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N° 305

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 octobre 2024

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
 

visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et à la loi organique  2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution,

PAR M. Jérémie IORDANOFF
Député

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Voir le numéro : 178.

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................. 5

I. La procédure de destitution devant la haute cour consacre la reconnaissance d’une responsabilité politique restreinte du chef de l’état

A. L’irresponsabilité du Chef de l’état, un principe qui souffre diverses exceptions

1. Une irresponsabilité pénale pendant le mandat et pour les actes commis dans ses fonctions

2. Une irresponsabilité politique propre aux régimes présidentiels

3. La possibilité de mettre en accusation le chef de l’État pour des manquements graves de nature pénale ou politique

B. la reconnaissance progressive d’une responsabilité politique restreinte du chef de l’état

1. Depuis la Révolution française, des procédures de jugement spécifiques ont été prévues pour connaître des manquements du pouvoir exécutif

2. La révision de 2007 a consacré une responsabilité « constitutionnelle »  du Président de la République

II. Une procédure « rapide et exigeante »  visant à concilier responsabilité politique du chef de l’état et séparation des pouvoirs

A. Les Étapes de l’examen

1. La proposition de réunion de la Haute Cour (article 1er de la loi organique)

2. L’examen par la première assemblée saisie (article 2 de la loi organique)

3. L’examen par la deuxième assemblée saisie (article 3 de la loi organique)

4. Les travaux de la Haute Cour réunie (articles 5 à 7 de la loi organique)

B. Les modalités de Discussion et de vote

1. Les modalités de discussion

2. Les modalités de vote

III. Les manquements invoqués à l’encontre du président de la république concernent plusieurs violations de ses obligations contitutionnelles

IV. Position de la commission

Examen en commission

Personnes entendues

 


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Mesdames, Messieurs,

Le 4 septembre 2024, quatre-vingt-un députés ont déposé une proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution du Président de la République. Cette résolution a été déclarée recevable par le Bureau de l’Assemblée nationale le 17 septembre 2024, enclenchant pour la toute première fois l’examen d’une telle résolution par le Parlement.

La procédure de destitution du Président de la République, prévue par l’article 68 de la Constitution, a été introduite en 2007 par une révision constitutionnelle inspirée des recommandations de la Commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l’État. Elle a remplacé la procédure de condamnation pour « haute trahison » devant la Haute Cour de Justice, héritage des constitutions précédentes mais tombée en désuétude.

Cette procédure peut être engagée contre le Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». Il revient à chacune des assemblées d’apprécier l’opportunité de réunir le Parlement en Haute Cour, puis à la Haute Cour d’apprécier l’existence ou non d’un tel manquement et de prononcer la destitution.

Cette procédure exceptionnelle déroge au principe de l’irresponsabilité pénale, civile et politique du chef de l’État dans l’exercice de ses fonctions. Elle ne permet pas d’engager une responsabilité politique de même nature que celle du Gouvernement qui, du fait du caractère parlementaire du régime de la Vème République, peut être renversé par l’Assemblée nationale. Elle n’est pas non plus cantonnée à une procédure pour des faits pénalement répréhensibles comme peut l’être la procédure d’impeachment aux États-Unis. Elle permet de tirer les conséquences d’actes de toute nature, détachables ou non de la fonction, dès lors que ceux-ci portent atteinte à la fonction de Président de la République.

Cette possibilité est indispensable pour un régime parlementaire dans lequel le Président de la République est dispensé de contreseing pour certains actes importants et n’hésite pas à sortir du rôle d’arbitre que lui attribue l’article 5 de la Constitution pour déterminer et de conduire la politique de la nation, en contradiction avec l’article 20 de la Constitution qui confie ce rôle au Gouvernement.

Aux termes de la proposition de résolution, le manquement de l’actuel Président de la République résulterait de « l’absence de nomination d’un Premier ministre issu de la force politique arrivée en tête aux élections législatives du 30 juin au 7 juillet 2024, et ce alors que la démission officielle du gouvernement date du 16 juillet 2024 ». Les auteurs de cette proposition font valoir que, dans les autres pays européens, le soin de constituer un gouvernement est partout confié au parti arrivé en tête, même s’il est minoritaire.

Ils estiment que le délai pris pour nommer le Premier ministre puis son Gouvernement a porté atteinte à la continuité des institutions et a maintenu pour une durée excessive un gouvernement démissionnaire chargé d’expédier les affaires courantes.

La Commission a été amenée à se prononcer sur le caractère « manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » de ces manquements. La procédure de destitution a en effet vocation à protéger la fonction contre son titulaire et non à résoudre un désaccord politique. C’est pourquoi elle exige une majorité qualifiée pour s’assurer que l’appréciation des manquements transcende les clivages politiques.

Bien que les questions institutionnelles soulevées par la proposition de résolution puissent légitimement faire l’objet de la procédure prévue à l’article 68, qui est la seule permettant au Parlement d’en débattre démocratiquement, le vote de la Commission a mis en évidence l’absence de consensus sur l’opportunité de réunir le Parlement en Haute Cour. Si, pour nombre de députés, le Président de la République a commis plusieurs fautes politiques résultant d’un mésusage des institutions de la Ve République, cela n’a pas paru suffisant à la Commission pour engager sa responsabilité au titre de l’article 68.

Aux termes de la Constitution et de la loi organique, le rejet de la proposition de résolution par la commission des Lois ne saurait toutefois mettre un terme à la procédure et priver l’Assemblée nationale d’un débat et d’un vote en séance publique.

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I.   La procédure de destitution devant la haute cour consacre la reconnaissance d’une responsabilité politique restreinte du chef de l’état

A.   L’irresponsabilité du Chef de l’état, un principe qui souffre diverses exceptions

L’irresponsabilité, tant pénale que politique, du chef de l’État est souvent considérée par les constitutionnalistes comme un héritage de l’adage monarchique selon lequel « le roi ne peut mal faire » (« the king can do no wrong »). Ce principe s’affirme plus particulièrement dans les régimes dits présidentiels car la personne du Président détient l’entier pouvoir exécutif et bénéficie d’une forte légitimité résultant de son élection au suffrage universel.

Cette irresponsabilité, qui souffre plusieurs dérogations, se justifie également par le principe de séparation des pouvoirs et par le rôle de garant de la continuité des institutions qui est confié au chef de l’État.

1.   Une irresponsabilité pénale pendant le mandat et pour les actes commis dans ses fonctions

En France, le Président de la République bénéficie d’une forte protection dès lors que l’article 67 de la Constitution dispose qu’il « n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité », sans précision quant à la nature de cette irresponsabilité.

Le Président de la République bénéficie ainsi, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, d’une irresponsabilité pénale et civile et d’une inviolabilité qui empêchent toute procédure administrative ou judiciaire à son encontre pour la durée de son mandat. Cette inviolabilité temporaire s’étend également aux actes dépourvus de lien avec sa fonction, qu’ils aient été commis avant ou pendant son mandat. Elle empêche également les juridictions de requérir le témoignage du Président de la République ou d’engager un acte d’information ou d’instruction à son encontre.

Cette protection n’est cependant pas absolue puisqu’elle disparaît au terme de son mandat. En 2001, la Cour de cassation avait considéré que les juridictions de droit commun étaient compétentes pour connaître des actes détachables du mandat présidentiel dès lors que celui-ci était arrivé à son terme ([1]). La révision constitutionnelle de 2007 ([2]) a consacré cette jurisprudence en indiquant que les délais de prescription et de forclusion étaient suspendus pendant la durée du mandat et que les procédures auxquelles il était ainsi fait obstacle pouvaient reprendre ou être engagées à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions présidentielles ([3]).

Pour les constitutionnalistes, l’esprit de ce régime « est d’assurer la protection de la fonction présidentielle et non de celui ou celle qui, pour la durée du mandat, exerce la fonction » ([4]). En outre, cette protection est strictement limitée au Président de la République et ne s’étend pas, par exemple, aux membres de son cabinet ([5]).

2.   Une irresponsabilité politique propre aux régimes présidentiels

Les modèles parlementaire et présidentiel sont réputés se distinguer notamment par le degré de séparation qu’ils imposent entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Dans les régimes parlementaires, l’exécutif est directement responsable politiquement devant le Parlement.

Dans les régimes dits présidentiels, en revanche, il existe une étanchéité des responsabilités entre le Parlement et l’exécutif dirigé par le Président. Aucun pouvoir ne peut renverser l’autre. Seule une procédure exceptionnelle peut conduire à mettre en cause la responsabilité du Président (voir infra).

Le caractère hybride de la Ve République se traduit par des modalités originales d’engagement de la responsabilité des différents pouvoirs. La France est souvent qualifiée de régime semi-présidentiel (Maurice Duverger), de régime présidentialiste, ou encore de régime parlementaire dualiste ou orléaniste, c’est-à-dire que le Gouvernement est, dans les faits, responsable à la fois devant l’Assemblée nationale et devant le Président de la République. Ce dualisme, couplé aux mécanismes du parlementarisme rationalisé, entraîne une asymétrie des responsabilités : l’Assemblée nationale peut censurer le Gouvernement ([6]) mais pas le Président de la République. Elle peut en revanche être dissoute par le Président de la République, comme cela fut le cas le 9 juin 2024, par un décret dispensé de contreseing ([7]) et inattaquable devant une juridiction ([8]).

Certains actes du Président de la République ne sont pas dénués de contrôle puisqu’ils sont soumis au contreseing du Premier ministre mais cela ne concerne pas ses pouvoirs propres (nomination du Premier ministre, dissolution de l’Assemblée nationale, déclenchement des pouvoirs exceptionnels prévus par l’article 16 de la Constitution…).

Mme Eleonora Bottini a indiqué lors de son audition que « c’est parce que le Gouvernement est responsable politiquement que le Président ne devrait pas avoir besoin de l’être ». Or, alors même que l’article 20 de la Constitution prévoit que « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation », dont il répond devant l’Assemblée nationale, le Président de la République a, en pratique, « capté le pouvoir de décision » ([9]) en dehors de tout contrôle du pouvoir législatif. Pour Mme Anne-Marie Cohendet, cela s’explique par son élection au suffrage universel direct ainsi que par le fait majoritaire qui résulte du mode de scrutin instauré pour les élections législatives.

Le Président de la République ne met ainsi sa responsabilité politique en jeu qu’éventuellement au terme de son mandat lors des élections suivantes. Lors de son audition, M. Bertrand Mathieu a également rappelé qu’en dehors de toute procédure prévue à cet effet dans la Constitution, le Général de Gaulle avait mis en jeu sa responsabilité à l’occasion de deux référendums, en 1962 et en 1969 – le second conduisant à sa démission.

3.   La possibilité de mettre en accusation le chef de l’État pour des manquements graves de nature pénale ou politique

Un tel mécanisme de protection est commun dans les démocraties (voir tableau ci-après). Il répond au souci de garantir la séparation des pouvoirs et la stabilité des institutions. Il est également habituel que cette protection soit limitée dans le temps et que soient prévues des procédures pour sanctionner ou destituer le chef de l’État dans certains cas exceptionnels.

Compte tenu du rôle central qu’assume le Président dans les régimes présidentiels, des procédures spécifiques existent pour mettre en cause sa responsabilité au cours de son mandat pour des actes d’une particulière gravité. Il ne s’agit alors pas de traduire un désaccord politique ou partisan mais de sanctionner des actes commis dans le cadre du mandat (violation de la Constitution, haute trahison…) ou des actes personnels incompatibles avec l’exercice des fonctions (crime ou délit, comportement inadapté…).

Ces procédures ont pour objet d’éviter l’abus de pouvoir ou l’atteinte aux intérêts de la nation. Elles peuvent à ce titre être engagées sur un fondement politique ou pénal. La plus célèbre d’entre elles est la procédure d’impeachment (« mise en accusation ») aux États-Unis, qui existe dans de nombreux régimes présidentiels (voir encadré).

Régime de protection du chef de l’état en europe

Source : Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, 1er décembre 2002

En France, la responsabilité du Président de la République peut être engagée au cours de son mandat via deux procédures :

 depuis la ratification du Statut de Rome en 1999, il est responsable pénalement devant la Cour pénale internationale en cas de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre ou de crimes d’agression ([10]) ;

– depuis la révision de 2007, il est également responsable devant le Parlement réuni en Haute Cour « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » ([11]).

C’est cette seconde procédure dont le déroulement a été modernisé en 2007, qui a été engagée le 4 septembre 2024 par le dépôt, à l’initiative de 81 députés, d’une proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour.

La procédure de mise en accusation (« impeachment ») aux États-Unis

Les régimes présidentiels prévoient généralement une procédure de destitution pour engager la responsabilité du Président pour des faits exceptionnellement graves puisqu’il n’existe pas de procédure de droit commun permettant d’engager sa responsabilité devant le Parlement. C’est le cas aux États-Unis, au Brésil ou encore en Afrique du Sud.

Cette procédure est née en Angleterre au XIVème siècle pour mettre en cause les agents de la couronne qui bénéficiaient jusqu’alors de la même protection que le roi pour les actes qu’ils réalisaient pour son compte. Au XVIIIème siècle le Parlement britannique recourrait régulièrement à la procédure d’impeachment pour atteindre des ministres irresponsables politiquement et les contraindre à la démission.

Aux États-Unis, la procédure d’impeachment peut viser tout haut fonctionnaire du gouvernement fédéral, ainsi que le président, le vice-président, les membres du cabinet (secrétaires) et les juges fédéraux. La Constitution des États-Unis prévoit que « le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ».

La procédure compte trois étapes : l’enquête, menée en général par le comité judiciaire de la Chambre des représentants ; l’impeachment, qui doit être voté par cette même Chambre à la majorité simple (comme une loi) ; le procès (impeachment trial), qui se tient devant le Sénat. La décision de culpabilité ne peut être acquise qu’à la majorité des deux tiers des votants.

Cette procédure se distingue de la procédure devant la Haute Cour en ce qu’elle n’entraîne pas de nouvelle élection, le mandat étant achevé par le vice-président des États-Unis. Dans le cas français, la destitution entraîne la vacance de la présidence de la République, un intérim exercé par le Président du Sénat et l’organisation, dans les trente-cinq jours au plus tard, d’une élection présidentielle anticipée. C’est donc le peuple qui, in fine, dispose du dernier mot. Le Président destitué peut d’ailleurs se présenter à l’élection, sauf s’il tombe sous le coup de l’interdiction d’exercer plus de deux mandats consécutifs, introduite à l’article 6 de la Constitution par la révision de 2008.

B.   la reconnaissance progressive d’une responsabilité politique restreinte du chef de l’état

1.   Depuis la Révolution française, des procédures de jugement spécifiques ont été prévues pour connaître des manquements du pouvoir exécutif

La Haute Cour n’est pas une invention de la Vème République. Elle naît sous la forme d’une juridiction exceptionnelle dès la Constitution du 3 septembre 1791 : c’est la Haute Cour nationale compétente pour connaître des délits des ministres et des hauts fonctionnaires. On la retrouve également sous le Directoire (1795-1799) sous le nom de Haute Cour de Vendôme. Elle se réunira à une seule reprise sous ce régime pour juger Gracchus Babeuf et les membres de la Conjuration des Égaux. Afin de préserver la séparation des pouvoirs, ces instances doivent être saisies par le pouvoir législatif et sont composées de jurés non élus.

Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, c’est la Chambre des pairs qui peut se constituer en Cour des pairs pour connaître des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l’État. C’est elle qui condamna à mort le Maréchal Ney en 1815 pour son ralliement à l’empereur Napoléon. Sous la IIème République, la Haute Cour de Justice redevient une juridiction indépendante mais elle ne peut être saisie que par l’Assemblée nationale lorsqu’il s’agit d’actes commis par le Président de la République ou les ministres.

À compter de 1875, la IIIème République se dote d’un mécanisme qui perdurera de manière presque inchangée jusqu’en 2007. L’article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics posait, en son premier alinéa, le principe de la responsabilité des ministres devant les Chambres et précisait, au second alinéa, que « le Président de la République n’est responsable qu’en cas de haute trahison ». La loi du 16 juillet 1875 prévoyait un mécanisme de mise en accusation du Président de la République par la Chambre des députés et de jugement par le Sénat constitué en Haute Cour. Celle-ci peut également être saisie des attentats contre la sûreté de l’État et c’est à ce titre qu’elle a été le plus souvent réunie, notamment pour juger le général Boulanger en 1889 ou encore Paul Déroulède en 1899.

Ce mécanisme a été reconduit sous la IVème République. L’article 42 de la Constitution du 27 octobre 1946 disposait que « le Président de la République n’est responsable que dans le cas de haute trahison ». La Haute Cour était alors composée aux deux tiers de députés, le dernier tiers étant choisi en dehors de l’Assemblée nationale.

L’article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958 a repris une formule similaire : « Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ». Par rapport à la Constitution de 1946, cette rédaction précise toutefois que l’immunité du Président ne concerne que les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions. Ce même article ajoute que le Président « est jugé par la Haute Cour » et « ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées ».

Jusqu’en 2007, la Haute Cour fonctionnait comme une juridiction ad hoc composée de membres élus par les deux chambres. Une commission d’instruction (comprenant cinq juges désignés parmi les magistrats du siège de la Cour de cassation) procédait à tous les actes qu’elle jugeait utiles à la manifestation de la vérité. Elle rendait une décision de renvoi qui appréciait l’existence des faits énoncés. La Haute Cour se réunissait ensuite et statuait sur la culpabilité des accusés, ainsi que sur leur peine ([12]).

Le périmètre de ce privilège de juridiction, c’est-à-dire l’impossibilité pour les juridictions de droit commun de connaître des actes commis par le Président de la République, a été débattu. Si la Haute Cour de justice n’est compétente que pour les cas de haute trahison et si le Président est irresponsable pour les actes accomplis dans l’exercice de ces fonctions, qu’en est-il des actes accomplis à titre personnel avant ou pendant son mandat ?

La jurisprudence est venue préciser ce point tardivement. Le Conseil constitutionnel a estimé en 1999 que « pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice » ([13]). Autrement dit, aucune procédure pénale devant les juridictions de droit commun ne peut impliquer le Président de la République qui bénéficiait ainsi d’un privilège de juridiction.

En 2001, la Cour de cassation a également estimé que les juridictions de droit commun étaient incompétentes pour connaître de procédures visant le Président de la République au cours de son mandat : « Étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun » ([14]).

Elle a cependant rappelé que la Haute Cour n’était pas compétente pour connaître de l’ensemble des procédures pénales ou civiles impliquant le Président de la République durant son mandat mais seulement des actes de haute trahison. L’incompétence des juridictions de droit commun n’est que temporaire, elle se limite à la durée du mandat et cesse à la fin de celui-ci : « la Haute Cour de justice n’étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l’exercice de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l’action publique étant alors suspendue » ([15]).

Jusqu’en 1993 et la création de la Cour de justice de la République, la Haute Cour de Justice était également compétente pour connaître « des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis » par les membres du Gouvernement.

2.   La révision de 2007 a consacré une responsabilité « constitutionnelle » ([16]) du Président de la République

La protection dont continuait de bénéficier le Président de la République est progressivement apparue en décalage avec le rôle politique central de celui-ci. Comme l’écrit Guy Carcassonne : « Le roi ne peut mal faire disait la doctrine monarchiste […] C’est à peu près ce qu’a toujours dit aussi, pour son président, la doctrine républicaine. Et il pouvait d’autant moins mal faire qu’il ne pouvait pas faire grand-chose. Dès lors ce qui semblait normal sous les IIIème et IVème République a pu paraitre choquant sous la Vème » ([17]).

En 2002, le rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, présidée par Pierre Avril, concluait à la nécessaire évolution de la responsabilité du chef de l’État. Cette commission préconisait de revoir la notion de « haute trahison » qu’elle considérait comme trop imprécise, voire désuète. Elle proposait également de clarifier le champ de l’immunité pénale pour les actes sans lien avec l’exercice des fonctions, en s’appuyant sur les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation précédemment évoquées.

Ces travaux ont abouti à un projet de révision constitutionnelle déposé en 2003 et adopté définitivement le 23 février 2007 – en même temps que deux autres projets de loi constitutionnelle sur la Nouvelle Calédonie et sur l’interdiction de la peine de mort.

Il n’est alors plus question de juger le Président de la République en cas de « haute trahison » mais de le destituer « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». La notion de jugement, conservé dans le cadre de la Cour de justice de la République, disparaît ([18]). Le Parlement réuni en Haute Cour se prononce seulement par un vote sur la destitution, consacrant ainsi une responsabilité politique ou « constitutionnelle » ([19]) du Président de la République. Cette responsabilité reste de nature différente de celle du Gouvernement car elle est limitée à des situations particulièrement graves, sur le modèle de la procédure d’impeachment étatsunienne (voir supra). Contrairement à la censure du Gouvernement, elle implique un vote des deux chambres.

Cette procédure engage bien une responsabilité de nature politique, même dans le cas où celle-ci résulterait de la commission d’une infraction pénale. Comme le rappelle la Commission Avril : « La question qui est posée à la représentation nationale est alors celle de savoir si le chef de l’État doit ou non le rester : ce qui est essentiel n’est pas de le condamner pour des infractions qu’il aurait commises mais d’apprécier si, compte tenu de son comportement ou de ses agissements – que ceux-ci soient pénalement répréhensibles ou non – il reste en mesure d’exercer dignement ses fonctions. C’est en quelque sorte une soupape de sûreté qui, dans des cas exceptionnels et graves, préserve la continuité de l’État en mettant fin, par des mécanismes présentant toutes garanties, à une situation devenue intenable » ([20]). Autrement dit, ce sont bien les conséquences des manquements sur l’exercice des fonctions de Président de la République qui sont à l’origine de la procédure et non la nature ou la gravité de ceux-ci. Comme l’a résumé Mme Anne Levade lors de son audition : « La procédure vise à protéger la fonction présidentielle dans l’hypothèse où celui qui l’exercerait la mettrait en péril ».

La notion de « manquement manifestement incompatible avec l’exercice du mandat » permet de limiter les motifs de destitution aux questions relatives au mandat. Elle est toutefois suffisamment imprécise pour pouvoir inclure des actes commis en dehors du strict exercice des fonctions dès lors que ceux-ci peuvent y porter atteinte. Il n’existe donc pas de liste préétablie des manquements : « Cette formulation présente l’avantage de pouvoir être évolutive : des comportements admis ou tolérés hier ne le sont plus aujourd’hui ; des comportements admis ou tolérés aujourd’hui peuvent ne plus l’être demain ; la rédaction proposée laisse toute sa place à l’évolution inévitable des mœurs et des mentalités » ([21]).

Le rapport de la Commission sur le statut pénal du Président de la République liste quelques exemples : « le cas souvent évoqué de meurtre ou autre crime grave ou d’autres comportements contraires à la dignité de la fonction ; l’utilisation manifestement abusive de prérogatives constitutionnelles aboutissant au blocage des institutions comme les refus cumulés de promulguer les lois, de convoquer le Conseil des ministres, de signer les décrets en Conseil des ministres, de ratifier les traités, voire la décision de mettre en œuvre l’article 16 alors que les conditions n’en seraient pas réunies, etc. Il s’agit en quelque sorte de savoir si celui qui incarne un pouvoir politique en est arrivé à rompre le lien qui l’identifiait à ce pouvoir. La réponse ne peut être donnée par un enchaînement de déductions logiques, tant les bases de ces déductions peuvent faire l’objet d’appréciations différentes adaptées au mouvement de la vie politique » ([22]).

La définition du manquement relève ainsi d’une appréciation purement politique appartenant au Parlement. Son caractère « manifeste » implique que « la reconnaissance de cette incompatibilité doit transcender les clivages partisans habituels, s’imposer pratiquement à tous comme une évidence objective et non à quelques-uns comme une appréciation uniquement politique » ([23]). Cette exigence s’est traduite par la nécessité de recueillir le soutien des deux tiers des membres dans l’une puis l’autre des assemblées avant de pouvoir réunir la Haute Cour (voir infra).

Pour M. Denis Baranger, l’intérêt de cette procédure est également d’offrir une procédure, inexistante par ailleurs, permettant au Parlement de débattre démocratiquement du fonctionnement des institutions, y compris en ce qui concerne le Président de la République.

II.   Une procédure « rapide et exigeante » ([24]) visant à concilier responsabilité politique du chef de l’état et séparation des pouvoirs

L’article 68 de la Constitution et la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de cet article prévoient les différentes étapes de l’examen des propositions de résolution ainsi que les modalités essentielles de leur discussion et de leur adoption. L’interprétation de ces dispositions a été précisée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-703 DC du 19 novembre 2014.

La procédure s’inscrit dans des délais contraints qui garantissent de pouvoir répondre rapidement à une situation de crise et exigent un consensus au sein du Parlement sur l’opportunité de mener la destitution à son terme. Aucun amendement n’est recevable à aucun stade de l’examen de la proposition de résolution dans l’une ou l’autre des assemblées.

A.   Les Étapes de l’examen

1.   La proposition de réunion de la Haute Cour (article 1er de la loi organique)

La décision de réunir la Haute Cour résulte de l’adoption d’une proposition de résolution successivement par les deux assemblées du Parlement, illustrant ainsi la possibilité d’une procédure bicamérale en dehors du champ législatif.

Cette proposition de résolution doit être déposée devant l’une des deux chambres par au moins un dixième de ses membres ([25]). Elle doit être motivée par des motifs susceptibles de caractériser un manquement manifeste au sens du premier alinéa de l’article 68 de la Constitution ([26]). La proposition de résolution est communiquée sans délai par le Président de cette assemblée au Président de la République et au Premier ministre, ce qui a été fait le 5 septembre 2024.

2.   L’examen par la première assemblée saisie (article 2 de la loi organique)

Le Bureau de l’assemblée devant laquelle la proposition de résolution a été déposée vérifie sa recevabilité au regard des conditions formelles posées par l’article 1er de la loi organique. Lors du seul précédent, en 2016, le Bureau de l’Assemblée nationale avait, à la majorité de ses membres, déclaré la proposition irrecevable en se prononçant sur le fond, ce qui était critiquable ([27]). La présente proposition de résolution a, quant à elle, été déclarée recevable par le Bureau de l’Assemblée le 17 septembre 2024.

Dès lors, elle est renvoyée à la commission des Lois qui peut conclure à son adoption ou à son rejet, à la majorité des présents, sans que les règlements des assemblées ne précisent les modalités de cet examen. Le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions « n’ont pour objet ni d’imposer à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles de l’assemblée devant laquelle la proposition de résolution a été déposée de conclure à l’adoption ou au rejet de cette proposition, ni même d’imposer à ladite commission d’examiner cette proposition » ([28]). Dans le commentaire de cette décision, le Conseil constitutionnel mentionne même le caractère facultatif de l’examen en séance publique après l’examen en commission : « Une proposition de résolution qui serait ainsi rejetée à une nette majorité en commission pourrait ne pas même être inscrite à l’ordre du jour de la séance publique ». Cela ne confère pas pour autant un droit de veto à la commission et les constitutionnalistes auditionnés ont estimé que son rôle dans cette procédure était davantage d’éclairer le débat avant l’examen en séance, (lequel devant, selon eux, nécessairement avoir lieu.

La loi organique précise que la proposition de résolution doit être inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de la Commission. Le Conseil constitutionnel considère que ces dispositions « n’ont pas pour effet d’entraîner “ de droit ” cette inscription à l’ordre du jour ». Celle-ci s’effectue donc dans les conditions prévues par l’article 48 de la Constitution.

En cas d’inscription à l’ordre du jour, le vote doit intervenir au plus tard le quinzième jour. Si ces délais sont dépassés, la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour devient caduque ([29]). Les constitutionnalistes auditionnés s’accordent sur le caractère restrictif de l’interprétation retenue par le Conseil constitutionnel qui s’éloigne de la lettre de l’article 68 de la Constitution et de l’intention du législateur organique.

Le vote en séance publique est acquis à la majorité des deux tiers ; seuls les votes favorables sont recensés. En cas d’adoption par l’une des deux assemblées, la proposition de résolution est transmise à l’autre assemblée. Le rejet empêche la transmission et met un terme à la procédure.

3.   L’examen par la deuxième assemblée saisie (article 3 de la loi organique)

Si la Constitution ne prévoit pas d’obligation d’examiner la proposition de résolution au sein de l’assemblée à l’initiative de la procédure, son article 68 impose en revanche un délai contraignant de quinze jours pour la seconde assemblée saisie entre la transmission de la proposition de résolution et son vote. La proposition de résolution fait également l’objet d’un examen par la commission permanente compétente avant sa discussion en séance publique, au plus tard le treizième jour suivant sa transmission.

4.   Les travaux de la Haute Cour réunie (articles 5 à 7 de la loi organique)

Lorsqu’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour a été adoptée par chacune des assemblées, le Bureau de la Haute Cour, composée de onze députés et de onze sénateurs, se réunit pour fixer l’organisation des travaux.

La résolution fait l’objet d’un examen par une commission constituée de six vice-présidents de l’Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat. Cette commission est chargée de recueillir toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour. Elle élabore, dans les quinze jours suivant l’adoption, un rapport qui est distribué aux membres de la Haute Cour, communiqué au Président de la République et au Premier ministre et rendu public.

La Haute Cour doit statuer dans le mois suivant l’adoption de la proposition de résolution par les deux chambres. Le Conseil constitutionnel a censuré l’obligation voulue par le législateur organique selon laquelle « le vote doit commencer au plus tard quarante-huit heures après l’ouverture des débats », considérant que ces restrictions « ne peuvent être regardées comme nécessaires et qui sont de nature à porter une atteinte injustifiée au principe de clarté et de sincérité des débats » ([30]). Cette accélération des débats apparaissait inutile dès lors que la Haute Cour ne disposait en tout état de cause que d’un mois pour se prononcer, délai au terme duquel elle est dessaisie.

B.   Les modalités de Discussion et de vote

1.   Les modalités de discussion

Les débats de la Haute Cour sont publics. Les débats portent exclusivement sur la question de la destitution. Leur organisation est fixée par le Bureau de la Haute Cour. Bien que cela ne soit pas écrit dans la loi organique, le Conseil constitutionnel rappelle que « les débats devant la Haute Cour sur la proposition de destitution du Président de la République ne sauraient être ouverts sans que la Haute Cour ait, au préalable, adopté son règlement » ([31]).

Si la Haute Cour n’est pas considérée stricto sensu comme une juridiction, elle accorde malgré tout au Président de la République le droit de se défendre dans le respect du principe du contradictoire. L’article 7 de la loi organique précise ainsi que « outre les membres de la Haute Cour, peut seul y prendre part le Président de la République. [Il] peut prendre ou reprendre la parole en dernier. [Il] peut se faire assister ou représenter par toute personne de son choix. »

2.   Les modalités de vote

Les votes sur la proposition de résolution et sur la destitution devant chacune des assemblées, puis devant la Haute Cour une fois celle-ci réunie, s’effectuent à la majorité des deux tiers de leurs membres. Toute délégation de vote est interdite et seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Les votes en commission et en séance publique portant sur la proposition de résolution visant à réunir la Haute Cour ont lieu soit à main levée, soit par scrutin public, et non à bulletins secrets car ils ne sont pas considérés comme des votes « personnels » – comme le sont les avis sur les nominations ou les élections aux différentes fonctions. Le vote sur la destitution au sein de la Haute Cour s’exerce en revanche à bulletin secret car il porte directement sur la personne du chef de l’État.

Le projet de loi constitutionnelle initial prévoyait que les votes se déroulent à majorité absolue des membres. Ce seuil a été relevé afin d’éviter que cette procédure ne puisse conduire à une destitution en cas de simple désaccord politique entre la majorité du Parlement et le chef de l’État.

Le rapporteur de l’Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle, M. Philippe Houillon, considérait en effet que « seule une majorité qualifiée peut assurer le dépassement des clivages partisans et que seule une décision prise avec une telle majorité peut, d’une part, en garantir la crédibilité et, d’autre part, donner une substance à l’adverbe « manifestement » dans la définition des manquements susceptibles de conduire à la destitution. […] Cette proportion se rapprocherait de celle requise pour l’adoption par le Congrès du Parlement d’une révision constitutionnelle sur le fondement de l’article 89 de la Constitution qui exige une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés » ([32]). Certains constitutionnalistes pointent toutefois la difficulté pour un Président de la République de se maintenir si une majorité des membres de la Haute Cour, sans toutefois atteindre les deux tiers, se prononçaient en faveur de sa destitution.

III.   Les manquements invoqués à l’encontre du président de la république concernent plusieurs violations de ses obligations contitutionnelles

Le Bureau de l’Assemblée nationale a considéré, le 17 septembre 2024, que la proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour était recevable. Elle a donc été renvoyée à la commission des Lois.

Les auteurs de la proposition de résolution estiment que « l’absence de nomination d’un Premier ministre issu de la force politique arrivée en tête aux élections législatives du 30 juin et 7 juillet 2024, et ce alors que la démission officielle du gouvernement date du 16 juillet 2024 » constitue un manquement manifestement incompatible avec l’exercice des fonctions de Président de la République.

Au total, l’exposé des motifs de la proposition de résolution – dont la valeur juridique est cependant moindre que le dispositif lui-même – allègue quatre violations de la Constitution par le Président de la République, dont la fonction implique pourtant, en application de son article 5, de « veiller au respect de la Constitution ».

 Une absence de consultation réelle du Premier ministre et des présidents des assemblées avant la dissolution. L’article 12 de la Constitution prévoit la consultation obligatoire du Premier ministre et des présidents des assemblées. S’il a été de notoriété publique que celle-ci avait été expéditive et peu prise en compte, la lettre de la Constitution ne précise pas la forme que doit prendre cette consultation et n’impose pas de suivre ces avis.

 Un délai excessif pour nommer un nouveau premier ministre. L’article 8 de la Constitution indique que « le Président de la République nomme le Premier Ministre ». Si le caractère obligatoire de cette compétence – le Président n’a pas la faculté de gouverner sans Premier ministre – fait l’objet d’un consensus, cette compétence n’est soumise à aucun délai ni à aucun contrôle.

Ce délai n’a cependant pas été sans conséquence puisqu’il a maintenu la France sans Premier ministre pendant cinquante-et-un jours et avec un Gouvernement démissionnaire durant soixante-sept jours, dans une période sensible pour le pays compte tenu de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Les auteurs de la proposition considèrent qu’en repoussant aussi longtemps la nomination du Premier ministre, le Président de la République a contrevenu à une autre de ses prérogatives qui est d’« assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité de l’État » ([33]).

 Le refus de nommer un Premier ministre issu de la coalition arrivée en tête aux élections législatives. Outre le délai de nomination, les auteurs de la proposition de résolution contestent également le refus du Président de la République de nommer au poste de Premier ministre la candidate proposée par la coalition arrivée en tête aux élections législatives.

L’article 8 de la Constitution ne limite pas la liberté dont dispose le Président de la République pour choisir le Premier ministre. Sous la Vème République, il a été d’usage, en cas de défaite du camp présidentiel aux élections législatives, que le Président de la République désigne au poste de Premier ministre la personnalité choisie par le parti ou la coalition arrivé en tête aux élections législatives. Les présidents François Mitterrand (de 1986 à 1988 et de 1993 à 1995) puis Jacques Chirac (de 1997 à 2002) avaient accepté cette situation, dite de « cohabitation ». Ils semblaient appliquer la lettre de la Constitution en ce qui concerne les prérogatives du Président de la République.

La configuration politique issue des élections législatives de juin et juillet 2024 est cependant inédite en ce que la coalition arrivée en tête dispose d’un nombre de députés très inférieur à la majorité absolue.

Deux conceptions s’opposent : d’une part, les auteurs de la proposition de résolution estiment que l’absence de désignation rapide d’un Premier ministre a porté atteinte à la stabilité et à la continuité des institutions ; d’autre part, le Président de la République a considéré qu’il était préférable d’allonger le délai de désignation du Premier ministre afin de trouver une solution favorisant la nomination d’un Gouvernement le plus durable possible.

Les auteurs de la proposition de résolution soulignent également que, dans les démocraties parlementaires européennes, la coalition arrivée en tête – même si elle est minoritaire – est chargée de réaliser les compromis nécessaires pour gouverner dans le cadre d’un « mandat exploratoire ».

La transposition au cas français n’est pas totalement convaincante puisque, dans ces pays, le chef du Gouvernement est élu par le Parlement – c’est le cas du Chancelier allemand ou du Président du Gouvernement espagnol – ou doit recueillir sa confiance par un vote – c’est le cas du Président du Conseil italien. Or, depuis 1966, l’investiture du Gouvernement par le Parlement est, en pratique et aussi contestable que soit cette interprétation, considérée comme facultative en France bien que l’article 49 de la Constitution dispose que « le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ».

Votre rapporteur rappelle, comme l’a souligné M. Philippe Houillon lors de son audition, que la procédure de la motion de censure prévue à l’article 49 de la Constitution permet à l’Assemblée nationale de signifier son rejet du Premier ministre retenu par le Président de la République. Lors de son audition M. Pierre Avril a souligné qu’une succession de censures pourrait créer une situation de blocage susceptible de motiver une procédure de destitution.

● Une atteinte à la séparation des pouvoirs liée au maintien prolongé d’un Gouvernement démissionnaire dont de nombreux membres exercent également le mandat de député. L’article 23 de la Constitution prévoit en effet que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire ». Il existe néanmoins une dérogation à cette incompatibilité prévue par l’article L.O. 153 du code électoral pour les membres d’un Gouvernement démissionnaire.

Cette exception a notamment permis aux ministres démissionnaires de participer aux scrutins internes à l’Assemblée nationale. Si ce cumul de fonctions est explicitement autorisé par la loi organique, les auteurs de la proposition de résolution jugent problématique la durée (soixante-sept jours) pendant laquelle ce cumul de fonction a perduré. Pour M. Denis Baranger, le nombre d’actes administratifs pris durant cette période démontre que le Gouvernement démissionnaire ne s’est pas contenté d’expédier les affaires courantes mais a certainement dû prendre des décisions de nature politique.

IV.   Position de la commission

Le débat en commission sur la proposition de résolution, dont votre rapporteur tient à souligner la qualité et le ton respectueux, a permis aux différents groupes d’exprimer leur position. Le Bureau de la commission des Lois s’était accordé la veille sur la tenue d’un scrutin public sur le vote de la proposition de résolution.

Au terme du vote, par cinquante-quatre voix contre quinze, la Commission a rejeté la proposition de résolution.

Votre rapporteur souligne que ce vote n’a pas d’incidence sur l’inscription de la proposition de résolution à l’ordre du jour de la séance publique ([34]). Celle-ci devra être décidée en Conférence des présidents, dans les conditions de l’article 48 de la Constitution, comme le prévoit l’article 2 de la loi organique du 24 novembre 2014. Compte tenu de l’interprétation qu’en a faite le Conseil constitutionnel, elle serait caduque si elle n’était pas inscrite dans les treize jours suivant l’examen en commission, soit au plus tard le 15 octobre.

Votre rapporteur estime que le refus d’inscrire l’examen de la proposition de résolution en séance publique serait contraire à l’esprit de la loi organique, laquelle ne consacre pas un rôle de filtre à la Commission, et tronquerait une procédure qui offre au Parlement la possibilité de débattre du fonctionnement de nos institutions dans un contexte inédit.

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   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 2 octobre 2024, la Commission examine la proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et à la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution (n° 178) (M. Jérémie Iordanoff, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/pr1LK9

M. le président Florent Boudié. Nous sommes saisis de la proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution du Président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007.

La présente proposition a été jugée recevable par le bureau de l’Assemblée lors de sa réunion du 17 septembre. Le Conseil constitutionnel précise dans sa décision du 19 novembre 2014 que dans un tel cas, la loi organique du 24 novembre 2014 n’impose pas à la commission des lois de conclure à l’adoption ou au rejet de la proposition de résolution, ni même de l’examiner. Toutefois, j’ai proposé au bureau de notre commission de l’inscrire à l’ordre du jour. Il a accepté.

La semaine dernière, nous avons donc désigné M. Jérémie Iordanoff rapporteur. Il lui reviendra d’éclairer nos débats, en rappelant en particulier le cadre et la procédure de l’article 68 de la Constitution, tel que précisé par la loi organique du 24 novembre 2014 et la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2014.

Conformément au déroulement fixé par le bureau de notre commission, un représentant de chacun des onze groupes pourra ensuite s’exprimer pendant cinq minutes, la première prise de parole étant réservée au groupe auteur de la proposition, La France insoumise - Nouveau Front populaire, pour en présenter les motivations. À l’issue de ces interventions, le rapporteur pourra de nouveau prendre la parole.

Onze députés issus de chacune des sensibilités représentées dans notre commission pourront ensuite s’exprimer pendant deux minutes. La dernière prise de parole sera réservée au groupe auteur de la proposition de résolution. M. le rapporteur pourra alors intervenir une dernière fois. Le vote, qui aura lieu ensuite, se déroulera par scrutin public, conformément à la décision prise hier par le bureau de la commission. Vous le savez, le vote par bulletin secret est réservé aux élections à certaines instances, comme le bureau de la commission.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Nous nous réunissons le lendemain d’une déclaration de politique générale qui n’a pas donné lieu à un vote de confiance et dans l’attente d’une motion de censure. Le Gouvernement actuel est le plus faible de la Ve République. Plus largement, nous traversons une crise politique dont nul ne peut prédire le dénouement.

Dans ce contexte particulier, nous examinons la proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution du Président de la République prévue par l’article 68 de la Constitution ; qui a été présentée par Mme Mathilde Panot et quatre-vingts autres députés. La seule autre proposition de ce type qui ait été déposée, en 2016, avait été jugée irrecevable par le bureau de l’Assemblée, décision critiquable et critiquée.

La présente proposition a été jugée recevable par le bureau de l’Assemblée le 17 septembre. Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, une motion de destitution est ainsi examinée au fond par notre commission. C’est donc avec l’idée que nous créons un précédent que nous devons examiner ce texte.

À la suite d’une divergence de jurisprudence sur l’interprétation de l’ancienne version de l’article 68 de la Constitution, le pouvoir constituant est intervenu en 2007, sous le mandat de Jacques Chirac, pour rénover le statut pénal du chef de l’État. Désormais, l’article 67 accorde ainsi une immunité totale du Président de la République, pour les « actes accomplis en cette qualité », et une immunité temporaire pour les autres actes.

La Constitution pose en outre deux limites à cette immunité : la responsabilité du Président peut être engagée devant la Cour pénale internationale, dans les conditions prévues à l’article 53-2 de la Constitution ; elle peut également être engagée devant le Parlement réuni en Haute Cour, dans les conditions prévues dans la version actuelle de l’article 68 de la Constitution.

Auparavant, l’article 68 prévoyait que le Président de la République n’était « responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ». Mais, en 2007, le constituant, reprenant les préconisations du rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l’֤État, présidée par Pierre Avril, en 2002, a profondément réformé cet article, en instaurant un mécanisme original, permettant de destituer le chef de l’État « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».

La procédure doit être initiée par l’adoption d’une résolution par les deux chambres successivement, à une majorité qualifiée des deux tiers, afin que le Parlement se réunisse en Haute Cour, laquelle statue également à la majorité des deux tiers et à bulletin secret. La loi organique du 24 novembre 2014, qui a permis l’entrée en vigueur de cette procédure, a prévu des délais restreints ; la proposition de résolution doit être inscrite à l’ordre du jour de la première assemblée saisie au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de notre commission et le vote doit intervenir au plus tard le quinzième jour. La seconde assemblée saisie dispose quant à elle de quinze jours – expressément prévu par l’article 68 de la Constitution – à compter de la transmission de proposition de résolution.

La Ve République étant un régime parlementaire, le Président de la République est irresponsable politiquement. C’est le Gouvernement qui, à travers son contreseing, endosse devant la chambre basse la responsabilité politique des actes du Président, comme c’était déjà le cas sous la IIIe et la IVe République, et comme c’est le cas en Allemagne ou en Italie, mais aussi dans les monarchies parlementaires telles l’Espagne.

La Ve République est toutefois un régime parlementaire particulier, que les constitutionnalistes s’accordent à qualifier de présidentialiste. D’une part, le Président de la République dispose d’une dispense de contreseing pour certains actes importants ; d’autre part, son mode d’élection, le suffrage universel, lui permet de sortir du rôle d’arbitre que lui attribue l’article 5 de la Constitution, et de capter le pouvoir de déterminer et de conduire la politique de la nation, qui appartient normalement au Gouvernement, aux termes de l’article 20 de la Constitution.

Que l’on s’attache à la lettre de la Constitution ou à la pratique, au regard des prérogatives du Président de la République, sa fonction doit être protégée, « y compris contre son titulaire », comme l’indiquait la commission Avril. C’est tout le sens de la procédure prévue à l’article 68 de la Constitution. En effet, la protection du Président de la République a des contreparties logiques, notamment la nécessité pour le Président de la République de respecter ses devoirs constitutionnels, ainsi que le vote des électeurs lorsqu’il s’exprime. Le non-respect de ces devoirs doit d’une manière ou d’une autre être sanctionné.

Comparons cela avec le régime américain, qui est présidentiel, c’est-à-dire qu’il ne prévoit pas de responsabilité politique de l’exécutif devant le législatif. La procédure d’impeachment vise à engager la responsabilité pénale du Président ou de tout haut fonctionnaire du Gouvernement fédéral en cas de trahison ou autres « crimes et délits majeurs » et peut aboutir à sa destitution. L’article 68 de notre Constitution implique à l’inverse une appréciation politique du Parlement. Il est normal, dans une démocratie, que les représentants de la nation aient un droit de regard sur les éventuelles fautes du chef de l’État. Il n’y a aucun sacrilège à discuter de la personne ou de la fonction du chef de l’État. C’est même sain et le cadre parlementaire est le plus approprié pour cela. Il revient aux parlementaires de prendre leurs responsabilités et de questionner la pratique présidentielle lorsque celle-ci prend trop de libertés avec la Constitution. Nous avons trop longtemps toléré certains mésusages de ce texte, et cette appréciation est confortée par les auditions que j’ai menées.

Aux termes de la présente proposition de résolution, le manquement de l’actuel Président de la République résulterait de « l’absence de nomination d’un Premier ministre issu de la force politique arrivé en tête aux élections législatives du 30 juin au 7 juillet 2024, et ce alors que la démission officielle du Gouvernement date du 16 juillet 2024 ». Les auteurs de la proposition font valoir que, dans les autres pays de l’Union européenne, le soin de constituer un Gouvernement est partout confié au parti arrivé en tête, même s’il est minoritaire. Précisons que ce choix y est encadré par une procédure d’investiture, alors que ce n’est pas le cas sous la Ve République, aux termes de laquelle le Président de la République « nomme » un Premier ministre, qui lui propose un Gouvernement et n’a pas besoin de demander la confiance de l’Assemblée. On peut d’ailleurs le regretter.

L’exemple du Gouvernement de M. Pedro Sánchez, avancé dans la proposition de résolution, ne semble pas pertinent. Celui-ci gouverne certes sans majorité absolue, mais sa formation était arrivée deuxième aux élections, derrière le Parti populaire. Ce n’est donc pas la formation arrivée en tête qui gouverne, mais celle qui a su négocier un accord de compromis lui permettant d’être investi par la chambre basse.

Il est certain que le respect du résultat des élections législatives est un devoir du Président de la République. Pour autant, force est de constater qu’en l’absence de majorité absolue et faute d’avoir pu négocier une coalition plus large atteignant le nombre de 289 députés, aucune force politique n’a remporté les élections. Arriver en tête est une chose, gagner en est une autre.

Nous pouvons bien entendu regretter que le chef de l’État n’ait pas choisi de donner sa chance à un membre de la coalition arrivée en tête au second tour des élections législatives. Cependant l’article 8 de la Constitution ne lui imposait pas de nommer une personne issue de cette force politique. Cela ne peut donc raisonnablement être qualifié de manquement.

Il importe de rechercher plus généralement si, dans la situation politique et institutionnelle inédite de notre pays, le chef de l’État a manqué à ses devoirs.

La dissolution elle-même était incompréhensible et, en réalité, absurde. Alors qu’une dissolution sert normalement à régler des crises, celle-ci en a provoqué une ; c’est une première. Est-ce un manquement ? À tout le moins, c’est une faute politique.

Quant au délai de nomination du Premier ministre, le problème n’est pas en soi qu’il ait été trop long, mais qu’il ait été injustifié. Deux mois ont été perdus. C’est autant de temps en moins pour rechercher une coalition ou diriger l’État. Chacun voit aujourd’hui, avec les retards accumulés dans la préparation du budget, comme ce délai fut inconséquent.

Le Premier ministre a été nommé en contradiction flagrante avec le barrage républicain qui fut pourtant l’événement politique majeur du second tour. Est-ce un manquement ? À tout le moins, c’est une faute politique.

Alors que le texte – notamment l’article 5 – et l’esprit de la Constitution commandent à un Président défait lors des élections de s’effacer et de n’être qu’un arbitre, Emmanuel Macron a retenu un morceau du pouvoir, pesé sur le choix des ministres, assuré à son camp la majorité des postes. Est-ce un manquement ? À tout le moins, c’est une faute politique.

Ni la Constitution ni la loi organique ne définissent ce qu’est un manquement. L’article 68 de la Constitution est conforme aux recommandations du rapport Avril, en ce qu’il « se garde bien de définir le manquement par sa nature ou sa gravité, le critère pertinent tenant exclusivement au fait que ce manquement serait incompatible avec la poursuite du mandat, c’est-à-dire avec la dignité de la fonction qui serait ainsi compromise. » N’est un manquement que ce que le Parlement estime en être un.

À titre personnel, je considère que le doute est permis, que ces fautes politiques, compte tenu de leur accumulation et de leurs répercussions, peuvent constituer un manquement. Mais s’ils en constituent bien un, encore faudrait-il qu’il soit manifeste – c’est-à-dire, comme l’indique le rapport Avril et comme les auditions l’ont confirmé, que sa reconnaissance « transcende les clivages partisans ». Or cette condition ne semble pas satisfaite.

Un autre mécanisme existe pour placer l’exécutif au sens large devant ses responsabilités : la motion de censure. D’ailleurs, le seul cas où ce mécanisme ait abouti était lié à une décision du Président de la République : le 5 octobre 1962, le gouvernement Pompidou a été renversé, après que le général de Gaulle a recouru à l’article 11 de la Constitution pour soumettre à référendum l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). C’est un jour historique. Pour la première fois de la Ve République, l’Assemblée nationale étudie la destitution du Président de la République. Cet outil, prévu par l’article 68 de la Constitution, n’avait en effet jamais passé l’étape du bureau de l’Assemblée. C’est dire la gravité du moment. « Un coup d’État de Macron », « un affront éhonté à la démocratie », « un pacte avec le diable », « l’agonie de la Ve République » : ces mots ne sont pas les miens, mais ceux du Washington Post, du Telegraph et de El Independiente. « La honte », voilà comment la presse internationale qualifie le coup de force de M. Macron contre le résultat des élections législatives. Le Président a déclaré que « personne n’a[vait] gagné » ; il a menti, il s’est arrogé seul un droit de veto contre le vote. Certes, personne ne dispose de la majorité absolue, mais une force a gagné en arrivant en tête, le Nouveau Front populaire. En refusant de nommer Lucie Castets Première ministre, M. Macron n’a pas respecté son devoir car, selon l’article 8 de la Constitution, le Président de la République ne choisit pas le Premier ministre, il le « nomme » : ni plus, ni moins.

De quoi avait-il peur ? Que nous abrogions la réforme des retraites ? Que nous augmentions le Smic à 1 600 euros ? Que nous imposions enfin ses amis milliardaires ? Que nous restaurions les services publics ? Assurément, M. Macron le craignait et il avait raison d’avoir peur car c’est bien notre programme. Il n’a donc pas respecté les élections après avoir lui-même dissous l’Assemblée. Or en démocratie, on respecte le résultat des élections, point barre, qu’il nous satisfasse ou non. Mais M. Macron n’aime pas la démocratie, il préfère la répression, comme il l’a montré lors du mouvement des gilets jaunes, de la réforme des retraites et des révoltes urbaines. Voilà qu’après les élections, il a inventé le prétexte d’une trêve olympique, puis a argué du besoin de stabilité pour esquiver le résultat des urnes. Or l’instabilité, c’est lui, le chaos, c’est lui.

L’article 5 de la Constitution prévoit que le Président de la République « assure [...] le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». Pourtant, c’est lui qui, pendant deux mois, a refusé de nommer un Premier ministre. C’est lui qui, pendant deux mois, a maintenu en poste un gouvernement prétendument démissionnaire, qui a géré bien plus que les affaires courantes et a même voté à l’Assemblée nationale, au mépris de la séparation des pouvoirs. Pire, M. Macron a nommé Premier ministre l’homme d’un parti qui n’a recueilli que 5 % des suffrages aux élections. Comment appelle-t-on un régime où les perdants gouvernent ? Certainement pas une démocratie ou une république.

Le parti porté au pouvoir est aussi celui de M. Retailleau, qui a déclaré que l’État de droit n’est pas intangible et que l’immigration n’est pas une chance pour la France, quand près de 20 millions de nos compatriotes en sont issus. Ces mots ne sont pas ceux d’un républicain ; ils sont ceux d’un danger public pour la patrie.

L’heure est grave. Censurer le Gouvernement est nécessaire mais insuffisant. Le problème n’est pas qu’à Matignon, il est à l’Élysée. En proposant de destituer M. Macron, nous voulons régler le problème par des voies constitutionnelles. Ce n’est plus seulement de la gauche ou de la droite qu’il est question, mais de la République elle-même. Je vous rappelle qu’elle a été fondée par un acte de résistance à un monarque. Le 10 août 1792, le roi Louis XVI est destitué. Quarante-deux jours plus tard, « la Convention nationale décrète à l’unanimité que la royauté est abolie en France ». La République commence. Cette histoire, c’est la nôtre. Comme députés, nous devons nous montrer à sa hauteur. Que disent les textes qui doivent guider nos actes et nous obligent ? Aux termes de la Constitution, « [le] principe [de la République] est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Tous ces principes ont été foulés aux pieds par M. Macron.

Allons-nous céder, ou destituer ? Bien sûr, nous, Insoumis, eussions préféré qu’il existât un autre moyen, populaire, de destituer le Président de la République : le référendum d’initiative citoyenne révocatoire. Si nous instaurerons et outil avec la VIe République, nous devons pour l’heure faire avec l’existant. Je vous appelle donc à vous faire respecter et à faire respecter la voix du peuple en destituant M. Macron, à vous montrer à la hauteur du moment, en mettant un terme prématuré à l’autoritarisme du Président de la République. Bravache, il déclarait « qu’ils viennent me chercher ! ». L’heure est venue.

Monsieur Macron, je vous adresse le mot de Gambetta à Mac Mahon : « Quand la France [a] fait entendre sa voix souveraine, il [faut] se soumettre ou se démettre. »

Collègues, l’histoire nous jugera. Soyez du bon côté. Pour notre part, républicains de la tête aux pieds et Insoumis du cœur jusqu’au bout des ongles, nous serons fidèles à la grande histoire de notre pays et destituerons le monarque. Puissiez-vous imiter cet exemple.

M. le président Florent Boudié. Je rappelle qu’il est possible d’adjoindre l’adjectif « chers » au mot « collègues », pour marquer davantage la courtoisie républicaine.

M. Philippe Schreck (RN). La France insoumise, par cette proposition de résolution, souhaite obtenir la destitution du Président de la République. La meilleure façon de priver M. Macron de ses fonctions présidentielles eut été de faire en sorte qu’il n’y accédât pas. Or ceux qui crient à la destitution dans une démarche de communication sont ceux qui ont voté et appelé à voter pour Emmanuel Macron, en 2017 et en 2022 et qui, il y a moins de trois mois, ont voté, dans le cadre de basses manœuvres politiciennes, pour les candidats présentés par le camp présidentiel.

L’article 68 de la Constitution prévoit que le Président de la République peut être destitué « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Pour les signataires de la proposition de résolution, ce manquement grave serait constitué par le refus de nommer Première ministre Mme Castets, alors que cette dernière prenait ses congés estivaux à la mairie de Paris. L’article 8 de la Constitution prévoit que le Président de la République « nomme » le Premier ministre ; il ne prévoit en aucun cas qu’il nomme la personne que La France insoumise exige et c’est bien ainsi.

Selon vous, le Président de la République aurait commis une faute en refusant de nommer un Premier ministre issu du camp victorieux aux élections législatives. Ce postulat est significatif d’un certain syndrome de réécriture de l’histoire qui frappe la gauche. Elle se l’approprie, la travestit, la mutile, la revisite, la fait mentir, pour qu’elle cadre avec ses dogmes idéologiques. Il va de soi que le Nouveau Front populaire n’a pas gagné les élections législatives. Le Rassemblement national et ses alliés, derrière Marine Le Pen, ont obtenu plus de 11 millions de suffrages, sans aucune tambouille politicienne ni arrangement. Pour autant, ils ne se proclament pas vainqueurs.

Bien entendu, la procrastination estivale du Président de la République est fautive. Le maintien d’un gouvernement démissionnaire pendant deux mois interroge tout autant, car il n’est pas prévu par la Constitution. Cet attentisme du Président de la République, battu deux fois en un mois, est peu glorieux. Cependant, il ne résulte ni du texte, ni des travaux préparatoires, ni de l’esprit de l’article 68 de la Constitution qu’il constitue un manquement susceptible de justifier une procédure de destitution.

Nous le savons tous, cette proposition de résolution est un coup de communication, un de plus, pour les tenants du chaos. Il n’aura échappé à personne que dans la même semaine ou presque, la première de cette session, la NUPES – Nouvelle Union populaire, écologique et sociale –, devenue Nouveau Front populaire, souhaite à la fois la destitution du Président de la République et renverser le Premier ministre et son gouvernement. Vous voulez la disparition des institutions, pour laisser la place au désordre, à la haine et aux folies programmatiques.

Pendant ce temps, nous ne travaillons pas à résoudre les difficultés des Français, alors que celles-ci s’accumulent. Cette proposition de résolution n’est qu’une posture, voire une imposture. Le groupe Rassemblement national votera contre et souhaite que nous travaillions enfin à la défense des Français, car nous n’avons été élus que pour cela.

Mme Aurore Bergé (EPR). La proposition de résolution de Jean-Luc Mélenchon et des députés du groupe La France insoumise visant à engager une procédure de destitution du Président de la République est infondée juridiquement et irresponsable politiquement. Chers collègues de La France insoumise, nous vous reconnaissons une constante : celle de remettre en cause systématiquement le résultat des élections quand il ne vous donne pas raison et de porter atteinte à la fonction présidentielle. Vous restez de mauvais perdants. Surtout, avec cette proposition de résolution, vous cherchez à affaiblir nos institutions et notre démocratie et vous tentez, comme le soulignait le rapporteur, de créer une jurisprudence.

Sur quels fondements juridiques cette proposition repose-t-elle ? L’article 68 de notre Constitution est clair : la destitution du Président de la République ne peut être envisagée qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Le groupe LFI-NFP prétend que le refus du Président de nommer la Première ministre qu’il avait choisie constituerait un tel manquement. Or le Président n’est en aucune façon contraint de céder à une majorité artificielle. Vous ne constituez ni la première force politique de notre assemblée, ni même la première coalition. La Constitution laisse une marge de manœuvre à la responsabilité politique du Président de la République. La nomination d’un Premier ministre reste sa prérogative et c’est lui qui, au bout du compte, incarne l’unité de la nation. Prendre le risque de destituer un président parce qu’il refuse de nommer la Première ministre que l’opposition avait désignée pour lui est une dérive dangereuse, qui affaiblit non seulement notre institution, mais aussi la volonté des Français qui l’ont élu.

Contrairement à ce que prétend également La France insoumise, il n’y a pas non plus de délai déterminé pour que le Président de la République fixe son choix. Vous qualifiez de faute politique la nécessité qui a conduit le Président de la République à garantir la continuité de l’État mais, finalement, il n’a fait en cela que répondre à l’esprit de notre Constitution.

Ce que les députés de La France insoumise tentent ici n’est évidemment qu’un coup de communication. Ce jour est tout sauf le jour historique que vous prétendez qu’il est, tant nous sommes habitués à vos excès, à vos outrances et à vos mensonges que vous érigez en vérités. Utiliser la destitution comme outil de combat politique, c’est jouer avec la démocratie. Or la démocratie, ça se respecte, point barre – comme vous le disiez vous-même.

Les députés La France insoumise veulent nous faire croire que leur manœuvre sert la France, mais elle retarde le traitement de toutes les autres questions essentielles, notamment celles qui concernent le quotidien des Français. Notre responsabilité est avant tout de stabiliser notre pays et de le rassembler, non de jouer les Robespierre au petit pied en espérant rejouer la Terreur. Cette tentative de destitution n’a rien à voir avec l’esprit républicain. Nous avons une Constitution solide, qui prévoit des mécanismes pour gérer les désaccords et les crises. L’outil adapté pour exprimer nos positions claires face à un gouvernement est la motion de censure, et en aucun cas la destitution.

Protégeons notre démocratie, comportons-nous en responsables politiques. La vie parlementaire n’est pas une farce : mettons fin à celle-ci en rejetant cette résolution.

M. Hervé Saulignac (SOC). « Nos devoirs – ce sont les droits que les autres ont sur nous », disait Nietzsche. Eh bien, nous avons précisément à traiter aujourd’hui des droits que le Parlement a sur le Président de la République et des devoirs de celui-ci à l’égard de notre Constitution. Nous devons le faire, car il existe dans le pays, depuis le 9 juin dernier, un malaise institutionnel profond, qui se traduit par cette question mille fois entendue : à quoi sert-il d’aller voter ?

Ce malaise, abondamment décrit par la presse internationale et commenté par un ancien président du Conseil constitutionnel ou un ancien Premier ministre, n’est pas une fantaisie des oppositions.

Les libertés prises par le Président de la République à l’été 2024 resteront comme un défi lancé à nos institutions démocratiques – d’abord, en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale à l’issue d’une élection dont les enjeux n’étaient pas nationaux, mais européens ; ensuite, en prononçant une trêve olympique que l’histoire constitutionnelle de notre pays ignore ; puis en écartant par un communiqué de presse la nomination à Matignon de la représentante de la coalition arrivée en tête ; enfin, en nommant un Premier ministre issu d’une formation ultraminoritaire reposant sur un cartel des droites et des extrêmes droites et négocié non pas ici, au Palais-Bourbon, mais directement au palais de l’Élysée.

Le Président de la République s’étant accordé des libertés que nul ne lui accorde, il nous revient à nous, parlementaires, de tenter d’apprécier la nature des atteintes portées à nos institutions – je devrais dire : au peuple français. Cette procédure de destitution ne se réduit pas à une question de droit constitutionnel, sans quoi le constituant en aurait confié l’appréciation au Conseil constitutionnel. Elle relève bien d’une procédure éminemment politique, dont le Parlement a la charge. Elle constitue la protection ultime contre le pouvoir personnel et l’abus que pourrait en faire le chef de l’État.

L’article 68 de la Constitution nous invite à répondre à une question à la fois simple et imprécise : le Président de la République a-t-il manqué à ses devoirs d’une manière manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ? J’y répondrai en trois points.

D’abord, le pouvoir de nomination du Premier ministre par le Président de la république n’est pas un pouvoir lié. La Constitution lui laisse en effet toute latitude pour le choisir et, en miroir, comme cela a déjà été dit, elle offre au Parlement un moyen incontestable et tout aussi libre pour répondre à ce choix : la motion de censure, et non pas la destitution. Les socialistes voteront la première, et pas la seconde.

Je rappelle ensuite que cette procédure de destitution est héritière de la procédure pour haute trahison, qui nous oblige à nous hisser à la hauteur de l’accusation. La destitution de chef de l’État doit rester le recours ultime. Nous devons prendre la mesure exacte de la faute politique commise par le Président de la République – ni plus, ni moins.

Enfin, le manquement que nous devons caractériser doit être manifestement incompatible avec l’exercice du mandat présidentiel, ce qui signifie que ce manquement doit être sans nuance, sans contestation possible. Cet article, qui est, comme l’a rappelé le rapporteur, un article de consensus, exige à ce titre une majorité des deux tiers, car l’appréciation portée doit dépasser les clivages. Or, si le malaise est évidemment partagé, il n’y a pas de consensus pour caractériser le manquement.

Le Président de la République a certes malmené nos institutions, malmené nos usages démocratiques et heurté nos pratiques parlementaires. Il a en somme, poursuivi ce que nous lui reprochons depuis sept ans : la brutalisation de nos règles suprêmes de vie commune, dont il a même fait un marqueur de sa pratique du pouvoir – « disruptif », selon ses propres termes –, jusqu’à maltraiter la souveraineté populaire. Toutefois, si ce comportement relève d’un usage abusif des droits du Président, qui nous a conduits à une absurdité démocratique, il ne constitue pas un manquement à ses devoirs.

L’histoire se fera juge d’un président qui a décidé de nommer un Premier ministre selon ses humeurs, qui a décidé de maintenir un gouvernement d’affaires courantes pendant soixante-dix jours et qui s’est attelé à bidouiller lui-même les équilibres parlementaires pour unir les droites contre l’alternance voulue par le suffrage.

Dans cette situation de crise, dont le peuple français n’est pas responsable, puisque seul le Président l’est, le devoir nous commande de mettre un terme à cette procédure pour que l’histoire retienne plutôt l’honneur de notre assemblée que les turpitudes du chef de l’État. L’honneur de notre assemblée sera de ne pas répondre à un abus de pouvoir par un autre abus de pouvoir, de respecter scrupuleusement l’esprit de la République dans ses fondements et de lui être fidèle pour deux, et de ne pas nourrir la division en nous plaçant résolument du côté de nos institutions et de leur équilibre.

M. Philippe Gosselin (DR). La question n’est pas de savoir si nous aimons ou n’aimons pas le Président de la République, si nous le supportons ou ne le supportons pas. Nous sommes sans doute nombreux à ne pas faire partie de ses thuriféraires, mais nous sommes la commission des lois et ne sommes pas juges des élégances ni des sentiments. Nous n’avons pas à juger de l’aversion ou de la haine provoquée par certains ici : nous devons juger en droit.

Il est reproché Président de la République d’avoir manqué à ses devoirs. L’article 68 de la Constitution envisage un manquement grave, qu’il faut donc qualifier, pour savoir s’il est manifestement constitué et s’il est incompatible avec l’exercice du mandat du Président de la République, ce qui suppose de croiser plusieurs articles de la Constitution. En commission des lois, nous devons d’abord être juristes, avant d’intenter le procès politique que nos collègues tentent de faire croire qu’il faut engager.

Selon l’article 8 de la Constitution, « le Président de la République nomme le Premier ministre », sans condition de délai ni de forme. Même si l’on pouvait éventuellement exciper d’une coutume constitutionnelle dans les formes employées sous les législatures antérieures, nous sommes aujourd’hui, en 2024, face à une situation inédite sous la Ve République. Il n’y a donc pas de précédent constitutionnel qui pourrait justifier une obligation en termes de délai ou de forme.

En outre, aux termes de l’article 19 de la Constitution, la nomination du Premier ministre est un pouvoir propre du Président de la République, qui n’est pas soumis à contreseing. Le Président est donc libre de faire à sa guise en la matière, même si cela peut constituer une faute politique. Du reste, est-ce bien à sa guise qu’il agit, lorsqu’il s’appuie sur l’article 5 de la Constitution, cité par tout à l’heure par M. Léaument – lequel a d’ailleurs omis de rappeler que c’est « par son arbitrage » que le Président veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics ? Le Président de la République n’est-il pas ici dans un rôle d’arbitrage, même si nous sommes nombreux à trouver excessive une absence de gouvernement qui a été la plus longue des dernières décennies et évoque plutôt la IVe République ? C’est sans doute une faute politique, mais est-ce manquement à ses devoirs ? Compte tenu des articles 5, 8 et 19 de la Constitution, et étant donné par ailleurs que le Président de la République est l’élu du suffrage universel, je ne le pense pas. Sans doute peut-on lui reprocher une faute politique – la dissolution et la constitution d’un gouvernement qui semble ne pas plaire à tous –, mais il n’y avait pas de majorité, et s’il y en avait eu une, nous n’en serions pas là aujourd’hui !

Ceux qui communiquent en invoquant le respect républicain de la tête aux pieds seraient bien avisés de ne pas se draper dans un roman national qu’ils trafiquent à leur petite idée dans le but, en réalité, de renverser nos institutions en s’appuyant sur la Constitution comme sur un levier pour changer de régime. On peut certes changer de Président de la République, mais dans les délais démocratiques et sous la forme du suffrage universel direct, et non pas en soulevant des questions sorties de leur contexte et qui ne correspondent aucunement à l’article 68 de la Constitution.

Comme d’autres, je souhaiterais que l’on s’occupe d’abord des préoccupations de nos concitoyens. Or la pensée de Mme la présidente Panot et du groupe La France insoumise peut se résumer dans les trois priorités suivantes. La première est de censurer le Gouvernement – très bien, c’est son droit et la Constitution le permet. La deuxième est de destituer le Président de la République – ce qui est possible au titre de l’article 68 pour autant que les conditions en soient parfaitement remplies. La troisième est de le remplacer. Alors que le monde est en feu, que l’Ukraine, la Palestine, Israël, l’Iran, le Proche et le Moyen-Orient sont sur une poudrière, voilà les trois priorités de Mme Panot.

Il y a mieux à faire qu’un procès politique qui nous mènerait dans une impasse. Que l’on aime ou que l’on n’aime pas le Président de la République n’est pas la question. Il est garant de nos institutions ; nous devons être, nous aussi, garants de cette stabilité.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). En vérité, nous ne traitons pas ce matin de la destitution du Président de la République. D’abord, parce que la procédure ne recueillera pas la majorité des deux tiers, et vous le savez très bien. Ensuite, un peu de sérieux ! Nous ne sommes pas en 1791 à Varennes avec Louis XVI, et pas davantage en 1945 à Paris au procès de Pétain. Enfin, et c’est bien le problème qui nous est posé, aucun des nombreux et graves manquements du Président de la République à ses devoirs politiques depuis le 9 juin – je les rappellerai – n’est illégal. D’ailleurs, ce n’est pas notre rôle que de juger de la légalité des actes, mais au Conseil constitutionnel ou au Conseil d’État. Pour toutes ces raisons, nous n’avons pas signé la proposition de résolution.

Pourquoi, alors, lui donner une suite favorable ? Parce que le Président de la République n’est pas sacré et que, hormis cette procédure exceptionnelle, il n’en existe aucune autre, aucun levier, aucun véhicule ni même aucun cadre légal pour contraindre le Président de la République à répondre de ses décisions graves. S’il en existe d’autres, dites-le-moi et je m’y rallierai – mais je n’en connais aucun.

Quels sont ces manquements, dont tous les constitutionnalistes s’accordent à dire que nous devons les définir ?

Le premier est un manquement à un devoir de neutralité. Sur quelle base, si ce n’est l’exigence formulée par M. Bardella, le Président estime-t-il que les députés de la nation n’ont plus de légitimité, au point de dissoudre l’Assemblée nationale après des élections européennes ? Cela n’a aucun rapport, à moins de transformer chaque scrutin en plébiscite, ce qui est grave et dangereux.

Le deuxième est un manquement à un devoir de sagesse. Rappelez-vous l’effet de sidération qui a touché un pays comprenant que le Président de la République, garant des principes républicains, s’apprêtait à donner les clés à leurs fossoyeurs – ceux mêmes contre lesquels, par deux fois, en 2017 et en 2022, il avait reçu un mandat qui l’obligeait.

Le troisième est un manquement au principe de séparation des pouvoirs. Après les élections, le Président a cherché à se substituer au Parlement, jusqu’à empêcher la force arrivée en tête de constituer un gouvernement, ou du moins de le proposer, et en exigeant de tous les autres partis qu’ils s’accordent sur une seule politique : la poursuite de la sienne. C’est une dépossession très grave de la souveraineté du Parlement.

Le quatrième est un manquement à un devoir de sincérité. Une fois les élections perdues, le Président de la République nous a expliqué officiellement, et c’est la seule explication qu’il a donnée, qu’on ne pouvait pas changer le Gouvernement à cause des Jeux olympiques. Mais pourquoi, alors, a-t-il dissous l’Assemblée nationale et mis le pays en tension ?

Le cinquième est un manquement à son rôle de garant du bon fonctionnement de l’État. Durant cette période, le pouvoir a été accaparé par un gouvernement fantôme, sans légitimité de plein exercice, et a continué à émettre des décrets et arrêtés, portant parfois nomination – on pense aussi à l’épisode des lettres de plafond. Il a existé un pouvoir de fait, non soumis au contrôle parlementaire que prévoit l’article 24 de la Constitution. Nous avons même eu des ministres députés, un ministre député commissaire européen et un ministre des affaires étrangères président de la commission des affaires étrangères.

Le sixième manquement est une faillite morale. Les Français se sont massivement mobilisés contre l’extrême droite et le Rassemblement national a lui-même dénoncé cette discipline républicaine qui lui a coûté le pouvoir. Pourtant, Emmanuel Macron a nommé un Premier ministre issu du seul parti qui n’a pas soutenu cette discipline républicaine. Il a même nommé des ministres dont le Rassemblement national dit lui-même qu’ils pourraient être des porte-parole de son idéologie, notamment pour ce qui concerne l’État de droit et l’immigration. Dans n’importe quelle démocratie moderne, l’exécutif aurait été responsable de tels actes. En France, non ! Dans aucune démocratie parlementaire ce cynisme tout personnel n’aurait été possible.

Notre Constitution, déjà problématique à bien des égards, est en train de pourrir de l’intérieur et, à l’évidence, une nouvelle page de notre histoire constitutionnelle doit s’ouvrir. Pour le dire clairement, il est temps de tourner le dos au présidentialisme, dont les risques d’arbitraire et d’autoritaire peuvent demain se conjuguer pour le plus grand malheur de notre démocratie. Imaginons que, demain, un autre président, encore plus inconséquent et plus irresponsable, s’engage dans des interprétations encore plus désinvoltes à l’égard des institutions, de l’État de droit et des principes de séparation des pouvoirs ! Il ne s’agit pas ici du procès d’un homme, mais de celui d’une Constitution, de l’hyperprésidentialisme et de la Ve République.

Ce que nous appelons de nos vœux, c’est un débat sur la responsabilité politique du Président de la République et sur son rôle même, pour permettre à l’Assemblée nationale, dans l’intérêt même de la démocratie, de renforcer ses prérogatives au détriment de celles d’un exécutif tout-puissant – trop puissant. Ce qui comptera, ce ne sont pas les effets de manches, mais la qualité de notre débat pour définir les limites de l’action du Président. Il est donc crucial que ce débat ait lieu, car il doit éclairer les futures réformes constitutionnelles, devenues inévitables.

Le groupe Écologiste et social, en donnant une suite favorable à cette résolution, ne se prononce pas pour destituer un président qui est encore en mesure d’assumer ses fonctions, mais pour que tous les parlementaires, et pas seulement les commissaires aux lois, saisissent cette occasion trop rare de poser les jalons d’une nouvelle étape démocratique radicale dans notre histoire constitutionnelle.

M. Philippe Latombe (Dem). Je tiens à exprimer, au nom des députés du groupe Les Démocrates, notre opposition à l’enclenchement de la procédure de destitution du Président de la République par les députés du groupe La France insoumise. Cette procédure, permise par notre Constitution, est éminemment politique. Elle a été conçue pour protéger la fonction du chef de l’État, bien sûr, mais a surtout été envisagée pour être exceptionnelle et n’être utilisée que de façon raisonnable et responsable. C’est en ce sens que, pour aboutir à la destitution du Président, elle doit transcender les clivages partisans. Or nous sommes tous ici conscients que nous ne parviendrons pas à nous mettre d’accord sur les arguments que vous soulevez pour justifier un manquement du chef de l’État à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de ses fonctions. La Constitution n’impose en effet aucun délai au Président pour nommer le Premier ministre. Elle ne lui impose pas non plus de nommer le candidat proposé par la coalition arrivée en tête aux élections législatives, comme cela a déjà été dit notamment par Philippe Gosselin. Cette initiative n’a donc aucune chance d’aboutir, bien que certains membres du bureau de l’Assemblée nationale l’aient jugée recevable alors même qu’ils s’y opposent sur le fond. Nous sommes tous conscients que, pour des raisons juridiques et compte tenu des équilibres politiques au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat, la proposition de destitution du Président de la République ne recueillera pas l’assentiment des deux tiers des parlementaires et n’ira pas à son terme.

Quel en est donc l’objectif, sinon un dévoiement de la procédure parlementaire dans le seul but de faire de la communication ? Il est inconcevable et irresponsable d’agiter la menace de destitution du Président de la République à cause d’un désaccord politique, aussi profond soit-il. En recourant de façon abusive à cette possibilité qu’offre la Constitution, vous ne faites que fragiliser notre démocratie et l’unité de notre pays, alors que nous avons, au contraire, besoin de le rassembler.

Alors qu’à travers leur vote de juillet 2024, les Français ont exprimé un besoin de dialogue et d’apaisement, vous décidez au contraire de remettre de l’huile sur le feu et d’attiser toujours plus les clivages. Les élections n’ont pas donné plus de majorité au Nouveau Front populaire qu’aux autres forces politiques de l’Assemblée nationale. Face à une assemblée morcelée en plusieurs blocs, notre responsabilité d’élus de la nation aurait dû être de mettre de côté notre ambition d’appliquer notre programme et rien que notre programme, et d’aller chercher des compromis avec d’autres forces politiques de l’arc républicain.

Ce qu’ont exprimé les Français dans les urnes lors des dernières élections législatives est une demande de dialogue et de recherche de compromis, mais aussi et surtout une attente de solutions aux problèmes qui les préoccupent. Plus de justice fiscale et sociale, une transition écologique juste, une amélioration de nos services publics, plus d’efficacité dans l’action publique, des solutions pour l’école, la santé et le logement, telles sont les attentes de nos concitoyens auxquelles il faut répondre.

Nous refusons que l’Assemblée nationale devienne un terrain de jeu politicien au service de calculs politiques de court terme. Nous devons nous tenir éloignés des postures. Notre rôle de députés est, au contraire, de rester pleinement mobilisés pour défendre des réformes responsables, en phase avec les défis économiques et sociaux auxquels notre pays est confronté, dans le respect de la pluralité des opinions qui se sont exprimées lors des dernières élections. C’est pour atteindre cet objectif que les députés du groupe Les Démocrates continueront de s’engager. Loin des logiques politiciennes, nous cherchons et choisirons d’être responsables et de mettre notre énergie dans la recherche de solutions adaptées aux attentes formulées par nos concitoyens. Nous voterons donc contre cette proposition de résolution.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Dans cette proposition de résolution, le groupe Horizons et indépendants voit comme un dévoiement inquiétant et comminatoire de notre Constitution. Au motif que le Président de la République n’aurait pas nommé un Premier ministre issu des rangs du Nouveau Front populaire, alors que cette coalition ne dispose absolument pas d’une majorité des sièges à l’Assemblée nationale, il aurait commis « un manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », justifiant sa destitution. Je rappelle que, comme cela a déjà été expliqué, la définition du « manquement » relève d’une appréciation politique appartenant au Parlement. Le caractère « manifeste » qu’il doit revêtir implique néanmoins que la reconnaissance de cette incompatibilité transcende les clivages partisans actuels et s’impose pratiquement à tous comme une évidence objective, et non à quelques-uns comme une appréciation uniquement politique, comme le souligne le rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République. Or, au vu des différentes positions qui viennent d’être exprimées, il est manifeste qu’il n’y a absolument aucune évidence objective, mais bien une appréciation exclusivement politique et partisane, qui doit donc être rejetée.

Il est également bon de rappeler qu’aux termes de l’article 8 de la Constitution, le Président de la République nomme le Premier ministre. Ce pouvoir n’est encadré par aucun délai et le Président est libre de nommer la personne de son choix. Dans la pratique, et dès lors qu’il doit assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité de l’État, il tient compte des équilibres politiques des groupes parlementaires, afin que le Premier ministre ne soit pas renversé par une majorité de députés qui lui seraient hostiles. Or il est évident – et les calculs à cet égard sont assez simples – que la coalition du Nouveau Front populaire réunit contre elle une majorité absolue des députés hostiles à son programme, et donc et donc à sa candidate. Celle-ci serait donc inévitablement censurée, ce qui contribuerait grandement à déstabiliser nos institutions.

Par ailleurs, s’il est si évident aux yeux des députés du groupe La France insoumise que la nomination de Michel Barnier est une entrave à nos dispositions constitutionnelles, ils peuvent user de celles-ci – et peut-être même en abuser – pour censurer son gouvernement et exiger ainsi qu’il en soit changé. C’est l’équilibre des pouvoirs voulu par notre Constitution, très sain pour assurer le respect de nos principes démocratiques.

Dans un contexte de péril international, sécuritaire et financier, le groupe Horizons et indépendants est profondément convaincu que chacun a la responsabilité d’assurer la stabilité des institutions et du pays. C’est notre priorité et ce devrait être celle de tous les responsables et mouvements politiques républicains. Or cette proposition de résolution, qui n’a aucune chance d’aboutir, n’a pour objectif que de fragiliser et déstabiliser notre pays et ses institutions.

Le groupe Horizons et indépendants s’étonne d’ailleurs que des parlementaires issus de partis de gouvernement, à l’instar de certains députés du groupe Socialistes et apparentés, aient voté en faveur de la recevabilité de cette proposition de résolution au sein du bureau de l’Assemblée nationale, alors qu’il est évident qu’il s’agit d’une manœuvre abusive. Il est bon de noter que, lors de l’examen de la précédente proposition de résolution visant à destituer le Président de la République, déposée en 2016, le bureau, composé alors d’une majorité de socialistes, s’était déclaré compétent pour en apprécier l’opportunité et l’avait déclarée irrecevable sur ce fondement. En effet, non seulement cette procédure de destitution ne respecte pas les conditions définies par l’article 68 de la Constitution, mais elle est aussi vouée à l’échec, puisqu’elle ne sera pas adoptée par le Parlement. Elle est donc totalement infondée, outrancière et ridicule. Cette procédure n’est qu’une manœuvre politicienne, qui contribue en outre à décrédibiliser le bureau de notre assemblée.

Les députés du groupe Horizons et indépendants en appellent à la responsabilité et au rassemblement. Plus que jamais, la gravité de la situation impose que les responsables politiques fassent preuve de responsabilité pour dépasser les postures et les clivages, assurer la stabilité des finances publiques et des institutions, et permettre au pays de sortir de la crise.

Nous nous opposerons donc fermement à l’adoption de cette proposition de résolution, pure tentative de déstabilisation de nos institutions voulue par LFI. Il faut respecter la démocratie. Il y va de notre responsabilité de parlementaires.

M. Paul Molac (LIOT). Bon nombre de collègues ici présents expriment une désapprobation et de la colère envers le Président de la République. Ce sentiment est, hélas, partagé par un grand nombre de nos concitoyens. La méthode employée par le Président de la République est irrespectueuse et jette l’opprobre sur nos institutions. Alors qu’hier, dans son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre prônait l’apaisement, le Président de la République ne cesse de jeter de l’huile sur le feu et semble confondre le rôle de chef de l’État avec celui de chef de clan. Dans notre système hyper-concentré autour du chef de l’État, Emmanuel Macron est bien le responsable de la crise politique que nous traversons. Je pense que nous pouvons nous accorder sur ce constat.

En outre, le Président de la République a été désavoué à deux reprises lors des récents scrutins électoraux. D’autres présidents, avant lui, ont démissionné dans de pareilles circonstances – la Constitution de la Ve République aurait même pu prévoir qu’en cas de dissolution, un président se retrouvant sans majorité soit obligé de démissionner, mais ce n’est pas le cas.

Toutefois, appelés à nous prononcer au titre de l’article 68 de la Constitution, nous sommes attachés à l’État de droit et, de ce point de vue, le compte n’y est pas. Selon vous, Monsieur le rapporteur, nous devrions réunir le Parlement en Haute Cour aux fins de destituer le Président de la République au motif qu’il n’a pas procédé à la nomination de Lucie Castets, portée par le Nouveau Front populaire, ou qu’il a tardé à nommer un Premier ministre, mais d’un point de vue objectif et selon les termes de la Constitution, aucun délai n’est fixé pour nommer un Premier ministre, a fortiori un gouvernement. On peut certes le regretter, et je ne me suis pas réjoui – bien au contraire – d’avoir dû attendre deux mois la formation d’un gouvernement, mais on ne peut néanmoins procéder à la destitution du Président de la République sur un motif qui ne trouve pas de fondement dans le texte constitutionnel.

De même, chers collègues, pour ce qui est de la non-nomination de Mme Castets, je comprends votre frustration et je reconnais que la coalition du Nouveau Front populaire est arrivée au en tête au second tour, avec 193 députés, mais nous devons reconnaître aussi qu’un gouvernement qui ne reposerait que sur une majorité si faible numériquement ne saurait tenir. Du reste, une ouverture vers d’autres groupes de cette assemblée vous aurait peut-être permis d’élargir cette majorité. Selon les termes de la Constitution – et, je le répète, je regrette cet état de fait –, le Président de la République nomme qu’il veut.

Force est donc de constater que le syllogisme juridique ne tient pas ici et vous comprendrez que, bien qu’étant un groupe d’opposition au gouvernement et au Président de la République, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) ne puisse s’associer à cette résolution. Je regrette même l’examen de cette résolution qui, vouée à l’échec, ne fera que renforcer le Président de la République dans sa logique consistant à faire ce qu’il veut quand il le veut.

Je saisis cette occasion de faire le procès, non du Président de la République pour des manquements à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat, car ce n’est pas le cas, mais plutôt celui de la Ve République, système imaginé en 1958 qui fait la part belle à l’exécutif et à l’exercice bonapartiste du pouvoir par un seul homme. Cette Ve République est à bout de souffle et il est de notre devoir d’imaginer une nouvelle architecture pour nos institutions. La démocratie est aujourd’hui remise en cause, les corps intermédiaires sont méprisés et les élus locaux ne sont pas considérés comme ils devraient l’être. La France ne s’en sortira pas en remettant son destin entre les mains d’un homme ou d’une femme providentiels. Faisons preuve de responsabilité.

Nous disposons d’une large majorité autour de ce que l’on peut communément appeler l’arc républicain. Cet arc est certes très large et particulièrement divers, et son dénominateur commun est sans doute très restreint, mais nous devons à la fois répondre à des problèmes très urgents pour le quotidien de nos compatriotes – je pense notamment au pouvoir d’achat, au logement et à l’accès aux soins – et réfléchir à la manière dont nous devons réformer notre pays.

Je ne vous suivrai donc pas dans le sens de cette résolution de destitution du Président de la République, mais vous pouvez compter sur moi pour œuvrer, à l’avenir, en faveur de la destitution de la fonction présidentielle du type Ve République.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Jamais un Président de la République n’aura autant méprisé les électeurs et l’Assemblée nationale, jamais il ne se sera autant joué de nos institutions ni n’aura autant contourné la Constitution et multiplié les trahisons à sa parole et, surtout, aux principes démocratiques et républicains de notre pays. Interprétations contestables, mésusages, abus de droit, violations répétées et fautes politiques : depuis des mois, nous ne comptons plus les actes du Président de la République qui engagent sa responsabilité, à tout le moins politique et morale. Vous êtes nombreux sur ces bancs à en convenir, indépendamment de l’issue du vote.

En refusant d’accepter la défaite de son camp et en poursuivant sa présidence jupitérienne alors que le résultat des élections législatives imposait un changement de politique, Emmanuel Macron s’est enferré dans un coup de force démocratique et a trahi le résultat du scrutin. Au prétexte de la stabilité institutionnelle, le Président de la République s’est arrogé le droit d’empêcher le Nouveau Front populaire de gouverner, décidant de s’allier avec la droite et l’extrême droite pour interdire tout changement de cap politique, pourtant plébiscité par la majorité de nos concitoyens.

L’ampleur de la crise démocratique que traverse notre pays n’a d’égale que la colère des Français – visiblement, certains feignent de ne pas l’entendre. La représentation nationale ne peut raisonnablement se taire. Certains s’accommodent volontiers des fautes politiques du Président de la République ; d’autres en tirent avantage ; pour notre part, nous tenons à les dénoncer avec force. Aussi délicate soit-elle, la question de la destitution du Président de la République relève d’un débat légitime, nous devrions tous en convenir. C’est celui que nous avons aujourd’hui en commission des lois.

À ceux qui la réduisent à un problème exclusivement juridique, à une simple interprétation de notre Constitution, à un cours de droit, rappelons que la procédure de destitution est avant tout un mécanisme parlementaire de mise en cause du Président de la République. Volontairement très large, la formulation de l’article 68 de la Constitution permet de faire face à toute crise et à toute situation imprévisible. Nous sommes face à une procédure inédite.

Les manquements en question relèvent de notre appréciation politique. Gardons à l’esprit que la procédure de destitution ne vise pas à sanctionner une infraction car nous ne sommes pas des juges, mais qu’elle tend à mettre fin au mandat de celui qui ne serait plus considéré comme digne de l’exercer. Il s’agit d’organiser une issue à une situation de crise exceptionnelle dans laquelle le comportement du Président de la République serait de nature à porter une atteinte grave et manifeste à l’autorité de sa fonction, et, partant, aux intérêts supérieurs de l’État.

En la matière, l’appréciation est éminemment politique, ainsi que l’explicitait la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, présidée par M. Pierre Avril, dans son rapport de décembre 2002. En cherchant à se forger une intime conviction, les parlementaires ne doivent pas se prendre pour des juges, ils doivent siéger en leur qualité de représentants et assumer des décisions qui sont politiques et non pas juridictionnelles. Insistant sur ce caractère politique, la commission a précisé que le seul critère à retenir est celui de l’incompatibilité manifeste avec la dignité de la fonction. Il ne s’agit donc pas de juger la personne, mais d’apprécier la situation politique.

À notre avis, la dérive autocratique du Président de la République impose une réponse constitutionnelle des parlementaires, à la hauteur du coup de force contre nos institutions. Prises isolément, les différentes fautes politiques – que certains reconnaissent bien volontiers – peuvent ne pas correspondre à la définition. En revanche, leur accumulation n’est pas compatible avec l’idée que l’on se fait du mandat du Président de la République. Nous sommes conscients que cette procédure a peu de chances d’aboutir au regard des forces politiques qui composent les deux chambres et de la majorité requise pour destituer le Président de la République. Néanmoins, compte tenu de la situation exceptionnelle de chaos politique et institutionnel créée par le président Emmanuel Macron, nous considérons que voter en faveur de ce mécanisme politique est de notre responsabilité.

Mme Brigitte Barèges (UDR). Je remercie le rapporteur et certains orateurs d’avoir fait un rappel de notre droit constitutionnel. En tant qu’héritiers du gaullisme, nous sommes très attachés la Ve République, à la Constitution de 1958 voulue par le général de Gaulle pour assurer une stabilité politique après la valse des gouvernements qu’avait connue la IVe République. Sans surprise, ce sont des groupes d’extrême gauche (Exclamations), en tout cas des groupes positionnés à gauche, voire à l’extrême gauche, qui nous ont proposé plusieurs fois une VIe République, une nouvelle Constitution qui n’apporterait que des malheurs et encore plus d’instabilité que celle que vous organisez déjà très bien dans l’hémicycle.

Si nous nous accordons à dire tout le mal que nous pensons de la politique conduite par Emmanuel Macron, nous sommes attachés au principe de la stabilité de notre régime que les constitutionnalistes qualifient de présidentiel ou de semi-présidentiel. Ce régime a fait ses preuves : il a permis à la France d’être gouvernée, de traverser des cohabitations tout en demeurant un État démocratique et ordonné. À l’UDR, nous sommes des tenants de l’ordre républicain, ne vous en déplaise. Nous ne pouvons donc pas approuver cette proposition de résolution qui n’est que pure communication. Notons que ce détournement de procédure émane de gens qui ont apporté un soutien actif au camp présidentiel en 2017 en 2022 et encore en juin 2024, en nouant des accords électoraux de désistement où chacun a cherché à sauver son siège. Visiblement, la contradiction ne les gêne pas.

À mon grand étonnement, nous sommes quasiment tous d’accord pour dire que le Président de la République n’est pas exemplaire et qu’il y aurait beaucoup à dire sur sa politique. Cela étant, il est le Président et c’est sa politique. Nous n’allons donc pas vous suivre dans votre démarche de destitution. Il faut en effet respecter la fonction éminente de Président de la République. Face aux révolutionnaires de salon, notre groupe sera toujours le garant de la stabilité de l’état de notre Constitution, telle que l’ont voulue le général de Gaulle et le peuple souverain. Tout à votre ivresse révolutionnaire, vous dites par la voix de votre collègue Léaument que c’est la tête de Macron que vous voulez vraiment. Ces propos, énième dérapage de nos chers collègues, sont inacceptables dans notre assemblée. Ces collègues devraient se souvenir que, dans l’histoire de la Révolution française, la guillotine a fini par frapper ceux qui l’avaient le plus réclamée et celui qui l’a le plus utilisée, M. Robespierre que vous admirez tant. Nous voterons donc contre cette proposition de résolution.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Tout d’abord, je tiens à remercier les professeurs de droit constitutionnel ayant participé aux auditions que nous avons organisées hier et avant-hier dans des délais très courts, ce qui me permet de vous apporter des réponses éclairées.

Monsieur Léaument, il y a effectivement une différence entre choisir et nommer, mais elle n’est pas très claire dans la Constitution. Nous reconnaissons tous que le problème se situe à l’Élysée, mais nous devons aussi admettre que le principe d’irresponsabilité du chef de l’État est consacré dans les régimes parlementaires. Ce principe vaut quand le chef de l’État utilise les fusibles à sa disposition dans la pratique du pouvoir. Si tant de nos concitoyens vont chercher la responsabilité d’Emmanuel Macron, c’est peut-être parce qu’il existe une discontinuité entre sa pratique et celle de ses prédécesseurs.

Monsieur Schreck, vous regrettez le front républicain que vous qualifiez de tambouille. Tout en doutant que le propos entre dans le cadre du débat sur la destitution, je vous dirais que les électeurs n’y auraient pas adhéré si ce front républicain avait été de la tambouille. Si nous ne respectons pas la sanction des électeurs, nous ne sommes plus des démocrates.

Contrairement à vous, madame Bergé, je crois que cette procédure n’est pas irresponsable mais utile, comme tendent à l’indiquer nos auditions. La Constitution nous invite à protéger la fonction présidentielle, pas son titulaire. Nous devons même nous interroger sur l’opportunité, dans certains cas, de protéger la fonction contre son titulaire. Loin d’affaiblir les institutions, la démarche s’inscrit plutôt dans une logique de protection de la Ve République. Mon rôle de rapporteur m’oblige à dépasser l’aversion que celle-ci m’inspire pour m’intéresser à la manière de la faire respecter et fonctionner normalement. Sur la question de la jurisprudence, je maintiens mes propos : il est de notre responsabilité de la créer en utilisant pour la première fois cette nouvelle rédaction de l’article 68.

Monsieur Saulignac, je me permets de saluer la qualité de votre intervention qui est restée centrée sur l’activation éventuelle et la portée de l’article 68, sans s’égarer dans des considérations politiques. Vous insistez sur une question dont nous avons débattu pendant les auditions : où a été négociée la coalition gouvernementale ? Dans toutes les démocraties parlementaires, cela se déroule au Parlement. Le fait qu’elle l’ait été à l’Élysée constitue une anomalie inadmissible. Comme vous l’indiquez, la procédure de destitution est une mesure ultime. À ce stade, il ne me revient pas de dire quand elle doit être déclenchée.

On ne juge pas sur des sentiments, dites-vous, monsieur Gosselin. Nous essayons en effet de nous abstraire de ce registre pour en rester aux mécanismes institutionnels. Peut-être auriez-vous dû faire de même à la fin de votre intervention ? Vous dites aussi que vous ne voulez pas faire un procès politique. Sur ce point, je vais vous contredire. Les travaux ayant conduit à la modification de l’article 68 montent que nous ne sommes pas dans un procès pénal : nous sommes dans le cadre de la Haute Cour et la notion de manquement n’est pas précisément définie. On ne mesure pas la gravité du manquement puisque le terme « grave » n’est pas employé. On mesure sa portée, l’opportunité de déclarer qu’il existe à un moment donné. Contrairement à vous, il me semble que le Président de la République a été un peu plus qu’un arbitre dans la séquence que nous venons de vivre, ce qui a créé beaucoup de trouble. Enfin, nous ne voulons pas renverser les institutions : le travail de cette commission doit s’attacher à faire respecter la stabilité de la Ve République. Cela dit, Emmanuel Macron me paraît être le meilleur ambassadeur de la VIe République.

Selon vous, monsieur Amirshahi, il faut donner une suite favorable à cette démarche pour contraindre le Président de la République à venir s’expliquer. Il est salutaire que nous ayons ce débat sur le Président de la République, mais lui demander de venir s’expliquer pourrait être contraire au principe de la séparation des pouvoirs. Si la Haute Cour venait à se réunir, il aurait la faculté de venir, sachant que ce n’est pas une obligation de se défendre ou d’être représenté devant cette instance. Faut-il en arriver là pour avoir le débat ? Peut-être. C’est à vous d’en décider. Comme vous, je pense que nous sommes à la limite de la Ve République, un régime parlementaire dont nombre d’observateurs ont dénoncé les dérives présidentialistes à partir de 1962, avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, l’inversion du calendrier électoral, l’instauration du quinquennat. En raison de la concentration des pouvoirs à l’Élysée et de la manière dont les décisions sont prises, ces observateurs estiment que nous arrivons au bout d’une logique. Il revient aux parlementaires de donner un coup d’arrêt à cette dérive qui pourrait conduire à une crise institutionnelle beaucoup plus grave que celle que nous vivons.

Monsieur Latombe, je conteste l’idée que cette proposition de résolution constitue un dévoiement de la procédure.

Quant à vous, madame Firmin Le Bodo, vous estimez qu’elle relève uniquement d’une appréciation partisane. Comme vous, je crois que le manquement n’est pas « manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », et que la majorité des deux tiers ne sera pas atteinte. Néanmoins, nous sommes un peu au-delà de la question partisane : la proposition de résolution n’a pas été signée par un seul parti ; le débat résonne très fortement dans la société et le trouble ressenti par les électeurs ne peut pas être balayé d’un revers de main. La coalition du NFP avait une majorité hostile, dites-vous. Cela reste à démontrer. Quoi qu’il en soit, dans d’autres régimes parlementaires, cela n’empêche pas le chef de l’État de donner un mandat exploratoire à la force politique ou à la coalition politique arrivée en tête, charge à elle de démontrer qu’elle dispose d’une majorité pour gouverner. Emmanuel Macron n’a pas fait ce choix. Selon la constitutionnaliste Anne Levade, le Président de la République peut nommer qui il veut et, au regard de nos institutions, il aurait même commis une faute en consultant les partis politiques. À mon avis, il y a plusieurs manières de chercher une coalition. Le Président de la République, qui exerce la responsabilité la plus haute, ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité, en considérant que d’autres ont commis une faute..

Monsieur Molac, je partage votre appréciation sur le sentiment de colère des électeurs et sur le fait que le Président de la République jette de l’huile sur le feu par sa manière de prendre les décisions. Sans aller jusqu’à reprendre votre expression de chef de clan, j’estime que le Président de la République ne joue plus son rôle d’arbitre. Il a été désavoué lors des élections. Or, contrairement à certains de ses prédécesseurs, il ne se cantonne pas aux prérogatives que lui donne l’article 5 de la Constitution en laissant au Premier ministre le soin de conduire la politique de la nation. Cette attitude, je le répète, suscite beaucoup de trouble.

Je suis d’accord avec votre analyse, madame K/Bidi, même si je n’en tire pas la même conclusion que vous : l’accumulation des fautes politiques peut être qualifiée de manquement. Il ressort aussi des auditions que ces manquements doivent être considérés au regard de leurs conséquences. À partir de quel moment sont-elles suffisamment graves pour que nous ayons à protéger la fonction contre son titulaire ? Je ne réponds pas à cette question, c’est vous qui devrez le faire.

La VIe République serait une république de malheurs, dites-vous, madame Barèges. Nous verrons bien. En tout cas, la Ve République soulève beaucoup de questions. Il ne faut pas en faire un totem, pas plus que du général de Gaulle, d’autant que la Constitution a subi vingt-cinq révisions depuis 1958 et qu’elle est encore appelée à bouger. Le régime change aussi par sa pratique. Si nous voulons la stabilité et l’ordre républicain, il me paraît très sain que le pouvoir législatif fasse valoir ses prérogatives et pose parfois quelques limites au pouvoir exécutif. Quant à vos considérations sur la guillotine, elles me semblent hors sujet.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Ludovic Mendes (EPR). Nous traitons d’un sujet hautement symbolique et très dangereux pour notre démocratie. S’attaquer au chef de l’État revient à s’attaquer par ricochet à la Ve République. Ce n’est pas étonnant de la part des instigateurs de cette procédure, qui n’ont eu de cesse depuis des années de critiquer, dénigrer et stigmatiser cette Ve République. Cette procédure n’a aucune chance d’aboutir, mais la moindre occasion pour taper sur la République est bonne à prendre, comme l’a confirmé notre collègue Léaument dans son intervention. Nous parlons bien de cela : destituer le Président de la République, élu au suffrage universel direct, ce qui revient à remettre en cause le choix des Français et l’un des principes intangibles de la République.

« Pour fonder la République, il faut d’abord la faire aimer », disait Saint-Just. Ceux qui souhaiteraient que cette procédure aboutisse n’aiment pas notre République. Au contraire, ils aiment le désordre et le chaos car c’est ce qui les fait prospérer. La France insoumise n’hésite pas à s’attaquer au symbole le plus évident de notre République, son président, dans le seul but d’exister politiquement. Cette tentative de destitution est dangereuse et révélatrice des réelles ambitions de la France insoumise : destruction des fondations de notre République, segmentation des Français et appauvrissement des valeurs de la nation.

Travaillons ensemble à inventer un nouveau logiciel, comme nous le demandent les Français. La politique de la terre brûlée de la France insoumise n’apporte que plus de chaos et nous éloigne les uns des autres, en laissant penser que l’avenir serait à l’extrême droite. Nous aurions pu créer les conditions pour travailler ensemble à un gouvernement républicain inédit, fondé sur le front républicain de juillet dernier. Mais c’est dans ces moments que vous révélez votre vraie nature, celle qui consiste à faire des coups, comme à travers cette procédure de destitution, dont le seul but est de nourrir vos intérêts politiques.

Alors, chers collègues, coupons très vite la tête de cette mauvaise idée – le terme, souvent utilisé par les Insoumis, est peut-être déplacé. Nous avons besoin de réaffirmer la solidité de notre bloc constitutionnel et non de le dévoyer en le remettant sans cesse en question.

M. Marc Pena (SOC). Peut-être vais-je vous apprendre quelque chose : le pouvoir n’est plus à l’Élysée, il est au Parlement. Voilà qui clôt presque le débat. Alors que M. Macron a utilisé toutes ses cartouches politiques, nous devons examiner cette proposition de résolution. Contrairement à mes autres amis du Nouveau Front populaire, je pense que cette procédure va aider Emmanuel Macron à se réhabiliter plutôt que de l’affaiblir politiquement, car elle ne recueillera pas les suffrages nécessaires. Je voudrais que tout le monde en prenne conscience.

Étant juriste, j’aimerais aussi insister sur le fait que le droit ne se tord pas toujours comme on veut, que l’on s’appelle M. Macron ou que l’on porte d’autres noms. En l’occurrence, je crains une banalisation de la procédure de destitution, qui s’inspire de la procédure de haute trahison ou d’impeachment, qui n’est pas dans notre tradition parlementaire. Notre régime n’est pas présidentiel mais parlementaire. Cette banalisation, je la crains en tant que juriste et en tant que député. M. Macron n’a pas respecté l’esprit des institutions, notamment l’esprit et l’usage des institutions parlementaires, mais il n’a pas violé la Constitution. Le droit ne peut pas se tordre à souhait, je le répète. La meilleure manière de combattre les choix de M. Macron, c’est de combattre le gouvernement de M. Barnier sur la forme et sur le fond, et bientôt de le censurer.

En tant que député néophyte, j’ai commencé à faire des propositions concernant la Ve République. Il faudrait peut-être intervenir sur la durée d’un gouvernement démissionnaire, après la situation extravagante que nous avons vécue, et sur l’incompatibilité enfin assumée entre la fonction de ministre et celle de député. Voilà des sujets sérieux à examiner.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Contrairement à notre collègue Gosselin, je ne crois pas que jugions en droit – c’est aussi l’avis de tous les constitutionnalistes auditionnés. Pour les raisons que j’ai déjà évoquées, il s’agit avant tout de réfléchir à la situation politique et même institutionnelle que nous traversons. J’invite ceux qui craignent que cette procédure ne rajoute à la crise à faire un peu du judo : cette discussion parlementaire peut être une solution à la crise. Comme vient de le rappeler mon collègue Pena, la Constitution est défaillante – et même lourdement – sous bien des aspects. À l’avenir, un président de la République plus mal intentionné risquerait d’ajouter du malheur à notre fragilité démocratique.

Enfin, nous avons un devoir d’humilité : dans une affaire aussi importante, ce n’est pas seulement à la commission des lois de trancher définitivement la question de savoir si le Président de la République a commis des manquements, de caractériser ces manquements et d’en tirer des conclusions. En revanche, il est de notre responsabilité d’offrir à tous les parlementaires l’opportunité de réfléchir à une réforme constitutionnelle radicale qui ressemble enfin au pays, qui protège les droits et les libertés et, surtout, nous fasse franchir un pas décisif dans la séparation des pouvoirs que le pays de Montesquieu a érigée en doctrine absolue mais n’a pas respecté.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je ne me moquerai pas de l’initiative de nos collègues du NFP, ni de LFI en particulier – c’était leur droit. J’ai appris à les connaître depuis sept ans : ils ne sont jamais à court d’idées ; provoquer la destitution du Président de la République est leur dernière trouvaille.

Il y a des points intéressants dans ce débat – on ne perd pas son temps en commission des lois –, même si la Constitution est tordue dans tous les sens.

Le premier point est que deux visions, très antagonistes, s’opposent, celle très mathématique, très arithmétique du NFP, qui considère avoir gagné les élections tout en ayant obtenu à peine un tiers des sièges, ce qui est très loin de la majorité absolue mais ne l’empêche pas de penser que ce sera suffisant pour gouverner, et une autre vision, la seule qui vaille en réalité, de nature politique, autour de la question de savoir comment constituer la majorité la plus stable pour gouverner. À partir du moment où des forces politiques ont dit qu’un gouvernement de Mme Castets serait immédiatement censuré, la question de la stabilité s’impose à nous.

Le deuxième point intéressant, selon moi, même si c’est un peu de la cuisine politique, c’est le comportement ou l’attitude de nos collègues socialistes, qui, et je le dis avec tout le respect que j’ai pour eux – je les aime beaucoup –, ne sont pas très à l’aise, en tout cas une partie d’entre eux. On les comprend : ils sont dans une situation de soumission aux Insoumis, si je peux faire ce jeu de mots. Et ce n’est pas moi qui en parle le mieux, mais M. le président Hollande qui a expliqué aujourd’hui, lors d’une matinale, que la gauche réformatrice allait bientôt réduire à néant la gauche insurrectionnelle et révolutionnaire – j’ai hâte de voir le prochain épisode.

Mme Sophie Vaginay (UDR). La France insoumise utilise la procédure de destitution pour accentuer les divisions politiques dans notre pays et se sert de la Constitution de 1958 comme d’un outil de confrontation politique et de désordre social. Le recours à cette procédure, uniquement motivé par la déception due à l’absence de nomination de Lucie Castets, érode encore plus la confiance des citoyens dans nos institutions démocratiques et victimise un président qui devrait, au contraire, assumer devant les Français un bilan catastrophique.

De plus, l’enclenchement de cette procédure bloquerait le calendrier législatif alors que nombre de mesures urgentes sont attendues pour redresser le pays et répondre aux attentes des Français. La destitution du chef de l’État est un acte gravissime qui doit être motivé par des faits partagés, incontestés, et non par des querelles bassement partisanes, provoquées par des déceptions et la trahison d’accords électoraux contre nature conclus avec le chef de l’État. La vraie faute revient à la France insoumise, qui instrumentalise le processus de destitution et prend en otage nos institutions et notre Constitution, ce qui ne fait que les affaiblir et diviser encore davantage le pays.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Je trouve assez étonnant qu’on invoque la stabilité politique pour essayer de maintenir coûte que coûte un Président dont l’action n’a pas eu d’autre effet que de fragiliser les institutions et la République. Par ailleurs, tous ceux qui ont signé la proposition de résolution ou qui sont prêts à voter pour la destitution sont bien conscients, et nous les premiers, du peu de chance d’arriver au bout de la procédure. Néanmoins, cela permettra de discuter de différentes violations de la Constitution, de différentes interprétations problématiques et de poser, outre la question de la responsabilité du chef de l’État, celle de l’évolution, nécessaire, de notre Constitution, pour qu’on ne puisse plus arriver à des situations telles que celle que nous sommes en train de vivre et qui ne correspond ni à l’idée des constituants ni à celle que le peuple se fait de ceux qui doivent gouverner et faire respecter la Constitution.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Au soir du 7 juillet, les Français ont envoyé un message clair : tourner la page du macronisme, placer le nouveau Front populaire et son programme de rupture en tête, faire barrage à la vision raciste du monde qui est celle de l’extrême droite. Depuis, ils ont à la tête du Gouvernement Michel Barnier, dont le parti a fait 5 % aux élections législatives mais occupe dix ministères ; ils ont aussi Bruno Retailleau, républicain de papier et chef de la police, pour qui l’état de droit est accessoire, et dix-neuf ministres macronistes, car depuis trois mois les perdants se comportent en vainqueurs, comme si l’élection du 7 juillet n’avait jamais eu lieu. L’autocrate à la manœuvre a un nom : il s’appelle Emmanuel Macron et il a à sa disposition un régime nocif et agonisant, la Ve République.

Il faut voter la destitution car le vote du 7 juillet n’a pas été respecté, pas plus que l’élan qui a poussé les Français à aller aux urnes.

Il faut voter la destitution car les Français ne veulent pas d’un arc macrono-lepéniste et d’un Gouvernement sous surveillance de l’extrême droite.

Il faut voter la destitution car les Français n’ont pas voté pour un Gouvernement favorable à la retraite à 65 ans et indifférent au sort des plus fragiles, ni pour des coupes budgétaires supplémentaires qui les atteindront dans leur chair et dans leur dignité.

Il faut voter la destitution car depuis trois mois la France est la risée du monde libre et la presse internationale ne trouve plus de mots assez sévères à notre égard.

Il faut voter la destitution car Emmanuel Macron ne connaît que la brutalité pour imposer son agenda de destruction des biens publics et d’enrichissement de quelques-uns au détriment de tous.

Il faut voter la destitution car la Ve République pourrissante ne prévoit qu’une seule procédure, celle de l’article 68, lorsque le Président de la République manque à ses devoirs, porte atteinte à la dignité de sa fonction et bafoue notre Constitution, en particulier la souveraineté nationale, qui appartient au peuple français.

Il faut voter la destitution car nous devons protéger nos institutions contre un président hors de contrôle et remettre de la stabilité dans le chaos créé par Emmanuel Macron.

Votons la destitution car « l’ordre, l’ordre, l’ordre », c’est d’abord l’ordre républicain, celui qui nous permet de vivre en démocratie.

M. Jérémie Iordanoff, rapporteur. Je ne répondrai pas à l’ensemble des interventions : beaucoup a déjà été dit.

Monsieur Mendes, il ne s’agit pas du tout d’une attaque contre la Ve République. Ce type de raisonnement est un peu paresseux au vu de la situation politique : il faut sortir un peu d’ici et regarder le trouble qu’elle cause.

Monsieur Pena, vous avez dit que le pouvoir appartenait au Parlement. Je suis d’accord avec vous, mais c’est à la condition que les députés et les sénateurs s’en saisissent. Dans d’autres régimes présidentiels, comme celui du Portugal, où le Président de la République est aussi élu au suffrage universel direct, celui qui conduit la politique de la nation, qui a l’initiative politique, c’est le Premier ministre, parce qu’il bénéficie, très largement, de la confiance du Parlement. Ce n’est pas le cas en France, ce qui donne des marges de manœuvre au Président de la République, car il n’y a pas de majorité forte. Je souhaite que notre assemblée soit le cœur de l’exercice du pouvoir et que l’initiative politique revienne ici. Cela dépend de nous-mêmes.

Je suis persuadé de l’extrême fragilité du régime actuel – il ne faut pas la sous-estimer. Ce ne sont pas ceux qui souhaitent discuter de ce régime qui causent sa fragilité, mais la pratique elle-même : nous sommes arrivés au bout d’une certaine logique.

Madame Moutchou, vous avez parlé d’exercice de diversion. La présence de nos collègues en très grand nombre atteste qu’il s’agit, au contraire, d’un sujet fondamental qui intéresse beaucoup de monde et dont on doit discuter sérieusement en commission et dans l’hémicycle.

Madame Vaginay, vous avez dit que l’examen de cette résolution en séance créerait un blocage dans le calendrier législatif. Quelque chose a dû m’échapper : je crois que nous n’avons rien à l’ordre du jour, à part le budget. Rien ne sera donc bloqué.

La responsabilité du chef de l’État doit pouvoir être mise en cause pour les actes dispensés de contreseing, au nombre desquels figurent la dissolution et le recours à l’article 16. Il faut imaginer une possibilité d’engager la responsabilité du chef de l’État et non pas seulement celle du Premier ministre, même si rien n’est réellement prévu pour cela dans la Constitution. On peut penser que la responsabilité du chef de l’État s’exerce lorsqu’il sollicite sa réélection ou en cas d’élections législatives générales, mais on peut aussi envisager que l’article 68 y serve. Il ne faut pas se l’interdire pour la suite, étant entendu que tous les mécanismes ayant conduit à renverser des gouvernements reposent sur des procédures qui, au départ, n’existaient pas, mais ont été utilisées par les parlementaires pour mettre en cause la responsabilité de l’exécutif.

J’ai posé la question du rôle de la commission des lois aux professeurs de droit constitutionnel que j’ai auditionnés. Un débat a eu lieu au sein de la commission Avril et lors des travaux préparatoires à la loi organique sur le point de savoir si la commission devait ou non servir de filtre. Dans une première rédaction, la commission devait vérifier le « caractère sérieux » de la résolution. Ce rôle de filtre a disparu et l’examen de la recevabilité a été transféré au bureau de l’Assemblée qui n’effectue qu’un contrôle formel. Notre commission ne saurait, dans ces conditions, avoir un droit de veto, quel que soit le résultat du scrutin – c’est du moins l’interprétation que font de la loi organique les constitutionnalistes auditionnés et le Conseil constitutionnel. Il est normal que le débat puisse ensuite avoir lieu dans l’hémicycle.

M. le président Florent Boudié. Notre position, quelle qu’elle soit, n’arrêtera pas la procédure, pas plus que pour les textes de loi.

Avant de procéder au vote par scrutin public, décidé hier par le bureau de la commission, je tiens à dire que je suis particulièrement satisfait, à titre personnel, de la très bonne tenue de nos débats et des propos très approfondis de tous les orateurs.

C’est une première, et j’en remercie notre rapporteur. Ce que nous sommes en train de vivre fera l’objet d’un précédent, inscrit dans les tablettes de l’Assemblée. Nous verrons ce que la conférence des présidents décidera mardi prochain.

Comme vous le savez, le Bureau de notre commission a décidé la tenue d’un scrutin sur le vote de cette proposition de résolution, en application de l’article 44, alinéa 1, du Règlement. Je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Gabrielle Cathala, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Émeline K/Bidi, M. Andy Kerbrat, M. Antoine Léaument, Mme Sarah Legrain, Mme Élisa Martin, Mme Danièle Obono, M. Stéphane Peu, Mme Sandra Regol et Mme Andrée Taurinya.

Votent contre :

Mme Marie-José Allemand, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Aurore Bergé, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, Mme Edwige Diaz, M. Marc Fesneau, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Moerani Frébault, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, M. Mathieu Lefèvre, M. Roland Lescure, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Laurent Marcangeli, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, M. Bryan Masson, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, M. Éric Pauget, M. Marc Pena, M. Julien Rancoule, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Vincent Thiébaut, Mme Sophie Vaginay, M. Roger Vicot, M. Antoine Villedieu, M. Jiovanny William et Mme Caroline Yadan.

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 69

Nombre de suffrages exprimés : 69

Majorité absolue : 35

Pour l’adoption : 15

Contre l’adoption : 54

Abstention : 0

 

La commission rejette donc l’article unique.

L’ensemble de la proposition de résolution est ainsi rejeté.

M. le président Florent Boudié. La conférence des présidents aura à se prononcer sur l’inscription du texte à l’ordre du jour d’une prochaine séance. Je vous rappelle la règle : treize jours après notre vote, au plus tard, pour l’inscription en séance, le cas échéant, et quinze jours après notre vote, au plus tard, pour le vote en séance.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et à la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution (n° 178).

 

 


—  1  —

 

   Personnes entendues

 

 


([1]) Cour de cassation, 10 octobre 2001, Breisacher, n° 01-84922.

([2]) Voir I. B. 2.

([3]) Article 67 de la Constitution.

([4]) Audition de Mme Anne Levade.

([5]) « Aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle ne prévoit l'immunité ou l'irresponsabilité pénale des membres du cabinet du Président de la République » (Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 décembre 2012, n° 12-81.043).

([6]) Au moyen d’une procédure contraignante prévue par l’article 49 de la Constitution.

([7]) Article 12 et 19 de la Constitution.

([8]) Conseil d’État, 20 février 1989, n° 98538 ; Conseil constitutionnel, 26 juin 2024, n° 2024‑42/43/44/45/46/47/48/49/50/51/52/53 ELEC.

([9]) Audition de M. Raphaël Carpentier.

([10]) Article 53-2 de la Constitution.

([11]) Article 68 de la Constitution.

([12]) Ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de Justice.

([13]) Conseil constitutionnel, n° 98-408 DC, 22 janvier 1999.

([14]) Cour de cassation, 10 octobre 2001, n° 01-84922.

([15]) Cour de cassation, 10 octobre 2001, n° 01-84922.

([16]) Audition de M. Pierre Avril.

([17]) Guy Carcassonne, La Constitution, 2013, p. 322.

([18])« La Haute Cour, instituée à la suite de la suppression de la Haute Cour de Justice, ne constitue pas une juridiction chargée de juger le Président de la République pour des infractions commises par lui en cette qualité, mais une assemblée parlementaire compétente pour prononcer sa destitution en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » (Conseil constitutionnel, 19 novembre 2014, n° 2014-703 DC, § 5).

([19]) Audition de M. Pierre Avril.

([20]) Rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, 2002, p. 35.

([21]) Ibid. p. 8.

([22]) Ibid. p. 36.

([23]) Ibid. p. 46.

([24])  Guy Carcassonne, La Constitution, 2013, p. 326.

([25]) Le Conseil constitutionnel a censuré la disposition limitant le droit de chaque membre du Parlement à la signature d’une seule proposition de résolution par mandat présidentiel (Conseil constitutionnel, 19 novembre 2014, n° 2014-703 DC, § 12).

([26]) Voir III du présent rapport.

([27]) Une proposition résolution avait été déposée à l’Assemblée nationale, accusant le Président de la République d’avoir « [violé] ouvertement l’obligation de secret qui pèse sur les décisions les plus sensibles qu’il doit prendre en tant que Chef des Armées » (proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour, n° 4213, 10 novembre 2016, XIVème législature).

([28]) Conseil constitutionnel, 19 novembre 2014, n° 2014-703 DC, § 14.

([29]) Idem, § 15.

([30]) Conseil constitutionnel, 19 novembre 2014, n° 2014-703 DC, § 40.

([31]) Idem, § 41.

([32]) Assemblée nationale, Rapport sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution (n° 3537), M. Philippe Houillon, 20 décembre 2006, XIIème législature, p. 55.

([33]) Article 5 de la Constitution.

([34]) Voir la procédure détaillée au II.A.2. du présent rapport.