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N° 2448

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2024.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public,

 

 

 

Par M. Christophe NAEGELEN,

 

Député.

 

——

 

 

Voir le numéro : 2391.


 

 


  SOMMAIRE

___

Pages

introduction

Travaux de la commission

Annexe

 


 

   introduction

 Le groupe Libertés, Indépendants, Outremer et Territoires (LIOT) a déposé, le 21 mars 2024, une proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public » (n° 2391).

Conformément à l’article 140 du Règlement, cette proposition de résolution a été renvoyée à la commission des affaires sociales, compétente au fond, afin qu’elle « vérifie si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies et se prononce sur son opportunité ».

Néanmoins, le Règlement prévoit une procédure spécifique destinée à renforcer les droits des groupes minoritaires et d’opposition, communément nommée « droit de tirage ». En vertu de l’article 141, alinéa 2, « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête ».

Le président du groupe LIOT, M. Bertrand Pancher, a manifesté le souhait du groupe de faire usage de son droit de tirage pour la présente proposition de résolution.

Dans cette situation, le Règlement prévoit que « la Conférence des présidents prend acte de la création de la commission d’enquête si les conditions requises pour cette création sont réunies ». Autrement dit, la commission ne doit plus se prononcer sur l’opportunité de la proposition de résolution, mais seulement sur sa recevabilité. Elle ne peut pas adopter d’amendements.

Les conditions de la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont précisées par l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 ([1]) et par les articles 137 à 139 du Règlement.

● En premier lieu, une commission d’enquête peut être créée « pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées ».

En l’espèce, la gestion de ce service public qu’est l’hôpital serait clairement au cœur des investigations de la commission d’enquête, dont l’objet serait, plus précisément, de déterminer la cause des dysfonctionnements qui font qu’aujourd’hui, ce service public au cœur de notre modèle social se trouve en grave péril.

L’exposé des motifs de la présente proposition de résolution souligne ainsi qu’il s’agira de « questionner les responsabilités politiques, administratives et médicales », à l’échelle nationale et à l’échelle locale, dans les nombreux dysfonctionnements constatés dans les hôpitaux publics. Il indique que la commission d’enquête aura notamment vocation à examiner :

– les étapes de la dégradation du système de santé et les décisions politiques et administratives qui ont contribué à cette évolution ;

– les moyens matériels et humains accordés à l’hôpital ;

– les investissements consentis, au regard des besoins ;

– l’organisation de l’hôpital et du système de soins ;

– les conditions d’exercice des soignants ;

– les inégalités d’accès aux soins sur les différents territoires.

Dès lors, il ne fait pas de doute que la première condition de recevabilité est pleinement satisfaite.

● L’article 6 de l’ordonnance de 1958 dispose en outre qu’« il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Il s’agit là d’une exigence très ferme, qui vise à éviter tout empiètement du pouvoir politique sur le domaine judiciaire.

Pour en garantir l’application, l’article 141 du Règlement prévoit que « le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice », afin que ce dernier manifeste, le cas échéant, que « des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Dans cette hypothèse, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion.

Dans un courrier adressé le 2 avril 2024 à la Présidente de l’Assemblée nationale et dont une copie est annexée au présent rapport, le garde des sceaux a indiqué ne pas avoir « connaissance de procédures en cours susceptibles de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête parlementaire envisagée ». La deuxième condition de recevabilité peut ainsi être considérée comme satisfaite.

 Enfin, l’article 138 du Règlement interdit de créer une commission d’enquête qui aurait le même objet qu’une précédente commission d’enquête – ou mission d’information, lorsqu’elle s’est dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête – avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux.

Depuis le début de la XVIe législature, aucune commission d’enquête n’a porté sur l’hôpital public, de près ou de loin. Seule une commission d’enquête a abordé, et de manière indirecte, le champ sanitaire au sens large ([2]). Il est ainsi manifeste qu’il n’a pas été fait usage des pouvoirs d’une commission d’enquête au cours de la période récente pour explorer le champ visé par la présente proposition de résolution.

Au bénéfice de cette analyse, votre rapporteur estime que cette proposition de résolution répond pleinement aux conditions fixées par l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée et par le Règlement de l’Assemblée nationale.

Aucun obstacle ne s’oppose ainsi à la création de la commission d’enquête demandée par le groupe LIOT.

 


   Travaux de la commission

 

Lors de sa réunion du mercredi 3 avril 2024, la commission examine, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public (n° 2391) (M. Christophe Naegelen, rapporteur) ([3]).

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Lors de la Conférence des présidents du 26 mars dernier, le groupe Libertés, Indépendants, Outremer et Territoires a fait usage du droit de tirage conféré par l’article 141, alinéa 2, du Règlement aux groupes d’opposition ou minoritaires, en vue de la création d’une commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public.

En application de l’article 140, alinéa 2, il revient à la commission de vérifier que les conditions requises par le Règlement sont réunies, sans se prononcer sur l’opportunité de cette initiative.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. À ma demande, le groupe LIOT a choisi de faire usage de son droit de tirage pour demander une commission d’enquête sur les difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public. Nous sommes face à l’évidence : fermeture de lits et de services entiers, de maternités, fuite de personnels soignants et médicaux, explosion de l’absentéisme et du recours à l’intérim, délabrement des bâtiments, j’en passe et des meilleures, notre service public hospitalier est en déliquescence.

L’hôpital public est pris dans une spirale infernale que l’électrochoc de la crise sanitaire et le sursaut du Ségur de la santé n’ont pas permis de freiner. Au contraire, elle semble même s’être accélérée au cours de la période récente. Si ce constat est bien connu et largement partagé, notre incapacité collective à renverser la vapeur, alors même qu’il s’agit d’un enjeu vital pour notre système de santé, montre bien que nous n’avons pas assez travaillé sur les causes de cet effondrement.

Les tentatives pour colmater les brèches, à coups de revalorisations salariales, de plans d’investissement, de régulation du recours à l’intérim médical et soignant, n’y font rien, malgré les milliards d’euros qui ont été mis sur la table depuis 2020. Nous ne faisons que mettre des pansements sur une jambe de bois.

Mon groupe pense profondément que si nous voulons sauver l’hôpital public, nous devons chercher le mal à la racine, mieux comprendre l’enchaînement des causes, identifier les responsabilités dans le délitement à l’œuvre. Quelle a été la part du manque de moyens et d’investissement au fil des années ? Quelles décisions administratives, politiques ou médicales ont accéléré cette chute ? Quelles en ont été les étapes ? Quelle a été la part des politiques conduites à l’échelle nationale et des responsabilités locales ? Il est essentiel de répondre à ces questions pour identifier les solutions les plus pertinentes si nous voulons redresser l’hôpital.

C’est un enjeu vital pour nos concitoyens, dont les jours peuvent être mis en danger s’ils n’ont pas accès à une prise en charge de qualité, à une distance raisonnable de leur domicile. Mais c’est aussi un enjeu de démocratie : comment accepter la rupture majeure d’égalité résultant des difficultés d’accès aux soins dans certains territoires ou pour certaines franges de la population ?

Pour travailler utilement, notre commission d’enquête pourrait séquencer ses travaux en deux phases. Dans un premier temps, il s’agirait de conduire une série d’auditions à l’échelle nationale pour entendre l’ensemble des acteurs politiques, administratifs, médicaux et associatifs concernés afin de préciser notre analyse de l’origine et des étapes de la déliquescence du service public hospitalier. Dans un second temps, nous procéderions à un audit complet de quelques territoires dans lesquels nous nous déplacerions à la rencontre de l’ensemble des acteurs locaux, de l’agence régionale de santé (ARS) aux soignants. Cela nous permettrait de mieux distinguer ce qui résulte des politiques nationales de ce qui relève de causes plus locales. Bien entendu, il ne s’agirait pas d’en rester à un constat d’échec et à la mise en évidence des responsabilités. Notre rapport sera force de proposition pour le Gouvernement, qui ne sait plus par quel bout prendre le problème.

J’ai brossé à grands traits les réflexions qui motivent notre proposition de résolution car il me semblait légitime que notre commission soit éclairée, même si elle n’a pas à se prononcer sur l’opportunité d’une telle démarche. Notre groupe ayant fait usage de son droit de tirage, la commission d’enquête sera en effet créée de droit, pour peu que les conditions de recevabilité soient respectées.

Je vous les rappelle rapidement. Tout d’abord, la commission d’enquête doit porter sur des faits précis ou sur la gestion d’un service public. On peut difficilement prétendre que ce n’est pas le cas puisqu’il s’agit très explicitement de se focaliser sur le service public hospitalier.

Ensuite, la commission d’enquête ne doit pas porter sur des faits pour lesquels une procédure judiciaire est en cours. De ce point de vue, nous pouvons être rassurés : dans un courrier reçu hier soir, le garde des sceaux, interrogé sur ce point par la Présidente de l’Assemblée nationale, a indiqué qu’il n’avait pas connaissance de procédures en cours susceptibles de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête envisagée. La deuxième condition est donc remplie.

Enfin, la commission d’enquête ne doit pas porter sur un sujet pour lequel les pouvoirs d’enquête reconnus aux parlementaires ont été mobilisés au cours des douze derniers mois. En l’occurrence, sans même parler de l’hôpital public, aucune commission d’enquête n’a directement porté sur le champ sanitaire depuis le début de la XVIe législature. Nous pouvons donc être tranquillisés sur ce point.

Au terme de cet exposé, je pense que nous pouvons considérer que la recevabilité de la proposition de résolution que je vous présente ne fait pas débat. Je vous encourage donc à enrichir de votre participation les travaux de notre commission d’enquête, qui débuteront après la suspension des travaux parlementaires d’avril.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Paul Midy (RE). La santé est au cœur de nos services publics et de notre pacte républicain. Il est donc très utile de faire toute la transparence sur la situation actuelle et de déterminer comment nous en sommes arrivés là. Nous devons travailler collectivement pour appréhender les enjeux, trouver les solutions et les appliquer dans le cadre des contraintes de notre système de santé, qui sont évidemment très fortes.

M. Christophe Bentz (RN). La création d’une commission d’enquête sur les difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public est bienvenue. Je rappelle toutefois que la désertification médicale est un phénomène ancien et grave, car il a pour conséquence principale une perte de chance pour les Français, qui renoncent nombreux à se soigner et à vivre en bonne santé : ce n’est pas digne d’une grande nation au XXIe siècle.

Cette situation n’est pas le fruit du hasard ou d’une conjoncture ; il y a des responsables, des gens qui ont fait des choix politiques en matière de santé – de mauvais choix, en l’occurrence. J’espère que cette commission sera l’occasion de pointer les responsables – gouvernants, politiques, État, ARS – qui ont contribué à désertifier notre pays et à faire reculer les services publics de santé dans nos territoires.

Enfin, j’aimerais que l’examen du texte sur la fin de vie soit l’occasion de faire un point sur l’état des services de soins palliatifs à l’hôpital public.

Mme Farida Amrani (LFI - NUPES). La situation de l’hôpital public est dramatique. En trente ans, le meilleur système hospitalier public au monde est devenu un hôpital déshumanisé, au bord de l’implosion.

Trente ans de politique néolibérale ont conduit à la casse de notre service public hospitalier. Alors qu’elles étaient fondées jusque-là sur l’analyse des besoins, les politiques de santé se sont tournées vers une véritable marchandisation de la santé, représentée par la tarification à l’acte, entre autres. Malgré les nombreuses crises traversées, le cap n’a pas changé et le Gouvernement réalise toujours plus d’économies. Nous constatons, impuissants, une véritable organisation de la fuite vers le privé. Les habitants de la première circonscription de l’Essonne, dont je suis députée, peuvent en témoigner : faute de moyens, la maternité du Centre Hospitalier Sud Francilien renvoie les patientes pratiquement systématiquement vers les cliniques privées.

Le 28 juillet 2022, le groupe La France insoumise a lancé une opération « Allô Ségur », illustrant la stratégie insoumise « un pied dedans, un pied dehors ». Nous avons visité 80 établissements et recueilli 500 témoignages, mettant ainsi en lumière une souffrance généralisée du personnel hospitalier et des patients face à la dégradation des conditions de travail dans nos hôpitaux, exacerbée par la pandémie de covid-19. Les politiques d’austérité persistantes ont plongé le système de santé dans une crise grave et chronique. Malgré les multiples alertes des soignants et des usagers, les gouvernants successifs n’ont pas apporté de changement structurel, comme en témoigne la fermeture massive des services d’urgence.

La Fédération hospitalière de France (FHF) se montre, elle aussi, critique des décisions budgétaires du Gouvernement, soulignant qu’après une ponction de plus de 300 millions d’euros sur les fonds destinés à l’hôpital public, l’aide exceptionnelle de 500 millions d’euros s’avère insuffisante pour faire face aux besoins réels. Ces arbitrages alourdissent le déficit important des hôpitaux publics et aggravent une situation budgétaire déjà précaire. La FHF appelle donc le Gouvernement à garantir la pérennité du système de santé.

La France insoumise partage la position du groupe LIOT : la responsabilité des dysfonctionnements et de la crise de l’hôpital public est ancienne et collective ; elle est le résultat de plusieurs décennies de décisions politiques et administratives. Il nous paraît impératif de remettre en question les politiques menées pour parvenir à des solutions pérennes et pour combattre l’éloignement de l’accès aux soins subi par nos concitoyens. C’est pourquoi nous soutenons cette proposition.

M. Philippe Juvin (LR). Voilà une initiative très heureuse, car ce sujet préoccupe tout le monde. L’année dernière, 70 % des hôpitaux ont fermé des lits en médecine et 29 % ont fermé des lits en chirurgie. Alors que 30 % des postes de médecins hospitaliers sont vacants, nous n’avons reçu que 3 000 candidatures sur les 10 000 postes vacants publiés au concours de praticiens hospitaliers. C’est donc un sujet absolument capital, qui est en train de nous submerger, avec des conséquences sur l’accès aux soins qui se fait mal, et probablement une surmortalité et une surmorbidité.

Le syndicat Samu-Urgences de France, qui fut un temps présidé par l’ancien ministre de la santé François Braun, avait créé le No Bed Challenge, qui consistait à compter chaque nuit le nombre de patients dormant sur un brancard aux urgences. Il a estimé qu’en décembre 2022, 150 personnes étaient décédées faute de soins ou en raison d’un retard dans les soins. Les conséquences sont donc considérables.

Quant aux causes que vous aurez à étudier, elles sont multiples. Certaines sont financières : l’argent va-t-il vraiment aux soins ? D’autres sont liées à l’hôpital lui-même : la gouvernance, l’hyperbureaucratie envahissante qui rend le temps médical disponible relativement faible, les ressources humaines aussi.

La crise de l’hôpital, c’est aussi la crise du système de santé et on voit bien que quand la médecine de ville ne fonctionne pas, les hôpitaux ne fonctionnent pas. Est-ce que l’hôpital fait ce qu’il devrait faire ? Est-ce à l’hôpital de faire le suivi des maladies chroniques ? Ne devrait-il pas être le lieu des diagnostics difficiles ou des traitements des complications aiguës des maladies chroniques, plutôt que de vouloir tout faire ? Il y a également une question démographique, à la fois des patients, qui vieillissent, et des médecins et des infirmières, qui sont moins nombreux.

Enfin, c’est un enjeu démocratique : moi qui suis médecin, je sais où me faire soigner et je sais surtout où ne pas me faire soigner. Je sais où me faire opérer et où ne pas me faire opérer, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

M. Nicolas Turquois (Dem). Pour ma part, j’avoue avoir des interrogations sur l’objet réel de cette commission d’enquête. S’agit-il d’analyser les causes profondes des difficultés structurelles de l’hôpital ou d’en faire un objet politique ? La question reste ouverte. L’hôpital est confronté à des défis réels, mais ceux-ci peuvent donner lieu à de puissants effets de loupe médiatiques et politiques. Alors que nous dépensons beaucoup plus pour l’hôpital que nos voisins et qu’il y a sept ans, on a l’impression que rien ne va. Sur le terrain, je constate pourtant que des hôpitaux et leurs soignants font un travail formidable. Veillons à ne pas jeter de l’acide sur le fonctionnement de l’hôpital à force de dire que rien ne va, et soyons très attentifs à l’orientation donnée à cette commission d’enquête.

Il faut s’interroger sur les difficultés de recrutement : le nombre de médecins formés reste insuffisant et la suppression du numerus clausus ne donnera ses effets que sur le temps long ; il faut le mesurer. Ne négligeons pas la compétition aux effets délétères que les hôpitaux de proximité se livrent parfois au lieu de coopérer. N’oublions pas non plus de parler d’efficacité. Au-delà des sujets régulièrement évoqués, nous devons aborder avec lucidité ces questions politiques et syndicales. Ce travail peut être utile s’il est fait avec attention.

M. Paul Christophe (HOR). L’objet de cette commission d’enquête dont il est demandé la création serait de questionner les responsabilités politiques, administratives et médicales dans la crise grave de l’hôpital public, qui nuit à l’accès aux soins des citoyens. Telle que la demande est formulée, je comprends qu’il s’agit d’examiner les causes de la crise pour pouvoir y remédier à l’avenir.

Nous sommes tous conscients de la situation critique dans laquelle se trouve l’hôpital public depuis plusieurs années. Face à cette situation, le Gouvernement et la majorité cherchent à réformer en profondeur ce secteur, en plus des aides exceptionnelles mises en place durant la crise sanitaire, afin de retrouver une situation pérenne pour les soignants comme pour les patients. Le Ségur de la santé, organisé en 2021 avec les représentants du secteur, tendait à réformer le système de santé actuel. Des investissements importants ont été réalisés afin d’améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants, et de revaloriser les métiers des établissements de santé.

Le groupe Horizons et apparentés est particulièrement sensible aux conditions de travail des soignants et à l’accès aux soins, comme en témoigne la proposition de loi de notre ancien collègue et désormais ministre délégué Frédéric Valletoux visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, adoptée à l’Assemblée le 15 juin dernier et promulguée le 27 décembre.

Soutenant cette initiative, nous serons très attentifs aux travaux menés et aux conclusions de cette commission d’enquête. Notre groupe prend acte de ce choix, selon la formule consacrée, dès lors que la proposition de résolution répond aux critères de recevabilité.

M. Jérôme Guedj (SOC). Lucas, Cathy, Achata, Thérèse et peut-être beaucoup d’autres... Ces personnes sont mortes récemment aux urgences. Si l’hôpital allait mieux, peut‑être en serait-il allé autrement. Comme le rappelle l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, au cours du seul mois de décembre 2022, 150 personnes sont décédées sur des brancards, faute de prise en charge, du fait du manque de lits et de personnels, selon le syndicat Samu-Urgences de France. Fermeture de lits, de services d’urgence et de maternités : le manque d’accès aux soins touche tous les territoires, mais certains plus que d’autres – je pense particulièrement aux habitants des territoires ruraux et ultramarins.

Je partage le constat concluant l’exposé des motifs de cette proposition de résolution : « Toute la lumière doit être faite sur les dysfonctionnements de notre hôpital public, afin de pouvoir proposer des solutions concrètes pour qu’aucun citoyen ne soit éloigné de l’accès aux soins, sur aucun de nos territoires. » Mais pour cela, au moment de la création de cette commission d’enquête, peut-être faut-il envisager d’aller plus loin.

C’est bien d’évaluer les difficultés d’accès aux soins et de tenter d’identifier les solutions pour y remédier, mais il faut aussi remonter aux choix politiques. Il faut ainsi s’interroger sur la construction et la définition nationale de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, sur la manière dont il ruisselle sur chacun des établissements hospitaliers. Il faut analyser la faible attractivité des métiers et anticiper un possible effondrement de l’offre humaine pour faire tourner les hôpitaux car la crise est probablement devant nous. Il faut remettre en question le mode de management et l’organisation du temps de travail à l’hôpital, le lien entre la médecine de ville et le médico-social, l’articulation avec le secteur privé.

Ce sont autant de sujets systémiques qui dépassent la seule question de l’accès aux soins pour chacun des patients. Sinon un big bang, c’est un questionnement principiel sur l’organisation de l’hôpital public. Nous sommes évidemment pour la création de cette commission d’enquête.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le groupe LIOT propose de créer une commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public, initiative que nous ne pouvons qu’encourager. Ces difficultés d’accès aux soins, je la constate chaque semaine en me rendant dans les différents hôpitaux de France, dans le cadre de la mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques, dont je suis corapporteure avec Nicole Dubré-Chirat.

Que ce soit à Lille, Nantes, Angers, Marseille, Strasbourg, Issy-les-Moulineaux ou Paris, nous constatons des situations plus qu’alarmantes : des services entiers d’urgences psychiatriques sont fermés faute de psychiatres et de pédopsychiatres, ce qui contraint les patients à faire de longs trajets – une heure, voire davantage. À Cholet, où le service spécialisé a fermé, les patients doivent ainsi se rendre à l’hôpital de Nantes. Dans certains cas, les services tiennent à bout de bras, grâce à des soignants qui se sacrifient en faisant des heures supplémentaires et en tournant entre différents établissements, au détriment de leur propre santé. Une pédopsychiatre nous a même confié qu’elle avait dû, faute de lit, renvoyer chez lui un enfant de 10 ans qui avait fait une tentative de suicide, en priant pour qu’il ne se passe rien de grave dans la nuit. Voilà la situation de notre système de santé.

Vous me direz peut-être que seule la psychiatrie est touchée, que les autres services sont mieux lotis. Nous avons des raisons d’en douter : d’autres services, comme les urgences généralistes ou la pédiatrie, sont régulièrement en grève pour revendiquer de meilleures conditions de travail et dénoncer les conditions d’accueil des patients. Quoi qu’il en soit, il faut poser la question de l’accès de tous et toutes à tous les services de l’hôpital public. Nous vous remercions donc d’avoir proposé la création de cette commission d’enquête.

M. Laurent Panifous (LIOT). Chacun de nous connaît l’état critique de notre système de santé, que ce soit en ville, notamment dans le secteur médico-social, mais aussi à l’hôpital où la crise dure depuis plusieurs dizaines d’années et risque de s’aggraver avec le vieillissement de la population. Nous devons garder à l’esprit le lien indissociable qui existe entre le secteur de la médecine de ville et l’hôpital, qui fait que les difficultés de l’un dégradent forcément la situation de l’autre.

Nous proposons une commission d’enquête centrée sur la situation spécifique et complexe de l’hôpital public, pilier de l’offre de soins, et sur l’égalité face à la santé. Nous allons analyser le fonctionnement des hôpitaux et les difficultés de toute nature qu’ils rencontrent : budget, modèle tarifaire, conditions matérielles, recrutement et formation des soignants. Nous devrons étudier les grandes différences qui existent entre la ville et le monde rural, entre les grands centres hospitaliers et les petits hôpitaux de proximité. Nous devrons aussi nous interroger sur la pertinence du pilotage central et territorial actuel.

La santé étant la priorité des Françaises et des Français, il est légitime que nous nous interrogions sur le fonctionnement d’un pilier du secteur, l’hôpital public.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Nous passons aux interventions des autres députés.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). À titre personnel, je voulais vous remercier d’avoir mis en avant ces difficultés récurrentes que nous connaissons tous, en insistant sur leur ancienneté. Pour avoir exercé dans les hôpitaux depuis trente ans, je peux constater que beaucoup d’argent a été investi dans l’immobilier, le mobilier, les évolutions salariales – même si ce n’est pas forcément suffisant –, et l’organisation de l’accès aux urgences. Au fil des ans, les services d’urgence ont vu affluer des patients sans cesse plus nombreux, qui ont fini par considérer que c’était le circuit habituel. L’afflux a provoqué une saturation totale de ces services, malgré les filtres mis en place tels que l’appel au 15 et la permanence des soins – qui n’est pas exercée partout de la même façon –, comme nous l’avons constaté en psychiatrie, secteur qui est sans doute le plus en difficulté. Il faut dresser le constat des mesures prises et des dysfonctionnements, mais aussi réfléchir à l’évolution d’un système qui est à bout de souffle, en travaillant sur la complémentarité entre l’hôpital et le milieu extrahospitalier. C’est nécessaire pour rendre le travail attractif et intéressant dans ce secteur.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Monsieur le rapporteur, vous vous attaquez à un sujet vaste, compliqué, aux multiples facettes : financement, management, patientèle, missions. L’hôpital public est à la fois un recours, un pôle d’excellence et un lieu de formation. Les établissements sont d’une grande variété : centre hospitalier universitaire, hôpital général, hôpital de proximité sur lequel pèsent de nombreuses interrogations. Quitte à s’attaquer une tâche aussi ample, il aurait été intéressant de parler de secteurs hospitaliers en général, car les systèmes hospitaliers public et privé ne fonctionnent pas de la même manière et ne rencontrent pas les mêmes difficultés. Les uns peuvent s’inspirer des autres. Aux cours de vos travaux, qui s’annoncent d’ampleur, il serait intéressant d’observer ce qui fonctionne bien chez l’un pour essayer de l’appliquer chez l’autre.

M. le rapporteur. En effet, le sujet est vaste et ne se prête pas au morcellement : on ne peut pas en étudier qu’un aspect, favoriser la psychiatrie par rapport aux urgences ou à la maternité, les trois secteurs étant en difficulté sur notre territoire.

Tout d’abord, je voulais remercier Laurent Panifous pour son intervention et tous les collègues de mon groupe pour avoir accepté de soutenir cette demande de commission d’enquête. Nous avons défini le sujet de manière à faire un audit global du secteur hospitalier – pilotage, management, comparaisons entre centres de taille différente et entre établissements publics et privés. Le titre de la commission d’enquête fait référence à l’hôpital public dont nous voulons étudier les financements et les dotations, par opposition à ce qui est donné aux hôpitaux privés. Ces derniers représenteront donc une part importante de notre travail, ne serait-ce que pour nous permettre d’appréhender les différences avec le secteur public, en termes de management ou de chances, par exemple.

Paul Midy, Christophe Bentz et d’autres ont rappelé que cette tâche nous incombait à tous. Je les en remercie et j’espère que nous pourrons travailler ensemble dans un esprit de concorde et dans l’intérêt commun. Farida Amrani, notre collègue de La France insoumise, a évoqué les positions de la FHF, dont les représentants seront sans doute parmi les premières personnes à être auditionnées par notre commission. Quant au délitement des urgences, rappelé par notre collègue Philippe Juvin, il sera aussi au menu de nos travaux, associé aux problèmes de gouvernance.

Cher collègue Turquois, je suis content d’apprendre qu’il y a moins de problèmes dans le département de la Vienne qu’ailleurs. Dans leur très grande majorité, les collègues me rapportent les soucis que rencontrent leurs hôpitaux. Nous dépensons plus que nos voisins pour nos hôpitaux, dites-vous. Mais dépense-t-on mieux ? Étant soucieux des deniers publics, nous aurons aussi à répondre à cette question.

Vous avez eu raison, cher collègue Christophe, de rappeler qu’il fallait identifier les causes pour trouver les solutions, et de faire référence à la proposition de loi de Frédéric Valletoux. J’aurais aimé que l’on aille encore plus loin, même si ce texte représente une bonne première étape. Comme l’indiquait Jérôme Guedj, il s’agit d’un sujet systémique et nous l’aborderons comme tel dans cette commission d’enquête.

Vous avez insisté, madame Rousseau, sur les difficultés rencontrées par la psychiatrie et la pédopsychiatrie, que nous examinerons dans le cadre de problématiques plus générales telles que celle des moyens.

Vous connaissez le système de l’intérieur, madame Dubré-Chirat. En réponse à votre intervention, je voudrais réitérer mon souhait de travailler avec tous et d’organiser des auditions nombreuses et variées. Comme je l’ai déjà indiqué, j’aimerais que nous prenions deux régions – peut-être trois avec une d’outre-mer –, et que nous fassions un audit descendant complet, depuis la direction générale de l’ARS jusqu’au personnel travaillant dans l’hôpital local, afin d’établir des comparaisons entre les régions et d’identifier les niveaux où se concentrent les difficultés. Évidemment, ces audits ne seront réalisés qu’après l’audition de tous les acteurs nationaux, notamment des ministres successifs en remontant au moins jusqu’à Xavier Bertrand, et des représentants des associations, des fédérations de médecins et autres.

Lors de la précédente législature, j’avais été rapporteur de la commission d’enquête sur les moyens des forces de sécurité, qui avait donné lieu à un audit complet de notre police et de notre gendarmerie et dont certaines propositions avaient été reprises dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Les commissions d’enquête servent précisément à cela : constater des manquements et élaborer des propositions de manière transpartisane afin d’améliorer la vie de nos concitoyens. C’est dans cet esprit que les députés du groupe LIOT proposent aujourd’hui la création d’une commission d’enquête sur l’hôpital public.

En application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission constate que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public sont réunies.

 

 


   Annexe

 


([1]) Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([2]) Commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire, dont les travaux se sont achevés le 14 décembre 2023 (rapport d’enquête n° 2000 de M. Dominique Potier).

([3])  https://assnat.fr/dEHo4L