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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 octobre 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à moderniser les installations hydroélectriques pour renforcer
la souveraineté énergétique de la France (n° 275)
PAR M. Nicolas MEIZONNET
Député
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Voir le numéro : 275.
SOMMAIRE
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Pages
A. État du contentieux entre la France et l’union européenne
B. l’indispensable refus de la mise en concurrence
A. les errements et manquements des gouvernements successifs
1. Le choix d’écarter la solution de la quasi-régie
2. Le choix de la généralisation du régime d’autorisation
Article 3 Déclassement des installations hydrauliques concédées du domaine public de l’État
Article 4 Cession des installations hydrauliques par l’État aux concessionnaires sortants
Article 5 Date d’entrée en vigueur de la loi et modalités d’application
Liste des personnes auditionnées
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
L’hydroélectricité est un atout majeur de la souveraineté énergétique française. Deuxième source de production d’électricité après le nucléaire et première source de production renouvelable, l’hydroélectricité représentait, en 2023, 11,9 % de la production électrique totale ([1]). Pour une capacité installée de 26,2 gigawatts (GW), dont 25,7 GW en France métropolitaine, les installations hydrauliques fournissent un productible annuel d’environ 67 térawattheures (TWh) ([2]).
L’hydroélectricité est également une énergie flexible, pilotable et compétitive. Elle contribue à assurer l’équilibre du réseau électrique et la sécurité d’approvisionnement.
Il s’agit enfin d’une industrie d’excellence : l’exploitation de nos barrages, réalisée en très grande majorité par EDF, fleuron national, repose sur des années d’expérience et de savoir-faire, le tout au cœur des territoires. Ceux-ci ont d’ailleurs pu bénéficier de l’électricité produite par ces ouvrages pour développer leur propre industrie, notamment dans les vallées de montagne.
Pourtant, aujourd’hui, ce parc hydroélectrique est en danger. 90 % de la puissance électrique installée repose sur des contrats de concession, qui arrivent progressivement à échéance. La Commission européenne souhaite ouvrir à la concurrence ces concessions, au nom de la libéralisation des marchés. Votre rapporteur s’y oppose fermement. Du reste, renoncer à la mise en concurrence de nos barrages est aujourd’hui l’un des rares sujets qui fait consensus au sein de la classe politique française.
Le Président de la République déclarait, lors de son discours de Belfort, le 10 février 2022 : « Je n’oublie pas dans ce nouveau mix d’énergies renouvelables, nos barrages hydroélectriques, qui font la richesse de nos vallées et dans lesquels nous allons continuer d’investir. Et je veux ici être clair, tout en gardant la pleine maîtrise, et en évitant les mises en concurrence. C’est le cœur du projet que nous allons continuer de mener, en lien étroit, en discussion avec la Commission européenne, et en intimité avec évidemment l’entreprise EDF ».
Plus de deux ans après ces paroles, qu’en est-il des actes ? Depuis vingt ans, les gouvernements successifs ont échoué à sortir la France du contentieux qui l’oppose à l’Union européenne sur l’obligation de mise en concurrence des concessions hydroélectriques. En attendant, les exploitants sont dans l’incertitude quant à leur avenir. Les investissements qui permettraient de moderniser et de développer notre parc hydroélectrique sont à l’arrêt.
Alors que les rapports parlementaires et les initiatives législatives se sont multipliés ces dernières années, il est désormais temps d’agir. La Représentation nationale doit s’emparer du sujet, débattre et voter pour faire avancer ce dossier.
C’est pourquoi la présente proposition de loi propose de modifier le régime applicable aux installations hydroélectriques, en appliquant un régime d’autorisation aux concessions existantes. Cela permettra aux exploitants actuels de poursuivre leur activité et à nos barrages de rester dans le giron des opérateurs historiques, ce qui est indispensable compte tenu des enjeux de souveraineté, de sécurité et de décarbonation du mix énergétique qui s’y rattachent.
I. Le refus de la mise en concurrence des concessions hydroélectriques souhaitée par l’union européenne
A. État du contentieux entre la France et l’union européenne
L’article premier de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, désormais codifié à l’article L. 511-1 du code de l’énergie, dispose que « nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l’État ». L’exploitation d’installations hydroélectriques n’est donc possible qu’avec l’accord de l’État. Le régime applicable diffère selon la puissance brute maximale de l’installation concernée ([3]) : les installations hydrauliques dont la puissance est inférieure ou égale à 4,5 MW sont placées sous le régime de l’autorisation, tandis que celles dont la puissance est supérieure à 4,5 MW sont placées sous le régime de la concession.
La France compte aujourd’hui près de 345 concessions hydroélectriques sur son territoire, représentant plus de 90 % de la puissance hydroélectrique installée ([4]). L’hydroélectricité est produite :
– à 70 % par EDF, groupe détenu à 100 % par l’État ;
– à 25 % par la Compagnie nationale du Rhône (CNR). La CNR est détenue à 49,97 % par Engie, à 33,2 % par le groupe Caisse des dépôts et à 16,83 % par des collectivités territoriales. La loi prévoit que la majorité du capital de la CNR doit être publique ([5]) ;
– à 3 % par la Société hydroélectrique du midi (Shem). La Shem est une filiale d’Engie. L’État français participe au capital d’Engie à hauteur de 23,64 % ([6]) et il y détient, par ailleurs, une action spécifique lui permettant de préserver les intérêts essentiels de la France dans le secteur de l’énergie, en s’opposant par exemple à la cession d’actifs jugés stratégiques dans ce domaine ([7]) ;
– pour le reste, par des installations détenues par d’autres concessionnaires (indépendants ou sociétés internationales ayant EDF pour actionnaire) ([8]).
Au sein de l’Union européenne (UE) la France s’inscrit dans un ensemble de pays « latins » qui ont opté pour un régime concessif. À l’inverse, certains pays « nordiques » (Allemagne, Pologne, Suède, etc.) ont opté pour un régime d’autorisation.
Le droit de l’Union européenne impose la mise en concurrence des concessions hydroélectriques lorsque celles-ci arriveront à leur échéance. En effet, le secteur de l’énergie, notamment les activités de production et de fourniture d’électricité, a été progressivement ouvert à la concurrence depuis le milieu des années quatre-vingt-dix ([9]). En outre, la directive dite « Concessions » de 2014 ([10]) impose une ouverture à la concurrence pour l’attribution des contrats de concession supérieurs à un certain montant.
Les contrats de concession hydroélectrique français arrivent progressivement à échéance. Selon le rapport d’enquête du Sénat sur le prix de l’électricité publié en juillet dernier, 61 concessions seront échues au 31 décembre 2025.
Jusqu’ici, la France n’a pas remis en concurrence ses concessions hydroélectriques arrivant à échéance, ce qui a conduit la Commission européenne à déclencher plusieurs procédures à notre encontre concernant celles-ci :
– en 2003, la Commission déclenche une procédure d’infraction contre la France en raison du droit de préférence accordé au concessionnaire sortant. Le droit de préférence a, depuis, été supprimé par la loi n° 2006‑1772 sur l’eau et les milieux aquatiques. Cette suppression ainsi que des garanties données par la France à la Commission européenne sur la remise en concurrence des concessions ont conduit au désistement de la Commission européenne en 2008, selon le rapport d’enquête précité ;
– en 2015, une mise en demeure est adressée à la France concernant EDF, qui se trouverait en situation d’abus de position dominante. Ce précontentieux a été ouvert par la direction générale de la concurrence (DG COMP), sur le fondement des articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ;
– en 2019, une nouvelle mise en demeure est adressée à la France, ainsi qu’à sept autres États membres ([11]). Ces mises en demeure reposent sur des fondements juridiques différents :
Plus généralement, la Commission européenne évoque également à l’appui de ses mises en demeure des atteintes à la liberté d’établissement (art. 49 TFUE) et à la prestation de services (art. 56 TFUE).
En attendant de trouver une solution, les concessions arrivées à échéance sont aujourd’hui généralement prolongées sous le régime des « délais glissants », défini au troisième alinéa de l’article L. 521-16 du code de l’énergie. Ce régime permet de poursuivre l’exécution de la concession aux conditions antérieures – autrement dit, sans possibilité substantielle d’investissement. La Commission européenne ne reconnaît pas cette possibilité et estime le régime des délais glissants contraire au droit de l’UE.
Une solution à part : la prolongation de la concession d’aménagement du Rhône confiée à la Compagnie nationale du Rhône
La loi n° 2022-271 du 28 février 2022 permet de prolonger la concession du Rhône, détenue par la Compagnie nationale du Rhône (CNR), jusqu’au 31 décembre 2041, alors qu’elle devait prendre fin au 31 décembre 2023.
La concession du Rhône se distingue des autres concessions hydroélectriques par son triple objet : l’utilisation de la puissance hydraulique, la navigation et enfin l’irrigation, l’assainissement et les autres emplois agricoles.
Cette prolongation est justifiée par la survenance de circonstances imprévisibles : la nationalisation des moyens de production électriques, après la Seconde Guerre mondiale, a empêché la CNR d’exploiter ses barrages durant 58 ans. Durant cette période, ces derniers ont été exploités par EDF. Cela a permis de justifier le rallongement de la concession, tout en garantissant la neutralité financière de cette prolongation, notamment permise par les modalités de fixation de la redevance proportionnelle aux recettes versée à l’État et par la réalisation d’un programme de travaux supplémentaires.
Cette solution n’a pas été contestée par la Commission européenne.
B. l’indispensable refus de la mise en concurrence
Le parc hydroélectrique français ne doit pas être ouvert à la concurrence. Les arguments sont nombreux pour justifier ce refus. Votre rapporteur en rappellera ici les principaux, qui sont de cinq ordres.
En premier lieu, l’exploitation et la maintenance des ouvrages hydroélectriques sont étroitement liées à des enjeux de sûreté et de sécurité. Cela nécessite d’être particulièrement vigilant quant aux opérateurs qui en assument la charge. Les barrages hydroélectriques sont des infrastructures stratégiques ; les conséquences de la rupture de l’un d’entre eux seraient évidemment désastreuses. Leur bonne gestion est particulièrement précieuse pour la prévention des inondations et des crues. Confier l’exploitation de notre parc hydroélectrique à un nombre accru d’opérateurs, potentiellement étrangers, fait craindre des atteintes aux intérêts stratégiques du pays, tout autant que des ruptures de compétences et de savoir-faire, alors que les opérateurs actuels disposent de toute l’expérience et la maîtrise nécessaires.
En second lieu, la mise en concurrence portera atteinte à notre souveraineté énergétique. Cela remettrait en question la maîtrise, par l’État français, de cet actif stratégique, ainsi que d’un outil de production électrique pilotable, décarboné et compétitif. Du reste, votre rapporteur observe que les autres pays de l’Union européenne sont tout aussi réticents que la France à se plier à l’obligation de remise en concurrence. La France se trouverait donc désavantagée si elle y procédait, particulièrement en l’absence d’ouverture réciproque des marchés des pays voisins, qu’ils soient membres de l’Union européenne ou non (Norvège ou Suisse, par exemple).
En troisième lieu, l’ouverture à la concurrence nuira au pouvoir d’achat des Français. En effet, cela obligera l’opérateur sortant qui perdrait la concession à acheter sur les marchés l’électricité qu’il n’aura pas pu produire grâce à ses barrages hydroélectriques, à des prix plus élevés, ce qui se répercutera sur les prix de fourniture.
En quatrième lieu, l’exploitation du parc hydroélectrique par un grand nombre d’opérateurs conduira à désoptimiser ce moyen de production :
– l’exploitation de la majorité des barrages par EDF permet d’optimiser les moyens de production, en lien notamment avec l’exploitation du parc nucléaire (gestion des arrêts pour maintenance, gestion des besoins en eau pour le refroidissement des centrales, etc.) ;
– la détention des barrages par un nombre restreint d’acteurs permet de tirer pleinement profit de la flexibilité et de la pilotabilité de l’hydroélectricité, notamment à l’échelle d’une même vallée.
Dans un référé de 2022, la Cour des comptes résume parfaitement les enjeux liés à la multiplication des opérateurs : « l’intervention de plusieurs concessionnaires dans des zones comportant de nombreux ouvrages gérés jusqu’à présent par un concessionnaire unique aurait deux effets : le premier serait un risque de désorganisation de l’exploitation des chaînes hydrauliques et d’effet négatif sur la production ; le second serait de renchérir les coûts d’exploitation de concessions qui ne bénéficieraient plus de la mutualisation des personnels de terrain » ([13]).
Enfin, en cinquième lieu, l’impératif de bonne gestion des différents usages de l’eau plaide pour maintenir des opérateurs attentifs à cet enjeu. Irrigation, tourisme, pêche, maintien de la continuité écologique… autant d’enjeux pour lesquels les exploitants actuels ont appris à collaborer avec les différentes parties prenantes, notamment les collectivités territoriales, et ce bien au-delà des simples prescriptions d’un cahier des charges.
Outre ces arguments de fond, votre rapporteur observe que le Parlement multiplie les signaux de refus d’ouverture à la concurrence. Le dernier acte fort est le vote en 2022, à l’unanimité de l’Assemblée nationale et du Sénat, de la loi relative à l’aménagement du Rhône, permettant de prolonger la concession de ce fleuve jusqu’en 2041 (voir supra). Plus récemment :
– au Sénat, la commission d’enquête sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050 a recommandé de « régler avant mi-2025 le différend sur les concessions hydroélectriques, en créant une commission composée de représentants de l’État, de représentants d’EDF et des acteurs de la filière, d’experts et de parlementaires ». En outre, l’article 21 de la proposition de loi sénatoriale portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie ([14]), adoptée par le Sénat le 16 octobre 2024, propose une expérimentation du passage du régime des concessions vers celui des autorisations pour les concessions hydroélectriques échues ;
– à l’Assemblée nationale, la commission des affaires économiques a créé une mission d’information transpartisane sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques, dont votre rapporteur est membre.
II. Face aux errements et manquements des gouvernements successifs, il est temps d’agir pour préserver et développer le parc hydroélectrique français
A. les errements et manquements des gouvernements successifs
Le rapport de la commission d’enquête du Sénat précité évoque un « dialogue de sourds » qui semble s’être instauré entre la France et la Commission européenne au sujet des concessions hydroélectriques françaises.
Si aujourd’hui le refus de la concurrence ne semble pas être remis en question, on peut observer que cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, l’extinction du premier contentieux avec la Commission européenne a notamment été permise grâce à un engagement de remettre les concessions hydroélectriques françaises en concurrence. Puis, en 2018, des informations dans la presse faisaient état de propositions du Gouvernement de remettre en concurrence des lots de trois à cinq concessions ([15]).
Même si elle n’est pas appliquée, l’obligation de mise en concurrence des concessions hydrauliques est bien inscrite en droit français. L’article R. 521‑6 du code de l’énergie dispose en effet que « l’octroi d’une concession d’énergie hydraulique est précédé d’une publicité et d’une mise en concurrence (…) ». La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite « loi TECV », avait tenté en vain de trouver des solutions pour contourner et amoindrir les obligations de mise en concurrence (voir encadré ci-dessous).
Les dispositions de la loi TECV de 2015 : l’échec de solutions palliatives
La loi TECV a tenté de trouver des solutions pour éviter la mise en concurrence ou, a minima, pour l’aménager, mais sans grand succès :
– la méthode dite des « barycentres » ([16]) permet de regrouper des concessions formant une chaîne d’aménagements hydrauliquement liés et de prévoir une date d’échéance commune à celles-ci. Seuls deux regroupements de concessions selon cette méthode ont eu lieu, sur des ouvrages de la Shem, dans la vallée de la Têt et dans celle de la Dordogne. Le regroupement dans la vallée de la Dordogne a été annulé ([17]) ;
– la possibilité de prolonger la concession en contrepartie de la réalisation de travaux nécessaires à l’atteinte de nos objectifs de politique énergétique ([18]). La Commission européenne estime cette disposition contraire au droit de l’UE. La seule tentative de prolongation sur un tel fondement, pour la concession de La Truyère détenue par EDF, s’est heurtée au refus de la Commission européenne ;
– la création de sociétés d’économie mixte hydroélectriques (SEMH) ([19]). Les SEMH permettent de réunir des acteurs publics et privés au sein d’une même structure pour l’exploitation d’une concession mise en concurrence. Cela permet à la puissance publique de garder un certain contrôle sur celle-ci. Mais cela ne dispense pas d’une mise en concurrence pour la sélection de l’opérateur privé participant à la SEMH.
Ces dernières années, plusieurs gouvernements ont pris plus clairement position sur le refus de mise en concurrence des barrages, ce qui est évidemment important. Mais les atermoiements se poursuivent et jettent le doute sur la réelle volonté de débloquer le contentieux. L’ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, M. Bruno Le Maire, avait indiqué vouloir trouver une solution d’ici fin 2024 : force est de constater que cela ne sera pas le cas.
Ces tergiversations pourraient coûter cher à la France en raison du risque d’astreintes y afférent : la Cour des comptes observait en 2019 qu’en cas de condamnation dans le cadre du précontentieux européen relatif à la position dominante d’EDF, la France pourrait se voir infliger des astreintes d’un montant maximal de 727 000 € par jour ([20]).
Comme cela a été rappelé en introduction, cette situation est préjudiciable aux exploitants concernés, qui ne peuvent pas investir pour moderniser les ouvrages existants ou bâtir de nouvelles capacités. En effet, seules des modifications non substantielles peuvent être réalisées sans passer par une nouvelle procédure de mise en concurrence.
Cette situation porte aussi atteinte à nos objectifs de décarbonation : on peut rappeler que le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) soumis à consultation fin 2023 prévoit de lancer des appels d’offres pour des stations de transfert d’énergie par pompage (Step) pour atteindre a minima 1,7 GW de puissance supplémentaire d’ici 2035. La construction de Step est en effet essentielle pour permettre de développer nos capacités de stockage d’électricité. L’étude Futurs énergétiques 2050 de RTE intègre également le développement de telles capacités dans ses scénarios, en estimant le potentiel total à 3 GW de Step supplémentaires environ entre 2020 et 2050.
B. afin de débloquer la situation, le régime de l’autorisation doit être étendu à l’ensemble des installations hydroélectriques
Aujourd’hui, deux hypothèses reviennent régulièrement dans le débat public pour solder le contentieux :
– la mise en place d’une quasi-régie ;
– la généralisation du régime d’autorisation pour l’ensemble des installations hydroélectriques, quelle que soit leur puissance.
1. Le choix d’écarter la solution de la quasi-régie
La création d’une quasi-régie permet de se soustraire au champ d’application de la directive « Concessions ». Cette possibilité est expressément prévue à l’article 17 de la directive. Pour être qualifiée de « quasi-régie », une concession doit remplir les trois conditions suivantes :
– le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ;
– plus de 80 % des activités de cette personne morale sont exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle ;
– le capital de la personne morale contrôlée ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation sans capacité de contrôle ou de blocage.
Votre rapporteur, à l’instar de plusieurs acteurs qu’il a pu auditionner, n’est pas convaincu que la mise en place d’une quasi-régie soit la solution adéquate pour solder le contentieux.
D’une part, elle obligerait à revoir l’organisation interne d’EDF afin de séparer de manière stricte les activités hydrauliques du reste du groupe, faisant peser un risque de déconsolidation sur l’opérateur et de désoptimisation de son activité. Cette solution n’est pas acceptable : EDF doit rester un groupe intégré, car c’est ce qui fait sa force tant en termes économiques que d’attractivité pour ses salariés.
D’autre part, cette solution ne concerne que la situation d’EDF et ne permettrait pas de résoudre le contentieux pour les concessions de la Shem ou celles de la CNR.
2. Le choix de la généralisation du régime d’autorisation
La présente proposition de loi propose donc de basculer l’ensemble des concessions hydroélectriques en régime d’autorisation. Ce régime est d’ailleurs déjà utilisé pour les installations hydroélectriques d’une puissance inférieure ou égale à 4,5 MW.
Le Gouvernement a évoqué plusieurs fois cette solution lors des derniers mois :
– l’article 16 de l’avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique, diffusé début 2024, prévoyait une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance sur le sujet de l’énergie hydraulique, notamment pour modifier « le régime d’autorisation et d’exploitation de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau notamment détaillées au livre V du code de l’énergie, en définissant les exigences applicables et, le cas échéant, en prévoyant des dispositions particulières à l’octroi aux titulaires, actuels ou futurs, de ces titres d’exploitation ». Les termes demeurent vagues et votre rapporteur s’étonne qu’il ait pu être envisagé de dessaisir le Parlement d’une réforme de cette ampleur via une habilitation. Mais la rédaction ouvrait néanmoins la voie à la mise en place d’un régime d’autorisation ;
– plus récemment, Mme Agnès Pannier-Runacher, ancienne ministre de la transition énergétique et actuelle ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques, déclarait devant la commission d’enquête du Sénat déjà mentionnée qu’« un alignement sur le système d’autorisation aurait une valeur : nous serions traités comme les autres et plus personne ne pourrait venir nous demander des comptes sur la façon dont nous gérons les actifs ». Tout en indiquant que chaque solution – autorisation, concession, quasi-régie – avait ses avantages et ses inconvénients, elle indiquait que « dans l’ordre des négociations, l’autorisation mérite toutefois d’être regardée de très près ».
Cette solution est donc étudiée attentivement par le Gouvernement et a les faveurs d’EDF. Elle a aussi le mérite de pouvoir s’appliquer aux autres opérateurs. Votre rapporteur souhaite que le régime d’autorisation sans obligation de mise en concurrence puisse s’appliquer aux concessions échues et non encore échues, ainsi qu’aux installations futures, que celles-ci soient construites sur des sites vierges ou à l’appui d’installations existantes.
Cette solution permettrait de sortir les installations hydroélectriques du champ de la directive « Concessions » et de leur appliquer un régime d’autorisation. L’autorisation est le régime utilisé pour l’implantation des autres installations de production d’énergies renouvelables ou nucléaires. Comme cela a été rappelé, il est aussi déjà utilisé dans d’autres pays de l’Union européenne.
La proposition de loi prévoit les différentes étapes nécessaires à la mise en place d’un tel régime :
– l’article 1er généralise le régime d’autorisation à l’ensemble des installations hydrauliques, quelle que soit leur puissance. Il prévoit également l’instauration d’un cahier des charges. L’autorisation permettra donc, au même titre que la concession, d’assigner des obligations à l’exploitant ;
– l’article 2 résilie les contrats de concession en cours ;
– l’article 3 déclasse les installations hydrauliques sous concession du domaine public de l’État ;
– l’article 4 prévoit la cession à titre onéreux, par l’État, des installations aux concessionnaires sortants ;
– l’article 5 prévoit une entrée en vigueur de la loi au 30 juin 2025 et renvoie ses modalités d’application à un décret en Conseil d’État.
Ces différentes étapes sont très proches de celles qui avaient été prévues pour transférer la propriété du réseau de transport de gaz aux concessionnaires sortants en 2001 ([21]). L’Union européenne reconnaît cependant aux activités de transport d’électricité et de gaz le caractère de monopole naturel, s’agissant d’activités de réseaux. Elles ne sont donc pas soumises aux mêmes impératifs d’ouverture à la concurrence.
Cela rejoint la question centrale de savoir si un régime d’autorisation implique, à une quelconque étape, une procédure de mise en concurrence. Cela concerne notamment les étapes de l’octroi de l’autorisation d’exploiter l’installation et la cession des ouvrages aux concessionnaires sortants.
Concernant l’octroi de l’autorisation d’exploiter une installation, EDF a relevé, lors de son audition, qu’en 2021 la Commission européenne a classé les mises en demeure qu’elle avait adressées en 2019 aux États membres bénéficiant d’un régime d’autorisation. Dans un arrêt de 2020 portant notamment sur la conformité d’une disposition de droit polonais concernant le régime d’autorisation à la directive « Services », la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) avait en effet indiqué :
– qu’« il ressort d’une jurisprudence établie que l’activité de production d’un produit ne saurait être considérée, en tant que telle, comme étant un service » ;
– que, si le requérant soutenait que « l’activité de production d’électricité s’accompagnait de la prestation de services de régulation de réseau ainsi que de services de sécurisation des prix de l’énergie », « l’existence d’une telle prestation de services ne saurait remettre en question la conclusion établie au point précédent dans la mesure où lesdits services sont accessoires à l’activité principale de production d’électricité » ([22]).
Concernant la cession des ouvrages aux concessionnaires sortants, votre rapporteur est convaincu qu’il est possible de se fonder sur l’existence de raisons impérieuses d’intérêt général. Cet outil juridique a notamment été évoqué par Mme Alix Perrin, professeure agrégée de droit à l'université Paris Dauphine-PSL, lors de son audition par la commission d’enquête du Sénat sur le sujet de l’énergie hydraulique ([23]) ainsi que lors de son audition par votre rapporteur. D’autres acteurs auditionnés ont également mentionné cette possibilité. Cela pourrait permettre de justifier une dérogation aux dispositions de droit commun du TFUE et des directives concernées, notamment en ce qui concerne la liberté d’établissement. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour justifier de maintenir en place le même opérateur afin d’assurer la continuité de l’exploitation des barrages, en particulier :
– les enjeux de sécurité d’approvisionnement en électricité ;
– ceux relatifs à la sûreté et à la sécurité des installations ;
– la protection des consommateurs, qui nécessite des prix de l’électricité maîtrisés ;
– la protection de l’environnement, en raison des impacts sur la gestion des usages de l’eau.
Ces quatre raisons sont étroitement liées à la nécessité d’optimiser la gestion des chaînes d’ouvrages hydrauliques en ne multipliant pas les exploitants sur un même bassin versant, compte tenu des risques de désorganisation et de renchérissement des coûts d’exploitation, relevés par la Cour des comptes (voir supra).
La notion de « raison impérieuse d’intérêt général » est une construction essentiellement jurisprudentielle, fondée sur les décisions de la Cour de Justice de l’Union européenne. En droit français, elle a déjà été utilisée par le Conseil d’État pour justifier l’octroi de droits spéciaux ou exclusifs à certains organismes sans procédure de publicité et de mise en concurrence préalables, dérogeant en cela à la liberté d’établissement et à la liberté de prestation de services prévue à l’article 49 du TFUE ([24]), pour autant que ces restrictions soient proportionnées aux objectifs poursuivis.
L’article 1er applique à toutes les installations hydrauliques un régime d’autorisation. En l’état actuel du droit, ce régime s’applique uniquement aux installations d’une puissance inférieure ou égale à 4,5 mégawatts (MW), celles d’une puissance supérieure étant placées sous le régime de la concession.
Cet article précise également que le titulaire d’une autorisation est soumis au respect d’un cahier des charges.
L’article L. 511-1 du code de l’énergie impose de détenir soit une autorisation, soit une concession pour exploiter la force hydraulique.
Le régime de l’autorisation s’applique aux installations dont la puissance est inférieure ou égale à 4,5 MW. Les dispositions législatives encadrant ce régime figurent aux articles L. 531-1 à L. 531-6 du code de l’énergie.
Ce régime a progressivement perdu ses spécificités et le code de l’énergie renvoie aujourd’hui, pour l’essentiel, au code de l’environnement. Ce sont ainsi les dispositions relatives à l’autorisation environnementale et aux installations, ouvrages, travaux et activités ayant un impact sur l’eau (Iota) qui s’appliquent. Dans les cas où une autorisation environnementale n’est pas nécessaire, l’exploitation de l’installation demeure subordonnée à l’octroi d’une autorisation d’exploiter au titre du code de l’énergie ([25]).
Une spécificité demeure toutefois : l’article L. 531-2 du code de l’énergie prévoit que ces autorisations sont délivrées pour une durée maximale de 75 ans.
Sans entrer dans le détail du régime de l’autorisation environnementale, il peut être rappelé que l’octroi d’une telle autorisation s’accompagne d’un certain nombre de prescriptions applicables à son détenteur. Le code de l’environnement ne prévoit pas de procédure de mise en concurrence pour délivrer l’autorisation.
L’article L. 531-4 du code de l’énergie dispose enfin que le permissionnaire est assujetti aux redevances domaniales fixées par l’acte d’autorisation, pour les installations établies sur les cours d’eau du domaine public. On peut rappeler ici que toute occupation ou utilisation du domaine public donne lieu au paiement d’une redevance, avec des dispositions particulières concernant le domaine public fluvial et les cours d’eau domaniaux et canaux gérés par Voies navigables de France ([26]).
Le code de l’énergie est beaucoup plus détaillé sur les dispositions encadrant le régime de la concession hydraulique, qui s’applique aux installations d’une puissance supérieure à 4,5 MW.
On rappellera qu’une concession est « un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes (…) confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix » ([27]).
Historiquement, le régime de la concession avait été retenu dans la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique afin de faciliter l’implantation d’installations hydrauliques sur les terrains voisins des cours d’eau. En effet, certains propriétaires « barreurs de chute » ([28]) refusaient de céder leurs terrains ou spéculaient sur leur vente. Le régime de la concession permettait de recourir à la déclaration d’utilité publique et donc de faciliter les expropriations.
L’article L. 521-4 du code de l’énergie impose au concessionnaire le respect d’un cahier des charges, dont le modèle est établi par décret en Conseil d’État et dont les grandes lignes sont fixées par la loi. En particulier, il est précisé à cet article que le concessionnaire est soumis à un règlement d’eau ou encore que la durée de la concession ne peut dépasser 75 ans. Selon le site du ministère de la transition écologique, « la durée des concessions doit permettre d’amortir les investissements initiaux réalisés par le concessionnaire, qui rend gratuitement à l’État les installations à l’échéance de sa concession » ([29]).
Dans le cadre du précontentieux opposant la France à l’Union européenne sur la mise en concurrence des concessions hydroélectriques arrivant à échéance, différents aménagements ont progressivement été apportés à ce régime, qui ont pour l’essentiel déjà été présentés en première partie du présent rapport :
– les concessions échues sont aujourd’hui généralement prolongées sous le régime des « délais glissants », c’est-à-dire aux conditions antérieures ;
– la loi TECV de 2015 a introduit la possibilité de regrouper plusieurs concessions hydroélectriques selon la méthode des barycentres et d’ajuster leur date d’échéance en conséquence, de prolonger les concessions en contrepartie de travaux contribuant à l’atteinte de nos objectifs de politique énergétique et de créer des sociétés d’économie mixte hydroélectriques (SEMH) ;
– les articles L. 511-6-1 et L. 511-6-2 du code de l’énergie permettent d’augmenter la puissance d’une installation concédée si ces modifications ne sont pas substantielles ou sont de faible montant.
Le concessionnaire est également assujetti au paiement d’une redevance, qui est la contrepartie de son droit à exploiter l’ouvrage. Le produit de cette redevance est réparti entre l’État et les collectivités. Il existe en réalité plusieurs mécanismes de redevance prévus par le code de l’énergie :
– pour les concessions en cours, une redevance proportionnelle soit au nombre de kilowattheures produits, soit aux dividendes ou aux bénéfices répartis, avec la possibilité de cumuler ces deux mécanismes ([30]) ;
– pour les nouvelles concessions ou lors de leur renouvellement, il est prévu une redevance proportionnelle aux recettes de la concession ([31]) ;
– pour les concessions déjà échues et assujetties au régime des « délais glissants », une redevance proportionnelle aux recettes ou aux bénéfices a été instituée depuis le 1er janvier 2019 ([32]).
L’article premier de la présente proposition de loi supprime le régime de concession applicable aux installations hydrauliques. Il étend l’application du régime de l’autorisation, prévu pour les installations d’une puissance inférieure ou égale à 4,5 MW, à toutes les installations hydrauliques, quelle que soit leur puissance. Comme cela a été rappelé en première partie du présent rapport, les mises en demeure initiées par la Commission européenne en 2019 à l’encontre des États membres pour absence de procédures de mise en concurrence concernant le régime d’autorisation applicable à leurs installations hydroélectriques ont été classées en 2021.
Les motivations d’un tel changement de régime ont été exposées supra. Il peut être ajouté qu’aujourd’hui, les raisons ayant conduit à choisir un régime concessif, liées à des enjeux d’accès au foncier, ne se posent plus avec la même acuité.
La suppression du régime de la concession entraîne un nécessaire « toilettage » des dispositions du code de l’énergie (voir tableau ci-dessous). D’autres coordinations avec le droit en vigueur seront très probablement nécessaires et pourront être effectuées ultérieurement.
Dispositions du livre V du code de l’énergie modifiées par l’article premier
Alinéa de l’article 1er |
Articles du code de l’énergie modifiés |
Objet de l’article |
Objet de la modification |
2 à 4 |
L. 511-1 |
Exploitation de l’énergie hydraulique grâce à une autorisation ou à une concession |
Suppression de la référence au régime de concession |
5 |
L. 511-3 |
Dispense de régime d’autorisation ou de concession pour les ouvrages pour lesquels la production d’énergie constitue un accessoire à l’usage principal |
Suppression de la référence au régime de concession |
6 et 7 |
L. 511-5 |
Définition du type de régime applicable en fonction de la puissance de l’installation |
Suppression de la référence au régime de concession et suppression de la définition de la puissance d’une installation hydraulique |
8 et 10 |
L. 511-6 à L. 511-6-2 ; L. 511-8 |
Diverses dispositions sur les augmentations de puissance des installations concédées |
Abrogation |
9 |
L. 511-7 |
Formalités applicables à l’installation d’équipements complémentaires destinés au turbinage des débits minimaux |
Suppression de la référence aux installations concédées |
11 |
L. 511-10 |
Hypothèques sur les droits résultant de la concession ou de l’autorisation |
Suppression de la référence aux installations concédées |
12 |
I, III et V du L. 512-1 |
Diverses sanctions pénales applicables aux installations sous concession |
Abrogation |
13 |
L. 512-4 |
Application du chapitre relatif aux sanctions à la CNR |
Abrogation |
L. 513-1 à L. 513-4 |
Dispositions relatives à la protection du domaine hydroélectrique concédé |
||
L. 521-1 à L. 524-1 |
Dispositions relatives aux installations hydrauliques concédées |
L’alinéa 15 de l’article premier prévoit d’imposer au titulaire de l’autorisation le respect d’un cahier des charges, dont le modèle sera établi par décret en Conseil d’État. Ce modèle pourrait largement s’inspirer des cahiers des charges actuellement imposés dans le cadre des différentes concessions, y compris en ce qui concerne l’établissement de redevances. Il permettra à l’État d’imposer des obligations de service public, notamment en matière de gestion de l’eau, mais également des obligations liées à la sécurité des ouvrages.
Il sera toujours possible de retirer l’autorisation si l’exploitant ne remplit pas ses obligations.
La commission a adopté les amendements de suppression CE1 de Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC), CE6 de M. Laurent Alexandre (LFI-NFP) et CE17 de Mme Lisa Belluco (EcoloS), qui ont reçu un avis défavorable du rapporteur.
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L’article 2 prévoit la résiliation de plein droit des contrats de concession des installations hydrauliques en cours d’exécution, afin de pouvoir faire bénéficier ces installations du régime d’autorisation prévu à l’article 1er de la proposition de loi.
La durée des contrats de concession hydraulique liant l’État aux exploitants ne peut dépasser soixante-quinze ans ([33]), raison pour laquelle ceux-ci expirent progressivement, selon un calendrier allant de 2003 à 2080. Une partie des concessions sont par conséquent d’ores et déjà échues : par exemple, la Shem a indiqué à votre rapporteur que tel est le cas pour 65 % de ses concessions. L’exploitation des concessions arrivées à échéance se poursuit généralement sous le régime des « délais glissants ».
Les articles L. 6 et L. 3136-3 du code de la commande publique disposent que l’autorité concédante peut, pour un motif d’intérêt général, prononcer la résiliation d’un contrat. Ce pouvoir existe même en l’absence de clause en ce sens ([34]). Le « motif d’intérêt général » est entendu assez largement et peut résulter, par exemple, de décisions d’abandonner un projet ([35]) ou de réorganiser un service public ([36]).
Cette faculté de résiliation unilatérale impose toutefois à l’État de verser au cocontractant une indemnisation pour réparer le préjudice subi du fait de la résiliation.
Le nouveau modèle de cahier des charges des concessions d’énergie hydraulique prévoit différentes possibilités de résiliation du contrat à l’initiative de l’État, pour motif d’intérêt général ou pour cas de force majeure prolongée ([37]).
Enfin, le Conseil constitutionnel admet qu’une loi puisse apporter des limitations à la liberté contractuelle, sous réserve que de telles limitations soient liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général et qu’elles ne soient pas disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ([38]).
Afin d’appliquer à toutes les installations hydrauliques un régime unique d’autorisation, il est nécessaire de résilier les contrats de concession en cours par anticipation ainsi que ceux placés sous le régime des délais glissants.
L’article 2 de la proposition de loi prévoit donc la résiliation de plein droit des contrats de concession des installations hydrauliques en cours d’exécution.
La rédaction de l’article précise que cette résiliation s’appliquera aussi aux installations hydrauliques de la Compagnie nationale du Rhône, soumises à des dispositions législatives spécifiques en raison de la nature particulière de cette concession qui porte sur l’ensemble de l’aménagement du fleuve (utilisation de la puissance hydraulique, navigation, irrigation, assainissement et autres emplois agricoles).
Une indemnité au bénéfice du concessionnaire sortant sera versée pour réparer le préjudice subi du fait de la résiliation (voir, infra, le commentaire de l’article 5).
La commission a adopté les amendements de suppression CE2 de Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC), CE7 de Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP) et CE16 de Mme Lisa Belluco (EcoloS), qui ont reçu un avis défavorable du rapporteur.
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L’article 3 déclasse du domaine public de l’État les installations hydrauliques qui font l’objet de contrats de concession résiliés en application de l’article 2, à l’exception de leur terrain d’assiette.
Les installations hydrauliques constituent des biens appartenant au domaine public de l’État. L’article L. 513-1 du code de l’énergie dispose en effet que « le domaine public hydroélectrique concédé est constitué de l’ensemble des terrains, ouvrages ou installations, cours d’eau et lacs compris dans le périmètre d’une concession hydraulique […] ».
Le domaine public désigne l’ensemble des biens des personnes publiques, affectés à une utilité publique et soumis au régime de la domanialité publique. Les articles L. 2111-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) précisent les biens qui font partie du domaine public, notamment les ouvrages publics qui sont affectés à l’usage direct du public ou à un service public.
L’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que les biens des personnes publiques qui relèvent du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles.
Le principe d’inaliénabilité implique qu’« aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut être valablement constitué au profit de tiers » ([39]). Ainsi, pour aliéner un bien qui relève du domaine public, il faut l’en faire sortir au préalable, c’est-à-dire procéder à son déclassement avant cession.
Le déclassement d’un ouvrage public appartenant au domaine public est donc une procédure juridique permettant de retirer cet ouvrage du domaine public pour l’intégrer dans le domaine privé de la personne publique. Il est défini à l’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Un bien d’une personne publique (…), qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement ».
Il est cependant possible, par voie législative, de déclasser et de céder à une personne privée des biens qui restent encore affectés à un service public, en veillant à prendre en compte les impératifs liés au service public organisé sur le domaine. Dans une décision de 2005 relative aux aéroports de Paris, le Conseil constitutionnel a jugé de telles dispositions conformes à la Constitution, considérant que « le déclassement d’un bien appartenant au domaine public ne saurait avoir pour effet de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l’existence et de la continuité des services publics auxquels il reste affecté » ([40]).
Après son déclassement, l’ouvrage public est transféré dans le domaine privé de la personne publique et devient donc aliénable. Dès lors, il peut être vendu à des personnes privées.
Afin d’opérer la cession à titre onéreux, par l’État, des ouvrages hydrauliques aux concessionnaires sortants (voir, infra, le commentaire de l’article 4), il est nécessaire de déclasser ces installations du domaine public de l’État.
L’article 3 de la proposition de loi prévoit donc le déclassement des installations hydrauliques concédées du domaine public de l’État. Il précise cependant que ce déclassement ne s’applique pas à leur terrain d’assiette (terrains, lacs et cours d’eau).
L’occupation de ce terrain d’assiette donnera donc lieu, comme pour les petites installations déjà placées sous le régime de l’autorisation, au versement de redevances domaniales par les détenteurs de l’autorisation conformément aux dispositions de l’article L. 531-4 du code de l’énergie, en contrepartie de l’autorisation d’occuper le domaine public.
La commission a adopté les amendements de suppression CE3 de Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC), CE8 de M. Laurent Alexandre (LFI-NFP) et CE14 de Mme Lisa Belluco (EcoloS), qui ont reçu un avis défavorable du rapporteur.
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L’article 4 prévoit la cession par l’État, à titre onéreux, des installations hydrauliques actuellement placées sous le régime de la concession. Elles seront cédées aux concessionnaires sortants. Il est également prévu qu’après cette première cession, l’État puisse s’opposer à une nouvelle cession de ces mêmes installations, au nom de la préservation des intérêts stratégiques du pays.
Une fois déclassé, un bien de l’État – appartenant donc à son domaine privé – peut être vendu ([41]). L’aliénation d’un bien immeuble de l’État est soumise, selon le droit commun, aux obligations de publicité et de mise en concurrence, soit par adjudication, soit à l’amiable ([42]).
Toutefois, des exceptions à ce principe sont prévues : l’article R. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques dresse ainsi la liste des cas dans lesquels un immeuble déclassé peut être cédé à l’amiable, sans appel à la concurrence. En particulier, le 2° de cet article prévoit une telle exception « lorsque des dispositions législatives ou réglementaires spéciales permettent la cession de l’immeuble au profit d’un acquéreur ou d’une catégorie d’acquéreurs déterminés ».
Plusieurs dispositions législatives spéciales ont déjà prévu l’attribution d’un bien de l’État à un bénéficiaire déterminé, par exemple :
– la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001 prévoit que les biens d’une concession de transport de gaz qui appartiennent à l’État puissent être transférés, le cas échéant après déclassement, au titulaire de la concession au moment de la résiliation de celle-ci ;
– la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports autorise le transfert de certains biens du domaine public de l’État à la société Aéroports de Paris, après déclassement.
Outre les enjeux économiques évidents qui s’y rattachent, le prix de cession des biens de l’État est aussi un enjeu juridique majeur. La jurisprudence du Conseil constitutionnel s’oppose à la cession de biens publics à vil prix ([43]). En droit de l’Union européenne, un prix de cession sous-estimé pourrait être assimilé par la Commission européenne à une aide d’État.
Différents mécanismes peuvent être utilisés pour la fixation de ce prix et notamment le recours à une expertise indépendante. À titre d’exemple, la loi de 2001 précitée avait prévu le recours à une commission spéciale, présidée par un magistrat de la Cour des comptes, pour fixer le prix de cession des biens en jeu.
Par ailleurs, plusieurs dispositions législatives en vigueur prévoient un droit de regard de l’État sur une cession ultérieure des biens ainsi cédés. Pour reprendre un exemple déjà cité, la loi de 2005 sur les aéroports permet à l’État de s’opposer à la cession d’un ouvrage ou d’un terrain appartenant à la société Aéroports de Paris, lorsqu’il est situé sur le domaine aéroportuaire et qu’il est nécessaire à la bonne exécution par la société de ses missions de service public ([44]).
En application de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques, « nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique (…) ». De plus, l’occupation du domaine public en vue d’une exploitation économique est soumise à une procédure de sélection préalable ([45]). Toutefois, cette dernière disposition s’entend « sauf dispositions législatives contraires », ce qui permet donc d’y déroger par la loi.
Par ailleurs, le code général de la propriété des personnes publiques prévoit un certain nombre de situations dans lesquelles cette procédure de sélection ne s’applique pas, par exemple lorsque « les caractéristiques particulières de la dépendance, notamment géographiques, physiques, techniques ou fonctionnelles, ses conditions particulières d’occupation ou d’utilisation, ou les spécificités de son affectation le justifient au regard de l’exercice de l’activité économique projetée » ([46]).
L’article 4 de la proposition de loi prévoit de céder les installations hydroélectriques aux concessionnaires sortants, après les avoir déclassées en application de l’article 3.
Cette cession des ouvrages est nécessaire pour passer d’un régime de concession à un régime d’autorisation, tel que cela est prévu à l’article premier de la proposition de loi :
– d’une part, le principe du régime d’autorisation consiste bien en une sollicitation d’un pétitionnaire auprès de l’autorité administrative pour exploiter une installation, à l’inverse du régime concessif où c’est l’État qui confie à un tiers l’exécution de travaux ou la gestion d’un service ;
– d’autre part, en raisonnant a contrario, si les ouvrages n’étaient pas cédés aux exploitants sortants, il pourrait être considéré que malgré le changement de régime, les critères caractérisant un contrat de concession sont remplis, avec un risque juridique de requalification en ce sens.
Le transfert de propriété se ferait donc, pour chaque installation, au bénéfice du concessionnaire sortant. Des raisons impérieuses d’intérêt général pourront être évoquées pour assurer la conformité de cette cession au droit de l’Union européenne (voir, supra, la première partie du rapport).
Les exploitants deviendront donc à la fois propriétaires et exploitants des installations hydrauliques. Celles-ci restent cependant implantées sur le domaine public.
Le transfert des ouvrages aux concessionnaires sortants incitera logiquement ces derniers à réaliser les investissements nécessaires pour optimiser et développer la production hydroélectrique.
Le recours à la loi permet de déroger aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par le code général de la propriété des personnes publiques, cette possibilité de dérogation étant explicitement prévue par les dispositions de ce même code.
La cession sera effectuée à titre onéreux. Le prix de cession sera fixé par décret, après avis de la direction immobilière de l’État. La définition de ce prix est un enjeu fondamental pour garantir la robustesse juridique du transfert de propriété et éviter une requalification en aide d’État. Plusieurs paramètres devront être pris en compte pour valoriser les actifs. Les services ministériels compétents ont indiqué à votre rapporteur que les prix de l’électricité, le niveau de la production et le montant éventuel des redevances futures font partie des éléments spécifiques à prendre en compte pour le calcul de ce prix de cession.
Enfin, l’article 4 prévoit que l’État puisse s’opposer à une nouvelle cession des installations hydroélectriques qu’il cède. Cela a été amplement démontré, ces ouvrages sont des actifs stratégiques qui justifient une telle disposition exorbitante du droit commun. Leur caractère d’ouvrage public est également un argument en faveur d’une telle disposition. Comme cela a été souligné par la CNR et la Shem, le Conseil d’État a en effet estimé, dans un avis de 2010 ([47]) :
– que l’ensemble des ouvrages hydrauliques sous le régime de la concession présentent le caractère d’ouvrage public ;
– que les installations de production d’électricité d’une puissance supérieure à 40 MW présentent le caractère d’ouvrage public, en raison notamment de leur contribution à la sécurité d’approvisionnement.
Cet avis rappelle que la qualification d’ouvrage public peut être déterminée par la loi ou peut résulter de l’affectation du bien à un service public, y compris s’il appartient à une personne privée chargée de l’exécution d’un service public.
La commission a adopté les amendements de suppression CE4 de Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC), CE9 de Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP) et CE15 de Mme Lisa Belluco (EcoloS), qui ont reçu un avis défavorable du rapporteur.
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L’article 5 prévoit une entrée en vigueur de la loi au 30 juin 2025. Il renvoie à un décret en Conseil d’État les modalités d’application de celle-ci, en particulier pour préciser :
– les conditions d’exploitation des installations hydrauliques durant la période transitoire courant entre la résiliation de la concession et la délivrance de l’autorisation ;
– la fixation de l’indemnité de résiliation due aux concessionnaires sortants.
L’article 5 fixe l’entrée en vigueur de la loi au 30 juin 2025. Il y a aujourd’hui urgence à pouvoir relancer les investissements dans notre parc hydroélectrique et à solder le contentieux avec la Commission européenne. Du reste, cette date correspond à celle retenue par le Sénat à la recommandation n° 20 de son rapport d’enquête sur le prix de l’électricité : « Régler avant mi-2025 le différend sur les concessions hydroélectriques, en créant une commission composée de représentants de l’État, de représentants d’EDF et des acteurs de la filière, d’experts et de parlementaires ».
De plus, l’article 5 renvoie à un décret en Conseil d’État la fixation des modalités d’application de la loi, en particulier concernant :
– les conditions d’exploitation des installations hydrauliques durant la période transitoire courant entre la résiliation du contrat de concession en application de l’article 2 et la délivrance de l’autorisation d’exploiter ;
– la fixation de l’indemnité qui devra nécessairement venir réparer le préjudice subi par les concessionnaires sortants du fait de la résiliation des contrats de concession, prévue à l’article 2 de la présente proposition de loi. Cette indemnisation devra prendre en compte la valeur des investissements effectués par le concessionnaire et non amortis, ainsi que le manque à gagner du fait de la résiliation anticipée du contrat. Le montant de cette indemnité sera pris en compte dans l’établissement du prix de cession des ouvrages aux concessionnaires sortants, en application de l’article 3 de la proposition de loi.
La commission a adopté les amendements de suppression CE5 de Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC), CE10 de M. Laurent Alexandre (LFI-NFP) et CE18 de Mme Lisa Belluco (EcoloS), qui ont reçu un avis défavorable du rapporteur.
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L’article 6 gage les dispositions de la proposition de loi en créant une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services, afin d’assurer la recevabilité financière de cette proposition au titre de l’article 40 de la Constitution.
Les autres articles de la proposition de loi ayant été supprimés, cet article est devenu sans objet.
Au cours de sa réunion du mercredi 23 octobre 2024, la commission des affaires économiques a procédé à l’examen de la proposition de loi visant à moderniser les installations hydroélectriques pour renforcer la souveraineté énergétique de la France (n° 275) (M. Nicolas Meizonnet, rapporteur).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous sommes saisis de la proposition de loi visant à moderniser les installations hydroélectriques pour renforcer la souveraineté énergétique de la France, dans le cadre de l’examen de propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Rassemblement national, le jeudi 31 octobre 2024. Je rappelle que, sur ce même sujet, notre commission a recréé, le 18 septembre 2024, la mission d’information consacrée aux modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques, initialement constituée en mai 2024, sous la précédente législature. Cette mission, dont les rapporteurs sont Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Philippe Bolo, poursuit ses travaux.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. En 1952 entrait en service le barrage de Tignes, le plus grand de France. La plupart des grands ouvrages hydroélectriques français ont vu le jour à cette époque. Ils sont les témoins de décennies pendant lesquelles l’État dépensait moins mais investissait plus afin de bâtir, pour les générations futures, une œuvre nationale au service du bien commun. Profitant de sa géographie, du savoir-faire de ses ingénieurs et de son génie civil, la France s’est très tôt constitué un parc hydroélectrique puissant qui couvre encore 12 % de nos besoins nationaux en électricité et même 25 % lors des pics critiques. L’hydroélectricité, couplée à l’énergie nucléaire qui assurait le reste de la production, a défini un modèle durable, prospère et décarboné. Fruit d’une planification étatique ambitieuse, le paradis énergétique français fut longtemps envié et même pris en exemple à travers le monde.
Cependant, comme le nucléaire, l’hydraulique a failli être sacrifié à l’idéologie bruxelloise, à l’immobilisme politique et à une écologie hypocrite. S’il n’a pas été question de détruire les barrages comme la gauche et la macronie ont démantelé Fessenheim, la filière hydraulique a bien souffert ces vingt dernières années, et son futur est inconnu. Le régime de concession sous lequel sont placées les installations hydrauliques de plus de 4,5 mégawatts (MW) est désormais inadapté au modèle français puisque, à l’expiration de chaque concession, le droit européen oblige l’État à ouvrir ces marchés à la concurrence.
Ce système a entraîné un blocage depuis deux décennies, une perte de visibilité pour les acteurs et l’arrêt des investissements importants. Reprendre en main le parc hydroélectrique français est devenu une urgence.
Outre l’entretien nécessaire pour des raisons de sécurité, nombre d’infrastructures pourraient être modernisées. La création d’ouvrages nouveaux et la valorisation ou l’équipement de ceux qui existent permettraient d’augmenter de 20 % la puissance du parc hydroélectrique français. Pourtant, la production d’hydroélectricité stagne depuis trente ans. Il faut en particulier permettre le développement des stations de transfert d’énergie par pompage (Step). Ces installations qui stockent de l’énergie en pompant de l’eau vers un réservoir élevé puis la restituent en produisant de l’électricité lors des pics de demande joueront un rôle essentiel dans le mix électrique futur. La production des centrales hydrauliques a l’avantage d’être facilement pilotable. Celles-ci seront nécessaires pour compenser l’intermittence de l’énergie d’origine photovoltaïque et éolienne sans utiliser d’énergies polluantes.
Mais pour exploiter ce potentiel, il nous faut changer le statut juridique des ouvrages hydroélectriques. C’est le sens de ce texte.
Actuellement, trois exploitants se partagent la majeure partie de la production d’hydroélectricité : la Société hydroélectrique du Midi (Shem) pour 3 %, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) pour 25 %, et surtout EDF, pour près de 70 %. Progressivement, ces concessions sont arrivées – ou arrivent – à leur terme et pour chaque renouvellement, le droit européen oblige à une mise en concurrence, de notre point de vue inenvisageable.
Nous ne voulons pas voir des ouvrages propriétés de l’État et que les Français ont donc payés, être confiés à de nouvelles entreprises privées, qui plus est potentiellement étrangères. Cette évolution ne créerait pas les conditions nécessaires à une relance des investissements. De plus, elle contribuerait à affaiblir EDF, ce qui est une ligne rouge pour nous. En conséquence, elle porterait un coup fatal au recouvrement de notre souveraineté énergétique.
Or, s’il existe, comme je le crois, un consensus politique en France pour admettre que l’ouverture à la concurrence n’est pas souhaitable, rares sont les initiatives législatives par lesquelles il a été tenté de trouver des alternatives. C’est notamment en raison de cet immobilisme que la situation n’évolue pas depuis des années, en dépit de deux mises en demeure à la France par la Commission européenne.
Ce que la réalité de la situation exige, c’est donc un changement de régime juridique pour l’ensemble des ouvrages hydroélectriques d’une puissance supérieure à 4,5 MW. Depuis plusieurs années, de nombreuses pistes ont été étudiées et, bien qu’aucun modèle ne soit parfait, il nous apparaît que le régime d’autorisation est la meilleure option. Ce régime fonctionne ; c’est d’ailleurs celui qui prévaut dans plusieurs pays européens. Surtout, c’est le régime sous lequel sont exploités les centrales nucléaires, les éoliennes, les parcs photovoltaïques et les petites centrales hydrauliques. Aligner le régime juridique des barrages sur celui des autres énergies contribuerait à renforcer EDF et permettrait enfin de relancer les investissements. D’autres pistes ont un temps été évoquées, en particulier la quasi-régie, mais elles cumulent trop de faiblesses pour être considérées comme des alternatives crédibles.
Le plus difficile est de passer d’un modèle à l’autre. C’est l’enjeu de ce texte et c’est pourquoi je compte sur votre implication sincère et sur vos propositions pour l’enrichir et le rendre le plus solide possible juridiquement.
La proposition de loi du Rassemblement national prévoit la généralisation du régime d’autorisation. Ce basculement suppose la résiliation des contrats de concession en vigueur, le déclassement des installations hydroélectriques du domaine public et leur cession aux concessionnaires sortants.
Le nouveau régime d’autorisation ne ferait pas perdre d’argent à l’État. Certes, des indemnités de résiliation des concessions devraient être payées, mais l’État serait gagnant grâce au produit de la vente des barrages. Les diverses redevances domaniales de droit commun seraient applicables, se substituant aux redevances spécifiques actuellement prévues pour les concessions dans le code de l’énergie.
D’autre part, dans le contexte du dérèglement climatique, la production d’électricité doit tenir compte de la vulnérabilité de nos cours d’eau. Sur ce plan, le passage à un régime d’autorisation ne changera rien. Les opérateurs continueront d’être soumis aux mêmes exigences, en matière de gestion de l’eau comme de protection de l’environnement. On pourra même faire mieux, car contrairement à ce qui vaut dans le régime de concession, le régime d’autorisation responsabilisera les exploitants, dont l’approche pourra être fondée sur le temps long et sur une gestion durable des cours d’eau.
Nous présentons ce texte dans le cadre de notre « niche parlementaire », parce que nous pensons qu’il faut avancer de toute urgence. Au-delà des considérations techniques et juridiques, le sujet demande du courage et une volonté politique.
Nous sommes conscients de la complexité du sujet et des obstacles qu’il reste à franchir, mais nous sommes convaincus qu’il s’agit de la meilleure option.
Alors que Mme Pannier-Runacher, les sénateurs et la direction d’EDF se prononçaient très récemment encore en faveur d’un régime d’autorisation et que, de part et d’autre, les initiatives tendent à valider ce dispositif, il me semble que ce texte peut recueillir suffisamment de voix aujourd’hui pour que la Commission européenne entende que la classe politique française est unie à ce sujet. La proposition de loi ne vise pas à provoquer Bruxelles, mais à défendre les intérêts nationaux. Nous voulons acter que l’Assemblée nationale souhaite protéger le modèle hydroélectrique du pays et faire comprendre à la Commission que nous y sommes unanimement attachés. En agissant tous de façon constructive, nous pouvons montrer que le Parlement est capable de travailler sérieusement sur un sujet sensible majeur, qui cumule des enjeux écologiques, stratégiques et par-dessus tout de souveraineté.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Alexandre Loubet (RN). Quand cesserons-nous de brader le patrimoine des Français à des intérêts étrangers ? Nous avons aujourd’hui la possibilité de donner un coup d’arrêt à la « vente à la découpe » de nos bijoux de famille. Nos barrages hydroélectriques assurent 12 % de la production électrique française. Ils constituent la deuxième source d’énergie nationale après le nucléaire et la première source d’énergie renouvelable. C’est donc une chance pour la France, un atout que l’Union européenne a décidé de torpiller comme elle souhaite le faire pour tous les atouts français. La Commission européenne impose effectivement la mise en concurrence de l’exploitation de nos barrages hydroélectriques – en d’autres termes, la privatisation de leur gestion. Nos barrages, qui ont été payés par le contribuable français, sont une énième poule aux œufs d’or que la France va être contrainte de céder à des groupes souvent étrangers.
Cette privatisation menace notre souveraineté énergétique en raison de la désorganisation du parc hydraulique par la multiplication des acteurs ; menace nos factures d’électricité en pénalisant EDF et en augmentant les coûts de production ; menace l’innovation et la sûreté des barrages en dissuadant les sociétés concessionnaires d’investir sur le long terme ; menace une filière nationale d’excellence en mettant en péril ses compétences et ses savoir-faire ; menace l’environnement en fragilisant les politiques d’usage de l’eau, ce qui a évidemment des répercussions, qu’il s’agisse des inondations, des crues, de l’irrigation, du tourisme ou de la pêche.
Chaque groupe politique ici représenté, de LFI à LR en passant par les macronistes, a déclaré s’opposer à la mise en concurrence de l’exploitation de nos barrages. Aussi proposons-nous un nouveau cadre juridique consistant à passer d’un régime de concession à un régime d’autorisation. Mais aujourd’hui, la gauche refuse de voter la proposition de loi déposée par le Rassemblement national. Je m’indigne de constater que les députés de gauche préfèrent défendre un soi-disant « barrage républicain » pour sauver leurs postes (Exclamations) plutôt que défendre les barrages hydrauliques pour sauver notre souveraineté. Une fois de plus, leurs électeurs constateront leur hypocrisie ou plutôt leur trahison (Exclamations). Quant aux macronistes, la cohérence voudrait qu’ils soutiennent notre position, celle-là même qu’a défendue madame Pannier-Runacher devant la Commission européenne. Enfin, j’espère que les membres du groupe LR auront le courage de voter ce texte qui est dans la ligne des mesures défendues par leurs collègues au Sénat. J’en appelle donc à la responsabilité de chaque groupe. Quoi qu’il en soit, le Rassemblement national continuera de faire barrage à la liquidation de nos intérêts nationaux et stratégiques.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. J’ai peu à ajouter ou à retrancher à votre propos. Vous avez souligné l’urgence qu’il y a à voter cette proposition de loi. Refaire de la France un paradis énergétique en valorisant le modèle historique de production électrique fondé sur la complémentarité entre le nucléaire et l’hydraulique s’impose. Vous avez à juste titre mentionné la question essentielle du pouvoir d’achat de nos concitoyens, étroitement corrélée à l’efficacité de ce modèle. Si les Français et les entreprises françaises ont pu bénéficier d’une électricité à bas coût, abondante et décarbonée pendant des années, c’est grâce à notre mix électrique et l’on comprend le risque qu’une ouverture à la concurrence pourrait faire peser sur leur pouvoir d’achat.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Lorsque j’ai découvert cette proposition de loi, mon incompréhension a été complète – et je pense que ce sentiment doit être partagé par mes collègues de nombreux autres groupes. Mon incompréhension porte d’abord sur la forme, puisque notre commission a décidé de recréer la mission d’information installée avant la dissolution précisément pour examiner le régime juridique des installations hydroélectriques. Vous le saviez pertinemment au moment où vous avez déposé ce texte, puisque cette décision a été prise dès les premiers jours du mois de septembre. Alors même que vous étiez membre de cette instance qui n’avait pas encore eu le temps d’auditionner qui que ce soit, vous décidez de déposer une proposition de loi qui préempte les conclusions de la mission : les bras m’en tombent ! C’est une mauvaise manière que vous faites aux deux rapporteurs de cette mission, nos collègues Philippe Bolo et Marie-Noëlle Battistel, et à tous les députés, alors que votre groupe nous fait régulièrement des leçons sur le respect du travail des parlementaires. C’est aussi une mauvaise manière que vous faites au Sénat, alors que le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050, remis en juillet dernier, ayant consacré un chapitre entier à ce sujet, a conclu qu’aucune des solutions envisagées n’emporte l’unanimité et n’est de nature à résoudre le problème à ce jour.
Sur le fond, votre proposition de loi tranche d’emblée en faveur du régime de l’autorisation au détriment de la quasi-régie, alors que cette option n’a été exclue ni par la direction générale de l’énergie et du climat, ni par les sénateurs membres de la commission d’enquête Montaugé-Delahaye, ni par les députés. D’autre part, cette position est prise sans négociation préalable avec la Commission européenne, alors que le régime d’autorisation ne permet pas d’exclure juridiquement toute forme de mise en concurrence au moment de la cession des barrages à l’opérateur. Cette solution ne garantit donc en rien que les concessions qui sont aujourd’hui dans le giron d’EDF, par exemple, le resteraient demain grâce au régime d’autorisation.
Sachant que, jusqu’à présent, le régime d’autorisation a été constamment refusé par la Commission européenne, l’adoption de cette proposition de loi aurait certainement un effet contre-productif. Il est illusoire d’imaginer que mettre la Commission européenne devant le fait accompli favorisera la résolution du contentieux – c’est même l’inverse qui risque de se produire.
D’autre part, l’application du régime d’autorisation entraîne des difficultés pratiques que votre texte ne règle pas. Une telle modification nécessite le transfert de propriété des ouvrages concédés à tous les anciens exploitants, CNR comprise. Cela implique de faire estimer le montant des cessions et des indemnités de résiliation par des experts indépendants. Or, de l’aveu de l’État lui-même, les conditions de prix n’ont pas encore été discutées, ni donc intégrées dans la trajectoire financière d’EDF, par exemple. De même, qu’adviendrait-il des 500 millions d’euros investis par la CNR dans les barrages dont elle est concessionnaire ?
En bref, votre proposition de loi est surtout une proposition d’opportunité et le groupe Ensemble pour la République votera les amendements de suppression de ses articles.
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Sous couvert d’un ajustement juridique, cette proposition de loi du RN revient à brader les barrages hydroélectriques qui appartiennent à l’État français. En cédant leur propriété aux exploitants, vous ouvrez la porte à la privatisation de ces ouvrages. Pour un parti qui prétend défendre la souveraineté nationale, c’est très déconcertant. Ce texte vise à mettre notre droit en conformité avec les injonctions de la Commission de Bruxelles qui exige la mise en concurrence ; venant du RN, c’est tout aussi déconcertant. L’intérêt stratégique de la France serait au contraire d’agir pour réviser la directive relative à l’attribution des contrats de concession de manière à obtenir une dérogation au principe de mise en concurrence obligatoire lors de l’octroi d’une concession d’installations hydrauliques. Ainsi pourrions-nous permettre à un pôle public de l’énergie d’exploiter ces barrages.
Vous, députés du Rassemblement national, on vous a vus il y a deux semaines sauver la politique de messieurs Macron et Barnier en refusant de voter la censure. On vous a vus aussi, la semaine dernière, en commission des finances, voter avec les députés macronistes contre le rétablissement de l’impôt sur la fortune, et avant-hier en commission des affaires sociales, contre un amendement qui aurait permis d’abroger la réforme de la retraite à 64 ans. Aujourd’hui, on vous voit, en copistes des macronistes, reprendre à votre compte la grande braderie de nos barrages initialement voulue par le gouvernement Borne. Hypocrites !
J’invite mes collègues soucieux des intérêts du pays à se prononcer contre cette proposition de loi. Les installations hydroélectriques appartiennent au domaine public et doivent le rester. C’est un enjeu de souveraineté, mais aussi de sécurité. Ma circonscription comprend la vallée du Lot. En amont immédiat de là où j’habite se trouvent vingt barrages. Ils peuvent fournir 2 000 MW, l’équivalent de la production de deux réacteurs nucléaires, mais la rupture d’un seul de ces ouvrages signifierait que des millions de mètres cubes d’eau se déverseraient sur de nombreux villages et les inonderaient.
Pour construire ces monstres de béton après la guerre, l’État a pris des engagements d’intérêt général. Il ne faut pas penser que les habitants ont accepté de vendre leurs terres sans rien dire, car les immenses terrains inondés par la mise en eau représentaient une richesse agricole pour le pâturage et pour les cultures. L’accord alors trouvé est que l’État devait rester propriétaire des ouvrages et garant des investissements nécessaires, avec l’opérateur public EDF pour concessionnaire. Vous proposez donc de revenir sur la parole de l’État et la seule garantie que vous proposez en matière de sécurité est de faire signer un cahier des charges aux futurs propriétaires. Ce n’est pas sérieux.
La France doit dire à la Commission européenne que, pour notre sécurité, le maintien des barrages hydroélectriques dans le domaine public n’est pas négociable. Ces barrages sont la propriété du peuple français et du contribuable qui les a financés. Les concessions doivent continuer d’être gérées par EDF et demain, avec le Nouveau Front populaire, par un pôle public intégré de l’énergie.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Notre commission traite aujourd’hui d’hydroélectricité en examinant la proposition de loi déposée par notre collègue Meizonnet. C’est un sujet que je connais bien pour le suivre depuis douze ans dans cette commission. Le groupe Rassemblement national a évidemment toute légitimité pour inscrire ce texte dans sa niche parlementaire, mais il a choisi de le faire au mépris des travaux en cours, auxquels il est pourtant associé depuis l’origine. Je fais évidemment allusion à la mission d’information transpartisane sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques, dont je suis corapporteure avec mon collègue Philippe Bolo. J’avais sollicité notre commission pour conduire cette étude des différentes solutions permettant d’échapper à la mise en concurrence et en évaluer la robustesse juridique. Le sujet étant technique, mais aussi éminemment politique, j’avais souhaité – ce qui n’est pas le cas pour la majorité des missions parlementaires – la présence d’un membre de chaque groupe politique afin de partager les propositions et la solution retenue – et monsieur Meizonnet est l’un d’eux.
Sur le plan de la méthode, la mauvaise manière faite aux membres de notre commission est assez désagréable et en rupture complète avec les usages parlementaires. Mais cette inélégance n’est qu’une motivation secondaire de notre refus de ce texte. Sur le fond, au-delà de sa dimension éminemment politique, les incidences juridiques et financières de chaque option ont donné lieu à des interprétations juridiques divergentes ou, a minima, non stabilisées. Au nombre des questions en suspens, l’impact sur l’unité du groupe EDF impose une réflexion beaucoup plus large.
La position de la Commission européenne sur le mode de gestion retenu ne sera réellement connue que lorsqu’une proposition concrète lui aura été soumise et elle pourra dépendre des équilibres politiques de la nouvelle Commission, voire d’une possible révision de la directive sur les concessions que l’on ne peut exclure. Le contexte politique et international relatif à la souveraineté énergétique et à la gestion de la ressource en eau a sensiblement évolué depuis la mise en demeure adressée à la France par Bruxelles, ce qui nous laisse espérer un regard un peu différent de la Commission sur ce sujet.
C’est d’ailleurs la complexité de ce dossier – qui traduit sa nature stratégique –, l’ancienneté du contentieux et le calendrier des concessions en vigueur qui nous ont motivés à solliciter la création de cette mission d’information, afin de conduire une analyse de fond avec le soutien parlementaire le plus large possible, l’appui des syndicats et le concours du Gouvernement, qui s’est engagé à faciliter ces travaux. Les conclusions de cette mission sont nécessaires pour alimenter notre réflexion commune sur le fond.
À ce jour, le seul élément faisant consensus au sein du Parlement sur ce sujet est le rejet de toute option imposant une mise en concurrence. Le rapporteur choisit le passage du régime de la concession à l’autorisation généralisée. Notre mission d’information étudie évidemment cette option avec attention, mais elle devra être fortement sécurisée, car on ne peut prendre le risque d’une mise en concurrence au moment de l’attribution des ouvrages aux opérateurs. Cette sécurisation n’existe pas dans le texte qui nous est présenté.
D’autre part, le traitement réservé à la CNR, dont la concession a été prolongée jusqu’à 2041, est pour le moins inadapté. Il n’est pas tenu compte des particularités de la Compagnie, dont les missions dépassent largement la seule gestion d’installations hydroélectriques, ni des conséquences de cette omission. Qu’en sera-t-il des investissements prévus dans le cadre de cette concession ? Qu’en sera-t-il des concessions hydroélectriques sous le régime des « délais glissants », dont le sort n’est pas traité non plus ? Cette liste, loin d’être exhaustive, illustre les faiblesses de la proposition de loi. Elle démontre aussi, au regard de la complexité du dossier, la pertinence et l’utilité de la mission d’information en cours au sein de la commission avant que l’on puisse trancher.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre la proposition de loi.
M. Vincent Rolland (DR). La proposition de loi vise à passer d’un régime de concession à un régime d’autorisation généralisé, comme il en va pour d’autres énergies renouvelables. Nous sommes tous conscients des difficultés à venir de l’hydroélectricité, enjeu majeur pour notre souveraineté énergétique, notre économie et la décarbonation. Cette question me soucie particulièrement, en ma qualité de député de la Savoie, où se situent de nombreux ouvrages : celui de Tignes, que vous avez cité, mais aussi de nombreux autres dans le massif du Beaufortain. Défendre notre souveraineté en matière d’hydroélectricité, c’est défendre l’emploi là où les barrages sont installés, mais aussi les usages partagés de l’eau. Notre groupe n’a pas attendu cette proposition de loi pour s’intéresser au sujet, comme l’ont montré, d’une part, la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France et, d’autre part, notre proposition de résolution visant à protéger notre parc hydraulique de l’ouverture à la concurrence européenne des concessions de barrage hydroélectrique.
La plupart des concessions arriveront à échéance prochainement – ou sont déjà échues – et la France fait l’objet de plusieurs mises en demeure de l’Union européenne qui, soyons clairs, souhaite casser la position dominante d’EDF. Votre proposition de loi prévoit le passage direct à un régime d’autorisation. Mais quid de la valorisation des actifs et de leur rachat ? Le régime de régie ou de quasi-régie de l’État n’est-il pas préférable ? Une modification de la directive européenne est-elle possible ?
C’est pour répondre à ces questions qu’une mission transpartisane a été créée, dont vous êtes membre, Monsieur le rapporteur, et qui travaille à échafauder la meilleure solution pour conserver la production d’hydroélectricité sous pavillon français. Face à un problème complexe et ignoré depuis des années, notre groupe souhaite que ce sujet soit abordé de manière plus approfondie, avec un temps de débat plus long que celui dont dispose une niche parlementaire. C’est pourquoi nous ne soutiendrons pas, à ce stade, cette proposition de loi.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. Il y a quelques jours, au Sénat, une proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie a validé le principe de l’autorisation. Contrairement aux sénateurs du groupe Les Républicains, nous ne souhaitons pas que l’on s’en tienne à une expérimentation, car le régime ne serait pas assez solide et l’expérimentation ne lèverait pas les inquiétudes des opérateurs actuels. Mais j’observe que votre mouvement politique soutient le régime d’autorisation : je comprends donc mal pourquoi vous refusez aujourd’hui de participer au débat, afin que nous puissions accélérer alors qu’il y a urgence.
Mme Lisa Belluco (EcoS). L’État a conclu des contrats de concession pour de nombreux barrages hydroélectriques. Certains arrivent ou sont arrivés à échéance et, selon le droit européen, le renouvellement des concessions demande une mise en concurrence, ce que la France refuse depuis plus de quinze ans. Le groupe écologiste et social y est également opposé et c’est pourquoi nous nous réjouissons de la reprise de la mission d’information chargée de l’analyse juridique des solutions possibles et de leur compatibilité avec le droit européen. Alors que plusieurs hypothèses sont à l’étude, le choix que vous avez fait de déposer ce texte sans attendre les conclusions de la mission démontre, s’il en était besoin, votre mépris du travail parlementaire. En attendant la présentation du rapport de la mission d’information, le groupe écologiste rejette votre proposition de loi.
Vous proposez de basculer vers un régime d’autorisation assorti d’un droit de propriété pour les concessionnaires actuels. Rien ne garantit que cette solution soit compatible avec l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). C’est donc un texte aux effets potentiellement nuls qui ne permettra en aucun cas de protéger les installations hydroélectriques françaises, alors que celles-ci font partie du patrimoine national.
Notre groupe préconise d’attendre la remise du rapport de nos collègues pour trouver la solution juridique qui permettra d’empêcher l’ouverture à la concurrence, dans le respect du travail transpartisan engagé.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. J’aimerais connaître votre position exacte sur ce sujet. Trois possibilités existent : la première consiste à accepter les injonctions de la Commission européenne et à mettre en concurrence – aucun groupe ne semble soutenir cette hypothèse ; ensuite, il y a le régime d’autorisation que nous défendons ; et enfin la piste de la quasi-régie, défendue au Sénat – ai-je cru comprendre – par le groupe écologiste. Votre position a ceci de paradoxal que la quasi-régie supposerait le démantèlement d’EDF, ce qui entraînerait évidemment des répercussions sur le plan social et sur des questions opérationnelles, d’optimisation et de partage des compétences. Un projet en ce sens avait été présenté en 2021 ; c’était le projet Hercule, que vous avez combattu car vous vous opposiez vivement à une restructuration d’EDF. Si vous refusez aujourd’hui le régime d’autorisation que nous proposons, c’est que vous êtes favorable soit à la mise en concurrence, soit à la restructuration d’EDF. D’autre part, on ne peut passer son temps à parler de « transition énergétique » et de « bifurcation écologique »… et ne pas voter un texte qui vise à soutenir la première énergie renouvelable de France, qui, par le biais des Step, est la seule source de stockage d’envergure possible aujourd’hui et qu’il nous faut développer. On ne comprend rien à votre position en matière énergétique : vous êtes contre le nucléaire et aujourd’hui contre le développement de l’hydroélectricité. C’est le retour à l’âge de pierre !
M. Philippe Bolo (Dem). Votre proposition de loi est précipitée et maladroite : précipitée, pour la raison que vous êtes membre d’une mission d’information transpartisane à ce sujet, où vous avez toute latitude d’exprimer vos idées – et d’autant plus précipitée que ses travaux viennent de commencer ; maladroite, parce qu’elle tranche en faveur d’une des options possibles, l’extension du régime d’autorisation, sans apporter toutes les garanties de l’efficience réelle de cette hypothèse. Elle suppose en effet la vente des ouvrages aux concessionnaires actuels et, à ce propos, des inconnues demeurent, la première étant le prix de la cession. L’évaluation doit être juste, car il y a un risque – si elle est jugée insuffisante – que la Commission européenne l’assimile à une aide d’État. Se pose alors la question des délais : le chiffrage ne serait pas fait immédiatement car tout cela exige un aller-retour avec la Commission européenne pour ajuster les critères d’évaluation.
D’autre part, comment s’assurera-t-on qu’une fois le texte appliqué, nous serons capables de contrôler ceux qui vont reprendre les concessions ? Comment évitera-t-on, par exemple, qu’Amazon, qui a investi dans de grands parcs photovoltaïques en Andalousie, vienne investir dans un barrage en France ?
En réalité, cette proposition de loi n’apporte pas de réponse au sujet, que vous avez pourtant mentionné, de la nécessité d’une souveraineté énergétique. Effectivement, ces ouvrages ne doivent pas être contrôlés par des sociétés étrangères. Je partage le point de vue de notre collègue Marie-Noëlle Battistel : cette question mérite d’être analysée dans un autre cadre que celui-ci, en examinant les autres options possibles, dont celle de la quasi-régie. Et, comme la corapporteure, je pense qu’une évolution de l’annexe « Hydroélectricité » de la directive européenne sur les concessions mérite d’être envisagée. C’est l’objectif de cette mission d’information, qui vise aussi à engager un dialogue avec la Commission européenne. Nous voulons mener à bien une étude de faisabilité permettant de choisir la meilleure option possible pour sortir de ce contentieux juridique. Vous appartenez à cette instance, vous avez l’occasion d’y exprimer votre point de vue et le sujet est bien plus vaste que cette proposition de loi le laisse entendre. Il s’agit du mix énergétique français, de la gestion de l’eau, du partage de la ressource et du partage des recettes avec les collectivités territoriales, d’emplois et de compétences et de la gestion d’un patrimoine national qui a été financé par plusieurs générations de Français.
C’est pourquoi le groupe Les Démocrates votera contre cette proposition de loi. Comme vous l’avez dit en introduction, Monsieur le rapporteur, l’Assemblée nationale doit travailler plus sérieusement.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. Travailler sérieusement, chers collègues, c’est ce que je vous invite à faire ! Il y a des travaux à ce sujet depuis une bonne quinzaine d’années, auxquels madame Battistel a largement contribué – nous nous sommes beaucoup appuyés sur ses travaux et d’autres pour rédiger cette proposition de loi qui, je le précise, a été assez bien reçue par l’opérateur majeur, EDF. C’est un gage de sérieux.
M. Xavier Albertini (HOR). Cette proposition de loi est le parfait exemple de la duplicité du discours du Rassemblement national. S’il comprend l’intérêt du sujet, le groupe Horizons et indépendants regrette aussi bien la forme que le fond du texte qui nous est présenté. Sur le diagnostic, nous sommes tous d’accord : l’exploitation des installations hydrauliques françaises est un sujet de souveraineté nationale auquel nous devons apporter des réponses sérieuses, car elles engageront la crédibilité de la France devant les instances européennes. Mais force est de constater qu’assurer la crédibilité de notre pays n’est pas la préoccupation principale de nos collègues du Rassemblement national. Vous cherchez à passer en force, alors que, le 1er octobre dernier, la mission d’information sur les modes de gestion et l’exploitation des installations hydroélectriques était installée. Cette mission, menée en étroite collaboration avec le Gouvernement, vise à explorer les possibilités qui s’offrent à la France pour mettre fin à son contentieux avec l’Union européenne sans perdre le contrôle de ses barrages. Vous participez – ou devriez participer – à cette mission, pour contribuer à définir les pistes possibles, et notamment étudier le dispositif de la quasi-régie prévu par la directive européenne du 26 février 2014 qui permet aux concessions de déroger, sous certaines conditions, à l’application des règles de concurrence.
Une révision de l’annexe sur les barrages hydroélectriques de cette directive est également à l’étude. Notre défi collectif est de nous assurer de la souveraineté de la gestion et de l’exploitation des barrages tout en respectant nos engagements européens en matière de droit de la concurrence. Le chemin est bien plus étroit que ce que la proposition de loi veut faire croire. À vous écouter, il suffirait de passer du régime de la concession à celui de l’autorisation administrative pour les grosses unités de production hydroélectriques, lesquelles seraient également vendues par l’État à l’énergéticien EDF. Non seulement cette transformation suppose d’indemniser les concessionnaires, mais elle induirait une position monopolistique d’EDF sans précédent, en infraction au droit communautaire. Reconnaissez que vous assumez de fragiliser la position d’EDF, de faire courir un risque financier à l’État et de promouvoir des solutions juridiques non pérennes, alors qu’il est question de la gestion d’infrastructures stratégiques pour la nation. Avec les collègues de votre groupe, vous avez fait vôtre l’adage « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » : parce qu’ils croient aux vertus du travail collectif au sein de la mission d’information, dans l’attente des résultats de ses travaux et compte tenu des réserves évoquées, les membres du groupe Horizons et indépendants voteront contre la proposition de loi.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. La mission d’information a un train de retard, puisque le Sénat a tranché la question il y a quelques jours par un article prévoyant l’expérimentation du régime d’autorisation dans la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie. De mémoire, madame Agnès Pannier-Runacher souhaitait, dans l’avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique, régler le basculement vers le régime de l’autorisation en un seul article et en habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Nous avons au moins le mérite de laisser la main au Parlement, parce que nous considérons qu’il doit trancher. Ensuite, j’ai compris que vous étiez contre la position monopolistique d’EDF. Il s’agit là d’un désaccord politique : pour notre part, nous sommes plutôt favorables à un quasi-monopole d’EDF.
Il n’y a pas de rupture avec les usages républicains : la création de la mission d’information a été décidée sous la précédente législature et nous avons bien voulu y participer. Ensuite, l’Assemblée nationale a été dissoute. Au début de la nouvelle législature, le groupe Rassemblement national a décidé de déposer une proposition de loi et, concomitamment, la commission a décidé de reconduire cette mission d’information – je rappelle par ailleurs à ceux qui sont si attachés aux usages républicains que le Rassemblement national, de votre fait, ne siège pas dans les instances décisionnaires à ce sujet.
M. David Taupiac (LIOT). Nos barrages, fleurons industriels, contribuent à produire une énergie à bas prix. Outils d’aménagement du territoire, ils participent à la gestion de l’eau et la préservation de la biodiversité. L’avenir des concessions hydroélectriques a donc un intérêt stratégique pour la France et nous sommes très nombreux à souhaiter qu’elles demeurent à la main des concessionnaires historiques. Mais les contrats de concession arrivent progressivement à échéance. Cela a conduit, depuis 2003, à un conflit entre la France et la Commission européenne, celle-ci considérant que l’octroi de toute concession arrivant à son terme doit être ouvert à la concurrence – avec le risque induit de voir les barrages sortir du giron d’EDF. La France a tenté d’éviter cette obligation en prolongeant les contrats existant,s mais cette manœuvre n’a rien d’idéal, le régime des « délais glissants » empêchant les investissements nécessaires à l’accroissement de notre potentiel hydroélectrique. Il est temps de trouver une issue à ce conflit qui n’a que trop duré.
Vous nous proposez de généraliser le régime d’autorisation. Cette solution défendue par EDF présente quelques avantages, mais elle a pour gros défaut qu’elle risque de ne pas régler le conflit avec la Commission européenne, ce qui est pourtant le nœud du problème. En effet, pour la Commission, ce basculement renforcerait la position dominante d’EDF et des mesures pourraient nous être imposées pour l’atténuer, dont la mise en concurrence d’une partie des installations actuellement concédées à EDF : ce serait donc un retour à la case « Départ ». D’autre part, cette solution est synonyme de perte de souveraineté : avec ce régime, non seulement l’État perdrait la propriété les barrages mais, une fois l’autorisation accordée, il ne pourra plus ajuster ses demandes ni imposer des investissements prioritaires. Dernier élément, qui n’est pas des moindres en cette période de crise budgétaire : la résiliation des concessions impliquerait le versement d’une indemnité aux concessionnaires. En bref, cette proposition de loi n’apporte pas de solution miracle à la question complexe de la fin des concessions.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. C’est la mise en concurrence qui fait courir le risque d’une perte de souveraineté et c’est ce risque que la proposition de loi vise à supprimer. L’entrée en vigueur du régime d’autorisation dans d’autres pays européens a permis d’effacer le contentieux qui les opposait à la Commission européenne à ce sujet depuis 2019. L’Allemagne, la Finlande, la Suède et l’Autriche, qui sont sous le régime d’autorisation, n’ont pas pour autant accepté la mise en concurrence qui s’impose à nous, en raison de l’application de la directive « Concessions » à nos ouvrages hydroélectriques dont la puissance est supérieure à 4,5 MW. Le texte vise précisément à éviter tout risque de mise en concurrence, comme c’est le cas pour les pays cités.
M. Stéphane Peu (GDR). Ce texte prétend solder le contentieux qui oppose la Commission européenne à la France en supprimant d’un trait de plume, sans la moindre précaution, le régime de la concession des installations hydroélectriques pour lui substituer le régime de l’autorisation. Vous proposez successivement de généraliser le régime d’autorisation d’exploitation, de résilier les contrats de concession, de déclasser les installations hydroélectriques du domaine public et de céder aux concessionnaires sortants, quel que soit leur statut, la propriété des installations concernées.
Mais en faisant sortir ces installations du régime de la concession, votre texte fait disparaître le régime de responsabilité pénale sur le non-respect des contraintes environnementales, sur les modalités de demande et de cadrage des augmentations de puissance et sur le droit des riverains. De plus, il permet aux exploitants de se soustraire aux règles relatives à la rétrocession des réserves énergétiques bénéficiant aujourd’hui au service public de l’État, aux communes, aux établissements publics, aux associations syndicales autorisées et aux groupements agricoles d’utilité générale. En somme, votre proposition s’assoit sur les obligations et responsabilités administratives et pénales des exploitants. Nous sommes favorables au principe du basculement vers le régime d’autorisation, mais il ne peut s’opérer sans de solides garde-fous, délibérément absents de votre texte.
En outre, il serait naïf de croire que le régime d’autorisation solderait par magie le contentieux européen : rien, juridiquement, n’interdit à la Commission européenne d’exiger que la procédure de cession des barrages aux exploitants actuels soit soumise à la concurrence. Votre proposition de loi apparaît donc aussi aventureuse que dangereuse. Il convient en tout état de cause d’attendre les conclusions de la mission d’information. Nous voterons contre ce texte.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. J’ignorais qu’existaient « cinquante nuances de communisme ». Lors de l’examen de la proposition de loi précitée par le Sénat – dont je signale à monsieur Rolland qu’elle a été cosignée par monsieur Retailleau, à l’époque sénateur –, votre collègue sénateur Fabien Gay a dit que le régime d’autorisation est celui que tout le monde souhaite et qu’il n’y a pas à attendre le rapport de madame Battistel, puisque l’on sait déjà ce qu’il faut faire. Votre prise de position aujourd’hui tient de la posture : comme je n’imagine pas que les communistes puissent vouloir la mise en concurrence ni qu’ils souhaitent affaiblir EDF par la mise en concurrence (ou par la quasi-régie qui conduirait au démantèlement de l’établissement), votre conclusion devrait être la même que celle de votre collègue sénateur.
S’agissant des enjeux environnementaux, un cahier des charges où figureront toutes les prescriptions nécessaires sera évidemment associé à l’autorisation d’exploitation, comme il l’est aujourd’hui à la concession. L’autorisation peut être levée à tout moment si les prescriptions ne sont pas suivies et les opérateurs propriétaires de barrages – pour une très grande partie EDF, détenue à 100 % par l’État – n’y ont pas intérêt. Ce sujet a été abordé à plusieurs reprises lors des auditions, auxquelles je n’ai pas vu beaucoup d’entre vous participer, chers collègues, ce qui n’est pas très respectueux des opérateurs auditionnés.
Le Rassemblement national prend ses responsabilités. Nous considérons qu’il y a urgence à investir. Les pays européens qui ont adopté le régime d’autorisation ne perdent pas de temps, eux, et continuent à se développer, cependant que depuis plusieurs décennies nous laissons nos ouvrages vieillissants accuser une certaine vétusté, qui implique des enjeux de sûreté. Il y a quelques jours encore, des inondations ont eu lieu à Annonay parce qu’un barrage a débordé. On doit tenir compte des conséquences du dérèglement climatique, investir pour la sécurité, la sûreté, les nouveaux enjeux environnementaux et climatiques et pour développer les Step qui nous permettent de rester extrêmement compétitifs. Je sais que les termes « compétitivité » et « croissance » sont parfois étrangers à la gauche, mais nous y sommes extrêmement attachés. Ce qui est en jeu, c’est l’augmentation de nos capacités de production de plus de 4 gigawatts, soit plus de 20 %, à l’horizon 2050. Il faut avancer.
Madame Battistel, vous travaillez sur le sujet depuis douze ans. Pardonnez la métaphore, mais vous êtes une sorte de « cheval » extrêmement bien entraîné, qui refuse de sauter l’obstacle alors que vous connaissez parfaitement le sujet. J’espère ne pas vous avoir vexée, mais, en tout cas, c’est ce sentiment d’un « refus d’obstacle » qui se dégage de ce débat – ou peut-être une posture politicienne, parce que l’on ne voudrait pas que le Rassemblement national soit à l’initiative sur ce sujet.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Monsieur le rapporteur, je vous suggère d’éviter certaines comparaisons qui peuvent toucher, pour dire le moins.
Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Vincent Rolland (DR). Vous mettez en cause l’utilité de la mission d’information ; mais alors pourquoi y avoir participé au départ ? Vous considérez d’autre part que la proposition des sénateurs devrait clore le débat. À mon sens, le sujet doit continuer d’être fouillé. Je rappelle que la droite républicaine – et autrefois LR – ont eu sur l’énergie, énergie nucléaire comprise, une position constante, ce qui n’est pas le cas de Marine Le Pen.
M. René Pilato (LFI-NFP). Vous avez court-circuité la mission d’information de notre commission et, tel un coucou, présenté un mauvais plagiat, un « copié-collé » bricolé et mal pensé. Pas une fois vous ne parlez d’un pôle public de l’énergie pour un retour aux tarifs réglementés ! Seul l’opt out permettrait une véritable souveraineté énergétique. Le reste n’est que politique politicienne, marque de fabrique de l’extrême-droite. Un travail sérieux et un peu de respect des collègues permettraient d’œuvrer sereinement. Cette proposition de loi doit évidemment être rejetée.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). J’ai déjà entendu des propos plus élégants que les vôtres, mais considérant l’inélégance de méthode que traduit votre proposition de loi, on peut s’attendre à tout… et les chevaux peuvent ruer, saviez-vous ?
Vous dites que peu de monde est venu aux auditions. J’ai assisté à beaucoup de celles que vous avez conduites et je peux assurer notre commission que de nombreuses personnes entendues vous ont dit qu’elles seraient très attentives aux conclusions de la mission d’information. Un sujet aussi politique doit recueillir l’assentiment de la plus grande majorité des parlementaires. Il ne faut donc pas mener une démarche individuelle, mais procéder par une réflexion collective, comme nous le faisons actuellement.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. Je participe à la mission d’information actuelle comme j’ai participé à celle de la précédente législature, parce que je considère que notre groupe doit y être représenté et parce que nous ne sommes pas contre l’idée d’une démarche transpartisane et constructive. Aujourd’hui, c’est vous qui refusez une telle démarche, alors que la mission d’information ne garantit en rien qu’à l’issue des travaux, une solution sera approuvée par l’ensemble des groupes politiques. À cela s’ajoute que le contexte politique très fragile ne permet pas de penser que l’examen d’une proposition de loi transpartisane à ce sujet pourra être inscrite au calendrier parlementaire. De plus, le rapport d’une mission d’information a probablement moins de poids auprès de la Commission européenne qu’une proposition de loi enrichie au cours de la navette et votée consensuellement par l’Assemblée nationale, puisqu’elle aboutirait à ce que nous souhaitons tous, à savoir l’absence de remise en concurrence de l’exploitation de nos ouvrages hydrauliques et le non-affaiblissement d’EDF.
Certains font de ce débat une affaire personnelle – peut-être parce que leurs noms ne seront pas inscrits sur la proposition de loi… Si c’est une affaire d’ego, je ne vois aucun inconvénient à ce que notre proposition de loi soit cosignée par l’ensemble des groupes.
Enfin, je n’ai rien dit d’un pôle public de l’énergie ou du tarif réglementé, parce que ce n’est pas l’objet de ce débat. Si vous voulez en parler, je vous invite à proposer une loi à ce sujet. Aujourd’hui, il s’agit de trouver comment relancer l’investissement pour moderniser nos barrages à l’arrêt et les développer. Je rappelle que la solution que nous proposons a été soutenue par EDF, opérateur de 70 % de la production hydroélectrique en France.
Article 1er : Généralisation du régime d’autorisation à l’ensemble des installations hydrauliques
Amendements de suppression CE1 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CE6 de M. Laurent Alexandre et CE17 de Mme Lisa Belluco
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). La concession de la CNR repose sur trois piliers : production hydroélectrique, et gestion fluviale et portuaire et missions d’intérêt général. Passer en régime d’autorisation implique de séparer l’activité hydroélectrique du reste, ce qui fragiliserait l’équilibre économique de la CNR.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). Il est proposé de supprimer l’article 1er, car la généralisation du régime juridique d’autorisation n’a rien d’une solution miracle pour régler le contentieux juridique qui oppose la France à la Commission européenne.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. Plutôt que de demander la suppression de cet article, vous auriez pu déposer un amendement visant à écarter la CNR du dispositif. La mise en concurrence des ouvrages qu’elle exploite n’interviendra pas avant 2041 : il n’est donc pas dénué de sens d’appliquer dès maintenant un régime d’autorisation, seule piste permettant d’éviter le contentieux avec la Commission européenne. De plus, cela permettrait d’harmoniser le régime d’exploitation applicable aux modes de production d’électricité – nucléaire, photovoltaïque, éolienne, ainsi que celle provenant des petites installations hydroélectriques. Or vous vous y opposez. Avis défavorable.
Nous ne nous soumettons pas à la Commission européenne, qui veut l’affaiblissement de la position dominante d’EDF : notre texte propose exactement l’inverse. Alors que nous voulons faire primer les intérêts nationaux, vous cherchez à répondre aux exigences de Bruxelles dans l’espoir de sauver les intérêts de la France.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Je doute que la CNR vous ait dit, lors de son audition, qu’elle souhaitait être intégrée dans le texte. Vous aviez donc tout le loisir de déposer vous-même un amendement excluant la CNR.
Ce n’est pas une question d’ego mais de portage politique. Un texte soutenu par l’ensemble des groupes à l’issue d’une mission d’information aura plus de poids auprès de la Commission européenne qu’une proposition de loi défendue par un seul groupe. Je maintiens donc mon amendement de suppression.
M. Alexandre Loubet (RN). Vous refusez de voter la solution proposée par le Rassemblement national pour protéger les barrages hydroélectriques d’une privatisation alors qu’elle fait consensus, par sectarisme, vous abritant derrière des arguments fallacieux et grotesques. Certains nous accusent de ne pas respecter les usages républicains en ne laissant pas de délai à la mission d’information en cours ; or c’est vous qui ne les respectez pas en empêchant toute représentation du Rassemblement national au Bureau de l’Assemblée. En réalité, vous préférez attendre pour mieux vendre notre patrimoine industriel national et, dans ce but, vous vous soumettez tous à la Commission européenne.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 1er est supprimé.
Après l’article 1er
Amendement CE19 de M. Nicolas Meizonnet
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. La redevance applicable aux concessions hydroélectriques est très importante pour nos territoires, son produit étant partagé entre l’État et les collectivités. Toutefois, le régime d’autorisation ne permet pas un tel partage. L’amendement vise donc à en inscrire le principe dans la loi.
M. Julien Gabarron (RN). Vous avez un problème avec le concept de souveraineté. Cela fait douze ans que nous travaillons sur l’hydroélectricité, mais nous subissons les atermoiements de la classe politique. Dans dix ans, on dira que nous avons raté le coche.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). Le Rassemblement national s’est aperçu que les collectivités territoriales, notamment celles assurant la compétence « Gemapi » (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), perdront une rente précieuse avec la suppression du régime des concessions. Il aurait été facile de s’en rendre compte plus tôt, mais, pour cela, il aurait fallu travailler un minimum le sujet et consulter les élus du territoire concerné. Votre amendement renvoie au Gouvernement le soin de corriger cet oubli en dehors de toute concertation locale. Nous voterons contre ce mépris et cet amateurisme.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. Nous n’ignorions pas l’importance du produit de la redevance pour les territoires, mais nous cherchions la rédaction optimale. Puisque vous semblez d’accord, vous ne devriez pas avoir trop de difficulté à voter cet amendement.
La commission rejette l’amendement.
Article 2 : Résiliation de plein droit des contrats de concession des installations hydrauliques en cours d’exécution
Amendements de suppression CE2 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CE7 de Mme Sylvie Ferrer et CE16 de Mme Lisa Belluco
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). La question des délais glissants est importante compte tenu du nombre d’ouvrages concédés et de ceux qui arriveront très prochainement à échéance. Or elle n’est pas traitée dans ce texte. Nous proposons donc la suppression de l’article 2.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). Nul ne sait combien coûteront les indemnités pour résiliation des concessions en cours. Quand on touche à la souveraineté énergétique, il convient de s’appuyer sur une étude sérieuse. Je ne peux donc que vous conseiller la lecture de L’avenir en commun, qui recommande la création d’un véritable pôle public de l’énergie. Nous proposons la suppression de l’article 2.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. L’article 2 est nécessaire pour sécuriser la résiliation par anticipation des concessions. Les délais glissants soulèvent la question de l’indemnisation, car les travaux et les investissements sur les ouvrages se poursuivent ; cela doit être pris en compte dans les modalités de calcul des indemnisations. Avis défavorable.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Article 3 : Déclassement des installations hydrauliques concédées du domaine public de l’État
Amendements de suppression CE3 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CE8 de M. Laurent Alexandre et CE14 de Mme Lisa Belluco
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Le déclassement du domaine public des installations hydroélectriques est une privatisation qui ne dit pas son nom. Même si la propriété est transférée à EDF, celle-ci est une société anonyme qui peut être démantelée, voire privatisée. Sous prétexte d’éviter la mise en concurrence souhaitée par la Commission européenne, le RN cède en réalité à ses injonctions en bradant des ouvrages payés par l’argent public et, avec eux, la sécurité de nos vallées. Il fait ainsi preuve de naïveté, d’incompétence ou de trahison. La souveraineté énergétique n’est pas qu’un slogan : elle se traduit en actes et ne peut être assurée que par un pôle public de l’énergie. C’est une vaste pantalonnade que de prétendre viser cet objectif tout en privatisant de facto les barrages.
Mme Julie Laernoes (EcoS). L’article 3 n’ayant plus d’objet après la suppression de l’article 2, il est proposé de le supprimer.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. Il ne s’agit pas d’une privatisation, le déclassement ayant pour but la cession des installations aux concessionnaires sortants, qui sont détenus en partie ou en totalité par l’État. Une telle cession est nécessaire car, à défaut, l’autorisation aurait toutes les chances d’être requalifiée en contrat de concession.
Le texte prévoit que l’État gardera un droit de regard sur les cessions ultérieures et pourra s’y opposer. Nous n’avons pas d’état d’âme à céder nos barrages aux exploitants actuels, qui ont démontré leur capacité technique et leur fiabilité ; ils pourront ainsi optimiser leur production. Il est par exemple souhaitable qu’EDF ait la main sur les barrages pour faire face au coût très important de la relance du nucléaire.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Nous pourrions abréger les débats, car l’article 3 n’a plus d’objet du fait de la suppression de l’article 2. Quand on essaye de court-circuiter une mission d’information sur un sujet aussi important que la souveraineté énergétique, il faut assumer son échec et accepter le fait que le texte ne sera pas voté.
M. Alexandre Loubet (RN). Je suis indigné par les arguments de la gauche. Maintenir le régime actuel revient à confier la gestion de nos barrages à des groupes privés, pour certains étrangers. Nous proposons de céder la propriété de ces infrastructures payées par le contribuable à une entreprise publique française. Vous prétendez défendre le monopole d’EDF, mais quand on vous propose de lui céder les barrages, vous refusez. Je m’en étonne car il s’agit d’une entreprise publique, contrairement aux dizaines d’entreprises privées que vous soutenez pour implanter des éoliennes inefficaces, sans aucune cohérence en matière d’aménagement du territoire et qui se font un argent considérable sur le dos du contribuable.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). Ce n’est pas en cassant les concessions que vous sécuriserez le régime de gestion des barrages. Rien ne dit qu’EDF ne perdra pas plusieurs dizaines de concessions.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 3 est supprimé.
Article 4 : Cession des installations hydrauliques par l’État aux concessionnaires sortants
Amendements de suppression CE4 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CE9 de Mme Sylvie Ferrer et CE15 de Mme Lisa Belluco
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Le combat que nous menons depuis très longtemps vise à préserver nos ouvrages et à en réserver la gestion à nos opérateurs historiques. Nous souhaitons que cela soit juridiquement solide afin d’éviter les recours de concurrents. Tel est l’objet de la mission que nous conduisons.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). L’article 4 est doublement problématique : d’une part, parce qu’il prévoit la cession de barrages publics ; d’autre part, parce qu’il instaure une préférence d’attribution des autorisations aux concessionnaires sortants : c’est exactement la raison pour laquelle la Commission européenne a mis la France en demeure. Votre texte ne règle donc rien.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. L’objet de cette proposition de loi est de ne plus être soumis à la concurrence que cherche à nous imposer la Commission européenne. Nous voulons basculer dans un régime d’autorisation, car celui-ci a protégé les pays qui l’appliquaient.
Si vous êtes dans une démarche constructive, Madame Battistel, pourquoi ne pas avoir déposé des amendements pour rendre le dispositif plus robuste ? Vous étiez présente lors des auditions, mais vous n’êtes pas intervenue – ce qui m’a laissé penser que vous validiez notre dispositif. Pour éviter de soumettre la cession de ces ouvrages à la concurrence, nous devons instaurer un régime d’autorisation en invoquant des raisons impérieuses d’intérêt général – sécurité d’approvisionnement, sûreté des installations, protection du pouvoir d’achat des consommateurs et de l’environnement, risque de désoptimisation des ouvrages sur un même bassin versant. En outre, la question du prix est centrale. Il faut éviter toute qualification d’aide d’État pour obtenir l’accord de la Commission européenne.
M. Alexandre Loubet (RN). Vous affirmez vouloir protéger les barrages de la mise en concurrence, mais vous vous réfugiez derrière la mission d’information pour refuser la solution que nous vous proposons. Or plus nous attendons, plus nous prenons le risque que les ouvrages soient cédés à des groupes privés ou étrangers et que cela coûte plus cher au contribuable – l’amende que risque de nous infliger l’Union européenne pourrait atteindre plus de 2,5 milliards d’euros, que nous allons devoir payer parce que vous n’avez pas le courage de voter ce texte ! C’est lamentable.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Je n’ai pas déposé d’amendement sur le présent texte en raison de l’existence de la mission d’information transpartisane qui vise à asseoir la solidité juridique du dispositif. Il nous faut du temps pour cela et ce n’est pas un mois d’auditions dans le cadre d’une proposition de loi qui peut nous le garantir.
Je ne suis pas intervenue lors de vos auditions, car nous avons posé toutes nos questions dans le cadre de la mission d’information. Il ne me semblait pas opportun d’encombrer vos auditions avec toutes nos questions.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). Je trouve surprenant l’empressement du Rassemblement national à s’agenouiller devant les demandes de la Commission européenne. Vous voulez casser les concessions pour sécuriser le dispositif, mais EDF ne récupérera pas forcément la totalité de celles qui seront remises en concurrence.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Nous préférons une mission d’information à la gesticulation populiste et politicienne. Vous faites preuve d’une méconnaissance profonde des enjeux de la souveraineté énergétique. Les énergies renouvelables sont nécessaires pour sécuriser l’approvisionnement électrique et l’hydroélectricité est la première source d’énergie renouvelable. Pensez-vous sérieusement qu’une proposition mal ficelée de l’extrême droite changera quoi que ce soit face à la Commission européenne ?
M. Richard Ramos (Dem). Lors de l’examen de la loi Egalim, le Rassemblement national a défendu la grande distribution contre les petites industries françaises. En l’occurrence, votre texte permettra à de grosses entreprises comme Amazon de racheter les ouvrages exploités par EDF et d’autres. Vous êtes complètement à contre-courant. Les Français veulent que l’on défende les petits, non les gros et les intérêts étrangers.
M. Philippe Bolo (Dem). Ce n’est pas le calendrier de la mission d’information qui est trop long, mais celui des différentes étapes de votre proposition de loi – adoption du texte, évaluation du coût des barrages en accord, désignation des nouveaux opérateurs. La mission d’information devrait rendre son rapport au plus tard en fin d’année : ce n’est vraiment pas un facteur limitant. De plus, elle introduit une dynamique loin d’être négligeable, menée de manière transpartisane et faisant intervenir le Gouvernement et la Commission européenne. Cette dernière ne peut que nous laisser le temps de la réflexion pour définir la meilleure solution.
M. Nicolas Meizonnet, rapporteur. Madame Laernoes, votre mouvement politique est disqualifié dans ce débat. Il défend la sortie du nucléaire, à l’origine de 60 % à 70 % de notre production électrique, et soutient le développement anarchique de l’éolien et du photovoltaïque, qui sont un business juteux pour nombre d’acteurs privés, parfois étrangers. Vous dites avoir participé aux auditions de la mission d’information : il n’y en a eu que deux, ce qui vous suffit pour avoir un avis contraire à celui exprimé par EDF lors de notre audition. Cela dit quelque chose de votre crédibilité sur le sujet.
Monsieur Ramos, il n’est pas question qu’Amazon ou Google rachète les barrages français. Je répète, parce que vous n’étiez pas là au moment où j’ai donné cette information, qu’un deuxième contentieux a été ouvert par la Commission européenne en 2019. Si certains pays ont pu échapper à ce contentieux, c’est parce qu’ils sont sous régime d’autorisation. Celui-ci est la seule solution crédible pour éviter la mise en concurrence. Soyez donc rassuré : cette proposition de loi a bien pour objet la non-mise en concurrence de nos concessions hydroélectriques.
Monsieur Bolo, nous avons conscience que ce processus, avec l’évaluation des indemnités et du montant des cessions, prendra beaucoup de temps. Mais une mission d’information ferait perdre quelques mois supplémentaires, sans que l’on sache si elle permettra de trouver une solution consensuelle.
M. Richard Ramos (Dem). Monsieur le rapporteur, vous ne cessez d’attaquer les députés à titre personnel : c’est insupportable. Si nous arrivons en retard à la commission des affaires économiques, c’est parce que nous nous sommes rendus au Salon international de l’alimentation avec nos industriels de l’agroalimentaire, qui représentent 550 000 emplois en France. Attaquez les députés sur leurs idées, et non sur un plan personnel !
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je rappelle l’importance pour les commissaires des affaires économiques d’être présents lors des différents salons – Salon de l’automobile, Salon international de l’alimentation et tant d’autres.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 4 est supprimé.
Article 5 : Date d’entrée en vigueur de la loi et modalités d’application
Amendements de suppression CE5 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CE10 de M. Laurent Alexandre et CE18 de Mme Lisa Belluco
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). L’article 5 est très dangereux, car il permettrait une privatisation des barrages hydroélectriques. La plupart des contrats de concession arrivant à échéance en 2025, il nous faut agir – mais pas au prix de l’abandon de nos fleurons publics. De plus, vous court-circuitez les travaux de la mission d’information menée par nos collègues Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo, précisément consacrée à l’étude des différentes options.
Contre l’avis du rapporteur, la commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 5 est supprimé.
Article 6 : Gage financier
La commission rejette l’article 6.
La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.
Liste des personnes auditionnées
Par ordre chronologique
Électricité de France (EDF) *
M. Michael Varescon, directeur juridique adjoint permitting production projet
M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques
Mme Ludivine Olive, directrice des relations institutionnelles d’EDF Hydro
Société Hydro-électrique du Midi (Shem)/Engie *
M. Cyrille Delprat, directeur général de la Shem
M. Victor Bonnin, chargé des relations parlementaires Engie
Compagnie nationale du Rhône (CNR) *
Mme Laurence Borie-Bancel, présidente du directoire
Mme Bernadette Laclais, directrice Affaires publiques
Mme Alix Perrin, professeure agrégée de droit à l’Université Paris Dauphine-PSL
Table ronde
Agence des participations de l’État (APE)
M. Arthur Faust, directeur de participations adjoint Énergie
Mme Pauline Lange, chargée de participation EDF
M. Jérémie Gué, chef du pôle juridique
Mme Nacéra Agostini, adjointe au chef du pôle juridique
Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie
M. Guillaume Delaloy, adjoint de la sous-directrice du droit de la commande publique
Mme Dominique Agniau-Canel, sous-directrice du droit public et droit européen et international
Mme Sonia Beurier, sous-directrice du droit des régulations économiques
Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)
M. Laurent Kueny, directeur de l’énergie
Mme Hermine Durand, sous-directrice du système électrique et des énergies renouvelables
M. Étienne Perrot, chef du bureau Énergies renouvelables marines et hydrauliques
M. François Lailheugue, adjoint au chef de bureau
Mme Tiphaine Cordier
Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)
Mme Laetitia Tailliez, cheffe du bureau Concurrence et aides d’État
Mme Constance Deler, cheffe du bureau Parlements
Table ronde
Cabinet de la ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques (Mme Agnès Pannier-Runacher)
Mme Lisa Broutté, conseillère parlementaire
Cabinet de la ministre déléguée chargée de l’énergie (Mme Olga Givernet)
M. Nicolas Clausset, directeur de cabinet
M. Thibault Manneville, conseiller nucléaire, hydroélectricité et marchés de l’électricité
Mme Nathalie Picot, conseillère parlementaire
Cabinet du ministre délégué chargé de l’industrie
M. Boris Mazeau, conseiller chargé du Parlement et des élus locaux
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Comité français des barrages et réservoirs (CFBR)
Réseau de Transport d’Électricité (RTE) *
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
([1]) Données issues du bilan électrique 2023 de RTE.
([2]) Article « Hydroélectricité » du site du ministère de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
([3]) Voir, infra, le commentaire de l’article 1er de la proposition de loi.
([4]) Données fournies à votre rapporteur par le ministère chargé de l’énergie.
([5]) Article 1er de la loi n° 80-3 du 4 janvier 1980 relative à la Compagnie nationale du Rhône, tel que modifié par l’article 21 de la loi n° 2001‑1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (Murcef).
([7]) Article L. 111-69 du code de l’énergie.
([8]) Données issues du rapport d’enquête du Sénat sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050 (n° 714, juillet 2024).
([9]) Voir en particulier les articles 3 et 8 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE.
([10]) Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession.
([11]) Les autres États membres concernés sont l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède.
([12]) Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
([13]) Cour des comptes, référé 2022-1979, Le renouvellement des concessions hydroélectriques.
([15]) Assemblée nationale, commission des affaires économiques, 30 mai 2018, compte-rendu de la communication de Mme Marie-Noëlle Battistel sur les conclusions du groupe de travail relatif aux concessions hydroélectriques.
([16]) Articles L. 521-16-1 et L. 521-16-2 du code de l’énergie.
([18]) Article L. 521-16-3 du code de l’énergie.
([19]) Articles L. 521-18 à L. 521-20 du code de l’énergie.
([20]) Cour des comptes, Compte de commerce 917 « Renouvellement des concessions hydroélectriques », Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2019.
([21]) Article 81 de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001.
([23]) Compte-rendu du 19 mars 2024 de la commission d’enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050.
([24]) Le litige concernait l’exploitation de certains jeux de hasard par La Française des Jeux, des raisons liées à la protection de la santé et de l’ordre public ayant été invoquées : CE, 14 avril 2023, n° 436434.
([25]) Cf. § II de l’article L. 531-1 du code de l’énergie. Lorsqu’une autorisation environnementale est délivrée, elle vaut autorisation d’exploiter.
([26]) Articles L. 2125-1 et L. 2125-7 du code général de la propriété des personnes publiques et article R. 4316-1 et suivants du code des transports.
([27]) Article L. 1121-1 du code de la commande publique.
([28]) Voir à ce sujet « L’hydroélectricité et la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique : que reste-t-il aujourd’hui d’une autorisation sectorielle au sein du droit global de l’eau ? », Claire-Cécile Garnier, Revue juridique de l’environnement, n° 3, septembre 2019.
([30]) Art. L. 523-1 du code de l’énergie.
([31]) Art. L. 523-2 du code de l’énergie.
([32]) Art. L. 523-3 du code de l’énergie.
([33]) Cf. article L. 521-4 du code de l’énergie.
([34]) CE, Ass., 2 février 1987, Société TV6.
([35]) CE, Sect., 22 janvier 1965, Société des établissements Michel Aubrun.
([36]) CE, 1913, Cie des chemins de fer du Sud de la France.
([37]) Cf. articles 81 et 82 du décret n° 2016-530 du 27 avril 2016 relatif aux concessions d’énergie hydraulique et approuvant le modèle de cahier des charges applicable à ces concessions.
([38]) Voir par exemple la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, Loi relative à la sécurisation de l’emploi.
([39]) Conseil constitutionnel, n° 2018-743 QPC, 26 octobre 2018.
([40]) Décision n° 2005-513 DC du 14 avril 2005, Loi relative aux aéroports.
([41]) Article L. 3211-1 du CG3P.
([42]) Article R. 3211-2 du CG3P.
([43]) Décision n° 68-207 DC, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social.
([44]) Article L. 251-3 du code de l’aviation civile.
([45]) Article L. 2122-1-1 du CG3P.
([46]) 4° de l’article L. 2122-1-3 du CG3P.