N° 2410

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,

portant dépénalisation de l’accès à la nature (n° 1835)

PAR Mme Lisa BELLUCO

Députée

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION..................................................... 5

I. Les limitations À l’engrillagement des zones naturelles ou forestières : une rÉponse adaptÉe À l’enjeu du dÉveloppement d’un territoire protecteur de la biodiversitÉ

II. La nouvelle contravention interdisant de pÉnÉtrer dans une propriÉtÉ privÉe rurale ou forestière : une rÉponse pÉnale inadaptÉe et contraire aux objectifs poursuivis de prÉservation des espaces naturels

III. Les consÉquences de l’application de cette nouvelle contravention : une atteinte excessive À la libertÉ de circulation dans les espaces naturels

commentaire DE L’ARTICLE UNIQUE de la proposition de loi

Article unique (art. 226-4-3 du code pénal) Abrogation de la contravention réprimant le fait de pénétrer dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui

Examen en Commission

Personnes entendues


 

MESDAMES, MESSIEURS

La loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée a encadré le droit de se clore dans les zones naturelles ou forestières, en prévoyant notamment la mise en conformité des clôtures qui y sont implantées pour limiter leur hauteur à 1,20 mètre.

L’effort pour limiter l’engrillagement de ces zones poursuit notamment l’objectif de préserver la biodiversité, en permettant la libre circulation des animaux sauvages. L’adoption de cette loi a toutefois permis d’introduire dans notre droit une nouvelle contravention, qui soulève de nombreuses difficultés.

I.   Les limitations À l’engrillagement des zones naturelles ou forestières : une rÉponse adaptÉe À l’enjeu du dÉveloppement d’un territoire protecteur de la biodiversitÉ

Sous réserve de certaines dérogations prévues par la loi ([1]), l’article L. 372-1 du code de l’environnement aménage une réglementation nationale, attendue par de nombreuses associations luttant contre le phénomène dit de « solognisation » des espaces.

En effet, le territoire de Sologne s’avérait particulièrement touché par l’engrillagement des espaces naturels. En dépit de l’impact négatif des clôtures sur la biodiversité et l’environnement, les réglementations locales résultant des documents locaux d’urbanisme n’ont pas permis de lutter efficacement contre ce phénomène.

Les effets néfastes de l’engrillagement sont pourtant incontestables. L’érection de clôtures piège les animaux sauvages, en empêchant leur libre circulation au sein de leur habitat naturel. Elle contribue à une surconcentration des animaux au sein de certaines zones, ce qui est de nature à entraîner le piétinement des sols, conduisant à la destruction de la flore ([2]). Un engrillagement excessif des espaces naturels contribue à la fragmentation des habitats de la faune ([3]) qui a pour principale conséquence un effondrement de la biodiversité. En effet, l’isolement des populations limite ou empêche le brassage génétique ce qui peut conduire, à moyen et long terme, à leur extinction.

Cet encadrement du droit de se clore au sein des zones naturelles ou forestières doit donc être salué, et répond à un objectif légitime de préservation de la nature et de la faune.

II.   La nouvelle contravention interdisant de pÉnÉtrer dans une propriÉtÉ privÉe rurale ou forestière : une rÉponse pÉnale inadaptÉe et contraire aux objectifs poursuivis de prÉservation des espaces naturels

La loi du 2 février 2023 a introduit au sein de l’article 226-4-3 du code pénal une contravention réprimant le fait de pénétrer dans une propriété privée rurale ou forestière. La création de cette nouvelle infraction soulève de nombreuses difficultés.

Sur les plans politique et philosophique, cette interdiction marque une rupture avec notre tradition historique et juridique limitant la protection de la propriété privée aux intrusions intentionnelles et malveillantes.

En effet, cette contravention a essentiellement pour effet de limiter le droit de se promener. Cette restriction de la liberté, indépendamment de tout comportement malveillant ou illégitime, n’apparaît pourtant pas légitime. Elle ne garantit pas la protection de la propriété privée, puisqu’elle se borne à empêcher un droit de passage en zones rurales ou forestières.

Sur le plan juridique, cette nouvelle infraction a créé dans notre droit un déséquilibre qui n’est ni justifié, ni satisfaisant. En effet, cette contravention permet désormais de sanctionner un promeneur de bonne foi qui pénétrerait dans une zone rurale ou forestière sans même en avoir connaissance.

Ainsi, s’il est exigé que le caractère privé de la zone soit matérialisé, il n’est pas requis que cette matérialisation soit suffisante et de nature à assurer la parfaite information des tiers. Cette protection des espaces privés ruraux et forestiers, dont il peut être souligné qu’ils ne font l’objet d’aucune définition dans la loi, à l’exclusion de tout autre, n’est pas non plus compréhensible et s’inscrit en rupture avec les dispositions pénales préexistantes. Le droit pénal ne protégeait jusqu’alors la propriété privée qu’à la condition que l’intrusion dans le domicile d’autrui résulte de manœuvres, menaces ou voies de fait, ou encore de l’exercice d’une contrainte ([4]). Tel n’est pas le cas pour la nouvelle contravention interdisant de pénétrer dans une zone privée rurale ou forestière.

La création de cette nouvelle contravention aboutit au paradoxe selon lequel le simple fait de pénétrer dans la propriété d’autrui, sans usage de procédés illégitimes, n’est punissable qu’au sein des espaces ruraux et forestiers, mais non dans des domiciles privés, par exemple au sein de jardins non clôturés d’habitations en zone périurbaine. Cette infraction introduit donc dans notre droit une rupture d’égalité de traitement dans la protection pénale de la propriété privée, selon les territoires urbains, ruraux ou forestiers.

Sur le plan pratique, l’application de cette nouvelle disposition restreint de manière disproportionnée la liberté individuelle de se promener, en contrariété avec l’objectif affiché de la loi du 2 février 2023.

L’engrillagement des espaces naturels emporte en effet des conséquences néfastes sur les plans social et économique. Ces effets ont été mis en évidence dans le rapport de M. Richard Ramos sur la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée ; ce rapport a ainsi rappelé que « la multiplication des parcelles clôturées a également pour effet de fermer les espaces, d’empêcher la libre circulation des promeneurs et de dégrader les paysages. En Sologne, pourtant classée zone Natura 2000, elle met en échec le développement du tourisme rural. ([5])»

III.   Les consÉquences de l’application de cette nouvelle contravention : une atteinte excessive À la libertÉ de circulation dans les espaces naturels

Depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle contravention, plusieurs collectifs se sont créés pour défendre le libre accès aux espaces naturels et dénoncer l’appropriation par une certaine population d’espaces forestiers et ruraux, au détriment des randonneurs et promeneurs.

Dans le cadre de mes travaux, j’ai souhaité donner la parole à ces associations, en auditionnant les collectifs qui ont été créés en Chartreuse, dans les Vosges et sur la Côte d’Azur.

Tous m’ont fait part de leurs inquiétudes et ont mis en évidence les effets délétères de l’introduction de cette nouvelle infraction. En Chartreuse par exemple, sous couvert de cette nouvelle législation, un propriétaire privé a fermé les accès aux promeneurs de vastes zones forestières naturelles, pour les réserver à l’usage exclusif de chasseurs afin d’organiser des parties de chasse privée. Dans les forêts du massif des Vosges, des sentiers de randonnée ont été fermés, ce qui nuit à l’activité touristique. Sur la Côte d’Azur, l’accès à des espaces naturels qui n’avaient jamais été clôturés auparavant est désormais empêché.

L’application de cette contravention a conduit certains de ces propriétaires à engager des gardes particuliers privés pour empêcher l’accès à leur territoire. Au sein de la commune de Villeneuve-Loubet, par exemple, 1 000 hectares de forêt sont détenus par un propriétaire privé qui, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 2 février 2023, a décidé de fermer entièrement l’accès à cette zone naturelle et d’engager des gardes privés assermentés pour contrôler le respect de cette interdiction. Afin de préserver l’accès à ces espaces naturels remarquables, la commune de Villeneuve-Loubet essaie de négocier avec le propriétaire de ces zones pour prévoir, par convention, un accès à certains sentiers sur ces territoires.

Les professeurs de droit que j’ai auditionnés ont déploré cette forme d’inflation pénale, soulignant le fait que le droit de la responsabilité civile permet déjà d’imposer une réparation du préjudice subi en cas de comportement fautif du promeneur.

L’application du droit pénal devrait, en effet, être réservée aux comportements qui nuisent à l’ordre public ou à la société et qui portent atteinte aux règles de vie en collectivité.

Il a également pu être souligné une forme de sacralisation de la propriété privée, en contradiction avec une approche contemporaine qui est protectrice de la fonction sociale de la propriété ([6]). Cette nouvelle contravention empêche le développement des espaces naturels communs, en permettant leur appropriation par quelques-uns.

Pour un meilleur partage de la nature, afin que chacun puisse être sensibilisé à l’enjeu de préservation de nos espaces naturels, l’effort mené contre leur engrillagement devrait bénéficier à tous, et s’accompagner du souci de respecter la liberté d’y circuler.

La contravention prévue à l’article 226-4-3 du code pénal ne préserve pas ce juste équilibre, en interdisant de manière excessive l’accès à ces espaces naturels. Son application ne favorise pas non plus la sensibilisation de tous au respect de nos espaces naturels, puisqu’elle consacre l’appropriation de la nature par certains seulement.

Pour l’ensemble de ces raisons, cette proposition de loi propose d’abroger cette infraction, afin de revenir à l’état antérieur du droit, ne sanctionnant les promeneurs qu’en cas d’atteintes commises à la propriété privée d’autrui.

Je tiens à adresser mes plus vifs remerciements à l’ensemble des personnes entendues, dont la contribution a été essentielle pour nourrir la réflexion autour de l’équilibre à ménager entre la préservation de l’accès à la nature et la protection des intérêts des propriétaires privés.

Les débats en commission des Lois ont permis de mettre en exergue les effets regrettables de l’application de cette contravention restreignant la liberté d’aller et de venir au sein des espaces naturels. Je regrette que ces discussions n’aient pas permis de faire adopter l’article unique de cette proposition de loi.

J’escompte que nos débats en séance publique nous permettent de répondre à l’enjeu d’un partage plus juste de la nature. En adoptant cette proposition de loi, je vous invite à rappeler collectivement notre engagement pour la préservation d’un égal accès à nos espaces naturels, car la nature est un héritage commun dont chacun bénéficie et dont nous sommes tous responsables.


   commentaire DE L’ARTICLE UNIQUE de la proposition de loi

 

Rejeté par la commission

 

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article unique de la proposition de loi abroge l’article 226-4-3 du code pénal, qui sanctionne de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe le fait de pénétrer sans autorisation dans la propriété rurale ou forestière d’autrui dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, sauf dans les cas où la loi le permet.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 8 de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée a créé une contravention, prévue par l’article 226-4-3 du code pénal, qui réprime le fait de pénétrer dans la propriété rurale ou forestière d’autrui.

  1.   L’état du droit
    1.   La protection pénale du domicile, propriété privée

L’article 226-4 du code pénal punit deux formes de violations de domicile :

● D’une part, l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ;

● D’autre part, le maintien dans le domicile d’autrui à la suite d’une introduction frauduleuse.

Le délit est constitué hors les cas dans lesquels l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui est prévu par la loi et sanctionné par une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

La loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 a introduit au sein de l’article 226-4 du code pénal une définition du domicile d’autrui. Celui-ci prévoit qu’il s’agit notamment de tout local d’habitation contenant des biens meubles – que la personne y habite ou non, et qu’il s’agisse de sa résidence principale ou non.

Cette définition n’exclut toutefois pas l’interprétation souveraine des juges, qui doivent apprécier si la seule présence de ces meubles permet de considérer que la personne a le droit de se dire chez elle au sein du local d’habitation considéré ([7]).

La Cour de cassation considère traditionnellement que le domicile « ne signifie pas seulement le lieu où une personne a son principal établissement, mais encore (…) le lieu où, qu’elle y habite ou non, elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux » ([8]).

Ainsi, la jurisprudence retient une acception large de la notion de domicile, qui inclut notamment les dépendances d’un local d’habitation, telles qu’une terrasse ([9]) ou un balcon. Selon cette interprétation jurisprudentielle, ces dépendances ne peuvent être assimilées au domicile et bénéficier de la protection applicable à ce dernier qu’à la condition qu’elles soient comprises au sein de la même clôture. À titre d’exemple, il a pu être considéré qu’un terrain ouvert, dont l’accès est libre, ne peut être considéré comme faisant partie du domicile ([10]).

Pour être constituée, la violation du domicile doit avoir été réalisée en faisant usage de procédés illégitimes. Ces procédés sont énumérés par l’article 226-4 du code pénal et peuvent consister en l’emploi de manœuvres, à savoir l’usage de la ruse ou de la tromperie, ou bien de menaces, de voies de fait, qui constituent des violences contre les biens ou les personnes, ou encore par contrainte – laquelle est, par exemple, caractérisée par l’introduction d’un groupe important d’individus empêchant la victime de résister à cette intrusion.

En revanche, si l’introduction illicite ne s’est pas faite à l’aide de l’un de ces procédés, le délit de violation de domicile n’est pas constitué. C’est ainsi, par exemple, que la seule méconnaissance d’un panneau interdisant l’accès sur un terrain non clôturé, autrement que par une rubalise, n’est pas susceptible de caractériser le délit de violation de domicile, lequel implique une introduction à l’aide de l’un des moyens prévus par la loi ([11]).

  1.   La protection particulière de la propriété privée rurale ou forestière introduite par la loi n° 2023-54 du 2 février 2023

L’article 8 de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 a introduit au sein de l’article 226-4-3 du code pénal une nouvelle infraction, qui sanctionne de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe ([12]) le fait de pénétrer, sans autorisation, dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui, à condition que le caractère privé du lieu soit matérialisé physiquement et sauf dans les cas où la loi le permet.

Cet article prévoit ainsi une protection particulière de la propriété, l’infraction étant constituée du seul fait de l’intrusion, sans qu’il soit nécessaire de caractériser l’emploi d’un procédé illicite. Cette protection ne s’applique toutefois qu’à certains espaces mentionnés dans la loi, à savoir les propriétés privées rurales ou forestières.

L’article 226-4-3 du code pénal ne définit pas ce que recouvrent ces types particuliers de propriétés, et aucune autre disposition légale ne définit les contours de ces notions. Il est donc impossible de déterminer précisément quelles sont les propriétés qui font l’objet d’une telle protection. Il est certain, toutefois, que cela concerne un large espace naturel, emportant ainsi une restriction considérable à la liberté d’accès à ces zones. Selon le Centre national de la propriété forestière, les trois quarts de la forêt française appartiennent à des propriétaires forestiers privés, soit environ 75 % de la forêt ([13]). Comme le révèle la carte ci-dessous, la répartition sur le territoire des forêts privées est inégale, avec de fortes disparités selon les régions :

Source : « Les chiffres clés de la forêt privée française », édition 2021, CNPF

Les autres types de propriétés privées sont exclus du champ d’application de cette protection. Ainsi en est-il des propriétés non closes, qui ne peuvent pas être considérées, selon l’interprétation jurisprudentielle rappelée précédemment, comme étant assimilables au domicile. Tel serait le cas par exemple du terrain privé partiellement clos jouxtant un lieu d’habitation. Une telle différence de traitement entre propriétaires ne semble être fondée sur aucun motif d’intérêt général et pourrait constituer une rupture du principe d’égalité ([14]).

Par ailleurs, la seule condition tenant à la nécessité de matérialiser physiquement le caractère privé du lieu apparaît insuffisante pour garantir que la signalisation soit mise en place de manière suffisante et adaptée, afin d’assurer la bonne information du public. Cette matérialisation pourrait donc prendre la forme, en l’état de la rédaction du texte, d’un simple panneau apposé à un endroit seulement de la propriété, quelle que soit sa taille, et ne permettant pas forcément de porter à la connaissance des promeneurs l’interdiction de pénétrer dans les lieux.

Le risque de sanctionner une introduction de bonne foi au sein de la propriété privée rurale ou forestière d’autrui est d’autant plus important que la contravention est caractérisée indépendamment de l’emploi de procédés illégitimes pour forcer l’accès à la propriété d’autrui. Le simple fait de s’y introduire, sans besoin de caractériser une intention malveillante qui pourrait être matérialisée par l’emploi d’un procédé illicite, suffit à constituer la contravention. À cet égard, il peut être souligné que s’agissant d’une contravention, infraction purement matérielle caractérisée par la seule faute contraventionnelle, il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve de l’élément intentionnel pour constituer les faits. Dès lors, le promeneur qui n’aurait pas aperçu l’unique panneau indicatif signalant le caractère privé de la propriété forestière sur laquelle il s’aventure est susceptible d’être sanctionné, quand bien même il serait de bonne foi.

Lors de l’examen de la loi du 2 février 2023, la création de cette contravention a été justifiée par la nécessité de préserver un équilibre entre deux impératifs : d’une part, la limitation de l’engrillagement des espaces naturels et, d’autre part, la protection de la propriété privée non clôturée. Cette nouvelle infraction a été présentée, au cours des débats, comme nécessaire pour assurer la protection des propriétés privées contre les intrus, par exemple les promeneurs cueillant des champignons sur le terrain d’autrui ([15]).

Par ailleurs, dans la mesure où le propriétaire est responsable des dommages causés à autrui par le fait des choses qui sont sous sa garde, cette interdiction de pénétrer au sein de ces espaces naturels est destinée à pallier le risque pour celui-ci de voir sa responsabilité engagée en cas d’accidents du promeneur sur sa propriété privée forestière ou rurale ([16]).

Ces arguments n’apparaissent toutefois pas pleinement convaincants. D’une part, au regard de l’objectif légitime de la protection de la nature et de la biodiversité, les efforts engagés contre l’engrillagement des espaces privés ruraux ou forestiers sont pleinement justifiés. D’autre part, il est déjà prévu une protection suffisante de la propriété privée d’autrui. Ainsi, de jurisprudence constante, la cueillette de champignons sur le terrain d’autrui constitue un vol prévu et réprimé par l’article 311-1 du code pénal ([17]).

Si la responsabilité du propriétaire est, effectivement, susceptible d’être engagée en cas de dommages causés au promeneur en application des principes de responsabilité civile, sous réserve que l’accident ne soit pas exclusivement imputable à une imprudence fautive de la victime ([18]), cela ne justifie pas de permettre une interdiction d’accès à ces propriétés sans besoin de caractériser un comportement fautif du visiteur.

En outre, il existe déjà des dispositions particulières permettant d’encadrer les conditions d’engagement de la responsabilité des propriétaires d’espaces naturels. Ainsi, l’article L. 365‑1 du code de l’environnement prévoit un régime spécifique de responsabilité civile des propriétaires de terrains, de la commune, de l’État ou de l’organe de gestion d’un espace naturel, à l’occasion d’accidents survenus dans certains espaces naturels, à savoir dans le cœur d’un parc national, dans une réserve naturelle, sur un domaine relevant du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres ou sur les itinéraires de randonnées.

L’article L. 311-1-1 du code du sport, introduit par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite « 3DS », prévoit une exonération de responsabilité du gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature en cas de dommages causés à un pratiquant, lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée ([19]).

L’introduction de ces dispositions qui limitent la responsabilité civile du propriétaire d’un espace naturel témoigne du fait que la loi prend déjà en considération, de façon suffisante et adaptée, le risque pour un propriétaire de voir engager sa responsabilité en cas de dommages liés au libre accès à la nature. Ces causes de limitation ou d’exonération de responsabilité permettent de garantir l’équilibre entre la préservation d’un accès à la nature et le souci de ne pas faire peser sur le propriétaire privé les risques liés à cet accès.

La contravention introduite par la loi du 2 février 2023, qui crée une protection particulière pour certaines propriétés, en fonction de leur emplacement en zone rurale ou forestière, emporte ainsi une restriction qui n’apparaît pas nécessaire à la liberté de circulation dans ces espaces, et qui rompt l’équilibre du cadre juridique antérieur.

  1.   L’abrogation proposée par la proposition de loi

Au regard de la fragilité juridique de la contravention prévue à l’article 226-4-3 du code pénal, et de son caractère peu opérationnel, il est proposé d’abroger cette infraction.

Il n’y a pas lieu, en effet, de prévoir une protection particulière des propriétés privées rurales ou forestières, alors même que la propriété privée n’est protégée par la loi pénale qu’en tant qu’elle constitue le domicile d’autrui.

L’abrogation de cette contravention n’aura pas pour effet d’empêcher toute protection de la propriété privée rurale ou forestière, mais cette protection ne s’appliquera qu’en cas de fautes caractérisées.

Ainsi, sur le terrain de la responsabilité civile, s’il est démontré que la faute commise a entraîné un préjudice, le propriétaire pourra demander la réparation de celui-ci, y compris en cas d’atteinte illégitime à la vie privée.

Par ailleurs, les abus dans l’exercice de la liberté d’accès à ces espaces naturels sont susceptibles d’être pénalement sanctionnés. Le droit pénal appréhende déjà l’ensemble des comportements nuisibles qui peuvent être commis sur le terrain d’autrui. Les actes de destructions ou de dégradations sont notamment réprimés et pourront constituer la contravention de dégradation ou de détérioration d’un bien appartenant à autrui, prévue à l’article R. 635-1 du code pénal. D’autres infractions permettent de sanctionner la divagation d’animal (contravention prévue à l’article R. 622-2 du même code), ou encore l’abandon de déchets (contravention prévue à l’article R. 634-2 de ce code). Le délit d’occupation illicite du terrain d’autrui, prévu à l’article 322-4-1 du code pénal, est également susceptible d’être caractérisé en cas d’installation sans titre sur une propriété privée.

  1.   La position de la commission

La commission n’a pas adopté l’article unique de la proposition de loi, malgré le rejet de deux amendements de suppression.

 


 

 

   Examen en Commission

Lors de sa réunion du mercredi 27 mars 2024, la Commission examine la proposition de loi portant dépénalisation de l’accès à la nature (n° 1835) (Mme Lisa Belluco, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/vz2mE0

M. le président Sacha Houlié. Ce texte est inscrit en huitième position de l’ordre du jour qui lui est réservé, le 4 avril.

Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). En deux siècles, le monde occidental s’est urbanisé : au milieu du XIXe siècle, les trois quarts des Français étaient des ruraux ; aujourd’hui, 80 % d’entre eux habitent en ville. Le numérique occupe aussi une place toujours plus grande dans nos vies : en 2022, les Françaises et les Français ont passé en moyenne 4,6 heures par jour devant un écran. Plus on passe de temps devant un écran, moins on en passe dans la nature.

L’urbanisation et la numérisation sont l’une des causes fondamentales de la crise environnementale que nous traversons. Sans expérience de la nature, nous ne tissons aucun lien avec elle, nous n’apprenons pas à la connaître et ne développons aucun sentiment d’attachement à son égard. Dès lors, comment pourrions-nous vouloir la protéger ? Un projet politique doit retisser ce lien distendu, en organisant l’accès aux espaces naturels, aujourd’hui empêché par la loi du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.

Cette loi partait d’une intention louable : elle devait permettre de remplacer les clôtures existantes par des grillages laissant passer la faune sauvage, limitant ainsi leur impact sur les paysages et la biodiversité. En contrepartie, le simple fait de se trouver sur une propriété rurale et forestière – que la loi ne définit pas clairement – est devenu passible d’une contravention de quatrième classe, donc d’une amende de 135 à 750 euros. Se promener dans une forêt privée ou la traverser sur un chemin, même sans rien dégrader ni voler, sans déposer de déchets, est devenu aussi grave que conduire en état d’ivresse ou rouler à 170 kilomètres à l’heure sur l’autoroute.

Lors du vote de la loi, le groupe Écologiste s’était abstenu, craignant que l’amende n’incite de nombreux propriétaires à fermer leur domaine resté jusque-là accessible. C’est ce qui est en train de se passer : en octobre 2023, dans une réserve naturelle nationale du parc naturel régional de Chartreuse, un marquis a décidé de fermer 750 hectares à tous les usagers de la nature ; en novembre 2023, à Villeneuve-Loubet, dans les Alpes-Maritimes, un autre marquis a fermé 1 100 hectares. En janvier 2024, dans le Haut-Rhin, un groupement forestier a acheté 64 hectares dans la vallée de la Doller et fermé, ou plutôt détruit, les sentiers balisés par le Club vosgien. Des tranchées ont été creusées, des arbres déracinés : on s’est ainsi assuré que plus personne n’y passe.

Aucun de ces trois espaces n’était initialement entouré d’un grillage. Cette loi a donc été utilisée, non pour désengrillager, mais pour fermer des terrains. Des pétitions ont été ouvertes dans les trois régions concernées, qui ont recueilli respectivement 40 000, 10 000 et 14 000 signatures. Elles demandent le retour à l’état antérieur du droit et la suppression de la contravention.

Cette dernière comporte, selon moi, cinq risques majeurs : elle freine la transition écologique, aggrave la santé de nos concitoyens, pose un problème démocratique, menace les acteurs du tourisme et multiplie les tensions entre usagers de la nature.

On ne protège que ce que l’on connaît ; on ne connaît que ce que l’on côtoie. Si les Français ne peuvent pas se promener dans la nature, comment les sensibiliser à la crise environnementale, à la fragilité des écosystèmes, à la beauté du vivant ? Il faut remettre les humains dans la nature, pas leur en interdire l’accès.

L’enjeu de santé publique, à la fois physique et mentale, a été révélé pendant la crise du covid, par la détresse manifestée par nos concitoyens. Les revues de littérature scientifique récentes montrent que côtoyer la nature est bénéfique pour lutter contre le stress aigu et chronique, chez les adultes comme chez les enfants. Sur le plan physique, les risques cardio-vasculaires sont réduits, la régulation des fonctions immunitaires et la qualité du sommeil sont meilleures, le risque de myopie est réduit et les capacités cognitives sont renforcées, entre autres bienfaits.

Puisque l’accès aux espaces naturels est nécessaire à tous et toutes, le seul fait d’être propriétaire ne doit pas donner tous les droits à un seul contre tous. Notre droit consacre certes la propriété privée, mais aussi le droit à un environnement sain. La liberté affirmée dans notre devise, couvre notamment celle d’aller et de venir. L’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit la possibilité de limiter la propriété privée en cas de nécessité publique. Quelle est cette démocratie où quelques seigneurs ou marquis peuvent, comme au Moyen-Âge, priver l’ensemble de la population d’un commun indispensable à son épanouissement, créant ainsi mal-être et sentiment d’injustice ? Des oligarques étrangers très fortunés achètent en France de vastes parcelles de terrain, souvent des vignobles ou des propriétés agricoles. Accepterons-nous qu’ils privatisent des centaines d’hectares de nos espaces naturels, y compris les plus remarquables, et qu’ils engagent des milices privées pour empêcher les riverains d’admirer les paysages de leur enfance ? Déjà, à Villeneuve-Loubet, des gardes ont été embauchés pour surveiller les terrains fermés. Notre droit le permet : c’est un problème démocratique, un problème de souveraineté.

Plusieurs personnes auditionnées se sont dites inquiètes des répercussions de la nouvelle amende sur le secteur du tourisme. Dans les Vosges, le secteur fermé concerne la destination touristique par excellence, les fameux ballons : sa privatisation prive tout l’écosystème local de retombées économiques.

Enfin, cette contravention est une bombe à retardement. Nous ne connaissons que trois cas de privatisation, mais 75 % des forêts françaises sont privées. La plupart de nos concitoyens l’ignorent et s’y promènent sans arrière-pensée. Si, demain, tous les propriétaires décident de privatiser leurs espaces, la très grande majorité de notre territoire deviendra inaccessible. Les 46 millions de nos concitoyens qui ont occasionnellement ou régulièrement une pratique sportive ou récréative dans les espaces naturels privés ne pourront plus s’y adonner si le simple fait de se promener dans la nature, même sans rien dégrader ni rien voler, en ramassant même les déchets qui traînent, relève du droit pénal. La représentation nationale considérerait-elle ces 46 millions de Français comme des délinquants potentiels ?

Si le but est de sanctionner des dégradations ou des vols, cette loi est inutile : le code pénal et le code forestier prévoient déjà des contraventions, voire des peines d’emprisonnement pour ces comportements.

Cette loi est, de surcroît, difficile à appliquer. Collègues qui aimez l’ordre, souhaitez-vous vraiment que nos forces de l’ordre passent leur temps à traquer des promeneurs plutôt que des délinquants ? À mon avis, c’est là l’effet réel de cette loi.

Quiconque balance déjà ses déchets dans la nature, ramasse illégalement des champignons ou du bois, fait des barbecues en forêt l’été ne va pas être effrayé par cette contravention. En revanche, un citoyen respectueux, amoureux de la nature, qui ramasse plus de déchets qu’il n’en jette, va cesser d’aller dans les espaces naturels par peur de la sanction et par respect de la règle. Résultat : on punit les innocents ; on épargne les coupables ; on crée un problème nouveau sans régler un problème ancien.

Afin que la situation ne dégénère pas dans l’ensemble du territoire, nous devons trouver d’autres compromis entre propriétaires et usagers de la nature, réfléchir ensemble à une autre contrepartie à la lutte contre l’engrillagement.

Les propriétaires demandent surtout que soient sanctionnés les comportements abusifs – c’est légitime. De nouvelles sanctions n’y feront rien, il faut des moyens tels que des gardes champêtres en plus grand nombre et pourvus de nouvelles habilitations. Ils demandent aussi à être moins tenus pour responsables d’éventuels accidents dont seraient victimes les promeneurs sur leur terrain – là aussi, la demande est légitime. Les collectifs qui réclament un plus grand accès à la nature la reconnaissent d’ailleurs comme telle en contrepartie de leur droit d’accès. C’est une piste à creuser.

Enfin, comme tentent de le faire les élus locaux à Villeneuve-Loubet, des conventionnements avec les propriétaires permettent de garantir un accès à certains espaces naturels spécifiques. Il faut encourager la signature de conventions, par exemple avec les fameux plans départementaux des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR), en faisant en sorte que les propriétaires qui ouvrent leur domaine soient avantagés par rapport à ceux qui les ferment.

Toutes ces pistes ne pourront malheureusement pas être explorées dans le cadre de cette niche parlementaire, mais je les propose en vue de poursuivre le travail.

La loi sur l’engrillagement partait d’une bonne intention, mais elle a renforcé certaines tensions, contrairement à son objectif initial. Commençons par abroger la sanction qu’elle a introduite pour revenir à l’état du droit tel qu’il était en janvier 2023. Travaillons ensuite de façon transpartisane à l’élaboration d’un autre compromis satisfaisant les aspirations à la fois des propriétaires et des usagers de la nature. Se promener dans la nature n’est pas un crime. Trouvons d’autres voies pour concilier l’accès à la nature et le respect de la propriété privée.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Pascale Boyer (RE). Amputer le code pénal de son article 226-4-3, introduit par la loi du 2 février 2023, produirait deux effets : donner à quiconque le droit de pénétrer sans autorisation dans une propriété rurale ou forestière appartenant à un propriétaire qui aurait matérialisé physiquement le caractère privé du lieu ; supprimer la contravention de quatrième classe associée à l’infraction. Cela constituerait un recul flagrant dans la protection du respect de la propriété privée. Remettre en cause cette loi, un an après sa promulgation et sans retour d’expérience, n’est ni souhaitable ni envisageable si l’on tient à préserver le respect de la propriété privée, principe fondamental de la société française.

L’équilibre de ces propriétés rurales et forestières est précaire : 15 % de notre flore est menacée ; notre faune se fragilise. L’égaré candide, le flâneur insouciant qui se laisse porter au gré du vent sans toujours avoir conscience de son environnement ne pense pas faire de mal, mais les exploitants agricoles, agriculteurs ou éleveurs sont parfois sidérés de voir leurs pâturages et leurs cultures piétinés impunément.

L’augmentation du nombre de randonneurs démontre le besoin de retour à la nature, et plus encore depuis la crise sanitaire. C’est en raison même de cette augmentation que nous devons protéger notre nature et faire respecter le droit à la propriété privée. Par une dialectique bien pensée, vous liez la sensibilisation de nos concitoyens à la nature à son contact avec elle. Le néophyte peut certes s’éduquer par lui-même, mais rares sont les autodidactes de talent. Le randonneur peut se mettre en danger en empruntant des sentiers poreux et instables, perturber la reproduction d’un animal endémique menacé, se promener dans une aire de chasse, abîmer des récoltes. Plus de 227 000 kilomètres de chemins balisés et sécurisés en France paraissent suffisants pour se délecter en toute sécurité de la diversité de nos innombrables paysages. Pour sensibiliser à la nature, nous prônons une approche responsable telle celle du parc national des Écrins, dont les agents organisent des temps d’explications et d’échanges avec les touristes et les randonneurs.

Les parcelles agricoles ne sont pas des terrains de jeu, les propriétés rurales et forestières ne sont pas des lieux de divagation. C’est pourquoi, afin de préserver le respect du droit de propriété, le groupe Renaissance votera contre cette proposition de loi.

Mme Mathilde Paris (RN). La propriété est un droit fondamental et un acquis de la Révolution française, consacré par notre texte suprême, la Constitution. L’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, du 26 août 1789, dispose : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » Tirant sa légitimité de ces deux textes fondateurs, la loi adoptée en février 2023 a créé une contravention de quatrième classe pour sanctionner le non-respect de la propriété privée, et plus particulièrement toute pénétration sans autorisation dans la propriété rurale ou forestière d’autrui, dès lors qu’elle peut être identifiée comme telle. Dans sa version initiale, le texte prévoyait même une contravention de cinquième classe.

Le désengrillagement de nos espaces naturels ne peut être réalisé sans que la contrepartie du respect de la propriété privée soit garantie. Avant février 2023, nul n’avait le droit de pénétrer dans la propriété d’autrui, mais les intrusions n’étaient pas sanctionnées pénalement dès lors qu’aucun dégât n’était commis, même si ladite propriété était entourée d’une clôture. Il existait donc bel et bien un vide juridique concernant la protection du droit de propriété, qu’elle soit rurale ou forestière ; la création de l’article 226-4-3 du code pénal l’a comblé. Lors des auditions menées au Sénat, aussi bien les propriétaires que les associations de promeneurs avaient d’ailleurs manifesté leur volonté de mieux protéger la propriété privée et de sanctionner le non-respect de celle-ci.

Dans le monde rural, nombreux sont ceux qui déplorent la perte de savoir-vivre et la revendication de plus en plus répandue que la nature appartiendrait à tout le monde, mettant en cause dangereusement la notion même de propriété privée. Le braconnage, les vols de fruits forestiers ou de fleurs sont fréquents. Les pollutions, les dégradations, voire les intrusions agressives ou les dépôts sauvages incitent les propriétaires à ériger des clôtures. La création d’une contravention de quatrième classe pour pénétration sans autorisation dans la propriété rurale ou forestière d’autrui est donc une véritable avancée pour le respect du droit à la propriété privée, et un élément fondamental pour le désengrillagement des espaces naturels, auquel je suis particulièrement attachée.

La proposition de loi, qui propose une régression dangereuse du droit à la propriété privée, est de plus en totale contradiction avec la volonté de désengrillager les espaces naturels. Elle tente d’opposer les propriétaires, les promeneurs et tous les amoureux de la nature, alors que les dispositions législatives en vigueur tendent seulement à faire respecter le droit de propriété. Son article unique remet en cause l’une des garanties de l’acquis fondamental de la Révolution française : le droit de propriété.

Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement national a déposé un amendement de suppression de l’article unique de cette proposition de loi à laquelle il est fermement opposé.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). L’accès à la nature est une question d’intérêt général, un enjeu de santé publique, une source d’épanouissement. De nombreuses activités culturelles ou touristiques dépendent du franchissement respectueux des forêts. Or des espaces naturels entiers sont privatisés : 75 % des forêts sont privées dans l’est de l’Hexagone, le taux atteignant 90 % dans l’Ouest.

Cette situation était globalement vivable, fondée sur une forme d’entente tacite. Cependant, depuis le 2 février 2023 et l’adoption d’un texte proposé par le MODEM, le fragile équilibre normatif entre propriétaires et promeneurs a volé en éclats. À présent, le seul fait de pénétrer dans une propriété privée, dont le propriétaire aurait placé un marquage, est pénalement répréhensible.

Du jour au lendemain, un sentier pratiqué depuis des générations dans le parc naturel régional des Ballons des Vosges à Rimbach-près-Guebwiller, dans la belle vallée de la Doller, dont je suis originaire, a été saccagé par son propriétaire pour en interdire l’accès. À Villeneuve-Loubet, près de 80 % des espaces naturels de la commune ont été interdits d’accès par le marquis de Panisse-Passis. Un autre marquis, celui de Quinsonas-Oudinot, interdit des centaines d’hectares au cœur de la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse. Quel est le point commun entre ces trois terrains ? Aucun d’entre eux n’était auparavant engrillagé. Pourtant, c’est en contrepartie du désengrillagement des propriétés, que l’infraction pénale de franchissement de la propriété d’autrui a été introduite dans la loi.

Protéger l’environnement des pollueurs et des pilleurs est nécessaire, mais en interdire l’accès à toutes et tous est contre-productif. La loi permet déjà de sanctionner les excès, mais les maires ou les agents de police de l’environnement se retrouvent souvent sans moyens pour appliquer leurs prérogatives. Dans leur quasi-intégralité, les sentiers de randonnée de France sont ainsi menacés de fermeture à terme.

Ces propriétaires font donc un emploi totalement à rebours de l’esprit de la loi du 2 février 2023 et des débats de notre assemblée. Comme dans d’autres domaines, on constate ici qu’en système capitaliste les intérêts particuliers s’affirment toujours au détriment de l’intérêt général. Ils le font pourtant sous le sceau de la légalité, avec la bénédiction de la portion du Parlement qui a voté en faveur de cette loi. Il convient donc de corriger cela. C’est pourquoi le groupe LFI-NUPES votera en faveur de la proposition de loi.

A contrario, l’extrême droite a choisi de se faire le relais des marquis et des grands propriétaires terriens, plutôt que des usagers, respectueux de la nature et du travail méticuleux des milliers de bénévoles des associations de randonneurs. Une promenade, c’est une sorte de fenêtre ouverte de liberté gratuite pour de nombreuses familles rurales. En voulant supprimer l’abrogation de la pénalisation de l’accès à la nature, le Rassemblement national fait preuve, une fois de plus, d’une parfaite déconnexion avec les problématiques de nos territoires ruraux.

L’accès à la nature est une nécessité, un besoin, une évidence. Parce qu’il est d’intérêt fondamental, il doit en découler un droit collectif, celui de pouvoir accéder à la nature. Ce droit doit être garanti dans la loi, comme c’est le cas dans les pays scandinaves – il l’est même dans la Constitution suédoise depuis 1994. En France, ce droit doit nécessairement aller de pair avec l’exigence de protection des cycles de reproduction des écosystèmes. C’est ce à quoi s’emploient la Fédération française de randonnée pédestre et, en Alsace, le Club vosgien.

Des milliers de bénévoles remplissent une mission essentielle de protection des espaces naturels, en gérant les flux de promeneurs, en sensibilisant ceux-ci au respect de l’environnement, tout en entretenant les espaces naturels. Nous proposerons donc de nous reposer sur cette cartographie fine pour y créer des servitudes de passage, en nous inspirant de la loi « littoral », afin de protéger la continuité des sentiers de randonnées pour un accès respectueux de la nature pour toutes et tous.

Il nous faut revenir à la raison. Laissons les promeneurs se promener et les randonneurs randonner. Ne permettons pas que les caprices de quelques propriétaires terriens puissent donner à d’autres la mauvaise idée de mettre en œuvre de tels projets égoïstes. L’accès à la nature doit être considéré comme un droit universel. Dépénalisons-le.

M. Xavier Breton (LR). Avec cette proposition de loi, la rapporteure nous invite à une réflexion sur le rapport de l’homme à la nature, qui n’est pas abstraite : elle se concrétise dans le droit où il faut bien souvent concilier des principes, qui peuvent être complémentaires mais aussi devenir contradictoires. En l’occurrence, il s’agit de concilier la liberté d’aller et venir avec le droit de propriété.

Nos débats doivent se situer dans le droit actuel, la loi du 2 février 2023, visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée. Déposé, à l’origine, par un sénateur du groupe LR, ce texte visait à rétablir les continuités écologiques afin que les espèces animales se déplacent sans contrainte dans les espaces naturels, à répondre aux problèmes de sécurité en termes d’incendies ou de risques sanitaires et à limiter le développement de chasses artificialisées, prenant la forme d’enclos érigés pour favoriser le tir du gibier, ce qui n’est pas opportun. En contrepartie de la réglementation stricte sur l’engrillagement, pouvant représenter une forme d’atteinte à la propriété privée, l’article 226-4-3 du code pénal prévoit de sanctionner d’une amende de quatrième classe le fait de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui. C’est cette dernière disposition que l’on nous propose d’abroger.

Tout d’abord, à peine un an après son adoption, il faudrait déjà modifier ce texte qui n’a fait l’objet d’aucune évaluation. Combien de personnes ont été vraiment verbalisées ? Il me semble qu’avant de tout bousculer, il faudrait prendre le temps d’évaluer. Ensuite, la présente proposition de loi détruirait l’équilibre recherché en 2023 : la contravention était une contrepartie aux contraintes imposées à la propriété privée en matière d’engrillagement. Enfin, les débats du jour pourraient donner l’impression qu’il y a les méchants propriétaires, d’un côté, et les gentils promeneurs, de l’autre. C’est une vision un peu manichéenne. Il suffit d’interroger les agriculteurs et les propriétaires forestiers pour comprendre que les mœurs des promeneurs ont largement évolué : la cohabitation n’est plus aussi paisible et respectueuse de la nature qu’il y a quelques décennies. Cette évolution de la société doit nous inciter à la prudence : il s’agit de ne pas détruire l’équilibre trouvé, allant ainsi à l’encontre de nos objectifs communs de protection de la nature.

Pour notre part, nous voterons contre la proposition de loi, parce que nous continuerons à rechercher un équilibre dans le dialogue entre les propriétaires, les promeneurs, les chasseurs, tous les utilisateurs et amoureux de la nature.

M. Hubert Ott (Dem). Cette proposition de loi soulève, à juste titre, un problème posé par l’application de la loi du 2 février 2023, qui tend à limiter l’engrillagement des espaces naturels, afin de permettre la libre circulation du gibier et d’assurer une vraie fonctionnalité des écosystèmes, en particulier forestiers. Pour accompagner le désengrillagement, il a été créé une contravention en cas de pénétration sans autorisation dans une propriété privée rurale ou forestière.

On constate toutefois que cette mesure a entraîné la fermeture de l’accès à des espaces naturels dans plusieurs territoires, parfois même au sein de parcs naturels régionaux (PNR) comme c’est le cas dans le massif de la Chartreuse. Sur mon territoire, dans le Haut-Rhin, le rachat d’une parcelle forestière a ainsi conduit à la fermeture sans concertation de deux sentiers de randonnée très prisés, entretenus et balisés par le Club vosgien, une association reconnue d’utilité publique qui œuvre depuis cent cinquante ans au balisage et à l’entretien de plus de 20 000 kilomètres d’itinéraires pour et dans le respect de la protection de la nature et des paysages.

L’application de cet aspect de la loi du 2 février 2023 soulève donc la question du droit d’accès à la nature. Alors que la Charte de l’environnement, présente dans notre bloc constitutionnel, rappelle que l’environnement est le patrimoine commun de l’humanité, la fermeture de sentiers parfois centenaires n’est pas acceptable. Nos concitoyens sont très sensibles à cet enjeu.

Mais de même que le droit d’accès à la nature doit être défendu, de même il faut pouvoir donner aux propriétaires de parcelles forestières et rurales la possibilité d’en réglementer l’accès. Une suppression totale de cette contravention semble donc disproportionnée au regard de la protection de la propriété privée. C’est pourquoi le groupe démocrate a déposé un amendement de réécriture de l’article unique de la proposition de loi, afin de proposer une solution plus équilibrée qui garantisse autant le droit d’accès à la nature que le respect de la propriété privée.

M. Gérard Leseul (SOC). Depuis la loi du 2 février 2023, notre régime juridique prévoit une contravention de quatrième classe, soit une amende forfaitaire de 135 euros et pouvant atteindre 750 euros, pour la violation d’une propriété rurale ou forestière. Concrètement, ce texte limite la possibilité de traverser une propriété rurale ou forestière ou de s’y aventurer, même sans l’endommager. Jusqu’alors, il était permis de se promener dans des espaces naturels, dès lors que l’on ne commettait aucune dégradation ou violation de domicile, sachant que 75 % des forêts de l’Hexagone sont des propriétés privées.

Il apparaît finalement que ce texte a renforcé la fermeture, voire l’engrillagement de certains espaces, notamment forestiers, en interdisant toute incursion. Certains propriétaires profitent même de la toute nouvelle législation pour installer des panneaux portant les mentions « propriété privée » ou « défense d’entrer », afin de dissuader les usagers de la nature de s’aventurer plus loin. Ces espaces sont désormais réservés à l’usage exclusif et récréatif de quelques propriétaires fortunés, au détriment des populations qui souhaitent pouvoir profiter tranquillement de la nature.

Déjà très en retard par rapport aux législations en vigueur en Islande, en Norvège, en Suède ou en Finlande, la France a paradoxalement accusé une grave régression du droit d’accès à la nature depuis l’adoption de ce texte en 2023. L’abrogation proposée ici s’inscrit pleinement dans le respect des droits consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, notamment la liberté d’aller et venir. Elle en respecte aussi l’article 5 qui dispose : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. » Quant au droit de propriété, il n’est nullement remis en cause s’agissant d’espaces naturels qui pourraient être aménagés dans le cadre d’un régime légal des biens communs.

Le groupe Socialistes et apparentés soutient donc cette proposition de loi, qui va dans le sens d’un partage de la jouissance des espaces naturels.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). La présente proposition de loi part du principe que la nature est un élément indispensable à la qualité de vie de nos concitoyens, et que ses effets bénéfiques sur la santé physique et mentale ne sont plus à démontrer. Tous les députés du groupe Horizons et apparentés souscrivent totalement à cette assertion. Néanmoins, ils souhaitent réaffirmer que, comme tout droit fondamental, la liberté d’aller et venir doit se concilier avec le droit constitutionnel de propriété.

C’est d’ailleurs l’équilibre qui avait été trouvé lors de l’examen de la loi du 2 février 2023, que la présente proposition de loi souhaite partiellement abroger. Cette loi, votée par le groupe écologiste en première lecture, a institué une contravention de quatrième classe sanctionnant le fait de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui lorsque le caractère privé du lieu est matérialisé.

Cette disposition a fait l’objet d’un compromis indispensable qui nous semble rendre cette nouvelle sanction tout à fait proportionnée. D’une part, la proposition de loi prévoyait initialement une contravention de cinquième classe, conduisant à un éventuel procès pénal en lieu et place d’une simple amende forfaitaire. D’autre part, pour ne pas sanctionner des promeneurs qui s’introduiraient dans une propriété privée en méconnaissance du caractère privé du lieu, nous avons adopté un amendement par lequel l’infraction n’est constituée que si le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement. Cette disposition est donc tout à fait proportionnée. En outre, il est légitime de sanctionner à cette hauteur des intrusions dans les propriétés privées, alors que la superficie forestière – 17,3 millions d’hectares – n’a jamais été aussi grande, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Mes réserves sur cette proposition de loi tiennent à ce qu’elle revient sur une loi adoptée il y a moins d’un an par notre assemblée identiquement composée. D’une part, les équilibres politiques, voire les compromis trouvés ne sauraient être remis en question dans un délai aussi court sans un changement de circonstances majeur. D’autre part, nous constatons tous ce que l’édifice législatif est souvent peu lisible pour nos concitoyens. Les lois s’empilent les unes sur les autres, et, alors que nul n’est censé ignorer la loi, la plupart des Français ne sont pas capables de suivre ces évolutions. Cette proposition de loi me semble particulièrement contre-productive et son adoption participerait à complexifier et alourdir encore un peu notre arsenal législatif qui n’a pas vraiment besoin de cela.

Le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je remercie ma collègue Lisa Belluco de défendre avec force cette excellente proposition de loi.

Il ne faudrait pas revenir sur un texte adopté récemment, arguent certains. Or nous constatons que les effets de cette loi avaient été mal appréciés et qu’ils sont contraires à ceux qui avaient été escomptés : des propriétés deviennent infranchissables alors qu’il s’agissait de lutter contre l’engrillagement.

Dans ma circonscription, en Chartreuse, 750 hectares ont été fermés du jour au lendemain, ce qui a conduit au détournement ou à l’interdiction de deux itinéraires de randonnée pratiqués depuis toujours. Hormis l’application détournée de la loi du 2 février 2023, il n’y a aucune explication logique à cette fermeture : l’endroit n’est pas fréquenté à outrance et il ne subit pas de dégradations majeures.

Notre proposition est raisonnable : il s’agit de revenir au droit antérieur, à la coutume historique, une tolérance qui permet de se promener partout. Notre collègue Breton explique qu’il faut rechercher un équilibre entre le droit de la propriété privée et la liberté d’aller et venir. Or la loi de 2023 rompt cet équilibre en prévoyant une infraction pénale qui n’a rien à faire en la matière : une telle infraction sert à réparer un dommage créé à la société. Quand on se promène sur une propriété privée et que l’on ne crée aucun dommage à la société, il n’y a pas lieu d’encourir une infraction pénale.

Ce qui s’est passé en Chartreuse s’est produit à Villeneuve-Loubet et dans les Vosges. Le phénomène est appelé à s’étendre sous la pression des assureurs, des fédérations de chasse et autres. Quelque 75 % des forêts françaises sont privées, et le taux atteint même 90 % en Bretagne. Si des régions entières sont fermées à la randonnée, vous allez voir une pression très forte de nos concitoyens sur le terrain. À mon avis, le texte que nous proposons finira par être adopté d’une manière ou d’une autre, que ce soit cette fois-ci, l’année prochaine ou la suivante. C’est inéluctable, car on ne peut pas priver les Françaises et les Français d’aller se promener, d’exercer ce droit imprescriptible.

Pour clarifier la manière de concilier le droit de la propriété privée et celui d’aller et venir, je nous invite collectivement à réécrire le droit. Alors que nous vivions sur une coutume vivace, nous pourrions nous inspirer des législations des pays scandinaves. La Constitution suédoise consacre le droit d’aller et venir, ce qui n’est pas une violation de la propriété privée. Il ne faut d’ailleurs pas confondre terrain privé et domicile. La violation du domicile reste une infraction pénale : vous ne pouvez pas entrer dans la maison ou le jardin de quelqu’un, le déranger ou créer un trouble de voisinage. Cela vaut aussi en Suède, en Finlande, en Norvège et au Danemark, pays qui ne sont pas des dictatures communistes. Nous ne remettons pas en cause le droit de propriété. Il faut arrêter de raconter n’importe quoi et avancer sur ce sujet.

Nous sommes donc très favorables à cette proposition de loi.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je note tout de même que ceux qui s’étouffent devant cette proposition de loi sont généralement ceux qu’on n’entend pas quand des terres sont artificialisées pour créer des parcs de loisirs promettant des moments d’émotion. De la même manière, ils réagissent peu quand des chasseurs ne se contentent pas de pénétrer sur des terrains privés mais donnent dans la violation claire, régulière et parfois brutale de domicile.

En France, 75 % des forêts sont des propriétés privées. Si tous les propriétaires terriens prenaient exemple sur ce qu’a fait M. de Quinsonas-Oudinot en Chartreuse, l’accès à la nature s’en trouverait fort restreint sur le territoire français.

Nous avons un défi à relever – l’affaire du siècle, pour certains : créer ou développer une proximité des peuples avec la nature, un nouveau rapport au vivant. À cet égard, et même si elle se limite à revenir sur une loi qui a remis en cause un équilibre, la présente proposition de loi constitue une sorte de premier pas vers un véritable droit à la nature, à l’image de législations étrangères. Dans une tribune parue dans Le Monde, dont vous êtes à l’initiative, madame la rapporteure, des personnalités diverses citaient en exemple les pays scandinaves où, selon la chercheuse Camille Girault, « traverser une prairie, cueillir des champignons et des baies dans une forêt, bivouaquer dans un pré, randonner sur n’importe quel sentier et canoter sur le moindre lac sont considérés comme des aménités et des services environnementaux accessibles à tous en vertu de ce droit coutumier qui conçoit la nature comme un bien public. » C’est donc aussi un bien à préserver. Voilà vers quoi nous devons tendre, car cela correspond à un enjeu écologique primordial, mais aussi à un enjeu civilisationnel, d’humanité.

Le droit de propriété est toujours mis en avant par les opposants au droit d’accès à la nature. Lors de l’examen de la proposition de loi anti-squat de l’actuel ministre de logement, les mêmes nous avaient offert un dangereux glissement, passant d’une logique de protection du domicile et de la vie privée à une logique de protection de la propriété, ce qui n’est pas du tout pareil : la propriété est alors élevée au rang de valeur suprême.

La nature nous est commune. Nous n’en sommes pas propriétaires, mais, par le biais de cette communauté, nous pourrions considérer que nous sommes propriétaires de l’accès plein et entier à la nature. Dès lors, les éventuelles restrictions ne peuvent concerner son accès mais sa préservation, tout cela allant dans le sens d’une plus grande proximité des peuples avec la nature.

Dans un pays attaché aux libertés publiques, à la liberté d’aller et venir, où les espaces naturels sont légitimement regardés comme un patrimoine commun, nous ne pouvons pas accepter ce raidissement libéral et l’absolutisation du droit de propriété. Nous serions plus avisés de nous inspirer de nombreux pays qui consacrent le droit de tout un chacun à accéder à la nature. Ce droit ne peut certes s’exercer sans limite et doit respecter aussi bien la vie privée que l’environnement, mais il reflète et honore un besoin essentiel.

Nous voterons évidemment pour ce texte.

Mme Lisa Belluco, rapporteure. Merci à tous. Je vais essayer de répondre à quelques inquiétudes en partageant avec vous ce que m’ont appris ces travaux.

Madame Boyer, selon vous, nous voudrions donner à tout le monde le droit d’aller partout. Ce n’est pas tout à fait l’objet de ce texte qui vise à revenir au droit existant avant le 2 février 2023. Il me semble que le 1er février 2023, tout le monde n’avait pas le droit d’aller partout pour faire n’importe quoi. Ce n’est pas comme si la loi était venue nous sauver d’un chaos où les gens détruisaient tout et faisaient n’importe quoi.

Il ne s’agit pas non plus d’un recul concernant le respect de la propriété privée : celle-ci est protégée, et tous les préjudices subis par les propriétaires sont réprimés par la loi. En revanche, le nouvel article introduit dans la loi l’année dernière a bouleversé notre philosophie pénale en ce sens que le code pénal sanctionne désormais un acte qui ne nuit pas à la société. En France, le code pénal sanctionne des actes qui nuisent à la société. Traverser une propriété privée peut éventuellement nuire au propriétaire, mais pas à la société. À la limite, si vous voulez vraiment traiter le sujet, faites-le dans le code civil.

J’entends votre souci de protéger la nature des promeneurs. Nous ne mettons pas sous le tapis le fait que certains d’entre eux la dégradent, même s’ils ne sont pas la majorité. Il s’agirait plutôt d’accompagner les promeneurs, de les sensibiliser et de les former à un meilleur respect de la nature, car ce n’est pas en les empêchant d’y accéder que nous leur permettrons d’apprendre à mieux s’y comporter. Cette proposition de loi n’est donc qu’un premier pas pour favoriser l’accès à la nature.

Je le répète, ce n’est parce que vous aurez ajouté un article à la loi que les fraudeurs se mettront subitement à la respecter. Les gens qui volent des champignons, du bois ou des fruits, qui dégradent la nature ou qui laissent divaguer leur animal de compagnie sont déjà punis par la loi, et je ne pense pas qu’ils mettront fin à ces comportements illégaux parce que nous aurons imposé une contravention aux promeneurs. Il s’agit moins d’empiler les lois que de nous donner les moyens de les faire respecter.

Vous dites, par ailleurs, que les chemins balisés existants suffisent mais, en Chartreuse ou dans la vallée de la Doller, par exemple, ce sont des chemins balisés qui ont été fermés, car ces chemins, entretenus par des associations de randonneurs, ne sont absolument pas protégés par cet article : la propriété privée est au-dessus de tout le reste. Dans les ballons des Vosges, on ferme des chemins historiques que les gens empruntaient pour accéder à un site touristique où se trouve un lac. Peut-être, me direz-vous, cela permettra-t-il de protéger la nature de l’excès de randonneurs, mais il existe d’autres moyens de le faire que de tout fermer – ce qui, du reste, renverra cet excès de randonneurs dans les 25 % de forêts publiques.

Madame Paris, puisque vous évoquez nos textes fondateurs, n’oubliez pas que le droit de chasser pour le peuple est un acquis de la Révolution française. Les chasseurs qui chassaient gratuitement, par exemple dans le massif de la Chartreuse, ne peuvent plus le faire sans payer. Quelque position personnelle que l’on puisse avoir à propos de la chasse – et vous savez que je n’en suis pas une grande amatrice –, il faut respecter et n’encadrer qu’avec prudence cette chasse populaire, que cet article du code pénal ne protège pas.

Par ailleurs, l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que vous citez, affirme aussi que la propriété peut être limitée en cas de nécessité publique. Aucune propriété n’est absolue : à nous de juger si l’accès à la nature fait nécessité publique – ce que, pour ma part, je crois.

Le même article évoque certes aussi une « indemnité », mais n’oublions pas non plus que les forestiers utilisent souvent des chemins publics pour accéder à leurs parcelles et bénéficient d’exonérations fiscales pour entretenir ces dernières, ainsi que de diverses aménités publiques qui pourraient justifier qu’ils laissent sur ces parcelles un libre passage ne causant aucun préjudice – les préjudices étant, du reste, punis par la loi.

C’est aussi le cas de la perte de savoir-vivre, du braconnage, du vol et des dégradations. En outre, je le répète, un contrevenant ne se mettra pas subitement à respecter la loi parce qu’on y aura ajouté des sanctions. Ce qui compte, c’est d’avoir les moyens de la faire appliquer. Il faut des agents de l’État, des fonctionnaires pour sanctionner, mais ce n’est pas le sujet de cette proposition de loi.

Monsieur Fernandes, il est bon de rappeler que les espaces dont l’accès est aujourd’hui restreint n’étaient pas engrillagés et que l’article que nous voulons abroger n’est donc pas une contrepartie au désengrillagement, très bénéfique pour la faune sauvage, que nous avons voté.

Monsieur Breton, vous avez raison de souligner que nous sommes en train de discuter du rapport de l’homme à la nature et du besoin que nous avons de cette dernière. Vous avez rappelé l’historique de la loi contre l’engrillagement, qui visait notamment à limiter les enclos de chasse. Toutefois, si cette loi interdit les grillages imperméables à la faune sauvage, il reste autorisé d’en poser s’ils lui sont perméables : les propriétaires qui tiennent absolument à s’enclore en ont encore le droit – le bien-fondé de ce droit n’étant pas l’objet du texte que nous examinons. Je ne pense donc pas qu’en supprimant la sanction, on supprime l’équilibre trouvé dans cette loi : puisqu’il n’est pas interdit de s’enclore, il n’est pas vraiment besoin de contreparties pour protéger la propriété privée, qui n’est pas atteinte par les dispositions du texte relatif au désengrillagement.

Vous demandez également combien de personnes ont été verbalisées et nous invitez à prendre le temps d’évaluer cette loi. Elle n’avait pas fait l’objet d’une évaluation antérieure et, à notre connaissance, personne n’a été verbalisé à ce titre, ce qui pose d’ailleurs question quant à l’applicabilité de la contravention. Avons-nous vocation à introduire dans une multitude de codes une multitude d’articles non applicables, nous exposant à la critique de faire une loi bavarde et des amendements qui l’alourdissent ? Si cet article n’est pas applicable, pourquoi le conserver ?

Je conviens avec vous qu’il ne s’agit pas d’opposer les méchants propriétaires et les gentils promeneurs. Je le répète, je n’occulte pas le fait que certains promeneurs provoquent des dégradations, mais je suis persuadée qu’il s’agit d’une minorité. Les élus de la Fédération nationale des communes forestières, à qui j’ai demandé s’ils trouvaient que, concrètement, les incivilités et les dégradations étaient plus nombreuses qu’auparavant, m’ont répondu qu’elles existaient bel et bien et qu’il fallait les traiter, mais qu’elles n’étaient pas plus nombreuses. Peut-être ce jugement ne concerne-t-il que les forêts et faut-il aller voir ailleurs ce qu’il en est, mais je note au moins que ces dérives ne sont pas si nombreuses et je rappelle qu’il existe déjà dans la loi tout ce qu’il faut pour les sanctionner. Donnons-nous-en les moyens.

Monsieur Ott, nous reviendrons à votre proposition lorsque nous examinerons votre amendement.

Madame Poussier-Winsback, vous soulignez que la liberté d’aller et venir doit se concilier avec le droit de propriété et, de fait, c’était le cas dans le droit coutumier et il ne semble pas que la propriété privée ait été dégradée par cette liberté des promeneurs.

Vous nous reprochez d’alourdir l’arsenal législatif, alors que supprimer un article inapplicable n’est pas alourdir, mais alléger.

Monsieur Iordanoff, la coutume a en effet valeur de droit dans certaines circonstances, comme c’était le cas auparavant. Certains ont pu évoquer un flou juridique, mais il s’agit en réalité de la coutume, sur la base de laquelle on peut juger.

Enfin, comme Mme Faucillon, je suis pleinement d’accord pour dire que cette proposition de loi n’est qu’un premier pas. Nous devons en effet travailler à définir notre nouveau rapport au vivant, à fixer des restrictions en vue de la préservation de la nature et à établir des usages. Il ne s’agit pas seulement de posséder, car cela ne nous affranchit pas de l’obligation de respecter le reste du vivant – ce qui, du reste, nous permet d’être vivants nous aussi.

Article unique (art. 226-4-3 du code pénal) : Abrogation de la contravention réprimant le fait de pénétrer dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui

Amendement de suppression CL1 de Mme Mathilde Paris

Mme Mathilde Paris (RN). Cet article remet dangereusement en cause le droit à la propriété privée et rompt l’équilibre qui avait été trouvé avec la loi de désengrillagement pour garantir, en contrepartie, le respect de la propriété privée.

Mme Lisa Belluco, rapporteure. Cet argument est malheureusement mauvais car, comme je l’ai dit, la loi désengrillagement n’impose pas de supprimer les grillages et ceux qui veulent vraiment s’enclore peuvent continuer à le faire. La propriété privée n’était donc pas atteinte par cette loi. En revanche, la contravention prévue à l’article 226-4-3 du code pénal soulève de nombreuses difficultés, que j’ai citées.

La contravention peut aussi sanctionner un promeneur de bonne foi. La loi impose certes que le caractère privé de la zone soit matérialisé – je le sais pour avoir imposé cette obligation, qui n’était pas prévue dans le texte, par un amendement de repli –, mais il n’est nullement requis que cette matérialisation soit suffisante pour garantir la bonne information des tiers. Un simple panneau peut suffire, de telle sorte qu’un promeneur de bonne foi, entré par un autre endroit dans l’espace naturel concerné, peut être sanctionné sans avoir même su que cet espace était privé. C’est une énorme restriction à la liberté d’aller et venir.

M. Jean Terlier (RE). Madame la rapporteure, vos propos sont encore plus dangereux que votre proposition de loi. Selon vous, on pourrait s’introduire dans une propriété privée sans que cette violation soit une infraction pénale : elle relèverait seulement d’une responsabilité civile. Député de la troisième circonscription du Tarn, département dans le sud duquel des zadistes occupent une « zone à défendre » (ZAD) pour s’opposer à l’autoroute A69, j’ai le sentiment que ce que vous venez de dire pourrait laisser penser que vous légitimez leur présence sur des parcelles appartenant à des tiers, alors qu’il faudrait au contraire renforcer les sanctions pénales pour dissuader ces personnes de s’y introduire sans autorisation, en sachant pertinemment qu’elles n’ont pas droit de s’y trouver. Au détour de votre proposition de loi, il y a donc une remise en cause la responsabilité pénale pour la violation de la propriété d’autrui. C’est très dangereux.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). On voit que le Rassemblement national est totalement déconnecté des réalités du pays et se fait, une fois encore, le défenseur zélé des intérêts particuliers contre l’intérêt général. La proposition de loi que nous examinons doit permettre de corriger une situation absurde, ubuesque, et qui est même vécue comme brutale, comme je l’ai constaté à Rimbach, dans la vallée dont je suis originaire, où plus de 1 000 personnes ont manifesté afin de pouvoir utiliser un sentier qu’ils empruntaient depuis des générations pour atteindre un lac dans les montagnes et où il n’y a jamais eu ni dégradations ni pillages.

Avant la loi proposée par le MODEM du 2 février 2023, tout allait bien et, par une sorte d’usage et de compromis tacite, la traversée des propriétés forestières et rurales était tout à fait tolérée : c’est la possibilité de cette contravention de quatrième classe qui a brisé cet équilibre. Il faut donc la supprimer et revenir à la situation antérieure.

Le Rassemblement national, dans son idéologie individualiste et son dogmatisme de l’égoïsme et du repli sur soi, montre qui il défend : les caprices des marquis et des grands propriétaires terriens contre l’intérêt général, contre celles et ceux qui souhaitent simplement pouvoir continuer de se promener sur des chemins qu’ils empruntent souvent depuis des générations.

Mme Lisa Belluco, rapporteure. À vous entendre amalgamer des personnes qui se promènent avec des zadistes, je ne sais pas qui tient les propos les plus dangereux ! Tous les gens qui ont une relation avec la nature sont donc de méchants écologistes terroristes, ou « écoterroristes » ? Je ne propose pas de supprimer l’article du code pénal qui sanctionne déjà le fait de s’installer indûment dans une propriété privée, mais l’article en vertu duquel on peut être sanctionné en se promenant.

Quant aux ZAD, il s’agit bien d’occupations illégales réprimées par l’article 322-4-1 du code pénal – personne ne dit le contraire. Les personnes qui s’y trouvent pratiquent la désobéissance civile ; elles savent qu’elles sont hors-la-loi et c’est précisément en se mettant hors-la-loi qu’elles comptent défendre leurs convictions et faire savoir ce qu’elles revendiquent. Toute personne qui pratique la désobéissance civile sait qu’elle peut être sanctionnée ; cela fait partie de ce mode d’action. Le texte ne vise pas à ne pas sanctionner des gens qui prônent un mode d’action extérieur à la loi pour faire valoir des idées, mais simplement à ce qu’on cesse d’infliger des amendes à des gens qui se promènent de bonne foi. Tous les autres comportements qui portent préjudice à la propriété sont déjà punis par la loi. Or le fait de se promener ne porte a priori préjudice à personne.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL5 de M. Hubert Ott

M. Hubert Ott (Dem). Il vise à faire évoluer la loi de février 2023 afin de garantir l’accessibilité de tout sentier entretenu et balisé par une association reconnue d’utilité publique, même s’il traverse une propriété privée.

Bien que la proposition de loi aborde le problème de manière adéquate, la suppression totale de l’article 226-4-3 du code pénal semble disproportionnée au regard de la protection de la propriété privée. Cet amendement vise donc à établir un équilibre entre la protection de la propriété privée et le respect du droit d’accès à la nature.

Il tend à promouvoir le droit d’accès à la nature et l’importance cruciale des associations dans son encadrement et sa préservation. Leur engagement contribue à soulager les pouvoirs publics en réduisant la charge de travail des communes et les coûts pour les collectivités territoriales. Leur connaissance approfondie du territoire est également précieuse, notamment en matière de sécurité, en particulier pour la prévention et la lutte contre les incendies de forêt. Les cartes qu’elles élaborent constituent en outre un patrimoine inestimable.

La solution proposée est équilibrée : maintenir la contravention établie grâce à la loi du 2 février 2023 en cas de pénétration sans autorisation dans une propriété privée rurale ou forestière, tout en garantissant le droit d’accès à la nature et en reconnaissant le rôle crucial des associations dans sa préservation, surtout lorsqu’elle est encadrée par des sentiers et itinéraires balisés et entretenus.

Mme Lisa Belluco, rapporteure. Bien que je comprenne le sens de votre amendement, j’y suis défavorable, car sa rédaction soulève quelques difficultés. D’abord, elle semble incomplète, car il faudrait exclure aussi du champ de la contravention les autres chemins de randonnée, qui ne sont pas nécessairement entretenus par des associations. Par ailleurs, la pratique d’autres sports que la marche, comme le VTT, ne serait pas non plus permise. Le VTT en dehors des chemins cause certes des dégradations, mais si on ne peut même plus faire de vélo sur les chemins, autant nous doter tous dès maintenant de vélos d’appartement ! Surtout, en pratique, le promeneur ne pourra pas savoir s’il se trouve sur un sentier correspondant à cette définition et délimité par une association reconnue d’utilité publique ou sur un sentier sauvage balisé par quelqu’un d’autre.

Il faut donc affiner la définition pour savoir quels chemins peuvent être pratiqués ou ne le peuvent pas. L’amendement ne me semble pas satisfaire aux conditions de précision de la loi pénale et au principe de légalité. Je vous invite à retravailler ensemble sur cette voie, qui pourrait nous aider à avancer.

M. Hubert Ott (Dem). Les sentiers garantissant le libre accès à la nature sont identifiables grâce au travail de nos associations, institutions ou collectivités qui les entretiennent, les balisent, les répertorient et les cartographient. D’autres sentiers, en revanche, pourraient tomber sous le coup de ce texte, mais n’oublions pas que, dans certains territoires, faisant notamment l’objet de mesures de préservation du type Natura 2000, il a fallu réduire la prolifération de ces sentiers pour limiter les problèmes causés, même sans intention malveillante, par la pénétration du public, afin de protéger les fonctionnalités écologiques de ces espaces et la tranquillité de la faune, voire de la flore, menacée parfois de surpiétinement par les photographes. Nous devons donc chercher une forme de compromis qui tienne compte aussi de la nécessaire préservation de nos espaces naturels.

Ainsi, un débat s’est engagé dans le massif des Vosges pour savoir s’il faut ou non y réintroduire le grand tétras. Je suis plutôt favorable à ce qu’un oiseau aussi emblématique puisse y retrouver sa place, mais la surpénétration et la surfréquentation du massif sont un problème évident.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Nous ne soutiendrons pas cet amendement, moins-disant que la rédaction initiale de l’article unique. Limiter l’exemption de contravention aux sentiers entretenus pourrait certes être une solution applicable au massif des Vosges, car l’Alsace a la chance que le Club vosgien entretienne plus de 20 000 kilomètres de sentiers de randonnée balisés, mais en tant que représentants de la nation et travaillant pour l’intérêt général, nous souhaitons que l’article soit soumis au vote dans son écriture initiale, qui vise à une suppression totale de la contravention pour tout sentier – balisé ou non, entretenu ou non.

Je proposerai dans un instant un amendement de repli qui va dans le sens de votre proposition, monsieur Ott, et je vous invite donc à le voter afin de dépénaliser la traversée des chemins de randonnée préalablement balisés et entretenus.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article unique.

Après l’article unique

Amendement CL3 de M. Emmanuel Fernandes

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Cet amendement de repli s’inspire de loi « littoral », selon laquelle, le long du littoral, les propriétés riveraines du domaine public maritime sont grevées, sur une bande de 3 mètres de largeur, d’une servitude destinée à assurer le passage des piétons. Il vise ainsi à modifier le code de l’environnement pour permettre que les voies et chemins balisés par un établissement public, une collectivité territoriale ou une fédération de randonneurs agréée, comme le Club vosgien, et traversant une propriété privée, grèvent cette dernière d’une bande de servitude de 3 mètres de largeur destinée à assurer le passage des véhicules non motorisés, des piétons et des cavaliers.

Comme cela a été dit, la forêt privée représente 75 % du couvert forestier français et, dans certaines régions il est quasiment impossible d’accéder à la forêt sans pénétrer dans la propriété privée d’autrui. L’amendement propose donc de garantir un droit de passage aux usagers non motorisés des sentiers dès lors que ces derniers sont balisés.

Le droit de propriété doit être concilié avec l’impératif d’accessibilité de la forêt et, plus largement, de la nature, qui doit être considérée comme un bien commun pour demeurer un espace ouvert à vocation éducative, récréative et sportive. C’est l’occasion aussi de saluer, comme cela a déjà été fait, le travail essentiel réalisé par les associations qui balisent et entretiennent les sentiers de promenade et de randonnée, ainsi que leurs abords. Elles le font avec le souci de préserver la biodiversité en sanctuarisant certains espaces refuges pour lesquels une fréquentation humaine trop importante pourrait être nuisible. La qualité du balisage permet un respect des itinéraires et limite les intrusions anthropiques dans un écosystème souvent fragile.

Ne manquons pas cette occasion de garantir l’accès à la nature dans le respect de l’environnement, sans préjudices pour les propriétaires privés, comme c’était le cas avant la loi du 2 février 2023.

Mme Lisa Belluco, rapporteure. Je comprends l’objectif visé et, dans son principe, j’y souscris. Sur le plan purement juridique, toutefois, cette disposition me paraît délicate à mettre en œuvre.

D’abord, parce qu’elle s’appliquerait de manière rétroactive, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, ce qui risque de soulever une difficulté du point de vue du principe de sécurité juridique – mais nous y travaillerons. Ensuite, parce qu’il faudrait sans doute mieux préciser son champ d’application, en faisant par exemple référence aux voies et chemins mentionnés à l’article L. 361-1 du code de l’environnement. Enfin, parce qu’il n’est pas certain que cette disposition soit parfaitement solide juridiquement. Le Conseil constitutionnel a en effet rappelé, dans sa décision n° 2011-182 QPC du 14 octobre 2011, que si une servitude pouvait être prévue par le législateur pour des motifs d’intérêt général, il doit également être prévu une procédure spécifique, notamment pour éviter tout risque d’arbitraire dans la détermination des propriétés privées concernées.

Toutefois, malgré ces éventuelles difficultés, cet amendement va dans le bon sens. Je m’en remets donc à la sagesse de la commission.

Mme Pascale Boyer (RE). Il est un peu paradoxal de dire qu’on souhaite protéger la nature et, en même temps, de laisser les VTT y rouler partout. Députée des Hautes-Alpes, je peux témoigner que cela suscite quelques conflits d’usage entre utilisateurs de VTT et propriétaires de sentiers et d’espaces naturels – je pense notamment aux agriculteurs et aux producteurs, dont les champs sont parfois dévastés par une mauvaise utilisation de ces engins mécaniques, même non motorisés.

Pour ce qui est de l’évaluation, vous nous citez trois exemples pour 227 000 kilomètres de chemins. Il faudrait évaluer la loi avant de donner des exemples à la volée et de dire qu’il n’y a pas eu de sanctions. Tant que la loi n’est pas évaluée, on ne peut pas l’assurer.

Enfin, l’entretien n’est pas le même pour tous les sentiers et on voit, en se promenant, qu’il n’existe pas partout des associations qui puissent s’en charger.

Je tiens aussi à souligner que les parcs nationaux et régionaux font un travail remarquable en matière de sensibilisation et de compréhension de la nature.

Enfin, dans les Hautes-Alpes, il n’y a pas que des zadistes, mais aussi des yourtes qui s’installent dans des propriétés privées et, une fois qu’elles y sont installées, il est très difficile de les en faire sortir.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Cet amendement de repli concerne les sentiers balisés par les collectivités publiques ou par des fédérations agréées, et il ne permet pas que les VTT ou les motocross puissent se balader n’importe où dans la nature. La propriété privée est préservée. L’équilibre qui préexistait à la loi du 2 février 2023 fonctionnait très bien : on pouvait parcourir des chemins, balisés ou non, sans préjudice pour les propriétaires et, en cas de pillage ou de dégradation de la forêt ou des chemins ruraux par des pollueurs, les sanctions existaient.

Il s’agit, je le répète, d’un amendement de repli. Nous ne sommes pas parvenus à voter la suppression complète de la contravention, mais je pense que ce sera le cas dans les mois ou les années qui viennent, parce que la situation actuelle est absurde. Le vote de cet amendement permettrait aux promeneurs, partiellement et temporairement au moins, de continuer à emprunter un peu partout dans notre pays les sentiers balisés et entretenus.

Mme Lisa Belluco, rapporteure. Je n’ai pas dit qu’il fallait laisser les vététistes aller partout comme ils veulent, mais qu’il serait pertinent qu’ils puissent continuer à utiliser certains chemins, ce que ne prévoyait pas la rédaction proposée par M. Ott. J’ai bien conscience que certaines pratiques occasionnent des dégradations, et elles sont déjà punies par la loi. Or la contravention dont il est question dans la proposition de loi n’a pas pour objet de punir ces comportements inadaptés, mais des gens qui se promènent.

Quant aux parcs naturels régionaux, ils font en effet un très bon travail de sensibilisation, mais dans le massif de la Chartreuse, les 750 hectares fermés se trouvent précisément dans un PNR ! Faut-il se limiter à sensibiliser les promeneurs dans la maison du parc sans qu’ils aient le droit d’aller ailleurs ? Il faut évidemment les accompagner et leur apprendre à fréquenter la nature avec respect et responsabilité, mais cela ne veut pas dire qu’il faille interdire à tout le monde l’accès à la nature.

Enfin, pour ce qui concerne les yourtes, l’article 322-4-1 du code pénal permet de sanctionner l’installation indue dans une propriété privée, mais ce n’est pas, je le répète, l’objet de cette proposition de loi.

La commission rejette l’amendement.

L’article unique et l’amendement portant article additionnel ayant été rejetés, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de d’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi portant dépénalisation de l’accès à la nature (n°1835).


 

   Personnes entendues

 

Ministère de la Justice

   Mme Sophie Macquart-Moulin, directrice adjointe

Élus locaux

   Mme Fanny Lacroix, membre du bureau de l’association des maires ruraux de France (AMRF)

   M. Olivier Deleat, Directeur général des services adjoint de la commune de Villeneuve-Loubet

Établissement public

   M. Roland de Lary, directeur général

Associations et fédérations

Collectif Chartreuse

   M. Mathieu Crétet, membre

   M. Alexandre Bousquet, membre

   M. Pierre-Antoine Rigout, membre

Collectif Notre village Rimbach

   M. Jean-Philippe Dimeglio, membre

Collectif droit à la nature côte d’azur

   Mme Elise Hess Rapp, membre

Fédération nationale de la propriété privée rurale (FNPPR)

   M. Hugues de la Celle, vice-président

Fédération des syndicats de forestiers privés de France (FRANSYLVA)

   M. Antoine d’Amécourt, Président

   M. Laurent de Bertier, Directeur Général

   M. Baptiste Vial, membre

 

   M. Philippe Canot, président

   M. Alain Lesturgez, directeur général

   Mme Françoise Alriq, directrice adjointe

Personnalités

   Mme Aude Denizot, professeure de droit

   M. Philippe Conte, professeur de droit

   M. Jean-Baptiste Perrier, professeur de droit

 


([1])  Ces dérogations s’appliquent notamment à certaines clôtures exigées pour les besoins d’une activité particulière, telle que l’élevage équin, ou l’exploitation agricole, ou requises pour préserver certains espaces, à l’instar des jardins ouverts au public ou des parcelles revêtant un caractère historique ou patrimonial.

([2])  Ces effets négatifs ont été mis en évidence dans le rapport de M. Richard Ramos, fait au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, sur la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée (n° 134).

([3])  Le site pour les professionnels de la biodiversité de l’Office français de la biodiversité définit la fragmentation des habitats comme étant « le processus par lequel un habitat est converti en plusieurs fragments plus petits, suite à un changement d’usage des terres (urbanisation, conversion en terres agricoles etc.) ou à la création d’infrastructures de transport » (https://professionnels.ofb.fr/fr/node/527).

([4])  Le délit de violation de domicile est prévu par l’article 226-4 du code pénal.

([5])  Rapport de M. Richard Ramos fait au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée (n° 134).

([6])  Selon Léon Duguit, « La propriété n’est pas un droit ; elle est une fonction sociale. Le propriétaire (...) a, du fait qu’il détient une richesse, une fonction sociale à remplir, tant qu’il remplit cette mission, ses actes de propriété sont protégés. S’il ne la remplit pas ou la remplit mal (...) l’intervention des gouvernants est légitime pour le contraindre à remplir ses fonctions sociales de propriétaire, qui consiste à assurer l’emploi des richesses qu’il détient conformément à leur destination » (L. Duguit, « Les transformations générales du droit privé depuis le code Napoléon », 1912, cité par Élodie Oosterlynck, JurisClasseur Civil Code, Art. 544, Fasc. 10 : Propriété, première publication : 16 juin 2020, § 6).

([7]) Selon la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023 (paragraphe 49).

([8]) Cass. crim., 26 février 1963, n° 62-90.653.

([9]) Voir en ce sens : Cass. crim., 4 mai 1965, n° 64-92.168 et Cass. crim., 8 février 1994, n° 92-83.151.

([10]) Cass. crim., 8 décembre 1981, n° 81-90.981 (voir commentaire Haritini Matsopoulou, JurisClasseur Pénal Code Art. 226-4 Fasc. 20 : Violation de domicile, mise à jour au 3 décembre 2023, §27).

([11]) Cass. crim., 29 juin 2021, n° 19-83.192.

([12])  L’article 131-13 du code pénal fixe le montant de cette amende à 750 euros au plus.

([13])  Le nombre de propriétaires forestiers privés est estimé à 3,3 millions. 11 % d’entre eux possèdent 76 % de la surface forestière privée (« Les chiffres clés de la forêt privée française », édition 2021, CNPF, page 11).

([14])  Le principe d’égalité devant la loi est prévu à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (voir notamment la décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010).

([15]) Voir le compte rendu des débats de la deuxième séance publique du jeudi 6 octobre 2022, XVIème législature, session ordinaire de 2022-2023.

([16])  Voir pour exemple la mise en cause de la responsabilité civile de l’Office national des forêts pour un accident de VTT dans une forêt domaniale en raison de la dangerosité du lieu qui n’avait pas été signalée aux usagers (Cour d’appel de Versailles, 23 septembre 2010).

([17]) Voir pour exemple Cass. crim., 13 avril 2010, n° 09-85.776. La jurisprudence considère également que le vol de champignons est caractérisé même si le propriétaire n’a pas clôturé son terrain ou n’en a pas interdit l’accès notamment par voie d’affiche (Cour d’appel de Bordeaux, 13 février 1986).

([18])  Voir pour exemple Cass. civ. 2e, 14 juin 2018, n° 17-14.781.

([19]) Ces dispositions ont été introduites à la suite de la mise en cause de la responsabilité de la Fédération française de la montagne et de l’escalade (FFME) sur le fondement de l’article 1242 du code civil, en raison des dommages subis par deux personnes qui gravissaient une paroi d’un site d’escalade sur laquelle un rocher s’était détaché, provoquant leur chute (Cass. civ. 2e.16 juillet 2020, n° 19-14.033).