N° 2407

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE,

pour un article 49 respectueux de la représentation nationale (n° 940)

PAR M. Jérémie IORDANOFF

Député

——

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


SOMMAIRE

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Pages

Introduction................................................ 2

Présentation de la proposition de loi constitutionnelle

I. En mettant fin à la question de confiance implicite, la proposition de loi replace la confiance au cœur du régime parlementaire français

II. En Supprimant le « 49.3 », la proposition de loi condamne un symbole honni du déséquilibre institutionnel

commentaire des articles de la proposition de loi constitutionnelle

Article 1er (art. 49 de la Constitution) Consécration du caractère obligatoire de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale

Article 2 (art. 49 de la Constitution) Suppression de la procédure d’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte

Examen en commission

Personnes entendues

 


 

Mesdames, Messieurs,

Nos institutions sont en crise. Selon le baromètre de la confiance politique publié en février 2024 par le Cevipof ([1]), la part des citoyens indiquant avoir confiance dans la politique ne s’élève qu’à 30 %. Lorsqu’on leur demande : « diriez-vous qu'en France la démocratie fonctionne très bien, assez bien, pas très bien ou pas bien du tout ? », 68 % des Français répondent : « pas bien ». Cette part a augmenté de quatre points par rapport à février 2023.

Face à ce constat, il n’est pas question de se résigner. Il faut rechercher les solutions susceptibles de restaurer la confiance des citoyens dans les institutions. Cela impose d’appréhender les causes de cette défiance.

Ces causes sont évidemment multiples. Sentiment de déconnexion des élus, impression que les réponses aux problèmes concrets des Français ne viennent pas assez vite. Décalage entre les annonces et les résultats. Questionnements sur la représentativité de l’Assemblée nationale. Mais aussi, il faut bien le reconnaître, interrogations sur le rôle de la représentation nationale dans un fonctionnement institutionnel qui semble parfois reposer tout entier sur la volonté d’un seul : le Président de la République. La concentration des pouvoirs entre les mains du chef de l’État donne le sentiment que la démocratie française se résume à l’élection d’un homme tous les cinq ans.

Lorsqu’il s’agit d’analyser la Constitution du 4 octobre 1958, une qualité lui est souvent attribuée : l’adaptabilité. Cette Constitution a résisté à diverses configurations : concordance des majorités, cohabitation, majorités très fortes, majorités relatives. Elle a connu l’alternance et a donc été pratiquée par des forces politiques diverses. Elle a fait la preuve de sa capacité à créer les conditions de la stabilité. Cette qualité ne peut être niée, mais est-ce suffisant ? Le régime de la Cinquième République, abîmé par une lecture présidentialiste des institutions qui n’a fait que s’aggraver, est à bout de souffle.

L’institution parlementaire souffre particulièrement de ce déséquilibre institutionnel, et la pratique de l’article 49 de la Constitution l’illustre spécifiquement.

L’absence d’engagement de la responsabilité du Gouvernement, prévu au premier alinéa de l’article 49, lors de la nomination d’un nouveau Premier ministre, emporte des conséquences qui ne sont pas anodines. Pour le Gouvernement, un déficit de légitimité, ce qui favorise l’inclinaison du Président de la République à gouverner. Pour la représentation nationale, un déficit de lisibilité sur le programme gouvernemental. L’absence d’engagement de la responsabilité du Gouvernement donne à ce dernier l’illusion qu’il peut se passer de l’effort de bâtir une majorité sur un programme et de construire une coalition le cas échéant.

Il est alors doux de croire que l’on peut gouverner en l’absence d’une majorité réunie sur un programme au moyen de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Mais c’est faire abstraction du coût politique et du coût institutionnel d’un tel artifice.

Alors qu’il était initialement conçu comme un mécanisme exceptionnel, l’article 49 alinéa 3 est devenu sous la XVIème législature la procédure de droit commun pour faire adopter les textes financiers, sans débat. Or, historiquement, les parlements sont nés pour garantir le consentement à l’impôt. C’est dire le coup porté aux prérogatives de l’Assemblée nationale lorsque le « 49.3 » est déclenché dès le début de la discussion de chacune des parties du projet de loi de finances, y compris en première lecture.

Pour en finir avec une pratique des premier et troisième alinéas de l’article 49 de la Constitution qui apparaît abusive, le groupe Écologiste a fait le choix d’inscrire à l’ordre du jour qui lui est réservé le 4 avril 2024 une proposition de loi constitutionnelle afin d’aboutir à un article 49 de la Constitution respectueux de la représentation nationale.

Lors de son audition, la professeure Anne Levade a souligné que la poursuite d’un objectif de rééquilibrage par le pouvoir constituant suffisait rarement à obtenir le résultat attendu. Il est vrai que la pratique institutionnelle est difficile à anticiper, d’autant qu’elle se façonne en fonction des forces politiques au pouvoir.

Mais, puisqu’il apparaît en l’occurrence que la pratique institutionnelle de l’article 49 de la Constitution est en décalage non seulement avec le texte, mais aussi avec l’esprit des institutions, il ne semble exister d’autre solution que de remanier le texte afin de façonner une pratique conforme à ce qu’exige un régime parlementaire.

Cette proposition de loi ne réglera pas l’ensemble des problèmes que traverse notre démocratie. De nombreux chantiers devront être ouverts, parmi lesquels la refonte des modes de scrutin, la question du calendrier électoral ou encore celle des moyens dévolus au Parlement. Toutefois, tout en préservant les grands équilibres de la Cinquième République, cette proposition de loi constitutionnelle propose d’apporter un correctif susceptible de conforter la nature parlementaire du régime.

En replaçant la confiance à la juste place qui devrait être la sienne au cœur du régime parlementaire, gageons que cette proposition de loi permette aussi de renforcer la confiance de nos concitoyens dans nos institutions.

 

 

Présentation de
la proposition de loi constitutionnelle

I.   En mettant fin à la question de confiance implicite, la proposition de loi replace la confiance au cœur du régime parlementaire français

Le régime parlementaire est fondé sur une relation de confiance nouée entre le Parlement et le Gouvernement. La confiance, c’est ce qui « désigne l’assentiment qui permet au Gouvernement d’agir en harmonie avec la volonté du Parlement » ([2]).

Cette confiance se vérifie à deux occasions : le vote de la question de confiance, et le vote de la motion de censure.

Pourtant, comme l’a remarqué le professeur Denis Baranger, il est devenu fréquent d’aborder la question de la responsabilité dans le régime parlementaire français en observant le seul moment du « divorce » : celui de la rupture de confiance qui s’exprime par l’adoption d’une motion de censure.

Cette proposition de loi constitutionnelle propose de porter le regard sur le moment du « mariage » : ce moment où le Gouvernement sollicite la confiance de l’Assemblée nationale, et qu’elle la lui accorde. Cette confiance s’exprime lorsque le Premier ministre engage la responsabilité de son Gouvernement devant l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 1, de la Constitution.

L’expression de cette confiance confère au Gouvernement une légitimité autre que celle issue de sa nomination par le Président de la République. Elle lui confère la légitimité issue de la représentation nationale, et lui permet de s’assurer que cette dernière adhère au sens qu’il compte donner à son action.

La Constitution du 4 octobre 1958 organise un régime parlementaire moniste. Dans le texte constitutionnel, le Gouvernement n’est responsable que devant le seul Parlement. Le texte constitutionnel indique également que le Premier ministre engage la responsabilité de son Gouvernement devant l’Assemblée nationale, afin que le Premier ministre puisse, lors de sa nomination ou à tout moment, vérifier que le lien de confiance ne s’est pas abîmé.

Pourtant, la pratique des institutions est tout autre. L’élection du Président de la République au suffrage universel direct lui a conféré une légitimité puissante. Couplée à une lecture présidentialiste de la répartition des compétences entre Président de la République et Gouvernement, accentuée par l’avènement du fait majoritaire, cette réforme a contribué à redéfinir l’équilibre des pouvoirs. D’un régime parlementaire moniste, les institutions sont pratiquées suivant un système parlementaire dualiste, dans lequel, dès 1966, des Premiers ministres ont fait le choix de ne plus poser la question de confiance après la composition de leur Gouvernement.

Le déséquilibre institutionnel engendré par la lecture présidentialiste des institutions a conduit à abaisser la place du Parlement qui, en régime parlementaire, devrait être pourtant au fondement de la légitimité et la responsabilité du Gouvernement.

Le choix qu’ont fait neuf Premiers ministres depuis 1958 de ne pas poser la question de confiance, n’est pas anodin. Il met à mal le fondement même du régime parlementaire.

Pourtant, déjà en 1993, le comité Vedel chargé de proposer une réforme institutionnelle, estimait que l’obligation faite au Gouvernement de demander un vote de confiance paraissait, « avec le recul, utile et opportune ».

Il apparaît en effet pertinent de réaffirmer clairement l’obligation faite au Premier ministre, après sa nomination, d’engager la responsabilité de son Gouvernement devant l’Assemblée nationale.

En période de concordance des majorités, cette question de confiance ne soulève pas de difficulté et présente un avantage : elle permet l’expression solennelle du lien qui unit le Gouvernement et l’Assemblée.

En période de majorité relative, cette question de confiance ne doit pas être conçue comme la chronique d’un échec annoncé, mais comme une incitation puissante à bâtir une coalition, susceptible de rendre l’action publique cohérente et légitime. L’habitude générée par l’émergence du fait majoritaire a fait perdre de vue qu’il existait un mode de gouvernement fondé sur la formation de coalition.

S’il ne s’agit pas d’une habitude française, il s’agirait pourtant d’une pratique gouvernementale plus vertueuse que celle qui prévaut actuellement. La situation actuelle présente en effet un certain nombre d’inconvénients liés à l’absence de clarté et de vision sur le programme qui va être appliqué, et à l’incertitude quant à l’existence d’une majorité pour en permettre l’exécution sur le plan législatif. Tout ceci crée de l’incertitude, des tensions et conduit, in fine, à une pratique brutale du pouvoir, consistant à faire un usage répété de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, sur un texte aussi politique et central que le budget.

 

  1.   En Supprimant le « 49.3 », la proposition de loi condamne un symbole honni du déséquilibre institutionnel 

Le « 49.3 » est sans doute la seule disposition de la Constitution connue de tous les Français. Perçu comme un instrument de domination du pouvoir exécutif sur le Parlement, il suscite un rejet et une incompréhension qui s’expriment dans toutes les sphères de la société.

Lors d’un entretien qu’il a accordé à votre rapporteur, l’ancien Président de la République François Hollande soulignait que le « 49.3 » est « devenu un symbole, un révélateur d’un malaise beaucoup plus profond. La signification d’une faiblesse qui se transforme en contrainte ».

L’ancien Premier ministre Manuel Valls a confirmé avoir senti ce basculement dans l’opinion lors de la deuxième utilisation qu’il fit de cette procédure sur la « loi travail » en 2016.

C’est effectivement à ce moment que le professeur Bastien François relate avoir constaté que le « 49.3 » suscitait désormais un débat passionné chez les étudiants peuplant les amphithéâtres des facultés de droit. Il suscite aussi le débat dans la rue : dans les mouvements de protestation sociale, ces chiffres sont désormais inscrits sur les pancartes des manifestants criant leur rejet de ce qu’ils estiment être une procédure brutale pour la représentation nationale. Dans les circonscriptions, les lendemains d’utilisation du « 49.3 », les citoyens interpellent leurs députés sur leur utilité face à ce qu’ils ressentent comme une négation du débat.

Le coût du « 49.3 » est important. Il l’est pour celles et ceux qui l’utilisent. Il l’est, surtout, pour les institutions, qu’il fragilise, parce qu’il empêche l’Assemblée nationale, c’est-à-dire la chambre élue au suffrage universel par les citoyens pour les représenter, d’être le lieu du débat puis du vote de la loi.

L’impression de brutalité qu’inspire le « 49.3 » à l’égard de la représentation nationale s’accroît en raison de son utilisation à un stade précoce de la délibération parlementaire. Dans ce cas de figure, le vote n’est plus simplement contraint : le débat est empêché. L’Assemblée nationale n’est plus l’enceinte de délibération de la loi mais le lieu où la seule absence de coalition des oppositions pour faire chuter le Gouvernement lui permet d’obtenir l’adoption de textes qui n’ont pas été débattus.

Comment ne pas s’offusquer en effet que le « 49.3 » soit désormais déclenché, en première partie d’un projet de loi de finances, alors que l’Assemblée nationale n’a pas été en mesure de débattre des amendements déposés ?

L’argument de la lutte contre l’obstruction parlementaire est souvent opposé pour justifier le recours à cette procédure. Mais c’est oublier que le « 49.3 » n’a pas été conçu à cette fin, à l’inverse d’autres procédures telles que le vote bloqué ou le temps législatif programmé. Surtout, la sincérité de cet argumentaire interroge. S’agit-il vraiment de lutter contre l’obstruction, lorsqu’il est coupé court au débat avant même qu’il ne commence ?

Le professeur Rousselier souligne qu’au regard de la pratique récente du « 49.3 », il « devient un instrument de “management gouvernemental” de l’Assemblée nationale. Il acquiert la valeur de routine en habituant le gouvernement à se passer de la recherche d’une majorité élargie » ([3]) .

Dans le contexte actuel de majorité relative à l’Assemblée nationale, dans lequel le Gouvernement a fait l’économie de bâtir une coalition pour réunir une majorité sur un projet, le « 49.3 » devient, pour reprendre l’expression du professeur Denis Baranger, un « outil de gouvernement quasi minoritaire ».

Or, la fonction du « 49.3 » n’est pas d’exonérer le Premier ministre de produire les efforts nécessaires pour obtenir une majorité. L’esprit de cette procédure, qui devait initialement n’être utilisée qu’exceptionnellement, comme en attestent les déclarations de Michel Debré à l’été 1958, est dévoyé pour produire l’illusion de la construction d’une majorité.

Cette utilisation abusive du « 49.3 », qui le transforme en une modalité banalisée d’exercice du pouvoir, n’est pas sans coût pour la démocratie et nos institutions.

En conséquence, la présente proposition de loi constitutionnelle propose de supprimer cette procédure qui, compte tenu de l’obligation posée à l’article 1er, ne devrait plus avoir la même utilité.

 

 


 

   commentaire des articles de la proposition de loi constitutionnelle

Article 1er
(art. 49 de la Constitution)
Consécration du caractère obligatoire de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle modifie le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution afin de préciser qu’une fois nommé, le Premier ministre est tenu, dans les meilleurs délais, d’engager devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale. Il serait ainsi mis un terme à la pratique de la confiance présumée, afin de contraindre le pouvoir exécutif à constituer un Gouvernement susceptible de trouver une majorité à l’Assemblée nationale sur son programme.

     Dernières modifications législatives intervenues

Le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution n’a fait l’objet d’aucune révision constitutionnelle.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission des Lois a rejeté cet article.

 

  1.   L’état du droit

Comme le soulignait en 1992 le « Comité Vedel » chargé de présenter au Président de la République François Mitterrand des recommandations sur les institutions de la Vème République, « l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur un programme, prévu au premier alinéa de l’article 49, a été marqué par des ambiguïtés sur l’obligation faite au Gouvernement de demander un vote de confiance » ([4]). La rédaction de ce premier alinéa, rédigée au présent de l’indicatif, apparaît, de prime abord, être l’indice d’une obligation faite au Premier ministre. Pourtant, votre Rapporteur a pu constater que la doctrine était divisée sur l’exégèse de cet énoncé normatif (A), et qu’un certain nombre de Premiers ministres avaient pu profiter de cette incertitude pour considérer qu’ils avaient le choix, lors de la constitution de leur Gouvernement, de mettre en application ou non le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution (B).

  1.   L’exégèse controversée du premier alinéa de l’article 49 de la Constitution sur le caractère obligatoire de la question de confiance
    1.   Le débat sur le caractère impératif de l’utilisation du présent de l’indicatif

Le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution dispose que « le Premier Ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ».

Le choix du pouvoir constituant de conjuguer le verbe « engager » au présent de l’indicatif a prêté à débat.

En matière de légistique, le présent de l’indicatif est en principe employé pour signifier une obligation. Le guide de légistique publié conjointement par le Premier ministre et le Conseil d’État ([5])  précise ainsi qu’ « en règle générale, les verbes sont à conjuguer au présent de l’indicatif et non au futur. Ce présent a valeur impérative. ». Le guide de légistique publié par le Sénat retient la même analyse : « En droit, l’utilisation du présent de l’indicatif suffit à donner valeur obligatoire au dispositif. En conséquence, l’emploi du verbe : « devoir » est inutile et à limiter autant que possible » ([6]). Le Conseil constitutionnel a lui-même pu juger, à propos d’une formulation dans le code du travail, que « l’emploi du présent de l’indicatif [a] valeur impérative »([7]).

Certains des professeurs auditionnés par votre Rapporteur ont rappelé ce principe pour éclairer leur interprétation de l’article 49, alinéa 1. La professeure Marie-Anne Cohendet a par exemple considéré que, puisqu’en principe en droit français l’indicatif vaut impératif, l’emploi du verbe « engage » signifie déjà « doit engager ».

A cet argument s’ajoute celui soulignant que le pouvoir constituant a opéré un choix rédactionnel différent à deux autres alinéas du même article 49 de la Constitution. Le troisième alinéa dispose que « le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances », tandis que le dernier alinéa prévoit que « le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale ». Ces choix terminologiques distincts au sein d’un même article accréditent l’idée d’une différence de portée entre le caractère obligatoire de la demande de confiance, prévue au premier alinéa, et le caractère optionnel des procédures décrites aux troisième et dernier alinéas.

En effet, le troisième alinéa, qui prévoit l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte, ne peut relever que d’un choix. Il en va de même de la demande d’approbation d’une déclaration de politique générale au Sénat, devant qui le Gouvernement n’est pas responsable. Sur ce point, le professeur Armel Le Divellec a estimé que le rapprochement littéral des termes employés à ces alinéas faisait « apparaître une différenciation qui plaide assez nettement, a contrario, pour une obligation à l’alinéa 1er. »

Votre Rapporteur a néanmoins pu constater que la doctrine n’était pas unanime sur cette question d’interprétation.

En 2009, le professeur Guy Carcassonne jugeait que « l’argument sur la lettre était faible, sauf à considérer que, dès l’alinéa suivant, la même utilisation du présent de l’indicatif oblige l’Assemblée nationale à mettre en cause la responsabilité du gouvernement par une motion de censure » ([8]).

Lors de son audition, le professeur Bastien François a quant à lui déduit de l’absence d’indication d’un délai au terme duquel le Premier ministre devrait engager la responsabilité de son Gouvernement que le présent de l’indicatif n’avait pas force impérative.

Le professeur Jean-Philippe Derosier a abondé en ce sens, et a cité à l’appui de sa démonstration d’autres dispositions constitutionnelles rédigées au présent de l’indicatif dont il n’est pas possible de déduire un caractère impératif. Il a, par exemple, cité l’article 14 de la Constitution qui dispose que « le Président de la République accrédite les ambassadeurs » sans qu’en pratique il soit tenu de le faire s’il ne le souhaite pas. Au contraire, il a considéré que le présent de l’indicatif employé à l’article 10 de la Constitution ([9]), qui est assorti d’un délai, emporte obligation pour le Président de la République de promulguer la loi dans les quinze jours qui suivent son adoption.

Pour interpréter la portée de cet alinéa du texte constitutionnel, de nombreux auteurs ont tenté de découvrir la volonté du pouvoir constituant dans les travaux préparatoires de la Constitution, sans pourtant parvenir à dégager une conclusion certaine.

  1.   Les travaux préparatoires de la Constitution révèlent les hésitations du pouvoir constituant.

Si tous les professeurs auditionnés par votre rapporteur se sont accordés sur l’intention clairement exprimée du pouvoir constituant de rejeter toute procédure d’investiture, leur analyse des travaux préparatoires ne les a pas conduits à tirer une conclusion unanime quant à la portée impérative de l’alinéa premier de l’article 49 de la Constitution sur la question de confiance. Certains ont considéré que les « documents pour servir à l’histoire d’élaboration de la Constitution » n’apportaient pas la preuve d’une volonté constituante de rendre la question de confiance impérative, quand d’autres tirent la conclusion inverse.

Les travaux préparatoires permettent, au moins, de constater que la rédaction du premier alinéa de l’article 49 de la Constitution a évolué plusieurs fois durant le processus constituant, témoignant d’une hésitation sur les termes à retenir. Les différents projets de rédaction examinés, qui ont été rappelés lors de son audition par le Professeur Armel Le Divellec, ont alternativement employé les termes « engage » et « peut engager ».


Présentation de la genèse de la rédaction du premier alinéa de l’article 49 de la Constitution par le Professeur Armel Le Divellec

D’abord complètement absente des premières versions du texte (il n’était initialement question que de la motion de censure ([10])), la question du vote de confiance a fini par être introduite ([11]) mais la première version du texte consolidé énonçait que « le Premier ministre peut engager... » ([12]). Dans la version adoptée le 19 août par le Comité interministériel, qui avait le choix entre deux versions (« peut engager » ou « engage ») ([13]), il est écrit : « Le Premier ministre engage… » ([14]).

Dans la version présentée au Conseil d’État le 21 août, figure bien « engage » ; mais dans la version discutée au Conseil d’État en commission les 25-26 puis en Assemblée générale le 27 août, on retrouve à nouveau « peut engager » ([15])  ; elle demeure dans l’avis final du Conseil d’État adopté le 28 août ([16]), à nouveau soumis au Comité interministériel ([17]). La version soumise au Conseil des ministres du 3 septembre retrouve finalement « engage » (DPS, III, p. 581) et c’est bien le texte finalement retenu.

Source : Contribution écrite transmise au rapporteur par le Pr. Armel Le Divellec après son audition.

Au-delà de ces hésitations rédactionnelles, certains des rédacteurs du texte constitutionnel ont clairement affirmé le caractère obligatoire de la question de confiance.

Tel est le cas, d’abord, du commissaire du gouvernement Raymond Janot. À propos de l’interprétation du premier alinéa de l’article 49 de la Constitution, il déclarait ceci : « Cela veut dire que, comme sous la Constitution de 1875, le gouvernement n’a pas besoin d’investiture ; ça veut dire aussi qu’il devra venir devant l’Assemblée nationale, mais qu’il ne se précipitera pas, il n’est pas tenu de venir dans les trois jours. Bien entendu, il ne peut pas rester deux mois sans venir devant l’Assemblée, mais disons que l’interprétation correcte de cet alinéa, c’est que le Gouvernement est nommé, qu’il travaille dix ou douze jours, et qu’il se présente devant l’Assemblée. Voilà l’idée » ([18]).

Tel est aussi le cas de Michel Debré, qui exprima nettement sa position sur le sujet lorsque, devenu Premier ministre, il demanda la confiance de l’Assemblée nationale, le 16 janvier 1959. Michel Debré s’exprime alors en ces termes : « Le Gouvernement, dit notre nouvelle Constitution, est nommé par le président de la République, et un autre article le charge éventuellement de mettre sa responsabilité en cause à la suite de l’exposé de son programme.  Il n’est pas dit expressément qu’il doit le faire dès sa nomination, mais l’esprit de la Constitution est clair, et nous entendons l’appliquer »([19]).

Tous les professeurs auditionnés par votre Rapporteur n’ont pourtant pas déduit de la lecture des travaux préparatoire l’existence d’une volonté clairement exprimée du pouvoir constituant de faire de la question de confiance une obligation.

L’ambiguïté tiendrait finalement à ce que, selon le professeur Armel Le Divellec, la rédaction retenue serait le résultat d’un compromis dilatoire, concédé par le général de Gaulle pour satisfaire la demande de certains rédacteurs du texte constitutionnel d’affirmer la nature parlementaire du régime. Cette rédaction aurait alors été concédée sans que le général de Gaulle ne souhaite véritablement que le Premier ministre se soumette au dispositif décrit au premier alinéa. En audition, plusieurs professeurs ont d’ailleurs rappelé que le général de Gaulle avait émis des réserves lorsque, en 1959, le Premier ministre Michel Debré avait exprimé son intention de faire application de l’alinéa premier de l’article 49 de la Constitution.

Dans les faits, certains Premiers ministres ont retenu une interprétation libérale de cet article, leur conférant la liberté de choix de l’engagement de la confiance.

  1.   Une Pratique Primo-ministérielle en faveur d’un exercice non contraint de la question de confiance
    1.   Si depuis 1958 la majorité des Premiers ministres ont engagé la responsabilité de leur Gouvernement sur une déclaration de politique générale, neuf d’entre eux n’ont pas posé la question de confiance

Michel Debré, qui considérait qu’il relevait de l’esprit des institutions que la question de confiance soit demandée lors de la constitution d’un nouveau Gouvernement, fit, en toute logique, application de l’article 49, alinéa 1, de la Constitution pour chacun de ses deux Gouvernements. Mais cette ligne de conduite fut contestée dès la nomination de son successeur à Matignon.

En 1962, Georges Pompidou fait application de l’article 49, alinéa 1, à deux reprises. Mais il le fait en soulignant qu’il a « décidé » ([20]) de demander à l’Assemblée nationale l’approbation de son programme, afin de souligner ce qu’il considère comme être une liberté de choix. Lors de la constitution de son troisième Gouvernement, il prend une autre décision. Nommé Premier ministre le 8 janvier 1966, alors que l’Assemblée nationale n’est pas en session, Georges Pompidou attend l’ouverture de la session ordinaire pour prononcer, le 6 avril 1966, une déclaration de politique générale à l’issue de laquelle il n’engage pas la responsabilité de son Gouvernement. A cette occasion, il explique ne pas avoir demandé à ce que l’Assemblée se réunisse en session extraordinaire, non seulement parce que le remaniement ministériel intervenu relevait selon lui de changements apparaissant comme « relativement secondaires », mais aussi parce qu’ « il paraissait important de rappeler que la Constitution de 1958 a expressément supprimé le débat d’investiture » ([21]). Selon lui, « la lettre et l’esprit de la Constitution de 1958 veulent en effet que le Gouvernement soit entièrement libre de demander ou non un vote de confiance et qu’il appartienne de préférence à l’Assemblée de mettre en jeu la responsabilité ministérielle par la procédure la plus normale et la mieux adaptée, je veux dire la motion de censure » ([22]).

Cette interprétation, consistant à considérer que le Premier ministre a le choix de poser ou non la question de confiance, sera ultérieurement partagée par huit autres Premiers ministres. Il en fut ainsi pour Maurice Couve de Murville, puis Pierre Messmer et Raymond Barre, qui ne demandèrent pas de vote à l’issue de leur déclaration de politique générale pour leur premier Gouvernement, mais en demandèrent un pour leurs Gouvernements II et III.

Après l’alternance, cette interprétation du texte constitutionnel fut également retenue par Michel Rocard ([23]), Édith Cresson et Pierre Bérégovoy.

Par la suite et jusqu’en 2022, tous les Premiers ministres firent application du premier alinéa de l’article 49 de la Constitution, jusqu’à la nomination d’Élisabeth Borne puis de Gabriel Attal, qui ne sollicitèrent pas le vote de l’Assemblée nationale.

Les motivations de ce refus sont variables : il a pu s’agir d’une volonté de prouver qu’il s’agissait d’une procédure facultative, ou de la crainte d’une mise en échec face à une majorité relative ou incertaine.


Premiers ministres n’ayant pas fait application de l’article 49 alinéa 1 de la Constitution 

Gouvernement

 

Date de la nomination du Gouvernement

Date de la déclaration de politique générale sans vote

Pompidou III

08.01. 1966

13.04.1966

Pompidou IV

06.04.1967

18.04.1967

Couve de Murville

10.07.1968

17.07.1968

Messmer I

05.07.1972

03.10.1972

Barre I

25.08.1976

07.10.1976

Rocard II

28.06.1988

29.06.1988

Cresson

16.05.1991

22.05.1991

Bérégovoy

02.04. 1992

08.04.1992

Borne

17.05.2022

06.07.2022

Attal

11.01.2024

31.01.2024

 

Ces statistiques laissent de côté les cas, assez spécifiques, des Premiers ministres qui, nommés par un Président de la République nouvellement élu, n’ont pas présenté leur tout premier Gouvernement – généralement d’une durée de vie de quelques semaines - dans l’attente des élections législatives. En dehors de ce cas de figure, seuls neuf Premiers ministres, sous la Vème République, ont donc décidé de ne pas poser la question de confiance à l’Assemblée nationale.

Il en résulte que depuis 1958, la majorité des Premiers ministres ont engagé la responsabilité de leur Gouvernement sur une déclaration de politique générale : le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution a été appliqué à quarante et une reprises depuis 1958, par vingt-deux Premiers ministres.


Engagements de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale en application de l’article 49, alinéa 1 de la Constitution

 

 

 

 

 

 

 

Nombre

Législature
Gouvernement

Objet

Date du
débat

Nombre
de sièges pourvus

Suffrages
exprimés

Pour

Contre

 

Ire législature :

 

 

 

 

 

1

Debré

Programme

16.01.1959

576

453

56

2

Debré

Politique générale

15.10.1959

557

441

23

3

Pompidou I

Programme

27.04.1962

551

259

128

 

IIe législature :

 

 

 

 

 

4

Pompidou II

Politique générale

13.12.1962

482

268

116

 

IIIe législature :

Néant

 

 

 

 

 

IVe législature :

 

 

 

 

 

5

Chaban-Delmas

Politique générale

16.09.1969

481

369

85

6

Chaban-Delmas

Politique générale

15.10.1970

487

382

89

7

Chaban-Delmas

Politique générale

24.05.1972

486

368

96

 

Ve législature :

 

 

 

 

 

8

Messmer II

Politique générale

12.04.1973

490

254

206

9

Chirac I

Politique générale

06.06.1974

490

297

181

10

Barre II

Programme

28.04.1977

490

271

186

 

VIe législature :

 

 

 

 

 

11

Barre III

Politique générale

20.04.1978

491

260

197

 

VIIe législature :

 

 

 

 

 

12

Mauroy II

Politique générale

09.07.1981

491

302

147

13

Mauroy II

Programme énergétique

07.10.1981

491

331

67

14

Mauroy II

Programme économique

23.06.1982

490

329

157

15

Mauroy III

Politique générale

06.04.1983

490

323

155

16

Mauroy III

Politique générale

19.04.1984

491

329

156

17

Fabius I

Politique générale

24.07.1984

491

279

157

 

VIIIe législature :

 

 

 

 

 

18

Chirac II

Politique générale

09.04.1986

577

292

285

19

Chirac II

Politique générale

07.04.1987

577

294

282

20

Chirac II

Politique générale

03.12.1987

577

295

282

 

IXe législature :

 

 

 

 

 

21

Rocard II

Politique au Moyen-Orient

16.01.1991

577

523

43

22

Bérégovoy

Négociations du GATT

25.11.1992

570

301

251

 

Xe législature :

 

 

 

 

 

23

Balladur

Politique générale

08.04.1993

577

457

81

24

Balladur

Négociations du GATT

15.12.1993

574

466

90

25

Juppé I

Politique générale

23.05.1995

571

447

85

26

Juppé II

Réforme de la sécurité
sociale

15.11.1995

567

463

87

27

Juppé II

Politique générale

02.10.1996

576

464

100

 

XIe législature :

 

 

 

 

 

28

Jospin

Politique générale

19.06.1997

577

297

252

 

XIIe législature :

 

 

 

 

 

29

Raffarin II

Politique générale

03.07.2002

577

374

173

30

Raffarin III

Politique générale

05.04.2004

577

374

178

31

Villepin

Politique générale

08.06.2005

577

363

178

 

XIIIe législature :

 

 

 

 

 

32

Fillon II

Politique générale

03.07.2007

577

321

224

33

Fillon II

Politique étrangère

17.03.2009

577

330

238

34

Fillon III

Politique générale

24.11.2010

577

326

226

 

XIVe législature :

 

 

 

 

 

35

Ayrault II

Politique générale

03.07.2012

577

302

225

36

Valls

Politique générale

08.04.2014

577

306

239

37

Valls II

Politique générale

16.09.2014

577

269

244

38

Cazeneuve

Politique générale

13.12.2016

572

305

239

 

XVe législature :

 

 

 

 

 

39

Philippe II

Politique générale

04.07.2017

577

370

67

40

Philippe II

Politique générale

12.06.2019

577

363

163

41

Castex

Politique générale

15.07.2020

573

345

177

 

  1.   Les modalités d’exercice de la question de confiance

 

Lorsque le Premier ministre décide d’engager la responsabilité de son Gouvernement, l’article 49, alinéa 1, pose une condition formelle tenant à l’existence d’une « délibération du conseil des ministres » précédant l’annonce de la décision de poser la question de confiance.

L’engagement de la responsabilité du Gouvernement porte « sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». La doctrine a pu déduire de la présence de l’adverbe « éventuellement » une différence de temporalité entre les deux notions.  Le « programme » serait présenté lors de la formation du Gouvernement, tandis que la « déclaration de politique générale » interviendrait après une certaine durée d’exercice du Gouvernement ([24]). Toutefois, selon Armel Le Divellec ([25]), il n’existe aucune différence de portée juridique entre ces deux notions. En tout état de cause, la distinction n’a jamais été clarifiée par le Conseil constitutionnel, qui a même considéré dans une décision du 12 janvier 1977 que la Constitution « tend à conférer une acception analogue » ([26])  aux deux expressions.

Il revient ensuite à la Conférence des présidents de définir les conditions dans lesquelles sera organisé le débat. Celui-ci débute par l’intervention du Premier ministre, avant la prise de parole des orateurs des groupes pour un temps - et éventuellement un nombre d’orateurs - définis par la Conférence des présidents. Le Premier ministre a la possibilité, sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 132 du règlement de l’Assemblée nationale, de reprendre la parole à la fin du débat « pour répondre aux orateurs qui sont intervenus ».

Le Président de l’Assemblée met alors aux voix l’approbation du programme ou de la déclaration du Gouvernement. Le vote a lieu par scrutin public. Aucune majorité qualifiée n’est exigée : en application du quatrième alinéa de l’article 152 du règlement de l’Assemblée nationale, « le vote est émis à la majorité absolue des suffrages exprimés ».

En cas de rejet du programme ou de la déclaration de politique générale, l’article 50 de la Constitution s’applique : le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement.

  1.   Le dispositif proposé

L’article premier de la proposition de loi modifie le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution. Il substitue au terme « engage » les termes « doit engager », afin de consacrer, de façon explicite, l’obligation faite au Premier ministre, après sa nomination, d’engager la responsabilité de son Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale.

Il s’agit d’éviter les conséquences néfastes pour le fonctionnement démocratique des décisions récemment prises par les Premiers ministres Élisabeth Borne puis Gabriel Attal de ne pas poser la question de confiance à l’Assemblée nationale, dans un contexte de majorité relative.

Forts de la seule légitimité tirée de leur nomination par le Président de la République, et, au contraire, privés de la légitimité que leur conférerait l’expression formelle de la confiance de la représentation nationale, les Premiers ministres se trouvent dans une situation de subordination plus importante encore au chef de l’État. La lecture présidentialiste des institutions s’en trouve renforcée, et aggrave le déséquilibre des pouvoirs.

Politiquement, cette situation aboutit en outre à priver l’Assemblée nationale, et, partant, la société, d’une vision claire sur le programme gouvernemental et la façon dont il va être mis en œuvre. En dépit du contexte actuel de majorité relative à l’Assemblée nationale, les deux Gouvernements précités n’ont pas cherché à bâtir une coalition sur le fondement de laquelle ils auraient pu mener des réformes sans crainte de votes de rejet à l’Assemblée nationale. Faute d’une telle coalition, les accords politiques sont recherchés par tâtonnements, texte par texte, ce qui génère de l’incertitude sur le cap poursuivi et donne l’impression d’une improvisation qui, en ces temps de crise démocratique et institutionnelle, ne peut être bénéfique au pays. Cette situation semble aussi avoir une influence sur l’utilisation massive de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, dont il est question à l’article 2 de la proposition de loi constitutionnelle.

En réponse à ces difficultés, votre rapporteur considère que l’énoncé d’une obligation d’engagement de la responsabilité du Gouvernement par le Premier ministre comporterait plusieurs avantages, indépendamment du contexte politique.

Dans le contexte actuel d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, une telle obligation apparaît présenter deux avantages.

D’une part, le président de la République serait davantage incité à tenir compte de la composition de l’Assemblée nationale lors de la nomination du Premier ministre.

D’autre part, le Premier ministre serait contraint, pour bâtir une coalition, de nommer des personnalités et de définir des choix politiques susceptibles de recueillir une majorité à l’Assemblée nationale avant de demander cette confiance. Comme le soulignait déjà le Comité conduit par le doyen Vedel en 1993, « la recherche dès l’origine du vote de confiance ne fait qu’anticiper sur des négociations qui ne pourront en tout état de cause manquer d’avoir lieu »([27]). Dans la mesure où la situation actuelle révèle que les forces politiques ne s’orientent pas spontanément vers une culture de la conciliation, le caractère impératif de la question de confiance paraît être de nature à favoriser une telle pratique du compromis.

Par ailleurs, si, ultérieurement, les élections redonnaient aux gouvernements une majorité absolue, la révision proposée ne bouleverserait pas la pratique, non démentie entre 1993 et 2022, au terme de laquelle le Premier ministre engage la responsabilité de son Gouvernement, même s’il sait d’avance pouvoir compter sur une majorité claire. Dans ce contexte, le comité Vedel considérait que la question de confiance était le « gage d’une meilleure gestion des rapports entre l’exécutif et le Parlement » ([28]).

Enfin, le dispositif de la proposition de loi constitutionnelle précise que l’engagement de cette responsabilité intervient « dans les meilleurs délais ». Cette formulation, choisie pour marquer encore davantage le caractère obligatoire de la question de confiance, pourrait être rendue plus précise encore. À l’issue des auditions qu’il a menées, votre Rapporteur juge pertinent de fixer, dans le texte constitutionnel, un délai ferme au terme duquel le Gouvernement devra avoir posé la question de confiance. Il s’agit là d’une réflexion qu’il a soumise à la Commission des Lois, sans que l’amendement déposé en ce sens ne soit adopté.

  1.   LA POSITION DE LA COMMISSION

La Commission des Lois a rejeté l’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle, après avoir rejeté l’amendement de rédaction globale déposé par le rapporteur.

Le rapporteur avait en effet proposé une nouvelle rédaction du premier alinéa de l’article 49 de la Constitution, afin d’apporter plusieurs améliorations :

– préciser un délai ferme, d’un mois, au terme duquel le Premier ministre devrait avoir engagé la responsabilité de son Gouvernement après sa nomination. Une telle indication aurait permis d’exprimer le plus clairement possible que le pouvoir constituant pose une obligation.

– préciser que lorsqu’un Premier ministre est nommé au lendemain de l'élection présidentielle ou d'une dissolution, il n’engage la responsabilité de son Gouvernement que dans un délai d’un mois à compter de l’ouverture de la session de l’Assemblée nationale nouvellement élue.

– préciser que le Premier ministre peut toujours décider de son propre chef de poser la question de confiance, à tout moment de la législature, pour s'assurer de la solidité de sa majorité.

Votre rapporteur regrette que la Commission des Lois n’ait pas souhaité affiner la rédaction du texte constitutionnel, ce qui aurait pourtant permis de sécuriser une pratique de nature à clarifier l’existence d’une majorité et d’un programme et, à défaut, de contraindre le Gouvernement de bâtir une coalition qui redonne un cap à l’action gouvernementale.

 

 

*

*     *

 

Article 2
(art. 49 de la Constitution)
Suppression de la procédure d’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 2 de la proposition de loi constitutionnelle supprime le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution qui permet au Gouvernement d’engager sa responsabilité sur le vote d’un texte. Il s’agit de contraindre le Gouvernement à vérifier l’existence d’une majorité sur un projet de loi avant d’engager son examen à l’Assemblée nationale, et, à défaut, de créer les conditions d’un accord de coalition.

       Dernière modification législative intervenue

Le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution a été modifié par la loi constitutionnelle n° 2008‑724 du 23 juillet 2008. La rédaction initiale ouvrait la possibilité, pour le Premier ministre, d’engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale « sur le vote d’un texte », sans autre limitation. En 2008, le pouvoir constituant a restreint aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale la possibilité de recourir à cette procédure, ainsi qu’à un autre projet ou une autre proposition de loi par session.

     Modifications apportées par la Commission

La Commission des Lois a rejeté cet article.

  1.   L’état du droit
    1.   La mécanique générale de l’article 49, alinéa 3

L’article 49, alinéa 3, de la Constitution articule contrôle parlementaire et fonction législative pour permettre au Premier ministre de lier son sort à l’adoption d’un texte. Toutefois, pour éviter le retour à la question de confiance implicite qui éprouva la stabilité des Gouvernements de la IVème République, l’article 49 exige, pour que le Gouvernement soit renversé, qu’il réunisse, contre lui, la majorité des membres composant l’Assemblée.

Ce mécanisme symptomatique de la rationalisation du parlementarisme permet au Premier ministre de mettre la majorité face à ses responsabilités.

Son existence tient à la volonté des ministres d’État, anciens présidents du Conseil de la IVe République, membres du gouvernement du Général de Gaulle à l’été 1958. Sous les républiques précédentes – singulièrement sous la IVe République - on connaissait le phénomène de dissociation des majorités : lorsque le gouvernement posait la question de confiance sur un texte, il arrivait fréquemment que le texte soit rejeté à la majorité simple mais que le gouvernement tombe, c’est-à-dire qu’il soit politiquement – et non juridiquement - contraint de démissionner, car il considérait ne plus avoir de majorité pour le soutenir.

Dès lors, le « 49.3 » a été initialement pensé, avant l’avènement du fait majoritaire, pour permettre à un gouvernement de légiférer sans majorité claire. Toutefois, Michel Debré, garde des Sceaux du Gouvernement du Général de Gaulle sous la IVème République, avait insisté, devant le comité consultatif constitutionnel, sur le caractère exceptionnel d’une telle procédure, en réponse à une interpellation de Paul Reynaud : « […] À titre personnel, je dois dire que les objections du président Paul Reynaud, en ce qui concerne le paragraphe 3, sont valables. Mais je dois lui dire, à la réflexion, qu’elles seraient valables si la déviation de notre régime aboutissait à ce que le paragraphe 3 soit le droit commun. En cela il a tout à fait raison. Si la règle absolue était qu’un gouvernement, se servant du paragraphe 3, déclarait d’un tout coup qu’il pose la question de confiance sur un texte, avec la motion de censure la loi passerait sans majorité. Je reconnais que l’application de ce paragraphe 3, répétée chaque mois et plusieurs années serait la destruction non seulement du système mais de l’autorité gouvernementale » ([29]).

Comme le soulignait le rapporteur Jean-Luc Warsmann lors de l’examen de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, cette procédure devait donc « neutraliser les effets pervers des abstentions sur la question de confiance et contraindre les partenaires d’une coalition à assumer leur responsabilité » ([30]). D’après M. Warsmann, l’article 49, alinéa 3, poursuivait, en ce sens, un « objectif louable », en lien avec la volonté du pouvoir constituant de lutter contre l’instabilité ministérielle des Républiques passées, tout en donnant le moyen au Premier ministre de discipliner sa majorité.

L’article 49, alinéa 3, permet donc au Premier ministre, à tout moment de la procédure législative, d’engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte. :

 Si, dans un délai de vingtquatre heures, aucune motion de censure n’est déposée, le Président de l’Assemblée nationale prend acte de l’adoption du texte.

 Si, dans ce même délai, une motion de censure est déposée, celle-ci ne peut être adoptée qu’à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. Dans la mesure où seuls les députés favorables à la motion de censure participent au scrutin, les abstentions jouent en la faveur du Gouvernement.

Un texte dont le Premier ministre estime qu’il risque de ne pas recueillir une majorité de vote « pour » a davantage de chances d’être adopté selon le mécanisme de l’article 49 alinéa 3, puisque la mobilisation des opposants au texte devra, pour en empêcher l’adoption, atteindre le seuil bien plus exigeant de la majorité des membres composant l’Assemblée nationale, et que la conséquence du vote n’est pas seulement le rejet du texte, mais la chute du Gouvernement.

Cette procédure a été utilisée tout au long de la Vème République, comme le souligne le tableau reproduit ci-dessous :

Statistiques des usages de l’article 49 alinéa 3 par législature depuis 1958 :

Législature

Nombre de recours à l’article 49 alinéa 3

 

1ere législature (1958-1962)

7

2e législature (1962-1967)

0

3e législature (1967-1968)

3

4e législature (1968-1973)

0

5e législature (1973-1978)

2

6e législature (1978-1981)

6

7e législature (1981-1986)

11

8e législature (1986-1988)

8

9e législature (1988-1993)

39

10e législature (1993-1997)

3

11e législature (1997-2002)

0

12e législature (2002-2007)

3

13e législature (2007-2012)

0

14e législature (2012-2017)

6

15e législature (2017-2022)

1

16e législature (2022-   )

23

Total

112

Source : Commission des Lois de l’Assemblée nationale

 Avec l’apparition du fait majoritaire en 1962, l’article 49, alinéa 3, a principalement été utilisé pour contraindre une majorité rétive.

Comme l’a rappelé l’ancien Président de la République François Hollande lors de l’entretien qu’il a accordé à votre Rapporteur, l’article 49, alinéa 3, a d’abord été conçu pour permettre au pouvoir exécutif de « mettre au pas » sa majorité. Cela explique qu’il a parfois été fait usage de cette procédure dans des périodes où le Gouvernement bénéficiait d’une majorité très large à l’Assemblée nationale. Tel fut le cas lorsque, le 23 novembre 1982, Pierre Mauroy engagea la responsabilité de son Gouvernement lors de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi sur les évènements d’Afrique du nord, et lorsqu’il fit une nouvelle application de l’article 49, alinéa 3, le 22 mai 1984 sur le projet de loi sur l’enseignement privé (dit Savary). Les élections législatives de 1981 avaient pourtant abouti à la constitution d’une majorité présidentielle de 329 sièges. C’est également pour contraindre une majorité pourtant massive qu’Alain Juppé engage la responsabilité de son Gouvernement sur la réforme de la protection sociale en 1995.

En 2008, le Comité Balladur soulignait que l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, pour contraindre sa majorité pouvait s’appliquer à une majorité « continuellement rétive (ce qui fut le cas de 1976 à 1981), ponctuellement hostile à un texte (comme en 1982 sur le projet de « réhabilitation » des généraux d’Algérie), ou plus simplement étroite et incertaine (ce qui était le cas entre 1967 et 1968 puis entre 1988 et 1993) »[31].

La doctrine n’accorde pourtant pas la même légitimité au mécanisme selon qu’il s’agit pour le Gouvernement de discipliner une majorité dont il sait pouvoir disposer, et selon qu’il s’agit de trouver une majorité du fait de l’absence de coalition des oppositions.

Le professeur Armel Le Divellec a ainsi souligné que l’utilisation du « 49.3 » sous les IXème et XVIème législatures ne vise pas à forcer la main à une majorité ponctuellement réticente, mais est le fait de gouvernements structurellement minoritaires.

Le professeur Denis Baranger souligne également que depuis 2022, la « nouvelle salve de 49-3 n’obéit pas à la même logique que par le passé. Autrefois utilisée pour cimenter une coalition de gouvernement en cours de dislocation ou pour faire taire des frondeurs, la procédure vise désormais à faire échapper à la défaite un gouvernement qui n’est soutenu à l’Assemblée nationale que par une majorité relative » ([32]) .


Nombre de recours à l’article 49 alinéa 3 par Premier ministre depuis 1958

Premier ministre

Nombre de recours

Nombre de textes concernés

Nombre de motions de censure déposées

Michel Debré (1959-1962)

4

2

4

Georges Pompidou (1962-1968)

6

2

4

Maurice Couve de Murville (1968-1969)

0

0

0

Jacques Chaban-Delmas (1969-1972)

0

0

0

Pierre Messmer (1972-1974)

0

0

0

Jacques Chirac (1974-1976)

0

0

0

Raymond Barre (1976-1981)

8

5

13

Pierre Mauroy (1981-1984)

7

5

6

Laurent Fabius (1984-1986)

4

2

1

Jacques Chirac (1986-1988)

8

7

7

Michel Rocard (1988-1991)

28

12

5

Edith Cresson (1991-1992)

8

4

2

Pierre Bérégovoy (1992-1993)

3

3

1

Edouard Balladur (1993-1995)

1

1

1

Alain Juppé (1995-1997)

2

2

2

Lionel Jospin (1997-2002)

0

0

0

Jean-Pierre Raffarin (2002-2005)

2

2

2

Dominique de Villepin (2005-2007)

1

1

3

François Fillon (2007-2012)

0

0

0

Jean-Marc Ayrault (2012-2014)

0

0

0

Manuel Valls (2014-2016)

6

2

3

Bernard Cazeneuve (2016-2017)

0

0

0

Edouard Philippe (2017-2020)

1

1

2

Jean Castex (2020-2022)

0

0

0

Élisabeth Borne (2022-2024)

23

6

28

Supposé être un instrument dirigé contre la majorité, l’article 49, alinéa 3, a aussi été ponctuellement détourné de cette finalité initiale, pour devenir un moyen de lutte contre l’obstruction parlementaire. C’est, par exemple, pour faire face à une obstruction massive, après le dépôt d’un peu moins de 13 000 amendements et la tenue de deux séances au cours desquelles se multiplièrent les rappels au règlement, que le Premier ministre Jean‑Pierre Raffarin engagea la responsabilité de son Gouvernement sur la discussion du projet de loi relatif à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques le 23 juillet 2004 ([33]) .

Parce que ce mécanisme permet de mettre brutalement un terme à la discussion parlementaire, le « 49.3 » est progressivement devenu le symbole d’un déséquilibre institutionnel dans lequel le Parlement est placé dans une position subalterne.

Tenant compte de la contestation populaire de plus en plus forte à l’égard de ce mécanisme, et invité à réfléchir sur la question de sa suppression par le Président de la République Nicolas Sarkozy, le Comité Balladur proposa, en 2008 d’en restreindre l’usage aux projets de loi de finances et aux projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Le pouvoir constituant suivit cette préconisation en ajoutant la possibilité, outre ces textes financiers, d’engager la responsabilité du Gouvernement sur « un projet de loi ou une proposition de loi » par session.

Jusqu’en 2022, les années qui suivirent la révision constitutionnelle de 2008 donnèrent lieu à un usage modéré de l’article 49, alinéa 3. Mais la très forte recrudescence de la pratique du « 49.3 » sous le Gouvernement d’Élisabeth Borne a replacé la question de la suppression de cet article au centre du débat. L’explosion du nombre de recours à ce dispositif depuis 2022 a conduit à constater qu’en l’état du droit, le Premier ministre dispose, en dépit de la limitation introduite par le pouvoir constituant en 2008, d’une très grande latitude pour recourir à cette procédure. 

  1.   Un dispositif peu contraignant pour le Gouvernement

Selon un considérant de principe réitéré dans chacune de ses décisions faisant référence à l’article 49, alinéa 3, le Conseil constitutionnel souligne que « l’exercice de la prérogative conférée au Premier ministre par le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution n’est soumis à aucune condition autre que celles résultant de ce texte » ([34]). Ces conditions s’avèrent peu contraignantes, et le Premier ministre dispose d’une grande latitude s’agissant tant du texte sur lequel il engage sa responsabilité que de la temporalité de l’annonce du recours à l’article 49, alinéa 3, ou de son articulation avec d’autres procédures.

  1.   Le Premier ministre décide sur quel texte la responsabilité est engagée

● L’article 49, alinéa 3, autorise d’abord le Premier ministre à engager, une fois par session, la responsabilité du Gouvernement « sur le vote d’un texte ». Cette référence au « texte » a été interprétée de façon souple : non seulement le Premier ministre peut engager sa responsabilité sur tout ou partie de ce texte, mais encore il en choisit la version.

Ainsi, même lorsque la décision du recours à l’article 49, alinéa 3, est prise tandis que la discussion parlementaire a déjà débuté et que des amendements ont été déposés et éventuellement adoptés, le Premier ministre peut décider de revenir à la version initiale. Le Conseil constitutionnel a récemment confirmé que le Premier ministre n’est pas tenu de reprendre les articles et amendements adoptés par l’Assemblée nationale ([35]) .

Le Premier ministre peut également retenir tout ou partie des amendements, même si ces amendements n’ont pas été débattus en commission ou en séance publique ([36]).

● Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, tandis que le recours au « 49.3 » sur un texte est limité à une fois par session, le Premier ministre peut en faire un usage non limité sur les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Cette distinction entre le recours limité sur les « textes » et non limités sur les textes financiers a sans doute eu pour conséquence que le Gouvernement d’Élisabeth Borne ait fait le choix, qui a été décrié, de faire passer la réforme des retraites de 2023 dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.

Cette décision, prise dans un contexte de forte mobilisation sociale contre cette réforme, a suscité le débat sur l’existence d’un contournement de la limitation de l’article 49, alinéa 3. Appelé à se prononcer sur le respect des exigences constitutionnelles, le Conseil constitutionnel a néanmoins validé la procédure suivie : « Si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale » ([37]). L’appréciation primo-ministérielle a donc, également sur ce point, été préservée, renforçant la lecture présidentialiste de la Constitution.

Le Premier ministre dispose ainsi d’une grande latitude d’action, qui influe sur la perception que peuvent avoir les parlementaires et la société civile de la pratique du « 49.3 ». Lorsque le Premier ministre décide de ne pas tenir compte de la contribution de l’Assemblée nationale à l’élaboration du texte, la procédure est d’autant plus perçue comme attentatoire à l’institution parlementaire. Il en va de même lorsque le Premier ministre décide d’engager sa responsabilité avant que la discussion sur le texte n’ait pu débuter en séance. Mais, sur ce point également, l’encadrement temporel de l’article 49, alinéa 3, n’oppose aucune contrainte au Premier ministre.

 

  1.   Le Premier ministre maîtrise la temporalité de l’engagement de sa responsabilité
    1.   Seules les conditions de dépôt, de discussion et d’adoption de la motion de censure font l’objet d’un encadrement temporel

● L’article 49, alinéa 3, fixe d’abord un délai encadrant le dépôt de la motion de censure.

Lorsque le Premier ministre engage la responsabilité de son Gouvernement sur le vote d’un texte, s’ouvre immédiatement un délai de 24 heures durant lequel une motion de censure peut être déposée. Ce délai court à partir de l’annonce du Gouvernement en séance. Le dépôt de la motion de censure ne peut donc être anticipé. Durant ce délai, la discussion sur ce texte ne peut être poursuivie. En revanche, l’Assemblée peut poursuivre ses travaux sur d’autres sujets. En l’absence de motion déposée dans ce délai de 24 heures, le texte est considéré comme adopté.

● L’article 49, alinéa 2, fixe ensuite un délai de réflexion de 48 heures au cours duquel le vote de la motion de censure ne peut intervenir.

C’est le dépôt de la motion de censure qui ouvre ce délai de 48 heures, à l’expiration duquel la motion pourra être mise aux voix.

● L’article 154 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit un délai maximal au terme duquel le vote sur la motion de censure doit intervenir.

Afin d’éviter les manœuvres dilatoires, le premier alinéa de l’article 154 précité dispose que la date de discussion des motions de censure, fixée par la Conférence des présidents, « doit avoir lieu au plus tard le troisième jour de séance suivant l’expiration du délai constitutionnel de quarante‑huit heures consécutif au dépôt ».

  1.   Le moment du déclenchement de l’article 49, alinéa 3, est laissé à la discrétion du Gouvernement

L’engagement de la responsabilité sur le vote d’un texte peut intervenir à tout moment.

● Une contrainte particulière s’applique aux seuls textes financiers, du fait de leur structuration en parties qui doivent être adoptées dans un ordre déterminé. Le Gouvernement est en conséquence tenu de respecter la chronologie d’adoption des parties : il ne peut engager sa responsabilité d’un seul tenant sur l’ensemble du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale ([38]). En pratique, le Gouvernement d’Élisabeth Borne a fait le choix d’engager le 49.3 sur chacune des parties des textes financiers. 

● Le « 49.3 » peut être utilisé à tous les stades de la navette parlementaire, de la première lecture à la lecture définitive.

La révision constitutionnelle de 2008 qui limite le recours à un texte par session a été interprétée dans un sens extensif : l’utilisation du 49.3 sur un texte ne compte que pour une seule utilisation, même si elle intervient à chaque étape de la navette devant l’Assemblée nationale.

Cela explique que, depuis cette révision constitutionnelle, l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur un texte au cours de sa première lecture a, à de rares exceptions près ([39]), été réitéré lors des lectures ultérieures.

Sur les textes financiers, compte tenu de l’impossibilité d’engager la responsabilité du Gouvernement sur l’ensemble du projet, et du choix de la Première ministre Élisabeth Borne de le faire pour chaque partie, à chaque étape de la navette,  cela aboutit à ce que l’Assemblée nationale subisse une succession de « 49.3 » sur une période temporelle restreinte : Dix entre le 19 octobre 2022 et le 15 décembre 2022, et de nouveau dix entre le 18 octobre et le 19 décembre 2023, pour les seuls projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.

Entendue en audition par votre Rapporteur, la professeure Champeil‑Desplats a souligné combien l’usage répété du « 49.3 » sur un même texte accentuait la perception négative de cette pratique.

L’ancien Premier ministre Manuel Valls a confirmé que l’utilisation systématique de l’article 49, alinéa 3, à tous les textes budgétaires, sur chacune de leurs parties, avait un coût : non seulement un coût politique pour le Premier ministre qui en est à l’origine, mais aussi, un coût institutionnel, pour l’Assemblée nationale en particulier.

 

● Le « 49.3 » peut être utilisé à tout moment de la discussion : avant ou après la discussion générale, après l’examen de certains articles, ou juste avant le moment du passage au vote.

Sur ce point, la pratique suivie depuis 2022 marque une rupture assez nette avec celle qui prévalait depuis la révision constitutionnelle de 2008. Comme permet de le constater le tableau reproduit ci-dessous, la Première ministre Élisabeth Borne a fait le choix d’engager la responsabilité de son Gouvernement de plus en plus précocement lors de l’examen en première lecture des textes financiers.

Temporalité de l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution depuis 2008 :

Premier ministre

Texte sur lequel le Gouvernement engage sa responsabilité

Date de l’annonce du 49.3

 

Stade de la navette

Moment de l’annonce de la décision d’application du 49.3

Nombre de séances sur le texte avant l’annonce du 49.3

M. VALLS

Projet de loi « croissance, activité, égalité des chances économiques »

17 février 2015

 

Première lecture

Avant les explications de vote du scrutin solennel

28

M. VALLS

Projet de loi « croissance, activité, égalité des chances économiques »

16 juin 2015

 

 

Nouvelle lecture

A l’appel de la discussion (avant la discussion générale)

0

M. VALLS

Projet de loi « croissance, activité, égalité des chances économiques »

9 juillet 2015

 

Lecture définitive

A l’appel de la discussion (avant la discussion générale)

0

M. VALLS

Projet de loi « Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actifs »

10 mai 2016

 

 

Première lecture

Première lecture : au moment de la reprise de la discussion du texte (après l’article premier)

5

M. VALLS

Projet de loi « Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actifs »

5 juillet 2016

 

 

Nouvelle lecture

A l’appel de la discussion (avant la discussion générale)

0

M. VALLS

Projet de loi « Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actifs »

20 juillet 2016

 

Lecture définitive

A l’appel de la discussion (avant la discussion générale)

0

E. PHILIPPE

Projet de loi « Système universel de retraite »

29 février 2020

 

Première lecture

Après le rejet de l’amendement n° 2555 à l’article 8

30

E. BORNE

Projet de loi de finances 2023  Première partie

 

19 octobre 2022

 

Première lecture

après le débat sur le prélèvement européen et le rejet de l’amendement n° 201

15

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023  Troisième partie

20 octobre 2022

 

Première lecture

Après le rejet de l’article 4 et de la 2e partie du PLFSS

1

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023 Quatrième partie et ensemble

 

26 octobre 2022

 

 

Première lecture

Après l’adoption des amendements n° 3171 rectifié et 3172 portant article additionnel après l’article 36 appelé par priorité

5

E. BORNE

Projet de loi de finances 2023

Seconde partie et ensemble

 

2 novembre 2022

 

Première lecture

Après les questions sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales »

9

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023 Troisième partie

 

21 novembre 2022

 

Nouvelle lecture

Après l’adoption de la deuxième partie

0

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023 Quatrième partie et ensemble

 

25 novembre 2022

Nouvelle lecture

Après le rejet de la motion de censure sur la troisième partie

0

 

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023  Ensemble

 

29 novembre 2022

 

Lecture définitive

Après la discussion générale

0

E. BORNE

Projet de loi de finances 2023  Première partie

 

8 décembre 2022

 

 

Nouvelle lecture

A l’appel de la discussion (avant la motion de rejet préalable et la discussion générale

0

E. BORNE

Projet de loi de finances 2023 Seconde partie et ensemble

 

11 décembre 2022

 

Nouvelle lecture

Après le rejet de la motion de censure sur la 1ère partie

0

E. BORNE

Projet de loi de finances 2023 Ensemble

 

15 décembre 2022

 

 

Lecture définitive

A l’appel de la discussion (avant la motion de rejet préalable et la discussion générale)

0

E. BORNE

Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale 2023

16 mars 2023

 

 

Lecture des conclusions de la CMP

A l’appel de la discussion (avant la motion de rejet préalable et la discussion générale)

0

 

 

E. BORNE

Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027

27 septembre 2023

 

Nouvelle lecture

Après la discussion générale

0

E. BORNE

Projet de loi de finances 2024 Première partie

18 octobre 2023

 

Première lecture

Après le débat sur la dette, avant l’examen des articles

2

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024  Deuxième partie

 

25 octobre 2023

 

Première lecture

Après le vote sur l’ensemble de la première partie

2

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024 Troisième partie et ensemble

 

30 octobre 2023

 

Première lecture

Après l’examen de l’amendement n° 466 et les amendements identiques suivants à l’article 20 (examen inachevé)

1

E. BORNE

Projet de loi de finances 2024 Seconde partie et ensemble

 

7 novembre 2023

 

Première lecture

Après le rejet de l’amendement n° 2814 à l’article 35 et État B de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2024 – Mission « Défense »

 

12

E. BORNE

Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027

13 novembre 2023

 

Lecture définitive

A l’appel de la discussion (avant la discussion générale)

0

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024  Deuxième partie

 

23 novembre 2023

 

Nouvelle lecture

Après le vote sur l’ensemble de la première partie

0

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024  Troisième partie et ensemble

 

26 novembre 2023

 

 

Nouvelle lecture

Après le rejet de la motion de censure sur la deuxième partie

 

0

E. BORNE

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024

1er décembre 2023

 

Lecture définitive

A l’appel de la discussion (avant la discussion générale)

0

E. BORNE

Projet de loi de finances 2024  Première partie

 

14 décembre 2023

Nouvelle lecture

A l’appel de la discussion (avant la discussion générale)

0

E. BORNE

Projet de loi de finances 2024 Seconde partie et ensemble

 

16 décembre 2023

Nouvelle lecture

Après le vote sur la motion de censure sur la première partie

0

E. BORNE

Projet de loi de finances 2024  (Ensemble)

19 décembre 2023

Lecture définitive

A l’appel de la discussion (avant la discussion générale)

0

Alors qu’en 2022, l’article 49, alinéa 3, avait été déclenché, sur la première partie du projet de loi de finances pour 2023, après que quinze séances aient pu se tenir et que de nombreux amendements aient pu être examinés, le déclenchement sur la première partie du projet de loi de finances pour 2024 fut beaucoup plus précoce, puisqu’il intervint le 18 octobre 2023, soit avant l’examen des articles. Votre rapporteur juge cette pratique particulièrement contestable, et d’autant plus attentatoire aux prérogatives du Parlement compte tenu de l’importance de la délibération parlementaire sur le budget qui, loin d’être un sujet technique, implique de très importants choix politiques.  

A titre de comparaison, lorsque Michel Rocard avait engagé la responsabilité de son Gouvernement sur la première partie du projet de loi de finances pour 1990 ([40]), il l’avait fait avant le vote, et donc après la discussion des articles. Edith Cresson avait également laissé la discussion des articles de la première partie suivre son cours avant d’engager la responsabilité de son Gouvernement sur le vote de la première partie du projet de loi de finances pour 1992 ([41]). Pierre Bérégovoy fit également usage de l’article 49, alinéa 3, juste avant le vote de la première partie du projet de loi de finances pour 1993 ([42]).

Pourtant, Michel Rocard fit lui aussi usage du « 49.3 » de façon précoce sur certains textes. Il y eut par exemple recours dès la fin de la discussion générale lors de la première lecture du projet de loi sur la liberté de communication ([43])  ou sur la programmation militaire pour 1990‑1993 ([44]). En revanche, en première lecture d’un texte budgétaire, il laissait courir la discussion.

Il faut encore souligner que, depuis 2008, un usage aussi précoce du « 49.3 » dans la discussion parlementaire n’avait plus été pratiqué sur les textes ordinaires, sans doute parce que, particulièrement en première lecture, cette temporalité de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement apparaît très attentatoire aux prérogatives du Parlement.

Comme le souligne le professeur Roussellier ([45]), cette temporalité du 49.3 aboutit à ce qu’il soit utilisé par le Gouvernement « non parce que sa majorité se serait affaiblie en cours de débat (avec l’épisode de “frondeurs”), en raison de l’examen du projet article par article, mais pour se substituer au débat. Cette raison accentue considérablement le péché originel du 49.3 : il n’est pas le régulateur d’un débat qui risque de se terminer par un vote négatif ; il est le symbole d’un débat empêché. La réforme est passée sans avoir été votée, mais cette fois sans avoir été débattue non plus ».

Ainsi, et bien que l’utilisation du 49.3 soit finalement désagréable pour les parlementaires qu’elle survienne en début ou en fin de discussion, les parlementaires ne sont pas dépossédés de leur pouvoir de délibération lorsque l’engagement de la responsabilité du Gouvernement intervient à la toute fin de la première lecture du texte.

Par exemple, en 2015, lorsque le Premier ministre Manuel Valls décida d’engager la responsabilité de son Gouvernement sur le projet de loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », il ne le fit qu’au terme d’un débat qui dura plusieurs semaines et qui permit l’examen des plus de 3000 amendements déposés, et dont plus de 500 furent adoptés. Lors de son audition par votre Rapporteur, l’ancien Premier ministre Manuel Valls a indiqué que la décision n’avait été prise que parce que le décompte des voix de la majorité laissait entrevoir une incertitude, à quelques voix près, sur l’issue du scrutin.

Sur cette question de la temporalité, la Commission de Venise a souligné que lorsque le déclenchement du 49.3 intervient au début de l’examen en séance, « même s’il y a nécessairement eu une discussion en commission permanente, les membres de l’Assemblée nationale sont ainsi privés de la possibilité de poursuivre le débat, ce qui peut notamment affecter la possibilité pour les membres de l’opposition de présenter leurs arguments » ([46]) .

Outre le moment du déclenchement de l’article 49, alinéa 3, le débat parlementaire peut être encore plus écourté lorsque sont employés d’autres procédés susceptibles de l’abréger.

  1.   Le recours au 49.3 ne prive pas le premier ministre de recourir à d’autres procédures constitutionnelles susceptibles de contraindre le débat parlementaire

En 2022, le choix de la Première ministre Élisabeth Borne d’inscrire la réforme des retraites dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale a encore suscité l’indignation au regard de l’accumulation des techniques contraignantes pour le débat parlementaire que cela permettait.

Les parlementaires auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel sur cette loi ont ainsi tenté de faire valoir l’inconstitutionnalité de l’usage cumulatif notamment de la procédure accélérée de l’article 47-1, du vote bloqué prévu à l’article 44, et de l’engagement de responsabilité de l’article 49, alinéa 3.

Le Conseil constitutionnel a toutefois appréhendé ces procédures indépendamment les unes des autres.

En particulier, l’article 47-1 de la Constitution prévoit que si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture sur un projet de loi de financement de la sécurité sociale dans un délai de vingt jours après son dépôt, le Gouvernement saisit le Sénat, qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’en application de l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, les lois de financement rectificative de la sécurité sociale ont le caractère de loi de financement de la sécurité sociale. Il en a déduit que le Gouvernement « en saisissant le Sénat du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 une fois écoulé le délai de vingt jours imparti à l’Assemblée nationale pour se prononcer en première lecture, s’est borné à faire application des règles particulières d’examen découlant de l’article 47-1 de la Constitution ». ([47])

Le Conseil constitutionnel a néanmoins, dans une incise, souligné le caractère inhabituel de l’accumulation de ces procédures, sans pour autant considérer qu’elle avait conduit à rendre la procédure suivie non conforme à la Constitution : « La circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi ». S’agissant de l’usage cumulé de procédures contraignantes pour les députés, le Conseil constitutionnel a considéré que « si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution » ([48])  .

  1.   Le dispositif proposé

Usage « dénaturé », « dévoyé », « problématique », « pathologique », présentant un « coût politique et institutionnel » : l’analyse des constitutionnalistes auditionnés par votre Rapporteur, y compris lorsqu’ils plaident en faveur du maintien d’une procédure semblable à celle du « 49.3 », ont souligné les dérives de la pratique de cet article depuis 2022.

Si le constat d’une pratique abusive, ou du moins néfaste pour le fonctionnement institutionnel est partagé, la question se pose de la solution à y apporter.

Votre rapporteur propose, par cet article 2, de supprimer le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution.

La limitation du recours à cette procédure menée en 2008 n’ayant pas permis d’en assurer un usage modéré, il n’apparaît pas évident de contraindre la pratique en resserrant encore davantage les règles procédurales d’exercice du « 49.3 ».

Surtout, le dispositif de l’article 2 doit être lu en relation avec l’article 1er de la proposition de loi, qui vise à contraindre le Premier ministre à engager la responsabilité de son gouvernement lors de sa constitution. Fort d’une légitimité issue de la représentation nationale qu’il aura, au besoin, réussi à obtenir en nouant des accords de coalition, l’usage de l’article 49, alinéa 3, ne devrait plus s’imposer.

S’agissant de l’argument, qui pourrait être opposé, du risque de blocage sur un texte aussi essentiel pour la vie de la Nation que le projet de loi de finances, le Rapporteur rappelle que la suppression de l’article 49, alinéa 3, n’aura pas pour conséquence d’empêcher l’application des articles 47 et 47­‑1 de la Constitution.

L’article 47 dispose que « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de quarante jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45.

Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance. ».

L’article 47‑1 de la Constitution prévoit un dispositif similaire s’agissant de l’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale : « Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45.

Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance. »

Si le Gouvernement ne parvenait pas à bâtir une coalition qui lui permette de faire adopter un texte financier en temps utile, il conserverait cette possibilité ultime de mettre en vigueur les dispositions du projet par ordonnance. Si une telle possibilité n’est évidemment pas souhaitable, elle apporte à tout le moins la garantie qu’une paralysie du même type que celles que peut provoquer le Congrès des États-Unis ne puisse survenir en France.

  1.   LA POSITION DE LA COMMISSION

La Commission des Lois n’a pas apporté de modifications à cet article 2, puis l’a rejeté.

En dépit du constat, partagé par certains membres de la Commission des Lois, d’une pratique abusive de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, particulièrement depuis l’ouverture de la XVIème législature, les membres de la commission ont majoritairement décidé de rejeter l’article 2.

Le refus de mener une révision constitutionnelle parcellaire par voie de proposition de loi a été avancé par le groupe majoritaire. Votre rapporteur le regrette, car toute amélioration, même mineure, susceptible de renforcer le lien de confiance entre Gouvernement et Assemblée devrait être saisie.

 


   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 27 mars 2024, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle pour un article 49 respectueux de la représentation nationale (n° 940) (M. Jérémie Iordanoff, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/vz2mE0

M. le président Sacha Houlié. Mes chers collègues, nous examinerons deux propositions de loi déposées dans le cadre de la journée réservée au groupe Écologiste, prévue le jeudi 4 avril. Nous débutons par celui de la proposition de loi constitutionnelle pour un article 49 respectueux de la représentation nationale, et je cède la parole à M. Iordanoff, qui en est le rapporteur.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Cette proposition de loi constitutionnelle, déposée en mars 2023, a été cosignée par plusieurs de mes collègues écologistes et des membres de groupes de gauche. Elle a pour objet de rendre l’article 49 de la Constitution respectueux de la représentation nationale, dans un contexte de dérive de la pratique de la Ve République, marqué par un fort niveau de défiance envers les institutions et un flagrant déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. N’en déplaise à ceux qui m’ont affirmé le contraire, le sujet est très sérieux.

Cette proposition ne vise que le seul article 49, parce que, dans le cadre d’une niche parlementaire, nous sommes contraints par le temps. J’aurais eu, sinon, grand plaisir à réécrire la Constitution dans son ensemble.

Même si elle est réelle, j’aimerais dépasser la charge symbolique de l’article 49, alinéa 3, et apporter des arguments de fond, issus des auditions passionnantes que nous avons conduites. Je tiens à remercier ici tous les universitaires auditionnés, professeurs de science politique comme constitutionnalistes. Avec leur éclairage, nous avons repris la genèse de la Ve République pour penser les équilibres institutionnels sur le temps long – le sujet réclame de prendre du recul et de se détacher de l’actualité. Je remercie également l’ancien Président de la République François Hollande et l’ancien Premier ministre Manuel Valls, qui ont accepté d’apporter un point de vue plus politique sur cette proposition de loi.

Cette proposition de loi constitutionnelle concerne le cœur de l’équilibre institutionnel de la Ve République. Elle est simple et concise dans sa formulation : en premier lieu, nous proposons de modifier l’alinéa premier de l’article 49 de la Constitution en imposant à tout gouvernement nouvellement formé de demander à l’Assemblée nationale un vote de confiance ; en second lieu, nous souhaitons supprimer l’alinéa 3 de l’article 49.

Dès l’origine, la Ve République a été marquée par un déséquilibre entre les pouvoirs au profit de l’exécutif : avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, décidée en 1962 et appliquée en 1965, puis avec le passage au quinquennat et la synchronisation du calendrier électoral en 2000.

Cette hyper-présidentialisation du régime aboutit aujourd’hui à une impasse. Parce que tout tourne autour de l’élection présidentielle, les autres institutions sont dévitalisées. Les élections législatives sont rendues invisibles et l’Assemblée nationale est reléguée à l’arrière-plan. Toutes les attentes de nos concitoyens sont tournées vers la figure providentielle du Président de la République qui, chef de la majorité, préside et gouverne, se faisant tout à la fois arbitre et protagoniste. Tout le reste est écrasé et certains diraient que nous sommes en monocratie.

Lorsque le fait majoritaire prévaut, le contrat est simple : le président élu a un mandat pour exécuter son programme, avec le soutien d’une majorité de députés. En 2017, Emmanuel Macron s’était inscrit dans ce schéma classique ; il avait un programme, des idées présentées durant sa campagne et une majorité. En 2022, la situation était différente. Emmanuel Macron n’a pas proposé de programme précis, et sa campagne avait été vaporeuse. Il a été élu au second tour, avec le soutien des voix de la gauche pour écarter Marine Le Pen. Il avait reçu mandat pour battre l’extrême droite, plus que pour réaliser un programme.

En juin 2022, les Français lui ont envoyé un message clair, en refusant de lui donner une majorité, fait rare depuis que l’élection législative suit l’élection présidentielle. L’intelligence politique aurait commandé de tirer les conclusions du verdict des urnes, de reconnaître qu’il n’y avait pas de majorité autour d’un programme, de tout remettre à plat et de chercher une majorité sur de nouvelles bases. Emmanuel Macron a choisi de considérer, comme d’autres avant lui, que l’article 49, alinéa 1er, de la Constitution n’imposait pas à sa Première ministre d’engager sa responsabilité sur un programme ou une déclaration de politique générale. Il a décidé d’ignorer le résultat des urnes et de nommer sciemment un gouvernement minoritaire.

Comment gouverner sans majorité ? La réponse tient en trois chiffres : 49.3. Trois chiffres pour effacer des milliers d’amendements et faire avaler aux députés, sans débat ou presque, deux budgets, deux lois de financement de la sécurité sociale et une réforme des retraites. Trois chiffres pour faire oublier le péché originel du gouvernement Borne : l’absence de vote de confiance.

Alors qu’il était initialement conçu comme un mécanisme exceptionnel, l’article 49, alinéa 3, est devenu, sous le gouvernement Borne, la procédure de droit commun pour faire adopter les textes financiers sans débat. Or, ne l’oublions pas, les parlements sont nés pour garantir le consentement à l’impôt. En d’autres termes, l’usage actuel du 49.3 prive le Parlement de sa vocation essentielle et dénature les institutions.

Ce qui a été conçu comme un instrument de stabilité devient facteur d’instabilité. Chaque utilisation du 49.3 est vécue par nos concitoyens comme une brutalité. Chaque fois, cela alimente une colère qui ne trouve pas d’exutoire au sein d’une Assemblée réduite au silence dès le début de la discussion. Cela sème un peu plus la division, non seulement au sein de l’hémicycle, mais aussi dans la société. Devenu un facteur de troubles, de dissension et d’agitation, le 49.3 contribue aujourd’hui à la défiance envers les institutions.

Parce que nous sommes convaincus que les conflits doivent se résoudre avant tout au sein des institutions, nous entendons redonner à l’Assemblée nationale tout son rôle.

Cela passe, dans un premier temps, par un retour à la pratique orthodoxe de la Constitution. Si chaque nouveau gouvernement devait se soumettre à un vote de confiance devant la représentation nationale, les mouvements politiques n’auraient pas d’autre choix que de s’asseoir autour de la table pour trouver une majorité sur un programme. Dès lors que le Gouvernement disposerait d’une majorité pour la mise en œuvre d’un programme déterminé, l’utilisation du 49.3 deviendrait inutile.

Toute comparaison à l’emporte-pièce avec les IIIe et IVe Républiques traduit soit une mauvaise foi assumée, soit une méconnaissance de l’histoire politique française. Sous la IIIe République, le droit de dissolution était tombé en désuétude dès 1877 et l’échec de Mac Mahon, et il était tellement encadré sous la IVe République qu’il apparaissait quasiment impossible à mettre en œuvre. Cela a grandement contribué à l’instabilité gouvernementale sous ces deux régimes. Tel n’est pas le cas sous la Ve République, dont l’article 12 de la Constitution garantit une arme très puissante au Président de la République. Une seule motion de censure a été adoptée, le 5 octobre 1962, ce qui prouve la puissance dissuasive du droit de dissolution – y compris dans l’actuelle législature. C’est bien ce pouvoir, qui n’est pas remis en cause par notre proposition de loi constitutionnelle, qui assure la stabilité des gouvernements sous la Ve République, pas le 49.3.

En outre, la Ve République donne à l’exécutif bien d’autres outils que le 49.3 pour assurer la stabilité et surmonter l’obstruction. Nous ne connaissons que trop bien le vote bloqué, le temps législatif programmé ou encore les articles 47 et 47-1, que je vous invite à relire : ils encadrent la durée de l’examen des projets de loi de finances (PLF) ou de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et permettent au Gouvernement, par recours aux ordonnances, de légiférer et ainsi éviter tout shutdown à l’américaine.

D’aucuns nous diront que la culture de coalition n’existe pas en France, qu’il est impossible de gouverner sans la confiance présumée de l’Assemblée nationale et l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Pourtant, l’Histoire a montré le contraire : Lionel Jospin a gouverné cinq ans, dans un contexte où aucun parti n’avait de majorité. Parce qu’il a su bâtir une coalition solide, prenant acte de la composition morcelée de l’Assemblée, Lionel Jospin n’a jamais eu recours au 49.3 ; François Fillon non plus.

Il est possible de gouverner sans brusquer le Parlement, c’est-à-dire en le respectant, à condition de s’en donner les moyens ; c’est l’esprit de cette proposition de loi.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs de groupe.

Mme Pascale Bordes (RN). L’auteur de la proposition de loi fait état d’un encadrement excessif des prérogatives du Parlement par la Constitution et souligne qu’il en résulte un déséquilibre flagrant qui se traduit par un pouvoir exécutif structurellement organisé pour décider seul. Par les deux articles de sa proposition, il a pour ambition de revenir sur deux points totalement distincts de l’article 49 de la Constitution : le principe de la confiance présumée et le mécanisme de la légalisation forcée.

L’article 1er de la proposition de loi tend à rendre obligatoire l’engagement de responsabilité du Gouvernement, à l’initiative du Premier ministre, sur son programme ou une déclaration de politique générale. Or, le Gouvernement tire sa légitimité de l’élection même du Président de la République, puisque ce dernier procède à la nomination du Premier ministre et qu’il met fin à ses fonctions. Il n’y a donc pas lieu de rendre obligatoire le vote de confiance.

L’article 2 vise à supprimer l’avant-dernier alinéa de l’article 49 de la Constitution, symbole pour les rédacteurs de la proposition de « brutalité à l’encontre de la représentation nationale ». Le 49.3 suscite depuis longtemps passions et critiques. Ses pourfendeurs dénoncent à l’envi le « déni de démocratie », « l’abattoir de la démocratie », « l’abaissement du Parlement ». De grands mots qui claquent aux oreilles des citoyens, mais à l’effet nul et à la justification brumeuse. Effet nul, car dénoncer haut et fort une procédure et un texte n’égalera jamais des actes politiques en cohérence avec les mots, à savoir le dépôt et le vote d’une motion de censure portant sur un texte combattu et décrié. Or, les calculs politiques de certains les conduisent, par idéologie, à ne pas voter les motions de censure déposées par d’autres groupes.

Par ailleurs, en dépit des critiques multiples, l’article 49, alinéa 3, n’a jamais été supprimé, car ses opposants d’aujourd’hui n’ont pas manqué d’y recourir lorsqu’ils gouvernaient. « Le 49.3 est une brutalité, le 49.3 est un déni de démocratie, le 49.3 est une manière de freiner ou d’empêcher le débat parlementaire », déclarait François Hollande en 2006, alors que Dominique de Villepin faisait adopter le contrat première embauche (CPE) au moyen du 49.3. Or, une fois au pouvoir, sa majorité l’utilisa à six reprises.

L’article 49 est le garant d’un nécessaire équilibre entre les différents pouvoirs. Si le troisième alinéa était retiré, il ne resterait plus qu’un pouvoir unilatéral de l’Assemblée sur le Gouvernement, sans aucune contrepartie, une capacité de l’Assemblée de retarder, voire de bloquer, toute action du pouvoir exécutif pour des motifs potentiellement contestables et que ce dernier ne pourrait contrebalancer.

La supposée dialectique du discours au sein de l’Assemblée, censée justifier l’aptitude du Parlement à faire émerger de « bonnes lois », ne résiste pas à l’épreuve du réel. D’aucuns, pour de mauvaises raisons qui n’ont que peu à voir avec le débat, ont choisi de faire de l’obstruction systématique en déposant des milliers d’amendements et de sous-amendements, en multipliant les rappels au règlement qui n’en sont pas et en contrevenant ainsi eux-mêmes à l’expression du fait démocratique, dont ils se prétendent pourtant les ardents défenseurs.

Le 49.3 n’est pas antidémocratique, il est un outil constitutionnel au service de la démocratie. En revanche, certains personnages politiques contemporains ne sont peut-être pas à la hauteur de notre Constitution. C’est peut-être pourquoi ils cherchent, pour certains, à la remplacer.

Je ferai miens les mots de Jean-Louis Debré, selon qui ce n’est pas le 49.3 en lui-même qui pose problème, car il est la résultante de notre Constitution de 1958 approuvée par référendum – à l’époque c’était possible –, mais l’image renvoyée par l’exécutif recourant de façon abusive au 49.3. Dès lors, ce n’est pas parce que le Gouvernement s’est livré ces derniers mois à une utilisation dévoyée de ce mécanisme, en y recourant de façon excessive, que cet article ne conserve pas pour autant son utilité pour l’équilibre des institutions, en évitant des situations de blocage prolongé.

Le groupe Rassemblement national votera contre ce texte.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Les masques tombent : le Rassemblement national défend le 49.3. Nous allons, pour notre part, proposer de le supprimer.

En utilisant le 49.3 à répétition pour faire adopter le budget de l’État, Emmanuel Macron fait pire que Louis XVI. Avec cette proposition de loi visant à supprimer le 49.3, nous voulons donc remettre les choses en ordre dans le pays qui doit son drapeau tricolore, son hymne et sa devise – Liberté, Égalité, Fraternité – à une révolution qui s’est faite contre la monarchie.

Ce dont il est question aujourd’hui a à voir avec la naissance de la droite et de la gauche. Laissez-moi vous la raconter : le 28 août 1789, deux jours après l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’Assemblée doit se prononcer sur le droit de veto du roi, par lequel celui-ci peut s’opposer aux décisions de l’Assemblée. Le président demande à ceux qui y sont favorables de s’installer sur sa droite – où se trouvent aujourd’hui les Républicains et le RN – et à ceux qui y sont opposés de se placer à sa gauche – les Insoumis, les écologistes, les communistes et les socialistes d’aujourd’hui. À droite, l’autorité d’un seul ; à gauche, la souveraineté de tous.

Je crois évident que si la question nous était posée aujourd’hui, nous nous placerions tous à gauche. Pourtant, certains s’apprêtent encore à se placer du mauvais côté de l’Histoire et de la politique.

Nos prédécesseurs ont décidé d’accorder un droit de veto suspensif à Louis XVI, à l’exception des questions budgétaires. En utilisant sans arrêt le 49.3 sur des questions budgétaires, Macron fait donc pire que Louis XVI. En vous proposant de supprimer le 49.3, nous vous invitons à affirmer votre pouvoir de Parlement souverain face à ceux du monarque républicain. Pour nous, Insoumis, cela est bien sûr insuffisant, puisque nous prônons une VIe République, avec une intervention populaire permanente : le référendum d’initiative citoyenne pour proposer ou abroger une loi, ou bien encore la possibilité de dégager en cours de mandat un élu dont on ne serait pas satisfait. Mais ce serait déjà ça, car sans 49.3, pas de retraite à 64 ans ni de coupes budgétaires, pas de coup de force contre le peuple.

Que sommes-nous ? Les paillassons de la volonté d’un seul, ou bien l’expression de la souveraineté du peuple ? L’article 3 de notre Constitution est clair à ce sujet : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » Or, quand il fait passer par le 49.3 des réformes dont personne ne veut, Macron s’attribue bien l’exercice de la souveraineté. Nous ne sommes pas d’accord avec ça, car l’article 2 de notre Constitution dispose que le principe de notre République est « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Sommes-nous encore en république quand s’impose le gouvernement d’un seul, sans le peuple et contre lui ? Non. Nous sommes dans autre chose : un système autoritaire que nous appelons « monarchie présidentielle ».

Le 49.3 est peut-être constitutionnel, comme vous vous plaisez à le rappeler, mais il n’est ni démocratique, ni républicain. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de le rendre non constitutionnel, en le supprimant de la Constitution.

Vous pouvez faire honneur à la France républicaine, à son drapeau, à son hymne, à sa devise – mais on voit que le Rassemblement national n’est pas très intéressé par cette idée –et cela très simplement, en votant la suppression du 49.3. Cela demande moins de courage qu’à Mirabeau lançant à l’envoyé du roi : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. » Nous tous ici sommes là par la volonté du peuple et il est plus que temps de faire ce qu’il attend de nous : servir loyalement sa volonté. C’est ce que nous ferons, députés insoumis, fidèles à la longue histoire de la patrie républicaine des Français.

Nous avons compris que le Rassemblement national défendait le 49.3 et le 49.1, c’est-à-dire la possibilité pour le Gouvernement de gouverner sans l’assentiment de l’Assemblée ; mais nous, républicains et Français convaincus par cette histoire républicaine, voterons la modification de l’article 49, alinéa 1, et la suppression de l’article 49, alinéa 3.

M. Philippe Gosselin (LR). Qu’il s’agisse de l’alinéa premier ou troisième de l’article 49, rarement une procédure aura été aussi décriée, fantasmée et même connue de l’ensemble de nos concitoyens – un micro-trottoir pourrait le démontrer.

Il s’agit du mécanisme d’une rationalisation, peut-être poussée à l’extrême, mais qui a permis à la République, depuis 1958, de s’affirmer et de traverser bien des vicissitudes. En 1958, en pleine guerre d’Algérie, la IVe République était celle du « gouvernement à secousses », disait Edgar Faure – vingt-quatre gouvernements en douze ans –, un régime en réalité aux mains des partis. Il fallait donner de la stabilité non seulement aux institutions, mais surtout à la République. C’est ce qu’a tenté de faire la Ve République.

Certes, c’est une république très rationalisée, dont on dénonce certains blocages par moments, mais en réalité, cette vieille dame de 65 ans est le plus long régime politique depuis la Révolution française. Grâce à la Ve République, et parfois ses excès, on a pu gérer la fin de la guerre d’Algérie, l’alternance, la crise de mai 1968 et inventer la cohabitation – un régime qui n’aurait pas été envisageable avec d’autres institutions.

Même si nous dénonçons parfois des fonctionnements chaotiques, nous avons aujourd’hui une République qui tient dans un monde tourmenté, malgré la guerre en Ukraine et des chiffres budgétaires alarmants. Le 49.3 n’y est pas nécessairement pour grand-chose, c’est plutôt la capacité des gouvernants à proposer des alternatives politiques crédibles.

Revenons à l’esprit de la Ve République, ou bien préférons-nous le chaos ? Une république ingouvernable ? En réalité, derrière la révision de l’article 49 se cache une remise à plat de la République, et carrément une VIe République.

On peut pointer les excès de ce 49.3, utilisé vingt-trois fois par le gouvernement d’Élisabeth Borne, mais on est loin du record de Michel Rocard, qui y a eu recours vingt-huit fois ! Cela a quand même permis au pays d’avancer.

On peut évidemment s’élever contre le 49.1 et le 49.3, mais en réalité, la question est plutôt de savoir si le Parlement est capable de déposer une motion de censure, et surtout de la voter. Si aucune motion de censure n’a été votée jusqu’à présent, c’est parce qu’il n’y a pas de majorité alternative. Je le regrette, étant dans l’opposition. Au lieu d’accuser nos institutions, interrogeons-nous sur nos propres forces politiques et sur ce qu’attendent nos concitoyens.

Plutôt que de tirer sur l’ambulance, révisons éventuellement nos institutions, mais faisons-le globalement et pas par petites touches illusoires.

M. Erwan Balanant (Dem). Personne n’est dupe : en proposant de réformer la Constitution dans le cadre d’une niche, vous voulez en fait ouvrir un débat sur nos institutions. C’est très bien, très sain, mais il y avait d’autres moyens de le faire que la suppression de l’article 49, alinéa 3. C’est populaire, mais je n’irai pas jusqu’à vous accuser de populisme.

Chiche ! Attelons-nous à cet exercice seulement le temps de votre niche, puisqu’on ne révise pas la Constitution dans un tel cadre.

Vous avez dressé un constat, que l’on peut certes partager, et qui a donné lieu à quelques imprécisions de la part de M. Gosselin : l’article 49.3 a été utilisé à vingt-trois reprises, mais pour un ensemble de cinq textes seulement. Cela est à mettre en perspective avec les nombreux textes qui ont été votés durant cette législature, dont une part considérable à l’unanimité.

Vous souhaitez une révision ; je vais vous présenter trois dispositifs défendus par le groupe MoDem, puis un que je défends à titre personnel.

Révisons l’article 49 avec également son alinéa 2, de façon à instituer une motion de censure constructive, à l’image de ce qui est pratiqué en Allemagne : les députés qui ont fait voter une motion de censure doivent s’engager à former un gouvernement dans les deux jours, et ont dix jours pour le présenter définitivement. La censure s’appuie normalement sur une volonté de certains groupes politiques de proposer une alternative ; cette mesure permettrait de la vérifier.

Nous vous proposons également de modifier l’article 38 de la Constitution, moins connu, qui a trait aux ordonnances. Nous souhaitons limiter la nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui considère être compétent pour examiner, par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), les dispositions des ordonnances non ratifiées à l’expiration du délai d’habilitation. Nous considérons que ce point pose problème et nous vous proposons un dispositif pour l’améliorer.

À votre souhait de passer à des gouvernements de projet et de former des coalitions, dépassant ainsi le réflexe français d’être pour ou contre, nous répondons en proposant d’inscrire à l’article 24 de la Constitution, qui détermine les modalités d’élections des parlementaires, le recours au scrutin proportionnel pour l’élection des députés – j’espère que vous voterez pour. Une loi organique réglerait les modalités du scrutin.

Enfin, à titre personnel, je souhaite que l’élection du Président de la République se fasse, non plus au scrutin universel direct, mais au scrutin universel indirect, avec un collège électoral à définir – probablement pas le même qu’en 1962. C’est un débat que nous devons avoir pour que nous institutions retrouvent leur équilibre.

M. Philippe Brun (SOC). La France est probablement le pays d’Europe occidentale le moins démocratique, en raison même de l’article 49 de la Constitution. Le premier défaut de ce dernier, auquel tente de remédier la proposition de loi, est l’absence de responsabilité réelle du Gouvernement devant le Parlement. Que le premier n’ait pas à demander obligatoirement le vote de confiance du second fait de la France une vraie exception. Dans toutes les démocraties européennes, le gouvernement est responsable devant le parlement et se soumet à un vote d’investiture, condition même du respect de la souveraineté populaire ; ce n’est pas le cas en France. Même la Commission européenne, qui n’est pourtant pas l’organe le plus démocratique, se soumet à un vote par le Parlement européen et ne peut être investie si elle ne recueille pas la majorité des suffrages. L’une des solutions aux difficultés institutionnelles que nous rencontrons est donc la réelle responsabilité du Gouvernement devant le Parlement.

Je suis d’accord avec M. Balanant sur la nécessité de développer une culture de coalition dans notre pays. C’est bien une coalition qui devrait aujourd’hui diriger le pays pour respecter la volonté des électeurs. À défaut, comparée aux autres pays européens, la France a le gouvernement le moins représentatif du suffrage populaire. Nous devons corriger cela, et c’est ce que permettrait l’article 1er de cette proposition de loi.

L’alinéa 3 de l’article 49 est aussi une exception française. La loi fondamentale allemande comporte un article semblable, mais la faculté de vote demeure soumise à l’accord du Bundesrat – ce qui n’est pas le cas en France. Cette disposition n’a d’ailleurs jamais été utilisée dans l’histoire de la République fédérale allemande, tandis que le 49.3 a été massivement utilisé en France. À l’instar de nos collègues écologistes, nous considérons que cet article doit être supprimé, non seulement parce qu’il empêche le Parlement de voter et d’exprimer librement la souveraineté populaire, mais aussi parce qu’il crée un système fondé sur le gouvernement d’un seul – absolument insupportable en démocratie et que nous ne pouvons accepter.

Si la proposition de loi est discutée en séance, ainsi que nous l’espérons, nous déposerons un amendement tendant à toiletter l’article 49 et à maintenir la possibilité d’adopter un texte sans vote en cas de blocage – ce qui peut arriver. Nous aimerions créer la possibilité de recourir au référendum, afin de modérer la violence du 49.3.

Pour toutes ces raisons, les socialistes voteront favorablement cette proposition de loi.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). La proposition de loi constitutionnelle prétend modifier substantiellement l’équilibre de nos institutions, en exigeant du Gouvernement qu’il sollicite un vote de confiance dans les meilleurs délais après sa nomination et en supprimant la possibilité d’engager sa responsabilité sur le vote d’un texte, comme prévu à l’alinéa 3 de l’article 49. Je ne partage ni l’analyse, ni la réponse apportée, cela ne vous étonnera pas ; mais je salue l’initiative du groupe Écologiste d’amener ce débat essentiel sur notre fonctionnement démocratique interne.

Sans surprise, nous sommes profondément attachés à l’esprit de la Constitution imaginée par le général de Gaulle, et nous ne voterons donc pas cette proposition de loi, pour plusieurs raisons.

D’abord, il nous semble que le vote de confiance doit demeurer une possibilité, et non une obligation, et cela conformément à la pratique constitutionnelle qui prédomine depuis 1962. L’esprit de la Ve République repose sur un équilibre subtil qu’il convient de conserver : le Gouvernement dispose de la plénitude de ses capacités dès sa nomination par le chef de l’État ; il n’a ni juridiquement, ni politiquement besoin d’une investiture parlementaire, car en cas de désaccord, l’Assemblée nationale dispose de la motion de censure. Au demeurant, si le Premier ministre était tenu d’engager sa responsabilité, la seule sanction possible à son abstention serait justement la censure ; or, le Parlement dispose déjà d’un tel pouvoir.

Il ne semble pas pertinent de supprimer l’alinéa 3 dans sa version issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Cet article est essentiel à la stabilité institutionnelle du pays. Peu utilisé dans les situations de majorité absolue, il est devenu indispensable dans les cas de majorité relative, tels que nous en vivons aujourd’hui. Depuis 2022, aucun budget n’aurait pu être adopté sans recourir à cet outil.

Il est souvent fait abstraction de l’équilibre de cet alinéa : si le Parlement est majoritairement opposé à l’adoption d’un texte, il peut censurer le Gouvernement. Or, depuis 2022, et malgré les nombreuses motions de censure qui ont été discutées, aucune majorité alternative n’a émergé. Je salue à ce titre l’enjeu que soulève l’amendement déposé par le groupe Démocrate : fondamentalement, la censure du Gouvernement n’a de sens que si elle ouvre la voie à un gouvernement alternatif. Or, aucun groupe dans cette Assemblée n’a davantage de majorité. L’absence de cet alinéa ne conduirait donc qu’à un blocage institutionnel, sans aucune solution alternative, permettant au pays d’avancer, aux fonctionnaires d’être payés, aux médicaments d’être remboursés – je pourrais continuer ainsi pendant un quart d’heure.

En outre, la révision constitutionnelle de 2008 a considérablement réduit la portée de cet alinéa, en limitant son utilisation à un texte, hors textes budgétaires. Ainsi, en dehors du cas dans lequel les finances du pays sont examinées, le Gouvernement ne peut en faire qu’un usage extrêmement limité. En somme, nous considérons que l’esprit de la Constitution de 1958 est celui d’une République stable et respectueuse des droits fondamentaux, ainsi que de l’équilibre des pouvoirs. Elle a permis de consolider nos institutions et de garantir le fonctionnement efficace de notre démocratie depuis plus de six décennies.

Le groupe Horizons et apparentés ne votera pas pour cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). L’élection présidentielle ne peut pas être la seule élection qui donne le la à tout un peuple. Le présidentialisme minoritaire que nous connaissons actuellement pousse aux limites la Ve République et la place qu’y occupe le Parlement. Un hyperprésident peut nommer des gouvernements sans jamais avoir à demander la confiance du Parlement et sans jamais chercher à travailler avec une majorité fondée sur la clarté d’une ligne politique. Un hyperprésident a aussi dans sa main la possibilité, par l’intermédiaire du Gouvernement, de poser sur le tapis de la démocratie des jokers que nous pensions en quantité limitée mais dont la réforme des retraites nous a fait découvrir qu’ils étaient presque illimités : il suffit que le sujet soit budgétaire – au fond, tout pourrait être budgétaire.

Il est devenu si facile, d’un coup de baguette magique, de dessaisir le Parlement de son rôle le plus fondamental : faire la loi, c’est-à-dire coconstruire, débattre, voter, évaluer. Dès lors, que reste-t-il aux parlementaires ? La voix, l’affrontement, l’obstruction, les motions de rejet et de censure utilisées à l’envi. Nous sommes ainsi devenus les personnages d’un théâtre bien triste, dans lequel la volonté d’un homme peut à chaque instant faire tirer le rideau et interrompre la pièce qui se joue, au mépris de ses acteurs et surtout des électeurs.

La démocratie est fragile, très fragile même. Il suffirait de presque rien, comme dit la chanson, pour qu’elle soit balayée comme un fétu de paille par le vent mauvais de l’autoritarisme. Alors, oui, il faut obliger les Premiers ministres nommés à constituer des majorités, à travailler des lignes politiques, à proposer des accords de gouvernement en lieu et place d’un seul rapport de force. Il faut restreindre le droit à ces jokers, les supprimer même. Chacun se verra alors contraint d’évoluer : l’opposition – nous –, devra négocier, proposer pour obtenir des bouts de ce pour quoi nous avons été élus ; le Gouvernement aura à rendre compte au Parlement. Il est déplorable qu’un lobby ayant l’écoute du Gouvernement ait plus de chances d’obtenir des avancées dans la loi qu’un ou une parlementaire de l’opposition. Telle est la limite de notre démocratie aujourd’hui.

À force d’usages et de mésusages, vous videz la démocratie de sa substance ; à force de rapports de force, vous faites monter la colère ; à force d’imposer ce qui doit être discuté, vous ouvrez grand les portes à un avenir démocratique incertain, dont nous avons entendu précédemment quelques signes avant-coureurs.

Le groupe Écologiste votera pour ce texte, car le 49.3 est la limite profonde de notre fonctionnement démocratique.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). « Période stable », « équilibre subtil entre l’exécutif et le Parlement », j’ai l’impression que nous ne vivons pas tout à fait dans le même régime démocratique.

La Ve République a largement atteint l’âge de partir à la retraite ; elle a même dépassé celui que vous avez relevé à coup de 49.3. La présente proposition ne vise pas le basculement vers un nouvel âge démocratique, mais elle ferait tout de même beaucoup de bien à notre démocratie. En principe, le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée, qui peut le révoquer à tout moment ; en pratique, la responsabilité du Gouvernement est particulièrement difficile à mettre en cause. L’article 49 définit pour ce faire trois procédures, qui peuvent aboutir, conformément à l’article 50, à la démission du Gouvernement, remise par le Premier ministre au Président de la République. Or, selon le non-usage ou l’usage qui est fait de ces mécanismes de responsabilité politique du Gouvernement, le 49.1 et le 49.3 participent non seulement à la dévaluation institutionnelle du Parlement, mais aussi à celle de la démocratie. La réforme des retraites a bien montré un piétinement de la volonté du peuple et la démocratie sociale.

L’article 49, alinéa 1 pose la façon la plus simple et la plus claire pour le Gouvernement d’engager sa responsabilité : « Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. » Ces lignes sont très éloignées de ce que nous vivons ces derniers temps.

L’engagement de la responsabilité n’est pas obligatoire lors de l’entrée en fonction d’un Gouvernement et certains n’y ont jamais eu recours. Cet article est surtout utilisé pour rassembler la majorité parlementaire. Comme le soulignent les auteurs de la proposition de loi, cela a, en quelque sorte, retiré la puissance politique à l’Assemblée nationale d’accorder sa confiance au Gouvernement. De fait, ni Élisabeth Borne, ni Gabriel Attal n’ont engagé la responsabilité de leurs gouvernements devant la représentation nationale.

Afin de remédier à cette contradiction de l’esprit de l’article 49, alinéa 1, de la Constitution, l’article 1er de cette proposition vise à rendre explicitement obligatoire l’engagement de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement – je ne vois pas ce qui vous effraie là-dedans.

En application de l’article 49, alinéa 3, le Premier ministre peut engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte. Cet article est un moyen efficace pour le Gouvernement de faire voter rapidement des textes auxquels il est attaché, en accélérant la procédure législative et en clôturant les débats. On a vu, lors de la réforme des retraites, qu’un Président de la République, à lui seul, peut imposer une loi contre l’avis d’une grande majorité du peuple, contre des syndicats particulièrement unis et contre une majorité parlementaire. Depuis le 16 mars 2023, date historique de bascule où les citoyens et les corps intermédiaires ont été dépossédés de leur forme de pouvoir et à ce point piétinés et écrasés, on ne peut plus considérer que nous vivons pleinement en démocratie. Voilà qui nous invite à voter la proposition de loi.

M. Bertrand Pancher (LIOT). Notre démocratie est vraiment à bout de souffle. La hausse de l’abstentionnisme et des votes extrêmes, la remise en cause de tout par nos concitoyens doivent nous alerter. C’est extrêmement grave. Jamais je n’aurais pensé que notre démocratie puisse être mise en danger ; maintenant, je crois cela possible.

Nos institutions fonctionnent de plus en plus inefficacement, notre pays est parmi les plus dépensiers, notre dette, parmi les plus importantes, et nos services publics n’ont jamais aussi mal fonctionné. Vous aurez beau mettre à la tête de notre pays n’importe quel génie pourvu d’un cerveau dix puissance dix, casseur d’assiettes ou bateleur de foire, rien ne changera réellement si nous n’engageons pas un rééquilibrage profond et total de nos institutions.

Le pouvoir exécutif est tout sauf exécutif : son contrôle presque complet du Parlement en fait un pouvoir législatif. Il devient même parfois un pouvoir judiciaire, à voir sa capacité à anticiper les décisions de justice grâce aux pouvoirs excessifs confiés à ses représentants.

Cette hyper-concentration des pouvoirs se conjugue à un affaiblissement complet des corps intermédiaires. On assiste à la fin du paritarisme, censé assurer le contrôle des dépenses sociales dans notre pays. La décentralisation, réduite voire marginale, n’existe pas vraiment, tout comme la consultation de nos concitoyens. Cerise sur le gâteau, le Conseil constitutionnel n’est pas une cour constitutionnelle : tantôt il applique la Constitution, tantôt il juge en opportunité politique. Comment voulez-vous que cela fonctionne ? Ce n’est pas possible, avec un pouvoir exécutif qui prend toutes les décisions, appuyé par des hauts fonctionnaires sûrs d’eux.

Le bon sens le plus élémentaire commanderait de rendre obligatoire l’engagement de la responsabilité du Premier ministre lors de son investiture. Ce serait un grand pas pour la démocratie, car cela garantirait le respect permanent du Parlement. Ne pas le rendre obligatoire, c’est permettre à n’importe quel Premier ministre d’utiliser la boîte à outils constitutionnels du contournement permanent du Parlement, même lorsque nos concitoyens disent ne pas vouloir d’une majorité absolue. Ce n’est pas possible et je remercie le groupe Écologiste pour cette initiative, que j’ai toujours soutenue.

Supprimer le 49.3 est radical, j’en conviens, mais nous n’aurions pas besoin de le faire si la responsabilité du Premier ministre et celle de son gouvernement étaient systématiquement engagées devant le Parlement. Chacun constate le dévoiement de cet article, auquel 79 % des Français jugent le recours inacceptable. C’est pourquoi le groupe LIOT votera avec enthousiasme cette proposition de loi à caractère symbolique.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Cette proposition de loi va nous permettre d’avoir des débats utiles, attendus par nos concitoyennes et concitoyens.

Je veux d’abord dire, au nom de mon groupe, que nous sommes heureux de vivre dans un pays où il est possible de répéter matin, midi et soir que nous ne sommes pas en démocratie, où l’on peut débattre et critiquer ses représentants, le Président de la République en tête. Bref, nous sommes heureux de vivre dans une démocratie, aussi imparfaite soit-elle, car nous pouvons la corriger.

Le groupe Renaissance votera contre cette proposition de loi constitutionnelle, en raison de son désaccord sur la méthode. On ne peut pas réviser la Constitution par petites touches, dans le cadre de niches parlementaires, surtout lorsqu’il s’agit d’articles qui forment la clé de voûte de l’équilibre entre les différents pouvoirs dans la construction de la décision. Nous sommes favorables à des révisions visant à actualiser le contrat social ou touchant à des questions territoriales, comme l’introduction dans la Constitution de la liberté garantie de recours à l’IVG ou les évolutions concernant la Nouvelle-Calédonie et la Corse.

Cette proposition de loi est néanmoins utile, car il est en effet nécessaire de discuter des deux dispositifs constitutionnels qui font débat parmi nos concitoyens. Nous reviendrons sur l’intérêt des alinéas 1 et 3 de l’article 49, qui sont le fruit, non pas de la Ve République naissante, mais des travaux qui ont été menés durant la IVe République pour lutter contre l’instabilité, retrouver de la gouvernabilité et restaurer la capacité de prise de décision.

Par voie d’amendement, nous soulèverons, nous aussi, le sujet de la motion de censure constructive, car, dans le présent mandat, ce n’est pas le 49.3 qui est dévoyé, c’est la motion de censure, déposée à répétition à des fins de communication politique – certaines recueillent même moins de voix que de signataires. Il serait pertinent d’adjoindre à leur dépôt une présentation de l’alternative politique souhaitée.

Ce texte est utile également pour échanger sur l’état de notre démocratie tel que nous le constatons, ses imperfections et les améliorations que l’on pourrait souhaiter. Le constat qu’avait dressé Renaissance en 2017, d’un déséquilibre entre les pouvoirs, d’un défaut de représentativité et de difficultés liées à notre procédure législative reste valable, mais il suppose de discuter de cet ensemble de dispositions de manière liée. C’est pourquoi nous continuons d’appeler à un échange avec l’ensemble des forces politiques, ainsi qu’entre les deux chambres du Parlement, afin de réussir, dans les années qui viennent, à moderniser en profondeur notre Constitution. Les institutions sont ce que nous en faisons en tant que politiques.

Le groupe Renaissance a déposé des amendements d’appel et votera contre cette proposition.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). En 1958, en rupture avec la tradition parlementaire de la République française, c’est au tour du pouvoir exécutif d’être renforcé. Sous l’impulsion du général de Gaulle, Michel Debré conduit la rédaction de la Constitution de la Ve République, qui sera adoptée par référendum à 82,6 %.

L’article 49 a été conçu pour mettre fin au système d’investiture du Premier ministre par le Parlement, qui plaçait immédiatement le Gouvernement dans une position de fragilité à son égard, pour ne pas dire de dépendance. Pour autant, la nouvelle Constitution n’a pas laissé l’Assemblée nationale sans arme, puisqu’en cas de désaccord avec le Gouvernement, il lui est possible de déposer une motion de censure, ainsi qu’en dispose l’article 49, alinéa 2. L’alinéa 3 du même article, qui fait grincer tant de dents au sein de l’Assemblée nationale, n’en est qu’une variante.

Là réside tout l’équilibre voulu par la Constitution. En 1958, on recherchait la stabilité du Gouvernement, certes, mais pas à n’importe quel prix. S’il est vrai que le recours à l’article 49 semble s’être banalisé ces dernières années, rien n’empêche les députés de voter la motion de censure et de destituer le Gouvernement. Reste qu’il faut savoir évaluer les conséquences d’un tel acte.

Comme tout parlementaire attaché à sa prérogative de faire la loi, je suis naturellement consciente que ce pouvoir nous est conféré par nos administrés, mais je reste favorable à l’équilibre voulu par le constituant de 1958, d’autant plus que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a opéré un rééquilibrage, en limitant fortement le recours à l’article 49, alinéa 3.

Ce rééquilibrage pourrait être encore amélioré en faisant en sorte, en cas de recours au 49.3, de retenir le dernier texte voté par l’Assemblée nationale et non pas un texte laissé au bon vouloir du Gouvernement. J’ai déposé un amendement en ce sens.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Collègues, vous trouvez normal que les parents soient responsables de leurs enfants, que les salariés soient responsables de leurs fautes professionnelles, que les auteurs de dommages soient responsables des réparations auprès de leurs victimes. Quid de la politique ? Comment accepter que les gouvernants ne soient pas responsables de leurs gouvernements ? J’entends les membres de la majorité défendre cette impunité gouvernementale ; j’entends le RN expliquer qu’il ne faudrait pas contraindre le Gouvernement à engager sa responsabilité au prétexte qu’il tirerait sa légitimité de l’élection du Président de la République, comme s’il existait des élections par ricochet et que le Président de la République était lui-même responsable politiquement, ce qui n’est pas le cas – c’est bien le souci. C’est là quelque chose de socialement, éthiquement, politiquement, moralement, fondamentalement inacceptable, et la société ne l’accepte plus. Elle n’accepte pas que des gens qui exercent autant de pouvoir sur son quotidien soient dans l’impunité et refusent absolument la sanction démocratique du peuple et des parlementaires.

Sans cette impunité, l’âge de départ à la retraite n’aurait pas été relevé à 64 ans, et la rénovation thermique des bâtiments bénéficierait des 12 milliards d’euros que nous avions votés à l’Assemblée nationale. C’est par un 49.3 tricheur, dictature de la minorité, que vous avez imposé cela. Les Français le savent et ne le toléreront plus. C’est bien heureux que nous en parlions aujourd’hui pour le supprimer.

M. Xavier Breton (LR). Nos institutions sont vivantes, elles ne sont pas figées une fois pour toutes. La démocratie est fragile et il est important d’en prendre soin, et un débat tel que celui d’aujourd’hui y contribue. L’évolution de la Ve République prête en effet à interrogation, voire à inquiétude : tout tournant autour de l’élection présidentielle, les autres élections s’en trouvent dévalorisées, et le débat politique est dévitalisé. Sa dimension collective est asséchée par cette personnification du débat présidentiel.

Nos institutions sont solides et nous pouvons en être fiers. La Ve République a permis de surmonter des moments compliqués : l’alternance, la cohabitation et différentes crises sociales. Mais cette solidité n’empêche-t-elle pas, d’une certaine manière, des respirations démocratiques ? On le constate avec l’abandon du recours au référendum, sans doute regrettable.

Le 49.3 éloigne un peu plus nos concitoyens du Parlement, de la vie politique ainsi que des institutions. Il s’ajoute à d’autres dispositifs provoquant des atteintes au bon fonctionnement du Parlement : le vote bloqué, le temps législatif programmé, l’utilisation parfois abusive de l’article 40 et désormais de l’article 45, ou les atteintes répétées au droit d’amendement.

Ces questions, nous pouvons les partager, mais il faut être prudent sur les réponses à apporter. En particulier, il ne faut pas se crisper sur l’article 49. D’une part, l’alinéa 1 laisse une latitude pour faire vivre une majorité – qu’elle soit relative ou absolue, une majorité se construit et ne doit pas être figée dès le départ ; d’autre part, mieux vaudrait réfléchir aux modalités de l’alinéa 3, comme le moment de son déclenchement ou le contenu du texte retenu, qui doit pouvoir reprendre des amendements et pas seulement les mesures qui conviennent au Gouvernement.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Madame Bordes, dans un régime parlementaire, la légitimité du Premier ministre et du Gouvernement ne découle pas du chef de l’État, mais de l’Assemblée nationale – c’est le cas dans tout régime parlementaire. Le Président de la République dispose certes d’un pouvoir de nomination, mais cela n’implique pas qu’il décide de l’ensemble de la politique du Gouvernement, ni qu’il puisse contourner le Parlement. Allons au bout de la logique et supprimons le Parlement – ce sera plus simple.

Vous parlez d’obstruction ; en la matière, il existe aussi le vote bloqué et le temps législatif programmé. Je vous invite à relire l’article 47 et l’article 47-1 de la Constitution, qui préviennent tout risque de blocage en matière budgétaire.

Michel Debré, qui a grandement contribué à la rédaction de la Constitution, reconnaissait lui-même que le recours abusif au 49.3 rendrait le Gouvernement illégitime. Il faut revenir à l’esprit de la Constitution et abandonner la pratique actuelle.

Votre propos suggérant l’usage de l’article 11 m’a convaincu que si, par malheur, vous arriviez au Gouvernement, vous chercheriez à réformer la Constitution par ce biais. J’en suis extrêmement inquiet. La démocratie mérite mieux que cela.

Monsieur Léaument, depuis 1962, il y a une confusion dans l’esprit de nos concitoyens sur la question de savoir qui représente le peuple. En tant que défenseurs du régime parlementaire, nous considérons que la représentation nationale s’exprime par les députés, mais les Françaises et les Français envisagent l’élection présidentielle comme l’expression de la volonté générale. Certes, à cette occasion un homme est élu, mais sur un programme et, à l’époque où existaient deux modes de scrutin distincts, la légitimité allait à l’Assemblée nationale. Il faut corriger cette confusion, en redonnant au Parlement son plein pouvoir de contrôle de l’action du Gouvernement et en renvoyant le Président de la République à sa fonction d’arbitre, qui lui est assignée par l’article 5. Il n’est pas nécessaire, pour cela, de revenir sur le mode scrutin ; dans d’autres pays, comme l’Autriche ou le Portugal, le président est élu au suffrage universel direct sans pour autant occuper tout l’espace.

Au sujet de la distance entre le peuple et ses représentants, je vous invite tous à écouter ce que disent nos concitoyens en circonscription, lors de bilans de mandat ou après que le budget a été adopté à coup de 49.3, et à en tirer les conclusions qui s’imposent.

Monsieur Gosselin, je comprends qu’en tant que membre de votre formation politique, vous puissiez avoir la nostalgie de la Ve République originelle, mais la pratique des institutions a évolué, comme la lettre elle-même de la Constitution – elle a été modifiée à vingt-cinq reprises. La Constitution dont vous parlez est fantasmée. Quant à la stabilité, notre proposition ne la met pas en cause, puisque nous ne touchons pas au pouvoir de dissolution du Président de la République – celui-là même qui crée la stabilité. Par ailleurs, la Constitution contient de nombreux outils qui organisent un parlementarisme beaucoup trop rationalisé – un constitutionnaliste auditionné a même évoqué une « Constitution orthopédique » –, dans le cadre duquel les parlementaires sont trop contraints.

Monsieur Balanant, je ne partage pas votre défaitisme. Je pars du principe que cette proposition de loi peut, qu’elle doit être adoptée – ce serait salutaire. Le débat parlementaire n’est pas symbolique ; il est utile. Je vous rappelle que l’inscription dans la Constitution de la liberté garantie de recourir à l’IVG a débuté par une initiative parlementaire dans les deux chambres, avant d’être reprise dans un projet de loi constitutionnelle.

Monsieur Brun, le 49.1 et le 49.3 constituent effectivement des exceptions françaises. S’agissant du premier, nous proposons non pas un vote d’investiture, mais un vote de confiance, plus souple. Le vote d’investiture existe dans d’autres démocraties parlementaires et a même existé en France. Le débat à ce sujet n’est pas complètement absurde. S’agissant du 49.3, je vous invite à lire l’« Avis intérimaire sur l’article 49.3 de la Constitution » de la Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, qui montre que, vu d’ailleurs, cet article un peu particulier constitue une véritable étrangeté.

La proposition de recours au référendum en cas de rejet sera discutée en séance, si j’ai bien compris.

Madame Poussier-Winsback, l’esprit de la Constitution du général de Gaulle ne se retrouve pas dans la pratique actuelle. Bien sûr, l’article 49, alinéa 2, rend possible le recours à la motion de censure, mais il n’a été utilisé qu’une seule fois dans l’histoire de la Ve République et aucune motion de censure n’a été adoptée dans le cadre du 49.3. En réalité, la motion de censure est impossible, il n’y a pas de contre-pouvoir réel.

À propos des éventuels blocages en matière budgétaire, je vous invite à relire les articles 47 et 47-1 : si au bout de quarante jours de débat à l’Assemblée nationale, plus quinze au Sénat, et à l’issue d’un délai de soixante-dix jours, un texte n’est pas adopté, le Gouvernement peut légiférer par ordonnances. Soixante-dix jours de débat, à qui cela fait-il peur ? Le consentement à l’impôt est au fondement de la démocratie et du parlementarisme. Si l’on peut légiférer sur tout, sauf le budget, ce n’est pas sérieux. La révision constitutionnelle de 2008, par laquelle on a cherché à limiter le recours au 49.3, n’a pas porté ses fruits. Désormais, toutes les réformes structurelles importantes, à l’image de la réforme des retraites, sont intégrées à des textes budgétaires, et le 49.3 est devenu systématique et insupportable.

Madame Rousseau, effectivement le 49.3 est considéré comme un joker contre la démocratie. Il permet au Président de la République de contourner le Parlement. Il alimente la colère et, concernant l’avenir incertain de la démocratie en France, je partage votre analyse. Si le 49.3 est normalement à l’initiative du Gouvernement, en réalité c’est le Président de la République qui le déclenche, en concertation avec le Premier ministre – les auditions nous l’ont confirmé.

Madame Faucillon, en effet, la responsabilité du Gouvernement est inversée. Normalement, dans toute démocratie parlementaire, on s’assure d’abord que le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée, puis celui-ci applique son programme. La Constitution, à l’inverse, comporte des mécanismes qui empêchent les parlementaires de renverser le Gouvernement. L’enchaînement des élections présidentielle et législatives en est un. Dès lors que parmi les députés qui siègent aujourd’hui à l’Assemblée nationale, une majorité reçoit son investiture et sa circonscription des mains mêmes du Président de la République, comment voulez-vous qu’ils exercent réellement leur rôle de contre-pouvoir ?

Le 16 mars 2023, le 49.3 est effectivement devenu tout à fait insupportable. Il n’a pas toujours été employé dans des circonstances identiques. Certes, il a été conçu à la fin de la IVe République, mais son usage dans un contexte de gouvernement minoritaire le rend particulièrement insupportable.

Monsieur Pancher, la démocratie est en danger, je vous suis sur ce point. Vous avez raison d’insister sur la fragilisation et l’effacement au sein de nos institutions des corps intermédiaires. Les partis politiques, très décriés en France depuis la IVe République, sont également effacés. La structuration du débat politique est pourtant une condition de la démocratie.

En effet, l’obligation d’appliquer le 49.1 rendrait inutile le recours au 49.3, donc autant l’effacer. Ce n’est pas seulement symbolique, ce sont aujourd’hui des mécanismes qui fragilisent la confiance de nos concitoyens dans la démocratie – vous-même vous en êtes inquiété.

Monsieur Gouffier Valente, nous sommes certes dans une démocratie, mais aussi dans une monocratie. La démocratie française se résume à l’élection du Président de la République une fois tous les cinq ans et, dans l’intervalle, c’est « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Il n’y a plus de référendum. Il n’y a plus la respiration démocratique qu’apportait le décalage entre le septennat et le mandat législatif de cinq ans, et qui permettait aux Français de valider ou non la politique du Gouvernement. Cette démocratie est alors comme une tomate qui n’aurait ni goût, ni odeur : c’est sympathique, mais l’on préférerait quelque chose de plus savoureux.

La Constitution a été révisée par petits bouts à vingt-cinq reprises ; il faut continuer. Il n’y a pas de consensus, ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat, pour réviser la Constitution dans son ensemble ; les visions de ce qu’elle devrait être divergent. Mais il existe un consensus, dans la société et à l’Assemblée nationale, sur le déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Sur ce point, nous pouvons avancer. Ne nous dites pas que vous le ferez plus tard, car cela n’arrivera pas – en un quinquennat et demi, rien n’a été fait en matière institutionnelle. Nous proposons aujourd’hui quelque chose de précis, de facile à mettre en œuvre et de relativement consensuel : n’ayons pas peur, allons-y ! Nous sommes des parlementaires, ne soyons pas dans la paresse et la servitude volontaire. Souhaitant qu’ils votent ce texte, je ne critiquerai pas trop les parlementaires de la majorité, mais la servitude volontaire peut s’avérer pratique pour ne pas avoir à assumer les conséquences de son vote devant les concitoyens.

Madame Ménard, le vote d’investiture fragilisait effectivement la IVe République, mais parce que le droit de dissolution était tombé en désuétude. Ce n’est pas le cas dans la Ve République, il n’y a donc pas de risque d’instabilité. Le 49.2 est extrêmement difficile à faire aboutir, parce qu’une grande partie des députés doit son mandat au chef de l’exécutif.

Nous reviendrons sur la question de la dernière version retenue dans la discussion des amendements.

Madame Garrido, le Président de la République qui gouverne en lieu et place du Gouvernement, c’est la réalité. Il confond les articles 5 et 20 de la Constitution. Du fait que celle-ci le rend irresponsable – c’est ainsi qu’elle a été conçue – cela crée une difficulté pour gouverner ce pays.

Monsieur Breton, si on déconnectait les élections législatives de l’élection présidentielle, on retrouverait une respiration démocratique. Aujourd’hui, on ne discute pas des programmes à l’occasion des élections législatives.

Vous nous invitez à ne pas figer le Gouvernement dès le départ, mais s’il ne convient pas, il peut tomber et redemander la confiance, ce que permettrait la réécriture de l’article 1er que je propose.

Quant à repenser les modalités du 49.3, il y a suffisamment d’outils dans la Constitution pour légiférer, y compris par ordonnances en matière budgétaire. Si l’on ne veut pas que le 49.3 soit utilisé, il faut le supprimer. La Constitution est bien mais mal utilisée, selon certains. Or, l’objet d’une constitution, c’est de limiter la pratique du pouvoir. Une mauvaise utilisation ne doit pas être possible, il faut donc en retirer toutes les possibilités d’abus. Allons au bout et supprimons le 49.3 !

Article premier (art. 49 de la Constitution) : Consécration du caractère obligatoire de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale

Amendements de suppression CL3 de Mme Emmanuelle Ménard et CL5 de Mme Marie-France Lorho

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Le souhait des rédacteurs de la Constitution de 1958 était bien de mettre fin au système de l’investiture du Premier ministre par le Parlement, voire, sous la IVe République, de la double investiture, du Président du conseil d’abord, puis du Gouvernement dans son ensemble. Ce système mettait le Gouvernement en position immédiate de fragilité, voire de dépendance à l’égard de l’Assemblée nationale, ce qu’a très justement modifié la Constitution de 1958.

Certes, durant la IVe République, il n’était pas fait usage du droit de dissolution, contrairement à la Ve République, mais si le Parlement veut montrer son désaccord avec le Gouvernement, il peut déposer une motion de censure au titre de l’article 49, alinéa 2. Si cela n’est pas le cas, cela relève de la responsabilité des parlementaires. Il me semble que la composition de l’Assemblée permettrait aux parlementaires de l’opposition d’aller jusqu’au bout. Si ce n’est pas le cas, c’est sans doute que nous n’avons pas tous la même envie, à un moment donné, de déclencher cette motion de censure.

C’est l’équilibre voulu par la Constitution de 1958. La question est d’oser ce vote, d’oser aller jusqu’au bout. Cela n’a pas été le cas ces deux dernières années ; cela pourrait l’être à l’avenir.

Mme Marie-France Lorho (RN). L’article 1er n’est, de notre point de vue, pas légitime. À l’occasion de l’élection présidentielle, les Français votent pour une figure incarnant un programme auquel les électeurs doivent nécessairement adhérer, en tout ou partie. Rendre obligatoire le vote de confiance sur la déclaration de politique générale du Gouvernement par la représentation nationale revient, ni plus ni moins, à mettre en cause la légitimité du vote des Français. J’entends l’aspiration à un respect accru de la représentation nationale, mais le respect dû au vote de tous les Français ne doit pas pour autant être relégué au second rang.

Par ailleurs, l’article, en ne faisant pas mention de la temporalité de cette déclaration de politique générale, reste approximatif.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. La question de la temporalité est réglée par l’amendement 28.

J’ai une vision opposée à celle qui fait découler de l’élection présidentielle la légitimité du Gouvernement et du programme qu’il développe pendant cinq ans. Le Président de la République est un arbitre. Le Gouvernement doit gouverner ; il tire sa légitimité de l’Assemblée nationale. Les parlementaires ont un rôle à jouer, sinon ce n’est pas une démocratie parlementaire. On peut trouver d’autres formes de régimes, comme le régime présidentiel, dans lequel l’Assemblée nationale ne peut toutefois pas être dissoute. Je vous renvoie aux débats qui ont accompagné l’écriture de la Constitution. Les versions dans lesquelles l’engagement de la responsabilité du Premier ministre était facultatif ont été retirées. Les constitutionnalistes en débattent, mais la logique d’un régime parlementaire requiert un engagement de la responsabilité.

Avis défavorable.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). L’article 49, alinéa 1, dispose que le Premier ministre « après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». Voilà l’esprit des rédacteurs. Ce n’est que par des arguties, des pratiques validées a posteriori par le Conseil constitutionnel et par une sorte de magie que cet alinéa a été interprété comme n’imposant pas au Gouvernement l’obligation d’engager sa responsabilité. Cette proposition de loi constitutionnelle ne vise donc qu’à écrire expressément ce qui était prévu à l’origine, y compris par Michel Debré – il avait eu l’occasion de le dire.

Quand j’entends, dans les paroles de l’extrême droite, que l’engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale mettrait en cause l’expression démocratique et le vote des Français, les bras m’en tombent. Vous êtes élus, vous aussi ! Vous êtes quatre-vingt-huit dans votre groupe et vous percevez 5 000 euros par mois pour être ici. Si vous pensez qu’engager la responsabilité devant vous, c’est mettre en cause le vote des citoyens, je ne comprends pas bien votre conception de l’élection législative et de votre fonction de député. C’est nous qui sommes élus, pas le Gouvernement. Vous devriez vous satisfaire de ce que la représentativité à l’Assemblée nationale est peut-être plus large que jamais – quand bien même elle pourrait être améliorée par un recours à la proportionnelle intégrale –, mais à quoi bon si vous niez votre propre fonction parlementaire ?

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Cet article est très important, car il permet de travailler à la construction d’une majorité et d’une ligne politique. On ne peut pas naviguer en permanence à vue, en fonction de majorités purement conjoncturelles et opportunistes, texte par texte, voire amendement par amendement. Ce texte permet de construire une majorité, une ligne politique, un accord de gouvernement, qui indiqueraient aux Français où nous allons et, partant, de construire une opposition et une majorité. On ne peut pas procéder uniquement par coups de force, chercher ici et là un groupe en fonction de chaque ligne d’amendement sur chaque texte. Cela dépouille la démocratie de sa valeur profonde, qui est d’incarner une ligne de politique publique et de la mettre en œuvre pour un pays entier.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Le groupe Renaissance votera contre ces amendements de suppression, par principe. Depuis le début de la législature, il y a une surutilisation des amendements de suppression, comme des motions de rejet, dans le but de brider le débat, voire de l’empêcher. Pour le coup, ce n’est pas le Gouvernement qui en prend l’initiative, mais les parlementaires eux-mêmes.

Comment passer d’une démocratie fondée sur le rapport de force à une démocratie de compromis ? La question est importante, mais nous ne voterons pas pour autant l’article 1er, car il ne peut pas être décorrélé du sujet du mode de scrutin. Dans la plupart des autres démocraties que vous avez mentionnées, où le mode de suffrage est universel direct et proportionnel, les coalitions se font après les élections. Je suis assez sensible à cette proposition, mais ce n’est pas encore notre culture, ni la résultante du mode du scrutin que nous avons.

M. Erwan Balanant (Dem). J’ai entendu des choses contradictoires dans les propos de Mme Rousseau. D’un côté, l’histoire de son mouvement politique est marquée par la volonté du compromis – je le salue, parce que je suis sur cette ligne. D’un autre côté, il ne serait plus possible de chercher des accords amendement par amendement. Pourtant, c’est aussi ça la culture politique du compromis : trouver des solutions sur un texte.

Dans une situation complètement bloquée, quand une majorité se trouve en minorité, il doit être possible de trouver un accord de gouvernement. Si les Socialistes nous rejoignaient, nous aurions peut-être alors une majorité. Vous pourriez peut-être en faire de même pour certains projets.

Historiquement et traditionnellement, de façon pavlovienne, les blocages surviennent dans notre pays au sujet du budget. Dans tous les conseils municipaux de France, 90 % des bordereaux sont adoptés, parfois à l’unanimité, alors qu’il s’agit d’être pour ou contre. Je vous invite à y réfléchir. On peut envisager que des oppositions puissent voter pour tout ou partie du PLF, et que l’on sorte de cette opposition systématique.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Il y a eu en France des cohabitations et des coalitions qui se sont créées après les élections, avec notre mode de scrutin.

La responsabilité du Gouvernement a été engagée en application de l’article 49, alinéa 1, à quarante et une reprises – c’est donc plutôt la règle. L’exception, c’est qu’elle ne le soit pas, et dix fois, elle ne l’a pas été. Cela pose un problème aujourd’hui parce qu’on n’a pas de programme de gouvernement pour cinq ans.

En réalité, la majorité relative dispose déjà d’une majorité grâce au soutien sans participation du groupe Les Républicains. Former une coalition prend du temps : il faut remettre à plat l’ensemble du programme, trouver les points d’accord sur lesquels le construire. Si vous la cherchez, vous trouverez l’ensemble des oppositions ouvertes à la discussion. Ce qui a été proposé au début du deuxième quinquennat, c’est de vous rejoindre sur le programme d’Emmanuel Macron. Évidemment, cela n’est pas possible, puisque nous n’avons pas été élus pour cela. Mais si on cherche un compromis, on le trouve.

Il est faux de dire que ce n’est pas notre culture. La règle surdétermine le jeu et si celle-ci impose de trouver des coalitions, on les trouve. Cela a été le cas par le passé avec les cohabitations.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL28 de M. Jérémie Iordanoff

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de réécriture du premier alinéa. J’avais initialement proposé que l’engagement de la responsabilité du Gouvernement intervienne « dans les meilleurs délais ». Les auditions m’ont conduit à préciser ce point : il faut fixer un délai ferme, afin de rendre l’obligation incontestable, et celui d’un mois est assez long pour bâtir une coalition. Il est de quatre jours au Portugal, de dix jours en Italie et de deux mois en Espagne.

Il est également indispensable d’affiner la rédaction pour traiter les cas de la nomination du Premier ministre au lendemain de l’élection présidentielle et de la dissolution, de sorte que le délai coure à partir de l’élection d’une nouvelle assemblée.

En outre, le Premier ministre peut décider de poser la question de confiance à tout moment pour conforter sa majorité.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL6 de Mme Marie-France Lorho

Mme Marie-France Lorho (RN). Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12 janvier 1977, donne une acception analogue des termes « programme » et « déclaration de politique générale ». L’amendement permettrait de clarifier la rédaction, en n’envisageant la notion de confiance que par le biais de la notion de déclaration de politique générale.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Cet amendement vient affaiblir, une fois de plus, la responsabilité du Gouvernement et du Premier ministre devant l’Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel a indiqué qu’il tendait à conférer une égalité entre ces deux termes. La rédaction les distingue quand même, puisque la responsabilité du Gouvernement sur une déclaration de politique générale se conçoit plutôt en cours de mandat et celle sur un programme à son début, comme on le voit notamment à l’alinéa 4. À choisir, entre les deux termes, je supprimerais la déclaration de politique générale et je garderais l’engagement de la responsabilité sur un programme. Les Françaises et les Français veulent savoir selon quel programme ils vont être gouvernés. Avis défavorable.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Les assemblées communales au Moyen-Âge, en France, avaient déjà une pratique démocratique : celle des commis de confiance. L’idée de déléguer une part de sa souveraineté est consubstantielle à la démocratie. Mais pour que cela marche, il faut que les personnes ainsi mandatées se fondent sur un programme. Il n’y a pas de démocratie sans programme. La politique, ce ne sont pas des gouvernants qui disent quoi faire à des citoyens mais des citoyens qui disent quoi faire à des gouvernants. Cela ne peut marcher que si les candidats au gouvernement disent ce qu’ils vont faire ; sans quoi c’est l’arbitraire total et l’abus permanent.

La conception de la démocratie défendue par le RN devrait tous vous alerter : un président tout-puissant, un gouvernement croupion, une Assemblée nationale qui ne sert qu’à donner des indemnités à des gens dans les partis, et même pas de programme ! C’est le césarisme et le bonapartisme le plus absolu ! Il faut absolument réaffirmer notre fonction. C’est pour lutter contre cette culture de l’impunité, ressentie par nos concitoyens, que nous défendons l’instauration du droit de révoquer les élus en cours de mandat – regardez ce qu’a proposé mon camarade Fernandes à ses électeurs. Si les citoyens pouvaient révoquer les élus en cours de mandat, les programmes seraient appliqués.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 1er.

Après l’article 1er

Amendements CL18 de M. Guillaume Gouffier Valente, CL22 et CL23 de M. Erwan Balanant (discussion commune)

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). L’amendement vise à instaurer la motion de censure constructive, qui doit prévoir le remplaçant du chef de gouvernement renversé. Cette idée est apparue dès la IVe République, parmi les premières propositions de rationalisation du parlementarisme, en lien avec ce qui deviendra l’alinéa 3 de l’article 49. Elle n’avait finalement pas été retenue dans la Constitution de 1958. Autant, au cours de ce mandat, l’article 49, alinéa 3, n’a été utilisé que pour des raisons budgétaires – contrairement à l’époque où François Hollande s’en servait pour tenir sa majorité –, autant le recours à la motion de censure a, lui, été dévoyé, à tel point qu’il y a parfois eu moins de votants que de signataires.

Mme Blandine Brocard (Dem). La proposition de loi ne peut se passer d’une réflexion sur l’équilibre global de l’article 49 de la Constitution, notamment pour le pouvoir législatif. C’est la raison pour laquelle cet amendement d’appel vise à proposer une modification de l’alinéa 2 de l’article 49 de la Constitution, afin de mettre en place le mécanisme célèbre de l’article 67 de la Constitution allemande : la motion de censure constructive.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Avis défavorable. Adopter vos amendements alourdirait la proposition de loi et allongerait le temps de débat. Mais, surtout, la motion de censure constructive serait impraticable en France : elle risquerait d’instituer une irresponsabilité de fait du Gouvernement.

J’entends que la motion de censure soit utilisée trop souvent. Elle l’est, en réalité, pour exprimer une position de vote sur un texte qui n’a pas été débattu. Certes, ce n’est pas ce pour quoi elle a été conçue, mais le 49.3, lui non plus, n’a pas été conçu comme une arme systématique. Les deux mécanismes ne sont sans doute pas utilisés à bon escient. Sans 49.3, il y aurait beaucoup moins de motions de censure. Toujours est-il qu’en France, les motions de censure ne participent en rien à une quelconque instabilité gouvernementale.

Par ailleurs, je ne comprends pas bien le principe du délai de six mois.

M. Xavier Breton (LR). Même si ce sont des amendements d’appel, présentés pour ouvrir un débat, interrogeons-nous sur leur philosophie. Selon l’amendement CL18, les députés désignent le Premier ministre et, selon les amendements CL22 et CL23, les députés doivent former un nouveau gouvernement. Nous voilà à l’opposé des dispositions de l’article 8 de la Constitution, qui dispose que le Président de la République nomme le Premier ministre et que c’est sur la proposition de ce dernier que le Président nomme les autres membres du Gouvernement. C’est le cœur de la responsabilité de l’exécutif. Les députés se mettraient à jouer au Meccano et à bricoler un gouvernement. Imaginez le spectacle que l’on donnerait ! Il faut que chacun s’en tienne à ses compétences. Nous avons une action de vote et de contrôle de l’exécutif. Nous immiscer dans la nomination du Gouvernement viendrait remettre en cause beaucoup de principes qui ne sont pas seulement ceux de la Ve République.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). La responsabilité de former un gouvernement reviendrait à l’Assemblée nationale, alors que ce pouvoir est normalement détenu par le Président de la République. Cela ne va pas sans quelques problèmes. Vous nous citez le merveilleux exemple allemand, sauf que vous oubliez un détail : les Allemands ont une proportionnelle et il n’y a donc pas la même assemblée en Allemagne qu’en France. Si l’Assemblée était au scrutin proportionnel en France, la NUPES y serait majoritaire, car nous avons fait le plus gros score au premier tour. J’entends bien que cela vous embête, mais c’est la vérité ! Je comprends que l’idée d’avoir Jean-Luc Mélenchon comme Premier ministre vous fasse hurler, mais c’est ce qui s’est passé. Votre réaction montre assez bien à quel point vous n’aimez pas la démocratie parlementaire mais préférez que des articles autoritaires s’appliquent.

Je vous rappelle que « ministre » vient du latin « minister », qui signifie « serviteur ». Les ministres sont les serviteurs de l’Assemblée nationale. Nous, députés, nous sommes étymologiquement l’autorité du peuple, dont nous sommes les représentants.

Monsieur Balanant, c’est gentil de nous dire que, dans les mairies, tout est voté tout le temps. Il y a une prime majoritaire de 50 % à l’élection municipale, ce qui explique qu’il y ait très peu d’opposition.

M. Erwan Balanant (Dem). Ce sont bien des amendements d’appel, pour avoir un débat. Le sujet, c’est l’équilibre des pouvoirs entre la représentation la plus parfaite possible du peuple et la capacité de déployer des politiques publiques et de prendre des décisions. Nous voulions faire remarquer le déséquilibre des pouvoirs au sein de nos institutions. Indépendamment de la personnalité du Président de la République, elles favorisent la présidentialisation du pouvoir et sa concentration dans les mains de l’exécutif – à l’Élysée et à Matignon, d’ailleurs. L’enjeu est de rééquilibrer pour rendre la démocratie plus fluide. Si les motions de censure étaient adoptées, nous n’aurions aucune alternative. C’est pourquoi nous pointons leurs limites, ainsi que celles du dispositif de l’article 49, qu’il faut revoir en cohérence, notamment, avec les modes de scrutin.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Je retire l’amendement CL18. Toucher à l’article 49 n’est pas chose évidente. Même si l’idée mérite d’être débattue, elle pose un certain nombre de questions, comme l’a dit Xavier Breton.

Je remercie, par ailleurs, Antoine Léaument d’avoir confirmé ce que je disais : on ne peut pas discuter des évolutions de l’article 49 sans discuter de l’évolution du mode de scrutin. Soit dit en passant, la construction de la NUPES a été plus facile dans un système de scrutin uninominal majoritaire à deux tours que dans celui, proportionnel, des élections européennes…

L’amendement CL18 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements CL22 et CL23.

Article 2 (art. 49 de la Constitution) : Suppression de la procédure d’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte

Amendements de suppression CL1 de Mme Pascale Bordes et CL4 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Pascale Bordes (RN). Ce n’est pas l’article 49.3 qui pose problème, mais son application, à la fois par le Gouvernement et par certaines oppositions de gauche et d’extrême gauche qui, par sectarisme et dogmatisme, se refusent systématiquement à mettre en adéquation leurs paroles et leurs actes, en ne votant pas les motions de censure d’autres groupes, notamment les nôtres, alors qu’elles pourraient aboutir. Ce sectarisme dogmatique est également le fait de la majorité minoritaire du Gouvernement. J’en veux pour preuve qu’elle ne votera pas cet amendement de suppression, mais qu’elle votera, dans quelques instants, contre l’article 2. Nos concitoyens apprécieront à sa juste valeur cet art de perdre du temps.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). C’est un amendement de cohérence avec mon amendement de suppression de l’article 1er. Des contre-pouvoirs ont été prévus dans la Constitution entre le Gouvernement et le Parlement. Si l’on en supprime un, c’est tout l’équilibre de la Ve République qui est remis en question, ce qui ne me semble ni pertinent, ni judicieux, ni souhaitable.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. J’ai bien noté, madame Bordes, que le débat était une perte de temps. Je comprends pourquoi vous voulez supprimer cet article, puisque vous vous apprêtez à gouverner à coups de 49.3. Sans débat ni Assemblée nationale, ce sera beaucoup plus simple. Il est curieux, de la part d’une parlementaire, d’attaquer frontalement cet article. J’entends les arguments de Mme Ménard, selon lesquels il risque de déstabiliser l’équilibre existant. Mais vous, vous faites remarquer le dévoiement d’une pratique sans en tirer les conclusions, ce qui n’est pas très honnête intellectuellement. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cette pratique, que l’on juge à la dérive, est bel et bien permise par la Constitution. Cela justifie de la changer pour éviter de tels usages.

Les députés du Rassemblement national n’en ont rien à faire que la volonté du peuple soit piétinée. Ils veulent faire en sorte que le 49.3, qui est l’incarnation d’un hyper-présidentialisme autoritaire, continue à s’appliquer. Voilà un rappel pour vous empêcher à tout prix de prendre le pouvoir.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Face à un mésusage de la Ve République, nous voyons que la Constitution ne garantit pas suffisamment le respect de la représentation du peuple. Ce sujet fondamental dépasse votre ressentiment sur qui vote ou non une motion de censure. Le sujet, ce n’est pas vous, mesdames et messieurs du Rassemblement national. Vos ouin-ouin permanents sont insupportables ! On parle de la Constitution et du respect de la voix du peuple à l’intérieur de la démocratie.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Le groupe Renaissance votera contre ces amendements de suppression. Premièrement, ils manifestent un refus de débattre. Nos concitoyens nous ont fait part de questionnements sur cet article, qui interroge le fonctionnement de notre démocratie. Nous leur devons ce débat. Vos amendements de suppression sont révélateurs des aspirations de votre famille politique. Deuxièmement, nous assumons de conserver cet article, qui nous permet de passer outre les coalitions temporaires conclues pour bloquer, à un moment donné, un programme qui a été voulu par les Françaises et les Français, aussi bien au moment de la présidentielle que de l’élection législative.

Mme Pascale Bordes (RN). Vous auriez donc des capacités d’écoute et de dialogue. C’est remarquable de la part de personnes appartenant à une majorité minoritaire qui est le chantre de l’application à outrance du 49.3 ! Pour ce qui concerne l’extrême gauche dans sa globalité, je vous rassure, lorsque nous arriverons au pouvoir, nous serons totalement respectueux de la Constitution et du Parlement. C’est même la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement de suppression. Ce qui pose problème, ce n’est pas le 49.3, c’est son application par certaines oppositions, dont l’extrême gauche, qui refuse de voter des motions de censure, alors que, dans des capsules vidéo, à la radio ou à la télévision, elle affirme qu’elle fait tout pour les faire voter. Si vous les votiez, nous pourrions tous parvenir à nos fins.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL2 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Une précision préalable : je ne m’apprête pas à gouverner avec ou sans 49.3, même si je le regrette, bien évidemment.

Pour vous montrer que je suis tout à fait favorable au débat, je vous propose cet amendement qui vise à rééquilibrer le pouvoir de l’article 49.3. Le texte adopté devrait pouvoir être le texte voté par l’Assemblée nationale dans sa dernière version, avant le déclenchement de l’article 49.3. L’idée est de limiter le recours abusif au 49.3 par le Gouvernement, afin que ce dernier n’oublie pas que l’Assemblée nationale est la représentation élue du peuple, contrairement à lui, et que, à ce titre, il ne peut pas abuser de ses prérogatives constitutionnelles.

Par ailleurs, cela inviterait probablement aussi les parlementaires à faire preuve de mesure et de raison dans le choix des amendements, pour éviter, par exemple, d’adopter des dépenses abusives au nom de coups politiques ou de communication, qui pourraient mettre en danger les finances de l’État. Cela aurait pour mérite principal de faire prendre leurs responsabilités aux deux camps.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. En première lecture, aucun texte n’a été adopté. Votre amendement présente donc un problème rédactionnel. Quant à sa logique, si l’on veut le débat, on accepte aussi le vote de l’Assemblée nationale sur le texte, dût-il avoir lieu en application des articles 47 et 47-1 pour la matière budgétaire. Il faut aller au bout des choses. Ce passage sans vote devant l’Assemblée me pose problème.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). L’article 49.3 dispose que : « est considéré comme adopté » un texte qui, en fait, n’a pas été voté. Dire que le Gouvernement engage sa responsabilité sur le dernier texte voté n’a pas de sens. C’est une contradiction dans les termes. La question qui nous est posée, c’est : qui est pour et qui est contre le 49.3 ? Point barre. La retraite à 64 ans est passée à cause du 49.3. Nous avions voté majoritairement une taxe sur les superdividendes, mais la minorité n’a pas accepté les votes majoritaires. C’est le 49.3 qui a privé cette taxe d’existence : 12 milliards d’euros pour la rénovation thermique des bâtiments ! L’antisocial naît dans l’antidémocratique, l’antiécologique naît dans l’antidémocratique.

Nous sommes à l’heure de vérité. Souvent, l’extrême droite a été qualifiée de souverainiste. C’est une usurpation. La souveraineté est la caractéristique de celui qui n’a pas de maître. En République, il n’y a qu’un seul maître, c’est le peuple. Par conséquent, quand l’extrême droite vient nous dire que le 49.3, c’est mal quand c’est utilisé par Macron mais que ce serait super si c’était utilisé par Le Pen, elle révèle une absence totale de compréhension de la notion de souveraineté. Si, par malheur, Mme Le Pen devait gouverner, on comprend qu’elle usurperait la souveraineté du peuple, qu’il s’agit de rétablir aujourd’hui en supprimant purement et simplement l’article 49.3. Il faudra se souvenir que les seuls qui ont voté pour cette suppression sont les quatre groupes de la NUPES.

M. Xavier Breton (LR). L’amendement de Mme Ménard est intéressant. Il faut réfléchir aux modalités du 49.3, qui est brutal et radical, et donne tout le pouvoir au Gouvernement. Ce serait utile de responsabiliser les députés dans le dépôt d’amendements. On l’a bien vu – et cette tentation est normale –, la perspective du 49.3 produit des débats d’affichage, idéologiques, alors que c’est un principe d’équilibre budgétaire qui devrait nous guider. Si cet amendement présente sans doute un problème de rédaction, il n’en est pas moins très intéressant. Il prouve aussi que nos institutions peuvent exister dans une certaine nuance, loin des polémiques et des débats caricaturaux que nous avons depuis quelques minutes.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je ne me suis peut-être pas très bien expliquée et je remercie M. Breton d’avoir précisé ma pensée. Vous me dites que l’amendement n’a pas de sens, sauf que ce n’est pas le texte initial ou rien. Je vais prendre un exemple tout simple. La mission Justice a été amendée et adoptée. Mon amendement aurait eu pour conséquence que, au moment où le Premier ministre monte à la tribune pour annoncer le 49.3, on prenne le texte tel qu’il avait été voté. Il ne s’agit donc pas du texte initial, ce qui donne un blanc-seing au Gouvernement, qui peut finalement mettre tout ce qui l’intéresse dans le texte. Cela favoriserait la responsabilisation du Gouvernement et du Parlement, en évitant les coups de communication, la démagogie, le toujours plus irresponsable. Je retravaillerai ma rédaction en vue de la séance.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Si le Gouvernement a peur que le texte issu des travaux de l’Assemblée ne soit pas le sien, il déclenchera le 49.3 avant même les débats.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). En ce cas, cela signifierait qu’il ne veut pas de débat !

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 2.

Après l’article 2

Amendement CL11 de M. Guillaume Gouffier Valente

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Je vais retirer l’ensemble de mes amendements, dans la mesure où les deux articles ont été rejetés. L’objectif n’est pas de dénaturer en commission le texte proposé par le rapporteur. En revanche, je les redéposerai en séance, afin d’en débattre. Un certain nombre d’entre eux avaient d’ailleurs été déposés sur une précédente proposition de loi constitutionnelle du groupe LR, et adoptés.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Je remercie M. Gouffier Valente de ce retrait. Ces amendements sont effectivement si intéressants que je pourrais même vous suivre sur certains. Je suis tout à fait disponible pour y travailler dans un autre cadre, car vous savez que celui des niches parlementaires est particulièrement contraint. Nous n’avons pas le temps de débattre de toute la Constitution, même si j’en aurais très envie.

L’amendement est retiré de même que les amendements CL12, CL17, CL13, CL14, CL15, CL16, CL19, CL20 et CL21 de M. Guillaume Gouffier Valente.

Amendement CL27 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant (Dem). Cet amendement d’appel vise à ouvrir un débat sur l’équilibre des pouvoirs au sein de la Ve République, actuellement absent du fait d’une trop forte présidentialisation. Il s’agit de revenir sur le quinquennat et la quasi-concomitance des deux élections qui a pour effet d’inciter nos concitoyens à élire pour député un candidat qui soutient le Président de la République ou qui s’y oppose. Un président élu pour sept ans par un collège électoral détiendrait beaucoup moins de pouvoir que s’il tient sa légitimité du suffrage universel. Le Parlement, renforcé, se rapprocherait des parlements des grandes démocraties européennes.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Demande de retrait ou avis défavorable, toujours pour la raison que, dans une niche parlementaire, nous n’avons pas le temps de discuter de tous les sujets. L’élection de 1962 a en effet modifié la place du Président de la République dans la Constitution, mais je vous invite à regarder le rôle qu’il joue en Autriche et au Portugal en étant également élu au suffrage universel direct. De plus, le temps politique s’est accéléré et il n’est pas envisageable de revenir au septennat.

M. Erwan Balanant (Dem). La réponse est un peu courte. Tout est lié : on ne peut pas réviser la Constitution en ne supprimant que l’alinéa 3 de l’article 49. Il faut aller jusqu’au bout – en commission des lois, on doit pouvoir débattre de l’équilibre des pouvoirs. Le système ne fonctionne pas, car l’hyper-présidentialisation fait porter tous les espoirs ou toutes les détestations sur un seul homme – un jour peut-être, sur une seule femme. La démocratie consiste en davantage d’intelligence collective, de partage, de recherche de compromis et de consensus, ce que nous atteindrions avec une vraie représentation proportionnelle. Car être élu à la proportionnelle, c’est être élu sur des convictions, non pour ou contre un président.

Mme Pascale Bordes (RN). La durée du mandat présidentiel et le mode de suffrage ne peuvent pas être débattus au débotté dans une niche parlementaire. Sur des sujets aussi graves, c’est au peuple de décider : il faut un référendum, et rien d’autre.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL7 de Mme Raquel Garrido

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Les débats sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), la Corse ou la Nouvelle-Calédonie ont montré que la société a le désir de se saisir du débat constitutionnel avec les députés. Un mécanisme devrait le permettre. Si la niche n’est pas appropriée, il faut un autre lieu.

Par cet amendement, nous proposons de donner la possibilité aux citoyens de convoquer par référendum une assemblée constituante en modifiant l’article 11 de la Constitution. Le référendum, qui est actuellement la marque d’un pouvoir présidentiel empreint d’une logique plébiscitaire très bonapartiste, doit être rendu à l’initiative citoyenne en sorte de rétablir l’ordre dans les notions de démocratie et de souveraineté. Il s’agit de rééquilibrer les pouvoirs et de s’assurer que ceux qui gouvernent sont responsables devant le peuple. Si vous êtes frustrés du manque de discussion dans la niche, votez notre amendement instaurant ce mécanisme d’assemblée constituante par voie référendaire.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Je souscris à l’idée. Les auditions ont montré l’intérêt du mécanisme d’initiative citoyenne en matière constitutionnelle, qui existe ailleurs. Il amène toutefois de nombreux questionnements, auxquels le cadre de la niche ne permet pas de répondre. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable, pour des questions de forme, non de fond.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL8 de M. Antoine Léaument

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Cet autre amendement d’appel vise à supprimer, dans l’article 12 de la Constitution, les alinéas relatifs au pouvoir du Président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale. Il n’est pas équilibré qu’en face, celle-ci n’ait qu’un faible pouvoir de destitution du Président de la République. Les conditions de l’article 68 qui s’y rapporte sont en effet très strictes : la majorité est requise d’abord au bureau de l’Assemblée nationale puis en commission des lois, puis la majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale et au Sénat, puis la majorité des deux tiers du Parlement réuni en Congrès. Bref, ce pouvoir est inutilisable, à moins que le Président et l’assemblée élue ne soient pas du même bord. En tant que députés, vous ne pouvez qu’adopter cet amendement pour défaire le Président de la République d’un pouvoir monarchique.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Le droit de dissolution est un débat ancien et complexe, mais c’est l’un des principaux mécanismes du parlementarisme. Sa suppression s’imposerait dans un régime présidentiel mais, dans un régime parlementaire, elle recréerait l’instabilité de la IVe République qui a conduit à l’avènement de la Ve République. J’y suis défavorable. Il faut éviter les excès de l’une et de l’autre.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL9 de Mme Raquel Garrido

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Chercher à rééquilibrer le pouvoir entre le législatif et l’exécutif – qui est en réalité bicéphale –, revient à poser la question du Président de la République. La concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme est toxique ; elle contrevient à nos grands standards démocratiques. C’est pourquoi notre amendement tend à modifier l’article 13 de la Constitution, qui confère au Président de la République un pouvoir de nomination par lequel il se crée des obligés. Le Parlement dispose également de prérogatives en la matière, notamment celle d’auditionner les candidats, mais c’est le Président qui décide. On ne peut pas tolérer que cette tradition monarchiste, césariste, subsiste.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Ce pouvoir de nomination est une question centrale dans l’équilibre des pouvoirs. Des systèmes de contrôle existent déjà, et il conviendrait de les renforcer. Je pourrais partager votre point de vue, mais les conséquences de la suppression de l’ensemble des pouvoirs de nomination du Président de la République et les modalités du processus de remplacement doivent être examinées de manière approfondie – il ne faudrait pas que, par exemple, le président de la commission des lois s’arroge tous ces pouvoirs. Cela demande de mener toute une réflexion. Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL10 de M. Antoine Léaument

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel vise à supprimer l’article 16 de la Constitution, qui traite des pouvoirs exceptionnels du Président de la République. Lorsque celui-ci considère que des problèmes graves imposent qu’il décrète les pleins pouvoirs, il « en informe la nation par un message ». Une situation de guerre qui impliquerait la France pourrait l’inciter à prendre une telle décision – face aux annonces répétées que la Russie envahirait la France, il n’est pas impossible que M. Macron décide d’activer l’article 16.

Au bout de trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, soixante députés peuvent saisir le Conseil constitutionnel et celui-ci rend un avis public. Si, au bout de soixante jours, il n’a pas été saisi, il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions. Et c’est tout ! L’Assemblée nationale n’a aucun pouvoir : nous ne pouvons ni voter, ni nous prononcer. Les pouvoirs exceptionnels du Président de la République peuvent continuer ad vitam aeternam. La Constitution contient la possibilité d’un putsch ; nous vous proposons de la supprimer.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. L’article 16 n’est pas le plus connu, mais il est sans doute le plus problématique de notre Constitution. Ce régime d’exception, aujourd’hui anachronique, ne présente pas de garde-fous suffisants, bien qu’il ait été réformé. Il faut toutefois pouvoir répondre à une vacance du pouvoir. La niche parlementaire ne laisse pas assez de temps pour ce débat. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL25 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant (Dem). Le groupe Démocrate est depuis toujours favorable à la proportionnelle, et la meilleure façon d’avancer sur ce sujet est de l’inscrire dans la Constitution.

La proportionnelle modifie les ressorts de l’élection : avec le scrutin uninominal à deux tours, surtout après l’élection d’un Président de la République, un député est élu soit parce qu’il est favorable au Président, soit parce qu’il incarne le mieux l’opposition à celui-ci. Par conséquent, durant tout son mandat, il sera pour ou contre le Président. Avec la proportionnelle, il sera élu sur un programme, sur des idées, ce qui rend possibles les coalitions et les projets communs. Nous pourrions ainsi travailler tantôt avec les écologistes, plus souvent avec les socialistes, pour avancer vers des politiques publiques efficaces, pour le bien commun.

Les groupes Rassemblement national, Écologiste et la NUPES voteront certainement l’amendement, car ils sont favorables à la proportionnelle.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Je suis particulièrement attaché à la proportionnelle, et j’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi en faveur de celle-ci. Le groupe Démocrate en avait fait de même, et je regrette qu’ayant dû retirer son texte, il ne l’ait pas redéposé. Introduire le mode de scrutin dans la Constitution paraît une bonne idée, car il surdétermine beaucoup de choses dans la construction des élections, des majorités, des manières de gouverner et de faire de la politique. Je suis disponible pour travailler à une rédaction si vous souhaitez déposer un texte transpartisan.

Je vous invite, en revanche, à retirer l’amendement, car nous n’avons pas le temps de discuter de cette question dans le temps imparti. À défaut, l’avis sera défavorable.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Je remercie le collègue Balanant pour sa proposition. Nous voyons ce matin que les thématiques constitutionnelles nécessitent un espace de délibération au sein de l’Assemblée, comme peuvent l’être le groupe de travail de l’intergroupe NUPES sur la VIe République ou le groupe parlementaire sur la démocratie participative et l’e-démocratie, animé par Cécile Untermaier.

La commission des lois constitutionnelles doit se saisir de ces questions de façon plus permanente, plus systématique. Il nous revient d’être actifs, car il nous remonte du terrain que faute de n’être pas nous-mêmes acteurs de l’amélioration de notre Constitution pour la rendre plus démocratique, la société sécrétera des modalités violentes de règlement des conflits. La violence est déjà à l’œuvre, dans notre pays et entre les nations. Pour la paix et la protection de nos principes démocratiques, j’en appelle à la commission pour qu’elle fasse ce travail. Jérémie Iordanoff, Elsa Faucillon, Marietta Karamanli et moi-même sommes à votre disposition pour partager le travail déjà effectué et continuer en ce sens.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL24 et CL26 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant (Dem). L’amendement CL24 vise à réécrire l’article 38 de la Constitution après le revirement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel des 28 mai et 3 juillet 2020. Il s’agit de préciser que les ordonnances seront caduques si elles ne sont pas ratifiées par le Parlement dans un délai de dix-huit mois.

Quant au second amendement, le CL26, il a trait aux langues régionales. En nous fondant sur le travail de nos anciens collègues Yannick Kerlogot et Christophe Euzet, nous proposons de compléter l’article 75-1 de la Constitution afin que la loi détermine les conditions dans lesquelles ces langues peuvent être utilisées comme langues principales d’enseignement et de communication dans les établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou lui sont associés. Ces dispositions font suite à la saisine et à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite loi Molac. La proposition du groupe Démocrate permettrait de sécuriser l’idée que le français est la langue de la République, tout en permettant à des enfants d’apprendre des langues régionales en immersion.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Ces amendements, intéressants sur le fond, sont loin de l’objet de ma proposition de loi. Demande de retrait.

Les amendements CL24 et CL26 sont retirés.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Je remercie l’ensemble des membres de la commission pour la qualité de leurs interventions. Même s’il reste beaucoup à débattre, nous sommes parvenus à aller au fond des sujets. Je vous invite à lire le rapport, qui expose aussi des points de vue différents du mien : vous verrez que sur l’interprétation de l’article 49 de la Constitution, les choses ne sont pas toujours très tranchées.

La question du 49.3 doit être examinée sous deux angles : celui du coût politique pour son utilisateur et celui du coût pour les institutions, qui augmente avec l’usage répété de ces dispositions, l’absence de débat ou la situation minoritaire du Gouvernement. Il faut l’évaluer au regard de la question démocratique dans son ensemble. Je reste disponible pour travailler sur les thématiques évoquées, qui ne relevaient pas de l’article 49.

Pour la séance, je vous invite à ne pas déposer d’amendements en dehors de cet article. Je serai contraint, comme aujourd’hui, de formuler des demandes de retrait, car nous ne pourrons pas approfondir le débat compte tenu des autres propositions de loi et du temps contraint de la niche.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi constitutionnelle, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle pour un article 49 respectueux de la représentation nationale (n° 940).


 

   Personnes entendues

   M. Manuel Valls, ancien Premier ministre

   M. Jean-Luc Warsmann, député, ancien Président de la Commission des lois et rapporteur du projet de loi constitutionnelle de 2008

 

   M. Denis Baranger, professeur de droit public à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas

   Mme Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public à l’Université Paris-Nanterre

   Mme Marie-Anne Cohendet, professeure de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

   M. Jean Philippe Derosier, professeur de droit public à l’Université de Lille

   M. Bastien François, professeur de science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

   M. Armel Le Divellec, professeur de droit public à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas

   Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

CONTRIBUTIONS ÉCRITES REÇUES

   M. Nicolas Roussellier, professeur des universités à Sciences po Paris

 

ENTRETIEN

Le rapporteur a eu l’opportunité de s’entretenir avec l’ancien Président de la République, Monsieur François Hollande.

 


([1]) Centre de recherches politiques de Sciences Po, Baromètre de la confiance politique, vague de janvier 2024.

([2]) Jean de Saint-Serin, « confiance », in Connil D., Jensel-Monge P. ; De Montis A., Dictionnaire encyclopédique du Parlement, 2023, Bruylant, p. 251.

([3])  Nicolas Roussellier, « Le 49.3 ou la démocratie à l’envers », Etudes, Avril 2024, n°4314, à paraître.

([4])  Comité consultatif pour une révision de la Constitution, présidé par le doyen Georges Vedel, Rapport au Président de la République, Propositions pour une révision de la Constitution, 15 février 1993,

([5])  Guide de légistique, Premier ministre- Secrétariat général du Gouvernement et Conseil d’État, La documentation française, 3ème édition,  2017, p. 292. 

([6]) Guide légistique : les conventions de la rédaction de la loi, Les guides pratiques du Sénat, p. 53.  

([7]) Conseil constitutionnel, décision n°  2007‑561 DC du 17 janvier 2008, cons. 17 : « l'emploi du présent de l'indicatif ayant valeur impérative, la substitution du présent de l'indicatif à une rédaction formulée en termes d'obligation ne retire pas aux dispositions du nouveau code du travail leur caractère impératif ».

([8]) Guy Carcassonne, La Constitution, 9ème édition, 2009, p. 245.  

([9])  Premier alinéa de l’article 10 de la Constitution : « Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée ».

([10])  Groupe de travail du 3 juillet 1958 (Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République ; Documents pour servir à l'histoire d'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 [DPS], I, La Documentation française, p. 342) : Michel Debré écarte toute idée de question de confiance et d'investiture.  La question de confiance est encore absente du projet du 10 juillet (DPS, I, p. 416-422).

([11])  Elle apparaît dans le projet de la Celle St Cloud du 15 juillet (DPS, I, p. 434 et p. 436), confirmé dans la version du 29 juillet (DPS, I, p. 520).

([12])  Avant-projet des 26/29 juillet, soumis au C.C.C. (DPS, II, p. 30).

([13])  DPS, II, p. 631.

([14])  DPS, II, p. 650. Guy Mollet (infra, p. 121) prétend que le "engage" est adopté le 21 août, dans le texte envoyé au Conseil d'État.

([15])  DPS, III, p. 355.

([16]) DPS, III, p. 478.

([17]) DPS, III, p. 545.

([18]) DPS, IV, p. 18.  

([19]) JO, Débats, AN, séance du 16 juin 1959, p. 77.  

([20]) JO, Débats, AN, première séance du  26 avril 1962, p. 20.

([21]) JO, Débats, AN, première séance du 13 avril 1966, p. 619.

([22]) Idem, p. 620.

([23]) Michel Rocard ne présenta pas à l’Assemblée nationale son premier Gouvernement. Pour le second Gouvernement, il fit une déclaration devant l’Assemblée nationale le 29 juin 1988, sans engagement de responsabilité.

([24])  L. Favoreu, P. Gaïa, R. Ghevontian, J. Mestre, O. Pfersmann, Droit constitutionnel, 2023, p. 915.

([25]) A. Le Divellec et M. De Villiers, Dictionnaire du droit constitutionnel, 2022, pp. 111-112.  

([26]) Conseil constitutionnel, décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977, Loi autorisant le Gouvernement à modifier par ordonnances les circonscriptions pour l'élection des membres de la chambre des députés du territoire Français des Afars et des Issas, cons. 3.  

([27]) JORF, 16 février 1993, p. 2542.  

([28]) Idem, p. 2542.  

([29])  Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, vol. II, La Documentation française, Paris, 1991, p. 505.

([30]) J.‑L. Warsmann, rapport n° 892 fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle n° 820 de modernisation des institutions de la Vème République.

[31] Comité Balladur, Op. cit., p. 32.

([32]) Denis Baranger, Le nouveau visage de l’article 49-3, Juspoliticum, 16 novembre 2022. 

([33])  Lors de la séance de questions au Gouvernement qui avait précédé l’annonce de l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, le Premier ministre avait explicitement justifié sa décision de faire usage de cette procédure pour contrer l’obstruction.

([34]) Voir, par exemple, Conseil constitutionnel, 2004-503 DC, 12 août 2004, cons. 4 et 5.  

([35]) Conseil constitutionnel,  2022-845 DC, 20 décembre 2022, cons. 6-11.

([36]) Idem.  

([37])  Conseil constitutionnel, décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, cons. 11.

([38])  Le Conseil constitutionnel a confirmé ces principes dans une décision récente. Après avoir rappelé qu’ « aux termes de l'article 42 de la loi organique du 1er août 2001 : « La seconde partie du projet de loi de finances de l'année … ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant l'adoption de la première partie », le Conseil constitutionnel explique que « ces dispositions subordonnent la discussion de la seconde partie de la loi de finances de l'année, relative aux dépenses, à l'adoption de la première partie, relative aux ressources et aux données générales de l'équilibre budgétaire ». Il en déduit qu’ « en engageant successivement la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote de la première partie puis sur le vote de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2023, lors de son examen en première et en nouvelle lectures, la Première ministre a mis en œuvre cette prérogative dans des conditions qui ne méconnaissent ni le troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution ni les exigences découlant de l'article 42 de la loi organique du 1er août 2001 », Conseil constitutionnel, décision 2022-847 DC, 29 décembre 2022, cons. 7-14.

([39]) L’article 49, alinéa 3, ne fut appliqué au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 qu’au stade de la nouvelle lecture, le 27 septembre 2023. L’utilisation du 49.3 le 29 février 2020 sur la seule première lecture du projet de loi « Système universel de retraite » s’explique par l’interruption du processus législatif sur cette réforme à la veille de la pandémie de covid-19.

([40]) Le 20 octobre 1989.

([41]) Le 18 octobre 1991.  

([42]) Le 17 novembre 1992.

([43])  Le 19 juin 1989.  

([44])  Le 4 octobre1989.  

([45]) Nicolas Roussellier, « Le 49.3 ou la démocratie à l’envers », Etudes, Avril 2024, n°4314, à paraître, p. 43.

([46]) Commission européenne pour la démocratie par le droit, (commission de Venise), avis intérimaire sur l’article 49.3 de la Constitution adopté par la commission de Venise lors de sa 135ème session plénière (Venise, 9-10 juin 2023).

([47]) Conseil constitutionnel, 2023-849 DC, op. cit., cons. 18.

([48]) idem, cons. 69 et 70.