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N° 2406

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mars 2024.

 

 

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à reconnaître et à protéger la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail,

 

 

 

Par M. Sébastien PEYTAVIE,

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro : 2227.

 

 

 

 

 

 


– 1 –

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

I. LA SANTÉ MENSTRUELLE ET GYNÉCOLOGIQUE EST AUJOURD’HUI INSUFFISAMMENT RECONNUE

A. Les menstruations incapacitantes ne sont pas reconnues alors même qu’elles représentent un enjeu majeur de santé publique et d’égalité de genre

1. Des troubles qui touchent massivement les personnes menstruées

2. Des affections qui demeurent mal connues, mal diagnostiquées et mal prises en charge

B. L’adaptation du monde professionnel aux enjeux de santé menstruelle et gynécologique reste largement à accomplir

1. Des menstruations qui affectent sensiblement la vie professionnelle

2. Un monde du travail largement inadapté aux enjeux de santé menstruelle et gynécologique

II. IL APPARTIENT AU LÉGISLATEUR D’ENGAGER UNE TRANSFORMATION MAJEURE DE NOTRE SOCIÉTÉ, EN FAVEUR DE LA SANTÉ MENSTRUELLE ET GYNÉCOLOGIQUE

A. Adapter le travail aux besoins des personnes souffrant de menstruations incapacitantes

1. Aménager le travail au moyen de l’arrêt menstruel et du télétravail

2. S’inspirer des expérimentations déjà en vigueur

3. Faire face à l’enjeu du non-recours

B. Intégrer la santé menstruelle et gynécologique au dialogue social et favoriser sa reconnaissance dans le monde du travail

1. Faire de la santé menstruelle et gynécologique un thème obligatoire de la négociation collective

2. Intégrer la santé menstruelle et gynécologique dans les prérogatives d’action de la médecine du travail

Commentaire des articles

Article 1er Créer un arrêt de travail pour menstruations incapacitantes

Article 2 Favoriser le recours au télétravail pour les personnes atteintes de menstruations incapacitantes

Article 3 Intégrer la santé menstruelle et gynécologique comme objet de négociation collective

Article 4 Mobiliser les services de prévention et de santé au travail

Article 4 bis (nouveau) Rapport sur la reconnaissance et la prise en charge de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail

Article 5 Gage financier

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE  1 : Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur

Annexe n° 2 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la Proposition de loi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


– 1 –

   INTRODUCTION

 

I.   LA SANTÉ MENSTRUELLE ET GYNÉCOLOGIQUE EST AUJOURD’HUI INSUFFISAMMENT RECONNUE

A.   Les menstruations incapacitantes ne sont pas reconnues alors même qu’elles représentent un enjeu majeur de santé publique et d’égalité de genre

1.   Des troubles qui touchent massivement les personnes menstruées

● En France, 15,5 millions de personnes entre 13 et 50 ans sont menstruées ([1]). Ces menstruations peuvent entraîner une grande variété de symptômes et de troubles, souvent complexes et sans remèdes et parfois extrêmement incapacitants, à l’image de certaines formes d’endométriose, laquelle est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une « maladie chronique associée à des douleurs aiguës et perturbantes au moment des règles, pendant les rapports sexuels et au moment de déféquer et/ou d’uriner, à des douleurs pelviennes chroniques, des ballonnements, des nausées et de la fatigue, et parfois à une dépression, de l’angoisse et une infertilité » ([2]). Cette affection seule concernerait entre 1,5 et 2,5 millions de femmes en France ([3]), plus de 14 millions de femmes en Europe et, selon l’OMS, près de 10 % des femmes et des filles en âge de procréer à l’échelle mondiale, soit 190 millions de personnes.

Une étude menée par le docteur François Margueritte souligne que les algies pelviennes chroniques (APC) sont un symptôme très prévalent en population générale française avec plus des deux tiers des femmes concernées ([4]). Ces symptômes douloureux chroniques ressentis dans le bas ventre, ont trois composantes : les dysménorrhées, douleurs lors des règles ([5]), les dyspareunies, douleurs lors de rapports sexuels avec pénétration, et les douleurs pelviennes chroniques autres regroupant le reste des autres symptômes douloureux. Entre 20 et 54 ans, près de 7 millions de femmes françaises seraient concernées par des dysménorrhées ([6]) et près de 2,4 millions par des douleurs chroniques autres, tandis qu’entre 20 et 69 ans, près de 7,6 millions de femmes présenteraient des dyspareunies.

En somme, en France, une personne menstruée sur deux souffrirait de douleurs liées au cycle menstruel, survenant le plus souvent avant ou pendant les règles et pouvant s’accompagner d’un ensemble d’autres symptômes plus ou moins incapacitants. Le rapport d’information publié en juillet 2023 par les députées Pascale Martin et Anne-Cécile Violland met, du reste, en évidence les effets engendrés par les douleurs pelviennes chroniques sur la santé mentale et psychique des personnes concernées ([7]).

2.   Des affections qui demeurent mal connues, mal diagnostiquées et mal prises en charge

Les affections liées aux menstruations demeurent particulièrement mal prises en charge, tant sur le plan médical que sur le plan économique.

● Sur le plan médical, le vécu des personnes menstruées est souvent minimisé ou ignoré et la souffrance endurée, même quand elle est liée à des douleurs chroniques, est socialement perçue comme « normale », comme le souligne Delphine Lhuillery, médecin spécialiste de la douleur auditionnée par le rapporteur. Bien plus, la question des menstruations demeure perçue comme relevant de la sphère de l’intime ([8]) et reste largement taboue, si bien que selon une étude 55 % des Français considèrent « inapproprié » de parler des menstruations, tandis qu’un tiers « ne parle jamais des règles » ([9]).

L’absence de traitement ou l’automédication restent ainsi les cas les plus fréquents. La sociologue Djaouida Séhili, dans une étude menée sur un échantillon représentatif des femmes atteintes de dysménorrhées primaires en France en 2020, révèle que seulement 28,4 % d’entre elles avaient déjà consulté un médecin pour prendre en charge leur douleur, que 14 % avaient déjà demandé conseil à leur pharmacien et que 55,4 % des femmes choisissent de se traiter seules ([10]). Les auditions conduites par le rapporteur soulignent que la prise en charge médicale, quand elle est entreprise, laisse elle‑même largement à désirer, eu égard notamment au manque de formation des personnels médicaux. À cet égard, le rapporteur souligne que l’endométriose n’a été intégrée dans les enseignements du deuxième cycle des études de médecine qu’en 2020 ([11]), alors même que la pathologie a été découverte en 1860. Aussi, si la recherche scientifique portant sur les pathologies gynécologiques s’est lentement développée au cours de la dernière décennie, encouragée par des associations et fondations, la majorité des professionnels de santé ne sont ni sensibilisés à la santé menstruelle, ni formés à traiter ces pathologies.

En conséquence, la santé menstruelle et gynécologique souffre d’une très forte errance diagnostique et médicale, qu’une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) évalue à dix ans concernant l’endométriose ([12]). Il en résulte une mauvaise prise en charge médicale et une aggravation des pathologies, telle que l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) estime par exemple entre 20 et 68 % la part des femmes atteintes d’endométriose dans la population des femmes infertiles, faisant de cette affection la première cause d’infertilité en France aujourd’hui ([13]).

● Sur le plan économique, le coût très important qui résulte des menstruations incombe très largement aux personnes concernées. Au cours de leurs trente-huit années de menstruation en moyenne, soit 2 280 jours au cours de leur vie, elles vont utiliser plus de 11 400 protections menstruelles pour un coût estimé entre 8 000 et 23 000 euros, soit un budget mensuel pouvant aller de 10 à 50 euros ([14]).

Les coûts médicaux directs (médicaments, actes chirurgicaux, rendez-vous, etc.), de l’endométriose sont quant à eux évalués par une étude à 3 000 euros par an et par patiente ([15]). Au total, 87 % des femmes atteintes d’endométriose subiraient un reste à charge d’environ de près de 150 euros par mois ([16]), les dépenses induites par cette maladie représentant en moyenne plus de 10 % du revenu des patientes. Alors que la moitié de ces personnes déclare avoir refusé des soins car elle ne pouvait pas en assumer le coût, se pose avec acuité la question de la précarité menstruelle et de l’accès aux soins.

B.   L’adaptation du monde professionnel aux enjeux de santé menstruelle et gynécologique reste largement à accomplir

1.   Des menstruations qui affectent sensiblement la vie professionnelle

Les troubles liés aux menstruations peuvent pourtant être fortement incapacitants et peuvent affecter sensiblement la vie professionnelle.

Selon une étude menée par l’Ifop, 53 % des salariées menstruées ont des règles douloureuses, et deux tiers des salariées ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leur cycle menstruel au travail ([17]). En outre, 37 % des salariées interrogées disent que la gêne des règles est sous-estimée dans leur entreprise et 21 % ont déjà fait l’objet de moqueries ou de remarques désobligeantes. Si les menstruations sont un sujet tabou dans la société, elles le sont d’autant plus dans le milieu professionnel : 68 % des personnes menstruées estiment que les règles sont un sujet tabou en entreprise ([18]).

Dans son enquête de 2020 sur l’endométriose au travail, Alice Romerio identifie ainsi des difficultés quotidiennes au travail de plusieurs ordres, liées notamment à la fatigue chronique à des troubles divers et imprévisibles, parmi lesquels des troubles digestifs (70 % des femmes atteintes d’endométriose), émotionnels (62 %) ou encore urinaires (32 %) ([19]). Peuvent en résulter des passages aux toilettes gênants car fréquents, urgents ou prolongés (27 %), des difficultés quotidiennes de concentration (20 %) ou encore des pauses urgentes dans le travail.

2.   Un monde du travail largement inadapté aux enjeux de santé menstruelle et gynécologique

Si les menstruations incapacitantes ont un impact déterminant sur la qualité de vie, la santé et la sécurité au travail, elles ont aussi un impact d’ordre économique sur les personnes concernées au travail.

● En effet, une partie des personnes souffrant de menstruations incapacitantes font face à la nécessité d’être arrêtées, notamment au moment du pic de sévérité de leurs douleurs, qui dure en moyenne un à deux jours par cycle. Faute d’un cadre législatif et réglementaire adapté, ces personnes se trouvent alors le plus souvent face à plusieurs choix, tous fortement pénalisants :

– recourir à un arrêt ou congé de maladie de droit commun. Ceux‑ci sont toutefois soumis à un délai de carence avant la perception des indemnités journalières associées, si bien qu’ils entraînent nécessairement une perte de revenu pouvant aller jusqu’à trois jours par cycle dans le secteur privé. De plus, ils sont conditionnés à un avis médical systématique, alors même que les menstruations incapacitantes sont souvent chroniques et source de difficultés manifestes à se rendre chez le médecin, particulièrement dans un contexte de pénurie de médecins ;

– mobiliser leur solde de jours de congés payés ou de jours réduction du temps de travail (RTT) disponibles, dont l’usage se trouve alors détourné à leur détriment. Ainsi, selon l’étude d’Alice Romerio, plus d’un quart des femmes déclarent avoir demandé au cours des douze derniers mois au moins cinq jours de congé ou de RTT, plutôt que des arrêts maladie, en anticipant les symptômes incapacitants de leur endométriose, pendant leurs règles par exemple ([20]) ;

– poursuivre le travail malgré les douleurs et les troubles, ce que font 36 % des femmes atteintes d’endométriose malgré des symptômes qu’elles estiment invalidants au moins deux fois par mois ([21]). Or, il est établi que le non-recours à l’arrêt de travail présente des dangers supplémentaires pour la santé et des risques professionnels accrus, que cela soit à court terme sur le lieu de travail, ou à long terme sur l’état de santé générale des personnes menstruées.

● Bien plus, Alice Romerio souligne que cette « maladie extra-professionnelle façonne sensiblement la carrière professionnelle des malades (non-renouvellement de contrat, impossibilité d’honorer des missions ou des contrats, absences fréquentes) », un quart des personnes déclarant avoir changé de métier ou de statut afin d’adapter leur vie professionnelle.

Comme l’ont mis en lumière les auditions du rapporteur, les personnes menstruées sont donc contraintes de s’adapter au monde professionnel, faute de se voir proposer des outils permettant l’adaptation de ce dernier à leurs problématiques. Dans ces conditions, il n’est pas difficile de comprendre que les menstruations constituent un enjeu majeur de santé au travail, ne serait‑ce qu’au regard des risques physiques et psycho-sociaux auxquelles sont exposées ces personnes, aussi bien que d’inégalité de genre.

De toute évidence, l’adaptation du monde professionnel aux enjeux de santé menstruelle et gynécologique reste indispensable, urgente et largement à accomplir.


II.   IL APPARTIENT AU LÉGISLATEUR D’ENGAGER UNE TRANSFORMATION MAJEURE DE NOTRE SOCIÉTÉ, EN FAVEUR DE LA SANTÉ MENSTRUELLE ET GYNÉCOLOGIQUE

L’absence de reconnaissance légale des menstruations incapacitantes traduit l’absence globale de reconnaissance des problématiques liées à la santé menstruelle en France. Malgré la mise en place récente d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose ([22]) et l’adoption d’un plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2023-2027), l’action des pouvoirs publics en faveur des personnes atteintes de troubles menstruels demeure confidentielle sinon anecdotique, à l’image du « kit de sensibilisation » à l’endométriose publié le 8 mars 2024 par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) à destination des entreprises ([23]).

Il appartient au législateur d’engager une transformation majeure de notre société, en faveur de la santé menstruelle et gynécologique et de l’égalité de genre. La présente proposition de loi entend ainsi s’inscrire dans cette démarche, car il s’agit d’abord d’une question de santé publique qui concerne la moitié de la population. Dans la continuité des positions exprimées par l’Assemblée nationale ([24]), elle propose un ensemble de mesures visant à reconnaître et à protéger la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail.

A.   Adapter le travail aux besoins des personnes souffrant de menstruations incapacitantes

1.    Aménager le travail au moyen de l’arrêt menstruel et du télétravail

● L’article 1er de la présente proposition de loi vise à créer le droit à un arrêt menstruel le plus flexible et adapté aux besoins des personnes menstruées, alors que 66 % des salariées y sont favorables en entreprise, que 64 % des femmes concernées pourraient y avoir recours et que 66 % estiment qu’une entreprise proposant le congé menstruel serait plus attrayante ([25]).

Il propose pour cela un arrêt menstruel sous la forme d’un forfait annuel de treize jours d’arrêt pour menstruations incapacitantes, ce qui correspond à un jour par cycle en moyenne. Dans l’objectif de s’adapter à la réalité pratique des menstruations incapacitantes, et notamment à leur caractère chronique ainsi qu’à la variation des douleurs en fonction des cycles, ces jours peuvent être utilisés de manière autonome et le versement des indemnités associées est exempt de tout délai de carence, sur le modèle des arrêts maladie mis en œuvre pendant la crise sanitaire.

● L’arrêt menstruel proposé est conçu comme faisant partie d’un ensemble de mesures destinées à favoriser l’inclusion de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail. En ce sens, il constitue l’un des outils proposés en cas de menstruations incapacitantes mais ne se suffit pas à lui-même et fait plutôt office de dernier recours. Il s’accompagne ainsi d’un ensemble plus large de mesure de prévention et d’aménagement du travail à même de permettre, dans un premier temps ou plus durablement, d’améliorer la qualité de vie et la santé au travail des personnes souffrant de menstruations incapacitantes. Ainsi, comme l’a souligné la Haute Autorité de santé (HAS) lors de son audition, la plupart des personnes concernées par les menstruations incapacitantes peuvent ou préfèrent recourir à une adaptation de leur travail plutôt qu’à un arrêt de travail.

En la matière, l’efficacité du télétravail a été établie par les structures l’ayant mis en œuvre. Alors que, malgré l’essor de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid‑19, il demeure très rarement mis en place pour les personnes atteintes de menstruation incapacitantes, l’article 2 de la présente proposition de loi vise ainsi à favoriser son essor en garantissant à ces personnes un droit au télétravail, en complément de l’arrêt menstruel, dès lors que leur poste est télétravaillable.

2.   S’inspirer des expérimentations déjà en vigueur

Le récent mouvement qui a conduit à la mise en place d’arrêts menstruels sous diverses formes et à diverses échelles, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, permet d’éclairer le législateur et confirme la pertinence de la présente proposition de loi.

Cette proposition n’est d’ailleurs pas nouvelle, puisque le Japon a instauré un arrêt menstruel dès 1947 et l’Indonésie depuis 1948. Des formes similaires d’arrêts menstruels ont également été mises en place en Corée du Sud, en Zambie, à Taïwan, en Suisse et ont été débattues par les parlements italiens, indiens, mexicains ou marocains.

 Au niveau législatif, l’Espagne a été pionnière dans la mise en place d’un arrêt de travail pour menstruations incapacitantes puisqu’elle est le premier pays européen à avoir adopté une loi pour consacrer ce droit ([26]). Ainsi, depuis le 1er juin 2023, les personnes souffrant de dysménorrhées secondaires ont droit à un arrêt de travail menstruel exempt de délai de carence, sans limite mensuelle ni annuelle.

● En France même, des administrations et collectivités se sont emparées du sujet nonobstant l’absence de directives nationales et d’un cadre législatif et réglementaire clair, à l’image de la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, qui fait figure de pionnière suite à la mise en œuvre d’un arrêt menstruel pour ses agents, annoncée le 8 mars 2023. Plus d’une vingtaine de villes et collectivités de toute taille ont à ce jour mis en place un arrêt menstruel, telles que Lyon, Strasbourg, Bagnolet, Seyssinet-Pariset, Grenoble ou encore le département de la Seine-Saint-Denis

Le rapporteur, qui a pu auditionner un certain nombre d’entre elles, relève qu’elles proposent à leurs agents publics un arrêt menstruel parfois accompagné de dispositifs complémentaires. Ce faisant, elles cherchent à contribuer à la qualité de vie de leurs agents, à mieux appréhender les enjeux liés à la santé menstruelle mais aussi, à l’image de la ville de Seyssinet-Pariset, à bousculer le législateur dans l’attente de son action.

L’arrêt menstruel prend généralement la forme d’autorisations spéciales d’absence (ASA), dont le cadre reste toutefois imprécis et sujet à un contrôle de légalité variable selon les territoires. Si la plupart des collectivités autorisent un jour d’absence par mois, parfois apprécié en heures, sur présentation d’un certificat médical, de nombreuses variations existent, soulignant la pertinence d’apporter un cadre législatif commun afin de sécuriser les employeurs publics et d’harmoniser les pratiques.

● Dans les entreprises, le congé menstruel reste trop rare et prend des formes également très diverses. Le groupe Carrefour propose par exemple, depuis septembre 2023, douze jours d’absence médicale autorisée par an à ses salariées souffrant d’endométriose et ayant un document attestant la situation de handicap reconnu par l’entreprise, tandis que l’entreprise toulousaine Louis Design a décidé d’accorder en 2021 un congé menstruel sans justificatif, sous la forme d’un jour de congé supplémentaire et sur la base d’une confiance entre les collaborateurs et collaboratrices. Chez L’Oréal, depuis le mois de janvier 2023, une collaboratrice souffrant d’endométriose médicalement diagnostiquée peut bénéficier de trois jours d’absence médicale autorisée si son état de santé ne lui permet pas de venir travailler, et peut recourir au télétravail au-delà de l’usage habituellement autorisé sans avoir à le justifier.

En tout état de cause, il ressort que la mise en place d’un arrêt menstruel est possible dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille et leur secteur d’activité, et constitue même bien souvent un facteur de confiance renforcée, d’amélioration de la qualité de vie au travail, d’attractivité et de productivité pour celles-ci.

3.   Faire face à l’enjeu du non-recours

● Les travaux du rapporteur révèlent néanmoins que, bien loin des craintes de potentiels abus de droit, le non-recours à l’arrêt menstruel proposé en demeure la principale problématique.

Bien loin des estimations des personnes éligibles aux dispositifs, situées généralement entre 10 et 15 %, les structures auditionnées constatent après quelques mois que le taux de recours avoisine plutôt 0,1 à 2 %. En Espagne, six mois après l’entrée en vigueur de la loi instaurant un arrêt menstruel, seules 150 à 200 demandes auraient été déposées chaque mois soit, au total, 1 081 processus d’incapacité temporaire d’une durée moyenne de 3,12 jours ([27]). La métropole de Lyon aurait connu 89 recours à l’arrêt menstruel pour ses 4 500 agentes, tandis que, concernant le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, seules 47 des 5 600 agentes éligibles auraient bénéficié du dispositif proposé depuis septembre 2023.

Face à ce constat, qui peut notamment être attribué au tabou que constituent encore les menstruations à l’échelle de la société, il convient de souligner l’importance d’accompagner la mise en place des dispositifs d’un plan de sensibilisation et de communication de grande ampleur.

● Il s’agit également de relativiser fortement le coût que constituerait la mise en place d’un arrêt menstruel.

D’une part, ce coût, très fortement amoindri par le non-recours constaté et qui ne dépasserait pas les cent millions d’euros ([28]), est à mettre en rapport avec le rendement des prélèvements obligatoires pesant sur les personnes menstruées. Le rendement de la TVA applicable aux produits menstruels et d’hygiène féminine est ainsi estimé à plusieurs dizaines de millions d’euros au minimum.

Il doit, d’autre part, être mis en lien avec les conséquences lourdes en matière de développement économique pour l’entreprise et pour la société que peuvent induire les menstruations incapacitantes, le coût global de l’endométriose seule étant évalué par une étude à 10,6 milliards d’euros par an ([29]). Les deux tiers, soit 4 908 euros par personne, sont des coûts indirects engendrés par la baisse de productivité et les pertes de pouvoir d’achat et de recettes, qui pourraient être largement compensés par les gains résultant de l’adaptation du monde professionnel aux enjeux de santé menstruelle et gynécologique.

 

B.   Intégrer la santé menstruelle et gynécologique au dialogue social et favoriser sa reconnaissance dans le monde du travail

Au-delà de la création d’un arrêt menstruel et d’un recours facilité au télétravail, il apparaît fondamental pour le législateur de s’inscrire dans une démarche plus large de reconnaissance de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail et même, plus globalement, dans la société. Cette reconnaissance passe nécessairement par son intégration dans le dialogue social et par son appropriation par la médecine du travail.

1.   Faire de la santé menstruelle et gynécologique un thème obligatoire de la négociation collective

Un élément central qui ressort des auditions menées par le rapporteur est que l’arrêt menstruel n’est presque jamais une mesure isolée : les entreprises et administrations auditionnées soulignent l’importance de le mettre en œuvre dans un plan plus global de santé et de lutte pour l’égalité de genre. Le dialogue social est un levier indispensable pour cela, c’est pourquoi la présente proposition de loi, par son article 3, vise à intégrer le thème de la santé menstruelle et gynécologique comme thème obligatoire de négociation collective dans les secteurs privé et public.

Il permettra ainsi, en complément des mesures de sensibilisation et des autres dispositions de la proposition de loi, de favoriser la mise en place par les employeurs de dispositifs d’aménagement horaires (modulations temporaires de cycles, horaires, temps de pause, etc.) ou encore des postes de travail (notamment en cas de travail posté, ou sur l’espace public, etc.).

2.   Intégrer la santé menstruelle et gynécologique dans les prérogatives d’action de la médecine du travail

Alors que les personnes souffrant de menstruations incapacitantes encourent des risques personnels et professionnels additionnels, les organisations syndicales et les professionnels de santé auditionnés par le rapporteur soulignent l’importance des enjeux de prévention et de santé au travail.

Il s’agit, dès lors, d’associer les services de prévention et de médecine du travail, qui jouent un rôle clé au sein des entreprises puisque, d’une part, ils sont compétents pour prescrire les aménagements nécessaires au poste de travail, mais aussi parce que, d’autre part, ils sont un acteur majeur de la prévention des risques.

Ces services demeurent toutefois insuffisamment formés et compétents en matière de troubles menstruels, alors même qu’ils peuvent contribuer de manière déterminante à limiter l’errance diagnostique et qu’ils ont tout leur rôle à jouer sur ces questions, en lien avec les questions relatives à la qualité de vie au travail et à la santé au travail. Pour les pousser à s’emparer des enjeux liés aux troubles menstruels, l’article 4 de la proposition de loi intègre la santé menstruelle et gynécologique dans les prérogatives d’action de la médecine du travail par l’accompagnement, par l’orientation et le suivi médical des personnes salariées et agentes publiques, par l’aide à l’aménagement de leur poste et temps de travail ou encore par des actions de sensibilisation sur les questions de santé menstruelle et gynécologique.


– 1 –

   Commentaire des articles

Article 1er
Créer un arrêt de travail pour menstruations incapacitantes

Rejeté par la commission

L’article 1er prévoit la création d’un arrêt de treize jours annuels, indemnisé et exempt de délai de carence, pour les personnes atteintes de menstruations incapacitantes médicalement reconnues.

I.   Le droit en vigueur

Le cadre législatif en vigueur ne prévoit aucune disposition concernant spécifiquement la prise en charge des personnes atteintes de menstruations incapacitantes. En conséquence, il apparaît comme très inadéquat et ne permet de couvrir qu’un nombre extrêmement limité de ces personnes, seulement de façon partielle le cas échéant.

Les dysménorrhées ou règles incapacitantes peuvent pourtant entraîner une diversité de symptômes de nature à affecter l’aptitude à travailler, tels que des douleurs pelviennes, des crampes pouvant irradier le dos et les jambes ou encore « des nausées, des vomissements, des diarrhées, une asthénie ou des migraines » ([30]).

● Ainsi, aucun arrêt maladie spécifique aux personnes atteintes de menstruations incapacitantes n’est prévu pour garantir la bonne prise en charge de celles-ci, si bien que les rares expérimentations de celui-ci par les entreprises et, tout particulièrement, par les collectivités, demeurent marquées par une forte insécurité juridique.

Les auditions du rapporteur soulignent en effet le flou juridique qui entoure les régimes d’autorisations spéciales d’absence (ASA) mises en œuvre afin de donner aux agents publics la possibilité de recourir au congé menstruel. Dans l’attente de l’adoption d’un décret précisant leur application pour la fonction publique territoriale et d’État, les collectivités pionnières en matière de congé menstruel s’exposent à un contrôle de légalité qui se révèle variable selon les départements et souvent suspendues, à l’image de la ville de Lyon, à l’appréciation du représentant de l’État.

Du reste, malgré la nécessité pour l’employeur, en application de l’article L. 4121‑1 du code du travail, de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs », parmi lesquelles des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés, la santé menstruelle et gynécologique reste un champ extrêmement peu investi par les entreprises.

● En l’absence d’une autorisation spéciale d’absence ou d’un congé proposé par leur administration ou par leur entreprise, les personnes atteintes des menstruations les plus incapacitantes peuvent envisager de recourir à un arrêt maladie de droit commun. Les modalités d’un tel arrêt apparaissent toutefois particulièrement inadaptées à cette pathologie, qu’il s’agisse de l’arrêt de travail pour maladie pour les salariés de droit privé ou du congé de maladie ordinaire (CMO) pour les agents publics.

D’une part, la consultation médicale nécessaire au recours et à la prise en charge d’un arrêt maladie de droit commun s’articule mal avec le caractère chronique ou récurrent des menstruations incapacitantes, mais aussi avec l’ampleur de la population cible, particulièrement dans un contexte de vives tensions en matière de démographie médicale. À titre d’exemple, si l’article L. 312‑1 du code de la sécurité sociale garantit ainsi à tout assuré se trouvant dans l’incapacité de travailler un droit au versement d’indemnités journalières par l’assurance maladie, l’incapacité doit être constatée par un médecin. Pour les agents publics, les articles L. 822‑1 à L. 822‑5 du code général de la fonction publique disposent que l’agent souffrant d’une maladie le mettant dans l’incapacité d’exercer ses fonctions bénéficie de congés pour maladie à condition que la maladie soit constatée par un médecin.

D’autre part, les arrêts et congés de maladie sont soumis à des jours de carence non indemnisés, lesquels entraînent une perte de revenu pour les personnes concernées. La durée du délai de carence varie aujourd’hui d’un à trois jours selon les régimes :

– en application de l’article 115 de la loi de finances pour 2018 ([31]), le premier jour de congé de maladie de l’agent public n’est pas rémunéré et celui-ci ne bénéficie du maintien de son traitement indiciaire qu’à partir du deuxième jour d’arrêt de travail ;

– les indemnités journalières maladie sont dues à compter du quatrième jour d’arrêt de travail pour les assurés du régime général ([32]), les salariés agricoles ([33]), les indépendants ([34]) ou encore les non‑salariés agricoles ([35]).

● En conséquence, et étant donné que les douleurs incapacitantes résultant de dysménorrhées se concentrent le plus souvent sur une période de 8 à 72 heures corrélée à la période de menstruation, avec un pic de sévérité des douleurs le premier ou le deuxième jour des règles, ces délais de carence, dans le cadre législatif actuel, s’apparentent à une sanction financière appliquée aux personnes atteintes par une pathologie chronique aux symptômes tels qu’elles doivent recourir à un arrêt de travail de droit commun.

● La prise en charge des menstruations incapacitantes comme une affection de longue durée (ALD) n’est, par ailleurs, pas non plus permise aujourd’hui, la reconnaissance celle-ci n’étant possible que pour l’endométriose. Concernant cette dernière, en dépit de la position exprimée par l’Assemblée nationale ([36]), la seule ALD possible, est une ALD dite « hors liste » ou « ALD 31 », dont la reconnaissance demeure aussi exceptionnelle qu’aléatoire et affectée par des problèmes majeurs d’errance médicale ainsi que par des fortes disparités territoriales. Ainsi, seules 13 472 femmes et personnes menstruées étaient parvenues fin 2022 à faire reconnaître leur endométriose comme une ALD, soit 0,005 % des 2,5 millions de personnes concernées par cette maladie. Ces difficultés d’accès à l’ALD 31 s’expliquent notamment par des critères trop restrictifs et inadaptés à cette pathologie, qui considèrent la plupart des cas d’endométriose comme insuffisamment graves ou évolutifs ([37]). Malgré l’amélioration de la prise en charge que permettrait l’inscription de l’endométriose dans la liste des ALD 30, cette mesure exclurait toujours les personnes atteintes d’autres pathologies gynécologiques tels que le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) ainsi que celles souffrant de douleurs menstruelles non pathologiques mais parfois invalidantes.

II.   Le dispositif proposé

Bien loin d’être source de discriminations à l’encontre de ces personnes, un arrêt maladie spécifique permettrait donc, en dernier recours, leur prise en charge financière et médicale d’une manière plus adéquate. Dès lors, l’article 1er de la présente proposition de loi vise à ouvrir le droit, pour les personnes salariées ou agentes publiques atteintes de menstruations incapacitantes, à bénéficier d’un arrêt de travail pris en charge par l’assurance maladie et exempt de jours de carence.

● À cette fin, il modifie les sections concernées du code du travail et du code de la fonction publique afin de créer un arrêt de travail dont le régime est adapté aux spécificités des menstruations incapacitantes.

D’une part, il complète la section 1 du chapitre VI du titre II du livre II de la première partie du code du travail par article L. 1226‑1‑5, ouvrant droit pour tout salarié, sans condition d’ancienneté, à un arrêt de travail, dans les conditions définies aux articles L. 321‑1‑1 et L. 321‑1‑2 du code de la sécurité sociale (III). Ces deux articles du code de la sécurité sociale sont créés par le II et définissent les conditions de reconnaissance et d’indemnisation de l’arrêt pour menstruations incapacitantes.

Pour garantir la réciprocité entre les régimes applicables dans les secteurs public et privé, le chapitre II du titre II du livre VIII du code général de la fonction publique est complété par une nouvelle section relative aux arrêts pour menstruations incapacitantes (I). L’article L. 822-31 qui la compose dispose que l’agent public atteint de menstruations incapacitantes a droit à un arrêt de travail dans les conditions égales à celles qui sont définies par l’article L. 1226‑1‑5 du code du travail.

● Se distinguant de l’arrêt de travail de droit commun, l’arrêt de travail pour menstruations incapacitantes proposé est conçu sous la forme d’un forfait annuel de treize jours, lesquels correspondent au nombre de cycles sur une année. De façon à couvrir la plus grande variété des troubles associés aux menstruations et à permettre la meilleure adaptation de l’arrêt de travail dispensé, il est précisé que ces jours peuvent être utilisés de manière autonome (par exemple en faisant une déclaration sur la plateforme Ameli), consécutivement ou de manière fractionnée, sans préjudice de toute autre prescription. Pour faire face aux craintes exprimées et dans une logique de compromis, le rapporteur a proposé, par son amendement AS30, de renoncer au caractère renouvelable de la prescription et de préciser que l’arrêt peut être utilisé dans la limite de trois jours par mois.

● Pour favoriser l’accès à l’arrêt de travail pour menstruations incapacitantes, ainsi que son appropriation par les personnels médicaux, le dispositif prévoit que la reconnaissance des menstruations incombe au médecin généraliste de premier recours, au médecin spécialiste de premier ou de deuxième recours, à la sage‑femme ou encore au médecin du travail.

● Enfin, cet article vise à faire face aux enjeux de reste à charge et de précarisation résultant des dépenses liées à la santé menstruelle et gynécologique et qui constituent autant d’enjeux de santé publique et d’égalité de genre. Dans cette perspective, il prend acte de l’inadéquation avec la mesure visée du principe même de délai de carence. Sur le modèle de l’arrêt menstruel espagnol, il garantit le versement d’indemnités journalières sans délai et durant la totalité de la période d’arrêt de travail pour menstruations incapacitantes. Il ajoute par ailleurs à l’article 115 de la loi de finances pour 2018 une exception à l’application du jour de carence pour les agents publics atteints de menstruations incapacitantes (IV).

Le rapporteur souligne à cet égard que la dérogation que constituerait l’absence de délai de carence ne serait ni excessive ni inédite, dans la mesure où le législateur a, récemment encore, rendu possible de bénéficier d’un arrêt de travail pour maladie sans application du délai de carence en cas d’interruption spontanée de grossesse (fausse couche) ([38]). De nombreuses autres exceptions à l’application de ce délai existent, à l’image de celles qui concernent les arrêts de travail liés aux femmes enceintes, dès lors qu’elles ont déclaré leur situation de grossesse à leur employeur ([39]), celles liées au premier congé de maladie intervenant pendant une période de treize semaines à compter du décès d’un enfant ([40]), ou encore celles mentionnées au II de l’article 115 de la loi de finances pour 2018, concernant par exemple les ALD. Le rapporteur rappelle par ailleurs que le dispositif d’arrêt de carence a été largement suspendu pendant la crise sanitaire ([41]).

● Enfin, l’article 1er inscrit l’arrêt pour menstruations incapacitantes dans le cadre d’indemnisation de l’arrêt maladie de droit commun, en prévoyant le versement des indemnités journalières (IJ) prévues à l’article L. 321‑1 du code de la sécurité sociale, et une indemnisation égale dans la fonction publique. Les fonctionnaires bénéficieront ainsi d’un maintien de l’intégralité de leur traitement indiciaire.

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Article 2
Favoriser le recours au télétravail pour les personnes atteintes de menstruations incapacitantes

Adopté par la commission avec modifications

L’article 2 vise à garantir aux personnes atteintes de menstruations incapacitantes la possibilité de recourir au télétravail.

  1.   Le droit en vigueur

Alors que l’aménagement du travail, comprenant le recours au télétravail, apparaît comme une piste essentielle pour mieux prendre en compte la santé menstruelle et gynécologique, les auditions du rapporteur soulignent l’écart entre les ambitions affichées et la réalité des pratiques. Ainsi, la possibilité d’avoir recours au télétravail, qui pourtant connu un développement à la faveur de l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication et, à plus forte mesure, de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid‑19, demeure très rarement utilisée dans le cadre des troubles menstruels.

● Le législateur, qui a défini le télétravail comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication », en renvoie l’organisation au dialogue social ([42]). En application de l’article L. 1222‑9 du code du travail, le télétravail est en effet mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe.

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 relatif à la mise en œuvre réussie du télétravail est ainsi venu compléter l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail. Il rappelle, sur le modèle de ce dernier ([43]), que le télétravail revêt un caractère doublement volontaire, c’est‑à‑dire à la fois pour le salarié et pour l’employeur. Il précise également que le salarié qui souhaite recourir au télétravail doit en informer l’employeur, qui après examen, peut accepter ou refuser sa demande ([44]). Le refus, par l’employeur, de la demande de télétravail d’un salarié de droit privé doit être motivé dès lors que l’accès au télétravail est prévu dans l’entreprise par un accord collectif ou par une charte, dès lors que le salarié occupe un poste dit « télétravaillable » mais aussi si le salarié est un proche aidant ou qu’il est en situation de handicap ([45]). Dans les autres cas, l’employeur est invité à préciser les raisons de son refus d’accéder à la demande de télétravail émanant d’un salarié.

L’article 4 de l’ANI du 26 novembre 2020 comporte en outre des dispositions spécifiquement relatives :

– aux salariés en situation de handicap et à ceux présentant des problèmes de santé ou atteints d’une maladie chronique évolutive ou invalidante. L’article 4.3.3 souligne ainsi que la pratique du télétravail peut être utilisée comme un outil de prévention de la désinsertion professionnelle pour les salariés en situation de handicap ou atteints d’une maladie chronique évolutive ou invalidante, précisant que l’organisation du travail peut être adaptée, et des aménagements de poste apportés, avec, le cas échéant, le concours des services de santé au travail. Il dispose par ailleurs que le manager porte une attention particulière aux salariés en situation de handicap et ceux présentant des problèmes de santé ou atteints d’une maladie chronique évolutive ou invalidante afin de ne pas créer de situations d’isolement du collectif de travail ;

– à l’égalité entre les femmes et les hommes, vis‑à‑vis de laquelle son article 4.4.1 précise que le télétravail ne doit pas être un frein ;

– à la gestion des carrières des femmes et des hommes. Son article 4.4.2 précise ainsi que la pratique du télétravail ne peut influencer négativement sur la carrière des femmes et des hommes et que l’éloignement physique du salarié en télétravail des centres de décision ou du manager ne doit pas conduire à une exclusion des politiques de promotion interne et de revalorisation salariale.

● Le régime de télétravail applicable à l’ensemble de la fonction publique est proche de celui prévu par le code du travail. Ses modalités de mise en œuvre sont définies par l’article L. 430-1 du code général de la fonction publique ([46]), par le décret du 11 février 2016 ([47]) et par l’accord du 13 juillet 2021 relatif à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique.

L’article L. 430-1 du code général de la fonction publique dispose que l’agent public peut exercer ses fonctions dans le cadre du télétravail tel qu’il est défini au premier alinéa de l’article L. 1222-9 du code du travail. Il précise que l’exercice des fonctions en télétravail lui est accordé à sa demande et après accord de son chef de service, et qu’il peut y être mis fin à tout moment, sous réserve d’un délai de préavis. Il renvoie à un décret en Conseil d’État, pris après concertation avec les organisations syndicales représentatives de la fonction publique, les modalités d’application concernant notamment l’organisation du télétravail, les conditions de recours par l’agent en cas de refus opposé à sa demande de télétravail ainsi que les possibilités de recours ponctuel au télétravail.

Le décret du 11 février 2016 dispose que la compatibilité de la demande de télétravail est appréciée au regard de la nature des activités exercées et de l’intérêt du service, l’éligibilité au télétravail se déterminant donc par les activités exercées, et non par les postes occupés. Il fixe un plafond de trois jours de télétravail par semaine, lesquels peuvent s’apprécier sur une base mensuelle. Plusieurs dérogations à ce plafond sont toutefois prévues, notamment à la demande des femmes enceintes et des agents éligibles au congé de proche aidant mais aussi, pour une durée de six mois maximum, à la demande des agents dont l’état de santé ou le handicap le justifient et après avis du service de médecine préventive ou du médecin du travail, cette dernière dérogation étant renouvelable. Il précise par ailleurs que le refus opposé à une demande d’autorisation de télétravail, ou l’interruption du télétravail à l’initiative de l’administration, doivent être motivés et précédés d’un entretien. Il renvoie à des actes de déclinaison ([48]) la fixation des activités éligibles au télétravail ou encore les règles à respecter en matière de temps de travail, de sécurité et de protection de la santé, en précisant que, même en l’absence d’un tel acte, tout agent public exerçant des activités télétravaillables peut demander le télétravail.

L’accord du 13 juillet 2021, qui est le premier accord sur le télétravail dans la fonction publique, en acte des principes directifs en matière de mise en œuvre ainsi que des évolutions réglementaires (notamment sur la possibilité d’accorder aux proches aidant une dérogation à la présence minimale sur site et la possibilité d’accorder cette dérogation sans avis du médecin du travail aux femmes enceintes), tout en prévoyant que l’ensemble des employeurs publics s’engagent à ouvrir des négociations avant le 31 décembre 2021 en vue de sa déclinaison.

● Malgré un cadre législatif et réglementaire en apparence complet, le télétravail reste trop faiblement mobilisé dans le cas de menstruations incapacitantes, qui ne font donc l’objet d’aucune disposition spécifique en l’état actuel du droit. Ainsi, même certaines collectivités pionnières ayant mis en place un arrêt menstruel peuvent parfois laisser de côté la question du télétravail.

Les auditions du rapporteur soulignent pourtant que le télétravail constitue l’une des modalités indispensables d’adaptation du travail aux enjeux de santé menstruelle et gynécologique. Il permet par exemple aux personnes menstruées de porter une tenue plus ample et adaptée, de pouvoir travailler dans un cadre plus confortable ou encore, au pic de leurs symptômes incapacitants, d’éviter un trajet domicile-travail, notamment dans les transports en commun.

II.   Le dispositif proposé

Dans l’objectif de garantir des aménagements de travail adaptés à la réalité et aux besoins des personnes menstruées, l’article 2 de la présente proposition de loi vise à favoriser le recours au télétravail, dans les secteurs privé comme public, pour les personnes atteintes de menstruations incapacitantes.

● Dans sa rédaction initiale, il modifie ainsi l’article L. 430-1 du code général de la fonction publique et dispose que le recours au télétravail est accordé à l’agent public atteint de menstruations incapacitantes, telles que mentionnées à l’article L. 822‑31 du même code, qui en fait la demande. Ce faisant, il va au‑delà du principe de double accord et permet pour les personnes atteintes de menstruations incapacitantes d’obtenir, de droit, l’autorisation de télétravailler, étant entendu que cette disposition concerne uniquement les postes télétravaillables. L’amendement AS20 de Mme Émilie Chandler et plusieurs de ses collègues du groupe Renaissance, adopté par la commission, modifie la rédaction de cet alinéa en disposant que le recours au télétravail est accordé dans des conditions définies par décret à l’agent public atteint de dysménorrhée incapacitante.

● Le troisième alinéa de cet article complète par ailleurs la liste mentionnée au II de l’article L. 1222‑9 du code du travail, relative au contenu de l’accord collectif applicable ou, à défaut, la charte élaborée par l’employeur en matière de télétravail. Il dispose ainsi, dans sa version initiale, que l’accord collectif applicable ou, à défaut, la charte élaborée par l’employeur, inclut les modalités de recours au télétravail pour les travailleurs dont les menstruations incapacitantes ont été reconnues et qui en font la demande, en faisant référence à l’article L. 321‑1‑2 du code de la sécurité sociale que l’article 1er de la proposition de loi, dans sa version déposée, visait créer. L’amendement AS14 de Mme Émilie Chandler et plusieurs de ses collègues du groupe Renaissance, adopté par la commission des affaires sociales, modifie la rédaction de cet alinéa pour restreindre aux salariées souffrant de dysménorrhée incapacitante l’accès à une organisation en télétravail.

● Le rapporteur souligne que le recours au télétravail pour les personnes atteintes de menstruations incapacitantes dont le poste est télétravaillable, favorisé par cet article, est une opportunité offerte à ces personnes. Il ne se substitue ni aux dispositifs de droit commun applicables en matière de télétravail, ni à l’arrêt menstruel mis en place par l’article 1er, étant entendu que l’arrêt maladie et le télétravail sont évidemment exclusifs.

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Article 3
Intégrer la santé menstruelle et gynécologique comme objet de négociation collective

Adopté par la commission avec modifications

L’article 3 intègre la santé menstruelle et gynécologique au dialogue social, en la consacrant comme un thème obligatoire de négociation collective.

  1.   Le droit en vigueur

Le cadre juridique relatif aux négociations collectives en vigueur, bien que rythmé par des thèmes, niveaux et périodicités de négociation obligatoires, ne fait mention d’aucune mesure spécifique à la santé menstruelle et gynécologique. Aussi, ces dernières ne peuvent être intégrées dans l’entreprise ou l’administration publique que sur une base volontaire ou en s’insérant dans des objets plus larges de la négociation collective.

● À cet égard, dans le secteur privé, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels se réunissent, au moins une fois tous les quatre ans pour négocier notamment sur les mesures tendant à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et sur les mesures de rattrapage tendant à remédier aux inégalités constatées ainsi que sur la mise à disposition d’outils aux entreprises pour prévenir et agir contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Des dispositions supplétives prévoient également que l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est pris en compte dans la négociation annuelle, triennale et quinquennale ([49]).

Concernant la négociation obligatoire en entreprise :

– dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur engage au moins une fois tous les quatre ans une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et la qualité de vie et des conditions de travail ([50]) ;

– des disposition supplétives sont prévues en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de qualité de vie et de conditions de travail. En application du 2° de l’article L. 2242-13 et de l’article L. 2242-17, la négociation annuelle porte entre autres sur les objectifs et les mesures permettant d’atteindre l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment en matière de suppression des écarts de rémunération, d’accès à l’emploi, de formation professionnelle, de déroulement de carrière et de promotion professionnelle, de conditions de travail et d’emploi, et de mixité des emplois.

En dépit ou en raison de ces dispositions générales, la santé menstruelle et gynécologique demeure aujourd’hui un impensé de la négociation collective et, plus globalement, de la vie en entreprise.

● La santé menstruelle et gynécologique ne constitue pas non plus un objet de négociation collective obligatoire dans la fonction publique. Le législateur a toutefois prévu que, pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, l’État et ses établissements publics administratifs, les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale de plus de 20 000 habitants ainsi que certains établissements publics élaborent et mettent en œuvre un plan d’action pluriannuel dont la durée ne peut excéder trois ans renouvelables ([51]). L’article L. 132-2 du code général de la fonction publique ([52]) dispose que ce plan comporte au moins des mesures visant notamment à :

– évaluer, prévenir et, le cas échéant, traiter les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes ;

– garantir l’égal accès des femmes et des hommes aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois de la fonction publique ;

– favoriser l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale ;

– prévenir et traiter les discriminations, les actes de violence, de harcèlement moral ou sexuel ainsi que les agissements sexistes.

Un premier plan santé au travail dans la fonction publique, couvrant la période 2022-2025, a été conclu en mars 2022 avec les employeurs et les organisations syndicales des trois versants de la fonction publique. En tout état de cause, ce plan n’a apporté aucune impulsion significative en faveur d’une meilleure prise en compte des enjeux de santé menstruelle et gynécologique dans la fonction publique, dont il ne fait d’ailleurs nulle mention ([53]).

II.   Le dispositif proposé

L’objectif de meilleure prise en compte de la santé menstruelle et gynécologique appelle de la part des employeurs des dispositifs d’aménagement horaires (modulations temporaires de cycles, horaires, temps de pause, etc.) ou encore des postes de travail (notamment en cas de travail posté, ou sur l’espace public, etc.), qui peuvent constituer des réponses adaptées pour les agentes concernées, tout en pouvant contribuer parfois à éviter de recourir à un arrêt maladie tel que celui mentionné à l’article 1er.

Dans cette perspective, l’article 3 de la présente proposition de loi, dans sa version déposée, vise à intégrer, dans les secteurs privé comme public, le thème de la santé menstruelle et gynécologique comme thème obligatoire de négociation collective. En intégrant ce thème dans le dialogue social, il permet le développement de mesures visant à mieux prendre en compte les besoins des femmes et des personnes menstruées et entend participer d’une transformation sociétale profonde adaptant le monde professionnel aux 10 % de personnes atteintes de ces douleurs chroniques et incapacitantes, plutôt qu’en faisant peser la charge sur ces dernières.

Pour ce faire, il modifie, dans la rédaction initiale résultant de ses troisième et quatrième alinéas, l’article L. 2241‑1 du code du travail pour faire figurer les parmi les thèmes obligatoires de la négociation quadriannuelle prévue dans les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels, des mesures visant à promouvoir la santé menstruelle et gynécologique par le biais notamment de l’aménagement du temps de travail et du recours au télétravail, par une organisation du poste de travail qui incluent pleinement la santé menstruelle et gynécologique, notamment via l’accès à des sanitaires adaptés, un espace de repos et à des protections menstruelles, ainsi que l’organisation d’actions de sensibilisation aux enjeux de la santé menstruelle et gynécologique à destination de l’ensemble des agents. L’amendement AS15 de Mme Émilie Chandler et plusieurs de ses collègues du groupe Renaissance, adopté par la commission des affaires sociales, modifie la rédaction de ces alinéas et dispose que la santé menstruelle et gynécologique est intégrée de manière facultative à la négociation annuelle de l’entreprise négociation annuelle relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie et des conditions de travail ([54]).

De la même manière, l’article 3 complète l’article L. 132‑2 du code général de la fonction publique, relatif aux mesures prévues par le plan d’action pluriannuel mentionné à l’article L. 132‑1, pour y intégrer obligatoirement des mesures visant à promouvoir la santé menstruelle et gynécologique par le biais notamment de l’aménagement du temps de travail et du recours au télétravail, par une organisation du poste de travail qui incluent pleinement la santé menstruelle et gynécologique, notamment via l’accès à des sanitaires adaptés, un espace de repos et à des protections menstruelles, ainsi que l’organisation d’actions de sensibilisation aux enjeux de la santé menstruelle et gynécologique à destination de l’ensemble des agents.

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Article 4
Mobiliser les services de prévention et de santé au travail

Adopté par la commission avec modifications

L’article 4 vise à intégrer la santé menstruelle et gynécologique dans les prérogatives d’action des services de prévention et de santé au travail.

I.   Le droit en vigueur

Aucune mission spécifiquement en lien avec la santé menstruelle et gynécologique n’incombe aujourd’hui aux services de prévention et de santé au travail.

● Les dispositions relatives à la prévention et à la protection en matière de santé et de sécurité au travail, qui figurent aujourd’hui à la quatrième partie du code du travail et au livre VIII du code général de la fonction publique, ne peuvent donc prendre en compte les enjeux menstruels que dans une approche plus globale.

L’article L. 4622-2 du code du travail dispose ainsi que les services de prévention et de santé au travail ont pour mission principale d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, contribuant à la réalisation d’objectifs de santé publique afin de préserver, au cours de la vie professionnelle, un état de santé du travailleur compatible avec son maintien en emploi. Il énumère les actions réalisées par ces services, parmi lesquelles :

– les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel (1°) ;

– des conseils aux employeurs, aux travailleurs et aux représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer la qualité de vie et des conditions de travail, en tenant compte le cas échéant de l’impact du télétravail sur la santé et l’organisation du travail, de prévenir la consommation d’alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir le harcèlement sexuel ou moral (2°) ;

– depuis la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, la participation à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dont des campagnes de vaccination et de dépistage, des actions de sensibilisation aux bénéfices de la pratique sportive et des actions d’information et de sensibilisation aux situations de handicap au travail, dans le cadre de la stratégie nationale de santé prévue à l’article L. 1411-1-1 du code de la santé publique (5°) ([55]).

Le chapitre III du titre Ier du livre VIII du code général de la fonction publique regroupe quant à lui les dispositions relatives aux actions en faveur des agents publics.

● Les auditions du rapporteur mettent toutefois en lumière l’écart manifeste entre une parole politique et un cadre législatif en apparence attentifs à la prévention et à la santé au travail, et une mobilisation des services compétents en pratique très disparate et souvent très insuffisante, sinon absente. Alors même que le Gouvernement prétend vouloir renforcer l’accompagnement des femmes par les services de santé au travail et vouloir mieux accompagner les femmes souffrant d’endométriose au travail ([56]), des lacunes majeures persistent, par exemple en matière de formation de ces professionnels.

II.   Le dispositif proposé

L’article 4 de la présente proposition de loi vise à intégrer la santé menstruelle et gynécologique dans les prérogatives des services de santé et de prévention au travail par l’accompagnement, par l’orientation et le suivi médical des personnes salariées et agentes publiques, par l’aide à l’aménagement de leur poste et temps de travail ou encore par des actions de sensibilisation sur les questions de santé menstruelle et gynécologique. Ce faisant, il entend sécuriser juridiquement mais aussi en pratique la possibilité de recourir à l’arrêt de travail ou au télétravail en cas de menstruations incapacitantes.

S’inscrivant dans une logique d’inclusion des secteurs public comme privé, en cohérence avec les autres articles de la proposition de loi, l’article 4 modifie à cette fin les dispositions du code général de la fonction publique et celles du code du travail.

 Il complète le chapitre III du titre Ier du livre VIII du code général de la fonction publique par un article L. 813‑4 disposant que les services de santé au travail contribuent spécifiquement à trois missions en faveur de tous les agents publics :

– l’accompagnement et l’orientation des agents concernés dans le suivi de leur santé menstruelle et gynécologique, notamment lors de la visite d’information et de prévention ;

– la tenue d’actions d’information et de sensibilisation sur la santé menstruelle et gynécologique ;

– l’accompagnement des employeurs publics, agents et représentants dans l’adaptation du poste et du temps de travail aux enjeux liés à la santé menstruelle et gynécologique (I).

● De la même manière, il complète la liste des actions mises en œuvre par les services de prévention et de santé au travail définie à l’article L. 4622‑2 du code du travail par un 6° disposant que ceux-ci contribuent à l’accompagnement et l’orientation des travailleurs concernés dans le suivi de leur santé menstruelle et gynécologique, à des actions d’information et de sensibilisation sur la santé menstruelle et gynécologique et à l’accompagnement des employeurs, travailleurs et représentants dans l’adaptation du poste et du temps de travail aux enjeux liés à la santé menstruelle (II). L’amendement AS16 de Mme Émilie Chandler et plusieurs de ses collègues du groupe Renaissance, adopté par la commission des affaires sociales, en modifie la rédaction en visant à mieux l’articuler aux missions des services de prévention et de santé au travail telles qu’actuellement définies à l’article L. 4622‑2 du code du travail.

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Article 4 bis (nouveau)
Rapport sur la reconnaissance et la prise en charge de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail

Introduit par la commission

Cet article prévoit la remise d’un rapport un Parlement sur la reconnaissance et la prise en charge de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail.

Le présent article, issu de l’amendement AS28 du rapporteur ([57]), prévoit la remise au Parlement, par le Gouvernement, d’un rapport portant sur la reconnaissance et la prise en charge de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail. Il précise que ce rapport s’attache notamment à évaluer la mise en œuvre de l’arrêt pour menstruations incapacitantes ainsi que le développement de données présentées par genre croisées et leur exploitation dans la conception et la mise en œuvre des politiques de santé au travail. Il dispose que ce rapport est remis dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, puis tous les deux ans.

Article 5
Gage financier

Adopté par la commission

La présente proposition de loi, qui prévoit la mise en place d’un arrêt pour menstruations incapacitantes sans délai de carence, est de nature à accroître les charges supportées par l’État, par les organismes de sécurité sociale et par les collectivités territoriales.

L’article 5 prévoit de compenser ces charges, à due concurrence, respectivement par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services, par la majoration de cette même accise et par la majoration de la dotation globale de fonctionnement.

 


– 1 –

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 27 mars 2024 ([58]) , la commission examine la proposition de loi visant à reconnaître et protéger la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail (n° 2227) (M. Sébastien Peytavie, rapporteur).

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous examinons ce matin la proposition de loi visant à reconnaître et protéger la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail, dont le groupe Écologiste - NUPES a demandé l’inscription à l’ordre du jour des séances qui lui sont réservées le jeudi 4 avril.

M. Sébastien Peytavie, rapporteur. Plus de 15,5 millions de femmes entre 13 et 50 ans sont menstruées en France. Les menstruations peuvent entraîner une variété de symptômes, allant jusqu’à des douleurs incapacitantes. Ces symptômes, mal diagnostiqués, sont très répandus : près de la moitié des femmes et des personnes menstruées souffriraient de douleurs liées à leurs cycles menstruels ou à d’autres pathologies pelviennes.

Au total, ce sont près de 7 millions de femmes qui souffrent de dysménorrhées, terme scientifique utilisé pour désigner les règles douloureuses, et près de 2,4 millions qui sont concernées par d’autres douleurs chroniques liées à leurs règles. L’endométriose, une pathologie chronique dont nous connaissons les conséquences sévères sur la santé des personnes qui en souffrent, concernerait à elle seule 10 % des femmes. Mais d’autres pathologies dont il faut tenir compte existent, telles que le fibrome ou le syndrome des ovaires polykystiques.

Il faut comprendre la nature et l’étendue de ces symptômes pour prendre la mesure de leur impact sur la vie des femmes, tout particulièrement dans le monde professionnel. Comme vous l’avez vu sur les réseaux sociaux ces jours-ci, certains de nos collègues de tous bords ont accepté de tester un simulateur de douleurs menstruelles. Bien sûr, nous ne devrions pas en avoir besoin pour croire à la douleur des femmes et l’apprécier. Mais, ayant perçu un des nombreux symptômes qu’elles subissent, nos collègues ont pu mesurer les répercussions des douleurs menstruelles sur la qualité de vie au travail. Leur ressenti est unanime : parfois semblables à des coups de couteau dans le ventre – pour les citer – de telles douleurs peuvent être incapacitantes. Il faut en tenir compte à ce titre.

Pourtant, ces troubles menstruels, qui prennent également la forme de migraines, d’une fatigue intense ou de troubles digestifs ou urinaires, n’épargnent pas le monde du travail : parmi les femmes salariées, 53 % ont des menstruations douloureuses et deux tiers ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leur cycle sur leur lieu de travail.

Nous devons en tirer une conclusion évidente : la santé menstruelle et gynécologique est un enjeu majeur de santé publique, d’égalité et d’adaptation du monde professionnel, vis‑à‑vis duquel les pouvoirs publics doivent mener une action forte et déterminée. Car, malgré l’annonce d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose ou du déploiement d’un kit de sensibilisation, force est de constater que les choses changent bien trop lentement, en particulier dans le monde du travail.

Le tabou des règles et la minimisation du vécu de la douleur, s’ils existent à l’échelle de toute notre société, sont décuplés dans le monde professionnel : 68 % des femmes estiment que les règles sont un sujet tabou en entreprise. Les conséquences en sont cruelles, puisque c’est justement sur le lieu de travail que les menstruations douloureuses créent le plus de difficultés.

Nous en venons à un constat terrible : 625 000 femmes, soit un quart de celles qui souffrent d’endométriose, déclarent avoir changé de métier ou de statut afin d’adapter leur vie professionnelle, tandis qu’un autre quart, anticipant leurs symptômes, puisent dans leurs jours de congé ou dans leurs RTT, plutôt que de recourir à des arrêts maladie, pouvant perdre alors jusqu’à 10 % de leur salaire.

Il n’est plus admissible que des femmes quittent le monde du travail ou perdent du pouvoir d’achat parce que ni ce monde, ni la puissance publique ne sont capables de les soutenir. Nous devons envoyer un message : ce n’est plus aux femmes de serrer les dents et de s’adapter à un monde du travail créé par et pour les hommes, mais au monde du travail de s’adapter à leurs besoins de santé. Il appartient au législateur, il nous appartient d’engager une transformation de notre société pour tenir pleinement compte de la santé menstruelle et gynécologique. Pour reprendre les mots du Président de la République : « Ce n’est pas un problème de femmes, c’est un problème de société. »

La présente proposition s’inscrit dans cette démarche et prévoit plusieurs mesures fortes, conçues pour être graduées, et devant prendre leur place dans un large plan de reconnaissance de la santé menstruelle et gynécologique au travail.

Il s’agit en premier lieu, avec l’article 4, d’intégrer la santé menstruelle et gynécologique dans les prérogatives d’action des services de médecine du travail. Nous le savons, ceux-ci peuvent jouer un rôle central dans la prévention des risques, l’aménagement des postes, l’accompagnement des employeurs et la sensibilisation.

L’article 3 vise à intégrer la santé menstruelle et gynécologique au dialogue social, en la consacrant comme un thème obligatoire de négociation collective. Nous savons en effet que, malgré l’obligation d’y aborder l’égalité femmes-hommes, la santé menstruelle et gynécologique reste absente du dialogue social. L’appropriation de ce sujet par la négociation permettra aux entreprises d’envisager la mise en place de mesures telles que la mise à disposition de sanitaires adaptés ou des aménagements du temps de travail.

L’article 2 permet d’aller plus loin dans l’aménagement du travail, puisqu’il consacre le droit des personnes souffrant de menstruations incapacitantes à demander le recours au télétravail. Il s’appliquera, évidemment, aux personnes dont le poste est télétravaillable.

Enfin, l’article 1er du texte, inspiré du modèle espagnol et des expérimentations locales et en entreprise, crée un arrêt pour menstruations incapacitantes, exempt de délai de carence. Nous avons fait le choix d’un arrêt de travail plutôt que d’un congé car les mots comptent : il ne s’agit pas d’une absence relevant du loisir ou de vacances, mais d’un besoin de santé, auquel la solidarité nationale doit pleinement subvenir.

Lors des auditions, les associations et les syndicats nous ont fait part de leurs craintes relatives à l’anonymat et aux risques de discriminations. Alors qu’un congé organisé par l’intermédiaire d’un accord d’entreprise impliquerait nécessairement d’informer l’employeur, nous avons opté pour un arrêt de travail, seul à même de garantir l’anonymat, puisqu’il ne fait aucunement mention de la raison de l’absence. Les associations et les syndicats y sont également favorables.

Ainsi, dès lors qu’une femme aura reçu un diagnostic attestant qu’elle souffre de menstruations incapacitantes, elle pourra obtenir une prescription ouvrant le droit à treize jours d’arrêt par an, soit un jour par cycle, renouvelable une fois. Pour s’adapter au mieux à la réalité du cycle et à la chronicité des pathologies, et pour faciliter les démarches des personnes concernées dans un contexte de pénurie de médecins, ces treize jours pourront être posés librement.

Cet arrêt sera indemnisé sans délai de carence, sur le modèle des arrêts pour fausse couche ou pour affections de longue durée (ALD). La suppression du délai de carence permettra à la personne diagnostiquée de ne pas subir les pertes financières qu’implique le régime actuel. C’est une mesure de justice indispensable pour mettre fin à la double peine que les femmes se voient infliger : souffrir en silence et perdre leurs revenus.

L’arrêt menstruel constitue l’une des options ouvertes au sein de tout un dispositif. Il permet une approche graduée et adaptée aux besoins des personnes concernées.

Je voudrais rassurer les plus craintifs d’entre vous : aucun abus de droit n’a été observé par les structures ayant instauré un tel arrêt. C’est au contraire le non-recours à l’arrêt menstruel qui constitue un problème, puisque le taux de recours maximal observé s’élève à 2 % des personnes éligibles.

Je soulignerai également le coût limité d’un tel arrêt : il ne dépasserait pas les 223 millions d’euros, suivant une estimation haute, ou les 44 millions d’euros, selon une estimation basse, plus réaliste et issue de nos auditions. Le rendement de la TVA applicable aux produits menstruels est pour sa part estimé à plusieurs dizaines de millions d’euros au minimum, tandis que les coûts liés aux menstruations atteignent jusqu’à 23 000 euros par personne tout au long de sa vie. Il faut mettre ce coût en regard du coût global des troubles menstruels, celui de l’endométriose seule étant évalué à 10,6 milliards d’euros par an.

Il y a quelques semaines, nous assistions toutes et tous avec émotion à l’inscription de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans notre Constitution. Nous avons alors unanimement reconnu que notre assemblée ne pouvait ignorer davantage la santé des femmes. Alors que cela nous semblait inconcevable quelques années plus tôt, la société était prête et le Parlement a fini par évoluer avec son temps.

Alors, mes chers collègues, donnons-nous à nouveau l’occasion d’être en phase avec les attentes des citoyennes et des nouvelles générations, en accompagnant les évolutions d’une société prête et désireuse d’instaurer cet arrêt menstruel.

En cette veille du 28 mars, Journée mondiale contre l’endométriose, donnons l’occasion à cette assemblée de montrer aux millions de femmes qui vont au travail dans la douleur, serrent les dents et souffrent en silence que nous les entendons et que nous allons agir pour en finir avec la double peine et pour que le monde du travail tienne pleinement compte de la santé menstruelle et gynécologique.

L’Espagne a choisi de faire confiance aux femmes. C’est ce choix que je vous invite solennellement à faire aujourd’hui.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Émilie Chandler (RE). Combien de Françaises ont déjà entendu la phrase : « c’est normal d’avoir mal quand on a ses règles » ? Que les choses soient claires : non, ce n’est pas normal d’avoir mal, il n’est pas normal d’attendre si longtemps pour obtenir un diagnostic. Vivre avec une maladie gynécologique chronique, dont les symptômes sont multiples et les manifestations – parmi lesquelles les migraines cataméniales – très douloureuses, est avant tout une épreuve personnelle et intime. Les douleurs quotidiennes peuvent être si intenses qu’elles empêchent une femme de travailler, d’étudier, ou même de se déplacer. Je remercie monsieur le rapporteur de nous permettre d’évoquer ces maux qui rendent la vie difficile à toutes les femmes. Je suis persuadée que la recherche aurait progressé beaucoup plus vite si 2,5 millions de nos concitoyens masculins étaient confrontés à des douleurs aussi insoutenables qu’en causent ces menstruations.

Cet enjeu de santé publique est un problème de société, qui appelle plus qu’une réponse collective : une mobilisation générale de la société. Le texte se veut une réponse, mais doit être amélioré. L’article 1er soulève en effet plusieurs préoccupations et pourrait avoir des conséquences inattendues, alors que le délai de carence ne constitue pas le point de blocage. Il risque de stigmatiser les femmes dans le monde du travail et de renforcer les stéréotypes sexistes. Nous devons promouvoir une culture du travail qui valorise la diversité et l’inclusion, sans risquer de créer de nouvelles inégalités. Or un arrêt à la même date tous les mois entraînerait de facto une levée du secret médical et induirait nécessairement une discrimination à l’emploi dans certains secteurs. Cet article pourrait conduire les entreprises à réduire leurs effectifs ou à hésiter à embaucher des femmes.

Nous devons également renforcer l’éducation et la sensibilisation à la santé menstruelle et gynécologique dès le plus jeune âge, et promouvoir l’accès aux soins de santé pour toutes les femmes. L’entreprise et les branches doivent se mobiliser à cet égard : c’est notamment le sens des articles 2 à 4, relatifs à l’aménagement de poste et au télétravail.

Notre groupe partage la volonté du rapporteur et de son groupe d’accorder davantage de place à la santé des femmes, plus particulièrement à la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail. Cependant, nous souhaitons proposer des solutions concrètes, ne conduisant pas à des situations de stigmatisation, et l’article 1er dans la rédaction de la proposition risque d’avoir l’effet inverse de celui que l’on recherche.

Si l’article 1er devait être adopté, le groupe Renaissance s’abstiendrait, pour trouver une solution médiane d’ici à la discussion en séance.

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). La proposition promue par les écologistes, qui clament en permanence défendre les droits des femmes sur les plateaux télévisés ou sur les réseaux sociaux, ne doit duper personne. Qui a voté contre la proposition de loi du Rassemblement National visant à soutenir les femmes atteintes d’endométriose ? Qui a voté contre la prise en charge à 100 % des consultations, analyses, médicaments et frais de transport des patientes atteintes d’endométriose ? Qui a voté contre la dispense d’avance des frais de santé et le doublement de la durée du préavis légal en cas de licenciement ? Toujours les mêmes.

Votre texte vise à créer un arrêt de travail pour menstruations incapacitantes, qui existe déjà, la seule innovation que vous proposez étant la suppression du délai de carence, c’est-à-dire le fait pour les indemnités journalières de n’être plus versées après trois jours, pour les salariées, ou après un jour, pour les fonctionnaires, mais bien dès le premier jour de l’arrêt de travail. Nous y sommes favorables, vous ayant précédés sur ce point. Qu’avez-vous fait lorsque nous vous l’avons proposé pour les femmes atteintes d’endométriose ? Vous avez voté contre.

Votre proposition pose trois problèmes. D’abord, vous voulez créer un arrêt de travail, renouvelable une fois, d’une durée de treize jours qui peuvent être pris en une seule fois, ce qui est contradictoire avec le caractère chronique des dysménorrhées. Ensuite, votre texte crée une inégalité entre les femmes qui travaillent, dans la mesure où le dispositif bénéficierait aux fonctionnaires et aux salariées du privé, mais pas aux agricultrices ni aux travailleuses indépendantes. Enfin, avec vous, les menstruations incapacitantes n’auraient pas à être diagnostiquées par un gynécologue, puisqu’un arrêt de travail prescrit par un médecin généraliste, un médecin du travail ou une sage-femme y suffirait. L’assurance maladie vous remerciera !

Je le dis avec gravité : il ne faut pas instrumentaliser la santé des femmes mais la consacrer. Les postures politiciennes n’ont pas leur place ici. Le groupe Rassemblement National, pour l’instant, a l’intention de s’abstenir.

Mme Nadège Abomangoli (LFI - NUPES). 65 % des femmes salariées ont déjà été confrontées à des difficultés liées aux règles au travail. Votre rapport détaille ces réalités, désormais connues et documentées. Pourtant, les personnes menstruées sont contraintes de choisir entre perte de salaire et travail dans la douleur.

Le texte met en lumière un sujet majeur ayant trait aux conditions de travail en contexte patriarcal, le culte de la performance invisibilisant et méprisant tout ce que l’on perçoit comme une fragilité.

Votre proposition, monsieur le rapporteur, va dans le bon sens, celui d’une meilleure prise en compte de la santé et du bien-être au travail des femmes et des personnes menstruées. Le choix du périmètre du texte et du dispositif administratif, l’arrêt de travail, constitue une étape qui explique vos arbitrages. En effet, le traitement de ce sujet peut conduire à s’interroger : la prise en compte des règles dans le monde du travail ne serait-elle pas source de discrimination et de stigmatisation supplémentaires ?

Il nous revient en conséquence d’imposer une culture inclusive et la banalisation des règles par la loi et à l’aide d’un code du travail renforcé. Nous proposerons des amendements de précision ou d’appel, visant à placer la santé menstruelle et gynécologique au cœur d’une réflexion sur les conditions de travail tout au long de la vie, donc sur les modalités d’un rapport de force entre employeur et employé faisant progresser la place des femmes dans le monde du travail.

Afin de renforcer la prise en compte de la santé gynécologique et endocrinologique, nous souhaitons par exemple inclure la ménopause et ses symptômes dans le dispositif proposé. D’autre part, nous exprimons une préférence pour une obligation pure et simple de l’employeur à agir plutôt que pour le renvoi à la négociation collective. Enfin, nous demandons de véritables études de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques sur la santé féminine au travail.

Nous soutiendrons évidemment ce texte, qui contribue à nos yeux à l’édification d’un monde du travail libéré du sexisme et du machisme, et à l’instauration de conditions de travail dignes pour toutes les femmes, là où les mesures que veut le Rassemblement National ne profiteraient qu’aux femmes françaises.

M. Thibault Bazin (LR). Les dysménorrhées, ces douleurs importantes qui surviennent pendant les menstruations, touchent des milliers de nos concitoyennes. On estime qu’une femme sur dix en France souffre d’endométriose, qui en constitue l’une des formes les plus répandues. Longtemps méconnues, encore mal diagnostiquées et prises en charge, ces affections constituent un sujet particulièrement sensible, car elles touchent à l’intime. Elles peuvent s’avérer extrêmement douloureuses voire, pour certaines pathologies, invalidantes et causes d’infertilité.

Nous abordons la réalité au quotidien des femmes concernées, qui travaillent et vivent en souffrant, et leur accompagnement au plus tôt dans la prise en charge de la douleur, afin qu’elles ne soient pas empêchées.

Le texte prévoit la création d’un arrêt de travail pour menstruations incapacitantes. Si l’intention est louable, ce dispositif, qui semble nier la réalité biologique suivant laquelle seules les femmes ont des menstruations, apparaît inadapté, car – il faut le rappeler – des solutions existent déjà. Je citerai d’abord celles qui passent par le dialogue social au sein des entreprises : en cas de douleurs intenses, les femmes présentant des dysménorrhées peuvent se faire prescrire un arrêt de travail par un médecin ou par une sage-femme, en application de l’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale.

Mais l’arrêt médical est le dernier recours et n’est pas la solution pour toutes. C’est pourquoi il est possible d’adapter et d’aménager le poste de travail, notamment grâce au télétravail, en lien avec la médecine du travail, ce qui garantit la préservation du secret médical – un aspect qui n’est pas à négliger.

Choisir d’instituer un congé menstruel ou un arrêt maladie spécifique pourrait induire un effet de bord et exposer durablement les jeunes femmes à des difficultés dans leur intégration professionnelle. De notre point de vue, ces problèmes appellent plutôt une prise en charge médicale et la garantie d’accéder à des soins adaptés. Or créer un arrêt de travail cadre valable pendant une année pourrait conduire à diminuer le suivi médical, pourtant essentiel, des femmes souffrant de dysménorrhées. L’accompagnement médical doit être notre priorité et votre proposition ne va pas dans ce sens. À titre d’exemple, l’errance diagnostique d’une femme atteinte d’endométriose dure en moyenne sept ans. C’est sur ce point que nous devons agir.

Mme Anne Bergantz (Dem). Je salue l’investissement du rapporteur Sébastien Peytavie et de Marie-Charlotte Garin et les remercie de nous donner l’occasion d’aborder la santé des femmes. Il ne faut pas minimiser ni banaliser ce sujet, car c’est une réalité que beaucoup de femmes vivent, et qui n’est pas une fatalité, qui n’est pas normale. De nombreuses femmes, persuadées que c’est comme ça, ne consultent pas. Pourtant, il faut consulter, car, dans de nombreuses situations, heureusement, des traitements existent ; il faut consulter, car il peut y avoir des pathologies sous-jacentes aux dysménorrhées – on a parlé de l’endométriose, mais ce n’est pas la seule. En consultant, en formant les professionnels, en investissant dans la recherche, nous arriverons à diminuer l’errance diagnostique relative à l’endométriose. Ces dernières années, nous avons fait beaucoup de progrès en ce sens.

À travers le monde, on recherche des réponses aux dysménorrhées. Pour les femmes souffrant de règles incapacitantes, vous proposez un arrêt de travail complètement dérogatoire par rapport aux arrêts pour d’autres causes : treize jours, potentiellement consécutifs, par an et renouvelables une fois, soit vingt-six jours au total, sans délai de carence ni condition d’ancienneté.

Je formulerai trois remarques. D’abord, la concertation avec les entreprises est absente du texte. Même si la prise en charge est assurée par l’assurance maladie, une réforme d’une telle ampleur pour le monde du travail doit à tout le moins faire l’objet de négociations préalables. La négociation est le mode opératoire qui a prévalu dans les collectivités locales et les entreprises ayant instauré ces congés. Ensuite, l’application de votre mesure ferait courir aux femmes un risque de discrimination, en premier lieu à l’embauche, que l’on ne peut écarter. Enfin, ce texte nous mène peu à peu à la création de congés spécifiques à telle ou telle pathologie, alors que de tels dispositifs devraient conserver un caractère d’universalité. Les arrêts de travail n’ont pas vocation à faire l’objet de traitements différenciés suivant leurs causes médicales.

Pour toutes ces raisons, sans mésestimer la réalité des règles douloureuses, le groupe Démocrate ne soutiendra pas l’article 1er. Il se montre en revanche ouvert à voter en faveur des trois autres articles, sous réserve de l’adoption de plusieurs amendements.

M. François Gernigon (HOR). Le groupe Horizons est conscient de la nécessité d’œuvrer pour améliorer la vie professionnelle des femmes présentant des dysménorrhées et, plus généralement, de l’importance de mieux reconnaître dans notre société la santé menstruelle et gynécologique. Les dysménorrhées constituent un véritable sujet de société : il convient de ne plus les banaliser ni les invisibiliser. Elles peuvent se révéler extrêmement douloureuses, voire, dans le cas de certaines pathologies, invalidantes.

Cependant, tout en partageant l’objectif de mieux accompagner ces femmes, notre groupe émet des réserves quant à l’applicabilité et aux implications de la proposition. La définition même de la dysménorrhée apparaît cliniquement vague, ce qui fait de son application pratique un défi. Cela pourrait mener à des difficultés dans l’identification de l’affection, augmentant le risque de détournement du dispositif, notamment en ce qui concerne les modalités d’arrêt de travail.

L’article 1er, instituant un congé menstruel spécifique, suscite l’inquiétude. Non seulement il pourrait engendrer un coût significatif pour la sécurité sociale, mais il risque encore de créer un effet pervers en matière d’égalité sur le marché du travail et de décourager l’embauche des femmes, les exposant à une discrimination, tout en obligeant à la divulgation d’informations personnelles, qui porterait atteinte à la protection de leur vie privée. Les mesures telles que l’encouragement au télétravail, l’intégration de la santé menstruelle dans les accords d’entreprise et l’adaptation des prérogatives de la médecine du travail, bien qu’elles visent à proposer des solutions, ne constituent pas la manière la plus adéquate de traiter des cas individuels et de protéger le secret médical.

Face à ces constats, le groupe Horizons conditionne son vote à la révision de l’approche adoptée, qui implique la suppression de l’article 1er et, quant aux autres articles, l’introduction d’amendements ciblés. Cette position vise à équilibrer le soutien nécessaire aux femmes affectées par les dysménorrhées et les impératifs de faisabilité, de coût et d’impact social.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). « Durant la nuit, les douleurs empirent. Elles me réveillent. Elles sont souvent plus grandes qu’en journée. J’ai l’impression d’étouffer, que je ne peux plus respirer. La douleur qui se situe dans mon ventre me paraît s’élever à neuf sur dix, comme si mes organes voulaient sortir. J’en viens à me demander si c’est mes règles ou si je suis en train de mourir. Pourtant, j’hésite à appeler les urgences. Mais je sais que ça va finir par passer. Ces crises-là sont longues : elles durent environ une heure. Le matin, je me retrouve épuisée, et parfois les douleurs reprennent immédiatement. En dehors de ces crises, il y a également la sensation d’avoir une lame de rasoir qui se frotte contre l’ovaire à chaque mouvement, ainsi que des douleurs de dos intenses, comme si j’avais passé une nuit allongée sur des cailloux. » Ceci est le témoignage d’Olga, que j’ai reçue suite au dépôt en mai dernier, par mon collègue Mickaël Bouloux et moi-même, de la proposition de loi visant à créer un congé menstruel.

Il est clair que ces douleurs sont absolument incompatibles avec une activité professionnelle. Une femme sur dix souffre d’endométriose, dans le silence le plus total. Combien souffrent de règles incapacitantes ? Je suis heureuse que notre collègue Sébastien Peytavie et le groupe Écologiste, par l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour de leur niche, participent à l’effort que nous devons tous faire pour briser le tabou des règles. Les femmes victimes de règles incapacitantes doivent pouvoir prendre un arrêt menstruel lorsque leurs douleurs ne leur permettent pas de travailler, sans avoir à aller chez le médecin tous les mois, ni pâtir d’une retenue sur leurs salaires en raison d’un délai de carence.

On peut se demander pourquoi des douleurs si fortes qu’elles empêchent de travailler sont encore invisibilisées dans notre société. Dès les années 1980, Gloria Steinem, célèbre féministe américaine écrivait que, si elles arrivaient aux hommes et non aux femmes, « les règles deviendraient un événement masculin enviable et digne de fierté. Le Congrès créerait un Institut national de dysménorrhée pour combattre les règles douloureuses. » Quarante ans après ce malheureux constat, on pourrait commencer à croire les femmes et délivrer à toutes celles qui souffrent tous les mois un arrêt menstruel. Le groupe Socialistes et apparentés votera bien sûr en faveur de ce texte très beau et ambitieux.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Chers collègues, vous êtes nombreux à nous avoir vus passer en images, ces derniers jours, avec cet objet singulier : un simulateur de douleurs de règles. Ce test a permis à nos collègues masculins de se mettre à la place des femmes et nous a donné l’occasion de mener ensemble une discussion de fond sur un sujet encore tabou dans la société. On a rappelé que les crampes dans le bas-ventre ne sont qu’une toute petite partie de la réalité : il y a aussi les douleurs au bas du dos, les troubles digestifs, les vomissements, les douleurs articulaires, musculaires, le syndrome prémenstruel, la crainte des fuites, l’acné, les migraines, la fatigue, j’en passe, et des meilleures.

Évidemment, les réactions des femmes sur les réseaux sociaux sont nombreuses. Elles se disent qu’enfin on parle de ce sujet capital, qu’enfin ils se mettent à notre place et qu’enfin une solution est proposée. Elles se demandent aussi pourquoi on doit en arriver là pour être cru et pour que les députés se bougent. C’est parce que, les règles, on n’en parle jamais. On n’en parle pas parce que c’est tabou, parce que certains pensent que c’est une affaire de bonnes femmes, et qu’on refuse d’en faire un sujet politique.

Par cette proposition de loi, nous disons : stop ! Stop au tabou, parce que nous voulons que la santé menstruelle ait pleinement sa place dans le monde du travail. Quand ce monde a été créé, les femmes n’étaient pas invitées à la table des négociations. Alors, aujourd’hui, on s’invite et on demande que les spécificités des corps menstrués soient reconnues et pleinement intégrées, que ça passe par des négociations collectives, par l’aménagement des postes de travail, par le recours au télétravail, et parfois, quand ça ne suffit pas, par la possibilité de s’arrêter quand les règles sont douloureuses au point d’être incapacitantes.

Vous pouvez tenter d’ignorer la santé menstruelle, vous dire que c’est un sujet réservé au foyer, mais, en faisant cela, vous ignorez toutes les femmes qui perdent chaque année jusqu’à 10 % de leur salaire parce qu’elles ne peuvent pas se lever, parce qu’elles vomissent, parce qu’elles tombent dans les pommes et qu’elles sont pliées en deux par la douleur.

À toutes ces femmes, que dites-vous ? Qu’elles sont exclues de la solidarité nationale, que ce sont les grandes planquées, celles dont on ne parle pas, celles pour qui on ne fait rien, parce que ce ne serait pas si grave ? Eh bien si, c’est grave ! Je crois même que c’est le sens de l’histoire de rééquilibrer ces inégalités dans le monde du travail. C’est parce qu’il y a un tabou que nous devons en parler, que nous devons nommer et reconnaître la réalité de la santé menstruelle, comme nous avons nommé et reconnu les fausses couches l’année dernière.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Le 15 février dernier, le Sénat a hélas rejeté la proposition de loi socialiste visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, qui prévoyait notamment la possibilité pour les salariées souffrant de dysménorrhées, c’est-à-dire de règles douloureuses, de bénéficier d’arrêts de travail spécifiques sans jour de carence, ou de périodes de télétravail adaptées. Je remercie nos collègues écologistes et Sébastien Peytavie, le rapporteur de la présente proposition, qui remet ce sujet à l’ordre du jour.

Il faut avancer. Près d’une femme sur deux souffrirait de dysménorrhées. Ce phénomène demeure invisible, particulièrement dans le cadre professionnel. Il n’existe aucune prise en compte réelle et adaptée des dysménorrhées invalidantes. Certaines initiatives sont prises par des entreprises et des collectivités territoriales pour pallier ce manque, mais il convient d’observer que ces dispositions sont de natures très différentes : le congé menstruel va de l’acquisition d’un jour de congé payé supplémentaire par mois pour les femmes, à un droit élargi au télétravail, ou encore à des autorisations d’absence. Parmi les pays ayant légiféré, l’Espagne a opté pour un arrêt maladie pour incapacité temporaire.

La santé, en l’occurrence la santé au travail, ne peut relever d’une conception strictement masculine. Vous avez raison de parler d’un arrêt plutôt que d’un congé. Cela peut soulever quelques interrogations sur l’usage du télétravail, mais l’une des questions posées par cette situation et cette proposition a trait à la fragilité et à l’insuffisance de la médecine du travail. C’est là que devrait se jouer l’adaptation du poste de travail, puisque c’est bien le poste de travail qui doit être adapté à la personne et non l’inverse. Pour les droits des femmes, pour les droits des femmes au travail, il y a encore tant à faire.

M. Laurent Panifous (LIOT). Malgré l’action des associations et la mobilisation militante, le monde du travail peine encore à identifier les dysménorrhées comme un enjeu d’égalité professionnelle. Si de réels progrès ont été réalisés concernant la prévention et la santé au travail, peu d’employeurs ont adapté le régime de travail de leurs salariées en souffrance. Or, avec l’application du délai de carence, chaque arrêt de travail génère pour l’assurée une perte financière nette s’accumulant mois après mois puisque les douleurs menstruelles sont récurrentes et que leur périodicité est assez courte. En conséquence, les femmes concernées sont aujourd’hui contraintes de choisir entre deux issues insatisfaisantes : s’arrêter – et perdre parfois jusqu’à 10 % de leur salaire – ou souffrir au travail.

Notre groupe, pleinement engagé sur les enjeux de santé menstruelle et gynécologique, soutiendra ce texte. Nous avons déjà défendu le dépistage gratuit de l’endométriose et la lutte contre la précarité menstruelle par une proposition de loi que j’ai moi-même déposée. Nous sommes nombreux à considérer que, trop longtemps, les enjeux de santé féminine ont été invisibilisés et les douleurs et pathologies sous-estimées. Je remercie d’ailleurs les députés écologistes d’avoir organisé une sensibilisation aux douleurs menstruelles la semaine dernière grâce à un exercice d’empathie intéressant, utile et effectivement douloureux.

Nous saluons les mesures de ce texte, notamment la prise en charge de l’arrêt de travail par la sécurité sociale sans délai de carence. Ce sujet délicat pose la question du secret médical et de la discrimination au travail. Cette dernière doit être combattue par la sensibilisation, ainsi que le propose le texte.

Notre soutien à la proposition de loi est total.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Clémentine Autain (LFI - NUPES). « Tu enfanteras dans la douleur. », « il faut souffrir pour être belle » : la douleur des femmes semble être aussi vieille que le monde, mais elle est méconnue et n’est pas reconnue. Les combats féministes ont toutefois permis de porter ces enjeux sur la place publique et, aujourd’hui, nous pouvons en discuter à l’Assemblée nationale. Je remercie Sébastien Peytavie pour son engagement et j’en profite pour lui demander comment fonctionne le dispositif de simulation des douleurs menstruelles : nous avons tous vu cette vidéo très pédagogique de nos collègues en train de l’utiliser.

Lors de la précédente législature, nous avons adopté à l’unanimité une résolution visant à inscrire l’endométriose sur la liste ALD 30. Le Gouvernement n’a malheureusement pas souhaité la traduire dans les faits. Cette décision hallucinante manifeste un mépris du Parlement.

L’arrêt de travail prévu par cette proposition de loi sera utile aux femmes atteintes d’endométriose – je rappelle qu’elle concerne une femme sur dix, ce qui est énorme – et à celles qui souffrent de règles douloureuses– une femme sur deux. Le texte prévoit de supprimer le délai de carence, ce qui est fondamental. Je le voterai donc des deux mains.

Nos collègues qui hésitent à le faire au motif qu’il serait source d’inégalité doivent se garder d’infantiliser les femmes. Elles sont très conscientes de ce qu’un arrêt de travail peut leur coûter : elles savent que, dans certaines situations, elles ne pourront l’utiliser. Notre responsabilité est de les accompagner afin d’instaurer, sur cet aspect comme sur d’autres, une égalité réelle entre les hommes et les femmes dans le monde professionnel.

M. Yannick Neuder (LR). À la veille de la Journée mondiale de lutte contre l’endométriose, je remercie Sébastien Peytavie et Marie-Charlotte Garin d’avoir posé ce sujet. Toutefois, nous devons nous garder de légiférer dans la précipitation sur une question qui est d’abord médicale.

La stratification diagnostique de l’endométriose n’est pas bonne : la Haute Autorité de santé devrait favoriser le test salivaire plutôt que l’imagerie par résonance magnétique afin que les gynécologues, les médecins traitants et les sages-femmes puissent mieux identifier les femmes en souffrance. Je rappelle qu’une femme peut avoir des dysménorrhées sans pour autant être atteinte d’endométriose.

S’agissant de maladies, les femmes peuvent prétendre à une prise en charge médicale et à un arrêt de travail, ce qui pose la question, cette fois financière, du jour de carence. Cette question doit être posée au regard de l’égalité de traitement dans le cadre des accords de branche et elle doit prendre en compte la diversité des situations d’emploi – l’impact sur le salaire n’est pas le même dans une administration, dans un grand groupe ou ans une petite PME. Il faut également veiller à prévenir tout effet de bord qui conduirait un employeur à préférer, à compétence égale, un jeune homme à une jeune femme.

Je crois que nous pouvons trouver une solution – l’exemple de l’Espagne, où l’on n’a pas constaté d’abus, est encourageant – en accord avec les branches professionnelles.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Ce texte est essentiel au débat public. Les auditions que nous avions menées avec ma collègue Fatiha Keloua Hachi à l’occasion de nos travaux pour une proposition de loi similaire ainsi que celles qu’a conduites le rapporteur nous ont montré qu’une meilleure prise en compte des cycles menstruels incapacitants et des pathologies féminines et que l’arrêt menstruel répondent à un réel besoin de considération de tous les individus, dans le monde du travail  comme dans la société tout entière, et favorisent la compréhension des femmes par les hommes ainsi que l’égalité.

Ne soyons pas à la traîne de la société – et particulièrement des jeunes générations – qui est prête pour l’instauration d’un arrêt menstruel fondé sur la confiance. Vous pouvez compter sur nous pour voter en faveur de ce texte.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Dans notre pays, 15 millions de personnes ont leurs règles, dont 2 millions souffrent de règles très douloureuses et incapacitantes. Elles n’ont pourtant aucun droit : ni à un arrêt de travail ni au remboursement des protections, dont le coût est de 10 000 à 20 000 euros au cours d’une vie.

Dans la bande dessinée Si les hommes avaient leurs règles, Camille Besse et Éric La Blanche imaginent qu’alors les règles deviendraient une fierté et un symbole de force et qu’une grosse part du budget national serait consacrée au remboursement des serviettes et des arrêts de travail, que des distributeurs gratuits seraient installés, que la lutte contre l’endométriose serait une priorité et que l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme serait complété par la phrase « Chacun a droit à la protection périodique et la dignité menstruelle », que la menstruologie, devenue une science reconnue, aurait permis qu’une pilule – déclarée plus grande invention de tous les temps par l’Organisation des Nations unies et récompensée par le prix Nobel – évite aux hommes de saigner et soit distribuée gratuitement.

Mais ce sont les femmes qui ont des règles et il n’y a donc presque rien. Certes, le congé menstruel fait l’objet d’expérimentations – à la métropole de Lyon, à Saint-Ouen, à Grenoble et dans le département de la Seine-Saint-Denis – qui permettent de constater qu’il n’y a pas d’abus, mais il est de temps de faire de ce congé un droit social et national pour les femmes. Je salue donc cette proposition de loi.

M. Stéphane Viry (LR). Votre proposition de loi s’inscrit dans un mouvement plus général, que nous encourageons, vers une meilleure prise en compte de la santé des femmes dans notre législation et dans notre écosystème.

Mais n’avez-vous pas le sentiment, monsieur le rapporteur, qu’elle est un peu étriquée par rapport à la qualité des auditions que vous avez conduites ?

Le mouvement vers une meilleure prise en compte de l’endométriose est à l’arrêt. Lors de la précédente législature, une résolution avait été votée à l’unanimité et une volonté politique s’affirmait, mais, depuis, on a du mal à aller plus loin. Vous semblez regretter de ne pas avoir pu embarquer davantage de sujets concernant la santé des femmes et le monde du travail. Je salue en tout cas la qualité de vos travaux et reconnais à cette proposition de loi le mérite de mettre les choses sur la table. Pour le reste, le dialogue social au niveau de la branche doit être privilégié.

Mme Sandra Regol (Ecolo - NUPES). Les inégalités entre les femmes et les hommes au travail sont une réalité que nous connaissons toutes au cours de notre vie et touchent par exemple les salaires – l’écart salarial entre les hommes et les femmes à poste égal est de 24 % –, les temps partiels subis ou les recrutements, lorsqu’une femme est « suspectée » d’attendre un enfant ou d’en vouloir. Elles concernent de manière générale les revenus puisque les protections hygiéniques ont un coût, qui, pour les femmes souffrant d’endométriose ou de fibromes, peut être jusqu’à quatre fois plus élevé que pour les autres.

Ce texte vient compléter notre travail de lutte contre ces inégalités auquel même la majorité présidentielle a participé, notamment avec la loi du 19 juillet 2023 visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique et la constitutionnalisation de l’IVG.

Chers collègues, pourquoi faut-il qu’il y ait toujours un « mais » à vos « mercis » et vos « oui, il faut » quand on parle du droit à l’égalité des femmes ?

Mme Sandrine Josso (Dem). Depuis la loi du 7 juillet 2023 visant à favoriser l’accompagnement psychologique des femmes victimes de fausse couche, je n’ai pas cessé de travailler pour que la santé des femmes soit prise en compte. Nous ne devons pas laisser tomber les femmes et nous devons continuer à les accompagner dans l’amélioration de leur bien-être. La société est prête, mais peut-être que nous, les politiques, sommes en décalage par rapport aux demandes de la société. On peut trouver tous les arguments possibles pour s’opposer à cette proposition de loi, mais ceux qui ont vraiment la volonté d’améliorer la prise en compte de la santé des femmes doivent la voter.

M. Victor Catteau (RN). Monsieur le rapporteur, je ne doute pas que votre intention soit louable, même si je me souviens de votre position et de celle de votre groupe lors des débats sur la proposition de loi de notre collègue Taché de la Pagerie visant à soutenir les femmes souffrant d’endométriose.

Nous avons renforcé dans le code du travail les dispositions visant à protéger les femmes du sexisme dont elles souffrent en entreprise. Ne pensez-vous pas que de votre texte risque au contraire de l’accentuer et de freiner leur parcours professionnel ?

M. Louis Boyard (LFI - NUPES). Imaginons qu’une maladie appelée la testiculose provoque des douleurs chaque mois chez des millions d’hommes : cela ferait des siècles qu’une loi aurait adapté les conditions de travail. Mais nous parlons des femmes et, pour certains, les choses sont bien moins évidentes. Pour le Rassemblement National, cette proposition serait discriminatoire. Mais que propose-t-il ? Rien ! Ce n’est pas de confort que nous parlons mais de femmes qui se retrouvent pliées en deux de douleur et dans l’incapacité de parler, d’écouter ou de porter des charges.

La prévention est importante. Il faut en moyenne huit ans pour diagnostiquer l’endométriose et elle n’est pas la seule maladie qui provoque des douleurs. Comment accompagner au mieux les jeunes femmes qui suivent des études ? D’abord en répondant au besoin d’information. Dans le système scolaire, l’information sur la vie sexuelle – et plus particulièrement sur les règles et les douleurs qu’elles peuvent provoquer – est en dessous de tout. Où sont les infirmières scolaires pour expliquer aux lycéennes qu’il n’est pas normal d’avoir mal quand on a ses règles et qu’il faut aller se faire diagnostiquer ?

Nous voterons cette proposition de loi des deux mains, tout en étant vigilant sur la prévention. Monsieur le rapporteur, que pensez-vous du niveau de prévention actuel et que préconisez-vous pour accompagner au mieux les jeunes femmes souffrant d’une maladie qu’elles découvrent et avec laquelle elles devront composer toute leur vie ?

M. Nicolas Turquois (Dem). Je remercie le rapporteur d’avoir mis la santé des femmes au cœur des travaux de notre commission. Beaucoup parmi nous, dans leur environnement très proche, sont concernés.

La complexité du sujet demande modération et humilité, plutôt que des provocations, comme celles que nous venons d’entendre. La santé des femmes touche à de nombreux sujets. Nous devons donc trouver, collectivement, des équilibres.

M. le rapporteur. Cette proposition de loi pose d’abord la question du tabou des menstruations en milieu professionnel. Le monde du travail a en effet été construit par et pour les hommes et n’est donc pas toujours adapté aux femmes.

Elle prend ensuite en compte la question plus spécifique des douleurs incapacitantes, qui concernent entre 1,5 et 2,5 millions de femmes. Nous avons fait le choix de retenir l’expression « menstruations incapacitantes » plutôt que « douloureuses », car les douleurs ne sont pas le seul symptôme. Les médecins spécialisés dans la douleur peuvent facilement identifier ces symptômes, mais nous avons un énorme retard dans la formation, puisque cela ne fait que deux ans que l’endométriose est entrée dans le cursus universitaire.

Le texte prévoit que l’arrêt de travail peut être prescrit par les médecins généralistes, mais également par des spécialistes – pas seulement les gynécologues, mais également les spécialistes de la douleur –, par des sages-femmes, qui sont très au fait de ces questions, et par la médecine du travail, car c’est d’abord là qu’il faut adapter le milieu professionnel à la santé des femmes.

Le dispositif que nous proposons est graduel car, parmi les 15 millions de femmes concernées, toutes n’ont pas les mêmes besoins : toilettes accessibles, aménagement du temps de travail, accès à une salle de repos... Il est prévu dans l’article 3 que ces adaptations font l’objet de négociations par branche.

Pour les femmes se trouvant en incapacité de travailler, l’article 2 prévoit le recours au télétravail afin d’éviter les trajets et de pouvoir rester à la maison dans des conditions plus favorables. Le télétravail n’est toutefois pas adapté à toutes les professions – je pense aux métiers du soin ou aux caissières par exemple.

L’article 1er – qui fait débat et il me semble ne pas y en avoir pour les autres articles – prévoit donc l’arrêt de travail. Dans certaines entreprises et collectivités, une autorisation spéciale d’absence est certes prévue, mais, pour la demander ou demander le télétravail, la personne concernée doit informer son employeur de ses motifs et la confidentialité n’existe donc plus. L’arrêt de travail présente l’avantage de protéger le secret médical, mais pose la question de la pénalité financière.

On ne peut pas opposer à ce dispositif qu’il fait courir aux femmes un risque de discrimination puisqu’elle existe déjà : 25 % des femmes atteintes d’endométriose sortent du salariat car elles savent qu’elles ne pourront pas exercer pleinement leurs fonctions et cette maladie a un impact sur la scolarité des jeunes filles, sur le choix de leur métier et sur l’évolution de leur carrière.

Certes, un problème de confidentialité et de stigmatisation se pose, car l’employeur pourra deviner le motif de l’arrêt au vu de sa régularité. C’est pourquoi les menstruations doivent être l’objet d’une bataille culturelle dans le monde de l’entreprise et dans la société en général. Nous devons également interroger notre rapport à la performance, qui pose aussi problème pour les séniors ou pour les personnes en situation de handicap. Un dispositif souple, ouvrant la possibilité d’adaptations, permettrait à des femmes exclues du salariat d’y trouver leur place, sans que soit posée cette question de la performance. Des entreprises comme Carrefour ou L’Oréal ont permis des adaptations qui n’ont aucun impact sur la productivité et ont même amélioré la qualité de vie au travail, sans qu’on constate d’abus. Nous pouvons faire confiance aux femmes et le dispositif prévoit donc qu’elles peuvent utiliser librement un total de treize jours d’arrêt sur un an

Madame Autain, le simulateur de douleurs est un système de patch avec des électrodes reproduisant les douleurs – coup de poignard ou douleur continue –, mais, bien entendu, pas les autres symptômes.

Monsieur Viry, ce texte est une proposition de loi : si nous avions eu la possibilité de déposer un projet de loi, nous aurions pu prendre en compte les questions concernant les collégiennes et les lycéennes ou encore la ménopause.

Article 1er : Créer un arrêt de travail pour menstruations incapacitantes

Amendement de suppression AS2 de M. Fabien Di Filippo

M. Fabien Di Filippo (LR). Les médecins ont déjà la possibilité de délivrer des arrêts maladie dans les cas où ils le jugent nécessaire. Faisons leur confiance. Sans tomber dans la caricature, car le sujet est très sensible, l’article 1er risque de faire de l’arrêt pour menstruations incapacitantes un droit automatique qui, peu à peu, s’imposerait au monde du travail et serait source de discriminations à l’encontre des employées féminines.

M. le rapporteur. Les médecins peuvent certes prescrire un arrêt, mais, en raison du délai de carence, il s’accompagne d’une pénalité financière. Nous proposons donc un arrêt spécifique, sans délai de carence. Le dispositif permet en outre aux femmes d’éviter d’avoir à prendre rendez-vous tous les mois avec un médecin, puisqu’il prévoit la délivrance d’un certificat donnant droit à treize jours d’arrêt dans l’année, ce qui est en outre une facilité dans les déserts médicaux.

Nous pouvons faire confiance aux femmes. Les expérimentations ont montré que le risque était plutôt celui d’un non-recours, certaines femmes préférant ne pas s’arrêter pour ne pas pénaliser leurs collègues.

Avis défavorable.

M. Louis Boyard (LFI - NUPES). J’ajoute aux arguments du rapporteur celui de la discrimination : les millions de femmes souffrant de menstruations incapacitantes sont aujourd’hui discriminées car leur condition n’est pas prise en compte. Si elles se rendent chez le médecin, il peut arriver que celui-ci refuse de délivrer un arrêt de travail pour ce motif.

En votant cette proposition de loi et son article 1er, l’Assemblée nationale sert à quelque chose. Nous faisons de la politique, nous faisons des choix. La majorité des femmes, et la majorité du peuple français dans son ensemble, est favorable à ce texte. Nous ne pouvons donc pas supprimer l’article 1er.

M. Nicolas Turquois (Dem). Le fait de proposer dans le texte initial qu’il soit possible de prendre treize jours de congés de manière continue constitue de manière évidente un problème pour nous, pour un certain nombre d’entreprises et pour un certain nombre de femmes. Je ne comprends pas pourquoi vous avez opté pour cette forme de provocation. Je connais votre sensibilité sociale, monsieur le rapporteur, mais si l’on veut avancer il faut présenter les choses avec modération et sans excès.

La lutte contre la discrimination n’est pas une forme d’invisibilisation, monsieur Boyard. En réalité, les arrêts maladie de ceux qui en ont besoin sont mieux compris dans les entreprises quand il existe à tout le moins une certaine communication, sans pour autant porter atteinte au secret médical et rentrer dans les détails. Ce n’est pas en cachant tout qu’on répond le mieux aux besoins. Vos propos décrivent une société qui n’existe pas et qui ne doit pas exister.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Je suis un peu rassurée par nos échanges, car ils montrent que l’on peut trouver des compromis.

Nous pouvons comprendre vos craintes en ce qui concerne les treize jours consécutifs, monsieur Turquois. Vous considérez qu’il s’agit d’un excès. En effet nous avons choisi l’excès de confiance envers les femmes, en estimant qu’elles sont capables de poser leurs jours de congé comme elles l’entendent. En réalité, aucune n’en posera quatre d’affilée, car les femmes préfèrent travailler qu’être arrêtées. Mais nous sommes prêts au compromis, en essayant de moduler ces treize jours. J’espère que cela pourra faire évoluer votre vote, notamment sur cet article.

Les propos de notre collègue Boyard sont intéressants, car on sait que 66 % des salariées sont favorables à un arrêt de travail en raison des douleurs menstruelles. Cette mesure est populaire auprès des femmes, qui considèrent que cette douleur est enfin reconnue.

M. Di Filippo a fait part avec beaucoup de délicatesse de sa crainte que la mesure entraîne des discriminations. De nombreuses associations le craignent aussi. C’est la raison pour laquelle cette proposition a été travaillée avec ces dernières. Elles n’étaient d’ailleurs pas favorables à tous les dispositifs d’arrêt menstruel, mais elles étaient d’accord avec celui proposé par cet article, parce qu’il est flexible et qu’il est discret pour les personnes qui l’utiliseront.

De fait, la discrimination existe déjà à partir du moment où une femme est en âge de procréer ou de développer une maladie chronique. Pensez-vous vraiment que les employeurs vont décider de ne plus embaucher de femme tant qu’elles n’ont pas atteint la ménopause – autre sujet de la santé des femmes ? Ce n’est pas possible. Vos craintes concernant une discrimination qui serait liée spécifiquement à l’arrêt menstruel ne sont pas fondées – en tout cas pas davantage que pour les autres discriminations existantes liées au corps des femmes.

Il est certes déjà possible d’obtenir des arrêts maladies, mais les jours de carence s’appliquent, ce qui signifie que les femmes perdent du pouvoir d’achat. On ne peut pas s’y résoudre et choisir de ne rien faire par commodité.

Qu’entendez-vous par droit automatique ? Estimez-vous que toutes les femmes prendront l’ensemble des jours d’arrêt pour menstruation ? En quoi ce droit serait-il plus automatique que le congé maternité ?

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Merci pour cette proposition, qui concerne sujet important. Beaucoup de femmes sont gênées chaque mois, ce qui a un effet sur le déroulement de leur vie.

Le groupe Renaissance votera en faveur des articles suivants, qui permettront de mieux aménager les postes ou de permettre un recours accru au télétravail. Avec le Gouvernement, dont la volonté politique est forte, nous avons réalisé ces derniers mois de nombreuses avancées sur le repérage, le diagnostic et l’information – même si celle à destination des jeunes doit être accrue, notamment dans les lycées.

Je suis en désaccord avec l’article 1er pour deux raisons.

Tout d’abord, vous changez le principe même de l’arrêt maladie. Les personnes qui souffrent de migraines invalidantes subissent aussi une discrimination au travail. Il faudrait donc logiquement envisager pour elles un dispositif similaire à celui proposé par cet article. J’estime pour ma part que nous devons conserver notre système de protection sociale, qui prévoit que les arrêts maladie sont prescrits par un médecin.

Ensuite, je ne suis pas d’accord avec M. Ruffin lorsqu’il laisse croire qu’aucune prise en charge des femmes qui souffrent n’est organisée. Nous avons encore la chance d’avoir une protection sociale qui permet de prendre en compte ce type de pathologie grâce à des arrêts maladie.

En tant que rapporteure générale du budget de la sécurité sociale, je considère que la question du financement des mesures que vous proposez n’est pas un tabou. Si 50 % des femmes ont recours à ces arrêts, cela représenterait entre 600 millions et 1 milliard d’euros par an. Pour cette seconde raison, je ne voterai pas pour cet article.

M. Fabien Di Filippo (LR). Comme l’a dit Mme Rist, à quel titre faudrait-il prévoir un arrêt spécifique pour les problèmes menstruels ? Pourquoi ne pas le faire aussi pour d’autres douleurs récurrentes, comme les migraines ou les problèmes articulaires ? Il n’y a pas de raison de prévoir un arrêt particulier et je fais confiance aux médecins.

Si vous considérez que le jour de carence pose problème, monsieur le rapporteur, je vous invite à vous inspirer du modèle concordataire, en vigueur dans mon département de la Moselle. Mais vous verrez que les cotisations sont plus élevées et vous vous rendrez compte que les arrêts de courte durée y sont proportionnellement dix fois plus nombreux que dans les autres départements. Cela mérite donc réflexion.

Les jours d’arrêts seront-ils pris automatiquement ? Je n’en sais rien, madame Garin. Toujours est-il que l’on constate en général que le recours à ce type de dispositif est de plus en plus important au fil du temps. Vous avez estimé qu’il s’agissait d’un combat culturel à mener au sein des entreprises. Telle est bien ma crainte : tout sera fait pour que le recours à ce dispositif devienne automatique, et c’est bien pour cela qu’il existe des risques de discrimination.

Mme Émilie Bonnivard (LR). J’ai le sentiment que, comme on n’arrive pas à résoudre les difficultés liées au jour de carence et à la spécificité de l’arrêt maladie pour les femmes chez qui les menstruations posent vraiment un problème, on accorde un congé global. Cela revient à étendre de manière majeure et générale un droit alors qu’il s’agit de répondre à une question qui ne concerne que certaines femmes.

Ne pourrait-on pas imaginer un arrêt maladie qui permette de cesser de travailler de manière récurrente pour les seules femmes concernées par le problème, en prévoyant également la suppression du jour de carence ?

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). L’argument du risque de discrimination est facile. En effet, les femmes sont discriminées dans le monde du travail, et ce dès l’entretien d’embauche. Les entreprises hésitent souvent à recruter une femme en âge de procréer.

Pourtant, il faut qu’il y ait autant d’hommes que de femmes dans le monde du travail. Cette proposition n’ajoute pas une discrimination supplémentaire mais, bien au contraire, contribue au combat pour l’égalité.

Les comparaisons avec la migraine me semblent déplacées. Elles montrent que certains ne mesurent pas la douleur que subissent les femmes qui souffrent de règles incapacitantes, et ce plusieurs jours par mois, tous les mois et pendant une trentaine d’années. Cela signifie que si l’on demande à un médecin généraliste un arrêt maladie pour règles incapacitantes, on subira deux jours de carence sur les trois jours d’arrêt et il ne restera qu’un seul jour payé. C’est la raison pour laquelle cette proposition et son article 1er sont fondamentaux.

Je rappelle que pendant le covid, il suffisait de déclarer que l’on était positif pour bénéficier automatiquement d’un arrêt de travail. Selon moi, la société est prête à admettre que les femmes puissent déterminer elles-mêmes leur seuil de douleur, dans le cadre d’un certificat médical délivré une fois par an, et qu’elles arrêtent en conséquence de travailler sans subir de jour de carence. C’est essentiel.

M. Laurent Panifous (LIOT). Pour les femmes concernées, la véritable discrimination réside dans le fait de devoir choisir entre souffrir en silence ou perdre sa rémunération. On ne peut pas proposer de supprimer cet article en arguant d’un risque de discrimination.

Même en adoptant cette proposition, il y aura toujours une situation de discrimination à laquelle il faudra être attentif. Mais l’article 1er permettra d’améliorer les choses. Si certains considèrent qu’il comporte des excès, amendons le dispositif en jouant sur le nombre de jours d’arrêt ou sur son caractère automatique. Mais ne supprimons pas l’article, car c’est précisément cela qui serait excessif.

Mme Laure Lavalette (RN). La mère de quatre filles vous dit merci, monsieur le rapporteur, d’avoir libéré la parole. Dans ma famille, nous sommes cinq filles sur sept personnes et celles qui ont leurs règles sont majoritaires. Nous savons donc bien de quoi l’on parle.

Je suis un peu gênée par l’excès de confiance qui vous a conduit à prévoir treize jours, qui peuvent être consécutifs. J’ai peur que l’on obtienne l’effet inverse de ce qui était attendu et que cela devienne un frein à l’embauche. Quand une jeune femme se présente à un entretien de recrutement, on se demande parfois si elle va avoir un enfant. Le fait de pouvoir prendre treize jours consécutifs, et ce par deux fois, pourrait effrayer les patrons. Vous avez cité l’exemple de L’Oréal, mais il s’agit d’un grand groupe. Les patrons de PME et de TPE seront beaucoup plus gênés aux entournures par ces vingt-six jours d’arrêt par an.

Je n’adhère pas au discours que l’on vient d’entendre : une femme qui se présente à un entretien d’embauche n’est pas forcément discriminée. Nous ne sommes pas seulement des victimes. La femme a aussi cette grande force de pouvoir donner la vie.

Je ne partage pas non plus le fatalisme de la douleur que j’entends ce matin. La douleur doit être prise en charge. En 2024, on ne devrait pas non plus souffrir d’endométriose ou du syndrome des ovaires polykystiques. Il faut que l’on se repose des questions sur notre système de santé. On connaît le grand problème des déserts médicaux. Dans un tiers des départements on ne peut pas accéder à toutes les spécialités gynécologiques et treize d’entre eux sont dépourvus de tout gynécologue médical. Je vais même faire plaisir à M. Boyard : où sont les infirmières dans les lycées ? Elles ont disparu alors que les règles douloureuses nécessitent un diagnostic précoce. Quand une jeune fille a mal à partir de 14 ans, on ne peut pas attendre six ans pour avoir un diagnostic.

Il faut mettre le paquet sur la prise en charge de la douleur, car celle-ci n’est pas une fatalité. Même en cas d’endométriose, il est possible de soulager un peu la douleur. Il faut absolument revoir notre système de santé et s’assurer que les étudiants en médecine aient accès à toutes les spécialités de gynécologie.

Je ne me ferai jamais au sectarisme de collègues qui n’ont que le mot endométriose à la bouche, alors qu’ils ont voté contre notre proposition de loi visant à soutenir les femmes qui en souffrent. Je trouve cela dommage et je regrette que vous ayez refusé à des hommes de notre groupe de tester le simulateur de règles douloureuses.

Mme Anne Bergantz (Dem). Comme Stéphanie Rist, je pense que si nous adoptons l’article 1er nous ouvrons la porte à une série de propositions prévoyant des jours d’arrêt pour telle ou telle maladie. Ce n’est pas possible et c’est pour cela que je voterai contre cet article – ce qui ne veut évidemment pas dire que l’on minore la réalité que vivent les femmes concernées.

Certains pays ont légiféré, mais les modalités retenues sont extrêmement différentes. Il s’agit dans certains cas simplement d’autorisations d’absence non rémunérées. Des entreprises ont également mis en place des dispositifs, mais cela passe dans certains cas par la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Cela montre bien que plusieurs possibilités sont ouvertes et il est extrêmement dangereux d’imposer un dispositif aux entreprises. Il faut laisser toute sa place au dialogue social dans les entreprises et dans les branches.

La recherche est importante. Il n’est pas normal de souffrir quand on a ses règles.

Je termine par une note positive sur l’endométriose. Le nombre de diagnostics a progressé de 43 % entre 2021 et 2022, ce qui montre que les efforts commencent à produire des effets et que l’on va en finir avec les huit années d’errance diagnostique en moyenne.

M. Didier Martin (RE). Cette proposition de loi a le mérite de faire s’exprimer de nombreux membres de notre commission. Elle recouvre des aspects médicaux mais aussi très psychologiques. On ne peut que compatir avec celles qui souffrent de menstruations particulièrement incapacitantes.

La question concerne les collectivités publiques. Certaines d’entre elles ont déjà mis en place un congé pour menstruation incapacitantes – c’est par exemple le cas d’une commune en Côte-d’Or.

Il reste le cas des entreprises et l’on touche alors à des choses fondamentales comme le contrat de travail et la confiance réciproque entre l’employeur et l’employé. Quand l’employé doit s’absenter, c’est pour une bonne raison établie par l’arrêt maladie.

La multiplication des arrêts maladie de courte durée nous ramène quant à elle à la question du financement de la sécurité sociale – que nous avons tous en tête.

Je suis assez favorable au fait de réfléchir, lors d’une autre occasion, à l’extension des possibilités d’arrêt de travail de courte durée sans arrêt maladie – bien entendu en prévoyant des garde-fous pour maintenir la confiance entre l’employeur et l’employé et pour limiter les abus.

Le dispositif particulier prévu par l’article – en l’occurrence pour les menstruations incapacitantes, mais cela pourrait être ultérieurement pour une autre maladie – fait courir le risque de modifier profondément le sens donné à l’arrêt maladie par la sécurité sociale. J’hésite donc encore beaucoup entre m’abstenir ou voter pour cette proposition, car elle pose beaucoup de questions auxquelles il est de notre responsabilité de répondre successivement.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Ce débat est très intéressant car les règles douloureuses ne sont pas un amusement. Par exemple, lorsque ma fille a des douleurs lors de ses règles, elle ne va pas à l’école car elle se plie en deux, a des maux de tête et vomit.

Selon moi, treize jours ce n’est pas assez. Ce n’est qu’à partir du troisième jour que l’on commence à se remettre tout doucement. Que ceux qui ne le croient pas utilisent le simulateur de règles douloureuses !

Il n’est d’ailleurs même pas possible de télétravailler, car on est pliée en deux. On ne peut ni s’asseoir ni se coucher. C’est aussi douloureux qu’un accouchement.

Prévoir un arrêt de treize jours est donc très important. Mettez-vous à la place de celles qui souffrent.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). De nombreux orateurs se sont focalisés sur l’arrêt maladie. Mais il apparaît surtout qu’il y a un problème en raison du délai de carence. Les collègues de la majorité seraient-ils prêts à revenir sur cette mauvaise réforme ? Je sais ce qu’en pense Bruno Le Maire, mais là n’est pas la question.

Ma réflexion n’est pas destinée à diminuer le mérite de la proposition, qui est nécessaire pour les femmes victimes de règles douloureuses.

Mme Brigitte Liso (RE). Les règles douloureuses sont une réalité, mais toutes les femmes n’en souffrent pas avec la même intensité. Durant ma longue carrière professionnelle, je n’ai jamais eu de collègue qui ait dû s’arrêter systématiquement pour cette raison. Je ne remets pas en cause les témoignages qui ont été faits ici, parce qu’effectivement cela existe, mais ce n’est pas très courant.

Ne faisons pas non plus preuve de trop d’angélisme en proposant treize voire vingtsix jours d’arrêt. Je suis la première à faire confiance aux femmes, mais qui n’a pas entendu certaines d’entre elles dire qu’elles n’avaient pas pris tous leurs congés pour enfant malade ? C’est un sujet d’inquiétude pour moi.

Quant à l’obligation de consulter un médecin pour obtenir un arrêt maladie, il me semble que certaines pathologies rendent nécessaire de voir régulièrement son médecin.

J’ai été cheffe d’entreprise. Comment une petite entreprise dont les trois salariés sont des femmes pourrait-elle faire face à des arrêts systématiques ? Cela provoquera une discrimination à l’embauche. Le risque de grossesse a été et est peut-être encore une source d’hésitation pour certains patrons mais, même si cela fait bondir les féministes, ils peuvent être sensibles à l’argument selon lequel la France a besoin d’enfants.

Que fera le dirigeant d’une petite entreprise qui sait que ses employées ne seront pas présentes pour servir les clients ou traiter avec les fournisseurs systématiquement trois jours par mois ?

M. Mickaël Bouloux (SOC). Je ne comptais pas intervenir, mais il faut réagir aux propos que l’on vient d’entendre. Le texte ne prévoit pas un arrêt systématique, puisqu’il faut d’abord une décision d’un médecin et ensuite une appréciation par la femme de sa propre situation. En réalité, même munie de cet arrêt maladie annuel, une femme ne s’arrêtera que quand elle a vraiment mal.

Lors des auditions, les représentants de l’entreprise Louis Design ont indiqué qu’ils avaient instauré un tel système d’arrêt, sans limitation, et que moins de 10 % des jours qui pouvaient être potentiellement pris étaient utilisés.

Or j’entends des collègues de la majorité présidentielle nous expliquer que la moitié voire la totalité des femmes concernées vont recourir systématiquement à ces jours d’arrêt. Il faut quand même faire confiance aux femmes.

En outre, l’instauration de cet arrêt menstruel permettra d’engager une vraie discussion au sein des entreprises et d’accroître la solidarité, les collègues masculins aidant les collègues féminines qui ont des douleurs ces jours-là en adaptant le travail, de telle sorte que ces dernières ne s’arrêteront pas systématiquement.

M. le rapporteur. Nous sommes au cœur du débat et le système d’arrêt – et non de congé – que nous proposons a quelque chose d’inédit. Je rappelle cependant qu’il faut que le caractère incapacitant soit identifié par un médecin, qui délivre un certificat médical.

Nous nous sommes inspirés de ce qui avait été mis en place lors du covid. Quand le résultat d’un test était positif, la personne concernée pouvait éditer un arrêt maladie sur le site de la caisse primaire d’assurance maladie et le présenter à son employeur. Il en est de même avec le dispositif que nous proposons, le certificat médical permettant de poser treize jours d’arrêt.

M. Turquois a estimé que cette durée constituait une provocation. Cela aurait été le cas si nous avions retenu la proposition de Mme Keke, c’est-à-dire prévoir trois jours par cycle, ce qui nous semblait assez compliqué. Nous avons retenu la solution des treize jours, qui n’est pas forcément optimale, avec l’idée de faire confiance aux femmes pour utiliser au mieux ces jours d’arrêt en fonction de leurs besoins.

Nous avions également prévu la possibilité d’ajouter treize jours supplémentaires dans les cas exceptionnels – encore une fois sur avis d’un médecin. Les auditions ont montré que cela pouvait présenter des difficultés. Pour en tenir compte, j’ai déposé l’amendement AS30, qui limite le recours à l’arrêt pour menstruations incapacitantes à trois jours par mois et supprime son caractère renouvelable.

Cela me paraît raisonnable et devrait permettre de rassurer les collègues qui craignent des abus potentiels, même si ces derniers nous paraissaient peu probables.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS22 de M. Sébastien Peytavie.

Amendement AS9 de Mme Sophia Chikirou

M. Louis Boyard (LFI - NUPES). Je reviens brièvement sur l’argument de la difficulté rencontrée par un chef d’entreprise dont la salariée serait absente deux ou trois jours par mois. Si elle ne travaille pas, c’est précisément parce que ses douleurs l’en empêchent. Nous sommes d’ailleurs tous ici des employeurs, et je souhaite que si une collaboratrice est un jour pliée en deux par la douleur, vous lui direz de ne pas venir au bureau. Cela relève de notre responsabilité.

J’en viens à l’amendement. Il n’y aura pas de libération des femmes sans libération des personnes transgenres. Nous souhaitons préciser que la mention de son sexe à d’état civil ne peut pas empêcher une personne de bénéficier de l’arrêt prévu par la proposition. Il ne faut pas que le texte soit utilisé à des fins malveillantes contre les personnes transgenres et intersexuées en les excluant de ce droit.

M. le rapporteur. Je vous rejoins bien évidemment sur la nécessité de permettre aux personnes transgenres et intersexuées d’accéder au dispositif sans être discriminées. Mais nous avons veillé à ce que la rédaction retenue soit universelle et permette d’accorder un arrêt pour menstruations incapacitantes à toutes et tous, aux femmes comme aux personnes transgenres et intersexuées.

L’amendement est satisfait. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

Amendement AS8 de Mme Nadège Abomangoli

Mme Nadège Abomangoli (LFI - NUPES). Votre dispositif règle la question du jour de carence. En revanche, la rédaction ne garantit pas le maintien intégral de la rémunération journalière si la personne est affiliée au régime général et si sa convention collective ne comprend pas une clause de maintien de salaire.

En effet, le calcul des indemnités journalières conduit à verser 50 % du salaire journalier de base. Si le salarié a un an d’ancienneté, il a droit à un complément employeur, ce qui porte l’indemnisation à 90 %. Cependant, les salariés travaillant à domicile, les saisonniers et les salariés intermittents ou temporaires sont exclus du bénéfice de ce complément. Le dispositif implique donc une perte de salaire allant de 10 % à 50 %.

En outre, les stagiaires percevant une gratification horaire inférieure à 4,35 euros ne bénéficient pas du versement d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail.

Nous proposons d’instaurer une indemnité complémentaire qui permettra dans tous les cas de garantir que le salaire sera intégralement perçu en cas d’arrêt.

M. le rapporteur. Vous l’avez relevé, la question du jour de carence est réglée par la proposition de loi, afin d’éviter que l’arrêt ait des conséquences financières pour les personnes concernées.

On mesure déjà les réticences face à ce régime dérogatoire. Je crains qu’ajouter une dérogation supplémentaire pesant sur les entreprises mette en péril l’adoption de l’ensemble de la proposition de loi.

Même si je comprends votre objectif, il s’agit à ce stade d’atteindre une première étape, le dispositif pouvant par la suite évoluer.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS19 de M. Emmanuel Taché de la Pagerie

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). L’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale permet déjà d’accorder des arrêts maladie dans nombre de cas.

Nous avions proposé de supprimer le délai de carence pour les femmes atteintes d’endométriose. Mais cet article présente des difficultés, car il ne prévoit pas que les menstruations incapacitantes soient diagnostiquées par un médecin spécialiste. L’article instaure une inégalité entre les travailleuses et permet aux femmes ayant une maladie chronique d’utiliser les treize jours en une seule et même fois, alors qu’une maladie chronique se caractérise par sa persistance dans le temps.

L’amendement précise que le diagnostic doit être effectué par un médecin qualifié spécialiste en gynécologie obstétrique, en gynécologie médicale ou en endocrinologie.

M. le rapporteur. Vous voulez restreindre à des médecins spécialistes la possibilité de prescrire ces arrêts, ce qui, au vu de tout ce que nous avons évoqué précédemment, ne me semble absolument pas opérant : il faut inclure les médecins généralistes, qui servent de premier contact.

La proposition de loi prévoit que les médecins spécialistes pourront également faire ces prescriptions. Votre amendement, quant à lui, n’évoque que les spécialistes en gynécologie et en endocrinologie – vous ne mentionnez donc pas les médecins de la douleur.

La proposition de loi fait également référence aux sages-femmes et aux médecins du travail, ce qui permettra d’avoir un éventail beaucoup plus large de possibilités. Il serait très compliqué dans les déserts médicaux de se limiter, comme vous le souhaitez, à certains spécialistes pour la reconnaissance de ces pathologies.

Avis défavorable.

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). On pourrait parler, en effet, des médecins de la douleur : un tiers du territoire, me semble-t-il, n’en est pas pourvu. Dans ma circonscription, qui couvre plus d’un tiers des Bouches-du-Rhône, nous avons un médecin de la douleur.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS3 de M. Fabien Di Filippo

M. Fabien Di Filippo (LR). Vous considérez sans doute que le financement de ces dépenses, qui augmenteront avec le temps – elles seront peut-être de quelques centaines de millions d’euros au début, puis on parlera en milliards – n’est le problème de personne, sauf nos enfants et petits-enfants. Or le déficit de la sécurité sociale est déjà de 11 milliards cette année. Le but de notre amendement de repli est de faire en sorte que l’arrêt de treize jours prévu à l’article 1er ne soit pas renouvelable. En cas d’impossibilité de travailler pour des raisons de santé, on pourra toujours, je l’ai dit, aller voir un médecin.

M. le rapporteur. Je reconnais là toute votre générosité : en supprimant l’alinéa 9, on ne supprimerait pas seulement la possibilité de renouvellement, mais également la limite de treize jours– on pourrait donc obtenir beaucoup plus. Je vous proposerai, j’en ai déjà parlé, un amendement qui limitera la durée à trois jours consécutifs par mois et ne permettra plus un renouvellement, ce qui me semble une position de compromis beaucoup plus juste.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS30 de M. Sébastien Peytavie, AS21 de M. Emmanuel Taché de la Pagerie et AS23 de M. Sébastien Peytavie

M. le rapporteur. Nous en venons à mon amendement de compromis AS30, qui prévoit une limite de trois jours par mois et supprime le caractère renouvelable de l’arrêt, afin de cadrer les choses et de vous rassurer. Ce sera une première étape. J’entends bien que ce nouvel arrêt de travail est inédit, mais il permettra de reconnaître un droit essentiel pour beaucoup de femmes.

Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Même si le Rassemblement National soutient la suppression du délai de carence pour les femmes atteintes d’endométriose, nous ne pouvons accepter cet article qui instituerait une inégalité entre les travailleuses et permettrait aux femmes ayant une maladie chronique d’utiliser treize jours d’arrêt en une seule et même fois, alors que toute maladie chronique se caractérise par sa persistance dans le temps. C’est le sens de notre amendement AS21.

M. le rapporteur. Mon amendement AS23 ne prévoit, à la différence de mon amendement précédent, qu’une limite de trois jours par mois.

Avis défavorable à l’amendement AS21.

Mme Anne Bergantz (Dem). Je salue le travail de réflexion du rapporteur et sa prise en compte des questions suscitées par la possibilité d’un arrêt de treize jours consécutifs. Néanmoins, ce qui nous est proposé ne change rien sur le fond : le texte continuera à instaurer un congé dérogatoire qui s’impose aux entreprises. Je maintiens au contraire que c’est le dialogue social, mené dans le cadre de concertations au sein des entreprises, qui doit primer.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je voudrais que M. le rapporteur nous fasse une explication de texte, car je ne suis pas certain de savoir comment on doit lire ses amendements. Le second conduirait à la rédaction suivante : « elle peut être utilisée consécutivement ou séparément dans la limite de trois jours par mois ». Je rappelle qu’il s’agit d’une prescription d’arrêts de travail d’une durée de treize jours. Il faudrait nous apporter quelques précisions.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Nous faisons preuve d’un esprit constructif, car nous pensons que nous devrions tous nous rassembler sur cette question. Nous vous proposons, par nos amendements, des dispositions permettant d’atténuer les craintes, d’une façon très pratique, en ce qui concerne l’arrêt menstruel.

M. le rapporteur. Pour ce qui est de l’utilisation du capital de treize jours, monsieur Turquois, une femme pourra avoir un arrêt de trois jours consécutifs, au maximum, par mois.

Si l’on passe par le dialogue au sein des entreprises, on supprimera la possibilité d’une solidarité, ce qui aura un impact dans les petites entreprises – les grands groupes peuvent dès aujourd’hui appliquer le dispositif. Je vous rejoins en ce qui concerne la confiance entre l’employeur et l’employé, mais il est important, dans les cas où elle n’existe pas, de reconnaître aux femmes la liberté de bénéficier de ces arrêts. Ils ont un caractère inédit, c’est vrai, mais la nature cyclique de la situation a aussi quelque chose de particulier. Même si l’on supprime le jour de carence, demander à une femme d’aller voir chaque mois son médecin constitue une contrainte, surtout vu l’état dans lequel se trouve notre système de santé.

Je vous propose, j’insiste sur ce point, une solution de compromis : on ne pourra pas déposer un arrêt de plus de trois jours consécutifs par mois et la durée totale de treize jours ne sera pas renouvelable.

La commission adopte l’amendement AS30.

En conséquence, les amendements AS21 et AS23 tombent.

Amendement AS4 de Mme Fatiha Keloua Hachi

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Nous aimerions préciser que le dispositif s’applique sans préavis. C’est souvent au début des règles, le premier jour, que la douleur est la plus forte. Or le déclenchement n’est pas prévisible. Il n’y aura donc pas de possibilité de préavis pour une femme qui a des règles incapacitantes.

M. le rapporteur. Si l’on passe non par un congé, mais par un arrêt de travail, aucun préavis ne sera nécessaire. Votre amendement est donc satisfait : je vous propose de le retirer.

L’amendement est retiré.

Amendement AS6 de M. Mickaël Bouloux

M. Mickaël Bouloux (SOC). Notre amendement vise à permettre aux entreprises et aux branches de décider du nombre de jours supplémentaires d’arrêt pour menstruations incapacitantes qu’elles prennent en charge si elles souhaitent aller au-delà des treize jours prévus par ce texte.

M. le rapporteur. Vous proposez de consacrer la possibilité pour l’employeur de droit privé de définir un nombre de jours d’arrêt pour menstruations incapacitantes supérieur à celui fixé par l’article 1er de la proposition de loi. C’est bien d’embarquer les entreprises, mais la question des inégalités selon leur taille se pose. Par ailleurs, votre amendement est satisfait : l’employeur peut déjà prévoir, dans le cadre des négociations d’entreprise, des mesures plus favorables aux salariés que les dispositions légales, inscrites dans le code du travail, y compris en matière d’arrêt maladie. Il me semble, en outre, que votre amendement présente des risques de contournement. Je vous demande donc de le retirer ; sinon, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS24 de M. Sébastien Peytavie.

Amendement AS5 de Mme Fatiha Keloua Hachi

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Je retire cet amendement qui demandait la remise d’un rapport sur la question du préavis.

L’amendement est retiré.

La commission rejette l’article 1er.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Madame la présidente, nous avions demandé un vote par scrutin sur le fondement de l’article 44, alinéa 2, du Règlement.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Vous l’avez fait après le vote, qui ne fait l’objet d’aucun doute – seize voix pour et seize voix contre ; l’article 1er n’a donc pas été adopté.

Article 2 : Favoriser le recours au télétravail pour les personnes atteintes de menstruations incapacitantes             

Amendement AS20 de Mme Émilie Chandler

Mme Émilie Chandler (RE). Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, nous partageons la volonté du rapporteur et de son groupe d’accorder davantage de place à la santé des femmes, en particulier la santé menstruelle et gynécologique, au sein du monde du travail. Nous apportons donc notre soutien à l’article 2, qui vise à faciliter un aménagement de poste lorsque la dysménorrhée d’une femme ne lui permet pas de se rendre sur son lieu de travail, sans pour autant l’empêcher d’exercer son activité.

S’agissant de la fonction publique, un décret du 11 février 2016 permet d’ores et déjà aux agentes et aux magistrates de bénéficier d’un aménagement impliquant le télétravail. Il nous semble important, étant entendu que la lettre du décret devra être modifiée, d’articuler le dispositif réglementaire avec les dispositions proposées par le rapporteur. Tel est l’objet de notre amendement, qui aura, par ailleurs, le mérite de consacrer au niveau législatif ce qui relève actuellement du seul pouvoir réglementaire – cela satisfera sans doute tous nos collègues.

M. le rapporteur. Je salue le fait que vous reconnaissiez la nécessité d’accorder une place particulière à la santé menstruelle et gynécologique dans l’organisation du travail au sein de la fonction publique. Je me permets, néanmoins, d’appeler votre attention sur la terminologie : la dysménorrhée désigne uniquement les règles douloureuses – c’est un terme plus restrictif que la notion de menstruations incapacitantes et vous réduisez donc la portée du dispositif. Le renvoi à un décret serait, par ailleurs, un frein, car cela pourrait figer le droit des agents concernés à recourir au télétravail en attendant que les conditions soient dûment complétées dans le décret.

Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS10 de Mme Sophia Chikirou

Mme Karen Erodi (LFI - NUPES). Il s’agit de compléter les motifs permettant d’avoir recours au télétravail, en allant au-delà de l’expression « menstruations incapacitantes » que nous trouvons trop limitée. Des personnes peuvent, en effet, avoir des douleurs incapacitantes liées à leur cycle ou à leur état hormonal sans pour autant menstruer, pour diverses raisons liées à des pathologies ou à leur condition physique. C’est le cas à la ménopause, par exemple, d’une personne qui, à proprement parler, n’est plus menstruée, mais est sujette à des affections et des douleurs telles que des bouffées de chaleur, des maux de tête, des troubles urinaires et des fragilités osseuses.

L’article 2 va dans le bon sens : le recours au télétravail permettra une plus grande adaptabilité du lieu de travail, comme le prévoit déjà le code pour les femmes enceintes. Notre amendement vise simplement à s’assurer de la bonne inclusion des personnes présentant des symptômes incapacitants liés à des douleurs gynécologiques, endocrinologiques ou menstruelles.

M. le rapporteur. Vous posez là une grande question, que j’ai évoquée dans mon propos liminaire : les autres pathologies et symptômes. Nous pourrons engager un travail transpartisan en vue de l’adoption d’un texte portant d’une façon beaucoup plus large sur la santé des femmes au travail. Comme nous nous inscrivons aujourd’hui dans le cadre d’une niche parlementaire, notre choix a été de nous concentrer sur la santé menstruelle. Je vous demande de retirer votre amendement, mais je suis d’accord sur l’importance de la question que vous soulevez et la nécessité d’aller beaucoup plus loin.

L’amendement est retiré.

Amendement AS14 de Mme Émilie Chandler

Mme Émilie Chandler (RE). Cet amendement de coordination vise à tirer les conséquences du rejet de l’article 1er de la proposition de loi en supprimant des renvois devenus sans objet et en intégrant d’une façon plus harmonieuse dans le code du travail les dispositions prévues à l’article 2.

M. le rapporteur. Vous voulez restreindre le dispositif, là encore, aux dysménorrhées, lesquelles ne sont qu’une pathologie pelvienne parmi d’autres. Nous avons beaucoup réfléchi à cette question : la notion de menstruations incapacitantes couvre bien plus de cas.

Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : Intégrer la santé menstruelle et gynécologique comme objet de négociation collective

Amendement de suppression AS1 de M. Fabien Di Filippo

M. Fabien Di Filippo (LR). Cet article posera des problèmes d’organisation aux entreprises. Il nous semble inefficace, inapplicable, voire néfaste à certains égards – nous avons parlé tout à l’heure des discriminations à l’embauche.

M. le rapporteur. Votre amendement me donne l’occasion de rappeler l’importance de l’appropriation de la question de la santé menstruelle et gynécologique dans le cadre du dialogue social. Il est essentiel, compte tenu du retard actuel, de favoriser ce dialogue afin de trouver dans les entreprises et les branches les modalités les plus appropriées pour avancer.

Avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo (LR). La plupart des entreprises sont de petite taille dans notre pays. C’est surtout elles qui connaîtront des problèmes d’organisation, lesquels peuvent être rédhibitoires pour certaines activités. L’autre souci est qu’il n’y aura plus – or je sais que c’est une question que nos camarades de gauche ont à cœur – de secret médical en la matière. Tout employeur pourra connaître le motif médical, donc les fragilités de santé de son employée. C’est une autre grande limite, que le passage par un médecin et un arrêt maladie nous évitait jusque-là.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS11 de Mme Nadège Abomangoli

Mme Nadège Abomangoli (LFI - NUPES). Notre amendement vise, au contraire du précédent, à renforcer le texte. À nos yeux, c’est à l’employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires pour protéger la santé menstruelle et gynécologique de ses employées. Il doit être tenu pour responsable de la mise en place d’un accès à des sanitaires adaptés, à des protections menstruelles et à une salle de repos – nous aimerions d’ailleurs en bénéficier à l’Assemblée. Le renvoi à la négociation collective risque de réduire l’effectivité du droit à bénéficier d’un poste, d’horaires et d’un environnement de travail adaptés. Nous insistons sur l’importance d’une obligation légale à la fois pour responsabiliser les employeurs et pour donner aux employés une certaine sérénité dans la défense de leurs droits. Ce sera aussi la garantie que des prétextes dilatoires ne pourront pas être invoqués pour freiner la prise en compte de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail. Il faut, pour cela, une obligation simple pour tout le monde, connue et sue par toutes et tous.

 

M. le rapporteur. Je réaffirme la nécessité, que toutes les associations féministes soulignent, de développer le dialogue au sein des entreprises pour gagner la bataille culturelle : c’est la condition d’un bon aménagement des conditions de travail. Du fait du tabou qui existe actuellement et du caractère spécifique des règles, ce dialogue n’a pas lieu. Je suis naturellement d’accord avec l’idée que les évolutions peuvent tarder en l’absence d’obligation – on pourrait évoquer une longue liste de cas.

Cela étant, le dispositif proposé ne concernerait que les grands groupes – tout l’intérêt de l’article 1er était précisément de s’appliquer aux petites entreprises. Prévoir simplement des négociations collectives ne suffira pas. Je m’en remets donc à la sagesse de la commission.

M. Nicolas Turquois (Dem). C’est peut-être le signe d’une méconnaissance de ma part, mais l’employeur que je suis aimerait savoir ce que sont des « sanitaires adaptés » : à quoi faites-vous référence ?

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Quand on utilise des protections réutilisables, comme les coupes menstruelles, les cups, il faut qu’il y ait un lavabo juste à côté des toilettes. Sinon, comme on a les doigts pleins de sang, il faut soit sortir des toilettes soit utiliser une bouteille d’eau pour rincer ses mains et sa cup avant de réinsérer cette dernière.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Monsieur Turquois, est-ce maintenant plus clair pour vous ?

M. Nicolas Turquois (Dem). J’entends bien. Il faut veiller, en tant qu’employeur, à ce qu’on puisse se laver les mains dans les toilettes.

Mme Clémentine Autain (LFI - NUPES). Je vais peut-être compléter, car tout le monde ne porte pas une cup – cela dépend notamment des générations. Même quand on utilise des serviettes hygiéniques, il faut avoir accès à une poubelle dans les toilettes et pouvoir se laver les mains. Or ce n’est pas toujours le cas.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS15 de Mme Émilie Chandler et sous-amendement AS25 de M. Sébastien Peytavie

Mme Émilie Chandler (RE). Une de nos critiques à l’endroit de l’article 1er était que sa rédaction faisait courir aux entreprises un risque de désorganisation, mais nous sommes convaincus, comme le rapporteur, qu’elles doivent se saisir des enjeux liés à la santé menstruelle et gynécologique de leurs salariées. Il convient d’apporter des solutions adaptées, au plus près des contraintes organisationnelles des entreprises et, pour les salariés, des questions de conditions de travail et de qualité de vie au travail. Notre amendement vise donc à substituer à la négociation collective obligatoire de branche une prise en compte de la santé menstruelle et gynécologique dans la négociation collective d’entreprise, en établissant un lien avec les obligations déjà prévues en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de conditions de travail.

M. le rapporteur. L’objectif premier de l’article 3 est d’intégrer la santé menstruelle et gynécologique dans les négociations collectives. Si la commission jugeait que le dialogue social produirait des effets plus fructueux au niveau de l’entreprise que dans le cadre de la branche, cela pourrait me convenir, dans un esprit de compromis. En revanche, en rendant facultative la question de la santé menstruelle et gynécologique, vous feriez perdre au dispositif toute sa portée. Le sous-amendement que j’ai déposé tend donc à supprimer ce caractère facultatif. Avis favorable à l’amendement sous cette condition.

La commission rejette le sous-amendement puis adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS26 de M. Sébastien Peytavie.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 : Mobiliser les services de prévention et de santé au travail

Amendement AS16 de Mme Émilie Chandler

Mme Émilie Chandler (RE). Cet amendement de coordination légistique vise à harmoniser les dispositions du présent article avec celles du code du travail relatives aux services de prévention et de santé au travail.

M. le rapporteur. Votre amendement reprend les finalités prévues à l’article 4 mais insère directement la santé menstruelle et gynécologique dans les dispositions du code relatives aux missions des services de prévention et de santé au travail, au lieu de créer un alinéa spécifique. La rédaction que vous proposez me semble intéressante et je peux donc m’en satisfaire.

Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement AS27 de M. Sébastien Peytavie tombe.

La commission adopte l’article 4 modifié.

Article 4 bis (nouveau) : Rapport sur la reconnaissance et la prise en charge de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail

Amendements AS28 de M. Sébastien Peytavie et AS12 de Mme Sophia Chikirou (discussion commune)

M. le rapporteur. Les auditions ont mis en lumière le manque de données, pourtant nécessaires pour objectiver les besoins et perfectionner le cadre législatif et réglementaire, en ce qui concerne la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail. Je partage, à cet égard, les intentions de Mme Chikirou, qui a déposé un autre amendement. La proposition de compromis que je vous fais consiste à demander au Gouvernement de remettre un rapport relatif à la reconnaissance et à la prise en charge de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail, qui comprendra une évaluation de la mise en œuvre de l’arrêt pour menstruations incapacitantes et du développement de données genrées croisées.

Mme Clémentine Autain (LFI - NUPES). Cela nous convient tout à fait. L’essentiel est d’avoir un rapport permettant d’aiguiller la décision publique grâce à une meilleure connaissance des freins ou des difficultés rencontrés par les femmes.

M. le rapporteur. Je vous propose donc de retirer l’amendement AS12.

L’amendement AS12 est retiré.

La commission adopte l’amendement AS28.

Après l’article 4

Amendement AS29 de M. Sébastien Peytavie

M. le rapporteur. Je partage l’ambition qui était celle de l’amendement AS13 de Mme Chikirou, déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution. Il est crucial de penser collectivement le monde du travail selon le prisme des inégalités de genre. C’est pourquoi je vous propose la tenue d’une conférence sociale nationale sur la place des femmes au travail, les problématiques de santé menstruelle et gynécologique dans la vie professionnelle et les dynamiques de genre dans le monde du travail. Mon amendement précise que le monde médical sera notamment associé à la conférence.

La commission rejette l’amendement.

Article 5 : Gage financier

La commission adopte l’article 5 non modifié.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

M. le rapporteur. Je tiens à vous remercier pour la qualité de nos échanges sur ce sujet très important, même si je suis déçu par le sort qu’a connu à l’article 1er. J’entends les réserves qui ont été exprimées, mais nous avons proposé des solutions de compromis et je regrette que la majorité n’ait pas su tendre la main. Les 25 % de femmes qui souffrent d’endométriose n’auront pas de réponses, car les petites entreprises, où des accords ne verront pas le jour, ne pourront pas bénéficier de l’outil que nous proposions – je souligne qu’il a fait l’objet d’un vote très serré, puisqu’il y avait égalité de voix.

*

*     *

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de loi figurant dans le document annexé au présent rapport.

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2406_texte-adopte-commission#

 

 


– 1 –

ANNEXE  1 :
Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur

(Par ordre chronologique)

     Table ronde :

 Ville de Seyssinet-Pariset  M. Guillaume Lissy, maire, Mmes Yamina Archi, adjointe aux ressources, Léna Robart, directrice de cabinet, et Claire Detonils, directrice des ressources humaines

 Ville de Saint-Ouen-sur-Seine – M. Steve Larranaga, adjoint au maire, délégué aux affaires sociales, aux solidarités, à la santé, au handicap et aux cultes et au personnel communal

 Métropole de Lyon – M. Laurent Bosetti, adjoint au maire, délégué à la promotion des services publics, au handicap et à la politique du funéraire

 Département de la Seine-Saint-Denis – M. Stéphane Troussel, président du conseil départemental, et Mme Meriem Bouchefra, conseillère

     Table ronde :

 Carrefour * Mmes Éloïse Chereau, responsable diversité et inclusion et Nathalie Namade, directrice des affaires publiques

 Louis  M. Thomas Devineaux, fondateur et directeur général

     Table ronde :

 Kiffe ton cycle  Mme Gaëlle Baldassari, directrice

 Règles élémentaires  Mmes Justine Okolodkoff, directrice de la sensibilisation et du plaidoyer, et Mathilde Virlois, alternante chargée de plaidoyer

 Fondation des femmes  Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques

 Osez le féminisme  Mme Elsa Labouret, porte-parole

 Fondation pour la recherche sur l’endométriose  Mmes Valérie Desplanches, présidente, et Marie Faure, chargée de plaidoyer à l’association Endomind

     Table ronde :

 Mme Ophélie Latil, fondatrice du collectif Georgette Sand, juriste et dirigeante du cabinet de conseil en inclusion Dames Oiseaux

– Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes  Mme Julia Méry, déléguée à l’égalité professionnelle

– Mme Djaouida Sehili, professeure des universités, sociologue à l’Université de Reims Champagne-Ardenne

 Mme Alice Romerio, maîtresse de conférences en science politique à l’Université Paris 8

 Mme Agathe Fontenelle, doctorante en droit de la santé à l’Université de Montpellier

     Table ronde :

– Direction générale du travail (DGT) – Mmes Eva Jallabert, adjointe à la sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail, Heidi Borrel, adjointe au chef de la mission du pilotage de la politique et des opérateurs de la santé au travail, et Sophie Fleurance, adjointe au chef du bureau des relations individuelles du travail, M. Théo Albarracin, chef du bureau des relations individuelles du travail, et Mme Léa Courant, chargée de mission

 Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) M. Guillaume Tinlot, chef du service des parcours de carrière et des politiques salariales et sociales

     Table ronde :

 Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Béatrice Lestic, secrétaire nationale en charge des droits des femmes à la commission exécutive de la confédération

 Confédération générale du travail (CGT) – Mmes Fanny de Coster, membre de la direction confédérale, et Frédérique Bartlett, conseillère confédérale

 Union nationale des syndicats autonomes (Unsa)  Mme Jessica Gouineau, conseillère nationale

 Fédération syndicale unitaire (FSU)  Mme Marie Denis, secrétaire nationale

 Union syndicale Solidaires  Mmes Murielle Guilbert, co-déléguée générale, et Julie Ferrua, secrétaire nationale

     Table ronde :

 Haute Autorité de santé (HAS) – Mme Amélie Lansiaux, directrice de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins

 Dr Marine Freydier, médecin, spécialiste de la prise en charge de l’endométriose et de l’adénomyose

– Dr Delphine Lhuillery, médecin algologue

 Ministère de l’égalité du Gouvernement espagnol  Mme Ana Enrich, conseillère au cabinet de la secrétaire d’État à l’égalité et pour l’éradication des violences faites aux femmes

 

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


– 1 –

Annexe n° 2 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la Proposition de loi

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code général de la fonction publique

Section 7 du chapitre II du titre II du livre VIII, L. 822‑31 [nouveau]

1er

Code de la sécurité sociale

L. 321‑1‑1 et L. 321‑1‑1 [nouveaux]

1er

Code du travail

L. 1226‑1‑5 [nouveau]

1er

Loi n° 2017‑1837

115

2

Code général de la fonction publique

L. 430‑1

2

Code du travail

L. 1222‑9

3

Code général de la fonction publique

L. 132‑2

3

Code du travail

L. 2242‑19‑2 [nouveau]

4

Code général de la fonction publique

L. 813‑4 [nouveau]

4

Code du travail

L. 4622‑2

 

 


([1]) Rapport d’information sur les menstruations fait au nom de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes par Mmes Laëtitia Romeiro Dias et Bénédicte Taurine, n° 2691, 13 février 2020.

([2]) Site de l’OMS, page sur l’endométriose, 24 mars 2023.

([3]) Zacharopoulou, C., Rapport de proposition d’une stratégie nationale contre l’endométriose (2022 – 2025), 2022.

([4]) Margueritte, François. « Algies pelviennes chroniques : prévalence et caractéristiques associées dans la cohorte Constances. Avril 2016. Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 64(2) : 134.

([5]) Les dysménorrhées primaires, bénignes et sans lien avec d’autres pathologies, sont fréquemment distinguées des dysménorrhées secondaires, qui peuvent survenir à l’âge adulte et sont le plus souvent en lien avec une pathologie menstruelle comme l’adénomyose ou l’endométriose.

([6]) L’étude les caractérisant par une douleur supérieure à 4 sur une échelle de 0 à 10.

([7]) Rapport d’information sur la santé mentale des femmes fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes par Mmes Pascale Martin et Anne-Cécile Violland, n° 1522, 11 juillet 2023.

([8]) Séhili, Djaouida. « Les paradoxes de la prise en compte des douleurs menstruelles dans le milieu professionnel », Le congé menstruel, un progrès pour l’égalité entre les hommes et les femmes ?, Revue de droit du travail, 2024.

([9]) Enquête d’opinion, menée en 2020 par Dans Ma Culotte et OpinionWay, sur la perception des règles par les Françaises et les Français.

([10]) Emma Touré Cuq, « Choix des modalités de prise en charge et évaluation des facteurs ayant pu influencer ce choix », La dysménorrhée en France en 2020 : état des lieux et étude des modalités de traitement, pp. 32‑35, Sciences du Vivant [q-bio], 2020.

([11]) Arrêté du 2 septembre 2020 portant modification de diverses dispositions relatives au régime des études en vue du premier et du deuxième cycle des études médicales et à l’organisation des épreuves classantes nationales.

([12]) Inserm, communiqué de presse « Endométriose : les projets de recherche en cours à l’Inserm », 3 mars 2022.

([13]) Site de l’AP-HP, page Infertilité et Endometriose, 30 avril 2021.

([14]) Rapport d’information précité sur les menstruations.

([15]) Simoens, S., et al., étude EndoCost. 2011.

([16]) Heroic santé, communiqué de presse, « L’effarante réalité derrière les chiffres de l’endométriose », 7 mars 2022.

([17]) Ifop, Enquête sur les difficultés à vivre ses règles au travail et l’attrait des salariées pour le congé menstruel, Rapport d’étude pour Eve and Co, septembre 2022.

([18]) Enquête OpinionWay pour Règles Élémentaires, mai 2021.

([19]) Romerio, Alice, « L’endométriose au travail : les conséquences d’une maladie chronique féminine mal reconnue sur la vie professionnelle », Centre d’études de l’emploi et du travail (Ceet) du Conservatoire national des arts et métiers, novembre 2020.

([20]) Id.

([21]) Id.

([22]) Ministère des solidarités et de la santé, Stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, dossier de presse, 14 février 2022.

([23]) https://www.anact.fr/endometriose. Ce kit avait notamment été promis par le Gouvernement suite au rejet, au Sénat, le 15 février 2024, de la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail.

([24]) Résolution visant à reconnaître l’endométriose comme une affection longue durée, adoptée le 13 janvier 2022 (T.A. n° 742).

([25]) Ifop, enquête précitée.

([26]) Loi organique 1/2023 du 28 février 2023, modifiant la loi organique 2/2010, de santé sexuelle et reproductive et sur l’interruption volontaire de grossesse.

([27]) Chiffres transmis au rapporteur par les services de l’ambassade de France en Espagne.

([28]) Estimation basée sur un taux de recours de 10 %, c’est-à-dire bien plus élevé que le taux constaté dans les expérimentations en cours, et sur la prise des treize jours d’arrêt permis, qui ne correspond pas non aux observations empiriques.

([29]) Kanj, O., Évaluation économique de la prise en charge de l’endométriose, thèse de doctorat en sciences économiques, Université Clermont Auvergne, 2017.

([30]) Emma Touré Cuq, La dysménorrhée en France en 2020 : état des lieux et étude des modalités de traitement. Sciences du Vivant, 2020.

([31]) Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018. Ce délai de carence avait auparavant été abrogé par la loi de finances pour 2014.

([32]) Article R. 321-1 du code de la sécurité sociale.

([33]) Article R. 742-2 du code rural et de la pêche maritime.

([34]) Article D. 622-12 du code de la sécurité sociale.

([35]) Article D. 732-2-2 du code rural et de la pêche maritime.

([36]) Résolution du 13 janvier 2022 précitée.

([37]) Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sur la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, déposé par Mme Laurence Rossignol le 7 février 2024.

([38]) Article 2 de la loi n° 2023-567 du 7 juillet 2023 visant à favoriser l’accompagnement psychologique des femmes victimes de fausse couche, en application depuis le 1er janvier 2024.

([39]) Article 84 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

([40]) Article 9 de la loi n° 2020-692 du 8 juin 2020 visant à améliorer les droits des travailleurs et l’accompagnement des familles après le décès d’un enfant.

([41]) L’article 8 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a par exemple suspendu l’application du délai de carence dans tous les régimes à compter du 24 mars 2020 et jusqu’au 10 juillet 2020, terme de l’état d’urgence sanitaire.

([42]) Article L. 1222-9 du code du travail.

([43]) Article 2 de l’ANI du 19 juillet 2005.

([44]) Article 2.3.1 de l’ANI du 26 novembre 2020 relatif à la mise en œuvre réussie du télétravail.

([45]) Articles L. 1229-9 du code du travail et 2.3.3 de l’ANI du 26 novembre 2020.

([46]) Lequel reprend les dispositions initialement prévues par l’article 133 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012.

([47]) Décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature, modifié par le décret n° 2019-637 du 25 juin 2019, par le décret n° 2020-524 du 5 mai 2020 et par le décret n° 2021-1725 du 21 décembre 2021.

([48]) Un arrêté ministériel pour la fonction publique de l’État, une délibération de l’organe délibérant pour la fonction publique territoriale, et une décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination pour la fonction publique hospitalière.

([49]) Respectivement, articles L. 2241-8, L. 2241-11 et L. 2241-15 du code du travail.

([50]) 2° de l’article L. 2242-1 du code du travail.

([51]) Article L. 132-1 du code général de la fonction publique, créé par l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique.

([52]) Créé par l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 précitée.

([53]) https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/Publications/Hors%20collection/Plan_Sante_Travail_FP_2022_2025.pdf

([54]) Prévue à l’article L. 2242-17 du code de travail.

([55]) Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, article 7.

([56]) Gouvernement, Toutes et tous égaux, dossier de presse du Plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2023 – 2027), 8 mars 2023.

([57]) Par cet amendement, le rapporteur a souhaité préserver et consolider l’intention exprimée par les amendements déposés par Mmes Fatiha Keloua Hachi (AS5) et Sophia Chikirou (AS12).

([58]) https://assnat.fr/g6I8Cv