes de montant non connue

-          Pour les industriels : doivent respecter leur contrat (sans plus amples précisions)


Conseil national de l’Ordre des pharmaciens

 

INTRODUCTION - PROPOS LIMINAIRE

 

Les tensions d’approvisionnement sont un problème mondial et croissant pour les patients. Chaque jour, les pharmaciens à chaque étape de la chaîne (fabrication, commercialisation, distribution en gros, officine et hôpital) agissent pour minimiser l’impact des ruptures sur les patients. Notre préoccupation majeure est de trouver des solutions pour le patient. L’Ordre agit lui aussi :

       Le DP-Ruptures, créé par l’Ordre en 2013, permet d’améliorer la circulation de l’information entre les acteurs.

       L’Ordre et l’ANSM ont conjointement élaboré une charte d’engagement collective des acteurs de la chaîne pharmaceutique (9 engagements pour un accès équitable des patients aux médicaments).

Nous avons récemment publié un cahier thématique sur cette problématique.

 

1.      À quels facteurs attribuez-vous l’augmentation du nombre de pénuries de médicaments au cours des dernières années ?

Des causes multi-factorielles (cf. cahier thématique)

       L’EXPLOSION DE LA DEMANDE MONDIALE. Entre 2012 et 2022, la consommation mondiale de médicaments a crû de 36 %. Une tendance qui devrait se poursuivre, avec une hausse estimée de 3 à 6 % entre 2022 et 2027. Plusieurs facteurs expliquent cette croissance de la demande : •les dynamiques démographiques fortes de certaines régions du monde : huit pays (l’Inde, le Pakistan, le Nigeria, la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, l’Indonésie, l’Égypte et les États-Unis) concentrent 50 % de la croissance démographique ; •le vieillissement de la population qui entraîne la hausse des pathologies chroniques, et donc de la demande de médicaments dans les zones à moindre croissance démographique.

À ces paramètres s’ajoutent deux tendances de fond : •le progrès de l’accès à la santé et des dispositifs de protection sociale dans un nombre croissant de pays (comme la Chine), qui rend solvable la demande de médicaments ; •les effets de l’innovation thérapeutique, à l’origine de l’apparition de nouveaux traitements, par exemple pour le cancer et l’obésité, entraînant ainsi une recomposition du marché du médicament et de l’industrie pharmaceutique à l’échelle mondiale

       UNE CHAÎNE DE PRODUCTION QUI SE VULNÉRABILISE. Face aux mutations du marché du médicament, les chaînes de production apparaissent plus fragiles. En premier lieu, la concentration des zones de fabrication des principes actifs dans des pays à bas coût majore les risques de pénurie, en cas de dysfonctionnement sur les sites de fabrication, de tensions dans le circuit d’acheminement, de crise sanitaire ou géopolitique (Covid-19, guerre en Ukraine) ou de hausse imprévisible de la demande (épidémies, catastrophes naturelles…). Les principes actifs, à la base des médicaments distribués en France, sont à 80 % fabriqués en Chine et en Inde, selon la Direction générale des entreprises (DGE) citée en 2020 par l’Assemblée nationale. En cas de problème sur ces sites, les possibilités de substitution sont limitées, voire impossibles. En second lieu, la mondialisation du marché incite les industriels du médicament à modifier leur modèle de valeur. Les grands groupes deviennent assembleurs de médicaments, recourant de plus en plus à la sous-traitance pour la production des substances actives, mais aussi des moyens nécessaires à la production (par exemple, pièces de maintenance, gants latex stériles lors de la crise Covid-19). Là encore, cette évolution soumet l’approvisionnement en médicaments aux aléas de la conjoncture internationale. Un exemple de fragilité : au cours de l’hiver 2022-2023 des risques de rupture d’alimentation électrique des installations de fabrication / stockage auraient provoqué des ruptures à grande échelle.

 

       DES FACTEURS D’INSTABILITÉ RÉCURRENTS. Les ruptures d’approvisionnement temporaires ou le retrait d’un produit du marché peuvent entraîner de nouvelles tensions, comme l’ont souligné les exploitants entendus par la commission d’enquête du Sénat en 2023. Par effet de report, l’indisponibilité d’un traitement peut augmenter brutalement la demande d’un traitement ayant la même finalité thérapeutique. Autre facteur d’instabilité, les évolutions des pratiques médicales ou de prescription qui impactent la consommation de médicaments. Comme l’indiquaient les représentants de l’Académie de Pharmacie devant la commission d’enquête du Sénat, il est difficile d’avoir des chiffres de vente fiables, au vu des variations annuelles et du manque d’informations consolidées tout au long de la « chaîne sanitaire ».

 

       UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE EN ÉVOLUTION. La situation sanitaire, comme le contexte géopolitique, a des effets directs et indirects sur la chaîne d’approvisionnement des médicaments. Outre les ruptures dans les processus de fabrication liés aux aléas géopolitiques (conflits, tensions diplomatiques), les conséquences économiques de l’instabilité politique (inflation, etc.) génèrent des coûts croissants qui incitent certains industriels du médicament à revoir leur stratégie de production. Une tendance notoirement marquée pour les produits dits « matures », alors que le modèle de l’industrie pharmaceutique s’oriente davantage vers les produits innovants. Autre tendance, les industriels pharmaceutiques implantés en France se tournent de plus en plus vers l’export, qui représente près de la moitié du chiffre d’affaires, contre un cinquième en 1990.

 

       L’INDUSTRIE EN FRANCE. La désindustrialisation de la France observée depuis quarante ans a également un impact. La part des médicaments produits sur le territoire français représente aujourd’hui un tiers de la consommation. De premier producteur européen, la France occupe désormais la cinquième place. La production hors d’Europe de la majorité des principes actifs installe une dépendance forte pour la production de médicaments matures ou génériques, essentiels au système de santé. Par ailleurs, la France attire peu la production de médicaments innovants, vecteurs de progrès thérapeutique et représentant une part croissante de la dépense de santé. Ces évolutions se traduisent en matière d’empreinte industrielle. Selon le LEEM, le nombre d’entreprises de l’industrie du médicament est passé de 365 en 1980 à 249 en 2020. En 2021, on recensait 271 sites pharmaceutiques.

 

       UNE CONSOMMATION EXCESSIVE, MARQUÉE PAR LE MÉSUSAGE. En dépit des efforts menés depuis vingt ans pour réguler le bon usage des médicaments, la France reste l’un des pays les plus consommateurs. Selon des données IQVIA, notre pays est aujourd’hui en septième position en matière de consommation de médicaments, derrière le Brésil et l’Italie. Plus que la dépense globale, c’est la structure de la consommation de médicaments qu’il convient de considérer. Ainsi, le recours systématique au paracétamol en cas de douleur, la consommation élevée d’antibiotiques, ou encore la prise détournée d’un antidiabétique au profit de cures d’amaigrissement amplifient les risques de rupture et de mésusage dangereux pour la santé de nombreux Français.

 

       UN MODÈLE ÉCONOMIQUE DU MÉDICAMENT EN QUESTION. Les entreprises du médicament, majoritairement orientées vers l’innovation thérapeutique, expliquent en partie les tensions sur les médicaments du quotidien par la politique des baisses de prix pratiquées par les pouvoirs publics, comme l’expliquait le LEEM, en mai 2023, à l’occasion d’une conférence de presse. Les industriels invoquent notamment la clause de sauvegarde « appliquée sans nuances sur toutes les classes de médicaments », pour justifier le recul des usines et la fermeture des sites de production. Selon les représentants des entreprises pharmaceutiques, la régulation budgétaire sur le médicament pèse particulièrement sur la rentabilité des PME et des façonniers, majoritairement positionnés sur le segment des produits matures. Un point de vue partagé par la commission d’enquête du Sénat, ainsi que par l’Académie de Pharmacie, dans le cadre de son rapport publié en juin 2018.

 

2.      Quelles sont les conséquences de ces ruptures d’approvisionnement tant pour les pharmacies d’officine que pour les pharmacies hospitalières ?

Les ruptures d’approvisionnement se manifestent à la fois par des livraisons tardives, des ruptures ponctuelles et surtout par des ruptures prolongées impactant la prise en charge médicamenteuse des patients. Les pharmaciens sont contraints de gérer leurs approvisionnements au jour le jour, et pour un nombre accru de médicaments destinés à des traitements chroniques comme aigus.

Ce phénomène tend par ailleurs à accroître l’agressivité des patients/ les agressions. Rappelons que chaque jour, en moyenne, un pharmacien déclare avoir subi une agression au cours de l’année 2022, les ruptures en étant l’une des 5 principales causes. Dans les faits, cela représente 366 agressions dont 14 en outre-mer. Ce sentiment d’insécurité, vécu notamment au comptoir par de nombreux pharmaciens, les met en difficulté dans leur exercice.

Temps consacré. Selon la récente enquête du GPUE (pharmaciens d’officine européens, réalisée dans 26 États européens), le temps pris par l’équipe officinale pour résoudre ces problèmes est passé à 9,30 heures/semaine en 2023, soit 3h de plus qu’en 2022.

Au niveau hospitalier, l’enquête du SNPHARE (Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi) de février 2023 a estimé le temps passé à la gestion des ruptures d’approvisionnement à au moins un demi-équivalent temps plein (ETP) au sein des PUI (temps supérieur à 4h/semaine pour 55% des pharmaciens interrogés et supérieur à 6h/semaine pour 35,5%). Ce temps passé à la gestion des ruptures par les pharmaciens, internes, préparateurs, administratifs empiète sur le temps qui pourrait/devrait être consacré à d’autres missions telles que les activités de pharmacie clinique.

Découragement professionnel. Près de 80% des titulaires d’officine (sondage réalisé auprès des conseillers ordinaux titulaires d’officine en ligne du 30/03 au 03/04/23) indiquent que cela est source de démotivation professionnelle. Ils ont le sentiment de ne plus pouvoir mener à bien leur mission essentielle de dispensation et d’accompagnement des patients. Ils indiquent être stressés, épuisés, découragés, démoralisés voire exaspérés par cette situation qui s’ajoute au fort investissement dont ils ont déjà fait preuve durant la crise sanitaire. Cette situation est particulièrement éprouvante durant les périodes de garde où les pharmaciens sont parfois dans l’impossibilité d’honorer les prescriptions. En outre, cela conduit quotidiennement les équipes officinales à mobiliser beaucoup de temps pour trouver des solutions alternatives ce qui impacte leur organisation dans un contexte d’exercice déjà détérioré par les difficultés de recrutement.

Perte de confiance des patients et perte de chance. Plus de 70% des titulaires d’officine indiquent que cela entache la confiance des patients. Elle s’exprime envers les pharmaciens par la crainte de ne plus pouvoir se soigner ce qui engendre de l’angoisse, du mécontentement voire de l’agressivité malgré tous les efforts produits par les professionnels. Des patients doivent maintenant se rendre dans plusieurs officines pour la délivrance d’une seule ordonnance, certains pensent à s’approvisionner à l’étranger, voire via les réseaux sociaux pour leur traitement. Ils témoignent d’une perte de confiance envers les pouvoirs publics qui ne prendraient pas assez en considération leurs difficultés et les mesures correctives nécessaires.

L’enquête du GPUE (cf. supra) démontre également que les ruptures ont été source de dérangement et de désarroi pour les patients de tous les pays, occasionnant des interruptions de traitement (88 %), une hausse du ticket modérateur (73 %), une moindre efficacité du traitement (73 %), des erreurs médicamenteuses à la prise du nouveau traitement (35 %) ou encore des effets indésirables ou une toxicité accrue (15 %).

Dérégulation de la chaîne d’approvisionnement : ces tensions génèrent des comportements inappropriés des différents acteurs de la chaîne, d’où la charte d’engagement collective précédemment citée.

 

3.      Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments ? En particulier : création de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, instauration de stocks de sécurité destinés au marché national, élaboration de plans de gestion des pénuries, pouvoirs de contrôle et de sanction de l’ANSM, nouvelle définition des ruptures d’approvisionnement, mesures anti-pénuries et mesures de soutien aux médicaments matures prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Nous n’avons pas connaissance d’évaluation de l’impact de l’ensemble de ces mesures sur les ruptures. Les ruptures n’ont cessé d’augmenter au cours des dernières années. Les difficultés d’approvisionnement de médicaments se sont encore aggravées en 2023 en France, frôlant les 5 000 signalements de ruptures de stocks et risques de ruptures, selon un bilan de l’Agence de sécurité du médicament (ANSM) publié vendredi 2 février 2024 (+30,9% par rapport à 2022). Ces signalements ont plus que doublé (+128%) par rapport aux 2 160 signalements reçus en 2021 (à noter que les dispositions réglementaires se sont renforcées sur la même période).

Concernant les MITM, l’information du caractère MITM des médicaments n’est pas partagée avec l’ensemble des opérateurs de la chaîne de distribution du médicament, il est donc difficile d’évaluer les ruptures des MITM et des autres médicaments. La publication de la liste des MITM est prévue au plus tard pour 2025 dans la LFSS 2024.

Nous saluons plusieurs mesures adoptées dans la LFSS pour 2024 (préparations hospitalières spéciales, préparations officinales spéciales, pouvoirs de police sanitaire de l’ANSM renforcés, publication de la liste des MITM et possibilité pour l’ANSM de la compléter). Il est à présent urgent que l’État mette en œuvre ces mesures et publie la feuille de route attendue depuis juin 2023.

 

4.      Quelles mesures préconisez-vous pour lutter contre les ruptures d’approvisionnement ?

Parmi les propositions que nous avons faites aux autorités, notamment dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire, deux mesures nous paraîtraient particulièrement utiles :

       Améliorer la transmission de l’information entre les différents acteurs et instaurer le caractère obligatoire du DP-Ruptures. C’est un outil permettant aux pharmaciens d’officine et de PUI de signaler les ruptures d’approvisionnement au laboratoire exploitant concerné. L’ANSM a également accès à ces informations.

       Simplifier la substitution des médicaments en rupture par le pharmacien. L’article L. 5125-23 I du code de la santé prévoit qu’en cas d’urgence et dans l’intérêt du patient, le pharmacien peut dispenser un médicament ou produit autre que celui qui a été prescrit ou ayant une dénomination commune différente de la dénomination commune prescrite. Le V de ce même article prévoit une possibilité de substitution par le pharmacien en cas de rupture sur recommandation de l’ANSM. Néanmoins, cette disposition est peu flexible et a été très peu mise en œuvre.
Il convient d’élargir la possibilité pour le pharmacien de substituer en cas de rupture de médicaments afin d’assurer la continuité des soins des patients. Le problème des ruptures d’approvisionnement perdurant et s’aggravant, il est nécessaire de trouver des solutions pour garantir la continuité de la prise en charge des patients.

       Renforcer les moyens de l’ANSM pour mettre en œuvre les mesures prévues

       Créer une Mission Interministérielle de lutte contre les pénuries (mission interministérielle de sécurisation des approvisionnements en médicaments) en charge de résoudre ce problème de société, grave, durable et complexe.

       Renforcer le bon usage du médicament et donner la possibilité au pharmacien d’ajuster les prescriptions lorsque celles-ci ne correspondent pas aux recommandations de la HAS et promouvoir la “dispensation adaptée” (possibilité pour le pharmacien de déprescrire lorsque certains patients, notamment âgés, prennent de multiples médicaments).

       Veiller à l’articulation avec le droit européen. Le projet de refonte de la législation pharmaceutique de l’Union européenne propose des mesures en matière de surveillance et de limitation des ruptures. La Commission européenne prévoit par ailleurs une “approche stratégique commune” des stocks de médicaments d’ici à l’été 2024, ainsi qu’un projet entre États membres pour coordonner les stratégies nationales en la matière. Il convient d’éviter que la France prenne des mesures isolées qui seraient en écart par rapport à ses voisins. D’une part, cela serait au détriment des stocks des autres pays, et au final des patients, engendrant une inéquité entre citoyens européens ; cela rendrait d’autre part le marché français moins attractif.

 

5.      S’agissant plus particulièrement des stocks de sécurité, les niveaux fixés par le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 vous semblent-ils suffisants pour prévenir les pénuries ? Quel regard portez-vous sur l’introduction d’une durée plancher et le relèvement du plafond issu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, que prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi ?

L’Ordre soutient toute mesure susceptible de garantir l’accès et la disponibilité des médicaments essentiels aux patients.

 

Nous nous interrogeons néanmoins :

-          Sur l’efficacité d’une obligation de constitution de stock de sécurité sur les ruptures d’approvisionnement. Comment définir le seuil pertinent ? Faut-il 3, 6, 9 mois ? Quels médicaments cibler ? Il conviendrait de réaliser un bilan précis des mesures déjà existantes pour réduire l’impact des pénuries et évaluer si l’augmentation de ces stocks de sécurité permettra réellement d’enrayer les ruptures constatées.

 

-          Sur la proportionnalité de la mesure : on augmente substantiellement à la fois les durées de stock et le champ d’application. Pour les médicaments hors MITM, la durée passerait d’une semaine à deux mois minimum. Si l’objectif de la mesure proposée est l’amélioration de la gestion des ruptures de stock, peut-être conviendrait-il de cibler davantage les médicaments concernés, comme par exemple les médicaments essentiels dont les pouvoirs publics ont défini une première liste.

 

-          Sur des difficultés pratiques/logistiques de mise en œuvre, notamment pour les dépositaires avec une augmentation importante des niveaux de stockage, ce qui pose des questions d’adaptation des infrastructures existantes. Constituer des stocks dans un contexte de demande mondiale qui explose et de production limitée peut également s’avérer impossible dans certains cas. Immobiliser de tels stocks peut engendrer un risque de destruction du fait de la péremption des médicaments ou en cas de changement de notice. Le stock constitué devrait dans ces conditions être détruit ou modifié avec les nouvelles notices.

-         Notons par ailleurs que les productions sont réalisées en campagne (lot). Ainsi, avoir des stocks de 6 mois a des conséquences très lourdes sur les plannings de production à l’échelle des groupes industriels internationaux. Cela pose des questions sur les approvisionnements et la disponibilité en matières premières en quantité et qualité suffisantes (excipients, actifs, articles de conditionnement, etc).

 

-          Enfin, une telle mesure peut s’avérer contreproductive. Nous nous interrogeons sur l’opportunité d’une mesure qui pourrait être perçue comme une contrainte supplémentaire par les entreprises pharmaceutiques et pourrait les dissuader de maintenir leur produit sur le marché en France qui ne serait alors plus accessible aux patients sur le territoire national. Le renforcement des stocks de sécurité peut paradoxalement également contribuer à réduire le nombre de médicaments en circulation dans les situations en tension, comme nous en avons fait l’expérience au cours des derniers mois. L’ANSM a ainsi été contrainte de demander aux industriels de libérer ces stocks tampons qu’ils conservaient pour être conformes à leurs obligations… Une telle mesure n’est donc pas la panacée. Il conviendrait de prévoir dans les textes dans quelles conditions un industriel en rupture peut libérer son stock de sécurité.

 

6.      Les sanctions financières encourues par les distributeurs en cas de manquement aux obligations en matière de stocks de sécurité vous semblent-elles adaptées ? Aussi, quel regard portez-vous sur l’élévation du plafond de ces pénalités, prévue par l’article 2 de la présente proposition de loi ?

S’il n’y a aujourd’hui pas de sanctions financières applicables aux distributeurs en gros, ceux-ci ont des obligations de service public (disposer de 90% des spécialités remboursables, de 15j de stock, avoir la capacité de livrer en 24h les pharmacies de leur périmètre d’activité), obligations qu’ils ont aujourd’hui du mal à remplir faute de médicaments disponibles.

 

Concernant les industriels, nous n’avons pas d’éléments d’appréciation sur le montant des sanctions financières.

 

Nous soulignons néanmoins la nécessité de donner plus de moyens à l’ANSM pour assurer le contrôle de la mise en œuvre des mesures déjà prises. En juillet dernier, l’ANSM a prononcé trois premières sanctions à l’encontre de trois entreprises qui n’ont pas respecté leur obligation de constitution de stocks de sécurité pour un MITM - l’amoxicilline.

 

Aussi, une charte d’engagement collective a été signée par les acteurs de la chaîne pharmaceutique afin de remettre de la régulation dans une chaîne perturbée par les pénuries vécues ces dernières années. Nous proposons de rendre opposable, avec des sanctions financières, cette charte contenant neuf engagements.


Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom)

 

La pénurie médicamenteuse

 

Depuis 2008, les situations de ruptures de stocks et de tensions d’approvisionnement progressent de façon préoccupante en France, mais aussi dans d’autres pays du monde.

Encore aujourd’hui, la pénurie en médicaments et la tension sur les stocks sont souvent méconnues, voire le plus souvent vécues une fois les difficultés arrivées, que ce soit pour la population ou les professionnels de santé.

En fait, peu de monde, en dehors des pharmaciens, sait qu’on parle de rupture d’approvisionnement de médicament lorsqu’une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur (PUI) est dans l’incapacité de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures, que pour connaître les ruptures de stocks connues sur le marché, le site de l’ANSM recense les listes des produits concernés par les pénuries ou les tensions d’approvisionnement et que si le traitement n’est pas disponible en officine, le premier réflexe du pharmacien devra être de proposer une solution de remplacement avec un générique par exemple.

La dernière pénurie marquante a eu lieu l’hiver 2022 et a eu pour effet de majorer les difficultés d’accès aux soins de l’ensemble des patients qui, subissant déjà de plein fouet la pénurie d’offre de soins, se sont vu refuser la délivrance voire la prescription de certains médicaments au motif d’une rupture de stock prévue sur plusieurs mois. Dans le même temps, l’exercice de l’ensemble des professionnels de santé, dont les médecins, a été rendu très compliqué en raison de la pénurie simultanée d’antibiotiques majeurs, de cortisone per os et inhalés et de paracétamol alors qu’ils devaient faire face à trois épidémies : bronchiolite, grippe et covid.

Le nombre de ruptures d’approvisionnement en médicaments a battu des records en 2023. Le phénomène ne cesse de s’aggraver et l’optimisme n’est pas de rigueur pour les années à venir. En effet, l’ANSM a enregistré l’année dernière une augmentation des signalements de ruptures de stock et de risque de ruptures de stock en médicaments, avec 4 925 déclarations, contre 3 761 signalements en 2022 et 2 160 en 2021, soit 30% de plus qu’en 2022. 40% ont nécessité la prise de mesures spécifiques par l’ANSM.

Un sujet qui mobilise le CNOM

      A travers les travaux menées par sa section santé publique :

 

o       En septembre 2019 a été mis en place par la DGS un Copil, divisé en 7 GT, chargé de la stratégie de prévention et de lutte contre les pénuries de médicaments. Le CNOM a participé à la 1ère réunion du GT 1 « Transparence et qualité de l’information [sur les pénuries de médicaments] vers les professionnels et les patients ». Le GT 1 a conclu que le Conseil des Ministres a identifié la lutte contre les ruptures d’approvisionnement et les pénuries de médicaments comme des « objets de la vie quotidienne » (OVQ) qui impactent directement le quotidien des français et qui nécessitent un engagement politique et opérationnel important. Le GT 1 s’est à nouveau réuni en 2020 et 2021 et auquel le CNOM était présent. Cela a permis la rédaction du décret n°2021-349. Le décret n°2021-349 instaurant l’obligation pour les entreprises pharmaceutiques de constituer un stock de sécurité pour tous les médicaments destinés au marché national a été publié le 30 mars 2021. Il est entré en vigueur le 1er septembre 2021.

Les mesures mises en place par ce décret permettent de prévenir plus efficacement les ruptures de stock des médicaments essentiels commercialisés en France.

Le décret prévoit notamment l’élaboration par les industriels de plans de gestion des pénuries (PGP) pour tous les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM). Ces PGP permettent de prévenir les ruptures de stocks et, en cas de difficultés d’approvisionnement, d’apporter dans les meilleurs délais des solutions pour assurer la continuité des traitements pour les patients concernés.

Le texte définit les conditions de mise en œuvre de l’obligation, pour tous les titulaires d’autorisation de mise sur le marché et les entreprises exploitant un médicament, de constituer un stock de sécurité de médicaments destiné au marché national d’une durée maximale de quatre mois de couverture des besoins en médicament.

Depuis le 1er septembre 2021 les industriels doivent également constituer un stock de sécurité pour tous les MITM qu’ils commercialisent en France.

On entend par stock de sécurité, le stockage du nombre d’unités de produit fini d’une spécialité prêtes à être distribuées sur le territoire français, au moins équivalent à la durée de couverture des besoins fixée ci-après, calculée sur la base du volume des ventes en France de la spécialité au cours des douze derniers mois glissants hors situations exceptionnelles.

L’article R.5124-49-4 du code de la santé publique précise que :

Sauf dispositions contraires, le stock de sécurité minimal correspond :

-          Pour tout médicament d’intérêt thérapeutique majeur à au moins deux mois de couverture des besoins ;

-          Pour tout autre médicament à une semaine de couverture des besoins. Ce stock de sécurité est porté à un mois pour les médicaments contribuant à une politique de santé publique définie par le ministre chargé de la santé.

La durée du stock de sécurité varie selon la situation de chaque MITM concerné.

Une diminution de la durée du stock de sécurité peut s’appliquer pour l’un des motifs suivants :

-          La durée de conservation de la spécialité est incompatible avec le seuil de 2 mois ;

-          La production de la spécialité est mise en œuvre de façon adaptée à chaque patient ou fabriquée à partir de produits d’origine humaine ;

-          Les besoins relatifs à la spécialité sont saisonniers ;

-          La spécialité est un gaz à usage médical.

L’ANSM a publié un tableau répertoriant la liste des MITM devant disposer d’un stock minimal de sécurité de 4 mois, soit 2 mois de plus que ce que prévoit le décret.

En effet, dans certain cas, le stock de sécurité peut être augmenté sur décision de l’ANSM, cela s’applique si un MITM a fait l’objet de ruptures de stock ou de risques de ruptures de stock réguliers au cours des deux dernières années et s’il appartient à une classe thérapeutique particulièrement sensibles en termes de besoin.

o       En 2021, le CNOM a contribué à la rédaction de la proposition de prise de position de l’Association Médicale Mondiale en soutien aux efforts visant à assurer la disponibilité, la qualité et la sécurité des médicaments dans le monde.

o       En janvier 2023, un dossier dans le Bulletin de l’Ordre était consacré à la pénurie de médicaments

o       Deux Brèves Santé Publique ont été adressées à l’ensemble des Conseils départementaux afin qu’ils diffusent ces informations à l’ensemble des médecins de leur territoire.

o       Le 24 mars 2023, la DGS demande au CNOM une contribution écrite en vue de la co-construction de la feuille de route « Pénuries de Médicaments ».

o       Audition au sénat en avril 2023 ?

 

      Avec la signature d’une convention de partenariat en 2013, renouvelée en 2018, l’ANSM s’est engagé d’informer le CNOM des solutions alternatives mises en place en cas de pénurie de médicaments afin que les médecins prescripteurs puissent proposer des traitements alternatifs à leurs patients.

 

      Par un partenariat avec le CNOP pour la réalisation de travaux en commun relatifs aux règles de prescription et de dispensation des médicaments : recommandations de bonnes pratiques : règles de substitution aux opiacées, accès précoce-accès compassionnel, prescription hors AMM...

 

      Par la création sur le site internet du CNOM d’une rubrique « Vigilance et Veille Sanitaire » qui permet à l’institution de communiquer sur les difficultés de rupture de stock des produits de santé.

 

Et qui a été porté par notre Institution devant l’Association Médicale mondiale (AMM)

 

L’AMM, soucieuse de promouvoir les plus hautes normes d’éthique médicale, élabore, sous la forme de déclarations, de résolutions ou de prises de position, des recommandations éthiques pour les médecins. Ces directives s’avèrent également très utiles pour les associations médicales nationales, les gouvernements et les organisations internationales du monde entier. Ces textes traitent une multitude de questions, notamment les droits du patient, l’utilisation et l’abus des médicaments…

 

Face à cette problématique d’intérêt majeur pour les patients, le CNOM a proposé un texte devant l’Association médicale mondiale : « Prise de position de l’AMM aux fins d’assurer la disponibilité, la qualité et la sécurité des médicaments dans le monde », adoptée par la 72ème Assemblée générale de l’AMM en Octobre 2021. Ce document a notamment relevé les principales causes relatives à la pénurie des médicaments

 

Les principales causes de la pénurie – texte AMM

      Une demande de médicaments en forte croissance au niveau mondial (Chine et autres pays émergents)

      Des incidents imprévisibles sur une chaîne de production très contrôlée : Des défaillances techniques de l’outil de production peuvent survenir à tout moment, qu’elles soient d’origine interne (par exemple une panne du matériel) ou qu’il s’agisse d’évènements externes (par exemple climatiques).

      Des problèmes d’approvisionnement en principe actif : On estime aujourd’hui qu’entre 60 % et 80 % des principes actifs sont fabriqués hors de l’Union européenne. Cette proportion était de 20 % il y a 30 ans ; pour de nombreuses molécules, on constate aujourd’hui l’existence de seulement 2 ou 3 fournisseurs dans le monde.

      Des normes qualité très poussées et une flexibilité réduite : La flexibilité sur la chaîne de production est par ailleurs très réduite : tout changement dans les procédés de fabrication doit faire l’objet d’une déclaration auprès des autorités de contrôle. Par ailleurs, les normes imposées sur le packaging des médicaments peuvent entraîner des retards sur les lignes de production et des tensions d’approvisionnement. C’est le cas de la sérialisation à la boîte des médicaments, qui est devenue obligatoire.

      Un environnement économique à mieux encadrer : Les prix des médicaments en France sont dans 50 % des cas inférieurs au plus bas prix européen et dans 93 % des cas inférieurs au prix moyen observé dans un groupe de 5 pays européens. C’est d’ailleurs un argument repris par l’académie de médecine. (à vérifier) et exemple des masques et vaccins durant la période covid, donnés aux plus offrants même sur le tarmac.

      La répartition des stocks vers les officines encore disparates.

      La prescription des médecins souvent mise en cause ne saurait à elle seule expliquer une pénurie dont les raisons, multifactorielles, sont très éloignées de leur pratique quotidienne et sont parfois responsables de ces prescriptions de substitution critiquées par leur nombre ou leur inadéquation.

 

Les conséquences de ces pénuries.

Selon le LEEM, 31 % des Français en 2018 ont été confrontés une ou plusieurs fois à l’indisponibilité d’un médicament demandé due à une rupture de stock au cours des six derniers mois. Parmi eux, les patients chroniques, qui doivent suivre des traitements au long cours, sont plus nombreux à y avoir été confrontés (47 %).

Des représentants de différents syndicats de médecins ont été auditionnés en mai 2023 par la commission d’enquête parlementaire sur les pénuries de médicaments. Tous ont évoqué des « bricolages » quotidiens face aux ruptures d’approvisionnement, avec le risque d’« une perte de chance pour le patient ».

« Face à ces pénuries, les généralistes s’adaptent au mieux, le risque étant celui de ruptures qui s’enchaînent les unes après les autres, jusqu’à ce que les indications deviennent de moins en moins pertinentes, avec un risque élevé d’effets secondaires

On doit trouver un médicament qui ressemble, qui n’a pas toujours la même fonction, pas toujours les mêmes effets secondaires et qui peut poser un problème au patient parce qu’il n’a pas la même apparence et pas nécessairement les mêmes conditions d’utilisation

Premières doléances de ces professionnels : l’absence d’information, particulièrement dommageable quand le temps médical est de plus en plus compté. Il arrive ainsi au praticien de prescrire une molécule sans savoir qu’elle n’est pas disponible. Une fois en officine, le pharmacien n’est pas toujours en mesure de proposer un équivalent. « C’est vraiment embêtant. On arrive parfois à des choses catastrophiques parce que c’est une perte de chance pour le patient et un temps perdu de consultation médicale, alors qu’il est de plus en plus compté.

Pour diminuer la pénurie de médicaments, pour diminuer la prescription d’antibiotiques, pour la compréhension du patient, cela demande du temps médical ».

 

Le CNOM partage cette analyse et avait proposé en préambule sur le texte de l’AMM le paragraphe d’introduction suivant : « Au cours de la dernière décennie, les pressions sur l’approvisionnement ont entrainé des pénuries de certains produits médicaux, y compris les vaccins. Dans de nombreuses situations, ces pénuries résultent de la priorisation des objectifs économiques par rapport à la sante publique. Ces pénuries sont préjudiciables à la prise en charge des patients, à la préservation de la sante publique et à l’organisation des systèmes de santé ».

 

Les pénuries sont nombreuses (50% des ordonnances de patients atteints de maladie chronique seraient touchées par la pénurie), touchent la médecine de ville et hospitalière, toutes les catégories de médicaments, y compris les indispensables et ceux qu’on ne peut substituer par défaut de médicament de substitution.

Cela :

      Augmente le temps de travail des pharmaciens qui s’inquiètent chaque jour des pénuries prévues et doivent appeler les médecins prescripteurs à chaque ordonnance concernée, comme des médecins, seulement avertis par le pharmacien ou les patients,

 

      Augmente l’anxiété des patients par un sentiment d’insécurité croissant, un parcours de soins rendu encore plus difficile, majorant une défiance observée depuis l’épidémie Covid envers la médecine conventionnelle avec un recours aux méthodes non conventionnelles voire le renoncement aux soins.

 

      Augmente les coûts : majoration des honoraires de dispensation des pharmaciens si trois pharmacies sont sollicitées pour la même ordonnance, la fabrication artisanale autorisée aux pharmacies agréées coute plus chère, indirectement par les conséquences en matière d’effets secondaires, de pertes de chance et de délais supplémentaires de prise en charge thérapeutique.

 

      Augmente les risques : perte de chance par impossibilité de traiter les maladies (chimiothérapie, antiarythmiques…) retard de prise en charge (rupture d’anesthésiant, de dispositifs…), majoration des effets secondaires (malades se trompent, interactions médicamenteuses..) antibiorésistance (antibiotiques à large spectre plutôt que ceux ciblant l’infection en cause, utilisation de médicaments de deuxième intention à préserver dans la lutte sur l’antibiorésistance pour laquelle les médecins sont formés et orientés par des applications d’aide à la prescription afin de respecter la rigueur qui se doit dans ce domaine précis où la recherche ne va plus), et aussi, la tentation pour les patients de se procurer les médicaments en pénurie sur internet sur des sites dangereux ou de se détourner de la médecine conventionnelle vers des PSNC.

 

      Remet en question les recommandations et grands principes : la diminution des durées d’antibiothérapie telle que préconisée pour protéger les stocks, va à l’encontre des recommandations de la HAS, ce qui pose la question de l’innocuité de ces diminutions et de l’intérêt de revisiter ces recommandations plus régulièrement. Et en cas de prescription devenues hors AMM, qui est responsable en cas de problème ?

 

      Fait se poser la question de l’étude de ces conséquences dont l’intérêt serait majeur pour rebondir dans les plans annuels de l’ANSM : est-elle faite ? et par qui ?

 

      A entrainé une organisation en « système D » par les patients : groupe Facebook ou autres pour se donner les informations sur la disponibilité de certains médicaments.

 

Mesures préconisées pour lutter contre les ruptures d’approvisionnement

 

  1.      2024 : loi financement sécurité sociale pour 2024

Le CNOM avait proposé au sénat deux propositions retenues par la PLFSS 2024 :

      Distribution au comprimé

En cas de rupture d’approvisionnement sur des médicaments, un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale pourra autoriser la délivrance à l’unité. Les pharmaciens ne pourront plus dans ce cas délivrer une boîte entière mais la quantité adaptée de médicaments au malade.

 

      Préparation magistrale dans les officines

Un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles, à titre exceptionnel et temporaire, pour faire face à une rupture de stock d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur ou à un arrêt de commercialisation d’un tel médicament ou pour faire face à une menace ou à une crise sanitaire grave, et pour garantir la qualité et la sécurité d’utilisation des produits, le ministre chargé de la santé autorise par arrêté la réalisation, par les officines (…) de préparations officinales spéciales (…)

 

  1.      Le CNOM suggère les autres pistes suivantes :

 

      Les médecins n’ont pas connaissance des moyens et circuits actuels mis en place pour signaler les tensions et sont en fin de la chaine d’information. Celle-ci doit donc être d’abord orientée vers les médecins libéraux et hospitaliers afin que leurs prescriptions soient conformes à la réalité des stocks. Cette information doit être pertinente, rapide et argumentée (durée et raison de la rupture), et doit, pour cela, être inscrite dans les logiciels d’aide à la prescription et toutes bases de données utilisées par les médecins ou par l’intermédiaire d’une application smartphone mobile.

      De la même façon, le CNOM préconise que soient indiqués dans le Logiciel d’aide à la prescription les médicaments qui peuvent être substitués en cas de rupture d’un médicament ainsi qu’en cas de pénurie ou de tension d’approvisionnement d’un médicament l’état des stocks des pharmacies où le patient peut se faire dispenser le médicament prescrit.

      Le CNOM souhaiterait qu’une liste de concordance des médicaments de substitution soit accessible à tout moment, comme cela a été fait par l’ANSM pour les tensions d’approvisionnement en paracétamol.

      Revisiter plus régulièrement les recommandations de la HAS pour certains médicaments concernant notamment la durée de traitement requise

      Accentuation par les Pouvoirs Publics de leurs campagnes d’information et de sensibilisation de la population quant à la bonne utilisation des médicaments, afin d’éviter l’automédication et de responsabiliser la population.

      Réaffirmer l’intérêt de la vaccination : la France est le mauvais élève sur le taux de vaccination dans le monde. La vaccination protège les individus des pathologies de demain et limitera de facto, les besoins en médicaments (HPV, Bronchiolite…).

      Adaptation du nombre de comprimés par boite en fonction de la durée du traitement.

      L’homogénéisation du nombre de comprimés par boite (30 car 30 Jours)

      Industrialisation en France ou au plus près des médicaments rares et indispensables

 

Conclusion

 

Dès 2021, le CNOM a contribué à la rédaction de la proposition de prise de position de l’Association Médicale Mondiale en soutien aux efforts visant à assurer la disponibilité, la qualité et la sécurité des médicaments dans le monde. Il est ressorti de cette position plusieurs recommandations que nous souhaitons rappeler :

En tant qu’enjeu de santé Publique et par un souci de sécurité, l’AMM exhorte les gouvernements nationaux à améliorer la disponibilité des médicaments.

Les gouvernements nationaux et les autorités réglementaires devraient :

      Créer un organisme national chargé de rassembler et de faire connaître les informations relatives à la demande et à l’offre de médicaments sur leur juridiction. Établir des normes et des mécanismes qui garantissent la continuité de l’approvisionnement en médicaments et ainsi évitent les pénuries.

      Améliorer la surveillance de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, car la faiblesse des structures réglementaires rend particulièrement difficile l’application des bonnes pratiques de distribution des produits médicaux.

      Élaborer des stratégies d’atténuation pour lutter contre la dépendance des Etats à l’égard de la fabrication étrangère de médicaments en raison de la délocalisation et de la centralisation de la plupart des structures qui produisent des principes actifs pharmaceutiques utilisés dans la composition des principaux médicaments.

      Inciter les autorités sanitaires nationales à s’approvisionner en médicaments essentiels afin de minimiser le risque de pénuries. En effet, la crise sanitaire du Covid-19 a montré les limites des stocks dont les États étaient dotés et les a contraints à s’organiser et à restreindre l’accès à certains médicaments.

      Mutualiser en cas d’épidémie mondiale les travaux de recherche scientifique et les essais cliniques ayant pour objectif la mise au point et le développement des vaccins et/ou des traitements pour enrayer la pandémie,

      Soutenir les initiatives législatives et réglementaires qui garantissent la capacité nationale appropriée de produire des produits pharmaceutiques dans un souci de bien-être de la population et de sécurité nationale.

      Identifier et créer des mécanismes durables qui garantissent un stockage et un accès suffisants aux médicaments nécessaires.

      Promouvoir la coopération entre les gouvernements dans la prévention et la gestion des pénuries de médicaments et de vaccins.

      Encourager les gouvernements à être plus directifs vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, notamment en termes d’ajustement des quotas, d’accélération des approbations et d’importation de médicaments de substitution lorsque les sociétés pharmaceutiques ne sont pas en mesure d’assurer l’approvisionnement continu et adéquat en médicaments.

      Envisager d’exiger des fabricants de médicaments l’établissement d’un plan de continuité de l’approvisionnement en médicaments et vaccins vitaux et nécessaires afin d’éviter les pénuries de production dans la mesure du possible.

      Assurer la transparence, le partage et la disponibilité d’informations de qualité provenant de sources fiables afin d’établir la confiance et la fluidité des communications entre toutes les parties prenantes, des professionnels de santé aux patients. En cas de pénurie, les gouvernements devraient divulguer et énumérer toutes les causes à toutes les parties prenantes.

      Permettre aux Etats membres de l’AMM d’acquérir, grâce à des contrats communs d’approvisionnement (comme cela a été le cas pour certains pays membres de l’UE), des produits de santé/vaccins en nombre suffisant lors de pandémie et ainsi de peser plus lourd dans les négociations avec les laboratoires.

      Eviter la logique du « Premier arrivé, premier servi » notamment en situation de pandémie, engendrant une compétition contre-productive allant à l’encontre de la protection de la santé publique.

      Permettre une sécurisation industrielle des approvisionnements allant dans le sens du déploiement du Programme de lutte contre la criminalité pharmaceutique d’Interpol.


Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam)

 

  1. Présenter l’évolution des dépenses de médicaments depuis 2012 en distinguant médicaments remboursés et non remboursés. Préciser l’évolution du chiffre d’affaires hors taxes correspondant aux dépenses de médicaments remboursés en ville et à l’hôpital.

Evolution des dépenses de médicaments pour l’Assurance maladie (hors dispositifs médicaux) depuis 2017 :

Nous ne disposons pas encore des données 2023 pour les médicaments délivrés à l’hôpital (liste en sus notamment).

Evolution du chiffre d’affaires hors taxes correspondant aux dépenses de médicaments remboursés en ville et à l’hôpital depuis 2017 :

Le chiffre d’affaires hors taxes (CAHT) des médicaments remboursables délivrés en officine de ville et des médicaments rétrocédables et/ou hors GHS à l’hôpital atteint 32,1 Md€ en 2022 après 29,3 Md€ en 2021, soit une progression de 9,5%. Depuis 2019, la croissance du CAHT accélère avec une évolution moyenne de +7,9% entre 2019 et 2022 (+1,7% en moyenne entre 2016 et 2019). Cette accélération sur les trois dernières années est principalement imputable aux médicaments d’officine avec des contributions à la croissance inédites en 2021 et 2022 (6,2 pts et 7,0 pts après 1,5 pt avant crise).

Source : Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) – mai 2023[66]

 

  1. Du point de vue des exploitants, l’augmentation des volumes de vente compense-t-elle la baisse des prix ?

 

Pour les médicaments délivrés en officine, on constate une légère baisse des volumes. L’évolution de la dépense de médicaments est liée à l’évolution de la structure du marché (et notamment aux médicaments onéreux) qui permet de compenser les baisses de prix.

 


Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique

 

 

  1. À quels facteurs attribuez-vous l’augmentation du nombre de pénuries de médicaments au cours des dernières années ?

 

La problématique des ruptures d’approvisionnement n’est pas nouvelle. En témoigne notamment, l’existence (depuis 1962) d’obligations de service public pesant sur les grossistes-répartiteurs et leur imposant, notamment, de détenir un stock correspondant à deux semaines de la consommation de leur clientèle habituelle. En d’autres termes, la raison d’être des grossistes-répartiteurs réside dans leur capacité à assurer une distribution équitable des médicaments et, par conséquent, à éviter les ruptures d’approvisionnement.

 

Mais, les grossistes-répartiteurs ne peuvent remplir cette mission de santé publique qu’à la condition d’être suffisamment approvisionnés par les industriels. Or, il est patent que depuis quelques années, cet approvisionnement s’est significativement dégradé et que l’ampleur du phénomène des ruptures s’accentue. En outre, il concerne aujourd’hui des médicaments d’usage courant conférant aux épisodes de ruptures/tensions d’approvisionnement une visibilité inédite et des conséquences dommageables pour de très nombreux patients.

 

Les causes sont multiples et régulièrement explicitées par les industriels.

 

S’agissant des tensions/ruptures de l’hiver 2023-2024, un phénomène nouveau est apparu, celui de l’augmentation spectaculaire des ventes directes de médicaments génériques. En effet, alors qu’entre 2012 et 2022 les volumes de ces médicaments vendus en direct n’ont cessé de décroître (- 19 %) au profit des ventes via les grossistes-répartiteurs (+ 98 %), en 2023, les ventes directes ont augmenté de 16 % (en nombre d’unités) contre une baisse de 2 % pour les grossistes-répartiteurs. Cette évolution est notamment le fait d’augmentations spectaculaires (dans certains cas de plus de 100 %) sur des références d’amoxicilline, de prednisone/prednisolone ou cefpodoxime, molécules couramment utilisées dans le traitement des pathologies ORL hivernales. L’augmentation des ventes directes a eu pour effet de concentrer une part importante des stocks sur quelques (milliers de) pharmacies. Les volumes disponibles, via les grossistes-répartiteurs, pour toutes les autres pharmacies s’en sont trouvés considérablement réduits, générant de fortes tensions et des ruptures d’approvisionnement.

 

 

  1. Quelles sont les conséquences de ces ruptures d’approvisionnement pour les répartiteurs ?

 

Dans ce contexte, les grossistes-répartiteurs ne disposent pas des volumes de médicaments nécessaires pour répondre à la demande de leurs clients et ne peuvent donc pas satisfaire à leurs obligations de service public.

 

La tension générée par les ruptures entre les pharmaciens et les patients est également perceptible par les grossistes-répartiteurs dans leurs relations avec leurs clients (pharmaciens).

 

Par ailleurs, les grossistes-répartiteurs ont été conduits à renforcer leurs équipes dédiées aux services approvisionnements de chaque entreprise. Dans le contexte évoqué plus haut, en effet, le « sourcing » des produits auprès des industriels exige plus de temps et plus de ressources.

 

 

  1. Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments ? En particulier : création de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, instauration de stocks de sécurité destinés au marché national, obligation de déclarer les ruptures et risques de rupture de stock, élaboration de plans de gestion des pénuries, pouvoirs de contrôle et de sanction de l’ANSM, nouvelle définition des ruptures d’approvisionnement, mesures anti-pénuries et mesures de soutien aux médicaments matures prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

 

Le dispositif de lutte contre les ruptures d’approvisionnement s’est construit par étapes successives dans une approche pragmatique. A la lumière de la situation actuelle, son efficacité peut faire débat. Il faut néanmoins se garder d’une appréciation trop rapide. L’efficacité des mesures mises en œuvre, en effet, doit être analysée au regard de la complexité du phénomène des ruptures et des différentes origines de ces ruptures. En tout état de cause, le dispositif actuel constitue une base qui appelle vraisemblablement des mesures complémentaires. Il permet de limiter l’impact pour les patients sans pour autant traiter définitivement les causes des ruptures d’approvisionnement. Au-delà des mesures citées dans la question, certaines dispositions existent dans le code de la santé publique (article R 5124-48-1 exigeant des exploitants qu’ils livrent les grossistes-répartiteurs pour leur permettre de remplir leurs obligations de service public) mais ne produisent pas encore les effets escomptés.

 

En matière de lutte contre les ruptures d’approvisionnement, la première difficulté tient à la juste mesure du phénomène. Le DP ruptures fournit des informations mais elles restent difficilement exploitables et leur utilisation n’est pas aisée. En outre, elles ne sont pas exhaustives dans la mesure où les industriels n’alimentent pas systématiquement le DP ruptures.

 

A son niveau, la répartition pharmaceutique a développé un outil, l’observatoire de la disponibilité des médicaments, qui permet de disposer (par référence ou groupe de références) de l’état de la disponibilité des produits dans les agences de répartition en métropole. Grâce à cet outil, la disponibilité des produits est mesurée chaque semaine. Il est ainsi possible de suivre l’évolution de la disponibilité et, le cas échéant, d’avoir une vision géographique de cette disponibilité.

 

Si l’information est indispensable dans la lutte contre les ruptures, il faut aussi doter l’ANSM des pouvoirs nécessaires pour assurer notamment la régulation de la distribution. A cet égard, les mesures de la LFSS 2024 qui dotent l’agence de pouvoirs de police sanitaire étendus viennent utilement compléter le dispositif existant. Cette base légale devrait permettre, dans certaines circonstances, de rééquilibrer les flux entre le circuit des ventes directes et celui de la répartition pharmaceutique qui est le seul circuit de distribution à pouvoir garantir une distribution équitable des médicaments.

 

Les grossistes-répartiteurs, en effet, sont capables de piloter l’approvisionnement de leurs agences locales depuis des agences régionales ou nationales (établissements pivots). Cette capacité leur permet d’adapter leur mode de fonctionnement lors des épisodes de tensions d’approvisionnement. Dans ces situations, l’enjeu majeur tient à la pertinence des sites à livrer et des quantités à allouer à ces sites au regard des besoins (= commandes des pharmaciens). Si les quantités disponibles sont concentrés sur quelques plateformes, le pilotage de l’approvisionnement des agences locales pourra être plus pertinent : les agences qui ont besoin de produits seront livrées rapidement, celles qui n’en n’ont pas besoin ne se verront pas allouer des stocks qui leur seraient inutiles.

 

L’expertise des grossistes-répartiteurs en matière de logistique du dernier kilomètre est unanimement reconnue. Malheureusement cette expertise est mise à mal par les difficultés rencontrées en amont de la chaîne d’approvisionnement.

 

 

  1. Quelles mesures préconisez-vous pour lutter contre les ruptures d’approvisionnement ?

 

A la lumière de la situation actuelle et des difficultés générées par la très forte augmentation des ventes directes de certaines références en tension d’approvisionnement (par exemple :+ 60% pour la référence d’amoxicilline la plus vendue), il pourrait être utile d’intégrer aux plans de gestion des pénuries des éléments concernant les modalités à mettre en œuvre en cas de tensions d’approvisionnement et notamment des précisions quant à l’équilibre entre le circuit des ventes directes et celui de la répartition pharmaceutique.

 

S’agissant de la mise à disposition d’informations concernant la disponibilité des produits, l’ANSM dispose déjà de données qui lui sont régulièrement (en général, chaque semaine) transmises par les grossistes-répartiteurs (entreprises ou CSRP). La profession, en effet, est soucieuse d’apporter aux autorités sanitaires toute la transparence nécessaire pour une meilleure gestion des épisodes de ruptures. En outre, quand les clients pharmaciens passent commande de produits en tension, ils sont informés par leur grossistes-répartiteurs des quantités dont ils pourront être livrés en fonction de la disponibilité des produits.

 

A moyen terme, il pourrait être utile que tous les maillons de la chaîne du médicament collaborent à la mise en place d’une plateforme de référence concernant les ruptures. L’objectif serait de partager des informations fiables, exhaustives et exploitables.

  1. S’agissant plus particulièrement des stocks de sécurité, les niveaux fixés par le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 vous semblent-ils suffisants pour prévenir les pénuries ? Quel regard portez-vous sur l’introduction d’une durée plancher et le relèvement du plafond issu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, que prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi ?

 

  1. Les sanctions financières encourues par les distributeurs en cas de manquement aux obligations en matière de stocks de sécurité vous semblent-elles adaptées ? Aussi, quel regard portez-vous sur l’élévation du plafond de ces sanctions, prévue par l’article 2 de la présente proposition de loi ?

 

Ces deux dernières questions concernent plus particulièrement les industriels. La CSRP ne dispose pas des éléments suffisants pour pouvoir se prononcer sur la pertinence de ces mesures.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament

 

  1. Éléments de contexte concernant les pénuries de médicaments

 

1 Pouvez-vous présenter les principales conclusions de votre ouvrage intitulé Combien coûtent nos vies ? et, plus généralement, des travaux de l’Observatoire concernant les pénuries de médicaments ?

 

Marqué par son inscription dans des logiques commerciales, le système pharmaceutique mondial ne permet par des répondre aux besoins en santé de toutes les populations : des pans entiers de recherche sont négligés, ou portés par des initiatives publiques ou non lucratives aux moyens souvent insuffisants, ce qui a pour conséquence le retard ou l’absence de réponse pharmaceutique à des problèmes sanitaires qui peuvent affecter des populations nombreuses. Le système de propriété intellectuelle et les monopoles conférés par les brevets et les licences exclusives mettent les entreprises du médicament en position de force pour négocier des prix qui rendent les nouveaux produits de santé inaccessibles aux pays à bas et moyens revenus, et menacent la pérennité des systèmes de santé dans les pays à hauts revenus, y compris un pays comme la France (voir aussi-ci-dessous).

 

Concernant les pénuries, notre constat est que leurs causes structurelles ne sont pas adressées, comme le montre le quasi-décuplement des signalements de tensions et de pénuries rapports à l’ANSM depuis 2017.

 

Ces causes sont multifactorielles :

 

a- L’augmentation de la population mondiale, qui est particulièrement marquée dans des pays à moyens revenus où des populations plus importantes voient leur capacité à payer des produits de santé augmenter, le vieillissement de la population qui signifie une augmentation de la part des personnes ayant besoin de davantage de soins, la transition épidémiologique avec une explosion des maladies non-transmissibles comme des cancers, les maladies cardiovasculaires ou le diabète, le maintien de maladies infectieuses comme la tuberculose, le paludisme, le VIH, l’émergence de nouvelles, les conséquences sanitaires du réchauffement climatique et des atteintes à l’environnement font augmenter la demande mondiale.

 

b- S’ajoute à la contrainte de l’explosion de la demande, la vulnérabilité de la chaine du médicament de par la concentration de la production, notamment en active pharmaceutical ingredients (API). La concentration est à la fois géographique (en Chine et en Inde) et économique : la production des API est aux mains d’un nombre réduit d’acteurs, ce qui rend d’autant plus vulnérable la fabrication, par exemple en cas de problèmes industriels dans une usine de matière première. Elle pose par ailleurs des questions essentielles telles que notre dépendance envers certains pays qui pourraient utiliser les médicaments et produits de santé dans le cadre de négociations géopolitiques. Il suffit de constater à quelle vitesse les pharmacies des hôpitaux se sont vidées pendant la première vague du Covid pour le constater ; en cause le ralentissement de la production en Chine deux mois avant et la fermeture aux frontières à l’exportation de l’Inde.

 

c- L’inscription des produits de santé dans les logiques marchandes conduit à des choix de la part des industriels qui sont pas motivés en premier par une réponse aux besoins en santé des populations. Par exemple, si la production d’un médicament peut rapporter plus par rapport à un autre, un industriel peut décider de réaffecter son outil de production à ce nouveau médicament délaissant le précédent et faisant courir le risque de ruptures. Les exemples que nous listons dans nos travaux sont nombreux. D’une manière générale, les logiques de l’offre et de la demande et les impératifs sanitaires ne sont pas toujours compatibles, or les choix industriels sont souvent dictés par les premières. Au-delà des pénuries au sens propre du terme, notons que les logiques marchandes entravent aussi la recherche médicale sur des maladies jugées non rentables, au détriment des besoins des populations.

 

Il est donc nécessaire de prendre la mesure de l’augmentation de la demande mondiale, de se doter d’outils de planification sanitaire définis par une expertise interdisciplinaire incluant usagers et malades, de sortir le médicament des logiques marchandes par un renforcement de la recherche publique et/ou non lucrative, par une production locale au moins en partie publique, diversifiée et coordonnée au niveau européen. Il faut enfin lutter de façon beaucoup plus intense contre les conflits d’intérêt et faire en sorte que l’action publique dans ce domaine s’exerce en toute indépendance.

 

Nous avons établi une grille d’évaluation des mesures et propositions de mesures faites sur les politiques pharmaceutiques et les pénuries de médicaments que nous joignons en annexe. Nous avons par ailleurs présenté l’ensemble de ces points lors de notre audition par la commission d’enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments en avril 2023.

 

2 Selon vous, les modalités de détermination du prix des médicaments sont-elles à l’origine des pénuries, notamment en ce qui concerne les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ?

 

En Suisse, les médicaments génériques sont en moyenne 42 % à 48 % plus chers qu’en France, ce qui n’empêche pas les pénuries. Le prix des médicaments ne sont pas fixés sur la base de critères rationnels. Le régulateur public ne connaît pas le coût de production, l’investissement réel en R&D des industriels, les marges des intermédiaires ni les aides publiques reçues. La France s’est engagée, en adoptant la résolution « Améliorer la transparence des marchés de médicaments, de vaccins et d’autres produits sanitaires », le 29 mai 2019lors de l’Assemblée mondiale de la Santé, à faire la transparence sur ce type d’information. En France la résolution n’a pas été mise en œuvre. Adopté dans le cadre du PLFFS pour 2021, un amendement transpartisan a vu sa portée amoindrie, voire anéantie, par un sous-amendement de la majorité présidentielle et par les textes d’application. Cet amendement portait sur l’obligation de déclarer les aides publiques reçues au moment de la négociation des prix avec les industriels, ce qui ne représentait qu’une petite partie de la résolution de l’OMS. Cinq ans plus tard, notre constat est que la France a échoué à mettre en œuvre cette résolution.

 

L’opacité sur les prix des médicaments empêche de voir si les prix demandés par les industriels sont légitimes. Cela vaut pour les nouveaux médicaments, au prix de plus en plus exorbitant, alors qu’ils sont très souvent en grande partie financés par des fonds publics depuis les premières étapes de la R&D (voir l’avis 135 du CCNE à l’automne 2021), comme la recherche fondamentale. Pour réguler les demandes des industriels qui se trouvent dans des situations de toute puissance, détenteurs de droits sur un produit que l’Etat veut rendre disponible, il est indispensable d’utiliser les possibilités offertes par le droit national et international de recourir à des alternatives génériques malgré des brevets, telle les licences obligatoires ou les actions en nullité. Il est par ailleurs nécessaire de revoir le droit de propriété intellectuelle et le droit du commerce, au niveau mondial comme au niveau communautaire européen, pour qu’il cesse d’entrer en opposition avec le droit à la santé.

 

Mais l’opacité doit nous amener au même recul critique quant au discours des industriels concernant les pénuries de médicaments plus anciens. C’est à eux d’apporter la preuve que le prix est une des causes de ces pénuries, en étant transparent sur les informations indispensables. Sans transparence sur les prix des médicaments et ce qui les légitime, nous ne pouvons rationnellement répondre aux demandes des industriels, à moins de se laisser happer par des enchères totalement incompatibles avec les logiques de santé. Et de telles enchères auraient des conséquences encore plus graves sur les prix mondiaux, donc sur l’accès à des médicaments et produits de santé vitaux dans les pays pauvres. Enfin, si les industriels renoncent à certains médicaments car il les juge peu rentables, c’est une raison supplémentaire pour qu’une production publique prenne le relai.

 

 

  1. Mesures visant à prévenir et maîtriser les pénuries

 

3 Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments instaurées au cours des dernières années (création de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, création d’une obligation de constituer des stocks de sécurité destinés au marché national, élaboration de plans de gestion des pénuries…) ?

 

 Le quasi-décuplement des signalements de pénuries depuis 2017 montre que ces mesures ne sont, au mieux, pas suffisantes (cf aussi réponse 1). De plus, il semble manquer de critères et d’indicateurs, au-delà du nombre de signalements, qui permettraient par exemple de mesurer l’impact d’un plan de gestion des pénuries. Lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat sur les pénuries de médicament, le directeur de la CNAM reconnaissait n’avoir aucune mesure d’impact, sanitaire ou économique, des pénuries. Dès lors, comment savoir si, par exemple, une pénurie est moins bien ou mieux prise en charge avec tel PGP ?

 

4 Comment avez-vous accueilli les mesures relatives aux médicaments prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (modification du seuil de déclenchement de la clause de sauvegarde, nouvelle définition des ruptures d’approvisionnement, mesures anti-pénuries et de soutien aux médicaments matures) ?

 

Il est trop tôt pour évaluer ces mesures, qui relèvent aussi des doutes et interrogations que nous exprimons à la réponse précédente et dans d’autres réponses. Notons par ailleurs que l’usage systématique du 49-3 empêche des débats pluralistes dans lesquels des parlementaires pourraient relayer l’expertise de la société civile. Dans un contexte où le discours des industriels s’impose un peu partout comme le seul possible, où la mission interministérielle du premier semestre 2023 était composée pour moitié de représentant-es des industriels, ce manque de pluralisme et d’écoute des alternatives est dommageable pour notre sécurité sanitaire et rappelle la nécessité d’un renforcement des services publics et d’une lutte plus forte contre les conflits d’intérêts.

Sur la définition de « rupture d’approvisionnement », la distinction qu’elle opère avec « tensions » ne traduit pas toujours la réalité du terrain. Nous avons étudié en 2023 la base de signalements de l’ANSM : 73 % des « tensions » se traduisaient par des contingentements, parfois des indisponibilités, et avaient donc les mêmes conséquences que des « ruptures ». De plus, des problèmes d’indisponibilité semblent sous-estimés ou non signalés : c’est ce qu’a montré par exemple un questionnaire que nous avons adressé à des personnes diabétiques, dont beaucoup ont fait part de problèmes de disponibilité de formes d’insuline pourtant non signalés par l’ANSM. 61 % de ces personnes ont affirmé que le problème avait duré plus d’une semaine.

 

  1. Dispositif proposé

 

5 Êtes-vous favorable à l’inscription d’une durée plancher dans la loi et au relèvement du plafond introduit par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, comme le prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi ?

 

Toute mesure permettant une sécurisation accrue des stocks nous semble pertinente – en gardant à l’esprit qu’une telle mesure, nécessaire, n’est pas suffisante car elle ne traite pas des causes structurelles des pénuries. Nous rappelons par ailleurs que des objections fallacieuses ou exagérées (par exemple sur les dates de péremption des médicaments) à de tels délais, plancher ou non, ont déjà brouillé les débats et amoindri les avancées demandées par les associations de malades. Il est évident que la constitution de stocks doit s’accompagner de ressources en personnels qui peuvent s’assurer que les stocks sont bien entretenus et « roulent » et ce afin de ne pas se retrouver dans ce type de situations.

 

6 Les sanctions encourues en cas de manquement aux obligations en matière de stocks de sécurité vous semblent-elles suffisamment dissuasives ? Aussi, quel regard portez-vous sur l’augmentation du plafond de ces pénalités, prévue par l’article 2 de la présente proposition de loi ?

 

Ces mesures sont nécessaires, mais encore une fois non suffisantes.

 


ANNEXE 1 : grille d’évaluation de mesures contre les pénuries de médicaments

Les mesures essentielles

Leur effectivité dans les recommandations ou mesures prônées

I Système d’alerte et de surveillance des pénuries

 

Produire et rendre publique une cartographie des lieux de production en France et en Europe, y compris fermés récemment

 

Exiger une plus grande précision sur les causes des pénuries dans les signalements

 

Renforcer les alertes des pénuries en France par une veille permanente de la situation dans d’autres pays

 

Ce renforcement des alertes concerne :

- les petites molécules issues de la chimie

 

- les biomédicaments

 

- les vaccins

 

- les diagnostics

 

- les dispositifs médicaux

 

Réajuster les listes de médicaments existantes (médicaments essentiels de l’OMS, MITM, liste des 450 médicaments essentiels) en s’appuyant sur une expertise interdisciplinaire prenant en compte la vulnérabilité de la chaine de production et les risques pandémiques

 

II Conditionnalité aux aides publiques

 

Conditionner toute aide publique aux industriels du médicament (Recherche et Développement, aide à l’emploi, aide à la production, financement aux start up, etc.) à une logique de service public

 

Exiger la mise en œuvre effective de la Résolution Transparence adoptée par l’ensemble des États membres de l’OMS en mai 2019

 

III Fixation des prix des médicaments

 

Exiger que la fixation du prix des médicaments s’appuie sur des éléments rationnels (montant des aides publiques reçues, coût de production, marge des intermédiaires, et autres informations listées dans notre check list de la transparence)

 

IV Adaptation du modèle de production pharmaceutique

 

Diversifier les sources d’API (principes actifs pharmaceutiques)

 

Assurer une production locale principalement publique d’une partie des API en coordination avec les partenaires européens

 

Assurer une production locale principalement publique d’une partie des phases de façonnage et de conditionnement

 

Mettre en place un pôle publique du médicament, qui coordonne une partie de cette production en s’appuyant sur une expertise et une gouvernance interdisciplinaires

 

Garantir une production hospitalière effective (mise en place des conditions opérationnelles et réglementaires adaptées à ce mode de production)

 

V Gestion des stocks

 

Renforcer les obligations légales en la matière et contraindre les industriels au respect de ces obligations

 

Garantir un stock stratégique publique adapté aux besoins

 

Renforcer les capacités logistiques

 

VI Propriété intellectuelle, bureau des brevets et barrières réglementaires

 

Renforcer la transparence sur les brevets délivrés et leur date d’expiration

 

Articuler la mise en place d’une production publique des médicaments avec un travail permettant de lever les barrières de propriété intellectuelle lorsque nécessaire

 

Cartographier les sources de production existantes au niveau mondial pour les produits de santé sous monopole de brevets en France, afin de permettre l’importation quand nécessaire en dehors de la zone géographique couverte par l’Office européen des brevets

 

Lever l’exclusivité des données cliniques lorsqu’elles représentent un frein au recours à des produits fabriqués par des tiers (génériques, biosimilaires, etc.)

 

VII Renforcement des compétences des agences de l’État

 

Renforcer les moyens humains et financiers alloués aux administrations en charge des questions pharmaceutiques

 

Renforcer la compétence et la formation des agents de l’État en matière de politique pharmaceutique

 

Interdire le recours aux cabinets de conseil privés pour conseiller sur les questions pharmaceutiques

 

Limiter la pratique de « pantouflage » (revolving doors) dans les agences

 

VIII Lutte contre les conflits et les liens d’intérêt

 

Obliger les responsables politiques, conseillers techniques, conseillers politiques des ministères, et tout expert contribuant aux politiques pharmaceutiques, à déclarer leurs liens d’intérêts avec les industriels du médicament

 

IX Coordination européenne

 

Coordonner au niveau européen une politique de production publique de médicaments, dont les principes actifs pharmaceutiques

 

 

 

Annexe 2 Check List de la Transparence

 

CHECK-LIST DE LA TRANSPARENCE[i]

SUR LES MÉDICAMENTS ET PRODUITS DE SANTÉ

SEPTEMBRE 2019

 

La « check-list nationale de la transparence sur les médicaments et produits de santé » a été développé par l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament en août 2019.


L’idée qui sous-tend ce document est que la transparence est cruciale, possible et doit être mise en œuvre immédiatement. Bien que des outils importants, y compris des bases de données, existent déjà au niveau international, nous pensons que les gouvernements ont le pouvoir et la responsabilité de s’assurer que des outils exhaustifs, accessibles et mis à jour en temps réel sont mis à disposition sans plus attendre.

Les bases de données mentionnées ci-dessous doivent être en accès libre et leur contenu doit être systématiquement vérifié par des agents publics avant leur publication, en particulier si l’information provient d’entités privées.

La mise en œuvre de la check-list de la transparence peut contribuer à façonner les politiques de santé publique, de recherche et développement et de propriété intellectuelle, avoir un impact sur les négociations de prix des médicaments, et en définitive bénéficier à l’accès à la santé des populations et protéger et renforcer les systèmes de santé publique basés sur la solidarité.

Il est temps de passer d’un engagement général en faveur de la transparence sur lequel les États membres se sont mis d’accord lors de la 72ème assemblée mondiale de la santé en mai 2019, à des actions concrètes qui peuvent être mises en œuvre sans plus attendre par différents acteurs au niveau national.

 

Cette check-list contient des étapes détaillées pour promouvoir la transparence sur 8 sujets de la chaine de production et d’approvisionnement des produits de santé.

 

Nous encourageons d’autres organisations de la société civile à l’appliquer et à l’adapter à leur contexte national et à lancer des observatoires pour suivre sa mise en œuvre concrète.


BASES DE DONNÉES DE LA TRANSPARENCE

 

 Une base de données, publique et en accès libre sur internet rassemble toutes les informations disponibles sur chaque médicament ou chaque produit de santé

 

 Pour chaque produit, la base de données comporte :

 L’information sur l’enregistrement

 L’information sur les prix

 L’information sur les brevets

 L’information sur les essais cliniques

 L’information sur les dépenses en R&D

 Les informations sur les ruptures de stock de médicaments et les risques de ruptures

 Les positions du gouvernement dans les institutions et négociations internationales

 Les conflits d’intérêt

 

  1.     INFORMATION SUR L’ENREGISTREMENT DES PRODUITS DE SANTÉ

 

 Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internet des informations concernant les médicaments enregistrés/mis sur le marché dans le pays

 

 Il est possible d’accéder :

  à l’ensemble des documents présentés par la firme

à la décision complète de l’agence de régulation octroyant ou rejetant l’enregistrement/l’autorisation de mise sur le marché, y compris les analyses et/ou les réunions/audiences qui ont dicté la décision finale, ainsi que toute condition ou toute exigence qui y est rattachée

 

 Cette base de données comprend des informations sur :

  les produits de santé enregistrés/mis sur le marché, y compris les caractéristiques de chaque formulation

 le nom de la firme qui détient l’enregistrement/l’autorisation de mise sur le marché

 la validité de l’autorisation de mise sur le marché

 le nom de marque et le nom des principes actifs

 le lieu où le produit final a été fabriqué

 l’origine des principes actifs pharmaceutiques (PAP)/matières premières

 la voie réglementaire par laquelle le produit a été enregistré (normal, abrégé, etc.)

 la part éventuelle des données soumise à l’exclusivité des données

 

  1.     INFORMATION SUR LES PRIX

 

 Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internet des informations sur les prix des produits de santé enregistrés/mis sur le marché dans le pays

 

 La base de données comporte des informations sur les :

  Médicaments (chimiques et biologiques)

  Vaccins

  Thérapies géniques

  Plateformes diagnostics et réactifs

  Dispositifs médicaux

 

 L’information sur les prix comporte :

  Les prix payés par l’État/l’Assurance maladie

  Le prix affiché

  Le prix des transactions

  Les prix des commandes publiques

  Les prix dans les points de vente privés

  Les marges des grossistes, distributeurs et autres intermédiaires

 

 L’information disponible inclus :

  Le fournisseur

  Le volume acheté

  La date de l’achat

  Les termes du contrat (par exemple : toute clause d’exclusivité, durée définie, clause empêchant l’émission d’une licence, etc.)

  Le prix net

  Le prix maximum autorisé, si un contrôle des prix existe

 L’existence de versions génériques du produit (y compris à travers des imports, et les prix dans les autres pays)

 

  1.     INFORMATION SUR LES BREVETS

 

 Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internet des informations sur les brevets et autres droits de propriété intellectuelle en vigueur dans le pays est disponible

 

 Si la base de données contient des informations fournies par des entités privées, l’information est vérifiée par des agents publics avant sa publication

 

 La base de données est :

  Régulièrement mise à jour (au moins une fois tous les six mois)

  En accès libre

 

 La base de données comprend tous les brevets et autres droits de propriété intellectuelle couvrant un produit de santé particulier dans le pays, y compris pour savoir s’ils sont délivrés, rejetés, ont expiré, et si une demande est en attente de décision

 Il y a une analyse de chaque brevet listé précisant si le brevet est susceptible de bloquer ou non la concurrence par les génériques

 

 La base de données permet les recherches par :

  Le nom du principe active ou de la dénomination commune internationale (DCI)

  Le nom de la technologie ou de la marque (par exemple pour les plateformes diagnostiques)

 

 La base de données comprend :

  Des liens vers les numéros de brevets de l’OMPI/l’information PCT

  Un lien vers les procédures régionales de brevets, le cas échant (par exemple : OAPI, OEB)

  Le titre, le résumé et les revendications de la demande de brevets sont aussi disponibles dans la langue locale

  Le statut de la demande, si elle est : en attente de décision, octroyée, rejetée, a expiré, a été retirée, abandonnée, etc.

  Des informations mises à jour sur chaque étape du processus d’examen de la demande

  Les documents complets des analyses et décisions des examinateurs des demandes de brevets

  Les informations sur des tiers ayant présenté des documents liés à l’examen, et l’accès à l’ensemble des documents qui y sont liés

  Les informations sur les licences obligatoires ou licences d’office émises pour les brevets, et l’accès à l’ensemble des documents qui y sont liés

  Les informations sur les accords de transferts de technologie liés à un brevet/une demande de brevet, et l’accès à l’ensemble des documents qui y sont liés

  Les informations sur tout financement public lié à l’objet d’un brevet

  L’existence et les résultats des procédures légales liées à une demande de brevet dans le pays (par exemple : revendication de non-brevetabilité, de violation, de révocation, extension des revendications du brevet)

 Les directives concernant l’examen national ou régional des demandes de brevets sont disponibles publiquement et facilement accessibles

 Est disponible l’information concernant tout accord impliquant les offices nationaux des brevets et les politiques de brevets dans le pays, comme les accords liés à la revalidation de l’examen conduit dans un autre pays ou tout autre voie d’examen (par exemple : l’autoroute du traitement des demandes de brevets)

 Est disponible l’information concernant les interactions entre le bureau des brevets et les autorités nationales de la concurrence dans le pays, y compris le partage des informations et l’assistance mutuelle (par exemple : les enquêtes sur les pratiques anti-compétitives liées à l’usage des droits de propriété intellectuelle)

 Est disponible l’information concernant tout évènement ou formation auxquels ont participé, ou toute assistance technique reçue, par le bureau des brevets, ses employés et collaborateurs, notamment sur les sponsors, financeurs et formateurs

 

INFORMATION SUR LES ESSAIS CLINIQUES

 

Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internet des informations sur les essais cliniques menés dans le pays. Elle est mise à jour en fonction de chaque phase de l’essai

 

 La base de données comprend, ou permet le lien avec d’autres bases de données qui comportent les informations suivantes :

  Information sur les essais, sur les dispositions du sujet, les caractéristiques de référence, les aboutissements, les évènements indésirables et d’autres informations, le protocole et ses modifications subséquentes

 Le domaine/maladie

 L’intervention spécifique testée

 L’objectif de l’essai

 La phase de l’essai

 Le design de l’étude et le plan d’analyse

 Le nombre effectif de participants enrôlés

 Les critères d’éligibilité pour l’enrôlement des participants

 La durée effective de l’essai (date de début et date de fin)

 Le(s) lieu(x) de l’étude

 Le(s) sponsor(s)/financeur(s), y compris le détails des montants de financements et contributions en nature pour chacun

 Le budget complet de l’essai

 Les informations détaillées sur les financements publics reçus pour mener les essais, y compris les subventions directes, crédits d’impôts et autres

 Tous les collaborateurs impliqués dans l’essai

 

  1.     INFORMATION SUR LA RECHERCHE ET LE DÉVELOPPEMENT (R&D)

 

  1. DÉVELOPPEMENT PRÉ-CLINIQUE

 

 Une base de données publique et en accès libre sur internet fournit dans les meilleurs délais des informations sur les études précliniques (données et méthodologie), en particulier pharmacologiques et toxicologiques

 

  1. POUR CHAQUE PRODUIT DE SANTÉ ENREGISTRÉ DANS LE PAYS

 

 Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internet des informations sur les dépenses en recherche et le développement pour tous les produits de santé enregistrés dans le pays

 

 La base de données comporte :

  Des montants désagrégés des dépenses par phase de développement et à travers le temps (découverte, développement préclinique décomposé par type, développement clinique par phase, développement pharmaceutique et fabrication et conditionnement du matériel d’étude clinique)

   Une liste détaillée de toutes les institutions impliquées dans chaque stade/phase de développement

  Une liste détaillée de l’ensemble dessources et montants de financement par stade/phase de développement, y compris privés, philanthropiques et du secteur public

  Une information sur tout financement public reçu par stade/phase de développement, y compris les subventions, aides directes et crédits d’impôts

  La date de début/fin de chaque stade/phase de développement

  Une information sur d’autres pays ou d’autres institutions de d’autres pays impliquées

 

 

  1. POUR CHAQUE FINANCEMENT, DIRECT OU INDIRECT, OCTROYÉ PAR L’ÉTAT OU PAR DES INSTITUTIONS PUBLIQUES

 

 Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internat des informations sur l’ensemble des financements publics dédiés à la recherche et au développement de produits de santé donnés dans le pays

 

 Cette base de données inclus :

  Le nom de l’institution publique ayant octroyé ce financement

  Le bénéficiaire du financement public

 Le montant total du financement public

 Le pourcentage que représente le financement public dans la totalité du montant du projet ou de l’institution bénéficiaire s’il s’agit d’un financement de base

 Le stade/la phase de développement couverte par le financement public

 La date de début/fin du financement public

 Une description claire du projet, y compris de la méthodologie, le cas échéant

 Les conditions attachées au financement public (par exemple : publication des résultats en libre accès, licence des droits de propriété intellectuelle, politiques de transfert de technologie, prix du produit fini, etc.)

 Les résultats complets du projet

 Le(s) lien(s) de toute publication liée au projet

 L’information sur la propriété intellectuelle (par exemple les brevets) produite pendant durant ce projet, y compris l’accès complet aux documents)

 L’information sur les accords de licences liés au projet, y compris l’accès à l’ensemble des documents

 L’information sur les accords de transferts de technologies liés au projet, y compris l’accès à l’ensemble des documents.

 

  1. PROJETS AYANT ÉCHOUÉ

 

 Les informations listées ci-dessus sont aussi mises à disposition pour les projets de développement de produits qui n’ont pas atteint la fin du processus de développement (échecs)

 

  1.     PÉNURIES ET RUPTURES DE STOCK

 

 Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internet des informations sur :

  Les pénuries et les ruptures de stock (ou risques de) de médicaments ou de produits de santé dans le pays

  La disponibilité et les stocks pour les produits de santé dans chaque région/département/ville du pays, y compris dans les établissements publics et privés

 La capacité de production des principes actifs pharmaceutiques (API), des matières premières et des produits finis

 Les causes de ces pénuries

 Les sanctions et les publications de sanctions prises à l’encontre des industriels, distributeurs et grossistes

 Le cadre légal des sanctions économiques en vigueur dans le pays

 

  1.     POSITION DANS LES INSTITUTIONS INTERNATIONALES/MULTILATÉRALES ET DANS LES ACCORDS BILATÉRAUX/MULTILATÉRAUX

 

 Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internet des informations sur les positions officielles du gouvernement dans les réunions et négociations internationales, dans les résolutions internationales/multilatérales ou dans les accords

 

 Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internat des informations sur l’ensemble des accords bilatéraux/multilatéraux signés ou en cours de négociations par le pays

  Les textes des documents signés ou en cours de négociations sont disponibles dans leur intégralité

 

 La position officielle adoptée par le gouvernement dans les organisations multilatérales/internationales et les accords bilatéraux est disponible publiquement en ce qui concerne la transparence sur :

  Les informations sur l’enregistrement/la mise sur le marché

  Les informations sur les prix

  Les informations sur les brevets

  Les informations sur les essais cliniques

  Les informations sur les dépenses en R&D

  Les informations sur les pénuries et risques de ruptures de stock

  Les conflits d’intérêt

 

 La position du gouvernement est disponible publiquement concernant les clauses qui augmenteraient l’opacité comme :

  L’exclusivité des données cliniques

  Le renforcement de la protection du secret des affaires

  Les documents se rapportant à la sécurité nationale dans le domaine de la recherche

 

 La position du gouvernement sur la transparence est rendue publique en temps réel, ainsi que ses soutiens à des initiatives concrètes, dans le cadre de :

  Institutions régionales (par exemple : l’Union Européenne, ARIPO, Mercosur, ASEAN)

 Les Nations Unies (y compris les réunions de haut niveau et les sessions spéciales)

 L’organisation mondiale de la santé

 L’organisation mondiale du commerce

 L’organisation mondiale de la propriété intellectuelle

 D’autres institutions internationales ou régionales

 

  1.     CONFLITS D’INTÉRÊTS

 Une base de données publique met à disposition en accès libre sur Internat des informations sur les liens entre les décideurs politiques et les firmes pharmaceutiques/le secteur privé

 

 Cette information concerne :

  Les chefs d’État

  Les membres du gouvernement et de leur cabinet

 Les membres du parlement

 Les membres des administration de régulation en santé, notamment ceux en charge de négocier les prix des médicaments et produits de santé

 

 La base de données inclut :

 Les contrats passés ou emplois liés à l’industrie

 Les contrats ou salaires signés ou reçus des industries durant le mandat

 Les cadeaux ou remboursements de dépenses par les industries pendant le mandat

 


Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

 

  1. Constats généraux concernant les pénuries de médicaments

 

  1. Présenter l’évolution du nombre de ruptures et tensions d’approvisionnement au cours des dernières années. Préciser notamment le nombre de signalements de rupture ou de risque de rupture de MITM. Les causes des ruptures sont-elles systématiquement précisées lors d’un signalement ?

 

L’évolution du nombre de déclarations de ruptures ou de risques de rupture de MITM est présentée ci-dessous :

 

Le nombre de ces déclarations a été multiplié par plus de 10 entre 2016 et 2023. Il est important de noter qu’il s’agit du nombre de signalements à l’ANSM et que, selon les cas, des mesures de réduction du risque sont mises en place par l’ANSM afin que la pénurie soit évitée ou bien que ses effets soient atténués pour les patients et les professionnels de santé.

Les hausses significatives de déclarations à l’ANSM constatées à partir de 2019 s’expliquent en particulier par la loi de financement de la sécurité sociale 2020, qui a introduit l’obligation, pour les industriels, de signaler les risques de rupture le plus en amont possible, et par la pandémie de Covid-19 – et notamment les confinements et baisses des activité industrielles et de transport - qui a accentué les pénuries de médicaments. De plus, auparavant, les industriels ne déclaraient pas systématiquement les signalements pour une courte durée et/ou pour une part de marché faible.

Aujourd’hui, le nombre de signalements poursuit sa très forte progression en lien avec une volonté de la part de l’ANSM d’une anticipation maximale.

Ces derniers mois, des facteurs d’aggravation d’une situation déjà orientée défavorablement, sont apparus, notamment la crise énergétique, le conflit russo-ukrainien, la difficile remise en route des usines de production post-COVID et l’augmentation de la demande en médicaments dans certaines aires thérapeutiques, notamment les anti-infectieux. Par conséquent, ce phénomène s’observe à l’échelle internationale.

On constate une augmentation significative du nombre de signalements en 2022 versus 2021, qui s’est poursuivie en 2023.

Le schéma ci-dessous reprend les causes principales renseignées par les industriels dans les déclarations de ruptures et de risques de ruptures, sachant que ces proportions varient peu d’une année sur l’autre (ici les chiffres 2022) :

 

A noter également que le pourcentage de déclarations nécessitant la mise en place d’au moins une mesure palliative par l’ANSM en lien avec les industriels s’élève à environ 40%.

 

Pour information, les mesures principales prises sont les suivantes :

- Contingentement quantitatif : mise en place d’une distribution en quantité limitée pour permettre une distribution continue et équitable des stocks disponibles.

- Contingentement qualitatif : distribution priorisée ou restreinte à certaines populations de patients ou à certaines indications en accord avec l’ANSM après consultation des associations de patients et des représentants des professionnels de santé

- Flexibilité réglementaire : dérogation ponctuelle à la réglementation du médicament autorisée par l’ANSM

- Importation : importation de médicaments identiques ou similaires de l’étranger autorisée par l’ANSM

- Restriction du circuit de distribution : fermeture complète ou partielle d’un des circuits habituels de distribution (suspension des ventes directes aux officines, pas de dotation aux grossistes-répartiteurs et/ou pas de livraison aux hôpitaux)

- Stock de dépannage : réserve d’un stock très limité permettant de répondre aux besoins urgents en dehors des circuits habituels de distribution

- Préparations magistrales : accompagnement à titre exceptionnel et transitoire des pharmacies de ville spécialisées dans la réalisation de préparations magistrales selon des monographies pour contribuer à garantir la couverture des besoins

 

  1. À quels facteurs attribuez-vous la hausse du nombre de ruptures d’approvisionnement en médicaments depuis plusieurs années ? La France se distingue-t-elle, sur ce point, des autres États membres de l’Union européenne et de l’OCDE ?

 

Se reporter aux éléments de réponse à la question 1.

Concernant la situation au niveau européen et de l’OCDE, nous ne disposons pas d’éléments chiffrés permettant de comparer factuellement la situation de la France. Toutefois, lors de nos échanges réguliers avec nos homologues européens sur des signalements particuliers, nous pouvons constater que nous partageons des problématiques similaires et l’EMA est amenée à coordonner certaines actions.

 

 

  1. Mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie

 

  1. Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments (création de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), instauration de stocks de sécurité destinés au marché national, élaboration de plans de gestion des pénuries, pouvoirs de contrôle et de sanction de l’ANSM, nouvelle définition des ruptures d’approvisionnement, mesures anti-pénuries et mesures de soutien aux médicaments matures prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024…) ? L’ensemble de ces mesures est-il effectivement mis en œuvre ?

La réglementation sur les MITM a permis de donner un cadre précis :

-          une définition (article L. 5111-4 du code de la santé publique)

-          une liste des classes thérapeutiques auxquelles appartiennent les MITM (arrêté du 27 juillet 2016 du CSP)

-          des obligations en termes

o       de déclaration par les industriels des ruptures et risques de rupture dès qu’ils en ont connaissance,

o       constitution de stocks de sécurité et

o       d’établissement de plans de gestion des pénuries pour tous les MITM.

L’évolution du nombre de déclarations, comme indiqué plus haut, démontre que la mesure de déclaration le plus en amont produit ses effets.

Concernant les stocks de sécurité, il est rappelé que les MITM doivent faire l’objet d’un stock de sécurité de 2 mois qui peut être amené à 4 mois sur décision de la directrice générale de l’ANSM lorsque la spécialité a fait l’objet de risques de ruptures ou de ruptures de stock réguliers dans les deux années civiles précédentes. Ainsi, depuis la parution du décret relatif à cette disposition en date du 30 mars 2021, le nombre de spécialités entrant dans cette catégorie s’élevait à 422 pour l’exercice 2019 -2020. Pour l’exercice 2021 – 2022, il s’élève à environ 750, en cohérence avec l’augmentation du nombre de signalements mentionné plus haut. Les décisions ont été adressées aux industriels fin janvier 2024 et vont faire l’objet d’une publication prochaine sur le site de l’ANSM.

Il convient de rappeler que ces stocks de sécurité ont pour vocation de minimiser l’impact d’un risque de rupture ou de rupture, le temps de mettre en place les mesures appropriées, notamment en cas d’importation d’une alternative. Comme on le voit avec l’augmentation des signalements, ils n’annihilent pas le risque. En outre, le caractère proportionné des niveaux de stocks imposés aux industriels est primordial pour se préserver d’un possible effet délétère du dispositif qui entrainerait une raréfaction des acteurs.

 

L’analyse des plans de gestion des pénuries (PGP) que les industriels ont pour obligation de soumettre à l’ANSM chaque année entre le 1er et le 31 décembre et dont le contenu doit suivre les lignes directrices publiées sur le site de l’ANSM montre :

-          que les laboratoires respectent la trame de ces lignes directrices ;

-          que la qualité des analyses de risque et des mesures est inégale :

o       analyse de risque sur la fabrication et les approvisionnements : plus ou moins de critères pris en compte ;

o       analyse du risque patient pour une même substance active : laboratoire-dépendante ;

o       manque de précisions pratiques sur les mesures prévues et leur mise en œuvre ;

o       des informations parfois peu pertinentes dans le cadre d’une analyse de risque et de la prévention des risques de rupture.

Les PGP sont globalement satisfaisants mais pour un certain nombre néanmoins, ils doivent être renforcés par les industriels. En outre, pour cette raison mais aussi parce que les situations sont complexes et évolutives, les mesures à mettre en place peuvent être revues par l’ANSM lors de la gestion d’un signalement de ruptures ou de risques de ruptures.

 

En conclusion, les mesures sont mises en œuvre. Toutefois, le contexte général des pénuries de médicaments s’étant complexifié ces dernières années (voir éléments en réponse à la question 1), il est difficile de se prononcer sur l’efficacité réelle de toutes ces mesures au regard du peu de recul depuis leur mise en place.

Concernant les nouvelles mesures introduites dans la LFSS 2024, celles-ci vont renforcer utilement les mesures pour réguler et palier les tensions d’approvisionnement. Une mesure complémentaire pourrait néanmoins être introduite dans la réglementation visant à suspendre toute publicité en faveur du public ou à destination des professionnels de santé pour les médicaments en tension figurant sur le site de l’ANSM, sauf dérogation de l’ANSM, à l’instar de l’interdiction d’exportation pour les grossistes-répartiteurs dès lors qu’une fiche-rupture est mise en ligne sur le site de l’ANSM.

 

  1. S’agissant plus particulièrement des stocks de sécurité, les niveaux fixés par le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 vous semblent-ils adaptés ? Êtes-vous favorable à l’inscription d’une durée plancher dans la loi et au relèvement du plafond introduit par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, comme le prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi ?

 

Les niveaux de stocks actuels imposés par le décret du 30 mars 2021 nous semblent adaptés. Il convient en effet de tenir compte de l’outil industriel qui est contraint et qui peine à répondre à la demande mondiale croissante, en particulier notamment d’un meilleur accès aux médicaments de pays émergents. Augmenter le plancher ou le plafond des stocks de sécurité de certaines spécialités pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché et créer des pénuries sur d’autres médicaments. Il semble plus pertinent de travailler sur la dévulnérabilisation des chaînes d’approvisionnement (c’est-à-dire la diversification des acteurs), travaux qui ont été initiés dès 2022 en lien avec la direction générale des entreprises (DGE) et la direction générale de la santé (DGS) et qui se déploient actuellement au niveau européen sous l’égide de l’HERA.

 

Enfin, la Commission européenne pourrait se montrer réservée par des stocks de sécurité à un niveau élevé et destiné uniquement au marché national.

 

Néanmoins, une amélioration de la réglementation concernant l’obligation de constitution d’un stock de 4 mois est probablement perfectible. En effet, aux termes de l’article R.5124-49-4 du CSP issu du décret du 30 mars 2021, il est prévu que les MITM doivent faire l’objet d’un stock de sécurité de 2 mois qui peut être porté à 4 mois sur décision de la directrice générale de l’ANSM lorsque la spécialité a fait l’objet de risques de ruptures ou de ruptures de stock réguliers dans les deux années civiles précédentes. C’est actuellement le seul motif de dérogation à la hausse du seuil des stocks. Ce motif, fondé sur une analyse rétrospective et sur l’existence d’« un précédent » nécessiterait d’être revu et basé davantage sur plusieurs facteurs objectifs et évalués a priori, en tenant compte par exemple de la population cible (les médicaments pédiatriques sont en nombre moindre donc le risque de tension est de facto plus important), ou encore de la vulnérabilité de la chaine de fabrication (existence d’une seule source de matière première ou d’un seul façonnier pour la mise sous conditionnement etc).

Il pourrait ainsi être prévu au niveau législatif les principes mentionnés à l’article R.5124-49-4 mais en élargissant les facteurs justifiant la dérogation à 4 mois.

 

  1. Préciser l’articulation entre les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) et la liste des médicaments stratégiques au plan industriel et sanitaire (MSIS).

 

La liste des MSIS qui n’est pas finalisée à ce jour part de la liste des médicaments essentiels publiée par le Ministère de la Santé et de la Prévention en juin 2023, constituée pour répondre aux besoins prioritaires des Français et prenant en compte la criticité ou l’urgence médicale. Une analyse de risques des données de la chaîne d’approvisionnement de ces médicaments essentiels a été ensuite appliquée pour retenir ceux qui sont les plus à risque (les plus vulnérables vis-à-vis des pénuries) : ce sont les MSIS, qui ont d’ores et déjà fait l’objet d’un appel à projets « Industrialisation et Capacités Santé 2030 ».

Les MSIS constituent un sous-ensemble des MITM et les mesures prévues viennent renforcer celles déjà prévues par le CSP pour tous les MITM. Il est à noter qu’une démarche similaire est en cours à l’échelon européen avec une première liste de médicaments critiques publiées en décembre 2023 et les premiers travaux de l’HERA attendus début 2024 sur l’étude des vulnérabilités sur un échantillon de médicaments critiques.

 

  1. Pouvoirs de contrôle et de sanction de l’ANSM

 

  1. Quelles actions l’ANSM met-elle en œuvre pour lutter contre les ruptures d’approvisionnement ? Comment assure-t-elle le contrôle des obligations imposées à la filière ? Dispose-t-elle de moyens suffisants pour contrôler le respect de ces obligations ? Ses moyens ont-ils été renforcés au cours des dernières années ?

 

Le contrôle du respect des obligations s’exerce de différentes manières :

-          lors du traitement d’un signalement. L’ANSM peut être amenée à constater une déclaration tardive de la part d’un industriel et à infliger une sanction financière.

-          lors de contrôle sur pièces des stocks. Ainsi, l’ANSM a adressé récemment 40 projets de sanction financière aux industriels concernés par le non-respect de stock de sécurité à 4 mois. Les procédures contradictoires sont en cours.

-                      lors d’inspections réalisées chez les industriels. Dans le cadre de son programme de travail, l’ANSM réalise des inspections régulières des établissements pharmaceutiques exploitants. Ces inspections prévoient, si l’exploitant commercialise des MITM, un contrôle de la conformité des dispositions législatives et réglementaires en vigueur en particulier sur :

o       le processus d’identification des MITM

o       les plans de gestion des pénuries

o       les modalités de déclarations des ruptures ou des risques de ruptures à l’ANSM

o       les stocks de sécurité

 

Ainsi en 2022, 75 exploitants ont été inspectés dans le programme de routine de l’ANSM sur les 279 établissements pharmaceutiques disposant d’une autorisation pour cette activité. Des écarts ont été constatés, majoritairement pour ce qui concerne le processus d’identification des MITM et sur les PGP. Lors de ce programme d’inspection, il n’a pas été infligé de sanction financière, dans la mesure où la non identification par les laboratoires de leurs MITM ne pouvait à l’époque donner lieu à une sanction financière ou à une requalification par l’ANSM (ce que la dernière LFSS a corrigé) et l’entrée en vigueur en octobre 2022 des nouvelles lignes directives de l’ANSM sur les sanctions financières ne pouvaient s’appliquer rétroactivement aux constats des inspecteurs.

 

Ces contrôles se sont poursuivis en routine avec 61 exploitants inspectés en 2023.

 

Les moyens n’ont pas été renforcés ces dernières années. Toutefois, 5 ETP supplémentaires vont être allouées à la gestion des ruptures et des risques de rupture de médicaments en 2024, dont une partie permettra de renforcer les contrôles.

 

  1. L’ANSM a-t-elle fait usage de son pouvoir de sanction pour non-respect des obligations en matière de constitution de stocks de sécurité et de signalement des risques de ruptures et ruptures de stock au cours des dernières années ? Préciser le nombre de sanctions prononcées, la nature des manquements ainsi que le montant des pénalités appliquées. Comment ce montant est-il défini ?

 

L’ANSM a fait usage de son pouvoir de sanction pour non-respect des obligations en matière de constitution de stocks de sécurité et de signalement des risques de ruptures et ruptures de stock au cours des dernières années. Les dispositions prévues dans le code de la santé publique ont donc été appliquées à plusieurs reprises au cours de ces deux dernières années (2022-2023).

 

Ces manquements soumis à sanction financière sont prévus aux articles suivants :

-          L. 5423-9 1° du CSP, constitue un manquement soumis à sanction financière « Le fait, pour un titulaire d’autorisation de mise sur le marché ou une entreprise pharmaceutique exploitant un médicament, de ne pas constituer le stock de sécurité destiné au marché national en application du deuxième alinéa de l’article L. 5121-29 » ;

-          L. 5423-9 7° du CSP, constitue un manquement soumis à sanction financière « le fait, pour un titulaire d’autorisation de mise sur le marché ou une entreprise pharmaceutique exploitant un médicament d’intérêt thérapeutique majeur mentionné à l’article L. 5111-4 : a) De ne pas informer dès qu’il en a connaissance l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de tout risque de rupture de stock ou de toute rupture de stock sur ce médicament, en méconnaissance du premier alinéa de l’article L. 5121-32 ; »

 

Depuis l’entrée en vigueur le 1er octobre 2022 des lignes directrices de l’ANSM (https://ansm.sante.fr/actualites/ruptures-de-stock-de-medicaments-lansm-actualise-ses-lignes-directrices-relatives-aux-sanctions-financieres) relatives à la détermination des sanctions financières du 22 août 2022 modifiant celles du 23 novembre 2015 qui ont renforcé le dispositif de lutte contre les ruptures de stock de médicaments en modifiant le quantum des sanctions financières relatives aux ruptures de stock, lesquelles ont également tenu compte des nouvelles obligations imposées aux opérateurs en matière de prévention des ruptures de stock de médicaments, et notamment de la constitution d’un stock de sécurité, 8 sanctions financières pour un montant total de 829 043,62 euros ont été prononcées dont :

 

En 2022, après l’entrée en vigueur le 1er octobre 2022 des lignes directrices de l’ANSM,
2 sanctions financières ont été prononcées à l’égard de différents laboratoires concernant certaines spécialités en application de l’article L. 5423-9 7° a) (Défaut/Retard d’information) pour un montant total de 269 234 euros.

 

En 2023, 6 sanctions financières ont été prononcées à l’égard de différents laboratoires concernant certaines spécialités en application de l’article L.5423-9 1° (stock de sécurité non constitué) et L. 5423-9 7° a) (Défaut/Retard d’information) pour un montant total de 559 809,62 euros.

Par conséquent, plusieurs sanctions financières ont été infligées aux laboratoires pour non constitution du stock et pour non-respect de l’obligation prévue à l’article L. 5121-32 du CSP.

 

Concernant, le montant de la sanction, ce dernier est prévu dans le code précité au III de l’article L. 5471-1.

En application des dispositions de l’article L. 5471-1 du code de la santé publique (CSP) pour les manquements relatifs aux ruptures de stock mentionnés à l’article L. 5423-9 du CSP, le montant de la sanction prononcée ne peut être supérieur à 150 000 € pour une personne physique et à 30% du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le produit ou le groupe de produits concernés, dans la limite d’un million d’euros, pour une personne morale.

 

Les lignes directrices de l’ANSM relatives à la détermination des sanctions financières du 22 août 2022 modifiant celles du 23 novembre 2015 ont renforcé le dispositif de lutte contre les ruptures de stock de médicaments en modifiant le quantum des sanctions financières relatives aux ruptures de stock en :

-          cotant en 3 (sur un maximum de 3) les manquements relatifs aux ruptures de stock ;

-          en attachant d’office à cette cotation spécifique un pourcentage de 20% du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le produit ou le groupe de produits concerné;

-          en prévoyant le principe d’une astreinte journalière pour chaque jour de rupture d’approvisionnement constaté, de 20% puis de 30 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé en France par l’entreprise au titre du dernier exercice clos pour le produit considéré, en cas de récidive.

 

A noter que ces sanctions ont fait l’objet d’une consultation auprès de l’ensemble des parties prenantes, notamment auprès des associations de patients, prescripteurs et pharmaciens.

 

Ainsi, conformément aux critères de pondération applicables aux manquements à la réglementation des ruptures de stock de médicaments fixés en annexe 3 des lignes directrices de l’ANSM du 22 août 2022, les manquements relatifs aux ruptures de stock mentionnés à l’article L. 5423-9 du CSP constituent des manquements de type 3 correspondant à 20% du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le produit ou le groupe de produits concernés. Ce chiffre d’affaires s’entend comme le chiffre d’affaires hors taxe réalisé en France (hors exportation). Le montant de la sanction peut ensuite être augmenté en appréciant l’impact de la gravité du manquement et de sa durée. Il peut être également tenu compte de circonstances atténuantes et/ou de circonstances aggravantes.

 

Par ailleurs, conformément à l’article L. 5312-4-1 du CSP, le montant de la sanction peut être augmenté en cas de réitération du manquement dans un délai de 2 ans à compter de la date à laquelle la première décision est devenue définitive. A cet égard, les lignes directrices de l’ANSM du 22 août 2022 prévoient qu’un pourcentage de 3% est ajouté au montant de la sanction financière

 

 

  1. Les sanctions financières encourues en cas de manquement aux obligations en matière de stocks de sécurité vous semblent-elles suffisamment dissuasives ? Aussi, quel regard portez-vous sur le relèvement du plafond de ces pénalités, prévu par l’article 2 de la présente proposition de loi ?

 

En application des dispositions de l’article L. 5471-1 du code de la santé publique (CSP) pour les manquements relatifs aux ruptures de stock mentionnés à l’article L. 5423-9 du CSP, le montant de la sanction prononcée ne peut être supérieur à 150 000 € pour une personne physique et à 30% du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le produit ou le groupe de produits concernés, dans la limite d’un million d’euros, pour une personne morale.

 

En pratique, les sanctions financières encourues en cas de manquement aux obligations en matière de stocks de sécurité ne semblent pas suffisamment dissuasives dans la mesure où le calcul est basé sur un taux, certes de 30% maximum, mais appliqué au chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le produit ou le groupe de produits concernés, dans la limite d’un million d’euros. Et plus précisément, sur le chiffre d’affaires hors taxe réalisé en France (hors exportation). Or, pour des produits dits matures (c’est-à-dire pour des produits anciens dont le brevet est tombé dans le domaine public et dont les prix sont relativement faibles, par exemple s’agissant des antibiotiques), la sanction financière encourue est peu dissuasive.

 

C’est la raison pour laquelle, l’ANSM est favorable à l’article 2 proposé dans la PPL. Pour autant, même si le montant des sanctions est augmenté, l’assiette sur laquelle est calculée la sanction financière, à savoir 30% du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le produit ou le groupe de produits concernés (hors exportation) ce montant reste faible pour des produits dont le prix de vente est peu élevé, ce qui est souvent le cas pour des médicaments dits matures tombés dans le domaine public (par exemple certains antibiotiques). Il serait probablement plus dissuasif en se rapprochant de ce qui est fait en matière de pratiques anticoncurrentielles d’élargir l’assiette de la sanction financière au chiffre d’affaires réalisé par exemple en Europe pour le médicament concerné.

Par ailleurs, en application du IV de l’article L. 5471-1 du code de la santé publique (CSP), l’Agence peut décider de publier les décisions de sanction financière prononcées au titre du I du présent article sur son site internet. Néanmoins, l’article R.5312-2 précise que la décision de sanction financière prononcée peut être publiée sur le site internet de l’agence pendant une durée qui ne peut excéder un mois ou, le cas échéant, jusqu’à la régularisation de la situation, si celle-ci n’est intervenue à l’issue de cette durée. Or, ce délai de publication des décisions de sanctions financières est insuffisant et n’est sans doute pas dissuasif. Il pourrait ainsi être proposé d’inscrire au IV de l’article L. 5471-1 précité une durée plus longue de publication des sanctions financières (5 ans avec au-delà l’occultation des données à caractère personnel), à l’instar de ce qui existe pour l’Autorité des marchés financiers à l’article L. 621-15 du code monétaire et financier.

Le IV de l’article L. 5471-1pourrait être ainsi rédigée : « IV- L’Agence publie les décisions de sanction financière prononcées au titre du I du présent article sur son site internet pendant une durée d’au moins 5 ans. Le maintien des données à caractère personnel figurant dans la décision publiée sur le site internet de l’ANSM ne peut excéder 5 ans. »

                                                                                                            

 


Union des syndicats de pharmacies d’officine (USPO)

 

  1. À quels facteurs attribuez-vous l’augmentation du nombre de pénuries de médicaments au cours des dernières années ?

En 2022, plus de 3 700 médicaments étaient en rupture ou tension d’approvisionnement. En 2023, ce sont près de 5 000 médicaments qui sont confrontés à cette situation. En 2023, 37% des Français ont été confrontés à des pénuries selon le Sénat.

Ces ruptures ou tensions touchent l’ensemble des classes de médicaments : antibiotiques, anticancéreux, antidiabétiques…

Sur la semaine du 15 au 21 janvier 2024, 214 médicaments sont répertoriés en rupture dans le logiciel « Vigiruptures » et notamment : des antibiotiques, comme de l’amoxicilline/acide clavulanique, des antidiabétiques.

Comme l’a signalé le rapport du Sénat, les causes des ruptures sont multifactorielles.

Les ruptures sont principalement engendrées par une hausse de la demande mondiale, mais également par des problématiques industriels : rupture de la matière première, difficulté sur la chaîne de production.

Dans une enquête menée en décembre 2022, le Groupement pharmaceutique de l’Union européenne distinguait trois causes principales des ruptures d’approvisionnement : problématique de fabrication (65,2%), quotas imposés par les fabricants (55,17%), augmentation soudaine de la demande (48,28%). Viennent ensuite le prix du médicament (41,38%) et l’exportation parallèle (31,03%)[67].

La concentration des acteurs de l’industrie pharmaceutique est également une cause de l’augmentation des ruptures d’approvisionnement. L’optimisation des coûts de production, mais également de stockage avec des entreprises qui fonctionnent à flux tendu, est délétère pour la distribution des médicaments. Ce choix stratégique des laboratoires pharmaceutiques est totalement inadapté, voire dangereux, au regard des enjeux de santé publique.

Enfin, les exportations parallèles participent également à l’augmentation des ruptures d’approvisionnement. Dans l’objectif d’éviter ces exportations parallèles, les laboratoires imposent aux grossistes une politique de contingentement. Les répercussions pour les pharmacies d’officine, et à terme pour les patients, sont importantes. Le médicament n’est donc pas disponible chez le grossiste-répartiteur, pourtant, il est en stock sur le territoire national chez le laboratoire. Le pharmacien doit contacter chaque laboratoire pour obtenir le produit avec des process souvent chronophages et qui varient d’un laboratoire à un autre.

L’USPO souhaite également alerter sur les conséquences de cette technique du contingentement qui entraine des tensions d’approvisionnement. Cette situation est due à un climat de défiance tel qu’il génère des ruptures supplémentaires alors que le médicament est disponible.

A l’hiver 2023/2024, les Français ont, de nouveau, été confrontés à des pénuries d’antibiotiques. Le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a souligné que la situation était différente à celle de l’hiver 2022/2023. En effet, les stocks d’antibiotiques étaient disponibles sur le territoire mais non accessibles aux patients.

Les laboratoires pharmaceutiques disposaient de stock mais ont délibérément refusé de les libérer ; comme en témoigne les points de situation réguliers fournis par l’ANSM.

A titre d’exemple, l’ANSM recensait le 19 décembre 2023 1,9 mois de stocks chez les laboratoires pour l’amoxicilline buvable 500mg/5ml, et moins de 3 jours de stock pour les grossistes-répartiteurs et pour les officines.

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Les laboratoires pharmaceutiques ont donc thésaurisé les stocks d’antibiotiques alors même que les grossistes-répartiteurs et les pharmacies d’officine n’avaient peu voire aucun médicament à délivrer aux patients. Certains laboratoires ont accepté de délivrer au compte-goutte les médicaments par la voie du canal direct, désorganisant encore plus la chaîne de distribution du médicament.

Pour finir, l’USPO s’est inquiété de la volonté du Gouvernement d’introduire, dans le cadre de la LFSS 2023, une notion d’appels d’offre dans la chaîne du médicament. En diminuant le nombre de laboratoires pouvant mettre sur le marché des médicaments, cette politique aurait assurément entraîné une augmentation du nombre de ruptures et renforcé une perte de souveraineté sanitaire et de l’indépendance industrielle française.

  1. Quelles sont les conséquences de ces ruptures d’approvisionnement pour les pharmacies d’officine ? Le cas échéant, distinguer entre les officines indépendantes et les chaînes et groupements, ainsi qu’en fonction de l’implantation territoriale. Plus généralement, comment le système de distribution s’adapte-t-il aux pénuries ?

Il nous apparaît aujourd’hui extrêmement difficile de répondre à votre dernière question, à savoir comment s’adapte le système aux pénuries de médicament. Les patients ne doivent pas s’adapter aux ruptures, les pharmacies ne doivent pas s’adapter aux ruptures.

Des solutions concrètes sont proposées par différents acteurs de la chaîne de distribution et elles doivent s’appliquer rapidement (voir ci-après).

Ceci étant dit, les pharmaciens passent en moyenne 8h à 12h par semaine pour gérer les pénuries de médicament. Au quotidien, voici les actions du pharmacien pour gérer une rupture :

-          tous les matins, le pharmacien passe plusieurs heures à identifier tous les produits en rupture ;

-          lorsqu’il est confronté à une ordonnance avec des produits en rupture, il appelle le médecin pour modifier le médicament ;

-          il appelle le grossiste-répartiteur pour commander le médicament ;

-          le médicament n’est pas disponible chez le grossiste-répartiteur, car il est, lui-même, en rupture, ou car le laboratoire a appliqué une politique de contingentement ;

-          le pharmacien appelle le laboratoire, qui souvent, a du stock.

Ce temps pharmaceutique précieux est définitivement perdu pour les patients. En effet, le pharmacien occupé à gérer les ruptures a moins de temps pour prendre en charge les patients et réaliser son activité « normale ». Les nouvelles missions comme l’accompagnement des patients fragiles (patients sous anticancéreux oraux, entretien personnes âgées polymédiqués, entretien femme enceinte, entretiens de prévention), réalisation des TROD pour le bon usage des antibiotiques sont entravées par ce gaspillage de temps.

En parallèle de cette problématique « temps », les pharmaciens d’officine sont également confrontés à un stress exacerbé des patients qui ne peuvent accéder à leur médicament. Il faut donc gérer au quotidien la détresse, l’angoisse et parfois la colère (légitime) des patients.

Cette charge et ce sentiment d’impuissance sont particulièrement difficiles à supporter pour les pharmaciens. Au plus près des patients, ils ne disposent ni d’alternative pour répondre aux besoins des patients ni de moyens pour agir en toute responsabilité et proposer une solution au patient.

Les médecins aussi sont dérangés par les appels des pharmaciens en raison des ruptures et cela entraine aussi des dysfonctionnements au sein des cabinets ou des hôpitaux.

  1. Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments ? En particulier : création de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, instauration de stocks de sécurité destinés au marché national, élaboration de plans de gestion des pénuries, pouvoirs de contrôle et de sanction de l’ANSM, nouvelle définition des ruptures d’approvisionnement, mesures anti-pénuries et mesures de soutien aux médicaments matures prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

La liste des MITM concerne aujourd’hui 422 médicaments.
Le décret du 30 mars 2021 prévoit la création de stock pour ces MITM de deux mois.

Au regard de la dégradation de la situation, l’ANSM a pris la décision en juin 2023 d’augmenter le stock de sécurité à quatre mois. Cette décision s’applique aux MITM ayant fait l’objet de ruptures de stock ou de risques de ruptures de stock réguliers au cours des deux dernières années et à ceux appartenant à une classe thérapeutique particulièrement sensible en termes de besoins.

La liste de ces médicaments a été présentée par le Gouvernement en juin 2023 : https://ansm.sante.fr/page/medicaments-dont-le-stock-minimal-de-securite-doit-etre-de-4-mois.

Cette décision de l’ANSM était nécessaire. Pourtant, elle n’a pas eu les effets escomptés faute de pouvoir de police sanitaire suffisant.

Comme indiqué ci-dessus, les stocks de médicaments n’ont pas été utilisés à bon escient.

Ces stocks doivent être libérés en cas de tensions d’approvisionnement, de ruptures d’approvisionnement, ou de pic épidémique, et en aucun cas conservés par les laboratoires.

Une fois libéré, la reconstitution des stocks ne doit pas provoquer de tensions ou ruptures supplémentaires. C’est, malgré tout, ce qu’il s’est passé au cours de l’hiver 2023/2024 lorsque certains laboratoires pharmaceutiques ont préféré reconstituer leur stock en priorité plutôt que de distribuer les médicaments.

La charte d’engagement signée par l’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution du médicament en décembre 2023 avait pour volonté de réinstaurer une confiance perdue. Cette charte a été demandée et portée par l’USPO. Deux mois après sa signature, elle a porté ses fruits dans la mesure où les laboratoires ont progressivement libéré leurs stocks. A titre d’exemple, sur l’amoxicilline buvable 500mg, 71% des officines étaient en ruptures à la mi-décembre, elles étaient à la mi-janvier 46%

L’USPO est donc entièrement favorable au pouvoir renforcé de sanction de l’ANSM prévu par la LFSS 2024. Comme vous le savez, l’ANSM voit désormais son pouvoir de police sanitaire renforcé et pourra, le cas échéant, imposer un contingentement ou un circuit de distribution spécifique à un laboratoire pharmaceutique, prendre de sanctions financières en cas de non-respect ; recommander l’utilisation de préparations magistrales en cas de tensions d’approvisionnement et ainsi permettre la prise en charge du médicament, et enfin requalifier un médicament comme MITM.

Par ailleurs, le critère fondamental permettant d’intégrer un médicament dans la liste des MITM est celui de la criticité de la pathologie. Or, il nous semble essentiel d’adapter ces critères et d’intégrer notamment l’intérêt thérapeutique, l’absence d’alternative, la saisonnalité et les épidémies. En conséquence, la liste des MITM pourrait donc amener à évoluer.

La LFSS 2024 a également introduit d’autres mesures visant à lutter contre les pénuries de médicaments.

L’une des mesures phares pour les pharmacies d’officine, et pour laquelle l’USPO s’est fortement mobilisée, est la prescription pharmaceutique après réalisation d’un TROD. Elle concernera dans un premier temps les angines et les cystites. Il s’agit d’une étape importante pour favoriser le bon usage des médicaments. Les négociations relatives à la rémunération sont en cours.

Les pharmacies auront également la possibilité de réaliser des préparations officinales spéciales. Au regard des problématiques de tensions, certaines officines ont été autorisées pendant l’hiver dernier de réaliser des préparations d’amoxicilline.

Selon le syndicat des préparateurs, 8 millions de gélules d’amoxicilline ont été réalisées en 2023 et janvier 2024, soit près de 600 000 traitements.

L’article 32 de la LFSS 2024 prévoit d’associer les syndicats représentatifs pour définir les prix de ces préparations. Au-delà, il sera nécessaire de travailler avec l’assurance maladie pour définir la prise en charge de ces préparations.

A titre d’exemple, pendant l’hiver 2023/2024, certaines préparations magistrales n’étaient pas prises en charge car le produit n’était pas officiellement déclaré en rupture. Cela a été le cas pendant plusieurs semaines pour la FLECAINIDE. Pour autant, les pharmacies n’en avaient pas en stock et devaient souvent faire payer le patient.

Enfin, l’USPO s’est fortement opposée à la proposition de dispensation à l’unité pendant les ruptures d’approvisionnement. Cette mesure ne répond pas réellement à la question des ruptures. D’une part, nous craignons que la sécurité des patients soit remise en cause, dans la mesure où la traçabilité de la gélule donnée sera impossible à assurer. Les patients ne pourront plus se référer à la boite de médicament ou à la notice, contenant des informations importantes. En outre, les patients souffrant de déficiences visuelles par exemple n’auront plus de manière de se repérer pour connaître la gélule à prendre (les informations sont marquées en braille sur la boite de médicaments). D’autre part, cette mesure ne nous apparaît pas réalisable concrètement. En effet, et à titre d’exemple, les formes pédiatriques ont été particulièrement touchées par les ruptures. Il s’agit de solutions buvables. Comment envisagez, dans ce cadre, une dispensation à l’unité ?

  1. Quelles mesures préconisez-vous pour lutter contre les ruptures d’approvisionnement ?

L’USPO propose depuis plusieurs années de nombreuses mesures visant à lutter contre les ruptures d’approvisionnement.

-          La responsabilité pharmaceutique

A chaque étape de la chaîne de distribution du médicament exerce un pharmacien : laboratoire, grossiste, pharmacie hospitalière, officine. Cette responsabilité pharmaceutique permet ainsi d’avoir un interlocuteur exerçant en toute responsabilité et inscrit à l’Ordre pour satisfaire ces missions de santé publique et éviter les ruptures de traitement. Il est essentiel de renforcer le rôle de ces pharmaciens responsables et de leur donner les moyens d’agir pour préserver les intérêts de santé publique au regard de purs intérêts financiers. Ils doivent être l’interlocuteur privilégié de l’ANSM et des agences de santé pour expliquer la nature de l’incident et apporter des solutions en toute responsabilité.

-          Le renforcement de la transparence

Le dossier pharmaceutique Rupture (DP Ruptures) est un outil essentiel, construit par l’Ordre des pharmaciens, pour visualiser les pénuries de médicaments. Cet outil nécessite d’être étendu et amélioré pour détecter tous les incidents dans la chaîne d’approvisionnement.

D’une part, tous les acteurs de la chaîne de distribution du médicament doivent obligatoirement utiliser cet outil. Sans une exhaustivité pleine des données, la gestion des pénuries ou tensions d’approvisionnement ne pourra être optimal.

Dès lors, l’ensemble de ces données doivent être exploitées directement par l’ANSM et la DGS.

Par ailleurs, le DP Ruptures devrait évoluer afin de visualiser l’état des stocks de l’ensemble de la chaîne de distribution du médicament. En cas de besoin, l’ANSM ou le ministère pourrait accéder à cette information et adapter, le cas échéant, ses décisions ou ses éventuelles sanctions.

Cette transparence permet d’objectiver les incidents et de les anticiper. Sans ces outils, il sera difficile d’être efficace et de trouver des solutions pour fluidifier la chaine d’approvisionnement. Elle permet également de responsabiliser les acteurs.

-          Stocks de sécurité = stocks tampons

Comme indiqué précédemment, les stocks de sécurité doivent être utilisés à bon escient. En l’occurrence, ils doivent obligatoirement être libérés en cas de pénuries, de tensions ou de pics épidémiques.

Dans ce cadre, nous proposons une modification de l’article L.5423-9 du code de la santé publique afin d’assurer que les stocks soient utilisés et libérés en cas de tension d’approvisionnement ou de saisonnalité forte. Dans le cas contraire, les laboratoires devront être soumis à une sanction financière.

Les sanctions pourraient être étendues, si, malgré les stocks constitués, le laboratoire n’assure pas la fluidité d’approvisionnement.

Une autre piste consisterait à imposer des stocks de minimum de matières premières et de contenants (flacons verres) pour les fabricants et façonniers dans le cadre de leur contrat avec le laboratoire exploitant.

-          Vente par les grossistes-répartiteurs

Le canal de distribution des médicaments est aujourd’hui imposé par les laboratoires. Ils peuvent imposer pour certains médicaments ou à certains moments un canal direct ou accepter la coexistence du canal direct et de la livraison grossiste.

Le circuit des grossistes-répartiteurs est efficace, même si certains ajustements que nous développerons ci-après soient essentiels. Le pharmacien peut commander rapidement tous les médicaments et être livré facilement.

Lorsque le canal direct est imposé ou que les deux circuits coexistent, les pharmaciens, comme précisé ci-dessus, perdent énormément de temps et se voient imposer des procédures différentes pour chaque laboratoire, voire pour chaque médicament. En outre, les laboratoires sont fermés en fin de semaine ; ils ne livrent que le mardi suivant, ce qui représente une perte de chance pour le patient.

Aussi, nous recommandons que l’ensemble des médicaments puisse être commandé chez les grossistes. Le canal direct devra être réservé à certains médicaments choisis par l’ANSM et non par le laboratoire, sur des critères basés sur le faible nombre de patients par exemple.

La possibilité pour l’ANSM d’imposer un circuit de distribution dans certaines situations prévues par la LFSS 2024 est, en ce sens, une première avancée intéressante.

Enfin, la politique de livraison des grossistes-répartiteurs doit être revue. Ces acteurs peuvent aujourd’hui, délibérément, refuser de livrer une pharmacie au regard de leur politique commerciale (la pharmacie n’est pas cliente ou n’est pas cliente n°1). Pour autant, le code de la santé publique prévoit une obligation de livrer toutes les pharmacies d’un secteur géographique donné. En cas de tensions, et si le grossiste dispose de stock, il est indispensable que les pharmacies puissent être approvisionnés, quel que soit leur grossiste.

Nous demandons également que les frais de livraison, aujourd’hui appliqués par les grossistes à la faveur d’un flou juridique, cessent. Les grossistes réalisent une mission de service public et sont rémunérés pour cela. Ils ne doivent pas imposer aux pharmacies des frais supplémentaires. Un texte réglementaire (arrêté du 4 aout 1987 relatif aux prix et aux marges des médicaments remboursables et des vaccins et des allergènes préparés spécialement pour un individu) devra être modifié en ce sens.

-          Bon usage du médicament

Au-delà des mesures présentées ci-dessus, l’USPO appelle à un renforcement du bon usage du médicament.

o       TROD

Les pharmacies d’officine sont désormais autorisées à réaliser des TROD Angine et Cystite afin de s’assurer de la dispensation/prescription appropriée du médicament. L’USPO propose également que les pharmacies soient autorisées à réaliser des TROD CRP. Ces derniers permettent de déterminer si l’infection est bactérienne ou non et par conséquent si un antibiotique est nécessaire ou non[68].

La réalisation d’un test CRP éviterait le recours à un médecin, particulièrement sollicité et dont le temps de consultation est limité dans la plupart des départements. Elle éviterait également la prescription par le médecin ou dispensation d’antibiotiques inutile.

Les tests permettant de fournir un résultat visible au patient sont un vecteur fort de pédagogie et d’adhésion des patients. En effet, dans le cadre des campagnes de tests covid, en cas de résultat prouvant l’infection viral, aucun patient n’a sollicité d’antibiotiques et seuls les patients à risque consultaient leur médecin.

o       L’adaptation des conditionnements aux nouvelles recommandations

Des discordances existent entre les conditionnements des médicaments, les autorisations de mise sur le marché de ces derniers et les nouvelles recommandations des sociétés savantes.

L’adaptation des conditionnements aux recommandations des autorités sanitaires limiterait fortement le gaspillage et les pénuries de médicaments.

L’USPO travaille actuellement avec certains laboratoires pour concrétiser cette proposition. A titre d’exemple, les boîtes d’amoxicilline 1g contiennent aujourd’hui 6 comprimés, ce qui ne correspond à aucune recommandation. Une boîte de 7 comprimés répondrait en revanche à 90% des recommandations actuelles.

Il semble donc impératif de créer un groupe de travail réunissant l’ensemble des acteurs – médecins, pharmaciens, ANSM, ministère, assurance maladie, afin d’adapter rapidement les conditionnements des antibiotiques dans un premier temps, puis des corticoïdes.

o       L’élaboration de tableaux d’équivalence permettant aux pharmaciens de substituer librement en cas d’indisponibilité du médicament

La substitution de médicament par le pharmacien en cas de tensions ou de ruptures de médicament n’est pas pleinement autorisée.

Depuis plusieurs mois, l’ANSM travaille avec les représentants des pharmaciens, des médecins, et des sociétés savantes pour déterminer des tableaux d’équivalence.

Cette disposition pourrait être étendue à différents médicaments afin d’assurer aux pharmaciens la possibilité de substituer.

-          Libéralisation de la vente en ligne : un danger supplémentaire

Enfin, nous tenons à insister sur la proposition envisagée aujourd’hui par certains députés, mais également, par le Premier ministre, à savoir la libéralisation de la vente en ligne. Certains députés réfléchissent même à une vente en grande surface.
 

L’USPO est fondamentalement opposée à ces dispositions qui font du médicament un bien de consommation. Les médicaments doivent être dispensés par un professionnel de santé en pleine responsabilité afin d’assurer la sécurité du patient.

Au-delà des problématiques de sécurité pour la santé des patients, ces propositions renforceraient, sans aucun doute, les pénuries de médicaments.

  1. S’agissant plus particulièrement des stocks de sécurité, les niveaux fixés par le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 vous semblent-ils suffisants pour prévenir les pénuries ? Quel regard portez-vous sur l’introduction d’une durée plancher et le relèvement du plafond issu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, que prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi ?

Comme précisé ci-dessus, l’USPO souhaite que les stocks soient utilisés à bon escient. Si la libération des stocks est rendue obligatoire, la durée actuelle de 2 et 4 mois nous parait suffisante.

En revanche, il nous semblerait intéressant de réfléchir à une obligation de stock de sécurité pour les matières premières. De nombreuses ruptures de stocks ont pour cause principale une absence de matière première ou de contenants comme les flacons en verre utilisés pour les formes pédiatriques.

  1. Les sanctions financières encourues par les distributeurs en cas de manquement aux obligations en matière de stocks de sécurité vous semblent-elles adaptées ? Aussi, quel regard portez-vous sur l’élévation du plafond de ces pénalités, prévue par l’article 2 de la présente proposition de loi ?

Comme précisé précédemment, l’USPO est favorable au pouvoir de police sanitaire de l’ANSM et à l’instauration de sanctions financières permettant de faire respecter les règles en vigueur.


UFC-Que choisir

 

  1. À quels facteurs attribuez-vous la hausse du nombre de tensions d’approvisionnement et de ruptures de stock médicaments constatée au cours des dernières années ?

Les évolutions de la production de médicaments depuis une trentaine d’années semblent répondre à des logiques de maximisation des profits et minimisation des coûts de l’industrie pharmaceutique plutôt qu’à une réponse aux besoins de soins et de sécurisation de l’approvisionnement :

        Délocalisations : au début des années 2020, 80 % du volume de principes actifs était fabriqué en dehors de l’Union européenne, contre 20 % au début des années 1990

        Fragmentation de la production de médicaments en multiples étapes

        … qui s’avère délétère associée à une production à flux tendu (le tayloro-fordisme adopté à toutes les étapes car favorable à la rentabilité paraît incompatible avec les objectifs de santé publique qui requièrent des stocks)

        Pas de mécanisme d’adéquation entre l’importance d’un traitement pour le patient et le degré de priorité qui lui est accordée par l’industrie. En conséquence, les industriels font peu de cas de la production de médicaments anciens et peu rentables (les trois quarts des médicaments qui étaient en pénurie en 2020 étaient sur le marché depuis plus de 20 ans ; 3/4 d’entre eux coûtaient moins de 25 euros, et 1/4 moins de 4 euros).

Dans ce système, en l’absence de mesures véritablement coercitives et contraignantes sur les stocks, il serait plutôt surprenant qu’il n’y ait pas de ruptures.

 

  1. Est-il possible d’évaluer les conséquences des pénuries de médicaments pour les patients, notamment en termes de perte de chance et d’espérance de vie en bonne santé ?

Les derniers résultats dont nous disposons sur les conséquences sont les suivantes :

        Anxiété : pour 21 % des victimes touchées par une pénurie, il y a un impact psychologique.

        Hospitalisation : les pénuries conduisent à l’hôpital 4 % des personnes qui en sont victimes.

        Aggravation des symptômes : à cause de traitements retardés, moins adaptés ou indisponibles, 14 % voient leur état de santé se dégrader

        Perte de chance : 45 % des personnes confrontées à une pénurie ont dû reporter leur traitement, le modifier, voire y renoncer ou l’arrêter complètement. C’est particulièrement grave en cancérologie, un des domaines les plus touchés par ce problème.

(sources consultées par Que Choisir : ANSM, 2020 ; Ordre des pharmaciens, 2021 ; OffiSanté pour Que Choisir, 2021 ; Sondage BVA pour France Assos Santé, 2019)

Nous n’avons pas d’éléments originaux plus récents.

Toutefois, par définition (article L. 5111-4 du code de la santé publique) Les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) sont des « médicaments ou classes de médicaments pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie ».

Les conséquences sont souvent compliquées à mesurer de manière isolée, car le patient peut se rabattre sur un substitut par exemple (solution recommandée par l’industrie pour 30 % des pénuries d’après notre étude de 2020). Ces reports tendent aussi à créer des pénuries en chaîne (pénurie de spécialité A hausse de la demande d’une spécialité B substituable pénurie de spécialité B hausse de la demande d’une spécialité C, etc).

 

  1. Que regard portez-vous sur l’évolution du prix des médicaments au cours des dernières années ?

Les traitements innovants ont des prix excessifs, négociés en toute opacité.

Pour les médicaments anciens : l’industrie doit faire preuve de transparence. Si elle prétend que la production de médicaments anciens n’est plus rentable, elle doit le prouver chiffres à l’appui, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

 

  1. Quelle appréciation portez-vous sur l’efficacité des mesures visant à prévenir et maîtriser le risque de pénurie de médicaments mises en œuvre au cours des dernières années (création de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, instauration de stocks de sécurité destinés au marché national, élaboration de plans de gestion des pénuries, pouvoirs de contrôle et de sanction de l’ANSM, nouvelles définition des ruptures d’approvisionnement et mesures anti-pénuries prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024) ? Ces mesures vous semblent-elles appropriées et correctement mises en œuvre ?

L’efficacité des mesures est à date totalement insuffisante, comme le prouvent les 4925 signalements de ruptures ou de risques de ruptures en 2023, ce qui représente +30,9% par rapport à 2022, et plus du doublement du nombre de signalements par rapport à 2021.

Sur les indicateurs/catégories statistiques créés : force est de constater qu’ils sont insuffisants pour traiter l’ampleur du problème des pénuries.

Les mesures stocks et l’extension des pouvoirs de police de l’ANSM vont dans le bon sens, mais il s’agirait de les faire réellement appliquer, sinon la lutte contre les pénuries de médicaments demeurera sans effets.

 

  1. En particulier, quelle est votre appréciation concernant l’utilisation faite par l’ANSM de ses pouvoirs de sanction à l’égard des industriels ?

Les sanctions sont trop rares et leurs montants trop faibles. Il faut sanctionner systématiquement, et les montants doivent être véritablement dissuasifs pour la trésorerie des entreprises pharmaceutiques concernées.

 

  1. Selon vous, quelles mesures complémentaires faudrait-il instaurer afin de lutter efficacement contre les pénuries de médicaments ?

Il conviendrait de travailler à une meilleure coopération au sein de l’UE en lieu et place de la concurrence délétère entre pays membres (par exemple les hausses de prix observées successivement dans plusieurs pays entre la fin de l’année 2022 et l’automne 2023, qui semblèrent prendre la forme d’un jeu non-coopératif à somme nulle pour se répartir un stock insuffisant). Sur ce point, la réforme de la législation pharmaceutique est à surveiller, car elle comporte un point sur les stocks. A minima, la nouvelle législation devrait autoriser les Etats-membres à prendre des mesures sur les stocks, éventuellement mieux-disantes qu’une mesure européenne obligatoire. Dans l’idéal, généraliser dans l’Union des mesures de stocks équivalentes à celles existant en France serait une grande avancée.

Enfin, il conviendrait peut-être à terme de développer une production publique de génériques, axée sur la sécurisation de l’approvisionnement, idéalement au niveau UE dans la perspective du marché unique. Si les autorités parviennent à la conclusion que les médicaments tombés dans le domaine public n’ont pas vocation à être rentables, alors ces spécialités pourraient être vendues à prix coûtant.

 

  1. Quel regard portez-vous sur le renforcement des obligations en matière de stocks de sécurité, prévu par l’article 1er de la présente proposition de loi ?

Très favorable, il s’agit d’une mesure dans la droite lignée de nos revendications historiques. Mais elle ne sera effective que si l’ANSM a les moyens de faire appliquer systématiquement des sanctions contre les contrevenants.

 

  1. De manière analogue, que pensez-vous du relèvement, prévu par l’article 2, du plafond des pénalités que l’ANSM est habilitée à prononcer en cas de manquement à l’obligation de constituer des stocks de sécurité ?

Avis très favorable, il s’agit d’une mesure dans la droite lignée de nos revendications historiques. Seule la question de l’application est incertaine.

 


—  1  —

Annexe n° 3 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la Proposition de loi

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code de la santé publique

L. 5121‑29, L. 5121‑33‑1 et L. 5423‑9

2

Code de la santé publique

L. 5423‑9 et L. 5471‑1

2 bis

Code de la santé publique

L. 5121‑33

 


([1]) Organisation mondiale de la santé, résolution WHA69.25 « Lutter contre la pénurie mondiale de médicaments et de vaccins », 28 mai 2016.

([2]) La présentation d’un médicament est définie par l’Académie de médecine comme sa forme d’emploi, telle qu’elle est délivrée à l’acheteur par l’officine pharmaceutique : poudre, comprimé, cachet, capsule, gouttes, suppositoire, etc.

([3]) Pénurie de médicaments : trouver d’urgence le bon remède, rapport fait par Mme Laurence Cohen au nom de la commission d’enquête relative à la pénurie de médicaments et aux choix de l’industrie pharmaceutique française, n° 828 (2022-2023), juillet 2023. La commission était présidée par Mme Sonia de La Provôté.

([4]) Étude « Consommation pharmaceutique dans les 5 grands pays européens », IQVIA pour le Leem, 2019.

([5]) Étude de juin 2022 par l’institut Harris Interactive pour le laboratoire Pfizer.

([6]) Au sein des établissements de santé, la liste en sus permet la prise en charge par l’assurance maladie de spécialités pharmaceutiques, pour certaines de leurs indications thérapeutiques, en sus des tarifs d’hospitalisation, lorsque ces indications présentent un caractère innovant.

([7]) Cour des comptes, rapport « Les comptes de la sécurité sociale », mai 2023.

([8]) Olivier Redoules et Gillles Koleda, Compétitivité, industrie, finances publiques : les enjeux macroéconomiques de la régulation économique du médicament en France, N.86, 4 juillet 2023.

([9]) Article 31 de la loi n° 98‑1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999.

([10]) La grande loi française de 1844 sur les brevets d’invention déclarait expressément, à l’article 3, que les médicaments ne pouvaient pas être brevetés, exclusion que l’on fondait commodément sur des impératifs de santé publique. Un « brevet spécial de médicament » fut institué par une ordonnance du 4 février 1959 complétée par un décret du 30 mai 1960. Peu de temps après, la loi du 2 janvier 1968 a permis aux inventions de médicament de s’inscrire dans le droit commun des brevets.

([11]) Site internet du Leem : https://www.leem.org/sites/default/files/2023-02/BilanEco2022.pdf

([12]) Les entreprises qui exploitent une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux peuvent s’engager collectivement par une convention nationale à faire bénéficier la Caisse nationale de l’assurance maladie d’une remise sur tout ou partie du chiffre d’affaires de ces spécialités réalisé en France. Ces remises conventionnelles de prix trouvent leur fondement dans l’article L. 162-18 du code de la sécurité sociale.

([13]) Pour une présentation du contenu des PGP, cf. infra, commentaire de l’article 1er.

([14]) Article L. 5111-4 du code de la santé publique.

([15]) Article R. 5124-49-5 du code de la santé publique.

([16]) Article L. 5121-30 du code de la santé publique.

([17]) Article 77 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

([18]) Cf. infra, commentaire de l’article 1er.

([19]) Article L. 5121-33 du code de la santé publique.

([20]) Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

([21]) Décret n° 2012-1096 du 28 décembre 2012 relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain.

([22]) Article L. 5124-17-3 du code de la santé publique.

([23]) Cour des comptes, « La sécurité des approvisionnements en produits de santé » in Rapport public annuel 2022.

([24]) Rapport de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française, p. 140-141.

([25]) Leem, « Pénuries de médicaments : 2 propositions concrètes afin d’améliorer la disponibilité des traitements pour les patients », communiqué de presse, 10 novembre 2023.

([26]) La définition d’une liste de produits et intrants stratégiques vulnérables répondait à une recommandation formulée dans plusieurs études, parmi lesquelles figurait notamment la note de Xavier Jaravel et Isabelle Méjean, « Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ? », Conseil d’analyse économique, n° 64, avril 2021.

([27]) Cour des comptes, Le dispositif de relocalisations sectorielles du plan de relance, rapport d’observations définitives, novembre 2023.

([28])  On peut notamment citer l’exemple des épidémies de l’hiver 2022-2023 et du surcroît de consommation d’amoxicilline qu’elles ont entraîné et auquel les entreprises pharmaceutiques, par manque d’anticipation, n’ont pas été en mesure de faire face dans des conditions satisfaisantes.

([29]) Introduit dans la directive 2001/83/CE par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004.

([30]) Article 81 de la directive.

([31]) Article 23 bis de la directive.

([32]) Article R. 5124-49-1 du code de la santé publique dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er septembre 2021.

([33]) Id.

([34]) Article L. 5124-17-3 du code de la santé publique dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er septembre 2021.

([35]) Id.

([36]) Voir ANSM, Lignes directrices pour l’élaboration des plans de gestion des pénuries pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, 22 juillet 2021.

([37]) Propos rapportés dans la question écrite n° 18204 (XVe législature) de Mme Laurence Cohen, adressée au ministre des solidarités et de la santé, publiée le 15 octobre 2020.

([38]) Article 48 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

([39]) Commission européenne, Communication relative aux pénuries de médicaments dans l’Union européenne, COM(2023) 672 final, 24 octobre 2023.

([40]) Sénat, rapport de la commission d’enquête « Pénuries de médicaments : trouver d’urgence le bon remède » Sonia de La Provôté, présidente, Laurence Cohen, rapporteure, rapport n° 828, tome I, déposé le 4 juillet 2023. Cette vulnérabilité des médicaments matures s’est aggravée avec le temps ; elle était évaluée à 60 % par Jacques Biot, dans le rapport de la mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels, remis au Premier ministre le 18 juin 2020.

([41]) PGEU Medicine Shortages Report 2023, Results, 20 p.

([42]) Id.

([43]) Id.

([44])  Définition issue de l’article 72 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, ayant introduit à l’article L. 5121-29 du code de la santé publique une définition de la rupture d’approvisionnement, pour élever cette dernière au niveau législatif. Cette définition rend caduque la définition issue de l’article 2 du décret n° 2021-349 du 30 mars 2021, codifiée à l’article R. 5124-49-1 du code de la santé publique. Cette définition faisait référence à un délai de 72 heures sans approvisionnement, ce délai n’est pas repris dans la définition législative de la rupture.

([45]) Source : site internet de l’ANSM.

([46]) Sénat, rapport de la commission d’enquête « Pénuries de médicaments : trouver d’urgence le bon remède ».

([47]) Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.

([48]) Article L. 5312-4-1 du code de la santé publique.

([49]) ANSM, « Lignes directrices relatives à la détermination des sanctions financières », 8 août 2022.

([50]) Les manquements pouvant donner lieu à des sanctions sur le fondement de l’article R. 5471-1 du code de la santé publique ne concernent pas les mesures de la lutte contre les pénuries de médicaments mentionnés dans le présent rapport.

([51]) L’annexe 3 de ces lignes directrices est ainsi consacrée à la présentation des « critères de pondération applicables aux manquements à la réglementation des ruptures de stock de médicaments ».

([52]) Ibid. Il convient de relever que le taux de majoration correspond au double de celui mise en œuvre en cas de manquements aux autres obligations dont l’ANSM contrôle le respect. Voir annexe 1 des lignes directrices, « Critères de pondération applicables aux manquements à la réglementation des médicaments (à l’exclusion des manquements la réglementation des ruptures de stock de médicaments) ».

([53]) Cour des comptes, « La sécurité des approvisionnements en produits de santé », rapport cité.

([54]) Réponses de l’ANSM aux questions de la commission d’enquête sur la pénurie de médicament et les choix de l’industrie pharmaceutique française, citées dans le tome I du rapport de cette dernière, p. 115.

([55]) Rapport de la commission d’enquête précité, p. 127.

([56]) Audition de M. Grégory Emery, directeur général de la santé, et de Mme Sarah Sauneron, directrice générale adjointe, réalisée le 12 février 2024.

([57]) Ibid.

([58]) Leem, Bilan économique 2022, 2023, sur la base des données du Groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques (GIE Gers) et de statistiques douanières.

([59]) https://assnat.fr/3ecEoP

([60]) https://assnat.fr/zLlvVR

([61]) Sollicitée par la rapporteure, l’Agence européenne des médicaments n’a pas souhaité que ses réponses au questionnaire soient publiées. Le Comité économique des produits de santé n’a quant à lui pas confirmé son accord avant la diffusion du présent rapport.

[62] Une étude menée par l’agence du médicament suédoise du médicament en 2020 (« The Dental and Pharmaceutical Benefits Agency », December 2020. Reference number: 3740/202) établit que les prix nets français sont les plus bas d’Europe s’agissant des médicaments matures, avec un niveau très inférieur (de l’ordre de 37 %) notamment aux prix allemands.

[[1]] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000028539162  

[[2]] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0274_etude-impact.pdf (article 30 page 195)

[[3]] Comité économique des produits de santé, rapport annuel 2002, page 69

[[4]] https://www.igas.gouv.fr/Les-vulnerabilites-d-approvisionnement-en-produits-de-sante.html (page 14)

[63] Cour des comptes, observations définitives relatives au dispositif de relocalisations sectorielle du plan France relance (2023),  publiées sur le site de la Cour www.ccomptes.fr

[64] Sénat, rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française (2023)

[65] En application du IV de l’article R. 5124-49-4 du code de la santé publique. Cette décision de l’ANSM peut intervenir lorsque le MITM concerner fait l’objet de risques de ruptures ou de ruptures de stock réguliers dans les deux années civiles précédentes nécessitant ainsi qu’un stock supérieur à deux mois soit constitué.

[66] https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwiXkr6TopaEAxW7VqQEHaV2DZ4QFnoECBUQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.securite-sociale.fr%2Ffiles%2Flive%2Fsites%2FSSFR%2Ffiles%2Fmedias%2FDSS%2F2023%2FCCSS-Mai2023.pdf&usg=AOvVaw1PbRpjOGwLaf_Za1I42M-6&opi=89978449

 

[67]  Source : Enquête du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne, décembre 2022 : https://www.pgeu.eu/wp-content/uploads/2023/01/Medicine-Shortages-PGEU-Survey-2022-Results-2.pdf

[68] La C-Réactive Protéine (CRP) est une protéine de la phase aigüe de l’inflammation. Il est reconnu qu’une valeur de CRP basse réduit la probabilité d’infection bactérienne sévère tandis que l’augmentation de sa valeur majore ce risque.