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N° 1182

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 mars 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à renforcer la démographie professionnelle des orthophonistes,

 

 

 

 

Par Mme Agnès Firmin Le Bodo,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 666.


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

Commentaire des articles

Article 1er Programmation pluriannuelle de l’augmentation des quotas de formation en orthophonie

Article 2 Création d’un statut de maître de stage universitaire en orthophonie

Article 3 Extension des contrats d’engagement de service public aux orthophonistes

Article 3 bis (nouveau) Création du diplôme d’État d’orthophoniste

Article 4 Clause de revoyure

Article 5 Gage de recevabilité financière

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE 1 : Liste des personnes ENTENDUEs par la rapporteure

ANNEXE 2 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

 


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   Avant-propos

Compétents pour prendre en soin à tous les âges de la vie les troubles de la communication orale et écrite, mais aussi de l’alimentation, de la sensorialité, de la sphère oro-motrice et de la cognition, les orthophonistes constituent aujourd’hui la profession de santé dont on manque le plus en France.

Face à la forte croissance des besoins, liée notamment à une meilleure appréhension des troubles du neuro-développement chez l’enfant et à la chronicisation de pathologies associées au vieillissement démographique, l’augmentation des quotas de formation d’orthophonistes n’a pas progressé au même rythme. Aujourd’hui, le désert orthophonique – particulièrement grave dans certains territoires – est pratiquement généralisé. Il faut un an, voire deux ans, pour obtenir un rendez-vous après avoir émargé à des listes d’attente qui s’allongent sans cesse.

Pourtant, les soins d’orthophonie sont loin d’être accessoires. Ils revêtent même un caractère urgent et déterminant dans bon nombre de pathologies, que l’on songe à la prise en charge des patients aphasiques après un accident cardio-vasculaire ou à celle d’un enfant dyslexique, qui verra ses chances de réussite et d’insertion sociale nettement amputées s’il ne bénéficie pas d’un suivi rapproché pendant ses années d’école primaire.

Le constat de ce déficit d’orthophonistes est unanimement partagé. Pourtant, aucune vraie réponse n’a été apportée à ce jour alors même que les besoins vont encore croître de manière exponentielle au cours des prochaines années. Pire, les centres de formation universitaire en orthophonie sont actuellement sous-financés, et peinent déjà à assurer la formation de leurs étudiants ; ceux-ci ont toutes les peines du monde à trouver des stages, faute de maîtres de stage pour les accueillir. La formation apparaît ainsi d’ores et déjà fragilisée.

Pour surmonter cette situation, un signal politique apparaît nécessaire. C’est l’objet de la présente proposition de loi, qui expérimente une programmation de l’augmentation des quotas de formation d’étudiants en orthophonie sur cinq ans. Ce geste s’impose pour tracer un chemin et donner une impulsion, dans un contexte où la situation s’avère largement bloquée.

La présente proposition de loi est volontairement circonscrite aux orthophonistes et, s’agissant de cette profession, à l’enjeu démographique. Sans ignorer les autres problématiques, la rapporteure appellera à préserver la clarté du message politique en maintenant ces limites à son champ.


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  1.   L’orthophoniste, un professionnel de santé clef à tous les âges de la vie
    1.   UNE PROFESSION ESSENTIELLE DANS LA RééDUCATION ET LE TRAITEMENT DES TROUBLES DE LA COMMUNICATION
      1.   Une profession récemment reconnue, dotée d’un vaste champ de compétences

Si le mot « orthophonie » apparaît pour la première fois en 1828 en France, avec la création par le docteur Marc Colombat de l’Institut orthophonique de Paris pour le « redressement de la parole », ce n’est qu’avec l’adoption de la loi du 10 juillet 1964 ([1]) que la profession obtient son statut légal.

Cette loi, par son article unique, introduit dans le livre relatif aux professionnels de santé du code de la santé publique un nouveau titre consacré à la profession d’orthophoniste et d’aide-orthoptiste. Elle définit ainsi l’orthophoniste comme « toute personne qui, non titulaire du diplôme d’État de docteur en médecine, exécute habituellement des actes de rééducation de la voix, de la parole et du langage oral ou écrit, hors la présence du médecin ».

Au cours du XXe siècle, l’orthophonie a considérablement évolué, marquée par l’introduction de nouvelles techniques de rééducation et un élargissement notable de son champ d’intervention. Les orthophonistes sont amenés à traiter une gamme de troubles de plus en plus variée, incluant ceux liés aux maladies neurodégénératives et aux altérations cognitives. Parallèlement, l’orthophonie est devenue une discipline toujours plus fondée sur des données probantes, intégrant les avancées scientifiques afin d’améliorer ses méthodes de traitement.

L’orthophonie a pour objectifs de prévenir, d’évaluer et de traiter les déficiences et troubles affectant la voix, l’articulation, la parole, ainsi que ceux liés à la compréhension et à la production du langage oral et écrit. Elle intervient également dans l’apprentissage de formes alternatives de communication non verbale permettant de compléter ou de suppléer ces fonctions. Dans sa pratique, l’orthophoniste prend en considération les dimensions psychologique, sociale, économique et culturelle de chaque patient, quel que soit son âge.


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L’orthophoniste traite ainsi notamment :

– les troubles du langage comme le retard d’acquisition du langage oral, la perturbation de l’acquisition liée à un déficit sensoriel (surdité, hypoacousie) ou neurologique (infirmité motrice cérébrale), le bégaiement, les difficultés d’acquisition du langage écrit (dyslexie, dysorthographie), ou les troubles du langage secondaires à des atteintes neurologiques (aphasie) ;

– les troubles de la voix comme la fatigue vocale professionnelle ou la rééducation après une intervention chirurgicale sur le larynx ;

– les troubles d’articulation comme les sigmatismes, le chuintement ou les troubles dus à des malformations congénitales (fentes labio-palatines) ([2]).

Les compétences des orthophonistes ont été étendues récemment. Depuis 2016, ils sont autorisés à prescrire certains dispositifs médicaux, tels que des accessoires pour prothèses respiratoires ou des implants cochléaires. Ils ont également la possibilité de renouveler la prescription de certains de ces dispositifs, en vertu d’une liste définie par un arrêté en 2017 ([3]).

  1.   Une profession caractérisée par une forte autonomie

La loi du 10 juillet 1964 précitée prévoit que « les orthophonistes ne peuvent pratiquer leur art que sur ordonnance médicale ».

La loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite « loi Rist » ([4]), a cependant ouvert un accès direct aux orthophonistes, sans passer par un médecin, sous certaines conditions. L’avenant 20 à la convention nationale des orthophonistes libéraux du 22 juin 2023 ([5]) met en place cet accès direct aux orthophonistes exerçant :

– dans les établissements de santé ;

– dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux et dans les établissements ou services destinés à recevoir les personnes handicapées adultes ;

– dans le cadre des structures d’exercice coordonné que sont les équipes de soins primaires, centres de santé et maisons de santé ;

– dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) à condition que les modalités de prise en charge et de coordination sans prescription médicale soient inscrites dans le projet de santé de la structure.

Dès la loi de 1964, l’orthophoniste a bénéficié d’une forte autonomie. Il est notamment prévu dans la loi que l’orthophoniste pratique « hors la présence du médecin », et qu’il « exerce en toute indépendance et pleine responsabilité », conformément aux règles de sa profession.

En outre, l’article 2 du décret du 2 mai 2002 a défini la notion de « diagnostic orthophonique » et affirmé l’autonomie de l’orthophoniste pour la suite du traitement, reconnaissant son expertise dans le diagnostic des troubles du langage et son rôle clé dans la prise en charge et l’accompagnement des patients tout au long de leur rééducation ([6]).

De fait, l’orthophonie est une profession paramédicale particulièrement autonome. Le langage, qui constitue son objet principal, ne relève pas exclusivement du domaine de la santé. Comme le souligne la maîtresse de conférence en sociologie Marianne Woollven, les « espaces où l’orthophonie rencontre les savoirs et les exigences scolaires sont soumis à un moindre contrôle médical, ce qui lui confère une autonomie non négligeable d’un point de vue pratique, cognitif et fonctionnel » ([7]).

Ainsi, comme l’a souligné lors de son audition Sarah Degiovani, présidente de la Fédération nationale des orthophonistes, « les orthophonistes disposent d’un champ de compétences immense, très peu partagé avec d’autres professionnels de santé, seulement marginalement les masseurs-kinésithérapeutes et les psychomotriciens ». À l’évidence, cette forte autonomie ne supprime pas la nécessité d’une coordination avec les autres professionnels intervenant dans le parcours de soins de la personne.

  1.   Une profession principalement exercée par des femmes en secteur libéral

Un orthophoniste peut exercer en libéral, en salariat ou en exercice mixte. Au 1er janvier 2023, la France comptait 24 600 orthophonistes de moins de 62 ans en activité, dont 97 % de femmes ([8]). Ce taux très élevé fait probablement de l’orthophonie la profession de santé la plus féminisée. Parmi les étudiantes rencontrées par la rapporteure, certaines ne côtoyaient pas un seul homme au sein de leur promotion. Pourtant, cette féminisation très importante ne se justifie pas par le contenu de la formation et de la profession d’orthophoniste, qui ne comportent rien de très spécifique aux femmes. Elle résulte probablement de stéréotypes associant exclusivement l’orthophonie à la prise en charge des enfants.

Par ailleurs, toujours au 1er janvier 2023, 85 % des orthophonistes de moins de 62 ans travaillaient en libéral ou en mode d’exercice mixte ([9]). Il ressort ainsi un défaut d’attractivité de l’exercice en établissement et, singulièrement, à l’hôpital.

  1.   des besoins en orthophonie croissants à tous les âges de la vie

Le champ de compétences des orthophonistes ne cesse de s’élargir. Du nourrisson prématuré au sujet âgé en fin de vie, il intervient à chacune des périodes de la vie, avec des prises en charge généralement intensives.

  1.   Des besoins de plus en plus précoces chez des enfants

Le « plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage », lancé par le Gouvernement en 2001, témoignait d’une priorité politique nouvelle accordée au traitement des troubles du langage chez les enfants. Elle a conduit à développer largement le recours à l’orthophoniste au plus jeune âge.

La stratégie nationale pour les troubles du neuro-développement (TND), lancée en novembre 2023, a remis ce sujet au centre des préoccupations en insistant notamment sur le dépistage, le diagnostic et la prise en charge précoces de ces troubles (autisme, troubles « dys », etc.) pour lesquels les soins orthophoniques sont souvent indispensables.

En 2019, selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ([10]), « en excluant les mineurs ayant eu uniquement un bilan orthophonique sans prise en charge, le taux de recours à l’orthophoniste libéral [s’élevait] à 75 pour 1 000 enfants ou adolescents de moins de 18 ans en France ».

Le motif principal de recours à l’orthophoniste était une pathologie du graphisme et du langage écrit telle que la dyslexie ou la dysorthographie (57 % des 11 à 17 ans qui ont consulté au moins une fois un orthophoniste en 2019), suivi des pathologies du langage oral (13 %) et des troubles logico-mathématiques qui progressent comme motif principal de consultation (10 %).

Selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), la prise en charge des pathologies du langage se fait au plus tôt, dès l’âge de trois ans. L’étude précitée de la Drees souligne que plus de huit enfants sur dix ayant consulté en 2019 pour la rééducation d’une pathologie du langage oral étaient âgés de trois à cinq ans.

  1.   Un nombre croissant de soins nécessaires auprès de la population âgée

Longtemps perçus comme des professionnels tournés essentiellement vers les enfants, les orthophonistes sont, de manière croissante, conduits à prendre en charge une population âgée, en lien avec le vieillissement de la population et l’augmentation des pathologies neurodégénératives.

En effet, l’orthophoniste joue un rôle majeur dans les interventions non médicamenteuses dans un contexte où les solutions curatives sont souvent limitées ; cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir ([11]). Par ailleurs, il joue un rôle essentiel dans la prise en charge et la rééducation des personnes devenues aphasiques après un accident vasculaire cérébral (AVC).

Ainsi, l’orthophoniste intervient de plus en plus fréquemment auprès des personnes âgées et moins âgées, ces pathologies touchant une population toujours plus jeune, avec un rôle essentiel dans le dépistage et la rééducation des troubles :

– de la déglutition, la prise en charge visant à favoriser la reprise de l’alimentation ou l’adaptation du régime alimentaire ;

– de la parole et de l’articulation comme la dysarthrie, ainsi que du dépistage de troubles de la parole ;

– du langage, incluant la démotivation précoce et l’aphasie ;

– des troubles cognitifs affectant la mémoire, l’attention et d’autres fonctions cérébrales.

  1.   Des prises en soin généralement intensives et requérant une forte implication

Lors des auditions menées par la rapporteure, il a été souligné que l’efficacité des soins orthophoniques dépend de leur fréquence et de leur déroulement sur une période déterminée – souvent plusieurs mois, voire plusieurs années. Contrairement à d’autres professionnels de santé susceptibles d’être consultés de manière ponctuelle, le suivi orthophonique requiert des rendez-vous réguliers et rapprochés dans le temps.

Les soins orthophoniques nécessitent, de manière générale, une implication soutenue de la part des patients, notamment pour reproduire au domicile les exercices prescrits par l’orthophoniste. Ce dernier travaille en étroite collaboration avec les familles, qui assurent la continuité de l’apprentissage à domicile et jouent un rôle essentiel dans la compréhension par l’entourage des troubles de communication des patients.

De plus, l’orthophoniste exerce auprès des familles un rôle de prévention primaire (formation, information), secondaire (dépistage) et tertiaire (éviter le surhandicap) ([12]).

  1.   Une formation dense et difficile d’accès

La loi précitée du 10 juillet 1964 a conditionné l’accès à la profession à l’obtention d’un diplôme national, le certificat de capacité d’orthophoniste. En 1965, les premiers centres de formation dans les facultés de médecine ont vu le jour. Aujourd’hui encore, ce certificat ne s’obtient qu’en centre de formation universitaire en orthophonie (CFUO). On dénombre aujourd’hui vingt‑deux centres, dont le dernier a ouvert en Guadeloupe en septembre 2022.

  1.   Un accès à la formation d’orthophoniste restreint par des quotas

Le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche fixe chaque année par arrêté le nombre maximal d’étudiants pouvant être admis en première année d’études préparatoires au certificat de capacité d’orthophoniste. Ces quotas sont théoriquement définis après consultation des agences régionales de santé sur le nombre d’orthophonistes à former au vu de la démographie des professions de santé et des priorités sanitaires régionales. Mais les universités sont également interrogées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche sur leurs capacités de formation.

Entre 2013 et 2023, le quota annuel d’orthophonistes admis en première année est passé de 808 à 975, soit un pourcentage global d’augmentation de 20,7 % sur dix ans. L’accès aux études d’orthophonie reste ainsi particulièrement sélectif : en 2024, 30 532 candidatures ont été reçues pour 981 candidats admis, soit un taux d’accès de 3,2 % ([13]).

Dans les faits, les capacités d’accueil des CFUO sont actuellement très contraintes. Les représentants des différents centres de formation auditionnés ont signalé à la rapporteure la pénurie de moyens matériels et humains qui les empêche d’accueillir un nombre supérieur d’étudiants. On observe notamment un manque de postes d’universitaires pour enseigner –les trois quarts des enseignants environ sont des vacataires – ainsi qu’un déficit de personnels pour encadrer les étudiants. Les problèmes d’entretien et de capacité des locaux sont également des paramètres fortement limitants, devant toute perspective d’augmentation des quotas.

Le financement des centres de formation en orthophonie relève des universités dont ils font partie. Dans un contexte de ressources contraintes, ces centres, qui pèsent peu à l’échelle de l’université, peinent à faire valoir les intérêts de la formation d’orthophoniste. Cette situation a été soulignée par Mme Degiovani lors de son audition :

« Tous les centres de formation font partie de l’université, ils sont tout petits à cette échelle ; il n’y a plus d’argent pour eux. Il n’y a pas suffisamment de postes de maître de conférences universitaire (MCU), pas suffisamment de postes administratifs, pas suffisamment de locaux, pas suffisamment de professeurs associés. »

Jusqu’en 2020, les étudiants souhaitant intégrer l’un des vingt‑deux centres de formation en orthophonie passaient un examen d’entrée spécifique à chaque établissement, ce qui incitait un grand nombre d’entre eux à suivre des classes préparatoires privées dont les frais annuels variaient entre 3 000 et 5 000 euros ([14]).

Depuis la rentrée 2020, l’accès aux études d’orthophonie s’effectue grâce à la plateforme Parcoursup. Les candidats peuvent formuler jusqu’à dix vœux, dont cinq maximum pour le cursus en orthophonie. Un vœu correspond à un regroupement géographique parmi les 11 existants (par exemple, Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Paris, Toulouse, etc.). Au sein de chaque regroupement, les candidats peuvent soumettre des sous-vœux correspondant aux différents centres de formation qui le composent.

Lors de la première année d’accès par Parcoursup, la sélection a eu lieu uniquement sur dossier. Toutefois, les personnes auditionnées par la rapporteure ont souligné que ce mode de sélection était particulièrement peu adapté pour identifier les bons profils. En conséquence, l’introduction d’un entretien oral, organisé par chaque centre de formation, a été jugée nécessaire pour évaluer la motivation des candidats à suivre cette formation exigeante.

Certains candidats recalés des centres de formation en orthophonie décident de suivre ces études à l’étranger. La Belgique compte parmi les destinations les plus anciennes et prisées. Pour faire face au nombre important de demandes d’inscription d’étudiants étrangers, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a instauré, depuis 2006, des quotas aux inscriptions d’étudiants non-résidents ([15]). L’admission s’y fait par tirage au sort. Un décret fixe à 30 % le nombre d’étudiants étrangers dans cette filière. Les études durent cinq ans à l’université ou trois ans dans une Haute École, avec la possibilité de poursuivre en master à l’université.

Depuis quelques années, certains candidats recalés en France font le choix d’étudier l’orthophonie en Espagne. Les études se font en espagnol pendant une durée de quatre ans.

Pour obtenir une autorisation d’exercice en France, le demandeur doit être titulaire d’un diplôme de l’Union européenne ou de l’Association économique de libre échange (Suisse, Norvège, Islande, Liechtenstein). Les dossiers sont examinés par une commission régionale composée d’orthophonistes, de médecins et de représentants d’organismes publics, laquelle peut demander des mesures de compensation, telles que des stages ou des examens écrits.

  1.   Une formation dense et exigeante, en cours de révision

En 1986, une première réforme des études initiales d’orthophonie a porté la durée des études de trois à quatre ans ([16]). En 2013, cette durée a de nouveau été allongée ([17]). Le certificat est désormais délivré au grade de master à l’issue de cinq années d’études.

Lors des auditions menées par la rapporteure, tous les intervenants, qu’il s’agisse des étudiants, des représentants des centres de formation ou de la Fédération nationale des orthophonistes, ont alerté sur la densité excessive du programme de formation. Le constat général dessine un cursus particulièrement éprouvant. Actuellement, la maquette de formation comprend 88 unités d’enseignement à accomplir sur 10 semestres. Chaque semestre représente 30 ECTS (European Credit Transfer System) et implique des heures de cours magistraux, des travaux dirigés, des stages ainsi qu’un important travail personnel. Selon la Fédération nationale des étudiants en orthophonie (Fneo), au neuvième semestre, en dernière année, la maquette prévoit jusqu’à 68 heures de travail par semaine ([18]).

Une refonte de la maquette pédagogique est en cours de réflexion. Une approche par compétence avec une réduction horaire pour les étudiants est notamment envisagée. La nouvelle maquette aurait vocation à entrer en application à compter de la rentrée 2026.

Lors de son audition, la Fneo a soutenu cette approche, soulignant qu’elle permettrait de mieux cibler les matières directement en lien avec la profession en évitant l’enseignement de disciplines peu pertinentes, comme c’est actuellement le cas avec des cours de physique sans lien avec l’acoustique.

Toutefois, les représentants des centres de formation ont attiré l’attention sur le coût de cette nouvelle maquette, qui pourrait aboutir à une réduction de la capacité d’accueil de certains centres.

  1.   Les orthophonistes sont aujourd’hui la profession dont on manque le plus

Un constat s’impose : la France manque cruellement de ces professionnels auxquels est pourtant reconnu un rôle grandissant dans la prise en charge de toutes sortes de pathologies. Faute d’impulsion politique claire pour combler ce manque, les besoins de soins des enfants et des adultes pour lesquels les soins orthophoniques s’avèrent cruciaux sont et seront de moins en moins bien couverts, avec les pertes de chances réelles qu’implique cette situation.

  1.   La France entière est un désert orthophonique
    1.   Une inadéquation globale entre le nombre d’orthophonistes formés et les besoins

Le déficit en orthophonistes résulte d’une inadéquation entre l’évolution des quotas de formation, peu dynamique, et l’explosion des besoins en soins d’orthophonie, sous l’impulsion de plusieurs facteurs.

Premièrement, les orthophonistes sont mieux identifiés dans le système de soins et le réflexe d’adressage s’est développé, chez les médecins en particulier.

Deuxièmement, le dépistage et la prise en charge des pathologies a évolué. C’est particulièrement vrai s’agissant des troubles du neuro-développement – notamment les troubles « dys », pour lesquels la prise en charge doit être, suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé, de plus en plus précoce et intense.

Troisièmement, les orthophonistes sont à 97 % des femmes, davantage concernées par des arrêts ou une réduction du temps de travail liés aux enfants – congés maternité ou parentaux, arrêts de travail pour enfant malade. Plus généralement, on observe, comme dans de nombreuses professions, une évolution du rapport au travail : les jeunes orthophonistes travaillent en moyenne moins d’heures que les générations précédentes.

  1.   Dans certains territoires et lieux d’exercice, la situation est particulièrement préoccupante

Les éléments énoncés précipitent une situation d’embolie des cabinets sur l’ensemble du territoire, comme en a témoigné Mme Elsa Wessbecher, membre du Conseil national professionnel (CNP) d’orthophonie, lors de son audition :

« J’exerce depuis quinze ans ; à l’époque, on commençait tout juste à avoir des listes d’attente. Aujourd’hui, nous n’avons même plus de place sur nos listes d’attente. »

De l’avis de l’ensemble des interlocuteurs auditionnés par la rapporteure, il n’existe pratiquement plus aucun territoire convenablement doté – ni, évidemment, surdoté – en orthophonistes, hormis peut-être certains micro-quartiers. La situation est particulièrement grave dans certains territoires et pour certains lieux d’exercice.

Les orthophonistes ont tendance à se concentrer à proximité des grandes agglomérations. À mesure que l’on s’en éloigne, leur densité rapportée à la population diminue très fortement. L’étude précitée de la Drees fait état de la présence des orthophonistes rapportée à la population de moins de 18 ans, qui constitue encore la majeure partie de la patientèle des orthophonistes. Il en ressort que si la densité d’orthophonistes s’élève en moyenne à 135 pour 100 000 enfants en France, elle varie de 19 en Guyane et 40 dans le Cantal à 255 dans l’Hérault et 228 à Paris. L’étude souligne qu’en « dehors de Paris, la plupart des départements les mieux dotés sont ceux qui ont une grande ville régionale ».

taux d’orthophonistes pour 100 000 habitants en France en 2019

Source : Études et résultats n° 1293, Drees, janvier 2024.

La situation de l’Île-de-France est révélatrice d’un second facteur influençant fortement la répartition territoriale des orthophonistes : le taux de pauvreté de la population. En effet, les professionnels s’installent globalement peu dans les départements les plus pauvres de Seine-et-Marne ou de Seine-Saint-Denis. Lors de leur audition, les associations de patients ont souligné la difficulté qu’il pouvait y avoir à assurer la continuité des prises en charge dans ces territoires, où les orthophonistes manquent souvent de relais dans le cercle familial.

Ce sont 85 % des orthophonistes qui exercent en secteur libéral ou mixte quand seulement 15 % sont salariés à titre exclusif, majoritairement dans des établissements pour personnes handicapées ou des établissements de santé.

Ce déséquilibre résulte du caractère particulièrement peu attractif de l’exercice en établissement en raison de salaires très bas. À titre d’exemple, un orthophoniste qui débute dans la fonction publique hospitalière perçoit 1 818 euros bruts mensuels ; il termine sa carrière avec un traitement brut de 2 850 euros. Cette rémunération n’est pas jugée à la hauteur de l’investissement consenti dans les études.

La faiblesse de l’exercice en établissement est paradoxale quand on considère le fait qu’une majorité des étudiants orthophonistes interrogés (65 %) dit aspirer à travailler en salariat, selon les données transmises par la Fédération nationale des orthophonistes (FNO). Les représentantes du syndicat étudiant Fneo l’ont confirmé lors de leur audition, « beaucoup de jeunes souhaitent aller vers l’exercice en structure pour être accompagnés par d’autres professionnels ».

Pourtant, l’ensemble des interlocuteurs auditionnés par la rapporteure ont rapporté un taux de vacance très important sur les postes d’orthophonistes ouverts en hôpital. Cette situation est évidemment préjudiciable à la prise en charge des patients en phase aigüe, notamment après un AVC. Elle impose de trouver des expédients coûteux pour la sécurité sociale : il faut externaliser les soins orthophoniques de certains patients, avec les coûts de transport que cela génère. Plus largement, le manque criant d’orthophonistes hospitaliers induit une perte de compétences dans les services, les étudiants pouvant en outre de moins en moins y être accueillis en stage, faute de maîtres de stage. Elle entraîne également une perte de connaissance réciproque entre professionnels de santé qui se côtoient habituellement dans les services hospitaliers.

Il convient enfin de noter que seulement 5 % des orthophonistes exercent au sein de structures dédiées à l’accueil des personnes âgées, ce qui illustre combien sont peu couverts les besoins en orthophonie spécifiques des personnes âgées atteintes de troubles cognitifs.

  1.   les mesures mises en place pour gérer la pénurie ne changent pas cette donne
    1.   Des aides conventionnelles pour inciter à l’installation en zone sous‑dense

À partir de 2018, un zonage a été décidé dans le cadre de la convention nationale organisant les rapports entre les orthophonistes libéraux et l’assurance maladie, dans le but de favoriser une répartition plus harmonieuse de ces professionnels sur le territoire. Une méthodologie a été élaborée afin que les agences régionales de santé (ARS) identifient des zones sous-denses au sein desquelles les professionnels bénéficient d’aides à l’installation et au maintien de la part de l’assurance maladie et des collectivités territoriales ([19]), ainsi que de mesures d’accompagnement complémentaires, notamment de la part de l’ARS.

Cependant le ciblage des zones sous-denses s’est avéré peu adapté et trop restrictif, ce qui a incité le ministère de la santé à en modifier la méthodologie de calcul avec l’avenant n° 19 à la convention précitée ([20]). En réalité, de l’aveu même des représentants de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) auditionnés par la rapporteure, pratiquement plus aucun territoire n’est actuellement sur-doté, ce qui limite les possibilités de rééquilibrage géographique.

  1.   Une plateforme de régulation des demandes de soins orthophoniques

Dans la mesure où une proportion non négligeable des bilans orthophoniques dressés (1 sur 8 chez les enfants) ne débouche pas sur une prise en charge en orthophonie, il est apparu souhaitable pour objectiver le besoin de réguler les demandes de soins et de s’assurer qu’elles relèvent bien du champ de compétences de l’orthophoniste.

Une plateforme de prévention et de soins en orthophonie a ainsi été ouverte en octobre 2018, à l’initiative de la Fédération nationale des orthophonistes, avec le concours des unions régionales de professionnels de santé et des ARS. Initialement circonscrite à trois régions, elle a été étendue depuis à six autres régions, dont la Martinique outre-mer.

Cette plateforme a pour but d’informer le public sur le champ de compétences de l’orthophoniste et l’organisation de l’offre de soins, et de réguler les demandes à travers notamment la tenue de listes d’attente communes par bassin de vie. Comme l’a souligné lors de son audition Mme Sarah Degiovani, présidente de la FNO, cette méthode permet de « temporiser » lorsqu’un patient ne trouve pas d’orthophoniste en lui donnant la possibilité, à lui ou à son entourage, d’échanger avec un orthophoniste régulateur.

La plateforme améliore la situation à la marge, mais elle ne permet pas davantage que les mesures incitatives à l’installation de pallier le déficit numérique global d’orthophonistes. Comme l’a relevé Mme Degiovani, 250 000 patients sont actuellement inscrits sur la liste d’attente commune de la plateforme avec un taux de résolution très faible, les prises en charge en orthophonie s’échelonnant généralement sur un temps relativement long.

  1.   Des logiciels qui ne peuvent se substituer aux professionnels

On assiste au développement d’une offre de plus en plus étoffée de logiciels utilisables en orthophonie pour rééduquer le langage écrit ou oral, à l’image du programme « Poppins » conçu pour les enfants souffrant d’un trouble « dys ». S’il importe de faire le tri entre ces solutions pour déterminer celles dont la valeur ajoutée est réelle, ces logiciels n’ont jamais vocation à se substituer une prise en charge orthophonique. Ils peuvent néanmoins être intéressants pour s’entraîner au domicile entre deux séances ou dans l’attente d’une prise en charge.

  1.   Des évolutions de pratique nécessaires

La rapporteure tient à souligner que certaines évolutions des pratiques orthophoniques sont probablement nécessaires, qui permettraient de dégager du temps d’orthophoniste.

Par exemple, certaines prises en charge ont tendance à se poursuivre au-delà de la durée recommandée, notamment chez des enfants ou des adolescents en difficulté scolaire. Il importe de savoir mettre un terme à ces traitements conformément aux recommandations de la HAS, dès lors qu’il apparaît que le besoin ne relève plus réellement du champ de l’orthophonie.

Cependant, les interlocuteurs auditionnés par la rapporteure ont insisté sur la difficulté qu’il peut y avoir à arrêter une prise en charge, notamment lorsque les parents ne le veulent pas, craignant que leur enfant interrompe ses progrès en milieu scolaire, ou qu’ils ne parviennent plus à retrouver un orthophoniste en cas de besoin. Mme Degiovani a souligné lors de son audition qu’il était également nécessaire de savoir arrêter la prise en charge des personnes atteintes de maladies neuro-évolutives, lorsque l’orthophoniste n’y a plus sa place.

Les évolutions de pratiques nécessaires portent également sur la capacité à travailler en lien avec les autres professionnels de santé. Sur l’ensemble de ces sujets émerge un enjeu important de formation initiale et continue des orthophonistes, pour leur procurer les outils nécessaires pour répondre aux demandes de soins qui leur sont adressées.

  1.   des conséquences graves pour les patients

Partout en France, les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous chez un orthophoniste se comptent en mois et atteignent fréquemment une année. Dans certains territoires, il faut patienter jusqu’à deux ans.

Dans ce contexte de pénurie généralisée, les orthophonistes sont naturellement conduits à prioriser certains patients. Par exemple, lorsque les résultats d’un enfant aux tests de routine effectués à différents âges sont un peu justes, les professionnels préfèrent parfois ne plus alerter les parents car ils savent que l’enfant, n’étant pas jugé prioritaire, ne trouvera pas d’orthophoniste.

Mme Elsa Wessbecher, auditionnée par la rapporteure au titre du Conseil national professionnel d’orthophonie, a cependant relevé la difficulté à qualifier une urgence en orthophonie. Ainsi, la situation d’un enfant dyslexique peut apparaître secondaire par rapport à celle d’un patient ayant subi un AVC ; mais si cet enfant n’est pas rapidement pris en charge pendant ses jeunes années, il verra ses chances de réussite scolaire et d’insertion professionnelle largement compromises.

Le président de la Fédération des aphasiques de France, M. Jean‑Dominique Journet, a mentionné lors de son audition le préjudice très important subi par les personnes aphasiques du fait du manque d’orthophonistes à l’hôpital et dans les centres de rééducation. Faute de prise en charge quotidienne en établissement et pendant la période de réadaptation, le patient aphasique est exposé à de graves pertes de chance, le processus de récupération spontanée étant intimement lié à la rééducation. Il en résulte un isolement de la personne du fait de son incapacité ou de ses difficultés à communiquer, un sentiment d’abandon des familles, parfois des troubles dépressifs, et une incapacité à reprendre une activité professionnelle pour les plus jeunes. M. Journet a souligné « le paradoxe » qu’il y a « à prendre les patients en charge en phase aiguë, si c’est pour les laisser sans soins ensuite ».

  1.   POur une stratégie volontariste d’augmentation de la ressource en orthophonistes partout en France

L’ensemble des constats exposés fait apparaître des dysfonctionnements importants dans la manière dont la France forme ses orthophonistes en vue de répondre aux besoins de nos concitoyens à tous les âges de la vie. Le nœud du problème est la démographie insuffisante des orthophonistes ; elle induit le manque de terrains de stage et de formateurs, les lacunes de la formation continue et le manque d’harmonisation des pratiques, les départs à l’étranger des étudiants français, les listes d’attente à rallonge et, au bout de la chaîne, les pertes de chances pour les patients.

La présente proposition de loi ne vise pas à apporter une réponse à chacun de ces problèmes, mais uniquement à agir sur l’enjeu démographique qui constitue le défi essentiel. Il s’agit d’afficher une priorité politique, de poser une première pierre qui poussera les acteurs concernés – ministères de la santé et de l’enseignement supérieur et de la recherche, universités, agences régionales de santé, régions – à s’engager dans cette voie.

  1.   Expérimenter une programmation pluriannuelle des quotas de formation

Il apparaît prioritaire d’augmenter substantiellement le nombre d’orthophonistes formés en procédant de manière progressive pour laisser le temps à l’écosystème de s’adapter pour absorber des promotions d’étudiants qui, à terme, seront à peu près 50 % plus importantes qu’aujourd’hui.

À cette fin, l’article 1er instaure une programmation des quotas d’étudiants admis en première année d’orthophonie sur les années 2025 à 2030, pour atteindre 1 463 étudiants admis en 2030 contre 975 à la rentrée 2024. Ces chiffres correspondent à l’objectif fixé lors des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant tenues en mai 2024. Il s’agit désormais d’en faire un objectif contraignant.

L’ensemble des personnes auditionnées par la rapporteure, y compris au sein du Gouvernement, ont estimé cet objectif d’augmentation des quotas raisonnable et proportionné aux besoins. Les possibilités d’extension des centres de formation actuels étant limitées, cela impliquerait probablement d’ouvrir de nouveaux centres sur des territoires non dotés, y compris ceux qui ne disposent pas d’une faculté de santé. Cela contribuerait ainsi à améliorer le maillage du territoire et, probablement, à favoriser l’installation des orthophonistes dans des zones plus éloignées des grandes villes.

  1.   Valoriser et professionnaliser le statut de maître de stage pour accompagner le besoin de formation

Dans un contexte où les orthophonistes subissent des programmes de travail saturés, ils peuvent être peu enclins à prendre des étudiants en stage dans la mesure où leur formation prend du temps. En outre, le rôle de maître de stage est singulièrement peu valorisé : il n’ouvre droit à aucune rémunération, à aucune formation et à aucun accompagnement.

Ce manque de valorisation du statut de maître de stage a un impact direct sur la formation des étudiants – et donc sur les possibilités d’augmenter les quotas de formation. En effet, comme l’ont souligné les représentants de la Fneo lors de leur audition, la maquette de formation comporte actuellement 29 % de stages en premier cycle et 51 % en second cycle.

Or, en raison du manque de maîtres de stage, les étudiants ont de grandes difficultés à trouver des opportunités à une distance raisonnable de leur domicile. Lorsqu’ils y parviennent, la qualité de la formation qui leur est dispensée n’est pas garantie, le maître de stage n’ayant pas été formé à cette fonction d’encadrement et opérant essentiellement selon un principe de transmission de pratiques orthophoniques qui ne sont plus forcément au goût du jour.

Il apparaît indispensable de professionnaliser la fonction de maître de stage pour mieux la valoriser, la rendre plus attractive et améliorer la qualité de la formation dispensée aux étudiants.

C’est l’objectif de l’article 2, qui crée un statut de maître de stage universitaire en orthophonie sur le modèle de ce qui existe déjà pour les médecins. La possibilité d’acquérir ce statut, qui implique une formation et une rémunération du maître de stage, sera ouverte aux orthophonistes qui le souhaitent. Néanmoins, il ne sera pas obligatoire d’en disposer pour accueillir des étudiants en stage.

  1.   Inciter les jeunes profesionnels à se diriger vers les zones les moins bien dotées

Si l’augmentation des quotas de formation constitue une priorité pour améliorer l’accès aux soins orthophoniques, il importe par ailleurs de favoriser une répartition plus homogène des orthophonistes sur le territoire et selon les modes d’exercice.

Dans un contexte où les leviers mobilisés actuellement à cette fin apparaissent insuffisants, l’article 3 crée, à destination des étudiants en orthophonie, une forme de contrat d’engagement de service public sur le modèle de ceux qui existent pour les médecins et chirurgiens-dentistes. Il leur permettrait de bénéficier d’une rémunération pendant leurs études en contrepartie d’un engagement à exercer pendant une durée équivalente dans des zones sous-dotées ou dans certaines structures – notamment à l’hôpital.

Cet outil aurait un indéniable intérêt pour améliorer la répartition territoriale de l’offre de soins ; il serait probablement plébiscité par ceux des étudiants en orthophonie qui se trouvent en situation de précarité, faute de pouvoir mener un emploi étudiant de front avec des études dont la densité a déjà été soulignée.

  1.   prévoir une réévaluation de cette stratégie dans CINQ ans

Si les quotas de formation envisagés à l’horizon 2030 ont été conçus pour être proportionnés aux besoins prévisibles en soins orthophoniques à cette date, il peut être difficile d’anticiper ces attentes de manière exacte. Par ailleurs, les profils et les modes d’exercice des professionnels évoluent également, ce qui influe sur le nombre d’orthophonistes à former.

Pour tenir compte de cette incertitude et ajuster au plus près des réalités les quotas de formation, l’article 4 instaure une « clause de revoyure » en 2030. À cette échéance, les quotas de formation devront être réévalués à la lumière des besoins, en tenant compte des enseignements tirés des cinq premières années de programmation.

   Commentaire des articles

Article 1er
Programmation pluriannuelle de l’augmentation
des quotas de formation en orthophonie

Adopté avec modifications

L’article 1er met en place une programmation pluriannuelle des quotas de formation en orthophonie sur les années 2025‑2030, de sorte que le nombre d’étudiants admis en formation soit porté de 975 en 2024 à 1 463 en 2030. Il s’agit de garantir une augmentation de la ressource en orthophonistes conforme aux besoins, en s’appuyant sur les objectifs fixés lors des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant en mai 2024.

La commission a notamment adopté deux amendements apportant des précisions sur la nature du diplôme délivré et orientant la formation des étudiants vers les centres situés en zone sous-dense ou à proximité.

  1.   le droit existant
    1.   Un accès à la formation restreint par l’adoption de quotas par voie d’arrêté

 L’article L. 43832 du code de la santé publique dispose que « pour chacune des professions mentionnées aux titres Ier à VII du présent livre, le nombre des étudiants ou élèves admis à entreprendre des études en vue de la délivrance des diplômes, certificats ou titres exigés pour l’exercice de la profession considérée peut être fixé de manière annuelle ou pluriannuelle ».

Cet article précise par ailleurs que le quota d’élèves à admettre en formation est établi, pour les formations sanctionnées par un diplôme de l’enseignement supérieur, « par arrêté des ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur, qui recueillent préalablement une proposition de la région ». Enfin, « lorsqu’il diffère de la proposition émanant de la région, l’arrêté [...] est motivé au regard de l’analyse des besoins de la population et des perspectives d’insertion professionnelle ».

 Les orthophonistes sont concernés par cette régulation de l’entrée en formation à travers la détermination de quotas. Celui-ci a été établi, par un arrêté du 3 août 2023 ([21]), à 975 étudiants à admettre en première année au cours de l’année 20232024, chiffre reconduit pour la rentrée 20242025. Entre 2013 et 2023, ce quota est passé de 808 à 975, soit une augmentation de 20,7 % sur dix ans.

Dans les faits, ces quotas de formation sont largement déterminés par les capacités d’accueil des vingtdeux centres de formation en orthophonie, dont les moyens sont très contraints. Ces centres, qui ne disposent pas d’un budget fléché au sein des universités, peinent à faire valoir les intérêts de leur formation ; ils peinent ainsi à obtenir des postes d’enseignant, manquent de personnels administratifs, ont des problèmes de capacité et d’entretien de leurs locaux.

● Les étudiants à admettre sont, depuis la rentrée universitaire 2020, sélectionnés par la plateforme Parcoursup directement après l’obtention du baccalauréat. Auparavant, ils devaient passer un concours très sélectif auquel ils accédaient souvent après avoir suivi des préparations dans des écoles privées. Ils peuvent désormais, parmi leurs dix vœux sur Parcoursup, en formuler jusqu’à cinq qui concernent le cursus de formation en orthophonie.

Pour la rentrée 2020, les candidats ont été sélectionnés sur dossier. Ce mode de recrutement permettant difficilement d’apprécier la motivation et le caractère adapté du profil des candidats, un entretien a été ajouté à partir de la rentrée universitaire suivante. Les candidats présélectionnés sur dossier sont depuis conviés à cet entretien qui permet d’arrêter la liste finale des admis, ainsi qu’une liste complémentaire mobilisable en cas de désistements.

● L’accès aux études d’orthophonie est particulièrement sélectif : en 2024, 30 532 candidatures ont été reçues pour seulement 975 admis. Cela représente un taux de sélection d’environ 3 %. Une partie des étudiants éconduits se tourne vers les études d’orthophonie à l’étranger, souvent moins sélectives. De longue date, les étudiants français sont partis se former en Belgique. Plus récemment, face à un resserrement des conditions d’accès à la formation wallonne, des restrictions ont été imposées pour les non-résidents – ils se sont tournés vers l’Espagne.

La formation d’orthophoniste se caractérise par un taux d’abandon en cours d’études assez faible, inférieur à 5 %. Cet état de fait n’a pas été réellement modifié par le passage à Parcoursup, bien que les centres de formation notent des changements importants dans le profil des candidats, dont le projet professionnel est souvent moins mûri.

  1.   Une évolution qui ne permet pas de répondre aux besoins

L’extrême sélectivité des études d’orthophonie contraste avec le manque de plus en plus prégnant d’orthophonistes sur le territoire et, singulièrement, au sein des établissements. Pourtant, les effectifs de la profession n’ont cessé de croître. En 1995, la Caisse nationale de l’assurance maladie recensait environ 8 000 orthophonistes actifs ; elle en dénombrait environ 13 000 en 2008, et plus de 24 000 en 2023.

Cependant, cette évolution n’a pas permis d’accompagner le déploiement de la profession d’orthophoniste, dont le champ de compétences a été largement étendu. Les orthophonistes sont ainsi conduits à prendre en charge les enfants, notamment ceux atteints de troubles du neuro-développement, de plus en plus précocement, avec un suivi de plus en plus rapproché. Par ailleurs, le dépistage de ces troubles s’est considérablement amélioré, et l’orthophoniste a été identifié comme un professionnel clé pour leur compensation. Le réflexe d’adressage s’est ainsi fortement accru.

Au-delà des enfants, les orthophonistes sont amenés, de manière croissante, à prendre en charge une population adulte, notamment âgée, par exemple pour le rétablissement de la communication et la rééducation chez les patients atteints d’accident cardio-vasculaire (AVC), ou en prévention, chez les patients atteints de troubles cognitifs.

Depuis plusieurs années, le constat du déficit d’orthophonistes formés fait consensus. Ce déficit s’aggrave progressivement ; il est matérialisé par l’allongement des listes d’attente. Il faut aujourd’hui au minimum plusieurs mois pour un rendez-vous chez ce professionnel ; dans certains territoires, ce délai peut atteindre deux ans. Pourtant, les prises en charge revêtent souvent un caractère urgent, chez l’enfant comme chez l’adulte, avec des pertes de chances importantes associées à tout délai.

  1.   le droit proposé

Le présent article ancre dans la loi une programmation pluriannuelle de l’augmentation des effectifs à admettre en formation d’orthophonie. Il s’agit de garantir que ces quotas soient en adéquation avec les besoins de soins actuels et prévisibles, en lien avec le vieillissement de la population.

L’article 1er instaure ainsi une dérogation à l’article L. 43832 du code de la santé publique précité. Au cours de la période 20252030, les quotas pour l’entrée en formation d’orthophonie seront donc déterminés non par arrêté, mais par la voie législative.

L’augmentation programmée se veut progressive pour permettre à l’écosystème de s’adapter : on passera ainsi de 975 étudiants admis en 2024 à 1 073 en 2025, 1 122 en 2026, 1 170 en 2027, 1 268 en 2028, 1 366 en 2029, pour atteindre 1 463 en 2030.

Il convient de noter que cette programmation s’appuie sur les objectifs fixés, en accord avec l’ensemble des participants, lors des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant tenues en mai 2024.

Les centres de formation existants ne pourront vraisemblablement pas absorber une telle augmentation. À moyen terme, il sera donc nécessaire d’ouvrir de nouveaux établissements dans des villes qui n’en sont pas encore dotées. Cela impliquera des ouvertures au sein d’universités ne disposant pas d’une faculté de santé. Cette évolution favorisera une meilleure répartition des orthophonistes sur le territoire, dans la mesure où elle incitera les étudiants à effectuer leurs stages puis à s’installer plus loin des grandes agglomérations.

  1.   LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION

Outre deux amendements rédactionnels de la rapporteure, la commission a apporté deux modifications de fond à l’article 1er.

D’une part, en cohérence avec l’introduction de l’article 3 bis, qui modifie l’appellation du diplôme sanctionnant la formation d’orthophoniste dans le code de la santé publique, la commission a adopté, à l’initiative de la rapporteure, un amendement AS43 substituant les termes « diplôme d’État » à ceux de « certificat de capacité », pour tous les diplômes d’orthophoniste qui seront délivrés à partir de la rentrée universitaire 2026. Cette mention a été jugée nécessaire pour garantir la cohérence du cadre légal applicable.

D’autre part, la commission a également adopté, malgré l’avis défavorable de la rapporteure, l’amendement AS22 de Mme Zahia Hamdane et des membres du groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire, visant à développer prioritairement la formation au sein des centres de formation universitaire en orthophonie situés dans ou à proximité d’une zone sous-dense, afin de mieux répondre aux besoins spécifiques de ces territoires.

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Article 2
Création d’un statut de maître de stage universitaire en orthophonie

Adopté avec modifications

L’article 2 ouvre la voie à la création d’un statut de maître de stage universitaire en orthophonie dans le but de professionnaliser la fonction de maître de stage, de la rendre plus attractive, et ainsi d’améliorer la disponibilité et la qualité des stages pour les étudiants.

La commission a adopté un amendement supprimant la possibilité que la formation des maîtres de stage universitaires soit dispensée par des « organismes agréés », dans le but de maintenir la cohérence d’ensemble de la formation initiale des étudiants.

  1.   le droit existant
    1.   Le maître de stage en orthophonie, un statut largement informel, ni accompagné ni valorisé

● À l’heure actuelle, on devient souvent maître de stage par hasard, pour répondre à la demande d’étudiants en recherche de lieux de stage. Les seules conditions à remplir, fixées par l’article D. 4341-7 du code de la santé publique, sont d’avoir exercé au moins pendant trois années et d’avoir déposé une demande d’agrément auprès du centre de formation de l’étudiant.

Le maître de stage peut exercer à titre libéral ; dans ce cas, il ne peut accueillir qu’un stagiaire à la fois. Dans les établissements de santé, les stagiaires sont placés sous la responsabilité du médecin chef de service ou du directeur médical de l’établissement.

Dans les faits, la très grande majorité des stages est effectuée en libéral, en raison du manque important d’orthophonistes en établissement, lesquels ne sont donc pas disponibles pour encadrer les stagiaires. Cette rétraction considérable de l’offre de stages en établissement est problématique car elle induit une perte de compétences sur les spécificités de cet exercice, que les étudiants sont d’autant moins enclins à choisir en sortie de formation.

● Si la fonction de maître de stage correspond, chez certains orthophonistes libéraux, à une réelle volonté de transmettre un savoir-faire et des pratiques, elle n’est ni accompagnée, ni valorisée.

Il n’existe aucune formation spécifique à destination des maîtres de stage, qui opèrent essentiellement sur la base d’une transmission de leurs pratiques, lesquelles ne sont pas toujours conformes aux dernières recommandations en raison des carences de la formation continue.

Par ailleurs, les maîtres de stage ne bénéficient en principe d’aucune rémunération pour l’accueil des stagiaires. L’avenant n° 16 à la convention nationale des orthophonistes a simplement prévu la possibilité d’une indemnité pouvant aller jusqu’à 150 euros par stagiaire et par mois pour les maîtres de stage exerçant en zone très sous-dotée.

● Il en résulte un manque d’attractivité du statut de maître de stage, surtout dans un contexte où les cabinets sont saturés. Ceux-ci ne sont pas incités à accueillir des stagiaires dont la formation requiert du temps.

En conséquence, tous les centres de formation rapportent des difficultés importantes à trouver des offres de stage pour les étudiants. Ces derniers sont contraints de s’éloigner de leur lieu de formation, sans qu’il n’y ait de compensation pour les frais de transports nécessaires pour se rendre sur le lieu de stage ([22]). Pourtant, les stages revêtent une dimension centrale dans la formation des étudiants ; ils représentent 29 % de la maquette en premier cycle et 51 % en second cycle.

● Enfin, il n’existe pas non plus de statut défini pour la direction des travaux de recherche en orthophonie. En conséquence, les orthophonistes souhaitant poursuivre en doctorat ne sont pas incités à rester en France, où leur statut n’est pas valorisé. Il est fréquent de les voir partir à l’étranger, notamment aux États-Unis. C’est d’autant plus préjudiciable que la recherche en orthophonie est un champ en plein essor.

  1.   Le statut de maître de stage universitaire est prévu pour les études médicales

● Le statut de maître de stage universitaire (MSU) a été créé, pour les études médicales, par la loi dite « OTSS » du 24 juillet 2019 ([23]) qui a modifié l’article L. 41316 du code de la santé publique. Dans sa rédaction en vigueur, cet article prévoit que les étudiants de deuxième cycle (externes) et de troisième cycle (internes) des études médicales « peuvent être autorisés à effectuer une partie de leur stages pratiques auprès de praticiens agréés maîtres de stage des universités », selon des modalités définies par décret.

● L’article R. 632281 du code de l’éducation précise les conditions à remplir pour obtenir l’agrément de maître de stage des universités. Il faut :

– avoir suivi, auprès d’une université ou d’un organisme agréé, une formation à l’accueil, à l’encadrement et à l’évaluation des étudiants ;

– proposer des activités médicales adaptées à chaque phase de la formation ;

– justifier d’un niveau d’encadrement et des moyens mis en œuvre pour assurer la qualité de la formation dispensée.

L’agrément est délivré par le directeur général de l’ARS pour une durée maximale de cinq ans.

  1.   le droit proposé
    1.   Ouvrir une perspective en créant un statut de maître de stage universitaire en orthophonie

Le présent article transpose aux orthophonistes l’article L. 4131-6 du code de la santé publique relatif aux médecins, afin d’ouvrir aux premiers l’accès au statut de maître de stage des universités. Ces dispositions sont insérées au sein d’un nouvel article L. 4341-10 qui complète le chapitre du code de la santé publique relatif à la profession d’orthophoniste.

Comme pour les médecins, les étudiants en orthophonie auront la possibilité d’accomplir une partie de leurs stages pratiques auprès d’orthophonistes agréés maîtres de stage des universités, selon des modalités définies par décret. Les conditions de l’agrément sont renvoyées à un décret en Conseil d’État. L’article 2 dispose qu’elles devront comprendre une formation obligatoire auprès d’une université ou d’un organisme habilité.

  1.   Les implications de la création de ce statut devront être précisées

L’article 2 ne rend pas obligatoire l’acquisition du statut de maître de stage des universités pour accueillir des étudiants en stage, ce qui ne serait pas réaliste et pourrait avoir pour effet de restreindre encore l’offre de stages à mesure que l’on s’éloigne des grandes métropoles.

Ainsi, les deux modèles – celui du maître de stage actuel et celui de maître de stage des universités – ont vocation, au moins dans un premier temps, à coexister. Mais la création du statut de maître de stage des universités doit élever le modèle de maître de stage vers le haut, en le professionnalisant progressivement.

Au-delà de l’accès à une formation spécifique, prévue par la proposition de loi, il importera de définir les implications du statut de maître de stage des universités. Il paraîtrait souhaitable que certains maîtres de stage accèdent au statut d’enseignant-chercheur, et contribuent à développer la recherche en orthophonie. On pourrait concevoir de demander, en contrepartie de ce statut, une contribution à l’enseignement au sein des centres de formation universitaire.

Il sera nécessaire d’aborder aussi la question de la rémunération des maîtres de stage universitaires.

Enfin, la création des maîtres de stage des universités supposera un investissement renouvelé des universités, si elles ont vocation à assurer la formation dispensée. À défaut, cette formation échoirait à d’autres organismes habilités, dont il importera de vérifier qu’ils satisfont aux critères de qualité attendus.

  1.   LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION

Outre une modification rédactionnelle, la commission des affaires sociales a adopté l’amendement AS35 de la rapporteure qui supprime, à l’alinéa 3 prévoyant une formation obligatoire pour les maîtres de stage universitaires, la mention de « tout autre organisme habilité ». Par conséquent, la formation des maîtres de stage aura vocation à se tenir au sein de l’université. La commission a jugé préférable qu’il en soit ainsi dans la mesure où celle-ci est, à l’heure actuelle, la seule responsable de la formation initiale en orthophonie.

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Article 3
Extension des contrats d’engagement de service public aux orthophonistes

Adopté avec modifications

L’article 3 instaure un contrat d’engagement de service public pour les étudiants orthophonistes qui, en contrepartie d’une rémunération versée pendant une partie de leurs études, s’engageraient à exercer pendant une durée équivalente dans certaines zones ou lieux d’exercice caractérisés par une pénurie importante d’orthophonistes. Ce dispositif d’inspire des contrats de service public ouverts aux étudiants en médecine et en odontologie.

La commission a adopté plusieurs amendements précisant les critères du contrat d’engagement de service public d’orthophonie.

  1.   le droit existant
    1.   Face à l’inégale répartition des orthophonistes, les dispositifs existants s’avèrent insuffisants

● La répartition territoriale des orthophonistes trahit une distribution très inégale. À mesure que l’on s’éloigne des grandes aires urbaines, la densité en orthophonistes rapportée à la population décroît. Font exception à cette règle certains territoires urbains caractérisés par un taux de pauvreté important, à l’image de la Seine-Saint-Denis ou encore de la Seine-et-Marne.

Par ailleurs, seuls 15 % des orthophonistes ont exclusivement un exercice salarié en établissement. Le déséquilibre s’est encore amplifié depuis une quinzaine d’années. Au début des années 2010, 20 % des orthophonistes étaient salariés en établissement. Cette situation résulte du manque d’attractivité de l’exercice salarié, principalement en raison de rémunérations jugées trop faibles par rapport à l’investissement demandé au cours des études. À l’heure actuelle, de nombreux postes en établissement sont laissés vacants, faute de candidats. Les hôpitaux sont contraints à externaliser les soins nécessaires aux patients hospitalisés.

● Les dispositifs en vigueur pour améliorer la répartition territoriale des orthophonistes n’ont pas permis de modifier substantiellement cet état de fait.

Certaines ARS proposent un contrat d’allocation d’études (CAE), qui permet aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux de verser une allocation forfaitaire aux étudiants en dernière année d’études en contrepartie d’un engagement à servir 18 mois au sein de ces établissements à l’issue de leur formation. Ce dispositif n’est cependant pas proposé dans toutes les régions.

Un zonage a été mis en place à partir de 2018 pour identifier les zones sous-denses et prévoir des mesures incitatives pour les professionnels y exerçant. Une méthodologie a été arrêtée dans le cadre conventionnel, qui a permis aux ARS de cartographier les espaces au sein desquels les orthophonistes peuvent bénéficier d’aides à l’installation (à hauteur de 30 000 euros pour une première installation et 17 000 euros pour une nouvelle installation) et au maintien. Le zonage ainsi établi était cependant bien trop restrictif, les zones sous-denses recouvrant en réalité une grande partie du territoire, ce qui a incité les partenaires conventionnels à réviser la méthodologie de calcul ([24]).

  1.   Le modèle du contrat d’engagement de service public apparaît adapté aux problématiques rencontrées par les orthophonistes

● La loi dite « HPST » du 21 juillet 2009 ([25]) a instauré, à destination des étudiants en deuxième ou troisième cycle des études de médecine et d’odontologie, le contrat d’engagement de service public (CESP). Le bénéfice en a été ouvert aux étudiants en maïeutique et en pharmacie par la loi du 27 décembre 2023, dite « loi Valletoux » ([26]).

Le contrat d’engagement de service public est défini à l’article L. 632-6 du code de l’éducation. En contrepartie d’une allocation mensuelle de 1 200 euros versée pendant une partie de leurs études, les étudiants ayant conclu un tel contrat s’engagent à exercer leurs fonctions, au terme de leur formation, dans des lieux d’exercice spécifiques au sein d’une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou des difficultés d’accès aux soins, pendant une durée équivalente à celle pendant laquelle ils ont perçu l’allocation, et au minimum pendant deux ans.

● Ce type de contrat répondrait correctement aux problématiques rencontrées par les étudiants en orthophonie. Il existe un problème important de précarité parmi ces étudiants, amplifié par le fait que leurs stages ne sont pas rémunérés, et qu’il n’est pas concevable de cumuler un emploi étudiant avec des études particulièrement denses. Par ailleurs, ils peuvent avoir à assumer des frais de transport non négligeables pour rejoindre leur lieu de stage dans un contexte de pénurie des offres d’accueil.

Les représentantes de la Fédération nationale des étudiants en orthophonie (Fneo) ont estimé, lors de leur audition, qu’une proportion non négligeable des étudiants en orthophonie serait probablement intéressée par un tel dispositif. Elles ont souligné que beaucoup de jeunes orthophonistes seraient d’accord pour exercer dans des zones plus rurales ou dans des établissements, à condition d’être accompagnés vers ce type d’exercice qu’ils n’ont souvent pas expérimenté au cours de leurs études.

  1.   le droit proposé

● Le présent article complète l’article L. 6361 du code de l’éducation relatif aux études supérieures préparant aux autres professions de santé que les professions médicales.

Il ajoute quatre alinéas instaurant un contrat d’engagement de service public destiné aux étudiants en premier cycle d’orthophonie. En contrepartie du versement d’une allocation mensuelle, les étudiants signataires de ce contrat – dont le nombre serait déterminé chaque année par voie d’arrêté – s’engageront à exercer leurs fonctions, à titre libéral ou salarié, au terme de leur formation, au sein de lieux d’exercice déterminés par voie réglementaire, et pour une durée minimale de deux ans équivalente à la durée de versement de l’allocation.

● Au regard du double déséquilibre dans la répartition des orthophonistes sur le territoire, géographique et suivant le mode d’exercice, les lieux d’exercice ouvrant droit au contrat d’engagement de service public pourront répondre à une double logique. Il pourra s’agir de zones identifiées comme particulièrement sous-denses, mais aussi d’établissements dans lesquels les postes d’orthophonistes peinent à être pourvus.

Le contrat d’engagement de service public orthophoniste ainsi conçu engloberait et généraliserait donc l’actuel contrat d’allocation d’études en allant plus loin, puisqu’il pourrait également concerner l’exercice libéral dans certaines zones géographiques.

  1.   LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION

Outre plusieurs modifications rédactionnelles, la commission des affaires sociales a apporté deux modifications de fond à l’initiative de la rapporteure.

L’amendement AS38 ouvre le bénéfice du contrat d’engagement de service public à l’ensemble des étudiants en orthophonie, et non plus seulement à ceux du premier cycle.

L’amendement AS40 précise les lieux d’exercice ouvrant droit au contrat d’engagement de service public, avec pour objectif de faire en sorte qu’il puisse être principalement orienté vers l’exercice salarié dans les établissements où les orthophonistes font particulièrement défaut.

Introduit par la commission

L’article 3 bis modifie l’appellation du diplôme sanctionnant les cinq années de la formation en orthophonie. À partir de la rentrée universitaire 2026, le certificat de capacité d’orthophoniste, en place depuis 1964, sera remplacé par le diplôme d’État d’orthophoniste. Cette évolution nécessaire consacrera la modernisation, la densification et l’allongement de la formation des orthophonistes, en lien avec l’élargissement de leur champ de compétences.

  1.    LE DROIT EXISTANT

Depuis la loi du 10 juillet 1964 ([27]), le diplôme ouvrant droit à l’exercice de la profession d’orthophoniste est un « certificat de capacité d’orthophonie ».

La formation et les compétences des orthophonistes ont cependant très largement évolué depuis, notamment avec l’introduction d’une cinquième année de formation permettant aux étudiants d’obtenir le grade de master en 2013 ([28]).

Cependant, l’appellation du diplôme n’a pas été modifiée. Or, la notion de « certificat » apparaît datée et peu valorisante pour des étudiants ayant suivi une formation exigeante de cinq ans. En outre, un certificat vise habituellement à attester l’acquisition d’une compétence professionnelle et non un niveau d’études, avec les reconnaissances et équivalences qui l’accompagnent.

À l’inverse, c’est l’appellation de « diplôme d’État » qui est usuelle pour les diplômes reconnus par l’État et délivrés par un ministère à l’image, par exemple, des diplômes d’État d’infirmier, de masseur-kinésithérapeute ou de docteur en maïeutique.

  1.   LE DROIT PROPOSé

L’article 3 bis résulte de l’adoption par la commission de l’amendement AS36 de la rapporteure, qui prévoit que le « certificat de capacité d’orthophonie » devienne un « diplôme d’État d’orthophoniste » à compter de la rentrée universitaire 2026.

La nouvelle appellation ne s’appliquera cependant qu’aux futurs diplômés. L’article 3 bis prévoit ainsi de reconnaître à la fois le diplôme d’État et le certificat de capacité préexistant, pour tenir compte de la situation de tous les orthophonistes diplômés jusqu’en 2026.

Article 4
Clause de revoyure

Adopté avec modification

L’article 4 instaure une « clause de révoyure » prévoyant le réexamen de la programmation prévue à l’article 1er à l’horizon 2030, dans le but de déterminer si cette programmation doit être poursuivie et à quel niveau. Cette clause garantit que l’évolution programmée des effectifs d’orthophonistes soit en adéquation avec les besoins de soins.

Cet article a été adopté par la commission avec une modification de nature essentiellement rédactionnelle.

  1.   une nécessaire évaluation de la programmation des effectifs

L’article 1er programme une hausse des quotas d’étudiants admis dans la formation d’orthophoniste pour atteindre 1 463 étudiants en 2030, soit une augmentation des promotions de l’ordre de 50 % à cette échéance.

L’ensemble des interlocuteurs auditionnés par la rapporteure a estimé que cette programmation, qui reprend les objectifs fixés par les Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, était plutôt réaliste et proportionnée au besoin. Le risque d’une surdensité d’orthophonistes au terme de cet accroissement des quotas paraît plus que limité.

Néanmoins, la rapporteure a conscience de la prudence dont il faut témoigner lorsqu’on évalue les besoins de soins futurs. Ils sont très évolutifs du fait, notamment, du vieillissement démographique et de l’évolution permanente des recommandations de bonne pratique guidant les prises en charge en orthophonie.

Par ailleurs, l’évolution des modes d’exercice des orthophonistes est également un paramètre à prendre en compte. La tendance actuelle veut qu’un orthophoniste assure moins d’heures de consultation qu’auparavant ; le fort taux de féminisation de la profession influe également en ce sens. Ces paramètres sont néanmoins susceptibles d’évoluer.

  1.   le droit proposé

Le présent article instaure une clause de revoyure en 2030, au terme de la programmation prévue à l’article 1er. À cette échéance, les quotas de formation d’orthophonistes devront être réévalués à la lumière de l’évolution des besoins de santé et des modes d’exercice.

Cette clause permettra de faire le point au moment où la première promotion de la programmation arrivera sur le marché du travail, avant d’envisager une nouvelle programmation.

  1.   LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION

L’article 4 a été adopté ainsi qu’un amendement de nature essentiellement rédactionnelle présenté par la rapporteure. Il précise que le réexamen conduit en 2030 permettra de déterminer s’il y a lieu de reconduire une programmation pour les années suivantes, en fonction des résultats obtenus.

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Article 5
Gage de recevabilité financière

Adopté sans modification

L’article 5 assure la recevabilité financière de la présente proposition de loi au titre de l’article 40 de la Constitution.

● La présente proposition de loi comporte plusieurs dispositions susceptibles d’engendrer des coûts pour l’État et pour la sécurité sociale :

– l’augmentation des quotas d’étudiants admis en orthophonie supposera d’accroître le budget des centres de formation universitaire en orthophonie, voire de créer de nouveaux centres. À terme, cette hausse induira une augmentation du nombre d’orthophonistes exerçant en libéral et facturant des actes à la sécurité sociale ;

– la création d’un statut de maître de stage universitaire générera des coûts pour leur formation et leur rémunération ;

– la création d’un contrat d’engagement de service public engendrera également des dépenses supplémentaires pour les collectivités qui feront le choix, par ce canal, de verser une allocation aux étudiants en orthophonie.

● Pour compenser ces charges supplémentaires, le présent article propose donc d’accroître, à due concurrence, l’accise sur les tabacs prévus au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa deuxième réunion du mercredi 26 mars 2025, la commission examine la proposition de loi visant à renforcer la démographie professionnelle des orthophonistes (n° 666) (Mme Agnès Firmin Le Bodo, rapporteure) ([29]).

M. Nicolas Turquois, président. La proposition de loi visant à renforcer la démographie professionnelle des orthophonistes que nous examinons cet après‑midi est inscrite à l’ordre du jour des séances réservées au groupe Horizons & Indépendants, le jeudi 3 avril.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, rapporteure. Selon le philosophe allemand Fichte, « ceux qui parlent la même langue forment un tout que la pure nature a lié par avance de mille liens invisibles ». Mais pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue, la situation est autrement plus compliquée. Sans le langage, il est difficile de communiquer et de réussir son insertion scolaire, professionnelle ou sociale.

C’est précisément le rôle de l’orthophoniste que de venir au secours de tous ceux pour qui l’accès au langage, verbal ou mathématique, écrit ou oral, est un parcours du combattant. Ce professionnel de santé a pour mission de prévenir, d’évaluer et de traiter les déficiences et troubles affectant la voix, l’articulation, la parole, ainsi que la compréhension et la production du langage écrit et oral. Ce champ de compétences, particulièrement vaste, n’a cessé de croître au fil des années. En vertu des recommandations de la Haute Autorité de santé, l’orthophoniste est désormais un professionnel essentiel dans la prise en charge de nombreux handicaps et pathologies tels que la surdité, l’infirmité motrice cérébrale, le bégaiement, les troubles « dys », l’aphasie consécutive à un accident vasculaire cérébral (AVC), ou encore les troubles cognitifs chez les personnes âgées. Bien loin de se limiter aux enfants, les orthophonistes sont ainsi de plus en plus appelés à prendre en charge des personnes âgées et, plus généralement, des adultes.

L’importance des soins orthophoniques est largement reconnue, notamment par les médecins, qui n’hésitent plus à les prescrire à leurs patients. Pourtant, les orthophonistes sont les professionnels de santé dont nous manquons le plus. On en compte un peu plus de 21 000, dont 97 % sont des femmes et 85 % exercent en libéral. Leurs plannings sont saturés, si bien qu’ils ne peuvent pas prendre de nouveaux patients avant des mois, une année, voire deux ans parfois. Ils doivent donc hiérarchiser les urgences – qui choisir, entre un enfant dyslexique et une personne devenue aphasique après un AVC ? – et n’ont parfois pas d’autre choix que d’espacer ou de retarder certaines prises en charge. Il en résulte évidemment des pertes de chances très préjudiciables pour les enfants, adultes et personnes âgées qui n’ont pas pu bénéficier de soins orthophoniques en temps voulu. Ces pertes de chances, nous les acceptons collectivement en ne formant pas davantage d’orthophonistes. La situation est connue depuis des années, mais rien ne change, ou si peu...

À la rentrée scolaire 2024, 975 étudiants ont été admis en première année d’orthophonie, alors que 30 000 candidatures avaient été déposées. L’orthophonie est l’une des formations les plus sélectives sur Parcoursup. Chaque année, des centaines de jeunes partent donc se former en Belgique ou en Espagne. Or, pendant ce temps, nous manquons tellement d’orthophonistes que l’on renonce à leur adresser les enfants qui obtiennent des résultats un peu limites aux dépistages. Il y a là une absurdité que nous ne pouvons pas cautionner plus longtemps.

Normalement, les quotas d’étudiants admis en formation d’orthophoniste sont fixés par arrêté, comme pour les autres professions de santé, mais le législateur doit se saisir de cet enjeu. Il est temps d’envoyer un signal politique, de donner une impulsion pour que les pouvoirs publics réinvestissent dans la formation des orthophonistes.

Sur les vingt-deux centres de formation universitaire en orthophonie (CFUO), plusieurs sont dans un état de fragilité préoccupant : ils n’ont pratiquement pas de postes de maîtres de conférences universitaires, manquent de personnel administratif et disposent de locaux trop petits ou en mauvais état. Leurs représentants nous ont expliqué, lors des auditions, qu’ils étaient si petits à l’échelle de l’université que les moyens ne ruisselaient jamais jusqu’à eux.

Nous devons prendre la décision politique de former davantage d’orthophonistes pour que les ministères de la santé et de l’enseignement supérieur, les universités et les régions se mettent en ordre de marche. Si nous ne le faisons pas, tout va continuer comme avant. Tel est le but de la proposition de loi.

L’article 1er vise à expérimenter une sorte de loi de programmation qui rendrait notre pays capable de répondre aux besoins de soins orthophoniques. Je suis repartie des objectifs fixés en mai 2024 lors des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant : je propose de former à peu près 50 % d’orthophonistes de plus à l’horizon 2030, en augmentant progressivement la taille des promotions pour laisser à l’écosystème le temps de s’adapter. Ainsi, 1 463 étudiants seraient admis en première année à la rentrée 2030.

Cet objectif a été jugé raisonnable par toutes les personnes que j’ai auditionnées. Au regard des besoins, qui iront croissant compte tenu du vieillissement démographique, le spectre d’une surpopulation d’orthophonistes semble à peu près écarté. Néanmoins, il faut toujours rester prudent quand on évalue les besoins de soins : c’est pourquoi je propose, à l’article 4, une clause de revoyure en 2030. Nous déciderons alors s’il y a lieu de revoir la programmation à la hausse ou à la baisse.

Les chiffres proposés à l’article 1er ne sont en aucun cas des quotas ou des numerus clausus visant à contingenter la formation des orthophonistes. Ce n’est pas du tout l’esprit de ma proposition de loi. Mais si l’on veut augmenter les capacités de formation, il faut tracer un chemin pour dimensionner l’investissement nécessaire.

Ma proposition vise aussi à répondre à deux autres enjeux directement liés à la question de la démographie des orthophonistes.

Pour former davantage d’orthophonistes, il faut avoir des terrains pour les stages, qui représentent 29 % de la maquette de formation en premier cycle et 51 % en second cycle. Or nous manquons cruellement de ces terrains, tout simplement parce que nous manquons d’orthophonistes et que le statut de maître de stage n’est pas du tout attractif. Il faut être motivé pour accueillir des stagiaires dans son cabinet, car cela prend du temps alors que le planning est déjà saturé et que ce suivi n’est pas rémunéré. Du reste, les maîtres de stage sont un peu livrés à eux-mêmes : puisqu’ils ne sont pas spécialement formés à l’encadrement des étudiants, la formation consiste essentiellement en une transmission de pratiques qui ne sont pas toujours au goût du jour.

Pour accroître et améliorer la formation des orthophonistes, il faut professionnaliser et valoriser la fonction de maître de stage. C’est pourquoi je propose, à l’article 2, de créer un statut de maître de stage universitaire en orthophonie, comme il en existe en médecine. Cela permettra de former et de rémunérer des maîtres de stage qui, en contrepartie, pourront contribuer à l’enseignement dans les centres de formation ou mener des travaux de recherche.

Ma proposition de loi vise aussi à corriger l’inégale répartition des orthophonistes dans le territoire et selon les modes d’exercice. La France entière est un désert orthophonique, mais certaines zones, notamment les territoires ruraux ou défavorisés, le sont plus particulièrement. Par ailleurs, on n’arrive plus à recruter d’orthophonistes salariés en établissement, que ce soit à l’hôpital ou dans les établissements sociaux et médico-sociaux : l’exercice n’y est pas attractif, parce que les salaires sont trop bas.

Je propose donc, à l’article 3, de créer un outil qui permettra d’améliorer la répartition territoriale des orthophonistes tout en remédiant à un autre problème, celui de la précarité étudiante. En concluant un contrat d’engagement de service public (CESP), comme peuvent déjà le faire les étudiants en médecine, odontologie, maïeutique et pharmacie, les étudiants en orthophonie pourront être rémunérés pendant leurs études, en contrepartie de l’engagement d’exercer dans certains lieux sous‑dotés pendant une durée équivalente, au terme de leur formation. Je pense qu’il s’agit là d’un dispositif gagnant-gagnant.

Nous pouvons, collectivement, faire bouger les lignes et améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens. Ce texte permettra de poser une première pierre ; d’autres étapes seront ensuite nécessaires, mais toutes les mesures ne devront pas nécessairement passer par la loi. Les orthophonistes nous ont dit très clairement qu’ils avaient besoin d’une impulsion venue d’en haut pour débloquer la situation.

Je vous remercie pour votre contribution à cette cause et pour les amendements déposés, qui s’inscrivent bien dans l’esprit de ma proposition de loi.

M. Nicolas Turquois, président. Votre texte est déjà un bel hommage au travail des orthophonistes, trop peu connu. Il faut avoir un enfant qui en a besoin ou un proche victime d’un AVC pour comprendre toute l’importance de cette profession.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Théo Bernhardt (RN). L’orthophonie est sans doute l’une des professions paramédicales les plus touchées par la pénurie de soignants dont souffrent de nombreux territoires. Il n’est plus tolérable que des parents doivent attendre plus d’une année, voire deux ans, pour obtenir les premiers rendez-vous nécessaires à la prise en charge d’un enfant souffrant d’un trouble du langage ou d’un trouble « dys ». Il est tout aussi inadmissible que des patients victimes d’un AVC ou atteints de maladies neurodégénératives ne puissent pas bénéficier rapidement des rééducations indispensables. Partout, en particulier dans les communes rurales et certaines banlieues urbaines, l’absence d’orthophoniste aggrave les inégalités d’accès aux soins. Cette pénurie dramatique se traduit par des pertes de chances pour les patients, dont l’état de santé se dégrade parfois pendant l’interminable attente.

Le texte qui nous est soumis prévoit des mesures de bon sens : augmenter les quotas de formation, mieux valoriser la fonction de maître de stage et créer un contrat d’engagement de service public pour les orthophonistes. Nous ne pouvons qu’y souscrire. De telles avancées contribueront à lutter contre les déserts médicaux et à garantir l’accès de tous à cette discipline essentielle.

Le groupe Rassemblement National, conscient de ces enjeux cruciaux pour nos compatriotes, défendra plusieurs amendements pour que cette proposition de loi soit à la hauteur des besoins de santé publique. Nous préconiserons notamment une revalorisation du titre de diplôme des orthophonistes, afin de rendre effectives sa reconnaissance officielle ainsi que sa lisibilité auprès du grand public, des autres professionnels de santé et des étudiants. Nous demanderons une revalorisation salariale à l’hôpital, afin de renforcer l’attractivité de l’exercice salarié dans la fonction publique hospitalière, qui souffre d’un manque massif de professionnels faute d’une rémunération adaptée et de perspectives de carrière intéressantes. Nous plaiderons enfin pour une revalorisation des indemnités kilométriques afin d’aligner celles des orthophonistes sur celles des médecins, car l’inégalité, non justifiée, pèse sur la mobilité de ces professionnels amenés à se rendre dans des établissements ou au domicile des patients.

Notre groupe soutiendra donc cette proposition de loi, qui va dans le bon sens, en espérant que le Gouvernement accordera les moyens nécessaires à sa mise en œuvre et ne se contentera pas, une fois de plus, de simples promesses.

Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). La démographie des orthophonistes est un enjeu majeur de santé publique. Le nombre de ces professionnels est très insuffisant – 37 pour 100 000 habitants –, et leur répartition sur le territoire inégale. Cette situation crée des difficultés d’accès aux soins, accentuées par l’élargissement du champ de compétences des orthophonistes à tous les âges de la vie. Les nombreuses auditions auxquelles j’ai assisté la semaine dernière nous ont permis d’avoir une vision globale de la situation. Ce travail a confirmé la nécessité absolue d’agir pour renforcer la démographie des orthophonistes et l’attractivité de la profession. Je souhaite toutefois appeler votre attention sur le financement de la formation des maîtres de stage universitaires.

Par ailleurs, si la programmation pluriannuelle des effectifs constitue une avancée significative, la question des moyens octroyés pour accompagner cette montée en charge reste ouverte. Il nous semble essentiel de garantir la cohérence entre les objectifs fixés et les moyens alloués. Dans cette perspective, avez-vous échangé avec le Gouvernement au sujet de l’accompagnement financier de l’augmentation du nombre d’étudiants ? Est-il prévu d’accorder aux universités des moyens supplémentaires pour renforcer leurs capacités d’accueil et de formation ?

En tout état de cause, l’augmentation du nombre d’étudiants, la création d’un statut de maître de stage universitaire et l’élargissement aux orthophonistes du CESP vont dans le bon sens. Aussi cette proposition de loi permettra-t-elle de répondre concrètement aux besoins des patients et d’améliorer la couverture territoriale. C’est pourquoi le groupe Ensemble pour la République votera en faveur de ce texte.

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Si le groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire salue toute initiative visant à pallier la pénurie d’orthophonistes, cette proposition de loi reste à notre sens en deçà des enjeux. Les 1 000 places de formation prévues pour 2025 ne suffiront pas : la trajectoire est bien trop timide. Il faut un plan clair : davantage de professionnels formés, des lieux de formation répartis dans les territoires sous‑dotés, des modalités et des équipes pédagogiques solides. Sans cela, ce texte restera théorique.

Nos amendements visent à rapprocher la formation des territoires en souffrance, où les délais d’attente se comptent en années. Il est crucial que les futurs orthophonistes puissent s’ancrer là où l’accès aux soins est le plus difficile.

Toutefois, rien ne sera possible sans moyens. Le budget de l’enseignement supérieur vient de subir une coupe de 1 milliard d’euros, alors que les centres de formation sont déjà exsangues. Le privé se prépare à combler le vide, au détriment de l’égalité d’accès. Comme la fédération, nous tirons la sonnette d’alarme.

Même formés, les professionnels quittent le secteur public, faute de conditions de travail décentes. Il ne reste qu’environ 1 000 orthophonistes à l’hôpital, dans tout le pays. Ce n’est pas une fatalité, mais le fruit d’une politique cynique qui creuse les inégalités d’accès aux soins. Moins de professionnels, c’est moins de soins remboursés : tant pis pour les enfants « dys », les victimes d’AVC et les personnes âgées ! Il faut sortir du numerus clausus déguisé et renforcer massivement le secteur public, car les besoins sont urgents. Il est intolérable de devoir attendre un à trois ans avant d’obtenir un premier rendez-vous. Pendant ce temps, des enfants décrochent, des familles s’épuisent, des professionnels renoncent, et nous en portons la responsabilité.

Face à l’urgence, il ne faut pas des demi-mesures, mais un sursaut. Former sans moyens, promettre sans agir, c’est entretenir la pénurie. La santé n’est pas un luxe : c’est un droit, que nous devons garantir à tous et partout. Il n’y a pas de soins sans soignants, ni sans volonté politique.

M. Joël Aviragnet (SOC). Nous risquons de subir, dans les prochaines années, une baisse importante du nombre d’orthophonistes, dont nos concitoyens ont pourtant de plus en plus besoin. Il paraît nécessaire d’anticiper pour éviter la pénurie qui sévit déjà dans de trop nombreuses professions. Cependant, en gravant dans le marbre un nombre défini d’orthophonistes à former, l’article 1er pourrait constituer un handicap : si la demande de soins augmentait plus vite que prévu, nous n’aurions pas la possibilité d’accroître ce nombre sans modifier la loi. Bien que nous soutenions l’idée de Mme la rapporteure, il nous semble donc préférable de rédiger différemment cet article.

La création d’un statut de maître de stage universitaire en orthophonie est évidemment bienvenue, tant les étudiants ayant éprouvé des difficultés à trouver un stage sont légion.

Je me réjouis également que les orthophonistes soient rendus éligibles au contrat d’engagement de service public. Cet outil permettra de résorber partiellement la forte inégalité territoriale d’accès aux soins, mais pas de la faire disparaître, puisqu’il est, comme pour les médecins généralistes et spécialistes, purement incitatif. Nous savons désormais qu’il doit s’accompagner de mesures de régulation pour être parfaitement efficient.

Malgré ces quelques pistes d’amélioration, la proposition de loi va dans le bon sens, tant la baisse de la démographie professionnelle des orthophonistes doit être anticipée. Elle permet par ailleurs de répondre à de nombreuses alertes lancées par les professionnels et les patients. Elle recueille donc le soutien des députés du groupe Socialistes et apparentés.

Mme Sylvie Dezarnaud (DR). L’augmentation du nombre d’orthophonistes dans l’ensemble du territoire est une attente forte de nos concitoyens. Ces professionnels, qui interviennent aussi bien auprès des enfants qu’auprès des victimes d’AVC et des personnes âgées atteintes de maladies neurodégénératives, ne sont que 21 000 à exercer en libéral, soit une moyenne de 30 pour 100 000 habitants, ce qui est insuffisant pour répondre à la demande croissante de soins.

Le groupe Droite Républicaine a toujours soutenu les initiatives visant à renforcer l’accès aux soins pour tous, en particulier pour la jeunesse, à qui l’orthophonie s’adresse principalement. Nous sommes conscients que le nombre actuel d’orthophonistes agréés ne permet pas de répondre à la demande croissante de soins, d’autant que le champ d’intervention de ces praticiens a été élargi. La proposition de loi tente de répondre à ce besoin, ainsi qu’aux demandes des professionnels du secteur, qui se félicitent de cette initiative. Notre groupe votera donc ce texte. Afin de légiférer en toute connaissance de cause, nous souhaitons toutefois que la rapporteure fournisse à la représentation nationale une évaluation précise de son coût.

M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’examen de cette proposition de loi intervient dans un contexte d’engorgement inédit des cabinets d’orthophonistes. Du fait de la démographie professionnelle du secteur, ces praticiens peinent à répondre à une demande croissante de prise en charge. Avec seulement 33 orthophonistes pour 100 000 habitants, le temps d’attente pour obtenir un premier rendez-vous peut aller de plusieurs mois à trois ans, pour les patients habitant dans des zones particulièrement dépourvues de professionnels. Or l’impossibilité d’accéder à des soins nécessaires peut non seulement entraîner une aggravation des troubles, mais aussi renforcer le risque d’exclusion sociale des patients éprouvant des difficultés à communiquer.

Je pense particulièrement aux enfants en situation de handicap atteints de troubles du langage et de la communication. À l’heure où nous dressons le bilan de vingt ans de politiques déficientes en matière d’école inclusive, nous ne pouvons garantir l’inclusion pleine et entière des enfants handicapés en milieu ordinaire sans leur donner toutes les clés pour apprendre dans les meilleures conditions. Ainsi, l’accès effectif à un orthophoniste est un prérequis du respect du droit à la scolarité.

Dans ce contexte, le groupe Écologiste et Social ne peut que saluer ce texte ambitieux, qu’il soutiendra. Nous déplorons toutefois que le renforcement de la démographie des orthophonistes repose toujours sur une logique de numerus clausus, alors que nous payons très cher la politique visant à entraver l’accès aux études de médecine, imposée sous couvert de coupes budgétaires. N’avons-nous pas retenu la leçon ?

Du reste, cette proposition de loi ne saurait se substituer à un plan global visant à garantir l’accès aux soins orthophoniques, assorti d’une programmation pluriannuelle fondée sur les besoins. Le groupe Écologiste et Social soutiendra ainsi toute initiative visant à garantir la soutenabilité de la filière, tant pour les patients que pour les professionnels. Cela devra passer par une revalorisation du métier et des rémunérations, une évaluation territoriale des besoins ainsi qu’une concentration des moyens dans les zones sous-denses.

Nous partageons les craintes exprimées par la Fédération nationale des orthophonistes quant à une politique qui ferait la part belle aux établissements privés lucratifs, dans un contexte de sous-financement chronique de l’université publique. On ne pourra penser une société du soin sans garantir un accès effectif à la formation ni octroyer des moyens supplémentaires aux centres médico-psychologiques et aux services d’éducation spéciale et de soins à domicile, où des orthophonistes devraient être recrutés et intégrés au sein d’équipes pluridisciplinaires.

Mme Lise Magnier (HOR). Je tiens à remercier notre rapporteure d’avoir permis l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi, qui tend à répondre à l’un des défis capitaux auxquels le système de santé français se trouve confronté, notamment dans le secteur de l’orthophonie. Face à la pénurie criante de professionnels – seulement 26 000 orthophonistes en activité pour plus de 67 millions d’habitants –, ce texte vise à mettre en œuvre des solutions concrètes.

À l’occasion des Assises de la pédiatrie de la santé de l’enfant, en 2024, le Gouvernement, conscient des effets préjudiciables de cette situation pour les patients en attente de soins, avait annoncé de premières mesures, telle l’augmentation du nombre de places ouvertes en formation initiale, afin de répondre aux besoins très importants constatés sur le terrain. Aussi la présente proposition prévoit-elle une hausse significative du nombre d’étudiants en orthophonie d’ici à 2030.

Afin d’améliorer la répartition des orthophonistes sur le territoire national, le dispositif des contrats d’engagement de service public sera étendu aux étudiants en orthophonie. Cette mesure incitative favorisera l’installation de ces derniers dans les zones sous‑dotées, ce qui devrait réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins.

Le texte prévoit également un mécanisme d’évaluation, puisqu’un rapport devra être remis au Parlement dans cinq ans afin d’ajuster la politique si cela s’avère nécessaire. Cette clause de revoyure permettra au législateur d’assumer ses missions de manière efficace et responsable.

Cette proposition de loi, complète, constitue un acte politique fort, par lequel nous affirmons notre détermination à garantir l’accès aux soins de tous les Français, quel que soit leur lieu de résidence. Le groupe Horizon & Indépendants la votera bien évidemment.

M. Paul-André Colombani (LIOT). La demande de soins orthophoniques ne cesse de croître. Pourtant, le nombre d’orthophonistes stagne, à cause d’un numerus clausus trop bas. Alors que 90 % de ces professionnels ne peuvent plus accepter de nouveaux patients, de nombreux jeunes choisissent de partir étudier à l’étranger, ce qui est une aberration.

Nous devons augmenter le nombre d’étudiants dans cette filière, mais en préservant le modèle universitaire qui a fait ses preuves. Au-delà de l’enjeu pédagogique et scientifique, il convient de garantir un accès démocratique aux études d’orthophonie tout en créant de nouveaux postes et en donnant aux praticiens la possibilité d’adapter leurs locaux. La création d’un statut de maître de stage favorisera la multiplication des lieux de stage, donc l’augmentation du nombre d’étudiants formés.

Néanmoins, les inégalités géographiques sont très fortes. Des territoires entiers, notamment dans le Nord, le centre et les outre-mer, sont quasiment dépourvus d’orthophonistes : le délai pour obtenir un rendez-vous peut y atteindre quatre-vingt-un jours. L’ouverture du contrat d’engagement de service public aux orthophonistes permettra de réduire ces disparités en incitant les jeunes diplômés à s’installer dans les zones sous‑dotées. Il faut toutefois rappeler que des aides à l’installation existent déjà, et que les mécanismes d’incitation présentent des limites. Plus généralement, il faudra faire en sorte de développer l’offre de formation dans tout le pays, pour faciliter l’ancrage territorial des professionnels, et d’améliorer les conditions d’exercice, notamment salarié.

Le succès de cette proposition de loi passera par un financement à la hauteur.

Enfin, au-delà de la formation, d’autres pistes d’amélioration doivent être creusées. Je pense notamment à la revalorisation du métier dans les établissements de santé et médico-sociaux, à la meilleure reconnaissance de ces praticiens, à la prévention, ou encore à l’amélioration du parcours de soins des patients.

Mme la rapporteure. Je crois pouvoir dire que le constat est unanimement partagé.

Je l’ai déjà expliqué lors de mon propos liminaire, l’objectif n’est surtout pas d’instaurer un numerus clausus mais plutôt d’établir une programmation, tant pour permettre aux universités de prévoir, dans leur budget, les investissements nécessaires, que pour augmenter progressivement et de façon cohérente le nombre de maîtres de stage disponibles. Ce serait une erreur que de vouloir former davantage d’étudiants sans faire en sorte qu’ils soient accueillis dans de bonnes conditions à l’université et suivis correctement pendant leurs stages.

La programmation prévoit donc une augmentation du nombre d’étudiants en orthophonie d’environ 10 % par an, soit 50 % en cinq ans. Cet objectif me semble à la fois réaliste et réalisable. La progression a été déterminée en lien avec la fédération, mais elle résulte surtout d’un travail réalisé dans le cadre des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant : les besoins ont donc été évalués sérieusement.

J’ai évidemment interrogé le ministère de l’enseignement supérieur sur le financement de ces mesures. J’espère d’ailleurs que nous aurons la possibilité d’examiner ce texte en séance et que le ministre sera au banc : nous pourrons alors lui poser directement la question. Le ministère m’a répondu très clairement que la formation des orthophonistes était l’une de ses priorités ; malheureusement, ce n’est pas toujours celle des universités, qui sont budgétairement autonomes. L’un des enjeux de cette proposition de loi est aussi de faire en sorte que ce sujet devienne une priorité partagée.

L’augmentation programmée du nombre d’étudiants va permettre à des universités d’ouvrir des centres de formation dans des sites ne proposant pas encore de formations en santé. En effet, le ministère de l’enseignement supérieur m’a expliqué qu’il essaierait précisément de concentrer les moyens là où il n’existe pas encore de formations en orthophonie. Nous pourrons ainsi lutter contre les déserts médicaux tout en ouvrant de nouvelles perspectives à certains jeunes, dans des territoires où ils n’avaient jusqu’alors pas accès à ce type de cursus.

Pour être claire, il faudra prévoir des moyens financiers supplémentaires. En moyenne, 700 000 euros supplémentaires seront nécessaires pour la première année. Tous les ans, nous augmenterons le nombre de formations, sachant que le coût moyen d’une formation est de 8 000 euros dans un centre universitaire existant mais sera de 16 000 euros dans les centres qui seront créés. En 2030, environ 5 millions d’euros supplémentaires devront ainsi être fléchés vers les centres de formation. C’est à la fois beaucoup et peu.

Nous partageons tous l’objectif de réserver la formation d’orthophoniste au secteur public. J’ai d’ailleurs déposé un amendement à l’article 2 pour supprimer la référence aux organismes privés et rapprocher ainsi les dispositions régissant les études médicales et d’orthophonie.

Toutefois, il ne serait pas constitutionnel d’interdire au secteur privé de proposer des formations d’orthophoniste. Nous lutterons autant que nous le pourrons pour maintenir la formation d’orthophoniste dans les universités.

Article 1er : Programmation pluriannuelle de l’augmentation des quotas de formation en orthophonie

Amendement AS5 de M. Joël Aviragnet

M. Joël Aviragnet (SOC). Nous partageons votre objectif d’augmenter le nombre de places en formation d’orthophoniste. Toutefois, il faut réécrire l’article 1er. Le nombre fermé de formations que vous prévoyez d’inscrire dans la loi est assimilable à un numerus clausus. Il risquerait d’être censuré par le Conseil constitutionnel et de contraindre la progression du nombre d’étudiants. Nous proposons donc, pour toutes les années suivant 2025, de présenter l’objectif sous forme de pourcentage de progression du nombre de places.

Mme la rapporteure. Nous sommes d’accord, il faut augmenter le nombre d’étudiants en orthophonie. Si nous programmons l’atteinte de cet objectif dans la loi, c’est parce que nous n’avons pas d’autre choix pour faire bouger les lignes.

Ce serait une fausse bonne idée de fixer ces objectifs sous forme de pourcentage pour les années suivant 2025. Si, cette année-là, nous n’arrivons pas à obtenir 1 073 étudiants, alors la base de calcul pour l’année suivante sera plus basse et l’objectif final moins ambitieux.

La programmation inscrite à l’article 1er doit permettre une progression de 50 % des effectifs en 2030, avec 10 % de progression par an en moyenne d’ici là. La revoyure prévue en 2030, permettra de faire le point et de comprendre, le cas échéant, pourquoi l’objectif n’a pas été atteint, mais aussi de décider des objectifs pour les cinq années suivantes.

En outre, l’article 1er ne pourra pas être censuré par le Conseil constitutionnel, car celui-ci ne sanctionne jamais l’intervention de la loi dans le domaine réglementaire, considérant que si la Constitution de 1958 reconnaît à l’autorité réglementaire un domaine propre, son esprit ne porte pas à considérer comme inconstitutionnelles les dispositions de nature réglementaire contenues dans une loi. Heureusement, sinon peu de lois seraient constitutionnelles...

Enfin, avec un objectif fixé en chiffres entiers, plutôt qu’en pourcentages, chacun saura de quoi on parle.

Avis défavorable.

M. Joël Aviragnet (SOC). Nous sommes d’accord sur le fond. Je retire donc l’amendement. Nous réfléchirons à une nouvelle rédaction en vue de l’examen en séance publique.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS30 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Amendement AS43 de Mme Agnès Firmin Le Bodo

Mme la rapporteure. Après l’article 3, je défendrai un amendement visant à renommer le certificat de capacité d’orthophoniste « diplôme d’État », pour reconnaître l’évolution de cette formation. Par cohérence, je propose d’insérer dès cet article l’expression « diplôme d’État d’orthophonie ».

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS16 de Mme Zahia Hamdane

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Même si je ne l’ai pas dit clairement tout à l’heure, nous voterons en faveur de cette proposition de loi. Nous proposons toutefois de la compléter.

Le présent amendement vise à garantir que la formation des orthophonistes restera intégralement publique, à travers les CFUO. Nous saluons le fait qu’une proposition de loi s’attaque enfin à la pénurie d’orthophonistes, mais si nous voulons former plus, il faut préciser où, comment et par qui cette formation sera assurée.

Alors que les CFUO manquent déjà de moyens, l’État a réduit le budget de l’enseignement supérieur de 1 milliard d’euros. Certains préparent discrètement l’arrivée du privé dans le secteur, avec des classes préparatoires hors de prix pour des formations à l’étranger. La Fédération nationale des orthophonistes elle-même s’alarmait d’un « grand danger pour la qualité de [la] formation [des étudiants], ainsi que pour les futurs orthophonistes ». On connaît le résultat : celles qui peuvent payer pourront devenir orthophonistes, les autres resteront sur le carreau.

Avec une formation intégralement publique, nous garantissons que l’accès à la formation est déterminé par la motivation et les compétences, plutôt que par le compte en banque des parents.

Mme la rapporteure. Je partage votre intention. La formation d’orthophoniste doit rester entre les mains des universités. Cela implique que le Gouvernement consacre les moyens nécessaires à l’accueil d’étudiants supplémentaires dans de bonnes conditions.

Votre amendement irait au-delà, en créant un monopole de l’université publique sur la formation d’orthophoniste. Ce serait contraire au principe constitutionnel de liberté d’enseignement, formalisé, pour l’enseignement supérieur, par la décision du Conseil constitutionnel du 8 juillet 1999 relative à la loi d’orientation agricole. Des procédures d’agrément préalable pour l’ouverture d’établissements d’enseignement privé ont notamment été censurées, dès lors qu’elles n’étaient pas suffisamment précisées et motivées. A fortiori, il ne serait pas possible d’interdire purement et simplement l’ouverture d’établissements d’enseignement supérieur privé.

Avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo (DR). Cet amendement soulève la question de la crédibilité du texte. Sur une période relativement courte, de cinq ans, vous voulez accroître de 50 % le nombre d’étudiants, mais quid des capacités d’accueil dans les écoles et de la disponibilité des professeurs ? Souvenons-nous que la suppression du numerus clausus des études de médecine n’a eu strictement aucun effet les deux premières années, pour la bonne et simple raison que les universités ne pouvaient pas ouvrir de nouvelles places.

En outre, même si votre objectif est louable, la question du coût reste entière.

Mme la rapporteure. J’ai répondu tout à l’heure concernant le coût des mesures prévues dans le texte, chiffres à l’appui. Nous programmons l’accroissement des effectifs, pour permettre aux universités de s’adapter à l’accueil d’étudiants supplémentaires dans de bonnes conditions. En outre, les représentants du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ont manifesté leur volonté de cibler des universités ne proposant pas de formation de santé, afin d’ouvrir l’accès à ces formations aux jeunes qui en étaient privés. Charge à eux d’y mettre les moyens. Nous serons vigilants. Ils devront nous répondre quand ils seront au banc, lors de l’examen du texte en séance publique.

Une évolution progressive et raisonnable nous permettra d’éviter le problème que vous soulevez concernant la transformation du numerus clausus en numerus apertus. Les acteurs pourront notamment programmer l’évolution des capacités d’accueil dans les stages. Actuellement, les maîtres de stage sont des orthophonistes exerçant à titre libéral, qui s’acquittent bénévolement de cette mission, alors que les stages représentent 21 % de la formation d’orthophoniste en premier cycle et 59 % en deuxième cycle.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS19 de Mme Zahia Hamdane

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Le texte doit fixer un objectif clair : ouvrir dix nouveaux centres de formation universitaire en orthophonie d’ici à 2030, là où les besoins sont les plus criants, dans les zones sous‑dotées en praticiens.

Les vingt-deux CFUO qui délivrent le certificat de capacité d’orthophoniste ne pourront pas, de toute manière, absorber le volume prévu par la programmation. Former 50 % d’étudiants en plus dans les cinq années à venir nécessite d’ouvrir de nouveaux établissements. En outre, les études montrent que les professionnels s’installent là où ils ont grandi, étudié ou débuté.

Pour lutter contre les déserts médicaux, il faut donc former localement, d’autant que les inégalités territoriales sont flagrantes – on compte plus de 40 orthophonistes pour 10 000 habitants sur les littoraux de l’Hexagone, mais seulement 4 à Mayotte et 15 dans l’Indre. Dans les zones sous‑dotées, ce ne sont pas les maîtres de stage ni la patientèle qui manqueront. C’est une mesure de santé publique et d’aménagement du territoire.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

Sur le fond, nous sommes d’accord. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche juge lui-même que l’ouverture de nouveaux centres est nécessaire. Sur la forme, je suis défavorable à votre amendement. Il serait dépourvu d’effet juridique et il faut éviter d’écrire des lois bavardes.

En outre, pourquoi demander dix nouveaux centres de formation ? Selon quels critères avez-vous choisi ce nombre, plutôt que six ou douze ? Cette proposition de loi doit permettre à des universités d’ouvrir des centres de formation en orthophonie dans le respect de l’autonomie des universités.

M. Théo Bernhardt (RN). Selon nous, cet amendement renvoie à une bonne idée. Comment inciter les étudiants à s’installer dans les zones sous‑dotées en orthophonistes ? En l’état, l’accroissement des effectifs d’étudiants ne concernera que les universités des grandes villes.

Mme la rapporteure. Non, les nouveaux centres devront ouvrir dans des universités éloignées des centres hospitaliers universitaires et ne formant pas de professionnels en santé. Ils constitueront une opportunité pour les déserts orthophoniques. Il ne s’agit donc pas principalement d’ouvrir des places supplémentaires dans les centres existants, qui sont saturés – même s’il faudra aussi utiliser ce levier dans les régions où c’est nécessaire.

Nous ne pouvons pas pour l’instant fixer le nombre des nouveaux centres – celui qui serait valable la première année ne le serait d’ailleurs pas forcément les suivantes. En outre, ce chiffre serait dépourvu d’effet juridique.

M. Nicolas Turquois, président. Vos interventions font écho aux débats de ce matin concernant les déserts médicaux. Les seuls membres des professions médicales qui s’installent dans les territoires isolés sont ceux qui en sont issus. Il faut reterritorialiser la formation, tout en respectant des règles d’équité.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS21 de Mme Zahia Hamdane

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Nous proposons de cibler l’accroissement des effectifs dans les CFUO existants situés à proximité de zones sousdotées, afin de les optimiser. Les CFUO d’Amiens, de Besançon, de Limoges, de Tours ou de l’université des Antilles sont les mieux placés pour favoriser l’implantation future des orthophonistes dans les territoires en souffrance. Il faut anticiper les choses très en amont.

C’est une mesure pragmatique, fondée sur l’expérience et les données du terrain, qui permettra d’éviter le saupoudrage. Pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins, commençons par développer les formations là où les soignants manquent.

Mme la rapporteure. Avis défavorable, même si je comprends votre intention. Comme vous, je souhaite une répartition plus homogène des orthophonistes sur le territoire. C’est d’ailleurs le sens de la création du CESP prévue à l’article 3.

Toutefois, le manque d’orthophoniste se fait sentir sur tout le territoire. Pourquoi n’enverrions-nous pas d’étudiants dans les centres de Paris, Lyon, Bordeaux ou Nantes alors même que ces territoires en ont besoin ? Il faudra envoyer des étudiants partout, y compris en ouvrant de nouveaux centres dans les zones qui n’en disposent pas actuellement.

Enfin, la question géographique ne doit pas nous faire oublier celle, au moins aussi importante, du manque d’étudiants dans tous les établissements et services médico-sociaux. La priorité de ce texte est d’inciter davantage de jeunes orthophonistes à y exercer.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS44 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Amendement AS22 de Mme Zahia Hamdane

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Si nous décidons enfin d’augmenter les places en formation d’orthophonie, où formerons-nous les nouveaux étudiants ? Nous proposons une mesure simple et stratégique : orienter en priorité les effectifs supplémentaires vers les centres de formation situés en zone sous-dense ou à proximité.

Dans certains territoires comme Mayotte, la Guyane ou l’Indre, la densité de professionnels est dramatiquement basse. Pourtant, l’effort de formation reste concentré dans les grandes métropoles.

Ce texte, outre une trajectoire chiffrée, doit prévoir une boussole territoriale. Il faut non seulement former davantage, mais aussi former là où les besoins sont les plus criants.

Mme la rapporteure. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que pour l’amendement précédent.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

Amendement AS7 de M. Joël Aviragnet

M. Joël Aviragnet (SOC). Par cet amendement d’appel, nous demandons la création d’un indicateur territorial de l’offre d’orthophonie. En effet, la répartition des orthophonistes sur le territoire ainsi que leur capacité à répondre à la demande de soins sont assez mal connues. Cet indicateur définirait en outre un niveau minimal d’offre de soins à atteindre dans les zones sous‑dotées.

Mme la rapporteure. Le diagnostic sur la répartition territoriale de l’offre en orthophonie est déjà bien établi. Les orthophonistes elles-mêmes ont déjà créé une plateforme de régulation, qui permet de recenser l’offre disponible et de gérer les risques d’attente, en lien avec les agences régionales de santé (ARS) et les unions régionales des professionnels de santé. En outre, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques a publié en décembre 2024 une étude montrant le besoin d’orthophonistes sur tout le territoire.

Ce constat établi, il reste à répondre à la problématique démographique et à former davantage d’orthophonistes.

Je vois mal ce que votre amendement apporterait. Évitons de rendre la loi bavarde.

Avis défavorable.

M. Joël Aviragnet (SOC). Nous n’avons pas compris la même chose de nos échanges avec les représentantes de la Fédération nationale des orthophonistes. Il semble qu’elles n’ont pas connaissance de la répartition précise des orthophonistes dans les bassins de vie.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS23 de Mme Zahia Hamdane

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Nous demandons un rapport clair sur la capacité des centres de formation en orthophonie à accueillir les effectifs supplémentaires annoncés.

Les universités sont exsangues. Le gouvernement Bayrou a amputé le budget de l’enseignement supérieur de plus de 1 milliard d’euros. D’un côté, on affiche une ambition, de l’autre, on étrangle financièrement les établissements censés l’appliquer. Soyons cohérents. Former plus, c’est financer plus. À défaut, la charge pèsera sur des équipes déjà à bout, ou pire, le privé s’engouffrera dans les brèches, au détriment de l’égalité.

Ce rapport serait un test de sincérité : peut-on former plus sans dégrader la qualité de l’enseignement ? Peut-on renforcer l’accès aux soins sans affaiblir l’université ? Si la réponse est oui, prouvez-le. Sinon, assumez-le.

Mme la rapporteure. Vous avez raison, les moyens des centres de formation sont l’enjeu central de cette proposition de loi. Nous inscrivons ces objectifs pour faire en sorte que les centres bénéficient des moyens nécessaires à la formation de davantage d’orthophonistes. Cela créera une obligation de résultat pour le Gouvernement.

Pour autant, je ne partage pas les termes de votre demande de rapport. Vous partez du postulat que les centres de formation ne pourront pas former davantage d’étudiants parce que le Gouvernement ne leur en donnera pas les moyens. Avec la présente proposition de loi, nous faisons le pari inverse. En décrétant une priorité politique, nous ferons en sorte que la formation d’orthophoniste bénéficie de financements prioritaires au sein de l’université. Charge à nous de contrôler que les moyens nécessaires seront déployés.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 : Création d’un statut de maître de stage universitaire en orthophonie

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS33 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Amendement AS35 de Mme Agnès Firmin Le Bodo

Mme la rapporteure. Nous inspirant de ce qui est prévu pour les médecins, nous avons précisé, dans le texte initial de la proposition de loi, que la formation des maîtres de stage des universités pourrait être assurée par les universités ou par des « organismes habilités ». Or d’aucuns ont été choqués par cette dernière mention. Même si la liberté de l’enseignement a valeur constitutionnelle, nous partageons la volonté que cette formation soit assurée le plus longtemps possible par les universités publiques. Pour manifester notre bonne volonté, nous proposons donc de supprimer la mention des « organismes habilités ».

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement AS6 de M. Joël Aviragnet tombe.

La commission adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : Extension des contrats d’engagement de service public aux orthophonistes

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS31 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Amendement AS38 de Mme Agnès Firmin Le Bodo

Mme la rapporteure. La proposition de loi vise à étendre le CESP aux seuls étudiants de premier cycle d’orthophonie. Or il serait utile de le proposer également aux étudiants qui entament le second cycle, c’est-à-dire au début de la quatrième année. Par cet amendement, nous proposons donc de l’étendre à l’ensemble des étudiants en orthophonie.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS38 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Amendement AS24 de Mme Zahia Hamdane

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Il s’agit d’étendre en priorité les CESP aux étudiants issus de milieux populaires et originaires de zones sousdotées en orthophonistes, pour lesquels les obstacles se cumulent. En effet, non seulement leurs stages ne sont pas rémunérés, mais ils doivent souvent financer leur logement, leur déménagement et des frais de déplacement. Or 93 % d’entre eux ne perçoivent aucune aide et, pour un tiers d’entre eux, les frais liés aux stages pèsent lourdement sur leur budget.

Le CESP, qui s’accompagne d’une allocation mensuelle de 1 200 euros, peut être un véritable levier. Encore faut-il qu’il soit attribué, de manière à faire la différence, aux étudiants les plus précaires et à ceux qui sont le plus susceptibles d’exercer dans des zones tendues puisque, on le sait, le lieu de scolarité et l’origine géographique influencent fortement le lieu d’installation. L’orientation sociale et territoriale du CESP est donc non seulement une mesure de justice mais aussi une stratégie d’efficacité sanitaire.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

Votre proposition de restreindre l’accès au CESP est en contradiction avec notre volonté de le développer, notamment pour favoriser l’installation dans les territoires où nous avons besoin d’orthophonistes. En outre, les critères retenus me semblent tout à fait contestables : le niveau social des parents n’est pas toujours un bon indicateur de la situation de l’étudiant, qui n’est pas forcément aidé par sa famille. Tous les étudiants qui souhaitent s’engager à exercer dans un territoire sous‑doté ou en établissement doivent avoir accès au CESP.

M. Fabien Di Filippo (DR). Outre que le facteur géographique ne me semble pas parfaitement constitutionnel, le lien établi entre l’origine géographique des étudiants et le lieu de leur installation mériterait d’être discuté. Par ailleurs, des étudiants issus de milieux sociaux modestes pourraient perdre leur bourse s’ils bénéficiaient d’autres dispositifs. Je ne comprends pas très bien l’objectif de cet amendement qui, en tout état de cause, pourrait avoir des effets pervers.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS34 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Amendement AS40 de Mme Agnès Firmin Le Bodo

Mme la rapporteure. Il s’agit de reformuler le critère des modalités et lieux d’exercice ouvrant droit au CESP d’orthophonie pour mieux l’adapter aux nécessités de cette profession. Il apparaît en effet qu’il sera sans doute utile d’orienter prioritairement le CESP vers l’exercice en établissement, particulièrement sinistré et peu attractif. Je propose donc de supprimer la mention d’un exercice « libéral ou salarié » et de renvoyer à une liste, établie par arrêté, de lieux d’exercice déterminés qui seront identifiés par les ARS, afin de mieux répondre aux besoins.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS25 de Mme Zahia Hamdane

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Moins de 10 % des orthophonistes exercent au sein de structures non lucratives. Ainsi, dans les hôpitaux publics et les établissements ou services médico-sociaux (ESMS), les postes restent vacants et les files d’attente s’allongent. Or cette situation n’est pas due au hasard. Lorsque le salaire est inférieur au Smic dans certains ESMS et lui est à peine supérieur à l’hôpital, l’exercice salarié est devenu dissuasif.

Par cet amendement, nous proposons de remédier concrètement à ce problème en réservant un quart des CESP aux étudiants qui s’engagent à exercer dans des structures publiques ou non lucratives. Ce faisant, nous soutiendrions financièrement les étudiants tout en redonnant un peu d’oxygène à ces établissements. L’allocation mensuelle à laquelle donne droit le contrat peut compenser en partie la différence de rémunération par rapport au libéral. Encore faut-il qu’il soit orienté vers les structures où les besoins sont les plus criants.

Cette mesure n’a rien de symbolique : elle agirait comme un levier pour rééquilibrer la profession et soutenir le soin dans les lieux où il est le plus fragilisé.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

Sur le fond, je partage votre préoccupation puisque nous avons adopté, à mon initiative, un amendement qui tend à orienter le CESP vers l’exercice salarié en établissement. En revanche, il serait contre-productif de fixer arbitrairement un taux dans la loi. Faisons plutôt confiance au Gouvernement et aux acteurs de terrain pour orienter, par voie réglementaire et de façon concertée, les CESP vers les endroits où ils seront effectivement utiles.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Article 3 bis (nouveau) : Création du diplôme d’État d’orthophoniste

Amendements AS36 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS11 de M. Théo Bernhardt (discussion commune)

Mme la rapporteure. À la suite de nos auditions, nous avons estimé que l’appellation « certificat de capacité », un peu datée, ne rendait pas justice aux orthophonistes, dont la formation, de niveau master, est dense et exigeante. Nous proposons donc de le renommer « diplôme d’État d’orthophoniste » à compter de la rentrée universitaire 2026-2027.

Mon amendement est préférable à celui de M. Bernhardt, qui aboutirait à « écraser » le certificat de capacité, lequel ne serait plus reconnu alors que l’appellation « diplôme d’État » ne s’appliquera qu’à ceux qui seront délivrés à l’avenir. Il convient de reconnaître et le diplôme d’État et le certificat de capacité, tout en prévoyant la substitution du premier au second à partir de la rentrée universitaire 2026 pour laisser le temps à cette proposition de loi d’achever sereinement son parcours.

M. Théo Bernhardt (RN). Comme l’a indiqué Mme la rapporteure, il nous a semblé judicieux, à la suite des auditions, de renommer le certificat de capacité « diplôme d’État » afin de mieux reconnaître la formation des orthophonistes.

Mme la rapporteure. Je vous propose, pour les raisons que j’ai indiquées, de retirer votre amendement. Sinon, avis défavorable.

L’amendement AS11 est retiré.

La commission adopte l’amendement AS36.

Après l’article 3

Amendement AS26 de Mme Zahia Hamdane

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). On ne réglera pas la crise de la démographie professionnelle des orthophonistes sans s’attaquer à la question taboue des salaires dans le secteur public. Dans un ESMS, une orthophoniste peut toucher moins que le Smic et, à l’hôpital, le salaire d’entrée pour un praticien titulaire d’un bac +5, dont les conditions de travail sont, qui plus est, particulièrement difficiles, est de 1 745 euros nets. Comment s’étonner que les jeunes diplômés fuient l’exercice salarié ?

Nous proposons donc que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur leur revalorisation salariale afin de chiffrer, d’objectiver et de planifier un véritable rattrapage. Tant que l’on paiera les orthophonistes à ce niveau de salaire, l’attractivité des secteurs public et médico-social restera nulle et les postes vacants seront légion.

Il ne suffit pas de former davantage de professionnels si on les laisse fuir vers le secteur libéral, faute de reconnaissance et d’une rémunération suffisante. Si nous voulons que cette loi produise un effet réel sur l’accès aux soins, commençons par regarder en face ce qui incite les orthophonistes à fuir le service public.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

L’attractivité du mode d’exercice salarié est, c’est vrai, un véritable enjeu. À cet égard, tout le monde reconnaît la nécessité d’augmenter les revenus des orthophonistes salariés. Je ne crois donc pas qu’un rapport soit nécessaire. Faute de marge de manœuvre dans ce domaine, je propose, en étendant le CESP aux étudiants orthophonistes, d’améliorer concrètement l’attractivité de l’exercice salarié en offrant une allocation aux étudiants qui s’engageraient à choisir ce mode d’exercice pendant un certain nombre d’années.

Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). La question est importante, mais il serait plus pertinent de l’aborder dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

La commission rejette l’amendement.

Article 4 : Clause de revoyure

Amendement AS37 de Mme Agnès Firmin Le Bodo

Mme la rapporteure. Cet amendement est rédactionnel dans son esprit : il s’agit de réécrire la clause de revoyure, dont la rédaction est perfectible. Il y est en effet question de la nécessité de modifier la programmation prévue à l’article 1er alors qu’en 2030, cette programmation sera arrivée à son terme. Il ne s’agit donc pas tant de la modifier que d’évaluer la nécessité de la reconduire pour les années suivantes.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AS28 et AS27 de Mme Zahia Hamdane tombent.

La commission adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

Amendements AS12 et AS13 de M. Théo Bernhardt

M. Théo Bernhardt (RN). Nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement deux rapports : l’un sur la revalorisation de la rémunération des orthophonistes exerçant au sein de la fonction publique hospitalière, qui est demandée par les professionnels ; l’autre sur le montant des indemnités kilométriques versées aux orthophonistes, qui pourrait être aligné sur celui des indemnités versées aux médecins, puisque tout le monde paie l’essence au même prix. Il s’agit, dans les deux cas, de mesures susceptibles de renforcer l’attractivité de la profession.

Mme la rapporteure. Avis défavorable sur les deux amendements.

S’agissant de la rémunération, j’ai indiqué que l’orientation du CESP vers l’exercice en établissement pourra améliorer la situation. Par ailleurs, la problématique salariale, qui concerne également d’autres professions, notamment les kinés, doit être discutée dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Au demeurant, le problème est connu ; je ne crois donc pas que nous ayons besoin d’un rapport pour nous éclairer.

Quant à la revalorisation des indemnités kilométriques, elle ne me semble pas pertinente dès lors que les orthophonistes se déplacent très rarement à domicile.

M. Fabien Di Filippo (DR). On s’aperçoit que les facteurs d’attractivité de la profession sont nombreux.

Je regrette que l’amendement AS9 n’ait pas été défendu, car il soulève une question très intéressante, qu’il ne faut pas s’interdire d’aborder : celle des besoins réels. En effet, si chaque orthophoniste a plus d’une centaine de patients en attente, c’est en partie parce que certains d’entre eux – 25 %, selon certaines études – sont orientés de manière un peu automatique vers un orthophoniste alors qu’ils n’ont pas forcément besoin de ces soins. La question mérite d’être étudiée, ne serait-ce que par souci d’économiser l’argent public.

Mme la rapporteure. Ce constat est partagé. Il revient aux orthophonistes d’orienter les patients concernés vers un autre professionnel. Ce type de bonnes pratiques doit être développé, car elles peuvent contribuer à l’amélioration de l’accès aux soins des personnes qui ont réellement besoin de consulter un orthophoniste.

La commission rejette successivement les amendements.

Article 5 : Gage de recevabilité financière

La commission adopte l’article 5 non modifié.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

Mme la rapporteure. Je vous remercie de m’avoir accordé votre confiance et vous donne rendez-vous le 3 avril dans l’hémicycle.

*

*     *

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de loi figurant dans le document annexé au présent rapport.

– Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/SoJl58

– Texte comparatif : https://assnat.fr/knKNK4

 


–– 1 ––

   ANNEXE 1 :
Liste des personnes ENTENDUEs par la rapporteur
e

(par ordre chronologique)

 

      Table ronde :

 Fédération nationale des aphasiques de France  M. Jean Dominique Journet, président

 Fédération française des Dys  Mme Nathalie Groh, présidente

– Mmes Christine Tabuenca, directrice générale de la Fondation Médéric Alzheimer et Capucine Lespilette

        Conseil national professionnel (CNP) des orthophonistes  Mme Sylvia Topouzkhanian, orthophoniste, et Mme Elsa Wessbecher, orthophoniste

        Fédération nationale des orthophonistes (FNO)  Mme Sarah Degiovani, présidente, et M. Niels Lagrange, délégué général

        Fédération nationale des étudiants en orthophonie (Fneo)  Mme Camille Vanelstlande, directrice, et Mme Zoé Dupuy, vice‑présidente chargée de l’enseignement supérieur

        Table ronde avec des centres de formation universitaire en orthophonie (CFUO) :

 Centre de formation de Rouen  M. Frédéric Pasquet, maître de conférences en sciences du langage, directeur pédagogique

 Centre de formation de Paris  Mme Peggy Gatignol, directrice des études

 Centre de formation de Strasbourg  Mme Eléna Chabran, directrice

 Centre de formation de Bordeaux  M. Bertrand Glize, responsable de formation

– Centre de formation de Lyon  Mme Solveig Chapuis, directrice de formation

        Direction générale de l’offre de soins (DGOS)  Mme Clotilde Durand, adjointe à la directrice générale et cheffe de service, M. Romain Bégué, sous‑directeur des ressources humaines du système de santé, et Mme Florie Weber, cheffe du bureau de la démographie et de la formation initiale


–– 1 ––

ANNEXE 2 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

2

Code de la santé publique

L. 4341‑10 [nouveau]

3

Code de l’éducation

L. 636‑2 [nouveau]

3 bis

Code de la santé publique

L. 4341‑3 et L. 4344‑4‑2

 


([1]) Loi n° 64‑699 du 10 juillet 1964 relative aux professions d’orthophoniste et d’aide-orthoptiste.

([2]) Sorbonne Université, présentation de la formation d’orthophoniste, https://sante.sorbonne-universite.fr/formations/etudes-paramedicales/orthophonie.

([3]) Arrêté du 30 mars 2017 fixant la liste des dispositifs médicaux que les orthophonistes sont autorisés à prescrire.

([4]) Loi n° 2023‑379 du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé.

([5]) Avenant 20 à la convention nationale des orthophonistes libéraux du 22 juin 2023 entre la Fédération nationale des orthophonistes (FNO), l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) et l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (Unocam), approuvé par arrêté du 25 juillet 2023 et publié au Journal officiel le 18 août 2023.

([6]) Décret n° 2002‑721 du 2 mai 2002 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’orthophoniste.

([7]) « L’orthophonie et les troubles du langage écrit : une profession de santé face à l’école », Marianne Woollven, Revue française de pédagogie, 190 | 2015, pp. 103114.

([8]) Répertoire ADELI‑Drees, données au 1er janvier 2023.

([9]) Ibid.

([10]) Études & Résultats, n° 1293, Drees, janvier 2024.

([11]) Maladies neurodégénératives, Santé publique France, 2023.

([12]) « L’accompagnement parental au cœur des objectifs de prévention de l’orthophoniste : Le travail avec les outils Dialogoris 0/4 ans et Dialogoris 0/4 ans Orthophoniste », Antheunis Paulette et al., Contraste, 2007/1, n° 26, 2007. pp. 303‑320.

([13]) « La désillusion des étudiants voulant devenir orthophonistes : “Honnêtement, je ne pensais pas autant galérer” », Minh Dréan, Le Monde, 14 mars 2025.

([14]) Ibid.

([15]) Décret du 16 juin 2006 régulant le nombre d’étudiants dans certains cursus de premier cycle de l’enseignement supérieur.

([16]) Arrêté du 16 mai 1986 relatif aux études en vue du certificat de capacité d’orthophoniste.

([17]) Décret n° 2013‑798 relatif au régime des études en vue du certificat de capacité d’orthophoniste.

([18]) Fédération nationale des étudiants en orthophonie, « Santé mentale des étudiants en orthophonie, dossier de presse », février 2022, https://www.fneo.fr/wp-content/uploads/2022/02/DP-QSM-1.pdf

([19]) À hauteur de 30 000 euros pour une première installation et 17 000 euros pour une nouvelle installation.

([20]) Arrêté du 1er mars 2023 modifiant l’arrêté du 31 mai 2018 relatif à la méthodologie applicable à la profession d’orthophoniste pour la détermination des zones prévues au 1° de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique et modifiant l’arrêté du 13 novembre 2017 relatif à la méthodologie applicable à la profession de médecin pour la détermination des zones prévues au 1° de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique.

([21]) Arrêté du 3 août 2023 fixant le nombre maximal d’étudiants à admettre en première année d’études préparatoires au certificat de capacité d’orthophoniste et d’orthoptiste au titre de l’année universitaire 2023‑2024.

([22]) Certaines ARS peuvent, au cas par cas, proposer des indemnités de transport pour les étudiants effectuant un stage en orthophonie.

([23]) Loi n° 2019‑774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.

([24]) Arrêté du 1er mars 2023 modifiant l’arrêté du 31 mai 2018 relatif à la méthodologie applicable à la profession d’orthophoniste pour la détermination des zones prévues au 1° de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique et modifiant l’arrêté du 13 novembre 2017 relatif à la méthodologie applicable à la profession de médecin pour la détermination des zones prévues au 1° de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique.

([25]) Loi n° 2009‑879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

([26]) Loi n° 2023‑1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels.

([27]) Loi n° 64‑699 du 10 juillet 1964 relative aux professions d’orthophoniste et d’aide-orthoptiste.

([28]) Décret n° 2013‑798 du 30 août 2013 relatif au régime des études en vue du certificat de capacité d’orthophoniste.

([29]) https://assnat.fr/J5Ufvb