N° 2402
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 mars 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION, SUR LA PROPOSITION de loi
visant à protéger la liberté éditoriale des médias
sollicitant des aides de l’État,
Par Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN,
Députée.
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Voir le numéro : 1638.
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En 1970, la commission chargée d’examiner les problèmes posés par l’existence des sociétés de rédacteurs, présidée par M. Raymond Lindon, avocat général près la Cour de cassation, recommandait que le personnel des entreprises de presse, en particulier les journalistes, soit mieux associé aux grands choix stratégiques de leur entreprise, notamment en participant à « la désignation du directeur de la publication ». Son rapport soutenait l’idée que « l’intervention de l’État ne peut consister que dans la mise en place de mécanismes de régulation qui peuvent avoir trois effets : assurer la qualité de l’information fournie, son indépendance et enfin l’expression des opinions ».
Plus de cinquante ans plus tard, la problématique de la garantie de l’indépendance éditoriale continue de faire débat, en France comme dans l’Union européenne. Cette dernière s’apprête à définitivement adopter la législation européenne sur la liberté des médias ([1]), qui vise notamment à renforcer l’indépendance des décisions éditoriales dans un contexte de « risque extrême en termes de pluralisme », selon l’expression de M. Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes, entendu par la rapporteure.
De fait, les conclusions de l’édition 2023 de l’instrument de surveillance du pluralisme des médias ([2]), élaboré chaque année par le Centre pour le pluralisme et la liberté des médias (CPLM), centre de recherche hébergé au sein de l’Institut universitaire européen de Florence, sont inquiétantes à plusieurs points de vue, en particulier en matière d’indépendance éditoriale. Le CPLM avance ainsi un risque moyen d’atteintes à l’indépendance éditoriale de 60 % au sein des États membres de l’Union européenne, ce qui suggère des « obstacles structurels significatifs dans l’atteinte de l’indépendance éditoriale et une capacité limitée des journalistes à agir indépendamment des influences politiques », celles-ci étant entendues au sens large. La France, pour sa part, présenterait un niveau de risque moyen. Selon le CPLM, les risques en matière d’indépendance éditoriale résultent notamment de nominations et de renvois des directeurs de rédaction effectués pour des motifs politiques, au préjudice des contenus éditoriaux, ce qui a conduit le centre de Florence à réclamer des règles claires pour la nomination des directeurs de la rédaction des entreprises de médias.
À ce titre, M. Gutiérrez a estimé au cours de ses échanges avec la rapporteure que « tout média qui se respecte, qu’il bénéficie ou non d’aides publiques, devrait instaurer un droit d’agrément » du directeur de la rédaction, obtenu par un vote des journalistes, de façon à protéger les rédactions des ingérences externes (politiques) comme internes (actionnaires, annonceurs).
Un tel droit d’agrément, déjà mis en œuvre dans plusieurs titres de presse (cf. infra), permettrait d’empêcher que se reproduisent des crises similaires à celle survenue au sein du Journal du dimanche (JDD) à l’été 2023. Est-il acceptable qu’un actionnaire, au motif qu’il possède un titre de presse, puisse bafouer l’avis de la quasi-totalité d’une rédaction en imposant à la tête de celle-ci une personnalité controversée et massivement rejetée par la rédaction du journal ? Le 1er août 2023, à l’issue d’un mouvement de grève qui aura duré quarante jours, la rédaction du JDD constatait son échec et en appelait au législateur : « Face au pouvoir des actionnaires, les journalistes ne peuvent s’en remettre qu’à la loi » ([3]). Elle rappelait qu’il « n’y a pas d’information fiable sans indépendance des rédactions, pas de démocratie saine sans liberté de la presse ». La présente proposition de loi constitue une réponse directe à cet appel. On aurait tort, cependant, de l’affubler du nom de « proposition de loi anti-Bolloré ». Si les méthodes brutales de cet actionnaire ne sont plus à démontrer, c’est bien l’indépendance de l’ensemble des rédactions qui est en cause, quel que soit le groupe auxquelles elles appartiennent.
Cette proposition de loi n’a pas pour objet d’interdire la parution d’une publication de presse mais de subordonner le versement des aides à la presse, directes et indirectes, à la mise en place d’un droit d’agrément de la nomination du responsable de la direction, au bénéfice des journalistes professionnels employés par l’entreprise de presse. Dans le secteur audiovisuel, il s’agit de subordonner l’attribution des fréquences hertziennes, qui constituent un bien public, à la mise en place de ce droit.
Les auditions conduites par la rapporteure, dans des délais contraints, l’ont confortée dans son ambition, qui rejoint celle de nombreux intellectuels, chercheurs, universitaires, représentants des journalistes ([4]).
Ce texte ne peut constituer, à lui seul, une réponse globale à la crise de confiance que traverse le secteur de la presse, en partie responsable de l’érosion continue du lectorat. Le déroulement des états généraux de l’information, qui devraient déboucher sur une initiative gouvernementale, démontre le caractère urgent de réformes ambitieuses, relatives au modèle économique de la presse, à la garantie de la sécurité des journalistes dans l’exercice de leur métier, au montant et à la répartition des aides à la presse, etc. La présente proposition de loi se veut une première pierre apportée à l’édifice de renforcement de l’indépendance éditoriale que la rapporteure appelle de ses vœux. Récemment, une mission d’évaluation de la loi « Bloche » ([5]) conduite par M. Inaki Echaniz et Mme Isabelle Rauch, députés, a formulé un certain nombre de recommandations dans ce domaine, dont la rapporteure estime la mise en œuvre urgente. Les rapporteurs ont notamment proposé la création d’un statut juridique pour la rédaction constituée en collectif, qui lui permettrait d’ester en justice, ainsi qu’un développement des sociétés de journalistes, aux pouvoirs élargis, afin de pouvoir intégrer les journalistes dans le processus de nomination des directeurs de rédaction et dans les choix stratégiques de leur journal. Ils ont également recommandé de conditionner le versement des aides publiques au respect de normes éthiques de production de l’information. À cet égard, les récentes déclarations de Mme Rachida Dati, ministre de la Culture, relatives à la certification de l’information, sont à saluer ([6]). Enfin, la réforme du dispositif anti-concentration dans le secteur des médias, attendue de longue date, doit être mise en œuvre, avec comme premier critère la préservation du pluralisme. Les récents mouvements en cours dans l’audiovisuel privé, avec notamment le rachat d’Altice Média par M. Rodolphe Saadé, dirigeant du groupe CMA CGM, et le rachat du groupe Lagardère par Vivendi, indiquent qu’un nouveau mouvement de concentration est à l’œuvre, auquel l’État doit faire obstacle, la concentration des médias représentant l’une des principales menaces pour le pluralisme.
Nul besoin d’attendre la fin des états généraux de l’information pour légiférer. Au-delà de l’incertitude sur le débouché de cette initiative du Président de la République, le débat sur l’instauration d’un droit d’agrément du directeur de la rédaction, dans le secteur de la presse écrite comme dans le secteur audiovisuel, est dorénavant ancien. Chacun a pu se faire son opinion. En adoptant le présent texte, la représentation nationale ferait la démonstration de son engagement en faveur de la liberté de la presse, du pluralisme et de l’indépendance éditoriale.
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Article 1er
Institution d’une procédure d’agrément de la nomination de tout responsable de la rédaction d’une entreprise éditrice de publications présentant un caractère d’information politique et générale et bénéficiant d’aides publiques, directes et indirectes
Rejeté par la commission
Le présent article vise à conditionner, pour les entreprises éditrices de publications de presse ou les services de presse en ligne présentant un caractère d’information politique et générale, le bénéfice des aides publiques, directes et indirectes, à la mise en place d’une procédure d’agrément de la nomination de tout responsable de la rédaction. L’agrément est obtenu par un vote des journalistes professionnels employés par l’entreprise.
Un décret en Conseil d’État déterminera les modalités d’application du présent article.
En application du deuxième alinéa de l’article 34 de la Constitution, dans sa rédaction résultant de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ([7]), il appartient au législateur de fixer les règles concernant la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias. Un an après l’adoption de la révision constitutionnelle de 2008, le Conseil constitutionnel a consacré l’indépendance des médias comme un objectif de valeur constitutionnelle, aux côtés de l’objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des médias ([8]). Puis, en 2016, il a consacré un objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme et d’indépendance des quotidiens d’information politique et générale ([9]).
L’indépendance des médias s’entend d’abord comme l’indépendance vis‑à‑vis du pouvoir politique. À ce titre, le premier alinéa de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne stipule : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. »
L’indépendance consiste également en la protection des journalistes à l’égard des pressions ou interventions des actionnaires des entreprises de médias. Dans le secteur audiovisuel, la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication confie à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le soin de « [s’assurer] que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte à ces principes ». Sur le fondement de cette loi, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a adopté, le 18 avril 2018, une délibération relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent ([10]), dont l’article 4 prévoit des garanties en matière d’indépendance de l’information, à l’égard des intérêts économiques des actionnaires et des annonceurs.
Article 4 de la délibération du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent
L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle veille à ce que les émissions d’information et les programmes qui y concourent soient réalisés dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses annonceurs.
À la demande du Conseil supérieur de l’audiovisuel – dorénavant l’Arcom –, l’éditeur précise les mesures qu’il met en œuvre à cette fin.
Lorsque l’éditeur présente à l’antenne, en dehors des écrans publicitaires, des activités développées par une personne morale ou physique avec laquelle il a des liens capitalistiques directs ou indirects, il s’attache, notamment par la modération du ton et la mesure dans l’importance accordée au sujet, à ce que cette présentation revête un caractère strictement informatif. À cette occasion, il indique au public la nature de ces liens.
L’indépendance des journalistes est protégée par des dispositions du code du travail exorbitantes du droit commun : la clause de cession et la clause de conscience ([11]), qui permettent à un journaliste professionnel ([12]), à son initiative, de mettre fin à son contrat de travail en cas de cession du journal (clause de cession) ou de changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux (clause de conscience). Dans les deux cas, la rupture du contrat de travail s’accompagne d’un régime d’indemnités favorable.
Les sociétés de journalistes jouent également un rôle important dans la garantie de l’indépendance de leurs membres. Revêtant différentes formes, elles permettent souvent aux journalistes d’une rédaction d’être associés aux choix stratégiques de l’entreprise de presse à laquelle ils appartiennent. M. Inaki Echaniz et Mme Isabelle Rauch, rapporteurs d’une mission d’évaluation de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ([13]), dite loi « Bloche », ont estimé dans leur rapport d’information que le renforcement de ces sociétés « dans le sens d’un plus grand pouvoir donné aux journalistes pourrait conditionner l’attribution de certaines aides publiques à la presse ». Dès lors, ils ont proposé d’« encourager le développement de sociétés de rédacteurs/sociétés de journalistes aux pouvoirs élargis afin de pouvoir intégrer les journalistes dans le processus de nomination des directeurs de rédaction et dans les choix stratégiques de leur journal » ([14]). La rapporteure s’associe pleinement à cette proposition.
La loi « Bloche » a prévu l’obligation, pour tout service de radio généraliste à vocation nationale ou de télévision qui diffuse, par voie hertzienne terrestre, des émissions d’information politique et générale (IPG), de constituer en son sein un comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes (Chipip) ([15]).
Enfin, la loi précitée a étendu l’usage du droit d’opposition à l’ensemble des journalistes.
Le droit d’opposition consacré par l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
Tout journaliste, au sens du 1° du I de l’article 2, a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d’émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à sa conviction professionnelle formée dans le respect de la charte déontologique de son entreprise ou de sa société éditrice.
Les rapporteurs de la mission d’évaluation précitée ont mis en évidence les limites des clauses de conscience et de cession, qui apparaissent « comme des solutions de dernier recours et conduisent à une forme de renoncement de la part des journalistes qui, en l’utilisant, actent une rupture définitive avec l’organe de presse auquel ils appartiennent ».
Les rapporteurs n’ont pas non plus pu recenser de cas d’utilisation du droit d’opposition, s’interrogeant sur le caractère dissuasif de ce mécanisme, au regard du « rapport de force entre les journalistes et les éditeurs ou intérêts économiques, jugé dès 2016 comme étant en défaveur des premiers », ce rapport de force n’ayant « pas subi de rééquilibrage durant les années écoulées ». Un journaliste faisant usage du droit d’opposition s’expose potentiellement à des sanctions, pouvant aller jusqu’à un licenciement. Selon les rapporteurs, plusieurs personnes entendues « ont évoqué des modifications d’articles effectuées sans le recueil de l’avis de leur auteur et destinées à ne pas heurter un actionnaire ou un annonceur régulier de l’organe de presse ». Ils ont ainsi conclu « que l’absence d’exercice du droit d’opposition individuel ne tient pas tant à son caractère dissuasif, qui préviendrait le type de situations où son usage pourrait être pertinent, qu’au refus des journalistes de s’exposer à de possibles sanctions, quand bien même leur caractère injustifié pourrait ensuite être ultérieurement établi et condamné par la justice ». Face à cette situation, M. Inaki Echaniz a préconisé la création d’un droit d’opposition collectif, confié à la rédaction, qui serait dotée pour ce faire de la personnalité juridique.
Quant aux Chipip créés dans les services audiovisuels, leur bilan apparaît très mitigé pour ne pas dire, dans bien des cas, pratiquement inexistant.
Les dispositifs précités, pour utiles qu’ils soient dans leur principe, n’ont permis ni d’associer durablement les journalistes à la définition de la ligne éditoriale de leur journal, alors même que ce sont eux qui le font vivre au quotidien, ni de garantir l’indépendance des rédactions. Les recommandations formulées par la mission d’évaluation précitée constituent indubitablement une partie de la réponse que doivent apporter les pouvoirs publics aux atteintes à l’indépendance des rédactions. Cependant, la rapporteure est convaincue de la nécessité d’adjoindre aux droits individuels des journalistes un droit collectif, pour ces derniers, à être associés à la définition de la ligne éditoriale et à l’élaboration de garde-fous déontologiques. En effet, les entreprises de médias ne sont pas des entreprises comme les autres ; elles sont en elles-mêmes indispensables à la vitalité démocratique de la société et au pluralisme des courants de pensée et d’opinion. De fait, le Conseil constitutionnel n’a pas mis par hasard l’indépendance des médias et le pluralisme sur un même plan ([16]) : l’une ne peut aller sans l’autre.
La mise en place de ce droit collectif ne devra s’accompagner d’aucune remise en cause des droits individuels (clause de conscience, clause de cession, droit d’opposition), qui constituent des acquis sociaux de la profession et qui peuvent parfaitement s’articuler avec l’exercice du droit d’agrément, contrairement à ce qu’ont soutenu plusieurs personnes entendues par la rapporteure, en particulier des représentants des éditeurs de presse. D’une part, ces droits sont peu utilisés. Par exemple, M. Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat national des journalistes CGT, a estimé au cours d’une table ronde que seulement deux ou trois clauses de conscience étaient activées chaque année. Mme Leïla de Comarmond, présidente de la Société des journalistes des Échos, a quant à elle qualifié la clause de conscience de « très dure à mobiliser », le journaliste devant prouver le changement de ligne éditoriale. D’autre part, selon la rapporteure, la clause de conscience trouvera toujours à s’appliquer. À titre d’exemple, on peut songer à la situation dans laquelle un directeur de la rédaction serait agréé par la rédaction à une courte majorité ; les journalistes défavorables à son agrément et, partant, à son projet éditorial, pourraient alors exercer leur clause de conscience. Selon les informations communiquées à la rapporteure par plusieurs personnes des discussions seraient actuellement en cours, dans le cadre des États généraux de l’information, pour conditionner la mise en place d’un droit d’agrément à la suppression de la clause de conscience. La rapporteure s’opposera fermement à une telle mesure, qui remettrait en cause un droit acquis depuis des décennies ([17]). Quant à la clause de cession, elle peut être activée sans changement dans la ligne éditoriale ; on voit donc mal comment ce droit pourrait être remis en cause par l’introduction dans la loi d’un mécanisme d’agrément du responsable de la rédaction.
Afin de prémunir les rédactions contre les changements brusques de ligne éditoriale, il convient que lesdites rédactions soient associées à la définition de celle-ci, via un mécanisme d’agrément du responsable de la rédaction. Un tel droit existe d’ores et déjà, sous des formes diverses, dans plusieurs publications de presse.
Dès 1970, la commission chargée d’examiner les problèmes posés par l’existence des sociétés de rédacteurs, présidée par M. Raymond Lindon, avocat général près la Cour de cassation, avait posé les termes du débat. Dans son rapport ([18]), cette commission jugeait qu’en matière d’indépendance, « dans notre système politique et économique, la seule façon de marquer sa spécificité est d’établir une certaine "distance" entre la publication considérée d’une certaine manière comme une entité distincte et la société qui l’édite ». Surtout, elle estimait « que le personnel, et plus particulièrement les rédacteurs, doit pouvoir intervenir […] dans la prise des décisions les plus importantes ; c’est-à-dire la désignation du directeur de la publication et des transferts de propriété susceptibles de conduire à un changement de l’équipe dirigeante ». Si la commission se disait soucieuse de ne pas introduire d’« élément de rigidité » dans la gestion des entreprises de presse, elle se déclarait surtout « convaincue qu’il n’y a aucune contradiction entre l’exigence de prospérité qui s’impose aux entreprises de presse et un tel progrès de la participation ». La rapporteure partage pleinement cette conviction. D’une part, un titre de presse dont l’indépendance vis-à-vis de l’actionnaire est solidement garantie bénéficie d’une forte crédibilité dans l’espace public, ce qui ne peut que renforcer son modèle économique. D’autre part, comme l’a souligné M. Alexis Lévrier, historien de la presse et des médias, au cours de ses échanges avec la rapporteure, les médias sont considérés par les actionnaires comme des « outils d’influence, de prestige » ; il serait donc hasardeux de penser que la mise en place d’un droit d’agrément du responsable de la rédaction conduirait les actionnaires à désinvestir des médias, renonçant par là à un outil d’influence qui demeure très important.
En septembre 2022, la Commission européenne a adopté une recommandation ([19]) sur la protection de l’indépendance éditoriale ([20]), qui a accompagné le dépôt de la proposition de règlement sur la liberté des médias ([21]). Cette recommandation encourage les entreprises de médias à « veiller à ce que les membres de l’équipe rédactionnelle ou leurs organes représentatifs soient consultés sur la nomination du rédacteur en chef. La direction et l’équipe rédactionnelle sont encouragées à convenir de la procédure de consultation applicable. »
En France, un mécanisme d’agrément du chef de la rédaction a été institué dans plusieurs entreprises de presse. Leur modèle a été présenté à la rapporteure au cours d’une table ronde réunissant les sociétés de journalistes du Monde, de Libération, de Mediapart et des Échos.
Sous des formes différentes, les journalistes des rédactions du Monde, des Échos, de Mediapart et de Libération disposent du droit de s’opposer à la nomination du directeur de la rédaction ou du directeur du journal.
Au sein du journal Le Monde, ce pouvoir appartient à la Société des rédacteurs du Monde (SRM), fondée en 1951 et qui regroupe 97 % des journalistes de la publication. Peuvent adhérer à la SRM l’ensemble des journalistes en contrat à durée indéterminée (CDI), les journalistes en contrat à durée déterminée (CDD) depuis deux ans, les pigistes tirant trois quarts de leur revenu du journal depuis deux ans, ainsi que les anciens journalistes du Monde. Tous les six ans, la SRM se prononce sur la désignation du directeur du journal proposé par les actionnaires. Pour être nommé, le candidat doit recueillir au moins 60 % des suffrages exprimés. Selon Mme Raphaëlle Bacqué, présidente de la SRM, ce mécanisme donne « une grande légitimité » au directeur du journal, et constitue une « formidable garantie d’indépendance ».
Les statuts de Libération prévoient que l’actionnaire propose le nom d’un directeur de la rédaction, sur lequel un collège unique est appelé à voter. Selon les informations transmises à la rapporteure par M. Simon Blin, président de la Société des journalistes et du personnel de Libération, le collège d’électeurs comprend les journalistes en CDI employés par le journal, qui peuvent rejeter la proposition de l’actionnaire à la majorité des inscrits. En cas de refus, la direction générale peut successivement proposer deux noms différents. Après trois refus, elle peut nommer le directeur de la rédaction de son choix ([22]).
La rédaction du journal Les Échos dispose également d’un droit de regard sur la nomination du directeur de la rédaction, prévu par l’accord d’indépendance signé en 2007 entre l’actionnaire et le journal. En mars 2023, la mise en œuvre de cet accord a suscité, pour reprendre les mots de Mme Leïla de Comarmond, présidente de la Société des journalistes des Échos, un « bras de fer avec l’actionnaire », en l’espèce sur la définition du corps électoral. La société des journalistes du titre de presse dénonçait « l’éviction brutale » du directeur de la rédaction de l’époque, M. Nicolas Barré, par LVMH, l’actionnaire du groupe, « en contradiction avec les garanties d’indépendance négociées âprement au moment du rachat des Échos par LVMH en 2007 » ([23]). En juin 2023, un mouvement de grève a eu lieu à l’initiative de la SDJ, relatif aux modalités de désignation du futur directeur de la rédaction des Échos. Dans un communiqué, la SDJ a accusé la direction du groupe de vouloir rendre « impossible l’exercice du droit de véto » en présentant « une liste de votants dépassant largement le champ de la rédaction permanente des Échos (CDI, CDD, apprentis, pigistes réguliers), une liste qui comprend même des non-journalistes » ([24]). En outre, la SDJ a insisté sur le fait que « les abstentions comptent en soutien du candidat de l’actionnaire », ce qu’a confirmé Mme de Comarmond, au cours de ses échanges avec la rapporteure, en ces termes : « Qui ne dit mot consent », regrettant que la majorité ne soit pas calculée sur la base des suffrages exprimés.
Mme de Comarmond est revenue sur ce conflit au cours de ses échanges avec la rapporteure, indiquant que la rédaction du journal a obtenu un « resserrement du corps électoral », de 320 à 245 inscrits, dont des pigistes réguliers, percevant au moins un Smic annuel au sein du journal. En septembre 2023, les journalistes des Échos ont rejeté, à 66,9 % des inscrits, la candidature de M. François Vidal, proposée par le conseil de surveillance du groupe. À ce jour, le journal n’a toujours pas de directeur de la rédaction à sa tête.
Enfin, les statuts de Mediapart ([25]) prévoient que « le président nomme le ou les directeur(s) éditorial(aux) (dans la limite de deux) de Mediapart (le "directeur éditorial"), sous réserve d’une approbation de cette nomination par la rédaction statuant à la majorité absolue des journalistes, étant précisé qu’au sens du présent alinéa "rédaction" désigne l’ensemble des journalistes détenteurs de la carte de presse salariés de Mediapart, sous contrat à durée indéterminée depuis au moins six mois. À défaut d’approbation par la rédaction de deux candidats successifs ou de solution négociée de bonne foi, le (ou les) directeur(s) éditorial(aux) sera(ont) nommé(s) par le conseil d’administration. Le conseil d’administration se réunira dans un délai maximum d’un mois pour nommer le directeur éditorial. » À ce droit d’agrément s’ajoute un droit de révocation, également encadré par les statuts. La révocation du directeur éditorial doit notamment être déclenchée par la Société des journalistes de Mediapart, saisie par un seuil minimum de 51 % des titulaires d’une carte de presse, sous CDI depuis au moins six mois. Le vote ne peut intervenir que si 75 % des titulaires d’une carte de presse salariés, sous CDI depuis au moins six mois, participent au vote. La révocation ne peut intervenir que si 60 % des suffrages exprimés y sont favorables. Enfin, après une révocation, le dispositif ne peut plus être enclenché pendant deux ans.
Le présent article introduit dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un nouvel article 2 ter, qui conditionne le bénéfice des aides publiques, directes et indirectes, dont bénéficie une entreprise éditrice de publications présentant un caractère d’IPG, quelle que soit sa périodicité, à la mise en place d’une procédure d’agrément de la nomination de tout responsable de la rédaction.
Aux termes de l’article D. 19-2 du code des postes et des communications électroniques, pour être considérées comme présentant un caractère IPG, les publications doivent réunir les caractéristiques suivantes :
– apporter de façon permanente sur l’actualité politique et générale, locale, nationale ou internationale, des informations et des commentaires tendant à éclairer le jugement des citoyens ;
– consacrer la majorité de leur surface rédactionnelle à cet objet ;
– présenter un intérêt dépassant d’une façon manifeste les préoccupations d’une catégorie de lecteurs.
Les aides directes bénéficient presque intégralement à la presse d’IPG.
Les aides à la presse
Les aides à la presse sont constituées d’aides directes et indirectes.
En 2022, la part des aides directes attribuées aux titres d’IPG au sein des aides à la presse écrite a représenté 98 % et devrait s’élever à 99 % en 2023 et 2024. Ont été inscrits dans la loi de finances pour 2024 198,8 millions d’euros d’aides directes à la presse (en crédits de paiement). Parmi ces aides, on distingue les aides à la diffusion (115 millions d’euros), les aides au pluralisme (25,9 millions d’euros) et les aides à la modernisation (55,1 millions d’euros).
Les aides indirectes bénéficient à l’ensemble des catégories de presse. Elles prennent la forme de dispositifs fiscaux dérogatoires, pour un montant estimé à 172 millions d’euros en 2023. La dépense fiscale la plus importante consiste en un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 2,10 % applicable aux publications de presse, qui représenterait 160 millions d’euros en 2023.
La rapporteure l’a indiqué (cf. supra) : les entreprises de presse ayant mis en place un droit d’agrément n’ont pas retenu des modalités similaires, et il apparaît inopportun, dans le cadre du présent article, d’opter en faveur d’un système plutôt que d’un autre. Les pratiques varient tant au regard de la composition du corps électoral – par exemple, les membres de la SDJ dans le cas du journal Le Monde ; seulement les journalistes en CDI dans le cas du journal Libération – que du nombre de suffrages exprimés nécessaires pour faire obstacle à la nomination du responsable de la rédaction.
Toutefois, la rapporteure est convaincue que l’extension du droit d’agrément du responsable de la rédaction à l’ensemble des rédactions des publications d’IPG doit s’accompagner d’une homogénéisation des conditions d’exercice de ce mécanisme ; celle-ci est possible et souhaitable. Si les rédactions n’ont pas toute la même culture éditoriale, toutes sont attachées à la définition de standards déontologiques exigeants et de garde-fous substantiels en matière d’indépendance éditoriale. Les journalistes professionnels forment une seule et même profession et, partant, doivent bénéficier de droits identiques. À titre d’exemple, le rapport d’évaluation précité de la loi « Bloche » a démontré, s’agissant du cas particulier des chartes déontologiques ([26]), l’utilité de mesures applicables à l’ensemble de la profession. Les rapporteurs Inaki Echaniz et Isabelle Rauch ont ainsi relevé que « les syndicats de journalistes apparaissent plutôt favorables à une charte déontologique unique, commune à tous les médias, sur la base de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes du SNJ, la Déclaration de Munich et la Charte de Tunis. Nombre de journalistes dénoncent la multitude de chartes qui entraîne le morcellement de la déontologie journalistique, menaçant ainsi son unité et sa cohérence. » Le même jugement pourrait être formulé s’agissant du droit d’agrément.
Il reviendra au Gouvernement de déterminer, par décret en Conseil d’État, les modalités d’application du droit d’agrément institué par le présent article, après l’organisation d’une concertation associant l’ensemble des éditeurs de presse et les représentants des journalistes. Plusieurs hypothèses ont été avancées dans le débat public. En juin 2023, un collectif d’universitaires, d’éditeurs et d’intellectuels a préconisé un agrément à la majorité des deux tiers des votants par l’ensemble des journalistes, avec un taux de participation d’au moins 50 % ([27]). Cette proposition est très proche de celle formulée en ces termes, dans un récent ouvrage, par Mme Julia Cagé et M. Benoît Huet : « Le directeur ou la directrice de la rédaction de l’entreprise éditrice de presse/du média audiovisuel privé doit être nommé(e) par l’organe de gouvernance paritaire ([28]). Pour être validée, cette nomination devra être agréée, à la majorité de 60 % des votants et avec un taux de participation d’au moins 50 %, par l’ensemble des journalistes de l’entreprise éditrice de presse/du média audiovisuel privé en assemblée générale. En cas de refus d’agrément, le ou la candidate n’ayant pas obtenu un nombre suffisant de suffrages ne pourra pas être nommé(e) à nouveau par l’organe de gouvernance paritaire. » ([29])
Il conviendra donc que le décret en Conseil d’État précité définisse des modalités d’agrément identiques pour l’ensemble des entreprises de presse.
Enfin, l’agrément sera obtenu par un vote des journalistes professionnels employés par l’entreprise, au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail, qu’ils soient titulaires ou non d’une carte de presse. Cette définition inclut les pigistes, c’est-à-dire les journalistes professionnels assurant un concours, moyennant rémunération, à une entreprise de presse ([30]).
Au cours de ses travaux, plusieurs personnes ont alerté la rapporteure sur un supposé risque d’inconstitutionnalité du dispositif proposé, qui porterait une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d’entreprendre. La rapporteure entend démontrer succinctement qu’il n’en est rien.
La valeur constitutionnelle de la liberté d’entreprendre, découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, a été consacrée par le Conseil constitutionnel en 1982 ([31]). Le champ de ce principe général à valeur constitutionnelle a été progressivement précisé par le Conseil constitutionnel, notamment dans une décision de 2012, aux termes de laquelle « la liberté d’entreprendre comprend non seulement la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité » ([32]). Au titre de cette seconde composante, le Conseil constitutionnel a reconnu la liberté d’embaucher en choisissant ses collaborateurs ([33]), de licencier ([34]), de fixer ses tarifs ([35]) ou de faire de la publicité commerciale. Le Conseil constitutionnel veille rigoureusement à l’effectivité de la liberté d’entreprendre, qui implique que le chef d’une entreprise ne soit pas privé par le législateur de sa capacité à définir la stratégie et la gestion de son entreprise. Dans une décision de 2014 relative à la loi dite « Florange », le Conseil constitutionnel a ainsi considéré qu’une juridiction ne pouvait « substituer son appréciation à celle du chef d’entreprise, qui n’est pas en difficulté, pour des choix économiques relatifs à la conduite et au développement de cette entreprise » ([36]).
S’agissant de la liberté d’entreprendre comme des autres droits et libertés garantis par la Constitution, le législateur doit veiller à opérer une conciliation équilibrée entre cette liberté et d’autres exigences constitutionnelles ou des motifs d’intérêt général antagonistes. En 2012, par exemple, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il était « loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » ([37]).
Le présent dispositif poursuit un objectif de renforcement de l’indépendance des médias, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle (cf. supra). Les objectifs de valeur constitutionnelle constituent des exigences constitutionnelles, qui permettent au législateur d’encadrer ou de limiter l’exercice de libertés constitutionnelles. Ce principe a été admis par le Conseil constitutionnel à plusieurs reprises s’agissant de la liberté d’entreprendre. Par exemple, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer, en 2015, sur l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau dans les résidences principales. Tout en admettant une atteinte à la liberté d’entreprendre, le Conseil a relevé que le législateur avait « entendu s’assurer qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’eau » et qu’« en garantissant dans ces conditions l’accès à l’eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, [le législateur avait] ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent ». Dès lors, le Conseil a admis cette atteinte à la liberté d’entreprendre ([38]). Plus récemment, le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur devait assurer la conciliation des objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé avec l’exercice de la liberté d’entreprendre. Il a ainsi admis l’interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques ([39]).
En l’espèce, le dispositif proposé n’a pas pour effet de priver, de façon générale et absolue, l’actionnaire d’une entreprise de presse de la liberté de choisir ses collaborateurs. Outre que seule la désignation du responsable de la rédaction est soumise à une procédure d’agrément, c’est bien l’actionnaire qui disposera sans partage du pouvoir de proposition dudit responsable. Les membres de la rédaction pourront, par leur vote, valider ou rejeter la nomination, mais en aucun cas proposer un candidat alternatif. Il en résulte que l’article premier de la présente proposition de loi n’apparaît pas porter une atteinte disproportionnée à la faculté de l’actionnaire de choisir ses collaborateurs. En conséquence, la rapporteure estime que le dispositif proposé assure une conciliation équilibrée entre l’exercice de la liberté d’entreprendre et l’objectif de valeur constitutionnelle d’indépendance des médias.
La rapporteure rappelle que le principe d’indépendance des médias s’apprécie aussi bien au regard de l’indépendance vis-à-vis des collectivités publiques que vis-à-vis des actionnaires, ce qu’a souligné la Commission européenne dans sa recommandation précitée du 16 septembre 2022 (cf. supra) : « Les fournisseurs européens de services de médias font de plus en plus l’objet d’ingérences indues dans les décisions éditoriales individuelles, notamment de la part de propriétaires privés et d’actionnaires, ce qui nuit à la liberté éditoriale, à la capacité de fournir des informations de manière indépendante et, partant, à la disponibilité d’informations fiables pour les publics cibles. Le rapport 2022 de l’instrument de surveillance du pluralisme des médias (Media Pluralism Monitor 2022) indique un risque élevé d’influence indue des annonceurs commerciaux et des propriétaires dans plusieurs États membres. »
En outre, la présente proposition de loi n’a pas pour objet d’interdire la parution d’une publication de presse qui n’aurait pas mis en place de procédure d’agrément du responsable de la rédaction, mais de conditionner le bénéfice des aides à la presse à l’adoption d’un tel dispositif, c’est-à-dire de faire bénéficier d’avantages économiques les entreprises éditrices engagées en faveur de l’indépendance des médias. Les critères d’attribution des aides publiques relèvent d’objectifs de politique publique, qu’il revient au législateur de définir. L’actionnaire d’une entreprise éditrice pourra faire le choix de ne pas mettre en œuvre le mécanisme d’agrément et, de ce fait, renoncer au bénéfice des aides à la presse. L’atteinte portée à la liberté d’entreprendre s’en trouve encore minorée.
Les aides à la presse sont d’ores et déjà conditionnées au respect de certains droits et critères. Ainsi l’article 15-1 de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse prévoit-il que la violation par une entreprise éditrice de ses obligations de transparence actionnariale ([40]), le non-respect du droit d’opposition ou le défaut de négociation d’une charte déontologique « entraîne la suspension de tout ou partie des aides publiques, directes et indirectes, dont elle bénéficie ».
Récemment, le Conseil d’État s’est prononcé ([41]) sur la légalité du décret n° 2021-1746 du 21 décembre 2021 ([42]), qui a modifié les conditions d’accès au régime économique de la presse pour introduire des conditions relatives à la fourniture d’un contenu de nature journalistique. Le décret a notamment défini des critères d’admission des publications au bénéfice de certains avantages (taux super réduit de TVA et tarif postal). Parmi ces critères, a été introduite une condition tenant à la présence de journalistes professionnels dans l’équipe rédactionnelle, dont la composition est appréciée en fonction de la taille de l’entreprise éditrice, de l’objet de la publication et de sa périodicité. Le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) avait notamment attaqué cette disposition sur le fondement d’une atteinte aux stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à la liberté d’expression. Le Conseil d’État a écarté ce moyen, considérant que cette condition répondait « au but légitime et nécessaire dans une société démocratique [...] de protection du pluralisme de la presse », cette dernière exigence constituant un objectif de valeur constitutionnelle.
Il en résulte que les aides à la presse peuvent bien être conditionnées au respect de certaines exigences déontologiques ; tel est l’objet du présent article.
À l’issue de ses travaux, la rapporteure juge nécessaire d’apporter au présent article quelques précisions, notamment d’ordre rédactionnel.
En premier lieu, la rapporteure souhaite exclure du champ d’application du dispositif les entreprises éditrices comptant un faible nombre de salariés. Selon les informations communiquées à la rapporteure par la direction générale des médias et des industries culturelles, parmi les 150 titres percevant des aides au pluralisme, 40 emploient moins de 10 journalistes. Afin d’éviter les risques excessifs de blocage qui pourraient résulter de la mise en place d’une procédure d’agrément du responsable de la direction dans les petites entreprises de presse, la rapporteure souhaite donner compétence au Gouvernement de déterminer, par décret en Conseil d’État, le seuil d’effectifs de journalistes professionnels au-delà duquel l’entreprise éditrice devra mettre en place cette procédure.
En outre, la rapporteure estime utile de préciser la composition du corps électoral des journalistes professionnels qui seront habilités à se prononcer sur l’agrément du responsable de la rédaction. La rédaction actuelle du présent article vise l’ensemble des journalistes professionnels, pigistes et CDD compris, employés par l’entreprise éditrice. Il s’agit potentiellement d’un corps électoral très large. Or il importe que puissent seuls voter les journalistes travaillant régulièrement au sein du titre de presse, et par conséquent investis dans les questions éditoriales. À titre d’illustration, la Société des rédacteurs du Monde, qui se prononce sur la nomination du directeur du journal, comprend les journalistes en CDI, les journalistes en CDD depuis deux ans, et les pigistes tirant trois quarts de leur revenu du journal depuis deux ans. Une telle composition convient parfaitement à la rapporteure mais elle ne souhaite pas l’imposer par la loi, afin de laisser à la profession un temps de concertation avec le ministère de la Culture. En conséquence, la rapporteure propose simplement de ne pas permettre aux journalistes présents dans le journal depuis moins d’un an de participer au scrutin ; il reviendra au décret de déterminer la composition du corps électoral, en concertation avec le secteur professionnel.
La rapporteure souhaite en outre préciser l’objet du vote des journalistes professionnels. La rédaction de l’article premier pourrait être interprétée comme instituant un mécanisme d’agrément de la nomination de plusieurs responsables de la rédaction, ce qui constituerait une procédure trop lourde. En outre, il n’apparaît pas souhaitable de faire référence au « directeur de la rédaction », cette expression n’ayant pas d’existence légale. De plus, toutes les entreprises de presse n’y ont pas recours. Dès lors, il convient plutôt de viser le « responsable de la rédaction » mentionné au 3° de l’article 5 de la loi n° 86‑897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.
Enfin, la rapporteure juge nécessaire de fixer les modalités d’entrée en vigueur du présent article. Une concertation devra être conduite avec les éditeurs de presse et les représentants des journalistes afin de déterminer les modalités du droit d’agrément. Une date maximale d’entrée en vigueur fixée au 1er septembre 2025 devrait laisser au Gouvernement le temps de conduire sereinement cette concertation.
La commission a rejeté cet article.
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Rejeté par la commission
Le présent article introduit un nouvel alinéa à l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Il vise à subordonner, pour les éditeurs privés dont les programmes comportent des émissions présentant un caractère d’information politique et générale, la délivrance des autorisations d’usage des fréquences hertziennes à la mise en place d’une procédure d’agrément de la nomination du responsable de la rédaction. L’agrément est obtenu par un vote des journalistes professionnels, au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail.
Un décret en Conseil d’État déterminera les modalités d’application du nouvel alinéa introduit à l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986.
La loi « Bloche » a renforcé la protection des principes d’honnêteté et d’indépendance de l’information dans le secteur audiovisuel. Ces deux principes n’étaient pas explicitement mentionnés dans la loi, l’article 28 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 – qui fixe le principe du conventionnement avec l’Arcom des services de communication audiovisuelle privés autres que ceux exploités par les sociétés nationales de programme – se bornant à préciser que la convention conclue entre l’éditeur privé et l’Arcom fixe les règles particulières applicables au service, « dans le respect de l’honnêteté et du pluralisme de l’information et des programmes et des règles générales fixées en application de la [loi du 30 septembre 1986] ».
Comme l’ont noté les rapporteurs Inaki Echaniz et Isabelle Rauch dans leur rapport d’information précité, « [les principes d’honnêteté et d’indépendance de l’information] ne figuraient pas à l’article 3-1 de la loi [du 30 septembre 1986] et, dès lors, ne bénéficiaient pas de la même protection » que le principe de pluralisme.
Le troisième alinéa de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 dispose désormais que l’Arcom « garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l’article 1er de la présente loi. À cet effet, elle veille notamment à ce que les conventions conclues en application de la présente loi avec les éditeurs de services de télévision et de radio garantissent le respect de l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. […] Elle s’assure que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte à ces principes. »
L’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que les conventions conclues avec l’Arcom précisent « les mesures à mettre en œuvre pour garantir le respect des principes mentionnés au troisième alinéa de l'article 3-1 ». Enfin, les reconductions simplifiées des autorisations, c’est-à-dire hors appel à candidatures, ainsi que le renouvellement des autorisations d’émettre délivrées aux services de radio et de télévision, sont conditionnés au respect des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information ([43]).
Sur le fondement de ces dispositions, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a adopté, le 18 avril 2018, une délibération relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent ([44]), dont l’article 4 prévoit des garanties en matière d’indépendance de l’information, à l’égard des intérêts économiques des actionnaires et des annonceurs.
Article 4 de la délibération du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent
L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle veille à ce que les émissions d’information et les programmes qui y concourent soient réalisés dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses annonceurs.
À la demande du Conseil supérieur de l’audiovisuel ‒ dorénavant l’Arcom ‒, l’éditeur précise les mesures qu’il met en œuvre à cette fin.
Lorsque l’éditeur présente à l’antenne, en dehors des écrans publicitaires, des activités développées par une personne morale ou physique avec laquelle il a des liens capitalistiques directs ou indirects, il s’attache, notamment par la modération du ton et la mesure dans l’importance accordée au sujet, à ce que cette présentation revête un caractère strictement informatif. À cette occasion, il indique au public la nature de ces liens.
L’article 5 de la même délibération vise spécifiquement les chaînes d’information en continu, « compte tenu de l’enjeu particulier qui s’attache à leur format ». Cet article prévoit que les conventions conclues entre l’Arcom et ces services « fixent, en application de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986, les stipulations particulières à chacun d’eux visant à préserver l’indépendance de l’information à l’égard des intérêts des actionnaires ».
Enfin, la loi « Bloche » a prévu l’obligation, pour tout service de radio généraliste à vocation nationale ou de télévision qui diffuse, par voie hertzienne terrestre, des émissions d’information politique et générale (IPG), de constituer en son sein un comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes (Chipip) ([45]).
Les rapporteurs Inaki Echaniz et Isabelle Rauch ont qualifié de « prudente » la mise en œuvre par l’Arcom des nouvelles prérogatives résultant de la loi « Bloche ». Pour sa part, la rapporteure la juge nettement insuffisante et se déclare convaincue que cette pusillanimité explique en partie la défiance des Français à l’égard des médias audiovisuels, en particulier des chaînes d’information en continu : en 2023, seulement 52 % des Français faisaient confiance aux chaînes d’information en continu et 56 % jugeaient qu’elles permettent d’entendre différents points de vue ([46]).
Les rapporteurs de la mission d’évaluation de la loi « Bloche » ont salué la récente décision du Conseil d’État ([47]), statuant sur une requête de l’association Reporters sans frontière (RSF), qui reprochait à l’Arcom, s’agissant de la chaîne CNews, de ne pas agir pour faire cesser des manquements aux principes d’indépendance et de pluralisme de l’information. Selon l’Arcom, seuls des exemples précis, dans des séquences données, peuvent lui permettre d’apprécier de tels manquements. Or, selon le Conseil d’État, « les obligations d’un éditeur de service en matière d’indépendance de l’information sont au nombre de celles dont la méconnaissance peut être constatée par l’Arcom non seulement au regard d’un programme donné, mais également au regard de l’ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation ». Il appartiendra à l’Arcom de se prononcer à nouveau sur le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière d’indépendance de l’information et, plus généralement, de réviser son application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986.
Quant aux Chipip, les représentants des sociétés de l’audiovisuel public entendus par la rapporteure ont argué de leur bon fonctionnement. Pourtant, les rapporteurs Inaki Echaniz et Isabelle Rauch ont qualifié de « mitigé » le bilan de ces comités d’éthique, pointant « des modalités de nomination insatisfaisantes » ne garantissant pas suffisamment l’indépendance de leurs membres, un « important déficit de visibilité » et des missions insuffisamment définies.
Selon la rapporteure, l’échec de la loi « Bloche » à garantir efficacement l’indépendance de l’information et l’insuffisance des droits individuels conférés aux journalistes, de la presse écrite comme de la presse audiovisuelle, justifient pleinement les dispositions du présent article.
Le présent article insère un 18° à l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986, complétant les points sur lesquels porte la convention conclue entre l’éditeur privé et l’Arcom. Ces conventions devront prévoir, pour les seuls services comportant des émissions présentant un caractère d’information politique et générale, que la nomination de tout responsable de la rédaction est soumise à une procédure d’agrément, obtenu par un vote des journalistes professionnels, au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail, employés par le service. Un décret en Conseil d’État précisera les modalités d’application de cette obligation.
Les arguments développés par la rapporteure dans le commentaire de l’article premier de la présente proposition de loi, en matière de conciliation entre la liberté d’entreprendre et l’objectif de valeur constitutionnelle d’indépendance des médias, sont pleinement transposables au secteur de l’audiovisuel. Néanmoins, une précision complémentaire s’impose. En effet, le secteur audiovisuel est soumis à une forte régulation de l’État, à travers l’action de l’Arcom. Les conventions conclues entre celle-ci et les éditeurs privés garantissent en principe le respect plein et entier des obligations posées par la loi du 30 septembre 1986 et l’Arcom dispose d’un pouvoir de sanction étendu, allant de la mise en garde aux sanctions pécuniaires. L’ensemble de ces obligations imposent de fait des restrictions à la liberté économique des éditeurs, qui sont néanmoins pleinement justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par le législateur et par la rareté des fréquences hertziennes ; le respect des exigences de la loi du 30 septembre 1986 et l’obligation de rendre des comptes au régulateur trouvent leur origine dans cette rareté, qui habilite pleinement le législateur à contrôler étroitement l’action des services audiovisuels. L’introduction dans la loi d’un mécanisme d’agrément du responsable de la rédaction poursuit la même logique ; cette nouvelle procédure n’est pas en elle-même plus attentatoire à la liberté d’entreprendre que les nombreuses obligations des éditeurs déjà prévues par la loi.
À l’issue de ses travaux, la rapporteure a jugé nécessaire de procéder à une réécriture du dispositif de l’article 2. En outre, la rapporteure souhaite élargir l’obligation de mise en place d’une procédure d’agrément du responsable de la rédaction aux sociétés de l’audiovisuel public, qui ne sont pas concernées par les dispositions de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 – l’obligation de conclure une convention avec l’Arcom ne s’appliquant qu’aux éditeurs privés.
La rapporteure propose une nouvelle rédaction de l’article 2, modifiant l’article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986, d’une part, et insérant, dans la même loi, un nouvel article 28-1-1.
Il s’agit de prévoir que les services de communication audiovisuelle dont les programmes comportent des émissions présentant un caractère d’information politique et générale et ayant conclu une convention avec l’Arcom en application de l’article 28 mettent en place une procédure d’agrément de la nomination du responsable de la rédaction. L’agrément serait obtenu par un vote des journalistes professionnels, au sens de l’article L. 7111‑3 du code du travail, employés par le service. Un décret en Conseil d’État viendrait préciser les modalités d’application de ce nouvel article, notamment le seuil d’effectifs de journalistes professionnels au-delà duquel l’éditeur du service met en place la procédure d’agrément mentionnée au premier alinéa du présent article, ainsi que la composition du corps électoral de journalistes professionnels admis à participer à la procédure d’agrément au sein du service de communication audiovisuelle, qui ne pourrait comprendre que ceux qui ont pour activité principale, régulière et rétribuée l’exercice de leur profession dans ladite entreprise depuis au moins un an.
Selon la rapporteure, inscrire la mise en place d’une procédure d’agrément dans les conventions conclues entre l’Arcom et les éditeurs privés ne se justifie pas, dans la mesure où, aux termes de la présente proposition de loi, un décret déterminera les modalités de cette procédure, qui s’appliqueront à l’ensemble des éditeurs. À l’inverse, la rapporteure ne souhaite pas que l’Arcom définisse avec chaque éditeur des modalités spécifiques de mise en œuvre du droit d’agrément, par souci de simplicité et d’unification des droits des journalistes de l’audiovisuel (cf. supra).
En outre, en inscrivant l’obligation de mettre en place une procédure d’agrément dans les conventions conclues avec les éditeurs, le dispositif proposé ne s’imposerait pas aux éditeurs déjà conventionnés avec l’Arcom. Or la rapporteure souhaite que l’ensemble des éditeurs mettent en place cette procédure, dans un délai raisonnable et sans attendre la conclusion d’une nouvelle convention avec l’Arcom, à l’issue de l’expiration de leur autorisation de diffusion.
Ainsi, le nouveau dispositif s’appliquerait à l’ensemble des éditeurs conventionnés avec l’Arcom, dont les programmes comportent des émissions présentant un caractère d’information politique et générale.
La rapporteure propose aussi de compléter les motifs pour lesquels l’Arcom peut décider de ne pas procéder à la reconduction simplifiée, hors appel à candidatures, des autorisations de diffusion accordées en application des articles 29, 29-1, 30 et 30-1 ([48]). En particulier, l’Arcom peut décider de pas reconduire l’autorisation en cas de non-respect, sur plusieurs exercices, des principes d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information. En bonne logique, il convient de donner à l’Arcom le pouvoir de ne pas procéder à la reconduction si l’éditeur n’a pas mis en place de procédure d’agrément de la nomination du responsable de la rédaction, en méconnaissance de l’obligation posée par le nouvel article 28-1-1 de la loi du 30 septembre 1986.
Par ailleurs, le non-respect de cette obligation pourra être sanctionné par l’Arcom dans les conditions prévues aux articles 42 et suivants de la loi du 30 septembre 1986 ([49]).
Enfin, la date d’entrée en vigueur du dispositif serait fixée par décret et au plus tard le 1er septembre 2025, afin de laisser un temps suffisant au Gouvernement pour conduire une concertation réunissant les éditeurs et les représentants des journalistes.
Comme l’a rapporteure l’a indiqué ci-dessus, l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 ne concerne que les éditeurs privés. Tel qu’il est rédigé, le dispositif de l’article 2 exclut donc les sociétés de l’audiovisuel public du champ de la nouvelle obligation de mettre en place une procédure d’agrément du responsable de la rédaction.
Selon la rapporteure, rien ne justifie une telle différence de traitement entre l’audiovisuel public et l’audiovisuel privé. En effet, si le cahier des charges des sociétés de l’audiovisuel public comporte de nombreuses garanties en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information, les conventions conclues entre l’Arcom et les éditeurs privés prévoient également des obligations substantielles et il importe, dans un souci d’harmonisation du régime juridique applicable à la profession, de prévoir les mêmes droits pour l’ensemble des journalistes de l’audiovisuel, public comme privé.
La rapporteure souhaite donc introduire un article additionnel après l’article 2, selon lequel il reviendrait au cahier des charges de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, ainsi qu’aux conventions conclues entre les assemblées parlementaires, LCP-AN et Public Sénat, de préciser les conditions dans lesquelles le droit d’agrément est mis en œuvre. Les sociétés TV5 Monde et Arte ne seraient pas concernées par ce nouveau dispositif compte tenu de leur caractère international.
La commission a rejeté cet article.
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Lors de sa réunion du mardi 26 mars 2024 ([50]), la commission procède à l’examen de la proposition de loi, visant à protéger la liberté éditoriale des médias sollicitant des aides de l’État (n° 1638) (Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure).
Mme la présidente Isabelle Rauch. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’examen de la proposition de loi visant à protéger la liberté éditoriale des médias sollicitant des aides de l’État, laquelle nous donne l’occasion de revenir sur un débat que nous avons eu lors de la présentation du rapport d’évaluation de la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dite loi « Bloche », que j’ai rédigé avec mon collègue Inaki Echaniz.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. En octobre 2016, les salariés d’iTélé, devenue depuis CNews, entamaient une grève qui durera trente et un jours, un record dans l’histoire de l’audiovisuel privé, croyait-on alors. Que réclamaient-ils ? Des garanties d’indépendance pour leur rédaction. Un an auparavant, le groupe Canal+ avait brutalement congédié Cécilia Ragueneau et Céline Pigalle, la directrice générale et la directrice de la rédaction d’iTélé, remplacées par Philippe Labro et Guillaume Zeller. Un salarié de la chaîne avait décrit une rédaction « sous le choc ». Ces journalistes ont-ils eu leur mot à dire sur la définition du projet éditorial de la chaîne ? La direction du groupe a-t-elle entendu leur revendication d’une information libre et indépendante ? Pas le moins du monde.
En 2016, M. Serge Nedjar devient directeur de la rédaction de la chaîne, cumulant cette fonction avec celle de directeur général. À aucun moment les salariés ne seront consultés, tout au plus obtiendront-ils la nomination d’un directeur de l’information délégué censé garantir l’indépendance des journalistes, ainsi que l’élaboration d’une nouvelle charte d’éthique, c’est-à-dire un cautère sur une jambe de bois. On voit ce qu’est devenue cette chaîne, qui collectionne les rappels à l’ordre de l’Arcom – l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – notamment sur la qualité de l’information.
En juin 2016, c’est au tour d’Europe 1 de connaître un sort similaire.
En 2023, Vincent Bolloré récidive, cette fois dans le secteur de la presse écrite. Les journalistes du Journal du dimanche (JDD), racheté par le groupe Lagardère deux ans plus tôt, s’opposent unanimement à la nomination de Geoffroy Lejeune au poste de directeur de la rédaction. Leur avis est écarté, méprisé, piétiné. Le mouvement de grève est suivi par plus de 97 % des journalistes. Le 1er août 2023, la rédaction du JDD, constatant l’échec de sa lutte, résumait le combat qui l’avait animée pendant quarante jours : empêcher cette nomination, qui mettait en péril le JDD tel qu’il existait depuis soixante-quinze ans, garantir l’indépendance juridique et éditoriale de la rédaction, et sauvegarder la qualité de l’information et le respect des principes déontologiques.
La rédaction du JDD dressait ce constat lapidaire : « Face au pouvoir des actionnaires, les journalistes ne peuvent s’en remettre qu’à la loi. » Elle réclamait la nécessaire évolution du cadre législatif encadrant la presse, afin de garantir l’indépendance des rédactions et la protection des journalistes dans leur métier. Elle concluait en lançant un appel aux pouvoirs publics, à vous, mes chers collègues : « La profession doit être soutenue dans ce combat. Ministres, députés, sénateurs, citoyens, nous vous interpellons : vous pouvez et vous devez agir. Il n’y a pas d’information fiable sans indépendance des rédactions, pas de démocratie saine sans liberté de la presse. »
Ces mots, vous les avez entendus aussi bien que moi, et je sais qu’ils résonnent encore en vous. La proposition de loi que j’ai l’honneur de soumettre à votre vote est une réponse directe à cet appel. Il a été relayé dans les colonnes du Monde aujourd’hui. Il l’a été également par les journalistes de La Provence, mobilisés ces derniers jours, face à une ingérence inacceptable de l’actionnaire, après une « Une » qui lui a déplu.
Pourquoi ces journalistes ont-ils perdu leur combat, malgré une mobilisation extraordinaire ? Nul mystère à cela. Pour reprendre le mot de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Bien souvent, on nous assène des leçons de liberté, mais il n’y a pas de liberté qui ne soit encadrée et qui serait celle du plus fort. Cette proposition de loi n’a pas pour objet d’annihiler les droits des actionnaires ; elle vise à les rééquilibrer avec ceux des journalistes, qui doivent avoir leur mot à dire dans les choix éditoriaux, car ce sont eux qui, au jour le jour, construisent un journal.
Son objectif tient en quelques mots : renforcer l’indépendance des rédactions en leur attribuant un droit de regard sur la nomination du directeur de la rédaction, dans le secteur de la presse écrite comme dans le secteur audiovisuel. Le principe est simple : le bénéfice des aides à la presse sera subordonné à la mise en place d’une procédure d’agrément du responsable de la rédaction, et les éditeurs privés conventionnés avec l’Arcom devront également la mettre en œuvre.
Il est légitime que l’État fixe des critères à l’attribution d’aides publiques en fonction d’objectifs de politique publique, et cela est particulièrement vrai s’agissant des aides directes à la presse, en particulier des aides au pluralisme. Par ailleurs, leur octroi est d’ores et déjà subordonné à certaines exigences déontologiques, comme le respect du droit d’opposition ou l’adoption d’une charte déontologique. De même, le régime économique de la presse ne peut bénéficier qu’aux entreprises éditrices dont l’équipe rédactionnelle comprend des journalistes professionnels. Le Conseil d’État, saisi par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), qui attaquait cette disposition sur le fondement d’une atteinte à la liberté d’expression, n’a rien trouvé à y redire. Au contraire, cette condition a été jugée pleinement légitime au regard du but légitime et nécessaire, dans une société démocratique, de protection du pluralisme de la presse.
Quant aux fréquences hertziennes, leur rareté justifie que le législateur impose aux éditeurs le respect de certaines obligations, définies dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Ce rappel effectué, je répondrai désormais à une critique entendue à plusieurs reprises au cours de mes travaux, et que certains d’entre vous reprendront probablement à leur compte. Oui, cette proposition de loi porte atteinte à la liberté d’entreprendre. Mais est-il écrit quelque part que la liberté d’entreprendre est placée au sommet de notre loi fondamentale ? C’est au législateur qu’incombe la tâche, lourde et complexe, de concilier l’exercice des droits et des libertés garantis par notre Constitution. En 2009, le Conseil constitutionnel a fait de l’indépendance des médias un objectif de valeur constitutionnelle. Ces objectifs permettent au législateur d’encadrer ou de limiter l’exercice de libertés constitutionnelles, ce que le Conseil a admis à plusieurs reprises s’agissant de la liberté d’entreprendre.
De plus, la proposition de loi n’aura pas pour effet de priver l’actionnaire, de façon générale et absolue, de la liberté de choisir ses collaborateurs. Seul le responsable de la rédaction sera concerné, et c’est bien l’actionnaire qui disposera seul du pouvoir de proposition du candidat. Enfin, un actionnaire de presse pourra toujours décider de ne pas mettre en place la procédure d’agrément et, de ce fait, renoncer au bénéfice des aides à la presse. En cela, nous respectons pleinement à la fois le principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre et cette valeur extrêmement forte qu’est l’indépendance de la presse.
La proposition de loi n’est pas une lubie ou le fruit d’un esprit dogmatique. Un média n’est pas une entreprise comme une autre. L’information est un bien public ; elle est essentielle au bon fonctionnement de notre démocratie. C’est précisément pour cette raison que le droit du travail accorde aux journalistes des droits spécifiques, comme la clause de cession et la clause de conscience.
En réalité, peu de dispositifs protègent leur indépendance. La clause de conscience est difficile à activer et le droit d’opposition des journalistes n’a jamais été utilisé, comme l’ont récemment relevé nos collègues Inaki Echaniz et Isabelle Rauch. Les chartes déontologiques relèvent du droit souple – pour ne pas dire mou – et les comités d’éthique institués par la loi « Bloche » fonctionnent mal, voire pas du tout. Surtout, le droit d’opposition, la clause de conscience et la clause de cession sont des droits individuels, tandis que je propose la création d’un droit collectif. Je saisis d’ailleurs l’occasion qui m’est donnée pour alerter sur la nécessité de sanctuariser ces clauses, alors que des rumeurs circulent sur leur remise en cause. Les droits individuels et les droits collectifs sont complémentaires.
Plusieurs titres de presse ont déjà recours à cet agrément, sans que les actionnaires aient pris leurs jambes à leur cou – Le Monde, Les Échos, Libération et Mediapart, qui ont des lignes éditoriales très différentes, ce qui montre que le modèle fonctionne. Je vois mal en quoi l’instauration d’un tel droit mettrait fin aux investissements des puissances financières dans la presse. Les médias demeurent des outils d’influence et de prestige, et ce droit d’agrément ne saurait suffire à détourner les industriels de la presse. Il y a plus de cinquante ans, une commission présidée par Raymond Lindon, avocat général près la Cour de cassation, se disait d’ailleurs convaincue qu’il n’y avait aucune contradiction entre l’exigence de prospérité qui s’impose aux entreprises de presse et un progrès de la participation des journalistes à la gestion de leur titre. C’est cette même conviction qui m’anime aujourd’hui.
Le droit d’agrément constituera une réponse à la crise de confiance que traverse la presse et qui s’est récemment aggravée, comme le démontrent les sondages successifs. Voter en faveur du droit d’agrément, c’est renforcer la crédibilité des médias, c’est donc soutenir le lectorat et le modèle économique de la presse. Ce n’est pas un droit corporatiste, mais un droit qui permettra aux citoyens et aux citoyennes d’avoir pleinement confiance dans les titres qu’ils lisent.
Vous avez constaté que j’ai déposé plusieurs amendements, qui visent à améliorer la rédaction de la proposition de loi, déposée sous le choc de la grève du JDD, au mois de juillet. Il était nécessaire de la retravailler pour la rendre plus opérationnelle.
Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons aux orateurs des groupes.
M. Christophe Marion (RE). Madame la rapporteure, je tiens à souligner combien votre proposition de loi est intéressante, car elle aborde des questions fondamentales relatives à la liberté de la presse et au droit à une information fiable, indépendante et pluraliste. Elle l’est aussi, parce qu’elle entendait répondre, au moment de son dépôt, à une inquiétude forte que nous sommes nombreux à avoir ressentie, après la nomination du nouveau directeur de la rédaction du JDD. C’est pour ces deux raisons qu’elle a rassemblé, en septembre, les signatures de députés issus de plusieurs groupes parlementaires, dont Renaissance. Leur ambition était d’envoyer un signal politique fort à destination des journalistes, mais aussi des actionnaires de médias et du public citoyen. Vous avez eu raison, vos cosignataires et vous-mêmes, d’envoyer un tel message.
Si je partage vos constats, à savoir que les lois de 1881, de 1986 et de 2016 ne sont plus suffisantes, ainsi que votre objectif de mieux protéger l’indépendance de l’information, je pense, en revanche, que votre proposition, que vous qualifiez vous-même de mesures d’urgence non exhaustives, n’y répond pas. L’urgence ne doit pas justifier la précipitation et la non-exhaustivité, en particulier lorsqu’une action importante a déjà été engagée – je pense au lancement des états généraux de l’information (EGI). Les professionnels du secteur, des chercheurs et des citoyens y travaillent, en toute indépendance, à établir des propositions concrètes sur un périmètre très large : indépendance et fiabilité de l’information, concentration des médias, pluralisme, protection contre les ingérences étrangères, et j’en passe.
Leurs recommandations auront vocation à répondre de manière transversale à de nombreuses problématiques, ce que ne peut pas faire, en l’état, votre proposition de loi. Nous-mêmes sommes en cours de réflexion. En effet, notre commission a entamé, sous l’impulsion de sa présidente, un cycle d’auditions en lien avec les EGI, qui n’est pas encore achevé. En légiférant maintenant, le risque est réel de venir percuter les recommandations des EGI et d’ainsi nuire à l’articulation des dispositifs qu’ils envisageraient. À l’issue de cette grande concertation, nous autres députés, aurons un rôle fondamental, celui de nous assurer que professions et ministère de la culture travailleront ensemble à la traduction législative et budgétaire des préconisations.
J’insiste sur un point : mon groupe et moi-même ne sommes pas opposés par principe au droit d’agrément, qui divise fortement le secteur, même s’il a été mis en place volontairement dans plusieurs rédactions. Cependant, les auditions d’excellente qualité que vous avez menées la semaine dernière ont révélé, selon moi, les lacunes de votre texte et les interrogations multiples qu’il soulève et auxquelles je n’ai pas encore trouvé de réponses. Ces auditions nous ont amenés à préciser les aides concernées, le périmètre ciblé, ainsi que la qualité de responsable de la rédaction. Sur ce dernier point, par exemple, je doute que la précision éclaircisse le cas des rédactions sous-traitées ou mutualisées. Par ailleurs, qu’advient-il de la responsabilité de la rédaction, lorsque l’agrément n’est pas obtenu malgré plusieurs candidatures ? Vous ne précisez pas non plus quelle sera l’autorité compétente pour acter du retrait ou de l’arrêt des aides publiques ni la temporalité de la sanction.
Votre proposition ne s’attaque pas davantage au départ forcé du responsable de la rédaction, un sujet d’une certaine actualité, ce qui me fait dire que d’autres dispositifs éludés par votre proposition de loi doivent être interrogés : l’élaboration d’une charte de déontologie unique et contraignante, la certification, la création d’un conseil de rédaction doté d’une personnalité morale, la motion de défense, le droit de révocation. De plus, si votre proposition s’intéresse, dans son article 2, aux médias audiovisuels, déjà particulièrement bien encadrés par l’Arcom – à se demander s’il est nécessaire d’aller plus loin –, qu’en est-il des nouveaux médias issus des réseaux sociaux absents de votre texte ? Cela pose la question de l’égalité en droit des journalistes.
Enfin, les contournements de votre dispositif me semblent nombreux : renoncement aux aides publiques pour les actionnaires qui en auraient les moyens, intervention dans la nomination des rédacteurs en chef ou des chefs de service, notamment.
Pour toutes ces raisons, madame la rapporteure, vous comprendrez que mon groupe votera contre votre proposition de loi, bien qu’il souhaite que le débat ait lieu et partage votre envie de fournir à nos concitoyens une information fiable et indépendante.
Mme Julie Lechanteux (RN). La liberté éditoriale des médias est un sujet important : elle permet l’expression du pluralisme politique et garantit la démocratie. La proposition de loi entend défendre ce principe, qu’elle oppose à la mainmise de propriétaires peu scrupuleux sur les différentes rédactions journalistiques. Dans son article 1er, qui ne s’adresse qu’à la presse papier, elle entend conditionner l’apport d’aides publiques à la mise en place d’une procédure d’agrément pour la nomination de tout responsable de la rédaction, par un vote des journalistes professionnels. L’article 2 en est une déclinaison destinée aux rédactions audiovisuelles.
Or les acteurs de la presse écrite eux-mêmes s’opposent à cette mesure, qu’ils jugent risquée, notamment pour les petites rédactions. Il suffirait en effet de s’assurer la loyauté de la majorité des journalistes d’une rédaction pour la contrôler directement sans même avoir à l’acheter. Plus l’organisme serait petit, plus il serait simple d’en prendre le contrôle. Cet entrisme compliquerait d’autant la capacité d’action des rédactions qui pourraient se retrouver paralysées par des luttes d’influence diverses.
En outre, le texte oublie que, bien souvent, les journalistes ont une orientation politique assez similaire à celle du propriétaire de leur média, car c’est lui qui les recrute. Si une personne disposant d’importants moyens financiers avait réellement un projet politique, elle pourrait très bien ignorer cette loi et se passer des aides publiques. Elle n’aurait qu’à laisser la situation se dégrader, à attendre que tous les journalistes partent un à un, avant de les remplacer et de faire ce qu’elle souhaite.
Il me semble aussi nécessaire de rappeler que la mise en œuvre d’une telle loi serait un recul sans précédent du droit à la propriété privée. L’équilibre entre journalistes et propriétaire se retrouverait rompu, au profit des premiers. De plus, le terme « responsable des rédactions » est assez flou. Il peut renvoyer à différentes personnes, comme le directeur de la rédaction, le directeur de la publication ou le directeur de l’information. Des situations ubuesques pourraient advenir : un directeur de la publication serait responsable devant la justice de la ligne et des propos tenus lors d’une émission, alors même qu’il n’aurait aucun pouvoir décisionnaire dessus.
Par ailleurs, ce texte, qui annonce dans son exposé des motifs vouloir défendre les droits de la presse, fait l’exact inverse. Il n’est en réalité qu’un instrument au service de la disparition des idées pluralistes dans les médias. En voulant donner le pouvoir d’agrément aux journalistes, dont la majorité se réclame d’une idéologie de gauche, il ne ferait que renforcer la prégnance de ces idées au sein des rédactions et, en supprimant toute voix discordante, il nuirait au débat public, qui s’enrichit par la diversité des opinions.
Le pluralisme est d’ailleurs mis en difficulté par le pouvoir lui-même, comme on l’a vu une nouvelle fois la semaine dernière, quand il a demandé la mise à pied du directeur de La Provence pour une « Une » qui ne lui plaisait pas. Avant d’essayer, au nom du pluralisme, de dénier au propriétaire toute forme d’influence, vous devriez essayer de le faire respecter par le Gouvernement et le service public.
Votre texte est bel et bien dangereux, en ce qu’il cherche seulement à éliminer les avis différents qui malmènent l’hégémonie médiatique de la gauche. Mais il est aussi stupide, car il ouvre des failles qui pourraient faciliter les mainmises sur les titres de presse ou sur les chaînes de télévision. C’est d’ailleurs pour cela que tous les acteurs du secteur et les syndicats s’y opposent farouchement. On peut aussi s’étonner de l’agenda de son examen.
Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement national s’y opposera.
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Nous examinons une proposition de loi déposée en réaction à un événement : la reprise du Journal du dimanche par le groupe Bolloré et le départ massif de journalistes après six semaines de grève historique contre la nomination de Geoffroy Lejeune venu de Valeurs actuelles. Elle a été signée, dans l’émotion du moment, par plusieurs députés des rangs macronistes. Après avoir été démentis par leurs collègues voire leurs ministres, dont la nouvelle ministre de la culture, Rachida Dati, qui donne des tribunes et des interviews au nouveau JDD Bolloré, ils annoncent aujourd’hui qu’ils voteront contre. Je vois surtout dans cette proposition de loi, après celle sur la concentration dans les médias défendue en 2022, lors de notre journée d’initiative parlementaire, une occasion de mettre la représentation nationale devant ses responsabilités sur un sujet crucial pour notre démocratie, l’indépendance des médias à l’égard des pouvoirs économiques et politiques, et de parler d’un système médiatique à revoir, à mon sens, de fond en comble.
De quoi l’affaire du JDD est-elle le nom ? Elle est d’abord le nom d’un certain système Bolloré, qui obéit à une méthode bien rodée, de Canal+ au JDD, en passant par iTélé, Europe 1, Paris Match. C’est le grand ménage à chaque acquisition : émissions supprimées, ligne éditoriale imposée, rédaction démantelée. Parfois même, le changement de personnel et de ligne semble précéder le rachat, dans une forme de prise de contrôle anticipée. Le système Bolloré, c’est aussi un intérêt économique bien compris et bien défendu. Sur C8, un député se voit insulter par Cyril Hanouna devant des millions de téléspectateurs, quand il ose évoquer les affaires judiciaires de Bolloré en Afrique. Le même Cyril Hanouna persiste et signe, interrogé par notre commission d’enquête, en disant qu’il ne fallait pas « cracher dans la main qui [nous] nourrit ».
Bolloré, c’est aussi une régie publicitaire, qui peut couper les contrats d’un journal publiant des enquêtes sur ses méfaits en Afrique. C’est aussi toute une série de procédures bâillons visant à intimider les journalistes et révélant des activités contestables. Enfin, c’est un empire idéologique construit au prix de la rentabilité économique. Le groupe Canal+ est le plus sanctionné du paysage audiovisuel français ; les propos racistes, les fake news, le manque de pluralisme continuent. C’est un risque assumé, un combat civilisationnel, qui s’étend au-delà de la sphère médiatique à tous les champs de la liberté d’expression et de création. On coupe le financement d’un film qui ose parler de pédocriminalité dans l’église ; on récrit une série qui parle de laïcité ; on applique à l’édition la méthode déjà éprouvée dans les médias, avec Plon et désormais Fayard, dont la présidente a été limogée pour être remplacée par l’éditrice de Zemmour, ce même Zemmour auquel on a offert la moitié du temps de parole de « Touche pas à mon poste ! » (TPMP), en période électorale. La boucle est bien bouclée.
Il serait donc illusoire de penser que ce système Bolloré tremblerait devant la seule menace de perdre ses aides à la presse. Il serait aussi illusoire de se dire que nous avons affaire à un milliardaire isolé, à des méthodes singulières. Derrière l’arbre JDD, l’arbre Bolloré, il nous faut voir la forêt de ce système médiatique caractérisé par la mainmise d’une poignée de milliardaires sur l’information – huit milliardaires et deux millionnaires, qui possèdent 81 % des quotidiens nationaux et 95 % des hebdomadaires nationaux généralistes.
Ces milliardaires s’échangent les médias comme on se passe le sel. Bernard Arnault, président-directeur général de LVMH, possède déjà Le Parisien, Les Échos, Radio classique, une partie de Challenges, et il compte racheter Paris Match au groupe Lagardère, lui-même racheté par Bolloré. Patrick Drahi revend ses chaînes télévisées au groupe de transport maritime CMA CGM de Rodolphe Saadé, déjà propriétaire de La Provence et de La Tribune. Le cas de Rodolphe Saadé est assez parlant. Il vient de s’illustrer avec la mise à pied du directeur de rédaction de La Provence pour crime de lèse-majesté : la « Une » n’était pas à l’avantage de son ami Emmanuel Macron. Gloire à la rédaction de La Provence et à celle de La Tribune, qui ont fait reculer Saadé par la grève ! Les rédactions de BFM TV et de RMC avaient exprimé leur soutien, et on les comprend. Quand elles ont interrogé Saadé sur sa réaction en cas de couverture d’un scandale touchant son groupe, il a répondu qu’il ne réagirait pas bien et qu’il le ferait savoir. Au-delà du pouvoir pour les rédactions de nommer le responsable de rédaction, se pose la question du pouvoir de dire non au rachat par un actionnaire et d’exiger de véritables garanties d’indépendance.
Le groupe LFI votera pour ce texte, qui peut constituer une petite avancée. Mais il défendra aussi des amendements afin de répondre à certaines de ses limites : ne pas lier le droit d’agrément et les aides à la presse, remettre en cause ces aides et, plus fondamentalement, interroger le statut des rédactions de journalistes.
M. Jean-Jacques Gaultier (LR). Ma chère collègue, je loue votre engagement et partage une bonne partie de vos objectifs. Mais je n’approuve pas les moyens. Ce texte modifie deux lois de liberté, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et celle du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, ce qui peut, quand même, poser un problème constitutionnel. Je rappelle que le Conseil constitutionnel a toujours confirmé dans sa jurisprudence le principe de la liberté pour l’employeur du choix de ses collaborateurs, au nom de la liberté d’entreprendre.
Actuellement, la loi ne prévoit aucune situation dans laquelle les salariés d’une entreprise doivent être directement consultés par un vote avant la nomination d’un responsable. Cette procédure d’agrément poserait d’ailleurs la question de l’exercice de la responsabilité pénale, qui est consacrée par la loi de 1881, pour des personnes qui ne seraient pas approuvées par l’actionnaire. Cela pourrait dissuader les investissements dans nos médias, qui en ont grandement besoin, et cela viendrait figer des rédactions, entraver toute mobilité, toute évolution, tout profil différent, au nom d’un certain entre-soi qui me paraît préjudiciable.
Du reste, ce texte est loin d’être demandé par toute la profession, qui est déjà protégée et encadrée. Les journalistes disposent de clauses de conscience et de cession, et d’un droit d’opposition. On a d’ailleurs vu récemment l’efficacité d’une motion de défiance au sein de la rédaction de La Provence. L’épisode du JDD me paraît aujourd’hui dépassé, après la création de La Tribune Dimanche.
Enfin, cette proposition de loi associe deux sujets radicalement différents aux règles radicalement différentes : la presse et l’audiovisuel. La presse, c’est beaucoup de titres et un pluralisme externe – une presse d’opinion est possible. L’audiovisuel, c’est la rareté de la ressource, les fréquences, ce qui implique un pluralisme interne, ainsi qu’un contrôle et une régulation par l’Arcom, avec des cahiers des charges et des conventions signées par les chaînes privées. Du reste, l’audiovisuel public ne serait pas concerné par votre proposition de loi, ce qui viendrait renforcer les asymétries avec les médias privés.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la proposition de loi, dont l’objectif est louable mais qui m’apparaît comme une fausse bonne idée.
M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). Je tenais à vous remercier, madame la rapporteure, pour la qualité de votre travail. Le sujet de la liberté éditoriale des médias est central pour l’avenir de notre démocratie. Les auditions ont été nombreuses et, pour celles auxquelles j’ai participé, de qualité. Le dialogue a toujours été ouvert. Le groupe Démocrate adhère à la philosophie de ce texte qui vise à renforcer l’indépendance des médias vis-à-vis de leurs actionnaires. Plusieurs députés du groupe ont d’ailleurs soutenu le signal envoyé au moment de son dépôt, pour s’inscrire en réaction à la nomination surprise par Vincent Bolloré de Geoffroy Lejeune à la tête du JDD. Nous n’acceptons pas qu’un actionnaire puisse remettre en question le travail d’une rédaction, construit sur plusieurs dizaines d’années. C’est vrai au JDD, ça l’est aussi à Paris Match ou à Europe 1, et plus globalement pour n’importe quel journal.
À ce titre, la question du droit d’agrément que vous proposez pour approuver la nomination du directeur ou de la directrice de la rédaction mérite d’être posée et débattue. Nous soutenons l’ambition du texte, mais nous nous interrogeons sur sa temporalité. La production d’une information fiable et indépendante de la presse et des médias ne se limite pas au droit d’agrément.
De surcroît, l’examen du texte intervient alors que les états généraux de l’information se saisissent du sujet dans sa globalité. Ces EGI, promesse de campagne d’Emmanuel Macron dont nous attendons les conclusions pour le mois de juillet, permettront de faire preuve du recul et du discernement dont nous avons besoin pour prendre les mesures les plus adaptées. Leurs préconisations seront vraisemblablement mises en application dans une ou plusieurs propositions législatives. Celles-ci sont très attendues par nos concitoyens, ainsi que par tous les acteurs de la presse.
Nous-mêmes, parlementaires de la majorité, auditionnons depuis janvier, chaque semaine, les journaux, syndicats, économistes et spécialistes pour disposer de cette vision d’ensemble essentielle à nos réflexions. Le travail est en cours et ses conclusions ne doivent pas être hâtées. Le texte doit s’inscrire dans un chantier plus large sur la refonte des aides à la presse, pour éviter leur accaparement par des actionnaires, sur la protection des journalistes impliqués dans les sociétés de journalistes (SDJ), sur la lutte contre les ingérences ou sur la précarité du métier.
Votre proposition de loi nous permet de continuer à réfléchir tous ensemble à ce que doivent être les nouvelles conditions de l’indépendance des médias ; elle est en cela la bienvenue. Néanmoins, ce texte risque de déstabiliser un secteur qui a besoin de notre aide et de recettes complémentaires. La presse est sur des sables mouvants dont nous ne pourrons l’éloigner que par un effort global. Le débat vivant dans notre commission préfigure les discussions que nous devrons avoir pour transposer et améliorer les conclusions des états généraux de l’information.
Le groupe Démocrate s’abstiendra.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. » Cette formule de Beaumarchais, inscrite en une du Figaro depuis le XIXe siècle, nous rappelle, s’il en était besoin, l’importance de la liberté de la presse et de l’indépendance des médias. La presse, les médias ne sont pas des biens comme les autres. Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, le résumait très simplement : « Informer un homme, lui fournir les éléments d’une conviction et d’un jugement est tout autre chose que lui procurer un chapeau ou une paire de chaussures. » Les médias sont l’arme la plus puissante de la démocratie, le baromètre de notre liberté et le rempart contre la tyrannie.
Depuis le XIXe siècle, nos prédécesseurs parlementaires français ou européens ont, loi après loi, directive après directive, et quels que soient les gouvernements, renforcé la liberté des journalistes et l’indépendance des médias : protection de la liberté éditoriale, protection du secret des sources, protection des médias vis-à-vis des pressions économiques et politiques, indépendance et pluralisme de l’information et des programmes, clause de cession et de conscience pour les journalistes.
Malgré ces avancées obtenues au fil des ans, force est de constater que la concentration des médias à laquelle nous faisons face nous oblige à réinterroger notre cadre législatif et nos règles. Garantir la liberté éditoriale et l’indépendance des journalistes face aux potentielles ingérences économiques ou politiques n’est pas un combat partisan, le combat d’un camp contre un autre. Au contraire, protéger les journalistes, garantir leur indépendance, c’est protéger notre démocratie et notre République. C’est à ce défi collectif que nous devons réussir à répondre, au-delà des clivages qui peuvent nous opposer par ailleurs.
Madame la rapporteure, je vous remercie d’avoir conduit un travail parlementaire rigoureux et approfondi, en menant de nombreuses auditions de qualité, et de nous présenter une proposition de loi ayant le mérite de poser une question salutaire et fondamentale et d’ouvrir un débat nécessaire : comment sauver les médias, dont les modèles économiques sont fragiles, tout en préservant leur indépendance et celle des journalistes ?
Loin des caricatures démagogiques et des postures, il faut être lucide : le rachat des médias par de grands industriels et par des chefs d’entreprise permet, le plus souvent, de les sauver et de leur apporter l’argent nécessaire à leur développement. Sans ces actionnaires, de nombreux médias auraient disparu. Il ne nous en incombe pas moins à nous, législateurs, d’encadrer les relations entre ces actionnaires et les journalistes afin de garantir la liberté éditoriale. Nous ne pouvons demeurer indifférents à la mobilisation des journalistes du Journal du dimanche ni aux tribunes des journalistes, notamment celle parue ce jour dans Le Monde nous demandant de renforcer l’indépendance des rédactions.
Au groupe Horizons et apparentés, nous sommes attachés à la liberté d’entreprendre et, en même temps, profondément soucieux de l’indépendance des médias et des journalistes. Nous devons donc parvenir à un équilibre en la matière. Il n’y a pas de réponse définitive. Au cours des auditions, auxquelles nous avons pris part dans le cadre du groupe Médias et information majorité présidentielle, nous avons constaté que le droit d’agrément, qui offre aux journalistes un nouveau droit collectif, est loin de faire l’unanimité, même parmi eux.
Si nous examinons sa mise en œuvre concrète, nous observons qu’il fonctionne au journal Le Monde ; aux Échos, il crée une situation de blocage, qui dure depuis plusieurs mois. Plutôt qu’imposer dans l’urgence ce droit collectif, au risque de déstabiliser le secteur, il nous semble essentiel de proposer des mesures permettant de compléter la loi du 29 juillet 1881, la loi du 30 septembre 1986 et la loi du 14 novembre 2016, lesquelles ne suffisent plus à répondre à cet enjeu majeur.
Les aides à la presse doivent être revues et redéfinies. La gouvernance des médias doit être réexaminée. Le pluralisme de l’information doit être garanti, en tirant les conséquences des limites de la loi « Bloche ». La création de fonds de dotation et de fondations dédiées à la presse doit être encouragée. Les médias doivent être protégés contre les ingérences étrangères.
Nous souhaitons que, en lien avec le Gouvernement, le ministère de la culture et les EGI, notre assemblée formule rapidement des propositions concrètes et exhaustives permettant de relever durablement le double défi de la sauvegarde économique de nos médias et de l’indépendance des journalistes ainsi que des rédactions. Dans l’attente de l’aboutissement des travaux de concertation en cours et la présentation d’un texte de loi global, les membres du groupe Horizons et apparentés sont majoritairement défavorables à la présente proposition de loi.
M. Inaki Echaniz (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés accueille avec plaisir la présente proposition de loi. Il remercie la rapporteure d’avoir entamé ce combat, né lors de la crise du Journal du dimanche dans un large consensus, et de le poursuivre. Les socialistes souhaitent que ce travail transpartisan, auquel ils ont pris toute leur part, aboutisse.
Compte tenu de l’interventionnisme croissant de certains actionnaires dans le monde des médias, l’instauration d’un droit d’agrément constitue un rempart utile et urgent pour le pluralisme et l’indépendance des journalistes. La lutte pour le pluralisme des médias est un enjeu démocratique. Les médias, parce qu’ils sont un pilier de notre démocratie, ne peuvent pas être considérés comme de purs actifs à vendre et à acheter.
L’objet de la présente proposition de loi est d’empêcher les variations radicales de ligne éditoriale à la suite de la nomination d’un nouveau responsable de la rédaction. Elle conforte la liberté de la presse sans raboter la liberté d’entreprendre, toutes deux garanties par la Constitution.
Contrairement à ce que certains en disent, le droit d’agrément est attendu par de nombreux journalistes. C’est pourquoi j’ai tenu à le faire figurer parmi les propositions de la mission d’évaluation de la loi « Bloche », que j’ai menée avec la présidente Rauch et dont le rapport vient d’être publié.
En février, SDJ du Journal du dimanche a voté sa dissolution. Celle de Paris Match a disparu dans la foulée. Je rappelle qu’une SDJ est une association de journalistes constituée au sein d’une rédaction pour veiller au respect de la déontologie et à l’indépendance du journal. Les relations entre les SDJ et la direction de ces deux titres de presse s’étaient considérablement tendues depuis leur reprise par Vincent Bolloré.
En décembre dernier, la SDJ de Paris Match a signifié son désaccord avec la « Une » consacrée à une crèche de Noël dans un foyer parisien appartenant au propriétaire. Par la suite, les trois membres du bureau de la SDJ ont démissionné après une réunion houleuse avec la direction de Lagardère News.
À l’été 2022, l’ancien rédacteur en chef politique et économique de Paris Match, Bruno Jeudy, a été écarté après son opposition à la publication d’une « Une », contestée par la SDJ, consacrée au cardinal ultraconservateur Robert Sarah, alors même qu’une motion de censure de la direction avait été votée. En juin dernier, Caroline Fontaine, membre de la SDJ, s’est inquiétée d’ingérences du propriétaire dans les choix éditoriaux de l’hebdomadaire ; elle a été purement et simplement licenciée.
Le combat pour le droit d’agrément démontre que, du point de vue juridique et légal, les rédactions sont isolées. Elles doivent aller au bras de fer contre leurs actionnaires. Il est de notre responsabilité, en tant que parlementaires, de les protéger.
Les membres du groupe Socialistes et apparentés, signataires en nombre de la proposition de loi, la soutiendront et espèrent qu’elle sera largement adoptée, compte tenu du consensus qu’elle a suscité à son dépôt. À nos collègues qui ont des pudeurs de gazelle à passer à l’acte, je dirai, paraphrasant le Premier ministre, ceci : quand on signe, on assume et on vote.
M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). Le 22 juin 2023, la rédaction du Journal du dimanche votait une grève qui durera quarante jours, ce qui en fait la deuxième plus longue de l’histoire des médias en France. Cette mobilisation massive faisait suite à la nomination, dictée par l’actionnaire, d’un nouveau directeur de la rédaction arrivant tout droit d’une publication d’extrême droite. La rédaction en est sortie décimée.
La semaine dernière, La Provence a connu une grève lorsque l’actionnaire s’est mêlé de sa ligne éditoriale. Mécontent de la « Une » de ce journal sur son déplacement à Marseille, le Président de la République n’a pas manqué de le faire savoir au propriétaire, ce qui a entraîné la mise à pied du responsable de la rédaction.
Ces deux exemples, parmi tant d’autres, illustrent la censure directe ou indirecte qui sévit dans les médias.
La liberté éditoriale des médias est en crise, parce que les médias sont concentrés entre les mains de quelques-uns. Leurs noms, nous les connaissons tous : Vincent Bolloré avec le Journal du dimanche, Europe 1 et CNews ; Bernard Arnault avec Le Parisien, Les Échos et bientôt Paris Match ; Rodolphe Saadé avec La Tribune, La Provence et prochainement BFM TV et RMC. Onze milliardaires détiennent 80 % de la presse quotidienne généraliste, près de 60 % des parts d’audience de la télévision et la moitié des audiences de la radio.
Cette concentration ne résulte pas d’un intérêt financier pour le secteur des médias – cela se saurait –, tant son modèle économique est fragile, mais bien d’une volonté de détenir un vecteur d’influence. M. Bolloré utilise ses médias, après avoir épuré leur rédaction initiale, pour mener une guerre idéologique, à coups de fake news si nécessaire.
Les entreprises de médias ne sauraient être des entreprises comme les autres, parce qu’elles produisent un bien qui n’est pas comme les autres : de l’information. L’information est un bien vital pour une démocratie : elle expose publiquement des faits, elle est outil de contrôle des pouvoirs et elle est nécessaire à l’exercice de la citoyenneté.
Le groupe Écologiste-NUPES a inscrit à l’ordre du jour de sa niche parlementaire une proposition de loi apportant une réponse au phénomène de dégradation de la liberté éditoriale et de concentration des médias. Certes, elle ne peut pas tout. Elle doit être le début d’une série de mesures visant à protéger les journalistes et les rédactions pour renforcer leur indépendance et garantir le pluralisme dans les médias. L’augmentation du nombre d’entraves à la liberté de l’information nous interdit de remettre notre action à une hypothétique suite législative des EGI, dont les espoirs commencent d’ores et déjà à disparaître.
Nous proposons un nouveau droit collectif simple : un droit d’agrément de la ou du responsable de la rédaction, dont la nomination serait soumise à un vote des journalistes de la rédaction. Pour assurer sa mise en œuvre, ce droit d’agrément déterminerait l’octroi des aides publiques directes et indirectes à la presse. Un tel droit d’agrément n’a rien de fantaisiste. Les rédactions du Monde, des Échos et de Libération l’ont adopté sous diverses variantes. Cela n’a donc rien d’impossible.
Je tiens à saluer – j’espère pouvoir en dire autant de l’examen du texte en commission – le travail transpartisan mené jusqu’à présent par madame la rapporteure, avec des collègues de plusieurs groupes engagés en faveur d’une information indépendante et pluraliste, indispensable à une société démocratique effective. Notre attachement commun au droit à l’information devrait nous amener à adopter largement le texte. Soixante-dix sociétés de journalistes, médias, syndicats et collectifs nous regardent et nous y enjoignent.
Mme Soumya Bourouaha (GDR-NUPES). La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose, dans son article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » La loi du 29 juillet 1881 consacre, dans son article 1er, le principe de la liberté de l’imprimerie et de la librairie, dont la valeur constitutionnelle a été affirmée par la cour d’appel de Paris en 1992.
Pourtant, la liberté de la presse et la qualité de l’information qui en découle sont constamment mises à l’épreuve par la liberté d’entreprendre, laquelle se manifeste par une croissante ingérence de l’actionnariat dans le travail des rédactions. La nomination de Geoffroy Lejeune à la tête du Journal du dimanche a été un point de bascule pour une grande part de la société française, qui y a vu l’exemple flagrant d’un pouvoir économique prêt à négliger toute exigence déontologique pour faire de l’information une marchandise générant des profits.
Dans ce contexte de mobilisation, les journalistes du Journal du dimanche ont été à l’initiative de propositions visant à renforcer l’indépendance des journalistes. Dans une lettre ouverte adressée à la ministre de la culture d’alors, Mme Rima Abdul-Malak, les membres de la rédaction ont rappelé la demande qu’ils lui ont présentée : « Porter une évolution de la législation pour assurer l’indépendance réelle des rédactions et protéger l’exercice de notre métier dans le respect des règles déontologiques. » L’objectif principal est d’instaurer une forme de droit de veto ou d’approbation sur la nomination des directeurs de rédaction.
La protection de la liberté éditoriale des journalistes a fait l’objet d’évolutions législatives récentes. En 2016, afin de renforcer les garanties déontologiques entourant l’exercice du métier, la loi « Bloche » a instauré un droit d’opposition individuel. Les rapporteurs de la mission d’évaluation de cette loi ont constaté qu’il demeure général : « Les termes choisis demeurent assez vagues et laissent aux journalistes le soin d’apprécier ce que serait une pression ou un acte contraire à leur intime conviction professionnelle. »
La proposition de loi que nous examinons remédie aux défaillances du cadre juridique en conditionnant le versement des aides à la presse et l’usage des fréquences publiques à l’instauration d’un droit d’agrément sur la nomination de tout directeur de rédaction pour les journalistes employés. Nous devons saluer le travail réalisé par notre collègue Sophie Taillé-Polian, qui a le mérite non seulement de proposer une véritable garantie de protection aux journalistes des médias sollicitant des aides de l’État, mais aussi d’ouvrir le débat sur les facteurs participant à l’affaiblissement de la liberté éditoriale de ces derniers.
Il est urgent que le pouvoir législatif affronte les problèmes cruciaux de la concentration des médias, du financement de l’audiovisuel et de la précarisation de la profession des journalistes, pour garantir le pluralisme et la qualité de l’information ainsi qu’un statut protecteur pour tous les travailleurs du secteur. Nous espérons qu’il ouvre la voie à une réforme profonde de la loi du 30 septembre 1986.
Le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES votera le texte.
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Nous remercions nos collègues du groupe Écologiste-NUPES d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour. L’avenir de la presse et de nos médias est préoccupant. Le sujet que vous nous proposez d’étudier est majeur. Garantir l’indépendance et le pluralisme de nos médias est un impératif démocratique à l’heure où de grandes fortunes prennent le contrôle des médias et peuvent faire pression pour influer sur leur contenu.
Le texte résonne avec l’actualité du week-end. La mise à pied du directeur de la rédaction du quotidien La Provence, même s’il a ensuite été réintégré, ne peut que confirmer les craintes d’ingérences éditoriales et de pressions exercées par certains grands actionnaires. Tel est d’autant plus le cas que cet épisode survient juste après la promesse de rachat d’Altice Media formulée par le groupe CMA CGM, énième exemple de l’important processus de concentration des médias en cours, qui fragilise le rapport des citoyens à l’information.
Il faut contrer la perte du lien de confiance entre médias et public, qui a des conséquences jusque dans nos institutions. L’accès des citoyens à une presse libre et indépendante est un préalable fondamental à toute démocratie. Nous avons tous le souvenir de l’offre publique d’achat du groupe Vivendi sur Lagardère et celui de la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête du Journal du dimanche contre l’avis des journalistes, laquelle a suscité la présente proposition de loi, que nous soutenons.
Garantir la liberté éditoriale des médias, c’est garantir aux citoyens l’accès à une information indépendante et transparente. Pour ce faire, les journalistes doivent être consultés sur la ligne éditoriale, donc sur la personne chargée de diriger la rédaction. Conditionner les aides publiques des titres de presse et l’autorisation d’un canal de diffusion des chaînes de radio et de télévision à un vote des journalistes employés est une garantie bienvenue. Certains titres de presse ont d’ores et déjà adopté une telle procédure.
En tout état de cause, il reste beaucoup à faire pour protéger nos médias et nos journalistes. Tel est l’objet des EGI, auxquels nous participons et dont nous espérons qu’ils permettront d’aboutir à l’adoption d’une législation protégeant mieux la liberté des médias. Il faudra aussi se pencher sur les recommandations émises par nos collègues Isabelle Rauch et Inaki Echaniz sur l’évolution de la loi « Bloche ». Notre groupe a déposé plusieurs amendements visant à renforcer les chartes déontologiques.
Protéger les journalistes, c’est aussi lutter contre leur précarité et leur garantir des conditions d’exercice sereines, en s’attaquant en premier lieu aux procédures-bâillons. Cette démarche va de pair avec la lutte contre les phénomènes de concentration à l’œuvre. Pour ce faire, il faut élaborer un nouveau modèle économique garantissant des revenus suffisants, car les recettes publicitaires des médias traditionnels ont été divisées par deux en dix ans, les abonnements numériques stagnent et l’intelligence artificielle aspire gratuitement les contenus des médias.
Nous soutiendrons le texte, qui, compte tenu du contexte que je viens de décrire, est bienvenu.
Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Quentin Bataillon (RE). Je salue l’expertise de Sophie Taillé-Polian en matière de médias, que chacun lui connaît, et la remercie d’avoir inscrit à l’ordre du jour une proposition de loi à ce sujet. Nos travaux seront notamment nourris par le rapport de la mission d’évaluation de la loi « Bloche » menée par la présidente de la Commission et par Inaki Echaniz.
Nous pouvons sans doute tomber d’accord que notre rôle consiste à envoyer un signal aux groupes de presse pour que chacun trouve ses outils démocratiques internes. L’actualité nous en démontre la nécessité, mais aussi la difficulté, compte tenu des spécificités de chacun d’entre eux.
Dans le cadre de la commission sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre, nous avons auditionné des représentants de Reporters sans frontières, qui considèrent que notre rôle, en la matière, est de donner une impulsion mais pas forcément de légiférer. Il faut y être attentif, car ils se fondent, pour dire cela, sur la spécificité de chaque groupe de presse.
Plutôt qu’une loi, mieux vaut élaborer une base commune aux chartes déontologiques, qui peuvent être très différentes entre elles, incluant la possibilité d’adopter une motion de défiance plutôt que de provoquer un blocage. Mieux vaut susciter l’alerte et le dialogue, sans exclure d’envisager ensuite des évolutions, que le blocage, lequel peut résulter de l’introduction du droit d’agrément. De nombreux groupes audiovisuels et organes de presse, tels que TF1, fonctionnent ainsi.
Mme Frédérique Meunier (LR). En octobre 2021, le groupe Socialiste, écologiste et républicain du Sénat a proposé la création d’une commission d’enquête sur la concentration des médias en France, en évoquant « le cas Bolloré ». En octobre 2022, le groupe La France insoumise a déposé la proposition de loi visant à mettre fin à la concentration dans les médias et l’industrie culturelle, dont l’exposé des motifs évoque expressément « le cas Bolloré ». En septembre 2023, la proposition de loi visant à protéger la liberté éditoriale des médias sollicitant des aides de l’État a été déposée à la suite de l’opposition de la rédaction du Journal du dimanche à la nomination à sa tête de Geoffroy Lejeune.
En octobre 2023, Aurélien Saintoul a déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre. De nombreuses auditions sont menées dans ce cadre. Le ton inquisitoire et souvent méprisant de M. Saintoul a été souvent relevé. Il s’agit d’une énième initiative de la gauche au Parlement. L’obsession Bolloré semble vous tenir particulièrement à cœur, notamment aux Insoumis, qui y ont consacré leur droit de tirage annuel permettant de créer une commission d’enquête.
Vous qui vous dites plus proches du quotidien et des préoccupations des Français, pensez-vous sincèrement que toutes ces initiatives les intéressent ?
Mme Emmanuelle Anthoine (LR). Plusieurs évolutions dans le secteur des médias ont défrayé la chronique au cours des dernières années. Dans la presse écrite et dans l’audiovisuel, le paysage évolue et les lignes éditoriales bougent.
Par-delà les cas particuliers, qui ont fait couler beaucoup d’encre, la question centrale est celle du pluralisme des médias et dans les médias. C’est au prisme de cet enjeu que nous devons légiférer, et non en réaction à des situations particulières suscitant des réactions polémiques et clivantes. Nous devons veiller à défendre le grand principe du pluralisme plutôt que proposer une vision politisée de ce que doit être l’orientation des médias.
Quel impact les mesures que vous proposez auront-elles sur le pluralisme des médias ? Les dispositions de la présente proposition de loi permettront-elles de renforcer le pluralisme ou sont-elles un faux-semblant ? Pourrons-nous les évaluer objectivement ?
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je remercie nos collègues qui soutiennent la proposition de loi. Nous considérons tous, me semble-t-il, que les médias sont un outil absolument indispensable à la démocratie. La Constitution le reconnaît : l’indépendance, le pluralisme, l’honnêteté, l’accessibilité et la qualité de l’information sont indispensables.
Les groupes de la majorité s’interrogent sur l’intérêt d’ouvrir le débat et d’envoyer un signal fort, comme j’ai voulu le faire en juillet dernier. Il est toujours aussi nécessaire d’envoyer un tel signal. Au demeurant, soixante-dix sociétés de journalistes, médias, syndicats et collectifs se sont exprimés en ce sens dans les colonnes du Monde de ce jour.
La profession des journalistes est très favorable à la présente proposition de loi. Un signal fort doit être envoyé sans attendre. Si la disposition que je propose n’est pas l’alpha et l’oméga de la garantie du respect des principes constitutionnels relatifs à la liberté de la presse, elle est forte et susceptible d’être mise en œuvre rapidement, pour répondre aux évolutions capitalistiques à l’œuvre.
Certes, les EGI sont en cours et livreront leurs conclusions d’ici l’été. Mais, lorsque nous demandons au Gouvernement – nous aurons l’occasion, le 4 avril prochain dans l’hémicycle, d’interroger la ministre de la culture à ce sujet – s’il peut garantir que les EGI auront une suite législative, la réponse est non. Le Gouvernement ne donne aucune garantie, ni sur le contenu des EGI, ni – c’est un élément de continuité entre Mmes Abdul-Malak et Dati – sur l’adoption d’un projet de loi.
Je vous enjoins à saisir l’occasion offerte par ce texte pour envoyer un signal positif, selon lequel nous considérons que l’indépendance des rédactions est absolument essentielle et qu’il faut la renforcer. Nous disposons d’un outil opérationnel, qui fonctionne d’ores et déjà. Il n’a pas fait fuir les actionnaires ni interrompu le fonctionnement des journaux. Il peut changer un peu la donne et rééquilibrer les choses. Les journalistes le présentent comme un outil de stabilité et de dialogue au sein des relations entre les actionnaires et les rédactions.
Nous sommes à un moment où il faut envoyer un signal, comme l’a encore démontré le récent rachat d’Altice Media par Rodolphe Saadé. On me dit que la grève à La Provence s’est bien terminée. Permettez-moi de penser, fût-ce un manque d’humilité, que l’inscription à notre ordre du jour de la présente proposition de loi n’y est pas pour rien. Il faut envoyer un signal fort. La proposition de loi permet de le faire.
Certes, elle ne résout pas tous les problèmes, mais elle n’interfère pas avec les EGI. De nombreuses questions demeurent en suspens – je remercie Laurent Esquenet-Goxes de les avoir rappelées avec force –, notamment les aides à la presse, les droits voisins, le modèle économique de la presse, la concentration dans les médias et la modification de la loi du 30 septembre 1986, dont tout le monde convient que la rédaction est obsolète. Ce signal fort, nous pouvons l’adresser ensemble à toute la profession ainsi qu’à nos concitoyennes et à nos concitoyens, qui s’interrogent, lorsqu’ils ouvrent un journal ou allument la télévision, sur le degré d’indépendance des journalistes vis-à-vis des actionnaires.
J’en viens aux questions qui m’ont été posées. L’examen du texte en commission et dans l’hémicycle m’offrira l’occasion de présenter des amendements visant à préciser le texte.
S’agissant du seuil d’applicabilité, je défendrai un amendement indiquant clairement que nous ne souhaitons pas appliquer à l’intégralité des sociétés éditrices et des titres de presse un droit d’agrément. Prévoir un seuil minimal de journalistes est indispensable pour que cette disposition présente un intérêt. Nombreux sont les acteurs qui l’ont indiqué. Dans les petites structures ne comptant qu’un, deux ou trois journalistes, introduire un droit d’agrément pourrait créer une confusion entre l’indépendance de la ligne éditoriale et le respect de la déontologie, d’une part, et d’autre part les questions sociales.
S’agissant de l’identification du responsable de la rédaction, un amendement vise à lever toute ambiguïté. Un autre amendement vise à introduire une échéance, tant il est vrai que ne pas borner une disposition dans le temps nuit à son applicabilité et encourage à l’appliquer une seule fois avant de s’en dispenser.
Dès lors que de nombreuses dispositions doivent être précisées, la proposition de loi renvoie à un décret en Conseil d’État la définition de ses modalités d’application. Par ailleurs, il convient que la profession, dans son intégralité et sous l’égide du ministère de la culture, se mette autour de la table pour définir des principes universels de mise en œuvre du droit d’agrément, qui doit être affiné collectivement. Il est un outil de dialogue et doit être construit comme tel.
S’agissant de l’écueil constitutionnel qui a été soulevé, le libre choix des collaborateurs n’est pas mis en cause. La capacité de présenter un candidat demeure de l’entière compétence de l’actionnaire, auquel nul ne peut imposer un collaborateur qu’il n’aurait pas choisi. Par ailleurs, les mots « responsable de la rédaction » ne désignent pas le directeur de la publication.
S’agissant de l’audiovisuel public, un amendement vise à l’inclure dans le champ du texte. Il semble illogique de ne pas étendre le droit d’agrément à ses rédactions. Quant à la fuite des actionnaires, rien de tel n’a été constaté.
S’agissant du journal Les Échos, nous en avons auditionné la SDJ. Il n’y a pas de blocage. Le journal continue de paraître, avec une qualité inchangée. La responsable de la SDJ estime que la situation ne peut pas durer à long terme et nous a appelé à assortir les dispositions de la proposition de loi de bornes, ce que nous avons parfaitement entendu.
Le seul blocage, au journal Les Échos, tient au fait que l’actionnaire ne propose pas un nouveau candidat après que le sien a été rejeté. La rédaction, elle, travaille toujours. Le journal continue de paraître. Cela démontre, cher Quentin Bataillon, que le droit d’agrément n’est pas un dispositif de blocage.
J’en viens à « l’obsession Bolloré » dont on nous accuse. Mme Lechanteux a qualifié la proposition de loi de « stupide ». Je considère que, de sa part, c’est presque un compliment.
Mme Julie Lechanteux (RN). Nous nous connaissons ?
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. N’est-il pas tout aussi stupide de considérer qu’il y a une « hégémonie médiatique de la gauche » ?
Mme Julie Lechanteux (RN). Nous ne nous connaissons pas !
M. Rodrigo Arenas (LFI-NUPES). Nous nous connaissons tous en tant que députés ! Nous sommes 577 !
Mme la présidente Isabelle Rauch. Mes chers collègues, seule madame la rapporteure a la parole.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Mme Lechanteux a qualifié la proposition de loi de « stupide ». Ce qui est stupide, c’est d’affirmer qu’il y a, dans le paysage médiatique français, une « hégémonie médiatique de la gauche ». Il suffit d’ouvrir un journal ou d’allumer la télévision pour s’en rendre compte.
Ce qui nous obsède, ce n’est pas M. Bolloré, c’est la concentration dans les médias, dont les conséquences néfastes sont multiples : mise à contribution de médias au profit d’un projet politique précis, comme le fait manifestement M. Bolloré, à défaut de l’admettre ; réduction des médias à leur intérêt économique en les utilisant pour donner de la publicité à ses affaires, qu’illustre la crise aux Échos.
Tels sont les deux niveaux d’action visés par l’instauration d’un droit d’agrément. Il s’agit de défendre la liberté éditoriale et d’assurer le respect de la déontologie des journalistes, pour éviter que l’on ne fasse passer leur travail pour de l’information s’il est utilisé pour faire de la publicité. Il importe, dans notre démocratie, de faire en sorte que les médias soient préservés de toute ingérence des actionnaires, qu’elle soit politique ou économique.
Madame Anthoine, la législation européenne sur la liberté des médias recommande, s’agissant de la garantie du pluralisme des médias, d’adopter des outils tels que celui que je propose. La présente proposition de loi s’inscrit pleinement dans l’esprit des textes européens. Certains et certaines d’entre nous défendent l’idée de l’Europe et son absolue nécessité. Je les invite à faire preuve de cohérence avec les textes européens les plus récents et avec ceux qui sont en cours d’examen.
Chers collègues, je vous appelle à envoyer ensemble un signal fort à la profession ainsi qu’aux citoyens et aux citoyennes, qui ont besoin d’une information de qualité.
Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons à l’examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er : Institution d’une procédure d’agrément de la nomination de tout responsable de la rédaction d’une entreprise éditrice de publications présentant un caractère d’information politique et générale et bénéficiant d’aides publiques, directes et indirectes
Amendements de suppression AC4 de M. Philippe Ballard et AC5 de M. Alexandre Portier
Mme Julie Lechanteux (RN). L’article 1er vise à conditionner les aides à la presse d’information politique générale à l’adoption d’un droit d’agrément sur la nomination du directeur de la rédaction.
Cette disposition n’a aucun sens. Tous les acteurs du secteur de la presse la rejettent. Le seul juge de la ligne éditoriale doit être le lecteur, qui décide d’acheter ou non le journal. De plus, les syndicats estiment que les éditeurs pourraient refuser d’accorder aux journalistes le bénéfice de la clause de conscience en cas de changement d’actionnaire.
Par ailleurs, les acteurs du secteur s’inquiètent que cette disposition ouvre la porte à de nombreux risques d’entrisme. En achetant les voix de quelques journalistes, il sera possible de prendre la main d’une rédaction sans devoir acheter le titre de presse, surtout s’il s’agit d’une petite rédaction.
Le présent amendement vise donc à supprimer l’article 1er.
M. Alexandre Portier (LR). Nous ne soutiendrons pas une proposition de loi militante, de pure communication et de pure réaction. Elle ne tient tout d’abord aucun compte des réalités économiques : un média est aussi une entreprise, et vous empiétez sur les droits légitimes des propriétaires ou des actionnaires. Elle est ensuite à contretemps de la réflexion de fond que nous devons avoir sur les médias. Vous semblez oublier que les états généraux de l’information sont en cours : il serait préférable que nous puissions avoir sur ce sujet une réflexion générale, et non pièce par pièce. Votre texte passe enfin à côté de la réalité de la guerre de l’information. M. Bolloré n’est pas le seul à menacer la liberté d’expression dans le monde, et il serait plus approprié de s’interroger sur les ingérences politiques des Gafam.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. De nombreux acteurs des médias sont au contraire très favorables à notre proposition, comme on pourra le voir dans une tribune parue aujourd’hui dans Le Monde et soutenue par soixante-dix sociétés de journalistes, syndicats et associations. De nombreux éditeurs – autrement dit les représentants des actionnaires – y sont en revanche défavorables : ils souhaitent garder la main sur leurs titres. Je regrette que nous n’ayons pu avoir, avec eux, un dialogue qui aurait pu enrichir notre proposition.
Ce n’est pas un texte de réaction ou de communication. Le dispositif qu’il propose existe depuis des dizaines d’années dans certains titres de presse, plus récemment dans d’autres – titres de différentes lignes éditoriales. Il a donc une valeur universelle et n’a fait fuir aucun actionnaire, ni mis aucun titre en faillite. Nous devons montrer par un signal fort notre volonté de protéger le droit des journalistes à l’indépendance. Avis défavorable.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Nous nous opposons à ces amendements de suppression car le débat doit avoir lieu. Et si l’on peut s’opposer au droit d’agrément pour les raisons que différents groupes ont évoquées, on ne peut pas suggérer, comme le fait le Rassemblement national, qu’il reviendrait à faire acheter des journalistes. Les journalistes du Monde n’ont été achetés par personne : gardons-nous de suspicions déraisonnables.
M. Inaki Echaniz (SOC). De quels acteurs du secteur parlez-vous, madame Lechanteux ? J’ai cité, lors de la discussion générale, le rapport de la mission d’évaluation de la loi « Bloche », en espérant que chacun l’avait lu : la preuve est faite que ce n’est pas votre cas et que vous défendez un amendement sur un sujet que vous ne maîtrisez pas. Vous ne faites que répéter les injonctions de certains acteurs du secteur qui vous sont proches et vous servent la soupe matin, midi et soir (Exclamations). Nous voterons contre cet amendement de suppression.
Mme Julie Lechanteux (RN). Je refuse de me faire invectiver, voire insulter, devant tout le monde, et je vous demande, madame la présidente, de bien vouloir tenir votre réunion.
Mme la présidente Isabelle Rauch. Si vous voulez que la police de la réunion soit tenue, je vous prie également de ne pas répondre : j’ai déjà dû vous interrompre tout à l’heure, ainsi que M. Arenas, pour que nous puissions écouter madame la rapporteure. J’aimerais que nous puissions poursuivre la réunion dans le respect de chacun et sans les petites phrases dont il y a des spécialistes de tous les côtés.
La commission rejette les amendements.
Amendement AC20 de Mme Céline Calvez
Mme Céline Calvez (RE). L’existence d’un droit d’agrément n’est pas le seul critère auquel on pourrait conditionner les aides publiques qui viennent soutenir le pluralisme des médias et leur économie. Le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes pourrait en être un autre. Le décret n° 2020 1552 du 9 décembre 2020 avait déjà œuvré à renforcer la parité dans les entreprises de presse.
Si les journalistes sont en majorité des femmes, ce n’est pas toujours le cas dans les postes à responsabilité. Il est important de se pencher sur la manière dont nos finances publiques contribuent à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Ce combat pour imposer la parité, y compris dans les postes à responsabilité, est également le mien. Mais remplacer le droit d’agrément par la parité changerait complètement l’objet du texte et je vous demande donc de retirer cet amendement. Je donnerai en revanche un avis de sagesse sur l’amendement AC19 : pour moi comme pour le groupe écologiste, c’est une exigence que d’étendre aux enjeux sociétaux et sociaux la conditionnalité des aides.
L’amendement est retiré.
Amendement AC13 de Mme Sophie Taillé-Polian
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Cet amendement a pour objet de préciser que la conditionnalité concerne l’ensemble des aides à la presse et pas seulement, le cas échant, une partie d’entre elles.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AC14 de Mme Sophie Taillé-Polian et AC7 de M. Vincent Seitlinger (discussion commune)
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Amendement rédactionnel.
M. Fabien Di Filippo (LR). Cet amendement vise à circonscrire le champ d’application de cet alinéa aux entreprises de presse touchant des aides publiques directes. Les aides indirectes comprennent de nombreuses réductions de taxes – notamment la TVA – et cela reviendrait à inclure dans le dispositif des organes de presse qui ne sont pas réellement et directement aidés par le ministère de la culture.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Cela amoindrirait considérablement la portée du dispositif. Je précise toutefois que ne sont ici concernées que les aides à la presse : si, par exemple, un journal voulait entreprendre la rénovation énergétique de ses locaux, les aides qu’ils pourraient recevoir dans ce cadre ne seraient pas concernées.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AC18 de Mme Sophie Taillé-Polian
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Il s’agit d’un amendement plutôt rédactionnel, visant à inclure dans le dispositif les services de presse en ligne.
La commission rejette l’amendement.
Elle rejette l’amendement rédactionnel AC15 de Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure.
Amendement AC12 de M. Vincent Seitlinger
M. Fabien Di Filippo (LR). L’article prévoit une procédure d’agrément pour la nomination de tout responsable de la rédaction. Cet amendement vise à y substituer un simple avis consultatif. Certains journaux restent des entreprises privées, et certaines décisions managériales reviennent à l’actionnaire sans qu’il ait à les soumettre au bon vouloir des journalistes. Cela pourrait d’ailleurs jouer au détriment de la pluralité dans les rédactions, en conduisant un responsable à n’engager que des journalistes dont il sait qu’ils seront prêts à accepter sa direction. Le mieux est souvent l’ennemi du bien.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Tout comme les motions de défiance, qui, le plus souvent, ne sont pas suivies d’effets, un avis consultatif n’a pas assez de poids. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC16 de Mme Sophie Taillé-Polian et amendement AC8 de M. Vincent Seitlinger (discussion commune)
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Il s’agit de préciser que la procédure d’agrément porte sur le responsable de la rédaction, en référence à la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse. Avis défavorable sur l’amendement AC8.
M. Fabien Di Filippo (LR). Nous souhaitons, par cet amendement de repli, limiter la procédure à la nomination du directeur de la rédaction : la formulation « tout responsable de la rédaction » étant trop floue. À nouveau, cette proposition crée un risque de voir se mettre en place un système de pure cooptation, dans l’entre-soi de journalistes partageant une même manière de penser. Mais c’est peut-être cela que vous souhaitez.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AC23 de Mme Violette Spillebout
Mme Violette Spillebout (RE). Je suis cosignataire de cette proposition de loi et je l’assume. Elle ne reflète pas une préoccupation corporatiste mais une réelle volonté de protéger l’indépendance et la liberté de la presse – donc de protéger la démocratie. La conditionnalité des aides publiques n’est pas, on le sait, complètement efficace. L’article 1er permet toutefois de donner une voix aux journalistes quand il y a un changement de directeur de la publication. Notre amendement vise à ce que le responsable proposé par l’actionnaire puisse présenter aux journalistes un projet éditorial, et que ce soit sur la base de ce projet que le vote ait lieu, plutôt que sur sa personne, qui peut faire l’objet de préjugés. C’est un moyen de protéger les fondements du métier de journaliste du pouvoir des capitaux, des potentielles ingérences et de la concentration.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je suis favorable à cet amendement, qui vient enrichir la proposition de loi : j’ose espérer qu’une personne souhaitant prendre la responsabilité d’une rédaction ne vienne pas sans projet. Il me semble donc intelligent de considérer que, en plus de ses compétences et de son parcours, cette personne doit présenter sa vision.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Nous sommes favorables à cet amendement car il ne faudrait en effet pas que ce droit d’agrément entraîne un référendum sur une personne, comme nous avons pu le voir au JDD. C’est bien sur le projet éditorial que les journalistes doivent pouvoir s’exprimer.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. C’est à la fois sur la personne et le projet : dans le cas du JDD, la candidature de M. Lejeune ne pouvait remporter l’adhésion des journalistes, non seulement du fait de son projet, mais aussi du fait de ses expériences passées et de ses condamnations en justice.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC24 de Mme Violette Spillebout
Mme Violette Spillebout (RE). Nous proposons de limiter le champ d’application du droit d’agrément au cas où un nouvel actionnaire majoritaire, dont l’arrivée peut être brutale, voudrait imposer un nouveau directeur de la publication. J’espère que cet amendement de repli pourra faire faire un pas à mes collègues vers le droit d’agrément.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Dans le cas du JDD, précisément, le droit d’agrément n’aurait pas été applicable. La maison Lagardère a été rachetée par une autre, provoquant un changement immédiat de ligne éditoriale incarnée par un nouveau directeur de la rédaction. Dans ce cas de figure, à l’origine de la proposition de loi, c’est une maison qui en rachète une autre, non un changement d’actionnaire. Les journalistes du JDD ne pouvaient pas activer la clause de cession. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC10 de M. Vincent Seitlinger
M. Fabien Di Filippo (LR). Par cet amendement de repli, nous voulons limiter ce dispositif d’agrément à la nomination de dirigeants de rédaction qui auraient été condamnés pour des propos tombant sous le coup de la loi.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Amendement AC19 de Mme Céline Calvez
Mme Céline Calvez (RE). Il s’agit de concilier droit d’agrément et prise en compte de l’égalité entre les femmes et les hommes au sein de la rédaction.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Avis de sagesse : il y aurait beaucoup d’autres facteurs auxquels on pourrait conditionner les aides à la presse, mais je soutiens la démarche de les conditionner à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Nous y sommes également favorables, mais je m’étonne de ce qu’un certain nombre d’amendements que nous avions déposés à propos de la conditionnalité des aides à la presse – sur la question des suppressions d’emplois, du respect du code du travail, sur l’absence de condamnation pour injures raciales par exemple – n’ont pas été jugés recevables. Je me félicite de ce que la question de la parité, présentée par ma collègue macroniste, l’a été ; mais je regrette que nous n’ayons pas pu discuter de l’ensemble des conditions pour les aides à la presse, lesquelles représentent des millions et des millions, allant dans les poches de quelques gros groupes.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AC40 de Mme Béatrice Descamps
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Cet amendement vise à garantir que ce sont les journalistes qui auront toujours le dernier mot sur la candidature à un poste de responsable de la rédaction, dans le cadre de l’exercice du droit d’agrément.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Cet amendement me semble clairement satisfait par l’article 1er. Demande de retrait.
L’amendement est retiré.
Amendement AC11 de M. Vincent Seitlinger
M. Fabien Di Filippo (LR). Dernière tentative pour limiter la portée du dispositif d’agrément, cet amendement vise à fixer des seuils – 35 000 titres par an pour la presse écrite, une moyenne annuelle de 8 % d’audimat pour l’audiovisuel et de 5 % pour la radio – qui éviteraient de pénaliser les plus petits acteurs des médias, lesquels n’ont pas besoin d’un surcroît de complexité administrative.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je vous propose de le retirer : sur cette question importante des seuils, l’amendement AC17 sera en effet de nature à vous rassurer, en excluant les plus petites entreprises de presse du droit d’agrément. Mais il ne me semble pas approprié que nous discutions ici, en tant que parlementaires, de seuils précis. Cette question devra être travaillée dans le cadre de l’élaboration du décret en Conseil d’État.
L’amendement est retiré.
Amendement AC17 de Mme Sophie Taillé-Polian
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. L’objet de cet amendement est de préciser qu’il faut donner un cadre au dispositif du droit d’agrément, par des balises identiques pour tous les titres de presse. Cela permettra de lui conférer une certaine universalité, mais aussi de calibrer deux critères.
Le premier d’entre eux est celui du seuil, en nombre de journalistes, à partir duquel sera déclenchée l’obligation de mettre en place le droit d’agrément. On nous a bien rapporté, lors de nos auditions, que pour de toutes petites rédactions – un, deux ou trois journalistes, peut-être un peu plus – ce dispositif ne serait pas opportun.
Le second critère est la composition du corps électoral, sur lequel on a également appelé notre attention. Il conviendra de définir, dans le dialogue avec les éditeurs, les journalistes et les représentants de la profession, à partir de quel niveau de régularité dans la rédaction les pigistes pourraient être inclus dans le corps électoral. Il était important de préciser qu’un décret en Conseil d’État devra prendre, sur ces deux points, des dispositions précises.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC47 de Mme Sophie Taillé-Polian
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. L’objet de cet amendement est de préciser la date d’entrée en vigueur de l’article 1er.
La commission rejette l’amendement.
Elle rejette l’article 1er.
Après l’article 1er
Amendement AC43 de M. Stéphane Lenormand
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Cet amendement vise à conditionner les aides publiques aux entreprises éditrices de publications présentant un caractère d’information politique et générale à la conclusion d’une charte déontologique. L’objectif est de systématiser l’existence de ces chartes qui nous semblent être une garantie supplémentaire de la liberté éditoriale des journalistes et des rédactions.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je rejoins pleinement l’objectif de votre amendement. Mme la présidente et M. Echaniz ont démontré le manque d’effectivité de l’obligation de négocier une charte déontologique. Les aides à la presse devraient déjà être suspendues en cas de manquement au respect de cette obligation, mais la rédaction imprécise de la loi fait obstacle à son application. Nous avons là une opportunité de rectifier le tir. Avis favorable.
Mme Violette Spillebout (RE). Lors des auditions préalables à l’examen de cette proposition de loi les journalistes nous ont demandé, à nous, législateurs, de faire en sorte que soit respectée l’obligation afférente à la charte déontologique. Le souhait a également été formulé que le processus de négociation soit plus et mieux décrit afin qu’existe aussi, dans chaque lieu où le droit d’agrément viendra reconnaître le travail des journalistes, un engagement à respecter le contradictoire, le secret des sources et toutes les règles déontologiques du métier.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC21 de Mme Soumya Bourouaha
M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). D’une manière générale, nous sommes toujours favorables à la conditionnalité des aides publiques, quel que soit le secteur d’activité. En l’espèce, nous constatons une forte précarisation de la profession de journaliste, avec 30 % des cartes de presse en intérim, en contrat partiel ou en autoentrepreneuriat, soit le double de la moyenne des activités professionnelles. L’amendement tend donc à moduler les aides publiques en fonction du nombre de CDI, les modalités étant fixées par décret en conseil d’État.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Avis très favorable, d’autant que la précarité des journalistes ne cesse de s’accroître. En effet, alors que 77 % d’entre eux travaillaient en CDI en 2008, ils ne sont plus que 25 % en 2022, selon l’excellent rapport de Mme Rauch et M. Echaniz.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AC33 de Mme Sarah Legrain et AC34 de M. Léo Walter (discussion commune)
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Ces deux amendements, que je défendrai ensemble, sont de repli par rapport à d’autres, malheureusement jugés irrecevables et qui, fondés sur les revendications d’organisations de journalistes, comme le Syndicat national des journalistes, et d’organisations auditionnées par Mme Taillé-Polian, visaient à définir enfin dans la loi ce qu’est une équipe rédactionnelle et de la doter d’une personnalité juridique et de certains droits, comme la possibilité d’aller en justice et de s’autosaisir de questions relevant de l’éditorial de la déontologie, ainsi que de former un droit d’opposition collectif.
Ce statut juridique de la rédaction a été déclaré irrecevable, mais les deux amendements que je défends s’appuient sur la notion existante de la motion de défiance, à laquelle nous voulons associer, dans des conditions assez bien cadrées, une forme de droit de veto à l’encontre d’un responsable de rédaction. Il s’agirait ainsi d’affirmer que le droit d’agrément ne peut pas être un blanc-seing et qu’une révocation devrait être possible afin de ne pas laisser tous les pouvoirs au responsable de rédaction imposé par un actionnaire dès lors qu’il serait pourvu de son droit d’agrément.
Collègues macronistes, vous avez rejeté ce droit d’agrément, mais il semble que la motion de défiance ait la faveur de M. Bataillon : c’est ce que propose cet amendement de repli, qui aurait notamment été bien utile aux journalistes du JDD et qui le serait dans bien d’autres cas encore.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je suis très favorable à ces amendements, et ma préférence va plutôt à l’amendement AC33 en raison de sa simplicité : le vote d’une motion de défiance par 75 % des journalistes me semble suffisant pour provoquer la révocation. Ce droit est déjà en vigueur notamment à Mediapart, où il est néanmoins encadré par des modalités très strictes, afin d’éviter des révocations trop faciles. La démarche semble intéressante, car les journalistes ont très fortement souligné que, dans l’immense majorité des cas, la motion de défiance n’avait pas d’effets. Lui conférer une conséquence directe permettrait d’utiliser cet outil, peut-être moins souvent, mais avec pertinence et avec des effets.
M. Quentin Bataillon (RE). Je n’ai pas changé d’avis depuis tout à l’heure. La motion de défiance peut être le bon outil, à condition qu’elle provoque dans un premier temps une alerte, dans un deuxième temps le dialogue et, pourquoi pas, mais dans un autre temps, la révocation. Il est en effet dommage de passer directement à la révocation brute, alors qu’il faudrait précisément pouvoir provoquer ce moment de dialogue et d’alerte. Je m’engage à y travailler d’ici à l’examen du texte en séance publique.
Je suis donc favorable au principe de cet amendement, mais pas à sa rédaction. Ces modalités n’ont pas forcément leur place dans la loi, mais on a vu, notamment dans le cas de La Provence, que ce type de démocratie interne peut faire bouger les choses.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Si le texte fait l’objet d’une réécriture à l’occasion de son examen en séance publique, ce sera l’occasion d’y retravailler ensemble. Il me semble cependant qu’il faut des circonstances particulièrement sérieuses pour atteindre le seuil de 75 % à partir duquel la motion de défiance entraîne la destitution. Le poids que prend alors la possibilité de cette procédure devrait favoriser l’ouverture d’une phase de dialogue.
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Monsieur Bataillon, l’amendement AC34 est un amendement de repli qui prévoit précisément ce que vous venez de décrire. Il est donc inutile de réécrire l’amendement AC33 : il suffit de voter celui-ci.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AC26 de Mme Sarah Legrain
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Cet amendement, issu de la proposition de loi que le groupe La France insoumise avait déposée en vue de lutter contre la concentration dans les médias, répond lui aussi à la question qui nous a été posée par le rachat du Journal du dimanche : le droit d’agrément qu’il tend à instaurer vise, non plus la nomination du responsable de la rédaction, mais l’achat par un actionnaire. Cette mesure s’appliquerait assez bien aussi au rachat de BFM TV et de RMC par Rodolphe Saadé, dont les pratiques peuvent inquiéter. Ce levier de négociation, qui permettrait à la rédaction de rendre impossible le rachat du titre, lui permet d’obtenir des garanties d’indépendance de la part de l’actionnaire concerné.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Avis très favorable à ce nouveau droit collectif.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC22 de Mme Sarah Legrain
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Conditionner les aides à la presse au droit d’agrément ne suffit pas. Du reste, ceux de nos collègues qui déposent des amendements de suppression arguent même que la perte de ces aides ne pousserait pas forcément les propriétaires à des pratiques plus vertueuses. De nombreux titres de presse sont, en effet, déjà déficitaires, et ces aides ne sont donc pas un vrai levier, comme on l’a vu, dans le cadre de la commission d’enquête sur l’attribution des fréquences de la TNT, avec le groupe Canal+ ou avec les déclarations de M. Bolloré expliquant que la rentabilité n’était pas forcément nécessaire dans l’économie des médias de presse.
Il s’agit donc d’affirmer que l’information n’est pas un bien comme un autre et qu’un marchand d’information doit obéir à certaines règles, comme le fait qu’une rédaction puisse avoir un contrôle sur celui qui en est responsable.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. La référence aux aides à la presse est indispensable pour assurer la constitutionnalité et l’effectivité de la mesure. Il importe en effet que, si le droit d’agrément n’est pas appliqué, une sanction soit prévue. Le fait que la plupart des aides à la presse soient captées par des groupes appartenant à de grands actionnaires signifie que ces aides les intéressent tout de même et qu’ils les demandent. Il importe donc de conserver la conditionnalité des aides à la presse, même si elles doivent être refondues dans un cadre de réflexion plus large.
Quant à la condition de majorité, elle me semble relever davantage du décret que de la loi, ce qui donnera le temps de travailler la question, en particulier avec les organisations représentatives.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AC45 de M. Stéphane Lenormand
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Cet amendement s’inspire aussi d’une proposition issue du rapport d’information sur l’évaluation de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, que vous avez déjà cité, madame la rapporteure, et tend à confier à la direction générale des médias et des industries culturelles le soin de contrôler l’existence d’une charte déontologique négociée, ainsi que d’examiner le contenu des chartes adoptées, afin de s’assurer de leur adéquation aux textes déontologiques faisant autorité dans la profession de journaliste.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Avis très favorable.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). J’y suis également très favorable.
La commission adopte l’amendement.
Article 2 : Institution d’une procédure d’agrément de la nomination de tout responsable de la rédaction d’un service audiovisuel privé dont les programmes comportent des émissions présentant un caractère d’information politique et générale
Amendement de suppression AC3 de M. Philippe Ballard
Mme Julie Lechanteux (RN). Votre proposition de conditionner la nomination de tout responsable de la rédaction d’un service de programmes d’information politique et générale à la mise en place d’un droit d’agrément voté par les journalistes professionnels au sein de la rédaction est dangereuse et inapplicable, et elle inquiète beaucoup les acteurs du secteur.
Tout d’abord, on ne comprend pas qui est concerné – le directeur de l’information de la rédaction, les rédacteurs en chef ou les rédacteurs en chef adjoints, rédacteurs ou chefs de service ? Comment le directeur de la publication peut-il être responsable de la ligne et des propos tenus à l’antenne devant la justice s’il n’est pas en osmose avec les responsables de la rédaction ?
Enfin, les syndicats s’inquiètent de cette surexposition des journalistes, car comment ceux-ci pourraient-ils faire prévaloir leur clause de conscience s’ils ont participé à un vote de défiance visant un directeur de la rédaction ? Le seul juge de la ligne éditoriale doit rester l’Arcom. Si cette ligne est contraire à la loi et aux conventions signées par la chaîne, ce sont les téléspectateurs qui décident de suivre ou non les programmes proposés par celle-ci.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Avis évidemment défavorable. Un amendement définit qui est le responsable de rédaction – lequel n’est pas le directeur de publication, qui est le responsable juridique, mais celui qui organise la ligne éditoriale. L’Arcom, que nous avons interrogée, nous a confirmé que cette notion était précise et que ces personnes – qui ne sont pas en nombre pléthorique – étaient différenciées parmi les différents éditeurs et les différentes chaînes.
Par ailleurs, dans le cas où le droit d’agrément s’appliquerait sans qu’il soit besoin de réunir 60 % ou 70 % des personnes concernées pour que le vote soit valide, il serait contradictoire de supprimer la clause de conscience, qui permettrait par exemple, si un droit d’agrément était validé à 51 %, que les 49 % restants puissent, s’ils le souhaitaient, exprimer leur désaccord et s’opposer à un projet.
Enfin, le fait même que l’amendement vise à supprimer l’article justifie aussi mon avis défavorable.
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Je ne résiste pas au plaisir de montrer quelques contradictions dans les arguments du Rassemblement national. Vous nous expliquez en effet, tout d’un coup, que les syndicats de journalistes sont inquiets de la suppression de leur clause de conscience, qui n’est pourtant en rien remise en cause – pas davantage, d’ailleurs, que les autres clauses existantes – par le droit d’agrément, que ce soit pour la presse ou pour les chaînes de télévision. Il est intéressant que vous vous intéressiez subitement aux syndicats de journalistes, dont vous affirmiez tout à l’heure qu’aucun d’entre eux ne voulait de cette proposition de loi – ce qui est, du reste, étrange, car tous ces syndicats s’y sont déclarés favorables lorsqu’ils ont été auditionnés.
De même, il est assez plaisant de vous voir vanter le rôle de l’Arcom, qui doit juger la ligne éditoriale, car lors des auditions de la commission d’enquête consacrée à l’attribution des fréquences de la TNT, vous ne cessez de demander que l’Arcom arrête de sanctionner vos amis qui tiennent des propos inadmissibles sur certaines chaînes. Pour ma part, je suis favorable à cet article.
Mme Julie Lechanteux (RN). Sur le premier point, je ne vois pas d’incohérence, mais des invectives.
Pour ce qui est des syndicats, je rappelle que M. Ballard, membre de notre groupe, a fait partie de syndicats de journalistes et connaît beaucoup de monde dans ces syndicats, que nous avons rencontrés et avec lesquels nous avons discuté.
Enfin, le rôle de l’Arcom relève de la loi, qu’il faut respecter – ce que vous ne semblez pas vouloir faire.
La commission rejette l’amendement.
Elle rejette l’amendement rédactionnel AC48 de Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure.
Amendement AC28 de M. Laurent Esquenet-Goxes
M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). Comme je le disais dans la discussion générale, je soutiens l’objectif de votre proposition de loi, mais je m’interroge davantage sur le calendrier envisagé pour la mise en place du dispositif, notamment sur la nécessité de l’intégrer plutôt aux états généraux de l’information et aux textes qui en découleront. Dans un souci d’anticipation de ce que doit être le droit d’agrément, l’amendement, coconstruit avec une partie des députés du groupe Médias et information majorité présidentielle, vise ainsi à renforcer le droit d’agrément et à le dépersonnaliser, afin que ce processus démocratique et statutaire ne vire pas à des guerres égotiques. À cette fin, il propose d’éviter que la procédure du droit d’agrément porte uniquement sur un nom ou une personnalité, et que soit également soumis au vote le projet éditorial de la personne dont la nomination est proposée aux journalistes.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Même avis favorable que pour l’amendement miroir de l’article 1er.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AC29 de M. Laurent Esquenet-Goxes
M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). En vue d’atteindre un consensus entre l’ensemble des groupes de notre assemblée, une partie des députés membres du groupe Médias et information majorité présidentielle vous propose de limiter l’objet du texte aux changements d’actionnariat qui introduisent des changements de rédacteurs d’une publication. Dans les faits, ce sont très souvent les changements capitalistiques qui créent les tensions entre journalistes et actionnaires autour des nominations aux postes clés d’un média. Dans le cas des médias Bolloré, qu’il s’agisse de la TNT ou de la et FM, c’est le rachat par le milliardaire breton qui a choqué et amené de brutaux changements éditoriaux et de directeurs de publication, que ce soit chez Europe 1 ou CNews.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Pour les mêmes raisons que précédemment, avis défavorable.
Mme Violette Spillebout (RE). Je soutiens cet amendement pour les mêmes raisons qu’à l’article 1er afin de convaincre nos collègues de voter pour ce droit d’agrément. Les canaux hertziens mis à disposition d’acteurs privés des médias sont un bien public et il est important de proposer une conditionnalité. Lorsque le changement d’actionnaire est brutal et ne donne pas lieu, alors que c’est obligatoire, à une information des journalistes qui composent la rédaction, il est nécessaire que celle-ci dispose au moins de ce droit d’agrément.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC41 de Mme Béatrice Descamps
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Je retire cet amendement car, comme l’amendement AC40 à l’article 1er, il est visiblement satisfait.
L’amendement est retiré.
La commission rejette l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendements AC25 de M. Léo Walter
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Cet amendement vise à conditionner la nomination du directeur de rédaction d’une chaîne de télévision ou de radio comportant des émissions présentant un caractère d’information politique et générale à un vote aux deux tiers des journalistes. Cet amendement est similaire, avec une rédaction légèrement différente, à celui de Mme Taillé-Polian, qui ne se réfère pas seulement aux chaînes de la TNT. Il s’agit de souligner l’importance du rôle des rédactions.
Alexis Lévrier, spécialiste de l’histoire des médias, disait que « le plus inquiétant est sans doute que Vincent Bolloré foule aux pieds toutes les conquêtes difficilement obtenues par la presse à partir de la grande loi de 1881. Depuis la longue grève d’iTélé, en 2016, la méthode est connue et elle s’avère toujours d’une redoutable efficacité : Bolloré nomme des figures clivantes sans tenir compte des résistances internes, et il impose un bras de fer que ces sociétés de journalistes finissent toujours par perdre. Ensuite, il signe des clauses de cession nombreuses, qui permettent de vider les rédactions de leur substance et de pratiquer un journalisme low cost au service de ses idées. » C’est là une analyse de la manière dont un actionnaire propriétaire de médias peut imposer un changement de ligne éditoriale, comme cela a été fait à i-Télé, devenue CNews, en passant par la nomination des responsables de rédaction. Il est important de donner aux journalistes la possibilité de s’y opposer.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je ne suis pas très favorable à cet amendement, pour les mêmes raisons que précédemment, car le seuil à atteindre ne me semble pas relever de la loi. Sagesse.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AC27 de M. Léo Walter
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). L’amendement vise à ce que, en cas de prise de contrôle dans les médias, une rédaction puisse réagir au moment même du rachat. En effet, compte tenu des méthodes de certains actionnaires, il s’agit de donner à la rédaction un droit de veto, un refus d’agréer qui lui permette, sans attendre le grand remplacement de tous les personnels, d’engager un rapport de force avec l’actionnaire et d’ouvrir la discussion. Les rédactions de BFM TV ou de RMC, très inquiètes des annonces de Rodolphe Saadé, qui a déclaré qu’il ne se priverait pas de dire si la ligne éditoriale lui déplaisait, surtout si les journalistes osent parler des affaires de sa société CMA CGM, pourraient immédiatement actionner ce droit d’agrément et imposer certaines conditions d’indépendance.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Avis très favorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC1 de Mme Sophie Taillé-Polian
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Il semble légitime de conforter l’indépendance des rédactions de l’audiovisuel public en leur donnant ce même droit d’agrément, ce qu’excluait de fait la rédaction initiale de la proposition de loi.
Mme Violette Spillebout (RE). Je voterai personnellement contre cet amendement. Dans une tribune signée avec plusieurs autres collègues, M. Quentin Bataillon a montré que notre audiovisuel public est en pleine mutation et connaîtra une vaste réforme, qui permettra aux différents acteurs de faire face aux défis de l’hyperconnexion et de la multiplication des informations, avec un nouveau pilotage stratégique pour une structure commune et des travaux parlementaires très nourris sur la réforme à venir. Le moment n’est donc pas venu de lui imposer une contrainte supplémentaire. Il y a certes un enjeu démocratique majeur à ce que les journalistes aient voix au chapitre, mais il ne me semble pas que notre proposition de loi, qui avait pour but de lutter pour préserver l’indépendance des journalistes dans le domaine privé, doive être déportée vers le domaine public.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Je suis favorable à cet amendement, car l’indépendance des médias doit être garantie quel que soit l’actionnaire – et l’État en est un. Étant administrateur de Radio France, je mesure parfaitement la spécificité de l’audiovisuel public, auquel je suis attaché, mais il n’y a pas lieu d’imposer à des actionnaires privés des obligations auxquelles l’État pourrait se soustraire.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je partage les arguments de M. Patrier-Leitus. Compte tenu de la fragilisation du financement du service public, ce serait un bon signal que de demander davantage de garanties pour l’indépendance du service public de l’audiovisuel.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AC36 de M. Léo Walter
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Cet amendement du groupe La France insoumise vise à demander un rapport sur les titres de presse actuellement exclus des aides. C’est notamment le cas de Disclose, qui a révélé aujourd’hui que, bien que le Gouvernement affirme ne livrer à Israël que des éléments défensifs, la France avait envoyé à ce pays au moins 100 000 pièces de cartouches de fusil-mitrailleur – cartouches que l’on retrouve notamment dans les corps des Gazaouis abattus alors qu’ils se rendaient à une distribution alimentaire. Ce média, également poursuivi par le ministère des armées pour avoir dévoilé l’implication de la France dans des crimes commis par le régime égyptien, fait œuvre d’intérêt général, mais ne reçoit pas d’aides à la presse, tandis que le JDD, détenu par Vincent Bolloré, en a touché 1,9 million d’euros en 2021. Il faut nous interroger sur l’emploi de ces aides.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Bien qu’on puisse s’interroger sur leur lien avec le texte que nous examinons aujourd’hui dans le cadre d’une niche parlementaire, ce rapport et celui qui fera l’objet de l’amendement suivant viendraient étayer notre réflexion sur les médias et la presse. Avis favorable.
Mme Violette Spillebout (RE). Je suis défavorable à cet amendement, qui va bien au-delà de l’objet de cette proposition de loi portant sur le droit d’agrément. En revanche, je souscris à l’idée, récurrente dans les auditions auxquelles nous avons procédé, dans les travaux du groupe Médias et information majorité présidentielle, au sein de la commission des affaires culturelles et dans le cadre les états généraux de l’information, que le système des aides publiques à la presse pose question. Pourquoi ne pas aider les titres de presse les plus fragiles plutôt que ceux qui sont les plus solides, les plus capitalistiques et les plus riches ? Pourquoi ne pas les conditionner à certaines règles de responsabilité sociale des entreprises, d’égalité femmes-hommes et de respect des chartes déontologiques, normalement obligatoires mais qui ne donnent pas lieu à sanctions effectives ? Cette proposition n’est pas le lieu de les étudier mais, compte tenu de l’argent public que le ministère de la culture consacre à la presse, il serait tout à fait légitime que nous y travaillions pour contribuer aux états généraux.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AC37 de M. Léo Walter
M. Alexis Corbière (LFI-NUPES). La discussion est la même, mais sous un angle différent : il ne s’agit plus, avec cet amendement, des titres exclus de ce dispositif, mais de ceux qui en bénéficient. La question est d’intérêt général car, entre les aides fiscales et les aides publiques, près de 367 millions d’euros sont accordés aux titres de presse. Pourtant, comme le montre le rapport de 2021 du sénateur Roger Karoutchi, on constate notamment que le groupe de M. Bernard Arnault, dont on connaît la fortune, perçoit près de 16 millions d’euros et Le Figaro, propriété de la famille Dassault, près de 8 millions d’euros. À l’inverse, comme cela vient d’être relevé, des titres tout aussi nécessaires au débat public – et même plus, de mon point de vue – ne touchent pas de telles sommes.
Alors que le but de l’impôt est de corriger les inégalités, cette répartition discutable les creuse encore. Il y a donc matière à en discuter rationnellement. C’est l’objet du rapport que nous vous demandons.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Avis favorable, comme sur l’amendement précédent.
La commission rejette l’amendement.
Elle rejette l’article 2.
La commission rejette l’ensemble de la proposition de loi.
Mme la présidente Isabelle Rauch. En conséquence, en application de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique se déroulera sur la base du texte dont l’Assemblée a été saisie.
En application de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique se déroulera sur la base du texte initial de la proposition de loi.
*
* *
En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale de rejeter la proposition de loi visant à protéger la liberté éditoriale des médias sollicitant des aides de l’État (n° 1638).
–– 1 ––
ANNEXE n° 1 :
Liste des personnes entendues par la rapporteure
(Par ordre chronologique)
– Syndicat des radios indépendantes (Sirti) *– M. Kevin Moignoux, secrétaire général, et Mme Valérie Picardo, chargée des relations institutionnelles
– Reporters sans frontières – M. Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général, et M. Antoine Bernard, directeur du plaidoyer et de l’assistance
Table ronde :
– Alliance de la presse d’information générale (APIG) *– M. Pierre Petillault, directeur général, et Mme Léa Boccara, responsable du pôle juridique
– Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) *– M. Alain Augé, président, Mme Julie Lorimy, directrice générale, et M. Étienne Gernelle, directeur de la publication du Point
– Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) *– Mme Cécile Dubois, co-présidente
– Fédération européenne des journalistes – M. Ricardo Gutiérrez, secrétaire général
Table ronde :
– Syndicat national des journalistes (SNJ) – Mme Agnès Briancon-Marjollet, première secrétaire générale, et M. Alexandre Buisine, secrétaire général
– Syndicat national des journalistes CGT – M. Emmanuel Vire, secrétaire général, et M. Pablo Aiquel, secrétaire général adjoint
– CFDT-Journalistes – M. Yann Plougastel, membre du conseil de déontologie journalistique et de médiation, et M. Bertrand Greco, élu
Table ronde :
– Société des rédacteurs du Monde – Mme Raphaëlle Bacqué, présidente
– Société des journalistes et du personnel de Libération – M. Simon Blin, président
– Société des journalistes de Mediapart – M. Antton Rouget, membre du bureau
– Société des journalistes des Échos – Mme Leïla de Comarmond, présidente
– Association des chaînes privées (ACP) – Mmes Julie Burguburu, secrétaire générale du Groupe TF1, Laure Bezault, secrétaire générale de l’information du Groupe TF1, Karine Blouet, secrétaire générale du Groupe M6, et Marie Lhermelin, secrétaire générale adjointe du Groupe Altice
Table ronde :
– Mme Pauline Trouillard, enseignante-chercheuse à l’Université de Rennes
– M. Patrick Eveno, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
– M. Alexis Lévrier, historien de la presse et des médias, Maître de conférences à l’Université de Reims et chercheur associé au Gripic (Celsa Sorbonne Université́)
Table ronde :
– Association Article 34 – Mme Juliette Demey, journaliste, co-présidente, et M. Bertrand Greco, journaliste, co-président
– Fonds pour une presse libre – M. François Bonnet, président, et Mme Charlotte Clavreul, directrice exécutive
– Sherpa *– Mmes Tiphaine Beau de Loménie, responsable contentieux et plaidoyer, et Pauline Delmas, chargée de contentieux et plaidoyer
– Un bout des médias – Mme Alexandra Colineau, responsable du plaidoyer, et M. Romary Daval, secrétaire général
– Ministère de la culture – Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) – Mme Florence Philbert, directrice générale, et M. Arnaud Skzryerbak, chef de service, adjoint à la directrice générale
– Groupe Lagardère *– M. Alain Liberty, directeur des affaires institutionnelles et directeur de l’antenne d’Europe 1, et Mme Yéris Nicolas, responsable affaires institutionnelles et réglementaires
Table ronde :
– France Télévisions *– Mmes Nathalie Saint-Cricq, directrice de la coordination éditoriale de l’information, et Livia Saurin, directrice des relations institutionnelles
– Radio France *– MM. Charles-Emmanuel Bon, secrétaire général, et Karim Oudjane, directeur adjoint de l’information
– France Médias Monde *– Mme Cécile Megie, directrice des stratégies et coopérations éditoriales transverses, et M. Roland Husson, directeur général en charge du pôle ressources
– TV5 monde – MM. Thomas Derobe, secrétaire général, et Arnaud Rivalan, directeur juridique
– LCP-Assemblée nationale – M. Bertrand Delais, président-directeur général
– Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) – MM. Roch-Olivier Maistre, président, Guillaume Blanchot, directeur général, et Justine Boniface, directrice de cabinet
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
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Annexe n° 2 :
textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi
Proposition de loi |
Dispositions en vigueur modifiées |
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Articles |
Codes et lois |
Numéros d’article |
1er |
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse |
Article 2 ter (nouveau) |
2 |
Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication |
Article 28 |
([1]) Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias) et modifiant la directive 2010/13/UE (COM(2022)0457 – C9-0309/2022 – 2022/0277(COD))
([2]) L’instrument de surveillance du pluralisme des médias est élaboré selon plusieurs critères présentés par le CPLM sur son site internet, tels que l’existence légale de garde-fous protégeant la liberté d’expression, des conditions favorables à la liberté du travail journalistique, l’indépendance effective des autorités de régulation des médias, la transparence sur la propriété des médias, le degré de concentration des médias, les ingérences politiques dans le fonctionnement des médias, particulièrement les médias de service public, ou encore la protection de l’indépendance éditoriale.
([3]) https://www.lefigaro.fr/medias/jdd-la-redaction-et-la-direction-sonne-la-fin-de-la-greve-20230801
([4]) Voir la tribune publiée en juin 2023 dans le journal Le Monde, réclamant la mise en place d’un droit d’agrément du directeur de la rédaction à la majorité des deux tiers des votants par l’ensemble des journalistes, avec un taux de participation d’au moins 50 %. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/27/les-journalistes-doivent-pouvoir-travailler-en-toute-independance-notamment-independamment-des-desirs-de-leurs-actionnaires_6179334_3232.html
([5]) Loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.
([6]) L’initiative Journalism Trust Initiative (JTI) a été lancée par Reporters sans frontières. Il s’agit d’une norme validée par l’Organisation internationale de normalisation (norme ISO), développée par un panel de 130 experts internationaux sous l’égide du Comité européen de normalisation. Cette initiative, cofinancée par la Commission européenne et des organismes privés, repose sur un examen du processus de fabrication de l’information par le média, sans examen des contenus produits.
([7]) Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.
([8]) Décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009, considérant 3.
([9]) Décision n° 2015-511 QPC du 7 janvier 2016, considérant 5.
([10]) Délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent.
([11]) Article L. 7112-5 du code du travail.
([12]) La notion de « journaliste professionnel » désigne toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
([13]) Loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias
([14]) M. Inaki Echaniz et Mme Isabelle Rauch, rapport d’information sur l’évaluation de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, XVIe législature, n° 2295, 6 mars 2024.
([15]) Article 30-8 de la loi du 30 septembre 1986.
([16]) Voir la décision n° 2015-511 QPC précitée.
([17]) La clause de conscience et la clause de cession ont été introduites par la loi du 29 mars 1935 relative au statut professionnel des journalistes, dite loi Brachard.
([18]) Rapport sur les problèmes posés par les sociétés de rédacteurs, décembre 1970.
([19]) Les recommandations, prévues à l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), n’ont pas de valeur contraignante.
([20]) Recommandation (UE) 2022/1634 du 16 septembre 2022 concernant des garde-fous internes destinés à protéger l’indépendance éditoriale et la transparence de la propriété dans le secteur des médias.
([21]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias) et modifiant la directive 2010/13/UE.
([22]) Voir le pacte d’indépendance éditoriale du journal. https://www.liberation.fr/pacte-independance-editoriale/
([23]) https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/nous-ne-sommes-pas-dupes-des-journalistes-du-quotidien-les-echos-denoncent-l-eviction-brutale-du-directeur-de-la-redaction-par-bernard-arnault_5728118.html
([24]) https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/la-redaction-du-quotidien-les-echos-en-greve-pour-defendre-son-independance-vis-a-vis-de-son-actionnaire-lvmh_5862989.html
([25]) Voir l’article 13.4 des statuts.
([26]) L’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit l’obligation, pour les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles, d’adopter une charte déontologique, rédigée conjointement par la direction et les représentants des journalistes.
([27]) https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/27/les-journalistes-doivent-pouvoir-travailler-en-toute-independance-notamment-independamment-des-desirs-de-leurs-actionnaires_6179334_3232.html
([28]) Mme Julia Cagé et M. Benoît Huet souhaitent démocratiser la gouvernance des médias, en imposant aux entreprises éditrices et aux médias audiovisuels privés disposant de plus de dix salariés de compter au sein de leurs organes de gouvernance, conseil d’administration ou de surveillance, régis par les dispositions applicables aux sociétés anonymes, au moins la moitié de représentants de journalistes, parmi lesquels au moins deux tiers de journalistes.
([29]) Julia Cagé et Benoît Huet, L’information est un bien public : refonder la propriété des médias, Éditions du Seuil, février 2021.
([30]) Voir l’article L. 7112-1 du code du travail.
([31]) Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, considérant 16.
([32]) Décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012, considérant 7.
([33]) Décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988, considérant 22.
([34]) Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2022, considérant 50.
([35]) Décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, considérant 21.
([36]) Décision n° 2014-692 DC du 27 mars 2014, considérant 20.
([37]) Décision n° 2012-282 QPC du 23 novembre 2012, considérant 26.
([38]) Décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2005.
([39]) Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020.
([40]) Articles 5 et 6 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.
([41]) Conseil d’État, 10ème et 9ème chambres réunies, n° 461835, 13 novembre 2023.
([42]) Décret n° 2021-1746 du 21 décembre 2021 modifiant le code des postes et des communications électroniques, le code général des impôts et le décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 pris pour l’application de l’article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.
([43]) Article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986.
([44]) Délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent.
([45]) Article 30-8 de la loi du 30 septembre 1986.
([46]) Baromètre 2023 de la confiance des Français dans les services de médias.
([47]) Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 13 février 2024, n° 463162.
([48]) En application du I de l’article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986.
([49]) En particulier, le premier alinéa de l’article 42 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que « les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ».