N° 2241

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 février 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 2232),
DE Mme LISA BELLUCO ET M. STÉPHANE DELAUTRETTE
ET PLUSIEURS DE LEURS COLLÈGUES,


pour éviter la dérégulation
des nouveaux organismes génétiquement modifiés,

 

PAR Mme Lisa BELLUCO et M. Stéphane DELAUTRETTE

Députés

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  1.    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, M. Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Nathalie OZIOL, Sandra REGOL, secrétaires ; M. David AMIEL, Mme Lisa BELLUCO, MM Pierrick BERTELOOT, Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Stéphane DELAUTRETTE, Fabien DI FILIPPO, Grégoire DE FOURNAS, Thibaut FRANÇOIS, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Mmes Brigitte KLINKERT, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, Béatrice PIRON, MM. Christophe PLASSARD, Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, François RUFFIN, Alexandre SABATOU, Mme Lætitia SAINT-PAUL, MM. Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Danielle SIMONNET, Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Aurélie TROUVÉ, M. Nicolas TURQUOIS, Mme Estelle YOUSSOUFFA.

 


SOMMAIRE

___

 Pages

Introduction

I. La proposition de rÈglement concernant les vÉgÉtaux obtenus au moyen de nouvelles techniques gÉnomiques (NTG) instaure un cadre lÉgal pour ces « nouveaux Organismes gÉnÉtiquement ModifiÉs » (OGM)

A. Une rÉponse aux dÉcisions de la cour de justice de l’Union europÉenne assimilant les NTG À des OGM

1. Les plantes issues des nouvelles techniques génomiques (NTG), un objet juridique complexe

2. La proposition de règlement de la Commission pose un nouveau cadre juridique en réponse à l’interprétation variable de la directive 2001/18 par la CJUE

B. un rÈglement SUBSTANTIELLEMENT modifiÉ par le vote du Parlement europÉen

1. Amélioré, le texte issu des travaux du Parlement européen présente toujours de nombreuses difficultés pour les agriculteurs, les consommateurs et notre souveraineté alimentaire

2. Un parcours législatif incertain d’ici la fin de la mandature

II. La proposition de rÉsolution europÉenne vise À protÉger la souverainetÉ nationale des États membres au regard des incertitudes scientifiques soulevÉes par le texte

A. Rejeter le texte tel quE modifiÉ par le parlement europÉen

1. L’ANSES a remis en cause le fondement scientifique de la distinction juridique opérée entre les deux catégories de NTG

2. Conserver le cadre juridique existant en matière d’OGM pour les « nouveaux OGM »

B. À défaut, proposer au Conseil de l’Union europÉenne, un mandat clair pour protÉger la souverainetÉ française

1. À défaut, demander au Gouvernement de conserver les modifications apportées par le Parlement européen

2. Instaurer des clauses de sauvegarde similaires à celles prévues par la directive 2015/412

EXAMEN EN COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE

Listes des personnes auditionnÉes par les rapporteurs

 

 


   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

La Commission européenne a publié, le 5 juillet 2023, une proposition de règlement visant à réglementer les plantes issues des nouvelles techniques génomiques (NTG), dit règlement « NTG ».

Cette proposition de règlement représente la réponse législative de la Commission à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, en 2018, qui précise que les plantes NTG entrent dans le champ d’application de la directive 2001/18 qui réglemente l’utilisation des organismes génétiquement modifiés (OGM).

En effet, dès 2021, la Commission conclut, dans une étude, que la législation relative aux OGM n’est pas adaptée aux NTG, définies comme les « techniques capables de modifier le matériel génétique d’un organisme, qui ont émergé ou se sont développées principalement depuis 2001. » ([1])

Selon les termes mêmes de cette étude, les plantes issues de ces nouvelles techniques génomiques offriraient des perspectives prometteuses notamment en termes d’adaptabilité au changement climatique. Plus durables, plus résistantes, ces plantes seraient en mesure de résister au stress hydrique, à certains agents pathogènes et permettraient d’utiliser en conséquence moins d’intrants. Outre ces bénéfices attendus sur les rendements agricoles, la nouvelle législation proposée par la Commission européenne permettrait de rendre l’Europe plus compétitive dans un marché en pleine expansion grâce aux progrès de la science dans ce domaine depuis le début des années 2000.

Pour le professeur Yves Bertheau, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche pour l’agriculture (INRAE), cette augmentation des rendements et cette adaptation au changement climatique ne relèvent, comme pour les premiers OGM, que d’une « économie de la promesse ». ([2]) Les interactions environnementales sont bien trop complexes pour que le seul changement de quelques gènes permette, à titre d’exemple, d’apporter une réponse globale au stress hydrique.

Pour les rapporteurs, cette proposition de règlement revient seulement à assouplir, voire à déréguler, la législation relative aux OGM en proposant un cadre juridique qui, sans demande d’autorisation de mises sur le marché (AMM), permettra de faire l’économie d’une analyse des risques.

En effet, la proposition de la Commission consiste à distinguer juridiquement deux catégories de plantes : NTG de catégorie 1 et NTG de catégorie 2. Les NTG de catégorie 1 ne seraient plus soumises au champ d’application de la législation réglementant les OGM.

Or, selon une étude de l’Agence fédérale allemande de conservation de la nature, ([3]) 94 % des plantes issues des NTG seraient éligibles à la catégorie 1. Selon la même étude, les recherches sur les NTG porteraient davantage sur une amélioration des caractéristiques esthétiques et nutritionnelles des plantes que sur leur capacité de résilience au changement climatique. Ces nouvelles techniques n’auraient pas non plus de conséquences positives sur la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. ([4])

Les promesses de la proposition de règlement semblent donc pour le moins incertaines mais non sans conséquences sur la biodiversité, la santé des consommateurs et l’indépendance économique des agriculteurs.

Chaque rapporteur a présenté une proposition de résolution européenne pour inciter le Gouvernement à éviter toute dérégulation par la Commission européenne de la législation sur les OGM, dérégulation dangereuse tant pour la santé environnementale que la souveraineté alimentaire.

Partant de deux propositions de résolution européenne distinctes, dans un souci de cohérence et de complémentarité, les rapporteurs ont souhaité proposer un projet de résolution commun.

La présente proposition de résolution européenne appelle, dans un premier temps, par souci de clarté, à demander au Gouvernement de soutenir au prochain Conseil de l’Union une position de rejet du texte dans l’attente des nouvelles analyses scientifiques de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Cette position de rejet aurait mécaniquement pour conséquence de conserver la législation relative aux OGM, plus protectrice tant pour les consommateurs que les agriculteurs.

À défaut, les rapporteurs demandent au Gouvernement de soutenir, lors des discussions au prochain Conseil de l’Union, l’ajout d’une « clause de sauvegarde » (opt-out), possibilité pour chaque État membre de ne pas appliquer ce nouveau cadre réglementaire dans l’hypothèse où celui-ci entrerait en vigueur. En l’absence de consensus scientifique européen, l’adoption d’une clause de sauvegarde, en application du principe de précaution, reconnu par le traité de fonctionnement de l’Union européenne, est seule à même, dans le respect du droit de l’Union, de faire respecter notre souveraineté alimentaire française.

À défaut également, les rapporteurs demandent au Gouvernement de soutenir les modifications du texte, adoptées, en première lecture, le 7 février dernier, par le Parlement européen.

Les rapporteurs ont conduit une dizaine d’auditions, syndicats agricoles, autorités scientifiques, dont l’ANSES qui a publié un avis remettant en cause le fondement scientifique du texte, organisations non gouvernementales, représentant de la filière des semences. À la suite de ces auditions, les rapporteurs ont fait le choix de défendre une proposition de résolution européenne commune.

De nouvelles expertises scientifiques sont attendues, notamment une expertise de l’EFSA, d’ici le mois de juillet. Ces analyses scientifiques complémentaires sont nécessaires pour éclairer le législateur sur un sujet complexe, nouveau, qui n’a pas encore fait l’objet d’un consensus scientifique européen. En leur absence, il est urgent d’attendre avant de légiférer. Faisons confiance à la science avant de donner un cadre juridique trop souple aux « nouveaux OGM ».

 


I.   La proposition de rÈglement concernant les vÉgÉtaux obtenus au moyen de nouvelles techniques gÉnomiques (NTG) instaure un cadre lÉgal pour ces « nouveaux Organismes gÉnÉtiquement ModifiÉs » (OGM)

A.   Une rÉponse aux dÉcisions de la cour de justice de l’Union europÉenne assimilant les NTG À des OGM

1.   Les plantes issues des nouvelles techniques génomiques (NTG), un objet juridique complexe

Les plantes issues de nouvelles techniques génomiques (new genomic techniques – NGT ou NTG) sont des plantes ayant subi une modification ciblée du génome, en particulier grâce à l’utilisation de la méthode CRISPR-Cas9, plus connue sous l’appellation de « ciseaux moléculaires ».

Cette technique permet de modifier artificiellement l’ADN d’une plante, ouvrant dès lors la porte à une sélection variétale.

Par NTG, on entend plusieurs techniques de modification ciblée du génome (notamment mutations, insertions, extinction de gènes), développées à partir des années 2001, soit après l’adoption de la directive 2001/18/CE qui réglemente l’utilisation des organismes génétiquement modifiés (OGM). ([5])

Ces techniques sont la mutagenèse, la cisgenèse et l’intragenèse. Par mutagenèse, on entend la possibilité de modifier de manière précise et ciblée une séquence génétique. La cisgenése correspond à l’introduction, dans le génome d’une plante, d’un transgène qui provient soit de la même espèce soit d’une espèce sexuellement compatible. L’intragenèse se définit comme l’introduction, dans le génome d’une plante, d’un transgène construit à partir d’une combinaison de différentes séquences provenant de la même espèce ou d’une espèce sexuellement compatible. ([6])

Quant à la transgenèse, à savoir l’introduction dans le génome d’une plante d’un transgène qui provient d’une autre espèce, non sexuellement compatible à celle modifiée, elle entre dans le champ d’application de la directive 2001/18. ([7])

Quel que soit le procédé utilisé, les plantes issues de ces nouvelles techniques génomiques sont des organismes génétiquement modifiés au sens de l’article 2 de la directive 2001/18/CE, qui définit un OGM comme « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication ou recombinaison naturelle. » ([8])

Toute transformation par génie génétique a pour conséquence de qualifier juridiquement d’OGM une plante issue de ces techniques sans qu’il soit nécessaire d’y insérer un ADN étranger. Raison pour laquelle, les eurodéputés Benoît Biteau et Christophe Clergeau les qualifient de « nouveaux OGM ». ([9])

Cette interprétation a été en partie confirmée par deux arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Toutefois, la technicité du sujet a donné lieu à deux interprétations, qui, à cinq ans d’intervalle, paraissent relativement contradictoires.

En effet, le 25 juillet 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne, dans l’arrêt Confédération paysanne e.a./Premier ministre et ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, confirme cette interprétation en précisant que les « organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse constituent des OGM ». ([10])

Toutefois, dans son arrêt du 7 février 2023, Confédération paysanne et a. c/ Premier ministre, la CJUE infirme en partie cette interprétation pour les organismes obtenus par mutagenèse in vivo et in vitro pour lesquels « une technique/méthode de mutagenèse qui a été traditionnellement utilisée pour diverses applications in vivo et dont la sécurité est avérée depuis longtemps au regard de ces applications », soit la mutagenèse aléatoire, n’entre pas dans le champ d’application de la directive 2001/18.

Cette nouvelle interprétation du champ d’application de la directive 2001/18 rend d’autant plus nécessaire l’application d’une législation plus claire et également plus protectrice des citoyens (santé, niveau d’information).

La proposition de règlement publiée par la Commission européenne, le 5 juillet 2023, vise à sécuriser le cadre juridique de développement des NTG. Toutefois, elle ne répond que partiellement à cet enjeu.

2.   La proposition de règlement de la Commission pose un nouveau cadre juridique en réponse à l’interprétation variable de la directive 2001/18 par la CJUE

Le Conseil a demandé à la Commission, en novembre 2019, soit après le premier arrêt de la CJUE, de réaliser une étude sur les NTG afin de prévoir une réglementation adaptée aux avancées scientifiques dans ce domaine. Cette étude, publiée en 2021 ([11]), conclut à l’inadaptation de la législation actuelle, principalement la directive 2001/18.

La proposition de règlement, présentée par la Commission, le 5 juillet 2023,  ([12]) vise donc à instaurer un nouveau cadre législatif pour les plantes obtenues par mutagenèse ou cisgenèse. ([13]) Les plantes issues de techniques de transgenèse demeurent régies par les dispositions de la directive 2001/18.

La proposition de règlement distingue deux types de catégorie de plantes dites NTG.

Les plantes NTG de catégorie 1 (annexe I du règlement) sont soumises à une réglementation assouplie au regard des dispositions de la directive 2001/18. Quant aux plantes NTG, de catégorie 2, elles font l’objet d’une réglementation plus stricte, en restant dans le champ d’application de la directive 2001/18.

Végétaux NTG de catégorie 1 (procédure allégée) : les végétaux comportant un maximum de 20 modifications génétiques sont considérés comme comparables à des plantes dites conventionnelles. Leur étiquetage est identique à celui des plantes issues de techniques de sélection traditionnelles. Aucune autorisation de mise sur le marché n’est prévue (AMM).

Végétaux NTG de la catégorie 2 (soumis à la réglementation OGM) : les végétaux présentant des modifications plus complexes, plus de vingt modifications. Leur étiquetage et leur traçabilité sont celles d’un OGM. Ils sont soumis à une évaluation des risques ainsi qu’à une autorisation de mise sur le marché. Toutefois, un renouvellement de l’AMM vaut autorisation illimitée par défaut.

Pour les végétaux NTG de catégorie 1, un principe d’équivalence est posé entre les plantes qui ont évolué de manière naturelle, les « plantes dites conventionnelles », et celles comportant au plus 20 modifications génétiques, obtenues par ces nouvelles techniques génomiques.

La proposition de règlement exclut l’utilisation de ces deux catégories de végétaux en agriculture biologique. Elle prévoit leur inscription dans une base publique de données ainsi que l’étiquetage et l’inscription de leurs semences et de leur matériel de reproduction dans les catalogues communs de variétés végétales.

Aucune « clause de sauvegarde » (opt-out), à savoir la possibilité pour un État membre de refuser l’utilisation de ces plantes sur son territoire, une fois que celle-ci a été autorisée à l’échelle européenne, n’est prévue. La législation relative aux OGM est davantage protectrice, tant pour les agriculteurs que les citoyens, puisque cette clause existe depuis l’adoption de la directive 2015/412. ([14])

Cette proposition de règlement, si elle lève les ambivalences de la jurisprudence de la CJUE, offre un cadre juridique insuffisamment protecteur tant pour les citoyens européens que pour les agriculteurs.

B.   un rÈglement SUBSTANTIELLEMENT modifiÉ par le vote du Parlement europÉen

1.   Amélioré, le texte issu des travaux du Parlement européen présente toujours de nombreuses difficultés pour les agriculteurs, les consommateurs et notre souveraineté alimentaire

Le Parlement européen, a adopté, en première lecture, un texte, à l’issue d’un vote serré, ([15]) modifiant substantiellement la proposition de la Commission, et revenant sur certains amendements adoptés en commission ENVI.

En effet, il propose de limiter le nombre de plantes pouvant entrer dans les NTG de catégorie 1 :

- en conservant uniquement les plantes ayant une incidence positive en termes de durabilité sur l’agriculture,

- en excluant les plantes tolérantes aux herbicides,

Pour rappel, la proposition de la Commission rendait 94 % des plantes issues de NTG éligibles à la catégorie 1, qui offre un cadre juridique moins contraignant, puisqu’il n’implique pas de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM). ([16])

La proposition de règlement était également clairement problématique du point de vue du respect des droits des consommateurs, notamment du droit à l’information. Le texte issu des travaux du parlement a supprimé quelques-unes de ces principales difficultés :

– en rendant obligatoire la mise en place de plans de surveillance des cultures des plantes issues des NTG,

– en prévoyant une procédure de retrait de ces produits en cas de signalement d’un problème environnemental ou sanitaire,

– en rendant obligatoire leur traçabilité ainsi que leur étiquetage pour les consommateurs,

Ce nouveau texte réduit les risques pour les agriculteurs, sans pour autant les protéger :

– en interdisant la culture des NTG en agriculture biologique, (cette interdiction, présente dans la proposition initiale de la Commission, avait été levée lors du vote en commission ENVI),

– en interdisant la brevetabilité des produits issus des NTG (toutefois les procédés restent brevetables).

S’il renforce l’information et la traçabilité des NTG, interdit leur utilisation en agriculture biologique, ce texte ne lève pas toutes les ambiguïtés de la nouvelle réglementation.

Tout d’abord, la définition de la catégorie 1 de NTG n’est pas scientifiquement valide, car elle ne repose sur aucun fondement scientifique.

Ensuite, ce projet de règlement ne prévoit pas l’obligation d’adopter des mesures de coexistence afin d’éviter les éventuelles contaminations des cultures en agriculture biologique ou des produits sous indications géographiques. Selon M. Yves Bertheau, directeur de recherche honoraire de l’Institut national de recherche agronomique (INRAE) ([17]), les mesures de coexistence ne sont pas la panacée mais un moindre mal lorsque l’on sait qu’un pollen viable peut être disséminé sur plusieurs dizaines de kilomètres. ([18])

Surtout, le texte n’offre pas aux États membres la possibilité d’adopter des « mesures de sauvegarde » (opt-out) pour préserver leur souveraineté, contrairement à la législation en vigueur relative aux OGM.

2.   Un parcours législatif incertain d’ici la fin de la mandature

Le Conseil de l’Union européenne doit adopter une position pour que les négociations sur le texte puissent continuer en trilogue (Commission, Parlement, Conseil).

Toutefois, le représentant permanent adjoint, M. Cyril Piquemal,([19]) a précisé que la tenue d’un trilogue sur ce texte, d’ici la fin de la mandature, semblait peu probable, les derniers trilogues ayant lieu à la fin du mois de février.

Le prochain Conseil Agriculture et pêche se tiendra le 26 février 2024, à supposer que le texte soit inscrit à l’ordre du jour : cela laissera seulement trois jours pour commencer les discussions en trilogue. Sans volonté politique de la présidence belge d’accélérer le calendrier, la discussion en trilogue semble compromise.

Toutefois, pour les rapporteurs, l’avenir incertain du texte d’ici la fin de la mandature de la Commission plaide d’autant plus pour attendre les résultats des analyses scientifiques complémentaires au regard des enjeux pour la biodiversité, la santé et la souveraineté.

II.   La proposition de rÉsolution europÉenne vise À protÉger la souverainetÉ nationale des États membres au regard des incertitudes scientifiques soulevÉes par le texte

Pour vos rapporteurs, la scientificité sur laquelle repose le texte pour libéraliser la culture des produits issus des NTG n’est pas fondée, leur innocuité non démontrée, les risques associés à leur possible dissémination non garantis.

À ce titre la proposition de résolution européenne vise à rejeter la proposition de la commission telle que modifiée par le Parlement européen en l’absence de garanties sur l’innocuité de ces produits, et de la conduite d’études scientifiques approfondies. En effet, l’avis de l’ANSES, publié le 29 novembre 2023, entame très sérieusement la crédibilité scientifique des fondements juridiques du texte actuellement en discussion.

Outre ce point précis, l’absence de clause de sauvegarde permettant aux États membres de ne pas utiliser les NTG sur leur territoire, est contraire au principe de précaution en matière environnementale tel que défini à l’article 191 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Les rapporteurs préconisent donc de rejeter le texte, malgré les modifications apportées par le Parlement européen, et de conserver la législation actuelle en matière d’OGM, plus protectrice pour les agriculteurs et les consommateurs européens.

À défaut, vos rapporteurs demandent au Gouvernement d’adopter une position au Conseil qui ne revienne pas sur les modifications apportées par le Parlement européen, qui prenne en compte les avis de l’ANSES et de l’EFSA et surtout impose une « clause de sauvegarde » (opt-out) laissant à chaque État membre le choix de ne pas utiliser des plantes issues des NTG sur leur territoire.

A.   Rejeter le texte tel quE modifiÉ par le parlement europÉen

1.   L’ANSES a remis en cause le fondement scientifique de la distinction juridique opérée entre les deux catégories de NTG

Le groupe de travail « Biotechnologies » de l’ANSES s’est autosaisi, ([20]) le 6 novembre 2023, pour analyser l’annexe I de la proposition de règlement de la Commission. Cette annexe précise les critères d’équivalence proposés pour définir les plantes NTG de catégorie 1. L’avis de l’ANSES, publié le 29 novembre 2023, conclut que la distinction entre deux catégories de plantes, qui pose comme critère d’équivalence le nombre de 20 modifications maximum, ne repose sur aucun fondement scientifique. Défini de manière « arbitraire », en l’absence de prise en compte de la taille du génome, ce nombre ne s’appuie sur aucune analyse scientifiquement pertinente.

Ainsi, si l’on prend en compte le seuil de modification de 20 nucléotides par exemple, la seule taille de la modification ne renseigne en rien sur les conséquences fonctionnelles et n’a aucune signification biologique en elle-même.

Sans entrer dans une analyse scientifique plus précise, le seuil de 20 modifications maximum pour assouplir la législation relative aux OGM ne repose sur aucun fondement scientifique. Cette analyse a été confirmée à vos rapporteurs par le groupe de travail, lors de son audition. ([21])

Pour les rapporteurs, il importe que le Gouvernement puisse faire valoir, lors des discussions au Conseil, l’avis de l’ANSES avant l’adoption d’une position sur le texte. La critique de l’absence de scientificité du texte n’est pas propre à l’ANSES. En effet, selon une analyse conduite par l’Agence fédérale allemande de conservation de la nature, la proposition de règlement de la commission repose sur de nombreux biais scientifiques. ([22])

En outre, les eurodéputés auditionnés ([23]) déplorent que l’EFSA n’ait pas directement été consultée alors que la Commission, dans son étude d’impact, affirme s’appuyer sur son analyse scientifique en la matière. Le Parlement l’a saisie d’une étude complémentaire sur les conclusions de l’ANSES, qui ne paraîtra qu’en juillet.

Il n’y a d’autant moins urgence à légiférer que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ([24]) a précisé que la mise sur le marché de ces nouvelles semences nécessitait environ une dizaine d’années de recherches. Attendre, seulement quelques mois, les résultats d’une expertise scientifique paraît d’autant plus justifié.

En l’absence à la fois de garanties scientifiques, d’un consensus scientifique européen sur l’innocuité de l’utilisation des NTG, sur la pertinence des critères retenus pour distinguer les deux catégories de NTG, les rapporteurs appellent le Gouvernement à mettre en œuvre le principe de précaution.

À ce titre, ils demandent au Gouvernement de proposer, lors du prochain Conseil, de rejeter le texte en discussion pour revenir à la situation initiale : conserver le cadre juridique existant pour les OGM (directives 2001/18 et 2015/412) quelle que soit la technique employée (transgenèse, mutagenèse ou cisgenèse, l’intragenèse étant un sous-ensemble de la cisgenèse).

2.   Conserver le cadre juridique existant en matière d’OGM pour les « nouveaux OGM »

Le cadre juridique en matière de régulation des OGM est bien plus protecteur que la proposition de règlement de la Commission, même substantiellement modifiée par le Parlement européen.

En effet, la directive 2001/18 prévoit que les OGM sont soumis à une autorisation de mise sur le marché (AMM). L’étiquetage et la traçabilité sont obligatoires, ainsi que la consultation du public.

Surtout, les risques environnementaux sont évalués en lien avec le risque de dissémination de ces cultures vers d’autres cultures. Un mécanisme de retrait des OGM est prévu en fonction de l’avancée des connaissances et de l’évaluation des risques.

Un État membre peut évoquer une « clause de sauvegarde », la possibilité de déroger à l’utilisation d’un OGM, en fondant sa demande sur la base de nouvelles informations démontrant un risque pour la santé humaine ou l’environnement. Cette clause de sauvegarde a été renforcée par la directive 2015/412 : un État membre peut demander une exclusion de la portée géographique d’une demande d’autorisation concernant la mise en culture d’un OGM sans ne plus avoir à justifier sa demande.

  Même si la jurisprudence de la CJUE a complexifié l’interprétation de la directive 2001/18, ce cadre légal demeure en l’état plus protecteur que la législation proposée par la Commission.

B.   À défaut, proposer au Conseil de l’Union europÉenne, un mandat clair pour protÉger la souverainetÉ française

Les rapporteurs préféreraient que le Gouvernement obtienne une absence d’accord sur le texte au Conseil, ce qui conduirait à un rejet du règlement concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques.

En effet, les doutes relatifs à l’innocuité de ces nouveaux OGM sur la santé environnementale et la santé humaine sont bien trop élevés pour pouvoir prendre le risque de jouer aux apprentis sorciers. La position des rapporteurs ne relève pas d’une défiance vis-à-vis de la science ou progrès scientifique : ce qui fonde leur position tient justement à l’absence de consensus scientifique en termes d’évaluation des risques inhérents à ces nouveaux produits.

Tant l’analyse des risques que les moyens de déterminer scientifiquement la traçabilité des NTG les amènent, par ailleurs, à demander au Conseil, en tant que co-législateur :

- d’entendre les conclusions du groupe de travail « Biotechnologies » de l’ANSES,

- d’attendre, avant de se prononcer sur le texte, la publication des résultats, en juillet, de l’expertise scientifique de l’EFSA, demandée par le Parlement européen, sur les conclusions de l’ANSES.

Il est donc urgent d’attendre avant de légiférer.

En outre, les rapporteurs sont sensibles aux risques environnementaux et économiques engendrés par ces nouveaux produits pour les agriculteurs.

La disparition de la biodiversité est l’un d’entre eux. En effet, la dissémination non contrôlée des nouveaux caractères génétiques de ces plantes aurait pour conséquences environnementales prévisibles, un appauvrissement variétal des espèces, voire la disparition programmée de certaines d’entre elles, sans que l’on ne soit en mesure de mesurer les dégâts irréversibles en matière de biodiversité d’une standardisation du vivant.

D’un point de vue économique ces nouveaux produits auront des conséquences sur le prix et la disponibilité des semences qui sont la matière première des agriculteurs. En effet, la réduction de la variété des espèces rendra les agriculteurs dépendants de ces nouveaux produits.

En outre, la brevetabilité de ces nouveaux produits amplifierait la dépendance des agriculteurs en réduisant la disponibilité des semences sur le marché. En effet, la brevetabilité des NTG pourrait conduire à des situations monopolistiques des détenteurs de brevet. Une augmentation des prix pour les agriculteurs serait mécanique. Au regard des difficultés actuelles du monde agricole que met en exergue la crise actuelle, ce point n’est pas à négliger. Le contrôle monopolistique du marché des semences par un ou deux grands groupes, notamment extra-européens, n’est pas à exclure

L’interprofession des semences et des plantes (le SEMAE) a alerté sur ces enjeux dans un avis, publié en décembre 2023, « Semences et propriété intellectuelle ». ([25]) Cet avis recommande très clairement de ne pas aller sur le terrain d’une « brevetabilité du vivant. » ([26]) Pour M. Benoît Biteau, eurodéputé, les agriculteurs doivent pouvoir garder toute forme de souveraineté sur les semences, leur matière première.

Permettre à de grands groupes industriels de développer des monopoles sur l’accessibilité et le prix des semences conduirait à une mise en danger de la souveraineté alimentaire française.

Aussi, en l’absence de l’obtention d’une position de rejet sur le texte adopté par la Commission, les rapporteurs souhaitent que le Gouvernement puisse porter une position française favorable aux intérêts de notre souveraineté alimentaire.

1.   À défaut, demander au Gouvernement de conserver les modifications apportées par le Parlement européen

Le vote du 7 février a substantiellement modifié la proposition de règlement. Certaines avancées sont à noter, notamment l’interdiction de rendre ces substances brevetables, même si la brevetabilité des procédés reste un sujet d’inquiétude pour les rapporteurs.

Pour les rapporteurs, ces modifications ne sont pas suffisantes, mais elles permettent, toutefois, une meilleure protection des consommateurs (plans de surveillance des cultures, mesures de pharmacovigilance, étiquetage, traçabilité) ainsi que des agriculteurs (interdiction de brevetabilité, interdiction en agriculture biologique).

Les rapporteurs demandent donc au Gouvernement, lors des discussions à venir au prochain Conseil, de soutenir une position qui ne revienne pas sur ces modifications. Toutefois, les rapporteurs souhaitent aller plus loin.

2.   Instaurer des clauses de sauvegarde similaires à celles prévues par la directive 2015/412

Pour vos rapporteurs, l’une des failles juridiques de ce texte réside clairement dans l’absence de « clauses de sauvegarde ». Cette absence limite notre souveraineté en matière de santé et d’environnement, et paraît contraire au traité de fonctionnement de l’Union européenne, qui instaure un principe de précaution en la matière (article 191 du TFUE). En matière de santé et d’environnement, d’une part, l’Union européenne ne dispose pas de compétence exclusive, d’autre part, un principe de précaution prévaut lorsque les connaissances scientifiques ne sont pas certaines. Ainsi, le principe de précaution doit s’appliquer lorsque les conséquences irréversibles d’une nouvelle technologie sont avérées (dissémination, plantes résistantes aux herbicides, réduction de la variété des espèces).

Les rapporteurs ne demandent qu’une juste application des dispositions du traité dans des domaines qui relèvent de la compétence partagée de l’union européenne avec les États membres.

Aussi, les rapporteurs demandent-ils au Gouvernement de soutenir, lors d’une prochaine réunion du Conseil de l’Union, l’instauration d’une clause de sauvegarde autorisant chaque État membre à pouvoir demander une exclusion de la portée géographique de la mise en culture d’un NTG sans avoir à justifier les raisons de cette demande. Dit autrement, il s’agit de conserver pour chaque État membre un niveau de protection équivalent à celui accordé par la directive 2015/412 relative aux OGM.

Sur ces domaines majeurs que sont notre indépendance alimentaire, la sauvegarde de notre environnement ainsi que la préservation de la santé des consommateurs, conserver notre souveraineté dans le cadre du traité européen demeure un préalable.

 

 


EXAMEN EN COMMISSION

La Commission s’est réunie le mardi 27 février 2024, sous la présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.

 

M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Ma collègue, Mme Lisa Belluco et moi-même, inquiets du développement de la législation relative aux nouvelles techniques génomiques (NTG), avions déposé, en janvier dernier, sans nous concerter au préalable, une proposition de résolution européenne visant à éviter la dérégulation de ces nouveaux organismes génétiquement modifiés (OGM).

La proposition de résolution européenne que nous vous présentons, aujourd’hui, résulte, dans un souci de cohérence et d’efficacité, de la fusion, après de nombreuses auditions, dont celles de l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire nationale (ANSES) et de l’Institut national de la recherche pour l’agriculture (INRAE), de nos deux initiatives parlementaires pour l’élaboration d’un projet commun soutenu par plus de 80 collègues députés, issus de huit groupes parlementaires différents.

En effet, en réponse à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, en 2018, assimilant les NTG à des OGM, la Commission européenne a publié, le 5 juillet dernier, une proposition de règlement visant à réglementer les plantes issues des NTG, dit règlement « NTG ». Par NTG, on entend les nouvelles techniques permettant de modifier l’ADN d’une plante sans avoir à y insérer un gène étranger comme pour les OGM « classiques ».

Ce projet de règlement vise à déréglementer ces « nouveaux OGM », en leur offrant un cadre spécifique, particulièrement souple avec pour unique objet de les exclure du champ d’application des directives 2001/18 et 2 015/412 régissant l’utilisation des OGM. Ces deux textes, défendus par la France à l’époque, permettent une pleine application du principe de précaution et protègent notre souveraineté agricole.

Pour être cultivé, un OGM doit faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), soit d’une analyse de l’évaluation des risques pour la santé ou l’environnement auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). En outre, un État membre peut choisir d’activer « une clause de sauvegarde » (optout) pour être exclu de la portée géographique d’une autorisation, donc refuser la culture d’un OGM sur son territoire comme la France l’a décidé sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy pour le maïs transgénique MON810 du groupe Monsanto.

Or la proposition de règlement, en distinguant les NTG de catégorie 1, non soumises à la législation relative aux OGM, des NTG de catégorie 2 qui y resteraient soumises, dans des conditions plus favorables, revient à déréguler les nouveaux OGM sans fonder cette distinction juridique sur des critères scientifiquement admis.

Si je suis favorable à promouvoir la recherche scientifique et les nouvelles techniques scientifiques, notamment lorsqu’elles permettent de répondre à des enjeux d’adaptation au changement climatique ou favorisent de meilleurs rendements, je ne suis pas partisan de jouer aux apprentis sorciers, lorsque des avis scientifiques en provenance d’autorités reconnues, telles que l’ANSES ou l’INRAE soulignent l’absence de consensus scientifique européen pour autoriser une telle dérégulation.

Ainsi, l’ANSES, dans un avis du 29 novembre 2023, conclut que choisir le nombre de 20 modifications maximum pour proposer un critère d’équivalence entre plantes conventionnelles et NTG, ne repose sur aucun fondement scientifique. En l’absence de prise en compte de la taille du génome, ce nombre est défini de manière arbitraire. Par ailleurs, le professeur Yves Bertheau, directeur de recherche à l’INRAE, précise que les qualités supposées des nouveaux OGM ne relèvent, comme pour les premiers OGM, que d’une « économie de la promesse ».

En outre, selon une étude de l’Agence fédérale allemande de conservation de la nature, 94 % des NTG seraient éligibles à la catégorie 1. Selon la même étude, les recherches sur les NTG porteraient davantage sur une amélioration des caractéristiques esthétiques et nutritionnelles des plantes que sur leur capacité de résilience au changement climatique sans avoir pour autant de conséquences positives sur la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Aussi, face à l’absence d’arguments scientifiques montrant les bénéfices d’une telle régulation, nous demandons au Gouvernement de soutenir au prochain Conseil de l’Union une position de rejet du texte dans l’attente de la publication d’un avis scientifique de l’EFSA, attendu en juillet prochain et de la publication d’un second avis de l’ANSES, actuellement sous embargo du ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, au mépris de toute transparence. Rejeter le texte aura pour conséquence mécanique de conserver la législation relative aux OGM, plus protectrice tant pour les consommateurs que les agriculteurs.

À défaut, nous demandons a minima au Gouvernement de soutenir, lors des négociations au Conseil de l’Union, les quelques avancées permises lors du vote au Parlement européen, le 7 février 2024, ainsi que l’ajout d’une « clause de sauvegarde », en cohérence avec le principe de précaution afin que la représentation nationale et le gouvernement puissent revenir sur cette décision dans le futur en fonction des avancées scientifiques sur le sujet.

Chers collègues, ne légiférons pas dans l’urgence en l’absence d’un consensus scientifique européen !

Mme Lisa Belluco, rapporteure. S’il n’y a pas de cultures transgéniques en France, c’est grâce aux mobilisations citoyennes commencées dès la fin des années quatre-vingt-dix. Malheureusement, le problème des OGM n’est pas pour autant derrière nous.

Tout d’abord, nous importons des OGM pour nourrir les animaux issus de l’élevage industriel. 70 % des importations destinées à l’alimentation animale dans l’Union Européenne sont des OGM. Ensuite, certaines cultures OGM, le colza ou le tournesol par exemple, sont cultivées en France dans la plus totale illégalité, alors même que leur génome a été manipulé. Enfin - et c’est l’objet de notre inquiétude actuelle - il est question de déréguler totalement une famille complète d’OGM : les plantes issues des NTG. En 2018, la Cour de Justice de l’Union Européenne a pourtant jugé que toutes les plantes issues des NTG devaient être assimilées à des OGM, et ainsi rester soumises aux mêmes règles strictes les encadrant.

En effet, ces nouvelles techniques génomiques consistent, stricto sensu, à modifier en laboratoire le génome d’une plante, pour en changer les caractéristiques physiques. Nous avions obtenu qu’aucun OGM ne puisse être cultivé sur notre sol, ni être vendu pour l’alimentation humaine. Cette proposition de règlement vient attaquer cet acquis en cherchant à autoriser la culture de plantes issues des NTG.

Pourquoi faut-il s’en inquiéter ?

D’une part, parce que les OGM sont cultivés dans le monde depuis bientôt trois décennies. Comme les OGM, les NTG ne tiendront pas leurs promesses. On nous avait promis l’éradication de la faim dans le monde. Celle-ci sévit encore, et a largement augmenté depuis l’épidémie de COVID-19. On nous avait promis de faire pousser des plantes sans eau : encore un mirage ! D’un côté, on nous répète qu’il n’y a pas d’agriculture sans eau pour justifier la construction de méga-bassines, et de l’autre, on nous promet que les OGM arriveront à pousser sans eau.

On nous avait promis une réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. En termes de surfaces cultivées, 90 % des plantes OGM s’avèrent tolérantes au glyphosate ou ont été modifiées pour créer leurs propres insecticides. Par exemple, le Burkina Faso a autorisé la culture du coton Bt de Monsanto pour rendre ses cultures plus résistantes aux parasites. Dix ans plus tard, le bilan est clair : de nouveaux parasites plus résistants sont apparus dans les champs, et la qualité du coton a baissé. La filière a décidé de revenir aux semences conventionnelles.

D’autre part, parce que les NTG sont une porte ouverte en faveur du brevetage du vivant. Résistance aux parasites, augmentation de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, plus de coûts pour les agriculteurs, les NTG menacent de nous entraîner dans un cercle vicieux. Seules les multinationales tireront leur épingle du jeu puisqu’elles vendront en même temps semences et produits phytopharmaceutiques. C’est la raison pour laquelle Bayer-Monsanto et Corteva soutiennent cette dérégulation des NTG. Pour nos paysans et paysannes, cela signifiera accroître leur dépendance, accroître les coûts, réduire leur reste à vivre. Collectivement, cela signifie accepter l’idée que ce qui devrait rester commun puisse faire l’objet d’une appropriation privée. Plus grave encore : nous acceptons que des multinationales étrangères puissent posséder la condition de notre production alimentaire.

Une telle dérégulation aurait donc des conséquences irréversibles. Premièrement, si des firmes possèdent les brevets des espèces que nous cultivons ; si nous ne pouvons plus semer sans payer un tribut à des entreprises étrangères comment retrouverons-nous notre autonomie agricole et alimentaire ? Deuxièmement, une fois ces nouvelles variétés disséminées dans l’environnement, il sera trop tard. Une fois que les semences NTG se seront hybridées avec nos semences paysannes, et qu’elles auront contaminé notre patrimoine semencier : il sera trop tard. Notre biodiversité agricole sera réduite à jamais.

En présence d’un risque dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, il faut appliquer le principe de précaution, qui est inscrit dans notre Constitution comme dans le Traité de fonctionnement de l’Union européenne. Arrêtons de jouer aux apprentis sorciers ! Arrêtons de bricoler avec le vivant !

Nous devons être d’autant plus prudents que la majorité de nos concitoyens sont opposés aux OGM comme aux NTG. Chacun d’entre nous a été interpellé cette semaine par des dizaines de citoyens de sa circonscription, demandant de mieux encadrer les OGM et les NTG. 91 % de la population souhaiterait savoir si les produits alimentaires qu’elle achète contiennent ou non des OGM ou des NTG. Plus de 500 000 personnes ont signé une pétition pour demander la régulation de ces NTG. Pourtant, à ce stade, la proposition de règlement ne répond pas à cette inquiétude des citoyennes et des citoyens concernant l’étiquetage des produits contenant des NTG. De nombreux lobbys défendent l’idée de notre incapacité technique à en assurer le suivi. Les NTG, une fois cultivés, deviendront indétectables. Autoriser les NTG, c’est ainsi bafouer le droit à l’information des citoyennes et des citoyens.

En conclusion, le Parlement et le Conseil peuvent ou non s’entendre sur un texte commun. Deux pays vont jouer un rôle déterminant, au niveau européen, soit pour que les « nouveaux OGM » restent réglementés, soit pour qu’ils soient dérégulés. Il s’agit de la Pologne et de la France. Notre assemblée a donc un rôle crucial à jouer pour continuer de réglementer les OGM, en votant cette résolution.

En tant qu’écologiste, je serais volontiers allée plus loin que la proposition de résolution européenne proposée. En effet, je défends une suspension de toutes les importations d’OGM sur le continent, une meilleure surveillance des OGM introduits illégalement sur le territoire. Toutefois, aujourd’hui, je défends avec mon collègue Stéphane Delautrette, une position de compromis : maintenir la réglementation existante, et à défaut, veiller a minima à l’introduction d’une clause de sauvegarde, c’est-à-dire, la possibilité pour chaque pays d’interdire, sur son territoire, s’il le souhaite, la culture des NTG.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

Mme Constance Le Grip (RE). Notre groupe soutient les NTG. Nous souhaitons une solution pour accompagner les agriculteurs et leur permettre de s’adapter au changement climatique. Nous souhaitons, en accord avec le Pacte vert européen, qu’ils s'engagent progressivement dans la voie de la réduction de l'usage d'intrants et du recours aux produits phytopharmaceutiques pour une agriculture plus durable. Nous ne pouvons pas à la fois souhaiter réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques et s'opposer aux solutions scientifiques qui permettent de s’en passer progressivement. Il nous faut donc saisir l'opportunité ouverte par les NTG, tout en assurant un haut niveau de sécurité pour les agriculteurs et les consommateurs de l'Union européenne.

Il faut faire cesser la confusion volontairement entretenue entre OGM et NTG. Les NTG ne sont pas des OGM au sens scientifique du terme. C'est toute la différence entre la méthode de transgenèse qui définit les OGM, et les méthodes de d’intragenèse ou de cisgenèse qui qualifient les NTG. C'est la raison d’être d’une réglementation européenne spécifique aux NTG pour encadrer leur utilisation en cohérence avec les objectifs du Pacte vert.

Nous sommes favorables à ce qu’aboutissent les négociations européennes en cours sur ce texte, après le vote au Parlement européen, le 7 février dernier. Une majorité a pu se dégager en faveur du texte. Aussi soutenons nous le Gouvernement pour appuyer les efforts des pays travaillant à trouver une solution de compromis pour l’agriculture, le développement de la science et de l’innovation pour nos agriculteurs.

Mme Joëlle Mélin (RN). Nous comprenons vos inquiétudes. Pour autant, sur ce sujet sensible il ne faut pas vivre dans la désinformation. Il convient d’être modéré et c’est pourquoi nous soutiendrons cette nouvelle réglementation. Il est important de soutenir les nouvelles techniques génomiques mais pas à n’importe quel prix. Nous voulons également insister sur l’importance des garanties pour éviter tout abus potentiel. Il s’agit notamment de la captation des brevets par des entreprises privées et du risque de mise sous tutelle des agriculteurs. Nous reconnaissons les avantages considérables que ces technologies peuvent apporter à l’agriculture en particulier en termes de résilience des cultures pour s’adapter au changement climatique et de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. C’est un progrès scientifique considérable qui peut contribuer à la sécurité alimentaire de notre pays et au bien-être des agriculteurs s’il est encadré. C’est pourquoi, nous insistons sur la mise en place de garde-fous robustes. Il est essentiel d’assurer l’équilibre entre l’innovation d’une part, et la protection des agriculteurs et de la souveraineté alimentaire, d’autre part. Nous serons particulièrement vigilants sur la question de l’étiquetage, de la traçabilité, de la transparence afin que les consommateurs soient correctement informés sur les produits qu’ils consomment. Nous sommes, comme vous tous, attentifs à la question des brevets pour éviter toute monopolisation du marché des semences par les grandes entreprises. Ce sujet n’est pas nouveau et pourrait entraîner une dépendance des agriculteurs à l’égard de ces entités. Nous devons veiller à ce que l’innovation bénéficie à tous et non pas à une poignée d’acteurs économiques. Pour conclure, notre position est claire : nous soutenons le progrès technique par les nouvelles techniques génomiques à la condition que celui-ci s’accompagne de mesures garantissant le revenu des agriculteurs, de notre souveraineté alimentaire et de l’intérêt général.

Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). Cette proposition de résolution européenne vise à encadrer la dissémination des OGM produits à l’aide des nouvelles techniques génomiques. Les OGM, à l’issue de longs combats, cela vient d’être rappelé, ont été règlementées tant dans l’Union européenne qu’en France. Aujourd’hui, l’Union européenne revoit sa réglementation en toute discrétion. Fini le suivi, fini l’étiquetage, fini le principe de précaution ! Le risque est énorme pour notre planète, pour notre agriculture et pour les consommateurs. Nous en arrivons à penser que ceux qui ont conçu cette réglementation n’ont jamais mis les mains dans la terre. L’issue du vote est, hélas, prévisible. En chiens de manchon bien dressés, le RN et les Républicains obéiront aux consignes du maître Fesneau. Attention, il pourrait tout de même rester quelques traces d’OGM dans le sucre ! Malgré tout, cette proposition de résolution aura eu le mérite d’apporter un éclairage intéressant sur le clivage existant au sein de notre assemblée. D’un côté, nous avons ceux qui se fondent sur le travail scientifique, qu’il s’agisse des recherches du comité consultatif commun d’éthique, de l’Institut national de recherche pour l’agriculture (INRAE), de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), du Conseil économique, social et environnemental (CESE), du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), alertant sur les risques liés à la dérégulation des OGM. Nous avons la volonté de discuter de ce projet transpartisan et de parvenir à des compromis. De l’autre côté, nous avons ceux qui, par principe refuseront la discussion.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Je souligne dans la présentation de ce rapport un biais idéologique. Quand vous appelez les NTG, nouveaux OGM, vous nommez mal les choses. Un OGM est un organisme modifié par l’introduction d’un gène d’une espèce différente à la plante. Une plante issue des NTG, elle, ne comporte pas de modification transgénique. Il s’agit seulement de faciliter des modifications qui se font naturellement ou par la main de l’homme, à travers les âges. Nous consommons, sans risque, une dizaine de milliers de produits issus de ces sélections. Des produits non comestibles, il y a seulement quelques centaines ou milliers d’années, font aujourd’hui partie de notre alimentation quotidienne. En faisant preuve d’un tel dogmatisme, vous êtes les principaux fossoyeurs de l’agriculture depuis des années, que ce soit au niveau français ou au niveau européen. Vous êtes contre les systèmes d’irrigation, contre les systèmes de grande culture, contre la souveraineté alimentaire française. Vous continuez dans cette droite ligne de la surtransposition et de l’assommoir pour nos agriculteurs. Le groupe Les Républicains ne peut soutenir votre position. Nous pensons, contrairement à vous, que les NTG peuvent être un outil pour faire face au changement climatique ou obtenir des semences moins gourmandes en énergie et en eau. Nous avons donc intérêt à ne pas fixer des barrières qui entraveraient l’innovation et la commercialisation de ces techniques. Dans le contexte actuel où s’exprime la colère des agriculteurs, il serait malvenu de freiner des possibilités leur permettant de s’adapter au changement climatique. Toutefois, il ne s’agit pas de ne pas fixer des lignes éthiques et réglementaires à ce texte. Pour rappel, le texte discuté au Parlement européen, et amendé grâce aux députés européens du groupe LR, va dans le bon sens. Nous resterons attentifs à la question des brevets ainsi qu’à celle de la transparence vis-à-vis du consommateur. Cependant, l’introduction d’une « clause de sauvegarde » peut être un sujet intéressant de compromis.

M. Nicolas Turquois (Dem). Nous examinons cette proposition de résolution européenne en réaction à la proposition de règlement de la Commission européenne visant à clarifier le statut des variétés sélectionnées grâce à ce que nous appelons les NTG. D’emblée, votre proposition de résolution européenne assimile cette technique à celle des OGM. C’est entièrement et factuellement faux. Les questions génétiques étant largement inconnues de nos concitoyens, vous contribuez à alimenter les peurs et les fantasmes, et je le condamne. Qu’est-ce qu’un OGM ? C’est l’introduction d’un autre gène dans le génome de la plante sélectionnée. C’est faire ce que la nature ne fait pas. La technique d’édition génétique consiste à faire ce que des générations d’hommes ont fait. Il s’agit de croiser des traits différents, par exemple l’aptitude à faire de beaux fruits avec celle de résister à des maladies dans l’espoir d’obtenir une descendance qui comportera ces deux traits. Cela s’appelle le rétrocroisement et cela fonctionne très bien. L’édition génomique consiste à identifier les quelques variations qui donnent cette qualité spécifique pour la reporter sur d’autres variétés de la même espèce. Cette technique d’édition génétique avec l’utilisation des « ciseaux moléculaires », CRISPR-Cas9, permet d’intervenir directement sur l’ADN de la plante. Cela a permis à notre compatriote Emmanuelle Charpentier d’être distinguée par le prix Nobel de chimie, en 2020. Cela permet d’atteindre l’objectif d’une agriculture plus durable et plus résiliente. Madame la rapporteure, vous êtes en faveur de la réduction des produits phytopharmaceutiques. Nous avons récemment eu l’occasion de parler des néonicotinoïdes sur les betteraves. La sélection génétique a permis d’identifier des betteraves résistantes aux pucerons mais cela a pris des années. La technique d’édition génomique permet de le faire très rapidement. Doit-on se priver de cette technique en continuant à utiliser des produits phytopharmaceutiques ? Notre capacité à sélectionner des variétés est de sept ans pour le blé et de trente ans pour les pommiers. C’est pourquoi nous sommes défavorables à votre proposition de résolution européenne et en faveur de la proposition de règlement présentée par la Commission.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Je souhaite revenir sur deux points qui sont liés. La PPRE pose la question de la réglementation des OGM. La proposition de règlement européen propose de supprimer, pour les NTG, la plupart des règles relatives aux OGM. Deux types de législation coexisteraient, l’une concernant les NTG dites de catégorie 1, soumises à plus de vingt modifications génétiques qui y seraient soustraites, et celles de catégorie 2, qui y resteraient soumises. La première catégorie représente plus de 94 % des nouveaux OGM issus des NTG. Le texte adopté, le 7 février dernier, je tiens à le rappeler, l’a été à une majorité relative, le Parlement européen s’étant opposé à la suppression de toute règle sur les NTG. Je rappelle les critiques concernant la proposition initiale de règlement : insuffisance de connaissances sur ces nouvelles techniques, défaut d’étiquetage pour les consommateurs, déséquilibre du partage de la valeur entre les industries et les agriculteurs. Cette PPRE propose que les OGM issus de NTG soient soumis aux mêmes règles de surveillance et de traçabilité que les OGM « classiques ». Le groupe socialiste soutient cette proposition. Le second point devant guider notre réflexion est la recherche d’alternatives sûres. La classification proposée par la Commission est discrétionnaire et ne repose sur aucune logique, sans mesure d’examen en aval. Si j’étais la Commission, je prendrais la logique inverse. Nous sommes conscients des enjeux économiques mais la question de la dangerosité est posée. Les entreprises procèdent à un nombre insuffisant d’analyses avant de proposer une commercialisation de ces produits. L’intérêt d’avoir une information fiable est essentiel. La proposition de règlement étant en discussion, nous pouvons encore intervenir à ce stade.

Mme Félicie Gérard (HOR). Sans surprise, la PPRE qui nous est présentée reprend beaucoup de fausses interprétations. Les NTG sont un sujet sérieux. La question posée est celle de l’avenir des agriculteurs. Votre proposition est celle de la contrainte et de l’interdiction tout en vous opposant à toute innovation technique permettant de trouver des alternatives. C’est la double peine pour nos agriculteurs. Voilà pourquoi le groupe Horizons soutient la position parfaitement équilibrée du gouvernement français en faveur de cette proposition de règlement. Ce texte a fait l’objet de discussions entre les Etats membres, depuis plusieurs mois, et a permis d’aboutir à un compromis, le 7 février dernier, par l’adoption par le Parlement européen de la proposition modifiée de règlement en session plénière. C’est une avancée importante qui doit être soutenue, aussi voterons nous contre cette PPRE.

Mme Julie Laernoes (Ecolo-NUPES). Nous apportons notre soutien à cette proposition de résolution européenne qui invite la France à agir diplomatiquement pour que les nouvelles techniques génomiques continuent à être aussi encadrées que les OGM.

Le règlement actuellement discuté au niveau européen relatif aux nouvelles techniques génomiques soulève plusieurs questions. Ces plantes risquent de déséquilibrer certains écosystèmes en réduisant la biodiversité génétique. Ainsi, des erreurs de ciblage peuvent aboutir à des modifications génétiques incontrôlées. De plus, les aliments transformés issus des NTG peuvent présenter des risques pour la santé humaine. Pour les agriculteurs, le risque est à la fois celui de la mise en place d’un monopole sur la production et la vente de semences ainsi que celui de la déprise des paysans sur leurs moyens de production essentiels. Où est passée la souveraineté alimentaire ? Combien de scandales sanitaires faudra-il pour ne pas appliquer purement et simplement le principe de précaution ? Pensez-vous que nous pourrons toujours cultiver une terre morte sans biodiversité ?

Les scientifiques émettent de fortes réserves à l'intégration des NTG dans les pratiques agricoles. Je pense aujourd'hui qu'il est important, comme nos concitoyens le demandent, d'interdire ou d'avoir une réglementation stricte sur ces NTG dont nous ne maîtrisons pas les conséquences pour l'avenir.

M. Nicolas Sansu (GDR-NUPES). L'exposé des motifs de cette proposition de résolution européenne est suffisamment étayé et équilibré pour permettre un débat apaisé et serein avec un seul objectif : la santé de nos concitoyens. La proposition de résolution européenne adopte une position équilibrée. Elle soutient les agriculteurs tout en protégeant la planète.

Or, la Commission européenne, dans sa nouvelle proposition de règlement européen, présentée le 5 juillet dernier, souhaite revenir sur les règles d'encadrement et de contrôle des NTG. C'est une erreur. Ce serait la victoire des grands groupes semenciers qui verraient leurs contraintes s'assouplir au détriment de la santé publique. N'oublions pas que l'ANSES a émis un avis très critique à ce sujet. Au-delà de la santé des consommateurs et des dangers pour l'environnement, il existe un risque économique pour les paysans, en particulier concernant la brevetabilité. Pour le respect de la santé des consommateurs et de la préservation de l'environnement, le groupe GDR s'associe à cette proposition de résolution européenne. Nous invitons le gouvernement à préserver les règles actuelles et à s'opposer à la proposition de résolution de la Commission européenne.

M. Paul Molac (LIOT). Les plantes issues des nouvelles techniques génomiques sont-elles des OGM ? Sont-elles dangereuses ? À ces deux questions, il peut être répondu par l'affirmative. D’une part, en 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé que les NTG relevaient du champ d’application de la directive sur les OGM. D’autre part, la Commission européenne ne semble pas prendre assez en compte le principe de précaution ainsi que la protection et l’information des consommateurs.

En utilisant une nouvelle dénomination « NTG », la Commission tente de lever les trois blocages concernant les OGM : l'inquiétude de l'opinion publique, l’absence de consensus de la littérature scientifique et les réticences des États membres. Je m'interroge sur la position de la France sur le sujet alors même que notre pays est à l'avant-garde de l'interdiction du maïs transgénique.

Les agriculteurs sont les premiers à être méfiants envers les nouveaux produits ou les nouvelles techniques qu'on leur propose. S’ils utilisent certains produits, c'est parce que le système économique est tel qu'ils sont obligés de le faire pour obtenir des rendements. Cependant, les risques d’une utilisation intensive des NTG par les grandes compagnies du secteur sont réels.

Mme Lisa Belluco, rapporteure. Je vais répondre à certains arguments qui ont été soulevés.

Les NTG peuvent être considérées comme des OGM : d’une part, l’arrêt de la CJUE, en 2018, l’affirme ; d’autre part, la définition des OGM donnée par la directive 2001/18 assimile les NTG à des OGM.

Concernant l’argument relatif à un manque de temps pour s'adapter au changement climatique qui justifierait l’utilisation de plantes issues de NTG, nous avons auditionné une représentante de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui nous a expliqué que le développement d’une nouvelle variété de semences par les NTG nécessitait environ une dizaine d’années. Ainsi, si le développement du blé par la sélection traditionnelle ne prend que sept ans, passer par la sélection naturelle s’avèrerait bien plus efficace. L'argument du temps est donc a priori un mauvais argument dans la mesure où le développement de nouvelles variétés grâce aux nouvelles techniques génomiques prend également un temps certain.

Concernant la réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques, jusqu’à aujourd’hui toutes les plantes modifiées génétiquement ont conduit à l'augmentation de leur usage. À titre d’exemple, l'utilisation du glyphosate a été multipliée par quinze depuis que les plantes modifiées génétiquement pour tolérer le glyphosate ont été introduites aux États-Unis. Au Brésil, l'adoption de cultures de plantes génétiquement modifiées à partir de 2003 a également conduit à une forte augmentation de l'utilisation des herbicides. Les quantités d'herbicide utilisées pour la culture du soja par exemple, ont plus que doublé, passant de 100 000 tonnes en 2003 à plus de 230 000 tonnes en 2012. 90 % des variétés créées par modification génétique l'ont été pour créer des variétés résistantes aux herbicides.

Nous entendons souvent que les nouvelles techniques génomiques seraient parfaitement précises. Ce n’est pas complètement vrai. Des incertitudes autour de la maîtrise de l'outil persistent, telles que les effets hors cible touchant des zones d'ADN non ciblées initialement.

Concernant la qualification des écologistes de « principaux fossoyeurs de l'agriculture française », il me semble que cette qualification s’adresse plutôt aux nombreux ministres de l'agriculture de la Ve République qui ont participé à créer la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Par ailleurs, pour rappel, la culture des OGM a été interdite, en France, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Pour certains, les plantes issues des NTG seraient identiques aux plantes issues de la sélection naturelle. Il me semble que considérer des plantes obtenues en laboratoire avec des outils de recherche extrêmement perfectionnés comme « naturelles », c'est avoir une acception assez large du terme naturel. En outre, il existe de fortes incertitudes sur le fait que des plantes conçues dans des laboratoires à des centaines de kilomètres de leurs écosystèmes seront bien capables de s’adapter à ceux-ci.

M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Madame Constance Le Grip, les NTG sont-elles des OGM ? L’article 2 de la directive 2001/18/CE définit un OGM « comme un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication ou recombinaison naturelle ». Cette définition a conduit la Cour de Justice à sa décision de 2018 dans laquelle elle assimile les NTG à des OGM. Ne croyez pas que le débat d’aujourd’hui soit un débat contre la science. Je vous invite à lire l’exposé des motifs et la proposition de résolution européenne que nous vous présentons. Notre proposition n’est pas une proposition anti science.

Les discussions au niveau européen ont lieu sans éclairage scientifique. L’EFSA ne produira le rapport demandé par le Parlement européen, qu’en juillet, c'est-à-dire une fois les décisions prises. L’ANSES, notre référence scientifique en matière de santé et d'alimentation, s’est autosaisie du sujet et a produit un avis, qui fait figure d’alerte. Celle-ci devait d’ailleurs être auditionnée par la Commission ENVI, mais l’audition a été annulée, ce qui interroge quant à l’éclairage scientifique et aux conditions du débat devant le Parlement européen. Un autre rapport de l’ANSES a été communiqué au ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire sans que celui-ci ait été rendu public, ce qui ne permet pas non plus d'éclairer le débat d’un point de vue scientifique. Nous demandons, dès lors, en l'absence de consensus scientifique de suspendre le processus législatif. Je tiens à rappeler que ce n’est pas nous qui contestons les avis scientifiques de l'ANSES !

Vous nous avez interpellés Madame Joëlle Mélin, sur la vigilance à avoir concernant la captation des brevets, la résilience des cultures, la mise en œuvre de garde-fous robustes, sur l’étiquetage ou encore sur la transparence. Mais c’est très exactement le propos de cette proposition de résolution ! Dans l’optique d’une dérégulation ou d’une révision de la réglementation, il faudra être vigilant et prendre en compte l’ensemble de ces points.

Madame Sylvie Ferrer, vous souligniez le travail transpartisan autour de cette proposition de résolution européenne, et je vous en remercie. Des collègues appartenant à l’ensemble des groupes de la majorité l’ont en effet cosigné.

Monsieur Pierre-Henri Dumont, vous nous avez qualifiés de « fossoyeurs de l’agriculture ». Vous dites que nous sommes caricaturaux. C’est vous qui êtes dans la caricature. À l’occasion du salon de l’agriculture, le groupe socialiste a produit un document présentant notre vision de l’agriculture et comportant de nombreuses propositions. Cela n’est pas une opération de fossoyage. Je vous invite à lire ce document et nous pourrons en discuter. Vous évoquiez justement la nécessité de travailler à l’adaptation au changement climatique, ainsi qu’à la réduction du recours aux produits phytopharmaceutiques. C’est très exactement ce que nous proposons dans cette proposition de résolution européenne. Quant à la « clause de sauvegarde », son objectif est qu’en s’appuyant sur un avis scientifique, l’État ait la possibilité de ne pas autoriser des NTG sur son territoire. Je ne comprends pas votre position.

Monsieur Nicolas Turquois, vous dites que les NTG ne sont pas des OGM. La proposition de règlement le reconnaît elle-même en distinguant les OGM des non OGM en fonction du nombre de modifications génétiques. Les NTG faisant l’objet de moins de vingt modifications génétiques ne sont pas des OGM, alors que ceux faisant l’objet de plus de vingt modifications en sont. Je tiens à rappeler que l’ANSES a précisé que prendre pour critère de distinction la présence de vingt modifications génétiques sans tenir compte de la taille du génome est une hérésie scientifique. Toutefois, ce critère sans aucun fondement scientifique, selon l’ANSES, permet de faire sortir du champ d’application de la directive relative aux OGM, 94 % des NTG.

Madame Félicie Gérard, je peux vous certifier que cette proposition de résolution européenne est une proposition de compromis, sans dogmatisme. Des représentants de votre groupe l’ont signé. J'insiste sur la nécessité d'un débat éclairé sur le plan scientifique.

Madame Julie Laernoes, vous évoquez le sujet de la souveraineté alimentaire. C’est le sujet de ce débat. La position que nous soutenons dans cette proposition de résolution vise à préserver cette souveraineté alimentaire.

Monsieur Nicolas Sansu, vous évoquer un point peu abordé, la question de la santé de nos concitoyens. Il y a en effet une vraie question derrière la traçabilité des NTG, notamment le danger que représenterait la généralisation de ces cultures sans contrôle pour notre agriculture biologique. L’utilisation des NTG empêchera l’obtention du label agriculture biologique. Il existe donc un véritable enjeu de traçabilité de ces NTG.

Monsieur Paul Molac, vous évoquez un point sur lequel nous insistons fortement, le principe de précaution. Celui-ci devrait au moins faire consensus ici, car c’est le plus petit dénominateur commun que nous puissions défendre collectivement.

M. Nicolas Turquois (Dem). Vous parlez du principe de précaution. Premièrement, la technique derrière ce que vous appelez les NTG, ce que j'appelle l'édition génomique, c'est la technique CRISPR-Cas9. Celle-ci a été appliquée pour contrecarrer des maladies génétiques rares, notamment sur des enfants, ce qui a permis de traiter des cas extrêmement graves. Si nous n’étions pas certains de la fiabilité de cette technique, celle-ci n’aurait pas été utilisée sur des enfants.

Deuxièmement, à la différence des OGM, les NTG ne sont pas utilisables pour faire de la résistance herbicide. Troisièmement, les variétés actuelles ne sont pas immuables dans le temps. À chaque nouvelle génération de plantes, l’ensemble des gènes est mélangé. Les cultures d’aujourd’hui sont le fruit d’un travail de sélection millénaire.

Mme Constance le Grip (RE). Nous soutenons les principaux amendements et adaptations apportés par la majorité des membres du Parlement européen au texte initial. En effet, dans un esprit de compromis, les membres du groupe Renew au Parlement européen ont voté des améliorations à la proposition de règlement. L’étiquetage des semences, l'exclusion de leur utilisation dans l’agriculture biologique en sont des exemples. De même, attentifs à la question des brevets nous souhaitons l’exclusion des plantes tolérantes aux herbicides de la catégorie 1 pour éviter les incohérences avec les objectifs du pacte vert pour la durabilité de l'agriculture.

Cependant, vos travaux n’ont pas été positionnés ainsi puisque vous parlez d’un rejet global du texte. Nous souhaitons que le travail réalisé par une majorité des députés au Parlement européen soit considéré comme la base sur laquelle élaborer le compromis final parce que c’est ainsi qu’avance l’Europe.

Mme Julia Laernoes (Ecolo-NUPES). 92 % des Français sont pour un étiquetage clair des nouveaux OGM, 77 % des Français sont pour une régulation stricte. Voilà la démocratie ! La réglementation relative aux OGM a été obtenue grâce à une mobilisation de la société civile, mais également du monde paysan et agricole. Je vous invite à vous rappeler les scandales sanitaires tels que celui de la vache folle et à écouter avec attention les scientifiques. Je vous invite à relire l’ouvrage de Jacques Ellul, Le bluff technologique, qui amène à s'interroger sur les progrès et innovations que nous mettons en place et leurs conséquences. Ce débat à propos des NTG est donc bien un débat nécessaire.

M. Manuel Bompard (LFI-NUPES). Je trouve surprenante cette capacité à se draper derrière une pseudo rigueur scientifique pour répéter les arguments du lobby de l'industrie chimique. C’est ce à quoi nous assistons depuis l’ouverture de la séance. Les NTG sont des organismes génétiquement modifiés puisque le génome est modifié de manière artificielle avec de nouvelles techniques génétiques. Ces modifications sont artificielles et non naturelles. Elles ne sont pas sûres et infaillibles. L’ensemble des scientifiques des organismes de santé publique consultés sur ce sujet l’affirment et soutiennent que les erreurs inhérentes à ces modifications peuvent avoir des conséquences graves en matière de santé ou d'environnement. Pour toutes ces raisons, ces nouvelles techniques doivent être considérées comme semblables aux techniques d’OGM existantes. Il n'est pas compréhensible qu’une autre réglementation que celle relative aux OGM traditionnels s'applique à ces nouvelles techniques. Je soutiens pleinement ce projet de résolution.

Mme Lisa Belluco, rapporteure. Les modifications génétiques sont interdites sur les êtres humains. La sélection traditionnelle de la main des agriculteurs ne pose aucun problème. En effet, l’évolution et les modifications sont nécessaires et la sélection traditionnelle le fait constamment : c'est le principe même de l'agriculture.

L’exposé des motifs de la proposition de règlement indique que certaines plantes modifiées par NTG ne pourront pas être identifiées, raison pour laquelle la Commission avait avancé la possibilité de ne pas les étiqueter ou de proposer une forme de traçabilité. Mais si cette impossibilité de traçabilité est avérée, et ce malgré l’adoption par le Parlement d’un amendement imposant la traçabilité, comment s’assurer que ces NTG seront bien exclues de l’agriculture biologique ? Je propose d'appliquer le principe de précaution. Le droit à l'information des citoyens, l’étiquetage et la traçabilité sont indispensables. Si nous ne sommes pas en capacité de tracer ces NTG, peut-être devons-nous opérer une pause dans la réglementation en restant sur celle en vigueur qui assimile les NTG à des OGM.

M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Au Parlement européen, des avancées ont été obtenues par rapport au texte initial par les groupes Renew, S&D et d’autres groupes. Dans la proposition de résolution européenne, à défaut de rester sur la réglementation OGM actuelle, nous invitons le gouvernement à défendre au moment de l'examen du texte la mise en place d'une « clause de sauvegarde ». Au point 3, nous prenons acte de la position du Parlement européen et des modifications apportées au texte, qui sont le fruit du travail de nos différents groupes politiques et qui ont permis des avancées que nous jugeons, nous rapporteurs, positives et qu'il faut continuer à défendre.

Nous demandons ainsi au gouvernement de conserver ces modifications et l’invitons à s’assurer que Conseil prenne en compte l'avis scientifique de l’ANSES ainsi que celui de l’EFSA, ces autorités scientifiques devant permettre d’éclairer le débat.

 

La proposition de résolution européenne est rejetée.

 

 

 


   PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE

 

Article unique

 

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu la charte de l’environnement de 2005,

Vu les articles 169, 191 et 193 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, dite « directive OGM »,

Vu le règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés,

Vu le règlement (CE) n° 1830/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant la traçabilité et l'étiquetage des organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des produits destinés à l'alimentation humaine ou animale produits à partir d'organismes génétiquement modifiés, et modifiant la directive 2001/18/CE,

Vu la directive (UE) n° 2015/412 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2015 modifiant la directive 2001/18/CE en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d’interdire la culture d’organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire,

Vu l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne « Confédération paysanne e.a./Premier ministre et ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt » du 25 juillet 2018 dans l’affaire C-528/16,

Vu l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne « Confédération paysanne et a. c/ Premier ministre » du 7 février 2023 dans l’affaire C-688/21,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2023 concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625, notamment ses annexes I et II, dit règlement « NTG »,

Vu la loi n° 2008-595 relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM),

Vu l’avis du groupe de travail « Biotechnologies » de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), relatif à l’analyse scientifique de l’annexe I de la proposition de règlement de la Commission européenne du 5 juillet 2023 concernant les nouvelles techniques génomiques (NTG), du 29 novembre 2023,

Vu la proposition de règlement issue du vote du Parlement européen en séance plénière, le 7 février 2024,

Considérant que le traité de fonctionnement de l’Union européenne dispose que le niveau de protection des consommateurs au sein de l’Union européenne doit être élevé, qu’il instaure un principe de précaution en matière environnementale impliquant que la législation en la matière doit tenir compte des données scientifiques et techniques disponibles, et que les États membres peuvent prendre des mesures de protection renforcées,

Considérant que l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne « Confédération paysanne e.a./Premier ministre et ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt », du 25 juillet 2018, précise que les plantes issues des nouvelles techniques génomiques (NTG) doivent être soumises aux mêmes règles que celles régissant les organismes génétiquement modifiés,

Considérant que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2023, dit règlement « NTG », a pour objectif de proposer une nouvelle législation relative aux plantes issues de ces nouvelles techniques, que ce soit par cisgenèse ou mutagenèse,

Considérant que le règlement « NTG » propose de distinguer deux catégories de plantes, les NTG de catégorie 1, qui ne comprendraient pas plus de « vingt modifications » et seraient de ce fait dites équivalentes aux plantes conventionnelles, et les NTG de catégorie 2 qui comprendraient plus de vingt modifications,

Considérant que les NTG de la première catégorie échapperaient aux restrictions relatives à la législation propre aux OGM tandis que celles de la seconde catégorie y resteraient partiellement soumises,

Considérant que dans son avis scientifique, du 29 novembre 2023, le groupe de travail « Biotechnologies » de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), a précisé que le nombre de « vingt modifications » pour poser un principe d’équivalence entre les plantes issues des NTG et les plantes obtenues par des techniques d’obtention conventionnelles n’avait aucune pertinence scientifique,

Considérant que la proposition de règlement issue du vote au Parlement européen, le 7 février 2024, ne tient pas compte de l’avis de l’ANSES précité, et ne modifie pas la catégorie 1 des NTG,

Considérant également que cette proposition de règlement ne prévoit pas de « clause de sauvegarde » (opt-out) pour les États membres ne souhaitant pas le mettre en œuvre,

Considérant que la première génération d’OGM n’a pas tenu ses promesses et n’a pas permis de réduire l’utilisation d’herbicides et de pesticides sur les surfaces cultivées,

Considérant que toute nouvelle technologie doit faire l’objet d’un contrôle accru en amont de son autorisation, notamment pour évaluer les possibles risques sanitaires, écologiques, socio-économiques ainsi que sur la souveraineté française en fonction du principe de précaution tel que reconnu par le Traité de fonctionnement de l’Union européenne,

1. À titre principal, demande au Gouvernement français de garantir que toutes les plantes issues des NTG continuent à être réglementées par la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, étant donné l’absence de consensus scientifique au niveau européen et l’alerte donnée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sur le manque de scientificité du règlement,

2. À défaut, demande au Gouvernement, lors du prochain Conseil de l’Union européenne de défendre le principe d’adoption d’une « clause de sauvegarde » (opt-out) permettant à chaque État membre de refuser l’application de cette législation sur son territoire conformément au principe de subsidiarité en matière environnementale, tel que défini par le Traité de fonctionnement de l’Union européenne,

3. Prend acte de l’adoption par le Parlement européen de la proposition de règlement issue de ses travaux, et notamment des modifications suivantes :

- de conserver dans la catégorie 1 uniquement les plantes ayant une incidence positive en termes de durabilité sur l’agriculture,

- d’exclure de cette catégorie les plantes tolérantes aux herbicides,

- de mettre en place des plans de surveillance des cultures des plantes issues des NTG,

- de prévoir une procédure de retrait de ces produits en cas de problème environnemental ou sanitaire,

- d’interdire la culture des NTG en agriculture biologique,

- d’interdire la brevetabilité des produits issus des NTG,

- de rendre obligatoire leur traçabilité ainsi que leur étiquetage pour les consommateurs,

4. Demande également au Gouvernement, faute de parvenir à garantir que toutes les plantes issues des NTG continuent à être réglementées par la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, de conserver les modifications votées par le Parlement européen pour définir une position lors du prochain Conseil de l’Union européenne,

5. Enjoint au Gouvernement de s’assurer que le Conseil de l’Union européenne prendra en compte l’avis scientifique de l’ANSES, ainsi que celui de l’EFSA, avant d’adopter une position sur le texte.

 

 

 


   Listes des personnes auditionnÉes par les rapporteurs

­ Mme Céline Druet, directrice adjointe de l’évaluation des risques

­ M. Youssef El-Ouadrhiri, chef de la mission biotechnologies

­ M. Benoît Biteau, député européen vice-président de la Commission AGRI du Parlement européen (EELV)

­ M. Christophe Clergeau, député européen (S&D)

­ M. Yves Bertheau, directeur de recherche honoraire (INRAE-CNRS-MNHN – Sorbonne université)

­ Mme Charlotte Vassant, administratrice et présidente de la commission Recherche et Développement

­ M. Melchior Bizot-Espiard, chargé de mission innovation et prospective

­ Mme Romane Sagnier, chargée de mission Affaires publiques

­ M. Fabien Champion, animateur filières (contribution écrite)

­ Mme Amélie Hallot-Charmasson, administratrice juridique

­ Mme Charlotte Labauge, chargée de campagnes

­ M. Cyril Piquemal, représentant permanent adjoint

 


([1])  Commission européenne, EC study on new genomic techniques, 29 avril 2021.

([2])  Audition du 6 février 2024, Yves Bertheau, directeur de recherche honoraire (INRA, MNHN, CNRS). Bertheau, Y. « Feeding the world : are biotechnologies the solution ? in « Advances in food biotechnology. (2016).

([3]) Bohle, F., Schneider, R., Mundorf, J., Zühl, L., Simon, S., & Engelhard, M. (2023). Where Does the EU-Path on NGTs Lead Us?. Preprints. https://doi.org/10.20944/preprints202311.1897.v1

([4]) Audition de Mme Charlotte Labauge, chargée de campagnes au sein de l’organisation non gouvernementale, Pollinis, le 6 février 2024.

([5]) Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CCE du Conseil.

([6]) Réponses de l’ANSES au questionnaire des rapporteurs, audition du 6 février 2024.

([7]) Réponses de l’ANSES au questionnaire des rapporteurs, audition du 6 février 2024.

([8]) Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CCE du Conseil.

([9]) Audition du 6 février 2024.

([10]) Affaire C-528/16, considérant 38.

([11]) Commission européenne, EC study on new genomic techniques, 29 avril 2021.

([12])  Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625, dit règlement « NTG ».

([13]) L’intragenèse est considérée comme un sous-ensemble de la cisgenèse (considérants 2 et 9 de la proposition de règlement « NTG »).

([14])  Directive du 11 mars 2015 modifiant la directive 2001/18 CE en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d’interdire la culture d’organismes génétiquement modifiés sur leur territoire.

([15]) 307 pour, 263 contre et 41 abstentions.

([16]) Audition de l’organisation non gouvernementale Pollinis, le 6 février 2024.

([17]) Audition du 6 février 2024.

([18]) Réponses écrites de M. Yves Bertheau au questionnaire des rapporteurs.

([19]) Audition du 13 février 2024 de M. Cyril Piquemal, représentant permanent adjoint de la France auprès des institutions européennes

([20])  Avis de l’Anses relatif à l’analyse scientifique de l’annexe I de la proposition de règlement de la Commission européen du 5 juillet 2023 relative aux nouvelles techniques génomiques (NTG) – Examen des critères d’équivalence proposés pour définir les plantes NTG de catégorie 1, publié le 29 novembre 2023. Autosaisine n°2023- AUTO-0189.

([21])  Audition du groupe de travail « Biotechnologies » de l’ANSES, le 6 février 2024.

([22])  Potthof, C., Peuker, B., Palme, C., and Schumacher, A. « Expert Opinion : Evaluation on the European Commission’s study on new génomic techniques », German Federal Agency for Nature Conservation, Berlin. (2023)

([23]) Audition du 6 février 2024 de MM. Benoît Biteau (EELV) et Christophe Clergeau (S&D).

([24])  Audition de la FNSEA, le 6 février 2024.

([25]) Audition de Mme Amélie Hallot-Charmasson, chargée de mission juridique au sein du collectif « Réseaux semences paysannes. »

([26]) Comité aux enjeux sociétaux du SEMAE, avis n° 2, « Semences et propriété intellectuelle », décembre 2023.