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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
visant à proroger le dispositif d’expérimentation favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public,
(n° 763 rect.)
PAR Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY
Députée
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION............................................ 5
Article 3 (supprimé) Création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs
Mesdames, Messieurs,
« La cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités naturelles, inégalités de dons. » ([1])
Cette citation des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, tirée de leur ouvrage « Les Héritiers » paru en 1964, conserve malheureusement toute sa pertinence aujourd’hui, s’agissant de l’accès à la haute fonction publique.
Le constat est clair : la proportion d’élèves issus des catégories socioprofessionnelles les moins favorisées est trop faible dans les écoles de service public. Ainsi que l’observe le rapport de la mission « Haute fonction publique » de 2020 ([2]), « les fils de cadres représentent toujours 70 % des promotions et ce chiffre ne baisse pas depuis 30 ans ». Dans le même temps, alors que les enfants d’ouvriers représentaient 19,6 % de la population active française en 2019, ils ne constituent que 5 % des effectifs dans les écoles de la haute fonction publique.
Loin d’être vectrices d’ascension sociale, les écoles de service public reproduisent et accentuent les inégalités scolaires, alors même que notre fonction publique devrait attirer, à son service, nos jeunes qui souhaitent s’engager au service de l’intérêt général, quelle que soit leur origine sociale ou géographique.
C’est dans cet objectif qu’a été initié, en février 2021, le plan « Talents du service public ». Il se traduit par la création de classes préparatoires dites « Prépas Talents », qui se sont substituées aux anciennes classes préparatoires intégrées (CPI) et qui accueillent des étudiants pour les préparer aux concours de l’encadrement supérieur ainsi qu’aux concours de catégorie A et B de la fonction publique, à l’issue d’une procédure de sélection au mérite accessible aux élèves boursiers de l’enseignement supérieur.
Votre rapporteure tient d’emblée à souligner l’importance de ces « Prépas Talents » pour diversifier les profils au sein de la fonction publique, qui se traduit, pour les élèves des classes préparatoires, par un accompagnement renforcé, par la réalisation d’un stage en administration et par un soutien matériel et financier. Sur ce dernier aspect, votre rapporteure déplore toutefois l’absence de revalorisation des bourses « Talents », dont le montant s’élève à 4 000 euros par an, au regard de l’inflation que notre pays a connu ces dernières années.
Dans ce contexte, l’ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public complète le dispositif des « Prépas Talents » par une expérimentation d’un concours externe spécial, dit concours « Talents », pour l’accès à certaines écoles assurant la formation de fonctionnaires.
Cette expérimentation prend la forme d’un concours identique au concours externe – mêmes programmes, mêmes épreuves et même jury – pour l’accès à cinq écoles de service public :
– l’Institut national du service public (INSP), qui forme les futurs administrateurs de l’État ;
– l’Institut national des études territoriales (INET), pour la formation des élève administrateurs territoriaux ;
– l’École des hautes études en santé publique (EHESP), pour la formation des élèves directeurs d’hôpitaux et celle des élèves directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux ;
– l’École nationale supérieure de police (ENSP), qui forme les futurs commissaires de police ;
– l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), pour les élèves directeurs des services pénitentiaires.
Peuvent s’inscrire à ce concours les personnes qui suivent ou ont suivi, au cours des quatre dernières années, une « Prépa Talents ». En application du décret n° 2021-239 du 3 mars 2021 instituant des modalités d’accès à certaines écoles de service public et relatif aux cycles de formation y préparant, les places offertes au concours « Talents » représentent entre 10 et 15 % des places offertes au concours externe.
L’ordonnance du 3 mars 2021 précitée a prévu la fin de cette expérimentation au 31 décembre dernier, après un rapport d’évaluation qui aurait dû être remis au Parlement le 30 juin 2024.
Votre rapporteure déplore qu’un rapport d’évaluation, même partiel, n’ait pas été remis au Parlement dans les délais prévus par l’ordonnance. Les données partielles collectées par votre rapporteure montrent néanmoins que les concours « Talents » ne sont en rien des concours au rabais : la moyenne ainsi que les seuils d’admissibilité et d’admission sont similaires, pour les premières années de l’expérimentation, à ceux du concours externe classique.
Votre rapporteure déplore également l’absence de portage politique de la prorogation ou de la pérennisation de cette expérimentation par le précédent Gouvernement, plaçant les étudiants des « Prépas Talents » dans une situation particulièrement inconfortable. C’est dans l’objectif d’y remédier que votre rapporteure a déposé, le 19 décembre dernier, la présente proposition de loi visant à proroger le dispositif d’expérimentation favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public. À cet égard, votre rapporteure remercie le ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification, M. Laurent Marcangeli, d’avoir proposé l’inscription de sa proposition de loi sur le temps gouvernemental et l’engagement, pour son examen, de la procédure accélérée.
La proposition de loi initiale opère deux modifications de l’ordonnance du 3 mars 2021 :
– son article 1er proroge l’expérimentation des concours « Talents » jusqu’au 31 juillet 2027 ;
– son article 2 repousse en conséquence la remise du rapport d’évaluation au 30 décembre 2027.
Le choix de proroger l’expérimentation plutôt que de la pérenniser résulte de l’absence d’évaluation des effets de l’expérimentation permettant au Parlement de se prononcer sur la question. Il est pour cela nécessaire de disposer d’une évaluation complète du dispositif, c’est-à-dire du concours « Talents » mais aussi des « Prépas Talents », sur une période suffisamment longue permettant de dégager des tendances analysables. Il convient en outre de s’intéresser à la réussite des élèves au-delà de leur seule réussite au concours « Talents », car l’amélioration de la diversité sociale dans la fonction publique ne se limite pas à la seule réussite à un concours d’entrée dans une école de service public.
Au cours de sa réunion du 5 février 2025, la commission des Lois a adopté cette proposition de loi, en y apportant plusieurs modifications.
Afin de disposer de trois années d’expérimentation supplémentaires pour en tirer le bilan, la commission a fait le choix de proroger l’expérimentation jusqu’au 31 août 2028.
En conséquence, dans l’objectif de disposer du rapport d’évaluation plusieurs mois avant la fin de l’expérimentation tout en ayant suffisamment de recul pour dresser le bilan de l’expérimentation des concours « Talents », la commission des Lois a repoussé la date de remise du rapport d’évaluation au 31 mars 2028.
Par ailleurs, à l’initiative de votre rapporteure, la commission des Lois a tenu à sécuriser juridiquement l’organisation des concours « Talents », en particulier ceux dont les épreuves se dérouleront en 2025. À cette fin, la commission des Lois a :
– remplacé, à l’article 1er de l’ordonnance du 3 mars 2021, le terme de concours « organisé » par celui de concours « ouvert », afin de sécuriser juridiquement les concours « Talents » pour 2025 dont l’arrêté d’ouverture a été pris en 2024 ;
– prévu une entrée en vigueur rétroactive de certaines dispositions de l’article 1er au 1er août 2024, en poursuivant un objectif d’intérêt général lié à la sécurisation de l’organisation des concours « Talents » pour 2025 qui ont été ouverts depuis cette date ;
– expressément ratifié l’ordonnance n° 2021‑238 du 3 mars 2021, afin d’inscrire dans la loi ses dispositions, qui ne pourront dès lors plus être contestées devant le Conseil d’État.
Enfin, votre commission a souhaité étendre l’expérimentation des concours « Talents » à certaines écoles formant des militaires, traduisant ainsi les annonces du ministre Laurent Marcangeli le 16 janvier dernier à l’INSP visant à étendre le dispositif des concours « Talents » à certains corps d’ingénieurs ([3]), dont les ingénieurs de l’armement – une modification de l’ordonnance était nécessaire dès lors que ceux-ci ont le statut de militaires.
Votre rapporteure appelle donc de ses vœux à une adoption rapide de la proposition de loi, afin de sécuriser des milliers d’étudiants inscrits aux concours « Talents » et qui les préparent en ce moment-même, parfois depuis plusieurs années.
Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
L’expérimentation du concours externe dit « Talents » pour l’accès à certaines écoles de service public ayant pris fin au 31 décembre 2024, l’article 1er de la proposition de loi proroge cette expérimentation jusqu’au 31 juillet 2027.
Dernières modifications législatives intervenues
L’expérimentation du concours « Talents » a été créée par l’ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public.
Position de la Commission
La Commission a repoussé la date de fin de l’expérimentation au 31 août 2028. Par ailleurs, dans l’objectif d’étendre l’expérimentation aux concours des écoles formant les corps techniques d’ingénieurs, la commission a étendu l’expérimentation aux écoles formant des militaires, afin d’y inclure les ingénieurs de l’armement.
Le 2° de l’article 59 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la loi, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à :
– réformer les modalités de recrutement des corps et cadres d’emplois de catégorie A afin de diversifier leurs profils, en garantissant le principe d’égal accès aux emplois publics, fondé notamment sur les capacités et le mérite, et dans le respect des spécificités des fonctions juridictionnelles ;
– harmoniser leur formation initiale ;
– créer un tronc commun d’enseignements ;
– développer leur formation continue afin d’accroître leur culture commune de l’action publique ;
– aménager leur parcours de carrière en adaptant les modes de sélection et en favorisant les mobilités au sein de la fonction publique et vers le secteur privé.
C’est sur le fondement de cette habilitation qu’a été publiée l’ordonnance n° 2021‑238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public. Un projet de loi ratifiant cette ordonnance ([4]) a été déposé à l’Assemblée nationale par le Gouvernement le mercredi 24 mars 2021, mais celui-ci n’a pas été inscrit à l’ordre du jour.
Dans l’objectif de favoriser l’égalité des chances et d’ainsi diversifier les recrutements au sein des écoles de la haute fonction publique, au regard de la faible représentation en leur sein des élèves issus des catégories socioprofessionnelles les moins favorisées, l’article 1er de l’ordonnance du 3 mars 2021 institue une expérimentation d’un concours externe spécial, pouvant être organisé ([5]) jusqu’au 31 décembre 2024, pour l’accès à certaines écoles assurant la formation de fonctionnaires, dit concours « Talents ».
En application de l’article 4 du décret n° 2021-239 du 3 mars 2021 instituant des modalités d’accès à certaines écoles de service public et relatif aux cycles de formation y préparant ([6]), un concours « Talents » est ainsi ouvert pour l’accès à cinq écoles de service public :
– l’Institut national du service public (INSP), en qualité de fonctionnaire stagiaire destiné à accéder, à l’issue de la scolarité, au corps des administrateurs de l’État ou à l’un des quatre autres corps auxquels l’INSP donne accès ([7]) ;
– le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), plus particulièrement l’Institut national des études territoriales (INET), en qualité d’élève administrateur territorial ;
– l’École des hautes études en santé publique (EHESP), soit en qualité d’élève directeur d’hôpital, soit en qualité d’élève directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social ;
– l’École nationale supérieure de police (ENSP), en qualité d’élève commissaire de police ;
– l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), en qualité d’élève directeur des services pénitentiaires.
Peuvent se présenter à ce concours les personnes qui suivent ou ont suivi, au cours des quatre dernières années, un cycle de formation préparant à l’un des concours concernés, dénommé « Prépas Talents », accessible au regard de critères sociaux et à l’issue d’une procédure de sélection.
Les « Prépas Talents »
Dans le cadre du plan « Talents du service public », initié en février 2021 par le Président de la République, ont été mises en place des classes préparatoires « Talents », qui accueillent des étudiants parmi les plus méritants de l’enseignement supérieur ainsi que des demandeurs d’emploi, pour les préparer aux concours de l’encadrement supérieur ainsi qu’aux concours de catégorie A et B de la fonction publique (soit un champ plus large que le champ des concours « Talents »).
Ces « Prépas Talents » se sont substituées aux anciennes classes préparatoires intégrées (CPI). Ce dispositif, initialement adossé à 25 écoles de service public, a été élargi à de nouvelles structures, notamment à des universités, à des Instituts de préparation à l’administration générale (IPAG), à des Centres de préparation à l’administration générale (CPAG) et à des Instituts d’études politiques (IEP).
Dans l’objectif de favoriser la diversité sociale des recrutements dans la fonction publique, les élèves des « Prépas Talents » sont sélectionnés, sous conditions de ressources financières, au regard de la qualité de leur parcours, de leurs aptitudes et de leur motivation.
Une bourse « Talents » de 4 000 euros par an, dont le montant n’a pas été réévalué depuis sa création, est versée, de droit, aux élèves des « Prépas Talents ». Ces « Prépas Talents » permettent également aux élèves de bénéficier d’un accompagnement renforcé, prenant en particulier la forme d’un tutorat obligatoire et de la possibilité de réaliser un stage en administration, ainsi que de se voir proposer des solutions d’hébergement et de restauration. En parallèle, est attribuée aux structures porteuses d’une classe une subvention de 6 500 euros par élève effectivement accueilli.
Source : direction générale de l’administration et de la fonction publique.
Les candidats aux « Prépas Talents » aux cinq écoles de service public auxquelles les concours « Talents » donnent accès doivent remplir :
– les conditions requises de la part des candidats aux concours externes qu’ils présentent ;
– les conditions de ressources fixées pour bénéficier d’une bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux ([8]).
Les candidats sont sélectionnés de la même façon que les candidats aux autres classes préparatoires « Talents », c’est-à-dire par une commission d’admission ([9]), sur la base de la qualité de leur parcours de formation antérieur, de leurs aptitudes et de leur motivation, à l’issue de l’examen de leur dossier et d’un entretien. Pour l’ensemble des « Prépas Talents », en cas d’égalité, priorité est donnée aux candidats issus d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), d’une zone de revitalisation rurale (ZRR) ou d’un territoire ultramarin.
Les « Prépas Talents » ouvrant droit au concours « Talents » sont organisées :
– soit par l’une des cinq écoles de service public auxquelles le concours « Talents » donne accès ;
– soit par un service ou un organisme ayant passé une convention avec l’une de ces cinq écoles ;
– soit par un établissement public d’enseignement supérieur.
La liste de l’ensemble des « Prépas Talents » ouvrant droit à l’inscription au concours « Talents » est fixée par un arrêté du 5 août 2021 ([10]). Trente-six « Prépas Talents » ouvrent ainsi le droit d’inscription au concours « Talents », sur un total de cent « Prépas Talents » existantes en 2024.
En application de l’article 3 de l’ordonnance du 3 mars 2021 précitée, les candidats au concours « Talents » sont sélectionnés par le même jury que celui du concours externe pour l’accès à ces cinq écoles de service public. Les programmes, de même que les épreuves, sont identiques à ceux du concours externe.
Le même article 3 limite à 15 % du nombre de places offertes au titre du concours externe de chaque école le nombre de places pouvant chaque année être offertes pour le concours « Talents ». Le décret n° 2021‑239 du 3 mars 2021 prévoit, pour chaque concours, que le nombre de places offertes ne peut être inférieur à 10 % ni supérieur à 15 % ([11]). En pratique, la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a indiqué à votre rapporteure que seules deux des cinq écoles concernées n’atteignaient pas le plafond de 15 % : il s’agit de l’ENSP, qui forme les futurs commissaires de police, et de l’ENAP, qui forme les futurs directeurs des services pénitentiaires.
Les candidats au concours « Talents » peuvent également s’inscrire au concours externe d’accès à la même école. Dans ce cas, ils doivent indiquer, lors de leur inscription, s’ils souhaitent être admis au titre du concours externe ou du concours « Talents » en cas d’admission simultanée à ces deux concours.
Les lauréats d’un concours « Talents » suivent ensuite leur scolarité dans les mêmes conditions que les élèves issus du concours externe.
Un recours tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’ordonnance du 3 mars 2021 a été formé par l’association pour l’égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine – association déclarée en préfecture le 23 février 2021, quelques jours avant la publication de l’ordonnance.
À cette occasion, l’association requérante a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), au motif que l’expérimentation d’un concours « Talents » méconnaîtrait le principe d’égal accès aux emplois publics énoncé à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ([12]) ainsi que le principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 1er de la Constitution ([13]).
Par une décision du 13 juillet 2021 ([14]), le ÉÉtat a décidé de ne pas renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel, considérant que celle-ci ne soulevait pas de question nouvelle et ne présentait pas, non plus, de caractère sérieux. Il a en effet considéré que « ces dispositions prévoient l’organisation de concours externes spéciaux qui, d’une part, sont accessibles au regard de critères objectifs et rationnels en relation directe avec l’objet qui leur est assigné ([15]) et, d’autre part, […] reposent sur l’appréciation des mérites des candidats et répondent à la volonté de diversifier les profils des personnes recrutées dans la fonction publique et partant, à un motif d’intérêt général », en précisant que « l’admission à concourir n’étant au demeurant pas directement fondée sur des critères sociaux, lesquels président uniquement à l’accès aux cycles de formation préparant à ces concours ».
Sur le modèle de l’expérimentation du concours « Talents » dans la haute fonction publique, l’article 13 de la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire prévoit l’expérimentation, jusqu’au 31 décembre 2026, d’un premier concours spécial, dit concourt « Talents », pour le recrutement d’auditeurs de justice à l’École nationale de la magistrature (ENM). De façon analogue au concours « Talents » dans la fonction publique :
– peuvent se présenter à ce concours les personnes qui ont suivi une « Prépa Talents » à ce concours, accessible au regard de critères sociaux et à l’issue d’une procédure de sélection ;
– le jury, les programmes et les épreuves sont identiques à ceux du premier concours des auditeurs de justice ;
– le nombre de places offertes, fixé par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice, ne peut être supérieur à 15 % du nombre de places offertes au premier concours.
Un décret du 28 juin 2024 ([16]), pris après avis du Conseil d’État, définit les modalités d’application de cette expérimentation. Un premier concours « Talents » a ainsi été ouvert, pour l’année 2025, par un arrêté du 14 janvier dernier ([17]).
Le rapport d’évaluation de la mise en œuvre de ce concours « Talents » doit être transmis par le Gouvernement au Parlement avant le 30 juin 2026.
Dans sa décision ([18]) sur la loi organique du 20 novembre 2023 précitée, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution la création de ce concours « Talents », par un raisonnement qui peut être étendu aux concours « Talents » pour l’accès à la haute fonction publique.
Le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé que le respect du principe d’égal accès aux emplois publics, qui découle de l’article 6 de la Déclaration de 1789, ne s’oppose pas « à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l’appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l’entrée dans le corps judiciaire soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins du service public de la justice ».
Après avoir constaté que le législateur organique avait souhaité accroître la diversité des profils des magistrats, le Conseil constitutionnel a relevé que « si, pour accéder à ce cycle de formation, les personnes qui souhaitent se présenter à ce concours spécial doivent certes répondre à des critères sociaux, elles sont également soumises à une procédure de sélection dont il a constaté, se référant aux travaux parlementaires dans le silence du texte, qu’elle "a pour objet de s’assurer que les candidats présentent le parcours de formation, les aptitudes et la motivation requis" » ([19]), ce qui est au demeurant explicitement prévu par l’article 2 de l’ordonnance n° 2021-238 pour les concours « Talents » à certaines écoles de service public.
Le Conseil a toutefois émis deux réserves d’interprétation, précisant que :
– d’une part, le pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge, devra « fixer des critères de sélection objectifs et rationnels de nature à garantir que sont pris en considération les mérites des candidats » ;
– d’autre part, le pouvoir, pour le jury, de ne pas pourvoir tous les postes offerts au concours « Talents » devra être expressément prévu.
L’expérimentation du concours externe dit « Talents » pour l’accès à certaines écoles de service public a pris fin au 31 décembre 2024. Le rapport d’évaluation de l’expérimentation n’ayant pas été transmis au Parlement, ce que déplore votre rapporteure ([20]), l’article 1er de la proposition de loi proroge cette expérimentation jusqu’au 31 juillet 2027.
La Commission a tout d’abord adopté quatre amendements identiques CL4 de M. Emmanuel Duplessy, CL13 de votre rapporteure, CL17 de M. Jean Moulliere et CL22 de Mme Anne Bergantz visant à proroger l’expérimentation du dispositif des concours « Talents » jusqu’au 31 août 2028. La Commission a estimé qu’un tel report permettrait de disposer de suffisamment de recul pour tirer le bilan de l’expérimentation tout en tenant compte du calendrier d’ouverture des concours de chacune des écoles concernées.
La Commission a par ailleurs adopté un amendement rédactionnel CL14 de votre rapporteure, qui remplace, à l’article 1er de l’ordonnance du 3 mars 2021, le terme de concours « organisé » par celui de concours « ouvert ». Si la DGAFP entend aujourd’hui les deux termes de façon identique, cet amendement permettra de le clarifier, en particulier au regard du contentieux en cours devant le Conseil d’État à l’encontre de l’arrêté du 12 septembre 2024 du Premier ministre autorisant l’ouverture des concours d’entrée à l’INSP pour l’année 2025.
La Commission a également adopté deux amendements identiques CL18 de M. Jean Moulliere et CL23 de Mme Anne Bergantz qui étendent l’expérimentation des concours « Talents » à certaines écoles formant des militaires. Ces amendements permettent de traduire les annonces du ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification, M. Laurent Marcangeli, le 16 janvier dernier à l’INSP, visant à étendre le dispositif des concours « Talents » aux corps d’ingénieurs suivants :
– les ingénieurs des mines, formés à l’institut Mines-Télécom et à l’École nationale supérieure des mines de Paris (Mines Paris – PSL) ;
– les ingénieurs des eaux, des ponts et des forêts, formés à l’institut national des sciences et industries du vivant et de l’environnement (Agro Paris Tech) ;
– les administrateurs de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), formés à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE Paris tech) ;
– les ingénieurs de l’armement, formés à l’ École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA Paris) et à l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro).
Les ingénieurs de l’armement ayant le statut de militaires, une modification de l’ordonnance est nécessaire pour créer un concours « Talents » pour l’accès aux deux écoles assurant leur formation – l’extension aux autres écoles d’ingénieurs relevant a contrario du domaine réglementaire.
Enfin, la Commission a adopté l’amendement CL29 de votre rapporteure, qui sécurisent l’organisation des concours « Talents » dont les épreuves se dérouleront en 2025. Cet enjeu de sécurisation constituant un motif d’intérêt général, cet amendement précise que la prorogation de l’expérimentation et la substitution au terme de concours « organisé » celui de concours « ouvert », s’appliqueront à compter du 1er août 2024, afin de couvrir rétroactivement :
– les arrêtés d’ouverture de concours « Talents » publiés en 2024 dont les épreuves se déroulent en 2025. Il en va ainsi du concours de l’INSP pour 2025, ouvert par un arrêté du 12 septembre 2024 ([21]), qui fait actuellement l’objet d’un contentieux devant le Conseil d’État, et du concours de commissaire de police pour 2025, ouvert par un arrêté du 22 août 2024 ([22]) ;
– les arrêtés d’ouverture de concours « Talents » publiés depuis le 1er janvier 2025. Tel est le cas du concours des élèves administrateurs territoriaux 2025, ouvert par un arrêté du 17 janvier 2025 du président du CNFPT ([23]), qui comporte la mention selon laquelle le concours externe spécial sera organisé « sous réserve de l’intervention de dispositions légales et réglementaires le prévoyant ».
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Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article 2 de la proposition de loi repousse la date de remise au Parlement du rapport d’évaluation de l’expérimentation du concours « Talents » et des « Prépas Talents », qui devait initialement être remis avant le 30 juin 2024, au 30 décembre 2027.
Dernières modifications législatives intervenues
La remise au Parlement du rapport d’évaluation de l’expérimentation du concours « Talents » et des « Prépas Talents », qui n’a à ce jour pas été transmis, était prévue par l’article 5 de l’ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public au plus tard le 30 juin 2024.
Position de la Commission
Compte tenu de la prorogation de l’expérimentation jusqu’au 31 août 2028, la Commission a repoussé la date de remise du rapport d’évaluation au 31 mars 2028.
L’article 5 de l’ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public prévoit la remise au Parlement, au plus tard le 30 juin 2024, d’un rapport portant sur l’évaluation de la mise en œuvre des concours externes spéciaux, dits concours « Talents », ainsi que des cycles de formation « Prépas Talents » ouvrant droit à inscription au concours « Talents ».
Votre rapporteure est particulièrement attachée à ce point : il est en effet essentiel que l’évaluation des concours « Talents » s’inscrive dans le cadre d’une évaluation plus large des dispositifs visant à renforcer la diversité sociale des recrutements dans la fonction publique, au premier rang desquels figurent les « Prépas Talents », qui sont du reste indissociables des concours « Talents ».
Le décret n° 2021-239 du 3 mars 2021, pris pour l’application de l’ordonnance du 3 mars 2021 précitée, définit les modalités d’évaluation de l’expérimentation.
L’article 24 de ce décret précise le contenu du rapport d’évaluation. Tout d’abord, celui-ci doit indiquer, pour chaque concours « Talents » et pour chaque « Prépa Talents » ouvrant droit à inscription au concours :
– le nombre de candidats admis à concourir à la procédure de sélection pour l’accès à la « Prépa Talents » et au concours « Talents » ;
– le nombre de candidats présents et le nombre de candidats absents à la sélection et aux épreuves du concours ;
– le nombre de candidats déclarés admissibles ou admis à la « Prépa Talents »et au concours ainsi que, le cas échéant, le nombre de candidats admis décidant ensuite renoncé au bénéfice de l’admission au cycle ou au concours.
Pour chacune de ces données, doivent être indiquées :
– la part de femmes et d’hommes ;
– la proportion de candidats domiciliés ou scolarisés lors de leur admission à la « Prépa Talents » dans un QPV, une ZRR ou un territoire ultramarin ;
– la répartition des candidats selon le barème des ressources fixé pour l’attribution d’une bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux.
Ce rapport d’évaluation doit également inclure les rapports des commissions de sélection aux « Prépas Talents » et des jurys des concours « Talents », afin de bénéficier d’une analyse qualitative de la réussite des candidats issus des « Prépas Talents » aux concours.
Afin de ne pas limiter l’évaluation du dispositif à la seule réussite ou non des concours des écoles de service public, le décret du 3 mars 2021 précité prévoit la fourniture de différentes données relatives à la poursuite du parcours des élèves des « Prépas Talents », qu’ils aient ou non réussi un concours « Talents ».
Votre rapporteure tient à saluer ce choix : ainsi que l’a soulignée l’association La Cordée au cours de son audition, l’amélioration de la diversité sociale dans la fonction publique ne se limite pas à la seule réussite à un concours d’entrée dans une école de service public. Pour cette raison, l’article 24 du décret prévoit que ces données doivent inclure :
– les appréciations portées par le jury d’évaluation des élèves des écoles de service public en fin de scolarité ;
– les appréciations du responsable de la « Prépa Talents » ainsi que de la direction de l’école de service public sur la scolarité de ces élèves ;
– l’appréciation par les élèves des apports de la « Prépa Talents » et du déroulement de leur scolarité ;
– les emplois occupés à l’issue de leur scolarité par les anciens élèves recrutés par les concours « Talents » et l’évolution de ces emplois ;
– les modalités d’insertion professionnelle des élèves des cycles de formation qui n’ont pas été admis à un concours « Talents », en précisant notamment le nombre de ceux ayant réussi un autre concours de la fonction publique et le nombre de ceux qui ont été recrutés dans la fonction publique par un contrat de droit public ou privé.
Ce rapport liste également les contestations et contentieux auxquels l’expérimentation a donné lieu.
Le rapport d’évaluation doit ainsi permettre de faire état des effets des « Prépas Talents » et des concours « Talents » sur la diversité sociale et géographique des candidats admis aux concours de la fonction publique. Le rapport doit évaluer la pertinence, pour parvenir à cet objectif, de retenir comme critère d’évaluation du niveau de ressources des candidats le bénéfice d’une bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux au moment de l’entrée dans une « Prépa Talent ».
Enfin, ce rapport doit proposer au Parlement la prorogation ou la pérennisation de l’expérimentation des concours « Talents », en formulant éventuellement des propositions d’évolutions relatives notamment à leurs conditions d’accès.
Si votre rapporteure entend que la période de collecte de données, qui s’étend de 2021 à 2023, est trop courte pour permettre de tirer un réel bilan de l’expérimentation et des « Prépas Talents », elle déplore néanmoins qu’un rapport d’évaluation, même partiel, n’ait pas été remis au Parlement dans les délais prévus par l’ordonnance.
Dans l’attente de la transmission du rapport d’évaluation, il ressort des éléments fournis par le cabinet du ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification, M. Laurent Marcangeli, que le nombre de candidats admis à concourir à un concours « Talents » est en augmentation, passant de 350 candidats en 2021 à 492 candidats en 2023 (avec un taux de présentation au concours de près de 80 %).
Le tableau ci-après présente les taux d’admissibilité et d’admission ainsi que le pourcentage de candidats admis sur le total des candidats admissibles aux six concours « Talents ».
Réussite aux concours « talents »
|
Présents |
Admissibles |
Admis |
Taux d’admissibilité |
Taux d’admission |
Ratio admis/admissibles |
2021 |
287 |
90 |
25 |
31 % |
9 % |
28 % |
2022 |
386 |
99 |
39 |
26 % |
10 % |
39 % |
2023 |
366 |
109 |
32 |
30 % |
9 % |
29 % |
Source : DGAFP.
Le tableau ci-après détaille quant à lui le nombre de candidats admis à chacun des six concours.
Nombre de candidats admis à chaque concours « tALENTS »
|
INSP |
INET |
ENAP |
ENSP |
EHESP – directeur d’hôpital |
EHESP - directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social |
2021 |
6 |
4 |
NC |
2 |
7 |
6 |
2022 |
6 |
4 |
2 |
3 |
10 |
14 |
2023 |
6 |
4 |
0 |
NC |
14 |
8 |
Source : DGAFP.
L’article 2 de la proposition de loi tire les conséquences de la prorogation de l’expérimentation des concours « Talents » prévue à l’article 1er, en repoussant la date limite de remise au Parlement du rapport d’évaluation de l’expérimentation du concours externe dit « Talents », initialement prévue le 30 juin 2024, au 30 décembre 2027.
La Commission a adopté trois amendements identiques CL15 de votre rapporteure, CL19 de M. Jean Moulliere et CL21 de Mme Anne Bergantz qui tirent la conséquence de la prorogation de l’expérimentation, prévue par l’article 1er, au 31 août 2028.
Dans l’objectif de disposer du rapport d’évaluation plusieurs mois avant la fin de l’expérimentation tout en ayant suffisamment de recul pour dresser le bilan de l’expérimentation des concours « Talents », ces amendements fixent la date de remise du rapport d’évaluation au 31 mars 2028.
*
* *
Article 2 bis (nouveau)
Ratification de l’ordonnance n° 2021‑238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public
Introduit par la Commission
Introduit par l’amendement CL12 de votre rapporteur, cet article vise à ratifier l’ordonnance n° 2021‑238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public, afin de donner valeur législative à ses dispositions, qui ne pourront dès lors plus être contestées devant la juridiction administrative. Votre rapporteure souhaitent rappeler l’intérêt que présente une telle ratification, eu égard aux jurisprudences de 2020 du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’État.
Le Conseil constitutionnel a, par une décision du 3 juillet 2020 ([24]), estimé que « si les dispositions d’une ordonnance acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu’elles ont été ratifiées par le législateur, elles doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution ». Ce faisant, « leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut donc être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité ».
Pour autant, le Conseil d’État n’en demeure pas moins compétent, tant que les ordonnances n’ont pas été ratifiées, pour annuler une ordonnance, ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État dans une décision du 16 décembre 2020 ([25]), qui souligne que « les ordonnances prises en vertu de l’article 38 de la Constitution conservent le caractère d’actes administratifs, aussi longtemps qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une ratification, qui ne peut être qu’expresse, par le Parlement ».
Dès lors, seule une ratification expresse de l’ordonnance du 3 mars 2021, telle qu’adoptée par la commission à l’initiative de votre rapporteure, permet aux dispositions de l’ordonnance d’acquérir valeur législative rétrospectivement, à compter de leur signature, une fois la présente proposition de loi promulguée.
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Article 2 ter (nouveau)
Demande de rapport sur la structure des concours d’entrée
aux écoles faisant l’objet d’un concours « Talents »
Introduit par la Commission
Introduit par l’amendement CL3 de M. Ugo Bernalicis, cet article prévoit la remise d’un rapport au Parlement par le Gouvernement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, analysant la structure des concours d’entrée aux écoles faisant l’objet d’un concours « Talents ». Ce rapport met notamment en évidence les inégalités entre les candidats résultant des exigences académiques des épreuves écrites et orales et propose des pistes de réformes pour remédier aux difficultés soulevées.
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Supprimé par la Commission
L’article 3 de la proposition de loi initiale prévoyait un gage financier destiné à garantir la recevabilité de la proposition de loi lors de son dépôt.
Toutefois, au regard des avis rendus par le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur les amendements en discussion sur la présente proposition de loi, il s’avère que l’expérimentation des concours « Talents » ne constitue pas une charge, puisque :
– d’une part, le jury, les programmes et les épreuves de ce concours sont identiques à ceux du concours externe ;
– d’autre part, les places ouvertes pour le concours « Talents » ne constituent pas des places supplémentaires : celles-ci auraient été ouvertes par la voie du concours externe classique en l’absence de concours « Talents ».
Pour ces raisons, la Commission a adopté l’amendement CL16 de votre rapporteure supprimant l’article 3 de la proposition de loi.
Lors de sa réunion du mercredi 5 février 2025, la Commission examine la proposition de loi visant à proroger le dispositif d’expérimentation favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public (n° 763 rect.) (Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure).
Lien vidéo : https://assnat.fr/636RcJ
Mme Pascale Bordes, présidente. Cette proposition de loi a été déposée le 19 décembre 2024 par Mme Florence Herouin-Léautey et plusieurs de ses collègues. Le Gouvernement a déclenché la procédure accélérée sur ce texte et l’a inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée le 18 février.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. « La cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités naturelles, inégalités de dons. » Cette citation des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, tirée de leur ouvrage Les Héritiers, conserve aujourd’hui toute sa pertinence. Elle se vérifie particulièrement s’agissant de l’accès à la haute fonction publique : la proportion d’élèves issus des catégories socioprofessionnelles les moins favorisées est encore trop faible dans les écoles de service public, et par conséquent dans les hautes responsabilités.
Alors que les enfants d’ouvriers représentaient 19,6 % de la population active française en 2019, ils ne représentaient que 5 % des promotions 2020 et 2021 des écoles de la haute fonction publique – et 3 % à l’École nationale d’administration (ENA), devenue Institut national du service public (INSP). En 2019, seuls 1 % des élèves de l’ENA avaient un père ouvrier, alors que 73 % avaient un père exerçant une profession intellectuelle supérieure. L’égalité des chances peine indiscutablement à devenir une réalité.
La fonction publique doit être en phase avec la société. Elle doit attirer à son service les jeunes qui souhaitent s’engager pour l’intérêt général, quelle que soit leur origine sociale ou géographique. Nous devons, en somme, faire des écoles de service public des vecteurs d’ascension sociale. C’est dans cet objectif qu’a été prise l’ordonnance du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public. Elle s’inscrit plus largement dans le plan « Talents du service public » lancé en février 2021.
Des classes préparatoires « Talents », succédant aux anciennes classes préparatoires intégrées (CPI), accueillent ainsi des étudiants parmi les plus doués de l’enseignement supérieur, ainsi que des demandeurs d’emploi, pour les préparer aux concours de l’encadrement supérieur et à ceux des catégories A et B de la fonction publique. Je tiens à souligner que la bourse annuelle de 4 000 euros qui leur est octroyée est essentielle à leur parcours vers la réussite ; or son montant n’a pas été revalorisé depuis sa création, malgré l’inflation élevée de ces dernières années.
L’ordonnance de 2021 complète le dispositif des « Prépas Talents » par une expérimentation : un concours externe spécial, dit « concours Talents », identique en tout point au concours externe – même programme, mêmes épreuves, même jury. Ouvert aux personnes qui suivent une « prépa Talent »s ou en ont suivi une au cours des quatre dernières années, il donne accès à cinq écoles de service public : l’INSP, l’Institut national des études territoriales (Inet), l’École des hautes études en santé publique (EHESP), l’École nationale supérieure de la police (ENSP) et l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap). Le nombre de places offertes oscille entre 10 % et 15 % des places offertes au concours externe.
L’ordonnance a fixé la fin de cette expérimentation au 31 décembre 2024, au beau milieu de l’année scolaire, ce qui place les étudiants dans une situation très inconfortable.
Un rapport d’évaluation devait être remis au Parlement le 30 juin 2024, mais il n’en a rien été. M. Laurent Marcangeli, ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification, m’a fait savoir qu’un rapport provisoire nous serait transmis avant l’examen du texte en séance publique. Les données que j’ai collectées auprès de son cabinet et à l’occasion des auditions que j’ai menées me conduisent à briser une idée reçue : le concours « Talents » n’est pas un concours au rabais. Au contraire, la moyenne et les seuils d’admissibilité et d’admission de ses candidats sont similaires, pour les premières années, à ceux du concours externe classique.
Je déplore que la prorogation ou la pérennisation de l’expérimentation n’ait pas été défendue par le Gouvernement précédent, ce qui place les élèves et les écoles dans une situation difficile. Je remercie vivement le ministre Laurent Marcangeli d’avoir demandé l’inscription de ma proposition de loi sur le temps gouvernemental en d’avoir engagé la procédure accélérée.
Ce texte modifie deux points de l’ordonnance. Tout d’abord, son article 1er proroge l’expérimentation des concours Talents jusqu’au 31 juillet 2027 – je proposerai même, par amendement, une prorogation d’une année supplémentaire. Ensuite, son article 2 reporte la remise du rapport d’évaluation au 30 décembre 2027. Là encore, le calendrier pourra être revu dans le cadre de nos débats.
Le choix de proroger l’expérimentation plutôt que de la pérenniser n’a pas été fait par défaut. Avant de décider d’une pérennisation, il me paraît essentiel de disposer d’une évaluation complète du dispositif – c’est-à-dire du concours « Talents », mais aussi des « Prépas Talents » – sur un temps suffisamment long. Or nous manquons de recul, l’expérimentation n’ayant été lancée qu’en 2021. Il faut collecter des données sur plusieurs années pour dégager des tendances et dresser un bilan. Il faut aussi regarder au-delà de la réussite au concours : comment les élèves réussissent-ils dans leur scolarité ? Quels postes occupent-ils à la sortie de l’école ? Comment évolue ensuite leur carrière ?
L’objet de cette proposition de loi est très limité, car le temps presse : certains concours « Talents » pour 2025 ont été ouverts par des arrêtés en 2024. Il est urgent de sécuriser leur organisation. Notez qu’un contentieux est ouvert concernant le concours de l’INSP, dont les épreuves écrites se tiendront fin mars – elles ont déjà eu lieu pour le concours des commissaires de police. Certaines écoles, comme l’Inet, ont décidé d’ouvrir un concours « Talents » par un arrêté pris après le 1er janvier 2025 sous réserve de l’évolution des dispositions législatives et réglementaires. D’autres, comme l’Enap, n’ont pas pris ce risque juridique du fait de l’incertitude pesant sur l’expérimentation. Il est urgent de proroger cette dernière et ainsi de sécuriser les étudiants qui préparent ces concours en ce moment même, parfois depuis plusieurs années.
Du fait de cette urgence, les amendements que je vous proposerai se contentent d’ajuster les dates de l’expérimentation et de la remise du rapport, ou encore de remédier à des difficultés juridiques ou rédactionnelles. En revanche, je ne souhaite pas modifier les paramètres structurants de l’expérimentation, comme le taux d’élèves recrutés, pour deux raisons principales.
Vu l’urgence, tout d’abord, il semble nécessaire de se limiter à un texte consensuel pouvant être examiné rapidement et, idéalement, adopté conforme par le Sénat durant la semaine du 10 mars. Pour évaluer le dispositif sur une durée assez longue, ensuite, il faut disposer de données comparables, et donc que les paramètres de l’expérimentation soient stables. Il serait prématuré de les faire évoluer ; ce sera le rôle du législateur à la fin de l’expérimentation.
Les auditions que j’ai menées depuis mercredi m’ont convaincue qu’il fallait attendre trois années supplémentaires avant de dresser un bilan. Je vous proposerai donc de repousser la fin de l’expérimentation au 31 août 2028 et la remise du rapport d’évaluation au 31 mars 2028 ; cela laissera au législateur le temps de l’étudier avant de proposer une évolution ou une pérennisation.
Sur le plan juridique, je vous proposerai par ailleurs trois amendements. Le premier vise à ratifier l’ordonnance du 3 mars 2021 qui instaure l’expérimentation, afin d’inscrire ses dispositions dans la loi. Le deuxième vise à sécuriser le concours « Talents » organisé par l’INSP en 2025, en précisant que l’ordonnance fait référence aux concours « ouverts » avant le 31 décembre 2024. Le troisième prévoit l’application rétroactive de la loi, ce qui sécurisera les concours de l’INSP, des commissaires de police et des administrateurs territoriaux.
Mme Pascale Bordes, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Bryan Masson (RN). Oui, l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 prévoit l’égal accès aux emplois publics. Oui, l’État se doit d’ouvrir les postes de son administration à tous les profils, indépendamment de leur classe sociale. Oui, la haute fonction publique et son administration souffrent depuis de nombreuses années d’un manque de diversité favorisant la reproduction des mêmes profils bureaucratiques. Ainsi le groupe Rassemblement national n’est-il aucunement opposé à une diversification des candidats afin de permettre à tous ceux qui le méritent, qui sont les plus à même de servir la France, d’accéder aux emplois de la haute fonction publique.
Cependant, l’expérimentation prévue par l’ordonnance de 2021, que la proposition de loi vise à proroger, ne s’inscrit pas dans cette logique. Cette ordonnance a créé un concours externe spécifique, assorti d’un quota de places réservées à des étudiants sélectionnés sur des critères sociaux et ayant suivi une « Prépa Talents ». Si permettre aux étudiants qui n’en ont pas les moyens de préparer au mieux un concours de la fonction publique est bien sûr un devoir, leur donner accès aux plus hautes sphères de notre administration par des concours plus accessibles est de nature à rompre l’égalité d’accès aux emplois publics, au détriment de tous les Français.
Ce dispositif existe depuis 2021, mais le rapport qui devait être remis l’an dernier au Parlement n’a jamais vu le jour. Comment peut-on sérieusement songer à le proroger sans aucun recul ? Quelles preuves avons-nous de son efficacité ? Comme il est essentiel que nous obtenions les éléments d’appréciation nécessaires, nous proposerons que ce rapport nous soit rendu au plus tard le 30 juin prochain.
Favoriser l’accès à la haute fonction publique des personnes issues des classes populaires par une voie d’accès aidée risque de délégitimer leur présence au sein des grandes écoles. En aucun cas, la discrimination positive ne doit devenir un modèle de référence. La diversité sociale passe d’abord par un retour à un système éducatif performant, qui offre les mêmes chances à chacun, quelles que soient ses origines.
La seule et unique boussole qui doit guider le recrutement au sein de notre administration est la méritocratie. Le mérite et le travail sont les seules valeurs qui doivent nous conduire à plus d’égalité. Il revient à l’école républicaine d’être le moteur de la réussite de nos étudiants et de garantir l’ascenseur social. En somme, seule une refonte de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur basée sur le mérite pourra mettre fin à l’entre-soi.
Le groupe RN s’opposera donc à cette proposition de loi, qui ne réglera en rien les problèmes liés à l’intégration de nouveaux étudiants au sein des grandes écoles.
Mme Pauline Levasseur (EPR). La présente proposition de loi a suscité une adhésion transpartisane et les députés du groupe EPR veulent encore l’améliorer. Le programme des « prépas Talents » représente une occasion unique pour des milliers d’élèves issus de milieux sociaux moins favorisés ; il est crucial que nous continuions à le soutenir et que nous l’étendions.
Ce dispositif, créé dans le cadre de la réforme de la fonction publique d’État lancée en 2021 par le Gouvernement Castex, confère à des élèves issus de milieux modestes un accès privilégié aux écoles de service public. Entre 10 et 15 % du nombre de places offertes aux concours externes leur sont en effet désormais dédiées – une part significative qui leur offre une réelle chance d’intégrer ces institutions prestigieuses. Les étudiants bénéficient également d’un accompagnement pédagogique renforcé. Un tel soutien personnalisé est essentiel pour ces élèves qui, le plus souvent, n’ont pas eu les mêmes chances d’accès à des formations de qualité au cours de leur parcours scolaire. À cela s’ajoutent une bourse de 4 000 euros ainsi que diverses facilités matérielles permettant de lever les barrières financières qui pourraient décourager ces talents prometteurs.
Les critères de sélection de ces « Prépas Talents » se fondent sur des critères sociaux et non uniquement sur le mérite académique, ce qui assure une véritable démocratisation des grandes écoles. Les élèves sont sélectionnés sur dossier et entretien, ce qui permet aux jeunes issus de milieu modeste d’avoir les mêmes chances.
L’expérimentation s’est avérée concluante mais elle a pris fin le 31 décembre dernier et, à ce jour, aucun acte n’a été pris pour la prolonger. Cette belle avancée sociale est donc en danger. Le mois dernier, le ministre Laurent Marcangeli a annoncé son maintien devant les élèves de l’INSP : la promesse doit maintenant se traduire par une action concrète. L’égalité des chances n’est pas un concept abstrait, mais une réalité qu’il faut construire, étape par étape. Le maintien du dispositif constitue un pas supplémentaire vers une société plus juste, où les talents de chacun sont reconnus, quels que soient les origines ou le milieu social.
C’est pour moi un honneur de contribuer à corriger l’anomalie. Le dispositif des « Prépas Talents » ne constitue pas une simple aide ponctuelle, mais bien un levier majeur de mobilité sociale. Nous offrons la possibilité à des jeunes de transformer leur parcours, d’accéder à des écoles prestigieuses et, in fine, d’occuper des postes à responsabilités dans notre fonction publique.
Nous savons que la diversité dans nos institutions publiques est essentielle pour refléter la société, tenir compte des besoins de tous et bâtir une administration plus juste et plus efficace. Prolonger les « Prépas Talents », c’est donc investir dans l’avenir, dans une société plus inclusive et plus équitable. C’est offrir à chaque élève la possibilité de réaliser son potentiel, quel que soit son passé. Il est de notre responsabilité de soutenir, d’améliorer et de pérenniser cette initiative.
M. Thomas Portes (LFI-NFP). L’égalité des chances : voilà un principe qui, en théorie, fait consensus. Qui oserait s’y opposer ? Mais derrière les grandes déclarations d’intention, qu’en est-il réellement de cette promesse ?
Ce texte vise à proroger jusqu’en 2027 un dispositif censé rendre la haute fonction publique accessible aux jeunes des milieux populaires.
En effet, face aux inégalités flagrantes dans l’accès aux grandes carrières publiques, Emmanuel Macron avait annoncé, en 2021, la création de classes préparatoires « Talents », réservées aux étudiants boursiers : un projet expérimental de trois ans – sur lequel nous n’avons pas encore de recul – visant à attribuer entre 10 et 15 % des places au sein de cinq grandes écoles de service public. Rien d’autre qu’un coup de communication à la Macron, dans la droite ligne du mérite républicain, si cher à Nicolas Sarkozy ! Le projet ? Garantir l’accès aux hauts postes à une poignée d’étudiants d’élite, au détriment de l’égalité pour tous. Le talent, concept aussi vague que culpabilisant, sert ici à masquer l’essentiel : la place centrale des inégalités de départ dans le parcours scolaire.
Or comme le rappelle le sociologue François Dubet, qui est loin d’être un Insoumis, « l’égalité des chances exige d’abord de savoir ce que nous offrons aux vaincus de la compétition méritocratique ». Qu’offrons-nous donc réellement avec ce dispositif ?
En 2023, six places sur quatre-vingt-dix ont été proposées au titre du concours « Talents » de l’INSP – une goutte d’eau dans un océan d’inégalités. Pendant que l’on se félicite de ces six exceptions, on ignore les inégalités scolaires bien plus profondes qui, elles, demeurent inchangées. Et comment parler de diversité sociale dans la haute fonction publique quand les étudiants des « Prépas Talents » n’ont accès qu’à cinq établissements d’élite ? Cette mixité n’est qu’un mirage ! Ce dispositif ne fait que couronner un processus de sélection impitoyable qui, dès l’école, trie, filtre et élimine les enfants des classes populaires.
Au sein de l’OCDE, la France est le troisième pays, sur vingt-huit, où l’origine sociale exerce la plus grande influence sur les performances scolaires. En clair, pour réussir à l’école, rien n’est plus efficace que de provenir d’un milieu social privilégié. L’origine sociale, le lycée et l’environnement familial pèsent de manière déterminante, ce qui favorise les centres-villes gentrifiés et les établissements privés sous contrat. Un jeune vivant en Île-de-France a vingt‑cinq fois plus de chances d’intégrer une grande école – quatre-vingt-trois fois si son père en a intégré une avant lui. Aujourd’hui en France, la clé de la réussite est d’avoir des parents riches et urbains. Brandies comme symboles de la méritocratie républicaine, les classes préparatoires et les grandes écoles sont en réalité des institutions qui perpétuent avant tout la reproduction sociale. Elles ne corrigent pas les inégalités : elles les renforcent.
Entre les professeurs inexpérimentés et les locaux indignes, dans mon département de Seine-Saint-Denis, le mépris social se calcule en heures manquées d’enseignement : en raison des professeurs non remplacés, les jeunes perdent un an de scolarité par rapport à leurs homologues parisiens. Alors que c’est ici que se joue la lutte contre les inégalités, vous voudriez que je dise à ces enfants d’être talentueux car, quand on veut, on peut ?
Oui, il faut du talent, voire du génie, pour échapper à ce système qui fait échouer les rêves avant même la majorité. Beaucoup de ces élèves passeront par Parcoursup, un système anxiogène, inégalitaire et conçu – une fois de plus – comme un outil de tri social, dont nous demandons la suppression. Le mythe d’un système scolaire permettant l’insertion sociale est une fiction puissante qui sert avant tout à donner bonne conscience aux gagnants du système.
Dès lors, comment débattre du recrutement des élites sans s’attaquer aux inégalités scolaires qui minent notre société ? Nous ne sommes pas ici pour nous donner bonne conscience. Refuser une réforme de fond, c’est accepter que des milliers de jeunes issus des classes populaires continuent d’être exclus des plus hautes responsabilités de l’État. C’est reconnaître que ce sont les mieux dotés qui accaparent les ressources scolaires.
Nous ne voulons ni de mesures cosmétiques, ni d’une demi-réforme. Nous voterons contre ce texte qui cautionne la promotion de quelques parcours d’exception pour continuer à vendre les ignobles mensonges de la méritocratie. C’est une occasion manquée de repenser notre modèle, de bâtir une véritable académie de l’égalité et de l’émancipation, de proposer une école réellement gratuite, de lutter contre la ségrégation scolaire, d’établir un service national de l’émancipation, d’arrêter la privatisation de notre système d’éducation. À l’égalité des chances, nous préférons l’égalité des droits. Celle-ci ne se décrète pas, elle se construit.
Mme Céline Hervieu (SOC). Tous les citoyens sont « admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». En tant qu’élus de la République, notre mission est de faire vivre cet idéal républicain.
Les enfants d’ouvriers représentent 19,6 % de la population active, mais seulement 5 % des effectifs des écoles de la haute fonction publique. En 2019, 73 % des élèves de l’ENA avaient un père exerçant une profession intellectuelle supérieure, mais aucun n’avait un père ouvrier.
Les enfants d’ouvriers n’en sont pas moins « méritants », puisqu’il est question de méritocratie. Il est simplement plus difficile de se projeter vers une telle carrière quand on vient d’un milieu défavorisé. J’ai reçu des témoignages d’élèves : ils ne savent même pas que des écoles comme Sciences Po Paris existent et que ces parcours sont possibles.
Cela étant, le dispositif dont il est ici question n’est pas cosmétique, pour reprendre le mot employé par Thomas Portes, ou alors il faudra l’expliquer aux six élèves recrutés par le concours « Talents » de l’INSP ! C’est de leur parcours de vie que nous parlons.
Notre État a besoin de tous les talents, d’où qu’ils viennent dans la société. Il faut permettre à tous de devenir les personnes qui font notre État, qui composent les rangs de nos administrateurs civils et territoriaux, de nos directeurs d’hôpital, de nos commissaires de police. Nous avons besoin d’une haute fonction publique qui ressemble vraiment aux Français, dans toute leur diversité. Vecteur d’efficacité de l’action publique, la diversité nous prémunit contre un conformisme justement cultivé par la reproduction sociale.
Les concours « Talents », qui représentent 10 à 15 % des places des concours externes des cinq grandes écoles de service public, favorisent l’égalité des chances dans l’accès à la haute fonction publique. Le fait qu’ils n’aient pas été reconduits avant le 31 décembre dernier place dans la plus grande incertitude les candidats, qui ont déjà commencé à préparer des concours faisant désormais l’objet d’une grande insécurité juridique.
Je remercie donc ma collègue socialiste Florence Herouin-Léautey et l’ensemble des députés qui, dans un esprit transpartisan, permettront de prolonger les concours « Talents » jusqu’en 2027. La proposition de loi ne coûte rien : le jury, les programmes et les épreuves demeureront les mêmes que ceux des concours externes et les places réservées aux concours Talents ne s’ajoutent pas aux autres. Sans réserve, le groupe socialiste votera le texte.
M. Patrick Hetzel (DR). Pour notre groupe comme pour les autres, l’égalité des chances pour accéder aux écoles de service public doit évidemment être la règle. La réalité reste cependant contrastée. Il en va de même des classes préparatoires « Talents », même si l’expérimentation demeure trop courte pour que l’efficacité du dispositif puisse être véritablement mesurée. C’est la raison pour laquelle le groupe DR est favorable à sa prorogation de deux ans, mais sans préjuger de l’opportunité de le pérenniser, ni, le cas échéant, d’y apporter des correctifs. En tout état de cause, la question du mérite ne doit pas être évacuée.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Cette proposition de loi nous permet d’aborder trois sujets d’importance : l’égalité des chances, l’attractivité de la fonction publique et l’orientation professionnelle des étudiants. Avant toute chose, je tiens à remercier la rapporteure pour son travail et le ministre Marcangeli de s’être engagé à proroger le dispositif jusqu’en 2028 et à l’étendre aux écoles d’ingénieurs – étant rappelé que le précédent ministre chargé de la fonction publique ne souhaitait pas le conserver. Le groupe Écologiste et social soutiendra les amendements visant à traduire ces annonces dans la loi.
Dans nos universités de proximité, à l’instar de celle d’Orléans, les « Prépas Talents » améliorent l’égalité entre les étudiants. Nombreux sont ceux à vivre dans une grande précarité : en témoigne l’émergence des distributions alimentaires, ces dernières années, sur de nombreux campus, tout comme la nécessité, pour de nombreux étudiants, boursiers ou non, d’avoir un emploi en parallèle de leurs études. Difficilement compatible avec une scolarité normale et avec les exigences universitaires, le salariat grève leurs chances de réussite. Dans ces conditions, il est compliqué d’obtenir un diplôme, et quasiment impossible de préparer un concours de la haute fonction publique – et même de la fonction publique tout court. De la même manière, tant pour des raisons de temps que de moyens, intégrer une classe préparatoire privée n’est pas envisageable.
Ce dispositif est aussi un outil au service de la promotion de la fonction publique, qui en a bien besoin : la baisse du nombre de candidats et le taux de vacance, proche de 10 %, en attestent.
C’est enfin un outil pour une meilleure orientation professionnelle des étudiants. Les « Prépas Talents » offrent en effet un point d’appui aux équipes pédagogiques pour informer et sensibiliser les étudiants à la diversité des métiers de la fonction publique. Elles contribuent à valoriser de nombreux concours administratifs, bien au-delà de ceux qui sont directement concernés par le dispositif.
Nous sommes favorables à sa prolongation, dans l’attente d’une réforme plus globale. Les auditions menées par la rapporteure nous conduisent en effet à une même conclusion : la reproduction sociale demeure forte et contredit l’exigence d’égalité entre toutes et tous – élément pourtant fondamental de notre contrat social. Si nous voulons un choc d’ouverture sociale de la haute fonction publique, il faut s’en donner les moyens. C’est pourquoi nous estimons que le dispositif pourrait être amplifié sans attendre, et proposons plusieurs pistes d’amélioration.
D’abord, outre ceux des écoles d’ingénieurs, tous les concours de catégorie A+ pourraient être concernés par l’expérimentation. De plus, un nombre minimal de places devrait être sanctuarisé pour chaque concours, afin que les « Prépas Talents » ne servent pas de variable d’ajustement. La part réservée aux étudiants de ces classes varie entre 10 et 15 % selon les concours, alors que les boursiers représentent plus de 40 % des effectifs de l’enseignement supérieur public. Le nombre de places paraît donc insuffisant pour réellement favoriser la diversification des candidats et des admis.
Enfin, eu égard à la baisse importante des crédits alloués à l’enseignement supérieur, mon groupe fait part de ses vives inquiétudes quant au maintien des moyens pédagogiques destinés à faire vivre ces « Prépas Talents » et à accompagner socialement étudiants : je pense ici aux bourses complémentaires.
Mme Anne Bergantz (Dem). L’objet de l’ordonnance du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public est clair : renforcer la mixité sociale dans des établissements tels que l’INSP ou l’Inet, en facilitant l’accès des candidats méritants les moins favorisés socialement.
Ainsi, en créant les « Prépas Talents », nous nous sommes donné les moyens de soutenir ceux qui ont moins de chances de préparer ces concours dans de bonnes conditions, voire d’oser s’y inscrire. Nous les accompagnons grâce à une bourse annuelle de 4 000 euros – sécurisée grâce à l’adoption du projet de loi de finances pour 2025 – qui leur permet de se consacrer entièrement à la préparation des épreuves et leur donne accès à un coaching individualisé, à un hébergement en résidence, ou encore à des visites d’administrations, ce qu’il convient de saluer.
Cette expérimentation conforte notre modèle méritocratique en permettant aux aspirants de préparer les mêmes épreuves et de faire face aux mêmes jurys que les autres candidats.
Saluons à cet égard les magnifiques initiatives qui ont vu le jour partout sur le territoire autour de ce dispositif. Je salue pour ma part le programme de mentorat « Femmes Entraide Justice », créé dans ma circonscription par Mmes Isabelle Rome et Valérie Courtalon, magistrates à la cour d’appel de Versailles. Ce dispositif a permis d’accompagner, dans une démarche de sororité, une douzaine de jeunes femmes inscrites en « Prépa Talents » dans la préparation du concours de l’École nationale de la magistrature (ENM).
Si l’expérimentation des « Prépas Talents » a officiellement pris fin le 31 décembre dernier, le groupe Les Démocrates ne peut se résoudre à laisser s’éteindre un programme aussi prometteur, surtout avant qu’il ait été évalué. Avec plusieurs autres groupes, nous proposerons même de le proroger jusqu’au 31 août 2028, afin de tenir compte du calendrier des concours. L’évaluation du dispositif devra également être décalée d’une année, afin de disposer d’un délai raisonnable pour observer ses effets sur la mixité sociale dans la haute fonction publique. Enfin, notre groupe soutiendra l’élargissement du dispositif aux grands corps techniques d’ingénieurs, notamment issus de l’École polytechnique.
Vous l’aurez compris, le groupe Dem votera la proposition de loi.
M. Jean Moulliere (HOR). L’esprit des Lumières puis la Révolution française ont fait de l’égal accès aux places et emplois publics, en fonction des talents des individus, l’un des fondements du régime républicain. Déjà mis en valeur par Voltaire, cet idéal méritocratique fut concrétisé dans le droit positif en 1789, à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Puis, en 1900, le législateur a adopté le premier statut de la fonction publique, gravant dans le marbre le principe selon lequel le concours est la voie de recrutement de droit commun. Notre République est donc l’héritière d’une philosophie de l’égalité et du mérite, et s’attache à la faire vivre un peu plus chaque jour.
La fonction publique incarne les valeurs et la représentation voulues par notre société. Que dire, alors, d’une haute fonction publique qui n’offrirait pas à chacun la possibilité d’y accéder et d’y évoluer afin de servir l’intérêt général ?
Les statistiques relatives aux origines sociales des lauréats des concours de la fonction publique démontrent un manque de diversité. Les enfants d’ouvriers, qui, selon l’Insee, représentaient 19,6 % de la population active en 2019, ne comptaient que pour 5 % des effectifs des écoles de la haute fonction publique en 2020 et 2021.
Notre République ne peut ignorer les limites actuelles du recrutement dans la fonction publique, au sein de laquelle les difficultés à faire vivre la méritocratie entraînent un manque de diversité. Dans ce contexte, les pouvoirs publics doivent élaborer des dispositifs ciblés visant à encourager l’ensemble des jeunes potentiellement intéressés à se porter candidat ainsi qu’à les accompagner vers la réussite. C’est l’objet de l’ordonnance du 3 mars 2021, qui a créé à titre expérimental un concours externe spécial pour l’accès à certaines écoles assurant la formation de fonctionnaires.
Cette expérimentation ayant pris fin le 31 décembre dernier, le législateur doit choisir entre la pérenniser, la proroger ou l’abandonner. Le groupe Horizons et indépendants est convaincu qu’elle doit se déployer sur un temps plus long, afin que nous disposions de résultats probants. Il faut laisser davantage de temps aux « Prépas Talents » pour recruter des étudiants et à ces derniers pour découvrir le dispositif. Nous soutenons donc sa prorogation jusqu’en 2028, comme le souhaite le ministre Laurent Marcangeli. Comme le soulignaient des étudiants des « Prépas Talents » il y a un mois dans une lettre ouverte au Premier ministre, sans cette prorogation, les places qui leur sont réservées pourraient tout simplement disparaître, alors même qu’ils se préparent aux concours depuis des mois.
Notons enfin que les concours « Talents » répondent à l’enjeu majeur de l’attractivité de la fonction publique. Pas plus que les autres, les postes de catégorie A ne sont épargnés par les difficultés de recrutement des fonctionnaires. En 2020, 5,2 candidats ont postulé pour une place, contre 8,9 en 2010.
Mon groupe votera donc en faveur de cette proposition de loi, qui vise à davantage faire vivre la méritocratie au sein de la fonction publique. Nous remercions le ministre Laurent Marcangeli de son implication immédiate sur cet enjeu crucial et soutenons sa volonté d’étendre le dispositif aux concours de plusieurs écoles d’ingénieurs. À l’heure des transitions technologique et climatique, l’administration aura indéniablement besoin de recruter ce type de profil.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Nous devons nous prononcer sur la prolongation du plan « Talents du service public », un dispositif qui, de l’avis général dans cette commission, permet d’améliorer l’égalité des chances. L’expérimentation ayant expiré le 31 décembre 2024 et le rapport d’évaluation, prévu pour juin dernier, n’ayant jamais été remis, nous ne pouvons toutefois que pressentir la qualité de ce dispositif.
Tout le monde ou presque a déploré cette situation insatisfaisante et le fait que nous soyons pieds et poings liés devant l’obligation de le reconduire, afin que les étudiants qui travaillent depuis des mois, voire des années puissent, comme prévu, passer leurs concours. Notons que, pour une fois, on ne pourra pas accuser la censure d’être responsable de cette situation. Bref nous devons reconduire cette expérimentation en nous disant que c’est mieux que rien, parce que les gouvernements successifs, bien que plutôt satisfaits du dispositif, n’ont pas pensé à le faire plus tôt.
Ceux qui nous regardent doivent se demander comment nous avons pu en arriver là, alors que la commission des Lois se réunit toutes les semaines pour examiner de nombreux textes, tandis que les gouvernements qui se sont succédé ne pouvaient ignorer la date d’expiration du dispositif. Comment est-il possible que nous légiférions si tard et alors que certaines écoles ont déjà suspendu leur participation, jugeant le risque juridique trop important ?
Faute de mieux donc, nous voterons le texte pour ne pas laisser les étudiants le bec dans l’eau. Mais, à l’instar de nombreux collègues, je tiens à rappeler que le dispositif est loin d’être satisfaisant et que les inégalités scolaires demeurent en France, au point d’être parmi les plus fortes d’Europe. Les écarts selon que les élèves viennent d’un milieu favorisé ou défavorisé s’observent dès le CE2, et ils sont très significatifs.
Nous aurons donc besoin d’un dispositif plus ambitieux que celui-ci. De génération en génération, les inégalités des chances se perpétuent en parallèle des inégalités économiques et sociales. On estime qu’il faut six générations pour sortir de la pauvreté et, à en croire les derniers rapports, seule la Hongrie affiche un déterminisme social plus important que le nôtre parmi les pays de l’OCDE.
Sachez donc que, plus que de l’incompréhension, c’est une forme de colère qui prédomine ce matin car, quand il s’agit de prolonger des dispositifs qui, eux, vont à l’encontre de l’égalité des chances et des droits de ceux que nous représentons, nous n’attendons généralement pas leur expiration pour intervenir.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La France est la patrie de l’égalité républicaine, mais certaines politiques, sous couvert de justice sociale, trahissent nos principes fondamentaux. La présente proposition de loi est ainsi la digne héritière des dispositifs de discrimination positive expérimentés sous Lionel Jospin et Nicolas Sarkozy, lesquels ont non seulement échoué à corriger les inégalités, mais instauré une forme de favoritisme contraire au mérite et à l’excellence.
Alors que l’égalité républicaine repose sur le mérite et sur l’effort, l’ouverture sociale pratiquée par Sciences Po depuis 2001 a fragilisé la méritocratie, en instaurant des critères sociaux et territoriaux plutôt qu’en privilégiant l’excellence académique. Résultat : une insertion limitée des étudiants bénéficiaires, une baisse des exigences et une remise en cause de la valeur du diplôme. D’autres expérimentations, comme le CV anonyme, voulu par Nicolas Sarkozy, ont montré leur inefficacité. Non seulement de telles mesures ont été des échecs, mais elles ont privé certains candidats d’un levier essentiel : la valorisation de leur parcours.
En voulant privilégier certains étudiants au nom de critères sociaux, nous avons créé une forme de discrimination qui fracture et qui stigmatise les bénéficiaires. Plutôt que d’être reconnus pour leurs talents et leurs compétences, ils sont perçus comme des exceptions favorisées, ce qui nourrit frustration et division. Loin de renforcer l’unité nationale, ces mesures encouragent le communautarisme et affaiblissent l’adhésion au modèle républicain. Au lieu d’instaurer des passe-droits, il faut investir dans une éducation exigeante et de qualité, garantir une meilleure orientation et donner aux enseignants les moyens de transmettre le savoir. L’égalité des chances ne se décrète pas : elle se construit par l’effort, le travail et la valorisation de l’excellence.
La République ne reconnaît que des citoyens, non des communautés. Loin d’un égalitarisme artificiel, c’est par la méritocratie et l’exigence que nous construirons une société plus juste et plus prospère. Le groupe UDR repoussera cette proposition de loi.
Mme Pascale Bordes, présidente. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Personne n’a rappelé comment nous en sommes arrivés là. Tout découle de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui a tout cassé en ouvrant de nombreux postes aux contractuels et en rendant inégalitaires des choses qui ne l’étaient pas. L’article 59 de cette loi a autorisé le Gouvernement à prendre une ordonnance pour créer le concours « Talents ». Celle-ci a été publiée en 2021, mais sans jamais être ensuite ratifiée par le Parlement, comme le permet la jurisprudence établie en 2020, soit pendant la crise du Covid-19, par le Conseil constitutionnel. Ainsi une ordonnance peut‑elle désormais s’appliquer ad vitam æternam, ce qui représente un revirement de jurisprudence constitutionnelle hallucinant : il est possible de prendre des actes législatifs sans l’aval des parlementaires !
Nous voici donc contraints aujourd’hui d’avaliser un nouveau coup de force institutionnel de la Macronie et de la Ve République. Je tenais à faire ce rappel, car les choses ne viennent pas de nulle part, et ne vont pas nulle part non plus. Il est insupportable d’être chaque fois mis au pied du mur, sommés de valider les turpitudes de la Macronie. Nous ne souhaitons pas être votre bonne conscience. La question des inégalités est trop grave pour être abordée de la sorte.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Je remercie tous les orateurs et partage nombre des constats qui ont été faits au sujet des inégalités grandissantes de notre système éducatif. Je suis consciente du fait qu’au sein de l’OCDE, notre pays est mal classé en matière de reproduction des inégalités sociales. Vous l’avez dit, les choses se jouent dès l’école élémentaire ; c’est un enjeu systémique.
La présente proposition de loi est modeste et vise à proroger l’expérimentation d’un dispositif relatif aux concours de cinq écoles – écoles qui, d’ailleurs, n’y étaient pas toutes favorables au départ. Je rappelle que les concours « Talents » ne sont pas des concours au rabais, qu’ils ne sont pas différents des concours externes classiques, qu’ils n’ouvrent pas de places supplémentaires. Il n’y a ni discrimination, ni stigmatisation. Un quota de 10 à 15 % des places ouvertes est simplement réservé aux étudiants boursiers issus des « Prépas Talents ». Eu égard aux notes d’admissibilité et d’admission des trois dernières années, je puis vous assurer que leurs résultats sont similaires à ceux des autres candidats.
En revanche, le dispositif joue un rôle de levier au moment de l’orientation : grâce à lui, les jeunes se projettent vers ces concours ; sans lui, ils s’autocensurent. Bien sûr qu’il est imparfait, comme notre système d’enseignement supérieur, mais s’il permet à des jeunes de se dire qu’ils peuvent légitimement se présenter aux concours de la haute fonction publique, pour occuper demain des postes à responsabilité dans les services publics, nous aurons fait un pas, même modeste. J’ai auditionné les représentants de l’association La Cordée, qui m’ont confirmé que les étudiants passés par cette voie réussissent et obtiennent des notes similaires à celles de leurs camarades. Je ne les qualifierai toutefois pas de méritants : le mérite n’est pas l’apanage des écoles prestigieuses, toutes les filières comptent des enfants méritants, qui travaillent.
Trois années d’expérimentation ne suffisent pas pour voir des tendances se dessiner. Il serait dommage de disposer de trop peu de données pour tirer des conclusions. Nous proposons donc de proroger l’expérimentation de trois ans, ce qui ne coûte rien aux finances publiques : en mars 2028, le législateur disposera alors d’un vrai bilan pour débattre des suites de l’opération – car il est vrai que l’ordonnance de 2021 a été prise sans débat parlementaire.
Article 1er (art. 1er de l’ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public) : Prorogation de l’expérimentation du concours externe « Talents » pour l’accès à certaines écoles de service public
Amendement de suppression CL27 de Mme Sophie Ricourt Vaginay
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Selon les principes de la méritocratie républicaine, il faut promouvoir l’aptitude, l’effort et les compétences, plutôt que prolonger un dispositif fondé sur des critères sociaux, qui dévalorise le parcours des étudiants concernés.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Ce dispositif est fondé non sur une idéologie mais sur des faits. Tout le monde l’a souligné, 1 % seulement des élèves de l’INSP ont un père ouvrier, tandis que 73 % ont un père exerçant une profession intellectuelle supérieure. Le système ne joue pas son rôle d’ascenseur social. Il faut favoriser la diversité dans la fonction publique, comme partout. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Bien sûr que si, il s’agit d’une idéologie ! C’est la victoire de celle de Nicolas Sarkozy concernant « l’égalité des chances ». Avant lui, la gauche ne parlait pas d’égalité des chances, mais d’égalité des conditions et des droits, d’égalité sociale et économique, d’égalité à l’école. Quelle place doit y avoir la chance ? La vie n’est pas une loterie !
On met le doigt dans un engrenage : ce système d’égalité des chances valide le reste des inégalités, pour nous donner bonne conscience. Voilà pourquoi les dispositifs de cette nature sont insupportables. En 2019, j’avais mis en garde contre les biais de sélection dans les concours et proposé de modifier plutôt ces derniers pour que les enfants des classes défavorisées puissent les réussir. Vous avez juste créé les « Prépas Talents » : croyez-vous que celles-ci soient exemptes de biais de sélection ? Et les candidatures spontanées ne suffisent pas pour remplir les places, toutes les grandes écoles vont dans les salons faire leur promotion !
Quand on est défavorisé, il faut être au bon endroit au bon moment. En effet, seuls quelques collèges et lycées du réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+) participent aux dispositifs institués, ce qui permet de servir la communication politique. Cela m’énerve : on ne résout pas les inégalités, elles s’aggravent ! Nous n’avons pas besoin d’un énième rapport pour constater que nous allons dans la mauvaise direction. Il faut des réformes structurelles. Nous manquons d’aide pour les mener – surtout pour censurer des budgets qui sont très problématiques de ce point de vue !
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL13 de Mme Florence Herouin-Léautey, CL4 de M. Emmanuel Duplessy, CL17 de M. Jean Moulliere et CL22 de Mme Anne Bergantz
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Je propose de prolonger l’expérimentation jusqu’au 31 août 2028, au lieu du 31 juillet 2027 comme le prévoit la proposition de loi initiale, afin de disposer du recul suffisant pour fonder la décision de pérenniser ou non les concours « Talents », tout en tenant compte du calendrier d’ouverture des concours de chaque école.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Repousser l’échéance permet d’éviter une césure : certains étudiants pourraient se trouver en cours de promotion sans débouché, comme c’est le cas aujourd’hui.
M. Jean Moulliere (HOR). Nous soutenons ce délai supplémentaire, conforme aux annonces du ministre Laurent Marcangeli.
La commission adopte les amendements.
Amendement CL14 de Mme Florence Herouin-Léautey
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Cet amendement rédactionnel tend à remplacer, dans l’ordonnance, l’expression de « concours organisé » par celle de « concours ouvert ». Les deux termes ont la même signification mais la clarification est nécessaire dans le cadre d’un contentieux en cours devant le Conseil d’État relatif au concours Talents que l’INSP a ouvert en septembre 2024.
La commission adopte l’amendement.
Amendements identiques CL18 de M. Jean Moulliere et CL23 de Mme Anne Bergantz
M. Jean Moulliere (HOR). Le ministre Laurent Marcangeli a exprimé son souhait d’étendre le dispositif à plusieurs corps d’ingénieurs, qui recrutent à la sortie d’écoles comme AgroParisTech, l’école polytechnique, l’Institut supérieur de mécanique de Paris et l’École nationale des ponts et chaussées.
Mme Anne Bergantz (Dem). Il faut effectivement étendre le principe de la réforme des corps administratifs aux grands corps techniques.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Ces amendements visent, en pratique, à élargir le dispositif aux formations militaires. En effet, l’École nationale supérieure de techniques avancées et l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace ne forment pas des fonctionnaires mais des militaires.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). C’est une hypocrisie. Vous pourrez élargir le dispositif à toutes les écoles que vous voudrez, reste que dans tous ces cursus, des stages sont obligatoires. Or les bons élèves des quartiers populaires et des campagnes, à cause de la discrimination qui frappe leur nom de famille, leur apparence ou leur lieu d’habitation, se trouvent parfois obligés de se rabattre sur un stage sans aucun rapport avec leur orientation. Si la volonté d’inclure les élèves de milieu populaire était réelle, le gouvernement aurait déposé un texte pour leur permettre d’accéder aux stages indispensables pour valider leur diplôme.
La commission adopte les amendements.
Amendement CL29 de Mme Florence Herouin-Léautey
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Le présent amendement tend à rendre le texte applicable à compter du 1er août 2024, pour sécuriser les concours déjà ouverts.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). On voit le profond attachement des macronistes à l’égalité des chances : ils ont laissé passer les délais ! Passons sur le cas de ceux ici qui les ont faites, ces grandes écoles, mais qui se font avoir sur le périmètre de la loi spéciale ou sur le fonctionnement des autorisations d’engagement et des crédits de paiement… Et qui mentent, comme tous les autres !
Nous parlons d’accès à des écoles sans nous préoccuper de la formation qu’elles délivrent. Leur objet, c’est de perpétuer la libéralisation de la société, dans le sens négatif du terme, en formant des gens à détruire l’État, la fonction publique, les services publics. Vous regardez avec gourmandise ce plan qui donne enfin aux gens issus de milieux défavorisés le droit de casser l’État comme les autres !
Vraiment, ce genre de texte est complètement à côté de la plaque. Il faut tout revoir de fond en comble. Il y a un an, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a publié un rapport relatif à la mobilité sociale des jeunes. Nous avons des éléments, mais rien ne change. C’est du gâchis.
Cerise sur le gâteau : les instituts régionaux d’administration (IRA), dont je suis issu, ne sont pas sur la liste. Ils ont des « Prépas Talents », mais pas de postes réservés comme les grandes écoles. C’est vrai, il ne faudrait pas confondre les catégories A et A+ – distinction que la loi ne prévoit pas, mais que la grande bourgeoisie d’État a instaurée !
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendements CL6, CL7 et CL8 de M. Emmanuel Duplessy (discussion commune)
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Les grandes écoles accueillent beaucoup moins de boursiers que l’enseignement supérieur public – où le taux de boursiers est de 40 %. L’amendement CL6 vise à réserver un nombre de places minimal aux élèves des « Prépas Talents », soit 25 %, et à porter leur nombre maximal à 30 %. Les amendements CL7 et CL8, de repli, prévoient une fourchette respectivement de 20 à 25 % et de 15 à 20 %.
La rapporteure a avancé que l’expérimentation devait rester stable pour que son évaluation soit possible, mais l’argument ne tient pas puisque nous venons justement d’élargir le périmètre des écoles concernées. Le dispositif est largement insuffisant, mais nous pouvons l’améliorer : soyons plus ambitieux pour la lutte contre les inégalités.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Je partage vos interrogations. Toutefois, nous examinons en procédure accélérée une solution d’urgence, afin de pouvoir au moins proroger l’expérimentation et en dresser le bilan. Je m’en remets aux conclusions de mars 2028 pour décider de l’opportunité de modifier les taux. Dans les faits, 12 à 15 % des places sont réservées aux concours « Talents ». Nous ne pouvons rehausser ces taux sans en discuter avec le Gouvernement et avec les écoles concernées.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Quitte à valider le dispositif, par voie d’ordonnance, sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État, pourquoi ne pas porter le taux à 30 % ? Au point où on en est, je suis même prêt à expérimenter 100 % pendant cinq ans ! Là, on verra qui votera pour. Je soutiens ces amendements.
La commission rejette successivement les amendements.
Article 2 (art. 5 de l’ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public) : Report de la remise du rapport évaluant l’expérimentation du concours externe « Talents » et les « Prépas Talents »
Amendements de suppression CL1 de M. Thomas Portes et CL28 de Mme Sophie Ricourt Vaginay
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Pour rendre la fonction publique plus attractive et accessible à tous, il faut ouvrir des postes, non en supprimer à tours de bras.
En même temps que Nicolas Sarkozy vendait l’égalité des chances, il engageait la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a abouti notamment à supprimer la moitié des postes des fonctionnaires partant à la retraite. À l’élection de François Hollande, on a espéré que les socialistes créeraient de l’emploi public ; ils ont remplacé la RGPP par la modernisation de l’action publique (MAP), qui a supprimé quasiment autant de postes tout en continuant à rationaliser, à mutualiser, à assouplir, jusqu’à vider l’État de sa substantifique moelle. Les réformes d’Emmanuel Macron ont suivi la même direction, aidées de la technologie – nous sommes en 2025, il faut dématérialiser !
À la fin, le service public ne satisfait pas les besoins des usagers, il dysfonctionne. Et il faudrait que nous validions votre petit supplément d’âme ? Franchement, c’est compliqué.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). L’article 2 a pour objet de reporter la date de remise du rapport, qui était fixée au 31 décembre 2024. En attendant, on nous demande de proroger le dispositif sans évaluation. Alors, oui, nous souhaitons supprimer cet article : puisque nous prolongeons l’expérimentation sans avoir eu le rapport, on se demande pourquoi celui-ci serait fourni la prochaine fois.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Trois ans, cela ne nous donne pas le recul suffisant pour évaluer le dispositif. Les éléments disponibles devraient nous parvenir avant l’examen du texte en séance publique, le 18 février, mais la prorogation nous permettra non seulement de disposer d’un véritable bilan des « Prépas » et des concours « Talents », mais aussi de suivre des cohortes d’étudiants jusqu’à leur insertion dans la haute fonction publique. Avis défavorable.
M. Vincent Caure (EPR). Je prends la parole au nom du groupe macroniste, puisque vous nous interpellez en ces termes, monsieur Ugo Bernalicis, pour relever une alliance contre-nature : vous parlez d’égalité et de méritocratie, mais vous défendez les mêmes amendements que l’extrême droite, pour supprimer un article d’une proposition de loi visant à favoriser un égal accès aux écoles de service public.
Vous bâtissez des cathédrales théoriques sur l’égalité pure et parfaite, mais je préfère mille fois une petite avancée comme celle qui nous occupe que le statu quo que vous soutenez en ne proposant rien. C’est grâce à un dispositif comme celui-ci que l’élève boursier que j’étais a pu intégrer une grande école de la bourgeoisie d’État, à savoir Sciences Po.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cher collègue macroniste, je vous nomme ainsi parce que votre soutien à Emmanuel Macron constitue votre seule cohérence.
Nous ne défendons pas la méritocratie : ça, c’est vous et vos amis ; c’est ce que vous partagez avec la droite et la droite extrémisée – même si les députés de cette dernière n’ont pas compris qu’ils devaient voter pour le texte en vue de maintenir le système. Nous, nous défendons l’égalité. Comment pouvez-vous vous satisfaire d’une petite avancée dans un océan de reculs ? Oui, l’égalité a reculé dans notre pays – lisez le rapport du CEC, la mobilité sociale des jeunes recule ! Tous vos dispositifs ne suffiront pas à inverser le mouvement général. On peut faire semblant, on peut écrire des rapports pour confirmer que le dispositif a servi ceux qui en ont bénéficié – encore heureux ! Mais ils se feront sans doute discriminer par la suite, dans leur administration.
Par ailleurs, on observe que la durée de formation des IRA a diminué, passant de deux ans à un an, puis à six mois. Après six mois de formation, la première prise de poste est compliquée ! Le dysfonctionnement est tel que le Gouvernement a allongé la durée de la formation à huit mois. Franchement, prenons de la hauteur.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL15 de Mme Florence Herouin-Léautey, CL19 de M. Jean Moulliere et CL21 de Mme Anne Bergantz ; amendements CL5 de M. Emmanuel Duplessy et CL20 de M. Bryan Masson (discussion commune)
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. L’article 1er fixe désormais la fin de l’expérimentation au 31 août 2028. Pour disposer d’une période suffisamment longue pour l’évaluer, l’amendement CL15 vise à reporter la remise du rapport au 31 mars 2028, soit cinq mois avant la fin de l’expérimentation.
M. Jean Moulliere (HOR). Cette modification est cohérente avec nos précédents votes. Le ministre Laurent Marcangeli a transmis le rapport à Matignon ; il fait son possible pour que les membres de la commission des Lois en disposent avant la fin de la semaine.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’amendement CL5 vise à avancer la date de remise du rapport.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Je propose de nous en tenir au 31 mars 2028.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Notre problème à nous, c’est que les dispositifs dits « d’égalité des chances » ne remettent pas en cause les inégalités structurelles. Dans ma circonscription, 50 % des jeunes de Fleury-Mérogis et de Grigny sortent du système scolaire sans diplôme. Ils ne sont pas plus bêtes que la moyenne des Français, mais ils ne sont pas à égalité. L’école a moins de moyens qu’ailleurs ; malgré la taille de sa population, Fleury‑Mérogis n’a pas de collège ; à cause des rixes entre cités, certains ont peur d’aller dans le collège de la ville d’à côté, parce que leur vie y serait menacée. Et les parents doivent gérer ces situations, alors que les moyens sont toujours en baisse.
Vous pourrez créer tous les dispositifs que vous voudrez pour qu’ils puissent entrer à l’INSP : tant que vous n’aurez pas résolu le problème de l’enseignement primaire et secondaire en concentrant suffisamment de moyens pour que les enfants reçoivent une éducation digne de ce nom, il n’y aura aucune égalité des chances. Nous sommes véhéments parce que nous luttons contre des situations catastrophiques, conséquences d’une école qui ne tient pas les promesses de la République. L’égalité est au centre de notre devise, mais elle n’est pas pour les quartiers populaires !
Mme Céline Hervieu (SOC). Je ne comprends pas. Nous partageons la même ambition. Certes, le dispositif ne s’attaque pas aux fondements structurels de l’inégalité. Certes il est insuffisant, certes on peut l’améliorer. Cependant, si vous votez contre, vous pénaliserez des jeunes en les empêchant de passer les concours qu’ils ont préparés. Je ne vois pas en quoi cela améliorera leur situation.
La commission adopte les amendements identiques CL15, CL19 et CL21.
En conséquence, les amendements CL5 et CL20 tombent.
La commission adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendement CL12 de Mme Florence Herouin-Léautey
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Cet amendement vise à ratifier l’ordonnance du 3 mars 2021, qui instaure l’expérimentation des concours « Talents », afin de sécuriser juridiquement ses dispositions en les inscrivant dans la loi. Cela évitera qu’elles puissent être contestées devant la juridiction administrative.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cela ne sert rien puisque, le délai d’habilitationayant expiré, ce texte a acquis valeur législative en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ! Il s’agit, au demeurant, d’une jurisprudence scandaleuse, d’un coup de force que nous avons été peu nombreux, à l’époque, à dénoncer. Et l’ordonnance en question n’est pas la seule à s’appliquer sans avoir été ratifiée par le Parlement.
En vertu de l’article 38 de la Constitution, c’est au Gouvernement qu’il appartient de déposer un projet de loi de ratification, qui doit être discuté sur son temps législatif, et non sur celui des parlementaires, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je ne ferai donc pas ce cadeau au Gouvernement.
Mme Caroline Yadan (EPR). On ne peut pas dire n’importe quoi. La ratification confère à l’ordonnance le statut d’une loi véritable et lui permet de s’appliquer. Révisez vos classiques, monsieur Ugo Bernalicis, ou changez de commission !
M. Philippe Latombe (Dem). Je ne peux pas laisser dire cela. Je voterai l’article, mais M. Bernalicis a raison d’être en désaccord avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a modifié le statut juridique des ordonnances. Des ordonnances non ratifiées ont aujourd’hui force de loi ; elles ne peuvent être contestées que devant le Conseil constitutionnel alors qu’auparavant, elles pouvaient faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État. Il suffit que le gouvernement dépose, devant l’une des deux chambres, le projet de loi de ratification pour que l’ordonnance acquière valeur législative. Le fait que le Parlement puisse être dessaisi de la ratification est un problème démocratique sur lequel nous devrons bien nous prononcer.
La commission adopte l’amendement. L’article 2 bis est donc ainsi rédigé.
Amendement CL9 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Cet amendement vise à améliorer l’information sur les prépas Talents par l’instauration d’un site internet dédié. En effet, les étudiants concernés ne se saisissent pas suffisamment du dispositif.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. La proposition de loi n’entraîne en l’état aucun coût. Or cette plateforme pourrait en engendrer un. Je propose de reporter cette question au débat que le législateur aura à la fin de l’expérimentation. J’ajoute, en réponse aux propos tenus précédemment par mon collègue Ugo Bernalicis, que nous examinerons le texte le 18 février, au cours d’une semaine réservée au Gouvernement. Enfin, même si cette loi n’est pas pleinement satisfaisante, le fait de ne pas l’adopter constituerait une perte de chances pour les élèves.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Une jurisprudence intéressante exclut les coûts de gestion ordinaires du périmètre de l’article 40 de la Constitution. La question est de savoir si la création d’un site internet relève du fonctionnement normal de l’administration – ce que je pense – ou constitue un coût supplémentaire. En tout état de cause, si nous discutons de cette disposition, c’est que le président de la commission des finances a émis un avis favorable quant à sa recevabilité financière. Il reste à voir si la présidente de l’Assemblée nationale voudra encore nous empêcher de discuter de certains amendements en séance publique…
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL3 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Par cet amendement, nous demandons un vrai rapport sur la structure des concours et les biais de sélection qu’ils comportent, par exemple du fait de la nature des épreuves – je pense, par exemple, à la culture générale – et de la composition des jurys. Les informations obtenues nous permettraient d’apporter les corrections nécessaires.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Je partage vos questionnements et vos objectifs. J’ai interrogé le ministre chargé de la fonction publique, M. Laurent Marcangeli, ainsi que son cabinet sur le caractère éliminatoire de l’épreuve d’anglais à l’INSP – même si les points obtenus n’entrent plus dans le calcul de la moyenne. Cela étant, la proposition de loi présente un caractère urgent et doit être adoptée conforme par le Sénat pour ne pas porter préjudice aux jeunes engagés dans le parcours des « Prépas » et des concours « Talents ». En introduisant cette disposition, nous risquerions de rompre le consensus. Retrait, ou avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il en faut, du talent, pour argumenter contre cet amendement !
L’Assemblée étant la première chambre saisie, la pression pèsera sur le Sénat : pensez-vous vraiment qu’il ne votera pas le texte conforme simplement parce que nous demandons un rapport sur la structure des concours et leurs biais ? Je pense que les sénateurs sont des gens responsables et qu’ils la voteront même avec ce rapport. De toute façon, le Gouvernement ne le rendra pas à la date fixée…
Mme Colette Capdevielle (SOC). La question posée est pertinente. On s’interroge souvent sur les modalités des concours, sur la nature des questions posées, notamment en matière de culture générale, lesquelles jouent souvent un rôle déterminant pour empêcher la réussite de certains. Peut-être M. Bernalicis peut-il retirer son amendement et proposer la création d’une mission parlementaire ? Si ce sujet n’a pas été étudié récemment, il mériterait que nous nous y penchions. En interrogeant enseignants et étudiants, la représentation nationale pourrait aller plus loin que ne l’a fait l’étude de juin 2019 citée dans l’exposé sommaire de la proposition de loi.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). On sait que, dans le cadre de nombreux concours, la sélection se fait sur la base des mathématiques alors même que cette matière occupera une place mineure dans le cursus que suivront les étudiants. Or c’est dans cette discipline que l’inégalité des chances est la plus prononcée et que l’on trouve le moins de filles. Si l’on accorde une grande place aux mathématiques dans les concours, on exclut donc à la fois les plus pauvres et les filles. Je voterai l’amendement car nous devons accepter de nous poser ces questions.
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. À la réflexion, il me paraît souhaitable d’élargir le bilan de l’expérimentation en l’étendant aux concours de manière générale. En conséquence, je modifie ma position et donne un avis favorable à cet amendement.
La commission adopte l’amendement. L’article 2 ter est donc ainsi rédigé.
Article 3 : Création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs
Amendement de suppression CL16 de Mme Florence Herouin-Léautey
Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure. Je vous propose, par cet amendement, de supprimer le gage de la proposition de loi. Après une analyse plus poussée, dont témoignent les décisions rendues par le président de la commission des finances sur les amendements déposés, il s’avère que l’expérimentation des concours « Talents » ne constitue pas une charge puisque le jury, les programmes et les épreuves de ce concours sont identiques à ceux du concours externe. En outre, les places offertes au concours « Talents » ne constituent pas des places supplémentaires : en l’absence de ce concours, elles auraient été offertes au concours externe classique.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le maire de Fleury-Mérogis m’indique que le taux d’accès aux études supérieures des jeunes de sa commune s’élève à 20 %. Sont-ils plus bêtes que la moyenne ? C’est plutôt l’école qui est de moins bonne qualité ! De la même façon, seuls 25 % des jeunes de Grigny accèdent au bac. Cela témoigne de problèmes structurels.
Lorsque l’on s’efforce de corriger les inégalités en fin de parcours, on ne traite pas toutes celles qui existent en amont. Nous souhaitons pour notre part que les jeunes des quartiers populaires soient traités de la même manière que l’ensemble des jeunes, et qu’ils se présentent aux mêmes concours. Cela suppose que les jeunes de Grigny aient la même école que ceux de Neuilly. Malheureusement, dans les quartiers populaires, les inégalités structurelles s’ajoutent aux inégalités sociales et les jeunes ont moins de chances de réussir à l’école que les élèves des beaux quartiers. Ce n’est pas normal. Pour les républicains que nous sommes, l’école doit être le lieu de l’émancipation, donc de l’égalité devant les concours.
M. Hervé Saulignac (SOC). Monsieur Léaument, je partage, comme chacun de nous je pense, votre analyse sur les inégalités structurelles et la nécessité de les appréhender globalement, mais il est assez symptomatique de vous entendre parler des jeunes des quartiers populaires. Je rappelle que les inégalités frappent tous les territoires. Je suis élu du département de l’Ardèche, où le taux de réussite au bac est le plus élevé de la région Auvergne-Rhône-Alpes, mais où le taux d’accès aux études supérieures est aussi le plus faible. Il faut évidemment s’occuper des quartiers populaires, mais pas seulement. Nous comprenons tous qu’il va falloir se donner un autre rendez-vous pour cela, mais ce n’est pas une raison pour passer par pertes et profits les avancées que ce texte rendra possibles.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). La diversité sociale concerne en effet l’ensemble de nos territoires, comme on peut le constater dans le Loiret, où les étudiants de l’enseignement supérieur viennent de tous types de quartiers, en zone rurale ou urbaine. La question des moyens consacrés aux « Prépas Talents », à l’accompagnement social, aux bourses complémentaires est essentielle, d’autant plus que le projet de loi de finances prévoit des coupes de plusieurs centaines de millions dans le budget de l’enseignement supérieur. Je réitère nos inquiétudes sur le financement des classes préparatoires. Il serait utile que l’Assemblée se saisisse de l’intégralité du dispositif et pas uniquement des concours « Talents ».
M. Sébastien Huyghe (EPR). Si les enseignants de Grigny et de Fleury-Mérogis ont suivi nos débats, ils auront été heureux d’apprendre que M. Léaument les juge mauvais.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Je voudrais faire part d’une initiative, « Du Pays basque aux grandes écoles », lancée sur mon territoire par un jeune fils d’agriculteur qui a fait des études supérieures. Son action a mis au jour que, même dans les familles où les enfants peuvent faire des études, il y a un frein dans certains territoires. Les jeunes bacheliers s’autocensurent, imaginent qu’il est compliqué de quitter leur région, leur famille, pour des raisons qui ne sont pas exclusivement financières. Si nous créions une mission, il serait très intéressant de les auditionner, à commencer par le créateur de l’association, Bixente Etcheçaharreta, qui a déployé ce dispositif sur l’ensemble du territoire national. J’ajoute que cette action fonctionne très bien, grâce au mécénat.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 3 est supprimé.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à proroger le dispositif d’expérimentation favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public (n° 763 rect.) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
M. Damien Zaversnik, co-président, administrateur territorial, conseiller référendaire en service extraordinaire à la Cour des comptes
Mme Tiphaine Leroy, membre, fonctionnaire stagiaire
M. Noé Leproust Gorisse, membre, fonctionnaire stagiaire
M. Alexandre Bonis, conseiller parlementaire et élus locaux du ministre
Mme Marie Galloo-Parcot, conseillère sociale et fonction publique d’État du ministre
M. François Charmont, directeur, adjoint à la directrice générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP)
Mme Élodie Alliez, adjointe à la cheffe du département des politiques de recrutement, d’égalité et de diversité à la DGAFP
Mme Maryvonne Le Brignonen, directrice
M. David Rey, directeur de cabinet du président
M. Philippe Touzy, chef du département d’autorisation d’exercice, concours, coaching
Mme Isabelle Richard, directrice
M. Pierre-Yves Allain, responsable des cycles préparatoires
M. William Marion, directeur adjoint
Mme Sophie Bondil, directrice
Mme Laurence Soulie, adjointe au chef de l’unité de formation des directeurs
contributions écrites reçues
([1]) Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers. Les étudiants et la culture, 1964.
([2]) Rapport de la mission « Haute fonction publique », 30 janvier 2020.
([3]) Le ministre a annoncé le souhait du Gouvernement d’étendre le dispositif des concours « Talents » aux corps d’ingénieurs suivants :
– les ingénieurs des mines, formés à l’institut Mines-Télécom et à l’École nationale supérieure des mines de Paris (Mines Paris – PSL) ;
– les ingénieurs des eaux, des ponts et des forêts, formés à l’institut national des sciences et industries du vivant et de l’environnement (Agro Paris Tech) ;
– les administrateurs de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), formés à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE Paris tech) ;
– les ingénieurs de l’armement, formés à l’ École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA Paris) et à l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro).
([4]) Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public, n° 4023, déposé le mercredi 24 mars 2021.
([5]) Si la notion de concours « organisé » est entendue par la direction générale de l’administration et de la fonction publique au sens d’un concours « ouvert » jusqu’au 31 décembre 2024, un contentieux à l’encontre de l’arrêté du 12 septembre 2024 du Premier ministre autorisant l’ouverture des concours d’entrée à l’Institut national du service public par la voie générale et pour la voie « Orient » pour l’année 2025 est actuellement pendant devant le Conseil d’État.
([6]) Décret en Conseil d’État pris sur le fondement de l’article 4 de l’ordonnance n° 2021 238 du 3 mars 2021.
([7]) Le corps des administrateurs de la direction générale de la sécurité extérieure, le corps des administrateurs de la ville de Paris, le corps des magistrats des chambres régionales des comptes et le corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
([8]) Pour l’année universitaire 2024-2025, la condition de revenus est fixée par l’arrêté du 4 juillet 2024 fixant les plafonds de ressources relatifs aux bourses d’enseignement supérieur du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour l’année universitaire 2024-2025.
([9]) En application de l’article 4 de l’arrêté du 5 août 2021 relatif aux cycles de formation dénommés « Prépas Talents » préparant aux concours d’accès à certaines écoles ou organismes assurant la formation de fonctionnaires ou de magistrats de l’ordre judiciaire, la commission, qui comprend une proportion minimale de 40 % de personnes de chaque sexe, comprend notamment :
– le chef d’établissement ou son représentant, en qualité de président avec voix prépondérante ;
– au moins un fonctionnaire extérieur à l’établissement, choisi pour ses compétences le cas échéant en ressources humaines ;
– au moins un agent de l’établissement chargé des questions d’égalité des chances, ou qualifié dans ce domaine d’expertise.
([10]) Arrêté du 5 août 2021 fixant la liste des cycles de formation dénommés « Prépas Talents » préparant aux concours d’accès à certaines écoles ou organismes assurant la formation de fonctionnaires ou de magistrats de l’ordre judiciaire.
([11]) Articles 8, 11, 14, 17, 20 et 23 du décret n° 2021-239 du 3 mars 2021 instituant des modalités d’accès à certaines écoles de service public et relatif aux cycles de formation y préparant.
([12]) « […] Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
([13]) « [La France] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. […] »
([14]) Conseil d’État, 13 juillet 2021, Association pour l’égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine, n° 452060.
([15]) C’est-à-dire, accroître la diversité des profils des personnes constituant la fonction publique.
([16]) Décret n° 2024-637 du 28 juin 2024 pris pour l’application des articles 1er, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 12, 13 et 14 de la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.
([17]) Arrêté du 14 janvier 2025 portant ouverture au titre de l'année 2025 de trois concours et d’un premier concours spécial pour le recrutement d’auditeurs de justice (École nationale de la magistrature).
([18]) Décision n° 2023-856 DC du 16 novembre 2023, Loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.
([19]) Commentaire de la décision n° 2023-856 DC du 16 novembre 2023.
([20]) Voir commentaire de l’article 2 de la proposition de loi.
([21]) Arrêté du 12 septembre 2024 autorisant l’ouverture des concours d’entrée à l'Institut national du service public pour la voie générale et pour la voie « Orient » pour l’année 2025.
([22]) Arrêté du 23 août 2024 autorisant l’ouverture de concours pour le recrutement de commissaires de police de la police nationale.
([23]) Arrêté du 17 janvier 2025 portant ouverture de concours (un concours externe, un concours externe spécial, un concours interne et un troisième concours) pour le recrutement des administrateurs territoriaux (session 2025).
([24]) Décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020.
([25]) Conseil d’État, Assemblée, 16 décembre 2020, n° 440258, Publié au recueil Lebon.