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N° 1189

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2024

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,


visant à restaurer l’autorité de l’État (n° 959)

PAR Mme Naïma MOUTCHOU

Députée

——

 

 

 

 


 


– 1 –

 

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION............................................ 5

Commentaire de l’article unique

Article unique (supprimé) (art. 132191 [rétabli] du code pénal) Peine minimale d’emprisonnement pour les violences commises en état de récidive légale à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique  ou chargées d’une mission de service public

Compte rendu des débats

 


– 1 –

 

Mesdames, Messieurs,

Notre pays est confronté à une vague de violences contre tous ceux qui incarnent l’autorité ou le service public. Ces agents, qu’ils soient policiers, gendarmes, médecins, pompiers ou professeurs sont devenus des cibles parce qu’ils représentent l’autorité, portent un uniforme ou sont en première ligne du service à nos concitoyens. En 2021, plus d’un tiers des faits de violence enregistrés en France, à l’exclusion des violences intrafamiliales, visaient des agents publics, avec plus d’un quart pour les seuls policiers et gendarmes. Il s’agit d’un mouvement de fond : depuis 2016, ces violences ont augmenté de près de 10 %.

Aucun pays ne peut se satisfaire de telles atteintes contre les personnes chargées de le protéger et de le servir.

La première des réponses doit être la fermeté. Au-delà des slogans et des propos de tribune, c’est une fermeté réelle, se traduisant dans le quantum des peines, dans la cohérence de la réponse pénale et dans la lisibilité de notre droit qui importe. Aujourd’hui, une part du problème n’est pas tant la sévérité de la réponse pénale que son manque de clarté : ces dernières années, le législateur a sacrifié cette lisibilité sur l’autel d’un individualisme judiciaire absolu. Pourtant, le code pénal nous rappelle les différentes fonctions de la peine : protéger la société et restaurer l’équilibre social, prévenir la commission de nouvelles infractions et, enfin, sanctionner l’auteur et favoriser son amendement. Ces finalités doivent être appréhendées toutes ensemble, sans que l’une prenne le pas sur les deux autres.

Dans cette perspective, le présent texte propose un système de peines minimales ciblées pour envoyer un signal clair : la récidive des violences délictuelles commises contre les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public entraînera automatiquement une peine d’emprisonnement d’un an minimum. Cette solution n’est ni excessive, ni arbitraire : elle est ciblée, puisqu’elle ne concerne que les violences délictuelles ; elle est mesurée car limitée aux cas de récidive légale ; elle est encadrée, parce qu’elle préserve la capacité du juge à déroger au minimum de peine d’emprisonnement.

L’objectif est de rappeler à l’autorité judiciaire la gravité des actes en cause et les attentes de la société en la matière. En faisant cela, nous restons dans notre rôle de législateur : à nous de déterminer les limites acceptables des peines ; au juge d’adapter la sanction à l’auteur et aux circonstances.

Ce texte respecte également notre histoire pénale, puisque la France a vécu avec des peines minimales pendant près de deux siècles. En effet, le code pénal de 1810 prévoyait déjà des planchers qui permettaient de concilier la contrainte judiciaire avec la nécessaire souplesse dans l’appréciation des circonstances et de la personnalité de l’auteur. Ce n’est qu’au début des années 1990, dans un tout autre contexte de délinquance, que le minimum de peine a été abandonné à l’occasion d’une refonte profonde du code pénal initiée par M. Robert Badinter, garde des sceaux.

Un tel minimum de peine d’un an, fixé de manière suffisamment basse et proche du quantum moyen prononcé aujourd’hui, ne constitue en aucune façon une atteinte au principe d’individualisation des peines. Cet argument est d’autant moins recevable que le législateur lui-même s’est montré favorable, ces dernières années, à la création de peines complémentaires obligatoires qui contraignent la main du juge. Qu’est-ce qui justifie d’imposer au juge le prononcé de certaines peines pour les élus corrompus ou les parents coupables de violences sur leurs enfants – dans ce dernier cas, avant même la déclaration de culpabilité –, mais de l’exclure pour les récidivistes de violences contre des policiers, des médecins ou des enseignants ?

Cette proposition représente, dès lors, un pas clair et équilibré vers un droit pénal qui protège mieux les serviteurs de la République tout en rassurant les citoyens.


   Commentaire de l’article unique

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit une peine minimale d’un an d’emprisonnement pour certains délits de violences volontaires commis en état de récidive légale sur les personnes dépositaires de l’autorité publique et celles chargées d’une mission de service public (forces de l’ordre, sapeurs-pompiers, magistrats, avocats, enseignants, professionnels de santé, élus, etc.).

Le juge disposerait néanmoins de la faculté de déroger à ce minimum de peine au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion que ce dernier présente.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a supprimé les « peines plancher » introduites en 2007 en cas de récidive et en 2011 pour certaines infractions commises par des primo-délinquants.

       Position de la Commission

La Commission a rejeté l’article unique de la proposition de loi.

  1.   L’État du droit
    1.   Les conditions d’appréciation de la récidive légale

● La récidive légale, régie par les articles 132‑8 à 132‑16‑5 du code pénal, constitue une modalité d’aggravation des peines réprimant la reproduction du comportement infractionnel. Elle est définie par des conditions précises qui la distingue d’autres modalités de répétition du comportement comme la réitération.

L’état de récidive légale est constitué dès lors que, à la suite d’une première condamnation devenue définitive, dite « premier terme de la récidive », une personne est de nouveau condamnée pour certaines infractions, dans le cadre du « second terme de la récidive ».

● Le premier terme de la récidive doit être une condamnation :

– de nature pénale, ce qui exclut par exemple les mesures éducatives prononcées à l’encontre de mineurs, la composition pénale et des décisions de dispense de peine ;

– devenue définitive, après épuisement des voies de recours ;

– prononcée par une juridiction française ou celle d’un État membre de l’Union européenne.

● Les règles applicables à l’appréciation de la récidive diffèrent selon le caractère criminel ou délictuel de la peine et de son quantum. À cet égard, la récidive peut être :

– générale et perpétuelle, pour une personne condamnée définitivement pour un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement qui commet un nouveau crime. Dans ce cas, aucune condition de délai ne s’applique pour l’appréciation du second terme de la récidive ;

– générale et temporaire, pour une personne condamnée définitivement pour un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement qui commet, dans un délai de dix ans, un délit également puni d’une peine d’emprisonnement de dix ans. Pour un même premier terme, la récidive légale est également constituée pour une personne qui commet dans un délai de cinq ans un délai puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an et inférieur à dix ans ;

– spéciale et temporaire, pour une personne déjà condamnée pour un délit qui commet, dans un délai de cinq ans, soit le même délit, soit un délit assimilé au regard des règles de la récidive ([1]) ;

– en matière contraventionnelle, la récidive doit être prévue expressément au niveau réglementaire et s’applique aux personnes condamnées définitivement pour une contravention de la cinquième classe qui commettent, dans un délai d’un an, la même contravention.

Les règles d’aggravation dans les différentes hypothèses sont présentées dans le tableau ci-dessous.

synthèse du régime de la récidive légale

1er terme de la récidive

2nd terme de la récidive

Délai

Aggravation de peines encourues en raison de la récidive

Fondement
(code pénal)

Crime ou délit puni de 10 ans

Crime puni de 20 ou 30 ans

Aucun

Peine maximale portée à la réclusion à perpétuité

132‑8

Crime puni de 15 ans

Peine maximale portée à 30 ans de réclusion

132‑8

Crime ou délit puni de 10 ans

Délit puni de 10 ans

10 ans

Doublement du maximum de l’emprisonnement et de l’amende

132‑9, al. 1er

Délit puni de plus d’un an et de moins de 10 ans

5 ans

Doublement du maximum de l’emprisonnement et de l’amende

132‑9, al. 2

Délit

Délit identique ou assimilé

5 ans

Doublement du maximum de l’emprisonnement et de l’amende

132‑10

Contravention de 5e classe

Même contravention

1 an

Doublement du maximum de l’amende (3 000 €)

132‑11, al. 1er

L’aggravation des peines en cas de récidive est également prévue pour les personnes morales par les articles 132-12 à 132-15 du code pénal.

● Enserrée dans des conditions législatives précises, la récidive se distingue d’autres modalités d’aggravation des peines comme la réitération ou le concours d’infractions.

La réitération d’infractions pénales, prévue à l’article 132‑16‑7 du code pénal, s’applique lorsqu’une personne déjà condamnée définitivement pour un crime ou un délit commet une nouvelle infraction ne répondant pas aux conditions de la récidive légale. Dans ce cas, les peines prononcées pour l’infraction commise en réitération se cumulent sans limitation de quantum et sans possibilité de confusion avec les peines définitivement prononcées lors de la condamnation précédente.

Le concours d’infractions, régi par les articles 132‑2 à 132‑7 du code pénal, s’applique lorsqu’une personne commet une infraction avant d’avoir été définitivement condamnée pour une autre infraction. Dans ce cas, un cumul des peines encourues, sous certaines conditions, s’applique.

● La récidive légale emporte, au-delà de l’aggravation du quantum de peine, des conséquences sur le prononcé et l’exécution de la peine :

– le prononcé du fractionnement de la peine d’emprisonnement par la juridiction est possible pour une durée égale ou inférieure à un an, contre deux ans pour un primo-délinquant (article 132-27) ;

– le sursis probatoire est possible pour les condamnations jusqu’à dix ans d’emprisonnement en cas de récidive légale, contre cinq ans pour un primo-délinquant (article 132‑41) ;

 – la juridiction ne peut prononcer le sursis probatoire à l’encontre d’une personne en état de récidive ayant déjà fait l’objet de deux condamnations assorties du sursis probatoire pour des délits identiques ou assimilés ;

– en cas d’un crime ou d’un délit de violences volontaire, d’agressions ou d’atteintes sexuelles ou d’un délit commis avec la circonstance aggravante de violences, la juridiction ne peut prononcer le sursis probatoire à l’encontre d’une personne ayant déjà fait l’objet d’une condamnation assortie du sursis probatoire pour des infractions identiques ou assimilées se trouvant en état de récidive légale. 

– le délai de probation, en principe de trois ans au plus, est porté à cinq ans en cas de récidive légale, et à sept ans en cas de multi-récidive (article 132‑42).

S’agissant des aménagements de peine, en revanche, la situation de récidive n’emporte plus de différence avec celle d’un primo-délinquant : le seuil légal de la durée de détention restant à subir pour pouvoir bénéficier de ces aménagements est désormais le même, fixé à un an ([2]).

  1.   LEs peines minimales, un principe traditionnel en droit pénal français

La Révolution de 1789 a consacré le principe de légalité des peines à l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en réaction au droit pénal d’Ancien régime et la détermination coutumière des incriminations et des peines.

Les révolutionnaires adoptent alors une vision de la légalité criminelle inspirée par les idées de Montesquieu qui considérait que « les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur » ([3]). Cette conception devait préserver les citoyens de l’arbitraire.

Le code pénal de 1791 s’inspire de ces principes avec la mise en place d’un système de peines fixes. Le juge est ainsi tenu de prononcer une peine déterminée pour les infractions dont il est saisi.

Le code pénal de 1810, élaboré sous le Premier empire, aboutit à un compromis entre le droit pénal d’Ancien régime, dans lequel le juge disposait d’une grande latitude, et les acquis révolutionnaires. Pour chaque infraction, ce nouveau code prévoit un minimum et un maximum de peine, le juge pouvant néanmoins descendre en dessous de ce minimum par le jeu des circonstances atténuantes ([4]).

De fait, la France a longtemps vécu avec un système général de peines minimales encadrant la capacité du juge à adapter la sanction au condamné.

Le code pénal napoléonien a été profondément remanié au début des années 1990, à partir d’un premier projet de loi présenté par M. Robert Badinter, garde des sceaux, en 1986. Le nouveau code pénal est entré en vigueur en 1994 après plusieurs années de débats parlementaires et l’adoption de cinq projets de lois. Ce code abandonne la fixation d’un quantum minimal de peine, au profit d’un seul maximum ([5]).

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, des minima de peine ont été réintroduits entre 2007 et 2014 et continuent d’exister sous la forme de planchers généraux (voir infra).

  1.   Les peines plancher en cas de récidive introduites à partir de 2007

Afin de renforcer l’effet dissuasif des sanctions, le législateur a mis en place des « peines plancher » par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs ([6]), complétée par la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ([7]). Ces peines plancher se déclinaient à la fois en matière criminelle et délictuelle, selon des modalités spécifiques.

● La loi de 2007 a introduit des seuils minimaux de peine criminelle, prévus à l’article 132‑18‑1, qui déterminaient un minimum d’emprisonnement en fonction du quantum de peine encourue. Hors perpétuité, le choix avait été fait de retenir un plancher correspondant environ au tiers de la peine maximale.

Peines plancher en matière criminelle

Peine de réclusion ou de détention encourue

Plancher prévu

Perpétuité

15 ans

30 ans

10 ans

20 ans

7 ans

15 ans

5 ans

La juridiction conservait cependant la capacité de prononcer une peine inférieure à ces seuils au regard des circonstances de fait et de la personnalité de son auteur.

En cas de nouvelle récidive d’un crime – donc lorsque l’infraction est commise une troisième fois – la juridiction pouvait prononcer une peine inférieure au seuil uniquement si l’accusé présentait des « garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ».

● La logique était similaire en matière délictuelle, avec les seuils minimaux retracés dans le tableau ci-dessous.

Peines plancher en matière délictuelle

Peine d’emprisonnement encourue

Plancher prévu

10 ans

4 ans

7 ans

3 ans

5 ans

2 ans

3 ans

1 an

La juridiction pouvait également prononcer des peines inférieures aux seuils prévus, dans les mêmes hypothèses qu’en matière criminelle avec, notamment, un resserrement en cas de multi-récidive.

Les peines plancher délictuelles comportaient néanmoins la spécificité que, pour les délits de violences, d’agression sexuelle ou ceux punis de dix ans d’emprisonnement commis une nouvelle fois en état de récidive légale, la juridiction ne pouvait prononcer une peine autre que l’emprisonnement. De nouveau, par une décision spécialement motivée, la juridiction pouvait prononcer une peine d’emprisonnement pour une durée inférieure au seuil prévu lorsque le prévenu présentait des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion.

● L’introduction de ces seuils minimaux de peine a été validée par le Conseil constitutionnel au regard des deux principes constitutionnels de nécessité et d’individualisation des peines ([8]).

Le Conseil considère que le dispositif introduit en 2007 ne porte pas atteinte au principe de nécessité des peines au regard de la gravité des infractions visées, des circonstances objectives de commission de l’infraction, du niveau retenu pour les peines minimales et des possibilités de dérogation par la juridiction :

– le dispositif est applicable aux crimes et aux délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement ;

– la juridiction peut prononcer une peine inférieure, notamment en considération des circonstances de l’infraction.

– les seuils minimaux applicables en cas de nouvelle récidive légale s’appliquent aux crimes et à certains délits d’une particulière gravité, l’état de nouvelle récidive légale constituant lui-même « une circonstance objective de particulière gravité ».

– l’instauration de peines minimales d’emprisonnement à environ un tiers de la peine encourue, soit le sixième du quantum de la peine que la juridiction peut prononcer compte tenu de l’état de récidive légale.

De même, le Conseil a considéré que les modalités de ces peines minimales respectaient le principe d’individualisation des peines, « qui ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions » et qui n’implique pas davantage « que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction » :

– pour les faits commis en état de première récidive, la juridiction peut prononcer une peine inférieure au seuil au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité ;

– pour les faits commis une nouvelle fois en état de récidive légale, la restriction aux « garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion » a été prévue par le législateur pour assurer la répression effective de faits particulièrement grave et lutter contre leur récidive. Par ailleurs, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur et conserve le pouvoir d’ordonner le sursis partiel ou total. Enfin, le législateur n’a pas dérogé aux dispositions relatives à l’abolition ou à l’altération du discernement qui entraîne l’irresponsabilité ou l’atténuation de la responsabilité pénale.

● La loi de 2011 a complété ce dispositif de nouvelles peines minimales, hors récidive, pour certains délits de violences volontaires. Elle a inséré, à cette fin, un nouvel article 132-19-2 prévoyant les seuils de peine suivants :

– dix-huit mois d’emprisonnement si la peine encourue était de sept ans d’emprisonnement ;

– deux ans d’emprisonnement si la peine encourue était de dix ans d’emprisonnement.

L’article 132‑19‑2 prévoyait toutefois, de manière similaire aux précédents dispositifs, que le juge pouvait prononcer une peine d’emprisonnement inférieure aux seuils ou une peine autre que l’emprisonnement, en fonction des circonstances.

● Ces dispositions, comme celles introduites en 2007, ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, qui a écarté les griefs tirés de la violation des principes de nécessité des peines (eu égard à la gravité des infractions ciblées) et d’individualisation des peines (compte tenu de la faculté laissée au juge et de la possibilité de prononcer le sursis) ([9]).

  1.   L’abrogation des peines plancher en 2014 n’a pas mis fin aux planchers généraux de peine

● Les peines plancher prévues en cas de récidive et pour les primo‑délinquants auteurs de certaines violences délictuelles ont été abrogées par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales ([10]).

La législateur a alors considéré que les objectifs des lois de 2007 et 2011 n’avaient pas été atteints : la durée des peines prononcées s’était accrue sans pour autant réduire ni la surpopulation carcérale, ni le taux de condamnation en récidive ([11]). Ce bilan appelle néanmoins une appréciation plus nuancée (voir infra, 3).

Ces abrogations n’ont pas eu pour effet, néanmoins, de faire disparaître les peines minimales en droit pénal français : outre le plancher criminel toujours en vigueur (voir infra), le code des douanes prévoyait ainsi, jusqu’en 2018 ([12]), pour le délit de blanchiment douanier, un emprisonnement « de deux à dix ans » en application de l’article 415 de ce code. Cet encadrement avait été jugé conforme à la Constitution ([13]).

● Si la loi du 15 août 2014 a abrogé les peines plancher introduites aux articles 132‑18‑1, 132‑19‑1 et 132‑19‑2 du code pénal, il demeure un quantum minimum en matière criminelle, le « plancher criminel ».

Prévu à l’article 132‑18, ce plancher criminel, qui correspond à la peine minimum que la juridiction peut prononcer, est :

– d’un an d’emprisonnement si la peine encourue est la réclusion criminelle à temps (soit trente ans au plus) ;

– de deux ans d’emprisonnement si est encourue la réclusion criminelle à perpétuité.

● Il convient de noter que, parallèlement au plancher criminel, un plafond est prévu à l’article 362 du code de procédure pénale (CPP) : lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité et qu’il a été décidé de ne pas prononcer cette peine, la cour d’assises ne peut prononcer de peine supérieure à trente ans de réclusion criminelle ([14]).

  1.   Le législateur s’est montré favorable, ces dernières années, au principe des peines obligatoires

Le principe des peines plancher est souvent présenté comme une atteinte au principe d’individualisation de la peine par le juge, perçu comme une garantie pour les justiciables.

À cet égard, il est intéressant de noter que le législateur s’est montré favorable aux peines obligatoires à plusieurs reprises au cours des dernières années, afin de contraindre les juridictions pour la répression de certaines infractions. De nombreux parlementaires ont également fait des propositions en ce sens.

● La loi du 15 septembre 2017 a introduit une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité à l’article 131-26-2 du code pénal, pour un ensemble large de délits réprimant, notamment, certains faits de violences et d’agressions sexuelles, les actes de terrorisme ou encore les faits de concussion, de corruption et de trafic d’influence actifs ou passifs. La juridiction conserve néanmoins, conformément à la jurisprudence constitutionnelle, la capacité de ne pas prononcer la peine prévue, par une décision spécialement motivée et au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

La proposition de loi de Mme Aurore Bergé visant à étendre le champ d’application de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux cas de condamnations pour violences aggravées ayant entraîné une incapacité temporaire de huit jours au moins, rejetée par l’Assemblée nationale le 7 mars 2023, prévoyait d’étendre cette peine complémentaire obligatoire aux condamnations pour des violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant pas entraîné d’incapacité, lorsqu’elles sont commises dans certaines circonstances aggravantes.

À l’occasion de la discussion de ce texte, Mme K/Bidi et M. Rimane, membres du groupe Gauche démocrate et républicaine, avaient d’ailleurs déposé un amendement prévoyant que, en cas de récidive, la peine d’inéligibilité ne pouvait être inférieure à cinq ans ([15]).

● L’article 2 de la loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales ([16]) prévoit que, en cas de condamnation d’un parent pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de son enfant ou d’un crime commis sur la personne de l’autre parent, la juridiction pénale ordonne le retrait total de l’autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée.

Avant toute condamnation, l’article 1er impose la suspension de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou mis en examen pour un crime commis sur l’autre parent, une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur l’enfant. 

Cette proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale, à l’unanimité des groupes.

● L’article 11 de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure prévoit, enfin, une peine complémentaire obligatoire de confiscation du véhicule et d’annulation du permis de conduire en cas de refus d’obtempérer ayant exposé autrui à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. La juridiction peut, de nouveau, ne pas prononcer cette confiscation par une décision spécialement motivée.

  1.   Le bilan nuancé des peines plancher de 2007

Contrairement à ce qui est souvent avancé, le bilan de l’application des peines plancher n’apparaît pas défavorable.

● Une étude de 2012 des services du ministère de la justice a fourni de premiers éléments d’évaluation de la mise en place des peines plancher. Elle a permis de documenter un effet important en matière délictuelle, qui se traduit par une augmentation marquée du taux de peines minimales prononcées.

Taux de peines minimales prononcées pour les délits

(en %)

Quantum encouru

Peine minimale

Taux de peine minimale 2004-2006

Taux de peine minimale 2008-2010

3 ans

1 an

12,9

45,8

5 ans

2 ans

5,8

37,6

7 ans

3 ans

6,5

38,4

10 ans

4 ans

7,2

36,9

Total

 

8,4

40,7

Source : Infostat justice, « Peines planchers : application et impact de la loi du 10 août 2007 », octobre 2012, n° 118.

Ces données mettent en avant le fait que, si le taux de peines minimales prononcées est le plus élevé pour les délits qui encourent une peine d’emprisonnement de trois ans, la plus forte progression est observée sur les délits plus graves : le taux est multiplié par 6,5 pour les délits encourant cinq ans d’emprisonnement, par 5,9 pour les délits qui encourent sept ans et par 5,1 pour les délits qui encourent 10 ans d’emprisonnement.

L’étude par type d’infraction apporte également un éclairage intéressant sur l’application des peines minimales.

Taux de peines minimales par type d’infraction

(en %)

 

Taux de peines minimales 2004-2006

Taux de peines minimales 2008-2010

Infractions sexuelles

39,6

62,7

Violences et menaces

18,7

56,4

Escroqueries et infractions économiques et financières

9,7

40,6

Vols et recels

6,1

36,5

Infractions sur les stupéfiants

6,4

34,7

Police des étrangers

14,5

33,9

Destructions et dégradations

5,0

28,8

Commerce et transport d’armes

8,0

22,8

Homicides et blessures involontaires

16,9

20,8

Circulation routière

6,9

15,0

Source : Infostat justice, « Peines planchers : application et impact de la loi du 10 août 2007, octobre 2012, n° 118

L’instauration des peines minimales a ainsi renforcé de façon significative les quanta de peine d’emprisonnement prononcés. L’effet a été particulièrement marqué pour les infractions de vols et recels, d’infractions à la législation sur les stupéfiants et les destructions et dégradations. Pour ce type d’infractions, le taux de peines minimales prononcées a été multiplié par un facteur supérieur à cinq.

En ce qui concerne les violences et menaces, l’effet a également été marqué puisqu’il a fait passer le taux de peines minimales prononcées de moins de 20 % à plus de 50 %. L’effet est moins marqué pour les homicides et blessures involontaires.

L’étude souligne que, si le recours à l’emprisonnement, déjà quasi-systématique en cas de récidive délictuelle n’a pas augmenté avec la loi de 2007, le quantum moyen a augmenté de plus de six mois, passant de 9 à 15,6 mois.

En matière criminelle, cependant, l’effet des peines plancher fut manifestement faible, sinon inexistant. Comme le relevait notre ancien collègue Dominique Raimbourg, rapporteur du projet de loi en 2014, les planchers alors prévus étaient « en tout état de cause beaucoup plus bas que les peines prononcées, en pratique, par les cours d’assises » ([17]).

  1.   Le dispositif proposé

Le présent article rétablit l’article 132‑19‑1 du code pénal avec la mise en place d’une peine minimale d’un an d’emprisonnement concernant certaines violences délictuelles commises en état de récidive et ciblant les dépositaires de l’autorité publique et les personnes chargées d’une mission de service public.

  1.   Les infractions visées : les violences délictuelles à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique et chargées d’une mission de service public

L’article unique de la proposition de loi instaure des peines minimales pour les violences délictuelles commises sur les dépositaires de l’autorité publique et les personnes chargées d’une mission de service public, tels que les membres des forces de l’ordre, mais aussi les enseignants, les magistrats, les médecins et infirmiers ou encore les élus.

● Sont concernées, d’abord, les violences prévues au I de l’article 222145 du code pénal, c’est-à-dire celles commises sur les dépositaires de l’autorité publique suivants :

– militaires de la gendarmerie nationale ;

– militaires déployés sur le territoire national en application de l’article L. 1321‑1 du code de la défense (pour les besoins de la défense et de la sécurité civile sur réquisition légale, comme l’opération « Sentinelle ») ;

– fonctionnaires de la police nationale ;

– agents de la police municipale et gardes champêtres ;

– agents des douanes ;

– sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires ;

– agents de l’administration pénitentiaire ;

 titulaires d’un mandat électif public et, dans la limite de six ans à compter de l’expiration du mandat, l’agent titulaire d’un mandat électif public. Ces personnes sont visées à l’article 222-14-5 depuis la loi du 24 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux ([18]).

Ces violences, lorsqu’elles sont commises sur une personne dans l’exercice de ses fonctions ou du fait même de ces fonctions et que la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur, sont passibles de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende si elles n’ont pas entraîné d’ITT ou ont entraîné une ITT n’excédant pas huit jours, et de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende si elles ont entraîné une ITT de plus de huit jours.

Ces peines sont alourdies si les faits sont commis avec des circonstances aggravantes, telles que l’usage d’une arme, la préméditation ou le guet-apens, dans un moyen de transport collectif de voyageurs ou encore en état d’ivresse ou sous l’emprise de produits stupéfiants.

● Le dispositif vise également les violences délictuelles commises sur :

– un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, un membre ou un agent de la Cour pénale internationale, un gardien assermenté d’immeubles ou un agent exerçant pour un bailleur les fonctions de gardiennage ou de surveillance d’immeubles, ainsi que sur les dépositaires de l’autorité publique autres que ceux visés à l’article 222‑14‑5 du code pénal (4° des articles 222‑12 et 222‑13 du code pénal) ;

– un enseignant ou tout personnel d’établissement d’enseignement scolaire, un agent d’un exploitant de réseau de transport public de voyageurs, un professionnel de santé ou toute personne chargée d’une mission de service public (4° bis des mêmes articles 222‑12 et 222‑13).

Il convient de noter que la référence aux dépositaires de l’autorité publique (aux 4°) et aux personnes chargées d’une mission de service public (aux 4° bis) permet d’inclure les élus. En effet, et comme le rappelle une circulaire du garde des Sceaux du 6 novembre 2019, « les responsables des exécutifs locaux (maires, présidents d’intercommunalités, des conseils départementaux et régionaux) mais aussi les adjoints aux maires et conseillers municipaux délégués, ont la qualité de personne dépositaire de l’autorité publique. Les autres élus, lorsqu’ils ne se voient confier par délégation aucune prérogative de puissance publique, comme les parlementaires, ont quant à eux la qualité de personnes chargées d’une mission de service public. » ([19])

● Les violences délictuelles visées sont celles qui ont entraîné :

– une ITT supérieure à huit jours, sanctionnées de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende par l’article 222-12 du code pénal. Ces peines sont alourdies si plusieurs circonstances aggravantes sont réunies ;

– une ITT inférieure ou égale à huit jours ou aucune ITT et qui sont sanctionnées de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende par l’article 222‑13 du même code. Là aussi, un alourdissement est prévu si les violences sont commises avec plusieurs circonstances aggravantes.

● Le tableau suivant dresse la synthèse des infractions auxquelles la peine minimale d’un an prévue par le dispositif proposé s’appliquera, et les peines qui leur sont associées.

synthèse des infractions visées par le présent article
et des peines associées

Violences

Victime

Peines normalement encourues

Première aggravation

Seconde aggravation

Fondement (articles du code pénal)

ITT > 8 jours

Professionnels judiciaires, jurés, gardiens et autres dépositaires de l’autorité publique (dont élus)

5 ans
75 000 €

7 ans
100 000 €

10 ans
150 000 €

222‑12, 4°

Professionnels d’établissements scolaires, agents de transport, professionnels de santé et autres personnes chargées d’une mission de service public (dont élus)

5 ans
75 000 €

7 ans
100 00 €

10 ans
150 000 €

222‑12, 4° bis

Policiers, gendarmes, militaires, pompiers, douaniers, agents pénitentiaires

7 ans
100 000 €

10 ans
150 000 €

222‑14‑5, I, 1°

ITT  8 jours
Aucune ITT

Professionnels judiciaires, jurés, gardiens et autres dépositaires de l’autorité publique (dont élus)

3 ans
45 000 €

5 ans
75 000 €

7 ans
100 000 €

222‑13, 4°

Professionnels d’établissements scolaires, agents de transport, professionnels de santé et autres personnes chargées d’une mission de service public (dont élus)

3 ans
45 000 €

5 ans
75 000 €

7 ans
100 000 €

222‑13, 4° bis

Policiers, gendarmes, militaires, pompiers, douaniers, agents pénitentiaires

5 ans
75 000 €

7 ans
100 000 €

10 ans
150 000 €

222‑14‑5, I, 2°

La gravité des infractions ciblées, au regard à la fois de la qualité des victimes et de la peine encourue, est de nature à assurer la conformité du dispositif au principe constitutionnel de nécessité des peines. Cette gravité constituait en effet un élément d’appréciation par le Conseil constitutionnel du respect de ce principe (voir supra).

  1.   Les marges de manœuvre laissées aux juridictions

● Si le dispositif proposé repose sur une peine minimale d’un an d’emprisonnement, il ne rend pour autant pas celle-ci automatique. En effet, le deuxième alinéa de l’article 132‑19‑1 du code pénal consacre expressément la possibilité, pour le juge, de déroger au minimum prévu selon des modalités voisines de celles déjà présentées :

– par une décision spécialement motivée ;

– en tenant compte de l’espèce, à savoir les circonstances de l’infraction, la personnalité de l’auteur et les garanties d’insertion ou de réinsertion que celui-ci présente.

En faisant usage de cette possibilité, le juge peut prononcer une peine d’emprisonnement inférieure au minimum prévu, ou prononcer une peine autre que l’emprisonnement.

Ces dispositions permettent d’assurer la conformité du présent article avec les exigences constitutionnelles et, en particulier, le principe d’individualisation des peines. Le dispositif proposé ne remet pas en cause, non plus, la faculté pour le juge de prononcer un sursis. De même, rien n’affecte les règles tenant à la reconnaissance de l’abolition ou de l’altération du discernement, qui entraîne l’irresponsabilité ou l’atténuation de la responsabilité pénale.

● Enfin, le dernier alinéa du nouvel article 132‑19‑1 permet à la juridiction de prononcer, en plus de l’emprisonnement, une peine d’amende et, le cas échéant, une ou plusieurs peines complémentaires (en application des articles 222‑44 et suivants du code pénal).

  1.   Un dispositif utile et équilibré afin d’assurer une plus grande fermeté face aux atteintes contre l’État

Le dispositif proposé à l’article unique de la proposition de loi se distingue des peines plancher instaurées entre 2007 et 2014 à la fois sur le fond et au regard de ses fondements philosophiques.

● En premier lieu, ainsi qu’il a été vu, il ne s’agit pas d’introduire des peines plancher généralisées en cas de récidive, à l’image de ce qui avait prévalu entre 2007 et 2014 en matière de crimes et de délits. Le dispositif proposé est ciblé, ne concernant que les faits de récidive consistant en des violences délictuelles commises sur les dépositaires de l’autorité publique et les personnes chargées d’une mission de service public.

Le champ proposé est donc plus proche du dispositif qui figurait à l’ancien article 132‑19‑2 du code pénal, mais il s’écarte de ce dernier sur plusieurs points :

– les infractions visées sont plus circonscrites, réservant la peine minimale à des comportements qui, par leur nature même, portent directement atteinte aux institutions, au pacte républicain et à notre État de droit ;

– la peine minimale est inférieure, puisqu’elle est fixée à un an d’emprisonnement, contre dix‑huit mois ou deux ans pour l’ancien dispositif.

● En deuxième lieu, s’agissant précisément de cette peine minimale, sa durée d’un an, indépendamment du quantum de peine encourue, est une autre différence saillante avec les anciennes dispositions :

– elle est suffisamment importante pour remplir son office de dissuasion et, partant, limiter la récidive ;

– elle n’est pas trop élevée pour éviter que l’usage de la faculté laissée aux juges d’y déroger ne prive d’utilité le dispositif.

Cette peine minimale d’un an est, par conséquent, de nature à satisfaire les exigences en matière d’individualisation des peines, tout en atteignant l’objectif de dissuasion attaché au dispositif.

Les données statistiques sur la durée moyenne des peines d’emprisonnement prononcées pour les infractions ciblées par le dispositif, soit 8,5 mois en 2021 ([20]), attestent d’ailleurs pleinement de l’utilité de ce dernier, comme l’illustrent les tableaux suivants.

durée moyenne d’emprisonnement prononcée
pour les infractions ciblées par le dispositif

(en fonction du quantum encouru)

Quantum encouru

Durée moyenne d’emprisonnement prononcée

3 ans

8,3 mois

5 ans

11,8 mois

7 ans

12 mois

Source : Mme Naïma Moutchou, op. cit..

Durée moyenne d’emprisonnement prononcée
(violences entraînant plus de huit jours d’ITT)

Qualité de la victime

Durée moyenne d’emprisonnement prononcée

2021

Période 2017-2021

Avocat, magistrat, juré, officier public ministériel, professionnel de santé, sapeur-pompier, gardien d’immeuble, autres personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public

11,2 mois

11,3 mois

Professionnel de santé

7,4 mois

6,5 mois

Personne chargée d’une mission de service public

5,5 mois

4,9 mois

Personne dépositaire de l’autorité publique

7,1 mois

6,1 mois

Source : Mme Naïma Moutchou, op. cit. .

La durée moyenne d’emprisonnement prononcée au titre des infractions concernées par le présent article est inférieure ou égale à la peine minimale prévue, soit un an, ce qui prouve que le dispositif proposé aurait un effet réel.

Il resterait utile, par ailleurs, lorsque la durée moyenne d’emprisonnement prononcée est égale au minimum de la peine plancher, voire si elle lui est supérieure, car il s’agit d’une moyenne, impliquant que nombre de peines prononcées dans de tels cas sont actuellement inférieures à un an d’emprisonnement.

Ces durées moyennes d’emprisonnement tendent également à démontrer le bon calibrage du minimum prévu : il serait suffisamment dissuasif, sans être excessif.

Le présent article met donc en place un minimum ciblé, raisonnable et utile, qui accompagne la main du juge plus qu’il ne tend à la forcer.

  1.   La position de la Commission

La Commission a rejeté l’article unique de la proposition de loi.

*

*     *


– 1 –

   Compte rendu des débats

Lors de sa troisième réunion du mercredi 26 mars 2025, la Commission examine la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de l’État (n° 959) (Mme Naïma Moutchou, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/7CQB20

M. le président Florent Boudié. Nous reprenons nos travaux avec l’examen d’une quatrième proposition de loi inscrite à l’ordre du jour de la séance publique dans le cadre de la journée réservée au groupe Horizons.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’article unique de ce texte figurait déjà dans une proposition de loi que j’ai défendue en 2023. Celle-ci n’ayant pas été adoptée, j’avais pris l’engagement d’y revenir, non pas par obstination, mais par conviction, car les faits en cause n’ont pas cessé et appellent toujours une réponse ferme, structurée et proportionnée.

Je suis tenace, certes, mais je suis surtout inquiète de constater que les violences se multiplient contre tous ceux qui portent un uniforme ou un insigne, bref : contre ceux qui assument une mission de service public. Ainsi, selon le service statistique du ministère de l’intérieur, on a dénombré, en 2021, plus de 51 000 faits d’agression commis contre les forces de sécurité, les élus, les soignants, les magistrats, les conducteurs de bus, les agents publics. Le nombre de ces violences a bondi de près de 10 % depuis 2016. Personne ne peut s’accommoder de cette situation. Qui peut considérer qu’une société peut tenir quand ceux qui la protègent sont des cibles ? C’est le respect de l’autorité de l’État qui est en jeu, et ce n’est pas une question secondaire car cette autorité est une condition de la paix sociale et de la confiance dans nos institutions.

La première réponse doit être la fermeté. Une fermeté qui n’est pas un slogan ou un propos de tribune ; elle doit se retrouver dans le quantum des peines encourues, la cohérence de la réponse pénale et la lisibilité du droit. Car ce que nous avons perdu, ce n’est pas la sévérité, c’est la clarté. Les Français ne comprennent pas pourquoi tant d’agresseurs de policiers, d’infirmiers ou d’enseignants restent libres, et je leur donne raison : trop souvent, la réponse pénale n’est pas à la hauteur du choc que ces violences provoquent dans l’opinion publique.

Ces dernières années, notre droit pénal a sacrifié la lisibilité sur l’autel d’un individualisme judiciaire absolu. Le juge peut toujours descendre en deçà du seuil maximal des peines, mais, à force d’ouvrir toutes les portes, on a oublié d’en garder quelques-unes fermées. C’est pourquoi je propose d’instaurer un système de peines minimales ciblées – ce n’est donc pas une machine aveugle. Il s’agit d’adresser un signal clair, intelligible, à ceux qui s’en prennent aux agents de la République : la récidive entraînera automatiquement une peine d’un an d’emprisonnement, sauf motivation spéciale du juge.

Je le dis d’emblée : ce n’est ni excessif, ni arbitraire. Le dispositif est ciblé, car il ne vise que les violences délictuelles, celles pour lesquelles l’impunité perçue est la plus forte. Il est mesuré, car il ne s’applique qu’aux cas de récidive. Il est encadré, puisque le juge pourra y déroger par une motivation spéciale. Il ne s’agit donc pas de priver le magistrat de son pouvoir d’appréciation, comme certains ne manqueront pas de le marteler, à tort. Il s’agit de rappeler à l’institution judiciaire – c’est notre rôle de législateur – la gravité de l’acte et l’attente de la société.

Certains s’interrogeront sur l’opportunité d’envoyer davantage de gens en prison dès lors que celle-ci est considérée comme l’école de la récidive. Mais depuis quand la sanction juste serait-elle devenue le problème et non la solution ? L’article 130-1 du code pénal est limpide : la peine a pour fonctions de protéger la société, de sanctionner l’auteur de l’infraction et de permettre sa réinsertion. Ces trois fonctions sont liées ; elles ne s’opposent pas. Je refuse que l’on considère l’emprisonnement comme un échec ; à ce stade, l’échec réside dans le fait qu’une violence reste impunie ou qu’une peine n’a pas de sens parce qu’elle est privée de sa substance.

D’autres invoqueront le principe d’individualisation de la peine. Mais ce principe ne peut pas être à géométrie variable. Or, on l’oublie bien vite lorsqu’il s’agit de voter en faveur de peines complémentaires automatiques. Rappelons-nous : en 2017, nous avons adopté, à l’initiative de la majorité présidentielle, une peine d’inéligibilité obligatoire pour les élus corrompus – renforcée depuis, à juste titre ; nous avons adopté à l’unanimité, à l’initiative du groupe Socialistes, le retrait obligatoire, avant toute condamnation, de l’autorité parentale pour les parents violents. L’individualisation de la peine semble ainsi dépendre de l’infraction commise. Pourquoi ce qui est admissible pour un élu malhonnête ou un parent violent deviendrait inacceptable, interdit, voire malsain, lorsqu’il s’agit de protéger un policier, un pompier ou une infirmière ? Pourquoi cette indulgence sélective ? Le législateur doit renouer avec la vertu de cohérence.

Au reste, la proposition de loi s’inscrit dans notre tradition pénale puisque, pendant deux siècles, notre droit a reposé sur des peines minimales sans que cela fasse de la France un État autoritaire. Le code pénal de 1810 prévoyait déjà des planchers, qui conciliaient la contrainte judiciaire avec la nécessaire souplesse de l’application. C’est en 1994 que la référence a été abandonnée, dans un tout autre contexte de délinquance, à l’initiative de Robert Badinter – ne lui en faisons pas le procès, ce serait anachronique.

De fait, depuis, les lignes ont bougé : la nature de la délinquance a changé, la violence est plus fréquente, plus frontale et vise l’uniforme comme un symbole et le service public comme une cible. Il est temps de réarmer le droit sans renier nos principes.

À ceux qui s’opposent à cette mesure au nom d’un prétendu automatisme qui serait dangereux, je veux dire qu’il n’en est rien, puisque le texte prévoit que le juge conserve, à titre dérogatoire, la possibilité de revenir sur cette peine d’emprisonnement.

Soyons lucides. Je propose, non pas de faire peser une main de fer sur la justice, mais de ne plus laisser la République désarmée face à ceux qui provoquent, frappent, en état de récidive légale. Surtout, je propose de réparer un contrat républicain abîmé, sur lequel on ne peut pas faire l’impasse. Car, chaque fois qu’un policier se fait agresser et que le juge lui inflige une peine symbolique, c’est tout l’édifice de l’autorité qui se fissure et, avec lui, la confiance des Français.

Si nous ne faisons rien, je le dis comme je le pense, demain, il ne s’agira plus seulement de violences isolées : un climat général d’impunité s’installera, qui abîmera tout. Au reste, il abîme déjà l’engagement de nos agents, découragés par les violences qu’ils subissent, le respect de la loi et la crédibilité de la puissance publique. Or, nous tenons à restaurer l’autorité de l’État.

Je le dis avec gravité et détermination : rétablir des peines minimales ciblées, ce n’est pas faire un pas vers l’arbitraire ou un durcissement aveugle – ce sont des éléments de langage, et il serait souhaitable que nous évitions les caricatures habituelles –, c’est, au contraire, faire un pas vers un droit clair et équilibré qui protège les serviteurs de la République et rassure les citoyens.

En conclusion, ce texte est un message politique – nous restaurons le socle d’autorité là où il s’effrite –, un message moral – nous protégeons les serviteurs de la République et nous rassurons les citoyens – et un message d’ordre et de justice.

M. le président Florent Boudié. Nous allons à présent entendre les orateurs des groupes.

Mme Pascale Bordes (RN). Je partage votre constat sur l’état de notre société. Pas un jour ne passe sans que des faits divers, devenus des faits de société en raison de leur prégnance, suscitent l’interrogation de nos concitoyens quant à la capacité de la justice à condamner réellement et efficacement les auteurs de ces actes.

Alors que l’objectif prioritaire de la justice devrait être la protection des citoyens, du droit à la vie et à la sécurité – consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme –, force est de constater qu’il n’en est rien car, depuis de nombreuses années, nous avons perdu de vue que le socle d’une société démocratique est la protection de l’intégrité, nous avons oublié la place des victimes à force de se concentrer sur le délinquant.

Les peines planchers sont un moyen de replacer la victime et la société au centre du procès pénal et de redonner enfin un sens à la peine. La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, dite loi Dati, a introduit des peines minimales d’emprisonnement. Mais, après avoir été vilipendées par la gauche, ces peines planchers ont été abrogées par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, dite loi Taubira, laquelle a fait, par pure idéologie, de la prison l’exception. Désormais, une peine d’emprisonnement ferme ne peut être prononcée qu’en tout dernier recours.

Depuis lors, le juge doit avoir en point de mire la réinsertion du délinquant et non plus la victime et la société, reléguées au rang de spectateurs dans ce débat. Pour justifier ce changement de paradigme, Christiane Taubira affirmait, sans jamais l’avoir démontré, que les politiques pénales des dernières années avaient aggravé la récidive – pour elle, la prison était la cause de la récidive. Elle affirmait vouloir lutter contre la surpopulation carcérale et la récidive en faisant de la prison l’exception. Dix ans plus tard, le moins que l’on puisse dire est que c’est un véritable fiasco. Et ce n’est pas Christiane Taubira qui paie l’addition, non plus que tous ceux qui, à gauche, ont appelé ces mesures de leurs vœux, ce sont bien nos concitoyens.

En effet, la prison est devenue l’exception et les alternatives aux poursuites et à la prison vont se multiplier à l’infini jusqu’à devenir un véritable système d’inexécution des peines. À ce jour, la France est, hélas ! plus que jamais en proie à la surpopulation carcérale et à la récidive, signe que la méthode Taubira de lutte contre la récidive a échoué. Pourtant, étonnamment, personne, à gauche, ne dénonce ce fiasco.

Fiasco car, non seulement on n’emprisonne plus, sauf exception, mais on ne poursuit plus non plus. Le taux de classement sans suite des affaires pénales est de 75 % en France alors que la médiane européenne est de 57 %. In fine, seule une très infime minorité de délinquants vont en prison, surtout si l’on tient compte du fait qu’une victime sur cinq ne porte pas plainte et que seules les infractions les plus graves font l’objet de poursuites pénales.

Notre politique pénale est devenue le moyen de gérer le stock, largement insuffisant, des places de prison. L’autorité judiciaire est, quant à elle, devenue une logisticienne. Or ce n’est pas la situation de l’administration pénitentiaire qui doit déterminer notre politique pénale, mais l’inverse.

Telle est la réalité de la réponse pénale en France. Elle est indigente et n’est pas à la hauteur des défis qui nous attendent, notamment en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, contre lequel une partie de la gauche veut lutter en légalisant le cannabis. Légalisez donc tous les crimes et les délits, tant que vous y êtes ! Ainsi, il n’y aura plus du tout de problème de surpopulation carcérale.

Plus sérieusement, la situation actuelle doit nous inciter à changer de façon urgente de paradigme. Si l’on veut enrayer la violence des délinquants et les criminels, ils doivent avoir la certitude qu’ils seront condamnés à une peine car, pour paraphraser Cesare Beccaria, ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient le plus sûrement les crimes, c’est la certitude du châtiment – je ne me lasserai jamais de le répéter. Malheureusement, la certitude de la peine a disparu. La proposition de loi peut contribuer à la rétablir, un tant soit peu. Si le groupe RN y est favorable sur le principe, il s’interroge néanmoins sur l’efficacité de l’effet dissuasif qu’elle affiche.

M. Pierre Cazeneuve (EPR). La proposition de loi comporte des mesures fortes, concrètes, au moment où l’autorité judiciaire est remise en question en raison de la perception qu’ont les citoyens de son efficacité et de sa force.

Je le dis à nouveau pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : le groupe EPR est favorable à une politique pénale ferme et efficace. Ainsi avons-nous agi, à compter de 2017, pour augmenter le quantum des peines, renforcer les peines complémentaires, bref : pour muscler la réponse pénale. Nous avons œuvré pour une justice efficace en lui donnant les moyens d’agir. De fait, son budget dépassera, cette année, pour la première fois, 10 milliards d’euros. C’est la manière la plus concrète de contribuer à l’efficacité de la justice. J’ajoute que la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure crée des incriminations spécifiques afin d’aggraver la répression des actes de violence commis à l’encontre de ceux qui assurent notre sécurité dans l’espace public.

Nous partageons donc la volonté de la rapporteure d’envoyer un message clair à ceux qui seraient tentés de commettre des délits à l’encontre des dépositaires de l’ordre public. Dans ces cas-là, l’impunité n’est pas une option.

La proposition de loi est motivée par la hausse des chiffres de la récidive. En effet, selon le ministère de la justice, la proportion de récidivistes en matière délictuelle a augmenté de huit points entre 2018 et 2021. Il faut nuancer ce constat, car cette hausse s’explique en partie par l’instruction donnée par le garde des sceaux aux procureurs de retenir le plus souvent possible la récidive légale.

Nous le savons, en matière délictuelle, le taux de peines d’emprisonnement prononcées a peu évolué entre la période qui a précédé l’instauration des peines planchers, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, et celle qui l’a suivie, passant de 54 % à 56,5 %, avant de connaître une véritable augmentation entre 2016 et 2020, pour s’établir à plus de 68 %. L’effectivité des peines planchers est donc douteuse, qu’on l’envisage sous l’angle de la réalité de l’emprisonnement ou sous celui de leur caractère dissuasif. Par ailleurs, ce type de sanctions met en question certains grands principes de notre droit, à commencer par celui de l’individualisation et de la proportionnalité de la peine.

J’ai été très intéressé, en travaillant sur la proposition de loi, par la problématique de la lisibilité du droit et de la confiance dans la justice. Je ne suis pas spécialiste de ces sujets, mais je me demande si c’est le rôle du législateur de fixer des bornes, en l’espèce des planchers. Il peut le faire, je crois, sans remettre en cause l’indépendance si précieuse de la justice. En tout cas, j’ai hâte d’en débattre avec vous.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). On pourrait reprocher à ce texte de verser dans la surenchère pénale et le qualifier de sarkozyste. En effet, chacun le sait, les peines planchers ont été appliquées de 2007 à 2014, avant d’être supprimées par Mme Taubira au motif qu’elles portaient atteinte au principe de l’individualisation de la peine. Nous en avons débattu récemment puisque, le 31 octobre dernier, le groupe Rassemblement national a proposé de les rétablir par une proposition de loi inscrite à l’ordre du jour de sa niche parlementaire – j’y vois un très mauvais signe.

Les peines, avez-vous dit, madame la rapporteure, ne sont pas à la hauteur de l’émoi suscité dans la société par l’agression d’élus, de soignants ou de magistrats. Mais le droit pénal a pour fonction de défendre les intérêts de la société, non de complaire à l’opinion ou aux victimes. Du reste, notre droit sanctionne sévèrement la récidive ; la France est un des pays où la justice est la plus carcérale, la plus sévère contre de nombreux crimes et délits.

Il est d’autant plus inutile d’en rajouter que, toutes les études l’ont montré, les peines planchers n’ont pas d’effet dissuasif sur la récidive. En revanche, elles ont fait exploser la surpopulation carcérale. Ainsi, dans un article paru en 2013 dans la Revue de science criminelle et de droit pénal comparé Mme Lazerges souligne que « [la] loi [de 2007] est inutile pour les crimes, les cours d’assises prononçant déjà des peines supérieures aux peines minimales pour les récidivistes. Elle produit par contre des effets massifs pour les délits ». Ainsi, bien qu’elle n’ait été effective qu’entre 2007 et 2014, cette loi a eu un fort impact sur la surpopulation carcérale. Selon les évaluations réalisées par le ministère de la justice en 2012, cette loi aurait entraîné une augmentation annuelle de 4 000 années d’emprisonnement ferme prononcées par les juridictions françaises.

« L’effet modeste sur la délinquance est à mettre en regard des coûts engendrés en termes d’incarcération », est-il écrit dans un rapport de l’Institut des politiques publiques, centres d’études de la Paris School of Economics. Les auteurs observent que, concernant les délits, l’instauration de peines planchers n’a eu aucun effet dissuasif à moyen terme.

J’ai donc du mal à comprendre l’intérêt de votre proposition de loi. Peut-être fera-t-elle plaisir à votre électorat – je l’ignore. En tout cas, sur le plan pénal, elle n’a aucune utilité. Il me semble que la situation des prisons appelle d’autres mesures d’urgence. En quarante ans, le nombre des personnes écrouées a doublé. Le 1er février, la surpopulation carcérale a atteint un nouveau record, puisqu’on dénombrait 81 000 personnes incarcérées pour 62 000 places, soit une densité carcérale de 130 %. Celle-ci est de 160 % dans les maisons d’arrêt, réservées aux courtes peines et à la détention provisoire, et supérieure à 200 % dans dix-huit établissements. Ainsi, 4 490 détenus sont contraints de dormir sur un matelas au sol. Je précise que le seuil de 80 000 détenus a été franchi dès la fin de l’année dernière.

La priorité devrait donc être de débattre de l’instauration d’un mécanisme de régulation carcérale, comme le demandent la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté et divers syndicats. Votre proposition de loi n’est soutenue par aucun syndicat de magistrats, aucun syndicat ou regroupement d’avocats, aucune association ni aucune autorité administrative indépendante ou institution internationale, comme le Conseil de l’Europe, qui préconise plutôt le contraire de ce que vous proposez.

Nous nous y opposerons donc, comme nous nous sommes opposés à la proposition de loi du Rassemblement national. Je m’étonne, du reste, que l’oratrice de ce groupe évoque les classements sans suite en mélangeant toutes les infractions, ce qui n’a aucun sens, alors que, ce matin, ce groupe a voté contre la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, qui permettrait de mieux répondre pénalement aux violences sexuelles.

M. Jiovanny William (SOC). L’article unique de la proposition de loi prévoit une peine minimale d’emprisonnement d’un an pour les délits de violences commis en état de récidive légale visant une personne dépositaire de l’autorité publique ou une personne chargée d’une mission de service public.

En réalité, ce texte est la réitération d’une proposition de loi visant à lutter contre la récidive qui a été abandonnée. On a seulement changé sa présentation pour remettre sur le tapis le débat sur les peines minimales et tenter de rétablir en partie l’article 132-19-1 du code pénal. Tout agent public œuvrant pour l’intérêt général mérite une protection équivalente à celle dont bénéficient les magistrats, les militaires ou les policiers, par exemple.

Ce texte marque un retour en arrière de dix ans, puisqu’il vise à remettre en cause la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines.

Le groupe Socialistes et apparentés se présente comme le garant de la volonté de restaurer l’autorité de l’État et de tous les agents publics au service de l’intérêt général, sans distinction aucune.

La notion de peine minimale contredit plusieurs principes fondamentaux de notre droit, en particulier celui de l’individualisation de la peine. Par ailleurs, nous n’avons eu de cesse de souligner l’inefficacité d’un tel dispositif, expérimenté pendant sept ans, dont le bilan montre qu’il n’a pas permis de prévenir la récidive. Par ailleurs, sans une augmentation budgétaire, il contribuerait à la surpopulation carcérale.

Enfin, la possibilité pour la juridiction compétente de prononcer une peine inférieure au seuil d’un an d’emprisonnement ou autre qu’un emprisonnement par une décision spécialement motivée est conçue comme une exception alors qu’elle devrait être le principe.

Il est périlleux de vouloir réécrire les grands principes du droit pénal, qui ont été pensés comme des garde-fous. Ils s’imposent et continueront de s’imposer à nous.

Ce débat ne doit pas être l’occasion de caricaturer les positions des uns et des autres mais d’échanger des idées, dans le respect des opinions de chacun. En conclusion, le groupe Socialistes et apparentés s’opposera à ce texte.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). La proposition de loi que nous examinons est censée « restaurer l’autorité de l’État » en prévenant la récidive – objectif en apparence louable.

Comment le groupe Horizons se propose-t-il d’atteindre cet objectif ? S’agit-il d’allouer davantage de moyens à l’administration pénitentiaire et pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) ? d’améliorer l’accompagnement des détenus pour favoriser leur formation et leur insertion professionnelle en sortie de peine ? d’instaurer des programmes de justice restaurative afin de responsabiliser les condamnés ?

Non, rien de tout cela ! Il nous propose de rétablir une mesure qui a déjà été appliquée, sans succès, mais qui se prête beaucoup mieux à la communication politique : les peines planchers. De fait, après l’inscription de ce dispositif dans la loi par la majorité de Nicolas Sarkozy en 2007, le gouvernement n’a pas cherché à en évaluer l’effet dissuasif. Et l’on comprend aisément pourquoi en se penchant sur la littérature scientifique, puisque diverses études – celles de Thomas Gabor en 1987, de Florence de Bruyn en 1997 et de Sebastian Roché en 2007, par exemple – aboutissent à la même conclusion : les peines planchers sont contre-productives. Or si elles n’ont pas fonctionné sous Nicolas Sarkozy, elles n’auront pas davantage de succès sous Emmanuel Macron !

La justice est engorgée, les prisons sont pleines, mais il est plus simple de proposer des mesures inefficaces et plutôt populistes que de consacrer les moyens humains, financiers et matériels nécessaires à la lutte contre la récidive et à la prévention des délits.

Le groupe Écologiste et social est attaché au principe de l’individualisation des peines, donc opposé à leur automaticité. La liberté du juge de déterminer la peine adaptée en tenant compte d’une multitude de facteurs est essentielle au bon fonctionnement de la justice et à la justesse de ses décisions. Le pouvoir législatif ne doit pas avoir tout contrôle sur les juges, qui doivent rester indépendants. Nous leur faisons confiance pour prononcer les peines les plus adaptées, en fonction du profil de l’auteur et des circonstances.

Enfin, si l’on considère que l’affaiblissement de l’autorité de l’État est dû à son manque de force, notamment en matière pénale, on a une vision fantasmée de la réalité, qui en dit long sur votre conception de l’autorité et de ce qui la fonde : la force. Mais vous sous-estimez, je crois, le fait que, pour nombre de nos concitoyens, les principes républicains, notamment la primauté du droit, sont déclaratifs, hors-sol, au regard de leurs conditions de vie et de leurs rapports avec les administrations, qui ne respectent pas toujours, hélas ! les lois que nous votons et les règlements pris par le gouvernement.

Pour restaurer l’autorité de l’État, il serait bien plus utile de se pencher sur la question du respect du contrat social entre gouvernants et gouvernés. Ainsi, la perte d’autorité de la police est liée d’abord à l’impunité dont bénéficient les auteurs de pratiques illégales très largement documentées et non, comme vous semblez le croire, à celle des délinquants qui s’en prennent aux forces de l’ordre. Ces derniers, nous en sommes tous d’accord, doivent être durement sanctionnés, mais la démagogie ne réglera rien.

M. Éric Martineau (Dem). La proposition de loi vise à lutter contre la délinquance et la récidive et à sanctionner plus sévèrement les personnes qui s’en prennent aux forces de l’ordre et à ceux qui incarnent l’autorité ; nous partageons cet objectif. Elle tend, à cette fin, à instaurer une peine plancher d’un an d’emprisonnement pour sanctionner les délits de violences commis en état de récidive légale et ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure, supérieure ou égale à huit jours sur des personnes dépositaires de l’autorité publique et assimilées.

La récidive et la réitération sont un éternel défi pour l’institution judiciaire. D’après les chiffres du ministère de la justice, environ 42 % des individus condamnés en 2021 étaient des récidivistes ou des réitérants. Si le taux de réitération baisse de manière significative depuis 2020, le taux de récidive, lui, ne cesse d’augmenter. La loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure permet de réprimer plus sévèrement les violences commises contre les forces de sécurité intérieure. Ainsi, le quantum des peines encourues en cas de violences volontaires contre les forces de l’ordre a été renforcé, ainsi que les sanctions applicables au refus d’obtempérer. Enfin, la durée des réductions de peine pour les auteurs de violences graves contre les personnes investies d’un mandat électif public a été limitée.

L’utilité de l’instauration de peines planchers pour lutter contre la récidive est un sujet récurrent. Ces peines ont été introduites dans le droit pénal entre 2007 et 2014 pour les crimes et les délits passibles d’au moins trois ans d’emprisonnement commis en état de récidive légale. L’application de la loi de 2007 a entraîné une forte hausse des peines de prison minimales pour les récidivistes : les peines de prison ferme étaient deux fois plus élevées et les peines de sursis avec mise à l’épreuve trois fois plus élevées.

Pourtant, le bilan du recours aux peines planchers s’est révélé décevant, ce dispositif étant peu efficace pour lutter contre la récidive car peu dissuasif. Conjuguée à ce faible effet dissuasif, la hausse des sanctions a provoqué une forte augmentation de l’incarcération. Ainsi, chaque année, entre 2007 et 2014, plus de 4 000 personnes ont été incarcérées, pour un coût de 146 millions d’euros. En septembre 2024, le record de surpopulation carcérale a été atteint, avec plus de 80 000 détenus pour 62 000 places disponibles.

Les peines planchers se traduisent par un alourdissement de la charge de l’administration pénitentiaire, car les peines de prison sont souvent assorties de sursis avec mise à l’épreuve, lesquels sont contrôlés par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, qui disposent ainsi de moins de temps et de moyens pour contribuer à l’insertion des personnes condamnées.

Ce dispositif soulève, en outre, le problème du respect de l’individualisation des peines, principe fondamental de notre droit. Il peut être interprété comme une marque de défiance à l’égard des magistrats, très attachés à ce principe, et manifester la volonté de contrôler le pouvoir judiciaire. Il comporte enfin un risque de rupture d’égalité, dès lors qu’il est possible de déroger aux peines planchers lorsque l’individu présente des garanties de réinsertion, ce qui peut pénaliser les délinquants se situant en bas de l’échelle sociale.

Nous ne sommes donc pas forcément favorables à la proposition de loi, mais nous restons ouverts à la discussion.

M. Didier Lemaire (HOR). D’après les chiffres du ministère de la justice, 41,7 % des individus condamnés en 2021 étaient des récidivistes ou des réitérants. Si le taux de réitération baisse de manière significative depuis 2020, le taux de récidive, lui, ne fait que croître. La proportion de récidivistes en matière délictuelle a ainsi augmenté de huit points en seulement trois ans, entre 2018 et 2021.

La question de la récidive reste donc d’une grande actualité, en dépit des politiques publiques menées depuis plus de vingt ans. C’est un enjeu, non seulement pour la justice, chargée de protéger et de faire cesser les conflits, mais aussi pour les citoyens, qu’ils soient auteurs ou victimes d’infractions.

La proposition de loi part d’un constat simple : plus la probabilité d’être condamné pour une infraction augmente, plus la délinquance diminue. La certitude de la sanction pénale a un effet préventif certain. Elle permet à la fois d’isoler un individu potentiellement dangereux pour la société et de prévenir les passages à l’acte. Ainsi – et c’est en cela que ce texte est en cohérence avec la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme de Loïc Kervran – la proposition de loi permet de renforcer le caractère dissuasif des peines prononcées en apportant la garantie d’une peine effective.

Il faut assumer de réprimer les récidivistes de manière plus stricte pour dissuader l’auteur de passer à nouveau à l’acte. Il n’est pas admissible que se multiplient les agressions commises contre ceux qui nous protègent, policiers et gendarmes, et ceux qui concourent par leur mission et leur engagement à l’intérêt général.

Face à ce phénomène, il devient indispensable de renforcer la chaîne pénale en instaurant des peines minimales, à chaque fois que des violences sont commises en état de récidive légale vis-à-vis de personnes dépositaires de l’autorité publique, mais aussi d’élus, de soignants ou d’enseignants. C’est pourquoi le groupe Horizons et indépendants soutient la présente proposition de loi qui vise à établir une peine minimale d’un an d’emprisonnement pour certains délits de violence commis en récidive légale.

Aux collègues qui s’opposeraient par principe – je dis bien par principe – à cette proposition de loi, je signale qu’il ne s’agit en aucun cas de rétablir les peines planchers instaurées sous Nicolas Sarkozy et abrogées par les socialistes en 2014. En effet, les peines planchers en vigueur de 2007 à 2014 visaient dans un premier temps l’ensemble des crimes et délits commis en état de récidive légale dès lors que la peine encourue était supérieure à trois ans. En 2011, ce mécanisme a été étendu aux primo-délinquants pour les délits les plus graves.

C’est d’ailleurs parce que cette proposition de loi retient un dispositif différent qu’elle fera œuvre utile. Elle se concentre sur certains délits de violence et écarte les crimes. En effet, selon Dominique Raimbourg, le rapporteur du projet de loi d’abrogation des peines minimales en 2014, l’effet des peines plancher fut manifestement faible, sinon inexistant en matière criminelle, les planchers prévus étant beaucoup plus bas que les peines prononcées en pratique par les cours d’assises. En revanche, l’effet des planchers sur les peines prononcées s’est révélé beaucoup plus tangible en matière délictuelle.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons et indépendants votera en faveur de cette proposition de loi.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Cette proposition entend faire de l’emprisonnement la peine de principe pour les récidivistes de délits de violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure, supérieure ou égale à huit jours sur les personnes visées par différents articles du code pénal.

Nous avons eu une amorce de cette discussion sur le sujet dans l’après-midi, même si j’ai bien conscience que les dispositifs sont différents. En tout cas, je retrouve des principes et une ligne directrice : la prison est pour vous une peine de référence et un élément central de la lutte contre la récidive. Or, au cours des débats précédents, nous avons été plusieurs à vous dire à quel point les conditions actuelles de détention empêchent un travail significatif de réinsertion et de lutte contre la récidive. Même en dehors de ces conditions actuelles de détention et de surpopulation carcérales, la prison ne peut d’ailleurs pas être une réponse absolue, permanente pour tous les types de délits et surtout pour toutes les personnes, puisqu’il existe un principe important auquel votre proposition de loi porte atteinte, celui de l’individualisation de la peine.

Les peines planchers, je le redis, sont inefficaces dans la lutte contre la récidive. La question de la récidive devrait être abordée à la lumière des situations individuelles et non à l’aune de l’automaticité des peines d’emprisonnement. Pour la personne condamnée, la société et les professionnels, l’utilité et le sens de la peine doivent être au centre de la réflexion. Ce débat, au cœur de la question de la détention, nous ne pourrons pas y échapper. Des dispositions légales permettent déjà de tenir compte de l’état de récidive dans le prononcé de la peine, et les magistrats doivent conserver la libre appréciation de la peine adaptée.

L’introduction des peines planchers en 2007 n’a vraiment pas fait ses preuves dans la dissuasion de la récidive. Les statistiques du ministère de la justice indiquent qu’en 2005, 2,6 % des condamnés pour crimes et 6,6 % des condamnés pour délits étaient récidivistes, alors qu’ils étaient de 5,6 % et 11 % trois ans après l’entrée en vigueur de ladite loi – ces chiffres vont sans doute être contestés au cours de nos débats. Le code pénal et le code de procédure pénale prévoient déjà l’aggravation de la situation de la personne condamnée lorsqu’est constaté un état de récidive légale.

Toute la question de la désistance n’est pas prise en compte par le principe des peines planchers, alors qu’elle est au cœur des réflexions de celles et ceux qui privilégient la lutte contre la récidive, qui décident de sortir d’une vision où la prison est la peine de référence, qui sont capables de réfléchir en fonction des risques criminogènes présentés par chaque personne prise individuellement. C’est l’individualisation dont les peines planchers nous éloignent.

L’emprisonnement contient intrinsèquement des conditions, notamment la désocialisation, qui favorisent la récidive. Dans un rapport publié en 2006, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) recommande d’étendre l’exécution de peines alternatives aux cas de récidive, considérant que celle-ci n’est qu’un symptôme d’une mauvaise réinsertion et qu’il s’agit alors d’accompagner les personnes. Ce n’est peut-être pas en cohérence avec le discours ambiant, mais les conditions actuelles de récidive et de détention nous conduisent à penser les choses en ces termes.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Madame Cathala, vos propos sont d’un dogmatisme ahurissant, au point d’en devenir presque absurdes. C’est compliqué de vous répondre. Vous ne voulez ni peines planchers, ni peines minimales, ni courtes peines, mais pas de longues peines non plus. Vous ne voulez pas de nouvelles places de prison ni même de prison tout court, pas de justice, pas d’ordre. Bref, vous voulez du désordre pour exister, ce qui est assez classique chez vous.

D’emblée, vous qualifiez cette proposition de loi de sarkozyste. Faites-le si vous voulez, si cela vous arrange, si vous cherchez des excuses pour mieux repousser le texte. Allez-y, cela ne me gêne pas. Ceux qui se sont penchés sur le sujet savent, eux, que comparer ce texte avec le projet de loi global de Mme Dati, c’est comparer des poires et des bananes. Il s’agit, non pas d’un projet de refonte de la politique pénale comme à l’époque, mais d’un dispositif particulièrement ciblé, ce qui rend parfaitement inopérant votre argument sur la surpopulation carcérale : le taux d’incarcération ne va pas exploser, comme je le montre dans le rapport que vous n’avez pas lu.

De toute façon, vous n’êtes pas favorable non plus à la construction de places de prison supplémentaires, alors que vous savez très bien que nous en manquons. Vous agitez les taux de surpopulation carcérale comme un chiffon rouge, sans dire que cette situation résulte du manque de construction de nouvelles places – à cet égard, nous sommes très en deçà de la moyenne européenne. Si les prisons débordent, dites-vous, c’est parce que nous incarcérons beaucoup plus que les pays comparables. C’est un fantasme : les chiffres montrent que les détenus ne sont pas plus nombreux qu’il y a plusieurs années, mais qu’ils restent en prison pour des durées plus longues. D’où l’idée que j’ai défendue avec Loïc Kervran : il faut incarcérer beaucoup plus tôt, mais moins longtemps. C’est un projet de lutte contre la récidive qui permet précisément de désemplir les prisons.

Quant à votre volonté de mettre l’accent sur la réinsertion, elle est totalement factice. En 2023, dans mon texte visant à lutter contre la récidive, je prônais la fermeté avec les peines planchers, mais je proposais aussi des dispositifs de réinsertion. J’avais travaillé sur le service pénitentiaire d’insertion et de probation et l’accompagnement à la sortie de prison. Vous avez tout rejeté en bloc, sans la moindre proposition d’amélioration. En réalité, la réinsertion ne vous intéresse pas plus que le reste parce que votre projet peut se résumer en un mot : zéro. Vous voulez zéro prison, zéro incarcération, zéro peine, comme si la justice pénale ne devait pas être répressive. C’est un non-sens absolu.

Parlons des moyens humains et matériels. Au cours des dernières années, le budget de la justice a connu une croissance historique – et je pèse mes mots. Lorsqu’il a été nommé ministre de la justice en 2016, Jean-Jacques Urvoas a expliqué que la justice était en voie de clochardisation et il a obtenu une augmentation du budget. Tout le monde, en particulier le groupe socialiste qui était majoritaire, a applaudi des deux mains. Or cette augmentation était très modeste comparée à ce que nous avons fait. Nous avons augmenté le budget de la justice de manière inédite, mais, apparemment, cela ne suffit pas. Cela ne suffit jamais quand l’initiative vient des autres, madame Cathala. C’est votre mode de fonctionnement. Ne venez pas nous dire ensuite qu’il manque des moyens. Vous réglez systématiquement la question de la délinquance en distribuant des bons points, des médailles en chocolat.

Madame Soudais, vous êtes venue m’intimider à la fin de la commission des lois tout à l’heure, c’est insupportable. Nous sommes dans une niche parlementaire : souffrez que je dispose du même droit à l’expression que vous.

M. le président Florent Boudié. Je suspends pour deux minutes.

La réunion est suspendue de vingt-deux heures quinze à vingt-deux heures dix-sept.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Votre argument sur l’individualisation de la peine ne tient pas : tous les groupes ont voté pour des textes dérogeant à ce principe. Ils l’ont fait sur d’autres sujets qu’ils estimaient peut-être plus importants ou plus porteurs. Le groupe socialiste a ainsi proposé de mettre en place une peine automatique de retrait de l’autorité parentale – ce qui n’est pas anodin – avant toute condamnation définitive du parent. Il n’y a pas d’individualisation de la peine dans ce cas. Pourquoi l’accepter dans certains cas et opposer un refus absolu dans d’autres ? Pour des raisons politiques.

Est-ce au législateur de fixer des peines minimales ? Rappelons qu’il en existe toujours en matière criminelle. Rappelons aussi que nous avons fonctionné deux siècles avec un système comportant des peines planchers et plafonds, et que nous ne vivons que depuis une trentaine d’années avec un système sans peine minimale. Notre droit a d’abord imaginé des peines comprises dans une fourchette, avant de rétropédaler pour des raisons qui ne sont plus tout à fait d’actualité – la situation a changé. Notre rôle est de prévoir une fourchette si nécessaire. Nous sommes un pouvoir alors que la justice est une autorité. Selon la formule de Montesquieu, « les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi ». Si le législateur estime que les circonstances justifient un encadrement, alors il doit encadrer. Rien n’y fait obstacle, au contraire, cela fait partie de son office.

Article unique (art. 132-19-1 [rétabli] du code pénal) Peine minimale d’emprisonnement pour les violences commises en état de récidive légale à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public

Amendements de suppression CL3 de Mme Elsa Faucillon, CL6 de Mme Danièle Obono, CL16 de M. Emmanuel Duplessy, et CL24 de M. Jiovanny William

Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous nous opposons à la réinstauration des peines planchers, prévue par cet article unique, pour des raisons que j’ai déjà développées. Je vais donc utiliser mon temps de parole pour répondre à quelques-uns des arguments que vous avez avancés, madame la rapporteure.

Dans cette commission, il n’y a pas, d’un côté, ceux qui pensent qu’il ne faut jamais emprisonner qui que ce soit, et, de l’autre, ceux qui estiment qu’il faut toujours incarcérer davantage – en tout cas, je l’espère. Le taux d’incarcération est très élevé et il augmente beaucoup plus vite que le taux de délinquance, ce qui devrait nous donner à réfléchir. La peine de prison n’est pas plus satisfaisante pour les victimes qu’elle ne favorise la réinsertion ou ne permet de lutter contre la récidive. Je n’ai entendu personne dire qu’il ne fallait plus de prison. Mais si nous voulons nous attaquer à la surpopulation dans les prisons, nous allons devoir réfléchir à la déflation carcérale, et à l’efficacité de cette peine dans le cadre de la lutte contre la récidive et pour la réinsertion. Les peines planchers nous entraînent à l’opposé de cette réflexion utile.

Je reviens au concept de désistance, que nombre d’acteurs de notre système judiciaire et pénitentiaire nous appellent à intégrer dans nos logiques parlementaires. Quand une personne récidive, cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas sur le chemin de la désistance et qu’elle ne s’éloigne pas de certains délits qu’elle aurait pu commettre. Seule l’individualisation de la peine permet de le prendre en compte.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). La défense de cet amendement de suppression me donne l’occasion de vous répondre, madame Moutchou. Tout le monde aura pu constater que je n’ai jamais dit qu’il fallait abolir la prison ou tenu les autres propos que vous m’avez prêtés d’une manière caricaturale.

Quant à vous, vous n’avez pas répondu à nos interpellations. Que répondez-vous quand nous vous signalons qu’aucun syndicat de magistrats, aucun regroupement d’avocats, aucun professeur de droit pénal ne soutient ce genre de proposition ? Que répondez-vous lorsque l’on vous dit que ces mesures sont jugées inutiles par le ministère de la justice lui-même, dans un rapport, et par l’Institut des politiques publiques (IPP) ? Que faites-vous des observations de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) et de la condamnation de la France pour traitement inhumain et dégradant, la surpopulation carcérale étant jugée contraire par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) ?

Nous sommes deux élues du Val d’Oise, où la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise compte 885 détenus pour 540 places, ce qui représente une surpopulation de plus de 150 %. J’y suis allée deux fois récemment pour contrôler le respect de la dignité des personnes détenues, mais aussi les conditions de travail des surveillants. La surpopulation carcérale fait aussi souffrir l’administration pénitentiaire et les surveillants en sous-effectif. Il n’y a jamais eu autant d’arrêts maladie. Les surveillants ont du mal à exécuter toutes les tâches qui leur sont confiées, à accompagner les détenus à leur formation, au cabinet médical ou au travail.

La surpopulation porte évidemment atteinte à la réinsertion : peu de détenus de la maison d’arrêt du Val-d’Oise accèdent à une formation, et à peine 15 % d’entre eux travaillent pour l’entreprise intervenant dans l’établissement ou effectuent les travaux de blanchisserie, de cantine et autres, proposés par l’administration, ce qui leur donne une occupation et un minimum de rémunération. Que préconisez-vous pour lutter contre la surpopulation carcérale ? L’Allemagne compte 60 000 détenus pour 83 millions d’habitants, tandis que nous avons 80 000 détenus pour 66 millions d’habitants.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Nous proposons de supprimer cet article unique pour des raisons développées dans mon propos liminaire, qui sont à la fois principielles et opérationnelles – l’absence totale d’efficacité de ces mesures a été démontrée.

M. Jiovanny William (SOC). L’IPP a démontré que lorsque la probabilité de récidive pour un même délit diminue, les individus concernés peuvent se tourner vers la commission d’autres délits. Ils peuvent passer d’un délit à un autre, voire à des crimes. L’arsenal juridique existe et l’office du juge doit être sanctuarisé. Il appartient au ministère de la justice de définir une politique pénale – elle est manifeste en ce qui concerne les violences intrafamiliales pour lesquelles les sanctions ont été durcies. Nous proposons donc de supprimer cet article unique.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. S’agissant de la sévérité du texte, je rappelle que nous proposons une peine minimale de douze mois de prison alors que la moyenne des peines prononcées est de neuf mois. Notre proposition est donc tout à fait raisonnable.

La prison n’est évidemment pas la seule réponse, et nous sommes favorables au développement de tous les outils permettant de traiter la délinquance et d’éviter la récidive. En fait, il n’y a jamais eu autant d’aménagements de peines ne donnant à peu près aucun résultat pour freiner la récidive.

Ce type de mesures ne serait soutenu par aucun magistrat, avocat ou professeur de droit pénal, dites-vous, madame Cathala. Dans vos propos liminaires, vous nous avez reproché de mettre en avant l’opinion des Français et expliqué qu’il ne fallait pas légiférer en fonction de l’opinion publique. Il faudrait donc légiférer en fonction de syndicats, mais pas de l’opinion publique ? Pour ma part, je suis à l’écoute de tout le monde sans être dans un camp, sinon celui de l’intérêt général. À un moment donné, je tranche. Au passage, j’indique que la chancellerie soutient ce texte : s’il est examiné dans l’hémicycle, le ministre de la justice y sera favorable.

Vous avez évoqué la maison d’arrêt d’Osny. Je veux rendre hommage aux personnels pénitentiaires en général, et à ceux de cet établissement en particulier, qui font un travail difficile. Ce texte vise aussi à les protéger parce qu’ils sont des cibles, que les agressions se multiplient à leur égard.

Enfin, je vous renvoie à vos contradictions sur l’individualisation de la peine. C’est moi qui n’obtiens pas de réponse. Pourquoi ce qui est possible dans d’autres cas ne l’est pas pour celui-ci ?

Mme Pascale Bordes (RN). D’aucuns estiment que les peines planchers ne respecteraient pas le principe d’individualisation des peines. C’est faux. Le Conseil constitutionnel a tranché à plusieurs reprises, notamment dans sa décision du 9 août 2007 où il indique que si la sanction doit être en partie adaptée au profil du condamné, elle ne doit pas l’être au point de rendre le système imprévisible, voire arbitraire. C’est fini. Vous ne pouvez plus continuer à invoquer cet argument. Vous citez le Conseil constitutionnel à tout bout de champ, lisez ses décisions pour une fois.

Une étude de l’IPP dirait le plus grand mal des peines planchers. Alors, je me suis procuré cette note, publiée en mars 2024 par cet institut très proche de Sciences Po Paris, qui ne peut pas être accusé de se situer à la droite de l’échiquier politique. Que dit cette note ? Qu’à moyen terme, l’application des peines planchers a induit une forte hausse des peines de prison infligées aux récidivistes – ce qui est très bien – et une baisse de 11 % de la récidive – ce qui est le but recherché. Je conçois que cela ne vous plaise pas. Il semble bien que les personnes visées par des peines planchers ont enfin appris quelque chose.

Tous les professionnels seraient contre les peines planchers. Vous citez le Syndicat des avocats de France (SAF), classé à gauche, le Syndicat de la magistrature, que l’on ne présente plus, et le Conseil national des barreaux (CNB) qui a radicalement viré à gauche au cours des huit dernières années. C’est sûr : si vous faites vos propres statistiques, nous n’y arriverons pas.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Nul ne conteste votre objectif : faire baisser la délinquance. En revanche, nous nous opposons à votre logique : pour faire baisser la délinquance, il faudrait condamner plus lourdement et incarcérer davantage. À l’œuvre depuis vingt ans dans cette maison, cette logique n’a pas produit les effets escomptés, au contraire : on incarcère de plus en plus, la longueur des peines augmente, et les détenus sont de plus en plus nombreux. Nous allons nous prononcer sur votre texte sans avoir les prémices de votre raisonnement. Qu’est-ce qui, selon vous, est le fait générateur de la délinquance ? Est-ce dû à un facteur génétique dans une partie d’une classe sociale ou d’une classe ethnique, comme certains le pensent ? Suivant votre raisonnement, il suffirait de condamner systématiquement à des peines les plus lourdes possible pour que la délinquance disparaisse. Or vous voyez que cela ne fonctionne pas. C’est pourquoi j’aimerais que l’on revienne en amont de votre raisonnement, ce qui vous conduirait à proposer un texte complètement différent de celui-ci.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Que vient faire la génétique avec ce que je propose, avec ce que j’ai pu dire ou écrire ? Vous avez une curieuse grille de lecture, monsieur Coulomme. Vous expliquez que plus on condamne, et plus on incarcère. C’est statistiquement faux. Nous avons le même nombre de détenus, je le répète, mais ils sont incarcérés pour des durées plus longues – c’est une autre dimension. Vous ne pouvez pas faire de tels raccourcis. Vous parlez de peines plus lourdes, alors que mon texte propose des peines de douze mois, pour des délits sanctionnés en moyenne par des peines de neuf mois. À vous entendre, je propose la réclusion criminelle à perpétuité. La durée d’un an nous paraissait équilibrée pour une peine plancher. Vos arguments sont grossiers, au sens d’exagérés. Ils ne correspondent pas à ce que je propose. Vous êtes mal à l’aise parce que vous n’avez pas d’arguments. Vous invoquez le principe de l’individualisation de la peine, alors que mon dispositif prévoit que le juge peut déroger à la peine plancher, et que vous avez vous-même voté pour des textes qui s’asseyaient sur ce principe. Enfin, mon texte est calibré.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL7 de Mme Danièle Obono et CL4 de Mme Pascale Bordes (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je vais utiliser mon temps de parole pour répondre à Mme la rapporteure. Quand on légifère sur un sujet aussi technique que celui-ci, il vaut mieux se référer à des autorités administratives indépendantes, à des professeurs ou à des syndicats plutôt qu’à des personnes qui n’ont pas de connaissances sur le sujet. Il en va de même en matière environnementale : il vaut mieux se référer à des chercheurs spécialisés plutôt qu’à des citoyens peu informés.

Déjà très élevé, le nombre de détenus va continuer à croître jusqu’à la fin de l’année, si l’on en juge d’après les projections. Contrairement à ce que vous dites, la France incarcère plus que la plupart de nos voisins : l’Allemagne compte 60 000 détenus pour 83 millions d’habitants, alors que la France compte 80 000 détenus pour 66 millions d’habitants. Pourtant, il me semble qu’il n’y a pas moins de délinquance, d’agresseurs ou de meurtriers en Allemagne qu’en France. Les crimes les plus graves, les meurtres notamment, baissent depuis trente ans dans notre pays. D’autres infractions, telles que les violences sexuelles, n’augmentent qu’en apparence : les femmes parlent plus et sont davantage prises en considération quand elles dénoncent ce type d’infraction, mais la société a toujours été aussi violente dans ce domaine.

Et je vous le redemande, que pensez-vous des recommandations de la CGLPL et de la CEDH en matière de surpopulation carcérale ?

Mme Pascale Bordes (RN). L’amendement CL4 réécrit l’article 1er pour, d’une part, rendre le texte applicable aux trafiquants de drogue ainsi qu’aux auteurs de crimes et délits commis en état de récidive légale, et, d’autre part, augmenter les seuils minimaux des peines d’emprisonnement, de réclusion ou de détention applicables à ces crimes ou délits. En effet, au regard de l’explosion de la délinquance et de la criminalité, il est urgent de mettre en place des peines minimales qui s’appliquent pour toutes les atteintes graves à notre socle de valeurs communes. Le devoir de l’État est de protéger la vie de ses concitoyens.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Madame Cathala, la vérité des chiffres est que la France incarcère moins que la moyenne européenne, puisque notre pays compte 106 détenus pour 100 000 habitants, contre 124 à l’échelle de l’Europe.

Madame Bordes, je me suis déjà exprimée à ce sujet lors de l’examen de la proposition de loi que vous aviez présentée dans le cadre de votre niche. Notre souhait n’est pas de rétablir des dispositions proches de celles qui ont déjà existé. Rappelons que le système Dati-Sarkozy s’est soldé par un bilan plus que mitigé en matière criminelle – je dirais même qu’il n’a pas fonctionné –, alors qu’il a donné un certain nombre de résultats en matière délictuelle. En outre, nous avons voulu proposer un dispositif ciblé sur les agents publics, car ceux qui participent à la vie de la collectivité doivent être protégés de manière particulière. Avis défavorable.

M. Pierre Cazeneuve (EPR). J’aimerais m’attarder quelques instants sur l’amendement CL7, qui témoigne de la constance dont La France insoumise fait preuve dans l’absurdité. Alors que Mme Moutchou demande que les récidives de violences physiques exercées contre un dépositaire de l’autorité publique soient punies d’une peine minimale d’un an d’emprisonnement, les députés de La France insoumise souhaitent qu’un individu ayant déjà purgé une peine d’emprisonnement pour un délit similaire ne puisse pas être condamné à retourner en prison. Cette proposition, absolument fantastique, montre à quel point vous êtes hors sol. Si vous frappez un policier une première fois, vous pouvez aller en prison, mais si vous le frappez à nouveau, vous n’y retournerez pas ! Quelles que soient les discussions philosophiques que peuvent susciter les peines planchers, vous en inversez complètement la logique : vous faites peser la responsabilité de la récidive sur la société plutôt que sur l’auteur du délit. Cet amendement dénote une réelle divergence de point de vue sur la politique pénale à mener dans notre pays. Il est extrêmement grave, extraordinairement dangereux et complètement fou. Vous devriez avoir honte de l’avoir déposé !

Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). La surenchère pénale ne fonctionne absolument pas.

J’ai été étonnée d’entendre que cette proposition de loi aiderait les surveillants pénitentiaires, alors qu’elle aura plutôt l’effet contraire. Ces agents sont en souffrance, parce qu’au vu du remplissage des prisons, ils se trouvent confrontés à un trop grand nombre de détenus et subissent donc beaucoup d’agressions. Les directeurs de prison ont d’ailleurs du mal à recruter, à l’instar de celui du centre pénitentiaire de Beauvais, qui mène pourtant un travail remarquable en matière de réinsertion des détenus. Ainsi, seuls des agents très jeunes acceptent d’occuper des postes de surveillants pénitentiaires. Ceux que j’ai rencontrés sont complètement désabusés : même lorsque leurs conditions de travail sont épouvantables, comme à la prison de Fresnes, ils partent du principe qu’elles ne pourraient pas être meilleures. Or, avec cette proposition de loi, vous allez empirer leur situation, si bien que même les agents les plus chevronnés et résilients finiront par craquer. Vous arriverez de moins en moins à recruter des gens pour garder vos prisons, lesquelles accueilleront de plus en plus de détenus, qui provoqueront de plus en plus d’incidents. Je me demande d’ailleurs où vous allez mettre tout ce petit monde… Comptez-vous affecter dix personnes dans des cellules qui ne devraient en accueillir que deux ?

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Monsieur Cazeneuve, si un ancien détenu en vient à récidiver, c’est que la prison ferme n’a pas fonctionné.

L’article 130-1 du code pénal, qui a été cité, dispose que la peine a pour fonctions de « sanctionner l’auteur de l’infraction », ce qui ne passe pas forcément par la réclusion, et de « favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». Cependant, les aménagements de peine sont trop souvent écartés, faute de crédits. Vous affirmez avoir augmenté comme jamais le budget de la justice, qui s’établit à 11 milliards d’euros – un niveau qui ne permet même pas de rattraper l’inflation des dix dernières années. Or la moitié de ce budget est en réalité un budget carcéral, puisque plus de 5 milliards sont alloués à l’administration pénitentiaire. Pour notre part, nous avons défendu des amendements visant à augmenter les crédits relatifs aux aménagements de peine, à la détention à domicile sous surveillance électronique, au suivi en milieu ouvert et aux activités destinées aux détenus, mais vous les avez tous rejetés.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Madame Soudais, ce texte vise précisément à protéger les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public, dont font partie les agents pénitentiaires, contre les récidives d’agression.

Par ailleurs, madame Cathala, puisque vous êtes attachée aux principes, que faites-vous de la proportionnalité des peines, qui implique de réprimer plus sévèrement des faits plus graves ? Or, comme le Conseil constitutionnel l’a lui-même rappelé, la récidive constitue une « circonstance objective de particulière gravité ».

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL29 de Mme Naïma Moutchou et CL21 de M. Yoann Gillet ; amendements CL23 de M. Yoann Gillet et CL13 de Mme Pascale Bordes (discussion commune)

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Toujours dans le but d’affermir la répression des atteintes à l’autorité de l’État, l’amendement CL29, que j’avais déjà déposé en 2023, vise à étendre de façon ciblée le champ des délits donnant lieu à des peines minimales. Il me paraît cohérent d’inclure dans ce champ les violences commises contre les familles des personnes dépositaires de l’autorité publique en raison des fonctions de ces dernières, le délit d’embuscade exercé contre des personnes dépositaires de l’autorité publique ou des agents des exploitants de transports publics, ainsi que les violences avec usage ou menace d’une arme, commises en bande organisée ou avec un guet-apens contre des personnes dépositaires de l’autorité publique ou leurs familles, si elles n’ont pas entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours.

M. Jonathan Gery (RN). L’amendement CL13 est un amendement de repli, qui vise à étendre le champ d’application de l’article unique à tous les délits relatifs au trafic de stupéfiants. Dans ce domaine, il faut en effet changer de paradigme et appliquer des peines minimales, seules à même de lutter efficacement contre le fléau du narcotrafic.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je suis défavorable aux amendements CL23 et CL13. S’agissant de la répression des délits relatifs au trafic de stupéfiants, je vous renvoie à nos débats sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). La récidive d’agression commise contre une personne dépositaire de l’autorité publique, investie d’un mandat électif public ou chargée d’une mission de service public est déjà sévèrement réprimée, puisque le fait de s’attaquer à ce type de personne constitue une circonstance aggravante de l’infraction, a fortiori en état de récidive légale. Je ne comprends donc pas l’intérêt de l’amendement CL29, qui relève de la surenchère pénale.

Par ailleurs, nous avons bien spécifié, dans notre amendement CL7, que la juridiction pouvait prononcer une peine d’emprisonnement « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».

M. Pierre Cazeneuve (EPR). Madame Cathala, quand Mme Moutchou prévoit la possibilité, pour le juge, de prononcer, par une décision motivée, une peine inférieure à la peine plancher, vous considérez qu’il ne s’agit pas d’une dérogation. C’est pourtant ce que vous faites vous-même, dans l’autre sens, en autorisant le juge à prononcer une peine de prison si besoin. Il faut être cohérent, et évaluer vos propositions et celles de la rapporteure selon les mêmes critères.

Si l’on est tatillon, on peut considérer que la première limite à l’individualisation de la peine est le quantum, avec un plafond, prévu par le droit pénal. Par ailleurs, en cas de récidive, ce quantum de peine est doublé : il s’agit là encore d’une manière d’orienter la décision du juge. Pour votre part, vous proposez d’instaurer un « super plafond » qui empêcherait de renvoyer un récidiviste en prison. Vous vous inscrivez donc dans l’obstruction la plus totale à l’individualisation de la peine et à la liberté du juge, ce qui va à l’encontre de tout ce que vous avez dit depuis le début de l’examen de ce texte. C’est le grand n’importe quoi de La France insoumise !

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Effectivement, madame Cathala, celui qui s’en prend à un agent public encourt déjà une peine aggravée, a fortiori en cas de récidive, mais on parle là de la peine maximale. Je propose, pour ma part, d’instaurer une peine minimale. Cela n’a rien à voir !

Par ailleurs, comme l’a relevé M. Cazeneuve, personne ne s’en est jamais pris aux peines plafonds, déplorant que le juge ait les mains liées par ces peines maximales au-delà desquelles il ne peut pas aller. Personne ne conteste non plus les peines minimales en matière criminelle, prononcées pour réprimer des faits graves. Cela prouve bien que ce que je propose ici n’est pas une révolution.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL5 de Mme Pascale Bordes

Mme Pascale Bordes (RN). Cet amendement de repli vise à étendre le champ d’application des peines minimales à l’ensemble des agressions perpétrées contre ceux qui nous protègent, tels que les policiers ou les gendarmes, ou qui concourent, par leur mission et leur engagement, à l’intérêt général, tels que les pompiers, les médecins, les soignants ou les enseignants, et ce, dès la première infraction. Il n’est pas besoin d’attendre que ces faits soient commis en état de récidive légale.

Les outrages et violences à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique recensés par les services de sécurité intérieure ont augmenté de 15 % entre 2016 et 2023. Cela montre l’urgence d’instaurer des peines minimales dès la première infraction, afin de protéger ceux qui nous protègent eux-mêmes ou concourent à l’intérêt général. Cette disposition apparaît comme la seule façon de faire enfin cesser ces agressions totalement désinhibées, qui se multiplient.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avis défavorable. Encore une fois, je ne souhaite pas étendre le champ de ce texte. Si je vise les infractions commises en état de récidive légale, c’est précisément parce que le Conseil constitutionnel considère cette dernière comme une « circonstance objective de particulière gravité ».

Il faudra sans doute se reposer la question des peines minimales, mais en objectivant la situation, car il est compliqué d’en parler sans y avoir réfléchi plus longuement.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL30 de Mme Naïma Moutchou, rapporteure.

Amendements CL22 de M. Yoann Gillet et CL17 de M. Emmanuel Duplessy (discussion commune)

M. Michaël Taverne (RN). L’amendement CL22 vise à restreindre la faculté, pour le juge, de prononcer une peine inférieure au seuil d’un an d’emprisonnement en cas de récidive. Il exclut toute peine alternative et limite la possibilité d’accorder une réduction de peine à des circonstances exceptionnelles liées aux faits constitutifs de l’infraction et à la personnalité de l’auteur.

M. Jérémie Iordanoff (EcoS). L’amendement CL17, quasi rédactionnel, vise à alléger le code pénal en faisant confiance aux juges et à l’institution judiciaire.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Non, monsieur Iordanoff, votre amendement n’est pas véritablement rédactionnel ! Je fais confiance à l’institution judiciaire et aux magistrats, mais je tiens à la motivation des décisions prononcées par ces derniers, ne serait-ce que pour des raisons pédagogiques. Je comprends votre intention d’alléger le code pénal, mais je donne un avis défavorable à votre amendement.

Je suis tout aussi défavorable à l’amendement CL22, car la possibilité, pour le juge, de déroger aux peines minimales d’emprisonnement en vertu du principe d’individualisation des peines constitue une garantie essentielle de conformité du dispositif à la Constitution. L’adoption de cet amendement risquerait donc de mettre en péril l’ensemble de la proposition de loi.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle rejette l’article unique.

En conséquence, l’amendement CL28 de M. Emmanuel Duplessy tombe.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de l’État (n° 959).

 


([1])  Les règles d’assimilation des délits au regard de la récidive sont déterminées par les articles 132-16 à
132-16-4-1 du code pénal. À titre d’exemple, le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie et l’abus de confiance sont considérés comme une même infraction pour l’appréciation de l’état de récidive légale par l’article 132-16.

([2]) Loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice, article 74. La durée restant à subir hors récidive était auparavant de deux années.

([3])  Cette métaphore est développée au sein du livre XI de L’esprit des lois.

([4])  MM. Frédéric Desportes et Francis Le Guhenec, Droit pénal général, Quinzième édition.

([5])  Cette logique se retrouvait encore récemment pour le délit de blanchiment douanier prévu à l’article 415 du code des douanes. La peine d’emprisonnement prévue était ainsi comprise entre deux et dix ans, avant que la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ne supprime cette borne inférieure.

([6]) Loi n° 2007‑1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, articles 1er et 2.

([7])  Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

([8])  Conseil constitutionnel, décision  2007-554 DC du 9 août 2007, Loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, § 8 à 19.

([9]) Conseil constitutionnel, décision  2011625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, § 23 et 24.

([10]) Loi n° 2014‑896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, article 7.

([11]) Voir ainsi M. Dominique Raimbourg, Rapport sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, Assemblée nationale, XIVe législature,  1974, 28 mai 2014, pages 178 à 183.

([12]) Et son abrogation par l’article 5 de la loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

([13]) Conseil constitutionnel, décision  2018731 QPC du 14 septembre 2018, Mme Juliet I. [Peine minimale d’emprisonnement pour le délit de blanchiment douanier].

([14]) Un second plafond fixé à vingt ans de réclusion était prévu si le maximum encouru était trente ans ; il a été supprimé par la loi n° 2021‑1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, afin de permettre une modulation de la peine entre vingt et trente ans de réclusion criminelle.

([15])  Amendement CL12 présenté par Mme K/Bidi et M. Rimane.

([16])  Loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales.

([17]) M. Dominique Raimbourg, rapport précité, page 179.

([18])  Loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.

([19]) Circulaire CRIM n° 2019/1590/A22 du 6 novembre 2019 relative au traitement judiciaire des infractions commises à l’encontre des personnes investies d’un mandat électif et au renforcement des échanges d’information entre les élus locaux et les procureurs de la République, page 3.

([20]) Mme Naïma Moutchou, rapport  863 sur la proposition de loi visant à mieux lutter contre la récidive, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2023. .