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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 janvier 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d’actions
d’entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage
ou de commerce de produits d’origine animale
(n° 579)
PAR M. Xavier BRETON
Député
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION............................................ 5
Le 28 septembre 2018, l’incendie, revendiqué par une association de défense de la cause animale, d’un abattoir à Haut Valromey, dans le département de l’Ain, a mis au chômage 80 de ses employés et causé un préjudice de plusieurs millions d’euros. Cet événement s’inscrit dans un contexte de multiplication, ces dernières d’années, d’actions, plus ou moins virulentes, entravant des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou encore de commerce de produits d’origine animale.
Face à l’aggravation de ce phénomène, le Parlement a commencé à se saisir de cette problématique, qui suscite de fortes inquiétudes dans nos territoires, en particulier ruraux.
Ainsi, le 24 octobre 2018, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les activistes antispécistes violents et les atteintes à la « liberté alimentaire » a été déposée par plusieurs de mes collègues du groupe Les Républicains ([1]). Le Sénat s’était également saisi de la question, par une proposition de loi déposée par le sénateur Jean-Noël Cardoux ([2]). Tout d’abord rejetée par la commission des Lois du Sénat, celle-ci a été amendée et finalement adoptée en séance publique le 1er octobre 2019.
Par ailleurs, au cours de l’examen du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement, le Sénat avait adopté un amendement créant un délit d’entrave aux activités de chasse. Cet article additionnel avait été supprimé lors de la commission mixte paritaire du 25 juin 2019, au motif que le phénomène d’entrave ne se cantonnait pas au seul domaine de la chasse. Pour cette raison, la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale de l’époque, Mme Yaël Braun-Pivet, s’était alors engagée à créer une mission d’information sur le sujet.
C’est à la suite de ces débats qu’a été créée, le 1er juillet 2020, la mission d’information, commune à la commission des Lois, à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales.
J’ai eu l’honneur de présider ses travaux, qui ont abouti à la publication du rapport d’information du 27 janvier 2021 ([3]) de Mme Martine Leguille-Balloy et de M. Alain Perea, membres du groupe La République en Marche, dont je tiens à saluer la qualité.
Sur la base de vingt-six auditions et tables rondes menées par la mission, ce rapport documente avec précision le constat du développement récent d’entraves réalisées par des militants. Plusieurs secteurs sont principalement visés :
– l’agriculture et l’élevage, ainsi que certaines activités de recherche associées ;
– les activités d’abattage, de transformation et de transport de viande ;
– les commerces, en particulier alimentaires ;
– les activités de loisirs : la chasse, la corrida, le cirque, etc.
Le rapport d’information pointe tout d’abord une augmentation récente des actions d’entrave et une radicalisation de celles-ci. Certaines d’entre elles prennent la forme de dégradations, de violations de domicile, ou encore d’entraves à la liberté du travail, qui sont déjà pénalement répréhensibles. Le droit en vigueur permet également de poursuivre certains auteurs d’entrave dont l’action prendrait la forme de diffamation ou de harcèlement moral.
Toutefois, il ressort des travaux de la mission d’information commune que le droit en vigueur ne couvre pas tous les phénomènes d’entrave : c’est le cas de l’entrave à la chasse, difficile à qualifier pénalement, de l’intrusion dans une exploitation agricole, qui ne peut que rarement être sanctionnée au titre de la violation de domicile, ou encore de certains moyens permettant d’appliquer le délit d’entrave à la liberté du travail.
En effet, la mission constate l’apparition de nouvelles formes d’entraves consistant à gêner, contraindre ou empêcher le déroulement normal d’une activité pourtant licite, sans forcément être constitutives d’infractions pénales. Ces nouvelles entraves sont réalisées par de nouveaux moyens, parfois non violents, et par une mobilisation accrue des réseaux sociaux, que les pouvoirs publics peinent à appréhender.
Face à ce constat, les rapporteurs de la mission d’information commune ont formulé huit recommandations, qui touchent au renforcement de l’effectivité de la réponse pénale mais également à l’évolution de l’arsenal législatif existant.
C’est dans l’objectif de traduire les recommandations de nature législative du rapport d’information que j’ai déposé, le 21 septembre 2021, une proposition de loi (n° 4458) visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d’actions d’entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale. J’ai redéposé cette proposition de loi au cours de la XVIe législature, le 15 décembre 2022 ([4]), ainsi que sous la présente législature, le 19 novembre dernier ([5]). Il est en effet de notre responsabilité de législateur de ne pas laisser la situation s’envenimer et dégénérer, en faisant évoluer notre politique pénale pour répondre aux évolutions de la société. Je me réjouis donc de l’inscription, à l’initiative du groupe Droite Républicaine (DR), à l’ordre du jour de notre assemblée le jeudi 6 février prochain, de cette proposition de loi.
Les travaux que j’ai conduits en tant que rapporteur de la présente proposition de loi m’ont tout d’abord permis d’actualiser le constat dressé par le rapport d’information de 2021. Ainsi, si les données transmises par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice montrent un « pic » d’infractions d’entrave aux libertés d’expression en 2019 et en 2021, avec respectivement 176 et 146 affaires orientées, le phénomène demeure présent sur l’ensemble du territoire.
Dans le domaine agricole, le ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire a souligné, au cours de son audition, la persistance de telles actions, en particulier au sein des abattoirs mais également, de façon récente, à l’encontre des retenues d’eau agricoles (les « bassines ») ou encore d’exploitants forestiers.
S’agissant plus particulièrement de la filière viande, l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV) a indiqué à votre rapporteur que la fréquence des actions d’entrave avait diminué ces dernières années. Elle souligne néanmoins, tout comme l’association Culture Viande, la persistance d’actions prenant la forme d’intrusion dans des élevages ou dans des abattoirs – souvent dans le cadre de captations vidéo ou dans l’objectif de bloquer le fonctionnement de la chaîne industrielle –, de dégradations de boucheries et de stands tenus à l’occasion de salons, mais également de campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux.
Enfin, en matière d’entrave à la chasse, la Fédération nationale des chasseurs a indiqué, au cours de son audition, avoir recueilli 348 signalements d’actes malveillants anti-chasse pour la saison 2023-2024, soit une hausse de 10 % par rapport à la saison précédente. 54 % de ces signalements porteraient sur des atteintes aux biens, 46 % sur des atteintes aux personnes hors violences dont, dans 2,5 % des cas, sur des violences physiques.
Il ressort ainsi de ces travaux que les préconisations de la mission d’information commune de 2021 visant à renforcer l’arsenal pénal conservent leur pertinence et permettraient de mieux répondre aux actions d’entrave et à l’évolution de ce phénomène ces dernières années.
Outre l’actualisation de ce constat, les travaux que j’ai menés m’ont permis d’interroger les services du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, les services du ministère de la Justice et le professeur de droit privé et de sciences criminelles Romain Ollard – que la mission d’information commune avait déjà auditionné – quant à la pertinence juridique des différentes modifications opérées par la proposition de loi. Je tiens à les remercier pour leur contribution précieuse. Les réflexions qu’ils ont partagées m’ont conduit à proposer à la Commission, qui les a adoptés, plusieurs amendements visant :
– d’une part, à améliorer la rédaction des différents articles de la proposition de loi, afin que ceux-ci répondent de façon plus pertinente aux phénomènes d’entrave constatés et s’articulent mieux avec notre droit pénal existant ;
– d’autre part, à mieux concilier l’objectif de lutte contre les entraves avec certains principes constitutionnels, en particulier le principe de légalité des délits et des peines, ainsi que le principe de proportionnalité des peines.
En effet, s’il n’est pas possible qu’une minorité prenne en otage, pour des raisons idéologiques, le reste de la société, je suis particulièrement vigilant à la juste conciliation entre le renforcement de la lutte contre les entraves et les libertés fondamentales garanties par la Constitution.
Il m’a semblé en effet nécessaire d’être attentif à la proportionnalité des peines en matière de liberté d’expression. En ce domaine, le Conseil constitutionnel ne se limite pas – et c’est heureux – à un contrôle de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue. Au contraire, il estime que parce que « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés » ([6]), il lui incombe de vérifier si les atteintes portées à l’exercice de cette liberté sont nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi. Cette jurisprudence a donc guidé les modifications que la Commission a apportées à la proposition de loi initiale.
Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
Le 1° du présent article :
– ajoute les actes d’intrusion et d’obstruction à la liste des moyens par lesquels peut être commis le délit d’entrave prévu au premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal ;
– supprime la condition de concertation aujourd’hui nécessaire à la qualification de ce délit d’entrave.
Le 2° du présent article introduit un nouvel alinéa à l’article 431-1 du code pénal afin de punir d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende les actes de menaces, d’obstruction et d’intrusion ayant pour effet ou pour objet d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisirs autorisées et exercées conformément à la loi ou au règlement.
Dernières modifications législatives intervenues
L’article 10 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a inséré un nouvel alinéa à l’article 431-1 du code pénal visant à punir d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la fonction d’enseignant.
Position de la Commission
La Commission a supprimé le moyen d’intrusion permettant de qualifier le délit d’entrave prévu au premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal. Elle a en outre précisé que les actes d’obstruction pouvant être retenus pour qualifier ce délit d’entrave ne doivent pas avoir de motif légitime, dans l’objectif de protéger les lanceurs d’alerte.
La Commission a également supprimé le nouveau délit d’entrave à certaines activités sportives ou de loisirs, préférant à la place délictualiser la récidive de la contravention d’entrave à un acte de chasse prévue à l’article R. 428‑12‑1 du code de l’environnement, tout en apportant de légères modifications à cette contravention, désormais inscrite au sein d’un nouvel article L. 428-3-1 du code de l’environnement.
Le premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal sanctionne d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice des libertés d’expression, du travail, d’association, de réunion, de manifestation ou de création artistique, ou d’entraver le déroulement des débats d’une assemblée parlementaire ou d’un organe délibérant d’une collectivité territoriale.
L’entrave à ces libertés au moyen de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations est une circonstance aggravante portant les peines à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Ainsi que l’observaient les rapporteurs de la mission d’information commune de 2021 sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales, « l’entrave à la liberté du travail pourrait ainsi permettre de réprimer un certain nombre d’actions menées contre des activités professionnelles : l’agriculture, l’élevage, les abattoirs ou encore les commerces de viande ».
La dépêche du 22 février 2019 de la DACG relative aux actions violentes de mouvements animalistes radicaux a invité les procureurs et les procureurs généraux à recourir à cette qualification pénale, en observant que « les éléments constitutifs de ce délit font l’objet d’une interprétation large par la jurisprudence, qu’il s’agisse de la notion d’entrave ou des moyens employés ». Pour autant, les travaux de la mission d’information commune ont estimé que ces éléments constitutifs étaient trop restrictifs :
– l’infraction ne peut être qualifiée que si l’entrave est concertée, ce qui est en pratique complexe à démontrer dans la mesure où doivent être apportées des preuves que l’obstruction est réalisée de façon collective et qu’elle a fait l’objet d’une préparation antérieure ;
– les moyens de qualification de l’infraction ont tous, en l’état actuel du droit, un caractère relativement violent, qu’il s’agisse de violences verbales ou physiques. Or les rapporteurs de la mission d’information commune ont dressé et documenté le constat que « de nombreuses entraves ne prennent plus, aujourd’hui, la forme d’actions violentes ou menaçantes », que ce soit par des moyens non violents ou par l’utilisation des réseaux sociaux, et qu’elles « n’en sont pas moins bloquantes pour l’exercice d’activités légales, qu’il s’agisse d’activités professionnelles – pour lesquelles il s’agit alors d’entraves à la liberté du travail – ou de loisir, telles que la chasse ».
Les données fournies à votre rapporteur par la DACG du ministère de la Justice montrent le faible nombre de sanctions effectivement prises contre des entraves à des activités légales. Le tableau ci-après récapitule, depuis 2018, la structure de l’orientation des affaires pour les infractions d’entrave aux libertés sur le fondement de l’article 431-1 du code pénal.
Structure des orientations
pour les infractions d’entrave prévues à l’article 431-1 du code pénal
A. Entrave aux libertés d’expression |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Affaires orientées |
83 |
176 |
109 |
146 |
86 |
99 |
Affaires non poursuivables |
33 |
76 |
66 |
47 |
19 |
40 |
dont infraction insuffisamment caractérisée |
29 |
51 |
56 |
31 |
13 |
22 |
dont défaut d’élucidation |
<5 |
21 |
9 |
10 |
0 |
14 |
Affaires poursuivables |
50 |
100 |
43 |
99 |
67 |
59 |
Classement sans suite |
6 |
<5 |
5 |
15 |
19 |
<5 |
Réponse pénale |
44 |
98 |
34 |
84 |
48 |
57 |
Taux de réponse pénale |
88,0 % |
98,0 % |
88,4 % |
88,0 % |
71,6 % |
96,6 % |
Procédures alternatives |
27 |
25 |
21 |
36 |
11 |
18 |
Taux de procédures alternatives |
61,7 % |
25,5 % |
55,3 % |
42,9 % |
22 ; 9 % |
31,6 % |
dont rappel à la loi / avertissement |
19 |
19 |
9 |
25 |
5 |
16 |
Poursuites |
17 |
73 |
17 |
48 |
37 |
39 |
Taux de poursuites |
38,6 % |
74,5 % |
44,7 % |
57,1 % |
77,1 % |
68,4 % |
dont poursuites correctionnelles |
11 |
66 |
12 |
37 |
25 |
28 |
- Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité |
|
|
<5 |
9 |
<5 |
|
- Convocation par officier de police judiciaire |
<5 |
56 |
<5 |
6 |
15 |
<5 |
- Citations directes |
<5 |
<5 |
10 |
19 |
7 |
23 |
Source : DACG.
Afin de faciliter le recours à l’article 431-1 du code pénal pour qualifier l’entrave à certaines activités légales, le Sénat a adopté, le 1er octobre 2019, une proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des événements et à l’exercice d’activités autorisées. Le 1° de l’article unique de la proposition de loi modifie l’article 431-1 afin :
– d’une part, d’étendre ce délit d’entrave à l’exercice d’une activité commerciale, artisanale ou agricole exercée dans un cadre légal (c du 1° de l’article unique) ;
– d’autre part, d’ajouter à la liste des moyens par lesquels le délit d’entrave peut être commis les actes d’obstruction ou d’intrusion, y compris en l’absence de menaces (a du 1° de l’article unique).
Les rapporteurs de la mission d’information commune de 2021 ont repris cette seconde proposition, en proposant, dans le cadre de leur recommandation n° 4, d’étendre la liste des moyens par lesquels peut être commis ce délit d’entrave aux actes d’intrusion et d’obstruction, et non plus seulement aux actes de menaces. En effet, même si les actes d’intrusion et d’obstruction ne sont pas nécessairement violents, ils peuvent entraver l’activité des personnes qui en sont victimes, ce qui justifie l’extension des moyens proposée.
Les rapporteurs de la mission d’information commune n’ont en revanche pas jugé pertinente l’extension du délit d’entrave aux activités commerciales, artisanales ou agricoles, au motif que le délit d’entrave à la liberté du travail permet quasi systématiquement de qualifier une telle infraction.
Enfin, les rapporteurs de la mission d’information commune ont préconisé de supprimer la condition de concertation à la qualification du délit d’entrave à certaines libertés puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, qui implique que l’entrave soit commise collectivement.
Le décret n° 2010-603 du 4 juin 2010 a institué, à l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement, une contravention pour obstruction à un acte de chasse. Celle-ci sanctionne d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de 5ème classe, soit 1 500 euros, « le fait, par des actes d’obstruction concertés, d’empêcher le déroulement d’un ou plusieurs actes de chasse ».
La création de cette contravention découle notamment des travaux du Sénat dans le cadre de l’examen de la loi n° 2008-1545 du 31 décembre 2008 pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse. En effet, la commission des affaires économiques du Sénat avait adopté un amendement visant à punir d’une amende prévue pour les contraventions de 5ème classe « le fait d’entraver ou d’empêcher le déroulement normal d’une action de chasse ». Cette contravention a toutefois été supprimée en séance publique, puisque seuls les délits et les crimes relèvent du domaine de la loi tel que défini à l’article 34 de la Constitution.
Les rapporteurs de la mission d’information commune ont constaté qu’en pratique, une telle entrave était difficile à sanctionner, pour au moins deux raisons :
– son application est limitée au moment de l’« acte de chasse ». Celui-ci est défini à l’article L. 420-3 du même code comme « tout acte volontaire lié à la recherche, à la poursuite ou à l’attente du gibier ayant pour but ou pour résultat la capture ou la mort de celui-ci », ce qui en exclut le fait « [d’] achever un animal mortellement blessé ou aux abois » ainsi que la récupération des chiens perdus, qui interviennent après l’acte de chasse lui-même. Aussi, les rapporteurs de la mission ont constaté que « les actions d’entraves commises à ce moment – telles que la capture et la conduite vers un refuge des chiens égarés – ne peuvent être qualifiées d’entraves à un acte de chasse » ;
– l’infraction ne peut être qualifiée que si les actes d’obstruction menés sont concertés, ce qui est en pratique complexe à démontrer dans la mesure où les enquêteurs doivent disposer des preuves que l’obstruction est réalisée de façon collective, qu’elle a fait l’objet d’une préparation antérieure et qu’elle doit se manifester par plusieurs actes ([7]).
Ainsi, depuis la création, en 2010, de la contravention d’entrave à un acte de chasse, l’Office français de la biodiversité a indiqué à votre rapporteur que 25 contraventions avaient été relevées, dont 8 depuis 2018. Entre 2015 et 2019, la DACG du ministère de la justice a quant à elle indiqué à votre rapporteur qu’il n’y a eu que deux condamnations prononcées sur le fondement de l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement.
Ces chiffres sont particulièrement faibles au regard des actions d’entraves recensées par les fédérations de chasseurs. Ainsi, les données recueillies sur la plateforme de signalement en ligne des actes malveillants à l’encontre des chasseurs, mise en place en septembre 2020, dénombre 348 signalements d’actes malveillants sur la saison 2023-2024, soit une hausse de 10 % par rapport à la saison précédente.
Afin de remédier aux difficultés soulevées par l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement, le Sénat a adopté, le 1er octobre 2019, une proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des événements et à l’exercice d’activités autorisées.
Le 2° de l’article unique de la proposition de loi instaure un délit, puni d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende, pour les « actes d’obstruction ayant pour effet d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisir exercées dans un cadre légal », dont relèvent les actes de chasse.
Les sénateurs avaient également introduit un délit d’entrave à des actes de chasse par voie d’amendement au projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement ([8]). L’article instaurant ce délit avait toutefois été supprimé lors de la commission mixte paritaire le 25 juin 2019, au motif que le phénomène d’entrave ne se limite pas au seul domaine de la chasse.
Les rapporteurs de la mission ont repris à leur compte la proposition sénatoriale au travers de leur recommandation n° 3, en suggérant d’y apporter plusieurs modifications :
– remplacer la formulation d’activités « exercées dans un cadre légal » par celle d’activités « autorisées et exercées conformément à la loi ou au règlement », afin de ne pas laisser penser que l’infraction ne concerne que des activités sportives ou de loisirs dont le cadre d’exercice relève, en application de l’article 34 de la Constitution, du domaine de loi ;
– aligner la liste des actes susceptibles de qualifier cette nouvelle entrave sur les moyens utilisés pour qualifier l’entrave à l’exercice de certaines libertés prévus au premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal, en ajoutant aux actes d’obstruction les menaces et l’intrusion ;
– préciser que les menaces, l’obstruction ou l’intrusion doivent soit avoir pour effet, soit avoir pour objet – et non pour seul effet – d’entraver le déroulement d’activités sportives ou de loisirs.
Le 1° de l’article 1er de la présente proposition de loi traduit la recommandation n° 4 des rapporteurs de la mission d’information commune sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales, inspirée de la proposition de loi sénatoriale précitée. Plus précisément :
– son a supprime la condition de concertation actuellement nécessaire à la qualification du délit d’entrave à certaines libertés, laquelle implique que l’entrave soit commise collectivement ;
– son b étend la liste des moyens par lesquels peut être commis ce délit d’entrave aux actes d’intrusion et d’obstruction, et non plus seulement aux actes de menaces.
Le 2° de l’article 1er de la proposition de loi traduit la recommandation n° 3 des rapporteurs de la mission d’information commune sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales, également inspiré de la proposition de loi sénatoriale précitée.
Afin d’améliorer la répression des entraves à des actes de chasse et, plus généralement, à des loisirs exercés de façon licite, il est introduit un nouvel alinéa à l’article 431-1 du code pénal qui punit de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende les actes de menaces, d’obstruction et d’intrusion ayant pour effet ou pour objet d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisirs autorisées et exercées conformément à la loi ou au règlement.
Les rapporteurs de la mission d’information commune précitée ont repris à leur compte la proposition de loi adoptée par le Sénat le 1er octobre 2019, en y apportant plusieurs modifications, retenues dans le cadre de la présente proposition de loi :
– remplacer la formulation d’activités « exercées dans un cadre légal » par celle d’activités « autorisées et exercées conformément à la loi ou au règlement », afin de ne pas laisser penser que l’infraction ne concerne que des activités sportives ou de loisirs dont le cadre d’exercice relève, en application de l’article 34 de la Constitution, du domaine de loi ;
– aligner la liste des actes susceptibles de qualifier cette nouvelle entrave sur les moyens permettant de qualifier l’entrave à l’exercice de certaines libertés prévus au premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal, en ajoutant aux actes d’obstruction les menaces et l’intrusion ;
– préciser que les menaces, l’obstruction ou l’intrusion doivent soit avoir pour effet, soit avoir pour objet – et non pour seul effet – d’entraver le déroulement d’activités sportives ou de loisirs.
La Commission a tout d’abord adopté deux amendements relatifs aux moyens par lesquels peut être commis le délit d’entrave prévu au premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal :
– l’amendement CL20 de votre rapporteur, qui supprime le moyen d’intrusion prévu par la proposition de loi initiale. Celui-ci présente en effet une redondance avec l’article 2 de la proposition de loi, qui crée un délit spécifique d’intrusion dans un lieu où sont exercées certaines activités dans le but de troubler leur tranquillité ou leur déroulement normal ([9]) ;
– l’amendement CL41 de M. Stéphane Mazars et plusieurs de ses collègues, qui précise que les actes d’obstruction pouvant être retenus pour qualifier le délit d’entrave ne doivent pas avoir de motif légitime, dans l’objectif de protéger les lanceurs d’alerte dont l’objectif serait de faire état de pratiques interdites.
En outre, la Commission a adopté l’amendement CL21 de votre rapporteur, qui supprime le critère de concertation nécessaire à la qualification des différents délits d’entrave prévus aux alinéas 2 à 4 de l’article 431‑1 du code pénal, par cohérence avec l’alinéa 3 de la proposition de loi initiale, qui supprime ce critère pour le délit d’entrave prévu au premier alinéa du même article 431-1.
Enfin, la Commission a adopté l’amendement CL22 de votre rapporteur, qui :
– supprime le délit d’entrave à certaines activités sportives ou de loisirs créé par l’article 1er de la proposition de loi ;
– délictualise, conformément au second alinéa de l’article 132-11 du code pénal, la récidive de la contravention d’entrave à un acte de chasse prévue à l’article R. 428‑12‑1 du code de l’environnement. En procédant à cette délictualisation, l’amendement CL22 inscrit cette contravention dans la loi, au sein d’un nouvel article L. 428-3-1 du code de l’environnement, dans l’objectif de supprimer le critère de concertation de l’entrave à un acte de chasse, actuellement requis pour qualifier cette contravention.
*
* *
Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
Le présent article punit d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende le fait de s’introduire sans droit dans un lieu où sont exercées, de façon licite, des activités commerciales, industrielles, artisanales, agricoles ou de loisirs, dans le but de troubler la tranquillité ou le déroulement normal de l’activité qui y est exercée.
Il prévoit des circonstances aggravantes :
– lorsque les activités concernées sont soumises au respect de prescriptions sanitaires et que l’introduction dans le lieu présente un risque sanitaire ;
– lorsque le but de l’introduction est de filmer ou capter les paroles prononcées dans ces lieux à des fins d’espionnage ou de rendre publiques les images ou paroles captées.
Dernières modifications législatives intervenues
L’article 1er de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite a introduit un article 315-1 dans le code pénal qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende l’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte, hors les cas où la loi le permet.
Position de la Commission
La Commission a adopté l’article 2 modifié par trois amendements de votre rapporteur. Outre des modifications rédactionnelles et de précision, la Commission a supprimé le délit d’intrusion dans un lieu où sont pratiquées des activités de loisirs, qui, en pratique, n’est pas réellement applicable. Elle a également précisé que ce délit n’est pas applicable en cas d’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte.
La Commission a en outre précisé les circonstances aggravantes lorsque ce nouveau délit d’intrusion est commis dans un établissement soumis au respect de prescriptions sanitaires et que l’introduction dans le lieu présente un risque sanitaire pour l’homme, pour les animaux ou pour l’environnement, en portant la peine à deux ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Enfin, elle a créé un délit, distinct du précédent, d’intrusion aux fins de captation d’images ou d’enregistrement dans le but de les diffuser publiquement, puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Aux termes de l’article 226-4 du code pénal, l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni, depuis la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ([10]). Le maintien dans le domicile d’autrui est puni des mêmes peines.
Ainsi que le rappelle la dépêche du 22 février 2019 de la direction des affaires criminelles et des grâces relative aux actions violentes de mouvements animalistes radicaux, « la Cour de cassation a clairement énoncé que les locaux d’une personne morale pouvaient être considérés comme un domicile dès lors qu’ils étaient clos et que l’accès en était réglementé » ([11]).
Ainsi que le notent les rapporteurs de la mission d’information commune de 2021 sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales, « lorsque l’intrusion, en dehors de leurs horaires d’ouverture, dans une boucherie, un abattoir, ou un local de chasse est précédée de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, l’infraction de violation de domicile est constituée ». En revanche, si l’accès est libre, l’intrusion sans recours à l’un de ces moyens ne constitue pas une violation de domicile.
Même si, comme le note les rapporteurs de la mission d’information commune de 2021, « le moyen de contrainte [peut] être établi en cas d’intrusion en masse d’un groupe de personnes », la violation de domicile est en pratique difficile à qualifier dans le cadre d’intrusions dans des exploitations agricoles. En effet, il ne s’agit que rarement de lieux clos ou dont l’accès est réglementé, critères retenus par la Cour de cassation pour définir le domicile.
Outre l’augmentation du quantum de la peine pour violation de domicile à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite a introduit un nouveau délit à l’article 315-1 du code pénal. Celui-ci punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende l’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte, hors les cas où la loi le permet. Le maintien dans ce local est puni des mêmes peines.
Si le champ d’application de ce nouveau délit d’occupation frauduleuse d’un local recoupe en partie celui de la violation de domicile, il s’en distingue pour deux raisons, ainsi qu’il ressort de la décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023 du Conseil constitutionnel sur la loi du 27 juillet 2023 précitée :
– d’une part, le champ d’application de ce nouveau délit est plus large, en ce qu’il permet de sanctionner l’introduction et le maintien dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel, y compris lorsque ce local ne constitue pas un domicile ;
– d’autre part, en termes de finalité, ce nouveau délit vise à réprimer une atteinte aux biens – il est d’ailleurs inséré dans le livre III du code pénal « Des crimes et délits contre les biens », contrairement à la violation de domicile, qui réprime une atteinte à la vie privée – qui figure donc dans le livre II du code pénal, « Des crimes et délits contre les personnes ».
Lorsque les faits incriminés sont susceptibles d’entrer dans le champ des deux infractions, le juge ne pourra pas, en application du principe constitutionnel non bis in idem, sanctionner pénalement deux fois les mêmes faits. Il retiendra alors la qualification la plus spécifique, c’est-à-dire la violation de domicile, qui fait d’ailleurs l’objet de peines plus lourdes.
En matière d’entrave à certaines activités prenant la forme d’une intrusion, le champ plus large de ce nouveau délit d’introduction frauduleuse dans un local pourrait faciliter leur qualification pénale. Toutefois, comme pour la violation de domicile, l’introduction frauduleuse devra être réalisée aux moyens de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. L’introduction dans une exploitation agricole resterait donc difficile à qualifier lorsque la propriété n’est pas close.
Depuis le début des années 2000, le législateur a créé plusieurs infractions caractérisées par l’introduction ou la pénétration dans certains bâtiments ou certains lieux. Ainsi :
– depuis 2003, l’article 434-35-1 du code pénal institue un délit qui punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de pénétrer dans un établissement pénitentiaire ou d’en escalader l’enceinte sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes » ;
– depuis 2010, l’article 431-22 du même code institue un délit qui punit d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement » ;
– depuis 2016, l’article L. 1333-13-12 du code de la défense institue un délit qui punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de s’introduire, sans autorisation de l’autorité compétente, à l’intérieur des locaux et des terrains clos délimités pour assurer la protection des installations nucléaires intéressant la dissuasion mentionnées à l’article L. 1411-1 [du même code] ou des établissements ou des installations abritant des matières nucléaires dont la détention est soumise à l’autorisation mentionnée à l’article L. 1333‑2 [dudit code] » ;
– depuis 2023, l’article 226-4-3 du code pénal créé une contravention de 4e classe pour pénétration sans autorisation dans une propriété privée rurale ou forestière, dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement et sauf les cas où la loi le permet.
L’article 2 de la présente proposition de loi introduit un article 431-2-1 dans le code pénal, qui traduit la recommandation n° 5 des rapporteurs de la mission d’information commune sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales.
Sur le modèle des différents délits inscrits dans le code pénal ou dans le code de la défense qui sanctionne l’intrusion dans certains lieux, l’article 431-2-1 créé un délit, puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, en cas d’introduction sans droit dans un lieu où sont exercées, de façon licite, des activités commerciales, industrielles, artisanales, agricoles ou de loisirs, dans le but de troubler la tranquillité ou le déroulement normal de l’activité qui y est exercée. Le quantum des peines serait ainsi plus faible que pour l’introduction frauduleuse dans un local réprimée par l’article 315-1 du même code, puisque l’infraction serait constituée même en l’absence de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte.
Le nouvel article 431-2-1 prévoit, sans les définir, des circonstances aggravantes :
– lorsque les activités concernées sont soumises au respect de prescriptions sanitaires prévues par le droit de l’Union européenne, la loi ou le règlement et que l’introduction dans le lieu présente un risque sanitaire pour l’homme, les animaux ou l’environnement. Ainsi que le souligne le rapport de la mission d’information commune, « serait par exemple concerné, au titre de l’obligation d’agrément sanitaire prévue par le règlement (CE) n° 853/2004 ([12]) fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale, tout établissement qui prépare, transforme, manipule ou entrepose des produits d’origine animale ou des denrées en contenant et qui commercialise ces produits auprès d’autres établissements » ;
– lorsque le but de l’introduction est de filmer ou capter les paroles prononcées dans ces lieux aux fins d’espionner autrui ou l’activité d’autrui ou de rendre publiques les images ou paroles captées.
La Commission a adopté trois amendements de votre rapporteur :
– l’amendement CL23, qui insère le délit d’intrusion créé par l’article 2 de la proposition de loi dans une nouvelle section intitulée « De l’intrusion dans un lieu où sont exercées des activités commerciales, industrielles, artisanales ou agricoles » du chapitre Ier « Des atteintes à la paix publique » du titre III du livre IV du code pénal. Cet amendement supprime par ailleurs le délit d’intrusion dans un lieu où sont pratiquées des activités de loisirs, qui, en pratique, n’est pas réellement applicable aux entraves à la chasse, dont la répression est prévue à l’article 1er de la proposition de loi ;
– l’amendement CL24, qui aligne la rédaction de ce nouveau délit d’intrusion sur celle du délit d’intrusion dans un établissement d’enseignement scolaire, qui figure à l’article 431‑22 du code pénal. En outre, cet amendement substitue à la notion d’activité « exercée de façon licite », celle d’activité « exercée conformément à la loi ou au règlement ». Enfin, cet amendement précise que le délit d’intrusion n’est pas applicable en cas d’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte telle que prévue à l’article 122‑9 du code pénal ;
– et l’amendement CL25, qui précise la peine applicable lorsque ce nouveau délit d’intrusion est commis dans un établissement soumis au respect de prescriptions sanitaires et que l’introduction dans le lieu présente un risque sanitaire pour l’homme, pour les animaux ou pour l’environnement, en la portant à deux ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. En outre, il crée un délit d’intrusion, sans préjudice des cas d’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte, aux fins de captation d’images ou d’enregistrement dans le but de les diffuser publiquement, qui est dès lors distinct du délit d’intrusion dans le but de troubler la tranquillité ou le déroulement normal d’une activité. Ce nouveau délit serait puni de la même peine, soit un an d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende.
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Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
Le présent article ajoute, à l’article 225-1 du code pénal, l’activité professionnelle à la liste des mobiles de discrimination, dans l’objectif de punir de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, en application de l’article 225-2 du même code, les discriminations entravant l’exercice d’activités économiques sur le fondement de l’activité professionnelle exercée.
Dernières modifications législatives intervenues
L’article 9 de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte a ajouté, à la lise des mobiles constitutifs d’une discrimination, la qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte.
Position de la Commission
La Commission a précisé l’exception aux délits de discrimination incriminés par l’article 225-2 du code pénal, en prévoyant ainsi que les refus d’embauche, de formation ou de stages ne constituent pas des discriminations s’ils sont fondés sur l’activité professionnelle exercée.
L’article 225-1 du code pénal définit la discrimination comme toute distinction opérée entre des personnes physiques (alinéa 1er) ou morales (alinéa 2) sur le fondement d’un des mobiles limitativement énumérés par la loi ([13]).
Sur la base de cette énumération, le 2° de l’article 225-2 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la discrimination lorsqu’elle consiste à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque. Ses 1° et 4° punissent des mêmes peines la discrimination consistant respectivement à refuser la fourniture d’un bien ou d’un service, ou à la subordonner à une condition fondée sur un élément discriminatoire. Dans ces cas, il ne peut être opéré de distinction entre des personnes morales sur la base, par exemple, des opinions politiques ou de la religion de leurs membres, ou de certains de leurs membres.
Ce délit trouve son origine dans l’article 32 de la loi n° 77‑574 du 7 juin 1977 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, dite loi « anti‑boycott ». Celui-ci avait été introduit à l’initiative du député M. Pierre-Charles Krieg, afin d’empêcher toute discrimination raciale, ethnique ou religieuse dans un contexte où « les entreprises industrielles françaises qui démarchent certains pays de la Ligue arabe se voient imposer par celle-ci de répondre à des questionnaires leur demandant si […] elles travaillent avec Israël [et] si les entreprises concernées ne répondent pas ou si leurs réponses sont jugées non satisfaisantes, leurs partenaires les placent devant un dilemme : "Ou bien vous renoncez à travailler avec les autres, ou bien vous renoncez à travailler avec nous" » ([14]).
En pratique, la qualification de ces discriminations pose deux difficultés s’agissant des actes d’entrave à certaines activités légales menés principalement par des associations animalistes.
Aujourd’hui, de telles entraves sont condamnées dans le cadre de relations contractuelles, comme le souligne le professeur de droit pénal et de sciences criminelles Romain Ollard, auditionné par votre rapporteur. Celui-ci avait d’ailleurs indiqué à la mission d’information commune de 2021 sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales qu’il n’existe pas de jurisprudence dans le cas où « c’est un particulier ou un groupe de particuliers qui réaliserait une pratique discriminatoire – ne consistant pas en un refus de contracter – dont serait victime un agent économique […] ; à défaut d’un tel cadre contractuel, dans lequel un agent économique refuse d’entrer en lien commercial avec un tiers pour des raisons discriminatoires, le délit de discrimination pourrait être jugé inapplicable ».
Dès lors, l’entrave à des activités légales sans intention de nouer une relation contractuelle s’apparente plutôt à un appel au boycott, qui pourrait, sous certaines conditions, se fonder sur l’alinéa 7 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui ([15]) provoquent à la discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ([16]).
Les mobiles discriminatoires énumérés à l’article 225-1 du code pénal ne permettent pas forcément de sanctionner des personnes entravant des activités économiques du fait même de la nature de ces activités.
De telles discriminations existent pourtant dans les faits, ainsi que l’a constaté la mission d’information commune de 2021, prenant comme exemple celui « d’une entreprise essuyant un refus de la part d’un transporteur du fait de la nature des biens à transporter ». Ainsi que l’estiment les rapporteurs de la mission, « même le mobile de discrimination lié à l’opinion politique ne semble pas trouver à s’appliquer : ce mobile ne doit en effet pas s’appliquer à l’auteur de la discrimination (par exemple une personne s’opposant politiquement à l’élevage ou à l’abattage d’animaux) mais à la victime de la discrimination ».
L’article 225-3 du code pénal prévoit des exceptions, pour certains mobiles, au délit de discrimination définit à l’article 225-2. Il en va ainsi :
– des discriminations fondées sur l’état de santé, dans le cadre de la prévention et de la couverture du risque décès ;
– des discriminations fondées sur l’état de santé ou le handicap, lorsqu’elles consistent en un refus d’embauche ou un licenciement ;
– de toute discrimination, en matière d’embauche, lorsque le motif de discrimination constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, que son objectif est légitime et que cette exigence est proportionnée ;
– de certaines discriminations fondées, en matière d’accès aux biens et services, sur le sexe, par exemple lorsque cette discrimination est justifiée par la protection des victimes de violences à caractère sexuel ou encore par l’organisation d’activités sportives ;
– des refus d’embauche fondés sur la nationalité dans la fonction publique, dans le cadre prévu par la loi ;
– des discriminations liées au lieu de résidence lorsque la personne chargée de la fourniture d’un bien ou service se trouve en situation de danger manifeste.
L’article 3 de la présente proposition de loi traduit la recommandation n° 6 des rapporteurs de la mission d’information commune sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales.
Plus précisément, son 1° ajoute, au second alinéa de l’article 225-1 du code pénal, l’activité professionnelle à la liste des mobiles constitutifs de discriminations, afin, notamment, de punir de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, en application de l’article 225-2 du même code, les discriminations entravant l’exercice d’activités économiques sur le fondement de l’activité professionnelle exercée.
Cette modification permettrait ainsi de sanctionner des personnes ou des entreprises boycottant des entreprises en raison de la nature même de leur activité professionnelle, en particulier si elles refusent de leur fournir certains biens ou services du fait même de la nature de l’activité exercé par l’entreprise.
Le 2° de l’article 3 de la présente proposition de loi vise quant à lui à répondre aux difficultés que peut soulever l’introduction de ce mobile discriminatoire, en prévoyant une exception supplémentaire aux délits de discrimination incriminés par l’article 225-2 du code pénal, pour les discriminations fondées sur l’activité professionnelle. Ainsi que le notent les rapporteurs de la mission d’information commune, cette exception est nécessaire dans certaines situations, car il est normal que, « dans le cadre d’un recrutement, la sélection entre les candidats s’effectue en fonction de l’activité professionnelle qu’ils ont jusqu’alors exercée, qui constitue leur expérience professionnelle ».
Outre un amendement de coordination CL26 de votre rapporteur, qui prévoit l’application du nouveau mobile discriminatoire relatif à l’activité professionnelle aux discriminations opérées entre personnes physiques, et non uniquement à celles opérées entre personnes morales, la Commission a adopté l’amendement CL27 de votre rapporteur, qui précise l’exception aux délits de discrimination incriminés par l’article 225-2 du code pénal. Cet amendement prévoit ainsi que les délits définis aux 3° ([17]), 5° ([18]) et 6° ([19]) de l’article 225‑2 ne sont pas applicables aux discriminations fondées sur l’activité professionnelle exercée.
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Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
Le présent article punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la diffamation publique commise à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs.
Dernières modifications législatives intervenues
L’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui définit le délit de diffamation publique, a été modifié par l’article 170 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, qui a ajouté l’identité de genre à la liste des mobiles discriminatoires sur la base desquels ce délit peut être commis.
Position de la Commission
La Commission a réécrit le dispositif de l’article 4 afin, d’une part, de l’insérer à l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 plutôt que dans le code pénal et, d’autre part, de supprimer la peine d’emprisonnement prévue par la proposition de loi initiale et de réduire le montant de l’amende encourue à 15 000 euros, au lieu de 45 000 euros.
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit, à son article 29, la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé : la victime peut donc aussi bien être une personne physique qu’une personne morale.
L’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 punit la diffamation publique, lorsqu’elle est commise par l’un des moyens de communication prévus à l’article 23 de ladite loi ([20]) :
– d’une amende de 12 000 euros, dans le cas où elle est commise envers des particuliers. En matière d’entrave à certaines activités légales, ce délit peut, ainsi que l’observent les rapporteurs de la mission d’information commune de 2021 sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales, « s’appliquer à des personnes à l’honneur desquelles il est porté atteinte en raison d’allégations ou d’imputations d’un fait lié, par exemple, à leur activité professionnelle ou leurs loisirs » ;
– d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, lorsqu’elle est commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou non à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap. Cette seconde infraction ne permet pas de sanctionner les auteurs de diffamation à l’encontre de professionnels – qu’il s’agisse de personnes morales ou physiques – en raison de la nature de leur activité professionnelle, ou encore de particuliers en raison de leurs loisirs. Il convient également de noter qu’un préjudice personnel doit être causé aux individus membres de ce groupe pour que le délit puisse être qualifié.
Enfin, la menace d’une diffamation est constitutive du chantage, défini à l’article 312-10 du code pénal comme « le fait d’obtenir, en menaçant de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque », est quant à lui puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Ce chantage peut, là encore, consister en l’entrave à une activité légale, par exemple lorsqu’il consiste en la renonciation à fournir un service, à exécuter une prestation ou, plus largement, à entrer en relation économique avec une personne.
Afin d’améliorer la lutte contre les diffamations sur les réseaux sociaux que peuvent subir les personnes exerçant certaines activités professionnelles ou pratiquant certains loisirs tels que la chasse, l’article 4 de la proposition de loi initiale traduit la recommandation n° 7 du rapport de la mission d’information commune sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales.
Il crée un nouvel article 225-4-1 A du code pénal instituant un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la diffamation publique lorsqu’elle est commise à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs.
La Commission a adopté l’amendement CL28 de votre rapporteur, qui réécrit l’article 4 de la proposition de loi.
D’une part, cet amendement insère le nouveau délit de diffamation publique à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs à l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881. Outre le fait que cet article définit le délit de discrimination publique et qu’il était donc logique d’y inscrire le délit créé par l’article 4 de la proposition de loi, cette insertion dans la loi de 1881 offre des garanties procédurales plus protectrices pour les personnes mises en cause, prévues aux articles 47 à 60 de ladite loi.
Ainsi, il est par exemple impossible de placer en détention provisoire une personne mise en examen ([21]). En outre, la poursuite d’une diffamation envers un particulier, de même que la poursuite du délit de diffamation introduit par l’article 4 de la proposition de loi, ne pourra avoir lieu que sur la plainte de la personne diffamée ([22]). Par ailleurs, le délai de prescription des délits inscrits dans la loi du 29 juillet 1881 est fixé à trois mois ([23]), contre six ans dans le code pénal ([24]).
D’autre part, cet amendement supprime la peine d’emprisonnement prévue par la proposition de loi initiale et réduit le montant de l’amende encourue à 15 000 euros, au lieu de 45 000 euros. Il a en effet semblé préférable à la Commission de sanctionner de façon plus légère la diffamation publique lorsqu’elle est commise en raison de l’activité professionnelle ou des loisirs que lorsqu’elle est commise en raison de l’origine ou de l’appartenance à une ethnie, à une nation, à une race ou à une religion.
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Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
Le présent article institue, dans le code pénal et à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes sur le fondement de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs.
Dernières modifications législatives intervenues
L’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a été modifié par l’article 38 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui porte la peine prévue en cas de provocation à la discrimination à trois ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsque celle-ci est commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, que ce soit dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission.
Position de la Commission
La Commission a inséré le nouveau délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et a, en conséquence, supprimé son insertion dans le code pénal.
La Commission a également, comme à l’article 4 de la proposition de loi, supprimé la peine d’emprisonnement prévue par le texte initial et réduit le montant de l’amende encourue à 15 000 euros, au lieu de 45 000 euros.
L’alinéa 7 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23 de la même loi ([25]), provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
L’alinéa 8 du même article 24 punit des mêmes peines ceux qui, par ces mêmes moyens, provoquent à certaines discriminations ([26]), à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap.
Le professeur de droit privé et de sciences criminelles Romain Ollard, auditionné par votre rapporteur, avait déjà indiqué à la mission d’information commune de 2021 sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales qu’il est « admis en jurisprudence que peut être puni au titre de la provocation à la discrimination l’appel au boycott de certains exploitants ou producteurs ou même de certains produits en raison de motifs discriminatoires ».
Les phénomènes d’appel au boycott de certains produits issus de l’élevage, du commerce de viande ou encore de la chasse constatés par la mission d’information commune sont bien, dans les faits, provoqués par l’un des moyens de communication prévus à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, qui vise notamment « tout […] support de l’écrit ». Cependant, ils ne peuvent aujourd’hui entrer dans la qualification de provocation à la discrimination, puisque les mobiles discriminatoires limitativement énumérés par l’article 24 de la même loi n’incluent pas l’activité professionnelle ou les loisirs.
Afin de renforcer la lutte contre les appels à l’entrave qui peuvent être émis sur les réseaux sociaux par des membres ou des sympathisants d’associations et de collectifs à l’encontre de certaines professions ou de certaines pratiques, l’article 5 de la présente proposition de loi traduit la recommandation n° 8 du rapport de la mission d’information commune sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales.
Son I institue, au sein d’un nouvel article 225-4-1 B du code pénal, un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes sur le fondement de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs.
Son II procède à la création du même délit à l’alinéa 7 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui réprime la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ou du handicap.
La Commission a adopté deux amendements identiques CL7 de Mme Lorho ainsi que de plusieurs de ses collègues et CL29 de votre rapporteur, lesquels suppriment le I de l’article 5 afin de supprimer l’insertion du nouveau délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence dans le code pénal, pour ne le conserver qu’à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Outre le fait que cet article définit le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence et qu’il était donc logique d’y inscrire le délit créé par l’article 5 de la proposition de loi, cette insertion dans la loi du 29 juillet 1881 offre des garanties procédurales plus protectrices pour les personnes mises en cause, prévues aux articles 47 à 60 de ladite loi ([27]).
La Commission a également adopté l’amendement CL30 de votre rapporteur, lequel, comme pour le délit de diffamation créé par l’article 4 de la présente proposition de loi, supprime la peine d’emprisonnement prévue par le texte initial et réduit le montant de l’amende encourue à 15 000 euros, au lieu de 45 000 euros.
Comme pour le délit de diffamation créé par l’article 4 de la présente proposition de loi, la Commission a en effet estimé que les peines prévues par la version initiale de l’article 5 étaient disproportionnées. En effet, la provocation à la discrimination, lorsqu’elle est commise en raison de l’activité professionnelle ou des loisirs, a paru moins grave à la Commission que lorsqu’elle est commise en raison de l’origine ou de l’appartenance à une ethnie, à une nation, à une race ou à une religion.
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Article 6 (nouveau)
(art. 711-1 du code pénal et
art. 69 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse)
Application de la proposition de loi outre-mer
Introduit par la Commission
Introduit par l’amendement CL31 de votre rapporteur, cet article prévoit l'application de la proposition de loi outre-mer.
Plus précisément, le I du présent article prévoit l’application des délits introduits dans le code pénal par les articles 1er à 3 de la proposition de loi en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.
Le II du présent article prévoit l’application des délits introduits dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse par les articles 4 et 5 de la proposition de loi dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
Lors de sa première réunion du mercredi 29 janvier 2025, la Commission examine la proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d’actions d’entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale (n° 579) (M. Xavier Breton, rapporteur).
Lien vidéo : https://assnat.fr/i4CXnw
M. Xavier Breton, rapporteur. Le 28 septembre 2018, un abattoir a été incendié à Haut Valromey, dans l’Ain. Revendiqué par une association de défense de la cause animale, ce délit a mis au chômage quatre-vingts employés et a causé un préjudice de plusieurs millions.
Cet événement n’est malheureusement pas un fait isolé, en témoignent l’intrusion et les dégradations commises le week-end dernier dans la coopérative porcine Evel’Up en Bretagne. Cela s’inscrit dans un contexte, Ces dernières années, de multiplication des actions plus ou moins virulentes visant à entraver des activités agricoles ou d’abattage, mais aussi des actions de chasse et des commerces de viande.
Face à ce phénomène qui suscite de fortes inquiétudes dans nos territoires, en particulier ruraux, il était impossible que le législateur reste inactif.
Dès octobre 2018, des députés du groupe auquel j’appartiens avaient déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les activistes antispécistes violents et les atteintes à la « liberté alimentaire ». Le Sénat s’est également saisi de la question par le biais d’une proposition de loi du sénateur Jean-Noël Cardoux, adoptée en séance publique le 1er octobre 2019.
Notre assemblée a également entamé un travail sur le sujet en juillet 2020, à la suite de l’engagement pris par la présidente de la commission des Lois de l’époque, Mme Yaël Braun‑Pivet, lors de la commission mixte paritaire sur le projet de loi qui a créé l’Office français de la biodiversité (OFB). Avait ainsi été créée une mission d’information, commune à la commission des Lois, à la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire et à la commission des affaires économiques, sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales.
J’ai eu l’honneur de présider ses travaux, qui ont abouti à la publication du rapport d’information du 27 janvier 2021 de Mme Martine Leguille-Balloy et de M. Alain Perea, tous deux membres du groupe La République en marche. Je tiens à saluer la qualité de ce rapport, qui documente avec précision le développement d’entraves réalisées par des militants.
Plusieurs secteurs sont visés. Il s’agit en particulier de l’agriculture et de l’élevage, des activités d’abattage, de transformation et de transport de viande, des commerces – en particulier alimentaires – et d’activités de loisirs – notamment la chasse.
Le rapport d’information relève tout d’abord l’augmentation récente des actions d’entrave et leur radicalisation.
Certaines d’entre elles, comme les dégradations, les violations de domicile et les entraves à la liberté du travail, sont déjà pénalement répréhensibles. Mais le droit actuel ne couvre pas tous les phénomènes d’entrave. C’est notamment le cas de l’intrusion dans une exploitation agricole, qui peut rarement être sanctionnée au titre de la violation de domicile, de l’entrave à la chasse – difficile à qualifier pénalement – ou encore de certains moyens permettant d’entraver la liberté du travail.
De nouvelles formes d’action sont en effet apparues. Elles consistent à gêner ou empêcher le déroulement normal d’une activité pourtant licite, sans forcément constituer des infractions pénales. Leurs auteurs emploient de nouveaux moyens, parfois non violents, ou encore utilisent les réseaux sociaux.
C’est pour apporter des réponses à ce constat que j’ai déposé, en septembre 2021, une proposition traduisant les recommandations de nature législative des rapporteurs. Je l’ai redéposée au cours de la XVIe législature ainsi que sous la présente législature, le 19 novembre dernier. Je me réjouis qu’elle ait été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée par mon groupe le 6 février prochain.
Les travaux que j’ai conduits en tant que rapporteur m’ont tout d’abord permis de constater que le phénomène décrit par la mission d’information en 2021 est toujours d’actualité.
Dans le domaine agricole, les actions d’entrave persistent, en particulier au sein des abattoirs. Récemment, des opérations similaires ont été menées contre la construction de retenues d’eau agricoles ou contre des exploitants forestiers.
Dans la filière viande, nous assistons toujours à des dégradations de boucheries et de stands tenus à l’occasion de salons ainsi qu’à des campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux.
Enfin, la Fédération nationale des chasseurs (FNC) a reçu 348 signalements d’actes malveillants au cours de la saison 2023-2024.
Les préconisations de la mission de 2021 conservent donc leur pertinence pour mieux répondre aux actions d’entrave et à l’évolution de ce phénomène.
Les auditions menées la semaine dernière m’ont en outre permis de recueillir les observations du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire et de celui de la justice ainsi que d’un professeur de droit privé et de sciences criminelles, M. Romain Ollard.
Je tiens à les remercier pour leur contribution précieuse, qui m’a conduit à déposer une douzaine d’amendements visant deux objectifs.
Il s’agit tout d’abord d’améliorer la rédaction du texte afin de répondre de façon plus pertinente aux phénomènes d’entrave constatés. Mes amendements ont ensuite pour objet de concilier la lutte contre ces entraves avec certains principes constitutionnels et libertés, au premier rang desquels la liberté d’expression.
S’agissant de l’article 1er, qui modifie le délit d’entrave prévu à l’article 431‑1 du code pénal, je vous proposerai de ne plus faire figurer le moyen d’intrusion parmi les éléments constitutifs de l’infraction, afin de ne pas être redondant avec l’article 2. Je proposerai aussi de supprimer le délit d’entrave à certaines activités sportives ou de loisirs. À la place, je suggère de revenir à la contravention actuelle d’entrave à un acte de chasse – en supprimant toutefois le critère de concertation et en prévoyant que sa récidive constitue un délit.
Plusieurs amendements à l’article 2, qui crée un délit d’intrusion aux fins de troubler le bon déroulement d’une activité légalement exercée, viseront à préciser cette infraction et ses circonstances aggravantes. Ils permettront notamment d’assurer une meilleure conciliation avec la protection légitime des lanceurs d’alerte.
En ce qui concerne l’article 3, qui instaure un mobile discriminatoire sur le fondement de l’activité professionnelle, je vous proposerai de préciser les exceptions au principe de non-discrimination. En effet, il peut être légitime, en particulier dans le cadre d’une embauche, de discriminer sur le fondement de l’activité professionnelle – c’est-à-dire en fonction de l’expérience professionnelle.
Je vous proposerai enfin d’insérer les articles 4 et 5 – qui concernent respectivement la diffamation publique et la provocation à la discrimination – au sein de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cela permettra d’octroyer aux personnes mises en causes des garanties procédurales plus protectrices, comme l’impossibilité d’être placé en détention provisoire, tout en réduisant la durée des délais de prescription.
Par ailleurs, les sanctions proposées pour ces deux articles dans le texte initial reprennent celles issues de la mission d’information de 2021, c’est-à-dire un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Elles me semblent disproportionnées. Il ne me paraît pas pertinent de punir de la même peine une diffamation publique ou un appel à la discrimination sur le fondement de l’activité professionnelle et une infraction similaire commise en raison de la race ou de la religion. Je proposerai donc de supprimer la peine d’emprisonnement prévue pour ces deux infractions et de ramener l’amende de 45 000 à 15 000 euros.
Vous l’aurez compris, je suis particulièrement vigilant à la juste conciliation entre le renforcement de la lutte contre les entraves et la préservation des libertés fondamentales garanties par la Constitution. Comme le rappelle fréquemment le Conseil constitutionnel, « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ». C’est cette philosophie qui guide les modifications que je propose aux articles 4 et 5. Le texte renforcera ainsi notre politique pénale afin de mieux répondre aux entraves qui empêchent nombre d’agriculteurs, de producteurs et de commerçants d’exercer librement leur métier essentiel pour notre société.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Marie-France Lorho (RN). Nos agriculteurs sont en détresse. Ils sont en proie à des politiques européennes qui distordent sans vergogne les règles de la concurrence, à des mutations politiques à l’étranger qui font peser de lourdes menaces sur nos exportations et, enfin, à l’incapacité des gouvernements successifs à privilégier les circuits courts et à favoriser l’agriculture française. Pas moins de 40 % des agriculteurs jugent être dans une mauvaise situation économique. On a recensé 529 décès par suicide chez les personnes affiliées au régime agricole en 2016 – et ce ne sont là que les derniers chiffres connus.
Comme s’il fallait encore en ajouter à cette affolante détresse, les actes de vandalisme et d’entrave aux exploitations agricoles sont légion depuis quelques années.
L’agribashing est plus que jamais d’actualité. Il avait conduit feu le ministre Didier Guillaume à mettre en place la cellule Déméter il y a quelques années, afin de recenser les actions menées à l’encontre des exploitants. En 2023, 6 000 alertes ont été recensées par Vigi Agri, une plateforme numérique qui permet de signaler les actes de malveillance contre les agriculteurs.
Qu’il s’agisse de vols, d’actes de vandalisme ou de sabotage, ces actions malveillantes inquiètent légitimement les agriculteurs, épuisés par l’absence de réponse ferme à leurs plaintes. Car ces dernières sont souvent classées sans suite en l’absence de preuves suffisantes. Les exploitants sont donc contraints d’installer des dispositifs de sécurité coûteux pour éviter la recrudescence de telles actions.
Le texte présenté à notre commission par le rapporteur nous semble donc tout à fait légitime. Le groupe Rassemblement national est évidemment favorable au fait de sanctionner sévèrement les menaces, les actes d’obstruction et les intrusions visant à troubler le déroulement des activités agricoles ainsi que celui des activités cynégétiques ou de loisirs.
Nous sommes également favorables à l’établissement de circonstances aggravantes, notamment lorsque l’objectif de l’intrusion est de porter préjudice à l’image d’une exploitation ou d’une activité en la diffamant. Nous entendons néanmoins caractériser de manière précise l’aggravation de la peine, que nous proposons, avec l’amendement CL3, de porter à deux ans d’emprisonnement et 10 000 euros d’amende.
Nous souhaitons également intégrer l’article 4 au sein de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation publique relevant davantage de cette dernière que du code pénal.
Par-delà ces détails rédactionnels, nous tenons à saluer l’extension du dispositif aux activités cynégétiques.
Comme l’ont indiqué les représentants de la FNC lors des auditions, celles-ci sont particulièrement visées par la montée des violences, alors même que la chasse contribue à l’équilibre de nos territoires. À titre d’exemple, dans le Vaucluse, l’absence de chasse au sanglier pourrait ruiner les espaces naturels. L’action des chasseurs est donc essentielle.
Le président de la FNC a déploré à juste titre que le vandalisme à l’encontre de cabanes de chasse – exhibé de manière éhontée sur les réseaux sociaux – ne fasse l’objet d’aucune condamnation en raison de l’absence de législation adaptée. Nous espérons sincèrement que ce texte fera cesser cette impunité, car les militants écologistes mettent parfois la vie des chasseurs en danger.
L’Observatoire des violences faites aux chasseurs a relevé que les actes de malveillance ont augmenté de 10 % au cours de la saison de chasse ouverte en juin 2023. Il faut d’urgence mettre fin au sentiment d’impunité dont jouissent les démolisseurs.
Si cette proposition permet d’appeler l’attention du Gouvernement sur les lacunes de la loi s’agissant de ces actes de malveillance, nous estimons néanmoins que son application supposera une politique d’extrême fermeté. Cela suppose de prononcer des peines planchers, faute de quoi nous ne pouvons espérer obtenir des résultats probants.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Xavier Breton qui, avec cette proposition, continue à s’engager dans la lutte contre les entraves aux activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale, dans le droit fil de son travail au sein de notre assemblée en 2020 et en 2021. En effet, Xavier Breton présidait la mission d’information sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales – dont j’étais membre – et nos anciens collègues Martine Leguille‑Balloy et Alain Perea en étaient les rapporteurs. Les travaux ont duré plusieurs mois et ont donné lieu à une soixantaine d’auditions très diverses.
Au moment de la rédaction du rapport, les actions visant à entraver des activités agricoles ou d’abattage, de chasse ou des commerces de viande se multipliaient – avec des incendies, des destructions importantes et des intrusions d’activistes de plus en plus fréquentes. Cela provoquait une très forte montée des tensions dans les territoires ruraux, les agriculteurs et les chasseurs faisant face à la radicalisation des actions menées notamment par des militants animalistes.
Le rapport de la mission d’information avait conclu que les textes ne permettaient pas de réprimer efficacement les actions d’entrave à des activités pourtant tout à fait légales. Il préconisait donc une évolution législative pour mieux définir ces infractions et mieux lutter contre les auteurs de ces actes délictueux.
La profession agricole est glorifiée par tous quand elle exprime son mal-être, comme elle l’a fait ces derniers mois et continue de le faire. Tous les partis politiques sans exception expriment alors leur solidarité envers ceux qui travaillent dur pour nous nourrir. Mais, pour soutenir les agriculteurs, il ne faut pas seulement faire des déclarations au moment des crises, sur les barrages routiers ou sur les plateaux de télévision. Il faut aussi s’engager, comme l’auteur de cette proposition nous invite à le faire, en leur donnant les moyens de se défendre contre ceux qui veulent entraver leur activité.
Il faut rappeler qu’au-delà du simple fait de les empêcher de faire leur travail, c’est la remise en cause de celui-ci qui est souvent visée par les activistes les plus radicaux. De la sorte, c’est l’identité même des agriculteurs qui est atteinte, tant elle est indissociable de ce qu’ils font.
Il en est de même bien sûr pour tous ceux qui œuvrent dans le secteur industriel de l’agroalimentaire au sens large, – dans les abattoirs, les usines de transformation et de conservation, ou encore dans les transports – et qui forment le poumon économique de nos territoires ruraux. Ceux qui mènent des actions intrusives, parfois violentes, méconnaissent d’ailleurs souvent la réalité du modèle d’élevage français. La majorité de nos fermes sont familiales, très loin de la caricature de la ferme-usine. Et dans certains territoires, notamment de montagne, il s’agit de modèles extensifs particulièrement vertueux qui façonnent nos paysages et jouent un rôle face au défi climatique en entretenant les prairies.
Il en est de même pour la chasse, dont la réalité est également très éloignée de la caricature révolue présentée il y a plusieurs décennies par des humoristes. Dans mon département, il s’agit d’une chasse dite paysanne, qui réunit plusieurs générations dans le cadre d’une activité de loisir tout à fait respectueuse de son environnement.
Rappelons une fois encore à ceux qui l’ignorent trop souvent que les chasseurs sont investis d’une mission de service public de régulation de la faune sauvage. Sans elle, les activités agricoles seraient difficiles, voire impossibles.
La position que je défends est majoritaire dans mon groupe : nous sommes d’accord avec l’objectif de cette proposition, qui vise à nous doter des moyens juridiques permettant de poursuivre et de condamner ceux qui entravent l’exercice d’activités légales, qu’elles soient agricoles ou cynégétiques. Bien évidemment, cette évolution du droit se doit d’être équilibrée et le rapport de la mission d’information a rappelé la nécessité de concilier la lutte contre les entraves à des activités légales avec le droit de lancer des alertes dans le cadre permis par la loi.
C’est la raison pour laquelle nous proposons deux amendements qui, sans abandonner l’objectif premier du texte, permettent de protéger les libertés et le travail des lanceurs d’alerte, agissant par définition avec un motif légitime. Il est en effet évident que si des activités agricoles, d’abattage, de transformation et de chasse sont légales par principe, elles peuvent toujours donner lieu à des comportements répréhensibles – même si, d’expérience, nous savons bien qu’ils sont exceptionnels.
Je sais que vous partagez également cet objectif d’équilibre, monsieur le rapporteur, et je ne doute pas que nos travaux permettront d’adopter un texte efficace dans l’intérêt de ceux qui font vivre et animent les territoires ruraux de la République.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Votre texte est un danger pour les libertés publiques et pour le respect de la loi. Vous encouragez sa violation tant que cela reste hors de la vue des citoyens et des magistrats.
Quand des porcelets sont castrés à vif dans un élevage industriel alors que c’est interdit, il faudrait selon vous poursuivre ceux qui dénoncent ces faits et non ceux qui en sont responsables.
Quand des chasseurs violent délibérément la loi en poursuivant des animaux dans des zones résidentielles, mettent en danger les automobilistes ou même la circulation ferroviaire, il faut selon vous poursuivre ceux qui s’y opposent plutôt que les chasseurs.
Quand des animaux sont mis à mort dans des abattoirs dans des conditions épouvantables et contraires à toute la réglementation en vigueur, vous voulez poursuivre ceux qui dénoncent cela courageusement.
Avec la cellule Déméter de la Gendarmerie nationale, les moyens de l’État sont mis au service de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour combattre un agribashing imaginaire, qui n’existe nulle part ailleurs que dans vos fantasmes. Prenons l’exemple de l’Ille-et-Vilaine : depuis la mise en place de l’Observatoire de l’agribashing en 2020, aucun cas n’a été signalé.
Comme si toute cette agitation grotesque ne suffisait pas, sous prétexte de phénomènes inexistants, vous voulez criminaliser toute action militante. Votre texte va en effet bien au-delà des sujets de la chasse, de l’élevage industriel ou des abattoirs. Vous voulez criminaliser l’organisation de tout boycott, mode d’action pacifique et non violent. Pour vous, Gandhi, Rosa Parks et Nelson Mandela auraient leur place en prison. Vous voulez même interdire toute critique, aussitôt qualifiée de diffamation et passible de poursuites.
Votre texte est gravement attentatoire aux libertés d’expression, de réunion et d’opinion. C’est à la fois grotesque et extrêmement dangereux. On ne sait s’il convient d’en rire, parce qu’à l’évidence vous êtes ridicules, ou de s’en inquiéter très sérieusement.
Si vous êtes très forts pour faire de la surenchère pénale, vous n’apporterez jamais aucune réponse aux problèmes structurels et, eux, bien réels qui accablent le monde agricole : concurrence mondiale, marchés financiarisés, agrobusiness industriel où les agriculteurs ne sont que des rouages d’une vaste machinerie qui produit de l’argent que les travailleurs ne touchent jamais.
La crise agricole est grave et sa manifestation la plus terrible est le suicide d’un agriculteur tous les deux jours. On voit bien que leurs conditions de travail sont le cadet de vos soucis.
On voit bien que les animaux et leurs conditions de vie ou de mort ne vous intéressent pas, tant que les loisirs cruels et morbides de vos amis sont préservés. Déterrer des renardeaux pour les massacrer à coups de pelle devant des enfants ne vous pose aucun problème. Égorger des cerfs dans le jardin d’habitants terrifiés par une telle violence commise chez eux ne vous pose aucun problème. Que des chasseurs tuent un sanglier à 30 mètres de la maison de Morgan Keane – jeune homme de 25 ans tué par un chasseur alors qu’il était dans son propre jardin –, en présence de son frère déjà traumatisé, ne vous émeut pas davantage. Subitement, le respect de la propriété privée n’est plus un problème, alors qu’il était jusqu’alors primordial.
Quant au respect de l’avis ultramajoritaire des Français, vous n’en avez évidemment cure, alors que nos concitoyens sont massivement opposés aux pratiques cruelles envers les animaux. Les Français sont 53 % à s’opposer à la chasse, et ils sont 51 % à le faire lorsqu’ils habitent des communes rurales. C’est la preuve que votre verbiage sur l’opposition entre villes et campagnes n’a aucun fondement – au contraire, ce sont ceux qui habitent à la campagne qui vivent dans la peur d’être la prochaine victime d’un accident de chasse.
Pour 84 % d’entre eux, les Français sont opposés à l’élevage intensif et ils sont 91 % à vouloir interdire le transport interminable d’animaux vivants dans toute l’Europe.
En définitive, vous faites de la surenchère parce que vous êtes acculés et ultraminoritaires dans la société. Vous qui méprisez tant la souffrance des animaux, vous êtes incapables de supporter la souffrance indicible de la moindre critique. Alors, vous voulez embastiller à tour de bras.
Notre groupe votera évidemment contre ce texte et appelle à son rejet unanime et immédiat.
Mme Marie-José Allemand (SOC). Derrière la proposition de loi se cache en réalité un objectif simple, affiché dans son exposé des motifs : lutter contre les associations qui se rendraient coupables d’entraves à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale. Pour ce faire, elle propose notamment de modifier le délit d’entrave, de créer un délit d’introduction illicite et d’élargir la notion de discrimination à l’exercice d’une activité professionnelle.
En premier lieu, je souhaite dire que notre groupe ne tolérera jamais les violences envers nos agriculteurs, quelles qu’elles soient. Je le dis d’autant plus facilement qu’en tant qu’agricultrice, je sais ce que c’est d’être confrontée à la remise en cause de son travail. Nos agriculteurs, nos bouchers, nos artisans, dans leur immense majorité, exercent leur métier avec passion et dans le respect des lois de la République. La liberté de contester, de s’opposer est un droit fondamental qu’il convient de protéger mais la violence n’est, elle, pas excusable.
La question que nous devons nous poser en tant que législateur est de savoir si les modifications proposées sont pertinentes. Pour nous, la réponse est négative. C’est pourquoi nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi qui relève de l’affichage et de la communication, bien plus que de l’efficience juridique. Vous affirmez que le droit actuel ne permettrait pas de suffisamment sanctionner un certain nombre d’actes violents commis à l’encontre de nos agriculteurs. L’exposé des motifs évoque, à ce titre, plusieurs cas où la proposition de loi pourrait s’appliquer. Or il apparaît que toutes ces entraves sont d’ores et déjà couvertes par la loi. Nul besoin de légiférer aujourd’hui pour poursuivre un militant qui aurait eu un comportement violent envers un agriculteur ou qui aurait dégradé un abattoir.
Nul besoin non plus de légiférer pour condamner l’auteur d’actes de vandalisme dans une exploitation agricole. L’article 431-1 du code pénal, que vous souhaitez modifier, permet déjà de sanctionner toute entrave à la liberté du travail et donc de réprimer les actions menées contre des activités professionnelles – l’agriculture, l’élevage, les abattoirs ou les commerces de viande. Autre exemple concernant la chasse : notre droit prévoit, à l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement, une contravention en cas d’obstruction à des actes de chasse. Vous le voyez, chers collègues, notre droit permet déjà largement de sanctionner des actes violents commis à l’encontre de nos agriculteurs et de nos commerçants.
Enfin, la répression de ces entraves doit être conciliée avec le nécessaire respect des libertés fondamentales garanties par la Constitution, notamment la liberté d’expression, que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacre à son article 11 comme l’une de nos libertés les plus précieuses. Ainsi, toute atteinte à cette liberté fondamentale doit être nécessaire, adaptée et proportionnée. De ce point de vue, plusieurs dispositions de la proposition de loi, comme l’élargissement du délit de diffamation en raison de l’activité professionnelle, nous semblent poser des difficultés et ne manqueraient pas d’être censurées par le Conseil constitutionnel.
Compte tenu de la fragilité juridique de la proposition de loi, le groupe Socialistes et apparentés votera contre. Bien entendu, ces critiques ne visent en aucun cas à légitimer les actions violentes à l’encontre de nos éleveurs.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Chaque année, ce sont environ 5 000 infractions qui sont recensées dans les propriétés agricoles – sabotages, dégradations et autres actions militantes liées notamment au mouvement antispéciste. Nous voulons affirmer haut et fort que, dans notre République, personne ne doit craindre de voir son activité professionnelle entravée par des agissements illégaux. La liberté d’expression ne doit pas s’imposer au détriment d’une pratique professionnelle légale.
Nous envoyons ainsi un signal clair : la République protège ceux qui travaillent, qui produisent, qui innovent et qui contribuent à la vie de notre nation. Cette proposition de loi s’inscrit dans notre engagement républicain pour défendre le droit de propriété et garantir la liberté d’entreprendre, deux piliers essentiels de notre démocratie. Face à la montée de ces violentes dérives militantes extrêmes, notamment contre les boucheries, l’État doit se montrer ferme. En renforçant les sanctions contre les entraves, nous rappelons que nul n’est au-dessus de la loi. Le texte réaffirme la capacité de l’État à agir, à garantir la sécurité des citoyens et à faire respecter l’ordre républicain.
Les agriculteurs, les chasseurs, les éleveurs sont les gardiens de nos territoires ruraux. Ils incarnent des traditions et des savoir-faire qui font partie de notre identité. Ils pratiquent des activités légales et indispensables à la vie de notre société. Cette proposition leur apporte le soutien qu’ils méritent et vise à les protéger.
Protéger notre agriculteur, c’est protéger notre souveraineté alimentaire et défendre nos campagnes et nos montagnes face à des attaques injustifiées de groupes minoritaires radicaux. Nous ne pouvons plus tolérer que des professionnels qui exercent des activités légales soient les cibles d’actions militantes radicales qui bafouent leurs droits fondamentaux. Ce texte vise à mettre un coup d’arrêt à ces actions et à ces idéologies. Nous le voterons car il est de bon sens pour la santé publique et la sécurité alimentaire, et ce dans le respect, bien évidemment, de tout ce qui touche au bien-être animal.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Ce que nous nous apprêtons à examiner est en réalité un texte bâillon, conçu pour étouffer les voix des citoyennes et des citoyens engagés et destiné à criminaliser les associations lanceuses d’alerte. Cette initiative ne répond à aucun besoin. Notre droit pénal est complet. Nous avons déjà tous les instruments nécessaires pour réprimer les débordements. Depuis 2019, tout est mis en œuvre pour surveiller les militants écologistes. Le ministère de la justice a même envoyé une circulaire aux procureurs incitant à les réprimer. Des observatoires de l’agribashing ont vu le jour sous l’égide du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire et une cellule de renseignement a été créée au sein de la gendarmerie pour contrôler leurs actions. Les moyens consacrés à la traque des militants pacifiques sont colossaux, pour les dissuader d’alerter sur la réalité des atteintes environnementales. Une énergie considérable est déployée pour faire taire la critique de notre modèle productiviste, quand rien n’est fait, en revanche, pour contenir la délinquance environnementale. Je vous invite à lire le rapport de l’ancien procureur général près la Cour de cassation François Molins sur le traitement pénal du contentieux de l’environnement. Le taux de poursuite des infractions environnementales est absolument indigent, puisqu’il ne représente que 1 % des affaires traitées.
Selon la proposition de loi, les menaces seraient extrêmement violentes à l’encontre des agriculteurs, des chasseurs ou des personnes qui pratiquent la pêche. Mais que dire des menaces et des agressions de plus en plus nombreuses vis-à-vis des défenseurs de l’environnement, de la part de représentants de l’agriculture, de la chasse ou de la pêche productiviste ? Le porte-parole de l’association Générations futures a subi, il y a cinq jours, des pressions à son domicile. Ces agissements sont inacceptables. Ils touchent des bénévoles, des associations, des agents des services de protection de l’environnement comme l’Office français de la biodiversité ou des journalistes qui enquêtent sur des sujets environnementaux. Nul observatoire ni cellule de renseignement sur ces sujets. Le Gouvernement a choisi son camp.
Qui plus est, cette proposition de loi ne répond à aucune nécessité. De l’aveu même de la direction des affaires criminelles et des grâces, le problème ne vient pas de notre législation pénale mais d’un défaut de dépôt de plainte de la part des agriculteurs, des chasseurs et des industriels victimes d’intrusions. Ce texte, mes chers collègues, n’est pas seulement une erreur législative, c’est une restriction très grave dans notre espace civique, une atteinte directe à notre démocratie, au mépris de tous les engagements internationaux, à rebours des recommandations récentes du rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst. Cette initiative parlementaire n’a qu’un seul objectif : museler davantage encore ceux qui ont le courage de dénoncer des pratiques illicites et grâce auxquels des enquêtes ont été lancées, des scandales révélés, des défaillances graves dans l’application de la loi corrigées – pensons à la question des élevages industriels de poussins qui avait ému l’Assemblée.
Dans une démocratie, la liberté d’informer et la liberté d’expression doivent primer sur tout intérêt privé. Nous avons la responsabilité de protéger ces principes, surtout quand ils sont défendus pacifiquement, comme le font les activistes écologistes et animalistes, contrairement à ce que j’ai entendu précédemment. Nous avons la possibilité de défendre celles et ceux qui se battent pour la vérité, pour l’avenir des générations futures. Nous ne pouvons pas, sous prétexte de protéger des intérêts économiques, réduire l’espace d’expression de nos concitoyens. Je vous invite donc, mes chers collègues, à rejeter ce texte. Ne le laissons pas détruire ce que nous avons de plus précieux.
M. Éric Martineau (Dem). Ce texte me tient particulièrement à cœur, notamment car je suis agriculteur. Il est issu des travaux d’une mission d’information menée en 2020 et en 2021, qui mettait en avant la réalité, l’évolution et l’insuffisance des moyens juridiques pour encadrer les actions d’entrave à l’exercice de certaines activités légales. C’est un sujet qu’il ne faut pas prendre à la légère, et je remercie le rapporteur Xavier Breton de l’avoir soumis à notre commission. Les actions militantes ciblant des activités agricoles d’élevage, d’abattage, de commerce de produits d’origine animale ou de chasse sont en recrudescence mais restent peu réprimées.
Chaque année, on recense 5 000 infractions dans des propriétés agricoles, dont des dizaines de sabotages, qui viennent porter atteinte à des activités légales et dûment réglementées. Elles entraînent des dommages matériels, économiques et psychologiques pour les professionnels visés. Il ne faut pas négliger les pressions, le stress et les intimidations subies, allant parfois jusqu’au harcèlement. Beaucoup trop de vies d’agriculteurs sont brisées par ces actes ; c’est inadmissible. Sous prétexte de vouloir veiller au bien-être animal, il n’est pas acceptable de participer au mal-être agricole. Dans un État de droit, en cas de fraude, c’est à la justice et à la police d’agir, et à personne d’autre.
Aussi, la proposition de loi nous semble aller dans le bon sens, en cherchant à encadrer et à sanctionner davantage les actions d’entrave qui sont les sources d’une vive inquiétude dans nos territoires ruraux. Malgré les dispositions juridiques existantes, peu de plaintes sont réellement déposées et peu de condamnations sont prononcées. Les victimes renoncent souvent à porter plainte de peur que le procès n’offre une tribune médiatique aux associations attaquées, ainsi que par manque de temps pour les agriculteurs. Le droit en vigueur ne couvre pas tous les phénomènes d’entrave, notamment pour les activités de chasse ou pour les intrusions sur les exploitations agricoles qui sont rarement sanctionnées au titre de la violation de domicile.
Afin d’identifier et de poursuivre les agressions, les intrusions et les dégradations sur les exploitations agricoles, le ministère de l’Intérieur a créé la cellule de gendarmerie Déméter. Force est de constater cinq ans plus tard que le dispositif n’est pas très efficace, car il est trop peu connu et qu’il exclut plusieurs professions et activités. Il semble donc important d’apporter des solutions, en veillant à assurer l’équilibre entre le respect du droit de la propriété et de l’ordre public et celui de la liberté d’expression, tout en préservant les droits des lanceurs d’alerte.
Le texte prévoit de rendre la réponse pénale plus effective et de faire évoluer l’arsenal législatif. Il renforce le délit d’entrave, en ajoutant les actes d’intrusion et d’obstruction à la liste des moyens par lesquels le délit d’entrave peut être commis. Il prévoit également d’ajouter l’activité professionnelle à la liste des mobiles constitutifs de discrimination. Enfin, il crée trois nouveaux délits dans le code pénal : un délit autonome d’introduction illicite, un délit de diffamation en raison de l’activité professionnelle et un délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence sur le fondement de l’activité professionnelle.
Si notre groupe trouve ces mesures pertinentes, nous serons vigilants quant à la conformité du texte avec nos règles de droit. Monsieur le rapporteur, vous semblez y avoir veillé, puisque vous allez nous présenter plusieurs amendements visant, d’une part, à retravailler la rédaction de plusieurs articles pour en améliorer la portée et la cohérence avec le droit pénal existant et, d’autre part, à respecter les principes constitutionnels, notamment celui relatif à la proportionnalité des peines. Nous porterons une attention particulière à ces différents points. Si les amendements sont adoptés, notre groupe votera en faveur du texte.
M. Jean Moulliere (HOR). Face à la multiplication des actions d’entrave opposées à l’exercice de certaines activités légales, cette proposition de loi vise à renforcer notre arsenal législatif. Plusieurs secteurs sont en effet régulièrement visés, à l’instar des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale. Le constat est particulièrement frappant s’agissant des agriculteurs. Selon le rapport d’information de 2021 des sénateurs Henri Cabanel et Françoise Férat sur les agriculteurs en situation de détresse, quarante des agriculteurs interrogés avaient vécu au moins une situation de harcèlement lors du dernier mois. Le rapport de la mission d’information présidée par Xavier Breton analysait à juste titre que ces entraves sont difficiles à appréhender par les pouvoirs publics. Elles prennent en effet des formes nouvelles que les dispositions actuelles du code pénal ne permettent pas de sanctionner.
Le groupe Horizons & indépendants tient à rappeler que ces actes d’entrave ne relèvent pas de la liberté d’expression mais constituent bien des infractions au code pénal. Notre groupe partage donc l’objectif de cette proposition de loi, en particulier en ce qui concerne les agriculteurs. Il y va de leur santé mentale, de l’équilibre économique de leur exploitation et du renouvellement des générations en agriculture. Un climat d’agressivité ne ferait que desservir ces objectifs, tout en aggravant les difficultés auxquelles ils font déjà face.
Le législateur se doit donc de trouver les voies et moyens pour mieux sanctionner ces entraves et préserver ainsi des acteurs majeurs de nos territoires. La proposition de loi propose à ce titre des évolutions législatives intéressantes. Ainsi, l’article 1er vise à élargir le délit d’entrave afin d’y inclure les actions menées à titre individuel, ainsi que les actes d’intrusion ou d’obstruction. Nous nous interrogeons toutefois sur la nécessité d’introduire de nouvelles dispositions à l’article 2. En effet, l’article 226-4 du code pénal, qui sanctionne la violation du domicile d’autrui, semble déjà couvrir cette infraction, y compris dans les locaux industriels et commerciaux. La sanction proposée par l’article 2 est par ailleurs moins-disante que la violation de domicile. En outre, s’agissant de l’article 3, il convient de ne toucher la définition des discriminations qu’avec une main tremblante, pour préserver toute leur portée et leur sens. Le champ de ce nouveau motif de discrimination paraît d’ailleurs excessivement large. Enfin, prévoir une peine de prison pour le délit de diffamation publique en raison de l’activité professionnelle ou des loisirs des personnes diffamées, tel que le propose l’article 4, semble relativement disproportionné. La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 ne prévoit en effet, en matière de diffamation envers des particuliers, qu’une amende de 12 000 euros.
Notre groupe soutient pleinement l’objectif de cette proposition de loi. Néanmoins, si certains de ses articles vont dans le bon sens, d’autres paraissent soit déjà satisfaits, soit relativement disproportionnés. En conséquence, notre groupe se positionnera en fonction des évolutions que notre commission apportera au texte.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Les auteurs de la mission d’information sur laquelle s’appuie la proposition de loi pointent un développement des entraves exercées par des militants animalistes, écologistes, antichasse, vegan, qui prennent des formes variées, telles que des dégradations, des intrusions ou des utilisations malveillantes des réseaux sociaux. Ces actes nécessitent, selon les auteurs du rapport et ceux de la proposition de la loi, un renforcement de la réponse pénale et une révision de l’arsenal législatif existant. Ils considèrent que le cadre juridique actuel est inadapté, ce qui n’est pas notre cas. En revanche, la politique agricole qui ne permet pas à la plupart des agriculteurs de vivre de leur métier est, elle, profondément inadaptée.
Rappelons que le droit en vigueur prévoit des sanctions spécifiques pour l’entrave à certaines activités ainsi que des sanctions pour certains comportements illégaux. Le rapport d’information reconnaît que les pressions subies par les chasseurs peuvent déjà faire l’objet de sanctions. Des condamnations récentes montrent que la réponse pénale existe. Le tribunal correctionnel de Nice, dans une décision du 7 janvier 2021, a condamné l’auteur d’une obstruction à une battue administrative contre des sangliers à six mois de prison, 1 000 euros d’amende et 7 500 euros de dommages et intérêts pour outrages, violences et entrave à l’exercice d’une mission de service public. De même, un homme a été condamné à quatre mois de prison ferme pour avoir menacé un chasseur avec une arme, par une décision du tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand.
Les auteurs du rapport reconnaissent donc l’existence d’une réponse pénale mais la considèrent limitée et insuffisante. Cette critique infondée révèle en fait l’objectif réel de cette proposition de loi, qui est de réprimer et de museler les mouvements environnementaux en créant de nouvelles incriminations aux critères flous et extensifs. En France notamment, il existe une spécificité de la répression et de la violence contre les militants écologistes, à laquelle, de plus en plus, la loi vient tenter de se conformer.
Cette proposition de loi vise tout simplement à empêcher la divulgation de pratiques largement contestables voire illicites dans les élevages, dans les abattoirs ou dans d’autres secteurs liés à la production animale. Ces révélations, souvent effectuées par des associations, ont pourtant permis de mettre en lumière des faits parfois illégaux qui portent atteinte aux humains ou à l’environnement. Une telle criminalisation des associations et des militants associatifs s’inscrit dans un mouvement plus large de criminalisation des associations de défense des droits humains, alors que ces organisations sont essentielles à la démocratie, en ce qu’elles alimentent le débat public et agissent comme un contre-pouvoir. Soyons-y attentifs, tout comme à la protection des libertés syndicales.
La répression des entraves aux activités légales doit être conciliée avec le nécessaire respect des libertés fondamentales garanties par la Constitution, plus particulièrement avec la liberté d’expression, que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen décrit en son article 11 comme l’un des droits les plus précieux de l’homme. Ainsi, toute atteinte à cette liberté fondamentale doit être nécessaire, adaptée et proportionnée. Ce texte n’est pas seulement inutile mais il est également dangereux, en voulant renforcer un arsenal législatif pourtant suffisant. L’élargissement du délit d’entrave et la création de nouveaux délits aux contours larges et imprécis menacent des protestations pacifiques et légitimes et, plus largement, des libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression et le droit de manifester.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La proposition de loi de nos collègues de la Droite républicaine répond à une préoccupation croissante dans nos territoires : la multiplication des actes d’entrave et des actions violentes contre des activités pourtant parfaitement légales, qu’il s’agisse d’agriculture, de chasse ou d’activités professionnelles et de loisirs. Ces actes, menés de manière isolée ou par des groupuscules radicaux qui se réclament d’une idéologie dite animaliste, franchissent des seuils de gravité préoccupants. Nous ne parlons pas seulement de militants isolés mais aussi de véritables bandes organisées, bien souvent soutenues par des associations bénéficiant encore à ce jour de financements publics. Le texte durcit partiellement le dispositif existant et constitue un premier pas pour répondre à ces dérives inacceptables.
Toutefois, bien que nécessaires, les mesures proposées doivent être renforcées pour répondre de manière proportionnée à la gravité des faits constatés, par des sanctions, notamment financières, allant jusqu’à la dissolution des groupements ou des associations et des aggravations de peine dans le cas de perturbations majeures qui portent atteinte à l’économie, à la sécurité publique et aux droits fondamentaux. Nous sommes ici pour défendre l’État de droit et les droits fondamentaux des citoyens, notamment celui de travailler en sécurité, de chasser et de pratiquer des loisirs en toute sérénité. Ce texte doit envoyer un signal clair : la République ne tolérera pas les intimidations, les sabotages et encore moins la violence. Notre groupe votera pour cette proposition de loi. Nous espérons que nos amendements permettront de la rendre plus juste encore et plus efficace.
M. Xavier Breton, rapporteur. Il est bien normal qu’un sujet concernant notre droit, notre société et notre économie suscite des réactions aussi différentes.
Madame Lorho, adapter la loi est en effet nécessaire. Le phénomène est minimisé par les organismes nationaux et les administrations centrales, alors que, dans nos territoires, nous le côtoyons au quotidien. De même, je suis d’accord avec vous : il faudra veiller à intégrer certains articles de la proposition de loi dans la loi sur la liberté de la presse, qui offre des garanties procédurales plus protectrices. Enfin, on ne pourra pas se passer d’une volonté politique. On peut par exemple imaginer des instructions du garde des sceaux, ministre de la justice. Nos services de renseignement doivent également se montrer particulièrement vigilants, au niveau national comme international.
Monsieur Mazars, nous devons en effet préserver notre agriculture à taille humaine et nos pratiques traditionnelles, comme la chasse, qui a aussi un rôle important de régulation de la faune et remplit une mission de service public. Le texte, qui est directement issu des préconisations de la mission d’information, doit toutefois, sur certains points, être rééquilibré.
Monsieur Lachaud, votre vision de la proposition de loi est un peu caricaturale. Comme vous, je suis pour que les règles soient respectées par tout le monde. Si des exploitations agricoles et des abattoirs ne les respectent pas, ils doivent être contrôlés et sanctionnés. Allez visiter l’abattoir de Bourg-en-Bresse et vous verrez qu’il est tout à fait dans les règles. Quant aux difficultés du secteur agricole, je ne les nie pas mais il s’agit là d’un autre débat. La loi d’orientation agricole permettra d’avancer un peu, même si l’on sait déjà qu’elle ne sera pas suffisante.
Madame Allemand, la violence ne doit pas rester impunie, nous sommes d’accord. Contrairement à vous, cependant, nous estimons que le droit actuel ne suffit pas : ces phénomènes, après s’être développés quantitativement, sont en train d’évoluer dans leur nature et nécessitent d’adapter notre droit. Je suis également attaché à la liberté d’expression. C’est pourquoi j’ai proposé des amendements aux articles 4 et 5 visant à mieux la respecter.
Madame Bonnivard, nous partageons la même vision du territoire, sans doute aussi parce que nous sommes de la même région, dont les agriculteurs, les chasseurs et les commerçants font le dynamisme et la vitalité. Il est nécessaire de réaffirmer notre capacité à agir. Ce qui est désastreux, c’est le décalage entre les discours nationaux et la réalité locale. Un tel texte doit permettre d’apporter des réponses plus concrètes.
Madame Balage El Mariky, l’objectif n’est pas de museler ceux qui dénoncent des actions illégales. Preuve en est : j’ai proposé des amendements pour préciser l’application de la législation sur les lanceurs d’alerte. On pourra toujours être lanceur d’alerte, dans un cadre qui respecte la vie en société et la liberté d’expression. Quant aux militants, si certains sont pacifiques et s’expriment dans un cadre légal, je ne peux pas défendre les incendies d’abattoirs ou les phénomènes d’intrusion et de dégradation qui ont eu lieu dans une coopérative porcine.
Monsieur Martineau, vous avez raison, le sujet n’est pas à prendre à la légère. Ces intimidations participent d’un climat délétère qui contribue au mal-être de ceux qui travaillent dans les exploitations agricoles, les abattoirs et les boucheries et peut même nuire à l’attractivité de ces métiers – c’est à se demander si ce n’est pas le but recherché par certains. Il faut réaffirmer notre soutien à ces professions.
Monsieur Moulliere, vous avez déposé un amendement visant à supprimer la peine de prison pour les délits touchant à la liberté de la presse. J’en ai également déposé un en ce sens, car il me paraît nécessaire d’adapter les peines en la matière. En ce qui concerne les intrusions, il n’est pas vrai que l’intrusion dans une exploitation agricole – je ne parle pas d’un local fermé – est visée par l’article 226-4 du code pénal. C’est pour cela que nous suggérons un délit d’intrusion avec des peines moins graves, parce qu’il est objectivement moins grave de pénétrer dans une exploitation qui n’est pas clôturée que d’entrer dans un local ou un domicile.
Madame Faucillon notre politique agricole n’est pas suffisante mais ce n’est pas l’objet de notre proposition de loi. Mes amendements au texte, je le redis, s’appuient sur la législation existante au sujet des lanceurs d’alerte. L’arsenal législatif actuel n’est pas suffisant, quand on voit le décalage entre les actes commis et les réponses pénales apportées.
Madame Ricourt Vaginay, vous avez raison de mentionner l’évolution du phénomène, qui nécessite une adaptation de nos moyens. C’est pourquoi nous proposons de supprimer le critère de concertation aujourd’hui nécessaire pour qualifier les infractions d’entrave, qui empêche de cibler les actes isolés. En revanche, vous militez pour une aggravation des peines. Prenons garde à ce qu’elles restent nécessaires, adaptées et, surtout, proportionnées.
M. le président Florent Boudié. Nous aurons, sur ce texte, quarante-trois amendements à examiner cet après-midi
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Lors de sa seconde réunion du mercredi 29 janvier 2025, la Commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d’actions d’entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale (n° 579) (M. Xavier Breton, rapporteur).
Lien vidéo : https://assnat.fr/cLseiZ
M. le président Florent Boudié. Nous reprenons par l’examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er (art. 431-1 du code pénal) : Faciliter la qualification d’entrave à l’exercice des libertés d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation
Amendements de suppression CL14 de Mme Gabrielle Cathala, CL37 de Mme Elsa Faucillon et CL44 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Nous sommes totalement opposés à ce texte qui constitue pour nous une menace pour la liberté d’expression. Les associations qui pénètrent dans des structures où les animaux subissent des maltraitances sont d’utilité publique. En mettant au jour des pratiques qui vont à l’encontre du bien-être animal, elles peuvent obtenir la fermeture de certains établissements.
Outre les lanceurs d’alerte, ce texte menace, de manière plus générale, le mouvement associatif. C’est d’ailleurs une tendance que nous voyons à l’œuvre depuis quelque temps avec le contrat d’engagement républicain et la multiplication des dissolutions administratives. Lors des débats sur la loi dite « séparatisme », nous avions mis en garde contre le risque que ses dispositions soient appliquées aux associations écologistes, animalistes et antiracistes et c’est exactement ce qui s’est passé.
Enfin, les sanctions prévues à l’article 1er ne respectent pas le principe de proportionnalité des peines qui figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Cet amendement de suppression sera suivi d’autres amendements de suppression déposés aux articles suivants.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Les peines prévues à l’article 1er nous semblent en effet disproportionnées, d’autant que l’arsenal législatif permet déjà de sanctionner les actes visés, tels que les incendies volontaires évoqués ce matin.
Nous voyons bien dans ce texte comme dans le rapport d’information qui l’a précédé que ceux et celles qui sont visés sont les militants et les activistes écologistes. Or nous savons qu’en ce domaine, notre pays est déjà sur une pente dangereuse.
Je rejoins ma collègue Gabrielle Cathala quand elle souligne que ce texte remet en cause de manière générale les libertés associatives et les libertés syndicales. Nous notons depuis un certain temps que les associations de défense des droits fondamentaux sont elles aussi criminalisées.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Constatons d’abord que cet article 1er, qui porte sur le délit d’entrave, entrave lui-même la liberté d’expression.
Remarquons ensuite qu’il rompt doublement avec la philosophie du délit d’entrave.
D’une part, il entend mettre des activités de loisirs comme la chasse sur le même plan que des libertés constitutionnellement garanties telles que les libertés d’expression et d’association. Ce choix de société laisse perplexe, d’autant que de telles dispositions ne sont pas nécessaires pour répondre au problème soulevé. L’entrave à l’acte de chasse fait déjà l’objet d’une contravention de cinquième classe. Si sa définition ne couvre pas les entraves à la mise à mort de l’animal, ce n’est pas en l’élevant au rang de délit que les choses changeront. Cette aggravation des peines ne répond à aucun besoin. L’Office français de la biodiversité (OFB), qui organise régulièrement des dialogues avec les représentants du monde de la chasse, n’a fait part d’aucune alerte à ce sujet.
D’autre part, cet article étend dangereusement le délit d’entrave à des actions militantes pacifiques dont le mode opératoire ne relève pas de la menace. Les auteurs de cette proposition de loi visent clairement à criminaliser les associations de défense de l’environnement et du bien-être animal, déjà visées par des amendements du Rassemblement national au projet de loi de finances dans le but de les retirer du champ des associations ouvrant droit à une réduction fiscale au titre des dons. Nous le voyons, la cible de ce texte, ce sont les militants du monde associatif qui s’emploient à dénoncer les activités de certains acteurs économiques.
M. Xavier Breton, rapporteur. L’argumentation qui sous-entend ces amendements de suppression aurait été recevable si nous n’avions pas modifié la version initiale du texte qui ne comportait pas de référence à la protection des lanceurs d’alerte. C’est tout l’intérêt du travail d’auditions : il nous a permis d’apporter des améliorations.
C’est l’occasion pour moi de rappeler comment nous avons procédé. Nous avons d’abord repris dans une proposition de loi les recommandations émises par les rapporteurs de la mission d’information sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales. Nous nous sommes ensuite appuyés sur les auditions pour améliorer la fiabilité juridique des dispositions proposées et établir un meilleur équilibre entre la répression des actes d’entrave et le respect des principes et libertés constitutionnels, notamment la liberté d’expression. La lecture de l’avant-propos du rapport d’information de 2021 vous montrera que j’insistais déjà sur cette nécessaire conciliation.
Rappelons que l’article 1er, dans sa rédaction actuelle, ne réprime pas les actions des lanceurs d’alerte. Il sanctionne les entraves commises sans menaces mais par des actes d’obstruction. Il s’agit de prendre en compte l’évolution des actions d’entrave que le rapport de la mission d’information commune de 2021 que j’ai présidée a clairement identifiée. Par ailleurs, il supprime le critère de concertation pour qualifier les entraves : non seulement il est très difficile à démontrer mais de plus en plus d’actions sont réalisées de façon isolée.
Pour améliorer cet article, je vous proposerai plusieurs amendements. L’un d’eux consiste à supprimer le délit d’entrave à une activité sportive ou de loisir pour en rester à la contravention d’entrave à la chasse, dont la récidive serait néanmoins transformée en délit.
Dans le cadre de notre débat à l’article 1er et à l’article 2, nous pourrons également discuter de rédactions permettant de garantir que les lanceurs d’alerte, protégés par la loi dite « Sapin 2 », ne sont pas concernés.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ces amendements de suppression.
M. Jordan Guitton (RN). La vision qui transparaît dans les amendements de la gauche est déplorable : elle soutient indirectement la cause d’associations qui menacent la propriété privée et le droit aux loisirs. Nos agriculteurs apprécieront, eux qui font constamment l’objet d’un agribashing qu’une partie des groupes de gauche entretient dans nos salles de commission et dans l’hémicycle. Il nous appartient, en tant que parlementaires, de protéger les activités relevant de la culture de la ruralité des actions menées par des associations militantes extrémistes qui ne respectent pas la loi. Les ruraux n’ont pas besoin des leçons de morale d’associations de gauche ou d’extrême gauche composées bien souvent de gens des villes qui ne comprennent rien à leurs modes de vie. Chers collègues, ouvrez un peu les yeux au lieu de défendre des associations qui se livrent à des actions parfaitement illégales et qui ne devraient pas être subventionnées par de l’argent public.
Ce texte a le mérite d’exister et envoie un message clair aux agriculteurs, aux éleveurs et aux chasseurs. Nous le soutiendrons, notamment parce qu’il améliore la définition du délit d’entrave.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je remercie le rapporteur d’avoir déposé des amendements destinés à prendre en compte les lanceurs d’alerte, qui pourront continuer à faire œuvre utile lorsque c’est nécessaire.
Lors des auditions très diverses qui ont précédé nos discussions, ont été mises en relief les exactions commises par des activistes qui, loin de se contenter d’exprimer des idées, qui peuvent être respectables, s’en prennent aux outils de travail, voire au travail lui-même des agriculteurs et à l’activité de chasse. Ce texte cherche des moyens de sanctionner ces actions dont vous semblez vous-mêmes reconnaître le caractère répréhensible puisque vous avez souligné que l’arsenal juridique actuel était suffisant. Pour notre part, nous estimons qu’il faut aller plus loin et ce texte nous en donne l’occasion. Prenons un exemple : si une personne commet un délit en s’introduisant dans une cour de ferme ou une stabulation ouverte, elle ne peut actuellement faire l’objet de poursuites ; avec ce texte, nous aurons les moyens de sanctionner ce type de comportement qui n’est pas admissible.
Mme Émilie Bonnivard (DR). En tant que députés, nous n’avons pas à défendre une idéologie plutôt qu’une autre. Nous devons avoir en vue le seul intérêt général et la recherche du consensus. C’est l’objectif de Xavier Breton qui a déposé des amendements permettant de protéger les lanceurs d’alerte tout en réprimant des actions illégales menées à l’encontre de pratiques légales attachées aux activités agricoles, commerciales et cynégétiques. Nous aurions pu tous nous unir autour de la recherche d’équilibres. Malheureusement, en défendant ces amendements de suppression, chères collègues, vous servez une idéologie sectaire. Nous voterons bien évidemment contre.
M. Éric Martineau (Dem). Nous ne pouvons que nous opposer à ces amendements de suppression. Nous considérons qu’il faut pouvoir discuter de ce texte, que nous soutiendrons si certains amendements sont adoptés.
Revenons aux conditions de vie des agriculteurs. N’importe qui peut aujourd’hui rentrer dans une stabulation ouverte même si ce n’est pas légal. Tolérerait-on que des gens pénètrent dans les jardins des particuliers pour s’assurer que ceux-ci respectent bien la loi ? Je citerai le cas de mes voisins agriculteurs qui ont été obligés d’installer des caméras dans leur ferme pour détecter d’éventuelles intrusions car certains militants n’hésitent pas à venir filmer la nuit des choses qui pourraient leur déplaire. Cela les oblige à se lever, après avoir travaillé pendant près de quinze heures, dès qu’un mouvement est signalé. Bien évidemment, le bien-être des animaux est à prendre en considération mais il faut aussi respecter le droit à la vie privée des agriculteurs. Ils ne peuvent pas continuer à travailler dans de telles conditions. Certes, les lanceurs d’alerte doivent conserver leurs marges d’action, néanmoins je ne trouve pas admissible que l’on puisse entrer chez quelqu’un pour y faire des photos et des vidéos sans son accord. Une autre possibilité serait de fermer les stabulations mais cela ne servirait pas les animaux.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Je suis quand même impressionné par la capacité qu’ont certains à passer la moitié de leur temps à déplorer l’inflation législative et l’autre à proposer des textes motivés principalement par des objectifs de communication politique. La présente proposition de loi contribuera au mieux à réprimer des actes qui le sont déjà et, au pire, à restreindre la liberté d’expression et d’information sur les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur agroalimentaire.
La sécurité des fermes est mise en avant, or la majorité des atteintes aux biens sont liées à des actes de délinquance, contre lesquels les gendarmeries ne peuvent lutter efficacement, faute de moyens suffisants.
Vos débats sur les normes empêchent de prendre en considération les moyens pour les faire respecter. Si les gens deviennent activistes, c’est parce qu’ils sont confrontés de manière récurrente à des pratiques illégales auxquelles l’État ne met pas fin. La majorité des défenseurs de la cause animale ont bien autre chose à faire que d’aller vérifier si les règles sont respectées dans les abattoirs.
Je vous alerte sur le caractère contre-productif des mesures contenues dans ce texte. Tout le monde peut comprendre que certains commettent des fautes – qui n’en fait pas ? – mais ce que les gens ne supportent plus, c’est l’impunité. En limitant la capacité à informer et à montrer ce qui se passe dans certains lieux, vous risquez de jeter l’opprobre sur des filières entières alors qu’elles sont pour leur plus grande part vertueuses. Cessez d’entretenir l’arbitraire qui génère des tensions dans la société et arrêtez de caricaturer nos positions : nous sommes tous attachés à la sécurité des agriculteurs et de leurs installations. Tout est question d’équilibre, or l’équilibre n’est pas au rendez-vous avec cette proposition de loi.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Je m’étonne que certains prétendent défendre les intérêts des agriculteurs et des éleveurs en soutenant un texte qui sanctionne les actions de ceux qui dénoncent les pratiques, non des petits agriculteurs et des petits éleveurs, mais des élevages et des abattoirs industriels. Madame Bonnivard, dois-je vous rappeler qu’au mois de novembre, des images transmises à la presse ont dévoilé que des animaux étaient équarris vivants dans l’abattoir de Saint-Étienne-de-Cuines, situé dans votre propre circonscription ? Cet établissement a dû fermer pour se conformer aux normes sanitaires, ce qui paraît le minimum. Les éleveurs qui envoient leurs bêtes là-bas ne seraient pas satisfaits, je pense, de savoir que l’on peut dissimuler de telles pratiques. Ce que nous cherchons, c’est à donner la possibilité aux lanceurs d’alerte de continuer à faire un travail de salubrité publique.
Nous parlons de deux types d’activités différentes : les éleveurs et agriculteurs qui font leur métier dans des conditions satisfaisantes et ceux qui ont choisi des modèles industriels où rien n’est respecté. Je précise que l’abattoir en question a des liens avec l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev) et qu’il fournit des magasins comme Super U. Par ces amendements, nous demandons la suppression d’un dispositif qui ne sert pas l’agriculture.
La commission rejette les amendements de suppression.
Amendements CL2 de Mme Marie-France Lorho et CL20 de M. Xavier Breton (discussion commune)
Mme Marie-France Lorho (RN). Notre amendement CL2, de nature rédactionnelle, vise à dissiper une ambiguïté portant sur le caractère cumulatif des actes énumérés.
M. Xavier Breton, rapporteur. Nous avions intégré les actes d’intrusion parmi les moyens permettant de qualifier le délit d’entrave à certaines libertés détaillées à l’article 431-1 du code pénal. Il nous paraît toutefois préférable de supprimer cette mention puisque l’article 2 crée un délit spécifique d’intrusion dans un lieu où sont exercées des activités commerciales, industrielles, artisanales ou agricoles, dans le but de troubler la tranquillité ou le déroulement normal de ces activités. Ainsi, sera établie une claire distinction du champ des deux infractions : d’une part, les entraves aux libertés commises par l’intermédiaire de menaces, ce que prévoit le droit actuel, ou par des actes d’obstruction, ajout auquel procède l’article 1er ; d’autre part, les intrusions destinées à troubler le déroulement d’une activité économique ou agricole, que vise l’article 2.
Je demande donc le retrait de l’amendement CL2 de Mme Lorho, satisfait mais qui fait mention des actes d’intrusion que nous voulons précisément supprimer à l’article 1er.
L’amendement CL2 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL20.
Amendement CL41 de M. Stéphane Mazars
M. Stéphane Mazars (EPR). Cet amendement du groupe Ensemble pour la République va dans le sens de la recherche d’un meilleur équilibre : d’une part, renforcer notre arsenal juridique pour sanctionner des exactions constitutives d’un délit d’entrave à l’encontre de personnes exerçant de manière légale leurs activités professionnelles ; d’autre part, permettre aux lanceurs d’alerte de continuer à dénoncer des pratiques illicites.
En introduisant la notion de « motif légitime » dans la définition du délit d’entrave, il vise à protéger ces derniers : la responsabilité pénale d’une personne ne pourrait être engagée si c’est pour un motif légitime qu’elle commet un tel délit. J’ai déposé un amendement similaire à l’article 2.
M. Xavier Breton, rapporteur. Je partage l’objectif de votre amendement, cher collègue. Je crois que nous sommes tous attachés à la liberté d’expression. Le renforcement de la lutte contre les entraves ne doit pas affaiblir la protection dont font l’objet les lanceurs d’alerte. C’est le sens de deux de mes amendements à l’article 2, qui font expressément référence à l’article 122-9 du code pénal relatif à l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte.
Bien que la notion de motif légitime que vous introduisez soit entourée de flou et qu’elle ne modifie pas le cadre légal de protection des lanceurs d’alerte, il me semble important d’afficher clairement notre volonté de préserver leurs actions. Mon avis sera donc favorable.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Cet amendement ne contribue pas, à notre sens, à rééquilibrer le texte car il est totalement inutile. C’est une illusion de croire que l’ajout de la référence au motif légitime permettra d’exonérer les lanceurs d’alerte de leur responsabilité pénale. Il ne protégera pas les personnes morales notamment. Comme l’a rappelé la Défenseure des droits dans son guide du lanceur d’alerte, l’article 122-9 du code pénal limite cette exonération aux violations du secret professionnel et aux détournements d’informations obtenues de manière licite, ce qui exclut les militants qui s’introduisent dans les exploitations.
Pour établir un juste équilibre, il faudrait s’inspirer de la jurisprudence européenne, qui se fonde notamment sur l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Elle protège la diffusion d’informations d’intérêt général, en particulier les images portant sur l’élevage et l’abattage, qui relèvent de débats d’intérêt public relatifs à la santé publique, à la protection animale et à l’environnement – je vous renvoie à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2009.
Avec cet amendement, vous cherchez avant tout à négocier pour tenter de faire adopter ce texte qui n’empêchera en rien à celles et ceux qui essayent de nous faire voir la vérité en face d’être censurés par des procédures-bâillons.
M. Xavier Breton, rapporteur. Soyons clairs : cette proposition de loi n’a pas pour objet de redéfinir le statut des lanceurs d’alerte. Si nous voulions aller dans ce sens, il faudrait choisir un autre véhicule législatif.
Comme je l’ai indiqué en réponse à M. Mazars, il importe de préciser la notion de motif légitime. Les tribunaux pourront y contribuer, à moins que nous ne trouvions d’ici à la séance une meilleure formulation.
M. Stéphane Mazars (EPR). Les juridictions pourront se livrer à des appréciations in concreto en déterminant pour chaque cas si la personne avait ou non un motif légitime d’agir. Autrement dit, cette rédaction offre une finesse d’interprétation que ne permet sans doute pas d’atteindre le seul statut de lanceur d’alerte.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL21 et CL22 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. L’amendement CL21 est un amendement de coordination. Dans la mesure où l’alinéa 3 de l’article 1er supprime le critère de concertation pour qualifier le délit d’entrave mentionné au premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal, il convient d’en faire de même pour les délits d’entrave prévus aux autres alinéas de ce même article 431-1.
L’amendement CL22 vise à supprimer de la proposition de loi le délit d’entrave à certaines activités sportives ou de loisirs, cette notion apparaissant trop large. Je propose d’en revenir à la contravention d’entrave à un acte de chasse telle qu’elle est prévue à l’article R.428-12-1 du code de l’environnement. Dans ce cadre, nous supprimerions, là aussi, le critère de concertation, car celui-ci suppose que l’obstruction soit collective et qu’elle ait fait l’objet d’une préparation antérieure, ce qui n’est pas toujours le cas.
Il est également proposé de délictualiser la récidive de cette contravention d’entrave, comme le permet l’article 132-11 du code pénal. Ce serait une manière efficace de dissuader les personnes qui commettent cette infraction de rééditer leurs méfaits.
M. Stéphane Mazars (EPR). Nous sommes assez favorables à ces amendements. Distinguer l’acte de chasse des autres activités de loisirs permettra de gagner en clarté.
Il semble également opportun de considérer que le premier acte constitue une contravention, seule la récidive constituant un délit. Peut-être pourrons-nous, d’ici à la séance, débattre du quantum de la peine encourue dans ce cadre : au vu des enjeux, une amende délictuelle pourrait être plus appropriée. En attendant, nous voterons pour ces amendements.
M. Xavier Breton, rapporteur. J’entends votre dernière remarque. Sans doute conviendra-t-il aussi de revoir la définition de l’acte de chasse, qui mériterait peut-être d’être élargie – même si, pour l’heure, nous nous en sommes tenus au cadre réglementaire existant.
La commission adopte successivement les amendements.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Article 2 (art. 431-2-1 [nouveau] du code pénal) : Création d’un délit d’introduction sans droit dans un lieu d’exercice d’activités commerciales, industrielles, artisanales, agricoles ou de loisirs
Amendements de suppression CL15 de M. Bastien Lachaud, CL38 de Mme Émeline K/Bidi et CL45 de Mme Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). L’article 2 vise ouvertement les associations écologistes et animalistes. Il prévoit des circonstances aggravantes « lorsque le but de l’introduction est de filmer ou capter les paroles prononcées dans ces lieux aux fins d’espionner autrui ou l’activité d’autrui ou de rendre publiques les images ou paroles captées », dont les cibles sont clairement les lanceurs d’alerte ou les associations comme L214, que je salue. De telles images sont pourtant d’une grande utilité pour nos concitoyens, qui doivent être informés sur les maltraitances animales.
Par ailleurs, les notions de « tranquillité » ou de « déroulement normal de l’activité » exercée me semblent très floues et dépourvues de sens juridique.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). En créant un délit d’intrusion dans des lieux d’exercice d’activités économiques ou de loisirs, puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, l’article 2 tend à criminaliser les défenseurs de l’environnement et du bien-être animal. Il vise également à réprimer plus sévèrement ces actions lorsque le but de l’intrusion est de capter les paroles prononcées dans ces lieux pour les rendre publiques, ce qui concerne bien évidemment les lanceurs d’alerte que vous prétendiez protéger à l’article 1er.
Il s’agit là d’une atteinte inacceptable à la liberté d’informer, d’autant plus injustifiable que l’intrusion est sanctionnée alors même qu’elle a lieu sans menace, voie de fait ou contrainte, par opposition à la violation de domicile, prétendument parce que cette dernière ne s’applique qu’aux lieux clos.
Sous couvert de compléter un arsenal législatif présenté comme insuffisant, l’article 2 porte une atteinte disproportionnée aux activités militantes utiles et pacifistes des lanceurs d’alerte.
M. Xavier Breton, rapporteur. Vous ne serez pas étonnées d’apprendre que je suis défavorable à ces amendements. Les travaux de la mission d’information ont montré l’insuffisance de l’arsenal pénal existant en matière d’intrusions. La violation de domicile est en effet difficile à qualifier dans le cadre d’intrusions dans des exploitations agricoles : ces lieux sont rarement clos et leur accès n’est généralement pas réglementé, si bien qu’ils ne satisfont pas aux critères retenus par la Cour de cassation. Le délit d’introduction frauduleuse dans un local, créé par la loi dite Kasbarian du 27 juillet 2023, pose les mêmes difficultés.
C’est pourquoi la création d’un délit spécifique d’intrusion dans un lieu où sont exercées des activités agricoles ou économiques paraît nécessaire. La rédaction proposée est inspirée des délits d’intrusion existant dans le code pénal, en particulier celui d’intrusion dans un établissement scolaire « dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre ». Je réponds ainsi à la remarque de Mme Cathala : cette notion n’est pas floue, elle existe juridiquement, figure dans le code pénal depuis une quinzaine d’années et a même été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010‑604 DC du 25 février 2010.
Je présenterai néanmoins plusieurs amendements visant à affiner la rédaction de l’article 2.
M. Jordan Guitton (RN). Le renforcement du délit d’intrusion va plutôt dans le bon sens. Dans leurs exposés sommaires, les représentantes de la gauche de la gauche s’y opposent en invoquant la liberté d’informer. Or, la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, en l’occurrence la liberté d’entreprendre, de commercer ou de produire.
En justifiant toutes les entraves aux activités économiques et commerciales au nom de la liberté d’informer, vous promouvez l’anarchisme juridique ! Au nom de la liberté d’informer, on pourrait donc casser une vitrine, s’introduire dans un lieu de manière illicite, menacer le droit à la propriété privée. C’est une conception très inquiétante de l’état de droit et même de l’agriculture.
Au fond, votre objectif est d’inciter des associations à décourager les entrepreneurs agricoles et les promoteurs de certaines activités de loisirs pour, finalement, pousser à une décroissance agricole complète. Que se passera-t-il, au bout du compte ? Si nous ne pouvons plus rien produire sur le territoire national, où les pratiques des agriculteurs sont fortement encadrées et doivent respecter des normes strictes, la France finira par importer des produits d’élevage provenant de pays où les animaux sont parfois traités de manière lamentable.
Il ne faut pas, au nom de la liberté d’informer, soutenir des associations dont le seul but est de détruire ce qui incarne une part de notre identité, notamment dans les zones rurales. Nous voterons donc contre ces amendements de suppression.
M. Ian Boucard (DR). Nous sommes, sans surprise, défavorables à ces amendements de suppression. Cette proposition de loi vise à combler une lacune de notre arsenal législatif. À l’évidence, une ferme devrait être considérée comme une habitation : même si les intrus entrent dans les locaux destinés à l’exploitation agricole, le paysan habite souvent juste à côté. Une intrusion dans les locaux où il élève ses animaux est donc une intrusion dans son domicile. Si des lanceurs d’alerte estiment que des pratiques de maltraitance animale ont cours dans une exploitation, c’est aux policiers, aux gendarmes ou encore à l’OFB, que la gauche défende ardemment, qu’il revient d’intervenir.
Notre groupe est tout à fait opposé à la maltraitance animale. Seulement, nous soutenons aussi le bien‑être de ceux qui produisent et nous nourrissent. Nous ne voulons pas que n’importe qui puisse s’introduire chez eux pour faire des vidéos. C’est le sens de l’article 2. Je remercie Xavier Breton pour son texte. Il faut évidemment préserver la tranquillité de ceux qui nous nourrissent et leur permettre de travailler.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je souscris totalement à ces propos. La notion d’intrusion est très importante. Pour rendre régulièrement visite aux exploitants de mon département rural, je peux confirmer que leurs habitations sont imbriquées dans les bâtiments agricoles : une personne qui s’y introduit pour capter des images dans une stabulation, une bergerie ou une étable passe devant la maison de l’agriculteur. Ces actions sont donc très mal vécues par les agriculteurs. Le discours selon lequel ils devraient se barricader pour s’en prémunir est totalement inaudible : les paysans veulent au contraire avoir des cours de ferme ouvertes à tous, parce que c’est ainsi qu’ils ont toujours vécu. Il faut les protéger de ces intrusions, qui, bien souvent, ne sont pas le fait de visiteurs animés de nobles intentions, mais de personnes en quête de polémiques.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Les intrusions par des associations ou des militants de la condition animale ne représentent que 0,32 % des dégradations constatées dans les exploitations agricoles. Ramenons les choses à leur juste proportion : ce que vous dénoncez comme un phénomène planétaire imputable à des militants écologistes enragés est en réalité un phénomène très marginal.
Je ne dis pas que les intrusions ou les dégradations ne sont pas des problèmes – la preuve en est qu’elles sont sanctionnées par notre droit. Les violences aux personnes et aux biens doivent être punies. Le propre de la désobéissance civile est d’être non violente : ces militants sont, en majorité, non violents. Replaçons le débat là où il doit être, c’est-à-dire sur le plan du droit et de la nécessaire conciliation des libertés individuelles et publiques, et non sur celui des amalgames et des préjugés à l’encontre des militants écologistes ou des défenseurs de la condition animale.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Le débat est assez caricatural : à vous entendre, les militants attaqueraient des petits paysans jusque dans leurs petites fermes modèles. En réalité, chacun sait que les militants dénoncent la maltraitance de l’agro-industrie. Peut-être ne fréquentez-vous pas régulièrement leurs sites internet, mais il y est question de dizaines de cochons laissés à l’agonie pendant des jours après un incendie, d’élevages sordides de lapins, de la réouverture d’un abattoir pourtant condamné à la fermeture, de maltraitance dans un élevage laitier, d’animaux découpés vivant dans un abattoir de Maurienne.
Les intrusions illégales sur la propriété des agriculteurs sont déjà réprimées par le code pénal. Il est évident que ce texte vise les militants et les lanceurs d’alerte. N’essayez pas de nous faire croire qu’il aidera les petits agriculteurs, que vous ignorez totalement dès lors qu’il s’agit de leur garantir des prix rémunérateurs, de leur permettre de partir à la retraite plus tôt ou de les protéger des accords de libre‑échange comme celui conclu avec le Mercosur.
Mme Marine Le Pen, dans son livret thématique consacré à la protection des animaux, parle de leur accorder une reconnaissance constitutionnelle, de créer un nouveau statut civil, de renforcer les peines sanctionnant les infractions commises envers les animaux ainsi que le rôle des associations, de lutter contre les fraudes pour mieux les protéger, de doter l’État des outils nécessaires à la protection animale ou encore de rendre la parole aux citoyens par la création d’un référendum d’initiative populaire en matière législative. Pourtant, comme d’habitude, le groupe RN n’a jamais proposé quoi que ce soit en ce sens à l’Assemblée nationale.
M. Éric Martineau (Dem). Je ne peux pas laisser dire que seuls des élevages industriels sont attaqués. Étienne Fourmont, éleveur de la Sarthe qui a créé sa propre chaîne YouTube, a par exemple découvert, un matin de Noël, sa ferme couverte de tags dénonçant son élevage, alors qu’il est à la tête d’une exploitation de taille moyenne. Ces faits sont certes réprimés, mais les agriculteurs ne portent pas toujours plainte, faute de temps. Le même constat vaut lorsque des installations d’irrigation sont endommagées.
M. Xavier Breton, rapporteur. Les agressions, qu’elles soient déjà réprimées ou qu’elles soient appelées à l’être après l’adoption de ce texte, ne concernent pas que l’agriculture industrialisée ou les grands groupes. L’élément déclencheur de mon travail a été l’incendie d’un abattoir familial dans mon département en 2018. Toutes les formes d’agriculture sont concernées.
Encore une fois, les lanceurs d’alerte ne sont nullement concernés. Je présenterai tout à l’heure un amendement précisant que le délit d’intrusion n’est pas applicable dans les cas prévus à l’article 122-9 du code pénal, qui consacre l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte. Ces derniers pourront donc continuer à agir. Si vous faites référence à d’autres formes de militantisme, dites-nous lesquelles, mais, en l’état, votre argument ne tient pas, car les lanceurs d’alerte seront bien protégés dans la version finale du texte.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL23 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement vise à améliorer la cohérence juridique du texte en insérant le délit d’intrusion dans un lieu d’exercice d’activités commerciales, industrielles, artisanales ou agricoles dans une section dédiée du code pénal.
Il tend aussi à supprimer le délit d’introduction dans un lieu où sont pratiquées des activités de loisirs, dans la mesure où ce délit n’est pas applicable aux entraves à la chasse.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL24 de M. Xavier Breton et CL42 de M. Stéphane Mazars (discussion commune)
M. Xavier Breton, rapporteur. Mon amendement, essentiellement rédactionnel, a trois objectifs : aligner la rédaction du nouveau délit d’intrusion sur celle du délit d’intrusion dans un établissement d’enseignement scolaire, prévu à l’article 431-22 du code pénal ; remplacer la notion d’activité « exercée de façon licite » par celle, plus précise, d’activités « exercées conformément à la loi ou au règlement » ; préciser que le délit d’intrusion n’est pas applicable dans les cas prévus à l’article 122-9 du code pénal relatif aux lanceurs d’alerte.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je propose de prévoir que le délit d’intrusion ne peut être commis si celle‑ci répond à des motifs légitimes. Cette notion étant désormais retenue à l’article 1er, il serait bon de l’inscrire à l’article 2, dans un souci de parallélisme des formes. En outre, la notion de motif légitime, qui serait appréciée au cas par cas par les magistrats judiciaires, est plus large que celle de lanceur d’alerte, définie strictement à l’article 122-9 du code pénal.
M. Xavier Breton, rapporteur. Si je partage votre objectif, l’adoption de votre amendement ferait tomber le mien, dont le champ est plus large. Je vous propose donc soit de sous-amender mon amendement, soit de déposer un nouvel amendement en séance pour introduire cette notion de motif légitime.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Vous semblez entretenir une grande confusion autour de la notion de lanceur d’alerte, dans le but de donner le sentiment que ce texte est équilibré. La qualité de lanceur d’alerte n’est accordée qu’à un tout petit nombre de personnes : seuls les salariés peuvent en bénéficier. Les citoyens engagés en sont complètement exclus. Pour que ce statut soit opérant en l’espèce, il faudrait donc qu’un citoyen engagé parvienne à convaincre le salarié d’une exploitation agricole de divulguer une information – et encore, seulement en attendant qu’un délit de conviction soit créé !
Les citoyens et les militants associatifs ne sont pas considérés comme des lanceurs d’alerte au sens pénal du terme. C’est bien l’application de la jurisprudence européenne qui permet parfois d’exciper d’un motif légitime pour les exempter de responsabilité pénale, comme cela a été le cas pour les décrocheurs des portraits d’Emmanuel Macron. Nous devons avancer sur la question du régime de protection des lanceurs d’alerte, mais, en l’espèce, ces amendements sont inutiles, car inopérants.
M. Xavier Breton, rapporteur. Encore une fois, vous voulez étendre le champ de l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte. Ce n’est pas l’objet de ce texte. Nous nous conformons au cadre réglementaire et législatif existant.
L’amendement CL42 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL24.
Amendements CL3 de Mme Marie-France Lorho et CL25 de M. Xavier Breton (discussion commune)
Mme Marie-France Lorho (RN). L’amendement CL3, rédactionnel, vise à préciser le montant et la durée de la peine prévue en cas de circonstances aggravantes.
M. Xavier Breton, rapporteur. L’amendement CL25 tend à remplacer la circonstance aggravante d’intrusion dans le but de capter et de diffuser des paroles par la création d’un délit distinct d’intrusion aux fins de captation d’images ou d’enregistrement dans le but de les diffuser publiquement, qui serait soumis à la même peine, soit un an d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. De tels actes obéissent en effet à une autre finalité que le trouble à la tranquillité ou au bon déroulement d’une activité.
Il vise aussi à appliquer le principe de légalité des délits et des peines en définissant dans la loi une circonstance aggravante lorsque l’intrusion présente un risque sanitaire. La peine serait alors fixée à deux ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
L’amendement de Mme Lorho, qui prévoit la même peine de prison, mais une amende plus faible, serait ainsi satisfait. Je lui propose donc de le retirer au profit du mien.
La commission rejette l’amendement CL3.
Elle adopte l’amendement CL25.
La commission adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendements CL33, CL34 et CL35 de Mme Sophie Ricourt Vaginay
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Contrairement à nos collègues d’extrême gauche, nous estimons que les entités qui incitent, organisent ou soutiennent des actions perturbatrices doivent être sanctionnées. Nous proposons donc, à travers l’amendement CL33, d’introduire une interdiction de financement public des groupements concernés pour une durée de cinq ans ainsi qu’une possibilité de dissolution judiciaire en cas de récidive ou de préjudice grave à l’ordre public. Les associations qui appellent à la violence ou à l’entrave n’ont pas leur place dans la République : les financements publics doivent être réservés à des structures qui œuvrent pour le bien commun et non pour détruire des outils de travail ou semer la terreur.
Les deux amendements suivants visent à adapter les sanctions en fonction de l’ampleur et de la gravité des infractions. Les actions menées à grande échelle par des organisations structurées causant des perturbations significatives pour l’économie, pour la sécurité publique ou pour les droits fondamentaux doivent être traitées avec la plus grande sévérité. Nous proposons donc de porter les peines encourues à dix ans de prison et 100 000 euros d’amende, et de prévoir une interdiction d’exercer toute fonction de direction au sein d’une association pour une durée de quinze ans.
M. Xavier Breton, rapporteur. L’amendement CL33 introduit des peines complémentaires – interdiction de financement public et dissolution – à l’encontre de personnes morales qui incitent ou soutiennent des entraves. Il pose plusieurs difficultés qui me conduisent à en demander le retrait. Tout d’abord, il est impossible de définir un tel groupement, ce qui pose un problème constitutionnel : on peut évoquer des personnes morales condamnées, ou bien des personnes physiques condamnées pour des faits commis en tant que membres d’un groupement, mais en l’état, votre proposition n’est pas suffisamment précise. En outre, l’article 131-39 du code pénal dispose que la peine de dissolution n’est pas applicable aux personnes morales pour les délits punis de moins de trois ans d’emprisonnement, ce qui est le cas de ceux créés aux articles 1er et 2 de la proposition de loi.
L’amendement CL34 vise à condamner les dirigeants d’associations ayant participé à des actes de perturbation. Il comporte un risque d’inconstitutionnalité, car, aux termes de l’article 121-1 du code pénal, « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » Il serait en outre inopérant, car les personnes morales sont déjà, en application de l’article 121-2 du même code, responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Par ailleurs, la rédaction de votre amendement pose différents problèmes en ce qu’elle manque de précision : dans la formule « qui ont directement participé à l’organisation d’actes perturbateurs », le mot « qui » pourrait faire référence aussi bien aux dirigeants qu’aux associations. La fourchette de peine – 10 000 à 45 000 euros d’amende – pourrait par ailleurs méconnaître le principe constitutionnel d’individualisation des peines. Je vous propose donc de retirer votre amendement pour le retravailler. À défaut, j’y serai défavorable.
Enfin, votre amendement CL35 vise à réprimer plus sévèrement les atteintes qui entraîneraient des perturbations significatives de l’économie, de la sécurité publique ou des droits fondamentaux des citoyens. Il méconnaît les exigences de précision de la loi pénale, pour plusieurs raisons. Les actes d’intrusion ou d’obstruction que vous visez ne sont pas en eux-mêmes des délits, mais des moyens de commettre les délits créés par les articles 1er et 2 de la proposition de loi. Ils ne sauraient donc faire l’objet de circonstances aggravantes. Par ailleurs, la notion de « perturbation significative » est trop vague, en particulier lorsqu’elle se rapporte aux droits fondamentaux. Là encore, demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Votre proposition de loi ne prévoit malheureusement pas l’incrimination d’associations. Certains collègues ont jugé que certains propos étaient caricaturaux mais il y a des activistes de la décroissance – lesquels font d’ailleurs partie de leurs sympathisants.
Dans l’Aveyron, plusieurs mâts d’éoliennes ont été endommagés, ce qui a entraîné un préjudice de plusieurs millions d’euros. En Bretagne, des militants ont vandalisé une partie du réseau de bus électriques, tandis qu’une usine de méthanisation et un élevage ont été incendiés en 2022 et en 2023, provoquant la mort de centaines d’animaux et plusieurs millions d’euros de dégâts. En 2022, les serres de plusieurs exploitations ont été vandalisées, notamment en Occitanie. En 2023, des miradors de chasse ont été abattus ou incendiés en Alsace et dans le Sud-Ouest par des activistes anti-chasse, mettant en danger la vie des chasseurs.
Enfin, exemple le plus célèbre, des militants écologistes ont violemment contesté la construction de retenues d’eau à Sainte-Soline, les fameuses méga bassines, ce qui a conduit à un climat de tension extrême avec les agriculteurs.
En réalité, des groupements et des associations sont également responsables de tout cela et ils devraient être très fortement sanctionnés.
Les amendements CL33, CL34 et CL35 sont retirés.
Article 3 (art. 225-1 et 225-3 du code pénal) : Interdiction des discriminations fondées sur l’activité professionnelle exercée
Amendements de suppression CL16 de Mme Gabrielle Cathala, CL39 de Mme Elsa Faucillon et CL46 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Cet article porte atteinte à la liberté de boycotter qui, d’après la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), découle de la liberté d’expression. La jurisprudence ayant tranché cette question, nous proposons de supprimer cet article.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). L’article ajoute l’activité professionnelle à la liste des mobiles discriminatoires interdits par le code pénal. Son but est donc de criminaliser le boycott, alors que ce type d’action est parfaitement légitime dès lors qu’il est fondé sur des choix de consommation et non sur des préjugés racistes, sexistes ou antisémites.
Le boycott est une réponse efficace pour contraindre des auteurs de mauvaises pratiques à changer de comportement. Il faut conserver une liberté de choix. Lorsque Joël Robuchon a décidé en 2013 de suspendre ses approvisionnements de foie gras chez un producteur mis en cause pour maltraitance animale par une association de défense des animaux, ce n’était pas de la discrimination.
Cette notion est faite non pas pour sauvegarder des intérêts économiques mais pour protéger la dignité des personnes. La droite cible la liberté de boycotter – c’est-à-dire la liberté de consommer ou non des produits – et c’est inacceptable.
M. Xavier Breton, rapporteur. L’entrave à une activité économique, ou le refus de fournir un bien ou un service constituent actuellement des délits de discrimination, prévus à l’article 225-2 du code pénal. Leur finalité est de protéger les intérêts économiques des personnes qui en sont victimes.
Mais les travaux de la mission d’information de 2021 ont montré que ces délits n’étaient pas réellement applicables dans un certain nombre de cas, lorsque l’entrave ou le refus de fournir un service est justifié par la nature même de l’activité professionnelle exercée. C’est par exemple le cas si un transporteur refuse de prendre en charge les marchandises de certains producteurs, ce qui conduit pourtant à entraver l’activité économique de ces derniers.
Contrairement à ce qui a été dit, le dispositif proposé ne conduira pas à sanctionner des particuliers qui boycotteraient une entreprise car, dans ce cas, le délit de discrimination prévu à l’article 225-2 du code pénal n’est pas constitué.
Avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL26 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement de coordination rend applicable l’article 3 de la proposition de loi aux discriminations opérées entre personnes physiques, et non uniquement aux discriminations opérées entre personnes morales.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL27 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement de précision vise à exclure le mobile discriminatoire fondé sur l’activité professionnelle de certains délits de discrimination. Il est en effet normal que des discriminations, en particulier en matière d’embauche mais aussi de stage ou de formation, soient justifiées par l’expérience professionnelle des personnes concernées.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CL4 de Mme Marie-France Lorho tombe.
La commission adopte l’article 3 modifié.
Article 4 (art. 225-4-1 A [nouveau] du code pénal) : Création d’un délit de diffamation publique à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs
Amendements de suppression CL17 de M. Bastien Lachaud, CL40 de Mme Émeline K/Bidi et CL47 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Comme les autres articles de cette proposition de loi, qui ont pour unique objectif d’organiser une répression inutile, l’article 4 crée un délit de diffamation publique à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs, puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Il vise évidemment à limiter les oppositions, les critiques ou les commentaires à l’encontre de certaines activités ou de certains loisirs. Cette mesure fait suite aux propositions du rapport de la mission d’information de 2021, dont nous contestons les conclusions.
Nous nous opposons à cet article qui cible encore une fois les associations écologistes et animalistes.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous avons déjà souligné la disproportion des délits créés par ce texte et des sanctions qui leur sont associées.
Cet article est au cœur de ces attaques contre la liberté d’expression. Avec ce dispositif, pourrait-être sanctionnée une expression publique. On voit de plus en plus de textes fondés sur une logique de suspicion, afin de réprimer, avant même la commission des faits, ce qui a permis d’attaquer des militants en justice. Avec le recul, on peut mesurer combien nos arguments contre ces mesures étaient justifiés, l’arsenal législatif permettant de s’en prendre directement à la liberté d’expression.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Mes collègues ont très bien exposé pourquoi il faut supprimer cet article. En plus d’être dangereux, il est inutile puisqu’il est déjà possible de lutter contre le dénigrement sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
M. Xavier Breton, rapporteur. Les travaux de la mission d’information de 2021 et les auditions menées la semaine dernière ont mis en évidence une augmentation des actions de diffamation à l’encontre d’agriculteurs, d’éleveurs et de chasseurs – en particulier sur les réseaux sociaux – et les difficultés posées par le cadre juridique actuel pour y répondre.
Je suis d’accord avec vous sur un point : les peines prévues par l’article 4 dans sa version initiale sont trop élevées. Mais vos arguments sont désormais décalés compte tenu de mon amendement CL28 de réécriture de l’article, qui vise à préserver la liberté d’expression tout en renforçant la lutte contre les entraves.
Cet amendement prévoit tout d’abord d’insérer ce nouveau délit de diffamation publique dans la loi du 29 juillet 1881. Cela offre des garanties procédurales plus protectrices que celles prévues pour les délits figurant dans le code pénal, comme l’impossibilité d’être placé en détention provisoire, ainsi que des délais de prescription plus courts.
Je propose ensuite de supprimer la peine d’emprisonnement et de ramener à 15 000 euros le montant de l’amende, au lieu de 45 000 euros dans la proposition initiale. Cela permet néanmoins de renforcer légèrement la peine par rapport aux 12 000 euros prévus actuellement pour le délit de diffamation à l’encontre d’un particulier.M. Stéphane Mazars (EPR). Le groupe EPR votera contre ces amendements de suppression. L’amendement CL28 du rapporteur permet en effet de rester dans le cadre du droit de la presse, ce qui offre des garanties importantes pour la personne poursuivie, et il supprime la peine d’emprisonnement, qui était largement disproportionnée.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL28 de M. Xavier Breton
M. le président Florent Boudié. Monsieur le rapporteur, il s’agit de l’amendement que vous nous avez largement présenté en répondant aux auteurs des amendements de suppression.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 4 est ainsi rédigé et les amendements CL5 de Mme Marie-France Lorho, CL19 de M. Jean Moulliere et CL8 de Mme Marie‑France Lorho tombent.
Article 5 (art. 225-4-1 B [nouveau] du code pénal et art. 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Création d’un délit de provocation à la discrimination à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs
Amendements de suppression CL18 de Mme Gabrielle Cathala, CL36 de Mme Émeline K/Bidi et CL48 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Cet article crée lui aussi un nouveau délit, raison pour laquelle nous nous y opposons.
Il nous semble complètement inutile. Il est d’ailleurs précisé dans le rapport de la mission d’information que « ces ajouts faciliteraient la sanction de personnes appelant au boycott, permettraient de mieux lutter contre les appels à l’entrave qui peuvent être émis sur les réseaux sociaux par des membres ou des sympathisants d’associations et de collectifs, l’infraction de provocation à la discrimination étant applicable aux contenus publiés sur internet et sur les réseaux sociaux. »
Il s’agit là encore d’une atteinte à la liberté d’expression et tant la Cour de cassation que la CEDH ont déjà rendu des décisions à ce sujet.
M. Xavier Breton, rapporteur. Avis défavorable.
Les peines prévues initialement par la proposition étaient en effet trop élevées. C’est pourquoi je présenterai deux amendements destinés à tenir compte des remarques émises sur le dispositif et visant à mieux préserver la liberté d’expression tout en renforçant la lutte contre les entraves.
L’amendement CL29 insère le nouveau délit de provocation à la discrimination dans la loi sur la liberté de la presse, comme nous l’avons fait à l’article précédent.
L’amendement CL30 prévoit quant à lui de supprimer la peine d’emprisonnement et de ramener l’amende de 45 000 à 15 000 euros.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL29 de M. Xavier Breton et CL7 de Mme Marie-France Lorho
Mme Marie-France Lorho (RN). Cet amendement vise à éviter la création d’un doublon.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’amendement CL9 de Mme Marie-France Lorho tombe.
Amendement CL30 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement vise à assurer le respect du principe de proportionnalité des peines.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Avec cet article, si mon association qui défend les poules poste une publication sur un réseau social pour expliquer qu’il vaut mieux acheter des œufs de telle marque plutôt que de celles qui tuent les poules lorsqu’elles ne sont plus productives, suis-je passible de 15 000 euros d’amende ?
M. Xavier Breton, rapporteur. Je prends bonne note de cette question en vue de la séance publique.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 5 modifié.
Après l’article 5
Amendement CL31 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement de coordination prévoit l’application du texte outre‑mer.
La commission adopte l’amendement. L’article 6 est donc ainsi rédigé.
Amendement CL1 de Mme Marie-France Lorho
Mme Marie-France Lorho (RN). Si des initiatives comme les observatoires départementaux de l’agribashing permettent de recenser les actes de malveillance contre les exploitations agricoles, on manque de données consolidées à l’échelle nationale. Par ailleurs, ces observatoires ne s’occupent pas des actions menées contre les activités cynégétiques. Or les représentants de la FNC ont souligné combien la chasse était visée par de tels actes.
Cet amendement demande donc au gouvernement de remettre au Parlement un rapport recensant de manière précise les actes de malveillance perpétrés à l’encontre des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale.
M. Xavier Breton, rapporteur. La mission d’information de 2021 avait effectué un bilan très complet. Il convient cependant de l’actualiser et j’ai insisté sur la nécessité de bien suivre ces actes de malveillance dans le cadre de la politique du renseignement, en s’intéressant aux liens entre les actions locales, nationales et internationales.
La rédaction de l’amendement méritant toutefois d’être améliorée d’ici à la séance publique, je demande le retrait de cet amendement.
L’amendement est retiré.
Titre
Amendement CL43 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Nous proposons d’appeler un chat un chat. Ce texte a pour seul but d’entraver l’accès du public à l’information en matière d’environnement afin de protéger la réputation et la tranquillité d’esprit des lobbyistes qu’il défend.
M. Xavier Breton, rapporteur. Avis défavorable.
Nos travaux ont permis d’aboutir à un meilleur équilibre entre la liberté d’expression et la lutte contre les entraves. Les infractions sont définies avec précision et les peines sont proportionnées.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d’actions d’entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale (n° 579) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
M. Louis de Redon, conseiller innovation, biomasse, énergie, gestion de l’eau, filière bois et haies de la ministre
M. Guillaume de La Taille Lolainville, directeur des affaires juridiques
Mme Sylvie Marais, sous-directrice du droit des politiques agricoles à la direction des affaires juridiques
M. Nicolas Holleville, chef du bureau des établissements d’abattage et de découpe à la direction générale de l’alimentation
M. Willy Schraen, président
M. Nicolas Rivet, directeur général
M. Julien Morino-Ros, sous-directeur de la négociation et de la législation pénales
Mme Julie Salenne-Bellet, rédactrice au bureau de la législation pénale spécialisée
M. Pierre-Henri Machet, chef d’état-major
M. le colonel Serge Procédès, chef du bureau de la délinquance générale
M. le chef d’escadron Clément Hamoir, chef de section
M. Charles Fourmaux, directeur
contributions écrites reçues
([1]) Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les activistes antispécistes violents et sur les atteintes à la « liberté alimentaire » (XVème législature, n° 1343, 24 octobre 2018).
([2]) Proposition de loi présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisés par la loi (n° 23 (2018-2019), 9 octobre 2018).
([3]) Rapport d’information de Mme Martine Leguille-Balloy et M. Alain Perea sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales (XVe législature – n° 3810).
([4]) Proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d’actions d’entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale, n° 647, déposée le jeudi 15 décembre 2022.
([5]) Proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d’actions d’entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale, n° 579, déposée le jeudi 19 novembre 2024.
([6]) Décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010, Union des familles en Europe.
([7]) Il ressort de la lettre de l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement que le fait d’empêcher le déroulement d’un ou plusieurs actes de chasse constitue une infraction lorsqu’il est réalisé par des actes d’obstruction concertés, et non par un seul acte d’obstruction.
([8]) Article 2 sexies du projet de loi.
([9]) Voir commentaire de l’article 2 de la présente proposition de loi.
([10]) Auparavant, la violation de domicile était punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
([11]) Cour de Cassation, Chambre criminelle, 23 mai 1995, n° 94-81.141, bulletin criminel 1995 n° 193 p. 524.
([12]) Règlement (CE) n° 853/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale.
([13]) L’origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, le patronyme, le lieu de résidence, l’état de santé, la perte d’autonomie, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, la qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte, la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée d’une personne physique ou des membres ou de certains membres d’une personne morale.
([14]) Pierre-Charles Krieg, présentation de l’amendement n° 28 au projet de loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, séance publique, première séance du mardi 30 novembre 1976.
([15]) Par « des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ».
([16]) Voir le commentaire de l’article 5 de la présente proposition de loi.
([17]) La discrimination consistant à refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne.
([18]) La discrimination consistant à subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition discriminatoire.
([19]) La discrimination consistant à refuser d’accepter une personne à l’un des stages visés par le 2° de l’article L. 412-8 du code de la sécurité sociale.
([20]) C’est-à-dire par « des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ».
([21]) Article 52 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
([22]) 6° de l’article 48 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
([23]) Article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
([24]) Article 8 du code de procédure pénale.
([25]) C’est-à-dire par « des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ».
([26]) Il s’agit des discriminations énumérées aux articles 225-2 et 432-7 du code pénal, à savoir celles consistant :
– à refuser la fourniture d’un bien ou d’un service ;
– à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque ;
– à refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ;
– à subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des mobiles discriminatoires prévus l’article 225-1 du code pénal ou sur le fait d’avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel ou de bizutage ;
– à subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l’un des mobiles discriminatoires prévus l’article 225-1 du code pénal ou sur le fait d’avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel ou de bizutage ;
– à refuser d’accepter une personne un stage.
([27]) Voir le commentaire de l’article 4 de la proposition de loi.