N° 718

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 décembre 2024

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI,
autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d’Espagne,

PAR M. Nicolas FORISSIER,

Député

——

AVIS

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

PAR M. Sébastien SAINT-PASTEUR

Député

 

AVEC

 

EN ANNEXE

LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

Voir le numéro : 621.


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. L’Espagne, un partenaire européen et atlantique de premier plan

A. Un État important pour la défense du territoire européen

1. Présentation générale des forces armées espagnoles

2. Un engagement pour la défense européenne et atlantique

B. Une relation bilatérale confortée par les deux traités signés à barcelone le 19 janvier 2023

1. Une coopération politique, économique et culturelle traditionnellement forte entre les deux pays

2. Une coopération de défense dynamique

3. La visite d’État du 19 janvier 2023 : un renforcement historique de la coopération bilatérale dans tous les domaines

II. Un renforcement de la coopération en matière de défense nécessaire dans le contexte international actuel

A. Les dispositions du traité

1. Les dispositions générales

2. Une coopération de défense la plus large possible

3. Les dispositions particulières

4. Les clauses finales

B. Un texte utile pour la défense européenne

1. Un traité qui sécurise juridiquement et encourage la coopération de défense avec l’Espagne

2. Un traité qui s’intègre dans la stratégie européenne et atlantique de la France

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

Travaux de la commission des affaires ÉtrangÈres

TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES SAISIE POUR AVIS

ANNEXE 1 : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

ANNEXE 3 : DÉPENSES DE DÉFENSE DES PAYS MEMBRES DE L’OTAN EN 2024 (ESTIMATIONS)

ANNEXE 4 : CARTE DU DÉPLOIEMENT DES FORCES ARMÉES ESPAGNOLES SUR LE FLANC EST DE L’EUROPE (OTAN)

 

 


   Introduction

 

La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale est saisie du projet de loi n° 621 autorisant la ratification d’un traité entre la France et l’Espagne relatif à la coopération en matière de défense. Ce traité a été signé par le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, et la ministre de la défense espagnole, Mme Maria Margarita Robles Fernández, le 19 janvier 2023, à Barcelone.

Conclu en même temps qu’un traité d’amitié et de coopération plus général – dit « traité de Barcelone » –, ce texte est avant tout un signal politique fort entre deux alliés confrontés à des menaces et à des défis communs, et qui partagent une même ambition pour la défense européenne.

Il remplace un précédent accord signé il y a plus de quarante ans et permet de disposer d’un cadre juridique plus complet, ce qui favorisera nécessairement les activités de coopération bilatérale en matière de défense. Il institutionnalise également des instances de consultation et de dialogue entre les deux partenaires.

 


I.   L’Espagne, un partenaire européen et atlantique de premier plan

A.   Un État important pour la défense du territoire européen

1.   Présentation générale des forces armées espagnoles

Avec 136 000 personnels, l’Espagne dispose de la sixième armée de l’Union européenne en termes d’effectifs ([1]).

Parmi ceux-ci, 72 300 sont engagés dans l’armée de terre (Ejército de Tierra : 67 500 militaires, 4 800 civils), 21 450 dans la marine (Armada : 18 800 militaires, 2 650 civils) et 22 200 dans l’armée de l’air et de l’espace (Ejército de Aire y del Espacio : 18 800 militaires, 3 400 civils).

Les forces armées espagnoles (Fuerzas armadas españolas, FF. AA.) possèdent une grande variété d’équipements militaires, avec par exemple 327 chars d’assaut (Leopard 2E et 2A4), 84 bâtiments de la marine, 2 sous-marins et, dans les forces aériennes, 14 avions de transport A400M et 157 avions de combat, dont 73 Eurofighter Typhoon ([2]).

L’Espagne déploie 4 800 militaires dans des missions et opérations, dont seulement 28 sur son territoire national. Elle est engagée principalement dans le cadre de l’Union européenne, de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) – cf. infra – et de l’Organisation des Nations Unies (ONU) – environ 677 personnels déployés dans la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), à l’été 2024.

L’Espagne a récemment pris conscience de la nécessité de renforcer ses forces armées. Elle s’est dotée d’une stratégie ambitieuse pour consolider son industrie de défense (Stratégie industrielle de défense, Estrategia Industrial de Defensa, publiée en 2023) et a augmenté son budget de la défense depuis 2021 : celui-ci est passé de 10 milliards d’euros en 2015, à 11,5 milliards en 2021 et 15,9 milliards en 2024 en prix constants de 2015 ([3]) (14 milliards en 2024 en prix courants). Si l’Espagne consacre seulement 1,28 % de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses de défense en 2024 ([4]), soit le chiffre le plus bas des pays membres de l’OTAN (cf. Annexe 3), ce pourcentage était de 0,92 % en 2014 et le pays a désormais pour objectif d’atteindre la cible de 2 % en 2029, fixée par l’Alliance atlantique.

Le gouvernement espagnol souhaite renforcer la base industrielle et technologique de la défense (BITD) ([5]), ce dont témoigne la création récente de la Direction générale de la stratégie et de l’innovation de l’industrie de défense (Dirección General de Estrategia e Innovación de la Industria de Defensa, DIGEID). Le 20 novembre 2024, devant la commission de la défense du Congrès des députés, la ministre de la défense Margarita Robles a annoncé que son ministère travaillait sur de nombreux programmes d’acquisitions de matériels ([6]). Plusieurs contrats d’envergure ont été signés récemment, dont les commandes de 522 missiles anti-aériens MISTRAL 3 à MBDA en septembre 2023, et de 16 avions de patrouille et de surveillance maritime C295 et 27 drones tactiques SIRTAP à Airbus à la fin de l’année 2023. Le gouvernement espagnol mise également sur des programmes stratégiques tels que le véhicule blindé de combat d’infanterie 8x8 Dragon, le sous-marin S-81 et le système de combat aérien du futur (SCAF, cf. infra).

Dans un contexte international marqué par le retour des grandes rivalités stratégiques, cette prise de conscience apparaissait urgente. Les effectifs des FF. AA. ont diminué de 10 % depuis deux décennies ([7]) et une partie des matériels espagnols mérite d’être modernisée (sous-marins, avions de chasse de la marine EAV-8B Harrier II, etc.) ou de bénéficier d’un meilleur maintien en condition opérationnelle (MCO).

Néanmoins, il pourrait être difficile pour le gouvernement de Pedro Sánchez de poursuivre son augmentation du budget de la défense à court ou moyen terme. En effet, le Parlement pourrait ne pas réussir à adopter une nouvelle loi de finances pour 2025 et prolonger alors le cadre budgétaire de 2023, comme en 2024. De plus, le parti de gauche radicale Sumar, qui fait partie de la coalition gouvernementale, pourrait s’opposer à une telle politique.

2.   Un engagement pour la défense européenne et atlantique

L’Espagne est l’un des moteurs de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne (PSDC). Elle est notamment le troisième contributeur aux missions et opérations de l’Union. Elle commande pour la septième fois l’opération Atalante, déployée dans le golfe d’Aden et dans l’océan Indien depuis 2008 ([8]). Son engagement peut alors être comparé à celui de la France, même si l’Espagne ne souhaite pas participer à l’opération Aspides, lancée en février 2024 en mer Rouge et ne rejoint pas notre pays dans son objectif de rationaliser les opérations dans l’océan Indien.

En outre, l’Espagne s’engage dans le projet d’Europe de la défense. Sa Stratégie de sécurité nationale (Estrategia de Seguridad Nacional, ESN), publiée le 28 décembre 2021 par décret royal, prévoit à cet égard de renforcer « l’autonomie stratégique de la défense européenne ». Pour y parvenir, elle se fixe pour objectif la « [promotion] d’un leadership décisif dans la formulation et le développement de la PSDC, en ligne avec les conclusions qui émergeront du processus de révision de la sécurité européenne » et la « [contribution au renforcement des] capacités stratégiques autonomes de l’Union européenne, y compris la construction de l’Europe de la défense et le développement des capacités industrielles et technologiques européennes » ([9]).

L’Espagne a participé à la création de la capacité de déploiement rapide de l’Union européenne (UE’s rapid deployment capacity), prévue par la Boussole stratégique adoptée par le Conseil européen le 25 mars 2022. Elle a organisé l’exercice MILEX, qui a rassemblé plus de 2 800 militaires de neuf pays – dont la France – du 16 au 22 octobre 2023 à Cadix ([10]).

Le pays héberge le centre satellitaire de l’Union à Torrejón ainsi que le centre européen consacré à l’instruction en matière de transport aérien tactique (European Tactical Airlift Center, ETAC) à Saragosse.

En parallèle de son engament dans la défense strictement européenne, l’Espagne est active au sein de l’OTAN, qu’elle a rejoint le 30 mai 1982 (seizième membre) soit trente-trois ans après la création de l’organisation et presque sept ans après la fin de la dictature du général Franco (1936-1975). Elle a rejoint la structure militaire intégrée le 1er janvier 1999.

L’Espagne participe aux opérations de l’organisation. Depuis la guerre en Ukraine, elle a en particulier renforcé ses déploiements à l’Est de l’Europe dans le cadre de la politique dite de « réassurance » de l’Alliance, avec le déploiement de plus de 2 000 militaires (cf. carte en Annexe 4). Depuis le 1er juillet 2024, elle est même devenue nation cadre du groupement tactique (battlegroup) en Slovaquie ([11]) (800 militaires, 250 véhicules) et, depuis novembre 2024, elle contribue à hauteur d’un sous-groupement tactique interarmées (SGTIA, 250 personnels et 35 véhicules) au battlegroup français en Roumanie (mission Aigle). En outre, elle déploie en Lettonie un contingent (600 militaires) au sein du battlegroup canadien depuis 2017.

Le pays contribue également à des missions de défense aérienne en Roumanie, en Lettonie et en Turquie (« police du ciel ») et à des missions navales via les groupes maritimes permanents (SNMG) et les groupes maritimes permanents de lutte contre les mines (SNMCMG). Ces derniers opèrent dans l’océan Atlantique, en mer Baltique, en mer du Nord, en Méditerranée et en mer Noire.

L’Espagne accueille sur son sol le Centre des opérations aériennes interalliées de la région Sud de l’Europe à Torrejón de Ardoz (Combined Air Operations Center Torrejón, CAOC-TJ), le quartier général de haute disponibilité de Bétera (NATO Rapid Deployable CorpsSPAIN, NRDC-SP), le quartier général de la force maritime de haute disponibilité de Rota (COMSPMARFOR HRF), le centre d’excellence contre les engins explosifs improvisés (CoE C-IED) à Hoyo de Manzanares (Madrid), le centre d’entraînement des pilotes de chasse (Tactical Leadership Programm, TLP) à Albacete, et l’ETAC à Saragosse (cf. supra).

L’appartenance à l’OTAN apparaît centrale dans la politique de défense espagnole et le pays s’efforce de sensibiliser l’organisation aux défis du « flanc Sud », c’est-à-dire une zone qui couvre la Méditerranée, le Sahel et la péninsule arabique. L’Espagne est déjà active dans cette zone, notamment via l’initiative 5+5 Défense ([12]), son réseau d’attachés de défense (Sénégal, Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte) et le déploiement de sa marine huit mois par an pour contribuer à la sécurisation du golfe de Guinée.

Enfin, le pays soutient l’Ukraine en fournissant des armes (notamment 13 chars Léopard), une assistance aux enquêtes sur les crimes de guerre russes et lors de déplacements du premier ministre espagnol à Kiev (avril 2022, février et juillet 2023). Le 27 mai 2024, lors de la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky à Madrid, Pedro Sánchez a signé un accord de sécurité bilatéral avec l’Ukraine incluant plus de 1 milliard d’euros d’aide militaire ([13]) et une aide supplémentaire de 5 milliards d’euros les trois années suivantes.

B.   Une relation bilatérale confortée par les deux traités signés à barcelone le 19 janvier 2023

La relation bilatérale se caractérise par une grande proximité entre nos deux pays. Lors des auditions, le terme de « confiance » a ainsi été employé à de nombreuses reprises.

Cette proximité apparaît dans des conventions bilatérales − dont l’accord sur la double nationalité signé à Montauban le 15 mars 2021 et entré en vigueur le 1er avril 2022 – et se traduit au quotidien dans de multiples échanges politiques, économiques et culturels.

Les deux traités signés à Barcelone le 19 janvier 2023 marquent toutefois une nouvelle étape en donnant une autre impulsion à la relation bilatérale.

1.   Une coopération politique, économique et culturelle traditionnellement forte entre les deux pays

Les échanges diplomatiques entre la France et l’Espagne sont très réguliers et se traduisent notamment dans la recherche de positions communes à Bruxelles.

À la suite de la tempête DANA qui a causé la mort d’au moins 230 personnes et provoqué de très nombreux dégâts matériels dans le Sud et l’Est de l’Espagne à la fin du mois d’octobre 2024, la France a été le premier pays à répondre au déclenchement du mécanisme de protection civile de l’Union européenne par Madrid. La France a envoyé une cinquantaine de sapeurs-sauveteurs et de sapeurs-pompiers ainsi que des véhicules, pour apporter secours à la population espagnole.

Comme dans toute relation bilatérale, des divergences peuvent apparaître. Les positions de la France et de l’Espagne diffèrent ainsi sur les interconnexions ferroviaires ([14]) et sur le projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur.

La relation commerciale est très développée (95,1 milliards d’euros d’échanges de biens et 16,3 milliards de services en 2023). L’Espagne est notre 5e client à l’international (7,6 % de nos exportations) et notre 5e fournisseur (6,8 % de nos importations). Toutefois, le solde de la balance commerciale des biens s’est dégradé et inversé depuis la crise sanitaire : il était déficitaire pour la 4e année consécutive en 2023 (-5,4 milliards d’euros).

L’Espagne est le 8e investisseur en France, avec 1 300 filiales et 57 000 salariés. Le stock d’investissements directs étrangers (IDE) espagnols en France était de 55,5 milliards d’euros en 2022.

Enfin, la coopération culturelle et éducative est également très dense. Au total, 1,4 million d’Espagnols apprennent le français et près de 3,4 millions de Français apprennent l’espagnol. L’Espagne est le premier réseau au monde d’établissements LabelFrancEducation (119 établissements), un label qui distingue les meilleures filières bilingues, et elle accueille le premier réseau scolaire français à l’étranger en Europe (22 établissements) ([15]). La coopération universitaire elle est aussi dynamique avec plus de 3 000 conventions inter-universitaires et 220 double-diplômes.

Le réseau de coopération et d’action culturelle français est notamment constitué de l’Institut français d’Espagne et de ses antennes (Barcelone, Bilbao, Madrid, Saragosse, Séville et Valence), ainsi que de 19 Alliances françaises.

2.   Une coopération de défense dynamique

Au niveau juridique, la coopération bilatérale de défense est actuellement encadrée principalement par un accord de coopération dans le domaine de la défense signé à Paris le 7 octobre 1983 et par des instruments ponctuels, tels que des arrangements techniques. De plus, dans le cadre de l’OTAN, les deux États sont liés par la convention entre les États parties au traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, signée à Londres 19 juin 1951 (SOFA OTAN).

Pour le ministère des armées et des anciens combattants, l’Espagne est un « partenaire de confiance » au niveau stratégique – un dialogue stratégique a par exemple lieu chaque année au niveau du directeur de la politique de défense – et entre armées respectives. La coopération la plus développée est celle entre l’Ejército et l’armée de terre. Le 6 février 2024, un plan de coopération à cinq ans a d’ailleurs été établi par les chefs d’état-major de l’armée de terre et l’Espagne a réalisé un effort notable en rejoignant la France en Roumanie (cf. supra). Parallèlement, une frégate multi-missions (FREMM) française a été intégrée dans le groupe naval OTAN (SNMG) commandé par l’Espagne au premier semestre 2024.

Au niveau onusien, la France et l’Espagne sont engagées conjointement dans la FINUL.

En audition, d’autres exemples concrets de coopération ont été donnés, tels que la participation à de nombreux exercices communs, l’escale prochaine d’un bâtiment de la marine espagnole dans un territoire français du Pacifique ou le réseau particulièrement dense d’officiers de liaison (OL) et d’officiers d’échange (OE) ([16]).

En outre, l’Espagne a participé à la sécurité des Jeux olympiques de Paris 2024. L’Ejército a déployé une capacité radar de type AN/MPQ-64 Sentinel (50 personnels mobilisés), au sein du dispositif particulier de sûreté aérienne (DPSA) de Marseille.

Des points de désaccords ont néanmoins pu être exprimés entre les deux alliés, par exemple lorsque Madrid a demandé le maintien de la mission de formation EUTM (European Union Training Mission) au Mali malgré la rupture avec la junte ou lorsque l’Espagne s’est opposée à la volonté française de rationaliser les opérations européennes dans l’océan Indien (cf. supra).

Sur le plan capacitaire, il existe plusieurs programmes d’armement structurants en coopération bilatérale ou multilatérale : l’avion de transport multi-rôles tactique A400M et stratégique MRTT, le projet Eurodrone, les hélicoptères Tigre et NH90, le programme d’observation de la terre par satellite (CSO), le SCAF, etc. Sur ce dernier programme, des divergences de vues existent entre la France, l’Allemagne et l’Espagne sur la conception et l’utilisation future de l’avion – notamment pour répondre aux besoins de la dissuasion nucléaire française –  et sur l’objectif d’exportation. En outre, la marine espagnole serait favorable à l’achat d’avions américains F-35.

La coopération en matière d’armement semble encore perfectible. Si l’Espagne développe sa propre BITD et concurrence aujourd’hui la France sur certains segments, il apparaît pertinent de développer de nouveaux partenariats avec elle dans le contexte international actuel.

L’Espagne est d’ailleurs favorable aux nouveaux projets en coopération, ce dont témoigne sa participation aux projets du Fonds européen de défense (FED), comparable à celle de la France en termes de nombre d’entreprises participant aux projets de développement capacitaire et de nombre de projets dont elle a en charge la coordination.

3.   La visite d’État du 19 janvier 2023 : un renforcement historique de la coopération bilatérale dans tous les domaines

Le 19 janvier 2023, un sommet franco-espagnol a été organisé à Barcelone, conformément à la déclaration commune franco-espagnole du 9 juillet 1985.

S’il s’agit du 27e sommet de ce type, celui-ci a été marqué par un événement historique : la signature par le président de la République, Emmanuel Macron, et le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, d’un traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Espagne (dit « traité de Barcelone »). Un considérant du préambule résume ainsi l’objectif de ce texte : « Souhaitant que la dense coopération bilatérale existant entre leurs deux États, voisins, amis et alliés sur la scène européenne comme internationale, s’articule autour d’un cadre structuré qui permette de l’élever à son plein potentiel ». Il apparaissait d’autant plus important que deux traités du même type avaient été conclus avec deux autres grands voisins de la France : d’une part, l’Allemagne, avec le « nouveau traité d’Aix-la-Chapelle » le 22 janvier 2019 et, d’autre part, l’Italie, avec le traité dit « du Quirinal » signé le 26 novembre 2021 à Rome.

Le traité de Barcelone n’a pas encore pu entrer en vigueur car il n’a pas encore été ratifié par l’Espagne ([17]).

Ce traité est composé d’un préambule et de trente-six articles, répartis en dix titres thématiques permettant d’embrasser l’ensemble du spectre de la coopération bilatérale : structuration du dialogue bilatéral (titre I) ([18]) ; concertation européenne (titre II) ; politique étrangère de sécurité et de défense (titre III) ; justice et affaires intérieures (titre IV) ; culture, éducation, enseignement supérieur, science, jeunesse et sports (titre V) ; économie, industrie, connectivité et tourisme (titre VI) ; développement durable, énergie, transports, agriculture et alimentation (titre VII) ; santé, travail et affaires sociales (titre VIII) ; coopération transfrontalière (titre IX). Il s’achève par des dispositions finales classiques (titre X).

Le traité de Barcelone permet de présenter les nombreux projets et initiatives bilatérales dans ces différents domaines. Il prévoit par exemple des échanges de diplomates au sein des ministères chargés des affaires étrangères, la création de campus de métiers franco-espagnols sur les secteurs d’avenir, la création d’un conseil franco-espagnol de la jeunesse ou encore des coopérations industrielles dans le cadre des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC).

Une feuille de route opérationnelle, dont le suivi sera assuré par les ministres des affaires étrangères des deux pays, doit décliner les dispositions du traité. Elle est toujours en cours de négociation ([19]).

Le titre III, et plus spécifiquement les articles 9 à 12 du traité d’amitié et de coopération portent sur la défense. L’article 9 rappelle l’importance de la défense européenne et de l’intégration dans l’OTAN, et les grands textes et concepts liés (Boussole stratégique de l’Union européenne, Concept stratégique de l’OTAN, le cadre juridique garantissant une assistance en cas d’agression armée d’un territoire de l’un des États ([20]), etc.). Il souligne également la nécessité de « renforcer une culture stratégique commune ». L’article 10 relance le Conseil franco-espagnol de défense et de sécurité. L’article 11 porte sur la PDSC, les projets industriels communs et la « [coopération] dans l’acquisition d’équipements européens d’intérêt mutuel » pour renforcer « la base industrielle et technologique de défense européenne ». L’article 12 prévoit de renforcer les échanges de personnel militaire et de faciliter le transit et le stationnement des forces armées de l’autre partie sur son propre territoire.

Mais ce traité d’amitié n’avait vocation qu’à introduire la thématique. Comme le rappelle l’article 12, « un accord de coopération dans le domaine de la défense définit les modalités et les principes de la coopération bilatérale en la matière ».

Le principe d’un tel accord spécifique, actualisant l’accord du 7 octobre 1983, avait été exprimé deux ans plus tôt, dans la déclaration finale du XXVIe sommet franco-espagnol de Montauban du 15 mars 2021 : « Étant donné l’évolution de l’environnement stratégique et des relations entre les deux pays, l’Espagne et la France se sont mises d’accord pour revoir [le] contenu [de l’accord du 7 octobre 1983] et y refléter leur volonté commune de maintenir une coopération plus étroite en matière de politique commune de sécurité et de défense. Il s’agit en particulier de renforcer notre réponse commune aux nouvelles menaces, notamment hybrides, pour protéger les flux stratégiques, défendre notre liberté d’action dans les espaces stratégiques contestés (maritime, aérien, espace, cyber) et renforcer la coopération, déjà intense, de nos forces armées. » ([21]).


II.   Un renforcement de la coopération en matière de défense nécessaire dans le contexte international actuel

Compte tenu de l’évolution des enjeux de défense, le cadre juridique de la coopération franco-espagnole nécessitait une actualisation. Celui-ci reposait en effet principalement  ([22]) sur un accord signé à Paris en 1983 et ce dernier ne contenait pas de stipulation relative au statut des forces.

Les négociations visant à la conclusion d’une nouvelle convention ont été menées sans difficulté. Elles ont débuté le 6 mai 2021, avec la transmission d’une première proposition par les autorités espagnoles, et se sont achevées le 2 janvier 2023, après plusieurs évolutions du texte. La France a par exemple ajouté des clauses relatives à l’institution de structures de coopération à chaque niveau, au port d’armes, ainsi qu’aux procédures en cas de décès. Les autorités espagnoles ont quant à elles modifié la forme du projet : pour des raisons liées au droit interne, elles souhaitaient conclure un traité entre États plutôt qu’un accord entre gouvernements.

A.   Les dispositions du traité

Le traité comporte un préambule et dix-neuf articles. S’il comprend des clauses classiques figurant dans les accords et traités de coopération en matière de défense et régissant le statut des forces signés par la France, il se démarque par sa relative brièveté ([23]). Certaines clauses n’y figurent pas, telles que celles relatives aux importations et aux exportations de matériels destinés aux forces armées et à leur stockage.

De plus, contrairement à certains traités ou accords similaires, il opère des renvois explicites à la convention entre les États parties au traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces signée à Londres le 19 juin 1951 – ou « SOFA OTAN » – afin d’en faire application (articles 7, 14 et 15).

Par ailleurs, le traité prévoit des dispositions relatives aux consultations et aux instances de dialogue (articles 3 et 6) propres à la relation franco-espagnole.

1.   Les dispositions générales

L’article 1er présente l’objet du traité : « les parties conviennent (…) d’approfondir leur coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité et de définir les principes selon lesquels cette coopération est mise en œuvre ».

L’article 2 est ensuite consacré aux définitions (« aéronef d’État », « forces armées », « membre du personnel », « navire d’État », « partie d’accueil », « partie d’origine », « personne à charge »).

2.   Une coopération de défense la plus large possible

L’article 3, qui comprend des dispositions nouvelles par rapport à l’accord de 1983, témoigne de la volonté des deux partenaires de travailler ensemble et de définir des positions communes dans les enceintes internationales. Le point 1 prévoit en effet que « les parties se consultent régulièrement, à tous les niveaux, sur tous les sujets de défense et de sécurité d’intérêt commun, dans le but, lorsque cela est possible, d’établir des positions communes, notamment au sein des organisations internationales et régionales, et d’agir conjointement ». Cet article, témoigne ainsi d’une véritable proximité entre les deux États.

Il marque également la place de la défense européenne, d’une part, et atlantique, d’autre part. Parmi d’autres objectifs, le point 2 rappelle en effet que « par ces positions et actions communes, les parties s’efforcent, dans un esprit de solidarité (…) de renforcer l’Union européenne en matière de défense, en étroite complémentarité avec l’OTAN ».

L’article 4 définit les domaines de la coopération, beaucoup plus nombreux et variés que dans d’autres accords de défense.

La coopération couvre tout d’abord les « domaines stratégiques et opérationnels : veille stratégique sur les zones et thématiques d’intérêt commun, activités et opérations de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) européenne, sécurité maritime, planification des capacités de l’emploi des forces, exercices militaires, survols aériens, escales navales, télécommunications militaires, coopération dans les domaines stratégiques suivants : « renseignement, lutte contre le terrorisme, cyberdéfense, menaces hybrides, spatial ».

Elle comprend ensuite « le domaine capacitaire », avec notamment des « coopérations industrielle et technologique dans le domaine de la défense » et des « projets et programmes communs dans le domaine capacitaire ». L’Union européenne est à nouveau évoquée, puisque cette coopération comprend la « coordination des positions et [l’] élaboration de propositions conjointes dans le cadre des initiatives européennes de défense en matière capacitaire ».

Enfin, l’article liste des domaines relativement nouveaux pour ce type de convention internationale :

– « énergie et changement climatique ;

– capacités en matière de médecine militaire et de lutte contre les crises sanitaires ;

– rôle des femmes au sein des forces armées ainsi que dans le règlement des conflits ;

– activités géographiques, cartographiques, hydrographiques, océanographiques et météorologiques ;

– activités culturelles, historiques et sportives. ».

De plus, l’article ajoute que la coopération peut s’étendre à tout autre domaine sur lequel les parties s’accorderaient.

La coopération de défense franco-espagnole peut prendre des formes concrètes très diverses, décrites à l’article 5 :

– formations et entraînements des forces (dont des exercices communs) ;

– échanges d’officiers de liaison et d’officiers d’échange ;

– visites officielles d’autorités ;

– consultations et conférences sur des thèmes d’intérêt commun ;

– échanges d’informations et de renseignements dans le domaine militaire ;

– toute autre forme de coopération de défense et de sécurité, décidée d’un commun accord entre les parties.

Les modalités de la coopération peuvent être précisées par les instruments pertinents (accord, arrangement technique).

L’article 6 institutionnalise plusieurs espaces de dialogue entre les deux parties. Il mentionne tout d’abord le conseil franco-espagnol de défense et de sécurité (CFEDS) auquel participent annuellement les ministres en charge des affaires étrangères et de la défense des deux pays. Celui-ci avait été créé en 2005 mais abandonné en 2013. Ainsi, le sommet bilatéral de Montauban du 15 mars 2021 prévoyait l’organisation prochaine d’« un conseil franco-espagnol de défense et de sécurité en format défense (CFEDS), qui sera également l’occasion d’actualiser la feuille de route établie lors de la dernière réunion de ce conseil en 2013 ». Si l’organisation de ce conseil ne nécessitait pas son inscription dans un traité, celle-ci permet de l’institutionnaliser et d’inscrire le principe d’une réunion annuelle.

Il apparaîtra toutefois important de veiller à son respect. Un CFEDS réunissant les quatre ministres en charge des affaires étrangères et de la défense s’est réuni en marge du sommet de Barcelone le 19 janvier 2023 mais il n’y a pas eu d’autres réunions dans ce format depuis ([24]).

L’article 6 prévoit également un dialogue stratégique annuel entre la direction générale des relations internationales (DGRIS) du ministère des armées et des anciens combattants et son homologue espagnole (dirreción general de politica de defensa, DIGENPOL) ([25]), l’élaboration de plans de coopérations bilatéraux grâce à l’organisation de rencontres régulières entre les états-majors interarmées et de chaque armée.

Enfin, un comité d’armement suit la mise en œuvre des stipulations du traité dans le domaine de l’armement et se réunit au moins une fois par an. Ce comité existait déjà dans l’accord de 1983 − même si ce dernier ne détaillait pas sa composition ([26]) − et se réunit déjà annuellement.

3.   Les dispositions particulières

L’article 7 renvoie, pour les questions relatives au port de l’uniforme et des insignes militaires, à l’article V du SOFA OTAN. Cet article consent notamment à ce que les personnels de la partie d’envoi puissent revêtir l’uniforme et les insignes militaires de manière conforme à la réglementation en vigueur au sein de leurs forces armées.

L’article 8 règle les questions relatives à la détention, au port et à l’utilisation des armes de dotation par les militaires de chaque partie, dans le cadre des besoins du service. Pour l’utilisation des armes, les militaires sont assujettis au respect des règles de la partie d’accueil ([27]).

L’article 9 concerne la prise en charge médicale. Il octroie un droit d’accès aux services de santé pour les personnels de la partie d’origine et les personnes à leur charge dans les mêmes conditions que pour ceux de la partie d’accueil. Pour les services de santé militaires, ils ont un accès à titre gratuit. En revanche, les prestations médicales dans les services de santé civils et les rapatriements sanitaires sont à la charge de la partie d’origine.

De plus, cet article prévoit que les professionnels de santé qui font partie du personnel militaire de la partie d’origine sont autorisés à réaliser les actes pour lesquels ils sont habilités dans leur État à l’égard des membres du personnel de cet État et de ceux de la partie d’accueil.

L’article 10 porte sur les dispositions applicables en cas de décès d’un des membres du personnel ou d’une personne à charge de la partie d’origine sur le territoire de la partie d’accueil ou à bord d’un navire ou d’un aéronef de celle-ci, notamment concernant l’établissement du certificat de décès, l’autopsie et la remise du corps du défunt à la partie d’origine.

L’article 11 prévoit un droit d’accès aux services de courrier, de télécommunications et de transport pour les forces armées de la partie d’origine, dans les mêmes conditions que celles de la partie d’accueil.

L’article 12 porte sur la fiscalité. Il assure le maintien de la domiciliation fiscale des personnels et des personnes à leur charge dans la partie d’origine (sauf s’ils ont la nationalité ou sont résidents de la partie d’accueil), afin d’éviter une double imposition.

L’article 13 indique les autorités de la partie d’origine ont compétence exclusive en matière de discipline sur les membres de leurs personnels.

L’article 14 précise qu’en cas d’infractions commises par les membres du personnel de la partie d’origine sur le territoire de la partie d’accueil, les stipulations de l’article VII du SOFA OTAN s’appliquent. Ce dernier rappelle la compétence en matière de discipline des autorités de la partie d’origine sur leurs personnels. Il pose également le principe de la compétence juridictionnelle de la partie d’accueil, même si des exceptions sont prévues ([28]). De plus, l’article prévoit une coopération en matière d’enquête, ainsi qu’une série de garanties procédurales pour assurer le droit à un procès équitable aux membres du personnel de la partie d’origine, en cas de poursuites devant les tribunaux de la partie d’accueil.

De même, l’article 15 renvoie à l’article VIII du SOFA OTAN en cas de dommages causés par des membres du personnel de la partie d’origine sur le territoire de la partie d’accueil. Cet article détaille la procédure et les règles pour l’indemnisation de la partie d’accueil.

L’article 16 porte sur le financement de la coopération. Il pose le principe selon lequel chaque partie supporte ses propres coûts relatifs à la participation de son personnel aux activités. Pour le financement des activités, « des accords, arrangements ou, tout autre instrument approprié » peuvent être décidés.

L’article 17 renvoie, pour la protection des informations classifiées, à l’accord général de sécurité concernant l’échange et la protection des informations classifiées, signé par la France et l’Espagne le 21 juillet 2006, à Madrid.

L’article 18, classique dans sa rédaction, prévoit que « tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application de l’accord est réglé par voie de consultations ou de négociations entre les parties ».

4.   Les clauses finales

L’article 19 comprend les stipulations finales du traité. Il précise que les parties doivent se notifier l’accomplissement des procédures internes requises pour l’entrée en vigueur du traité. Il indique également que le texte prendra effet le premier jour du deuxième mois suivant le jour de réception de la seconde notification.

Le 28 juin 2024, l’Espagne a notifié l’accomplissement de ses procédures internes au ministère de l’Europe et des affaires étrangères par note verbale. La ratification du traité par la France permettra donc sa mise en œuvre.

L’article précise ensuite que l’accord est conclu pour une durée indéterminée, ce qui témoigne à nouveau de la confiance entre les deux partenaires. La plupart des conventions prévoient une durée fixe (par exemple, cinq ans), renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de même durée.

À tout moment, l’accord pourra être modifié par un accord écrit et être dénoncé par les parties par voie diplomatique. La dénonciation prendra effet quatre-vingt-dix jours après la réception de la notification écrite par l’autre partie.

Enfin, à la date de son entrée en vigueur, le traité met fin à l’accord bilatéral de coopération dans le domaine de la défense signé à Paris le 7 octobre 1983.

B.   Un texte utile pour la défense européenne

1.   Un traité qui sécurise juridiquement et encourage la coopération de défense avec l’Espagne

Ce nouveau traité permet aux forces armées des deux pays de disposer d’un cadre juridique plus complet. Il renforce ainsi la sécurité juridique des activités de coopération et apparaît donc comme une étape indispensable pour les encourager.

En outre, selon l’étude d’impact du projet de loi, la ratification de ce traité « ne crée pas de charges nouvelles pour les finances publiques ». Le rapporteur a d’ailleurs pu constater que la mission de défense de l’ambassade de France en Espagne était déjà suffisamment dotée en effectifs.

Il est intéressant de noter que la France a récemment signé des accords de coopération dans le domaine de la défense avec la Macédoine du Nord (14 octobre 2022, à Paris), les Fidji (6 décembre 2023, à Nouméa), le Monténégro (le 3 avril 2024, à Paris), l’Irak (15 juillet 2024) ou encore Djibouti (24 juillet 2024, à Paris) ([29]).

2.   Un traité qui s’intègre dans la stratégie européenne et atlantique de la France

L’Espagne apparaît comme un partenaire naturel de la France en matière de défense. Un considérant du préambule indique que les parties « partageant leur analyse des menaces qui pèsent sur leurs intérêts nationaux et communs », sont convenues des stipulations du traité. Parmi les menaces identifiées par les deux pays, figurent la déstabilisation de la sécurité européenne par la Russie, l’instabilité au Sahel, l’insécurité au Moyen-Orient, les trafics illicites dans le voisinage Sud de l’Europe, les conséquences des dérèglements climatiques et les attaques cyber et informationnelles.

En outre, depuis la signature du traité, l’élection du président Donald Trump a ravivé les incertitudes sur le maintien de l’aide apportée par les États-Unis à l’Ukraine et, au-delà, sur le maintien du niveau d’engagement américain dans la défense du territoire européen.

Dans un tel contexte international, il apparaît nécessaire pour la France de se rapprocher de ses alliés européens, et en particulier de ceux qui partagent son ambition pour la défense européenne. La France comme l’Espagne promeuvent l’autonomie stratégique de la défense européenne, tout en s’impliquant activement dans les activités de l’Alliance atlantique – les deux pays contribuent ainsi à renforcer le « pilier européen de l’OTAN ».

Il est néanmoins important de noter que tout partenariat franco-espagnol sera nécessairement déséquilibré, puisque la France dispose d’une armée plus importante et que son budget de défense correspond déjà à 2 % de son PIB en 2023.


   AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

La commission de la Défense nationale et des forces armées s’est saisie pour avis du projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d’Espagne, signé à Barcelone le 19 janvier 2023.

La relation bilatérale de défense avec l’Espagne est ancienne. Membre de l’organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), l’Espagne est l’un de nos principaux alliés européens. Promouvant l’autonomie stratégique européenne, l’Espagne est engagée dans de nombreux projets de coopérations capacitaires de défense avec la France.

Signé à Barcelone le 19 janvier 2023 par M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées de la République française et Mme Margarita Robles Fernandez, ministre de la Défense du royaume d’Espagne, cet accord a pour objet d’actualiser le cadre juridique de la relation bilatérale de défense entre la France et l’Espagne. En parallèle a été signé le même jour un traité d’amitié et de coopération entre les deux Nations, dit « Traité de Barcelone ».

Le traité sur la coopération dans le domaine de la défense s’inscrit dans une volonté conjointe de « renforcer notre réponse commune aux nouvelles menaces, notamment hybrides, pour protéger les flux stratégiques, défendre notre liberté d’action dans les espaces stratégiques contestés (maritimes, aérien, espace, cyber) et renforcer la coopération, déjà intense, de nos forces armées », ainsi que l’ont déclaré le Président de la République française et le Président du gouvernement espagnol à l’issue du XXVIème sommet franco-espagnol à Montauban le 15 mars 2021.

  1.   Une relation bilatÉrale de dÉfense précieuse et plus que jamais nécessaire face au nouveau contexte stratégique
    1.   Une relation bilatÉrale de dÉfense prÉcieuse qui s’inscrit dans la durÉe
      1.   Une relation militaire bilatérale favorisée par une forte convergence d’intérêts

La coopération bilatérale de défense est ancienne et constante entre la France et l’Espagne. Le 7 octobre 1983 est signé à Paris un accord de coopération dans le domaine de la défense entre le royaume d’Espagne et le gouvernement de la République française, représenté par son ministre de la Défense Charles Hernu. Cet accord de défense, le premier depuis la fin de la dictature franquiste et l’adoption de la Constitution espagnole de 1978, abroge l’accord de coopération militaire signé le 22 juin 1970 entre la France et l’Espagne. Son préambule évoque le désir commun des Parties d’approfondir et d’accroître une coopération existante dans le domaine de la Défense depuis 1959.

Ainsi que le rappelle l’étude d’impact du traité, « les convergences d’intérêt entre nos deux pays ont conduit au développement de la coopération dans le domaine de la défense. » Membre de l’organisation du traité de l’Atlantique Nord depuis 1982, l’Espagne est l’un de nos principaux alliés européens. La coopération opérationnelle dense entre les deux pays découle d’une communauté de vues sur les priorités stratégiques, suivant la logique du continuum Méditerranée – bande sahélo-saharienne – golfe de Guinée. L’Espagne est sans doute le pays européen qui partage le mieux la vision française du flanc Sud de l’Europe. La stabilité en Méditerranée et en Afrique, menacée par le terrorisme et les flux illégaux (migrations, narcotrafic notamment) fait partie de ses priorités nationales. Si le lien transatlantique reste très prégnant pour l’Espagne, le pays n’en considère pas moins la France comme son partenaire militaire de référence et sans doute le seul leader crédible pour la défense européenne. En conséquence, la relation bilatérale de défense se maintient à un excellent niveau et concerne de nombreux domaines. Il en résulte une coopération dynamique sur les plans opérationnels et capacitaires.

La France et l’Espagne sont toutes deux parties au forum 5+5 Défense, un forum de coopération multilatérale entre les deux rives de la Méditerranée occidentale. Réunissant cinq États de la rive sud de la Méditerranée (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc et Tunisie) et cinq États de la rive nord (France, Italie, Malte, Portugal et Espagne), il constitue un cadre préférentiel favorisant la connaissance mutuelle et les échanges sur les enjeux de défense et sécurité communs de l’espace (terrorisme, flux migratoires, trafics notamment). Le dialogue 5+5 a été lancé en 1990 en format « Affaires étrangères » puis décliné en divers formats thématiques. 

La déclaration finale du conseil franco-espagnol de défense et de sécurité (CFEDS) de Brest en 2013 constitue une feuille de route rappelant en particulier l’ambition commune de la France et de l’Espagne en faveur d’une Europe de la défense forte et d’un rapprochement des capacités opérationnelles dans les zones d’intérêt commun que sont la Méditerranée, le Sahel, le golfe de Guinée et la Corne de l’Afrique.

  1.   Une coopération opérationnelle dense qui valorise particulièrement le cadre multilatéral ou européen

Les coopérations opérationnelles entre les deux armées sont nombreuses et fructueuses. En complément de l’action française en bande sahélo-saharienne, l’Espagne a soutenu les forces françaises par la mise à disposition d’avions de transport (jusqu’à 2) qui œuvraient à partir de Dakar en particulier pour la force française Barkhane et la Task force européenne Takuba.

Plus généralement, s’agissant du domaine opérationnel, les deux Nations mettent en œuvre une importante coopération interarmées et interalliées. Le rapporteur souhaite souligner la contribution de l’Espagne à la sécurisation des JOP de Paris 2024 : ayant répondu favorablement à l’invitation du chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace (CEMAAE) français, l’armée de terre espagnole a déployé cet été une capacité radar de type AN/MPQ-64 Sentinel dans le cadre du dispositif particulier de sûreté aérienne (DPSA) mis en œuvre par l’armée de l’air et de l’espace à Marseille (50 personnels mobilisés). Cette capacité correspond au segment de détection intégré au système de lutte antiaérienne Norwegian advanced surface to air missile system (NASAMS). L’intégration du radar a permis d’accroître la couverture de détection de la zone en offrant également une capacité de résilience à nos propres systèmes radar.

La coopération la plus développée est sans doute celle existant entre les deux armées de terre, l’armée de terre française étant le premier partenaire de l’« Ejército» espagnol. Un plan de coopération à cinq ans a d’ailleurs été décidé à l’occasion de la réunion opérationnelle entre chefs d’état-major de l’armée de terre du 6 février 2024. Il existe en outre de grands partenariats structurants entre la 6e brigade légère blindée et la brigade de la Légion ainsi qu’entre l’aviation légère de l’armée de terre espagnole (FAMET) et l’aviation légère de l’armée de terre française (ALAT).

Les marines des deux pays coopèrent également de manière dense, l’Espagne étant le premier partenaire pour l’accueil de bâtiments de la Marine nationale ou de survols par ses aéronefs. L’Espagne a accueilli la première escale à l’étranger du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Duguay-Trouin en septembre 2023.

Concernant l’armée de l’air et de l’espace (AAE), ses personnels participent de manière quasiment systématique aux exercices « air » de l’armée de l’air espagnole et inversement. La coopération capacitaire franco-espagnole relevant essentiellement du segment aérien, la relation bilatérale entre les deux armées de l’air est très dynamique grâce à la détention de nombreux matériels communs (A400M, drones Reaper, PC-21, A330 MRTT) et de nombreux projets de coopérations capacitaires communs (SCAF, Euromale notamment). Dans le cadre de la mission « Pacific Skies », les aviateurs des trois Nations parties prenantes au programme de système de combat aérien futur SCAF (allemands, français et espagnols) ont effectué une opération conjointe à l'été 2024 dans le cadre plus large de la mission de projection de puissance « Pegase ».

Si les coopérations entre nos deux armées sont nombreuses, l’Espagne est particulièrement désireuse de renforcer la coopération opérationnelle au niveau multilatéral ou européen.

La France et l’Espagne partagent un même objectif d’autonomie stratégique européenne. La France et l’Espagne ont tous deux défendu une rédaction ambitieuse de la « boussole stratégique » de l’Union européenne en matière de sécurité et défense, approuvée par le Conseil lors de sa session du 21 mars 2022.

Au Sahel, l’Espagne a été engagée dans le cadre de la mission de formation militaire de l’Union européenne au Mali (EUTM), comptant jusqu’à une centaine de militaires engagés dans cette opération. Elle a conduit le désengagement de cette opération avec l’appui logistique de l’armée française.

L’exercice militaire de gestion de crise organisé par l’état-major de l’Union européenne, MILEX 2023, s’est déroulé en Espagne, entre le 18 septembre et le 22 octobre 2023. Près 3 000 soldats de 19 pays européens y ont participé avec pour objectif d'améliorer l'interopérabilité des armées européennes ainsi que la mise en œuvre de la capacité de déploiement rapide de l'UE. Durant la phase d’exercice grandeur nature, l’Espagne a fourni le plus gros contingent de militaires (près de 1 800 Espagnols sur les 3 000 militaires déployés).

Concernant l’OTAN, l’Espagne a rejoint la structure militaire intégrée de l’alliance atlantique en 1999. Au sein de l’Alliance, l’Espagne a une attention particulière pour les partenaires du flanc sud. L’Espagne abrite un certain nombre de structures de l’Alliance, notamment l’un des deux CAOC (Combined Air operations Center) à Torrejón de Ardoz. Ce dernier contrôle l’espace aérien du sud de l’Europe. Le pays abrite également le centre d'excellence de l’OTAN pour la lutte contre les engins explosifs improvisés à Hoyo de Manzanares (Madrid) ainsi que le quartier général du sol à haut niveau de préparation de Bétera (Valence) qui peut remplir son rôle de quartier général du corps de réaction rapide de l’Alliance atlantique. L’Espagne met ce quartier général à la disposition de l’OTAN de manière permanente. En outre, le stage Tactical Leadership Programme se déroule chaque année à Albacete en Espagne. Cet exercice international permet de qualifier les pilotes de chasse d’une Nation membre de l’OTAN en tant que « chef de mission », afin de leur permettre de diriger des missions complexes sur des théâtres d’opérations. L’Espagne contribue également au système de défense de l’OTAN contre les missiles balistiques, avec six destroyers américains AEGIS à la base navale de Rota.

Dans le cadre des déploiements actuels de l’OTAN, en plus de participer aux flottes de réserve de l’Alliance, l’Espagne est présente en Turquie en déployant une batterie antiaérienne « Patriot » pour défendre ce pays. L’Espagne participe à l’opération maritime de sécurité de l’OTAN en Méditerranée « Sea Guardian ».

Dans le cadre de la présence avancée renforcée sur le flan oriental de l’Alliance, l’Espagne déploie en Lettonie un contingent espagnol de 600 militaires au sein du « Battlegroup » canadien depuis 2017. Ce déploiement représente une composante blindé-mécanisé, une composante génie, des composantes artillerie, guerre électronique, logistiques, joint terminal attack controller (JTAC), des drones ainsi qu’une composante antiaérienne. Depuis le 1er juillet 2024, l’Espagne a pris le commandement du groupement tactique multinational de l’OTAN en Slovaquie (800 militaires, 250 véhicules). Enfin, depuis novembre 2024, l’Espagne contribue au bataillon multinational dont la France est Nation-cadre en Roumanie à hauteur d’un sous-groupement tactique interarmées (SGTIA de près de 250 personnels et trente-cinq véhicules). Par ailleurs, des avions de chasse espagnols F-18 et Eurofigther sont déployés dans le cadre de l’action de police aérienne dans la région Baltique et en mer Noire. Aux côtés de l’armée française, les Espagnols participent en Irak à des activités de formation et de renforcement des capacités des forces armées irakiennes.

Par ailleurs, l’Espagne compte 677 soldats ([30]) au sein de la force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) qui est commandée par un général espagnol. Les quelque 700 militaires français et les 677 militaires espagnols coopèrent étroitement dans ce cadre onusien.

  1.   Une coopération capacitaire principalement centrée sur le segment aérien

L’Espagne est très favorable aux projets en coopération et de nombreux projets capacitaires sont en cours ou ont abouti ces dernières années, notamment sur le segment aérospatial.

En ce qui concerne le projet de drone moyenne altitude longue endurance (MALE) européen, un contrat de réalisation a été signé au nom de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne entre l’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) et Airbus le 24 février 2022. Le programme EUROMALE accuse un retard d’environ un an à ce stade. Il importe de s’assurer que le projet final d’EUROMALE sera toujours conforme aux attentes opérationnelles des armées lorsqu’il sera livré, probablement à la fin la décennie. Le surcoût du programme devra également être maîtrisé par rapport au coût initial.

Sur le segment de l’aviation de transport, la France et l’Espagne participent aux côtés de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la Belgique, du Luxembourg et la Turquie au programme A400M. Malgré sa flotte limitée à 17 appareils (contre 25 en France en 2025 pour une cible d’au moins 35 appareils en 2035), l’Espagne est un acteur de premier plan du programme puisqu’elle héberge les chaînes d’assemblage final de l’A400M à Séville et les chaînes de maintenance à Madrid. Alors que les cibles terminales de livraison françaises et espagnoles ont toutes deux été réduites par rapport à l’ambition initiale, la survie de la chaîne de production essentiellement située en Espagne est remise en question. L’enjeu actuel du programme consiste donc à pérenniser la chaîne de production, en s’appuyant notamment sur l’export.

La France et l’Espagne sont également toutes deux parties prenantes au programme A330 MRTT, l’avion ravitailleur multirôle emblématique des forces aériennes stratégiques françaises. L’Espagne a reçu à la fin du mois de novembre 2024 son premier avion ravitailleur multimissions MRTT. La transformation des trois A330 civils achetés par la France dans le cadre du plan de soutien aéronautique en 2020 en avions militaires MRTT est effectuée en Espagne sur le site de Madrid-Getafe. L’Espagne devrait être à l’avenir un partenaire particulièrement attentif aux évolutions prévues au titre du standard II de cet appareil.

Sur le segment des hélicoptères, l’Espagne a montré une grande détermination dans la rénovation à mi-vie de l’hélicoptère de combat Tigre, alors que l’Allemagne a annoncé son retrait du programme dès 2021. Le contrat de développement du standard 3 du Tigre, programme mené désormais uniquement entre la France et l’Espagne, a été notifié le 2 mars 2022. Il prévoyait à terme la rénovation des 42 Tigre sur les 67 que compte l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT) et la rénovation des 18 Tigre des Fuerzas aeromobiles del Ejercito de tierra (FAMET). Si les versions françaises et espagnoles sont très proches, il demeure cependant quelques spécificités notamment sur l’armement, l’Espagne ayant retenu le missile israélien Spike. Dans le cadre de la LPM 2024-2030, la France a réduit les ambitions capacitaires initiales du standard 3 du programme Tigre, l’avenir des hélicoptères de reconnaissance et de combat ayant fait l’objet d’un questionnement public à l’aune du retour d’expérience ukrainien. Une logique de pérennisation du parc à travers une rénovation à mi-vie (standard Mk2+) dans l’attente du successeur du Tigre à horizon 2040-2045 a été privilégiée. D’après les informations fournies à votre rapporteur, l’Espagne s’est montrée à l’écoute des contraintes de la France à la condition que le développement de la version espagnole n’en soit que marginalement impacté. Un enjeu pour la coopération franco-espagnole sera de maintenir des développements communs entre le Tigre au standard Mk2+ et l’hélicoptère interarmées léger Guépard, la DGA ayant favorisé les éléments communs dans le domaine de l'avionique notamment entre le Tigre rénové et le programme HIL. Le développement du « missile haute trame » pour armer le Tigre semble abandonné.

Un autre potentiel enjeu pour la coopération bilatérale sera de lancer très prochainement des études, au niveau national ou en coopération, pour préparer l’« hélicoptère de combat du futur » qui succédera au Tigre afin d’éviter une prévalence des « H35 » américains en Europe.

La France et l’Espagne coopèrent également largement afin d’améliorer la performance opérationnelle et le soutien du NH90 Terre et Marine.

Sur le projet très stratégique du futur intercepteur européen endo- atmosphérique, l’Espagne et la France participent à deux projets concurrents. La France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas participent au projet HYDIS, proposé en 2023 par un consortium d’entreprises conduit par l’industriel MBDA, tandis que l’entreprise espagnole SENER pilote le projet concurrent HYDEF qui est soutenu par l’Espagne, la Norvège, la Belgique, la Pologne et la République tchèque. Un dialogue étroit est conduit avec l’Espagne pour définir le projet industriel final qui sera présenté à la fin de la phase d’évaluation des deux architectures systèmes, la Commission européenne ayant explicitement requis qu’un projet unique soit retenu pour la phase de réalisation.

  1.   La signature du traitÉ intervient À un moment où L’Espagne renforce significativement son effort de dÉfense À l’aune du nouveau contexte stratÉgique

Dans le contexte de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie, l’Espagne a considérablement renforcé son effort de défense. En 2023, le budget espagnol de la défense a substantiellement augmenté (+20 %). Ce budget s’élève actuellement à près de 16 Mds d’euros, ce chiffre devant être lu à l’aune des spécificités budgétaires de l’État espagnol qui accorde une grande autonomie à ses communautés autonomes.

Les forces armées espagnoles

Le ministère de la défense espagnol compte environ 136 000 personnels. Les forces terrestres espagnoles se composent de 67 483 militaires. Elles sont dotées de 327 chars d’assaut, d’environ 1 800 avions de combat et de 90 hélicoptères. Les forces navales espagnoles se composent de 18 806 militaires, dont 4 680 soldats d’infanterie de marine. Elles sont dotées de 84 bâtiments, 2 sous-marins et de 29 aéronefs. Enfin, les forces aériennes espagnoles se composent de 18 813 militaires et sont équipées de 157 avions de combat, dont 73 Eurofighter et 84 F18, 4 drones MQ9 Reaper, 14 A400M, 12 avions C-295, et 17 avions CN 235.

Face au nouveau contexte stratégique, les autorités espagnoles ont démontré aux côtés de la France leur pleine solidarité avec l’Ukraine face à l’agresseur russe, en cédant notamment 13 chars Léopard et en offrant une assistance aux enquêtes sur les crimes de guerre présumés russes. Un accord politique bilatéral sur la sécurité et la défense de l’Ukraine a été signé entre l’Espagne et l’Ukraine en mai 2024.

  1.   Le Cadre juridique de la coopÉration bilatÉrale en matiÈre de dÉfense nÉcessite d’Être actualisÉ

Le précédent accord de coopération dans le domaine de la défense entre la France et l’Espagne a été signé le 7 octobre 1983. Aussi important que fut cet accord signé au lendemain de la première alternance politique depuis la chute de la dictature franquiste, cet accord mérite aujourd’hui d’être actualisé.

En effet, l’accord de 1983 ne comprenait pas de stipulations relatives au statut des forces. Jalon essentiel dans la coopération militaire bilatérale franco-espagnole, l’inclusion d’un statut des forces dans la lettre du traité est d’abord destinée à fournir un cadre juridique protecteur pour les militaires français déployés en Espagne et les militaires espagnols déployés en France. Ces stipulations s’appliqueraient également en cas de coopération bilatérale dans les eaux internationales, par exemple dans le cas d’une coopération maritime.

En outre, l’accord de 1983 ne comportait pas de références aux cadres de coopérations multilatéraux, défaut que pallie ce nouveau traité au sein de son préambule et à l’article 3. Ainsi, la référence à l’Union européenne était nécessaire, le précédent accord de défense ayant été conclu avant l’adhésion de l’Espagne à la Communauté économique européenne en 1986.

  1.   Un traitÉ de coopÉration QUI institue un statut des forces et donne un nouvel Élan À la coopÉration capacitaire et opÉrationnelle franco-espagnole
    1.   Le traitÉ institue un statut des forces inexistant dans les traitÉs antÉrieurs

Les accords relatifs au statut des forces, le plus souvent désignés par leur acronyme anglais SOFA (Status of Forces Agreement) fixent le droit applicable à nos personnels à l’étranger et aux personnels étrangers sur notre sol. Ils permettent de développer la coopération internationale dans le domaine de la défense et de sécuriser le cadre juridique de nos activités de coopération et de nos opérations, car en l’absence de tout accord, le droit commun de l’État hôte s’applique à nos ressortissants.

Les articles 7 à 15 du traité instituent un statut des forces qui permettra de mieux protéger les militaires français et espagnols lorsqu’ils seront déployés en Espagne ou en France.

L’article le plus emblématique du traité est sans doute l’article 9 qui prévoit que les « membres du personnel de la partie d’origine ont accès aux services de santé dans les mêmes conditions que le personnel de la partie d’accueil. Pour les services de santé militaires, les membres du personnel de la partie d’origine et les personnes à leur charge ont un accès à titre gratuit. En revanche, les prestations médicales dans les services de santé civils sont à la charge de la partie d’origine. ».

L’article 10 est relatif aux dispositions applicables en cas de décès d’un des membres du personnel de la partie d’origine sur le territoire de la partie d’accueil, notamment pour ce qui concerne l’établissement du certificat de décès, en cas d’autopsie et pour la remise du corps du défunt à la partie d’origine.

L’article 11 octroie aux forces armées de la partie d’origine le bénéfice des services de courrier, de télécommunication et de transport dans les mêmes conditions que les forces armées de la partie d’accueil.

L’article 12 relatif aux impôts prévoit le maintien de la domiciliation fiscale des membres du personnel et des personnes à charge dans l’État de la partie d’origine afin d’éviter une double imposition. Les exonérations prévues par cet article ne sont pas applicables aux membres du personnel qui ont la nationalité ou qui sont résidents de la partie d’accueil.

 L’article 13 précise que les autorités de la partie d’origine disposent d’une compétence exclusive en matière de discipline sur les membres de leur personnel.

Les articles 7, 14 et 15 prévoient l’application des dispositions du SOFA OTAN concernant le port des insignes militaires et uniformes ainsi que les infractions commises par les membres du personnel de la partie d’origine sur le territoire de la partie d’accueil.

Les personnels militaires et civils français et espagnols concernés par ce traité sont ceux qui participent à une activité de coopération entrant dans le champ d’application du traité. L’Espagne est l’un des alliés avec lequel la France entretient le plus vaste réseau d’officiers de liaison et d’échange. Ce réseau comprend des postes réciproques (à la DGRIS, à l’état-major des armées, à l’état-major de l’armée de Terre, au commandement des forces terrestres, à l’école navale, au commandement de la force aéromaritime de réaction rapide par exemple) et des postes non réciproques (commandement de l’espace français par exemple). Des officiers français sont également insérés dans les structures OTAN ou de l’Union européenne sises en Espagne (Tactical leadership programme d’Albacete (OTAN) ou encore le centre européen de transport tactique (UE) pour ne citer qu’eux).

  1.   Le traitÉ vise une coopÉration accrue dans les domaines stratÉgique, opÉrationnel et capacitaire

L’article 4 du traité énonce que la coopération couvre principalement les domaines stratégique, opérationnel et capacitaire.

  1.   Domaine stratégique et opérationnel

Les dispositions du traité promeuvent une coopération stratégique et opérationnelle renforcée.

L’article 6 du traité institutionnalise le conseil franco-espagnol de défense et de sécurité (CFEDS) auquel participent les ministres en charge des affaires étrangères et de la défense des deux parties. L’institutionnalisation par le traité du CFEDS conférera une légitimité politique accrue à cette institution qui existe dans les faits depuis 2005. L’article 6 du traité prévoit une réunion annuelle du CFEDS permettant aux deux parties d’« examiner conjointement les enjeux de politique étrangère et les progrès de la politique de sécurité et défense, tant au niveau bilatéral qu’européen et international. »

L’article 6 prévoit également une consultation régulière des ministres chargés de la défense français et espagnols qui travaillent en vue de « positions communes ».

Le même article prévoit également la tenue annuelle d’un dialogue stratégique entre la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées et son équivalent espagnol. Des rencontres régulières sont également encouragées par le traité au niveau « des états-majors interarmées, ainsi que de chaque armée » ayant pour objectifs de déboucher sur « des plans de coopération bilatéraux ».

Enfin, l’article 6 fait référence à un comité d’armement chargé de suivre la mise en œuvre des stipulations du traité dans le domaine de l’armement. Ce comité, déjà présent dans l’accord de défense de 1983 (article 5) se réunit sur demande de l’une des parties et au moins une fois par an.

Dans le domaine opérationnel, ce traité renforcera la relation bilatérale de défense, à un moment où la défense du flan oriental de l’Europe est plus que jamais nécessaire, les Espagnols assumant par ailleurs le rôle de Nation-cadre en Slovaquie. Une coopération opérationnelle accrue facilitera le travail interallié ainsi que la fluidité des éventuels déploiements communs.

Votre rapporteur souhaite par ailleurs saluer l’entrée dans la lettre du traité de nouveaux domaines de coopération opérationnelle : renseignement, cyberdéfense, spatial et menaces hybrides. La mention dans le traité de ces nouveaux milieux opérationnels permettra de renforcer et sécuriser la coopération dans ces domaines majeurs identifiés comme prioritaires dans le cadre de la loi de programmation militaire 2024-2030.

L’Espagne a signé récemment des accords de défense avec plusieurs Nations dont la Belgique, la Grèce, les États-Unis, les Émirats arabes unis, le Portugal et l’Ukraine. La plupart de ces accords permettent un renforcement général de la coopération en matière de défense, tandis que d’autres portent sur des sujets plus précis : coopération et échanges entre les forces armées pour le Maroc, planification, recherche et développement, soutien logistique, acquisition de produits et de services de défense pour le Brésil, accord politique bilatéral sur la sécurité et la défense de l’Ukraine suite à l’invasion de son territoire par la Russie en 2022 pour l’Ukraine.

D’après les informations communiquées à votre rapporteur, si les États-Unis disposent de l’accord le plus dense avec l’Espagne (comprenant notamment le stationnement des 6 bâtiments de la Navy à ROTA), cet accord ne cible pas particulièrement l’identification de besoins communs capacitaires. La France dispose ainsi certainement de l’accord le plus complet avec l’Espagne, appuyé par une coopération bilatérale déjà opérationnelle, une coopération européenne pleinement éprouvée ainsi que le développement de projets industriels.

  1.   Domaine capacitaire

Alors que l’Espagne doit faire prochainement des choix stratégiques pour le renouvellement de certains de ses équipements militaires comme ses avions de chasse F18, le rapporteur espère que la ratification de ce traité de coopération dans le domaine de la défense consolidera la coopération capacitaire franco-espagnole.

Cette coopération, et plus largement le renforcement de la BITD européenne, est plus que jamais nécessaire afin de préserver l’autonomie stratégique européenne à un moment où les garanties de sécurité américaines en Europe sont remises en question. Ce traité peut notamment permettre de fluidifier les relations franco-espagnoles dans le cadre des programmes de coopération en cours dont le lancement en réalisation n’est pas encore acté, à l’instar de l’Eurodrone ou du SCAF.

Le projet SCAF/NGWS

Le projet SCAF/NGWS ([31]) se déroule en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne, sous le leadership de la France. Les partenaires ont désigné des industriels coordinateurs : Dassault Aviation pour la France, Airbus DS GmbH pour l’Allemagne et Indra pour l’Espagne. La Belgique a rejoint le programme en tant qu’observateur en juin 2024. L’année 2025 devrait correspondre à la fin de la phase IB du projet et l’ouverture de nouvelles discussions pour le lancement de la phase 2, qui pourrait sous toutes réserves débuter au printemps 2026. L’entrée dans la phase 2 est une étape décisive du projet car elle doit donner lieu au vol d’un premier démonstrateur. Or, à la fin de la phase 2, les États participants auront tant investi financièrement dans le programme qu’il apparaît difficilement envisageable qu’ils renoncent à la phase suivante du lancement en réalisation. Le choix d’initier la seconde phase sera par conséquent une décision structurante pour l’avenir de l’aviation de chasse française et espagnole.

Il apparaît donc nécessaire, avant de lancer la phase 2 du SCAF de s’assurer de la bonne prise en compte des contraintes opérationnelles et industrielles françaises par les partenaires espagnols et allemands. Les travaux purement nationaux dans le cadre du SCAF lancés en 2023 doivent pourvoir à la compatibilité de la future architecture choisie avec les spécificités imposées par les deux composantes de notre dissuasion. Le SCAF doit en effet être en mesure d’emporter le futur missile nucléaire des forces aériennes stratégiques et apponter sur le porte-avions de nouvelle génération, deux contraintes opérationnelles que les Allemands et les Espagnols ne partagent pas. En outre, le coût final du programme pour la France doit être inférieur au coût du développement d’un programme autonome. Enfin, la France devra pouvoir conserver sa liberté en matière d’exportation de l’aéronef.

Le 23 octobre 2019, la France et l’Allemagne ont signé un accord relatif au contrôle des exportations dans le domaine de la défense. Cet accord a été remplacé le 17 septembre 2021 par un accord multilatéral associant l’Espagne qui reprend les principes précédents de l’accord bilatéral franco-allemand. Désormais, pour les produits de défense développés en commun, l’accord prévoit que la France, l’Allemagne et l’Espagne « octroient sans délai les autorisations de transfert vers les autres partenaires, sauf si l’opération porte atteinte aux intérêts directs ou à la sécurité nationale de l’un des partenaires concernés. Dans ce cas, des consultations de haut niveau doivent être organisées afin d’identifier des solutions appropriées ». Il importe de s’assurer que l’invocation d’une atteinte aux intérêts directs ou à la sécurité nationale ne sera pas abusivement formulée pour faire entrave à la liberté d’exportation française.

La ratification de ce traité pourrait notamment permettre de renforcer le dialogue stratégique de haut niveau entre autorités politico-militaires franco-espagnoles afin de précisément lever toute ambiguïté sur ces sujets majeurs. La cohésion du couple franco-espagnol en serait renforcée dans la phase de négociations préalables à l’ouverture de la phase 2 du SCAF.

Votre rapporteur appelle de ses vœux la tenue prochaine d’un sommet commun à la France, l’Espagne et l’Allemagne permettant de faire le point sur les progrès du SCAF, de présenter un démonstrateur et de « documenter la deuxième phase », ainsi que l’a récemment appelé de ses vœux le ministre des armées français. ([32])

  1.   Autres domaines

Votre rapporteur salue également l’inscription dans le traité d’une coopération en matière de changement climatique, les forces armées françaises et espagnoles devant toutes deux anticiper les conséquences du réchauffement climatique sur leur fonctionnement présent et futur. Il souligne à ce propos la coopération croissante entre formations militaires de la sécurité civile française et espagnole à l’occasion des mégafeux de forêt estivaux. Il s’agit d’un enjeu majeur pour renforcer une culture commune autour d’enjeux et de risques partagés par les deux Etats qui dépassent les seules forces armées.

Il salue également l’extension de la coopération défense au sujet du rôle des femmes au sein des forces armées, le défi de la féminisation étant commun aux deux armées (taux de féminisation de 13 % des forces armées espagnoles, contre près de 17 % en France).

L’extension de la coopération défense aux activités géographiques, cartographiques, hydrographiques, océanographiques est également bienvenue, dans la perspective d’une meilleure connaissance des grands fonds marins méditerranéens et de la protection des infrastructures critiques dans ces zones (câbles sous-marins, réseaux énergétiques, transport de données etc.), un sujet particulièrement sensible actuellement.

***

En définitive, cet accord a vocation à sécuriser et renforcer la coopération bilatérale en matière de défense entre la France et l’Espagne. Il se distingue notamment de l’accord de défense de 1983 par l’introduction de dispositions protectrices relatives au statut des forces ainsi que par l’actualisation du cadre juridique de la coopération. Sa ratification présente un intérêt tant pour le renforcement de la relation franco-espagnole de défense que pour les militaires français déployés en Espagne. L’Espagne est un allié incontournable pour la France, dans un contexte où l’autonomie stratégique de l’Europe doit être renforcée. Le rapporteur pour avis recommande donc d’émettre un avis favorable à l’adoption du projet de loi autorisant la ratification de ce traité


   Travaux de la commission des affaires ÉtrangÈres

Le mercredi 11 décembre 2024, à 11 heures, la commission examine le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d’Espagne.

M. Nicolas Forissier, rapporteur. Nous sommes saisis d’un projet de loi de ratification du traité franco-espagnol de coopération dans le domaine de la défense signé le 19 janvier 2023 à Barcelone.

La relation bilatérale entre la France et l’Espagne est excellente. Lors des auditions, les termes de « confiance » et de « proximité » ont souvent été utilisés pour la décrire. Nous partageons de nombreuses valeurs avec l’Espagne et, souvent, des ambitions communes. Les domaines de coopération sont très variés. La France est le premier client de l’Espagne en matière de biens et son troisième fournisseur. L’Espagne compte dix-neuf Alliances françaises, ce qui illustre la vigueur de la coopération éducative et culturelle. En novembre, la France a été le premier pays à répondre au déclenchement du mécanisme de protection civile de l’Union européenne par l’Espagne, à la suite des inondations qui ont provoqué la mort de plus de 230 personnes – je souhaiterais leur rendre hommage aujourd’hui.

Le traité d’amitié et de coopération signé le 19 janvier 2023, surnommé le traité de Barcelone, constitue en quelque sorte le pendant du traité d’Aix-la-Chapelle signé avec l’Allemagne en 2019 et du traité du Quirinal signé avec l’Italie en 2021. Il présente en détail notre relation bilatérale avec ce grand partenaire européen qu’est l’Espagne et prévoit de la renforcer. Il n’a pas encore été ratifié par l’Espagne, à cause d’un problème technique : il prévoit en effet la présence d’un membre du gouvernement français ou espagnol au conseil des ministres de l’autre partie tous les trois mois, ce qui contrevient à la législation espagnole, laquelle doit donc être modifiée préalablement à la ratification du traité.

Précisons que le traité qui nous occupe ce matin n’est pas le traité d’amitié lui-même, mais un traité de coopération signé le même jour à Barcelone pour les questions de défense. Le sommet franco-espagnol de Montauban, en 2021, avait souligné la nécessité d’actualiser la coopération bilatérale dans ce secteur ; le travail a été fait, en s’appuyant sur un texte espagnol amendé par les Français.

En matière de défense, la coopération avec l’Espagne est dynamique, ce dont témoignent les actions conjointes de nos deux pays dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et de l’Organisation des Nations unies (ONU). Ainsi, l’Espagne a rejoint en novembre le groupement tactique commandé par la France en Roumanie, dans le cadre de la mission Aigle, avec une contribution de 250 hommes et trente-cinq véhicules. La France et l’Espagne déploient également des forces importantes dans le cadre de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) – 580 hommes pour la France, 680 pour l’Espagne. Nous pourrions aussi évoquer l’envoi d’une cinquantaine d’agents espagnols près de Marseille pendant les Jeux olympiques de Paris 2024, pour la surveillance radar.

La coopération capacitaire s’organise dans le cadre de plusieurs programmes structurants : les avions de transport multirôles tactiques A400M et stratégiques MRTT, le projet Eurodrone, les hélicoptères Tigre et NH90, le programme d’observation de la terre par satellite CSO, ou encore le système de combat aérien du futur (SCAF).

L’Espagne manifeste une grande ambition pour sa base industrielle et technologique de défense (BITD), traduite dans une stratégie industrielle de défense publiée en 2023. Sur certains segments, elle pourrait concurrencer la France, mais dans le contexte international actuel, il faut réapprendre à travailler ensemble, en suivant une logique de concertation et de confiance. Le présent traité le permettra.

Au niveau juridique, notre coopération bilatérale s’appuie principalement sur un accord de défense signé en 1983, qui ne fait aucune référence au statut des forces. Aussi le traité que le présent projet de loi vise à ratifier s’emploie-t-il à actualiser ce cadre, en précisant notamment le statut des forces, y compris en matière de médecine militaire, d’imposition ou de port des insignes.

Malgré sa relative brièveté, ce traité permettra de réaffirmer la nécessité de la confiance entre nos deux pays, qui sont très proches géographiquement. La France et l’Espagne partagent de nombreuses analyses concernant notamment la zone méditerranéenne, le Maghreb et le Sahel, mais aussi le projet de renforcer la défense européenne.

L’article 4 présente les domaines de la coopération, plus nombreux, plus variés et plus précis que dans d’autres accords de défense. La coopération couvre ainsi les domaines stratégique et opérationnel, notamment les questions de « renseignement, lutte contre le terrorisme, cyberdéfense, menaces hybrides, spatial », mais également le domaine capacitaire, avec des « coopérations industrielle et technologique dans le domaine de la défense » et des « projets et programmes communs dans le domaine capacitaire ». Elle inclut par ailleurs des sujets plus novateurs, comme la gestion des crises sanitaires, l’impact du changement climatique et le rôle des femmes dans les forces armées.

L’article 5 décrit les formes concrètes que peut prendre cette coopération : formations et entraînements conjoints, échanges d’officiers, et ainsi de suite.

L’article 6 institutionnalise plusieurs espaces de consultation et de dialogue entre les deux parties. Il réactive en particulier le Conseil franco-espagnol de défense et de sécurité (CFEDS), qui a été créé en 2005. Il s’est réuni pour la dernière fois en marge du sommet de Barcelone de 2023. De fait, ce conseil est difficile à organiser, car il faut réunir les ministres de la défense et des affaires étrangères des deux parties ; l’actualité politique ne facilite pas les choses. Il convient toutefois de veiller à la régularité de sa tenue.

La coopération avec l’Espagne en matière de défense est déjà très bonne. Ce traité permettra d’aller encore plus loin, grâce à un cadre juridique plus complet et pérenne. Nous partageons avec l’Espagne non seulement une vision commune des menaces, mais aussi la même ambition d’une autonomie stratégique de la défense européenne et la même implication dans les activités de l’OTAN. Cette coopération doit permettre de renforcer le pilier européen de l’OTAN, ce qui n’est pas anodin dans le contexte actuel marqué par la guerre en Ukraine et l’évolution des positions américaines.

Bien sûr, les armées française et espagnole ne sont pas identiques, et nos budgets de défense ne sont pas équivalents – celui de la France s’élève à 47,2 milliards d’euros, hors pensions militaires, soit plus de 2 % de notre produit intérieur brut (PIB), tandis que celui de l’Espagne avoisine les 16 milliards, soit 1,28 % de son PIB. Toutefois, le partenariat n’est pas déséquilibré. L’Espagne reste un partenaire de premier plan pour la défense européenne, et elle a récemment pris conscience de l’importance de renforcer ses armées et son industrie de défense. Elle s’est d’ailleurs fixée pour objectif de porter l’effort de défense à 2 % du PIB en 2030, même si la complexité de la situation politique pourrait retarder cette progression. Nous ne pouvons donc que saluer le renforcement de la coopération avec ce pays.

Enfin, en tant que rapporteur pour avis de la mission Action extérieure de l’État, j’ai pu constater que les moyens alloués à la mission de défense de l’ambassade de France en Espagne étaient suffisants pour déployer cette coopération.

Je vous invite à voter sans réserve l’autorisation de la ratification de ce traité de coopération dans le domaine de la défense, déjà ratifié par l’Espagne.

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. La commission de la défense a rendu ce matin, à l’unanimité, un avis favorable sur ce texte. La ratification de ce traité est en effet indispensable, pour plusieurs raisons.

Pour des raisons techniques, tout d’abord, il est nécessaire d’actualiser le cadre juridique de la coopération bilatérale.

Ensuite, ce traité doit être ratifié pour protéger nos forces, car nous n’avions pas conclu d’accord de statut des forces à l’étranger (SOFA) avec l’Espagne. Ce traité sécurisera le cadre juridique de la coopération entre les personnels militaires et civils des armées française et espagnole, notamment en matière d’accès aux soins et de fiscalité, ou encore en cas de décès d’un soldat.

La ratification se justifie également par des raisons stratégiques et politiques. Alors que l’environnement international se caractérise par le retour de la guerre en Europe et des menaces toujours moins dissimulées de la part de nos compétiteurs stratégiques, il importe d’envoyer à ces derniers un signal fort. La France doit renforcer ses liens et sa coopération dans de multiples domaines avec ses partenaires historiques de confiance, au premier rang desquels figure l’Espagne – notre coopération avec ce pays est déjà de grande qualité. L’Espagne et la France partagent la volonté de renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne, qui passe par la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Le traité, qui promeut une coopération renforcée aux niveaux opérationnel, stratégique et capacitaire, va dans ce sens.

Au niveau capacitaire, la coopération industrielle franco-espagnole est particulièrement avancée dans le domaine aérospatial, s’agissant des programmes d’avions de transport A400M ou d’avions ravitailleurs multirôles A330-MRTT, ou encore de la rénovation à mi-vie des hélicoptères Tigre. Des programmes, comme le SCAF et l’Eurodrone, sont développés en commun et font l’objet de discussions particulièrement intenses. Des étapes importantes devront être franchies dans les prochains mois, qui seront décisifs quant à leur avenir. À titre personnel, je regarde d’un très bon œil le développement de ces programmes de coopération européenne, à condition qu’ils respectent nos exigences – respect par le SCAF des contraintes opérationnelles de la dissuasion française, liberté d’exportation française, et coût du système final conçu en coopération inférieur au coût du système développé au niveau strictement national.

Ce traité n’a pas la prétention de résoudre du jour au lendemain les divergences industrielles ou les éventuels désaccords politiques entre les trois États parties au SCAF que sont l’Espagne, l’Allemagne et la France. Il ne décidera pas du déclenchement de la phase 2 du SCAF. Néanmoins, il pourrait modestement renforcer la cohésion du couple franco-espagnol dans la phase de négociation préalable à l’ouverture de la phase 2. Les instances de concertation prévues par le traité favoriseront les discussions politiques et industrielles à venir sur les projets capacitaires où les entreprises des deux nations sont en concurrence directe – je pense notamment au projet d’intercepteur endoatmosphérique, alors que les missiles hypersoniques sont difficiles à détecter en raison de leur vitesse.

Mme Lætitia Saint-Paul, présidente. Je donne à présent la parole aux orateurs des groupes politiques.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Face à l’émergence de nouvelles menaces et dans un contexte sécuritaire mondial incertain, il est essentiel que les pays européens renforcent leurs liens. La ratification du nouveau traité de coopération avec notre allié espagnol va dans ce sens. Ce traité actualise l’accord de 1983 : il facilite le dialogue entre nos deux pays, notamment grâce à la création de plusieurs instances, et fait référence aux cadres de coopération multilatéraux de l’OTAN ou de l’Union européenne.

Ce texte présente un double intérêt : il permet non seulement de relancer les relations franco-espagnoles refroidies par les désaccords autour du projet gazier transpyrénéen, mais également de renforcer la coopération européenne et nord-atlantique. Prise en étau entre l’appétit russe et les menaces américaines d’abandonner l’OTAN, l’Europe doit plus que jamais renforcer ses liens en matière de défense. C’est la raison pour laquelle nous voterons pour la ratification.

M. Nicolas Forissier, rapporteur. Au-delà des aspects techniques et du renforcement de la sécurité juridique, ce traité permet d’envoyer un signal : il consolide la coopération de confiance entre la France et l’Espagne, notamment en matière de défense, qui doit se traduire dans le cadre de l’évolution de la politique européenne de défense. Alors que nous ignorons quelle sera la politique menée par M. Trump, nous devons instaurer la meilleure coopération européenne possible.

Mme Anne Bergantz (Dem). En tant que pays voisins, amis et alliés historiques au sein de l’OTAN, la République française et le Royaume d’Espagne connaissent une longue tradition de coopération en matière de défense, jusqu’à présent formalisée par l’accord signé il y a quarante ans.

Il nous est aujourd’hui proposé d’écrire une nouvelle page de cette relation bilatérale historique, en adoptant le projet de loi autorisant la ratification d’un nouveau traité signé à Barcelone. Ce texte formalise l’ambition partagée par le président de la République, Emmanuel Macron, et le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, d’avancer ensemble vers un accord plus moderne et plus adapté aux nouvelles menaces auxquelles sont exposés nos deux pays.

Ainsi, tout en reprenant les fondamentaux de l’accord de 1983, ce cadre rénové doit nous aider à mieux faire face aux attaques hybrides désormais omniprésentes dans les nouveaux espaces de conflictualité, tels que le cyber, le champ informationnel, l’espace et les fonds marins. Ce texte offre également un cadre de coopération bienvenu dans d’autres domaines, tels que l’énergie, le changement climatique ou encore le rôle des femmes au sein des forces armées. Il précise par ailleurs que des consultations régulières seront menées entre les deux pays, dans l’optique d’établir des positions communes sur différents sujets internationaux, notamment grâce à la création du CFEDS, auquel participeront les ministres chargés de la défense et des affaires étrangères.

Enfin, nous nous réjouissons que le nouveau traité inscrive de manière explicite la coopération franco-espagnole dans le cadre d’une étroite complémentarité avec nos partenaires communs de l’OTAN et de l’Union européenne. Cette référence à nos instances multilatérales actives à l’échelle européenne constitue un réel progrès. Face à des menaces qui ciblent notre continent dans sa globalité, il est plus que jamais nécessaire que nous construisions ensemble l’architecture de notre sécurité commune. À ce titre, ce traité constitue une occasion réelle de renforcer l’alliance entre nos deux pays. C’est pourquoi le groupe Les Démocrates votera en faveur du projet de loi de ratification.

M. Nicolas Forissier, rapporteur. Il est nécessaire d’appeler l’attention des gouvernements respectifs sur la nécessité de réunir le CFEDS au moins une fois par an, ainsi que le prévoit le texte. Si l’impulsion n’est pas donnée au niveau ministériel, nous courons le risque d’un affadissement du traité.

Je précise par ailleurs que le groupe Droite républicaine votera ce texte.

M. Michel Guiniot (RN). Ce nouveau traité actualise l’accord en vigueur entre la France et l’Espagne, signé le 7 octobre 1983, en lui apportant des modifications importantes pour renforcer notre réponse commune aux nouvelles menaces, notamment hybrides, protéger les flux stratégiques, défendre notre liberté d’action dans les espaces stratégiques contestés, dont l’espace cyber, et consolider la coopération entre nos forces armées. L’étude d’impact précise que 225 personnes sont concernées par les enjeux du traité, dont la forme, plus solennelle, a été préférée à celle de l’accord.

Si cette actualisation était nécessaire, je regrette que l’article 3 d’un accord de défense entre deux pays souverains mentionne la volonté de renforcer la défense à l’échelle de l’Union européenne, en complémentarité avec l’OTAN.

Quant au port et à l’utilisation d’armes létales par des agents publics étrangers sur le territoire national, prévus par l’article 8, il s’agit d’un sujet particulièrement délicat. La France et l’Espagne consentent ainsi à ce qu’une puissance étrangère puisse disposer d’hommes en armes sur le territoire. Cette concession en matière de souveraineté est malheureusement rendue nécessaire par les enjeux de sécurité liés à l’importation du terrorisme et de comportements barbares.

J’appelle votre attention sur le premier alinéa de l’article 12, qui stipule que les membres du personnel en mission « sont exonérés par la partie d’accueil du paiement de tout impôt lié aux biens mobiliers à usage personnel dont ils sont propriétaires et qui sont en lien direct avec leur présence temporaire sur le territoire de la partie d’accueil ». J’en déduis que le personnel bénéficiera d’une exonération du timbre fiscal pour la carte grise d’un véhicule. Bénéficiera-t-il également d’une exonération générale de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ? L’article 12 ne vise que des biens mobiliers et non les immeubles. Le personnel devra-t-il donc s’acquitter des impôts fonciers s’il doit se loger sur une longue durée en dehors d’une caserne ?

S’agissant de l’article 16 relatif à la répartition des frais des opérations, l’étude d’impact précise que ce traité ne créera pas de charges nouvelles pour les finances publiques. Pourriez-vous toutefois nous communiquer le montant estimé de ces charges ?

Compte tenu de la nécessité d’actualiser l’accord de 1983 et des enjeux actuels, nous voterons en faveur de ce texte.

M. Nicolas Forissier, rapporteur. L’Espagne et la France partagent une vision commune en matière de renforcement de la défense européenne, qui est particulièrement nécessaire dans le contexte actuel marqué par la guerre en Ukraine et l’évolution de la position américaine.

Tant l’article 8 relatif au port des armes que l’article 12 relatif à la fiscalité fixent un cadre précis et classique, qui s’inscrit dans la continuité des stipulations de la convention sur le statut des forces – SOFA – de l’OTAN. Je n’ai pas de réponse à votre question sur la TVA.

L’étude d’impact conclut que les activités prévues par le traité n’entraîneront pas de coûts supplémentaires car elles s’inscrivent dans le cadre d’une coopération existante. Le traité précise le statut des personnels dans le cadre de l’actualisation juridique.

Quant à votre question sur l’exonération de tout impôt lié aux biens mobiliers à usage personnel, je la transmettrai au gouvernement et vous communiquerai la réponse.

M. Stéphane Vojetta (EPR). J’ai préparé cette intervention avec M. Gérard Lapierre, ancien attaché d’armement et attaché de défense adjoint à l’ambassade de France en Espagne. Je tiens à rendre hommage à tous les hommes et à toutes les femmes, français ou espagnols, qui, à Madrid, à Paris, à Séville, à Albacete, à Getafe ou ailleurs, structurent notre relation bilatérale de défense avec l’Espagne.

Nous examinons le projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la France et l’Espagne, signé à Barcelone le 19 janvier 2023, dans le cadre de la signature du traité d’amitié France-Espagne, à laquelle j’ai assisté en tant que député des Français de la péninsule ibérique.

Ce traité fait entrer l’Espagne dans le club très fermé des pays avec lesquels la France a désormais une relation de collaboration renforcée, aux côtés du Royaume-Uni avec le traité de Lancaster House, de l’Allemagne avec le traité d’Aix-la-Chapelle, et de l’Italie avec le traité du Quirinal.

Ce traité, qui actualise l’accord de 1983, répond au nouveau contexte sécuritaire – menaces hybrides, cyberattaques, terrorisme, tentatives d’influence voire d’ingérence étrangère. En favorisant le partage accéléré de renseignements et une meilleure coordination face aux cybermenaces et au terrorisme, il consolide une chaîne de solidarité indispensable en Europe.

Par ailleurs, ce texte dépasse la coopération militaire en renforçant la coopération industrielle de défense, dans la droite ligne des ambitions européennes du président de la République depuis 2017. Dans un contexte de remilitarisation où la technologie est déterminante, le traité encourage le partenariat entre nos industries de défense, en soutenant les projets structurants pour l’autonomie stratégique européenne. Je pense notamment aux avions ravitailleurs MRTT, à l’hélicoptère d’attaque Tigre, à l’avion de transport A400M, à l’Eurodrone, ou encore au SCAF, système de combat aérien du futur développé par la France, l’Espagne et l’Allemagne.

Par les coopérations qu’il promeut, ce texte améliore la compétitivité des tissus industriels de défense tout en renforçant l’autonomie stratégique européenne et, ce faisant, notre souveraineté industrielle et technologique face aux grands acteurs mondiaux du secteur. Ce texte s’inscrit également dans un effort plus large en faveur d’une défense européenne autonome sur toute la durée de vie des matériels, de leur définition à leur emploi, en passant par leur production et leur maintien en condition opérationnelle.

La France et l’Espagne partagent donc une vision commune, celle d’une Europe autonome, capable de défendre ses intérêts, son intégrité, et de contribuer à la sécurité du monde à travers les cadres de coopération multilatéraux que sont l’ONU, l’OTAN et l’Union européenne. Ce projet de loi s’inscrit donc dans une tradition de solidarité, en l’adaptant aux besoins actuels et futurs.

Le groupe Ensemble pour la République votera en faveur de ce projet de loi.

Ce traité nous permettra-t-il d’aller encore plus loin et de renforcer nos accords et partenariats industriels avec l’Espagne ?

M. Nicolas Forissier, rapporteur. La concurrence s’intensifie entre la France et l’Espagne, car l’appareil industriel espagnol se développe dans les domaines de l’armement et de la logistique. La coopération se fait surtout dans le secteur aéronautique, où de nombreux sous-traitants travaillent pour Airbus ou d’autres entreprises.

Face à la montée en puissance d’un concurrent nouveau, les Français, qui ont une très forte capacité industrielle, ne peuvent rester attentistes. Il est de l’intérêt des deux parties de renouer la confiance et de renforcer la coopération industrielle ; c’est le vrai message de ce traité. C’est pourquoi le conseil franco-espagnol de défense et de sécurité doit se tenir chaque année – tout comme le comité d’armement – afin de faire le point sur ces questions.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Le traité de coopération, qui actualise l’accord de 1983, propose des mesures intéressantes : l’échange d’officiers, l’organisation de visites officielles, un protocole en cas de décès, des dispositions pour éviter la double imposition. Au bout du compte, il ne modifie l’accord de 1983 que sur des aspects techniques et formels. L’essence de la politique de défense, fondée sur un alignement total sur les objectifs de l’OTAN, est préservée – le rapporteur a même indiqué que le traité visait d’abord à renforcer le pilier européen de l’OTAN. Puisque nous plaidons pour une politique de non-alignement, nous sommes forcément moins enthousiastes que les autres groupes parlementaires à l’égard de ce texte.

L’Europe de la défense n’est pas pensée comme un projet de paix. Les coopérations stratégiques doivent être limitées aux pays avec lesquels nous avons des centres d’intérêt commun ; aussi devrions-nous concentrer nos efforts sur le soutien à la paix dans le bassin méditerranéen.

La rédaction des articles 4 et 5, qui rendent possibles les opérations extérieures, nous inquiète. Répéterons-nous les erreurs commises en Afrique ? Si nous étions favorables au déclenchement des opérations au Sahel et au Mali, celles-ci n’ont que trop duré, détériorant nos relations avec tout le continent – j’en veux pour preuve la rupture par le Tchad de l’accord de coopération avec la France en matière de défense. La présence militaire sous cette forme ne permettra pas de reconstruire des relations diplomatiques équilibrées avec l’Afrique de l’Ouest.

Par ailleurs, nous regrettons que la coopération diplomatique ne fasse pas l’objet d’un traité spécifique, mais qu’elle soit diluée dans un traité relatif à la défense. Si nous sommes favorables à la coopération avec l’Espagne en vue d’élaborer des positions communes, nous notons que la France est en désaccord avec ce pays sur des sujets aussi importants que la reconnaissance de l’État de Palestine – à ce titre, nous rendons hommage à la position de l’Espagne.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur ce projet de loi de ratification d’un traité qui manque d’ambition politique et diplomatique, et qui ne permet pas à la France de s’engager réellement pour la paix.

M. Nicolas Forissier, rapporteur. Mon rapport n’indique pas que le traité vise à renforcer le pilier européen de l’OTAN ; en revanche, en renforçant la coopération entre la France et l’Espagne et en réaffirmant leurs valeurs communes en matière de défense, il permettra de consolider le pilier européen. Il ne s’agit pas de s’aligner sur les objectifs de l’OTAN, mais, au contraire, de renforcer l’influence européenne au sein de l’OTAN. À ce titre, la coopération entre nos deux pays est très importante, car l’Espagne est, avec la France, un pays très impliqué dans les missions et opérations à l’étranger. Dans le contexte du retour de la guerre en Europe, il est plus nécessaire que jamais de renforcer la position commune européenne au sein de l’OTAN.

S’agissant du bassin méditerranéen, la France et l’Espagne travaillent ensemble dans le cadre de l’initiative 5+5 Défense. Cinq pays du Sud de l’Union européenne – l’Espagne, le Portugal, la France, l’Italie et Malte – et cinq pays de la rive Sud de la Méditerranée –l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie, la Libye et la Tunisie – ont engagé un vrai dialogue afin d’atteindre des objectifs de paix et de trouver des solutions aux conflits latents ou possibles qui éclateraient dans le bassin méditerranéen. Ce forum est utile, car les pays du Maghreb sont loin d’être toujours d’accord les uns avec les autres ; à ce titre, la France et l’Espagne jouent un rôle moteur.

M. Pierre Pribetich (SOC). L’Europe de la défense est une exigence quand des faits majeurs – l’élection de Donald Trump, les événements en Syrie – viennent percuter un monde déjà troublé. La rénovation du cadre juridique des relations bilatérales de défense entre la France et l’Espagne permet d’actualiser un traité datant du 7 octobre 1983, lequel ne comprenait ni stipulation relative au statut des forces ni référence aux cadres de coopération multilatéraux. La coopération entre la France et l’Espagne, autour de la Méditerranée, est solide et ancienne ; elle s’inscrit notamment dans l’Europe et l’OTAN, et s’est traduite par des actions dans le cadre de l’opération Barkhane ou des Jeux olympiques, par exemple.

Le traité prévoit un statut des forces qui permettra de mieux protéger les militaires français déployés en Espagne, et inversement. Nous avons bien noté, à cet égard, que l’Espagne est l’un des alliés avec lesquels la France entretient le plus vaste réseau d’officiers de liaison et d’échanges. La coopération sera accrue dans des domaines stratégiques grâce au conseil franco-espagnol de défense et de sécurité, à la consultation régulière des ministres de la défense, à la tenue annuelle d’un dialogue entre la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) et son équivalent espagnol, et grâce au comité d’armement.

L’article 4 élargit la coopération à de nouveaux domaines opérationnels tels que le renseignement, la cyberdéfense, le spatial et les menaces hybrides, mais aussi aux questions relatives au changement climatique ou au rôle des femmes au sein des forces armées. Il étend aussi la coopération de défense aux activités géographiques, cartographiques, hydrographiques et océanographiques.

Ce traité constitue une excellente nouvelle. Il pourrait permettre de faire avancer un dossier cher à mon collègue Sébastien Saint-Pasteur, le système de combat aérien du futur. En matière de transition écologique et de changement climatique, il permettra à nos deux pays de faire face aux difficultés croissantes qu’ils rencontrent et qui les ont déjà conduits à renforcer leur coopération ces dernières années, par exemple lors des inondations en Espagne.

Le groupe Socialistes et apparentés votera donc ce projet de loi.

M. Nicolas Forissier, rapporteur. Vous avez magnifiquement résumé le sens et l’intérêt de ce traité.

Je remercie à nouveau Sébastien Saint-Pasteur pour son excellent rapport, qui complète utilement le travail de notre commission – et qu’il a dû, comme moi, rédiger dans l’urgence.

Mme Lætitia Saint-Paul, présidente. Les armées disent volontiers : « Commander, c’est surprendre. » Eh bien, vous ne vous êtes pas laissés surprendre !

*

Article unique (approbation de la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d’Espagne, signé à Barcelone le 19 janvier 2023)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.


   TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES SAISIE POUR AVIS

Le mercredi 11 décembre 2024, à 9 heures 30, la commission examine pour avis le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d’Espagne.

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis. Je suis très honoré d’avoir été nommé rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées sur le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d’Espagne, signé à Barcelone le 19 janvier 2023.

Avant toute chose, je souhaite remercier les services de l’Assemblée ainsi que les personnes qui ont été auditionnées pour préparer ce rapport, dans des délais très contraints puisque j’ai été nommé mercredi dernier. Nous avons essayé de relever le défi.

Le traité que nous examinons a été conclu le même jour qu’un traité d’amitié et de coopération plus général, dit traité de Barcelone. Il s’inscrit dans une histoire commune avec l’Espagne. Si cette histoire n’a pas toujours été facile dans le temps long – le Dos de mayo en témoigne – elle est maintenant apaisée, voire fraternellement entremêlée. Je n’en prendrai qu’un exemple, celui de la Nueve, compagnie rattachée à la deuxième division blindée du général Leclerc, dont les républicains espagnols avaient été les premiers à entrer dans Paris en 1944.

Le traité de coopération en matière de défense constitue avant tout un signal politique fort entre deux alliés confrontés à des menaces et à des défis communs et partageant une même ambition pour la défense européenne. Le contexte international incertain que nous connaissons, l’approche purement transactionnelle de l’Otan par les États-Unis nous obligent à consolider et à intensifier la coopération avec nos alliés et proches voisins – ou plutôt nous en donnent la chance.

S’il est ratifié par le Parlement, ce traité aura vocation à se substituer à un précédent accord de défense entre la France et l’Espagne, datant de 1983. Nous l’avons conclu en premier lieu dans l’intérêt des personnels militaires et civils déployés en coopération avec l’Espagne. Ce traité consacre en effet une avancée essentielle avec l’institutionnalisation d’un Sofa (accord de statut des forces à l’étranger) qui n’était pas prévu par le précédent accord. Les Sofa fixent le droit applicable à nos personnels à l’étranger et aux personnels étrangers opérant sur notre sol ; ils permettent de développer la coopération internationale dans le domaine de la défense et de sécuriser le cadre juridique de nos activités de coopération et de nos opérations. En l’absence de tout accord, c’est le droit commun de l’État hôte, avec toutes ses limites, qui s’applique à nos ressortissants.

Ce Sofa reprend pour l’essentiel celui de l’Otan, en en précisant ou complétant certaines dispositions au besoin. Il organise les modalités concrètes de la coopération dans le domaine de la défense, tant en matière sanitaire –  puisqu’il sécurise les dispositifs d’accès aux systèmes de soins, civil et militaire, et de prise en charge des frais médicaux – que fiscale – il évite la double imposition de nos personnels – ou en ce qui concerne le port d’insignes et d’uniformes, la discipline et le rapatriement du corps d’un personnel décédé. Ainsi, la conclusion de ce Sofa sécurisera le cadre juridique de notre coopération avec l’Espagne, l’un des alliés avec lequel la France entretient le plus vaste réseau d’officiers de liaison et d’échanges – la coopération étant comme on le sait cruciale dans le secteur du renseignement.

Ce texte va au-delà du Sofa. Il répond d’abord à la nécessité technique de mettre à jour le cadre juridique de notre coopération en matière de défense. En effet, l’accord de 1983 ne comportait pas de référence, devenue indispensable, aux cadres de coopération multilatéraux – en particulier à l’Union européenne, à laquelle l’Espagne n’a adhéré qu’en 1986.

En réaffirmant l’importance de la relation bilatérale avec l’Espagne, le traité constitue également une réponse politique à un contexte stratégique nouveau, marqué par le retour de la guerre aux portes orientales de l’Europe et par celui de la compétition entre grandes puissances. Plus que jamais, la France a besoin de consolider ses relations de défense avec ses alliés historiques et de confiance. L’Espagne et la France partagent la volonté de renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne, ce qui suppose de mettre à jour les domaines de coopération face aux enjeux de notre époque, qu’il s’agisse des menaces hybrides, qui polarisent à outrance nos démocraties, des défis de la cybersécurité, qui nous forcent à combiner expertise civile et militaire, ou de la nécessaire consolidation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne, objectif partagé des deux côtés des Pyrénées.

À cet égard, le traité désigne explicitement trois niveaux de coopération : opérationnel, stratégique et capacitaire. Au niveau stratégique, il institue un conseil franco-espagnol de défense et de sécurité, auquel participent les ministres des affaires étrangères et de la défense des deux nations et qui se réunira tous les ans. S’y adjoindra un comité d’armement, chargé de la mise en œuvre des stipulations du traité dans ce domaine, qui se réunira lui aussi une fois par an.

Au niveau capacitaire, le traité encourage l’identification de besoins communs, les coopérations industrielles et technologiques, ainsi que le développement de projets en commun. Au niveau opérationnel, enfin, il promeut la continuation des coopérations déjà existantes : exercices conjoints, escales navales, opérations communes de prévention des conflits et de gestion de crise, sécurité maritime, etc.

Partenaire de confiance, l’Espagne est un allié historique et ce traité constitue l’un des moyens de renforcer notre relation de défense bilatérale. Acteur majeur de la défense européenne, l’Espagne dispose de la sixième armée de l’Union en termes d’effectifs, avec 136 000 personnels. Suite à l’invasion de l’Ukraine par la fédération de Russie, elle a d’ailleurs considérablement amplifié son effort : en 2023, son budget pour la défense a augmenté de quelque 20 %, atteignant près de 16 milliards d’euros. Un tel chiffre reste à consolider au vu de la très forte décentralisation du pays, mais l’effort reste notable. Confronté au nouveau contexte stratégique, le gouvernement de Pedro Sánchez a montré, aux côtés de la France, sa pleine solidarité avec l’Ukraine face à l’agresseur russe, notamment en cédant treize de ses chars Léopard.

La coopération opérationnelle dense entre nos deux pays découle aussi d’une communauté de vues quant aux priorités stratégiques, dont la logique du continuum Méditerranée – bande sahélo-saharienne – golfe de Guinée. L’Espagne est sans doute le pays européen dont la vision du flanc sud de l’Europe est la plus proche de celle de la France. Ainsi, elle a soutenu l’action des forces françaises dans la bande sahélo-saharienne en mettant à sa disposition des avions de transport, déployés à partir de Dakar, lors de l’opération Barkhane ; elle en a fait autant pour la task force européenne Takuba. Elle a aussi accédé à la demande du chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace de participer au dispositif de sécurité aérienne des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, en déployant une capacité radar et en mobilisant près de 50 personnels.

Outre cette coopération bilatérale dans le domaine de la défense déjà forte, l’Espagne accorde une importance majeure à la coopération multilatérale, dans les cadres de l’Union européenne, de l’Otan et de l’ONU. Elle constitue l’un des moteurs de la politique de sécurité et de défense commune : elle a participé à la création de la capacité de déploiement européenne prévue par la Boussole stratégique adoptée par le Conseil européen le 25 mars 2022 et, du 16 au 22 octobre 2023, elle a organisé l’exercice militaire réel, dit Milex, ayant rassemblé à Cadix près de 2 800 militaires issus de neuf pays – l’Espagne ayant fourni le premier contingent et la France le second.

Membre très actif de l’Otan, l’Espagne abrite plusieurs structures de l’Alliance. Elle a contribué au renforcement de sa présence sur son flanc oriental en déployant en Lettonie 600 militaires, intégrés au groupement tactique canadien depuis 2017. Depuis le 1er juillet 2024, elle a pris le commandement du groupe tactique multinational de l’Otan en Slovaquie –  soit 800 militaires et 250 véhicules. Enfin, depuis novembre 2024, l’Espagne contribue, à hauteur d’un sous-groupement tactique interarmées de près de 250 personnels et 35 véhicules, au bataillon multinational stationné en Roumanie dont la France est nation-cadre.

Sur le plan capacitaire, l’Espagne souhaite aujourd’hui renforcer sa propre BITD, au risque de placer ses entreprises en concurrence avec les nôtres. Elle est cependant partie prenante de plusieurs programmes structurants bilatéraux ou multilatéraux, comme l’avion de transport multirôle tactique A400M, l’avion ravitailleur stratégique A330, le projet Eurodrone, les hélicoptères Tigre et NH90 ou, bien sûr, le système de combat aérien du futur (Scaf). S’agissant du Scaf, les lignes rouges françaises sont bien connues : l’avion de chasse de nouvelle génération devra pouvoir apponter, porter la bombe nucléaire et être exportable par la France sans restriction de la part de l’Allemagne ou de l’Espagne – nous y reviendrons certainement.

Sans prétendre que le présent traité pourrait résorber les divergences industrielles et les désaccords politiques entre les trois États participant au programme Scaf – il ne décidera pas de son entrée en phase 2, qui pourrait avoir lieu au printemps 2026 –, il pourrait modestement renforcer la cohésion du couple franco-espagnol dans les négociations préalables à l’ouverture de cette phase. En effet, les instances de concertation prévues par le traité pourraient faciliter les discussions politiques et industrielles sur les projets capacitaires mettant directement en concurrence les entreprises des deux nations – je pense notamment à Hydis2 (étude sur la défense par intercepteur hypersonique), projet d’intercepteurs endo-atmosphériques proposé en 2023 par un consortium d’entreprises conduit par l’industriel MBDA, auquel la France participe aux côtés de l’Allemagne, de l’Italie et des Pays-bas, tandis que le groupe espagnol Sener pilote le projet concurrent, Hydef (intercepteur de défense hypersonique européen), soutenu par l’Espagne, la Norvège, la Belgique, la Pologne et la République tchèque.

Je tiens enfin à saluer l’extension de la coopération bilatérale à de nouveaux domaines, en particulier celui du changement climatique, dont les armées françaises et espagnoles doivent, l’une comme l’autre, anticiper les conséquences pour leur fonctionnement présent et futur. Les dramatiques inondations à Valence et les incendies de 2022 qui ont dévasté une partie de la France, notamment la Gironde, et de l’Europe, nous rappellent la nécessité de renforcer cette coopération bilatérale, complémentaire des dispositifs européens. Autres nouveaux domaines, ceux de la féminisation des forces armées, sujet majeur, ou des activités géographiques, cartographiques, hydrographiques, océanographiques et j’en passe.

Dans le contexte singulier que nous connaissons, force est de nous réjouir d’un accord ayant vocation à sécuriser et renforcer la coopération bilatérale en matière de défense entre la France et l’Espagne. S’il ne s’agit pas d’un accord « café para todos », comme on dit en Espagne, le traité comporte des avancées précises, concrètes et importantes. Je propose donc d’émettre un avis favorable sur le projet de loi visant à le ratifier.

Mme Valérie Bazin-Malgras, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous avons à examiner un traité renouvelant une coopération plutôt fructueuse entre la France et l’Espagne dans le domaine militaire, remontant à la signature de l’accord militaire de 1983, il y a plus de quarante ans. Cette coopération repose sur une histoire commune, de forts liens d’amitié et des intérêts communs, concernant en particulier la lutte contre l’immigration illégale en Méditerranée – l’Espagne constitue la terre de débarquement favorite d’un certain nombre de migrants – et la cyberdéfense, nouvelle menace dont nous savons qu’elle mérite d’être étudiée en commun. Le traité ne révolutionne rien pour autant : il s’agit plutôt de prendre acte d’une réalité. Comme l’a indiqué M. le rapporteur pour avis, sur les questions sensibles comme celle du Scaf, il n’apporte pas de réponse.

On peut aussi regretter le verbiage européiste qui entoure ce traité. Le paradoxe est grand lorsque l’on évoque à son propos l’Europe de la défense, qui est une chimère je le rappelle, alors même qu’il s’agit d’un traité bilatéral. Cela montre bien que ce sont les accords, volontairement conclus par les nations, qui représentent une voie d’avenir, et non les velléités de création d’un commissaire européen à la défense qui déciderait à leur place. La coopération entre États présente évidemment un intérêt pour notre défense : en atteste le travail fructueux entrepris avec le Royaume-Uni, la Belgique ou la Grèce. En l’espèce, il est question de travailler en parfaite intelligence avec l’Espagne, de sorte que ce traité, sans être celui du siècle et malgré son accoutrement européiste, va dans le bon sens. Reconnaissant l’intérêt d’un lien franco-espagnol fort, le groupe Rassemblement national sera favorable à sa ratification.

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis. Je ne partage pas votre appréciation : les formes de coopération, bilatérale et multilatérale, se complètent plus qu’elles ne s’opposent. Nous avons besoin d’accords bilatéraux, et ils sont d’ailleurs nombreux. Certains ont davantage été mis en lumière que d’autres, comme l’accord conclu, hors Union européenne, avec l’Ukraine. Tous nourrissent cependant une culture commune entre des États qui ont des capacités militaires différentes. Ainsi, la Belgique a récemment rejoint le programme Scaf en tant que pays observateur.

Avec ce programme, nous confortons une alliance tripartite vertueuse entre la France, l’Allemagne et l’Espagne. Par le passé, le Rafale n’a pas pu être déployé dans tous les États européens faute d’entente. Tout ce qui permet de renforcer les coopérations et de développer une culture commune est donc bon à prendre.

Il me semble souhaitable d’avoir un niveau d’intervention européen : dans la nouvelle organisation du monde qui émerge, marquée par un multilatéralisme fort peu coopératif, l’Europe a besoin d’être plus forte pour trouver sa place. Ce traité y participe, à sa mesure certes. Outre ses avancées concrètes pour les membres des forces armées, il promeut une véritable logique industrielle, au service de la BITD. J’espère qu’il sera porteur d’évolutions positives, au sujet du Scaf entre autres.

Mme Valérie Bazin-Malgras, présidente. Nous accueillons M. Stéphane Vojetta, député de la 5e circonscription des Français de l’étranger, qui comprend notamment l’Espagne.

M. Stéphane Vojetta (EPR). M. Gérard Lapierre, ancien attaché d’armement et attaché de défense adjoint auprès de l’ambassade de France en Espagne, m’a aidé à préparer cette intervention. À travers lui, je tiens à rendre hommage à toutes les femmes et à tous les hommes, français ou espagnols, qui, à Paris, à Madrid, à Séville, à Albacete ou à Getafe, structurent notre relation bilatérale de défense.

Lors de la signature du présent traité, le 19 janvier 2023 à Barcelone, je représentais les Français de la 5e circonscription de l’étranger. Mettant à jour un accord de 1983, ce traité répond aux enjeux sécuritaires actuels : menaces hybrides, cyberattaques, terrorisme et ingérences étrangères. Il favorise le partage de renseignements et une meilleure coordination, consolidant ainsi la solidarité de l’Europe.

Ce projet de loi excède la simple coopération militaire puisqu’il renforce également la coopération industrielle, conformément à nos ambitions européennes, exprimées par le président de la République depuis 2017. Dans un contexte de remilitarisation du monde, où la technologie est décisive, il encourage les partenariats entre nos industries de défense, notamment dans le cadre des projets des avions ravitailleurs MRTT (avion multirôle de ravitaillement en vol et de transport), de l’hélicoptère d’attaque Tigre, de l’avion de transport A400M, de l’Eurodrone et du Scaf, développé conjointement par la France, l’Espagne et l’Allemagne. Ce traité participe ainsi d’un effort plus large pour une défense européenne autonome, de la définition des matériels à leur emploi en passant par leur production et leur maintien en condition opérationnelle, illustrant notre engagement au service d’une Europe plus forte sur la scène mondiale, indépendante et souveraine. À cet égard, la France et l’Espagne partagent la vision d’une Europe autonome, capable de défendre ses intérêts et de contribuer à la sécurité mondiale, que ce soit dans le cadre de l’ONU, de l’Otan ou de l’Union elle-même.

Le texte comporte également des mesures favorisant une coopération fluide entre nos forces armées, comme l’harmonisation de la fiscalité ou la gestion d’urgences telles que les décès en mission. Le conseil franco-espagnol de défense et de sécurité garantira une gouvernance efficace et une coordination opérationnelle optimale grâce à un dialogue stratégique régulier et à l’organisation d’exercices conjoints.

Le traité s’inscrit donc dans une tradition de solidarité tout en s’adaptant aux besoins futurs. Il est une promesse de renforcement de l’amitié et de la coopération entre nos deux nations. En le ratifiant, nous engageons un avenir de progrès, d’unité et de protection pour nos deux pays et pour l’Europe, témoignant de notre volonté commune d’assurer un avenir de paix et de stabilité aux générations à venir.

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis. Je partage pleinement votre appréciation, et notamment votre insistance sur les améliorations apportées pour les femmes et les hommes déployés hors de leur pays. Les personnels de l’armée nous ont clairement indiqué que ce nouveau cadre, sans être révolutionnaire, serait plus confortable. Les sujets du quotidien méritent notre attention : en matière de fiscalité ou d’accès aux soins, il importe d’instaurer le cadre juridique le plus opérant, le plus commode possible pour nos forces armées. Ce traité y contribue.

M. Manuel Bompard (LFI-NFP). Les accords régissant notre coopération de défense avec l’Espagne sont obsolètes. Il s’agit pourtant d’un partenaire crucial dans le bassin méditerranéen, zone décisive pour les intérêts de notre pays. Mettre à jour les textes encadrant notre relation est donc nécessaire.

Nous regrettons néanmoins que le traité persiste à inscrire ces relations dans des cadres de coopération multilatérale inefficace et dangereuse. Son article 3 fixe comme objectif le renforcement de l’Union européenne en matière de défense, en étroite complémentarité avec l’Otan. L’Otan vise pourtant à aligner la politique de défense des Européens sur les intérêts états-uniens, divergents des nôtres. Le nouveau président élu des États-Unis a d’ailleurs décidé d’humilier les autres membres de l’Alliance atlantique en les menaçant de la quitter si ces derniers ne donnaient pas davantage d’argent à l’Otan, c’est-à-dire à son industrie ; cela devrait susciter d’autres réactions que des gestes désespérés et désordonnés pour s’attirer sa clémence. Au contraire, la France doit être indépendante et servir la paix.

La défense européenne, autre priorité fixée par le traité, est une illusion : d’une part, elle n’est pensée que comme une déclinaison locale de l’Otan, dont certains membres, comme la Turquie, bloquent toutes les initiatives venant de l’Union européenne ; d’autre part, les différents États membres ont des intérêts divergents en matière de défense. L’indépendance stratégique européenne n’existe pas.

Cela se vérifie à propos du Scaf, l’un des principaux objets de notre coopération avec l’Espagne dans le domaine capacitaire. En dépit de désaccords persistants avec les Allemands au sujet des attendus du futur système, les gouvernements macronistes restent d’une naïveté stupéfiante. L’Allemagne a planté un nouveau clou dans le cercueil du Scaf en lançant un projet de drone de combat avec le Royaume-Uni en octobre dernier, alors même qu’elle dirige le volet drone du programme. Elle prépare donc tranquillement sa sortie et nous mettra, ainsi que l’Espagne, devant le fait accompli.

La France a besoin de coopération stratégique avec les pays européens ayant des centres et des aires d’intérêt communs avec elle – l’Espagne en fait évidemment partie. Ces relations ne sauraient être dévoyées au profit de la sacro-sainte Alliance atlantique et de la chimérique Europe de la défense. Par conséquent, le groupe LFI-NFP s’abstiendra au sujet de la ratification du traité tel qu’il est formulé.

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis. Votre appréciation vous appartient. L’objet de ce traité ne doit cependant pas être confondu avec la question de l’Otan. On sait l’approche qu’en ont les États-Unis, que j’ai qualifiée de « transactionnelle » dans mon propos introductif. Mais, sans être naïfs dans des relations internationales plus que jamais empreintes de Realpolitik, nous devons avancer à tous les niveaux.

Ce traité consacre une relation historique avec l’Espagne et permettra, je l’espère, de peser dans le cadre du programme Scaf, rejoint je le rappelle par la Belgique. Les risques sont réels : l’Espagne pourrait se tourner vers le F-35 plutôt que vers un avion européen – la presse en fait état. Il convient de tenir compte des besoins propres à chaque pays tout en trouvant des points de convergence. En ce qui concerne le Scaf, nos exigences touchant la gouvernance, l’export et la navalisation sont clairement énoncées.

Tous ces enjeux sont pris en considération dans le traité, mais de façon connexe, indirecte. On peut certes porter un regard des plus critiques sur l’Otan, mais je suis un peu surpris de votre choix de l’abstention s’agissant d’un traité dont l’objet est d’améliorer la situation des personnels et de resserrer la coopération entre les deux gouvernements. Votre appréciation ne me semble pas tout à fait exacte et je regrette votre abstention, eu égard aux avancées, certes modestes et techniques mais réelles, que comporte le texte.

M. Guillaume Garot (SOC). Au nom du groupe socialiste, je salue le tour de force qu’a accompli le rapporteur en élaborant un tel rapport en une semaine.

Cet accord est une mise à jour d’un partenariat qui remonte à 1983. Renforcer la coopération avec l’Espagne est nécessaire dans un contexte géopolitique qui requiert une approche et une culture communes, ne serait-ce que pour des raisons d’efficacité. Nous nous en étions aperçus dès 2022, à propos de la guerre d’Ukraine et lors de l’élaboration de la Boussole stratégique. La chose devient d’autant plus urgente à présent que M. Trump a été élu.

Ma première question concerne le programme Scaf, dont la phase 1 prendra fin en 2025, le vol d’un premier démonstrateur devant marquer le lancement de la phase 2. Du point de vue des intentions affichées, l’accord est à même de sécuriser l’avenir du Scaf. Savez-vous si des mesures complémentaires ont été envisagées afin de renforcer le dialogue franco-espagnol sur ce projet en particulier ?

Ma seconde question est d’ordre plus général – d’autres l’ont d’ailleurs esquissée. Pensez-vous que la coopération entre États constitue le bon chemin pour construire une Europe de la défense qui permette aux États membres d’être efficaces ensemble de façon autonome ? Pour ce faire, faut-il généraliser une telle démarche ?

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis. La phase 1B du projet Scaf prendra fin en 2025 et la phase 2 devrait s’ouvrir au printemps 2026, entre les élections fédérales allemandes et l’élection présidentielle française : des évolutions politiques pourraient donc se faire sentir sur le premier démonstrateur du NGF, l’avion de chasse de sixième génération, en 2027. La France et l’Espagne doivent en discuter. L’actualité étant ce qu’elle est, nous avons précisé que le sommet franco-espagnol initialement prévu en décembre 2024 devrait se tenir « dans les meilleurs délais ».

Le projet Scaf est complexe. Si certains éléments peuvent laisser penser que les intérêts des États sont parfois divergents, je suis convaincu du contraire – le fait que la Belgique ait rejoint la dynamique en témoigne. Les projets industriels sont d’une telle ampleur que les États membres partenaires du Scaf ont tout intérêt à coopérer. Prenons l’intercepteur endo-atmosphérique : il permettra aux États d’intercepter des missiles lancés à Mach 9 ou 10, soit 11 000 kilomètres à l’heure, capables de faire Moscou-Paris en un quart d’heure. Les enjeux de défense sont cruciaux et requièrent des investissements colossaux, que nous ne pourrons réunir qu’en mutualisant nos efforts. Nous coopérons donc certes par enthousiasme, mais aussi par nécessité. Pour autant, chaque État doit s’y retrouver : il doit être plus avantageux pour chacun de coopérer que d’agir isolément.

Je crois à la logique multilatérale et à la logique bilatérale ; elles se confortent et se consolident plus qu’elles ne se concurrencent.

M. Fabien Lainé (Dem). Ce projet de loi s’inscrit dans une intensification des coopérations entre la France et l’Espagne, notamment en matière de politique commune de sécurité et de défense. Le traité vise à donner une portée juridique aux ambitions que le président de la République française et le premier ministre espagnol ont exprimées dans leur déclaration conjointe à l’issue du vingt-sixième sommet franco-espagnol qui s’est tenu à Montauban en mars 2021.

En tant que membre de l’Assemblée parlementaire de l’Otan, je suis attaché à ce que le traité fasse explicitement référence à l’Alliance atlantique et à l’Union européenne, qui doivent fonctionner de manière complémentaire. Rappelons que si l’Espagne est entrée dans l’Otan en 1982, elle n’a rejoint sa structure militaire intégrée qu’en 1999 et n’est devenue membre de la Communauté économique européenne qu’en 1986. Le dernier accord de coopération militaire entre nos pays datant de 1983, il était plus que nécessaire de l’actualiser.

Dans un contexte géopolitique de plus en plus dégradé, voire chaotique, il semble impératif d’élargir notre coopération opérationnelle, en particulier dans les domaines du renseignement, de la cyberdéfense, du spatial et des menaces hybrides.

En outre, l’Espagne est pleinement engagée dans des programmes tels que le Scaf et l’Eurodrone, qui structureront la défense européenne. Le traité contribuera à fluidifier nos relations dans ce cadre. Pour toutes ces raisons, le groupe Démocrates est favorable à son adoption.

Une question pour finir : dans un pays aussi décentralisé que l’Espagne, comment les politiques de défense s’articulent-elles entre l’État et les régions ?

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis. Certaines régions, comme la Catalogne et le Pays basque, disposent de pouvoirs très étendus, avec les budgets correspondants, et soutiennent fortement l’industrie. À titre d’illustration, le budget du conseil régional de Nouvelle Aquitaine est de 3 milliards d’euros pour 6 millions d’habitants, quand celui du pays Basque espagnol est de quelque 20 milliards pour 2 millions d’habitants – étant précisé qu’il couvre davantage de compétences. Les investissements industriels des régions espagnoles étant sans commune mesure avec ceux des collectivités françaises, il est difficile de consolider le budget global que l’Espagne consacre à la défense. L’effort de défense espagnol peut paraître faible si l’on s’en tient à l’échelon national, mais il est plus élevé si l’on y intègre les investissements des régions.

Quant aux projets industriels, qui sont majeurs, ils ont leurs fragilités et leurs potentialités, mais nous pouvons miser sur l’effet cliquet : passé un certain degré d’avancement, il n’y a plus de retour en arrière possible, malgré d’éventuels atermoiements – enjeux d’exportation pour l’Allemagne, choix stratégiques comme la navalisation pour le Scaf… C’est d’ailleurs ainsi que l’Union européenne s’est construite, depuis la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) : l’interdépendance est désormais telle que l’on n’a plus d’autre choix que d’avancer ensemble, et donc de se comprendre. Les événements communs que constituent les conseils de défense, entre autres, participent de la socialisation et de l’empathie nécessaires. Dans un contexte où l’on a plutôt tendance à se méfier de ses voisins – ce qui est parfois justifié, soyons lucides –, je crois à l’idéal européen, qu’il faut faire vivre.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Les accords binationaux sont souhaitables et attendus. Ils permettent de cibler des actions communes, de faire preuve d’agilité, de nouer des liens étroits et de partager des visions. Ces relations bilatérales interviennent en complément des engagements européens, pour gagner en efficacité et tenir compte des spécificités de chaque État membre. Au nom du groupe Horizons et indépendants, je me réjouis que le présent traité préfigure des mutualisations en ce qui concerne l’énergie – notamment son achat –, la sécurité, le renseignement, la place des femmes dans les armées ou encore la lutte contre le changement climatique. Ce sont autant d’innovations bienvenues. Notre groupe est donc favorable à l’adoption du projet de loi.

Je note toutefois que le traité sera conclu pour une durée indéterminée, et qu’il pourra être dénoncé par les parties par la voie diplomatique. Quels seraient les motifs éventuels de dénonciation ?

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis. Sans être un spécialiste du droit international, il me semble que cette formulation est relativement rare. Il faut donc voir un signe positif dans cette « durée indéterminée », qui témoigne d’une confiance dans l’avenir ; mais comme tout traité, il pourra être rompu – ce fut le cas, récemment, des accords de coopération de sécurité et de défense entre la France et le Tchad.

Les sujets tels que la féminisation des armées, l’énergie et la lutte contre le changement climatique peuvent être perçus comme connexes à l’objet du traité, mais les catastrophes climatiques récentes ont mis en lumière le soutien que peut apporter l’armée à la sécurité civile. Nous pourrons bénéficier du retour d’expérience de l’armée espagnole, qui a déployé plusieurs milliers de militaires après les inondations à Valence. C’est l’occasion de créer une culture commune et des coopérations utiles.

M. Édouard Bénard (GDR). Le traité de Barcelone fait écho à un accord de coopération signé à Paris quarante ans plus tôt ; il fixe de nouvelles conditions et modalités. Au-delà d’un simple accord bilatéral, il soulève de nombreux enjeux, en particulier quant au renforcement de l’autonomie européenne vis-à-vis des États-Unis. Rappelons que le président nouvellement élu outre-Atlantique agitait il y a quelques jours la menace de quitter l’Otan, et que le président de la République française affiche la volonté de se défaire de la tutelle américaine pour construire une Europe plus indépendante et une défense européenne crédible. Le présent traité est l’occasion pour la France d’affirmer cette volonté d’indépendance européenne, en plus de capitaliser sur la politique de sécurité et de défense commune et sur le Fonds européen de la défense.

Pour autant, nous sommes plus que réservés à l’égard d’une chimérique Europe de la défense. Au-delà du Sofa, quels impacts aura le traité sur le développement commun du Tigre au standard Mk 2+ et sur les études relatives à l’hélicoptère de combat du futur, qui prendra la suite du Tigre ?

Alors que la deuxième phase du Scaf va s’ouvrir, nous nous engageons plus encore dans ce programme à dimension nucléaire. Par leur démarche commune, la France et l’Espagne donnent-elles leur aval à la nucléarisation future de la défense européenne ? Au-delà des aspects purement techniques ou industriels, s’agit-il de laisser une porte ouverte sur l’européanisation de la dissuasion nucléaire ? Si nous devons bien évidemment investir dans une architecture commune de sécurité, cela ne peut se faire en accentuant la dissuasion nucléaire. Puisqu’on parle volontiers de ligne rouge ces temps-ci, en voici une à nos yeux.

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis. Je ne crois pas que le traité aille aussi loin, même s’il renvoie de façon indirecte à des enjeux de relations internationales : place de l’Europe vis-à-vis de l’Otan, Europe de la défense… Il a avant tout une visée technique et entend répondre aux besoins d’aujourd’hui en matière de forces armées et de coopération entre les États. Il constitue toutefois une pierre dans l’édification d’une maison commune. Je crois pour ma part en l’Europe de la défense et j’espère qu’elle se renforcera, car nous en avons besoin – même si je suis conscient que d’autres redoutent cette perspective.

Le Scaf est un bon exemple : dans ce projet, la France garde son autonomie et prend en charge le volet de la navalisation, l’Espagne a d’autres priorités, l’Allemagne est plutôt sensible aux capacités de transport. L’objectif est de renforcer les mutualisations pour réaliser des économies d’échelle et des gains technologiques, tout en préservant les singularités de chaque État. Il faut beaucoup d’ingénierie et d’innovation pour conduire un projet industriel aussi complexe que le Scaf, sachant que le cloud de combat requiert une interopérabilité et des interconnexions pointues. L’Europe est capable de faire émerger des solutions techniques et opérationnelles qui concurrencent d’autres options élaborées outre-Atlantique. La coopération est donc tout à la fois politique, technique et financière. C’est le chemin qu’il faut emprunter en respectant les particularités de chaque État.

L’une de celles de la France, essentielle, est la dissuasion. Je ne saurais dire si nous allons vers une européanisation de la dissuasion nucléaire, même si, selon moi, ce n’est pas à exclure. En tout état de cause, ce n’est pas l’objet du traité, qui se contente de franchir une marche vers une collaboration souhaitable.

Mme Valérie Bazin-Malgras, présidente. Nous en venons aux questions individuelles des députés.

Mme Catherine Rimbert (RN). L’état des lieux de l’armée espagnole que dresse votre rapport a retenu toute notre attention. Sans mépris aucun pour notre voisin et allié, nous notons qu’à la différence de la France, l’Espagne n’a pas un modèle d’armée complet et que les moyens de ses armées sont plus limités que les nôtres, même si nous avons entendu que son budget était en augmentation. Quels sont les secteurs d’excellence de l’armée espagnole, et sur quels segments pourrions-nous nous appuyer en cas d’engagement contre une menace ou un ennemi commun ?

M. Pascal Jenft (RN). L’article 4 du traité, qui définit le domaine de coopération entre la France et l’Espagne, mentionne la gestion des crises et la sécurité maritime. Ces termes peuvent recouvrir de larges missions ; on peut ainsi estimer que l’immigration massive et illégale est une crise, et que la sécurité maritime inclut la surveillance des embarcations de fortune de migrants – d’autant que l’Espagne possède une frontière avec le Maroc, à Ceuta. Nos deux pays couvrent une part importante de la Méditerranée, lieu de passage migratoire. En 2024, l’immigration clandestine a augmenté de plus de 140 % en Espagne, tandis que la France comptait environ 450 000 clandestins en 2023. Une collaboration est-elle envisageable pour gérer les flux migratoires illégaux, ou serions-nous bloqués par l’obligation, citée à l’article 4 du traité, de coopérer aux politiques de sécurité européennes ?

M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur pour avis. Je me garderai de juger des forces et faiblesses de l’armée espagnole, qui est complète et qui a ses singularités, comme la nôtre. Elle se distingue particulièrement dans l’aérospatial. J’ai par ailleurs évoqué le renfort capacitaire qu’elle a apporté à Dakar. Sur le plan industriel, l’Espagne prend part à la conception de l’A400M et de l’A330 MRTT. Elle est la sixième armée de l’Union européenne et est déployée sur de nombreux fronts. Ce partenaire fidèle de la France a ses spécificités, liées à son histoire et à sa situation géopolitique.

Pedro Sánchez a annoncé la régularisation de 900 000 étrangers en trois ans pour répondre aux besoins en main-d’œuvre du pays, se distinguant du discours ambiant qui prévaut en France en matière d’immigration. Je ne suis donc pas certain que nos vues convergeront à court terme dans ce domaine. À titre personnel, je suis assez sensible à l’approche équilibrée du premier ministre espagnol. La commission des affaires européennes a débattu de la question du secours en mer des embarcations clandestines, mais ce sujet est éloigné de l’objet du traité.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble du projet de loi sans modification.

 

Mme Valérie Bazin-Malgras, présidente. La commission des affaires étrangères, saisie au fond, examinera dans quelques minutes ce projet de ratification et notre rapporteur pourra y exposer l’avis de la commission.


   ANNEXE 1 :
TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

Article unique

 

Est autorisée la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d’Espagne, signé à Barcelone le 19 janvier 2023 et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

N.B. : Le texte du traité figure en annexe au projet de loi (n° 621).


ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

-          M. Aimery Chuzeville, ministre-conseiller, chargé d’affaires ad interim de l’ambassade de France en Espagne ;

-          Mme Olivia Lamy, rédactrice Espagne, mission de l’Europe méditerranéenne ;

-          Mme Amélyse Menei, adjointe au chef de mission de l’Europe méditerranéenne ;

-          M. Guillaume Mounier, chef de la mission des accords et traités, direction des affaires juridiques ;

-          M. Pierre Dousset, conseiller juridique à la mission des accords et traités, direction des affaires juridiques.

 

Ministère des Armées et des Anciens combattants

-          Capitaine de vaisseau Pierre Alzuyeta, attaché de défense de l’ambassade de France en Espagne ;

-          Colonel Matthieu Dutheil de la Rochère, pôle relations internationales militaires, État-major des armées ;

-          M. Matthieu Dunoyer, assistant du colonel Matthieu Dutheil de la Rochère ;

-          M. Antoine Pavageau, sous-directeur du droit international et européen, direction des affaires juridiques ;

-          Mme Léa Loiseleur, chargée d’études juridiques en droit international public, direction des affaires juridiques ;

-          Mme Automne Decoussemaker, chargée de mission à la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS).

 

 

 

 

 


ANNEXE 3 : DÉPENSES DE DÉFENSE DES PAYS MEMBRES DE L’OTAN EN 2024 (ESTIMATIONS)

Source : « Les dépenses de défense des pays de l’OTAN (2014-2024) », communiqué de presse de l’OTAN, juin 2024.

 

 

 

 

 

 

Source : Idem.

ANNEXE 4 : CARTE DU DÉPLOIEMENT DES FORCES ARMÉES ESPAGNOLES SUR LE FLANC EST DE L’EUROPE (OTAN)


([1])  L’Espagne se classe derrière la France, la Pologne, l’Allemagne, l’Italie et la Grèce. Ce classement prend en compte les réservistes.

([2])  L’avion de combat Eurofighter Typhoon a été développé par le consortium Eurofighter GmBH, qui mobilise plusieurs pays : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Les autres avions de combat espagnols sont américains (Northrop F-5, McDonnell Douglas F/A-18 Hornet).

([3])  « Les dépenses de défense des pays de l’OTAN (2014-2024) », communiqué de presse de l’OTAN, p. 7, juin 2024.

([4]) Sur la base des prix et taux de change 2015. Pour l’année 2024, il s’agit d’une estimation.

([5])  La Direction générale de l’armement et du matériel espagnole (Dirección General de Armamento y Material, DiGAM) dénombre 400 entreprises dans cette BITD et celles-ci réalisent un chiffre d’affaires annuel de 7 milliards d’euros. Ce chiffre d’affaires est réalisé à 80 % à l’export et principalement dans le secteur aéronautique (70 %). En outre, 75 % de ce chiffre d’affaires est réalisé par les grandes entreprises Airbus (50 %), Indra Sistemas, Navantia et GDELS-Santa Barbara Sistemas.

([6])  Le Congrès des députés (Congreso de los Diputados) est la chambre basse du Parlement espagnol. Le compte-rendu de cette réunion est disponible sur le site Internet du Congrès des députés.

([7]) Article « Las Fuerzas Armadas han perdido el 10 % de sus efectivos en las ultimas dos decadas », El País, 9 janvier 2024.

([8])  L’Espagne héberge les quartiers généraux de l’opération (Operation Headquarters, OHQ) à Rota et assure quatre mois par an le commandement du quartier général de la force (Force Heaquarters, FHQ). Elle déploie une frégate, un avion CASA de surveillance maritime et un drone Scan Eagle plusieurs mois par an.

([9]) ESN, page 32 du décret, traduit de l’espagnol : « L.A. 29. Promover un liderazgo decidido en la formulación y el desarrollo de la Política Común de Seguridad y Defensa, en línea con las conclusiones que se obtengan del proceso de revisión de la seguridad europea. L.A. 30. Contribuir a reforzar las capacidades estratégicas autónomas de la Unión Europea, incluida la construcción de la Europa de la Defensa y el desarrollo de capacidades industriales y tecnológicas europeas ».

([10]) Selon l’article « Au large des côtes espagnoles, l’exercice MILEX » publié par la revue Terremag sur le site Internet du ministère des armées et des anciens combattants le 15 janvier 2024, « cet exercice de gestion de crise à dominante amphibie [visait] à améliorer l’interopérabilité des capacités militaires et la capacité de déploiement rapide de l’Union européenne ».

([11])  La présence avancée de l'OTAN comprend huit groupements tactiques multinationaux mis à disposition par des pays-cadres et par d'autres alliés contributeurs sur une base volontaire. En Slovaquie, le pays cadre est l’Espagne et les autres pays contributeurs sont l’Allemagne, la Slovénie et les États-Unis.

([12]) L’initiative 5+5 est un forum de coopération réunissant cinq États de la rive Sud de la Méditerranée (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc et Tunisie) et cinq États de la rive Nord (France, Italie, Malte, Portugal et Espagne). Il permet notamment d’échanger sur des enjeux sécuritaires communs, dont les flux migratoires, la lutte contre le trafic de drogue et la lutte contre le terrorisme.

([13]) Cette aide comprend l’envoi de 19 chars Leopard, des missiles Patriot et des équipements militaires.

([14]) L’Espagne estime que le développement des lignes ferroviaires n’est pas assez rapide (ligne à grande vitesse Pays basque et ligne Montpellier-Figueras) et que l’opérateur espagnol Renfe est freiné dans son accès au réseau ferroviaire français.

([15])  Le « Bachibac », cursus permettant d’obtenir simultanément le baccalauréat et le bachillerato espagnol, est proposé dans 117 établissements en Espagne.

([16]) Ce réseau comprend tout d’abord des postes réciproques : 1 OE à la direction politique du ministère de la défense (DGRIS/DIGENPOL) ; 1 OL à l’état-major des armées (EMA/EMAD) ; 1 OL à l’état-major de l’armée de terre (EMAT/EME) ; 1 OL au commandement des forces terrestres (CFOT/FUTER) ; 1 OE à l’École navale (EN/ENM) ; 1 OE à l’état-major de force maritime à haute disponibilité (FRSTRIKEFOR/SPMARFOR) ; 1 OE pilote d’avion de transport tactique A400M. Il se compose également de deux postes non réciproques : 1 OL espagnol au commandement de l’espace à Paris et 1 OE espagnol embarqué sur sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) français à Toulon. En parallèle, 19 militaires français sont insérés dans les structures de l’OTAN en Espagne.

([17]) Selon les éléments transmis par écrit par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères : « Madrid fait face à une difficulté d’ordre juridique relative à l’article 2.4 du traité, qui prévoit la présence, par alternance, d’un membre du gouvernement français ou espagnol au Conseil des ministres de l’autre partie au moins une fois tous les trois mois. Le 14 novembre, le Congrès des députés espagnol a approuvé une modification législative permettant l’invitation de ministres de pays tiers au conseil des ministres espagnols. Le vote au Sénat doit intervenir dans un maximum de 20 jours suivant le vote du Congrès. Une fois le blocage levé sur l’invitation de ministres de pays tiers au conseil des ministres espagnols, une autorisation de ratification du traité de Barcelone devra être donnée par le Parlement avant la ratification par le Roi. ».

([18])  Le titre I s’intitule plus précisément « cadre des relations d’amitié et de coopération ». Il liste les différents instruments qui peuvent être mobilisés, dont le sommet bilatéral annuel entre le président de la République française et le président du gouvernement espagnol, des consultations régulières entre les ministères des affaires étrangères des deux parties ou encore une invitation croisée aux conseils des ministres.

([19]) Un projet a été transmis par l’Espagne le 21 juin 2024. Il est actuellement étudié par la France.

([20]) Article 5 du traité de l’Atlantique Nord et article 42, paragraphe 7 du traité sur l’Union européenne (TUE).

([21]) XXVIe sommet franco-espagnol, déclaration conjointe à Montauban, le 15 mars 2021, disponible sur le site Internet de l’Elysée, p. 7. Le traité sur la coopération dans le domaine de la défense du 19 janvier 2023 rappelle dans son préambule ce « besoin exprimé [dans la déclaration de Montauban] d’actualiser le cadre juridique (…) établi par l’accord (…) signé à Paris le 7 octobre 1983 ».

([22]) Un accord général de sécurité concernant l’échange et la protection des informations classifiées a également été signé par les deux pays à Madrid, le 21 juillet 2006.

([23]) Voir par exemple les articles 7 et 8 de l’accord passé entre la France et le Papouasie-Nouvelle-Guinée, relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces, signé à Port-Moresby le 31 octobre 2022.

([24])  Il existe également un format « défense » uniquement, dont la dernière édition s’est tenue en 2022.

([25]) La dernière rencontre entre ces deux directions date du 3 décembre 2024.

([26]) Le traité de 2023 prévoit que « ce comité est co-présidé par un représentant de la direction générale de l’armement (DGA) du ministère de la défense, pour la partie française, et un représentant de la direction générale de l’armement et du matériel (Dirección General de Armamento y Material, DiGAM) du ministère de la défense, pour la partie espagnole ».

([27])  S’agissant du droit français, le port d’armes par des militaires est régi par l’article L. 2338-2 du code de la défense qui dispose que « les militaires peuvent porter leurs armes, munitions et leurs éléments dans les conditions définies par les règlements particuliers qui les concernent ». Cette possibilité de port d’arme s’exerce dans le cadre du service (article D. 2338-1 du même code).

([28]) En cas d’infraction accomplie dans l’exercice de son service, ainsi que dans le cas où l’infraction porte uniquement atteinte à la sûreté ou à la propriété de la partie d’origine, à la personne ou aux biens d’un autre membre du personnel ou d’une personne à charge de la partie d’origine, les autorités militaires de celle-ci ont le droit d’exercer leur juridiction par priorité.

([29])  Contrairement au traité franco-espagnol, ce traité contient une clause d’assistance mutuelle. La présence de cette clause trouve sa justification dans le fait que Djibouti ne fait pas partie de l’OTAN (clause d’assistance mutuelle prévue à l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord) ou de l’Union européenne (clause d’assistance mutuelle prévue à l’article 42, paragraphe 7 du TUE). En outre, le traité avec Djibouti prévoit certaines dispositions relatives aux facilités opérationnelles accordées aux forces françaises stationnées à Djibouti, de manière non réciproque.

([30])  À l’été 2024

([31]) Système de combat aérien du futur, Next Generation fighter : avion de chasse de nouvelle génération

([32]) https://www.opex360.com/2024/12/01/selon-le-senat-les-divergences-avec-berlin-font-douter-de-lavenir-du-systeme-de-combat-aerien-du-futur/