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N° 2447

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2024.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance,

 

 

 

Par Mme Isabelle SANTIAGO,

 

Députée.

 

——

 

 

Voir le numéro : 2350.

 


 

 


  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

introduction

Travaux de la commission

annexe

 


  1  —

 

   introduction

La rapporteure a déposé, le 18 mars 2024, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, dont la commission des affaires sociales est saisie.

Lors de la Conférence des présidents du 26 mars 2024, le président du groupe Socialistes et apparentés, M. Boris Vallaud, a fait part de son souhait d’exercer son « droit de tirage », prévu à l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, pour la création de cette commission d’enquête.

Conformément au premier alinéa de l’article 140 du Règlement, la proposition de résolution a été renvoyée à la commission des affaires sociales, compétente au fond. Le second alinéa de ce même article prévoit, en cas de mise en œuvre par un président de groupe d’opposition ou minoritaire de son droit de tirage, que « la commission vérifie si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité » et qu’aucun amendement n’est alors recevable.

Il appartient ainsi à la commission des affaires sociales de vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance sont bien réunies. Si la commission conclut en ce sens, la Conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d’enquête, en application de l’article 141 du Règlement.

*

*     *

Les demandes tendant à la création d’une commission d’enquête doivent satisfaire aux exigences tant de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 ([1]) que des articles 137 à 139 du Règlement.

● En premier lieu, une commission d’enquête ne peut être créée qu’aux fins de « recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre [ses] conclusions à l’assemblée qui [l’]a [créée] » ([2]). La proposition de résolution tendant à sa création doit « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion » ([3]).

La présente proposition assigne à la commission d’enquête qu’elle tend à créer trois missions relatives à la gestion du service public de l’aide sociale à l’enfance. Celle‑ci est en effet chargée :

– d’identifier les manquements actuels de la politique de l’aide sociale à l’enfance () ;

– de cibler les défaillances de la gouvernance de la politique de l’aide sociale à l’enfance () ;

– de faire des recommandations sur les réponses législatives, réglementaires et budgétaires à apporter à la crise que traverse la protection de l’enfance, mais aussi sur l’articulation entre les collectivités territoriales et les services de l’État ().

Il est, en outre, fait état avec une très grande précision des différents éléments à examiner afin de déterminer l’étendue des « manquements » et des « défaillances » dans la gestion de la politique de l’aide sociale à l’enfance.

La proposition de résolution est, par conséquent, recevable au regard du deuxième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et de l’article 137 du Règlement.

● En deuxième lieu, une commission d’enquête ne peut être constituée si son objet est identique à celui d’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou d’une commission d’enquête dont les travaux se seraient achevés au cours des douze mois précédant sa création ([4]).

Bien que les politiques de protection de l’enfance constituent un sujet d’intérêt majeur pour les députés, en particulier ceux membres de la commission des affaires sociales, il n’apparaît pas que celles‑ci aient fait l’objet d’une commission d’enquête au cours des douze derniers mois ([5]).

La présente proposition de résolution est, par conséquent, recevable au regard du dernier alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et de l’article 138 du Règlement.

● En dernier lieu, une commission d’enquête ne peut être constituée s’il apparaît que les faits sur lesquels elle porte ont « donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours » ([6]). Afin de vérifier que cette condition est réunie, l’article 139 du Règlement prévoit la notification par le Président de l’Assemblée nationale du garde des sceaux, ministre de la justice, au moment du dépôt d’une proposition de loi tendant à la création d’une commission d’enquête. Si le garde des sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celleci ne peut être mise en discussion » ([7]).

Dans sa réponse, en date du 2 avril 2024, le garde des sceaux a fait savoir que le périmètre de la commission d’enquête était « susceptible de recouvrir des procédures en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de loi ».

Le principe de séparation des pouvoirs, garanti par l’interdiction pour les députés d’enquêter sur des faits donnant lieu à des procédures judiciaires en cours, ne saurait cependant priver à lui seul l’Assemblée nationale de la faculté de création d’une commission d’enquête, prévue à l’article 521 de la Constitution. Conformément à une appréciation constante de cette condition, l’existence de poursuites judiciaires pouvant entrer dans le champ de la commission d’enquête ne fait pas obstacle à sa création mais implique une vigilance particulière, selon la formulation consacrée, quant à l’articulation de l’enquête parlementaire avec ces procédures judiciaires.

Sous cette réserve, la présente proposition de résolution est bien recevable au regard du troisième alinéa du I de l’article 6 l’ordonnance du 17 novembre 1958 et de l’article 139 du Règlement.

*

*     *

Au terme de cet examen, la rapporteure considère que la proposition de résolution réunit les conditions fixées à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et aux articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Aucun obstacle ne s’oppose donc à ce que la Conférence des présidents prenne acte de la création de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance.


  1  —

   Travaux de la commission

 

Lors de sa réunion du mercredi 3 avril 2024, la commission examine ensuite, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance (n° 2350) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure) ([8]).

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Lors de la Conférence des présidents du 26 mars 2024, le président du groupe Socialistes et apparentés a souhaité exercer le « droit de tirage » que l’article 141, alinéa 2, du Règlement confère aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires. Dès lors, en application de l’article 140, alinéa 2, il revient à notre commission de vérifier que les conditions définies aux articles 137 à 139 sont réunies, sans se prononcer sur l’opportunité de l’initiative.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Le système français de protection de l’enfance, l’aide sociale à l’enfance (ASE), est à bout de souffle. Trop souvent, des drames nous rappellent la crise que traverse ce service public marqué par des réformes nombreuses mais insuffisantes. L’État s’est désengagé, au détriment de l’accompagnement des enfants, notamment en matière de santé et d’éducation – la commission d’enquête pourra le montrer. Il est grand temps que la représentation nationale établisse un diagnostic clair des causes des dysfonctionnements et propose des solutions pour y remédier.

Avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, j’ai donc déposé le 18 mars une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Lors de la Conférence des présidents du 26 mars 2024, le président Boris Vallaud a exprimé le souhait de notre groupe d’exercer le droit de tirage prévu à l’article 141 de notre Règlement. Il revient aujourd’hui à la commission des affaires sociales, compétente sur le fond, de vérifier que les conditions requises à la création de ladite commission d’enquête sont réunies. En revanche, puisque le groupe exerce son droit de tirage, il n’appartient pas à la commission de se prononcer sur l’opportunité de la commission d’enquête, ni d’en amender le contenu.

Conformément à la lettre du Règlement, mon intervention n’a pas pour objet d’anticiper le diagnostic du service public de l’ASE, qu’il incombera à la commission d’enquête d’établir. Néanmoins, je suis convaincue que nous accueillerons tous favorablement cette occasion de dresser un état des lieux exhaustif des problèmes que rencontre ce service public au cœur de la promesse républicaine, donc des difficultés auxquelles sont confrontés les plus vulnérables : les enfants.

Pour créer une commission d’enquête, il faut satisfaire aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et des articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale. Si nous concluons que la demande est recevable, la Conférence des présidents en prendra acte, en application de l’article 141 du Règlement.

Trois conditions doivent être réunies. Premièrement, une commission d’enquête ne peut être créée qu’aux fins de réunir des éléments d’information sur des faits déterminés ou sur la gestion de services publics ou d’entreprises nationales, en vue de soumettre ses conclusions à l’assemblée qui l’a créée. La présente proposition de résolution tend à assigner à la commission d’enquête trois principales missions relatives à la gestion du service public de l’ASE : identifier les manquements à l’origine de la situation actuelle ; cibler les défaillances de sa gouvernance ; formuler des recommandations législatives, réglementaires et budgétaires. Il ne fait aucun doute que la commission d’enquête satisfait pleinement à la première condition.

Deuxièmement, une commission d’enquête ne peut avoir le même objet qu’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou qu’une commission d’enquête dont les travaux se seraient achevés au cours des douze mois précédant sa création. Je connais l’intérêt de beaucoup d’entre nous pour les services de la protection de l’enfance : ce sujet nous concerne tous et doit figurer au nombre de nos priorités, dans tous les territoires. Cependant, nous constatons qu’aucune enquête parlementaire n’y a été consacrée au cours des douze derniers mois. Il est donc tout à fait opportun que mon groupe exerce son droit de tirage en ce sens. Il n’est pas douteux que la commission d’enquête présentera un intérêt pour tous les groupes.

Troisièmement, une condition d’enquête ne peut avoir pour objet des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires en cours. Saisi par la Présidente de l’Assemblée nationale, en application de l’article 139 du Règlement, le garde des sceaux a indiqué que le périmètre de la commission d’enquête était susceptible de recouvrir des procédures en cours. Toutefois, selon une appréciation constante du critère, l’existence de poursuites judiciaires n’empêche pas la création d’une commission d’enquête, mais exige de veiller tout particulièrement à la bonne articulation de l’enquête parlementaire et des procédures judiciaires – le garde des sceaux l’a souligné. L’intention n’est évidemment pas de faire obstacle à une procédure judiciaire ; bien au contraire, il s’agit de faire toute la lumière sur les manquements et les défaillances de la protection de l’enfance. Il n’y aura donc aucune difficulté à respecter le périmètre d’une enquête en cours.

Ainsi, je vous propose de considérer que la présente proposition de résolution satisfait pleinement les critères de création d’une commission d’enquête et qu’aucun obstacle ne s’oppose donc à ce que la Conférence des présidents prenne acte de la création de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Dans tous nos territoires, nous constatons des difficultés liées à la prise en charge des enfants, qu’il s’agisse de tout-petits, de fratries ou d’adolescents, ainsi qu’à la sortie de l’ASE, en particulier au regard de l’accompagnement des jeunes majeurs jusqu’à 21 ans, qui n’est pas assuré partout. De nombreux enfants sont en attente de placement sur décision judiciaire : dans mon département de Maine-et-Loire, ils sont 200. Le nombre des demandes explique en partie la situation, mais il y a également un problème de financement de l’ASE par les départements, auquel s’ajoute un manque de remplaçants pour les familles d’accueil qui partent à la retraite et un défaut d’attractivité des postes en foyer d’accueil, qui affecte le recrutement et la fidélisation du personnel. Un état des lieux est donc nécessaire pour formuler des propositions adaptées à l’évolution de l’ASE.

Mme Laure Lavalette (RN). Plusieurs groupes, poussés par la survenue de drames sordides, ont souhaité la création d’une commission d’enquête relative aux défaillances de l’ASE ; je me réjouis que l’une d’entre elle aboutisse. C’est peut-être notre dernière chance, en tant que parlementaires, d’agir concrètement dans ce domaine. En effet, bien que révélateurs des lacunes de l’ASE, les travaux menés ces dernières années n’ont pas provoqué de prise de conscience collective. Il s’agit de nous assurer que les lois que nous adoptons pourront s’appliquer partout et pour tous, donc de mettre fin à la loterie de la protection de l’enfance qui fait dépendre le sort des enfants confiés de circonstances géographiques plutôt que de principes de justice et d’équité.

Pour y parvenir, il est essentiel que cette commission d’enquête travaille loin des clivages politiques et sans tabou – ce ne sera pas facile pour tout le monde. L’expérience a montré qu’en abordant ce sujet sans prudence, on peut susciter des tensions susceptibles de nuire à notre projet commun. Les enfants ont besoin d’apaisement. Aucune question ne sera inutile ; aucun sujet ne doit être évité. La commission sera regardée, ses membres interpellés. Je félicite d’ailleurs les quatre-vingts ex-enfants placés qui ont créé un comité de vigilance : celui‑ci sera notre boussole.

Nous attendons que la commission d’enquête lève le voile opaque qui cache le fonctionnement de l’ASE. Il est dans l’intérêt de tous, y compris de l’institution, de mettre en lumière ses défaillances, afin que chacun puisse reprendre confiance en elle. Pour y parvenir, il est impératif de ne pas craindre de froisser un président de département ou un directeur de l’ASE, ni de pointer les failles d’une profession, sauf à être accusés de tout mélanger ou de jeter l’opprobre. Il est d’ailleurs indispensable de reconnaître les spécificités des métiers en liens avec l’ASE et les défis que doivent relever ceux qui les exercent pour espérer apporter des améliorations.

Nous espérons de tout cœur que cette commission d’enquête remettra la voix et l’intérêt de l’enfant au centre de nos préoccupations.

M. Stéphane Viry (LR). L’ASE est à l’ordre du jour : cet après-midi, deux débats seront organisés en séance publique, dans le cadre de nos travaux de contrôle. Le premier, à la demande du groupe LFI - NUPES, concerne les défaillances de l’ASE ; le second, les conditions d’accueil des enfants placés à l’ASE, à la demande du groupe Ecolo - NUPES.

Le groupe Les Républicains s’associe à la demande de création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance. Je ne vois pas d’obstacle à sa recevabilité : il s’agit de faire la lumière sur un service public dont chacun convient qu’il mérite un examen approfondi. Depuis plusieurs mois, les analyses le concernant sont légion, sans provoquer de réaction.

Le problème n’est pas la loi. Le code civil prévoit comment protéger les enfants ; il est inutile de modifier ou de densifier la législation. En revanche, il faut s’interroger sur les lacunes du système et les raisons de l’insuffisance de la protection accordée aux enfants. Le problème vient-il d’un manque de moyens, d’une mauvaise articulation des actions, de la doctrine de la prise en charge des enfants placés ? L’intérêt du sujet fait consensus : les enfants confiés à l’ASE ont subi les défaillances de leurs parents ; la nation a l’obligation morale d’en assumer les conséquences. Ces dernières semaines, des drames ont eu lieu – je suppose qu’ils ont motivé cette proposition de résolution. Je me réjouis que cette dernière donne l’occasion à l’Assemblée de faire son travail de contrôle et d’évaluation.

M. Nicolas Turquois (Dem). Nous constatons un dysfonctionnement majeur. Évidemment, nous respectons le droit du groupe Socialistes et apparentés d’exercer son droit de tirage. Toutefois, la délégation aux droits des enfants a commencé un travail sur ce sujet, qui doit dépasser les clivages politiques. Il faut coordonner ces différents travaux, et éviter qu’ils ne se percutent.

M. Paul Christophe (HOR). L’ASE est un service départemental essentiel, chargé de protéger les enfants en danger ou vulnérables. En 2021, on a recensé en France quelque 377 000 mesures relevant de la protection de l’enfance, concernant environ 2 % des mineurs.

Les membres du groupe Horizons et apparentés sont conscients des difficultés auxquelles l’ASE est confrontée. J’ai constaté leur ampleur comme membre de la délégation aux droits des enfants, et comme membre de la mission d’information de 2019 sur l’ASE, dont Mme Perrine Goulet était rapporteure. Le rapport a, par exemple, relevé que le suivi psychologique des enfants était très limité, voire inexistant.

Conscients des enjeux, le Gouvernement et la majorité ont agi ces dernières années. La stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022 a abouti à la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Celle-ci a apporté plusieurs réponses, notamment dans le domaine de l’hébergement, en interdisant de placer à l’hôtel les mineurs et les jeunes majeurs confiés à l’ASE. Elle a également amélioré la santé en instaurant un suivi annuel de chaque enfant. En 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a déployé le troisième plan contre les violences faites aux enfants, pour les années 2023 à 2027. Il prévoit notamment un dispositif automatisé de contrôle des antécédents judiciaires des personnes intervenant dans l’accueil du jeune enfant et la protection de l’enfance.

Le groupe Socialistes et apparentés a exercé son droit de tirage annuel pour créer une commission d’enquête consacrée à la protection de l’enfance. Le groupe Horizons et apparentés soutient cette démarche.

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous avons fait ce choix, après un débat intéressant, parce que nous estimons qu’il faut changer de braquet. Vous avez mentionné d’autres travaux parlementaires ; la création de la commission d’enquête confirmera l’intérêt que la représentation nationale accorde à ces sujets que nous étudions tous, sans constater de changement global d’approche.

Tous les clignotants sont au rouge. Les départements sont responsables de l’ASE ; ils seront évidemment interrogés. Toutefois, l’ASE évoluant dans un environnement, il nous faudra également analyser son articulation avec la justice, avec l’éducation nationale, avec les services de santé, en particulier s’agissant de l’accès aux soins psychiatriques, et avec les services chargés des personnes handicapées.

Nous sommes à la croisée des chemins. Il ne s’agit pas de désigner les gentils et les méchants, mais de prendre acte de la faillite d’une politique publique, qui nous oblige tous à agir. La commission d’enquête dispose de prérogatives, comme le droit de visiter des lieux habituellement fermés aux parlementaires, notamment des pouponnières et des hôtels accueillant des jeunes confiés à l’ASE, et d’interroger sous serment des responsables ministériels et départementaux, différents professionnels et les jeunes concernés. Je suis convaincu qu’elle pourra créer l’électrochoc nécessaire pour élaborer des réponses. Certaines seront peut-être de nature législative, d’autres, budgétaire : nous n’échapperons pas à l’épineuse question des finances locales et des conséquences d’une décentralisation pas toujours compensée.

Nous sommes donc heureux de vous présenter la présente proposition de résolution, qui s’inscrit dans le cadre d’un travail méthodique sur la protection de l’enfance, puisqu’Isabelle Santiago s’est déjà fortement mobilisée en faveur de l’adoption d’un seuil de non‑consentement sexuel, de l’accompagnement des jeunes de l’ASE jusqu’à 21 ans et de la loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, promulguée le 18 mars. Nous pouvons désormais nous rassembler autour de cette commission d’enquête, dont nous avons hâte de suivre les travaux.

 

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). « Mon cœur est un peu saccagé par tout ça » : ces mots sont ceux de Lina, venue aujourd’hui à l’Assemblée nationale pour nous raconter son histoire, et pour nous demander des comptes. À 16 ans, elle s’est retrouvée livrée à elle-même du jour au lendemain, placée dans un hôtel par l’ASE. Il aura fallu des morts pour que le problème fasse enfin du bruit. Il y a deux mois, Lily, une adolescente de 15 ans, s’est pendue dans la chambre d’hôtel où elle était placée, dans le Puy‑de‑Dôme. Nous n’accepterions pas cela pour nos propres enfants. Pourtant, jusqu’à récemment, personne ne parlait de ces jeunes, invisibles, oubliés.

Heureusement, certains anciens enfants placés s’organisent, interpellent les responsables politiques, mettent le système en question. C’est le cas de Lyes Louffok, devenu un militant infatigable des droits des enfants ; sans lui, ce système ne serait peut-être pas apparu au grand public avec la même force. Au fond, quand on s’intéresse aux enfants placés, aux agressions sexuelles, aux réseaux de trafics en tout genre impliquant des mineurs, la question est toujours la même : comment instaurer une culture de la protection ?

Notre pays proclame fièrement ses valeurs au fronton des mairies ; il doit offrir à chaque enfant le droit à la protection, à l’éducation, à la sécurité affective. Or malgré les efforts de nombreux travailleurs sociaux dévoués, le système ne fait souvent qu’aggraver la situation de jeunes déjà affaiblis par des circonstances malheureuses. Lucie, 14 ans, est placée en famille d’accueil depuis qu’elle a 5 ans ; elle a changé de famille pas moins de six fois, chaque déménagement ébranlant un peu plus sa confiance en elle. Comment peut-elle envisager l’avenir, alors que son présent est si précaire ? Et que dire de Thomas, 16 ans, brillant à l’école mais contraint d’abandonner ses rêves d’études supérieures pour entrer précipitamment dans la vie active, faute de soutien adapté ? Ces histoires ne sont pas isolées ; elles reflètent une réalité bien plus vaste, celle de milliers d’enfants dont les droits fondamentaux sont négligés et dont les voix sont étouffées.

Ces jeunes, nous les recevons aujourd’hui même, à l’occasion des débats inscrits à l’ordre du jour à la demande des groupes La France insoumise et Écologiste. Certains d’entre eux se sont regroupés en un comité de vigilance – je salue leur courage. En tant que législateurs, il est de notre devoir de mettre au jour les injustices, de mettre en cause le statu quo et d’agir pour que chaque enfant bénéficie des mêmes chances de se développer sereinement. Pour ces raisons, je soutiens avec détermination la création de la commission d’enquête sur les politiques de protection de l’enfance – je remercie Mme Santiago d’en être la rapporteure –, avec pour seul objectif de ne laisser aucun enfant derrière.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Depuis plusieurs années, des signaux d’alerte s’allument, des témoignages émergent dans l’actualité. Trop souvent, ce sont des signaux de détresse. Nous devons prendre la mesure de situations, auxquelles il ne faut pas nous habituer. L’ASE, l’accompagnement des enfants et des jeunes, ne doivent pas constituer des sujets annexes ; la responsabilité est collective – publique. Nous, ici, avons une responsabilité majeure. Je remercie nos collègues d’avoir pris l’initiative de demander la création de cette commission d’enquête. Elle nous permettra de poursuivre le travail de mise au jour, et surtout de prendre des décisions indispensables.

La commission d’enquête devra examiner tout le parcours, de l’entrée dans le dispositif à la sortie, laquelle fait partie des aspects les plus délicats et requiert de nouvelles dispositions. Elle devra mettre en lumière les failles de l’organisation, les disparités de traitement en fonction des territoires et l’évolution des dispositifs, parfois leur dégradation. Il faudra évaluer les structures et les moyens nécessaires pour être à la hauteur des enjeux et satisfaire les besoins des enfants et des jeunes concernés. Les conditions de sa création sont réunies, et nous soutenons son principe.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Je remercie le groupe Socialiste d’avoir usé de son droit de tirage pour créer cette commission d’enquête. Les conditions de recevabilité sont évidemment réunies. Il faut rappeler ce qui a motivé cette création : nous sommes très loin d’avoir une politique de protection des enfants unifiée et efficace. Les drames que nous découvrons, de manière répétée, sont chaque fois un nouveau déchirement et une preuve supplémentaire que les lois que nous avons adoptées ces dernières années ne suffisent pas ou ne sont pas appliquées.

La semaine prochaine, nous discuterons de l’application de la loi que nous avons adoptée en 2022. D’ores et déjà, nous pouvons dire notre incompréhension : comment expliquer que le décret d’application sur l’interdiction d’accueil en hôtel ait été pris deux ans après la promulgation de la loi, alors même que nous affirmions déjà, à l’époque, l’urgence d’agir ? Nous avons l’obligation de garantir la sécurité de ces enfants. Les pouvoirs publics échouent.

Cet après-midi en séance publique, dans le cadre de nos travaux de contrôle, nous consacrerons deux débats à l’ASE. Je rappelle que sur 100 000 mineurs qui se prostituent en France chaque année, 80 % sont issus de l’ASE : c’est un véritable scandale et un exemple parmi tant d’autres des dysfonctionnements de notre politique de protection.

Les enjeux sont multiples : accueil des enfants mineurs non accompagnés, prévention, éducation, scolarité, diminution du nombre d’assistants familiaux, accompagnement au-delà de 18 ans. La création d’une commission d’enquête sur ce sujet est donc non seulement recevable, mais surtout indispensable.

Mme la rapporteure. Je remercie l’ensemble des groupes pour leur engagement unanime en faveur de ce sujet – je n’en doutais d’ailleurs pas. Je le prends comme une exigence car tous les clignotants sont au rouge. Cela fait presque dix ans que je travaille sur ce sujet, d’abord comme vice-présidente du département du Val-de-Marne, chargée de la protection de l’enfance, puis à l’Assemblée nationale, au sein de la délégation aux droits de l’enfant. J’ai relu une grande partie des rapports qui ont été publiés sur ces questions : tout y est, en particulier sur les besoins fondamentaux des enfants.

Il s’agit donc désormais de se pencher sur cette réalité. Nous devons accorder une véritable place aux jeunes, en nous inspirant du travail mené par la commission Laurent, au Québec, même si son rôle était un peu différent – la commission était extérieure au Parlement et conseillait le législateur sur les orientations à prendre. Les jeunes seront à nos côtés dans nos travaux, puisque nous aurons à cœur de recueillir leurs propositions lors des auditions qui seront menées.

Selon moi, le point majeur concerne les petits : pour se construire, ils ont un besoin fondamental de sécurité. J’ai eu la chance, avec Michèle Peyron, de rédiger un rapport sur le fonctionnement des crèches. Nous étions un peu sorties du cadre qui nous avait été fixé pour montrer l’importance des 1 000 premiers jours dans le développement de l’enfant. Le décret de 1974 relatif aux pouponnières et aux crèches n’est plus adapté. Il est urgentissime que nous intervenions sur ces sujets et je compte sur vous tous pour combler ces failles. Tous les clignotants sont au rouge, y compris pour la vie professionnelle des travailleurs sociaux. L’important, c’est que nous trouvions des pistes d’amélioration très concrètes dans l’intérêt des enfants.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Sur ce sujet sensible, l’accord des groupes de la commission est unanime. Il ne nous reste plus qu’à travailler pour trouver des solutions pratiques.

En application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission constate que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance sont réunies.

 


  1  —

   annexe


([1]) Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([2]) Article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée.

([3]) Article 137 du Règlement.

([4]) Dernier alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée et article 138 du Règlement.

([5]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete?statut=en-cours&limit=12

([6]) Troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée.

([7]) Article 139 du Règlement.

([8])  https://assnat.fr/dEHo4L